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iïRANSFERRED
ANNALES
CATHOLIQUES
OCXOBRE - UECEMBRE
1893
PARIS. — IMP. G. PICQUOIN, RUB DE LILLE, 53
ANNALES
CATHOLIQUES
REVUE HEBDOMADAIRE
PUBLIEE AVEC L APPROBATION ET L ENCOUHAGKMKNT
DE NN. SS. PÈRES PIB IX ET LEON XIII
DE SON ÉMINENGE M*' LE CARDINAL-ARCHEVÊQUE DE ROUEN
DE LL. ÉM. LES CARDINAUX-ARCHEVEQUES DE REIMS ET DE TOULOUSB
DE NN. SS. LES AUCHEVÈQUES DE BOURGES, d'aIX ET DE BESANÇON,
ET DE NN. SS. LES ÉVÈQUES d'aRRAS, DE BEAUVAIS,
d'aNGERS, DE BLOIS, DE CAHORS, D'ÉVREUX, DU MANS, DU PUY,
DE LIMOGES, DE CHALONS, DE MEAUX, DE MENDE, DE NANCY,
OK MARSEILLE, DE NANTES, DE NEVERS, DE NIMES, d'ORLÉANS, DE PAMIER8
DE SAINT-CLAUDE, DE SAINT-DiÉ, DE TARENTAISE, DE TROYES, d'aUTUN,
DB VANNES, DE SÉEZ, DE FRÉJUS, d'aNNECY, DE CONSTANTINE, DE FRIBOURO
DE CARACAS, DE CARTHAGENE, D'oLINDA, DE LEON DU MEXIQUE, ETC.
RÉDACTEUR EN CHEF
P. CHANTREL
CHEVALIER DE L'ORDRE DE L'iMMACULÉK-CONCKPTION
TOME IV
OCTOBRE - décembre:
(tomb lxxxvi de la collection)
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PARIS
9, RUE PÉROU, 9
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BEl-^ 2/95
ANNALES CATHOLIQUES
LE LIVRE DE PAROISSE
Toute église, toute corporation doivent avoir des archives.
■Ces archives sont obligatoires, non-seulement dans les cathé-
drales, mais encore dans les paroisses et même dans les con-
fréries. Dans ces archives, outre les registres nommément exigés
par le Rituel, doit se trouver le livre de paroisse, rendu obliga-
toire par le concile de Trente (Sess. XXIV, De Reformatione
matrimoniali , chap. I et II), et qui contient les confirmations,
les mariages, les sépultures et l'état des âmes.
A côté de ce livre de paroisse canonique, ne convient-il pas
qu'il s'en trouve un autre, sorte de chronique rédigée au jour
le jour racontant l'existence propre de chaque église, et conte-
nant au fur et à mesure de leur éclosion'ces feuilles volantes,
si difficiles à se procurer plus tard, récits, descriptions, fêtes,
gravures.
Depuis quelques années les préfets d'abord, le gouvernement
ensuite ont prescrit à leurs subordounés, non-seulement de tirer
leurs archives de la poussière des cartons, mais d'inscrire sur
des répertoires archéologiques qu'ils leur ont remis, les faits
récents et contemporains qui intéressent la localité, afin d'en
garder la mémoire.
Pourquoi chaque église n'aurait-elle pas son histoire propre,
rédigée au jour le jour par son curé? Lès faits les plus saillants
sont gravés sur les murs mêmes pour en perpétuer à jamais le
souvenir de la manière la plus apparente et la plus durable. Les
faits d'un ordre moindre seraient consignés dans un registre
spécial. De ce nombre seraient ia visite pastorale, la confirma-
tion ; une cérémonie extraordinaire, comme le sacre d'un évêque;
des prédications pour jubilé ou mission, la donation d'un vitrail,
la pose d'une inscription commémorative, etc.; la réception d'un
orgue, un concert spirituel au profit des pauvres, l'enterrement
d'un grand personnage. — La rédaction de cette chronique de-
vrait être claire et calme. On demande des faits et non des
phrases, la vérité et non une appréciation, de l'exactitude et
monde l'emphase. Plus tard, rien ne sera plus curieux à con-
LXXXVI — 7 OCTOERE 1893. 1
6 ANNALES CATHOLIQUES
sulter que cette histoire intime qui initie à la vie d'un monu-
ment et à celle des générations qui y ont prié.
I. Renseignements historiques. — Epoque et motifs de rérec-
tion de la commune en cure. — De quel diocèse dépendait-elle
avant le Concordat en 1801 ? De quel doyenné, archiprêtré, ar-
chidiaconé ressortissait-elle? Quelle était autrefois sa circons-
cription territoriale? Quelles étaient ses dépendances? — La
cure était-elle à la nomination de l'évêque, d'une abbaye, d'un
■eigneur? — Quels étaient les revenus et les droits de l'église?
— Id. de la cure? — Quel était le rang du curé dans la hiérar-
chie du diocèse ? — Quels ont été successivement les curés de la
paroisse depuis 1802? Indiquer la date de leur entrée, de leur
sortie ou de leur décès, ainsi que leur âge. — Y a-t-il quelques
curés ou quelques prêtres originaires de la paroisse? Date de
leur naissance, de leur ordination, de leur mort. Se sont-ils si-
gnalés par leurs vertus, leurs bienfaits, leur science, leurs
fonctions, ou par quelques faits mémorables ? Il est juste qu'un
curé soit l'historien de ses prédécesseurs et transmette aux gé-
nérations à venir leurs vertus et les beaux faits qui peuvent
honorer le clergé. Il conviendrait, par exemple, de rappeler les
principaux traits de la vie des martyrs et des confesseurs de la
foi pendant la Révolution; les actes de charité et d'héroïsme
dans les grandes calamités, comme famine, épidémie, inonda-
tion, incendie. — Mêmes questions sur les prêtres qui, n'étant
pas curés, auraient habité la paroisse en y exerçant ou sans y
exercer des fonctions sacerdotales. — La paroisse a-t-elle un
vicaire reconnu par le gouvernement? — Y a-t-il des prêtres
qui y soient domiciliés? — La paroisse renfermait-elle autrefois
des abbayes, prieurés, ermitages? Y a-t-il encore des débris de
ces maisons, de leurs églises ? Quelle est leur destination pré-
sente ? Indication de tous les détails historiques qui peuvent
offrir de l'intérêt. — Y a-t-il sur le territoire de la paroisse des
fontaines en vénération, fréquentées par les malades et auxquelles
on attribue la vertu de guérir différents maux? Pour quel genre
de maladie? — Y a-t-il des croix antiques ou remarquables dans
la circonscription de la paroisse? Origine et cause de leur érec-
tion. Y a-t-il des pèlerinages? Quel est le but de la dévotion? Y
a-t-il des abus?
On peut avoir ces renseignements historiques dans les ar-
chives de la commune, de l'église, des particuliers, à moins que
ces archives n'aient été portées à la préfecture. On peut encore
LE HVRB DE PAROISSE 7
les obtenir de témoins oculaires ou auriculaires et les compléter
par des monographies ou à l'aide d'histoires générales. S'il n'est
pas possible de faire l'histoire ancienne de la paroisse, se borner
à l'histoire récente et contemporaine. Il est certain que remplir
ce programme n'est pas l'affaire d'un jour; on assignera à
chaque question une ou plusieurs pages que l'on écrira peu à
peu, selon l'occasion.
Après avoir étudié l'histoire de la paroisse, on étudiera celle
de l'église.
Quel est Je patron? Y a-t-il des usages particuliers dans la
manière de célébrer sa fête? De quels saints fait-on solennelle-
ment la fête comme patrons secondaires? — Y a-t-il, dans le
culte, des cérémonies ou usages particuliers et locaux utiles à
connaître? — Epoque de la construction de l'église. Son genre
d'architecture. — L'étudier avec soin. — L'église renferme-
t-elle des chapelles claustrales, des objets d'art et d'antiquité,
des tombeaux ?
Puis, l'histoire de la Fabrique, des institutions de bienfai-
sance, des chapelles placées sur le territoire de la paroisse, et
des fondations. 11 conviendrait de rappeler les noms des bien-
faiteurs de l'église, celui des fondateurs, par exemple, de
l'Octave des Morts, du Saint-Sacrement, des 40 heures, du
Chemin de la Croix, des personnes qui ont fait des dons ou des
legs à la fabrique ou aux autres établissements religieux de la
paroisse. Enfin on terminerait par l'histoire du presbytère, des
biens de la cure, de l'état présent du curé au point de vue ma-
tériel, de ses rapports avec l'autorité civile. On aurait ainsi un
historique complet de la paroisse étudiée dans ses origines,
dans son culte représenté par son église, sa fabrique, ses fon-
dateurs et les libéralités de ses bienfaiteurs.
IL Renseignements statistiques. — Ces renseignements por-
teront :
1° Sur le nom de la paroisse. Etymologie de son nom actuel
et des noms qu'elle a successivement portés. Causes et dates de
ces changements. Si l'étymologie des noms donnés à des établis-
sements paroissiaux, à des chemins vicinaux, ponts, fontaines,
offre quelque chose d'intéressant, si elle aide à constater quel-
ques points historiques de la localité, le dire.
2° Sur la situation géographique de la paroisse. Est-elle sur
une montagne, sur une colline, dans une vallée? Dates et causes
de la fondation du lieu.
8 ANNALES CATHOLIQUES
30 Sur la population de la paroisse. Origine de la population..
Raisons qui ont déterminé son émigration. Nombre des habi-
tants, des ménages. Nombre annuel des naissances, mariages,
décès.
4° Sur les industries de la paroisse.
5° Sur la minéralogie, la zoologie, la botanique et la flore du
pajs, sur la paléontologie, la numismatique, l'archéologie; si le
curé peut aborder ces questions, ces études sont loin d'être inu-
tiles aux prêtres et à la religion. Soumise depuis plus d'un demi-
siècle à l'épreuve des recherches géologiques, la religion les a
toutes subies sans donner lieu à l'incrédulité de les entamer ; de
plus amples découvertes ne feront que l'affirmer.
III. Renseignements moraux. — Inclinations morales des
habitants, bonnes qualités, défauts prouvés par des faits. —
Usages et coutumes. — Nuances de caractères et goûts particu-
liers, esprit mercantile, processif, militaire, etc. — Nombre des
auberges, cafés, débits de boissons, — N'oublier aucun des ren-
seignements qui peuvent servir à apprécier la moralité et l'es-
prit des paroissiens. — Indication des causes particulières qui
ont amélioré, altéré ou modifié les moeurs. — Proportion des
enfants légitimes et naturels. — Foires, fêtes locales, jeux
et plaisirs ordinaires du peuple. — Divertissements particuliers
à chaque saison, à chaque âge, à chaque sexe, lieux de réunion.
Quel est le nombre actuel des catholiques? Le nombre
approximatif et moyen des communions à Pâques. — Des enfants
admis à la première communion. — Des mariages. — Des ma-
riages civils, mixtes. — La grande majorité des habitants prend-
elle part aux offices paroissiaux? Est-ce habituellement ou seu-
lement aux grandes solennités? — Montre-t-elle des dispositions
à recevoir l'instruction religieuse? — Y a-t-il des confréries
d'hommes, de femmes, de filles, de garçons? — Quel est leur
but spécial de dévotion ? Quels sont leurs patrons, leurs fêtes,
leurs réirlenients? Y a-t-il des titres d'érection. Sont-elles enri-
chies de jiriviléges particuliers, d'indulgences de Rome? Quelles
sont les ressources et le mode d'administration de ces confréries?
Y a-t-il des écoles? Qui les dirige? Sont-olles fréquentées?
Le peuple en général sait-il lire et écrire?
On comprend avec quelle sagesse et quelle prudence un curé
doit consigner ces notes, et avec quel soin il doit éviter des
réflexions imprudentes sur les personnes. Qu'il signale des dan-
gers, des abus, mais toujours sur le ton de la charité et avec-
LE LIVRE DE PAROISSE 9
un esprit vraiment sacerdptal. II écrit une histoire, non un
pamphlet; il évitera les commérages, les légendes et ne dira
que ce que la vérité et la charité unies ensemble lui permettront
de dire.
IV. — Il est peu de paroisses qui n'offrent quelques pièces
propres à jeter du jour sur l'histoire locale : chartes, statuts,
règlements, privilèges, redressement d'abus, exemptions de
redevances, tailles, péages ; nombre de pièces intéressant l'his-
toire d'une foule de villages et de bourgades sont encore ense-
velies dans les vieilles archives des communes, oii on ne les
soupçonne pas. Peut-on croire que l'histoire de la célèbre abbaye
de Jouarre, au diocèse de Meaux, qui remonte au vii= siècle,
n'est même pas commencée ! On découvre tous les jours d'anciens
titres fort importants et qui sont mis au rebut comme papiers
inutiles par d'ignorants villageois ; on les trouve quelquefois à
moitié dévorés par les insectes et la moisissure, entassés dans
des greniers ou de vieux coffres. Que le clergé s'occupe, dans
ses moments de loisir, de rechercher tout ce qui peut jeter du
jour sur l'obscurité de notre passé, que chaque curé mérite le
titre d'historien de sa paroisse. Il suffit souvent d'une seule
notice, de quelques documents, pour exhumer de l'oubli cer-
tains faits, ou conserver le souvenir de quelques événements qui
sont loin d'être dénués d'importance. Le prêtre, en montrant du
goiit pour les études historiques et naturelles, se fera le plus
grand honneur aux yeux des classes éclairées. On ne trouve
malheureusement 'plus à moissonner comme il y a vingt ans;
mais on peut encore glaner à peu près partout et faire, en cer-
tains lieux, une utile récolte. Il serait triste que pendant que
les laïques instruits de chaque commune ne restent pas inactifs,
le curé seul se croisât les bras.
Ne voit-on pas d'ailleurs quel profit la religion peut retirer
de ces recherches? Récits des vieux usages pour les naissances,
les baptêmes, les mariages, les décès ; coutumes anciennes,
croyances fabuleuses, superstitions, préjugés, récits merveil-
leux, vieux contes, fabliaux, uoëls, refrains, complaintes, saints,
souhaits, félicitations, etc., influence de certains événements
sur l'éducation, l'esprit et les mœurs, nous aideront à découvrir
souvent la vérité au milieu des ténèbres dont elle est enveloppée,
et nul doute que ce concours unanime de zèle et d'efforts dirigés
de tous les points vers un centre unique par les cinq ou six cents
prêtres répandus sur la surface de chaque diocèse, n'ait des
10 ANNALES CATHOLIQUES
résultats, sinon immenses, du moins fort utiles pour la science
et la gloire d'une contrée.
Lorsqu'un curé découvrira des titres, bulles, chartes, terriers,
actes divers en faveur des paroisses, il fera bien de les envoyer
à l'évêché, qui les fera examiner avec soin par des archivistes.
S'il peut transcrire les pièces originales, il suffira d'envoyer
cette copie. Si l'original est illisible, qu'il le communique à un
archiviste. Qu'il ait soin de faire un inventaire exact et complet
de tous ces titres. Qu'il fasse attention à leur date, aux person-
nages ou à l'autorité dont ils émanent, ainsi qu'à la substance
des faits qu'ils renferment. Qu'il examine si la pièce est origi-
nale, ou n'est qu'une simple copie, récente ou ancienne.
P. -G. MOREAU,
vicaire général honoraire de Langres.
NECROLOGIES EPISCOPALES
ÉVÊQUES FRANÇAIS DÉCÉDÉS DURANT LE DIX-NEUVIEME SIECLE
DE 1800 A 1893 (1)
(Smite. — Voir les numéros du 16 jffnvier 1892 au 16 septembre 1893.)
Année 1821 [Suite].
20 octobre. — Le cardinal Alexandre-Angélique de Talley-
RAND-PÉRiGORD, archcvêque de Reims et de Paris. Ce prélat, né à
Paris le 16 octobre 1736 d'une des plus anciennes familles du
royaume, était fils de Daniel-Marie-Anne, marquis de Talley-
rand, colonel du régiment de Saintonge, tué le 9 mai 1742 au
siège de Tournai, et de Marie-Elisabeth de Chamillard, morte
à Paris le 25 novembre 1788, parente du ministre de ce nom
sous Louis XIV. Sa grand'mcre avait été mariée en premières
noces avec le marquis de Chamillard, en secondes avec le prince
de Chalais. Elle avait marié sa fille du premier lit avec le mar-
quis de Talleyrand, et sa fille du second lit avec le comte de
Périgord, fils du marquis de Talleyrand. L'une des deux sœurs
utérines devint donc la belle-mère de l'autre, et le comte de
Périgord était à la fois le fils et le beau-frère du marquis de
Talleyrand. Le futur cardinal fut baptisé le lendemain de ?a
(l) Reproduction et traduction interdites.
NÉCROLOGIES ÉPISCOPALKS 11
naissance dans l'église de Saint-Sulpice, par l'abbé Ringault,
vicaire; il eut pour parrain Louis-Claude de Chauvelin, fils du
garde des sceaux, ministre et secrétaire d'État des Affaires-
Étrangères, et pour marraine Catherine-Angélique de Chamil-
lard, épouse de Thomas Dreux, marquis de Brézé, lieutenant
général des armées du roi, grand maître des cérémonies de
France. Élevé, dès sa plus tendre enfance, dans les sentiments
de la plus haute piété par une vertueuse mère, qui était dame
du palais de la reine Marie Leczinska, et qui ne négligea rien
pour lui donner une éducation vraiment chrétienne, il se des-
tina de bonne heure à l'état ecclésiastique, état qui conservait
alors tout l'éclat, toute la splendeur, dont la sage politique de
tant de générations et de tant de monarques l'avaient succes-
sivement environné. D'abord élève du collège de La Flèche,
dirigé par les Jésuites, il entra au séminaire de Saint-Sulpice,
et y termina ses études théologiques. Il n'avait pas encore
atteint sa vingtième année, lorsque le roi voulut le nommer à
une abbaye, avant qu'il ne fût engagé dans les ordres. Instruite
des intentions de Louis XV, sa pieuse mère alla se jeter aux
pieds du souverain, le suppliant de suspendre cette grâce, de
peur que ce bénéfice ne fût pour lui un motif humain pour suivre
une vocation qu'elle désirait que la religion seule lui inspirât.
Toutefois, en mémoire des services de son père, le roi lui
accorda dès lors une pension de trois mille livres. Lorsqu'il fut
sur le point de commencer son cours de théologie, sa famille
appela de Rouen, où il professait la philosophie et où il s'était
distingué dans sa licence en Sorbonne, M. l'abbé Bourlier, mort
évêque d'Evreux, dix jours après le cardinal de Périgord, pour
diriger les études du jeune abbé. Pendant son séjour au sémi-
naire, sa tendre mère venait souvent le visiter; dès que les
séminaristes apercevaient sa voiture, ils se disaient entre eux :
«Voici la Sainte qui vient s'édifier avec son cher fils. » Son Emi-
nence ne parlait jamais de sa mère qu'il ne s'exprimât par ces
mots : ma sainte mère. Après avoir pris ses grades, il fut élevé
à la prêtrise. Mgr de Nicolaï, évêque de Verdun, lui donna des
lettres de grand-vicaire. Peu de temps après, il fut nommé
par Louis XV aumônier par quartier; et, en décembre 17G3,
l'abbaye du Gard, au diocèse d'Amiens, qui rapportait 12,000 li-
vres, lui fut donnée en commende.
L'abbé de Périgord avait à peine trente ans quand le cardinal
de la Roche-Aymon, ministre de la feuille des bénéfices, arche-
12 ANNALES CATHOUQXrKS
vèque de Reims, le demanda au roi pour coadjuteur. Le pape-
Clément XIII le préconisa le 26 septembre 1766 archevêque titu-
laire de Trajanople. Il reçut ses bulles le 1" décembre suivant,
et fut sacré dans la chapelle de Saint-Sulpice, à Paris, le 28^
du même mois par Mgr de la Roche-Aymon, assisté des évêques
de Senlis et d'Avranches, Mgr de Roquelaure et Mgr de Malide.
Il prit une grande part dans l'administration du diocèse de
Reims, et édifia le clergé et les fidèles par une conduite vrai-
ment apostolique. Sans rien perdre de cette élégance de mœurs
et de cette amabilité que le grand monde prétend seul donner,
il sut éviter de compromettre la sainteté du caractère sacerdotal
dans le commerce de la vie oii il conserva toujours les mœurs,
la douceur, le langage et la dignité d'un évêque. En 1769, il
obtint Tabbaye de Hauvilliers, diocèse de Reims, qui rapportait
24,000 livres, dont il fut le 70* et avant-dernier abbé; son pré-
décesseur dans cette abbave avait été Mgr de Bouille, évêque
d'Evreux, qui la posséda dix ans, et son successeur le cardinal
de Bayanne, en 1780.
Le jeune coadjuteur fut admis en 1770 à l'Assemblée du
Clergé, comme député d» la province ecclésiastique de Reims,
suppléant de Mgr de la Roche-Aymon qui ne pouvait, à cause
de ses occupations à la Cour et de ses infirmités, remplir les
fonctions de président auxquelles il avait été nommé. Mgr de
Périgord était alors d'une santé si délicate, que dans un Mande-
ment de cette année, placé à la tête de l'ancien Missel de
l'église de Reims, Mgr de la Roche-Aymon craignant de le voir
succomber à la fatigue, le recommandait à son clergé en ces
termes :
« Ne cessez point, nos chers collaborateurs, de prier pour le
vénérable archevêque que la miséricorde divine nous a donné
pour nous aider dans l'exercice de notre ministère. Vous con-
naissez sa piété, sa modestie, sa bonté, sa douceur.Nous avons
vu avec joie celui qui est destiné à devenir le pasteur de notre
Eglise, et sans crainte de nous tromper, nous pouvons présager
déjà le bonheur qui lui est réservé... »
Au moral, sage et vertueux, il n'avait rien de l'attitude des
prélats de cour, et il ne tint pas à lui de préserver son neveu,
Charles-Maurice de Talleyrand, le fameux diplomate, des écarts
de sa première jeunesse. Amoureux de la ligne droite, animé
d'un grand esprit de suite, il apportait dans sa charge pasto-
rale la même régularité que dans la vie privée. Au physique, on
NKCROLOOIES ÉPISCOPALES 13
ne savait lequel des deux il était le plus et le mieux, prélat oa
grand seigneur : lé tact, cette modération exquise dans les
manières, ce grand air, cette simplicité hautaine, cette politesse
érangélique, étaient répandus naturellement dans toutes ses
conversations. Courtisan religieux, pasteur homme de cour, il
portait en lui et au plus haut point le mélange d'un successeur
de saint Remy, combiné avec un gentilhomme de la cour de
Louis XV.
On lit à son sujet dans les procès-verbaux de l'Assemblée du
clergé de 1770, cet hommage éclatant rendu aux nobles et tou-
chantes vertus du coadjuteur de Reims. « La considération dis-
tinguée qu'il s'est déjà acquise, son mérite, les qualités aimables
que forment son caractère, sa douceur et cette politesse si natu-
relle qui lui gagnent tous les cœurs et ajoutent un nouveau
lustre à sa naissance, feraient penser que les témoignages
publics d'estime et d'affection qui lui sont décernés, mérite-
raient d'être un jour cités comme un exemple dans les fastes
de l'Eglise gallicane », passage que reproduisit Mgr de Quélen
dans son Mandement du 10 octobre 1821, qui ordonnait des
prières pour le repos de l'âme du cardinal de Périgord.
Lorsqu'on 1777, le 27 octobre, la mort du cardinal de la
Roche-Aymon appela son coadjuteur au gouvernement d'une des
plus anciennes et des plus célèbres églises des Gaules, Mgr de
Périgord s'assit dans la chaire de saint Remy, entouré de la
considération unanime et du respect particulier du clergé et des
fidèles de son diocèse; il devint duc et premier pair ecclésias-
tique. Il s'était démis de ses abbayes et avait reçu en échange
en 1775 celle de Saint-Quentin-en-l'Ile, au diocèse de Noyon,
qui rapportait mille florins (25,000 livres) et avait été possédée
depuis 1757 par le prince de Salm-Salm (Guillaume-Florent),
évêque de Tournai, et en 1793, archevêque de Prague où il mou-
rut en 1810. Il renvoya de son séminaire les chanoines réguliers
Génovéfains qui l'avaient gouverné sous la direction de MM. Bé-
rée et Lefèvre jusqu'en 1787, et il s'entendit avec M. Emery,
supérieur de Saint-Sulpice, qui lui envoya un de ses plus esti-
mables coopérateurs, M. de Picamilh,avec quatre directeurs.
M. de Picamilh a eu dans la suite pour successeurs au grand
séminaire de Reiras MM. Le Raigecourt de Gournay (1823-
1836) ; Aubry (1836-1866) ; Manier (1866-1870) ; Bieil (1870-
1875) ; Bouët depuis 1876. ■■o/nfn]
Dans son diocèse, l'archevêque ne s'occupait pas seulement de
14 A.NNAL.B8 CATHOLIQUES
l'amélioration morale de ses peuples, il fonda plusieurs éta-
blissements de luxe ou d'utilité, notamment une maison de
retraite pour les prêtres vieux et infirmes. En 1788, il acheva
la maison de Saint-Thierry, prés de Reims, destinée à la réiji-.
dence des archevêques. Il obtint du roi d'Espagne Charles III un.
troupeau de mérinos et donna ainsi une grande finesse aux
laines de Reims; il fonda, avec l'aide de quelques maisons de
commerce, une espèce de Mont-de-piété dont les prêts étaient
gratuits ; pour faire adopter par les paysans la couverture en
tuile et la substituer au chaume qui avait l'inconvénient de
favoriser les incendies, il s'engageait à payer la difi'érence du
prix du chaume avec celai de la tuile, il faisait enfin dresser
pour rendre l'eau plus abondante, un plan général de forage de
puits en Champagne.
Ce fut au milieu de ces soins d'administration et de cette
active sollicitude que le trouva la Convocation des Etats-Géné-
raux.
Nommé déjà membre des Assemblées du Clergé de 1780 et de
1788, où il se concilia l'estime de ses diocésains et de l'Église de
France, il fit aussi partie de la seconde assemblée des notables
en 1789, et le bailliage de Reims l'élut député aux Etats-Géné-
raux en 1789. Caractère très froid, très simple, très doux et très
entier, Mgr de Périgord était peut-être l'homme de France le
moins fait pour vivre en temps de Révolution. Étranger au mou-
vement des esprits jusqu'en 1789, le bouleversement qui s'opéra
sous ses yeux le surprit comme un coup de foudre, mais sans
l'ébranler. Député, il combattit dans les rangs de cette loyale et
courageuse minorité qui, en défendant contre la tyrannie des
novateurs les institutions légitimes de la monarchie, montrait à
la nation indocile, égarée, la seule voie d'une véritable régénéra-
tion, la voie des améliorations proposées et consenties librement
par les corps de l'Etat. Son zèle éclata plus particulièrement lors-
qu'il fallut soutenir la cause de l'Église et les droits de l'Ordre
dont il était un des ornements ; toujours prêt à sacrifier des in-
térêts purement temporels, il ne transigea point sur ce qui touche
aux dogmes et à l'antique discipline de l'Eglise ; il dut, par con-
séquent, refuser de prêter serment à cette prétendue constitution
civile du Clergé, par laquelle, dans l'aveuglement de la haine,
l'esprit de quelques novateurs hypocrites avait livré l'Église et
s'était livré lui-même au pouvoir révolutionnaire, ennemi de
toute institution religieuse. Cet acte de courage, imité par la
NÉCROLOGIES ËPISCOPALES 15
grande majorité du clergé du diocèse de Reims, devait néces-
sairement entraîner l'archevêque dans un exil honorable. Il
n'assista point aux dernières séances de l'Assemblée constituante
et se retira à Aix-la-Chapelle d'oii, sans donner sa démission, il
envoya son adhésion aux dernières protestations du côté droit.
Il n'avait eu, en quittant la France, qu'à choisir entre les meil-
leures hospitalités. Le célèbre ministre anglais, Pitt, deuxième
fils d'un des plus grands hommes d'Etat de l'Angleterre, qui
dans sa jeunesse avait connu Mgr de Périgord à Reims, chargea
le marquis François de Barthélémy, notre ambassadeur à
Londres, de dire à l'archevêque qu'il mettait à sa disposition
tous ses moyens de crédit et de puissance, que son plus grand
bonheur serait d'adoucir les peines de l'homme peut-être le plus
respectable qu'il eût jamais connu. Le Prélat n'accepta pourtant
pas les offres du premier ministre anglais, et d'Aix-la-Chapelle
il alla à Bruxelles, oii les revenus d'une de ses abbayes, dont les
terres se trouvaient en partie sur le territoire autrichien, étaient
les seuls qui lui restaient ; il allait les consacrer à l'établisse-
ment d'un séminaire oii il voulait donner asile aux jeunes lévites
français, fidèles à leur évêque et à leur prince. A Bruxelles, il
se réunit à quelques compatriotes exilés comme lui, et forma
dans cette ville un point de ralliement pour le clergé français
expatrié. Mais la fortune, alors et si longtemps alliée de la cause
injuste, le chassa bientôt d'exil en exil, jusqu'à Dusseldorf où il
accueillit encore avec bienveillance tous les ecclésiastiques fran-
çais déportés.
Les armées de la république s'étant approchées du Rhin, l'au-
guste exilé se vit forcé de se réfugier à Wolfenbuttel en Saxe,
puis à Brunswick et à Weimar, où les souverains, quoique luthé-
riens, lui offrirent leurs palais, et où il vécut dans l'intimité du
maréchal de Castries, l'ancien vainqueur de Clostercamp en
Prusse, avec lequel il resta, jusqu'à sa mort en 1801 à Wolfen-
buttel, étroitement uni.
En 1801, il fut du nombre des évêques émigrés qui refusèrent
de donner leur démission, et envoya conjointement, le 12 dé-
cembre 1801, avec le cardinal de Montmorency-Laval, évêque
de Metz, Mgr Asseline évêque de Boulogne, et plusieurs autres
prélats, ceux de Limoges, Séez, Aire, Digne, Auxerre, une ré-
ponse dilatoire au bref du Pape, à laquelle adhérèrent depuis
vingt-cinq autres princes de l'Eglise, il signa les Réclamations
du 6 avril 1803, et s'abstint néanmoins de tout exercice de juri-
diction.
16 ANNALES CATHOLIQUES
La même année Louis XVIII l'appela à Mittau, en Russie, oii
celui que l'on appelait alors le comte de Lille, vivait avec le duc
et la duchesse d'Angoulême, l'ange du malheur, l'abbé Henri
Essex Edgeworth de Firmont, dernier confesseur de Louis XVI
qu'il assista à ses derniers moments, le comte puis duc Hésiade
d'Avaray qui avait procuré au comte de Provence (Louis XViri)
les moyens de sortir de France en 1791, et son compagnon fidèle
dans l'exil, le cardinal de Montmorency et quelques familiers.
Quand le prince fut contraint de s'éloigner, Mgr de Périgord le
suivit à Varsovie, vivant au milieu d'une foule d'émissaires et
d'espions, envoyés de toutes les parties de l'Europe, principale-
ment de Paris pour observer la petite cour. Il fut témoin de ten-
tatives sur la vie même de son maître, que l'administration
prussienne affecta de ne pas voir, et qui mirent plus d'une fois
en danger les jours de Louis XVIII. De Varsovie, l'archevêque
s'en fut avec la famille royale à Hartwel en Angleterre que le
roi avait choisi pour sa demeure, et oii ce monarque lui remit
lui-même sa nomination à la dignité de grand-aumônier de
France, vacante par la mort du cardinal de Montmorency arri-
vée à Altona en 1808 ; il reçut en cette qualité le cordon du
Saint-Esprit et donna l'accolade au prince régent d'Angleterre.
La charge de grand-aumônier comportait le grade de comman-
deur de l'Ordre du Saint-Esprit.
Mgr de Périgord rentra en France à la Restauration et fut
nommé, le 4 juin 1814, membre de la Chambre des pairs. Pen-
dant les Cent-Jours, il suivit Louis XVIII à Gand, et revint en
France après la bataille de Waterloo, il y jouit de la confiance
du monarque qui le nomma ministre des Affaires ecclésiastiques.
Ce choix fut accueilli à Rome avec froideur, parce que, par
cette nomination d'un prélat qui avait refusé en 1802 de donner
sa démission, c'était paraître infliger une leçon au Souverain
Pontife, et inquiéter la cour de Rome avec laquelle le comte,
depuis duc de I>lacas, allait être chargé de négocier un nouveau
Concordat ; en France, c'était jeter une sorte de défi à l'opinion
et adresser un blâme à tout l'êpiscopat. Le grand-aumônier ne
se dissimulait pas d'ailleurs son insuffisance; il s'adjoignit, pour
l'aider dans la tâche qu'il avait entrepritse, M. de Quélen, un
jeune aumônier de l'impératrice, homme éminent, dont il fit
plus tard son coadjuteur, et qu'il nomma tout d'abord secrétaire
de la grande-aumônerie, ce fut le plus bel acte de l'administra-
tion de Mgr de Périgord qui donna sa démission de l'archevêché
NÉCROLOGIES ÉPISCOPALES 17
de Reims le 8 novembre 1816 après une longue résistance;
presque tous les autres évêques l'imitèrent. Pendant les négo-
ciations du Concordat signé à Rome le 11 juin 1817, entre le
cardinal Consalvi et le duc de Blacas, représentant du roi de
France, le grand-aumônier entretint avec MM. de Richelieu et
de Blacas une active correspondance. Le pape exigea d'abord
que les anciens évêques envoyassent leurs démissions. Les
termes en furent discutés avec une certaine âpreté, comme nous
le voyons par des lettres de Mgr de Périgord au duc de Riche-
lieu les 25 et 27 juin 1817. Conûrrué le 27 juillet suivant par la
Bulle Commissa divinitus, le nouveau Concordat rétablissait
celui de François I".
Sur ces entrefaites, l'ancien archevêque de Reims était
nommé archevêque de Paris : le roi le força d'accepter, en
disant que son ombre seule, comme celle de saint Pierre,
suffirait pour faire des miracles; il ne céda aux instances du
monarque que dans la confiance de voir lui succéder son grand
vicaire et son ami, auquel il légua son anneau épiscopal.
Mgr Talleyrand de Périgord, qui avait fait tous ses eftbrts pour
triompher des obstacles qu'opposaient les Chambres, fut en
récompense de son zèle créé cardinal le 28 juillet 1817, avec les
évêques de Langres et d'Alais, NN. SS, de la Luzerne et de
Bausset, et l'ambassadeur de France à Rome écrivit le 17 juillet^
à l'égard de cette négociation, une lettre que nous avons sous
les yeux, et dans laquelle nous lisons que le Pape ne pouvait
recevoir officiellement que la nomination au cardinalat de l'an-
cien archevêque de Reims, le roi n'ayant qu'une seule nomina-
tion à faire, mais que sur la demande du monarque. Pie VII
enverrait aussi le chapeau à NN. SS. de la Luzerne et de
Bausset. La barrette fut portée au cardinal de Périgord par le
prélat Brancadoro, ablégat, et lui fut imposée par Louis XVIII
le 22 août ; n'étant pas allé à Rome^ il ne reçut ni le chapeau ni
le titre cardinalice. Appelé au siège de Paris le 8 du même
mois, il fut préconisé le 1" octobre, mais plus de deux ans
s'écoulèrent avant qu'il piit prendre possession de son siège à
cause des entraves qu'apportaient l'opposition des Chambres et
les ministres eux-mêmes à la nouvelle circonscription des dio-
cèses. Une Bulle du 25 aoiàt 1819 créa un état provisoire, et le
cardinal de Périgord fut installé à Paris le 9 octobre suivant.
Le 26 mai, il avait apporté avec pompe dans l'église abbatiale
de Saint-Denis les reliques de l'apôtre de Paris et de ses com-
2
18 ANNALES CATHOLIQUES
pagnons qu'il avait renfermées dans une châsse magnifique
donnée par Louis XVIII.
Le 29 septembre et le 5 octobre 1819, les vicaires généraux
de Paris publièrent un mandement ordonnant des prières pour
appeler les bénédictions divines sur l'épiscopat du nouvel
archevêque, et donnèrent des avis sur sa prise de possession.
La première lettre pastorale du cardinal de Périgord à Paris
porte la date de son intronisation, 9 octobre; le prélat donne un
souvenir à son ancienne église de Reims et rappelle ses cin-
quante années d'un épiscopat traversé par les orages, la persé-
cution et l'exil, et une vie de quatre-vingts ans qui s'achève dans
les infirmités et la douleur; il a néanmoins accepté ce fardeau,
reconnaissant dans l'inébranlable résolution du roi une preuve
assurée de la volonté divine. Redevable à tous, aucun de ses
diocésains ne sera étranger aux soins de son ministère, qu'il
remplira, aidé de la grâce^ pour la sanctification des âmes.
Dans la collection des lettres et mandements du cardinal de
Périgord que nous avons eue de M. l'abbé Eglée avec les autres
mandements des archevêques de Paris, nous trouvons les sujets
suivants :
Mandements pour V Anniversaire de la mort de la reine
Marie- Antoinette, 13 octobre 1819, 10 octobre 1820, 10 octo-
bre 1821 ;
Décret portant Erection de trois arehidiacon(fs dans le cha-
pitre et le diocèse, 18 octobre 1819;
Mandements à l'occasion de V Ouverture de la session des
Chambres, 26 novembre 1819, 12 décembre 1820 ; '
Sur la Quête annuelle'.en faveur des prêtres vieux et infirmes
et des séminaires, 10 décembre 1819 ;
Mandements à l'occasion de l'Anniversaire de la mort de
Louis XVI, 15 janvier 1820 et 12 janvier 1821 ;
Le Mystère de la Croix, pour le carême de 1820, 12 février;
Nomination de Mgr de Quélen comtne coadjuteur de Paris,
12 février 1820;
Ordonnance d'un Service pour le repos de V âme du duc de
Berry (Charles-Ferdinand d'Artois) dont l'oraison funèbre fut
prononcée le 14 mars 1820, à Saint-Denis, par Mgr de Quélen,
15 mars 1820 ;
Quête potir la Caisse dioce'saine, 31 mars, 12 décembre 1820,
et 17 avril 1821 ;
Discours de Son Eminence aux curés du diocèse assemblés
NÉCROLOGIES ÉPISCOPALKS 19
dans son palais le 18 septembre 1820, et Mandement à l'occa-
sion des Retraites ecclésiastiques, même date et 4 septembre
1821, suivi du Règlement de la retraite ;
Mandement à roccasion de la Naissance du duc de Bordeaux
29 septembre 1820 ;
Mandement à roccasion des Elections, 26 octobre 1820 ;
Ordonnances concernant les Prières pour les prêtres décédés
dans son diocèse, 2 novembre 1820, et concernant les Ordina-
tions, 15 novembre 1820 ;
Ses vœux pour son peuple^ Mandement du carême de 1821,
1" mars;
Sur un scandale à l'occasion de V Enterrement d'un sui-
cidé, le lundi saint 12 avril, à l'église de Saint-Louis d'Antin,
14 avril 1821;
Mandements pour V Accomplissement du vœu de Louis XIII,
12 août 1820, et 10 août 1821 ;
Visite générale du diocèse^ 9 octobre 1821 ;
Mandement du prélat ordonnant lui-même àes Prières à V oc-
casion de sa maladie, 13 octobre 1821. Ce mandement fut le
dernier du cardinal de Périgord. Il avait quatre-vingt-cinq ans,
et les infirmités inséparables de la vieillesse s'aggravèrent chez
lui. Un point douloureux qui s'était formé sur sa joue depuis
plusieurs années ayant dégénéré en abcès fit des progrés fâcheux,
et un catarrhe s'y joignit et força le cardinal de s'aliter. Il
demanda les sacrements qui lui furent administrés par son coad-
juteur le 14 octobre. Il aimait à s'entretenir des choses du ciel;
il se faisait lire des psaumes et des prières, et donnait l'exemple
du calme et de la résignation. Sa bonté et son afiabilité ne se
démentirent pas. Il recevait affectueusement les évêques et les
prêtres qui venaient le visiter. Les princes vinrent aussi visiter
la compagnon de leur exil; le roi envoyait trois fois par jour
s'informer de l'état de Son Eminence, et quand il apprit sa mort,
il dit aux évêques qui se trouvaient prés de lui : Nous y perdons
tous ; V Eglise perd un de ses plus vertueux pontifes , la Société
un modèle, et 'moi un ami. Il entra en agonie dans la nuit du
vendredi 19 octobre 1821, le coadjuteur assisté de MM. Desjar-
dins et Borderies, archidiacres, récita les prières des agonisants,
et le prélat mourut le samedi 20, à cinq heures vingt minutes
du matin, entouré de sa famille sacerdotale et de ses neveux.
Dans leur dernière visite à l'auguste malade, les princes de
France attendris et pleins de vénération pour ce respectable
ÎO ' annaLks catholïquks
prélat, voulurent porter leurs lèvres sur sa main sacrée, il ne le
soutlrit qu'après beaucoup de résistance; à son tour il approcha
de sa bouche la main de S. A. R. Monsieur, qui s'en défendit,
mais qui céda ensuite en lui disant : je vous laisse faire, cela
me portera bonheur.
Les restes mortels du cardinal de Périgord, après avoir été
exposés pendant plusieurs jours, furent inhumés avec pompe,
le 27 octobre, dans la chapelle de Saint-Crépin et de Saint-Cré-
pinien, à Notre-Dame; mais son cœur, d'après ses intentions,
porté à Reims, fut déposé le 10 janvier 1822, dans l'église de
Saint-Remi par les soins de Mgr de Coucy, son successeur immé-
diat à Reims. Ses entrailles furent déposées devant l'autel de la
chapelle de Saint-Marcel, à Notre-Dame, à l'angle de la croisée
septentrionale de l'église et qu'il avait fait élever à ses frais.
Une inscription gravée sur le marbre était un témoignage de ce
fait; aujourd'hui, par suite des changements faits dans l'église
métropolitaine, cette inscription se trouve dans la chapelle des
Ursins, au-dessous du marbre tumulaire érigé à la mémoire de
Mgr Garibaldi, mort nonce à Paris, la voici :
Hoc novum altare suh invoeatione Sancti Marcelli, Pari-
storum episcopi, impensis et dispendio Em. et Rev. in Christo
patris Alexandri Angeli S. R. E.prœshyt. Cardinalis de Tal-
LEYRANDPERiGORD,areAie;}. Paris., paris Francias ac JSleemo-
synarii Majoris, olim archiep. ducis Remens., erectum et orna-
tum, lll. ac Rev. in Christo patris Hyac. Lud. de Quelen,
coadjutor olim nunc archiep. Parisien., dedicavit ac conse-
cravit 3 nov. 1835.
L'abbé Frajssinous, depuis évêquo d'Hermopolis, prononça
l'oraison funèbre du cardinal de Périgord à Notre-Dame, le
29 novembre 1821. Un prêtre de la Mission de France en pro-
nonça une autre dans la métropole de Reims le 8 janvier 1822,
et le lendemain dans l'église de Saint-Remi, lors de la transla-
tion du cœur du prélat, Paris, mars 1822, 29 pages. Le cardinal
de Bausset a publié aussi une Notice historique sur le cardinal
de Périgord, Paris, 1821, in-8'' ; et Mgr de Bernis, archevêque
de Rouen, fit son éloge à la Chambre des Pairs le 27 no-
vembre 1821. Bien que les actes d'administration du cardinal
ne soient point nombreux dans le diocèse de Paris, où il ne fit
que passer, nous voulons rappeler encore qu'il rédigea un nou-
veau Bréviaire oîi il admit les fêtes du Sacré-Cœur et de saint
Ignace de Loyola que Mgr de Belloj, son prédécesseur, n'avait
KCHTERNACH 21
point adoptées ; il assigna des fonds sur son revenu pour seconder
l'œuvre des petits séminaires. En sa qualité de grand-aumônier
de France, il bénit le mariage du duc de Berry avec la prin-
cesse Marie-Caroline-Thérèse des Deux-Siciles le 17 juin 1816,
et baptisa le 1" mai 1821, à Notre-Dame de Paris, le duc de
Bordeaux issu de ce mariage, au milieu de l'allégresse de là
capitale. Il avait aussi sacré Louis XVI. Il avait réorganisé, au
mois de décembre 1816, le chapitre royal de Saint-Denis et en
avait été nommé primicier.
Il portait pour armoiries :
Parti, au premier de gueules, à trois lions rampants et cou-
ronnés d'or; au deuxième d'or, au sanglier passant de sable,
charge sur le dos d'une housse d'argent. Ses mandements ne
portent que la première partie de l'écusson.
(A suivre.) M.-C. d'Agrigente.
ECHTERNACH
Il est une petite ville du grand duché de Luxembourg, qui
par son site, les souvenirs légendaires qu'y a laissés la vieille
abbaye de Saint-Willibrad, et le pèlerinage que l'on y fait' en
son honneur, offre au touriste, comme au pèlerin, un but d'ex-
cursion digne de son intérêt : nous voulons parler d'Echternach!
Située sur la Sûre (Sauer), à quatre lieues au nord-ouest de
Trêves et à une distance un peu plus grande de Luxembourg,
cette cité communique avec ces deux principaux centres par
une voie ferrée construite par la Compagnie du Prince Henri, et
se trouve accessible aux étrangers venant de l'Allemagne, de
l'Autriche, de l'Italie, de la France, de la Belgique, de la Hol-
lande, de l'Angleterre. Mais, hélas! trop souvent n'arrive-t-il
pas que le visiteur s'en retourne en égoïste gardant pour lui les
impressions qu'il doit éprouver nécessairement si son âme est
douée d'esthétique ! Il y a le sublime de la Foi, qui s'impose
à l'étranger même indifférent en matière de religion, quand il
considère cette foule de 15 à 17,000 personnes de tout rang, de
tout sexe et de tout âge, exécutant cette cadence originale,
mêlée au chant des litanies et à la récitation du chapelet, et que
l'on appelle la procession dansante. Le spectacle qu'offre cette
procession est tellement unique en son genre qu'on ne peut le
22 ANNALES CATHOLIQUES
retrouver nulle part. L'abbé Krier et le D'Pariot dans leurs in-
téressantes notices l'ont décrite avec l'historique qui s'y rattache
et le numéro 20 de la Semame Religieuse du diocèse d'Evreux,
juillet 1893, donne un article sur la procession dansante d'Ech-
ternach qui peut la faire suffisamment connaître du touriste
et du pèlerin pour exciter la curiosité et satisfaire la dévo-
tion.
Mais ce que l'auteur de la notice sur Echternach et ses envi-
rons ne fait qu'indiquer en passant, c'est le côté majestueux et
instructif que le naturaliste aimera à venir étudier et admirer
dans une contrée qu'on peut appeler classique pour la botanique
et la géologie. Et avant d'entrer en matière, qu'il nous soit
permis de saluer et de féliciter ici l'intelligente société qui s'est
fondée à Echternach pour agrémenter et rendre plus faciles
aux étrangers les excursions nombreuses qui se proposent
d'elles-mêmes dans les bois, vallées, collines et rochers des
environs. Des sentiers tracés avec goût. Des poteaux indicateurs,
des chalets rustiques, des bancs placés en lieux bien choisis.
permettent à tous d'essayer ces délicieuses promenades. Les
malades eux-mêmes, fatigués de la monotonie des stations de
bains de mer ou villes d'eaux thermales trouveront à Echter-
nach un air salubre et purifié par les odeurs balsamiques des
sapins de l'Ernzerberg et des collines d'en face, et un confortable
si parfait qu'ils y établiront volontiers leurs pénates pour
une saison, Echternach ne possède-t-il pas aussi l'usine oii
l'on fait cet élixir bienfaisant du D"" Bœrhave, célèbre médecin
hollandais, dont le cordial vaut à lui seul toute une médication.
Cette généreuse liqueur, à laquelle l'appareil digestif doit tant
de reconnaissance, est préparée avec les plantes du pays,
comme d'autres, telles que la Chartreuse et la Bénédictine, ce qui
prouve que nous sommes sur une terre bénie de Dieu dans sa vé-
gétation.
Le botaniste sait que la flore du Grand-Duché est surtout
riche en Phanérogames. Nous en citerons quelques-unes ainsi
que d'autres plantes prises au hasard que nous avons cueillies à
Echternach, par exemple en suivant le cours de la rivière et
celui du torrent latéral à la route de Berdorf. Le Butome en om-
belle (Butomus umbrellatus), croissant à hauteur d'homme sur
les bords de la Sûre, prés du palais des Quatre-Saisons, dépen-
dant de l'abbaye, monument que nous recommandons en passant
à l'attention des archéologues ; le Sysimbre Irion (Sysimbrium
ECHTERNACH 23
Irio) et le Couché (Supinum) ou braga de Kirch. L'achillée
ptarmique ou Sternutatoire très velue et blanchâtre difficile à
dessécher pour cette raison, le mille-feuilles compacte avecfleurs
rapprochées en glomérules arrondis, la vipérine des Pyrénées
(Echium Pyrenaïcum), le sinapis des champs (arvensis hjspida)
à poils, variété peu commune; l'equisetum des bois, qui, rare
ailleurs, se trouve assez communément, ainsi que la fluviatile
de Linné, avec ses hampes stériles, parfois d'un beau blanc
d'ivoire, et enfin une grande variété de Linaria.
Si la botanique a son côté séduisant àEchternach, la géologie
y offre un thème plus nourri d'études et de recherches. Il est
intéressant d'abord d'étudier la coupe de ces diverses couches
se rapportant à la période jurassique, avec le Lias comme ter-
rain prédominant. Le Lias inférieur est très développé dans le
Luxembourg, et c'est sur une saillie de grès infra-liasique qu'est
construite la citadelle de Luxembourg, démantelée depuis 1867
et qui offre toujours un coup d'œil si pittoresque. Elle paraît
inaccessible, grâce à ses rochers, ses forteresses et ses remparts
si bien construits avec le quadersandsrein. Echternach pos-
sède aussi quelques restes de fortifications édifiées avec la
même pierre à bâtir. Quatre tourelles assez bien conservées et
des fossés profonds servant aujourd'hui de jardins, témoignent
que les moines de Saint-Willibrad avaient tenu à se mettre,
eux et la cité abbatiale, à l'abri des incursions néfastes du voi-
sinage. A côté de ce grés, le géologue trouvera dans la colline
de l'Ernzerberg le calcaire conchylien ou muscelkalk, de teinte
grisâtre, le grès bigarré ou buntersandstein qui se montre aussi
du reste assez fréquemment en magnifiques carrières exploitées
depuis Luxembourg jusqu'à Trêves ou Echternach, par la di-
rection de Wasserbilig ; le Trias et le Lias se trouvent juxta-
posés dans cette contrée qui forme pour ainsi dire la ligne de
démarcation entre les deux déluges européens du Nord et du
Sud, et participent aux différents soulèvements des systèmes
voisins du Rhin et des Vosges. Le Trias renferme aussi la
marne irisée ou keuper, qui se rencontre à Echternach et aux
environs, voire dans les matériaux de la voie ferrée. Ces ter-
rains forment autour de l'angle sud-ouest des Vosges une cein-
ture parallèle à celle du calcaire conchylien et du grès bigarré,
et on peut le suivre depuis Luxembourg jusque vers les limites
■ du Jura. Les dépots jurassiques sont en effet très abondants
dans le Luxembourg. Ain^i une large bande s'étend jusqu'à
24 ANNALES CATHOLIQUES
Mézières, où elle se termine aux schistes anciens de l'Eiffel et
des Ardennes, en sorte que les villes de Metz et de Luxembourg
se trouvent situées sur cette bordure liasique qui se dirige
ensuite vers l'cuest en passant un peu au nord de Sedan. La
ligne de chemin de fer de Paris via Longwy à Luxembourg
suit d'ailleurs assez bien ce trajet.
Ce qui prouve que nous sommes en plein terrain triasique
dans le Grand-Duché, et à Echternach en particulier, c'est la
présence du gjpse ou pierre à plâtre, qui semble être plutôt un
amalgame de coquillages de toutes natures. L'auteur du pré-
sent travail a pu en ramasser quelques échantillons oii il est
très aisé de retrouver des mollusques entiers, belemnites et
foraruiniféres. Nous voudrions que ce travail piit comporter des
dessins dans lesquels nous reproduirions grossis au microscope
des morceaux de gypse qui, pour la richesse des coquillages,
n'en cèdent nia la craie de Meudon, ni à celle de Gravesend.
Et cela s'explique ainsi : Pendant les temps géologiques, la
mer couvrant la surface entière du globe, les sources thermales,
chargées de sels calcaires, se déchargeaient nécessairement au
milieu de ses eaux. Les innombrables animaux, qui vivaient
dans les mers anciennes, en particulier les zoophytes et les mol-
lusques au test solide s'emparèrent de cette chaux pour former
leur enveloppe minérale, qui seule a survécu sous forme de
carbonate de chaux après le retrait lent et successif des eaux
thermales de celles delà mer. Notons, en effet, qu'en Luxembourg,
Mersch possède des sources d'eau thermale salifère-carbonatée
de chaux. Ce sont ces coquillages amoncelés, aglutinés en une
masse unique, qui forment ces couches superposées que nous
dénommons terrains calcaires. Sans doute, on est frappé de
surprise en apprenant que toutes les pierres calcaires employées
à la construction de nos maisons et de nos villes sont des dépôts
des mers de l'ancien monde, et ne consistent qu'en une aggré-
gation de coquilles, de mollusques ou débris de tests de fora-
minifères et autres zoophytes. Or, à Echternach, l'intérieur des
maisons est fait très souvent avec ce calcaire ou pierre à plâtre.
Un four à chaux, voisin hygiénique du cimetière de la ville,
met en liquéfaction ce calcaire sorti de la carrière. On le passe
ensuite au moule pour en former des briquettes qui servent à
faire les murs de refend. Une autre partie est pulvérisée, et
sert à faire le lait de chaux avec lequel on blanchit les maisons.
Il est rare de trouver réunis si près des terrains qui, par
ECHTERNACH 25
leur nature, sont d'époque et de nature si différentes. Ceci
prouve combien le sol luxembourgeois a été tourmenté, et com-
bien aussi, par conséquent, il présente d'intérêt à l'étude du
géologue. C'est dans la vallée de la Sûre que la variété dans
les couches superposées est plus frappante. Dans le Trias, la
discordance des stratifications est plus remarquable, et cela
doit être, car c'est vers les rivages des mers et des fleuves que
les courants sont plus nombreux et plus sujets aux variations
dans leur direction par tous les dérangements, les brisements,
les érosions des falaises, par les atterrissements, par les aflFais-
sements, par les soulèvements lents ou brusques, par les vol-
cans qui sont souvent sur le bord des mers et que nous re-
trouvons, en efi'et, au sud de la mer celto-germanique, eh
Auvergne, au nord-ouest du même bassin, dans les montagnes
du Bas-Rhin et du Luxembourg.
Est-il possible de suivre, par exemple, à travers le bois
le sentier latéral à îa route qui conduit à Berdorf, et ne
pas être émerveillé du travail gigantesque fait au milieu des
rochers par le torrent qui, par ses contours, ses cascades et
le murmure de ses eaux, donne tant de poésie à cette prome-
nade charmante. Ah! l'Auvergne et la Suisse ofi'rent au touriste
des tableaux incomparables, mais ne sauraient réunir en un
cercle plus restreint davantage de ces beautés naturelles. Le
Trias et le Lias se joutent sans se confondre à Echternach,
comme nous l'avons dit déjà, et la Sûre semble par son lit en
faire la séparation, aussi bien qu'elle le fait pour la flore, dont
les individus se distinguent si bien, en effet, conformément à la
nature du terrain. . ;
Une preuve encore que nous sommes dans le Trias à Ech-
ternach, c'est la présence de schistes saliféres dont nous
avons un échantillon dû à l'obligeance de notre hôte vénéré. Et
cela n'a rien de surprenant puisque le Luxembourg possède un
banc de 'Sel gemme dans la région de Dockendorf. D'ailleurs,
l'échantillon en question a été ramassé sur la route, ainsi que
des morceaux d'argile, de marnes irisées, grès très diverse-
ment coloriés que l'on trouve abondamment aux abords de la
voie ferrée. Je noterai aussi l'Eumonia radiata, et l'empreinte
d'une Rinchonella lulcata. Chose remarquable, la sœur si
aimable et si intelligente de mon compagnon d'excursions m'avait
trouvé la coquille elle-même et l'empreinte se rapporte si bien
à la coquille qu'on croirait volontiers les deux morceaux de
26 ANNALES CATMOIJQOES
pierre identiques. Il n'en est rien, puisque le coquillage et l'em-
preinte ont été trouvés à 150 lieues de distance.
Le lecteur ne sera pas surpris non plus qu'à Echternach on
puisse rencontrer l'oolithe et le poudingue. La période oolithique
est voisine de celle du Lias et du Trias, et l'on sait que les ter-
rains oolithiques sont riches en minerais de fer, ce qui fait
qu'en Luxembourg les usines métallurgiques sont si répandues.
A quelques kilomètres d'Echternach, en face la première sta-
tion du chemin de fer de Dukerch se trouvent celles de Wel-
lerbach, situées dans un site pittoresque et voisin d'un château
remarquable par l'originalité de son style et de la magnifique
pièce d'eau sise sur le devant. J'en ai rapporté une pyrite de
fer grosse comme un œuf. On trouve enfin à Echternach le ter-
rain d'alluvion appelé Lœhm ou Lœss, par exemple dans la
vallée, quand on contourne l'Ernzerberg et qu'on veut gravir
cette colline pour aller de son sommet contempler une dernière
fois la gracieuse citée due à saint Willibrord, Peut-être on
fouillant ces terrains, trouverait-on aussi quelques squelettes,
quand ce ne serait par exemple que celui de l'Ermite qui habi-
tait les flancs d'Ernzerberg et dont le touriste aimera à visiter
les appartements. Involontairement, je le comparais au Préada-
mite de Scheuhzer et je lui appliquais ces vers connus :
D'un vieux damné déplorable charpente.
Qu'à ton aspect le pécheur se repente.
Betrubtesbeingerùst von einen altem Sunder
Erweiche, stein, dus herz derneuen bosheitsknider.
L'Ermite qui, à cause de ses péchés, a prévenu la damnation
par une dure pénitence, ne porterait-il pas au repentir le pé-
cheur qui considérerait les résultats de sa mortification, et c'est
là une pensée qui nous ramène à féliciter saint Willibrad
d'avoir fait de ce pays, jadis si profondément paganisé, comme
le témoignent l'autel païen de Berdorf et la statue de Diane,
prés des forges de Wellerbach, une contrée si chrétienne ou pè-
lerins et touristes trouvent une hospitalité si gracieuse, digne
des meilleurs temps de la foi chrétienne.
DÉCRET LITURGIQUE
Pour faire cesser les discussions entre liturgistes et les
doutes communs au sujet de la prééminence à établir entre les
DÉCRET LITURGIQUE 27
fêtes primaires et secondaires du même rite, le Saint-Siège a
fait rendre par la Sacrée Congrégation des Rites un décret qui
règle le point litigieux.
La question soumise à la Sacrée Congrégation était ainsi
posée :
Les fêtes secondaires de Notre-Seigneur, do la Sainte Vierge, des
anges, des saints apôtres et des autres saints doivent-olles passer
avant les fêtes primaires du même rite et de la même classe, mais
d'une dignité moindre dans la personne, aussi bien en cas d'occur-
rence qu'en cas de concurrence et de renv:i ? »
An festa secundarta Domini^ B. Mariœ Virg., Angelorum, SS.Apos-
tolorum, aliorumque Sanctorum prœferenda sint festis Primartis ejus-
dem ritus et classis, sed minoris personalis dignitatis, tam in occursu,
quam in concursu, et in eorumdem repositione ?
La Sacrée Congrégation des Rites a rendu le décret suivant,
approuvé et ratifié par le Souverain Pontife, à la date du
2 juillet de la présente année :
Les fêtes primaires, comme plus solennelles, doivent primer dans
l'espèce les fêtes secondaires, en cas d'occurrence, comme en cas de
concurrence, selon la forme de la Rubrique X, sur la Translation des
fêtes no 6. S'il arrive que ces fêtes soient transférées, on doit obser-
ver dans leur translation l'ordre prescrit dans la susdite Rubrique n'^1.
Un tableau sera dressé des fêtes qui devront être tenues comme
primaires ou secondaires.
Festa Primaria, utpote solemniara, aliis secundartis in casu prœ-
ferenda esse tam in occursu quam in concursu, ad formam Rubricce X.
de Translatione festorum n" 6. Quod si eadem festa transferri con-
tingat, in illorum repositione servelur ordo prœscriptus in memorata
Rubrica n° 7 ; et (iat catalogus festorum, quœ uti Primaria, vel secun-
daria, retinenda sunt. Die 27 Junii 1893.
Conformément au décret susdit, le tableau suivant des fêtes a
été établi. Par décision du Saint-Siège rendue à la même occa-
sion, la fête de la Dédicace de la basilique du Très Saint-Sau-
veur, ainsi que celle de la Dédicace des basiliques des saints
Apôtres Pierre et Paul, ont été élevées au rite double majeur.
Festa Primaria
IN CALENDARIO UNIVERSALI
g I. Duplt'cia Primœ Classis.
Nativitas Domini. — Epiphania Domini. — Pascha Resurrectionis.
— Ascensio Domini. — Pentecostes. — Feslum Corporis Christi. —
28 ANNALES CATHOLIQUES
Assumptio et Immaculata Conceptio. B. M. V. — Nativitas S. Joannis
Baptistse. — Festum S. Joseph Sponsi B. M. V. — Festum Sa. Apos-
tolorum Petri et Patili. — Festum Omnium Sanctorum. — Dedicatio
proprise Ecclesise. — Patronus, vel Titulus Ecclesise. — Patronus
PriQcipalis Regionie, vel Diœcesis, aut loci.
g II. Duplicia Secundce Classis.
Circumcisio Domini. — Festum Ssmse Triaitatis. — Purificatio B.
Mariœ V. — Annuntiatio B. Marias V. — Visitatio B. Marias V. -—
Nativitas B. Marias V. — Dedicatio S. Michaelis Archangeli. — Nata-
lïtia Uûdecim Apostolorum. — Festa Evangelistarura. — Festum
S. Stephaai Protomartyris. — Festum Ss, lanoceotiura Martyrum.
— Festura S. Laurentii Martyris. — Festum S. Annae, Matris B. ^,
V. — Festum S. Joachim, Patris B. M.V. ,.^i
$ ïll. Duplicia Majora per Annum.
Traasfiguratio Domini. — Dedicatio Basilicse Ssmi Salvatoria.; —
Dedicatio S. Marias ad Nives. — Festum Ss. Angelorum Custodum,,
— Dedicatio Basilicarura Ss. Petri et Pauli Apostolorum. — Festum
S. Barnabae. — Festum S. Benedicti Abb. — Festum S. Dominici C. —
Festum S. H'rancisci C. — Festum Patroaorum minus Priacipalittm.
J IV. Alia duplicia per Annum.
Dies Natalitia, vol quasi Natalitia uniuscujusque Sancti.
PRO ALIQUIBUS LOCIS
s. Gabrielis Archangeli. — S. Raphaelis Archangeli, — Dies Nata-
litia, vel quasi Natalitia uniuscujusque Sancti. — Commemoratio
Sanctorum, quorum Corpora, vel Reliquiae in Ecclesiis Diœceseos
asservantur.
Feata eecundaria
IN CALENDARIO UNIVERSALI
$ I. Duplicia primœ Classis.
Sacratissimi Cortfis Jesu.
§ II. Duplicia Secundce Classis.
Festum Ssmi Nominis Jesu. — Festum Inventionis S. Crucis. —
Festum Pretiosissimi Sanguinis D. N. J. C. — Solemnitas Smi Ro-
sarii B. M. V. — Festum Patrocinii S. Joseph.
§ nr.' buplicia Majora.
Exallatio S. Crucis. — Duo festa Septem Dolorum B. M. V. — Com-
memoratio B. M. V. de Monte Garmelo. — Festum Ssmi Nominis
B. M. V. — Festum de Mercede B. M. V. — Praesentatio B. M. V.
— Apparalio S. Michaelis Archangeli. — Decollatio S. Joannis Bap-
LK CONGRÈS DKS ŒUVRES OUVRIERES CATHOLIQUES 29
tistas. — Cathedra S. Petri Ap., utraque. — Festum ejusdem ad Vin-
cula. — Coaveraio et Commemoratio S. Pauli Ap. — Festum S. Joaor
Dis ante Portara Latinam.
PRO ALIQUIBOS LOGIS
Officia Myeteriorum et lastrumentorum Passionis D. N. J. Çujrf
Smi Redemptoris. — Sanctae Familiae Jeau, Mari», Jo&eijh. ; r^
Ssmi Cordis Mariée. — Despoaaatioais, Materaitalis, Puritatis, Pa-«
trocinii B. M. V. — Exspectatioois Partus B. M. V, — B. M. V,
Auxilium Christianorum. — Prodigiorum B. M. V. — Apparitionis
B. M. V. Immaculatœ. — Commemoratio Omaium Ss. Summorum
Pontificum.
Item alia qusecuraque fésta sive Domini, sive B. M. V. sub aliquo
peculiari titulo, sive Sanctorum, prteter eopuradem natalera diera,
uti Inveatioais Corporum, Translationis, Receatioais, Patrociaii^ et
hisce similia. ■ 'î&iii; t;' ';uu«po[''
Die 22 Augusti 1893.
Le double tableau ci-dessus a été promulgué par ordre du
Saint-Père en date du 27 aoiit.
LE CONGRES DE L'UNION DES ŒUVRES
OUVRIÈRES CATHOLIQUES
Le Congrès de l'Union des œuvres ouvrières catholiques z.
été tenu à Ars, du H au 15 septembre, sous la présidence d,e
S. G. Mgr Lucon, évêque de Belley, qui célébrait la messe^
présidait les assemblées générales et prenait mêjne part aux
travaux des Commissions. Les organisateurs du Congrès pou-
vaient-ils faire un plus heureux choix que celui d'Ars, delà
ville sanctifiée parle souvenir du vénérable abbé Vianney, pour
discuter les questions pratiques intéressant l'action sociale de
l'Eglise. Les travaux du Congrès étaient distribués en trois
sections : Union des Œuvres sous l'autorité des évêques;
œuvres de zèle en faveui' des classes ouvrières; action sociale
des propriétaires chrétiens. Avec la même verve intarissable,
le même esprit que dans les années précédentes, M. le chanoine
Tournamille, curé de la paroisse Saint-Pierre à Toulouse,
résumait dans l'assemblée du soir les travaux de chacune des
journées.
Le Congrès d'Ars réunissait de nombreux éléments de succès :
30 ANNAMIS CATHOMQOKS
l'accueil bienveillant et la chaude parole de Mgr l'évêque de
Belley, la sage direction imprimée aux délibérations par le
R. P. Leclerc, directeur de l'Union des Œuvres ouvrières, l'in-
fatigable concours de secrétaires aussi autorisés que M. l'abbé
Lucas-Championnière et M. le comte Yvert, la présence des
délégués de NN. SS. les évêques, de Mgr Bourquart, protono-
taire apostolique, de deux cents ecclésiastiques des diocèses de
Lyon et de Belley, disposés à faire connaître les résultats de
leur apostolat ou avides de s'initier à la vie des œuvres, enfin
de laïques éclairés, pour la plupart grands propriétaires,
MM. Babeur, Cottin, Frèrejean, des Garrets, de Montbriant,
du Ribert, de Villoutreys, de Vrégille, etc.
Les assemblées générales du soir ont retenti de la parole
éloquente de M. Ch. Jacquier et du R. P. Joseph, fondateur des
orphelinats agricoles de Douvaine (Haute-Savoie).
M. Ch. Jacquier, l'ardent défenseur des libertés chrétiennes
à Lyon, a enthousiasmé l'auditoire de ces grandes assises, en
combattant éloquerament toute pensée de découragement et en
recommandant une énergique action sociale des propriétaires
et des capitalistes chrétiens. Il a constaté avec une patriotique
tristesse qu'au moment de la récente consultation nationale
aucun des candidats n'a écrit le nom de Dieu dans ses profes-
sions de foi.
Le R. P. Joseph, ancien aumônier militaire et fondateur de
YŒuvre des Tombes, a parlé magnifiquement des soldats et des
œuvres destinées à leur conserver la foi, et avec la foi, la
flamme du plus généreux patriotisme.
Les œuvres militaires ont eu la place importante qu'elles
méritent, à une époque où la nation entière voit tous ses enfants
passer sous les drapeaux. Deux séances ont été consacrées aux
soins à prendre de nos soldats, avant, pendant et après le service.
M. l'abbé Lucas-Championniére, secrétaire du Comité catho-
lique des militaires et des marins, a demandé aux chefs de
paroisse et aux pères de famille de préparer les jeunes gens à
l'épreuve do la caserne. La messe du départ, la recommandation
du conscrit aux prêtres qui veulent bien s'occuper d'aux dans
les villes de garnison, la retraite du retour ont été reconnus
comme les moyens les plus efficaces pour obtenir la persévé-
rance religieuse de nos soldats.
Tous les travaux du Congrès ont été conduits avec une grande
cordialité et une véritable assiduité. Les rapports, conformé-
LE CONGRÈS DES ŒUVRES OUVRIÈRES CATHOLIQUES 31
ment aux traditions, ont été écrits avec simplicité; les discus-
sions, remarquablement pratiques, résultaient d'un échange
d'observations toujours courtoises entre les nombreux congres-
sistes. Ce congrès a, en un mot, un caractère pratique sur lequel
nous ne saurions trop insister auprès de tous nos amis. La sec-
tion do l'Union proprement dite sous l'autorité des Evêques s'est
occupée des Assemblées diocésaines de directeurs et d'amis des
œuvres ouvrières. Elle a émis un vœu important, dont le but
est de pousser à la coordination du mouvement social et ouvrier
parmi les catholiques sous l'autorité des évêques. Le bureau
diocésain de Lyon offre un exemple digne d'être proposé : Il y a
des assemblées, convoquées par ce bureau, réunions nombreuses,
très éclairées, pour les hommes du métier, et donnant d'excel-
lents résultats au point de vue de l'accord dans l'action . M. l'abbé
Petit, secrétaire du bureau, a fourni à cet égard des détails fort
intéressants. On a également traité l'importante question des
conférences d'étude des œuvres dans les grands séminaires et
dans les établissements chrétiens d'instruction secondaire.
La section des œuvres de zèle est entrée dans le vif des ques-
tions intéressant les œuvres innombrables que le zèle catholique
a suscitées en faveur des jeunes apprentis et des ouvriers : indus-
tries généreuses autant que variées, auxquelles se sont portés
les prêtres, et même les plus pauvres vicaires des paroisses les
plus humbles, depuis celles des vieux pauvres jusqu'à celle des
forains, depuis celle des sourds-muets jusqu'à celles des jeunes
gens qui se destinent à la direction des ateliers et usines.
La troisième section a émis un vœu relatif aux devoirs des
propriétaires. De toutes parts, on constate soit l'absence des pro-
priétaires terriens qui abandonnent leurs paysans aux influences
révolutionnaires et vont dépenser au loin les revenus qu'ils tou-
chent à la campagne, soit le déplorable exemple donné sur place
par le luxe excessif, les mauvaises lectures, etc. Les proprié-
taires chrétiens ont préconisé le métayage comme moyen pra-
tique de rapprochement entre les ouvriers agricoles et leurs
maîtres; ils demandent également une réforme de l'éducation
des jeunes gens de famille. Enfin, ils ont aussi parlé du diman-
che qui a été l'objet d'un vœu très pratique.
Comment parler ici de l'esprit d'union et de prière qui préside
à tous ces travaux de l'apostolat le moins tapageur, le plus sin-
cère? Il faut avoir pris part à ces congrès des œuvres ouvrières
pour demeurer sous une aussi bienfaisante influence. Les hom-
32 ANNALES CATHOLIQUES
mes ne peavent tous comprendre refûcacité de pareilles assises,
c'est de Dieu que nous en attendons la vertu vivifiante et région.
nératrice. Nous l'implorons avec une sereine confiance.
ASSEMBLEE GENERALE DES CATHOLIQUES
DU NORD ET DU PAS-DE-CALAIS
A Lille du 21 aw 26 novembre i89'i, sous le patronage de.NN. SS.les
Evcques de la province ecclésiastique de Cambrai.
PROGRAMME
lr« Section. — Œuvres de foi et de prières.
OEUVRES DU TRÈS SAINT SACREMENT :
Confrérie en l'honneur du T. S. Sacrement. — Escorte du T. S.
Sacrement quand on le porte aux malades. — Adoration perpétuelle
diocésaine: assistance à la procession de clôture. — Œuvre de l'Arfo-
ration nocturne. — Adorations diurnes. — Quarante heures. — Pro-
cessions; moyens d'obtenir leur rétablissement.— Messes et commu-
munions réparatrices. — Adorations réparatrices par catégories. —
Formation de l'enfance à la piété eucharistique. — Messes spéciales
pour les enfants des écoles. — Moyens d'assurer aux pauvres l'assis-
tance à la messe le dimanche. — Développement de la piété eucha-
ristique dans les différentes œuvres. — Retraites^ eucharistiques. —
Pèlerinage eucharistique d'Armentières ; compte-rendu. — Congrès
eucharisques. — Réunions eucharistiques d'arrondissement. — Les
Obhits du T. S. Sacrement. — Propagande en faveur des œuvres
eucharistiques ; tracts et brochures.
OEUVRES DE CATECHISME:
Organisation des catéchistes volontaires. — Confréries de la doc-
trine chrétienne. — Catéchismes en images. — Préparation à la pre-
mière communion. — Catéchismes de persévérance. — Concours de
catéchisme. — Conférences catéchistiques pour les hommes du monde.
SANCTIFICATION DU DIMANCHE ; ■/>âltj «l!0 S : ^
Œuvr«is pour le repos du dimanche. — Observation du repos dorai»,
nical dans les diverses professions : assistance à la messe paroles
employés dos services actifs des administrations publiques, des che-
mins (le fer, des sociétés industrielles, etc.; devoirs des maîtres, des
chefs d'atelier, des entrepreneurs; devoirs des actionnaires des socié-
tés commerciales et industrielles ; fermeture des magasins et des
gares de marchandises à petite vitesse ; timbre dominical.
pin-EniNAGEs :
Pèlerinage à un SaTictuaire national.—* Pèlerinage à un sanctuaire!
CATHOLIQUES DU NORD ET DU PAS-DE-CALAIS 33
régional. — Pèlerinage eucharistique en 1894. — Pèlerinages à Rome,
à Lourdes, à Jérusalem. — Pèlerinages locaux; moyens de les remettre
en honneur. — Pèlerinages à Albain-Saint-Nazaire, compte-rendu.
— Confrérie des pèlerins de Jérusalem.
œUVRES PONTirlCALES :
Revendication des droits du Souverain Pontife. — Comité des droits
du Pape. — Union avec ce Comité. — Le jubilé épiscopal de Sa
Sainteté Léon XIII ; compte-rendu.
•iffusion des enseignements pontificaux et particulièrement des
dernières Encycliques. — Denier de Saint-Pierre et œuvres annexes.
— Union avec le comité romain de propagande de l'encyclique
Rerum novarum.
OEUVRES DES RETRAITES:
Retraites dans les œuvres et dans les paroisses. — Missions;
moyens d'en assurer les fruits. — Maisons de retraites. — Retraites
par catégories.
œUVRES MILITAIRES :
Œuvres paroissiales. — Messes pour les soldats. — Réunions et
autres moyens de préservation. — Soins particuliers à donner aux
jeunes séminaristes. — Messes et retraites de départ. — Relations à
établir entre les jeunes soldats et les prêtres des villes où ils se ren-
dent. — Archiconfrérie de N.-D. des Armées. — Œuvre des prières
et des tombes. — Œuvres des marins.
OEUVRES d'apostolat:
L'apostolat de la prière. — La propagation de la foi. — La Sainte-
Enfance. — Les écoles d'Orient. — L'œuvre de Saint-François de
Sales. — L'œuvre de Notre-Dame du Salut. — Prières publiques
pour la France. — Union de prières pour les intérêts des villes, comme
à Paris et à Lille. — Association de prières contre la franc-maçon-
nerie. — Les fondations en Terre-Sainte ; la Trappe d'El-Latroun. —
Les missions d'Afrique. — L'œuvre anti-esclavagiste.
OEUVRES DIVERSES :
Manifestations au sanctuaire du vœu national à Montmartre. — Ado-
rations nocturnes locales à Montmartre. — Le quatorzième centeHaire
de la France chrétienne en 189G. — Béatification de Jeanne d'Arc et
de Christophe Colomb. — La réforme chrétienne du droit des gens.
— L'arbitrage international. — Les Tiers-Ordres. — Le Rosaire. —
Les congrégations de la Sainte-Vierge pour les hommes, pour les
jeunes gens, pour les enfants. — La prière en commun dans les
familles: la lecture de la vie des Saints; association de la Sainte
Famille ; le crucifix en honneur au foyer domestique. — Place à
donner aux images pieuses dans la décoration intérieure et extérieure
des maisons. — Actes de respect envers les prêtres. — Moyens de
venir en aide aux vocations ecclésiastiques et religieuses. — Confé-
3
34 ANNALES CATHOLIQUES
rencea sur les œuvres dans les établissements religieux. — Lois con-
ceTnant les congrégations religieuses. — Le denier des expulsés. —
Questions relatives aux funérailles et aux cimetières: obsèques de»
pauvres. — Apostolat de la jeunesse chrétienne. — Touristes du
Sacré-Cœur comme à Marseille. — Renouvellement de la consécra-
tion des familles, des œuvres et des villes au Sacré-Cœur.
2* Section. — Enseignement, Propagande. Art chrétien.
l""* Commission. — Enseignement.
ENSEIGNEMENT SUPERIEUR:
Lps lois sur l'enseignement supérieur; modifications à y apporter
dans l'intérêt de la liberté et de la science. — Facultés catholiques. —
Ecoles de hautes études industrielles et de hautes études agricoles. —
Œuvres pour les étudiants. — Quêtes diocésaines et souscriptions.
— La Revue de Lille. — Association des anciens étudiants de l'Uni-
versité catholique. — Etudes apologétiques dans l'enseignement
supérieur. — Section des sciences politiques.
ENSEICNEMENT SECONDAIRE'.
Les programmes et les examens. — Les établissements secondaires
libres dans la région. — De la nécessité de maintenir le programme
traditionnel des études classiques. — Le baccalauréat moderne. —
Relations entre les établissements libres d'enseignement secondaire,
au j)Oint lie vue des méthodes, des livres classiques, des livres de prix
et du personnel enseignant. — Conférences et visites agricoles dans
les collèges libres. — L'enseignement des langues vivantes. — Con-'
cours gémral fondé par l'association des anciens étudiants de
l'Université catholique, entre tes élèves des collèges catholiques de la
région.
Etude des questions sociales dans l'enseignement supérieur et
dans l'enseignement secondaire.
ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL :
Ecoles professionnelles catholiques. — Ecole de commerce. — Ecoles
d'arts etmi'tiers. — Ecoles pratiques d'agriculture. — Apprentissage.
Inégalité pour le service militaire, entre les écoles officielles et les
écoles libres.
ENSEIGNEMENT DES FILLES :
Les programmes; les examens; les diplômes. — Les lycées de
filles.
ENSEIGNEMENT l'Rl.MAIRE :
Los lois sur l'enseignement primaire; nécessité de travailler à leur
abrogation. — Organisation d'écoles libres gratuites ou payantes. —
Enseignement primaire supérieur. — Inspection. — Certificats d'études
pour les écoles libres. — Breveta libres. — Comités diocésains des
CATHOLIQUES DU NORD ET DU PAS-DE-CALAIS 35
écoles. — Comités locaux. — Programniea et manuels tla renseigne-
ment catholique. — Livres classiques et livres de prix. — Recrute-
ment des inslituteurs chrétiens. — .associations des instituteurs
libres de la ifigion. — Ecoles normales catholiques; cours normaux
dirigés à Lille par les Frères. — Résultats de l'enseignement neutre.
— Situation des écoles libres dans les diocèses d'Arras et de Cambrai.
— Caisse des écoles libres. — Denier des écoles.
Subventions do l'Etat, des départements et des communes aux éta-
blissements libres d'enseignement. — Journaux pédagogiques chré-
tiens.
2* Commission. — Presse, conférences et propagande.
A. — Encouragements et concours à donner à la presse catholique.
— Etat de la presse catholique dans la région. — Moyens de com-
battre la mauvaise presse et d'empêcher sa propagation. — Réponses
aux attaques contre le clergé et les institutions religieuses. — Le
colportage des journaux, brochures et almanaehs. — La corporation
chrétienne des publicistes. — La doctrine et les nouvelles dans leg
journaux. — Les abonnements, les annonces, le colportage. — Etat
de la législation en matière de presse.
B. — Conférences dans les villes et dans les campagnes. — Petites
conférences ou causeries ouvrières. — Concours à donner par la jeu-
nesse catholique à l'œuvre des conféreoces populaires.
C. — Bibliothèques populaires catholiques. — Bibliothèques rou-
lantes. — Tracts. — Associations pour la propagation des boQs livres.
— Société bibliographique. — Mesures à réclamer contre les publica»
lions et les images immorales. — Bibliothèque des chemins de fer. —
Les brochures et les almanachs.
3^ Commission. — Art chrétien.
L'école de Saint-Luc ; rapport sur ses développements à Gaud et en
Belgique. — L'école de Saint-Luc, à Lille ; exposition des travaux des
élèves. — Inventaire des objets d'ait conservés dans les églises des
diocèses de Cambrai et d'Arras. — Les processions et les cortèges
religieux en Belgique et dans le nord de la France. — Visite des
églises de Lille; leurs principaux objets d'art.
3« Section. — Œuvres sociales, Œuvres charitables.
l""» Cumm,ission. — Œuvres sociales.
A. — Associations et action giînérale :
Les Comités catholiques. — L'œuvre des Cercles catholiques d'ou-
vriers. — L'association catholique de la jeunesse française. — Union
des œuvres de jeunesse de la région. — L'union des associations
ouvrières catholiques. — La lutte contre les entreprises de la franc-
maçonnerie.
36 ANNALES CATHOLIQUES
B. — La question sociale et ouvrière :
la) L'Encyclique de conditione opificum, la direction qu'elle trace
et l'influence qu'elle a déjà exercée. — Réunions d'études sociales.
-^ Propagande des idées sociales chrétiennes par la chaire, la presse,
les conférences, etc. — La législation économique. — Lois votées ou
à voter.
(b) Dangers sociaux de la spéculation. — Organisation du crédit de
l'ouvrier.
(c) Amélioration progressive des rapports des patrons et des ouvriers.
— Organisation chrétienne de l'usine. — Conseils d'usine.
(d) Associations professionnelles. — Syndicats révolutionnaires,
leurs développements, leurs dangers. — Syndicats chrétiens, syndi-
cats séparés, syndicats mixtes. — Institutions destinées à défendre
les intérêts économiques et professionnels de l'ouvrier.
C. Œuvres de préservation :
Patronage d'écoliers, d'apprentis, déjeunes ouvriers. — Maisons de
famille pour lesjeunes ouvriers venant de la campagne. — Réunions
dominicales. — Sociétés de Saint-Joseph, sociétés de musique, de tir,
de gymnastique, etc. — Œuvres pour les commis de magasin, les
employés de commerce. — Les vagabonds : des moyens de les réunir
et de leur faire du bien.
D. Œuvres pour les campagnes :
Les syndicats agricoles; leur rôle, les services qu'ils sont appelés
à rendre. — Crédit agricole. — Orphelinats agricoles. — De l'éduca-
tion et de l'emploi des orphelins dans les familles. — Société de pro-
priétaires chrétiens sous le patronage de Saint-Michel et de Saint-
Remi. — La confrérie de Notre-Dame des Champs. — L'œuvre des
campagnes.
2" Commission. — Œuvres charitables
Conférences de Saint-Vincent de Paul et œuvres annexes. —
Œuvre de Saint-François Régis. — Orphelinats et refuges. — Œuvres
de réhabilitation. — Assistance des malades pauvres à domicile. —
Comités libres de charité. — Amélioration des logements d'ouvriers.
— Œuvres d'hospitalité do nuit. — Œuvres pour les prisonniers et
les condamnés libérés. — Œuvres pour les émigrants. — L'office
central des institutions charitables. — Liberté des fondations chari-
tables.
JEANNE d'arc 37
JEANNE D'ARC
Discours prononcé par M. R. PoiNCARÉ (1), ministre de l'Instruction
publique, des Beaux-Arts et des Cultes, le 24 septembre, à Vau-
couleurs, à l'occasion des fêtes de Jeanne d'Arc :
Messieurs,
Les représentants du départeraeat : sénateurs, députés, conseillers
généraux, conseillers d'arrondissement, maires, ont répondu avec
empressement à l'appel qui leur avait été adressé par la municipalité
de Vaucouleurs. Le député qui a eu l'honneur d'être trois fois déjà
l'élu de cette ville ne pouvait manquer d'assister à ces fêtes et il est
heureux d'être venu y représenter le gouvernement delà République.
J'ai eu, messieurs, comme ministre des Beaux-Arts, la bonne for-
tune de signer moi-même l'arrêté qui avait été préparé par mon pré-
décesseur et qui classe au nombre des monuments historiques les
restes de la crypte de la chapelle castrale où Jeanne d'Arc, au témoi-
gnage de Jean le Fumeux, passa des heures si longues en médita-
tions solitaires. Il était bon, il était nécessaire que de tels souvenirs
fussent pieusement conservés. Sur ces vieilles pierres est écrit un
des plus émouvants chapitres de l'histoire de France. 11 y a, dans
ces choses mortes, quelque chose qui vit encore et qui vivra éternel-
lement.
Mgr Pagis, évêque de Verdun, a pris l'initiative patriotique de rap-
peler, en outre, par un monument nouveau, le séjour de Jeanne
d'Arc à Vaucouleurs. On célèbre beaucoup Jeanne d'Arc depuis
quelques années, et je ne m'en plains pas. On ne célébrera jamais
trop une mémoire comme la sienne. Il y a peu de jours, c'était
Chinon qui élevait une statue à la Pueelle. Il ne saurait y avoir,
dans ces hommages multipliés, ni jalousie, ni concurrence. Jeanne
appartient à la France entière, et la France entière a raison de
l'honorer. Mais il est naturel que la ville de Vaucouleurs prenne sa
large part, une part privilégiée, dans ce culte général.
C'est à Vaucouleurs, qui, depuis Charles V, était ville royale,
« chambre de roi », comme disait Jeanne, c'est à Vaucouleurs que
commence vraiment la mission de la Pueelle. C'est ici qu'elle se fit
conduire une première fois, le 13 mai 1428, par son cousin Durand
(1) Nous regrettons de ne pouvoir reproduire aujourd'hui le discours
de Mgr Pagis, complément indispensable de celui de M. Poincaré qui,
faute de conviction ou de courage, n'a pas jugé à propos de parler do
la mission et de l'inspiration surnaturelles de Jeanne d'Arc. Nous
n'avons encore pu trouver le texte intégral de ce discours, où le sen-
timent religieux et le patriotisme sont parfaitement unis et éloquem-
ment exprimés.
"38 ANNALES CATHOMQUKS
Laxart, ce brave cultivateur de Bureyqui s'était laissé subjuguer par
l'enthousiasme de la jeune fille et dont l'affection complice la pro-
tégeait secrètement contre l'hostilité du reste de sa famille. C'est ici
que le sire de Baudricourt accueillit d'abord d'un sourire moqueur
les explications de Durand Laiart et lui conseilla de rameser Jeanne
chez son père « bien souffletée ». C'est ici que, par un terrible froid
d'hiver, en janvier ou février 1429, Jeanne, qui ne s'était pas rebutée,
vint s'installer chez le charron Henri Leroyer, résolue â triompher
de toutes les résistances et de toutes les mauvaises volontés. C'est
ici, dans la chapelle souterraine de Notre-Dame, qu'elle fit ce que
M. Siméon Luce a éloquemment appelé sa veillée de larmes. C'est ici
que sa conviction débordante entraîna peu â peu les gens de guerre
comme Jean de Metz et Bertrand de Poulengy; c'est ici que sa con-
fiance sereine et sa simplicité sublime lui conquirent rapidement les
coeurs de la population. Le capitaine de Baudricourt demeurait défiant.
Ce furent les habitants, les femmes surtout, qui eurent le pressen-
timent que <t cette petite bergerette » était destinée à sauver la
France. Certes, il y a là, mf?3 chers compatriotes, une page glorieuse
de notre histoire locale. Avoir compris Jeanne, l'avoir pour ainsi
dire devinée, à l'heure où elle était encore inconnue des uns et mé-
connue des ailtres! Avoir eu foi dans cette jeune fille, avoir été des
premiers à sentir auprès d'elle, avec elle, par elle, « la grande pitié
qu'il y avait au royaume de France », c'est avoir collaboré à l'œuvre
héroïque de Jeanne d'Arc.
Et les habitants de Vaucouleurs ne se sont pas bornés à admirer
la Pucelle. Ils l'ont encouragée. Ils ne se sont pas bornés à l'encou-
rager, ils l'ont aidée, secourue, équipée, lia se sont cotisés pour lui
acheter un cheval et pour lui procurer des vêtemoats. C'est grâce à
eux qu'elle a pu partir pour Cliinon, et pendant que le sire de Bau-
dricourt, encore incrédule, lui adressait cet adieu banal : « Va, et
advienne que pourra! ï>, ce sont eux, hommes et femmes de Vaucou-
leurs, qui, se pressant en foule sous les pas de son cheval, l'ont en-
tOUTéo jusqu'au delà de la Porte de France d'un corlège de sympathies
spontanées et de vœux attendris.
Leur cœxir était à l'unisson de celui de Jeanne, elle avait échauffé
on eux toutes les ardeurs du sentiment national. Dans aucune région
de la France, les fimes ne pouvaient être mieux préparées à vibrer
atec la sienne. Depuis 1365, Vaucouleurs avait été uni inséparable-
mont à la couronne. Mais la marche de Lorraine et de Champagne
était restée une sorte de ca^r^fc;ur où se rencontraisut sans cesse les
Bourguignons, allies des Anglais, et les partisans de Charles VII.
Cette vallée de la Meuse, qui avait été si longtemps le théâtre des
luttes entre le roi de France «t le duo de Lorraine, était maintenant
ravagée par des bandes pillardes de soudards. La châtellenie de Vau-
couleurs avait été à idusieurs reprises menacée par les Anglais. Les
JEANNE d'arc 39
populations demeuraient sur un perpétuel qui-vive ? Elles connais-
saient la guerre par une expérience quotidienne. Toujours incertaines
du lendemain, elles s'étaient accoutumées à la vigilance, au sang-
froid, au courage prudent et réfléchi. Elles avaient appris à aimer la
France à la grande école de la douleur.
Mais où était la France en 1429? Vendue, déchirée, elle semblait
expirante. Dix ans auparavant, un traité conclu à Troyes, au nom
de Charles VI, avait prétendu la livrer à la maison de Lancastre. Le
duc do Bourgogne avait reconnu les droits de la dynastie anglaise à
la couronne de France. On avait abusé de la folie d'un roi pour tra-
fiquer d'un peuple. En 1422, à la mort de Charles VI, le héraut
d'armes de France avait prononcé sur la fosse ces paroles sinistres :
« Dieu accorde bonne vie à Henri, par la grâce de Dieu, roi do France
et d'Angleterre, notre souverain seigneur. » Le dauphin avait été,
de l'avis du Parlement, déshérité, déchu, banni. Paris était aux Bour-
guignons et aux Anglais; la moitié de la France était prise, le reste
s'abandonnait. Tout conspirait contre Punité nationale, les intrigues
d'une partie de la noblesse, les subtilités des jurisconsultes, lu lassi-
tude et les soufl'rances des populations épuisées. Voilà l'heure sombre
où Jeanne apparaît et dresse, au-dessus de toutes ces obscurités et
de toutes ces misères, l'image brillante et immaculée de la patrie.
« Souvenoas-nous, a écrit Michelet, que la patrie chez nous est
née du cceur de Jeanne d'Arc, de sa tendresse, de ses larmes, et du
sang qu'elle a donné pour nous. » Et rien n'est plus vrai, rien n'est
plus juste, que ce mot du grand historien. Au commencement du
xv" siècle, Jeanne n'a pas seulement éveillé, dans les profondeurs des
masses populaires, le sentiment encore vague et confus de la natio-
nalité française. Elle a été, comme l'a dit Henri Martin, l'idéal vivant
de ia patrie.
Aucune poésie, aucun drame, aucune légende n'égalera l'émou-
vante réalité de cette vie de jeune fille, doublement auréolée par la
victoire et par le martyre, Jeanne d'Arc a vraiment personnifié la
France: la France à la fois brave et compatissante, gracieuse et guer-
rière, douce et enthousiaste, résolue surtout à défendre son indépen-
dance et à demeurer maîtresse de ses destinées.
Aux ambitions et aux convoitises des princes, qui croyaient pou-
voir disposer des nations au gré de leurs caprices, Jeanne a opposé
l'idée du droit et la revendication de la liberté. Elle ne s'attarde pas
à disserter sur le traité de Troyes, à peser et à comparer les titres
de Charles VII et de Henri VI. Pour elle, il ne peut y avoir qu'un roi,
c'est celui qui n'est pas le roi de l'étranger, c'est celui qui lutte
contre l'invasion. Elle ne discute pas avec les docteurs et avec les
pharisiens. Elle voit, elle sent, elle eroit : elle est tout flamme, tout
cœur, tout instinct. Le vrai roi est là où est la France, et la France
est partout où se retrouve le passé de la nation grandissante, partout
40 ANNALK8 CATHOLIQUES
OÙ les Français ont laissé des souvenirs communs de gloire ou de
tristesse.
Voilà bien l'idée de la patrie, telle qu'elle se dégagera plus tard de
l'œuvre de centralisation et d'unité que commencera le fils de
Charles Vil, Louis XI, et que poursuivront si patiemment ses suc-
cesseurs. La France va prendre de plus en plus clairement conscience
de son existence propre, de son individualité nationale.
Le mot lui-même de patrie, si beau, si expressif, et qui dit si bien
toute la douceur du pays paternel, fait son apparition dans la langue
française au xv« siècle. L'historien de Charles VII, J. Chartier, est
un des premiers qui l'emploient. Jusque-là, l'âme française se cher-
chait, hésitait, s'endormait par intermittence. Désormais, la voici qui
s'affirme, qui se développe et qui s'éclaire d'une lueur immortelle.
Ce ne sera pourtant qu'à la Révolution française que la conception
de la patrie et le sentiment de la nationalité trouveront leur force et
leur pureté définitives. La Bruyère disait : « 11 n'y a point de patrie
dans le despotique; d'autres choses y suppléent : l'intérêt, la gloire,
le service du prince. » Sans doute il exagérait. L'intérêt, la gloire,
le service du prince ne détruisaient pas la patrie; mais ils en alté-
raient la notion. La patrie, dans le sens noble, dans le sens absolu,
n'est pas une agglomération de sujets fidèles, c'est une association
libre de citoyens solidaires.
Pour qu'un peuple soit vraiment un peuple, une nation une et indivi-
sible, il ne suffit pas qu'il ait la même langue, les mêmes lois, les
mêmes mœurs; il faut que chacun de ses membres comprenne qu'il
est la partie d'un tout, la cellule d'un organisme, la note d'une har-
monie ; que chacun ait la perception nette de son rôle dans la société,
de ses droits, de ses devoirs, de ses responsabilités; il faut, en un
mot, qu'il y ait, de la part de tous, une coopération réfléchie, une
contribution voulue à l'œuvre générale.
Mais quelle qu'ait été, depuis Jeanne, l'œuvre des siècles, elle a illu-
miné le sien d'une apparition radieuse. Elle a été l'aurore de la patrie,
et les rayons de sa chaste figure éclairent encore le ciel de France.
Elle plane au-dessus des partis, elle n'est prisonnière d'aucune
secte, d'aucun groupe, d'aucune école. Ce serait diminuer et fausser
son souvenir que de le mêler à nos luttes politiques. Chacun de nous
aie même droit et le même devoir de l'admirer et de l'aimer, car
elle incarne et résume ce qu'il y a de commun dans les sentiments
des Français de tous les partis: l'inaltérable dévouement à la patrie,
la passioQ de l'indépendance et de la grandeur nationales.
NÉCROLOGIE 41
NECROLOGIE
Voici les principaux passages du discours du commandant
Monteil, délégué du gouvernement aux obsèques du duc d'Uzès,
à Uzès :
Le gouvernement de la République, en m'envoyant pour le repré-
senter en cette triste circonstance, m'a chargé de vous apporter
madame la duchesse, ainsi qu'à votre famille, le témoignage de la
part très vive qu'il a prise à votre grande douleur, et de vous expri-
mer en son nom et au nom de tous les Français de cœur, les regrets
unanimes qu'a provoqués au milieu de ses concitoyens la mort de
celui qui fut le duc Jacques d'Uzès.
De toutes parts et sous toutes les formes, je le sais, les marques de
la sympathie publique ont afflué vers vous.
En me donnant occasion d'en faire entendre ici même l'expression,
le souci du gouvernement a été d'honorer d'une manière spéciale
celui qui, rendu aujourd'hui à sa dernière demeure, a sacrifié sa vie
à la noble aspiration d'étendre toujours plus loin les bornes de la
patrie française. Lourde tâche que celle qu'il avait assumée, mais
combien grande et généreuse !
11 fallut au défunt une grande force d'âme pour renoncer en un
instant à la vie des heureux de ce monde : jouissance de la fortune,
éclat d'un grand nom, joies de famille, cortège d'amis nombreux, tel
que le rêvent les ambitieux de cette terre. Il trouva le rôle au-dessous
de lui-même, et il rêva d'entreprises plus dignes d'illustrer son nom.
Lorsqu'il vous fit part, madame, de ses projets, ses vues furent
accueillies avec enthousiasme par vous; ses aspirations étaient si bien
celles de votre propre nature. Votre seul adieu fut de lui dire : « Va,
et reviens un homme! »
Et alors commença cette lutte terrible où tout est privations. Pas
un instant il ne fut au-dessous de sa tâche.
Ce fut d'abord une route pénible le long de l'immense fleuve afri-
cain, le Congo; plus tard, la chevauchée de guerre dans les halliers
vierges qui avaient attiré pour l'assassiner, un des nôtres, de Pomay-
rac. La vengeance fut éclatante et la victoire complète.
Pendant ces cinq journées de combat, Jacques d'Uzès a accompli
ses devoirs de soldat valeureux.
Combien d'autres, que je connais, n'eussent eu que le souci, après
plus d'un an d'absence, de revenir au pays. Telle ne fut p;is sa con-
duite : il resta, et cependant la maladie l'avait déjà atteint. Hélas! il
ne lui fut point donné d'accomplir jusqu'au bout son noble devoir, si
cher. La mort implacable le saisit au moment où il allait mettre le
pied sur le navire qui devait le ramener dans sa patrie.
42 ANNALES CATHOLIQUES
Honneur à celui qui a su donner sa vie à une grande œuvre !
Comme beaucoup aujourd'hui, le duc Jacques d'Uzès avait compris
les vraies destinées de la France contemporaine : il faut que la
France se retrempe dans ses entreprises pour remplir le champ de
son action civilisatrice. A la tâche il a succombé, ayant jusqu'au bout
accompli son devoir.
Paix à ses cendres qui vont entrer dans leur demeure dernière :
Jacques d'Uzès est mort au champ d'honneur!
M. Deloncle, député, a prononcé quelques paroles au nom du
groupe colonial de la France. Il a dit :
L'héroïsme du jeune duc d'Uzès se dévouant à la glorieuse tâche
d'aller planter le drapesu français sur le Haut-Nil a justifié la con-
fiance de tous les amis de l'expansion coloniale. Il est tombé, mais
son œuvre vivra.
Cette noble jeunesse de France aura à cœur d'aller lâ-bas, comme
au temps de saint Louis et de Louis XIV, consacrer son ardeur et sa
foi à de nouveaux exploits qui réveilleront les antiques gloires des
Gesta Dei per Francos. Et la France, qui n'oublie jamais, rendra impé-
rissable le fier nom des d'Uzès !
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Les grèves du Nord et du Pas-de-Calais. — Les « Sans patrie ».
Traité franco-siamois. — Etranger.
5 octobre 1893.
Les commis-vo^'ageurs en grèves n'ont qu'à se bien tenir,
M. Dupuy, président du Conseil est, paraît-il, décidé à agir
vigoureusement pour arrêter leur propagande d'excitation.
C'est, du moins, ce qu'il fait annoncer par les journaux à sa
dévotion, mais on sait que le langage d'un premier ministre ne
constitue pas un article de foi, et qu'il y a souvent loin des
paroles aux actes. Si nous en croyons donc une information
officieuse, M. le président du Conseil aurait eu dimanche une
conférence avec le directeur de la Sûreté générale, au sujet des
grèves du Nord et du Pas-de-Calais, et des résolutions auraient
été prises pour empêcher le retour des promenades deCarmaux.
La raison de cette décision tardive serait l'arrivée annoncée
d'un certain nombre de députés socialistes dans les bassins
houillers, en vue de seconder l'action des Basly, Laraendin et G".
Voici comment serait exercée la répression gouvernementale :
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 43
ne pouvant interdire aux députés de tenir des réunions publi-
ques et d'y prendre la parole, on se bornerait à défendre toute
manifestation extérieure et à exercer une surveillance de tous
les instants autour des meneurs, afin de réduire leur propagande
à l'impuissance. On irait même, si ces moyens ne réussissaient
pas, jusqu'à menacer messieurs les excitateurs de mesures plus
sévères. Eu un mot, il serait procédé comme on procéda, au
mois d'avril dernier, pour les grèves d'Amiens. A cette époque,
on s'en souvient, M. Lafargue reçut officieusement l'avis qu'il
pourrait lui en cuire s'il continuait son rôle de perturbateur;
aussi s'empressa-t-il de partir un beau soir, sans tambour ni
trompette, se sachant tellement filé qu'il n'avait plus aucune
liberté d'action. M. Dupuy espère que la même façon d'agir
dans le Nord et le Pas-de-Calais amènera des résultats sem-
blables. Certes, le plan conçu peut être très habile et très bien
combiné théoriquement; mais c'est l'exécution qui laisse trop
à désirer, ou plutôt qui se fait trop longtemps attendre. Si, au
début, M. le président du Conseil avait pris une résolution au
lieu de laisser les choses suivre leur cours et les meneurs se
livrer en toute liberté à leur propagande d'excitation, non seu-
lement la grève n'aurait pas pris d'extension, mais aurait été
étouflee. La France ne se fournirait pas de charbon à l'étranger,
et les mineurs ne seraient pas réduits à un chômage ruineux
pour eux et leur famille.
Il est iscontestable, d'ailleurs, que la reprise du travail dans
les mines du Pas-de-Calais et du Nord serait déjà un fait accompli,
si la « discipline » imposée par les meneurs ne faisait un devoir
à un certain nombre de grévistes de s'y opposer, même par la
violence. C'est ce que démontrent, du reste, les conflits qui,
depuis deux ou trois jours, éclatent en divers endroits à la fois.
Jusqu'ici lu bagarre la plus grave a été celle qui s'est produite
avant-hier à Drocourt. Le sang a coulé entre quelques patrouilles
des mineurs et la troupe. Les dépêches nous annoncent qu'à la
nouvelle de cette sanglante échauffourée, MM. Basly etLamen-
din sont aussitôt partis pour Drocourt, afin de procéder à une
enquête et de visiter les blessés assez nombreux, paraît-il. On
se demandera en vertu de quelle loi ces deux chefs improvisés
de la grève, qui sont à la fois députés, organisateurs do. grèves,
enquêteurs, etc.j etc., ont puisé cette extraordinaire dictature
44 ANNALES CATHOLIQUES
qui leur permet, dit la France, « de diriger une campagne à
main armée non-seulement contre les patrons, mais contre les
gendarmes, contre l'armée et aussi contre le suffrage universel
dont tout conflit violent est la négation même. »
Il y a lieu aussi de constater que la grève actuelle profite sur-
tout aux Belges et aux Allemands. Cette vérité est confirmée
même au-delà de toutes prévisions. Une dépêche de Lille nous
annonce, en effet, « qu'il entre chaque jour en France, rien que
])ar Erquelines, 1,200 wagons de charbons belges provenant du
bassin de Charleroi. Dans la seule gare de Tourcoing, les arri-
vages quotidiens sont d'environ 150 wagons de houille belge *.
D'Allemagne, on signale également de nombreuses expéditions.
Du reste, la Cote libre, un important journal financier de Bel-
gique, déclare avec une grande satisfaction, qu'un grand mou-
vement de hausse s'est produit sur les valeurs minières de ce
pays. « La grève française, dit-il, fait affluer les commandes à
nos charbonnages. On a remarqué hier, à la Bourse de Charleroi,
beaucoup d'acheteurs français. Nous savons, d'autre part, que
les expéditions ont pris une activité extrême ; l'on craint même
i|ue le matériel des chemins de fer ne fasse défaut. » Voilà donc
une des principales conséquences de cette grève inepte qui a
éclaté sans motif et qui continue sans raison, pour le profit
exclusif de quelques exploiteurs de la crédulité ouvrière.
En réponse à la Petite Republique, dont un rédacteur avait
l)roduit des chiffres fantastiques ifur l'énorme taux d'intérêt
que, selon lui, leur argent rapportait aux actionnaires des
mines, voici que dit le Nouvelliste du Nord et du Pas-de-
Calais :
Ka 1880, M. Vuillemin, que le rédacteur de la Petite Répu-
blique considère comme la loi et les prophètes, disait que, dans les
mines du Nord et du Pas-de-Calais, le chiffre des capitaux engagés
jiar 34 sociétéf», dont 30 fonctionnaient encore à cette époque, s'éle-
vait à 346,268,296 fr.
Ajoutez-y environ 200 millions pour les sociétés de recherches et
autres qui, depuis près de cent ans, ont été fondées et sont mortes
sans donner de résultats financiers, et vous obtenez un chiffre de
550 millions.
Depuis douze ans, un certain nombre de millions ont été ajoutés à
cet énorme capital, de telle sorte que, autant qu'on peut déterminer
CHRONIQUK DE LA SEMAINE 45
semblable chose, le chiffre des sommes consacrées à l'iadustrie mi-
nière approche de 600 milHoos.
Voici maintenant les revenus distribués l'année dernière :
Aniche 2.334.000
Anzin 6.912.000
Bruay 2.025.000
Bully-Grenay 2.300.000
• Carvin 236.700
Courrières 3 . 970 . 000
Douchy 728.800
Bourges 585 . 000
Drocourt 262 . 500
L'EscarpelIft 173.190
Ferfay 122.500
Lens 3.300.000
Liévin 1.166.400
Maries 1,927.040
Meurchin 1 . 000 . 000
Vicoigne et Nœud 1.930.000
Total : 29.243.130
Comme on le voit, c'est un revenu d'environ 5 0/0 en moyenne.
Et il importe de constater que l'année prise comme base est une
année exceptionnelle et que, dès maintenant, plusieurs sociétés, et
non des moindres, telles que Lens ont annoncé pour cette année
des dividendes moindres.
Le principe que nous émettions, à savoij que, dans les meilleures
conditions, le capital confié aux mines n'obtenait qu'un revenu de
5 0/0, est donc démontré. S'il n'y avait pas dans ces entreprises une
sorte de loterie promettant parfois des chances exceptionnelles,
jamais une seule société n'aurait pu se constituer, et une source
importante de la richesse publique n'aurait pas été créée. Compren-
dra-t-on maintenant à la Petite République?
Non, l'on ne comprendra pas, parce que l'on ne veut pas
comprendre.
On lit dans le Journal des Débats :
Il y a quinze jours que la grève a commencé dans le bassin houil-
1er du Pas-de-Calais et dans une partie du Nord. Il nous a paru inté-
ressant de savoir dans quelles proportions l'importation des charbons
belges avait augmenté, durant ces quinze jours, par rapport à la
période correspondante de l'an dernier.
Voici les chiffres approximatifs que nous avons recueillis :
45 . A31MAUXS CATHOLIQUES . >
En 1892, du 15 septembre au l"* octobre, il est eatré en France
environ 125,000 tonnes de charbons belges.
En 1893, pendant la même période, il a été expédié en France en-
viron 230,000 tonnes.
L'augmentation de l'importation des charbons belges, depuis le
commencement de la grève, a donc été de 100,000 tonnes en chiffres
ronds.
Les grévistes font donc surtout les affaires de l'étranger.
Les porte-drapeau du socialisme ne s'entendent guère entre
eux, la division n'est pas moins grande parmi les troupes. C'est
surtout la question de patrie qui les met en désaccord. Tandis
que les uns conservent encore un restant de pudeur patriotique,
les autres se montrent les ennemis acharnés des frontières.
Pour ces derniers, tous les peuples sont frères, quelle que soit
leur langue, quels que soient leurs mœurs et leur esprit de
nationalité. Les premiers prennent, sans enthousiasme, il est
vrai, le nom de « patriotes », et les seconds celui de c sans-
patrie ».
M. Millerand qui s'est arrogé, avec M? Gôblet^ le droit de
moraliser et de discipliner les socialistes de toutes les écoles, a
pri.« la parole, dimanche soir, aux Grandes-Carrières, à l'issue
d'un banquet organisé par la fine fleur socialiste pour fêter
l'élection d'un des leurs.
M. Millerand, dont on ne saurait contester le talent oratoire,
avait assumé la tâche difficile de réconcilier les « sans-patrie»
avec les socialistes qui reconnaissent que le patriotisme a du
bon. Il paraît même qu'il y a réussi, auprès de ceux qui l'écoa"
talent, s'entend. M. Millerand s'est fait applaudir à la fois, et
par ses amis et par ses adversaires.
Son discours, comme on pense bien, était consacré à la ligne
politique que le parti socialiste doit suivre vis-à-vis de l'étran-
ger. Il a d'abord démontré, à sa manière, que la théorie des
€ sans-patrie » était une absurdité et voici pourquoi : c L'exis-
tence de la France en tant que nation est un facteur indispen-
sable du développement et du triomphé des idées socialistes. »
L'orateur, on le voit, ne s'est pas trop engagé ni trop com-
promis dans sa démonstration.
Quant au maintien de l'armée et l'obligation du service mili-
taire qui rencontrent également de nçmbreux adversaires dans
CHRONIQUE DK LA. SEMAINE 47
les rangs socialistes, M. Millerand a été un peu plus explicite.
Les socialistes doivent Toter, a-t-il dit, le budget de la
guerre et accepter l'obligation du service militaire.
C'est à tort, selon lui, qu'on propose aux socialistes français
l'exemple de « cette admirable démocratie socialiste alle-
mande » qui pendant la guerre de 1870, réclamait qu'on fît la
paix avec la France. Les vaincus ne peuvent avoir la même
attitude que les vainqueurs et le détachement ni le désinté-
ressement ne sont de mise quand l'intégrité elle-même du ter-
ritoire est en jeu.
Au sujet de l'alliance franco-russe, M. Millerand, après une
série de précautions oratoires, s'est expliqué devant son audi-
toire sans trop soulever de tumulte. Il a engagé les socialistes
à faire taire leurs sympathies personnelles devant les intérêts
supérieurs du pays. « La communauté des institutions n'est
pas une raison suffisante pour une action internationale com-
mune. » D'oii le devoir pour tout bon socialiste d'accepter l'al-
liance franco-russe.
Mais, comme si l'orateur avait craint de s'être trop avancé,
il a bien vite fait remarquer que les Russes avaient, à cette en-
tente, autant d'intérêt que les Français.
Le mobile auquel a obéi M. Millerand, en prononçant son
discours, se devine aisément. Les paroles imprudentes de quel-
ques-uns de ses coreligionnaires ayant soulevé, dans le pays,
une réprobation générale, l'orateur socialiste a voulu dégager
sa responsabilité personnelle et celle de son parti, en protestant
contre les déclamations des sans-patrie. Mais cette protestation
ne saurait être qu'un document de plus à ajouter à tous ceux
dont les socialistes inondent le pays.
Le ministre des affaires étrangères a reçu un télégramme par
lequel M. Le Myre de Vilers , notre envoyé extraordinaire,
annonce l'heureuse issue des négociations qu'il poursuivait avec
le gouvernement du Siam.
Le 1" octobre ont été signés à Bangkok, par les plénipoten-
tiaires français et siamois, un traité et une convention sanction-
nant les clauses de Vultimatum et les garanties complémentaires
telles que le Siam les avait déjà acceptées et en réglant l'exé-
cution.
Les parties contractantes y prévoient l'établissement prochain
48 ANNALES CATHOLIQUES
d'un régime douanier plus favorable aux relations commerciales
entre nos possessions et les territoires limitrophes.
Le gouvernement siamois s'engage à assurer toutes les faci-
lités nécessaires aux travaux que la navigation du Mékong ren-
drait nécessaires sur la rive droite du fleuve.
La France continuera à occuper Chantaboun jusqu'à la com-
plète exécution des stipulations et, notamment, jusqu'à l'éva-
cuation pacifique de la rive gauche du Mékong par les Siamois.
Les avantages résultant de ce traité donnent complète satis-
faction aux réclamations qu'avait formulées le gouvernement
français.
Voici, d'ailleurs, le texte intégral de ce traité et de la con-
vention qui y fait suite :
Traité.
Art. l""". — Le gouvernement siamois renonce à toute prétention
sur l'ensemble des territoires de la rive gaucho du Mékong et sur les
îles du fleuve.
Art. 2. — Le gouvernement siamois s'interdit d'entretenir ou de
faire circuler des embarcations ou bâtiments armés sur les eaux du
Grand-Lac, du Mékong et de leurs affluents situés dans les territoires
visés à l'article suivant.
Art. 3. — Le gouvernement siamois no construira aucun poste
fortifié on établissement militaire dans les provinces de Battambang
et de Sien-Reap et dans un rayon de vingt-cinq kilomètres sur la rive
droite du Mékong.
Art. 4. — Dans les zones visées par l'articlo 3, la police sera exercée,
selon l'usage, par les autorités locales avec les contingents stricte-
ment nécessaires. Il n'y sera entretenu aucune force armée régulière
ou irrégulière.
Art. 5. — Le gouvernement siamois s'engage à ouvrir dans le délai
de six mois des négociations avec le gouvernement français en vue du
règlement du régime douanier et commercial des territoires visés à
l'article 3 et de la revision du traité de 1856. Jusqu'à la conclusion
de cet accord il ne sera pas établi de droits do douane dans la zone
visée à l'article 3. La réciprocité continuera à être accordée par le
gouvernement français aux produits de ladite zone.
Art. G. — Le déveloi)pement do la navigation du Mékong pouvant
rendre nécessaires sur la rive droite certains travaux ou l'établisse-
ment de relais de batellerie et do dépôts de bois et de charbon, le
gouvernement siamois s'engage à donner, sur la demande du gouver-
nement français, toutes les facilités nécessaires à cet effet.
Art. 7. — Los citoyens, sujets ou ressortissants français pourront
librement circuler, commercer dans les territoires visés à l'article 3,
CHRONIQUE DS LA SEMAINE 49
munis d'une passe délivrée par les autorités françaises. La réciprocité
sera accordée aux habitants desdites zones.
Art. 8. — Le gouvernement français se réserve d'établir des consu-
lats où il le jugera convenable, dans l'intérêt de ses citoyens, sujets
ou ressortissants, et notamment à Korat et à Muang-Nam. Le gouver-
nement siamois concédera les terrains nécessaires pour l'installation
desdits consulats.
Art. 9. — En cas de difficultés, le texte français fera seul foi.
Art. 10. — Le présent traité devra être ratifié dans un délai de
quatre mois à partir du jour de la signature.
Convention.
Les postes militaires siamois établis sur la rive gauche du Mékong
et dans les îles du fleuve devront être évacués dans le délai d'un mois
à dater de la signature de la présente convention. Ceux situés dans
les provinces d'Angkor et de Battambang et sur la rive droite du fleuve
dans un rayon de vingt-cinq kilomètres devront être évacués à la
même époque et les fortifications rasées.
Les auteurs des attentats de Tong-Xieng-Khan et de Kammmon
seront jugés par les autorités siamoises. ITn représentant de la France
assistera au jugement et veillera â l'exécution des peines prononcées.
Le gouvernement français se réserve le droit d'apprécier si les con-
damnations sont suffisantes, et, le cas échéant, de réclamer un juge-
ment devant un tribunal mixte dont il fixera la composition.
Le gouvernement siamois devra remettre à la disposition du ministre
de France à Bangkok ou des autorités françaises de la frontière tous
les sujets français, annamites, cambodgiens, laotiens de la rive gauche
détenus â titre quelconque; il ne mettra aucun obstacle au retour sur
la rive gauche des anciens habitants de cette région.
Le bang-bien de Tong-Xieng-Khan et sa suite seront amenés par
un délégué du ministre des afi'aires étrangères à la légation de France,
ainsi que les armes et le pavillon français saisis par les autorités
siamoises.
Le gouvernement français continuera à occuper Chantaboun jusqu'à
l'exécution des stipulations de la présente convention et notamment
jusqu'à la complète et pacifique évacuation des postes siamois établis
tant sur la rive gauche du Mékong et dans les îles du fleuve que dans
les provinces de Battambang et de Sien-Reap et dans un rayon de
vingt-cinq kilomètres sur la rive droite du Mékong.
A l'occasion des fêtes franco-russes, les anarchistes vont,
dit-on, rentrer en scène et faire de nouveau parler la dynamite.
C'est à Londres que se préparerait le complot. La police fran-
4
50 ANNALES CATHOLIQUES
çaise a saisi déjà des correspondances échangées entre Paris et
Londres. Le gouvernement songerait à prendre, en attendant,
des mesures énergiques à l'égard des anarchistes les plus mili-
tants. On remarquera que c'est toujours en Angleterre que
s'organisent les complots contre l'alliance franco-russe, et que
c'est là toujours que les anarchistes ou les nihilistes trouvent
l'argent dont ils ont besoin pour les mauvais coups, quand ce
ne sont pas des agents anglais qui, à Paris, organisent le
désordre. Nos bons amis les Ajiglais s'occupent décidément
beaucoup trop de nous.
Un grave conflit vient d'éclater entre l'Espagne et le Maroc.
La garnison espagnole du fort de Melilla a été attaquée par les
Marocains : un peloton de cavalerie, envoyé contre eux, a dû
battre en retz'aite devant leur feu nourri, et une sortie de tous
les hommes disponibles, au nombre d'environ 700, n'a pas été
plus heureuse, malgré les efforts de l'artillerie qui la soutenait.
Quelque graves que puissent, au premier abord, paraître ces
nouvelles, il ne faut pas, sans doute, les prendre au tragique.
En faisant la part de l'exagération habituelle des renseigne-
ments qui parviennent télégraphiquement de ces régions à la
presse, quand il s'agit d'événements de « guerre », on réduira
vraisemblablement l'engagement dont il s'agit à une sortie plus
ou moins heureuse contre des pillards.
A l'occasion et à l'approche des élections au Landtag de
Prusse, la « fraction du Centre », présidée par M. le baron de
Heereman, publie un manifeste dont voici la substance.
Après un souvenir ému donné aux Windthorst, aux Pierre
Reichensperger et aux autres membres du groupe que la mort
a frappés au cours de la dix-septième législature, les auteurs du
manifeste prennent l'engagement de rester fidèles aux principes
et aux exemples des chefs qui ne sont plus.
Les catholiques ont encore beaucoup à reconquérir.
La question des écoles confessionnelles attend toujours sa
solution définitive; elle est livrée à l'arbitraire gouvernemental.
Or, seul un peuple élevé chrétiennement, craignant Dieu, est
une solide garantie pour le trône et pour l'autel, pour l'Etat et
pour l'Eglise.
CHRONIQUE VK LA SKMAIMB -gl
Le Centre ne cessera de revendiquer le rétablissement de
l'école confessionnelle et le respect dû au droit naturel des
parents, d'autant plus que la paix religieuse dépend de cette
satisfaction donnée aux catholi(|ue.s.
Sui- le domaine ecclésiastique il y a eu du mieux, oà et là une
détente. Mais l'Eglise a besoin d'une liberté complète, d'une
indépendance telle qu'autrefois la Constitution l'avait donnée.
Les catholiques réclameront donc l'abrogation des lois restric-
tives de celte liberté, notamment en ce qui concerne les ordres
religieux.
La parité légale est pour les catholiques un leurre; ils pas-
sent trop souvent encore pour des citoyens de second ordre. Le
Centre persistera à demander pour eux un traitement équitable.
• L'œuvre capitale de la précédente législature a été la réforme
des impôts. Le Centre a fait tous ses efforts pour atténuer les
charges des classes inférieure et moyenne, bien que la consé-
quence en fût une aggravation sensible pour la classe riche.
Quant à la loi électorale, le Centre s'est opposé vigoureuse-
ment, mais inutilement, à ce qu'elle prît un caractère trop favo-
rable aux classes aisées. Il est décidé à en combattre les mauvais
effets et à en poursuivre l'abrogation.
Le Centre a soutenu toutes les motions en faveur de la situa-
tion matérielle des instituteurs et de leurs familles. Il le fera
encore à l'avenir, dans la mesure où les finances du pays le per-
mettront. ' .;-. ^-. i i.. : -.
Il en est de même en ce qui concerne les artisans, ouvriers,
paysans. Sans doute l'Etat ne doit pas intervenir partout et tou-
jours ; mais le pays ne peut que gagner à ce que l'on abandonne
enfin les voies d'un faux libéralisme.
Plus le Centre est fort, plusles espérances d'atteindre son l)ut
seront fondées. Donc, que chaque électeur catholique fasse son
devoir, tout son devoir ! Le succès est entre les mains de Dieu ;
il est assuré à ceux qui remplissent consciencieusement leur
devoir.
Ce document est daté du 4 juillet, mais n'est publié que d'au-
jourd'hui. Il porte la signature du baron de Heereman.
D'après les derniers renseignements parvenus du Brésil, le
bombardement de Rio-de-Janeiro est tellement sérieux que les
afluires sont cprapiètement suspendues, les banques fermées. La
52 ANNALES CATHOLIQUES
situation financière de ce pays se trouve en un si lamentalDle
état, après trois ans du régime républicain, que le devoir im-
périeux, urgent du gouvernement qui sortira de cette guerre
civile, sera de restaurer les finances de l'Etat laissées si pros-
pères et si brillantes par le gouvernement impérial.
Dans la République argentine, la guerre civile achève éga-
lement de ruiner ses malheureuses populations.
La République, suivant le mot historique, comme Saturne,
dévore ses propres enfants !
Et cela est tellement vrai que, dans la nôtre, pas un de ceux
qui y ont joué quelque grand rôle n'est mort ou n'a pu conser-
ver pour mourir avec, toute l'intégrité de son influence, de sa
popularité ni même de son honneur.
Tous ont disparu ou disparaîtront, accablés de quelque ter-
rible, et plus d'une fois, honteuse déchéance.
Est-ce la faute du régime ? Peut-être ; mais c'est le plus sou-
vent la suite même de l'indignité, de l'infirmité morale des indi-
vidus qui s'y élèvent, parce que la vertu, principe fondamental
des républiques, selon Montesquieu, est précisément ce qui leur
manque le plus.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Ii4»me et. l*lt.t*lle.
Le jour de la fête de saint Michel-Archange, protecteur spé-
cial de la Cité Léonine et du Vatican, le Souverain Pontife a
admis un bon nombre d'étrangers de divers pays à assister à la
messe qu'il a célébrée dans sa chapelle privée et à recevoir de
sa main la sainte communion.
Voici un détail qui prouve l'excellente santé et l'admirable
mémoire du Saint-Père: au retour de sa promenade dans les
jardins du Vatican et après qu'il y avait reçu plusieurs person-
nages, notamment l'Eme cardinal RampoUa, dans la nouvelle
palazzina de Paul IV, où il passe une grande partie delà journée,
Léon XIII, pendant qu'il rentrait dans ses appartements, a reçu
un ecclésiastique presque aussi âgé que lui et originaire du dio-
cèse de Cologne. Sa Sainteté s'est plu à lui rappeler qu'Elle
NOUVELLES RELIGIEUSES 53
avait eu l'occasion de visiter Cologne et qu'Elle se souvenait
parfaitement que ce même prêtre, en ce moment en sa présence,
lui avait servi de cicérone, bien mieux, qu'Elle se souvenait
aussi de toutes les belles choses qu'Elle avait pu voira Cologne,
grâce à son aimable guide. Celui-ci s'est trouvé tout pénétré
d'admiration à ce trait de mémoire de Léon Xlll, car ces souve-
nirs datent d'environ un demi-siècle et se rapportent tout juste
à quarante-cinq ans en arrière.
C'est ainsi qu'il plaît à Dieu de soutenir son Vicaire jusque
dans l'extrême vieillesse et pendant que le poids des ans et des
épreuves semblerait devoir l'accabler.
Celles-ci, en effet, deviennent chaque jour plus pénibles, car
l'audacieuse installation de la Franc-Maçonnerie dans les appar-
tements de Paul V, au palais Borghèse, présage un nouveau
déchaînement de la haine sectaire contre le Saint-Siège et les
catholiques d'Italie. En vain l'ex-ministre de la justice et des
cultes, M. Santamaria-Nicolini, a-t-il essayé, pendant les deux
mois seulement qu'a pu durer son administration, de faire
preuve d'une certaine équité vis-à-vis du clergé, au moins dans
les questions administratives. Sa bonne volonté s'est heurtée
aux tristes desseins des sectes, il a dû abandonner son poste.
Ainsi dans la question de Vexequatur, il n'a pu aboutira faire
reconnaître le nouveau patriarche de Venise préconisé par
Léon XIIl dans la personne de l'Eme cardinal Sarto qui, pour-
tant, avait été déjà reçu par le gouvernement comme ancien
évêque de Mantoue.
Et, comme le gouvernement s'arroge la prétention d'attribuer
à la Couronne le droit de nomination directe au siège de Venise,
en se réclamant de concordats qui ne sauraient avoir aucune
valeur pour le roi d'Italie, il s'ensuit que le conflit tourne à l'état
aigu et s'étend à plus de quarante autres sièges épiscopaux
dont les titulaires en sont encore réduits à attendre Ve.vequatu7'.
France
Nevers. — Le chapitre général de la congrégation de l'Ora-
toire s'est tenu, du l" au 5 août dernier, dans le petit séminaire
de Pjgnelin, près Nevers. Après cette solennelle réunion, Mon-
seigneur Perraud a adressé au Souverain Pontife la lettre sui-
vante :
54 ANNALES CATHOLIQUES
ÀutuQ, le 9 août 1893.
Très Saint Père,
Le chapitre général de la Congrégation de l'OratoirG de Jésus-
Christ Notre-Seigneur vient de se terminer. J'y ai rempli le devoir
de promulguer solennellement les Constitutions récemment approuvées
par le Saint-Siège.
Avant de se disperser pour aller remplir dans les diverses maisons
de la Congrégation les emplois qui leur sont confiés par les évoques,
les membres de l'Oratoire, députés à ce chapitre, m'ont donné l'ho-
norable mandat d'exprimer à Votre Sainteté, de la part de toute la
Congrégation, la reconnaissance la plus vive avec les sentiments de
la plus respectueuse et filiale obéissance.
Il était impossible qu'ils ne fissent pas le plus grand cas de l'impor-
tante et très précieuse faveur dont ils se proclament très volontiers
redevables à Votre Paternité, je veux dire l'approbation de leurs
Constitutions ; cette approbation que Votre Sainteté a voulu leur
accorder, non pas à titre provisoire et par manière d'essai, mais im-
médiatement définitive, ainsi qu'il résulte du décret solennel rendu
le 2 juillet 1892.
Ces Constitutions, nous no les avons pas empruntées à d'autres
familles religieuses ou tirées d'un fonds étranger. Après les avoir
reçues de ces prêtres d'éminente vertu, Pierre de Bérulle, Charles de
Condren, François Bourgoing et d'autres encore qu'avaient tenus en
si grande estime vos prédécesseurs et particulièrement Paul V^, Ur-
bain VIII, Innocent X, Alexandre VII, nous les avons, avec une
humble confiance, soumises à votre jugement, dans la mesure où
Votre Sainteté daignerait en faire revivre au moins l'économie essen-
tielle et les principales dispositif ns, et nous les restituer comme la
portion la plus précieuse de l'héritage paternel.
Reconnaissants d'un si grand bienfait, nous n'aurons rien tant à
cœur que de pratiquer à l'égard du Souverain Pontife non seulement
a l'obéissance et le respect », mais un tendre et affectueux dévoue-
ment. De plus, nous sommes résolus à noua montrer des a ouvriers
infatigables » de l'Eglise du Christ dans toutes les oeuvres et tous les
offices qui touchent à la défense de la foi chrétienne, aux meilleurs
moyens de pourvoir à l'éducation religieuse de la jeunesse et à cet
honneur de l'ordre sacerdotal que nous voudrions toujours mettre en
une plus vive lumière.
Pour moi, Très Saint Père, non seulement comme interprète et
fondé de pouvoirs du chapitre général, mais encore au nom de cette
congrégation dont Votre Sainteté me confiait le gouvernement il y a
neuf ans, très humblement prosterné à ses pieds, je la prie de daigner
accorder sa bénédiction apostolique à moi et à tous les membres de
l'Oratoire.
•}- Adolphe-Louis-Albert Piîrkaud,
èvêque d'Autun, supérieur général de l'Oratoire.
NOUVELLES RELIGIEUSES 55
Voici la réponse du Souverain Pontife :
A noire vénérable Frère Adolphe, évéque oTAutun, supe'rieur
général de la congrégation de VOratoire.
Vénérable Frère,
Les sentiments de pieuse soumission qui animent à Notre égard la
célèbre congrégation dont vous êtes le supérieur nous ont été attestés
d'une manière éclatante par la lettre que vous Nous avez écrite au
nom de tous.
Deux choses surtout Nous y plaisent et méritent Nos éloges: d'abord,
l'élan avec lequel les membres de l'Oratoire se proposent d'observer
dans une fidélité religieuse les Constitutions de votre ordre que Nous
avons naguère revêtues de Notre approbation; puis, le désir ardent
de venir en aide à l'Eglise dans l'accomplissement des diverses fonc-
tions qui sont propres à votre Institut. Ces deux excellente? disposi-
tions sont bien dignes des hommes éminents qui vous ont, pour ainsi
dire, légué leur esprit avec leur règle, et répondent exactement aux
besoins de ce temps, lequel, plus qu'aucun autre, réclame du clergé
une vertu .supérieure dans l'action.
Quant à Nous, si^ dans la protection des intérêts qui vous touchent.
Nous entendons ne le céder en rien à ceux de Nos prédécesseurs dont
vous avez rappelé le souvenir et qui se sont montrés si enclins à favo-
riser votre Congrégation, comme eux Nous attendons des fruits tou-
jours plus abondants de Notre sollicitude et de Notre affection pour
vous. Ainsi, avec la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sachez vous
garder intacts de toutes les mauvaises influences du temps présent;
et, comme vous en avez pris l'engagement, montrez- vous dans l'accom-
plissement de tous vos offices « des ouvriers infatigables ». C'est à
quoi tendent avec force Nos exhortations et Nos vœux.
En ce qui vous touche personnellement, Vénérable Frère, outre les
témoignages nombreux de particulière bienveillance que Nous vous
avons déjà donnés, Nous voulons que la présente Lettre vous porte
Nos félicitations pour le zèle et l'habileté déployés par vous au sein
du Ch:ipitpe de la Congrégation que vous venez de présider, vous, son
Supérieur g'néral, dont Nous avons décrété de proroger les pouvoirs
à perpétuité.
Nous en avons le très ferme espoir : l'éminente vertu avec laquelle,
depuis longtemps déjà, vous gouvernez et illustrez votre Eglise, sera
pour la Congrégation à laquelle vous vous montrez si heureux d'ap-
partenir un principe fécond de progrès et de prospérité.
Aussi bien, à vous et, ainsi que vous en avez exprimé le désir, à
tous les membres de l'Oratoire, Nous accordons dans l'effusion de la
charité la Bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Piorrc, lo VI septembre MDCCCXCIII,
en la seizième année de Notre l'ontificat. LÉON XIII, PAPEi .
56
ANNALES CATHOLIQUES
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE (I)
1. — Etudes métllco-lhéo*
logiques sun les aues-
thésiques, par M. l'abbé Pie-
racciai, Membre de Sociétés
savantes. Excellente brochure
in-S", sur papier extra. En
vente chez l'auteur, curé de
Nessa, par Muro (Corse,-. Piix:
franco : lï> centimes.
La presse catholique a salué
avec joie l'apparition de ce petit
livre qui a déjà fait tant de bien.
En quelques pages, le savant au-
teur qui fait preuve de sérieuses
connaissances théologiques et
médicales, a condensé une réfu-
tation de théories anti-chrétien-
nes ayant cours sur l'emploi des
anesthésiqups et surtotit sur los
manifestations de l'hypnotisme.
Jamais peut-être il ne fut [dus
nécessaire de prêcher ces graves
vérités. Ainsi que le fait si judi-
cieusement remarquer M. l'abbé
Pieraccini, aujourd'hui on ne lit
plus guère les gros ouvrages.
Distrait par les agitations sociales»
le public extra-scientifique n'es
plus capable d'une attention suu*^
tenue. 11 convient donc de lu'
servir les saines doctrines par pe-
tites doses. Aussi cet intéressant
opuscule, fruit de patientes re-
cherches est le résumé sub-^tan-
tiel d'innombrables travaux et le
premier de ce genre paru après
les dernières décisions de Rome.
On peut donc dire que cette bro-
chure vient tout à fait à son heure.
L'ouvrage honoré des puissauts
suffrages des corps savants et des
sommités scientifiques de l'Eu-
rope a reçu de M. le D"" Ferrand,
le plus illustre des médecins
chrétiens de notre époque, une
lettre des plus élogieuses. La
diffusion de cette brochure est
très désirable et nous faisons des
vœux sincères pour qu'elle trouve
dans le clergé et parmi les fidèles
l'accueil sympathique et tout le
succès qu'elle mérite.
Un docteur en théologie.
(1) Il sera rendu compte de tout ouvrage dont deux exemplaires
ont été déposés dans les bureaux des Amiales catholiques. MM. les
auteurs et MM. les éditeurs sont priés d'indiquer le prix des livres
qu'ils envoient. — L'administration des Annales se charge de four-
nir, au prix de librairie, les ouvrages dont il est rendu compte dans
ce Bulletin.
UNE CONQUETE
Après avoir trop longtemps subi le joug des sectes, la France com-
mence à se ressaisir. G est ainsi que les Catholiques, par le Diction-
naire des Dictionnaires, ont enfin repris lo domaine encyclopédique
usurpé depuis plus d'un siècle par la Franc-Maçonnerie et la Libre
Pensée, et y ont planté la crois. Il importe d'affermir et d'étendre
cette précieuse conquête. Quiconque a souci de l'intérêt familial,
social, religieux, conservateur, voudra participer à cette croisade,
qui a pour cri : Foi et Science, Dieu et Patrie. D'ailleurs, il s'agit
d'une fpuvre aujourd'hui indispensable, d'une utilité quotidienne ; et
l'on pf'Ut encore en souscrivant de suite, se la procurer dans des
conditions exceptionnelles. On trouvera plus loin ces conditions avec
le bulletin de souscription.
Le Gérant: P. Chantrei,.
Paris. Imp. 0. Picquoin, 53, rue de Lille.
ANN.\LES CATHOLIQUES
VAUCOULEURS
ORIGINES DU MONUMENT DE JEANNE D ARC
Si Doraremy a l'incomparable honneur d'avoir été le berceau
de Jeanne d'Arc, le lieu des apparitions célestes qui lui révé-
lèrent sa mission et qui l'y préparèrent, Vaucouleurs a l'hon-
neur insipne d'avoir été le point de départ de sa miraculeuse
épopée. Au temps de Jeanne d'Arc, Vaucouleurs jouait un rôle
glorieux. Place forte restée fidèle à la France, imprenable aux
Anglais, elle était notre sentinelle avancée sur la Meuse, en
face de la Lorraine, alors notre ennemie déclarée avec le duc
Charles II. Cette patriotique cité fut la première à qui Jeanne
annonça sa mission surnaturelle et la première qui y crut.
Jeanne y vint d'abord en mai 1428, vers l'Ascension, deman-
der au gouverneur les moyens d'aller trouver le roi. On sait
avec quelle dureté Beaudricourt réconduisit. Jeanne revint l'an-
née suivante, en janvier 1429, et en plusieurs reprises passa
plusieurs semaines à Vaucouleurs. Sa piété, son patriotisme,
l'inspiration qui éclatait dans ses paroles et dans ses actes, lui
gagnèrent les coeurs. Devant une population prenant avec en-
thousiasme fait et cause pour la Pucelle, l'incrédule Beaudri-
court dut faire taire ses préjugés soldatesques, et ne plus bar-
rer la route au secours que Dieu envoyait au roi de France.
L'église paroissiale, la chapelle du château et principalement
sa crypte furent témoins des angoisses de Jeanne, entendirent
ses prières, virent couler ses pleurs. Elle passait des heures
entières dans la crypte, prosternée devant la statue de Notre-
Dames-d es-Voûtes.
Pour lui faire bonne, loyale et sûre conduite jusqu'à Chinon,
à travers un pays infesté d'Anglais, il fallait des compagnons
d'une fidélité et d'un courage à toute épreuve.
La garnison de Vaucouleurs fournit ces braves : Jean de Metz,
Bertrand de Poulengy et leurs serviteurs, l'archer Richard et
le messager royal Colet de Vienne. Il fallait à Jeanne un équi-
pement de guerre. Les gens de Vaucouleurs se cotisèrent pour
lui ofi'rir un costume militaire, un cheval, des armes défensives
et offensives, auxquelles Beaudricourt, ébranlé dans ses dé-
LXXXTI — 14 OCTOBKB 1893. 5
58 ANNALKS CATHOLIQUES
fiances par l'entraînement général, ajouta une épée de sa propre
main.
A Vaucouleurs, Jeanne subit l'épreuve humiliante de l'exor-
cisme. A Vaucouleurs, Jeanne donna le premier signe de sa
mission, en révélant à Beaudricourt, bien avant que la nouvelle
eût pu lui parvenir, le résultat désastreux pour nos «rriies de la
journée des Harengs (17 février 1429). A Vaucouleurs enfin, le
soir du 23 février 1429, iors^iue Jeanne franchit la porte de
France avec son escorte, accompagnée par les acclamations et
le? vœux du peuple, commença sa première étape pour la déli-
vrance d'Orléans et le salut de la patrie.
Donc, Vaucouleurs occupe dans l'histoire de Jeanne d'Arc
une place éminente et pos.«éde des titres particuliers à l'estime
des Français. Au surplus, les gens de Vaucouleurs ont toujours
conservé le culte de celle dont leurs aïeux eurent la gloire
d'être les premiers amis et partisans.
Une portion des remparts et des tours qui bravèrent l'inva-
sion atiglaise subsiste encore à Vaucouleurs. Du château qui
dominait la ville, il ne reste que l'emplacement. Le vandalisme
-de 1793 ne respecta pas la chapelle castrale, qui fut démolie,
mais il recula devant la crypte et épargna la porte de France.
Notre-Dame des Voiites, soustraite à la destruction, fut des-
cendue dans l'église paroissiale, oii elle existe encoi-e. Des mal-
heureux s'installèrent dans les ruines de la chapelle et avec les
débris construisirent une vingtaine de pauvres logis contigus
qui transformèrent le lieu sacré en une espèce de cour des
Miracles. La crypte servit longtemps d'étable ; puis un tisse-
rand y monta son métier. Aux œuvres de la Révolution, on peut
la juger.
Cependant Vaucouleurs ne perdait de vue ni les reliques pro-
fanées de son glorieux passé, ni les réparations dues à la Pu-
celle. En 1842 ou 1843, sa statue en pied était placée sous le
campanile de l'hôtel de ville. Le 17 décembre 1857, le conseil
municipal, réuni extraordinairement, décidait l'érection d'une
statue équestre sur une des places, votait 10,000 francs à cet
eflfet, et faisait appel au concours des conseils généraux de la
Meuse et des Vosges, qui accordèrent chacun 5,000 francs. La
statue fut mise au concours, mais le projet avorta. Au mois
d'avril 1869, Mgr Dupanloup, revenant d'un pèlerinage à Dom-
remy, s'arrêta à Vaucouleurs et visita la ci'y|ite. L'état dans
lequel se trouvait ce joyau livré aux pourceaux, lui arracha ce
VAUCOULEURS 59
cri : < C'est un crime national que de laisser des ruines si pré
cieuses dans un tel état de profanation. 11 faut demander de
l'argent à la France pour les restaurer et élever un monument
à l'héroïne. » Vers la même époque, i'abbé Perrejre, alors pro-
fesseur d'histoire à la Sorbonne, ajunt aussi visité la crypte,
écrivit au maire de Vaucouleurs deux lettres très vives contre
le « vandalisme » du conseil mui)ici[uil qui n'en pouvait mais.
Lo 3 juin S'Uivant, le conseil, sur la motion de M. Dislaire,
notaire, nommait une commission executive chargée d'organiser,
avec le concours de la presse, une souscription nationale, des-
tinée « à élever à Vaucouleurs un monument en l'honneur de
Jeanne d'Arc et à restaurer les lieux illustrés par sa présence. >
Nos revers de 1870 interrompirent encore ce projet. L'ajourne-
ment ne devait pas lui nuire, au contraire.
L'invasion prussienne, la perte de Metz et de Strasbourg ont
obligé les Français oublieux à remonter le cours de leur his-
toire jusqu'à la guerre de Cent ans pour y chercher des époques
sombres comme celle de 1870, suivies d'époques de salut comme
celle de Jeanne d'Arc afin d'entretenir par l'analogie des motifs
d'espérance en l'avenir. Nous assi.<tons depuis lors à une résur-
rection surprenante de la mémoire de Jeanne d'Arc. Erudits,
orateurs, prosateurs, poètes, peintres, sculpteurs, musiciens,
toute la France intellectuelle célèbre à l'envi cette incarnation
la plus pure du patriotisme français. La nation s'est reprise
pour sa libératrice au xv' siècle d un enthousiasme qui aboutit
à une floraison d'œuvres superbes en l'honneur de la Pucelle.
C'est à qui la glorifiera. Chaque lieu marqué par un de ses
« gestes » veut lui ériger un monument. Ou pense que le culte
de son souvenir est le meilleur réconfortant du courage fran-
çais, et que son image peut nous faire encore gagner des ba-
tailles.
Cet état d'esprit est caractéristique. 11 ne faut point s'en
plaindre. Notre histoire ne nous oflre pas de plus beau modèle
de toutes les vertus qui font un peuple invincible. La France
est assez riche, assez généreuse pour élever des monuments à
Jeanne d'Arc à toutes les étapes de sou épopée. Rien de plus
national que ces monuments. Aucun lieu n'a le droit d'accaparer
la grande Fiançaise au détriment des autres. Une telle jalou-
sie serait indigne de la France et de la Pucelle d'Orléans.
Ce grand mouvement vers Jeanne d'Arc n'échappait pas à un
de ses zélateurs, M. Le Bas, garde-mine à Bar-le-Duc. 11 était
60 ANNALES CATHOLIQUES
de Rouen, le lieu du martyre. Sa carrière l'avait rapproché du
berceau de son héroïne. Il avait exploré et étudié les moindres
monuments rappelant le souvenir de Jeanne dans le bassin de
la Meuse, depuis Domremy jusqu'à Vaucouleurs. En 1874,
M. Le Bas vint trouver les membres de la comnaission de 1869
et leur proposa de fonder ensemble une Société des Souvenirs
meusiens de Jeanne d'Arc, ayant pour but de réédifier, acqué-
rir, restaurer et entretenir ces monuments, en commençant par
Domre'my. Projet large, conçu sans acceptation de limites dio-
césaines ou départementales, et conforme à la succession des
faits historiques.
Au mois de mai 1877, M. Le Bas exposait son projet de société
dans une circulaire tirée à quelques cents exemplaires, et
adressée aux notables de la région pour recruter des fondateurs.
Il sollicitait d'autre part le concours des évêques de Verdun,
de Saint-Dié et de Langres. Mgr Hacquart, évêque de Verdun,
se déroba, trouvant le projet trop vaste pour être pratique
[L. du 2ô Juin). Mgr de Briey, évêque de Saint-Dié, répondit
[L. du 21 juillet) : « Vous pouvez compter sur mon concours et
sur ma souscription, »
Sans attendre la constitution d'une société qui les faisait trop
languir, deux hommes de coeur, M. Raulx, doyen de Vaucou-
leurs, et M. Martin Pierson, créateur en cette ville d'une école
de statuaire religieuse rivale de Munich, profitèrent d'une occa-
sion favorable et achetèrent, le 17 mars 1878, moyennant
4,000 fr., la crypte de la chapelle castrale, la nef au-dessus et
le collatéral droit. Ils devaient en faire apport à la future so-
ciété. Ce fut le premier pas sérieux vers la conquête successive
de toutes les parcelles qu'il fallait préalablement acquérir,
avant de songer aussi bien à la simple reconstruction de la
chapelle qu'à l'édification d'un monument plus grandiose.
Enfin, le 25 mai 1878, les principaux fondateurs de la société
due à l'initiative de M. Le Bas, se réunirent au presbytère de
Vaucouleurs, sous la présidence de M. le baron de Braux, des-
cendant d'une ligne collatérale de Jeanne d'Arc, auteur de tra-
vaux très estimés sur la Pucelle. La société se constitua et
adopta le titre de Société des Souvenirs de Jeanne d'Arc à
Domremy et à Vaucouleurs, pour ne point séparer « ces lieux
nséparabies dans l'histoire ». Le comité d'administration fut
composé de notables de la région, parmi lesquels M. le curé
de Domremy.
VAUCOULEURS
61
Dans sa deuxième réunion, le 3 juin suivant, la société votait
l'inopression à 6,000 exemplaires d'une circulaire rédip:ée par
M. Le Bas et destinée à être répandue dans toute la France.
Cette circulaire affirmait l'union indissoluble de Vaucouleurs et
de Domremy, et signalait comme urgente : à Domremy, la re-
construction de la chapelle de Notre-Dame de la Pucelle au
Bois Chesnu et la restauration de l'église paroissiale ; à Vau-
couleurs, la reconstruction de la chapelle castrale.
Pour mieux accentuer l'union des deux localités, M. le curé
de Domremy proposa de répartir également les fonds recueillis
entre Domremy et Vaucouleurs, ce qui fut adopté. Puis on dé-
cida de mettre la crypte en état de recevoir la visite des nom-
breux pèlerins qui ne manqueraient pas de venir de Domremy
après la manifestation nationale organisée pour le mercredi
10 juillet 1878 par Mgr de Briey.
15,000 à 20,000 pèlerins prirent part à cette imposante dé-
monstration, qui surpassa même la légitime attente de son pro-
moteur; la France entière se trouva ce jour-là à Domremy.
C'est une journée inoubliable pour tous ceux qui en furent les
spectateurs. Mgr de Briey avait invité M. le doyen de Vaucou-
leurs à célébrer le service divin; il le fit, en outre, chanoine
honoraire de Saint-Dié. Impossible de mieux affirmer l'union
existant jusque-là entre Domremy et Vaucouleurs. Mais le suc-
cès de cette magnifique journée devait briser, hélas! cette
union. Un comité séparé se formait, séance tenante, avec
Mme la duchesse de Chevreuse à sa tête, non plus pour recons-
truire la chapelle du Bois Chesnu, mais pour ériger une vaste
basilique sur son emplacement. On recueillit, ce jour-là 3,404 fr.
en vue de cette oeuvre.
Les Vosgiens se sentant assez forts pour marcher tout seuls,
rompirent avec la société Domremy- ^'^aucouleurs. La société se
réunit pour la troisième fois le 26 mai 1879. M. le curé de Dom-
remy, revenant sur sa motion précédente, demanda l'affectation
exclusive à Domremy des fonds recueillis par lui. On les lui
remit. Il se retira. La scission était consommée.
La société ainsi réduite à Vaucouleurs ne perdit pas courage;
elle suspendit seulement l'envoi de sa circulaire, qui n'était
plus en harmonie avec la situation. Puis elle concentra ses ef-
forts sur la crypte et les ruines de la chapelle castrale, afin que
l'on y piit dire la messe, et elle continua ses acquisitions de
parcelles pour déloger successivement les frelons qui y ni-
62 ANNALES CATHOLIQUES
chaient. Les libre-penseurs de Vaucouleurs, maîtres du conseil
municipal depuis la République, voulant honorer la Pucelle à
la façon de leur ami l'impudique Voltaire, ne cessèrent de sus-
citer toutes sortes d'obstacles aux acquéreurs et à leur projet
si favorable cependant à l'intérêt des citoyens et à rembellisse-
ment de la ville. Mais le fanatisme antireligieux ne raisonne
pas. Périssent les vénérables vestiges du séjour de Jeanne
d'Arc à Vaucouleurs, plutôt que d'assister à une restauration
religieuse de ces souvenirs! Tel était le mot d'ordre de ce joli
monde.
En 1885, Mgr Gonindard succède à Mgr Hacquart sur le siège
de Verdun. A peine installé, il vient à Vaucouleurs, visite la
crypte et les ruines en voie de réparation, réunit quelques
fondateurs de la société et leur offre son concours avec l'élan
d'un grand cœur. Enlevé trop tôt (1887) à la Meuse, il n'eut pas
le temps de donner suite à ses promesses. Mais en 1888, pro-
nonçant le panégyrique annuel du 8 mai dans la cathédrale d'Or-
léans, il se glorifiait de « l'honneur inoubliable qu'il avait eu
d'être révêque de Vaucouleurs, » et le souvenir de ces ruines,
clés plus dignes, disait-il, du regret et de l'aujour des Français, »
lui inspirait le plus beau passage de son discours.
Mgr Gonindard était appelé à Rennes afin de faire place sur
le siège de Verdun à Tapôtie envoyé de Dieu pour réaliser enfin
le vœu patriotique de Mgr Dupanloup et de l'abbé Peneyve, le
vœu de tous les bons Français, et pour faire surgir de t=rre le
monument rêvé par tous les braves gens de Vaucouleurs.
Mgr Pagis entre en scène en 1887. Il vient aussitôt à Vaucou-
leurs, à la prière de M. le doyen Raulx, frère du précédent et
comme lui fervent de Jeanne d'Arc. L'évéque se sent attiré et
conquis par l'éloquence muette des pierres qui ont vu les dou-
leurs et les joies de Jeanne d'Arc. Une grande pensée germe
dans son es[irit, elle grandit, elle l'envahit. Il veut illustrer son
épiseopat par une mission glorieuse, doter Vaucouleurs, son
diocèse, la France d'un monument unique en son genre. Le sort
en est jeté, il sera l'infatigable ouvrier de ce grand œuvre.
Au mois de juin, Mgr Pagis présidait la première communion
à Vaucouleurs. Son cœur déborde sur ses lèvres; il annonce sa
résolution de consaci'er son temps, ses forces, sa vie entière à
l'œuvre de réparation que la p^rance doit à Jeanne d'Arc. « J'ai
ma plume, s'écria-t-il, j'ai ma parole; s'il le faut, j'irai partout,
de diocèse en diocèse, d'église en église, prêcher pour Jeanne
VAUCOULEVRS 63
d'Arc. » La joie fut grande à Yaucouleurs en entendant cos
mots. Mgr Pagis a tenu parole.
La sociale de Vaucouleuis n'avait plus qu'à céder respec-
tueuseraent le pas au prélat qui se substituait à elle, qui .se
levait pour reprendre, poursuivre, développer et achever son
plan. C'est ce qu'elle fit, non sans procéder à une dernière ac-
quisition, le 16 avril 1888. Elle clôtura ses opérations le 31 dé-
cembre 1889. Elle avait recueilli 17,459 fr. 60 et dépensé
17,438 fr. 05. Les ressources provenaient de parts de fondateurs
(100 francs) et d'offrandes soit directes, soit versées dans le
tronc de la crypte, soit recueillies par les journaux. Yj Univers
avait une fois recueilli ::;03 francs. Les ressources avaient été
employées en acquisitions et en réparations.
Mgr Pagis commença résolument son admirable camjiagne
en 1890. Il avait vu d'abord et entretenu le Saint-Pére, reçu
ses encouragements et sa bénédiction, obtenu de lui un bref de
recommandation à la générosité des cailioliques françaif!. Armé
de toutes pièces et d'un plan bien mûri, il lanç.i, le 6 janvier 1890,
une lettre publique, à laquelle la presse, sans distinction de
parti, fit !e plus chaleureux accueil. Le dimanche 16 février, il
inaugurait à Paris, par une conférence en l'église de la Made-
leine, la longue série de ses prédications et de sas conférences à
travers la France entière. Son premier succès fut superbe.
L'archevêque de Paris présidait la cérémonie; il bénit l'assis-
tance et l'œuvre au nom de Léon Xllf.
Les contradicteurs surgirent. Mgr Pagis en rencontra même
dans l'épiscopat. Jeanne d'Arc ne fut-elle pas aussi en butte à la
contradiction? Mgr Pagis n'était pas un homme à se laisser
troubler ni décourager. Enfant de cette vieille terre celtique, de
cette Auvergne, qui produit des hommes à la volonté aussi ferme
que ses basaltes, il eut la sagesse de ne répondre à ses contra-
dicteurs que par un redoublement d'énergie dans sa campagne
t par de nouveaux succès. Il poursuivait les acquisitions d'im-
meubles et de terrains. Il achevait la restauration de la crypte.
Il faisait appel au talent des premiers architectes.
Toute sa pensée est développée dans une lettre admirable du
28 juin 1890. D'après lui, Jeanne d'Arc, qui a sauvé une pre-
înière fois la France de l'invasion, doit la sauver une seconde.
Nous assistons à une résurrection universelle de ses souvenirs.
C'est le moment psychologique pour la glorifier par l'éilifica-
tion, sur le plateau de Yaucouleurs, point de départ de sa pro-
64 ANNALES CATHOLIQUES
digieuse épopée, d'un monument grandiose placé au milieu de
notre nouvelle frontière militaire (Verdun, Toul, Neufchâteau),
qui soit comme un palladium. Ce monument doit être le sym-
bole du patriotisme, qui consiste dans le sacrifice de soi-même
— de l'idée religieuse, qui est la source du sacrifice — de la
vocation de la France, qui est le soldat du Christ à travers les
âges — de l'union de tous les Français — , et enfin du génie
national, opposé à celui des Allemands, représenté par la Ger-
manie des bords du Rhin.
Ce symbolisme doit se trouver dans un temple d'un caractère
à la fois guerrier et religieux, enchâssant comme une relique
inestimable la crypte restaurée et remise en possession de
Notre-Dame des Voûtes, et précédée d'un porche servant de
socle à une tour robuste, qui s'élèvera à 80 mètres dans les airs,
et qui portera à cette hauteur une statue colossale de l'immor-
telle Libératrice, indiquant à nos soldats le chemin des victoires
futures et de la délivrance définitive. Conception magnifique,
qui séduit le cœur et l'imagination.
Aujourd'hui, Mgr Pagis, en dépit des contradictions et des
obstacles, touclie au but désiré. Il est maître du terrain et
maître de l'opinion. D'habiles architectes ont traduit exacte-
ment sa pensée. Les entrepreneurs se sont mis vigoureusement
à l'œuvre au mois d'avril de la présente année. Ils ont arrasé
les plateaux de Vaucouleurs pour y jeter, sur un roc indestruc-
tible, les fondements de l'œuvre. Et dimanche, 24 septembre, a
eu lieu la pose de la première pierre. Honneur à Mgr Pagis!
Une dernière difficulté a été soulevée par un adversaire qui
a méconnu ses intentions, M. Siméon Luce, un savant et ardent
panégyriste de Jeanne d'Arc. Mais cette difficulté tournera à
l'avantage de l'entreprise. M. Siméon Luce, quelques jours
avant sa mort, obtenait le classement de la Porte de France et
de la crypte parmi les monuments historiques, mû par la crainte
que Mgr Pagis ne sût pas conserver l'intégrité de ces reliques.
Le résultat de cette intervention est d'obliger l'Etat à faire les
frais de leur restauration, et de s'associer ainsi à l'exécution
du projet de l'évêque. Aussi a-t-on vu, dimanche, l'Église et
l'Etat unis sur le plateau de Vaucouleurs pour glorifier la
mémoire de la Pucelle, spectacle assez rare pour être regardé
comme d'un heureux augure.
On attribue un mot récent à Mgr Pagis. « Là où d'autres ne
peuvent enfoncer un clou avec le marteau, l'Auvergnat l'enfonce
LKS ORIGINES d'uNE GRlNDE ŒUVRE 65
avec sa tête. » Allusion pittoresque à la ténacité avec laquelle
il a dû lutter contre ses adversaires, découverts ou cachés,
pour mener à bien son entreprise.
Il a été à la peine, il est juste qu'il soit maintenant à l'honneur
(Vérité). Henri Arsac.
LES ORIGINES D'UNE GRANDE ŒUVRE
Dans les Libres penseurs, au livre qui termine le volume qui est
intitulé: Les gens qui ne jjensent point, se trouve un chapitre con-
sacré par Louis Veuillot à l'œuvre, encore à ses débuts et déjà si
grande et merveilleuse, des Petites Sœurs des Pauvres. Louis Veuillot
y parle de la fondatrice et supérieure générale des Petites Sœurs des
Pauvres, la Mère Marie-Augustine dont nous avons annoncé la mort.
Nous en reproduisons la plus grande partie qu'on lira avec intérêt.
Illustres bourgeois, vertueux socialistes, conservateurs de la
société qui voulez détruire la vieille religion, destructeurs de
la vieille société qui la voulez rebâtir sur une religion neuve,
écoutez cette histoire plus intéressante que vos systèmes, et
faites connaissance avec des personnages plus savants en poli-
tique conservatrice et en nouveautés socialistes que vous ne
l'êtes tous.
Les plus austères d'entre vous connaissent les prêtresses des
muses, et leur ont fait mainte oftrande; mais connaissez-vous
les Sœurs des pauvres? Ge sont d'humbles ouvrières de Bre-
tagne, de ce pays absurde où l'on croit en Dieu, monsieur Prou-
dhon ; de ce pays noir, oii sous votre chère monarchie constitu-
tionnelle, sages bourgeois, votre chère Université frappait de
cent francs d'amende une vieille qui, tout en gagnant sa journée
de dix sous à filer sa quenouille, s'était permis d'enseigner le
catéchisme aux enfants du villag'e. Et peut-être que les Sœurs
des pauvres n'ont étudié le catéchisme que de cette façon illégale.
Elles étaient deux, elles avaient seize et dix-sept ans, elles
travaillaient de leur aiguille et gagnaient dix sous, douze sous
dans les bonnes journées, dont elles donnaient aux pauvres la
plus grande part. Elles aimaient les pauvres, car elles aimaient
Dieu ; elles aimaient Dieu, parce qu'elles avaient appris le caté-
chisme peut-être en fraude.
Je suis forcé d'avouer qu'elles se confessaient. Leur confes-
seur était un petit vicaire de Saint-Servan, fraîchement sorti du
65 ANNALKS CATHOLIQUES
séminaire, ne sachant ^uèie le grec, n'ayant guère d'éloquence
peu de grâce, point de style, quelque chose de bien méprisable
à comparer aux garçons de l'école normale qui étudient sous
M. Vacherot! Un jour, ses deux pénitentes le prièrent de leur
apprendre à aimer Dieu davantage encore.
« Jusqu'à présent, leur dit-il, vous avez donné aux pauvres ;
maintenant, partagez avec eux. Il y a dans la ville tout plein de
vieilles femmes indigentes et infirmes; elles ne vivent que
d'aumônes, elles boivent et s'abrutissent, et leur âme est aban-
donnée. Recueillez une de ces malheureuses, vous la nourrirez,
vous la servirez, vous lui ])arlerez du ciel. Ainsi vous aimerez
Dieu plus que vous n'avez fait. »
Les deux petites ouvrières, le soir même, avaient une com-
pagne, ou plutôt une niuîiresse. Elles s'en trouvèrent si bien,
qu'au bout de peu de temps, elles en eurent une seconde, et
bientôt une troisième. — Mais comment les nourrirez-vous ? —
Nous mendierons, répondirent-elles ! Au lieu de ti-ois, elles en
eurent six. Alors Dieu leur envoya des aides.
La piemière qui se joignit aux fondatrices fut Jeanne Jugan,
une rentière. Après avoir servi de bons maîtres, Jeanne déjà
âgée, vivait de son travail et d'une petite pension de cent cin-
quante francs. Elle se refit servante, servante des pauvres,
donnant à ses noti veaux maîtres ce qu'elle avait reçu des an-
ciens. D'autres encore vinrent se consacrer à servir ce qu'il y a
de plus abandonné dans le monde et de plus repoussant aux
yeux de la chair, les vieillards infirmes, hommes, femmes, non-
seulement perdus de maladies, mais souvent dégradés, rendus
méchants par une impiété grossière. Aucune de ces jeunes filles
n'était riche. A l'exception de Jeanne, elles n'avaient rien,
absolument rien que leur aiguille, leur amour et leur vertu. Le
nombi'e des pensionnaires croissait. Les sœurs quêtèrent comme
les fondatrices en avaient donné l'exemple. De maison en maison
elles demandaient ce que les domestiques ne peuvent pas vendre,
ce (|ue l'on donne aux chiens, ce que l'on jette : croiites, restes
de tout genre. Emerveillée de leur charité, la population entière
los honora. Chose admirable! les Autorités ne songèrent point
à appliquer les lois et règlements contre la uKînclicité. Tout
venait en même temps, tout croissait dans la même mesure : les
pauvres, les novices, les off'i'andes.
La congrégation naissante ne pouvait plus tenir dans son
berceau, une chambrette au-dessous du sol de la rue, où l'eau
LES ORIGINES d'uNE GRANDE ŒUVRE 67
entrait les jours de pluie. On manquait d'argent pour acheter
une maison. Sans se décourager, les hospitalières entreprij'ent
de bâtir elles-mêmes. On les vit prendre la pioche et apporter
des pierres. Alors l'honneur des ouvriers s'émut; tout ce qu'il y
avait dans la ville de maçons, de charpentiers, de bon peuple,
se ressembla: — «Nous vous aiderons, dirent-ils aux fonda-
trices, dans ce que vous faites pour nous. Nous allons vous
donner un jour de travail par semaine et bâtir une maison ; et
ce sera de l'ouvrage bien fait. »
La maison s'"éleva. Aussitôt achevée, elle se trouva pleine.
Déjà la communauté était assez nombreuse pour fonder une
seconde maison à Dinan, une troisième à Rennes. Tout cela date
de neuf ans. C'est le 15 octobre 1840, que Marie-Augustine et
Marie-Thérèse, les deux fondatrices, l'ecueillirent leur première
pensionnaire. En 1848 une quatrième fondation s'est faite à
Tours; en 1849 une cinquième à Nantes, une sixième à Besançon,
une septième à Paris. Malgré la perturbation jetée par les évé-
nements dans les oeuvres de charité comme dans les affaires de
commerce, les fondations réussissent et prospèrent les religieuses
abondent, l'Ordre grandit il).
Car j'ose maintenant le dire, les Sœurs des pauvres forment
un Ordre religieux; elles prononcent des vœux, elles observent
une règle monastique, elles ont une supérieure générale. C'est
ce que l'on a toujours fait, c'est ce qu'il faudra toujours faire
lorsque l'on voudra tout de bon, et efficacement, donner son
temps, sa jeunesse et sa vie au riche labeur de la charité. C'est
peu d'avoir ces sentiments tendres et philanthropiques: de tels
dévouements exigent un fond plus soiide. Il faut les appujer
sur le crucifix ; il faut que ni les jeux, ni l'âme, ni la pensée, ne
s'éloignent de Dieu percé de cinq plaies, de ce corps flagellé, de
ce front couronné d'épines, de ces pieds, de ces mains, de ce sein
d'oii coule le sang qui a lavé le monde, de ce coeur adorable,
plus déchiré par nos ingratitudes que par le fer des bourreaux.
Il faut venir là, se tenir là, dans les fatigues, dans les dégoûts,
dans les accablements, regarder, adorer, imiter, se dire : « Comme
il a fait pour moi, je ferai pour lui. » Grand Dieu ! si l'on ne
vous aimait, qui donc nous ferait aimer les hommes? Sait-on ce
qu'il en coûte à ces chrétiennes pour servir les maîtres qu'elles
se sont donnés, et passer leurs jours et leurs nuits parmi ces
(1) Louis Veuillot écrivait en 1849.
68 ANNALES CATHOLIQUES
infirmités, ces maladies, ces décompositions de la vieillesse?
Elles sacrifient plus que leur jeunesse et leur liberté, elles sacri-
fient leur vie, elles meurent avant l'âge. Mais que leur im-
porte ! Elles ont soigné les plaies de Jésus-Christ, et il ne leur
a pas laissé l'exemple de vieillir.
J'ai eu l'honneur de voir, pour la première fois, madame la
Supérieure générale dans sa maison de Tours. Cette illustre
femme est une des deux fondatrices, une de ces deux petites
ouvrières qui gagnaient, il y a neuf ans, dix sous par jour avec
leuraiguille. Elle a maintenant le gouvernement de sept maisons,
et de cinq cents personnes; elle est digne par son esprit, autant
que par sa vertu, du grand fardeau que ses sœurs lui ont remis.
Conduit par elle, j'ai visité sa quatrième fondation, la maison
de Tours, où elle était arrivée quelques trois auparavant avec
deux compagnes, sans bagages, ayant pour tout pécule, à elles
trois, une pièce de vingt sous. Quel pauvreté céleste! Il n'v a
pas même de chaises au parloir, et le Supérieur général, ce
même vicaire de Saint-Servan à qui tout remonte, a fabriqué
de ses mains, avec des débris de vieux meubles, le confessionnal
où il rend la dignité d'enfants de Dieu aux pauvres que les
sœurs ont ramassés dans les rues. La maison renfermait alors
quatre vieillards hommes, et vingt-six pauvres femmes âgées de
soixante-dix à quatre-vingt-dix ans. Toutes les misères physi-
ques et morales sont là rassemblées; mais non, elles n'y sont
plus ; elles n'ont pu franchir ce seuil où l'espoir, l'amour et la
paix attendent ceux que personne n'aime et qui n'ont plus ni
paix ni espérance. J'ai vu des vêtements propres, des visages
gais et même des santés charmantes. Entre les jeunes sœurs
et ces vieillards, il y a un échange d'affection et de respect qui
réjouit le cœur.
Toutefois les nouveaux arrivés ne sont pas toujours tendres.
Les Sœurs ont été plus d'une fois battues. L'un des hommes se
montrait rude et impoli : « C'est un esprit fort, me dit-on en
souriant, il a beaucoup lu, et il méprise encore un peu ceux qui
croient en Dieu et qui prient. Dans un mois vous ne le recon-
naîtrez plus. Il se sera confessé. »
A l'infirmerie, un seul lit était occupé. Une bonne vieille y
mourait, la paix sur le visage, le crucifix aux mains. Nous lui
demandâmes comment elle se trouvait: < Heureuse, répondit-
elle ; bientôt Dieu me donnera place dans son paradis. » Elle
nous pressa de prier pour elle. Elle était si calme, si douce, d'un
l'union nationale ouvrière 69
air si vénérable, que nos cœurs nous commandaient de nous
mettre à genoux et d'implorer la grâce d'une semblable mort,
c Voilà, nous dit M""' Marie-Augustine, la première conquête
que nous fîmes ici. Lorsque nous arrivâmes, ses enfants, des
ouvriers pourtant qui gagnent leur vie, venaient de la chasser,
ne voulant pas la nourrir davantage. Elle ne pouvait leur par-
donner cette cruauté, et tous ses discours n'étaient que malédic-
tion et blasphème. Elle meurt en priant pour eux, et en leur
donnant du fond de son âme sa bénédiction... qu'ils ne viendront
pas recevoir. »
Dans la cuisine, je vis un amas de toutes sortes de débris,
rapportés le matin de cinquante maisons. On fait réchauffer, on
raccommode tout cela, et c'est la nourriture de tout le monde.
Les religieuses s'astreignent en tout au régime de leurs pauvres,
et il n'y a nulle différence, sinon qu'elles servent et qu'ils sont
servis. Cette récolte de la charité se fait tous les jours deux fois.
Tout arrive à point pour les besoins du moment ; au souper
rien ne reste, au déjeuner rien ne manque. La charité a donné la
maison ; lorsqu'il survient un pensionnaire, elle envoie le lit et le
vêtement.
C'est ainsi, c'est par ces moyens que la Révérende Mère
Marie-Augustine et ses soeurs reconnaissent et pratiquent le
€ droit à l'assistance ». Elles n'ont pas attendu pour cela le
préambule de la Constitution de 1848 ; elles n'ont point lu les
socialistes ni les économistes d'aucune école. Niera-t-on qu'elles
aient une science, pourtant? N'ont-elles pas résolu le problème
d'assister le pauvre sans dégoiit pour elles, sans humiliation
pour lui, sans dépense pour l'Etat, sans rien imposer au public
que le plaisir de donner ? Quelle est donc cette science qui fait
de tels prodiges ? Eh ! monDieu ! c'esttout simplement la science
de Jésus crucifié.
L'UNION NATIONALE OUVRIÈRE
Nous lisons dans la Vérité :
Sous ce titre : « Un congrès qui peut mener loin » nous rece-
vons la communication suivante, émanant de l'ancien comité
électoral de M. l'abbé Garnier.
La ligue démocratique belge vient de tenir à Bruxelles, sous la
direction de M. Helleputte, son président, un congrès qui mérite une
sérieuse attention.
70 ANNALES CATHOLIQUES
Beaucoup de Français y ont pris part, et M. l'abbé Garnier a pro-
noncé à la clôture un discours important, qui lui a valu une véri-
table ovation.
Le but de ce congrès était de prendre vigoureusement en main
l'exécution positive des réformes sociales que réclame l'état actuel
du monde ouvrier, et cela par les chrétiens sans ou plutôt contre les
socialistes.
Le premier soin de la ligue démocratique avait été de grouper,,
au nombre de 125, les syndicats ou associations corporatives qui con-
sentaient à entrer dans ses vues. Tous étaient représentés au congrès
par des délégués, et lui donnaient un caractère indiscutable d'auto-
rité pratique.
Le premier résultat à atteindre est de grouper les syndicats de
même profession, puis de leur faire étudier et résoudre les questions
qui les intéressent. Déjà, les syndicats de tailleurs des principale^
villes de Belgique sont entrés dans cette voie; ils vont s'entendre:
1» sur le minimum de salaire; 2° sur le repos dominical; 3° sur les
conditions du travail des femmes et de l'apprentissage.
D'autres professions se préparent à en faire autant, et le pays tout
entier va entrer ainsi dans la voie de la solution pacifique des ques-
tions sociales.
Si plusieurs nations acceptaient de marcher dans cette voie, on
pourrait y trouver un autre résultat, celui d'une entente internatio-
nale sur les points qui ne peuvent être tranchés sans cette entente.
Tous les peuples étant d'accord pour prendre, selon les indications
du Pape Léon XIII, les associations corporatives comme base de la
réglementation, tant nationale qu'internationale, des questions ou-
vières, c'est en marchant dans ce sens qu'on peut arrivera toutes les
améliorations. Un tel résultat ne peut se faire en un jour, il deman-
dera des années. L'essentiel est de commencer et de vouloir à tout
prix le continuer jusqu'au bout.
Il a été décidé à la fin du congrès qu'on allait tenter en France,
sous le nom d'Unioti nationale ouvrière, un groupement analogue à
celui de la ligue belge.
Les associations ouvrières, corporations et syndicats, soit pure-
ment ouvrières, soit mixtes, de n'importe quel point delà France qui
voudraient entrer dans cette voie, sont priées d'envoyer leur adhésion
aux bureaux de l'Union nationale ouvrière, 5, rue Bayard, Paris. Le
travail d'organisation commencera aussitôt après.
-Vu moment où les convulsions du monde du travail causent partout
de si profondes perturbations et de si vives inquiétudes, VUnion
na^/onfi/e O'turjiîre apparaîtra certainement, à tous les bons esprifs,
comme l'aurore de la paix sociale tant désirée, et tous voudront en
seconder les progrès par la créntion ou par l'adhésion des syndicats
nui doivent la composer.
l'union nationale ouvrière 71
Nous sommes loin do vouloir combattre une initiative comme
celle que propose la note ci-dessus. Mais, pour son succès même,
il importe au préalable de bien préciser les choses.
Et d'abord, quand on parle d'imiter la ligue démocratique
belge, nous supfiosons qu'on n'entend pas reproduire certains
errements de cette ligue qui lui ont singulièrement nui dans
l'esprit des catholiques justement effrayés des tendances ultra-
socialistes de quelques-uns de ses membres. En effet, il est dit
dans la note ci-dessus que l'exécution des réformes sociales
dont on aura reconnu le bien-fondé, sera poursuivie par les
chrétiens « sans ou plutôt contre les socialistes ».
En second lieu et à propos du groupement des syndicats de
même profession, s'agit-il de syndicats mixtes ou de syndicats
séparés ? La question n'est pas oiseuse, car de la réponse dépend,
pour beaucoup, la bonne solution que l'on cherche. Séparés, il
est à craindie que les sj'ndicats n'accroissent les difficultés au
lieu d'y parer, tandis que, mixtes, leur action s'exercerait véri-
tablement et avec efficacité dans le sens de l'apaisement.
Ajoutons que s'il ne s'agit pas de syndicats mixtes, il sera
raatéiiellement impossible d'aboutir à la réglementation du
travail par voie corporative, qui est la seule façon d'écarter
l'abusive et dangereuse intrusion de l'Etat. Nous sommes heu-
reux de voir qu'en préconisant ce moyen, la note publiée plus
haut combat les fâcheuses tendances au socialisme d'Etat, que
l'on rencontre trop souvent parmi ceux à qui ces tendances ont
plus ou moins mérité le nom de « socialistes chrétiens », appel-
lation que repousse absolument la doctrine catholique. Mais,
comme on retrouve ces tendances (M. Garnier qui les a com-
battues le sait mieux que personne) dans quelques-unes des
résoluiions votées au Congrès de la ligue démocratique belge,
il n'eût pas été superflu, ce semble, d'indiquer plus nettement
encore la résolution des initiateurs de 1' Union nationale ou-
vrière de France d'opposer une résistance absolue à ces inno-
vations perturbatrices.
C'est seulement à la condition de marquer ces différences, et
é.e le faire dès le début, que V Union nationale ouvrière fera
œuvre utile et pacificatrice, avec le concours de tous les hommes
de bonne volonté.
D'autre part, la Croix publie la lettre suivante, que lui adresse
M. le comte do Mun :
72 ANNALES CATHOLIQUES
« Mon cher Directeur,
« J'applaudis les deux mains à l'idée de la formation d'une Union
Nationale ouvrière, analogue à la Ligue Démocratique belge. 11 n'y
a pas un jour â perdre pour travailler à l'organisation des forces
ouvrières et à l'exécution des réformes sociales, comme le dit votre
correspondant, sans et contre les socialistes. Je suis prêt, pour ma
part, à associer mes efforts à ceux de M. l'abbé Garnier et de M. Léon
Harmel pour réaliser cette idée le plus promptement possible.
« Votre cordialement dévoué,
« A DE M UN. »
Cette lettre nous paraît bien faite pour justifier la demande
d'éclaircissements de la Ve'rite au promoteur de l'Union nationale
ouvrière, dont le programme portait de même qu'il fallait entre-
prendre chez nous quelque chose d'analogue à la Ligue Démo-
cratique belge. Dans cette Ligue, en efi"et, il y a de bonnes
choses ; mais il en est d'autres que M. l'abbé Garnier lui-même
a dû combattre. Par conséquent, il convient au moins de faire
certaines réserves.
Au sujet, spécialement, du caractère des syndicats par lesquels
on veut procurer la réglementation du travail, nous avons désiré
savoir s'ils seraient mixtes ou séparés. La Croix, répond à la
Vérité :
La Vérité se demande si les syndicats, dont M. l'abbé Garnier pro-
voque l'union, seront mixtes, afin d'arriver par voie corporative à la
réglementation du travail, ou il s'agit de syndicats ouvriers, séparés
des patrons et opposés à ceux-ci, tels que les syndicats qui consti-
tuent la lutte actuelle.
Nous ignorons la voie que suivra VUnlon nationale ouvrière, mais
nous devons un mot à nos lecteurs sur les syndicats tels que nous les
comprenons, d'après les eflForts tentés en Belgique.
Voici le mot annoncé ci-dessus :
Les ouvriers de la grande industrie pourraient bien difficilement
former aujourd'hui avec les patrons, qui sont souvent des actionnai-
res, la famille corporative qui a été l'idéal d'autrefois.
L'ouvrier isolé ne peut discuter les conditions de son travail, et
cependant il a ses revendications à faire. Il ne peut y parvenir par
voie corporative, et l'on a formé des syndicats séparés d'ouvriers.
Hélas ! Ils sont souvent très mauvais, et cherchent la guerre.
Les patrons, de leur côté, forment des syndicats entre eux. En
effet, les actionnaires d'une grande industrie ont des syndicats dans
la personne des gérants de l'entreprise, qui représentent et défen-
dent leurs intérêts selon des pouvoirs donnés aux assemblées. Les
l'union nationale ouvrière 73
chefs d'usine, aussi, peuvent facilement se rencontrer, se concerter
et fixer leurs revendications.
Ces représentations des ouvriers d'une part et des patrons d'autre
part, pourraient entrer en relation, et former entre elles quelque
chose qui ressemblât à une famille corporative ou à ce qu'on appelle
un syndicat mixte, à la condition que les sans-Dieu et les socialistes
n'y fussent pour rien.
Actuellement, les syndicats d'ouvriers sont souvent des machines
de guerre pour dépouiller les patrons ; ce sont des assemblées poli-
tiques se proposant le renversement social, et on les ajustement en
suspicion.
Les catholiques belges ont fait appel aux ouvriers pour former des
syndicats tout différents, qui, prenant une direction plus ou moins
religieuse, pourront aborder les patrons en esprit de paix et d'équité,
sans pai ti pris, et avec des désirs sérieux de résoudre les questions à
l'avantage de tous.
Ces syndicats non socialistes, non alliés aux socialistes et même
chrétiens, peuvent évidemment s'adresser parfois même à des patrons
ennemis de toute idée religieuse, en se plaçant sur le terrain écono-
mique, car les ouvriers, groupés autour dune direction chrétienne ne
peuvent attendre que tous les patrons de leur industrie se convertis-
sent pour discuter les conditions du salaire et autres.
Mais on peut espérer que bientôt le sentiment élevé des promoteurs
de l'œuvre sera accepté des patrons pour le choix de leurs délégués,
et qu'il y aura des discassions utiles à l'ombre de la croix entre les
représentants des uns et des autres.
En France, où ce sont les patrons chrétiens qui commencent le
mouvement, cela se fera vite.
Ce seiait, au xix* siècle, une reformation de l'esprit corporatif.
Sans l'idée chrétienne, il n'y a que le socialisme possible.
Cette note est signée « Le Moine », ce qui nous met en face
du R. P. Vincent de Paul Baillv, et non de M. l'abbé Garnier;
il est vraisemblable, d'ailleurs, que « Le Moine s> exprime assez
exactement les idées de M. l'abbé Garnier.
Nous aurons à examiner, au point de vue pratique, ce que
vaut la combinaison des délégations mixtes remplaçant provi-
soirement les syndicats ou corporations mixtes, réputés difficiles,
sinon impossibles à former. Dès aujourd'hui cependant, nous
voulons poser une question. Pourquoi juge-t-on si difficile de
former une famille corporative avec des patrons parce que
ceux-ci sont souvent des actionnaires? Ces actionnaires, en
effet, sont représentés eux aussi, par des délégués.
Pour le reste, nous aimons à relever dans la note du « Moine »,
une déclaration et une constatation.
74 ANNALES CATHOLIQUKS
La déclaration porte que les saiis-Dieu et les socialistes ne
doivent être pour rien dans la formation des représentations
patronales et ouvrières.
La constatation, c'est qu'en France, ce sont les patrons chré-
tiens qui ont comnaencé le mouvement qui doit ramener la paix
dans le monde du travail.
Il n'est pas inutile de le rappeler à certains orateurs enflam-
més qui, sans en tenir le moindre compte, excitent trop souvent
le peuple ouvrier contre la prènérulité ddS patrons, sans même
croire qu'il puisse j avoir (luelque part des patrons vraiment
soucieux de remplir en conscience tous leurs devoirs d'état.
LE CONGRES CATHOLIQUE DE CHICAGO
Les journaux américains nous ont apporté d'intéressants
détails sur le Congrès catholique qui a eu lieu à Chicago du 4 au
8 septembre. Il s'est ouvert par une messe solennelle célébrée à
l'égiise de Sainte-Marie, et à laquelle le cardinal Gibbons assis-
tait pontifioalement. Le clergé et les délégués se sont rendus au
Mémorial Art Palace, oii ont été tenues les séances.
On remarquait dans l'assistance NN. SS. Rjan, archevêque
de Philadelphie, Fechan, archevêque de Chicago; Ireland, arche-
vêque de Saint-Paul ; Redwood, archevêque de la Nouvelle-
Zélande ; Folev, évêque de Détroit; Watterson, évêque de
Columbus, etc.
De chaleureux applaudissements ont salué les noms du Sou-
verain Pontife, des cardinaux Manning etNewman, et de Mgr Ire-
land, lorsque dans son discours d'ouverture, M. Bonney, prési-
dent, leur a rendu hommage. Une semblable ovation était réservée
à S. Em. le cardinal Gibbons, qui a pris ensuite la parole.
Après s'être fait l'interprète de la joie que cette solennité cau-
sait aux catholiques américains, le prélat a rappelé les merveil-
les de l'exposition de Chicago, ce qui y avait été réalisé pour le
progrés matériel, et a félicité les membres de l'assemblée de ce
qu'ils avaient accompli, eux, pour le progrés intellectuel et
moral de l'humanité. Il les a engagés à rester toujours, dans
leurs discussions, fidèles au conseil de saint Vincent de Lérins:
« In necessariis unitas, in dubiis liber las, in omnibus charitas. *
Mgr Gibbons a donné lecture d'une lettre de bénédictions
reçue du Saint-Père et dont voici le texte :
M-; CONGRÈS CATHOLIQUE DE CHICAGO 75
LÉON XIII, PAPE
A Notre bien-aimé Fils Jacques, du titre de Sainte-Marie de TranS'
tf'vère, cardinal prêtre de la Sainte Eglise Romaine, archevêque
de Baltimore.
<t Bien-airaé Fils,
« Salut et bénédiction apostolique.
« C'est avec une vive satisfaction que Nous avons appris par vous
qu'au mois de septembre une grande assemblée catholique se réuni-
rait à Chicago, pour y discuter des questions d'un haut intérêt et
d'une importance capitale. Nous avons été particulièrement charmé
de votre hommage et du désir que vous Nous manifestiez d'obtenir
pour ce congrès Nos bénédictions et Nos prières.
« Nous faisons donc droit très volontiers à cette requête, et Nous
supplions le Dieu Tout Puissant de bien vouloir vous aider de son
secours et vous éclairer de sa lumière ainsi que ceux qui s'assemble-
ront avec vous et de favoriser des trésors de ses grâces les plus pré-
cieuses vos délibérations et vos conclusions.
« Aussi, Notre bien-aimé F)ls, à vous et à tous ceux qui prennent
part audit congrès, ainsi qu'au clergé et aux fidèles confiés à vos
soins, Nous accordons bien volontiers Notre bénédiction apostolique
en Notre-Seigneur.
« Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 7» jour d'août de l'année
de Notre-Seigneur 1893, de Notre Pontificat la seizième,
« LÉON XIII, PAPE. »
Parmi les travaux qui ont été présentés dans la première
séance, signalons les sujets suivants : Rapports de l'Eglise catho-
lique avec les institutions civiles, politiques et sociales des Etats-
Unis (Edgar Gan?) ; l'Apostolat de l'Eglise catholique aux Etats-
Unis (Rév. Walter Elliot) ; l'Indépendance du Saint-Siège
(Martin Morris) ; Colomb, sa mission et son caractère (Richard
Clarcke), etc.
Le second jour a été marqué par l'arrivée de Mgr Satolli, qui
a reçu un accueil enthousiaste. Mgr Watterson a lu une étude
des plus intéressante et pleine d'actualité relative à l'Ency-
clique du Souverain Pontife sur la condition des ouvriers. «C'est
à Léon XIII, a-t-il dit, que l'Eglise et la société devront leur
salut; il n'est pas une question vitale que ce grand Pape n'ait
étudiée et tranchée; il a appris aux riches à aimer les pauvres
plus que leur argent et à ne pas les considérer comme des ma-
chines, mais comme des frères. » Mgr Satolli a lu ensuite en
italien une adresse dont Mgr Ireland a donné la traduction. Un
passage a surtout fait impression sur l'assistance, c'est celui oar
76 ANNALES CATHOLIQUES
lequel le délégué a indiqué en quels termes le Souverain Pon-
tife lui îivait confié sa mission : « Dites-leur de vivre comme de
vrais citoyens et de vrais catholiques, ayant la Bible dans une
main et la Constitution américaine dans l'autre, »
L'espace nous manque pour parler longuement des rapports
qui ont été présentés ce jour-là et les jours suivants. Relevons
seulement quelques titres qui suffisent à montrer l'intérêt des
questions traitées : les Droits du Travail et les Devoirs du
Capital (Rev. Barry) ; la Pauvreté, ses Causes et ses Remèdes
(Th. Dwight) ; la Charité privée et la Charité publique (Win-
gerter).
Deux magnifiques discours ont été consacrés à Christophe
Colomb ; le premier par Mgr Ryan, archevêque de Philadelphie,
qui a surtout insisté sur le rôle du célèbre navigateur au point
de vue catholique; le second par Mgr Corrigan, quia développé,
dans un langage d'une grande élévation, cette belle pensée :
« Colomb a été conduit par un triple amour, l'amour de la science,
l'amour de son paj's, et l'amour de sa foi. »
Les grèves et l'arbitrage, le travail des femmes, l'intempé-
rance (le mal et ses remèdes^, l'immigration et la colonisation,
l'éducation catholique à tous les degrés, tels sont les principaux
problèmes qui ont été étudiés dans les deux dernières journées
du Congrès.
Faute de pouvoir nous étendre sur ces différents points, indi-
quons, au moins, les résolutions qui ont été adoptées :
I
1. Nous réaffirmons les résolutions du Congrès tenu â Baltimore les
11 et 12 novembre de l'année 1889.
2. Nous protestons de notre loyal et inaltérable attachement à Notre
Saint-Père le Pape Léon XIII ; nous le remercions de nous avoir
envoyé un représentant spécial et nous saluons avec enthousiasme
Son Délégué Apostolique comme le gage de Son amour pour l'Amé-
rique et de Sa paternelle sollicitude puur notre pays et ses institu-
tions. C'est le sentiment de ce Congrès que le Vicaire de Jésus-Christ
doit jouir d'une complète indépendance et autonomie dans l'accom-
plissement de la sublime mission à laquelle, par la Providence de
Dieu, Il a été appelé, comme chef de l'Eglise, pour le bien de la reli-
gion et de l'humanité.
3. Nous félicitons nos supériours du prodigieux accroissement et
développement de l'Eglise aux Etats-Unis, résultat dû, après Dieu, â
l'union, à la prudence, au désintéressement et à la piété de ces vrais
LK CO.MGRÈS CATHOLlQUlî DE CHICAGO 77
pasteurs du troupeau chrétien, et nous offrons à nos évêques et à nos
prêtres l'hommage de notre complet ûévouement et de notre entière
fidélité.
4. Bien que les signes du temps présent soient pleins d'es[)éiances
et d'encouragements, et que la prospérité matérielle soit plus large-
ment répandue qu'à aucune autre époque, nous serions volontaire-
ment aveugles si nous méconnaissions les dangers qui menacent
l'Eglise et la société et qui appellent une très sérieuse attention.
Parmi les principaux de ces dangers, il faut ranger le mécontente-
ment croissant dans le monde de ceux qui gagnent leur vie par le
travail de leurs mains. Un esprit d'antagonisme s'est glissé entre
l'employeur et l'employé et a eu dans beaucoup d'occasions de déplo-
rables résultats. Les remèdes suggérés varient de la révolution anar-
chique aux différents systèmes du socialisme d'Etat.
Ces remèdes, de quelque nom qu'on les appelle, avec quelque zèle
et sincérité qu'on les propose, seront impuissants s'ils sont en oppo-
sition avec les principes de vérité et de justice.
Nous acceptons comme le sentiment de ce Congrès et nous sou-
mettons à Tattention de tout homme, quelles que soient ses opinions
religieuses et sa situation mondaine, l'Encyclique de Notre Saint-
Père le Pape sur la condition des ouvriers, datée du 15 mai 1891,
Dans l'esprit de Sa lumineuse exposition de ce sujet, nous déclarons
que nuls remèdes ne peuvent être acceptés hors ceux qui respectent
le droit de la propriété privée et de la liberté humaine.
Le capital ne peut rien sans le travail, ni le travail sans le capital.
Moyennant la reconnaissance de cette mutuelle dépendance et grâce
à la loi chrétienne d'amour et de mutuelle et patiente tolérance nous
obtiendrons cet apaisement vers lequel doivent tendre ardemment
tous les hommes de bonne volonté.
5. Nous sanctionnons avec force les principes de conciliation et
d'arbitrage comme un remède approprié pour le règlement des conflits
entre employeurs et employés et grâce auquel les grèves et les chô-
mages pourraient être évités; et nous recommandons la création par
ce Congrès d'un comité chargé d'étudier et de discuter les moyens
d'arriver à une solution pratique par un système d'arbitrage.
6. Nous demandons au clergé et aux laïcs, comme un moyen d'ap-
pliquer les vrais principes de la morale chrétienne au problème social,
d'attacher une grande importance à la fondation — ou au développe-
ment là où elles existent, — de sociétés catholiques pour la diff'usion
de la saine littérature et l'éducation des esprits sur les sujets écono-
miques : ils détruiront ainsi les effets pernicieux des enseignements
de l'erreur. Nous recommandons spécialement la diffusion des lettres
de Notre Saint-Père, et particulièrement celles sur le Pouvoir poli-
tique, sur la Liberté humaine et sur la Constitution chrétienne des
Etats.
78 ANNALES CATHOLIQUES
La condition d'un grand nombre de nos jeunes filles et femmes
catholiques qui travaillent dans les grandes villes, est telle qu'elle les
expose à de sérieuses tentations et à des dangers : nous réclamons
comme une œuvre méritoire da charité et de justice, la formation de
sociétés catholiques pour leur assistance, leur encouragement et leur
protection.
Nous demandons aussi qu'on continue à développer les sociétés
catholiques d'assurance sur la vie, de bienfaisance et de fraternité. Le
bien que de telles associations ont déjà accompli nous garantit qu'elles
sont basées sur les vrais principes.
7. Une des grandes causes de misère et d'immoralité est l'accumu-
lation de la population ouvrière dans les cités et les grandes villes, et
son entassement dans les maisons de logement, où les enfants sont,
dès leur âge le plus tendre, exposés à tous les mauvais exemples et à
toutes les influences corruptrices. Ce mal a attiré l'attention du légis-
lateur en d'autres pays. Nous croyons qu'il est d'une sage charité
d'aider le pauvre à s'aider lui-même et en conséquence d'aviser à
l'adoption de mesures propres à encourager et à aider les familles à
se fixer dans les districts agricoles. Suivant îes indications du Saint-
Père, il est de bonne politique de les pousser, autant que possible, à
devenir propriétaires de leur domaine.
En accomplissement du grand devoir de charité chrétienne, les
catholiques peuvent — et ils le devraient faire largement — venir en
aide à l'reuvre admirable accomplie par les ordres religieux voués à
la charité et nous les adjurons de s'inscrire ilans les conféiences de
Saint-Vincent de Paul, ou de les encourager autrement, ainsi que les
associations semblables ayant mission de venir régulièrement au
secours des pauvres. Nous rappelons à l'esprit de tous l'ancienne
coutume catholique de prélever sur ses revenus une somme propor-
tionnelle au profit de la charité.
9. Un mal sensible auquel il faut attribuer une très large part des
30uff"rances qui affligent le peuple, c'est le vice de l'intompérance.
Bien que nous pensions que l'individu puisse être guidé en cette
matière par les préceptes d'une conscience droite, nous ne pouvons
recommander avec trop d'insistance l'emploi de tous les moyens capa-
bles (le pénétrer nos ouvriers des dangers provenant non seulement
de l'abus, mais trop souvent même de l'usage des boissons toxiques,
A cette fin, nous approuvons et nous recommandons absolument
les sociétés de tempérance et d'abstinence totale déjà formées en beau-
coup de paroisses, et nous souhaitons leur multiplication et leur exten-
sion. Nous appuyons l'établissement d'une législation propre à res-
treindre et à régulariser le débit des liqueurs toxiques, et, en confor-
mité de la décision de la dornière assemblée plénière de Baltimore,
nous demandons aux catholiques de renoncer à leur usage.
10. Aux membre* de notre clergé séculier, aux ordres religieux et
LE CONGRÈS CATHOI-IQUE DE CHICAGO 79
aux laïcs qui vouent leur vie à la noble mission de l'éducation des
Indiens et dos nègres nous apportons noire chaude sympathie et nous
offrons notre coopération. Nous les félicitons des consolants succès
déjà obtenus et nous souhaitons que Dieu protège leurs travaux.
II
11. Comme la préservation de notre existence nationale, la Consti-
tution sous laquelle nous vivons et tous nos droits et liberté de
citoyens, dépendent do rintelligence, de la vertu et de la moralité de
notre peuple, nous devons continuer de diriger nos principaux efiforts
vers l'augmentation et le développement de nos écoles paroisi^ialeset
de nos collèges catholiques, afin d'amener toutes nos institutions
d'éducation au plus haut degré d'excellence. — Tel est le sentiment
de ce Congrès; en conséquence, que l'enseignement cath)lii]ue soit
fermement dirigé selon les décrets du concile de Baltimore et les dé-
cisions du Saint-Siège. L'influence de la haute éducation catholique
peut être, nous le reconnaissons, l'agent le plus capable de nous
donner une bonne solution des problèmes sociaux qui se posent ac-
tuellement devant les hommes.
Nous voyons la preuve de la haute sagesse de Notre Saint-Père
Léon XIII et do l'épiscopat américain dans la fondation d'une insti-
tution catholique de hautes études dans la capitale de notre pays.
Nous avons la confiance que leur sagesse saura diriger cette institu-
tion selon qu'il sera le plus confo'm'^ aux besoins de notie pays;
nous leur promettons cordialement notre coopération dans cette
œuvre afin d'en faire une des principales gloires de rEgli:5e catho-
lique et de la République américaine.
Nous faisons appel à tous les botis citoyens, de toute religion,
pour élever la génération naissante dans l'amour, la crainte et le
respect de notre commun Créateur et pour graver dans leurs coeurs
les bons principes de la morale sans laquelle notre glorieuse poli-
tique de liberté ne saurait se maintenir. Appréciant profondément la
sollicitude du Saint-Père et de nos évêjues pour l'enseignement,
nous répétons ce qui a été dit dans le Congrès, que « ce sont seule-
ment la cloche de l'école et la cloche d'église qui peuvent prolon-
ger l'écho de la cloche de la liberté ».
12. Nous désirons encourager en Amérique les écoles catholiques
d'été récemment établies à Lake Champlaln, nous les considérons
comme un excellent moyen de propager l'enseignement; nous re-
commandous aussi la fondation de Cercles catholiques de lectures
pour venir en aide aux écoles d'été et, en général, au haut enseigne-
ment.
13. Nous reconnaissons dans la « Catholic truth Society » un des
résultats du premier Congrès catholique américain et, persuadé
qu'elle s'adapte admirablement aux nécessités du temps, nous la
80 ANNALES CATHOLIQUES
recommandons instamment aux laïcs, à qui elle oifce un excellent
moyen de coopérer à l'œuvre glorieuse de la propagation de la vérité
catholique.
14. La littérature immorale étant, dans notre pays comme en
Europe, un des principaux agents de la ruine de la foi et de la mora-
lité, nous recommandons l'union des catholiques et des non catholi-
ques pour combattre cette plaie, soit qu'elle se présente sous la forme
de mauvais livres, de journaux à sensation ou de gravures obscènes.
15. Nous n'avons aucune sympathie pour les tentatives faites en
vue de séculariser le dimanche. Nous demandons à tous les bons
citoyens de joindre leurs efforts pour garder au dimanche son carac-
tère sacré, selon les préceptes et la tradition de l'Eglise.
16. Nous approuvons pleinement le principe de l'arbitrage dans le
règlement des conflits internationaux. Nous nous réjouissons des heu-
reux résultats qui ont déjà été obtenus par l'application de cet ancien
principe de notre Sainte Mère l'Eglise, et nous espérons fermement
qu'il sera étendu et qu'ainsi les dangers de guerre entre nations
seront progressivement diminués et finalement totalement prévenus.
Enfin, en bons et loyaux citoyens, nous affirmons notre amour et
notre vénération pour notre glorieuse république et nous dénions
solennellement qu'il puisse jamais exister d'antagonisme entre nos
devoirs envers l'Eglise catholique et nos devoirs envers l'Etat. Selon
la parole de notre délégué apostolique, notre devise sera : « En avant !
dans une main l'Evangile du Christ et dans l'autre la Constitution
des Etats-Unis. »
Sachons demeurer dans la voie de la vertu et de la religion, afin
que les bienfaits de nos libertés nationales, nées de l'énergique vail-
lance et de la moralité de nos pères, soient préservés à toujours
comme un héritage sacré.
LAMARTINE
C'est peu à peu que les hommes célèbres prennent leur rang
dans l'histoire et que la gloire remplace le bruit; Lamartine en
offre un nouvel exemple. Nous le voyons regagner le terrain
que la vogue de V. Hugo et l'engouement pour de bruyantes
écoles poétiques lui avaient fait perdre. Ce revirement n'a rien
qui doive surprendre. A mesure qu'on s'éloigne, on oublie les
défaillances de l'écrivain, les caprices de l'homme et les fautes
du politique ; on se souvient surtout des pages d'un vol si magni-
fique et d'une si incontestable supériorité. C'est une banalité de
dire que nul contemporain n'a si bien réalisé l'idéal du poète.
LAMARTINE 81
Plus que personne, l'auteur des Méditations et des Harmo-
nies a pris les fibres de l'âme humaine comme les cordes de sa
lyre, et a su leur donner une sonorité inconnue, une voix sym-
pathique. Il a chanté, comme personne avant lui, Dieu et sa pro-
vidence, la nature et ses merveilles, l'amour et ses émotions,
l'homme et ses destinées. 11 a rompu avec un passé qui était
détestablement faux et provoqué une réaction glorieuse, bien
qu'elle n'ait pas tenu toutes ses promesses. En vérité, une poésie
nouvelle est née, ou plutôt la poésie française est ressuscitée
en 1820. N'est-ce pas là tout ce qu'on peut demander au génie ?
Ce n'est pas seulement le renom du poète qui grandit, c'est
encore l'estime pour l'homme. L'étude plus attentive de cette
vie, à ses diverses phases, y découvre non seulement une
richesse de dons extraordinaire, mais, en dépit de nombreuses
et graves défaillances, que notre but n'est pas de montrer une
fois de plus, mais que nous n'avons aucun intérêt à dissimuler,
une élévation d'âme continuelle et une dignité relative peu com-
mune. Les comparaisons qui s'établissent involontairement sont
toutes à son avantage. A l'admiration affectueuse se mêle sou-
vent la pitié, quelquefois l'étonnementou même le blârae, jamais
le mépris; c'est l'impression qui se dégage des nombreuses
publications parues depuis le centenaire de la naissance de
Lamartine. Toutes lui sont favorables ; mais presque toutes, en
laissaiit dans l'ombre le côté religieux et chrétien, nous déro-
bent un élément essentiel du caractère et de l'œuvre de Lamar-
tine ; nous voudrions le faire ressortir.
Au sortir du collège, Lamartine hésita longtemps sur le choix
d'une carrière. Volontiers il eut été soldat, mais sa famille légi-
timiste répugnait à le voir au service de Napoléon. Après avoir
fait quelque temps partie des gardes du corps de Louis XVIII,
par convenance plus que par enthousiasme, il se décide pour la
diplomatie, multiplie les démarches pour y entrer et y reste de
1820 à 1830. « Le poste de ministre plénipotentiaire à Florence
a-t-il écrit, aurait été pour moi l'idéal du bonheur terrestre. »
Simple attaché ou secrétaire d'ambassade, il montra de pré-
cieuses aptitudes, mais n'eut à traiter directement aucune affaire
importante. Cette situation eut cependant une grande influence
sur sa vie par les relations qu'elle amena, par les loisirs qu'elle
lui fit, par la vue qu'il put prendre des affaires et des hommes,
et par de longs séjours en Italie. Son imagination poétique en
profita d'abord, ensuite son goût pour la vie de famille.
82 ANNA1.ES CATHOLIQUES
Le succès inespéré des Méditations^ en lui ouvrant la carriéro
diplonaatique, lui avait pei-rni< d'épouser une Anglaise, d'une
rare distinction, Maria-Anna Elisa Birch. Convertie du protes-
tantisme, elle devint catholique fervente. On peut dire qu'elle a
été la providence et l'ange du foyer de Lamartine, l'ai niant pas-
sionnément, l'admirant sincèrement, voilant et atténuant dis-
crètement ses fautes, prévenant ou corrigeant autant que pos-
sible ses écarts littéraires ou politiques, charmant sa gloire par
des qualités aimables, et consolant sa détresse par un dévoue-
ment sans bornes. Hàtons-nons dédire que le poète eut toujours
pour cette admirable compagrie un amour digne d'elle, fait d'es-
time, de confiance et de respect. A son foyer, Lamartine est
irréprochable; non seulement le scandale n'en approche pas,
mais la vertu, sous sa forme la plus gracieuse et la plus héroïque,
l'embellit et le sanctifie jusqu'à la fin. On y chercherait vaine-
ment une Drouet.
L'auteur des Méditations «t des Girondins s'est toujours
regardé comme un homme fait pour l'action, pour les afl'aires et
surtout pour la politique. Les vers ne lui paraissaient qu'un
amusement de jeunesse, une distraction après des occupations
plus graves. De bonne heure il est hanté par le rêve d'un grand
rôle à jouer dans une révolution, d'une foule à maîtriser et à
conduire; et l'événement a justifié cette tinguliére prévision.
T' ut n'était pas fatuité dans cette assurance. Celui qu'on
accusait de tourner, même lorsqu'il n'y a pas de vent, de siéger
au plafond de la Chambre <ies députés, de vivre de musique et
d'azur, n'est pas ce qu'on appelle vulgairement un esprit pra-
tique ; il n'est pourtant pas un esprit aussi chimérique qu'on
veut bien le dire, encore moins est-il un esprit aveuirle. V. Hugo,
à la tribune, a été presque toujours grotesque, absolument privé
de tact parlementaire et du sens des réalités ; il a trouvé le moyen
de faire riro même au rrjilieu des angoisses du siège de Paris,
oii on le vit, en habit de gai-de national, promener son fameux
canon. Lamartine, au contraire, a souvent fait preuvw d'une
admii-able faculté d'intuition et d'assimilation. Semblable à ces
oiseaux hygrométriques qui pressentent le moindre virement de
l'air, il avait le sentiment de ce qu'on pourrait appeler i'âme
populaire, de ses passions, de ses besoins, de ses désirs.
Tandis que les doctrinaires et ceux qui se croyaient habiles se
renfermaient dans quelques questions techniques ou dans les
formules du parlementarisme et du pays légal, il suivait la
LAMARTINE 83
poussée irrésistible qui emporte le monde. De là sa puissance;
de la trilnine de la Chambre, dans ses Girondins, dans son dis-
cours de MâcoD, il s'adressait au pays ; et sous cette parole
harmonieuse le pays retrouvait ses préoccupations les plus
chères embellies et agrandies. Quand il parlait de la France qui
s'ennuie, des conservateurs bornes, de la révolution du mépris,
du besoin de liberté et d'égalité, du péril qu'il v a pour un gou-
vernement à ne s'occuper que du bien-être matériel et à négli-
ger les âmes, il ne faisait que donner une formule brillante à un
sentiment obscur mais profond. Dans l'ordre économique même,
il fut plus d'une fois d'une singulière clairvoyance. Son discours
sur l'établissement des chemins de fer prédit le développement
prodigieux de ces voies nouvelles, et les défend contre M. Thiers
qui n'y voit que des utopies. Contre M. Thiers encore et contre
la droite, il défend les institutions de prévoyance, l'extension
et de l'enseignement primaire et du suffrage universel.
Ce qui acheva de rendre l'opposition de Lamartine redou-
table à la monarchie de Juillet, c'est qu'il était sincèrement
convaincu de la justice de ses demandes, de la nécessité des
réformes et de la marche providentielle de l'humanité vers une
fraternité plus large. Arrivé à la Chambre avec sa renommée
de poète, il eut d'abord peine à se f. ire prendre au sérieux ; ses
plus beaux discours sur les sujers les plus précis et les plus
techniques étonnaient plus qu'ils ne persuadaient. A la fin pour-
tant, il fallut bien reconnaître dans cet orateur si magnifique
d'images une incontestable puissance. C'était un peu tard.
L'idéal politique de Lamartine n'est autre que le dévelop-
pement du principe démocratique. Il faut bien avouer que beau-
coup de ces idées triomphent aujourd'hui en bon et haut lieu.
Il y a un demi-siècle qu'il écrivit :
« Que ce principe triomphe sous une république ou sous cette
forme mixte de gouvernement qu'on appelle système représen-
tatif, peu importe : c'est aflfaire de temps et de moeurs. Je n'ai
pas un superstitieux respect pour telle ou telle de ces combi-
naisons des pouvoirs, et le mérite du pouvoir constitutionnel, à
mes yeux, est surtout d'exister et d'être en rapport assez exact
avec les nécessités d'une époque de transition, où il y a trop de
liberté dans les désirs pour supporter la monarchie, et trop de
monarchie dans les habitudes pour supporter la république. »
Au delà des formes changeantes des institutions, Lamartine
84 ANNALES CATHOLIQUES
aperçoit l'agitation sociale: «La charité politique de ceux qui
gouvernent, de ceux qui possèdent, envers ceux qui souffrent,
est non seulement un devoir de morale divine, mais encore la
seule, la souveraine habileté gouvernementale. La Révolution
française a suscité bien des questions et les a bien ou mal réso-
lues toutes. La question des prolétaires est celle qui fera l'ex-
plosion la plus terrible dans la société actuelle, si la société, si
les gouvernements se refusent à la sonder et à la résoudre. »
Cette politique généreuse d'avenir et de liberté déconcertait
les amis de Louis-Philippe, comme elle déconcerte les panégy-
ristes de la monarchie de Juillet. L'oiseau bleu voyait plus
clair et plus loin que les fourrais. M. Thureau-Daugin, malgré
son hostilité flagrante, est obligé de convenir que les éclairs
prophétiques ne manquent pas au milieu de ces discours. On
est confondu en relisant des pages écrites avant 1848, et où
la chute du régime, l'avènement de la République, l'anarchie
socialiste, l'Empire, et même l'invasion, sont prédits en termes
d'une précision étonnante :
« Cette paix est-elle la paix? Cet ordre est-il l'ordre? Ne
serait-ce pas une seconde Régence, pleine, comme la première
d'agiotages et de concussions ? Ne sera-t-elle pas suivie, comme
l'autre, d'une révolution, non plus de raison, mais de démence,
un débordement de démagogie irritée submergeant toutes les
bases de la société, état, famille, propriété? Ou bien sera-ce
une de ces décadences douces, une espèce de Capoue de la Ré-
volution, dans laquelle une nation glisse, comme une prosti-
tuée, des bras d'un pouvoir corrupteur aux bras d'un pouvoir
despotique, et s'endort dans un bien-être matériel pour se
réveiller dans l'invasion ? »
Nous n'avons pas à raconter ce que fit Lamartine porté au
pouvoir par la révolution de Février. Il est assez notoire qu'il
rendit à la France et à l'Europe de précieux services, et c'est
principalement à lui que la seconde République doit son renom
de libéialisme honnête et religieux. On peut contester l'habileté
do queli^ues-uns de ses actes, non les intentions, le désinté-
ressement et l'honnêteté de celui qui les accomplit. Non seule-
ment il ne s'enrichit point en passant aux affaires, mais il s'y
ruina. On objecte qu'il préféra la gloriole à l'argent, et qu'il se
servait en servant le pays. Ily adu vrai dans ce reproche; mais
il ne faudrait pas l'exagérer. Lamartine fut moins avide assuré-
ment que la plupart de nos hommes politiques; il ne serait pas
LAMARTINE 85
aisé de prouver qu'il fut plus vaniteux. A un moment donné il
sut renoncer au pouvoir plutôt qu'à ses convictions. C'est déjà
peu commun.
On célébrera toujours comme un exemple de courage civil et
comme un des plus beaux triomphes de l'éloquence, la journée,
l'heure héroïiiue du 25 février 1848, oii son sang-froid et sa
parole prestigieuse tirent reculer le drapeau rouge et les flots
plusieurs fois renouvelés de l'émeute. Cette circonstance excep-
tionnelle n'est pas la seule où Lamartine ait été admirable, mais
elle suffirait à immortaliser un homme politique, comme le Lac
ou le Crucifix suffirait à immortaliser un poète.
Lamartine n'accepta jamais la souveraineté brutale du nom-
bre, ni l'athéisme politique ou même la neutralité religieuse.
Il comprenait que Dieu doit être à la racine de tout devoir, de
tout droit et de toute loi, comme principe, comme témoin,
comme juge et comme sanction; sans cela tout croule. Le
19 décembre 1848, il disait au peuple: « Dieu seul est souve-
rain, parce que seul il est créateur; parce que seul il est
infaillible, seul juste, seul bon, seul parfait. Qu'il bénisse la
Constitution ! qu'elle finisse et commence par son nom ! Qu'elle
soit pleine de lui! qu'elle multiplie, qu'elle pacifie, qu'elle
sanctifie le peuple français. »
En 1851, il écrivit en tête du Pays: « Toute civilisation qui
ne vient pas de l'idée de Dieu est fausse. Toute civilisation qui
n'aboutit pas à l'idée de Dieu est courte. Toute civilisation qui
n'est pas pénétrée de l'idée de Dieu est froide et vide. La der-
nière expression d'une civilisation parfaite, c'est Dieu mieux vu,
mieuxservi par leshommes. La prière est lederniermotet le der-
nier acte de toute civilisation vraie. » Et, fidèle à cette théorie, pen-
dant que les élections de 1848 préparaient des gouvernants à la
France, Lamartine allait dans une petite église prier Dieu d'éclai-
rer les électeurs, et de donner au pays des hommes capables
de le conduire à la gloire et à la vertu. Après avoir été patriote
loyal dans le triomphe et l'apothéose, Lamartine fut d'une
grandeur stoïque et d'une résignation chrétienne dans la chute.
Cette fin de vie n'est pas suffisamment connue ; si la renommée
de l'écrivain n'y gagne guère, le courage et l'honneur de
l'homme s'y déploient plus que jamais. Grâce au malheur, il
montra ce qu'il y avait en lui de vaillance tenace ; il connut ce
qu'il y avait de tendresse au cœur de sa noble femme.
Après une jeunesse quelque peu besoigneuse, il s'était vu en
86 ANNALES CATHOLIQUES
possessiou d'une opuleûte fortune, provenant en partie d'héri-
tages et de la dot de Mlle Bircli, en partie du produit de ses
livres. Mais ce grand prodigue dépensait avec la même insou-
ciance son génie, son âme et son argent. On a beaucoup parlé du
faste de son voyage en Orient; il aurait fallu insister davantage
sur la magnificence de son hospitalité et sur ses aumônes. Sa
main toujours ouverte donnait sans compter. S'il a manqué de
prudence dans cette distribution, pas une parcelle de son or ne
s'est écoulée par des voies méprisables ; le vice n'a été poui-
rien dans sa ruine. L'avouerai-je ? Cette imprévoyance me
semble préférable à l'économie bourgeoise de V. Hugo ou de
M. Thiers.
Après avoir été maître de la France pendant trois mois, La-
martine se retirait avec plusieurs millions de dettes. Résolu à
ne pas tromper ses créanciers qui avaient eu confiance en lui, le
poète se confine dans une modeste maison de faubourg, et pen-
dant vingt ans sans un jour de repos, il condamne son génie à
un travail foicé d'improvisateur, de journaliste et de libraire :
c J'écris sur les décombres de mon propre foyer. J'écris, in-
terrompu vingt fois par matinée, par des malheureux qui vien-
nent s'informer si j'ai pu vendre hier assez pour les faire vivre
demain. »
Le !«■■ juillet 1852, il confie à un ami, cette plainte résignée :
« Tout va ici à la suprême misère : la gelée, la grêle hier grosse
comme des pommes, la pluie tous les jours, les huissiers toutes
les semaines! Et plus une action, plus un abonnement! Frère,
il faut payer! c'est-à-dire: il faut mourir! Je suis poursuivi,
menacé, accablé. Et qui pis est, on m'enlève mon crédit depuis
qu'on sait que sérieusement je veux vendre mes biens. Je m'en-
terre commj un sanglier, — mais sans défense î »
Dans sa i)oignante détresse il savait encore refuser deux mil-
lions que lui ofi'rait Napoléon III sur sa cassette personnelle, ne
voulant point d'un salut qui semblait entacher l'honneur.
Le 0 janvier 1861 il écrit de Monceau à M. de Chamborant :
Cher ami, enfin voilà la table déblayée de 500 lettres et de
500 comptes, arriérés depuis deux mois d'angoisses. Il me reste
une journée pour répondre à mes amis ; le cœur vous présente
le premier à la mémoire.
« Ma femme et Valentine vont mieux, sans que la convales-
cence soit bien caractérisée. La première est aujourd'hui à
Lyon entre les mains des médecins. Quant à moi, j'ai une né-
LAMARTINE 87
vralgie d'estomac et de tête, suite de dix ans de surexcitations,
de chagrins et de travaux. Mais le ciel m'est témoin (jiie ce qui
m'inquiète le moins en moi, c'est moi. Je serais, je i^ense, ravi
d'être endormi sons une touffe d'herbe quelconque pourvu que
ce ne soit pas de l'herbe du Père-Lachaise, à l'odieux murmure
des articles nécrologiques, des discours funéraires et des éloges
académiques, que le diable emporte! J'en ai assez de la vie!
« Mes affaires futures sont en bonne perspective, mais en
triste présent; pas le sol comptant, mille mains tendues à ma
porte, une arrière-garde d'huissiers toutes les fins de mois, et
des millions à distance : voilà le bulletin ! Quelques rares amis
que la mort élague : voilà la consolation.
« Je déménage ces jours-ci le pauvre Milîy, vendu pauvre
prix, pour faire face aux expropriations menaçantes. Mon ber-
ceau, celui de ma sœur, le lit de ma mère viennent d'arriver
ici, dans la cour. Dieu veuille qu'ils n'en sortent pas pour
l'encan ! Sauvez donc des patries de l'anarchie et de la guerre
étrangère, voilà la récompense : un fover vendu et perdu, juste
retour de tan , de foyers défendus ! J'ai l'âme navrée; mais il
faut travaillur comme si de rien n'était, pour sauver ceux de
mes braves et pauvres créanciers et de leurs familles. »
Notons à la même date cette triste prédiction que Lamartine
devait si fréquemment et si inutilement répéter : L'unité ita-
lienne, (]ue vous faites, amènera l'unité allemande qui vous
écrasera !
« Je ne vous dis rien de la politique étrangère, que ce que je
vous ai dit le 29 novembre 1858: Nous allons doucement à la
chute du Niagara. Dans deux ans, sauve qui peut ! Le carbona-
risme extérieur mène inévitablement à la démagogie socialiste.
Je ferme les yeux pour ne pas voir, faites-en autant. Comment
l'empereur ne prend-il pas enfin un généreux repentir et ne
secoue-t-il pas sa crinière de lion, par laquelle les Anglais et
les Piémontais le conduisent à sa perte? La bombe d'Orsini est-
elle devenue la boussole du monde ?
« Adieu, à revoir, dès que les santés nous permettront de
quitter le nid pour la branche. »
Sous le titre de : Lamartine inconnu, M. de Chamborant a
publié, l'an passé, un livre p.ein de chiffres et d'émotion. Après
l'avoir parcouru, on approuve de toute sa raison et de tout
son coeur ces belles paroles que M. d'Esprigny a iressait à l'il-
lustre vieillard dans un moment où ce rocher de Sisyphe sem-
blait devoir l'accabler: on était à la fin d'octobre 1865 :
8o ANNALES CATHOLIQUES
« Mon cher ami, votre lettre m'a fait peine et mal. Comment,
ce serait là l'issue de tant d'années de luttes énergiques, d'un
labeur infatigable!
« Je vous suis depuis longtemps avec anxiété dans ce combat
si triste, mais que je voudrais faire voir de près à l'univers, ne
fût-ce que pour lui révéler ce que vous y avez mis de force de
caractère, de ressource d'esprit, d'indomptable courage, de
douloureux efforts. Qui ne vous a pas vu ainsi à l'œuvre ne
vous connaît pas. Il y a 20 ans que tout autre eût succombé.
Vous avez souvent passé si près de l'écueil que j'en tremblais,
mais toujours vous l'évitiez par une manoeuvre inespérée; et
maintenant vous me dites que la mauvaise heure approche!
Vous m'avez tellement habitué à compter sur vous que j'ai
peine à me faire à cette idée; j'attends encore l'inattendu. Avec
quel bonheur j'en saluerais l'heureuse nouvelle!
« Si vous succombez, vous pourrez, du moins, être fier devant
vos créanciers, comme devant vous-même, en leur montrant
tout ce que vous avez fait pour les satifaire; ce seraient les
derniers des hommes, s'ils n'en étaient frappés de respect. Il
faut qu'ils comprennent, ils comprendront, je n'en doute pas,
qu'ils doivent s'en remettre à vous du soin de leurs intérêts,
qu'ils ont dans vos loyaux efforts la meilleure des hypothèques,
qu'ils doivent accepter vos conditions, et non vous en faire;
que troubler vos travaux, c'est tarir leurs créances.
« Hélas! les choses sont plus fortes que les hommes les plus
forts, et ce n'est pas un tel soir que présageait votre matin. Mais
c'est encore une grande et bonne chose que de pouvoir se dire
qu'on a fait tout ce qui était humainement et surhuraainement
possible pour vaincre. Il y a de pires défaites ; elles n'étaient pas
possibles pour vous... >
C'e>-t dans le sentiment de l'honneur et du devoir, dans l'hé-
roïque dévouement de sa femme, dans la religion surtout, que
Lamartine puisa le courage de poursuivre vingt ans cette écra-
sante et impossible tâche. La mort vint, enfin, délivrer celui
qui ne se résignait à vivre que par soumission à la Providence.
« Quant à moi, je serais mort raille fois de la mort do Caton,
si j'étais de la religion de Caton; mais je n'en suis pas. J'adore
Dieu dans ses desseins; jd crois que la mort patiente du dernier
des mendiants sur sa paille est plus sublime que la mort de
Caton sur le tronçon de son épée. Mourir, c'est fuir! On ne fuit
pas.
LAMARTINE 89
« Caton se révolte, le mendiant obéit : obéir à Dieu, voilà la
vraie gloire !
€ Si la vie est un don, il faut la savourer jusqu'à la fin, comnae
un bienfait quelquefois amer, mais enfin comme un bienfait; et
si elle est un supplice, il faut la subir comme une mystérieuse
et méritoire expiation de nos fautes. »
Loin de se regarder comme un homme de génie infaillible et
impeccable, il proclamait très haut que les plus grandes intelli-
gences sont soumises, aussi bien que les plus humbles, à la loi
morale : « Le génie par lui-même n'est rien moins qu'une vertu;
ce n'est qu'un don, une faculté, un instrument : il n'expie rien,
il aggrave tout. Le génie mal employé est un crime plus illustre;
voilà la vérité. *
A la fin de sa vie, il a écrit son livre des rétractations, et
plus d'une fois il s'est jugé sévèrement : « J'ai été indigné contre
moi-même en relisant ce matin la dernière page lyrique des
Girondins, et je conjure les lecteurs de la déchirer eux-mêmes,
comme je la déchire devant Dieu et devant la postérité. » Et,
pour conclusion de cet examen de conscience, il ajoutait ces
belles et touchantes paroles : « Je m'humilie, je me repens et
j'espère. »
Le grand poète n'attendit pas l'heure suprême pour reprendre
les pratiques religieuses, négligées pendant sa vie brillante et
agitée, et pour mettre en harmonie ses croyances et sa conduite.
Dieu vint consoler son isolement; son intelligence, déjà voilée
par les ombres de la mort, s'illumina tout à coup de clartés
supérieures à celles qui avaient ébloui le siècle. Cette fin parfai-
tement chrétienne est un bienfait que n'ont pas obtenu ou qu'ont
refusé un trop grand nombre de ses rivaux en poésie et en poli
tique. Elle eflace bien des faiblesses et jette sur cette gloire
humaine une espérance divine. En louant Lamartine, on n'est
pas invisiblement importuné par ces terribles paroles de saint
Augustin, parlant des grands hommes qui n'ont pas servi Dieu :
« On les vante où ils ne sont plus, on les tourmente où ils seront
éternellement. »
Terminons en transcrivant ces paroles, que l'on peut consi-
dérer comme la profession de foi du noble vieillard : « Le chris-
tianisme a été la vie intellectuelle du monde depuis dix-huit
cents ans, et l'homme n'a pas découvert jusqu'ici une vérité
morale ou une vertu qui ne fussent contenues en germe dans
les paroles évangéliques.
7
90 ANNALES CATHOLIQUES
« J'ai été élevé dans son sein. J'ai été formé de sa substance.
Il me serait aussi impossible de m'en dépouiller que de me
dépouiller de mon individualité. Et, si je le pouvais, je ne le
voudrais pas : le peu de bien qui est en moi vient de lui et non
de moi. »
C'est toute la conclusion de ce travail.
[Études religieuses.) Et. Cornut.
L'AFFAIRE QUIQUEREZ-DE SEGONZAC
C'est lundi qu'a comparu à Saint-Louis, devant le conseil do
guerre, le lieutenant de Segonzac. Au moment oii s'ouvre ce
procès, rappelons rapidement les faits qui ont motivé les pour-
suites actuelles.
On sait que M. le lieutenant de Segonzac est accusé d'avoir
assassiné son compagnon d'exploration en Afrique, le lieutenant
Quiqiierez.
Le Journal des Débats rappelle en ces termes les origines de
la mission des deux explorateurs :
M. Qtiiquerez s'était engagé dans l'armée à dix-sept ans; il servit
d'aboni en Tunisie, dans les bataillons mixtes, plus tard au Tonkinj
puis il passa de l'infanterie dans la cavalerie et fut choisi par lo gé-
néral Jamon comme porte-fanion ; en dernier lieu (1891), il était lieu-
tenant au 17» dragonp. Partout, il avait laissé la réputation d'un bon
soldat, d'un caractère un peu aventureux, auquel semblait funeste
l'inaction des garnisons.
P2dmond-Marie-René de Segonzac, à vingt ans, sortait de Saint-
Cyr cinquième, dans la cavalerie, à vingt-deux ans, de Saumur, avec
le numéro 3. Il était sous-lieutenant au 4« chasseurs, à Saint-Ger-
main en 1891, et, dans cette dernière garnison, il avait, comme
M. Quiquerez, plus d'une fois fait preuve d'un esprit d'indôpendance,
avide d'inconnu, qui s'accommodait assez mal avec les rigueurs des
rèj-'lements.
Ces deux officiers, chacun de leur côté, cherchaient donc une
occasion de sortir du train-train d'existence qu'ils menaient au régi-
ment. Le murant do curiosité générale qui se portait alors vers
l'A'rique les avait tous deux attirés; il devait les rap(>rocher; de.s
amis communs portèrent à leur connaissance un plan d'exploration de
la côte d'Ivoire, entre Grand-Bassam et la frontière de Libéria; ils
s'abouchèi-ftnt et convinrent de faire ce voyage. M. Quiquerez, à ce
moment, avait en outre, dit-on, le désir d'illuRtier son nom par une
l'affaire QUIQUEREZ - DE SEGONZAC 91
action d'éclat, pour se rapprocher d'une famille qui avait repoussé
une demande en mariage qu'il lui avait adressée. M. de Segonzac
voulait, plu3 simplement, échapper à la monotonie de sa vie de
garnison.
Le sous-secrétairc d'Etat aux colonies, qui était alors M.Etienne,
accueillit fort bien les deux officiers et, le 5 mars 1891, le lieutenant
Quiqueiez et le sous-lieutenant de Segonzac quittaient Bordeaux par
le paquebot Ptata qui les transportait à Dakar.
Or, le 26 mai suivant, M. de Segonzac était recueilli au village de
Drewin, à l'embouchure du San-Pedro, par un négociant anglais.
M. Hadley. Le sous-lieutenant revenait avec quelques hommes seu-
lement.
Le lieutenant Quiquerez était, disait il, mort de la fièvre algide à
200 kilomètres plus haut, sur le San-Fedro, loin de tous lieux habi-
tés, à la suite d'une attaque des Pahouins.
M. de Segonzac faisait alors adresser aux journaux de Paris une
note où il relatait le décès de son compagnon et il disait en sub-
stance, que, après ce déplorable événement, lui-même avait été
attaqué par les anthropophages; le bras cassé, il était tombé dans
un rapide et avait dû nager plus d'une heure avec un seul bras pour
échapper à la poursuite des sauvages.
Le l^"" juillet, M. de Segonzac était à Puris ; — il devait, semblait-
il, rendre tout d'abord visite à la famille de son camarade, c'est-à-
dire à Mme Fix (Mme Quiquerez avait épousé, en secondes noces,
M. le lieutenant-colonel en retraite Fix) ; il hésita, et recula cette
visite le plus longtemps possible; enfin il la fit et raconta ce qui est
résumé plus haut. Il n'avait rapporté, disait-il, aucun souvenir du
mort, qu'il avait fait ensevelir avec ses habits et ses armes.
Ce récit, M. de Segonzac le confirma en l'étendant, non seulement
dans un rapport officiel adressé à l'administration des colonies, mais
aussi dans un article qu'il publia dans la Revue des Deux Mondes.
Après avoir raconté le combat du 22 mai contre les Puhuuins,
M. de Segonzac disait:
« Nous n'avons plus ni un fusil, ni un vêtement, rien, rien... C'est
navrant! Où sont les Pahouins? S'ils reviennent c'en est fait de
nous ! Et nous sommes là, sur cet étroit banc de sable, adossés à
notre pirogue renversée, l'œil fixe, essayant de pénétrer du regard
cette terrible forêt, frémissant au moindre bruit.
* Tout à coup, Quiquerez se plaint du froid, de la fièvre. Je m'ap-
proche de lui, il est effrayant, il grelotte, il a les yeux effarés ; nous
le couchons sur le sable mouillé, n'ayant pas même une couverture
pour l'abriter. Le délire le prend, un délire fou. Il veut marcher, et
les six tirailleurs pendus après lui peuvent à peine le recoucher.
Nous le massons de notre mieux ; rien ne peut le réchauffer ; les
extrémités deviennent noires. Jamais je n'ai vu de fièvre aigide, cette
terrible fièvre pernicieuse dont on parle tant!
92 ANNALES CATHOLIQUES
« Un moment, j'ai cru que c'était le choléra qu'avait Quiquerez.
Peu à peu il s'est calmé, il s'est alourdi, et m'a dit encore : « Prépare-
moi un peu de quinine. Ça se termine par un mal de tête épouvan-
table au réveil... » Et puis, très doucement, il s'est endormi... Une
heure après, il était mort!
« A la hâte nous avons enterré ce pauvre Paul. Nous avons creusé
sa tombe avec les planches de notre pirogue, dans le sable, presque
dans l'eau.
« 11 repose là, dans ce coin perdu d'Afrique où sont venues échouer
toutes nos espérances.
« J'ai perdu un camarade dont deux mois de vie et de souffrances
communes avaient fait un frère pour moi. Je l'ai vu mourir, sans
pouvoir rien contre son mal, sans pouvoir même l'abriter de la pluie
et lui tendre un verre d'eau, sans un secours religieux, sans une
prière ! »
Ce récit du sous-lieutenant de Segonzac parut étrange au lieute-
nant-colonel Fix, beau-père du lieutenant Quiquerez, qui, d'ailleurs,
avait eu connaissance de lettres d'un négociant anglais, établi sur la
côte d'Ivoire, lequel relatait des bruits qui couraient de tribu en tribu
nègre, et d'après lesquels M. Quiquerez aurait été tué et enterré
précipitamment.
Comment, se demandait M. Fix, M. de Segonzac n'avait-il pas
pensé à rapporter à la mère de son compagnon le moindre bijou, le
moindre objet venant de son fils? Comment avait-il pu, quatrf jours
après le triste événement, être de retour à la côte, alors que 200 ki-
lomètres de pays inhabité et difficile à franchir l'en séparaient,
d'après son récit de la Revue des Deux Mondes? Enfin, l'attitude de
M. de Segonzac, lors de l'unique visite qu'il avait faite à la mère de
l'infortuné Quiquerez, n'avait pas paru naturelle au lieutenant-co-
lonel Fix.
Sans hésiter, égaré peut-être par son affection pour son beau-fils,
le lieutenant-colonel Fix demanda une enquête. Il ne tarda pas à
aller plus loin et à accuser M. de Segonzac d'avoir tué son com-
pagnon d'exploration.
L'insistance du lieutenant-colonel Fix, les indices recueillis par
lui auprès d«s négociants anglais qui Vivaient, les premiers, relaté les
bruits terribles que l'on avait fait courir, enfin les déclarations de
certains des tirailleurs sénégalais qui avaient accompagné les deux
officiers, tout cola aboutit à la découverte du corps de l'infortuné
Quiquirez. Il était enterré à vingt-cinq kilomètres environ de l'em-
bouchure du San-Pedro, près d'un village. Le corps fut exhumé : le
lieutenant Quiquerez avait été frappé d'une balle à la tête, comme si
le coup avait été tiré de bas en haut, l'officier étant couché.
En présence de cette constatation, le sous-lieutenant de Segonzac
revint sur ses premières déclarations. Quiquerez s'était suicidé : et
l'affaire QUIQUEREZ - DE SEGONZAC 93
si M. de SegODzac avait imagine son piemier récit, c'était par égard
pour la famille et par respect pour la mémoire de son compagnon.
Une enquête, ordonnée par le gouvernement, fut faite au Sénégal
parle capitaine Fortin. L'officier enquêteur, après avoir entendu les
hommes qui faisaient partie de l'expédition, faisait un rapport dont
voici le point principal :
Le lieutenant Quiquerez était couché dans sa tente, côte à côte
avec son compagnon, quand le lieutenant de Segonzac, saisissant son
revolver déposé au chevet de son lit, se serait approché de lui et lui
en aurait tiré un coup dans la tête.
La détonation réveilla les ordonnances des deux officiers et quel-
ques indigènes auxquels M. de Segonzac déclara, d'une voix impé-
rieuse, en rpj(^tant la couverture sur la tête du mort, « que le lieu-
tenant venait de se tuer ».
Mais un indigène, assis sur le devant de sa hutte en face du cam-
pement des officiers, avait vu, par la porte de la tente restée ouverte,
le lieutenant de Segonzac prendre !<on revolver, se lever et se diriger
vers la couchette du lieutenant Quiquerez.
L'enquête du capitaine Fortin établissait, d'autre part, que le
revolver de M. de Segonzac ne contenait plus que cinq balles au
lieu de six, tandis que le revolver du lieutenant Quiquerez était
encore complètement chargé.
C'est sur les conclusions de cette enquête de M. le capitaine Fortia
que M. de Segonzac (lequel avait été nommé lieutenant depuis sa
rentrée en France) fut arrêté dans un château de Seine-et-Marne,
appartenant à sa famille, où il s'était retiré. Sa comparution devant
le conseil de guerre du Sénégal rendait, paraît-il, cette arrestation
nécessaire. M. de Segonzac fut donc conduit, par deux officiers, à
Bordeaux, puis de là à Saint-Louis, où le procès s'ouvre aujourrrhui.
Les faits relevés par l'enquête, les variations des récits faits par
M. de Segonzac, etc., paraissent vérifier l'hypothèse du meurtre,
mais il faut rappeler qu'un officier français, le lieutenant Arago, en
exploration dans les mêmes parages, apprenait la mort de Quiquerez
cinq jours après qu'elle s'était produite; les chefs de village qui lui
donnaient cette nouvelle ajoutaient que le lieutenant s'était tué avec
son petit pistolet.
D'autre part, quel serait le mobile du crime? La correspondance
des deux officiers ne dénote entre eux aucun désaccord. On ne voit
pas quel intérêt M. de Segonzac pouvait avoir à la mort de son com-
pagnon. Reste l'hypothèse d'une querelle.
M. de Segonzac déclare lui-même, dans son récit de la Revue des
Deux M*ondes, qu'il n'a entendu parler que le 23 février 1891 — dix
jours avant son embarquement — « d'un projet d'excursion dans
l'Afrique occidentale » ; il était parti pour la côte d'Ivoire dans un
«oup d'emballement. D'après certains renseignements, d'ailleurs assez
94 ANNA.LES CATHOLIQUES
vagues, les premières difficultés l'auraient désillusionné et rebuté. Il
aurait même cherché à rentrer en France dès les premiers jours,
guettant un navire à l'horizon, tandis que le lieutenant Quiquerez
brûlait d'envie de s'illustrer. Sur les bords du San-Pedro, une que-
relle subite a pu éclater, Celui-ci décidé à aller de l'avant, celui.Tlà
déterminé au retour.
Mais, d'un autre côté, nous avons dit que AI. Quiquerez était parti
avec l'intention d'obtenir, par une belle action, la main dune jeune
fille qui lui avait été refusée. On dit que cette jeune fille s'étant
mariée pendant l'absence de M. Quiquerez et celui-ci l'ayant appris,
ce suicide, par désespoir d'amour, devient très vraisemblable...
On suppose que les défenseurs de M. de Segonzac plaideront
l'incompétence du conseil de guerre du Sénégal, le territoire sur
lequel se sont passés les faits n'étant, à l'époque, ni français ni pro-
tectorat français.
D'assez nombreux témoins seront entendus.
La défense pourra sans peine faire remarquer le peu de fond qu'il
faut faire sur la déposition de la plupart d'entre eux qui auraient,
s'il faut en croire l'enquête, affirmé successivement et avec la même
énergie la vérité des deux versions de M. de Segonzac.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Fi-nnce
Paris. — Le lundi 2 octobre, à deux heures de raprès-midi,
a eu lieu l'installation solennelle à la cure de Saint-Lambert de
Vaugirard de M. l'abbé Rivât, précédemment curé de Pantin.
L'église, magnifiquement ornée, était remplie d'une très nom-
breuse assistance composée de fidèles de Vaugirard et des parois-
ses où M. l'abbé Rivât avait exercé auparavant le saint ministère.
jM. Amable Rivât est né le 7 juillet 1843, à Remiremont, au
diocèse de Saint-Dié. Il rencontra dans sa famille les exemples
et les leçons qui laissent au cœur de l'enfant des impressions
durables. Il eut au petit et au grand séminaire des succès dans
ses études. Un instant il se crut appelé à la vie religieuse et entra
au noviciat de l'Ordre de Saint-Dominique; mais Dieu le vou-
lait ailleurs. Ordonné prêtre le 9 juin 1867, à vingt-quatre ans.
au diocèse de Châlons, par Mgr Meignan, aujourd'hui cardinal
archevêque de Tours, qui l'avait choisi pour secrétaire, il occupa
une chaire de dogme au grand séminaire, c'était un hommage
rendu à la valeur intellectuelle et morale du jeune prêtre.
NOUVELLES RELIGIEUSES 95
Après une année passée en Autriche, avec le titre de précep-
teur, il revint à Paris et exerça le saint ministère dans plusieurs
paroisses oîi il a laissé les meilleurs souvenirs. Depuis six ans,
il était curé de Pantin.
Amiens. — L'événement que l'on vient de célébrer à Albert
occupera une grande place dans l'histoire de l'Eglise d'Amiens
au XIX* siècle. Là, comme à Lourdes, la dévotion envers Marie
a opéré des prodiges. Un prêtre intelligent et zélé a su trouver
dans la générosité des fidèles les deux millions avec lesquels il
a commencé d'élever à Notre-Dame de Picardie l'un des monu-
ments religieux les plus remarquables de ce siècle. Et M. l'abbé
Godin, doyeu d'Albert, sait bien que le million qui lui manque
pour achever son œuvre viendra sûrement, prélevé par la foi et
l'amour sur le superflu du riche et plus encore peut-être sur le
nécessaire des pauvres pèlerins de la Vierge-aux-brebis.
Les fêtes de la translation delà statue miraculeuse ont com-
mencé le 1" octobre. Mgr Fallières, évêque de Saint-Brieuc,
ancien vicaire général d'Amiens, de qui M. l'abbé Godin reçut
les premiers encouragements dans une entreprise humainement
si téméraire, a célébré la dernière messe pontificale dans la
vieille église. Le soir, à vêpres, M. l'abbé Morelle, vicaire gé-
néral de Saint-Brieuc, l'un des prédicateurs les plus goûtés de
la neuvaine de Notre-Dame de Brebières, a célébré avec une
éloquence émue et entraînante les grandeurs de la reine du ciel.
La translation a eu lieu le lundi. NN. SS. les évêques
d'Amiens, d'Arras, de Saint-Brieuc, de Lydda, auxiliaire de
Cambrai et de Panéas, en Palestine, et Mgr le recteur de l'Insti-
tut catholique d'Angers, assistaient à la cérémonie. Dès le
matin les pèlerins se pressaient dans la vieille église. Plus de
vingt mille sont arrivés dans la matinée. Il y a eu de très nom-
breuses communions. Mgr l'évêque d'Amiens a bénit la nou-
velle basili(iue et célébré dans ce magnifique sanctuaire la pre-
mière messe pontificale.
A trois heures la procession de la translation a commencé.
Comment exprimer l'enthousiasme de tout ce peuple? Les Al-
bertins avaient rivalisé de zèle pour élever des arcs de triomphe
et pavoiser les maisons. Des groupes historiques formaient la
partie la plus intéressante du cortège de la Divine Bergère ; une
compagnie d'archers, sainte Colette et ses religieuses, un car-
dinal-légat suivi du seigneur Hugues de Camp d'Avesnes, venu
96 ANNALES CATHOLIQUES
à résipiscence après avoir dévasté les biens de l'Eglise d'Ancre,
Jacques d'Humiéres et ses ligueurs. On y voyait aussi des
groupes de faucheuses, de bergères, de marins et de zouaves,
les mystères du Rosaire, les agneaux de Notre-Dame et les
diverses congrégations et sociétés d'Albert. Quelle superbe
marche triomphale ! Quelles joyeuses et vibrantes acclamations!
Mgr Pagis, évêque de Verdun, est monté en chaire dans la nou-
velle basilique, et a chanté les gloires de Marie, reine du ciel,
de la terre, de la France et do la Picardie. L'auditoire a été
dans le ravissement. Le soir un salut solennel a été donné dans
la basilique étincelante sous les feux électriques. Rien ne peut
rendre l'effet merveilleux de cette lumière sur les peintures,
les mosaïques et les marbres de Tédifice.
La fête s'est terminée le mardi par un très éloquent discours
de M. le chanoine Brettes : ce que la Picardie a fait pour Notre-
Dame et ce que Notre-Dame fera sans nul doute pour sa
France bien-aimée. Magnifique clôture d'une piagnifique fête!
Assurément nul de ceux qui ont assisté à la translation de
Notre-Dame de Brebières n'en oubliera jamais l'éclat et les
douces émotions.
Chalons. — Par suite du caprice d'un maire, les habitants
d'une commune de l'arrondissement de Vitry se sont vus privés,
le dimanche P'' octobre, d'offices religieux. Voici dans quelles
circonstances :
La commuue de Sainte-Livière était depuis quelque temps desser-
vie, comme annex'», par M. le curé do Champaubert-aux-Bois,
Par décision de Mgr l'Evêque de Châlons, M. l'abbé Gillet, vicaire
à Epernay, vient d'élre nommé curé de Laadricourt (en remplace-
ment de M. l'abbé Voillereau) et eu même temps de Sainte-Livière,
M. le maire de cette dernière commune a profité de ce changement
pour faire un coup de tête, qui a jeté l'émoi non seulement à Sainte-
Livière, mais encore dans les villages voisins.
UEcho de la Marne, auquel nous empruntons ces détails,
publie en effet, d'un « correspondant tout à fait digne de foi »,
la lettre suivante :
Vendredi dernier, 29 septembre, M. l'abbé Gillet, nommé par
Mgr l'évêque de Châlons curé de Landricourt et chargé par la même
décision de l'annexe de Sainte-Livière, se présentait chez M. le maire
de cette commuuf». Celui-ci s'était absenté avec intention. M. Gillet,
prévenu de l'attitude que devait prendre le maire, se rendit néanmoins
NOUVELLES RELIGIEUSES 97
chez lui et, ne le trouvant pas, se fit conduire dans les champs où il
travaillait. Le maire le reçut en lui disant qu'il ne le connaissait pas,
qu'il avait retourné sa nomination à l'évêché et qu'il fermait la boîte
(sic). M. Gillet lui ayant demandé les clefs de l'église et du presby-
tère, le maire les refusa. Or, il n'avait pas le droit de refuser les
clefs; le maire n'a droit qu'à une clef de l'église, et encore pour aller
aux cloches s'il ne peut y arriver sans passer par l'église.
Dimanche dernier, 1*' octobre, M. l'abbé Michels, curé de Cham-
paubert-aux-Bois, qui desservait depuis trois mois la commune de
Sainte-Livière comme annexe, se rendit dans cette commune pour y
dire la messe paroissiale. Il avait reçu commission de Monseigneur
d'y célébrer la messe à la place de M. Gillet non encore installé.
Quand il arriva, le maire lui refusa les clefs comme à l'abbé Gillet,
et M. Michels dut s'en retourner, sans pouvoir dire la messe à Sainte-
Livière. De sorte que cette paroisse n'eut pas d'offices dimanche der-
nier. Il est à noter que le dimanche précé lent des premières com-
munions y avaient eu lieu.
Que fera-t-on? Je crois que le maire, M. Guillemin, pourrait être
poursuivi. En tout cas, je pense qu'il est bon de signaler ce fait d'un
maire usant d'un droit qu'il n'a pas et qui interdit à un ministre d'un
culte reconnu par l'Etat, dûment envoyé par l'évêché, de pénétrer
dans l'église et d'y dire la messe.
J'oubliais de vous dire que le maire de Sainte-Livière a défendu au
sonneur de sonner les coups de la messe — abus de pouvoir ; de plus,
il a fait sonner les vêpres, après avoir interdit de sonner la messe.
h' Echo de la Marne ajoute :
Comme à notre correspondant, le fait nous paraît d'une gravité
exceptionnelle. Nous espérons que Mgr l'évêque de Châlons va
prendre l'affaire en main énergiquement.
En tous cas, l'incident montre bien que les maires se croient
désormais tout permis contre l'Eglise. Tant d'intrusion sera-
t-elle punie'? ne sera-t-elle pas plutôt récompensée'?
Nevers. — Nous lisons dans la Semaine religieuse de Nevers,
du 7 octobre :
Nous annoncions avec tristesse à nos lecteurs, il y a quelques
semaines, que le traitement de deux de nos confrères du diocèse de
Nevers venait d'être supprimé. Mais nous ajoutions avec confiance :
« Les faits reprochés à ces ecclésiastiques étant faux, Monseigneur
en a informé le ministre dont la bonne foi a été surprise et qui, sans
doute, ne maintiendra pas sa décision. »
Notre confiance en l'esprit de justice de M. le ministre était, hélaa!
98 ANNALES CATHOLIQUES
excessive, nous le reconnaissons aujourd'hui. M. Poincaré vient, en
effet, de faire connaître à Mgr l'évêque qu'il maintient sa décision et
que le traitement des deux prêtres en question demeure supprimé.
Quels sont donc les faits si graves reprochés à ces deux ecclésias-
tiques ? De quelle faute se sont-ils donc rendus coupables pour être
l'objet de pareille rigueur?
M. le curé d'Alluy et M. le curé de Tintury sont accusés d'avoir
favorisé la diffusion du journal la Croix du Nivernais dans leur
paroisse ! Voilà le seul grief qui leur est reproché.
Or, connaissez-vous la Croix du Nivernais ?
C'est un journal hebdomadaire et républica'tn.
Fidèle aux recommandations de Léon XIII, la Croix accepte loya-
lement la République; elle ne combat que les mauvais républicains et
les mauvaises lois républicaines.
Ce programme, parait-il, déplaît aux ministres du jour, car ils
poursuivent cette feuille et ceux qui la propagent d'une haine impla-
cable. Voici les faits :
MM. les curés d'Alluy et de Tintury, écrivait naguère M. le minis-
tre des cultes, propagent dans leurs paroisses un journal qui me
déplaît. En conséquence, je viens de supprimer leurs traitements.
Aussitôt, Mgr l'Evêque se renseigne. Les témoignages les plus sûrs
sont recueillis. Tous s'accordent pour prouver que les deux prêtres
dénoncés n'ont pas distribué ni fait distribuer la Croix ; que ce jour-
nal est propagé dans la paroisse en dehors d'eux. Monseigneur en
informe aussitôt M. le Ministre qui répond : C'est vrai ; après enquête,,
je reconnais que les deux prêtres en question ne distribuent pas la
Croix, mais le sacristain et la femme du sacristain la distribw.nt.
Donc... nous sommes obligés de frapper le curé, car il doit être
l'instigateur de cette propagande. Nous sévissons à contre cœur ;
mais, même en République, la tolérance a des bornes ; et quand un
sacristain et son épouse sont gravement coupables, alors la consé-
quence s'impose : il faut priver de pain le curé de la paroisse !
En vérité, on croit rêver. Nous ne saisissons pas du tout la suite
logique du raisonnement et nous ne comprenons pas comment la
faute d'un sacristain, si faute il y a, peut entraîner la peine de mort
par inanition prononcée contre le curé.
Devons-nous en conclure que la logique ministérielle a des déduc-
tions tellement fulgurantes et inattendues qu'elles éblouissent et
aveuglent de simples mortels?... Nous croyons plutôt que l'image du
divin Crucifié partout où elle se rencontre, inspire à nos gouvernants
une défiance voisine de la haine ; et, sous l'empire de ce sentiment,
un homme, fùt-il ministre, devient capable des plus criantes iujus-
tices.
En nous plaçant au point de vue du droit, il nous serait facile de
démontrer à M. le Ministre que sa décision est illégale de tous points.
NOUVELLES RELIGIEUSES 99
Par décret du 3 novembre 1789, la CoDstituante déclarait que la
nation s'appropriait les biens du clergé, mais en même temps, elle
stipulait l'obligation rigoureuse pour l'Etat de subvenir à la subsis-
tance des ministres des autels.
La Constitution votée le3 septembre 1791 contenait ('titre V, art. 3)
cette déclaration :,Le traitement des ministres du culte fait partie de
la dette publique.
Le Concordat du 10 septembre 1801, conclu entre Pie VII et Napo-
léon, confirma solennellement ces deux engagements.
Le traitement du clergé est donc une dette de VÉtat au même titre
que la dette ordinaire, celle que l'on appelle la rente sur VEtat.
Que dirait-on si le ministre des finances répondait au rentier qui
vient toucher son trimestre : « Vos opinions, vos actes, vos paroles
me déplaisent, et il ne me convient pas de donner l'argent de l'Etat
à un homme qui me déplaît? Il est bien vrai que l'Etat a reçu de vous
ou de vos ancêtres un capital en échange duquel il vous avait promis
une rente, mais nous trouvons plus facile de garder le capital et de
ne pas payer la rente. Nous sommes les plus forts ; ainsi vous n'avez
qu'à subir la confiscation ? »
Voilà exactement le langage que tient le Gouvernement aux deux
prêtres dont le traitement vient d'être supprimé.
Dans le cas présent, le ministre est un débiteur qui dit à son créan-
cier : « Je vous dois, mais comme je suis fort et que vous êtes faible,
je ne vous payerai pas. »
C'est là un de ces abus du pouvoir qui ne peuvent être réprimés
par les tribunaux parce que les tribunaux sont momentanément à la
disposition de ceux qui abusent ; mais ils relèvent de la justice éter-
nelle et de la conscience publique comme tous les crimes que la jus-
tice humaine n'atteint pas.
De plus c'est un principe de notre droit qu'il faut, pour condamner
un citoyen à l'amende la plus minime, une décision de justice rendue
contradictoirement ; et ici, c'est le ministre seul qui condamne, sans
même l'entendre, le prêtre inculpé à subir la confiscation de tout son
revenu.
Toute suppression de traitement ecclésiastique est illégale. Mais
lorsque cette suppression n'est nullement motivée, lorsque les faits
allégués pour voiler l'injustice n'existent même pas, cette confiscation
devient particulièrement odieuse. Que peut-on répondre à un ministre
qui dit à un prêtre : Votre sacristain et sa femme font une besogne
qui me déplaît : je supprime votre traitement ? On ne peut qu'en
appeler au bon sens public et plaindre le noble pays dont les des-
tinées sont, en ce moment^ aux mains de tels hommes. On ne peut
que faire des vœux et d'ardentes prières pour qu'une ère de justice et
de vraie liberté s'ouvre bientôt sur la France.
M. le Ministre se trompe s'il croit anéantir la bonne presse en la
frappant ainsi sans franchise et par derrière.
100 ANNALES CATHOLIQUES
Il se trompe surtout s'il compte, par de telles violences, effrayer le
elergé. De tels coups grandissent et honorent ceux qui sont frappés.
De tels coups mettent au cœur de ceux qu'ils atteignent une indomp-
table énergie pour combattre jusqu'à la fin le boa combat et secouer
tout joug oppresseur. Un traitement de 900 francs pèse bien peu au
regard d'une conscience sacerdotale, qui toujours préférera à l'abdi-
cation et à l'asservissement la liberté et l'honneur, dussent-elles avoir
pour compagne la pauvreté !
Nos gouvernants viennent donc de prouver une fois de plus qu'ils
s'efforcent toujours de mettre les catholiques, les prêtres surtout,
hors la loi. Une fois de plus, ils démontrent que les mots d'apaise-
ment, de conciliation, de justice, dont ils émaillent leurs discours, ne
sont qu'un leurre destiné à tromper les naïfs.
En ce moment même, une agitation formidable gronde dans le
nord de la France. On voit des députés qui émargent au budget de
l'Etat fomenter le désordre et la grève, répandre les feuilles les plus
anarchistes, les plus révolutionnaires parmi les ouvriers. Le Gouver-
nement se garde bien de les faire arrêter ou même de suspendre leur
traitement. Mais deux prêtres sont accusés faussement par quelques
politiciens sans aveu d'avoir répandu un journal honnête ; aussitôt
ils sont frappés !
Quel est l'honnête homme en France qu'une pareille injustice n'in-
dignera pas?
Perpignan. — La Semaine religieuse de Perpignan faisait,
ces jours derniers, le triste tableau du séminaire, occupé mili-
tairement par des ecclésiastiques travestis en soldats.
C'est avec un serrement de cœur qu'on visite aujourd'hui le grand
séminaire de Perpignan. On n'y reconnaît pas le temple de la prière,
ni la demeure chère entre toutes qui a été témoin de tant de vertus
et de tant d'abnégations. On ne rencontre guère que des soldats, dont
les lourds souliers retentissent dans le silence des corridors.
Et ces soldats sont des prêtres, des diacres ou des sous-diacres,
qu'une loi impie a ravis pendant vingt-huit jours au service des au-
tels. Il y a en eflfet, au grand séminaire do Perpignan, quarante-cinq
ecclésiastiques astreints à ce service : ils appartiennent aux diocèsee
d'Albi, Perpignan, Mende, Rodez, Carcasonne, Montpellier.
Il y a même des élèves du séminaire des Missions étrangères de
Paris, c'est-à-dire des jeunes gens qui laissent leur famille et qui
s'expatrient afin d'aller civiliser les sauvages et implanter dans leurs
cœurs l'amour de l'Eglise et de la France.
Sur ces quarante-cinq ecclésiastiques, il y a huit prêtres, presque
tous engagés dans le ministère paroissial. Quel spectacle ! et comme
la franc-maçonnerie poursuit son œuvre de déchristianisation en
s'acharnant à diminuer le prêtre !
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 101
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
L'arrivée de l'escadre russe. — Tyrannie municipale. — Poursuites contre
ÏAutorité. — Les grèves. — Etranger.
12 octobre 1893.
C'est demain à midi que l'escadre russe doit mouiller en rade
de Toulon et les fêtes vont commencer. L'accueil, on peut en
être sûr, sera digne des hôtes amis de la France.
L'amiral Avellan quittera Toulon le 16 et arrivera à Paris le
17, avec ses états-majors. Il y restera jusqu'au 25.
Le conseil municipal avait résolu d'inviter au banquet qui
aura lieu à l'hôtel de ville les deux maréchaux survivants, de
Mac-Mahon et Canrobert. Le premier est trop malade en ce mo-
ment pour répondre lui-même. Le second a écrit à M. Hervieu,
secrétaire du conseil municipal :
Saint-Germain, 8 octobre.
Monsieur le conseiller municipal de Paris,
J'ai vivement regi-etté de ne pas m'étre trouvé chez moi hier lorsque
vous et M. Maury avez pris la peine d'y venir.
J'aurais voulu pouvoir vous dire verbalement combien je suis tou-
ché de la démanche que le cons'^il municipal de la ville de Paris a
bien voulu faire auprès de moi et vous prier de remercier en mon
nom messieurs vos collègues.
Mais, à mon grand regret, il me sera impossible de me rendre à
votre invitation. Mon grand âge et l'état de ma santé m'empêcheront
de prendre part à ce beau banquet, auquel, en ma double qualité de
Français et d'ancien général en chef de l'armée de Crimée, je me
serais autrement fait un plaisir et un honneur d'assister. Car j'ai
appris, dans nos acharnées luttes devant Sébastopol, à apprécier la
vaillance et les solides qualités dos marins et des soldats de la grande
nation russe.
Veuillez recevoir, monsieur le conseiller municipal, l'expression
de mes sentiments de haute et sympathique considération.
Le maréchal de France,
Sénateur de la Charente,
Maréchal Cankobert.
On est, paraît-il, assez ému dans les conseils du gouverne-
ment, et aussi à l'ambassade de Russie, des brnits qui ont
couru, relativement à l'envoi par certains cabinets étrangers
102 ANNALES CATHOLIQUES
d'agents provocateurs, chargés de soulever des incidents pen-
dant les fêtes franco-russes. Des instructions très précises ont
été envoyées à Toulon par l'administration supérieure, et c'est
pour s'y conformer que le maire de la ville fera afficher une
proclamation adressée aux habitants pour leur recommander de
s'abstenir de tout cri sur le passage des personnages officiels
qui se trouveront à Toulon pendant les fêtes. Les Toulonnais
seront invités, en outre, à avoir une attitude calme et réservée,
et à montrer la plus grande circonspection pendant le séjour
des Russes. Dans sa proclamation, ie maire de Toulon ajoutera,
dit-on, que la population a intérêt à faire elle-même sa police,
et à arrêter tout individu qui se livrerait à des manifestations
hostiles aux sentiments publics. Il est bien certain que la police
allemande et la police italienne ont compté sur la propension
à l'emballement de la population française. Mais il est non
moins certain que la publicité donnée aux petites combinaisons
de nos ennemis aura cet avantage de nous faire réfléchir, et
d'attirer notre attention sur les graves conséquences qui pour-
raient sortir d'un incident préparé par eux. Il n'en faut pas
davantage pour que quiconque se livrera à un acte ou poussera
un cri susceptible d'entraîner des complications internationales,
devienne du coup suspect, — et dès lors, le gros du danger est
paré. Toutefois, ne nous contentons pas de veiller sur les ten-
tatives des agents de la Triple Alliance; veillons aussi sur
nous-mêmes, sur notre propre ardeur, sur cette griserie des
enthousiasmes spontanés qui monte si facilement à nos cerveaux.
Il n'est vraiment que temps de mettre un terme à l'anarchie
municipale qui, depuis trois ans, a pris des proportions inquié-
tantes pour la sécurité publique. Forts de leur importance élec-
torale et comptant sur la condescendance illimitée des préfets,
nombre de maires en prennent trop à l'aise avec les lois qui
nous régissent. Il faut absolument sévir et infliger à ces tyran-
neaux, non pas une suspension, dont ils se rient, ou une révo-
cation, dont ils se font un titre de gloire, mais des poursuites
telles que le code pénal en comporte contre les fonctionnaires
qui abusent ou mésusent de leur autorité. Si justice n'est pas
faite de ces excès, les citoyens seront forcément amenés à se la
faire eux-mêmes. C'est ainsi que les scandales de la municipa-
lité de Saint-Denis mettent en péril la vie des habitants de
CHRONIQUE DK LA SEMAINE 103
cette localité, où il n'3' a plus de sécurité. Dans la Marne, c'est
bien noieux : à Sainte-Livière, le raaire a pris sur lui de fermer
l'église et le presbytère, d'en prendre les clefs et de les refuser
au desservant titulaire et à celui d'une paroisse voisine qui y
binait. De sorte qu'il ne peut plus y avoir dans ce village catho-
lique ni b;iptême, ni naariage, ni enterrement religieux. Le
préfet de la Marne n'a pris aucune mesure pour faire cesser ce
scandale, et si ce fonctionnaire, craignant de se compromettre
en faisant respecter la loi, en a référé à M. Dupuy, son chef
hiérarchique, celui-ci n'a pas encore fait connaître sa réponse,
et, pendant ce temps-là, le maire de Sainte-Livière continue, de
j;a propre autorité, à mettre en interdit le clergé et l'église.
Il n'y a qu'un cri dans la presse pour blâmer les poursuites
que le gouvernement vient de décider contre V Autorité et conive
M. P. de Cassagnac. L'article poursuivi était violent, injurieux
même pour monsieur le gouverneur militaire de Paris, c'est en-
tendu; mais on fait remarquer, à juste raison, que M. de Cassa-
gnac enasigné quantité de semblables etqu'il n'en a pas été pour-
suivi. Ah! c'est que l'ex-député du Gers avait alors la tribune
parlementaire pour se défendre, et pour faire passer de mauvais
quarts d'heure aux ministres. Aujourd'hui, sa tribune, c'est son
journal, et le Cabinet que préside M. Dupuy a pensé qu'il était
de bonne politique de faire expier au journaliste les méfaits du
parlementaire. La bravoure de M. Dupuy ou de M. le garde
des sceaux, qui n'a agi que par ordre, est d'une force extraor-
dinaire quand il s'agit de molester des vaincus. M. de Cassagnac
est poursuivi pour outrages à l'armée. Or, cette qualification
du délit ne se soutient pas. Le directeur de V Autorité , n'a pas,
en effet, comme le prétend le parquet, offensé l'armée; il n'a
pas parlé d'elle; il n'a visé que le général Saussier. Peut-on
dire qu'il a ainsi porté atteinte au prestige du commandement,
diminué lu confiance des troupes en leur chef, nui à la défense
nationale? Ce n'est pas sérieux. On ne fera croire à personne
que l'autorité du général Saussier soit compromise depuis que
M. de Cassagnac l'a appelé Saussier-Tonneau. D'autre part,
l'article n'a pas fait grand scandale; il avait, en réalité, passé
inaperçu. Il a fallu que le gouvernement le déférât aux tribu-
naux pour que ledit article ait été reproduit par tous les jour-
naux de France et de Navarre. Gageons que le principal inté-
104 ANNALES CATHOLIQUES
ressè, le général Saussier, se serait facilement passé de cette
publicité et du bruit que va provoquer cette affaire.
La grève des mineurs s'éteint peu à peu; encore quelques
jours, et tout sera rentré dans le calme. On n'accusera pas les
meneurs d'avoir contribué à ce résultat; ils ont fait et ils font
encore des efforts désespérés pour attiser le feu. Mais les mesures
prises par le gouvernement commencent à porter leurs fruits:
à l'issue d'une conférence faite à Méricourt par M. Thurot,
rédacteur à la Petite République française, l'orateur a été mis
en état d'arrestation, à cause de la violence de son discours,
disent les uns, à cause d'une altercation qui serait survenue
entre M. Thurot et le commissaire de police, affirment les autres.
A Drocourt, le commissaire de police a empêché M. Baudin de
tenir une réunion qui avait été annoncée. Si on avait agi de
cette façon, dès le début de la grève, au lieu de temporiser, les
ouvriers qui ont écouté les perfides conseils des agitateurs de
profession, n'en seraient pas pour leurs journées perdues, les
fatigues supportées et les condamnations subies que quelques-
uns d'entre eux ont encourues pour atteinte à la liberté du tra-
vail. Les industriels français n'auraient pas besoin non plus de
parcourir les bassins belges pour chercher à se faire expédier
du charbon. Les demandes sont si abondantes, paraît-il, que
les houillères n'ont pas le quart des véhicules nécessaires pour
les expéditions demandées. On s'attendrait même à une nou-
velle hausse de charbons.
Les orateurs socialistes étant l'objet d'une surveillance sévère
sur le théâtre de la grève du Nord et du Pas-de-Calais et ne
pouvant, dans ces conditions, donner libre cours à leurs décla-
mations contre le travail et le capital, vont trouver une autre
tribune et celle-là placée en dehors de toute immixtion gouver-
nementale. Cette tribune, c'est celle du congrès national du
parti ouvrierfrançais, dontM. Guesde est lechef, qui s'estouvert
lundi à Paris. Les séances ont lieu à huis clos, raison de plus
pour que les orateurs puissent se livrer sans retenue à toutes
leurs élucubrations. La presse, elle-même, n'a pu trouver grâce
devant une semblable exclusion du public. M. Jules Guesde a
prétendu que, dans ce congrès, il ne serait traité que des ques-
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 105
tions techniques et que, dés lors, il n'était nullement nécessaire
d'avoir un auditoire hétérogène.
L'une de ces « questions techniques » serait, dit-on, Torgani-
sation de la propagande socialiste dans les campagnes. C'est en
convertissant les paysans que les socialistes espèrent obtenir la
majorité dans le Parlement aux élections de 1898 et devenir, à
leur tour, les maîtres du pouvoir. Ils comptent, pour rendre
cette propagande fructueuse et victorieuse, sur leurs députés
élus. Jusqu'ici ils avaient concentré leurs efforts sur les grandes
villes et les grands centres ouvriers, mais l'expérience leur a
démontré que ce n'était pas suffisant pour triompher et qu'il
fallait s'adresser aux populations rurales qui constituent la ma-
jorité des électeurs.
Cette nouvelle tactique du parti socialiste n'est pas sans
effrayer les républicains qui détiennent l'assiette au beurre, en
d'autres termes les beati possidentes.
Il s'est ouvert, aujourd'hui même, à Paris, une conférence des
gouvernements qui font partie de l'Union latine afin d'étudier
une proposition de l'Italie tendant à la reprise immédiate ou à
bref délai par cette puissance de ses pièces divisionnaires d'ar-
gent.
On sait que les Etats de l'Union latine, la France, la Grèce,
l'Italie, la Suisse et la Belgique, se sont interdit, par la conven-
tion monétaire du 6 novembre 1885 et l'acte additionnel du
12 décembre suivant, toute frappe d'argent, en ce qui concerne
les pièces de 5 francs, et toute émission de pièces d'argent de
2fr., de 1 fr., de 50 centimes et de 20 centimes au delà d'une
somme déterminée. Or, il se trouve que l'Italie, actuellement,
ne possède plus une quantité de monnaie divisionnaire suffi-
sante. Elle en est réduite, pour les menus payements intérieurs,
à des expédients; par exemple, ses timbres-poste lui tiennent
lieu de monnaie. Il n'est pas besoin d'insister sur la gêne et les
ennuis multiples d'une telle situation.
Pour y mettre fin, il est clair que la dénonciation de l'Union
latine suffirait. L'Italie, reprenant sa liberté d'action, aurait la
faculté de convertir à sa guise en pièces divisionnaires, autant
de lingots d'argent que bon lui semblerait. Comme l'argent subit
une dépréciation considérable, l'Etat italien encaisserait une dif-
férence d'autant plus importante que la frappe serait plus élevée.
8
106 ANNALES CATHOUQUES
Ce serait une ressource inattendue pour le budget. Au premier
abord, quelles perspectives plus tentantes? Seulement, toute la
question de l'urgent se poserait aussitôt. Grâce à l'accord qu'ils
ont si heureusement conclu, les Etats de l'Union latine ont
échappé jusqu'ici aux difficultés de cette redoutable question.
Le moment serait singulièrement choisi pour les affronter. Aussi
nul n'y songe-t-il. Les délibérations de la conférence s'annon-
cent comme devant être très restreintes. La convention moné-
taire n'est pas en cause. Il ne s'agit nullement de la modifier.
On se propose uniqtiement de régler, sur un point spécial, l'un
de ces modes d'application.
La décision sera vraisemblablement favorable aux vœux de
l'Italie ; reste à voir si elle sera efficace. Car enfin, les Etats de
l'Union ne rendront à l'Italie sa monnaie divisionnaire qu'en
échange d'or ou d'écus de cinq francs et les écus de cinq francs
comme les pièces d'or sont aussi rares en Italie que la monnaie
divisionnaire. C'est donc la quadrature du cercle qu'on veut
résoudre.
On est obligé de se rendre à l'évidence. Le gouvernement
italien est affolé; il ne sait plus où il va, et, au milieu de sa
course foile à travers les événements, il se précipite tête bais-
sée dans les aventures.
Les gouvernements alliés le laisseront-ils mettre le feu aux
poudres? C'est peu probable, car on ne signale du côté de l'Al-
lemagne et de l'Autriche, aucun préparatif.
Il se pourrait, néanmoins, que l'Italie fût conseillée par l'An-
gleterre, dans sa politique de provocation. En tous cas, celle-ci
intrigue toujours contre la France. La diplomatie anglaise s'ef-
force même, en ce moment, d'après une dépêche de Constanti-
nople, d'inquiéter la Porte au sujet de l'Alliance franco-russe
et de lui persuader que la Russie se propose, au moyen de cette
alliance, de lui enlever, à la première occasion, de nouvelles
provinces, spécialement l'Arménie. Pour mieux alarmer la
Porte, des agents anglais, appartenant à la colonie arménienne
de Londres, parcourent en ce moment l'Arménie pour y créer
un simulacre d'agitation. Le but de ces menées paraît être de
décider le sultan à consentir, en cas de guerre européenne, à ce
que l'Angleterre occupe la Crète, Smyrne et un point straté-
gique à l'entrée des Dardanelles.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 107
Quoi qu'il en soit, en sonnant constamment l'alarme et en
prenant tout aussi bien sur les Alpes qu'à la Maddalena, des
mesures qui précèdent d'ordinaire les déclarations de guerre,
l'Italie ne peut, ne doit avoir qu'un but : inquiéter, énerver la
France, au point de lui faire commettre des imprudences, de
l'amener à des actes qui pourraient être, à leur tour, présentés
comme des provocations.
Nous le disons depuis longtemps, le gouvernement italien est
acculé à la faillite, à la révolution ou à la guerre et c'est encore
la gueri'e que préférerait le roi Hurabert. Il faut toujours laisser
une porte ouverte à la fortune, et sait-on ce qui peut résulter
d'une guerre? Mais pour se battre il faut être deux au moins
et personne ne semble disposé à faire le jeu de l'Italie.
Que, sur un signe de Berlin, les forces italiennes s'engagent
immédiatement, c'est dans l'ordre de la Triplice; mais que, par
contre, l'Allemagne marche parce que la cour d'Italie veut
marcher, c'est ce qu'on ne saurait admettre à Berlin.
Quoi que fasse, en ce moment, la maison de Savoie, elle ne
fera pas perdre à la France le sang-froid et le calme que lui
donnent la conscience de sa force et l'intelligence de la situa-
tion générale.
L'opinion française est fixée. Après le voyagea Metz, plus rien
ne peut l'irriter. On a coupé le pont. Nous n'avons pas à le
reconstruire. Si, plus tard, il se trouve, en Italie, un gouverne-
ment qui veuille tenter l'opération, nous le regarderons agir et
nous attendrons les résultats de l'entreprise.
Actuellement, la France sait que dans toutes difficultés pou-
vant surgir en Europe, elle aura contre elle la maison de Savoie,
c'est-à-dire l'Italie, puisque la politique extérieure de ce pays
est faite par la dyuastie et pour la dynastie. La France n'a donc
plus qu'à s'inquiéter de connaître, en temps utile, les intentions
des autres puissances. Le jour où l'Allemagne et l'Autriche vou-
dront la guerre, le roi Humbert poussera un grand soupir de
soulagement.
Ce jour est-il venu? Nous ne le croyons pas.
Quel que soit le pouvoir qu'exerce l'empereur d'Allemagne, il
ne saurait déclarer la guerre sans avoir prouvé à la nation
qu'elle est indispensable. Dans les conditions où se trouvent les
armées actuelles, une guerre sera si épouvantable que les peu-
ples ne s'y résigneront pas aisément et que d'autre part, pour
avoir quelques chances de succès, il faudra pouvoir compter sur
108 ANNALES CATHOLIQUES
la force d'impulsion que donne l'unanimité du sentiment national.
Or, en Allemagne, la grande majorité du peuple repous.-e l'idée
de la guerre et nous ne sachons pas que, depuis quelques semai-
nes, il soit survenu des événements qui puissent modifier cette
situation.
Enfin, le troisième facteur de la Triplice, l'Autriche-Hongrie,
n'est certainement pas désireux de la guerre ; et là, chose rare,
les mêmes opinions sont partagées par la cour et les nationalités
diverses groupées autour de la couronne impériale. Les Magyars
aussi bien que les Tchèques, les Polonais comme les Croates ou
les Allemands d'Autriche ne demandent que la paix et la possi-
bilité de travailler pacifiquement aux grosses questions que sou-
lèvent l'antagonisme des nationalités, les besoins économiques et
sociaux.
Actuellement, pour que la guerre éclate, il faut qu'elle soit
déclarée à la fois par l'Autriche, l'Allemagne et l'Italie; si l'un
des trois facteurs fait défaut, la paix reste assurée, étant donnée
l'entente franco-russe. D'oii il résulte que nous ne croyons pas à
l'imminence de la guerre. Il est impossible que l'empereur
François-Joseph s'engage dans une aventure. Aucun parti ne l'y
sollicite dans son empire et sans l'Autriche, dont le rôle serait
d'immobiliser une importante fraction des forces russes, com-
ment pourrait-on supposer que l'Allemagne partît en guerre?
Les hostilités qui s'ouvrent actuellement dans le Sud-Africain
entre Lobengula, chef des Matabélés, et la Compagnie anglaise
pourraient avdir des conséquences plus graves qu'on ne se
l'imagine au premier abord.
La Compagnie, n'étant pas suffisamment préparée au conflit,
fait un appel pressant aux Boërs du Transwaal et, pour décider
ceux-ci à lui prêter leur concours, elle leur promet des conces-
sions allant jusqu'à 1,200 hectares par homme en cas de succès
définitif. Ces offres portent leurs fruits : les Boërs reprennent
leurs lourdes carabines et marchent sur la frontière des Mata-
bélés. Dans ces conditions le résultat n'est plus douteux ; depuis
plus d'un siècle ces colons hollandais pratiquent la « guerre de
la brousse » ; ils la connaissent à fond et en sont toujours sortis
victorieux.
Mais leur vaillance extraordinaire s'accompagne d'un senti-
ment d'indépendance indomptable. Quand les Anglais s'empare-
CHaONIQUE DE LA SEMAINE 100
rent du Cap de Bonne-Espérance, ils leur laissèrent la place et
à travers mille dangers, s'enfoncèrent dans le nord de la colonie ;
ils arrivèrent en vue de la mer sur la côte est, où ils fondèrent
la République du Natal. Dès que la République fut fondée, le
commerce florissant, les Anglais apparurent encore et « annexè-
rent > la « colonie du Natal. »
Une seconde fois, les Boërs reprirent leurs armes et leurs
outils, attelèrent leurs chariots et s'enfoncèrent à nouveau dans
les terres. Ils s'arrêtèrent sur les bords du fleuve Orange et de
son affluent le Transwaal, où ils fondèrent les deux républiques
qui portent les noms de ces cours d'eau.
Lorsque en 1879, les Anglais prétendirent annexer aussi ces
territoires, les Boërs se réunirent à Pretoria et àBloensfonteim,
et jurèrent sur l'Evangile que leurs persécuteurs ne seraient
pas maîtres de leur patrie avant d'avoir exterminé le dernier
d'entre eux. On sait qu'ils tinrent parole, qu'ils résistèrent avec
une sauvage énergie et détruisirent totalement deux armées
anglaises : c'est au col d'Amajuba, dans la chaîne du Drakens-
berg, que le fameux général Colley trouva la mort avec ses
officiers, tous — chose étrange — frappés d'une balle à la visière
de leur casque. Comme conclusion, l'Angleterre dut reconnaître
l'indépendance du Transwaal et du Fleuve-Orange.
Ce sont là les hommes dont la Compagnie Sud-Africaine veut
faire ses alliés,, en leur promettant des concessions de terre.
C'est là un jeu éminemment dangereux ; car la guerre une fois
terminée et le partage fait, il est certain que les Boërs tiendront
leurs concessions pour territoires transwaaliens — et si la Com-
pagnie veut s'y opposer et les régir comme faisant partie de ses
possessions, elle aura la guerre avec ses alliés actuels.
Elle pourrait s'apercevoir alors qu'à jouer les Bertrands avec
ces Ralons-Ià, tout ne sera pas profit pour elle.
On a des nouvelles de Melilla. Depuis l'attaque de l'autre
jour, les Maures se tiennent tranquilles. Il y a bien chaque nuit
quelques escarmouches aux avant-postes. Des rôdeurs isolés
s'approchent de l'enceinte de la ville et tirent des coups de fusil
sur les sentinelles. Mais cela n'a pas d'importance.
En ce moment, les Maures sont occupés à la construction de
baraques sur les hauteurs avoisinant Melilla, mais en dehors du
territoire espagnol.
110 ANNALES CATHO:.IQUES
D'après des renseignements fournis par un indigène venant
de l'intérieur, les pertes des Maures, dans le combat du 2 oc-
tobre, s'élèvent à 120 morts et 300 blessés.
Des renforts suffisants sont arrivés à Melilla et la place se
trouve actuellement à l'abri de toute surprise.
Malgré cela on continue à prendre à Madrid toutes les me-
sures de précaution. Tous les hommes en congé illimité qui n'ont
pas fait trois ans de service vont être rappelés sous les drapeaux.
L'émotion qui se manifeste dans la population espagnole à
propos de cet incident nous semble un peu bien artificielle. Il
est probable que, de son côté, le gouvernement est moins em-
ballé qu'il ne paraît. Sans doute, il a vu surtout dans l'attentat
commis par les Maures une excellente occasion d'intervention
militaire au Maroc.
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que l'affaire est menée
rondement. A peine le conflit avait-il éclaté qu'un corps d'ar-
mée était mobilisé. Dans quelques jours il sera sur le théâtre
des événements. Le cabinet Sagasta a estimé que les négocia-
tions avec le sultan feraient perdre un temps précieux et que le
meilleur mo^^en d'avoir satisfaction, c'était de prendre des
gages d'abord, sauf à s'expliquer après.
Le vote par lequel la Chambre des lords a repoussé la réforme
irlandaise adoptée par la Chambre des communes, n'a pas dé-
couragé M. Gladstone ni affaibli l'énergie avec laquelle il pour-
suit le triomphe de ses idées. Dans un discours qu'il vient de
prononcer à Edimbourg, il a affirmé ses convictions avec une
ardeur nouvelle et jeté un fier défi à la Chambre des lords. La
question qu'elle a tranchée en deuxième lecture par le rejet du
bill sur le home rule, sera soulevée de nouveau dans la pro-
chaine session pour subir la formalité d'une troisième lecture.
M. Gladstone avertit la Haute Chambre que, si elle résiste en-
core, ce ne sera pas seulement cette question spéciale qui sera
en jeu, mais ce sera l'existence même de la Chambre des lords.
Il constate qu'au cours de ce siècle elle n'est jamais sortie vic-
torieuse des conflits qu'elle a engagés contre la Chambre des
comniunes. Il déclare que, si elle entendait provoqi\er la disso-
lution des Communes, ce serait un acte de haute trahison envers
une ijrande nation qui a le droit de se gouverner elle-même.
Cette nation a donné le pouvoir à la majorité, et cette majorité
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 111
a le devoir de trouver ie moyen d'atteindre son but. On voit que
la lutte est loin d'être finie. Le grand old man est plus que ja-
mais résolu à la poursuivre et ses forces physiques et morales
semblent s'accroître avec les obstacles. Ces menaçantes paroles
feront-elles ré/léchir la Chambre des lords et modifieront-elles
ses résolutions ? C'est peu probable. Le rejet du bill a été pro-
noncé à une majorité trop considérable pour qu'on puisse espé-
rer un revirement à brève échéance. D'ailleurs, si la Chambre
des lords doit alors céder, elle ne le fera, comme elle en a l'habi-
tude, qu'après une seconde et décisive épreuve des vœux du
pays, à la suite d'élections générales. Il faut donc s'attendre à
la nécessité d'une dissolution ; mais comme le dit M. Gladstone,
c'est bien alors l'existence de la Chambre des lords qui sera
mise en jeu et peut-être en péril.
Le 25 septembre, a eu lieu l'ouverture du Reichstag hongrois.
C'est dans cette session que le ministère Weckerlé compte faire
triompher son programme politico-religieux et ses quatre pro-
jets de loi relatifs au mariage civil obligatoire, à l'introduction
de l'état civil, à la réception des Juifs et à la liberté en matière
religieuse.
Si nous ne nous trompons, la chose sera loin d'aller toute
seule. Les débats promettent de devenir extrêmement vifs et
même violents. Depuis que le gouvernement, à l'instigation de
la gent judaïco-libérale, a imaginé, sous prétexte d'apaisement,
de doter le pays d'une législation qui mène droit à un kultur-
kampf, il n'a abouti qu'à provoquer une agitation profonde et
générale, à surexciter les esprits jusqu'à l'exaspération, à susci-
ter une opposition tous les jours grandissante.
Evêques, prêtres, fidèles sont décidés plus que jamais à sou-
tenir vaillamment la lutte qui leur est imposée. Ils se savent
d'accord avec le Souverain Pontife, lequel, dans sa récente
Encyclique, a condamné une fois de plus ces lois qui « sont en
opposition avec les droits de l'Eglise, diminuent sa liberté d'ac-
tion et font obstacle à la profession de foi catholique », ces décrets
et ces actes de l'autorité civile « non moins pernicieux à l'Eglise
elle-même et aux intérêts catholiques ». Ceux qui ont eu dans
le passé à se reprocher de la faiblesse et une condescendance
excessive ont entendu le langage sévère du Pape à l'adresse de
« certains catholiques qui, alors qu'ils devraient protéger et
112 ANNALES CATHOLIQUES
revendiquer les droits de l'Eglise avec le plus de vigueur et de
constance,, obéissant à une sorte de prudence humaine, ou pren-
nent un parti contraire, ou se naontrent timides ou indolents
dans l'action ». Leur conduite pouvait être excusable aupara-
vant, elle ne le serait plus à l'avenir, car ils savent maintenant
€ qu'ils trahiraient leur mission et leur devoir »,
Les catholiques ont en outre le droit de penser qu'ils ont pour
eux l'empereur-roi François-Joseph, dont diverses récentes
allocutions, quoique revêtues des formes en usage dans le monde
officiel, laissaient entrevoir assez clairement de quel côté vont
les sympathies du souverain et ne permettaient point de douter
de sa volonté bien arrêtée d'assurer le maintien de la paix
religieuse.
En somme, on peut s'attendre à des séances mouvementées au
Reichstag hongrois, à moins que M. Weckerlé, homme d'Etat
avisé, dit-on, n'ait ou la sagesse d'ajourner l'exécution de son
programme religieux à des « temps meilleurs », ou la prudence
de se retirer de son plein gré, pour ne pas courir le risque d'une
démission... involontaire.
Les journaux de tous les pays s'occupent des difficultés qui
ont surgi sur le Niger entre la France et l'Angleterre, à l'occa-
sion de l'antagonisme de la Compagnie anglaise du Niger et de
la mission française dirigée par M. Mizon. C'est une afi'aire
obscure — ce qui ne nous étonne pas, puisqu'il s'agit du Niger,
qui en latin veut dire noir — dans laquelle il est difficile de
discerner l'exacte vérité. En tout cas, ce ne saurait être un
casus belli, comme les organes de la triple alliance voudraient
le faii'e croire. Il est certain que, comme tous les explorateurs,
M. Mizon va de l'avant et cherche à porter le plus possil)le ses
investigations et, au besoin, les annexions qu'il peut réaliser
au profit de l'extension de la juridiction nominale de la France.
D'autre [)art, la Compagnie anglaise voudrait rééditer dans le
continent noir les traditions envahissantes, perfides, égoïstes et
puniques de la Compagnie des Indes Orientales dans l'Hindous-
tan. Ces agissements sont sévèrement jugés en Angleterre
même, oii cetto politique de mercanti rencontre de loyaux
adversaires. Mais les griefs que Français et Anglais articulent
les uns contre les autres, sont de la compétence du juge de
paix, et les gouvernements des deux pays ont assez de sagesse
pour les concilier.
Le Gérant: P. Chantrei..
Paris. Imp. G. Picquoin, b3, rue de LiUe.
ANNALES CATHOLIQUES
. . UN DISCOURS DU PAPE
Les pèlerinages du jubilé êpiscopal de Sa Sainteté ont de
nouveau fait leur apparition à Rome. Le 11 octobre, Léon XIII
a reçu dans la grande galerie des Cartes géographiques un
groupe nombreux de pèlerins de l'Apostolat de la Prière, venus
à Rome sous la direction du R. P. Vitale, religieux barnabite,
directeur de l'œuvre en Italie. Toujours plein de vigueur,
Léon XIII a fait son entrée au milieu des acclamations des pè-
lerins, qui tous, au nombre de 700 environ, avaient placé sur
leur poitrine le scapulaire du Sacré-Cœur de Jésus. A ces pèle-
rins s'étaient joints environ 150 pèlerins de Milan, représentant
les œuvres des cercles et comités diocésains milanais. Le Pape
a pris place au trône érigé au milieu de la galerie. Il était en-
touré des cardinaux Bianpjti, dejIlUjggie;rp^,Ruffo^cilla,,Persico,
Graniello et Mocenni. . ...
Le R, P. Vitale s'est approché du trône et à lu une adresse
italienne, dans laquelle il a exprimé l'espoir de voir la Ligue
de la Prière, le rosaire à la main, remporter la victoire, obtenir
le triomphe par celle qu'on appelle à juste titre : Notre-Dame
des Victoires.
Le Saint-Père a répondu par un discours que voici :
II est souverainement agréable et consolant pour Notre
cœur paternel d'accueillir cette magnifique députation de
l'Apostolat de la Prière, à laquelle Nous voyons unie avec
plaisir une phalange d'élite de catholiques milanais, for-
mant ensemble une digne couronne de fils autour de leur
commun Père.
Conduits par la foi, animés par votre fervent dévoue-
ment envers le Siège apostolique, vous êtes venus Nous
témoigner votre filiale affection et votre joie pour l'insigne
faveur que Dieu Nous a accordée en prolongeant Nos jours
jusqu'à célébrer cette année Notre Jubilé êpiscopal. Cette
nouvelle preuve de votre amour Nous réconforte et Nous
dédommage admirablement de l'abandon où Nous ont laissé
de nombreux fils dégénérés, mais toujours aimés, et de la
Lxxxvi — 21 Octobre 1893. 9
114 ANNALES CATHOLIQUES
haine gratuite aTec laquelle d'autres Nous persécutent,
Nous et l'Eglise, «««i^j^.^.^.»-
Yous représentez ici une des associations les plus
chères à Notre cœur, l'Apostolat de la Prière, plante nou-
velle qui embellit et réjouit si grandement aujourd'hui le
jardin du divin Jardinier. Bien que née récemment d'un
humble germe, cette plante s'élève déjà à des proportions
gigantesques et son ombre bienfaisante s'étend sur tout le
monde chrétien, en réunissant autour d'elle d'innombrables
multitudes de fidèles de diverses nations, unis tous en-
semble dans une seule pensée, dans une commune inten-
tion et dans une même pratique de pieux exercices et de
vertus chrétiennes.
Cela seul, sans compter d'autres mérites, suffirait pour
vous assurer un titre spécial à Notre aff'ection, car Nous
avons toujours favorisé et encouragé votre société, et
chaque mois Nous avons béni Vintention qui est pério-
diquement assignée à votre prière. Mais un autre motif
accroît encore Notre aff'ection envers vous, et c'est que
vous n'êtes pas seulement les apôtres de la prière, mais
d'une 'prière adressée au très Saint Cœur de Jésus;
et, partant, singulièrement propre à enflammer les âmes
d'une dévotion que l'on peut dire aujourd'hui un carac-
tère distinctif de l'Eglise, l'arche de son salut, le gage
de son futur triomphe, le fondement de toutes nos espé-
rances dans un avenir meilleur. En efi'et, d'après ce que
Jésus lui-même daigna révéler à sa servante Marguerite-
Marie Alacoque, le culte du Sacré-Cœur a été préordonné
par Dieu même à guérir la plaie capitale de la société mo-
derne, Végoïsme., cet égoïsme qui est l'idolâtrie de soi, ou
le culte de la propre sensualité et du propre orgueil; cet
égoïsme qui se substituant à Dieu et se plaçant au-dessus
de l'humanité rapporte tout à soi et usurpe tout ce qni ap-
partient aux droits de Dieu, de l'Eglise et de l'homme indi-
viduel et social; cet égoïsme enfin qui détruit tous les biens
de la vie sociale et chrétienne, en combattant à la fois la
religion et la morale, l'autorité et la loi, la propriété et la
famille.
UN DISCOURS DU PAPE 115
Or, est-il un moyen mieux fait pour le vaincre que la
puissance infinie de cette flamme d'amour qui, partant du
Cœur très aimant de Jésus, a enflammé d'un heureux embra-
sement de charité le monde entier, en infusant au cadavre
de la société païenne l'esprit d'une nouvelle vie morale et
civile? Ignem venitnittere in terram et quid volo nisi ut
accendatur? 'Mz.is la conservation des choses ne s'opère
que par leurs mêmes principes générateurs. Et comme le
principe générateur de la société chrétienne a été l'amour
de ce Cœur divin, il faut que le même amour en soit le
principe restaurateur. C'est un sentiment que Nous avons
d'autres fois déjà exprimé ; le salut désiré doit être princi-
palement le fruit d'une grande effusion de charité, de cette
charité chrétienne qui est la synthèse de l'Évangile et le
plus sûr antidote contre l'égoïsme de notre siècle. Cette
•charité a sa source dans le Cœur divin du Rédempteur, d'où
elle jaillit pour le salut du monde.
Elevez donc vers Lui , très chers fils , votre prière ,
accompagnée de la pratique des vertus chrétiennes, afin
<iue ce divin Cœur attire de nouveau à Lui une société qui,
en grande partie, a divorcé d'avec Dieu. Ayez le plus grand
soin d'en propager le culte dans vos familles et dans votre
patrie ; et puisque la vraie dévotion ne peut ni ne doit jamais
être désunie d'avec l'imitation, efforcez-vous de conformer
vos cœurs à l'exemple de celui du Sauveur, de ce Cœur
dont la vie mortelle fut une vie de sacrifice, comme l'est
aussi sa vie sacramentelle, vie qui se résume toute dans
■cette formule : rien pour lui comme homme, tout pour
nous. Eh bien ! telle doit être aussi la vie de votre cœur,
afin que chacun de vous puisse dire en toute vérité : Rien
pour moi, tout pour Jésus !
De la sorte, votre prière unie à la pratique de l'imita-
tion et soutenue par la méditation et par les mérites infinis
de Jésus-Christ, sera d'une souveraine efficacité pour apaiser
la justice divine, et obtenir de Dieu le retour de la société à
Celui qui l'a rachetée par son sang et vivifiée par son amour.
Nous aussi, Nous élevons sans cesse la voix et les mains
vers le ciel pour implorer les miséricordes divines sur le
116 ANNALES CATHOLIQUES
monde chrétien, et surtout sur cette terre chérie, si privi-
légiée de Dieu et riche en gloires immenses. On répond à
Notre amour, hélas ! par l'ingratitude et la haine ; mais
pour Nous, tout en soutenant avec constance et intrépidité
les droits de l'Eglise et du Siège Apostolique, conformément
à Nos devoirs sacrés, Nous ne cessons pas de prier, d'après
le précepte de Notre divin Maître, pour Nos ennemis qui
sont aussi les ennemis de Dieu, de la société et de la patrie.
Daigne le Seigneur, qui a fait les nations guérissables,
accueillir avec bonté nos communes prières et préparer au
monde chrétien et à l'Italie des jours meilleurs.
Cependant, comme gage des plus insignes faveurs du
ciel, nous accordons du fond du cœur la Bénédiction apos-
tolique à vous et à tous les associés du grand Apostolat de
la prière, ainsi qu'à la phalange d'élite des bons Milanais
ici présents et à vos familles. - -:.
I . .. ,.. I
LE' i>RÊTRE EST L'HOMME DE DIEU
Commenter ces paroles de saint Paul à Timottée : Tu autem, o
hoiiio Dei, hœc fuge... (Tim., vi, 11.)
I
Saint Paul avait reçu de Timotbée des renseignements dou-
loureux sur l'église d'Ephèse. Les loups dont il avait parlé
dans son discours de Milet avaient fait irruption dans la berge-
rie et au milieu du troupeau dont la garde avait été confiée à
Timothée. La saine doctrine et les bonnes mœurs étaient en
danger. Il n'en fallait pas tant pour exciter le zèle ardent de
l'apôtre. Aussi s'empressa-t-il d'écrire à Timothée pour l'aider
à combattre ces ennemis des âmes. Par la même occasion il lui
trace les règles qui doivent le guider dans le gouvernement de
son Eglise. ,.^^,\,^,, .,n(TMt,f/.> »m .-•
Le verset 11 du chapitre vi est le commencement de la péro-
raison de la fin de cette lettre; ce verset est l'exposé succinct
des principales vertus sacerdotales.' . ', ' ,,
0 toi, homme de Dieu ! peut-on indâ^inertfn'fiiils 'beau titre,
un mot qui nous indique un plus haut degré dô grandeur? Théo-
LE PRÊTRE EST l'hOMMK DE DIEU 117
doret et saint Jean Chrysostome, à propos de ce passage de saint
Paul, nous font observer que ce sont ordinairement les grands
saints qui sont appelés les hommes de Dieu; non pas que les
autres hommes ne soient pas de Dieu, mais les grands saints
conservent plus pure et plus parfaite en eux l'image du Dieu
qui les a créés. 'iviôg jin.;- :aio5ôit]
L'Ecriture appelle généralement un homme de Dieu celui qui
est son interprète, son ambassadeur, son ministre. Ainsi Elle
est appelé un homme de Dieu (IV Reg., i, 11, 14). Samuel
reçoit le même titre (1 Reg., ix, 6). Un prophète nous dit:
< L'homme de Dieu est venu de Juda à Béthel ayant dans sa
bouche les ordres du Seigneur. » (III Reg., xiii, 1). Lorsque
saint Paul dit à son disciple: 0 toi, homme de Dieu, c'est
comme s'il lui disait : Toi l'interprète des volontés de Dieu, le
ministre de sa parole; toi son prophète, le vengeur de sa gloire,
l'apôtre de la vérité, l'exemple de tes frères, le saint parmi les
saints.
L'homme de Dieu est encore le juge, le prince, le législa-
teur, qui au nom de son Maître et par la puissance divine qu'il
lui a communiquée, juge et gouverne les âmes et les conduit
dans la voie du salut (Cf. Deut., xxxiii, 1 ; II Paralip, viii, 14 ;
Act., II, 22; XVII, 31). Timothée est donc l'homme de Dieu,
comme docteur et comme directeur des fidèles. C'est comme si
saint Paul lui disait : « Souviens-toi, ô Timothée, de qui tu es et
qui tu sers ; tu es de Dieu, tu sers Dieu, tu es le coopérateur de
Dieu ». (Corn, a Lapide, Comm. in I Ep. ad Timot.). De là cet
autre motde saint Paul: « Non estis vestri » (I Cor., vi, 19).
Le prêtre ne s'appartient pas à lui-même. Sa personne, ses
talents, ses forces physiques, son temps, toute son existence
sont la propriété particulière de Jésus-Christ, et le prêtre, ser-
viteur, ministre de Jésus-Christ, ne peut disposer de rien sans
ses ordres. « Omnibus pontifex... in his quae sunt ad Deum... >
(Hebr., v, 1). Dire du prêtre qu'il est l'homme de Dieu, c'est
dire qu'il est son serviteur. Et que ce titre ne nous humilie pas.
Jésus-Christ est appelé dans l'Ecriture le serviteur de Dieu par
excellence, c Voilà mon serviteur, dit Dieu en le désignant à
tous les peuples, mon élu, dans lequel mon âme a mis toute son
aflfection ; mon Esprit est sur lui ». (Is., xlii,, 1) (Cf. Matth., xii,
où Jésus-Christ nous apprend lui-même que cette parole a été
dite de lui); et Notre-Seigneur obéit, en efifet, à Dieu son Père
comme un serviteur: « Non veni ut faciam voluntatem meam»
118 ANNALES CATHOLIQUES
sed voluntatera ejus qui misit me Patris. Quae placita sunt ei
facio semper. Pater, non mea voluntas, sed tua fiât. > Et pour
noas dire toute l'étendue de son obéissance, saint Paul emploie
ces expressions énergiques :« Exinanivit semetipsura, formam
servi accipiens, factus obediens usque ad mortem. > (Phil., ii,
7, 8). Voilà le premier, le vrai, le parfait serviteur de Dieu. Or
Dieu ne dit-il pas de chaque prêtre : < Ecce servus quem elegi ? »
Cette qualité de serviteur de Dieu est donnée, il est vrai, à
tous les fidèles; mais il y a des degrés dans ce service; il y a
ceux que les rois ont nommés ministres. Bien que placés au pre-
mier rang, ils ne cessent pas pour cela d'être de vrais servi-
teurs, ce qui doit les différencier des autres, c'est leur zèle plus
grand, leur devoir plus strictement accompli. Ainsi en est-il
par rapport à Jésus-Christ et à son Eglise. Les premiers servi-
teurs sont appelés ministres de Jésus-Christ, c Sic nos existi-
methomo ut ministres Christi. » (I Cor., iv, 1).
Une chose digne de remarque, c'est la fierté avec laquelle
saint Paul, écrivant aux Romains, les plus dédaigneux des
hommes, les plus ennemis du caractère d'esclave, commence
par s'appeler serviteur de Jésus-Christ avant de dire sa qualité
d'apôtre : < Paulus servus Jésu Christi, vocatus apostolus ^;
voilà comment il s'annonce, comment il se présente devant le
peuple romain. Il est serviteur. Il est celui dont il prêche l'Evan-
gile. Le prêtre est un homme à qui Xotre-Seigneur dit : Va, et
il va ; viens, et il vient : fais cela, et il le fait (Matth., viii, 9) ; je
ne me suis pas fait prêtre pour faire ma volonté, mais la volonté
de Celui qui m'a ap{)el6 à son service ; je ne dois pas chercher
ma gloire, mais la sienne; ce qui me convient, c'est le zèle de
sa maison. « Ad oinnia quae mittam le ibis. Ecce constitui te
ut evellas et destiuas, et œdifice.s et plantes. > (Jer., ï, 10). C'est
le même langage que tient saint Paul: « Dei agricuitura estis;
Dei aedificatio estis. » (I Cor., lu, O.j
Pour saint Paul, comme pour Jérémie, il s'agit de terre à
cultiver, de maison à édifier. L'essentiel pour le bon serviteur
est de connaître la nature du travail auquel il est appliqué. La
pensée de ce travail vous épouvante. L'homme ennemi s'est
introduit partout, et la propriété du Fils de Dieu est couverte
de ronces et d'épines qui étouffent les plantes utiles. Malheur à
l'ouvrier qui se croise les bras et qui, après 10, 20, 30 ans,
meurt sans avoir rien arraché, rien détruit, qui laisse une terre
en friche. Saint Paul nous représente encore les âmes comme
LE PRETRE EST l'hoMME DE DIEU 11^
formant par leur union un tout qu'il appelle l'édifice de Dieu.
Saint Pierre désigne les fidèles sous l'image de pierres vivantes,
destinées à la formation d'une maison spirituelle (I Petr.,ii, 5).
« Posui te ut aedifices. > Saint Paul s'attribue la qualité d'archi-
tecte (I Cor., ni, 10). Il veut que tous les dons de Dieu, toutes
les grâces répandues sur l'Eglise soient regardées comme les
matériaux destinés à la construction d'un même édifice; c'est
cet édifice qu'il appelle le corps de Jésus-Christ, d'après Notre-
Seigneur lui-même appelant son corps adorable « templura hoc. >
Sans doute le véritable architecte est Dieu (Ps. cxxvi, 1) ; mais
nous sommes « Dei adjutores. » (I Cor., m, 9.)
Nous voilà donc constructeurs, architectes, placés sous la
direction d'un chef suprême, qui seul a le droit de tracer le plan
de l'édifice. Etudier ce plan est notre premier devoir. Malheur
à nous si, sous n'importe quel prétexte, nous nous permettons
des changements, des modifications. Le plan connu, il faut cher-
cher les matériaux. Les pierres et les marbres se trouvent dans
les flancs des montagnes. Pour les en arracher il faut de la
force, du travail. Ces pierres, ce sont les âmes « lapides vivi, >
comme dit saint Pierre, Nous trouvons des difficultés, des résis-
tances ; il ne faut pas nous laisser rebuter. Elles n'attendent
que nous. Quelles précieuses pierres Jésus-Christ arracha aux
plus dures montagnes, lorsque Madeleine, la pécheresse de
Samarie, Zachée, parurent au grand jour, travaillées par les
mains du Sauveur.
TunsionibuB, pressuris
Expoliti lapides,
Suis coaptantur locis
Per manus artificis.
est-il dit dans une hymne du bréviaire; oui, voilà bien l'image
des soins, âes travaux, des fatigues que nous impose la recherche
des âmes. Maintenant, creusons la terre, préparons les fonda-
tions, arrivons au sol. Le seul, l'unique fondement, c'est Jésus-
Christ. Sur ce fondement bàlissons; édifions. Que notre édifice
monte: c Crescit in templum sanctura in Domino. » (Epi. ii, 21) ;
plaçons tous les jours de nouvelles pierres et nous arriverons
à la voûte; puis, quand le temple sera couvert, nous étudierons
l'art de l'embellir. Que l'or, l'argent, les marbres dominent ;
excluons le bois, le foin, la paille, le feu les consumerait. C'est
encore saint Paul qui nous en avertit. Tout doit tendre de notre
part à l'édification de ce temple, et c'est ce qu'explique saint
Paul dans le reste du verset.
120; ANHALKS CATHOLIQUES
. B) Fuis ces choses, c'est-à-dire fuis la cupidité des faux doc-
teurs qui s'imaginent que la piété doit leur servir à s'enrichir»
« existimantium questum esse pietatem. * Quand Notre-Seigneur
est venu sur la terre pour rendre témoignage à la vérité, il a
déclaré qu'il ne cherchait pas sa gloire, mais la gloire de celui
qui l'avait envoyé. Un des plus grands malheurs pour un prêtre
c'est de subordonner son devoir à l'estime du monde et à ses
intérêts matériels. S. Paul nous avertit que le véritable amour
de Dieu est sans ambition et qu'il ne cherche pas ses intérêts
personnels. En parlant de certains ministres de l'Evangile, il les
flétrit devant toute l'Eglise, en s'écriant : « Ils cherchent leurs
intérêts et non ceux de Jésus-Christ. » Les intérêts de la vérité
les touchent moins, en effet, que les leurs propres. De là ces
allures timides qu'ils affectent et qu'ils décorent du nom de pru-
dence, de modération, de savoir-faire; ils se taisent là oii il fau-
drait parler; ou si la position qu'ils occupent les oblige à dire
quelque chose, ils possèdent l'art de jeter un voile sur certaines
vérités, de jurer que leur éclat en fatigue les jeux des mondains.
Au confessionnal, en chaire, ils flattent, ils excusent, ils évitent
de blâmer. Ils ne voient dans leur ministère qu'un moj^en de
capter la faveur du monde. Seul le désintéressement permet au
prêtre d'assurer l'indépendance et la liberté de son ministère.
Celui-là seul qui n'attend rien des hommes n'aura en vue que
la vérité qu'il est chargé de faire connaître. Est-ce que les ca-
lomnies, la haine furieuse des chefs de la nation juive ont jamais
porté Notre-Seigneur à voiler ou à dissimuler une vérité? Est-ce
que saint Jean-Baptiste en disant à Hérode devant une femme
scandaleuse et irascible : « Non licet, » ne connaissait pas les périls
auxquels il s'exposait? Est-ce que la fureur et la rage des enne-
mis de Jésus, la prison qui s'ouvrait devant eux, les ignominies
de la flagellation, la mort dont ils étaient menacés, purent re-
froidir le zèle des Apôtres à leur sortie du Cénacle ? c Verbum
Dei non est alligatum, » s'écrie S. Paul chargé de chaînes du foûd
de son cachot. Les grands évêques, les saints prêtres ont tous été
des héros par leur courage et leur énergie devant les peuples et
les rois. Sans doute les mondains ne les ont pas aimés. Cela tient
à ce que trop de clarté les fatigue. Ce qu'ils demandent au prêtre
c'est une large complaisance qui le porte à laisser dans l'ombre
certaines vérités qui troublent leur fausse paix. De là leurs pro-
messes les plus flatteuses, leurs applaudissements hypocrites ou
bien leurs critiques améres, leurs mépris et leurs menaces, selon
LB PRÊTRE EST l'hOMME DE DIEU 121
la conduite da prêtre. € Mercenarius non est pastor. » Et le
mercenaire est celui qui, pour gagner sa vie, pour se la rendre
heureuse, agréable, tranquille, prend la conduite d'un troupeau
dans le but unique d'utiliser la laine des brebis et de se nourrir
de leur lait toujours abondant. Celui-là ne s'inquiète que pour
lui, non pour elles, du sort des brebis qui lui sont confiées.
€ Non pertinet ad eura de ovibus > : laconserration, l'existence
des brebis ne le touchent guère; pourvu qu'il reçoive le prix de
ses travaux, on le trouve toujours satisfait. Il fait assidûment
son travail matériel ; mais entendez-le parler. Si des discours
nous passons aux actes, où est le dévouement, le zèle? Le pro-
phète Ezéchiel s'écrie : Malheur aux pasteurs d'Israël qui se
paissent eux-mêmes! Ils se nourrissent du lait de mes brebis et
ils se couvrent de leur laine; ils ne travaillent pas à fortifier
celles qui sont faibles, à guérir celles qui sont malades ; ils ne
bandent pas les plaies de celles qui sont blessées; ils ne cou-
rent pas à la recherche de celles qui sont perdues; mais ils se
contentent de les dominer avec rigueur et avec empire. Aussi
nos brebis sont dispersées parce qu'elles n'ont pas de pasteurs;
elles errent en divers lieux ; elles deviennent la proie des loups.
(Ezech., xxxiv, 2 seq.) Pastor vient de pascor. Le fidèle qui
entend un prêtre lui dire : Je suis votre pasteur, doit pouvoir
lui répondre : Je le vois, car par v»as je suis nourri. Le grand,
le véritable sens du mot de pasteur est celui-ci : Un homme qui
nourrit les autres, par lequel les troupeaux sont conduits à de
gras pâturages, avec lequel ils n'ont pas à redouter de mourir
de faim.
II
A) Recherche; c'est-à-dire, comme l'explique Cornélius à
Lapide, poursuis avec le même acharnement que le chasseur qui
poursuit son gibier; poursuis la justice, etc., un acte ou deux
ne suffisent pas; il faut que tu t'acharnes à posséder et à déve-
lopper en toi et dans ceux qui te sont confiés les vertus sacer-
dotales. Ces vertus sont :
B) La justice. Saint Thomas définit la justice : une habitude
pour laquelle on accorde d'une volonté constante et perpétuelle
à chacun ce qui lui est dû (2» 2% Q. LVIII, art. 1), et 4'on com-
prend que saint Paul la place ici la première : le premier devoir
du pasteur est de veiller à rendre et à faire rendre à chacun ce
qui lui est dû, à conduire chaque fidèle selon son âge, son sexe,
122 ANNALES CATHOLÏtlUKS
son état. C'est pourquoi il doit parler aux vieillards comme à
des pères dont on n'oublie jamais l'autorité. Il y a quelquefois
chez eux de l'égoïsme et une susceptibilité qui lient ordinaire-
ment au sentiment de leur dignité, ou à la conscience de leur
faiblesse. Une parole rude les rebute; on ouvre leur âme à la
confiance par des observations respectueuses et les sollicitations
calmes de la piété filiale.
Les paroles peuvent être plus fermes à l'égard des jeunes
gens et des hommes d'un âge mûr; néanmoins que le langage
respire une douceur toute fraternelle et domine par la charité.
Les femmes et les filles avancées en âge méritent beaucoup
d'égards. Leur piété est sincère, si n'elle n'est pas toujours
éclairée ; des vertus solides se rencontrent souvent avec des
défauts de caractère. Il faut les traiter comme des mères. Quant
aux femmes et aux jeunes filles plus jeunes, saint Paul veut
qu'on se conduise avec elles en toute chasteté (v, 1, 2).
Il expose ensuite comment le prêtre doit se conduire vis-à-vis
des veuves, des prêtres, des serviteurs. Le prêtre, dit-il, doit
veiller : 1° à ce que les veuves dénuées de tout secours reçoi-
vent-l'assistance de l'Eglise; il en profite pour rappeler aux
veuves riches qu'elles doivent rendre à leurs parents l'assistance
dont ils pourraient avoir besoin (v, 3-16). 2<' A ce que les fidèles
veillent à la subsistance des prêtres; c'est un devoir de justice
imposé par Dieu lui-même. « C'est une chose bien remarquable,
dit Mgr Ginoulhiac, de voir saint Paul qui vivait ordinairement
de ses mains, qui voulait que son disciple se contentât comme
lui du nécessaire, s'occuper ainsi de pourvoir à l'honnête subsis-
tance des ministres de l'Eglise, et la mesurer sur l'importance
des devoirs de leur charge et sur leur fidélité à les remplir.
C'est que pour le commun des hommes l'absolu nécessaire ne
suffit pas ; qu'une existence gênée honore peu les ministres du
sanctuaire aux yeux des peuples, et un sage milieu, entre
l'abondance et la pauvreté, est la position la mieux propor-
tionnée à une vertu ordinaire, la condition la plus favorable
pour l'accomplissement libre et soutenue des devoirs de notre
état. » (Ep. pastor. p. 128). S» A ce que les jugements de
l'évêque sur les prêtres coupables soient équitables, 4° A ce que
les serviteurs donnent l'exemple d'une obéissance respectueuse
et prompte (vi, 1, 2). 5« Enfin, à ce que le désintéressement du
prêtre soit entier; à ce qu'aucun ne s'imagine pouvoir s'enri-
chir par sa piété.
LE PRÉTRB KST l'hOMMB DE DIEU 123
C) La piété. Il est dit de Notre-Seigneur que l'esprit de
piété est descendu sur lui; cet esprit, les Apôtres le reçurent
le iour de la Pentecôte ; cet esprit doit être celui du prêtre ; cet
esprit doit paraître dans toutes les fonctions de notre ministère :
€ Ut non, nous dit saint Paul, vituperetur ministerium nos-
trum » (Il Cor., i, 3). « Le Fils de Dieu, nous dit saint Paul, en
entrant dans le monde, dit à son Père : Vous n'avez pas agréé
les sacrifices pour l'expiation du péché ; mais vous m'avez donné
un corps. J'ai dit : me voici. Je viens pour accomplir votre
volonté, ô Dieu, selon ce qui est écrit de moi. ■> (Hebr., x, 5-7).
Dès en entrant dans le monde, le Fils de Dieu fait un acte de
piété, acte qui devient désormais persévérant. En entrant dans
le monde nouveau où l'ordination introduit le prêtre, celui-ci a
du devenir un homme de prière, « Nos vero orationi et minis-
terio verbi instantes erimus, » dit saint Pierre aux fidèles après
la descente du Saint-Esprit, plaçant ainsi la prière comme
leur premier devoir, et saint Luc remarque que cette déclara-
tion faite publiquement fut agréable à la multitude des fidèles.
Nous avons, a dit saint Bernard, trois grands devoirsà remplir:
la parole, l'exemple, la prière ; or le plus grand, le premier de
ces devoirs, c'est la prière, car c'est elle qui donne l'efficacité à
la parole et à l'exemple. Le prêtre est donc avant tout un
homme de prière. Or, voici un prêtre qui se dispose à réciter
son bréviaire. Si, en me retournant vers quelques personnes
qui ont vu le bréviaire dans ses mains, je leur disais: Voilà
Moïse qui va élever ses mains suppliantes vers le ciel pour
obtenir la victoire à l'Eglise militante; voilà Elle qui s'élève
sur le sommet de la montagne de Dieu pour ouvrir ou fermer le
ciel; voilà David qui se prosterne devant Dieu et qui s'écrie :
« Paratum cor meum, Deus ; » remplissez-le de cet esprit de
grâce que vous avez promis à ceux qui vous prient avec ferveur;
ne pensez-vous pas que certains prêtres seraient les premiers à
sourire devant ce langage qu'ils trouveraient bien solennel? Et
cependant le prêtre en disant son bréviaire fait un acte plus
sublime que Moïse, Elle et David. C'est Jésus-Christ dont il va
continuer la grande action dont parle saint Paul: « Preces sup-
plicationesque offerens. > C'est pourquoi, avant d'ouvrir le bré-
viaire, nous récitons : « Domine Jesu Christe, in unione illius
divinœ intentionis...» Il faut donc parler à Dieu, € digne, attente,
dévote. »
Que dire du prêtre pour lequel les offices publics ne sont
124 ANNALES CATHOLIQUES
qu'un lourd fardeau et un labeur insupportable? Un prêtre
pieux aime tout ce qui se rapporte à notre sainte et grave
liturgie. L'office solennel est une œuvre précieuse aux yeux du
bon prêtre; les heures qu'il lui consacre lui paraissent trop
courtes. Qu'est-ce que Dieu pense d'un prêtre qui, à l'autel,
célébrant la sainte Messe, paraît un homme ordinaire, distrait,
indifférent? Qui af/lige les âmes pieuses et scandalise ceux qui
ne croient pas? Qui à l'autel n'a d'autre souci que d'abréger un
exercice qui lui paraît toujours trop long; qui va, vient d'un
côté de l'autel à l'autre avec des yeux qui se portent sur tout,
qui est tellement précipité dans la récitation des formules, dans
les signes de croix, dans les génuflexions qu'on le dirait pour-
suivi par le feu d'un incendie qui s'approche; qui ouvre le
tabernacle, donne la sainte Communion à la façon de ces ou-
vriers qui remuent leurs instruments de travail quand le travail
les ennuie et qu'ils ont hâte de le quitter, et pour lequel la
lecture du dernier Evangile ressemble, par le ton qui l'accom-
pagne, au soupir de l'homme ennuyé qui crie: Enfin, c'est
fait ! La messe de ces prêtres a honoré Dieu quand même ; mais
leur attitude â l'autel et leur conduite après la messe, ne
ressemblent-elies pas à un mépris insultant pour lui ? Le prêtre
qui monte à l'autel avec une grande idée de l'action qu'il va
faire, agit avec piété.
D) La foi. Justus ex fide vivit (Rom., i, 17). Il n'y a de
véritable justice devant Dieu que par la foi. Or, si la foi est le
principe de la vie pour les simples fidèles, le principe générateur
de toutes les vertus qui constituent la vraie justice, que penser
de la vie du prêtre?
Il est à l'autel, il va parler le langage de la foi, il va voir
s'accomplir sous ses yeux, dans ses mains, les plus sublimes
mystères de la foi chrétienne; que va-t-il devenir si son âme
n'est pas toute pénétrée des vérités que cette foi lui enseigne?
Il est en chaire, au confessionnal, auprès des malades; si la foi
ne l'anime pas, n'est-il pas à craindre que ces actions divines
qui lui sont confiées ne deviennent pour lui un épouvantable
jugement? comme le dit saint Paul. Non, Seigneur, nous ne
voulons pas être de ces infortunés, et comme vos premiers
Apôtres, nous demandons une grande augmentation de foi.
€ Domine, adauge nobis fidem. » (Luc, xvii, 5.)
E) La charité. L'amour de Dieu se révèle par des actes per-
pétuels de soumission à la volonté de Diou. Celui-là seul aime
LB PRÊTRE EST l'hOMMK DE DIEU 125
Dieu de tout son cœur qui en toutes choses s'applique à ne
faire que ce que Dieu veut qu'il fasse; de là, cette disposition
de l'âme à voir nous échapper un à un tous les objets de notre
tendresse, non pas sans en souffrir, non pas sans en avoir le
-cœur déchiré, broyé, anéanti, mais avec une entière résignation
B la volonté de Dieu. « Vous êtes bien fier de votre serviteur
Job, dit un jour Satan à Dieu, crovez-vous que c'est parce qu'il
vous aime qu'il vous est si dévoué? Ne croyez-vous que c'est
parce qu'il y trouve son avantage? Étendez la main sur lui,
frappez-le dans ce qu'il a de plus cher, et vous verrez s'il
continuera de vous bénir. — Tout ce que mon serviteur Job pos-
sède, répondit Dieu à Satan, est à toi; je t'abandonne tout, tu
peux tout lui prendre. > Or, un jour que les enfants de Job
étaient réunis dans un festin chez leur frère aîné, tout à coup
un serviteur accourut vers Job: « Maître, des Sabéens ont
envahi vos prés, ils se sont emparés de vos bœufs, de vos ânes,
ils ont tué vos serviteurs; seul, j'ai été épargné. » Il parlait
encore qu'un autre accourt: « Le feu du ciel a consumé vos
brebis et leurs bergers; seul, j'ai été préservé. » Il n'avait pas
achevé qu'un troisième arrivait: «Des Chaldéens, après avoir
égorgé leurs gardiens, se sont emparés de vos troupeaux; j'ac-
cours vous en prévenir. » « Vos fils et vos filles, s'écrie un
dernier arrivant, mangeaient et buvaient avec leur fiére aîné,
lorsqu'un vent violent s'est élevé, a ébranlé la maison jusque
dans ses fondations. En ce moment, vos enfants sont ensevelis
sous les décombres. » Job se leva, déchira ses vêtements, coupa
ses cheveux, s'abattit la face contre terre, comme un homme
accablé;. puis levant les yeux vers Dieu: « Seigneur..., vous
m'avez tout donné..., vous me l'otez..., qu'il soit fait... selon
votre volonté... Que votre saint nom soit béni! » Voilà un
homme qui aimait Dieu de tout son cœur.
• Le /îat de la très sainte Vierge, au jour de son Annonciation,
est du même ordre.
- On demandait à saint François de Sales: « Qu'est-ce que vous
aimeriez mieux, ou vivre en bonne santé ou passer le reste de
votre vie paralysé sur un lit? — Je n'aime ni l'un ni l'autre,
répondit le .saint, je suis indifi"érent; je ne veux en l'an comme
en l'autre que le bon plaisir de Dieu. En santé, je le servirai
agissant; malade, je le servirai en souffrant. C'est à lui de
choisir ce qu'il aimera le mieux. Des deux côtés, je fais sa
volonté. Cela me suffit. » Voilà un homme qui aimait Dieu de
tout son cœur.
126 ANNALES CATHOLIQUES
Aimer Dieu de tout son cœur n'est donc pas une affaire de
sentiment, mais une affaire de volonté. Ce ne sont pas ceux qui
disent : Seigneur! Seigneur ! qui entreront dans le royaume des
cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père. C'est ainsi
que je l'aime moi-même. Ma nourriture sur la terre a été de
faire la volonté de mon Père. Aussi saint François de Sales
a-t-il pu définir la perfection : ne rien demander, ne rien
refuser, user de tout sans affection et sans scrupule, avec
liberté et détachement.
Aimer Dieu de toute son dme c'est mettre tout en œuvre pour
lui gaener des âmes, en le faisant aimer. Ce n'est donc pas assez
de donner le bon exemple, il faut avoir une vertu aimable,
attrayante. Saint François de Sales aimait à raconter que Saint
Charles Borromée, l'esprit le plus exact, disait-il, le plus raide,
le plus austère qui se puisse imaginer, qui ne buvait que de l'eau
et qui ne mangeait que du pain, ne faisait aucune difficulté
d'aller manger avec les Suisses ses voisins. Il allait jusqu'à trin-
quer et à porter des santés à chaque repas, outre ce qu'il avait
bu pour sa soif, afin de les gagner à mieux faire.
On raconte de sainte Chantai, que lorsque son mari fut mort^
elle vint tenir la maison de son beau-père. Elle y trouva une
servante qui était maîtresse absolue, à ce point qu'elle, Mme de
Chantai, n'eut pas le droit, pendant sept ans, de dépenser une
obole dans cette maison. Or il n'y eut de démarches, de sacri-
fices qu'elle ne s'imposât dans l'espérance de ramener cette
femme à Dieu. Elle en vint à ce degré d'héroïsme de soigner les
enfants de cette servante comme les siens propres, se donnant la
peine non seulement de les instruire, mais de les habiller, net-
toyant leurs vêtements, leur rendant de ses mains les soins les
plus abjects. Dans les commencements, elle avoua que tout son
sang se révoltait ; peu à peu elle étouft'a le cri de la nature et
n'opposa jamais qu'un cœur doux et un visage gracieux, en sou-
venir de Notre Seigneur au milieu des foules qu'il guérissait,
qu'il accueillait avec un visage aimable, pour mieux les évan-
géliser. Voilà des âmes chrétiennes qui aimaient Dieu de toute
leur âme; rien ne leur coûtait pour rendre la vertu aimable.
A imerDieu de tout son esprit , c'est s'appliquer à le mieux con-
naître, c'est par conséquent éviter les conversations et les lec-
tures qui peuvent obscurcir dans notre esprit la vérité chré-
tienne. Saint Paul ne se glorifiait que d'une chose, connaître
Jésus-Christ tel qu'il est, non un Christ de fantaisie, mais le
LE PRÊTRE EST L'hOMME DE DIEU 12f7
Christ vraiment Dieu et vraiment homme. Les ouvrages dignes
d'un prêtre sont ceux dont on peut dire, comme Bossuet l'a dit
des ouvrages de sainte Thérèse, qui commencent par Jésus, qui
finissent par Jésus, et oii l'auteur ne se trouve jamais lui-même.
Aimer Dieu de toutes ses forces, c'est s'intéresser aux œuvres
d'apostolat, aux œuvres de zélé, encouragées par l'Eglise et
nécessitées par les besoins des temps. Si l'on ne peut y prendre
qu'une faible part pécuniaire ou personnelle, on doit les encou-
rager de ses vœux, pour qu'il bénisse les efforts de ceux qui les
fondent et les organisent, et se réjouir des heureux résultats
qu'elles obtiennent. « Ego diligentes me diligo. » Pour nous
encourager à aimer ainsi Dieu, rappelons-nous qu'il ne nous
aime que dans la mesure oii nous l'aimons.
L'amour du prêtre envers le prochain. Il y a dans le lan-
gage ecclésiastique un mot qui revient souvent sur nos lèvres,
que les Apôtres ont recueilli sur les lèvres mêmes de Notre-
Seigneur, mot destiné à réveiller dans les âmes l'espérance. Ce
mot, est celui de pasteur, ce mot Notre-Seigneur se l'est appli-
qué le premier. Il nous l'a transmis. Ce mot indique au prêtre
comment il doit aimer tous ceux de son troupeau; riches et pau-
vres, bons et mauvais, fidèles et infidèles, saints et pécheurs.
Or, à quel signe Notre-Seigneur reconnaît-il le bon pasteur?
1° à ce qu'il connaît ses brebis et ses brebis le connaissent; 2<^ à
ce que les brebis suivent leur pasteur partout oii il va. Le Pas-
teur traite chacun comme il convient ; de là la confiance que
tous lui témoignent, « sciunt vocem ejus. »
F) La patience. Saint Thomas après saint Augustin (Lib. de
Patientià, cap. I), après saint Grégoire (Hom. XXXV in Ev.),
nous dit que la patience est une vertu qui nous protège contre
la tristesse et contre la mauvaise humeur que nous ressentons
à la suite des crimes, des maux qui nous viennent de nos sem-
blables et des contrariétés de la vie (2* 2», Q. CXXXVI, art. 1).
« La tristesse du siècle, dit saint Paul, produit la mort. >
(II Cor., VII, 10). « La tristesse en a tué une multitude, ellejn'est
utile à rien. > (Eccli., xxx, 25). La patience est donc une des
vertus les plus utiles au prêtre, parce que personne plus que lui
n'est exposé au découragement. Mais la patience ne vient que
de Dieu (Ps. lxi, 6). Pour s'j^ exciter, on peut considérer la
patience de Dieu qui tolère les pécheurs (Eccl., v, 4), celle de
Jésus-Christ (Rom., i), celle des Saints ; les fruits quon retire
de cette vertu, les inconvénients du vice contraire. D'ailleurs,
128 A.NNAI.B8 CATHOLIQUBa
comme le dit saint Paul, la charité est patiente (I Cor., xiii, 4).
Un prêtre qui a la charité, est patient.
G) La mansuétude. La mansuétude règle la colère, comme la
patience modère la tristesse.
P. -G. MOREA-U,
vicaire général honoraire de Langres.
LA PETITE EGLISE
Le schisme de la Petite Eglise va-t-il eofin disparaître? La
lettre de S. S. Léon XIII achèvera-t-elle de subjuguer les der-
niers tenants delà secte anti-concordataire? Il faut l'espérer.
Chaque année, la mort décime les rangs des adeptes; les vieil-
lards emportent avec eux dans la tombe l'obstination et le fana-
tisme qui les lièrent trop longtemps à l'erreur. Mieux aifranchis
despiéjugés qui déçurent leurs pères, les jeunes gens se tour-
nent plus volontiers vers Rome. Tout en gardant avec un soin
jaloux le patrimoine des vertus domestiques et les traditions
d'honneur que leur léguèrent des aïeux égarés, puissent-ils
rompre bientôt les derniers liens qui les attachent au schisme
et obéir joyeusement à la voix du Père vénéré qui leur adresse
un si tendre appel !
Au nombre des évêques qui dans la seconde moitié de ce
siècle s'employèrent avec le plus d'ardeur à la conversion des
schismatiques, il faut compter l'illustre cardinal Pie. Vers 1850,
le Poitou comptait encore plusieurs milliers d'anti-concorda-
taires, dont la majeure partie habitait la paroisse rurale de
Courlay (Deux-Sèvres). Dés le 15 octobre 1851, deux années à
peine après son intronisation, Mgr Pie envoyait aux « dissidents
de la Petite Eglise » une lettre pastorale (1) oii, se faisant l'écho
du Saint-Siège, il rappelait à ses diocésains infidèles les pres-
santes sollicitations de Léon XII (2) et de Grégoire XVI. c Où
sont aujourd'hui vos prêtres? s'écriait, avec l'accent d'un doux
reproche, l'éminent prélat. Vous êtes un corps sans tête et par
conséquent sans via... Où nous a raconté, — et nous le répétons
. -ijiiq /,i ■-..M/. .;iiy!MH;;..'Uiu';-.- u;; ••- ,/.'« '.on
(1) Voir Œuvres complètes, éditées par Oudin, 5"* édition, t. I,
pages 38.5-417. "'
(2) « Ad Gallog illos dissidentes, prsesertim diœcesia Pictaviensia
qui vulgo anti-concordatiatce appellanturExhortatio. a Die 2 julii 1826.
LA PETITE ÉOLISB 129
avec confusion, — que parmi voua, ce sont, non seulement de
simples laïques, mais le plus souvent des femmes qui font les
fonctions de ministre sacré. > Rien de plus exact. L'hiérophante
de la Petite Eglise poitevine appartenait au sexe féminin.
Mlle Tessier — c'était son nom — descendait de l'un de ces
intrépides frères Tessier qui comptèrent parmi les héros de la
guerre de Vendée. En quoi consistait et consiste encore le culte?
Dans la récitation du chapelet et dans quelques prières dites en
commun. Point de confession ni de communion, bien entendu.
Quant au sacrement de mariage, voici de quelle manière les
dissidents prétendaient v suppléer, en 1850. Un vieux prêtre
anticoncordataire habitait alors Toulouse. Les schismatiques
aisés faisaient le voyage et allaient demander la bénédiction
nuptiale au rebelle. Mais les pauvres se contentaient d'une cé-
rémonie sommaire : à la date fixée, les futurs époux se rendaient
chez l'une des vestales de la secte. Celle-ci avait reçu, quelques
jours auparavant, un anneau bénit par le prêtre toulousain. Dès
que l'heure convenue avec cet ecclésiastique interdit sonnait,
les fiancés, à genoux, échangeaient l'anneau, et l'abbé X... pro-
nonçait, à quatre-vingts lieues de la grange oii s'accomplissait
ce rite sacrilège, les paroles de la bénédiction. Un certain
nombre de chapelets tenaient lieu de messe et le mariage pas-
sait pour valide et régulièrement contracté.
Deux années plus tard, le 21 novembre 1853, Mgr Pie se
croyait obligé d'adresser aux dissidents une deuxième lettre
pastorale. Intervention trop justifiée. Si à la suite du premier
avertissement épiscopal, plusieurs familles, dociles à la voix de
l'évêque, avaient abjuré l'erreur, chez d'autres, le schisme
venait de recevoir un stimulant inattendu. Après avoir tenu
conseil pour aviser aux moyens d'entretenir la révolte, Courlay,
€ la Rome de la dissidence », avait réussi à se procurer le con-
cours et l'assistance d'un prêtre indigne. Né vers le commence-
ment de ce siècle dans un diocèse voisin de Poitiers et chassé du
petit séminaire pour les causes les plus graves, cet homme était
parvenu à se faire ordonner à Nevers par un évêque parfaite-
ment orthodoxe et concordataire. Revenu dans son pays natal,
après avoir exercé dans trois paroisses difi'érentes les fonctions
de vicaire, il avait prévenu l'éclat d'une sentence canonique en
demandant son exeat... L'archevêque de Reims l'accueillit,
mais pour peu de temps. L'autorité diocésaine dut bientôt lu^
retirer tous les pouYoirs. Sur ces entrefaites, l'abbé X... apprend
10
130 ANNALES CATHOL,IQUES
qu'au fond de la Basse-Normandie, un prêtre concordataire, non
moins mal noté que lui, a fructueusement simulé et exploité le
rôle d'un prêtre dissident. Il sait que ce vieillard déshonoré a
déjà un pied dans la tombe, et sur-le-champ l'idée lui vient de
recueillir l'héritage infâme de son ministère auprès des âmes
crédules de la Petite Eglise.
« Il s'achemine, raconte Mgr Pie, vers cette demeure de
l'apostasie abhoi'rée de tous les gens de bien. Là une rencontre
inattendue lui est réservée... deux des prêtresses dissidentes de
notre diocèse, les Sœurs de Courlay et de Cirières, arrivent du
Bocage poitevin, amenant au prix de grandes fatigues et de
grandes dépenses une vingtaine de pauvres enfants préparés
par elles à la première communion. Le vieux prêtre, peu jaloux,
ce semble, de conserver son auxiliaire, se hâte de mettre à leur
disposition cet autre lui-même, qu'il est prêt à leur céder. L'oft're
est acceptée, et encore bien que les messagères ne fussent pas
chargées des pleins pouvoirs de V assemblée^ le prêtre vagabond,
dont la maison normande paraît déjà fatiguée, arrive tout à
coup à Courlay, où son admission est décidée. » Quatorze jours
durant, le soleil ne se lève sur cette contrée si longtemps bénie
du ciel, que pour éclairer de nouveaux sacrilèges. Des voitures
arrivent chaque matin et repartent le soir, amenant, recondui-
sant les victimes de l'apostasie de ce maître fourbe. Commencée
deux jours avant la fête de l'Assomption, cette série de céré-
monies se termine le jour de la saint Louis, au milieu du con-
cours de tous les dissidents du Poitou. Une première fois, les
tribunaux condamnent le mauvais prêtre pour usurpation de
pouvoir, mais il revient au mois d'octobre suivant au hameau
de la Planisiére (commune de Courlaj^) oii il reprend la trame
de ses honteuses manœuvres. Un ordre de la police l'oblige enfin
à s'éloigner pour de bon le 20 octobre.
La deuxième lettre pastorale de Mgr Pie, en portant ces faits
à la connaisance des schismatiques, produisit la meilleure im-
pression. De nombreuses conversions s'opérèrent. Quinze ans
plus tard, le 23 septembre 1868, l'évêque de Poitiers écrivait
ce qui suit sur le registre de ses actes :
« Il a été écrit dans le Psaume : < Faites des vœux et rendez
« vos vœux au Seigneur. » En l'année de Notre-Seigneur 1853,
jour de la fête de l'Immaculée-Conception, célébrant une so-
lennité expiatoire dans l'église pai^oissiale de Saint-Remj
de Courlay, nous avons fait publiquement le vœu d'ériger
LA PETITE lÎGLlSE 131
à Marie un autel en cette église le jour où la majeure partie
des habitants serait revenue du schisme des anticoncordataires
à l'unité de l'Eglise. Or ayant appris que depuis quelque temps
le nombre des catholiques l'emporte sur celui des dissidents,
nous, évèque de Poitiers, aujourd'hui 23 septembre 1868, avons
dédié et consacré un .lutel de pierre portant une statue de Ma-
rie, offerte par nous à cette paroisse, et nous y avons fait au
peuple une courte allocution. »
A l'heure actuelle, la secte, très amoindrie à Courlay et à
Ciriéres, a cessé de se livrer aux belliqueuses manœuvres que
dénonçait Mgr Pie et voit tous les ans s'écarter d'elle les fa-
milles jadis les plus éprises de l'erreur. La Lettre pastorale de
Léon XIII achèvera de ramener ces pauvres gens à la vraie
foi. La Basse-Normandie comptait naguère encore plusieurs
familles anticoncordataires. Il n'en reste plus que deux ou trois,
dont l'une habite encore la petite paroisse de Sainte-Cécile, près
Vi'.ledieu-les-Poëles. Les familles rentrées dans le giron de
l'Eglise comptent aujourd'hui parmi les plus chrétiennes du
pays.
Dans l'arrondissement de Charolles, en Saône-et-Loire, les
adeptes sont disséminés un peu partout, mais plus particuliè-
rement dans les cantons de Chauffailles et de Paray-le-Monial.
Le jour de la Fête-Dieu, ils se réunissent sur un monticule
appelé la Corne d'Artus, situé dans la commune de Beaubery.
canton de Saint-Bonnet-de-Joux. Le chant des cantiques et la
psalmodie constituent toute leur liturgie. Dans le Lot-et-Ga-
ronne, les < Illuminés > — c'est le nom des anticoncordataires
— habitent au nombre d'une trentaine le hameau du Bachelier,
commune de Gcntaud, arrondissement de Marmande. Une vieille
demoiselle, Mlle Conin, était leur prêtresse dans ces derniers
temps. Citons enfin les Béguins de Saint-Etienne qui se ratta-
chent également à la Petite Eglise. C'est à Saint-Jean-Bonne-
fonds qu'on les trouve. Toutes ces chapelles ne sont plus fré-
quentées que par une poignée de fidèles : dans trois ou quatre
ans, il en sera des « dissidents > comme des jansénistes. La
mort anéantira les derniers adeptes. Depuis de longues années
ces malheureuses sectes ne font plus de prosélytes. Les fils ré-
pudient eux-mêmes les erreurs de leurs aïeux et, sortant de
leurs granges, reviennent s'asseoir avec allégresse autour de la
table du Père.
[Monde.) Oscar Havard.
132 ANNALES CATHOLIQUES
NECROLOGIES EPISCOPALES
ÉVÉQUES FRANÇAIS DÉCÉDÉS DURANT LE DIX-NEUVIEME SlÈCLB
DE 1800 A 1893 (1)
(Suite. — Voir les numéros du 16 janvier 1892 au 7 Octobre 1893.)
Année 1821 {Suite).
26 octobre. — Mgr Camille-Louis-Apollinaire de Polignac,
évêque de Meaux. La famille de Polignac, originaire du Velaj^
une des plus anciennes maisons d'Auvergne, tire son nom de
l'ancien château de Polignac situé à deux lieues au nord-
ouest du Puj, sur une grande et vaste roche qui était coji sacrée
à Apollon dont on voit encore une tête toute couverte de rayons,
laquelle, dit-on, rendait autrefois des oracles. L'empereur
Claude, né à Lyon, au rapport de l'écrivain Janus Graterus qui
mourut en 1627, vint consulter cet oracle l'an 51 de Jésus-
Christ. Prohahile est Claudium Cœsarem Lugduni natwm, in
Castro Apollianico, sortito nomine, ut fertw, ab Apolline in
provincia Velaunia,vulgariterYEL\Y, in confiniis Arvernorum
sita, profectum Oraculi Apollinis consulendi gratia. C'est de
ce vieux château que sont sortis depuis les ApoUinaires dont le
nom a été converti en celui de Polignac d'oii sont venus ceux
qui portent ce nom. Sidoine Apollinaire parle du château de Po-
lignac comme de sa maison paternelle. (Liv. IV. Epit. 6). Son
bisaïeul du nom d'Apollinaire, descendu d'une ancienne famille
patricienne qui avait donné des sénateurs à la ville de Rome, fut
préfet du prétoire des Gaules et intendant de la justice. Le fils
de celui-ci eut les mêmes dignités et fut le premier de sa race
qui eut le bonheur d'embrasser le christianisme, qu'il laissa à sa
postérité avec les mêmes dignités séculières. Son fiils, père de
Sidoine Apollinaire, les exerça avec honneur sous les empereurs
Honorius et Valentinien-Sidoine, qui avait épousé Papianille,
fille de l'empereur Avitus, ayant été, après la mort de sa femme,
élu évêque de Clermont en Auvergne, l'an 472, laissa pour fils
Apollinaire qui fut lieutenant général des armées d'Alaric roi
des Yisigoths,et qui fut père d'Arcade lequel fit la branche des
anciens comtes d'Auvergne. L'on ajoute que dès que l'évêque
de Clermont eut été promu à l'épiscopat, il fit élire Apollinaire
(l) Reproduction et traduction interdites.
NÉCROLOGIES KPISCOPALBS 133
son frère, vicomte de Velay, qui était alors un pays uni à l'Au-
vergne, dignité qui le rendait comme lieutenant du comte en ces
quartiers-là, et que c'est de lui que descendent les vicomtes du
pays de Velay ou de Polignac, qui subsistent encore aujourd'hui.
Ces vicomtes dont le premier mentionné, Hériman,vivaiten 870,
ont eu longtemps toutes les marques de souveraineté, comme
de iaire ^'attre monnaie à leur coin, de faire grâce aux criminels,
d'impos'' . des tailles dans leurs terres, de déclarer la guerre, etc.
François i", roi de France, se trouvant au château de Polignac
en 1533, (t entendant parler des privilèges dont avait joui autre-
fois les seigneurs de ce nom, et du titre qu'on leur donnait alors,
dit qu'il n'en était pas surpris après la magnificence avec la-
quelle il y avait été reçu avec toute sa cour.
Parmi les membres de cette famille qui furent très nombreux,
nous nous contenterons de citer les suivants :
Gaspard-Armand, vicomte de Polignac, marquis de Chalençon,
baron de Randon, gouverneur d'Auvergne et du Velay, cheva-
lier des ordres du roi en 1633. Il avait épousé Anne de Tournon,
dont il eut quatre enfants : Louis-Armand; Melchior, abbé de
Montebourg, mort en 1699, à quatre-vingt-huit ans ; Philiberte,
mariée avec le comte de Beaufremont; et Isabelle, mariée en
premières noces avec le seigneur des Duniéres, et on secondes
noces avec le marquis de Caylus.
Louis-Armand de Polignac, fils aîné du précédent, fut gou-
verneur du Puy-en- Velay, et mourut en 1692. Il se maria trois
fois, en 1638, avec Suzanne des Serpens, fille du baron de Gon-
dras; en 1648, avec Isabelle de la Baume, fille du comte de Mon-
trevel, et enfin avec Jacqueline de Beauvoir, fille du comte du
Roure. De son premier mariage, il eut Antoinette de Polignac,
morte carmélite à Paris en 1690; du second, Jean et Isabelle
morts jeunes; et du troisième, Sidoine-ApoUinaire-Gaspard-
Scipion de Polignac, et Melchior de Polignac, né en 1661, abbé
de Bonport, de Mouzon, de Bégard,de Corbie, d'Anchin, ambas-
sadeur en Pologne, et plénipotentiaire de Louis XIV, pour le
traité de paix à Utrecht, auditeur de Rote, créé le 30 jan-
vier 1713, cardinal du titre de Sainte-Marie des Anges, par le
pape Clément XI, à la demande de Jacques III, roi d'Angleterre,
maître de chapelle du Roi, Grand-Maître de Tordre du Saint-
Esprit, académicien, auteur de Mémoires, Harangues et Lettres
et du poème V Anti-Lucrèce, qu'il composa en Hollande, à la
suite d'un entretien avec le sceptique Bayle, et qui inspiré par
134 ANNALKS CATHOLIQUES
la religion et l'amonr de la vertu est écrit en vers latins, arche-
vêque d'Auch (1725-1741), et mort à Paris.
Sidoine-ApoUinaire-Gaspard-Scipion, marquis de Polignac,
fils du précédent, épousa, en 1686, Marie de Rambures, fille
d'honneur de la Dauphine, et en 1709, Françoise de Mailly, fille
du comte de ce nom, dont il eut plusieurs enfants, un du pre-
mier lit et trois du second.
La duchesse de Polignac, née Polastron, femme du duc Jules
de Polignac, fut intime avec la reine Marie-Antoinette, qui la
fit gouvernante des Enfants de France, la duchesse émigra et
mourut à Vienne en 1793, à 44 ans. Le duc Jules, son mari, fut
père d'Armand et Jules de Polignac qui furent impliqués dans
la conjuration de Pichegru et de Georges Cadoudal et qui res-
tèrent incarcérés jusqu'à la Restauration.
Le comte Jules, connu sous le nom de prince de Polignac,
parce qu'il avait reçu du Pape le titre de prince romain, né à
Paris en 1780, mort le 29 mars 1847, emmené en émigration en
Angleterre dés 1789, fut placé fort jeune auprès du comte d'Ar-
tois (Charles X), qui le nomma son aide-de-camp, revint jeune
en France en 1804, et après sa condamnation à deux ans de
jirison pour l'affaire du complot, il tenta par un généreux dé-
vouement de sauver son frère Armand, impliqué comme lui
dans cette aff'aire, qui avait été condamné à mort et ne dut son
salut qu'à l'intercession de l'impératrice Joséphine; fut détenu
par mesure de sûreté après l'expiration de sa peine, s'évada à
la fin de 1813, et alla rejoindre à Vesoul le comte d'Artois, dont
il reçut les instructions, pénétra un des premiers dans Paris et
y arbora le drapeau blanc dès le 31 mars 1814; il remplit di-
verses missions dans l'intérêt des Bourbons, fut nommé pair en
1816, et résida depuis 1823, à Londres, comme ambassadeur, il
fut appelé par Charles X au ministère, le 8 août 1829 et reçut
le portefeuille des Aftaires-Etrangères avec la présidence du
Conseil; il se vit accueillir par un sentiment général de dé-
fiance, et ne tarda pas à justifier toutes les craintes en signant
le 25 juillet 1830 les funestes ordonnances qui amenèrent la
chute de Charles X et de la monarchie aînée des Bourbons.
Après le triomphe de la Révolution, il tenta de s'échapper, fut
reconnu à Granville, transféré à Paris et traduit devant la
Cour des pairs qui la condamna à une prison perpétuelle. Dé-
tenu au fort de Ham, il fut gracié en 1836, passa en Angleterre,
obtint de rentrer en France et finit ses jours tranquillement à
NÉCROLOGIES ÉPISCOPALBS 135
Saint-Germain-en-Laye, en 1847. Son frère aîné, le duc Ar-
mand, né en 1771, mort aussi en 1847, avait été nommé aide-
de-caiiip du coirite d'Artois, et entra à la Chambre des pairs en
1817, à la mort de son père.
Jules-Armand-Jean^Melchior, prince de Polignac, chef actuel
de la maison de ce nom, est le fils aîné du prince président du
conseil de Charles X et de sa première femme, miss Barbara
Campbell. Il succéda à son père dans sa dignité de prince en
1847. Il habita Wildthurn, en Bavière, et avait rang de capi-
taine dans l'armée bavaroise. Marié en 1842, à la fille du mar-
quis de Crillon, il eut quatre enfants dont l'aîné est Armand-
Héraclion-Marie, né le 14 juin 1843.
Les autres frères du duc Jules-Armand, nés du second ma-
riage du prince Jules avec Marie-Charlotte Parkim, sont :
Alphonse-Armand-Charles-Marie, ré en 1826, élève de l'école
polytechnique,, capitaine d'artillerie en 1856, épousa, en 1860,
Mlle Mirés et mourut en 1863 ; — Camille-Armand-Jules-
Marie, né en 1832, élève du collège Stanislas et lauréat du
concours général, fit la guerre de Crimée comme engagé vo-
lontaire , en revint avec le grade d'officier de chasseurs,
donna sa démission, partit pour le Nicaragua, prit parti pour
le Sud lors de la guerre civile aux Etats-Unis, fut attaché à
l'état-major de Beauregard et nommé brigadier général en
Louisiane où il servait encore en 1864 ; — le comte Camille-
Henri-Melchior, mort en 1855; — Héraclius-Auguste-Gabriel,
oncle du prince actuel, naquit en 1788, fut général de brigade
en 1846, s'était marié en 1816 à la comtesse Betsy, née Petit
de Veyrière, dont il eut deux fils, Jules-Alexandre-Constan-
tin, né en 1817 et Alexandre-Louis-Charles, né en 1821, mort
en 1858.
L'évêque Camille-Louis-Apollinaire de Polignac, né à Paris
le 31 août 1745, était fils de François-Camille de Polignac, mar-
quis de Montpipeau, et de Marie-Louise de la Garde, fille
unique du président de ce nom, et cousin germain de Jules de
Polignac dont la femme, Yolande de Polastron, que nous avons
citée plus haut, était gouvernante des enfants de France. Il
était l'un des sept vicaires-généraux de Mgr Champion de Cicé,
évêque d'Auxerre, lorsqu'il fut nommé, le 28 février 1779,
évêque de Meaux pour remplacer Mgr Jean-Louis Marthonic
de Caussade, décédé le 16 du morne mois. Il fut sacré le 8 août
de la même année, fit son entrée à Meaux le 10 septembre,
136 ANNALES CATHOLIQUES
partit du courent des Trinitaires hors de la porte de Saint-
Denis, et se rendit à pied à la cathédrale. Le comte de Long-
périer Grimoard, dans sa Notice héraldique, sigillographique
et numismatique sur les évêques de Meaux, raconte en détail
la réception faite au nouvel évêque qui prit possession au Cha-
pitre le 11 septembre, lé 13 à la cathédrale oii il fut harangué
en latin par le doyen Pidoux, et où une messe du Saint-Esprit
fut chantée en musique.
Peu de temps après, en février 1780, il était nommé premier
aumônier de la reine. La première visite du prélat fut pour les
pauvres malades de l'Hôtel-Dieu et les vieillards qu'il voulut
servir lui-même. Le 2 mars 1781, il bénit solennellement l'église
de Crécy, en présence du duc dePenthiévre qui avait contribué
à sa reconstruction, et fut nommé chanoine d'honneur de la col-
légiale de Saint-Georges. En 1781, il publia un Mandement
pour réduire le nombre des fêtes. L'année suivante, il appela
le P. do Beauregard, célèbre prédicateur jésuite, pour donner
la retraite ecclésiastiques à ses prêtres.
En 1788, il établit l'usage de faire prêcher la retraite ecclé-
siastique par les prêtres qui en suivent les exercices. La crise
révolutionnaire approchait, et un schisme déplorable allait
désoler l'Eglise de France. L'Assemblée constituante décréta,
le 3 novembre 1789, que les biens du clergé seraient mis à la
disposition de la nation.
Le 13 février 1790, elle supprima tous les Ordres monastiques.
Le 12 juillet suivant, elle décréta la constitution civile du
clergé, à laquelle Louis XVI fut contraint de donner sa sanction
le 24 août. Un décret du 27 novembre obligeait tous les ecclé-
siastiques à prêter le serment à la Constitution. On sait quelle
fut la noble conduite de l'épiscopat français dans ces tristes
circonstances. Dès le 30 octobre 1790, trente évêques qui fai-
saient partie de l'Assemblée publièrent une savante exposition
sur la constitution civile du clergé. Cette protestation fut signée
par 119 évêques, entre autres par l'évêque de Meaux. Sur
135 évêques que l'on comptait alors en France, quatre seulement
se soumirent à ce serment exigé par la Constitution : ceux
d'Autun, d'Orléans, de Viviers, et le cardinal Loménie de
Brienne, archevêque de Sens.
Le 29 décembre 1790, les administrateurs dû district de
Meaux se présentèrent à l'évêché, invitant l'évêque à procéder
à la nouvelle organisation de son clergé; mais, dans une lettre
NÉCROLOGIES ÉPISCOPALES 137
du 11 janvier 1791, Mgr de Polignac se refusait au serment
demandé. Le 20 février, il écrivit aux électeurs de Seine-et-
Marne, convoqués pour élire un évêque, s'efforçant de les
détourner de leur entreprise criminelle; et, le 2 avril, il déclare
que l'élection de Thuin est nulle, sa consécration par l'évêque
de Ljdda, illicite et sacrilège, défendant à l'intrus d'exercer
dans le diocèse de Meaux aucune fonction épiscopale ; et aux
fidèles, de communiquer avec lui. Le 26 mai, il promulgua le
Bref de Pie VI, donné à Rome le 13 avril précédent, au sujet de
la mise à exécution de la constitution civile du clergé.
Premier aumônier de la reine Marie-Antoinette, Mgr de Po-
lignac avait à redouter les effets do l'orage révolutionnaire, et
il prit le chemin de l'exil après avoir laissé des pouvoirs de
grand-vicaire à M. Bonnet de Châteaurenaud, son vicaire général
et plus tard celui de Mgr de Barrai, lequel administra le diocèse
avec sagesse durant l'absence du prélat, et mourut doyen du
Chapitre de Meaux en 1812. Mgr de Polignac se retira d'abord
en Suisse, puis à Presbourg en Hongrie, d'oii il envoj'a la dé-
mission de son siège, le 2 novembre 1801, à Pie VII qui la lui
avait demandée, et d'oii il écrivit à ses diocésains quelques jours
après, le 10 novembre, une touchante lettre pour leur annoncer
sa détermination. Il eut pour compagnon de son exil M. Boulay,
son autre grand vicaire, docteur en Sorbonne et archidiacre de
Brie.
Mgr de Polignac ne revint en France qu'à la Restauration en
1814, et se fixa à Paris oii il vécut dans la retraite. Il était cha-
noine du premier ordre du chapitre de Saint-Denis. Depuis long-
temps ce prélat était dans un état d'infirmités qui ne lui permet-
tait pas de sortir de chez lui, lorsqu'il mourut le 26 octobre 1821,
sur la paroisse Saint-Sulpice où eurent lieu ses funérailles le
lundi 29. Ce fut Mgr de Cosnac, alors évêque de Meaux, qui fit
l'absoute. ■ ''-'j "
La maison de Polignac a deux devises ; la preniîèi'e. In anii-
guissimïs; la deuxième, Sacer custos paeis. Un vicomte de Po-
lignac portait l'étendard de l'Eglise à la première croisade.
Antérieurement à l'adoption des armes de Polignac qui sont
Fasce d'argent et de gueules de six pièces, comme les portait
l'évêque; ou comme nous les trouvons ailleurs: e'cartelé, au
1" et au A" d'argent à trois fasces de gueules ; au 2^ de sable
au lion d'or; au 3* d'argent plein, les barons de Chalançon
qui, au quinzième siècle, entrèrent en possession des biens
138 ANNALES CATHOLIQUES
des vicomtes de Polignac, portaient : de gueules, à trois
têtes de lion d'or, ou e'cartelé d'or et de gueules, à la bordure de
sable semée de fleurs de lys d'or. On trouve une courte biogra-
phie de Mgr de Polignac dans la Chronique des e'vêques de
Meaux par Mgr Allou, et dans la Notice sur les évêques de
Meaux, par le comte A. de Longpérier Grimoard.
(A suivre.) M.-C. d'Agrigente.
LE SOCIALISME ET LES JUIFS
M. E. Drumont commence dans la Libre Parole une étude sur le
Socialisme et les Juifs. A côté d'affirmations trop risquées comme,
par exemple, dire que le Pape fait du socialisme, il y a, dans son
premier article, de grosses vérités. Nous en reproduisons une partie :
La question sociale contemporaine se réduit à ceci: une dis-
proportion véritablement choquante entre des hommes qui ont
trop et des hommes qui n'ont pas assez, un contraste cruel entre
des misères qui déchirent le cœur et des fortunes monstrueuses
qui révoltent la conscience.
Comment donc se constitue ce Capital à qui tous les socialites
déclarent la guerre ?
Ecoutez la définition de Karl Marx : « Le Capital, vous dira-
t-il, c'est du salaire non payé. » Si l'ouvrier touchait le prix
intégral de son travail, la paix sociale régnerait partout et
l'équilibre serait rétabli,
La formule de Karl Marx peut être vraie dans un certain
sens, mais elle est assurément incomplète ; elle devrait, tout au
moins, être rétablie ainsi: « Le Capital, c'est, pour une faible
partie, du salaire non payé, mais c'est surtout du salaire écono-
misé et volé par les faiseurs d'escroqueries financière.' qui opè-
rent d'après le système juif... »
Ce qui réduit tant de millions d'êtres à un sort précaire et mi-
sérable, c'est donc à la fois :
1° L'exploitation patronale, c'est-à-dire le désir des patrons de
s'enrichir vite en payant le moins possible ceux qu'ils emploient ;
2° L'exploitation financière, la ploutocratie, la bancocratie,
le banditisme financier; nommez la chose comme vous voudrez.
L'exploitation financière procède de deux façons :
Elle procède par des emprunts d'Etat qui se traduisent par
J.B SOCIALISME ET LES JUIFS 139
des impôts écrasants, par des accaparements de toute espèce,
par des syndicats de banquiers, des organisations de monopoles,
des lois votées, grâce à la corruption parlementaire, comme les
Conventions.
Elle procède par le vol simple qui consiste à dépouiller cA'ni-
quement, à l'aide de manœuvres frauduleuses et de prospectus
mensongers, ceux qui ont réussi à économiser quelques sous.
Dés que la travailleur, écrasé par les charges fiscales, insuffi-
samment rémunéré par les chefs d'industrie qui veulent réaliser
de gros gains tout de suite, a franchi la première étape, la pre-
mière écluse, dès qu'il est parvenu à avoir un pécule, dès qu'il
peut placer quelques fonds, le Juif arrive et le dépouille. Le
Juif attend que l'oeuf soit pondu pour aller le prendre sous la
poule.
Constater ceci, qui est l'évidence même, c'est démontrer la
fausseté de la loi cVairain que Karl Marx a empruntée à Las-
salle.
La loi d'airain du salariat: Das cherne logsheseiz, en voilà
une loi dont on aura entendu parler dans les réunions publicjues !
Dès qu'on parle de la loi d'airain, les ouvriers frémissent de
confiance, quoiqu'à vrai dire beaucoup, qui sont bons vivants,
connaissent mieux le zinc du raastroquet que l'airain de la loi de
Marx.
Cette loi, formulée avec une gravité terrible, par le Juif qui
est pince sans rire quand il veut, se résume en ceci:
« Le salaire moyen dans la société actuelle, et sous l'action
de l'offre et de la demande, est réduit à ce qui est indispensable
au travailleur pour vivre et pour se perpétuer. »
Mon pauvre Marx, si ta loi était exacte, comment tes coreli-
gionnaires auraient-ils les plus beaux hôtels de Paris et les
domaines les plus magnifiques de notre terre de France ? Com-
ment les Rothschild, les Hirsch, les Heine, les Camondo, les
Bischoffsheira auraient-ils des milliards ? Où les auraient-ils
pris ?
Pour que les Juifs, qui n'ont jamais rien produit, puissent
posséder ces milliards, il a fallu que ces milliards fussent gagnés
par des gens qui travaillaient — et il a fallu qne ces gens ne
gagnassent point strictement ce qui leur était nécessaire pour
vivre, mais qu'ils gagnassent encore assez pour économiser
un peu?
Comme le faisait remarquer très justement l'autre jour un
140 ANNALES CATHOLIQUKS
socialiste de tempérament français, M.Pierre Denis, ce sont les
travailleurs, en eiFet, qui alimentent perpétuellement les
grandes escroqueries financières de ce temps.
Croyez-vous sérieusement qu'il y ait un seul homme mêlé de
près ou de loin à la vie parisienne, au courant de ce qui se
passe, un personnage politique, un coulisssier, un journaliste
qui ait placé un sou dans le Panama?
Tous ces affiliés se préviennent entre eux. Au début, on par-
lait du Panama dans l'hôtel d'un bas-bleu célèbre. « Si vous en
avez, bazardez-le vite! » cria, d'un bout du salon à l'autre, un
des ingénieurs grassement appointés parla compagnie.
Alphonse de Rothschild me pardonnerait à la rigueur, tout
ce que je puis dire sur lui, mais il serait implacable pour moi si
je supposais une minute qu'il eiit été assez bête pour souscrire
une seule action de l'emprunt du Honduras.
Si on perquisitionnait chez les Juifs de Paris, on n'y trouve-
rait certainement pas un seul titre des innombrables sociétés
fondées par Erlanger. Les Juifs l'aiment comme frère, ils l'ad-
mirent comme opérateur, mais ils ne prennent pas ses actions.
C'est Gogo qui prend tout cela, et Gogo c'est le travailleur
qui a peiné toute sa vie pour économiser quelques sous.
Encore une fois, le chifire énorme des fortunes de la Haute
Banque, qui sont fondées sur des razzias financières, démontre
jusqu'à l'évidence que la loi d'airain n'est pas exacte, qu'elle
est une « blague »à forme scientifique comme il convient à une
importation judéo-allemande.
Pour ne pas fatiguer inutilement l'attention des lecteurs qui
voudraient, sans parti pris, étudier la question sociale avec nous,
nous nous bornerons donc, pour le premier entretien, à indi-
quer quelques points à l'attention de ceux qui nous suivent:
Premier point:
H y a une exploitation patronale, en ce sens que les grandes
fortunes industrielles ont été incontestablement constitués par
le travail des salariés.
Cette exploitation a été odieuse pendant les soixante pre-
mières années de ce siècle, alors que la Bourgeoisie, triom-
phante en 80, avait réduit les ouvriers à l'état des serfs en sup-
primant les corporations, en punissant les coalitions et les
grèves, c'est-à-dire en déniant au travailleur le droit de s'en-
tendre avec ses camarades pour la défense de ses intérêts. Cette
exploitation patronale tend de plus en plus à diminuer, grâce à
LE SOCIALISNE ET LES JUIFS 141
la loi des syndicats, et une entente pourrait s'établir sur des
bases équitables. .
Deuxième point :
Les conséquences de cette exploitation patronale n'ont jamais
été si loin qu'elles aient pu se formuler dans la fameuse loi d'ai-
rain de Marx. L'instinct de la propriété, le goût de l'économie,
l'activité et l'intelligence sont si développés en France que des
centaines de milliers de travailleurs ont pu arriver à acquérir
un petit capital.
Troisième point :
Les travailleurs français qui avaient réussi à amasser ce petit
capital, en ont été presque toujours dépouillés grâce à des
émissions et à des sociétés véreuses par le banditisme financier
représenté presque exclusivement par les juifs.
Quatrième point:
Il n'y a nulle proportion entre les résultats de l'exploitation
patronale et les résultats du banditisme financier. Les patrons
qui, somme tonte, s'exposent à un aléa, sont, dans la plupart
des cas, des travailleurs eux aussi; ils sont obligés de faire
preuve d'initiative, de persévérance et de volonté ; ils contri-
buent à la prospérité du pays; ils n'arrivent jamais, d'ailleurs,
à ces fortunes mondiales qui se chifi'rent par des centaines de
millions comme celles des Rothschild, des Hirsch ou des Heine.
Ce n'est pas comme chef d'usine que Lebaudy a gagné ses
trois cents millions, c'est en spéculant ou en agiotant sur les
sucres.
Cinquième point:
Les Juifs, qui ont pris la direction du socialisme, font porter
presque exclusivement le débat sur les rapports entre ouvriers
et patrons; ils attisent constamment la haine entre eux et lais-
sent soigneusement de côté la haute banque, la grande finance
juive qui est le capitalisme en personne, qui résume toutes les
exploitations. Ils parlent sans cesse d'une loi d^airain qui,
comme nous l'avons vu, n'existe pas, mais ils ne parlent pas de
cette loi d^or qui, en moins d'un siècle, a concentré en quelques
mains le fruit du travail d'une nation tout entière...
142 ANNALES CATHOLIQUES
HOMMAGE A NOS MISSIONNAIRES
par un protestant.
Nous sommes heureux de publier aujourd'hui les extraits de deux
lettres de M. Eugène Wolf, explorateur protestant allemand, qui
vengent les missionnaires catholiques des attaques idiotes de nos
feuilles libres-penseuses.
Villa-Maria, le 7 mars 1893.
A Kampala, on m'avait décrit la province du Buddu, dans
laquelle le capitaine Lugard a enfermé les catholiques, après la
dernière guerre religieuse de l'Uganda, comme la partie la
plus fertile de tout le pays, au moins comme un pays meilleur
et plus plat que le reste de l'Uganda. C'est une erreur.
Le Buddu estcouvert de collines, comme les autres provinces ;
de plus il est beaucoup plus marécageux que le reste du pays,
si j'en juge par les six provinces que j'ai déjà parcourues.
La population catholique y est extrêmement à l'étroit; c'est
pourquoi la terrible peste kaumpoli fait dans ses rangs de
nombreuses victimes (hier encore, trois personnes y sont mortes).
Elle est aussi victime du cruel fléau de la funza, ou puce de
terre qui dévore les extrémités des membres des indigènes. Les
Européens eux-mêmes n'en sont pas à l'abri; quelques-uns des
missionnaires ne peuvent faire un pas. Malgré toutes ces diffi-
cultés, les catholiques ont réussi dans l'espace de neuf mois à
peine, à cultiver la meilleure partie du pays en le couvrant de
bananiers, pommes de terre, etc. ; de cette façon, ils ont pu
arracher à la famine une partie de la population bannie de
l'Uganda.
A la vue des constructions que les missionnaires ont achevées
en neuf mois: école, église, ferme; de ces champs de pommes
de terre européennes et d'arachides, et de ce jardin potager et
de ce verger, tout cela sur un terrain qui, il y a neuf mois
seulement, était une terre sauvage et couverte de broussailles,
on sent le besoin de s'incliner devant ces hommes qui ont eu le
courage de se relever en se soumettant à un tel labeur, après
l'épreuve qu'ils ont eu à subir d'une manière si injuste. Ces
missionnaires catholiques se préparent tout eux-mêmes. Chez
eux, pas de conserves européennes, peu de biscuits anglais, pas
de sucre, ni thé, ni bougie; ils préparent de leurs propres
HOMMAGE A NOS MISSIONNAIRES 143
mains l'huile qui doit les éclairer et les nourrir et leur vinaigre;
à part un peu de viande de chèvre, leur nourriture est absolu-
ment la même que celle des indigènes, des bananes. Leur ma-
nière de vivre est sobre, même trop sobre, vu les exigences du
climat, pour de» Européens.
Après avoir traversé le Katonga, où il faut patauger pendant
deux heures dans une boue profonde, on remarque une diffé-
rence notable dans les cultures entre le Buddu et les autres
provinces.
Pendant que le district mahométan de Katambala est très
négligé, alors que, depuis Kampala jusqu'à Katonga, on ne
trouve que des sentiers nègres, étroits, tortueux qui souvent
vont se perdre dans les forêts vierges^ on trouve au Buddu des
chaussées d'une largeur de quatre mètres, droites, propres ; les
maisons et les haies sont en bon état, les plants de pommes de
terre et de bananes alignés régulièrement, nettoyés des mau-
vaises herbes..., la population au travail. Il n'y a que l'exemple
de l'Européen qui a pu produire une telle influence sur les indi-
gènes. Ici, le missionnaire travaille à la sueur de son front. Il
ne vend pas dans son église des stocks de bibles, il ne fait pas
de collections de coquillages, mais il travaille lui-même aux
champs, à l'écurie, à la cuisine, en un mot, partout où c'est
nécessaire. Il fait aussi des courses de plusieurs milles avec des
médicaments qu'il a préparés lui-même pour soulager malades
ou blessés.
Je dis la vérité en affirmant que nous fûmes stupéfaits et
agréablement surpris à la vue du travail commun de la popula-
tion et des missionnaires; nous ne nous attendions pas à un tel
résultat, étant donné le court espace de temps qui s'est écoulé
depuis l'arrivée des catholiques au Buddu. Les champs sont
couverts de froment magnifique, de pommes de terre, de légu-
mes européens. En outre, on a bâti une école et une église qui
contient plus de 2,000 personnes. C'est une preuve de ce qu'on
peut faire des Baganda quand ceux-ci n'ont que de bons exem-
ples sous les yeux, voient l'Européen se dépenser pour eux et
ont confiance en lui. Cette confiance à l'égard du missionnaire,
jusqu'à donner leurs biens et leur sang pour ces hommes désin-
téressés qui se sont voués en leur faveur à un exil volontaire et
sans retour, j'en ai eu des preuves convaincantes tous ces jours
derniers, à l'occasion des diverses conférences que j'ai eues avec
les affaires de l'Ueranda.
144 ANNALES CATHOLIQUES
Bujaju, le 9 mars 1893,
Après une nouvelle marche d'environ une heure, à travers
une forêt encore vierge de la main de l'homme, nous approchâ-
mes du lac en même temps de Bujaju.
C'était le terme de notre voyage, ce jour-là. Vers 11 heures,
nous arrivâmes à la station, fondée il n'y a pas encore dix mois.
Elle est située sur un plateau qui domine la grande île Sésé du
nord au sud et une partie du lac Victoria, lequel s'étend à perte
de vue et qui est tourmenté aujourd'hui par la tempête.
Vers l'ouest, la terre ferme qui, d'abord verte, prend ensuite
une teinte bleue, puis sombre foncé. C'est un point splendide-
ment choisi que cet emplacement oii les missionnaires catholi-
ques sont venus construire après leur expulsion des îles Sésé,
lors de la guerre f janvier-mars 1892).
Comment deux ou trois missionnaires ont-ils pu réussir à bâtir
une église, une école, quatre maisons d'habitation et de travail,
cuisine, écurie, à construire deux enclos, à cultiver des champs
de riz, de maïs, de froment, de légumes, et tout cela en instrui-
sant chaque jour deux cents personnes? C'est une énig'me pour
moi et mon compagnon, M. Macdonald.
De nouveau, nous restons muets devant l'œuvre gigantesque
de ces hommes expulsés de leur terre.,., nous admirons leur té-
nacité, leur constance, leur confiance en Dieu et leur amour du
travail. Ici encore, les missionnaires se préparent tout eux-
mêmes : vinaigre, huile à brûler, huile à manger, etc. Le sel
vient du sud du lac. Quant aux conserves européennes de quel-
que espèce que ce soit, elles leur sont absolument inconnues.
Avec nous, le soleil était arrivé à Bujaju. Le Père supérieur
nous reçut avec amabilité et mita notre disposition des cham-
brettes propres et jolies dans leur maison de roseaux.
UNE TETE COUPÉE QUI PARLA
Légende espagnole.
I
Connaissez-vous le fameux pèlerinage de Montserrat, en
Espagne? Il serait difficile de rendre l'impression que produit :
dans l'âme la vue de la montagne célèbre oii la sainte Vierge a
voulu, depuis de longs siècles, être appelée « la Princesse de la
Catalogne. >
UNE TÊTE COUPÉE QUI PARL\ 145
Les guides décrivent pompeusement cet assemblage de cônes
immenses, vertigineux, inaccessibles, qui sont comme par en-
chantement, entassés les uns sur les autres. On dirait un décor
théâtral, préparé par la Providence pour des drames divins; et
de fait, ils sont innombrables les prodiges qui depuis Charle-
mague se sont accomplis là, pour la gloire de Dieu ou de la Ma-
done. Notre-Dame de Lourdes est le poème contemporain de
Marie dans les Pyrénées. Notre-Dame de Montserrat est son
poème primitif.
J'ai fait un jour l'ascension de la sainte Montagne, et je n'ou-
blierai jamais ce qu'elle a d'étrange, de pittoresque et de saisis-
sant. Elle dura trois heures et demie, à travers des lacets sans
nombre et sans fin. C'était pendant la nuit au mois d'août. Le
temps était beau, le ciel pur, la nuit superbe. Nous étions portés
par de grandes diligences traînées par six mules et à chaque
tournant de la route, nous pouvions voir à la clarté des étoiles,
se dérouler devant nous des perspectives effrayantes ou gra-
cieuses qui nous donnaient tour à tour le frisson ou le charme.
Arrivés au sommet, nous reeûmes des religieux bénédictins
qui ont là un bel et grand monastère composé d'une centaine de
moines et une immense hôtellerie capable de loger mille pèle-
rins, l'hospitalité la plus aimable et la plus cordiale.
Nous y fûmes émerveillés des goigs chantés par leurs trente-
trois jeunes musiciens qui forment une maîtrise de premier
ordre, et sous la robe bénédictine et avec des instruments de
tout genre, donnent à leurs imposantes cérémonies une grâce
et une poésie incomparables.
J'ai vainement cherché pour ma part, à la porte du monas-
tère, le corbeau vivant que l'on voit au Mont-Cassin. Ce corbeau,
on le sait, est le descendant et l'héritier de celui qui conduisit,
un jour, saint Benoît de Subiaco à la montagne italienne qui,
malgré les révolutions garde encore ses enfants. Il va, il vient,
il sautille devant les étrangers : il a une généalogie, une his-
toire et un rôle. J'aurais désiré rencontrer un de ses frères à
Montserrat. C'est là, je l'avoue, l'unique déception de mon pè-
lerinage. Mais, en revanche, que de beaux souvenirs de tout
genre j'en ai rapportés! J'y ai trouvé surtout des légendes sans
pareilles, et voici la plus curieuse : c'est V Histoire d'imetête
coupée qui parla. Je la tiens du Révérend Père Abbé qui me l'a
contée à propos d'un beau couteau catalan dont il me fit cadeau,
après le bon déjeuner qu'il nous donna, en compagnie d'un
11
146 ANNALK8 CATHOLIQUES
évêqne mexicain, d'un prélat romain et d'un journaliste va-
laque. Ce n'est vraiment qu'à Montserrat que les montagnes
peuvent ainsi se rencontrer.
II
Donc, nous dit le Père abbé, sur la fin du déjeuner, tandis
que tous les convives et lui aussi fumaient une fine cigarette
apportée naguère de Barcelone, — car, en Espagne, personne
ne recule, pas même les prélats, devant ce doux et funeste pré-
sent que l'Amérique nous a fait : le tabac. — Or donc, en ce
temps-là, il j avait dans les environs de Montserrat une bande
de brigands qui étaient, à vingt lieues à la ronde, la terreur du
pajs. Ils détroussaient les voyageurs, pillaient les églises et dé-
valisaient les monastères.
Leur chef était Francesco-Ximenès Ysbert, homme robuste
et fort, gaillard de haute taille, qui n'avait peur de personne,
fors du diable et du bon Dieu.
Un soir qu'il était triste et mélancolique, malgré les fortes
rasades de vin d'Alicante qu'il venait d'absorber, il réunit ses
hommes dans la caverne qui lui servait de palais, et il leur
parla ainsi : i on 'n'ii:-<j; ■ >mii: wii
« Mes amis, j'ai une nouvelle à vous annoncer. Je sens qu'il
va falloir que je me retire; sous peu, je donnerai ma démis-
sion. Je commence à être vieux; voilà cinquante ans que je
fais le métier, et il est temps que je me donne un successeur.
D'ailleurs, je me trouve aujourd'hui singulièrement découragé.
Pas plus loin qu'hier, fignrez-vous que j'ai été battu par un
moine. Sur la route de Manrèze, j'ai rencontré la voiture du
Père abbé de Montserrat. Assisté de deux de vos camarade:^,
j'ai voulu l'arrêter au passage et lui demander la bourse ou la
vie, et voilà qu'avec ses gens qui étaient armés, il nous a mis
en déroute. C'est pour moi la plus grande humiliation de ma
vie !! Comprenez-vous que Francesco-Ximenès Ysbert, le roi
des montagnes, le lion de la Catalogne, ait été vaincu par un
simple moine? Pour moi, c'est une honte, qui me navre. È
« De plus, le roi d'Espagne •*- je l'ai lu dans un lambeau de
journal trouvé ces jours-ci sur une route — a mis ma tête à
prix. .'el"iyif.';
« Il a promis mille douros à celui qui porterait ma tête dans
un sac, à l'alcade-major de Barcelone. Or, j'ai envie de vivre
encore ; je veux prendre ma retraite à Gerona où je suis né, et
UNE TÊTB CdCPéÈ QDI PARLA f47'
là, me disposer à mourir et prendre m!a place au ôimôtîère de
mon pays, à côté de ma pauvre chère femme Dolorès qui, depuis
yingt ans, n'est plus de ce monde. Un de ces jour.*, je vous
ferai mes adieux, je vous le jure par Notre-Dame de Montsôrrat
dont je porte la médaille, et qui, jusqu'à présent, m'a tonjours
protégé. »
Ici les brigands protestèrent, disant à leur chef qu'il était
encore vigoureux, qu'il pouvait encore avoir de grands succès
aux environs, que le temps n'était pas venu pour lui de songer
si tôt à la retraite, etc., mais Francisco resta inflexible. Puis,
pour finir, se tournant vers le brigand le plus jeune, il lui dit :
«Toi, Almanzor, viens me trouver à minuit. J'ai à te comnauni-
quer un secret. Et maintenant, mes amis, au revoir. Un de ces
jours, je vous ferai connaître le successeur du roi des mon-
tagnes. Dormez bien, et à bientôt. »
Cela dit, les brigands se séparèrent, et se rendirent chacun
dans leur grotte pour y prendre un léger repos et reprendre le
lendemain leur étrange métier. Dormirent-ils ? Je l'ignore. Dans
tous les cas, Almanzor ne put fermer l'œil. Que pouvait lui vou-
loir dire son maître, à minuit? Quel secret avait-il à lui confier?
L'avait-il choisi pour son successeur ? Il ne pouvait le croire,
car il était trop jeune encore, pour remplir les fonctions de
capitaine an milieu d'hommes mûrs, faits depuis longtemps à la
fatigue, au meurtre et au carnage. Il avait à peine vingt-
cinq ans, et de plus, il était pâle, chétif et délicat. Il manquait,
par conséquent, des qualités requises pour faire un chef de bri-
gands. Ces pensées l'obsédaient. Tout en songeant, il se dit à
lui-même: Si je tuais Francesco? Si je lui coupais la tête? Je
la porterais à l'alcade et j'aurais pour moi les mille douros pro-
mis par le roi d'Espagne. Ce serait là une vraie fortune pour
moi qui n'ai pas le moindre réal à ma disposition. Après tout,
je vaincs un vilain métier; j'en ferais bientôt un autre plus
honorable et quel qu'il fût, aussi lucratif. >
L'idée du crime vint donc hauter son cerveau, mais à cette
idée (il était encore novice dans l'art de tuer), sa conscience
qni avait dèS> restes de -pudeur se révolta ; ou plutôt un conflit
terrible s'éleva dans son âme, entre le diable et son bon ange.
Le diable lui disait : Yoilà pour toi une bonne aftaire ; tue
Francesco. Tu t'enrichiras et puis tu débarrasseras la Catalogne
d'un monstre redouté ; tu feras une œuvre charitable et patrio-
tique.
148 ANNALES CATHOLIQUES
Son bon ange lui disait au contraire : Non, ne le tue pas, res-
pecte cette tête; Francesco est bon pour toi ; il te met souvent
à sa table ; il te fait dormir, près de la caverne qu'il habite.
La reconnaissance te fait un devoir de ne pas attenter à
ses jours. Il y a longtemps sans doute, qu'il vit de meurtres et
de rapines, mais ce n'est pas à toi qu'il appartient d'en délivrer
le pays. Tu n'es pas le justicer de la Providence,
Almanzor ne savait à quel parti s'arrêter, et il restait per-
plexe. Il avait déjà, dans les sierras environnantes, détroussé
pas mal de voyageurs, marchands ou seigneurs ; mais encore il
n'avait tué personne; son poignard, un cadeau qui lui venait de
son cher maître, une fine lame de Tolède, était vierge de sang
humain, il reculait devant l'assassinat; mais d'un autre côté
l'appât du gain le poursuivait à outrance. Dans le fond de son
âme le drame de la tentation se déroulait avec toutes les péri-
péties tumultueuses du désir, de la terreur, de l'espérance. Il
regardait son poignard tantôt avec complaisance, tantôt avec
horreur.
Son bon ange ne cessait de lui montrer la monstruosité de sa
forfaiture; mais le mauvais, pour mieux le tromper s'obstinait
à lui prouver la magnanimité de sa conduite, s'il parvenait à
purger l'Espagne d'un bandit abhorré, A travers les mille ré-
flexions qui s'entrecroisaient dans sa tète, notre jeune homme
regarda sa montre, à la lueur d'une vieille lampe volée dans
une église et suspendue à la voûte de la grotte; il était minuit.
C'était l'heure du rendez-vous. Partons, se dit Almanzor, sa-
chons d'abord ce que veut notre capitaine.
Il se lève armé de son poignard qui du reste le quittait rare-
ment et se dirige vers la caverne du chef. Celui-ci dormait pro-
fondément. Il avait la plus grande confiance en ses hommes, et
rien ne pouvait lui faire soupçonner que l'un d'eux fût jamais
capable de l'assassiner. Dans tous les cas, s'il s'était méfié de
quelqu'un, ce n'est pas, certes, de son fidèle Almanzor, le plus
aimé de ses braves.
Il était donc plongé dans le sommeil le plus profond que puisse
avoir un brigand, il ronflait même aussi fort qu'un tuyau d'orgue
et les échos de son antre répétaient le bruit sourd que produi-
sait ce ronflement.
Arrivé sur le seuil, l'élève-bandit s'arrêta, et là, le combat;
qui déjà s'était livré dans son âme, recommença de plus belle.
[A suivre.) Henry Cailhiat.
à
à
NECROLOGIE 149
NECROLOGIE
Le maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, est mort mardi
matin 17 octobre, dans son château de la Forêt. Il était né à
Sully (Saône-et-Loire), le 13 juillet 1808. Il descendait d'une
ancienne famille catholique de l'Irlande. En 1825, il fut reçu à
Saint-Cyr. Il fit ses premières armes durant l'expédition d'Alger
et assista, comme aide de camp du général Achard, au siège
d'Anvers. Promu capitaine en 1833, il retourna en Afrique, prit
une part brillante à l'assaut de Constantine en 1837. Il com-
manda ensuite le 10* bataillon de chasseurs à pied, servit comme
lieutenant-colonel dans la légion étrangère. Il fut nommé colonel
du 41= de ligne en avril 1845, général de brigade en juin 1848,
et divisionnaire en juillet 1852.
On sait qu'il fut chargé d'enlever les ouvrages de Malakoff.
L'empereur le nomma sénateur en récompense de ce haut fait
d'armes. Entre la guerre de Crimée et celle d'Italie, le général
de Mac-Mahon retourne en Algérie. En 1859, ceci est dans le
souvenir de tous, il prit une part signalée à la victoire de
Magenta et fut, sur le champ de bataille, nommé duc de ce nom
et maréchal de France.
Après la guerre d'Italie, il commanda le 3* corps d'armée,
puis fut pourvu du gouvernement général de l'Algérie. Au mo-
ment de la déclaration de guerre à la Prusse, il fut rappelé en
France, mis à la tête du 1" corps d'armée. Le reste de sa car-
rière militaire est d'ordre trop contemporain pour qu'il soit
nécessaire d'y revenir ; son courage, la vaillance de ses troupes
ne purent arrêter l'invasion ; après Sedan, il fut interné en Alle-
magne.
La guerre finie, il revint en France et fut placé par M. Thiers
à la tête de l'armée de Versailles qui rétablit l'ordre dans Paris
et eut raison de la Commune.
Quand M, Thiers donna sa démission de président de la Répu-
blique, le Congrès lui décerna sa succession. Le maréchal de
Mac-Mahon se retira à son tour, à la suite non des incidents du
Seize Mai, mais le 5 janvier 1879, un dissentiment s'étant élevé
avec ses ministres sur le projet de loi concernant les grands
commandements militaires.
Le maréchal est rentré dans la vie privée, entouré jusqu'à sa
mort du respect et de la vénération de tous.
150 ANNALKS CA.THOLIQUES
GouNOD, le grand musicieh français-, l'auteur de Faust, Roméo
et Juliette pi àe idiXii d'ajitres œuvres laniversellein^nt conni^s,
est mort mardi Imai^n J.7 octobre', à Saint-'Cloud. ^ ' ''' T.' "^^^
Depuis plusieurs" rijois, la santé de M. Charles Gouno^'d'ôn-
nait des inquiç.tudes à ses aiijiè; mais il, n'en travaillait pas
moii\s,^ ét'dimahcn/Q matin, âpres etra allé à la mèspe, "il revint
chez' lui avec le maître" cle chapelle de Sàint-Cloud', auquel il
voulait confier un Requiem, qu'il venait de terminer pour lui
faire la parution pour piano.. , , ,,. ,
Le maître, dit \q Gauloi$, s'assqyant au,, piano, se mit à jouer et à
chanter, à la plus grande, jçie de sa famille, qui était venue se réunir
autour de lui dans le. salon.' Ce. fat une heure charmante de la. plus
aimable et de la plus douce intimité. La fille du maître tournait les
feuillets de la partition; l'élève, attentif, suivait les pl'écieusès indi-
cations de l'auteuf. '•' ' •■ ■ • i • ! ;."■.. I,-. .:;■ ,.
— En voilà assez pbtiï* "âiijottf d'htfiV'Aît" tbùt a"'c(itip'GrOtinod';' jô
crois que' j'ai bien gagné le droit de faire une partie' die' dOminos :
qu'en pen8ez.-vou3?-. . ■ . , . ;•' ;j..-'. r. -. .,.,.■;■.. v(,.:i;[/'.- , . ■..■:;
Aussitôt dit, auçsitôt'fait-.yCeifttit Mwie Gçï^npjd iqui sjepviit au maiti!»
de partenaire, Entre temps, il avait allumé sa pipe, causant et ria,n,t
entre deux bouffées. La partie de dominos achevée, M. Cha^-les Gounod
se dirigea vers le pupitre où était restée la, partition dvi Requiem,,
qu'il prit et dont il feuilleta avec soin les pages comme s il allait la
serrer' quelque part. 11 se dirigea, dans cette intention, évidemment,
■vers an petit bureau secrétaire appartenant à Mme Gouùod. Arrive
ïâ, il se pencha comme s'*il allait s'asseoir ^iir la chaise placée à côté
du meuble et demeura immobile, la pipô â'Ha bou^e et 'l'e'posànt sur*
la partition qu'il venait de placer. ■' '■ ' - ■ .■. ■;:
Comme qvl ne l'entendait plus bouger, quelqu'iin se retourna et le
vit dans cette posture, courbé, retenu pour ainsi dire par cette pipe,
qui restait appuyée sur la partition. ,,., î.. •.., ,; , ,i; ; <.!•!•
— Mais assieds-toi donc !. lui dit-on, doucement..,, , . ^.[^ ^. ,;. , .
Et comme il ne répondait pas,^ on alla vers lui. Il ,éta.it. te^iips. Le
maître perdait l'équilibre. On le transporta en toute h^te^sur sou, lit.
Dans le trajet, il ouvrit les yeux et demanda ce qui se passait. Mais
ce ne fut qu'une lUeur, car depuis il n'a pas proféré une seule parole.
Charles Gonnod eat fils d'arttstes. Son père était un jpfeintre
de talent, et sa mère, musicienne accomplie, lui apprit les pre-
miers bép^aiements de l'art divin. Élevé dès son enfauce à l'aus.
tère école des maîtrises, il acheva ses études sous la direction
de Reicha, de Lesu&ur lot'd'HaléVy. Après avonr jp&mporté le»
NBCROLOGHB 151
grand prix de Rome en 1839, il séjourna pendant quatre ans
dans la ville éternelle, où les horizons classiques, les grandes
auditions des basiliques, les spectacles magnifiques de l'Église
romaine pénétrèrent son esprit de cette religiosité passionnée
qui fut la marque de son talent.
C'est à Rome même qu'il songea à consacrer à Dieu sa per-
gonno et son inspiration, et il s'enferma au séminaire français;
puis, doutant de la vocation, il revint à Paris sans abandonner
l'Église, puisqu'il exerça les fonctions de maître de chapelle
des Missions-Étrangères. C'est là qu'il fit entendre sa messe
solennelle.
En 1847, il épousait Mlle Zimmermann, fille du pianiste com-
positeur. Il travailla dès lors pour le théâtre. Mlle Pauline
Viardot interpréta sur la scène de l'Opéra Sapho, son premier
ouvrage lyrique (1850). On a gardé souvenir des tribulations de
son Faust, d'abord repoussé par l'Opéra, popularisé au Théâtre-
Lyrique par Mme Carvalho, la Marguerite idéale, repris ensuite
avec éclat à l'Académie de musique et dont le succès n'est pas
épuisé. Faut-il citer les œuvres dont les noms et les motifs sont
dans toutes les mémoires, et qui figurent dans les répertoires
de tous les théâtres du monde : Roméo et Juliette, Mireille? A
côté de ces partitions encore vivantes, que de pages élégantes
et inoubliables dans le volumineux recueil du maître! Que
d'éloquence dans cette Gallia inspirée à Gounod par nos désas-
tres de 1870 !
Mats il n'est pas de compositeur dont il soit plus inutile de
rappeler l'œuvre. Elle est dans toutes les bibliothèques et à
côté de tous les pianos. On la chante en toutes les langues, on
l'adapte à tous les instruments.
La vie de Charles Gounod a répondu à la nature particulière
de son talent intime. Elle a été partagée entre les aspirations
mystiques et les passions les plus vives et les plus humaines.
C'est ainsi que peu de temps après avoir refusé de diriger les
répétitions de Faust à l'Opéra, pour se dégager de tout travail
profane, il avait à Londres les démêlés que l'on sait avec une
célèbre cantatrice. Sa conversation, même aux jours de souf-
france, n'a cessé d'être des plus captivantes. Elle abonde en
saillies tantôt profondes, tantôt plaisantes. C'était, il y a ai pea
de temps encore, merveille de le voir en son cabinet de travail
de la place Malesherbes, interrompant un entretien sur l'art
pour conter les plus amusantes anecdotes, puis brusquement se
152 ANNALB8 CATHOLIQUES
mettant au piano pour continuer sa pensée, tout ce qu'il rêvait
ou avait rêvé.
Il est artiste jusqu'au fond de l'ânae. Comblé d'honneurs,
membre de l'Institut, dignitaire de la Légion d'honneur, il a
toujours eu des échappées de jeunesse, nous oserons dire de
gamineries, qui ajoutaient à la sympathie qu'il inspirait à tous.
Gounod est un grand maître; il joint une érudition profonde
à la recherche d'une limpidité toute classique dans l'expression.
Dans sa dernière manière, il chercha même, au rebours de la
jeune école de musique, à traduire sa pensée par une extrême
simplicité de moyens harmoniques, qui ne sembla dépourvue ni
d'affectation ni de sécheresse.
Mais, en retranchant de son immense répertoire tout ce qui
n'est pas destiné à lui survivre, il reste à Gounod assez de
gloire pour passer à la postérité à côté de Méhul, de Spontini,
d'Hérold, de Berlioz, k côté des plus grands parmi les modernes,
et pour vivre dans la mémoire, non seulement des dilettantes,
mais du peuple.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Fi-nnce
La rentrée des cours et tribunaux a eu lieu le 16 octobre dans
tous les ressorts judiciaires de France. En nombre d'endroits,
elle a été précédée de la célébration de la messe du Saint-Esprit,
ce pieux usage ayant été conservé presque partout.
Cependant on signale chaque année des lacunes en plus grand
nombre. De plus, même dans les villes où est célébrée la messe
rouge, on constate des absences scandaleuses; c'est ainsi qu'à
Lyon aucun des membres du parquet ou du tribunal n'était pré-
sent.
Voici, quelques-unes des informations qui nous viennent direc-
tement ou par V Agence Haras :
A Paris. — Selon le cérémonial ordinaire, la cour de cassation, la
cour d'appel de Paris, le tribunal civil de la Seine, le tribunal de
commerce et les juges de paix de Paris se sont rendus, à onze heures,
à la Sainte-Chapelle pour assister à la messe du Saint-Esprit.
S. Em. le cardinal Richard, qui présidait, assisté de M. le vicaire-
général Caron, de M. Odelin, promoteur, et de M. le chanoine
Brettes, a entonné le Veni Creator.
NOUVELLES RELIGIEUSES 153
Pendant la messe, célébrée par M. le chanoine (le Beuvron, la maî-
trise de la cathédrale a exécuté des chants d'un effet grandiose.
A rissue de la messe, après le chant du Z)omm«, safram ^ac Rempu-
blïcam, le cardinal a donné solennellement sa bénédiction.
Puis toutes les cours, ayant à leur tête le président de la cour de
cassation, se sont rendues processionnellement à leur chambre respec-
tive, pour l'audience solennelle d'ouverture.
L'affluence était considérable. Au premier rang, on remarquait le
général Billot en civil.
Des centaines d'invités n'ont pu pénétrer dans la Sainte-Chapelle,
Le tribunal de commerce, les avoués et les juges de paix avaient
envoyé une nombreuse délégation.
— A Nancy, Mgr Turinaz a célébré lui-même la messe du Saint-
Esprit.
— A Toulouse, la messe rouge, célébrée dans la chapelle du palais
attenant à la première chambre de la cour a été dite par un vicaire-
général. S. Em. le cardinal Desprez y assistait.
— A Bordeaux, la messe rouge a été dite à la cathédrale Saint-
André. Ensuite, au palais de justice, a eu lieu l'audience solennelle de
rentrée à laquelle assistaient toutes les autorités, au premier rang
desquelles on remarquait le cardinal Lecot, le préfet de la Gironde, le
rabbin, les généraux, etc.
— A Grenoble il n'y a pas eu de messe.
— A Lyon, c'est à la primatiale qu'a été célébrée, selon l'usage, la
messe du Saint-Esprit.
Cette messe a été présidée par Mgr l'archevêque de Lyon, entouré
de tous ses vicaires généraux.
A la cérémonie, assistaient la cour, ayant à sa tête le premier pré-
sident, M. Fourcade; les membres de l'ordre [des avocats, les avoués,
les juges de paix, les membres du tribunal de première instance.
Aucun des membres du parquet de la cour ni du tribunal n'était
présent.
A l'issue de la messe du Saint-E3prit,'le cortège s'est rendu dans la
salle d'audience de la première chambre de] la cour dappel, pour
entendre le discours de rentrée.
Mgr CouUié et ses vicaires généraux, le général Raynal de Tisso-
nière, représentant le gouvernement militaire de Lyon ; M. Rostainn,
secrétaire général pour la police, représentant le préfet du Rhône ;
MM. Charles, recteur de l'Académie de Lyon ;'_Caillemer, doyen delà
faculté de droit, etc., assistaient à cette dernière[cérémonie.
— A Arras, les membres du tribunal civil se sont rendus en robes
à la cathédrale où une messe du Saint-Esprit a été célébrée par
M. Sueur, vicaire général; Mgr Williez faisait chapelle. Le chapitre,
la plupart des chanoines et le clergé de la cathédrale assistaient au
chœur.
154 ANNALES CATHOLIQUES
— A Cambrai, la messe du Saiut-Esprit n'a pas eu lieu. Ainsi, dit
VEmancipateur, en avaient décidé messieurs les membres du tribunal
civil, « non à l'unanimité, mais à la majorité ».
Il ajoute :
« C'est plus sincère ainsi, non pour l'unanimité, mais pour la ma-
jorité.
« La sincérité demandait également q;ue cette messe fût supprimée
pour la rentrée du collège ; mais, là, la question de boutique prime
la question de sincérité. »
Il faut plaindre les justiciables de MM. les magistrats de Cam-
brai, car s'ils ne croient plus en Dieu, qui pei^t répondre de leur ira-
partialité ? i;f.'l.\{'.'Z^-l'-\r "
— A Riom, la Dépêche du Puy-de-Dôme dit que Mgr Belmont, assisté
de ses vicaires généraux, présidait la cérémonie de la messe où étaient
venus tous les magistrats en costume.
Digne. — Une lettre de Mgr l'évêque de Digne prescrit un
Te JDeum qui sera chanté dans toutes les paroisses du diocèse,
« à l'occasion de la visite de la Russie à la France >, pour
remercier Dieu « de l'alliance fraternelle de deux peuples dont
l'union, qui fait leur force, fait et fera aussi la paix générale en
Europe ».
Mgr l'évêque de Digne ajoute qu'il y a en outre, pour en agir
ainsi, « une raison de haute délicatesse, nous allions dire de
haute courtoisie, dans le sens le plus élevé du mot ». Voici
pourquoi :
La Russie est une nation essentiellement religieuse et chrétienne.
Vous savez tous peut-3tre que chaque maison russe contient un ora*
toire, où est, avec le crucifix, une image de la Vierge toute Sainte,
que la prière du matin et du soir est faite non seulement dans les
familles, mais dans les casernes et dans les camps par le chef du
grade le plus élevé, par l'empereur lui-même quand il est présent.
Vous n'ignorez pas que tous les fonctionnaires, que les dignitaires
de l'armée notamment, assistent avec exactitude et en corps à l'office
du dimanche, et vous vous rappelez sans doute que, le 3 août 1890,
lors des réceptions que la marine russe allait faire, dans le port de
Cronstadt, à la marine française, quatre-vingts officiers, avant le
départ, montaient sur le yacht impérial pour assister d'abord à la
cérémonie religieuse. Qui ne connaît enfin VHymne national russey
dont voici le grand et beau refrain :
0 Dieu, protège l'Empereur !
Bénis son nom : étends son pouvoir, sa grandeur.
0 Dieu, protège l'Empereur.
CHRONIQUE DB LA. SEMAINE 155
Comment donc la Franco pourrait-elle recevoir sans offices reli-
gieux et sans prière cette nation chrétienne ? La Russie en serait
blessée peut-être, ou tout au moins péniblement surprise. Nous
devons lui épargner cette impression fâcheuse et lui faire l'accueil
qu'elle nous faisait à nous-mêmes, il y a trois ans en mêlant aux
joies patriotiques de la nation les cérémonies de l'Eglise.
Oui, il faut que les dignitaires, officiers et marins russes, quand ils
traverseront la France, entendent le son des cloches annonçant des
offices religieux célébrés à leur occasion, et des Te Deuni pour
remercier le Dieu- et le Christ qu'ils adorent, de les envoyer chez
nous comme des messagers de paix : de paix pour notre pays, de paix
pour l'Europe et le monde.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
La mort de Mac-Mahon. — Les marins russes à Toulon et à Paris .
Congrès de la Libre-Pensée. — Laconversion.
19 octobre 1893.
A l'heure même oii l'amiral Avellan et les officiers russes arri-
vaient à Paris, une dépêche annonçait la mort du maréchal de,
Mac-Mahon, du glorieux soldat qui, le 8 septembre 1855, enle-
vait aux Russes, après une résistance acharnée, la redoute de
Malakofî, repoussait leurs efforts énergiques pour l'en chasser
et répondait à ceux qui s'effrayaient de son audace qu'il « y
resterait mort ou vivant ».
Nous rappelons plus haut les étapes de la carrière militaire
du maréchal, il est superflu d'y insister ici. La fortune lui fut
constamment heureuse, même le jour où à Sedan un éclat d'obus
le blessa assez gravement pour le forcer à résigner son com-
mandement et lui évita l'horrible douleur de signer une capitu-
lation inévitabbe.
Ce fut la dernière faveur que lui réservait la destinée. La
guerre civile l'attendait à sa rentrée en France et ce fut à lui
que M. Thiers confia la pénible mission de reprendre Paris
abandonné aux mains de l'émeute. Mac-Mahon, qui était et resta
toujours l'homme du devoir, obéit, et, grâce à son ascendant
moral sur les troupes, il réorganisa l'armée, l'anima de son esprit
et rétablit l'ordre dans la capitale.
Lorsque l'évolution significative de M. Thiers vers la gauche
156 ANNALES CATHOLIQUES
eut définitivement brisé les liens fragiles qui attachaient encore
la majorité conservatrice de l'Assemblée nationale au chef de
l'Etat, et que l'on songea à le remplacer, tous les yeux se tour-
nèrent vers le maréchal. Mais il fallut lui faire violence pour lui
arracher son consentement.
Un témoin l'a raconté il y a quatre ans, dans le Figaro^ en
ces termes :
C'était à Versaillea, le 24 mai, assez tard dans la soirée. Le maré-
chal qui, jusque-là, était resté tranquillement chez lui, fut averti que
l'Assemblée nationale allait l'élever à la présidence, à la suite de la
démission de M. Thiers. A cette nouvelle, le maréchal est comme
atterré, et il court chez M. Thiers pour le supplier de revenir sur sa
détermination.
M. Thiers n'aurait pas demandé mieux que de recoudre l'habit
déchiré, mais il savait trop bien le fort et le faible de la politique
pour se prêter à ce rôle. Il avait excédé la majorité, et la majorité
était impatiente de le remplacer. Le maréchal se retira : il exhalait
toujours son déplaisir sans réticence.
En franchissant le seuil de son petit ihôtel, il comprit que l'affaire
devenait sérieuse. L'Assemblée avait nommé le maréchal et le bureau
de l'Assemblée, ayant à sa tête M. Buffet, était déjà là, non plus
pour lui offrir, mais pour lui conférer la présidence dont il venait
d'être revêtu par un vote solennel. Le premier mot de l'élu fut de
refuser net : à l'entendre, il n'était pas l'homme de la fonction, et il
ne connaissait que l'armée.
M. Buffet essaya d'abord de convertir le maréchal par la douceur ;
il lui parla de la volonté du pays ; il lui exposa les périls de la situa-
tion: le maréchal ne bronchait pas. Alors M. Buffet, à bout de
patience, lui déclara que le président de l'Assemblée n'était pas venu
le trouver en solliciteur, et qu'il lui apportait un ordre positif.
Devant ce langage, le maréchal perdit contenance : il était président
de la République. Notre génération aime les spectacles: je viens d'en
décrire un qu'on ne reverra plus de longtemps.
Les événements qui se déroulèrent sous sa présidence sont trop
récents pour qu'il soit possible de les juger aujourd'hui avec impar-
tialité, La justice de l'histoire éclaire à peine d'un jour vrai l'époque
de la Révolution et l'épopée impériale : il faudra encore des années
pour que les dessous de nos annales contemporaines apparaissent a
la lumière et permettent de dire avec équité quels furent les mobiles
qui déterminèrent le Maréchal de Mac-Mahon au Seize-Mai, puis à
subir les lois du vainqueur, et enfin à se démettre après s'être
soumis. i) ■•\i'\ii'i i\
Les conservateurs, il faut le reconnaître, certains d'entre eux du
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 157
moins, furent aussi injustes à cette époque envers le maréchal que
ceux qui essayaient en l'abreuvant d'amertume de lui faire quitter sa
place. Ils lui reprochaient les défaillances de sa politique sans lui
tenir aucun compte des exigences d'une situation que leurs divisions,
les échecs de leurs combinaisons dynastiques, leurs compétitions
n'avaient pas peu contribué à créer. En temporisant, en consentant
des concessions de plus en plus lamentables, en sacrifiant, la mort
dans l'âme, aux passions et aux soupçons de ses adversaires tout-
puissants, les plus chers parmi ses frères d'armes comme parmi ses
amis politiques, le maréchal obéissait cependant au plus noble des
sentiments : au sentiment qui le rendait sinon insensible du moins
impassible devant les outrages que ne lui ménageaient pas les répu-
blicains.
11 ne faut pas que l'ivresse du moment, l'éclat des fêtes de Toulon
et de Paris, les manifestations militaires qui scellent notre alliance
avec la Russie, la certitude où nous sommes de n'avoir désormais
rien à craindre nous fassent oublier que sous la présidence du duc
de Magenta nous étions condamnés au recueillement par notre
impuissance. Tout était à refaire : les finances, l'armée gardienne de
notre patrimoine ébréché, cette armée qu'un ennemi implacable nous
voyait organiser d'un œil jaloux. L'alerte de 1875 n'avait été qu'une
alerte, grâce à l'intervention toute-puissante de la Russie ; mais
M. de Bismarck et M. de Moltke ne désespéraient pas de faire naître
une occasion, qui leur permît de prendre leur revanche.
Le jour où tout danger imminent fut dissipé, où la France put
sans forfanterie se croire en droit de ne point avoir à redouter de
surprise meurtrière, le maréchal de Mac-Mahon se retira avec une
dignité et une simplicité que ses adversaires reconnurent eux-mêmes,
et il entra définitivement dans la retraite. 11 n'en sortit plus que dans
de très rares occasions, observant une réserve dont M. Thiers ne lui
avait pas donné l'exemple, ne récriminant ni contre les hommes,
ni contre les choses, et forçant au respect ceux mêmes qui avaient le
plus puissamment contribué à sa chute.
Aujourd'hui, s'ils ne sont point ingrats, ils reconnaîtront non
seulement les services que le maréchal de Mac-Mahon a rendus au
pays, mais ceux que par sa présence au pouvoir il a rendus à la
République. Sous sa présidence, en effet, les puissances monarchiques
s'accoutumèrent et au mot et à la chose: la France tenait son rang
parmi elles et elle connaissait, ce qu'elle n'est pas prêt à connaître
encore, des budgets en équilibre, des excédents de recettes et des
finances prospères. Ce fut aussi cette prospérité qui acclimata dans
les masses le régime actuel et effaça en partie la répulsion profonde
que la grande majorité de la nation éprouvait pour ce mot de Répu-
blique, synonyme, à ses yeux, de misère et de désordre.
Le maréchal de Mac-Mahon fut donc un homme de devoir et d'ab-
158 ANNALES CÀTHOLIQUBS
négation. Il laisse un exemple qui ne sera pas suivi, car ce n'est point
précisément par ces deux qualités, ni par l'intégrité, que se distin-
guent ceux qui ont bénéficié de la dispai-itiôn de la scène publique,
des idées et des espérances que le duc de Magenta incarnait. Que l'on
considère où noué étions lorsqu'il descendit du pouvoir «t que l'on
regarde où nous sommes : la comparaison suffira pour faire regretter
aux"]()ltis indifférents la mort de l'hounête homme [et du vaillant
soldat qui fut le maréchal -db Mac-Mâhonî'* *"• «^t ; xi;-
■ , : - . :i - i:: ,:!j SffMi') g||f(| .
■•'.'{ -1 .1 [■..t'f'rr.ur f.M . ^ ,,■
Comme nous venons de le dire, les' 'officiers russes sont arri-
vés à Paris mardi et l'accueil qui'Ieui* a été fait dépasse toutes
les prévisions. C'est un enthousiasme dont il faut avoir ét'é té-
moin pour pouvoir s'en rendre compte. *'/' ' '"■ '""'■ ^"
Voici d'ailleurs cornaient est fixé Temploi du temps pehdant
le seiour des russes a Pans : , ^
Mardi 17. Arrivés à Paris à 9 h:, et 9 h> 20 par deux trains
spéciaux, les officiers russes ont été conduits.au Cercle mili-
taire, puis, après déjeuner, ont été assister à l'office religieux
à l'église de la rue Daru. A cinq heures, ils se sont rendus à
l'Elysée, où ils ont été présentés au président de la République.
Le soir, dîner et bal à l'Elvsée. '''' ' • • . - ...
Mercredi 18. Dans la matinée, l'amiji-alAvellan et ges offi-
ciers achèvent les visites officielles qu'ils n'ont pas eu le temps
de faire la veille.
A midi, déjeuner de cent vingt couverts à l'ambassade de
Russie, suivi d'une réception ouverte pour tous ceux des mem-
bres de la société russe résidant à Paris qui ont déjà accès à
l'ambassade. • •; ■
Dîner au ministère de la marine: ^'"'■' '"^ ^® ''•
, . ,11 Vf. 'vil.: |i îiio-i ; . ,
Réception et bal.
Jeudi 19. Déjeuner aux affaires étrangères, réception et bal.
Dîner à l'hôtel de ville, concert, retraite aux flambeaux.
Vendredi 20. Promenade daûs Paris, déjeuner au Palmarium
du Jardin d'acclimatation.
Soirée et bal à l'hôtel de ville.
5ame<it 21,,D(^jeuner à la présidence du conseil.
Réception, dans l'après-midi, à l'ambassade de Russie.
Assaut au. Grand Hôtel.
Représentation de gala; à l'Opéra^
Souper au Cercle militaire.
CHRONIQUE DS LA SEMAINE 159
Dimanche 22. A onze heures et demie, déjeuner de 120 cou-
verts au ministère de la guerre.
Défilé devant les sociétés de gymnastique : rue de Solfé-
rino, boulevard Saint-Germain, quai d'Orsay, esplanade des
Invalides et Ecole militaire oii le général Saussier présentera
des délégations de la garnison de Paris aux officiers russes.
A deux heures et demie, carrousel qui durera une heure et
demie.
A quatre heures, fête nautique sur la Seine.
A sept heures, banquet au Champ de Mars, dans la galerie
de Trente-Mètres, suivi d'une représentation théâtrale.
Après le banquet, feu d'artifice au Trocadéro; pavoisement
et illumination des boulevards et fête vénitienne.
Lundi 22. Déjeuner au Cercle militaire.
Après-midi, grandes eaux à Versailles.
Représentation et souper au cercle de l'Union artistique et
redoute au Grand-Hôtel.
Mardi 24. Déjeuner d'adieu à la présidence de la Répu-
blique, suivi de réception.
Départ pour Toulon à onze heures du soir.
Si la réception à Paris est brillante, celle qui a été faite à nos
hôtes à Toulon ne l'a pas moins été. C'est le 13 octobre, au
matin, que l'escadre russe a mouillé à Toulon. L'amiral Rieu-
nier, ministre de la marine, s'y était rendu et, accompagné des
amiraux Vignes, préfet maritime, et de Boissoudy, commandant
notre escadre de la Méditerranée, il a souhaité la bienvenue à
l'amiral Avellan que le Président du Conseil municipal de Paris
a aussitôt invité à venir à Paris, ce qui a été gracieusement
accepté.
Dès lors, pendant quatre jours, les fêtes et les acclamations
se sont succédé sans interruption.
Un seul point fait tache dans tout cela et sera certainement
remarqué de nos amis.
Si de leur côté les officiers russes ont pensé à Dieu et com-
inencé leurs visites par l'assistance à l'office religieux, aussi
bien à Toulon qu'à Paris, notre gouvernement de son côté a
oublié Dieu.
Les Russes pourront parcourir nos campagnes et visiter nos
160 ANNALES CATHOLIQUES
villes, sans que le sentiment religieux, auquel ils sont si fière-
ment asservis, s'éveille et parle sur leur passage.
Us entendent la. Marseillaise. Les orchestres leur font cortège.
Et le grand bourdon de la cathédrale de France, le grand
bourdon de Notre-Dame, qui a sonné toutes nos joies, toutes
gloires, reste muet?
On a invité au banquet de l'Hôtel-de- Ville de Paris jusqu'au
dernier chiffonnier, s'il représente une corporation, et notre
vénérable archevêque n'y sera pas.
Voyons, voyons, républicains qui détenez provisoirement les
destinées de notre infortuné pays, faction victorieuse qui cam-
pez encore dans nos murs, ayez donc un peu la pudeur de la ■
situation officielle qui est momentanément la vôtre.
Souvenez-vous que la France est chrétienne aussi, et que
dans chaque chaumière russe est l'image de la Vierge toute
sainte, comme chez nous est la Vierge de Lourdes, et que c'est
la même qu'on honore dévotement sur les bords de la Neva et
sur les bords du Gave.
Pour que rien ne manque à l'hospitalité nationale française,
hâtez-vous donc de réparer l'oubli de ces fêtes, et invitez Dieu !
Une petite dépêche de Copenhague a presque passé inaperçue
dans le retentissement des fêtes de Toulon, dans le bruit des
acclamations et sous les tonnerres des salves.
En efi'et, pendant que la flotte russe entrait dans un port
français et que ses marins débarquaient sur la terre de France,
le czar, le czarevitch et le grand-duc Michel se rendaient à bord
de VTsly, et cette coïncidence préméditée, voulue, était une
réponse à ceux qui s'obstinent à ne voir que de simples échanges
de politesse, des manifestations sans portée, sans lendemain,
dans les visites échangées par les flottes françaises et russes à
Cronstadt et à Toulon.
En montant à bord de VIsly, le czar a désiré, sans aucun
doute, affirmer une fois de plus cette sympathie, née des inté-
rêts des deux peuples, qui rapproche la Russie de la Fi'ance, et
manifester sa résolution bien arrêtée de s'en tenir à la politique
qu'il a voulue et qu'il continue à vouloir parce qu'il la juge la
plus efficace pour le maintien de la paix en Europe.
Un homme d'Etat disait un jour : « Il faut en user avec ses
idées comme avec ses amis : en avoir peu et s'y tenir »: il sem-
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 161
ble bien que le czar ait fait sienne cette devise : lorsque sa
volonté s'est une fois fixée sur un point, elle n'en dévie pas et,
lorsqu'il s'engage dans la voie qu'il a choisie, il la suit jusqu'au
bout avec résolution.
A ceux qui invoquent, pour diminuer l'importance de mani-
festations gênantes pour leurs intérêts et leurs calculs, notre
emballement, notre frivolité, nous répondrons, avec le Journal
des Débats, que ces insinuations ne sauraient atteindre le chef
d'un grand peuple, que tout "protège et défend contre les ardeurs
et les enthousiasmes des races latines, ni ce peuple lui-même.
Et pourtant les manifestations de Cronstadt, encore présentes
à tous les yeux et à toutes les mémoires, prouvent que le cœur
de la Russie n'a pas battu avec moins de force que le cœur de la
France le jour uii les marins des deux nations fraternisèrent,
cil Ton vit se mêler et se confondre leurs drapeaux et leurs
hymnes.
Les prédictions pessimistes de ceux qui transformaient par
avance notre enthousiasme en imprudences et provocations, les
arguments qu'on en tirait pour mettre le czar en garde contre
certaines éventualités prédites avec une trop évidente complai-
sance et un espoir qui ne se dissimulait guère seront également
démenties et déçues par l'événement. Les Méridionaux, qui ont
le cœur ardent et la tête chaude, n'ont rien fait ni rien dit qu'on
puisse exploiter contre nous et l'on doit maintenant avoir par-
tout la certitude, comme le disent encore les Débats, que la ma-
nifestation franco-russe ne blessera personne ni n'alarmera ceux
qui, très sincèrement, veulent le maintien de la paix en Europe.
La lutte continue dans nos bassins houillers du Nord avec
toutes les souffrances, toutes les misères, et aussi toutes les
violences qui en sont la suite. Il n'est pas de jour où les tribu-
naux n'aient à prononcer plusieurs condamnations pour entraves
à la liberté du travail, c'est-à-dire pour d'abominables actes de
pression commis ou tentés sur de pauvres gens qui voudraient
gagner leur pain et celui de leurs enfants. Dans le vocabulaire
socialiste, ce sont, naturellement les auteurs de ces délits qui
sont les « victimes »; les ouvriers coupables de travailler mal-
gré l'interdiction des meneurs de la grève sont des « traîtres »;
les fonctionnaires, les gendarmes et les soldats qui font respec-
ter l'ordre public sont des « provocateurs ». Journalistes et
12
162 ANNALES CATHOLIQUES
conférenciers radicaux se livrent, sur ce thème, à leurs disser-
tations habituelles. Les députés en exercice et les aspirants
députés se prodiguent. Ils ont établis entre eux un« sorte de
roulement, de manière à se relayer sur le théâtre de la grève,
à combattre chez les ouvriers toute velléité de lassitude, à in-
timider ceux qui feraient mine de faiblir, à empêcher à tout
prix la reprise du travail. Ils se consacrent à cette besogne
avec une ardeur d'autant plus vive, mais d'autant moins méri-
toire qu'elle ne leur impose pas le moindre sacrifice. Ils prê-
chent la grève, d'autres en pâtissent. C'est une façon comme
une autre de comprendre la division du travail.
La Lanterne annonce qu'un congrès de libres penseurs se
tiendra à Paris, le dimanche 29 octobre, 94, rue d'Angoulême,
dans la salle de l'Harmonie.
Un programme, joint à la convocation, indique les points à
discuter et les mesures à réclamer. Comme chef-d'œuvre de cy-
nisme, c'est assez réussi, mais la Lanterne nous y a trop habi-
tués pour que nous ayons le n)auvais goût d'insister.
Un appel éloquent est adressé à toutes les forces sectaires :
Il faut, par une manifestation imposaate et appuyée sur toutes les
forces réunies de la Libre-Pensée française, stimuler le zèle et encou-
rager la ferveur des élus républicains anticléricaux.
La défaite écrasante des conservateurs et surtout des catholiques
soi-disant ralliés est une caractéristique lumineuse de l'état général
des esprits dans notre démocratie. ; -','j;.
L'alinéa sur le budget des cultes ne manque pas à l'appel :
Allons-nous, pour cette infime minorité, continuer à jeter dans les
caisses de l'armée noire de l'Eglise cinquante millions chaque année?
Allons-nous, par une tolérance coupable... etc., etc.
Voici donc les principaux points du programme:
1° Loi sur les associations. — Suppression des congrégations reli-
gieuses. — Retour à la nation et aux communes des biens dits de
main-morte.
2* Suppression du budget des cultes. — Dénonciation du coiica^dat
et séparation des Eglises et de l'Etat. — Laïcisation de tous les servi-
ces publics. — Abolition du serment religieux. — ■ Interdiction aux
congrégations religieuses et aux membres du clergé séculier, du
droit d'enseigner. — Mise à l'ordre du jour de la Chambre et vote de
la proprosition Pochon.
CHï(OljldUB DE LA SEMAINE 163
4" Rapport du comité d'études morales (d'après le supplément delà
LanlerneT).
6° Inllueuce do la Libre-Pensée sur la condition n^orale, économi-
(|Ue et sociale de la femme. — Etude des moyens les plus pratiques de
soustraire Ufetiîmeâ'l'influeiice néfaste du prêtre.
.1 ! fJMiui )■' ■,•'•:/■' . : .
Nous plaignons leis maris dont les femmes, instruites à penser
et sans doute à agir librement, seront soustraites à V influence
néfaste de l'Eglise. Enfin la Lanterne réclame au plus tôt une
interpellation c sur l'observation du Vendredi Saint dans l'armée
et les prières publiques dans la marine >. La « prière du soir à
bord des vaisseaux », si insidieusement décrite en belles phra-
ses par cet aristocrate de Chateaubriand, constitue effective-
ment pour notre flotte un élément de faiblesse, qui éclatera au
jour, à l'heure des grandes batailles navales. Le plus triste,
c'est que les marins russes, acclamés par la Lanterne, prient
encore plus que les nôtres. On pourrait interpeller l'amiral
Avellan pour obtenir la suppression do cet abus. '
On peut considéi*er' qu'à moins d'événements imprévus la
Chambre sera saisie du projet de loi relatif à la conversion du
4 1/2 0/0, au cours de la session extraordinaire qui va s'ouvrir
prochainement. Toutefois, tout en considérant que la question
pourra être résolue parlementairement d'ici 'au 31 décembre
prochain, il importe de faire remarquer que les conséquences de
la conversion ne pourront se faire sentir qu'au cours de l'exer-
cice 1894, En effet, le prochain coupon de 4 1/2 doit être
payé le 16 novembre prochain. Or, il est matériellement impos-
sible que la conversion puisse être effectuée avant cette date.
La Chambre nouvelle doit être convoquée pour le 7 ou pour
le 14 novembre ; la date n'est pas encore fixée. Mais, même en
supposant que celle du 7 novembre fut choisie, il n'y aura pas
assez de temps pour que la conversion fût résolue avant le 16
La Chambre, d'une part, doit, avant d'entreprendre aucun tra-
vail législatif, se constituer pour la vérification des pouvoirs de
ses membres, et à supposer — contre toute vraisemblance —
qu'elle eût accompli cette tâche avant le 16 novembre et qu'elle
eût, en outre, voté la conversion avant cette date, il faudrait
laisser au Sénat le temps d'examiner à son tour et de voter
cette grande mes^^'e financière. Il y a doDC impossibilité absolue
d'aboutir à la prochaine échéance. Les porteurs de 4 1/2 sont,
164 ANNALES CATHOLIQUES
par suite, assurés de toucher, le 16 novembre, l'intégralité de
leur revenu.
La conversion, si elle est votée, comme nous le croyons, d'ici
la fin de l'année, ne produira ses premiers effets qu'à l'échéance
du 16 février 1894, qui verra effectuer la première réduction de
revenu. En tout cas, l'exercice 1894 bénéficiera de la réduction
totale de charge que la conversion doit avoir pour effet de pro-
curer au Trésor.
LA PUISSANCE DES MOTS
Nous avons déjà dit pourquoi nous regrettons profondément
que des catholiques, dans les meilleures intentions du mond»
d'ailleurs, prissent le nom ou le surnom de démocrates. Nos
regrets augmentent lorsque nous voyons des sociétés ouvrières
s'appeler démocratiques, ni plus ni moins.
L'organe officieux du Saint-Siège à Rome, YOsservaiore ro-
mano, a montré dans une série d'articles le danger pour les
catholiques d'admettre des mots qui grammaticalement, histori-
quement et philosophiquement représentent des choses révolu-
tionnaires. L'important organe romain dit très bien « qu'après
avoir admis des mots et des adjectifs d'invention socialiste et
révolutionnaire (comme le mot de démocrate) des catholiques en
arrivent, sans qu'ils s'en aperçoivent, ni qu'ils le veuillent, à
accepter des idées, à propager des opinions, à approuver des
faits > très peu orthodoxes.
L'organe de M. le comte de Mun et des Cercles catholiques, la
Corporation, exprime des idées analogues à propos de la déno-
mination prise par la Ligue démocratique belge. Nous le
citons :
C'est la deuxième session des congrès organisés par l'Association
belge formée pour la défense des droits du peuple et de l'Eglise, sous
le nom de Ligue démocratique. Sans doute les mots sonnent autre-
ment en Belgique qu'en France, car chez nous, malgré un certain
penchant pour l'adoptiou de termes risqués, l'adjectif démocratique
n'est pas encore tout à fait nettoyé des mauvaises compagnies qu'il a
fréquentées.
Mauvaises compagnies ! C'est bien cela ; compagnie terroriste
à la fin de l'autre siècle, compagnie révolutionnaire radicale en
LA PUISSANCE DES MOTS 165
1848, compagnie internationaliste après 1870, compagnie socia-
liste aujourd'hui, le mot démocrate les a toutes qualifiées.
Le Saint-Père donnait un exemple, mieux que cela, une leçon
à éviter soigneusement d'employer les mots « démocrate... dé-
mocratie... démocratique », même lorsqu'il parlait du peuple.
Nous avons lu le mot « démocratie» dans des traductions, mais,
vérification faite, il n'était pas employé dans le texte latin.
Aucune Encyclique ne le contient. Dans celle de 1890 sur les
principaux devoirs des chrétiens qui commence par ce solennel
avertissement : « Retourner aux principes chrétiens et y con-
former en tout la vie, les mœurs et les institutions des peuples
est une nécessité qui de jour en jour devient plus évidente, le
Souverain-Pontife, parlant des formes de gouvernement, omet
d'employer le mot de démocratie : « Gardienne de son droit e*
pleine de respect pour le devoir d'autrui, l'Eglise estime un droit
de rester indillerente aux diverses formes de gouvernement et
aux institutions civiles des Etats chrétiens, et entre les divers
systèmes de gouvernement elle approuve tous ceux qui respec-
tent la religion et la discipline chrétienne. »
Parle-t-il de l'intervention du peuple dans le gouvernement,
le Saint Père évite encore de parler de démocratie.
« Les diverses formes de gouvernement n'ont rien qui répugne
à la doctrine catholique et si elles sont appliquées avec sagesse
et justice, elles peuvent, toutes, garantir la prospérité publique.
Bien plus, on ne réprouve pas en soi que le peuple ait sa part
plus ou moins grande dans le gouvernement; cela même, en
certains temps et sous certaines lois, peut devenir non seule-
ment un avantage, mais un devoir pour les citoyens... (Encycli-
que sur la Constitution chrétienne des Etats).
Le Saint-Père, non seulement évite le mot mais il répudie la
chose.
Il condamne l'Etat « où la multitude est maîtresse et se gou-
verne elle-même, de sorte que le peuple est censé la source de
tout droit et de tout pouvoir ». C'est bien là la démocratie,
c Dans l'ordre politique et civil (de l'état chrétien), les lois ont
pour but le bien commun, dictées non par la volonté et le juge-
ment trompeur de la foule, mais par la vérité et la justice. »
Craignons d'aller chercher des forces dans des mots trom-
peurs, d'origine révolutionnaire, et surtout dans les choses et
les institutions qui ne sont pas pénétrés de l'esprit évangélique.
Finissons par reproduire un dernier avis, il est donné par
166
ANNALES CAThOLi<HJES
Léon Xlir à oenx qui veule&t restaurefia société sur des bases
solides : .,■■.,.■.
« Le temps dans lequel nous vivons, nous avertit dô chercher
les remèdes, là oii ils se trouvent, c'est-à-dire de rétablir dans
la vie privée et dans toutes les parties de l'organisme social, les
principes et les pratiques du christianisme; c'est l'unique moyen
de nous délivrer des maux qui nous affligent et de prévenir les
dangers dont nous sommes menacés. »
{Courrier de Bruxelles).
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE (1)
2, — Cœctiia. — Recueil de
chants sacrés à une ou deux
voix, en i'honneurdu très saint
Sacrement, du Sacré-Cœur, de
la Sainte Vierge et des saints
Patrons, par M. l'abbé H. Poi-
vet. Prix 1 fr. 50. Paris, Haton,
éditeur.
Les recueils de musique sacrée
sont très nombreux, mais d'abord
ils coûtent généralement fort
cher ; ensuite leurs mélodies sont
difficiles, souvent peu religieuses.
Si par hasard on rencontre des
chants faciles, par contre ils sont
d'une platitude désolante, aussi
le niondo religieux demandait-il
un recueil de chants faciles, pieux
bien que de belle et grande fac-
ture. Aujourd'hui ce recueil existe.
Nous le devons au talentet au bon
goût de M. l'abbé Poivet ; il com-
prend quelques suaves mélodies
extraites de différents livres de
chant liturgique, des airs anciens
et nouveaux, remarquables d'ins-
piration chrétienne. Les motets,
au nombre décent, sont presque
tous à deux voix égales. M. l'abbé
Poivet a indiqué une manière de
les chanter à deux choeurs qui ne
peut que les faire goûter davan-
tage et exciter la piété des fidèles.
Les maisons d'éducation, les pa-.
roisses, les communauté.?, se ser-
viront avec fruit de ce petit ma-
nuel de chant pour les catéchismes
les saluts et les réunions reli-
gieuses. , ■
3. — Vie dielii'^'ônéraljle
inèi*c Marguerite-Marie
Alacoque, religieuse de la
Visitation Sainte-Marie au mo-
nastère de Paray-le-Monial en
Charolais, d'après Mgr Jean-
Joseph L.VNGUET, évêque de
Soissons, mort archevêque de
Sens, membre de l'Académie
française. 1 vol. ia-S» de 198
pages, illustré de 15 gravures.
Paris, 1893, chez Désolée. Prix :
2 fr.
M. l'abbé Deuzet, à qui nous
devons des vies fort intéressantes
de Saint François de tSales, de
Saint Vincent de Paul et de
Sainte Jeanne de Chantai, nous
donne aujourd'hui la Bienheu-
reuse Marguerite-Marie d'après
(1) Il sera rendu compte de tout ouvrage dont deux exemplaires
ont été déposés dans les bureaux des Annales catholiques. MM. les
auteurs et MM. les éditeurs sont priés d'indiquer le prix des livres
qu'ils envoient. — L'administration des Annales se charge de four-
nir, au prix de librairie, les ouvrages dont il est rendu compte dans
ce Bulletin.
BIBLIOGRAPHIE
167
son premier historien Mgr Lan-
guet. Cette biographie très bien
faite de la révélatrice du Sacré-
Cœur contribuera à propager la
dévotion qui sauvera le monde,
selon la parole et l'espoir de Pie IX.
4. — Saint Stanislas
Koatl^a de la Compagnie de
Jésus, par l'abbé Le Monnier,
chanoine honoraire de l'Insigne
Archi-Basiliquede Saint-Thomas
Apôtre; membre de l'Académie
Romaine de Saint-Thomas d'A-
quin, licencié ès-Lettres, etc.,
etc., d'après le Père Joseph Boe-
ro, S. J. — 1 vol. in-8» de 200
pages, illustré de 13 gravures.
Paris, 1893, chez Désolée. Prix :
2 francs.
5. Stanislas Kostka n'avait jus-
qu'ici, dans la bibliothèque sco-
laire de la Société Saint-Augus-
tin, qu'une jolie plaquette due
au Père Rouvier, tandis que les
autres patrons de la jeunesse,
S. Louisde Gonzagueet S. Berch-
mans, y comptent, l'un cinq,
l'autre trois biographies de for-
mats et de prix divers. Grâce à
l'élégante traduction de la Vie
de S. Stanislas par le Père Boero,
cette inégalité est aujourd'hui
réparée. L'auteur, mort depuis
peu, remplissait à Rome les fonc-
tions de postulateur des causes
de béatification des saints de la
Compagnie de Jésus : c'est assez
dire quelle était sa compétence
en matière d'hagiographie, quelle
autorité on reconnaissait à ses
écrits.
5. — L.eonls PP. liLm
allocutlonea , epistolae ,
eonetitutlones, aliaque
acta prcecipua. — Tome
II1^ 1 vol. in-8<> de 330 pages.
Paris, chez Desclès.Prix sur papier
ordinaire : 2 fr. 50. Prixsur papier
Wathmann : 6 francs.
Nous sommes heureux d'an-
noncer la sortie de presse du
troisième volume des Acta prce-
cipua de S. S. Léon XIII. Impa-
tiemment attendu, ce volume,
qu'un quatrième viendra complé-
ter bientôt, continue la collection
commencée en 1887, soUs la direc-
tion du D'' Bouquillon, profes-
seur à l'Université catholique de
Washington. La nouvelle série,
confiée aux soins de Dom Lau-
rent Janssens, Bénédictin de Ma-
redsous, docteur en théologie, ira
du milieu de Tannée 1887 jusqu'à
Tannée 189'2. Ce troisième volume
que nous offrons au public con-
tient, outre les principaux docu-
ments relatifs au jubilé sacerdo-
tal de Léon XIII, un grand nom-
bre de pièces importantes, telles
que la lettre Relevatis rébus aux
évoques de Bavière, la lettre Ser-
ves Brasilide aux évêques du
Brésil, l'Encyclique Lihertasprœ-
stantissimum sur le libéralisme,
TEncvclique Pontifex gaudet aux
évêques arméniens, l'Encyclique
Pontifex grate recordatur sur les
devoirs de la vie chrétienne, la
lettre Rursus auxilium sur le
culte de saint Joseph, etc., etc.
Des notes marginales, rédigée.s
avec un soin minutieux et recueil-
lies à la fin du volume en table
analytique, facilitent grandement
Tétude de ces documents et per-
mettent de se rendre compte en
un rapide coup d'œil des matières
dont ils traitent. Nous ne doutons
pas que la continuation de cette
importante collection ne soit
accueillie du public avec autant
de faveur que son début. Celui-
ci était un hommage à Léon XIII
à l'occasion de son jubilé sacer-
dotal. Nous déposons cette nou-
velle série aux pieds du Saint-
Père comme un modeste tribut
de notre admiration en la glo-
rieuse année de son jubilé épis-
copal.
6. — L^a Fondation de la
France, par M. Lecov de LA
Marche. — Beau volume gr.
in-S» de 300 pages, orné de filets
rouges et de gravures. — Paris,
1893, chez Desclée. Prix: 3fr.
Quoique M. Lecoy de la Marche
se soit cantonné dans Tétude des
temps anciens, chacun de ses li-
vres estplein de choses nouvelles.
1C8
A n'nales catholiques
A cet égard, la Fondation de la
France n'a rien à envier aux
œuvres les plus modernes, et
d'heureuses surprises y attendent
le lecteur. Sans séparer les deux
forces dont l'action combinée a
constitué notre pays, ce qu'il est,
l'auteur les distingue ; de là les
deux parties de l'ouvrage : fon-
dation de la France religieuse,
fondation de la France politique.
La première expose les origines
du christianisme dans les Gaules,
l'organisation de la hiérarchie, le
rôle des évoques, celui des moi-
nes. La seconde raconte la con-
quête franque, et montre com-
ment l'élément gallo-romain, as-
sujetti par les armes, s'empara de
son vainqueur en lui donnant ses
croyances et ses mœurs, si bien
qu'il n'y eut plus ni race domi-
nante ni race opprimée, mais
union des deux peuples dans la
communauté de religion et de
patrie. Sous la plume loyale de
M. Lecoy de la Marche, la vérité
historique rend à la vérité reli-
gieuse un témoignage irréfor-
mable. Non, Clovis, le premier
roi très chrétien, ne fut pas le
fourbe et cruel ambitieux qno
nous dépeint la chronique; non,
l'Eglise n'a ni conseillé ni toléré,
ni justifié des crimes politiques
dont elle espérait tirer profit,
comme le prétend certaine école
sur la foi d'annales interpolées :
ces calomnies sont lumineuse-
ment réfutées dans ce livre, qui
vient à point au moment où, sur
l'initiative du successeur de saint
Remy, la France catholique s'ap-
prête à célébrer magnifiquement,
en 1896, le quatorzième cente-
naire de son baptême.
UNE CONQUETE
Après avoir trop longtemps subi le joug des sectes, la France com-
mence à se ressaisir. C'est ainsi que les Catholiques, par le Diction-
naire des Dictonnaires, ont enfin repris le domaine encyclopédique
usurpé depuis plus d'un siècle par la Franc-Maçonnerie et la Libre
Pensée, et y ont planté la crois. Il importe d'affermir et d'étendre
cette précieuse conquête. Quiconque a souci de l'intérêt familial,
social, religieux, conservateur, voudra participer à cette croisade,
qui a pour cri : Foi et Science, Dieu et Patrie. D'ailleurs, il s'agit
d'une œuvre aujourd'hui indispensable, d'une utilité quotidienne ; et
l'on peut encore en souscrivant de suite, se la procurer dans des
conditions exceptionnelles. On trouvera plus loin ces conditions avec
le bulletin de souscription.
Le Gérant: P. Chantrel.
Paris. Jmp. 0. Picqnoin, 53, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
LE DIES IRJE
Un jour, dans sa cellule, un religieux médita longtemps sur
In mort et le jugement dernier. Il vit les redoutables assises oîi
doivent comparaître les vivants et les morts : le tribunal, le
juge, les accusés passèrent sous son regard éperdu. Il entendit
l'appel fait aux élus et la malédiction suprême ; son âme fut
frappée de terreur. Comment se passèrent ces choses? Fut-il
transporté aux pieds du souverain Juge sur les ailes de l'extase ?
Son âme se trouva-t-elle éclairée à la suite d'une prière prolon-
gée et fervente? On l'ignore. Le religieux écrivit ce que ses
jeux avaient vu, ce que ses oreilles avaient entendu, ce qu'avait
senti son cœur.
Il l'écrivit, non, il le chanta, et son chant fut sublime. Quelles
notes poignantes ! quels lugubres accents ! quel rythme tour à
tour plein d'onction et d'épouvante ! L'incrédule lui-mêma sou-
vent en frissonne. Il en est du Dies ir-*: comme de l'Imitation
de Jésus-Christ ; l'œuvre est attribuée à plus d'un auteur. Les
uns en font honneur à saint Bernard, à saint Bonaventure ;
d'autres à Frangipani Malabranca Orsini, créé cardinal par son
oncle Nicolas III, en 1278. Il paraît aujourd'hui certain que
l'auteur véritable est Thomas de Celano, l'un des premiers dis-
ciples de saint François d'Assise et son intime ami. Un savant
hjmnographe, Adalbert Daniel, démontre de la manière la plus
pêremptoire que cette prose fameuse ne remonte pas au-delà du
xii« siècle. La première mention en est faite par Denys le
Pisan (1401). Il prouve également qu'elle est née en Italie, et
ne s'est répandue en France et en Allemagne que dans les siè-
cles suivants. Quant aux droits de Thomas de Celano ils sont
revendiqués par Wadding, le bibliographe de l'Ordre Séraphi-
que.
Thomas de Celano s'était fait connaître par d'autres ouvra-
ges ; c'est lui qui composa la première biographie de saint
François qu'on nomma Legenda Gregorii IX, parce qu'elle fut
écrite à la demande de ce pape. Il en rédigea une autre plus
étendue, et publia sur le même rythme que son Dies ïrœ deux
autres proses ou séquences, à la gloire de sou bien-aimé Père :
i-xxxTi — 28 Octobre 1893. 13
170 ANNALES CATHOLIQUES
Fregit victor virlualis et SanciiiaUs signa nova. Le texte
authentique est celui que nous lisons au Missel Romain et que,
bien à tort, les rédacteurs de la liturgie néo-gallicane du
XVII' siècle se sont permis de retoucher.
Le Dies irœ, sublime par les idées qu'il exprime, est admira-
ble au point de vue littéraire. La langue latine, si pleine de
force et de majesté, se prête merveilleusement au sévère génie
du vieux poète. Chaque mot porte ; chaque strophe, resserrée
dans un tercet composé de ces vers octosyllabiques si chers aux
troubadours et aux trouvères, retombe trois fois sur la même
rime comme pour imiter le tintement du glas funèbre. Aucune
recherche de l'effet ; partout la simplicité d'un style nourri de
réminiscences bibliques. Mais quelle concision, quelle énergie !
parfois quelle douceur élégiaque dans la supplication et dans la
plainte ! On sent que ce poème est né au fond d'un cloître des
méditations d'un saint : In meditatione meâ exardescet ignis.
C'est seulement dans le silence qu'on entend ces échos de
l'autre monde, c'est dans la solitude qu'on a de semblables
visions ; c'est dans l'oubli complet des choses présentes qu'on
peut ainsi contempler l'avenir et s'absorber dans l'étude pré-
voyante des années éternelles. 11 n'est pas étonnant que ce
chant d'église si populaire, ait inspiré poètes, peintres et musi-
ciens.
Le Lies irœ se compose de dix-neuf strophes. Les six pre-
mières sont une mise en scène du drame qui doit s'accomplir au
dernier des jours, la septième strophe est un retour de l'âme
sur elle-même et comme une transition à la prière qui remplit
le reste de la prose.
Dies irae dies illa Jour de colère, jour d'eifroi
Solvet steclum in favilla Qui réduira le monde en cendres
Teste David cum Sybilla Prophète et Sybille en font foi.
Quantus tremor est futurus Quelle terreur et quel émoi
Quando Judex est venturus Quand du ciel on verra descendre
Cuncta stricte discussurus! Pour noua juger le divin Roi?
Tuba mirum spargens sonum Arrachant les morts au tombeau
Por sepulchra regionum Vers Dieu la trompette effrayante
Coget omnes ante thronum Les poussera comme un troupeau.
Cette troisième strophe est sublime. Le verset Tuba mirum
spargens sonum, surtout lorsqu'il est bien chanté, est admira-
ble d'harmonie imitative : on croit entendre le son de la trom-
LE DIE S IRiE 171
pette. Virgile et le Tasse ont employé plus de mots pour arriver
à un effet moindre.
Un poète ordinaire n'eût pas manqué d'amener les anges pour
pousser vers le trône du souverain Juge les générations ressus-
■citées; s'il eût voulu atteindre la beauté classique il eût mis
dans la main de ces ministres la verge avec laquelle Mercure
conduisait les Ombres aux sombres bords.
L'auteur du Dies irœ est plus court, et plus simple et plus
beau : c'est le son de la trompette, c'est l'elïroi qui pousseront
vers le redoutable tribunal le troupeau tremblant des humains^
€oget omnes unie ihronum.
Saint Paul a personnifié la création et en a fait la créature
qui gémit : Creatura ingemiscit. Dans Milton, le Chaos et la
Mort sont des êtres vivants et agissants : l'auteur du Dies irœ
est de la race de ces grands poètes.
Mors stupebit et Natura La Mort et la Nature en deuil
Cum resurget Creatura Dans la stupeur et l'épouvante
Judicanti responsura. Les verront sortir du cercueil.
Liber scriptus proferetur, Et le livre mystérieux
In quo totum continetur Qui doit dicter toute sentence
Unde mundus judicetur. Nous sera mis devant les yeux.
Judex ergo cum sedebit Le juge assis au tribunal,
Quidquid latet apparebit. Rien ne restera sans vengeance,
Nil inultum remanebit. Tout sera connu, bien et mal.
En face de cette justice exacte, terrible, imminente, le pre-
mier sentiment est celai de la terreur, et d'une terreur toute
personnelle.
Quidsum miser tune dicturus? Malheureux, que dirai-je alors
Quem patronum rogaturus. Et qui donc prendra ma défense
Cum vixjustus sit securus ? Quand le saint est sans remords?
Puis vient le sentiment de l'espérance, et la prière qui
demande grâce, invoquant les motifs de miséricorde capables
d'agir sur le cœur du Juge qui fut aussi le Sauveur :
Rex treraendse majestatis 0 redoutable majesté,
Qui salvaados salvas gratis, Roi qui nous sauvez par clémence,
Salvame, fona pietatis. Sauvez-moi, source de bonté.
Recordare, Jesu pie, Rappélez-vous combien de pas
■Quod sum causa tuse viae Vous avez faits pour moi sur terre
Ne me perdas illa die. En ce jour ne me perdez pas !
172
ANNALES CATHOLIQUES
Quiârens me sedisti lassus ; Jésus à me suivre lassé ;
Voilà un verset qu'il suffit de traduire un peu largement pour
en faire sentir la touchante beauté.
« Que de fois, doux Pasteur, en me cherchant moi, brebis
perdue, vous vous êtes assis accablé de lassitude au bord du
chemin ! »
Quel sujet de tableau ! On a souvent représenté le bon Pas-
teur portant sur ses épaules la brebis retrouvée : pourquoi un
grand peintre, s'inspirant du Dies irœ ne nous montrerait-il
pas le divin Berger assis au milieu du jour sur la route pou-
dreuse et sans ombrage, se reposant quelques instants de sa
course à la recherche de la brebis encore égarée? Qu'ils vont
vite et qu'ils vont loin les pécheurs, puisqu'un Dieu se fatigue
à les poursuivre et à les atteindre. Quel touchant plaidoyer
dans les deux versets qui terminent la strophe :
Que sur moi le sang du Calvaire
Ne soit pas vainement versé-
Redemisti crucem passus,
Tantus labor non sit cassus
La prière continue :
Juste Judex ultionis,
Donumfac remissionis.
Ante diem rationis.
Ingemisco tanquam reus.
Culpa rubet vultus meus,
Supplicauti parce, Deus.
Qui Mariam absolvisti,
Et latronem exaudisti,
Mihi quoque spem dedisti.
Preces meœ non sunt dignse,
Sed tu bonus fac bénigne
Ne perenni cremer igné.
Inter oves locum prsesta,
Et ab hsedis me séquestra,
Statuons in parte dextra.
Confutatis maledictis,
Flammis acribus addictis,
Voca me cum benedictis.
Oro supplex et acclinis.
Cor contritum quasi cinis.
Gère curam mei finis.
Dieu qui vous vengez justement,
De mon crime effacez la trace
Avant le jour du Jugement.
Je supplie et gémis, pécheur.
Le remords fait rougir ma face,
Ayez pitié de moi, Seigneur !
Vous avez fait grâce au larron,
Absous Madeleine coupable.
Vous m'avez promis le pardon.
Quels droits ai-je à votre bonté?
Dieu bon, tirez-moi, misérable,
Des brasiers de l'éternité.
Comptez-moi parmi vos brebis,
Placez-moi loin des boucs infâmes,'.
A votre droite en paradis !
Kt quand les maudits confondus
Seront livrés en . proie jaux flammes
Que je sois avec vos élus !
Humble et brisé de repentir,
Je vous confie, ô Roi des âmes,
Tout le soin de mon avenir.
DE l'kvangile 173
Lacrymosa dies illa. Jour de larmes, jour de grand deuil
(Jua resurget ex favilln, Où l'homme sortant du cercueil
Judicandus homo reus Répondra de tous ses forfaits !
Huic ergo parce, Deus. Pardonnez donc, ô Dieu de paix.
Pie Jesu Domine, Accordez-leur, doux Jésus,
Dona eis requiem. Le saint repos des élus (1).
Les deux derniers versets non rimes n'étaient pas évidemment
dans la pièce primitive ; ils auront été ajoutés par l'Eglise lors-
qu'elle a introduit cette magnifique prose dans l'office des Morts.
Ils résument dans un cri simple et sublime tous les sentiments
de piété et de compassion dont nous devons être pénétrés envers
les Trépassés.
Et maintenant qu'on nous pardonne ces détails littéraires. On
a dit souvent que le Dies irce est un chef-d'œuvre : nous avons
essayé d'indiquer quelques-unes des beautés qu'il renferme.
Puissions-nous avoir obtenu par cet exposé trop bref que nos
lecteurs le récitent avec une attention plus grande, une intelli-
gence plus éclairée, et partant avec plus de dévotion.
A. B.
DE L'EVANGILE
(Voir les Annales des 15 et 29 juillet 1893.)
A) On a dit avec raison que le caractère dominant de l'Ecriture
Sainte, quand on la considérait au point de vue littéraire, était
« une grande simplicité jointe à une majesté noble et sublime ».
Cette observation est surtout applicable à nos saints Evangiles.
Car si, d'un côté, les écrivains qui les ont composés sont en
général simples et d'un ton également soutenu, leur narration
est parfois pleine d'expressions nobles et élevées. C'est ainsi
que les cantiques de la Mère du Sauveur et du prophète Zacharie,
rapportés par saint Luc, ne manquent pas d'une certaine élo-
quence. Quoi de plus beau et de plus sublime encore que le
commencement de l'Evangile de saint Jean ? Cependant, on peut
dire que les Evangiles sont plutôt écrits en langage populaire,
c'est-à-dire simple, vif, figuré, plein de sentences, et parlant
au cœur plus qu'à l'esprit.
Mais un mérite littéraire qui distingue plus particulièrement
(1) La traduction est du P. Charles Claii-.
174 ANNALES CATHOLIQUES
les Evangiles, ce sont les paraboles admirables qu'ils contien-
nent. Elles sont, en effet, bien supérieures non seulement aux
apologues les plus vantés dans l'antiquité profane, mais encore
à ceux des prophètes sacrés, qui ont fait un usage si fréquent
de cette figure. « On a beaucoup vanté en ce genre, dit Lowth,
les compositions du sage de Phrygie, ou celles que d'autres
poètes ont rédigées par écrit à l'imitation des siennes. Le Sau-
veur lui-même n'a pas dédaigné de faire usage de cette sorte
d'instruction, et nous ne savons ce qu'on doit admirer le plus,
de la sagesse, du sens profond, de l'élégance, de l'agrément ou
de la clarté qu'il j a déployés. » (De la poésie sacrée des Hébreux,
leQon x). Si nous appliquons, en effet, aux paraboles évangéliques
toutes les conditions que ce judicieux critique exige pour la
perfection d'une composition de cette nature, nous verrons faci-
lement qu'elles les réunissent toutes au suprême degré. La
parabole, pour être pratique, doit être empruntée à une image
non seulement connue et convenable, dont la signification puisse
être facilement saisie, mais encore élégante, agréable, ayant
toutes ses parties et les accessoires qui la composent, d'une
convenance évidente et qui concoure à l'effet que l'écrivain
'>eut produire; d'une image enfin qui se soutienne sans inter-
ruption, et à laquelle ne vienne point se mêler l'idée du sujet
propre. Or, nous trouvons toutes ces qualités dans les paraboles
de Jésus-Christ.
1° Elles sont toutes empruntées à des images tirées elles-
mêmes des objets de la nature, comme d'un arbre, d'une vigne,
d'un figuier, de la semence, du grain de sénevé, de l'ivraie, etc.;
ou de ceux de la vie domestique et civile, tels que la moisson,
la vendange, le labour, un économe, un débiteur, un festin, des
noces, un royaume; ou enfin des idées religieuses, comme nous
le voyons dans la parabole du mauvais riche; images connues,
convenables, et dont la signification ne peut être difficile à
saisir.
2° En second lieu, il n'est pas une seule parabole cvangélique
dont l'image ne paraisse élégante et agréable, puisque loin
d'être tirées d'objets bas et méprisables, elles le sont toutes, au
contraire, ou de l'agriculture, si fort en honneur parmi les
Hébreux, ou des emplois les plus honorables de la vie domes-
tique, ou enfin de ce qui touche à la religion. Quoi de plus
agréable, par exemple, que ce petit grain de sénevé qui, jeté
en terre, devient un grand arbre sûr les rameaux duquel les
DE l'évangilb 175
oiseaux du ciel viennent se reposer? (Matth., xiii, 31-32; Marc,
IV, 31, 32; Luc, xiii, 19). Quoi de plus gracieux que la parabole
de ce bon pasteur qui, possédant cent brebis, en abandonne
quatre-vingt-dix-neuf dans le désert pour courir après la cen-
tième qu'il a perdue. Après bien des courses et des fatigues, il
retrouve ce tendre objet de sa sollicitude; plein d'un bonheur
qui ne lui permet que de songer à sa chère brebis, il la prend
et la charge sur ses épaules, voulant lui éviter par là une peine
qu'il ne s'épargne pas à lui-même. Il la reporte donc avec em-
pressement au bercail, et il invite ses amis à venir partager la
joie qu'il éprouve de l'avoir retrouvée (Luc, xv, 4-7). Ces mêmes
images se retrouvent dans toute la parabole de l'enfant pro-
digue, mais plus particulièrement dans cette partie de la nar-
ration où lévangéliste nous représente le père de cet enfant
dénaturé courant à sa rencontre, se jetant à son cou, l'arrosant
de ses larmes, le ramenant avec joie dans la maison paternelle,
lui mettant l'anneau au doigt, le revêtant d'une robe écarlate,
et ordonnant qu'on immole le veau gras pour célébrer dignement
le bonheur de son retour (Luc, xv, 11-52). Quoi de plus gracieux
que la parabole des dix vierges (Matth., xxv, 1-13), et celle du
Samaritain (Luc, x, 30-37)?
3" Si on examine avec quelque attention toutes les paraboles
évangéliques, on se convaincra aisément que toutes les parties
et les accessoires qui les composent ont une convenance évi-
dente, et qu'elles concourent parfaitement à l'effet que leur
divin auteur a voulu produire. « Observons avec Lowth, dit
M. Glaire, qu'il n'est pas absolument nécessaire que tous les
traits de l'image se rapportent exactement à l'objet principal :
car il y a quelquefois de ces traits qui ne sont mis que comme
de simples ornements, et dont on ne doit point presser l'expli-
cation avec une rigueur trop minutieuse. Mais lorsque la nature
de l'image employée admet ou mérae demande plus de déve-
loppement, et que la ressemblance de cette image avec l'objet
qu'on veut signifier se présentant naturellement et sans efforts,
se soutient dans tous les détails, il est hors de doute que de ce
concours de tous les traits de l'image avec l'objet signifié résul-
tera la plus grande beauté ». C'est ce que nous admirons dans
la parabole de la semence oii pas une circonstance n'est super-
flue et ne conduit au dessein manifeste de Jésus-Christ, celui
de nous enseigner les dispositions avec lesquelles nons devons
entendre la parole de Dieu (Matth., xiii, 3-32 ; Marc, iv, 8-20;
176 ANNALES CATHOLIQUES
Luc, VIII, 5-15). Il en est de même de la parabole de l'enfant
prodigue où on ne trouve pas un seul trait qui ne soit utile pour
montrer la bonté et la clémence avec laquelle Dieu reçoit les
plus grands pécbeurs.
4° Enfin, dans toutes les paraboles de Jésus-Christ, l'image
dont se sert ce divin Sauveur est toujours soutenue sans inter-
ruption, et jamais l'idée du sujet propre ne vient s'y mêler.
L'allégorie, en eifet, se soutient d'un bout à l'autre, et l'idée du
sujet propre ne paraît que quand Jésus-Christ en donne l'expli-
cation.
Ainsi à juger les paraboles évangéliques d'après les régies
de l'art, elles sont beaucoup plus parfaites que toutes celles que
nous lisons dans les autres ouvrages, sans en compter celles qui
sont contenues dans les livres de l'Ancien Testament. Elles sont
remarquables non seulement par leur simplicité et leur conci-
sion, mais encore par leur beauté naturelle (Cf. Winer, Dict.
de la Bible, art. Jésus-Christ ; Glaire^ Introduction à l'Ecriture
sainte, t. V, p. 268-271j. « C'est la forme populaire de l'ensei-
gnement de Jésus, s'écrie Mgr Bougaud , forme exquise et qui
a tout pour elle, la sublimité du sujet, la naïveté des images,
l'intérêt du récit, le piquant du mystère. Elle étonne les grands
esprits, elle enchante les petits... Avant Jésus, même dans Ja
Bible, il n'y a que deux paraboles; après, il n'y en a plus, ni
dans les Apôtres, ni dans les Pères de l'Eglise, et les tentatives
faites par les Juifs dans le Talmud n'ont réussi qu'à montrer la
difficulté de l'entreprise... » (Le Christ et les temps présents,
t. Il, p. 127-128j.
M. Renan dans ses Evangiles a trois pages (201-203) assez
curieuses sur les paraboles où il montre avec quel art certaines
sont composées pour faire taire les rivalités qui pouvaient
s'élever entre des disciples et les premiers chrétiens. Quelcjues
personnes étaient-elles blessées du peu de qualité de ceux qui
entraient dans l'Eglise; les portes ouvertes à deux battants par
saint Paul les scandalisaient-elles ? auraient-elles voulu un
choix, un examen préalable, une censure? qu'on n'admît que
des personnes intelligentes, de bonne famille? elles n'avaient
pour se calmer qu'à lire la parabole de l'homme qui a préparé
un dîner et qui, en l'absence des convives régulièrement con-
voqués , invite les boiteux, les vagabonds, les mendiants
(Matth., XXII, 1-10; Luc, xiv, 15-24), ou bien celle du pêcheur,
'*qui prend les poissons bons ou mauvais, sauf à choisir ensuite.
DB l'évangilb 177
(Matth., XIII, 47-50). La place éminente que Paul, que d'anciens
adversaires de Jésus, que des tard-venus dans l'œuvre évangé-
lique occupaient parmi les fidèles des premiers jours, excitait-
elle des murmures? les mécontents n'avaient qu'à lire la para-
bole des ouvriers de la dernière heure, récompensés à l'égal de
ceux qui ont porté le poids du jour. L'attente de Jésus est
dépeinte à l'aide de comparaisons vives et fortes, tantôt sous
l'image du voleur qui arrive quand on n'y pense pas, tantôt de
l'éclair qui paraît à l'Occident sitôt qu'il a brillé en Orient, tan-
tôt du figuier dont les jeunes pousses annoncent l'été, tantôt
sous l'apologue charmant des jeunes filles prudentes et des
jeunes folles, chef-d'œuvre de naïveté, d'art, d'esprit, de finesse.
L'Evangile est vraiment « un chef-d'œuvre de littérature popu-
laire » (p. 199).
B) Il ne faudrait pas cependant attribuer le charme de l'Evan-
gile uniquement « à la naïveté des légendes et au vague exquis
du langage », comme l'a fait M. Renan (Evangile, p. 198. Cf.
p. lOT). Ce charme, comme l'intérêt qu'on j trouve et le fruit
qu'on en retire tient plus encore à l'évidente réalité de l'histoire,
à l'exciillence de la doctrine, au caractère sublime et divinement
aimable qui y est dépeint : 1° En nous tenant en présence du
Sauveur, ce livre nous le fait connaître, non seulement dans sa
vie extérieure, mais dans ce qu'il a de plus intime et de plus
ravissant, dans ses sentiments, dans ses vertus, dans son esprit,
dans son langage. « Ouvrez saint Matthieu le publicain ou saint
Jean le jeune homme vierge et contemplatif; choisissez, s'écriait
le P. Lacordaire, telle phrase que vous voudrez dans l'un et
dans l'autre, aussi difi'érente par l'expression que par le sujet,
et prononcez-la devant mille hommes assemblés, tous lèveront
la tête, ils ont reconnu Jésus-Christ. » (Conf. de Notre-Dame,
t. III, p. 433). « Dans l'Evangile, a écrit M. de la Mennais,
c'est le calme de la possession, la paix ravissante qui suit un
immense 'désir satisfait, la tranquille sérénité du ciel même.
Celui que la terre attendait est venu... pour nous élever
jusi^u'à lui, il vient à nous, plein de douceur. Sa parole est
simple, et cette parole est visiblement celle d'un Dieu. Voyez,
dans saint Jean, l'entretien de Jésus avec ht Samaritaine; voyez
le Sermon sur la montagne ; le discoursaprès laCène, dontehaque
mot est une source de vérité et d'amour..., voyez le récit de la
Passion... voyez tout... Jamais rien de semblable ne sortit d'une
bouche humaine... » (Essai sur i'iadili*., t. IV, p. 176). « Quand
178 ANNALES CATHOLIQUES
je pénètre le sens complet de passages comme ceux qui suivent :
«Venez à moi, vous tous qui souflYez... Je suis venu pour...
sauver... » a écrit Channing; il me semble que j'entends un lan-
gage que les hommes n'ont jamais parlé ni avant ni après Jésus-
Christ. Il y a dans la simplicité de ces paroles une grandeur qui
m'étonne, et lorsque je rapproche cette grandeur des preuves
que je vous ai données des miracles du Christ, je suis forcé de
dire avec le Centurion : « En vérité, c'était le Fils de Dieu. »
(Essai sur le caractère du Christ, p. 187).
Le caractère de Jésus, tel qu'il se déploie dans l'Evangile, est
de tel ordre que, quoique véritablement humain, il s'élève
au-dessus de toutes les proportions humaines. « A la conscience
d'une grandeur inestimable, s'écrie Channing, il joint une mo-
destie, une amabilité, une humanité et une tendresse sans égales
dans l'histoire... un tel caractère dépasse absolument l'intelli-
gence humaine... La vénération que j'ai pour Jésus ne le cède
qu'à la sainte frayeur avec laquelle je contemple Dieu. » (Loc.
cit., p. 192). < Oui, disait-il, le caractère du Christ dépasse
absolument le domaine de ses Apôtres, et c'est pourquoi je le
crois vrai. » (Loc. cit., p. 194). On comprend cette situation
d'âme: plus on regarde de près Xotre-Seigueur, plus on tombe à
genoux dans une admiration qui n'a pas sa pareille au monde
devant sa perfection morale. « Audiendo te felix sum, s'écriait
saint Augustin; de tua voce felix sum ; intus bibendo felix sum. »
(In Joa. XXV, 17j. S'il est doux de rencontrer dans le monde une
belle âme, combien plus doux est-il d'étudier et de contempler
à loisir celle du Fils de Dieu, la grandeur et la sainteté mêmes 1
2° En nous faisant connaître Notre-Seigneur, l'Evangile nous
le fait aimer. Comment ne pas s'attacher à celui qu'on voit si
aimable et si parfait? « Quand je le considère, écrit Channing,
non seulement comme ayant conscience d'une majesté incompa-
rable et sans limites, mais comme reconnaissant dans tous les
hommes une nature parente de la sienne et comme vivant et
mourant pour les élever à la participation de sa gloire divine, et
lorsque je le vois, dans cette intention, s'unir aux hommes par
les plus tendres liens, les embrasser avec une tendi*esse que ni
l'insulte, ni l'injustice, ni la souffrance ne pouvaient un moment
refroidir ou vaincre, je suis rempli à la fois d'admiration, de
respect et d'amour. » (Loc. cit., p. 104). Voyez quels sont ceux
qui lui ont été le plus affectionnés, ce sont ceux qui l'ont vu de
plus près et fréquenté davantage, mulio iniuitu, comme dit Isaïe
i
DE l'kvanoile 179
(xxi, 7). Legeham et ardebam dit saint Augustin (Conf. ix, A.)
3° En étudiant le divin Maître on s'anime de son esprit, on se
remplit de ses dispositions, on se conforme à ses exemples. On
apprend à s'occuper des mêmes objets que lui, à les voir du
même point de vue, à en juger comme il en jugeait. On s'habitue
à parler de tout comme il en parlait, chose capitale pour un
prêtre, appelé à continuer son ministère et qui a besoin, pour
le faire avec succès, non seulement de prêcher la même doc-
trine, mais de la prêcher avec le même accent, la même simpli-
cité, la même cliarité. Aussi quoi de plus cher à l'âme fervente
que l'étude de l'Évangile? Qui loquitur tecum, Ijpse est (Joa.,
IX, 37). Ego qui loquebar, ecce adsum (Is., lu, 6).
Saint Augustin rapporte qu'un barbare, fait prisonnier par
les Romains et converti au christianisme, fut si touché de cette
pensée que l'Evangile est la parole de Dieu, qu'il obtint du Ciel,
par des prières, d'apprendre à lire en trois jours, afin de se ras-
sasier à son gré de cette nourriture sacrée (De Doctr. Christi,
prol. 4). « Je me rappelle le moment, a écrit le Père Ratis-
bonne, où, après avoir lu les dernières pages des Anciennes
Ecritures, j'ouvris pour la première fois le Nouveau Testament.
Il était neuf heures du soir. Mon âme s'attacha si fortement à
cette lecture que je ne pus la quitter durant -une partie de la
nuit ; et d'un seul trait j'avalai la coupe d'eau vive de l'Evan-
gile de saint Matthieu. Il m'en arriva de même avec l'Evangile
de saint Jean, et à deux reprises je ne pus le laisser qu'après
l'avoir lu tout entier. > (Phil. du Christ, préf.).
Dans l'Evangile on voit, on entend Jésus-Christ. Jésus-Christ
est là, seul avec celui qui le lit, vivant, parlant, agissant; cha-
que page le révèle, si simple, si nu que soit le stvle. « Il est nu,
s'écrie Mgr Bougaud, à la façon du crucifix..., une immense
émotion court à travers ces récits..., nulle âme n'v est insen-
sible et les plus fermées quelquefois, les plus souillées peut-
être, en connaissent un jour ou l'autre la chaste et invincible
impression. II. ne faut pour cela qu'un peu de silence et de sin-
cérité. > (Loc. cit., p. 135-136).
II
Si, en effet, l'Evangile est peu lu, si nombre de lecteurs y
trouvent peu d'attraits, cela tient à la mauvaise disposition de
leur esprit ou de leur cœur.
Souvent on a, par rapport à l'Evangile, le même préjugé que
180 ANNALES CATHOLIQUES
les Juifs avaient par rapport au Sauveur. Ceux-ci, sachant que
le Messie devait descendre du ciel et appliquant à son premier
avènement ce que les prophètes ont dit du second, ou à son
humanité ce qui se rapporte à sa nature divine, s'imaginaient
qu'il serait entouré d'un éclat tout divin, qu'il effacerait les mo-
narques du monde par sa magnificence. Aussi s'indignaieni-iis
de la prétention du fils du charpentier. Sa pauvreté les cho-
quait : sa simplicité les faisait rougir. Ils voulaient des mer-
veilles et ils ne voyaient que des haillons. Aufer hinc sordidos
pannos, disaient-ils, comme Marcion. Ainsi en est-il encore de
beaucoup de chrétiens à qui l'on présente l'Evangile comme
l'œuvre du Saint-Esprit. Ils s'imaginent qu'un livre qui a Dieu
pour auteur doit posséder au plus haut degré toutes les qualités
qu'on admire dans les productions humaines, surpasser en élo-
quence, en poésie, en perfection littéraire les chefs-d'œuvre
les plus vantés. Et lorsqu'au lieu des beautés qu'ils ont rêvées,
ils trouvent dans ces pages tant de simplicité, si peu de littéra-
ture, si peu d'art, un tel dédain de l'éloquence et de l'éclat, ils
s'étonnent : c'est un mystère qui les confond. Qu'ils réfléchis-
sent cependant : qu'ils consultent leur foi, ils verront que ce
livre a réellement les caractères qu'il doit avoir. Si le Fils de
Dieu a voilé sa grandeur pour habiter parmi nous, s'il a été
humble et caché dans son humanité, s'il s'anéantit chaque jour
sur nos autels, ne doit-il pas s'humilier aussi, se voiler dans son
langage, dans le récit de ses actes, dans l'énoncé de ses maxi-
mes? N'est-il pas naturel qu'il adopte l'idiome des petits, après
s'être réduit à leur petitesse? Ce qui ne Veut pas dire que ses
discours manquent d'élévation ou d'énergie.
Si l'humilité de savie nel'apas empêché de remplirsa mission,
d'abattre l'idolâtrie et de faire régner sa loi d'un bout du monde
à l'autre, la simplicité de son langage n'empêchera pas non
plus que sa parole ne devienne ce qu'elle doit être, la lumière
des intelligences et le principe de toutes les vertus, la force et
le soutien des âmes, la règle et le mobile du monde surnaturel.
A notre époque on a publié un certain nombre d'Histoires ou
de Vies de Notre- Seigneur. Ces ouvrages ont leur raison d'être
et plusieurs ont été publiés par des hommes d'une foi profonde
et d'un grand talent.
Néanmoins quel est celui qui oserait remplacer dans l'Eglise
nos saints Evangiles par ces Hiatoires?
Ne craindrait-il pas de ne pas produire dans les âmes la même
DH l'Évangile 181
impression religieuse? Presque partout, en effet, la main de
l'auteur se trahit trop. En faisant du Fils de Dieu une histoire
suivie et complète, comme l'histoire d'un héros ou la vie d'un
saint, on court le risque de le réduire, de l'humaniser plus qu'il
ne convient. Ce qu'il y a en lui d'extérieur et d'accidentel prend
du relief, mais à proportion, ce qu'il y a d'intime et de divin se
voile. Les paroles de vie qui sortent de ses lèvres se perdent
dans une multitude de paroles oiseuses et stériles. Qu'importent
aux fidèles les particularités de la vie de Caïphe, l'origine de
Pilate et d'Hérode, le site de Tibériade et les paysages du lac
de Génézareth? A côté de l'Homme-Dieu, toute particularité
s'efface. L'horizon de la Palestine est trop étroit pour sa gran-
deur. S'il devait y paraître, ce n'était pas pour y demeurer. Le
cadre qui lui convient, c'est celui que saint Jean lui a tracé dans
son premier chapitre et que le lecteur sous-entend dans les
synoptiques. C'est sur ce fond qu'il faut le voir, si l'on veut se
faire une juste idée de son élévation, de sa sainteté et de sa
perfection infinies. « La grandeur du Sauveur n'est pas de ce
monde, disait Pascal ; si l'on en comprend la nature on le verra
si grand qu'on ne sera pas tenté de se scandaliser de sa bas-
sesse. >
Souvent aussi le cœur est mal disposé. Il manque de pureté,
de droiture, d'élévation, d'ardeur pour la vérité et pour la per-
fection. On ne cherche pas dans l'Evangile ce qu'on devrait
y chercher. On n'a pas les sentiments qu'on devrait avoir. On
lit par curiosité, pour éclairer et orner son esprit {S. Augustin,
De Catech. rud., 13). On lit par amour-propre, afin de se
distinguer dans la prédication. On lit par un goût naturel
pour occuper le temps ou faire diversion à des travaux qui fati-
guent. Ce qu'on voudrait trouver, ce sont les agréments des
livres profanes.
Avec ces dispositions, est-il étonnant que l'Evangile contente
peu, qu'on y rencontre des déceptions, de l'ennui, du dégoiit?
Pour s'y plaire, il faudrait avoir les mêmes vues que les Evan-
gélistes, n'y chercher que ce qu'ils se proposaient: notre sanc-
tification, notre avancement dans la vertu, l'établissement du
règne du Sauveur en nous. Si c'est notre vrai bien que nous
voulons, nous l'y trouverons (Hier. Ep. LUI, 9). Rien ne fait
mieux connaître le Verbe fait chair, ses mystères, ses vertus,
sa doctrine, ses œuvres; rien ne le fait plus aimer.
« G mon ami, s'écrie Mgr Bougaud, entrez dans votre
]82 ANNALES CATHOMQUKS
chambre et fermez-en la porte aux vains bruits du dehors ;
entrez dans votre cœur, dans ce sanctuaire auguste où ne re-
tentissent que les voix d'en haut et fermez-en la porte aux
bruits plus étourdissants encore des passions : vous n'êtes plus
jeune peut-être; vous avez souffert, vous connaissez les hommes:
prenez ce livre enfoui sous les papiers de votre bureau, perdu
dans quelque coin de votre bibliothèque; ouvrez-le à la page
que vous voudrez, au hasard. Etes-vous dans la paix, dans la
sincérité, sous le regard de Dieu ? Je serais bien étonné si vous
n'étiez pas ému peu à peu jusqu'au fond de l'âme, atteint dans
les profondeurs sacrées oii naissent les grandes lumières et d'où
s'échappent les flots de larmes qui emportent quelquefois en une
heure vingt années de doute. » (Loc. cit., p. 136).
Sur la beauté des Evangiles on peut étudier, entre tous, les
morceaux suivants : Dans saint Matthieu, les trois principaux
discours : Sur la montagne, v-vii; aux Apôtres, x; sur les Pha-
risiens, XXIII. — Dans saint Luc, les tableaux et les cantiques
i-iii; X, 38-42; xxiv. — Dans l'un et l'autre les Paraboles. —
Matth., XIII, 6; xxv, 1-30. — Luc, xv; x, 38-39. — Enfin dans
saint Jean, la Samaritaine, v ; l'Aveugle-né, ix ; la Résurrection
de Lazare, xi; la Dernière Cène, xiii; les Apparitions du Sau-
veur ressuscité. — (Voir sur la beauté des Ecritures, Lacor-
daire : Lettre à un jeune homme sur la Vie chrétienne, 2^ lettre .)
P. G. MOREAU,
Vicaire général honoraire de Langres.
DOUZE ANNEES DE PRATIQUE ADMINISTRATIVE
Lorsqu'on fait le tableau des pertes infligées à l'Eglise, on
montre ordinairement les lois, les décrets, les arrêtés ministé-
riels, les décisions judiciaires, c'est-à-dire des actes apparents
et faciles à apprécier. Mais on néglige presque toujours les actes
journaliers du gouvernement et de l'administration qui ne sont
guère connus que des intéressés. Et cependant, là aussi, dans
l'obscurité, le mal se fait en grand.
Rien ne le démontre mieux que les Notes de jurisprudence
du Conseil d'Etat, récemment recueillies et classées par uu
maître des requêtes et plusieurs auditeurs, sur l'initiative et
sous la direction du Président de la section de l'intérieur, des
DOUZE ANNÉES DE PRATIQUE ADMINISTRATIVE 183
cultes, de l'instruction publique et des beaux-arts du Conseil
d'État.
Ce précieux recueil des ;ivi.s, projets de loi et notes du Conseil
d'Etat, se référant à la période comprise entre le mois d'août
1879 et le 31 décembre 1891, n'a point été composé pour édifier
le public. Sa préface nous apprend qu'il a en rue « de faciliter
les recherches des membres du Conseil d'Etat et des fonction-
naires qui concourent à l'élaboration des actes de la puissance
executive >. Aussi ajoute-t-on : « Le caractère particulier de
cet opuscule, qui est d'ordre tout intérieur, explique pourquoi
il n'est pas mis à la disposition du public et ne porte aucun nom
d'éditeur. »
Le public finira pourtant par connaître, d'une manière com-
plète, les Notes de Jurisprudence. La reproduction intégrale en
a été commencée par la Revue générale d' administration, qui
se rédige au ministère de l'intérieur. Dans nos livraisons de juin
et de juillet, nous lui avons emprunté le chapitre consacré à
l'organisation et au fonctionnement du culte catholique.
Aujourd'hui, nous allons de l'avant. Il nous a été donné de
faire, avec le fameux opuscule en mains, un examen total des
Noies de jurisprudence du, Conseil d'État. Nous en avons
profité tout d'abord pour recueillir et rassembler les diverses
solutions concernant : 1° les menses épiscopales et curiales ; 2° les
fabriques ; 3° les congrégations religieuses.
Il nous paraît superflu d'attirer l'attention de nos lecteurs sur
l'extrême importance des documents que nous leur ofi'rons. Mais
nous voulons exprimer la douleur que nous ressentons en cons-
tatant le triste sort des intérêts qui se rattachent à la religion
et qui nous sont chers par-dessus tous les autres.
Pour tout dire d'un mot, les catholiques de France sont traités
avec les égards qu'on doit à des malfaiteurs publics. Les actes
extérieurs par lesquels ils manifestent leur foi et obéissent aux
inspirations de la charité chrétienne, sont envisagés par le Gou-
vernement avec une inqualifiable défiance. Il n'en faut pas d'autre
preuve que l'accueil fait aux libéralités adressées aux divers
établissements publics religieux, nantis du privilège de la recon-
naissance légale.
C'est le Concordat lui-même qui garantit aux catholiques la
liberté des fondations. D'un autre côté, la loi, toujours en vi-
gueur, du 2 janvier 1817, porte que tout établissement ecclé-
siastique reconnu par la loi pourra accepter, avec l'autorisation
184 ANNALES CATHOLIQUES
du Gouvernement, « tous les biens, meubles, immeubles ou
rentes, qui lui seront donnés par actes entre vifs ou par actes
de dernières volontés. >
En violation de cette loi du pays, le Conseil d'Etat a créé la
théorie de la capacité spéciale et limitée des établissements
religieux. Il fallait bien trouver un moj'en de mettre hors du
domaine de l'Église l'enseignement et l'aumône. En vain, les
tribunaux judiciaires ne cessent de répéter qu'aucun texte
n'empêche les évêchés, les cures et les fabriques de recevoir des
libéralités scolaires et charitables! Le Gouvernement, en leur
refusant son autorisation d'une manière absolue, remplace arbi-
trairement la faculté légale par une prohibition administrative.
On sait cela (1), mais ce qui est moins connu, ce que nous
révèlent les Noies de jurisprudence du Conseil d'État^ ce sont
les mille obstacles inattendus qui barrent la voie aux libéralités
les plus inoffensives.
Faites une donation ou un legs à votre Evêque « pour favo-
riser les vocations religieuses dans le diocèse », ou « pour fonder
des bourses dans le séminaire », ou encore « pour encourager et
perfectionner l'éducation catholique dans le diocèse ». On lui
refusera l'autorisation d'accepter vos libéralités, parce que
« la mense épiscopale est instituée uniquement en vue de l'amé-
lioration du sort des titulaires successifs. » Il fallait borner vos
préoccupations et votre générosité au bien-être personnel du
prélat, au soin de sa table et à la splendeur de son palais.
Faites une donation ou un legs à votre curé « pour ses
(ouvres paroissiales », On lui demandera ce qu'il compte en
faire et s'il i-efuse de répondre ou^ ce qui revient au même, s'il
ne répond pas de manière à plaire à l'autorité civile, on n'auto-
risera, [las l'acceptation de la libéralité.
Faites une donation ou un legs à votre fabrique « pour assu-
rer à la paroisse des missions ou des prédications extraordi-
naires périodiques r>. On lui signifiera que les missions et les
exercices qui leur ressemblent sont l'objet d'une interdiction
par le décret du 20 septembre 1809.
Si votre libéralité est destinée au catéchisme de persévérance,
on la déclarera inacceptable, parce que « le catéchisme de per-
(1) Voir, A&jx%\&Revue administrative du culte catholique, leslivrai-
Eons rlo mai 1893, page 32 ; de juillet 1893, page 85 et d'août 1893,
page 139.
DOUZE ANNÉES DE PRATIQUE ADMINISTRATIVE 185
sêvérance n'est qu'un exercice religieux facultatif ne se ratta-
chant directement à aucun acte du culte ».
Si votre libéralité est faite « en vue d'assurer l'instruction
chrétienne des enfants de la paroisse », on dira que ces termes
ont, une signification trop large, susceptible de faire sortir la
fabrique de sa mission. Il est vraiment impossible de favoriser
une pareille usurpation.
Si votre libéralité consiste en un calvaire qui correspond à la
reconnaissance publique d'une pieuse paroisse, on refusera « ce
calvaire qui ne se rattache à aucune tradition historique ou
religieuse. »
Vous croyez peut-être que vous pouvez au moins affecter une
maison au logement d'un vicaire. On vous affirmera gravement
qu'une pareille affectation ne saurait être autorisée, car elle
aurait pour résultat de placer dans le patrimoine des fabriques
une catégorie d'immeubles de main-morte dont l'existence n'est
prévue par aucune des lois en vigueur ». La loi du 2 janvier 1817
n'a pas l'honneur d'être toujours présente à la mémoire des
membres du Conseil d'Etat!
Apprenez maintenant qu'il n'y a pas lieu d'autoriser l'Institut
des Frères des écoles chrétiennes à accepter une maison des-
tinée à la tenue, dans une commune, de l'école libre dirigée par
les Frères, « lorsque cette commune possède une école publique
dans laquelle toute sa population scolaire peut être reçue ».
Les pères de famille" qui ne trouveront plus de place à l'écoie
des Frères et qui seront condamnés à garnir le palais de l'école
officielle, reliront sans doute plusieurs foij, avant d'y croire,
cette invraisemblable sentence.
Enfin, car il faut savoir se borner, lorsque vous donnez ou
léguez aux Petites-Sceurs des pauvres ou aux Filles de la cha-
rité de Saint-Vincent de Paul, n'oubliez pas d'étudier à fond
ler.rs statuts. Aux unes, on a refusé l'autorisation d'accepter un
legs qui avait été fait « à charge de distribution de secours à
domicile ». Aux autres, on a refusé l'autorisation d'accepter
une donation consistant en une rente destinée « à des distribu-
tions pour le paiement de leurs loyers à des familles pauvres ».
Pourquoi? Parce que, dans l'un et l'autre cas, la libéralité
« ferait sortir la Congrégation des attributions fixées par ses
statuts ».
En vérité, il est plus facile de gaspiller malhonnêtement sa
fortune que de l'employer en belles et bonnes œuAres. Et qui
14
186 ANNALES CATHOLIQUES
en souffre surtout? Les pauvres, les malades, les déshérités,
les petits. Qu'on laisse doue à la générosité chrétienne le droit
d'aller où elle veut, comme elle veut, quand elle veut.
Il y a tout cela et d'autres choses encore dans les Notes de
jurisprudence du Conseil d'Etat. En les parcourant, on se
demande parfois si c'est bien en France que les pouvoirs publics
parlent ainsi à la religion et à !a charité, La France n'est pour-
tant pas une de ces nations païennes où les catholiques, perdus
dans le nombre, sont simplement tolérés à cause du respect
qu'imposent leurs vertus. La France n'est pourtant pas une de
ces nations barbares où les actes d'humanité demeurent sans
écho. Quand on a l'honneur de gouverner un grand peuple chré-
tien et civilisé, voilà ce qu'il ne faudrait point oublier! (1)
LE DROIT ET LE DEVOIR (2)
I
Messieurs,
Sans vous faire un compliment, je suis heureux de vous dire
que vous êtes nos premiers défenseurs dans les luttes difficiles
de nos temps malheureux. Vous êtes des jurisconsultes, c'est-
à-dire les savants, les doctes conseillers, les docteurs du droit,
qui est la base de toute justice envers Dieu, envers nous-mêmes
et envers nos semblables.
Un roi de France disait, après une grande défaite : Tout est
perdu, fors V honneur, et rien n'était perdu. Nous aurions nous-
mêmes tout perdu si notre droit était encore debout, nous pour-
rions dire : Rien n'est perdu : et grâce à vous, jamais aucune
de nos saintes causes ne sera définitivement perdue : vous êtes
le droit en action et toujours l'arme au bras.
Le droit tire son origine du préambule du Décalogue: Et
Dieu dit: Ego sum qui sum : je suis celui qui suis ; je suis par
moi-même ; je suis l'Eternel ; je suis l'éternité sans commence-
ment et sans fin. Ego sum Dominus : Je suis le Maître de tout,
du ciel et de la terre ; tout vient de moi, tout existe et se con-
serve par moi ; donc, tout est à moi.
(1) Extrait de rexcellente Revue administrative du culte catho-
lique, measuelle. — Lille, abonnement 12 francs.
(2) Discours prononcé par S. Gr. Jlgr Gouthe-Soulard, archevêque
d'Aix, au congrès des jurisconsultes catholiques tenu dans sa ville
archiépiscopale, le 11 octobre 1893.
LE DROIT ET LE DEVOIR 187
Ego sum Leus, je suis Dieu, l'infinie perfection, l'infinie
puissance, l'infinie bonté, ce qu'il y a de meilleur, ce qu'il y a de
plus excellent : je suis le bon Dieu.
J^ go su'/n Deus... tuus: Je suis de plus ton Dieu : Dieu tout
court pour le reste ; mais pour toi ^e suis ion Dieu — ton bien
suprême, ton seul bien nécessaire ; j'ai mis dans ton intelligence
l'idée indestructible d'un bien éternel, souverainement beau :
j'ai mis dans ta volonté le désir indestructible d'un bien infini-
ment bon — et c'est moi qui suis tout cela : JEgo sum Deus iuus.
Dieu est donc notre maître absolu : il a sur nous tous les droits.
Oui, tous nos droits viennent de Dieu : nous les recevons par
délégation et comme un mandat; ils doivent être exercés sous
sa surveillance et son contrôle : nous en rendrons compte.
II
Mais puisqu'il est mon Maître et ma fin dernière, je dois tendre
à lui par toutes mes actions. C'est mon devoir et mon droit
devoir et droit que nulle puissance de ce monde ne peut con-
trarier, que toutes les puissances de ce monde doivent favoriser :
elles n'existent que pour m'aider à remplir ma double mission
de citoyen et de chréiien eu vue de mon bonheur éternel.
Ego sum Deusiuus :]e suis ton Dieu. La première parole de
Dieu au monde lui a fait connaître son souverain Maître. Il l'avait
gravée dans le cœur de l'homme : il y a une voix intérieure,
inextinguible qui me dit que je suis fait pour Dieu. Mais pour
que je ne prétexte pas de mon ignorance. Dieu a pris un jour sa
grande voix, qui a retenti dans le monde entier et que les échos
de l'éternité et du temps ne cesseront jamais de répéter:
Ego sum, Dominus,ego sum. Deus tuus.
Voilà, mes chers amis, la grande œuvre que vous avez à dé-
fendre et à répandre. Puis, je le répète: nous pouvons être
battus par la force, persécutés, dépouillés, expulsés, dépos-
sédés, chassés de chez nous; tant que le droit est là pour dire
hautement : No7i licet, nous restons invincibles : fîecti nescio :
je ne sais ni plier ni rompre.
Mais le droit a besoin d'être défendu, non pour vivre lui-
même, puisqu'il est éternel, mais pour faire vivre dans l'hon-
neur, la justice et la liberté.
Vous, mes chers amis, vous êtes des premiers parmi les
auxiliaires et les ouvriers de Dieu. Le droit se définit quelque-
fois: J.?-s boni etveri, l'art du bon et du vrai ; le grand artiste
188 ANNALES CATHOLIQUES
du bien, c'est Dieu. Tout bien vient de Lui, Lui seul est bon, il
s'appelle le Souverain bien, il est tellement le bien que nous
ne pouvons y penser et en parler sans dire : le Bon Dieu. Ce
nom est si profond dans le langage ordinaire, que même les
impies qui le méconnaissent, l'outragent, disent: le bon Dieu,
votre bon Dieu.
III
Vous êtes donc ses coopérateurs, puisque jurisconsultes ou
artistes du bien, c'est la même chose. Arsboni. Vous êtes aussi
les artistes du vrai. Ars veri. Dieu se nomme lui-même la vérité.
Ego sum veritas. Dieu est la vérité, il est toute justice, toute
équité et vous, mes chers amis, vous démontrez les principes du
droit, les fondements du droit, ses applications dans les choses
humaines, vous le vengez quand il est outragé, vous dénoncez à
l'indignation publique ses audacieux et puisslints violateurs :
vous établissez le droit dans sa vérité, dans son indépendance,
dans sa fierté, qui ne courbe la tête devant personne. Ars veri.
Le droit, c'est ce qui est droit, ce qui ne biaise pas, ce qui ne
branle pas tantôt à droite, tantôt à gauche.
Le droit ne boite pas, comme dit la sainte Ecriture, entre deux
voies, selon l'intérêt. Le droit va le droit chemin inébranlable
comme deux et deux font quatre. Le droit n'est pas opportu-
niste.
Pour pratiquer et appliquer le droit, il faut être homme de
bien: c'est bien plus nécessaire que pour être un maître eu élo-
quence, et, cependant, c'était la maxime de Cicéron.
IV
Comme il est heureux que le droit ait une origine céleste ! Si
vous voulez que je vous obéisse, montrez-moi des ordres qui
viennent de plus haut, sinon vous n'êtes que la force, et la force
n'a point de droit.
Avec ces principes, l'Eglise a converti le monde païeu, qui
était le monde de la force : il a fallu, bon gré mal gré, que les
puissants comprissent qu'il y a au-dessus d'eux quelqu'un qui
est leur maître.
Quelle que soit la puissance qui se présente devant moi, si
elle ne me montre pas ses lettres de créance divine, je lui dirai
sans trembler : Je ne te connais pas, il n'y a qu'un Dieu et
qu'un maître, et ce Dieu et ce maître ce n^est pas toi.
LE DROIT ET LE DEVOIR 189
Non, nous ne mettrons jamais aucun homme au-dessus du
droit, au-dessus de la loi. Plus la dignité est grande, et plus
on est le très humble serviteur de tous, à l'exemple de Jé-
sus-Christ qui nous dit qu'il n'est pas venu pour être servi,
mais pour servir; à l'exemple du Pape, qui s'appelle le servi-
teur des serviteurs de Dieu.
Ah! si les gouvernants étaient absolument libres de fabri-
quer des lois selon leur caprice, il faudrait mieux vivre avec les
Peaux-Rouges ; au moins là on pourrait peut-être repousser la
force par la force. Chez nous, nous n'avons qu'une résistance, et
nous n'en voulons pas d'autre : c'est la résistance au nom de
notre droit, et, avec notre droit, nous aurons le dernier mot; le
droit, c'est la parole qui ne passe pas.
Mais le droit a besoin de votre plume et de votre parole, qui
est cette épée à deux tranchants qui ne revient jamais vide,
puisqu'elle frappe au nom de Dieu. C'est vous, mes chers amis,
qui par vos écrits et vos discours rendez le droit visible, tan-
gible, palpable, vous qui le réveillez dans tant d'esprits somno-
lents et paresseux, disposés à en faire bon marché, parce qu'il
est souvent désagréable de sentir qu'au bout d'un droit, il y a
un devoir à remplir.
Si tout n'est pas absolument foulé aux pieds, c'est parce que,
vous et d'autres, avez dit: On ne vient pas jusque-là^ rons
n'en avez pas le droit.
Le peu de liberté qui nous reste, nous le devons à nos résis-
tances ; si nous avions lutté davantage nous n'aurions pas à
gémir sur tant de ruines, qui ne seront réparées que lorsque
nous aurons répété sur tous les toits, avec la plus invincible
conviction de nos droits méconnus : Ceci est injuste, ceci est
mal ; nous ne l'accepterons jamais^ ni pour un jour ni pour
mille: notre premier et dernier mot sera toujours : Non licet,
ce nest pas permis, nous ne pouvons pas.
C'était au nom de leur droit que les apôtres parlaient ainsi,
et après? Après, ils sont morts pour la défense des droits de
Dieu et de l'Eglise, et l'Eglise est sortie victorieuse de ses trois
siècles de persécution, parce qu'on croit volontiers à des droits
pour lesquels on se fait égorger.
V
Mes chers amis, vous êtes des jurisconsultes catholiques ; votre
Revue, qui est l'expression de votre pensée, et qui résume ces
190 ANNALES CATHOLIQUKS
travaux intéressants et savants que nous lisons avec plaisir et
profit chaque mois, s'appelle : Revtce des institutions et du
droit. Voilà viugt-et-un ans que vous combattez sans défaillance
pour défendre le droit et nos droits. Dieu sait combien vous
avez évité ou réparé d'injustices, et combien de malfaiteurs ont
reculé devant les vigoureuses philippiques que vous ne leur
ménagez pas.
VI
Voulez-vous me permettre de vous tracer mon programme ?
Il sera peu scientifique, mais très pratique, comme une série de
sujets pour des prônes, la plus difficile des instructions, parce
que c'est la meilleure.
Vous ne devez être que des commentateurs des commande-
ments de Dieu et de l'Eglise, qui sont la T&ison sine quâ non de
tous les codes, de toutes les lois, de tous les jugements, de tous
les arrêts, à partir des décisions du pouvoir souverain, jusqu'au
simple procès-verbal du garde-champêtre et du commissaire de
police, jusqu'au vulgaire pensum que le maître d'école inflige à
son élève paresseux ou désobéissant.
Vous direz donc dans vos discours et vos écrits que Dieu est
le créateur et le conservateur de toutes choses, qu'il est notre
bienfaiteur de toutes les minutes, que nous recevons de sa main
et le rûorceau de pain que nous mangeons et le lambeau d'étoffe
qui nous couvre, et la goutte d'eau que nous puisons à la fon-
taine. Cette voix qui nous parle, et vos oreilles qui m'entendent,
cette intelligence qui a composé cette modeste allocution et vos
intelligences qui la comprennent, tout vient de Dieu.
Répétez bien haut: Puisque Dieu nous a tout donné, il a droit
sur tout; et quand nous lui donnons tout, nous faisons droit à
son droit, nous ne lui donnons rien de trop.
L'honnête homme est celui qui rend à chacun ce qui lui est
dii : si vous ne rendez pas à Dieu ce qui appartient à Dieu, vous
ne rendez pas à César ce qui appartient à César. La justice
envers Dieu est la mesure de notre justice envers nos sembla-
bles. Qu'importe que vous ne soyez ni voleur ni assassin ! Beau
mérite que de n'être pas digne de la prison ou de Téchafaud!
Défendez de toute l'énergie de vos volontés et de toute la
puissance de votre talent, défendez surtout la liberté de cons-
cience.
i
LE DROIT ET LE DEVOIR 191
VII
Tous les tyrans du monde ont voulu s'emparer des conscien-
ces, et quand ils disaient aux chrétiens: Adorez nos dieux,
c'était une question de conscience; et les chrétiens qui n'avaient
({ue leur conscience, répondirent : Nous n'adorons que le Dieu
(la Ciel, et avec leur conscience ils restaient vainqueurs.
La conscience est la clé de la place : quand on est maître là,
on est maître partout. — Est-ce que vous croyez que la guerre
que nous subissons n'est pas une guerre à la conscience ?
Pourquoi les écoles sans Dieu, les institutions sans Dieu, les
hôpitaux sans Dieu ? C'est parce qu'on veut chasser Dieu des
âmes ; et quand il ne sera plus dans les âmes, il n'y aura plus de
conscience. Alors les sectaires se mettront à la place de Dieu,
puisqu'il faut toujours un maître. Ah ! vous ne voulez pas des
droits de Dieu ! eh bien, vous aurez les droits de l'homme, et
avec les droits de l'homme, vous aurez toutes les servitudes et
toutes les iniquités; c'est de la vieille histoire qui a commencé
avec Caïn. Quand la conscience ne parle plus et ne se défend
plus, tout est fini, tout est perdu. Il ne reste sur la terre que
des tyrans et des victimes.
La liberté la plus difficile à conquérir fut la liberté de cons-
cience. L'Eglise, pour nous la donner, soutint trois siècles de
persécutions sanglantes. Vingt millions de martyrs sont morts,
et leurs imitateurs meurent encore aujourd'hui, en disant:
J'obéis à ma conscience et à nul autre.
Défendez, messieurs, usque ad mortem, défendez le sanc-
tuaire dans lequel ni rois ni empereurs, ni république, ni assem-
blée législative ou sénatoriale n'ont rien à voir. — Là, c'est
'mon chez moi: je n'en ouvre la porte qu'à Dieu ; mais à vous,
jamais ! — Vous vous briserez contre mon superbe et invincible
dédain. Non possumus : On ne passe pas !
Avec les droits de Dieu, défendez les droits de l'hoiume. Ces
droits ne sont pas ceux qu'on croit avoir inventés en 1789: ils
sont contemporains d'Adata et d'Eve : il y a quatre ou cinq mille
ans qu'ils ont été écrits et promulgués sur une célèbre montagne
appelée Sinaï, ils peuvent être contenus dans un morceau de
papier moins grand que le creux de votre main; car Dieu doni
ils sont les ordres, a le talent de dire beaucoup en peu de mots, et
ces dix mots, ou dix petites phrases, lumineux comme le plein
midi, sont plus indestructibles que le soleil: le soleil disparaîtra,
192 ANNALES CATHOLIQUES
le Dêcalogue restera pendant toute l'éternité comme le titre légal
de la récompense des élus.
VIII
Défendez vos droits dans vos rapports envers Dieu. Il a dit :
Je suis le Seigneur, je suis ton Dieu. Donc nous avons le devoir
et le droit de l'adorer et de n'adorer que lui seul. C'est la con-
sécration de la liberté nécessaire, la liberté de la conscience.
Si j'ai le droit d'adorer Dieu, j'ai droit à votre respect pour
mes convictions religieuses. L'insulte faite en ma présence à
Celui que j'adore, est faite à moi-même, parce qu'elle s'adresse
à ma foi, à ma croj'ance, à mon culte.
Je respecte vos convictions politiques: rendez-moi la pareille.
J'ai le droit d'adorer Dieu; j'ai le devoir de le prier.
J'ai le droit et le devoir d'adorer Dieu, j'ai le droit de ne pas
travailler le dimanche, qu'il a spécialement réservé pour lui
rendre nos hommages ; et vous qui êtes mes maîtres ou mes
patrons, vous n'avez pas le droit de m'y contraindre, hors le cas
d'absolue nécessité.
Ce jour est le jour que Dieu a fait pour la société, pour la
famille, pour les individus, encore plus que pour lui-même. La
société, la famille, les individus viennent également de Dieu, et
lui doivent tout.
^Quand vous me faites travailler le dimanche sans une réelle
nécessité, vous scandalisez le public, vous ruinez ma santé, vous
compromettez mon avenir et celui des miens, — vous abrutissez
mon âme, qui n'a pas le temps de penser à Dieu, — Vous me
tuez en détail et physiquement et moralement, puisque mon
corps et mon âme ont besoin de repos : vous vous reposez bien,
vous qui commandez, vous vous reposez même au-delà du
dimanche !
Ne dites pas qu'il faut manger le dimanche, oui, je le sais, je
voudrais même que ce joui'-là la table fut un peu mieux servie
pour les parents, les amis, les connaissances, à charge de retour.
— Le dimanche est le jour de l'amitié. — Eh bien, payez six
mois pour sept et le pain du dimanche sera sauvé.
Les ouvriers font souvent des grèves. Il y en a une que
j'approuverais, c'est la grève du dimanche. De celle-là j'en
serais, je la soutiendrais de tout mon cœur et {de toutes mes
forces.
LE DROIT ET LE DEVOIR 193
IX
Défendez les droits des pères et des mères, de toutes les auto-
rités spirituelles et temporelles. Le respect s'en va, faites re-
venir le respect. Le respect est la reconnaissance de ce qu'il y a
de divin dans l'homme : or ou chasse Dieu, et dans l'homme il ne
reste plus que l'animal : on le traite comme tel.
Elevez, agrandissez votre obéissance ; montrez, dans vos sa-
vantes études juridiques, montrez que ce n'est ni à un roi, ni à
un maître collectif ou personnel, individu ou multitude, ni même
à un Pape que nous obéissons, mais à Dieu et à Dieu seul.
L'homme, le chrétien surtout est trop grand pour s'incliner
devant une majesté terrestre, quelle qu'elle soit, si elle ne
commande pas au nom de Dieu.
Défendez nos œuvres de charité, qu'on veut détruire par des
impôts équivalant à la confiscation. Ces œuvres sont toutes au
profit des petits, des faibles, des pauvres, des ouvriers, du grand
nombre qui forme la grande majorité habilement trompée et
dupée, qui traite ses meilleurs amis comme ses pires ennemis.
Défendez le droit de propriété. Dieu a dit: Tune voleras pas.
— La défense de voler suppose le droit de posséder. Sans le
droit de posséder, le vol serait permis.
Si j'ai le droit de posséder, j'ai le droit de ne pas posséder.
Donc j'ai le droit d'être riche, j'ai le droit d'être pauvre.
Personne ne peut m'empêcher de disposer de mon bien comme
je l'entends.
Mon moulin est à moi, comme la Prusse est au roi, di.-^ait le
meunier. — Le meunier était un brave homme, courageux et
énergique : mais il était un très médiocre philosophe ; il se trom-
pait, ce n'était pas la Prusse qui appartenait au roi, mais bien
le roi qui appartenait à la Prusse : car les rois ne sont que les
serviteurs de leurs sujets, même, des -meuniers.
Si j'ai le droit de posséder, je puis distribuer tout mon bien
aux pauvres, aux ouvriers, aux fondations charitables, je puis
faire l'aumône: je puis la recevoir. J'ai le droit d'embrasser le
genre de vie qui me plaît, de vivre au pain et à l'eau, si c'est
mon goût, de m'habiller à ma façon, dans la coupe, la forme et
la couleur qui me conviendront, dussé-je passer pour ridicule à
vos yeux. — En fait de ridicule dans ce genre, les mondains
et les mondaines particulièrement sont des modèles achevés
et variés.
194 ANNALES CATHOLIQUES
Défendez nos ordres religieux, qui sont toujours à l'avant-
garde dans l'armée du bien. — Vous l'avez déjà fait vaillam-
ment : continuez. — Vous savez que vous n'êtes pas au bout.
Mais je suis trop long. — Je passe sur beaucoup de nos droits
méconnus : vous ne les oublierez pas. — Cependant, je ne puis
pas ne pas vous dire : Défendez l'éducation chrétienne.
Dites donc bien haut : Nous avons le droit d'enseigner, puis-
que nous avons la vérité qui ne trompe jamais, et la science qui
ne se trompe pas plus chez nous que chez vous.
J'ai le droit de faire élever mon enfant comme je veux; et par qui
je veux; et vous qui ouvrez et fermez à volonté le trésor public,
ce trésor rempli par tout le monde, vous avez le devoir de m'aider
si je suis pauvre, et de me faire participer aux largesses que vous
distribuez si généreusement aux élèves de vos écoles : ils ne sont
pas plus Français que nos fils et nos filles. — Nous réclamons
notre part dans la justice distributive dont nous supportons les
charges aussi bien que vous. — En revendiquant nos droits,
nous ne demandons aucune faveur : nos droits nous suffisent :
nos droits et Dieu, c'est assez : nous nous chargeons du reste.
En finissant, laissez-moi vous citer un trait de la Bible: c'était
au temps de la terrible persécution d'Antiochus contre les
Juifs. — Un vaillant soldat, du nom deMathathias, se leva pour
venger les droits de Dieu et de sa nation. Les hommes d'Antio-
chus tentèrent de le séduire, parce qu'il jouissait d'une grande
considération parmi les siens. On lui demandait des services : il
répondit par un arrêt de sa conscience. Dussé-je rester seul,
<Mi-[\^Jen^ abandonnerai pas la loi de mes pères, je n'obéis pas
au précepte du roi, mais au précepte de la loi.
Beaucoup d'entre vous, messieurs, ont fait cette réponse, et
eux aussi répondirent par un arrêt de leur conscience.
Mathathias dit au peuple : « Que quiconque a le zèle de la loi,
vienne après moi et me suive ! » Et il délivra son peuple, parce
qu'il avait défendu la loi, c'est-à-dire le droit, c'est-à-dire Dieu.
Au moment de mourir, il n'eut pas d'autre recommandation à
faire à ses fils :
Vos ergo filii, confortamini et viriliter agite in lege quia
in ipsa gloriosi eritis.
Vous donc, mes enfants, prenez courage, et combattez sans
crainte et sans peur pour la loi, parce que par elle vous serez
couverts de gloire.
Et moi aussi, jo vous le répète, mes chers amis. Conforta-
UNB TÊTE COUPÉE QUI PARLA 195
mini et viriliter agite... Soyez courageux, soyez des hommes
de caractère. Aujourd'hui nous avons plus que jamais besoin do
caractère. — Les dignités sont peu de chose, ou si elles ont
quelque valeur, elles ne valent que par le caractère qui les
relève.
En fondant votre œuvre, vous avez dit comme Mathathias :
Omnis qui zelum hahet legis, exeat post me. Vous qui avez le
zèle de la loi, c'est-à-dire du droit, venez avec nous ; nous com-
battrons pour Dieu et pour l'Eglise, nous combattrons pour
la France, qui fait une même cause avec Dieu et avec l'Eglise ;
par la défense du droit nous serons couverts de gloire devant
les hommes, et surtout devant Dieu, quia in ipso gloriosi eritis.
UNE TETE COUPEE QUI PARLA
Légende espagnole [suite]
III
L'heure était favorable, le moment propice : que devait-il
faire? Il hésita quelques instants, puis marchant sur la pointe
des pieds pour ne pas réveiller son maître, il s'approcha de lui
pour bien constater son sommeil, et, cela fait, d'une main vi-
goureuse mais tremblante, il lui trancha la tête.
L'opération ne fut pas longue; il lui fallut pour l'accomplir
moins de temps qu'il n'en faut pour la raconter. Le diable avait
triomphé, et à minuit un quart tout était fini. Francesco n'était
plus d'ici-bas.
Mais ce n'était là que le premier acte de cette sanglante tra-
gédie. A minuit et demi, le corps mutilé du brigand avait déjà
roulé dans le ravin qui clapotait au pied de la montagne et Al-
manzor emportait, dans un sac de cuir, la tête qu'il venait de
couper.
Vers trois heures du matin, après une course effrénée dans
les montagnes, il se trouva aux abords de Monistrol, en face de
trois routes. Quelle était celle de Barcelone? Il ne le savait pas :
car il connaissait encore assez peu le pays. Personne n'était là
pour le lui dire; et il n'osait pas réveiller les habitants du vil-
lage pour le leur demander, de peur que l'émotion, qui malgré
tout l'étreignait au cœur, ne vînt à le trahir.
Il regardait autour de lui, pour s'orienter, il consultait l'hori-
196 ANNALES CATHOLIQUES
zon, ne sachant trop, non pas à quel saint, mais à quel chemin
se vouer, quand il entend une voix sourde et sépulcrale qui lui
dit : « Mon ami, il faut passer à droite, c'est là la route de la
capitale de la Catalogne. »
D'oii venait cette voix, d'abord, il ne peut le comprendre.
Emu, terrifié, il cherche à droite, il cherche à gauche, mais
nulle part, il n'y a l'ombre d'un être vivant. La nuit est noire,
et il y a partout un silence de tombe. Il écoute de nouveau, et
voilà qu'encore une fois la voix mystérieuse se fait entendre
pour dire : « Mon ami, voici la route de Barcelone. »
Ce coup-ci il ne peut plus y avoir da doute; c'est la tête cou-
pée qui parle au fond du sac de cuir. Jugez de la terreur qui
s'empare alors de l'assassin. Que va-t-il faire? Abandonner sa
proie, et par suite, son espérance, les mille douros qu'il a
gagnés, ou bien continuer sa route vers Barcelone, au risque
d'être trahi en chemin parla tête parlante? Il s'arrête au second
projet; et le voilà parti, pâle de frayeur et déjà torturé par le
remords.
Le remords est l'épine cruelle qui naît dans l'âme coupable,
après le péché; c'est une voix sinistre qui poursuit sans relâche
la conscience criminelle; c'est un œil fascinateur qui s'acharne
à tourmenter le pécheur; et personne ne peut, eût-il pour le
garder une cohorte de prétoriens et l'impunité d'une couronne,
se soustraire au mal que fait cette épine, au trouble que pro-
duit cette voix, à la fascination qu'exerce cet œil quand il a
commis un crime. Le tigre boit le sang d'un agneau et dort
tranquille, l'homme tue son semblable, il ne dort plus; il est
sans cesse poursuivi comme par des furies vengeresses. Dieu l'a
voulu ainsi pour que les scélérats trouvassent, dès ici-bas, le
châtiment de leurs forfaits.
Almanzor le sentit bientôt, mais il n'était pas encore au bout
de ses épreuves.
Arrivé à Barcelone, il demande à parler à l'alcade-mayor. In-
troduit auprès de lui, il lui expose l'objet de sa visite, et au mo-
ment oii il veut lui montrer la tête pour laquelle il réclame les
mille douros promis par le roi, voilà que celle-ci se prend à
ouvrir les yeux, et à remuer les lèvres.
« Ce n'est pas ici, dit-elle, que je dois reposer : c'est à Gé-
rone; Almanzor, continue ta route. »
En entendant ces mots, l'alcade est pris de peur, appelle deux
gendarmes et sans autre forme de procès, fait mettre à la porte
UNE TÊTE COUPEE QUI PAUl-A 197
le quémandeur que l'on ne regarde plus que comme un hallu-
ciné ou comme un fou. Celui-ci sentant de plus en plus la pointe
acérée du remords et se voyant en outre déçu de sa chère espé-
rance, et couvert d'opprobre, prend alors le parti d'aller jeter
dans la mer la tête accusatrice.
Mais là, elle lui adresse encore la parole et le supplie de la
porter au tombeau de Dolorès. Il n'ose pas résister à cette der-
nière supplication, et moitié mort de fatigue et de terreur, il
prend le chemin de Gérone.
Il arrive dans cette ville, à la chute du jour, se fait indiquer
le cimetière, et après quelques instants de recherches, il finit
par découvrir une croix sur laquelle il lit l'inscription suivante :
€ Ci-git Dolorès Ysbert. » M'y voici^ dit-il.
Aussitôt, il creuse un trou dans la fosse qui contient les cen-
dres de la femme de son maître, et se dispose à y coucher la
tête de Francesco. Il commençait déjà à la couvrir de terre
quand, pour la dernière fois, elle rouvrit les yeux et remua les
lèvres : « Arrête, s'écria-t-elle d'une voix plus forte et plus ter-
rible que jamais, arrête Almanzor. Je te remercie de me donner
enlin le repos que j'ambitionnais auprès de ma chère Dolorès...
Mais, avant de me taire pour jamais, je veux te dire..., lâche,
que tu as commis un crime horrible, impardonnable; car tu as
commis un parricide, je suis ton père!! » Foudroyé par cette
révélation inattendue, Almanzor tomba à terre évanoui. Com-
bien de temps resta-t-il sans connaissance? il ne put jamais le
dire. Mais, en reprenant ses sens et en remémorant ses souve-
nirs, il finit par comprendre le secret que Francesco voulait lui
révéler, quand il lui avait dit d'aller le trouver à minuit. Il
comprit également l'affection particulière que son maître lui
témoignait, au risque de rendre jaloux ses compagnons.
Mais c'était trop tard.
Bourrelé de remords, il quitta Gérone, non sans être venu
prier quelques instants sur la tombe de l'auteur de ses jours;
et puis, sans se demander ce qu'il ferait, ce qu'il deviendrait, il
reprit le chemin des montagnes qui avoisinent Montserrat ; il
revint dans le pays où son père l'avait conduit enfant sans lui
dire son nom et sa naissance-
Dieu voulait-il le mettre sur la route du repentir? il le
semble, car un soir, après avoir erré trois mois, déguenillé,
mendiant son pain dans les fermes et les châteaux, il fut ren-
contré au bord d'un ravin, par un moine qui passait en égrenant
son rosaire :
198 ANNALES CATHOLIQUES
— Que faites-vous là, mon ami? lui dit le religieux.
— Je ne fais rien, répondit notre vagabond.
— Mais d'où" venez-vous?
— Je n'en sais rien.
— Où allez-vous?
— Je ne le sais pas davantage.
— Qui donc étes-vous?
— Je suis un parricide!
Le mot intrigua le moine qui demanda des explications avec
une grande bienveillance. Elles lui furent données en toute
franchise, si bien qu'elles l'émurent en faveur du pauvre diable
qui venait de les lui donner, et il lui dit, plein de compatis-
sance pour ses misères : Suivez-moi.
Où le conduisit-il? on le devine : à son monastère, à Montser-
rat. Là, il le recommanda au Père hôtelier qui aussitôt lui fit
servir un bon souper, et lui assigna ensuite une modeste
chambre pour la nuit. Il y dormit un peu mieux que sur les
grandes routes, et le lendemain, son sauveur, qui lui défendit
de raconter son histoire à personne jusqu'à nouvel ordre, vint
longuement s'entretenir avec lui dans sa petite cellule.
Il fut convenu qu'il passerait six mois dans le couvent, où il
travaillerait dans le silence et la mortification à se réhabiliter,
et qu'après ce temps il suivrait la destinée que la Providence
voudrait bien lui indiquer.
Ainsi fut fait; quand les six mois furent écoulés, Almanzor
demanda à prendre le froc bénédictin, mais son confesseur ne
crut pas devoir le lui permettre à cause de son crime. Heureu-
sement pour la consolation du parricide converti et repentant, il
trouvera un terme moyen.
Il l'engagea à se retirer dans la solitude sauvage de San-Ger-
minio et d'y vivre en ermite, dans un costume semi-religieux.
San-Germinio est la cime la plus haute et la plus escarpée de
la montagne de Montserrat. Elle ne semble faite que pour des
aigles ou des stylites. Quand on arrive, on peut se croire au
bout du monde, et quand on y vit, on est en quelque sorte aux
portes du ciel.
On y domine un panorama immense, grandiose, prestigieux
et l'on ne peut y avoir de conversation qu'avec les anges.
Plusieurs solitaires y ont passé jadis leur vie, dans des aus-
térités qui nous font frissonner et dans une retraite dont les ours
eUX-mêmes ne voudraient pas. Ils avaient là, dans le creux du
UNE TÊTE COUPÉE QUI PARI.A 199
rocher à peine accessible au-dessus des précipices, une cellule,
une citerne, un oratoire, un parterre et quelques livres. Ils des-
cendaient le dimanche au sanctuaire pour entendre la messe et
faire leur provision spirituelle de la semaine, et puis, ils remon-
taient dans leur grotte pour y manger, trempé de leurs larmes,
le pain qu'une main charitable leur faisait parvenir de loin en
loin, et y continuer, sous l'œil de Dieu, leur dure existence faite
de prières et de méditations.
Tel fut le genre de vie qu'Almanzor adopta. Il arriva, malgré
tout, à une extrême vieillesse et son heure étant venue, il s'étei-
gnit plein de vertus.
Ainsi se terminait l'histoire de la tête coupée qui parla.
Quand le Père abbé eut achevé son récit que nous avions
écouté avec une attention religieuse, je me hasardai à lui
demander : c Qu'est devenu le poignard du parricide ? Vous n'en
parlez pas, et cependant c'est le couteau catalan que vous m'avez
oôert qui a mis sur vos lèvres la palpitante histoire que nous
venons d'entendre. >
« — C'est juste, répondit le bon religieux, et votre question
s'impose d'elle-même. Eh bien, ce poignard nous l'avons gardé
longtemps dans le monastère; Almanzor qui ne s'en dessaisit
qu'à sa mort, aurait voulu que nous le fissions figurer, dans
notre trésor, au milieu des ex-voto que les pèlerins laissent à
Notre-Dame de Montserrat.
«Nous n'avons pas voulu que l'instrument d'un assassinat eût
sa place parmi les souvenirs religieux qui sont offerts au sanc-
tuaire. Un jour, un prince de passage eu eut envie, et nous lui
fîmes cadeau, comme je vous fais cadeau du couteau que vous
emportez. >
Mon couteau catalan je l'ai encore ; je le montre avec orgueil
et je m'en sers avec plaisir. Il n'a jamais coupé aucune tête, pas
même la tête d'un pigeon ou d'un poulet. Il est vierge de sang;
il a bu tout au plus, quelquefois à mes repas, le sang d'un©
poire ou d'une pomme ; il n'a pas commis d'autre méfait, et je
lui l'éserve comme nouvelle fonction, un jour, découper les feuil-
les du livre qui portera l'histoire de la tête coupée qui parla.
Henry Calhia.t.
200
ANNALES CATHOLIQUES
LE CZAR ET LA FAMILLE IMPÉRIALE DE RUSSIE
Alexandre III a succédé à son père, Alexandre II, tombé sous
les bombes des nihilistes le 13 mars 1881.
Certes, à ce moment, l'avenir de la Russie n'apparaissait pas
sous de riantes couleurs. La guerre russo-turque avait épuisé
les finances, et les nihilistes terrorisaient l'empire. En outre,
celui qui venait de prendre le nom d'Alexandre III n'était pas
tout d'abord destiné à porter la lourde couronne de toutes les
Russies, et le genre d'éducation qu'il avait reçue ne paraissait
pas devoir le rendre apte à gouverner cent millions d'hommes.
Aussi était-on tenté de croire qu'il n'avait accepté le pouvoir
suprême qu'avec résignation et sans enthousiasme.
Il n'était devenu héritier du trône qu'après la mort de son
frère Nicolas, mort à Nice en 1865, comme le duc d'York ne
l'est devenu en Angleterre qu'après le décès du duc de Cla-
rence. Le mariage du grand-duc Alexandre eut lieu dans des
circonstances toutes pareilles à celui du prince anglais.
Alexandre lia pris sa tâche à cœur, et il a rendu à la Russie
des services que l'histoire gravera sur des tables de bronze. On
peut en eflet le caractériser d'un mot en disant qu'il est le pre-
mier des Slaves et le plus honnête homme de l'empire. Il
montre en politique et en administration des vertus peu com-
munes et une ténacité à toute épreuve.
Il n'est peut-être pas de souverain plus occupé. Il remplit
tous les devoirs de sa charge avec une ponctualité digne de
remarque. Revues, cérémonies religieuses, réceptions, tout y
passe, j compris les visites aux grands personnages qui se
trouvent in arliculo inortis. Comme Nicolas I'^, l'Empereur
actuel ne manque pas, en effet, d'aller visiter les hauts fonc-
tionnaires en danger de mort et leur porter les suprêmes conso-
lations. On raconte même qu'un de ces malades étant revenu à
la santé, chacun disait de lui : « Voilà un manque grave de
politesse ; un tel eût dû mourir. »
Ainsi qu'en fait foi l'anecdote suivante, Alexandre III, esclave
du devoir, s'impose volontiers un sacrifice quand il s'agit de
montrer l'exemple. Un jour, on avait organisé en Finlande une
grande pêche aux écrevisses. Les préparatifs étaient faits,
quand l'un des invités remarqua que la pêche n'était pas encore
ouverte. Aussitôt le Tsar contremanda tout, et chacun rentra
les mains vides.
LE CZAR ET liA FAMILLE IMPÉRIALE DE RUSSIE 201
Quand, en parlant de la Russie, on a dit « autocratie par
excellence », on croit avoir tout dit. Certes, les ministres n'y
jouent guère que le rôle de simples commis expéditionnaires;
mais, à côté de cela, la commune gère elle-même ses intérêts et
jouit d'une indépendance que l'on serait fort loin de soupçonner.
Bien plus, en 1892, sur l'ordre de l'Empereur, l'Etat a cédé
dans certaines localités, à titre d'essai, des parcelles de terre
appartenant à la commune, ces terrains devant être cultivés en
commun par les habitants. Voilà, certes, une expérience hardie,
que le souverain compte généraliser si elle donne d'heureux
résultats.
Le pouvoir absolu de l'empereur a donc parfois du bon.
Autre exemple: Saint-Pétersbourg, qui pèche sous plus d'un
rapport, a été une des premières villes éclairées à l'électricité.
Devant un oukase impérial, l'administration perd ses droits, les
bureaucrates s'inclinent, les formalités disparaissent comme par
enchantement. L'Empereur a donné l'ordre d'éclairer la ville à
l'électricité; la chose s'est faite immédiatement.
La méfiance étant un des traits dominants de son caractère,
l'Empereur a en horreur toute espèce de changement, surtout
dans son entourage. Aussi, ses ministres conservent-ils leurs
fonctions jusqu'à la mort, ou jusqu'à ce que leur état de santé
les rende tout à fait incapables de les exercer.
Son tempérament est essentiellement pacifique. Il disait un
jour : < La vue d'un convoi de blessés efi'ace dans mon esprit le
souvenir de la plus belle victoire. »
Nous citons ce trait à titre de simple exemple : l'Empereur
n'est point prodigue de ces aphorismes, et l'historien qui, pour
toute besogne, aurait à noter ses saillies, jouirait d'une excel-
lente sinécure. Car le Tsar parle très peu, bien que ses mots
partent quelquefois comme des fusées. Au bal, il ne souffle mot,
surtout aux dames. Et cette attitude de sphinx a tout au moins
l'avantage de lui éviter les indiscrétions ou les imprudences.
Jamais Alexandre III ne commettrait une maladresse dans le
genre de celle que commit, dit-on, son père. C'était aux grandes
manoeuvres, Alexandre II se trouvait, pendant un mouvement
d'infanterie, entre le général Chanzy, alors ambassadeur de
France, et l'attaché militaire allemand. Une division d'infante-
rie ayant réussi à faire l'autre prisonnière, l'autocrate se tourna
vers le général Chanzy, et lui lança simplement ces mots :
< C'est un petit Sedan ! » L'ambassadeur sut se contenir et ne
15
202 ANNALES CATHOLIQUES
répondit rien. Aussitôt l'Empereur s'aperçut de sa faute et
s'excusa de son mieux.
Le faste de la Cour paraît importuner Alexandre III, plutôt
fait pour la vie de famille que pour présider des cercles diplo-
matiques. On dirait que la représentation lui est à charge ; il
accomplit sans enthousiasme cette partie de ses devoirs profes-
sionnels, si je puis m'exprimer ainsi. En supposant qu'il con-
sente à répondre il émettrait certainement à cet égard le même
avis que le duc Ernest de Saxe-Cobourg-Gotha : « Rien que de
dire à mon valet de chambre les uniformes qu'il faut emporter
à Berlin, j'en suis déjà malade. Je me représente par avance le
nombre de fois que j'aurai à me vêtir et à me dévêtir. »
En dehors des cérémonies officielles, la famille impériale
mène une existence des plus retirées, au palais de Gatchina,
près de Saint-Pétersbourg. L'Empereur ne passe guère que deux
mois par an dans sa capitale, et, au lieu d'adopter, comme son
père, le palais d'Hiver, Alexandre III se confine au palais
Anitchkofi", sur la perspective Newsky.
Cet édifice, relativement modeste, rappelle de doux souvenirs
a ses augustes hôtes. C'est là que l'Empereur et l'Impératrice
ont passé les premières années de leur mariage, alors qu'Alexan-
dre III n'était encore que grand-duc héritier. C'est là aussi qu'ils
revinrent après la catastrophe sanglante qui mit fin aux jours
de l'infortuné Alexandre II.
Mais le Tsar passe, sans contredit, le meilleur de son temps
dans les Etats de son beau-père le roi de Danemark) et il a fait
construire, pour s'y rendre commodément le plus grand yacht
du monde, V Etoile polaire [Polarnaïa Zvezda). Ce magnifique
bâtiment ne met que trente-huit heures pour aller de Saint-
Pétersbourg à Copenhague.
En Danemark, le Tsar vit comme un bon bourgeois, sans
aucun souci de l'étiquette, délivré des revues, des dîners, des
bals, des diplomates et même de ses dix ministres. Il fait par-
fois au château de Fredensborg de longs séjours, et l'on peut
s'étonner que le souverain d'un si vaste empire puisse gouver-
ner de loin, sans l'assistance de fonctionnaires, pas même d'un
simple secrétaire. Il reçoit des télégrammes concernant toutes
les affaires de quelque importance et, chaque semaine, un cour-
rier apporte de volumineux dossiers à l'autocrate, qui les exa-
mine à lui seul.
En dehors des occupations politiques, les hôtes impériaux et
1>E CZAR ET LA FAMILLE IMPÉRIALE DE RUSSIE 203
royaux de Fredensborg passent une bonne partie de leur temps
à poser devant les appareils photographiques.
Chaque année, les vitrines de Bredgade présentent à l'avidité
du public danois de nouvelles épreuves des familles de Russie,
d'Angleterre, de Grèce et de Danemark réunies. On obtient
ainsi des groupes importants de trois générations, dont le roi
Christian et la reine Louise forment le point central. L'intérêt
de ces épreuves n'échappera pas au lecteur, s'il veut bien se
rappeler que le prince de Galles a quatre enfants; l'empereur
de Russie, cinq; le roi de Grèce, six; la duchesse de Cumber-
land, six; la princesse royale de Danemark, huit. On a tout de
suite une cinquantaine de personnages.
Outre le Danemark, Alexandre III visite annuellement di-
verses parties de son empire, entre autres, la Volh^'nie et la Cri-
mée. Pourtant, ce dernier pays semble baisser dans la faveur du
tsar. Chacun des séjours du couple impérial est marqué par des
deuils ou des accidents. En 1892, c'était le prince Obolensky, dont
la mort créa dans son entourage un vide considérable. Au mois
d'avril 1893, le vice-amiral Bassarguine, son capitaine de pa-
villon, l'un des familiers d'Anitchkoff et de Gatchina, qui avait
accompagné le grand-duc héritier dans son voyage de 1891, au-
tour du monde. Puis le comte Voronzoff, très malade lui-même,
obligé de retourner en hâte à Saint-Pétersbourg pour voir son
fils mourir du typhus. Enfin le général Richter qui, pendant
quinze jours, est resté à Livadia entre la vie et la mort.
L'impératrice est, au physique, l'opposé de l'empereur. Au-
tant celui-ci est grand et fort, autant la souveraine est petite,
mince et plutôt frêle. Sa bienveillance et son amabilité ne se
démentent jamais, qu'elle soit en toilette de ville et en chapeau
rond, ou coiflfée du kakochnik national et parée de diamants de
la couronne, à l'occasion des fêtes du palais d'Hiver. Elle ne
quitte jamais son impérial époux, toujours prête à partager sa
bonne comme sa mauvaise fortune.
Qui pourrait affirmer que la présence de Marie Féodorovna
n'a pas évité déjà quelques catastrophes? Car, à un moment
donné, le nihiliste, si féroce qu'il soit, hésitera peut-être à
immoler une femme à son ressentiment. Le nom de la souve-
raine est mêlé à toutes les oeuvres de charité : les pauvres l'ap-
pellent c notre mère ».
204 ANNALES CATHOLIQUES
A la cour, l'impératrice tient au respect de la tradition, sur-
tout en matière de modes; elle proscrit notamment le décoUe-
tage carré, la grande maîtresse de la cour se chargeant d'ailleurs
de maintenir sous la férule les demoiselles d'honneur avec ou
sans portrait.
L'empereur de Russie a cinq enfants, dont l'aîné, Nicolas,
porte le titre de grand-duc héritier. C'est, quant à la taille, le
plus petit des Romanoff. Oa l'a élevé avec une grande simpli-
cité, plutôt comme le fils d'un bourgeois que comme l'héritier
du trône des Russies. A la suite de longues pérégrinations dans
l'intérieur de l'empire, Alexandre III lui a fait entreprendre un
voyage de circumnavigation, destiné à servir de couronnement
à ses études. Il a rapporté de cette expédition une cicatrice,
encore très apparente, au côté droit du front. L'agression dont
le grand-duc fut victime, de la part d'un illuminé, fit, dans le
temps, le tour de la presse.
Depuis son retour en Russie, il commande un bataillon du
régiment Préobajensky, et, comme tous les autres, il fait, à son
tour, la garde au palais d'Hiver. Il parle peu et joue parfaite-
ment le rôle de second plan que lui assigne son rang de prince
héritier, peut-être avec un peu de timidité, mais d'une timidité
qui ne va jamais jusqu'àla gaucherie.
On a parlé, dans ces derniers temps, d'une union possible
entre le tsaréwitch et la princesse Sybil de Hesse-Cassel, propre
nièce de la reine Louise de Danemark. Ce mariage aurait été
décidé pendantle séjour actuel des familles impériales et royales
au château de Fredensborg. Rien de formel n'a transpiré jus-
qu'à ce jour. [Correspondant).
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Les fûtes franco-russes. — Obsèques du maréchal de Mac-Mahon. — Visite
à l'Archevêque de Paris. — Te Deum à Paris. — A l'église du Vœu
National. — Un discours de M. de Mun. — Etranger.
26 octobre 1893.
Les fêtes données à Paris, en l'honneur des officiers de l'es-
cadre russe, ont pris fin mardi soir. Après une série inoubliable
de réjouissances, après une magnifique représentation de gala
qui leur a été offerte à l'Opéra, nos hôtes ont repris, vers une
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 205
heure du matin, la route de Toulon, en passant par Lyon et
Marseille oii leur visite recevra le même accueil enthousiaste.
Puis, revenus à leur bord, où le Président de la République ira
leur adresser, lui-même, l'adieu du départ, ils quitteront notre
pays qui, depuis dix jours, n'a cessé de leur manifester ses plus
cordiales sympathies.
Le peuple français tout entier, sans acception de parti, a été
unanime, en effet, à protester de ses sentiments patriotiques à
l'égard d'une nation amie, parce qu'il a compris que la grande
politique qui unit la France à la Russie était une garantie de
paix européenne et la sauvegarde de nos intérêts mutuels.
Les deux grandes nations se sentent désormais solidaires
l'une de l'autre, ce qui permet d'envisager l'avenir avec sécu-
rité et confiance.
C'est une oeuvre de paix qui vient de s'accomplir sous les yeux
de l'Europe attentive.
Le peuple français vient de montrer, par son attitude pleine
de correction dans l'allégresse, qu'il est, en réalité, meilleur,
plus sage, plus intelligent, plus sérieux et plus sûr qu'on ne se
plaît à le croire. Ses détracteurs ne veulent voir et ne mettent
en relief que ses défauts. Il en a, certes, et de très grands,
comme tous les peuples de la terre ; mais il a aussi de merveil-
leuses qualités. Ce qui fait notre joie, c'est que, pendant le sé-
jour des marins russes, cette foule, sans autre règle que son
élan, sans autre obstacle que sa propre raison, livrée entière-
ment à elle-même, n'a pas commis une faute, n'a pas dit un mot
dont nos hôtes ni personne aient eu sujet de s'émouvoir.
La France, en un mot, a grandi depuis huit jours devant
l'Europe et elle a su montrer qu'elle était admirable quand, dé-
gagée des mesquineries et des petitesses de ses gouvernants,
elle est laissée à ses instincts, à ses sentiments et à ses propres
inspirations.
Les inimitiés étrangères qui espéraient peut-être un incident
qu'on aurait pu exploiter contre nous, sont bien déçues. Pas une
note discordante ne s'est produite, on peut le dire, dans toutes
les manifestations qui se sont succédé sans interruption depuis
que l'escadre russe a mouillé à Toulon.
Cette situation est bien faite pour donner à réfléchir à nos
ennemis. Elle prouve que le peuple français a conscience de sa
force, de ses droits; qu'il sait aussi bien, quand il le faut, se
contenir, qu'il sait, en d'autres occasions, manifester son enthou-
206 ANNALKS CATHOLIQUES
siasme ; en un mot, qu'il sait montrer plus de tact et de dignité
que ceux qui sont au pouvoir.
La journée de dimanche, à Paris, marquera parmi celles qui
font le plus d'honneur à notre nation et au peuple de Paris en
particulier. L'attitude calme, recueillie, pleine de réserve qu'il
a observée aux obsèques du maréchal de Mac-Mahon, succédant
aux fêtes et aux démonstrations bruyantes de ces derniers jour.^,
est, de la part de la population parisienne, un spectacle qui a
produit une impression sur tous ceux qui y ont assisté, et qui
n'en produira pas moins dans l'Europe entière.
On a vu une foule immense, maîtresse d'elle-même, sachant
modérer et contenir tout ce que ses manifestations auraient pu
avoir d'inopportun, animée des plus dignes sentiments de res-
pect devant le cercueil d'un glorieux soldat et pleine de conve-
nance envers tous les étrangers sans distinction qui sont venus
joindre leurs hommages aux nôtres dans cette cérémonie de
deuil national. Pas un mot, pas un geste, pas un mouvement
n'a dépassé la mesure sur le passage de ce cortège où les Alle-
mands, les Italiens étaient mêlés aux représentants de toutes
les puissances pour honorer celui qui a doublement servi sa pa-
trie sur les champs de bataille et dans les plus hautes fonctions
de l'Etat. En vérité, tous ces hôtes du dehors ne peuvent man-
quer de rapporter chez eux la conviction que le peuple français
a acquis un empire étonnant sur lui-même et qu'il sait admirable-
ment jusqu'oii et sous quelle forme il doit et peut aller dans ses
plus expansives et plus imposantes démonstrations.
Disons aussi, avec une entière franchise, que les gouverne-
ments qui se sont associés à la grande cérémonie de diman-
che, surtout ceux avec qui nos rapports sont moins intimes,
l'ont fait avec un tact parfait et qui a été très apprécié.
L'Italie y a été représentée de la façon la plus expressive, et
l'empereur d'Allemagne a montré la plus remarquable délica-
tesse en faisant déposer sur le cercueil du maréchal une magni-
fique couronne portant simplement son initiale W.
En un mot, tout s'est merveilleusement passé départ et d'au-
tre. Nos amis de Russie, qui ont si noblement voulu participer
aux hommages rendus à l'un des plus héroïques vétérans de no-
tre armée, pourront dire à l'empereur Alexandre que nous
avons le culte religieux de nos morts illustres, autant que notre
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 207
dévouement est inébranlable et notre affection profonde pour
ceux sur les sympathies de qui nous avons droit de compter.
Paris a repris, dès le lendemain, le cours des fêtes que ces
funérailles solennelles étaient venues interrompre et qui se
sont achevées comme elles ont commencé, au milieu des témoi-
gnages d'une éclatante, infatigable et enthousiaste hospitalité.
Mais de toutes les impressions que conserveront nos visiteurs,
celle de la journée du 22 octobre sera certainement la plus pro-
fonde.
C'est aux Invalides qu'ont eu lieu les obsèques solennelles du
Maréchal. Elles avaient commencé la veille à Montcresson
d'où le corps avait été dirigé sur Paris.
Après l'absoute donnée par le cardinal Richard, le char
funèbre a été amené devant la grille d'honneur et les troupes,
15.000 hommes de toutes armes, a défilé devant le cercueil du
Maréchal.
Les discours suivants ont été prononcés par M. Dupuy,
d'abord, puis par le général Loizillon.
M. Dupuy a dit:
La République, dépositaire des souvenirs et gardienne des gloires
de la patrie, rend hommage à ceux qui ont honoré la France. Pénétré
de cette pensée, le gouvernement a décidé que des funérailles natio-
nales seraient faites au maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta,
ancien président de la République. Le ministre de la guerre redira
avec son autorité particulière la carrière du soldat, l'éclat des jours
heureux, la dignité fière des mauvais jours, et, dans les uns et les
autres, la foi inébranlable, l'invincible espérance dans les destinées
de la patrie. Je veux essayer, quant à moi, de noter le caractère et
le rôle du citoyen, de l'homme public, de l'ancieii chef d'Etat.
En adressant aux Chambres, le 30 janvier 1879, sa démission de la
présidence de la République, le maréchal de Mac Mahon écrivait ces
lignes : « Eu quittant le pouvoir, j'ai la consolation de ?penser que,
durant cinquante-trois ans, consacrés au service de mon pays, je n'ai
jamais été guidé par d'autres sentiments que ceux de l'honneur et du
devoir et par un dévouement absolu à la patrie. »
L'histoire ratifiera ce jugement. Elle dira que le deuxième prési-
dent de la République française accepta le pouvoir sans l'avoir même
désiré, qu'il l'exerça avec loyauté et qu'il sut le quitter avec une
dignité exemplaire. Nos successeurs, mieux placés que »ous pour
être impartiaux, dégageront des événements des 14 et 16 mai la per»
sonnalité du maréchal et la montreront simple et droite, rebelle aux
208 ANNALBS CATHOLIQUES
intrigues, ennemie des complots, déjouant par sa droiture même et
sa simplicité, les secrètes intentions de ceux qui, en lui imposant le
pouvoir, avaient escompté l'inexpérience politique du soldat ouïes dis-
positions supposées du citoyen pour faire de lui un docile instrument
de leurs ambitions ou de leurs rancunes.
11 ne tarda pas à les détromper. Dès le début de Tannée 1874,
répondant aux vceux et aux inquiétudes des présidents du tribunal et
de la Chambre de commerce de Paris, il prononçait ces paroles, qui
firent en leur temps un si grand effet: « L'Assemblée nationale m'a
remis le pouvoir pour sept ans. Mon premier devoir est l'exécution
de cette décision souveraine. Soyez donc sans inquiétude. Pendant
sept ans, je saurai faire respecter de tous l'ordre de chq^es légale-
ment établi. »
C'était comme une consigne; le maréchal l'a observée fidèlement.
Assurément, il n'avait pas de penchant pour les institutions répu-
blicaines; ses origines, son éducation, ses relatio&s le portaient en
sens contraire; mais il avait le respect de la volonté nationale, et
l'on peut dire qu'il ne consentit jamais à être l'homme de personne;
sous les régimes politiques si divers â travers lesquels s'est déve-
loppée sa noble carrière de soldat, il avait toujours vu la France ;
aussi bien ne fut-il jamais courtisan. Il eut toujours le courage de la
franchise.
On sait que seul, dans le Sénat impérial, il s'éleva, au nom de la
liberté individuelle et du droit, contre la loi de sûreté générale ; on
sait moins, mais il faut rappeler qu'il jugeait sévèrement le coup
d'Etat et qu'il s'en ouvrit à Napoléon III lui-même en termes d'une
précision énergique. Napoléon III, qui le considérait comme un légi-
timiste, eût été bien surpris sans doute s'il eût pu savoir que devenu
président de la République, le maréchal, mettant son devoir consti-
tutionnel au-dessus de ses sentiments propres, et de son penchant per
sonnel pour le comte de Chambord, refuserait au prétendant l'entre-
vue secrète que celui-ci, venu de Froshdorf à Versailles, lui avait fait
demander par M. de Blacas.
Un de ses ministres l'a appelé le « soldat-légal » ; le mot vaut la
peine d'être retenu. Il peint l'homme et l'intime fusion, en son âme,
des sentiments du citoyen ot de ceux du soldat, incliné devant la
règle une fois consentie, la considérant comme une discipline supé-
rieure, comme une consigne inviolable, admirable exemple de cette
servitude volontaire dont les consciences d'élite sont leules capables,
et dans laquelle elles puisent comme à une source féconde l'aliment
des grands efforts et l'inspiration des grands devoirs !
Dégagée des polémiques et des controverses des partis, la figure du
maréchal de Mac-Mahon apparaît comme celle d'un bon Français et
d'un grand Français. C'est à cette figure que vont les sympathies
émues dont ce cercueil est entouré ; c'est elle qui explique ces marques
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 209
d'estime et de regret apportées ici par les représentants des souve-
rains étrangers, qui, sous des drapeaux amis ou dans des rangs con-
traires sur tant de champs de bataille, éprouvèrent la valeur et la
loyauté du maréchal. C'est elle qui nlérite le recueillement du grand
Paris si sensible à tout ce qui est noble et beau, et qui sait inter-
rompre subitement les réjouissances les plus attachantes et les plus
désirées, pour faire un respectueux cortège à la gloire et à la mort.
Quand il descendit volontairement du pouvoir, le maréchal de Mac-
Mahon, dans une entrevue qui restera comme un acte de la plus
haute et de la plus loyale courtoisie, disait à son successeur que sa
sa préoccupation dominante devait se porter sur notre situation exté-
rieure.
Cette situation avait eu toute sa sollicitude, et certainement son
nom, ses relations, sa renommée militaire avaient contribué à la for-
tifier. Il a pu, dans sa retraite, si réservée, si discrète, constater que
la République a rempli avec persévérance, ce devoir de vigilance et
d'observation qu'il considérait comme supérieur à tous les autres. Il
a pu, avant de s'éteindre, voir que quelque chose était changé dans le
monde, et que la France avait trouvé dans une situation nouvelle,
comme la récompense de sa sagesse et de sa droiture, un gage solide
de cette paix, à laquelle elle est attachée et dont toute l'Europe a
besoin.
Le maréchal avait accueilli avec joie la nouvelle des fêtes organi-
sées à l'occasion de la visite de nos amis de la marine russe, et suspen-
dues aujourd'hui, accord unanime, pour lui rendre les honneurs
suprêmes. Il avait pu espérer un moment qu'il y prendrait part. Son
cœur de soldat et de patriote en avait compris la portée morale.
En conduisant sa dépouille aux Invalides, où il dormira son der-
nier sommeil, parmi tant de braves et de vaillants dont il fut l'imi-
tateur ou l'émule, nous prouvons aux amis et aux hôtes qui mêlent
leur deuil à celui de la France que la République sait élever et main-
tenir au-dessus des agitations des partis et de leurs disputes l'image
sainte de la patrie.
Inclinons-nous devant cette image vénérée et, quand nous sorti-
rons de l'hôtel des Invalides ayant dit au maréchal de Mac-Mahon,
duc de Magenta, le dernier adieu, gardons tous au cœur, pour nous
inspirer et nous conduire, la devise qui fut la sienne et qui résume sa
noble vie : Tout pour la patrie ! Tout pour la France !
Le général Loizilloa a dit ensuite :
Messieurs,
M. le président du conseil vient d'adresser, au nom du président
de la République et de la France entière, les derniers adieux à celui
qui fut pendant six ans président de la République française.
C'est avec une profonde émotion que je viens, à mon tour, saluer,
210 ANNALES CATHOLIQUES
au nom de l'armée, le chef illustre et vénéré dont elle pleure la perte.
Je n'entreprendrai pas de faire le récit ni le résumé de la carrière
du maréchal de Mac-Mahon : elle appartient déjà à l'histoire.
Les victoires et les actions d'éclat qui la jalonnent sont gravées sur
nos monuments ; elles sont inscrites en lettres d'or sur les drapeaux
de nos régiments.
Mac-Mahon a été de toutes les expéditions.
Il a pris part à toutes les campagnes où s'est illustrée l'armée fran-^
çaise plus d'un demi-siècle.
A Mouzaïa, où il a fait ses premières armes, au siège d'Anvers, à
Constantine, dans les rudes et pénibles labeurs de la conquête de
l'Algérie, partout il se montre le brillant et valeureux soldat dont le
calme et l'héroïque courage arrachaient des cris d'admiration à ceux
qui le voyaient au feu.
II est surtout resté le légendaire héros de Malakoff, de ce glorieux
épisode où sa vaillance lui inspira ce mot superbe : « J'y suis, j'y
reste », et qui fut le couronnement de cette lutte gigantesque, où les
adversaires purent s'apprécier sans se haïr, et d'où vainqueurs et
vaincus emportèrent une estime réciproque, prélude d'une solide et
durable amitié.
La campagne d'Italie marque l'apogée de sa carrière ; a Magenta,^
malgré le courage et les efforts d'une valeureuse armée, son audace
et sa décision transforment en un magnifique triomphe une journée
compromise et lui valent, avec le bâton de maréchal, le titre glorieux
qu'il lègue aujourd'hui à ses enfants.
Pourquoi faut-il qu'après avoir connu les enivrements de la victoire
il ait subi, à son tour, les amertumes de la défaite?
Ses suprêmes efforts n'avaient pu conjurer les malheurs de la
patrie, mais il sortit de l'épreuve encore grandi, et bientôt la confiance
des représentants de la nation l'appelait à la première magistrature
de la République.
Le maréchal de Mac-Mahon resta, dans l'exercice de ses hautes
fonctions, ce qu'il avait été durant toute sa carrière : le soldat de son
pays, et on ne peut s'empêcher d'admirer la simplicité avec laquelle
il descendit du pouvoir qu'il avait accepté sans l'avoir désiré.
Il a donné l'exemple de toutes les vertus militaires, et son plus
beau titre de gloire, au milieu de tant d'autres, sera d'avoir toujours
pratiqué, sans en dévier, cette noble devise, qui est aussi celle de
l'armée : « Honneur et Patrie. »
Le héros de Malakoff, le vainqueur de Magenta va dormir son der-
nier sommeil, au milieu de cette pléiade de guerriers avec lesquels il
a si largement contribué à la gloire de la France, sous ce dôme dos
Invalides où la reconnaissance nationale lui assure une sépulture
digne de son nom et de ses services.
Au seuil de cette tombe, autour de laquelle se pressent avec nous.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 211
unis dans un même sentiment d'admiration et de tristesse, ceux qui
furent ses adversaires et ceux qui combattirent à ses côtés;
Au nom de la vieille et de la jeune armée,
Au nom de l'armée française, j'adresse un suprême et solennel
adieu
Au maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta.
En consacrant à une église leur première visite à Paris, en
inaugurant la huitaine de fêtes de leur séjour dans la capitale
de la nation alliée par un acte religieux, les officiers russes
avaient donné une leçon à nos gouvernants; ils leur avaient
notifié qu'ils honoraient et invoquaient le Dieu dont ces tristes
conducteurs de peuple aff"ectent d'ignorer même l'existence.
Quelques jours après, le ministre de l'instruction publique en
' ssie, adressant un télégramme au ministre de l'instruction
I *■ lique en France, informait que l'on prie Dieu dans les écoles
ru^ es celui qui a charge de diriger des écoles françaises oii il
est interdit de prononcer le nom de Dieu.
Enfin, l'amiral a rendu visite au cardinal Richard et appris à
M. Carnot, à M. Dupuy et à ses collègues, au conseil municipal
parisien, qu'il existe un archevêque de Paris et que le plus
haut représentant, dans la capitale de la France, de la religion
de la majorité des Français compte pour quelque chose dans la
hiérarchie des autorités sociales.
En vérité, la domination franc-maçonnique en est arrivée à
rendre les gouvernants de la France pratiquement impies jus-
qu'à l'absurdité et jusqu'à l'écœurement.
Dans la matinée du 19 octobre, M. le comte Tolstoï, quittant
le Cercle militaire en voiture, se rendait à l'archevêché pour
porter à S. E m. le cardinal Richard l'expression des regrets du
commandant de l'escadre russe, qui s'excusait de n'avoir pu
rendre visite plus tôt à l'archevêque. En même temps, M. le
comte Tolstoï annonçait que, selon les convenances du cardinal,
M. l'amiral Avellan se proposait de lui rendre visite vers quatre
heures de l'après-midi.
A cette heure, eYi efi'et, l'amiral se présentait avec sept de ses
officiers, à l'archevêché, oii S. Em. le cardinal Richard, en-
touré des principaux dignitaires de son clergé, les a reçus dans
le grand salon d'honneur.
Etaient présents tous les vicaires généraux : MM. Caron,
212 ANNALES CATHOLIQUES
archidiacre de Notre-Dame ; Pelgé, archidiacre de Sainte-Ge-
neviève; Bureau, archidiacre de Saint-Denis; M. l'abbé Odelin,
vicaire général et promoteur diocésain ; Mgr d'Hulst, recteur
de l'Institut de Paris; MM. Icard, supérieur de Saint-Sulpice ;
Legrand, curé de Saint-Germain-l'Auxerrois; Fages, chanoine
titulaire; de l'Escaille, doyen du chapitre; Millaud, curé de
Saint-Roch ; Gardey, curé de Sainte-Clotilde, et plusieurs
autres curés, les secrétaires, etc.
Son Éminence le cardinal s'est avancé à la rencontre de
l'amiral Avellan, et lui a souhaité la bienvenue en lui disant
qu'il était heureux de constater que la population de Paris et
la France entière étaient unanimes dans l'expression de leurs
sentiments pour la Russie, en qui elles saluaient une nation
amie, et qu'il se réjouissait de ce que cette union entre les deux
peuples était un gage de paix.
L'amiral a répondu qu'il avait été particulièrement touché de
voir combien cet enthousiasme était spontané et sincère.
Alors Son Éminence a conduit l'amiral dans le grand salon
d'honneur, oii des fauteuils avaient été préparés.
Puis, la conversation s'est engagée, et l'amiral, avec un tact
exquis, s'est plu à rappeler qu'il y a deux ans, lorsqu'à la
demande du gouvernement russe la France avait gracieusement
rendu deux bannières religieuses militaires prises à Eupatoria,
conservées à Notre-Dame après la guerre de Crimée, l'inter-
vention du cardinal avait facilité cette remise, ce dont la Russie
lui serait toujours reconnaissante.
Le cardinal a serré aflfectueusement les mains de l'amiral, en
le remerciant et l'assurant à nouveau des sympathies de tout
son clergé.
Voici quelques détails au sujet des deux bannières dont il
vient d'être question.
Chaque régiment russe a un drapeau militaire et une image
religieuse. Celle-ci n'est portée qu'en temps de guerre.
« Comment voulez-vous, disait dans le salon de l'archevêché
un des officiers russes à un des vicaires-généraux qui lui deman-
dait l'explication de ces bannières, comment voulez-vous de-
mander à des hommes de se faire tuer sans être soutenus par
un sentiment religieux? »
Les deux images rendues par Monseigneur l'archevêque de
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 213
Paris avaient été prises sur les Russes en 1855, à la suite de
l'occupation d'Eupatoria par l'armée anglo- française. Elles
avaient été données ensuite par l'empereur Napoléon à Notre-
Dame, en même temps qu'une cloche prise à Sébastopol et la
croix de fer d'une des églises de la ville.
En 1889, des personnages russes venus à l'Exposition remar-
quèrent les bannières d'Eupatoria déposées dans le trésor de
Notre-Dame. A leur retour, ils prévinrent leur gouvernement.
L'empereur prit l'affaire en mains. Il fit demander, en 1891,
à S. Em. le cardinal Richard, par son ambassadeur M. de Moh-
renheim, de vouloir bien lui faire remettre, à titre gracieux,
ces deux pièces du trésor de la cathédrale.
Monseigneur l'archevêque de Paris convoqua à cet effet le
Chapitre de Notre-Dame, qui accéda volontiers à la demande
du souverain de toutes les Russies.
C'est ainsi que les bannières d'Eupatoria sont revenus à la
Russie. L'amiral Avellan a profité de sa visite au cardinal
Richard pour remercier le vénéré prélat de la part de l'empereur.
Le gouvernement avait soigneusement évité d'associer la
religion et le clergé à la manifestation nationale dont la visite
des officiers de la marine russe a été l'occasion. S. E. Mgr
Richard, agissant de sa propre initiative, a prescrit un TeBeum
solennel dans toutes les églises de Paris.
Le 19 octobre. Son Eminence adressait la lettre suivante au
clergé de son diocèse :
ARCHEVÊCHÉ Paris, 19 octobre 1893.
DE
PARIS
Monsieur le curé.
De toutes parts nous arrivent les vœux de la population parisienne,
qui demande que la prière se joigne aux manifestations unanimes et
spontanées de fraternelle sympathie avec lesquelles sont accueillis les
représentants de la marine russe.
Dans cette cordiale et patriotique union des deux peuples, nous
aimons à reconnaître une bénédiction de Dieu sur notre patrie, un
gage de paix et de sécurité pour l'Europe.
Nous répondrons aux vœux de tous en ordonnant qu'un Te Deum
soit chanté dans les églises du diocèse, dimanche prochain, à la suite
de la messe paroissiale.
Nous répondrons aussi aux désirs qui nous ont été exprimés par un
214 ANNALES CATHOLIQUES
grand nombre d'hommes également dévoués à la France et à l'Eglise*
en faisant chanter le même jour un Te Deum dans la basilique du
Sacré-Cœur, à Montmartre, après l'office du soir, à quatre heures.
Nous présiderons nous-méme cette cérémonie.
L'édification de l'église du Vœu national a été une œuvre tout à la
fois patriotique et religieuse, accomplie avec les offrandes spontanées
de la France entière. Nous suivons nos vieilles traditions françaises,
en allant y couronner, par un acte de foi ^religieuse, les fêtes célé-
brées en l'honneur de nos hôtes. Nous demanderons à Dieu qu'il
daigne conserver la paix entre les peuples chrétiens, que l'union des
âmes se fasse de plus en plus dans le monde ; et que, selon la pro-
messe du Divin Maître, il n'y ait qu'un seul troupeau et un seul pas-
teur.
Veuillez agréer, monsieur le curé, l'assurance de mon affectueux
dévouement en Notre-Seigneur.
f François, cardinal Richard
Archevêque de Paris.
Nous venions d'écrire cette lettre quand nous avons appris que,
sur le désir manifesté par l'ambassadeur de Russie et les officiers de
l'escadre russe, les obsèques du maréchal de Mac-Mahon seraient
célébrées dimanche prochain. La France sera profondément touchée
de voir la Russie prendre part à notre deuil national.
Dans toutes les églises du diocèse, on chantera, après le Te Deum
prescrit par notre lettre, un De profundis pour le repos de l'âme de
l'illustre maréchal, qui demeurera une des gloires les plus pures de
notre pays.
Une foule immense a répondu à l'invitation du cardinal Ri-
chard et se pressait dimanche dans la basilique du Sacré-Cœur,
à Montmartre, pour assister au Te Deum chanté à l'occasion de
la visite des marins russes.
La solennité était présidée par S. Em. le cardinal Richard,
archevêque de Paris; dans le chœur de l'église supérieure,
décoré de drapeaux français et russes, avaient pris place
Mgr Grandin, évêque de Saint-Albert (Canada), MM. les vi-
caires généraux Caron et Pelgé, beaucoup de MM. les curés de
Paris et un grand nombre de religieux de tous ordres.
Parmi les personnes présentes on peut citer encore le comité
de l'Œuvre du Vœu national et le comité de l'Union nationale.
Un certain nombre d'officiers russes, en vêtements civils, ont
assisté à la cérémonie.
Au sommet de la Basilique flottait un grand drapeau de Saint-
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 215
André. L'intérieur était magnifiquement orné de drapeaux
russes et français. Deux gigantesques étendards aux mêmes
couleurs encadraient le sanctuaire. Pendant la cérémonie,
l'excellente musique des Frères de Saint-Nicolas s'est fait en-
tendre.
Avant le Te Deum^ M. l'abbé Caron, vicaire général, est
monté en chaire et a prononcé l'acte de consécration suivant au
Sacré-Cœur de Jésus :
« Cœur sacré de Jésus vivant dans la sainte Eucharistie,
nous voici humblement prosternés devant vous pour vous offrir,
au nom de la France, nos adorations, nos actions de grâces et
nos prières.
€ 0 Jésus, Dieu le Père vous a donné toutes les nations en
héritage; nous vous adorons comme notre Dieu et notre souve-
rain maître. Adveniat regnwn tuum.
€ La France, confiante en vos promesses et en vos miséri-
cordes, a voulu vous élever cette église du vœu National. Dans
les patriotiques émotions qui font vibrer, à l'heure présente,
tous les cœurs français, nous aimons à reconnaître l'eôet de
votre bonté et le gage de votre amour pour la France. A vous.
Seigneur, louange, amour et reconnaissance. Te Deum lau-
damus.
« O Jésus, vous avez apporté la paix au monde; conservez
l'union entre les nations chrétiennes et bénissez l'amitié qui unit
les cœurs de deux grands peuples. »
S. Em. le cardinal Richard a donné la bénédiction du Très
Saint-Sacrement, puis la maîtrise et les fidèles ont chanté le
De Profundis pour le repos de l'âme du maréchal de Mac-
Mahon.
La cérémonie a pris fia à 5 h, 1/4. Une foule innombrable,
on parle de 150,000 personnes, avait envahi la butte tout en-
tière.
Dans toutes les églises du diocèse de Paris, le Te Deum a été
également chanté devant une assistance très nombreuse de
fidèles.
Pour en terminer avec les fêtes russes, donnons quelques-unes
des paroles officielles qui ont été échangées au cours des ré-
ceptions :
Au banquet de l'Hôtel-de-Ville, M. Carnet a porté le toast
suivant :
216 ANNALES CATHOLIQUES
Je bois à la santé de Leurs Majestés l'empereur Alexandre 111 et
l'impératrice de Russie.
Je bois au grand-duc césaréwitch.
Je bois à tous les membres de la famille impériale de Russie.
Après des applaudissements unanimes de tous les convives,
le chœur a chanté en russe l'hymne russe.
Le baron de Mohrenheim a pris ensuite la parole.
Il a dit:
Je bois au président de la République.
Ce toast dit tout.
Cependant, je prends la liberté de demander au président la per-
mission d'enjoindre un autre auquel il sera particulièrement sensible :
A Paris ! Fluctuât nec mergitur.
(Nouveaux applaudissements de la salle entière.)
Le chœur a chanté la Marseillaise.
M. Humbert, président du conseil municipal, s'est ensuite
levé et a porté le toast suivant :
Messieurs,
Au nom de Paris, je lève mon verre et je bois à nos amis et à nos
hôtes ! Qu'ils soient bienvenus dans notre cité comme furent à
Cronstadt, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, les officiers de notre
escadre ! (Applaudissements.)
Je boisa nos amis et à nos hôtes! au vaillant amiral Avellan, aux
braves officiers de l'escadre russe de la Méditerranée, Et, en buvant à
vous, messieurs, je bois à tous vos camarades de la marine et de
l'armée russes, je bois à tous vos compatriotes, à vos frères, à vos
fils, à vos femmes, à vos sœurs et à vos mères. (Chaleureux applau-
dissements.)
Je bois à tout ce qui vous est cher, à tout ce qui fait battre vos
cœurs, à tous vos amours, à toutes vos joies, à toutes vos espérances.
Je bois à la patrie russe, sœur de la patrie française.
Vive la Russie et vive la France ! (Applaudissements prolongés.)
L'amiral Avellan d'une voix retentissante a répondu :
Les officiers de mon escadre et moi, nous sommes très touchés des
hommages que nous recevons _de la municipalité de Paris et de ses
habitants.
Paris est la ville la plus hospitalière du monde.
Avec toute la reconnaissance dont nous sommes capables, nous
buvons à la ville de Paris, à la capitale de la France, à ses habitants.
Vive Paris ! Vive la France ! (Nouveaux applaudissements pro-
longés. Cris de : « Vive la France ! Vive la Russie ! »)
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 217
A la première entrevue de l'Eljsée, M. le baron de Mohren-
lieim a présenté l'amiral Avellan, qui a dit .*
J'ai rhoaneur, moasieur le président de la République française,
de voue apporter mes hommages les plus respectueux, ceux de l'es-
cadre que je commande et de la marine russe tout entière.
M. Carnot a répondu :
Je vous remercie, monsieur l'ambassadeur, de m'avoir présenté
M. l'amiral Avellan et MM. les officiers de l'escadre russe.
J'avais confié à M. le ministre de la marine la mission de leur
porter mes souhaits de bienvenue à leur entrée dans les eaux fran-
çaises, à leur arrivée sur notre territoire. Je suis heureux de pou-
voir aujourd'hui renouveler ces souhaits en personne.
On vous a, messieurs, exprimé à Toulon toute la sympathie du
gouvernement français. Les populations que vous avez traversée!
vous ont dit celles de la nation tout entière. Partout vous trouverez
le même accueil chaleureux et cordial.
Les liens d'affection qui unissent la Russie et la France, resserrés,
il y a deux ans, par les manifestations touchantes dont notre marine
a été l'objet à Cronstadt, sont chaque jour plus étroits ; et le loyal
échange de nos sentiments d'amitié doit inspirer à tous ceux qui ont
à eœur les bienfaits de la paix, confiance et sécurité.
Le grand empereur qui vous envoie, messieurs, et que je salue
d'ici, vous a confié une haute mission que vous savez dignement
remplir.
Soyez les bienvenus !
Au dîner du soir, toujours à l'Elysée, M. le Président de la
République a porté le toast suivant :
Je porte la santé de Sa Majesté l'Empereur Alexandre III ; je me
permets d'associer respectueusement à cette santé celle de Sa Majesté
l'Impératrice de Russie.
Je bois à la brave marine russe, dont les représentants sont ici les
bienvenus,
A sa vaillante sœur l'armée de terre.
Et à la nation russe tout entière.
Voici en quels termes M. de Mohrenheim a porté la santé de
M. le Président de la République :
Monsieur le Président,
Avant de porter un toast destiné à faire vibrer sous leurs plus
intimes profondeurs non seulement les cœurs réunis dans cette
enceinte, mais également et tout aussi fort tous ceux qui, de près ou
de loin, sur tous les points de ce grand et beau pays de France
comme de la Russie entière, battent en ce moment à l'unisson des
i6
218 ANNALES CATHOLIQUES
nôtres, je viens vous prier de vouloir bien me permettre de voua
faire agréer l'expression de notre profonde gratitude pour les paroles
do bienvenue qu'il vous a plu d'adresser ce matin au vaillant com-
mandant de notre escadre, chargé par Sa Majesté l'Empereur de la
mission flatteuse de rendre à la vôtre la visite de Croustadt.
Ces paroles ont caractérisé, avec la haute autorité qui vous appar*
tient, la véritable signification et la portée exacte de ces magnifiques
fêtes de la paix, célébrées avec une si remarquable unanimité et une
loyauté et une sincérité si parfaites.
Aussi, par quelle manifestation plus éclatante pourrions-nous
mieux nous y associer et y répondre que par le cri également una-
nime, également loyal et également sincère, de : Vive le Président
de la République française !
Enfin voici les dépêches échangées entre l'empereur de Rus-
sie et le président de la République, à l'occasion de l'arrivée de
l'escadre russe à Toulon :
A Sa Majesté Vempereur de Russie, Château de Fredensborg.
Au moment où la belle escadre envoyée par Votre Majesté vient
de mouiller dans la rade de Toulon, et où les braves marins russes
entendent les premières acclamations que leur réservait le peuple
français, j'ai à cœur d'adresser à Votre Majesté tous mes remercie-
ments, et de lui dire la joie sincère que j'éprouve en présence de ce
nouveau témoignage des sympathies profondes qui unissent la Russie
et la France. Caunot.
A Monsieur le président de la République. Paris.
En réponse à votre aimable télégramme, je tiens à vous exprimer
tout le plaisir que j'éprouve de ce que notre escadre ait pu rendre la
visite que les braves marins français ont faite à Cronstadt.
Alexandre.
Oq sait que l'empereur de Russie, au moment même de l'arri-
vée de l'amiral Avellan à Toulon, visitait les croiseurs français
mouillés devant Copenhague, et autorisait le commandant de
Ylsly à arborer le pavillon impérial pendant son séjour à bord.
Informé de cette visite, le président de la République a adressé
à Sa Majesté la dépêche suivante :
A Sa Majesté l'empereur de Russie, Château de Fredensborg.
En honorant de sa visite les navires français mouillés devant Co-
penhague, Sa Majesté adonné, hier, â mon pays une nouvelle marque
de sympathie, dont la France tout entière sera profondément tou-
chée. Je me fais son interprète en vous adressant mes chaleureux
remerciements.
Carnot
I
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 219
M. de Mun a présidé dimanche à Landerneau la réunion de
l'Association de la jeunesse catholique du Finistère.
Cinq cents personnes environ l'attendaient à la gare, ayant à
leur tête Mgr d'Hulst, député du Finistère.
Après la messe à l'église Saint-Thomas, un banquet de six
cents personnes a eu lieu dans un atelier. M. de Mun a porté un
toast au Pape. Mgr d'Hulst à la jeunesse de France.
A deux heures, a eu lieu une réunion de 2,000 personnes en-
viron. M. Soubigou, sénateur, présidait. Il a donné lecture d'un
télégramme du cardinal Rampolla, envoyant la bénédiction du
Saint-Père. M. de Mun a prononcé ensuite un important dis-
cours dont voici une analyse télégraphique.
Faisant allusion à son échec à Pontivy, M. de Mun a dit que
les échecs partiels importent peu et n'entravent pas la marche
en avant du parti catholique. « Le seul fait d'avoir affirmé notre
organisation aux dernières élections est un succès et une espé-
rance pour l'avenir. >
M. de Mun a ensuite annoncé que cette réunion serait .suivie
d'autres, non pour prodiguer des discours mais pour faire des
actes. « Le but à atteindre, a ajouté l'orateur catholique, est
l'âme populaire ; c'est là notre champ de bataille. Dans les der-
nières élections, il y a quelque chose d'effrayant, c'est la poussée
du socialisme. L'arrivée de ce groupe avec 40 députés socialistes
est le fait capital des élections du 20 aoiit. Aussi, au programme
purement socialiste faut-il opposer le programme chrétien. »
M. de Mun a parlé des tentatives du parti socialiste pour
gagner les campagnes et a rappelé que ce point du programme
socialiste, parts insaisissables et incessibles de propriété rurale,
a été dérobé au programme catholique. Il a conseillé d'opposer,
par des syndicats agricoles, une barrière aux idées socialistes.
En terminant, il a déclaré que jamais les ouvriers n'avaient
fait défaut. Le Pape s'est posé au premier rang des vrais amis
du peuple. Quant à lui, il a foi dans l'avenir et ne désespère
jamais.
Après ce discours, tout l'auditoire debout a acclamé M. de
Mun.
De nombreuses personnalités politiques assistaient à la con-
férence. Parmi elles, M. Boucher, ancien député, plusieurs con-
seillers générauxet desélecteurs de la circonscription dePontivy.
220 ANNALES CATHOLIQUES
Pendant le déjeuner l'assemblée a décidé d'envoyer un télé-
gramme de sympathie à l'amiral Avellan et un télégramme de
condoléance à Mme de Mac-Mahon.
S'il était besoin d'insister sur le triste état où agonise l'Italie,
il suffirait de lire le discours que prononçait dimanche, devant
deux cents députés et sénateurs italiens, le président du Conseil,
M. Giolitti. Avec un optimisme que rien ne déconcerte, l'orateur
a proclamé l'obligation pour son gouvernement de persister, au
dedans comme au dehors, dans une politique dont les consé-
quences ruineuses éclatent désormais aux yeux de tous. Il se
flatte, il est vrai, de remédier à la crise monétaire dont souffrent
ses concitoyens par diverses réformes, parmi lesquelles l'obli-
gation de payer en or les taxes douanières. L'accueil de ses pro-
pres journaux doit montrer à M. Giolitti que son opportunisme
complaisant ne fait plus guère de dupes.
LE MARECHAL DE MAC-MAHON
Nous tenons à donner une biographie plus détaillée du maré-
chal, à qui la France vient de faire des obsèques vraiment
nationales .
Marie-Edme-Patrice-Maurice de Mac-Mahon était né à
Sully-sur-Loire (Saône-et-Loire), le 13 mai 1808, de Maurice-
François, comte de Mac-Mahon, et de Pélagie-Edmée de Riquet
de Caraman, dont il était le huitième enfant.
Les Mac-Mahon étaient une vieille famille irlandaise réfugiée
en Bourgogne à la chute des Stuarts, et par suite française
depuis plusieurs générations.
Fils et neveu d'officiers (son père fut lieutenant-général, et
son oncle, le marquis Charles de Mac-Mahon, maréchal de camp
sous la Restauration), Maurice fut d'abord destiné à l'état ecclé-
siastique et entra au petit séminaire d'Autun. Mais la vocation
des armes qu'il tenait de famille ayant pris le dessus, il quitta
bientôt cette maison religieuse pour se préparer à l'École mili-
taire, où il entra en 1825, et d'où il sortit avec le numéro 4.
Il y avait trois ans que l'ancien saint-cyrien de Mac-Mahon
était sous-lieutenant d'état-major, lorsque se fit l'expédition
LE MARÉCHAL DE MAC-MAHON 221
d'Alger, à laquelle il prit part. Revenu en Algérie en 1833
comme capitaine, le jeune officier se signala par une série d'ac-
tions d'éclat au col de la Mouzaïa, à Staouëli et au siège de
Constantine, oîi il reçut un coup de feu en pleine poitrine. Mac-
Mahon devint ensuite chef du 10* bataillon de chasseurs à
pied, lieutenant-colonel du 2* régiment étranger et colonel du
41* de ligne. Il reçut, en 1848, les étoiles de brigadier et celles
de divisionnaire en 1852.
Pendant les vingt-deux années qu'il passa en Algérie, Mac-
Mahon fit prouve d'une bravoure légendaire, notamment au
combat des Oliviers, à Aïn-Kebira, à Coléa et dans vingt autres
affaires.
Deux fois encore le maréchal devait revenir en Algérie : en
1857, comme commandant de la 2* division, à la tête de laquelle
il prit part à la grande expédition de Kabylie^ et de 1864 à 1870,
comme gouverneur général. C'est à cette époque que se placent
le diff"érend qui s'éleva entre le gouverneur et Mgr Lavigerie,
la grande famine algérienne et la répression de l'insurrection
des Ouled-Sidi-Cheik.
En 1855, Mac-Mahon avait été rappelé en France et placé à
la tête d'une division de l'armée du Nord ; mais, bientôt après,
il allait rejoindre en Crimée le corps du général Bosquet. A peine
arrivé, il reçut l'ordre de se préparer à l'assaut de la tour de
Malakoff" et, le 8 septembre 1855, il dirigeait l'attaque. La posi-
tion enlevée, mais battue encore par les feux des Russes, sem-
blaient intenable. Bosquet envoya l'ordre de l'évacuer. Eu
réponse, Mac-Mahon prononça le mot devenu depuis légendaire :
« J'y suis, j'y reste. » Ce fait d'armes lui valut la grand'croix
de la Légion d'honneur.
Après la paix, il fut nommé sénateur (24 juin 1856) ; mais les
fonctions qu'il remplissait ne lui permirent pas de prendre une
part active à la vie parlementaire. Toutefois, il eut l'occasion de
manifester l'indépendance de son caractère en votant, seul de
toute la Chambre haute, contre \di loi de sûreté générale, ^vo^o-
sèe en 1858 par le ministre de l'intérieur, le général Espinasse.
La période la plus brillante de la carrière de Mac-Mahon
devait être la campagne d'Italie.
Dès le début de la guerre, Mac-Mahon fut placé à la tête du
2e corps.
Le 4 juin 1859, il prit une part décisive à la victoire de
Magenta. Sans lui, Napoléon III et toute sa garde étaient faits
222 ANNALES CATHOLIQUES
prisonniers par les Autrichiens. Le bâton de maréchal de France
et le titre de duc de Magenta furent la juste récompense de son
sang-froid et de son habileté.
Le nouveau maréchal devait d'ailleurs faire preuve des
mêmes qualités, à peu de jours de distance, à la bataille de
Solférino.
En novembre 1861, le maréchal de Mac-Mahon représentait
l'empereur à Berlin pour le couronnement du roi de Prusse
Guillaume III ; puis prenait le commandement du 2' corps à
Nancy (1862), qu'il quittait le 1" septembre, pour le gouverne-
ment général de l'Algérie.
En 1870, le maréchal de Mac-Mahon reçut le commandement
du 1^' corps d'armée.
Il établit son quartier général à Strasbourg. Dès le début des
hostilités, la fortune nous fut contraire : l'avant-garde du maré-
chal commandée par le général Abel Douay était battue à Wis-
sembourg.
Deux jours après, écrasé à son tour par des forces dix fois
supérieures en nombre, Mac-Mahon était vaincu à Reischoffen.
Battant en retraite, le maréchal réussit à ramener une ving-
taine de mille hommes à Châlons. Là, le général Palikao, minis-
tre de la guerre, lui confia une armée de 120,000 hommes, for-
mée à la hâte, avec ordre de se porter au secours de Bazaine,
mission dont le maréchal de Mac-Mahon avait lui-même signalé
l'inutilité et le danger. Il obéit néanmoins, par un scrupule exa-
géré de discipline, et commença le mouvement fatal qui devait
jeter son armée dans l'entonnoir de Sedan.
Le l^' septembre la bataille commença sous Sedan, aux portes
mêmes de la ville, A sept heures du matin, Mac-Mahon était
grièvement blessé à la cuisse, sur l'éminence de la Moncelle, et
remettait le commandem.3nt au général Ducrot, bientôt remplacé
lui-même par le général de Wimpffen.
Grâce à cette blessure, Mac-Mahon n'eut pas la douleur d'ap-
poser sa signature au bas de la capitulation de Sedan.
Prisonnier sur parole, Mac-Mahon fut transporté en Belgique.
Lorsque sa blessure fut guérie, les Allemands l'internèrent à
Wiesbaden, où il resta jusqu'en mars 1871.
Après la signature de la paix, Mac-Mahon reçut le comman-
dement de l'armée de Versailles qui reprit Paris sur les troupes
de la Commune, puis il rentra dans la vie privée et refusa di-
verses candidatures à l'Assemblée nationale qui lui étaient offer-
LE MARÉCHAL DK MA.C-MAHON 223
tes. Sur les instances qui lui furent faites, il accepta la succes-
sion de M. Tliiers, à la présidence, le 24 mai 1873. Le 19 no-
vembre 1873, la durée de ses pouvoirs était fixée à sept ans.
Son premier ministère, présidé par le duc de Broglie, fut ren-
versé le 16 mai 1874. Le ministère de Cissey lui succéda, et
conserva le pouvoir, après quelques remaniements, jusqu'au
25 février 1875.
A la suite d'un voyage dans le Nord-Ouest et après le vote de
la Constitution du 21 février 1875, le maréchal confia le minis-
tère à M. Buffet; puis, il appela successivement aux affaires
M. Dufaure (20 février 1876) et M. Jules Simon (12 décembre
1876). Quelques mois après, le président se séparait de ce mi-
nistère, auquel un nouveau ministère de Broglie succéda. Après
une prorogation d'un mois, la Chambre l'accueillit par le fameux
ordre du jour de blâme des 363, et fut immédiatement dissoute.
Mais les élections générales de 1876 envoyèrent à la Chambre
une opposition plus nombreuse encore que la précédente, et le
cabinet de Broglie dut se retirer. A la chute du ministère extra-
parlementaire du général de Rochebouët (23 novembre 1876),
le président se décida à appeler au pouvoir un cabinet républi-
cain présidé par M. Dufaure. L'Exposition de 1878 apaisa un
moment les luttes politiques; mais, après les élections sénato-
riales de 1879, qui faisaient passer la majorité de droite à gau-
che au Luxembourg comme au Palais-Bourbon, voyant ses opi-
nions personnelles en opposition avec toute la majorité des élus,
il se décida à donner sa démission (30 janvier 1879.)
Depuis ce temps, le maréchal se renfermant volontairement
dans une retraite pleine de dignité, n'a pris aucune part active
aux luttes politiques et ne s'est guère occupé que d'oeuvres pa-
triotiques et charitables.
Marié en 1855 à Mlle de la Croix de Castries, sœur du dernier
duc de ce nom, le maréchal de Mac-Mahon a eu plusieurs en-
fants : l'aîné, son fils Patrice, est capitaine au 8' bataillon de
chasseurs à pied ; le troisième, Emmanuel, sert avec le même
grade au 19' bataillon ; sa fille, Mlle Marie de Mac-Mahon, a
épousé, en 1886, le comte de Piennes, officier de hussards,
démissionnaire depuis.
Le Gaulois a donné les détails suivants sur les derniers moments
du maréchal.
A sept heures et demie du matin, on fit mander le curé de la
224 ANNALKS CATHOLIQUES
paroisse qui accourut aussitôt. Le maréclial le reconnut et pressa
sa main aflPectueusement.
Alors tout le monde se retira, et le prêtre confessa une der-
nière fois le mourant; puis il ouvrit la porte, et la maréchale
rentra, suivie de sa famille et de ses serviteurs, pour assister à
la cérémonie de l'extrême-onction.
Ce fut une cérémonie des plus touchantes. Le maréchal avait
encore toute sa lucidité d'esprit, et suivait avec recueillement
les prières qui accompagnent l'administration des saintes huiles.
Cependant la chambre était pleine de sanglots étouffés, et les
serviteurs pleuraient à chaudes larmes ce maître si bon et si
prévenant pour tous.
Le maréchal eut encore la force de presser la main de chacun
de ceux qui l'entouraient. Jamais soldat ne vit venir la mort
avec plus de calme.
L'agonie fut douce, le malade s'en allait graduellement, sans
secousses ; la respiration devenait plus lente, plus rare, et enfin
à dix heures, elle cessa tout à fait.
La maréchale, qui était à genoux, se leva, contenant sa dou-
leur, ferma les yeux du maréchal et lui donna le dernier baiser.
Un peu après, on disposa la ^chambre mortuaire et l'on per-
mit à la foule, accourue de tous côtés, de venir rendre un der-
nier hommage au vaillant soldat qui venait de mourir.
Le corps était étendu, les bras le long du corps, sur le lit
tout blanc; sur la poitrine, un crucifix. Au chevet du lit, une
table recouverte d'une nappe blanche, avec l'eau bénite et une
branche de buis, une croix avec incrustation de nacre, un cha-
pelet d'ivoire et deux flambeaux allumés. Au pied du lit, un
prie-Dieu que la maréchale ne quitte guère.
Aucun apparat dans ce spectacle delà mort. Ni armes, ni uni-
formes, ni décorations. Rien que le souvenir de la mort chré-
tienne. Cette touchante simplicité impressionne d'autant plus la
foule, et elle contemple, émue et recueillie, les traits immobiles
du héros. Sa physionomie a conservée dans la mort son expres-
sion noble, énergique et douce en même temps.
Le maréchal était adoré dans le pays. Il connaissait tout le
monde et chacun avait à cœur de lui témoigner d'une façon quel-
conque son attachement et son respect. Tous comprennent que
la France a perdu un de ses plus braves et fidèles serviteurs.
Le Gérant: P. Chantrel.
Paria. Imp. 0. Picquoin, 53, rue de LiUe.
ANN/^LES CATHOLIQUES
L'APAISEMENT
Si le gouvernement continue à montrer peu de bienveillance
pour les catholiques, les nouveaux députés ne leur sont non plus
guère indulgents. Voici comment parle d'eux M. Batiot, le nou-
vel élu de la Roche-sur- Yon : « Les soldats abandonnent leurs
chefs. Parmi ces derniers, les uns, et c'est à leur honneur, veu-
lent rester dans les ruines et y périr écrasés mais ensevelis dans
leur drapeau. Les autres ont pensé, dans ces derniers temps,
demander asila à la République qui est ouverte à tous les
hommes de bonne volonté. Mais elle n'a pas eu confiance dans
la sincérité de ces ennemis de la veille qui sollicitaient l'entrée
de sa maison. Elle s'est aperçue de leur attitude équivoque, elle
s'est défiée de leurs projets perfides et dédaigneusement elle
leur a fermé sa porte. » Ce n'est déjà pas mal; mais ce qui suit
est encore moins encourageant :
« Ah ! Messieurs, vous aviez le noir dessein de détruire les
lois que vous appelez scélérates et qui sont l'honneur de notre
pays, vous n'êtes pas de taille à nous enlever nos conquêtes.
Les séminaristes porteront le sac comme les autres; nos dignes
instituteurs continueront à élever le niveau moral et intellec-
tuel de nos enfants, et à leur enseigner l'amour de la liberté et
de la République. » Le discours de M. Batiot n'eiit pas été com-
plet, si, à cette affirmation de l'athéisme officiel, il n'avait joint
des menaces à l'enseignement libre. Il n'y a pas manqué.
M. Batiot n'ose pas encore réclamer l'interdiction des certifi-
cats d'instruction libre; mais, en attendant, il demande à ceux
qui l'écoutent d'en détruire la portée et il annonce que « dans
un avenir plus ou moins rapproché » le certificat de l'Etat
« sera formellement exigé de ceux (jui solliciteront leur entrée
dans les écoles et les administrations de l'Etat ».
Quant aux associations religieuses, leur compte est réglé. La
députation républicaine de Vendée, reprenant l'infâme projet
Goblet, annonce cyniquement que c si la République doit ac-
corder un régime de faveur — le mot y est! aux associations
françaises, elle doit le refuser aux congrégations ». Décidément
la République n'est pas clémente aux hommes de bonne volonté.
Lxxxvi — 4 Novembre 1893. 17
2â6 ANNAIifiS CA.THOLIQIHBS
Les dépotés ne sont pas les seuls à papier ce langage. iLa
veille de l'arrivée des Russes à Paris, c'est-à-dire en pleine
trêve russe, on voit que le moment était bien choisi, le nouveau
procureur général à la cour de cassation, un sectaire nommé
Manan, a prononcé l'éloge de son triste prédécesseur M. Ron-
jat. Or, de quoi l'a-t-il loué? d'avoir défendu l'article 7 qui pri-
vait les religieux du droit d'enseigner; d'avoir soutenu, en
qualité de commissaire du gouvernement auprès du tribunal
des conflits, à la suite des expulsions des religieux, les conclu-
sions tendant à enlever aux tribunaux ordinaires le droit de
juger les crochetages et les crocheteurs officiels, ensuite d'avoir
amené la cour de cassation à proclamer, contrairement à la
jurisprudence, la validité du mariage des prêtres.
Enfin il l'a glorifié d'être mort en philosophe, fidèle aux
convictions de toute sa vie, c'est-à-dire d'être mort en libi^e-
penseur et de s'être fait enterrer civilement. Gn peut juger,
d'après cela, de l'accueil que les revendications des catholiques
persécutés recevront à la cour de cassation. Et voilà comment
on nous promet l'apaisement! Ceux qui l'espèfent encoie sont
bien naïfs, il viendra peut-être, mais ce n'est pas le gouverne-
ment qui nous le donnera. Il nous le faudra conqtrérir. Le mot
d'ordre est donc toujours le aiême : la guerre aux persécuteurs^
la guerre jusqu'à la victoire! ne désarmons pas !
LES TVIENSES EPISCOPALES ET CURIALES (1)
d'après les notes de jurisprudence du conseil d'état
I. Organisation et fonctionnement.
Menses épiscopales.
Le diocèse ne constitue pas une personne morale. La capacité
civile appartient uniquement à l'évêché considéré comme mense
épiscopale, c'est-à-dire comme établissement destiné à assurer
la condition des titulaires successifs du diocèse, et c'est exclu-
sivement en vue de l'amélioration de cette condition que lo:
mense épiscopale est apte ,à posséder. (Avis (Asueinblée gêné-»
Eale), 17 mars 1880, Legs Bastier de Meydat.)
(1) Voir rlsns le numéro précèdent l'article : Douze années de pra-
tiques administratives ;'Exlrn\i de l'oxcollente Revue admtnistrativtf
du culte catholique (un an, 12 franc?).
LES MEN3ES ÉPISCOPaLES ET CURIALES 227
Le commissaire administrateur nommé au décès d'un évêque,
c<)nforraément à l'article 34 du décret du 6 novembre 1813, pouT
l'administration des biens de la mense épiscopale pendant la
vacance, est chargé de precâïler à la régnlarisation de la dota«-
n de cet établipsement. (Jurisprudence constante, voir notam-
1 'Ht: Projet de décret (Assemblée générale), 30 octobre 1884*
Aliénation par la mense épiscopale de Langres. — Projet de
décret (Assemblée générale), 4 avril 1889. Régularisation de
patrimoine de la mense épiscopale de Nîmes.)
• Lapremièreopération àfairepour arriver à cette régularisation
eonsiste à diviser les biens qui composent le patrimoine de la
mense en tiois catégories : 1" ceux qui concourent directement
au but de la mense ; 2* ceux qui ont une affectation étrangère à
ce bnt, mais prévue cependant par les décrets ou ordonnances
qui les ont fait entrer dans le patrimoine de l'établissement
ecclésiastique; S» ceux dont l'affectation irrégulière n'a jamais
été autorisée. (Jurisprudence constante, voir notamment : Projet
de décret (Assemblée générale), 21 juin 1888. Régularisation
de la mense épiscopale de Limoges).
S'il y a des immeubles parmi les biens compris dans la pre-
mière catégorie, il y a lieu d'en prescrire l'aliénation, dans la
mesure du possible, afin de diminuer la mainmorte immobilière.
(Projet de décret (As&emblée générale), 23 décembre 1886. Alié-
nation d'immeubles par la mense épiscopale de Laval).
Les immiMibles qui rentrent dans la seconde catégorie doi-
vent-ils être conservés dans le patrimoine de la mense? (Rép.
aff. : F^rojet de décret (Assemblée générale). 21 juin 1888. Régu-
larisation du patrimoine de la mense épiscopale de Limoges.
— Projet de décret (Assemblée générale), 9 août 1888. Régu-
larisation du patrimoine de la mense épiscopale de Poitiers.)
— (Rép. nég. : Projet de décret (Assemblée générale;. 30 oc-
tobre 1888. Aliénation par la mense épiscopale de Langres. —
Projet de décret (Assemblée générale), 28 janvier 1S85. Aliéna-
tion par la mense épiscopale du Mans, — Projet de décret (As-
semblée générale), 24 décembre 1885. Régularisation du patri-
moine de la mense épiscopale de Fréjus.)
Il v a lieu de prescrire l'aliénation des immeubles qui ren-
trent dans la troisième catégorie. (.lurisprudence constante, voir
notamment: Projet de décret (Assemblée générale), 11 dé-
cembre 18S4. Aliénation par la mense épiscopale de Verdun. —
Pïvjet de décret (Assemblée générale), 4 avril 1889. Régulari-
sation du patrimoine de la mense épiscopale de Nîmes.)
228 ANNALES CATHOLIQUES
Lorsqu'à l'occasion de la régularisation d'un patrimoine d'une
meDse, le commissaire arlministrateur constate l'existence de
biens dont l'acquisition n'a pas été régulièrement autorisée, il
convient, tout d'abord, de régulariser cette acquisition, s'il y a
litxi. (Projet de décret (Assemblée générale), 9 août 1888. Ré-
gularisation du patrimoine de la mense épiscopale du diocèse
de F^oitiers.)
Les décrets prescrivant l'aliénation des immeubles, qui ne
sont pas affectés à un usage conforme au but de la mense épis*
copale, doivent énumérer expressément les biens aux(|uels s'ap-
p1i(juera cette prescription. (Projet de décret et note (Assemblée
générale), 11 décembre 1884. Aliénation d'immeubles par la
mense épiscopale de Verdun.)
Ils sont habituellement li'nellés de la manière suivante :
Le commissaire administrateur des biens de la mense de
, pendant la vacance du siège, devra faire procéder
àla vente aux enchères publiques, etc.
Dans certains cas, lorsqu'il était utile de réserver à l'admi-
nistration le soin d'apprécier, d'après les circonstances, si la
vente de certains immeubles devait, ou non, être effectuée, il a
été substitué à cette formule, la formule suivante :
Le commissaire pour V administration des biens de la mense
de , pendant la vacance du siège, est investi de tous
les pouvoirs nécessaires à V effet d'aliéner. (Projet de décrétât
note (Assemblée générale), 30 juillet 1891. Régularisation du
patrimoine de la mense épiscopale d'Angoulêrae).
Il n'y a pas lieu de justifier les mesures prescrites par le projet
de décret au moj'en de considérants établissant le principe de la
spécialité des établissements publics, et limitant le but dans
lequel ont été instituées les menses archiépiscopales et épisco-
pales. (Note (Assemblée générale), 30 octobre 1884. Aliénation'
par la mense épiscopale de Langres).
Les pouvoirs du commissaire administrateur, qui, aux termes
de l'article 45 du décret du 6 novembre 1813, doit régir jusqu'à
la prise de possession par le nouvel évêque, peuvent-ils être
prorogés au delà de ce terme? (Rép. aff,: Projet de décret (As-
semblée générale), 26 juin 1884. Régularisation du patrimoine
de la mense épiscopale de Tours. — Nombreuses décisions con-
formes et notamment : Projet de décret (Assemblée générale),
29 janvier 1885. Aliénation parla mense épiscopale du Mans.
Projet de décret (Assemblée générale), 9 août 1888. Régularisa-
LES MENSES ÉPISCOPALES ET CURIALES 22Ô
tioD du patrimoine de la mense épiscopale de Poitiers.) — (Rép.
nég.: Projet de décret et note (Assemblée générale), 4 avril 1889.
Régularisation du patrimoine de la mense épiscopale de Nîmes,)
N'a pas été autorisée la mise sous séquestre des biens d'une
mense épiscopale jusqu'au moment où la régularisation de la
dotation devait être achevée. (Projet de décret et note (Assem-
blée générale), 4 avril 1889. Régularisation du patrimoine de
la mense épiscopale de Nîmes.)
n. Acquisitions à titre onéreux. — Rétrocessions (1).
Il n'y a pas lieu, en principe, d'approuver des rétrocessions,
ces opérations n'ayant pour but que de régulariser des acquisi-
tions faites sans autorisation pour le compte d'établissements
publics.
Cependant des rétrocessions ont été approuvées à raison de
circonstances spéciales dans les espèces suivantes :
a) Régularisation de la dotation d'une mense épiscopale,
après le décès de l'évêque. (Projet de décret, 29 mars 1882.
Rétrocession au profit de l'archevêché de Sens.)
b) Rétrocession accompagnée d'une demande d'aliénation de
l'immeuble. (Projet de décret et note, 13 avril 1880. Aliénation
par l'évêché de Grenoble.)
III. Acquisitions à titre gratuit.
§ 1" : Menses épiscopales.
Par application du principe de la spécialité, la mense épisco-
pale instituée uniquement en vue de l'amélioration du sort des
titulaires successifs, ne saurait être autorisée à accepter les
libéralités ayant pour objet :
a) De favoriser les vocations religieuses dans le diocèse ou
de fonder des bourses dans le séminaire. (Projet de décret et
note, 18 mai 1886. Legs Julien. — Projet de décret et note
(Assemblée générale), 27 février 1890. Legs Simon. — Avis et
note (Assemblée générale), de mai 1883. Legs Delpech. — Note
(Assemblée générale), 22 janvier 1891. Legs Cesbron-Lamotte.)
(1) On entend par rétrocession, dans le langage administratif usiiél,
la déclaratioa faite par un particulier qu'une acquisition opérée par
lui en son nom personnel l'a été en réalité pour le compte et avec
lea deniers d'un établissement soumis à la tutelle.
280 ANNALSiS CATHOLIQUES
i) D'affecter le produit de la libéralité aux besoins des écolea
privées conjrréganistes. (Projet de décret et note (Asstimbléft
générale), 27 février 1890. Legs Simon.)
c) De pourvoir au logement et à. l'entretien d.e deux soaurs
chargées de l'instruciion des petites filles. (Piojet de décret et
note, lÀ mai 1889. Legs Pougnet.)
d) D'encourager et de perfecUionnôr! l'éducation oatholiquô
dans le diocèse. (Projet de décret et note (Assemblée généralô),
25 juin 1885. Legs Bertrand.)
e) De faire céiéb^n^r des services religiieu^x.
Par application du même principe, il n'y a pas lieu d'autoriser
les raenses épiscopales à accepter des legs ayant une destination
charitable ni mena e les legs pour bonnes œuvres; néanmoins, si
la libéralité peut être attribuée à des œuvres diocésaines érigées
par la loi en personnes civiles, on a quelquefois considéré
l'évêque comme un simple exécuteur testamentaire chargé de
désigner les œuvres qui doivent bénéficier du legs, et autorisé
directement l'acceptation au nom de ces œuvres. (Note 2 dé-
décerabie 1890. Legs Lqnain).
Il y a liea de refuser à l'Archevêque de Paris l'autorisation
d'accepter les libéralités faites à l'œuvre du Sacré-Cceur de
Montmartre. (Projet de décret et note, 16 février 1887. Legs
Daméne. — Projet de décret et note, 21 mai 1889. Legs Droulez.)
§ 2: Cures et Succursales.
Les curés et les desservants peuvent être autorisés à recevoir
des legs à charge de services religieux, mais il convient, dans
ce cas, d'appeler les fabriques à accepter lie l)énéfice résultant
pour elles de ces mêmes libéralités. (Trois projets de décret et
note collective, 19 février 1889. Legs Bernouville^ Lîironce et
Lagrèze. — Projet de décret et note, 19 mars 1889. Legs
Travers.)
Un curé peut être autorisé à accepter un legs à lui fait, à
charge de cétêbrer gratuitement les services funéraires dfes
pauvres. Mais il y a lieu de faire accepter le bénéfloe dudit legs
par le maiie, au nom des pauvres. (Projet de décret et note,
ll6 avril 1890. Legs Richard.)
II n'y u pas lieu d'autoriser les curés et desservants à recueil-
lir des libéI^alités qui constituent des fondations charitallle^i. La
cure, comme tous les établissements publics, a une capacité
LES MENjrBS'ÉPlàCOPALBS 'ET CURIALES 2^1
Spéciale, lirûîtée aux objets q'ne la' loi faît rètitfér 'dans Sa raia-
■^oii. Or, aucun telte de loi n'a donné à la cure )e droit d'adini-
■-'Élièti'èT ou de distribuer des fonds destinés au Sôuiagenaent dès
-|yauvres. (Projet de décret et avis (Assemblée générale), B'â'<yAt
IISSI. Leg^ Aviat. — Avis (Assemblée générale), 31 mars 1881.
•tiégs Douvel'^t Môiitreux (Distributibn'âux pauvres ''par 'l'es
curés successifs.)
'Il n'y a'pas lieu d'autôriseT un cUré à accepter un kgs à lui
''fait « pour ses œuvres paroissiales », loi'-Sque cet eec]ésia6ti(^ne
'a refusé de précisèf l'emploi qu'il ôrit-èndâit faire du "produit
■de la libéralité. (Projet de déérèt et note (Assemblée générale),
20 novembre 1884. Legs Masèî-p.)
Par application du principe de la spécialité, il n'y a pas lieu
d'autoriser la mense curiaie-à accepter' un legs qui lui a été fait
pour être employé par le desservant en bonnes oeuvres. (Projet
-•de'd'ècrètétttote (Assétnblée générale) ;16 février' 1887. LegsLizon.)
'Lors^qw'un legs efet fait au 'desservant^* à charg-e de distHbu-
"tiond'^abillêtoentS'aux pauvres de la parôisSe », ily a lien/'poÉtr
'^^fé venir les difficultés ultériétiïes, d'inviter k désserva-nt àcou-
•SéU tir' 1« Versement immédiat dafis la^àisse dubiVreau 'de'bién-
'•ftâSAftee ' 'du éaibital de' la rôYite devant i^étvir à faire ôlvaque
année aux pauvres, la distribution prescrite par le teàtateu'r.
(Note, 10 mars 1888. Legs Thévot).
Il n'y a pas lieu d'autoriser' uti c'Uré "à accepter un legs fait à
charge de fonder ou d'entretenir une salle d'asile. (Avis 7 août
'Ï888. Legs Ruin,)
La cure n'a pas capacité pour recevoir des liëéralîtés destinées
à l'entretien de jeunes gens dans un séminaire. (Projet de décret
et note, 29 mars 1881. Legs Marlin.)
Un curé peut être autorisé à accepter un' legs d^nt les reVénus
• sont d«stiBés « à donner des vêtenaeots aux enfants pau*Vres de
-laipreHaière communion ». Une serab'able disposition constitue,
-èo e-fît-t, plutôt un legs pieux qu'un legs charitable. Il rentre,
-d'ailleurs, dans les attributions des curés de faciliter l'accès «de
la première communion aux enfants pauvres en les mett^nt-'â
même de participer à cet acte de la vie religieuse. (Projet de
décret et avis (Assemblée générale), 22 décembre 1881. Legs Le
Bricquier du Meshir.)
Il y a lieu de faire accepter par le trésorier de la fabrique le
legs fait à un curé « pour son église ». C'est à la fabrique qu'il
appartient d'accepter les libéralités faites dans ce but. (Projet
de décret et note, 7 mars 1883. Legs Lafarge. )
232 ANNALES CATHOLIQUES
Il y a lieu de faire accepter nori seulement par le trésorier de
la fabrique, mais encore par le maire, au nom de la commune,
lorsque celle-ci est propriétaire du presbytère, le bénéfice d'un
legs fait aux desservants successifs d'une succursale et consis-
tant en deux pièces de terre enclavées dans les dépendances du-
dit presbytère et destinées à son agrandissement. (Projet de
décret et note, 5 mars 1891. Legs Lemarchand )
11 y a lieu de faire accepter par la commune la libéralité ré-
sultant de la disposition par laquelle un testateur a légué à la
cure une somme déterminée pour l'installation dans l'église d'un
calorifère qui aurait le caractère d'immeuble par destination.
(Note, 5 juillet 1890. Legs Sassot).
IV. Emprunts.
Par application du principe de la spécialité, un empruntpar une
mense épiscopale ne saurait être autorisé lorsque le produit doit
en être affecté à une oeuvre qui ne rentre pas dans ses attribu-
tions légales, par exemple, lorsqu'il a pour objet de pourvoir aux
travaux d'agrandissement d'une maison destinée à recevoir des
prêtres malades. (Note, 26 décembre 1882. Emprunt par l'évêché
de Fréjus.)
V. Aliénations.
Mense épiscopale. — N'a pas été autorisée l'aliénation d'un
immeuble appartenant à une mense épiscopale dont le produit
devait être employé au profit du séminaire. (Avis, 10 juin 1882.
Mense épiscopale de Fréjus).
Cures et succursales. — Les fabriques étant chargées par l'ar-
ticle 1" du décret du 6 novembre 1813 de veiller à la conserva-
tion des biens des cures, une cure ne peut être autorisée à alié-
ner un bien lui appartenant sans que le conseil de fabrique ait
été appelé à donner son avis. (Note, 2 juin 1886. Cure de Mer-
ville.)
NÉCROLOGIES ÉPISCOPALES 233
NÉCROLOGIES ÉPISCOPALES
ÉVÉQUES FRANÇAIS BÉCÉDÉS DURANT LE DIX-NKUVIÈME SlÈCLB
DE 1800 A 1893 (1)
(Suite. — Voir Jes numéros du 16 janvier 1892 au 21 octobre 1893.)
Année 1821 {Suite).
30 octobre. — Mgr Jean-Baptiste BouRLiER,évêque d'Evreux.
Ce prélat naquit à Dijon le 1" février 1731 de parents peu for-
tunés mais qui lui donnèrent une bonne éducation; il étudia
dans sa ville natale au collège de Dijon, puis au Petit-Sémi-
naire des Robertins de Paris, dépendance de Saint-Sulpice. Reçu
licencié en théologie, il alla professer cette science à Rouen.
L'abbé de Périgord le prit pour professeur, et devenu arche-
vêque de Reims, le choisit pour grand vicaire, en 1777, et lui
donna la dignité de Chantre, la troisième du Chapitre. L'abbé
Bourlier avait été nommé prieur de Saint-Jean de Colle au dio-
cèse de Périgueux en 1774 ; l'année suivante il eut l'abbaye de
Varenues, au diocèse de Bourges, qui rapportait 1.500 livres.
La révolution le dépouilla de ces bénéfices. Il assista aux As-
semblées du clergé de 1770 et de 1788, fut persécuté par les
Jacobins, et sous le régime de la Terreur dénoncé par son do-
mestique, il fut arrêté, conduit dans les prisons de la Force et
de Charenton, et, rendu à la liberté, il se retira à Creil dans
l'Oise. M. de Talleyrandle recommanda au premier Consul qui,
après le Concordat, le nomma, le 9 avril 1802, à l'évêché
d'Évreux. Il fut sacré le 3 floréal an X (23 avril 1802), et solen-
nellement intronisé le 14 juillet; mais il refasa d'assister à la
fête nationale qu'on célébrait ce jour-là pour l'anniversaire de la
prise de la Bastille à laquelle le préfet de l'Eure l'avait invité.
Il organisa son diocèse, rassembla ses prêtres dispersés, fonda
un séminaire diocésain en 1804 dans l'ancienne abbaye de Saint-
Taurin. Le 31 juillet 1803, il fit l'ouverture de la grande châsse
de saint Taurin, déposée dans la cathédrale, et qui avait été
sauvée pendant la Révolution, il reconnut l'authenticité des
reliques du saint qui furent processionnellement rapportées dans
l'église qui porte son nom en un tombeau gallo-romain, la châsse
est un précieux monument d'orfèvrerie du xiii* siècle et forme
(1) Reproduction et traduction interdites.
une chapelle gothique couverte de lames de cuivre et d'argent
doré, les côtés sont revêtus de bas-reliefs et de statuettes
d'évêques et de saints. Mgr Bôurlier fut chevalier de la Légion
d'honneur le 5 juillet 1804^ et officier le 25 janvier 181^5. Il
assista le 2 décembre 1804 au couronnement de Napoléon à
Notre-Daoïe de Paris,, fut nommé député le 11 août 1807 par le
collège électoral de la Seine-Inférieure, et réélu le 6 janvier 1813
pour le département d^.l'Euirei.I^ raçijiit le titre de baron de
l'Empire qu'accordait aux évêques le premier statut du I"raars
1808, et chargé d'examiner le divorce de l'Empereur avec
d'autres conseillers, il signa l'acte de dissolution du mariage
conclu entre Napoléon et Joséphine.
Il se trouva employé dans les affaires de l'Eglise lors de la per-
sécution suscitée par Bonaparte, et fut membre des commi.-Jsions
d'évêques formées à Paris en 1809 et 1811, ainsi que de la dépu-
t^tipn envoyée à &avone après le Concile, pour porter à Pîe VII,
résidant alors en cette ville, des propositions qui ne furent point
accueillies. Il paraît aussi avoir été chargé de négociations
auprès du Pape lorsqu'on l'eut amené à Fontainebleau, pour la
signature du Concordat éphémère du 25 janvier 1813'. L'évêque
d'Evreux crut sans doute dans ces différentes occasions travail-
ler pour le bien de l'Eglise, et il est probable qu'il se fit illusion,
mais les détails de sa conduite furent toujours en harmonie avec
ses pieux sentiments. Le cardinal Michel di Pietro, grand péni-
tencier, qui avait l'entière confiance de Pie VII qu'il avait
accompagné à Paris et qui mourut aussi en 1821, sous-di^yen
du Sacré-Collège, dans une lettre du 13 décembre 18'15, décla-
rait que le pape conservait un vif souvenir de l'évêque d'Evreux^
Napoléon récompensa ses services en le nommant sénateur le
5 avril 1813 ; cette dignité lui conférait le titre de comte, il
prêta serment à l'empereur le 11 du même mois. Le roi
Louis XVIII le comprit dans la Chambre des Pairs de France
le 4 juin 1814, et comme le prélat ne siégea point dans la
chambre des cents jours, il reprit son rang de Pair après le
second retour du roi, au mois d'août 1815. En 1819, il fonda
un petit séraiinaire à Ecouis.
Nous possédons un certain nombre de Mandements de Mon-
seigneur Bouriier qui publia sa lettre de prise de possession au
moment de son intronisation le 14 juillet 1802. Voici les sujets
de ses principaux Mandements :
Ordonnance d'un Te Djeum, conformément aux instructioas
NédROLOOlËS ÉPISCOFALES 235
de M. Portails, chargé des affaires des Cultes ati sujet du Sf^na-
tus-consulte nommant Napoléon Bonapatte Consul à vie, le
28 thermidor an X (11 août 1802);
Mandement ordonnant des prières pouf la Prospr^rêtf^des armes
de la République française, 9 messidor an XI (28 join 1803) ;
Instruction pastorale sur *\e Jubila sùocovdè par Pie VII à l*oc-
casion du Concordat, 22 ve&tÔse an XII (13 mars 18U4);
Ordonnance da Te Deum et du Vbni Creator en actions de
grâces de l'El^vfction de Napoléon Bonaparte à la dignité
d'emppreur des Français, et pour implorer les bénédiction!?
du Oie! sur son règne, 14 messidor an XII (3 juillet 1804) ;
Règlement pour les Chatités du diocèse d'Epreux, 30 floréal
an XII [20 mai 1804);
Ordonnance d'un Te Dhcim en actions de grâces du Sacre et
dix, Couronnement de Leurs Majestés l'Empereur et Vlmp&ra-
Irice des Français,^ ventôse an XIII (15 août 1805);
Circulaire relative aux Bient et rentes attribues aux fahri~
ques, 25 thermidor an XIII, (13 août 1805) ;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces des Victoires
re>np07-ie'es par Napoléon sur les armées autrichiennes, 2 bru-
maire an XIV {2 noTembre 1805);
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces de la Vic-
toire remportée à AusterKtz sur les armées russes et autri'
chiennes, 6 janvier 1806;
Ordonnance an sujet de la Solennité de V Assomption de la
Sainte Vierge et de la fête de la Saint- Napoléon, et du Réta^
hlissement de la religion catholique en France, 12 juillet 1806 ;
Ordonnance de Prières publiques pour la prospérité des
armes de V Empire Français, 24 octobre 1806 ;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces delà Victoire
rempoiHée à lénasurles ai'mées prussiennes, 11 novembre 1806;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces des Succès
remportés par S. M. sur les armées Russes, 20 janvier 1807 ;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces pour la Prise
de Dantzick, 18 juin 1807;
Mandement pour la Publication d'un catéchisme k l'usage de
toutes les églises de l'Empire Français pour être seul enseigné
daossoQ diocèse, 6 juillet 1807 ;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces de la Victoire
remportée à Friedland par Napoléon, 13 juillet 1807 ;
Circulaire pour ordonner la lecture au prône du Message
236 ANNALES CATHOLIQUES
adressa par VEmpereur au Sénat le 4 septembre courant,
19 septembre 1808 ;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces des der-
nières victoires remportées par nos armées en Espagne, 28 dé-
cembre 1808;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces des victoires
remportées à Tann, EckmHhl et Ratishonne, 8 mai 1809;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces de Ventre'e
triomphante de S. M. VEmpereur et Roi dans la capitale de
V Autriche, 7 juin 1809;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces des victoires
remporte'es à Enzersdorfet à Wagram par les armées fran-
çaises, 26 juillet 1809;
Lettre pastorale en faveur àe^ séminaires ^Q octobre 1810;
Ordonnance d'une quête en faveur des aspirants à l'état
ecclésiastique, datée de Paris 14 août 1811;
Circulaire autorisant le 6twa^e, 4 janvier 1812;
Lettre pastorale sur les séminaires, 20 septembre 1812;
Mandement des vicaires généraux, en l'absence de l'évêque,
ordonnant un Te Deum en actions de grâces des victoires de
V empereur sur les armées russes, 7 octobre 1812;
Ordonnance d'un Te Deum en actions de grâces de la vic-
toire remportée à L^Uzen sur les armées russe et prussienne,
15 mai 1813;
Mandement ordonnant des prières pour Vempereur se prépa-
rant à repousser l'invasion des ennemis de la France et en
délivrer notre territoire; et ordonnance relative aux fêtes sup-
primées, 28 janvier 1814;
Ordonnance d'un Te Deum à l'occasion du retour de Louis XVI II
dans la capitale de ses États, 18 mai 1814;
Prières solennelles pour V Assemblée qui doit s' ouvrir le 2^ de
ce mois, 21 septembre 1815.
Mgr Bourlier jouissait, dans un âge avancé, de toute la viva-
cité de la jeunesse, lorsqu'il fut attaqué, sur la fin de l'année 1820,
d'une maladie organique. La force de sa constitution put seule
le soutenir pendant plus de dix mois qu'il garda le lit. Il con-
serva sa connaissance jusqu'à la fin, et on dit qu'avant de
mourir il adressa encore une lettre forte et touchante à M. de
Talleyrand avec lequel il avait eu des relations étroites, et
auquel il donnait des conseils dignes d'un évêque zélé et d'un
ami fidèle. Il mourut dans son palais épiscopal d'Évreux le
NÉCROLOGIES ÉPISCOPALBS 237
mardi 30 octobre 1821, à huit heures du matin, parvenu au
milieu de sa 91* année. Il légua tout ce qu'il possédait à son
séminaire diocésain, qui comptait alors 140 élèves sous la direc-
tion de M. Lambert; il excepta urh maison qu'il donna pour y
établir des Frères des Ecoles chrétiennes à Evreux. Il fut le
premier évêque d'Evreux inhumé dans le caveau destiné à la
sépulture des évêques par Mgr de Lesay-Marnésia dans la cha-
pelle de la Vierge. M. de Talle^rand prononça son éloge à
la tribune de la Chambre des pairs, dans la séance du 13 no-
vembre 1821; c'est l'un des plus s[»irituels qui soient sortis de
la plume du célèbre diplomate (1). Le G septembre 1822, M. l'abbé
Painchon, vicaire-général, doyen du Chapitre, et qui avait été
secrétaire de l'évêché de 1802 à 1807, prononça aussi son éloge
dans la séance publique de la Soci-né d'agriculture, sciences et
arts de l'Eure. Le 2 novembre 1821, MM. de la Brunière,
Painchon et Delacroix, vicaires-généraux capitulaires, publiè-
rent, à l'occasion du décès de Mirr Bourlier, un intéressant
Mandement dans lequel ils faisaient l'éloge du prélat que le
diocèse venait de perdre, l'appelaient un ange de paix et de
conciliation et rappelaient ses titres à la reconnaissance de
tous, après avoir esquissé sa belle vie, parlé de sa douceur, des
largesses de sa charité, du bien qu'il avait fait pendant sa vie
et celui qu'il voulut perpétuer airès sa mort, < laissant à ses
successeurs les moyens cle multi[)lier les élèves du sanctuaire,
et de proportionner un jour le nonibre des ouvriers à l'étendue
des besoins, à l'abondance des moissons. A jamais, les amis de
la religion et des mœurs diront quelle a été sa constante solli-
citude, quelle fut sa générosité, pour procurer aux enfants de
l'un et l'autre sexe, dans la ville et dans les campagnes, l'inesti-
mable bienfait d'une éducation solide et chrétienne ; à jamais, les
pauvres répéteront que toujours leurs besoins, leurs cris le
trouvèrent sensible et généreux; qu'ennemi de tout luxe, de
tout faste, il n'a voulu qu'on s'aperçût de l'accroissement de sa
fortune qu'à l'accroissement de ses aumônes : Eleemosynas
illius narrahit omnis ecclesia sanctorum (Eccl., xxi, 11)...»
Nous ajouterons que Mgr Bourlier était distingué par son
esprit et par sa capacité pour les affaires; et il joignait à ces
avantages des qualités qui ont rendu sa mémoire chère à ses
amis et à son diocèse. Sentant sa fin approcher il demanda de
(l) L'^mt de la Religion le cite dans son a» 2970 (22 mai 1838).
^[8 ANNALES CA.1HOL.1QUB6
nouveau le Saint Viatique qui lui fut administré avec rExtrèmo-
Onction. Depuis ce moment il ne sortit de sa bouche que des
paroles d'édification, et il mourut dans les sentiments de la plus
tendre piété.
Sur l'écusson de ses Mandements ne figurent que ses initiales
J,-B. B. enlacées, et autour de ces mots ; Joawnes Bccpiisia
BouRLiER, episeopus Ebroioen.
Mais il avait aussi des armoiries que notre défunt ami M. Fig-
quet, dans sa France pontificale, diocèse d'Evreux, explique
ainsi :
Parti: au premier, d'azur à la Sainte Vierge d'or surmon,'
tant un croissant d'argent, et accompagnée en chef de deux
étoiles du même ; au deuxième, d'azur à la bande e'chiquete'e
d'or et de gueules, de deux tires, chargée d'un lis d'argent.
Nous devons à l'obligeance de M. l'abbé J. Fossey, premier
vicaire de la cathédrale et auteur de la Monographie de la
cathédrale d'Evreux, l'inscription tumulaire de Mgr Bourlier
qui se trouve au tombeau des évéques, dans le chœur de la
chapelle absidale, et qui est à moitié disparue endommagée par
le salpêtre, mais restituée d'une manière sûre par notre aimable
correspondant. Elle est ainsi conçue :
In Spem
Beat.î; Resurrectionis
Hic quiescit
JOANNES BaPTISTA
BOURLIER
Episcopus Ebroicencis,
Natis Divione
DIE I Februarii mil viv=^ rxxi,
CONSÈCTRATUS
die xxiii Aprilis mil viirri
die XXX OCTOBRIS MIL VIII^XX!
VlTA FUNCTUS
J.-B. M. 0. d'Agrigente.
(A suivre.)
DES CONDITIONS DE. l' ACTE. MORALEMENT MAUVAIS 239
1»ES CONDITIONS DE L'ACTE MORALEMENT MAUVAIS
L Quelle espèce d'advertance est requise concernant la malice d'un
acte pour que le péché soit formel? — II. Est-il nécessaire que
l'acte soit Voulu précisément à cause de sa malice? — IlI.Suffii-il qu'il
soit volontaiie dans sa cause? — IV. Une simple circonstance
mauvaise rend-elle l'acte entièrement mauvais ?
I
On distingua l'advertance actuelle, l'advertance virtuelle et
l'advertance iaterprétative.
L'advertance actuelle caractérise le volontaire direct. On dit
que le volontaire est direct quand la volonté se porte directe-
ment sans intermédiaire à cet acte; tel est, par exemple, l'ho-
micide pour un homme qui, voulant la mort de son ennemi, lui
a donné lui-même ou lui a fait donner le coup mortel.
L'advertance virtuelle caractérise le volontaire indirect. On
dit que le volontaire est indirect lorsque l'acte n'est volontaire
que dans sa cause; ce qui a lieu toutes les fois que l'on prévoit
que tel ou tel effet doit résulter de l'acte qu'on se propose de faire,
d'une démarche ou d'une omission qu'on se permet volontaire-
ment. Cet effet, étant prévu, devient indirectement volontaire
pour celui qui agit, ou qui s'abstient lorsqu'il est obligé d'agir.
Ainsi, par exemple, les blasphèmes, les injures proférés dans
un état d'ivresse, sont volontaires d'un volontaire indirect, dans
celui qui s'est enivré volontairement, sans surprise, se rappe-
lant plus ou moins distinctement qu'il est sujet à blasphémer ou
à s'emporter quand il est pris de vin.
L'advertance interprétative est la faculté de remarquer la
malice de l'acte, que l'on remarquerait en effet, si la pensée
s'en présentait à l'esprit. Les théologiens qui prétendent qu'elle
suffit pour un acte humain, pour le volontaire indirect, la font
consister en ce que celui qui ne remarque pas la malice de
l'acte peut et doit la remarquer. Mais cette espèce d'advertance
n'est point une advertance proprement dite; car elle ne suppose
aucune attention, aucune idée même confuse de la malice do
l'acte, ni pour le moment où l'on agit, ni pour le moment où
l'on a posé la cause d'où l'acte s'ensuit.
Le péché, même mortel, n'exige pas nécessairement l'adver-
tance actuelle de la malice de l'acte, pour le moment où l'on
240 ANNALES CATHOLIQUES
transgresse une loi. Car il peut arriver, comme il arrive en
effet, qu'une action soit formellement mauvaise et imputable à
péché, sans que celui qui en est l'auteur la reconnaisse présen-
tement comme telle. Ce qui a lieu, quand on viole une loi par
suite ou d'une ignorance moralement vincible et coupable, ou
d'une passion, d'une habitude volontaire dans sa cause, ou de
l'inconsidération avec laquelle on se porte à un acte, malgré le
doute ou le soupçon qu'on a sur la malice de cet acte, ou au
moins sur le danger qu'il y a de faire une chose sans examiner
si elle n'est point contraire à la loi. Par conséquent, l'adver-
tance virtuelle, qui est suffisante pour le volontaire indirect,
suffit par là même pour pécher, même mortellement.
Mais un péché ne peut être imputable qu'autant que l'adver-
tance de la part de celui qui le commet est au moins virtuelle.
L'advertance interprétative ne suffit pas pour le rendre formel.
Ce sentiment, dit le cardinal Gousset, nous paraît plus probable
que le sentiment contraire, et nous pensons qu'on peut l'adopter
dans la pratique. En efi'et, un acte ne nous est imputé qu'autant
qu'il est directement ou indirectement volontaire. Or, pour
qu'un péché soit indirectement volontaire, c'est-à-dire vo-
lontaire dans sa cause, les théologiens exigent trois condi-
tions; dont la première est qu'on ait prévu, d'une manière au
moins confuse, que tel efi'et devait s'ensuivre de l'acte qui est
volontaire en lui-même. « Ut voluntarium indirectum imputetur
ad culpam, dit saint Liguori, requiritur ut prsevideatur effec-
tus. » (Homo apost. De Act. hum., n^ 6); ou comme il s'ex-
prime ailleurs : « Ut agens, ponendo causam, advertat, saltem
in confuso, hujusmodi eff'ectum fore ex illâ causa secuturum. »
(Th. Mor. De Act. hum., n° 10.)
Bailly, Collet, le rédacteur des Conférences d'Angers, d'autres
théologiens prétendent à tort que pour être responsable d'une
mauvaise action, il n'est pas nécessaire qu'on ait réellement
prévu ni même soupçonné ce qui est arrivé. Saint Liguori leur
répond : « Ut imputentur alicui afiectus cujusdam causae, débet
necessario prœcedere, saltem in principio, advertentia actualis
et expressa malitiae objecti. » (De Peccatis, n° 4). Un acte, en
efi'et, ne peut être regardé comme indirectement volontaire
qu'autant qu'il a été prévu saltem in confuso, c'est-à-dire
qu'autant, comme l'explique toujours saint Alphonse de Liguori,
que celui qui pose la cause a quelque idée, une idée au moins
confuse, et de la liaison qui se trouve entre cette cause et l'efi'et,
DES CONDITIONS DE l'aCTE MORALEMENT MAUVAIS 241
et de la malice qui doit probablement en résulter. Pour imputer
à quehju'un l'effet d'une cause, il faut qu'une certaine connais-
sance actuelle de la malice de l'objet ait précédé, du moins dans
le principe, de manière que, par suite du volontaire direct, l'effet
devienne indirectement volontaire.
D'ailleurs l'advertance interprétatrice suppose, dans le sys-
tème contraire, l'obligation et par là même la possibilité, pour
celui qui agit, de remarquer la malice de l'acte et de ses suites.
Mais comment la remarquer si elle ne se présente pas à l'esprit?
Et comment s'y présentera-t-elle, s'il y a absence de toute
advertance actuelle ; si celui qui agit n'a même pas la pensée
de l'obligation d'examiner ce qu'il fait ; s'il n'éprouve aucun
doute, aucun soupçon, soit relativement à cette obligation soit
relativement au danger qu'il peut y avoir à poser telle ou telle
cause? « Déficiente omni advertentia expressa, non est potentia
advertendi, et ideo nec obligatio, cum nulla obligatio liget, nisi
prius quodammodo agnoscatur. » [S. Liguori, De Peccatis,
n° 4). Concluons donc avec le même docteur que pour pécher
mortellement il faut toujours être actuellement éclairé sur la
malice de l'acte, ou sur le danger de pécher, ou sur l'obligation
de s'enquérir de ce danger, à moins qu'on ne l'ait aperçu dans
le principe, quand on a posé la cause de l'acte subséquent.
(S. Liguori ; Guide du confesseur des gens de la campagne. Des
Ppéchés n° 1) (Cf. Gard. Gousset. Théologie morale. Des Actes
humains, ch. 2. Des Péchés, ch. 1.)
II
Sur cette question saint Thomas observe (1» 2^ q. 78, art. III)
que le péché résulte tantôt du défaut de raison, comme quand
on pèche par ignorance ; tantôt il est produit par l'impulsion de
l'appétit sensilif, comme quand on pèche par passion ; mais que
dans ces deux cas on ne pèche pas par malice. On pèche par
malice, dit-il, quand la volonté se veut d'elle-même au mal ;
ce qui constitue la malice, c'est à proprement parler le dérègle-
ment de la volonté. La volonté déréglée aiiae les biens tempo-
rels plus que la charité de Dieu, elle consent à souffrir une perte
dans ce bien spirituel pour acquérir des biens temporels. Elle
veut sciemment un mal spirituel ; elle pèche de dessein formé.
Il y a donc des cas oii on pèche positivement par malice. Il v en
a d'autres oii on pèche sans songer à la malice du péché ; d'oii,
18
242 ANNALES CATHOLIQjUBS
pour qu'un péché soit formel, il n'est pas nécessaire que l'acte
soit voulu précisément à cause de sa malice.
III
Le consentement libre de la volonté est nécessaire pour le
péché. Il u'y a pas de péché qui n'ait la volonté pour principe.
« C'est par la volonté qu'on pèche, dit saint Augustin, et c'est par
edle qu'on se conduit bien. » (Retract, lib. I, cap. 1). « La volonté,
dit saintThomas,est...le principe des péchés,... le péché est dans
la volonté comme dans son principe. » (1* 2* q. 72, art. 1.)
Mais il suffit q^e le consentement soit indirect, c'est-à-dire
que l'acte soit volontaire dans sa cause ; ce qui a lieu quand
celui qui agit prévoit, au moins confusément, les suites mau-
vaises de son action ; nous l'avons indiqué plus haut; mais il
faut en second lieu qu'on ait pu s'abstenir de l'acte qui en est la
cause ou l'occasion. Personne n'est tenu à l'impossible. « Quis
enim peccat, dit saint Augustin, in eo quod nulle modo cavere
potest? » (De lib. arb. III, cap. 18). Il faut en troisième lieu
qu'on soit tenu de s'abstenir de l'acte ou d'éviter l'omission,
desquels on prévoit un eflet, un résultat contraire à la morale.
Ainsi, on ne doit point regarder comme volontaires dans leur
cause, ni les pensées, ni les tentations contre la pureté auxquelles
nous sommes sujets dans l'exercice de nos fonctions, pourvu
toutefois qu'on les désavoue aussitôt qu'on s'en aperçoit. Un
prêtre n'est point obligé de renoncer à son ministère pour éviter
les tentations dont les confessions qu'il entend sont l'occasion;
lorsque d'ailleurs il fait ce qui dépend de lui pour en prévenir
les suites. Ce que nous disons du prêtre est applicable au mé-
decin, au juge, à l'avocat qui se trouvent dans la nécessité de
traiter les matières délicates coRcernant le sixième précepte.
(Cf. S. Lignori, TheoL mor. de Act. Hum., n" 14).
La volonté peut agir, relativement à l'objet qui lui est pro-
posé par l'entendement, de trois manières différentes : 1° en
consentant positivement au péché; 2° en. résistant positivement;
3° en ne consentant ni ne résistant, mais en demeurant neutre,
négative se habendo. Or, on pèche en consentant positivement ;
mais on ne pèche pas en résistant, quand la résistance est posi-
tive et absolue; Quant à celui qui demeure neutre ou passif,
sans résister ni consentir positivement aux mouvements de
l'appétit sensuel vers un objet qui est matière pour le péché
DES CONDITIONS DB X,'wCTE MORALEMENT MAUVAIS 248
mortel, les uns prétendent qu'il pèche morteHement, d'autreg
pensent qu'il ne pèche pas; mais cette opinion est commune*
ment rejeiée; suivant plusieui*s docteurs, il pèche, mais son
poché n'est que véniel, si d'ailleurs le danger du consentement
n'e^t pas prochain. C'est le sentiment de saint Alphonse deLigtiofi
(De Peccatie, n° 6).
Mais lorsqu'il s'agit de délectation charnelle, nous sommée
oblig-és, sous peine de péché mortel, de résister positivement
parce que ces mouvements, quand ils sont violents, peuvent faci-
lement entraîner le consentement de la volonté, si elle ne
résiste pas positivement. (S. Liguori, ibid., n» 7). Cependant il
est des cas oii il sutât de ne pas consentir à la tentation, aux
mouvements charnels. Ainsi, par exenjple, il vaut mieux 'les
mépriser que de résister positivement, quand on sait par expé-
rience que la résistance ne sert qu'à les exciter et à les rendre
plus forts.
IV
Trois choses concourent à déterminer la bonté ou la malice
d'un acte : l'objet, les circonstances et la fin ; l'action n'est
bonne qu'autant que ces trois choses sont bonnes, selon l'axiome :
Bonum ex intégra causa. Mais il suffit qu'une seule soit viciée
et défectueuse pour que l'action le soit aussi, suivant cet autre
axiome : Malum ex quocumque defeciu.
Dans tous les procès criminels, l'appréciation des circonstances
a une grande influence sur le jugement. Une circonstance,
comme le mot l'indique, est ce qui est autour d'-une chose, quod
circumstat, ce qui, entourant de près une chose, la touche, la
modifie, jusqu'à un certain point, non pas au fond précisément,
mais par le dehors ; ou bien, si l'iufluence de la circonstance
arrive jusqu'au fond, c'est en passant par le dehors, en sorte
que la modification imprimée peut être plus ou moins profonde.
Il peut même arriver que, par l'influence des circonstances,
quelquefois d'une seule, une action change tout à fait de nature.
Quelques exemples nous aideront à expliquer notre pensée.
C'est un crime ou un délit d'exercer une violence sur un
homme, de le frapper, de le maltraiter ; mais si l'objet de la vio-
lence est un père, voilà une circonstance qui modifie singulière-
ment l'action et la rend pins méchante ; frappersa mère, n'est-ce
pas quelque chose de plus abominable ? Cependant, au fond, il
n'y a qu'une circonstance de plus.
244 ANNALBS CATHOLIQUES
Voler est toujours une faute, cependant voler un pauvre,
surtout si c'est un riche qui vole le pauvre, n'y a-t-il pas quelque
chose qui révolte davantage que si le volé était un riche ? Il n'y
a encore là qu'une circonstance, mais pour tous elle augmente
d'un degré l'action mauvaise.
L'aumône est une bonne œuvre ; donner de son superflu, c'est
bien; de son nécessaire c'est mieux, et cette circonstanse amé-
liore l'action. Mais si l'on fait l'aumône par ostentation, afin de
s'en faire un instrument d'influence, voilà une circonstance qui
change la nature de l'acte.
C'est pourquoi les tribunaux humains tiennent compte des
circonstances qui aggravent ou qui atténuent un acte. Or, ce
que font les tribunaux humains doit être pratiqué avec sollici-
tude au tribunal divin. Les circonstances influent de trois ma-
nières sur la moralité des actions : l^Il y en a qui changent la
nature et l'esprit de l'action en lui ôtantla qualité morale qui
lui est propre, et en lui en donnant une autre ; 2° d'autres
ajoutent une malice nouvelle à une action déjà mauvaise, mais
sans en changer la nature, ce qui fait un délit ou un péché com-
plexe; 3° ou bien encore sans changer en aucunemanièrela nature
de l'action, sans y ajouter une malice nouvelle, les circonstances
peuvent en augmenter ou en diminuer la bonté ou la malice. De
là trois cas principaux à étudier.
1" Cas. Prenons le cas de l'aumône. Il est évident que si vous
donnez par intérêt, par vaine gloire, par ostentation, ce n'est plus
l'aumône que vous faites, ou si vous la faites matériellement,
vous ne la faites pas formellement.
Dans votre acte il reste ceci de l'aumône, que vous donnez un
secours à autrui, et ce secours aura son efl'et en fournissant à
votre prochain de quoi satisfaire à ses besoins. Mais comme
action morale, ce qui la caractérise en cette occasion n'est plus
son objet propre, mais la circonstance d'un intérêt privé, d'une
vaine gloire; donc une fin extrinsèque à l'aumône; car le but
intrinsèque de l'aumône est de soulager son semblable. Or, ce
n'est pas ce qu'on recherche dans ce cas, et si l'on pouvait
acquérir la réputation d'homme charitable autrement, à coup
sûr on ne donnerait pas. Donc, l'action est dénaturée, elle
change d'espèce et de nature par l'efi'et de la circonstance.
Il arrive que des personnes dévotes cédant à l'attrait qu'elles
ont pour les choses religieuses, négligent les devoirs de leur
état. C'est un serviteur qui négligera une obligation de son état,
DES CONDITIONS DE l'aCTE MORALEMENT MAUVAIS 245
à laquelle il est engagé en conscience, pour aller à l'église. Ses
maîtres ne l'empêchent ni de faire ses prières, ni d'aller à la
messe, ni de communier. En faisant à l'insu de ses maîtres da-
vantage, il fait des actes de dévotion qui sont mal entendus; et
cette circonstance, qu'il abandonne des choses essentielles et
obligatoires pour des pratiques religieuses auxquelles il n'est
pas tenu, dénature sa piété qui tourne en vice.
Voici un chrétien qui se montre dans les églises afin de se faire
une réputation de piété : il affiche les dehors delà religion pour
en avoir le renom. Ses actions, bonnes par la forme, ne le sont
pas par l'esprit, c'est-à-dire par l'intention. C'est pour être loué,
et non pour honorer Dieu et le servir qu'il va à l'église. Donc
voilà une action bonne en soi, et qui ne l'est pas en effet, changée
qu'elle est dans sa nature par une mauvaise circonstance.
2"* Cas. Les circonstances, ajoutant une malice nouvelle à l'ac-
tion mauvaise sans en changer la nature, font que la faute de-
vient complexe. Ainsi la fornication est une faute ; mais avec une
femme mariée elle prend le nom d'adultère et la faute est plus
grave. Si c'est avec une personne consacrée à Dieu, c'est un sa-
crilège ; si c'est une parente, dans les degrés prohibés, c'est un
inceste. Ainsi dans tous ces cas, il y a toujours péché de la chair,
la nature de l'acte n'a pas changé, mais le crime est plus grave
en raison de la condition de la personne avec laquelle on pêche.
€ Le péché est d'autant plus grand, dit S. Isidore, que la per-
sonne qui le commet est plus élevée en vertu et en dignité. » (Cf.
S. Th. la 1», Q. 72, art. 10). Le vol est toujours un délit, mais
il peut se compliquer de violence et d'effraction, qui n'ont pas de
connexion nécessaire avec le vol : ce sont deux crimes ajoutés à
un délit, et dont la malignité se joint à celle de l'action princi-
pale et la complique.
3* Cas. Les circonstances augmentent ou diminuent la bonté
ou la malice de l'action sans en changer l'espèce ou la nature.
Ainsi la colère est une faute, mais les circonstances peuvent
s'exalter à un tel point qu'elle peut devenir une faute grave. Un
délit quelconque est plus grave dans un prêtre que dans un
laïque. C'est ce qui fait dire à saint Jérôme : < Nugae in ore laïci
nugae sunt, in ore autem sacerdotis blasphemise. > ¥n larcin de-
vient plus ou moins grave en raison de la quantité de la chose
dérobée. Voler un objet de peu d'importance, chiper, comme
disent les écoliers, est certainement mal; la preuve, c'est que
saint Augustin s'en accuse dans ses Confessions. Après bien des
246 ANWALW8 CATHOLIQUES
années, il se reprochait a\rec larmes d'avoir pris des froits danis
UTi jardin voisin de la maison paternelle. Noos avons tous des
confessions de ce genre à faire, et bien iqae ces fautes semblent
légères à cause de la aiMtière et de l'âge, Dieu veuille que nouiS
les regrettions comme saint Augustin ! Mais dérober une somme
importante est certainement plus gr&ve, et même la condition
de la personne volée ajoute encore à la malice du vol. Il en est
de même des fautes commises par l'abus de la parole, si fré-
quentes dans la société. Que d'imprudences et quel abandon cou-
pable ! On se laisse aller à des jugements téméraires pour
s'amuser et passer le temps. On plaisante sur l'un, sur l'autre;
des plaisanteries on passe à des choses plus graves, et on ne recu-
lera pas devant un trait d'esprit qui peut détruire la réputation
d'une personne. Donc, pour apprécier les fautes de ce genre, il
faut connaître les circonstances et ein tenir compte. '(Sï^int
Thomas 1» 2», Q. 73, art. 7, 8, 9).
Les différentes circonstances qui peuvent modifier la nature
ou la malice du péché, sont renfermées dans le vers suivant :
Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quoraodo, quando?
(Cf. Gard. Q-oasset. Des péchés, ch. 3, n' 252).
P. G. MOREAU,
Vicaire général honoraire de Langres.
LE GENERAL DE SONIS
(Souvenirs personnels) (1).
C'est au sixième anniversaire de la mort d'un des plus glo-
rieux enfants de notre France, que nous voulons réunir ces
quelques notes, tout intimes.
Remarquez la symbolique coïncidence de cette date : ce che-
valier de la Vierge recevant la couronne immortelle le jour de
la grande solennité de l'Assomption !
Du reste, dans cette vie, tout est providentiel. Et n'est-il pas
naturel qu'il en soit ainsi, pour cette âme soumise à Dieu, qui,
bien loin de s'agiter, se laissa toujours conduire, ne cherchant
que la volonté divine.
(Il Nous extrayons ces intéressants souvenirs de la Vérité qui les
avjiit reçus en août dernier, à la veille des fêtes de la cousécration
de l'église de Loigay. Ils n'ont riea perdu de leur émouvant intérêt.
(N. DE LA R.)
LE GENERAL DE SONIS 247
Il vint au monde, le 25 août 1825, au jour de fête du plus,
grand de nosi rois, saiut Louis, qui mourut sur cette terre afri-
caine où le nouveau-né devait aussi combattre avec tant d'éclat.
Sa première distinction scolaire fut une composition sur Jeanne
d'Arc, qui eut les honneurs d'une lecture publique, tant l'ado-
le^cent avait mis son âme de feu dans le récit de la bataille de
Hatay. A quatre siècles d'intervalle» dans les mêmes lieux où
la Pucelle avait sauvé le « gentil royaume de France », l'en-
fant aux images enflammées devait, lui, sauver la gloire de la
patrie.
N'est-ce pas encore la Providence qui l'amena à Paris au
temps où, Lacordaire parlait « du gouvernement divin eu de
l'action de Jésus-Christ au sein de l'humanité ». Carême de
1851? Il sortait des inoubliables séances de Notre-Dame trans-
porté, et son. cœur de héros se formait pour les grands sacrifices
qui l'attendaient.
A Limoges, il entre dans la Société de Saint-Vincent de Paul.
A Alger^ il fonde l'Adoration nocturne. L'honneur d'inaugurer
sur l'antique terre de saint Augustin cette sainte « veillée des
armes » était bien dii à ce guerrier digne des croisés. Ce fut
dans la nuit qui précéda l'Assomption de l'année 1854, qu'il
commença avec quelques amis la garde auprès du Saint-
Sacrement.
Presque quarante ans après, celui de ses fils qui lui ressem-
blait le plus, ressemblance encore augmentée par une identique
amputation, Jean devait rendre le dernier soupir et dormir son
éternel sommeil dans cette même ville embaumée, de son angé-
lique piété.
Eu lui, deux existences également parfaites : il s'avance à
travers la vie, un crucifix d'une main» une épée de l'autre.
Et le. chrétien porte la dure croix de la pauvreté comme une
. oblesse, avec la fierté de l'homme dévoué à tous les sacrifices,
« sauf celui de l'honneur >, ainsi que le dit son éloquent histo-
j'ieo, Mgr Baunard.
Dés les premiers temps de son séjour en Algérie, spectateur
attentif et perspicace des événements, il écrit que cette splen-
dide colonie ne sera réellement à la France que lorsqu'elle
sera à la religion, et que la croix j ferait bien plus que l'épée.
Chez lui, en toutes circonstances, c'est le chrétien qui se
; lontre d'abord. Pendant la terrible journée de Solférino, il se
trauva seul, séparé de son escadron, au milieu des ennemis:
248 ANNALES CATHOLIQUES
«Dieu m'a miraculeusement conservé la vie, écrivait-il ; puissé-je
ne l'employer qu'à son service et à sa gloire! » Telle est son
unique ambition. La suite de sa vie a prouvé à quel point il l'a
réalisée.
Nos souvenirs datent de 1860, alors que le quatrième galon
venait de récompenser son admirable dévouement pendant la
funeste expédition au Maroc, où le choléra s'était fait l'impla-
cable allié des insurgés.
Nommé au 2« régiment de spahis, il reçut le commandement
militaire du cercle de Ténès, jolie petite ville assise au pied du
cap du même nom, sur la Méditerranée, à l'embouchure de
rOued-Allala. Riche en souvenirs de l'époque romaine, elle
devait son importance aux mines de fer, de plomb, de cuivre et
même d'argent situées dans son voisinage.
Le nouveau commandant se réjouissait de ce poste, situé au
milieu d'un pays superbe, dans un climat très sain, où il pour-
rait faire venir sa « petite famille », d'autant que l'habitation
aflfectée au commandant supérieur était spacieuse, dominant la
mer, et bien meublée aux frais de l'Etat, heureuse aubaine à
laquelle le père de famille était fort sensible. Pour la première
fois il se trouvait son chef, absolument comme s'il était « général
commandant une subdivision », et écrivait-il, « je suis le per-
sonnage de l'endroit; si je n'étais chrétien il y aurait de quoi
flatter mon amour-propre » ; il se réjouissait donc à la pensée
de pouvoir peut-être y passer « quelques bonnes années ». Ce
souhait ne devait pas se réaliser, car le 24 novembre de la même
année il était appelé au poste important de Laghouat.
Trente-quatre ans, svelte de taille, la plus charmante figure,
illuminée par des yeux spendides, admirable cavalier portant à
merveille le coquet uniforme des spahis, dolman rouge sur pan-
talon bleu de ciel, à l'inverse des chasseurs, tel il était lorsqu'il
débarqua à Ténès en 1860.
Mme de Sonis était revenue rejoindre son mari au commen-
cement de mai, amenant avec elle deux de ses enfants, — Albert
et Madeleine — ayant laissé au Sacré-Cœur de Poitiers Marie,
l'aînée, ainsi que Gaston et Henri chez les jésuites de la même
ville. La sixième était une petite fille qui était restée à Castres
chez ses grands-parents où elle devait mourir en bas âge.
Les pouvoirs civils à Ténès étaient alors entre les mains d'un
fonctionnaire qui occupait son poste depuis cinq ans. Adminis-
trateur de premier ordre, ayant laissé d'impérissables souvenirs
LE GÉNÉRAL DE SONIS 249
dans ce coin de terre algérienne, connaissant son district à fond,
il avait les mêmes idées que M. de Sonis sur la colonisation;
une mutuelle sympathie les attira l'un vers l'autre, et une
franche amitié unit bientôt les deux familles.
Les enfants montaient à âne, faisant des parties appropriées
à leur âge, tandis que les parents partaient à cheval, vers sept
heures du soir, au moment où la brise de mer se lève, et par-
couraient les pittoresques environs de Ténès, jouissant de ces
incomparables soirées d'Afrique, sous un ciel bleu, profond, aux
constellations si brillantes ! Aussi les promenades se prolon-
geaient souvent, surtout quand le commandant racontait les
palpitants souvenirs de sa campagne de Kabylie, de la guerre
d'Italie et de l'expédition du Maroc... Il le faisait avec une
éloquence simple, un charme attachant; en dépit de sa modes-
tie, son âme se montrait toute vibrante encore au souvenir des
actions où il avait pris une si grande part.
Au m'ois de septembre de cette année 1860, un fils ardem-
ment désiré étant né au commissariat civil, le commandant de
Sonis accepta de le tenir sur les fonts du baptême en remplace-
ment d'un parent qui ne pouvait venir de France. Ce fut ainsi
que le 8 septembre — fête de la Nativité de la Vierge — il pro-
nonça le Credo au nom du nouveau-né de la veille, lequel —
coïncidence curieuse — tenait de son véritable parrain le pré-
nom de « Gaston » qui était également celui du parrain par pro-
curation.
Souvenir précieux, toujours regardé comme un gage de salut
pour l'enfant qui eut l'extraordinaire bonheur d'avoir un pareil
répondant devant Dieu.
Le départ des de Sonis fut un véritable deuil pour la famille
du commissaire civil, ia>ais des relations si bien commencées ne
devaient pas se perdre.
Deux ans après, le commissaire civil passa de Ténès à Oran,
où il venait d'être nommé secrétaire général. Oran c'est le
chemin de la France pour ceux qui habitent le Sud. M. de Sonis
commandait alors à Saïda et il amena bientôt à Oran son fils
Albert, pour l'envoyer rejoindre ses frères au collège des Pères
jésuites de Poitiers. Naturellement tous deux virent leurs amis
de Ténès.
En 1853, l'empereur avait décidé qu'une juste délimitation
devait être établie entre les territoires appartenant aux diverses
tribus. Le premier désigné pour ce travail fut le commandant
'250 ANNALES CAmOLlQU'KS
de Sonis, « à cause de ses rares qualités de conscience », En
conséquence, il s'installa avec sa famille à Mostag^nem.'tJne
grande douleur Tj attendait : les amis d'Oran étaient allés à
Mostaganem et avaient admiré la petite Marthe, sa Benjamine;
quelques jours après, une angine couenneuse étouffait en quel-
ques heures la charmante enfant...
1864 vit éclater la terrible insurrection fomentée parSi-Làlla,
M. de Sonis fut contraint à une nouvelle séparation d'avec les
siens :
« Ma femme est partie avec l'espérance de devenir mère
encore une fois — pour la neuvième fois, ce devait être Jean —
«e qui a rendu cette séparation doublement cruelle. Elle s'est
faite, en quelque sorte sur le tombeau de nôtre enfant. Nous
avons baisé la pierre ensemble, puis nous nous sommes séparés,
elle pour s'embarquer, moi pour me diriger vers le Sud. »
A ce triste passage à Oran, avant de se rendre àMers-el-Kébir
pour y monter à bord, Mme de Sonis avait trouvé ses aniis de
Ténés.
Pendant ce temps, la campagne s'engageait péniblement.
Voici ce qu'écrivait un officier du 2* zouaves, qui la fit avec le
commandant :
« J'ai beaucoup connu M. de Sonis lorsqu'il était chef d'esca-
drons de spahis. Je commandais à cette époque deux compagnies
de zouaves à la colonne du colonel Marmier, dont il faisait
partie ; je suis resté cinq mois détaché à cette colonne et, attiré
vers lui, je le voyais tous les jours.
« Si sa mort est vraie — cette lettre était écrite après Loigny
— c'est une grande perte pour le pays: la 'noblesse de ses sen-
timents, la grandeur et la fermeté de son caractère, ainsi que
ses talents militaires, en faisaient un général remarquable et
d'une si parfaite honorabilité, que la jalousie et le mauvais
esprit de l'armée n'avaient pu l'atteindre que sur ses principes
religieux; car aujourd'hui c'est une liberté que Ton cfroit, à ce
qu'il paraît, dangereuse, puisqu'on la supprime; un homme reli-
gienx est un jésuite, et, comme tel, un traître à la patrie. Amen.
Nous irons encore loin, avec ces principes ! >
Celui qui traçait ces lignes était digne de juger le héros de
Loigny, car personne ne possédait des sentiments plus nobles et
plus délicats que les siens.
L'insurrection enfin calmée, l'empereur entreprit, au prin-
temps de 1865, cette solenn«lle visite en Algérie « durant la-
LE aÉNBR\L DB SONIS 25t
qaelle il donna pareillement la. me^uiB et des illusions de 80q
ohiuiécique esprit et des bonnes intentioDS de son malheureux
oœuE. »
Depuis un an, le maréchal de Mae-Mahon avait succédé sm
maréchal Pélissier, de légendaire méoioire.
L'empereur avait exprimé le désir d'attacher à sa personne
un officier distingué, connaissant également bien le pays, la
langue et les. mœurs, arabes. Le comraatidant de Sonis était
d'autant plus désigné que le souverain l'avait remarqtié pun-
dant les fêtes militaires données en son honneur lors de s^fon
premier voyage, en 1860^ Le mairéchaJ lui fit donc cette flatteuse
proposition : c'était la fortune qui s'offrait à lui. Pourtant il
tt'hésita pas à refuser. C'est que M. de Sonis n'était pas seiil«>.
ment un. fidèle légitimiste, il était surtout un fils dévoué de
L'Eglise, et personne n'a oublié, hélas! l'attitiude du cabinet
impérial, à cette même époque, vis-à-vis d« Pontife dépouillé
ée ses Etats.
M. de Sonis retourna donc à son poste à Saïda, oii il resta
(kins. une solitude complète pendant quele pays était en fête.
Ce séjour d'une semaine, que l'empereur fit à Oran, est un
de nos plus vifs souvenirs d'enfance : ces cent un coups de
oanon partant, de tous les forts à. la fois, pour annoncer l'arrivée"
de V Aigle; le quartier de la « Marine » admirablement pavoi.<é;
1j8 trouble du maire, voyant l'empeieur tendre la main pour
prendre le manuscrit de la harangue ([u'il venait de lui débiter
et croyant que le souverain lui offrait bourgeoisement une poi-
gnée de mains, tout comme M. Carnot... Et l'arrivée dan.s les
rues, — bondées de spectateurs haletants de curiosité, — du chas-
seur précédant la voiture impériale, s^tlendide dans un costume
vert, rutilant d'or ; la population éblouie, crut que c'était le
souverain en personne; son délire éclata, mais les derniers vi-
vats étaient finis lorsque parut unn calèche contenant plusieurs
généraux... on voit tant de généraux sur la terre algérienne
que personne ne fit attention à ceux-là : on les prit pour la suite.
Et le coup d'oeil féerique de cette pittore.eque ville, qui .><*illu-
minait comme par enchantement dès que la nuit tombait brus-
quement, sans crépuscule, ainsi que cela se passe dans ces ré'^
gione; ces minarets enfiammés, cette belle promenade Létang-
sillonnée de cordons de lumières. Je vois encore l'empereur,
déjà malade, s'y promenant appuyé au bras du général Fl«ury,
un ancien officier du 2« chasseurs d'Afrique, que tout le monde
252 ANNALBS CATHOLIQUES
connaissait à Oran. Puis cette revue sur le champ de courses,
suivie d'une merv^eilleuse fantasia; au retour, un vent du sud
souleva soudainement des tourbillons d'une poussière rouge et
impalpable, qui eut bientôt poudré d'une teinte pourpre bril-
lants uniformes et fraîches toilettes.
Et Ce simulacre de la prise de Mers-el-Kébir, avec le débar-
quement de la flotte; tableau grandiose, resté inefiacé dans mes
yeux d'enfant; blotti dans les bras d'un ambassadeur marocain,
qui me comblait de friandises enfouies dans le capuchon de son
burnous, au sortir du déjeuner impérial, je vois encore la mer
bleue, le grand soleil, l'émouvant spectacle de ces beaux vais-
seaux évoluant dans la rade grandiose que nous contemplions
du balcon du commandant du port ; cet officier était alors le
frère d'Emile Olivier, bien éloigné, certes, de son ralliement
prochain. Qui eût pu prévoir qu'il serait le dernier ministre du
souverain tout-puissant, et si acclamé à ce moment!
Ces souvenirs touffus nous ont entraînés en dehors de notre
sujet.
A peine l'empereur avait-il quitté le sol algérien que M. de
Sonis était nommé lieutenant-colonel, le 17 juin 1865. En même
temps on lui accordait un congé pour aller voir sa famille, dont
il était séparé depuis plus d'un an. En arrivant à Oran, il fut
informé que le gouverneuj- général l'avait nommé commandant
de la colonne mobile qui opérait dans le Sud, avec Laghouat
comme base d'opération. La situation était superbe, mais quel
sacrifice de renoncer à ses trois mois de congé avec tout ce qu'il
aimait! Il s'embarqua dotic pour Alger au lieu de s'embarquer
pour la France... En disant adieu à ses amis de Ténès, d'aucuns
ne se doutaient qu'ils ne verraient plus — à la place du brillant
cavalier — qu'un glorieux mutilé... En effet, en 1866, le secré-
taire général rentrait en France comme sous-préfet, et les deux
familles ne devaient se retrouver qu'à Paris, après vingt ans de
séparation.
Le lieutenant-colonel inaugura son commandement par une
expédition heureuse contre Si-Lalla, couronnée par le combat de
Metlili. Sa famille ne put, par conséquent, s'installera Laghouat
qu'au début de 1866. Pendant trois ans, le père de famille allait
enfin jouir de cette vie d'intérieur qu'il aimait tant et dont il
était sans cesse sevré. C'était le calme, précurseur de la tour-
mente.
Calme relatif, car chaque printemps avaient lieu des expédi-
i
LB GÉNÉRAL DE SONIS 253
tioDS destinées à entretenir les troupes en haleine et les Arabes
en respect. Le redoutable Si-Lalla n'avait pas désarmé, mais que
sa poursuite était décevante, à travers l'immensité de sable,
n'ayant à combattre que la cruelle soif!...
Un témoin oculaire nous conte que ce fut au retour de l'expé-
dition de I8G7 que le lieutenant-colonel donna un spectacle qui
ressuscitait les âges de foi, si loin de nous, hélas ! Les troupes
passaient au pied du Djébel-Amour, les torrents étaient à sec,
mais l'orage grondait dans la montagne et la crue était immi-
nente. Or, sur l'autre rive se trouvait le convoi des vivres,
l'unique ressource des troupes, et le torrent avait un kilomètre
de large; le péril était extrême et l'anxiété aussi. M. de Sonis
n'hésite pas; tombant à genoux sur le bord de la rivière, il se
mit à prier ardemment saint Joseph. Pendant ce temps le long
défilé avançait, se pressait... Le dernier chameau venait d'at-
teindre le bord du salut lorsque les flots se précipitèrent en ba-
layant tout sur leur passage.
Les vacances de 1868 virent pour la première fois toute la
famille réunie. Elle s'était augmentée en 1866 d'une mignonne
fillette, baptisée Germaine par son père, en mémoire d'un pèle-
rinage qu'il avait fait au sanctuaire de la sainte bergère de
Pihrac.
C'était l'ange que Dieu lui envoyait pour assister ses dernières
années alors que tout mouvement lui était devenu une souf-
france ; Germaine lui servait d'appui et l'accompagnait matin et
soir à l'église. C'est elle qui devait aussi réaliser le rêve de son
cœur, si désireux de voir une de ses filles devenir l'émule de
ses sœurs chéries en entrant au Carmel. Elle a prononcé ses
premiers vœux en octobre dernier, au couvent de Laval.
Dans sa piété ardente, le père de famille aurait voulu voir
tous ses fils militaires ou religieux. Jusqu'à présent, ils n'ont
réalisé que le premier de ces souhaits.
C'est également à Laghouat que vint au monde François —
1868 — ; il était si délicat, que pendant quatre mois le père et
la mère ne quittèrent ni jour ni nuit ce pauvre berceau oii s'a-
gitait le petit être « réduit à l'état de squelette ». Ces soins
constants le sauvèrent ; aujourd'hui c'est un de nos plus brillants
lieutenants de chasseurs. Pendant que lous écrivons ces lignes,
il est en Russie, concourant pour sa part à cimenter l'alliance
qui nous tient au cœur, en épousant la comtesse Marie Stolypine,
demoiselle d'honneur de la czarine, nièce de la princesse Lapou-
254 ANNALES CATHOLIQUBg'
kine Démidoff. Union éminemment sympatliique aux deux, pays ;
Itis grands-ducs ont daigné ailresser leurs félicitations aux jeunes
fiancés. L'histoire de ce mariage est tout, un rom^n dont Jean
fut la cause : au cours de sa seconde année da Saint-Cyr, le
pauvre jeune homme reçut un si malheureux coup de pied de
cheva) qu'il dut se faire mettre en disponibilité; il souffrit pen-
dant des années, subit tous les genres de traitements pour abou-
tir à l'amputation !
Avant d'en arriver à cette atroGe extrémité, il avait tenté une
dernière chance en allant chercher à Amsterdam les soins d'un
célèbre docteur, universellement réputé pour ses massages. On
vient la consulter de tous les pays du monde. C'est chez lui, qu'il
fit la connaissance d'une grande dame russe, la princesse Démi^
doff, qui, venant passer l'hiver suivant, à Paris, tint à ce que
tous les enfants du héros de Loigny lui fussent présenté^'. Elle,
avait auprès d'elle sa nièce, la comtesse Marie Stoiy[)ine. Ella
distingua François, qui de son côté ne pouvait oublier la belle
étrangère. Au boutde trois ans-, le roman s'achévve comme un
conte de fées, mais Jean n'est plus là pour en joua!
Oa éprouve un véritable attendrissement à, rapprocher ceSifaita
des paroles suivantes, que Mv de Sonis écrivait en 1869 à son
plus cher ami :
« Toutes mes pensées sont concentréeta sur l'avenir de mes
enfants ; je ne sais ce qu'ils deviendront. Je crois fermement que
Die^ leur donnera du pain, car je n'en ai pas à leur donner^
mais je ne me s<iis préoccupé que de les voir fidèles à Dieu, aux
traditions queje leur laisserai. »
M. de Sonis attribuait la puérison inespérée de François à
l'intercession de sainte Philomène. C'est en. témoigtiHge de re-
connaissance qu'il donnace nom à, son dernier et douzième enfant
venu au monde en mai 18o9, trois jours après son iet.our d'une
émouvante expédition oii il se couvrit de gloire au combat d'Aïn-
Madhi. Cette charmante fleur du désert est retournée d«ns son
pays natal ; à son tour elle mène la vie simple, large, libro, au
grand air, si appréciée de ses parentsi Mariée à un officier
d'avenir — M. du Jonchet — elle habite Djelfa, faisnnt comme
sa mère de longues courses à cheval dans cette belle forêt-oii,
vingt-cinq ans plus tôt, les siens cherchaient une fraîcheur...
relative, dans- des « gourbis » improvisés par les Arabes.
R» DE SAMibRG.
NÉCROLOGIB 265
NECROLOGIE
Une grande douleur vient de frapper Mgr le duc de Nemours
et avec lui tous les princes de la maison de France. Sa fille
aînée, Mme la princesse Marguerite Czartorys{Ca, vient de suo-
comber aux atteintes d'une maladie d© poitrine dont elle souf-
frait depuis plusieurs années, et <iui l'obligeait à passer lee
hivers à Nice, à Bordighera ou San Remo, etles étés à Aix-les-
Bains ou dans les villes d'eaux de l'Europe centrale.
Revenue il y a peu de tecaps d'Allemagne à Paris dans un
état de santé alarmant, la princesse avait semblé recouvrer un
peu de forces, ce qui avait rendu quelque espérance à son entou-
rage. Malheureusement cette amélioration n'était que le prélude
trompeur de la crise fatale, et, malgré les nombreuses prières
adressées à Dieu pour sa guérison, la princesse est morte mardi
soir à l'hôtel Lambert, après une courte et cruelle agonie, ayant
à son chevet son mari, le prince Ladislas Czartory^ki, et ses
fils, les princes Adam et Witold, âgés de vingt-et-un et dix-sept
ans. Le duc de Nemours, qui avait vu la princesse dans la
journée, a été prévenu ainsi que ses fils, le comte d'Eu et le
due d'Alençon, dès que l'état de santé de la princesse a empiré.
Ils n'ont pu arriver qu'après la mort delà princesse.
Née à la veille de la Révolution de 1848, à Paris, la princesse
n'avait pas tardé à connaître les tristesses de l'exil. Pendant
l'année terrible, souflfrant, dans son âme d^ Française, de toutes
les douleurs de la patrie, elle avait pris à cœuT d'être la conso-
latrice des jeunes Françaises réfugiées sur la terre étrangère,
au couvent Gumley-House, près de Londres, où sa sœur, la
princesse Blanche d'Orléans, recevait les leçons des fidèles Com-
pagnes de Jésus. Ce rôle délicat et si noble, elle le remplissait
en vraie princesse, dont la qualité dominante était la bonté.
En 1872, peu de temps après le jour où, les princes exilés
ayant été réintégrés dans leurs droits, le duc de Nemours avait
pu montrer à Calais la terre de France à ses filles, un prince de
souche royale, le prince Ladislas Czartoryski, chef respecté du
pani po<onais à Paris, demandait et obtenait la main de la prin-
cesse Marguerite. 11 en eut deux fils. La charmante et pieuse
princesse se consacra avec le plus entier dévouement à l'éduca-
tion de ses enfants et aux œuvres charitables, notamment en ce
qui touchait la colonie polonaise. Jusqu'au moment où elle res-
256 ANNALES CATHOLIQUES
sentit les premières atteintes du mal qui devait l'emporter, elle
avait l'habitude de donner, dans les splendides salons de l'hôtel
Lambert, de magnifiques réceptions.
Elle y mit un terme le jour oîi sa santé parut compromise, et
elle se consacra exclusivement à l'éducation des deux jeunes
princes.
L'hiver dernier, son état de santé s'aggrava. Il y a une quin-
zaine de jours, à partir de son retour à Paris, un mieux relatif
s'était produit dans l'état de la princesse, qui se préparait à se
rendre dans le Midi quand la crise finale l'arrêta.
La douloureuse nouvelle a été immédiatement télégraphiée à
M. le comte de Paris, aux membres de la Maison de France et
aux cours étrangères.
Dans le courant de la journée d'hier, S. Em. le cardinal
Richard et S. Exe. le nonce apostolique sont allés prier près du
corps de la princesse, exposé dans un des salons au milieu d'une
profusion de fleurs.
Le duc de Chartres, le duc d'Aumale, le prince de Joinville,
le duc et la duchesse d'Alençon, le comte et la comtesse d'Eu
ont passé presque toute l'après-midi à l'hôtel Lambert.
Les obsèques ont eu lieu samedi à midi, en l'église de Saint-
Louis-en-l'Ile, sa paroisse. Après la cérémonie religieuse, le
corps resta déposé dans les caveaux de l'église jusqu'à son
transport en Autriche, dans les caveaux de la famille Czar-
toryski.
Un sentiment de profond respect s'est traduit dans la foule
groupée en masses profondes dans les rues avoisinantes, au
passage du convoi, à la vue du vénérable duc de Nemours et de
ceux des membres de la famille princière auxquels il est per-
mis de résider sur le sol français.
On remarquait les deux princes Czartoryski, LL. AA. RR. le
duc de Nemours, le comte et la comtesse d'Eu et les deux
princes leurs flls; le duc et la duchesse d'Alençon, le duc et la
duchesse de Chartres, la princesse Marguerite d'Orléans, le
prince et la princesse de Joinville, le duc de Penthièvre,
le duc d'Aumale, le prince et la princesse Antoine d'Or-
léans, l'infante Eulalie, l'archiduchesse comtesse de Trapani,
la princesse Antoinette de Bourbon, la comtesse Zamoïska, le
comte de Bari, le comte et la comtesse de la Tour en Voivre,
représentant le roi et la reine de Naples ; lord Dufl'eiin, ambas-
sadeur d'Angleterre, représentant la reine Victoria; le baron
NÉOROLOOIB 257
Beyens, ministre de Belgique; la baronne de Mohrenheira,
Mgr d'Hulst.
La messe a été célébrée par M. le curé de la paroisse. L'ab-
soute a été donnée par S. Em. le cardinal Richard. S. Ex. I4
nonce apostolique assistait à la cérémonie. ' (Vérité.)
GouNOD, ainsi que nous le disions il y a 15 jours, vient de
mourir. Frappé en travaillant à son Requiem, on peut dire qu'il
est mort en musicien et en chrétien, unissant dans la même
pensée son art et la mort.
Né à Paris, le 17 juin 1818, d'une famille chrétienne, il étudia
sous Lesmeur, Reicha, Halévy, et obtint le prix de Rome en
1839. Il séjourna quatre ans en Italie, s'adonnant surtout à la
musique religieuse. Une de ses messes, célébrée à Saint-E us-
tache, commença à le faire remarquer. En 1851, plusieurs de ses
œuvres furent exécutées à Londres ; la même année voyait jouer
Sapho à l'Opéra, avec un succès d'estime. Les chœurs de
V Ulysse, de Ponsard (1852), la Nonne sanglante (1853) et le
Médecin malgré lui (1858) contribuèrent à accroître sa réputa-
tion. Un pas restait à franchir pour que cette réputation devînt
de la gloire. Le Théâtre lyrique, en 1859, donnait Faust.
Dés lors, Gounod, par le suffrage du peuple comme par celui
des amateurs, prit rang parmi les grands compositeurs de notre
siècle. Travailleur ac'narné, il donna successivement : Philémon
et Baucis (1860), la Reine de Saha, Mireille (1864), demeuré
justement populaire, les Deux Reines, Tobie, la Colombe,
Roméo et Juliette (1867).
En 1872, Gounod alla s'établir en Angleterre, théâtre de ses
premiers succès, et devint président de la société chorale
d^ Albert Hall à Londres. Mais il ne tarda pas à se dégoûter de
son brumeux séjour et donna sa démission. Il fit jouer encore
Cinq-Mars (1877), Polyeucte (1878), le Tribut de Zamora
(1881). N'oublions pas Jeanne d'Arc (1873) et Gallia (1871).
Les dernières œuvres capitales de Gounod furent la Rédemp'
iton (18X4) et Mors et vila {iS8b]. Tout le monde connaît en
outre ses admirables messes, car Gounod, à travers sa carrière
théâtrale, garda constamment ses instincts et ses sentiments re-
ligieux. Disons aussi ses croyances, car Gounod était un croyant.
On sait qu'il se faisait un plaisir, dans ces derniers temps, de
tenir l'orgue à l'église de Saint-Cloud ; mais ce n'était pas en
19
258 ANNA.LES CATHOLIQUES
«impie artiste qu'il assistait aux cérémonies. On l'a vu souvent
«'approcher de la Sainte Table, et il a pu, avant de mourir,
recevoir du curé de sa paroisse les suprêmes secours de la
religion.
Artistes et chrétiens, tout le monde doit donc regretter la
disparition de l'illustre musicien.
Les obsèques de Gounod ont eu lieu, aux frais de l'Etat, le
27 octobre, en l'église de la Madeleine.
Après l'absoute, et sous le péristyle de l'église, M. Poincaré,
ministre de l'Instruction publique, a prononcé le discours sui-
vant :
Messieurs,
La France qui payait, il y a quelques jours, son tribut d'admiration
i la vaillance et à la loyauté d'un soldat, honore aujourd'hui, en cé-
lébrant lea funérailles de Charles Gounod, le souvenir d'un artiste
dont elle revendique le nom comme un bien national. Un gouverne-
ment a le devoir de ne pas laisser partir, sans leur adresser un re-
connaissant adieu, ceux qui ont illustré leur pays.
L'empressement que nous mettons à rendre hommage à tout ce que
l'étranger produit de grand et de beau, ne doit pas nous pousser à
l'injustice vis-à-vis de nous-mêmes. Nous avons donné, et nous don-
nons chaque jour, assez de preuves de notre impartialité, pour avoir
le droit de proclamer nos devoirs; et quand disparaît un maître tel
que Gounod, ce serait de la part de la nation une ingratitude et
presque une impiété de ne pas porter son deuil.
Charles Gounod a été un des plus nobles et des plus purs dans la
noble et pure lignée des artistes français. En lui se retrouvent toutes
les qualités de notre race, le goût, le charme, le naturel. Il redoute
les succès, il évite les éclats. « Dans l'ordre intellectuel, dit-il, aussi
bien que dans l'ordre moral, la violence, loin d'être un sigce de force,
est un indice de faiblesse. » Aucun n'aura plus d'économie et de so-
briété dans les moyens, plus d'élégance et de justesse dans l'expres-
sion. Aucun surtout n'aura plus d'émotion commumcative et de
grâce victorieuse. Il se plaisait à dire qu'il n'aimait pas les musiciens
de calcul, parce qu'on ne calcule pas le sentiment, qu'on le subit, et
bien que la sincérité de l'inspiration s'alliât chez lui à la science la
plus novatrice, c'est en effet le meilleur et le plus intime de son
propre sentiment qu'il a transporté dans ses œuvres.
Volontiers il a substitué son âme à celle de ses personnages. C'est
Ini qui souflfre, qui aime et qui chante en eux. Leur psychologie peut
parfois en être un peu faussée ; la vérité historique ou la légende
peuvent en être légèrement altérées. Mais combien son art n'y gagne-
t-il pas en fraîcheur, en humanité, en éternelle jeunesse ! Art char-
NÉCROLOGIE 259
meur et délicat, toujours un dans sa diversité. Partout, dans les en-
volées lyriques de Sapho, dans la spirituelle gaieté du Médecin maigri
lui, dans les accents passionnés de Faust ou de Roméo et JulieUey
dans la délicieuse tendresse de Philemon et Baucis, dans la poésie
lumineuse et parfumée de Mireille, partout Gounod reste lui-même
et partout il exprime en cette forme mélodique si ample et si souple
qu'il a vraiment créée, et qui restera sa marque individuelle, le
constant idéal de son cœur d'artiste.
Et, comme l'a si exactement indiqué un de ses amis, qui, lui
aussi, est un maître et qui tout à l'heure parlera de ce grand mort
mieux que je ne saurais le faire, cet idéal est un mélange de beauté
antique et de charité chrétienne, c La loi de la vie, comme la loi d*
l'art, disait Gounod, tient dans ce mot de saint Augustin : aime et
c'est presque tout. » Et il ajoutait qu'au théâtre l'amour monte au
sacrifice, tandis « qu'à l'église il s'élève à la foi, perfection de l'amour >.
Il a chanté la foi, comme il avait chanté l'amour.
Dans ce Requiem qu'il jouait au moment même où est venu
l'atteindre le mal implacable, dans Rédemption, dans Mors et Vita,
il a mis à servir sa ferveur religieuse toutes les ressources de son
génie; il s'est attaché â épurer et à amplifier sa forme, à châtier son
style, à le rendre comme il disait a palestnnien et basilical u ; mais
jusque dans ces œuvres austères, le même charme pénétrant et doux
subsiste, qui révèle et affirme la personnalité de l'auteur.
Personnalité séductrice et rayonnante, dont ce serait donner un«
idée incomplète et mensongère que de louer le compositeur sans
parler de l'homme tout entier. L'homme, en Gounod, était égal à
l'artiste. Son esprit avait des ouvertures sur toutes choses. Rien de
ce qui peut éveiller l'intérêt d'un lettré ou d'un savant ne lui demeu-
rait étranger. C'était une intelligence souveraine, qui semblait avoir
la nostalgie de tous les sommets. Il s'était, avec succès, essayé dans
la peinture. Ecrivain nerveux et pittoresque, il a laissé sur le Don
Juan de Mozart un modèle d'analyse enthousiaste.
Causeur merveilleux, il savait passer avec une incomparable aisance,
de la finesse à l'éloquence, de l'enjouement à la gravité, de la bonhomie
au mysticisme. Et c'était peut-être dans cet art subtil, et aujourd'hui
trop déserté, de la conversation que se livrait le plus complètement
cette nature si française. Son cœur ne le cédait pas à son intelligence.
Généreux et bon, il a subi, avec une résignation touchante, les épreuves
de la vieillesse. L'attentive affection des siens s'est, il est vrai, cons-
tamment ingéniée à les adoucir, et assurément, pour la femme dévouée
qui le pleure aujourd'hui, pour ses enfants, pour toute sa famille qui
l'entourait d'un culte attendri, c'est une consolation que d'avoir pu
lui rendre, en piété prévenante et fidèle, un peu du bonheur que aa
gloire avait répandu dans sa maison.
Vous tous qui l'avez aimé, laissez aujourd'hui se mêler à votre
260 ANNALES CATHOLIQUES
douleur les regrets du pays. Gounod n'a pas seulement été un grand
artiste national, il a été un patriote, et la France ne peut oublier
qu'en mai 1871, lorsqu'il fit entendre à Albert-Hall sa grande cantate
Galtia^ il sut trouver, dans la tristesse de nos désastres, des inspira-
tions assez ardentes pour réchauffer, chez des auditeurs étrangers,
des sympathies éteintes. Et hier même n'a-t-il pas encore aidé par
l'enchantement de la musique de Faust, à la communion de notre âme
avec celles de nos hôtes?
Côte à côte, nous Tavons écouté, et il a fait passer en nous la se-
cousse d'un frisson commun, il a montré une fois de plus ce qu'il y a
dans son génie musical de pénétraot et de doucement envahisseur, il
a élevé nos cœurs du même mouvement, il a emporté nos esprits du
même souffle et il a donné à deux peuples amis, au lendemain même
de sa mort, la claire vision de son immortalité.
Une dépêche de Jérusalem annonce la mort du vénérable
Mgr PoYET, le doyen des prêtres qui ont restauré, autour de
Mgr Valerga, le patriarcat de Jérusalem. Il était protoaotaire
apostolique.
Mgr Poyet était de Lyon, et il a attiré plusieurs prêtres de
cette ville en Terre-Sainte.
C'est lui qui accueillit principalement M. de Vogiié, lors de
ses voyages en Terre-Sainte, et l'aida de ses vastes connais-
sances.
Il laisse une belle collection de livres sur les Lieux Saints.
En ces derniers temps, il fonda un service annuel à Notre-
Dame de France pour le roi Godefroy de Bouillon et tous les
pèlerins français morts en Terre-Sainte, et donna un magni-
fique drap mortuaire. Il sera cette année un des principaux
bénéficiaires de ces prières.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Conclusion des fêtes franco-russes. — Lancement du Jauréguiherry. —
Discours de Mgr Mignot. — Dernières paroles officielles. — Etranger.
2 novembre 1893.
Maintenant que les fêtes franco-russes sont terminées et que
nos hôtes et amis ont repris la mer pour regagner leur patrie, il
n'est peut-être pas sans intérêt de tirer la conclusion du spec-
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 261
tacle que le peuple français a offert, pour ainsi dire; au monde
entier dans cette mémorable circonstance.
Partout l'élan patriotique a été superbe de calme, de dignité
et de patriotisme. Si l'on a pu remarquer quelque tache au
tableau, c'est le fait de nos gouvernants et non du peuple dont
l'attitude a été jusqu'au bout d'une irréprochable correction. Ce
qui prouve que les nations n'ont pas toujours les gouvernements
qu'elles méritent.
Il est heureux pour l'honneur de la France et pour son bon
renom d'hospitalité que les politiciens de profession soient restés
dans la coulisse pendant toute la durée des manifestations. Leur
intervention eût tout gâté et nul ne sait, par exemple, les déplo-
rables incidents qui seraient survenus si les Chambres avaient
siégé.
Le monde officiel a senti, dès le premier jour, qu'il ne pou-
vait résister à l'impulsion populaire et qu'il était plus prudent
de la suivre et de se laisser gouverner par elle.
A chaque fois, du reste, que nos ministresont voulu faire acte
d'initiative, ils n'ont commis que des gaffes.
Ils ont commencé par froisser la délicatesse des sentiments
de nos hôtes qui s'honorent d'associer Dieu à toutes les manifes-
tations de leur vie publique et privée, en faisant parade devant
eux d'irréligion et en écartant systématiquement le clergé du
programme des fêtes. Il a fallu que le cardinal-archevêque de
Paris intervînt pour prouver à une nation amie et foncièrement
croyante que si notre pays est gouverné par des libres-penseurs,
il n'a cessé de prier et de croire.
A quels misérables marchandages n'aurions-nous pas assisté,
à l'occasion de la mort et des obsèques du maréchal de Mac-
Mahon, si la courtoisie de nos hôtes et le tact du czar n'avaient
pas rappelé M. Carnot et ses dignes ministres au respect des
convenances et à la notion la plus élémentaire de leurs devoirs.
Le caractère religieux des funérailles du héros de Malakoff
et de Magenta les gênait, et, dans leur sagesse politique et par
crainte de déplaire aux frères et amis du Grand-Orient, ils
avaient d'abord eu la pensée de cacher le cadavre du maréchal
et le deuil de la France à nos hôtes. Dans ce but, les obsèques
de l'illustre maréchal devaient être simplement faites aux frais
de l'Etat et ajournées après le départ des marins russes.
L'empereur de Russie a cru alors devoir se montrer pour
épargner une grande honte à notre pays. Il a fait savoir à Paris
262 ANNALES CATHOLIQUBS
qu'il désirait que l'amiral Avellan et ses officiers assistassent au
convoi funèbre du maréchal. Si donc les portes des Invalides ont
été ouvertes à ses restes glorieux, si on lui a fait des obsèques
nationales, si les réjouissances ont été interrompues pendant
vingt-quatre heures et si, enfin, la France entière a pu conduire
le deuil de l'un de ses plus vaillants enfants, c'est au czar qu'elle
le doit.
Mais notre premier ministre a tenu malgré tout, à commettre
une sottise, en évoquant dans le discours prononcé sur la tombe
de l'illustre défunt, des haines assoupies et en jetant une note
discordantes au milieu de ce deuil national.
Il fallait bien donner des gages aux politiciens perdus dans
cette foule recueillie de Français et d'étrangers qui élevaient
leurs pensées et leur âme au souvenir de celui qui fut un type
de loyauté et de désintéressement.
Par ce simple aperçu des bévues commises par nos gouver-
nants dans les derniers événements, on peut se faire une juste
idée des difficultés qu'ils auraient fait naître s'ils avaient été
abandonnés à eux-mêmes.
Le peuple a montré qu'il avait infiniment plus de tact et de
mesure que ceux qui sont censés le diriger.
Que conclure de cette constatation, si ce n'est que leshonames
qui nous gouvernent ne sont pas en communion d'idées avec la
grande majorité du pays ?
Portés au pouvoir par un parti, ils ne s'attachent qu'à gou-
verner, au nom des intérêts et des passions politiques de ce
parti, contre le reste de la nation.
Est-ce là ce qu'on peut appeler un gouvernement national?
L'unité de la patrie française vient de se faire à l'occasion des
fêtes franco-russes; il faut la maintenir et, pour cela, il est
indispensable de changer de tactique, d'abandonner cette poli-
tique de persécution et de haine, qui n'a duré que trop long-
temps, cette politique de rivalités de clocher, de compétitions
de groupe et d'esprit de parti.
Le pays vient de manifester, d'une façon non équivoque, qu'il
a des aspirations larges et libérales, qu'il veut l'union entre
tous les citoyens, afin de travailler à reconquérir son prestige
à l'extérieur, sa grandeur morale et matérielle à l'intérieur.
Mais c'est trop demander à nos gouvernants. Les Chambres
vont se trouver bientôt réunies, et déjà, au lendemain de cette
accalmie fortifiante que nous a apportée la visite de l'escadre
CHRONIQUE DE LA SBMAINB 263
russe, on parle de retomber dans les errements passés, dans les
intrigues et les manœuvres du régime parlementaire.
Les socialistes ont recouvré la parole, et ils se préparent à
rentrer en scène par de nouveaux coups de théâtre.
Sunitnes-nous donc condamnés, comme Sisyphe, à rouler
éternellement notre rocher?
Nous ne le pensons pas. Une évolution heureuse se manifeste
dans les masses populaires ; on reut vivre en paix, avec un gou-
vernement honnête et respectueux de toutes les opinions.
Puisse ce gouvernement être celui de demain.
La dernière partie des fêtes franco-russes a été le lancement
à Toulon du Jauréguiberry .
Le président Carnet y assistait. Après avoir passé en revue
la flotte russe, le président a pris place dans la tribune prési-
dentielle, située tout à fait à l'avant du ponton de droite. Il
avait à ses côtés l'amiral Avellan, le baron de Mohrenheim,
ambassadeur de Russie; le président du conseil, le ministre des
affaires étrangères, le ministre de la marine, le ministre des
finances, M. de Montebello, ambassadeur de France à Saint-
Pétersbourg; l'amiral Vignes, préfet maritime; l'amiral de
Boissoudj, commandant l'escadre active et l'amiral de la Jaille,
commandant l'escadre de réserve.
Une fotrie immense composée d'habitants de la Seyne, de cu-
rieux venus de Toulon et de tous les points environnants et de la
plupart des ouvriers des chantiers, était massée sur les navireg
en quai. Des ouvriers étaient même montés sur les navires en
construction ou en réparation ; ceux des ouvriers qui n'avaient
pu grimper jusque sur le haut des navires, s'étaient glissés
dans l'etitre-pont et passaient la tête à travers les hublots.
A l'avant du Jauréguiberry , c'est-à-dire du eété opposé à la
mer, puisque le lancement s'effectue toujours par l'arrière, une
petite chapelle avait été dressée. Mgr Mignot, évêque de Fré-
jus, s'y trouvait entouré du clergé de la Seyne.
La bénédiction du navire a eu lieu avec le cérémonial d'usage.
Au moment où la procession formée par le clergé est arrivée
devant la tribune officielle, l'évêque en habits pontificaux ave«
la mitre et la crosse, s'est arrêté et a prononcé le discours que
nous reproduisons plus loin.
Après la bénédiction, le signal du lancement a été donné par
264 ANNALES CATHOLIQUES
un des ingénieurs. Des ouvriers chargés de débarrasser le bâti-
ment de ses dernières entraves, se tenaient adroite et à gauche.
Les épontilles ont été enlevées simultanément avec une grande
rapidité. Les saisines qui retenaient le bateau par l'avant ont
été ensuite coupées au moyen de haches.
En même temps et pour donner à l'immense masse de fer et
d'acier l'impulsion qui devait la faire glisser sur son berceau,
on faisait manoeuvrer deux énormes leviers actionnés par ses
palans.
Le Jaurêguiberry s'est mis en marche presque immédiate-
ment et c'est avec une vitesse toujours croissante qu'il a pris
possession de la mer, faisant rejaillir autour de lui de superbes
gerbes d'eau.
Les spectateurs enthousiasmés ont poussé d'immenses accla-
mations.
Le président de la République, l'amiral Avellan et les officiers
russes, qui n'avaient pas perdu un seul des détails de l'opéra-
tion, ont mêlé leurs applaudissements à ceux de la foule.
Le Jaurêguiberry ^ après avoir parcouru un assez long espace,
a ralenti sa marche. On a pu alors se rendre compte de ses
dimensions et les comparer au prix de revient qui, d'après les
évaluations les plus modérées, dépassera la somme incroyable
de 28 millions.
Le Jaurêguiberry ne possède encore ni ses machines, ni son
artillerie. Sa construction ne paraît pas devoir être achevée
avant au moins un an. Son armement comprendra 28 canons.
Voici le discours de Mgr Mignot :
Monsieur le Préaident,
Votre présence au milieu de nous ajoute un suprême éclat, apporte
un digne couronnement aux fêtes incomparables dont nous avons
été les témoins.
Dès le premier jour, l'évêque et le clergé du diocèse de Fréjus et
Toulon se sont associés avec une ardente allégresse aux sentiments
qui faisaient vibrer tous les cœurs français dans un accord touchant
et unanime. Ce qu'ils ont ressenti de fierté patriotique, de sympathie
et d'admiration pour les glorieux amis qui venaient nous visiter, de
confiance dans un fécond et pacifique avenir, je suis heureux de l'ex-
primer publiquement, au moment où il nous est permis d'offrir nos
hommages au chef respecté de la République.
CHRONIQUE DE LA SEMAIMB 209
Lorsque la France entière se lève dans un mouvement spontané et
montre au monde attentif qu'elle possède non seulement d'inépuisa-
bles ressources matérielles, mais aussi d'étonnantes réserves de jeu-
nesse et d'enthousiasme, nul ne sera surpris que le clergé se signale
par son empressement à prendre part à ces solennelles manifesta-
tions.
C'est donc plus qu'un devoir pour nous, c'est une joie bien vive,
monsieur le Président, de vous offrir, en pleine conformité aux
intentions du Souverain Pontife Léon Xlll, cet autre grand ami de
la France, avec l'assurance de notre loyale fidélité aux institutions
qui nous régissent, l'expression passionnée de notre dévouement à
notre pays, sur lequel les fêtes qui s'achèvent semblent avoir fait
luire les plus rassurantes perspectives.
Messieurs, toutes les fois qu'un de ces merveilleux navires est con-
fié à la mer, l'évêque de Fréjus est heureux de témoigner par sa pré-
sence que, s'il admire les etTorts et les résultats de ces travaux
gigantesques, il apprécie surtout l'esprit religieux qui anime les
hommes de science et d'énergie qui président à ces entreprises. Il les
remercie de montrer qu'ils considèrent leur œuvre, si belle soit-elle,
comme incomplète tant qu'ils ne Tout pas placée sous la protection
de Celui qui commande aux vents et aux flots, de donner ce spectacle
solennel aux représentants d'une nation amie, chez laquelle la foi
chrétienne se manifeste avec une si grande intensité.
Vous avez vu, monsieur l'amiral, la France maritime et militaire,
la France qui développe magnifiquement son industrie et conserve le
goût exquis des choses de l'esprit et de l'art, celle qui ouvre son
cœur et ses bras pour y recevoir et y presser ses nobles amis. Mais,
en rendant témoignage à Sa Majesté l'empereur de Russie de l'accueil
que nous avons essayé de vous faire et des scènes qui se sont dérou-
lées sous vos yeux, veuillez lui dire aussi que vous avez vu la France
qui prie pour lui et pour le grand peuple russe, comme elle prie
pour ceux qui président à ses propres destinées, une France qui
pleure ses grands morts et sait honorer ses héros par des hommages
dignes de leurs vertus.
C'était un héros comme Mac-Mahon, le fier marin dont le nom va
décorer la poupe de ce navire. Après avoir promené sur toutes les
mers le pavillon national, il fut l'un des chefs de cette armée de la
Loire qui, si elle ne put nous assurer la victoire définitive, sut au
moins, à force de vaillance et de dévouement, prolonger une résis-
tance qui fit l'admiration de nos ennemis eux-mêmes.
Il était à Patay et s'y couvrit de gloire.
Mais ce rude guerrier était aussi un ferme chrétien.
L'amiral Jauréguiberry n'appartenait pas à la grande famille catho-
lique dont je suis ici le représentant ; mais je n'hésite pas à louer la
foi sincère et la piété dont il se montra toujours animé, unissant en
266 ANNALES CATHOLIQUES
sa personne le palriotisme le plus pur et le zèle religieux le plus
ardent. Il est donc juste que son souvenir demeure vivant au milieu
de nous, et que son nom respecté soit gravé comme un enseignement
sur le vaisseau que nous allons bénir.
Quelles seront ses destinées? Dieu seul sait si la mort doit sortir
wn jour de ses flancs redoutables; mais ei^ après avoir invoqué l«
Dieu de paix, il nous fallait aussi invoquer le Dieu des combats, nous
avons la ferme confiance que le Jauréguiberry aflPronterait la lutte à
côté et en compagnie de ces puissants navires, «lont les équipagss s«
sont unis aux vôtres dans la plus fraternelle étreinte.
Puisse cependant cette perspective être écartée !
Puisse la cérémonie d'aujourd'bui n'évoquer que de pacifiques sou-
venirs, tels que celui du grand-duc Constantin, assistant ici à la
bénédiction et au lancement d'un de nos navires.
Puisse enfin l'amitié de la France et de la Russie faire de ces deux
grandes nations les gardiennes et les arbitres de la paix.
Voici, pour être complets, les toasts échangés entre M. Carnot
et l'amiral Avellan, au banquet d'adieu donné, dans les salons
de la préfecture maritime de Toulon, par le président de la Ré-
publique.
C'est M. Carnot qui a pris tout d'abord la parole. Il s'est
exprimé eu ces termes :
Après les manifestations si spontanées, si cordiales et si loyalemeat
pacifiques auxquelles donnèrent lieu, en Russie et en France, les
visites échangées par uos escadres â Cronstadt et à Toulon, j'ai à
cœur de remercier la marine russe et la marine française, que je
réunis ici dans un même souhait de bonheur, d'avoir dignement
rempli leur mission, en servant de trait d'union aux sympathies de»
deux peuples.
A la santé que j'ai l'honneur de porter à LL. MM. l'empereur
Alexandre III et l'impératrice de Russie, je joins un toast qui répond
aux vœux de tous ; A l'amitié de deux grandes nations! Et, par elle,
à la paix du monde !
L'amiral Avellan a répondu :
Monsieur le Président,
C'est le coïur plein d'émotions et d'une éternelle reconnaissance
envers les autorités et toutes les classes du peuple que nous voKte
remercions p®ur le chaleureux accueil, l'enthousiasme et la cordialité
avec lesquels noua avons été reçus en France.
C'est un souvenir qui fera battre nos cœurs à chaque instant. Il noue
mt infiniment doux et agréable, au aom de la Russie reconnaissante.
CHRONIQUE DE LK SEMAINE 267
de témoigner au peuple français notre gratitude pour cette noble
nation.
Je le fais avec un grand plaisir, et je me permets encore une fois de
boire à la santé de M. le Président de la République et de la noble
nation amie de la Russie, la France.
On mande de Toulon qu'au moment de monter dans le train
qui devait le reconduire à Paris, M. le Président de la Répu-
blique a reçu la dépêche suivante :
Gatschina, 27 octobre, 11 h. 35 soir.
A «Son Excellence Monsieur le Président de la République Française,
Paris.
Au moment ou l'escadre russe quitte la France, il me tient à cœur
de vous exprimer combien je suis touché et reconnaissant de l'ac-
cueil chaleureux et splendide que nos marins ont trouvé partout sur
je sol français.
Les témoignages de vive sympathie qui se sont manifestés encore
une fois avec tant d'éloquence, joindront un nouveau lien à ceux qui
unissent nos deux pays et contribueront, je l'espère, à l'affermisse-
ment de la paix générale, objet de leurs efforts et de leurs vœux les
plus constants. Alexandre.
Adieu paniers; vendanges sont faites! Les postulants à la
présidence de la République, les Constans, les Casimir Périer,
les Challemel-Lacourn'ontplus d'illusion à conserver. M. Carnot,
en effet, que l'on nous a montré si longtemps déterminé à démé-
nager de l'Elysée dès la fin de son bail septennal, est, paraît-il,
décidé à poser à nouveau, en 1894, sa candidature aux fonctions
de président de la République. Il était fort malade il y a quel-
ques mois, — si malade que subitement il ne put recevoir le
général Dodds! — mais les fêtes franco-russes l'ont guéri, et le
voilà, messieurs les sénateurs, messieurs les députés, à la dis-
posicion de usted. On peut considérer la nouvelle comme cer-
taine, car elle émane du Figaro, devenu — ce qui eût fort
étonné feu Villemessant — l'organe attitré aussi bien de l'Elysée
que du Vatican. La réélection de M. Carnot est certaine : il
tient d'abord la place, et sa nomination aura cet avantage aux
yeux de ses concurients évincés, momentanément, de laisser les
choses en l'état, et à chacun ses chances pour l'avenir...
268 A.NMALB8 CATHOLIQUB8
C'est pair un acquittement que s'est terminé le procès du
lieutenant de Segonzac.
L'expertise naédicale, demandée par le commissaire du gou-
vernement sans conclure nettement au suicide^ laisse entendre
que cette hypothèse est plus vraisemblable que celle du meurtre.
Après la plaidoirie, Segonzac s'est levé, et, d'une voix ferme,
a dit :
«Je jure sur l'honneur que je n'ai pas tué mon camarade
Quiquerez. Personne ne peut croire que je sois un assassin. J'ai
altéré la vérité, et j'en demande pardon à tous ceux qui n'ont
pas cru devoir m'en excuser; mais je n'ai obéi qu'à cette double
préoccupation de ne pas ajouter à la douleur de la famille Qui-
querez, et de ne pas porter atteinte à la dignité de notre mis-
sion, à l'œuvre que nous avions poursuivie tous les deux. >
Le Conseil se retire pour délibérer.
Après quelques minutes, il revient en séance. Le président
du Conseil, M. de Rocher, lit la sentence. Elle prononce l'ac-
quittement du sous-lieutenant de Segonzac. Aussitôt des applau-
dissements éclatent dans le fond de la salle, oii se trouvent de
nombreux officiers. Segonzac, très ému, se penche vers son
défenseur et lui serre la main à plusieurs reprises. La décision
du Conseil portant que Segonzac sera mis immédiatement en
liberté, il est l'objet, à sa sortie de la salle d'audience, d'une
ovation enthousiaste, qui s'adresse à lui et à son éminent
avocat. M* Léon Renault.
L'impression à Saint-Louis est excellente. Bien qu'on s'at-
tendît à l'acquittement, l'unanimité dont bénéficie Segonzac, et
lès ap[)laudissements qui ont salué la lecture de la sentence,
réjouissent le monde militaire et la population.
Ce n'est aujourd'hui qu'un même cri d'étonnement, tant à
droite qu'à gauche, sans distinction d'opinions, à la nouvelle de
l'étrange opération que le gouvernement français est sur le
point de conclure avec l'Italie. Il n'y a pas deux avis, il n'y en
qu'un: M. Clemenceau voit cette fois la politique du même oeil
que Drumont. Qu'est-ce donc? C'est qu'on a trouvé le miracu-
leux moyen de faire sortir de France une somme monnayée de
cent millions pour l'ofl^rir aux gallophobes d'Italie, pour solder
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 269
les troupes italiennes qui manœuvraient récemment sur les som-
mets des Alpes, et les marins que l'amiral anglais vient d'ins-
pecter.
Comment s'y est pris notre gouvernement ? C'est très simple.
Il existe une convention monétaire, dite de l'Union latine, en
vertu de laquelle les monnaies d'argent sont frappées au même
titre et circulent avec la même liberté en France, en Belgique,
en Suisse, en Italie, en Espagne. Depuis que cette pratique
existe, la valeur de l'argent a diminué par rapport à l'or, et les
quantités d'or se sont trouvées réparties très inégalement, par
le jeu des échanges commerciaux, entre les pays de l'Union
latine. La convention touchait à sa fin. 11 y avait mille raisons
delà reviser. Une commission s'est réunie à Rome.
Or voici, d'après les nouvelles officieuses, ce qui serait décidé,
sauf ratification par les Chambres.
1. L'union serait continuée.
2. Mais une satisfaction serait accordée par la France à l'Italie.
Juste Ciel ! A propos de quoi devons-nous des satisfactions à
l'Italie? Est-ce pour n'avoir pas subi avec assez d'humilité, à son
gré, les provocations et les insultes dentelle nous accable depuis
qu'elle se sent sous l'aile de l'Allemagne?
L'Italie a demandé qu'on lui renvoyât toute sa monnaie d'ar-
gent circulant en France, soit cent millions. Elle les rendra, car
il faut ménager la fierté nationale, elle les rendra^ c'est convenu,
et les rendra magnifiquement en or. Oui, en or! Et bientôt:
dans le délai de dix jours ! D'ailleurs, si elle ne les rend pas,
elle en paiera l'intérêt, et tout sera dit ! Et elle en paiera l'in-
térêt au même taux d'intérêt que celui des bons du trésor fran-
çais en France ! On n'est pas plus correct et plus majestueux en
afi"aires ! ! ! . . .
Or, l'Italie ne remboursera rien, puisqu'il est notoire qu'elle
n'a pas un sou.
Elle payera donc l'intérêt ; opération sans précédent. Car un
peuple, ainsi que l'observe la Liberté, ne prête pas à un autre
peuple. Et la dernière bassesse sei'ait pour le gouvernement
français de prêter de l'argent à un Etat de la triplice. Mais à
quel taux cet intérêt? Les bons du Trésor français rapportent
2 0/0. Or l'Italie n'a pu trouver à emprunter en Allemagne, tout
récemment, 50 millions à 6 0/0. Le change du papier sur l'Italie
est aujourd'hui de 12 0/0.
Dans ces conditions, cent millions remis aux termes de la con-
270 ANNALES CATHOLIQUES
vention de la conférence monétaire sont un vrai cadeau, un véri-
table subside.
Et nous savons, dit très bien la F^r27^,raaintenant, selon toute
apparence, à quoi tendaient ces conciliabules tenus chf z Lemnoi,
qui n'est pas seulement le grand maître de la franc-maçonnerie
d'Italie, mais qui est aussi le plus riche et plus aflairé banquier
de Rome. Et pourquoi les journaux juifs faisaient silence? Si
on s'agitait chez Lemmi, ce n'était pas pour ajouter quelques
scènes à l'étrange roman de spiritisme et de maçonnerie avec
lequel on a déjà détourné notre attention pendant la période
électorale, c'était pour une opération tangible et palpable en
bonnes espèces.
Voilà l'œuvre de notre gouvernement de francs-maçons, mené
à la baguette par un franc-maçon étranger.
Mais, cette fois, le scandale est tellement énorme, qu'il semble
impossible que la ratification des Chambres le sanctionne, et
qu'il se pourrait faire que les ministres, auteurs de cette négo-
ciation que rien ne peut qualifier, aient à rendre bientôt des
comptes à l'opinion publique, troublée, et qui déjà se manifeste
très hautement avec la plus juste sévérité.
La campagne des Espagnols contre les Kabyles au Maroc
s'est ouverte par un échec. Un combat près de Melilla a com-
mencé vendredi, vers quatre heures, par un feu terrible parti
de toutes les tranchées arabes sur la rive droite de Rio-Oilo et
des positions plus rapprochées ; puis, subitement, une grande
masse d'Arabes à pied et à cheval se ruèrent sur le territoire
espagnol essayant d'envelopper les troupes qui couvraient la
construction d'une redoute en avant du fort Gamelles.
Le général Margallo ordonna la retraite qui se fit en bon
ordre, protégée par le feu des forts Gamelles et San Lorenzo,
tandis que le croiseur Benavisto canonnait les Arabes qui avaient
essayé de tourner les Espagnols par la plage.
Ayant sauvé ses pièces de montagne, le général Margallo
traversa le pont sous un feu incessant et se rendit à Melilla
pour se rendre compte de ce qui se passait à Rostrogordo où la
brigade d'Ortega et surtout le régiment d'Estramadure luttaient
depuis quatre heures contre une masse considérable d'Arabes
qui avaient profité des accidents de terrain pour envahir le ter-
ritoire espagnol sur la rive gauche du Rio-Oilo et pour enve-
CHRONIQUE DK LA SEMAINE 271
lopper les forces espagnoles, les acculant au fort malgré des
prodiges de courage des jeunes troupes et surtout des officiers,
qui s'élançaient dans la mêlée et se battaient souvent corps
à corps.
Deux raille Espagnols étaient éparpillés sur une étendue de
quati-e kilomètres et luttaient contre onze mille Arabes.
Le général Margallo n'hésita pas à se porter en avant avec
des renforts sur le théâtre de la lutte, mais il ne put pas dé-
passer le fort Cabrerizas où il passa la nuit pendant qu'il enten-
dait au loin le bruit de la canonnade et de la fusillade à La
Rostro-Serdo où le général Ortega tenait bon contre les Arabes
qui se servaient des tranchées espagnoles elles-mêmes pour
abri.
Le feu dura toute la nuit.
Les Arabes poussaient d'horribles hurlements et ils s'avan-
cèrent jusqu'à vingt mètres du fort.
Dans les lignes de Melilla le commandement était échu au
«oloriel du régiment africain. La garnison resta sur pied toute
la nuit.
Samedi matin une colonne de troupes de toutes armes, ap-
puyée par de l'artillerie de place et de montagne, se dirigea
vers le fort Cabrerizas-Altas.
Malheureusenaent le général Margallo avait tenté entre temps
une sortie. Il y trouva la mort.
Les renforts envoyés de Melilla permirent de rétablir les
communications avec les forts de la rive gauche de l'Ouro et de
dégager à Rostrogordo le général Ortega qui put rentrer à
Melilla et prendre le commandement.
Le ministre de la guerre annonce que les pertes des Espa-
gnols ont surtout été sensibles autour des forts de Rostrogordo et
de Cabrerizas.
El Impartial parle de 70 morts et 122 blessés, mais on dit
que le chiffre des pertes est plus élevé.
Le ministre de la guerre est parti pour Melilla.
Le général Dodds a télégraphié, à la date du 27 octobre, do
Zaganado, ancien camp retranché de Behanzin situé sur l'Oué-
mé, un peu au nord du parallèle d'Abomey.
L'arrivée delacolonne amena la soumission des populations
qui se trouvent entre le Zou et l'Ouémé, l'ancien roi semble de
272 ANNALES CATHOLIQUES
plus en plu? abandoDoé par les féticheurs de la région que nos
troupes occupent actuellement et la région de Bassa au nord
d'Atcheribe, dernier séjour de Behanzin, se montre peu favo-
rable à ce dernier.
Le général annonce sa marche en avant sur le camp de Be-
hanzin. Le colonel marchera parallèlement en appuyant sur la
gauche pendant qu'un troisième groupe pénétrera dans la même
région par le cours du haut Mono.
Le général signale une tranquillité complète sur ses derrières
et un état sanitaire très satisfaisant de la colonne et des postes;
l'inondation baisse toujours.
Dimanche a eu lieu, dans toute la Suisse, le renouvellement
triennal du Conseil national; les nouvelles élections donnent la
majorité aux radicaux qui l'avaient déjà dans l'ancien Conseil.
A Fribourg, M. Python et son candidat socialiste ont été
battus.
M. le comte Louis de Diesbach est élu contre M. Python.
Souhaitons que cette leçon soit salutaire pour les catholiques,
qui ne sauraient jamais sans danger s'unir aux socialistes.
On va voir sous peu sortir des presses révolutionnaires un
catéchisme, œuvre mesurée et violente, synthèse aussi ramas-
sée que possible de toutes les doctrines socialistes. Ce caté-
chisme tiré à 200,000 exemplaires et vendu à un prix de pro-
pagande, doit être répandu à profusion dans les villes et surtout
dans les campagnes où les socialistes, à leur grande surprise,
font de nombreuses recrues.
Le catéchisme socialiste se ressent des lettres de son auteur,
M. Tabarant, le romancier de 1*^4 wJe, l'adaptateur à la scène du
Théâtre-Libre du Père Goriot. M. Tabarant est encore un jeune
homme, mais depuis longtemps mêlé au mouvement socialiste.
Le catéchisme qu'il a élaboré est écrit en collaboration avec
tous les chefs des groupes socialistes.
Il est divisé en cinq « entretiens » comprenant 90 demandes
et réponses.
Dans le premier entretien, il s'agit de la condition du peuple.
— Qui es-tu?
— Je suis le peuple.
OHRONIQUK 1>Z LA SKMAINB 273
— Qu'est-ce que le peuple?
— C'est l'outil producteur, la force-travail; c'est l'être col-
lectif auquel est imposé le devoir de peiner douze et quinze
heures par jour pour créer tout ce qui est nécessaire aux jouis-
sances d'une poignée d'oisifs; le devoir de tisser la toile et
d'aller sans vêtements; de faire des chaussures et de marcher
pieds nus; de bâtir des palais et de n'avoir pas d'abri; d'ex-
traire le charbon et de blêmir de froid devant un fojer sans
feu; de construire les voies ferrées et de traîner la jambe au
long des grandes routes, où se tiennent à l'affût le gendarme
et l'employeur.
Il dépeint ainsi la liberté du travail :
€ La liberté de crever de faim, si je refuse de subir les con-
ditions patronales, ou de crever de misère si je les accepte. »
Au courant du questionnaire, quelques définitions :
— Qu'est-ce qu'un économiste?
— C'est un bourgeois imbécile, mais éminent.
— Qu'est-ce qu'un conservateur?
— C'est un vieux monsieur généralement très mal conservé.
— Qu'est-ce qu'un opportuniste?
— C'est un monsieur qui fait ses affaires.
— Qu'est-ce qu'un radical?
— Le mot radical est une simple préfixe. On peut être radical-
conservateur, radical-opportuniste, radical-socialiste, — ce qui
ne veut pas dire qu'on soit socialiste radicalement.
— Que sont les socialistes chrétiens?
— Ce sont d'honnêtes réactionnaires, qui consentent à recon-
naître que le pain de l'âme, pour l'ouvrier, serait beaucoup
plus substantiel avec du bifteck.
L'idéal des réformes, c'est le communisme.
« Le communisme est l'état social oii, toutes les forces pro-
ductrices étant mises en commun, l'essor de toutes les forces
intellectuelles et morales étant assuré, chacun jouira d'une
répartition des richesses conforme à la libre expression de ses
besoins. »
Dans la future société communiste, tout citoyen travaillerait
dés son instruction suffisante; la durée du travail quotidien
serait courte. Il ne travaillerait pas longtemps. Après, en pleine
maturité, libéré de tout devoir à l'égard de la société, qui assu-
rerait ses besoins dans la plus large expression, il n'aurait plus
qu'à vivre à sa guise, « savourant son individualité, jouissant
20
274 ANNALES CATHOLIQUES
de toutes les richesses sociales qui se chargeraient de créer
des générations plus jeunes. >
Ainsi soit-il! Nous autres, nous sommes nés trop tôt pour
voir ça.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Fi*nnce
p^Ris. — s. M. l'empereur de Russie, en apprenant qu'un
Te Deum avait été chanté dimanche dernier dans l'église du
Voeu national à Montmartre, a immédiatement chargé M. le
baron de Mohrenheim de transmettre au cardinal de Paris l'ex-
pression de sou émotion et de sa reconnaissance,
M. le baron de Mohrenhein s'est rendu le mercredi 25 octobre
à l'archevêché pour s'acquitter de sa mission ; le cardinal a pu
lui répondre qu'en prescrivant des prières publiques d'actions
de grâces à l'occasion de la visite de l'escadre russe, il avait
été heureux de répondre aux sentiments de la population en-
tière, et de demander à Dieu de bénir l'union cordiale de deux
grands peuples, dans laquelle tous aiment à voir un gage de
paix et de sécurité pour l'Europe.
Voici le texte du télégramme par lequel le général Bogdano-
vitch a voulu remercier S. Em. le cardinal Richard d'avoir
ordonné des prières à l'occasion de l'échange solennel des sen-
timents d'amitié entre la Russie et la France :
Saint-Pétersbourg, 2 octobre.
Eminence,
Les fêtes par lesquelles la France célèbre actuellement, avec une
B\ grande loyauté et sans arrière-pensée, la visite des marins russe»,
constituent l'inébranlable alliance de deux grands peuples, leur ga-
rantissent tous les bienfaits d'une longue paix générale ; elles ont
provoqué dans tout rirametse empire russe les plus sympathiques
échos.
Maintenant le télégraphe noua a informé que Votre Eminence, par
un mandement, a reconnu dani la tincère alliance des peuples rusa»
et fonçais la bénédiction céleste couvrant la France, animée de sen-
timents hautement religieux.
Votre Emiaenne a jugé, du haut de la chaire épiscopale de la ca-
pitale de la Franoe, que dans ce moment de rapprochement si solen-
nel de de«x nations, s'accomplissant au milieu des circonstance»
historique» actuelles, la seule force capable de la cimenter solide-
NOUVELLES RELIGIEUSES 275
ment ne peut émaner que de la force suprême et de la bénédictioa
du Dieu tout-puissant.
L'histoire de la Russie offre de nombreux témoignages de la parti-
cipation de la Providenco divine dans les destinées de la patrie, tou-
jours fidèle à Dieu dans notre sainte Russie, où chaque œuvre de bien
s'atcomplit sous les auspices de la prière et où la devise du peuple
est de vivre et d'agir « pour la foi, le Czar et la patrie ».
Los prières célébrées aujourd'hui en France, par l'initiative de
Votre Eminence, produisent déjà et produiront indubitablement jus-
que dans les parages les plus lointains de la terre russe la plus pro-
fonde impression, fortifiant la foi dans l'impérissable alliance des
deux nations, et conaéquemment la foi dans une solide paix et dans
un bien-êlre commun.
Comme ancien marguillier que j'ai longtemps été de la cathédrale
d'Isaac, comme éditeur de brochures populaires gratuites, conçues
dans un esprit moral et religieux, distribuées déjà à plusieurs mil-
lions d'exemplaires, j'ose adresser à Votre Eminence cette respec-
tueuse déclaration.
Signé : Eugène Bogdanovitch.
Son Eminence a répondu :
Général Bogdanovitch, 40, grande Morskata, Pétersbourg.
Très touché des sentiments exprimés par M. le général Bogdano-
vitch, le cardinal archevêque de Paris ne cessera pas de demander à
Dieu de bénir l'amitié qui unit les cœurs de deux grands peuples,
afin que les nations chrétiennes y trouvent un gage de paix et de
sécurité.
Cardinal Richard.
AitGER. — On télégraphie d'Alger, le 31 octobre :
Hier, sur l'ordre de Mgr Dusserre, archevêque d'Alger, un service
funèbre a été célébré à la cathédrale d'Alger pour le repos de l'âme
du maréchal de Mac-Mahon.
M. Cambon, le général Hervé et toutes les autorités civiles et mili-
taires assistaient à la cérémonie qui a été très imposante.
Les drapeaux du l»"" zouaves et du 5" chasseurs, cravatés de crêpe
et entourés d'une garde d'honneur, étaient placés à droite et à gau-
che du catafalque monumental élevé au milieu de la cathédrale.
La musique des zouaves a joué plusieurs morceaux funèbres.
En l'absence de Mgr Dusserre retenu à Paris pour les affaires de
son diocèse, M. Roffat, son vicaire général, officiait.
Mgr Livinhac, supérieur général des missionnaires d'Afrique, a
donné l'absoute après l'oraison funèbre prononcée par M. le vicaire
général Ribolet.
276 ANNALES CATHOLIQUES
AucH. — Mgr Gouzot, archevêque d'Auch, a écrit à son clergé
en prescrivant le chant d'un Te Deum :
Auch, 23 octobre 1893,
en la fête de saint Léothade.
Mon cher curé,
Il y a cent ans, la France, en guerre avec l'Europe, l'effrayait par
les idées encore plus que par les armes.
En ce moment, nous célébrons ce centenaire terrible, au milieu des
fàtes de la paix !
L'année 1793 révolutionna l'Europe; espérons que l'année 1893,
grâce à l'alliance franco-russe, ouvrira une ère de pacification.
Les témoignages éclatants de sympathie que se donnent les deux
illustres nations, sont un hommage â la paix, à l'honneur, à la civi-
lisation, à toutes les grandes choses qu'inspire le christianisme.
Ces manifestations eathousiastes, qui sont la gloire des deux peuples
et des deux gouvernements, resteront parmi les événements les plus
considérables de notre temps.
Elles sont la paix extérieure et le triomphe du progrès sur la bar-
barie, comme les enseignements de notre immortel Léon XIII, basés
sur ceux de Nôtre-Seigneur lui-même, sont la paix intérieure en
France et son glorieux rayonnement dans le monde.
Le Saint-Père, en ces dernières années, n'a fait que commenter
ces paroles divines : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce
qui est à Dieu. »
a Cherchez avant tout le royaume de Dieu et sa justice, et tous les
autres biens vous arriveront par surcroît. »
En nous conformant à cette politique sacrée, nous aurons la seule
union possible ici-bas, l'union dans la vérité ; et nous la manifeste-
rons par la pratique de la justice et de la charité.
Là, et là uniquement, est le salut de la patrie.
Ces principes, goûtés partout, doivent l'être surtout, mon cher curé,
par vos paroissiens, dont les ancêtres, depuis quinze siècle'!, sous
Jeanne d'Arc en particulier, ont combattn avec un courage indomp-
table, sur tous les champs de bataille, pour l'indépendance et la gloire
de la France.
Comment vous montrerez-vous, en ce moment, mes bien-aimés
diocésains, dignes de vos intrépides aïeux ? En priant, en adhérant à
toute la vérité, en la pratiquant.
Ce sont là les armes de notre temps pour la défense de la patrie.
Le Te Deum est l'hymne de la prière, de la reconnaissance et de la
gloire nationales.
Il a retenti au milieu des grands événements, et son harmonie, qui
a fait tressaillir tous les rivages, n'a cessé d'y célébrer la religion
bénissant toutes les joies et toutes les espérances.
NOUVELLES RELIGIEUSES 277
Que d'émotions religieuses et patriotiques dans [l'histoire du Te
Deum !
En conformité à l'esprit de l'Eglise, je vous prie, mon cher curé,
d'annoncer que dimanche prochain, vous le chanterez aussi solennel-
lement que possible, en la fête de la Toussaint, à l'issue de la messe
principale.
Nous intéresserons ainsi nos bien-aimés élus, qui jouissent de la
paix du Ciel, à aider l'alliance franco- russe, à la maintenir sur la
terre.
Nous ferons éclater la grandeur des fêtes du temps en les unissant
à celles de l'éternité.
Je m'associerai aux supplications de vos pieux paroissiens, en offi-
ciant pontificalement à la primatiale ; toutes les cloches du diocèse,
la veille et le matin, à V Angélus, annonceront, par leurs sons les
plus joyeux, cette double solennité de la paix, et inviteront les fidèles
à prier pour les deux peuples unis et pour le triomphe des enseigne-
ments du Saint-Siège en Russie et en France.
Veuillez agréer, mon cher curé, avec vos excellents paroissiens, la
meilleure expression de mon meilleur dévouement en Notre-Seigneur.
•|* Louis, Archevêque d'Auch.
Lyon. — UEcho du Velay raconte l'incident suivant des
fêtes de Lyou :
On ne saura jamais comment tant de milliers d'êtres humains ont
réussi à s'entasser dans l'étroit espace qui sépare l'Hôtel-de- Ville du
palais Saint-Pierre.
Tout à coup des cris s'élèvent de cette masse populaire : « L'amiral !
L'amiral au balcon! »
Rien n'est féroce, même dans l'enthousiasme, comme les foules,
surtout comme les foules lyonnaises, lorsqu'elles sont surchauffées
par de longues heures d'entrain et de fête.
11 fallut que l'amiral Avellan quittât un instantla salle du banquet
pour venir s'offrir aux vivats énergiques des spectateurs de la place.
Il s'avance sur le balcon avec sa bonne figure épanouie, toute
rayonnante de l'immense ovation qu'il savoure depuis plus d'une
semaine. Les cris éclatent de toutes parts : « Vive l'amiral ! Vive la
Russie! »
Et l'amiral ému, se retournant à demi, désigne de la main un per-
sonnage qui le suivaitet qui, jusque là, était demeuré au second plan :
c'était Mgr Coullié, archevêque de Lyon. En même temps, une pro-
jection électrique inonde les deux augustes personnages et leur met
au front comme l'auréole de l'amitié.
Instantanément la foule, mue par une étincelle, fait retentir la
place du cri mille fois répété : « Vive l'archevêque! »
278 ANNALBS CATHOLIQUES
Il faudrait l'âme de la patrie elle-même pour traduire l'émotioii
qui, â ce moment, étreignit tous les cteurs. La Russie, notre sœur,
saluant d'un geste sympathique ce vieux catholicisme incarné â cette
heure dans la personne du nouveau primat des Gaules, est-il rien de
plus saisissant et de plus poétique ?
Le jour peut venir même où il nous sera permis de saluer dans nos
hôtes du Nord des frères dans la foi catholique.
Pourquoi ne l'espérerions-nous pas?
Lorsque ce jour heureux aura lui sur nos deux patries, soyons
sûrs que rien ne pourra plus rompre les liens qui les unisseot.
Acceptons-en le présage dans l'incident de l'Hôtel-de-Ville de Lyon !
Mo:*TPELLiER. — Au sujet de la visite des marins russes, de
la mort du maréchal dt> Mac-Mahoa et de celle de Gounod,
Mgr de Cabrières a adressé la lettre suivante au directeur de
y Eclair, de Montpellier :
ÉvÊCHÉ Montpellier, 20 octobre.
DE
MONTPELLIER
Monsieur le directeur,
Vous prêtiez, hier, votre publicité aux souhaits empressés de
« quelques Montpelliéraines », désireuses de témoigner à Dieu leur
reconnaissance, en présence des événements extraordinaires dont
Toulon et Paris sont, en ce moment le théâtre. Je serais demeuré
sourd, malgré mon patriotisme et ma foi, à une telle demande, si le
vénérable cardinal Richard, archevêque de Paris, juge excellent en
fait de piété, d'honneur et de délicatesse, n'avait estimé que la visite
des officiers de l'escadre russe à l'un de nos ports principaux et à
notre capitale avait revêtu un caractère si grandiose, si solennel, qu'il
était juste d'en exprimer à Dieu, Notre-Seigneur, nos vives et reli-
gieuses actions de grâces.
Après cet éminent pontife, et dans les mêmes sentiments que lui,
je crois devoir inviter MM. les curés et aumôniers du diocèse à faire
chanter, dimanche 22, à l'issue de la grand'messe ou après les vêpres,
un Te Deum, pour remercier Dieu d'avoir ménagé à notre peuple le'
sympathies de la nation russe et de son chef. Pour moi, forcé d'être
à Béziers, ce jour-là, pour une ordination, c'est dans la cathédrale de
Saint-Nazaire que je présiderai, vers onze heures du matin, cette
cérémonie de gratitude publique. Je serais heureux d'y être entouré
par beaucoup de filèles ; et votre journal leur portera mon invitation.
Cette même journée verra la France entière tournée du côté de
l'Hôiel des Invalides, où se célébreront les funérailles de M. le maré-
chal de Mac-Mahon, duc de Magenta.
NOUVELLES RBLIGIEUSE8 279
Vous avez eu raison, monsieur le directeur, de signaler les motifs
pour lesquels notre département, et surtout les villes de Montpellier,
de Béziers et de Castries, s'associent plus intimement et plus dou-
loureusement au deuil de la patrie entière. Tous, nous étions accou-
tumés à regarder le maréchal comme une dos personnalités illustres
qui nous appartenaient, et nous croyions, en le voyant, retrouver les
traits de la noble et ptire physionomie du marquis de Montcalm,
dont, à un siècle de distance, il rappelait ici la bravoure, la loyauté,
le dévouement au pays, la foi simple et courageuse.
Il serait donc convenable aussi que dans celles de nos villes où son
Bom et celui de ses parents et alliés rappellent tant de souvenirs, on
priât, dimanche, pendant les offices du matin ou du soir, pour re-
commander à Dieu l'âme du vaillant soldat.
Enfin, Monsieur le Directeur, notre Société de Saint-Jean, sous
l'inspiration de son zélé président, M. le comte A. d'Espous, a si
souvent fait interpréter ici, grâce à l'intelligenle direction de M. Borne,
les chefs-d'œuvre de Gounod, et en particulier ses grands oratorios
de Rédemption et de Mors et Vita, qu'il me paraîtrait convenable de
rapprocher, dans nos prières, comme elles le sont par la mortet dans
la gloire, la mémoire de l'émule de Bayard et celle du maestro puissant,
dontle génie était siprofondémentimprégné del'inspirationchrétienne.
A nos yeux, l'épée vaut mieux que la lyre ; mais la lyre a aussi son
beau rôle, quand elle chante la grandeur et la bonté de Dieu.
Agréez, Monsieur le Directeur, l'assurance de mon dévoué et cor-
dial respect.
-{• Fr.-M.-A. DE Cabrières,
évêque de Montpellier.
Tarées. — Nous sommes particulièrement heureux, au milieu
de toutes ces belles fêtes du patriotisme qui consacrent l'alliance
de la France et de la Russie, de noter les symptômes favorables
d'un rapprochement entre la grande nation amie et le catholi-
cisme romain.
La démarche de l'ambassadeur de Russie venant transmettre
au vénérable archevêque de Paris « l'expression de l'émotion
et de la reconnaissance » de Sa Majesté l'empereur de Russie
pour le Te Deum d'actions de grâces chanté à la basilique du
Sacré-Cœur de Montmartre, cette démarche hautement signi-
ficative aura un retentissement profond dans l'Eglise russe.
Après ce grand acte, il n'y en a pas de plus heureux et de
plus consolant que la visite de S. A. le grand-duc Alexis,
deuxième frère du czar, à Lourdes.
280 ANNALES CATHOLIQUES
Le commandant en chef de la flotte russe a assisté incognito
à toutes les manifestations parisiennes.
En quittant Paris, le grand-duc s'est rendu à Lourdes.
Il était accompagné de la grande-duchesse de Leuchtenberg,
de la princesse Kotschoubej, du prince Eugène de Leuchten-
berg et du général Nilhoff, aide de camp de Son Altesse.
L'auguste personnage a visité pieusement la basilique et la
grotte miraculeuse. Sa tenue recueillie a édifié la foule qui le
suivait. Dans une seconde visite, les princesses ont fait toucher
des objets de piété à la grotte.
Le grand-duc Alexis est l'ami de la France. L'alliance franco-
russe n'a pas de patron et de défenseur plus ardent, plus
dévoué que lui.
Son pieux pèlerinage à Lourdes est une nouvelle affirmation
du pacte qui unit désormais les deux peuples. Puisse-t-il être
aussi un gage de la réunion des deux Églises d'Orient et d'Oc-
cident! {V&ii^)
M. l'amiral Avellan a envoyé aussi une invitation spéciale au
R. P. Charmetant, pour le prier de prendre part, comme direc-
teur général de l'Œuvre des Ecoles françaises d'Orient, au
banquet qui a eu lieu à bord du Pamyat Azova.
Cette invitation est bien significative aussi. C'est une leçon
discrète aux organisateurs qui avaient écarté systématiquement
le clergé des fêtes franco-russes de Paris.
UNE CONQUETE
Après avoir trop longtemps subi le joug des sectes, la France com-
mence à se ressaisir. C'est ainsi que les Catholiques, par le Diction-
naire des Dictionnaires, ont enfin repris le domaine encyclopédique
usurpé depuis plus d'un siècle par la Franc-Maçonnerie et la Libre
Pensée, et y ont planté la croix. Il importe d'affermir et d'étendre
cette précieuse conquête. Quiconque a souci de l'intérêt familial,
social, religieux, conservateur, voudra participer à cette croisade,
qui a pour cri : Foi et Science, Dieu et Patrie. D'ailleurs, il s'agit
d'une œuvre aujourd'hui indispensable, d'une utilité quotidienne ; et
l'on peut encore en souscrivant de suite, se la procurer dans des
conditions exceptionnelles. On trouvera plus loin ces conditions avec
le bulletin de souscription.
Le gérant : P. (Jhantrbl.
Paris — Imp. O. Picqaoin, 63, rae de LUle.
ANNALES CATHOLIQUES
LES FABRIQUES
d'après les notes dk jurisprudence dcj conseil d'état (!)■
I. Organisation et fonctionnement.
A été approuvée une ordonnance épiscopale ayant pour but
de régler l'organisation d'une fabrique cathédrale sur les bases
suivantes : la nomination de raenabres laïcs et ecclésiastiques
du conseil de fabrique et du bureau des raarguillers était laissée
au choix de révêqne; mais les prescriptions du décret du
30 décembre 1809 étaient déclarées applicables aux séances, à
la comptabilité, à la tenue des livres, à la lègle des biens
meubles et immeubles, etc. (Projet de décret, 6 août 1879.
Approbation de l'ordonnan'-e é()iscopale portant règlement de la
fabrique de l'église cathédrale de Tulle.)
Les fabriques d'une même ville peuvent se faire représenter
par un conseil d'administration destiné à exercer les droits qui
leur sont conférés par les lois, décrets et ré.'lements relative-
ment aux pompes funèbres du culte catholique. Il a été décidé
que le partage des bénéfices aurait lieu par portions égales entre
toutes les paroisses de la ville. (Projet de décret et note (As-
semblée générale), 10 février 1881. Création d'un conseil d'ad-
ministration représentant his fabriques des églises de Bordeaux,
pour le service des pompes fnnèbres.)
A été accepté un projet de décret modifiant la répartition
entre les divers fabriques et consistoires de Paris des bénéfices
de l'exploitation des pompes funèbres. (Projet de décret (Assem-
blée générale), 11 juin 1891. Fixation de la répartition entre
les divers fabriques et consistoires de Paris des bénéfices de
l'exploitation des pompes funèbres.)
II. Acquisitions à titre onéreux.
A. — Acquisitions amiables.
Les acquisitions payables au moyen d'annuités à Ions? terme
(1) Cet articl» fait suite à celui que nous avons publié il y a huit
jouis sur 1p* Menses épi-iro lales et curinles. — Comme lui il est
9xt"ait rie Vu Revue administrative du Culte catholiin<e (Lille, un an,
12 francs.)
LxxxTi — 11 Novembre 1893. 21
282 ANNALES CATHOLIQUES
sontponmises aux mêmes rèfrles d'autorisation que les emprunta.
(Avis, 25 juillet 1885, fabrit|ueet ville deLorient.)
Lorsqu'une fabrique sollicite rautorisation d'acquérir un im-
meub'e destiné à être ajouté aux dépendances d'un presb^'tère
ou d'une égUse, propriétés communales, il y a lieu d'engager
la tabi'i(jue et la commune à régler à l'avance la question de pro-
prieié du nouvel immeuble, afin d'éviter les difficultés pouvant
résulter de la copropriété entre ces deux établissements. (Note,
23 mars 1881. Acquisition de la fabrique de Caux.)
En pareil cas, la fabrique a été invitée à prendre l'engage-
ment de céder à la comn.une la propriété de l'immeuble à
acquérir. (Note, 31 août 1881. Acquisition par la fabrique de
Lantiec.)
Mais, avant de prendre cet engagement, la fabrique doit
s'assurer si les pouscripteurs qui se sont engagés vis-à-vis d'elle
acceptent cette substitution. (Note, li février 1890. Acquisition
par la fabrique de Miélan.)
Il y a lieu enfin de prendre acte de la déclaration faite par la
fabiique en insérant dans le projet de décret une disposition
ainsi conçue:
Conformément à la délibération du conseil municipal de
en date du et à celle du conseil
de fabrique de en date du Vimmeuble
préiHé sera considf^r^ comme une dépendance de l'Eglise
paroissiale et du presbytère.
(Note, 21 mai 1890. Acquisition de la fabrique de Miélan.)
].ors<|u'il s'agit d'une ai;ijuisition de presbytère opérée con-
jointement par la fabi ique et la commune et que celle-ci n'j
contribue (|ue pour une somme relativ«ment peu importante, il
y a lieu de lui demander si elle n'est pas dis[)Osée à renoncer à
tout droit de propriété sur l'immeuble à acquérir. (Note 25 mai
1880. Ac<|>ii8ition d'an presbytère à Mariol.)
Une fabrique ne peut être autorisée à acquérir un immeuble
en vue d'une opération de voirie destinée à dégager les abords
de l'église. (Note, 22 février 1888. A<'quisition par la fibrique
de Faiiis. — Note, 2 aoiii 1890. Acijuisition par la ftibrique de
la Sauvetat-sur-Lèdf e )
L'ue iVibiique ne peut être autorisée à acquérir un immeuble,
si l'opération n'est pas justifiée par les besoins de service'^ aux-
quels la fabrique doit pourvoir et si elle a pour unique résultat
LES FABRIQUES 283
l'extension de la mainmorte immobilière. (Avis, 6 décombro 1881.
Ac<njisif.ion par la fabrique de Crossac — Ni>te, 14 mai 1889.
Acquisition par la fabri(iue de Saint-Ouen-Marcliefroy.)
B. — Fondations.
Les actes so'is seings privés portant fondation de services
religieux peuvent être soumis à l'approbation du Conseil d'État
avant l'accomplissement de la formalité de l'enregistrement.
(Note, 24 janvier 1883. Fondation Jouliannaud.)
Les conventions ayant pour objet la fondation de services
religieux doivent être passées avec les trésoriers des fabii(|ue8
et non avec les desservants des succursales. (Note, 25 mai 1880.
Fondation Anfray.)
Exceptionnellement elles peuvent être signées par le prési-
dent, au nom du conseil de fabrique, lorsque des pouvoir."» spé-
ciaux lui ont été conférés, à cet eftet, par ce conseil. (Projet de
décret, 14 mars 1882. Convention Trouard. — Note, 1" août 1890.
Fondation Collot.)
L'original de l'acte sous seings privés portant fondation de
serviiies religieux doit êtie joint au dossier. (Note, 19 octo-
bre 1881, fabrique de Saint-Maurice. Fondation Mollard.)
Il y a lieu de mentionner dans les décrets autorisant la foo-
dation de services religieux la clause de la convention qui coq-
tieiit l'indication du lieu de culte oii les services religieux
doivent être célébrés. (Note, 9 juin 1886. Fondation Bertrand.)
Il y a lieu de réclamer la piolnctiori du tarif diocésain ainsi
qu'un extrait du sommier des fondations dans toutes les affaires
qui ont trait à des fondati >ns religieuses. (Noie,2décembre 1885.
Legs Rondel. — Note, 9 novembre 1881. Legs Édelin.)
Lorsque le sommier des fondations de la paroisse est déjà très
chai'gé, il y a lieu de s'assurei' si rien dans la convention ne
s'oppose à cà que les messes fondées soient dans une autre
église. (Note, 26 janvier 1881. Fondation Cau«hard. — Projet
de décret et note, 19 février 1890. Fondation de Landrevoisin.)
C. — Expropriation pour cause d'utilité publique.
Les établissements publics (hos|iices, bureaux de bienfai-
sanoe, fabricjues), n'ayant pas qualité |)Otir user des formalités
de l'expropriation pour cause d'utilité publique, doivent, lors-
qu'ils veulent acquérir par cette voie, emprunter l'intermédiaire
de la commune.
284 A.NNALB8 CATHOLIQUES
Le projet de décret doit alors être rédigé de la manière sui-
vante :
Le maire de au nom de la commu/ne pour le
compte de {tel établissement) est autorise à
Les frais d* acquisition et le prix des travaux seront payés
par Rétablissement.
III. Acquisitions à titre gratuit.
A. — Services religieux.
Les conventions pour des services religieux passées avec les
fabriques par actes sous seings privés ne peuvent être assimilés
à des contrats à titre onéreux et par suite dispensées des forma-
lités prescrites pour les actes de donation entre vifs, que lorsque
ces conventions ont uniquement pour objet une fondation de
services religieux dont le prix d'après le tarif des oblations
représente une somme à peu près équivalente aux revenus dont
disposera la fabrique. En conséquence, une convention portant
que les revenus des sommes et rentes remises à une fabrique
seront employés eu partie à des services religieux et pour le
surplus à l'entretien des ornements sacrés, ou à faire donner
des statious de l'avent ou du carême, constitue une véritable
libéralité qui doit être faite dans les formes prescrites par
l'article 931 du Code civil. (Note, ôaoïit 1889. Fondation Mane-
goit, fabrique d'Albert. — Note, 8 avril 189L Fondation Villa-
ret-Jojeuse.)
Lorsqu'il est établi par l'instruction que la convention passée
en vue d'assurer la fondation de services religieux ne doit im-
poser à la fabrique, eu égard aux dispositions du tarif diocésain,
qu'une dépense de beaucoup inférieure au revenu des sommes
attribuées à cet établi.^seraent, et qu'elle constitue par suite,
non un contrat à titre onéreux, mnis bien une véritable dona-
lion grevée de charges, il y a lieu d'inviter les intéressés à
recourir aux formes prescrites i-ar l'article 931 du Code civil.
(Note, 8 avril 1891. Legs Tixier.)
Le budget des fabiicjues vérifié et certifié conforme par le pré-
fet peut suppléer à l'état de l'actif et du passif, mais à la condi-
tion que ce budget renferme les indications très précises sur la
provenance et la valeur- des biens non productifs de revenus ou
qu'il soit accompagné d'une attestation certifiée conforme par
l'autorité préfectorale et établissant que la fabrique ne possède
LES FABRIQUES 285
pas de biens affectés à un autre service que celui du culte. (Note,
5 décembre 1882. Legs Pihert. — Note, 9 janvier 1884. Legs
Chavériat.)
L'autorisation donnée aux fabriques de recevoir des libéra-
lités à charge de services religieux ne fait pas obstacle à l'exer-
cice du droit réservé à l'autorité épiscopale de réduire le nombre
de ces services lorsqu'il est en disproportion avec l'importance
de la somme donnée ou léguée. (Projet de décret et avis, 2 aotit
1882. Legs Mourot.)
Le nombre des messes ou services à célébrer ne doit pas être
fixé arbitrairement par l'évêque et doit être déterminé en pre-
nant uniquement pour base, d'une part, les arrérages de 1&
somme léguée, et, d'autre part, le taux des honoraires portés
au tarif diocésain pour la rémunération des messes de fondation,
(Note, 15 juin 1880. Legs Md-iier. — Note, 6 avril 1881. Legs
Jarnole. — Note, 19 juillet 1881. Lejjs Delatour. — Avis, 16 no-
vembre 1881. Legs Depierre. — Note, 20 avril 1882. Legs
Arnaud.)
11 y a lieu, dans toutes les affaires relatives à des fondations
de services religieux, de réclamer outre la décision de l'évêque
fixant le nombre des services religieux calculé eu égard à la
somme léguée et aux dispositions du tarif diocésain, une expé-
dition du tarif des oblations ainsi qu'un extrait du sommier des
fondations permettant de connaître le nombre exact des messes
qui doivent être célébrées dans l'église (Note, 9 novembre 1881.
Legs Edelin. — Note, 29 décembre 1885. Legs Rondel.)
Il n'y a pas Leu, en principe, de prononcer la réduction des
libéralités destinées à assurer la célébration des services reli-
gieux. (Jurisprudence constante : Projet de décret et note, 29 dé-
cembre 1891. Legs Dujrué.)
S'il convient de tenir compte, autant que possible, des vo-
lontés du testateur, en lui assurant les services religieux qu'il
a demandés, le Gouvei-nement ne saurait autoriser une fabrique
à accepter une fondation d'une importance telle qu'il lui serait
impossible de faire célébrer le nombre de services correspondant
à la fondation ou même que toute nouvelle fondation de messes
dans l'église deviendrait inexécutable pour l'avenir. (Projet de
décret et note (Assemblée générale), 27 février 1890. Legs BeF-
tiii, 100.000 francs à charge de messes. — Projet de décret
(Assemblée générale), 24 juillet 18y0. Legs Amouroux.)
Les fabriques ne sauraient étr^ autorisées à répudier des legs
286 annai.es catholiques
faits à charge de services religieux sous le prétexte que ces legs
ne leur procureraient pas un bénéfice suffisant. Les legs de cette
nature constituent moins, en effet, des libéralités en faveur de la
fabrique que la rémunération de prières que le testateur a
entendu s'assurer. (Projet de décret et note, 19 mai 1886. Legs
Messier. — En sens contraire: Projet de décret et note, 20 fé-
vrier 1889. Legs Mingot.)
Le Gouvernement peut autoriser d'office une fabrique à
accepter un legs fait A charge de services religieux, bien que le
conseil de fabri(|ue ait déclaré refuser ledit legs par le motif
qu'il ne lui laisserait pas un bénéfice suffisant. Les fondations
de services religieux ne peuvent jamais être onéreuses pour les
fabriques, puisque le décret du 30 décnrabre 1809, prévoyant le
cas où les charges imposées excéderaient le chiffre des sommes
données ou léguées, permet aux évêques de réduire le nombre
de services à célébrer, en se conformant aux tarifs régulière-
ment approuvés. (Projet de décret et avis, 12 mars lb84. Legs
Gazel. — Avis, 20 décembre 1882. Legs Laurin.)
La formule qu'il convient d'adopter dans les décrets imposant
aux fabriques l'acceptation d'<»ffi.e est la suivante;
N'est pas approuvée la délibération du conseil de fabrique
portant refus d'accepter.
En conséquence, le trésorier de la fabrique est autorisa à
accepter, aux clauses et conditions énoncées. (Projet de décret
et note, 12 mai 1885. Legs Ménétré. — Projet de décret et note,
21 décembre 1887. Legs Garippuv. — Note, 10 janvier 1889.
Lef.'s D'spujols. — Projet de décret et avis, 19 féviier 1890.
Legs Gallot.)
Il n'y a pas lieu d'autoriser une fabrique à accepter une libé-
ralité faite à con^lition (jue « le revenu en sera appliqué à donner
dans la paroisse des exercices religieux et périodiques appelés
misisions», les missions à l'intérieur étant prohibées par ledécret
du 2<> septembre 1809. (Projet de décret et note, 3 aoiît 1880.
Legs Pinget.)
Une fabrique ne saurait être autorisée à recueillir une libé-
ralité dont les revenus c devront être employés à faire donner
dans la paroisse tous les cinq, huit ou dix ans, des prédi<-ations
extraordinaires ». Ces prédications ont, en effet, le caractère de
missions, interdites par le décret du 26 septembre 1809. (Projet
de décret et note, 19 novembre lf<84. Legs d'Imbert. — Projet
de décret et avis, 14 janvier 1885. Legs Loustalot.)
LES FABRIQUES 287
L'article 50 de la loi du 18 germinal an X ayant préva la pu-
blication dans 1h9 paroisses de sermons connus sous le nom de
gtations d'aventet de carême, et implicitement autoiisé ces sta-
tions sous la seule réserve qu*elle8 soient prêchées par des
prêtres aofréés par l'autorité diocésaine, rien ne s'oppose à ce
qu'une fabrique soit autorisée à accepter une libéralité destinée
à assurer de semblables pré^lications. Toutefois, il est nécessaire
de spécifier dans le décret d'autorisation, que les prêtres agréés
par l'autorité diocésaine pour faire les prédications d'avent et
de carême ne pourront être que des membres du clergé parois-
sial. (Projet de décr<-t et note, 3 septembre 1890. Legs Bard.)
L'engHgement [)ris |)ar le conseil de fabrique de se conformer
à la loi et de consacrer entièrement un legs destiné à une pré-
dication extraordinaire, à une prédication de l'avent ou du ca-
rême par des prêtres séculiers, peut justifier l'acceptation du
legs. (Projet de décret et note, 6 mars 1889. Legs Laclavère.)
11 n'y a pas lieu d'autoriser une fabrique à placer le produit
d'un legs à la caisse d'épargne; la règle, d'après laquelle les
Taleiirs léguées aux établissements publics doivent être placées
ou transformées en rentes 3 p. 100 sur l'État, doit s'appliquer
avec d'autant plus de rigueur aux fabriques que ce mode
d'emploi est prescrit par l'article 63 du décret du 30 no-
vembre 1809. (Projet de décret et note, 22 janvier 1890. Legs
Dubail.)
B. — Pauvres.
Par application du principe de la spécialité, les fabriques ne
sont pas autorisées à recevoir des legs dans l'intéiêt des pauvres.
(Avis (Assemblée générale), 13 juillet 1881. Legs Lauzero).
En conséquence il y a lieu lie refuser à la fabrique l'autori-
sation d'accepter un legs à charge d'en employer le revenu :
a) A des distributions de vêtements aux pauvres.
b) A la fondation de prix pour les familles les plus méritantes
de la paroisse. (Avis (Assemblée générale), 3 aotit 1881. Legs
Bottin.)
c) A des distributions de pain aux pauvres de la commune.
(Projet de décret et note, 9 janvier 1883. Legs Mercier. —
Projet de décret, 27 octobre 1886. Legs Blanc. — Avis,
23 avril 1884. Legs Yvelin. — Projet de décret et noie,
21 juin 1890. Legs Rollin.)
Toutefois, la distribution de pain prescrite par un testateur,
288 ANNALES CATHOLIQUES
lorsqu'elle doit avoir lieu à l'issue d'un service religieux, peut
être considérée comme raccessoire de ce service et comme la
charge d'une disposition licite. En conséquence, la fabrique
peut être autorisée à accept-jr un legs fait sous cette charge.
(Piojet de décret et note (Assemblée générale), 24 mars 1881.
Legs Ménard. — Projet de décret, 4 avril 1882. Legs Slélandre.)
Lorsqu'une libéralité est faite à une fabrique à la fois pour le
soulagement des pauvres et pour la célébration de services
religieux, l'incapacité de cet établissement de recueillir pour
les pauvres ne saurait faire obstacle à sou droit de recevoir
poui- la célébration des service.-s religieux. Les charges du legs,
quoique figurant dans une seule et même disposition testamen-
taire, n'en restent pas moins distinctes, et si la fabrique ne peut
remplir l'une d'elles, rien ne s'oppose à ce qu'elle soit mise en
état d'accomplir celle qui rentre dans ses attributions. Il con-
vient en pareil cas de limiter l'autorisation d'accepter, accordée
à la fabrique, à la somme nécessaire à l'acquittement des charges
qui lui sont spécialement imposées, et d'autoriser le bureau de
bienfaisance à accefiter le surplus du legs. (A vis, 25 janvier 1882...
Legs Loisel. — Projet de décret et note, 15 février 1890. Legs
Aubrj.)
Au cas où la rente acquise par la fabrique deviendrait insuf-
fisante pour assurer l'acquit des messes, le bureau de bienfai-
sance serait tenu de paifaire la difiérence, mais seulement jus-
qu'à concurrence des revenus de la somme lui revenant. En
conséquence, le projet de décret doit contenir une disposition
en ce sens. (Projet de décret et note, 14 mai 1890. Legs Gérarl.)
[A suivre.)
DE LA CONSCIENCE TEMERAIRE
I. Des règles de la conscience téméraire. — II. Prouver qu'on ne
peut jamais suivre sans pécher une telle conscience. — III. Dire
quel péché commet celui qui écoute le dictamen d'une conscience
téméraire. — IV. Dire encore si le confesseur d'un tel pénitent est
obligé de l'avertir pour dissiper son erreur?
La conscience téméraire ou conscience plus ou moins pro-
bable, plus ou moins douteitse, plus ou moins perplexe, est
I
DE LA CONSCIENCE TÉMÉRAIRE 289
celle qui juge dans les choses morales sur des probabilités
sur une opinion peu probable. Une opinion est probable quand
elle repose sur des raisons non pas absolument certaines, raais
assez fortes pour pro'luire l'assentinaent d'un homme sérieux
et raisonnable. < Opinari, seu probabile, dit saint Thomas,
est rem veram judicaro non rationibus ceriis, sed prohabili-
bus cum formidine partis confrariae. » La probabilité consiste
à croire qu'une chose est vraie, non pas sur des raisons dé-
cisives, mais sur des raisons suffisantes, qui laissent cepen-
dant toujours subsister la crainte que le contraire ne soit
vrai. Ainsi, le caractère de la probabilité est de nous don-
ner quelque assurance, mais sans exclure jamais la crainte du
contraire, tandis que la certitude exclut tout doute, toute
crainte, quelquefois même, comme dans la certitude métaphy-
sique, la possibilité du contraire. La probabilité se compose
donc de plusieurs raisons et elle admet des degrés; car plus
vous aurez de raisons pour motiver votre assentiment ou le
former, plus votre 0[»inion sera probable. Il y a donc des opi-
nions simplement probables, plus probables, très probables. On
comprend que ces degrés soient élastiques et mobiles. D'abord,
dans l'opinion simplement probable, combien faut-il de raisons
pour faire une probabilité? C'est ce qu'il n'est pas facile de dé-
terminer. Ou peut renouveler ici le sophisme antique : Com-
bien faut-il de crins pour former la queue d'un cheval? Trente,
soit; si j'en ôte un, sera-ce encore une queue? Oui; si j'en ôte
deux, trois, et ainsi de suite jusqu'au dernier, à quel nombre
cessera-t-elle d'être une queue? Ainsi des raisons qui consti-
tuent une probabilité, il est difficile, dans cette accumulation
de preuves qui doivent la composer, de dire justement ce qu'il
en faut. Mais enfin, dit-on, il en faut assez pour obtenir l'assen-
timent d'un homme prudent? Il n'est guère facile de le définir.
Il y a donc déjà ici du vague. En outre, la probabilité est quelque
chose de subjectif et par conséquent de relatif. Les raisons qui
me semblent probables ne le seront pas pour un autre, en sorte
que dans la discussion des probabilités il sera toujours malaisé
de s'entendre.
On distingue deux espèces de probabilités, l'une intrinsèque,
l'autre extrinsèque. La première est formée par les motifs, par
les raisons de croire qui naissent de la question, du sujet même *
la seconde, par le poids des autorités, ce qui est aussi une raison
de croire. Un auteur éclairé a pensé ainsi et plusieurs autres ont
290 ANNALES CATHOLIQUKS
partagé son opinion; donc, cette opinion mérite considération,
car ces hommes étaient savants, ils ont sans aucun doute étudié
à fond la question. Leur autorité est donc une présomption en
faveur de cette opinion. Cette source extrinsèque de probabilité
est admise, en effet, en philosophie, en histoire, comme en lé-
gislation. Elle forme dans les lois ce qu'on appelle les antécé-
dents, et en quelque matière que ce soit les autorités sont tou»
jours respectables.
Cependant, il j a encore un autre élément dont il faut tenir
compte : car il s'agit de probabilité morale, c'est-à-dire de ce
qu'il faut faire ou ne pas faire, ce n'est point une spéculation
oii la conscience ne soit pas engagée comme en physique, en
chimie et dans les sciences naturelles. Dans ces matières, si
l'on se trompe en avançant à tort que telle opinion est probable
00 plus probable, Terreur n'est pas de grande conséquence.
Mais dans les opinions morales la conscience et le salut sont
directement intéressés. Donc, en dehors de la probabilité d'une
opinion, il faut encore en examiner et en peser la sûreté, si ell*
m'expose, si elle peut compromettre mes intérêts à venir ou s'il
n'y a rien à risquer. Voilà donc deux parties, les opinions sûres
d'un côté et les opinions moins sûres ou probables de l'autre»
Les premières sont toujours en faveur de la loi et plaident pour
elle, car il y a plus de sécurité à se ranger du côté de la loi,,
même quand elle n'est pas certaine. Les autres favorisent la
liberté. Elles s'appuient sur l'incertitude de la loi, pour déclarer
que la liberté reste entière, tout ce qui n'est pas défendu par la
loi étant permis. Donc, si la loi est incertaine, si je puis douter
qu'elle existe ou si elle n'a pas été suffisamment promulguée,,
je reste avec ma liberté. C'est ma liberté qui possède; car elle
est certaine et ne peut être restreinte ou suspendue que par une
loi certaine.
Toute la question du probabilisme est dans la combinaison,,
le balancement ou la prédominance de ces deux éléments : la
probabilité et la sûreté des opinions. Pour aider à la com-
prendre, nous la réduirons à trois questions qui nous parais-
sent renfermer toutes les autres et dans lesquelles le probable
et le sûr, mis en face l'un de l'autre, présentent leurs diverses
chances à la conscience et à la liberté de l'homme.
A. Eftt-ii permis de suivre une opinion moins sûre et moins
probable en face d'une autre opinion plus sûre et plus pro-
bable^
DE LA CONSCIENCE TÉMÉRAIRE 291
Une opinion moins sûre est celle qui m'expose davantao'e à
mal faire; la plus siîre est celle qui est le plus en faveur de la
loi et qui sauvegarde le mieux ma responsabilité; la moins pro-
bable est celle qui a le moins de chance d'être conforme à la
rérité.
Nous répondons : Non, il n'est jamais permis de suivre ane
opinion moins sûre et moins probable en face d'une autre plus
sûre et plus probable.
Le contraire a été soutenu au xvi* siècle par un théologien
espagnol nommé Médina qui a fait école, l'école du probabilisrae
relâ'-hé. La question avait d'abord été posée par ce théologien
gpéculativement : Dans la direction spirituelle doit-on obliger
une âme à se ranger du côté de la loi, même quand il n'est par
sûr qu'elle existe et si elle se croit suffisamment en régie et en
sécurité avec une opinion probable, peut-on lui en imposer une
autre plus probable? L'opinion probable, celle qui est approu-
vable et qui, pouvant être adoptée sans danger, exclut par cela
même toute opinion contraire, c'est lo bon sens ; mais Médina et
surtout ses disciples en étaient arrivés à trouver qu'on pouvait
se décider pourvu qu'on ait une raison suffisante d'agir, quelles
que soient les raisons différentes ou contraires, à la fois plus
probables et plus sûres. Ils en étaient arrivés à mettre de côté la.
probabilité intrinsèque, et à ne plus raisonner que sur la pro-
babilité extrinsèque, celle qui existe quand une opinion est
soutenue par des auteurs graves. Mais combien en faut-il pour
la rendre probable? Les uns ont dit vingt; d'autres dirent seize;
enfin, il y en eut qui affirmèrent qu'un seul suffisait, du raonient
où c'était un homme grave et qui avait beaucoup étudié la ma-
tière. Il y eut dispute. On finit par s'entendre sur le chiffri de
seize docteurs autorisés pour donner à une opinion une probabi-
lité suffisante. Les disciples de Médina trouvèrent alors seize
docteurs qui, dans une consultation, déclarèrent à l'unanimité
qu'il n'en fallait qu'un! ! La cause était gagnée; mais le pape
Innocent XI condamna cette proposition : « En général, toutes
les fois que nous faisons un acte en nous appuyant sur la proba-
bilité soit intrinsèque, soit extrinsèque, quelque petite qu'elle
soit, pourvu que nous ne sortions point des limites de la proba-
bilité, nous agissons prudemment. » L'assemblée du Clergé de
France a condamné en 1700 une proposition analogue.
L'Ecriture et la raison condamnent cette doctrine.
a) L'Ecriture. * Qui amat periculum in illo peribit, > quand
202 ANNALES CATHOLIQUES
en face da plus probable et du plus sûr on a la témérité de
prendre le moins probable et le moins sûr, il n'est que trop
clair qu'on cherche à satisfaire ses passions ou au moins à
s'exempter de la gêne de bien faire. On aime donc le péril et on
court risque de se perdre. « Regnum coelorum vim patitur... »
Ce n'est pas avec ces maximes relâchées, ces habitudes d'indui-
gence, de faiblesse pour soi, qu'on peut avancer dans la vertu.
Sans doute, il y a souvent des concessions à faire, surtout aux
âmes faibles et engagées dans le péché, en raison de leur bonne
Tolonté de le quitter; mais ces tempéraments ne sont accordés
que pour les aider à se détacher du mal et à revenir à Dieu.
« Omne quod non est ex fîde peccatum est», dit saint Paul. Or,
peut-on prétexter de la bonne foi, quand on sait que l'opinion
qu'on adopte est la moins sûre, la moins probable et qu'on s'ex-
pose ainsi à mal faire ?
b) La raison. Il est évident que, si on est convaincu qu'une
opinion est moins piobable et moins sûre, on ne peut ni la sou-
tenir ni la suivre sidcèrement. C'est une imprudence qu'on se
garderait bien de commettre dans les affaires humaines. Jamais
dans ses affaires d'intérêt on n'adoptera une opinion moins pro-
bable et moins sûre en face d'une autre plus probable et plus
sûre. On prendra toujours le plus probable, celui qui exposera
le moins notre fortune. Ce que l'on fait pour son argent, ne
doit-on pas le faire pour son âme? De ce probabilisme relâché,
qui n'était d'abord qu'un jeu d'esprit, sont sorties toutes sortes
d'opinions singulières, de maximes relâchées, qui ont porté un
grand préjudice aux bonnes mœurs. Pascal a accusé les jésuites
de s'être fait les patrons de cette erreur.
B. Est-il permis de suivre une opinion moins sûre^ mais
plus probable, en face d'une plus sûre et moins probable?
Oui, car notre conscience doit se décider par les raisons les
plus fortes et les plus nombreuses. L'opinion peut être moins
sûre, mais nous ne sommes pas tenus au plus sûr, quand nous
avons pour nous la plus grande probabilité. L'opinion contraire
a été condamnée par Alexandre VIII : « Non licet sequi opi-
niones vel inter probabiles, probabilissimas. » L'Assemblée du
Clergé de France a également condamné cette doctrine, contre
les jansénistes, qui sout3naient que, dans tous les cas, on était
tenu de prendre le parti le plus sûr. C'est comme si l'on préten-
dait que dans tous les cas il faut aspirer au plus parfait. Une
telle opinion mène fatalement au désespoir. En pratique donc on
DE LA CONSCIENCE TÉMÉRAIRE 293
peut suivre le parti le plus probable, quoique moins sûr, sauf
cependant les exceptions ou la probabilité ne peut s'a[)[jii(iner.
Ainsi la probabilité n'est point aciraissibie en ce qui concerne:
lo Le salut et les raoyens absolument requis pour j arriver.
Innocent XI a censuré la proposition contraire : « Ab infidelitate
excusabitur, infidelis non credens ductus opinione minus pi-o-
babili. »
2° Pour ce qui touche à la validité des sacrements. Les sacre-
ments ont une vertu déterminée, positive, et qui agit à certaines
conditions, que la probabilité ne peut jamais combattre ni sup-
pléer. Innocent XI, en 1679, a condamné la proposition sui-
vante: € Non est illicitum in sacramentis cnnferendis uti opi.
nione probabili de valore sacramenti, relicta tutiore. » Il v a
cependant deux cas particuliers oii on peut se servir d'une opi-
nion probable, dit le cardinal Gousset (p. 39), à l'égard de la
validité des sacrements. Le premier cas est celui d'une néces-
sité extrême, absolue. Alors il est permis de s'arrêter à une
opinion probable, et même faiblement, très faiblement probable,
« sacramenta propter homines ». On confère alors le sacrement
sous condition. Le second cas (Ib. p. 40) a lieu quand on pré-
sume que l'Eglise supplée à ce qui manque à la validité du sacre-
ment ; ce qui arrive pour le mariage et la pénitence. Ainsi,
quand on contracte un mariage dont la validité est probable, on
présume que l'Eglise lève l'empêchement, s'il existe, et com-
plète la certitude de la validité du contrat. Il ne s'agit évidem-
ment que des empêchements établis par l'Eglise Quant à la
pénitence, si l'opinion probable est que le confesseur a le pou-
voir de l'administrer, l'Eglise supplée à la juridiction en la con-
férant au confesseur qui ne l'aurait pas. Mais cela ne doit s'en-
tendre que des cas de grave nécessité, ou au moins d'utilité,
majeure.
3° De même pour tout ce qui peut compromettre la vie des
hommes et leurs droits, par exemple dans l'exercice de la méde-
cine ou de la judicature. On avait été jusqu'à soutenir qu'un
médecin n'était pas obligé, dans son traitement, de choisir la
médication la plus probable et la plus sûre, pourvu qu'il en
adoptât une probable, même quand il la supposerait moins siire.
Il a été décidé, qu'en vertu des engagements qu'il a contractés,
il était tenu d'appliquer le remède le plus sûr et le plus pro-
bable. Pour ce qui regarde le juge. Innocent XI a censuré celte
proposition: c Probabiliter existimo judicem posse judicare
294 A^NALES CATHOLIQUES
juxta opinionem etiam minus probabilem. » On en était arrivé à
soutenir qu'il n'était pas obligé d'ailopter l'opinion la plus pro-
bable, pourvu qu'il en prît une probable, et qu'il ne sortît pas
des linaites de la probabilité. Il pourrait, disait-on, JB»er d'après
une opinion suffisamment probable, même quand des raisons
plus fortes lui démontreraient que la justice est de l'autre côté.
Il s'est même trouvé de.^ théologiens qui ont osé affirmer qu'un
juge pouvait, sans blesser sa conscience, recevoir des présents
et juger sous cette influence, qui devenait une raison de plus pour
se former une opinion probable!
4" Il y a encore des cas oii l'opinion la plus sûre doit être
suivie, par exemple, si l'on s'y est obligé par une convention,
par un vœu, par l'obéissance promise à un supérieur ; ou s'il
s'agit de faire un acte périlleux ponr le prochain ; c'est le cas
d'un chasseur qui a lieu de craindre qu'en déchargeant son coup,
il n'atteigne quelqu'un.
G. Entre deux opinions également probables, est-il permis
cf embrasser la moins sûre?
Oui. Il est vrai que les théologiens se divisent en tutioristes
et eu probabilistes modérés. La controverse a été très vive de
part et d'autre et dure encore. C'est qu'on se fonde des deux
côtés sur d'excellentes raisons, sur des axiomes, sur des prin-
cipes dont chacun tire des conséquences favorables à sa manière
de voir. Ainsi les tutioristes s'appuient sur cet axiome : € In
dubio tutius est eligendum. » Si vous admettez qu'il y a pro-
babilité égale des deux côtés, il y a doute, donc vous devez
choisir le parti le plus sûr. Les autres mettent en avant deux
principes incontestables aussi : « Lex dubia non parit obliga-
tionem certam. » Il est évident que si on doute de l'existence de
la loi, ou si elle n'a pas été suffisamment promulguée, on n'est
pas obligé de la suivre. Or, dans l'hypothèse présente la loi
n'est pas certaine, elle est douteuse. Donc elle n'oblige pas, donc
je puis suivre le parti que je veux. < Iq dubio melior est con-
ditio possidentis. >
Or, il y a doute sur la loi, puisqu'il y a deux probabilités
égales. Telle opinion probable dit qu'on peut agir ainsi, telle
autre également probable affirme qu'on peut faire le contraire;
donc la loi est douteuse, donc ma liberté possède, donc sa con-
dition est la meilleure, et je puis choisir le parti qui me plaît.
La question a été jugée à Rome, mais pour la pratique seule-
ment. Car l'Eglise, toujours sage, discerne et règle dans ces cas
DE LA CONSCIENCE TÉMÉRAIRE 295
ca qu'il faat faire dans la réaliié, et laisse la question spéculative
aux agitations des Ecoles. Le prob;ibilistne modéré n'a jamais
été coridaniné ni directement, ni in'lirectemerit. Il peut donc
dire enseigné et appliqué. En outre, Pie VII a confirmé le décret
de la Congréyration des Rites, qui déclare qu'on n'a rien trouvé
à reprendre dans les écrits de saint Liguori, principal défenseur
du probtibilisme modéré. Enân à une question adressée au grand
pénitencier par le cardinal de Rohan, archevêuue de Besançon.
Si un professeur de thf^ologie morale pouvait dans son ensei-
gnement suivre Liguori, il a été répondu affirmativement; et
si un confesseur, qui applique cette doctrine à la direction des
dm es H dans le saint ministère de la con fession pouvait être
inquiété, il a été lépondu néfrativeraent ; sans cependant qu'on
doive regarder comme répréhensibles les opinions contraires,
soutenues par des docteurs approuvés.
Rappelons-nous, d'ailleurs, qu'on ne traite pas les âmes dans
la pratique comme les questions dans l'Ecole. Quand on doit
conneiller, guider, soutenir, guérir des hommes faibles ou pas-
sionnés, on n'est point placé seulement devant la vérité d'une
manière spéculative, mais devant une pauvre âme qui est dans
le mal, dans l'erreur, sous le joug des passions ou de l'habitude
et qui a beaucoup de peiue à s'en détacher. Il faut donc la porter
à des efforts successifs et mesurés, la mener pas à pas, la
prendre, la soulever peu à peu, la ramener d'abord à la justice,
puis à la vertu, et enfin s'il est possible, au plus parfait. Mais,
si, au début, vous voulez la pousser à l'abnégat'on complète, au
gacrifice le plus entier, vous lui demanderez ce qu'elle ne peut
faire, et pour vouloir trop gagner vous n'obtiendrez rien. C'était
la pensée de Gerson et du P. Palavicini, cités par le cardinal
Gousset (p. 42-43). Voilà pourquoi on ne peut pas recommander
aux confesseurs trop d'indulgence, de bienveillance, de conces-
sions raisonnables. Nous disons raisonnables, parce qu'il ne faut
jamais tomber dans le relâchement, ni aller contre la loi de
Dieu. Mais toutes qu'on peut ôter légitimement à la sévérité de
la loi par l'indulgence, on doit le retirer sans crainte quand la
salut d'une âme ou la charité le demande. « Quand il y a diffé-
rentes opinions sur une question, toutes choses égales d'ailleurs,
dit saint Bernardin, il faut préférer la plus douce, la plus indul-
gente. » C'est, nous dit le cardinal Gousset, la pensée do saint
Chrjsostome, de saint Thomas, de saint Antonin, de saint Ray-
mond de Pennafort, de saint Odiloa de Cluny, de saint Grégoire
de Naxianze (p. 45).
296 ANNALES CATHOLIQUES
Il était nécessaire de rappelercet enseignement pour résoudre
en quelques mots les quatre questions que nous nous sommes
posées.
I
Une conscience téméraire est celle: 1° qui suit une opinion
moins sûre et moins probable, en face d'une autre opinion plus
sûre et plus probable : 2° qui suit une opinion moins sûre, mais
plus probable en face d'une plus sûre et moins probable, pour
ce qui concerne le salut et les moyens absolument requis pour y
arriver; pour ce qui touche à la validité des sacrements; pour
tout ce qui peut compromettre la vie des hommes et leurs droits ;
pour ce qui contrarie certaines conventions de conscience, ou
certains actes périlleux pour le prochain ; S» qui oblige les autres
à choisir en conscience, entre deux opinions également pro-
bables, celle qui favorise le plus la loi; 4° qui suit une opinion
qui n'est point probable.
II
Nous avons prouvé qu'on ne pouvait jamais suivre sans péché
une conscience téméraire : la première dans notre A ; la seconde
dans notre B (1°, 2^, 3°, 4°); la troisième dans notre G; quant à
la quatrième, c'est de toute évidence.
La gravité du péché que commet celui qui écoute le dictamen
d'une conscience téméraire doit se juger d'après cette double
considération : ou celui qui juge d'après cette conscience est
coupable d'actes qui n'ont pas de retentissement autour de lui;
ou ces actes sont ceux d'un confesseur, d'un chef de famille,
d'un chef de société.
IV
La conscience est téméraire parce qu'elle placée dans le doute;
elle ne sait pas au juste quels moyens elle doit prendre pour ne
pas offenser Dieu, sans cependant restreindre la liberté que
Dieu nous laisse, c'est du désir de donner satisfaction à ces
deux exigences légitimes qu'est né le probabilisme, qui fournit
le moyen d'agir prudemment. Le confesseur est donc tenu
d'avertir son pénitent dès qu'il s'aperçoit qu'il entre dans une
série d'imprudences. Nous sommes persuadés que si tous ceux
GOUNOD 2Ô7
qni enseignent et qui dirigent joignaient à une grande loyauté,
à une pMrfaite proltité, à un complet désiiitéressenjeiit d'eux-
mêmes de leurs idées et de leur intérêt personnel, le courage
de parler toujours selon leurs lumières; et qu'à ces mêmes
qualités, ceux qui sont enseignés et dirigés, ajoutaient une vo-
lonté résolument déterminée à ne tenir aucun compte ni de
leurs préjugés, ni de leurs sympathies, ni de leurs antipa-
thies, et à remplir généreusement ce que leur bon sens, éclairé
par la foi et l'expérience, leur déclare être pour eux le devoir,
tous, confesseurs et pénitents, auraient une vue plus nette de
ce qu'ils doivent faire ou ne pas faire. Il faut que nous soyons
corisciencieux comme Dieu l'exige, et non comme nous l'enten-
dons nous-mêmes ; que nous consentions à aller au ciel, non par
le chemin que nous traçons, mais par celui que l'Evangile a
déterminé, sous peine de rester des chrétiens de surface et de
manquer le ciel.
P. -G. MOREAU,
vicaire général honoraire de Langres.
CHARLES GOUNOD
L'amitié de Gounod a été une des joies, un des bonheurs de
ma vie. Pendant plus de vingt-cinq ans, nous avons vécu dans
les rapports de la plus tendre intimité, et je pourrais écrire sur
lui tout un volume sans épuiser mes souvenirs. Mais je laisse à
de plus jeunes et plus autorisés le soin de faire la biographie
complète de ce grand homme d'esprit, de cœur et de foi, qui
réunissait en sa personne tant de forces, de facultés rares, et
des charmes si divers, que Dieu eût pu tailler, dans cette
splendide étoffe, tout un lut de musiciens, de poètes, d'écrivains,
de penseurs, de causeurs charmants, et même d'éloquents théo-
giens.
Ma seule ambition serait de mettre en lumière ce que le monde
connaît le moins en lui, je veux dire la simplicité de son âme,
son humilité chrétienne, le charme de son intimité et la profon-
deur de sa foi. Des traits de caractère, des anecdotes, des sou-
venirs attendrissants, des paroles jaillies de son esprit ou de
son cœur épris jusqu'à l'enthousiasme du beau et du vrai dans
leur source divine et dans leurs manifestations humaines, voilà
22
298 ANNALES CATHOLIQUES
ce que je voudrais rassembler en ces quelques pages écrites au
courant de la plume et de l'amitié, et consacrées à cette grande
et obère mémoire.
Quand je le vis pour la première fois, il était déjà célèbre :
son nom retentissait partout, en France et hors de France, porté
par delà les mers sur les deux ailes de la musique, la mélodie
et l'harmonie. C'était après l'éclosion de ses plus purs ch-^fs-
d'œuvre, Sapho, Faust, Roméo et Juliette, Mireille, Phile'mon
et Baucis.
Il vint me voir, oserai-je le dire? en solliciteur, pour me par-
ler d'une affaire dont j'étais rapporteur au Conseil d'Etat, et
qui intéressait une famille amie. Sa commission faite, il chan-
gea de ton en changeant do sujet; je vis soudainement aftpa-
raître et s'épanouir devant moi le grand artiste, l'auteur de ces
merveilles qui m'avaient enchanté. Tout en lui parlait, les yeux,
le geste, l'accent, en même temps que les lèvres, et de cet en-
semble parfaitement harmonieux s'exhalait comme une sympho-
nie pénétrante de flamme et de lumière.
Nous parlâmes de Rome d'où je revenais, des choses ro-
maiues, de mon saint frère, Mgr de Ségur, qu'il y avait ren-
contré vingt ans auparavant, qu'il avait revu un moment au
séminaire de Saint-Sulpico, et dont il avait conservé un pieux
souvenir. Ce nom fit évanouir ce qu'il y avait encore d'un peu
réservé dans son attitude et dans la mienne.
Il s'abandonna alors avec une charmante liberté à la douceur
de ses impressions passées. Il m'ouvrit son âme avec une en-
tière confiance, et bientôt la conversation prit un tour si intime
que je lui dis en souriant : « Cher maître, ne vous trora[)ez-
vous pas de personne'/ Il me semble que c'est avec Mgr de
Ségur plutôt qu'avec moi que vous devriez poursuivre cet en-
tretien. — Vous avez raison, me dit-il en se levant soudain et
en me saisissant la main. Est-il à Paris? — Certainement. —
Oii demeure-t-il? — A deux pas d'ici, rue du Bac, 39. —
Croyez-vous qu'il soit chez lui en ce moment? — J'en suis à
peu près sûr. — Eh bien ! j'y cours de ce pas. » Il se jeta dans
mes bras, comme dans ceux d'un frère, et sortit à grands pas,
empoitant mon coeur et me laissant quelque chose du sien.
Il trouva Mgr de Ségur, et quand il le quitta une heure après,
il rayonnait de joie, comme un ami qui vient de retiouver un
ami d'enfance, comme une âme troublée à qui Dieu a rendu un
consolateur et un père.
r
I
GOUNOD 299
C'est ainsi que Gounod recommença avec mon frère une liai-
son intime qui ne finit qu'à la mort du saint aveugle de Jésus-
Christ, et voici le résumé de leurs relations tel que je l'ai écrit
dans la Vie de Monseigneur de Se'gur, résumé fidèle dont le
grand artiste lui-même, après l'avoir lu, a reconnu la parfaite
exactitude :
« Dès leur première entrevue, l'auteur de Faust lui ouvrit
son âme, lui confia les secrets de sa vie, et se trouva, on ne sait
comment, à ses pieds et sur son cœur. Leur intimité, suspendue
à l'époque de la guerre, se renoua après le retour du maître
en France, et se continua sans interruption jusqu'à la mort de
Mgr de Ségur. Gounod l'appelait tantôt Gaston, tantôt mon ami,
tantôt mon frère. Chaque fois qu'ils se revoyaient, c'étaient des
effusions, des confidences, des causeries sans fin. Ils parlaient
d'art, de théologie, de Rome, centre et fojer de la théologie
comme de l'art, et la gaieté était toujours de la partie. Gounod
trouvait moyen, même dans les derniers temps, quand l'àrae du
doux aveugle semblait prête à s'affaisser sous le poids de l'infir-
mité corporelle, de rappeler sur les lèvres de son saint ami le
bon rire des âmes innocentes, ce rire touchant et pur des en-
fants et des prêtres. Ce fut sous l'influence de cette amitié bénie
que le grand musicien trouva l'inspiration de ses plus beaux
cantiques, qu'il conçut la pensée de son Polyeucte et de soh
oratorio de la Re'demption, dont il écrivit à la fois la poésie et
la musique. Peu de mois avant la mort de Mgr de Ségur, il le
pria de venir une fois encore s'asseoir à sa table entre sa femme
et ses enfants. Après le dîner, il le conduisit, comme de cou-
tume, dans son cabinet de travail, véritable sanctuaire, au fond
duquel s'élève un orgue monumental ayant pour ornement prin-
cipal une belle tête de Christ, par Franceschi. Là, il lui joua et
lui chanta quelques-unes des plus belles pages de cette compo-
sition religieuse dont les paroles sont aussi pures, aussi inspi-
rées que la musique ; et Mgr de Ségur entendit ce soir-là comme
un écho de l'harmonie céleste qui l'attendait bientôt au paradis. »
Voilà ce que fut Gounod pour mon frère, du premier au der-
nier jour de leur intimité, et voilà ce qu'il fut aussi pour moi et
pour ma famille, qui se lia étroitement avec la sienne. Après
les séparations ordinaires ou extraordinaires qui sont la condi-
tion et l'épreuve de toutes les affections humaines, après les
horreurs de la guerre et les tristesses d'un long séjour à l'étran-
ger, nous le retrouvions toujours le même, aussi jeune d'esprit,
300 ANNALES CATHOLIQUES
aussi tendre de cœur, parlant et s'enivrant des beautés et des
joies de la vie chrétienne, corame s'il n'en avait jamais connu
d'autres, gardant son admirable candeur d'enfant à travers tous
les oiages, toutes les péripéties de sa longue carrière.
Quelle âme fut plus limpide, quelle bouche plus incapable de
rien dire aux autres ou à lui-même qui fût contraire à ce qu'il
pensait et ressentait? Comment, aux heures les plus troublées
de sa vie, eiît-on songé à lui en vouloir de ce qu'il avouait avec
tant d'élan, de ce qu'il regrettait avec tant de sincérité, de ce
qu'il oubliait avec une si charmante bonne foi? Lui-même excu-
sait, oubliait les torts des autres encore plus facilement que les
siens.
Un tout petit trait de sa vie la plus intime le peint au naturel
dans les naïvetés délicieuses de son indulgence et de son humi-
lité. II avait emmené sa petite Jeanne, âgée de quatre ou cinq
ans, pour une promenade en tête à tête au Bois de Boulogne. Au
retour, Mme Gounod demande à sa fille si elle a été sage :
« Non, maman, répond l'enfant; j'ai été méchante..., mais papa
m'a demandé pardon. »
GouQod est là tout entier, dans la naïveté sublime de sa
bonté. Le pardon des offenses ne lui suffit pas : il demande par-
don à qui l'a ofi'ensé. C'est l'application du précepte inefi'able
de saint François d'Assise, cet homme presque divin : « Si ton
frère t'a manqué et qu'il refuse de te demander merci, mets-toi
à genoux devant lui, et lui demande toi-même miséricorde. »
Sublime excès de charité, folie suivant le monde, sagesse su-
prême suivant l'Evangile! Heureux qui la comprend et plus
heureux qui la pratique !
C'est à la campagne surtout, loin des conventions et des
envahissements du monde, que Gounod se montrait dans tout le
charme de son abandon. C'est là que sa bonté, sa gaieté, sa
merveilleuse organisation musicale, la variété de ses dons na-
turels ou acquis, se donnaient cours en toute liberté.
Il aimait notre petite propriété des Nouettes, maison sans
prétention, entourée d'un parc avec grands bois et aux vastes
prairies, où ma mère avait écrit la plupart de ses livres si po-
pulaires et fait vivre beaucoup de ses personnages ; il y revenait
toujours avec un visible plaisir. 11 y retrouvait souvent mon
saint frère Gaston qui y passait ses courtes vacances, et dont la
présence le charmait en le sanctifiant.
Nous y avions une chapelle avec le Saint-Sacrement. C'était
GOUNOD 301
comme le cœur et le centre de la famille. Chaque soir, la prière
s'y faisait en coraraun : les maîtres et serviteurs y assistaient à
genoux, dans rêjjralité de l'adoration. Gounod se gardait bien
d'y manquer, non plus qu'à la messe, célébrée chaque matin
par Mgr de Ségur avec une angélique dévotion.
En ces moments divins, le grand artiste était aussi beau à
contempler que le saint prêtre ; et rien n'était plus touchant
que de voir cet homme de génie s'approcher de la sainte table,
recevoir le corps et le sang de Jésus-Christ avec la simplicité de
foi et la tendre piété d'un enfant qui fait sa première commu-
nion. Qui n'a pas vu Gounod en ces transfigurations du saint
amour, ne connaît pas Gounod tout entier.
C'est aux Nouettes qu'il écrivit les premières notes de son
Polyeude, ce drame mystique que le public de l'Opéra ne put
comprendre assez pour l'admirer, mais pour lequel l'illustre
compositeur garda jusqu'à la fin une secrète prédilection.
C'est là aussi qu'il me demanda d'écrire les paroles d'un can-
tique d'adoration, d'amour et d'actions de grâces après la com-
munion. Je me rendis à son désir, heureux et fier d'un tel colla-
borateur, et je dois dire que, sans le savoir, il fut pour quelque
chose dans mon œuvre poétique, si indigne qu'elle fût de la
musique qu'il y adapta. Je lui avais souvent entendu citer une
parole de l'Evangile qu'il adorait entre toutes, celle de saint
Pierre répondant à Jésus ressuscité : < Seigneur, vous savez
tout; vous savez que je vous aime ! » Comme il savourait cette
réponse de l'amour humble et pénitent ! Et avec quel bonheur il
se l'appropriait, en la répétant.
Je me la rappelais, et je la mis dans une des strophes de ce
cantique: Le ciel a visité la terre, devenu célèbre, grâce à la
mélodie sublime dont Gounod le revêtit et l'immortalisa. Il me
dit que lorsqu'il en composait le prélude, il avait senti comme
un vol d'anges passer sur lui et toucher son front de leurs ailes.
Il est certain que ce cantique est une des plus célestes inspira"
tions de son génie mystique.
Un souvenir personnel se rattache également pour moi à son
oratorio, intitulé Rédemption, bien qu'il n'ait pas eu recours à
moi pour les paroles. Il les fit lui-même, et fit bien. Doutant à
tort de son talent de librettiste et de poète, il pria ma femme de
réunir chez elle quelques amis, pour entendre la lecture de son
poème. Je me rappelle que Louis Veuillot et le père Gratry se
trouvaient parmi les rares invités admis nar lui à cette fête lit-
302 ANNALES CATHOLIQUES
téraire. Il va sans dire que Mgr de Ségur y assistait an premier
rang.
Le succès fut complet, l'émotion unanime et profonde. La
composition du poème, la ficture des vers fermes, sobres, fait»
pour porter la musique sacrée, cette reine céleste, et non pour
partager sa souveraineté, tout était conçu et travaillé de main
de maîf.re. — Gounod disait si parfaitement, que récités par lai,
ses vers auraient pu se passer d'être parfaits ; mais ils valaient
tant par eux-mêmes, qu'ils auraient pu se passer de son admi-
rable diction.
Je me souviens qu'un autre soir, il nous lut successivement
un fragment du rôle de Néron dans Britannicus, une .«cène du
Don Juan, de Molière, et un chapitre de Don Quichotte. Je ne
crois pas qu'un artiste, même du Théâtre-Français, eût pn
mieux dire et produire une telle impression dramatique ou comi-
que, avec une telle sobriété de moyens. A en juger par ces lec-
tures, accompagnées de regards et de gestes presque involon-
taires et saisissants, il eût été, s'il avait voulu descendre, un
acteur de premier ordre.
Quant à cet art unique qu'il possédait, et 'que nul n'a porté ii
haut, de rendre, avec sa voix et son piano, les effets les plus
grandioses et les nuances les plus délicates d'une symphonie,
d'un opéra, d'un chœur ou d'un finale à grand orchestre, tant
de personnes l'ont admiré qu'il serait superflu d'y revenir et d'y
insister.
Je me contenterai de rappeler qu'un jour, aux Nouettes,
s'étant mis au piano et y laissant courir ses doigts, tandis qu'il
causait avec nous et quelques amis, il se tut tout à coup, se
recueillit un moment, et commença à chanter le quatuor de
l'acte du jardin, de Faust, avec une voix, un air, des yeux d'une
expression pénétrante. Il ne voyait, n'entendait plus rien que
ces chants, ces harmonies, ouvrage de son génie, qu'il semblait
enfanter une seconde fois.
Nous étions tous muets, immobiles, suspendus à ses lèvres.
Il continua, passa du quatuor à la prière déchirante de Margue-
rite, à son invocation suprême, et ne s'arrêta qu'à la fin de
l'acte. Quand il revint à nous et qu'il regarda autour de lui, il
vit que tous les yeux étaient remplis de larmes. Jamaii», non
jamais, tragédien de génie, cantatrice inspirée, ne produisirent
gur leur auditoire une impression plus profonde. C'était plus
qu'une interprétation, plus qu'une représentation, c'était une
évocation.
GOUNOD 303
La conrersation de Gounod nVtait pas un de ses moindres
charmes: tarilôt élevée jusqu'à l'élo(}iionce, tantôt enjouée, gra-
cieuse, toujours imagée et jamais vulgaire, niêmd daii9 les
épancheraents les plus libres de sa gaieié. 11 riait comme il pleu-
rait, de bon cœur, et ses plaisanteries, ses anecdotes, contées
avec un naturel plein d'arr, répandaient autour de lui les éclats
d'une joie saine et débordante.
Il adorait les enfants qui le lui rendaient bien. Il se plaisait k
développer chez les nôtres les di-jpositious musicales que le ciel
leur avait largement départies. Il formait leur goût, agrandis-
sait leur horizon, élevait leur point de vue, et il fut pour moi
jusqu'à la fin plus qu'un professeur sans pareil, un révélateur
de l'art et comme directeur de leur conscience musicale.
Comme s'il eiit prévu que les Nouettes se fermeraient à jamais
pour nous après la terrible guerre franco-allemande, il voulut
nous laisser, à la Ru de son dernier séjour, à la veille même de
l'invasion, un témoignage original et vraiment unique de sa
fraternelle amitié. Il composa un quatrain qu'il mit en musique
sous la forme d'un canon à quatre voix qu'il écrivit, paroles et
musique, de sa plus fine éciiiure, et que nos enfants, après leur
mère ont précieusement conservé.
Voici ces quatre petits vers oii se retrouvent son esprit et son
cœur :
Il est en Normandie une maivon sauvage
Où les gens qu'on reçoit sont drôlement aiméa.
Oa n'y peut exprimer un désir dont j'enrage :
On vous les prévient tous, avant qu'ils soient formés.
Du talent littéraire de Gounod, je ne dirai rien. Ceux qui ont
lu ses communications à l'Institut et surtout; son merveilleux
volume sur le Don Juan de Mozart savent quel bonheur d'expres-
sion il joignait à la profondeur des pensées, à l'exposé à la fois
enthousiaste et serein de la philosophie du Beau et des prin-
cipes éternels de l'Art, juxquici éternels, disait-il avec une spi-
rituelle ironie. Ces principes il les voyait vivants et resplendis-
sants dans toute l'oeuvre de Mozart et surtout dans son immortel
Don Juan.
Aussi proclamait-il Don Juan le chef-d'œuvre de l'art dra-
mati(}ue et Mozart le plus parfait des musiciens et le maître des
maîtres, Mozart, Autrichien par son père, mais Italien par sa
mère, et toujours lumineux et précis jusque dans ses plus sa-
304 ANNALES CATHOLIQUES
vantes harmonies. Le génie français, n'est-il pas fait, avant
tout, de ces deux qualités naaîiresses qui brillent dans toutes nos
grandes œuvres littéraires, oratoires et nousicales : la clarté et
la mesure? Dieu préserve notre patrie, déjà trop germanisée, de
les échanger contre les profondeurs mystérieuses et les longueurs
même géniales du grand prophète W.igner! Tels étaient, tels
furent jusqu'à la fia le vœu et la prière intime de Goiinod.
La bonté, qui est la pins belle des vertus de cet homme érai-
nent, allait grandissant dans son cœur à mesure qu'il avançait
dans la vie. Assailli par les opportuns, les solliciteurs, les génies
méconnus, désolé de voir son temps dévoré par les lettres à
écrire, les recommandations à faire, le concours et les commis-
sions à présiier,il était parfois tenté de se révolter contre cette
tyrannie à mille têtes et d'envoyer promener tout ce qui le dé-
tournait de la composition. Mais sa bonté prenait toujours le
dessus et, en fin de compte, il acceptait, il endossait tout, sans
autre protestation qu'une poussée d'impatience qui s'exhalait en
un mot piquant ou plaisant et finissait en bonne humeur rési-
gnée. «Je vais me faire faire une plaque de commissionnaire»,
disait-il parfois, en se rendant à l'une de ses innombrables com-
missions. On riait, il riait lui-même et tout était dit.
Dans certains cas, cette bonté prenait un caractère d'apos-
tolat; alors, elle le rendait capable de tout et le portait jusqu'à
sacrifier son sommeil et sa santé pour courir au secours d'une
âme en danger.
Le fils d'un de ses vieux amis, atteint de la poitrine, s'ache-
minait lentement vers la tombe. Indifi"érent en religion, comme
sa famille, il courait risque de mourir sans sacrements. Gounod
prodigua à ce pauvre jeune homme ses visites, ses bonnes pa-
roles, les marques de sa tendre affection ; mais quand il touchait
à la question religieuse, le malade se taisait ou changeait de
conversation. La fin approchait, Gounod, sachant que lui seul
pouvait obtenir, à l'heure suprême, le consentement du mourant
à recevoir le prêtre, avait exigé des parents la promesse qu'on
viendrait le chercher, au premier symptôme alarmant, fût-ce
au milieu de la nuit. Une nuit, en effet, on sonna à sa porte ; le
malade était en crise violente, il n'y avait pas de temps à perdre.
— Quoique déjà vieux et souffrant, le maître se leva sur-le-
champ, s'habilla à la liâte et courut chez le moribond : l'infor-
tuné venait de rendre le dernier soupir.
Gounod pria et pleura sur lui, consola ses parents, rentra
OOUNOD
305.
exténué de fatiofue, offrant à Dieu pour le salut de cette pauvre
âme sa nuit sacrifiée, sa santé compromise, et son regret d'avoir
été appelé trop tard pour le préparer au grand voyage.
Cette bonté du grand artiste n'allait jamais jusqu'à la fai-
blesse, quand le devoir était en jeu. Un de ses collègues de
l'Institut, dînant un jour chez lui, s'était permis une parole
plus qu'inconvenante sur la personne sacrée de Jésus-Christ.
Gounod, sans se départir de la plus exacte politesse, l'arrêta
d'un geste et d'un mot : « De grâce, lui dit-il, respectez devant
moi et chez moi Celui que j'adore et que j'aime comme un Dieu. »
Puis, brisant net, il adressa la parole à un autre convive, et la
conversation reprit son cours un moment interrompu,
J'arri ve aux derniers temps de cette belle et grande existence.
Gounod venait d'atteindre sa soixante-quinzième année, sans
infirmités, sans diminution de son intelligence, de son activité,
de la jeunesse d'esprit et de corps. Il était en pleine possession
de sa gloire, et, quoiqu'il en parût presque désintéressé, on
pouvait croire qu'il en savourait les secrètes douceurs. L'heure
de l'épreuve décisive allait sonner.
Au mois de juin 1892, une congestion subite toucha sa tête
puissante, et menaça un moment sa vie. Les traces en disparu-
rent ra{iidement, mais elle le laissa atteint dans une paiiie de
sa vue, et le condamna de ce jour à mille précautions nouvelles
pour lui. Il fallait renoncer à tout travail, à toute composition,
à l'usage même de ses jeux; plus de lectures, ni d'écritures^
pas d'Institut, de théâtres, de visites, de distraction ou d'amitié;
avec cela, un régime sévère; en un mot, le renoncement aux
habitudes de toute sa vie.
Il embrassa d'un seul coup d'oeil l'étendue de ce sacrifice, et
il l'accepta avec une force et une sérénité d'âme qui étonna
jus(ju'à l'admiration ses amis, ses parents et même son entourage
intime. Cette admiration eiit été plus grande encore s'il ne leur
avait d'abord caché le fond de sa pensée. Pendant que Scs pro-
ches dissimulaient devant lui la gravité de son mal, leurs inquié-
tudes pour l'avenir, lui, dissinaulait devaut eux ce qu'il pensait,
ce qu'il sentait de lui-rnêrae.
Mais à quelques amis chrétiens comme lui, il confia dès les
premiers jours qu'il se savait touché à fond, et de ce moment,
il considéra la vie comme une préparation à la mort. Il me le
dit à moi-même, presque au lendemain de l'accident, et il
ajouta que la résignation lui était facile et son attente du dé-
306 ANNALES CATHOLIQUES
noûraent sans mérite, parce qu'elle était sans appréhension.
€ Loin de ntie plaindre à Dieu de ce qu'il m'a enlevé, me dit-
il, je suis plutôt tenté de l'en lemercier et de me plaindre de ce
qu'il m'a laissé. J'ai accompli ma tâche et je vois approcher
avec bonheur le moment de retourner à Dieu, » et il redi-
sait avec une merveilleuse douceur sa parole favorite : c Moa-
rir c'est sortir de Vexislence pour rentrer dans la vie. »
Cette sérénité joyeuse ne se démentit pas un instant, et quand
je le revis quatre mois plus tard, à mon retour de campagne, je
le trouvai plus épanoui, plus heureux que jamais. C'était le
4 novembre, jour de la saint Charles, toujours fêté par ceux
qui l'aimaient. Nous déjeunâtues chez lui à Montretout et, tout
le temps, il se montra d'une gaieté charmante. A table, il de-
mandait à sa femme s'il pouvait manger de tel ou tel mets, et
en cas de refus, il assaisonnait son obéissance d'un bon sourire
et de quelque aimable plaisatiterie. Le docteur Blanche, son
vieil ami, était du déjeuner: ni Tun ni l'autre ne se doutaient
que le médecin dût partir avant le malade. La mort a de ces
ironies.
Je remportai de cette fête de saint Charles, la dernière que
Oounod dût célébier sur la terre, une impression de paix pro-
fonde, d'espérance sereine et de tendre admiration.
Il parut se remettre, et le printemps suivant le trouva de-
bout, en apparence rétabli, presque rajeuni. « Gounod a dix-
huit ans >, me disait en souriant un de mes enfants qui l'avait
TU en septembre, un mois avant sa mort. Mais lui ne s'y trooa-
pait |ias.
Je n'ajouterai plus, pour terminer cette rapide exquisse, que
quelques mots touchatits oii se retrouvent jusqu'au bout la foi
et la charité de sa grande âme.
« La dernière fois que je le vis, me dit une de ses vieilles
amies, il fit devant moi une méditation à haute voix sur le
Pater ; je ne puis en redire les paroles, mais je me souviendrai
toujours de ses yeux pleins de larmes et de son regard qui sem-
Itlaii lire dans l'infini ce que 8a bouche me disait. — Il me dit
aussi, à propos de la douleur rhumatismale qui le tourmentait
cruelletnent : c La Fouflrance est la porte la plus sûre par la-
quelle Dieu entre dans notre âme. Aussi devons-nous la lui <m-
vrir bien grande, en aimant de tout notre cœur les maux qu'il
nous envoie. >
Parlant du Purgatoire une semaine avant sa moit, il rendit
UN VAILLANT PORTB-CROIX A LAUZERTB 307
grâces à Dieu devant sa fille < de cette divine invention qui
donne à l'àme l'amour dans la souffrance, souffrance expiatoir©
qu'elle ne voudrait pas ne pas souffrir, parce qu'en épurant
l'âme pécheresse, elle la prépare à voir Dieu. ^
Et le lendemain matin, 15 octohre, le jour même oii il fut
frappé, entendant critiquer un peu trop vivement devant lui ana
personne amie, il prononça d'un ton de doux reproche, cette
parole vraiment évangéliciue :
« Allons, tâchons de ne voir les défauts des autres qu'à tra-
vers leurs qualités, et de voir nos qualités à nous, qu'à travers
nos tléfauts. »
Cette leçon de charité fut la dernière qui sortit de ses lèvres,
fermées peu d'heures aptes par la paralysie et la mort.
Moins iiitéreï<sante que ses chefs-a'œuvre, elle lui servira
plus devant Dieu, et peut-être même vivra-t-elle dans la mé-
moire de ceux qui prisent la bonté à l'égal du ^énie. {Univers.)
Marquis de Ségur.
UN VAILLANT PORTE-CROIX A LAUZERTE
[Histoire vraie.)
I
Connaissez-vous Lanzerte dans le midi de la Francp.? Non,
n'ost-ce pas? Je crois même que vous vous coiis^olez sans peine
de cette lacune dans vos notions géojjiaphiques. Eli bien, vous
avez tort; car c'est une petite ville qui mérite un rang et ua
nom dans l'histoire, et voilà pouniuoi elle se permet, à son
tour, de se consoler de votre ignorance.
Son nom lui vient-il de la famille des le'zards qui s'étaient
oichés dans les trous du rocher sur lequel elle est bâtie? Les
Tieillards le disent. C'est pour cola, d'ailleurs, qu'elle porte un
lézard — lacerta — dans ses armes qu'un peintre a reproduites
naguère tant bien que mal au-dessus de la porte de la luaiiie.
Ces armes parlantes sont ornées du chef cousu de France et
ont, en outre, sur champ de gueules, trois tours maçonnées
d'argent à dexire, et une croix trériée d'or à senestre.
Elles racontent ainsi aux enfants qui giamlissent et qui veu-
lent s'instruire le rang que la ville occupa dans les annales du
pasbé.
308 ANNALES CATHOLIQUES
Le chef cousu de France proclame son attachement à l'an-
cienne royauté. Les trois tours disent sa puissance qui ne vit
plus que de souvenirs, et sa croix raconte sa foi qui n'est pas
morte, mais qui est peut-être légèrement endormie.
Cette puissance rappelle surtout le souvenir d'une sénéchaus-
sée qui avait une immense juridiction aux alentours, et cette foi
qui sommeille pourrait évoquer des ombres de l'oubli de
grandes figures ecclésiastiques, religieuses, monacales, qui ne
sont pas sans gloire. Aussi, les rares savants qui visitent Lau-
zerte voient avec plaisir son château, sa barbacane, sa brèche
et son carnel.
Le vieux château contiendrait encore, paraît-il, des restes du
manoir seigneurial que Raymond VII, comte de Toulouse, bâtit
là jadis, pour en faire un rendez-vous de chasse, nu milieu de
vallées riantes d'aspect et luxuriantes de végétation.
La barbacane aurait servi à la défense de la ville pendant la
guerre des Anglais.
La brèche leur aurait un jour donné accès dans la ville vain-
cue, et le carnel ou charnier aurait reçu les cadavres de ses
ennemis que l'on avait enfin repoussés et ignominieusement
chassés d'un nid d'aigle qui n'était pas fait pour eux.
Les archéologues voient aussi avec intéiêi les restes de plu-
sieurs monastères qui, avant la Révolution, abritèrent, là,
comme ailleurs, l'innocence, la prière et la vertu.
Aujourd'hui, l'église de Notre-Dame nous rappelle un couvent
de Caimes qui ont lais^sé à la postérité l'exemple d'un courage
héroïf^ue au moment de la grande tourmente, et à l'art un ma-
gnifique rétable, dans le goût espagnol, qui est une vraie mer-
veille pour une petite ville.
Au bas du château, on remarque une masure entourée d'un
jardin potager, laquelle fut, à la même époque, la demeure de
quelques religieux capucins.
La mairie occupe l'ancien monastère des Mirepoises, et la
gendarmerie, celui des Clarisses.
C'est dire que sur bien des murailles de Lauzerte, comme
ailleurs, on pourrait écrire, si l'histoire n'avait des lois inéluc-
tables devant lesquelles il faut forcément s'incliner, la protes-
tation du doux Virgile :
Sic vos nonvobis melli/îcatts, opes (1).
(1) C'est ainsi, abeilles, que vous faites du miel pour d'autres que
pour vous.
UN VAILLANT PORTE-CROIX A LAUZERTE 309
C'est dire aussi que ce n'est pas en vain que les saintes
abeilles du lieu firent du miel dans leurs cellules. Le fait que
je veux raconter tout à l'heure le prouvera.
II
Mais faisons mieux connaître le site.
Si la gloire n3 l'a pas consacré, et si les dictionnaires et les
guides ne le signalent pas à l'attention des touristes, il n'en
mérite pas moins l'admiration des voyageurs qui le rencontrent
sur leur route.
Dans tous les cas, les habitants en sont fiers et c'est une de
leurs joies de contempler du haut des promenades qui l'entou-
rent les gracieuses vallées qu'il domine. Le spectacle ne varie
guère : il est peut-être monotone, mais, quand pour le plaisir
des yeux, on n'a ni monuments, ui musées, il faut bien se con-
tenter de la campagne.
La nature, du reste, n'est-elle pas le plus beau musée du
monde? C'est le bon Dieu qui l'a meublé, et l'horizon de Lau-
zerte, orné, comme il l'est de tout côté, de vieux castels déman-
telés, de clochers essorant au milieu de la verdure, de villages
blancs émaillant les collines voisines, et de rubans multicolores
dessinés par des ruisseaux et des rivières, des sentiers et des
routes, n'est pas sans charme et sans poésie, surtout quand il
est éclairé par un brillant soleil.
Faut-il mentionner, an passage, les macarons que produit le
pays? Pourquoi pas.
Ce petit paiu des heureux — le mot rnacar, macaros qui, en
grec, veut dire heureux^ doit, je suppose, entrer pour quelque
chose dans l'étymologie de cette friandise faite de sucre et
d'amandes — ce petit pain des heureux, dis-je, est-il aussi
célèbre là qu'a Nancy?
Je l'ignore, je sais seulement qu'il est estimé partout oii il
paraît, et qu'il a été goiité avec plaisir par des bouches augustes
à Paris, à Rome, à Saint-Pétersbourg, peut-être même à Berlin,
oii cependant il ne doit pas y avoir, à mon sens, de dents dignes
de le croquer.
Je sais en outre que lorsqu'il n'est pas dénaturé, quand il est
pétri consciencieusement suivant les principes de l'art que se
transmettent les grand'mères de génération en génération, il
mérite la réputation qu'on lui a faite à cent lieues à la ronde.
310 ANNALES CATHOLIQUES
Aussi, si jamais la modeste cité qui doit soa berceau à Ray-
mond VII vient à disparaître, si un jour, dans les âges futurs,
les barbares de l'avenir viennent semer le sel sur les ruines :
Li, talent avertite casum ! (1)
alors que les pâtres et les archéologues seuls prononceront son
nom, alors surtout que les lézards habiteront ses décombres,
comme leurs ancêtres habitèrent ses fondations, le souvenir de
Laiizerte vivra encore dans la mémoire de nos arriére-petits-
neveux.
Une gourmandise sauvera de l'oubli le nom d'une ville qui
luit au vieux soleil des cieux, coquettement assise à la cîrae d'un
macaron granitique et qui aux approches du xx« siècle n'a pas
encore de chemin de fer, bien (ju'à la veille des élections légis-
latives, tous les candidats à la députation lui en promettent un
éivant l'août .. foi d'Iiomrae politiijue!
Cependant — et c'est là que je veux arriver — bien qu'elle
soit Comme les peuples heureux, bien que comme eux, elle n'ait
pas a'hisioire, il y a, dans ses annales, que les vieillards se
racontent entre eux, il y a des faits qui pourraient aii8si, et
mieux en^^ore qu'un gâteau populaire, conserver son souvenir
inta<^t au milieu des bouleversements de l'humanité.
En voici un qui mérite d'être raconté aux enfants petits et
grands.
{A suivre.) . Abbé H. Cailhiat.
LE PORTEFEUILLE DE LOUIS VEUILLOT
Nous lisoa-< dans l'Univers, sous la sigaature de M. Eug. Veuillot :
Louis Veuillot s'est toujours promis d'écrire pour lui € son
journal ». C'est une promesse que se font volontiers les homme*
qui ont beaucoup à entendie et (pielque chose à dire. Mallieu-
reupement, ces horatnes-là étatit d'ordinaire très occupés, trou-
vent difficilement le temps de se tenir parole. Ainsi en est-il
arrivé (lour mon frère.
Je u'ai donc pas ce journal resté pour ainsi dire à l'état de
projet, mais j'ai des pHges écrites ou dictées aiirés d'importantes
couTetsatious. J'en donnerai quelques-unes aujourd'hui.
(1) Dieux, épargnez-nous un tel malheur (Virgile).
I
LK PORTIFBUILI.E DE LOUIS VEUILLOT 311
En décembre 185', le grand évêi|ue de Poitiers, Mgrr Pie,
Tient à Paris pour prendre langue près de diverses personne»
et 8'expliquer avec le ministre des cultes, M. Fortoul, et même
avec l'Knjpereur, sur un blâme dont il avait été officiellement
frappé, au sujet d'une lettre synodale ou il avait jugé en évênoe
la politique de Victor-Emmanuel. La note suivante de Louis
Veuillot se rapporte à ce voyage :
« L'évêijue do Moulins est venu dans la soirée. Il a une fermeté
étroite et un légitimisme encore plus étroit, qui l'ont mis dans
de fàrheuses affaires avec son clergé et aveo. le gouvernement.
Il voit avec peine l'évê jue de Poitiers s'éloigner de la voie poli-
tique où il se trouve lui-même si mal. L'èvêque de Poitiers ne
lui a pas du tout déguisé son désir de se dépêtrer et sa lésolu-
lution, s'il le fallait, de se dcbourhonniser. Il lui a dit, en le
consultant sur différentes règles d'étiquettes, qu'il irait voir le
lendemain l'Empereur. — Ah ! ali ! fit Mgr de Brézé. — Ma foi,
répondit l'èvêque rie Poitiers, d'abord les intérêts de mon dio-
cèse m'y oliligetit. Et puis, je ne veux pas arriver à Rome avec
une couleur d'opposition, parce qtie je n'y réussirais à rien, —
Monseigneur, reprit révêijue de Moulins, vous me demandier
s'il faiii avoir des gant.* : jumais devant un souverain, jaruais. »
Je dois noter ici que Mgr Pie, malgré ses hé.-itations d'alors,
De se débourbonnisa point. La poliii(jue de Napoléon III deve-
nait telle qu'elle lui en fil passer l'idée.
Les pages suivantes sont presque de la même date que les
précédentes :
« Evêi/ua d'Amiens (Mgr de Salinis). Derniers jours de dé-
cembre (1855). — L'èvêque d Arai^ins est venu à Paris pour
Taliaiie de sa translation à l'archevêché d'Auch. Nous aurions
voulu, du Lac et moi et quelques autres de ses amis à qui il en
a parlé, qu'il restât sur son siège, plus voisin et lui permettant
mieux de suivre les iniérêtsde la cause romaine. Mais ce chan-
gement lui sourit. Il sera dans .>;on pay«, dans sa famille, il est
connu du clergé d'Auch, où il compte beaucoup d'anciens com-
pagnons d'études qui lui sont restés attachés. Un saint piêire da
diocèse et qui fut le principal instrument de la reconstruction
Hprés les désastres de la première république, l'avait toujours
désiré, et est mort en le désirant et presqu'en l'annonçant. Enfin,
raison pius grave st dét2rn:::2ant,e, l'intérêt de la province lout
312 ANNALES CATHOLIQUES
entière exige un métropolitain aussi dévoué que lui dans toutes
les questions qui intéressent le Saint-Siège; et le nonce est
d'avis qu'il accepte.
« E.i quittant son Eglise, il n'a pas voulu l'abandonner, et il
a fait condition à Fortoul qu'il aurait le choix de son successeur
ou que, du moins, on n'en choisirait pas un sans son avis ou
contre son avis. Il propose l'abbé Caire, son ami de tout temps,
ou l'abbé de Ladoue, son élève et aujourd'hui son vicaire général.
€ Le bruit parmi les ennenais est que cette transition est une
disgrâce à laquelle on attribue deux causes : la première, que
Fortoul, jaloux de son influence, désire l'éloigner; l'autre, que
l'EmpertJur veut l'écarter parce qu'il a saisi une lettre de lui
au comte de Charabord. Deux sottises qui se contredisent. Il
n'est pas du caractère de l'évêque d'Amiens de se mettre mal
avec un ministre tant soit peu supportable, et encore moins
d'écrire une lettre compromettante. Il a la petite faiblesse de se
dire légitimiste, parce qu'en efFdt, il l'a été plus ou moins, mais
il ne prouve pas qu'il le soit, et surtout il ne l'écrit pas.
« Du reste, il a vu l'Empereur qui l'a, comme de coutume,
très bien reçu. 11 lui a dit: j'ai vu l'archevêque d'Auch(l), il
m'a dit qu'Auch n'était pas un siège fait |)Our vous; ijue c'est
Bordeaux qu'il vous faudrait. Je trouve, en effet, qu'Auch est
bien petit et bien loin; mais je n'ai pas Bordeaux à donner,
Voyez donc. Monseigneur, si vous voulez aller là bas; je n'en ai
pour ma part aucun désir; faites à votre gré. — Il lui a répondu
que, personnellement, Aiich lui conviendrait et qu'il ne deman-
dait qu'une chose, c'était de subordonner sa décision à la
volonté du Pape qu'il allait consulter. Abordant ensuite d'autres
questions, il parla en évêiiue: « Sire, dit-il, après les précau-
tions oratoires voulues, je dois vous confier f|u'il y a dans le
cœur des catholiques beaucoup d'alarme. C est parmi eux. je
l'ose dire, que sont vos meilleurs et vos plus siirs amis; néan-
moins ils s'inquiètent et conçoivent quel(|Uefois une soite de
désespoir. — L'Em[)ereur, attentif, lui en demanda la cause. - -
« C'est, reprit l'évêiiue, qu'il y a autour de vous des hommes
capables de nous effrayer et de nous décourager. Nous avons
pleine confiance en vous. Nous savons combien vous êtes bon,
juste, ferme, quels nobles sentiments, et quels grands désirs
sont dans votre cœur. Mais les hommes dont je parle sont loin
de vous ressembler.
(1) Mgr de la Croix, démissionnaire.
LK PORTEFEUILLE DE LOUIS VEUII.LOT 313
€ Ils ne comprennent rien à la mission que vous avez reçue de
Dieu, et c'est encore peu de chose. Ils jettent sur votre goa-
vernement une ombre d'improbité toujours funeste. Sans parler
de leurs moeurs, point, cependant, qu'un souverain ne doit pat
négliger, on les accuse d'avoir les mains dans de fâcheuses
affaires. Ils s'enrichissent beaucoup par des moyens que Votre
Majesté ne piîut approuver. Permettez à un évê(|ue qui voa«
aime de le dire franchement, sire, c'est un grand danger pour
vous et pour nous. Les Français se plient volontiers sous I»
main qui gouverne, mais ils veulent qu'elle soit pure. Ce»
mains-là ne le sont pas. Il faut vous débarrasser de cela, sire.
Voilà l'imi'ératrice à la veille de vous donner un héritier. Ce
sera un grand événement qui consolidera votre sécuiité et nos
espi'îrances ; ce sera une grande grâce de Dieu. Il faut la recon-
naître et répondre à l'émotion des cœurs eu faisant quelque
chose qui satisfasse le vœu des honnêtes gens. » L'Empereur
remercia l'évêfjue des avis qu'il lui donnait, lui promit â'j
réfléchir et ajouta : « J'ai déjà songé à ce que vous me dites; il
n'est pas si facile que vous croyez de trouver des honnêtes
gens. J'ai autour de moi des hommes que j'ai été forcé de
prendre, faute d'autres que j'ai appelés après le Deux Décembre
et qui ne sont pas venus ou qui se sont écartés. »
« — Je vous en conjure, sire, pensez-y. Les plaintes que je
vous adresse sont réelles, les sentiments que je vous exprime,
je les ai trouvés dans la bouche des hommes les plus dévoués,
et dévoués avec le plus de désintéressement, à votre personne
et à votre mission. Votre Majesté connaît le nom de M. Louif
Veuillot.
€ — Assurément, dit l'Empereur attentif, je connais son talent,
je sais ce que vaut son caractère.
c — Eh bien, sire, lui-même me disait hier ce que je viens de
vous rapporter. Il lui conta alors avec assez 'le détails l'inier-
vention de Collet Miygret dans les polémi(iues de l'Univers
avec le Siècle, et coanuent V Univers qui défendait pourtant la
religion, la justice et l'empereur, avait àù braver un avertisse-
ment pour ne pas laisser honteusement le dernier mot à se»
adversaii'es.
€ Sur cette question delà défense de la religion et de la protec-
tion que le gouvernement doit lui donner, l'empereur dit queîa
marche à suivre dans l'intérêt même de l'Eglise paraissait bieit
difficile et bien ténébreuse. < Vous voyez, dit-il, mouseignear.
314 ANNALES CATHOLIQUKS
ce qui est arrivé de notre temps : sous la Restauration, la reli-
gion était protégée par le pouvoir et en baisse dans le pays. Sous
Louis-Philippe, elle était livrée à toutes les attaques, elle a fait
des progrès. >
€ C'est, dit l'évèque, qu'elle a été fort mal protégée sous la
Restauration, et qu'une protection inintelligente est encore pire
qu'une hostilité ouverte. La Restauration était un gouvernement
inepte, à qui la Providence avait tout mis dans les mains et qui
a tout laissé tomber. Sa conduite envers la religion qu'elle vou-
lait défendre a été absurde, comme sa conduite envers les enne-
mis contre lesquels elle avait à se défendre elle-même. La pro-
tection était toute d'apparence et de fareur, mais en même temps,
on liait les mains à l'Eglise et on l'opprimait. On envoyait des
gendarmes pour protégerquelques prédications de missionnaires,
et on traduisait devant le conseil d'Etat un évêque qui, ayant
reçu un Bref du Pape pour des indulgences, avait usé le publier.
Les évêques étaient reçus à la cour avec faveur et on leur dé-
fendait d'aller à Rome. On leur accordait toutes les grâces per-
sonnelles qu'ils pouvaient demander et on réduisait le nombre
des élèves dans de petits séminaires; quelques petit» séminaires
même étaient fermés: on fermait enfin les écoles des Jésuites.
Ainsi une protection personnelle pour les prêtres, aucune liberté
pour l'Eglise. Ce n'est pas ainsi que l'on protège la religion : et
le régime pervers et détestable de Louis-Philip[te valait cepen-
dant mieux, parce qu'il y avait plus de liberté. Cent la liberté
de l'Eglise, sire, qui est la protection de l'Eglise. N'accordez
aucune faveur aux évêques pour leurs protégés, pour leurs pa-
rents ; refusez même durement ceux qui en solliciteraient, mais
maintenez et étendez la liberté de l'Eglise, et elle vous fera
beaucoup de bien et aucun mal. En même temps, usez légiti-
mement de votre pouvoir pour empêcher que la religion soit
chaque jour diffamée et vilipendée par les journaux au milieu
de ces populations ignorantes dont nul pouvoir ne pourra plus
tirer parti loi-squ'elles seront irréligieuses. »
« Dans le cours de la conversation, l'empereur eut occasion
de parler du comte de Chambord et de ses idées politiques. « J'ai
là, dit-il, une lettre curieuse du général Lamoriciére à un d©
ses amis à qui il rend compte de sa dernière visite à Frohsdorff.
Le comte de Chambord lui a dit: « Bonaparte a pour lui le
clergé, l'armée et les paysans ; moi je m'appuierai sur les classes
éclairées et je leur donnerai la liberté qui leur manque. » —
LETTRK DE LEON XIII AUX ÉVÉQUES d'eSPAGNK 315
« Eb bien, sire, dit en souriant l'évêque. Monsieur le comte de
Chambûi'd se prépare là un joli avenir !» — « Oui, reprit l'em-
pereur, il ira loin. »
« La conversation a duré plus d'une heure et l'évêque en est
revenu foi-t content. Je l'ai féli'îité d'avoir su dire la vérité au
maître, car c'est du moins un avantage qu'il la connaisse, mais
j'ai bien dû observer qu'au fond de tout cela il n'y avait rien de
positif et que nous restions dans les mains de... et autres, mains
démoci'ates, mains tripoteuses, etc. L'évêque en est convenu,
ajoutant qu'il fallait pourtant avouer que tout ce qui est de l'em-
pereur personnellement est ferme, sensé, droit et sujet d'espé-
rance. C'eî«t vrai. »
J'ai mi^i dans ce dernier paragraphe des points à la place des
noms propies. Je puis cependant nommer dés à présent un de
ces personnages, celui en qui Louis Yeuillot, ne l'accusant pas
de tripoter, voyait un démociate, c'est-à-dire un révolution-
naire particulièrement hostile aux droits de l'Eglise: c'était
M. Billaut. Ce fut ce même M. Billaut qui contresigna en jan-
vier L^59 comme ministre de l'intérieur, le décret de suppres-
sion de l'Univers.
LETTRE DE SA SAINTETE LEON XIII
PAPE PAR LA DIVINE PROVIDENCE
Aux Evêques d'Espagne
A nos Vénérables Frères les Archeoèques
et Evêques d'Espagne.
LÉON XIII, PAPE
Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.
C'est avec un grand zèle et une non moindre vigilance,
vous le savez, que, aussitôt arrivé au gouvernement su-
prême de l'Eglise, Nous Nous sommes appliqué à défendre
et à développer dans votre pays la foi catholique, et, sur-
tout, à affermir la concorde des âmes, à exciter dans le
cler;j;é une féconde émulation. Aujourd'hui, animé pour
vous du même zélé. Nous avons tourné Notre pensée vers
vos jeunes clercs, et Nous avons voulu, d'accord avec
TOUS, contribuer en quelque manière à leur éducation.
316 ANNALES CATHOLIQUES
Nous voulons que ce soit là an nouveau gage de la pa-
ternelle bienveillance dont Nous avons accoutumé de
TOUS entourer tous. Et certes, c'est justice, car Nous n'ou-
blions pas l'histoire d'Espagne et Nous n'-gnorons pas votre
souveraine et immuable constance dans la foi de vos pères
et dans l'obéissance au Saint-Siège. Telle est la principale
cause à laquelle le nom espagnol doit le comble de gloire et
d'influence qu'attestent les monuments de l'histoire. Nous
nous rappelons aussi, ce que Nous voulons spécialement
noter ici, qu'au milieu de Nos amertumes, des consolations
BOMibreuses et très souhaitables Nous sont souvent venues
d'Espagne. Il nous est donc très agréable de répondre ré-
ciproquement à l'affection que manifestent vos bons offices.
Eclatante a été dès longtemps l'effiorescence du clergé
espagnol dans les sciences divines et dans les belles- lettres;
il a contribué grandement par ses qualités à la grandeur
de la foi chrétienne et au nom de sa pati ie. De même ils
n'ont pas manqué les hommes distingnés qui, assumant le
patronage des ans les plus excellents, leur ont apporté
l'appui propre aux circonstances. Ils n'ont pas manqné non
plus, les esprits bien doués pour l'étude de la philosophie
et de la théologie, comme pour le culte des lettres.
Nous savons combien ont fait, pour l'accroissement deg
études doctrinales, et la libéralité des rois catholiques, et
les travaux et la sollicitude des évêques. Le Saint-Siège a
joint des encouragements de toute sorte, afin que ni la lu-
mière de la philosophie, ni l'éclat d'une civilisation avan-
cée ne manquassent à la sainteté des mœurs chrétiennes.
En ce genre, des hommes auxquels il en est peu qu'on
puisse comparer, François Suarez, Jean Lugo, François
de Tolède ei surtout i''rawpoùXzme;ièy vous ont transmis
comme un insigne patrimoine de gloire.
Sous la direction et les auspices des Pontifes romains,
Xiiupnès put atteindre à une telle hauteur d:- doctrine qu'il
en éclaira non seulement l'Espagne, mais toute l'Europe,
surtout lorsque fut établie l'université d'Alcala, oîi les
jeunes écoliers, c au milieu de l'Église de Dieu, bxillant
LBTTRB DB LÉON XIII AUX ÉVÊQUES d'eSPAGNK 2t7
comme les étoiles du matin, par l'éclat de la sagesse, pus-
sent éclairer les aat^^es dans la voie de la vérilé » (1 ).
De cette mwisson cultivée avec tant de zèle et d'habileté,
sortit la cohorte de docteurs illustres qui, convoqués au
concile de Trente par le Pontife romain et par le roi catho-
lique, remplirent excellemment l'attente de tous les deuX-
II n'est pas étonnant, d'ailleurs, que l'Espagne ait vu naître
tant de si grands hommes; car, sans parler de la vigueur
naturelle des esprits, on y trouvait des secours et des ins-
truments merveilleusement propres à faciliter la perfection
des études. Il suffit de rappeler les grandes Universités
d'AIcala et de Salamanque, qui, sous l'œil vigilant de
l'Eglise, furent d'illustres foyers de la science chrétienne-
Leur souvenir se joint tout naturellement à celui des col-
lèges qui fournirent un lieu commun de réunion à des
ecclésiastiques remarquables par leur talent et par leur
amour de la science.
Maintenant, au contraire, Vénérables Frères, vous avez
sous les yeux le désastre des temps postérieurs. Au milieu
des révolutions, qui, au siècle dernier et pendant celui-ci,
ont bouleversé toute l'Europe, on a vu renversées comme
par une violente tempête et détruites jusqu'aux fondements
ces diverses institutions, fondées pour faire fleurir la science
et la foi, par les soins et les ressources des pouvoirs royad
et ecclésiastique.
Les Universitiés catholiques et leufs collèges ayant ainsi
disparu, l'on rit s'éclipser les sémiHaires eui-mêmes^i^u
défaut de cette science qui découlait si abondamment de
ces grandes écoles. Ajoutons qu'ils n'auraient pu conserver
leur ancienne splendeur, au milieu des guerres civUes et
des troubles qui, plus d'une fois, détoirnèrent des études
les forces des citoyens.
Le temps vint où le Saint-Siège, ayec l'accord du pou-
voir civil, mit ardemment ses soins à arranger les affaires
ecclésiastiques bouleversées par les tempêtes précédentes,
(1) AIffzaDdra VI, belle Inter cœUras, ide* d'avrii 11*99.
318 ANNALBS CATHOLIQUES
Mais sa sollicitude se tourna de préférence vers les sémi-
naires diocésains, car il était aussi bien de l'intérêt privé
que de l'intérêt public que ces foyers de la piété et de la
science fussent rétablis dans leur ancien état.
Or, vous savez que la réforme ne s'accomplit pas absolu-
ment selon le plan arrêté. Ni les ressources n'étaient suffi-
santes, ni le programme des études ne pouvait refleurir
avec l'espoir d'atteindre à la gloire passée, parce que la
disparition des anciennes Universités avait produit la pénurie
de professeurs.
Cn accord intervint donc entre les deux puissances su-
prêmes pour fonder dans certaines provinces des séminaires
générauXy étant convenu que ceux d'entre leurs élèves qui
auraient fait tous les cours des études théologiques seraient,
suivant l'ancien usage, admis aux grades académiques.
Mais nombre d'obstacles ont empêché et empêchent aujour-
d'hui encore qu'en fait ces conditions soient réalisées.
Ainsi, maintenant qu'a disparu le secours des universités,
il manque beaucoup de ces adjuvants sans lesquels un clere
peut difficilement aspirer au complet et souverain honneur
de la science. C'est pourquoi il n'y a qu'une voix et un avis
chez tous les hommes sages, à savoir qu'il faut perfectionner
et compléter le programme des études dans les séminaires.
Cela Nous est à grand souci, surtout lorsque Nous consi-
dérons les exemples de Nos prédécesseurs, qui n'ont laissé
échapper aucune occasion de favoriser les hautes études.
Mais leur grande sagesse a brillé principalement en ce point
qu'ils ont toujours attiré les élèves ecclésiastiques vers cette
ville, centre de la foi catholique, et qu'ils ont cherché aies
réunir dans des collèges. Ils s'y sont appliqués avec plus
d'ardeur chaque fois que ces jeunes gens trouvaient dans
leur patrie moins d'appui pour leurs travaux, ou que péri-
clitait l'orthodoxie de l'enseignement, publiquement sous-
traita la vigilance de l'Eglise.
C'est pour ce motif qu'ont été fondés à Rome plusieurs
collèges oij les jeunes gens étrangers ont coutume de se
rendre pour y faire les études sacrées. Et ils le font à ce
LETTRE DE LÉON XIII AUX ÉVÊQUE8 d'esPAGNE 319
dessein qu'une fois revêtus du sacerdoce, ils emploient pour
le bien commun de leurs concitoyens les trésors de l'esprit
et du cœur amassés dans la Ville éternelle. Comme cet usage
a produit et donne toujours en abondance des résultats sa-
lutaires, Nous avons pensé que Nous-mêmes ferions une
œuvre de tous points excellente en augmentant le nombre
de telles institutions; de là vient que Nous avons ouvert à
Rome un séminaire pour les Arméniens, un pour la Bohême,
et Nous avons pris soin de rendre à celui des Maronites son
ancienne dignité.
Or, Nous supportions avec peine que, parmi cette foule
déjeunes gens, ceux originaires de votre pays ne fussent
pas en aussi grand nombre. C'est pourquoi, dans l'espoir
d'obtenir un résultat utile, Nous avons formé le dessein de
faire que le collège romain des clercs espagnols, fondé
naguère grâce à la sage industrie de prêtres remplis de
piété, non seulement s'affermisse, mais puisse s'accroître
promptement.
Il Nous plaît donc qut tous les sujets de la Péninsule
ibérique et des îles voisines soumises au roi catholique,
rassemblés dans ce collège, y soient placés sous Notre auto-
rité, et que, vivant en commun, sous la direction d'hommes
sages et choisis, ils se livrent aux études qui parfont excel-
lemment l'éducation du cœur et de l'esprit.
Nous jugeons que cette œuvre trouvera un siège et une
demeure appropriés dans le palais appelé Altemps, du nom
des ducs ses anciens maîtres, qui est devenu Notre pro-
priété et celle du Saint-Siège, d'autant plus que cet édifice
est illustré par le sanctuaire du Pontife martyr, Anicet,
dont les cendres sacrées y reposent, et aussi par la mémoire
de Charles Borrotnée^ qui y demeura.
Nous accordons et Nous attribuons la jouissance et l'usu-
fruit de ce palais au collège des évêques d'Espagne, à la
condition pour eux d'en user afin d'y recevoir et loger les
clercs de leurs diocèses qu'ils auront résolu d'envoyer à
Rome y faire leurs études — ainsi que Nous l'avons dit.
Et afin que Nos projets se réalisent plus vite, pendant le
320 ANNALES CATHOLIQUES
temps nécessaire pour élever les cons ructions et préparer
les autres choses, les élèves résideront dans une partie
déterminée, et appropriée à cet usage, du palais de l'illustre
famille Altieri.
Nous désignons les archevêques de Tolède et de Séville
^ur traiter avec Nous et Nos successeurs des affaires les
pj^ importantes du collège et, dans ce but, le supérieur de
cet .établissement devra, chaque année, référer de tout ce
qui.iîQncerne les choses intérieures du collège, la discipline
et les mœurs des élèves, avec Notre sacré conseil des étu-
dBs et par écrit, avec les archevêques susnommés ; ceux-ci,
de leur côté, auront soin de s'entendre à ce sujet avec leurs
collègues les évêques d'Espagne.
Il vous appartient. Vénérables Frères, de Nous aider
dans une telle œuvre, et cela avec autant de zèle et d'ar-
deur que l'afifaire le réclame et que le promettent vos vertus
épiscopales,
BiU attendant. Vénérables Frères, comme gage de Notre
singulière bienveillance. Nous vous accordons très tendre-
ment dans ie Seigneur la Bénédiction Apostolique, ainsi
qu'au clergé et aux fidèles confiés à vos soins.
Donné à Home, près de Saint-Pierre, le 25 octobre de
l'année 1893, la seizième de Notre pontificat.
LÉON XIII, PAPE.
LETTRE PASTORALE DE S. E. LE CARDINAL RICHARD
ARCHEVÊQUE DE PARIS
Ordonnant une cérémonie de réparation à V occasion du cen-
tenaire de la profanation de l'église de Notre-Dame, 10 no-
vembre \1M, et de la profanation des reliques de sainte
Geneviève, 3 décembre 1793.
Nos très chers frères,
L'anoéd qui s'acliève a ramené pour la France de doulou-
reux anniversaires. Nous voudrions aujourd'hui méditer avec
vous devant Dieu les loçons qui ressorteat pour nous des événe-
LETTRE DE MONSEIGNEUR RICHARD 3!^
ments qui marqyèrent la un du xviii* siècle. Il est loin de
jiotre pensée de nous arrêter à des considérations de l'ordre
purement humain, bien moins encore de l'ordre politique. Notre
intention est tout autre, et au-dessus des questions qui agitent
trop souvent les hommes entraînés par leurs passions ou domi-
nés par leurs intérêts. C'est à la lumière de l'Evangile que nous
désirons jeter un regard sur des événements qui ont si profoiï-
déraent atteint l'existence de notre pajs il y a cent ans, en vous
invitant à sanctifier ce centenaire par la prière et la pénitence.
Vous connaissez tous, nos très chers frères, ce que l'histoire
nous apprend de l'attaque dirigée contre Dieu et contre l'Eglise,
jpendant un siècle entier par une philosophie i;ailleuse et incré-
dule. La foi ébranlée dans les âmes, les moeurs chrétiennes
affaiblies, les principes constitutifs de la société remis sans cesse
«n question par des sophistes ambitieux, tout annonçait les
ruines qui allaient bientôt se faire. Nous de devons pas le dissi-
muler, l'Eglise de France, sous l'influence du philosophisme et
de l'hérésie janséniste, subissait elle-même quelque défaillance;
et, si elle ne cessait pas de produire des saints, comme le Bien-
heureux de la Salle, fondateur des écoles chrétiennes ; le Bien-
heureux Grignon de Montfort, qui entraînait les populations par
sa parole ardente; de généreux missionnaires, qui portaient
l'Evangile aux nations infidèles de l'Asie et de l'Amérique; si
l'on vit, quand éclata la persécution révolutionnaire, se lever
dans son sein des légions héroïques de martyrs et de confes-
seurs, évêques et prêtres, qui préférèrent la mort ou l'exil à
l'apostasie, de salutaires réformes étaient devenues nécessaires.
Alors se renouvela ce que saint Paul a si éloquemment décrit
dans l'Epître aux Romains : des hommes non pas seulement
éclairés par la lumière de la loi naturelle, mais élevés dans le
christianisme, qui avaient appris à connaître Dieu dès leur
enfance, ne voulurent ni le glorifier, ni lui rendre grâces. Ils se
disaient sages ces philosophes, ces lettrés du xvm' siècle et ils
devinrent insensés. Ils échangèrent la gloire du Dieu immortel,
pour l'orgueil de l'homme s'adorant lui-même dans les inven-
tions vaines ou honteuses de sou esprit.
Aussi (nous parlons toujours le langage même de l'Apôtre)
Dieu les livra aux désirs de leur coeur et à d'ignominieuses pas.
.siens (1). Ce n'est pas ici le lieu de refaire l'histoire de cette
(1) ÂD RoM., I, 21, 22, 33, 25. « Quum cogaovisaent Deum, non
332 ANNALES CATHOLIQUES
année trop célèbre dont nous traversons l'anniversaire sécu-
laire. Non seulement des victimes royales, mais des hommes du
peuple, des prêtres, des magistrats montèrent sur réchafMud.
L'année douloureuse marcha vers son terme et avant qu'elle
prît fin s'accomplit sous les voûtes de notre vieille église de
Notre-Dame, la profanation sacrilège que nous venons réparer
conime chiétiens et comme Français.
Quand la France revenue à elle-même commença à poser les
fondements de sa restauration religieuse et sociale, on entendit
à la tribune française prononcer ce jugement que l'impartiale
histoire devait ratifier: c 0 temps de honte éternelle ! jour qui
semblait avoir ramené le peuple le plus doux de la terre
à la férocité des peuples les plus barbares ! Les monuments de
la religion, comme ceux des arts, se changèrent en ruines.
Dans les temples régnèrent le silence et la désolation. Les
mains sanglantes de l'athée dépouillèrent le sanctuaire que
l'hommage de tant de générations successives eût suffi pour
rendre sacré. Les pierres sépulcrales de nos familles furent
des-honorées et des courtisanes promenées en triomphe s'assi-
rent sur le marbre des autels. Dans ce délire effrayant on eût
dit que le coeur de l'homme était changé et que plusieurs siè-
cles s'étaient écoulés dans l'espace de quelques jours (1). »
La parole de saint Paul avait reçu une fois de plus son appli-
cation. Ces hommes qui avaient renié Dieu et Jésus-Christ
étaient devenus insensés en instituant la grossière idolàtiie
de la déesse Raison.
Or, N. T. C. F., n'oublions pas que ces crimes et ces folies
qui nous font horreur ont été commis par des hommes qui con-
naissaient les raffinements de la civilisation. Grande leçon pour
nous de ne pas nous endoimir dans le luxe et le confoitabie de
la vie, sans apercevoir l'abîme qui se cache sous les fleurs,
quand nous cessons de fortifier nos âmes par l'austérité de la foi
et de la morale chrétienne.
C'est donc une pensée éminemment salutaire de considérer
oii les hommes peuvent tomber quand ils s'éloignent de Dieu,
gicut Dfiim glorificaverunt aut gratias egerunt... Dicentes enim se
esse sajiiputes, stuiti facti suntet mutaverunt gloriam incorrnplibilis
Dei iD similitudiaem imaginis corruptibilis hominis... Propteiea tra-
didit illos Deus in passiones ignomioiae.
(1) Discours prononcé au Corps législatif par Lucien Bonaparte,
8 avril 1802.
LETTRB DE MONSEIGNBUR RICHARD 323
•et de réparer par nos larraes et nos supplications les outragea
que nos pères ont fait à la Majesté divine dans des jours d'égare-
mnnt. Ces» prières seront l'écho de la divine prière du Sauveur
crucifié : « Mon Père, pardonnez-leur, parce qu'ils ne savent c«
qu'ils font » (I). C'est là, en eflfet, le cri qui s'échappe des ânae«
chrétiennes. Elles ne demandent pas vengeance contre les
pécheurs; à l'exenople du Dirin Maître elles prient et s'immo-
lent pour leur conversion.
L'église métropolitaine de Notre-Dame subit la douloureuse
et sacrilège profanation, le 10 novembre 1793. Ce sera 1«
dimanche 12 novembre, que nous accomplirons notre acte de
réparation. Par une coïncidence providentielle, nous célébrerons,
ce même jour, l'anniversaire de la dédicace de nos églises de
France. Nul jour ne pouvait mieux convenir à cette cérémonie
expiatoire.
Dans la consécration solennelle de nos sanctuaires, la liturgie
chante cette triple invocation à la Très Sainte Trinité, an
moment où le pontife franchit le seuil de l'édifice sacré: « Que
la paix éternelle soit donnée par le Père éternel à cette maison!
Que le Verbe du Père soit la paix perpétuelle de cette maison!
Que l'Esprit-Saint, pieux Consolateur des âmes, donne la paix
à cette maison (2) ! » L'église est, en effet, la maison de Diea
sur la terre, où nous venons chercher la paix de l'intelligence,
la paix du coeur, la paix de la vie durant les jours de notre pèle-
rinage ici-bas.
Notre-Seigneur y demeure avec nous par sa présence réelle
dans la sainte Eucharistie. C'est aussi la demeure des saints,
nos frères, dont nous y conservons les reliques en attendant le
jour de leur glorieuse résurrection.
Un solennel hommage rendu à Notre-Seigneur, au Très Saint-
Sacrement de l'autel, et aux reliques de nos saints constituera
l'acte de notre réparation.
Après le chant des vêpres, nous ferons une procession dans
laquelle nous porterons les reliques des saints que conserve
réglise métropolitaine.
Ce sont les reliques de saint Denis, notre apôtre, le grand
(1) Lucse, XXIII, 34. « Pater, dimitte illis ; non enim eciunt quid
faeiunt. >
(2) Pont. Rom. : De Eclcesiœ dedicatione : « Fax seterna ab ./Etprne
knie domui. Pai perennis Verbum Patris ait pax huic domui, Pacem
pins CoQsolator huic prsestet domui. »
324 AMNALBS CATHOLIQUES
évêque éleré dans la civilisation de la Grèce et envoyé par le
successeur de Pierre pour porter à nos pères le symbole de la
foi, que nous redisons toujours le mênoe d«-puis dix-huit siècles,
parce que la vérité de Dieu demeure dans l'éternité* Veritas
Domini manei in œternum (1).
Après lui, nous invoquerons les saints évêques Marcel et
Germain, dont les noms sont toujours bénis dans la cité; saint
Landri, qui a tant aimé les pauvres et à qui l'Hôtel-DIeu doit
son origine ; saint Céran, le grand promoteur du culte des saints
et des martyrs dans l'Eglise de Paris.
Nous saluerons notre patronne, l'humble vierge de Nànterre,
sainte Geneviève, dont le culte est demeurés! cher à la popula-^
tion parisienne. Elle a beaucoup aimé le peuple de Paris ; elle
lui a fait beaucoup de bien en le préservant des barbares et en
le nourrissant dans la famine. La mémoire du peuple est recon-
naissante et Paris aime toujours sainte Geneviève.
A côté de cette fille du peuple, nous saluerons aussi la reine
chrétienne sainte Clotilde, qui amena Clovis et ses Francs à
saint Remy, au baptistère de Reims.
Admirable rapprochement comme il s'en fait sans cesse dans
l'Eglise où nous voyons tous les rangs de la société unis dans la
même gloire et la même charité.
Comment ne pas être profondément émus comme chrétiens et
comme Français en vénérant les reliques de saint Louis, si vail-
lant sur le champ de bataille, si doux pour son peuple, si ami
de la justice pour tous, surtout pour les pauvres et les faibles,
si pur dans sa vie, si dévoué à Notre-Seigneur et à son Eglise..
Nous retrouvons la trace de ses pas, depuis la Sainte-Chapelle
jusqu'au chêne de Vincennes.
Nous la retrouvons sur cette terre d'Afrique où la Providence
nous conduit aujourd'hui pour y porter la civili.iation chré-
tienne, si nous sommes fidèles à notre mission. Et là, près de
Tunis, nous pouvons entendre encore la dernière prière que le
saint roi mourant faisait pour son peuple: Seigneur, disait-il
sur son lit de mort, en jetant un regard vers la France, Sei-
gneur, soyez le gardien et le sanctificateur de votre peuple :
£slo, Domine, plebis tuop sancHficator et custos^
Pliera digne d'un roi qui avait gardé son peuple par l'épée et
qui l'avait sanctifié par les lois orhétiennés.
(I) P8. cxvi, 2. ' '""•'
LETTRE DE MONSEIGNKUR RICHARD 325
Il serait trop long de nommer ici tous les saints dont nous
possédons les reliijues, on qui ont. prié à Notre-Dame, depuis
les grands docteurs qui répandirent un si vif éclat sur l'antique
Université de Paris, les saint Ttionias et les saint Bmiaventure,
jus<|u'à l'angélique adolescent Pierre de Luxembourg servant à
l'autel parmi les chanoines de l'église métropolitaine et mou-
rant cardiua! à dix-huit ans.
Mais avec quel amour nous honorerons les reliques de saint
Vincent de Paul, dont l'impiété même n*a pas osé outrajrer le
nom, parce qu'il a été l'ami, le serviteur des pauvres, le prêtre
à qui rien ne |)onvait piaire, ni des honneurs, ni des richesses,
ni des délices de la rie; qui n'aimait que Nôtre-Seigneur Jésus-
Christ, qu'il s'efforçait d'imiter en toutes choses. Comment ne
ne pas l'aimer puisqu'il vit encore au milieu de nous par les
œuvres qu'il a fondées, par les Filles de la Charité et les prê-
tres delà Mission !
Nous accompagnerons toutes ces reliques précieuses, enchan-
tant le? litanies des saints. Il nous semblera voir passer au mi-
lieu de nous l'Eglise avec son cortège d'élus à travers les siè-
cles. La splendeur dont nous nous efforçons d'entourer leurs
ossements dess^-chés est une image de la gloire dont ces restes
mortels seiont revêtus au jour de la résurrection. En les sui-
vant,, nous chanterons avec le Psalmiste: Euntes ibant et
fiehant, mittentes semina sua. Ils allaient dans la vie; ils mar-
chaient, pleurant et jetant la semence des bonnes œuvres sur
leur chemin; ils sont arrivés joyeux et portant les gerb-^s d'une
riche moisson de vertus : Venientes auiem ventent cum exul-
tatione, portantes manipulos suos.
Aucune prière ne pouvait mieux convenir dans notre acte de
réparation que les litanies qui, dans leur simplicité, sont pleines
d'enseignements, puisque chaque nom de saint ra^)peile une
mémoire bénie et. des exemples consolants. Nous nous sentons
attirés, comme l'Ecrlise le fait dans celte prière, à nous approcher
du Sauveur, à la suite des saints, à invoquer le souvenir des
mystères de sa vie depuis sa naissance dans sa crèche jusiiu'à la
Croix, jus(|u'a la Résurrection et à l'Ascension. Per mysterium
sanctœ incarnationis tuœ, libéra nos. Domine. Etnon^ deman-
dons avec confiance que Dieu nous délivre des maux de l'àme et
ducorps;les j^nints les ontconnus, les ont éprouvés autref«is sur
la terre, le Seijrneur les en a délivrés ; il nous exaucera à notre
tour. 7e rogamus, audi nos.
326 ANNALB8 CATHOLIQUES
La seconde partie de notre réparation s'adressera à Notre
Seigneur Jésus-Christ dans la sainte Eucharistie.
Nous nous prosternerons deyant l'autel en chantant la prière de
pénitence par excellence, le Miserere. C'est alors que nous redi-
rons du fond du cœur, pour tous ceux qui blasphènaent ou qui
ignorent dans notre chère France: Père, pardonnez-leur, parce
qu'ils ne savent ce qu'ils font. Nous y puiserons un redouble-
ment de charité pour tous, d'e8prit|de sacrifice et dedévouemeot.
La prière à Marie, reine de France et patronne de Paris,
viendra relever nos âmes, parce qu'elle est la Mère de miséri-
corde et le refuge des pécheurs.
Puis nous prierons pour le Souverain Pontife et pour l'Eglise ;
BOUS prierons pour la France. L'Eglise, la patrie céleste ; la
France, la patrie terrestre, c'est là notre double amour, et c'est
une double bénédiction que nous demanderons à Notre-Seigneur
pour l'Eglise et pour la France.
NECROLOGIE
Une dépêche de Rome annonce la douloureuse nouvelle de la
mort, du cardinal Laurenzi, survenue ce matin en cette ville. Il
était âgé de 72 ans.
Le vénérable prince de l'Eglise défunt était supérieur dn
grand séminaire de Pérouse, lors de l'élection du cardinal Pecci
comme Souverain Pontife.
Ap[)elé aussitôt à Rome par la bienveillance du Pape, il était
deux ans plus tard créé cardinal inpetto dans le Consistoire dn
13 décembre 1880, et publié dans celui du 10 novembre 1884.
Il était cardinal du titre de Sainte-Anastasie et appartenait à
nn grand nombre de Congrégations romaines.
Sa mort est une nouvelle et grande douleur pour le Pape, qui
daignait l'avoir en grande estime et affection.
M. TiRARD, ancien ministre des finances^ ancien président da
conseil, est mort le 4 novembre, des suites d'une albuminurie «t
d'une maladie de cœur.
L'ancien ministre suufiTrait depuis deux ans de la maladie qai
raeinport3. Au mois d'août drfi'nier, il se rendit à Aix et y sui-
vit le traitement qui lui était imposé par les médecins ; mais lê
NECROLOGIK 327
mal ne fit qu'empirer et, au mois de septembre, il reprit soq
appartement de la rue Bonaparte, dans un état de santé qui
laissait peu d'espoir à son entourage.
M. Pierre-Emmanuel Tiraru était né à Genève, en 1827,
d'une famille originaire de l'Isèie. Ayant quitté Genève à dix-
neuf ans, il vint à Paris et entra dans l'administration des ponts
et chaussées; il n'y passa que peu de temps. En 1851, il fonda
une maison d'orfèvrerie et de bijouterie qui, sous son haMIe
direction, prospéra rapidement. Lors de l'élection de 1869, il
soutint avec ardeur la candidature du républicain Bancel contre
celle de M. Emile Ollivier. Après la révolution du 4 septembre
1870, le gouvernement de la Défense nationale nomma M. Tirard
maire du 2* arrondissement de Paris. Il fut appelé, le 8 février
1871, par 75.207 voix, à siéger comme député de la Seine à
l'Assemblée nationale. Le \" mars, il votait, à Bordeaux, con-
tre les préliminaires de la paix et pour la déchéance de l'empire.
Pendant le mouvement communaliste, il fut désigné par les
maires de Paris pour faire partie de la commission de trois mem-
bres chargés d'ordonnancer les dépenses, de s'occuper de la dé-
fense et du maintien de l'ordre. Elu membre de la Commune
dans le 2* arrondissemeut, il assista à la première réunion de
l'Assamblée communaliste; mais donna,!trois jours après, sa dé-
mission en déclarant qu'il ne pouvait conserver « un mandat
qui, dans sa pensée, devait être exclusivement municipal *.
Il quitta Paris et retourna reprendre son siège à l'Assemblée
nationale où il prit sa place dans les rangs de la gauche républi-
caine.
Il a voté notamment pour la proposition Rivet, contre le pou-
voir constituant de l'Assemblée, pour la dissolution de l'Assem-
blée, contre le septennat, pour la liberté des enterrements ci-
vils, pour le renversement du cabinet de Broirlie.
Ses principaux discours portent sur les déchéances des effets
de commerce, sur l'élection des tribunaux de commerce, contre
l'impôt sur les matières premières, contre les tarifs douaniers,
sur la fabrication à tous les titres des objets d'or et d'argent
pour l'exportation, sur l'admission des princes d'Orléans dans
l'armée.
Au mois de juillet 1871, il a eu, avec M. Francis Aubert, ré-
dacteur du Gaulois, un duel dans lequel il a été blessé.
Le 5 mars 1876, M. Tirard fut réélu à la nouvelle Assemblée
par le premier arrondissement de la ville de Paris. Il proposa
328 ANNALES CATHOLIQUES
de supprimer l'ambassade de France près du pape; vota pour
l'amaistie partielle, la suppression du crédit des aumôniers mi-
litaires. Il signa la protestation des gauches contre le message
du maréchal de Mac-Mahon.
A la rentrée des Chambres, qui suivit la dissolution, il fit par-
tie du comité des 18, dit comité directeur dcs gauches. Il vota
la nomination d'une enquête parlementaire et l'ordre du jour
contre le cabinet de Rochcbouët.
M. Tirard a fait plusieurs fois partie du gouvernement. Il a
été notamment ministre des finances en 1882, sous le ministère
de M. Jules Ferry. Il a été deux fois président du conseil; Ij^
première fois, son cabinet a succédé à celui de M. Rouvier,
après l'élection présidentielle de M. Carnot. M. Tirard y occu-
pait, avec la présidence du conseil, le miDistèce des finances.
M. Tirard fut de nouveau président du cabinet en 1889; il avait
le portefeuille du commerce. C'est en cette qualité qu'il présida
à l'inauguration de l'Exposition universelle. Ce fut également
sous son cabinet, dont M. Constans était le ministre de l'inté-
rieur, qu'eurent lieu les élections générales.
Le ministère Tirard fut renversé sur la question du traité
franco-turc et céda la place au cabinet Freycinet.
M. Tirard est une dernière fois redevenu ministre des finan-
ces sous le cabinet présidé l'année dernière par M. Ribot, lors-
que M. Rouvier résigna sjs fonctions.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Fin de la grève du Pas-de-Calais. — Les fêtes de Maubeuge. — Rentrée
des Chambres.
9 novembre 1803.
La grève du Pas-de-Calais est enfin terminée. Les ouvriers,
de moins en moins nombreux, qui n'avaient pas encore repris
leur travail, l'ont repris lundi. Ainsi l'a décidé le congrès qui
s'est réuni samedi à Lens. L'ordre du jour voté n'est exempt ni
de récriminations amères, ni même de menaces révolutionnaires
auxquelles il est inutile de s'arrêter ; mais il contient une pre-
mière partie plus précise, qui appelle quelques observations.
Nous disons précise et non pas exacte. Les motifs et les prétextes
de la grève y sont énumérés, en effet, avec quelque fantaisie, et
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 329
il est d'autant plus facile de s'en rendre compte que ce document
renvoie à la séance que le congrès ouvrier avait déjà tenu à
Lens le 14 septembre dernier, séance dans laquelle la giève gé-
nérale a été proclamée. Les réclamations des ouvriers étaient à
cette époque au nombre de six ; leur texte ressemble mal à celui
qu'on présente aujourd'hui et qui a la prétention de les rap-
peler.
L'ordre du jour de samedi dit formellement que « le motif
majeur de la grève était que l'engagement conclu à Arras, le
30 novembre 1891, n'était plus tenu par les patrons». Il n'y a
pas un mot de cela dans les six points du 14 septembre. L'enga-
gement d'Arras, on s'en souvient, était le résultat d'un arbi-
trage ; cettt) origine aurait dû le faire respecter, au moins pen-
dant quelque temps ; on a vu le peu de cas qu'en ont fait les
ouvriers. Ce qu'ils voulaient, le 14 octobre dernier, c'était
r < augmentation de 10 0/0 sur le salaire et la fixation à 5 fr. 50
du maximum de la journée, ce qui, avec les 20 0/0 accordés
antérieurement, donne pour les ouvriers à la veine un salaire
quotidien de 7 fr. 25». Nous voilà loin de l'arrangement conclu
à Arras en 1891. La grève n'avait pas pour but d'en assurer le
respect, puisqu'elle débutait par le dénoncer.
Les autres griefs des ouvriers sont-ils mieux fondées ? Ils
assurent aujourd'hui qu'en approchant de l'âge de la retraite
■* ils étaient congédiés sous le plus futile prétaxte ». Cette allé-
gation est difficile à admettre; en tout cas, ce n'est pas celle
qu'ils mettaient en avant, il y a sept semaines. Ils demandaient
alors qu'aucun d'entre eux ne pùtêtre congédié, quoi qu'il fît ou
quoi qu'il ne fît pas, après l'âge de quarante ans. Ils réclamaient
la suppression des amendes pour charbons malpropres. Ils pré-
tendaient ne pouvoir être renvoyés après avoir encouru une con-
damnation qu'autant que celle-ci aurait porté préjudice à la
compagnie, sans dire bien entendu, comment et par qui ce pré-
judice serait constaté. On le voit de nouveau, il y a un écart
sensible entre les causes de la grève telles qu'on les avouait au
moment où "celle-ci commençait et telles qu'oncles expose main-
tenant qu'elle finit.
Enfin, le congrès prétend que les compagnies « ont refusé de
se soumettre à la loi nouvelle qui, en pareil cas (en cas de
grève), prescrit l'arbitrage ». Il y a là une confusion. L'arbi-
trage, comme le fait observer le Journal des Débats, par son
essence même, ne peut pas être prescrit, puisqu'il est le résul-
330 ANNALES CATHOLIQUES
tat d'un libre et réciproque consentement. Le juge de paix doit
le proposer, 'mais il n'est ordonné à personne de s'y soumettre.
Nous n'avons pas le dessein d'énumérer les raisons qui ont dicté
l'attitude des compagnies. Quant aux ouvriers, lisent eu le tort
de se faire représenter par des syndicats illégalement constitués,
de sorte que, de leur côté, il ne s'est trouvé personne avec qui
la conversation pût être utilement et correctement engagée.
Voilà la vérité sur la grève du Pas-de-Calais, sur ses causes
véritables, sur la manière dont elle a été conduite et sur l'avor-
temunt auquel, dès l'origine, elle était fatalement condamnée.
Voici d'ailleurs la fin de l'ordre du jour qui a mis fin à la
grève :
Nous avons, sept semaines durant, fait appel à l'opinioa publique,
à la France? Des députés socialistes sont venus nous soutenir, nous
encourager. Ils ont raconté dans la presse l'oppression que nous endu-
rons et notre lutte. Leur voix, pas mieux que la nôtre, n'a été en-
tendue.
«Il semble pourtant qu'aujourd'hui on s'émeuve; mais c'est trop
tard; nous sommes à bout de forces, à bout de misère. Il nous faut
courber la tête, avouer que nous sommes vaineus, subir sans condi-
tions le despotisme du capital, enfermer dans nos cœurs l'espoir
d'une prochaine revanche.
« Mais la démonstration est faite une fois de plus que le travailleur
n'a nulle amélioration de son sort à espérer, nulle équité à attendre,
que d'une révolution sociale. C^la, nous ne l'oublierons pas, et, avant
de retourner à notre dur et sombre labeur, nous remercions les ora-
teurs socialistes qui, avec nous, ont fraternisé, les journaux qui nous
ont soutenus, en particulier notre organe, le Réoeil du Nord et la
Petite République Française qui, jusqu'au bout, ont lutté pour le
triomphe de notre cause.
En conséquence, le congrès se prononce,5aujourd'hui 4 novembre,
pour la reprise générale du travail.
Cet ordre du jour a été adopté par 38 voix contre 16 et un
bulletin blanc.
On a inauguré dimanche le monument destiné à commémorer
le souvenir de la bataille de Wattignies, sous Maubeuge, à
laquelle Carnot prit une part active en qualité de délégué du
Comité de Salut public près de l'armée du Nord, dont Jourdan,
qui venait de se faire connaître à Hondschoote, était le général
en chef. Le président de la République assistait à la cérémonie.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 331
L'exhumation de cette victoire est une question d'aetualité, car
elle gisait à peu près oublif^e au milieu de toutes celles qui
jonchent le irrand livre de nos victoires et conquêtes, succès et
revers. Ce fut cependant en son temps un événement important
qui, après la réussite heureuse de Hondschoote, vint rompre le
charme fâcheux qui semblait peser sur les armes de la Répu-
blique depuis l'évacuation de la Belgique et la tentative de tra-
hison de Dumouriez.
Lazare Carnot est assez connu pour que nous n'ayons pas à
en parler. Son frère, Carnot de Feulins, était chef commandant
du génie dans l'armée de Jourdan. L'un des autres subalternes
de Jourdan, Duquesnoy, était un ancien moine; il siégeait à la
Montagne; ce fut un des instigateurs de l'attentat de Prairial :
condamné à mort par la commission militaire, il se poignarda
dans sa prison, le 16 juin 1795. Son frère, ancien officier dans
l'armée royale, commandait l'aile droite dans l'armée de Jour-
dan. Ce fut plus tard un des plus violents bourreaux de la Ven-
dée, oii il organisa la trop fameuse colonne infernale. Il mou-
rut aux luvalides, en 1796. Quant à Jourdan, ancien soldat
dans le corps de Rochambeau aux Etats-Unis, il quitta sa bou-
tique de mercier pour s'engager, en 1791. C'était, en 1793, le
futur vainqueur de Fleurus. Il fut hostile au coup d'Etat de
Brumaire, et cependant obtint de Napoléon le gouvernement
du Piémont et le maréchalat. Louis XVIII, qui l'aimait beau-
coup, le fit plus tard pair de France. Louis-Philippe n'eut pas
moins d'égards pour lui et, en août 1830, le fit ministre des af-
faires étrangères et, quelques jours après, gouverneur des
Invalides, où il mourut en 1833, non sans avoir occupé une
large place dans le dictionnaire des Girouettes, bien que ses
évolutions successives aient obéi à des événements irrémé-
diables.
Ce fut dans la séance du 27 octobre que le ministre de la
guerre Bouchotte communiqua la lettre suivante de Jourdan
annonçant la victoire de Wattignies. Ce document est daté du
17, au quartier général d'Avesne : < J'ai reçu votre dépêche sur
le champ de bataille, disait le général. Le général Duquesnoy
a forcé le camp et le poste de Wattignies, que sa position ren-
dait inexpugnable, mais rien n'a résisté à la valeur des répu-
blicains. La division de gauche, aux ordres du géaéral Fro-
mentin, a forcé le val Saint- Waast, Saint-Rémy et Saint-
Aubin. J'apprenda à l'instant que l'ennemi a évacué dans la
'332 ANNALRH CATHOLIQUR8
nuit les postes qu'il avait sur les hauteurs de Boulera, Les re-
présentants du peuple Carnet et Duquesnoy ont maiché à la
tête des troupes qni ont charpré.
« Ils ont destitué sur le champde bataille le général de brigade
Gratien, qui, ayant reçu l'ordie de se porter en avant, avait
"battu en retraite. » Dans la séance du 28, on lut un rapport
plus complet de Jourdan et un mémorandum amphigourique
rédigé par D'iquesnoy. C'est là que l'on trouve le mot attribué
à Cobourg : « Il faut que les Français soient de fiers républicaing
s'ils arrivent à nous déloger de Wattignies. » On remarquera
que la dépêche de Jourdan mit dix jours à arriver à Paris, ce
qui est impossible. Il est donc évident que le Comité de Salât
public se réservait les nouvelles.
La victoire de Wattignies fit concevoir de grandes espérances.
On crut que la Belgique allait être de nouveau conquise. On
donna le nom de Wattignies à la porte de Versailles, à Paris.
Or, comme Jourdan ne put pas profiter de sa victoire, on accusa
les membres du Comité de Salut public d'avoir entravé les opé-
rations. C'estcontre cette imputation queBarére,le 26 novembre,
vint défendre le Comité. Son discours filandreux commençait
ainsi : « Français, faut-il donc être si nombreux pour vaincr»
les hordes étrangères? Non, le génie de la liberté et le souvenir
que vous l'avez créée et que vous l'avez votée suffisent. Votr»
tacti<iue est dans votre courage; votre victoire est écrite dans
le c(eur des hommes; votre invincible force est dans votr»
réunion. » Après avoir donné un libre cours à ce pathos, Barèr*
lut une longue lettre de Jourdan, dans laquelle celui-ci décla-
rait et démontrait que les membres du Comité du Salut public
ne lui avaient donné que de bons conseils et d'excellentes ins-
tructions, ajoutant que s'il n'avait pas immédiatement conquis
la Belgique, c'est que les antres généraux, occu[»és à guerroyer,
n'avaient pu se joindre à lui, — ce qui, du reste, est très réel
et parfaitement justifié par l'état de dispersion des armées de la
République et le défaut d'unité dans la direction. L'autocratie
du Comité du Salut public était, malgré la pénalité do la guil-
lotine, mise à chaque instant en échec par ses propres délégués
auprès des armées, de sorte qu'il était plus facile de remporter
la TÎctoire de Tutiliser. Les démocraties sont jalouses et in-
quiètes. Il n'est pas inutile de le rappeler.
À
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 333
Nous voici à la veille de la rentiée des Chambres qui repren-
dront leurs travaux le 14 novembre.
Depuis queli|ues semaines le pajs était calme, s'occupait
tranquilleitieiit d'oeuvres de paix, avait conservé pour cette so-
lennité de l'alliance avec la Russie toutes ses effervescences»
et il va lui falloir recommencer à se défendre contre quelques
centaines de [leiiis tyrans qui, armés de leurs passions, de leurs
vices, de leurs intérêts personnels, de leurs haines réciproques,
sans travailler autrement au grand intérêt commun, vont re-
commencer à se déchirer.
Que ne peut-il, le pays, mettre entre ces hommes et lui cette
cloison que réclamait l'autre jour, dans sa loge, au gala de
l'Opéra, M. Challemel-Lacour, trouver un abri contre leurs inu-
tiles folies, et les cacher à jamais aux yeux de l'étranger.
Aux obsè^iues du maréchal de Mac-Mahon, la fdule énorme
qui se piessait au passage du cortège se découvrait à l'appa-
rition du char, et il n'était pas un homme qui ne gardât à la main
son chapeau tandis que défilait les groupes diplomatiques, ceux
de l'armée, des tribunaux, des grands corps de l'Etat. Mais,
tout à coup, des voix prononçaient: « Voici les Chambres, on
peut remettre son chapeau ! » Et personne ne protestait. Les
hommes de toutes classes et de tous âges qui se trouvaient là,
côte à côte, se souriaient d'un air entendu, et se couvraient pour
regarder curieusement défiler ceux qui sont devenus un sujet
d'univeiselle raillerie.
Oa a reproché au groupe de ces nouveaux élus de rompre, par
la bi^nrruredes pardessus de toutes nuances etde toutes formes,
l'harmonie d'un auguste cortège. Ce n'est certes jioint là le re-
proche que je leur adresserai, aus^i fervent que je sois de l'har-
monie, condition de toute beauté. Mais je suis intjuiet de ne voir
dans l'expression de ces visag.iS aucune dignité, dans c.. s yeux
aucune flamme, sur ces fronts aucuue pensée de raison ni de
bon sens.
Ils vont, trottants et gauches, sans la conscience d'un but;
€t, ne devant pas travailler pour un intérêt commun, ils n'ont
point de cohésion, et ne sont point une force. Leur maladresse
s'augmente de la honte qu'eux-mêmes ou leurs prédécesseurs
représentent, et dont la Fiance ne s'est pas rachetée.
Ils marchent en coupables, et ce qu'il y a de pire, en cou-
pables décidés à braver l'oitinion, à s'appuyer sur la majorité
naïve et trompée qui les a élus, pour regarder en face la mino-
334 ANNALES CATHOLIQUES
rite plus éclairée qui les juge et sait bien ee qu'i's valent.
Les uns, et c'est le gi-and nombre, sont bien décidés à ne
voir dans leur mandat, comme par le passé, que la situation
qui leur permet de vivre à Paris d'oii ils exercent de loin leur
pouvoir de petit potentat sur leur département ; d'autres n'hési-
teront pas plus qu'avant, on le sent, à chercher les occasions de
bonnes affaires que ce mandat leur procure, car il.s ne se sont
fait nommer députés que pour cela, et leur élection, qui leur a
coûté très cher, doit leur rapporter des sommes qui leur fassent
oublier cette dépense ; d'autres, comme le député-coiffeur, sont
telli'ment aveuglés par la nouvelle dignité dont le peuple a eu
la fantaisie de les revêtir, qu'ils ne voient rien pour l'instant,
et, affolés, prennent de n'importe qui le mot d'ordre d'une di-
rection que leur expérience et leur fatale ignorance les rendent
incH|iables de déterminer par eux-mêmes.
Dans quelques jours le Luxembourg et le Palais-Bourbon,
qui se taisaient si heureusement pour la dignité de notre pays,
loi'S de la visite des Russes, vont retentir de nouveau des cris,
son pas seulement inutiles, mais funestes de ces hommes ; nous
«lions les voir, ces hommes qui ne sont apparus un instant dans
les dernières fêtes que pour s'y montrer ridicules et y être
accueillis par l'ironie générale, reprendre possession de la scène,
nous occuper de leurs ca|irices et de leurs mensonges, et boule-
verser tous les intérêts du pays.
Ceux qui travaillent et qui, au lieu d'être gênés, se devraient
voir assurer la sécurité et le calme par des gouvernants d'esprit
éclairé, désignés par leur sagesse et leur pondération pour être
choisis comme législateur-s, recommencent déjà à trembler.
A partir de la rentrée en scène des Chambres, ce va être, cha-
que jour, un intérêt social menacé, un ministère ébranlé, la
direction politique changée, la paix compromise. Et le plus
pénible, c'est qu'il faut aller chercher la cause première de l'agi-
tation do ces questions dans les mesquins intérêts privés d'hom-
mes qui n'ont point été accoutumés à remuer d'autres pensée»
que des pensées vulgaires ou naïves, et dont l'esprit est le terrain
feitileau développement de toutes les utopies, de toutes les fan-
taisies, de toutes les insanités.
Combien tout cela e^t regrettable pour la France, qui serait
li grande et si prospère, dans le progrès général du travail hu-
main, si elle n'avait pas été amenée à se faire fiouverner par
l'écume de tous les égoïsmes et de toutes les ambitions.
NOVVBLLRS RBLIOIEUSES 335
NOUVELLES RELIGIEUSES
france
Paris. — La messe de rentrée des cours de l'institut catholi-
que a été célébrée dans l'église des Carmes, par Mgr d'Hulst,
député du Finistère, recteur de l'institut catholique.
Suivant l'usage, Mgr d'Hulst a adressé, après l'Evangile,
quelijues mots à ses nombreux et chers étudiants. Voici l'ana-
lyse bien impaifaito de cette éloquente et vigoureuse allocution.
Après avoir rappelé que de toutes les réunions de l'année la
plus chère à son cœur est cette messe du Saint-Esprit qui
groupe aux pieds de Dieu maîtres et élèves dans une commune
prière pour le succès de leurs travaux, Mgr d'Hulst adresse ses
souhaits de bienvenue aux anciens comme aux nouveaux.
€ Mais, ajoute-t-il, vous n'attendez pas de moi seulement
des souhaits de bienvenue, vous attendez aussi des exhortations
et des conseils. Qui êtes-vous donc, jeunes gens, et que venez-
vous faire ici? — Vous êtes des chrétiens commenç;ints, vous
êtes des hommes encore incomplets; vous venez ici pour deve-
nir des chrétiens parfaits et des hommes dans toute la force du
terme. C'est cette double pensée que l'éloquent recteur déve-
loppe rapidement.
Deux êtres sont capables de faire un homme. Dieu d'abord
qui crée le fonds et les puissances, l'homme ensuite, incapable
de créer, mais qui peut cultiver ce fon Is et développer ces puis-
sances qui sont les racines de son être. Mais dans l'homme s'il
j a des puissances d'un ordre élevé, il y a aussi des puissances
basses. Doit-il faire donner à ces dernières leur maximum
d'énergie, sans se préoccuper de développer harmonieusement
tout l'ensemble? Doit-il ne s'occuper que des puissances sensi-
tives et appétitives? Non car il ne ferait pas un homme, il ferait
une bête. Il doit avant tout accorder sa préférence aux puis-
sances supérieures qui sont en lui, il doit travailler surtout à
soumettre la chair à l'esprit.
Or rien ne peut aider plus puissamment l'homme dans ce dur
travail que la religion chrétienne. La raison, la sagesse, lui con-
seillent bien de soumettre la chair à l'esprit, elles ne peuvent le
lui commander et s'il lui plaît de rejeter leurs prescriptions
importunes, s'il lui plaît de c brûler sa vie en vingt ans », il en
est le maître.
336 ANNALES CATHOLIQUES
Seul le christianisme peut lui présenter l'idée du devoir, et
l'obliger ainsi à développer surtout les puissances nobles en
donopiant les puisstinces basses. Mais, la religion fera plus que
l'obliger, elle l'aidera: la religion développera son intelligence
par l'amour de la vérité ; les martyrs sont morts pour la vérité;
elle échauffera son cœur par l'amour de Dieu et du prochain,
elle fortifiera sa volonté par l'amour du bien. Enfin, elle lui
apportera l'aide la plus puissante dans cette lutte entre la chair
et l'esprit, elle lui apportera la grâce. Voilà comment on devient
homme en restant chrétien.
On devient aussi meilleur chrétien en restant homme, car en
luttant contre soi-même on devient de plus en plus digne des
grâces du christianisme.
« Jusqu'à présent, continue l'éminent orateur, en s'adressant
plus particulièrement aux jeunes gens qui l'écoutent, charmés de
ce ferme et austère langage peut-être un peu nouveau pour eux,
jusiju'à présent vous avez beaucoup reçu et peu donné. » Jusqu'à
présent le mal n'a pu approcher de ces jeunes gens défendus con-
tre lui avec tant de sollicitude ; mais voici le temps de l'épreuve
qui commence. La tempête viendra plus tard ; aussi faut-il
pendant ces quelques années de calme travailler à devenir plus
forts afin de résister ensuite victorieusement aux assauts du
mal. Un moyen puissant est à leur disposition, le travail ; en tra-
vaillant, ils obéiront à leurs parents, ils accompliront leur devoir
d'état, ils habi'.ueront surtout leur esprit à l'idée du devoir et
le détourneront de toute pensée mauvaise.
En terminant, l'orateur souhaite pour l'Eglise si mal servie et
si méconnue, que ces jeunes gens, comme ceux qui les ont pré-
cédés dans cette vénérable maison, deviennent pour elle des fils
dévoués et d'ardents défenseurs.
Après cette ardente allocution, la messe se termine tandis que
les étudiants chantent le Credo et le Magnificat, émus eux-
mêmes d'entendre ces chants si beaux redits par des centaines
de voix mâles et pleines de foi.
La bénédiction du Saint-Sacrement termine cette belle céré-
monie, et les étudiants se dispersent pour revenir le lendemain
commencer une année de travail oii Dieu bénira sans nul doute
doute leurs généreux efforts. (Ve'ril^.)
Le gérant : F. Chantrel.
Pans. — Imp. G. Picquoin, 53, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
DE LA HAINE D'ABOMINATION
1» La haine d'abomination peut-elle être un acte de vertu? 2» même
quand elle nous porte à nous attrister du bonheur d'autrui et à lui
souhaiter du mal ? 3° Peut-elle être un péché et dans quel cas?
Cas de conscience. 1° Louis, commerçant s'attriste de voir de nom-
breux clients chez Alfred son concurrent; 2° il désire les attirer
chez lui, au risque de le ruiner; 3° pour cela, il vend ses marchan-
dises à un prix dérisoire, bien convaincu que si Alfred veut soutenir
la concurrence, il va se ruiner en quelques jours ; 4» enfin, appre-
nant qu'Alfred s'est suicidé de désespoir, il en éprouve une grande
joie. — A-t-il péché dans chacun de ces cas ?
Dans le sens absolu, la haine pour le prochain est directe-
ment opposée à la charité chrétienne. C'est donc un péché mor-
tel en son genre, c Celui qui hait son frère, dit saint Jean,
demeure en état de mort; il est comme coupable d'homicide. »
(I Jo., iir, 14, 15). c Celui qui hait son frère est dans les ténè-
bres. » (I Jo., II, 9). La haine du prochain ne peut donc pas
exister sans péché.
Cependant ce péché peut devenir véniel, non seulement par
suite du défaut de consentement, mais par la légèreté de la
matière ; par exemple si l'on ne souhaite pas à quelqu'un un
mal grave. Considérée même comme un dérèglement intérieur
de la volonté, dit saint Thomas, la haine du prochain est une
faute plus grave que les autres. On peut nuire au prochain
davantage par le vol, l'homicide, l'adultère, mais la haine est
un péché plus grave que ces actes extérieurs, parce qu'elle
trouble la volonté, qui est la faculté prédominante dans l'homme
et la source du péché. En effet, ces actes extérieurs si déréglés
qu'ils soient, pourraient être exempts de péché, comme lorsque
quelqu'un tue un homme par ignorance ou par zèle pour la jus-
tice; ce qui donne à ces actes déréglés une gravité particulière,
c'est la haine intérieure qui les a conçus (2* 2'^ , q. 34, art. m, iv.)
Ce que nous disons de la haine, nous le disons de la malé-
diction. € Faire formellement une malédiction et souhaiter un
grand malheur, dit saint Thomas, c'est un péché mortel dans
son genre, mais il peut être véniel si le mal n'est pas grave ou
si la malédiction résulte d'un mouvement léger de l'esprit. »
(Q. 26, art. 3). La raison de cette décision est que les péchés de
Lxxxvi — 18 Novembre 1893. 25
338 ANNALES CATHOLIQUES
parole s'apprécient surtout d'après l'intention. (Q. 72, art. ii).
Ainsi «il est défendu de maudire dans l'intention de faire une
malédiction en désirant ou en souhaitant du mal à quelqu'un. »
Maudire, c'est la même chose que dire du mal. Mais une
chose peut se dire de trois manières : 1° Sous forme d'énoncia-
tion, comme quand on emploie le mode de l'indicatif. Dans ce
cas, dire du mal consiste simplement à rapporter du mal sur le
compte d'autrui, ce qui appartient à la détraction. C'est pour-
quoi on appelle quelquefois ceux qui parlent mal: des détrac-
teurs. 2° Quelquefois le mot dire remplit, par rapport à la chose
que l'on dit, le rôle de cause. En ce sens, il convient primitive-
ment et principalement à Dieu, parce qu'il a tout fait par sa
parole ou son Verbe; secondairement il s'applique aux hommes
qui, par leur parole, commandent aux autres de faire quelque
chose et les mettent ainsi en mouvement. C'est dans ce but qu'on
a établi la forme de l'impératif. 3° Le mot dire s'emploie comme
l'expression de la volonté qui désire ce que la parole exprime,
et c'est à cette intention qu'on a formé le mode de l'optatif.
Laissant de côté le premier ordre de malédiction qui consiste
dans la simple énonciation du mal, nous avons à nous occuper
des deux autres. Il faut d'abord observer que faire une chose ou
la vouloir sont deux actes qui ont la même bonté ou la même
malice. Par conséquent, il est également permis et il est égale-
ment défendu de (tommander de faire du mal à quelqu'un ou de
lui en souhaiter. Car si l'on commande ou que l'on souhaite le
mal d'un autre, sans avoir d'autre but que ce mal lui-même, il
est défendu dans ces deux cas de prononcer cette malédiction,
et c'est, absolument parlant, ce qu'on appelle maudire. Mais
si l'on commande ou que l'on souhaite le mal d'un autre en vue
du bien, cet acte est licite. Dans ce cas, il faut que le mal que
l'on souhaite soit moindre que le bien qu'on se propose. Ainsi
on peut souhaiter la défaite d'une armée dans l'intérêt du pays-
qu'elle menace; mais le fils ne peut souhaiter la mort de son
père pour jouir de son héritage. Il n'y a pas là de malédiction,-
absolument parlant; elle n'a lieu que par accident, parce que
celui qui parle n'a pas pour but principal le mal, mais le bien.
Il peut se faire que l'on ordonne ou que l'on souhaite le mal
pour deux sortes de bien. Quelquefois pour une raison de jus-
tice. C'est ainsi qu'un juge maudit licitement celui qu'il fait
frapper d'une peine qu'il a méritée; c'est aussi de cette façon
que l'Eglise maudit par ses anathémes et que les prophètes.
DE LA HAINB d'aBOMINATION 339
dans l'Ecriture, font des imprécations contre les péclieurs, en
conformant pour ainsi dire leur volonté avec la justice divine;
quoiqu'on puisse aussi expliquer ces imprécations dans un sens
prophétique. D'autres fois on maudit pour une raison d'utilité,
comme quand on souhaite qu'un pécheur ait une maladie ou qu'il
floit traversé par quelque obstacle, afin qu'il se convertisse ou
qu'au moins il cesse de nuire aux autres. (Q, 76, art. I).
Ces principes posés, il nous est facile de répondre aux ques-
tions proposées.
1° La haine d'abomination jpeut-elle être un acte de vertu?
Elle peut être un acte de charité quand nous haïssons dans
un de nos frères le péché et le défaut de vertu; c'est par amour
pour lui; car, comme dit saint Thomas, c'est le même motif qui
fait que nous voulons le bien d'un individu et que nous haïssons
ce qui fait son mal. (Q. 34, art. III). C'est ainsi, comme nous le
faisions entendre plus haut, d'après saint Thomas, qu'on peut
•désirer la mort d'un brigand, le renversement de tels hommes
politiques, leur mort même, dans l'intérêt du bien général; ou
souhaiter à un pécheur une maladie dans l'ordre temporel pour
qu'il se convertisse. On peut souhaiter la mort pour jouir de
Dieu et ne plus l'oflTenser, et par conséquent pour être délivré
des peines et de misères de cette vie. C'est dans ce sens que
maudit l'Eglise. Ses censures, l'excommunication, la suspense,
l'interdit, par lesquels elle appelle sur le coupable toutes
espèces de maux, ne sont portés que par amour pour le cou-
pable, afin qu'efi'rayé il revienne à des sentiments meilleurs ;
par amour pour les fidèles, afin qu'avertis des mauvaises inten-
tions du coupable à l'égard de leur salut éternel, ils ne se lais-
sent pas séduire par lui. C'est pourquoi les censures sont des
peines médicinales. Comme le dit saint Thomas : « souhaiter à
quelqu'un du mal en vue du bien, ce n'est pas un acte contraire
au sentiment qui nous porte à désirer du bien à quelqu'un, mais
il lui est plutôt conforme. > (Q. 76, art.I, ad 2.)
2° Cette haine d'abomination peut être une vertu, même
quand elle nous porte à nous attrister du bonheur d'autrui et à
lui souhaiter du mal. Seulement il faut bien prendre garde de
confondre la haine pour la personne avec la haine ou l'aversion
qu'on éprouve quelquefois pour la conduite du prochain. Autre
chose est de haïr le pécheur, autre chose de haïr le péché. Dans
le premier cas, on veut la mort de l'impie, ce qui est contraire
à la charité ; dans le second, on veut seulement qu'il se conver-
840 ANNALES CATHOLIQUES
tisse : « Nolo mortem impii, sed ut convertatur impius a via
suâ, et vivat. » (Ez., xxîiii, 11).
Nous trouvons d'ailleurs dans la manière dont Notre-Sei-
gneur s'est comporté envers le monde d'une part, et envers les
pécheurs de l'autre, une règle de conduite pratique. Le monde,
c'est l'ensemble des institutions dont le but est d'empêcher l'ex-
tension du règne de Jésus-Christ sur la terre. Les mondains
«ont les adversaires systématiques de l'Evangile, et voilà pour-
quoi Notre-Seigneur nous déclare qu'il n'est pas de ce monde;
voilà pourquoi il ne néglige aucune occasion de faire com-
prendre aux mondains que s'ils continuent l'œuvre du démon,
ils n'auront pas d'ennemi plus redoutable que lui; pourquoi à
la fin de son discours de la Cène, dans la série de prières qu'il
adresse à son Père, il afi"ecte d'exclure le monde. « Je ne vous
prie, mon Père, lui dit-il, que pour ceux-là seulement qui m'ont
écouté; quant au monde, je ne vous prie pas pour lui. > Et lors-
qu'il annonce à ses disciples qu'il leur enverra le Saint-Esprit
pour achever l'œuvre qu'il a commencée : « Cet esprit, leur
dit-il, vous aidera à combattre le monde, il s'élèvera avec force
contre lui; il ne cessera de lui reprocher son aveuglement, ses
inconséquences, son idolâtrie; > voilà pourquoi il ne cesse de
mettre ses disciples en garde contre le monde. Tantôt il com-
pare les mondains à une troupe de loups affamés; tantôt à une
bande d'empoisonneurs; tantôt à un homme mauvais qui sème
de l'ivraie dans le champ du père de famille pendant son som-
meil, de façon à étouffer le bon grain ; tantôt au démon lui-
même, dont les mondains sont les enfants.
Notre-Seigneur accumule lesépithètes, les comparaisons, pro-
fite de toutes les occasions qui lui sont offertes pour manifester
clairement sa haine contre les mondains et cette haine est une
haine d'abomination. Il leur prophétise toutes sortes de malédic-
tions, il en prophétise aux riches avares et prodigues, à ceux
qui rient, à ceux qui sont comblés d'honneurs, qui ne se privent
de rien, à ceux qui scandalisent les enfants, les petits, les igno-
rants, à ceux qui le méconnaissent, aux hypocrites, aux faux
dévots, au malheureux qui le trahit. Et cette haine, Notre-Sei-
gneur veut que nous l'ayons. « Je suis venu, dit-il, apporter
sur la terre, non la paix, mais le glaive. C'est pourquoi je sé-
parerai, s'il le faut, le fils du père, la fille de sa mère, je brise-
rai les liens de la nature les plus doux, les plus étroits, les plus
légitimes. > Entre le monde et l'Evangile il n'y a pas de trait
DE LA HAINE d'aBOMINATION 341
d'union possible, c'est comme si l'on cherchait à établir un pas-
sage entre le ciel et l'enfer, de façon à permettre aux élus et aux
réprouvés de communiquer entre eux. Le monde nous hait, nous
maudit; nous devons le haïr et le maudire, comme Notre-Sei-
gneur le hait et le maudit.
Et cependant Notre-Seigneur a tout .fait pour ramener ce
inonde à lui. « Je suis venu sur la terre, dit-il, non pour juger
le monde, mais pour le sauver. » « Mon père aime tellement le
monde qu'il n'a pas hésité à m'envover vers lui pour l'empêcher
de périr. > C'est ce vif désir de convertir le monde qui explique
que, malgré les répugnances de sa nature, Notre-Seigneur n'a
pas hésité à se mêler aux mondains et à ceux qui s'en scanda-
lisaient, il se contentait de répondre : Cela vous étonne? Mais
je ne suis pas venu pour ceux qui sont en bonne santé, je suis
venu pour les malades. Ce sont ceux-là qui ont besoin de méde-
cin. Or, je suis le médecin des âmes. Il est donc tout naturel
que j'aille aux plus pressés, aux plus malades. Et voilà pour-
quoi quand le pharisien Simon l'invite à un festin avec d'autres
pharisiens, il accepte, bien qu'il n'y eût pas, humanum dico,
d'individus qui lui fussent plus antipathiques que les pharisiens ;
pourquoi il fait du publicain Matthieu un apôtre; il ne se laisse
pas arrêter par le préjugé qui fait de sa fonction de receveur
d'impôts une fonction presque honteuse, en tout cas méprisable.
Matthieu, pour célébrer sa vocation nouvelle, offre à Notre-
Seigneur un grand festin, auquel il invite naturellement ses
collègues, Notre-Seigneur accepte. Il s'invite lui-même chez un
autre publicain, chez Zachéo.
On dirait qu'il affecte de se trouver dans la société des gens
dont il hait les opinions et contre lesquels il prophétise ses
malédictions, et cette attitude est si nette qu'elle lui attire à
plusieurs reprises les reproches des chefs de la nation, qui di-
saient de lui que c'était un homme de bonne chère, aimant le
vin, faisant ses amis des gens de mauvaise vie. Ses apôtres eux-
mêmes ont peine à retenir leur étonnement, et c'est pour accen-
tuer devant eux sa prédilection pour les pécheurs qu'il propose
les trois paraboles du bon pasteur, de la drachme perdue et
retrouvée, de l'enfant prodigue. Les expressions et les témoi-
gnages de son amour pour les pécheurs passent de très loin
ce qu'il eut jamais de plus tendre et de plus affectueux pour
aucun autre. Pour les pécheurs il pousse des cris de détresse,
il verse des larmes. Ses prévenances, ses bontés les plus déli-
342 ANNALES CATHOLIQUES
cates sont pour eux. L'accueil qu'il fait à la Madeleine, à la
Samaritaine, à l'épouse coupable, déconcerte ceux qui en sont
les témoins. Soit qu'il les rassure, soit qu'il les reprenne, soit
qu'il leur pardonne, soit même qu'il les condamne, c'est toujours
avec une tendresse secrète et profonde. Aussi adresse-t-il des
reproches au frère de l'enfant prodigue s'indignant de la géné-
rosité dont son père use envers le coupable, et exige-t-il de
ses Apôtres et de ses disciples qu'ils aient envers les pécheurs
la même condescendance dont il ne s'est jamais départi.
Une des choses, en effet, que Notre-Seigneur reproche le
plus sévèrement à ses Apôtres, ce sont leurs actes de violence
contre les mondains, sous prétexte que ce sont des adversaires.
« Qui donc, répond-il à Jacques et à Jean qui lui demandaient
de faire descendre le feu du ciel sur des gens qui les avaient
mal reçus, qui donc a pu vous suggérer une pareille idée? Où
puisez-vous donc vos inspirations? » Et quand Pierre tire son
épée pour le protéger, il lui donne ordre de la remettre dans le
fourreau ; et pour qu'il ne reste pas trace de l'acte de violence
de son Apôtre, il guérit le soldat que Pierre avait blessé : « Je
vous envoie au milieu des loups, mais c'est comme des agneaux;
ce n'est pas pour qu'à votre tour vous deveniez des loups, vous
devez rester des agneaux. On vous insulte, gardez le silence,
et ne répondez pas par une autre insulte. Est-ce que vous
m'avez jamais entendu répondre ainsi? Que des païens le fas-
sent, soit! Mais vous, vous devez éviter d'achever de briser le
roseau déjà cassé, d'éteindre violemment la mèche qui fume
encore. > Sans doute Notre-Seigneur a eu à l'égard des Phari-
siens des paroles sanglantes ; mais, outre qu'il agissait à la
façon du bon pasteur qui crie: au loup! afin d'être entendu et
compris, on doit observer que Notre-Seigneur pouvait être
d'autant plus sévère avec les Pharisiens qu'il était plus attentif
à ne jamais les repousser, qu'il était en quelque sorte toujours
à leurs ordres; il avait donc quelque droit à les traiter sévère-
ment, surtout dans certaines circonstances ; mais on sent qu'il
n'a aucune haine contre leurs personnes, c'est ce qui explique
ces paroles à la foule à propos des Pharisiens : € Faites ce
qu'ils vous disent, parce qu'ils ont reçu la mission de vous
interpréter la loi; mais ne faites pas ce qu'ils font. Ne les
imitez pas. Ce sont des hypocrites, des serpents, des comédiens,
des orgueilleux. > Et voilà pourquoi le jour où ces mêmes pha-
risiens lui amènent une épouse coupable, il n'hésite pas à
CE LA HAINE d'aBOMINATION 343
dévoiler les turpitudes de leur vie privée. « Ils vous en imposent;
ce sont d'élégants sépulcres qui cachent des ossements de mort. >
« C'est charité, a dit saint François de Sales de crier au loup !
partout où il le faut! » Et c'est ce qu'a fait Notre-Seigneur.
Donc, tout en étant inébranlable sur les principes, soyons
pleins d'indulgence envers les personnes. « Un jour, raconte saint
François de Sales, j'étais auprès de ruches d'abeilles, et quel-
ques-unes se mirent sur mon visage. Je voulais y porter la main
et les ôter. Ne faites pas cela, me cria un paysan, n'ayez pas
peur, ne les touchez pas, elles ne vous piqueront nullement;
tandis que si vous les touchez, elles vous piqueront. Je le crus,
et pas une ne me mordit. Faites de même, ajoutait François,
avec ceux qui cherchent à vous irriter par leurs railleries,
leurs questions embarrassantes. N'y faites pas attention. Ils se
tairont. Si vous avez le malheur de leur répondre, vous aurez
beaucoup de peine à ne pas chercher à remporter une victoire
sur eux, et à incliner les rieurs de votre côté. Comment
voulez-vous, après les avoir irrités à l'occasion do Notre-Sei-
gneur, les lui ramener convertis? » « Tout par amour, disait-il
à un jeune évêque, porté à user de paroles un peu vives, rien
par force. » « Voyez Notre-Seigneur, répétait-il souvent, il se
tient à la porte des cœurs, mais il n'en presse l'ouverture que
doucement, il se garde bien de la forcer jamais. » Donnant des
conseils à Mme de Chantai sur l'éducation de ses enfants, il lui
disait: «Faites cela petit à petit, lentement, suavement, comme
font les anges, par des mouvements gracieux, sans violence ;
ou à la façon des parfums qui n'ont d'autre pouvoir pour attirer
à leur suite que leur suavité. » Un de ses mots ordinaires était
qu'aux bonnes salades il faut plus d'huile que de vinaigre et de
sel. « Vous êtes le sel de la terre, a dit de son côté Bossuet,
cependant ne mettez pas trop de sel à la fois; au lieu de piquer
la langue pour réveiller l'appétit, vous mettriez en feu toute la
bouche. > C'est en traitant les hérétiques avec cette condescen-
dance et ces égards, en marchant « tout bellement, à pas de
plomb » que saint François de Sales en a, dit-on, ramené 70,000.
N'oublions jamais que l'Eglise est une mère, qu'elle enseigne à
la façon des mères, sans passions, sans exagération, avec une
autorité calme et une sage mesure. « La vérité qui n'est pas
charitable, avait encore coutume de dire saint François de
Sales, cesse d'être la vérité ; car en Dieu, qui est la source du
vrai, la charité est inséparable de la vérité. >
344 ANNALES CATHOLIQUES
Saint Augustin raconte qu'au monaent d'entreprendre son
immortel ouvrage de la Cité de Dieu pour venger contre les
calomnies du paganisme expirant les saintes vérités de la foi
chrétienne, sentant bouillonner au-dedans de lui les ardeurs du
zélé, il se mit à genoux et adressa au ciel cette admirable prière :
« Seigneur, envoyez dans mon cœur l'adoucissement, le tem-
pérament de votre esprit; afin qu'entraîné par l'amour de la
vérité, je ne perde pas la vérité de l'amour. » Certains orateurs
et certains polémistes chrétiens auraient peut-être intérêt à
adresser à Dieu cette même prière toutes les fois qu'ils se trou-
vent en face des adversaires de l'idée chrétienne. S'il nous est
interdit d'altérer la religion de Notre-Seigneur pour l'accom-
moder au goût des mondains, nous avons reçu la mission de les
amener à goûter la religion, en la leur présentant avec le
charme qui lui convient.
3° La haine d'abomination est un péché dans trois cas, nous
dit saint Liguori, d'accord en cela avec tous les théologiens:
1° lorsque nous souhaitons véritablement du mal à notre frère;
2* lorsque c'est de propos délibéré ; 3° lorsque ce mal est grave.
(De Peccatis, cap. m, Dubium vi). La charité ne nous permet
pas de désirer le mal du prochain, ni de se réjouir du mal qui
lui arrive, ni de s'affliger de ses succès, de sa prospérité.
Cas de conscience.
-•.■:1;
1° Louis, commerçant, s'attriste de voir de nombreux clients
chez Alfred^ son concurrent. Cette tristesse est-elle un péché?
Il faut d'abord observer avec saint Thomas que l'on peut con-
sidérer comme son propre mal le bien qui arrive à un autre, et
pour ce motif en concevoir de la tristesse dans deux circonstances :
lo On s'attriste du bien de quelqu'un ou parce qu'il en résulte
pour soi-même le danger d'un dommage imminent, comme quand
un homme s'attriste de l'élévation de son ennemi, parce qu'il
craint qu'il ne lui nuise ; ou parce que l'on craint que cet ennemi
ne soit funeste à d'autres personnes vertueuses. Cette tristesse
n'est pas de l'envie, c'est plutôt un effet de la crainte. C'est la
tristesse des catholiques à la vue des francs-maçons maîtres de
la France. Cette tristesse n'est pas coupable. C'est ce qui faisait
dire à saint Grégoire qu'il arrive souvent que sans perdre la
charité, la ruine d'un ennemi nous réjouit, et que sans pécher
par envie nous nous attristons de sa gloire, lorsque nous croyons
DE LA HAINE D*AB0MINATI0N 345
que sa chute relèvera les bons et lorsque nous craignons que sa
prospérité ne soit la cause injuste de l'oppression de plusieurs.
(Mor. Lib. XXir, cap. 6.)
2* Nous considérons le bien d'un autre comme notre propre
mal, parce qu'il diminue notre gloire et notre supériorité. Cette
tristesse est contraire à l'amour que nous devons avoir pour le
prochain, aussi est-elle un péché. S'attrister du bien de quel-
qu'un quand il surpasse le nôtre est un sentiment toujours mau-
vais, parce que l'on s'attriste d'une chose dont on devrait se
réjouir, c'est-à-dire du bien du prochain. Même l'indignation
que nous manifestons contre ceux qui, à notre sens, sont indi-
gnes des biens temporels qu'ils possèdent, est un péché; parce
que ces biens leur sont dispensés par un juste jugement de Dieu,
soit pour leur correction, soit pour lenr damnation, et qu'atta-
quer cette sorte de répartition, c'est paraître s'en prendre à la
Providence elle-même.
D'ailleurs ces biens ne sont rien comparativement aux biens
futurs qui sont réservés aux bons : c'est pourquoi l'Ecriture
condamne cette tristesse : < Gardez-vous de porter envie aux
méchants, n'ayez point de jalousie contre ceux qui commettent
l'iniquité. » (Ps. xxxvi, 1). Et ailleurs : « Mes pieds ont
presque failli parce que j'ai eu de l'indignation contre la
prospérité des méchants et en voyant la paix des pécheurs. »
(Ps. Lxxii, 2). Aussi l'envie dans son genre est-elle un péché
mortel. Le genre du péché, en effet, se considère d'après son
objet. Or, l'envie selon la nature de son objet est contraire à la
charité qui est la cause de la vie spirituelle de l'âme, d'après
ces paroles de l'Apôtre : « Nous reconnaissons à l'amour que
nous avons pour nos frères que nous sommes passés de la mort
à la vie. » (I Jo., m, 14),
L'objet de la charité et celui de l'envie est donc le bien du
prochain, mais considéré d'une manière opposée. Car la charité
se réjouit du bien du prochain, tandis que l'envie s'en attriste.
D'où il est évident que l'envie est un péché mortel dans son
genre, c L'envie, dit Job, tue le plus petit. > (Job, v, 2). Or, il
n'y a que le péché mortel qui tue spirituellement. Mais en tout
genre de péché mortel, il y a des mouvements imparfaits qui
existent dans la sensibilité et qui sont des péchés véniels.
(2» 2« , Q. XXXXI, art. I, II, III).
Il semble que la tristesse de Louis à l'occasion d'Alfred
peut n'être pas toujours une faute grave, bien qu'en soi elle soit
346 ANNALES CATHOLIQUES
grave; certaines circonstances peuvent atténuer la gravité de
la faute de Louis.
2° Louis désire attirer chez lui les clients d'Alfred, au risque
de le ruiner.
Ce sentiment est légitime, d'après ce principe admis par
saint Thomas, que l'homme est tenu de s'aimer lui-même par
charité plus que le prochain; d'aimer par conséquent sa fortune
plus que la fortune de son prochain. Louis est donc dans son
droit en cherchant à attirer chez lui les clients d'Alfred, pour
gagner plus d'argent qu'Alfred; c'est d'ailleurs conforme à la
pratique du commerce, et le risque qu'il fait courir à Alfred
de le ruiner pourrait l'arrêter s'il était tenu à avoir de la
charité pour Alfred, si Alfred était, par exemple, un de ses
parents, un de ses bienfaiteurs; mais il ne donne pas à son
désir un caractère délictueux.
3° Pour cela, il vend ses marchandises à un prix dérisoire,
bien convaincu que si Alfred veut soutenir la concurrence^ il
va se ruiner en quelques jours.
a) Le fait de vendre ses marchandises à un prix dérisoire
est-il répréhensible? Saint Thomas observe qu'on peut consi-
dérer un individu de deux manières : 1° en lui-même, s'il vient
à se nuire, il peut, à ce point de vue, se rendre coupable d'un
autre péché, tel que l'intempérance ou l'imprudence; mais il ne
peut pas commettre d'injustice, parce que comme la justice se
rapporte toujours à autrui, il en est de même de l'injustice.
2" On peut considérer un individu comme étant une partie d'un
Etat, ou comme étant quelque chose de Dieu, sa créature, par
exemple, son image. Alors celui qui se tue fait injure non pas à
lui, mais à l'Etat et à Dieu. C'est pourquoi il est puni par les
lois divines aussi bien que par les lois humaines. C'est ainsi que
l'Apôtre dit du fornicateur : (I Cor., m, 17). c Si quelqu'un vient
à violer le temple de Dieu, Dieu le perdra. »
En perdant son argent Louis ne commet pas, à proprement
parler, une injustice, mais il fait une injure à Dieu, en gaspil-
lant imprudemment les dons qu'il en a reçus. Il doit aussi bien
compte à Dieu de sa vie que de sa fortune. Il n'a pas plus le
droit de se tuer que de se ruiner. (Q, LIX, art. III, ad 2).
Il peut et doit être libéral, mais non prodigue. La libéralité
est une vertu qui tient le milieu entre deux excès : l'avarice et
la prodigalité. « La prodigalité consiste, dit saint Thomas, soit
à trop donner, soit à ne pas conserver ou à ne pas amasser
DE LA HAINE d'aBOMINATION 347
assez. * (Q. CXIX, art. 1). Or, ajoute-t-il (art. II), la prodiga-
lité est nécessairement un péché aussi bien que l'avarice. Le
prodigue est sans doute maître de ses biens, mais il a le Seigneur
au-dessus de lui, et il ne doit pas disposer de ce qu'il a contrai-
rement à sa volonté. Saint Paul dit bien : « Ordonnez aux riches
de ce monde de donner de bon cœur, de faire part de leurs biens. >
(I Tim. 17) ; mais il engage les riches à donner comme il faut, ce
que ne font pas les prodigues. Il n'y a rien d'honorable ni dans
leurs motifs, ni dans la manière dont ils donnent. Notre-Sei-
gneur dit bien : « Vendez tout ce que vous avez et donnez-le
aux pauvres; > mais ce que Notre-Seigneur encourage, c'est la
libéralité et non la prodigalité. La prodigalité consiste moins
dans l'excès de la chose donnée, que dans ce qu'elle excède la
mesure qu'on n'aurait pas dû dépasser. Nul doute que Louis ne
dépasse cette mesure, et qu'il ne soit prodigue : surtout si l'on
considère que le devoir de la charité le saisit vis-à-vis de sa
famille qu'il mettra dans l'embarras. Il semble donc qu'il com-
met une injure envers Dieu, une injustice envers ceux dont il a
la charge et la responsabilité, une prodigalité dont Dieu lui
demandera compte en vendant, sans raison suffisante, ses mar-
chandises à un prix dérisoire.
b) La conviction oii il est que si Alfred l'imite, il se ruinera,
n'ajoute rien à sa faute, au point de vue de la justice. La ruine
d'Alfred est une conséquence de l'acte méchant qu'il pose. Il est
coupable devant Dieu de différentes manières, mais au point de
vue de la restitution il n'est tenu à rien vis-à-vis d'Alfred. En
présence de la concurrence que lui fait Louis, Alfred devrait
fermer boutique et attendre ; mais Louis ne peut être rendu
responsable de sa ruine quant aux dommages.
4* Enfin, apprenant qxC Alfred s'est suicidé de désespoir, il
en éprouve une grande joie.
Innocent XI a condamné la proposition suivante: « Si cum
débita moderatione facias, potes absque peccato mortali de vitâ
alicujus tristari, et de iilius morte naturali gaudere, illam inef-
licaci affectu appetere, et desiderare, non quidem ex displicentiâ
personae, sed ob aliquod temporale emolumentum. » (Cité par
Saint Liguori. Cap. Il, Dubium II).
P. -G. MOREAU,
vicaire général honoraire de Langres.
348 ÎLNNALES CA.THOLIQUES
LES FABRIQUES
d'après les notes de jurisprudence du conseil d'ÉTAT'"
(Suite. — Voir le numéro précédent.)
C. — Ecoles.
Par application du principe de la spécialité, les fabriques ne
sont pas autorisées à recevoir des libéralités en vue de fonder ou
d'entretenir:
a) Des écoles. (Avis (Assemblée générale), 13 avril 1881. Legs
Bonhoure.)
h) Des salles d'asile. (Projet de décret (Assemblée générale),
25 mai 1882. Legs Favier.)
c) Un établissement des frères de la doctrine chrétienne ou
de tout autre ordre religieux dirigeant l'école. (Projet de décre^
et avis, 11 mars 1884. Legs Rossignol.) ,,j
De même une fabrique ne peut être autorisée à recevoir une
libéralité faite en vue de payer la pension d'un élève du grand
ou du petit séminaire. (Même décision.)
D. — Instruction religieuse.
Si une fabrique peut être autorisée à accepter une libéralité
affectée au catéchisme de la première communion, lequel a pour
but de donner aux enfants l'instruction religieuse nécessaire
pour être admis à l'un des sacrements de l'église, il n'en résulte
pas qu'elle puisse être autorisée à accepter une libéralité des-
tinée au catéchisme de persévérance, qui n'est qu'un exercice
religieux facultatif ne se rattachant directement à aucun acte
du culte. (Projet de décret et note, 25 janvier 1887. Legs Lau-
rent. — Projet de décret et avis, 12 mai 1890. Legs Delbarre.)
Une fabrique ne peut être autorisée à accepter une libéralité
consistant dans un terrain, à charge d'affecter les constructions
qui y seront élevées à une chapelle pour les catéchismes, que
sous la réserve que « le terrain donné sera affecté à la construc-
tion d'une salle de catéchisme et non d'un lieu de culte». (Pro-
jet de décret et note, 17 mai 1890. Donation Ravailhe.)
Il n'y a pas lieu d'autoriser l'acceptation par une fabrique des
libéralités faites en vue d'assurer* l'instruction chrétienne des
enfants de la paroisse », ces termes ayant une signification trop
i
LES FABRIQUES 349
large pour ne s'appliquer qu'à l'enseignement du catéchisme.
L'acceptation d'une semblable libéralité aurait pour eiïet de
faire sortir la fabrique de sa mission. (Projet de décret et note,
20 juin 1883. Legs Palisse.)
La fabrique a capacité pour recueillir les libéralités faites
pour l'habillement des enfants de la première communion. (Pro-
jet de décrets et note, 25 janvier 1887. Legs Laurent.)
E. — Maîtrise.
Une fabrique peut être autorisée à accepter des libéralités
faites pour l'entretien de la maîtrise de l'église, à moins que
cette maîtrise n'ait perdu son caractère d'école de chant pour
devenir un véritable établissement d'instruction. (Note, 31 juil-
let 1880. Legs Loyaulté. — ■ Projet de décret et note, 26 juil-
let 1890. Legs Pellissier.)
F. — Entretien des tombes.
Si une fabrique peut être autorisée à accepter une libéralité
faite sous la condition d'entretenir un tombeau, lorsque cette
condition ne constitue qu'une charge accessoire du legs, il n'en
saurait être de même lorsque les frais d'entretien du tombeau
doivent absorber les revenus du legs ou même ne laisser à la
fabrique qu'un émolument insuffisant. (Projet de décret et note,
29 février 1888. Legs de Béhague. — Avis, 21 novembre 1888.
Legs Bourdereau. — Projet de décret et note, 20 février 1889.
Legs Mingot. — Note, 15 mars 1890. Legs Hébert. — Projet de
décret et note, 22 octobre 1890. Legs Guilloteau.)
Les mêmes solutions doivent être admises dans le cas oii la
condition d'entretenir le tombeau, tout en résultant d'ailleurs
du même testament, fait l'objet d'une disposition distincte et
spéciale. Il n'y aurait lieu de refuser à la fabrique l'autorisation
d'accepter que si les frais d'entretien du tombeau ne devaient
lui laisser sur les libéralités prises dans leur ensemble qu'un
émolument insuffisant. (Projet de décret et note, 17 no-
vembre 1891. Legs Guédé.)
Par application de la même règle, le conseil d'administration
des pompes funèbres de Marseille n'a pas été autorisé à accepter
un legs dont les revenus devaient être aflfectés à l'entretien du
tombeau du testateur; d'ailleurs les attributions de l'adminis-
tration des pomp.es funèbres de Marseille ont été, par l'arrêté
350 ANNALBS CATHOLIQUES
préfectoral du 7 juillet 1808 et le décret du 10 septembre sui-
vant, limitées au transport et à l'inhumation des corps. (Projet
de décret et avis, 5 mai 1891. Legs Paux.)
Il n'y a pas lieu d'autoriser l'acceptation par une fabrique
d'un legs « d'une pièce de terre sur laquelle est établie une sé-
pulture de famille, et d'une allée conduisant à la tombe ».
L'acceptation de cette libéralité aurait, en effet, le double-
inconvénient de constituer un bien de mainmorte dans des con-
ditions qui n'ont été prévues par aucune loi^ et de rendre la
fabrique propriétaire à perpétuité d'une sépulture de famille en
dehors du cimetière communal. (Projet de décret et note,
23 juillet 1890. Legs Massacré.)
Une fabrique ne saurait être autorisée à accepter la donation
d'une chapelle funéraire dans le cimetière communal, les con-^
cessions perpétuelles dans les cimetières ne pouvant être trans-
mises au moyen de donations entre-vifs. (Note, 3 décembre 1883.
Donation Pouria à la fabrique de la Roë.)
Lorsque la charge de la libéralité consiste dans l'entretien
d'une chapelle funéraire, il convient de n'autoriser l'acceptation
que sous la réserve relative aux clauses et conditions contraires
aux lois. Cette réserve est destinée à prévenir la transformation
de la chapelle en un lieu de culte non autorisé. (Projet de décret
et note (Assemblée générale), 15 février 1883. Legs Maurin.)
G. — Construction cCéglises.
Lorsqu'un legs est fait à la fabrique pour la construction d'une
nouvelle église, il y a lieu d'insérer au projet de décret autori-
sant la fabrique à accepter ce legs, une disposition prescrivant
le placement du montant du legs en rentes 3 0/0 sur l'Etat et
la capitalisation des revenus jusqu'à l'entier achèvement des
travaux. (Projet de décret et note (Assemblée générale) 15 fé-
vrier 1883. Legs Monsaint.)
H. — Maisons vicarialès.
Lorsqu'une libéralité faite à une fabrique consiste en une
maison destinée au logement d'un vicaire, la fabrique ne peut
être autorisée à l'accepter qu'à la condition que l'immeuble sera
vendu et le produit de la vente placé en rentes 3 0/0 avec affec-
tation des arrérages à l'acquit de la charge. L'affectation d'une
maison au logement d'un vicaire ne saurait être autorisée, car-
LES FABRIQUES 351
elle aurait pour résultat de placer dans le patrimoine des fabri-
ques une catégorie d'immeubles de mainmorte dont l'existence
n'est prévue par aucune des lois en vigueur. (Note, 10 mai 1890.
Donation Bocquet.)
Il y a lieu, par le même motif, de refuser à une fabrique l'au-
torisation d'accepter le legs d'une maison destinée à servir de
logement gratuit à un vicaire, lorsque le testateur a stipulé
qu'au cas où « la fabrique ne pourrait garder la maison dont il
s'agit, la propriété en ferait retour à sa famille >. (Projet de
décret et note, 5 février 1890. Legs Lemercier.)
Exceptionnellement, une fabrique a été autorisée à conserver
en nature, mais seulement jusqu'à l'expiration d'un bail emphy-
téotique, l'immeuble à elle légué pour le logement des vicaires.
(Projet de décret et note, 26 juillet 1890. Legs Detournay.)
I. — Cloches.
Les libéralités destinées à l'acquisition de cloches doivent être
acceptées par le maire, au nom de la commune, et non par la
fabrique. Ce dernier établissement ne doit être appelé à recueil-
lir que le bénéfice de ces libéralités. Il ne serait pas, en effet,
de bonne administration de faire placer dans le clocher de l'église,
propriété communale, une cloche qui resterait propriété de la
fabrique. (Note, 21 février 1888. Legs Gallin-Martel. — Projet
de décret et note, 17 avril 1888. Legs Paillard. — Projet de
décret et note, 9 janvier 1889. Legs Fosse.)
Il y a lieu d'appliquer les mêmes règles aux libéralités faites
en vue de l'acquisition d'une horloge à placer dans la tour de
l'église, ou d'tin lustre ayant le caractère d'immeuble par des-
Jiation. (Note, 8 janvier 1889. Legs Poupart et Herluison.)
J. — Calvaire.
Il n'y a pas lieu d'autoriser la fabrique à recueillir une libé-
ralité consistant en un calvaire qui ne se rattache à aucune tra-
dition historique ou religieuse. (Projet de décret et avis, 24 octo.
bre 1882. Legs Duflo. — Note, 4 août 1886. Legs Gosse. — Note,
■21 décembre 1887, et projet de décret, 14 mars 1888. Legs Del'
<îroix).
K. — Grosses réparations.
Dans tous les cas où la fabrique est autorisée à accepter une
libéralité destinée aux grosses réparations de l'église, le maire,
352 ANNALES CATHOLIQUES
au nom de la commune, doit intervenir pour en accepter le béné-
fice. (Note, 9 mars 1887. Legs Groussiane).
C'est à la fabrique seule, et non à la commune et à la fabrique
conjointement, qu'il appartient d'accepter une libéralité destinée
« aux réparations de l'église ou du presbytère ». L'article 136,
§§ 11 et 12, de la loi du 5 avril 1884 n'a en eifet maintenu à la
charge des communes les grosses réparations des édifices consa-
crés au culte qu'après l'application préalable des revenus et res-
sources disponibles des fabriques à ces réparations. Quant aux
réparations d'entretien, elles ne peuvent jamais être à la charge
des communes. (Note, 14 mai 1884. Legs Bousquet. — Note,
9 mars 1887. Legs Groussiane).
Par le même motif, il appartient à la fabrique, et non à la
commune d'accepter un legs fait pour l'entretien des autels de
l'église. (Note, 7 novembre 1888. Legs Rebeyrol.)
Il n'y a pas lieu de faire accepter par le maire le bénéfice d'un
legs fait à la fabrique pour l'achat d'une chasuble, pour l'entre-
tien de la lampe du sanctuaire, ou pour l'achat d'ornements
d'église ou de vases sacrés. (Note, 30 avril 1884. LegsLegrand).
L. — Généralités.
Lorsque le testateur a omis de désigner l'église qu'il entend
faire bénéficier de sa libéralité, il y a lieu d'inviter la fabrique
de l'église de son domicile à délibérer sur l'acceptation ou sur le
refus de cette libéralité. (Note, 20 décembre 1887. Legs Raudon.)
La fabrique d'une église paroissiale ou succursale a capacité
pour recueillir les legs faits à une chapelle de secours dépen-
dant, pour le culte, de cette église. (Projet de décret et note,
22 décembre 1891. Legs Dégrugillier.)
Lorsqu'un legs est fait en faveur d'une chapelle sans titre, le
décret statuant sur cette libéralité est ainsi conçu : Il n'y a pas
lieu de statuer.
Dans le cas où le legs est fait à une fabrique pour une cha-
pelle non autorisée, la formule adoptée est la suivante : Le tré-
sorier de la fabrique n'est pas autorisé. (Note, 21 mai 1890.
Legs Bonnet).
Toutefois, lorsqu'un legs est fait à une chapelle sans titre à
charge de services religieux, il peut y avoir lieu d'autoriser la
fabrique de l'église paroissiale dans la circonscription de laquelle
se trouve située la chapelle à recueillir cette libéralité, sous la
condition toutefois que les services seront célébrés dans l'église
LES FABRIQUES 353
paroissiale. (Projet de décret et note, 26 avril 1888. Legs Grin).
M. — Fabriques cathédrales.
L'évêque, au nom de sa cathédrale, a capacité pour accepter
les libéralités destinées à l'embellissement ou à l'amélioration de
cet édifice. Mais c'est au trésorier de la fabrique de l'église cathé-
drale qu'il appartient d'accepter les libéralités destinées à la
fondation de services religieux. (Projet de décret et note, 8 jan-
vier 1889. Legs Bermond).
IV. — Emprunts.
Il n'j a pas lieu, en règle générale d'autoriser une fabrique à
contracter un emprunt destiné à payer des dépenses irréguliè-
rement engagées. (Avis, 12 février 1891. Empruntpar la fabrique
de l'église succursale de Montlaur).
Le délai de remboursement d'un emprunt peut être réduit
d'office, (Projet de décret et note, 23 février 1881, fabrique de
Cordemais).
Dans le cas où l'emprunt est contracté en vue de construire
une église sur un terrain appartenant à la commune, il y a lieu
an préalable de régler la question de la propriété de la future
église. (Note, 21 février 1883. Emprunt par la fabrique de Che-
millé).
Une fabrique peut être autorisée à emprunter par la voie de
l'émission publique. (Projet de décret, 18 juillet 1883. Emprunt
parla fabrique de Saint-Aubin, à Rennes).
Lorsque des particuliers prennent l'engagement d'assurer le
remboursement de l'emprunt pour le cas où les ressources de la
fabrique ne seraient pas suffisantes, il convient de viser cet
engagement. (Note, 9 janvier 1884. Emprunt par la fabrique de
Puceul).
V. Aliénations. — Mainlevées d'hypothèques.
Lorsqu'une fabrique, pour établir ses droits de propriété sur
un immeuble qu'elle se propose d'aliéner, se borne à invoquer
l'arrêté du 7 thermidor an XI qui a transféré aux fabriques con-
servées les biens des fabriques supprimées, sans justifier d'un
envoi en possession prononcé par l'autorité administrative con-
formément à l'avis du Conseil d'Etat du 25 janvier 1807, il y a
26
354 ANNALES CATHOLIQUES
lieu de demander l'avis du Ministre des finances sur la question
de savoir si l'immeuble n'est pas resté propriété de l'Etat; en
cas d'affirmative, il conviendrait d'inviter la fabrique à faire
procéder à la formalité de l'envoi en possession. (Note, 28 no-
vembre 1883, fabrique de Saint-Germer (Oise). — Note, 10 dé-
cembre 1883, fabrique de Landerneau.)
L'acte de vente doit être passé par le trésorier de la fabrique
et non par le président, à moins que ce dernier ait reçu une dé-
légation spéciale du conseil de fabrique. (Note, 16 novembre 1881,
fabrique de Versanne.)
Il convient de mentionner dans les visas les actes en vertu
desquels la fabrique a été autorisée a acquérir les biens qu'il
s'agit d'aliéner. (Note, 29 août 1883, fabrique de Bourgay.)
Lorsque le produit de l'aliénation doit être employé au paie-
ment des dettes de la fabrique, celle-ci doit établir qu'elles ont
été contractées en vertu d'autorisations régulières. (Avis,
4 mars 1889, fabrique de Doizieu-Saint-Laurent.)
Si les biens qu'il s'agit d'aliéner sont grevés de charges, il
.mporte de n'autoriser l'aliénation que sous réserve de la somme
suffisante pour l'acquit des charges imposées et de calculer cette
somme de manière à prévoir le cas d'une augmentation du tarif
diocésain s'il s'agit de charges pieuses. (Note, 22 octobre 1879,
fabrique de Plancoet. — Note, 8 mars 1882, fabrique de Mis-
sillac. — Avis, 20 février 1884, fabrique de Saint-Ouen-la-
Rouerie. — Note, 12 février 1890, fabrique de Montégut
(Hautes-Pyrénées).
Lorsque le produit d'aliénation doit être employé aux dépenses
de reconstruction de l'église ou du presbytère, il y a lieu de
régler au préalable la question de la propriété de cet édifice.
(Note, 13 février 1889, fabrique de Lassigny, — Note,
12 mai 1886, fabrique d'Aboin).
Une fabrique peut être autorisée d'office à aliéner une rente
provenant d'un legs et lui appartenant conjointement avec une
commune, qui en demandait la vente pour en affecter le pro-
duit à la création d'une salle d'asile prescrite par le testateur.
(Projet de décret et note, 12 mars 1890, fabrique de Martres-
de-Veyre.)
Mais, cette aliénation d'office n'a pas été prescrite lorsque la
demande de la commune était formée en vue de faire cesser un
état d'indivision, les parties ayant réciproquement le droit
d'intenter une action en partage. (Avis, 2 décembre 1884^ fa-
brique de Martigny.)
LES FABRIQUES 355
C'est au chef de l'Etat et non au préfet qu'il appartient d'au-
toriser la cession des biens expropriés appartenant aux fabriques
et autres établissements publics du culte, l'article 13 de la loi
du 3 mai 1841 ne s'appliquant pas dans l'espèce. (Note, 22
juin 1886, fabrique de Verlac.)
D'après la loi du 5 avril 1884, la mainlevée d'hypothèques
consenties au profit des fabriques doit être autorisée par décret
au Conseil d'État. (Avis, 28 juillet 1885.)
La régularité de l'acquisition des rentes pour la sûreté des-
quelles ont été constituées les hypothèques doit résulter da
l'instruction. (Note, 26 mai 1886, fabrique d'Écrammeville.)
VI. Autorisation de plaider.
La règle édictée par l'article 121 (que la décision du conseil
de préfecture doit être rendue dans les deux mois à compter du
jour de la demande en autorisation) est applicable aux demandes
en autorisation de plaider formées par les fabriques. (Jurispru-
dence constante, notamment : Projet de décret, 5 février 1890,
fabrique de Saint-Sozy.)
Les fabriques ont besoin d'une nouvelle autorisation du Con-
seil de préfecture pour interjeter appel d'un jugement rendu
contre elles. (Jurisprudence constante: Projet de décret, 23 no-
vembre 1866, pompes funèbres de Marseille.
L'autorisation du conseil de préfecture n'est pas nécessaire
aux fabriques pour interjeter appel d'une ordonnance de référé.
La j uridiction des référés a été constituée pour tous les cas
d'urgence sans distinction, et les communes et les établissements
publics ne pourraient y recourir s'ils devaient au préalable
remplir une formalité incompatible avec la célérité que la loi
a eu en vue d'assurer aux parties. (Projet de décret, 12 jan-
vier 1886, fabrique de Breloux.)
VII. Fabriques et communes.
Depuis la loi du 5 avril 1884, les communes n'étant plus
tenues même subsidiairement de pourvoir aux dépenses du
culte, il importe de ne pas laisser les fabriques aliéner les ca-
pitaux qu'elles possèdent en vue de dépenses qui ne sont obli-
gatoires pour elles que jusqu'à concurrence de leurs ressources
disponibles, c'est-à-dire pour celles prévues aux paragraphes
356 ANNALES CATHOLIQUES
11 et 12 de l'article 136 de la loi de 1884. (Note, 18 septem-
bre 1884, fabrique de Joursac.)
On doit coasidérer comme ressource disponible des fabriques,
dans le sens de l'article 136 de la loi du 5 avril 1884, non le
produit de la vente d'un immeuble ou d'une rente non grevée
de charges, mais seulement les excédents des recettes sur les
dépenses nécessitées par l'exercice du culte et par l'entretien
des édifices paroissiaux ou le montant des libéralités spéciale-
ment afi"ectées aux réparations desdits édifices. (Avis, 2 juil-
let 1884. Note, 31 mai 1835, fabrique d'Epeigné-les-Bois.)
De même le produit d'un emprunt ne saurait être considéré
comme une ressource disponible. (Avis, 23 décembre 1884,
fabrique de l'église d'Yffiniac.)
Les communes ne sauraient être obligées de suppléer à l'in-
suffisance des ressources pour les frais du culte dans une cha-
pelle de secours. (Projet de décret et note, 30 juillet 1884.
Erection en chapelle de secours de la chapelle des Oblats, à
Nancy.)
Il ne convient d'approuver l'engagement pris par un conseil
municipal de garantir l'emprunt contracté par une fabrique en
vue de la reconstitution d'une église, que si l'effet de cet enga-
gement est limité au cas où les revenus de la fabrique ne
présenteraient pas d'excédent après le paiement des dépenses
ordinaires du culte. (Note, 5 août 1884. Emprunt de la fabrique
du Mesnil-Armand.)
Il doit toujours être statué par décret sur les difficultés |qui
s'élèvent entre une fabrique et une commune au sujet des
dépenses prévues aux paragraphes 11 et 12 de l'article 136 delà
loi de 1884, ladite loi n'ayant fait aucune distinction entre le
cas où les Ministres sont d'accord pour proposer, soit l'admis-
sion, soit le rejet de la demande de la fabrique et le cas où les
Ministres eux-mêmes sont en désaccord. (Avis, 6 août 1885.)
DISCOURS DE M. DE MUN A LANDERNEAU
Voici, d'après VUnivers, l'analyse détaillée du discours que M. le
comte Albert de Mun a prononcé à Landerneau, à la réunion de la
jeunesse catholique de Bretagne, discours que nous avons déjà signalé,
mais que nous n'avons pas voulu apprécier avant d'avoir un texte
autorisé sous les yeux.
DISCOURS DE M. DK MUN A LANDERNEAU 357
Au moment de prendre la parole, dit l'illustre orateur, je
tiens à vous redire toute ma gratitude pour l'accueil qui m'est
fait. J'en suis profondément ému. Je ne l'oublierai jamais.
Il ne veut pas se livrer à l'examen détaillé delasituation poli-
tique proprement dite. Il ne veut pas non plus déduire des élec
tiens dernières les conséquences qu'elles pourront avoir au point
de vue parlementaire et ne cherchera pas à tirer l'horoscope de
la nouvelle Chambre. Ce qu'il peut affirmer c'est que, quoi qu'on
dise et quoi qu'on fasse, rien ne saurait venir à bout de l'union
qui existe entre la France et l'Eglise. (Applaudissements.)
S'adressant aux jeunes gens accourus si nombreux pour l'en-
tendre, M. do Mun leur parle des souffrances qu'ils auront à
subir, des obstacles qu'ils rencontreront dans leur lutte pour la
revendication des libertés religieuses et des réformes sociales.
Qu'ils ne se laissent pas décourager, qu'ils soient prêts à tous
les sacrifices pour le salut de la France et le boaheurdu peuple.
(Applaudissements.)
A ses yeux, la situation politique ne justifie pas les découra-
gements qu'il a rencontrés chez de nombreux électeurs. L'obéis-
sance au Pape est un gage de succès. (Applaudissements). Le
seul fait d'avoir obéi à Léon XIII qui nous conviait à laisser de
côté nos espérances ou nos regrets et à nous organiser sur un
terrain plus large et plus fertile, est une grande espérance pour
l'avenir. (Applaudissements). Qu'importe les échecs personnels!
Nous devons être avant tout des hommes d'action et ne pas imi-
ter ceux qui s'endorment dans la routine des vieilles habitudes.
(Applaudissements.) Depuis un an l'organisation des forces
catholiques sur ce nouveau terrain a fait d'immenses progrés.
Les télégrammes qu'on vient de lire en sont la preuve.
Ce ne sont pas là de simples témoignages de sympathie per-
sonnelle ; s'il en avait été ainsi, nous ne les aurions pas livrés
au grand jour de la publicité. Nous les aurions gardés dans l'in-
timité de nos cœurs. Non ! ces télégrammes démontrent que
partout, sur tous les points de la France, il se forme en ce mo-
ment une ligue d'hommes résolus, de catholiques disposés à agir
et à présenter des candidats et possédant tous un même pro-
gramme; ces télégrammes sont le témoignage d'une force exis-
tante, réelle et très vivante, et il était bon que ce témoignage
fut apporté ici, au cœur de cette vieille terre de granit, au cœur
de la Bretagne. (Bravos et applaudissements.)
Sans doute, messieurs, continue le grand orateur, ce n'est pas
358 ANNALES CATHOLIQUES
une parole de victoire que je vous apporte, mais c'est une
parole d'indicible confiance. (Applaudissements.)
Au lendemain de la bataille, il est bon que l'un des vaincus
vienne relever le drapeau, appeler à lui tous les courages et dire :
Nous sommes encore debout, prêts pour de nouveaux com-
bats. (Acclamations ; on crie : Vive de Mun !)
Pour la lutte que nous préparons, il est utile que, le plus
souvent possible, les chrétiens se rassemblent et appellent à
eux tous les hommes de bonne volonté. Cette belle réunion sera
le début de beaucoup d'autres. Des conférences, des congrès au-
ront lieu partout, non pas pour prononcer des discours, plus ou
moins stériles, mais pour organiser pratiquement l'action sociale
catholique. (Applaudissements.)
Il faut nous faire connaître. Nous succombons parce que nous
ne sommes pas connus ou que nous sommes méconnus. On con-
tinue de faire croire aux masses que nous représentons un régime
déchu. Il y a là une équivoque qu'il faut dissiper. Il faut faire
comprendre au peuple qu'on nous calomnie. (Applaudissements).
Le but que nous devons atteindre, c'est Tâme populaire. Voilà
notre champ de bataille. (Applaudissements.) C'est là qu'il faut
arriver et il le faut pour deux raisons, d'abord parce que le
sentiment de la justice nous en fait une loi, ensuite parce que le
salut du peuple ne peut être assuré par d'autres que par nous.
(Applaudissements.)
Nous avons deux moyens de réaliser cette grande œuvre : la
parole et les actes.
Gardons-nous des récriminations, ne nous attardons pas à scru-
ter les accusations de ceux qui nous reprochent d'avoir tout
compromis. Gardons-nous des appréciations améres ou violentes.
Cela produit de mauvais résultats, cela aigrit et divise. Nous
frayons la voie de l'Eglise ; à travers les changements humains,
à travers les révolutions, par delà les formes nouvelles, il faut
que l'Eglise passe! (Applaudissements). Nous sommes ses fils,
unissons-nous pour la faire passer. (Nouveaux applaudissements.)
Examinons donc la situation avec sang«froid et, dans cet
examen, sachons retremper nos énergies.
Il y a dans les élections qui viennent d'avoir lieu, quelque
chose d'effrayant, c'est la poussée du socialisme, c'est l'arrivée
à la Chambre de quarante socialistes, les uns dévoués depuis
longtemps à leur doctrine, les autres ayant accepté cette même
doctrine par calcul ou par ambition. Il y a, chez ces hommes,
DISCOURS DE M. DE MUN A LANDERNEAU 359
du talent, des idées, de l'audace, de quoi surmonter tous les
obstacles et je souhaite aux catholiques d'en avoir autant.
(Applaudissements.)
Cette marche en avant du socialisme doit nous frapper, c'est
le fait capital des dernières élections.
Et je vous dis : Prenez-y garde ! Le mal fait chaque jour des
progrès. Il est grand temps d'oppo?er à ces hommes une résis-
tance active et de tous les instants. En définitive, il n'}' a plus
aujourd'hui que deux doctrines qui se disputent l'âme du peuple,
il n'y a plus en présence que deux programmes; d'un côté, le
programme socialiste et, d'un autre côté, notre programme à
nous, le programme chrétien. fVifs applaudissements.)
Pour nous organiser, il nous suffit de regarder le parti ouvrier
qui nous donne l'exemple.
Voyez ce qui s'est passé dans le Nord et dans le Pas-de-Calais.
Quarante-cinq mille ouvriers se mettent en grève sans pouvoir
formuler de revendications bien précises, uniquement parce qu'on
leur a dit de faire grève ; ils obéissent aux syndicats qui leur
donnent des ordres et on les voit s'abstenir de la fréquentation
des cabarets pour diminuer leurs dépenses, pour, comme ils le
disent, durer plus longtemps.
Il en est de même pour les élections ; les ouvriers votent pour
le candidat que le syndicat leur désigne. Et ce n'est plus seule-
ment dans les villes que le socialisme fait ses ravages et qu'il
recueille les fruits de sa propagande incessante. Autrefois, au
moment des élections, dans les campagnes, il suffisait d'agiter
devant le paysan le spectre rouge, l'épouvantail socialiste, pour
obtenir son vote. Il n'en est plus de même aujourd'hui. Le pay-
san commence à prêter l'oreille aux discours de ceux qui lui
parlent de sa misère et lui promettent un avenir meilleur. Un
jour, à propos d'une question d'administration forestière, dans
le Cher, un député socialiste est intervenu et les bûcherons de
ee département se sont mis en grève. Enfin, retenez ce fait d'une
importance considérable : aux dernières élections, trois députés
socialistes ont été nommés dans des circonscriptions purement
rurales. (Sensation.)
Non ! la campagne elle-même n'est plus àl'abri. Là, comme dans
les villes, le terrain est prêt. Les socialistes le savent et voilà
pourquoi, lors du récent congrès qui vient de se tenir à Paris, sans
bruit, dans le secret, comme il convient à des hommes qui ont à
prendre des résolutions décisives, il a été entendu qu'on allait
360 ANNALES CATHOLIQUES
entreprendre une propagande active dansles campagneset qu'on
commencerait par conquérir la Bretagne, parce qu'on la consi-
dère, ajuste titre, comme un pays jusqu'ici réfractaire à l'idée
socialiste. Oui, l'on veut asservir la Bretagne ! (A ce moment,
une voix dans l'auditoire s'écrie : Jamais / les applaudissements
éclatent.)
Cette interruption me fait plaisir continue l'orateur, mais,
encore une fois, prenez garde et ne laissez pas le sommeil vous
fermer les yeux! (Applaudissements.)
L'on a beaucoup ri, dernièrement, du député coiffeur et du
député chapelier; l'on avait ri beaucoup aussi quand la blouse
de M. Thivrier fit son apparition dans l'enceinte du Palais-
Bourbon. Pour ma part, je n'ai pas trouvé cela risible. J'ai vu
dans cette blouse un symbole et, dans l'élection du coiffeur et
du chapelier, j'ai vu la manifestation de l'organisation et de la
discipline d'un parti redoutable. Le socialisme est un grave
danger. Je ne suis pas de ceux qui s'imaginent qu'on puisse
l'arrêter par des haussements d'épaules. (Applaudissements.)
Je le dis donc aux catholiques : le terrain de la lutte, c'est le
terrain social, c'est là qu'il faut nous placer, c'est là qu'il faut
concentrer nos efforts, organiser notre ligue contre le socialisme
grandissant. (Applaudissements.)
Sans doute, la question sociale est intimement liée à la ques-
tion religieuse. C'est grâce à la loi scolaire qui bannit de l'âme
des enfants tout sentiment chrétien, que le socialisme a réussi,
a fait d'aussi rapides progrès (Applaudissements.) Nos adver-
saires s'en rendent compte et l'on s'explique aisément pourquoi
l'un des organes du parti ouvrier faisait récemment l'éloge de
la loi scolaire et demandait qu'on la défendît comme étant l'une
des conquêtes les plus utiles. Aussi ne sera-ce pas la majorité qui
va se constituer dans la prochaine Chambre, qui barrera la
route au socialisme (Applaudissements) et j'avoue que je ne
partage pas la confiance de M, le président du conseil qui se
fiattait, il y a quelques mois d'enfermer le socialisme dans un
dilemme (Rire général). Je crois que le socialisme aura bientôt
fait d'en renverser les deux termes et, peut-être, M. le président
du conseil avec eux. (Rires et applaudissements.)
Non ! le parti dominant, le parti qui depuis quinze ans gou-
verne la France, le parti qui a écarté Dieu des institutions et
des lois, ce parti-là ne peut barrer la route au socialisme, car
c'est lui qui a ouvert la porte (vifs applaudissements), et les
DISCOURS DE M. DE MUN A LANDERNEAU 361
socialistes ne sont que des opportunistes conséquents. (Applau-
dissements.)
Ce ne sont pas non plus les conservateurs qui lui barreront
la route. (Rires et applaudissements.) Je les crois plutôt desti-
nés à être balayés par lui.
L'on m'a acusé d'èire socialiste. (Protestations dans l'audi-
toire. Cris de : Vive de Mun!j
Je prétends, au contraire, que les seuls qui aient essayé d'op-
poser une barrière au socialisme, sont ceux qui ont suivi la voie
tracée par Rome. (Applaudissements, nouvelles acclamations.)
Eh bien! il faut continuer l'œuvre entreprise, mais comment?
La première des conditions, si l'on veut réussir, c'est de bien
connaître les soufirances populaires, c'est de faire des enquêtes.
C'est là le meilleur moyen d'attirer l'attention de l'opinion pu-
blique. En Autriche, le baron de Vogelsang l'a employé ; il a
fait une enquête sur la situation industrielle de ce pays; il a
révélé des faits qu'on ne soupçonnait pas, il a montré toute une
misère qu'on croyait impossible. L'opinion publique s'est émue
et la législation sociale autrichienne est sortie de là.
En Angleterre, le pays le plus avancé en fait de législation
sociale, en Allemagne, dans tous les pays qui se préoccupent de
la question sociale et veulent sérieusement y remédier, l'on a
fait des enquêtes. En France, quand il s'est agi de discuter les
lois sur le travail, nous avons apporté à la Chambre des faits
précis, des chiffres, des détails qui ont étonné tout le monde et
qui ont créé un courant d'opinion.
Ce que nous avons fait pour les villes, il faut le faire pour les
campagnes. Je voudrais qu'on parcourût les campagnes, afin de
connaître exactement la condition des paysans, des fermiers et
des ouvriers des champs, afin d'améliorer leur sort moral et
matériel, de prévenir la révolte, d'empêcher qu'on n'allume là,
comme on l'a allumée dans les villes, la guerre des classes. Cette
œuvre de salut, qui donc l'a commencée? Quand il s'agit des
campagnes, j'entends bien qu'on parle de la culture et des
récoltes, mais qui donc a songé à cette question du socialisme,
qui, d'un moment à l'autre peut se dresser menaçante entre le
propriétaire et le fermier, entre celui qui possède et celui qui
n'a rien? (Applaudissements.)
Que de fois je me suis dit ces choses, quand je passais dans
les chemins creux de votre Basse-Bretagne, dans ces champs oii
les socialistes n'ont pas encore pénétré. En visitant ces chau-
362 ANNALES CATHOLIQUES
mières étroites, trop étroites quelquefois pour contenir les mem-
bres de la famille agricole, en découvrant certaines misères, je
songeais : Ah ! si quelque Basly campagnard parcourait ces
sentiers, entrait dans ces maisons et, mettant le doigt sur la
plaie vive, entreprenait de révéler au paysan toute l'étendue
de sa souffrance, ah! la révolte ne tarderait pas à se produire.
Un jour, l'un de ces fermiers, excellent homme, attaché à sa
terre et l'aimant vraiment, dit devant moi : « Les ouvriers des
villes se mettent en grève. Pourquoi donc les paysans ne feraient-
ils pas comme eux ? » Cette parole me fit frémir, elle fut pour
moi comme l'une de ces lueurs sinistres qui éclairent un horizon
noir, et je partis en me disant : Si les socialistes passent par là,
avant nous, ils trouveront le terrain préparé pour les recevoir ! »
(Applaudissements.)
Je vous le dis, messieurs, il est grand temps de se mettre à
l'œuvre. C'est parce que je vois l'imminence du péril, que je
viens vous adjurer de vous organiser, d'unir toutes les bonnes
volontés en vue des réformes sociales nécessaires, de travailler
de toutes vos forces pour obtenir des pouvoirs publics une légis-
lation agricole en faveur du travailleur des champs. (Applaudis-
sements.)
A l'heure présente, la campagne se dépeuple au profit des
villes : ce travail qu'ils voient faire à leur père, rebute les en-
fants qui ne le trouvent pas suffisamment rémunérateur. Com-
bien n'en avons-nous pas rencontrés à Paris, de ces malheureux
qui, ne pouvant plus vivre à la campagne et attirés par le mirage
de la jouissance et de la richesse, sont descendus bien vite au
plus profond des abîmes de la misère, quand ils ne se sont pas
enfoncés dans le bourbier du vice ! (Applaudissements.)
Quand on songe à tout cela, l'on reconnaît aussitôt la néces-
sité d'une réforme, et, tout de suite, l'idée d'une foule de ré-
formes particulières se présente à l'esprit.
Aujourd'hui, le paysan ne peut plus vivre sur sa terre; il est
ruiné par les impôts et par l'hypothèque. Les socialistes l'ont
bien vu, et, immédiatement, ils se sont approprié l'un des points
de notre programme catholique. Ils ont demandé ce que nous
demandons depuis longtemps : qu'on rendît insaisissables dans
les campagnes la maison et le champ du cultivateur, les instru-
ments et le bétail de première nécessité. Au cours de la der-
nière législature, je l'avais demandé moi-même à la Chambre,
et l'on me répondit alors : « Mais que voulez-vous que les pay-
DISCOURS DE M. DK MUN A LANDERNEAU 363
flans fassent? Ils ne pourront plus emprunter, puisqu'ils n'offri-
ront plus de garantie au premier hypothécaire »?
De là, messieurs, l'obligation d'organiser partout dans les
campagnes des sociétés de crédit agricole.
Dans d'autres pays, les catholiques se sont préoccupés, depuis
longtemps, de toutes ces questions. Vous avez entendu raconter
l'histoire de ces banques Raiffeisen qui couvrent aujourd'hui
l'Alsace tout entière, grâce à l'activité des catholiques et sur-
tout du clergé de cette province. Ce sont les prêtres qui en ont
pris l'initiative et il ne faut pas chercher ailleurs la raison de
l'influence qu'ils ont conservée là-bas sur le peupla.
En France, hélas! il n'en est pas de même et je trouve que
notre clergé ne se mêle pas assez à la lutte sociale.
Le champ qui s'ouvre devant nous est cependant assez large.
Dans chaque paroisse, dans chaque commune, formons des syn-
dicats agricoles qui nous procureront les moyens d'organiser
ces institutions économiques dont je vous ai parlé et dont lei
travailleurs de la campagne ont besoin. (Applaudissements.)
Je vous signale une lacune à laquelle il importe de remédier
sans retard : vingt-cinq à trente communes seulement sont or-
ganisées à ce point de vue. Il est grand temps de se mettre à
l'oeuvre; cette formation de syndicats agricoles est absolument
nécessaire. Si les catholiques ne l'entreprennent pas, on l'entre-
prendra sans eux ; si nous ne nous organisons pas dés mainte-
nant, on s'organisera sans nous et contre nous ! (Vifs applaudis-
sements.) Encore une fois, c'est le seul moyen de résister utile-
ment au socialisme qui s'avance.
L'heure est grave et je ne me dissimule pas que vous rencon-
trerez des difficultés. Grâce aux lois scolaires, grâce au parti
pris qu'on voit chez ceux qui, depuis quinze ans, détiennent le
pouvoir, d'écarter du peuple le clergé catholique, on a fini par
l'habituer à ne plus aimer, à ne plus croire ceux qui ont mis-
sion de l'enseigner et de le défendre. On enferme le prêtre dans
sa sacristie, dans la pratique de son ministère le plus étroit, on
le met dans l'impossibilité de s'occuper du peuple et l'on sd
retourne ensuite vers les ouvriers des villes et des champs en
disant : « Vous voyez vos prêtres! à quoi vous servent-ils? ils
ne font rien pour vous, ils ne font rien qui puisse améliorer
votre bien-être matériel! » (Applaudissements.)
Messieurs, il faut sortir de là. Je vous adjure, encore une
fois, de vous organiser, de prendre et de faire connaître un pro-
364 ANNALES CATHOLIQUES
gramme social. Vous avez encore, dans ce pays breton, une
influence considérable, vous possédez un clergé dévoué et zélé.
Sachez utiliser cette grande force. Allez au peuple, parlez à son
cœur et ranimez sa foi. Vous avez des orateurs laborieux et
jeunes. Organisez des conférences. Le peuple vous entendra.
On a voulu, on veut encore nous empêcher d'aller à lui, on nous
accuse, on nous calomnie, mais je puis dire que toutes les fois
que nous avons pu l'approcher, que nous nous sommes adressés
à lui, que nous lui avons tendu la main, toutes les fois qu'il a pu
nous rencontrer dans les réunions, que là, les yeux dans les
yeux, nous avons fait connaître notre programme au travail-
leur, eh bien! je puis dire que nous avons trouvé bon accueil.
(Acclamations.) Quelquefois les conservateurs nous ont fait
défaut, jamais les ouvriers! (Bravos et applaudissements, la
salle entière acclame l'orateur.)
Et pourquoi donc n'aurions-nous pas confiance? N'avons-nous
pas un Code, n'avons-nous pas cette Encyclique mémorable sur
la condition des ouvriers ?
Mais ce code, le connaissons-nous bien? Qui donc l'a lu,
parmi ceux qui prétendent que nous n'avons pas le droit de nous
en armer, parmi ceux qui l'interprètent au gré de leurs fantai-
sies'/ Oui, qui l'a lue cette Encyclique, qui l'a étudiée, qui l'a
méditée, parmi les conservateurs? (Bravos et applaudissements.)
Les socialistes la connaissent mieux que nous. Dans toutes les
réunions qu'ils organisent, dans tous leurs congrès, on en parle,
on en cite des passages, tantôt pour se les approprier, tantôt
pour en critiquer les prétendues faiblesses. Et dans les assem-
blées populaires, il est arrivé bien souvent que le nom de
Léon XIII a été acclamé comme le nom d'un Pape qui s'est placé
au premier rang des serviteurs de la démocratie. (Cris de Vive
Léon XIII! Salve d'applaudissements.)
La voie nous est tracée, nous n'avons qu'à la suivre. Ecoutons
la parole du Pape étudions-la, sachons nous en pénétrer. Ainsi
nous serons armés pour la lutte. (Applaudissements.)
Messieurs, j'ai confiance dans l'avenir. Les années auront
beau s'accumuler sur mes épaules, m'obligeant à me reposer un
jour des fatigues du combat, jamais il n'entrera dans mon cœur
une pensée de désespoir ou de découragement! (Acclamations.)
A l'heure présente, des transformations sont possibles, mais
qu'importe! La France n'a-t-elle pas traversé des périodes
aussi troublées ? N'a-t-elle pas subi, il y a cent ans, des secousses
DISCOURS DE M. DE MUN A. LANDERNEAU 365
autrement terribles qu'on ne soupçonnait pas quelques années
auparavant, qu'on aurait évitées si l'on avait su les prévoir?
Oui, les formes changent, les modifications sont une loi de l'his-
toire; il ne faut pas s'en émouvoir plus qu'il ne convient. Pou-
vons-nous prédire quelles seront les formes du prochain siècle,
pouvons-nous affirmer que la propriété elle-même ne subira pas,
dans sa forme, un changement que nous ne pouvons décrire?
Notre tâche est de préparer l'avenir. (Applaudissements), de
faire comprendre à nos contemporains que la propriété n'est
pas seulement pour celui qui possède un droit à la jouissance,
mais qu'elle est corrélative d'un devoir, qu'elle est une fonction
sociale. (Vifs applaudissements.)
Ces transformations, messieurs, ces formes nouvelles il faut
les accepter, il faut nous efforcer de rendre pacifique l'évolu-
tion qui se prépare. Il faut combattre courageusement, sans
jamais déserter le champ de bataille, il faut avoir confiance î
(Nouveaux applaudissements.)
Pourquoi n'aurions-nous pas espoir? On parle de décadence.
Pour ma part, je n'en vois qu'une qui soit à redouter, c'est
l'oubli de Dieu et de Jésus-Christ. (Applaudissements.) Mais
quand je jette un regard en arriére et que je compare le pré-
sent au passé, je ne puis m'empêcher d'éprouver une grande
joie. Quelle difi'érence entre les hommes d'aujourd'hui et ceux
de ma génération ! En ce moment des associations de la jeunesse
catholique, semblables à la vôtre, couvrent la France entière.
Partout, dans les carrières libérales et dans l'armée, déjeunes
hommes se lèvent pour affirmer leur foi. (Applaudissements.) Et
je suis heureux de pouvoir constater combien les idées sociales
que j'ai servies depuis dix-sept ans, sont en progrès. (Acclama-
tions.)
Ayez donc courage. Dieu n'a pas abandonné la France ; Dieu
n'abandonne pas son Eglise, l'Eglise est immortelle et la France
vivra parce qu'elle est sa fille aînée. (Nouvelles acclamations.)
En ce moment même, à Paris, pour fêter les représentants
d'une maison amie, tous les Français sans distinction d'opinions
ni de partis, se sont unis dans un grand sentiment de paix et de
concorde. (Applaudissements, — On crie: vive la Russie !), et
je ne puis m'empêcher de voir dans cette alliance qui s'off'ie à
nous, un témoignage nouveau de la bonté de Dieu pour la
France. (Acclamations.)
Il faut employer toute l'énergie de nos dévouements à pro-
366 A.NNALBB CATHOLIQUES
curer à notre pays, d'une façon définitive, cette paix et cette
concorde dont il jouit à cette heure. (Applaudissements.) C'est
le vœu du Saint-Père, et vous avez remarqué que c'est bien là
ce qu'il nous demande dans le télégramme qu'on vous a lu tout
à l'heure, la concorde et la paix. (Nouveau applaudissements;
cris de : Vive Léon XIII !)
Dans l'un de ses derniers écrits, l'un des hommes qui hono-
reront le plus la Chambre nouvelle, M. de Vogiié, raconte qu'à
Ravenne il découvrit un jour, gravé dans la pierre, cette ins-
cription : « En espoir. Dieu! > Et, d'après l'étude qu'il en
fit, il croit pouvoir dire que ces mots se rapportent à l'expédi-
tion des Français en Italie, sous le commandement de Bayard.
Les siècles ont passé. L'inscription est restée dans la pierre,
attestant que les Français ont passé par là. (Applaudissements.)
Messieurs, il en sera de même pour vous. Vous ne verrez pas
le triomphe de vos œuvres; mais vous aurez semé vos idées.
Vous laisserez la trace de votre passage. Vous souvenant que
vous travaillez pour l'avenir, vous graverez partout votre
devise, et plus tard vos descendants diront que notre siècle ne
fut pas un siècle de décadence, car l'inscription que vous leur
léguez aujourd'hui atteste, pour eux, la fécondité de vos œuvres
et la gloire de vos combats : « En espoir. Dieu! »
(Longues salves d'applaudissements; la salle entière, debout,
acclame l'orateur pendant plusieurs minutes. Au moment ou le
calme se rétablit, un paysan lève son chapeau et crie : «Encore
une fois ! » L'auditoire fait à l'orateur une nouvelle ovation.)
On voit par ce discours quel sera sans doute le thème fondamental
des autres discours que M. le comte de Mua se propose de prononcer
dans une série de conférences.
Si nous ne nous trompons dans cette conjecture, il y aura lieu
d'examiner une à une les indications fournies par l'orateur pour
travailler à la meilleure solution do la question sociale dans les cam-
pagues comme dans les villes. Aujourd'hui, nous ne nous permet-
trons, avec la Vérité, qu'une observation : c'est que, pour les paysans
comme pour les ouvriers des villes, il importe souverainement de ne
pas se tenir dans le vague de programmes d'ailleurs éloquents, mais
où la critique ne devrait marcher qu'accompagnée de l'indication
précise du lemède par lequel on peut se promettre de traiter effica-
cement telle plaie désigoéo.
Dans ce premier discours, M. de Mua indique : 1° les enquêtes qui
devraient, ce semble, précéder toute résolution pratique, mais qui.
LA. QUESTION JUIVE 367
hâtons-nous de le dire, ont déjà été faites en grande partie; 2° une
législation agricole, mais trop vague et trop complexe pour ne pas
couvrir bien des dangers à côté d'avantages qui seraient à préciser;
3° des syndicats agricoles qui, existant déjà en grand nombre, ont
amené des bienfaits relatifs, mais dont l'influence sera nulle sur
bien des causes du mal socialiste, dont M. le comte de Mun redoute
à bon droit la propagande funeste, après le succès que les socialiste
viennent d'obtenir aux dernières élections.
Ici, comme toujours, il faut constater que, tout en réclamant cer-
taines réformes qui feraient disparaître du code les dispositions le»
plus défavorables à la législation familiale, c'est surtout la question
religieuse qui est au fond de la question sociale, et que tous doivent
avoir à cœur de tourner de ce côté leurs principaux efforts. D'une
façon générale, il est vrai de dire que si propriétaires et ouvriers
des champs étaient moins oublieux de leurs devoirs religieux, nous
ne disons pas seulement la situation morale, mais la situation maté-
rielle serait meilleure pour les uns et les autres; nous n'en serions
pas dans l'état de crise aiguë qui nous désole et dont, sans ce
remède, il ne faut pas espérer de sortir.
LA QUESTION JUIVE ET L'EGLISE
. Nous avons une question juive et on pourrait presque dire,.
en certains pays, qu'elle résume la question sociale.
Nous souffrons, en effet, dit très bien le Courrier de Bruxelles,
surtout du mal d'argent : envie d'argent qui souffle en bas les
convoitises et les mauvaises passions ; amour d'argent qui
répand en haut l'égoïsme et les stériles jouissances. Nous ai-
mons l'or, nous nous y attachons pour lui-même, au lieu que
l'Eglise nous enseigne qu'il faut s'en détacher et n'en user que
pour le bien.
C'est de l'oubli de cette grande loi chrétienne que sortent
presque tous nos maux, le Saint-Père nous le rappelait dans sa
dernière Encyclique sur le Rosaire.
Cette conception mauvaise de la richesse livre notre société
aux entreprises de la juiverie, et, grâce à l'ascendant qu'on leur
a permis de prendre, nous met à leur discrétion. Car nous en
sommes bien là, et l'explosion d'antisémitisme en Russie, en
Autriche, en Allemagne, en France, témoigne de la profondeur
du mal. Que n'a-t-on écouté l'Eglise qui nous a dit de tout
temps : gardez-vous des Juifs !
368 ANNALES CATHOLIQUES
Un écrivain de talent, M. Auzias Turenne, vient d'étudier la
question au point de vue spécial de ses relations avec le droit
ecclésiastique dans l'excellente Revue catholique des Institu-
tions et de Droit et il arrive à cette conclusion que « l'Eglise
s'était occupée de cette question, comme dotant d'autres, avant
les sages et les prudents du monde; mais qu'en outre elle avait
su trouver et prescrire la meilleure solution, la plus conforme à
la justice et par conséquent la plus favorable non seulement
aux intérêts spirituels, mais encore aux intérêts temporels des
peuples ».
Dans les siècles suivants, nombreux sont les Conciles où de
semblables défenses sont formulées. Le Concile de Mâcon (581)
interdit aux juifs d'exercer des fonctions qui leur permettent de
décerner des peines contre des chrétiens : combien de juifs ne
siègent-ils pas dans nos tribunaux?
Le Concile d'Avignon (1409) défend aux chrétiens de traiter
aucune affaire d'argent avec les juifs. Ceux-ci sont condamnés
à rendre ce qu'ils ont extorqué par usure.
Le quatrième Concile de Latran revient sur ces défenses et
interdit aux juifs d'exiger des intérêts exagérés, à peine
« d'être privés de tous rapports avec les chrétiens ». On ne doit
leur confier aucun emploi public; si on le fait, le contrevenant
sera puni et le juif, après avoir été révoqué honteusement,
devra en outre remettre à l'évêque, pour le distribuer aux pau-
vres, tout l'argent reçu par lui à l'occasion de cet emploi. C'est
alors qu'on vit apparaître l'injonctionpour les juifs de se distin-
guer par les vêtements ou du moins par une marque bien
visible.
A côté de ces documents, M. Ch. Auzias Turenne en cite
beaucoup d'autres, ainsi que des actes pontificaux, plus nom-
breux encore, d'oii il ressort que l'Eglise ne s'est jamais dé-
partie de sa règle de conduite vis-à-vis des juifs, tout en con-
damnant les violences dont ils étaient parfois l'objet de la part
des peuples pressurés et poussés à bout.
Constamment, dit M. Auzias Turenne, l'Eglise s'est inspirée
du principe directeur que le Concile de Latran énonçait en ces
termes : Judeos subjacere christianis oportet et ah eis pro solo,
humanitate foveri. Que les juifs soient traités avec humanité;
mais qu'ils soient toujours tenus dans la dépendance et qu'on
ait avec eux le moins de rapports qu'il se pourra.
Malheureusement, ne pas écouter l'Eglise et se croire plus
LA QUESTION JUIVE 369
sage qu'elle, n'est pas non plus chose nouvelle. Fréquemment
on oubliait ou onfoulait ouvertement aux pieds les prescriptions
de Synodes ou des Conciles; il en résultait que les Juifs ne tar-
daient pas à s'enrichir, à accaparer les marchandises et tout
l'argent du pays ; si bien que loin d'être dans la dépendance,
c'étaient eux qui imposaient le joug aux chrétiens. Quand ce
joug était devenu intolérable, si les princes n'intervenaient pas,
parfois les multitudes avaient recours aux plus déplorables
violences. L'Eglise alors devenait la seule protectrice des juifs
et l'on voyait les Papes, comme Jean XXII et Clément VI,
intervenir en leur faveur et, en même temps, rappeler au
peuple chrétien que ses maux provenaient surtout de l'oubli des
prescriptions si prudentes de l'Eglise.
Le premier Concile où l'on paraisse s'être occupé des juifs
est celui d'Evire, en Espagne, tenu avant la fin de la dixième
persécution. Un canon défendait aux chrétiens de donner leurs
filles en mariage aux juifs, un autre de manger avec eux.
Plusieurs Papes, Pie IV notamment et Sixte-Quint, voulu-
rent essayer de l'indulgence et, dans l'espoir de convertir les
juifs, leur firent des concessions, mais le résultat fut tout autre
et après quelques années Pie V et Clément VIII étaient forcés
de rétablir les canons dans toute leur rigueur. « Tous, disait
Clément VIII, soufî'rent de leurs usures, de leurs monopoles, de
leurs fraudes ; ils ont réduit à la mendicité une foule de malheu-
reux, principalement les paysans, les simples et les pauvres. »
Nous pourrions encore citer bien des détails intéressants
consignés dans l'étude de M. Auzias Turenne ; mais nous
devons nous arrêter. Terminons par ce passage de ses conclu-
sions que nous ferons nôtres :
€ L'Eglise, dés l'origine et avant tous les politiques, a com-
pris que les juifs étaient un danger et qu'il fallait les tenir à
l'écart. Dépositaire de la douceur évangélique, elle a défendu
la vie des juifs; mère des nations chrétiennes, elle veut les
préserver de l'envahissement hébraïque qui serait leur mort au
spirituel et au temporel. Si on lui avait obéi, les chrétiens n'au-
raient pas eu à souffrir tout ce qu'ils ont souffert de la part des
juifs et, par suite, les réactions terribles avec tous les crimes
qui les ont accompagnées, n'auraient pas eu lieu. Chrétiens et
3uifs se seraient donc bien trouvés de cette observation des
règles de l'Eglise.
« Au lieu de tenir les juifs à l'écart, les nations chrétiennes,
27
370 ANNALES CATHOLIQUES
après avoir entièrement laissé de côté les prescriptions de
l'Eglise, ont fini par les admettre dans la société et leur accorder
tous les droits de citoyens. Et aujourd'hui il se trouve que ces
nouveaux citoyens, après avoir accaparé la plus grande partie
de la richesse nationale, tendent à s'emparer du gouvernement
et à opprimer ceux qu'ils n'ont pas cessé de regarder comme des
êtres impurs, des gentils, des Philistins incirconcis. Toutes les
mesures proposées, en dehors de celles de l'Eglise, seront
vaines, et celles de l'Eglise, pour être efficaces, doivent être
appliquées de concert par l'Etat et par chacun de nous person
nellement. Aussi longtemps que les juifs seront juifs, c'est-à-dire
jusque vers la fin du monde au moins, la seule politique à suivre
à leur égard sera de les tenir à l'écart, en ne les maltraitant
pas ; mais aussi en frayant le moins possible avec eux et en les
empêchant de nuire, »
L'ANTIPAPE LUCIFERIEN
Sous ce titre, la Croix de Reims donne le résultat d'une enquête
récente sur le chef actuel de la franc-maçonnerie.
Dans nos articles précédents, dit-elle, nous avons dit qu'A-
driano Lemmi était juif; mais comment est-il juif?
Il n'y a pas beaucoup de juifs de son espèce; car il est extrê-
mement rare de voir un catholique passer à la juiverie, et
Adriano Lemmi est né catholique, a été baptisé.
C'est un renégat qui s'est fait juif, par haine du catholicisme,
en 1846, à Constantinople. (Si nous en croyons la Vraie Rome,
du 24 septembre dernier, il circule à Rome une brochure inti-
tulée : Question i^npor tante. — Documents. — Livourne, Mar-
seille^ Firenze, 1844, 1891. — Italie, où des documents authen-
tiques copiés en fac-similé établissent que l'Adrien Lemmi
condamné, en 1844, à P^arseille, à un an et un jour de prison
pour vol et escroquerie, était le même Adrien Lemmi qui vient
de se faire nommer G.'. M.*, de la Maçonn.'. Luciférienne).
Lemmi, qui a aujourd'hui 71 ans, quoiqu'il paraisse en avoir
dix de moins, naquit à Livourne (Italie), de père et mère cai^o-
liques, en 1822. Il avait donc 24 ans quand il renia la foi de ses
ancêtres et se fit circoncire!
Nous recevons, à l'instant, la preuve irrécusable de cette
NOUVELLES RELIGIEUSES 371
apostasie. Elle consiste dans Ve\tva.\i authentique et absolument
inédit encore de son acte de baptême. Nous sommes heureux
d'offrir cette primeur aux lecteurs de lu Croix de Reims et d'éta-
blir une fois de plus l'excellence de notre service 2^&>'sonnel
d'informations :
Archivi délia Cathédrale di Livorno. Attestati da me infrio
parocco délia Cathédrale che dal Libro dei Battezati delV
Anna 1822, résulta che diSO aprile 1822 nacque :
Giuseppe- Antonio- Adriano-Leonida,
del signor Fortunado [figlio del signor Giaçomo Spirito
Lemmi) e délia signora Teressa {figlia del signor Gaetano
Merlini), conjugi, di Livorno ; fut battezzato il di 2 maggio
1822 ; e fu compare : il signor Niccola Lemmi.
(Timbre des Archives de la Cathédrale).
« Archives de la Cathédrale de Livourne. Il est attesté par
moi soussigné curé de la Cathédrale, que du Livre des Baptisés
en l'année 1822, il résulte que le jour du 30 avril 1822 naquit :
« Joseph-Antoine-Adrien-Léonidas,
« (fils) de monsieur Fortuné (fils de monsieur Jacques-Esprit
Lemmi) et de madame Thérèse (fille de monsieur Gaëtan Mei'-
lini), mariés, de Livourne ; il fut baptisé le jour du 2 mai 1822 ;
et fut parrain : monsieur Nicolas Lemmi.
(Signature de M. l'abbé Pietro Boccaci, vicaire de la Cathé-
drale, préposé aux archives).
Nul mieux que ce misérable ne méritait de devenir le vicaire
de Satan, de recueillir l'une des trois successions d'Albert Pike !
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l*ltalie.
Voici le discours de Léon XIII, lu par Mgr Radini-Tedeschi,
en réponse à une éloquente adresse lue par le vaillant directeur
de rOsservatore Cattolico de Milan, don David Albertario, au
nom des chevaliers de l'ordre Pro Ecclesia et Pontiflce:
Comme un témoignage durable de votre zèle à glorifier Jésus-Christ
dans la personne de son Vicaire sur la terre, et comme une preuve
de Notre paternelle et reconnaissante affection, Nous vous avons, à
l'occasion de Notre jubilé sacerdotal, orné la poitrine de cette croix
372 ANNALKS CATHOLIQUES
qui, dans son inscription Pro Ecclesia et Pontifice, résume votre passé
et votre avenir.
Elle Nous rappelle en eflFet l'activité si grande que vous avez dé-
ployée afin d'accroître l'éclat et la splendeur des fêtes jubilaires,
dont la magnificence rejaillit sur cet auguste Siège ; en même temps
elle Nous donne la confiance que votre ardeur pour la gloire de Dieu,
pour Notre liberté, pour Notre indépendance, ne dimiauera pas dans
le cours des âges et des événements. Et comment les croisés de la
sainte milice pourraient-ils défaillir et se relâcher de leurs glorieux
liens, aujourd'hui que sévit, plus perverse chaque jour, la guerre
dirigée contre le Christ et son Église ?
Souvenez-vous bien, très chers fils, que Notre but, en vous donnant
la croix, ne fut pas seulement de récompenser vos mérites en honorant
votre personne, mais plus encore de vous donner force et vigueur
pour les futures batailles.
Serrez-vous donc toujours plus compactes autour de votre ban-
nière, et combattez fermement les combats du Seigneur. Que le
nombre, la puissance et l'acharnement des ennemis ne vous décon-
certent point : ils seront poussière et le Christ régnera. « Ayez con-
fiance, dit le Christ ; j'ai vaincu le monde ! » L'homme ne peut rien
contre Dieu, ni la synagogue de Satan contre l'Eglise, foadée sur la
pierre immobile qui est le Christ, et au pied de laquelle s'est brisé
jusqu'ici le sceptre des Césars comme l'épée des plus puissants per-
sécuteurs. Les générations de leurs ennemis ont passé, jouet des tem-
pêtes humaines, et l'Eglise demeure, le siège de Pierre est immobile,
la croix du Christ triomphe.
Mais rappelez-vous que l'Eglise n'est victorieuse et la croix triom-
phante que par le martyre. Depuis le jour où le sang d'un Dieu l'a
consacrée, jamais, pendant l'espace de dix-neuf siècles, le sang chré-
tien n'a cessé de la féconder. Nous ne sommes pas dignes de le ré-
pandre pour son triomphe; mais le martyre du sang, s'il est le plus
excellent témoignage de la foi, n'est pas le seul qui couronne de
lauriers triomphants la croix de Jésus-Christ. A vous le martyre de
la patience dans le support de toute sorte d'adversités pour l'amour
de Jésus ; le martyre de la pénitence, dont les larmes, comme dit
saint Augustin, sont le sang du cœur ; le martyre de l'abnégation et
de l'obéissance, qui est un holocauste où tout l'homme s'offre à Dieu
par la main de ses représentants.
Voilà la manière de glorifier cette croix, dont beaucoup d'autres se
décorent semblablement la poitrine, mais que tous peut-être ne por-
tent pas, comme vous, gravée dans le creur. Oui, il Nous plaît de le
dire, vous l'avez gravée dans le cœur, et Nous en avons pour preuve
indubitable vos œuvres, et cette solennelle et généreuse protestation
de votre fidélité et de votre amour, que vous renouvelez, en Notre
personne, au Christ lui-même, par votre adresse, par cet album, et
NOUVELLES RELIGIEUSES 373
par la croix ornée de pierreries que vous Nous offrez eu souvenir de
Notre jubilé épiscopal.
Nous vous remercions de cœur de ce splendide témoignage d'af-
fection, qui met le sceau à tous ceux que Nous avons reçus de vous
dans Notre jubilé précédent, et Nous Nous réjouissons souveraine-
ment des nobles sentiments exprimés par vous. Et Nous ne sommes
pas moins reconnaissant de la signification que vous avez donnée à
cette croix d'or et de pierres précieuses, en voulant symboliser par
l'or la pureté de votre foi, et par les pierres Nous représenter la
vivacité des vœux que vous faites pour Nous.
Aussi bien dans cette croix Nous considérons également le symbole
des sacrifices que le Seigneur attend de vous et de Nous, comme
dans l'or et les pierres précieuses Nous voyons celui de la palme
immortelle et de la couronne que la croix nous vaudra au Ciel.
Qu'elle vous soit donc chère, fils très aimés, la croix de Jésus-Christ
qui, rendue précieuse par son sang, s'est transformée de signe d'in-
famie en signe de gloire et brille en souveraine sur le front des rois,
sur la cime des temples, sur les étendards chrétiens, sur la poitrine
des guerriers. Aimons cette croix qui concentre en soi la vie de
l'Eglise et celle de tout fidèle disciple de Jésus-Christ, et qui est
poumons, en même temps, l'arbre de vie, l'étendard de la liberté,
une arme de défense, le labarum de la victoire et la palme du
triomphe.
Avec ces sentiments au cœur, Nous implorons de Dieu sur vous et
les autres décorés de la croix Pro Ecclesia et Pontifice, même dé-
funts, sur vos familles et les leurs, les grâces de Dieu les plus choi-
sies, en gage desquelles Nous vous donnons du fond du cœur la
Bénédiction apostolique.
France
La pensée d'une souscription nationale pour l'offrande d'une
cloche à Notre-Dame de Paris, en souvenir de la visite des offi-
ciers de marine, est bien accueillie en Russie. Le clergé catho-
lique de Moscou s'y associe et la propage.
Voici la dépêche adressée à ce sujet à S. Em. le cardinal
Richard, par M. l'abbé Vivien, curé de Saint-Louis, à Moscou :
A Son Éminence Monseigneur l'archevêque de Paris.
De Moscou, 6 novembre, 6 h. 20.
La Russie désire offrir à la France, pour l'église Notre-Dame, une
cloche.
Quel poids peut recevoir une des tours? On y mettra de 32,000 à
40,000 kilogrammes. Peut-on, pour les premières fois, sonner à la
façon russe, par le seul mouvement du battant ? La Russie offre aussi
374 ANNALES CATHOLIQUES
deux étendards, en échange des deux complaisamraent rendus par la
France en 1891. Répondez par vous-même.
Vivien, curé de Saint-Louis.
Voici la réponse de Son Eminenceà ce télégramme :
Vivien, curé de Saint-Louis, Moscou.
Vivement touché du généreux témoignage de sympathie offert à la
France, je vous écrirai cette semaine pour répondre â vos questions.
Cardinal Richard.
— Dans l'intervalle de cent ans, quelles actions diverses de la
foule dans la vénérable basilique, élevée jadis par la foi des
générations du moyen âge à la gloire du Seigneur Dieu, de la
Vierge et des saints ! En 1793, c'était le triomphe de la Raison
déifiée sous la forme d'une fille de mauvaise vie, sacrilègement
acclamée, au milieu d'orgies sans nom, dans ce temple souillé!
Hier c'était l'adoration réparatrice du Dieu vivant au taber-
nacle, la solennelle procession de saintes reliques, glorieux
restes d'un trésor qui comptait jadis des richesses incompara-
bles, la supplication ardente de tout un peuple criant : Pitié
mon Dieu! Cor Jesu sacratissimum, Miserere ! La France
chrétienne prenait enfin sa revanche sur la Révolution achar-
née à détruire le culte. C'était un acte de piété vraiment in-
comparable.
Il serait oiseux de remémorer ici l'émouvante invitation par
laquelle, il y a dix jours à peine, S. Em. le cardinal Richard
pressait le peuple fidèle de se porter à la cérémonie ordonnée
en réparation d'un scandale centenaire. Bien avant l'heure fixée
pour la fonction sainte, l'empressement de la foule disait assez
quel écho avait eu partout l'appel du pieux prélat ! A deux
heures la basilique était comble; pas une place des cinq vastes
nefs, des chapelles latérales, des galeries supérieures, qui ne
fût occupée. Avec un respect et un ordre admirables, sans la
moindre force de police, sans la plus petite apparence d'orga-
nisation préalable, des milliers de fidèles s'étaient massés en
rangs pressés du seuil à l'abside du superbe édifice.
Aussitôt les vêpres commencent au milieu du plus religieux
silence. A elle seule, cette attitude recueillie de la foule disait
éloquemment ce qu'elle était venue faire et à quel point elle en
avait conscience. Etait-il besoin d'une autre prédication et en
pouvait-on souhaiter une plus éloquente?
Après le Magnificat, après le prélude du cantique national,
NOUVELLES RELIGIEUSES 375
Pitiëy mon Dieu! dont la foule en un immense unisson chante
le refrain :
Dieu de clémence,
0 Dieu vainqueur,
Sauvez la France
Par votre Sacré-Cœur,
le cardinal monte en chaire. D'une voix pénétrante, il donne
lecture d'un acte de réparation qui développe la pensée de la
cérémonie expiatoire, et quand la foule y a répondu d'un même
élan, en poussant de toutes ses forces le même cri : Ainsi
soit-il! le cardinal va prendre son rang d'honneur, au terme de
la procession, qui aussitôt se met en branle.
Nous avons publié déjà l'ordre de cette théorie superbe oii
l'on voit successivement défiler, portés en triomphe, les restes
vénérés des saints et saintes dont le patronage s'exerce plus
spécialement sur le diocèse. Après les jeunes filles vêtues de
blanc suivant la bannière de la Sainte Vierge, voici venir les
groupes imposants d'hommes de toutes conditions, de laïques
appartenant à diverses confréries, de lévites, de prêtres sécu-
liers, de religieux, qui, des flambeaux à la main, font escorte
aux reliques de chacun de ces saints patrons. De l'un et l'autre
côté des châsses qui les renferment, des porte-palmes mar-
chant deux à deux dressent au-dessus des reliques comme un
arc triomphal, doublé, au moyen de quatre palmes dont les
tiges flexibles se rejoignent, pour ombrager le chef de saint
Denis qui clôt la monstrance et derrière lequel on voit successi-
vement apparaître Mgrd'Hulst, recteur de l'Institut catholique,
Mgr révêque de Bayeux, Mgr l'évêque de Vannes et enfin
S. Em. le cardinal Richard.
Et quelle émotion quand, au chant du Salve Regina, la pro-
cession a fait halte devant la statue de Notre-Dame de Paris, la
même qui fut mise sacrilègement sous les pieds de l'actrice
Aubry qui figurait, il y a cent ans, la déesse Raison !
Cependant, le chant du cantique Pitié, mon Dieu! n'a cessé
de retentir, avec son refrain répercuté par la foule. Il est suivi
des litanies des saints et du psaume Miserere chantés aussi à
l'unisson. C'est l'accent d'une immense prière qui remplit l'en-
ceinte en s'élevant jusqu'aux voûtes, et qui ne saurait manquer
de faire violence au Ciel. Aussi quel n'est pas le sentiment
d'adoration oii s'abîme l'assistance tout entière quand, la pro-
cession achevée, le cardinal, après les prières liturgiques du
376 ANNALKS CATHOLIQUES
salut du Saint-Sacrement, fait descendre sur la foule agenouillée
la bénédiction de l'Hostie Sainte enfermée dans l'ostensoir d'oîi
elle s'offre aux hommages du peuple fidèle!
Il est cinq heures. L'acte solennel d'expiation a pris fin et,
avec le même calme qu'il avait afflué, le flot des réparateurs
reflue, de l'enceinte au dehors, accompagné jusqu'au bord par
les sublimes gémissements de l'orgue associés aux voix humaines
du repentir.
Des outrages d'il y a cent ans, il ne reste maintenant que le
souvenir d'une supplication nationale qui plaidera victorieuse-
ment pour la France au tribunal des justices divines. En dépit
des bourreaux et des scribes qui violentent et bafouent l'Epouse
mystique du Christ, de tels spectacles nous disent que l'Eglise
aura le dernier mot, même en ces temps de suprême détresse.
Dans ces manifestations de la piété publique, les catholiques
puiseront une énergie nouvelle pour la lutte contre la Révolu-
tion, qui voudrait nous ramener aux horreurs de la fin du der-
nier siècle. Par l'union de leurs efforts, ils obtiendront que le
Christ triomphe, qu'il règne sur la France comme au temps du
grand roi saint Louis, dont les reliques étaient portées hier
dans la basilique, qu'il y commande en vainqueur (Vérité).
Voici le texte de l'amende honorable dont Son Em. le cardinal
Richard a donné lecture, dimanche, du haut de la chaire de
Notre-Dame :
Seigneur, nous voici prosternés devant vous pour accomplir l'acte
de réparatiou que nous devons à Votre Majesté divine.
Un siècle s'est écoulé depuis le jour où nos pères, dans une heure
d'égarement insensé, commirent la douloureuse et sacrilège profana-
tion dont nous portons le deuil en ce moment devant vous.
Cette église métropolitaine, dédiée sous le nom doux et vénéré de
la très sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et notre Mère, était la
gloire de la capitale de la France. Nos pères aimaient à y saluer la
Bienheureuse Vierge du titre de Notre-Dame de Paris. Elle avait été
témoin de nos gloires et de nos douleurs nationales. Le peuple de
France y avait tressailli de joie dans les jours de triomphe et de
prospérité ; il y avait pleuré et imploré la miséricorde divine, quand
la main du Seigneur le frappait pour ses péchés.
Comment le sanctuaire entouré de la vénération des générations
chrétiennes, pendant de longs siècles, fut-il transformé en un lieu de
honte et de péché ? C'est qu'alors s'accomplissait la parole de l'Apôtre :
des hommes aveuglés par leur orgueil et séduits par la corruption de
NOUVELLES RELIGIEUSES 377
leur cœur, oublièrent la gloire du Dieu immortel ; ila lui préférèrent
les ioventions de leur esprit dépravé, et, s'adorant eux-mêmes dans
une grossière idolâtrie, ils offrirent leurs hommages à la créature
sous le nom de la déesse Raison.
0 douleur! Qui jamais eût pensé que des chrétiens pussent des-
cendre à un tel degré d'avilissement et de démence? Au souvenir de
ce sacrilège, nous ne pouvons que courber nos fronts dans la pous-
sière du temple, et répéter la prière du Sauveur crucifié : « Mon Père,
pardonnez-leur, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font ». C'est le
cri qui s'échappe de nos cœurs; nous ne demandons pas vengeance
contre les pécheurs; nous implorons votre miséricorde, car vous avez
dit, ô mon Dieu : Je ne veux pas la mort des pécheurs, mais plutôt
qu'ils se convertissent et qu'ils vivent.
Pour nous, Seigneur, à qui vous faites la grâce de comprendre le
bienfait ineffable de votre présence dans nos églises, nous voudrions
glorifier, par notre repentir et notre dévouement, votre Majesté et
votre amour outragés.
Daignez, ô mon Dieu, agréer, avec nos larmes, le triple hommage
de notre foi, de notre espérance et de notre amour.
Nous nous rappelons avec une humble reconnaissance que la France
a reçu, par une conduite admirable de votre Providence, et conserve
toujours le nom de Fille aînée de l'Eglise. Nous voulons garder la
foi que saint Denis, notre apôtre, nous a apportée du siège de Pierre
•t scellée de son sang, sur la montagne de nos martyrs ; nous voulons
la transmettre à nos fils, et, avec votre grâce, rendre les habitudes
chrétiennes plus énergiques dans nos familles.
Nous espérons en votre bonté, qui n'a jamais fait défaut à la France,
depuis les jours de Clovis et de Charlemagne jusqu'à ceux de Jeanne
d'Arc, jusqu'à nos jours : puisque notre patrie, après les profanation
que nous nous efforçons de réparer aujourd'hui, s'est relevée plus
généreuse et plus chrétienne, Seigneur, nous espérons en votre misé
ricorde, et notre espérance ne sera pas confondue.
Seigneur Jésus, vous demandez aujourd'hui à la France, comme
autrefois à Pierre : « M'aimez-vous? » Ah! nous portons devant vous
la confusion de nos péchés, et pourtant, nous disons humblement
avec l'apôtre : « Seigneur, vous connaissez toutes choses; vous savez
que nous vous aimons. » Les fils de la France versent toujours leur
sang dans les missions pour étendre votre règne et sauver les âmes.
Les filles de la France se dévouent par milliers pour soulager toutes
les misères dans les asiles de la souff'rance et de la pauvreté ; elles
s'immolent dans la pénitence et dans la prière. Ces fils et ces filles de
notre patrie sont la gloire des familles françaises, et prouvent que le
sang chrétien n'est pas tari dans les veines de leurs parents.
Et maintenant. Seigneur Jésus, nous vous adorons, nous vous
aimons, présent dans notre tabernacle. C'est le trône de la grâce où
378 ANNALES CATHOLIQUES
VOUS nous conviez pour y trouver le secours au temps opportun. Nous
répétons à notre génération l'invitation que l'Eglise nous adresse
dans la solennité du Très Saint-Sacrement : k Venez, adorons ensemble
le Christ-Roi. » C'est lui qui donne aux âmes nourries de sa chair
adorable l'inspiration des généreuses vertus.
Autour de vous, nous vénérons les ossements sacrés de vos servi-
teurs et de vos amis. C'est la nuée glorieuse des Saints, nos frères,
qui nous couvre de son ombre. Ils ont été autrefois vos témoins sur la
terre, dans nos contrées ; et lorsque nous saluons saint Denis, notre
apôtre; sainte Geneviève, notre patronne; la reine sainte Clotilde,
qui a conduit nos pères au baptême; les saints Marcel, Germain, Lan-
dri et Céran, nos évêques; saint Louis, le roi chrétien, gardien et
sanctificateur de son peuple ; saint Vincent de Paul, l'ami des pau-
vres, nous voyons se dérouler à nos yeux les siècles passés de la
France, avec ses traditions religieuses et nationales ; mais nous avons
aussi la vision de l'avenir, si nous restons fidèles à notre mission pro-
videntielle, et si nous répétons avec l'Apôtre, en présence de ces glo-
rieux témoins du passé : « Marchons avec courage et patience vers le
but proposé aux chrétiens, l'auteur et le consommateur de notre foi. »
Avec nos pères, nous déposons à vos pieds, Seigneur Jésus, l'humble
protestation de notre fidélité, en disant comme l'apôtre : « Nous
n'irons pas à d'autres qu'à vous. Vous seul avez les paroles de la vie
éternelle pour les âmes et pour les nations. »
Chrétiens et Français, nous sommes à vous, à la vie et à la mort.
Ainsi 8oit-il.
Aix. — Plusieurs journaux reproduisent le récit publié par le
Figaro, d'un entretien que l'un de ses rédacteurs aurait eu avec
Mgr l'archevêque d'Aix.
En voici la partie essentielle qui débute par une déclaration
générale prêtée à Mgr Gouthe-Soulard :
La France est un pays catholique, on ne saurait l'oublier sans
méconnaître son esprit. Nos grandeurs historiques sont inséparables
de notre foi. On ne les comprendrait pas sans elle. Aussi est-il
fâcheux qu'on l'ait si longtemps méconnu : ce que le clergé désire —
comme un seul homme — avec ardeur, c'est la concorde, c'est l'union
entre les citoyens.
Ah ! si le gouvernement avait voulu, il ne nous aurait jamais
trouvés contre lui ! Car dans nos revendications, nous avons seule-
ment en vue l'intérêt des consciences, le bien des âmes : c'est, par
conséquent, celui du pays.
Nous prêchons l'obéissance, la résignation, la pauvreté, le travail,
la vertu. En quoi donc sommes-nous répréhensibles aux yeux du
pouvoir civil, nous qui voulons être des hommes de paix ?
NOUVELLES RBUOIEUSES 379
— Cependant, Monseigneur, accepterez-vous jannais le service mi-
litaire des séminaristes, et la laïcisation à tous les degrés ?
— La laïcisation des écoles, nous l'aurions peut-être acceptée si
elle n'avait pas été promulguée dans une arrière-pensée de haine, et
ceci est tellement vrai que, dans certaines localités ou l'école est vrai-
ment ce qu'elle devrait être, bienveillante à l'idée religieuse, nous
renonçons à faire appel aux congréganistes.
Mais dans la plupart des villes et des villages, l'instituteur est un
instrument aux mains de préfets sectaires. 11 devient alors impossible
d'élever les enfants dans les principes de leur foi, et nous sommes
forcés de bâtir des écoles !
Pour la laïcisation des hôpitaux, notre inébranlable conviction est
qu'on reviendra là-dessus. Quant au service militaire des séminaristes,
nous ne cesserons jamais d'en demander l'abolition.
— Auriez-vous eu, Monseigneur, à 'vous plaindre de votre diocèse
des résultats du service? Le passage des séminaristes à la caserne les
a-t-il décimés?
— Non ! Dieu merci, aucune désertion ne s'est produite dans les
rangs de nos séminaristes. Mais croyez-vous que leur place réelle soit
à| la chambrée ? Destinés au service de Dieu — le plus difficile et
le plus délicat — ces jeunes gens auront-ils toujours sous les yeux,
à la caserne, des spectacles très édifiants... l'affirmeriez-vous? A quoi
bon, je vous prie, ce passage obligatoire au régiment? Ne nous a-t-on
pas trouvés d'une manière constante quand on avait besoin de nous?
Avons-nous hésité sur les champs de bataille à faire notre devoir ?
Nous sommes passionnément attachés à notre pays, nous autres
prêtres, et je le répète, c'est contre notre volonté que toutes ces
luttes, si regrettables, ont eu lieu. Mais on nous attaquait, on nous
traquait. Nous avons été obligés de nous défendre; aujourd'hui qu'on
semble revenu à de meilleurs sentiments, qu'on paraît animé d'inten-
tions plus pacifiques et plus conformes à nos vœux (quoiqu'on n'ait
nullement renoncé à prélever ces néfastes droits d'accroissement qui
dépouillent nos pauvres), nous faisons dans nos églises, chanter de
joyeux Te Deum.
— Alors Monseigneur, votre dernier mot, avant de prendre congé
de vous?...
— Mon dernier mot, c'est espérance. Le bien ne peut pas être
vaincu. Les hommes passent, les principes demeurent. Notre beau
pays renferme, du reste, trop de dévouement, de générosité, de cha-
rité, de saine vitalité, pour qu'on désespère de l'avenir, Dieu protège
toujours la France !
Il y a au moins un mot de ce récit qui ne saurait être exact.
Certainement Monseigneur l'archevêque d'Aix n'a pas dit: c La
laïcisation des écoles nous l'aurions peut-être acceptée... >
380 ANNALES CATHOLIQUES
attendu que cette laïcisation, de quelque façon qu'elle soit
appliquée, consacre un principe de neutralité en naatière sco-
laire réprouvée par l'enseignement de l'Eglise.
Autre chose est la laïcité du personnel des écoles, qui peut
être excellent, autre chose la laïcité de l'enseignement.
Séez. — • A l'occasion de la messe qui vient d'être célébrée au
grand séminaire de Séez pour le départ des séminaristes appelés
au service militaire, la Semaine Catholique fait les réflexions
suivantes sur l'odieuse loi que certains acceptent trop facilement
et qu'ils ne seraient même pas éloignés de trouver bonne, parce
qu'elle ne fait pas encore tout le mal qu'en attendaient ses
auteurs :
Jusqu'à ce jour les séminaristes-soldats sont revenus fidèlement
vers nous, leur année de service accomplie; et nous ne serons que
justes en disant ici qu'ils ont eu à cœur de reprendre, dès le premier
jour, la vie de piété, de règle et de recueillement du séminaire, heu-
reux de rejeter loin d'eux, comme un mauvais rêve, le souvenir dos
souffrances, des tortures morales endurées à la caserne.
Nous pouvons dire qu'une tradition de fidélité à leur vocation est
désormais établie parmi nos élèves appelés sous les drapeaux. Les
aînés de la tribu sacerdotale ont montré à ceux qui viendront après
eux le chemin de l'honneur.
Il y a là un fait que nous signalons à l'attention des familles chré-
tiennes, pour les rassurer contre une crainte qui les arrête parfois
quand il s'agit de donner leurs enfants à l'Eglise. Devant les multi-
ples obstacles qui s'opposent aujourd'hui au développement des voca-
tions, on hésite à faire les sacrifices que demandent les études du
petit et du grand séminaire. Sans doute, les difficultés sont très
grandes; et quand les hommes du monde, quand les chrétiens même,
approuvent cette loi dont le joug nous écrase, ils n'imaginent pas à
quel supplice est condamnée l'âme d'un jeune clerc jeté dans l'at-
mosphère de la chambrée. Dans les propos de ceux qui affirment
qu'avec de la bonne volonté nous pourrions nous accommoder de
cette loi, nous voyons l'ironie cruelle du puissant disant au faible au
moment où il le dépouille : Vos cris m'importunent, et, si vous voua
taisiez, je forais mon oeuvre plus librement.
Cette loi est ce que sont toutes les vexations, soit ouvertes, soit
dissimulées; elle est pour les séminaristes et pour nous une source
de souffrances morales que nous ne pouvons taire. Cependant elle ne
réussira pas à nous détacher de la cause que nous servons. A force
de courage, aidées de Dieu, les âmes divinement appelées déjouent
les plans des ennemis de la religion.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 381
La Semaine catholique constate que, après le départ des sé-
minaristes pour la caserne, le nombre des restants sera réduit à
soixante-six. C'est la pénurie, comme dans beaucoup d'autres
grands séminaires.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Le cas de Cornélius Herz. — A l'Académie de médecine. — R,apport de
M. Brouardel. — La libre-pensée. — Attentats anarchistes. — Etranger.
16 novembre 1893.
Ou Cornelias Herz était aussi malade il y a plusieurs mois
que le déclaraient les médecins envoyés alors à Bournemouth,
et alors il ne pouvait échapper à la mort ; ou sa maladie n'était
qu'imaginaire, et alors quelle confiance veut-on qu'on ait dans
les résultats de la nouvelle visite médicale eflTectuée ces jours
derniers? M. Dupuj, qui s'y connaît en dilemmes, a prévu que
ce dilemme-Là n'échapperait pas au public, et c'est lui que tous
les journaux accusent aujourd'hui d'avoir voulu mêler l'Aca-
démie de médecine à l'afiTaire, afin que l'autorité dont elle jouit
corrigeât la suspicion légitime où on le tient lui-même. Mais
l'Académie n'a pas voulu se prêter à ce petit calcul ; compétente
pour apprécier un cas pathologique extraordinaire, elle ne s'est
pas crue instituée pour couvrir un rapport qui, se bornant à
constater un changement d'état inexpliqué, cache en définitive
une intrigue fort peu honorable. Et c'est sans la sanction aca-
démique que Cornélius va comparaître devant le juge de Brow-
Street. C'est là qu'on verra si M. Dupuy désire sincèrement la
lamière.
Voici le rapport dont les docteurs Brouardel et Dieulafoy
devaient donner lecture intégrale, mais dont ils ont ajourné la
production à la suite des incidents particulièrement graves et
caractéristiques dont on trouvera plus loin le récit:
Nous avons l'honneur, M. le professeur Brouardel et moi, de faire
connaître à l'Académie de médecine le rapport qui nous a été demandé
par M. le président du conseil, concernant les résultats de la mission
dont nous avons été chargés, en vue de constater l'état de santé de
Cornélius Herz.
382 ANNALES CATHOLIQUES
Eu publiant ce rapport m extenso, notre but est de nous opposer à
toute légende, à tout malentendu qui pourrait être tenté de se subs-
tituer à la vérité.
Cette publicité est du reste justifiée par l'exemple que nous
ont donné nos très honorables confrères anglais, qui, à plusieurs
reprises, et tout récemment encore, dans le Britisch médical journal,
ont discuté avec les détails les plus circonstanciés le diagnostic et le
pronostic de la maladie de Cornélius Herz.
Ce qu'ont fait les médecins anglais, nous allons le faire également,
et entrés dans cette voie, nous plaçons le présent rapport sous le
patronage de cette Académie de médecine, dépositaire des traditions
d'honneur professionnel et de bonne foi scientifique.
Maintenant établissons nettement les faits :
Le 20 juin 1893, MM. les professeurs Charcot et Brouardel étaient
chargés par M. le ministre des aff'aires étrangères de se rendre à Bour-
nemouth, pour examiner Cornélius Herz à l'effet de savoir s'il était
en état d'être transporté hors de son domicile.
A la suite d'un double examen, aussi prolongé que scrupuleux, et
éclairés par les renseignements fournis par les médecins anglais,
MM. Charcot et Brouardel rédigèrent un rapport, dont nous allons
reproduire les traits les plus saillants.
Cornélius Herz est atteint de diabète sucré avec phosphaturie,
ozoturie et albuminerie.
A ces symptômes diabétiques s'ajoutent une pâleur des tissus, un
amaigrissement considérable, une déperdition telle des forces, que
pendant les examens prolongés faits par les médecins français, le
malade fut pris d'angoisses, de sueurs froides, de refroidissement
des extrémités, avec tendance à la syncope.
La dépression des forces était encore expliquée par ce fait que le
malade atteint d'une intolérance stomacale absolue, vomissait tous
les aliments, ce qui avait engagé les médecins anglais à recourir à
l'alimentation par la voie rectale.
D'autre part, Cornélius Herz avait été pris le 6 février 1893, d'un
accès de fièvre avec anxiété précordiale et troubles cardio-vasculaires
qui avaient fait diagnostiquer aux médecins anglais une aortite
aiguë. Depuis cette époque, le malade était sujet à des sensations
de défaillance et de syncope survenant principalement dès qu'il vou-
lait se lever ; c'étaient bien là des signes d'angine de poitrine.
En face de cette situation caractérisée par un état diabétique voi-
sin de la cachexie et par des accidents cardio-aortiques sans cesse
menaçants, les conclusions de MM. Charcot et Brouardel furent les
suivantes : « Les constatations directes que nous venons de relater,
notamment la crise avec tendance à la syncope, dont nous avons été
témoins, ne nous laissent aucun doute sur la réponse qu'il y a lieu
de faire à la question qui nous a été posée.
CHRONIQUE DB LA SEMAINE 383
«c On ne pourrait transporter Cornélius Herz sans faire courir au
malade les plus grands dangers. Nous ne prendrions pas la responsa-
bilité de conseiller son transport. j>
Néanmoins le rapport se terminait par une phrase dans laquelle
nous relevons la déclaration suivante : Il n'est pas impossible qu'il
BUrvienne une rémission dans la marche de la maladie.
Eh bien ! cette rémission est survenue, et c'est ici que commence
la deuxième partie du rapport actuel.
Sous l'influence d'une hygiène alimentaire sévère, et d'un traite-
ment bien conduit, le malade s'est amélioré, les forces ont reparu
peu à peu et quand nous sommes arrivés à Bournemouth samedi
4 novembre, voici ce que nous avons constaté, M. Brouardel et moi,
en présence de nos honorables confrères anglais:
Cornélius Herz est dans la plénitude de ses facultés intellectuelles.
Il n'est plus l'homme anémié et amaigri du mois de juin; il n'est
plus l'homme tombant d'inanition et de faiblesse, il a bonne mine, il
est solidement musclé, il a engraissé, la voix est forte et bien timbrée,
le pouls est de bonne qualité. Au point de vue des symptômes diabé-
tiques, le sucre urinaire a notablement diminué et l'albuminerie a
complètement disparu, nous ne constatons aucun symptôme de
brightisme.
L'alimentation qui était impossible il y a quelques mois, est actuel-
ment solide et substantielle ; on en peut juger du reste par quelques
vomissements qui ont eu lieu en notre présence, vomissements pro-
voqués, suivant le malade, par l'état nerveux dans lequel l'avait
plongé notre examen.
Entre autres symptômes, d'ordre également nerveux, nous signale-
rons des sensations de froid et de légère anesthésie occupant princi-
palement le côté gauche du corps et parfois provoqués par la pression
de l'hypocondre gauche.
L'examen du cœur nous a donné les renseignements suivants : il
n'y a pas d'hypertrophie cardiaque et le choc systolique est normal.
A l'auscultation on perçoit un très léger souffle, au premier temps
à la région mitrale et un prolongement du second temps à l'orifice
aortique; ce prolongement ne mérite même pas le nom de souffle de
retour ; du reste les autres signes de l'insuffisance aortique font
défaut.
.\u dire du malade, qui reste confiné dans son lit, les tendances à
la défaillance sont fréquentes, l'angoisse syncopale survient, soit
spontanément, soit â l'occasion des mouvements, avec la sensation de
la vie qui s'éteint. Ce sont là des symptômes d'angine de poitrine,
mais ils ne se sont pas produits en notre présence : nous nous con-
tentons de les signaler.
Il ressort donc de notre examen, qu'à part les souffles cardio-aor-
tiques avec lesquels il faut compter, car chacun sait les terribles sur-
384 ANNALBS CATHOLIQUES
prises que peut réserver \'ango7' pectoris, à part ses troubles cardio-
vasculaires, il y a dans l'état général du malade une amélioration
tellement manifeste que Cornélius Herz, répondant à nos questions,
nous a dit lui-même:
« Oui, je me sens mieux, oui, je suis plus fort. »
Il ne peut donc y avoir aucune hésitation dans nos conclusions,
relativement au déplacement et au transport de Cornélius Herz : « Ce
qui n'était pas possible il y a quatre mois, est possible aujourd'hui. »
A ces conclusions qu'il nous soit permis d'ajouter quelques mots ;
après avoir accompli notre mandat auprès du malade, nous avons
pris congé de nos honorables confrères anglais, que nous ne saurions
trop remercier de leur parfaite courtoisie et de l'extrême obligeance
avec laquelle ils nous ont fourni tous les renseignements désirables.
A l'issue de notre consultation à Bournemouth, nous sommes ren-
trés à Londres; nous avons envoyé un mot à l'ambassade française,
et le soir même, à dix heures, nous étions reçus avec empressement
et une bonne grâce charmante, par le premier secrétaire, M. le baron
d'Estournelles.
Séance tenante, nous faisions part de nos conclusions à M. le baron
d'Estournelles et il en informait aussitôt à Paris, M. le président du
conseil, par une dépêche que nous avons rédigée en commun.
Notre mission était terminée,
Paris, 1 novembre 1893.
Signé: Dieulafoy, P. Brouardel.
Voici maintenant à la suite de quels incidents ce rapport n'a
pas été lu à rAcadèmie de médecine.
M. Dieulafoy avait à peine ouvert la bouche que des mur-
mures désapprobateurs se font entendre, vagues d'abord, puis
formulés à haute voix.
M. Bouchardat, M. Besnier protestent, et le bruit grandit peu
à peu, couvrant la voix de l'orateur:
— En quoi le cas de M. Herz concerne-t-il l'Académie?
— Fâcheux précédent : ceci ne nous regarde pas.
— C'est de la politique et non pas de la médecine.
— Cette communication choque le sentimeat du plus grand
nombre d'entre nous !
Et le baron Larrej, gardien des saines traditions académi-
ques, déclare qu'une communication, pour être officielle, doit
être accompagnée d'une lettre ministérielle. Pas de lettre minis-
térielle, pas de communication possible.
Les deux médecins rapporteurs, qui ont grande envie de
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 385
parler et de se garer de la sorte de tout soupçon désobligeant,
insistent auprès du président pour que la lecture se fasse.
M. Brouardel, plus rouge encore que de contume, les fils trop
longs de sa moustache jaune et blanche tranchant sur le cra-
moisi de son teint, monte à la tribune, déclare que l'Académie
a été créée pour débattre des questions d'hygiène publique et
de médecine légale, et que le cas de Cornélius est précisément
de ceux-là.
— Nous pouvons parler aujourd'hui, ajoute-t-il, car Cornélius
Herz n'ignore rien de son diagnostic et de son pronostic : nous
l'avons trouvé corrigeant les épreuves d'un journal publié par
lui, et oîi les plus cruels détails le concernant sont détaillés!
Mais l'Académie refuse d'en entendre plus long et, d'accord
avec M. Dieulafov, M. Brouardel retire son rapport.
— Il suffira à notre honneur d'experts d'avoir voulu faire
pleine lumière !
Le rapport a ensuite été communiqué à la presse.
On pense bien qu'après cet incident, les couloirs de l'Acadé-
mie de médecine ressemblaient un peu à ceux du Palais-Bourbon,
aux jours de crise. Les journalistes cherchent à recueillir une
explication nette de cette agitation.
— Pourquoi ? pourquoi? nous dit-on. C'est bien simple.
« Ce que l'Académie a entendu blâmer, c'est le procédé, au
moins singulier, qui consiste à venir lire, en séance publique^
un document où il est déclaré que telle personne est atteinte de
telle maladie.
« Depuis quand est-on autorisé à agir ainsi? Plus et mieux
que personne, M. le doyen Brouardel devait avoir à cœur de
rester strictement dans les limites qu'assigne à tout médecin le
secret professionnel, et c'est pour avoir perdu de vue ce principe
qu'il s'est trouvé aussi vivement pris à partie.
« Tout, au surplus, dans cette affaire a été bizarre. Savez-
vous par qui M. le professeur Laboulbène, président de l'Aca-
démie de médecine, avait appris qu'il y aurait aujourd'hui cette
fameuse lecture ? Par les journaux ! A l'heure de son déjeuner,
il n'avait encore été saisi officiellement de rien !
« Il était pourtant facile de prévenir tout le monde et comme
il s'agissait d'une affaire qui pouvait avoir de graves consé-
quences — puisqu'une procédure est ouverte, — on aurait dû
se constituer en comité secret. L'Académie aurait alors jugé —
au point de vue scientifique — et tout aurait été dit.
28
386 ANNALES CATHOLIQUES
< Encore une fois, on ne pouvait tolérer une lecture de ce
genre : cela n'est pas dans les habitudes de notre compagnie et
il serait dangereux de créer un pareil précédent,
— A quel mobile attribuez-vous la lecture qu'ont tentée
MM. Brouardel et Dieulafoy ?
— Oh ! nul ne contesta la parfaite bonne foi de ces messieurs :
ce qu'on a voulu condamner, je vous l'ai dit, c'est l'usage qu'ils
ont fait d'un secret qui n'est point leur. M. le doyen avait cer-
tainement le désir de faire sanctionner officiellement par l'Aca-
démie sa manière de voir en ce qui touche M. Cornélius Herz.
Comme il a été très vivement attaqué, au lendemain de son
voyage avec M. le professeur Charcot, il a tenu à s'abriter der-
rière notre grand corps médical. Mais en protestant avec un rare
ensemble, nous avons voulu montrer qu'il y avait encore des
médecins qui savaient garder le secret professionnel.
— Et les conséquences ?
— Oh ! il n'3^ en aura pas ; il ne peut y en avoir, mais c'est
un avertissement.
Le Journal officiel a publié les décrets qui convoquent, pour
le dimanche? janvier 1894, les électeurs sénatoriaux de la série
sortante, laquelle comprend les départements qui vont de l'Ain
au Finistère dans l'ordre alphabétique. Les délégués sénato-
riaux des communes seront élus le dimanche 3 décembre 1893.
Le préfet de police a effectué sa rentrée au conseil municipal
de Paris. Les interruptions et incidents n'ont pas manqué pen-
dant le discours qu'il a prononcé pour expliquer les réformes
par lui consenties dans l'organisation de la police; mais en
somme, la majorité s'est montrée conciliante, et l'on peut dire
que la paix est faite, au moins jusqu'à nouvel ordre.
L'église ou plutôt la chapelle de la Libre-Pensée qui va être
inaugurée à Paris, passage Saulnier, par M. le député Hubbard,
ne séduit pas tout le monde dans le parti de la république
même la plus avancée. La République française, entre autres,
y voit bien des inconvénients. Le programme lui semble orageux
et incohérent :
CHRONIQUE DK LA SEMAINE 387
« ... Commeut rester sans émoi devant le document singuliè-
rement « suggestif» qu'on me communique? C'est le texte du
programme proposé par le conseil central de la Fédération
française de la libre-pensée à un congrès tenu récemment à
Paris, vers la lin du mois d'octobre. Il contient de nombreux
numéros, parmi lesquels je me contenterai de citer les suivants :
suppression des congrégations religieuses, suppression du bud-
get des cultes, dénonciation du Concordat et séparation des
Eglises et de l'Etat, laïcisation de tous les services publics,
abolition du serment religieux, interdiction aux membres du
clergé du droit d'enseigner, organisation de la propagande, in-
fluence de la libre-pensée sur la condition morale, économique
et sociale de la femme, de l'influence des symboles religieux sur
l'esprit humain... enfin, choix d'un interpellateur chargé de
réclamer du cabinet des explications sur l'observation du ven-
dredi-saint dans l'armée et des règlements concernant les
prières publiques dans la marine... Et ceci n'est qu'un simple
sommaire! Excusez du peu! comme disait Rossini. »
En effet, ce n'est pas peu de chose. Mais ce n'est pas nouveau.
Au théâtre du Liceo, à Barcelone, on inaugurait, il y a huit
jours, la saison d'hiver avec l'opéra de Rossini, Guillaume Tell.
L'élite de la société catalane remplissait la vaste salle. Au
second acte, après le duo du ténor et de la chanteuse, deux
bombes Orsini furent lancées du paradis et vinrent tomber sur
le treizième rang des fauteuils d'orchestre. L'explosion jeta la
panique parmi les spectateurs, qui gagnèrent précipitamment les
portes. Au premier moment, on avait cru à une explosion de gaz.
Bientôt retentirent les cris des blessés. On essaya de calmer le
public pour éviter d'autres malheurs dans les couloirs et les
escaliers où des milliers de personnes se ruaient pour fuir plus
vite. Le préfet, le maire et les autorités, qui étaient au théâtre,
rétablirent l'ordre et organisèrent des secours.
Une bombe avait fait explosion dans les rangs 12, 13 et 14
des fauteuils d'orchestre, vers l'allée du milieu du théâtre. La
seconde, sous le rang 12, n'avait pas éclaté. Le spectacle était
horrible : au milieu des débris de fauteuils gisaient neuf cada-
vres de femmes et six d'hommes, tous plus ou moins mutilés.
Tout alentour, beaucoup de personnes avaient été blessées, la
388 ANNALES CATHOLIQUKS
plupart légèrement. Parmi les victimes se trouvent une dame
enceinte de huit mois, sept membres d'une famille qui étaient
assis ensemble, et trois étrangers, dont un Américain.
On porta les blessés et les morts dans la salle du foyer, trans-
formée en ambulance. Beaucoup de personnes légèrement bles-
sées, furent transportées chez elles, au milieu d'une foule énorme
qui se pressait, indignée, aux abords du théâtre. Le bruit de
l'explosion avait été entendu au loin. On eut beaucoup de peine
d'empêcher les familles de pénétrer dans le théâtre pour cher-
cher leurs parents. Les soldats du génie et les gendarmes durent
garder les portes jusqu'à une heure avancée.
Les spectateurs de la galerie supérieure firent arrêter deux
anarchistes connus, dont l'un aurait été vu jetant les projec-
tiles. Trois blessés, transportés chez eux, sur des civières, ont
succombé. Il y a donc dix-huit victimes. On dit que les deux
arrêtés sont Saldani, italien, et Aragon, français.
Cet horrible attentat a jeté la consternation en Espagne. Les
mesures les plus rigoureuses sont prises contre les anarchistes.
La répulsion universelle inspirée par l'odieux et infâme atten-
tat de Barcelone n'a pas fait la moindre impression sur les anar-
chistes parisiens. Les artisans de la propagande par le fait ne se
rendront qu'à la répression par le fait. Vendredi même on col-
lait sur les murs de Paris et de la banlieue une affiche convo-
quant les frères et amis à une réunion qui a eu lieu dimanche à
la Maison-Blanche, et dont l'objet est synthétisé par les trois
paragraphes suivants de cet appel aux mauvaises passions :
Il y a six ans, aujourd'hui, que quatre hommes ont été pendus â
Chicago pour avoir lutté pour ton affranchissement ; As-tu oublié ces
martyrs ?
Révolutionnaires,
Le souvenir des victimes réveille la haine des bourreaux.
Hommes qui voulez être libres, souvenez-vous quelquefois de ceux
qui sont tombés pour la grande cause de l'émancipation humaine;
regardez les étapes sanglantes de la Révolution : Chicago, Xérès,
Montbrison, Barcelone, Pétersbourg et Moscou.
Pensez aux martyrs tombés dans la lutte et venez avec nous saluer
l'idée pour laquelle ils sont morts.
Les autres numéros de cette représentation offerte au high
life de la démagogie, comprennent une dissertation « sur les
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 389
potences > et le panégyrique des bandits sans nom qui viennent
d'opérer à Barcelone. Que l'on ne nous dise pas que ce sont là
des excentricités. Cjvoct n'a pas fait autrement à Bellecourque
son disciple au Liceo, et pourtant depuis douze ans, Cyvoct est
le premier sujet de toutes les listes de futurs amnistiés.
Les élections du Landtag do Prusse n'ont pas vivement
préoccupé l'opinion. A peu près partout, les électeurs se sont
rendus au scrutin avec indifférence, quand toutefois ils y sont
allés. Tout le monde a gardé ses positions, à l'exception des
libéraux et des nationaux, qui ont cédé un petit nombre de siè-
ges au Centre, aux conservateurs et aux socialistes. Le seul fait
qui mérite d'être commenté, c'est le progrés surprenant du
parti danois dans le Sleswig-Holstein. Le nombre des voix du
parti protestataire a doublé depuis 1888. En Bavière, en Polo-
gne, en Hanovre et dans certaines régions de TAllemagne du
Sud, un mouvement analogue se développe et ne cesse d'arra-
cher des adhérents aux anciens partis. Ce ne sont que des
symptômes, mais des symptômes qu'on aurait vainement cher-
ché à découvrir il y a cinq ans.
D'après les dernières dépêches du Maroc, si les troupes espa-
gnoles ont dii renoncera leur mouvement en avant et se replier,
elles sont parvenues à chasser les Arabes qui, un moment,
avaient envahi le territoire espagnol. L'incident regrettable qui
vient de se produire est donc facilement réparable à l'aide de
nouveaux renforts.
L'Espagne, il n'y a pas à en douter, saura maintenir ses
droits au Maroc, châtier les Arabes et venger l'héroïque général
Margallo. La situation ne pourrait devenir grave que si les
Espagnols se laissaient aller à la compliquer. La vieille haine
du Maroc ne sera jamais éteinte dans l'âme fière et valeureuse
des Espagnols ; l'Espagne tout entière est disposée à se lever
pour une nouvelle croisade contre les mécréants. Il ne faudrait
pas que cette émotion, du reste légitime, entraînât les Espa-
gnols à faire le jeu de leurs adversaires qui se montrent et de
ceux qui agissent dans l'ombre. Si les Espagnols prenaient une
offensive pouvant faire croire à un autre but que celui de défen-
390 ANNALES CATHOLIQUES
dre leur territoire et d'exiger du sultan le châtiment des cou-
pables, ils motiveraient l'intervention des autres puissances.
Les Anglais, tout disposés à se rendre à Tanger, trouveraient
une fois de plus que l'insurrection des Kabyles est le premier
de leur devoir et qu'il est fort pratique de leur prêcher ce
devoir-là.
Une partie de la presse espagnole, comprenant très bien la
situation, tâche de réagir contre une agitation exagérée. Elle
démontre avec beaucoup de raison que la garnison de Mélilla et
les Barbares du Riff n'ont jamais été en paix que d'une façon
très intermittente. La guerre périodique autour de Mélilla est
une tradition et l'Europe ne s'en mêle pas, laissant Espagnols
et Barbares combattre et traiter entre eux. Il y aurait de nom-
breux inconvénients à modifier la tradition et adonner prétexte
à une intervention européenne.
Une épouvantable catastrophe a eu lieu ces jours derniers à
Santander. Pendant le déchargement d'un vapeur contenant de
la dynamite, un incendie se déclara à bord. Le bâtiment était le
long du quai, en face du café Suisse. Les autorités, les pompiers
et une foule nombreuse étaient accourus sur les quais, lorsque
tout à coup une explosion formidable se produisit. De nom-
breuses victimes furent relevées. Dans le nombre se trouvaient
le préfet et le président du conseil général, beaucoup de pom-
piers et de gendarmes.
Les navires voisins du bâtiment incendié qui, par l'explosion,
avait été mis en morceaux, furent fortement endommagés. Les
maisons du quai étaient en ruines et prirent feu. L'incendie se
propageant rapidement causa une panique terrible.
L'explosion coupa toutes les lignes télégraphiques. Les pre-
mières nouvelles durent être portées à la station de Boo, à huit
kilomètres de Santander. Le secrétaire général de la préfecture
réclama des secours que le ministère de l'intérieur fit envoyer de
Palencia et de Valladolid par trains spéciaux.
Les autorités militaires durent prendre la direction des se-
cours, quoique le colonel d'un régiment de ligne et plusieurs
officiers de la gendarmerie fussent parmi les blessés.
Par la force de l'explosion beaucoup de cadavres ont été
lancés au milieu de la baie et dans les rues.
Le navire qui a fait explosion appartient à la Compagnie
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 391
espagnole Vasco-Andaluza de Bilbao et Séville, et était en par-
tance avec un chargement de diverses marchandises ; la plus
grande partie était composée de caisses de dynamite.
Les libéraux de Budapest sont revenus de leur consternation.
Leur truc a réussi, l'empereur François-Joseph a capitulé devant
leurs instances.
Le chef du cabinet hongrois, M. Wekerlé, a suivi l'empereur
à Vienne. Il l'a mis en demeure de choisir entre la démission
collective du cabinet et le dépôt du projet de loi sur le mariage
civil. L'Empereur a cédé, et le projet de loi rendant le mariage
civil obligatoire sera déposé au Parlement hongrois avant la
discussion des budgets.
M. Wekerlé a su habilement tirer parti de la situation diffi-
cile dans laquelle se trouve la monarchie austro-hongroise. Une
crise ministérielle éclatant en ce moment à Budapest eût mis
l'Empereur en présence de difficultés et de complications dan-
gereuses. M. "Wekerlé a représenté à l'Empereur que la Chambre
hongroise refuserait de voter les budgets si le projet de loi sur
le mariage civil ne lui était pas soumis. Aucun homme politique
n'aurait voulu se charger, dans les circonstances actuelles, de
la formation d'un cabinet, la majorité libérale étant maîtresse
de la situation politique.
Cette politique du couteau sur la gorge a eu un plein succès.
L'adhésion de l'Empereur au dépôt du projet de loi n'implique
nullement d'ailleurs son adhésion au projet lui-même. Son droit
de refuser la sanction après le vote du Parlement subsiste
entièrement.
L'Empereur n'engage donc pas le Parlement à voter le projet
de loi en en permettant le dépôt. Il espère bien sans doute que
M. Wekerlé ne réussira pas à faire voter son projet par les
deux Chambres. L'opposition de la Chambre des Magnats sera
certainement très sérieuse et ne sera pas facilement vaincue.
C'est même cette éventualité, que M. Wekerlé a prévue et
qu'il voulait écarter, qui a retardé de quelques jours le consen-
tement de l'Empereur. Le président du Conseil voulait obtenir
de l'Empereur qu'il s'engageât, en approuvant le dépôt du
projet de mariage civil, à créer de nouveaux pairs à la Chambre
haute, si celle-ci persistait dans son opposition au projet. Fran-
çois-Joseph refusa. M. Wekerlé a renoncé pour le moment à
obtenir cette concession.
392 ANNALES CATHOLIQUES
On en comprend l'importance. Si l'Empereur y consentait, il
s'engageait à faire triompher coûte que coûte le projet de ma-
riage civil et il signifiait nettement au Parlement qu'il emploie-
rait les mesures extrêmes pour faire triompher la réforme.
François-Joseph n'a pas voulu aller plus loin qu'un simple con-
sentement au dépôt du projet, arraché sous la pression de cir-
constances critiques que le ministère libéral a exploitées sans
vergogne.
M. Wekerlé a gagné la première manche. Nous verrons s'il
emportera la dernière, celle qui compte.
Abonnements
Les prix d'abonnement aux Annales Catholiques sont :
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respectivement de 18, 22, 24 et 36 fr-
Les abonnements partent du l" de chaque mois.
Un numéro : G fr. 35, franco : G fr. 40.
UNE CONQUETE
Après avoir trop longtemps subi le joug des sectes, la France com-
mence à se ressaisir. C est ainsi que les Catholiques, par le Diction-
naire des Dictionnaires, ont enfin repris le domaine encyclopédique
usurpé depuis plus d'un siècle par la Franc-Maçonnerie et la Libre
Pensée, et y ont planté la croix. Il importe d'affermir et d'étendre
cette précieuse conquête. Quiconque a souci de l'intérêt familial,
social, religieux, conservateur, voudra participer à cette croisade,
qui a pour cri : Foi et Science, Dieu et Patrie. D'ailleurs, il s'agit
d'une œuvre aujourd'hui inHjppensable, d'une utilité quotidienne ; et
l'on pout encore en souscrivant de suite, se la procurer dans des
conditions exceptionnelles. On trouvera plus loin ces conditions avec
le bulletin de souscription.
Le gérant : P. Chantrel.
Paris — Imp. 0. Picgnoin, hi, nie de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
DU TRAITEMENT EXTRAORDINAIRE DES CURES,
DESSERVANTS, VICAIRES
Quand les curés et desservants ont-ils droit à une indenanité pour
double service? — A un supplénaent de traitement? — Quels sont
leurs droits en matière de casuel ?
I. — -Quand un© succursale est vacante, c'est-à-dire dépour-
vue de titulaire payé, l'évêque autorise le desservant d'une
paroisse voisine, le curé ou le vicaire du curé à biner dans cette
succursale. Le double ministère qui consiste à dire la messe le
dimanche, à faire des instructions, à visiter les malades et à
administrer les sacrements, assure au prêtre qui le remplit :
lo Une indemnité annuelle de 200 francs, accordée sur les
fonds de l'Etat.
2° La jouissance du presbjtère et de ses dépendances, avec
faculté de louer, si l'évêque l'autorise, mais sous la condition
de rendre immédiatement le presbytère s'il était nommé un
desservant. (Ordonnance du 3 mars 1825.) Cette ordonnance a
été rendue pour anéantir les prétentions des Fabriques sur les
presbytères des succursales vacantes. Plusieurs Fabriques
avaient cru qu'il suffisait que le bineur trouvât un pied-à-terre
dans le presbytère, et qu'elles pouvaient amodier le reste du
logement. Le ministre des affaires ecclésiastiques, dans son
rapport au roi, fit d'abord observer que la Fabrique d'une suc-
cursale vacante ne pouvait amodier le presbytère, puisqu'il
devait toujours être prêt à recevoir le desservant qui pouvait
être envoyé comme titulaire de la paroisse ; que, d'ailleurs, les
presbytères en général n'étant pas très vastes, une semblable
location temporaire, et pour laquelle on ne saurait passer bail,
serait de très peu de valeur ; qu'enfin, serait-il très étendu, il
V aurait inconvénient à loger dans une partie de la maison des
personnes qui souvent ne conviendraient pas au desservant, et
dont la présence pourrait gêner les paroissiens qui auraient à
s'entretenir avec lui.
3° Le droit au casuel. (Ordonnance du 6 novembre 1814.) Il y
aactuellement 1,028 ecclésiastiques qui reçoiventcetteindemnité.
Depuis 1827, on a substitué au mot binage celui de double
LxxxTi — 25 Novembre 1S93. 29
394 ANNALES CATHOLIQUES
service, parce qu'il n'est plus indispensable comme auparavant
que l'on célèbre deux messes le même jour pour avoir droit à
l'indemnité; ainsi l'avait réglé la Circulaire du 1" avril 1823.
Une instruction ministérielle du 20 juin 1827 et une Circulaire
du 2 août 1833 ont décidé qu'il suffit de desservir une seconde
paroisse, en y disant la messe le dimanche ou tout autre jour
de la semaine., en y allant faire des instructions., en visitant
les malades et en administrant les sacrements, c'est-à-dire que
si l'évêque organise ainsi le double service, l'indemnité sera
acquise au remplaçant. Cette décision est plus conforme à l'or-
donnance du 6 novembre 1814 et à la décision du 28 mars 1820.
Ainsi l'ont réglé les circulaires des 20 juin 1827, 2 août 1833 et
l" février 1843.
La décision suivante, adressée le 11 avril 1867 par le Ministre
de la justice et des cultes à M. le Préfet de l'Oise, prouve que
les règles précédentes étaient encore en vigueur à cette époque^
et nous ne connaissons aucune disposition de loi ou de règlement
qui les ait modifiées.
« Paris, le 11 avril 1867.
« Monsieur le Préfet,
€ M. l'abbé Hébert, desservant de Sénoville (Manche), réclame
le paiement de l'indemnité qui serait due à son frère, décédé
desservant de Rethondes (Oise), pour le binage qu'il a exercé
dans la paroisse de Saint-Crépin-aux-Bois, pendant les onze
premiers mois de 1865.
« D'après les documents que vous m'avez transmis, une indem-
nité de 200 francs a, en effet, été portée aux budgets de 1864
et 1865 de la commune de Saint-Crépiu, pour supplément de
traitement au curé ou desservant, mais avec cette mention :
pour un prêtre résidant dans la commune.
« M. le Maire de Saint-Crépin, se fondant sur ce que M. Hé-
bert, desservant de Rethondes, n'a pas rempli cette condition,
a refusé de mandater l'indemnité réclamée par son frère et héri-
tier, M. le desservant de Sénoville.
« Dans une lettre qui vous a été adressée le 19 février der-
nier, le maire, l'adjoint et des membres du conseil municipal de
Saint-Crépin reconnaissent eux-mêmes que c'est pour M. Hébert,
desservant de Rethondes, qu'ils ont voté l'indemnité de 200 francs,
portée depuis plus de six ans au budget de la commune. Ils ne
pouvaient donc pas avoir la prétention d'astreindre cet ecclé-
i
DU TRAITEMENT DES CURÉS, DESSERVANTS, VICAIRES 395
siastique à la résidence de Saint-Crépin, puisqu'il était desser-
vant d'une autre commune où il était obligé de résider.
« D'après les règles sur la matière, le prêtre chargé du binage
ou double service dans une succursale vacante remplit toutes
ses obligations et a droit à l'indemnité affectée à ce service, s'il
célèbre la messe dans cette succursale, le dimanche ou tout
autre jour de la semaine, suivant que l'évêque diocésain l'a
ordonné, s'il a soin d'y faire des instructions, d'y visiter les
malades et d'y administrer les sacrements. Il n'est point établi
que M. Hébert ait manqué à aucun de ces devoirs. Cet ecclé-
siastique n'a point satisfait, il est vrai, h une condition qui lui
avait été imposée, la résidence dans la commune de Saint-Cré-
pin; mais dans la position oii il se trouvait, cette condition était
inexécutable et contraire même à la loi; elle doit donc être
considérée comme nulle (art. 1172 du Code civil).
« D'après ces motifs, j'estime, M. le Préfet, que la récla-
mation de M. Hébert, desservant de Sénoville, est fondée et qu'il
y a lieu d'inviter M. le Maire de Saint-Crépin-aux-Bois à man-
dater au profit de qui de droit l'indemnité due à M. Hébert, an-
cien desservant de Réthondes, pour le binage qu'il a exercé,
pendant les onze premiers mois de l'année 1865, dans la com-
mune de Saint-Crépin-aux-Bois. »
La circulaire du l*'' février 1843 avait rappelé que confor-
mément à l'article 191 du règlement du 31 décembre 1841,
sur la comptabilité des cultes, un certificat de binage devait
être joint aux pièces à produire au payeur, et avait donné
comme modèle de certificat de binage celui indiqué par la cir-
culaire du 20 juin 1827; une circulaire ministérielle du 31 jan-
vier 1884 a modifié la teneur de ce certificat. Il faut non-seule-
ment la production du certificat ecclésiastique exigé par l'ar-
ticle 191 du règlement de la comptabilité des cultes, mais
encore une attestation du maire de la commune oii le double
service a eu lieu, portant que M. . . . . ., curé, desservant ou
vicaire, a accompli les devoirs du binage dans la succursale
vacante de à partir du . » . . . jusqu'au » . » . . de
la même année. Une déclaration semblable du sous-préfet ou du
préfet peut suppléer à cette attestation du maire.
Ainsi, pour qu'un prêtre ait droit aux trois indemnités rela-
tées plus haut, il faut :
1° Qu'il s'agisse d'une succursale proprement dite (cire, du
2 août 1833) et non pas seulement d'une chapelle dont le ser-
396 ANNALES CATHOLIQUES
vice, à défaut du titulaire résidant, ne pourrait être assure
qu'au moyen d'une allocation fixée à l'amiable, sous le contrôle
de l'évêque, entre les habitants et recclésiastique qui en seirait
chargé. La loi n'a attribué aucun traitement au binage dans les-
annexes et les chapelles de secours. L'annexe est une église non
paroissiale, érigée sur la demande des principaux contribuables
d'une commune et sur l'obligation personnelle qu'ils souscri-
vent de payer le prêtre qui la desservira. Il convient qu'ils ne
donnent point à leur desservant une indemnité moindre de
200 francs. Cette indemnité est portée au budget communal et
votée annuellement par le conseil municipal ou fournie par des
souscriptions particulières. La chapelle de secours est un édi-
fice religieux dans lequel le curé fait célébrer l'office lorsqu'il le
juge opportun, le chapelain est payé par le curé ou les fidèles,
mais non par la Fabrique. La jurisprudence du Conseil d'Etat
sur ce dernier point est peu connue, mais elle est formelle.
2° Que la vacance soit complète et ne consiste pas seulement
en une absence prolongée. Il y aurait néanmoins binage si le
desservant, âgé et infirme, ne pouvant obtenir un vicaire en titre
par défaut de prêtres, était aidé par un confrère nommé par
l'évêque.
3° Que le double service soit fait par le desservant lui-même»
le curé ou le vicaire du curé, à l'exclusion du vicaire du desser-
vant (cire, du 2 aoiit 1833). Ce dernier serait censé n'agir qu'au
nom du desservant lui-même, qui seul pourrait être porté sur
l'état. Ainsi un chanoine, un prêtre habitué ou sans fonctions,
un chapelain n'auraient pas droit à l'indemnité de binage, quand
même ils desserviraient réellement la succursale.
4° Que le bineur produise tous les six mois les certificats ec-
clésiastique et civil sur la réalité du binage. L'évêque joint ces
certificats à l'état qu'il adresse au préfet, comme pièces justi-
ficatives au mandat de paiement. Le préfet qui délivre ces man-
dats est toujours celui du département où le binage a lieu, alors
même que l'ecclésiastique binerait dans un autre département
que lesien. (Instr. minist. 1823, 1827, 1833; décis. rainist. 1843,
1837, 1869.)
Un curé qui binerait dans sa paroisse propre en attendant le
remplacement de son vicaire, ou à cause de la petitesse de
l'église, n'aurait droit à aucune indemnité, à moins de conven-
tion préalable avec la commune ou la fabrique. (Ordonnance du
13 mai 1844.)
DU TRAITEMENT DES CURÉS, DESSERVANTS, VICAIRES 397
Les chapelles vicariales sont assimilées d'une certaine façon
aux succursales dépourvues de titulaires et desservies par un
prêtre succursaliste qui bine. En effet, quand une commune
n'est pas assez importante pour motiver la création d'une suc-
cursale, soit à cause de l'infériorité ou de l'éparpillement de la
population, soit à cause de l'insuffisance de sa participation aux
contributions publiques (Cire. min. 9 novembre 1819), elle peut
obtenir une chapelle que dessert un vicaire de la cure ou de la
succursale. Ce vicaire touche 350 francs sur le trésor public.
(Ord. des 25 août 1819 et 2 janvier 1830.)
Lorsqu'un ecclésiastique bine dans deux paroisses différentes,
alors même qu'il ferait ce service dans deux succursales vacan-
tes, il n'a droit qu'à une indemnité de binage. (Art. 192 du règle-
ment de la comptabilité des cultes, 31 décembre 1841). C'est la
jurisprudence constante, confirmée par une lettre du ministre
des cultes en date du 3 mai 1864 au préfet de Loir-et-Cher.
Toutefois, et cette jurisprudence le confirme, rien ne s'oppose à
ce (lue, à raison des distances ou de l'état des communications,
il soit accordé à un prêtre, en outre de l'indemnité de binage
payée sur les fonds de l'Etat, une indemnité de déplacement
payée sur les fonds de la commune. Mais cette dernière indem-
nité a un caractère purement facultatif et ne saurait être portée
au nombre des dépenses obligatoires de la commune.
La dépense nécessitée par une seconde messe du dimanche
dans une paroisse incombe à la fabrique, comme toutes les
dépenses d'intérêt paroissial, et en cas d'insuffisance de revenus
de la Fabrique, à la commune, si ce second service est célébré
en vertu d'une décision de l'autorité épiscopale. Elle devient
obligatoire pour la Fabrique dés qu'elle a été inscrite à son
budget, approuvée ou même imposée d'office par l'évêque. Elle
ne devient obligatoire pour la commune qu'autant que l'organi-
sation de ce double service a eu lieu après l'accomplissement
des formes et dans les confiitions prévues par les articles 37, 38,
96 et 97 du décret du 30 décembre 1809 combinés.
Dans le même sens il a été statué parle Conseil d'Etat (Arrêts
des 21 mai 1875, 14 juin 1878 et 4 juin 1880), que l'allocation
accordée à un vicaire chargé de célébrer la messe de midi doit
être considérée comme dépense du culte lorsque le préfet et
l'évêque ont été d'accord pour imposer cette charge à la Fabri-
que et à défaut de la Fabrique à la commune. Si c'est sponta-
nément que la commune ou la Fabrique se sont engagées à cette
398 ANNA.LBS CA.THOL.IQUES
dépense, elles sont toujours libres de la supprimer, et cette allo-
cation ne peut, dans ce cas, constituer qu'une dépense facultative.
II. — Le gouvernement a toujours reconnu la modicité et
l'insuffisance des traitements des desservants ; il a même sou-
vent invité les communes à y pourvoir par des suppléments sur
les fonds communaux ; mais il s'est abstenu de les déclarer obli-
gatoires et de les imposer d'office, parce que ce supplément est
rangé parmi les dépenses facultatives des communes. Les con-
seils municipaux sont donc libres de voter les suppléments de
traitement et d'en fixer le montant; ils peuvent, à leur gré, les
augmenter, les réduire et même les supprimer. Les préfets, de
leur côté, étant tuteurs des communes et ayant en cette qualité
droit de régler les budgets municipaux, pourraient aussi approu-
ver, rejeter ou réduire ces suppléments, puisqu'ils sont facul-
tatifs et arbitraires. Néanmoins, nous estimons que la munifi-
cence municipale envers le clergé étant aujourd'hui exempte de
toute exagération, il serait peu convenable qu'un préfet désap-
prouvât un témoignage d'afi'ection et de dévouement que les
paroissiens voudraient donner à leur guide spirituel. Les com-
munes sont les juges les plus compétents du zèle, des travaux,
des bonnes œuvres et des besoins de leurs pasteurs. Les conseil-
lers municipaux qui sont les représentants légaux des habitants
et les interprètes les plus éclairés de leurs vœux, qui d'ailleurs
sont intéressés à apporter une juste et sévère économie dans
l'emploi des revenus dont la gestion leur est confiée, apprécie-
ront mieux que toute autre personne l'opportunité ou la conve-
nance d'un vote de fonds au profit de leur curé. Le rôle d'un
préfet, dans cette circonstance, doit se borner à sanctionner les
subventions des administrateurs communaux.
Le maximum de supplément n'a été fixé par aucune décision ;
mais c'est l'usage qu'il ne dépasse point 250 à 300 francs.
Le supplément voté pour le desservant n'appartient pas de
plein droit au prêtre étranger, ni même au vicaire qui vient biner
pendant que la paroisse est vacante. Il ne peut lui être attribué
sans le consentement du conseil municipal. (D. m. Bulletin 1865,
p. 134.) Même le conseil municipal, après avoir, au budget ar-
rêté en mai pour l'année suivante, porté un supplément pour le
curé, peut, à la session de novembre, revenir sur son vote. Le
ministre a décidé, en 1867, qu'en pareil cas le maire ne pouvait
délivrer de mandat. Après l'année commencée, il n'y a d'acquis
au curé que du P«" janvier au jour du nouveau vote.
DU TRAITEMENN DES CURÉS, DESSERVANTS, VICAIRES 399
III. — « Personne, dit saint Paul, combattant pour Dieu, ne
s'embarrasse dans les affaires séculières. » (II Tim., ii, 4.) Et
ailleurs: « Ceux qui servent à l'autel doivent vivre de l'autel. »
(I Cor., IX, 7, 13; Hebr., XIII, 10.) Ce qui veut dire que le prêtre
engagé au service de Dieu et des, âmes ne doit pas g:agner
sa vie par le commerce, l'industrie ou le travail des champs ;
mais que, voué au service du temple, il doit recevoir, en retour
de ses occupations saintes, de quoi vivre selon sa condition.
Autrement, on violerait à son égard les règles les plus élémen-
taires de l'équité, en le contraignant de déroger à sa dignité et
de manquer à ses sublimes fonctions.
A l'origine du Christianisme, lorsque l'Eglise se bornait au
collège apostolique, les Apôtres purent, sous la pression de la
nécessité, revenir parfois au métier dont ils vivaient avant leur
vocation. Il est marqué toutefois expressément que cette vocation
impliquait l'abandon de leur profession séculière. Quand Pierre
et André suivent Jésus, ils quittent leurs filets; quand Matthieu
est appelé, il se lève de son bureau et abandonne ses registres
de comptabilité; quand Barthélémy, Thomas, Luc, Paul et les
autres partent à la conquête du monde, il est par trop clair qu'ils
ne peuvent plus jouer de l'aiguille ou de la trousse, raccommoder
des filets, dresser des tentes et donner des consultations. Aussi,
dès ce moment, et déjà quand le Sauveur était encore avec les
douze, il y avait pour l'entretien une bourse commune, loculos
hahens^ dont Judas était le porteur et le dispensateur. De ces
lointai-ns mais fidèles souvenirs on en conclut que les ministres
du culte recevaient des fidèles leur subsistance. L'institution du
casuel remonte donc aux premiers temps du christianisme, et
on le retrouve à toutes les époques, divers sans doute quant au
mode, mais uniforme quant au principe. Le casuel est l'hono-
raire ou rétribution accordée aux ecclésiastiques pour les diverses
fonctions de leur ministère, heneficium propter officium, non
pas que le casuel représente le prix du bienfait spirituel reçu,
mais il est la juste rémunération de la fonction exercée, « l'ou-
vrier étant digne de son salaire ». (Matth. x, 10; I Cor., ix, 11.)
De là sont venues ces offrandes de pain, de vin et autres comes-
tibles, plus tard ces dons en argent, en terres, en maisons, etc.. .,
qui ont formé le fonds commun des biens de l'Eglise. — D'après
l'article 68 de la loi du 18 germinal an X, le produit des obla-
tions forme, avec le montant des pensions, le traitement des vi-
caires et des desservants. Trois choses sur cette matière sont
incontestables:
400 ANNALES CATHOLIQUES
1° L'évêque a le droit de répartir, in foro conscientiœ, les
revenus casuels selon sa prudence entre les prêtres d'une
même paroisse dans la limite des besoins de cette paroisse ; c'est-
à-dire d'y' mettte le nombre de prêtres qu'il juge nécessaire pour
la bonne administration des choses saintes et d'assigner à chacun
d'eux, en gardant la proportion convenable entre le curé et les
ricaîres.lapartdu câsùel qui leur est nécessaire pour vivre.
2° Il peut même transporter une partie du casuel d'une pa-
roisse à des prêtres d'une autre paroisse, le Concile de Trente
lui ayant donné pleine autorité de pourvoir aux besoins des prê-
tres par les moyens qu'il jugerait convenables,
3° Les tarifs qu'il fait ne sont obligatoires, au point de vue lé-
gal, que lorsqu'ils ont été approuvés par l'autoi-ité civile: « Les
évêques rédigeront les projets de règlement relatifs aux obla-
tions que les ministres du culte sont autorisés à recevoir pour
l'administration des sacrements. Les projets de règlement ré-
digés par les évéques ne pourront être publiés ni autrement mis
à exécution qu'après avoir été approuvés par le gouvernement. »
(Art. 69, loi du 18 germinal an X.)
4° Toujours au point de vue légal, l'évêque ne peut apporter
de modifications dans les tarifs qu'après s'être entendu avec
l'autorité civile. (Avis du Conseil d'État, 31 août 1848. Arrêté
ministériel, 2 septembre 1848.) Ainsi le casuel des prêtres est
tarifé par l'évêque sous l'approbation du gouvernement; le
casuel des Fabriques est tarifé par l'évêque et approuvé par le
Conseil municipal ou le préfet.
Donc ni le clergé des paroisses, ni les Fabriques, ni l'évêque
ne pourront établir des règlements spéciaux pour tarifer les
droits casuels. Par conséquent, les usages particuliers à cer-
taines localités relativement à ce point sont abusifs, s'ils attri-
buent des honoraires supérieurs à ceux qui sont indiqués dans
le tarif. Ces taxes, fondées sur de prétendus privilèges ou cou-
tumes, sont illégales ; ceux qui les imposeraient seraient con-
cussionnaires et s'exposeraient aux peines de la loi. Toutes les
fonctions ecclésiastiques auxquelles le tarif diocésain n'attache
aucune rétribution doivent être gratuites. (Art. 5 du décret du
18 germinal an X.)
Ainsi on ne doit rien exiger pour l'administration des sacre-
ments de Baptême, de l'Extrême-Onction, de la Pénitence, de
l'Eucharistie... Ce[)endant, le curé peut, sans être répréhensible,
recevoir une offrande spontanée. Même pour un acte tarifé, le
DU TRAITEMENT DES CURÉS, DESSERVANTS, VICAIRES 401
curé peut recevoir d'un paroissien une offrande sans encourir
de poursuites {Arrêt du Conseil d'Etat, 4 mars 18J.50). Le pri-
vilège reconnu par les articles 2101, 2104 du Code civil, relati-
vement aux frais funéraires, comprend les seuls frais faits pour
l'enterrement, non ceux des messes et services séparés des funé-
railles. Ce privilège peut être contesté pour les services reli-
gieux, le corps étant présent, s'ils paraissent exagérés compa-
rativement à la position sociale du défunt et à l'opinion régnante
sur sa fortune. (Jugement d' Angers S janvierlSQQ). Ce n'est pa«
au curé à poursuivre, mais au trésorier de la Fabrique. Lorsqu'un
vicaire croit devoir formuler des réclamations contre son curé
à l'occasion du casuel, il ne doit pas porter ses plaintes devant
les tribunaux, mais devant son évêque. (Décisions ministérielles
des 16 novembre 1807 et 7 avril 1817). Un curé n'a pas le droit
d'accorder, au détriment de ses vicaires, ou même malgré eux,
des réductions de tarif à quelques paroissiens non indigents.
Le vicaire chargé provisoirement, en cas de vacance de la
cure ou succursale, de l'administration de la paroisse, n'a pa.s
le droit de percevoir ni le droit curial, ni même l'indemnité de
binage, mais il a droit à la totalité' du casuel {Décidions minis'
t&ielles des 29 aoiit et 14 décembre 1868 et 2 avril 1867).
D'après le décret du 26 décembre 1813, les cierges employés
aux enterrements et aux services funèbres, autour du corps, à
l'autel, appartiennent moitié à la Fabrique, moitié au curé; les
autres ecclésiastiques n'ont droit qu'au cierge que chacun porte.
Le cierge tenu à la main par celui qui oflVe le pain bénit appar-
tient au curé; s'il y a des cierges sur le pain bénit même, ils
appartiennent à la Fabrique (Z)éci5ionmmîsiér2e^^e, 14 wanHll).
Une coutume universelle et immémoriale attribue aux curés les
cierges de la première communion que chaque enfant porte à la
main. Toutes les offrandes faites au baiser de paix sont au curé.
Les offrandes faites lors de la vénération d'une image, d'une
relique ou d'une croix, tant que dure la cérémonie, appartien-
nent au curé; mais celles faites après la cérémonie, tandis que
l'image ou la châsse sont déposées sur l'autel ou ailleurs, appar-
tiennent à la Fabrique {Décision ministérielle, IQ juin 1845).
Certains auteurs ont prétendu que le produit des oblations ne
pouvait, dans aucun cas, être revendiqué par les curés de l"et
de 2* classe, sous prétexte que la loi ne l'attribue, du moins
d'une façon expresse et formelle, qu'aux desservants et aux
vicaires. De son côté, le ministre des cultes, dans une lettre
402 ANNALES CATHOLIQUES
particulière qu'il écrivait au ministre de l'intérieur le 5 sep-
tembre 1812, exprimait une opinioa contraire : c Partout,
disait-il, les oblations appartiennent au curé.» Les vicaires n'y
ont pas plu8 de droit dans les grandes communes que dans les
petites... Le cnré a toutes les oblations, parce que son droit est
de faire lui-même tous les actes qui jy dennent lieu. Les obla-
tions sont des rétributions attachées au titre curial.»
Ni l'un ni l'autre de ces deux sentiments n'a prévalu. Toutfts
les fois que la difficulté a été soulevée devant) l'administration
civile, celle-ci a reconnu que les vicaires avaient, en principe,
droit à une portion du casuel, mais que ces ecclésiastiques
devaient porter leurs prétentions à la quotité qui leur est réser-
vée par leurs évêques. C'est ce qui résulte en particulier d'une
décision ministérielle du 16 novembre 1807 et d'une lettre du
ministre des cultes à l'évêque de Viviers en date du 4 septem-
bre 1832.
Aucune portion des traitements ecclésiastiques n'est saisis-
sable (Arrêté du 13 nivôse an XI, 8 janvier 1803). On a élevé
devant le tribunal de la Seine, 12 avril 1877, la question de
savoir si l'on pourrait saisir le cinquième du casuel d'un curé
ou d'un vicaire. Le ministère public s'est prononcéjnégativement
en se fondant sur ce que le casuel est une partie du traitement
de l'ecclésiastique.
Le curé qui revend en détail la cire que les règlements lui
attribuent, n'a point de patente à payer ; il est dans l'exception
de l'article 13 de la loi des patentes.
Il fautassirailerau casuel les honoraires des messes. A l'évêque
seul appartient le droit de les régler.
P. G. MOREAU,
Vicaire général honoraire de Langres.
LE judaïsme cosmopolite
ET LES PARTIS SUBVERSIFS EN EUROPE
rs'ous traduisons de VUnità catlolica l'important article que voici:
Quiconque lit avec quelque assiduité la Libre Parole de
M. Edouard Drumont ne peut pas ne pas avoir remarqué une sin-
gulière évolution dans la tactique du célèbre écrivain antisénnte.
LE judaïsme cosmopolite 403
Quand il commença sa campagne contre le judaïsme par la
publication de la France Juive en 1885, Drumont constatait et
indiquait clairement les liens qui unissaient les Juifs au parti
de la Commune. Gomme preuve, il alléguait ce fait que, lors des
terribles incendies de la Commune, aucune des maisons des
Rothschild — qui sont au nombre de plus de cent — n'avait subi
le moindre dommage.
Mais, dans ses œuvres subséquentes, envahi par l'ardeur du
prosélytisme, Drumont a paru oublier ce fait, ou du moins ne
pas en tenir suffisamment compte. Aussi l'a-t-on vu s'approcher
peu à peu des socialistes, les excuser, les défendre, exalter leurs
mérites ; il est même allé jusqu'à tenter de justifier les « héros >
de la Commune, — du moins les c héros » obscurs, sinon les
chefs.
Dans cet esprit stratégique, il a fondé en 1891 la Libre
Parole, dont le but était la constitution d'un parti antisémite
en France, avec les contingents, non point des conservateurs et
des croyants, comme cela s'est fait en Allemagne et en Autriche,
mais des ennemis du capital. Drumont avait calculé que les
socialistes, étant les ennemis acharnés du capitalisme, devaient
nécessairement devenir les ennemis du judaïsme, qui trouve
précisément dans le capitalisme sa force immense et prépondé-
rante.
La lecture de Toussenel, un socialiste qui déjà en 1845 avait
publié un livre contre les juifs, intitulé c Les Juifs rois de
l'époque >, dut confirmer Drumont dans son opinion ; mais si au
début il se fit illusion au point d'espérer de réussir, il fut bientôt
obligé d'en revenir. Un seul socialiste de quelque valeur se mit
à sa suite ; ce fut Auguste Chirac, auteur de l'ouvrage : « L'agio-
tage sous la troisième république. » Par malheur, Chirac s'en
alla échouer en police correctionnelle, dans un procès bruyam-
ment scandaleux, et son nom fut biffé de la liste des écrivains
que l'on peut estimer.
La dernière lutte électorale devait apporter à Drumont une
plus grande désillusion encore. Il se présenta comme candidat à
Amiens ; si les socialistes avaient voté pour lui, il eût sans doute
été vainqueur, mais, au contraire, il subit une éclatante défaite,
et obtint à peine un millier de voix. Dans aucun autre des
580 collèges électoraux de France, on ne put trouver un seul
candidat antisémite, bien que la Libre Parole, journal d'agres-
sion, qui ne recule pas devant le scandale et est écrit avec un
404 ANNALKS CATHULIQUKS
rare mérite de 'polémiste, ait partout une immense diffusion.
Il reste ainsi démontré à l'évidence que les socialistes n'osent
pas ou ne veulent point engager la lutte contre le juif, si capita-
liste, si bourgeois, si accapareur, si usurier que celui-ci soit.
Et ce phénomène. ne se circonscrit pas dans les limites de la
France; en Autriche, les «chrétiens unis » du député Lueger
n'ont jamais réussi, malgré tous leurs efforts dans ce but, à
attirer à eux les socialistes. Et il y a peu de jours que les socia-
listes allemands, réunis en Congrès, ont, après une vive discus-
sion et sur la proposition de Bebel lui-même, repoussé les offres
d'alliance des antisémites.
Comment s'expliquent ces faits ? Drumont les avait déjà expli-
qués dans la France Juive de la manière la plus claire, la plus
convaincante.
Tous les mouvements antisociaux, révolutionnaires, anar-
chistes, se concentrent au Ghetto ; le juif tient en mains les fils
de toutes les agitations, soit contre l'ordre public, soit contre
l'ordre religieux, soit contre l'ordre social, qui troublent l'Eu-
rope. Et comme il tient les fils en mains, il sait frapper les
autres et se sauver lui-même, fût-ce au milieu des plus grandes
difficultés.
Qui peut nier que tout la symbolisme maçonnique soit d'ori-
gine judaïque? Les grades ou degrés de la secte correspondent
à la prétendue hiérarchie du temple de Salomon, et le jargon
de la loge est presque entièrement sémitique. La parenté entre
la franc-maçonnerie et le ghetto est telle, qu'il a été facile à
plusieurs écrivains de démontrer que celle-là est fille et ser-
vante de celui-ci.
C'est pourquoi la nouvelle donnée par le Matin, d'après
laquelle les francs-maçons français, dans leur récent « convent »
de Paris, auraient décidé de faire la guerre au socialisme, avait
causé un grand étonneraent dans le monde.
Mais la Lanterne, du juif Eugène Mayer, en sa qualité de
porte-voix semi-officiel du Grand Orient de France, s'est em-
pressée de démentir cette étrange information, ajoutant même
qu'au contraire la franc-maçonnerie avait résolu de se mettre à
la tête du mouvement socialiste. C'est une chose qui semble
absurde ; car, s'il y a une société oii se concentre par excellence
l'esprit égoïste, épicurien, utilitaire, de la bourgeoisie moderne,
aussi bien que de l'ancienne, c'est bien la franc-maçonnerie.
Mais le juif socialiste n'est-il pas une chose plus absurde encore
LE judaïsme cosmopolite 405
en apparence? Et cependant la secte, qui a eu pour fondateurs
deux juifs (Marx etLasalle) continue à posséder parmi ses chefs
des millionnaires appartenant à cette race, Singer par exemple,
sans que les foules ignorantes comprennent rien et sans qu'elles
se doutent de rien.
Le programme de la franc-maçonnerie française n'est pas
autre chose qu'une action parallèle à celle du judaïsme. Et
même le mot d'ordre est parti du Ghetto. Diriger le mouvement
antisocial de manière à achever la ruine de tous au bénéfice du
juif et du franc-maçon: tel est le secret du plan de campagne
auquel des millions de malheureux donnent leur concours avec
une ardeur qui ne leur laisse pas la moindre faculté de conce-
voir le soupçon qu'ils pourraient bien être trahis.
Et cependant ils sont trahis, et de la manière la plus scélé- •
rate, encore. Lejour où le socialisme triompherait, l'impratica-
bilité, l'absurdité, les contradictions de ses doctrines et de ses
systèmes engendreraient un désordre et des convulsions dont les
fourbes profiteraient et dont les travailleurs paieraient les
dépens, au bout de la comédie.
Nous disons cela, non point pour éclairer les aveugles (entre-
prise supérieure à nos forces) mais pour exposer la condition
dans laquelle la société civile et la religion se trouvent. Edouard
Drumont a constaté justement, avec beaucoup de sagacité, que
le salut social dépend de la fermeté qu'on mettra à enlever au
juif l'autorité qu'il exerce; mais il s'est trompé relativement
aux moyens, en s'imaginant qu'il lui était possible d'attirer à lui
les multitudes de travailleurs composant les rangs du socia-
lisme. La position était déjà occupée parle Ghetto, et l'arme de
la plume, à elle seule, a été impuissante à en déloger celui-ci.
Drumont voudra-t-il reconnaître aujourd'hui que le judaïsme,
la franc-maçonnerie et le socialisme doivent être combattus en
même temps par les armes du christianisme?
En Italie, les catholiques doivent faire en sorte de percevoir
nettement une vérité de fait, qui se manifeste d'une manière
plus claire do l'autre côté des Alpes. Parmi nous aussi, la puis-
sance du judaïsme va croissant de jour en jour, et en même
temps que ses forces grandissent, le mouvement subversif
s'étend dans notre pays.
Il n'existe encore ici aucun parti antisémite, et nous en
sommes charmés, car les partis qui portent ce nom en dehors
de l'Italie pèchent dans leur origine, dans leurs moyens, et ea
406 ANNALES CATHOLIQUES
partie aussi dans leurs buts. En Italie, l'antisémitisme doit être
une seule et même chose avec le catholicisme, en ce sens que
nous devons combattre les juifs comme les francs-maçons, comme
les socialistes, comme les anarchistes, pour la défense de la
société civile, de la patrie italienne et de la croix de Jésus-Christ.
Nous avons affaire à un peuple dispersé sur la terre qui con-
serve intact l'esprit du sanhédrin.
Le sanhédrin, qui s'était cru vainqueur, a été vaincu sur le
Calvaire par la mort du Juste. Et il cherche à prendre sa re-
vanche.
Il se croit maintenant près d'atteindre au but, parce que
toutes les puissances sont aujourd'hui prosternées devant le
Juif. Les monarchies et les républiques sont à ses pieds, non
moins que les peuples saignés à blanc par sa rapacité insatiable.
Le comte de Caprivi et Bebel, Kalnocky et Kronawetter, Carnet
et Lafargue, Giolitti et Colaianni sont également adorateurs du
Ghetto.
L'antisémitisme fait fausse route quand il recourt aux vio-
lences et aux délits, comme quand il s'imagine pouvoir triom-
pher de l'ennemi par des moyens humains. A la Croix seule est
réservé le triomphe, et elle nous le vaudra quand nous saurons
opposer l'esprit de l'Evangile à celui du sanhédrin. Le triomphe
de la Croix est assuré; nous en avons la parole de Dieu même;
mais il dépend de nous d'en hâter l'heure.
M. E. OLLIVIER ET LEON XIII
M. E. OUivier, dont on avait annoncé le Voyage à Rome, a eu une
entrevue avec le rédacteur du Figaro. A titre de document, nous
reproduisons les déclarations de l'ancien ministre faites au corres-
pondant de notre confrère :
Rome 10 novembre.
Du jour oïl on a su que M. Emile Ollivier était à Rome, on
s'est demandé ce qu'il était venu y faire : comme s'il ne lui
était p!xs permis de visiter la Ville Eternelle en touriste, en
érudit. Les uns ont dit qu'il venait faire amende honorable de
son opposition à la politique pontificale en France; les autres
qu'il voulait tout bonnement convertir le Pape.
Je n'ai prêté foi ni aux premiers ni aux seconds; mais, pour
M. E. OLLIVIKR KT S. S. LÉON XIII 407
«tre mieux fixé, je me suis présenté chez M. Emile OUivier, qui
occupait un modeste appartement, au troisième étage d'une
maison, au coin de la rue Fontanella di Borgaese et du Corso,
et j'ai eu avec lui une conversation des plus intéressantes et des
plus... attachantes.
J'ai retrouvé l'homme aussi jeune, aussi vibrant, aussi élo-
quent qu'il a pu jamais être. La disgrâce a permis àcetéminent
orateur d'acquérir les connaissances les plus profondes, et c'est
vraiment un charme que de l'entendre développer ses réflexions
avec cette vie et cette expression pittoresque dont il a le secret.
Nous avons d'abord parlé de Rome qu'il connaît très bien et
dont il est un admirateur passionné, ensuite du Figaro dans
lequel il a publié plusieurs articles retentissants et enfin du
sujet qui m'intéressait le plus, celui de sa présence à Rome.
— Vous n'êtes pas précisément un inconnu pour le Saint-
Pére, lui dis-je en souriant, puisque je me suis laissé dire que
c'est un peu sur son invitation que vous avez écrit votre bro-
chure sur la question romaine.
— Ah ! vous savez cela? Oui, c'est vrai. Léon XIII voulut
bien me demander de livrer à la publicité quelques-unes des
idées que j'avais émises en sa présence et qu'il a eu la bonté
d'approuver.
— Je doute qu'aujourd'hui il vous inviterait à écrire une bro-
chure sur la politique pontificale en France.
— Ah! non. Je vois les choses tout différemment.
— Voulez-vous me dire comment vous les voyez ?
L'ancien ministre de Napoléon III réfléchit un instant, puis
braqua ses yeux sur moi et, d'un ton ferme, assuré, fort,
comme s'il parlait à la tribune :
« Mon point de vue à moi, me dit-il, n'est pas celui d'un
monarchiste, parce que je ne le suis pas : il n'est pas davantage
celui d'un bonapartiste, puisqu'il n'en existe plus. Mon origine
est républicaine, mes opinions sont républicaines. J'ai fait avec
l'Empire un pacte libéral auquel j'ai été fidèle, comme Manin
avait fait avec Victor-Emmnauel un pacte national; mais je
n'ai jamais désavoué aucune des opinions de mon origine, et
dans ce que j'ai dit ou écrit on ne trouvera pas un mot qui soit
haineux ou simplement contraire à la République. Donc, une
politique républicaine recommandée par le Pape n'a rien qui me
blesse dans mes convictions intimes. Ce contre quoi j'ai protesté
et ce que je n'admets pas encore aujourd'hui, c'est qu'il y ait
408 ANNALES CATHOLIQUES
en France une politique du Pape, quelle qu'elle soit, même
bonne. Sans cela, le Pape serait le véritable monarque de
France, du moins pour les catholiques, et la vie laïque serait
supprimée. C'est cette entreprise que je considère comme désas-
treuse pour l'Eglise. Car si, provisoirement, elle ne soulève pas
d'orages, parce qu'elle est d'accord avec les passions de notre
gouvernement, elle sera pleine de périls le jour oîi le Pape
croira avoir une politique qui sera contraire aux vues de ceux
qui gouvernent.
— Vous êtes gallican ?
— On a parlé, en effet, de gallicanisme, le mot à épouvan-
tai}. Il faut s'entendre. Dans le gallicanisme formulé par la
Déclaration de 1682, il y a deux parties absolument distinctes.
Il 3' a la partie ecclésiastique contenue dans les trois derniers
articles consacrant la supériorité du Concile sur le Pape ; mais
cette partie est abolie par le Concile oecuménique. Il faut y
renoncer ou sortir de l'Eglise. Mais — ajoute-il avec force en
frappant sur une table — la partie politique des libertés galli-
canes formulée par l'article premier de la Déclaration reste
debout, intacte, et chaque fois que de Rome on voudra y porter
atteinte, on soulèvera la vieille clameur gallicane patriotique
d'autrefois.
— Vous n'avez sans doute pas demandé audience au Saint-
Père pour lui faire entendre vos idées?...
— J'aurais été le plus naïf des hommes si javais cru qu'un
entretien de moi avec le Pape changerait ses dispositions, résul-
tat de longues méditations. Je ne suis donc pas venu à Rome
pour me donner ce ridicule. Le but de mon voyage est très
simple. J'aime passionnément Rome et Michel-Ange. Je pré-
pare une nouvelle édition de mon étude sur la chapelle Sixtine.
J'ai voulu contrôler une dernière fois mes jugements par
l'examen des originaux et, comme je commence à être vieux et
que je ne suis pas sûr de revenir dans la Ville Eternelle, lorsque
mes jeunes enfants seront arrivés à un certain âge, j'ai voulu
leur procui'er ce souvenir ému de pouvoir dire ; « Je suis entré
à Saint-Pierre la première fois avec mon père. »
€ Je n'ai donc pas demandé au Pape une audience qui aurait
dû avoir nécessairement un caractère d'explication et peut-
être de discussion qu'il ne me convenait pas par respect de lui
imposer.
— On m'a affirmé cependant que vous aviez fait une dé-
marche.
M. E. OLLIVIER ET S. S. LKON XIII 409
— Voici. Je m'explique. Je n'ai pas voulu que ma pré-
sence ici parût une bravade pour le Pontife qui m'avait accueilli
avec bonté. Je lui ai donc écrit personnellement en termes très
respectueux les motifs de mon abstention. Il les a compris et
m'a fait répondre par son maître de chambre une lettre pleine
de bonté paternelle, preuve nouvelle de l'étendue de son esprit.
Léon XIII ne garde donc aucun ressentiment d'une opposition
qu'il sait sincère, respectueuse et exclusive de toute pensée
amère ou inconvenante vis-à-vis de son auguste personne. »
L'occasion était trop bonne pour ne pas pousser plus loin mes
demandes :
— Quels résultats pensez-vous que pourra avoir la politique
de Léon XIII en France ?
— Pour moi, cela ne fait aucun doute ; le résultat sera
l'anéantissement moral de l'Eglise de France...
Et comme je voulais manifester mon étonnement, il m'inter-
rompit :
— Jamais, s'écria-t-il, l'Eglise de France ne fut dans une
plus misérable condition. L'évêque est nommé par un délégué
de la franc-maçonnerie, le curé de canton n'est agréé que si le
politicien radical du lieu n'y fait pas opposition. Après l'école,
l'église vient d'être laïcisée par l'ordonnance sur les fabriques.
Bientôt ce sera le percepteur qui réglera ce qui se passera dans
le sanctuaire. Et enfin, ce qui est plus grave que tout, le bâton
de la suppression administrative des traitements est sans cesse
suspendu sur la tête des ecclésiastiques d'un ordre quelconque.
Nous voyons la plus exécrable violence du jacobinisme, con-
traire à tous les principes de la Révolution de 89, qui ne permet
pas qu'un homme quelconque soit condamné sans avoir été
entendu, et le prêtre est privé de sa subsistance stipulée obli-
gatoire par le Concordat, sans enquête contradictoire, sans aver-
tissement; que voulez-vous que devienne une Eglise ainsi cons-
puée, ainsi garrottée, ainsi annihilée ?
— Quelle aurait donc dû être, d'après vous, la politique du
Pape en France ?
— D'élever la voix tous les jours contre les procédés iniques
qne je viens de condamner. A mon très humble avis, les chefs de
l'Eglise devraient se confier aux héroïsmes de l'apostolat et non
aux arts de la politique. Lorsqu'on se trouve en présence d'une
persécution violente, il est sage de lui opposer une politique
de temporisation silencieuse; mais lorsqu'on se trouve en pré-
30
410 ANNALES CATHOLIQUES
sence d'une persécutioQ raffinée, souterraine, hypocrite, habile
à replis, il faut opposer à ces artifices les audaces de la sincérité
et de la protestation, qui constituent alors la véritable prudence.
« Evidemment, pour moi, la politique de résignation à
outrance recommandée par la curie de Rome au clergé français
ne peut s'expliquer que par un plan de politique générale faisant
de l'holocauste momentané du clergé français la condition de
plus vastes combinaisons européennes... Mais ici je m'arrête, je
suis dans le domaine des suppositions et je ne parle ainsi que
parce qu'ayant une grande admiration pour le puissant esprit de
Léon XIII, je ne puis m'expliquer sa conduite que comme pro-
venant de grandes vues d'homme d'Etat dans la confidence des-
quelles je ne suis pas. »
Et comme je lui disais que sans partager sa manière de voir
on ne pouvait s'empêcher de reconnaître que ses travaux et son
passé politique donnent une grande autorité à ses réflexions.
— Mon insistance dans cette question n'est pas une affaire
d'amour-propre d'auteur. Elle n'est pas même inspirée par la
profonde sollicitude que m'inspirent nos pauvres prêtres. Elle a
une cause toute personnelle et de celles que l'on peut avouer.
Sans moi, il y a vingt-trois ans, sans ma résistance aux inspi-
rations du prince de Bismarck, du comte de Beust, de lord Cla-
rendon et d'une partie puissante des catholiques français, la
proclamation définitive de l'infaillibilité aurait peut-être été
empêchée parla dissolution du Concile. J'ai donc comme homme
politique devant l'histoire la responsabilité d'avoir aidé l'Eglise
à défendre librement les prérogatives et la supériorité de son
magistère suprême. Par cela même j'ai le devoir de m'opposer
autant qu'il est en moi à ce que l'on donne à l'infaillibilité
définie par le Concile du Vatican une extension dangereuse
dont on s'était défendue au moment de la discussion et qui serait
de nature à rouvrir les plus pénibles conflits religieux. »
J'en savais plus que je ne voulais sur les idées de l'ancien
ministre de Napoléon III au sujet du Vatican. Je le remerciai
donc de l'entretien qu'il avait bien voulu m'accorder et je pris
congé de lui. Fklix,
LE SOCIALISME EN SUISSE 411
LE SOCIALISME EN SUISSE
II n'est pas inntile, de temps à autre, de jeter un coup d'œil
sur la Suisse, afin d'y voir à l'œuvre cette démocratie qu'on
nous propose comme exemple, probablement parce qu'on ne l'a
pas étudiée de prés.
L'Association des ouvriers suisses, dont le précédent congrès
de Bienne a fait quelque bruit dans le monde, s'est réunie
dimanche dernier à Zurich pour discuter la question à l'ordre
du jour en Suisse : l'assurance contre la maladie et les acci-
dents. 525 délégués représentaient 191,000 ouvriers, apparte-
nant à toutes les confessions religieuses, à tous les partis poli-
tiques. La réunion avait lieu dans les locaux de l'Association
catholique et avait été convoquée d'urgence.
Le Congrès de dimanche est appelé également à un certain
retentissement. La démocratie suisse et l'Association ouvrière
y ont fait un pas décisif en avant vers le socialisme d'Etat ou
plutôt vers le socialisme tout court. On y a voté sans coup férir,
sans discussion, une résolution qui réclame l'organisation par
l'Etat de l'assistance médicale gratuite aux frais de l'Etat! Et
les moyens! On les a votés aussi en un tour de main, sans hési-
tation : l'organisation du corps médical en un corps de fonction-
naires rétribués par le gouvernement de 4 à 8,000 francs et la
mainmise de l'Etat sur la vente du tabac.
C'est le secrétaire du Grutltverein, M. Greulich, qui est l'au-
teur de ce projet. Il a calculé que l'assistance médicale gratuite,
les secours pharmaceutiques gratuits, le séjour à l'hôpital gra-
tuit, pourraient être assurés à l'ouvrier malade moyennant une
dépense de 15 millions par an. Et c'est le monopole du tabac
qui fournira à l'Etat la plus grande partie de cette somme, une
dizaine de millions environ.
Le Conseil fédéral a fait préparer, par une commission spé-
ciale, un projet d'assurance contre la maladie qui rappelle, dans
son économie générale, la loi allemande.
Les dirigeants du mouvement ouvrier et le grutliverein ne
veulent pas de ce projet, et c'est pour lui faire échec que le
Congrès extraordinaire de Zurich avait été convoqué.
Sans autre forme de procès, le projet du gouvernement a été
écarté et condamné, et le projet élaboré par M. Greulich mis
en discussion et adopté.
412 AKNA.LES CATHODIQUES
Le premier rapporteur était M. Beck, professeur à l'Université
de Fribourg, qui a exécuté en quelques mots le projet fédéral ;
il le trouve trop capitaliste, trop bureaucratique et trop centra-
lisateur. Les deux derniers reproches paraissent fondés. Pour
comprendre ce que signifie le reproche d'être trop capitaliste, il
faut lire le passage suivant du rapport de M. Beck :
< L'assemblée générale et un comité des patrons est ajouté
(dans le projet du gouvernement) en quelque sorte comme frein
à l'assemblée générale des assurés. Il résulte de cette organisa-
tion particulière que l'administration autonome des caisses par
les ouvriers est rendue impossible, et que la caisse, en fin de
compte, doit servir tout simplement les intérêts des patrons. Il
paraît étrange à tout observateur impartial que les ouvriers,
constitués en seconde Chambre, doivent^ se laisser conduire et
dominer par la Chambre haute des patrons. Ce système des deux
Chambres dans l'administration est simplement la conséquence
du faux principe que l'ouvrier et le patron paient chacun la
moitié de la prime d'assurance et doivent en conséquence, avoir
la même part d'autorité. Mais en réalité qu'est-ce que la prime
d'assurance ? Pour le salarié, elle n'est au point de vue j uridique
qu'une partie de son salaire, elle lui appartient donc et doit être
administrée par lui. >
Ne voulant pas de la tutelle des patrons, l'Association ouvrière
demande la tutelle de l'Etat. Ne voulant pas de l'argent des
patrons, elle réclame l'argent de l'Etat, c'est-à-dire de tous les
contribuables. Elle veut qu'on entretienne les ouvriers malades
aux frais du trésor public.
Pourquoi les ouvriers et pas les autres citoyens? L'Etat don-
nera-t-il donc, sans contrôle, sans droit de surveillance, les dix
ou quinze millions nécessaires aux associations ouvrières, et
n'est-ce pas se livrer, pieds et poings liés, à la bureaucratie que
d'attendre d'elle, de son bon vouloir, les secours nécessaires
pour la partie la plus nécessiteuse, la plus faible de la classe
ouvrière?
Et puis cette transformation des médecins en fonctionnaires?
On ne leur demande pas leur avis, on ne s'aperçoit pas que c'est
augmenter d'une façon considérable les pouvoirs de l'Etat que
de créer d'un coup une nouvelle classe de fonctionnaires, pos-
sesseurs des secrets des familles et qui tirent l'autorité et la
considération de la confiance qu'ils inspirent.
De telles décisions ouvrent des abîmes et on ne voit pas oii
l'on pourrait s'arrêter.
LE VŒU NATIONAL 413
Le Congrès de Zurich a voté le projet de M. Greulich. Il a
voté aussi une motion décidant qu'un pétitionneraent serait im-
médiatenoent organisé pour soumettre ce projet au droit d'ini-
tiative constitutionnelle.
Les cinquante mille signatures seront facilement recueillies
et nous verrons, sans doute, bientôt le peuple suisse appelé à
t;e prononcer sur le projet Greulich, le plus radical, le plus
franchement socialiste qui ait été proposé jusqu'ici dans les ten-
tatives de réforme socialiste.
Voilà, dit en terminant cette étude le Courrier de Bruxelles,
où aboutissent les associations ouvrières qui se disent neutres
et acceptent des éléments hétérogènes. Le congrès de Zurich est
une preuve nouvelle que dans des réunions semblables, les élé-
ments catholiques sont submergés, les solutions chrétiennes
écartées. Pour les malades indigents on a remplacé à Zurich les
monuments de la charité, l'esprit de prévoyance et de solidarité,
les soins du dévouement par la contrainte et l'uniforme du
fonctionnaire sans entrailles.
Il n'en irait pas autrement chez nous si, par malheur, écou-
tant de funestes conseils nos ouvriers catholiques se laissaient
entraîner à conclure des alliances avec les socialistes, même sur
des questions déterminées, fussent-elles purement économiques.
LE VŒU NATIONAL
De tous les miracles que la foi produit chaque jour, il n'eii
est pas de plus manifeste que la construction de l'église du Vœu
National.
Ce miracle peut passer inaperçu, ne pas émouvoir les indiffé-
rents, ne pas troubler les sceptiques, parce qu'il s'accomplit en
silence et sans modifier le cours ordinaire des choses. Il n'en est
pas moins touchant ; il n'en mérite pas moins l'attention recueil-
lie de tous les hommes qui pensent et ne renferment pas leurs
regards dans les horizons terrestres.
S'il nous plaît aujourd'hui d'en parler avec une émotion par-
ticulière et de confier à la Vérité des réflexions qui nous parais-
sent venir à leur heure, c'est qu'en France les impressions sont
souvent fugitives, c'est qu'on oublie trop facilement, c'est qu'on
aime à entretenir des illusions et à jeter un voile discret sur les
réalités douloureuses.
414 ANNALES CATHOLIQUES
De sublimes espérances demeurent attachées à l'œuvre du
Vœu National. Elle est le signe des grandes intensités de la foi ;
elle promet une véritable rénovation chrétienne ; mais cette
rénovation ne saurait être que le prix d'un long et patient
effort, d'une énergie constante, d'une lutte persévérante, se pro-
posant pour but d'assurer le triomphe de la royauté sociale du
Christ et de son Eglise.
Qu'on ne s'y trompe pas, en effet, tout l'effort de la puissance
publique tend, depuis dix-sept ans, à contredire ou même à
nier l'action providentielle et nécessaire de Dieu sur la société,
à reléguer le Créateur du monde dans les profondeurs d'un ciel
idéal, à tenir la nation absolument en dehors de tout acte public
de soumission et d'adoration. ,ig onti
La cité de l'orgueil satanique se dresse fièrement contre la
cité de Dieu. Elle déborde comme un torrent; elle voudrait tout
matérialiser, tout faire plier sous un joug de fer et s'emparer,
une à une, des âmes destinées à l'immortalité.
Qu'est-ce que toutes les sécularisations qui se succèdent ;
sans interruption, si elles ne sont pas une protestation sacri-
lège contre le droit absolu et souverain de Jésus, roi des
hommes? il;>...n .-,^
I
En présence de ces attentats et de ces usurpations impies,
l'église du Vœu National a, par elle-même, une éloquente signi-
fication : elle élève vers le ciel une puissante protestation ; elle
rappelle un trait d'histoire qui date de deux siècles; elle est
comme la première revanche de Marguerite-Marie ; mais elle
n'est encore qu'une promesse, qu'un acte particulier de résipis-
cence. Il y a deux siècles que le Sacré-Cœur demande et attend
la consécration nationale.
C'est, en effet, en l'année 1672 que, prosternée humblement
dans le monastère de Paray-le-Monial, Marguerite-Marie a vu,
pour la première fois, sous une forme sensible, le Christ-Jésus,
lui montrant son cœur tout brûlant d'amour pour les hommes,
tout environné de flammes ardentes, tout épris pour la France
d'une véritable prédilection. Il voulait son triomphe et l'abais-
sement de tons ses ennemis ; il voulait sa grandeur et sa pros-
périté ; mais il voulait aussi que le roi Louis XIV méritât ces
faveurs par un acte public et national et par une consécration
solennelle de sa personne, de sa famille, de son peuple et de
ses Etats.
LE VŒU NATIONAL 415
Quel levain d'orgueil put détourner le roi de France, celu.
qui s'appelait le roi très chrétien, d'un si noble et si facile
devoir? Marguerite-Marie eut-elle un interprète assez pressant»
assez pénétré de sa haute mission ? Les sommations divines
furent-elles portées à la cour par des voix assez puissantes pour
en affirmer l'authenticité? Voilà ce que nous ne saurions dire.
Toujours est-il que Marguerite-Marie ne fut pas écoutée et
que sa voix se perdit dans les bruits du monde. Cependant les
gloires n'eurent qu'un temps et, quand un siècle eut passé,
toutes les corruptions, tous les débordements de la pensée,
toutes les défaillances, tous les revers annonçaient déjà une
catastrophe.
Louis XVI, prisonnier au Temple, n'était plus qu'un souve-
rain découronné, lorsqu'à genoux sur les dalles d'un cachot il se
souvint des promesses de Marguerite-Marie et jura d'acquitter
la dette de la France, si jamais il retrouvait son trône.
Ce fut la Révolution qui l'emporta. Son triomphe dépassa
toute mesure ; elle n'eut pas seulement pour cortège la dévasta-
tion, la ruine et la mort, elle inaugura une ère nouvelle et,
selon l'expression de Joseph de Maistre, elle marqua le commen-
cement d'une époque. Tout un siècle a passé et l'époque dure
encore. Les échafauds et les comités de salut public ont cessé
de fonctionner ; mais il reste dans les moeurs, dans les habitudes
de la vie publique, dans les institutions, un trait particulier,
auquel se reconnaît le génie de la Révolution.
La Déclaration des droits de l'homme est là, toujours vivante,
toujours à l'état de dogme; aujourd'hui comme en 1789, elle est
une protestation contre les droits de Dieu ; si elle a emporté
certains abus, elle en vulgarisa d'autres qui sont un péril per-
manent pour la société.
Est-ce à dire, en effet, que plus de bonheur, plus de paix
sociale, plus de stabilité, plus de dignité, plus de grandeur mo-
rale ait été le partage de quelque nouveau régime survenu
depuis l'époque sanglante?
Nullement.
Les révolutions ont succédé aux révolutions, les catastrophes
aux catastrophes, les ruines aux ruines : les constitutions n'ont
changé que pour démontrer leur caducité et leur impuissance.
Deux républiques, deux monarchies, deux empires ont sombré
tour à tour, et le second empire venait de disparaître, après des
désastres sans précédents, laissant sur le sol de la France une
416 ANNALKS CATHOLIQUES
armée de deux cent mille Prussien?, lorsqu'une fois encore le
malheur rappela le souvenir oublié de la Vierge de Paray-le-
Monial.
Seulement le souvenir ne fut pas recueilli, cette fois, par des
hommes publics et capables d'imposer leur autorité, il s'empara
de gens plus modestes, mais plus résolus; il pénétra leurs
âmes, il souleva leurs cœurs de telle façon qu'ils puisèrent dans
leur foi assez de courage et de résolution pour prendre à leur
compte l'obéissance que Marguerite-Marie n'avait encore pu
obtenir.
Ce furent donc quelques chrétiens, d'une trempe particulière
et d'une pieuse intrépidité qui, en face de la patrie envahie et
prête à périr, jurèrent au Seigneur, pour elle et en son nom,
d'accomplir, après l'expiation, un acte de réparatien.
Cet acte devait consister dans l'édification d'un temple dédié
au Sacré-Cœur, au frontispice duquel serait gravée cette ins-
cription : «Au très Sacré-Cœur de Jésus la France religieuse et
repentante; Sacratissimo Jesu Cordi Gallia pœnitens et
devota. »
Ainsi, sans tenir compte des difficultés, sans vouloir les pré-
voir, ceux qui firent ce serment solennel stipulèrent pour la
France; ils ne voulurent pas douter un instant qu'elle ne rati-
fiât leur promesse et qu'elle ne se montrât chrétienne, ainsi
qu'aux grands jours de son histoire. N'était-ce pas, en effet, le
plus sûr moyen de se relever avec dignité et grandeur?
II
Comme pour bénir ces résolutions, comme pour en proclamer
le mérite et l'efficacité, bientôt la Reine du Ciel apparaissait à
Pontmain, dans un nuage d'azur, et annonçait à la France que
Jésus s'était laissé toucher et que la guerre allait finir. On
n'avait plus qu'à attendre les résipiscences de la France.
Sur ces entrefaites, l'armistice permettait au pays de rentrer
en lui-même, de se ressaisir et de donner une nouvelle orienta-
tion à ses destinées. Ce fut en toute liberté, et par un mouve-
ment vraiment spontané, qu'il nomma une Assemblée nationale,
choisie parmi les meilleurs et animée du souffle chrétien. Elle
comprenait une forte majorité qui ne laisserait jamais protester
la parole donnée : de là vient que l'œuvre du Voiu National ne
tarda pas à recevoir un commencement d'exécution.
LE VŒU NATIONAL 417
Le cardinal archevêque de Paris ne manqua pas défaire sienne
la promesse de ses pieux diocésains. L'idée était belle ; l'exécu-
tion devait être grandiose; il fallait un monument magnifique
que la France chrétienne pût contempler à distance, qui dominât
Paris, qui arborât, pour ainsi dire, la croix au faîte de la civili-
sation moderne et proclamât, devant la nation entière, tous les
triomphes du Golgotha.
Pour réaliser ces grandes pensées, pour donner à l'œuvre le
cachet national qui devait en être inséparable, on n'eut pas de
peine à tomber d'accord sur l'emplacement de la basilique. Il fut
entendu qu'elle serait édifiée au point culminant de Paris, sur
les sommets de Montmartre, là même oii les premiers martyrs
des Gaules avaient versé leur sang pour la défense de la foi.
Ce fut alors que l'archevêque de Paris s'adressa à l'Assem-
blée nationale pour en obtenir une loi d'utilité publique qui asso-
cierait le pouvoir souverain à l'acte d'adoration et de réparation
que nous avons scrupuleusement rapporté, qui lui imprimerait
aussi ce caractère d'universalité nationale qui en avait entouré
la conception, qui en avait constitué secrètement la majesté et
devait en être le couronnement final.
Faut-il rappeler ici ce jour inoubliable où, en présence des
représentants de la France et de toutes les notabilités catholi-
ques, le cardinal Guibert posa la première pierre de la basi-
lique?
Quel recueillement! quelle piété! quel spectacle! Sur les
sommets de la butte Montmartre déjà éventrèe se presse une
foule immense; elle répète avec le prélat la formule de consé-
cration et s'engage par un nouveau serment, à élever au Sacré-
Cœur un temple de gloire et de réparation.
La France repentante est là à genoux pour se réconcilier avec
le Ciel, pour promettre d'immortelles fidélités. Tous les cœurs
battent à l'unisson, toutes les âmes frémissent de reconnaissance
et d'amour.
Enfin un cri immense de Vive le Sacré-Cœur ! Vive Pie IX!
s'échappe de toutes les poitrines, lorsque le cardinal, debout, en
face de l'horizon sans bornes, lève la main sur la France, et il
prononce les paroles de la bénédiction pontificale. Il semble que
ce soit là la bénédiction urbi et orbi que le Souverain Pontife,
des sommets du Vatican, laissait tomber sur Rome et sur l'uni-
vers, lorsqu'il n'était pas prisonnier de la Révolution.
Il y a vingt-deux ans que nous avons vu ces grandes choses.
418 ANNALES CATHOLIQUES
Nous en avons gardé un impérissable souvenir. Car ce jour-là,
nous n'avons pas seulement éprouvé une de ces émotions qui
résistent à toutes les épreuves du temps ; nous avons eu foi
dans le salut de la France, nous avons eu l'illusion de la conver-
sion nationale, et avons cru entrevoir dans les perspectives de
l'avenir les nouveaux triomphes de la fille aînée de l'Eglise.
III
Cependant la France n'a point ratifié ces solennelles pro-
messes ; le souffle satanique s'est, une fois encore, emparé d'elle
et l'a rejetée dans des égarements où pourtant elle ne rencontre
que déceptions et mécomptes. Perverties par de funestes doc-
trines, par ces théories malsaines et enfiévrantes que nous devons
à 1h Révolution, les masses ont cru que, pour conserver la Répu-
blique, il fallait donner la préférence à ceux qui, dans l'histoire,
avaient été les initiateurs du nouveau régime, c'est-à-dire aux
libre-penseurs et aux athées. Ainsi la France s'est comme abî-
mée, en tant que nation, dans une incrédulité qui la déshonore,
dans un scepticisme qui l'empoisonne, dans des haines qui trou-
blent et défigurent son unité séculaire.
Mais on ne vient pas facilement à bout de la foi d'un peuple
qui a pour origine le baptistère de Clovis, qui compte parmi ses
gloires les règnes de Charlemagne et de saint Louis et la mission
de Jeanne d'Arc. Sous l'étreinte de la persécution, sous le poids
des plus douloureuses épreuves, il est resté debout et invincible
une France catholique. C'est elle qui, toujours vaillante, tou-
jours fidèle, a érigé le monument qui couronne aujourd'hui les
sommets de Montmartre et appelle sur la France révoltée des
regards de pitié et de miséricorde.
Et c'est là le prodige ; c'est là le miracle qui laisse dans nos
nos âmes d'indicibles espérances, qui provoque à l'adoration, à
la prière, à la pénitence, des multitudes privilégiées. Elles ont
pieusement conservé le dépôt de la foi et font au Sacré-Cœur
une magnifique garde d'honneur.
Quel effort de persévérance, quelle puissance secrète, quels
élans d'amour, quelles convictions irrésistibles n'affirme pas la
basilique du Vœu National !
Quand la première pierre se posa, on était efi'rayé de deman-
der à la France chrétienne une souscription de huit millions ;
on redoutait de rester en route.
LE VŒU NATIONAL 419
Tel était cependant la nature du sol sur lequel les fondations
devaient être assises qu'il fallut creuser, creuser toujours, et
chercher un point solide jusque dans les entrailles de la terre, à
80 mètres de profondeur. C'est ainsi que furent englouties, sans
résultat apparent, les premières sommes offertes par la généro-
sité des disciples du Sacré-Cœur. Cinq millions étaient dépen-
sés ; on ne voyait encore qu'un trou béant.
Toute entreprise humaine eût été arrêtée par ces débuts, par
ces difficultés, par ces déboires et se fîit brisée contre le décou-
ragement. Mais l'œuvre du Vœu National portait le cachet sur-
naturel. Les obstacles ne firent que surexciter les élans de la
générosité : plus la persécution se faisait intense, plus les chré-
tiens était nombreux à faire l'ascension à Montmartre ; plus on
menaçait l'œuvre d'une désaffectation criminelle, plus les
offrandes du pauvre et du riche arrivaient nombreuses de tous
les coins de la France, plus le Sacré-Cœur apparaissait comme
le refuge nécessaire contre la tempête déchaînée.
Combien fut propice au succès de l'œuvre l'heureuse idée de
ne point attendre la construction de la basilique et d'inaugurer,
dans une chapelle provisoire, le culte public du Sacré-Cœur !
Qui dira jamais combien de pieux pèlerins allèrent s'agenouil-
ler, durant ces longues années de travail continu, dans le mo-
deste sanctuaire où le Sauveur des hommes ouvrait son cœur à
toutes les douleurs, à toutes les afflictions, d'où il répandait ses
dons et ses faveurs sur les cœurs humiliés, où il attendait, avec
une patience toute divine, les résipiscences des ingrats !
Pendant que le flot de l'impiété montait, avec une véritable
fureur, le Sacré-Cœur recevait aux sommets de Montmartre
d'incessants hommages ; l'adoration nocturne j était entretenue
avec un zèle infatigable: c'était par milliers que les recomman-
dations étaient, chaque matin, transmises aux fidèles par les
oblats de Marie. Que d'ex-voto attestent les faveurs obtenues
par la prière et la communion!
Voilà comment l'œuvre du Vœu National, toujours plus vi-
vante, toujours plus populaire, est arrivée à réunir vingt-deux
millions et à édifier le monument magnifique qui appelle les
regards de tout un peuple, qui fait l'admiration des étrangers,
qui. atteste la majesté du Sacré-Cœur, qui est prêt pour la con-
sécration nationale.
Une fois encore, n'est-ce pas là le plus éclatant miracle des
temps modernes ?
420 ANNALES CATHOLIQUKS
IV
Ne nous lassons pas cependant: si la basilique est large ou-
verte pour recevoir tous les pèlerins, pour se prêter aux plus
grandioses cérénaonies, il lui manque encore ses dômes, ses clo-
chers, ses flèches, ses décorations intérieures, ses autels particu-
liers. Il y a encore des millions à dépenser pour parachever la
merveille, pour l'enrichir de toutes ses parures, pour qu'elle
réalise intégralement la pensée qui y est attachée, pour que le
Vœu de 1870 ait reçu sa pleine et entière exécution.
Gloire à vous, pieux fidèles, apôtres de la dernière heure, qui
avez tant fait, sans le savoir, qui avez remué le monde des âmes,
généralisé déjà le culte du Sacré-Cœur, et détourné de la pa-
trie les colères de la justice divine!
Lorsque vous prêtiez votre serment, vous ne pouviez vous
faire une idée de l'entreprise qu'il contenait, des sacrifices, des
peines qu'il devait exiger, mais la toute-puissance d'un Dieu
couvrait vos débilités et vos incapacités, et la victoire était dans
votre foi, parce qu'une foi telle que la vôtre est celle qui trans-
porte les montagnes.
Soyez les bien-aimés de la patrie; soyez les bénis du Sacré-
Cœur; sollicitez encore et toujours la générosité des fidèles.
Votre appel sera entendu; vous remercierez les âmes, vous
toucherez les cœurs. Et ainsi vous ne donnerez pas seulement
satisfaction aux inspirations surnaturelles qui vous ont sollici-
tés, vous obéirez aux plus pressantes instances du Sacré-Cœur,
auquel il a plu de reprendre parfois une forme sensible pour
demander encore pénitence et réparation.
Si certaines langues pouvaient être déliées, si certaines lè-
vres pouvaient s'ouvrir, si certaines âmes d'élite pouvaient sor-
tir du cloître et se montrer aux hommes, ils seraient plus que
jamais convaincus que le Christ-Jésus a pour la France d'inex-
primables tendresses et qu'il attend au ciel, avec une sorte d'im-
patience, le moment d'accorder un divin pardon au repentir na-
tional et d'être à jamais le Roi de la paix et de la réconciliation
sociale.
Puisse donc venir bientôt le jouroii, du nord au midi, de l'est
à l'ouest, la France proclamera enfin les droits de Dieu, s'age-
nouillera solennellement devant le trône de gloire préparé à
son Sacré-Cœur et redira avec un véritable enthousiasme*
Christus vincit, im^^erat^ régnai!
LES PKIX DE l'aCADKMIE 421
C'est là qu'est l'unité nationale; c'est là qu'est la mission de
notre glorieux pays. C'est ainsi que deviendra vérité totale
cette inscription déjà gravée sur la pierre: Sacratissimo Jesu
cordi Gallia pœnilens et devota, et qu'après deux siècles de
douleurs et de tribulations, le suprême triomphe appartiendra
à la messagère du Sacré-Cœur, à la bienheureuse Marguerite-
Marie .
En attendant, unissons toutes nos forces, toutes nos bonnes
volontés, toute notre foi, toutes nos espérances, dans l'œuvre
du Vœu National en répétant ce cri du salut: Vive le Sacre'-
Cœur et Vive la France!
[Vérité). Marquis d'AuRA Y.
LES PRIX DE L'ACADEMIE
Voici la liste des prix littéraires décernés par l'Académie dans sa
séance du 16 novembre :
Prix Montjon (destinés aux ouvrages les plus utiles aux mœurs).
— Deux prix de 1.500 francs à MM. Alfred Rébelliau et C. de
Varigny. Douze prix de 1,000 francs à MM. Gaston Deschamps,
René Bazin, Ferdinand Dreyfus, Eugène Mouton , Charles
BerkeUy, Emile Chabrand, Mary Summer (Mnr.e Charlotte Fou-
eaux), le commandant Weil, la baronne Double, Gabriel Fra-
nay, Charles Le Goffic, Louis Mainard. Huit prix de 500 francs
MM. l'abbé Delfour, Camille Julian, Charles Richet, A. Verley,
Frédéric Dillaye, Frédéric Bataille, Aristide Coutecourt, Henri
Allais.
Prix Saintour. — Deux prix de 500 francs, à M. André Saglio
et Gaston de Raimes.
Prix Gobert. — L'Académie décerne le grand prix Gobert au
comte Albert Vandal, pour ses deux volumes d'histoire sur Na-
poléon et Alexandre i", et le second prix de la même fondation
à M. Marion, pour son étude sur Machault d'Arnouvillle et le
contrôleur général des finances.
Prix Thérouanne. — Un prix de 1,500 francs à M. Albert
Lefranc ; deux prix de 1,000 francs à MM. Waliszeski etFernand
Bournou ; un prix de 500 francs à M. Maurice Jolivet.
Prix Halphen. — 1.500 francs à M. Lucien Perey.
Prix Guizot. — 3.000 à M. Joseph Fabre.
Prix Bordin. — Trois prix de 1,000 francs à M. le Comte
422 ANNALES CATHOLIQUES
Charles de Moiiy, Charles Dardier et Charles Lenthéric ; men-
tion honorable avec médaille d'or à Mme la vicomtesse de Bar^-
donnet.
Prix Marcelin Guérin. — Deux prix de 1,500 francs à
MM. Paul Decharmes et Gabrielle Sêailles; deux prix de
1,000 francs à MM. Charles Gidel et Victor Fournel; une men-
tion honorable à M. Bérard des Glajeux,
Prix Langlois. — Un prix de 1,000 francs à M. Daniel Lesur;
un prix de 500 francs à M. J. Dupuis.
Prix Jules Janin. — Un prix de 2,000 francs à MM. Emile et
Raoul Pessonneaux; deux prix de 500 francs à MM. Justin
Bellanger et Henri Ferté.
Prix de Jouy. — Un prix de 1,000 francs au marquis Philippe
de Massa; un prix de 500 francs à M. Paul Vigué d'Octon.
Prix Archon-Despérouse. — Un prix de 6,000 francs à M. José-
Maria de Heredia ; un prix de 2,000 francs à M. André Lemoyne;
trois prix de 1,000 francs à MM. Robert de Bonnières, Grand -
mougin, F.-E. Adam; deux prix de 500 francs à MM. Anatole
Le Braz, et Mme Gustave Mesureur; une mention honorable à
M. Gaston Amelin.
Prix "Vitet. — 5,800 francs, à Guy de Maupassant, aujourd'hui
décédé. 'jfifV'j
Prix Montbinne. — Trois prix de 1,000 francs à MM. Lau-
zières de Théraines, Bêchard et Charles Simond.
Prix Jules Favre. — Un prix de 800 francs à Mme Camus-
Buffet, une médaille en or de 500 francs à feu Mme Colomb;
une mention honorable à Mme Elisabeth Schaller.
Prix Toirac. — Un prix de 4,000 francs à M. Jean Richepin;
deux prix de 500 francs à MM. Georges Monval et Albert
Soubies.
Prix Kastner-Boursault. — Un prix de 2,000 francs à M. Jo-
seph Hermann; une mention honorable à M, Auguste Devaux.
Prix Lambert. — Un prix de 600 francs à M. Robert Vallier;
deux prix de 500 francs à MM. Pierre Maël et Théodore Véron.
Voici maintenant la listo des prix de vertu :
Deux prix de 2,500 francs: A Tabbé Colombier, à Albi (Tarn);
à Marie Danesi, à Bastia (Corse).
Un prix de 1,500 francs : A Françoise Cayrol, dite Marie, à
Aurillac (Cantal).
Trois médailles de 1,000 francs : A sœur Marie-Germaine,
NECROLOGIE 423
rue Bridaine, n" 3, à Paris; à Marie Lauthé, dite Bonnecaze,
rue de Chabrol, n» 28, à Paris ; à Elisa-Marie Lecat, à E tapies
(Pas-de-Calais).
Vingt et une médailles de 500 francs.
A Louis-Adolphe Chartier, à Pecqueuse (Seine-et-Oise) ; à
Julie Delœil, rue Singer, n" 68, à Paris ; à Hortenso Fleury, à
Brigueil (Charente) ; à Désiré Giauffret, à Touët-de-Breuil
(Alpes-Maritimes); à Alexandrine Gourbin, à Granville (Man-
che) ; à Marie Gourdon, à Lamastre (Ardèche); à Joséphine Le-
roux, à Nantes (Loire-Inférieure); à Justice Lorrain, Grande-
Rue, n° 113, à Boulogne (Seine); à la dame Ménard, à Cours
(Nièvre); à la dame veuve Moriette, â Redon (Ille-et-Vilaine) ;
à Anne-Marie Moulinier, à Bergerac (Dordogne) ; à Jeanne-Ma-
rie-Louise Ollivrin, à Rostrenen (Côtes-du-Nord) ; à la dame
veuve Orfeuil, àBeynat (Corrèze); à Marie-Scholastique Pairet,
à Poitiers (Vienne); à Léonide Petit, rue Jean-Bologne no 14,
à Paris ; àZoéPrimaux, à Palais (Belle-Ile-en-Mer) (Morbihan);
à Marguerite Quinsac, à Flamarens (Gers) ; à Marie-Pulchérie
Robert, à Béziers (Hérault); à Jeanneton Saussède, à Toulouse
(Haute-Garonne); à Blaizine Savy, rue du Chemin-Vert, n" 106,
à Paris ; à Guillaume Siméon-Benoît, dit Germain, à Issoudun
(Indre).
NECROLOGIE
Nous arons la douleur d'annoncer à nos lecteurs la mort subite
du vénérable M. Icard, supérieur général des prêtres de Saint-
Sulpice, décédé subitement à Paris dans la nuit du 19 au 20 no-
vembre.
M. Icard était âgé de quatre-vingt-huit ans.
Sa mort est un deuil pour le clergé de Paris et pour le clergé
français tout entier dont tant de membres devaient au vénéré
défunt la formation cléricale.
L'Angleterre n'a pas de chance avec ses diplomates depuis
quelque temps. Elle a perdu assez récemment son ancien repré-
sentant à Constantinopie sir A. White, un des ambassadeurs les
plus remarquables qu'elle ait eus à Constantinopie et qui, très
bon catholique, a rendu de grands services à la politique anglaise
424 A^•NALES CATHOLIQUES
par sa profonde connaissance des hommes et des choses de
l'Orient. L'autre jour elle enterrait son ambassadeur à Rome,
lord Vivian. Aujourd'hui c'est le tour de son ambassadeur à
Saint-Pétersbourg sir Robert Morier, dont une dépêche nous
apprend la mort survenue à Montréux (Suisse).
La dépêche dit que sir Robert a succombé à une maladie dont
il souffrait depuis un mois. Cela veut dire apparemment qu»;
depuis un mois il s'était déclaré une crise aiguë dans la santé
du diplomate anglais. Mais en fait il était souffrant depuis long-
temps, et le climat de Saint-Pétersbourg lui allait si peu qu'il
avait été question de le transférer à Rome. Néanmoins la ques-
tion politique l'emporta sur la question personnelle, et sir Ro-
bert était resté en Russie. Cela n'aura pas été pour longtemps.
Personne ne pouvait mieux que sir Robert Morier servir la
politique expectante et sage du cabinet Gladstone vis-à-vis de
la Russie. Là oii un tory ardent aurait vu une menace des am-
bitions asiatiques du czar contre le sacro-saint empire des
Indes, sir Robert voyait un progrès légitime de la politique
russe ou un malentendu. Et pendant son séjour sur les bords
de la Neva, toute difficulté grave entre la Russie et l'Angle-
terre a été facilement résolue.
Dans les cercles russes, sir Robert était personnellement po-
pulaire. On lui savait gré d'avoir, à Munich, résolument tenu
têle à Bismarck et de s'être montré plus fier que son gouverne-
ment lequel avait déplacé son diplomate avec avancement pour
éviter une affaire avec l'ogre teuton.
Au lendemain des fêtes franco-russes, le choix du successeur
de sir Robert Morier offrira quelque intérêt.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Itome et l*It.nlfe.
Voici d'après le texte authentique en langue italienno, la Iraduc-
tioa de l'important discours du Saint-Père aux pèlerins du nord de
l'Italie :
< Très chers Fils,
« Dieu, qui, dans sa providence pleine de bonté, tempère Nos
amertumes par des consolations, se plaît, au moment même oii
il permet l'âpre tribulation que Nous souffrons par l'œuvre d'une
NOUVELLES RELIGIEUSES 42S
secte perverse, à réconforter Notre cœur par de nouveaux et
éclatants témoignages de piété filiale, qui nous sont offerts par
tout le monde catholique, et, notamment, par cette Italie qui
Nous est particulièrement chère. Oui, chaque preuve de fidélité
et d'amour qu'elle Nous donne. Nous est spécialement agréable,
à cause des liens sacrés qui Nous unissent à elle plus étroite-
ment ; aussi avons-Nous pour très agréable ce témoignage que
vous Nous offrez avec toute l'effusion de vos coeurs si noblement
catholiques.
« Très noble, en effet, est l'admiration et la reconnaissance
que vous professez envers le Très-Haut, (jui, dans l'un et l'autre
de Nos Jubilés successifs, a daigné faire tourner à un renouveau
de splendeur de ce Siège apostolique, l'unanime allégresse des
peuples croyants. Non moins noble est le regret que vous Nous
exprimez en considérant l'iniquité dominante qui détient en état
de rébellion contre Dieu et contre Nous tant de pauvres âmes
iafortunées, lesquelles, comme vous venez de le dire, dédai-
gnent d'écouter Notre voix les rappelant à Lui, en son nom.
« Par ces paroles. Nous ne le reconnaissons que trop, vous
entendez, dans votre charité fraternelle. Nous signaler et plain-
dre le grand nombre d'Italiens que plaint également Notre cœur
de père. Ce qui Nous attriste plus vivement encore, c'est que,
pour alimenter et envenimer les mauvaises tendances de ces
infortunés, on ne cesse pas de répandre l'imprudente calomnie,
par laquelle on Nous représente. Nous et le clergé, ainsi que
les catholiques les plus dévoués à l'Eglise, comme contraires et
hostiles à la paix, à la prospérité, au progrés de la patrie ; et,
malheureusenaent, cette perfide insinuation fait brèche dans les
esprits ! niîjir.-'.i..- :■.[ ,no
« Dieu sait à quoi ont visé constamment les principales solli-
citudes de Notre auguste ministère ; et Nous n'hésitons pas à en
appeler à tous ceux qui, l'esprit libre des préjugés des passions,
veulent se souvenir des actes de Notre pontificat si éprouvé.
Nous Nous sommes eftorcé plus activement que jamais à main-
tenir intègre et vigoureose, en Italie, son antique foi, qui fut et
qui est son bien suprême, le lien le plus sacré, le principe et
l'aliment de ses plus belles gloires. Affectueusement soucieux
de ces gloires, Nous avons tâché, autant que cela Nous a été
permis, de favoriser les sciences, les lettres et les arts; tandis
qu'il Nous était souverainement cher de pouvoir, grâce à l'obole
de Nos fils, tantôt soulager les malheurs publics, tantôt favori-
30
426 ANNALES CATHOLIQUES
ser dans son sein d'excellentes institutions, au profit surtout de
la jeunesse en butte à toutes sortes d'embûches. C'est aussi
pour éloigner de l'Italie des maux plus graves et pour lui pro-
curer tous les avantages possibles, que nous avons adressé de
pressantes et ardentes exhortations au clergé et aux catholi-
ques ; et, parmi les heureux fruits qui en ont résulté, voici que
naguère, le clergé, par les enseignements de la justice évangé-
lique, s'est eflforcé de rétablir le calme au milieu des populations
agitées ; voici de même que les catholiques (et vous, chers Fils,
méritez d'être loués parmi les plus diligents) mettent la main,
sous les auspices de la religion, à des oeuvres excellentes qui
les rendent bien méritants de la société.
« Est-ce que tout cela, pour ne pas en dire davantage, n'est
que contrariété et hostilité envers la patrie, ou n'est-ce pas
plutôt la preuve que nous l'aimons d'une charité non menteuse?
« C'est parce que Nous l'aimons que Nous voudrions aussi,
jusque dans l'ordre social et politique, lui faire éprouver toute
la vertu surhumaine de la Papauté, qui, toujours vivante et tou-
jours nouvelle, peut, en tout temps, régénérer les nations, les
acheminer vers la civilisation et la justice, les rendre grandes
et prospères. Si à Nos conseils et à Nos invites, on répondait,
non par la suspicion et la malveillance, mais avec une loyale
rectitude d'intentions, à coup sûr, on aurait moins de mal à ré-
soudre les problèmes les plus ardus, et l'Italie pourrait plus tôt
peut-être que d'autres ne le croient, figurer au milieu des
nations avec un renouveau de gloire. Mais que, pour l'aimer.
Nous ayons à tolérer en silence les offenses flagrantes qui se
commettent presque impunément et à son détriment contre l'hon-
nêteté et la religion, ah! certes, non, la conscience du devoir
ne pourra jamais Nous le permettre, non, jamais!
« Les vrais ennemis de la patrie, c'est Nous qui, maintes
fois et d'une façon non douteuse, les avons dénoncés; Nous en
avons démasqué les desseins et exposé les effets très pernicieux
qui en résultent. Mais on ne recourt que trop à toutes sortes
d'artifices pour étouffer Notre voix et la vilipender. Et quoique
Notre parole se manifeste de plus en plus véridique, quoique
tout le monde soit rempli d'effroi à la vue d'un si grand débor-
dement de corruptions, d'agitations subversives et de toutes
sortes de maux, oîi sont ceux néanmoins qui veulent se per-
suader de leur erreur et adopter les remèdes qui peuvent seuls
aboutir au salut?
NOUVELLES RELIGIBUSES 427
« Ces remèdes précisément parce qu'ils sont proposés par
l'Eglise ou par Nous, on les rejette ou on les méconnaît, telle-
ment sont grands, on ne saurait lequel davantage, de l'aveugle-
ment ou de l'orgueil.
« Pour Nous, cependant, soutenu par le bras de Dieu, Nous
poursuivrons l'oeuvre de revendication des droits foulés aux
pieds et de la liberté de son Eglise; Nous continuerons d'im-
plorer de Lui la paix et la bénédiction.
« Grâce aux communes prières, puissions-nous hâter l'heure
des divines miséricordes pour cette Italie déchue, et puissent
tant de pauvres âmes infortunées revenir repenties vers Celui
qui est la vie, la vérité, la lumière!
« A la prière, très chers fils, ajoutez avec une ardeur crois-
sante l'action et le sacrifice. D'autres fois déjà, Nous avons
indiqué le terrain sur lequel votre action peut utilement se
déployer.
« Souvenez-vous de Nos avertissements et observez-les en
toute fidélité.
« Que vos sufifrages soient donnés de plein accord pour être
assurés que dans les conseils des provinces et des municipes,on
sauvegarde, de la façon qui est maintenant possible, vos inté-
rêts vitaux. Voyez, dans la famille, dans l'école, dans les ate-
liers, partout, à quel point en arrive l'audace de l'irréligion, ce
que peut la mauvaise presse, que de ruines accumule la licence,
et vous, sans vous lasser, multipliez les moyens qui vous sont
permis pour y opposer un remède efficace. La lumière et l'au-
torité de votre exemple sera surtout utile à cet efi"et.
« En agissant ainsi, vous aurez sans doute à endurer des sacri-
fices nombreux et rien moins que légers; mais vous les avez
prévus et vous vous êtes déclarés tout prêts à tout sacrifier
pour Notre cause qui est la cause même de Dieu ; en combattant
pour elle avec constance, vous vous montrerez dignes de vos
ancêtres qui, dans leur vif amour pour la religion, ont puisé le
génie et l'ardeur pour ennoblir la patrie.
€ Au reste, votre venue ici pour fêter Notre jubilé, votre
nombreux et solennel concours autour d\3 Nous, la franche pro-
fession de votre foi attestent splendidement la fermeté de vos
résolutions. Que Dieu les bénisse et les féconde amplement, qu'il
retrempe votre foi comme vous le désirez, qu'il soutienne et
couronne vos espérances et qu'il vous enflamme de cet esprit de
charité qui sait tout souffrir et tout opérer généreusement.
428 ANNALES CATHOLIQUES
« Avec Nos vœux soyez accompagné? de la bénédiction aposto-
lique que Nous accordons, au nom de Dieu lui-même, avec effu-
sion de cœur à vous ici présents, à vos familles, et à tout le
peuple italien. »
Finance
AuTuN. — Mgr Perraud, évêque d'Autun, de retour de son
pèlerinage à Rome, a reçu, tout récemment, le clergé de sa ville
épiscopale. La Semaine religieuse d'Autun donne un résumé
de la réponse que Sa Grandeur a faite aux paroles pleines d'à-
propos que lui a adressées M. Fontaine, doj'eu du chapitre et
vicaire général. En voici la principale partie :
Dieu soutient le Pape et le conserve d'une manière merveilleuse, et
le Saint-Père aime à attribuer cette étonnante conservation aux
prières que les fidèles font chaque jour pour lui. Il en parle avec une
émotion touchante qui va au cœur, et qui est bien capable d'encou-
rager les chrétiens à prier pour le Vicaire de Jésus-Christ. Monsei-
gneur, dans ses entretiens, a eu la filiale confiance de dire au Pape,
que, chaque jour, en priant pour lui au saint sacrifice, il demandait
trois choses au ciel : « Lesquelles ? lui dit affectueusement Léon XIII.
— Saint-Père, dit Mgr Perraud, je demande pour vous l'illumina-
tion, la force et la consolation. — Combien je vous remercie, dit le
Pape, de demander pour moi la consolation, j'en ai tant besoin! »
Puis le Saint-Père fait part à notre Evêque de ses inquiétudes au
sujet de la nomination de plusieurs Evoques en Italie que le gouver-
nement ne veut pas ratifier Y>^T\'exequalur.
La France occupa une large place dans ces conversations intimes.
Le Pape aime à s'entretenir de notre patrie avec tous les Evoques
français qui viennent le visiter, mais comme son cœur dut s'ouvrir
avec plus d'abandon avec un pontife qui marche si fidèlement sur les
traces du Vicaire de Jésus-Christ, à l'exemple du général courageux
qui va au combat à la suite de son roi !
Une des tristesses de Léon XIII est de voir en France des esprits
encore rebelles à sa parole, et qui pervertissent les intentions si droites
de son cœur. Mgr Perraud a été heureux d'affirmer encore une fois au
Saint-Père que le clergé du diocèse d'Autun est, à l'instar de son
Evêque, très fidèle aux enseignements de Sa Sainteté. Ils sont bien
blâmables les hommes qui ne veulent point suivre la voie tracée par
le Souverain Pontife. C'est à faux qu'on l'a accusé de s'être laissé
guider par des vues politiques ; Léon XIII n'a agi et n'agit encore
que sons l'inspiration de l'esprit surnaturel, et le désir très désinté-
ressé de conserver à la France son antique foi chrétienne.
Le Pape persévère plus que jamais dans ses idées. Il ne voit le sa-
NOUVELLES RKLI0IEU8BS 429
lut, pour notre chère patrie, que dans la ligne tracée par lui. Il con-
seille plus que jamais aux fidèles, et surtout aux prêtres, de s'oc-
cuper de l'ouvrier, du pauvre, du petit. Il voudrait nous voir tous
descendre au milieu du peuple, pour briser la barrière que d'absurdes
préjugés ont élevée entre lui et nous. Le prêtre devrait chercher,
par tous les moyens, selon son ministère, à atteindre l'ouvrier : la
parole, les visites, l'aumône ou la plume, tout doit nous servir pour
arriver au but, qui est de prêcher l'Evangile et de faire aimer Jésus.
A cette occasion le Saint-Père voulut bien rappeler à Monseigneur
la lettre que Sa Sainteté daigna lui adresser le 8 septembre 1893,
lettre où le Pape affirme que « notre temps plus qu'aucun autre,
réclame du clergé une vertu supérieure dans l'action : Yirtutem a
clero desiderat quam alias unquam egregie actuosam. *
Dans sa dernière audience, le Souverain Pontife adressa de nou-
veau ses félicitations à Mgr Perraud pour sa docilité à suivre ses con-
seils, et son courage à le défendre dans ses récents écrits. Puis il le
combla de ses plus paternelles bénédictions, pour son auguste per-
sonne, son clergé et les fidèles de son diocèse.
Carthage — Le nouveau primat d'Afrique, Mgr Combes, arche-
vêque de Carthage, est arrivé dans la capitale au commencement
de la semaine. Mardi, il a rendu visite à M. Develle, ministre des
affaires étrangères, et repartira prochainement pour l'Afrique.
Mgr Combes revient de Rome où l'importante affaire du
siège de Carthage vient, sur ses instances, d'être réglée défini-
tivement.
Créé en 1841, le vicariat apostolique de la Tunisie relevait de
la Propagande qui l'avait confiée aux Capucins italiens. En 1881,
quand la France établit son protectorat sur ce pays, le cardinal
Lavigerie qui avait déjà obtenu pour ses missionnaires la garde
du tombeau de saint Louis, sur l'emplacement de l'ancienne
Carthage, fut nommé administrateur du vicariat apostolique.
Le Saint-Siège, sans vouloir tout d'abord engager l'avenir,
décida que l'Archevêque d'Alger ne serait chargé qu'à titre inté-
rimaire de l'administration de cette vaste contrée.
En 1882, le Saint-Père autorisa le cardinal à joindre désor-
mais le nom de Carthage à celui de Tunis dans le titre canonique
de ce vicariat. A la mort du cardinal Lavigerie, la question se
posait donc à nouveau. Ou ne pouvait rester indéfiniment dans
le provisoire. L'affaire était d'autant plus délicate, que la Tuni-
sie étant un simple pays de protectorat, certaines puissances
insistaient pour que l'on éliminât l'élément français.
Léon XIII^ voulant donner à la France un nouveau srage de
430 ANNALES CATHOLIQUES
sa paternelle affection, a décidé que la nomination de l'Arche-
vêque de Gârthage serait faite désormais par le Pape, et que le
titulaire serait nommé après entente préalable entre le Souve-
rain Pontife et le gouvernement français.
Laval. — On écrit de Laval en date du 15 novembre à la
Vérité:
Samedi dernier, onze élèves ecclésiastiques ont quitté le grand
séminaire de Laval pour entrer à la caserne. Nous croyons savoir que
sept d'entre eux resteront dans notre ville. Les autres seront dirigés
sur des régiments plus éloignés. C'est la persécution qui se continue,
s'accentue et se régularise. Le dimanche précédent, ils avaient
assisté avec bon nombre de futurs conscrits à la messe du départ
célébrée dans la chapelle de Notre-Dame de Beauregard. Par une
délicate attention, M. le chanoine Normandière, aumônier militaire,
avait orné les murs du sanctuaire du nombreux drapeaux français et
russes. Les étendards des deux patries méritaient bien d'être réunis
au-dessus de l'autel, dans la paix de l'église.
M. l'abbé Lemaître, vicaire général, représentait à cette touchante
cérémonie. Monseigneur de Laval, appelé près de son frère malade.
L'assistance était très nombreuse et de ferventes prières sont montées
vers, le trpi;e du I)i§u des armée^ pour le salut de. la France.
JÉRUSALEM. — On écrit de Jérusalem à V Univers:
« Un meurtre épouvantable vient d'être commis à la grotte de
Bethléem, le jeudi 26 octobre. En voici en peu de mots les détails
principaux :
a Les franciscains ont la louable habitude de faire une procession
quotidienne aux sanctuaires contenus dans la grande basilique bâtie
par sainte Hélène sur le lieu de la nativité de Notre-Seigneur Jésus-
Christ. Jeudi, vers quatre heures du soir, au moment où la procession
allait arriver dans la grotte de la nativité, le sacristain l'avait pré-
cédée pour allumer les cierges sur l'autel ; un général russe se trou-
vait avec sa suite, précisément devant cet autel. Après avoir allumé
les cierges, le sacristain, prenant par le bras le jannissaire qui
accompagnait le général, le pria poliment de se garer un peu pour
donner place à la procession qui, en ce moment, rentrait à la grotte,
refus ab irato de celui-ci et insistance du frère sacristain qui entre-
prenait de le faire retirer par la force lorsque celui-ci, tirant son
revolver, en décharge cinq coups sur le malheureux frère et sur deux
Pères qui s'étaient interposés. Le frère est mort sur l'heure; des
deux Pères, l'un n'a eu qu'une blessure légère, l'autre a eu l'os de
l'avant-bras fracassé et la balle lui est entrée dans le ventre : il se
meurt.
NOUVELLES RBLIQIEUSES 431
« Les franciscains ont sonné la cloche d'alarme et tout Bethléem
est accouru, le fil télégraphique a donné aussitôt la nouvelle à Jéru-
salem, le gouvernement local, les consulats de France et de Russie
ont fait leur apparition ; l'émotion était grande et légitime, jamais
pareil acte ne s'était produit dans ce premier sanctuaire du monde
chrétien. Et puis, qu'allait-il se passer entre la France et la Russie
mises en querelle par ce double assassinat au moment où elles se
donnent en France le baiser de paix? Heureusement, l'anxiété a été
de courte durée : l'assassin que réclamait le consul de Russie, s'est
déclaré sujet ottoman, mais il a été constaté par l'inspection de ses
papiers qu'il était natif du Monténégro et protégé autrichien, et
ainsi il a été consigné au consulat d'Autriche qui l'enverra sous
bonne garde, à Vienne où il sera jugé. Cet individu est grec schis-
matique. »
Hissions.
HoNOLULU. — Le dernier numéro du Daily Bulletin d'Hono-
lalu nous apporte des détails sur une touchante cérémonie qui a
eu pour théâtre l'île de Molokaï, la terre des lépreux. Il s'agit
de l'érection d'un monument en l'honneur du P. Damien.
Le lundi 4 septembre, Mgr l'évêque de Panopolis, l'évéque
anglican d'Honolulu, MM. Edmond Stilles, sous-secrétaire du
Foreign Office des îles Sandwich, King, ministre de l'intérieur,
Smith, procureur général, le R. P. Conrad, les sœurs francis-
caines et an grand nombre de lépreux prirent place autour de la
croix de granit, recouverte d'un voile, qui a été élevée par
souscription, grâce aux soins notamment du Leprosy Fund de
Grande-Bretagne.
M. Stilles prononça alors un discours ému :
« Je voudrais, dit-il, vous apporter en même temps que cette
croix, quelques paroles d'encouragement et de joie, un message
qui ramènerait parmi vous l'espérance. Cette croix, elle vous
est offerte par une association composée des hommes les plus
distingués d'une nation grande et éclairée, qui se proposent de
contribuer par tous les moyens au soulagement des malheureux
atteints de la lèpre, de leur procurer les secours que peuvent
leur donner l'argent et la science. Ce monument est un gao:e da
la sympathie et de la pitié que vos souffrances inspirent au
monde étranger. »
L'orateur retraça ensuite brièvement la vie du P. Damien, et
rendit un bel hommage à ce héros de la charité et de la foi.
« Son nom, a-t-il dit, passera à la postérité ; il sera entouré
432 ANNALES CATHOLIQUES
d'honneurs et de bénédictions dans chaque pays et dans chaque
langue. Humble ministre de l'Eglise catholique, noble martyr
chrétien, ce religieux consacra tous ses efforts et enfin sacrifia
sa vie à la grande mission de soulager les misères physiques et
morales des malades contraints d'habiter dans cette vallée.
« Comme ils s'appliquent bien à lui, les mots que ses admira-
teurs d'Angleterre ont inscrits sur ce piédestal : « Aucun homme
n'a un grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis. »
— Bien que le monde honore le nom du P. Damien conservé par
le bronze et le marbre, cependant la mémoire du saint religieux
vivra plus longtemps encore dans le cœur de l'humanité pour
laquelle il est mort. »
Cette adresse, que l'orateur répéta en langue hawaïenne, afin
qu'elle fiit comprise par les lépreux, 'fit couler bien des larmes.
Le voile qui recouvrait la divine image, tomba ensuite, et
Mgr l'évêque de Panopolis, après avoir prié M. Stilles de trans-
mettre ses remerciements au prince de Galles, président du
Leprosy Fund, et au gouvernement hawaïen, procéda à la béné-
diction du monument.
Et désormais, les lépreux de Kalaupapa regardant cette croix
qui domine leur village, uniront, dans un pieux et reconnais-
sant souvenir, le nom du prêtre qui pansa leurs plaies à celui
du Christ. Jésus rencontrant par les chemins de Judée des
lépreux que tous fuyaient, était touché de compassion et leur
disait: « Soyez guéris et allez vers le prêtre. > Au P. Damien,
son vaillant disciple, il a dit: « Prêtre, va vers eux ! »
DECLARATION MINISTERIELLE
Voici le texte de la déclaration lue à la Chambre par M. Dupuy.
Messieurs,
Le gouvernement a pensé que, dès le premier contact avec les
élus du pays, il devait leur déclarer les intentions et les projets
avec lesquels il aborde la nouvelle législature.
Si l'on a pu dire parfois que la situation était équivoque faute
d'une direction politique que le Parlement attendait du minis-
tère, tandis que le ministère semblait l'attendre du Parlement,
nous espérons, quant à nous, dissiper cette équivoque par des
déclarations précises et loyales.
DÉCLARATION MINISTÉRIEULE 433
Nous n'envisagerons que les questions qui nous paraissent
susceptibles d'une solution pratique au cours de la présente
législature. Nous ne sommes ni avec ceux qui réclament les
réformes d'après-demain pour se dispenser de concourir, par un
travail sérieux, à celles plus modestes de demain, ni avec ceux
qui, datant l'histoire de leur entrée dans la vie publique, font
raine d'ignorer ce qui a été fait pour avoir le prétexte de dire
que tout est à refaire.
Nous n'avons d'ailleurs, pour éclairer nos choix, qu'à nous
inspirer de la dernière consultation nationale.
Dans les élections des 20 aoiit et 3 septembre, qui ont donné
à la République une victoire sans précédent, le suffrage uni-
versel s'est prononcé pour une politique pratique, écartant lui-
même les questions irritantes et les discussions théoriques.
Tout d'abord, pour déblayer le terrain, bous considérons
comme ne pouvant aboutir au cours de la législature les discus-
sions annoncées sur la révision de la Constitution et sur la sépa-
ration des Eglises et de l'Etat. Nous écartons de même toute
proposition tendant à changer le mode de scrutin, ou à établir,
sous quelque nom que ce soit, un impôt unique, inquisitorial et
progressif. Si ces propositions se produisent, nous les combat-
trons loyalement, avec le désir et l'espoir de contribuer à affran-
chir les esprits de la tyrannie des mots confus et des formules
générales.
Dans l'ordre social, nous ne considérerons, en aucune circon-
stance, comme des amis ou des alliés politiques, ceux, quels
qu'ils soient, qui n'admettent pas, comme principes nécessaires,
le respect du suffrage universel, la propriété privée et la liberté
individuelle, avec son corollaire, la liberté du travail.
Fidèles à l'esprit de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen, nous répudions les doctrines qui, sous des vocables
divers, collectivisme ou autres,prétendent substituer la tyrannie
anonyme de l'Etat à l'initiative individuelle et à la libre asso-
ciation des citoyens, et nous réprimerons, avec énergie, toute
tentative d'agitation ou de désordre, quels que soient les me-
neurs et les agitateurs.
Et, s'il en est qui joignent aux prétentions révolutionnaires
je ne sais quelles tendances internationalistes, nous ne cesse-
jons de les combattre, au nom même de la Patrie!
Nous avions à cœur de dire nettement ce que nous tenons, on
pour irréalisable, ou pour mauvais en soi. Il nous faut, mainte-
434 ANNALBB CATHOLIQUES
nant, indiquer les données positives sur lesquelles devra, selon
nous, s'exercer votre activité.
Tout d'abord, nous regardons comme acquises la loi scolaire
et la loi militaire ; elles sont la pierre de touche de l'esprit ré-
publicain, et rien ne saurait prévaloir contre elles. Elles sont la
partie capitale de l'œuvre législative de la République. Il faut
compléter cette œuvre par des lois sociales inspirées du prin-
cipe de la solidarité humaine, et qui fassent appel à ce principe,
non pas pour opprimer la liberté individuelle, mais pour la dé-
gager, la développer, la fortifier.
Au premier rang dans cet ordre d'idées, se place la législa-
tion de l'assistance et de l'hygiène, dont les lois sur la protec-
tion de l'enfance, sur l'enfance abandonnée ou coupable, et sur
l'assistance médicale gratuite, offrent déjà d'heureux exemples ;
viennent ensuite : la loi sur les caisses d'épargne, dont le Sénat
poursuit, en ce moment, la discussion; — les lois, à corriger ou
à faire sur les sociétés de secours mutuels, sur les sociétés
coopératives, sur une équitable participation du travail aux bé-
néfices du capital, et, enfin, l'organisation, si désirable, encore
que si malaisée, d'une caisse des retraites pour les travailleurs,
dont la caisse des retraites des ouvriers mineurs sera l'utile
préface.
Mais les lois sociales ne peuvent être efficacement votées que
si le budget de l'Etat, dont leur fonctionnement dépend en
partie, présente dans un solide équilibre des disponibilités suf-
fisantes et durables.
A vrai dire, messieurs, l'œuvre budgétaire de laquelle tout
dépend, sera votre tâche principale.
Le gouvernement déposera le projet de budget, pour l'exer-
cice 1895, dans les premières semaines de la session ordinaire.
Il espère que la Chambre, rompant avec les habitudes anté-
rieures, le votera au cours de cette session ; il aidera à ce ré-
sultat de tout son pouvoir.
Le budget de 1896 pourra faire état de la conversion du
4 1/2 0/0, que le gouvernement vous demandera l'autorisation
d'opérer, au moment favorable, en tenant compte, à la fois, des
intérêts de l'Etat et de ceux des porteurs. Nous estimons que
le boni de cette conversion devra servir, pour la plus grande
part, à rouvrir le chapitre trop longtemps fermé de l'amortisse-
sement, dont la présence dans un budget est à la fois un aver-
tissement et un© espérance. Aussi, nous mettons-nous, dès main-
DÉCLARATIO^f MINISTÉRIELLE 435
tenant, en garde contre d'imprudents dégrèvements, persuadés
que le vrai moyen de dégrever c'est d'amortir.
Nous insérons, dans le budget de 1895, la réforme de la con-
tribution des portes et fenêtres, combinée avec un remaniement
de l'impôt personnel et mobilier ; nous y joindrons, avec une
persévérance que vous apprécierez, un projet de réforme, au
moins partielle, de l'impôt des boissons.
En dehors de l'œuvre essentielle du budget, vous avez à
régler la question de la Banque de France, si brillamment posée
devant vos prédécesseurs, le régime fiscal en matière de suc-
cession, la question des pensions civiles dont le flot montant ne
tarderait pas à être une menace pour l'équilibre budgétaire.
Le problème des impôts tant directs qu'indirects viendra
ainsi devant vous sous les formes les plus diverses et les plus
intéressantes. Nous nous efforcerons, quant à nous, d'en diriger
la solution dans les voies de l'équité, en poursuivant une pro-
portionnalité de plus en plus exacte entre les charges et les
facultés des contribuables.
A ces projets que leur caractère plus spécialement financier
et budgétaire nous fait placer au premier rang, s'en ajouteront
d'autres que vous nous permettrez de vous indiquer sommaire-
ment, sans nous astreindre à mettre en eux un lien que leur
diversité ne comporte pas.
Nous rencontrons d'abord les projets en instance devant le
Sénat et qui sont à la veille d'aboutir: tels les projets sur les
caisses d'épargne, sur les sociétés coopératives, sur le crédit
agricole, sur les prestations.
Viennent ensuite divers projets que le renouvellement de la
Chambre a rendus caducs et qui méritent d'être repris. Nous
citerons, entre autres, les projets sur le casier judiciaire, sur la
réforme des codes d'instruction criminelle et de procédure, sur
la compétence plus étendue des juges de paix ; — le projet sur
la navigation intérieure; — le crédit agricole relatif aux irri-
gations; — les livres 2 et 3 du code rural concernant l'unie
régime des eaux et l'autre la police rurale ; — l'exercice de la
médecine vétérinaire, etc.
Il nous reste pour achever cette revue qui nous a paru être
l'indispensable prélude de vos travaux, à vous signaler les
principaux projets actuellement en préparation dans nos diverses
administrations. En première ligne, nous plaçons certaines lois
destinées à compléter ou à corriger sur divers points notre
436 ANNALES CATHOLIQ UES
législation de défense nationale ainsi que les projets tendant à
étendre ou à achever les grands travaux publics qui importent
à la fois à la sécurité et à la prospérité du pays.
Vous aurez en outre à examiner plusieurs projets relatifs à
l'Exposition universelle de 1900 que vous ferez digne de la
France et du siècle fécond dont elle marquera la fin ; — des
projets plus modestes, mais d'une réelle portée pratique, ten-
dant à accroître les facilités du service postal et des installations
électriques industrielles ; des projets apportant des garanties
plus sérieuses aux clients des Compagnies d'assurances sur la
vie et à ceux des bureaux de placement.
L'Agriculture réclamera sa large part dans vos travaux , aux
projets déjà cités et qui la concernent, s'ajouteront un projet
sur les distilleries agricoles, un autre sur les assurances agri-
coles, un autre sur l'enseignement agricole, créé par la Répu-
blique, et qui appelle de nouveaux développement*.
Nous pensons répondre aux préoccupations les plus légitimes
du temps présent en vous annonçant un projet organique sur la
police, destiné à assurer à l'ordre public de solides garanties
contre les agitations dont certain parti se fait un jeu et dont le
pays est excédé, et un projet sur la fabrication, la vente et le-
transport de la dynamite et des explosifs.
Enfin, nous sommes décidés à vous soumettre un projet de
loi sur les associations, dans lequel nous nous efforcerons de
concilier la liberté des individus avec les droits de l'Etat.
Nous aurions pu étendre encore cette énumération ; nous
avons pensé qu'elle était nécessaire et qu'elle serait suffisante
pour vous donner une idée de la variété et de la fécondité des
œuvres qu'il dépendra de vous d'accomplir. L'initiative parle-
mentaire y joindra son apport, toujours considérable, mais il
importe d'observer que les [propositions privées n'aboutissent
en fait que pour une faible proportion, tandis que les projets
gouvernementaux aboutissent presque tous. Cette observation
suffit à justifier le soin que; nous avons pris de tracer le plan
des travaux de la législature dont nous partageons avec le Par^
lement la responsabilité.
Le Gouvernement n'a pas seulement pour devoir de présenter
au Parlement des projets de loi nouveaux. Il doit faire respecter
les lois existantes par tous les citoyens. Il doit avoir à cœur
d'appliquer loyalement les décisions des chambres, qu'il s'agisse
du régime économique ou de toute autre partie de la législa-
DÉCLARATION MINISTERIELLE 437
tion. Nous ne faillirons pas à ce devoir essentiel d'un Gouver-
nement.
En toute circonstance, nous nous inspirerons de ce qui importe
au bien public, à la solidité de notre crédit, à la défense des
intérêts et des besoins de la nation, à la dignité et au bon
renom de la France.
Nous nous efforcerons, au dedans, par une administration
exacte, équitable et bienveillante, de répondre à la formelle
volonté d'apaisement et d'unité morale dont le dernier scrutin a
manifestement témoigné. Nous serons les serviteurs persévérants
de la loi, les défenseurs résolus de l'ordre public. Au dehors,
nous aurons pour règle le maintien et la défense de nos droits,
le souci de nos relations internationales, la conservation de no-
tre domaine et sa mise en valeur par des encouragements aux
initiatives privées sur lesquelles nos explorateurs, nos commer-
çants, nos savants nous ont montré qu'on peut sérieusement
compter.
Républicains et démocrates, nous convions les hommes de
bonne volonté à se réunir sur le programme progressiste et sur
les principes de gouvernement dont nous venons de vous pré-
senter l'exposé. Nous savons que nos projets pris chacun à
part, n'ont pas le caractère ambitieux de certaines formules, ni
la sonorité de certains programmes. Mais les nations ne vivent
pas de promesses et de bruit. Ce qui importe, c'est que l'en-
semble soit pratique et utile ; nous crovons pouvoir dire que le
plan de travail que nous vous apportons a cette qualité.
Il nous appartient à tous de nous montrer laborieux et de na
pas confondre l'action et l'agitation. La France ne s'y trompera
pas ; elle aura bientôt fait de reconnaître ceux qui travaillent
pour elle et qui ne cherchent pas la popularité au détriment de
sa sécurité et de son repos. Elle sait ce qu'elle doit à la Répu-
blique qui l'a relevée de ses ruines, qui l'a replacée au premier-
rang des nations, qui l'a faite assez forte pour qu'elle puisse
parler sincèrement de la paix, qui lui a donné de connaître
enfin, après un long isolement, des sympathies dont les inou-
bliables fêtes du mois d'octobre ont précisé le caractère et mar-
qué la portée.
Elle le sait si bien qu'elle a désormais identifié son destin
avec celui de la République. Il ne tient qu'à vous, Messieurs, de
consacrer et de rendre indestructible cette union constitution-
nelle de la République et de la France. Vous y parviendrez
438 ANNALES CATHOLIQUES
sûrement si, comme nous en sommes convaincus, vous imitez
dans son amour de la liberté et de l'ordre, dans son ardeur pour
le travail utile et pour le progrés réfléchi la grande nation qui
vient de vous honorer de ses suffrages.
Quant à nous, nous serons les auxiliaires dévoués de vos tra-
vaux. Si vous avez confiance dans notre bon vouloir et dans
notre activité, vous saurez le dire. Mais si vous pensiez que
votre tâche serait plus facile ou plus féconde avec d'autres gui-
des, dites-le également sans hésitation, sans retard. Nos per-
sonnes ne sont rien ; nous plaçons au-dessus d'elles, au-dessus
de tout, la France et la République. Nous vous avons mis en
mesure de vous prononcer sans équivoque et sans obscurité.
Que votre volonté se manifeste dès le début de la législature :
le temps de la France est précieux ; ne le perdez pas !
LES CHAMBRES
Sénat.
L'ouverture de la première séance de la session a donné à
M. Challemel-Lacour l'occasion d'adresser à l'empereur et à la
famille impériale de Russie l'hommage du respect du Sénat. Le
président l'a fait dans les termes suivants :
Messieurs les sénateurs,
Je crois qu'il est convenable qu'avant d'entrer dans les travaux de
la session, votre président rappelle, dès cette première séance, ce
que nous avons vu s'accomplir chez nous, il y a quelques semaines,
et qui a fixé l'attention du monde civilisé : je parle de la visite en
France des marins de l'escadre russe dans la Méditerranée. Cette
visite, qui était une réponse à la visite faite par notre flotte à Crons-
tadt en 1891, a profondément ému la France.
Les marins russes ont été reçus partout avec la cordialité la plus
sincère, et les acclamations qui lèsent accueillis à Toulon, qui les ont
accompagnés partout, depuis leur arrivée jusqu'à leur départ, ont eu
dans le pays un long retentissement.
Si le Parlement avait pu être réuni, si le Sénat avait été en session,
vous auriez été heureux de fêter, vous aussi, la bienvenue des hôtes
de la France et de joindre vos acclamations à celles du pays.
Je remplis un devoir, et je suis sûr d'être l'interprète fidèle de
votre pensée unanime, en déclarant aujourd'hui quo vous vous asso-
ciez pleinement aux sentiments qui se sont manifestés de toute part
avec tant de spontanéité et d'éclat.
LES CHAMBRES 439.
Nous sommes persuadés que ces sympathies réciproques de deux
grands peuples n'ont rien d'accidentel ni de passager.
Elles reposent sur un sentimeot déjà ancien d'estime mutuelle et
sur des intérêts qui se correspondent partout et qui ne se contrarient
nulle part.
Le Sénat adresse à l'empereur Alexandre III et à la famille impé-
riale de Russie l'hommage de son respect. Il salue dans cette illustre
amitié une espérance nouvelle de paix et une garantie de plus pour
la civilisation.
Après cette allocution entrecoupée de bravos répétés et d'ap-
plaudissements prolongés, M. Challemel-Lacour a prononcé
l'éloge funèbre des sénateurs décédés pendant l'intersession :
MM. Chardon, Barne, Margaine, Lenoel et Tirard. Puis il a
donné lecture, sans commentaire, de la très brève lettre de dé-
mission de M. Goblet, élu député de Paris, dont le Sénat fait
sans regret le sacrifice.
Nous avons eu ensuite la satisfaction d'apprendre, par la
bouche du président du Sénat, que M, de l'Angle-Beaumanoir
demande à interpeller le gouvernement sur la punition infligée
à deux soldats du 59^ de ligne qui avaient servi la messe. Il y a
là une atteinte portée au libre exercice du culte catholique, que
M. de l'Angle-Beaumanoir doit demander au gouvernement de
blâmer. La discussion de l'interpellation est fixée au vendredi
24 novembre.
Chambre des Députés.
M. Pierre Blanc, président d'âge, déclare la session ouverte
(séance du 14 novembre). Il prononce le discours suivant:
Messieurs les députés.
Soyez les bienvenus, vous tous qui êtes les élus du suffrage univer-
sel, qui, en entrant dans ce palais, portez avec vous les espérances du
pays. C'est avec une joie bien vive que je salue en vous la troisième
République qui, après vingt-trois années de lutte, est sortie des
nouvelles élections non seulement triomphante, mais encore Indes»
tructible.
Jamais une session parlementaire ne s'est ouverte au lendemain
d'événements plus considérables et plus heureux que ceux auxquels
nous venons d'assister. L'on se rappelera bien longtemps, l'on se
rappellera toujours ces fêtes merveilleuses, où dans un immense
enthousiasme s'est accomplie l'union de la France et de la Russie,
où deux grands peuples entraînés l'un vers l'autre par une attraction
irrésistible, ont mi-rié leurs drapeaux, signé sur leur cœur la paix de
440 ANNALES CATHOLIQUES
l'Europe, et l'ont glorifiée dans la plus touchante fraternité ; où pour
rester toujours inséparables, ils se sont donné leurs âmes, au milieu
des plus ardentes acclamations.
On n'oubliera jamais cette dépêche immortelle où un magnanime
souverain, dans un noble et sympathique langage, a scellé l'alliance
des deux pays et affirmé leurs sentiments pacifiques.
Que la France se rassure et se réjouisse ; elle n'est plus seule !
Lorsqu'elle a à ses côtés une grande est puissante nation, elle ne doit
avoir aucune inquiétude sur son aveuir et conserver toutes ses espé-
rances.
Messieurs, en ouvrant la première session de la nouvelle législa-
ture, permettez-moi de vous inviter à être résolument dans vos tra-
vaux, l'action et le mouvement ; c'est ainsi que vous répondrez digne-
ment à la volonté de vos électeurs.
Que la vérification des pouvoirs à laquelle nous allons procéder
soit le prélude heureux des réformes que le pays attend de nous et
que tous ici nous avons l'ardent désir de lui;donner.
Après quoi, on élit M. Casimir-Périer président provisoire en
attendant la constitution de la Chambre.
M. Casioair-Périer remercie ses collègues. Il espère que la
Chambre n'aura qu'un souci, celui de respecter la volonté du
suffrage universel etd'apporter un esprit de justice dans la véri-
fication des pouvoirs. (Applaudissements.)
Après vérificaiion de 415 élections, la Chambre élit M. Ca-
simir Périer président (séance du 21 novembre).
M. Casimir Périer prononce l'allocution suivante :
Messieurs et chers collègues,
Si vous me jugez capable de mesurer à l'honneur que vous me
faites la reconnaissance que je vous dois, vous me pardonnerez de
ne pas trouver de paroles pour exprimer les sentiments dont je suis
pénétré.
Mais ce que je puis vous promettre, c'est d'être tout à mes fonc-
tions ; j'ai le devoir et j'ai la volonté d'assurer la liberté à la mani-
festation légale de toutes les opinions. (Bien ! bien !)
L'autorité dont je suis investi est faite de votre confiance; cette
confiance, je m'efforcerai de la conquérir tout entière. Je pourrai, je
vous l'affirme, sans effort sur moi-même, témoigner mon respect
pour la sincérité de la pensée. (Très bien !)
Cette législature commence presque au lendemain des événements
qui ont éveillé chez tous les Français de généreuses et bienfaisantes
émotions. Nous avons reçu d'inoubliables témoignages d'estime et
de sympathie. Ces trophées, qui portaient entrelacés les drapeaux de
la Russie et de la France, étaient l'image de l'union des cœurs, et
LES CHAMBRES 441
nous gardons de ceux qui nous ont fêtés à Cronstadt, de ceux qui
ont été nos hôtes à Toulon et à Paris un cordial et fidèle souvenir.
(Applaudissements.)
La France est heureuse d'avoir mérité l'amitié d'un grand peuple ;
elle est fière d'elle-même, et elle en a le droit. Le despotisme, après
avoir brisé les forces morales de la nation, avait livré son armée et
sa frontière: c'est au bon sens de la démocratie, à son amour de
l'ordre, du travail et de l'épargne que la France doit d'avoir recon-
quis dans le monde la place qui lui est due. (Applaudissements.)
Quant à nous, nous devons nous souvenir. Nous avoQs vu Paris
admirable d'enthousiasme et de sang-froid ; nous avons vu la France
goûtant cette joie suprême d'avoir une môme pensée, d'être une
seule âme. A qui la saisissante affirmation de cette grande unité
morale ne dicte-t-elle pas des devoirs impérieux? Qui ne les a pas
compris? Le patriotisme est autre chose que l'excitation passagère
de l'amour-propre national, c'est le sentiment permanent de ce qu'on
doit à son pays, c'est le sacrifice quotidien fait à sa grandeur et à sa
puissance des querelles stériles et des rivalités personnelles. (Double
salve d''applaudissements.) Nos ambitions s'élèvent assez haut pour
que ce soit toujours l'image de la patrie qui nous inspire.
La tribune est ouverte à la discussion féconde des idées. Les moeurs
de la liberté ont fortifié les esprits; le pays ne redoute plus les con-
troverses parlementaires. 11 sait que rien ne peut être mis en péril
de ce qui garantit l'œuvre de la Révolution, de ce qui protège les
droits et les espérances du suffrage universel. (Très bien!)
Il sait que ce serait la plus folle des contradictions de faire de la
République un gouvernement de défiance contre la démocratie, que
ce serait la plus ridicule des politiques de nier le progrès et de pré-
tendre arrêter la marche de la civilisation. (Applaudissements.)
Ceux qui se sont donnés tout entiers à la République se sont
donnés sans réserves à la démocratie, et c'est à la liberté qu'ils
demandent de les guider dans ce grand chemin où l'humanité s'avance
à la recherche du mieux matériel et moral. (Applaudissements.)
Le président. — La parole est à AL le président du Conseil.
M. Charles Dupuy, président du Conseil, donne alors lecture
de la Déclaration.
La lecture de la déclaration est suivie d'un assez long mo-
ment d'incertitude; les groupes délibèrent.
Bientôt MM. Jaurès et Millerand demandent à « interpeller
le gouvernement sur sa politique générale ».
Qnand discuter? Jeudi? Sur-le-champ ?
M, Dupuy, président du conseil, accepte la discussion immé-
diate.
32
442 ANNALES, CATHOLIQUES
M. Lavertujon préfère le renvoi à jeudi. La Déclaration est
longue; elle a provoqué des mouvements divers; il faut la
relire, la méditer.
M. Dupuy insiste pour le débat immédiat.
Après une épreuve douteuse par 291 voix contre 221 le ren-
voi à jeudi est refusé et la discussion immédiate ordonnée.
M. Jaurès, socialiste, ouvre le feu. '
' ..1. /;■•. î
Toutes les paroles, toutes les attitudes du gouvernement nous
signifient la guerre ; je dirais même que toutes ses pensées sont tour-
nées contre nous, si la conscience de quelques-uns de ceux qui sont
au pouvoir n'était pas souvent traversée par certains souvenirs.
Mais ceux-là nous détestent plus encore que les autres, car nous
sommes pour eux l'occasion incessante d'un douloureux retour sur
eux-mêmes.
Donc, c'est contre noua le combat avoué, déclaré, implacable, et,
en vérité, on nous fait trop d'honneur quand on nous attribue un
mouvement créé par la nature même des choses.
Aussi je n'ai pas à vous demander ni de nous seconder, ni de nous
combattre. Ce que j'ai à vous demander, c'est au nom de quel prin-
cipe, de quelle conception gouvernementale vous entendez combattre
le mouvement socialiste. •.
L'orateur défend ensuite ceux que le président dit conseil
appelle des c meneurs >. C'est un plaidoyer ^ro domo:
Eh bien, dit M. Jaurès, savez-vous où sont réellement les me-
neurs, les excitateurs ? Il ne sont pas parmi les ouvriers qui créent des
syndicats, ils ne sont pas parmi ces prétendus meneurs que vous dé-
noncez à la majorité; non, les principaux meneurs se trouvent parmi
les capitalistes, ils sont dans la majorité gouvernementale elle-même.
La vérité est que ce mouvement vient du fond même des cheses ; il
prend sa source dans les souffrances du peuple; dans notre France
républicaine, il est sorti de la forme même du gouvernement répu-
blicain et de la situation économique du pays.
Vous avez fait la République, et c'est votre honneur. Vous l'avez
faite inattaquable, indestructible; mais par là vons avez institué,
dans notre pays, entre l'ordre politique et l'ordre économique une
flagrante contradiction.
Dans l'ordre politique, notre société est émancipée, mais, dans
l'ordre économique, elle est encore soumise aux oligarchies finan-
cières. Tout à l'heure vous avez vous-même parlé de la Banque de
France. Vous avez dit qu'il fallait améliorer cette institution. Cela
ne suffit pas. Il fallait dire dans quel sens cette amélioration doit
être réalisée. . . ■ . ' •
Pour le suffrage universel, vous avez fait de tous les citoyens mW' '
LES CHAMBRES 443
assemblée de rois qui changent, quand il leur convient, leurs manda-
taires, législateur ou ministre. Mais dans l'ordre économique le
peuple reste sans garanties.
Du jour au lendemain il peut être chassé de l'atelier; il ne colla-
bore pas à la rédaction des règlements d'atelier, tous les jours plus
rigoureux.
Il est la proie de tous les hasarda, de toutes les servitudes ; il peut
être privé de tout travail par la coalition, des grandes Compagnies
minières qui lui retranchent même son pain; et alors que les tra-
vailleurs n'ont plus à payer à un souverain une liste civile de quel-
ques millions, ils ont à prélever sur leur tâche journalière une liste
civile de plusieurs milliards en faveur de l'oligarchie capitaliste.
Et c'est parce que le socialisme proclame que la République poli-
tique doit aboutir â la République sociale, parce qu'il veut que la
nation soit souveraine dans le domaine économique comme dans le
domaine politique, que vous accusez ce socialisme d'être un fléau et
que vous voulez le livrer à vos gendarmes.
Le peuple avait, dans sa souffrance, une consolation: la foi;
la République la lui a fait perdre.
Vous avez interrompu, s'écrie M. Jaurès, la vieille chanson qui
berçait la misère humaine; et la misère humaine s'est réveillée; elle
se dresse devant vous.
M. de Ramel. — L'idée religieuse a elle seule, a fait plus que tout
ce que vous pourrez faire.
M. Jaurès traite la question des syndicats, — celle de la pro-
priété rurale en commentant le programme de Marseille.
Il fait, avec des métaphores cosmographiques, aussi singu-
lière que brillantes, un interminable exposé de doctrines ; il re-
proche au gouvernement decprendre le mot d'ordre auVatican> (!).
Il conclut aux applaudissements de la Montagne :
Le socialisme est à ce point un mouvement profond, nécessaire,
qui sort de nos institutions républicaines et laïques, que pour le
combattre vous allez être obligé à une œuvre de réaction.
Essayez-la : pendant que vous userez ainsi ce qui vous reste de
force et de prestige, nous apporterons des projets de réformes et,
puisque vous désertez la politique républicaine, c'est nous, socialis-
tes qui la ferons ici.
Je dépose comme sanction de celte interpellation l'ordre du jour
suivant:
« La Chambre, convaincue qu'on ne peut combattre le socialisme
sans déserter les principes républicains etconJamnant énergiquement
la politique rétrograde et provocatrice du ministère passe â l'ordre du
jour.»
444 ANNALES CATHOLIQUES
M. Dupuy répond, mais il patauge et s'enlise tant et si bien»
que, fatiguée, la Chambre renvoi la suitede la discussion à jeudis
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
La déclaration ministérielle. — Les envoyés de Behanzin. — Ouverhrre
du Reischtag. — Fin des grèves anglaises.
23 novembre 1893.
Nous voici donc pourvus d'une Chambre constituée et d'une-
nouvelle déclaration ministérielle !
Que dire de celle-ci, sinon que, pavée de bonnes intentions
et de tournures de phrases bizarrement construites et pénible-
ment enchevêtrées, rédigée et lue par M. Dupuy, elle a fatigué
la Chambre, qui pourtant était toute disposée à faire un succès
au président du conseil. Jamais M. Dupuy n'a été plus lourd et
plus pâteux. Quand c'était M. de Freycinet qui tenait la plume
pour le compte du gouvernement, ses discours ne disaient pas
grand'chose, mais au moins ils étaient écrits en français. M. Du-
puy a cru devoir écrire la déclaration ministérielle en charabia:
nous ignorons dans quel but. Cette déclaraiion est d'une lon-
gueur inusitée. Le président du conseil a enfilé des phrases qui
vont de Paris à Pontoise. On prétend que les collègues de M. Du-
puy ont obtenu de lui de retrancher un quart de son document.
11 aurait pu sans inconvénient retrancher les trois quarts et
demi de ce qu'il en restait. Il en serait resté bien assez.
M. Dupuy, dans la déclaration ministérielle, a parlé de tout,
du suffrage universel, de la propriété, de l'assistance, de l'hy-
giène, de l'enfance abandonnée ou coupable, des sociétés coopé-
ratives et des sociétés de secours mutuels, des caisses de re-
traites des ouvriers mineurs, qui sont la pr^/acé de la caisse
de retraites des travailleurs (il paraît qu'on parle comme ça au
Puy), du budget, de la conversion qu'on fera et des dégrève-
ments qu'on ne fera pas, de l'impôt des boissons et de la contri-
bution des portes et fenêtres, du flot montant des pensions ci-
viles, des caisses d'épargne, des prestations et du crédit agri-
cole, des irrigations et de la médecine vétérinaire et sous-vété-
rinaire, de l'Exposition universelle de 1900 et des installations
électriques. Que sais-je? Cette déclaration est tout un monde.
C'est la déclaration de M. Touche-à-Tout.
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 445
Ce qui se dégage de tout ce fatras, c'est que M. Dupuy et ses
-collègues ue veulent ni de la revision de lu Constitution, ni de
la séparatioa des Eglises et de l'Etat, ni de l'impôt unique sur
le revenu, ni du scrutin de liste, ni de la nationalisation de la
propriété. Ils auraient pu dire cela en dix lignes. Les quatre
•cinquièmes de la Chambre les auraient approuvés. Ilétaitinutile
de faire suivre ces déclarations d'une dissertation politique fort
ennuyeuse et qui ne veut rien dire.
Les envoyés de Behanzin arrivés ici il y a plusieurs jours ont
quitté Paris, hier soir, pour retourner au Dahomey. Ils n'ont
•été reçus ni par les ministres ni par M. Carnot. En partant, ils
ont adressé au président de la République une missive en langue
■anglaise, dont voici la traduction :
Noua sommes envoyés par le roi Behanzin à la France, pour voir
le Président Carnot et ses ministres afin de conclure la paix et pour
raconter tous les malentendus suscités par le roi Toffa entre la France
-et le Dahomey. Cette a/faire a été deux fois résolue à la côte, mais
sans bon résultat ; ceci a été cause que le roi Behanzin a envoyé son
propre bâton avec ses ambassadeurs au gouvernement français, et il
parait maintenant que le gouvernement refuse de nous recevoir et
d'entendre de nous le message que nous apportons du roi Behanzin.
Nous sommes arrivés ici le 10. Il ne nous reste plus qu'à rentrer
chez nous, puisque nos messagers ne peuvent être reçus pour con-
clure la paix avec le Dahomey. Dieu fera la paix.
A Son Excellence M. le Président Carnot.
Chef Chettingan,
Chef Ayenkukex,
Messager confidentiel Tossah,
Henry-A. Dosoo, secrétaire et interprète.
P.-S. — Nous partons ce soir, car nous ne pouvons supporter le
froid. Veuillez nous envoyer une bonne réponse, soit à Liverpool,
«oit à Grand -Caaary, en nous accordant un sauf-conduit pour dé-
barquer à Whydah et nous permettre de rejoindre notre roi.
En même temps que cette lettre, le gouvernement a reçu des
nouvelles du général Doods.
Le 6 novembre, le général se trouvait à six kilomètres au sud
du camp de Behanzin et le 8 la colonne Dumas est arrivée à dix
kilomètres à l'Est. Le mouvement combiné des deux colonnes a
produit une grande panique chez l'ennemi et a donné d'heureux
résultats.
446 ANNALES CATHOLIQUES
Behanzin et ses guerriers se sont enfuis dans la brousse. Un
grand nombre des chefs de Behanzin, parmi lesquels quatre
oncles et frères de l'ex-roi, ont fait leur soumission. 460 fusils à
tir rapide et trois canons Krupp, ainsi qu'une mitrailleuse, ont
été remis entre les mains du général, qui se trouvait le 12 au
bivouac à Zounatou.
Une colonne légère a été lancée à la poursuite de Behanzin.
Il y a lieu d'espérer qu'il se rendra dans un bref délai. Les
troupes sont en bonne santé et montrent beaucoup d'entrain.
Il faut convenir que le gouvernement a mille fois raison de ne
vouloir rien connaître de la mission de ces ambassadeurs ;
aurait-il d'ailleurs la certitude qu'ils sont accrédités par Behan
zin que ce ne serait que sagesse de les éconduire. Les négocia-
tions parallèles ne valent rien ; d'une part, le général Doods a
invité Behanzin à entrer directement en relations avec lui, ce à
quoi le roi ne met, du reste, aucun empressement; d'autre part,
le commandant de la colonne française fait actuellement un
efifort pour réduire le chemin qui sépare Behanzin de nos
bivouacs ; ce n'est donc pas le cas de discuter à Paris lorsqu'on
tente d'amener Behanzin â composition au Dahomey par des
arguments qui peuvent avoir un très grand poids dans ses dé-
minations.
L'ouverture du Reichstag allemand a eu lieu le 16 par un
discours du trône. L'Empereur exprime ses remerciements pour
l'empressement patriotique qu'on a mis à concourir au dévelop-
pement des institutions de l'armée. Les nombreuses marques de
sympathie qui ont accueilli et réjoui l'Empereur, dans les
diverses parties de l'Empire, sont une garantie de la satisfaction
de la nation constatant que l'organisation de l'armée est assurée.
C'est sur cette organisation que repose la garantie de la défense
de la patrie et de la conservation de la paix.
Le principal devoir du Reichstag est maintenant de prendre
des mesures pour créer les ressources nécessaires pour couvrir
les dépenses nécessitées par l'organisation de l'effectif de pré-
sence en temps de paix. Les expériences faites jusqu'à présent,
relativement aux rapports financiers entre l'Empire et les Etats
fédérés, ont prouvé que la séparation entre les services finan-
ciers s'impose sous peine de porter préjudice à l'Empire et aux
Etats. La contribution que l'Empire demande aux Etats fédérés
CHRONIQUB DB LA SEMAINE 447
doit être dans un rapport fixe avec les contributions ; la part en
revenant aux Etats fédérés doit être stable pour un espace de
temps prolongé.
Le projet de loi à ce sujet ainsi que le projet d'impôt sur le
tabac, le vin et le timbre sont déposés sur le bureau du Reich-
tag; le budget de l'Empire a été établi avec la plus grande
économie.
Sont également déposés pour ratification par le Reichstag, les
traités de commerce avec l'Espagne, la Roumanie et la Serbie.
Le discours du trône annonce ensuite qu'incessamment seront
soumises au Reichstag des dispositions concernant une augmen-
tation extraordinaire des droits d'entrée pour les importations
venant de Russie. L'empereur espère que les négociations pen-
dantes entre l'Allemagne et la Russie écarteront ces mesures.
Les gouvernements ont réussi, par des mesures énergiques, à
s'opposer avec succès à la propagation du choléra.
Le discours du trône annonce une loi pour combattre les épi-
démies dans l'Empire ainsi que le dépôt des conclusions de la
conférence sanitaire de Dresde, afin de les faire approuver par
le Reichstag. Vu la tâche étendue du Reichstag sur les terrains
financiers et d'économie politique, le nombre des projets à dé-
poser a été restreint autant que possible. Dans les rapports avec
l'extérieur, il n'y a pas de modifications. Le discours constate
la continuation d'une étroite amitié liant l'Allemagne avec les
pays alliés avec lesquels elle poursuit, de commun accord, des
buts pacifiques.
Nous entretenons, dit le discours en terminant, avec toutes
les puissances de bons et amicaux rapports.
J'ai donc la conviction entière qu'avec l'aide de Dieu les bien-
faits de la paix nous seront acquis également pour l'avenir.
La conférence des délégués des patrons et des mineurs
anglais, réunie au Foreign Office sous la présidence de lord
Roseberry, a heureusement abouti. Il semble bien que les
ouvriers, contrairement à ce qui vient de se passer dans le
Pas-de-Calais, aient obtenu jusqu'à un certain point gain de
cause, en ce sens, tout au moins, que la réduction de 25 0/0 sur
les salaires, cause de la grève, ne sera pas appliquée : le travail
va être repris aux anciens salaires jusqu'en février; on verra
alors à s'entendre sur de nouvelles conditions. Les prix excep-
448 ANNALES CATHOLIQUES
tionnels atteints par le charbon depuis la fermeture des mines
du Centre ont sans doute permis cette concession aux proprié-
taires. Il s'agit de savoir si la baisse inévitable qui va suivre la
reprise du travail par 200,000 hommes ne ramènera pas la situa-
tion ancienne, avec la réduction du salaire comme conséquence,
encore plus vite que la Fédération des mineurs ne s'en flatte.
Leur victoire risque donc fort d'être éphémère, et elle a été, en
outre, si chèrement achetée, qu'il n'y a pas lieu de les féliciter
beaucoup d'avoir engagé la bataille. Deux mois et demi de
salaires avantageux ne répareront jamais les misères de près
de quatre mois de grève.
Et les souffrances endurées, les pertes subies, l'arrêt d'une
partie de la vie manufacturière du Centre, cœur industriel de
l'Angleterre; certaines villes^ l'autre jour encore, privées de
l'éclairage au gaz, tous ces inconvénients et ces désastres ne
constituent pas tout le passif de cette lutte sans précédent. Elle
a révélé dans les masses ouvrières des symptômes inquiétants;
les désordres causés par les grévistes ont été à un moment si
grands que la troupe a dià faire usage de ses armes, ce qui ne
s'était pas vu depuis plus de trente ans ; les meneurs, MM. Pic-
kard, Woods, etc., outre les théories économiques particulières
qu'ils ont manifestées par des apophtegmes dont on se souvient,
ont fait montre, à plusieurs reprises, d'un penchant regrettable
pour les solutions violentes ; bref, cette formidable armée de
travailleurs anglais, dont le sens pratique, les goûts raisonna-
bles, l'instinct de l'égalité, l'horreur naturelle du socialisme
d'Etat, sont si souvent proposés en exemple à leurs frères du
continent, s'est montrée sous un jour beaucoup moins favora-
ble ; ce qui n'a que médiocrement étonné ceux qui suivent le
mouvement social en Angleterre depuis quelques années.
Quoi qu'il en soit, et bien que la paix conclue ressemble fort,
ainsi que nous l'avons dit, à une simple trêve, on ne peut que
se réjouir de la fin de cette guerre de près de cent vingt jours.
Le gérant : P. Chantrel.
ly
Pans. — Imp. G. Picquoin, 53, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
LES CONGREGATIONS RELIGIEUSES
d'après les notes de jurisprudence du conseil d'éta.t (1).
I. Org^anisation et fonctionnement.
§ l•^ — CONGRÉGATIONS d'hOMMES
Un décret ou une ordonnance qui a autorisé une congré-
gation d'hommes comme association charitable vouée à l'ensei-
gnement ou comme établissement d'utilité publique n'a pu sup-
pléer à la loi qui était nécessaire pour lui donner la personnalité
civile. Si la loi du 24 mai 1825 a permis au gouvernement, dans
certains cas et sous certaines conditions, de constituer par
simple décret en personnes civiles les congrégations de femmes,
aucun texte de loi ne lui donne le même droit en ce qui con-
cerne les congrégations d'hommes. (Avis (Assemblée générale),
16 juin 1881. Société de Marie.)
Un décret qui a autorisé l'existence d'une congrégation
d'hommes n'a pu avoir pour eifet de lui conférer la personnalité
civile, et peut être rapporté par un autre décret pris dans la
même forme. (Projet de décret et note (Assemblée générale),
22 septembre 1888. Retrait du décret du 6 mai 1853 qui avait
reconnu l'association religieuse des Frères de Saint-Joseph.)
§ 2. CONGRÉGATIONS DE FEMMES
Une congrégation religieuse de femmes ne constitue pas une
personne morale unique ayant un patrimoine collectif qui serait
commun à tous les établissements dépendant de cette congréga-
tion : chacun des établissements dûment autorisés possède la
personnalité civile et un patrimoine distinct. (Avis (Assemblée
générale), 4 juin 1891.)
En conséquence :
(1) Nous empruntons encorn cette excellente étude sur les congré-
gations religieuses à la savante Revue administrative du culte catho
lique (octobre 1893), dirigée par M. GroussEau, avocat, professeur_
de droit administratif aux Facultés catholiques de Lille (Lille, 19,
r ue Pas, revue mensuelle : abonnement 12 francs par anj.
LXXXVI — 2 DÉCEMBRE 1893. ' 33
450 ANNALES CATHOLIQUES
l°Dans les actes de la vie civile, chaque établissement parti-
culier doit être représenté non par la Supérieure générale de la
congrégation, mais par sa supérieure locale préalablement auto-
risée par son Conseil d'administration. (Même avis.)
2° L'établissement principal ou Maison-Mère ne peut pas dis-
poser des biens régulièrement acquis ou possédés par un établis-
sement diiment autorisé. (Même avis.'l
Mais l'établissement principal d'une congrégation peut être
autorisé à disposer des biens qui lui appartiennent en propre ou
à emprunter, en son nom, pour les besoins des établissements
particuliers légalement reconnus. (Même avis.)
A. — Autorisation de nouvelles congrégations. Pendant la
période du lerjuillet 1879 au 31 décembre 1890, il n'a pas été
présenté de demande d'autorisation pour une nouvelle congré-
gation.
B. — Fondation d'établissements dépendant de congréga-
tions déjà autorise'es. La fondation d'un établissement ne sau-
rait être autorisée :
1° Si cet établissement doit se rattacher à une congrégation
reconnue à titre de communauté à supérieure locale. (Avis
(Assemblée générale), 16 juin 1887. Legs de la demoiselle Rul-
lier. Fondation, à Limoges, d'un établissement des Sœurs Saint-
Alexis.)
2° Si les services qu'a rendus l'établissement qui a déjà une
existence de fait, ou qu'est appelé à rendre l'établissement qu'il
s'agit de créer, ne paraissent pas suffisants pour justifier la
mesure proposée. (Avis, 25 janvier 1882. Fondation, à Cam-
bayrac, d'un établissement dépendant de la congrégation ensei-
gnante des Filles de Jésus. — Avis (Assemblée générale),
8 juin 1882. Fondation, àAmbert, d'un établissement dépendant
de la congrégation hospitalière des Sœurs gardes-malades de
Notre-Dame de Bon-Secours. — Avis (Assemblée générale),
23 mars 1882. Fondation, à Gournay, d'un établissement dépen-
dant de la congrégation hospitalière des Sœurs de la Compas-
sion. Dans cette affaire, le refus était basé, en outre, sur la
proximité de la Maison-Mère.)
S'il résulte de l'instruction que l'établissement qu'il s'agit de
fonder, au lieu de poursuivre un but purement charitable, peut
devenir une source de bénéfices pécuniaires pour la congrégation.
Il convient donc, avant d'autoriser un établissement destiné
à fonder un orphelinat, de demander des renseignements sur
LES CONGRÉGATIONS RELIGIEUSES 451
Fâge d'admission des orphelins dans l'établissement, et sur celiji
auquel ils en sortiront, sur la part du produit du travail de cha-
que orphelin qui serait affecté à la constitution d'un pécule, et
sur l'emploi de l'oxcédent de recettes que pourra avoir l'éta-
blissement. (Note, 21 mars 1888. Legs de la demoiselle Mérel.
Fondation, à La Guerche, d'un établissement de la congréga-
tion hospitalière des Filles do la Charité de Saint-Vincent de
Paul).
3° Si la congrégation possède déjà un grand nombre d'établis-
sements dans le même département. (A.vis (Assemblée géné-
rale), 3 aoiît 1882. Fondation, à Ennezat, d'un établissement
dépendant de la congrégation hospitalière et enseignante de la
Miséricorde.)
4° Si l'œuvre en vue de laquelle la congrégation sollicite l'au-
torisation de fonder une succursale peut recevoir une existence
propre à raison de la nature ou de l'origine des ressources qui
lui sont destinées. (Note, 5 février 1889. Legs de la demoiselle
Mérel. Fondation, à La Guerche, d'un établissement dépendant
de la congrégation hospitalière des Filles de la Charité de Saint-
Vincent de Paul.)
5° Si la reconnaissance de l'établiÉsement est demandée en
vue de l'installation d'écoles libres, par ce motif que, si la loi
du 15 mars 1850 autorise les congrégations religieuses à fonder
et à entretenir des écoles libres, le gouvernement ne saurait, en
présence du principe de la neutralité de l'enseignement pri-
maire proclamé par notre législation, accorder le privilège de la
personnalité civile à des établissements qui donnent un ensei-
gnement confessionnel. (Note, 6 aoiàt 1883, projet de décret et
avis (Assemblée générale), 9 janvier 1884. Donatien de la dame
Vigoureux. Fondation, à Allejras, d'un établissement dépen-
dant de la congrégation hospitalière et enseignante de Saint-
Joseph.)
6* Sauf des circonstances exceptionnelles, si la reconnais-
sance est demandée par une congrégation à la fois hospitalière et
enseignante, en vue de fonder un établissement de son Ordre ;
car la reconnaissance qui lui serait accordée sous la seule con-
dition que les Sœurs qui en feront partie se conformeront aux
statuts approuvés de la Maison-Mère, leur donnerait implicite-
ment la faculté d'y annexer une école primaire. (Note, 18 juil-
let 1891. Fondation, à Bois-Guillaume, d'un établissement
dépendant de la congrégation des Sœurs de Saint-Vincent de Paul.)
452 ANNALKS CATHOL1QUK8
Depuis le 1" juillet 1879, la reconnaissance d'un établisse-
ment particulier, dépendant d'une congrégation autorisée, a été
accordée dans les affaires suivantes :
Projet de décret, 11 août 1879. Fondation, à Sillé-le-Guil-
laume, d'un établissement de Sœurs gardes-malades de la Misé-
ricorde. Congrégation hospitalière. — Projet de décret, 25 mai
1880. Fondation, à Châtellerault, d'un établissement de la même-
congrégation. — Projet de décret, 26 octobre 1881. Fondation^
à Gan, d'un établissement des Filles de la Croix, dites de Saint-
André. Congrégation hospitalière et enseignante. — Note, 12.
janvier 1881. Projet de décret (Assemblée générale), 8 juin
1882. Fondation, au Pecq, d'un établissement des Sœurs gardes-
malades de Notre-Dame de Bon-Secours. Congrégation hospita-
lière. — Projet de décret (Assemblée générale), 8 juin 1882.
Fondation, à la Madeleine-lés-Lille, d'un établissement dépen-
dant de la congrégation des Petites-Sœurs des Pauvres. Con-
grégation hospitalière. — Projet de décret (Assemblée géné-
rale), 15 janvier 1885. Fondation, à Lyon-Vaise, d'un établisse-
ment de la même congrégation. — Projet de décret (Assemblée
générale), 5 novembre 1885. Fondation, à Evreux, d'un établis-
sement de la même congrégation. — Projet de décret (Assem-
blée générale), 21 janvier 1886. Fondation, à Fourraies, d'un
établissement de la même congrégation. — Projet de décret
(Assemblée générale), 6 octobre 1887. Fondation, à Alencon,
d'un établissement de la même congrégation. — Projet de décret
(Assemblée générale), l*"" décembre 1887. Fondation, à Aix,
d'un établissement de la même congrégation.
Un décret, bien qu'ayant autorisé un établissement dépen-
dant d'une congrégation religieuse de femmes à acquérir des
immeubles ou à accepter des libéralités, n'a pu avoir pour effet,
en l'absence des formalités exigées par les dispositions combi-
nées de la loi du 24 mai 1825 et du décret de 31 janvier 1852,
de conférer à'cet établissement la personnalité civile. (Projet de
décret et note, 13 février 1884. Legs Puirajoux.)
C. — Modification de statuts. — Translation de siège. —
Le changement du siège d'une congrégation constitue une mo-
di-fication des conditions de l'autorisation, et ne peut, dés lors,.
avoir lieu qu'après une autorisation nouvelle.
Cette autorisation doit être demandée avant que la transla-
tion ne soit effectuée. Par application de cette règle, n'a pas été
adopté UL projet de décret autorisant une congrégation à trans-
l.ES CONGRÉGATIONS RELIGIEUSES 453
férer le siège de l'association dans une autre commune, alors
qu'il résultait de l'instruction que cette translation avait été
opérée en fait avant que l'autorisation ait été régulièrement
sollicitée du gouvernement. (Avis (Assemblée générale), 5 fé-
vrier 1891 et projet de décret (Assemblée générale), 30 juillet
1891, Translation, à Boulogne-sur-Mer, du siège de la congré-
gation des Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Saint-
Sacrement existant à Longuenesse.)
D. — Réunion de congrégations. — Une communauté à su-
périeure locale ne saurait être autorisée à se réunir à une autre
communauté à supérieure locale, s'il doit subsister en fait,
après la réunion, deux établissements distincts. (Avis (Assem-
blée générale), 4 septembre 1879. Réunion de l'Association reli-
gieuse des Dames Franciscaines de Sainte-Elisabeth existant à
Montsoult, à l'association du même nom de Paris.)
E. — Retrait d'autorisation. — Lorsqu'un établissement dé-
pendant d'une congrégation de femmes, ou lorsqu'une commu-
nauté demande sa dissolution en arguant du manque de res-
sources nécessaires pour continuer à subsister, l'autorisation
qui lui a été donnée par décret doit être rapportée dans la même
forme. (Projet de décret (Assemblée généraiel, 3 août 1882. Rap-
port de l'ordonnance du 17 janvier 1817, qui a autorisé l'éta-
blissement, à Bordeaux, des Sœurs dépendant de la congréga-
tion de Marie-Thérèse. — Projet de décret et note (Assemblée
générale), 20 novembre 1889. Rapport des autorisations résul-
tant des ordonnance et décret en date des 23 juillet 1826 et
2 décembre 1854, et relatives à l'établissement, à Desnes, et à
la translation, à Bletterans, d'une communauté d'Ursulines.)
II. Acquisitions à titre onéreux.
Avant d'autoriser une congrégation à acquérir un immeuble,
il y a lieu de s'assurer si cet immeuble est destiné à un usage
conforme aux statuts de la congrégation. ^Note, 28 mars 1881.
Acquisition par la communauté de la Sainte-Famille, à Séez. —
Avis, 3 mai 1881. Acquisition par la communauté des Sœurs de
la Croix, à Chauny. — Note, 16 janvier 1883. Acquisition par
la congrégation des Sœurs de la Doctrine chrétienne, à Bor-
deaux. — Avis, 18 novembre 1891. Acquisition par la commu-
nauté des Dames hospitalières de l'Hôtel-Dieu, à Baveux.)
Par application de ce qui précède, l'Institut des Frères des
454 ANNALES CATHOLIQUES
Ecoles chrétiennes n'a pas été autorisé à acquérir un inameuble
en vue d'agrandir un établissement scolaire dans lequel les
élèves payent une pension annuelle. Aux termes de l'article
premier de ses statuts, l'Institut fait profession de tenir les
écoles gratuitement. (Avis (Assemblée générale), 5 juillet 1883.)
Il y a lieu de tenir compte du développement qu'ont pris les
ressources de la congrégation et de sa dotation actuelle. (Note,
2 décembre 1879. Acquisition par la communauté des Ursulines
d'Ambert. — Note, 15 décembre 1879. Acquisition par la <îon-
grégation des Sœurs de la Providence.)
La congrégation doit justifier qu'elle possède les ressources
nécessaires pour le payement du prix d'acquisition. (Note, 1=^ dé-
cembre 1880. Acquisition par les Petites-Sœurs des Pauvres.)
Ne peut être autorisée une acquisition par une congrégation
lorsqu'elle est destinée à un établissement dépourvu d'existence
légale. (Avis (Assemblée générale), 23 novembre 1872. Acquisi-
tion par la communauté des Filles de la Sainte-Famille existant
à Albert.)
Il n'y a pas lieu d'autoriser une congrégation à faire une
acquisition lorsque l'acte de vente énonce qu'en cas de refus
d'autorisation par le gouvernement, l'acquisition sera faite pour
le compte de la Supérieure générale agissant en son nom per-
sonnel. (Note, 7 décembre 1887. Acquisition par la congréfa-
tion des Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul.)
III. — Acquisitions à titre gratuit.
§ l^"". — CONGRÉGATIONS d'hOMMES
Les congrégations religieuses d'hommes ne peuvent, avec
l'autorisation du gouvernement, recevoir des libéralités ou ac-
quérir des biens immeubles ou des rentes que si elles ont été
reconnues par une disposition législative.
(Avis, projet de décret et note, 1" février 1883. Legs Béroud.)
Les ordonnances ou décrets qui auraient autorisé ces congré-
gations comme établissement d'utilité publique ne sauraient
avoir eu pour effet de leur conférer la personnalité civile. Des
actes de cette nature ne peuvent, en effet, conférer la person-
nalité civile à des associations qui, à raison de leur nature et
de la qualité des personnes qui les composent, sont régies par
des lois spéciales.
LES CONGRÉGATIONS RELIGIEUSKS '155
(Avis (Assemblée générale), l^"" février 1883. Legs Béroud à
l'Institut des Petits-Frères de Marie. — Projet de décret et
note, 12 décembre 1888. Legs Mercié de Villehervé à l'Institut
des Frères de Saint-Gabriel. — Projet de décret, lOjanvier 1889.
Legs Lepecq.)
L'Institut des Frères des Ecoles chrétiennes ne saurait être
autorisé à accepter des libéralités faites en faveur d'un établis-
sement scolaire placé sous sa direction, et dans lequel, contrai-
rement aux statuts de la congrégation, tous les élèves ne se-
raient pas reçus gratuitement.
(Projet de décret et note (Assemblée générale), 17 juillet 1884.
Legs Cécile. — Avis (Assemblée générale), 18 décembre 1884.
Legs Faye. — Projet de décret (Assemblée générale), 7 juil-
let 1891. Legs Laborde.)
En conséquence, l'Institut ne peut être autorisé à accepter
une libéralité faite à charge de fonder dans une commune un
pensionnat où il serait perçu une rétribution quelle qu'en soit
d'ailleurs la modicité. La congrégation des Frères des Ecoles
chrétiennes, étant tenue par ses statuts de donner gratuitement
l'enseignement, ne saurait réaliser la condition imposée par le
testateur.
(Projet de décret et note, 25 janvier 1888. Legs Loslier.)
Il n'y a pas lieu d'autoriser le Supérieur général de l'Institut
des Frères des Ecoles chrétiennes à accepter un legs consistant
en une maison avec dépendances destinée à la tenue de l'école
libre dirigée par les Frères dans la commune, lorsque cette
commune possède une école publique dans laquelle toute sa po-
pulation scolaire peut être reçue.
(Avis, 30 avril 1884. Legs Lapeyre. — Projet de décret (As-
semblée générale), 16 juillet 1891. Legs Galvaing.)
Le Supérieur général de l'Institut des Frères des Ecoles
chrétiennes peut être autorisé à accepter des libéralités faites
aux orphelins dirigés par l'Institut.
(Projet de décret (Assemblée générale', 19 juin 1884. Legs
Fosseret. — Projet de décret (Assemblée générale), 16 juil-
let 1891. Legs Ronce.)
§ 2. — CONGRÉGATIONS DE FEMMES
Les libéralités faites aux établissements particuliers d'une
congrégation doivent être acceptées par la Supérieure de l'éta-
456 A.NNALKK CA.THULIQU88
blissement légataire, la Supérieure générale ayant seulement
qualité pour accepter les libéralités faites à la Maison-Mère
considérée comme établissement ayant un patrimoine propre et
sa personnalité distincte.
(Avis (Assemblée générale), 4 juin 1891.)
On ne saurait, en présence de l'article 4 de la loi du
24 mai 1825, distinguer entre les établissements qui, à raison
de leur importance, ne pourraient accepter aucune libéralité
avant d'avoir obtenu leur reconnaissance préalable, et ceux qui,
moins importants, se confondraient dans la personnalité des con-
grégations elles-mêmes, lesquelles accepteraient, à leur place,
les libéralités faites en leur faveur. Une pareille distinction au-
rait l'inconvénient de reconnaître l'existence d'une possession
collective commune à tous les établissements d'une même con-
grégation et de faciliter ainsi aux congrégations le moyen de
s'étendre indéfiniment et d'échapper aux prescriptions de la
loi du 24 mai 1825.
Chaque établissement autorisé ayant son patrimoine propre,
les libéralités faites soit à un établissement particulier, soit à
la Supérieure générale pour un établissement particulier, doi-
vent être converties en rentes immatriculées, non pas au nom de
la congrégation, mais au nom de l'établissement particulier.
(Avis, 18 février et 21 juillet 1880. Legs Ardy. — Avis,
17 janvier 1831. Legs Bérard.)
Lorsqu'un legs est fait à un établissement non reconnu d'une
congrégation autorisée, le décret statuant sur cette libéralité
est ainsi conçu : Il n'y a pas lieu de statuer.
(Projet do décret et avis (Assemblée générale), 23 janvier 1884.
Legs Balmont.)
Dans le cas oii le legs est fait à la congrégation pour l'éta-
blissement non autorisé, la formule des décrets est la suivante :
La Supérieure générale ri est pas autorisée à accepter.
(Projet de décret et avis, 20 février 1884. Legs Lecerf. —
Projet de décret, 10 novembre 1885. Legs Borgoltz.)
Il y a lieu de faire accepter par la congrégation des Filles de
la Charité de Saint-Vincent de Paul un legs fait aux Lazaristes
« pour la création ou l'entretien de maisons de Sœurs de la
Charité dans la banlieue », les établissements des Soeurs de
Saint- Vincent de Paul devant seuls profiter du legs.
(Note (Assemblée générale), 13 décembre 1883. Legs Bresson.)
LES CONGRKGATIONS RELIGIEUSES 457
La congrégation des Filles de la Charité de Saint-Vincent de
Paul n'a pas été autorisée à accepter une donation consistant en
une rente destinée « à des distributions pour le payement de
leurs loyers à des familles pauvres ». La distribution de secours
de loyers dans les conditions prévues par l'acte de donation,
ferait sortir la congrégation des attributions qui sont fixées par
ses statuts. (Avis, 29 janvier 1890. Donation Galliera.)
La congrégation des Petites S(eurs des Pauvres ne saurait
être autorisée à accepter un legs fait « à charge de distribution
de secours à domicile», ses statuts ne lui permettant pas, en
effet, la distribution de secours de cette nature. (Projet de dé-
cret et note, 29 janvier 1884. Legs Paillette.)
11 n'y a pas lieu d'autoriser une congrégation enseignante à
accepter une donation immobilière à charge do fonder dans les
immeubles légués un établissement de Sœurs de son Ordre «qui
se consacreront à l'instruction des jeunes filles de cette com-
mune et des communes environnantes ». Si, en effet, la loi du
15 mars 1850 autorise les congrégations religieuses à fonder et
entretenir des écoles libres, le gouvernement ne saurait, en pré-
sence du principe de la neutralité de l'enseignement primaire
public, proclamé par la législation en vigueur, reconnaître, en
leur accordant la personnalité civile, un caractère d'utilité pu-
blique, à des établissements qui donnent un enseignement con-
fessionnel. (Avis (Assemblée générale), 10 juillet 1884. Donation
Vigoureux.)
Il n'y a pas lieu, à moins de circonstances exceptionnelles,
d'autoriser une congrégation à conserver eu nature les immeu-
bles qui font l'objet d'une libéralité. (Projet de décret et avis,
4 juin 1889. Donation Glauzade.)
IV. Emprunts.
Par application des principes formulés dans l'avis du 4 juin
1891, lorsqu'une congrégation demande l'autorisation de con-
tracter un emprunt, en vue de payer les droits d'accroissement
réclamés par le Trésor, l'instruction doit faire connaître, au
moyen d'un avis du ministre des Finances, quelle est, dans la
somme totale réclamée à la congrégation, la part afférente à la
Maison-Mère et à chacun des autres établissements autorisés,
et si ces établissements ne pourraient acquitter les droits qui les
concernent sur leurs propres ressources. Ce n'est qu'en cas d'in-
458 ANNALES CATHOLIQUES
suffisance que la Maison-Mère pourrait être autorisée à donner
son concours financier aux établissements particuliers en les
aidant à payer une dette qui leur incombe personnellement.
(Note, 10 juin 1891. Aliénation et emprunt par la congrégation
des Filles de la Croix, dites Sœurs de Saint-André. Note,
18 novembre 1891. Emprunt par la congrégation des Soeurs du
Saint Nom de Jésus à Toulouse.)
Les congrégations ne peuveni emprunter sans y avoir été
spécialement autorisées par décret. (Jurisprudence constante )
Un emprunt ne saurait être autorisé :
a) Si l'établissement de la congrégation aux besoins duquel le
produit doit être employé n'a pas été régulièrement reconnu.
(Note, 13 juillet 1880. Emprunt par la congrégation de Sainte-
Marthe à Romans.)
b) Si l'opération est faite dans un but non prévu par le décret
d'autorisation de la congrégation ou par ses statuts. (Avis, 18 jan-
vier 1888. Emprunt par la congrégation des Augustines à
Cambrai.)
c) Si la congrégation peut faire face aux dépenses projetées
au moyen d'autres ressources : par exemple, au moyen de l'alié-
nation d'une partie improductive de sa dotation. (Note, 21 oc-
tobre 1890. Emprunt par la congrégation des Sœurs de l'As-
somption d'Auteuil.)
Il n'y a pas lieu d'accueillir la demande d'emprunt lorsque
les dépenses auxquelles doit pourvoir le produit ont déjà été
engagées. L'autorisation d'emprunter accordée dans ces condi-
tions aurait pour résultat de rendre illusoire le droit de con-
trôle qui appartient au gouvernement. (Note, 6 octobre 1890,
Ursulines de Jésus à Nantes. — Note, 21 décembre 1881, Sœurs
de la Providence, à Gap. — Note, 29 octobre 1890, Sœurs de la
Miséricorde, à Paris.)
A été adopté un projet de décret autorisant le Supérieur gé-
géral de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice à emprun-
ter, au nom de cette Compagnie, une somme destinée à la re-
construction du Petit Séminaire dépendant de la congrégation*
(Projet de décret, 15 avril 1801. Compagnie de Saint-Sulpice.)
V. Aliénations.
L'établissement qui sollicite l'autorisation d'aliéner, ou au
profit duquel doit être employé le produit de l'aliénation, doit
CULTE DES IMAGES ET DES RELIQUES 459
avoir été régulièrement autorisé. (Note, 23 décembre 1884,
Sœurs de Notre-Dame de la Charité du Bon-Pasteur, à Bourges.
— Note, 4 août 1885, Soeurs de la Présentation de Marie, à
Jaugeac, et emploi des fonds provenant de l'aliénation au profit
de leur établissement du Pont-Saint-Esprit.)
La Maison-Mère d'une congrégation ne peut être autorisée à
aliéner un bien lui appartenant en vue de pourvoir au rem-
boursement d'un emprunt contracté sans autorisation et dont le
produit a été consacré à un établissement dépourvu d'existence
légale. (Avis, l*""juillet 1891. Aliénation par la congrégation des
Ursulines de Jésus.)
La congrégation doit justifier de la régularité de l'acquisition
des biens qu'il s'agit d'aliéner. (Note, 2 mars 1881, communauté
des Sœurs Augustines à Orbec.)
REGLES LITURGIQUES CONCERNANT LE CULTE DES
SAINTES RELIQUES ET DES SAINTES IMAGES
I. Quelles sont les précautions imposées par l'Eglise pour assurer
l'aulhenticité des reliques et à quelles conditions est-il permis de
leur rendre un culte public? — II. Quels sont les honneurs que
l'Eglise permet de rendre aux saintes reliques ; quels sont ceux
qu'elle interdit? — III. Quelles sont les règles qui doivent présider
au choix des images, des tableaux et des statues qu'on peut expo-
ser dans les églises ? — « Nihil pium nisi verum. *
On ne peut nier que le culte des saintes reliques et des
saintes images n'ait engendré de graves abus ; les débuts du
protestantisme en sont la preuve. Aussi pour déraciner ces
abus et pour en prévenir le retour, le S. Concile de Trente
a-t-il, dans son décret De reliquiis sanciorum et sacris imagï-
nihus, prescrit aux évoques de redoubler de vigilance et de
fermeté. Rien, en efi'et, n'est plus dangereux au point de vue
de la foi, surtout chez les simples, comme de laisser se propa-
ger parmi eux certaines images oii le dogme chrétien serait
altéré ou représenté sous de fausses couleurs. Ce serait les
entraîner fatalement à l'erreur. Que les pasteurs aient bien
soin, dit le S. Concile, lorsqu'ils mettent sous les yeux des
gens simples des images qui rappellent des histoires racontées
dans la Sainte Ecriture, ce qui est excellent pour les leur
mieux graver dans l'esprit, de bien leur rappeler qu'ils ne doi-
460 ANNAI-ES CATHOLIQUES
veht pas prendre à la lettre ce qu'on leur montre. Le Père
Eternel n est pas un vieillard avec une barbe blanche; le Saint-
Esprit w'e^^joas une colombe; les anges ne sont pas de jeunes
hommes avec des ailes; on représente Dieu, le Saint-Esprit, les
anges sous ces figures allégoriques pour mieux faire comprendre
leur nature ou leurs fonctions essentielles. Ce que le peuple
voit de ses yeux dans ces images n'a aucune réalité dans le ciel.
On ne lui met sous les yeux que des figures, des légendes, des
fictions.
Le S. Concile indique ensuite quatre abus principaux qui
peuvent naître du culte des reliques et des images : la supers-
tition, la simonie, les images inconvenantes, les fêtes mon-
daines.
L Les reliques se divisent : 1° en reliques approuvées et non
approuvées; 2° en reliques insignes et non insignes.
Les reliques approuvées sont celles que l'autorité compé-
tente a reconnues et authentiquées. L'autorité compétente,
c'est tout évêque ; peu importe l'évêque qui a reconnu et
authentiqué une relique, du moment que son sceau les garantit
authentiques on peut les regarder comme telles et les vénérer
en son particulier. Pour les exposer à la vénération des fidèles
dans une église, le S. Concile de Trente a décidé qu'il fallait
avoir en outre l'autorisation de l'évêque du lieu ; et la sacrée
Congrégation des rites a ajouté que la signature devait être
de la propre main de l'évêque et non faite avec une griffe; celle
du vicaire général n'est pas valable. Bien plus, lorsque des
reliques viennent de Rome, approuvées par le Souverain Pon-
tife, l'Ordinaire doit les reconnaître avant de les exposer à la
vénération de ses diocésains, non pas pour les approuver de
nouveau, mais pour s'assurer que le Souverain Pontife les a
bien approuvées, qu'il n'y a aucune raison de douter de leur
identité, de leur intégrité et pour éloigner tout soupçon de
fraude, même pieuse. Dans cette vérification, on ne peut de-
mander à l'évêque qu'unu certitude morale; sa décision n'est
nullement infaillible; il peut même arriver qu'il se trompe et
qu'il livre à la vénération des fidèles de fausses reliques. L'er-
reur n'étant pas formelle, mais matérielle, ne peut pas jeter les
fidèles dans le péché, par cette raison que ce qu'ils vénèrent
dans les reliques, c'est le saint, vers lequel ce culte est dirigé.
Il n'est pas nécessaire que ce soit l'évêque qui bénisse les
reliquaires, tout prêtre approuvé pour les bénédictions peut les
bénir.
i
C(U.TE DES IMAGES ET DES RELIQUES 461
Les reliques non approuvées ne peuvent jamais être expo-
sées dans les églises, ni être placées entre des candélabres, ni
encensées pendant la messe.
Les reliques insignes se divisent en reliques insignes de
saints et en reliques insignes de la vraie croix, de la couronne
d'épines et des autres instruments de la passion. Chaque espèce
de reliques insignes a ses privilèges qui lui sont propres, qui
ne peuvent pas se communiquer de l'une à l'autre; c'est pour-
quoi les décrets qui parlent des instruments de la passion
excluent formellement les autres reliques insignes; de même
ceux qui parlent des reliques insignes des saints ne disent pas
.un mot des reliques insignes de la passion; c'est pourquoi on ne
doit pas placer dans un même reliquaire les reliques de la pas-
sion et celles des saints. Cependant Cavalieri esi d'un avis con-
traire (Cavalieri, t. I, déc. 51).
Les reliques insignes des saints sont le corps entier ou une
partie notable du corps (S. R. C. 3juin 1617, n. 392-539, Ij.
La S. R. C. a déclaré qu'il fallait entendre par partie notable
la tête, le bras, la jambe ou la partie du corps qui a été marty-
risée, pourvu qu'elle soit entière, assez grande et approuvée
par l'Ordinaire (S. R. C. 13 janvier 1631, n. 593-740, 3, et
745-892, initio hreviarii).
Toute partie du corps est censée entière, bien que ses frag-
ments soient reliés artificiellement, pourvu que les fragments
soient assez importants pour qu'on y reconnaisse le membre et
que, rapprochés les uns des autres, ils présentent à l'œil la tête,
le bras, la jambe.
Aussi ne sont pas considérés comme reliques insignes la
main et le pied, à moins que le martyr n'ait été mutilé dans
ces parties, le fémur, le tibia, car la jambe comme le bras se
compose de deux os principaux, dont le premier est nécessaire
pour que Ton puisse dire que l'on a sous les yeux une jambe, un
bras.
D'après un décret de S. R. C. du 11 aoiàt 1691, pour qu'une
relique soit insigne, elle doit provenir d'un saint canonisé, ins-
crit au martyrologe romain, et dont l'identité est bien prouvée.
Les reliques insignes des saints ne doivent être conservées
.que dans les églises; il conviendrait qu'il en fût de même des
autres reliques ; cependant on peut les conserver dans des cha-
. pelles privées, et même les laïques peuvent les conserver dans
leurs maisons.
462 ANNALES CATHOLIQUES
II. Le culte public que l'on rend slux reliques approuvées con-
siste principalement en trois choses : 1° elles, sont exposées
dans les églises publiquement, à une place d'honneur, de façon
à ce que les fidèles puissent les vénérer et les embrasser;
Scelles sont exposées ou placées sur les autels et y sont enfer-
mées; 3° on les porte en procession.
Sur l'exposition et la vénération des reliques, il convient de
faire quelques remarques :
1° Bien qu'on puisse exposer dans n'importe quelle église
toute relique approuvée, l'usage veut qu'on n'expose dans une
église que celles dont on peut réciter l'office ou chanter la messe
dans cette église (S. R. C, 17 avril 1660, n. 1899-2046.4);
2° il est convenable de ne pas exposer les reliques dans une
église oii le Saint-Sacrement est exposé. Cependant, dans la fête
du titulaire ou d'un autre saint dont on posséderait les reliques,
la Sacrée Congrégation des Rites permet de les exposer à la
vénération des fidèles, nonobstant l'exposition du Saint-Sa-
crement, à la condition qu'elles ne seront exposées que dans
une chapelle jprivée. Il est défendu de les exposer, même sur
une crèdence, dans le sanctuaire oîi se trouve l'autel sur lequel
est exposé le Sa.int-Sa.crement (Nouvelle revue the'olog., t. XIV,
p. 225) ; 3° quand on expose des reliques, on doit, non seule-
ment les entourer de candélabres, mais faire brûler une lampe
devant elles. Il ne doit y avoir que deux flambeaux allumés à
l'autel, et les autres reliques ne doivent pas être exposées;
40 pour exposer les reliques à la vénération des fidèles et les
leur faire baiser, le prêtre se revêt du surplis et de l'étole de la
couleur convenable au saint dont on honore la relique. Ceci ne
doit se faire qu'après la messe. Il peut même bénir le peuple
avec les reliques, mais cette bénédiction se donne en silence;
5° toutes les fois qu'on passe devant les reliques exposées, on
leur doit une inclination profonde; on ferait une génuflexion
devant celles de la Passion; 6® on encense debout et de deux
coups les reliques exposées, de trois celles de la Passion, après
celles de l'autel et après l'autel lui-même (De Cony, p. 78) ; lés
reliques ne sont pas censées exposées quand on éteint le lumi-
naire et que l'on couvre le reliquaire d'un voile ; ?<> quand on
fait baiser les reliques aux fidèles, on peut dire pour les re-
liques d'un saint : Per mérita et intercessionem sancti N. con-
cédai tibi vel vobis Dominus salutem et pacem ; pour les re-
liques de la vraie croix : Per signum crucis de inimicis nostris
libéra nos, Deus n osier.
CULTE DES IMAGES ET DES RELIQUES 463
Les reliques peuvent être placées sur l'autel alternativement
avec les candélabres, mais il est défendu de les placer sur lo
tabernacle ou se conserve le Saint-Sacrement, quand même ce
seraient des reliques de la vraie croix ou des autres instruments
de la Passion. Il est défendu d'encenser de plus de deux coups
les images ou les reliques des saints, même celles de la sainte
Vierge. Il n'est pas nécessaire que les statues ou bustes des
saints placés sur l'autel contiennent des reliques pour qu'on
puisse les encenser après la croix.
Les reliques sont enfermées dans un vase placé sur la table
de l'autel. La cérémonie du scellement de ces reliques est
faite par l'évêque.
Dans la procession du Saint-Sacrement, il n'est pas permis de
porter les reliques des saints ni les instruments de la Passion.
Cependant Innocent XI permit aux religieux du diocèse de Ma-
lines, 20 mai 1682, de porter des reliques dans les processions
du Saint-Sacrement, mais à la condition qu'elles soient en tête,
de façon qu'il y ait entre elles et le Saint-Sacrement une dis-
tance raisonnable. En dehors des processions du Saint-Sacre-
ment, on peut porter les reliques et les images saintes dans
toutes les processions.
• Lorsqu'on porte les reliques en procession, il faut se confor-
mer aux prescriptions du rituel romain. Les églises et les che-
mins par oii l'on passe doivent être décemment ornés. Les
prêtres doivent être revêtus d'ornements suivant la couleur du
saint, porter des cierges allumés, précéder les reliques, chanter
les litanies, le Te Deum, etc.. C'est au plus digne à porter les
reliques. Si on les porte à plusieurs, ce soin doit être confié à
des clercs dans les ordres sacrés; on ne doit jamais les placer
sur un char, sur des chevaux, les confier à des jeunes filles.
Ceux qui portent ces reliques doivent avoir la tête découverte.
Certains privilèges sont accordés aux reliques insignes et
aux instruments de la Passion.
Dans les églises où l'on possède une relique insigne on peut,
le jour de la fête, réciter l'office et chanter la messe avec Credo,
sous le rite double, et cela sans avoir l'autorisation de l'Ordi-
naire ni induit du Pape; du moment oii les formalités ont été
toutes remplies pour la réception de la relique.
Cavalier! prétend même que cet office est de précepte si le
jour de la fête est celui qui lest assigné par le martyrologe
romain.
464 ANNALES CATHOLIQUES
• Les instruments de la Passion sont portés sous un dais. Le
célébrant se comporte à leur égard comme s'il officiait devant
le tabernacle fermé et contenant le Saint-Sacrement.
Le saint concile de Trente (Sess. XXV) recommande aux
évêques de s'entourer de théologiens et d'hommes pieux toutes
les fois qu'il s'agit de reliques à reconnaître et de nouveaux mi-
racles attribués à ces reliques.
III. L'iconographie est la science des images sacrées. Elle
embrasse tous les sujets religieux traités par la sculpture, la
peinture, les arts plastiques et le dessin.
L'iconographie religieuse est placée sous la surveillance de
l'Ordinaire, qui doit faire observer les régies canoniques (Conc.
Trid. Sess. XXV). L'évêque a le droit et le devoir de s'opposer
aux écarts en cette matière, il doit veiller à ce que les artistes
s'attachent exclusivement aux types religieux, qui n'ont rien de
commun avec des modèles d'atelier; à ce que leur pensée soit
pure, chaste, élevée; à ce qu'ils gardent les formes consacrées
par la tradition et ne se permettent aucune innovation (S. R. G. y
15 mars 1642. Décret génér. De sacris imaginihus).
L'iconographie a posé certaines régies particulières qu'il faut
respecter.
1" Règle relative au nimbe, à V auréole, à la gloire, au ra-
diatum caput, à la nudité des pieds.
Le nimbe est une couronne que l'art chrétien attribue aux
personnes divines et aux saints. La tête est considérée dans
l'homme comme le siège, le temple de l'âme; aussi est-ce à la
tête (jue s'adresse l'hommage, c'est-à-dire à l'âme qui y réside.
Comme on prête aux personnes divines les formes humaines,
pour les représenter à nos yeux, il est juste d'exprimer notre
vénération vis-à-vis de ces divines personnes en leur donnant
ce qui est l'insigne de l'hommage suprême : la couronne. Nous
devons en dire autant par proportion de Marie et des autres
saints.
La forme ronde du nimbe symbolise l'éternité. Le nimbe des
personnes divines est crucifère. On le colore en or ou en jaune,
parce que cette coulear est considérée comme la plus noble à
cause de son analogie avec la lumière. L'art chrétien attribue à
Marie le nimbe d'or, mais il n'est pas crucifère. Les apôtres,
les pontifes et les docteurs ont le nimbe d'argent. Les martyrs
et les vierges le nimbe rouge, couleur de feu. Les saints qui
ont été engagés dans les liens dujmariage, le nimbe vert, cou-
CULTE DES IMAGES ET DES RELIQUES 465
leur de la terre. Les pécheurs réhabilités par la grâce le nimbe
jaunâtre, couleur altérée, moitié jaune et moitié blanche.
h'auréole consiste dans des ondulations de lumière, qui en-
veloppent, comme d'un vêtement de gloire, l'image des per-
sonnes divines et les saints dont le corps jouit déjà des félicités
éternelles. Ces saints sont Marie et Joseph, lequel, selon quel-
ques auteurs, partage ce privilège avec la sainte Vierge.
La gloire, c'est le nimbe et l'auréole réunis.
Les bienheureux n'ont droit qu'au radiatum caput, auréole
de la tête, non au diadema circa caput.
Une loi iconographique attribue la nudité' des pieds à Notre-
Seigneur, à la sainte Vierge, aux anges, aux prophètes, à saint
Jean-Baptiste, à saint Joseph et aux apôtres. C'est la caracté-
tique de ceux dont Isaïe a chanté la gloire en disant : « Qu'ils
sont beaux, sur la montagne, les pieds de ceux qui annoncent la
paix et prêchent le salut ! > (Isaïe, lu, 7.)
2* Règle relative à V iconographie de la Sainte-Trinité .
a) Lieu le Père est représenté sous la forme d'un vieillard,
assis sur un trône lumineux; «l'Ancien des jours » (Daniel,
vvii, 9). Il repose sur un globe, a en main un livre fermé
(Apocal., v, 4,5). Une main ninabée, sortant d'un nuage, figure
sa puissance. Le nimbe est trifide ou crucifère.
h) Les images de Dieu le Fils se réduisent à huit : le Bon
Pasteur, l'Agneau, le Crucifix, la Sainte-Face, le Poisson, le
Pélican, le Sacré-Cœur et les différents sigles du Christ.
Comme la jeunesse du divin Pasteur est éternelle, il convient
de représenter le Bon Pasteur sous la forme d'un beau jeune
homme, imberbe, les cheveux courts, l'œil plein de tendresse,
avec une tunique courte, ceinte autour des reins et recou-
verte d'un petit manteau; la jambe est revêtue de bandelettes
et la tête nue. Il paraît tantôt avec une brebis sur les épaules,
tantôt il la serre sur sa poitrine avec le bras gauche, tandis que
de la main droite il tient le vase pastoral. Il a comme insigne le
bâton pastoral et la flûte à sept tuyaux.
L'Agneau, sous forme de l'Agneau immolé; de l'Agneau aux
pieds du Christ ; au revers de la croix ; de l'Agneau triomphal,
avec un étendard, une ceinture d'or, une lance ; de l'Agneau
immolé, reposant sur un livre fermé de sept sceaux. Notre-Sei-
gneur crucifié, revêtu d'une étroite bande d'étoffe; les pieds,
attachés par deux clous, reposent sur une tablette; au-dessus
de sa tête, l'inscription IISRI, avec les accessoires dont l'his-
34
466 ANNALES CATHOLIQUES
toire évangêlique de la Passion nous fournit le type; des deux
côtés de la tète du Sauveur, le soleil radieux, la lune sous forme
de croissant; debout, de chaque côté de la croix, la Sainte
Vierge et saint Jean, appuyant leur joue sur leur main.
Copier la Saincte Face telle que l'a imaginée M. Dupont, de
Tours.
Le Poisson et le Pélican sont maintenant peu employés.
L'emblème du Sacré-Cœur consiste dans un cœur d'oii
s'échappent des flammes ; il est entouré d'une couronne d'épines,
surmonté d'une croix, et laisse voir une large plaie.
Les sigles de Notre-Seigneur sont l'alpha et l'oméga et les
différents monogrammes du Christ.
c) Les représentations de Dieu le Saint-Esprit sont la co-
lombe, une nuée, des langues de feu, la couleur bleue.
L'assistance du Saint-Esprit est souvent exprimée par une
colombe sur la tète ou sur l'épaule d'un personnage. La colombe
au bec et aux pattes rouges désigne l'Esprit-Saint. La colombe
au bec noir est l'emblème du démon.
Les nuées laissent tomber sur la terre l'eau qui la féconde ;
elles sont l'image de la rosée, de la grâce. Tel est le sens mys-
tique de ces nuées qui entourent nos tabernacles et autres
objets du culte.
Une caractéristique traditionnelle dans l'Eglise réservée au
Saint-Esprit, c'est la couleur bleue, couleur apparente de l'air ;
parce que le Saint-Esprit s'est manifesté dans la forme de l'air,
d'un souffle, d'un vent impétueux (Gènes., i, 2; Actes, ii, 2;
Joan., XX, 22), De là l'emploi de la couleur bleue dans les
livrées de l'Ordre du Saint-Esprit ; de là cette couleur consa-
crée à Marie, l'épouse du Saint-Esprit.
3* Règle relative à Viconographie de la Sainte Vierge.
La Vierge immaculée. Les mains croisées sur la poitrine ou
jointes, son diadème sur la tête ou une couronne de douze étoiles,
la lune sous les pieds ainsi que le serpent et le globe du monde,
sur la tète un voile, sa robe est blanche, son manteau bleu^
parsemés de fleurs d'or.
La Vierge mèrCy assise comme une reine sur son trône, ou
debout, elle porte dans ses bras l'enfant Jésus qui tient à la
main une boule surmontée d'une croix.
Notre-Dame des Sept-Douleurs, assise au pied de la croix,
tenant sur ses genoux Jésus-Christ que vient de lui remettre
Joseph d'Arimathie. Les artistes la représentent encore avec
CULTE DE8 IMAGES ET DES RELIQUES 467
un cœur transpercé de sept glaives. La couleur rouge convient
à Marie au pied de la croix. Quelquefois on lui attribue le violet.
Plus récemment les artistes ont représenté la sainte Vierge
telle qu'elle a apparu à La Salette et à Lourdes. Autrefois elle
a été très fréquemment représentée sous la forme d'une Vierge
noire, interprétation trop littérale de cette parole du Cantique
des Cantiques, i, 4 : Nigra sum, sed formosa; voir à ce sujet
Corneille Lapierre, Cant. des Cant., ch. i, v, 4.
4*^ Règle relative à V iconographie des Anges,
La forme la plus ordinaire donnée aux Anges est celle d'une
tête d'enfant soutenue par deux ailes.
On les représente sous la forme déjeunes hommes, vêtus de
blanc, avec une ceinture, les pieds nus. Ils portent dans leurs
mains tantôt des baguettes, emblème de leur autorité royale,
tantôt des lances et des haches, comme exécuteurs des ven-
geances divines; d'autres fois des instruments de musique,
un encensoir, une trompette quand ils sont au haut de la chaire
à prêcher.
L'Ange gardien porte A la main le bâton du voyageur et
accompagne un enfant auquel il montre le ciel et qu'il défend
contre les mille dangers de la route. Ces dangers ont pour figure
expressive un serpent qui menace l'enfant de son dard. Saint
Michel est toujours représenté sous la forme d'un guerrier qui
terrasse, avec sa lance un dragon (Apoc. xii, 7 ; Daniel xii, 1).
Saint Gabriel est représenté développant un philactére ou ban-
derolle, sur laquelle on lit la salutation angélique, ou tenant un
lis à la main.
5*^ Règle relative à l'iconographie de saint Joseph et de saint
Jean-Baptiste.
Saint Joseph est souvent représenté avec une hache, une scie
ou un instrument propre à la profession de charpentier, ou en-
core un lis à la main pendant que Notre-Seigneur repose dans
ses bras.
Saint Jean-Baptiste est représenté dans quatre circonstances
de sa vie : dans ses rapports avec la sainte Famille, il est devant
l'Enfant-Jésus, un genou en terre, et porte une banderolle avec
l'inscription : Ecce Agnus Dei ; au de'sert^ il est représenté avec
des vêtements de peau, un agneau est à ses côtés ; au Jourdain,
il répand l'eau sur la tête du Sauveur; martyrise, on voit la
tête du précurseur sur le plat d'IIérodiade.
6® Règle relative à V iconographie des Apôtres et des Evan-
gêlistes.
468 ANNALES CATHOLIQUES
Les clefs, la croix renversée, le coq sont les caractéristiques
de saint Pierre. Les deux clefs qu'il porte à la main sont l'une
en or, l'autre en argent. Saint Paul est représenté avec un glaive,
un livre ou un phénix posé sur un palmier. Saint Jean porte à la
main un calice d'où sort un serpent. Le serpent rappelle la cir-
constance de sa vie où on tenta de l'empoisonner à Ephèse. Saint
Jacques est représenté avec un glaive ou en costume de pèlerin,
avec le bourdon, le chapelet, les coquilles et le chapeau. Les
Espagnols le représentent montant un cheval de bataille et char-
geant à leur tête les Maures. Saint André est représenté avec la
croix en forme de X. Saint Jean le Mineur tient à la main une
massue, par allusion à son genre de supplice. Saint Simon est
représenté avec une scie. Saint Jude avec une massue, il tient
un livre à la main. Saint Thomas avec un glaive. On lui attribue
aussi une pierre taillée ou une équerre, pour rappeler la tradi-
tion qui veut qu'il ait bâti beaucoup d'églises dans les Indes.
Saint Philippe fut mis en croix et lapidé, c'est ce que rappellent
la croix et les pierres qui accompagnent son image. Saint Mat-
thieu est transpercé d'un coup de pique. Saint Barthélémy fut
écorché vif en Arménie, de là le couteau qu'il tient à la main.
Saint Barnabe est représenté avec des pierres et une fournaise.
Saint Mathias porte à la main une hache ou un glaive.
Les Evangélistes ont pour attributs : Saint Matthieu, l'homme;
saint Marc, le lion; saint Luc, le veau; saint Jean, l'aigle;
quelquefois chaque évangéliste joint à son propre attribut celui
des trois autres, pour montrer par là l'unité dans la variété des
Evangiles.
7' Règle relative à V iconographie des saints les plus ^popu-
laires.
a) Règles générales. Les martyrs ont des palmes à la main ou
portent leurs têtes dans leurs mains. Les vierges ont une lampe
à la main. Les saints, auteurs de règles monastiques, les papes
et les évoques portent des rouleaux ou des livres. Des armes
sont les attributs des saints qui ont été soldats. Quand un saint
a refusé ou déposé une dignité, on met à ses pieds une mître,
une crosse, une couronne, un sceptre. Un monastère, une église
à la main ou un drapeau, désigne les fondateurs d'ordres ou de
communautés. Des serpents ou des monstres placés auprès de
quelques saints symbolisent des vices ou des tentations vio-
lentes, ou rappellent la destruction d'animaux nuisibles. On
accompagne souvent la représentation des saints de banderoles
UNE LETTRE DE DONOSO CORTÈS 469
sur lesquelles se lisent les paroles qu'ils ont prononcées ou qu'on
leur a adressées.
b) Règles particulières. Un certain nombre de saints ont des
attributs et des emblèmes consacrés par la tradition, voici leurs
noms : saint Ambroise, sainte Anne, saint Antoine, saint Au-
gustin, saint Henoît, saint Bernard, saint liernardin de Sienne,
saint Bruno, saint Dominique, saint François d'Assise, saint
François de Sales, saint François-Xavier, sainte Geneviève,
saint Grégoire le Grand, saint Grégoire de Nazianze, saint Jean
Chrysostome, saint Jérôme, saint Laurent, saint Louis, saint
Louis de Gonzague, sainte Madeleine, sainte Marthe, saint Mar-
tin de Tours, saint Nicolas, saint Norbert, saint Stanislas
Kostka, sainte Thérèse, saint Thomas d'Aquin.
Ouvrages à consulter sur l'iconograhie :
Lerosey, Histoire et symbolisme de la Liturgie. — Didron,
Iconographie chrétienne. — Ferraris, Prompta hibliotheca
canonica, etc.. 8^ Imagines. — Cahier, Caractérist. des
Saints. — Martigny, Lict. des Antiq. chrét. — Riche, la Face
de r homme et la Sainte Face de Jésus. — Barbier de Montault.
— Durand, le Culte calh. dans ses cérémonies et ses symboles.
— Malou, Iconogr. de la Sainte Vierge.
P. -G. MOREAU,
vicaire général honoraire de Langres.
UNE LETTRE DE DONOSO CORTES
M. Eugène Veuillot a retrouvé, dans le portefeuille de Louis
Veuillot, une lettre de Donoso Certes à M. de Montalembert.
Cette lettre, écrite en espagnol, avait été communiquée à Louis
Veuillot, qui, la trouvant très belle et très forte, la copia sur
un de ses cahiers. Elle se trouve dans les Œuvres, mais avec
quelques changements. M. Eugène Veuillot la donne ici telle
que son frère l'a transcrite :
Donoso Cortès à Montalembert.
« Berlin, le 26 mai 1S49.
« ... La destinée de l'humanité est un mystère profond qui a reçu
deux explications contraires, celle du catholicisme et celle de la
philosophie. L'ensemble de chacune de ces explications constitue une
470 ANNA.LE8 CATHOLIQUES
civilisation complète. Eatre ces deux civilisatious, il y a un abîme
insondable, un antagonisme absolu. Les tentatives de transaction
entre elles ont été, sont et resteront toujours vaines. L'une est l'er-
reur et l'autre la vérité; l'une est le mal, l'autre est le bien. Il est
nécessaire de faire un choix suprême et, le choix fait, de proclamer
l'une et de condamner l'autre dans toutes ses parties. Ceux qui flot-
tent, ceux qui acceptent de l'une les principes, de l'autre les consé-
quences, les éclectiques enfin, sont tous hors de la catégorie des
grandes intelligences et condamnés plus irrésistiblement à l'absurde.
« Je crois que la civilisation catholique contient le bien sans mé-
lange de mal, et que la civilisation philosophique contient le mal
sans mélange de bien.
t La civilisation catholique enseigne que la nature de l'homme
est corrompue et déchue, corrompue et déchue d'une manière radi-
cale, dans son essence et dans tous les éléments qui la constituent.
Dans la corruption, l'entendement humain ne peut inventer la vérité
ou la découvrir; il la voit quand on la lui présente. Dans sa corrup-
tion, la volonté ne peut vouloir le bien, ni le faire, sans être aidée,
et elle ne sera aidée que lorsqu'elle sera assuj«ttie et réprimée. Les
choses étant ainsi, il est clair que la liberté de discussion conduit
nécessairement à l'erreur, comme la liberté d'action conduit néces-
sairement au mal. La raison humaine ne peut voir la vérité si une
autorité infaillible ne la lui montre. La volonté humaine ne peut
vouloir ni faire le bien si elle n'est réprimée par la crainte de Dieu.
Quand la volonté s'émancipe de Dieu, et quand la raison s'émancipe
de l'Eglise, l'erreur et le mal régnent sans obstacle dans le monde.
« La civilisation philosophique enseigne que la nature de l'homme
est une nature parfaite et saine! saine et parfaite dans son essence
et dans les éléments qui la constituent. Etant sain, l'entendement
de l'homme peut voir la vérité, la discuter, la découvrir. Etant saine,
la volonté veut le bien et le fait naturellement. Cela supposé, il est
clair que la raison abandonnée à elle-même, arrivera à connaître la
vérité, toute la vérité, et que la volonté par elle seule réalisera for-
cément le bien absolu. S'il en est ainsi, il est clair également que la
solution du grand problème social est de rompre les liens qui com-
priment et assujettissent la raison et le libre arbitre de l'homme.
« Sans ces liens, le mal n'est pas dans ce libre arbitre ni dans cette
raison. Si le mal consiste à avoir des liens, et le bien à n'en avoir pas,
la perfection consistera à n'en avoir aucun, d'aucune espèce. Cela
étant admis, l'humanité sera parfaite quand elle niera Dieu qui est
son lien divin, quand elle niera le gouvernement qui est son lien
politique, quand elle niera la propriété qui est son lien social, et
quand elle niera la famille qui est son lien domestique. Quiconque
n'accepte pas toutes ces conclusions, se met en dehors de la civilisa-
tion philosophique, et quiconque se met en dehors de la civilisation
UNE LETT1E DE DONOSO CORTES 471
philosophique et n'entre pas dans le sein du catholicisme, marche
dans les déserts du vide.
« Du problème théorique, passons au problème pratique. Laquelle
de ces deux civilisations vaincra l'autre et triomphera dans le temps.
Je réponds sans que ma plume hésite, sans que mon cœur tremble,
sans que ma raison se trouble : la victoire appartiendra irrémissible-
ment à la civilisation philosophique. L'homme a voulu être libre ? i*
le sera. Il abhorre les liens? Les liens tomberont en poussière à ses
pieds. Un jour, pour essayer sa liberté, il a voulu tuer son Dieu. Ne
Ta-t-il pas frappé ? Ne l'a-t-il pas crucifié entre deux voleurs... ? Des
légions d'anges sont-elles descendues du ciel pour défendre le juste
qui était à l'agonie sur la terre? Eh bien, pourquoi descendraient-
elles aujourd'hui, quand notre conscience nous crie de si haut que
dans cette grande tragédie, personne ne mérite leur intervention, ni
ceux qui doivent être les victimes, ni ceux qui doivent être les bour
reaux !
« Il s'agit donc ici d'une question très grave : il ne s'agit de rien
moins que de vérifier quel est le véritable esprit du catholicisme tou-
chant les vicissitudes de cette lutte gigantesque entre le mal et le bien
ou comme dirait saint Augustin, entre la cité de Dieu et de la cité du
monde. Quant à moi, je tiens pour prouvé et évident qu'ici bas le mal
finit toujours par triompher du bien et que le triomphe sur le mal est
réservé, si on peut s'exprimer ainsi, à Dieu personnellement.
« Aussi n'y a-t-il aucune période historique qui ne vienne aboutir
à une catastrophe. La première période historique commence à la
création et finit au déluge? Et que signifie le déluge ?Deux choses: le
triomphe naturel du mal sur le bien, et le triomphe surnaturel de
Dieu sur le mal, [)ar le moyen d'une action directe, personnelle et
souveraine.
<c Les hommes étaient encore tout ruisselants des eaux du déluge,
que la même lutte recommence. Les ténèbres s'amoncellent à tous les
horizons. A la venue de Notre-Seigneur, la nuit était partout, une
nuit épaisse, palpable. Le Seigneur est élevé en croix, le jour revient
pourle monde. Que signifie cette catastrophe? Deux choses : le triomphe
naturel du mal sur le bien et le triomphe surnaturel de Dieu sur le
mal, par le moyen d'une action personnelle, directe et souveraine.
a Que disent les Ecritures sur la fin du monde? Elles disent que
l'Antéchrist sera le maître de l'univers, et qu'alors viendra le juge-
ment dernier avec la dernière catastrophe ? Comme les autres, elle
signifiera le triomphe naturel du mal sur le bien et le triomphe sur"
naturel de Dieu sur le mal par le moyen d'une action directe, per-
sonnelle et souveraine.
« Telle est pour moi la philosophie, toute la philosophie de l'his-
toire. Vico fut sur le point de voir la vérité, et s'il l'eût vue, il l'eût
exposée mieux que moi, mais perdant bientôt la trace lumineuse, il
472 ANNALES CATHOLlgUES
se trouva enveloppé de ténèbres. Dans la variété infinie des événe-
ments humains, il a cru découvrir un nombre toujours fixe et res-
treint de formes politiques et sociales. Pour démontrer son erreur, il
suffit de regarder les Etats-Unis qui ne s'ajustent à aucune de ces
formes. S'il fût entré plus profondément dans les mystères catho-
liques, 11 aurait vu que la vérité est dans cette même proposition
prise à revers. La vérité est dans l'identité substantielle des événe-
ments; voilée et comme cachée par la vérité infinie des formes,
« Voilà ma croyance, je vous laisse à deviner mon opinion sur le
résultat de la lutte qui se livre dans le monde.
oc Et qu'on ne me dise pas que si la défaite est certaine, la lutte est
inutile. En premier lieu, la lutte peut adoucir la catastrophe; en
second lieu, la lutte est un devoir et non une spéculation pour nous
qui nous faisons gloire d'être catholiques. Remercions Dieu de nous
avoir octroyé le combat, et ne demandons pas, en outre de cette
faveur, la grâce du triomphe, à Celui qui, dans son infinie bonté,
réserve à ceux qui combattent bien pour sa cause, une récompense
plus grande que la victoire.
« Quant à la manière de combattre, je n'en vois qu'une qui puisse
donner aujourd'hui des résultats avantageux: c'est de combattre par
la presse périodique. Il est nécessaire que la vérité frappe les oreilles
et y retentisse toujours et toujours, si ses échos doivent arriver
jusqu'au sanctuaire secret où les âmes gisent énervées et endormies.
Les combats de tribune servent de peu ; les discours fréquents ne
captivent pas ; rares, ils laissent peu de traces dans la mémoire. Les
applaudissements qu'ils arrachent ne sont pas des triomphes, parce
qu'ils s'adressent à l'artiste et non au chrétien.
« Entre tous les journaux qui paraissent actuellement en France,
l'Univers est celui qui me semble avoir exercé, surtout dans ces der-
niers temps, l'influence la plus salutaire et la plus heureuse. Quand
j'aurai le plaisir de vous voir, je voua prierai de me présenter à ses
principaux rédacteurs...
a Dans cette espèce de confession générale que je fais devant vous,^
je dois ici déclarer ingénûmentque mes idées politiques et religieuses
d'aujourd'hui ne ressemblent pas à mes idées politiques et religieuses
d'un autre temps. Ma conversion aux bons principes est due d'abord
à la miséricorde divine et, ensuite, à l'étude profonde des révolutions.
Les révolutions senties fanaux de la Providence et de l'histoire. On
peut dire do ceux qui ont eu le bonheur ou le malheur de vivre et de
mourir en des temps paisibles et calmes, qu'ils ont traversé la vie et
sont arrivés à la mort sans sortir de l'enfance. Ceux-là seulement qui,
comme nous, ont vécu au milieu des tourmentes, peuvent revêtir la
robe virile et dire d'eux-mêmes qu'ils sont hommes.
Œ Les révolutions sont, sous un certain aspect, et jusqu'à un cer-
tain point, bonnes, comme les hérésies, parce qu'elles confirment
CAUSERIE SCIENTIFIQUK 473
dans la foi et rendent la foi plus resplendissante. Je n'avais jamais
compris la révolte gigantesque de Lucifer jusqu'au moment où j'ai
vu, de mes propres yeux, l'orgueil insensé de Proudhon. L'aveugle-
ment humain a presque cessé d'être un mystère, depuis qu'on voit
l'aveuglement incurable et surnaturel des classes aisées. Quant au
dogme de la perversité innée de la nature humaine et de son inclina-
tion au mal, qui le mettra aujourd'hui en doute, s'il jette les yeux
sur les phalanges socialistes ? »
{Traduit sur l'original en espagnol.)
Cette traduction fut faite par un rédacteur de VUnivers,
M. Barrier, et revue par M. de Montalembert.
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
Photographie des couleurs. — La présence du grisou révélée par un
tuyau d'orgue.
Oii en est le problème de la photographie des couleurs?
Ces jours derniers, j'entrais à la Sorbonne : « Le laboratoire
de M. Lippmann, s'il vous plaît? » On me répondit avec volu-
bilité : € Traversez tout au long la galerie, prenez le couloir à
gauche, suivez jusqu'au bout, montez l'escalier de bois, tournez
à droite, puis à gauche, encore à droite ; après la cour, longez
les démolitions, reprenez votre droite, évitez la voûte et sur
votre gauche vous y serez. — Grand merci. » Ainsi je fis, et,
après l'escalier de bois, je m'égarai. On l'a bien changée, la
Sorbonne de mon temps ! La Sorbonne moderne a laissé en place
quelques parties de l'ancienne; et, tout s'enchevêtrant, vieilles
murailles, vieux couloirs et nouveaux bâtiments, c'est partout
un labyrinthe inextricable. Les laboratoires s'entassent les uns
au-dessus des autres, d'étage en étage, où l'on parvient par des
escaliers obscurs; tout tombe de vétusté; l'air et la lumière
manquent. C'est lamentable. Heureusement que les jours des
bâtiments en ruine sont comptés ; au point de vue de l'hygiène,
il est temps qu'on les jette bas... « Le laboratoire de M. Lipp-
mann, s'il vous plaît? — Descendez ces marches, traversez la
cour, vous vous heurterez à un mur, à gauche, puis encore à
gauche. »
Et, quand j'eus beaucoup tourné à gauche et à droite, je
trouvai, en efl'et, un perron et une porte. Au-dessus de la porte,
474 ANNALES CATHOLIQUES
on lit : « Laboratoire de recherches physiques, fondé par M. Ja-
min en 1868. > Cette fois je reconnus le bâtinaent que j'avais vu
construire, la porte en rouge sombre... C'était bien le labora-
toire de M. Jamin, masqué maintenant par un mur, M. G. Lipp-
mann de l'Académie des Sciences a hérité de la chaire et du
laboratoire de M. Jamin ; et la chaire comme le laboratoire sont
en bonnes mains. L'éminent physicien avait bien voulu m'inviter
à venir voir les résultats les plus récents obtenus par la méthode
qu'il a découverte pour photographier les couleurs.
On rencontre encore quelques personnes qui semblent ignorer
que la solution est complète, et qu'on] peut photographier un
objet quelconque avec toutes ses teintes naturelles. Jusqu'ici la
photographie donnait la forme et le modelé ; on est en droit
d'avancer qu'elle reproduit maintenant l'image avec toutes ses
couleurs. Regardez-vous dans une glace : c'est cette image telle
qu'elle, avec la vivacité des teintes et ses divers tons, que re-
produira l'héliochromie. C'est une merveille, et cette découverte
suffit "bien pour faire passer un nom à la postérité.
La découverte n'a rien d'empirique, elle a été prévue théori-
quement et elle a donné ce qu'avait annoncé la théorie. C'est
déjà très beau. La méthode, nous l'avons déjà indiquée à plu-
sieurs reprises. La lumière imprime d'elle-même ses teintes sur
la plaque sensible et à toutjamais ; quand on regardera la plaque,
on retrouvera les couleurs ainsi fixées. En d'autres termes, les
vibrations lumineuses, dont la tonalité produit l'impression co-
lorée, se moulent dans la couche sensible en y laissant un dépôt
photographique permanent, susceptible de reproduire après coup
les mêmes vibrations.
Est-ce pratique? Bientôt, nous l'espérons, on pourra livrer
aux amateurs d'héliochromie des plaques qui leur permettront
de reproduire les objets, les paysages]avec leurs véritables cou-
leurs. Il fallait, il y a un an, trois quarts d'heure de pose; au-
jourd'hui, il ne faut plus que quatre minutes. On abrégera
encore. Le seul reproche que l'on puisse'faire à la méthode, et
il est réel, c'est que, pour voir les couleurs, il est nécessaire de
donner au cliché une certaine inclinaison, comme pour les
plaques daguerriennes; l'image est miroitante et les teintes
apparaissent un peu comme celle de la nacre, ce qui va de soi,
puisqu'elles sont dues, de part et d'autre, au jeu de la lumière
à travers des lames minces. Mais l'inconvénient disparaît com-
plètement si, au lieu de regarder directement le cliché, on le
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 475
projette avec une lanterne électrique sur un écran blanc. L'opé-
ration est de celles que font beaucoup d'amateurs qui se servent
couramaient des projections pour montrer leurs photographies.
Alors tout change, et la beauté des épreuves colorées est inima-
ginable. C'est un véritable enchantement pour les yeux.
A mon arrivée au laboratoire, la lanterne électrique brillait
dans le cabinet noir et l'écran blanc attendait ses images. Les
épreuves les plus récentes sont dues à MM. Lumière qui, avec
leur habileté professionnelle, sont parvenus à des résultats vrai-
ment étonnants. Leurs petits clichés sur plaque transparente,
— tant le grain de l'éraulsion sensible est devenu inappréciable,
— donnent sur l'écran blanc des tableaux d'un coloris incompa-
rable.
A trente-cinq centimètres de l'écran, tout prés par conséquent
de l'image, on a l'illusion entière de la réalité. Il me semblait
regarder avec le gros bout d'unejumelle l'image rapetissé d'un
paysage. Quel éclat et quelles variétés de ton! Jamais peintre
n'a eu pareille palette. Une douzaine de clichés ont été projetés
successivement, paysages, bâtiments, maisons, fleurs, portraits.
C'est un ravissement. Comme les épreuves viennent en plein
soleil, l'éclairage est parfait: le ciel bleu tendre, les arbres vert
foncé, vert éteint, émeraude clair, les Heurs avec toutes leurs
nuances délicates, les pierres, les briques, les chemins se pei-
gnent avec leurs tons respectifs, tout cela est illuminé. C'est
bien la nature prise sur le fait, et que de teintes et d'ombres,
quelle gamme ! Les efl'ets d'automne sont de toute beauté. En
allongeant la main, on croirait pouvoir la poser sur les feuilles
mortes, sur les vieux troncs sombres. Le jaune d'automne, au
milieu des massifs d'arbres, est rendu avec une perfection frap-
pante; toutes ces couleurs, dont le soleil couchant couvre les
bois et les grands espaces, on les voit se marier ensemble, se
fondre et virer lentement, comme on les voit en fait vers la fin
d'une belle journée. L'illusion est complète.
Parmi les épreuves projetées, il en est au moins quatre qui
sont particulièrement réussies : un chimiste est assis, le dos
tourné contre un treillage tapissé de vigne vierge; au premier
plan, une table, des instruments, des flacons pleins de substances
chimiques. Toutes les couleurs sont venues avec leurs intensités
respectives. On voit le microscope, le verre, l'éclat métallique
de la monture ; dans un flacon il y a de la fluorescine, c'est cer-
tain ; au fond, en effet, le liquide est rougeâtre ; il est vert
476 ANNALES CATHOLIQUES
tendre au-dessus. C'est le caractère de la fluorescine. Il y a du
sulfate de cuivre, on le distingue à sa couleur. Les blancs res-
tent parfaitement purs au milieu de cette orgie véritable de
tons complexes. Ainsi une épreuve représente un officier d'in-
fanterie en uniforme ; sur la manche sombre se détache, d'un
blanc immaculé, l'extrémité de la manchette. Les galons ont
l'éclat de l'or ; le sabre est bien d'acier. On ne le saurait pas
qu'on le dirait. Et cette villa perdue au milieu des arbres et
des parterres de fleurs ! C'est gai, ensoleilé; la lumière filtre à
travers les feuilles. On la suit se glissant au milieu des allées,,
éclairant les buis et les corbeilles ; on dirait qu'on va pouvoir
cueillir les dahlias, les roses de Noël. C'est charmant d'éclat et
de finesse. Aucun ton n'est cru, aucune couleur criarde. C'est...
comme c'est. Et la petite fille endormie dans un jardin, presque
couchée sur une table chargée de fruits et toute semée de fleurs l
On devine le sang qui coule sous la peau rosée du visage et des
mains ; on croit respirer le parfum des roses et des héliotropes.
Il existe même des effets qu'aucun peintre n'aurait jamais songé
à produire. Les lumières colorées diffusent sur les objets les-
teintes qui n'échappent pas à une observation attentive. Les
ombres noires elles-mêmes se colorent. L'ombre des feuilles
vertes est un peu verte. Or, on retrouve tous ces détails repro-
duits dans ces photographies colorées directement. On resterait
des heures à regarder ces projections dont personne ne saurait
se faire une idée exacte qu'après les avoir vues. Souhaitons donc
qu'on les multiplie assez pour que tout le monde puisse les ad-
mirer.
La découverte de M. Lippmann est donc déjà assez au point
pour satisfaire les plus difficiles. On peut la classer au nombre
des grandes inventions de notre temps. C'est une opinion que
je suis heureux d'e^^primer en quittant la vieille Sorbonne et
son laboratoire de recherches physiques.
Tout est dans tout. On n'aurait guère soupçonné qu'une note
musicale servirait un jour à révéler avec une étonnante préci-
sion les proportions du grisou qui peut envahir les galeries d'une
houillère. C'est cependant ce que vient de prouver M. E. Hardy
l'ingénieur électricien bien connu, en inventant l'appareil qu'il
a baptisé du nom de Formènephone. Formènephone, parce qu'il
fait connaître au son l'arrivée du grisou ou gaz des marais, ou
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 477
formène dans la nomenclature chimique. L'invention est bien
originale.
Lorsque l'on fait parler en même temps deux tuyaux d'orgue
donnant le même son, à l'aide de deux souffleries distinctes ali-
montées d'air pur, on obtient une note unique. Mais si l'une des
deux souffleries est alimentée non plus avec de l'air pur, mais
avec un mélange d'air et d'un autre gaz, le son du tuyau est
modifié et les deux tuyaux, parlant â la fois, donnent des batte-
ments plus ou moins fréquents, suivant que le mélange est plus
ou moins riche en gaz. On pressent l'application de ce fait inté-
ressant. Le nombre des battements relevés indiquera ainsi la
présence du forméne ou du grisou dans une mine.
Le forménephone se compose de deux soufflets et de deux
tuyaux d'orgue. L'un des tuyaux et son soufflet sont enfermés
dans une enveloppe étanche et pleine d'air pur qui sert sans
déperdition à faire parler le tuyau. L'autre soufflerie et son
tuyau sont libres dans l'atmosphère de la mine, et on les ali-
mente avec l'air impur de la galerie. On fait parler les deux
systèmes à la fois. Or. voici ce qu'on observe. Lorsqu'il y a dans
la galerie 1 0/0 de formène, on constate 1 battement par 3 se-
condes; pour 2 0/0, 3 battements par 2 secondes ; pour 3 0/0,
2 battements par seconde ; pour 4 0/0, 3 battements par se-
conde, etc. Or le grisou ne détermine d'explosion que lorsqu'il
est déjà dans la galerie en proportion un peu supérieure à 5 0/0.
Le nouvel appareil peut donc révéler très nettement la pro-
portion dangereuse. Il donne d'abord son signal sonore dés que
le gaz atteint 1 0/0 dans la galerie ; mais, de plus, il peut être
relié par un fil métallique, en dehors des galeries, au cabinet de
l'ingénieur et, électriquement, faire fonctionner un stylet qui
marquera sur un papier les proportions de grisou. Signal so-
nore, signal écrit, tout à la fois. Scripta manent. Quant au
fonctionnement dans la mine, il peut être continuel, puisque les
souffleries sont mues par un petit moteur électrique. Et voilà
comment un simple son musical peu prévenir du péril ouvriers
et ingénieurs.
La pratique dira comment se comporte l'invention en service
courant. Nous ne sommes pas si dépourvus, que paraît le penser
M. Hardy, d'appareils avertisseurs. Les lampes à alcool, nou-
vellement imaginées, par l'auréole significative qui couronne la
flamme, dénoncent une proportion de grisou de 1 0/0 ; la lampe
de mineur ordinaire, du type combiné par M. Fumât, révèle
478 ANNALES CATHOLIQUES
aussi le 1 0/0. Mais il est clair que deux précautions valent
mieux qu'une, et qu'une note d'alarme entendue dans une gale-
rie peut aussi présenter beaucoup d'avantages. En tous cas, le
forménephone apporte une solution extrêmement élégante et
nouvelle d'un problème pourtant déjà bien étudié. On ne saurait
donc trop encourager les essais.
{Débats.) H. de Parville.
LES PRIX DE VERTU (1)
Messieurs,
Si, nouvel Epiménide, M. de Montyon se réveillait du som-
meil de la tombe, il serait exposé, j'en ai peur, à quelques sur-
prises désagréables; car il entendrait à droite et à gauche, dire
du mal de la charité. Des gens graves, ayant étudié la question
du paupérisme, lui prouveraient que, loin de soulager et de dé-
truire la misère, la bienfaisance privée la développe au con-
traire, et la perpétue ; et, devant la grimace avec laquelle de
nombreux pauvres accueilleraient son obole sans la refuser tou-
tefois, l'illustre philanthrope serait forcé de reconnaître qu'elle
n'est pas reçue de bon cœur. Devant le tapis vert des commis-
sions administratives, de savants économistes lui démontre-
raient que, dans l'intérêt même des misérables, il ne faut leur
venir en aide qu'en s'entourant de toutes sortes de précautions
et de garanties, et que l'action de saint Martin, voyant un
mendiant tout nu et lui donnant, sans enquête, la moi-
tié de son manteau, n'est pas du tout sage. Si d'autre part,
M. de Montyon pénétrait dans un cercle populaire, il y trouve-
rait sans doute, à la tribune un orateur au verbe plein d'àpreté,
déclarant aux meurt-de-faim qu'ils ont droit au bien-être que les
repus ne font en leur faveur que des sacrifices dérisoires, et
qu'ils n'ont pas à être reconnaissants d'une aumône qui les
avilit.
De pareils discours causeraient, vous n'en doutez pas, une
peine profonde au grand homnae de bien. Comment ose-t-on
lui parler de sagesse et de circonspection en matière de charité ?
Celle qui a voulu surtout qu'on honorât, c'est la plus folle et la
(1) Rapport lu daaa la séance publique annuelle de l'Académie
française par M. François Coppée, directeur de l'Acadéraie française.
PRIX DK VERTIJ 479
plus imprudente de toutes, celle du pauvre envers un plus pau-
vre. Quant à cet odieux paradoxe qui prétend qu'un bienfait
irrite et dégrade celui qui le reçoit, il en aurait horreur. Car,
fidèle à l'optimisme et à la facile sensibilité de son temps, qui
le faisaient fondre en larmes devant toutes les infortunes et lui
montraient un ami dans chaque malheureux qu'il avait soulagé,
Montyon ressuscité serait toujours convaincu que les hommes
sont naturellement bons. On a donc changé tout cela. Est-il
possible que, dans l'espace de si peu d'années, les esprits soient
devenus si faux et les cœurs si durs?
Il faut le dire cependant, les gens d'expérience qui pensent
que la charité est parfois capricieuse et souvent inefficace et
qui étudient les moyens d'atténuer graduellement et même de
supprimer l'indigence par des règlements parfaits sur le travail,
sur répargne,;sur l'assistance publique, font une œuvre utile: et
ce ne sont pas non plus de dangereux sophistes, ceux qui révol-
tés par le spectacle de l'inégalité des conditions humaines, ré-
clament une moins inique distribution des biens de ce monde.
Partis de deux points différents, ils vont, les uns et les autres,
vers le même but, et ils sont tous poussés par le sentiment de la
justice et l'amour de l'humanité. Leur idéal, en somme, est le
même : ils veulent un état de civilisation où l'excès du malheur
soit impossible, où la société intervienne comme une sorte d'in-
faillible Providence. Si la perfection est de ce monde et si le
progrès y mène, ils préparent l'avènement d'un nouvel âge d'or.
Il n'est pas plus noble rêve.
Mais le monde est vieux, et ce rêve est aussi vieux que lui.
Celui dont la sublime morale avait donné aux hommes le meil-
leur moyen de le réaliser. Celui qui parlait sur la Montagne, a
laissé tomber de ses lèvres cette parole, la plus mélancolique
qu'on ait jamais entendue : « Il y aura toujours des pauvres
parmi vous. » Rien n'est venu la démentir, et deux mille ans
après qu'elle a été prononcée, il existe encore des lois — hélas!
probablement nécessaires — qui considèrent et punissent comme
un délit l'action d'un malheureux sans pain ni gîte, qui tend la
main ou qui dort à la belle étoile. Qu'ils ne se hâtent donc pas
de faire le procès de la charité, tous les réformateurs, calmes
ou impatients, qui rêvent d'abolir la misère. Contre cette mala-
die sociale, nous n'aurons point, d'ici à bien longtemps, d'autre
spécifique. Et, quand même les problèmes qui se posent si
mpérieusement aujourd'hui seraient résolus, quand même les
480 ANNALES CATHOLIQUES
rapports de celui qui possède et de celui qui travaille, de celui
qui jouit et de celyi qui souffre, seraient réglés à la satisfaction
de tous, quand même un Code nouveau, Code de prévoyance et
de réparation, protecteur de l'enfance, pieux pour la vieillesse
indulgent pour toutes les infirmités de l'homme, veillerait pater-
nellement sur lui du début à la fin de son existence, il y aurait
■encore, de par le monde, bien des infortunes et bien injustices.
Les Solons de l'avenir ne pourront jamais inscrire sur leurs
programmes et voter dans les Assemblées le désintéressement
et la bonté obligatoires, ni remédier, par décrets, à l'égoïsme
des uns et aux faiblesses des autres. Il y aura toujours des pau-
vres parmi nous. Et grâce au ciel, il y aura toujours des riches
qui s'appauvriront pour les secourir, et, spectacle plus consolant
encore, des pauvres qui, n'ayant adonner que leur temps, leurs
soins, leur dévouement, leur tendresse, les donneront spontané-
ment à leurs frères en indigence et feront apparaître aux yeux
de tous la vertu dans ce qu'elle a dejplus admirable et de plus
touchant.
C'est à ces pauvres au cœur si prodigue que M. de Montyon
et ses généreux imitateurs ont légué des récompenses, et c'est
le plus honorable et le plus doux privilège de notre compagnie
d'avoir à les leur décerner.
De toutes les œuvres de miséricorde qu'ils accomplissent, les
plus essentielles sont assurément celles qui s'adressent à l'en-
fance et à la vieillesse. Rien de plus douloureux que de voir
dans le dénuement et dans l'abandon ceux qui ne peuvent pas
encore et ceux qui ne peuvent plus gagner leur pain. Ce spec-
tacle a été intolérable pour M. l'abbé Colombier, à Albi, et pour
Mlle Marie Danesi, à Bastia. 11 s'est dévoué aux orphelins, elle
s'est dévouée aux vieillards. En donnant à chacun d'eux un prix
de 2,500 fr. sur la fondation Montyon, vous ne pouviez rêver do
lauréats plus dignes et plus intéressants.
L'abbé Colombier n'a que trente-trois ans, mais ce jeune
prêtre a derrière lui un long passé de vertu chrétienne. Pour
moi, je ne puis me le représenter que sous les traits du saint
Vincent de Paul des images populaires, ramassant des enfants
tout nus dans l'angle des murailles. Dès 1886, il en recueille un,
sans famille, puis un autre, pauvre martyr, qu'une marâtre
torturait; puis un autre encore, que sa mère, venue de Paris
très malade et morte à Albi, laissait sans protection aucune.
L'abbé Colombier n'a que de très modestes ressources. C'est
PRIX DE VERTU 481
déjà pour lui une charge très lourde, pensez-vous, que d'élever
trois petits garçons. Mais, coranae dit le proverbe, quand il y en
a pour trois, il y en a pour quatre. Aujourd'hui, chez l'abbé
Colombier, il y en a pour quatre-vingts. C'est un miracle qui a,
sur bien des miracles, la supériorité d'être incontestable.
L'abbé Colombier a commencé par se faire prêter une petite
maison ; puis des dons sont arrivés, le nombre des enfants s'est
accru. L'abbé s'adjoignit alors, pour l'aider, d'abord ses parents
puis quatre religieuses, puis un autre prêtre, qui rivalisèrent
avec lui de zèle et de dévouement. Un des caractères de la cha-
rité, c'est qu'elle est contagieuse. Cela se gagne. L'abbé Colomr
hier l'a donnée à tout le département du Tarn. Vous auriez
plaisir à lire les nombreuses signatures qui le recommandent à
l'Académie. Vous y verriez pêle-mêle des noms de personnages
officiels et de réactionnaires bien reconnus pour tels. Sa petite
république d'orphelins ne compte que des ralliés. N'est-ce pas
encore un autre miracle ? A sa façon, l'abbé Colombier travaille
à l'apaisement politique; il réconcilie, au moins momentané-
ment, tous les partis dans la bienfaisance. Les enfants d'adop-
tion de ce digne homme possèdent à présent une maison, des
terres qu'ils cultivent, des ateliers où ils font leur apprentis-
sage, et Albi, qui n'avait point d'orphelinat pour les garçons,
esta présent très fier du sien et peut le donner pour modèle.
A Bastia, c'était un hospice pour les vieillards qui faisait dé-
faut. Comme M. l'abbé Colombier, Mlle Marie Danesi n'a pas
mis plus de six ans à combler cette lacune, et, par son initiative,
par ses tenaces et constants efforts, elle a doté sa ville natale
de l'établissement qui lui manquait. A la mort de son père,
Mlle Danesi hérite de 7,000 francs; c'est toute sa fortune. Sans
hésiter, elle la consacre immédiatement à la vieillesse sans
asile. Tout d'abord elle loue un appartement de sept pièces,
moyennant dix-huit francs par mois, — nous sommes loin,
comme vous le voyez, des prix de l'avenue de l'Opéra, — et s'y
installe avec une dizaine de vieux indigents des deux sexes,
vivant avec eux, les servant, subvenant à tous leurs besoins.
- Ce qu'il y a de particulièrement touchant dans ce genre de
bonnes Œuvres, ce sont leurs débuts, toujours médiocres et
cachés, et l'admirable témérité de ceux qui les entreprennent.
Quand on imagine cette excellente fille, dans son étroit logis,
soignant de ses mains maternelles sa famille de vieux enfants,
certes on est attendri ; mais si l'on songe qu'elle n'a que 7,000 fr.
35
482 ANNALES CATHOLIQUES
dans son tiroir, on ne peut s'empêcher de dire : c Cela ne durera
pas ! C'est absurde ! » Eh bien non ! C'est très raisonnable.
Car il n'j a pas que le mal qui finisse par se savoir : le bien
aussi, poussé à cette limite, est, en quelque sorte, scandaleux.
Toute la ville apprit la sublime imprudence de Mlle Danesi. On
lui vint en aide. Mais, comme toutes ses pareilles, elle était
atteinte du délire des grandeurs. Dés que ses ressources furent
augmentées, elle ne se contenta plus d'un appartement et de
quelques hôtes : ce fut une maison tout entière, et vingt, puis
bientôt trente vieillards qu'il lui fallut. Le croiriez-vous ? Ceux
qui l'avaient soutenue jusqu'alors de leurs sympathies et de
leurs subsides ne se découragèrent pas. Que dis-je? Ils partagè-
rent sa folie ambitieuse, si bien que Bastia possède maintenant
un hospice qui compte quarante pensionnaires. Ce n'est encore
qu'un pavillon, mais construit de façon à devenir, un jour l'an-
nexe d'un établissement plus considérable; et soyez sûrs que
l'infatigable Mlle Danesi, qui a créé dans toute la contrée une
rivalité de dévouement et de sacrifices, une véritable passion
pour le bien, ne perd pas de vue ses projets d'agrandissement.
Je ne serais nullement surpris d'apprendre qu'elle n'attendait
plus que vos 2,500 fr. pour appeler les maçons.
J'ai le devoir. Messieurs, de rendre en votre nom un éclatant
hommage à ceux qui mettent au service de la charité leur es-
prit d'entreprise et de propagande, leur besoin de fonder des
établissements durables; mais je suis peut-être encore plus ému,
je l'avoue, et je voudrais vous faire partager mon émotion,
devant ceux qui, plus faibles et plus timides, ne réclament, pour
faire le bien, aucune assistance, n'y consacrent que leur effort
personnel, et qui, pourtant, accomplissent, à eux tout seuls,
modestement et discrètement, des actes de vertu d'une beauté
"suprême. Je vous citerai quelques exemples.
En 1866, un Wurtembourgeois, du nom de Louis Weisser,
Tint s'établir à Lonze, dans le département de la Haute-Marne,
avec sa femme et quatre filles, et, il avait su gagner l'estime de
tous par sa douceur hypocrite. Mais, au moment de l'invasion,
cet abject personnage, jetant le masque, devint un de ces lou-
ches trufi([uants qui suivent les armées et partit avec les four-
gons allemands, en abandonnant pour toujours sa famille.
Quelle situation pour la mère! Elle est Française, mais mariée
à un ennemi, à un espion peut-être: personne ne voudj-a la se-
courir. Si fait ! La magnanime pitié habite dans le cœur d'un
NECROLOGIE 483
ouvrier maçon et de ?a femme, les époux Coiffîer. Grâce à eux,
l'abandonnée, qui tombe malade de chagrin et meurt deux ans
plus tard, ne manque de rien jusqu'au dernier jour. Elle laisse
quatre orphelines. Sans hésiter, les époux Coiffier en prennent
deux, bien (ju'ils aient eux-mêmes quatre enfants. Et leur dé-
vouement ne s'est jamais démenti, car voilà vingt ans de cela,
et l'année dernière, ils mariaient celle de leurs deux filles d'a-
doption qui vit encore, et qui est devenue une sage et laborieuse
personne, à un brave compagnon charpentier qui l'aimait de-
puis son enfance. J'ai tenu à vous conter cette émouvante
anecdote, entre tant d'autres, parce que j'y trouve une' preuve
de la générosité de notre race. Voilà ce qu'on a fait, dans un
village de France, pour la famille d'un vagabond allemand !
[A suivre.)
NECROLOGIE
Nous apprenons la mort de Mgr Juteau, évêque de Poitiers.
Mgr Augustin Juteau était né le 4 mai 1834. Nommé évêque
de Poitiers à la date du 5 juin 1888, il avait été préconisé le
14 février 1889, et sacré le 23 avril suivant.
Précédemment, il avait été curé de la paroisse SaintJulien-
Saint-François à Tours.
Le Courriel' de la Vienne, de Poitiers, publie les détails que
voici sur les derniers moments de Mgr Juteau :
Monseigneur était indisposé hier vendredi, mais sans donner de
grandes inquiétudes.
Cette nuit à deux heures, sentant le mal s'aggraver, il sonna son
secrétaire particulier et lui dit : « Mon cher ami, voilà la mort, je me
sens frappé; donnez-moi l'absolution, — présentement je suis bien
disposé à recevoir rextréme-onction parce que je jouis de ma pleine
connaissance ; si le danger s'approchaut il ne me venait pas à la
pensée de la demander moi-même, ne craignez'pas de me le rappeler.
Et en effet, après une crise, averti selon le désir qu'il en avait
exprimé, il s'empressa de réclamer ce sacrement, qui lui fut alors
administré et qu'il rec^'ut dans les dispositions les plus touchantes,
répondant lui-môme aux prières. Il demanda qu'on lui appliquât
l'indulgence de la bonne mort.
Son confesseur, mandé par lui, arriva vers cinq heures du matin
le pauvre malade s'entretint longtemps avec lui, se confessa, reçut
de nouveau l'absolution et lui confia ses dernières volontés.
484 ANNALES CATHOLIQUES
Dès la première atteinte du mal, il avait demandé â recevoir le
saint viatique ; mais les différentes crises qui se succédaient ne lui en
avaient pas laissé la faculté. Vers six heures, un peu de calme était
revenu, le malade le réclama de nouveau et témoigna d'une grande
joie de recevoir ainsi la visite du bon Maître. S'adressant à sa sœur,
qui ne l'avait pas quitté : « Joignez-vous donc à moi, lui dit-il, pour
remercier Notre-Seigneur de l'insigne faveur qu'il vient de me faire. »
Comme on lui suggérait de pieuses invocations. Il désira lui-même
qu'on récitât les prières des agonisants, au milieu desquelles il lais-
sait échapper ces paroles : In 'inanus tuas, Domine, conimendo spi-
ritum meum et corpus meum ! Toute la nuit il ne cessa d'offrir à
Dieu le sacrifice de sa vie et ses souffrances pour le bien de son dio-
cèse, l'accroissement de la foi dans les âmes et l'expiation des man-
quements dont il aurait pu se rendre coupable. — On l'entendit ré-
péter à plusieurs reprises : Seigneur, pardonnez-moi comme je par-
donne moi-même à tous ceux qui ont pu, sans intention peut-être,
manquer à mon égard.
Le matin, sentant les douleurs se calmer un peu, tandis que la pa-
ralysie gagnait ses membres, il demandait â Dieu de le prendre dans
ses dispositions actuelles, plutôt que de le laisser incapable de remplir
les fonctions de son ministère : « Cependant, Seigneur, que votre
volonté se fasse : non recuso laborem. »
Après une agonie de sept heures, pendant laquelle il s'entretenait
encore avec Dieu — on le voyait au mouvement de ses lèvres — il
expira doucement sans aucune contraction de son visage.
Il était alors entouré de sa famille épiscopale, de son médecin,
M. le docteur Jablonski, qui lui a prodigué les soins les plus dévoués ;
de M. le docteur Berland, et d'un grand nombre de prêtres accourus
à la triste nouvelle de cette mort imminente.
Mgr Juteau n'a ainsi administré le diocèse qu'un peu plus de quatre
ans. Son dernier acte, qui ne date que de l'avant-veille de sa mort,
est une lettre pastorale à son clergé au sujet du récent pèlerinage du
diocèse de Poitiers au tombeau de saint Martin à Tours; on sait
qu'il avait très particulièrement contribué à la reconstruction de la
basilique.
Mgr Juteau, officier d'académie, était chevalier de la Légion d'hon-
neur depuis le mois de janvier dernier.
Le prince Ale.randre de Battf;nherg, ancien prince de Bul-
garie, vient de mourir, comte de Ilartenau,
Cette mort provoque de divers côtés, mais surtout en Bul-
garie, des manifestations qu'il faut brièvement noter.
La plus importante est l'envoi, par le pri nce Ferdinand de
NÉCROLOGIE 485
Cobour^, qui règne actuellement en Bulgarie, du rescrit sui-
vant à l'armée bulgare :
Aujourd'hui est mort à Gratz le premier prince I)ulgare, Alexan-
dre I«'", général d'infanterie de notre armée, clief du !«■• régiment
portant Son nom.
L'armée bulgare fait une grande perte : elle perd celui dont le nom
est étroitement lié à sa fondation et à son premier développement et
à qui incomba la tâche de la conduire sur le chemin de l'honneur,
de la discipline et de la dignité nationale. Elle perd celui qui, le
l>remier, eut la joie de traverser avec ces jeunes troupes une époque
difficile et glorieuse et de participer avec elles aux premières victoires
de nos braves guerriers.
L'armée bulgare se souvient aujourd'hui de son chef sans peur de
1885; elle perd son glorieux héros.
Soldats, ce jour est l'anniversaire des faits d'armes de notre armée.
Vos cœurs sont pleins du souvenir de vos camarades tombés; et de
fierté pour les journées inoubliables de nos glorieuses victoires.
Puisse la mémoire du premier prince de Bulgarie et du premier
chef de l'armée bulgare, qui sera inséparablement liée avec les faits
de notre histoire, rester impérissable, et disons tous que Dieu le
reçoive en grâce.
Samedi, le président du Sobranié a annoncé la mort du comte
de Hartenau, a fait son éloge et a proposé de lever la séance en
signe de deuil. La Chambre a élu trois de ses membres, j com-
pris le président, pour la représenter aux funérailles. Le dra-
peau du palais a été mis en berne.
Dimanche, dans toute la Bulgarie, un Requiem a été chanté
pour l'âme d'Alexandre de Battenberg et des soldats tombés à
Slivnitza.
On a proposé au Sobranié de continuer ;\ la veuve du prince
une dotation annuelle de 50,000 francs et de lui demander d'au-
toriser le transfert des restes de son époux en Bulgarie.
Un savant marin vient de mourir à Rome, le P. Alberto Gu-
GLiELMOTTi, dominicain. A ses obsèques, derrière les représen-
tants de l'ordre des frères prêcheurs, venaient les huissiers du
ministère de la marine, les hauts fonctionnaires de tous les mi-
nistères, le syndic de Rome, le raunicipe de Civita-Vecchia,.
patrie du défunt, avec la bannière de la ville.
Ces diverses délégations venaient rendre hommage à un sa-
vant, versé dans les études historiques, et particulièrement
486 ANNALES CATHOLIQUES
dans la connaissance des choses navales. Sans avoir jamais ap-
partenu à la flotte, puisqu'il était entré dans l'ordre à l'âge de
quinze ans, le P. Guglielmotti avait le génie instinctif de la
science maritime. lia publié un grand nombre d'ouvrages hau-
tement appréciés sur la marine pontificale et sur les événements
auxquels elle prit part, depuis l'immortelle bataille de Lépanto
jusqu'à ses derniers exploits de l'Egypte à Corfou.
NOUVELLES RELIGIEUSES
■tome et l'Italie.
. Les journaux de Rome arrivés hier publient la première par-
tie de l'Encjclique, que le Saint Père vient de faire paraître
sur les Etudes de V Ecriture Sainte.
Apaès avoir largement développé l'utilité des Saintes Ecri-
tures pour la science des orateurs sacrés et l'édification morale,
Léon XIII dit que l'Eglise a toujours cultivé les études bibli-
ques, et il retrace à grands traits l'histoire de l'exégèse catho-
lique.
Sa Sainteté rappelle en outre quelle a été, à ce sujet, l'œu-
vre attentive des Papes et des conciles.
Le Pape défend la Bible contre les rationalistes et repousse
.'interprétation naturaliste !
Il exhorte à faire étudier de plus en plus dans les séminaires
les langues qui faciliteront les travaux bibliques, mais toujours
en se référant au texte grec ou au texte hébreu.
Il rappelle les principes de l'herméneutique sacrée, disant
•que, s'il convient de compléter les études anciennes, on doit
toujours soigneusement défendre l'autorité du texte sacré dont
Dieu est l'auteur.
En multipliant les études historiques, théologiques et bibli-
,ques, il faut bien se garder d'accepter aveuglément les hypo-
. thèses de la science moderne.
Car il ne saurait y avoir de contradiction entre la vraie
.science et la Bible.
Fi*ï«nee
- Paris. ~- S. Km. le cardinal Richard, archevêque de Paiis, vient
d'adresser la lelue suivante à M. le curé de Saint-Etienne-du-Mont,
NOUVELLES RELIGIEUSES 487
au sujet fie la cérémonie de réparatiim qui aura lieu dans cette
église à l'occasion de la profanation des reliques de sainte .Geneviève
(3 décembre 1793). ,
Paris, 23 novembre.
Monsieur le curé,
Dans ma Lettre pastorale annom^ant et prescrivant la céré-
monie générale de réparation que nous avons solennellement
célébrée le 13 novembre dans l'église métropolitaine, j'ai réglé
qu'une seconde et spéciale cérémonie de réparation aurait lieu
dans l'église Saint-Etienne-du-Mont, le premier dimanche de
l'Avent 3 décembre.
C'est en eiïet le 3 décembre 1793 que les ossements de sainte
Geneviève furent profanés et brûlés en place de Grève par une
population en délire, qui répétait la parole de l'impie : « Fai-
sons disparaître du milieu de nous le culte de Dieu et des saints:
Quiescere faeiamus omnea dies feslos Dei a terra. »
Mais le Seigneur vit toujours et triomphe dans les saints. Ua
siècle s'est écoulé depuis la douloureuse et sacrilège profana-
tion; les profanateurs ont disparu. Le peuple de Paris n'a pas
cessé d'aimer et d'honorer sainte Geneviève. Son culte est en
honneur comme dans les siècles passés. Elle est notre patronne,
nous lui devions à ce titre un hommage particulier de vénération
et d'amour ; c'est un devoir qu'il nous sera doux d'accomplir près
de son tombeau.
Quand nous nous rappelons la vie de sainte Geneviève, nous
y reconnaissons un dessein particulier de la Providence, pour en
faire la céleste protectrice de la capitale de la France. Humble
fille du peuple, elle fut associée par sa sainteté à toute la vie de
son siècle et de son pays.
Un grand évêque des Gaules, saint Germain d'Auxerre, la
bénit enfant et lui annonce les desseins de Dieu sur elle. Consa-
crée au Seigneur par la virginité, elle offre aux habitants de la
cité parisienne un admirable modèle de piété et de pénitence
durant sa longue vie. Préludant à la mission que les vierges
chrétiennes n'ont pas cessé et ne cessent pas de remplir dans
notre cher pays de France, elle puise dans l'oraison et dans son
ardent amour pour Notre-Seigneur la charité qui soulage toutes
les soullVances et console toutes les douleurs. Quand la famine
menace la cité, elle se dévoue pour lui procurer du pain. Quand
Attila et les barbares s'approchent, elle rassure les habitants par
son courage et les protège par sa prière.
488 ANNALES CATHOl.lyUES
Nous la trouvons unie aux i^rands souvenirs de notre histoire
nati.na'e. Elle honore d'un culte filial saint Denis, l'apôtre de
Paris; elle est près de sainte Clotilde et de Clovis, quand les
Francs viennent soumettre leur fier courage au joug de la loi
chrétienne.
Quand elle s'endort dans le Seigneur à l'âge de quatre-vingts
ans, son historien résume sa vie dans trois paroles : Elle a vécu
dans le détachement des hiens du monde, à qui elle demeurait
étrangère, peregrina inundo ; elle a été entourée de la vénéi-a-
tion du peuple témoin de ses vertus et de ses miracles : venera-
hilis populo. Le secret de sa gloire et do sa sainteté a été dans
son dévouement entier à Jésus-Christ, Notre-Seigneur: devota
Christo.
Heureuse la ville de Paris de compter parmi ses enfants une
sainte qui lui a révélé dans sa personne la puissance et la dou-
ceur de la foi chrétienne pour les familles et pour la société tout
entière. Heureuse la ville de Paris d'avoir pour patronne dans
le ciel celle qui l'a aimée autrefois sur la terre, et qui n'a cessé
de la protéger dans le cours des siècles, comme l'attestent les
monuments de notre histoire.
\\ était donc juste qu'après la solennelle réparation accomplie
dans l'église métropolitaine, le peuple chrétien vînt au tombeau
de sainte Geneviève donner un témoignage éclatant de la véné-
ration dont ce tombeau est toujours entouré et qu'une heure
d'oubli sacrilège n'a pu effacer.
Nous approuvons, monsieur le curé, le programme des céré-
monies que vous nous avez proposé pour le dimanche 3 décembre.
Nous présiderons nous-même les vêpres votives solennelles de
sainte Geneviève. La procession, dans laquelle seront portées
en triomphe les reliques qui ont pu échapper aux profanations
de la fin du siècle dernier, fera une station à son tombeau.
La bénédiction du Très Saint-Sacrement et la vénération des
saintes reîiquas termineront notre cérémonie de réparation.
En achevant cette journée, nous répéterons avec joie et con-
fiance la parole du psaume : Dieu est admirable dans ses saints,
Mirabilis Deus in sanctis suis.
Veuillez agréer, monsieur le curé, l'assurance de mon affec-
tueux dévouement en Notre-Scigneur.
-J- François, cardinal Richard.
Archevêque de Paris.
LES CHAMBRES 489
LES CHAMBRES
M. le marquis de l'Angle-Beaumanoir a commencé son iuter-,
pellaUoD, en affirmant sa volonté de ne porter aucune atteinte
au principe d'autorité dans l'armée. De sa part c'était su-
perflu. Il a demandé ensuite au gouvernement comment il
entendait, d'une manière générale, respecter et faire respecter
la liberté de conscience, et dans quelle mesure il prétendait se
soumettre aux obligations que lui imposent les stipulations du
Concordat.
On sait à quel propos la Dépêche de Toulouse avait dénoncé
deux soldats du 59' de ligne, coupables d'avoir servi la messe en
uniforme. Aussitôt la dénonciation, le colonel du 59^ de ligne
punissait les deux soldats de quinze jours de salle de police pour
ce fait déjà vieux de quatre jours. A cette époque, M. de
TAngle-Beaumanoir avait entretenu du fait le ministre de la
guerre, qui a déclaré « n'avoir aucune observation à faire sur
la mesure prise par le colonel du 59« de ligne à l'égard
d'hommes de son régiment qui, sans autorisation, ont servi la
messe en tenue, le 25 juin dernier, à Pamiers ».
Messieurs, a dit hier M. de l'Angle-Beaumanoir en développant
son interpellation, j'espère que l'on m'accordera qu'il en est du code
pénal militaire comme du code pénal civil, c'est-à-dire que, les délits
et les crimes y étant énumérés avec les peines qu'ils comportent, il
n'appartient à personne, pas plus aux chefs de corps qu'aux magis-
trats, d'en augmenter la nomenclature suivant leur bon plaisir.
C'est cependant à une improvisation de ce genre que s'est livré
M. le colonel du 59» de ligne.
Parmi les fautes militaires désignées dans le règlement sur le ser-
vice intérieur des troupes, on chercherait vainement l'acte de servir
la messe... (Interruption à gauche; à moins qu'il ne soit compris
sous la rubrique « contraventions aux ordres et règlements de po-
lice ■». Mais, dans ce cas, il faudrait savoir si une défense préalable
visant l'acte de servir la messe avait été édictée spécialement pour
le 59= régiment de ligne.
Donc, jusqu'à preuve contraire, le fait seul de servir la messe, dé-
pouillé de toute circonstance accessoire, n'est pas un délit militaire
et ne peut être puni comme tel.
Second grief : le port de l'uniforme.
Le dernier décret paru sur la matière et portant la date peu an-
490 ANNALES CATHOLIQUES
cienne du 20 octobre 1892 dispose « que la régularité de la tenue
pour tous, en toutes circonstances, que les militaires soient réunis
en troupe ou isolés, qu'ils soient dans le service ou hors de service,
a une importance capitale. Le colonel responsable de la tenue ne
peut, sous aucun prétexte, y rien changer ni tolérer qui soit con-
traire au règlement. « Donc, c'eût été le fait de servir la messe au-
trement qu'en uniforme qui eût été punissable.
Passons au troisième grief: la messe a été servie sans autorisation.
Mais, messieurs, au moment où ces deux hommes servaient la
messe, ils n'étaient pas de service ; on ne prétend pas qu'ils se soient
soustraient à un service militaire commandé pour aller à l'église
servir la messe.
M. le colonel du 59* n'avait donc ni à refuser ni à accorder de per-
mission, pas plus que les hommes n'avaient à lui en demander pour
cet objet.
Examinant enfin la nature de la punition, je rappellerai que la
salle de police ne peut être infligée que dans des cas déterminés qui
sont les suivants : « Manquement à l'appel du soir, mauvais propos,
désobéissance, querelle, ivresse », toutes conditions n'ayant, ni de
près ni de loin, aucun rapport avec le fait de servir la messe.
L'orateur reprend ensuite l'article du journal dénonciateur
de Toulouse, où il est dit « que les règlements militaires ne
comportent pas l'obligation de servir la messe », et il dément
l'assertion de la façon la plus piquante, en lui opposant la dis-
position suivante du décret de 1892 :
Toutes les fois qu'un soldat en reçoit l'ordre, il est tenu d'exercer
temporairement la profession qu'il exerçait avant son entrée au
service.
D'oii il suit que lesrèglements militaires pourraient dans cer-
tains cas, obliger un soldat-séminariste, comme ceux dont il
s'agit, à servir la messe. C'est d'ailleurs ainsi que cela se passe
dans la marine. Au camp de Châlons, c'étaient des soldats en
uniforme qui servaient la messe, à laquelle assistait toute l'ar-
mée. L'orateur a cité d'autres exemples de soldats servant la
messe, notamment le général de Sonis, de glorieuse mémoire, et
le général de Charette. A Lyon, il n'y a pas plus de trois se-
maines, a été célébrée, pour le repos de l'âme des soldats morts
pendant l'année, une messe servie par des soldats.
Voilà pour le point de vue militaire.
Au point de vue politique, comment interdire à un soldat de
servir la messe? L'article l*"" du Concordat dit en effet que la
religion catholique, apostolique et romaine, sera librement
exercée en France, et que son culte sera public.
LES CHAMBRES 491
Il faut, dit l'orateur, que le gouvernement nous dise comment il
entend concilier la liberté des catholiques avec les pénalités appliqués
arbitrairement à ceux qui exercent leurs droits.
A ce moment, se place l'incident Terrier, que nous reprodui-
sons textuellement ailleurs, afin de montrer à quel point un
ministre ose se moquer de la religion catholique, dans un Par-
lement français. La droite s'est montréjustement indignée, et la
gauche, au fond, très gênée de cette intervention scandaleuse
du ministre du commerce.
M. de l'Angle-Beaumanoir a continué en objectant la faveur
dont jouit la franc-maçonnerie, en regard de la religion catho-
lique. Depuis qu'il a été interdit aux militaires, par circulaire
confidentielle du 6 mars 1889, de fréquenter les loges maçonni-
ques, trois officiers en activité de service ont été nommés mem-
bres du conseil de l'ordre.
Après avoir rappelé la tolérance dont jouissent les Israélites
à l'armée, l'orateur a terminé ainsi :
Faut-il, messieurs, pour continuer ce pai'allèle, vous parler des
défenses faites, dans plusieurs villes, aux soldats-séminaristes ou
autres, de tenir les orgues dans les églises, de faire partie 'de cercles
fondés ou présidés par des ecclésiastiques; et en revanche, vous rap-
peler ces permissions de durée excessive et provocatrice laissant tant
déjeunes hommes oisifs sur le pavé des villes de garnison, jusqu'aux
heures avancées de la nuit, au détriment de leur santé, de la moralité,
de l'ordre public et du bien du service, ainsi que de la discipline et de
l'honneur.
Lorsque l'impossibilité d'appliquer la loi militaire actuelle, aussi
bien pendant la paix comme pendant la guerre, sera démontrée, et
que l'on aura abandonné l'idée chimérique de l'armement universel,
on se demandera comment on a pu faire accepter comme une néces-
sité, à un Parlement et à une nation, l'enrôlement de quelques mil-
liers de séminaristes d'abord, de prêtres ensuite. (Mouvements divers
à gauche.)
Mais avant ce jour, plus prochain peut-être que vous ne le pensez,
nous avons le devoir de les protéger contre toute aggravation d'une
épreuve si inutile et si dure, d'exiger pour eux non pas le minimum,
ce pitoyable minimum dont se déclarent rassasiés ceux que leur foi
chancelante dans un avenir réparateur a métamorphosés en soupi-
rants rebutés, en amoureux transis de la République actuelle. (Excla-
mations et rires à gauche. — Très bien ! â droite.)
Grâce à Dieu, messieurs, nous avons meilleur appétit ; nous récla-
mons le maximum de leur droit et des nôtres, et tout d'abord de
ceux que leur confère, comme à tous les catholiques, l'article l<='du
Concordat.
492 ANNALES CATHOLIQUES
M. le Ministre de la guerre répond :
Messieurs, l'autorité militaire s'est toujours attachée à laisser aux
hommes sous les drapeaux toute latitude pour accomplir avec une
entière liberté les pratiques de leur culte reconnu, quel qu'il soit,
dans la mesure compatible avec les nécessités du service et les exi-
gences de l'instruction. Nous sommes toujours dans les mêmes dis-
positions, et en ce qui concerne le culte catholique particulièrement,,
nous n'aurions garde d'y manquer, cette liberté étant garantie par
l'article l""" du Concordat.
Mais là, et pour plus d'une raison, doit se borner et se borne en
effet la tolérance. Aussi, toutes les fois qu'une pratique religieuse,
non imposée à tous les fidèles, peut, par suite, sembler de nature à
revêtir un caractère particulier ou l'apparence d'une manifestation,..
(Murmures à droite) — permettez ! je le ferai voir tout à l'heure — il
est de jurisprudence constante dans l'armée que l'autorisation doit
en être tout d'abord demandée à l'autorité militaire, (Très bien ! très
bien ! à gauche). Celle-ci peut alors examiner le cas et prendre la
décision qui convient, refusant ou accordant l'autorisation, sous la
condition toutefois de quitter l'uniforme.
Ainsi, un prêtre réserviste qui se trouve dans l'obligation de dire
la messe peut en obtenir l'autorisation, sous la condition de quitter
l'uniforme, ce qui, sans cela, pourrait paraître une profanation ou
tout au moins une inconvenance.
Il est, d'ailleurs, des prélats — et non des moins distingués — qui,
pour éviter à cet égard toute situation fausse, ont soin de ne conférer
l'ordination, dans leur diocèse, qu'aux jeunes gens qui, ayant atteint
l'âge de vingt-six ans, ont accompli le service militaire auquel il sont
astreints dans l'armée active ou dans la réserve.
Messieurs, les jeunes soldats punis à Pamiers pour avoir servi la
messe en uniforme et sans autorisation sont, dit-on, des séminaris-
tes. Je le veux bien, mais les séminaristes ne sont pas des prêtres.
Rien ne les autorise donc à des pratiques spéciales qui n'ont, du
reste, jamais été réclamées pour eux. En tous cas, ils ont été punis,
non pas tant pour le fait lui-même, malgré l'émotion à laquelle il
aurait pu donner lieu — et à laquelle, en effet, il a donné lieu —
que pour ne pas avoir demandé et obtenu l'autorisation. La punition
qui leur a été infligée par le colonel du 59^ m*a paru de nature à
maintenir chacun dans les limites de ses attributions. J'ai donc dû,
comme les autres chefs hiérarchiques, du reste, sous les ordres des-
quels se trouvaient ces séminaristes, approuver le colonel qui l'a pro-
noncée, otje dois avouer, messieurs, qu'à l'avenir, et a l'occasion, je
suis tout à fait résolu à agir absolument de même, (Très bien ! très
bien ! — Vive approbation à gauche.)
Quelqu'un s'est aussitôt chargé d'apprécier àsa juste valeur le
LES CHAMBRES 493
discours du ministre do la guerre. C'a été M. Fresneau. Dans un
langage des plus élevés et des plus éraus, l'éloquent sénateur a
déclaré au ministre de la guerre qu'il avait omis de traiter la
question sous son véritable jour. Adversaire de la loi militaire,
comme tout catholique doit l'être, l'orateur réclame le droit
tout entier, n'acceptant ni ménagement ni modération, mais il
n'en est pas moins surpris de voir le ministre de la guerre se
mettre en contradiction avec la déclaration ministérielle qui
donne les droits de l'homme comme base de la politique du gou -
vernement.
Ce qu'il fallait nous démontrer, monsieur le ministre de la guerre»
continue l'orateur, c'est que vous aviez vu autre chose que le parfait
exercice du culte dans le fait que votre subordonné s'est permis de
flétrir et de punir si rigoureusement.
Je crois, en vérité, que puisqu'on fait des prêtres des soldats, on
sera aussi obligé de faire des soldats quelque chose comnae des prêtres
et de décider que les premiers devront recevoir quelque teinture du
droit public qui apprend à respecter le Concordat.
Je me permets également de vous rappeler que la théologie catholi-
que enseigne que servir la messe n'est pas une fonction sacerdotale
et n'a rien qui ressemble à un pontificat. Le catholique qui va à la
messe peut participer d'une manière bien autrement intime au service
divin qu'en servant la messe. La manifestation |qui consisterait à
s'asseoir à ce que nous appelons la sainte table, celle que bien des sol-
dats ont faite pendant la Commune — dont le souvenir vous est si
désagréable — en venant s'agenouiller au nombre de vingt, trente,
quarante sous un arbre pour se confesser et mettre leur conscience
en paix avec Dieu, ne sont-elles pas des manifestations absolument
légitime-j et que vous]ae pourriez certainement atteindre.
J'affirme donc que dans la circonstance présente vous avez non
seulement violé les droits du citoyen libre, mais que vous avez laissé
violer à la fois et la Constitution, qui n'a pas été modifiée par la déci-
sion que je rappelais tout à l'heure et qui a laissé tous les citoyens
libres de professer leur religion comme ils l'entendent, et le Concor-
dat, parce que, si vous vouliez le lire en entier, vous y verriez que
les chefs de l'Etat sont obligés de faire profession de la religion catho-
lique, apostolique et romaine.
Sans vous en demander tant, laissez au moins les Français obéir
au Concordat, puisque c'est encore, dans le droit public, une chose
que vous devez respecter.
Après le discours de M. Fresneau, très applaudi par la
droite, il/, le marquis de V Angle-Beaumanoir a. déposé l'ordre
du jour suivant :
494 ANNALES CATHOLIQUKS
Le Sénat, reconaaissant avec M. le Miaistre de la guerre que le
gouvernement doit assurer la liberté du culte catholique dans les con-
ditions stipulées par l'article l""' du Concordat, passe à Tordre du
jour.
Plusieurs sénateurs de gauche ont demandé l'ordre !du jour
pur et simple, qui, accepté par le gouvernement, a été voté à
mains levées.
C'était à prévoir.
Voici, d'après le Journal officiel, l'incident occasionné au
cours de l'interpellation de M. de l'Angle-Beaumanoir par la
fâcheuse intervention de M. le ministre du commerce :
Nous n'entendons émettre aucune plainte par les Français prati-
quant les autres cultes : ni les protestants des différentes confessions,
ni les Israélites, ni les musulmans, ne sont inquiétés. Je ne m'en plains
pas, au contraire, car je suis partisan sincère de la liberté des cultes;
mais je les envie, j'en suis jaloux, car tous les soins, toutes les fa-
veurs, je dirais volontiers toutes les coquetteries du pouvoir actuel
sont pour eux.
M. le ministre de l'instruction publique et des cultes. — Pour qui?
M. le marquis de l'Angle-Beaumanoir. — Pour les protestants,
pour les Israélites, pour les mahométans et pour tous les fidèles des
cultes autres que le culte catholique.
M. Le Breton. — Et même pour les bouddhistes?
M. le ministre de l'instruction puljlique. — C'est une affirmation
contre laquelle le gouvernement s'élève avec la plus grande énergie.
M. le marquis de l'Angle-Beaumanoir. — On fait ce qu'on peut.
M. le ministre de l'instructioa publique. — Et l'on dit ce que l'on
peut.
M. le marquis de l'Angle-Beaumanoir. — Et ce que l'on veut.
Je dis donc que je ne me plains pas des faveurs accordées aux
cultes non catholiques.
M. Terrier, ministre du commerce et des colonies. — Il n'y a
aucune faveur.
M. le marquis de l'Angle-Beaumanoir. — Monsieur le ministre du
commerce, il me semble que nous ne parlons pas commerce en ce
moment.
iM. le ministre du commerce. — Je jne sais pas jusqu'à quel point
il n'est pas question de commerce (Bruit à droite.)
M. le marquis de l'Angle-Beaumanoir. — Qu'est-ce qui serait un
commerce, monsieur le ministre ?
M. le ministre du commerce. — Les religions. (Vives protestations
à droite.)
M. le marquis de l'Angle-Beaumanoir. — Messieurs, je prends acte
LES CHAMBRES 495
de l'interruptioa et je suis très heureux qu'elle figure au Journal
officiel.
dinnibi>e «les Députés.
Jeudi 23 et samedi 24, la Chambre a continué à discuter l'in-
terpellation Jaurès. On entend plusieurs orateurs, MM. Goblet,
Deschanel, Lockroy, Dupuy qu'on applaudit avec enthousiasme
puis se produit tout àcoup l'incident qui amène la chute du ca-
binet.
M. Pelletan demande la parole.
On renonce alors à demander la clôture, pour voir donner
quelques coups de boutoir aux ministres avant de leur voter un
bel ordre du jour. Mais c'est tout autre chose qu'un discours
qu'apporte le député radical.
M. Pelletan. — Avant de prendre la parole dans cette interpella-
tion,jevoudi-ais savoirs'il y a encoreune interpellation. (Mouvement.)
Pour une interpellation il faut deux choses: des membres du Par-
lement qui interpellent et un ministère interpellé.
Le ministère existe-t-il encore? (.applaudissements à gauche.)
M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous Rommes là.
M. Pelletan. — Une important»^ partie du ministère n'est-elle pas
démissionnaire? (Oui ! oui! â gauche.)
M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous pouvez en toute confiance
continuer votre interpellation: le cabinet est au complet devant vous.
(Mouvements divers.)
M. Pelletan. — Tout le monde comprend qu'il faut ici que les ex-
plications soient très nettes et les situations très claires. (Très bien !
très bien! à gauche.)
Etes-vous autorisé par tous vos collègues, monsieur le président
du conseil, à nous faire cette déclaration?
M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — -Te ne réponds pas â une question
comme celle-là. (Réclamations à gauche.) Elle n'est pas dans votre
droit, et il serait indigne de moi d'y répondre. (Mouvements divers.)
M. Pelletan. — Je ne veux soulever ici aucune passion, et il n'y
avait rien de blessant pour vous dans les motifs qui ont inspiré ma
question.
J'ai appris tout à l'heure de la bouche d'un ministre, qu'une partie
du ministère était démissionnaire.
Si les choses ont changé depuis, permettez-moi de vous féliciter de
votre force de persuasion, mais la situation nouvelle ne date certai-
nement que de quelques minutes. (Bruit.)
M. Ouvré. — Je demande à dir^^ un mot de ma place, «i M. Pelletan
le permet.
M. Pelletan. — Très volontiers.
496 ANNALES CATHOLIQUES
Grand tumulte, M. Casimir Périer veut imposer silence à
M. Ouvré; mais la Chambre, curieuse, impatiente, exige qu'il
parle.
M. OcvRÉ. — Je demande à M. Peytral s'il est vrai qu'il m'a déclaré
tout à l'heure que sa démissiou était signée.
M. Brisson. — J'ajoute mon témoignage à ceux de MM. Pelletanet
Ouvré. Il n'y a pas cinq minutes qu'un ministre m'a déclaré qu'il
était démissionnaire. (Bruit prolongé.)
M. Pelletan. Après la scène qui vient de se passer, j'attendrai,
pour discuter la politique du gouvernement, que le gouvernement
ait mis d'accord ses actes avec ses paroles. Je ne sais pas s'il y a un
gouvernement devant nous, et je descends de la tribune.
Les interpellateurs déclarent alors, qu'en l'absence du cabi-
net complet, ils retirent leur interpellation.
Les ministres n'ont plus qu'à se retirer eux aussi, ce qu'il
font aussitôt.
Le ministère est renversé.
CHROiNIQUE DE LA SEMAINE
L'effondrement du Cabinet. — Le colonel Archinard. — Syndicats. — La
liberté de conscience à l'armée. — Attentat anarchiste.
30 novembre 1893.
Le ministère s'est effondré. C'est le seul mot qui rende d'une
façon exacte le sentiment que fait éprouver au public la chute
du ministère Dupuy. Les oraisons funèbres des journaux qui
accompagnent ordinairement la disparition des cabinets sont
remplacés cette fois par une série d'épigrammes dédaigneuses.
Mais comment cette démission s'est-elle produite d'une façon
si étrange, car, de mémoire de parlementaire, elle n'a pas d'é-
quivalent? L'élément radical était représenté dans le cabinet
par MM. Pejtral, Viette et Terrier. Après les élections géné-
rales, la majorité de la Chambre semblait réclamer un minis-
tère dont l'élément radical dût être absent, le radicalisme ayant
subi au scrutin du 20 août un échec indéniable. M. Dupuy le
comprenait et aurait voulu se présenter à la rentrée avec des
collègues nouveaux représentant l'élément modéré. M. Carnot, !
paraît-il, h y opposa et M. Dupuy s'inclina devant la volonté du |
chef de l'Etat. j
Par trois ou quatro foi-, depuis cette époque, la nouvelle fut
CHRONIQUE 1>K LA SKMAINK 497
donné du départ prochain (le quelques membres du cabinet. A
chaque retraite annoncée, des pourparlers étaient en^^açés qui
assuraient le maintien aux affaires de tel ou tel ministre. Cette
situation ne pouvait toutefois se prolonger indéfiniment. Le
dernier acte de la petite comédie ministérielle, répétée avec
soin depuis plusieurs semaines, vient de provoquer ce qu'en ma-
tière théâtrale on appelle un vaste four.
Au conseil des ministres — samedi matin — il avait été con-
venu que, devant l'accueil peu sympathique fait à MM. Peytral,
Viette et Terrier, ces trois messieurs abandonneraient leurs
places gouvernementales. Faut-il assez peu connaître le cœur
humain pour supposer que trois ministres en fonctions allaient
consentir à s'en aller sans un mouvement de mauvaise humeur!
Au cours du même conseil, la retraite de ce trio ministériel
arrêtée, il fut décidé que le secret serait bien gardé et que les
trois remerciés ne souffleraient mot à personne de la décision
prise. Inutile de dire qu'en arrivant au Palais-Bourbon tout le
monde connaissait la nouvelle. Le coup de théâtre qui s'est
produit vers la fin de la journée n'étonna personne, mais il eut
pour conséquence la crise totale, la démission collective du ca-
binet.
Cependant M. Dupuy avait bien combiné son plan. Il se sépa-
rait de trois collègues, mais les remplaçait aussitôt, de façon à
ce que le Journal Officiel de dimanche publiât la composition
du nouveau cabinet. Mais M. Dupuy comptait sans l'imprévu, et
l'imprévu a été la démission collective du cabinet. Voici quelle
«tait la combinaison :
On rempla(;!ait tout d'abord MM. Peytral, Terrier et Viette;
on allait peut-être jusqu'à donner des successeurs à MM. Gué-
rin, le général Loizillon et l'amiral Rieunier. Rien ne prouvait
que M. Develle dut être conservé I II restait donc comme base
au nouveau cabinet MM. Dupuy, Viger et Poincaré. Parmi les
nouveaux titulaires de portefeuiles oi: citait MM. Burdeau,Ray-
nal, Etienne, Paul Deschanel, Barthou, Félix Faure, Jonnart.
Mais cet excellent ministère était mort avant de naître, et si la
plupart des candidats réunissent toutes les qualités désirables,
il n'en est pas moins certain qu'il leur faudra attendre qu'on
ait trouvé un chef de gouvernement. Quel sera-t-il? Personne
n'en veut.
Les instances de M. Carnot n'ont pu décider M. Casimir-Pé-
rier, à accepter le pouvoir, M. Raynal refuse, M. Develle se
36
498 ANNALKS CAtHOLiQUES
récuse, on parle aujourd'hui de M. SpuUer, mais rien n'est
encore fait.
Le gâchis, voilà où nous en sommes. L'homme politique qui,
au lendemain du triomphe des candidats officiels et de l'effrite-
ment de l'opposition, s'écriait : « L'ère des difficultés com-
mence! > avait une noiion exacte de la situation. Il n'aurait
jamais pensé cependant, et personne d'ailleurs, pas plus que lui,
que ces difficultés surgiraient, dés les premières séances, par le
fait du cabinet lui-même, et que le premier embarras causé au
gouvernement viendrait du suicide imprévu du ministère.
Sous le régime actuel, il faut toujours s'attendre à cet im-
prévu ; ce qui s'est passé samedi le prouve bien, et nous ne
sommes qu'au début de la législature !
Que nous réserve-t-elle ?
Avant de mourir, le cabinet a tenu à nous donner un dernier
échantillon de son savoir-faire. Nous avons donc vu la semaine
dernière à notre grand étonnement, paraître un décret qui, don-
nant le Soudan pour pacifié, a transformé le gouvernement
militaire de ce pays en gouvernement civil. Notre étonnement
était si bien fondé que le colonel Archinard, qui doit connaître
la question, en avait éprouvé autantquelques heures auparavant,,
ainsi qu'il résulte de la lettre qu'il avait adressée la veille au
sous-secrétaire d'Etat des colonies, en apprenant, par la * Der-
nière heure » des journaux du soir que son gouvernement lui-
avait été retiré. Le vaillant officier qui, à si peu de frais, nous
a conquis, ou plutôt nous a jalonné la conquête de ce gros mor--
ceau de l'Afrique, s'exprime en termes prouvant que l'on ne sait
pas au juste, au sous-secrétariat, à quoi s'en tenir sur cette pa-
cification :
Les journaux du soir, écrit le colonel, m'apprennent que je suis
relevé de mes fonctions, avant qu'il m'ait été possible de vous re-
mettre mon rapport de fin de campagne relatif à l'administration,
aux conventions avec les chefs noirs, et à notre situation politique
et militaire au Soudan.
Je suis heureux, en quittant mes fonctions, de me rappeler qu'à
ma dernière entrevueavec vous, vousjm'avez fait l'honneur d'approuver
sans restriction ma conduite, et que vous avez môme eu la bonté
d'ajouter que vous comptiez toujours sur moi. .
Ce billet s'est croisé avec une lettre de M. Delcassé. La voici
intégralement :
CHRONIQUE DK LA SEMAINE 499
Mon cher colonel,
Le gouvernement a jugô que le moment était venu de modifier le
régime exclusivement militaire sous lequel le Soudan a été placé
jusqu'à ce jour.
En vous informant de cette décision, je suis heureux de vous
exprimer notre gratitude pour vos brillants et solides services ; grâce
à vos prédécesseurs, grâce à vous et à vos vaillantes troupes, notre
conquête est désormais à l'abri de toute attaque sérieuse et nous
pouvons, avec une complète liberté d'esprit, appliquer nos soins à la
mettre en valeur.
Comme témoignage de ma satisfaction, je vous nomme comman-
deur du Dragon de l'Annam.
Croyez-moi, mon cher colonel, votre bien dévoué.
Delcassé.
Le colonel Archinard y a répliqué par un accusé de réception
écrit avec de l'axcellente encre, comme on va le voir:
Monsieur le sous-secrétaire d'Etat,
J'ai l'honneur de vous accuser réception de la lettre dans laquelle
vous avez bien voulu me dire que le gouvernement m'exprimait sa
gratitude pour mes « brillants et solides services » au Soudan.
Cette déclaration me pénètre de reconnaissance.
Quanta la croix de commandeur du Dragon vert de l'Annam que
vous voulez bien m'accorder comme témoignage de satisfaction, je
vous serais reconnaissant, s'il m'est permis d'exprimer un désir, de
vouloir bien la donner à M. le capitaine Mahmadou Racine, pour
lequel je l'ai demandée.
Cette distinction, à laquelle je n'attache personnellement aucun
prix, ferait certainement grand plaisir à ce brave et loyal serviteur
indigène du Soudan.
Veuillez agréer, etc. L. Arciuxard.
Décidément le brillant officier qui a su renouveler au Soudan
des prouesses que l'on croyait incompatibles avec l'attirail mi-
litaire moderne, est aussi tranchant avec la plume qu'avec l'épée.
Mais, que peuser d'un cabinet qui remplace un officier de ce
mérite, sans même daigner l'en informer au préalable?
Des poursuites sont dirigées en ce moment, par le parquet de
Montluçon, contre un certain nombre de syndicats ouvriers du
département, notamment ceux des mineurs et métallurgistes de
Montluçon, Commentry, Bénezet, Monvicq, Doyet, Durdat-La-
requille, qui constituent « l'agglomération des travailleurs socia-
500 ANNALES CATHOLIQUES
listes de l'Allier ». Parmi les personnes poursuivies, on cite
M. Thivrier, député, et plusieurs maires. La prévention reproche
aux syndicats incriminés de s'occuper de politique, de faire de
la propagande électorale et d'employer une partie de leurs res-
sources à subventionner un journal, qui est un organe avoué du
collectivisme révolutionnaire.
Nous me pouvons qu'approuver le gouvernement de le faire
rentrer énergiquement dans la légalité et dans le principe de
leur institution les syndicats qui s'en écartent. Personne n'est
plus sympathique que nous au développement régulier des
syndicats professionnels.
Mais, pour qu'ils répondent au véritable esprit de leur créa-
tion, il faut, à tout prix, les empêcher de devenir, entre les
mains de quelques politiciens ambitieux et brouillons, de véri-
tables clubs révolutionnaires, préparant, dans l'ombre, quelque
vaste bouleversement social. Ils ne sont créés que pour s'occuper
des intérêts professionnels des ouvriers qui en font partie. Sous
aucun rapport, on ne peut tolérer qu'ils se mêlent à la politique
générale et aux luttes des partis. La poursuite dirigée par le
parquet de Montluçon a pour but de faire consacrer et respecter
ce principe. Puisque tant de syndicats persistent à se mettre
ainsi au-dessus de la loi, il faut bien les ramener au sentiment
exact de leurs droits et de leurs devoirs et demander à la j ustice
pénale d'en réprimer les écarts.
M. Goblet, se comparant samedi aux ministres qu'il attaquait
rappelait avec une certaine complaisance qu'on ne peut pas lui
reprocher d'avoir jamais parlé en termes inconvenants de
l'Eglise et de la religion.
C'est vrai, M. Goblet, poursuit la séparation de l'Eglise et de
l'Etat; quand il est au pouvoir, il fusille volontiers les femmes
catholiques ; mais il s'exprime toujours en homme bien élevé.
M. Terrier n'en a pas fait autant devant le Sénat : et la pu-
nition n'a pas tardé; cet homme d'Etat par trop fantaisiste,
cryptogararae surgi soudain sur un dossier de la gabelle, et de
rat-de-cave bombardé ministre, a quitté maintenant le Ministère
du commerce pour le Café du commerce. A sa vraie place, entre
deux manilles, il pourra vanter à loisir aux commis-voyageurs
de passage sa prodigieuse invention d'un impôt « proportionnel
à la base et progressif dans les chiffres ».
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 501
La question soulevée par M. de rAngle-Beaumanoir, et dont
notre collaborateur Jacques Breton a dit hier deux mots, ne
doit pas être éludée par les facéties du député d'Eure-et-Loir ni
étouflee parles mésaventures du cabinet Dupuy. M. de l'Angle-
Beaumanoir a formulé deux griefs, l'un général, l'autre par-
ticulier.
Le grief général, c'est que la religion catholique, professée
par l'immense majorité des citoyens, est dans une situation de
fait très inférieure à celle des religions pratiquées en France
par des minorités infîmes. Alors que les protestants, les Israéli-
tes, les musulmans, les boudhistes et les fétichistes jouissent de
toutes les faveurs et de tous les privilèges, trente-six millions
de catholiques n'ont droit qu'aux vexations et aux persécutions.
D'une seule voix les ministres présents au Luxembourg se
«se sont élevés avec la plus grande énergie contre cette alléga-
tion ». Mais les faits la confirment. Lisez le budget : Vous j
trouverez des Facultés de théologie protestantes entretenues
aux frais des contribuables et point de Facultés de théologie
catholiques ; donc, la religion protestante est regardée comme
la religion officielle et la religion catholique comme une religion
dissidente, tolérée.
Tous les financiers Israélites qui peuvent donner à chasser
aux membres du gouvernement dans les forêts nationales sont
autorisés à ouvrir dans leur châteaux des chapelles de leur
culte. Mais d'un bout de la France à l'autre, les chapelles ca-
tholiques sont fermées par les gendarmes, scellées par les ma-
gistrats; M. Goblet, si courtois, a fait évacuer celle de Château-
villain à coups de revolver.
Sur ces exemples, il est difficile d'admettre que les cultes
égaux en droit devant la loi, sont égaux en fait devant le gou-
vernement. L'égalité paraîtrait encore douteuse si l'on envisa-
geait le côté politique de la question, — si l'on comptait qu'il y
a quelquefois dans le ministère six membres protestants sur dix
— si l'on considérait que cinquante départements environ sont
administrés par des préfets Israélites et donnent au pays l'aspect
d'une conquête gouvernée par les proconsuls de la race victo-
rieuse.
Le giief particulier produit par ^l. de TAngle-Beaumanoir,
c'est la punition infligée à deux soldats par leur colonel, sur la
sommation d'un journal radical pour avoir servi la messe en
uniforme. La réponse du ministre de la guerre était eiu[)reinte
502 ANNALES CATHOLIQUES
de quelque hésitation ; M. le général Loizillon a dit exactement
ceci :
« Toutes les fois qu'une pratiqne religieuse non imposée à
« tous les fidèles peut, par suite, sembler de nature à revêtir un
« caractère particulier ou l'apparence d'une manifestation, il est
« de jurisprudence constante dans l'armée que l'autorisation doit
« être tout d'abord demandée à l'autorité militaire. Celle-ci peut
« examiner le cas et prendre la décision qui convient, refusant
« ou accordant l'autorisation sous la condition parfois de quitter
« l'uniforme. »
Ce langage n'est pas d'une netteté militaire il est même trcs
embrouillé. Mais le fait est très clair, lui.
Deux soldats ont été punis pour avoir servi la messe en uni-
forme. S'ils avaient ôté l'uniforme ils auraient été punis tout
autant. C'est-à-dire que les soldats ne peuvent en aucun cas
servir la messe.
A l'époque des fêtes Israélites, qui ne concordent pas avec les
fêtes légales, des permissions de huit jours sont distribuées aux
soldats de cette religion. Non seulement les soldats catholiques
n'ont point de permissions, mais à leurs heures de liberté, ils ne
peuvent impunément pratiquer leur culte.
Les hommes qui ont l'honneur de porter l'uniforme doivent
le respecter. Il leur est défendu de le montrer aux cérémonies
catholiques : mais il leur est tout à fait permis de le traîner
dans les bouges, dans les lieux ignobles où règne — il faut bien
le croire — leur esprit républicain. [Soleil.)
Un engin explosif a été expédié d'Orléans à l'adresse du chan-
celier de Caprivi. La boîte a été reçue par le major Ebmeyer.
Elle avait 0"',06 de hauteur et 0'",18 de largeur.
Elle avait été expédiée d'Orléans à titre d'échantillon, conte-
nant des graines de radis d'une espèce étonnante, ce qui fait
supposer que l'expéditeur était au courant des habitudes du
chancelier, qui est grand amateur de jardinage et s'occupe per-
sonnellement des légumes de son potager. La lettre qui accom-
pagnait l'envoi faisait l'éloge des radis. Le major Ebmeyer, en
essayant d'ouvrir la boîte avec un couteau, rencontra de la
résistance. En même temps, par les interstices, s'échappaient
des grains de poudre.
La machine infernale, ouverte à la préfecture de police, étaiw
CHKONIQUE DE LA SEMAINE 503
formé d'un détonateur comprimé au moyen de bandes de caout-
chouc. L'ouverture de la boîte aurait déterminé l'explosion
d'une cartouche de nitroglycérine. Le chancelier, d'accord avec
les ministres, résolut tout d'abord de garder l'affaire secrète.
C'est l'empereur qui se prononça pour la publicité.
Les journaux expriment leur indignation au sujet de l'attentat
dirigé contre M. de Caprivi, qu'ils considèrent comme étant de
même nature que le crime de Ravachol, de Pallas et que celui
do Barcelone. Ils se félicitent de l'heureux hasard qui a prévenu
une catastrophe. Seul, le Tagehlatt exploite l'incident contre la
France. Ce journal dit qu'il « est navrant que, vingt-deux ans
après le traité de Francfort, la haine aveugle d'un Français se
porte sur un homme d'Etat absolument étranger aux malheurs
que la France s'est attirés par sa frivole déclaration de guerre
en 1870. Les honnêtes gens de tous pays devraient cependant
condamner unanimement un pareil forfait ». Ce journal a parlé
trop vile, car dès maintenant il semble certain que l'envoi a été
fait par un Allemand.
L'ambassadeur de France a exprimé au chancelier ses regrets
pour la tentative crinîinelle dirigée contre lui. La lettre envoyée
d'Orléans était adressée au « général grand chancelier de Ca-
privi, chancelier d'Allemagne ». Elle était écrite en mauvais
français et rédigée sous la forme d'une offre commerciale. La
Gazette de V Allemagne du Nord, journal de la chancellerie,
en publiera le texte.
DERNIERE HEURE. — M. SpuUer a déclaré à M. Carnet
qu'il acceptait la mission de former le cabinet et qu'il avait
l'adhésion formelle de M. Raynal et de M. Burdeau. Il a en-
suite indiqué les noms de plusieurs titulaires pressentis ou dési-
gnés pour les autres portefeuilles.
h' Agence Havas nous communique la note suivante :
« M. Carnot a reçu hier soir M. Spuller à onze heures.
« M. Spuller a informé le président de la République qu'il
acceptait la mission de former le cabinet et qu'il s'était assuré
le concours de M. Raynal pour le portefeuille de l'intérieur et
celui de M. Burdeau pour le portefeuille des finances.
« Il continuera demain ses démarches. »
Nous pouvons ajouter qu'à l'issue de la conférence avec M.
Carnot, M. Spuller a eu un entretien avec MM. Raynal et Bur-
504 ANNALES CATHOLIQUES
deau. M. Spuller n'a pris encore aucune décision personnelle.
Tra-t-il aux affaires étrangères, à la justice ou à l'instruction
publique?
En tout cas, voici la liste, sous la réserve des modifications et
additions possibles :
Présidence du conseil. . SPULLER
Intérieur RAYNAL
Finances BURDEAU
Affaires étrangères. . . X...
Justice X...
Travaux publics .... ETIENNE ou F. FAURE
Commerce JONNART
Agriculture VIGIER ou de KERJÉGU
Guerre Général MERCIER ou
général FERRON
Marine Amiral LAFONT
Sous-secrétariat des co-
lonies DELCA^SÉ.
On dit que le ministre des affaires étrangères, si M. Spuller
no prend pas le portefeuille et va à l'instruction publique, se-
rait un sénateur... et qu'un autre sénateur aurait le portefeuille
de la justice.
UNE CONQUETE
Après avoir trop longtemps subi le joug des sectes, la France com
mence à se ressaisir. C'est ainsi que les Catholiques, par le Diction-
naire des Dictionnaires, ont enfin repris le domaine encyclopédique
usurpé depuis plus d'un siècle par la Franc-Maçonnerie et la Libre
Pensée, et y ont planté la crois. Il importe d'affermir et d'étendre
cette précieuse conquête. Quiconque a souci de rintérêt familial,
social, religieux, conservateur, voudra participer à cette croisade,
qui a pour cri : Foi et Science, Dieu et Patrie. D'ailleurs, il s'agit
d'une œuvre aujourd'hui indispensable, d'une utilité quotidienne ; et
l'on pout encore en souscrivant de suite, se la procurer dans des
conditions exceptionnelles. On trouvera plus loin ces conditions avec
le bulletin de souscription.
Le gérant : P. Chantrel.
Pans. — Imp. G. Picquoin, 53, rue de Lille.
ANN4LES CATHOLIQUES
LETTRE ENCYCLIQUE DE SA SAINTETE LEON XIU
PAPE PAR LA DIVINE PROVIDENCE
Aux Patriarches, Primats, Archevêques et à tous
les Évoques du monde catholique ayant Grâce et
Communion avec le Siège Apostolique.
' r r
liBS Etudes d'Eeritare sainte.
A nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats,
Archevêques et Evêques du Monde catholique, ayant
Grâce et Communion avec le Siège Apostolique.
LÉON XIII, PAPE
Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.
Le Dieu de toute Providence qui, dans un admirable
dessein de charité, a élevé, au commencement, le genre
humain à la participation de la nature divine et, ensuite,
après l'avoir tiré de la faute commune et de la chute, l'a
rétabli dans sa première dignité, lui a donné en consé-
quence un secours particulier pour lui découvrir les secrets
de sa divinité, de sa sagesse et de sa miséricorde par une
voie surnaturelle. Car, bien qu'il y ait dans la divine révé-
lation des choses qui ne sont pas inaccessibles à la raison
humaine, elles ont été néanmoins révélées aux hommes de
telle sorte qu'elles pussent être connues par tous faci-
leraent, en toute certitude, et sans aucun mélange d'er,-
reur, sans que pour cela la révélation doive être abso-
lument nécessaire, mais parce que Dieu, dans son infinie
bonté, a ordonné V homme pour une (in surnaturelle (1).
Cette révélation surnaturelle, d'après la foi de V Eglise
universelle, est contenue tatit dans les traditions non
écrites que dans les livres écrits, qui sont appelés sacrés
(1) Conc. Vat. sess. m, cap. ii dg revel.
LxxxTi — 9 Dkcembrb 1893. 37
506 ANNALES CATHOLIQUES
et canoniques, de ce que, ayant été écrits sous Vinspira-
tion du Saint-Esprit, ils ont Dieu pour auteur^ et ont
été transmis comme tels à l'Eglise elle-même (1). C'est
ce que l'Eglise a toujours tenu et professé publiquement au
sujetdes livres de l'un et l'autre Testament; et ils sont bien
connus les graves témoignages des anciens, où il est dit que
Dieu, ayant parlé d'abord par les prophètes, ensuite par
lui-même, puis par les apôtres, a composé aussi la sainte
Ecriture dite canonique (2), laquelle contient les oracles et
les discours divins, et forme les lettres adressées par le
Père céleste au genre humain, en marche loin de Ja patrie,
et transmises parles auteurs sacrés (3).
Dès lors, comme telle est l'excellence et la dignité des
Ecritures, que composées par Dieu lui-même, elles con-
tiennent ses mystères, ses desseins, ses ouvrages les plus
augustes, il s'ensuit que cette partie de la théologie sacrée
qui a pour objet la défense et l'interprétation des Livres
Divins est'de la plus grande importance et utilité.
Pour Nous donc, qui Nous sommes efforcé déjà, non sans
succès, avec l'aide de Dieu, dans de nombreuses lettres et
allocutions, de faire progresser plusieurs autres genres
d'études, ceux qui nous paraissaient importerie plus à l'ac-
croissement de la gloire de Dieu et du salut du monde. Nous
songions aussi depuis longtemps à promouvoir et à encou-
rager cette noble étude des Saintes Lettres et à lui donner
une direction mieux appropriée aux. nécessités du temps.
' Nous sommes engagé, en effet, et presque poussé parle
souci de Notre charge apostolique, non seulement à vouloir
■que cette source insigne de la révélation catholique s'ouvre
plus sûrement et plus abondamment pour l'utilité du trou-
peau du Seigneur, mais aussi à ne pas permettre qu'elle soit
violée dans aucune de ses parties, ni par ceux qui attaquent
ouvertement dans leur audace impie la Sainte Ecriture, ni
par ceux qui fallacieusement ou témérairement cherchent à
y introduire des nouveautés.
(l)CoDc. Vat. 5<?S5. m, cap. n de revel.
(2i S. Aug. de etc. Dei, xl, 3.
{■Aj S. CU'Mi. l{(jm. I ;.fl Cor. 45; S. Polycarp. ad Phil. 7; S. Ircn.
c. hœr. Il, 28, 2.
MÎTTUE KNCYCLIQUK DE S. S. LÉON XIH 507
Nous n'ignorons pas. Vénérables Frères, qu'il y a beau-
coup de catholiques, éminents par l'esprit et le savoir, qui
s'emploient avec ardeur à la défense ou au progrés &e la
connaissance et de l'intelligence des divins Livres. Mais, en
louant justement leur zèle et les fruits de leur travail. Nous
no pouvons Nous dispenser d'exhorter vivement d'autres
qui, par leurs talents, leur savoir, leur piété, promettent
également de réussir en ce genre, à se proposer aussi un si
noble objet d'études. Nous désirons et Nous souhaitons
vivement, en effet, que le plus grand nombre possible
d'entre eux embrassent convenablement et soutiennent avec
constance la cause des Lettres sacrées, et que ceux surtout
que la divine grâce a appelés dans les ordres sacrés, s'adon-
nent de plus en plus, comme il convient, avec un redouble-
ment de zèle et d'application, à la lecture, à la méditation,
des saints Livres. ■ ■
Or, cette étudedoitétre vivement recommandée, non pas
uniquement à cause de l'excellence de la parole' de Dieu et
de Tobéissance qui lui est due, mais aussi parce qu'elle ren-
ferme des avantages de diverses sortes, avantages que Nous
savons devoir tirer d'elle puisque le Saint-Esprit nous en a
donné la plus formelle assurance :
Toute écriture inspirée de Dieu est utile pour ensei-
gner, pour raisonner^ pour reprendre, pour instruire
dans la justice, afin que l'homme de Dieu soit parfait et
préparé pour toute œuvre de bien (1).
C'est dans ce but que les Ecritures ont été données aux
hommes : les exemples de Notre-Seigneur Jésus-Christ et des
Apôtres le démontrent. Celui-là même, en effet, qui « acquit
l'autorité par les miracles, par l'autorité mérita la foi, par la
foi entraîna la multitude » (2), a coutume d'en appeler aux
Saintes Ecritures dans Y accoyivplissement de sa mission
(1) « Omnis scriptura divinitus inspirata, utilis est ad docendum,
ad arguendum, ad corripiendum, ad erudiondam itt'justitia, ut per-
fectus sit homo Dei, ad omae opus bonum instructus. »
(-) S. Chrys. in Gen. hom.'i, 2; S. Aug.; in Ps. \\\, serm. 2, 1 ;
S. Greg. M .ad Theod.ep. iv, 31.
508 ANNALES CATHOLIQUES
divine : car, en toute occasion, c'est par elles qu'il se dé-
clare Dieu et envoyé de Dieu, c'est à elles qu'il emprunte
les enseignements destinés à instruire ses disciples et à les
confirmer dans la doctrine ; Il relève leur témoignage pour
le venger des calomnies des détracteurs, pour l'opposer aux
Sadducéens et aux Pharisiens afin de les confondre, pour le
retourner contre Satan lui-même qui a l'impudence de le
tenter. C'est encore elles qu'il s'approprie à la fin de sa vie,
et qu'il explique aux disciples après sa résurrection jusqu'à
ce qu'il monte dans la gloire de son Père,
Or les apôtres, bien qu'instruits par sa parole et par
ses préceptes, bien qu'il leur promît que des prodiges et
des miracles s'accompliraient par leurs mains (7), utili-
sèrent cependant les Saintes Ecritures avec grande effica-
cité, soit pour persuader aux nations d'accepter la foi chré-
tienne, soit pour briser l'obstination des Juifs, soit pour
réprimer les hérésies qui surgissaient.
C'est ce qui ressort de leurs discours, particulièrement de
ceux de saint Pierre, où les preuves les plus fortes de la loi
nouvelle sont appuyées par des paroles de l'Ancien Testa-
ment. Le même fait ressort encore des Evangiles de saint
Mathieu et de saint Jean, comme des Epîtres appelées ca-
tholiques, et d'une façon plus évidente encore du témoignage
de celui qui« se glorifie d'avoir appris la loi de Moïse et les
prophètes aux pieds de Gamaliel, en sorte qu'armé des traits
spirituels, il pouvait dire plus tard : Nos armes dans le
combat ne sont pas des armes ckarnelles inais la puis-
sance de Dieu (2) »
. Ainsi.donc les exemples de Notre-Seigneur Jésus-Christ
et des ^.pôtres font comprendre à tous, surtout aux nouveaux
soldats de la milice sacrée, quelle estime ils doivent faire
des Saintes Ecritures, avec quel zèle, avec quelle religion
ils doivent les cultiver, venant à elles comme à un arsenal.
Car, ceux qui ont à exposer la doctrine de la vérité catho-
lique aux savants comme aux ignorants, ne trouveront nulle
. (1) IITim. ili.ift. 17.
(2j s. Aug. de util. cred. xiv, 32.
LETTRE ENCYCLIQUE DE S. S. LEON XIII 509
part une matière plus ample, ni des ressources plus riches
pour s'instruire de Dieu, bien suprême et souverainement
parfait, et de ses œuvres qui révèlent sa gloire et sa bonté.
()r, sur le Sauveur du genre humain il n'a rieri été dit de
plus abondant ni de plus expressif que ce qui se trouve dans
tout le contexte de la Bible ; et c'est à bon droit que saint
Jérôme affirme que « l'ignorance des Ecritures, c'est l'igno-
rance de Jésus-Christ. » (1). Car de ses Ecritures sort,
■comme vivante et animée, son image d'où procèdent mer-
veilleusement le soulagement des maux, l'exhortation aux
vertus, l'appel de l'amour divin.
Quant à ce qui concerne l'Eglise, son institution, sa na-
ture, ses dons, ses grâces, il en est fait si souvent mention,
■et en sa faveur les arguments se pressent en telle abon-
dance et avec une telle force que le même saint Jérôme a pu
■dire en toute vérité : « Quiconque a été fortifié par les
témoignages des Ecritures, celui-là est le rempart de
l'Eglise > (2).
Que s'il s'agit de la formation et de la discipline de la vie
^t des mœurs, les hommes apostoliques y trouveront de
même les secours les plus larges et les meilleurs, à savoir :
les préceptes complets de la sainteté, des exhortations
pleines à la fois de douceur' et de force, et de remarquables
exemples pour tout genre de vertu; notons encore, annoncée
au nom et par la parole de Dieu même, la promesse des ré-
•compenses et la menace des peines éternelles.
Or, cette vertu propre et spéciale des Ecritures, qui pro-
vient du souffle divin de l'Esprit-Saint, c'est elle qui donne
l'autorité à l'orateur sacré, elle qui inspire la liberté apos-
tolique de la parole, et qui rend l'éloquence persuasive et
triomphante. Quiconque, en efl'et, reproduit dans le discours
l'esprit et la force de la parole divine, celui-là ne prononce
pas seulement un discours, mais il parle dans la force,
dans C Esprit-Saint et dans une abondante plénitude (3).
(1) Act., XIV, 3.
(2) S. Hier, de studio Sc/'ip. ad Paulin, ep. lui, 3.
(3j In Is. Prol.
510 ANNALES CATHOLIQUES
Aussi doit-on dire qu'ils agissent à contre-sens et incon-
sidérément ceux qui, parlant de religion, font de tels dis-
cours et exposent les préceptes divins, de telle sorte qu'ils
n'emploient à peu prés que les paroles de la science et de
la prudence humaine, s'appuyant ainsi beaucoup plus sur
leur propres arguments que sur les arguments divins. Il
s'ensuit nécessairement que leur parole, bien qu'ayant
l'éclat des lumières, languit et est froide, car il lui manque
le feu de la parole de Dieu (1). De même elle est bien loin
d'avoir cette vertu que donne la parole divine : Car la
parole de Dieu est vicante; elle est efficace, pénètre
p)lus avant qu'un glaive à deux tranchants, et atteint
jusqu'à l'intime de l'âme et de l'esprit (2).
Bref, et de cela les plus habiles eux-mêmes en convien-
dront, les Saintes Lettres sont naturellement remplies
d'une éloquence admirablement variée, féconde et digne des
plus grands sujets, saint Augustin l'a compris et en a fait la
preuve éloquente; et c'est aussi ce que confirme l'expé-
rience des plus célèbres orateurs sacrés, dont la reconnais-
sance envers Dieu s'est plu à proclamer que leur renom
était dû principalement à la fréquentation assidue et à la
pieuse méditation de la Bible.
De tout cela, les Saints Pérès «'étant pénétrés par l'ensei-
gnement et la coutume, n'ont jamais cessé de fréquenter les
lettres divines et d'en célébrer les fruits. En effet, dans
maints endroits ils les appellent soit le très riche trésor des
doctrines célestes (3), soit les fontaines éternelles de
salut (4) ; ou bien ils les comparent à des prés fertiles et à
des jardins très agréables où le troupeau du Seigneur a de
quoi se refaire et se délecter d'une façon merveilleuse (5).
C'est ici que viennent très opportunément les recomman-
dations de saint Jérôme au clerc Népotien : « Lis souvent
les divines Ecritures; bien plus, ne laisse jamais tomber de
(l)7n Is. Liv 12.
(2) IThess., I, 5.
(3) Jerera., xxix, 29.
(4) Hebr., iv, 12.
(5) De doctr, chr. iv, 6, 7.
LETTRE ENCYCLIQUE UE S. S. LÉON XIII 511
tes mains cette lecture sainte; apprends ce que tu dois en-
seigner... que la parole du prêtre soit nourrie de la lecture
des Ecritures » (1). Pareil est le jugement de saint Gré-
goire le Grand, qui a défini plus sagement que personne les
devoirs du prêtre. « Il est nécessaire, dit-il, que ceux qui
s'appliquent à l'office de la prédication n'abandonnent pas
la lecture et l'étude des saints livres (2). »
Citons maintenant saint Augustin, nous avertissant « que
le prédicateur qui n'écoute pas en soi la parole de Dieu, sera
impuissant à la manifester au dehors » (3), et le même
saint Grégoire prescrivant aux orateurs sacrés, avant de
porter devant les autres les paroles divines, d'y appliquer
leurs propres méditations, de peur qu'en poursuivant les
actes d'autrui, ils ne se perdent eux-mêmes (4).
Déjà, d'ailleurs, par l'exemple et l'enseignement de Jésus-
Christ qui commence par agir et puis enseigne, la voix de
l'Apôtre avait porté au loin les premiers avertissements,
qui ne s'adressaient pas au seul Timothée, mais à l'ordre
entier des clercs. Voici cette prescription : Veille sur toi
et sur la doctrine et sois ferme à observer ces choses,
car' en agissant ainsi lu te sauveras toi-même avec ceux
qui t'écouteront (5).
En effet, les Saintes Lettres renferment des secours tou-
jours prêts pour le salut, pour sa propre perfection et celle
des autres : c'est ce que chantent éloquemment les psaumes;
mais, pour cela, il faut apporter à l'étude des divines pa-
roles, non seulement un esprit docile et attentif, mais la
disposition d'une bonne volonté pieuse et entière.
Car il ne faut pas croire que le caractère de ces livres soit
pareil à celui des livres ordinaires. Comme ils ont été dictés
par l'Esprit-Saint et qu'ils renferment les choses les plus
hautes, obscures et difficiles snr beaucoup de points, pour
(1) S. Chrvs. in Gen. hom. 21, 2; hom. 60, 3, S. Aug. de discipl.
chr. 2.
(2) S. Athan. ep, fest. 39.
(3) S. Aug. serm. 26, 24; S. Amb:'. in Ps. cxviii, serm. 19, 2.
(4) S. Hier, de vit. çleric. ad Nepot.
(5) S. Greg.M., A'e^u/.past. II, 11 [al. 22); Moral. xvni.2G, (al. 14).
512 ANNALES CATHOUQUES
les bien comprendre et les bien exposer, « nous avons tou-
jours besoin du secours » (1) du Saint-Esprit, c'est-à-dire
de sa lumière et de sa grâce, lesquelles, ainsi que nous en
avertit fréquemment l'autorité du divin Psalmiste, doivent
être implorées dans l'humilité de la prière et conservées-
par la sainteté de la vie.
C'est donc par là qu'éclate la prévoyance de l'Eglise, qui
a toujours veillé, par d'excellentes lois et décisions, à ce
que ce trésor sacré des Livres saints que le Saint-Esprit
a livré aux hommes avec une libéralité souveraine, ne
demeurât point négligé (2). Elle a établi, en effet, non
seulement qu'une grande partie devrait en être lue et pieu-
sement méditée par tous ses ministres dans l'office quoti-
dien de la psalmodie sacrée, mais que l'exposition et l'inter-
prétation en devrait être faite par des hommes compétents
dans les églises cathédrales, dans les monastères, dans les
couvents des autres réguliers, dans lesquels les études peu-
vent aisément fleurir; d'autre part, elle a rigoureusement
prescrit (3) qu'au moins les dimanches et les jours de fêtes
solennelles, les fidèles fussent nourris des paroles de l'Evan-
gile. De même, c'est à la sagesse et au zèle de l'Eglise
qu'est dû ce culte de la Sainte Ecriture, vivant à travers
tous les âges et fécond en multiples bienfaits.
A cet égard, et aussi pour fortifier Notre enseignement
et Nos exhortations, il Nous plaît de rappeler comment dés
les origines de la religion chrétienne, tous ceux qui brillè-
rent parla sainteté de la vie et par la science des choses
divines, furent abondamment et assidûment versés dans les
Saintes Lettres. Par leurs lettres et leurs livres. Nous
voyons les plus proches disciples des apôtres, et parmi eux
saint Clément de Rome, saint Ignace d'Antioche, saint
Polycarpe; Nous voyons aussi les apologistes, et nommé-
ment saint Justin et saint Irénée, qu'ils pourvussent à la
défense ou à la glorification des dogmes catholiques^
(1) S. Aug. :ierm. 179, 1
(1) S. Aug. serm. 179, 1.
(2) S. Greg. M., Regul.past. III, 24 {al 48);
(3)1 Tim.,iv, 16.
LETTRE ENCYCLIQUE DE S. S. LEON XIII 513
puiser surtout dans les divines Lettres, la foi, la force,
la grâce tout entière de leur piété. Quand surgirent des
écoles catéchétiques et théologiques en beaucoup de sièges
épiscopaux, notamment celles si fréquentées d'Alexan-
drie et d'Antioche, leur plan d'études consistait pour
ainsi dire uniquement dans la lecture, l'explication, la
défense de la parole divine écrite. C'est d'elles que sor-
tirent la plupart des Pères et des écrivains, dont les savantes
études et les excellents livres furent tellement nombreux
pendant environ trois siècles, que cette période fut à juste
titre appelée l'âge d'or de l'exégèse biblique.
Parmi ceux de l'Orient, le premier rang revient à Ori-
-géne, admirable par la pénétration de son esprit et l'opi-
niâtreté de ses travaux, et presque tous ont puisé depuis
■dans ses nombreux écrits et dans sou immense ouvrage des
Hexaples. Il faut en ajouter plusieurs qui ont reculé les
frontières de cette science : ainsi, parmi les meilleurs,
Alexandrie a possédé saint Clément, saint Cyrille ; la Pales-
tine, saint Eusébe, l'autre saint Cyrille ; le Cappadoce, saint
Basile le Grand, les deux saints Grégoire, celui de Na-
zianze et celui de Nysse; Antioche enfin, ce saint Jean
Chrysostome, en qui la science de l'exégèse a brillé avec
tant d'éloquence. Et cette observation n'est pas moins vraie
pour les Pères d'Occident. Parmi ceux qui, en si grand
nombre, s'illustrèrent particulièrement, célèbres sont les
noms de TertuUien et de saint Cj'prien, de saint Hilaire et
de saint Ambroise, de saint Léon le Grand et de saint Gré-
goire le Grand ; bien célèbres aussi sont ceux de saint Au-
gustin et de saint Jérôme ; le premier se montra merveilleu-
sement sagace à découvrir le sens de la parole divine, et
très éloquent pour la faire concourir à la défense de la
vérité catholique; le second, par sa connaissance excep-
tionnelle des Livres Saints et par ses grands travaux pour
leur vulgarisation, a été honoré, par l'acclamation de
l'Eglise, du titre de grand docteur.
Depuis cette époque jusqu'au xi' siècle, bien que la cul-
ture de cette sorte d'études ne fût pas entretenue avec la
514 ANNALKS CATHOLIQUES
même ardeur et le même fruit qu'auparavant, elle fut cepen-
dant en vigueur, grâce surtout aux hommes du sacerdoce.
Ils prirent soin, en effet, ou de recueillir les travaux les
plus profitables que les anciens avaient laissés sur cette
matière, et de les répandre après les avoir convenablement
classés et les avoir accrus de leurs propres études, comme
ont fait surtout Isidore de Séville, Bédé et Alcuin ; ou d'en-
richir de commentaires les textes sacrés, comme Walfrid
Strabon et Anselme du Bec, ou d'apporter de nouveaux
soins à l'intégrité des Livres sacrés, comme Pierre Damien
et Lanfranc.
A partir du xii* siècle, la plupart de ceux qui se sont
occupés de l'interprétation allégorique de l'Écriture l'ont-
fait d'une manière digne de grands éloges ; dans ce genre,
saint Bernard a de beaucoup surpassé les aulres, et ses
discours sont presque entièrement inspirés des divines
Ecritures. Mais la méthode des Scholastiques favorisa de
nouveaux et plus heureux développements de ces études.
Ceux-ci, bien qu'ils se fussent appliqués à l'étude de l'ori-
ginal de la version latine, comme l'attestent pleinement les
* Variantes bibliques faites par eux-mêmes, ont cependant
consacré plus de soin et d'efforts à l'interprétation et à
l'explication.
Avec une sagacité et une clarté, en effet, qu'on n'avait
pas dépassées auparavant, on a distingué les divers sens
des textes sacrés; la valeur de chacun en théologie a été
appréciée; on a établi les divisions des livres et les sommaires
de ces divisions, on a recherché la pensée des écrivains;
on a expliqué le lien et la connexité des pensées entre elles :
en tout -cela, il n'est personne qui ne voie quelle quantité
de lumière a été apportée aux passages les plus obscurs.
En outre, des livres de théologie, ou des commentaires sur
les Ecritures, mettent au fond les trésors de doctrine qui
en ont été tirés ; et entre tous, c'est le nom de saint Thomas
d'Aquin qui tient le premier rang.
Mais après que Notre prédécesseur Clément V eut enrichi
le Collège romain et les plus célèbres Universités des monu
LETTRE KNCTCLIQUE DE S. S. LÉON XIII 515
ments des lettres orientales, nos auteurs commencèrent à
s'occuper avec plus d'application du texte original et de la
traduction latine. Ensuite, l'érudition des Grecs apportée
chez nous, et surtout l'heureuse invention de l'imprimerie,
développa rapidement la culture des saintes Écritures. Il
laut admirer, en eifef, le peu de temps qu'amis l'imprimerie
à multiplier les textes sacrés, particulièrement la Vulgale,
et à en remplir en quelque façon l'univers; aussi, durant
cette même époque, contre laquelle les ennemis de l'Eglise
lancent leurs calomnies, les Livres divins étaient en hon-
neur et en dilection.
Il ne faut pas omettre de rappeler le grand nombre de
savants, surtout dans les Ordres religieux, qui, depuis lo
Concile de Vienne jusqu'à celui de Trente, ont bien mérité
de la science biblique : profitant des ressources nouvelles
et apportant la contribution de leur savoir en tout genre et
de leur esprit,, ils ont non seulement accru les richesses
amassées par les anciens, mais ils ont, en quelque sorte,
préparé la voie à la supériorité que s'est acquise le siècle
suivant, à partir du concile de Trente, si bien que l'on se
serait cru revenu à l'âge illustre des Pérès.
Personne n'ignore, en effet, et il Nous est agréable de le
rappeler, que Nos prédécesseurs, depuis Pie V jus([u'à
Clément VIII, ont été les instigateurs de ces magnifiques
éditions des anciennes versions : La Vulgate et l'Alexan-
drine, qui, publiées ensuite par ordre de l'autorité de Sixte-
Quint et du même Clément VIII, sont aujourd'hui dans
l'usage commun. On sait aussi que, à la même époque, furent
éditées avec beaucoup de soin, et avec de bons commentaires
explicatifs, diverses autres versions anciennes de la Bible,
et les versions polyglottes d'Anvers et de Paris ; et il n'y a
pas un seul livre de l'un et l'autre Testament qui n'ait
trouvé plusieurs habiles éditeurs, et aucune question impor-
tante à leur sujet qui n'ait exercé très heureusement la saga-
cité de nombreux critiques : parmi eux, beaucoup, qui étaienc
en même temps appliqués a l'étude des Saints Pères, se
sont même acquis un nom illustre. A partir de cette époque^
516 ANNALBS CATHOMQUBS
le talent de nos modernes n'a point manqué à la tâche ; des
écrivains illustres n'ont pas cessé de bien, mériter des
études bil^liques, et empruntant à la philologie et îiux études
qui s'y rapportent, leurs arguments, ils ont vengé les Let-
tres sacrées des attaques du rationalisme par les mêmes
armes qu'on les combattait.
En considérant de bonne foi, comme il convient, ce que
Nous venons de passer en revue, on accordera que l'Eglise
n'a jamais manqué de sollicitude pour faire couler avec
profit sur ses fijs les sources de la divine Ecriture, et qu'elle
leur a toujours conservé cette forteresse dans laquelle elle
a été divinement établie pour la défense et la glorification
de cette Sainte Ecriture, qu'elle s'est toujours appliquée à
la munir de toutes les ressources de savoir, sans avoir
jamais eu et sans avoir encore besoin maintenant des exci-
tations des hommes du dehors.
Mais le sujet que Nous Nous sommes proposé de traiter^
demande que Nous vous communiquions, Vénérables Frères,
ce qui Nous semble le plus convenable à la bonne direction
de ces études. Et d'abord, il importe de montrer ici quels
adversaires se dressent en face de nous et quels sont les
procédés et les armes dont ils se servent avec tant de pré-
somption. Car, de même que nous avons eu affaire autre-
fois à ceux, qui, se fondant sur leur .propre jugement, décla-
raient, après avoir répudié les divines traditions et le magis-
tère de l'Eglise, que l'Ecriture était l'unique source de la
révélation et le juge suprême de la foi, ainsi, aujourd'hui,
nous sommes aux prises avec les rationalistes, qui, en vrais
fils et héritiers des précédents, et comme eux appuyés sur
leur priQpre jugement, ont rejeté loin d'eux jusqu'à ces derr
niers restes de foi qui leur avaient été légués par, leurs pères*
Ils nient complètement, en, effet, qu'il y ait une révélation^,
ou une inspiration, ou une Ecriture Sainte, et ils ne voient
là que des compositions et inventions humaines; d'après
eux, ce ne sont pas là des narrations authentiques d'événe-
ments vrais, mais de pures fables ou des histoires menson-
gères ; il n'y a pas là de prophéties ni d'oracles divins ;
LETTRE HNOYCLIQUK UK S. S. I.KON XIII 517
mais, ou des prédictions arrangées après l'événement, ou
de simples intuitions de l'esprit humain ; il ne faut pas non
plus y voir de vrais miracles et des prodiges de la puissance
divine, mais seulement des phénomènes qui ne dépassent
pas la force de la nature, ou des prestiges quelconques et
des mythes; enfin, il faudrait attribuer les évangiles et les
écrits apostoliques à de tous autres auteurs que ceux qu'on
leur donne.
Ces erreurs monstrueuses, par lesquelles ils croient
détruire la sainte vérité des Livres divins, ils les donnent
comme les décrets définitifs de nous ne savons quelle nou-
velle science libre, et cependant, ils les tiennent eux-
mêmes pour si peu assurés qu'on les voit souvent changer
d'avis et se contredire sur les mêmes points. Et parmi ceux
qui pensent ou parlent ainsi avec tant d'impiété de Dieu,
de Jésus-Christ, de l'Evangile et de toute l'Ecriture, il y en
a qui voudraient encore passer pour théologiens, pour chré-
tiens, pour croyants de l'Evangile, et qui cherchent à cou-^
vrir du nom le plus honorable la témérité de leur' orgueil-
feux esp<rit. A ceux-là s'unissent comme complices et
auxiliaires nombre d'autres savants, que le mêiiie refus
d'admettre la révélation pousse également à attaquer la
Bible. Nous ne pouvons assez déplorer l'extension et la mal-
veillance de plus en plus grandes que prennent chaque jour
ces attaques. Elles atteignent même les hommes instruits et
judicieux, qui peuvent facilement, il est vrai, se mettre sur
leurs gardes, mais c'est surtout contre la masse des igno-
rants que nos adversaires s'acharnent de toute manière et
avec un art perfide. Tantôt ils répandent leur venin mortel
dans les livres, les revues, les journaux; tantôt, c'est par
des conférences, ou par des discours qu'ils s'insinuent dans
les esprits; ils ont déjà tout envahi et ils possèdent même
un grand nombre d'écoles soustraites à la tutelle-de l'Eglise,
où ils façonnent lamentablement, jusque par le sarcasme et
la plaisanterie, les tendres et crédules esprits des enfants
au mépris de l'Ecriture. Voilà, Vénérables Frèrei», de quoi
exciter et animer le zèle commun des pasteurs ; afin que
518 ANNALES CATHQLIQUKS
ceite' nouvelle science de faux nomil) rencontre devant
elle cette antique et vraie foi, que l'Eglise a reçue de Jésus-
Christ par les apôtres, et que, au milieu d'une lutte si achar-
née, de dignes défenseurs de la Sainte Ecriture se lèvent
partout.
Votre premier soin doit donc être de faire en sorte que
l'enseignement des Lettres divines soit donné dans les sémi-
naires et les collèges ecclésiastiques, comme le demandent
l'importance même de cette étude et les exigences du temps.
A cet effet, rien ne doit vous être plus à cœur que le choix
de maitres habiles ; car il ne faut pas confier cette missit)n
aux premiers venus, mais à ceux seulement qu'un grand
amour et une longue pratique delà Bible, ainsi qu'un savoir
convenable recommandent à votre choix et rendent dignes
(de leur charge. Ktil ne faut pas veiller avec moins de sol-
licitude à leui- préparer des successeurs. Il sera bon, par
conséquent, partout où cela sera possible de prendre un
certain nombre de jeunes gens bien doués, ayant tei-miné
avec honneur leur cours de théologie, pour les appliquer
tout entiers aux Livres saints, en leur donnant, s'il y «^
lieu, la faculté d'en étudier un en particulier. Et après cela,
que les jeunes docteurs ainsi ciioisis et pi'é paré s .acceptent
avec confiance la oharge,qui>l<îur sera confiée , et pour (ju'ils
y réussissent mienx et qu'ils lui fassent produire plus do
fruits convenables, il Nous parait bon de leur donner ici
quelques conseils 4)lus détaillés — Au seuil même de ces
études hibliqueg, ils devront s'adresser à l'intelligence de
leurs élèves de manière à former et à entretenir en eux un
jugement également apte à la défense des Saints Livres et
à leur interprétation. C'est a quoi tond le traité communé-
ment appelé, Inlf'oduclion à la Bible, où l'élève trouve
abondamment ce qui sert à établir l'intégrité et l'autorité
de la P)ible, à découvrir et à saisir le vrai sens du texte, â
prévenir et à réfuter radicalement les objections. On ne
saurait trop dire combien sont importants ces préliminaires
méthodiquement et savamment traités, avec la théul^/ffie
(1) I Tint). VI, 20.
LETTRE ENCYCMQUB DK S. S. LÉON XIII t)]^
pour compagne et pour auxiliaire, puisque toute la suite
des études bibliques s'appuie sur ces bases et s'éclaire de ces
lumières. — Ceia terminé, que le zèle du professeur s'ap-
plique particulièrement à cette autre partie plus fructueuse
de l'enseignement, qui est l'interprétation, pour qu'elle per-
mette aux étudiants de faire servir ensuite les richesses de
la parole divine au progrés de la religion et de la piété.
Nous comprenons, sans doute, qu'il n'est pas possible, ni en
raison de la matière, ni en raison du temps, d'étudier toute
l'Ecriture Sainte dans les écoles.
Mais, parce qu'il est besoin d'une méthode sûre d'expo-
sition pour qu'elle soit étudiée utilement, le maitre prudent
évitera ce double inconvénient : ou bien de parcourir tous
les livres à la hâte ou bien de s'appesantir immodérément sur
telle partie d'un livre. Car si l'on ne peut obtenir dans la
plupart des écoles, ce qui se fait dans les grandes univer-
sités, que tel ou tel livre soit exposé avec une certaine
suite et un certain développement, il doit du moins absolu-
ment veiller à ce que les parties des livres choisies, comme
sujet d'étude, reçoivent une explication suffisamment pleine ;
de la sorte, les disciples et les élèves, comme sollicités par
cette attrayante expérience, liront d'eux-mêmes les autres
et les aimeront pendant toute la vie.
A cet effet, le maître, observant les régies des anciens,
prendra pour texte la version de la Vulgate, dont le con-
cile de Trente a décrété qu'elle devait être tenue pou)-
authentique dans les leçons publiques, dans les discus-
sions, dans les prédications et dans les expositions (1),
ce que recommande aussi la pratique quotidienne de l'Eglise.
Ce n'est pas à dire pourtant qu'il ne faille tenir compte
des autres versions dont l'antiquité chrétienne a fait l'éloge
et a fait usage, surtout des manuscrits primitifs.
Car, bien que, pour l'intelligence générale du texte, le
sens de l'original hébreu et grec apparaisse bien dans les
traductions de la Vulgate (2), cependant, s'il }■ reste quelque
(1) Sess. vt, decr. de edit. et usu sacr, libror.
(2) De dûctr. chr. \n, 4.
520 A.NNALE8 CATHOLlQUEâ
chose d'équivoque ou de moins clair, ou pourra recourir
utilement, selon le conseil de saint Auguste, à la collation
de la version primitive.
Mais il va de soi qu'il faut apporter ici beaucoup de pru-
dence, puisque, en définitive, « l'office du commentateur est
d'exposer, non ce qu'il veut lui-même, mais ce que pense
celui qu'il est chargé d'interpréter » (1).
Après avoir établi, avec tout le soin possible, là où il y
a lieu, le bon texte, il restera à rechercher et à établir le
sens. Mais le premier conseil à donner est de s'en tenir aussi
strictement que possible à l'interprétation commune dans
les passages où la critique des adversaires s'exerce avec le
plus d'insistance.
C'est pourquoi, à la recherche de la signification exacte
du mot, à l'examen du contexte, à la comparaison des
endroits similaires, et autres élucidations du même genre,
il faut joindre le secours extérieur des lumières de l'érudi-
tion ; mais il faut le faire avec précaution, afin de ne pas
consacrer plus de temps et de travail aux questions de cette
nature qu'à la connaissance intrinsèque des Livres saints,
et afin de ne pas apporter à l'esprit des jeunes gens, par
une étude irop complexe des choses, plus de désagrément que
d'avantages.
De cette façon, on s'élèvera plus sûrement à l'emploi de
la divine Ecriture dans la théologie. Et ici, il faut remar-
quer qu'aux causes de difficultés qui se rencontrent sou-
vent dans l'intelligence de certains livres des anciens, s'en
ajoutent d'autres, propres aux Livres saints. En effet, dans
les termes de ces Livres saints inspirés par l'Esprit-Saint,
blendes pensées se rencontrent, qui surpassent de beaucoup
la force et la pénétration de la raison humaine, par exemple
les divins mystères et les autres choses qui s'y rapportent ;
et cela, en raison d'un sens plus élevé et plus caché que ne
semblent l'exprimer ou l'indiquer la traduction littérale et
les lois de l'herméneutique ; quant aux autres sens, qui ser-
vent soit à éclairer les dogmes, soit à mettre en relief les
(1) S. Hier, ad Pammach.
LETTRE ENCYCUQUE DE S. S. LÉON XIII 521
préceptes de la vie, le sens littéral lui-même les fournit.
Aussi il ne faut pas faire difficulté d'avouer que les Livres
saints sont enveloppés d'une certaine obscurité, telle que
personne ne peut s'y aventurer sans guide (1) : Dieu pour-
voit ainsi, (telle est l'opinion connue des Saints Pérès) à ce
que les hommes les étudient avec plus d'application et de
zèle, qu'ils incrustent plus profondément dans leurs esprits
et leurs cœurs les connaissances qu'ils ont eu plus de peine
à acquérir ; qu'ils comprennent particulièrement que Dieu
a livré les Ecritures à l'Eglise, en qui ils ont un guide et un
maître infaillible quand il s'agit de lire et d'expliquer ses
paroles. C'est en effet là où résident les grâces du Seigneur
qu'il faut chercher la vérité, et il n'y a aucun péril, pour les
dépositaires de la succession apostolique, à expliquer les
Ecritures. Tel est l'enseignement de saint Irénée (2) ; c est
d'ailleurs sa doctrine et celle des autres Pérès que s'est
appropriée le concile du Vatican, lorsque renouvelant le
décret du concile de Trente sur l'interprétation des saintes
Ecritures, il a déclaré que la pensée de celles-ci était que
dans les questions de la foi et des mœurs, touchant à
V édification de la doctrine chrétientie, celui-là devait
être tenu comme le sens réel de l'Ecriture sainte, qu'a
tenu et tient pour tel notre Mère l'Eglise, dont le rôle
est déjuger de la signification exacte et de l'interpréta-
tion des saintes Ecritures ; en conséquence^ il n'était
permis à personne d'interpréter l'Ecriture elle-même
contrairement à ce sens, ou tnêtiie à Vopinion unanime
des Pères (3).
Par cette loi pleine de sagesse, l'Eglise ne retarde ni
n'empêche en aucune façon l'étude approfondie de la science
biblique, mais plutôt elle la met à l'abri de l'erreur et l'aide
beaucoup dans la voie du véritable progrés. Car devant
chaque docteur privé s'ouvre un champ vaste, dans lequel
(1) S. Hier, ad Paulin, de studio script, ep. lui, 4.
(2) C. hœr. iv, 26, 5.
(3j Sess. m. cap. ii, de recel. : cf, Conc. Trid. sess. iv, decr. de edit.
et usu sacr. libror.
38
522 ANNALES CATHOLIQUES
son art d'interprète peut, sur des traces non périlleuses,
s'exercer avec éclat et utilement pour l'Egli&e. De fait, dans
les passages de la Sainte Ecriture qui réclament encore une
exposition sûre et définie, il peut arriver ainsi, suivant un
dessein ineffable du Dieu de Providence, que l'étude en étant
en quelque sorte préparée, le jugement de l'Eglise soit hâté;
et, pour les passages déjà définis, le docteur privé peut
également rendre service, en les expliquant plus clairement
devant l'assemblée des fidèles et plus ingénieusement auprès
des savants, ou en les arrachant plus victorieusement aux
adversaires.
C'est pourquoi l'interprète catholique doit tenir pour
principe supérieur et sacré d'interpréter de la même manière
les témoignages de l'Ecriture dont le sens a été authentique-
ment établi, soit par les auteurs sacrés, sousl'inspiration du
Saint-Esprit, comme en beaucoup de passages du Nouveau
Testament, soit par l'Eglise, assistée du même Esprit, et
rendant une sentence solennelle ou exerçant son ministère
ordinaire et universel (1). Et il doit donner, par sa méthode
d'enseignement, la conviction que seule cette interpréta-
tion peut être sanctionnée par les lois d'une saine hermé-
neutique.
Au reste, il faut suivre l'analogie de la foi, et garder
comme une règle souveraine la doctrine catholique, telle
qu'elle est reçue par l'autorité de l'Eglise ; car, comme le
même Dieu est l'auteur, et des Livres Saints, et de la doc-
trine dont l'Eglise a le dépôt, il ne peut assurément pas se
faire qu'une interprétation légitime tire des Livres .Saints
un sens qui, en quelque façon, ne soit pas d'accord avec
elle. Il s'ensuit qu'il faut rejeter comuie inexacte et fausse
toute interprétation qui place les auteurs sacrés pour ainsi
dire en contradiction l'un vis-à-vis de l'autre, ou qui répu-
gne à la doctrine de l'Eglise.
Il faut donc que le maitre en cette science ait aussi le
mérite de connaître supérieurement toute la théologie, et
soit versé dans les commentaires des Saints Pères, des Doc-
(1) Conc. Vat. sess. m, cap. w, de fide.
1,BTTRK KNCYCLIQLE DE S. S. i.EON XllI 523
teurs et des meilleurs interprètes. C'est ce qu'enseigne saint
Jérôme (1), ôt aussi saint Augustin, qui, sur un légitime ton
de plainte, dit: « Si toute science, même la plus profane
et la plus facile, réclame, pour être acquise, un docteur ou
un professeur, peut-il y avoir quelque chose de plus orgueil-
leusement téméraire, que de ne pas vouloir connaître les
livres des choses divines d'après leurs propres inter-
prètes (2)? »
Les autres Pères ont pensé la même chose, et l'ont con-
firmée par leur exemple, eux qui « puisaient rintelli|:ence
des divines Eciitures, non dans leur présomption person-
nelle, mais dans les écrits et l'autorité de leurs prédéces-
seurs, quand il était constant que ceux-là mêmes tenaient
de la succession des Apôtres leur méthode d'interpréta-
tion » (3).
A leur tour, les Saints Pères, à qui « la Sainte Eglise
doit, après les apôtres, son accroissement, puisqu'ils l'ont
plantée, arrosée, bâtie, entretenue, nourrie (4) », ont une
autorité souveraine, chaque fois qu'un texte biblique, se
rattachant à la foi ou à la règle des mœurs, est expliqué
par eux tous d'une seule et même manière : car, de leur
■accord même il apparaît clairement que telle est la tradition
depuis les apôtres et conformément à la foi catholique.
Le jugement de ces Pères doit être tenu en grande estime,
alors même que traitant de ces choses, ils le font au titre de
docteurs privés. En effet, non seulement ils se recomman-
dent hautement par la science de la vérité révélée et pai-
leur science de beaucoup d'autres choses, mais Dieu même
a souvent aidé du puissant secours de sa lumière les hom-
mes qui se sont distingués par la sainteté de leur vie et leur
zèle de la vérité. C'est pourquoi 1 interprète saura qu'il est
de son devoir de suivre leurs traces avec respect et de se
servir de leurs travaux avec un discernement intelligent.
Et qu'il ne croie pas qu'on embarrasse ainsi sa route ; au
(1) Ibi.l. fi, 7.
(2) Ad Honorât, de utiiit. cred. xvir, 35.
(3) Rufin. Hisl. eccl. il, 9.
(4) S. Aug. c. Julian. n, 10, 37.
524 ANNALES CATHOLIQUES
contraire, quand il y en aura un juste motif, qu'il aille môme
au delà dans ses recherches et son investigation, pourvu
qu'il s'en tienne religieusement à cette réglé sagement pro-
posée par saint Augustin, à savoir de ne s'écarter en rien'
du sens littéral et comme x)bvie, à moins que quelque motif
n'empêche de le retenir ou que la nécessité oblige de
l'abandonner (1).
Cette régie doit être observée avec d'autant plus de fer-
meté qu'au milieu d'un si grand désir de nouveautés et d'une
telle licence d'opinions, plus gr.aûd et plus instant est le
danger de tomber dans l'erreur.
L'interprète devra veiller encore à ne pas négliger ce
que les Pérès ont apporté pour l'interprétation allégorique
ou une interprétation de même genre, surtout quand ces
sens dérivent du texte littéral et sont appuyés par l'auto-
rité d'un grand nombre. Car l'Eglise a reçu des apôtres ce
mode d'interprétation et, comme il appert par la liturgie,
elle l'a confirmé par son exemple. Non que les Pères en
usant de ce mode d'interprétation prétendissent démontrer
les dogmes de la foi par eux-mêmes, mais parce qu'ils
savaient par expérience qu'elle était très efficace pour l'ali-
ment de la vertu et de la piété.
Moindre assurément est l'autorité des autres interprètes
catholiques ; cependant, comme les études bibliques ont tou-
jours été en continuel progrès dans l'Eglise, il faut accorder
aussi à leurs commentaires l'honneur qu'ils méritent ; on
peut, en effet, y trouver nombre d'arguments pour repoosser
les interprétations contraires et dénouer les plus grandes
difficultés.
Mais ce qui est absolument contre toute convenance c'est
que, dans l'ignorance ou par le dédain des travaux excel-
lents que les nôtres ont laissés en abondance, on préfère les
livres des hétérodoxes et qu'au péril instant de la saine doc-
trine et souvent au détriment de la foi, on- cherche chez eux
l'explication des passages où se sont déjà et très e:îiceilem-
ment exercés l'esprit et le labeur des catholiques. Car, bien
(1) De Gen. ad litt. 1. viii, c, 7, 13.
l'alcoolisme 525
que l'interprète catholique puisse parfois, en en usant pru-
demment, trouver quelque secours dans les études des hété-
rodoxes, qu'il se souvienne pourtant, d'après de nombreux
témoignages des anciens (1), que le sens incorruptible des
Saintes Lettres ne se trouve jamais en dehors de l'Eglise, et
qu'il ne peut être donné par ceux qui, ignorants de la vraie
foi, ne vont pas jusqu'à la moelle des Ecritures, mais se
bornent à en ronger l'écorce (2).
[A suivre.)
L'ALCOOLISME (3)
Un économiste a jeté naguère ce cri d'alarme: « Nous cher-
chons desnoms ambitieux pour notre xix' siècle. Il faut l'appeler
le siècle de l'alcoolisme. Cette étiquette expliquera d'avance les
cataclysmes de toutes sortes dans lesquels il pourrait bien finir. >
Les statistiques officielles établissent qu'en moins d'un demi-
siècle, la consommation de l'alcool a triplé dans notre pays.
Elle dépasse le chiffre annuel d'un million et demi d'hectolitres.
Le nombre des débits s'est accru dans la même proportion, et
ils sont rarement déserts. Dés le matin, ils s'ouvrent à une
clientèle qui .se renouvelle durant le cours de la journée. Le
soir surtout, à l'heure oii il serait si bon pour les ouvriers de
chercher le repos du. foyer, domestique, on les voit s'enfermer
da.ns une atmosphère viciée par d'acres parfums et absorber,
sous des noms vaiiés, un poison qui brûle leur sang, éteint leur
intelligence et flétrit leur cœur.
Ce fléau n'épargne d'ailleurs aucune classe de la société. Il
fait plus de victimes qu'on ne pense parmi ces riches désœuvrés
dont l'existence s'écoule dans les salons d'un cercle, partagée
entre les vains propos du jour et les malsaines émotions du jeu ;
.«ceptiques et légers, comment ne seraient-ils pas séduits par
un vice oii les pousse le goût de la bonne chère et du plaisir?
S'ils s'arrêtent sur la pente qui conduit aux derniers excès, ils
(1) Cfr. Clem. Alex. Strom. vu, IG; Orig ; de princ. iv. 8; in
Levit. hom. 4, 8; T(îrtull. de prœscr. 15, seqq.\^. Hilar. Pict. in
Matth. 13, 1.
(2i S. Greg. M. Moral, xx, 9, (a!. 11).
(3) Lettre pastorale de S. K. le cardinal Thomas, archevêque de
Rouen, au clergé et aux fidèles de son diocèse.
526 ANNALES CATHOLIQUES
le doivent à une certaine retenue que leur impose le milieu
social oii ils vivent, à la facilité de se procurer des jouissances
plus raffinées, peut-être aux conseils d'une prudence naéprisable
qui les avertit de jouir avec mesure, afin de jouir plus long-
temps.
Mais au sein des classes laborieuses, oia le choix des plaisirs
est limité par l'exiguitè des ressources, où la passion, afFranehie
de toute contrainte, revêt une forme plus sincéie et plus bru-
tale, l'alcoolisme va se développant avec une étrange rapidité.
Ce (|u'il cause de désordres, ce qu'il engeudie de misères, ce
qu'il accumule de ruines, nous l'avons constaté avec douleur,
et nous nous proposons de le dire avec franchise, convaincu que
c'est déjà combattre l'intempérance que de montrer les maux
dont elle est la source pour l'individu, la famille et la société.
Là ne se borne pas notre dessein. Avant nous, les économistes
ont étudié l'horrible plaie; mais, cédant la plupart à des pré-
jugés regrettables, ils n'ont pas su voir, ou bien ils n'ont pas
osé dire les vraies causes du mal. Nous nous efforcerons de les
mettre en lumière ; car, pour les maladies morales comme pour
les maladies physiques, signaler la cause, c'est indiquer le
remède.
I. — Effets de l'alcoolisme sur l'individu.
La grandeur de l'homme est indépendante de la situation
qu'il occupe ici-bas. Dépouillez-le de cet éclat souvent trompeur,
toujours fragile, que lui prêtent la naissance, la fortune, les
honneurs ; réduisez-le à la condition d'un artisan obligé de
gagner sa vie, en remuant la terre, en portant de lourds far-
deaux, en rompant ses membres aux durs labeurs d'un métier
mécanique; si petit, si pauvre que vous le fassiez, pourvu qu'il
soit un homme digne de ce nom, il v a sur son visage un reflet
d'honneur que rien ne peut voiler, dans son regard une lumière
et une flamme que rien ne peut éteindre, dans son attitude une
noblesse que rien ne peut abaisser. Les misères de son exis
lence ne font pas oublier la dignité «le sa nature. Ce sont là, dit
Pascal, misères de grand seigneur, miî^éres de roi dépossédé.
Visitez un de ces vastes ateliers où l'on travaille la soie, le
coton, la laine, le bois, les métaux ; et voyez avec quelle aisance
royale se meut le plus humble ouvrier au milieu de la dévo-
rante activité des puissantes machines et de l'inextricable enche-
vêtrement des rouages, des courroies, des moteurs de toutes
J
l'alcoolisme 527
formes et de toutes dimensions. II commande, et la force aveugle
lui obéit. Il la tient sous sa main, il la met en mouvement, il
l'excite, la modère, l'arrête quand il lui plaît. Toute cette matière
(]ui est là, informe et inerte, il la façonne à son gré, il lui
imprime le sceau de son intelligence, et les merveilles de l'art
et de l'industrie éclosent riches et variées, comme les lleurs de
nos prairies sous les rayons du soleil.
Il y a dans l'homme une autre souveraineté qui fait sa vraie
grandeur, sa force et sa gloire, en même temps que le péril de
son existence, c'est la liberté. « L'homme dit l'Ecriture, est
dans la main de son conseil. Devant lui sont la vie et la mort,
le bien et le mal. 11 lui sera donné ce qu'il aura choisi. > Dans
l'exercice de cette souveraineté, l'homme du peuple est l'égal
des plus grands par la fortune, la science et le génie. Comme
eux, il est roi d'une âme immortelle; il est maître de ses actes
et ne relève que de Dieu.
Or, toute cette grandeur s'écroule quand il devient l'esclave
d'une avilissante passion, l'intempérance.
La première ruine est celle de l'intelligence qui se trouble et
s'obscurcit. Les idées se pressent et se heurtent, bizarres, inco-
hérentes. Le désordre de la parole trahit celui de la pensée. On
dirait un instrument dont toutes les cordes, mêlées et confon-
dues, jettent au hasard des notes sans harmonie. L'esprit se
faiigue par l'eflort qu'il fait pour reprendre possession de lui-
même, et lorsque les fumées de l'ivresse sont dissipées, il reste
affaibli. A cette faiblesse, accrue par des excès souvent renou-
velés, succède une pesante torpeur, un engourdissement général
des facultés et des organes. L'alcoolique devient alors silen-
cieux, et, durant de longues heures, il se tient dans une immo-
bilité morne. Rien de ce qui se passe autour de lui ne l'intéresse
ni ne l'émeut. 11 ne se souvient plus, il ne pense plus; il vit
cependant, mais d'une vie inconsciente et presque machinale.
En effet, cet homme n'est plus libre. De ses goûts dépravés,
est née la passion, et la passion a tué en lui la liberté. Ce n'est
même plus l'attrait du plaisir qui le pousse aux folies de l'intem-
pérance, mais la tyrannie de l'habitude. Plus de sentiments
d'honneur, plus de respect de soi, plus de sens moral; aucune
honte ne l'effrave, aucune infamie ne lui répugne. 11 n'a regret
ni du mal qu'il se fait à lui-même, ni du mal qu'il fait aux
autres ; et pour échapper aux suites de ses actes, il en vient jus-
qu'à invoquer son irresponsabilité. Elle n'est, hélas! que trop
528 ANNALES CATHOLIQUES
réelle. Dans l'effondrement de son être moral, la conscience a
été étouffée, aussi bien que l'intelligence et la liberté.
L'homme animal survit seul, et dans quel état, grand Dieu !
Les tissus, les muscles, les nerfs, le sang, le cœur, le cerveau,
tout a été attaqué, brûlé par le mortel poison. La voix devient
sourde et indistincte, le visage s'altère, le regard prend une
expression farouche et bestiale. D'effrayants symptômes révèlent
au dehors la décomposition qui s'opère au dedans. Ce malheu-
reux éprouve dans tous ses membres des tremblements convul-
sifs. C'est la paralysie qui commence et qui va désormais
l'étreindre et le torturer. Les sens, non Sdulement émoussés,
mais pervertis, ne sont plus les serviteurs dociles de l'âme, mais
ses bourreaux. L'œil lui apporte de sombres images, de san-
glantes visions ; l'oreille des rumeurs sinistres, des bruits mena-
çants. En proie à d'inexplicables terreurs, il pleure, il se plaint,
il implore secours contre des ennemis invisibles. Tantôt il tombe
dans un anéantissement voisin de la mort; tantôt l'eff'roi et la
colère le jettent en des crises furieuses oii ses forces achèvent
de s'épuiser. Sa vie n'est plus qu'une lente et cruelle agonie qui
inspire le dégoût autant que la pitié.
Précipité dans cet abîme de honte et de misères, le trriste
vaincu de l'alcoolisme y entraîne avec lui sa famille.
II. — Effets de l'alcoolisme dans la famille.
Qui n'aime à contempler l'intérieur d'un ménage ouvrier oii,
avec la religion, régnent le travail, l'ordre et l'économie? Le
logis est modeste ; mais la propreté l'embellit, et des soins ingé-
nieux, de naïves industries lui donnent un aspect agréable. Sur
les murs, un crucifix, surmonté de la branche de buis bénit,
occupe la place d'honneur, au milieu des chers souvenirs gardés
comme de saintes reliques. La femme et les enfants sont décem-
ment vêtus; la table est frugale, mais saine et suffisante; tout
respire l'honnêteté et la paix. Point de propos violents, de
plaintes amères, de récriminations jalouses. Le travail accepté
avec courage, n'assure pas seulement le pain, il entretient aussi
la gaieté, et, sous le plafond jauni, on entend des voix joyeuses,
plus souvent que dans la maison du riche. Vo3-ez cette femme
dont les devoirs sont austères et les plaisirs si rares, elle est
heureuse dans son étroit et pacifique royaume. L'ennui, ce mau-
vais conseiller des classes opulentes, n'a jamais troublé son
l'alcoolisme 529
cœur. Si nombreux sont ses travaux, que les heures lui semblent
trop rapides. Du reste, tout n'est pas petit dans la vie de cette
femme, puisqu'elle est raére et qu'elle élève ses enfants. Elle
forme leurs lèvres à la prière, elle veille sur les progrès de le«r
instruction, elle provoque et encourage leurs efforts. Par ses
soins, la vie morale se développe, en même temps que la vie
physique, et le sentiment du devoir s'enracine dans ces jeunes
âmes avec les saintes affections de la famille.
Comment songer sans admiration que tout ce bonheur repose
sur le dévouement d'un ouvrier? Ce vaillant, aux membres
robustes, si ardent, on pourrait dire si terrible au travail, si
bon et si doux à la maison, c'est lui la providence visible du
foyer. Dès la première heure du jour, il va aux labeurs de
l'usine ou des champs, et, sans se lasser. ni se plaindre, il pro-
digue ses forces pour subvenir à tous les besoins de la famille.
Point de chômages volontaires ; il ne connaît d'autres repos que
le bienfaisant repos du dimanche, d'autres plaisirs que ceux qu'il
partage avec les siens. Viennent les temps mauvais, on le verra
grandir par l'épreuve et puiser dans sa foi l'inspiration de ces
obscurs sacrifices qui s'élèvent parfois jusqu'à l'héroïsme.
0 foyer de l'ouvi'ier chrétien, je te salue avec respect ; car
dans les générations formées à ton école, l'Eglise recrute de
vaillants apôtres, la patrie, de bons citoyens, et, à l'heure du
péril, d'intrépides soldats.
Quel contraste offre le ménage ouvrier atteint par l'alcoo-
lisme. Dans le logement qui lui sert de refuge, partout la confu-
sion et le désordre; les rayons mêmes du soleil ne peuvent
égayer la nudité des murs noircis, ni l'aspect lamentable des
meubles brisés et sordides. L'àtre sans feu, la femme et les
enfants à peine couverts de vêtements en lambeaux, les visages
dévastés et Hétris : tout atteste que la misère livide et affamée a
établi là son repaire. Cette famille de travailleurs lui a été livrée
par l'alcoolisme. Il est venu lui-même, comme vient tout ce qui
est mauvais, cachant sous un voile menteur sa face hideuse,
dissimulant sous des apparences de plaisir le long cortège de
maux qu'il traîne après lui. Avec des habitudes d'intempérance,
le désordre est entré dans la maison de l'ouvrier, et, avec le
désordre la gêne.
Pour refaire l'équilibre de son budget, il lui faudrait redoubler
d'activité, mais ses membres, mous et paresseux, se refusent
au travail. S'il consent à reprendre le chemin de l'atelier, c'est
530 ANNALES CATHOLIQUES
par caprice et dans le but de s'assurer les moyens de satisfaire
sa passion. Hôte assidu des débits d'alcools, il est comme un
étranger sous son propre toit, et, par une coupable inconscience
de ses devoirs les plus sacrés, il laisse à sa femme toutes les
charges. Elle est donc obligée, à son tour, d'abandonner le
foyer et de s'en aller au dehors chercher du travail, affrontant
les rebuts les plus humiliants. Et quand elle rentre le soir, il
lui faut trop souvent défendre contre d'insatiables exigences le
morceau de pain gagné pour elle et ses enfants. Faut-il s'éton-
ner si elle succombe aux privations et au chagrin, ou bien si,
courbant le front sous une inexorable destinée, elle envie à son
mari ses ignominieuses jouissances et, comme lui, demande à
l'ivresse l'oubli de ses maux ! Ce que devient un ménage oii
l'homme et la femme se livrent tous deux à l'intempérance, il
n'est que trop aisé de le concevoir. On y vit d'expédients; on
vend, à vil prix, tout ce qui peut se vendre ; et quand cette der-
nière ressource est tarie, on tend la main. Dès lors, à l'affection
disparue succède un mutuel mépris, aux angoisses de la misère
s'ajoutent les infamies de la débauche. Un désordre innom-
mable envahit et souille le foyer.
Et les enfants grandissent dans ce milieu abject! Pauvres
enfants ! ils ont un père et une mère, et ils sont plus abandonnés
que s'ils étaient orphelins. Jamais pour eux ni douces par<iles,
ni reproches affectueux; mais des propos grossiers qui salissent
leur esprit, et des violences qui aigrissent leur cœur. Dans leur
âme comme dans un champ délaissé, les bons sentiments se
dessèchent et meurent, les instincts pervers croissent en toute
liberté. Quand on les interroge, on est également effrayé de ce
qu'ils savent et de ce qu'ils ignorent. Nulle tendresse ne les
retenant au foyer, ils vagabondent à l'aventure et ils appren-
nent, en désertant l'école, à déseiter un jour l'atelier. Témoins
et victimes des vices de leurs parents, ils en méprisent l'auto-
rité; et comme ils sont sans respect, ils sont aussi sans amour.
Déjà ils se font craindre par leur audace précoce. Soyez sûrs que,
plus lard, leurs habitudes de paresse et de révolte aggraveront
la crise redoutable qu'à l'heure présente traverse la société.
(A suivre.)
i
I.A LIBKRTK d'aSSOCIATION 531
LA LIBERTE D'ASSOCIATION
La liberté, telle que je l'entends, qu'elle s'applique aux droits
de la conscience ou de la parole, aux droits individuels ou poli-
tiques, cette liberté fortement pondérée sans laquelle les plus
puissantes nations ne tardent pas à dépérir, ne saurait trouver
une garantie plus efficace que la pratique de l'association. Celle-
ci seule permet aux citoyens d'être indépendants, de résister à
l'inprérence tracassiére de l'Etat, à ses confiscations plus ou
moins déguisées.
De plus, l'ordre et le respect de l'autorité, sans lesquels la
liberté n'est que licence, trouveront dans cette pratique leur
plus ferme appui. Plus les associations seront nombreuses,
variées et prospères, plus elles auront pénétré dans les mœurs
du pays, et plus elles consolideront les sables mouvants de la
démocratie en fortifiant dans sa base l'édifice social!
La minorité conservatrice de la nouvelle Chambre verra dans
la liberté d'association un nio^'en efficace de défense entre les
mains d'une opposition qui vient de ressentir tout le poids de la
puissance administrative exercée par des adversaires sans scru-
pules. Mais elle doit la réclamer non moins instamment en vue
du jour où ses chefs seront appelés à leur tour au pouvoir. Un
gouvernement siir de lui-même, ferme et prévoyant, doit être
le partisan le plus convaincu de la liberté d'association. Il sait,
en effet, qu'il ne peut s'appuyer avec sécurité que sur ce qui
résiste. Les associations qui se produisent au grand jour, qui
assurent à leurs membres des avantages incontestables, ne sau-
raient être des éléments de révolution. Elles s'intéressent de
plus en plus au maintien de l'ordre de choses existant, et for-
ment peu à peu autour de ses fondations de solides assises. La
pratique sincère de cette liberté est la gymnastique la plus
uécessaire pour développer l'esprit politique en Frante, pour
combattre l'apathie de ceux qui,attendanttoutdugouverneBJeDt,
ne font rien pour l'aider dans sa tâche.
Pénétrés de cette pensée, les conservateurs, le jour où ils
seraient au pouvoir et pourraient, par conséquent, veiller au
respect de la loi, ne déviaient pas s'attacher à des restrictions
puériles, vexatoires, et de plus inefficaces. Les lieux de réunion
eux-mêmes, fort improprement appelées Bourses du travail, ne
devraient pas être, en principe, malgré les abus scandaleux
532 ANNAI.BS CATHOLIQUES
dont ils ont été l'occasion, l'objet de l'aniraadversion des con-
^BTTateurs. On a le droit de protester, au nom des contribuables,
«outre leur édification et surtout contre leur dispendieux entre-
tien aux frais de nos grandes municipalités urbaines, mais uni-
quement parce qu'ils ont été détournés de leur première desti-
nation, qui peut parfaitement rentrer dans les attributions de
l'édilité moderne. Mais si les syndicats ne profitent pas de la
coupable connivence de ces municipalités pour chercher à op-
primer le marché du travail, pour porter atteinte, par la sup-
pression indirecte des bureaux de placement, à cette liberté du
travail que l'on considère comme l'une des plus précieuses con-
quêtes de la Révolution de 1789, s'ils ne visaient pas à rétablir,
sous un vocable nouveau, le monopole, définitivement condamné, '.
des anciennes corporations fermées, il faudrait les voir sans
crainte, et même avec plaisir, se constituer un local commun
dans lequel leurs opérations et leurs délibérations se poursui-
vraient au grand jour, pourvu qu'il fiît impartialement ouvert
à tous les ouvriers syndiqués ou non syndiqués, et qui se
trouverait tout naturellement placé sous la surveillance du
gouvernement.
Mais les associations ne peuvent jouer un rôle utile dans
notre organisation politique et sociale que si elles ne sont pas
soumises au bon plaisir du pouvoir. C'est pour cela que je vou-
drais les voir libres, et que je ne puis me défendre d'une véri-
table tristesse à la pensée que la France a déjà dépassé le
centenaire de 1789, et qu'elle n'a encore pu ou voulu acquérir
une liberté aussi nécessaire. Et il est 'permis de croire que, si
les conservateurs avaient réclamé et pratiqué cette liberté, c'est
à eux et non à leurs adversaires politiques qu'il aurait appartenu
de présider à la célébration de ce centenaire.
Pour être vraiment féconde, il faïut que la liberté d'associa-
tion puisse s'appliquer également à tout objet qui n'est pas par
lui-même contraire aux lois civiles ou criminelles. Il faut que
les intérêts moraux et matériels, d'ordres les plus divers, puis-
sent s'associer librement, que les chrétiens et les philosophes,
comme les savants et les littérateurs, que les commerçants et
les industriels, aussi bien que les ouvriers et les agr"ieulteurs
aient le droit de demander à l'association des moyens de défense
et d'action. Elle doit avoir pour but la formation d'une personne
civile qui groupe leurs forces, agisse en leur nom, et se substitué
à des individus isolés pour assurer à chacun les avantages qui
ne se p«dvent acquérir que par la durée et la tradition.
LA NEUTRALITÉ SCOLAIRE 533
Aussi, au lieu de combattre la loi de 1884, qui a permis aux
syndicats de se constituer, faut-il s'efforcer de l'améliorer et de
la compléter. Vouloir supprimer les syndicats ouvriers est une
entreprise absurde et impossible. N'oublions pas que cette même
loi a fait naître le grand mouvement qui a couvert nos campa-
gnes de syndicats agricoles : institutions admirables qui rap-
prochent toutes les classes, confondent leurs intérêts et leur
sont d'un puissant secours au milieu de la crise actuelle. Il faut
à tout prix les conserver et les développer. Sans doute Tindus-
trie n'offre pas les mêmes occasions que l'agriculture pour opérer
ces rapprochements. Mais ce n'est pas une raison pour contester
aux ouvriers le droit de s'associer afin de défendre leurs intérêts.
Nous devons donc réclamer pour tous les citoyens le droit de
former des associations ayant un but légitime, sans aucune
autorisation préalable et sans que ces associations puissent être
dissoutes autrement qu'en vertu d'un jugement motivé par une
violation de la loi. Elles doivent jouir de la plus grande liberté
possible: elles doivent pouvoir correspondre entre elles et s'unir
pour une action commune, recevoir dans leur sein toute per-
sonne majeure qu'un jugement n'a pas frappée d'indignité, pos-
séder des valeur^! mobilières et certains biens fonds, les recevoir
par donations ou testaments, ester en justice; en un mot,
acquérir la personnalité civile sous des conditions très larges
et excluant tout arbitraire (1).
PHILIPPE, Comte de Paris.
LA NEUTRALITE SCOLAIRE
Les francs-maçons et tous ceux qui travaillent, parlent, écri-
vent sous leurs ordres, ont décidé et juré que toute religion
devait disparaître de ce monde.
La première chose à faire pour en arriver là, c'est assurément
d'empêcher que les enfants et les jeunes gens prennent l'habi-
tude des pratiques de la religion, et même connaissent la reli-
gion. — Comment les empêcher de devenir chrétiens ? C'est bien
simple, se sont-ils dit: qu'à l'école ces enfants n'entendent plus
parler de religion, qu'ils n'aperçoivent jamais un signe, un em-
(1) Extrait de la brochure : Une liberté nécessaire : le droit à
l'association^
534 ANNALES CATMOLIQUKS
blèrae quelconque de religion, et ce sera bientôt fait. C'est pour
en arriver là qu'on a inventé l'Ecole neutre.
Qu'est-ce que c'est que cela, une Ecole neutre? C'est une
école oii il ne peut y avoir ni un crucifix, ni une image de la
sainte Vierge, ni un bénitier. C'est une école dans laquelle les
mots : Dieu, la sainte Vierge, ne peuvent pas être prononcés une
seule fois ni par les élèves, ni par les maîtres. C'est une école,
enfin, oii l'on travaille, oii l'on parle, comnie si la religion n'exis-
tait pas, comme si Dieu n'existait pas.
Quand les francs-maçons et leurs sujets ont voté les lois qui
font les écoles neutres, les braves gens leur ont dit : « Mais,
qu'est-ce que vous faites dortclà?Nous tenons à la religion pour
nos enfants comme pour nous ; nous ne voulons pas de ces écoles
où l'on ne peut même pas prononcer le nom de Dieu ». Et nos
députés, nos sénateurs, nos préfets, ont répondu aux braves
gens : « La religion ! mais nous y tenons autant que vous ! Seu-
lement, vous comprenez : les écoles des communes sont pour
tout le monde. S'il y a des familles qui n'ont pas de religion et
qui ne veulent pas de religion pour leurs enfants, on ne peut
pas la leur donner de force. C'est pour cela qu'on ne parlera
pas de religion à l'école, que personne n'y fera jamais même un
signe de croix ; c'est par égard pour ceux qui n'ont pas de reli-
gion. »
Et nous répondons à ces hommes politiques et à ces adminis-
trateurs hypocrites ; « Quand il y a cent mille personnes d'un
côté et mille de l'autre, on ne fait pas des lois pour ce millier,
mais pour les cent mille. On fait des lois pour la majorité, et
non pas pour des exceptions. Or, la majorité des familles veut
la religion pour les enfants. Cela est absolument vrai, puisque
partout, même dans les départements oii il y a le moins de vrais
chrétiens, les écoles libres et chrétiennes ont plus d'élèves que
les écoles communales, et toujours, au moins, plus d'élèves
(ju'elles n'en peuvent contenir.
« Votre loi est faite pour le petit nombre, pour lo toat petit,
nombre ; par cela seul, elle est donc injuste.
« Vous dites encore : « Il faut penser à ceux qui n'ont pas de
religion. » Et je vous dis : « Soit. Mais il faut penser aussi aux
catholiques qui veulent pratiquer leur' religion. » Il y a en
France, dit-on, trente mille sourds-muets, et à peu près autant
d'aveugles dés leur naissance, ou dés leur bas âge; en tout,
soixante mille sur trente-cinq millions. Ces sourds-muets ne
UN VAILLANT PORTE-CROIX K LADZERTE 535
peuvent être instruits que par des signes inventés tout exprès
pour eux. ?]st-ce qu'on dira : Il ne faut plus instruire que par
des signes les enfants qui ont de bonnes oreilles; vous compre-
nez : il peut y avoir un jour un sourd-muet dans la commune,
et il faut bien penser à lui. Pour les jeunes aveugles, on a inventé
l'alphabet en relief : ils suivent les lettres avec le doigt. ?]st-ce
qu'on dira : Désormais, tous les alphabets seront en relief ; vous
comprenez : il pourrait y avoir un enfant aveugle dans la com-
mune. Faisons donc comme si tous les enfants étaient aveugles.
[Revue d'Annecy.)
UN VAILLANT PORTE-CROIX A LAUZERTE
{Histoire vraie.)
I
C'était sous la Restauration, et le jour du Jeudi-Saint. En
quelle année? je l'ignore. Les chroniqueurs ne le disent pas.
D'ailleurs, la chose importe peu. La religion était, comme la
royauté, revenue de son exil, et de cette époque tournée provi-
dentiellement vers Dieu, on pourrait répéter aujourd'hui la
parole du poète :
« Et quel temps fat jamais plus fertile en miracles ! »
* On ne craignait pas d'affirmer sa foi, et dans les rangs de la
société profondément christianisée, il y avait une sainte rivalité
pour la manifester.
C'était donc le Jeudi-Saint. La cérémonie du matin avait eu
lieu, en grande pompe, dans l'église de Saint-Barthélémy. Au
Gloria, suivant l'usage, les cloches, dans une joyeuse envolée,
étaient parties pour Rome, à la grande joie des clercs qui
avaient agité la clochette de l'autel avec une pieuse frénésie, et
des carillonneurs qui allaient pouvoir se reposer pendant trois
jours.
Durant ces trois jours, en eflet, c'était le tambour qui devait
f^ervir de moniteur religieux et convoquer les lidéles aux offices.
Cn vieux soldat balafré qui avait fait les campagnes de l'Em-
pire, était payé par la fabiique iiour faire le tour de la ville, et
annoncer par un roulement spécial les cérémonies chrétiennes.
Ailleurs, c'est la crécelle qui appelle à l'église. Là, aujour-
d'hui comme autrefois, c'est le tambour. Or, le premier appe
536 ANNALES CATHOLIQUES
avait été roulé à 1 heure de l'aprés-raidi pour les Ténèbres du
soir qni devaient commencer à 3 heures.
Les enfants, en assez grand nombre — cet âge aime les spec-
tacles nouveaux — avaient suivi le vieux soldat qui s'acquittait
de son rôle avec une gravité parfaite, et faisaient aux boules
devant la porte de l'église, en attendant l'appel de 2 heures qui
leur promettait une nouvelle promenade à travers les rues.
Sur ces entrefaites, un cavalier et un piéton venant de Beau-
caire, petit village voisin, montaient doucement la côte qui con-
duit à la ville.
La journée était belle; mais le chemin était pierreux et la
montée un peu raide. On montait à petits pas et l'on causait de
la fête du jour.
Le cavalier était un gentilhomme, le piéton, un paysan. Le
premier s'appelait le marquis de Beaucaire, seigneur de Mon-
barla et de Pechperon^ et le second n'avait pas de nom connu;
c'était Pierre tout court, un serviteur du marquis.
Il avait fait des économies, s'était marié, et cultivait pour son
compte quelques arpents déterre, non loin du château de «on
seigneur avec lequel, d'ailleurs, il était resté dans les meilleurs
termes.
C'était un robuste gaillard qui dépassait la trentaine. Le
marquis comptait quelques années de plus. Tous les deux étaient
bons chrétiens, et de plus, membres dépuis quelque toinips dé la
Confrérie des Pénitents-Bleus d«» Lauzerte.
■ — Vous allez donc à la procession, M. le marquis, dit Pierre
à son ancien maître, au moment oii celui-ci semblait' presser
son cheval pour prendre les devants.
— Oui, avait répondu le marquis, et même aujoard*hui, je
veux poser ma candidature pour porter le Christ, pieds nus,
comme c'est la coutume.
— Eh bien! bonne chance, je vous souhaite de réussir, avait
ajouté le paysan, mais vous aurez, je crois, de rudes concur-
rents.
— Nous verrons, et sur ce, notre gentilhomme avait piqué
des deux pour arriver assez tôt à la cérémonie, car l'écho avait
apporté à son oreille le bruitdu tambour battant le second rap-
pel.
Il faut savoir qu'il j avait depuis un temps immémorial à
Lauzerte, une confrérie de Pénitents-Bleus que la Révolution
avait dispersée, mais qui, après le Concordat, s'était reformée
1
UN VAILLANT PORTK-CROIX A LAUZERTE 537
sur des bases nouvelles et qui, depuis la Restauration, marchait
à merveille.
Elle avait pour patron saint Jérôme, et c'est avec une solen-
nité particulière qu'elle en célébrait la fête chaque année. Elle
comprenait dans son sein des nobles et des bourgeois, des ou-
vriers et des paysans. Il suffisait pour en faire partie d'avoir
une conduite régulière, une attitude chrétienne à l'église, aux
enterrements, aux processions, et de mourir dans le sac bleu du
Pénitent. Ce sac couronné par un capuchon qui n'avait que
deux petites ouvertures rondes pour les yeux, était une vérita-
ble curiosité pour les enfants et les femmes.
Aussi, quand la Confrérie sortait pour la sépulture de l'un de
ses membres, allait loin dans la campagne pour chercher le
mort, et revenait en chantant le Miserere sur un ton plaintif et
lugubre, à travers les chemins rocailleux, toute la ville était
sur pied pour jouir du spectacle. Je me hâte de dire que ce
spectacle avait quelque chose de grandiose et de saisissant, à
condition pourtant • — ce qui, disent les mauvaises langues,
arrivait quelquefois — que dans le cortège des Pénitents-£^ews,
il n'y en eût pas quelques-uns qui fussent — le dirai-je? —
légèrement gris.
Il fallait parfois faire cinq, six, huit kilomètres dans les envi-
rons pour aller chercher le confrère défunt, et puis le porter à
l'église et de là au cimetière. A la maison mortuaire, on avait
la charitable habitude de donner du vin aux porteurs, aux
chantres, à tous ceux qui voulaient reprendre haleine, et dame î
il pouvait bien se faire que quelques-uns trahis par le jus de la
treille, devinssent plus gais qu'il ne l'aurait fallu en pareille
occurrence.
Ils n'en chantaient que mieux l'office, et d'ailleurs, personne,
à part les initiés, ne s'apercevait de la chose.
Pour la foule groupée dans les rues, la cérémonie était pleine
de grandeur. Aussi, pour la voir, les écoliers oubliaient régu-
lièrement la classe, et au passage de la procession, comme à ce
fameux passage historique chanté par le poète :
« Les poissons ébahis se mettaient aux fenêtres »
On aimait à deviner la tête que cachait le capuchon baissé de
la coule bleue. On désirait surtout découvrir le pénitent qui
portait le Christ, en tête du cortège. Car celui-là devait mar-
cher pieds nus, et de plus il avait dû acheter aux enchères,
l'honneur d'être porte-croix. 39
538 ANNALES CATHOLIQUES
C'était là une loi de la Confrérie : Quiconque, fîit-il gentil-
hororae, devait se déchausser pour avoir cet honneur alors très-
ambitionné, et d'après les règlements on ne l'accordait qu'au
plus offrant.
Le Christ qu'il fallait porter était beau, grand et passable-
ment lourd. Aussi le crucifère était-il ordinairement un homme
fort, bien planté et relativement dans l'aisance.
Il revenait parfois harassé, haletant, avec des pieds ensan-
glantés ; mais il était le héros de la journée, et son nom, quand
on pouvait arriver à le savoir, courait de bouche en bouche,
comme le nom d'un triomphateur.
Or, le jour du Jeudi-Saint, pendant l'office qui se psalmodiait
à la grande église, la Confrérie visitait, en procession, Notre-
Dame des Carmes et la chapelle de Saint-Mathurin, et c'était
justement le jour oii les enchères montaient le plus haut pour
l'obtention de l'honneur tant convoité.
Revenons à notre histoire.
Trois heures allaient bientôt sonner, et le vieux soldat balafré
battait son troisième rappel dans les rues.
Les Pénitents étaient réunis dans la salle de leurs délibéra-
tions, prés de la chapelle de Notre-Dame des Vaux, jadis rendez-
vous d'assez nombreux pèlerinages, quand entra le marquis de
Beaucaire.
Il venait avec l'intention — nous l'avons dit — de poser sa
candidature pour être porte-croix du Jeudi-Saint.
La veille, sa vieille mère — une sainte femme qui avait tra-
versé saine et sauve les horreurs de la Révolution — lui avait
dit: « Mon fils, vous êtes par votre naissance le défenseur du
trône et de l'autel, et j'espère que demain, à la procession des
Pénitents, vous voudrez montrer que beau sang ne sait pas
mentir; vous voudrez avoir l'honneur de porter le Christ à la
cérémonie de la visite des tombeaux. Mais de grâce, ne vous
laissez pas battre par un manant. »
« — Ma mère, avait-il répondu, vous pouvez compter sur
moi. »
Mais il avait rencontré sur son chemin son concurrent prin-
cipal, et il allait de nouveau le voir en face au moment des
enchères : c'était Pierre !
« La mise à prix, dit le Prieur d'une voix grave et solen-
nelle, est, aujourd'hui comme toujours, pour commencer, de
cinq sols. » ' "
i
UN VAILLANT PORTE-CROIX A LAUZKRTE 539
Dans un clin d'œil, cette petite somme fut portée à 25, à 50
et à 100 livres. Puis la surenchère monta si haut qu'on arriva à
500 livres.
L'office allait commencer, les Pénitents n'attendaient plus
<jue l'ordre de se mettre en rang pour la procession, la plus belle
de l'année.
Les dignitaires étaient déjà armés de leurs bâtons surmontés,
suivant leurs fonctions, d'une statuette de saint Jérôme ou d'une
simple croix.
M. le curé fit dire qu'il allait commencer. L'église était rem-
plie, le peuple attendait, et l'enchère n'était pas encore finie. Le
marquis et Pierre se disputaient toujours avec acharnement le
droit de porter le Christ.
Qui l'emporta ? Le gentilhomme? Non. Le paysan. 11 avait
offert 600 livres, et son rival qui avait poussé à 575, mais que la
Révolution avait un peu rfcsar^en^É'', avait baissé pavillon devant
lui.
Pierre s'était dit: je vendrai, s'il le faut, une pièce de terre;
mais je veux remporter la victoire et il l'avait remportée.
A trois heures un quart, la procession sortait, composée d'une
centaine de Pénitents qui chantaient un triomphant Te Deum,
et en tête, marchait pied nus, heureux et fier comme un vain-
queur, Pierre le manant de Beaucaire qui portait l'image de
son Dieu.
Personne ne le reconnut; mais le soir tout le monde savait
son histoire ; on la racontait à la ville et au faubourg.
Notre héros était rentré chez lui, et en arrivant, avait dit
tout simplement à sa femme : « Françoise, il me faudra vendre
notre plus belle pièce de terre.
« — Et pourquoi donc ? demanda celle-ci qui ne savait rien du
grand événement ; car elle était restée à la maison pour garder
les enfants.
« — C'est parce qu'aujourd'hui, j'ai porté le Christ des Péni-
tents et que j'ai acheté cet honneur 600 livres.
« — Eh bien, repartit Françoise, en embrassant son homme,
tu as bien fait. Nous serons plus pauvres ; mais le bon Dieu que
tu as porté, nous bénira! ! ! »
Au château, on fut triste. La vieille marquise n'entendit pas
sans chagrin le récit de son fils et ne put se consoler qu'à la
pensée qu'une autre année, il serait plus heureux.
540 ANNALES CATHOLIQUES
II
L'histoire ne nous dit pas ce qui arriva l'année suivante. Elle
nous apprend seulement que le duel chrétien qui avait eu lieu
entre le marquis et Pierre, eut de bons résultats pour ce dernier.
Il aliéna une grande partie de son petit patrimoine pour faire
honneur à la dette sacrée qu'il venait de contracter, mais il n'en
fut pas plus malheureux. Le bon Dieu se plut à bénir visible-
ment ses récoltes, sa famille et ses enfants. Quand son heure
fut venue, il mourut plein de jours et de mérites, et lorsque ses
confrères allèrent le chercher à Beaucaire, pour le porter en
terre, ce fut le fils aîné du marquis qui demanda et obtint l'hon-
neur d'être porte-croix. Ce fut là la récompense du paysan et la
revanche du gentilhomme.
Il y a dans ce fait qu'on ne saurait trop louer, un exemple de
foi vive et d'émulation chrétienne qu'on ne peut qu'admirer.
Quand reviendront àLauzerteet ailleurs les jours où un pau-
rre sera capable de vendre un champ pour disputer à un riche
un droit religieux, un honneur sacré? Dieu seul pourrait le
dire. Il faudrait, dans tous les cas, pour qu'un acte pareil à celui
que je viens de raconter se reproduisît, une restauration reli-
gieuse qui ne paraît pas près de s'accomplir.
Ombres des Carmes et des Capucins, des Clarisses et des
Mirepoises, qui venez quelquefois, au dire des vieilles légendes,
errer sur les débris de vos anciens monastères rongés par le
temps et transformés par la Révolution, qu'en pensez-vous?
Abbé H. Cailhiat.
NOUVELLES RELIGIEUSES
F'i'nnce
Marseille. — L'église de Sainte-Marie-Majeure, la cathé-
drale de Marseille, l'édifice religieux le plus important construit
dans le siècle et unique par son style architectural, a été inau-
gurée et livrée au culte. C'est M. le préfet qui a fait remise des
travaux à l'évêque au non^ de l'Etat.
La cathédrale est l'œuvre de M. Léon Vaudoyer, successive-
ment continuée par MM. Espérandieu et Réveil. La première
NOUVELLES RELIGIEUSES 541
pierre fut posée par Napoléon en 1852. Plus de dix mille per-
sonnes ont assisté à la cérémonie.
Dès huit heures, le vicaire général, M. Olivier, a commencé
à béiiir les murs extérieurs et intérieurs. Une foule considérable
stationnant aux abords de l'église a été alors admise à pénétrer
dans la nouvelle cathédrale.
Une grand'messe a été ensuite célébrée par Mgr Robert,
évèque de Marseille, entouré d'un nombreux clergé.
Au banc d'honneur se trouvaient, avec le préfet, M. Bérard,
adjoint au maire, délégué de la municipalité et de nombreux
conseillers municipaux, les présidents du tribunal civil et du
tribunal de commerce et toutes les autorités civiles.
Le D' Flaissière, maire de Marseille, indisposé, était repré-
senté par M. Dubois, son secrétaire particulier.
Mgr Jaufiret, évêque de Bayonne, assistait à la cérémonie.
Selon l'antique usage, la corporation des calfats, qui a pris
ipart à la procession, portait les écussons de la ville.
La cérémonie a été terminée à onze heures et demie.
L'évêque de Marseille est venu solennellement remercier les
autorités.
Terre- Sainte. — La Revue illustrée de la Terre-Sainte
donne sur la situation actuelle de l'Orient, au point de vue
chrétien, le tableau sommaire des églises orientales unies :
1° Les Chaldéens unis de Turquie et de Perse, sous la juridiction
du patriarche de Babylone ;
2° Les Syriens unis, relevant d'un patriarche du titre d'Antioche;
3» Les Maronites, sous l'autorité d'un patriarche également du
titre d'Antioche, formant un groupe de 250,000 âmes environ;
4» Les Arméniens unis de l'Orient qui ont un patriarche du titre de
Cilicie et dix-sept ou dix-huit évêques ;
5° Les Grecs unis d'Orient, dépendant d'un patriarche du titre
d'Antioche; Grégoire XIV joignit à ce titre ceux d'Alexandrie et de
Jérusalem ;
6° Les Coptes, qui forment en Egypte une communauté catholique
encore peu nombreuse ;
7» A ces Eglises orientales proprement dites, il faudrait joindre
encore, pour donner une idée générale des rites orientaux unis : les
Arméniens unis d'Autriche, de Venise et de Rome ; les Géorgiens
unis de Constantinople ; les Ruthènes unis de la Pologne, de la
Galicie et de la Hongrie ; les Serbes unis de la Croatie; les Valaques
542 ANNALES CATHOLIQUES
unis de l'Autriche, et les Bulgares unis de la Bulgarie proprement
dite, de la Macédoine et de la Thrace.
A ce tableau des Eglises uniesjoignons un aperçu des Eglises, non
unies, et nous aurons une notion générale de l'état de la religion
chrétienne en Orient.
1« Les Nestoriens, la plus ancienne des communautés détachées de
l'Eglise catholique, est celle qui aujourd'hui s'en rapproche le plus.
Ils sont gouvernés par un patriarche qui réside à Koclhanès et porte
le nom de Catholicos ;
2" Les Syriens Jacobites, répandus en Syrie, en Mésopotamie et
dans les Indes ;
3° Les Arméniens non unis, appelés Grégoriens ;
4» Les Grecs non unis ;
S» Les Coptes non unis.
LA DECLARATION MINISTERIELLE
Voici le texte de la déclaration du nouveau nainistère qui a
été lue, liier, à la Chambre des députés, par M. Casimir Parier,
ministre des affaires étrangères, et au Sénat, par M. Spuller,
ministre de l'instruction publique.
Messieurs,
Le gouvernement qui se présente devant vous trouve son devoir
tracé par l'expression récente des volontés du pays. Jamais la France
n'a affirmé avec plus de force son attachement à la République, son
aversion pour un régime de réaction, son respect pour la liberté de
la pensée et de la conscience, sa foi dans le progrès; jamais le suf-
frage universel n'a plus nettement condamné la politique des formules
abstraites, des préventions injustifiées, des classifications arbitraires,
ni plus énergiquement réclamé, en face des théories d'une certaine
école, le maintien de l'ordre et la défense des principes que la Révo-
lution française a donnés pour assises à la société moderne : liberté
et propriété individuelles.
Ce sera répondre aux vœux de la France d'apporter dans la .
direction des affaires publiques cette unité et , cette fixité de vue qui
constituent seules un gouvernement digne de ce nom ; de servir' la
démocratie sans arrière-pensée, avec dévouement, avec confiance;
d'opposer aux doctrines socialistes, qui, en se produisant à la tribune
du Parlement, témoignent nécessairement leur respect pour la sou-
veraineté nationale, non le dédain, mais l'action généreuse et
féconde des pouvoirs publics.
C'est pour gouverner avec toutes les lois qui sont déjà le patri-
DÉCLARATION MINISTÉRIELLE b'i^
moine de la République et en nous inspirant des espérances de la
nation que nous assumons la responsabilité du pouvoir.
Nous pensons qu'il faut plus équitablement répartir le poids de
l'impôt, qu'il faut, tenant compte des modifications qui se sont pro-
duites depuis un siècle dans la distribution de la fortune publique et
dans la valeur respective des éléments qui la composent, remanier
les contributions directes, pour leur rendre le caractère qu'avait
voulu leur donner l'Assemblée constituante, et atteindre surtout la
richesse acquise.
D'autres réformes nous apparaissent légitimes et possibles : assurer
grâce à une revision du cadastre et à un cadastre tenu à jour, la base
d'un établissement précis de la propriété foncière et de donner un
point d'appui plus solide au crédit agricole, demander à un relève-
ment, modéré en ligne directe, des droits de succession les ressources
suffisantes pour défalquer le passif dans le calcul des taxes à acquitter
et pour dégrever sensiblement les ventes d'immeubles ; étudier la
création d'une caisse des retraites pour les travailleurs, avec la
volonté d'accomplir ce grand acte de solidarité sociale ; soumettre au
Parlement les modifications qui doivent être apportées à la législa-
lation des boissons; régler, sur les bases du projet dont les Chambres
ont été saisies, les relations de l'Etat et de la Banque de France.
Le Cabinet est résolu à défendre l'œuvre économique de la précé-
dente législature, à venir en aide à notre agriculture, à notre indus-
trie. Nous avons déjà parlé du crédit agricole; nous vous saisirons
de projets relatifs aux assurances agricoles. Relever le courage,
«econder les efforts de cette vaillante démocratie rurale, qui est une
des sources les plus fécondes de richesse pour le pays et de force
pour les institutions républicaines nous apparaît comme un devoir
impérieux.
Nous comptons déposer un projet de loi sur les Associations. Quant
à la séparation des Eglises et de l'Etat, la politique respectueuse du
suffrage universel ne devance ni les mœurs ni les manifestations de
l'opinion publique, et, surtout dans le domaine des questions qui
touchent à la liberté de conscience, rien ne peut être entrepris
■qu'après le consentement du pays.
Déterminés par des considérations de même nature, nous vous
demanderons d'écarter toute proposition tendant à la revision de la
Constitution.
Nous pensons qu'il faut ranger parmi les réformes les plus instam-
ment réclamées des modifications sérieuses à introduire dans nos
Codes de procédure pour en faire disparaître les complications. Ce
sera l'honneur delà République de rendre la justice plus rapide et
moins coûteuse.
Notre politique extérieure, — et, sur ce terrain, des événements
inoubliables l'attestent, toutes les dissidences disparaissent, — s'ina.-
544 ANNALB8 CATHOLIQUK8
pirera toujours de ce que commande la dignité d'une nation assez
puissante pour proclamer qu'elle veut sincèrement la paix, et pour
défendre, sur tous les points du globe, ses droits, les intérêts de son
commerce et de son industrie.
C'est assurément l'ambition d'un gouvernement d'eflFacer les pré-
ventions et de convaincre ses adversaires. C'est la nôtre. Nous ne
voulons, nous ne pouvons y réussir que par la loyauté du langage et
la fermeté des résolutions.
Quelques principes qu'ils servent avec les armes pacifiques de la
liberté, les représentants dé la nation ont ici les mêmes droits et, au
regard de la souveraineté nationale, ils siègent au même titre.
Mais nous n'aurons d'autorité, nous n'avons de raison d'être que,
si, placés comme nous le sommes, entre les adversaires de la Répu-
blique et ceux qui veulent détruire l'œuvre sociale de la Révolution
française, noua obtenons le concours permanent d'une majorité réso-
lue à servir la cause à laquelle nous donnons tout notre cœur et
toutes les forces de notre volonté.
LES CHAMBRES
Pour ses débuts et aussitôt après la lecture do la déclaration,,
le cabinet a eu à discuter lundi une demande d'amnistie déposée
par M. Paschal Grousset, amnistie à accorder à tous les indi-
vidus condamnés pour crimes ou délits politiques, faits de
grève ou faits connexes, délits de paroles ou de réunion. Les
débats ont été vifs. M. Rajnal, le ministre de l'intérieur, a
repoussé l'amnistie : la clémence lui suffit. Il a été violemment
pris à parti par un ancien boulangiste, et il a eu quelque'^peine
à tenir tête aux attaques dont il a été l'objet. La discussion
générale close, le scrutin a été ouvert pour la passage à la dis-
cussion des articles. C'était là que l'on allait se compter. Il a
fallu procéder à un pointage, et le rejet du passage a été voté
par 257 voix seulement contre 226. C'est un maigre succès pour
une première bataille.
Le lendemain, on s'est compté à nouveau au sujet de la nomi-
nation du président de la Chambre, M. Périer, comme de juste,
ayant. donné sa démission.
MM. Brisson et Ch. Dupuy, le ministre d'hier, étaient en
présence.
De même que le ministère Casimir Perier repoussait l'am-
nistie, de même il combattait M. Brisson et soutenait M. Dupuy.
LBS CHAMBRES 545
En réalité, la question de confiance était posée sur l'élection
à la présidence de la Chambre, comme sur la question de
l'amnistie.
Personne ne s'y est trompé : c'était pour et contre le minis-
tère que l'on votait.
Seconde victoire du cabinet, victoire très disputée, comme
l'a été la première.
L'analyse de ces deux scrutins est intéressante à. établir.
L'urgence sur la proposition .d'amnistie a été repoussée par
257 voix contre 226.
La majorité comprenait lundi 206 républicains, 33 membres
de la Droite et 18 membres de la Droite républicaine.
La minorité comprenait 211 républicains, 7 membres de la
Droite et 8 membres de la Droite républicaine.
L'élection de M. Dupuy a été faite par 351 voix contre
213 voix données à M. Brisson.
Les deux scrutins se ressemblent comme deux gouttes d'eau.
Ceux qui ont voté pour M. Dupuy sont ceux qui ont voté
contre l'amnistie.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Le nouveau ministère. — Déclaration. — Dissolution de syndicats.
Les Jésuites en Allemagne.
7 décembre 1893.
Le Journal officiel a publié dimanche, 3 décembre, lès décrets
suivants :
Le président de la République française ;
Décrète :
Art. premier. — M. Casimir-Pér'ier, député, est nommé ministre
des affaires étrangères, en remplacement de M. Develle, dont la dé-
mission est acceptée.
Art. 2. [ — Le président du conseil, ministre de l'intérieur, est
chargé de l'exécution du présent décret. '
Fait à Paria, le 3 décembre 1893. i'.Gjmsot:
Par le président de la République :
Le président du conseil, ministre de Vintérieur^
Ch. Dupuv.
■ ^ . ; fa j, :.'î'tf "t. 1 - .
Le président de la République française.: .. .^; ,.^> . . ;.
Décrète :
546 ANNA.LES CATHOLIQUES
Article premier. — M. Casimir-Périer, député, ministre des affaires
étrapgères, est nommé président du conseil des.rainislres, en rempla-
cement de M. Ch. Dupuy, dont la démission est acceptée.
Art. 2. — 1(6 président du conseil, ministre de l'intérieur, est chargé
de l'exécution du présent décret.
Fait à Paris, le 8 décembre 1893. '-'5'-' C^BNOtV;
Par le président de la République : " ' ." '->*'-."^-y* ' a' -.i^-' -/^
Le président du conseil, ministre de l intérieur,- ^- ■--•-' , >■'
■ - Ch-. Dupuir/-^:-" '--•■ ■■ • • ' ■'■■ j^i-'--- ■■-.■i t-"_ji.-^-fJ,../i ■ .
y- -.h*-: ;.,..■,■■- -.--^ • [ •;:.■- -. -.j}'»-; ■ m*. '
Suivent neuf autres décrets, contresignés . cette fois par.
M. Casiiuir-Perier, et dont voici la substance :
M. liaynal, député, est nommé ministre de l'iotérieur, en rempla-
cement de M. Ch. Dupuy, dont la démission est acceptée.
M. Bardeau, député, est nommé ministre des finances, en rempla-
cement de M. Peytrai, dont la démission est acceptée.
M. le général Mercier est nommé ministre dé |la guerre, en rem-
placement de M. le général Loizillon, dont la' démission est acceptée.
■ M. le vice-amiral Léfèore est nommé ministre de la marine, en
remplacement de M. le vice-amiral Rieunier, dont la démission est
acceptée.
M. Spuller, sénateur, est nommé ministre de l'inslruction pu-
blique, des beaux-arts et des cultes, en remplacement de M. Poin-
caré, dont la démission est acceptée.
M. Jonnart, député, est nommé ministre des travaux publics, en
remplacement de M. Terrier, dont la démission est acceptée.
M. Marti/, député, est nommé ministre du commerce, de l'indus-
trie et des colonies, en remplacement de M. Terrier, dont la démission
est acceptée.. •
M. Viger^ député, est nommé ministre de l'agriculture.
Enfin, lundi, \e Journal o/7?cî«^ a publié un dernier décret,
coutresig-nê par M. Martj, et ainsi conçu :
M. Maurice Lebon, député, est nommé sous-secrétaire d'Etat au
ministère du commerce, de l'industrie et des colonies, en remplace-
ment de M. Delcassô, dont la démission est acceptée.
M. Maurice Lebon est spécialement chargé de l'administration des
colonies.
Voici quelques notes biographiques sur les ministres qui com-
posent le nouveau cabinet formé par M. Casimir Perier :
M, Casimir Perier.
Le nouveau président du Conseil est tout jeune encore. Il est
né à Paris, le Sjioverabre 1847. Petit-fils du célèbre ministre
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 547
de Louis-Philippe enlevé par le choléra en 1832, fils du ministre
de l'intérieur de M. Thiers noort en 1870, M. Casimir Periér fit
a'.i lycée Bonaparte de braillantes études, et fut lauréat au con-
cours général. En 1870, à l'âge de vingt-trois ans, il prit part
en qualité de capitaine de la garde mobile de l'Aube aux combats
livrés autour de Paris. A Bagneux, il était aux côtés du com-
mandant de Dampierre, lorsque celui-ci tomba mortellement
frappé à l'assaut d'une barricade. Ce fut lui, qui sous une grêle
de balles, ramassa le corps de son chef. Il fut porté à l'ordre du
jour « comme avant enlevé sa compagnie avec un entrain remar-
quable ». Le 8 janvier 1871, il fut nommé chevalier de la Légion
d'honneur.
Après la guerre, M. Casimir Perier devint attaché au minis-
tère de l'intérieur, puis chef de cabinet. Elu conseiller général
en 1873, il n'a pas cessé depuis cette époque de représenter le
canton de Nogent-snr-Seine.
En 1876, il se présenta aux élections législatives comme can-
didat républicain etfutélu sans concurrent. Après le Idmai 1877,
M. Casimir Perier fut sous-secrétaire d'Etat au ministère de
l'instruction publique.
En 1883, au moment oii s'agitait la question de l'expulsion
des princes, il estima qu'il ne pouvait concilier le respect dû à
la mémoire des siens avec l'expression de ses convictions répu-
blicaines et donna sa démission. Les électeurs le renrojèrent à
la Chambre avec une grande majorité. En novembre 1883, il
entra au ministère de la guerre comme sous-secrétaire d'Etat
et fut pendant quinze mois le collaborateur du général Carapenon.
Après les élections de 1885, la Chambre le choisit comme l'un
de ses vice-présidents. A la fin de la dernière législature, il fut
porté à la présidence de la Chambre et réélu au début de la
législature actuelle.
M. Casimir Perier a fait partie des commissions les plus im-
portantes, notamment de celle du budget; il a souvent pris la
parole à la Chambre dans les questions financières, diplomati-
ques et militaires. Comme président de la Chambre, M. Casimir
Perier avait fait preuve de fermeté et en même temps de cour-
toisie ; il avait su se concilier les sympathies de tous les groupes
de la Chambre.
, i M. Burdeau.
M. Bdrdeau eât dé^tité de la première circonscription de'
548 ANNALES GATHOLIQUBS
Lyon; il a quarante-deux ans. Ancien élève de l'École normale,
ilfut décoré en 1871 pour sa belle conduite à rarmée de l'Est
cil il fut grièvement blessé. Agrégé de philosophie, il fut suc-
cessivement professeur à Saint-Etienne, à Nancy et au lycée
Louis-le-Grand. Lorsque M. Paul Bert fut nommé ministre de
l'instruction publique dans le cabinet du 14 novembre 1881, il
choisit M. Burdeau comme chef de son cabinet. M. Burdeau a
fait partie de la presse pendant plusieurs années et on se rap-
pelle encore la campagne qu'il fit dans le Globe contre la Banque
de France.
. Elu député du Rhône en 1885, M. Burdeau a été rapporteur
du budget de l'instruction publique et ensuite rapporteur du
budget. Il fut quelque temps ministre de la marine et c'est sous
sa direction que fut organisée l'expédition du Dahomey. M. Bur-
deau a publié des traductions de plusieurs ouvrages d'Herbert
Spencer et de Schopenhauer.
M. Raynal.
Député de la quatrième circonscription de Bordeaux, M. Ray-
nal est né le 26 février 1840 et appartient à la religion Israélite.
Il est député depuis 1876, a été sous-secrétaire d'Etat au minis-
tère des travaux publics dans le cabinet du 23 septembre 1880,
ministre des travaux publics dans le ministère Gambetta et dans
le second cabinet Ferry. Le passage de M. Raynal aux affaires
a été marqué par le vote des conventions conclues avec les
grandes Compagnies de chemins de fer qui donna lieu à de si
vives discussions.
M. SpuUer.
M.Eugène SpuUer, publiciste, est né à Seurre (Côte-d'Or), le
8 décembre 1835. Il a occupé dans la presse une place très dis-
tinguée. D'abord député de Paris, il fut sous-secrétaire d'Etat
aux affaires étrangères avec Gambetta, puis ministre de l'ins-
truction publique dans le cabinet Rouvier (30 mai 1887). Le
22 février 1889, il remplaça M. Goblet au département des af-
faires étrangères et fut élu député de Beaune (Côte-d'Or). Il
représente actuellement ce département au Sénat.
Le général Mercier.
Le général Mercier commandait en dernier lieu le 18*= corps
d'armée à Bordeaux. Il a été appelé à ce poste important à la
CHKOMQUE DE LA SEMAINE 549
suite des dernières manœuvres de Beauvais, dans lesquelles ilse
révéla comme tacticien remarquable. Né à Arras, le 7 dé-
cembre 1833, il est entré à l'Ecole polytechnique le l*"" oc-
tobre 1852 et appartient à l'arme de l'artillerie. Il était capi-
taine au moment de la guerre, il fut nommé général de brigade
le 27 décembre 1884. En 1888, M. de Frejcinet, alors ministre
de la guerre, l'appela à la direction des services administratifs
de son ministère. Le général Mercier fut promis divisionnaire
le 11 juillet 1889 et alla commander à Amiens la 3« division
d'infanterie, c'est d'Amiens qu'il partit pour aller commander le
18* corps.
L'amiral Lefèvre.
L'amiral Lefèvre est entré en 1845, à l'âge de dix-sept ans,
à l'Ecole navale. Si nous le suivons dans sa longue carrière de
marin, nous le trouvons successivement à la station navale de
la Réunion, dans l'escadre de la Méditerranée, sous les ordres
de Jurien de la Graviére, dans les mers de Chine, où il se dis-
tingua à l'incendie de la ville de Macao. Lieutenant de vaisseau
en 1859, il devint officier d'ordonnance de l'amiral Larrieu et fit
sous ses ordres la campagne du Mexique. Pendant la guerre,
le capitaine de frégate Lefèvre remplit les fonctions d'aide de
camp auprès de l'amiral^ Fourichon. 11 remplit de nouveau les
mêmes fonctions, en qualité de capitaine de vaisseau, lorsque
l'amiral Fourichon redevint ministre de la marine en 1876.
Au commencement de 1881, il reçut le commandement de la Re-
vanche, avec laquelle il prit part au bombardement de Sfax et
à l'afi'aire de Gabès. 11 siégea ensuite pendant deux ans au con-
seil des travaux. Promu contre-amiral en 1884 il occupa les
fonctions de major de la flotte à Brest et commanda en chef la
division navale du Pacifique.
A la suite de ce commandement, il obtint le grade de vice-
amiral et fut nommé chef du service hydrographique de la ma-
rine, service qu'il abandonna pour prendre le commandement
chef de l'escadre du Nord. C'est là que M. Casimir Perier a été
le chercher pour occuper le ministère de la rue Royale.
M. Antonin Dubost.
Député de la première circonscription de la Tour-du-Pin,
M. Antonin Dubost a quarante-neuf ans. 11 débuta sous l'Em-
pire dans le journalisme, fut chef de cabinet de M. Le Royer,
550 ANNALES CATHOLIQUES
lorsque celui-ci était ministre de la justice. Elu député en 1880,
M. Antonin Dubost a été rapporteur de divers projets impor-
tants et rapporteur général du budget de la dernière législature.
M. Jonnart.
M. Charles Jonnart est député de la deuxième circonscription
de Saint-Omer, il a trente-six ans, il a été longtemps chef de
cabinet du gouverneur de l'Algérie. Républicain de la nuance
Ribot, protectionniste, il a été élu député en 1885.
M. Marty.
M. Marty est un ancien avocat de Carcassonne et représente
la première circonscription de cet arrondissement à la Chambre.
Il est président du groupe viticole et ancien vice-président de la
commission des douanes.
M. Viger.
Député du Loiret, M. Viger est le seul membre du précédent
cabinet. Il a été à la commission des douanes le lieutenant infa-
tigable de M. Méline, et le rapporteur des droits sur les pro-
duits agricoles.
Tel est le ministère Casimir-Périer. De la lecture de la
Déclaration qu'on a lue plus haut, il ressort que c'est bien à
gauche et avec la gauche, que M. Casimir-Périer entend mar-
cher et gouverner. Ceux qui s'attendaient à une déclaration de
nature à satisfaire les modérés, les hommes qui, par raison ou
par calcul, ont passé le Rubicon constitutionnel, n'ont plus à
conserver d'illusion. C'est pour gouverner « avec toutes les lois
€ qui sont déjà le patrimoine de la Républque » que le nouveau
€ ministère assume la responsabilité du pouvoir ». Il ne faut pas
s'en étonner. A Troyes, il y a quelques mois, dans un banquet
politique, M. Casimir-Périer s'était prononcé en ces termes pour
la concentration républicaine ; «L'armée républicaine n'accepte
« et n'accueille que ceux qui s'enrôlent comme soldats. Il ne
« suffit pas de rédiger des déclarations constitutionnelles : il
€ faut être constitutionnel dans ses actes et même dans ses espé-
« rances. » On ne peut donc accuser le président du Conseil de
variation, et si les libéraux se sont trompés sur les tendances
de M. Casimir-Périer, c'est qu'ils ont été dupés par ce nom de
Casimir-Périer, qui est resté synonyme de résistance aux idées
CHRONIQUE DR LA SEMAINE 551
dont celui qui le porte aujourd'hui s'est constitué au contraire
le défenseur résolu. Les auxiliaires principaux, d'ailleurs, dont
il s'est entouré nous avaient mis, comme on dit, la puce à l'oreille,
et laissé quelque peu sceptique sur les tendances que l'on prê-
tait à M. Casimir-Périer : M. Burdeau et M. Rajnal ont joué
dans la politique de ces dernières années un rôle trop en vue
pour que nous avons besoia d'insister.
Mais revenons à la Déclaration. Elle est écrite avec plus de
simplicité que celle de M. Ch. Dupuy, mais elle est tout aussi
surchargée que celle dont elle n'est en somme qu'une répétition.
Le cabinet a tracé un programme, qui, pour être exécuté, de-
manderait une législature tout entière. Or, qui sait oii sera le
cabinet dans trois mois, et qui oserait prétendre que le bon ac-
cueil qu'il a reçu, constitue pour lui un brevet de longue vie?
La Déclaration nous promet la revision du cadastre, la création
d'un crédit agricole et des assurances agricoles, une loi sur les
associations, la revision du code de procédure, un relèvement
des droits de succession en ligne directe — ce qui a été mal
accueilli au Sénat — et enfin elle nous apprend que le ministère
s'opposera et à la séparation de l'Eglise et de l'Etat et à la revi-
sion. Combien dd ces projets verrons-nous aboutir?
L*un des derniers actes du ministère Dupuy a été la dissolu-
tion de plusieurs syndicats ouvriers. Il f.st vrai que ces syndicats
étaient catholiques. C'est ce qui explique que le gouvernement
de la République n'a pas hésité à les frapper, montrant en la
circonstance un esprit de décision dont il aurait pu trouver ail-
leurs un meilleur emploi.
A la suite d'une conférence faite en avril 1891 par l'abbé Gar-
nier, une association fut fondée à Albi sous le nom d'Union des
syndicats catholiques de l'agriculture, du commerce et de l'in-
dustrie. Cette association comprenait quatre syndicats : celui
de l'Agriculture, celui de l'Habillement, celui du Bâtiment et
celui des Produits alimentaires. Mais ces syndicats étant des
syndicats catholiques, le procureur de la République d'Albi
adressa au procureur général de Toulouse des rapports, les 4 et
30 janvier suivants, émettant un avis défavorable à ces diverses
associations.
Le Figaro publie les principaux passages de la réponse confi-
dentielle que le procureur général de Toulouse a faite, le 14 oc-
552 ANNALES CATHOLIQUES
tobre, au procureur de la République d'Albi. Ea voici la partie
essentielle :
Syndicat de l'Agriculture. — L'article 2, paragraphe 2, des
statuts, énumère parmi les conditions d'admii^sion : « l" l'obligatiou'
d'être catholique et d'houorersa foi par la conduite», disposition qui
présente un caractère religieux contraire au texte et à l'esprit de la
loi ; « 2<» l'obligation de respecter le repos du dimanche », cause qui
trahit le but religieux poursuivi par l'association.
Cette dernière observation s'applique également aux motifs d'exclu-
sion suivants : « Irréligion notoire et affiliation à des associations
manifestement opposées par leurs tendances aux principes de l'Union. »
M. le garde des sceaux estime qu'il convient d'EXiGBR la suppres-
sion des dispositions ci-dessus énumérées..,
SvNDicAT DES PRODUITS ALIMENTAIRES. — Les articles 3, 5 et 6 pla-
cent le Syndicat sous la dépendance absolue de l'Union qui, seule,
peut agréer et expulser les membres et ratifier les décisions de la
chambre syndicale. Ces dispositions contraires au principe de l'indi-
vidualité des syndicats ne peuvent être maintenues. >
Les conditions d'admission et d'exclusion énumérées dans l'article 3
accusent une tendance religieuse en opposition avec l'esprit et le
texte de la loi de 1884, et doivent par suite être supprimées...
Union des syndicats catholiques. — L'examen des statuts de
cette union révèle chez ses fondateurs une tendance manifeste à
ériger la corporation en un vaste syndicat contrôlant, dirigeant et
absorbant en quelque sorte les associations adhérentes, qui ne con-
servent plus qu'une indépendance illusoire.
C'est ainsi qu'aux terrbes de l'article 2 du chapitre 2, le conseil'
général de l'Union "détermine quels sont les syndicats qu'il est op-
portun de former,, prononce l'admission dans les syndicats des can-
didats ainsi que leur maintien, convoque les syndicats et prend toutes,
les mesures utiles à leurs intérêts.
D'autre part, le chapitre IV des statuts prévoit la création d'un
certain nombre d'institutions de prévoyance, administrées par le
conseil de l'Union, bureau de placement, office de renseignements
commerciaux, bureaux de consultation juridique, conseil d'arbitrage,
bureau de consultation médicale, etc.
Ces'diverses dispositions sont iriégulièrès. ' '
II convient, en effet, de remarquer que chacun des s^'cidicats reliés'
à rUnioû doit avoir son existence propre, son adnïinistration indé-
pendamte, son patrimoine distinct. En outre, PUnionV dépourvue de
la personnalité civile, n'est pas autorisée par la loi à fonder, et à< ad-
ministrer les institutions de bienfaisance.
Il conviendra,; dès lors, d'exiger une refonte complète, dans le sens
des observations qui précèdent, des statuts de l'Union, ainsi que la
suppression de toute disposition présentant un caractère religieux.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 553
Je vous prie de vouloir bieu, monsieur le procureur de la Répu-
blique, faire inviter les administrateurs des Syndicats et de l'Union
à se conformer aux instructions qui précèdent, en les avertissant que,
faute d'obéir à cette injonction, ils s'exposeraient à des poursuites
judiciaires par application de l'article 9 de la loi de 1884.
Vous voudrez bien me tenir informé du résultat de vos diligences
dans cette affaire.
Se conformant aux instructions de son chef hiérarchique, le
procureur de la République d'Albi a demandé aux intéressés de
modifier leurs statuts dans le sens qui lui avait été indiqué.
M. Drezet, président de l'Union, et les présidents des syndi-
cats ont répondu dans une lettre collective qu'ils n'avaient rien
à modifier et qu'en protestant énergiquement contre les modifi-
cations qu'on leur demandait — et qu'ils ne pouvaient d'ailleurs
accepter — ils préféraient se dissoudre.
Le Figaro, en publiant ces renseignements, dit que cette
affaire a produit dans le département du Tarn une impression
fâcheuse et notre confrère ajoute avec raison:
Ce n'est pas, pourtant, sur les syndicats catholiques d'Albi que
tous les journaux d'opinion modérée avaient appelé l'attention du
gouvernement, mais bien sur la chambre syndicale de Carmaux et sur
le maire de cette ville, M. Calvignac. Ce dernier, en effet, a menacé
M. le trésorier payeur-général d'Albi de susciter une nouvelle grève
si on exigeait la rentrée des amendes que quelques grévistes, en 1891,
furent condamnés à payer par le tribunal correctionnel d'Albi.
Le gouvernement aurait montré plus de fermeté en rappelant
M. Calvignac au respect de la loi, qu'en provoquant d'une ma-
nière si inopportune la dissolution des syndicats catholiques du
Tarn.
Le Reichstag allemand a tenu le l*"" décembre une séance
historique. A l'ordre du jour figurait la proposition du Centre,
tendant à l'abrogation de la loi du 4 juillet 1872 contre la Com-
pagnie de Jésus. La presse s'en était occupée en des sens divers,
et tous les groupes de la Chambre avaient pris d'avance position.
Les prévisions étaient que l'abrogation de la loi serait votée
peut-être, mais en tout cas à une très faible majorité.
Longtemps avant' l'ouverture dès portes qui donnent accès
aux tribunes du Reichstag, une foule considérable se pressait
devant le palais. En un clin d'oeil les tribunes ont été remplies^
on y remarquait surtout un grand nombre de dames; plusieurs
centaines de personnes n'ont pu trouver place. 40
554 ANNALES CATHOLIQUES
- Dans la salle, tous les groupes étaient fortement représentés;
mais le Centre et les socialistes étaient presque au complet. Le
chancelier de Caprivi et M. de Bœtticher siégeaient au banc du
gouvernement. Ni l'un ni l'autre n'a pris la parole. |
C'est au milieu d'une attention extraordinaire que !e comte
de Hompech, président du Centre, a motivé la proposition de
rappel des Jésuites. Il a surtout insisté sur l'égalité des citoyens
devant la loi et sur les considérations de sage politique, qui
conseillent d'effacer l'un des plus fâcheux souvenirs du Kul-
tuikampf. ■
Chaque groupe est ensuite venu préciser sa position par la
bouche de l'un de ses principaux chefs. Le débat a été en somme
très modéré, et tous les orateurs sont restés dans les considéra-
tions générales. La proposition du Centre a été combattue par
M. Kurt Merbach au nom du parti de l'Empire, par M. de Man-
teuffel au nom des conservateurs allemands, par M. de Marquard-
sen au nom des nationaux libéraux, et par M. Schrœder au nom
du parti libéral démocratique. Cependant, ce dernier parti n'a
pas suivi en entier le point de vue de son porte-voix, et à la
votation il s'est divisé. Un groupe de conservateurs s'est égale-
ment séparé de l'ensemble du parti, et par l'organe de M. de
HoUeuffer, il a exprimé ses dispositions favorables à la levée de
l'interdiction de la Compagnie de Jésus.
Le débat a duré cinq heures. A la votation, la proposition du
Centre, tendant au rappel des Jésuites, a été adoptée en pre-
mière lecture par 173 voix contre 137. Cette majorité de 36 voix
dépasse toutes les prévisions. |
La question n'est pas résolue pour autant. Outre que ce n'est
qu'un premier débat au Reichstag, il faudra ensuite obtenir
l'adhésion du Conseil de l'Empire, où les dispositions sont loin
d'être favorables. Mais il faut espérer que Guillaume II, de qui
dépend le vote de ce Conseil, ne voudra pas froisser les catho-
liques par le maintien d'une loi d'ostracisme au préjudice de la
■Compagnie de Jésus.
AVIS IMPORTANT A NOS ABONNES
Nous osons solliciter de nos souscripteurs la plus grande
exactitude dans l'envoi de leur renouvellement d'abonne-
ment pour l'année 1894.
PRIX DB VERTU 555
L'échéance du 31 décembre étant la plus considérable,
les services très chargés de notre administration seraient
insuffisants, si nous ne comptions sur le bienveillant empres-
sement de tous pour les faciliter.
Les prix d'abonnement restent les mêmes : le mode de
paiement le plus simple est l'envoi d'un mandat-poste. —
A ceux qui ne pourraient payer en ce moment, nous de-
mandons seulement de nous aviser par un simple mot de
leur intention de continuer leur abonnement.
Comme accusé de réception de leur réabonnement, payé
ou non, nous enverrons un exemplaire des gracieux bons-
points du R. P. Vasseur ('288 gravures) à tous ceux de nos
souscripteurs qui joindront à leur lettre 0 fr. 75 en timbres-
poste (ou autant d'exemplaires que de fois 75 centimes).
De plus, pour six exemplaires il en sera donné sept.
pour douze — — quinze.
pour vingt-quatre — trente.
LES PRLX DE VERTU
(Suite. — Voir le Numéro précédent).
Ce n'est pas seulement au village que fleurit la vertu : nous
allons la découvrir, s'il vous plaît, dans une des plus sombres
et des plus étroites venelles du vieux Paris, dans la rue de
l'Hôtel-de-Ville. Il y a quelques années, les époux Bourzat,
celui-ci infirme, celle-là maladive, avaient ouvert là une petite
crémerie. Tous les flâneurs connaissent bien la physionomie de
ce genre d'établissement, avec sa vitrine invariablement ornée
de deux grandes terrines, l'une de riz au lait et l'autre de
crème au chocolat. Dans la plupart des crémeries, le chifire
d'afl"aires est généralement très médiocre. Il était presque nui
dans la boutique de la rue de l'Hôtel-de-Ville, parce que les
Bourzat, comme on dit vulgairement, étaient trop bons. Ils
avaient pour convives habituels des pauvres, des infirmes, des
enfants aôamés, à qui l'on ne refusait jamais la nourriture; et
le fils de la maison, le jeune Louis Bourzat, qui tient de ses
556 A-NNALKS CA.THOLIQUK8
parents les sentiments les plus charitables, leur amenait sans
cesse de nouvelles pratiques et augmentait ainsi cette onéreuse
clientèle.
Ce fut d'abord une vieille femme, puis un vieux professeur
qui avait donné à Louis des leçons de grammaire et qui, tombé
dans la pire détresse, menaçait de se suicider. L'enfant supplia
sa mère de le gar.der à la maison : on l'y conserva six mois,
partageant avec lui le peu qu'on avait. Au vieux professeur,
succéda une femme aveugle. Louis l'aidait à manger, lui dé-
coupait ses morceaux, lui glissait parfois dans la main quelques
sous, ses économies d'écolier. On recueillit encore chez ces
bonnes gens une pauvre fille à jambe de bois, atteinte d'une
maladie incurable. Je n'ai pas la prétention de vous étonner,
Messieurs, en vous apprenant que les Bourzat n'ont pas fait
fortune; tout au contraire, ils durent fermer leur crémerie. Ce
fui la misère. Mais aujourd'hui, Louis a dix-sept ans; il est me-
nuisier, gagne sa journée. Modèle de piété filiale, il fait vivre
ses parents ruinés tout en restant fidèle à leurs traditions de
dévouement et de bonté. Dans ces temps derniers, il a installé
dans sa chambre et soigné jusqu'à la dernière heure un de ses
camarades, un ouvrier comme lui, à qui jadis il avait appris à
lire et qui se mourait de la poitrine. Aujourd'hui, il prend soin
du tombeau de son ami.
Ces petits crémiers de la rue de l'Hôtel-de-Ville qui furent
de si détestables commerçants, mais qui soulagèrent tant d'in-
fortunes dans leur voisinage, méritaient, certes, un prix de
vertu : vous avez cru mieux faire et les récompenser encore
plus en attribuant ce prix à leur excellent fils, malgré son
extrême jeunesse. Ces âmes délicates comprendront votre in-
tention. Vous encouragez ainsi ce jeune homme à marcher tou-
jours dans la bonne voie, et vous honorez le père et la mère qui
lui ont enseigné de tels principes et donné de tels exemples.
Ne quittons pas encore Paris, notre cher Paris, si calomnié
parce qu'il est si charmant. Ses ennemis y viennent chercher
des plaisirs, pas toujours innocents; puis, de retour dans leurs
mornes foyers, où désormais ils ne pratiquent apparemment que
la vertu, ils ne parlent plus qu'avec une extrême sévérité de
ce lieu de perdition. Paris, du reste, ne s'en émeut guère, sa-
chant qu'il en est des villes comme des femmes, que la plus
aimable et la plus belle est la plus exposée aux médisances, et
que le vice n'est nullement incompatible avec la laideur q\
PRIX DE VERTU 557
l'ennui. Dans le livre d'or où vous enregistrez tant de bonnes
actions, votre rapporteur, qui est un vieux Parisien, a eu la
fierté de rencontrer le nom de son pays natal sur bien des pages.
Permettez-moi de vous en lire encore une :
Mme Baube, née Madeleine Poulalion, n'avait que dix-sept
ans quand elle entra au service d'une de ses parentes, Mlle Mo-
rand, qui dirigeait un petit pensionnat de la rue Lacépéde.
C'est, vous le savez, un quartier de très pauvres gens. L'insti-
tutrice était âgée déjà, et l'établissement ne prospéra point.
Tout de suite, les gages da Madeleine furent supprimés. Loin
de se plaindre, elle donna tout ce qu'elle possédait, apprit le
métier de brodeuse afin de gagner du pain pour deux, puis,
l'ouvrage lui manquant dans ce métier, se remit en place ail-
leurs, sans jamais abandonner sa maîtresse. Un honnête em-
ployé, M. Baube, épousa Madeleine. D'accord avec lui, elle prit
alors chez elle, dans son très modeste ménage, Mlle Morand
qui venait d'être frappée de paralysie, et lui prodigua des soins
incessants. La pauvre vieille s'est éteinte, à l'âge quatre-vingt-
quatre ans, dans les bras de son ancienne servante devenue sa
filiale amie.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE (1)
7. — Le Maréchal de Mac- viedeshommes; dispeusantl'éloge
Mahon, par le commandaat et le blâme elle devient un ensei-
Grandin. —2 volumes ia-18. — gnement fécond et un exemple
Paris 1893, Haton, éditeur. salutaire. Aussi est-ce avec un
Prix : 6 francs, franco 7 francs. g^anJ plaisir que nous signalons
La France vient de perdre un ^a biographie du maréchal de
de ses héros, elle lui a fait de Mac-Mahon écrite par le com-
nationales et pompeuses funérail- mandant Grandier.
les, puis une pelletée de terre et ^^ «st beau et juste que les
tout a été fini pour le maréchal ^éros soient loués; qui loue et
de Mac-Mahon; un souvenir dans admire les héros, les saints est
la mémoire de ceux qui l'ont ^i^n près de les imiter. Or la
connu, un nom svaonvme de bra- biographie de Mac-Mahon con-
voure et de lovaûté pour le grand t'^nt de nobles enseignements, on
nombre, voilà" tout ce qui reste- 7 appcend qu'il n'existe point de
rait de cette longue vie du maié- grand homme sans la foi chré-
chal si l'histoire n'était là. L'his- tienne et sans le sacrifice de soi-
toire rend immortels les actes, la même.
(1) Il sera rendu compte de tout ouvrage dont deux exemplaires
ont été déposés dans les bureaux des Annales catholiques. MM. les
auteurs et MM. les éditeurs sont priés d'indiquer le prix des livres
qu'ils envoient. — L'administration des Annales se charge de four-
nir, au prix de librairie, les ouvrages dont il est rendu compte dans
ce Bulletin.
558
ANNALES CATHOLIQUES
Mac-Mahon. descendant de no-
bles Irlandais venus en France à
la suite de Jacques II, naquit en
1808 au château de Sully où il
passa sa première jeunesse sous
la tutelle d'une mère chrétienne
et sincèrement dévouée à la pa-
trie française.
Il commence ses études au pe-
tit séminaire d'Autun, les achève
à Versailles, entre à Saint-Cyr et
en sort sous-lieutenant en 1827,
fait partie du corps expédition-
naire d'Algérie. Sa première ac-
tion d'éclat au passage de Mou-
zaia lui vaut le grade de lieute-
nant et la croix, le 14 septembre
1831.
Le triomphe, l'honneur accom-
pagnent ensuite chaque pas de sa
longue vie; c'est la campagne de
Belgique, le siège d'Anvers, le
retour en Algérie, cette campa-
gne d'Afrique, longue épopée
homérique qui a fait un lac fran-
çais de la Méditerranée; ce sont
les glorieuses campagnes de Cri-
mée et d'Italie, le commande-
ment général en Algérie.
Rien n'a manqué à la gloire de
Mac-Mahon, il a subi de terribles
épreuves ; l'année 1870 l'a soumis
aux chagrins d'une défaite immé-
ritée; il a eu la douleur d'insuc-
cès qui étaient dus à l'incapacité
fatale de Napoléon III, il a été
victime du devoir. C'est ce qu'a
compris \o. pays le jour où il l'a
mis à sa tête comme président de
la République.
Tels sont les faits que nous
raconte le commandant Grandin
avec un style clair, concis, plein
d'enthousiasme et d'intérêt, avec
une émotion qui gagne le lecteur:
ce livre ne peut qu'être utile à
tous et faire germer les plus no-
bles ambitions et les plus beaux
sacrifices.
Puisse-t-il inspirer la vocation
de l'heureux soldat de l'armée
future qui nous apportera a au
milieu des acclamations unani-
mes de la nation, les clefs de nos
cités captives... Metz et Stras-
bourg. »
8. — A.lbuin d'EnTants.
La légende du grand saint
Nicolas, texte en français,
russe, allemand et Flamand. —
Cet album, de format grand
in-4<', contient 12 magnifiques
chromolithographies, la légende
en musique, sous un élégant
cartonnage, tranche dorée. —
Paris, Desclée. — Prix, 3 fr.
On aurait mauvaise grâce à
contester les progrès actuels des
industries artistiques. Le monde
peut aller assez mal en matière
morale, de politique, d'art et de
littérature : on dit qu'il marche à
côté de la bonne voie, et parfois
qu'il lui tourne le dos. Mais, en
certaines branches, ses progrès
sont patents, et tout le monde en
profite.
Tout le monde, même les petits
enfants.
Voyez combien leurs jouets, par
exemple, deviennent chaque an née
plus jolis, plus ingénieux, plus
étonnants! Quel régal pour les
yeux, quel charme pour le goût,
quel intérêt pour l'intelligence !
Le cœur seul est négligé, presque
sacrifié. 11 semble que les fal)ri-
cants aient peur d'être chrétiens
et s'efforcent d'être neutres. Hé-
las ! le libéralisme a-t-il pénétré
jusqu'aux hochets de ces pauvres
innocents ?
Paimi les cadeaux que la fin de
l'année leur apporte, il en est qui
s'adressent spécial'-'ment à leur
intelligence et à leur âme can-
dide : ce sont les Albums d'en-
fants. Il sont aujourd'hui impri-
més avec luxe sur papier glacé,
cartonnés comme des bonbon-
nières, enluminés avec un jart
exquis. De vrais artistes, et pas des
moindres, ont peint les modèles
de leurs ravissants chromos. Ceux-
ci offrent plus d'art même que les
babys n'en savent goûter ; visi-
blement, toute cette dépense de
talent et cette perfection de pein-
ture savante, un peu réalistique,
s'adressent aux grands enfants,
visent le dilettantisme des papas
et des mamans.
IIIBLIOGKAPHIE
559
Mais ne ' dépasse-t-oa pas le
but? ne perd-oa pas de vue la naï-
veté enfantine, et cette 8im|,)licité
«le râmequi est le propre du, pre-
mier âge ?
Faites-moi, je le veux bien, des
chefs-d'œuvre de peinture et de
littérature.; mais que vos histoires
ne soient pas, de grâce, si raffinées
comme style, et que vos images
restent du moins amusantes, in-
téressantes pour des marmots.
Qu'elles n'abondent pas de cet
esprit caustique, léger, malicieux,
qui s'amuse aux dépens des mé-
saventures du prochain honnête
mais balourd. Qu'elles soient
bienveillantes, sereines, gracieu-
ses. Qu'elles offrent, dans le texte
et dans l'illustration, cette onction
et cette chaleur que donne seul
le sentiment pieux.
II nous manque des Albums
d'Enfants naïfs et chrétiens en
même temps que riches et artis-
tiques. Il y en a une mine su-
perbe à exploiter pour les édi-
teurs : ce sont les Légendes des
Saints.
Je m'étonne que la Société
Saint-Augustin, toute désignée
pour cette tâche, ne l'ait pas en-
treprise depuis longtemps. Il est
vrai qu'elle a commencé; c'est
beaucoup, on dit qu'il n'y a que
le premier pas qui coûte.
J'ajoute que l'essai est un coup
de maître. Son premier album
neus donne la naïve légende du
grand saint Nicolas et du méchant
boucher :
11 était trois petits enfants
Qui s'en allaient glaner anx champs.
C'est gracieux, c'est artistique,
cela soutient la comparaison avec
les albums les plus habilement
illustrés que nous offre la librairie
mondaine. Mais en même temps
c'est suave, ingénu, enfantin. Le
dessin de ces douze scénettes po-
lychromes, serties dans des mé-
daillons décoratifs, est distingué,
expressif, et se lit comme un ré-
cit. Le coloris en est légèrement
idéalisé, et s'harmonise avec un
cadre d'une grande richesse, dans
lequel s'inscrivent les textes eh
lran(,'ais, en russe, en allemand,
en flamand, si joliments décorés
de filets r<juges, de lettrines, de
vignettes, d'interlignes, qu'ils
sont eux-mêmes œuvre artistique
faisant corps avec la décoration
des pages.
Une grande joie est réservée
cette année à des milliers d'en-
fants. Avec quelle émotion tous
nos chérubins vont feuilleter, de
leurs petits doigts roses, le gra-
cieux volume que leur déposera
dans le panier traditionnel le
héros même de l'histoire, saint
Nicolas, le grand saint qu'ils
prient chaque soir !
Etceux qui ne l'auront pas reçu
le 6 décembre pourront encore le
demander au nouvel an; c'est un
fort joli cadeau d'étrennes.
( Vraie France.)
9. — Décret» et eaiion»
du Coneîleœeunaénîque
du Y'atlean. — Texte latin
et traduction, avec notes. Edi-
tion populaire et complète.
Un vol, in-l"2, à l'imprimerie
Salésienne, rue Léon Gambetta.
288, à Lille. Franco, 0,75.
Ce livre, d'une utilité pratique
incontestable, est mis à la portée
de tout le monde par la modicité
du prix. Non seulement le texte la-
tin est accompgané d'une excel-
lente traduction française, d'après
les meille ures éditions des déci-
sions conciliaires publiées à Rome,
mais des notes variées, histori-
ques, biographiques,hagiographi-
ques, géographiques, en complè-
tent d'une manière très heureuse
les deux chapitres du livre, qui
sont consacrés: le premier, à la foi
catholique, le deuxième à l'infail-
libilité pontificale. A signaler par-
ticulièrementlanote remarquable
(du chapitre premier) qui donne la
liste complète et officielle des
conciles œcuméniques, avec les
détails y relatifs et les notes 25
à 27 sur des monuments de la
ville de Rome, visitée pur l'au-
teur, un cooperateur salésien. A
560
ANNALES CATHOLIQUES
signaler encore les notes qui re-
produisent les endroits cités de
la sainte Bible, et traduits par
l'auteur.
Ce petit livre convient fort bien
aux catholiques de notre temps
qui y trouveront la règle de leur
véritable croyance et les réponses
aux attaques incessantes de l'er-
reur.
10. — I-e 4^oeur de IVotre-
Sei^neur «lésus-Cirist
daua l'Evangile, ou lec-
tures évangéliques pour le
mois du Sacré-Cœur, par le
R. P. D.-A. Mortier, des Frères-
Prêcheurs, joli volume in-16.
— Prix : 1 fr. 75, broché ; et
2 fr. relié en percaline.
Rome n'est pas seulement « la
maîtresse des gloires augustes »,
«lie est aussi l'inspiratrice des
âmes religieuses et des jeunes
jeunes talents. D'un séjour de
quelques mois dans cette ville,
où bat le cœur de la chrétienté,
le R. P. Mortier nous rapporte
un excellent petit livre : Le Cœur
de Noire-Seigneur Jèsus-Chrisi
dans l'Evangile. Ce n'est pas un
traité théologique sur la dévotion
au Sacré-Cœur ; ce n'est pas non
plus l'histoire du culte, secret ou
triomphal, rendu par les fidèles à
ce symbole vivant de l'amour du
Christ. C'est l'Evangile, ouvert
devant nous, comme la tunique
sans couture, et qui nous laisse
voir le cœur de Jésus priant et
enseignant, aimant et pardon-
nant, souffrant et rachetant. Sans
doute, parce que les plus beaux
jours, reliés seulement par la
nuit, se suivent et ne se ressem-
blent pas, l'auteur, pour éviter
toute monotonie, n'a pas voulu
grouper sous une idée commune,
plusieurs à plusieurs, les diffé-
rents sujets qu'il traite. Il suit
simplement le traité évangélique,
recueille jour par jour, selon
qu'ils s'échappent de l'abondance
de son Cœur, les actes et les pa-
roles du divin Maître, et les ap-
plique aux besoins si changeants
de notre propre cœur. C'est une
leçon de choses, nouvelle chaque
jour, que Notre-Seigneur nous
donne.
Ce livre a donc sa place de
choix parmi ses aînés déjà si
nombreux. Sérieux, nourri de la
moelle de Bossuet, il est à cer-
taines pages, plein d'une piété
tendre et d'une surnaturelle mé-
lancolie, reflet de la physiono-
mie du Christ qu'on vit rarement
sourire. Le style est élégant,
chaud, oratoire même, et plus
d'un lecteur regrettera de ne pas
entendre l'auteur lui dire ce qu'il
écrit si bien. Bref, fils et frère de
prophètes, nous osons prédire à
ce nouveau venu, sinon tout le
succès de librairie qu'il mérite et
qui ne va pas toujours aux plus
dignes, du moins, un grand suc-
cès d'apostolat dans les âmes qui
auront la bonne inspiration de
l'acheter, de le lire et de le ré-
pand-i^e.
Le gérant : P. Chantrel.
Paris — Imp. O. Picqnoln, fc3, me de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
LETTRE ENCYCLIQUE DE SA SAINTETE LEON XIII
(Voir le numéro précédent)
Les Ktudes «rÉeriture sainte.
Il est, certes, extrêmement désirable et nécessaire que
l'usage de la divine Ecriture influe sur toute la science théo-
logique et en soit, pour ainsi dire, l'âme: telle a été, en
effet, dans tous les temps, la pratique des Pérès et des
plus éminents théologiens, et ils s'y sont illustrés. Car, pour
les choses qui sont l'objet de la foi ou qui procèdent d'elle,
ils se sont appliqués à les démontrer et à les établir princi-
palement d'après les divines Lettres ; c'est d'après elles
aussi, comme d'après la tradition divine elle-même, qu'ils
se sont attachés à réfuter les nouvelles inventions des héré-
tiques, à rechercher la raison, l'intelligence, l'enchaîne-
ment des dogmes catholiques. Et personne ne s'en étonnera,
en se rappelant qu'une place si éminente est due, entre les
diverses sources de la révélation, aux Livres divins que,
sans leur étude et leur usage habituel, on ne peut s'occu-
per convenablement et dignement de théologie. Car, bien
que dans les académies et les écoles les jeunes gens doivent
être principalement formés à acquérir l'intelligence et la
science des dogmes, par une exposition méthodique partant
des articles de foi pour arriver, selon les régies d'une sage
et solide philosophie, aux autres déductions ; cependant, le
judicieux et docte théologien ne doit pas négliger la démons-
tration des dogmes d'après les autorités de la Bible, « car
la théologie ne tire pas ses principes des autres sciences,
mais de Dieu immédiatement par révélation. Et ainsi, elle
ne reçoit rien des autres sciences comme lui étant supérieures
mais elle se sert d'elles comme de subalternes et de ser-
vantes ». Cette méthode, à l'égard de la doctrine sacrée,
a pour exemple et pour autorité le prince des théologiens,
Lxxxvi — IQ Décembre 1893. 41
562 ANNALES CATHOLIQUES
Thomas d'Aquia (1), qui, déplus, a montré comment, avec
cette manière de bien comprendre la théologie chrétienne,
le théologien peut défendre ses principes mêmes, s'ils sont
Tivement attaqués : « par l'argumentation d'abord, si l'ad-
Tersaire accorde quelqu'une des choses qui viennent de la
révélation divine ; de même que par les autorités de la
sainte Ecriture, nous discutons contre les hérétiques, et
au moyen d'un article nous répondons à ceux qui en nient
un autre. Mais, si l'adversaire ne croit rien de ce qui a été
divinement révélé, il n'y a plus de moyen de lui prouver
rationnellement les articles de foi, mais il reste à réfuter les
arguments qu'il produirait contre la foi » (2). Il faut donc
pourvoir à ce que les jeunes gens abordent les études bibli-
ques convenablement préparés et instruits, pour qu'ils ne
trompent pas de justes espérances, et, ce qui est pire
encore, pour qu'ils ne se laissent pas prendre à l'erreur,
trompés par les systèmes captieux des rationalistes et l'ap-
parence d'une érudition savamment montée. Ils seront par-
faitement préparés si, en suivant la route que Nous avons
Kous-mème indiquée et prescrite, ils s'adonnent conscien-
cieusement et s'initient à fond, sous la conduite du même
saint Thomas à l'enseignement philosophique et théologique.
Ils s'avanceront ainsi sûrement et dans la science biblique,
et dans cette partie de la théologie qu'on appelle jjositive,
et ils y feront dans l'une et dans l'autre d'heureux progrés.
Prouver, exposer, commenter la doctrine catholique par
«ne légitime et habile interprétation de la Sainte Bible,
c'est déjà beaucoup ; mais il reste une autre partie, d'une
aussi grande importance que d'une tâche difficile, celle qui
consiste à établir inébranlablement son entière autorité. Et
il n'y a pas d'autre moyen d'y arriver pleinement et univer-
sellement qu'avec le vivant et spécial magistère de l'Eglise,
« qui, en raison de sa merveilleuse diffusion, de sa liante
sainteté et de son inépuisable fécondité en toutes sortes
d'œuvres du bien, en raison aussi de son unité catho-
lique, de son imynuable stabilité, est 2^(ir elle-même un
{\) Summ. theul. j). 1, q. 1, a. 5 ad. 2.
(2) Ibid. a. 8.
LETTRE ENCYCLIQUE DE 9. S. LÉON XIII 563
grand et pey^pétuel motif de crédibilité et un témoignage
irréfragable de sa divine mission » (1).
Mais comme le divin et infaillible magistère de l'Eglise
consiste aussi dans l'autorité de la Sainte Ecriture, la foi
au moins humaine qui est due à celle-ci doit être d'abord
établie et prouvée : au moyen de ces livres, comme des plus
sûrs témoins de l'antiquité, la divinitéet la mission de Jésus-
Christ, l'institution de la hiérarchie ecclésiastique, la pri-
mauté conférée à Pierre et à ses successeurs seront démon-
trées et mises en évidence.
Rien ne contribuera plus efficacement à cette œuvre, que
s'il se trouve un grand nombre de prêtres bien préparés,
qui combattront aussi sur ce terrain-là pour la foi et repous-
seront les attaques ennemies, en se revêtant surtout de l'ar-
mure de Dieu, selon le conseil de l'Apôtre (2), mais sans
être inexpérimentés non plus dans les nouvelles armes et
les nouvelles tactiques des ennemis. Cette œuvre, saint Jean
Chrysostome la met ainsi, en excellents termes, au nombre
des devoirs du prêtre : « Il faut apporter un grand zélé à ce
que le Verbe du Christ habite abondamment en nous (3),
car nous ne devons pas être prêts seulement à un seul
genre de combat, mais multiple est la guerre et variés sont
les ennemis, et tous ne se servent pas des mêmes armes, et
ils ne combattent pas contre nous d'une seule manière.
C'est pourquoi il faut que celui qui doit livrer bataille contre
tous, possède tous les engins et tous les artifices de guerre
connus, qu'il soit à la fois sagittaire et frondeur, tribun de
légion et capitaine de détachement, chef et soldat, fantassin
et cavalier, habile dans le combat naval comme dans la
défense des places fortes ; car s'il ne connaît pas tout l'art
de la guerre, le diable saura trouver la partie faible, poui*
faire passer les brigands et enlever les brebis > (4).
Nous avons indiqué plus haut les ruses des ennemis et
leurs procédés multiples d'attaque sur ce terrain ; mainie-
(1) Conc. Vat. sess. III, c. III, de fide.
(2) Eph,, VI, 13, seqq.
(S) Cfr. Col. 111, 16.
(4) De sacerd. IV, 4.
564 ANNALES CATHOLIQUES
nant Nous allons dire par quels moyens il faut pourvoir à
la défense. Le premier, c'est l'étude des anciennes langues
orientales et de la science que l'on appelle la critique.
Comme aujourd'hui l'habileté dans ces deux genres de
connaissances est en grande estime et considération, le
prêtre qui la possédera plus ou moins étendue, selon les
lieux et les hommes, pourra mieux soutenir son rang et
remplir son ministère; car il doit se faire tout à tous (1)
et être toujours prêt à rendre compte à qui lui demande
des motifs de V espérance qui est en lui (2). Il est donc
nécessaire aux professeurs d'Ecriture sainte et il convient
aux théologiens de connaître les langues dans lesquelles
les livres canoniques ont été rédigés à l'origine par les
écrivains sacrés, et il sera très bon aussi que les élèves
ecclésiastiques les cultivent, surtout ceux qui aspirent aux
grades académiques en théologie. Et il faudra faire en sorte
que, dans toutes les académies, ce qui est déjà heureuse-
ment établi dans beaucoup d'entre elles, il y ait aussi un
enseignement des autres langues, principalement des lan-
gues sémitiques et des sciences qui s'y rapportent, surtout
à l'usage de ceux qui sont appelés à enseigner les Saintes
Lettres. Tous ceux-là aussi, et pour la même raison, devront
se rendre particulièrement habiles et instruits dans la vraie
science de la critique ; car il y a une méthode perverse et
dangereuse pour la religion, décorée du nom de critique
transcendante, qui consiste à discuter par les seuls argu-
ments internes comme l'on dit, l'origine, l'intégrité et l'au-
torité de chaque livre.
Il est évident, à l'encontre, que dans les questions histo-
riques relatives à l'origine et à la conservation de chacun
des livres, les témoignages de l'histoire l'emportent sur les
autres, et que ce sont eux d'abord qu'il faut rechercher et
discuter : quant à ces raisons internes, elles n'ont pas tant
de valeur, en général, qu'il faille les employer ici, si ce
n'est par manière de confirmation. Que si l'on en agit autre-
ment, il en résultera, sans contredit, de grands inconvé-
(1) ICoi-., IX, 22.
(2i I l»etr., m, 15
LETTRE ENCYCLIQUE DE S. S. LÉON XIII 565
nients. Car les ennemis de la religion n'en auront que plus
-d'assurance pour attaquer et discuter l'authenticité des Saints
Livres ; et ce genre de critique transcendante qu'ils exal-
tent en arrivera lui-même à ce que chacun suivra dans l'in-
terprétation sa manière de voir et son opinion préconçue; dés
lors il n'y aura plus cette lumière nouvelle que l'on cher-
chait pour les Ecritures, ni aucun profit à attendre de la
science, mais on verra se manifester cette note certaine d'er-
reur, qui est la variété et le dissentiment des opinions,
comme les chefs de cette nouvelle école en sont eux-mêmes
un témoignage : de là aussi, comme la plupart d'entre eux
sont imbus des j^réjugés de la vaine philosophie et du ratio-
nalisme, ils ne craindront pas d'éliminer des Saints Livres
Jes prophéties, les miracles et tout le surnaturel.
Il faut combattre, en second lieu, ceux qui, par l'abus
-des sciences physiques, s'appliquent à rechercher dans les
Livres saints tous les indices de l'ignorance de leurs auteurs
•en ces matières, et raillent leurs écrits eux-mêmes. Comme
ces attaques se rapportent à des choses qui tombent sous les
-sens, elles sont d'autant plus dangereuses qu'elles se répan-
dent dans les masses et surtout chez la jeunesse écoliére,
qui, dés qu'elle aura perdu sur un point le respect de la
-divine révélation, perdra bientôt la foi sur tous les autres.
Il est constant, en effet, que, autant la science de la nature,
si elle est bien dirigée, est propre à faire découvrir dans les
-choses créées la gloire du Grand Ouvrier, autant elle sert
lorsqu'elle est inculquée de travers dans les jeunes esprits,
-k renverser les éléments de la saine philosophie et à cor-
rompre les mœurs. C'est pourquoi la connaissance des cho-
ses de la nature sera d'un bon secours au maître d'Ecriture
Sainte, pour lui permettre de démasquer et de réfuter plus
facilement les objections de cette sorte dirigées contre les
Livres divins.
Il n'y aura jamais de véritable désaccord entre le théo-
logien et le physicien, tant que chacun d'eux restera dans
son domaine propre, en ayant soin, comme le conseille saint
Augustin, « de ne rien donner témérairement pour connu
566 ANNALES CATHOLIQUES
de ce qui est inconnu » (1). S'ils se trouvent l'un et l'autre
en dissentiment, la règle de conduite pour le théologien se
trouve tracée encore par le même docteur : « Tout ce que
ceux-là, dit-il, arriveront à établir dans l'ordre de la nature
sur des preuves véridiques, montrons que ce n'est pas con-
traire à nos Ecritures ; mais tout ce qu'ils avanceront dans
leurs livres de contraire à nos Ecritures, c'est-à-dire à la
foi catholique, prouvons aussi, de notre côté, avec nos
moyens, ou croyons sans hésitation que c'est absolument
faux » (2). Pour apprécier la justesse de cette règle, il
faut considérer d'abord que les écrivains sacrés ou, pour
mieux dire, « Tesprit de Dieu, qui parlait par eux, n'a
point voulu instruire les hommes de ces choses (à savoir
l'intime constitution du monde visible), comme étant inu-
tiles au salut » (3) ; c'est pourquoi ces écrivains ont bien
moins cherché à approfondir les secrets de la nature qu'à
décrire, à l'occasion, les choses elles-mêmes, ou à les expri-
mer et à les rendre selon le langage courant du temps,
comme font aujourd'hui bien souvent dans l'usage habituel
de la vie les hommes les plus instruits eux-mêmes. Or,
comme dans la manière ordinaire de parler, on s'exprime
selon ce que paraissent les choses qui tombent sous les
sens, ainsi l'écrivain sacré (et cette remarque est du Doc-
teur Angélique) « s'est conformé aux apparences sensi-
bles » (4) ; de même que Dieu, en parlant aux hommes, a
approprié son langage à leur intelligence, à la manière
humaine.
Mais de ce que la Sainte Ecriture doit être énergique-
ment défendue, il ne s'ensuit pas que tous les sens que les
saints Pères, en particulier, ou les interprètes postérieurs
ont donnés d'accord avec eux, doivent être tous également
défendus ; ceux-ci, en raison des opinions de leur temps,
n'ont pas toujours interprété si exactement les passages qui
concernent les choses de la nature, qu'ils n'aient émis cer-
(1) hi Gcn. op. imper f. IX, 30.
(2) De Gen. ad litt. 1. 21, il.
m s. Aug. ib. II, 9, 20.
(ij Summa theol. p. 1, q. LXX, a. 1 ad 3.
LETTRE ENCYCLIQUE UE S. S. LÉON XIII 567
taines opinions, qui paraissent moins probables aujourd'hui.
C'est ]!Ourquoi il faut distinguer soigneusement dans leurs
interprétations ce qu'ils donnent, en effet, comme concer-
nant la foi ou ayant directement rapport à elle, et où ils
s'accoident unanimement ; car « dans les choses qui ne sont
pas de nécessité de foi, il fut toujours permis aux saints,
comme à nous, d'être d'un avis différent les uns des autres »,
et ceci est l'opinion de saint Thomas (1). Ailleurs, il dit
avec beaucoup de sagesse : « Le plus sûr, au sujet des sen-
timents communs des philosophes, qui ne répugnent pas à
notre foi, ne parait être ni de les tenir pour des dogmes de
foi, quoiqu'ils aient été quelquefois présentés à ce titre sous
le nom des philosophes, ni de les rejeter comme contraires
à la foi, atin de ne pas donner lieu aux savants du siècle de
mépriser la doctrine de la foi » (2).
En conséquence, pour les choses que les savants physi-
ciens affirment être certaines, d'après des preuves cer-
taines, l'interprète sacré doit montrer qu'elles ne contre-
disent en rien l'Eciiture bien comprise, sans oublier,
cependant, qu'il est arrivé plus d'une fois que des choses
données d'abord comme certaines par ces savants ont été
mises ensuite en discussion et finalement rejetées. Que si
les auteurs de physique, sortant des limites de la science, en-
vahissent, par une subversion des idées, le domaine des
philosophes, l'interprète théologien doit les renvoyer aux
philosophes pour les réfuter. Il convient aussi d'appliquer
ces remarques aux sciences annexes, principalement à
l'histoire. Il est déplorable, en effet, de voir tant de gens
étudier, au prix des plus grands labeurs, et faire connaître
les monuments de l'antiquité, les mœurs et les institutions
des peuples, et en général les divers documents de ce genre,
le plus souvent dans le but de trouver des erreurs dans les
Livres sacrés, afin d'infirmer ainsi et de détruire leur au-
torité sur tous les autres points. Et cela, beaucoup le font
avec un esprit par trop hostile et un jugement trop peu
équitable ; car ils ont dans les livres profanes et les docu-
(1) In sent. II, dist. II, q. 1, a. 3.
(2) Opusc, X.
568 ANNALES CATHOl.lgUES
ments de l'histoire ancienne une telle confiance qu'il semble
qu'on ne puisse avoir même le soupçon d'une erreur à leur
endroit; au contraire, pour les livres de la Sainte Ecriture,
si l'on suppose seulement une apparence d'erreur, sans^
même la discuter honnêtement, ils leur refusent une con-
fiance au moins égale.
A la vérité, il peut arriver que dans la transcription des
manuscrits certaines choses soient copiées peu exactement,
mais cela doit être apprécié avec beaucoup de discerne-
ment, et ne doit pas être facilement admis, si ce n'est pour
les passages où l'on a pu en fournir la preuve ; il peut arri-
ver aussi que le sens vrai de quelque passage demeure dou-
teux; et pour dénouer la difficulté, on pourra se servir des
régies les plus autorisées de l'interprétation; mais il est
absolument interdit, soit de restreindre l'inspiration à cer-
taines parties seulement de la Sainte Ecriture, soit de con-
céder que l'auteur sacré lui-même s'est trompé.
On ne saurait, en effet, tolérer le système de ceux qui,.
pour échapper à ces difficultés, ne craignent pas de soutenir-
que l'inspiration divine se rapporte aux choses de la foi et
des mœurs, mais à rien de plus, parce qu'ils croient faus-
sement, quand il s'agit du vrai sens des pensées, qu'on ne
doit pas rechercher ce que Dieu a dit, afin de n'avoir pas à
examiner davantage pour quel motif il l'a dit.
Car tous les livres que l'Eglise reconnaît comme saints
et canoniques ont été écrits, dans leur intégralité et dans
toutes leurs parties sous la dictée de l'Esprit-Saint. Or, bien
loin que l'inspiration divine puisse être sujette à aucune
erreur, cette inspiration, par elle-même, non seulement
exclut toute erreur, mais l'exclut et la repousse aussi né-
cessairement qu'il est nécessaire que Dieu, vérité souve-
raine, ne soit l'auteur absolument d'aucune erreur.
C'est l'ancienne et constante foi de l'Eglise, définie en-
outre par un jugement solennel dans les conciles de Flo-
rence et de Trente, confirmée enfin et déclarée plus expres-
sément encore dans le concile du Vatican, qui a décrété
absolument quïl faut recevoir pour sacrés et canoniques
tous les livres entiers de l'Ancien et du Nouveau Tes-
LETTRE ENCVCMQUE DE S. S. LÉON XIII 569
iament avec toutes leurs parties, tels qu'ils sont énumé-
rés dans le décret du )nême concile (le concile de Trente)
-et quils sont contenus dans V ancienne édition latine de
la Vulgate. Et que V Eglise les tienne pour sacrés et ca-
noniques^ non parce que, composés par la seule indus-
trie humaine, ils ont été ensuite approuvés par son
{lutorité, ni seulement parce qu ils contiennent la vérité
sans erreur, mais parce que, écrits sous l'inspiration
du Saint-Esprit, ils ont Dieu pour auteur (1).
C'est pourquoi il n'importe en rien que le Saint-Esprit
ait pris des hommes comme instruments pour écrire, comme
si quelque chose de faux avait pu échapper, non sans doute
à l'auteur premier, mais aux écrivains inspirés. Car il les a
tellement déterminés et poussés, par une vertu surnaturelle,
-à écrire, il les a si bien assistés pendant qu'ils écrivaient,
que toutes les choses et celles-là seulement qu'il ordonnait,
•ceux-ci les concevaient avec rectitude dans leui' esprit et
ils voulaient fidèlement les écrire, et ils les exprimaient
■convenablement avec une vérité infaillible : autrement il ne
serait pas lui-même l'auteur de la Sainte Ecriture.
C'est ce dont furent toujours convaincus les Saints Pérès.
« Donc, dit saint Augustin, comme ils ont écrit ce qu'il
leur a montré et dit, on ne doit jamais dire qu'il n'a pas
écrit, car ses membres ont opéré ce qu'ils ont connu par la
•dictée de la tête » (2). Et saint Grégoire le Grand déclare :
« Il est bien superflu de chercher qui les a écrits, quand on
•croit fidèlement que le Saint-Esprit est l'auteur du livre.
Celui donc qui a écrit, c'est celui qui a dicté les choses à
•écrire ; celui qui a écrit, c'est celui qui, dans cette œuvre, a
été l'inspirateur » (3).
Il s'ensuit que ceux qui pensent que dans les endroits
-authentiques des Livres Sacrés, il peut y avoir quoi que ce
soit de faux, ceux-là ou bien pervertissent la notion catho-
lique de l'inspiration divine ou bien font de Dieu même
l'auteur de l'erreur. Et tous les Pérès et les Docteurs ont
(1) Sess. III, c. II. derevel.
(2) De consensuEcangel. I, I. c. 35.
(3) Prœf. in lob., n. 2.
570 ANNALES CATHOLIQUES
été si entièrement persuadés que les divines Lettres, telles-
qu'elles ont été éditées par les hagiograplies, sont absolu-
ment à l'abri de toute erreur, que, pour les nombreux pas-
sages qui semblaient renfermer quelque chose de contraire
ou de dissemblable (et ce sont à peu près les mêmes qu'on
oppose aujourd'hui au nom de la science nouvelle), ils se
sont appliqués avec non moins d'habileté que de respect à.
les coordonner et à les concilier entre eux ; tous furent
unanimes à professer que ces livres dans leur intégralité et
dans leurs parties étaient également inspirés par le souffle
divin, et que Dieu lui-même ayant parlé par les auteurs-
sacrés n'a pu rien exprimer qui soit contraire à la vérité.
Ce qu'a écrit saint Augustin à saint Jérôme servira pour
résumer ce témoignage universel. « Pour moi, dit-il, j'avoue
à votre charité que j'ai appris à rendre un tel respect et un
tel honneur à ces seuls livres des Ecritures qui sont appelés
canoniques que je crois très fermement qu'aucun de leurs
auteurs n'a erré sur aucun point, en écrivant. Et si je ren-
contre dans ces Lettres quelque chose qui paraisse con-
traire à la vérité, je n'hésiterai pas à penser, ou bien que
le manuscrit est fautif, ou bien que l'interprète n'a pas saisi
ce qui a été dit, ou bien que moi-même je n'ai pas compris
du tout » (1).
Mais, lutter pleinement et parfaitement pour l'intégrité
des Saintes Ecritures, avec le secours de toutes les sciences
les mieux fondées, c'est là une œuvre beaucoup trop consi-
dérable pour qu'on puise en attendre la réalisation du zèle
des seuls interprètes et théologiens. Il faut désirer qu'ils y
contribuent et qu'ils s'y appliquent aussi ces catholiques qui
ont acquis quelque célébrité de nom dans les sciences pro-
fanes. A coup sûr, jamais l'Eglise, par un bienfait de Dieu,
et maintenant moins que jamais, n'a été privée de l'orne-
ment dû à des esprits de cette sorte, et plaise au Ciel qu'il
s'accroisse encore pour la défense de la foi, car Nous esti-
mons que rien n'est plus nécessaire que de voir la vérité
trouver des défenseurs plus nombreux et plus forts que les
(1) Ep. LXXXII, I, et crebrius alibi.
LETTRE ENCYCLiyUE DE S. S. LKON Xllt 571
adversaires qu'elle rencontre ; et rien ne peut mieux per-
suader à la société de rendre hommage à la vérité, que de
la voir professée librement par ceux, qui se distinguent par
quelque don de l'esprit. Même la haine des détracteurs recu-
lei'a facilement, ou encore ils n'oseront plus aussi témérai-
rement dénoncer la foi comme ennemie de la science, quand
ils verront les hommes illustres par la science honorer
souverainement la foi et lui apporter leur respectueuse
adhésion.
Donc, puisque la religion peut attendre tant d'avantages
de ceux à qui la Providence a eu la bonté d'accorder un
esprit heureusement doué avec la grâce de la profession
catholique, que chacun de ceux-là, au milieu de cette ter-
rible mêlée de sciences qui poursuivent de tout côté les
Ecritures, s'assigne un genre d'étude approprié, dans lequel
il excelle en quelque manière, afin de repousser, non sans
succès, les traits dirigés contre elle par la science impie.
Il Nous plaît ici d'approuver comme il le mérite le dessein
dfi certains catholiques qui ont coutume de faire des lar-
gesses pour qu'il ne manque point de savants qui se livrent
à ces sortes d'études avec l'abondance de tous les secours,
et qui les développent par l'association des efforts. C'est là
certainement un emploi excellent et très opportun de la
fortune, car moins les catholiques peuvent espérer de sub-
ventions publiques pour leur enseignement, plus il convient
que soit empressée et abondante la libéralité des souscrip-
tions privées. Qu'ils consacrent donc à la défense du trésor
de la doctrine révélée par Dieu les richesses dont ils ont
été favorisés par ce Dieu même.
Mais, pour que des travaux de ce genre profitent vrai-
ment à la cause des Ecritures, que les savants s'astreignent
aux vrais principes que Nous avons définis ci-dessus, et
qu'il les observent fidèlement. Dieu, créateur et maître de
toutes choses, est en même temps l'auteur des Ecritures;
partant, et de par la nature des choses, rien ne peut être
tiré des monuments de l'histoire qui soit en contradiction
avec les Ecritures. Que si quelque chose parait tel, il faut
s'appliquer à le faire disparaître, soit en invoquant le juge-
572 ANNALES CATHOLIQUES
ment sage des théologiens et des interprètes sur la questionr
de savoir quel est le sens le plus vrai ou le plus vraisem-
blable du passage controversé de l'Ecriture, soit en exa-
minant avec plus de soin la force des arguments produits à
rencontre. Et il ne faut pas se rebuter si même alors sub-
siste quelque apparence de désaccord : car, puisque le vrai
ne peut jamais contredire le vrai, qu'on tienne pour certain
que l'erreur s'est glissée soit dans l'interprétation des textes-
sacrés, soit dans la thèse adverse; mais si on ne l'aperçoit
suffisamment d'aucun côté, il faut provisoiremeut surseoir
à la décision. Nombreuses sont, en effet, les attaques qui
ont été dirigées de tout temps et constamment contre l'Ecri-
ture par tous les genres de sciences, et qui maintenant
reconnues vaines sont absolument abandonnées ; de même,
touchant certains passages de l'Ecriture (qui ne se ratta-
chent pas proprement à la règle de la foi et des mœurs), on-,
a proposé parfois nombre d'interprétations, dans lesquelles-
une investigation plus sagace a mieux vu par la suite. De
fait, le temps fait justice des fausses opinions ; mais « la
vérité demeure et se fortifie éternellement (1). » Aussi que
personne ne prétende comprendre exactement toute l'Ecri-
ture ; ce serait dire qu'on en sait plus que saint Augustin
n'en avouait savoir (2) ; de même, s'il se présente un texte
trop difficile à expliquer, chacun prendra la précaution et
la méthode du même docteur. « Mieux vaut être asservi
par des textes incompris, mais utiles, que de s'exposer, en
ies interprétant inutilement, à laisser choir dans les filets
de l'erreur l'esprit qu'on aura soustrait au joug de cette
servitude » (3).
Si Nos conseils et Nos ordres sont fidèlement et respec-
tueusement suivis par ceux qui s'adonnent à ces sciences
salutaires, si par la plume et par la parole ils consacrent
les fruits de leurs études à réfuter les ennemis de la vérité,
à préserver la jeunesse des dangers que sa foi peut courir,
alors ceux-là pourront enfin se féliciter de servir dignement
(1) III Esdr, 4, 38.
(2) Ad lanuar. ep. LV, 21.
(3) De doctr. chr. IH, 9, 18.
LETTRE ENCYCLIQUE DE S. S. LEON XIII 573
les saintes Lettres, et d'apporter au catholicisme ce secours
que l'Eglise se promet à bon droit de la piété et de la science
de ses fils.
Tels sont, Vénérables Frères, les avertissements et les
prescriptions que Nous avons, sous l'inspiration de Dieu,
jugés opportuns touchant l'étude de l'Ecriture Sainte. A
vous de veiller à ce que cette étude soit gardée et cultivée
avec le zèle qui convient, de telle sorte que la reconnais-
sance due à Dieu pour la communication au genre humain
du langage de sa sagesse s'atteste d'une façon plus écla-
tante, et qu'abondent les avantages désirés, surtout pour
l'instruction de la jeunesse sacrée, qui est Notre grande
préoccupation et l'espoir de l'Eglise. Ainsi, par autorité et
par persuasion, empressez-vous de donner vos soins à ce
que dans les séminaires, et dans les Universités qui dépen-
dent de vous, les études bibliques fleurissent et demeurent
justement honorées. Qu'elles fleurissent dans une heureuse
intégrité sous la direction de l'Eglise suivant les très salu-
laires enseignements et les exemples des Saints Pères, sui-
vant la tradition glorieuse des ancêtres : et que, dans le
cours des âges, elles reçoivent des développements qui soient
vraiment au profit et à la gloire de la vérité catholique, née
de Dieu pour le salut éternel des peuples.
Nous convions enfin, avec un paternel amour, tous les
jeunes clercs et les ministres de l'Eglise à s'adonner aux
Saintes Ecritures avec un sentiment toujours profond de
vénération et de piété; car on ne peut en avoir l'utile com-
préhension qui convient que si, écartant la présomption de
la science terrestre, l'on s'excite saintement à l'étude de
cette sagesse qui est au-dessus de 7ious. L'esprit une fois
formé à cette méthode, et par elle éclairé et fortifié, sera
merveilleusement propre, même dans la science humaine,
à discerner et à éviter ce qui est malsain, à cueillir et à
rapporter pour léternité ce qui en est le fruit solide : par
suite, leur âme s'enflammant davantage tendra avec plus
de désir vers les récompenses de la vertu et de l'amour di-
vin: Bienheureux ceux qui scrutent les témoignages du
Seigneur; ils le recherchent de tout leur cœur.
574 ANNALES CATHOLIQUES
Et maiatenani fort de l'espoir du secours divin et con-
fiant dans votre zèle pastoral, Nous vous accordons avec
amour dans le Seigneur à vous tous, à tout votre clergé et
au peuple confié à chacun de vous, la Bénédiction Apostoli-
que, gage des faveurs célestes et preuve de Notre particu-
lière bienveillance.
Donné à Rome, prés Saint-Pierre, le dix-huit novembre
de l'année mil huit cent quatre-vingt-treize, de Notre pon-
tificat la seizième.
LEON XIII, PAPE.
L'ALCOOLISME
(Suite. — Voir le Numéro précédent.)
III. — Effets de ralcoolisme dans la Société.
Cette crise a pour cause, au point de vue économique, l'anta-
gonisme du capital et du travail. Ils concourent l'un et l'autre
à produire la richesse; mais dans la répartition de la richesse,
les classes laborieuses se plaignent que la balance ne soit pas
égale. L'argent, avec les avantages qu'il procure, s'accumule
entre les mains d'un petit nombre, tandis que la pauvreté, avec
ses privations et ses souffrances, reste le lot des travailleurs.
De cette inégalité naît une irritation qui, habilement exploitée
par des ambitieux, grandit sans cesse et détermine des troubles
profonds. Pour calmer cette irritation, il est nécessaire de don-
Ber satisfaction à ce qu'il y a de légitime dans le programme
des revendications ouvrières. Mais, point d'illusions ! si l'on
n'arrête pas les ravages de l'alcoolisme, l'amélioration du sort
des travailleurs est impossible. En effet, une augmentation des
salaires qui n'aurait pas pour base et pour garantie un accrois-
sement équivalent de bénéfices, n'aboutirait qu'à un désastre et
envelopperait dans une commune ruine le capital et le travail,
les patrons et les ouvriers. La facilité des écbanges et le déve-
loppement illimité de l'industrie ayant déchaîné sur tous les
marchés du globe une concurrence sans frein, les bénéfices ne
sont assurés qu'à ceux dont l'intelligence et l'activité réalisent
à la fois, dans la production, des progrès et des économies. Or,
l'alcoolisme fait de l'ouvrier un mauvais producteur, par l'inca-
pacité dont il le frappe et par les chômages auxquels il l'expose.
l'alcoolisme 575
C'est un préjugé malheureusement trop répandu que l'alcool
accroît les forces : en réalité, il les use. La période de surexci-
tation musculaire qu'il avait d'abord produite est bieritôt suivie
d'une période d'accablement. La main de l'ouvrier devient
moins sûre, son esprit plus lent et plus lourd. Une lassitude
étrange amollit ses membres, énerve son courage. Il ne se
remet au travail qu'au prix d'un rude effort, il le prend ea
dégoût, il n'y apporte qu'une attention distraite; il produit peu
et il produit mal. Pour se livrer au désœuvrement, il met i
profit ou invente au besoin des prétextes futiles. On ne le voit
plus que rarement à l'atelier, si rarement que l'atelier lui ferme
ses portes, et il s'en va au hasard offrir un travail d'autant
moins rémunéré que, par le fait de ses habitudes d'intempé-
rance, il est plus déprécié. Que ces paresseux et ces incapables
se multiplient, tout souffre, tout languit; l'industrie est para-
lysée, les patrons ne s'enrichissent plus et l'ouvrier est encore
plus pauvre. Alors, cédant à de perfides conseils, il rêve de
conquérir le bien-être par la violence. Certes, les travailleurs
sont dans leur droit, quand ils s'efforcent d'obtenir pacifique-
ment des réformes, et parmi ces réformes une augmentation de
salaires ; mais qu'ils se gardent de l'oublier, s'ils ne forment
pas comme une sainte croisade contre l'ennemi que nous leur
dénonçons, toutes les réformes seront impuissantes. Si élevés
que soient les salaires, ils ne le seront jamais assez. La famille
ouvrière restera misérablement logée, à peine nourrie et livrée
à toutes les incertitudes du lendemain.
Désastreuses au point de vue économique, les conséquences
de l'alcoolisme ne le sont pas moins au point de vue moral. La
prospérité matérielle ne peut suffire au bonheur des peuples.
Ils ne vivent pas seulement de pain, mais aussi de vertu. Or,
quelles vertus sociales pouvez-vous attendre d'un homme avili*
Est-ce la probité? le sentiment do la justice ? le respect des lois*
Sous l'influence de sa passion, il a perdu jusqu'à Ja notion de
la justice et de l'honneur. Ce qui le retient, ce n'est pas la
conscience, mais la crainte ; et lorsque, dans le délire de ses
convoitises brutales, la crainte elle-même disparaît, rien ne
l'arrête. Ce n'est plus un homme, c'est un fauve. Il se précipite
sur tout ce qui est l'objet de ses appétits ; il n'obéit plus qu'à
des instincts; et si dans ses veines s'allume l'instinct de la bête
sauvage, il le suit. De là, ces nombreux attentats contrôla pro-
priété et contre les personnes ; de là ces rixes furieuses et ce«
Ç>76 ANNALES CATHOLIQUES
meurtres commis avec une sorte de tranquillité inconsciente,
qui épouvantent l'opinion. Qu'on ne dise pas que de tels faits
ont peu d'importance, parce qu'ils sont rares. Hélas! ils aug-
mentent tous les jours, comme le prouvent les registres de la
criminalité. Si rares qu'ils soient d'ailleurs, ils montrent à quel
degré de perversion l'alcoolisme fait descendre un être humain,
Et qui donc, lorsqu'il se livre à rintenopérance, peut se pro-
mettre de ne pas aller jusque-là?
Quand il n'est pas dangereux pour la société, l'alcoolique lui
est du moins inutile. Cet homme, insensible au spectacle de sa
femme et de ses enfants réduits par sa faute aux dernières
extrémités, quel souci aura-t-il de ses devoirs de citoyen? Que
lui importent les intérêts de la patrie, sa sécurité, sa gloire?
S'il s'occupe de la chose publique, c'est uniquement lorsqu'il
lui est donné de trafiquer de son vote, et de vendre pour
un verre d'alcool sa part d'influence sur les destinées de son
pavs.
Inutile à la société, il lui devient bientôt à charge, soit que
l'épuisement de ses forces le condamne à l'hôpital, soit que
l'égarement de sa raison lui ouvre les portes d'un asile d'alié-
nés. Ceux-ci ne sont nulle part plus nombreux que dans les
régions où l'alcoolisme sévit avec intensité. Ils le seraient plus
encore, si trop souvent le suicide ne mettait fin à ces misérables
vies par une mort plus misérable encore.
Entrez maintenant dans une de ces maisons oii l'on recueille
les enfants infirmes et rachitiques. Regardez ces pauvres petits
êtres qui, frappés de maux incurables, ne connaîtront jamais
la douceur de vivre. Leur visage étiolé est empreint d'une
pâleur livide, leurs yeux sont sans expression^ le sourire de
l'idiotisme est sur leurs lèvres, et ils portent dans tous leurs
membres la trace douloureuse du vice de leurs pères. Ils sont,
pour la plupart, des enfants d'alcooliques, et sans doute les der-
niers de leur race, la science ayant établi qu'après avoir tra-
versé pendant trois ou quatre générations les phases de la
dégénérescence, cette race fiétrie s'éteint. Il ne faut donc pas
s'étonner si nous entendons retentir ce cri sinistre : La France
se dépeuple. Les statistiques le constatent, l'étranger le sait,
nos ennemis s'en réjouissent et ils escomptent, avec l'impa-
tience de la haine, l'époque prochaine oii ils pourront lancer
sur nos frontières leurs innombrables armées, sans qu'il y ait
parmi nous assez de bras, ni assez de poitrines pour les arrêter.
l'alcoolisme 577
Donc, au nom de la dignité humaine profanée, de la famille
ouvrière dissoute, de la société menacée dans ses plus graves
intérêts, nous vous convions. Nos Très Chers Frères, à joindre
vos efforts aux nôtres et à user de toute votre influence pour
mettre un terme aux progrès de l'alcoolisme. Le plus sûr moyen
d'j réussir, c'est d'en supprimer les causes. Les pires fléaux
s'éteignent d'eux-mêmes quand on a le courage de détruire ce
qui leur sert d'aliment.
IV. — Causes de l'alcoolisme.
Ce n'est pas sans raison que les économistes ont signalé
comme favorables au développement de l'alcoolisme les modifi-
cations profondes apportées par l'industrie moderne dans l'exis-
tence de l'ouvrier. Presque partout l'atelier domestique a dis-
paru, et des usines immenses ont été ouvertes à un monde de
travailleurs. Isolé au milieu de cette multitude, déconcerté par
la faiblesse de son action individuelle en face de patrons puis-
sants, souvent anonymes, l'ouvrier s'est découragé, et le
découragement l'a conduit aux premiers désordres. La chute,
d'ailleurs, lui était rendue facile par la multiplicité des séduc-
tions qui l'attendaient an sortir de l'atelier. A côté de l'usine, en
effet, on voit presque toujours des cabarets s'établir nombreux,
pressés les uns autour des autres, spéculant à l'envi sur les
mauvais instincts. A l'attrait des liqueurs enivrantes, certains
entrepreneurs d'intempérance ont mêlé celui d'un luxe menteur
mais éclatant : la profusion des lumières, des peintures, des
décorations; d'autres, plus versés dans l'art de la corruption,
ont imaginé, pour attirer leur proie, de lui offrir l'appât de la
débauche. Ils ont étalé sous ses yeux des spectacles immondes,
des exhibitions éhontées. Ils ont fait retentir à son oreille une
musique prostituée à des paroles obscènes, des chansons dont
les couplets sont un outrage à peine déguisé à la morale pu-
blique.
Avec le danger de ces tentations, il y a l'entraînement de
l'exemple. Qu'il se rencontre dans un atelier un ouvrier adonné
à l'intempérance ; il est à craindre que d'autres deviennent bien
vite les compagnons de ses désordres. C'est une sorte de conta-
gion. La peur des railleries, le désir de faire preuve d'indépen-
dance, je ne sais quel amour-propre et quelle déplorable ému-
lation à qui supportera le mieux les efiets de l'alcool ; tout
42
578 ANNALES CATHOLIQUES
contribue à ébranler les meilleures résolutions et à pousser
Touvrier sur la pente fatale qui aboutit aux plus coupables
excès.
L'esprit de faraille serait un point très fernîe de résistance.
Malheureusement, il s'est amoindri, par suite des nécessités
industrielles. L'usine absorbe le travailleur, elle lui prend les
heures du jour, et parfois les heures de la nuit; elle le tient
attaché à son métier, sans même lui donner le loisir d'aller, au
moment du repas, s'asseoir avec les siens. Il en résulte pour lui
l'habitude de chercher au dehors ses distractions et ses plaisirs,
et de ne rentrer sous son toit que pour donner à son corps
accablé de fatigue le repos qu'il réclame impérieusement. Quant
au repos moral, encore plus nécessaire, il le trouverait dans la
société de sa femme et de ses enfants ; mais il en jouit si rare-
ment, et pour de si courts moments, qu'il finit par en perdre le
goût et n'en plus sentir le besoin.
Du reste, le logis lui offre peu d'attraits, surtout dans les
villes, où il se réduit à une ou deux chambres qu'un petit
nombre de meubles suffit à encombrer. L'homme, accoutumé
aux grands mouvements, est mal à l'aise dans cet espace étroit,
il est inoccupé, il s'ennuie ; et si la femme n'a pas su répandre
autour d'elle un air d'aisance, si elle ne possède pas le secret
d'intéresser son mari aux incidents quotidiens de la vie de
famille, si lui-même n'a pas un profond sentiment de ses devoirs
d'époux et de père, il se sent attiré par le cabaret, oii il trouve
du moins une apparence de luxe et l'idée d'un bien-être momen-
tané.
Un autre péril, c'est le chômage du lundi. Certains patrons
ont contribué à propager ce déplorable abus. Sans être excusés
par une de ces nécessités impérieuses que la religion elle-même
reconnaît, ils ont contraint leurs ouvriers à fouler aux pieds le
précepte de la sanctification du dimanche. Mais, comme il y a
aux forces de l'homme une limite qu'on ne peut impunément
franchir, le travailleur a dû, pour ne s'être pas reposé le di-
manche, se reposer le lundi. Eh bien! que sera cette journée?
La maison est déserte, la femme est au travail, les enfants à
l'école, les distractions honnêtes font défaut. Après avoir pro-
mené son ennui, il se réfugie là oix il est assuré d'avoir un
passe-temps dans le jeu et une société bruyante. Provoqué à
l'intempérance, il ne résiste pas; dans ses veines, s'allume
comme une fièvre de plaisir; et la raison ne le contenant plus.
i/alcoolisme 579
il donne à l'orgie les heures qu'il s'était promis de donner au
repos.
Rejeter sur l'industrie moderne toute la responsabilité de ces
désordres serait une injuste et ridicule exagération. L'industrie
a réalisé, au point de vue du bien-être général, des progrès
incontestables ; elle a rendu de grands services à la cause de
l'humanité. 11 faut lui en savoir gré. Mais, aujourd'hui, après
un siècle de développement ininterrompu, on est en droit de
lui demander de se réformer elle-même et de corriger les abus
que l'expérience a révélés dans son organisation. Son prenfiier
devoir est de secouer cette frayeur puérile ou égoïste qu'elle a
trop longtemps fait paraître à l'égard de l'association. E>n l'iso-
lant du mouvement qui porte les ouvriers à unir leurs forces, à
confondre leurs intérêts, les chefs d'industrie ont commis une
lourde faute, aussi funeste à eux-mêmes qu'aux travailleurs.
Ceux-ci, en effet, abandonnés par leurs guides naturels, se sont
enrôlés dans ces Sociétés qui, sous des drapeaux divers, repré-
sentent des doctrines également détestables et dont le moindre
souci est de rendre l'ouvrier meilleur et plus heureux. Pour
combattre leur influence, il importe de multiplier et d'encoura-
ger les associations oti l'on développe ce qu'il y a de bon et de
généreux dans l'âme du peuple; principalement celles qui faci-
litent l'épargne, en inspirent le goût, et opposent aux sollicita-
tions de l'intempérance le charme du bien-être et de la sécurité
qu'on trouve dans l'ordre et l'économie.
Il est de l'intérêt comme du devoir des patrons de veiller à
tout ce qui peut améliorer la condition morale et matérielle de
leurs ouvriers. Ils sont tenus de les soustraire, autant qu'il est
en eux, à la contagion du mauvais exemple, par conséquent
d'écarter de l'atelier ou de l'usine les incorrigibles buveurs
d'alcool. L'appât du gain wi les autorise jamais à prolonger
sans mesure les heures du travail, car un travail excessif, fut-
il largement rémunéré, démoralise le travailleur en l'épuisant.
11 appartient également aux chefs d'industrie d'atténuer le tort
causé à l'esprit de famille en favorisant la création de loge-
ments salubres et décents. Donner à ces logements de l'air, de
l'espace et de la lumière, c'est combattre indirectement mais
très efficacement l'intempérance ; car, selon la remarque d'un
éminent écrivain, « ce qui vaut mieux que la sévérité du patron
pour arracher l'ouvrier au cabaret, c'est de rendre le cabaret
inutile en rendant la maison agréable (1). »
(1) Jules Siuos. Le travail.
580 ANNALES CATHOLIQUES
Dans la lutte contre l'alcoolisme, quel est le rôle des pouvoirs
publics? Déjà, plusieurs gouvernements ont réussi, non seule-
ment à entraver sa marche, mais encore à le refouler et à le
chasser du terrain qui semblait définitivement conquis. Or, leur
principal mojen d'action a été de restreindre par des mesures
énergiques l'inquiétante multiplication de ces débits d'alcool,
qui jouissent parmi nous d'une liberté presque absolue. Us acca-
parent les centres ouvriers, ils envahissent les campagnes,
créant partout de véritables foyers de dépravation. Un gouver-
nement qui entreprendrait d'en diminuer le nombre, rendrait à
la société et surtout aux classes populaires un inappréciable
service; il aurait bien mérité de la reconnaissance publique.
Pourquoi donc s'arrêter à des calculs politiques inavouables?
N'esi,-il pas temps enfin d'exercer sur la vente de l'alcool une
rigoureuse surveillance, de mettre un terme à ces falsifications
qui centuplent l'action meurtrière des boissons enivrantes et de
réprimer avec fermeté toute excitation à l'intempérance, toute
provocation à la débauche ?
En cette matière d'ailleurs, comme en tout ce qui touche à la
question sociale, on aurait tort d'attendre un remède souverain
de l'intervention de l'Etat. Comme l'a dit un économiste anglais,
Channing, l'alcoolisme n'est pas un vice isolé, il est à la fois et
la conséquence et le sjraptôme d'une démoralisation générale.
Or, toutes les lois sont impuissantes à extirper un mal qui a
pris racine dans la vie d'une nation. On ne rend pas les peuples
tempérants et vertueux par décret. « Que peuvent les lois sans
les mœurs?» disait l'axiome antique. Avant tout il faut une
réforme dans les mœurs, et par conséquent une réforme dans
les idées, car la raison et l'expérience démontrent que l'une est
inséparable de l'autre.
V.— Quel sera le vrai remède contre l'alcoolisme?
Une grande erreur produit toujours un grand désordre, et la
perversion des idées a pour conséquence inévitable la corruption
des mœurs. Voici, à notre époque, l'erreur dominante. Eblouis
par l'éclat des découvertes que la science doit à la méthode
expérimentale, on s'est persuadé, qu'appliquée à l'ordre méta-
physique, cette méthode produisait d'aussi merveilleux résultats.
Théorie fausse et stérile qui aboutit à la négation de Dieu, de
l'alcoolisme 581
l'âme et de l'avenir immortel. Le xviu* siècle avait dit :
« L'homme n'est tenu de croire qu'à ce qu'il comprend. » Mais,
si par cette formule il renonçait aux dogrjes surnaturels, il .
gardait du moins les vérités fondamentales qui sont le natrimoine
inaliénable de l'esprit humain. Ce patrimoine, la nouvelle école
philosophique le rejette en disant : L'homme ne doit croire qu'à
ce qui se voit, se touche et s'observe. Rechercher en dehors du
monde visible l'explication de l'origine et de la destinée des
êtres, c'est une spéculation oiseuse, un pur jeu d'esprit. Dieu,
s'il existe, est insaisissable; dans la solitude où il se dérobe, la
science ne peut ni l'atteindre, ni même l'approcher. Du reste, il
n'importe en aucune matière de vérifier l'hypothèse de son
existence. L'homme se suffit à lui-même et n'a besoin d'aucun
secours d'en haut; ses facultés, ses passions, ses appétits, tout
en Ini est bon, parce que tout est l'œuvre de la nature : c'est
elle qui est son Dieu, son principe, sa loi, sa fin.
0 homme, fils de la terre, pourquoi lasser tes regards à con-
templer le ciel? Le ciel est vide, l'infini, l'idéal, ra"bsolu, autant
de visions décevantes. Si tu veux être heureux, aftranchis-toi,
par nn viril effort du joug des vieilles croyances. Cesse de
trembler à des craintes sans fondement ou de tressaillir à des
espoirs sans lendemain. Le bonheur n'est pas au-dessus de toi,
en des régions lointaines et inexplorées; il est sous ta main, il
est dans la nature, ses fieurs, ses parfums, ses sourires; dans
les voluptés qu'il ofi"re à tes désirs, dans les ivresses qu'il pro-
digue à tes sens. Le bonheur, il est en toi, dans tes convoitises
satisfaites et des appétits rassasiés.
Cette doctrine n'a été que trop bien comprise. Vulgarisée par
le livre, le journal, le théâtre, elle a pénétré partout, minant le
sol et désagrégeant les bases sur lesquelles repose la société..
Elle a ébranlé les croyances, amolli les convictions, provoqué
un affaissement général des intelligences et des cœurs. Cap-
tivés par Y enchantement de la bagatelle, les âmes n'ont plus
senti cette sublime angoisse de l'éternité qui, aux âges de foi,
remuaient les peuples. Devant les formidables mystères de la
vie et de la mort, beaucoup d'hommes qui se croient sérieux
passent sans même relever la tête. On dirait qu'ils ont perdu
j usqu'à l'espoir de rien apprendre des choses éternelles, et qu'ils
sont résignés à disparaître tout entiers dans la tombe. Mais quoi
donc? Le plaisir est-il l'unique but de la vie humaine? On le
poursuit avec une âpreté dévorante et implacable; ce qu'on
582 ANNALES CATHOLIQUES
appelle la lutte pour la vie n'est qu'une mêlée d'appétits sau-
vages et impatients. On se hâte, on rivalise d'ardeur pour
s'emparer d'une plus grosse part de jouissances. Et ceux-là sont
jugés dignes d'envie, qui ont été les plus habiles et les plus
forts. C'est à peine si, pour dissimuler la honte de scandales
inouis, on les couvre d'un léger voile, tant on se croit autorisé
à trafiquer de tout, même de la conscience, même de l'honneur.
En présence de ce libre étalage de luxe et de volupté, que pense
l'homme du peuple, ce pauvre artisan qu'on laisse aux prises
avec le travail et la souffrance? Ce qu'il pense, le voici : égaré
par les doctrines qu'on lui a prêchées, persuadé que le tout de
l'homme, c'est le plaisir, que tout commence et finit à la terre,
et qu'au delà il n'y a rien à craindre, rien à espérer, il se dit
que la sagesse consiste, pour lui, aussi bien que pour les autres,
à amasser en passant, le plus de joies qu'il pourra, et comme il
n'a pas d'or pour acheter des plaisirs délicats, élégants, raffinés,
il se jette sur les grossières jouissances que procure l'ivresse et
se livre à l'intempérance, sans mesure et sans remords.
Prêcheurs de morale indépendante, chantres du plaisir, cet
homme abruti vous répugne, et vous en avez peur. Daus le
monde que vous avez arrangé au gré de votre fantaisie, il
apparaît comme un reproche et une menace, car il est pauvre et
il souffre. De ce bonheur dont vous lui avez fait de séduisantes
peintures, il n'a pas reçu sa part. La terre est toujours pour lui
une marâtre. Elle boit ses sueurs et ne lui donne en échange
ni fieurs, ni parfums, ni sourires.
Selon vos conseils, il a lâché la bride à ses convoitises, il leur
a sacrifié ce qu'il y avait dans son âme de bon, do noble, de
divin ; ce qui avait fait peut-être, en des jours lointains, le
charme et l'honneur de sa vie. Une horrible passion a dévoré
sa chair, son sang, son intelligence, sa liberté; et à présent, il
ôst plus malheureux que jamais, victime non seulement de ses
vices, mais encore de votre impiété. Qui donc aura pitié de cet
homme? Qui lui tendra la main?Oserez-vous lui parler du sen-
timent de sa dignité, vous qui ne voyez dans l'homme qu'un
produit perfectionné de la matière? Ferez-vous appel à sa con-
science, vous qui, dans la conscience, n'avez découvert qu'un
vil préjugé? Essayerez-vous de l'effrayer par la crainte d'une
responsabilité quelconque, vous qui proclamez que les phéno-
mènes de la vie morale, comme ceux de la vie physique, sont
régis par des lois inflexibles? Moralistes sans principes et sans
i/alcoolisme 583
cœur, passez votre chemin; ce misérable, étendu dans la boue
et couvert de blessures, vous avez contribué à le dépouiller et
à le perdre; vous ne pouvez rien pour le sauver. Celui-là seul
saura le guérir, qui autrefois s'arrêtait avec une tendre com-
misération prés du blessé de Jéricho et versait sur ses plaies
saignantes l'huile et le vin.
Dans l'élan d'un amour infini, le Fils de Dieu est sorti du
sein do sa gloire, il est descendu en ce monde et a pris une chair
mortelle, afin de s'approcher de l'homme, de le relever, de le
])urifier et de le rétablir dans sa primitive grandeur. En ce
temps-là, épuisée de luxure, livrée à la fièvre des passions,
l'humanité s'agitait en des crises désespérées. Plus de lumière
divine dans ses yeux, plus de sang généreux dans sa chair. Son
cœur était glacé ; sous l'étreinte de la peur, il frissonnait encore,
il ne tressaillait plus au souffle des nobles amours.
Jésus-Christ, prenant cette humanité entre ses bras puis-
sants et doux, la baigna dans son sang. Elle en sortit régénérée.
Regardez maintenant, sa chair est saine, ses membres vigou-
reux, une vie nouvelle circule dans ses veines; elle croit, elle
aime, elle sourit, elle espère. Par delà les obscurités de la vie
présente, son regard découvre avec ravissement l'aurore d'un
soleil sans déclin; par delà toutes les joies et toutes les affec-
tions humaines, son cœur pressent et devine les saintes ivresses
de l'éternel amour.
Or, celui qui a fait refleurir la vertu au sein de la corruption
païenne est seul capable d'firrèter la contagion qui nous envahit.
« Pour le monde, a dit saint Hilaire, point de plus grand péril
que d'abandonner Jésus-Christ. Nihil tam mundo periculosum
quani dereliquisse Chrislum. » Est-ce que nos fautes et nos
malheurs ne justifient pas la vérité de cette parole? Séduits par
de brillantes erreurs, enorgueillis des merveilleuses conquêtes
de la science et de l'industrie, nous avons rêvé, en multipliant
le plaisir, de multiplier le bonheur. Chimères que tout cela! Il
n'est pas en notre pouvoir de changer les conditions essentielles
de l'existence humaine. Le plaisir est resté le privilège du petit
nombre, le bonheur devient de plus en plus rare, et l'envie, la
haine, la souffrance, se disputent avec plus d'acharnement
l'humanité. Ce qui, à la fin d'un siècle dont on avait tant es-
péré, caractérise l'état des âmes, c'est une lassitude immense,
un malaise universel. Il y a dans les esprits une inquiétude
douloureuse, dans les cœurs le sentiment d'avoir perdu quelque
chose de grand, de bon, de nécessaire, avec une ardente aspi-
584 ANNALES CATHOLIQUES
ration à sortir de l'abaissement moral ou nous ont fait tomber de
désolantes erreurs. On veut respirer un air plus pur, on veut
vivre autrement que par les sens, on parle sans cesse des choses
de l'au delà, et Ton essaye de rallumer dans les âmes une nou-
velle et généreuse passion pour le beau, pour le bien, pour
l'idéal.
Mais le suprême idéal est une magnifique réalité, c'est le
Christ qui peut seul donner un aliment à cette soif et à cette
faim mystérieuses qui tourmentent notre époque. La vérité, la
bonté, la beauté, c'est lui ; la justice, l'honneur, la liberté, c'est
encore lui. Que son nom soit donc rétabli en tête de nos institu-
tions et de nos lois ; que la lumière de son Evangile ra3'onne de
nouveau dans les esprits et dans les cœurs, que sa morale rede-
vienne la loi souveraine des mœurs privées et des mœurs pu-
T3liques;et les fléaux qui nous menacent s'arrêteront d'eux-
mêmes; les belles pensées et les saintes aiïections se réveille-
ront dans les âmes, les vertus sociales reprendront leur sève
«t leur vigueur, et nous verrons régner parmi nous l'ordre, la
charité, la paix. Cardinal Thomas.
LE CONVENT MAÇONNIQUE DE 1893
En une trentaine de pages in-S^ d'une brochure élégante, sur
beau papier, imprimée en un texte très clair, en un mot avec
tous les petits menus attraits, qui ne sont jamais à dédaigner
d'un bon instrument de propagande, Mgr l'èvéque de Grenoble
réunit trois choses: 1° l'exposé du convent maçonnique de 1893;
2° sa discussion; 3° un catéchisme de la politique chrétienne,
catéchisme électoral à la fois bref et largement conçu. Procé-
dons par ordre.
L — Les résolutions du convent n'ont rien de nouveau quant
à la question religieuse proprement dite. C'est à peu prés tou-
jours la même cliose. Mais elles inaugurent la politique d'action
sur le terrain social. En fait d'anticléricalisme, une résolution
générale résume tout :
Le convent de 1893, fitlèle aux doctrines anticléricales et humani-
taires de la F. -.-M.*., désireux de voir le conseil de l'Ordre donner à
toutes les LL.*. de l'Obédience une impulsion énergique propre à
amener la réalisation, depuis si longtemps souhaitée, des réformes
nécessaires, le charge d'organiser, sur toute l'étendue du territoire
l.E CONVKNT MAÇONNIQUE DE 1893 585
de la République, une ngitation pacifique destinée à permettre rnfin
l'écrasement définitif du cléricalisme.
Comme raovens d'exécution, l'application intégrale des lois
scolaires et militaire, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ce
qui signifie, en termes exacts, la suppression du budget des
cultes, la suppression des congrégations et la conliscation do
leurs biens, en attendant la suppression des congréganistes eux-
mêmes par le procédé, méthodique et chirurgical, de la section
du cou.
Ce sont des vœux (!...) dont la maçonnerie se contente tant
qu'elle ne peut faire autrement, et qu'elle réalise immanquable-
ment quand les conjonctures s'y prêtent. Alors ce sont des sou-
venirs qui passent à l'état de grandes époques de l'histoire, et
dont on célèbre le centenaire.
Les questions d'actualité sociale sont énuraérées par le
F.*. Merchier au nom de la commission de propagande :
Convaincue, en outre, que, tout en continuant la lutte séculaire
contre le cléricalisme, la Fr...-Maç.". ne peut rester hypnotisée en
face des questions religieuses, votre commission vous propose de sou-
mettre à l'étude des 44 .•. les questions suivantes éminemment
propres à fixer l'orifintation que la fédération veut voir donner à
l'ordre:
1° Reprise des monopoles (chemins de fer. Banque de France,
mines);
2o Création de l'assistance publique intégrale dans les villes et
dans les campagnes, nécessité d'assurer à tout être humain, inca-
pable de gagaer sa vie, la satisfaction de son minimum de besoins;
3° Suppression des impôts qui pèsent sur la consommation et le
travail; leur remplacement par un impôt sur la richesse;
4» Suppression de l'héritage en ligne collatérale ;
5° Création d'un impôt progressif sur les successions en ligne
directe ;
6° De la propriété et de ses différentes formes.
II. — Dans la discussion de ce programme de propagande de
désordre, Mgr Fava rappelle aux catholiques quel instrument
légal, légitime et invincible ils peuvent trouver dans le Concor-
dat, traité conclu de puissance à puissance entre la France et
l'Eglise, et que le gouvernement français, fùt-il révolutionnaire^
ne saurait mettre à néant de sa seule volonté. Sur ce terrain la
résistance est de droit absolu :
Convient-il que quelques centaines de conspirateurs', qui voudraient
586 ANNALES CATHOLIQUES
s'envelopper d'ombre et de silence, au fond de leur sombre demeure,
commandent, comme ils le font au gouvernement de la France, d'en
finir avec l'Eglise, comme les juifs imposaient à Pilate un arrêt de
mort contre Jésus-Christ !
Nous, évêque de cette divine Eglise, au nom de nos diocésains,
nous protestons; et comme nous savons que notre voix ne trouvera
point d'écho, nous demandons au Pape, qui est partie contractante
avec la France, d'appuyer nos justes réclamations ; car nous n'en-
tendons pas nous laisser écraser de la sorte par une poignée
d'hommes qui se préparent à se glisser sur nos pas pour nous deman-
der la ôowrse d'abord, la vie ensuite, sans nous défendre avec toutes
les armes que la justice et la liberté ont laissées à nos voix et à nos
bras. S'il le faut, nous ferons appel à nos frères, les catholiques fran-
çais, et tous ensemble nous demanderons justice au chef de la nation,
qui doit être lui-même catholique, de par la loi des Francs, sous
peine de déchéance.
Quant aux questions purement sociales, celle de la propriété
par exemple, Monseigneur l'êvêque de Grenoble observe que les
francs-maçons n'y comprendront goutte en dehors du Décalogue.
Cela est certain. La multitude, la variété, l'incohérence de leurs
systèmes, constamment nouveaux et constamment détruits les
uns par les autres, prouvent surabondamment que la vérité
n'est pas là. Les expériences révolutionnaires qui ont été faites
le démontrent, hélas! suffisamment aussi. Mgr Fava résume
l'idée de la résistance dans une proposition claire et hors do
toute équivoque :
Qu'on le sache bien, nous serons toujours avec la France, quelle
que soit la forme de gouvernement qu'elle se donne, mais jamais avec
la maçonnerie, ni avec les erreurs qu'elle professe: Non possumus.
Notre avis est qu'il faut combattre la secte maçonnique là où elle
porte elle-même le combat.
Comment combattrons-nous avec efficacité la secte maron-
nique partout oii elle porte le combat? C'est, chacun dans notre
sphère, par l'union des volontés sur des principes formulés en
peu de mots, lucides, fermes, tels que chacun les puisse entendre
dans sa condition sociale, tels et c'est tout dire, qu'ils se puis-
sent résumer en un bref catéchisme.
in. — Le catéchisme, sous le titre de Politique chrétientie,
est divisé en quatre chapitres qui traitent: de la Royauté divine
de Jésus-Christ, des Apôtres de Jésus-Christ, des ruoyens
d'apostolat, des élections ; nous citerons ce dernier chapitre
en entier:
LE CONVENT MAÇONNIQUE DE 1893 587
DES ELECTIONS
Est-ce que les élections sont un moyen d'apostolat ?
Oui, les élections diverses, surtout celle des députés et des séna-
teurs, sont un moyen puissant d'être apôtre de Jésus-Christ.
Quelle en est la raison?
La raison en est que les députés et les sénateurs font les lois et
forment le gouvernement du pays. Si leurs lois sont conformes à la
justice et respectueuses des croyances catholiques, ces lois sont
bonnes; sinon, elles sont injustes et impies, et le gouvernement
mauvais.
Que faut-il penser des électeurs qui, sciemment et le voulant, notn-
ment des députés et sénateurs quils savent devoir voter contre les
croyances catholiquzs ?
11 faut penser que ces électeurs se rendent gravement coupables
envers Dieu, et qu'ils sont responsables devant lui des actes mauvais
que commettront les députés et sénateurs nommés par eux.
Et pourquoi cela ?
Parce que si les électeurs, en nommant les députés et sénateurs,
n'insultent pas eux-mêmes Jésus-Christ et son Eglise, ils les font
offenser, insulter et blasphémer par les hommes de leur choix.
Mieux vaudrait donc ne pas voter du tout ?
Puisque les élections sont un moyen d'être apôtres de Jésus-Christ,
et que, en général, il est facile de voter, il faut regarder les élections
comme obligatoires devant Dieu.
Que faire si aucun catholique ne se présente?
Il fautque les catholiques s'entendent entre eux pour en choisir un.
Cela coûte cher et de diverses manières ?
Oui, c'est cher aussi pour les ennemis de Dieu, et ils trouvent de
l'argent. Unissons-nous, et nous en trouverons.
Les évêques et les prêtres peuvent-ils se mêler d'élections ?
Oui, puisque la loi les reconnaît électeurs et éligibles, et leur
assure tous les droits de citoyens français, dont, par ailleurs ils rem-
plissent les obligations.
Est-ce que le clergé à l'étranger s'occupe des élections ?
Oui, en Belgique, en .Vllemagne, en Angleterre, en Amérique, par-
tout, les évêques et les prêtres s'occupent des élections, étant, plus
que les citoyens ordinaires, obligés d'être les apôtres de Jésus-Christ,
défenseurs des droits de l'Eglise, pères du peuple, gardiens des
moeurs et amis de la gloire de la nation.
Il faut donc quand il y a des élections en vue, s'y préparer?
Oui, il faut s'y préparer comme à un acte d'où dépendent la fortune
du pays, son bonheur et son avenir.
Voilà, croyons-nous, les plus excellents préceptes exprimés
588 ANNALES CATHOLIQUKS
en termes non moins excellents. La brochure de Mgr Fava est
intitulée Converti maçonnique des 11, 12, 13, 14 et 15 septem-
bre 1893. Elle se trouve chez Baratier et Dardelet, libraires à
Grenoble. C'est une vraie bonne œuvre que de la répandre.
C'est en quelque sorte répondre au convent maçonnique par
une sorte d'intellectuel et très efficace convent catholique sans
déplacement, réunissant dans la même croisade tous les hommes
intelligents, tous ceux qui savent comprendre et lire, et qui
possèdent assez d'influence autour d'eux pour distribuer quel-
ques exemplaires d'une brochure.
[Vérité.) G. Bois.
UNE VISITE A NOTRE-DAME DE LOURDES
Voyage autour de la grotte.
Amis lecteurs, je vous propose un voyage autour de la grotte
de Lourdes. Dans notre célèbre sanctuaire pyrénéen, le grand
aimant du pèlerin, nul ne l'ignore c'est le rocher béni. C'est
à la grotte que l'on va le plus volontiers, c'est là que l'on prie
avec le plus d'ardeur, c'est là qu'on se réunit avec le plus de
plaisir, c'est là d'ailleurs, si je puis parler ainsi, le quartier
général des prodiges. Laissons-nous donc entraîner; suivons la
foule et rapprochons-nous de Massabielle.
I
Notre voyage, si vous le voulez bien, commencera à la gare.
Nos pères ont eu des émotions que nous n'avons plus. Autre-
fois, quand on venait de loin et pédestreraent faire un pèlerinage
dans un lieu consacré par des miracles et des apparitions, on
savourait à l'avance le plaisir de l'arrivée. A l'époque où nous
sommes, les chemins de fer ont aboli les impressions patriar-
cales. Avec la vapeur, les pèlerinages ont gagné en rapidité ce
qu'ils ont perdu en poésie. Ne nous en plaignons pas trop ; car,
sans la vapeur. Lourdes ne compterait certainement pas tant de
visiteurs venus des pays les plus reculés du monde.
Au débarcadère, nous trouvons, comme partout ailleurs, des
voitures de tout genre qui ont toutes l'ambition de nous porter.
IV'en contentons aucune et partons à pied. La voiture de saint
UNE VISITE A LOURDES 589
François est la plus recommandée quand on fait un pèlerinage.
Nous avons devant nous deux chemins pour arriver à la grotte :
l'un qui traverse la ville, l'autre qui la longe, le dernier est le
plus court et le plus intéressant, nous le suivons. Nous rencon-
trons sur notre passage des pèlerins et des voyageurs de tout
costume et de tout pays qui arrivent ou qui partent. Ce spec-
tacle n'a rien encore que de très ordinaire, d'autant plus que la
petite ville de Lourdes, aperçue de la gare avec son pâté de
constructions noircies par le temps et son encadrement de mon-
tagnes sans prétention, n'oliVe aux regards (ju'un tableau sans
couleur et sans animation.
Ce qui peut nous consoler un peu de la tristesse de la pers-
pective, c'est la vue du château qui, devant nous dresse sa tête
légendaire comme pour nous rappeler un passé qui ne fut pas
sans gloire. Miramhel fut, dit-on, son nom primitif, son nom de
baptême. On voit, d'après ses augustes débris, qu'il méritait
bien cette appellation. Plus tard, au temps de Charlemagne,
quand le grand conquérant le ravit aux Sarrazins, il fut débap-
tisé et s'appela Lourdes. Pourquoi? Les étymologistes cherchent
encore et ne sont pas d'accord â ce sujet. Quoi qu'il en soit, on
sait qu'il a changé plusieurs fois de maîtres à travers l'histoire.
On sait aussi que de Louis XIV à la Révolution, et même sous
l'Empire, il a servi de prison d'Etat. Maintenant, avec son don-
jon, haut de plus de trente mètres au-dessus du sol de la ter-
rasse, il sert à agrémenter le paysage. Nous le saluons en
passant, nous le laissons à gauche, et nous voilà enfin en
présence du sanctuaire.
Nous traversons, sur un pont neuf, le gave qui descend de la
montagne avec des colères sublimes à certains jours, et nous
nous trouvons dans ce que j'appelle le fief de la sainte Vierge,
sur le boulevard qui sert d'avenue au pèlerinage. Là, le tableau
est de tous points admirable; il serait difficile d'en donner une
juste idée, on ne rend pas l'impression qu'il produit dans l'âme
de celui qui le voit pour la première fois.
On peut dire que la sainte Vierge s'est montrée paysagiste,
en demandant une chapelle sur la roche de Massabielle; c'est là
surtout qu'on le comprend. C'est là, que les processions aux
flambeaux déploient leurs magnificences et c'est là enfin, que
nous rencontrons la Vierge couronnée, non loin de l'endroit oii
se fit la mémorable solennité du 3 juillet 1876.
Cette date rappelle un des plus beaux jours de Notre-Dame
590 ANNALES CATHOLIQUES
de Lourdes. Ce jour-là, au milieu de cent cinquante mille pèle-
rins arrivés de tous les coins de la France, en présence de
trente-cinq archevêques ou évêques français et étrangers, sous
les yeux du Cardinal de Paris, une statue de Marie fut cou-
ronnée parle nonce apostolique délégué pour cette cérémonie,
par le Souverain Pontife. Rarement le soleil a éclairé de pareils
spectacles dans l'histoire de l'Eglise catholique. Les sanctuaires
de Jérusalem, de Compostelle, de Lorette et d'Assise ont, dans
leurs annales, des journées aussi célèbres, mais n'en comptent
pas de plus belles. La fête fut splendide : l'éloquence, la poésie,
la littérature, l'épigraphie, le journalisme, l'ont tour à tour
célébrée, je ne la raconte pas. Ceux qui en furent les témoins
disent qu'elle est inénarrable. De fait, toutes les merveilles que
peuvent produire la foi chrétienne, l'enthousiasme religieux,
l'ardeur apostolique semblaient s'être donné rendez-vous pour
la rehausser d'un éclat incomparable.
La statue que nous saluons n'est pas celle qui re^ut le dia-
dème, mais elle en porte un qui brille au soleil, et c'est la pre-
mière Vierge que nous vénérons sur la terre sacrée du pèlerinage.
A côté, nous admirons Yabri, et, en suivant, entre le gave et
l'église du Rosaire, notre route vers la grotte, nous arrivons
aux piscines.
C'est ici le grand théâtre des miracles. Arrêtons-nous un
instant pour contempler cette scène principale du surnaturel à
Lourdes. C'est le lieu, du reste, pour répondre à quelques-unes
des questions sans nombre qui se font aujourd'hui, dans le
monde, en voyage, dans les salons, en chemin de fer, à propos
des guérisons miraculeuses de notre cher sanctuaire. Qu'est-ce
que le miracle? Est-il possible? Est-il constaté à Lourdes? La
réponse théologique, savante, détaillée à ces trois questions, de-
manderait un volume. J'abrège et je ne touche que le sommet
des choses :, Fastigia rerum.
« Le miracle, dit saint Thomas, est le fait d'une intervention
divine en dehors et au-dessus des énergies connues. Opus divi-
num prceter ordinem communem ou encore, pour traduire plus
librement : « l'intervention surnaturelle et directe de Dieu se
faisant connaître elle-même par des signes manifestes de puis-
sance et de perfection. »
D'après cette définition qui me paraît mieux faite que toute
autre pour réfuter victorieusement les objections des incrédules,
on voit que le miracle n'est point un fait abrupte, choquant,
USE VISITE A LOURDES 591
inconciliable avec l'ordre général des choses et qu'il est simple-
ment, comme le mystère, au-dessus de la nature, mais non con-
traire à la nature.
Après cela, demander s'il est possible, c'est demander si le
Créateur, qui est à la fois tout-puissant, libre, aimant, peut
rester inditlërent ou étranger à son œuvre. Tout-puissant, il
peut intervenir extraordinairement quand bon lui semble à tra-
vers la trame de l'histoire, au milieu des manifestations de la
vie. Libre, il peut mettre ce pouvoir en exercice quand il lui
plaît : quelqu'un a dit que les miracles sont les coups cVétat de
Dieu. Or, ces coups d'état, il est maître de les multiplier, s'il le
veut. Aimant, il doit s'intéresser au chef-d'œuvre de ses mains,
à l'homme; mais l'homme est faible, pauvre et malade. Com-
ment Dieu ne se serait-il pas réservé de le protéger, de l'assister,
de le guérir et d'avoir, par suite, recours à des moyens extraor-
dinaires pour cela faire, si les moyens ordinaires ne pouvaient
i-uffire ?
Un mot de Thiers va trouver ici sa place.
Le célèbre historien causait un jour avec Mgr Dupanloup, et
la conversation roulait sur l'athéisme : c'était à propos de la
candidature de Littré à l'Académie. « Comment peut-on être
athée? disait M. Tliiers. Est-ce qu'il n'y a pas un calcul évident
dans le monde? Donc, il y a un calculateur sublime! Mais
Dieu n'est pas seulement grand et puissant; il est bon. » Ef, se
détournant, il regardait une gravure : < Voyez, poursuivit-il,
Monseigneur, comme c'est beau une gravure! il y manque pour-
tant quelque chose : la couleur ! Eh bien^ Dieu aurait pu ne faire
du monde qu'une gravure, il en a fait un tableau! »
Oui, il faut le reconnaître avec l'auteur de ce mot, le monde
est un tableau grandiose et merveilleux. Mais, qui ne sait que
les artistes ont mille moyens d'animer leurs tableaux et de les
rendre en quelque sorte vivants? Pour cela, il leur suffit d'une
tète, d'un personnage, d'une chaumière, d'un enfant qui dort
sur les genoux de sa mère, d'une vache qui paît dans la prairie,
d'un pâtre qui garde ses chèvres dans la campagne Est-ce
que le grand artiste qui a fait l'univers n'aurait pas, lui aussi,
ses moyens pour rendre son tableau vivant? 11 les a, et l'un
d'eux, c'est le miracle.
Libre à lui de le placer où il veut sur la scène de la création :
dans une vallée ou sur une montagne, au bord d'une fontaine
ou aux abords d'une grotte, chez un peuple sauvage ou chez un
592 ANNALES CATHOLIQUES
peuple civilisé. Est-ce que le peintre ne place pas ses person-
nages sur la toile suivant le caprice de ses inspirations?Et main-
tenant, si les critiques d'art ont assez de flair pour reconnaître
l'œuvre d'un maître, à la touche, au faire, à la manière, qui
ne voit que nous pouvons tous reconnaître au miracle l'inter-
vention de Dieu dans le monde? C'est sa manière à Lui de se
montrer. Quelqu'un a dit, je crois : « Le miracle est la signa-
ture de Dieu. »
Mais peut-on prouver que Dieu s'est montré à Lourdes? En
d'autres termes, le miracle y est-il constaté? Oui, il l'est, et
d'une façon irréfragable. Sans doute, il ne se fait pas là, comme
le voudrait Renan, — ce guitariste qui nous a joué contre les
miracles des airs démodés, mais rendus neufs par son talent, —
dans un amphithéâtre, devant une commission composée de mé-
decins, de chimistes et de physiciens qui régleraient à leur fan-
taisie le programme de l'expérimentation; mais il se fait, au vu
et au su de tout le monde, en présence de touristes, de curieux,
de sceptiques et d'incrédules, et les foules qui le constatent
l'acclament dans des chants triomphants.
Ces acclamations disent peu, je le sais, à un libre-penseur,
mais le miracle est toujours soumis à l'étude d'une commission
médico-théologique, et ce n'est que lorsqu'il a été passé au
crible d'un examen sérieux qu'il est annoncé officiellement.
Pour moi, qui l'ai vu maintes fois éclater à mes côtés, sous mes
yeux, je n'oublie pas l'impression qu'il produit dans l'âme quand
il passe comme une aurore boréale.
La foule est prise d'une joie enivrante, et cette joie se traduit
aussitôt, à la grotte, devant la Vierge blanche, par des hymnes
de reconnaissance, d'enthousiasme et d'amour. Rien n'est beau
comme ce saint délire.
A certains jours, devant les piscines, on voit en miniature
une paroisse, une ville, une province, une nation ageiiouillée>
les bras en croix, les larmes aux yeux, priant pour demander la
guérison des infirmes qui sont plongés dans le bain. Ce sont
tour à tour Paris, Lyon, Marseille, la Lorraine, la Bretagne,
l'Auvergne, la Belgique, l'Italie, la France, représentées par
leurs enfants : hommes, femmes, prêtres, religieux, tous unis
dans les mêmes supplications, tous ne faisant qu'un cœur et
qu'une âme, pour arracher des prodiges à Dieu par la prière
émue, haletante... et voilà que tout à coup on proclame une
grâce... un frisson de joie inconnue passe sur la foule, c'est le
UNE VISITE A LOURDES 593
plaisir de la victoire! Dieu s'est laissé fléchir, il a donné à une
ville, à une province, à une nation, la couronne du miracle!
On admire à Anvers, dans l'église de Saint-Jacques, un grand
tryptique de Van den Voort représentant Jésus chassant les
vendeurs du temple, et dans l'un des volets, on voit une reli-
gieuse agenouillée et recueillie devant un crucifix.
Elle prie pour ceux qui ne le font pas et pour ceux qu'elle
aime sans doute, et voilà que, derrière elle, s'avance doucement
le divin Sauveur, comme sur la pointe des pieds, pour ne pas
troubler l'oraison de cette sainte âme; il tient une couronne
dans ses mains et vient lui-même la déposer gracieusement sur
la tète de la religieuse qui continue sa prière.
Or ce tableau plein de poésie, nous le voyons vivant, palpi-
tant, chantant à Lourdes, devant les piscines, la foule crie vers
le ciel.
Dieu passe et la couronne d'un miracle ! Il met sur la tète
d'une ville, d'une province, d'une nation suppliante, le diadème
du surnaturel.
Les piscines contiennent l'eau qui fait les miracles sur place,
et la fontaine qui les avoisine donne celle qui les fait ailleurs :
en France, en Europe et dans le nouveau monde. On ne saurait
dire la quantité d'eau qu'on vient chercher tous les jours aux
nombreux robinets de cette fontaine, pour l'expédier aux quatre
coins de l'univers.
Un jour, à Rome, j'ai vu dans le jardin du Vatican une prise
de cette eau couler devant Pie IX et une nombreuse assistance
composée de cardinaux, de princes et de prélats. C'était le jour
même de l'inauguration d'une petite grotte rocailleuse repré-
sentant assez fidèlement celle de Lourdes. La rocaille, comme
l'eau venait de Massabielle, et ce ne fut pas, pour le vénéré Pon-
tife, une médiocre joie que d'assister à cette innocente représen-
tation.
Du reste, le grand Pape avait toujours chez lui quelques
flacons de l'eau miraculeuse. Il l'appelait volontiers Vhuile de
la sainte Vierge, et il la mettait souvent sur ses plaies en guise
de baume. C'est dans la même pensée que les pèlerins quels
qu'ils soient : évêques, prêtres, femmes, enfants, vieillards en
emportent avec eux. Ils vont aussi en boire avec un empresse-
ment qui ne se dément jamais, ils obéissent en cela à l'ordre de
la Vierge Immaculée disant à Bernadette : c Allez boire et vous
laver à la source », car un grand nombre, dans un sentiment
43
594 ANNALES CATHOLIQUES
de foi, se servent de cette eau sur place pour se laver le front^
les tempes, les yeux, afin d'obtenir uneguêrison ou un soulage-
ment dans la région de la tête.
Aussi les abords de la fontaine sont sans cesse envahis : on y
voit du monde à toute heure du jour. On s'arme d'un verre ou
d'une coquille, et l'on boit avec délices cette eau pure et vierge
qui, on le sait, est dépourvue de toute propriété thermale, mais
qui, certes, n'est pas sans vertu, les miracles qu'elle opère sous-
tous les yeux en sont une preuve irrécusable.
Ce serait peut-être ici le lieu de se demander ce qu'il faut
penser de la source dont nous entendons le doux murmure sous
la vieille roche. A-t-elle été créée par Dieu au moment des ap-
paritions, comme le fut celle du mont Sinaï à l'appel de la ba-
guette de Moïse ; ou bien, existant déjà à l'état latent sous le
sable, dans un terrain humide qui devait, d'après les hydrogéo-
logues être émaillé de sources naturelles, a-t-elle été simplement
découverte au moment où Marie dit à Bernadette en lui dési-
gnant un point précis : « Allez boire à la fontaine? » C'est une
question que je ne veux point examiner car, dans l'un et l'autre
cas, l'action de la Providence se montre; dans l'un et l'autre
cas, le surnaturel éclate. Cela nous suffit pour dire: il y a là
une source miraculeuse.
En poursuivant notre route, nous passons devant un grand
pilastre qui porte, gravées en caractères d'or, les diverses pa-
roles adressées par Marie à Bernadette. Admirable livre de
marbre ! il est beau à parcourir et encore plus beau à méditer ;
mais nous voici devant la grotte, c'est le foyer des dévotions et
des prodiges.
Arrêtons-nous pour la contempler !
{A suivre.)
Abbé H. Cailhiat.
NECROLOGIE
Les journaux d'Irlande nous apportent ce matin la nouvelle
de la mort de Mgr Mac-Carthy, évêque catholique de Cloyne
(Irlande), qui a succombé en sa résidence épiscopale de Queens—
town, aux suites d'une attaque d'influenza. Mgr Mac-Carthy,.
qui avait été élevé au siège de Cloyne en 1874, était un des
prélats les plus populaires et les plus respectés de la hiérarchie^
LES CHAMBRES 595
catholique en Irlande. La nouvelle de sa mort cause partout
•d'unanimes regrets.
A Queenstown, les magasins et les principaux éta})lisseraents
ont fermé, pendant que les consulats et les navires en rade
arboraient un drapeau en berne pour s'associer au deuil public.
LES CHAMBRES
La Chambre dans sa séance du 7 décembre, a voté une enquête
sur l'élection de M. de Vogué et s'est occupée, le 9, de l'élection
Mirraan, ce professeur démissionnaire élu député à Reims, et
qui, cessant de remplir son engagement décennal, devrait
rejoindre son régiment.
Il était quatre heures précises. M. Mirman venait de terminer
son discours, et déjà M. de Montfort, député de la Seine-Infé-
rieure, avait demandé la parole pour combattre les conclusions
du bureau, lorsque soudain une explosion, causée par un engin
lancé du haut d'une tribune sur la deuxième travée de droite,
retentit.
Non pas une explosion formidable, mais une explosion peu
bruyante.
A tel point qu'on a pu croire d'abord que c'était un fumiste
quelconque qui venait de tirer un inoffensif coup de revolver,
pour attirer l'attention sur lui.
Mais non !
M. l'abbé Lemire s'affaisse sur son banc.
M. le comte de Lanjuinais tait de même.
M. Drake del Castillo pousse un cri déchirant.
Ce cri se répercute dans les tribunes et les galeries, oii les
'blessés sont nombreux. Plus de 70 personnes, députés et specta-
teurs, sont atteintes !
En même temps, la salle des séances est obcurcie par un épais
nuage de fumée et de poussière.
Cependant, si les spectateurs, affolés se précipitent hors des
tribunes, les députés conservent le sentiment de leur dignité;
c'est au milieu d'un calme relatif que M. Dupuy prononce les
.paroles suivantes, saluées par plusieurs salves d'applaudis-
•sements :
Messieurs les députés la séance continue. (Applaudissements.) Il ne
596 ANNALES CATHOLIQUES
serait pas de la dignité de la France et de la République que d-e
pareils attentats, d'où qu'ils viennent, et dont nous ignorons d'ail-
leurs la cause, eussent le pouvoir de troubler vos délibérations.
Quand la séance sera levée, le bureau se réunira et prendra, avec
calme, les mesures nécessaires. (Applaudissements.)
Voix nombreuses. — Assis ! Assis !
M. le vicomte de Montfort monte à la tribune et s'exprime
ainsi :
M. LE VICOMTE DK ÏNIoNTFORT. — La Chambre excusera mon émo-
tion et la comprendra, quand elle saura que j'avais une de mes filles
dans une tribune, au moment où l'explosion s'est produite, et je ne
sais pas encore si elle est blessée. (Applaudissements).
Si j'ai cru devoir monter à la tribune, au nom de la minorité du
6« bureau, c'est que nous avorrs estimé, mes collègues et moi... (Bruit).
M. LE Président. — Messieurs, la Chambre doit à sa dignité
d'écouter en silence. (Très bien ! très bien !)
M. LE vicomte de Montfort. — Oui, continuons la discussion, mes
chers collègues, ce sera, croyez-moi, très crâne. (Très bien ! très bien !)
M. de Montfort combat l'élection de M. Mirraan, qui est sou-
tenue par M. Hubbard.
A la majorité de 326 voix centre 133, M. Mirman est admis.
M. Casimir Perier escalade à son tour la tribune, et au nom
du gouvernement, fait cette déclaration :
C'est avec un profond sentiment de tristesse, la Chambre le com-
prendra, que je monte à la tribune après l'odieux attentat qui vient
de so commettre.
Je remercie M. le président de la Chambre de l'attitude qu'il a su
conserver.
La Chambre a fait son devoir.
Le gouvernement fera le sien.
Il a la responsabilité de l'ordre public.
II ne faillira pas à son devoir.
Il a la garde des lois qui protègent la société.
Le gouvernement les appliquera.
Après le président du conseil, le président de la Chambre dit
ces quelques mots :
En votre nom, votre président s'associe aux paroles qui viennent
d'être prononcées par le chef du gouvernement.
Quand la séance sera levée, le président, accompagné du bureau,
portera aux blessés de cet odieux attentat les sentiments de sympa-
thie de la Chambre tout entière. (Vifs applaudissements.)
Dans un pareil moment, il n'y a qu'un sentiment, c'est un senti-
LES CHAMBRES 507
ment de pitié unanime; votre bureau se réserve de prendre les me-
sures d'ordre et de sécurité qui lui incombent. (Très bien ! très bien !)
La séance est levée à cinq heures, au milieu d'une émotion
indescriptible.
M. Casimir Perier, président du conseil, a déposé lundi, au
début de la séance, quatre projets de lois élaborés en vue de
réprimer les attentats anarchistes et dont le texte avait été
arrêté au conseil des ministres qui avait eu lieu dans la matinée.
Le premier de ces projets concerne la presse. Il a été défini-
tivement voté par la Chambre (413 voix contre G3). Egalement
adopté par le Sénat, il sera vraisemblablement promulgué au-
jourd'hui.
Voici d'ailleurs le texte complet de cette loi tel qu'il a été
adopté par la Chambre :
Article umoie. — Les articles 24 — paragraphe 1, — 25 et 49 de
la Im du 29 juillet 1881 sur la presse sont modifiés ainsi qu'il suit :
Art. 24. — Ceux qui par un des moyens énoncés en l'article précé-
dent auront directement provoqué soit au vol, soit aux crimes de
meurtre, de pillage et d'incendie, soit à l'un des crimes punis par
l'article 435 du Code pénal, soit à l'un des crimes et délits contre la
sûreté intérieure de l'Etat prévus par les articles 75 et suivants
jusques et y compris l'article 85 du même code.
Seront punis dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie
d'effet de un à cinq ans d'emprisonnement, de 100 à 3,000 francs
d'amende ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement pro-
voqué à l'un des crimes contre la sûreté intérieure de l'Etat i)révus par
les articles 86 et suivants, jusques et y compris l'article 101 du Code
pénal.
Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens
énoncés en l'art. 23, auront fait l'apologie des crimes de meurtre, de
pillage ou d'incendie ou délits de vol ou de lun des crimes prévus
par l'article 435 du Code pénal.
Art. 25. Toute provocation par l'un des moyens énoncés en l'ar-
ticle 23, adressée à des militaires des armées de terre ou de mer dans
le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l'obéissance
qu'ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu'ils commandent pour
l'exécution des lois et règlements militaires sera puni d'un emprison-
nement de un à cinq ans et d'une amende de 100 à 3,000 francs.
Art. 49. — Immédiatement après le réquisitoire, le juge d'instruc-
tion pourra, mais seulement en cas d'omission du dépôt prescrit par
les art. 3 et 10 ci-dessus, ordonner la saisie de quatre exemplaires
de l'écrit, du journal ou du dossier incriminé.
598 ANNALES CATHOLIQUES
Toutefois dans les cas prévus aux art. 24, paragraphes 1 et 3 et 25-
de la préseote loi, la saisie des écrits ou imprimés, des placards ou
affiches, aura lieu conformément aux règles édictées par le code
d'instruction criminelle.
Si le prévenu est domicilié en France, il ne pourra être préventi-
vement arrêté, sauf dans les cas prévus aux articles 23, 24, paragra-
phes 1 et 3 et 25 ci-dessus.
S'il y a condamnation, l'arrêt pourra, dans les cas prévus aux
articles 24, — paragraphes 1, 3 — et 25 prononcer la confiscation des
écrits ou imprimés, placards ou affiches saisis, et, dans tous les cas»
ordonner la saisie et la suppression ou la destruction de tous les
exemplaires qui seraient mis en vente, distribués ou exposés aux
regards du public. Toutefois la suppression ou la destruction pourra
ne s'appliquer qu'à certaines parties des exemplaires saisis.
L'adoption de ce projet a été précédé, au Sénat, de la décla-
ration suivante :
M. LE PRÉSIDENT. — Quelqu'un demande-t-il la parole pour la dis-
cussion générale?...
M. LE MARQUIS DE l'Angle-Beaumanoir. — Je la demande pour pré-
senter une courte observation.
M. LE PRÉSIDENT. — La parole est à M. de r.\ngle-Beaumanoir.
M. LE MARQLisDE l'Angle-Beaumanoir, de sa place. — Je crois que
le moment est venu de faire remarquer au Sénat...
Voïx noinbreuses. — A la tribune !
M. le PRÉSIDENT. — Veuillez monter à la tribune, monsieur de
r Angle-Beau manoir.
M. LE marquis de l'Angle-Beaumanoir, à la tribune. — Je crois,
messieurs, que le moment est favorable pour faire remarquer au Sénat
que les différents ministères républicains qui se sont succédé depuis
plusieurs années ont laissé faire l'apologie constante des crimes révo-
lutionnaires de 1792 et 1793 et s'y sont associés... (Exclamations et
protestations à gauche. — Cris: A l'ordre !)
M. LE président. — Monsieur de l'Angle-Beaumanoir, je vous rap-
pelle à l'ordre.
M. LE MARQUIS DE l'Angle-Beaumanoir. — Pour quel motif, mon-
sieur le président?
M. le président. — Parce que vous avez prononcé une parole in-
jurieuse pour les gouvernements précédents. Aucun ne s'est associé
aux crimes dont vous parle/.
M. LE MARQUIS DE l'Angi.e-Beaumanoir. — J'ai dit à l'apologie de
ces crimes.
Ils ont élevé une statue à Danton, et c'est là une véritable provo-
cation révolutionnaire.
M. LE président. — Non, ce n'est pas là une provocation. Je main-
tiens le rappel à l'ordre. (Très bien! à gauche.)
LES CHAMBRES 599
Mi LE MAnouis DE l'A.nt.le-Bkaumanoir. — Je dis qu'élever une
statue à l'auteur des massacres de septembre...
M. Ernest Hamel. — Ce sont vos amis qui soutiennent que Danton
est l'auteur des massacres de septembre, mais il faudrait le prouver
M. LE MAROiiLs i)K l'Ancle-Bkaumanoir. — J'en appelle à notre sa-
vant collègue M. Wallon, qui a dit sur ce sujet, à cette tribune même,
tout ce qu'il était nécessaire de dévoiler.
M. Ernest Hamel. — Nous, nous avons dit autre chose !
M. Leliêvre. — L'année dernière vous-même vous avez refusé de
"voter la loi !
M. Baduel. — Certains membres de la droite n'ont-ils pas été les
associés des boulangistes?
M. LE marquis de l'Angle-Beaumanoir. — Je ne puis prendre ce
reproche-là pour moi.
Quoi qu'il en soit, les membres du gouvernement ont assisté à
l'inauguration et ont péroré au pied de la statue de Danton ; en glo-
rifiant ce grand criminel... (Bruit et interruption à gauche et au centre.)
M. le président. — Le moment est mal choisi, monsieur de l'Angle-
Beaumanoir, pour soulever un pareil incident.
M. LE MARQUIS DE l'Angle-Beaumanoir. — J'exprime le vœu que le
ministère nouveau, mis en garde par l'abominable crime qui vient
d'être commis, renonce à ces sortes d'apothéoses auxquelles la consé-
cration officielle a été si imprudemment accordée.
A la Chambre le même incident s'était produit :
M. DE Baldry d'Asson. — Personne ne m'accusera, dans cette en-
ceinte, d'être un homme de désordre. Ce que je veux avant tout, c'est
l'ordre public ; mais ce que je ne puis tolérer, c'est que M. le prési-
dent du conseil ne soit pas venu ici déposer un autre projet de loi,
ou du moins en ajouter un à ceux dont il vous a donné lecture. J'au-
rais voulu lui voir apporter celui-ci, dont le texte est court :
« La loi scolaire, laïque et obligatoire, votée par la Chambre des
députés dans la séance du 28 octobre 1888, est abolie. » (Exclama-
tions ironiques au centre et à gauche.)
Un membre à gauche, — Vous êtes pressé.
M. de Baldry d'Assox. — On n'est jamais trop pressé, mon cher
collègue, quand on fait le bien.
Vous me permettrez, monsieur le président du conseil, de vous dire
que les mesures que vous voulez prendre peuvent être bonnes, mais
qu'elles ne seront jamais assez efficaces tant que vous n'aurez pas
aboli cette loi qui supprime Dieu des écoles, cette loi qui tarit au
cœur des enfants la croyance en Dieu, qui enlève le respect du père
et de la mère, et qui détruit l'obéissance au patron; cette loi, en un
mot, qui est celle que l'on a appelée la loi scélérate avec juste raison,
parce qu'elle est attentatoire à la liberté de conscience. (Exclamations
au centre et à gauche.)
600 ANNALES CATHOLIQUES
Or, monsieur le ministre, je suis tout prêt à donner au gouverne-
ment de la République — et je ne suis pas suspect de républicanisme
— les armes nécessaires pour maintenir la tranquillité dans ce pays.
Oui, je veux l'ordre autant que vous, monsieur le président du con-
seil, mais ce que je veux avant tout, c'est que les lois antichrétiennes,
antireligieuses, — et qui sont votre œuvre, à vous, messieurs du
centre...
Au centre. — Et nous nous en vantons !
M. DE Baudry d'Asson... soient abrogées.
J'ai été vraiment fort étonné, messieurs, lorsque j'ai vu M. le pré-
sident du conseil monter à cette tribune et rappeler un passage de la
déclaration ministérielle où il est dit que ces lois, qui sont le patri-
trimoine de la République, seraient toutes maintenues.
Je le répète en terminant, ce n'est pas avec des mesures telles que
celles que vous réclamez que vous arriverez à faire l'apaisement et à
maintenir l'ordre; vous n'y parviendrez qu'en abrogeant toutes les
lois qui arrachent du cœur des Français les croyances religieuses.
(Très bien! très bien! à droite. — Exclamations sur divers bancs à
gauche.)
Oui, monsieur le ministre, ces croyances doivent faire la base de
toutes les lois; je ne crains pas de le déclarer à cette tribune, parce
que je sais qu'en parlant ainsi j'accomplis mon devoir de catholique
et de Français: le pays tout entier en sera juge ! (Très bien ! sur
divers bancs à droite. — Aux voix ! aux voix!)
Voici les autres projets déposés:
Projet de loi sur les explosifs. — L'exposé des motifs du pro-
jet de loi porte modifications et additions àla loi du 3 juin 1891
sur les explosifs ; il est ainsi conçu :
Messieurs, la loi du 19 juin 1871 punit la fabrication ou la déten-
tion sans autorisation d'engins meurtriers ou incendiaires agissant par
explosion ou autrement, ou de poudre fulminante, quelle qu'en soit
la composition.
Celte énumération nous a paru devoir être complétée.
Il est nécessaire vie pouvoir atteindre désormais la fabrication ou la
détention sans motifs légitimes de toute autre substance, lorsqu'il
sera manifeste que cette substance est destinée à entrer dans la com-
position d'un explosif.
Le nouveau texte que nous vous proposons a pour objet de combler
sur ce point une lacune existant dans notre législation. En consé-
quence, nous avons l'honneur, etc.
Article unique. — L'article 3 de la loi du 19 juin 1871 est modifié
ainsi qu'il suit.
Tout individu fabricant ou détenteur sans motifs légitimes, de ma-
LES CHAMBRES 601
chines ou engins meurtriers ou incendiaires agissant par explosion
ou autrement, ou do poudre fulminante quelle que soit sa composi-
tion, ou lie toute autre substance destinée à entrer dans la composi-
tion d'un ez.p\oa>( sera puni d'un emprisonnement de six mois àcinq
ans et d'une amende de 50 à 3.000 francs.
Demande d'un crédit de 820.000 francs. — Ce projet de loi
demande rouvertuie d'un crédit supplémentaire c/e 820.000 /"r.
Voici l'exposé des motifs :
La gravité de l'attentat qui vient d'être commis contre la représen-
tation nationale et qui a succédé à tant d'autres crimes inspirés d'un
même sentiment de haine implacable contre l'ordre social tout entier
impose au gouvernement un redoublement de vigilance.
Le pays, justement alarmé, n'attend pas seulement de noua la ré-
pression énergique des méfaits qui ont soulevé son indignation ; il
aurait peine à comprendre que le gouvernement ne prît pas contre
des malfaiteurs d'une nouvelle école des mesures préventives de toua
les instants.
Pour l'organisation d'une surveillance spéciale réellement efficace,
les ressources du budget de la sûreté générale sont notoirementinsuf-
fisantes. elles ne nous fournissent pas les moyens de mettre en œuvre
un système défensif proportionné au péril que court l'ordre public et
répondant exactement au vœu de l'opinion.
Il faut combler de nombreuses lacunes qui existent dans le service
de la police et resserrer les mailles de son réseau; C'est dans ce but
que nous avons l'honneur de vous proposer le projet de loi suivant.
Nous sommes convaincus que le gouvernement nous donnera les
moyens d'action qui nous sont indispensables.
Voici maintenant le texte du projet de loi:
Article premier. — Il est ouvert au ministère l'intérieur, sur l'exer-
cice 1894, en augmentation du crédit accordé par la loi de finances
du 26 juillet 1893, au chapitre 54; traitement des commissaires de
police, indemnités de déplacement et autres.
Les associations de malfaiteurs.
Le quatrième et dernier projet de loi vise les associations
de malfaiteurs et leur assimile les associations et les groupes
anarchistes.
L'exposé des motifs est rédigé en ces termes:
Messieurs,
Le code pénal considère toute association de malfaiteurs envers les
personnes ou les propriétés comme un crime contre la paix publique ;
le fait seul de l'association organisée entre malfaiteurs constitue en
effet par lui-même un danger contre lequel la société doit se pré-
602 ANNALES CATHOLIQUES
Toutefois le crime n'est caractérisé que par l'organisation de
bandes ou de correspondance entre elles et leurs chefs, justifiées par
les formes particulières sous lesquelles se manifestaient, lors de la
promulgation du code pénal, les associations de malfaiteurs. Cette
disposition ne suffit plus pour faire face aux nécessités de l'heure
présente.
Aujourd'hui, des associations de malfaiteurs se forment qui ne
présentent plus les mêmes caractères. Leur mode d'action ne com-
porte ni organisation de bande ni subordination des associés à leurs
ehefs.
Si les individus affiliés à ces associations y sont rattachés par le
lien d'une entente commune, ils n'en conservent pas moins dans
certains cas leur indépendante pour le choix des moyens d'exécution.
Dans ces conditions, les chances d'impunité se multiplient de telle
sorte que les motifs qui ont déterminé le législateur à punir le seul
fait de l'association de malfaiteurs s'imposent avec plus de force
encore. Il importe en effet de ne [jas être obligé d'attendre pour que
la justice intervienne que des attentats préparés contre les personnes
ou les propriétés aient reçu leur exécution. La sécurité publique est
à ce prix. ^
Pour assurer à la répression toute efficacité, il est nécessaire que
les individus affiliés à ces associations ne rencontrent ni aide ni assis-
tance dans la préparation de leurs actes criminels.
Ceux qui sciemment et volontairement leur auront fourni des ins-
truments de crime, des moyens de correspondance, logement, lieu
de retraite ou de réunion seront passibles de la pénalité édictée en
l'article 267. 11 est formellement spécifié que ce concours devra être
prêté sciemment et volontairement.
La nécessité de pareilles dispositions a été depuis longtemps
»econnue et la commission de révision du code pénal a déjà élaboré
un projet de même nature.
En conséquence,
Article unique. — Les articles 263, 266, 267, 268 du code pénal
sont remplacés parles dispositions suivantes:
Article 265. — Toute association formée dans le but de commettre
ou de préparer des attentats contre les personnes ou les propriétés
est une association de malfaiteurs constituant un crime contre la
paix publique.
Article 2G6. — Quiconque se sera affilié à une association de mal-
faiteurs sera puni de travaux forcés à temps.
Le coupable pourra en outre être frapi)é pour la vie ou à temps de
rintterdiction de séjour établie par l'article 19 do la loi du 27 mai 1885.
Article 267. — Sera puni de cinq ans à dix de réclusion quiconque
aura sciemment et volontairement fourni aux associations de malfai-
LES CHAMBRES 603
teura ou aux affiliés â ces associations des instruments de crime,
moyens de correspondance, logement, lieu de retraite ou de réunion.
M. Basly a interpellé mardi le gouvernement sur les derniè-
res grèves du Nord et demandé la nomination d'une commissioa
d'enquête. ,
M. Jonnart, ministre des travaux publics, repousse au nom
du gouvernement la proposition d'enquête.
Un peu ému d'abord, il redevient bientôt froid, forme et pré-
cis. Il se fait applaudir continuellement de la grande majorité
de l'assemblée, en posant la question sur le terrain politique, ea
offrant le combat aux socialistes.
Après avoir examiné le rôle du syndicat des mineurs, oii la
grève fut décidée par 88 délégués, dont 56 caharetiers, le mi-
nistre établit que les Compagnies ne pouvaient se prêter aux
exigences qui servaient de prétexte à la rupture. Le syndicat
voulait avoir le c carnet de paye » des ouvriers, pour tenir à la
fois sous sa coupe les syndiqués et les non syndiqués.
Le gouvernement s'oppose à la nomination d'une commissioa
d'enquête; il promet à la Chambre son concours pour reviser la
législation du travail en général et des mines en particulier ; \i
veut s'en tenir à la politique exposée dans sa déclaration. Pour
la grève, il se solidarise avec ses prédécesseurs.
Kn prenant des mesures pour faire respecter la liberté du travail,
le gouvernement précédent a fait son devoir, et, à Toccasioa, noua
ferions comme lui.
On ne peut pas permettre, en effet, à la tyrannie de s''exercer sur
des milliers d'ouvriers qui, vous l'avez vu, doivent s'incliner devant
la toute-puissance du syndicat, devant toutes ses fantaisies.
Ce sont ceux-là, ces malheureux qui n'ont commis d'antre crime
que de refuser de sacrifier leur pain et celui de lear famille à «ne
cause qui leur échappe, qui encourent la colère du syndicat.
Aux autres, on promet l'amnistie, on garantit l'impunité.
Nous n'avons pu accorder l'amnistie l'autre jour ; nous avons
cependant l'intention de nous montrer cléments, et je puis annoncer
qu'au mois de janvier, après les grâces qui seront accordées, it ne
restera que deux ou trois ouvriers dans la prison de Béthune.
C'est que le gouvernement n'ignore pas que les plus coupables, le«
vrais coupables, ne sont peut-être pas dans les prisons de Béthune»
Une voix à Vextrême-gauchg : C'est le procureur général!
M. LE Ministre des travaux pislics. — Les plua coupables wat
604 ANNALBS CA-THOLIgUES
cçux qui s'installent dans la grève comme en pays conquis, qui guet-
tent de leur comité central, le premier signal de l'orage, pour s élan-
cer au milieu des malheureux et exaspérer toutes les souffrances et
toutes les haines.
Ce sont ceux qui enveniment les conflits entre le capital et le tra-
vail et leur donnent l'allure d'une guerre de classes, alors qu'un peu
de bonne volonté de part et d'autre suffirait le plus souvent à les
apaiser.
Le ministre, en regagnant son banc, est acclamé longuement,
à trois reprises, par la majorité.
CHROiNIQUE DE LA SEMAINE
. La dynamite au Palais-Bourbon. — Les attentats anarchistes. — Etranger.
• ^V,•^■: 14 décembre 1893.
C^est au Palais-Bourbon cette fois que la djnamite a fait son
apparition.
Quelques semaines après l'attentat du théâtre de Barcelone,
celui de la Chambre des députés à Paris!
On a lu plus haut les détails de ce nouveau crime de la secte
anarchiste.
Fort heureusement, le misérable qui a lancé hier une bombe
dans la salle du Palais-Bourbon est un criminel novice. Il a
moins bien réussi que l'auteur ou les auteurs de l'attentat de
Barcelone. Plusieurs députés, des journalistes, des spectateurs
des tribunes ont été plus ou moins grièvement atteints par les
éclats de la bombe. Il y a de nombreux biessés. Grâces à Dieu,
il n'y a personne de tué.
. Il n'en est ])as moins vrai que l'intention y était.
Les anarchistes ont voulu frapper un grand coup, de manière
à répandre la terreur dans Paris et dans toute la France.
S'ils n'ont qu'à moitié réussi, ce n'est pas de leur faute.
Il n'est que juste de rendre hommage à la présence d'esprit et
au sangfroid de M. Dupuy, le nouveau président de la Chambre,
qui a rappelé au sentiment de leur dignité un certain nombre
de députés qui fuyaient afl'olés...
M. Casimir Perier est venu, comme c'était son devoir, pro-
tester au nom du gouvernement contre l'attentat des anarchistes.
Il a affirmé que le gouvernement était résolu à appliquer les
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 605
lois, à user des armes qu'il a entre les mains pour la défense de
l'ordre, de la Société,
Nous comptons sur la promesse du président du conseil.
On comprend l'effet produit en France et à l'Etranger par cet
odieux attentat.
De tous côtés, des voix s'élèvent, voix de la foule et voix de
la presse, pour demander une répression sans pitié. Il faut,
disent les uns, traquer comme des bêtes fauves les auteurs de
ces abominables forfaits. Il faut réprimer sévèrement les excita-
tions à les commettre, produites soit par la parole, soit par le
journal. Timidement, quelques-uns ajoutent qu'il faudrait mettre
un frein à la liberté de la presse et l'empêcher de dégénérer en
licence.
L'idole est frappée !
Oui, la liberté de la presse, la liberté absolue d'exprimer
toutes opinions, voilà la grande coupable de tous ces attentats
publics qui terrorisent les peuples.
Vainement le libéralisme orgueilleux essaie de protester et
•de maintenir « les droits de la pensée » ; les illusions produites
par l'abus des mots se dissipent et la société commence à douter
de la valeur de ces dogmes nouveaux (]ui ont prétenda détrôner
les vieilles lois de l'Eglise. La dynamite parle assez haut pour
forcer tout le monde à entendre et ses éclats fulgurante frappent
les yeux les plus aveuglés.
De l'excès même du mal sortira peut-être le salut; mais que
de secousses terribles et que d'épreuves la société eût évitées si
elle avait écouté les avertissements que n'ont cessé, depuis un
siècle, de lui donner les Papes?
De Léon XIII à Fie VII, tous les Postifes qui se sont succédé
sur le siège de Pierre, ont élevé la voix pour montrer aux peu-
ples les périls de la voie dans laquelle ils entraient.
Au début même du siècle, en cette année 1800 qui le vit
s'asseoir sur le trône pontifical, le Pape Pie VII adressait au
monde ces paroles auxquelles les événements de ces dernières
années donnent une portée véritablement prophétique :
< Si l'on n'arrête, si l'on n'étouffe une si grande licence de
pensées, de paroles, d'écrits et de lectures, nous pourrons bien,
grâce aux eftorts combinés de rois et de capitaines pleins de
science politique ou militaire, grâce aux bataillons et aux expé-
606 ANNALES CATHOLIQUES
dients, nous pourrons paraître soulagés du mal qui nous tra-
vaille; mais faute d'en arracher la racine, d'en détruire la
semence (je frissonne de le dire, mais il faut le dire), le mal ira
croissant, se fortifiant, étreindra tout le globe de la terre, et
alors, pour l'anéantir ou le conjurer ce ne sera plus assez ni des
régiments, ni des garnisons, ni des yeux de la police, ni des
remparts des villes ou des frontières des empires. »
Nous en sommes là. Le complot révolutionnaire étend son
réseau serré sur tous les pays de la vieille Europe. Ses recrues
ne connaissent ni patrie, ni frontières et grâce aux progrés du
socialisme, font planer partout une même terreur.
Car c'est bien le socialisme qui arme ces bras criminels. Et
sur ce point encore, la vigilance des Papes a voulu nous mettra
en garde de la façon la plus précise :
« Il est constant, disait Pie IX dans son Encyclique Nostis et
Nobiscum aux èvêques d'Italie, que les chefs, soit du commu-
nisme, soit du socialisme, bien qu'agissant par des méthodes et
des moyens différents, ont pour but commun de tenir en agita-
tion continuelle et d'habituer peu à peu à des actes plus crimi-
nels encore les ouvriers et les hommes de condition inférieure^
trompés par leur langage artificieux et séduits par la promesse
d'un état de vie plus heureux. Ils comptent se servir ensuite de-
leurs secours pour attaquer le pouvoir de toute autorité supé-
rieure, pour piller, dilapider, envahir les propriétés de l'Eglise
d'abord et ensuite celles de tous les autres particuliers, pour
violer enfin tous les droits divins et humains, amener la des-
truction du culte de Dieu et le bouleversement de tout ordre
dans les sociétés civiles. »
Qui oserait nier aujourd'hui la clairvoyance des papes?
Quelle terrible justification viennent donner à leurs paroles les
abominables attentats dont nous sommes les témoins. Le droit
de propriété de l'Eglise a été violé et voici qu'on nie les droits
de la propriété privée. Les édifices du culte ont été légalement
€ désaff'ectés » et voici que les maisons des particuliers ont
sauté. Le libéralisme a rêvé de détruire partout le culte de
Dieu, et voici que le socialisme proclame hautement son hor-
rible dessein d'amener le « bouleversement de tout ordre dan»
les sociétés civiles ».
Irons-nous à la catastrophe finale, ou la société aura-t-elle
l'énergie de se ressaisir et de quitter la voie fatale oii elle est
engagée? Mystère impénétrable comme les desseins de Dieu.
CHRONIQUE DK LA SEMAINE 607
Le premier résultat de l'attentat anarchiste de samedi a été de
fortifier la situation du ministère Casimir Périer et de lui assu-
rer une énorme majorité.
Dans la journée de dimanche et dans la matinée de lundi le
gouvernement avait étudié c les mesures législatives et admi-
nistratives à prendre pour protéger la société contre les attentats
anarchistes ».
Ces mesures ont été apportées lundi à la Chambre par M. le
président du conseil.
Le ministère a soumis à la Chambre quatre projets de loi.
Le premier de ces projets tend à modifier certains articles de
la loi de 1871 sur la presse.
D'après ces modifications, l'apologie des faits qualifiés crimes
sera punie comme l'excitation à commettre ces crimes.
La provocation [sera désormais punie, qu'elle soit directe ou
indirecte.
Enfin dans les cas nouveaux que prévoient les modifications
projetées, ainsi que dans les cas déjà prévus, le projet autorise
l'arrestation préventive des coupables et la saisie préventive des
écrits, documents et placards faisant l'apologie de faits qualifiés
crimes.
Le deuxième projet de loi tend à modifier les articles 265 et
suivant du Code pénal sur les associations de malfaiteurs. Il
assimile à ces ^sociations les groupes et les associations anar-
chistes.
Le troisième projet vise la fabrication, le port, la détention et
l'emploi illicite ou non justifié des matières explosives, en
aggravant les pénalités.
Le quatrième projet ouvre un crédit de 800.000 francs pour
renforcer l'action de la police. Il prévoit notamment l'augmen-
tation du nombre des commissaires de police en province, com-
porte la création de commissariats nouveaux.
M. Casimir Périer aurait pu demander les pouvoirs les plus
étendus, les mesures les plus draconiennes à cette Chambre
visiblement afi'olée, il les auraient obtenus.
En ce moment, les trois quarts des députés qui composent
cette Chambre, terrifiés par l'explosion qui a eu le Palais-Bour-
bon pour théâtre, sont prêts à tout sacrifier à la peur des attentats
anarchistes.
608 A.NNALB8 CATHOLIQUES
Ce n'est peut-être qu'un feu de paille. Nous ignorons ce que
cela durera. Mais il y a là un phénomène curieux à observer.
Un vent de réaction a passé sur la Chambre. On ne demande
pas seulement au cabinet Casimir Perler d'être un gouvernement
de résistance. On lui demande d'être un gouvernement de com-
bat contre les partis révolutionnaires. Le gouvernement n'a pas
besoin d'entraîner en avant la majorité qui s'est formée autour do
lui pour la défense de l'ordre social. Il aurait plutôt besoin de la
modérer et de la retenir.
Mais tout ce que l'on tentera, tout ce que l'on fera n'aboutira
à rien de décisif si le gouvernement ne voit dans les actes qui
ont terrifié le pays, on peut le dire, autre chose que des actes
individuels, l'œuvre de quelques sectaires que l'on arrivera à
entraver par la force ou par la vigilance. Les législations spé-
ciales que l'on réclamera n'arrêteront pas les fanatiques : c'est
une direction morale qui nous manque, et ce défaut de direc-
tion morale, cette absence de toute morale qui distingue la po-
litique actuelle fait germer les Ravachol et les Vaillant sur \&
fumier révolutionnaire. Nous ne voudrions pas nous répéter,
mais il le faut bien : le remède souverain, c'est le retour aux
idées que l'on s'est plu à détruire dans l'esprit des générations
nouvelles, pour y substituer l'idée positiviste, l'idée matéria-
liste qui, dans les âmes aigries par l'infortune, poussent les
coeurs à la haine et à la révolte.
L'auteur du criminel attentat de samedi est connu. C'est un
anarchiste nommé Vaillant, surveillé autrefois de prés, disparu
subitement — il était allé en Amérique — de retour depuis
quelques mois et qui a fait des aveux. Loin de regretter son
crime, Vaillant s'en glorifie : il se plaint même d'avoir manqué
son but, car il visait, avec sa marmite chargée de nitru-gljcé-
rine, le président de la Chambre, Un mouvement d'une femme
qui se trouvait à. côté de lui a fait dévier son bras : M. Dupuy
l'a échappé belle. On a perquisionné chez Vaillant : on a trouvé
des papiers compromettants et un second engin pareil au pre-
mier, que son arrestation l'a empêché d'uliliser. On a trouvé
autre chose : des publications anarchistes, des traités de chimie,
que cet ancien gérant de la Révolution sociale étudiait, avec
quel profit pour ses desseins meurtriers, on le sait aujourd'hui !
A-t-il des complices? Est-ce au contraire un c solitaire » "/
, CHRONIQUE DE LA SEMAINE 609
L'instruction nous l'apprendra. Maintenant que le parquet tient
l'auteur du crime, il faut lui laisser le temps de faire la lumière
et une lumière complète.
Le Journal de Bruxelles a fait le relevé des attentats anar-
chistes commis dans ces quinze dernières années :
En avril 1877, Malatesta et Caffiers rassemblent une bande dans la
province de Bénévent (Italie) et pillent les caisses municipales.
Hln février 1878, à Pétersbourg, Véra Zassoulitch tue le général
Trépoff, chef de la police.
En mai 1878, à Berlin, Hcedel fait feu sur l'empereur Guillaume I*-".
En juin 1878, Nobiling tire sur le même souverain deux coups de
carabine. Guillaume l*""" reçoit dix-sept blessures.
En août 1878, un anarchiste resté inconnu a poignardé à Péters-
bourg un autre chef de la police, le général Metgenkoff ; en octobre,
Mornasi tire un coup de pistolet sur Alphonse XII ; en novembre,
Passavante essaie de tuer Humbert I*"" à coups de couteau et blesse le
ministre Cairoli.
En mars 187t), Dmitri Kropolkine, aide de camp du tsar, meurt
d'un coup de pistolet; le meurtrier reste introuvable. Le même mois,
le colonel Knopp, chef de la police à Odessa, est étranglé dans son
lit, et un billot épingle à la chemise porte que cette mort est l'œuvre
des anarchistes. En avril, Jean Solowief tire quatre coups de revolver
sur le tsar. En décembre, les anarchistes font sauter le train du tsar
à l'entrée de Moscou. En décembre encore, Gonzalès tire deux coups
de pistolet sur Alphonse XII.
En février 1880, Khaltourine fait sauter un étage du'palais d'Hiver,
à Pétersbourg; quatre soldats de la garde sont tués. En mars, Milo-
detzsky blesse le général Loris Mélikoff, chef de la police. En mars
encore, le 13, Ryssakotf et Jelaboff tuent le tsar Alexandre II. En
décembre, le chef de la police, général Tchévocine, est attaqué à
coups de revolver par Melnikoff et Saukowky.
En 1882 a lieu l'attentat de Cyvoct, au théâtre de Bellecourt, à
Lyon.
En mai 1883, en Espagne, des bandes anarchistes, dites la Mano
negra — la main noire — commettent en dix jours vingt-deux
meurtres et se rendent coupables de huit incendies. En avril, Louise
Michel et Pouget président le meeting de l'esplanade do8 Invalides ;
des boulangeries sont pillées.
En février 1884, Reinsdorff et Mannheim font sauter à la dynamite
le bâtiment de police de Francfort.
En février 1885, le chef de la police de Francfort, Rampf, est poi-
gnardé dans sa maison.
44
610 ANNALES CATHOLIQUES ^
Eq mai 1886, soulèvement des anarchistes à Chicago.
En juin, Galle tente de faire sauter la Bourse, à Paris.
En novembre, Duval pille et incendie l'hôtel de Mlle Lemaire et
tente de tuer l'agent Rossignol.
En novembre 1889, Pini, coupable de plus de vingt vols, se voit
condamner à vingt ans de travaux forcés.
En janvier 1890, Lawroff, Stépanof, Levrénius et Mlles Bomberg et
Fodoron sont condamnés, à Paris, pour fabrication d'engins explo-
sifs; en novembre, Padlewsky tue le général SéliverstortF, à l'hôtel de
Bade à Paris.
Puis viennent :
En février 1891, le premier attentat de Ravachol, boulevard Saint-
Germain.
En mars, par le même, l'explosion de la rue de Clichy.
En mai, le crime des vengeurs de Ravachol, boulevard Magenta, où
le malheureux Véry trouve la mort.
En novembre 1892, l'explosion rue des Bons-Enfants de la bombe
précédemment déposée à la Compagnie de Carmaux ; cinq personnes
sont tuées.
Signalons pour mémoire l'attentat contre l'hôtel de Trévise, l'ex-
plosion de la caserne Lobau, les multiples crimes anarchistes en
Italie, l'assassinat du maire de Chicago.
La dynamite vient de parler dans le Pas-de-Calais, lors des récentes
grèves; l'explosion de Marseille date de quelques semaines.
En Espagne, après les attentats dirigés contre M. Canovas del Cas-
tillo et contre le maréchal Martinez Campos, a eu lieu la terrible
explosion du Lyceo de Barcelone,
La série se termine pour le moment par l'attentat de Vaillant,
dit Marchai.
Le roi d'Italie est toujours à la recherche de quelques hommes
politiques qui voudraient se charger de la succession du cabinet
Giolitti. La combinaison Zanardelli est allé à vau l'eau. La si-
tuation politique devient très critique. M. Crispi a été chargé
d'élaborer une combinaison, mais n'aboutit pas davantage.
Pendant queM. Crispi tarde autant que M. Zanardelli à consti-
tuer un ministère, le maréchal Martinez Campos continue à né-
gocier sans résultat avec las Marocains. Il faudra pourtant bien
que cette phase diplomatique se termine, s'il est vrai, comme on
l'annonce de Melilla, que les Kabyles persistent à vouloir élever
un fort en face du fort espagnol de Sidi-el-Guarriach.
NOUVELLES RELIGIEUSES 611
L'amiral Gonzalès, qui commandait au Brésil les vaisseaux
Tiradentes et Bahia pour le compte du gouvernement républi-
cain, a passé à la cause de l'insurrection, eta publié unmanifeste
dont voici l'analyse, telle qu'on l'envoie, via Montevideo, de
Rio-de-Janeiro au Times :
11 déclare qu'il s'est joint, par un devoir que le patriotisme lui im-
posait, à ceux qui ont combattu vaillamment pour affranchir le pays
du militarisme, de l'anarchie et de la servitude.
Il n'est que juste de restaurer par les armes le gouvernement qui,
dans un moment de stupeur et do surprise, a été renversé, le 15 no-
vembre 1889, par une insurrection militaire qui a mis au pouvoir le
gouvernement actuel.
Je respecte ajoute l'amiral, l'expression libre de la volonté natio-
nale, mais il faut qu'on lui fasse appel et qu'elle décide de la forme
de gouvernement qui doit exister à l'avenir.
A coup sûr, l'armée qui combat si bravement ne persistera pas à
défendre un gouvernement qui a perdu l'appui moral du peuple et
ruiné notre crédit parmi les nations étrangères.
Le soulèvement gagne de proche en proche tous les Etats ; je fais
appel à toutes les classes conservatrices pour rejeter le joug intolé-
rable de la servitude imposée par le militarisme en 1889.
J'espère faire mon devoir en Brésilien quoique la fia peut-être
doive être la mort, comme les autres le feront.
Cette démarche et ce langapre de l'amiral Gonzalès donnent
à l'insurrection de la marine brésilienne son véritable carac-
tére> et l'on ne peut plus nier que nous ne nous trouvions en pré-
sence d'une tentative de restauration monarchique, qui semble
d'ailleurs correspondre avec les besoins et les désirs du peuple
brésilien.
NOUVELLES RELIGIEUSES
IKome et l*Itnli«>.
On écrit de Turin, le 5 décembre, au Monde :
Le Congrès des sociétés catholiques ouvrières du Piémont,
qui s'est ouvert, le 2 décembre, a tenu quatre longues séances
très animées ; il s'est clôturé par un hommage solennel à
Sa Sainteté Léon XIII et par une invitation à venir au futur
congrès de 1894.
612 ANNALES CATHOLIQUES
Ce matin, le comité promoteur du Congrès s'est réuni pour
coordonner les vœux émis et les résolutions votées. Voici îe
résumé des délibérations qui ont été prises, omission faite de
tous les considérants par lesquels on les a motivées :
Mouvement catholique : Que la sanctification des fêtes soit
universellement observée par la mise à l'index des maisons de
commerce et des fabriques qui violent le commandement de la
religion; assistance en corps aux offices paroissiaux et aux fêtes
catholiques ; missions paroissiales, catéchismes, cours de religion.
Qu'il se fonde dans les villes des associations d'industriels et
de commerçants catholiques, à la campagne des associations de
propriétaires agriculteurs pour concilier sur les bases chrétiennes
les rapports entre le capital et le travail.
Institutions économiques : Création dans toute société catho-
lique d'une caisse de secours mutuels, d'une caisse pour les inva-
lides du travail et pour les vieillards, d'un magasin alimentaire
coopératif, de banques de petit crédit.
Qu'il y ait dans chaque ville des bureaux de renseignements
et de placement pour les ouvriers et les personnes en condition ;
et que l'on organise des conférences économiques et sociales
pour l'instruction des ouvriers.
Que l'on fasse des expositions d'échantillons des marchan-
dises et des produits manufacturés des industriels et ouvriers
catholiques.
Institution dans toutes les paroisses de campagne de caisses
rurales, d'associations agraires et d'assurance sur le bétail.
Que dans toute société il y ait une classe d'apprentis oii l'on
formera de jeunes ouvriers catholiques aux solides principes
religieux.
Que chaque société soit abonnée à un journal catholique quo-
tidien de la région et que l'on raye des membres quiconque lit
ou achète quotidiennement des feuilles libérales et antichré-
tiennes.
Lectures et cercles : Dans toute paroisse, établissement d'une
bibliothèque roulante avec un cercle de lectures. Pour les
annonces et les communications, recourir exclusivement aux
journaux catholiques.
Il sera fondé à Turin un comité permanent de jurisconsultes
catholiques pour la défense des droits des sociétés catholiques.
Une lutte sera engagée contre la jurisprudence du tribunal de
Casai pour qui la condition imposée d'être catholique pour faire
partie des caisses rurales doit être abolie.
NOUVELLES RELIGIEUSES 613
Elections administratives: L'abstention dans les élections
politiques restant toujours maintenue, donner une impulsion
vigoureuse, avec un programme exclusivement catholique, aux
élections administratives.
Comme premiers fruits du congrès, nous pouvons citer encore :
La constitution d'une Société aj-ant pour but l'établissement
d'un four coopératif suivant le système de M. le curé Auelli,
pour la fabrication du pain de ménage à 18 centimes le kilo-
gramme ; la Société sera fondée ce mois-ci et en janvier le four
pourra fonctionner"
La constitution d'une ligue antisocialiste qui fera delà propa-
gande dans les villes et dans les campagnes et qui fondera des
établissements économiques au grand avantage des travailleurs.
Une exposition de l'art chrétien dans ses diverses applications,
à une époque et dans les formes à déterraimer.
Le comité promoteur du Congrès restera en permanence à
Turin pour s'occuper de la réalisation des vœux et pour trans-
mettre les instructions nécessaires aux sociétés du Piémont.
Le nombre de ceux qui ont pris part aux travaux de l'assera-
clée était d'environ 240, représentant plus de 30,000 ouvriers et
quarante sociétés. M. le comte César Balbo présidait; Mgr l'ar-
chevêque de Turin a adressé aux congressistes une aflectueuse
allocution.
Ki-ance
Pakîs. — A l'issue des obsèques du regretté M. Icard, supé-
rieur général des prêtres de Saint-Sulpice, le cardinal Richard
a écrit aux curés du diocèse la lettre suivante :
Paris, le 23 novembre 1893.
Monsieur le Curé,
Nous venons de rendre tous ensemble les derniers devoirs au véné-
rable supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, qui demeurera pour
nous de douce et sainte mémoire. C'est sous l'impression de la céré-
monie à peine achevée que j'écris ces pages, comme on voit une
famille se réunir après avoir conduit un père à sa dernière demeure,
et chercher une consolation àson deuil, en s'entretenant des exemples
qu'il lui a laissés.
La mort de M. Icard est arrivée dans des circonstances qui la ren-
dront particulièrement précieuse aux yeux du clergé. Nous étions à
la veille du jouroù suivant la tradition de Saint-Sulpice, nous renou-
velons nos promesses cléricales et nous chantons l'hymne à Marie,
614 ANNALES CATHOLIQUES
qui a doucement remué nos cœurs dans les années de notre jeunesse;
Ergo nunc tua gens se tibi consecrat, Ergo nostra mânes portio tu
Deus, Qui de Vïrgine natus, Pernos sœpe renasceris.
Le vénérable supérieur avait, dimanche encore, pris part aux exer-
cices de la Communauté, et présidé le Conseil des directeurs. On
l'attendait le lundi matin à la Métropole, où chaque année, se confor-
mant à l'une de ces traditions dont la simplicité, j'allais presque dire
la naïveté filiale, exprime le sens profond de la piété chrétienne, le
successeur de M. Olier allait inviter la très sainte Vierge, Notre-Dame
de Paris, à présider la fête du séminaire. Le pieux vieillard, qui était
entré depuis le l»"" novembre dans sa quatre-vingt-neuvième année,
ne Vint pas. C'est le Maître divin qui était venu l'appeler à lui aux
premières heures de cette journée, durant un paisible sommeil. Le
bon serviteur avait achevé sa longue tâche. C'est au Ciel, pouvons-
nous l'espérer de la miséricorde divine, qu'il sera allé redire les pro-
messes cléricales: Dominuspars hœreditatismeœ et calicis mei'.tu es
qui restitues kœreditatem meam mthi.
Nous qui restons encore sur cette terre, nous nous sommes retrou-
vés mardi, fête de la Présentation de la sainte Vierge, dans la cha-
pelle du séminaire qui garde pour nous le souvenir de tant de grâces
de Dieu. Je ne crois pas m'abuser, en pensant que la rénovation des
promesses cléricales de cette année 1893 restera profondément gra-
vée dans nos mémoires.
A quelques pas de nous reposait la dépouille mortelle du prêtre
dont la longue vie avait été la pratique fidèle de notre engagement:
Domtnus pars hœredilatis meœ. Nous pouvions dire de lui : Defunctus
adhuc loquitur.
M. Icard était né dans le diocèse d'Avignon; et, jusque dans les
dernières années de sa vie, il aimait â parler de la pieuse mère qui
l'avait offert à Marie; mais il appartenait au diocèse de Paris par son
ordination et, plus d'une fois dans nos conversations, il se plaisait à
me le rappeler. On sentait qu'il nous avait donné toute son âme et,
en effet sa vie entière, sauf une courte absence, s'est écoulée dans le
séminaire de Saint-Sulpice. On sait combien cette vie a été remplie.
Professeur de morale et de droit canonique, directeur des caté-
chismes de la paroisse, il a exercé une grande influence sur l'ensei-
gnement de la doctrine chrétienne parmi les prêtres et les fidèles.
Directeur du séminaire de Saint-Sulpice, appelé au Conseil épiscopal
par les Archevêques de Paris, il a efficacement travaillé à maintenir
les règles de la discipline ecclésiastique. ^
Fidèle aux maximes des enfants de M. Olier, il demeurait caché
dans le séminaire, et pourtant son action s'étendait au loin. Conseiller
d'un grand nombre d'Evêques, appelé par l'un d'eux comme théolo-
gien au Concile du Vatican, il n'était étranger à aucun des grands
intérêts de la religion.
NOUVELLES RELIGIEUSES 615
C'est surtout pendant sa supériorité, qui a duré dix-huit ans, que
s'est manifestée cette action féconde pour le bien de l'Eglise. Les tra.
dilions de Saint-Sulpice maintenues dans leur pureté; de nouveaux
séminaires fondés en plusieurs diocèses de France; les séminaires de
nos Universités catholiques confiés aux enfants do M. Olier par les
Evoques fondateurs en France et en Amérique ; la maison de procure
de la Compagnie établie à Rome ; les retraites communes des Sulpi-
ciens instituées pendant les vacances dans la maison d'Issy ; tout con-
court à faire de M. Icard un des supérieurs que la Compagnie placera,
dans sa reconnaissance, après M. Olier, à côté de M. Tronson et de
M. Emery.
Le vénérable supérieur allait mettre la main à l'œuvre pour ter-
miner la reconstruction du séminaire d'Issy, commencée et poursui-
vie par lui avec autant d'activité qne de prudence. Il y a quelques
mois, nous bénissions le pavillon central et, en voyant rassemblés
autour de lui les élèves du séminaire et des prêtres nombreux du
diocèse de Paris, nous aimions à lui appliquer la parole du psaume :
Filii tut sicut novelUe olivarum in circuitu mensœ tuie.
C'est qu'en effet, Monsieur le Curé, nous tous qui avons eu le bon-
heur d'être élevés dans le séminaire, nous savons quelle charité pater-
nelle Notre-Seigneur a mise au cœur des fils de M. Olier pour le
clergé, non seulement durant les années de notre éducation cléricale,
mais lorsque la Providence nous a appelés à travailler au champ du
Père de famille dans les conditions les plus diverses.
Le clergé de Paris le sait mieux que tout autre : tous aussi étaient
réunis autour du cercueil de M. Icard. C'étaient, suivant l'expression
du vieux biographe d'un saint, les fils de sa charité. J'ai été, Monsieur
le Curé, profondément touché et reconnaissant de cet hommage de
piété filiale, qui s'étend à la Compagnie de Saint-Sulpice tout entière.
Que Dieu daigne lui rendre au centuple pour le bien qu'elle fait aux
âmes sacerdotales.
Que Mgr le Nonce apostolique et NN. SS. les Evêques qui ont voulu
honorer de leur présence les obsèques du vénérable supérieur reçoi-
vent l'expression de la commune gratitude de la Compagnie et du
clergé de Paris.
Une des dernières sollicitudes de M. Icard a été de travailler à la
béatification de M. Olier. Bientôt, le procès sera porté à Rome, et,
grâce au soin avec lequel l'infatigable vieillard a mis en lumière la
doctrine et les vertus de M. Olier, nous pouvons espérer que la cause
sera introduite par le Souverain-Pontife et le titre de Vénérable donné
par l'Eglise au fondateur de la Compagnie de Saint-Sulpice.
Pour nous, Monsieur le Curé, nous aurons puisé dans ces grandes
et saintes leçons de la mort d'un piôtre vénérable une intelligence de
plus en plus profonde du dévouement sacerdotal : Dominus pars hœ-
reditatis meœ et calicis met : tu es qui restitues hœreditatem meam
mi ht.
616 ANNALES CATHOLIQUES
S'il m'est permis de parler de ce qui m'est personnel, je déposerai
sur la tombe du père vénéré que nous pleurons, une dernière expres-
sion de ma reconnaissance filiale. Cinquante-deux ans se sont écoulés
depuis le jour où M. Icard me recevait au séminaire de Saint-Sul-
pice. Son affection m'avait suivi dans les événements divers de ma vie
sacerdotale. C'est au séminaire de Saint-Sulpice que j'étais revenu,
vingt-sept ans plus tard, me préparer, avec l'aide de sa charité et de
ses conseils, à la consécration épiscopale. Quand, profondément ému
par l'annonce de ma nomination au siège de Paris, je versais des
larmes à la vue de )a charge redoutable que la Providence m'imposait,
c'est encore la parole paternelle de M. Icard qui m'avait encouragé.
En voyant se prolonger cette vigoureuse vieillesse, je m'étais flatté
de l'espoir que je l'aurais près de moi pour m'aider à terminer, par
une sainte mort, le laborieux combat de la vie épiscopale, laboriosum
certamen, comme parle l'Eglise dans les oraisons pour le repos de
l'âme des Evéques défunts. Dieu ne Ta pas permis; que son saint nom
soit béni !
Je porterai chaque jour devant Dieu le souvenir de ce père vénéré
de mon âme et je vous demande à tous, Frères vénérés dans le sa-
cerdoce et Fils bien-aimés venerahiles Consacerdotes et Filii dilec'
(issimi, de vous souvenir à l'autel du Seigneur de celui qui a aimé
nos âmes et a travaillé pour elles jusqu'au dernier jour.
Veuillez, Monsieur le Curé, agréer l'assurance de mon affectueux
dévouement en Notre-Seigneur.
•j; François, Cardinal Riciiahd,
Archevêque de Paris.
UNE CONQUETE
Après avoir trop longtemps subi le joug des sectes, la France com-
mence à se ressaisir. C'est ainsi que les Catholiques, par le Diction-
naire des Dictionnaires, ont enfin repris le domaine encj^clopédique
usurpé depuis plus d'un siècle par la Franc-Maçonnerie et la Libre
Pensée, et y ont planté la crois. Il importe d'affermir et d'étendre
cette précieuse conquête. Quiconque a souci de l'intérêt familial,
social, religieux, conservateur, voudra participer à cette croisade,
qui a pour cri : Foi et Science, Dieu et Patrie. D'ailleurs, il s'agit
d'une œuvre aujourd'hui indispensable, d'une utilité quotidienne ; et
l'on peut encore en souscrivant de suite, se la procurer dans des
conditions exceptionnelles. On trouvera plus loin ces conditions avec
le bulletin de souscription.
Le gérant : P. Chantrel.
Pans. — Imp. G. Picquoin, 53, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
DE LA PREDICATION
Commeatairo do ces paroles de saint Paul : Attende libi et doc-
trinic, et du reste du verset (!='■ Tim. IV, 16).
I
Attende tibi. L'ordre est de se sanctifier d'abord. Atlendite
vobis, disait encore saint Paul dans son discours aux fidèles de
Troas (Act. XX, 28). « A te tua consideratio inchoet, dit saint
Bernard, ne frustra extandaris in alia, te neglecto. Quid tibi
prodest si mundura universum lucreris te unum perdens? » [De
Consid. Lib. II, Cap. III). Ce chapitre mérite d'être lu en entier.
C'est un zèle faux et stérile que celui qui s'épuise et se dissipe
en œuvres extérieures, comme s'exprime Corneille Lapierre :
« Qui se ipso negliirutit, et totos se in proximorura curara efl'un-
dnnt, nec sibi nec aiiis prosunt. » Commençons donc à nous unir
à Dieu pour attirer sa l)ériédictiori sur notre parole et sur nos
travaux. Les Apôtres le comprirent bien lorsqu'ils se déchar-
gèrent sur les diacres du soin des pauvres : car l'Esprit-Saint
leur révélait qu'ils devaient premièrement s'appliquer à l'oraison,
puis au ministère de la parole • * Nos vero orationi et ministerio
verbi instantes erimus. » (Act. VI, 4). (Cf. Abbé Maunoury.
Comm. sw les Ep. de iaini Paul, Paris, 1882).
II
Et doctrinœ. Sans doute, l'administration des sacrements et
l'oblation du sacrifice sont nécessaires; mais la prédication ne
l'est pas moins. Un très grand nombre d'âmes se perdent, ou
parce qu'on ne prêche pas, ou parce qu'on prêche mal. Attende
doctrinœ ; il faut que le prêtre s'applique avec soin au minis-
tère de la parole. « On ne peut assez admirer, disait Bossuet,
l'usage de la parole dans les aff'aires. Qu'elle soit, si vous voulez,
l'inLerprète de tous les conseils, la médiatrice de tous les traités,
le gage de la bonne foi et le lien de tout le commerce ; elle esi
plus nécessaire et plus efficace dans le ministère de la religion,
et en voici la preuve sensible. C'est une vérité fondamentale
que l'on ne peut obtenir la grâce que par les moyens établis de
Dieu. Or, est-il que le Fils de Dieu, l'unique médiateur de notre
Lxxxvi — 23 Décembre 1893. 45
618 ANNALES CATHOLIQUES
salut, a voulu choisir la parole pour être l'instrument de sa
grâce et l'organe universel de son esprit dans la sanctification
des âmes. » [Prédication évangélique, 3^ point). La foi vient
par l'ouïe (Rom. X, 11) ; de là cette injonction : « Priez le maître
d'envoyer des ouvriers dans sa moisson. » (Mattli., IX, 38).
Parler dans l'êg-lise, au milieu de l'assemblée des fidèles, est
pour le prêtre un ministère. C'est un pouvoir qui lui a été con-
féré, une grâce qui lui a été promise par le fait de son ordina-
tion. C'est i)ar la parole que l'Eglise a paru pour la première
fois : « Stans autem Petrus cum undecim, levavit vocem suam,
et locutus est eis. » (Act. II, 14). Le langage que le Pontifical
met dans la bouche de l'Evêque, lorsqu'il confère les Saints
Ordres, est encore une expression du désir qu'a l'Eglise d'une
prédication multipliée et continuelle des saintes vérités de la
toi. Plusieui's passages, dans l'Ordination du Lecteur, indiquent
qu'il était a[)[ielé à ex[)]i')uer sommairement le texte dont il a
d'abord fait lecture. Au sous-diacre il est dit : « Si itaque humana
fragilitate contingat in aliqiio fidèles maculari, prsebenda est a
vobis aqua cœlestis doctrinae... » Le diacre est l'auxiliaire
naturel de l'évêque et du prêtre pour le ministère de la parole.
Et si la pensée du Saint Sacrifice semble dominer l'ordination
du prêtre, c'est de beaucoup celle de l'enseignement doctrinal
qui est l'idée de la consécration de l'évêque. Le livre ne rem-
place pas la parole. Le livre prépare à entendre et à suivre
avec plus de fruit le discours, la leçon orale. 11 résume aussi et
conserve ses principales données; à ce titre le piètre peut
écrire; mais il doit parler. (Mgr Isoard, De la Prédication,
Paris, 1871).
Comment, dans la pensée de saint Paul, le prêtre doit-il prê-
cher ? « ... I-'ais œuvre d'cvangèliste », écrivait-il encore à
Timoihée (II Tim. IV, 2, 5;. L'oltjet de la prédication, c'est donc
l'Evangile. Jésu.«-Christ n'a prêché que la parole du Père, et il
s'en fait gloire (Jo. XII, 50 ; XIV, lOj ; nous devons mettre tout
notre honneur à i)rêcher les insondables richesses du Christ
(Eph. III, 8). Pas un ]»rètie, sans doute, qui oserait s'avouer à
lui-même qu'il considère l'Evangile comme un thème un peu
usé: niais n'en trouve-t-on pas qui le fardent, le déguisent,
l'habillent si bien à la modei-ne qu'il en devient j»resque mécon-
naissable? On sait l'épigrammode Louis XVI a[)rês un sermon
de Maury : « C'est dommage qu'il n'ait pas dit quelques mots
de religion ; il nous aurait parlé de tout. > Prêchons donc l'Evan-
Ulî r,A PKKDrCATION 619
g^ile, et prèchons-le tout entier. Dépositaires et responsables,
nous ne pouvons rien supprimer, rien amoindrir. Est-ce à dire
qu'il faille jeter indistinctement tonte vérité à la face de toute
âme, prépaiêe ou non, rebelle peut-être ou prévenue? Non.
Jésus-Christ lui-même a usé de réticence, quand il déclarait les
Apôtres incapables de porter préventivement tout ce qui lui res-
tait à leur dire. L'Eglise a usé de la même réticence alors
qu'elle différait jusqu'au baptême la connaissance du mystère
eucharistique.
Le prédicateur a le droit de taire aujourd'hui telle vérité
dont il estime la publication inopportune ; mais paraître l'aban-
donner définitivement, c'est à quoi il ne saurait consentir, à peu
prés comme le chrétien persécuté peut cacher sa foi, mais non
pas donner à croire qu'il apostasie. Quoi([u'il arrive, nous avons
appris des Apôtres que nous ne pouvons point ne pas dire ce
que nous tenons de Dieu (Act. IV, iO) ; nous savons de saint
Paul que si jamais on ne supporte plus la vérité, ce n'est pas
l'heure de nous taire, mais de prêcher la parole, d'arguer, de
reprendre, de conjurer en toute patience et doctrine (II Tira. IV,
2, 3). Saint Paul dit opportuve, importune; non pas qu'il faille
provoquer les résistances, les heurter à plaisir comme si l'Apôtre
avait déconseillé tout souci de l'opiiortunité : ce serait le fait
d'un zèle faux et amer ; le vrai zèle consiste à ne pas reculer
devant les sujets importuns, lorsqu'il est opportun de les
aborder ; il en est des vérités comme des remèdes, elles sont
quelquefois d'autant plus opportunes qu'elles ont plus de chances
d'importuner.
Tout l'Evangile et rien que 1 Evangile. Un courtisan de
Louis XIV disait au P. De la Rue : « Ne donnez pas dans l'écueil
commun ; ne prétendez pas réussir en nous flattant l'oreille par
un étalage de fins mots. Si vous allez par le chemin du bel esprit,
vous trouverez ici des gens qui en montreront plus dans un seul
couplet de chanson ([ue vous dans tout un sermon. Ils se raille-
ront de vous. ^lais pnrlez-leur de Dieu vivement et prudem-
ment, comme vous parleriez aux honnêtes gens de la ville. C'est
ce qu'ils n'entendent point et que vous entendez mieux qu'eux ;
par là vous serez leur maître et ils vous respecteront. » (P. De
la Rue, préface des Sermons).
Or, la première de toutes les conditions pour que notre parole
exerce de 1 influence, c'est de parler un langage que l'auditeur
comprenne, et qu'il entende sans ennui et sans être choqué. L'au-
620 ANNALES CATHOLIQUES
ditoire que nous avons autour de nos chaires ne rappelle raênae pas
de loin celui qu'avaient les prédicateurs du XVII^ siècle; nous
parlons des auditoires des villes. Bossuet, Bourdaloue, Massillon
avaient pour auditeurs la noblesse et la grande bourgeoisie,
qui avaient tous une connaissance assez approfondie des vérités
de la religion. On savait à cette époque sa religion, même malgré
soi, parce qu'on la rencontrait partout, dans la famille, dans les
lois. Elle intervenait à tout moment dans la vie. On parlaitalors
religion comme on parle de nos jours politique, et cela surtout
aux époques les plus troublées. Après les guerres de religion,
pendant la longue durée de l'agitation causée par le jansénisme,
les questions religieuses étaient le fond habituel, inépuisable
des conversations. Les femmes du monde même s'entretenaient
de ces questions avec la plus grande aisance. A une semblable
réunion le prédicateur pouvait donner sa pensée telle qu'il se la
formulait à lui-même, employant les mots de la théologie et de
l'Ecole, ne faisant qu'indiquer et rappeler de loin des preuves
trop connues, des faits ou des maximes chaque jour répétés et
invoqués par ceux-là mêmes qui l'écoutaient. Il n'avait nul
besoin de traduire sa pensée pour l'usage des fidèles. Entre eux
et lui la langue était commune.
Est-ce là notre condition '! jN'otre société n'est plus chrétienne.
Lamoriciére écrivait au P. Gratr}' : « J'ai fait mes humanités,
y compris ce qu'on nomme la philosophie. J'ai passé deux ans à
l'Ecole polytechnique; j'y ai travaillé en conscience à l'étude
des sciences et arts et quelque peu à celle de leur philosophie.
Quant à la théologie, je n'en sais pas un mot. 11 y a trente-quatre
ans, combien peu, hors des séminaires, savaient autre chose
que le nom de cette science ! » (Cité par Mgr Baunaid, La Foi
et ses victoires, 1" série).
Tenons donc pour certain que notre langue habituelle, qui est
encore celle des grands prédicateurs du XVIP siècle, n'est |ias
conipiise par la presque totalité des fidèles. Qui n'aime à diie
le Prophète royal, l'Apôtre des Gentils, l'Apôtre bien-aimé. les
fruits de la terre promise, les délices de Sion, l'Epouse du Can-
tique? Qui ne parle des sentiers de la justice, delà terre d'Egypte,
des fleuves de Babylone, des victoires comparées de l'ancienne
loi et de la loi nouvelle? Qui prêche sans parler du vieil
homme et de l'homme nouveau, du dépouillement, de la mort
spirituelle, de la concupiscence, de la mortification, du rôvête-
ment de Jésus-Christ, des enfants de la promesse, des enfants
DE LA PKKDICATION 621
de colère, des nations assises à l'ombre de la mort, de la voca-
tion des Gentils? Expressions, raots, métaphores, locutions,
donnés crûment, sans commentaires, sans explication, qui n'of-
frent aucun sens pour nos auditeurs ; et toute notre terminolo-
gie est dans ce cas. De là, un espiit de gêne pour nos auditeurs.
Notre langage leur paraît hérissé de formes et de locutions
inconnues; écouter ne leur suffit pas, il faudrait qu'ils nous
déchiffrent, et ils n'en ont ni le goût, ni le loisir. Lu suite des
idées n'a pas pour eux moins de difficultés que n'en ofi"re la ter-
minologie. Nous supposons, lorsque nous prêchons, que l'on sait
autour de nous les dogmes et les maximes essentiels du chris-
tianisme. C'est une illusion. Il n'est presque aucune des propo-
sitions sur lesquelles s'appuient nécessairement nos raisonne-
ments et nos exhortations qui puisse être comprise ou acceptée
dans son sens véritable et complet. Qu'ils puissent ou non s'en
rendre compte, le fait est que nous leur présentons à tous mo-
ments des conséquences de principes qu'ils ne connaissent pas
ou n'admettent point pratiquement. Le vague oii demeure l'es-
[irii de nos auditeurs les amène à cette conviction qu'il y a peu
d'utilité pratique à tirer de nos prédications ; aussi elles passent
au-dessus de leur vie sans la pénétrer et sans l'entamer.
Un critique sage, respectueux, catholique de cœur et de
croj'ance a pu écrire : « C'est dans la chaire qu'il est le plus
fiioile de parler sans rien dii-e. » (A. Fugère, Bourdaloue^ sa
prédication et son temps^. Four que notre prédication soit
«'■contée, il faudrait nous prooccuper de dire quelque chose à
quelqu'un, et de le dire suivant les dispositions de ce quelqu'un.
Il est certain qu'on doit prêcher aujourd'hui autrement qu'il y
a cent ans.
Mais comment arriver, rajeunir notre prédication? Nous n'y
arriverons pas en cherchant la nouveauté sur des routes péril-
leuse?, en entrant dans la voie des concessions à outrance, en
imaginant des eflfets littéraires contestables, en nous faisant
bizarres, excentriques. La nouveauté est dans un retour sérieux,
énergique, d'une part à l'objet véritable et intégral de la prédi-
cation, c'est-à-dire à l'Evangile et à Jésus-Christ; de l'autre, à
une parole simple, vraie, vivante, allant droit de l'àme à l'âme.
Nous serons neufs à la condition de posséder mieux, d'exploiter
•mieux l'inépuisable trésor de la doctrine, les insondables
richesses du Christ; de prêcher par-dessus tout et en tout
Jésus-Christ ; d'écarter les théories hasardées, les sentiments
faux, le langage factice, le ton nouveau.
622 ANNALES CATHOLIQUES
• Que si l'auditeur moderne a quelquefois ses engouements, ses
préjugés, ses faiblesses, taisons-lui l'honneur de ne pas les esti-
mer incurables et n'oublions pas que notre devoir est de tra-
vailler à l'en guérir. Touchons à tout cela d'une main respec-
tueuse et délicate, mais aussi ferme qu'aimante. Prêtons-nous à
ses fantaisies de malade, mais avec mesure et pour un temps,
avec l'intention et l'assurance de refaire peu à peu son tempéra-
ment intellectuel et moral. A tout prendre, le prédicateur du
XIX' siècle se trouve, comme ses devanciers, en présence de l'âme
humaine, toujours sensible au vrai proposé avec chaleur par une
àme convaincue, en présence de Tàiiie baptisée toujours inclinée,
qu'elle en ait ou non conscience, vers le pur christianisme et le
vrai Jésus-Christ.
Les instructions données habituellement dans nos paroisses
ont l'une ou l'autre de ces deux formes : le prône ou le ser-
mon.
Le prône est de beaucoup la forme plus fréquente. Le saint
Concile de Trente avait conseillé de donner tous les dimanches
l'explication de quelques versets de l'Ecriture, et indiqué en
particulier ceux qui se rencontrent dans la liturgie, que les
fidèles chantaient ou entendaient lire pendant la messe. On a
peu à peu donné à ce conseil un sens de plus en plus étroit, et
aujourd'hui l'instruction est devenue une homélie sur l'Evan-
gile du dimanche. Ce retour périodique des mêmes passages a
un grave inconvénient : la monotonie, inconvénient qui devient
d'autant plus redoutable que le prêtre est dans la même paroisse
depuis 10, 20, 30 ans. Nous nous contentons de poser la ques-
tion : N'y aurait-il pas lieu de modifier un peu le prône V
Le sermon d'apparat, donné à certains jours, vaut-il beaucoup
mieux (jue le prône? Outre que le prédicateur est encore moins
libre que le curé, c'est l'usage qui lui impose le thème de son
sermon ; il est encore contraint de traiter ses invariables sujet^
d'une manière vague et un peu lâche. En eff^et, son sei'raon est
écrit pour tous les auditoires à qui il peut avoir à s'adresser. 11
se tient donc dans une note moyenne pour l'expression et pour
la pensée.
Il s'ensuit qu'il ne captive que rarement les âmes. Car pour
les captiver il faudrait leur parler à elles-mêmes. Et comment
trouver le mot qui va droit au cœur du Breton, s'il veut frapper
de ce même mot les oreilles des habitants de l'Orléanais, de la
Provence ou de Paris? Il choisira donc un mot, une forme, un
DE LA PRÉDICATION 623
genre, que tous entendront sans surprise, sans déplaisir, mais
qui, certainement, ne saisira et ne touchera personne. Il j a
actuellement tant de différence dans la manière d'être chré-
tien !
Le sentiment religieux subit, d'un lieu à un autre, des diminu-
tions de teintes si variées. Dans une même ville, à Paris, par
exemple, est-on chrétien de la même façon à Saint-Sulpice et à
Ménilraontant? Le sermon que dans telle paroisse on aurait
trouvé dicté par une froide raison, sera considéré ailleurs
comme trop empreint d'une molle piété. Bref, le sermon subit,
plus encore que le prône, le joug de conventions factices qui
étreignent les esprits et rendent presque inféconds les plus heu-
reux talents. Aussi, posez aux prédicateurs de profession cette
question : « Qu'attendez-vous de votre sermon ? »
S'ils sont sincères, ils vous répondront : « Il en sera de ce
sermon comme de tant d'autres. » Très peu songent aux fruits
qu'il en pourrait sortir. Aussi, dit Mgr Isoard, qui a écrit un
excellent livre sur cette question, ne demandez pas la suppres-
sion de ce sermon qu'il appelle c une majesté bien déchue »,
bien qu'il soit convaincu que ce genre de prédication à l'assem-
blée générale des fidèles soit désormais frappé de stérilité : ce
qu'il voudrait, c'est la division d'une paroisse en plusieurs audi-
toires, auxquels on ferait une série d'instructions en rapport
avec leur âge, leur sexe, leur condition, et il s'appuie sur l'opi-
nion du savant abbé Le Hir, de Saint-Sulpice, qui prenait pour
type la paroisse de Saint-Sulpice , avec ses catéchismes, ses
patronages, ses cercles ; il aurait souhaité encore plus de divi-
Cette manière de voir est encore celle du cardinal Mei-
sion.
gnan. Nous cro^'ons que la résurrection de la foi et le renouvel-
lement des mœurs chrétiennes ne se peuvent en effet obtenir que
par le moj-en de ce discours à des groupes homogènes.
Il y a un dernier genre de parole : ce sont les allocutions, les
entretiens, les mots. Ce genre est d'une très médiocre impor-
tance. L'auditoire très restreint appartient tout entier au sexe
dévot. Les mots se succèdent au gré des circonstances, sans le
moindre enchaînement. Le plan n'en a pas été tracé. Ils doivent
exprimer les sentiments personnels de l'orateur; c'est sa médi-
tation du matin que l'usage autorise à répéter. Les phrases se
suivent sans que les pensées arrivent. Les exclamations [denses
ne sont point appelées par ce qui les précède. Somme toute, il
624 ANNALES CATHOLIQUES
est à désirer que ces mots aient toujours peu de personnes qui
les recueillent; ils ne sont généralement pas propres à faire
estimer et honorer la parole de Dieu.
La question de la préparation de la parole chrétienne est trop
complexe, et d'ailleurs trop connue de tous pour que nous vou-
lions la traiter. Nul doute que plus l'étude est suivie, sérieuse,
plus la méditation est complète, plus l'idée sera mûrie et fé-
conde. Une seule chose nous intéresse, parce qu'elle est débat-
tue, c'est de savoir si le sermon doit être appris par cœur ou
improvisé.
Les maîtres penchent pour l'improvisation. Selon saint Au-
gustin, il faut acquérir de longue main et le fond des choses et
l'aisance de la parole; puis, le moment venu, s'appliquer plu-
tôt l'injonction de Notre-Seigneur aux persécutés : « Ne cher-
chez pas que dire, ni comment le dire, car au moment même, il
vous sera donné de le trouver. » {De Doctrina Christ., t. VI,
p. 32).
La Bruyère aiguise une épigramrae contre les récitateurs [De
la Chaire, w'^ 209) ; le P. de La Rue dirige contre eux presque
toute la préface de ses sermons, et Fénelon abonde dans le même
sens [Bial. sur VEloq., dial. III, avec une pointe d'excès et de
paradoxes justement relevée par M. Feugére [Bourdaloue,
l"-' part., chap. 1, n" 7).
Le discours écrit et appris par cœur, en effet, ne saurait être
la forme première et naturelle de la parole, encore moins de la pa-
role apostolique, vive et spontanée entre toutes. On ne peut guère
le concevoir, dit le P. Longhaje, qu'à titre d'expédient, de res-
source m extremis. Mais à tout prendre, il est bien des cas où
l'expérience s'impose. Nombre de prédicateurs ne sont pas ca-
pables de s'en passer. De plus, les conditions matérielles de la
parole : haute chaire, grand vaisseau, assemblées nombreuses,
rendent difficile la prédication familière et improvisée. Toute-
fois l'orateur doit s'habituer à ne pas dépendre absolument de
sa niémoire, de façon à s'assurer une allure moins contrainte.
Par contre, l'improvisation absolue, la parole sans préparation
aucune, est un tour de force auquel un orateur sérieux ne se
hasardera jamais que s'il ne peut faire autrement.
Grâce à ses études, à aes notes, le prédicateur doit être
comme le scribe du céleste royaume, ressembler au père de fa-
mille qui tire de son trésor l'ancien tout ensemble et le nou-
veau (Matth., XIII, 52).
UNE DOUBLE ÉQUIVOQUE 625
Attende doctrinœ. Appliquons-nous à l'enseignement de la
doctrine, préparons sérieusement nos instructions ; qu'elles
soient courtes, claires, nourries de pensées et de faits de la
Sainte Ecriture. Pasteurs dont la timidité enchaîne la langue,
travaillez, priez, aimez Dieu et les âmes, et l'Esprit-Saint vous
donnera la hardiesse de prononcer de bonnes paroles.
III
Jusla in illis. — Appliquez-vous à ces deux points avec
constance. En grec epimene^ persiste. Au sortir de l'ordination,
■on est plein de ferveur; après une retraite, on plie sa conduite
à la règle; mais le difficile est de persévérer. Cependant il nous
in)[»orte de dominer notre inconstance. Hoc enim faciens, et te
ipsum satvum faciès, et eos qui te audiunt.
AUTEURS A CONSULTER
(Le pasteur Vinet, Ilome'litique ou théorie de la])7'édication,
Paris, 1853. — Abbé Clerc, Essai sur Vart oratoire au point de
vue chrétien, 1854).
P. G. MOREAU.
Yicaire général honoraire de Langres,
UNE DOUBLE EQUIVOQUE
L'enquête ouverte par la S. Congrégation des Rites sur le
chant grégorien nous engage à nous expliquer une fois encore
sur la question des livres choraux; non certes dans le but de
relever les injures personnelles adressées, à défaut d'arguments,
par certains polémistes aux défenseurs du chant traditionnel —
ces injures sans portée sont à elles seules leur réponse ou plutôt
leur châtiment , — mais dans l'espoir de dissiper une double
équivoque derrière laquelle plusieurs aiment à se retrancher.
I. La première équivoque consiste dans la confusion entre deux
côtés très différents de cette question: le côté disciplinaire et le
côté artistique ou historique.
Les décrets émanés de la Sacrée-Congrégation, même celui
de 1883, touchant l'édition typique de Ratisbonne, n'ont pas le
caractère impératif qu'on leur attribue avec force déclamations.
626 ANNALES CATHOLIQUES
a). Le texte des documents ne contient aucune formule vrai-
ment impérative. b) Léon XIII, interprète suprême des inten-
tions do Rome, a déclaré en plusieurs circonstances, notamment
lors du centenaire de saint Grégoire le Grand et il v a peu de
semaines à un cardinal français, qu'il entend laisser la liberté, La
récente note de VOsservaiore Romano est formelle à cet égard.
Cj Dans la ville éternelle, sous les yeux du Saint-Pére, plusieurs
établissements ecclésiastiques ont adopté l'édition de Dona Po-
thier. d) Eu France, cette édition se répand de plus en plus
jusque dans les églises cathédrales, e) Dans le doute, si doute il
avait, odiosa restringenda ; or, tout privilège, surtout gratuit,
a un caractère odieux, suivant l'enseignement commun des théo-
logiens : f) enfin, c'est aux évêques à juger de l'opportunité
qu'il y a à introduire dans leurs diocèses les livres choraux re-
commandés par les décrets. Si donc, suivant une formule mj's-
tique dont on abuse à plaisir, les désirs du Saint-Siège sont des
ordres pour les catholiques, ceux de chaque évéque sont aussi
des ordres pour ses diocésains.
Voilà pour la question disciplinaire, telle qu'elle se présente
actuellement.
Toute diflerente est la question artistique et historique.
'Supposons que Rome rende obligatoire sans réserves pour
toutes les églises la version typique de Ratisbonne — nous avons
des motifs de croire que l'issue du débat sera tout opposée —
supposons cela, est-ce que cette disposition modifierait la valeur
artistique de celte version et détruirait la force des arguments
historiques qu'on lui oppose ? Assurément non! Prétendre le
contraire, ou même simplement confondre ces deux questions,
c'est rendre à la cause de Rome un service injurieux, et jeter le
discrédit, aux yeux des savants incrédules ou protestants, sur la
sincérité et la liberté de la science catholique.
Or, que dit l'archéologie musicale, touchant la valeur artis-
tique de l'édition Mèdicéenne, modifiée par les auteurs de l'édi-
tion typique ? Que dit l'histoire de cette version?
L'archéologie démontre avec une clarté chaque jour plus
grande que la version Mèdicéenne est une des plus fantaisistes
de toutes celles qui existent, étant faite dans de mauvaises con-
ditions à une époque où la tradition était perdue, et qu'elle est
un obstacle grave à la restauration du chant grégorien.
L'histoire affirme en outre : a) que le manuscrit dont on se
serait servi pour cette version a été reconnu par un décret de la
UNK DOUBLE EQUIVOQUE bZt
Rote, en date du 21 juin 1596, n'être pas de Palestrina et même
ita referiiun erroribus et varietatibus ut imprimi non possit et
sic non possit servire ad usum destinatum...; h) que la Médi-
céenne n'a pas été officiel leaient reconnue par Paul \ \ c) que
la Médicéenne n'avait pas été officiellement introduite à Rome
et en Italie.
Enfin, pour ce qui concerne la réimpression de la Médicéenne
à Ratisbonne, l'histoire-démontrera et démontre déjà que le
fameux concours qui servirait de base au privilège, quasi mono-
pole, accordé à M. Pustet, s'il a été ouvert, n'a pas été ouvert
sérieusement.
Voilà la vérité historique et artistique, à laquelle l'autorité
ne peut rien changer. En présence de ces conclusions fournies
par l'étude impartiale de l'archéologie et de l'histoire, est-il à
souhaiter, dans l'intérêt même du prestige de Rome, que la dé-
cision disciplinaire soit défavorable aux postulata les plus légi-
times de l'art? Et n'est-ce pas plutôt un amour ardent, mais
îsincére, de Rome qui fait désirer aux défenseurs de la tradition
une décision conforme aux titres de celles-ci.
II. Mais, répond-on aussitôt, vous voulez donc introduire par-
tout la version si longue, si difficile de Dom Pothier, et rendre
ainsi impossible l'unification si désirable du chaut liturgique ?
Ici est la seconde équivoque que nous voudrions essayer de
dissiper.
L'unification du chant sacré est en eff"et une chose éminemment
désirable. Encore peut-on souhaiter que certains trésors ne dis-
paraissent pas dans un nivellement absolu. Pour arriver à cette
unification, une simplification des mélodies les plus ornées est
utile. La pensée d'une édition abrégée est donc en elle-même
fort louable. Mais il y a abréviation et abréviation.
Nous croyons que la question n'est pas mûre pour qu'on fixe
une édition quelconque ne varietur.C èid>.\i la pensée de l'évêque
d'Arras dans sa fameuse lettre à Pie IX. Lorsque les recherches
archéologiques auront résolu jusque dans les détails le problème
de la diction et de l'écriture grégoriennes, déjà résolu dans ses
grandes lignes, alors, mais alors seulement, on pourra arrêter
une version définitive capable de faire honneur à la science et à
l'art catholiques.
Cette version, on pourrait, en vue des petites maîtrises,
l'abréger en certains endroits en prenant pour base le vérit-ible
texte traditionnel et en opérant d'après les principes désormais
628 ANNALES CATHOLIQUES
établis. Mais à côté de cette version abrégée, y aurait-il incon-
vénient à maintenir, pour les maîtrises mieux formées, une vei"-
sion intégrale, comme le Missel contient deux chants pour I.l
Préface et le Pater, l'un plus orné, l'autre plus simple?
Cette édition abrégée, élaborée par une commission de plain-
chantisles au courant des récentes découvertes, pourrait êuo
considérée comme la continuation de l'œuvre de la Congréga-
tion, puisqu'elle s'inspirerait du même principe de l'abréviation.
Ainsi, sans se dédire, Rome aboutirait à une solution qui satis-
ferait à la fois les amis de la tradition et ceux de l'unité d'un
chant simplifié.
Du reste, est-il bien vrai de dire que l'édition traditionne]l-:>
soit si difficile et la Médicéenne si facile? Rien n'est plus gra-
tuit. Ce qui rend un chant difficile pour un chœur, c'est bien
moins le nombre de notes à clianter que leur défaut de groupe-
ment. Sans doute l'édition typique est sensiblement abrégée ;
dans tel groupe de 482 notes on en a supprimé 422; dans tel
autre de 381 on n'en a laissé que 131. Mais les groupes, souvent
encore assez longs, que l'on a conservés, d'après quels principes
les chantera-t-on ?I1 y a peu de semaines, un professeur de plain-
chant, excellent musicien du diocèse de Cologne, envoya un de
ses élèves demander au directeur de l'école de Ratisbonne
quelles règles il suivait dans l'exécution des groupes neuraati-
ques. Le maître embarrassé se contenta de lui dire : « Consultez
votre golit et... votre besoin de respirer. »
Voyez-vous l'unité du chant sacré basée sur le goût de chaque
chantre et sur la force de ses poumons?
Ajoutez à cela qu'une mélodie tronquée, sans égard à la struc-
ture neumatique, l'est souvent contre le sens mélodique et de-
vient dés loi's d'autant plus difficile qu'elle est moins naturelle.
Que d'exemples on pourrait produire à l'appui de cette as-
sertion ! (l)
Pour toutes ces raisons, sans violer en rien le respect dû aux
actes de la Sacrée-Congrégation, on peut en pleine sûreté de
conscience souhaiter qu'après l'expiration du monopole de trente
(1) Ce que nous avançons est si vrai, qu'au Collège germanique de
Rome les chantres se servent constamment du Liber gradualis tra-
ditionnel pour faire à leurs livres de chœur des ajoutés, des correc-
tions, des signes qui permettent un chant d'ensemble bien rythmé.
Que deviennent les livres authentiques ainsi corrigés? Sont-ils encore
authentiques ?
LA hrHERTlJ DKS .«YNIJICATS OUVRIERS 620
ans assuré à l'édition de Ratisbonne, l'Eglise retire à cette
œuvre la continuation de ses faveurs et laisse une entière li'rjerté,
à moins qu'elle ne veuille prendre sous sa protection les travaux
tiiiditionnels substitués si avantageusement à la réimpression
de laMédicéenne, suivant le vœu formulé en 1878 par M. Haberl
lui-même :
« Si dans le courant de trente années que dure le privilège de
M. Pustet, on peut, dans le monde savant, reconstituer une édi-
tion meilleure d'après des manuscrits inconnus jusqu'ici ; si l'on
publie les manuscrits connus et si l'on arrive à les déchiffrer;
si l'on sait ordonner tout cela d'après son âge et sa valeur, je ne
doute point (,ue Rorae ne re(;oive un travail semblable avec joie
et qu'il ne soit mis à la place de celui qui est moins parfait, et
Mioi-même je voudrais avec plaisir aider de toutes mes forces à
l'érection de ce monument. »
Giàce aux encouragements que Sa Sainteté Léon XIII ne cesse
de donner aux travaux d'archéologie musicale, de[)uis le Liber
yradualis de Dora Pothier jusqu'au récent ouvrage du P. Lhou-
meaii, ce monument est en train de s'élever. Encore quelques
années et toutes les conditions que nous avons posées plus haut
seront réalisées. Espérons qu'alors M. Haberl se souviendra de
ses propres paroles.
^Courrier de Bruxelles). L. R.
LA LIBERTE DES SYNDICATS OUVRIERS
>a loi qui a affranchi les syndicats est en vigueur depuis neuf
•- s. Les ouvriers ont usé et abusé de la liberté sans contrôle
iiftisant qui leur était accordée. Jusqu'à présent l'usage (ju'ils
en ont fai . ii*a profité ni à l'industrie nationale i^i même à leurs
véritablos intérêts.
Le résultat le plus clair de toute l'agitation qu'ils ont provo-
quée a è\h d'ouvrir les portes de la Chambre à quelques me-
neurs qui se sont fait une situation lucrative en promenantleur
ccharpe partout oii ils pouvaient pêcher en eau trouble.
Les syndicats sont dévenus des instruments politiques entre
leurs mains. Au lieu d'être le dernier recours des ouvriers pour
affirmer leur union et amener les patrons à transiger sur des
questions pratiques, au lieu d'être employée seulement dans les
moments où ceux-ci avaient un grand intérêt à ne pas inter-
030 ANNAl.liS CaTHOLIQUKS
rompre le travail, hi grève esi devenue le recours quotidien de
ceux qui se posaient en a 1 versai les résolus du ca[)iLaL
Grâce aux syndicat?", on a imposéàde nombreuses |)Opulations
ouvrières les ciuelles sonflVances du chômage pour obtenir soit
des patrons, soit mègnu du législateur, des mesures inapplica-
bles ou ruineuses, des règlement-; (|ui fra[ipe:-aient de [»aralysie
les industries les plus puissantes.
Enfin l'aclioii des syndicats a été {)articuliérement diriirée
contre la liberté du travail. Allant cliercUer dans les traditions
de l'ancien régime ce qu'elles avaient de [dus oppressif, ils ont
voulu rétablir à leur profit le mono[)ole dont jouissaient autre-
fois les corpoiatioiis fcirmées.
Mais ces abus duiveat-ils faire condamner en bloc l'institu-
tion même des syndicats? Je ne le crois [)as, car ils sont dus à
l'imperfection de ia loi et surtout à la faiblesse du gouverne-
ment qui le plus souvent, comme à Garmaux, n'a pas su api)li-
quer cette loi, tout insuffisante qu'elle fut, ou s'3' est résigné
trop tard comme à pi'opos de la Bourse du travail de Paris.
Pour se rendre com[)te des avantages et des inconvénients du
régime de la liberté ap[)liqiié aux associations ouvrières, il faut
clierchei' des exemples ailleurs, tout en se rappelant que le
}'etour à l'ancien système prohibitif semble impossible aujour-
d'hui en ce qui les concerne. En réalité, il ne s'agit que de sa-
voir si l'on continuera à avoir deux poids et deux mesures, si
la liberté, accordée aux uns, continuera à être refusée aux
autres.
Dans une étude sur les Trade's Unions, publiée il y a déjà
prés d'un quart de siècle, j'ai cherché à prévoir le rôle que
cette pratique d'une liberté, si nouvelle alors, pourrait leur
assurer. Ces prévisions se sont déjà en partie réalisées : je suis
Leureux de le constater.
On a vu leur influence morale. Il suffit de rappeler en pas-
sant toutes les améliorations i-écentes. que leur doit la condition
de l'ouvrier au point de vue, tant de la durée du travail, de
l'emploi des femmes et des enfants, que des règlements hygié-
niques dans les mines et les ateliers.
On sait, d'autre part, que la plupart des Unions sont en même
temps des Sociétés de secours et d'assurances nuituelles. Je ne
puis m'arrêter sur une ([uestion étrangère au sujet de cette
étude, la mutualité étant l'objet d'une législation particulière
qu'il n'y a pus lieu d'examiner et d'apprécier ici.
LA. LIBERTE DES SYNDICATS OUVRIERS 631
Mais il est perm.-g du constater que les Unions ont beaucoup
contribué à stimuler le mouvement par lequel ces institutions
se sont si rapidement développées, à ce point qu'elles atteignent
cette année le chiffre de trente-cinq mille cinq cents et com-
prennent plus de onze millions de membres-, avec un avoir qui
dépasse deux milliards et demi de francs. Les ouvriers com-
prendront mieux chaque jour que moins les unions subvention-
neront de grèves, plus elles pourront employer les fonds
qu'elles accumulent à améliorer la situation de leurs membres
et particulièrement à développer les caisses de retraite pour la
vieillesse.
Ces exemples encourageants no sauraient nous empêcher de
reconnaître que parfois l'expérience si chèrement acquise semble
être oubliée dans un moment d'égarement. On voit alors repa-
raître la grève avec tout son cortège de misères et de violences,
comme il y a dix-huit mois, dans les forges du nord de l'Angle-
terre et tout récemment dans les houillères du centre et du
pa3'S de Galles. On dirait alors que l'on a reculé de trente ou
quarante ans en arriére et que tous les progrés faits depuis lors
ont été perdus en un jour. Il n'en est rien cependant. Il suffit
d'étudier ces nouvelles grèves pour s'en convaincre. Celles que
nous venons de citer comme les plus importantes ne pouvaient
réussir, car elles avaient pour but de résister à une diminution
de salaires dans un moment oii les produits étaient tellement
dépréciés que les patrons préféraient le chômage à la reprise
des travaux aux conditions antérieures.
Aussi dans la première, les chefs des Unions, qui avaient
traité avec eux et comprenaient la situation, avaient-ils accepté
une réduction considérable des salaires. La grève eut lieu parce
qu'ils furent désavoués par leurs camarades, qui, après de
longues et inutiles souffrances, furent obligés d'accepter la tran-
saction offerte par les maîtres de forges. Les Unions avaient
donc porté aux premiers rangs des hommes appartenant à la
classe ouvrière qui comprenaient bien ses intérêts et qui, si on
les avait, comme d'habitude, écoutés, lui auraient épargné de
nombreuses épreuves.
Les faits montrent qu'il faudra encore bien des années et bien
des épreuves pour que la liberté d'association porte tous les
fruits qu'on pouvait en attendre. Mais ce n'est pas un motif
suffisant pour renoncer à l'espoir de les voir éelore. Parmi les
effets de la liberté d'association qu'on ne peut malheureuse-
632 ANNALKS CATHOLIQUKS
ment pas constater aujourd'hui même en Angleterre, mais sur
lesquels on peut compter dans un avenir plus ou moins rappro-
ché, j'en citerai deux auxquels j'attachais dès 1869 une impor-
tance particulière : le rôle des Trade's-Unions comme capitalis-
tes et le développement des sociétés coopératives de production,
■ Les principales Unions ont accumulé dans leurs caisses des
sommes considérables. Si elles comprennent leur rôle, elles doi-
vent arriver à réduire j)rogressivement le nombre et la durée
des grèves. Elles pourront ainsi disposer de plus en [ilus libre-
ment des fonds réservés pour les soutenir. En outre, les fonds
qui sont destinés aux secours mutuels ne peuvent être appelés
que graduellement selon une moyenne constante facile à calcu-
ler. Ils peuvent donc, sans inconvénients, être placés dans des
valeurs industrielles, et on peut espérer que lejour viendra où,
par l'intermédiaire des Trade's-Unions, les ouvriers emploieront
les économies ainsi accumulées à commanditer eux-mêmes en
tout ou en partie les industiies auxquelles ils demandent leur
salaire quotidien.
Ils pourront obtenir le même heureux résultat d'une manière
plus directe encore, par les sociétés coopératives de production
ou par la libéralité des patrons qui les associent à leurs béné-
fices. Mais, il faut l'avouer, les expériences faites en pareille
matière n'ont pas jusqu'à présent été fort encourageantes. La
société coopérative de production est une véritable république
à côté de l'ancien système aux formes monarchiques où le patron
a la direction et la responsabilité; elle n'a jamais jusqu'ici ré-
sisté à la concurrence. Elle n'a réussi que lorsqu'elle a rencon-
tré un homme d'une intelligence supérieure pour la guider, et
son succès a toujours été aussi précaire que la vie de ce chef.
Les sociétés où l'ouvrier est appelé à partager les bénéfices
ont destinées, suivant moi, à un meilleur avenir. Quelques-
unes d'entre elles ont parfois donné pendant longtemps d'excel-
lents résultats. Mais, jusqu'à présent, elles n'ont jamais résisté
aux brusques fluctuations qu'une forte crise industrielle pro-
voque dans le taux des salaires. La fixité relative de ce taux
est la base même du système. Les ouvriers, après avoir long-
temps touché en sus de ce taux des parts importantes de béné-
fiees, les ont vu disparaître sans murmurer, en même temps
qu'on réduisait le prix de la main-d'œuvre dans les usines voi-
sines. Mais, dès que ce prix s'est relevé accidentellement et
temporairement un peu au-dessus du taux de leurs salaires, ils
M. DK MUN A LILLE 633
n'ont pas voulu attendre que la société pût de nouveau leur
assurer un bénéfice; ils l'ont abandonnée, absolument oublieux
de tous les avantages (lu'elle leur procurait. La confiance qu'ils
témoignaient en général aux patrons n'a malheureusement pas
résisté à cette épreuve.
De ces exemples, il faut seulement conclure que le temps est
nécessaii'e pour confirmer et consolider les institutions qui se
fondent sous l'iclluence d'une législation libérale et prévoyante.
Raison de plus pour ne pas différer davantage cette législation
en ce qui concerne la liberté d'Association (1).
PHILIPPE, Comte de Paris.
M. DE MUN A LILLE
M. le comte Albert de Mun était, il y a quelques jours, à Lille où
il a donné uue coaférence sur la question sociale. Naturellement, une
foule considérable s'était rendufî dans la vaste salle du Panorama
pour entendre le graod orateur catholique.
De l'aveu unanime, les diverses questions traitées par M. de Mun
l'ont été avec uue grande distinction et une giande netteté.
Nous empruntons à la Vraie France un compte rendu de cette belle
conférence. Nous espérons qu'elle aura cette bonne fortune de dissi-
per des malentendus regrettables, nés d'interprétations contre
lesquelles le vaillant orateur a tenu à protester, à diverses reprises,
avec la plus grande énergie.
La salle de l'ancien Panorama, rue Jean-Bart, a été complè-
tement transformée; il n'en reste plus que les murs. Sans
doute elle n'a point un aspect agréable, au contraire ; ronde,
sans gradins, sans ornement, sans aucune peinture, elle semble
froide et beaucoup trop élevée. A quoi servira désormais ce
vaste emplacement? Nous l'ignorons, mais c'est là que s'est fait
entendre hier, ainsi ([ue nous l'avions annoncé, le sympathique
orateur populaire, M. de Mun. Est-ce l'inauguration d'un nou-
vel usage qu'on en compte faire? Si oui, on pourra dire que
cette inauguration a été splendide.
En face de la porte d'entrée a été élevée la tribune. Tout le
reste de la salle est couvert de chaises. A la porte d'entrée et
par-ci par-là sont des trophées de drapeaux tricolores. Une ten-
ture est tendue derrière l'estrade.
(1) Extrait de la brochure : Une Liberté néeessaire, le Droit à
l'associa' ion.
45
634 ANNAI.es CATHOLigUES
Le groupe des Vrais Travailleurs de Roubaix est venu avec
ses tambours et clairons et son drapeau qui est placé à la tri-
bune. Ce drapeau tricolore est magnifique; en lettres d'or se
détachent ces phrases : Union des Vrais Travailleurs. Roubaix.
Pour Dieu. Pour le peuple.
La conférence doit commencer à cinq heures. Bien avant, il y
a une foule compacte dans la saile. Cette assistance est compo-
sée en grande majorité d'ouvriers; on aperçoit çà et là quelques
prêtres, des Frères, des industriels, des comniercants, des
dames et des jeunes gens. L'assemblée comprend environ trois
mille personnes. Le service d'ordre était fort bien fait par des
commissaires ayant à la boutonnière une cocarde tricolore. Il
n'y a pas dans l'enceinte une seule place inoccupée, et des retar-
dataires sont forcés de se tenir debout prés de la porte et sur les
côtés.
Tout à coup les tambours battent, les clairons sonnent. L'as-
semblée se lève, une immense et unanime acclamation retentit:
Vive M. de Mun ! Vive Léon XIII ! C'est en effet M. de Mun, ac-
compagné de tout le bureau, qui fait son entrée.
Lorsque le calme est rétabli, un ouvrier entonne d'une voix
vibrante une chanson dédiée à M. de Mun ; il est obligé de re-
prendre le dernier couplet. Puis, M. Leclercq, qui préside le bu-
reau, souhaite la bienvenue au brillant orateur catholi(iue et
lui présente les syndicats (jui sont représentés dans l'assistance
et expose brièvement leur but et leurs aspirations.
M. de Mun remercie M. Leclercq de ses paroles aftectueuses
etl'assembléede ses acclamations, qui s'adressent non à l'homme,
mais à l'opinion qu'il représente. D'ailleurs, il ne refuse jamais
sa sympathie et son concours à ceux qui travaillent à l'œuvre
utile de la paix sociale.
L'heure est grave et décisive pour les ouvriers sages et labo-
rieux qui veulent arriver à l'apaisement; jamais les questions
sociales qui intéressent la vie du peuple, sa subsistance, sa li-
berté d'âme et de conscience n'ont autant dominé dans le par-
lement, la presse et partout qu'à l'heure actuelle.
Il faut que les ouvriers réfléchissent, s'unissent pour faire
valoir leurs justes revendications et se séparent des meneurs
qui veulent les conduire au socialisme révolutionnaire. Si l'heure
est grave pour les ouvriers, elle ne l'est pas moins pour les hom-
mes arrivés qui veulent aussi l'apaisement social, et voilà pour-
quoi les ouvriers doivent se servir de l'arme ou plutôt du moyen
M. DE MUN A -LILLE 63$
que leur dt)niie la loi : se grouper pour savoir oii doivent abou-
tir leurs ellorts, et arriver au but qu'ils entrevoient.
Le mal dont les ouvriers, comme les patrons, souffrent, c'est
l'isolement créé par l'individualisme. L'individualisme, ainsi
qu'une barrière, a créé des classes antagonistes là où il ne de-
vait y avoir que l'union.
Si le premier moyen pour les ouvriers est de se grouper, il
est nécessaire ensuite qu'ils sachent ce qu'ils veulent. Il faut en
linir avec des paroles creuses pour réclamer des réformes utiles,
nécessaires, pratiques. Les ouvriers doivent s'arracher au mirage
que fait briller à leurs yeux la propagande du socialisme révo-
lutionnaire.
« Quand j'écoute les échos des réunions publiques, quand je
connais les paroles des orateuj's socialistes, je me rappelle les
jours de mon ])assé militaire : je revois les soldats après des
marches pénibles, succombant à la fatigue, lorsqu'ils aperce-
vaient au loin un lac, un ombrage délicieux, ils reprenaient cou-
rage et marchaient de nouveau avec entrain. Arrivés là où ils
croyaient se reposer, ils tombaient évanouis, ils avaient couru
vers un but trompeur.
« Ainsi on fait, miroiter aux yeuxdes ouvriers dansle lointain
une sorte de vallée enchantée où régnera le collectivisme révo-
lutionnaire. Ce n'est là qu'un rêve.
«Si les unions ouvrières semultiplientavecun but d'apaise-
ment social, elles feront la conquête de la nation.
« Les ouvriers doivent former entre eux des groupes d'études
sociales qui examineront en détail ce que c'est que le socia-
lisme ; ils sauront alors quels écueils ils auront à éviter, quelles
réformes ils devront demander. Ils inspireront la confiance, et
lorsqu'on verra qu'ils ne veulent se baser que sur la justice,
tontes les mains se tendront vers eux. »
M. de Mun s'occupe alors du socialisme révolutionnaire ;
longuement il montre ce que valent les théories de Karl Marx,
de Lasalle. Il conseille aux ouvriers de lire non pas les œuvres
du socialisme allemand, mais celles qui expliquent ses destinées.
Point par point, il prouve victorieusement que les rêves de Karl
Marx sont absolument irréalisables ; l'égalité ne peut pas exister
complètement, c'est impossible. L'état social préconisé par le
philosophe allemand est une utopie. Le collectivisme n'est qu'une
chimère au point de vue matériel; chose bien plus grave, qui
fait bien plus que toutes les autres raisons qu'on ne peut l'ac-
cepter, il détruit la famille.
636 ANNALES CATHOLIQUES
Si le collectivisme pouvait être appliqué, ce serait un régime-
de travaux forcés avec une légion de gardes-chiourraes ; il nous
précipiterait dans la pire des barbaries, dans le plus odieux des-
despotisraes.
Le collectivisme se présente enfin comme une religion, il »
ses apôtres et il nie la loi divine. Or, que veut une société qui
nie Dieu, qui ne reconnaît pas sa loi? Dans pareille société, qui
serait assez fort pour mettre une limite aux passions de ceux
qui souffrent?
Donc la chose est claire : les ouvriers doivent se réunir entre
eux pour étudier leur situation et aviser aux moyens pacifiques-
de l'améliorer. 11 parle alors des syndicats professionnels que
régit la loi de 1884. Cette loi constitue un grand progrés, il y a
travaillé, il l'a votée, mais il la considère encore incomplète et
mal bâtie. En effet, elle n'a fait considérer les syndicats que-
comme une arme de lutte, elle n'a pas mis en lumière la néces-
sité de combler le fossé qui existe entre patrons et ouvriers.
M. Leclerq l'a dit aux débats : pour combler ce fossé, il faut
créer les conseils d'arbitrage. L'éminent orateur engage vive-
ment les ouvrieis à former des syndicats professionnels et leur
montre les avantages qu'ils pourraient retirer de cette organi-
sation professionnelle.
M. de Mun fait allusion à un article que Jules Guesde a publié
récemment dans le Matin, et fait observer aux ouvriers que ce
que le parti collectiviste attend d'eux, c'est la révolution sembla-
blable à la Commane 1871e t des journées de juin 1848.11 supplie-
les ouvriers de ne point écouter les conseils perfidesdes meneurs;
une bataille sanglante n'apporterait aucun remède et fermerait
au contraire la porte, et pour longtemps, aux réformes légitimes.
Les travailleurs sérieux doivent répudierles moyens violents;.
ils ne doivent songer qu'à l'oj'ganisation professionnelle pour
arriver à l'amélioration de leur situation.
Apié.s des explications fort intéressantes sur les Trades-
Unions en Angleterre, sur les Chevaliers du travail en Améri-
que, M. de Mun croit que les syndicats professionnels doivent
rechercher ce qu'il est possible d'obtenir dans chaque industrie;
ils acquerront ainsi une grande force.
Quelles sont d'ailleurs les réformes générales nécessaires
et pratiques? Il y a la loi sur la duiée du travail. La durée
du travail ne peut évidemment pas être la même pour toutes
les industries. Il y a bien une loi, mais elle n'est pas appliquée
M. I>E MUN A LILLE 637
partout et elle est mal faite; il faut aussi une loi sur le travail
de nuit, sur le repos du dimanche, sur les accidents du travail.
Et le distingué conférencier' montre la nécessité de toutes ces
lois et les avantages qu'elles proeurer-aient aux ouvriers.
Il faut encore réclamer le développement de la loi sur les-
syndicats professionnels. M. do Mun voudrait que la loi sur les
associations embrassât les syndicats.
Ce qu'il est urgent de faire c'est d'organiser les syndicats.
Les ouvriers rédigeront les cahiers de doléances et ils pour-
ront ainsi sefairorendrejustice.il y a un mouvement dan s
l'opinion publique, une génération de jeunes hommes se lève ;
qu'ils se fassent les défenseurs et les porte-paroles des ouvriers
et ils auront comme récompense la satisfaction du devoir
accompli.
Et, termine M. de Mua, toutes ces réformes seront pénétrées
de l'esprit chrétien. Dans une chaleureuse péroraison, l'orateur
catholique donne toute la mesure de l'ardeur de sa foi et de ses
convictions; il souhaite, comme le disait la chanson entendue,
de voir refleurir la concorde et la paix.
Le discours de M. de Mun, écouté au milieu d'un silence ab-
solu, a été, inutile de l'écrire, sans cesse interrompu par des ap-
plaudissements et des marques d'appr'obation. La péroraison
provoque un enthousiasme indescriptible. Lorsque le calme est
rétabli un peu, M. Leclercq propose de chanter un vivat en
l'honneur du grand orateur catholique. Toute l'assemblée se
lève et trois mille voix acclament M. de Mun.
M. Leclercq annonce qu'il a reçu un télégramme de sympa-
thie pour M. de Mun d'un syndicat d'Arras.
La foule se retire lentement en poussant les cris de: Vive
M. de Mun! Vive Léon XIII 1 Une ovation est faite au fondateur
des cercles catholiques quand il traverse les rangs serrés du
|)ublic. Les Vrais Travailleurs se forment en groupe et, précé-
dés de leur drapeau, se rendent à la gare.
Toute la soirée, en ville, on a commenté tiés favorablement
le magistral discours de M. de Mun.
638 ANNALES CATHOLIQUES
CONGRÈS DES CATHOLIQUES (1)
DU NORD ET DU PAS-DE-CALAIS
Messeigneurs,
Mesdames,
Messieurs,
L'incertitude et l'obscurité de l'avenir, l'extrême division des
esprits, l'évolution irrésistible qui agite le monde et le conduit
à des solutions que Dieu seul connaît, ont diminué l'importance
des partis. Le problème est beaucoup moins politique que reli-
gieux et social.
De plus en plus, deux camps absolument opposés tendent à s6
former. La lutte existe entre les chrétiens et ceux qui ne le sont
pas, entre Dieu et Satan; elle est sans trêve et sans merci.
Le mouvement que je signale n'éclate pas à tous les yeux.
Nous sommes plongés dans un déluge d'erreurs, de préjugés
qui voilent la vérité.
Tout y contribue : la presse, une instruction superficielle
et faussée ; les crises intermittentes du suffrage universel avec
ses agitations irritantes et passionnées. Voilà pourquoi il me
semble intéressant et utile de passer en revue dans un rapide
tableau d'ensemble : L'armée du mal, ses agissements et ses
programmes.
L'armée du bien et les ressources dont elle dispose.
L'armée impie reçoit la direction d'une Franc-Maçonnerie
visiblement ins[)irée par l'esprit du mal,
- Une foule de sociétés secrètes travaillent sans relâche au
bouleversement de tout ce qui existe.
Les. loges ont été mêlées aux principaux événements de l'his-
toire contemporaine. Ce qu'elles niaient, hier, elles s'en vantent
aujourd'hui. Se croyant sûres du triomphe, elles ont jeté le
masque.
Une savante organisation, une discipline rigoureuse, un plan
suivi avec une perfide habileté et une apparente modération,
minant, pièce à pièce, la religion, la famille, toutes les bases
fondamentales de la société, révèlent une influence diabolique;
tous les eflbrts tendent à la haine et à la destruction.
Cette armée se divise en une foule de groupes qui, sous des
noms différents, se multiplient tous les jours; ils ne sont unis
que pour l'attaque.
(1) Discours d'ouverture pi'ODoacé par M. le comte de Caulincourt.
CONGRÈS DES CATHOLIQUES 639
Dans leurs tumultueuses assemblées, la liberté de discussion
n'est nullement respectée. La moindre contradiction soulève des
orages et souvent des violences; cela n'empêche pas que la li-
berté, la fraternité, l'égalité s'étalent sur toutes les murailles
— à la façon des objets perdus qu'on n'affiche que dans l'espoir
de les retrouver, avec cette différence pourtant qu'ils n'en ont
certes aucune envie. L'habileté consiste à tromper le peuple par
des mirages, de séduisantes théories, par des promesses irréali-
sables. Ces prétendus amis du peuple vivent de sa crédulité
quand ils ne volent pas ses épargnes.
On reste stupéfait quand on voit une masse d'électeurs, la
plupart personnellement honnêtes, repousser les hommes les
plus honorables, les plus justement appréciés, pour choisir des
hommes notoirement tarés.
Cependant le peuple avait connaissance des escroqueries colos-
sales de ceux qu'il appelait les panamistes. Il avait recueilli les
aveux de beaucoup de déinités qu'il acclamait la veille. Il enten-
dait chaque matin accuser les pouvoirs publics d'une singulière
indulgence ; il suivait dans les moindres détails toutes les pour-
suites légendaires, aussi avancées aujourd'hui qu'à la première
heure.
L'indignalion avait semblé générale. Malheureusement, en
France, on oublie vite.
Au bout de quelques mois, les premières émotions passées,
les mêmes hommes ont pu reparaître avec un air d'innocence
méconnue et de vertu persécutée.
Et la grande leçon de l'hiver était perdue avant l'août, comme
disait Lafontaine.
C'est là, Messieurs, une de nos plaies sociales.
Pour que les habiles cèdent la place aux honnêtes et l'argent
à l'honneur; pour que le pays reprenne confiance en ceux qui, à
tous les degrés et sous toutes les formes du pouvoir, de l'admi-
nistration, de la justice, le représentent et le conduisent, il faut
que la conscience publique de la France se refasse; et toute
notre histoire prouve assez qu'elle ne se refera qu'en redevenant
chrétienne.
L'armée catholique, à laquelle se rattachent de près ou de loin
tous les honnêtes gens, place au premier rang le clergé avec son
admirable hiérarchie, établie par Dieu lui-même, sous la disci-
pline incomparable de la conscience et du devoir.
Le Clergé, et avec lui toutes les Congrégations religieuses,
640 ANNALES CATHOLIQUES
sauvegarde tous les intérêts de la société. Bienfaiteur de l'homme,
du berceau à la tombe, il l'assiste dans toutes ses nécessités, et,
tout en adoucissant les épreuves du pèlerinage terrestre, il con-
duit le chrétien par les voies les plus sûres à ses immortelles
destinées.
L'Eglise est la source divine de cette fécondité inépuisable
qui place la consolation à côté de la douleur, le remède à côté
delà souffrance.
Aucun peuple ne saurait vivre de négation. Que deviendrait-
il sans culte et sans clergé?
Mais l'âme franr-aise surtout a un impérieux besoin de croire.
La France avec ses traditions est moins que toute autre nation
capable de vivre sans le Dieu qui l'a faite si grande autrefois.
Protestons en son nom contre des sectaires qui, avec un plan
arrêté, enlèvent une à une au clergé toutes ses ressources et,
au nom de la liberté, lui imposent des charges incompatibles
avec son ministère, sans aucune utilité pour le pays. La France
en souffre plus que son clergé. C'est un véritable crime de lèse-
nation.
A côté du clergé et sous sa direction, l'armée catholique
compte une foule de compagnies, de régiments.
Citons, avant tout, la Société de Saint-Vincent de Paul, qui,
répandue sous toutes les latitudes, forme à elle seule un corps
d'élite. Les secours matériels qu'elle distribue ne donnent
qu'une faible idée de sa noble mission, et cependant ils s'élèvent
chaque année à la somme respectable de dix millions.
Réunis sous le patronage de l'apôtre de la Charité, des
hommes de toutes les classes, décidés à s'associer pour exercer
un véritable apostolat, pour se vouer à toutes les œuvres qui
soulagent le pauvre, forment l'instrument le mieux approprié
au rapprochement des diverses classes. L'affection, les services
rendus dans le secret et avec toutes les délicatesses de la cha-
rité, ne sont-ils pas le moyen le plus puissant pour gagner le
cœur et la confiance du peuple?
Les cercles d'ouvriers s'ouvrent à toutes les salutaires in-
fluences, aussi utiles à ceux qui diligent qu'à ceux qui sont,
dirigés. Ils forment un noyau d'ouvriers d'élite qui, convaincus
eux-mêmes de la vérité, éclairés sur leurs intérêts, veulent
faire aux autres le bien qu'on leur a fait, en devenant apôtres.
Ils font pénétrer dans les masses les idées d'association chré-
tienne, qui seules peuvent les soustraire aux périls et à l'im-
CONGRÈS DES CATHOLIQUES 641
puissance de l'isolement; en même temps ils mettent leurs
camarades en garde contre les meneurs intéressés qui les flattent
et les trompent pour les exploiter.
D'une manière plus générale, les comités catholiques étendent
leurs préoccupations à toutes les formes de l'activité nationale,
à l'enseignement à tous les degrés, aux œuvres économiques
qui répondent aux besoins actuels, tant à la ville qu'à la cam-
pagne.
Ils étudient dans leurs Congrès tout ce que la science dé-
couvre, tout ce que le cœur inspire, non seulement en France
mais à l'étranger, en faveur des populations, et s'efforcent de le
mettre à portée de ceux qui y sont directement intéressés.
Une foule d'œuvres de toute espèce, remédiant à une souf-
france spéciale par un dévouement spécial, naissent chaque jour
et apportent à la société d'innombrables consolations.
A côté des œuvres antichrétiennes, à côté des œuvres inspi-
rées par la religion, il y a une multitude de syndicats, de ban-
ques populaires, d'œuvres de crédits, de mutualité, également
à l'usage des bons et des mauvais. Il dépend de nous de les em-
ployer au service de Dieu.
Nous sommes en arriére sur plusieurs points, nous avons des
progrés à imiter.
N'oublions pas les admirables services rendus par le clergé
aux catholiques allemands ; profitons de tout ce qui se fait
ailleurs.
Je voudrais signaler, en passant, le rôle social que le tiers-
ordre Franciscain peut être appelé à jouer.
Au xiii' siècle, saint François d'Assise ne se borna pas, en
fondant le tiers-ordre, à établir une Association de prières; il
voulut une véritable milice qui eût la plus heureuse et la plus
grande influence sur la société contemporaine.
Les rois, les reines, les plus illustres personnages, se firent
un honneur de lui appartenir.
Il s'agissait alors de combattre le luxe, l'esprit de mollesse et
de jouissance, l'oppression des faibles, la désorganisation de la
famille, la guerre au Christ. N'avons-nous pas aujourd'hui les
mêmes ennemis, et le Tiers-Ordre n'aurait-il pas des remèdes
efficaces pour les maux dont nous soufi'rons?
C'est ce que voudra bien nous dire le R. P. Pascal au nom
du Congrès des proviiiciaux rècollets, réunis il v a peu de mois
au Val-des-Bois, sous la présidence d'un délégué de Léon XIII.
642 ANNALES CATHOLIQUES
Que de ressources offre à l'heure qu'il est l'Eglise, toujours à
la hauteur de sa divine mission!
Il y a eu cette année encore des preuves éclatantes de sa
puissance.
Je n'en citerai que deux: le Jubilé épiscopal de Léon XIIl,
le Congrès eucharistique de Jérusalem.
Le Jubilé sacerdotal avait déjà provoqué un admirable élan.
Le nouvel anniversaire a encore surpassé les merveilles du
•premier.
De toutes les régions, de toutes les nations sont arrivés au
Vatican les hommages les plus inattendus. Les pèlerinages se
sont succédé sans interruption. Toute l'Europe a été officielle-
ment représentée, sauf l'Italie; 60,000 pèlerins de toute race
ont reçu la bénédiction du Souverain-Pontife à Saint-Pierre dans
une même cérémonie.
Le Sultan lui-même s'est exprimé en ces termes: « J'envoie
mes hommages à la plus haute puissance morale qui soit au
monde. »
Des témoignages innombrables seraient à citer.
Les journaux en étaient remplis, et votre cœur, en les lisant,
s'est réjoui des honneurs l'endus par les païens eux-mêmes au
représentant de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Au milieu de toutes ses préoccupations, Léon XIII pense à
la France, qu'il aime d'un amour de prédilection.
De la position élevée qui lui permet de dominer et déjuger
les événements, le Pape voit la formidable armée qui menace
l'Eglise.
Elle ne peut être vaincue que par l'union, l'organisation,
l'énergie des honnêtes gens.
Se plaçant bien au-dessus des partis politiques essentielle-
ment divisés; regardant en face le parti inspiré par la Franc-
Maçonnerie qui a l'incroyable prétention de représenter à lui
seul la Fjance et de lui imposer, au nom de la liberté, ses lois
et ses doctrines contraires à la conscience de l'immense majorité,
le Pape conseille l'union sur le terrain religieux, le seul où les
«juestioMs sociales trouvent leur lumière et leur solution.
Il trace d'une main sûre les principes, suivant les règles de
la Théologie, en conformité avec le bon sens, avec la nature de
j'homrae. Il laisse, pour les détails, au temps, à l'expérience, à
la science, le soin de déterminer les applications particulières.
Tout le monde parle de l'Encyclique sur la condition des
C0NGRK8 DES CATHOLIQUES 643
ouvriers, bien souvent sans même l'avoir lue; on la travestit,
on lui fait dire ce qu'elle ne dit pas; de là, les accusations les
plus contradictoires; de là des programmes vag-ues, mal définis,
même dangereux, malgré les meilleures intentions.
C'est le, plus grand service que puisse rendre le clergé aux
fidèles de mettre l'Encyclique à leur portée par des commen-
taires clairs et précis.
. C'est ce besoin que cherche à satisfaire l'université populaire
créée récemment en Allemagne; c'est une nécessité reconnue
partout.
Qu'on nous permette une observation. Il est imprudent de se
lancer, sans préparation suffisante, dans les questions les plus
controversées dont la solution pratique est variable suivant les
temps, les lieux, les circonstances.
Ce qu'il faut avant tout, c'est de faire comprendre et préva-
loir les préceptes de l'Evangile. La famille,le travail, l'économie,
l'abnégation, le sacrifice, sont les moyens indiqués par le Créa-
teur lui-même; s'il les suit, l'ouvrier est amené sans secousse
à ètie content de sa position, et parfois, s'il en fait l'habitude de
la règle de sa conduite, à en sortir pour être patron à son tour,
comme le sont devenus, sans prendre la place de personne, tant
d'ouvriers qui ont commencé comme lui.
C'est le seul moyen de combattre efficacement le socialisme
qui, sans aller jusqu'à dire brutalement avec Proudhon: « La pro-
priété, c'est le vol », fausse ce principe vrai que l'argent doit
appartenir à celui qui le gagne; il prétend, en efi'et, attribuer à
l'ouvrier ce que d'autres avaient gagné avant lui et dont, par
conséquent, ils étaient devenus légitimes propriétaires.
Rêve malsain, contraire aux instincts les meilleurs, les plus
profonds de la nature humaine.
Rêve qui détruit toute initiative, toute émulation, qui n'a
jamais fait et ne fera jamais que par surprise des sociétés sans
durée, obligées de revenir, après d'épouvantables catastrophes,
aux bases essentielles sans lesquelles rien ne saurait être stable.
La troupe la plus nombreuse ne peut vaincre sans cohésion,
sans discipline, sans direction.
C'est en tenant compte de ces conditions, dans un but nette-
ment catholique, qu'on a réussi, en Belgique, à former des
groupes antisoci»listes de plus de 60,000 membres.
En Allemagne, sous la direction du clergé, plus de 100,000 ca-
tholiques ont échappé à l'oppression des Juifs. — Nous n'avons
■644 ANNALES CATHOLIQUES
guère que des tirailleurs isolés; or, quand ils seraient des héros,
quand ils seraient légion, ils sont réduits à l'impuissance, le
■coup parti, lorsque le bruit et la fumée ont cessé.
L'abus dénoncé est vite oublié. Les coupables dédaignent la
résistance la plus fonriée, car on sait qu'elle n'aura qu'un écho
passager.
La Fille aînée de l'Eglise trouvera des ressources à nulle
autre pareilles, le jour où les catholiques, groupés et dirigés,
Auront compris leur force et seront décidés à s'en servir.
Grâces à Dieu, on fait de divers côtés les efforts les plus
louables.
Nous devons le témoignage de notre sympathie et de notre
admiration avant tout aux patrons chrétiens du Nord qui n'ont
reculé devant aucun sacrifice, qui ont donné et continuent à
donner de plus en plus des exemples qu'on ne saurait trop
imiter.
Heureusement, ils ne sont pas seuls. Partout on cherche, on
<itudie; dans des questions si neuves, si délicates, personne n'a
la prétention, je suppose, de posséder à lui seul la lumière et
la vérité.
Il est dans le rôle du Congrès d'étendre et d'élever les ques-
tions sans parti pris, sans polémique irritante, sans systénio
exclusif; nous désirons que tout ce qui tend à rétablir l'iiar-
monie, à fonder la paix parmi tous les éléments qui composent
le monde du travail, que les faits appuyés sur de sérieux résul-
tats, puissent être portés à votre connaissance.
Un simple exposé, qui permet à chacun de choisir dans la
gerbe les épis qui lui conviennent, ne peut choquer personne et
sera profitable à tout le monde.
La France e?t le i)ays des contrastes. Quand on voit des
grèves provoquées i)ar d'inavouables manœuvres soulever des
populations entières, les soumettre à la plus implacable des
tyrannies, en précipitant les ouvriers dans la misère, les Com-
pagnies dans la ruine, et cela au préjudice du travail national,
ou s'attriste patriotiquement. Si quelque chose peut consoler,
■c'est l'échec qui déconsidère les meneurs. Puisse une si dure
leçon profiter à leurs victimes! Et n'est-ce pas maintenant à
nous, catholiques, de travailler à guérir ces cœurs ulcérés, et à
hâter par notre action et notre langage la paix sociale qui est
•dans les vœux de tous?
■ Puisse ce peuple, si facilement égaré, revenir à ses généreux
instincts et se ressaisir! N'a-t-il pas déjà commencé?
CONGUÈS DES CATHOLIQUES 645
Quel cri populaire et patriotique A vient de faire entendre
spontanément! S'il ne condanone pas assez sévèrement les intri-
gants qui l'exploitent, il réserve des hommages enthousiastes
et recueillis pour les héros chrétiens, sans peur et sans reproche,
pour les Mac-Mahon, les Miribel. Ceux-ià, du moins, se sont
consacrés sans réserve à leur pays.
Ils ont traversé leur pouvoir en diminuant, au lieu de l'auj;-
menter, leur fortune.
Un mot seulement pour le Congrès de Jérusalem, si merveil-
leusement conduit, si plein d'espérances. Il a été fixé par le
Saint-Père au moment voulu.
Déjà De Maislre disait :
« L'Orient se maintient par l'ignorance et le respect des
traditions.
« Le jour oii il ira chercher la science à ses sources plus ou
moins empoisonnées, on bien il reviendra à l'unité, ou bien il
se [leirira dans l'irapiété. »
A l'heure actuelle, de grandes tendances se manifestent en
faveur de l'union par le retour à llCgiise catholique, mais en
même temps une propagande protestante très active mine les
croyances, et .prépare le rationalisme dans des proportions
inquiétantes.
Je voulais seulenaent attirer votre attention sur celte situa-
tion au moment oii, en Europe, des défections menacent ou se
produisent. Dieu semble préparer des consolations à l'Eglise,
«n comblant les vides par la rentrée au bercail des nations qui
conservent encore les coutumes et la liturgie de la primitive
l'église. Le Congrès de Jérusalem aura des échos dans nos
assemblées.
La question sociale sera facilement résolue si, fidèles aux
ois de l'b^vangile, les patrons et les ouvriers se donnent rendez-
vous dans le Cœur de Jésus qui les a tous également sauvés, de
Jésus qui a résumé tous ses préceptes en un seul : Aimer ses
frères.
La réalisation dépend de tous et de chacun.
« Nous souffrirons beaucoup, nous souffrirons longtemps peut-
être, disait naguère Mgr d'Hulst; mais nous en sortirons plus
forts. » Ajoutons avec Garcia Moreno : « Dieu ne meurt pas ! » ;
avec saintBenoît : « Ora et labora; » avec saint Michel, le vain-
queur de Satan, le patron de la France : « Quis ut Deus? »
646 ANNAI-ES CATHOI^IQUES
NOTRE-DAME DE LOURDES
(Voir le numéro précédent)
II
La première impression que l'on éprouve, en entrant dans
Tine église, c'est celle du respect, et le premier mouvement que
l'on fait, c'est de porter la main à son chapeau pour se décou-
vrir. Cette impression, on la ressent, et ce mouvement devient
instinctif dès qu'on approche de la grotte. Tout le monde se
découvre, même les indifférents; on sent qu'on est en face d'un
sanctuaire privilégié. On raconte que Newton ôtait son cha-
peau quand, sur une colline, il apercevait un moulin à vent; il
saluait dans ce moulin l'œuvre du génie humain, Franc-Floris,
visitant un jour l'atelier d'Aertgen, peintre comme lui, se
découvrit aussi en y entrant, par respect pour le talent de
l'artiste auquel il était venu rendre hommage. Les pèlerins!
font comme eux; n'ont-ils pas en présence un chef-d'œuvre «lu
génie divin, un des grands ateliers contemporains de J'arti>te
céleste qui étonne le mon(ie par ses miracles?
Il en est (jui seraient même tentés de faire davantage et qui,
volontiers, ôteraient leurs chaussures pour marcher sur le sol.
N'y a-t-il pas là, en quelque sorte, un buisson ardent qui brûle
toujours et ne se consume jamais? — Quare non comburatur
ruhus. C'est le grand candélabre, qui ne suffit jamais à
porter les cierges allumés que de pieuses mains lui confient. 11
brûle nuit et jour, sans discontinuer, et, quand on le considère,
la vision de Moïse revient à la pensée. D'ailleurs, la terre que
l'on foule est sainte : i&rra sancta est. N'a-t-elle pas été bénie
et consacrée par la Vierge Immaculée?
Approchons-nous donc avec des sentiments de respect et
écoutons les échos de la grotte. M"* de Staël dit quelque part,
dans son livre sur l'Allemagne, que « souvent, au milieu des
superbes jardins des princes allemands, l'on place des harpes
êoliennes près des grottes entourées de fleurs, afin que le vent
transporte dans les airs des sons etdes parfums tout ensemble ».
S'il est un lieu en France où je voudrais placer une harpe
èolienne en face d'une grotte, c'est bien Lourdes. Le vent qui
passerait sur ses cordes pour les faire chanter nous apporterait
tout ensemble des harmonies et des parfum?, et le site, qu'elle
poétisorait ainsi, ne serait que plus attachant encore.
UNE VISITE A LOURDES 647
Il l'est déjà beaucoup; c'est l'aveu de tous ceux qui le
connaissent. Lorsqu'on eu a subi une fois le charme, on veut le
goijter encore. Les effluves qui s'en échappent ont un je ne
sais quoi de naagnétique qui captive l'imagination la moins
éveillée. Le rocher de Mas.sabielle est un sublime magnétiseur.
Aussi, je comprends qu'on s'oubliu à son ombre; je comprends
aussi qu'à cette même ombre on puisse oublier les all'aires,
la politique, la vie.
On voit là des hommes qui, dans leur sphère ordinaire, ne
passeraient pas un jour sans lire leur journal pour savoir les
oscillations de la Bourse, les nouvelles de la Chambre, les dis-
cussions du Sénat, les craintes du lendemain, les gloires de nos
troupes, les scandales de nos villes, et qui, cependant, passent
des mois entiers à Lourdes sans se demander ce qui se passe
dans leur arrondissenent, à Paris, au Dahomey ou au Siam.
Ils sont là, non au bout du monde, — le sifflet des locomotives
qui passent au delà du Gave suffit pour leur enlever cette illu-
sion,— [mais ils .«-ont en quelque sorte au-dessus et en dehors du
monde, et voilà pourquoi les bruits du monde ne leur arrivent
pas.
La grotte est connue de tout l'univers catholique : la photo-
graphie, la gravure, la peinture et la chromo-lithographie l'ont
popularisée partout.
Aussi est-elle bientôt reconnue, même par les petits enfants.
Inutile de la décrire avec ses ex-voto, ses arbustes, ses fleurs,
son églantier, sa statue, sa grille, sa chaire... Disons seulement
que les pèlerins sont ordinairemeet avides d'emporter des
feuilles et des fleurs des plantes qui croissent sur le rocher béni.
C'est pour eux une bonne fortune quand, grâce à une protec-
tion particulière, ils ptiuvent obtenir, ne serait-ce qu'une herbe
modeste, pourvu qu'elle ait poussé à l'un des endroits que la
Vierge a touchés. Les plus heureux arrivent à conquérir, à
force de diplomatie, une branche de lierre ou de rosier qui,
bientôt, grâce aux soins dont elle est entourée, sera plantée et
cultivée bien loin, sous un ciel étranger.
Parmi les ex-voto qu'on admire, appendus aux parois delà
roche : coeurs, tableaux, couronnes, c'est la béquille qui
domine. Elle est là, représentée par un grand nombre de types,
comme pour accuser la variété des miracles qui s'opèrent sous
les yeux de Marie. En È;:ypte, le Tau grec servait de scei)tre à
certaines divinités; à Lourdes, la béquille, qui afl'ecte souvent
648 ANNALES CATHOLIQUES
la forme du Tau, apparaît comme le sceptre de Tinfirraité
guérie. On ne saurait dire le nombre d'infirmes qui, depuis
trente ans, venus à Lourdes avec ce bâton tutélaire, sont
répartis sans lui, et, si quelqu'un écrivait l'histoire de chaque
béquille laissée à la grotte, il ferait, à coup sûr, un ouvrage de
longue haleine.
La statue en marbre blanc qui attire les jeux, surtout les
yeux suppliants, donne à la grotte une physionomie pour ainsi
diie vivante.
La grille, qui, trop souvent, arrête les pèlerins, est, à cer-
tains jours, l'objet d'indignations vivement senties et d'ana-
thémes amèrement exprimés. Il faut parfois, dans des vues
d'ordre, la tenir fermée, et de là des plaintes parmi les fidèles
qui désirent entrer dans le sanctuaire rocailleux, baiser la
roclie bénie et prier le plus prés possible de l'endroit frôlé par
la robe de la Vierge Immaculée : Ubi steterunt pedes ejus.
Hàtons-nous de dire (juela fermeture n'a lieu qu'au moment
des immenses concours, qu'en temps ordinaire, on peut toujours
pénétrer dans la sainte caverne, et que, même dans les jours
d'affluence extraordinaire, chai|ue pèlerin a la consolation d'y
entrer au moins une fois.
Il y a, à ce sujet, des règlerijents formels, et on comprend
qu'il y en ait; partout oti les troupeaux humains se retrouvent
en rangs pressés, il faut qu'une discipline sévère préside à
leurs évolutions. Il y a des ordonnances encore plus l'igides à
propos de l'autel qui occupe le milieu de la grotte; les prêtres
n'y peuvent monter indistinctement pour le saint sacrifice.
La messe n'y est célébrée qu'à l'occasion des pèlerinages, et
la faveur de V\ dire n'est accordée qu'aux directeurs qui les
conduisent ou aux évêques qui les président.
Or, quand cette faveur est accordée, que la messe soit basse
ou chantée, le spectacle qui se déroule aux abords de Massa-
bielle est vraiment imposant et grandiose. Il rappelle un peu
celui de la messe au camp.
Le piètre est sous la tente, c'est-à-dire sous la voûte brunie
de la roche. La foule agenouillée et recueillie suit les prières,
et le divin sacrifice s'accomplit dans un silence parfait qui n'est
interrompu que par des cantiques populaires. Quelquefois c'est
un Gloria ou un Credo, chanté à l'unisson par les hommes,
qui s'élève triomphalement vers le ciel ; d'autres fois, quand la
cérémonie est couronnée par un salut, c'est un 0 Salutaris ou
UNE VISITE A LOURDES 649
un Tanlmn gr^/o. et toujours c'est plaisir d'entendre ces mâles
harmonies réveiller les échos de la vieille caverne.
La chaire que j'ai mentionnée est simple et modeste, et cepen-
dant il y a peu de chaires chrétiennes aussi célchres qu'elle.
Si l'on écrivait sa monographie, en faisant succinctement l'his-
toire des prédicateurs qui l'ont occupée tour à tour pour porter
la parole sainte devant la grotte, nous aurions, à coup sur, une
étude intéressante à lire. Ce serait comme une mosaïque de
têtes juvéniles ou blanchies, épiscopales ou sacerdotales qui
passeraient sous nos yeux.
Il en serait de même si l'on reproduisait les principaux dis-
cours qui ont été prononcés depuis trente ans du haut de cette
chaire ; nous aurions là, en l'honneur de Marie Immaculée, une
anthologie oratoire qui, par sa variété, plairait aux amis de
Notre-D^me de Lourdes.
En face de la chaire, je signale, pour l'acquit de ma con-
science, la petite fontaine qui reçoit la première eau de la
source miraculeuse, mais qui, d'ordinaire, ne la donne pas, à
cause de l'encombrement qui serait produit par ceux qui vien-
draient la prendre. Elle est, du reste, avantageusement rem-
placée par la grande fontaine dont j'ai parlé plus haut et qui
suffit à la soif des pèlerins altérés et aux expéditions d'eau qui
se font, chaque jour, dans toutes les directions.
Faut-il mentionner le petit mngasin qui est bâti dans l'an-
fraetuosité du rocher, entre les deux fontaines? C'est là que les
pèlerins trouvent les cierges qu'ils font brûler devant la Vierge
et quelques images du sanctuaire. La vente se f;:it au pr.^tit de
la basilique. Quant aux mille autres objets qui tentent l'aclie-
teur comme souvenirs de [èlerinige, c'est dans !es i: n m-
brables magasins de la ville qu'il faut îe^ chercher. Mais une
question se pose ici : que faut-il penser du ruercamili-me qui,
dès leur arrivée, assiège les foules et travaille à lés séduire par
toute espèce d'appâts? Est-il vrai qu'il dépoétise le pèlerinage
et qu'il gâte les impressions heureuses qu'on y trouve?
Question délicate ! je ne veux pas la résoudre. L'humanité
étant ce qu'elle est, il est bien difficile de ne pas admettre que,
dans un lieu béni de Dieu, les habitants ne bénéficient pas du
privilège dont ils ont été gratifiés en naissant dans ce lieu. Les
sanctuaires chrétiens sont toujours la fortune des populations
qui les entourent. Une des raisons pour lesquelles les Romains
seraient désespérés du départ du Souverain Pontife, s'il venait
47
650 ANNALES CATHOLIQUES
un jour à déserter la Ville Eternelle, c'est que le Pape est pour
eux, même à l'époque où nous sommes, la grande attraction
de Rome, l'attraction qui amène quand même des voyageurs et
des pèlerins : ceux-ci sont une proie, et, s'ils ne venaient plus,
la misère, déjà grande, le serait encore davantage. Le Saint-
Père a été, est encore, sera toujours la vie de Rome, comme il
est la tête de l'Eglise catholique et le cœur de l'univers chrétien.
Mais revenons à notre voyage. Nous avons maintenant devant
nous la gracieuse allée qui longe le Gave. Elle sert tour à tour,
suivant les circonstances, de promenade, de salon et de salle à
manger. Cette troisième destination n'est pas la moins curieuse
à observer au point de vue des mœuis et du pittoresque. Les
pèlerins qui viennent de l'étranger ou de nos provinces éloi-
gnées, de l'Alsace, de la Bretagne, de la Normandie, vont cher-
cher en ville leur abri et leurs repas ; mais ceux qui viennent
des environs ou des départements voisins, du Béarn, delà Gas-
cogne, de l'Ariège, surtout s'ils n'arrivent que pour un jour,
out l'habitude de porter avec eux leur nourriture; dans ce cas,
ils ne vont pas se réconforter dans les hôtels. Ils n'ont qu'à
ouvrir leurs paniers, et sous leurs yeux s'étalent aussitôt les
provisions de leur journée. Il faut seulement découvrir un site
propice,
« Où de dîner en paix on ait la liberté.
Le site est tout trouvé : il semble que la Providence ait eu le
soin de le préparer à l'avance. L'allée offre tous les avantages
désirables pour une salle à manger : des bancs de pierre ou de
bois pour s'asseoir et pour mettre la nappe; un gazon vert,
si l'on préfère la nappe du bon Dieu ; le Gave qui fait de la mu-
sique quand on dîne et une perspective agrémentée de trains
qui passent et de monuments qui ne bougent pas. Ces monu-
ments sont les trois maisons religieuses qui couronnent la col-
line voisiue : le couvent des Bénédictines, le monastère des
Carmélites et l'orphelinat des Soeurs de Nevers, asiles d'éduca-
tion, de prière et de charité dont les pieuses habitantes sont
heureuses de vivre sous le ciel de Lourdes et en face de la grotte
enchanteresse.
L'appétit, ce moniteur que la Providence a placé en nous
pour nous avertir de l'heure oii nous devons réparer nos forces,
remplit partout son rôle; mais il est des lieux où il me semble
qu'il le remplit plus agréablement.
Alors, selon l'expression pittoresque d'un célèbre gastro-
UNE VISITE A LOURDES 651
nome (1), toutes les puissances digestives sont sous les armes,
•comme les soldats qui n'attendent que le commandement pour
agir. L'allée dans laquelle nous sommes est un de ces endroits
privilégiés. Un vient de loin... on a respiré l'air de la montagne...
on a sous les yeux une belle nature; on se sent disposé, quand
l'heure est venue et que le moniteur a parlé, à faire honneur
aux provisions apportées... On s'assied au pied d'un arbre,
on demande aux prêtres qui passent de bénir la salle improvisée...
on rompt ensemble, comme dans les agapes patriarcales des
premiers siècles, le pain de l'amitié... on boit au besoin dans la
même coupe... on se communique, dans l'expansion d'une joie
sainte, les impressions du pèlerinage, on est heureux plus qu'on
ne saurait le dire...
On voit sur les physionomies une irradiation de sérénité
joA^euse qui ne peut se dépeindre. Comment en serait-il autre-
ment? L'àme est contente, la conscience est pacifiée; on cause
en famille, ou avec des amis, sous un ciel nouveau, après un
voyage intéressant et des cérémonies pompeuses; on a sous
les yeux des horizons embellis tout à la fois par la nature et par
la grâce; on ne peut que bénir la Providence; on éprouve des
sentiments d'ivresse intime qu'on n'a pas connus ailleurs et qui
peut-êre ne reviendront plus.
11 faut songer, en effet, pour expliquer ce bonheur, que dans
la classe de ceux qui l'éprouvent : villageois et villageoises,
artisans et ouvrières, arrivés des régions plus ou moins recu-
lées, beaucoup n'ont pu le réaliser qu'en s'imposant de lourds
sacrifices. Que de pèlerinages à Notre-Dame de Lourdes sont le
fruit d'économies successives, faites sou par sou et jour par-
jour dans la tirelire du malheureux ! Que de pauvres femmes,
que d'humbles jeunes filles n'ont pu se donner le plaisir d'un
voyage au sanctuaire qu'après de longues années d'espérance et
des retranchements multiples opérés sur leur modeste salaire!
Aussi, quelle joie pour leurs yeux et pour leur âme quand elles
peuvent contempler la Vierge du rosier et tremper leur pain
dans l'eau de la source miraculeuse! Jamais de la vie ce pain ne
leur a paru si bon! Elles emportent, quand elles s'en vont, des
souvenirs émus dont elles parleront longtemps dans leurs veil-
lées et qu'elles voudront garder jusqu'à la tombe!
Il est facile de voir, d'après les pages qui précèdent, qu'un
(1) Brillât-Savarin.
652
ANNALICS CATHOI.lyUES
voyage autour de la grotte, entrepris même en dehors de toat
sentiment religieux, offre un intérêt constant et un charme sou-
tenu. Faut-il s'étonner que, parnai les habitants de Lourdes, il
s'en trouve qui le fassent plusieurs fois par semaine, et que,
parmi les pèlerins, il 3' en ait qui le fassent plusieurs fois par
jour? Aussi je me plais à le recommander à quiconque cherche
de douces émotions après un pénible labeur, un fatigant voyage,
un terrible malheur. N'aurait-il, du reste, que l'avantage de
reposer l'esprit des spectacles attristants que l'on rencontre
dans nos villes, il serait désirable. A certains jours, ce que l'on
voit dans nos cités populeuses, même en plein soleil, est telle-
ment révoltant qu'on sent le besoin de baigner ses yeux dans
une lumière pure.
Les audaces, les folies^ les nudités qui frappent partout les
yeux, sont tellement brutales qu'on prendrait parfois pour un
étal de chair à vendre la vitrine des libraires et les kiosques
des marchands de journaux. La vue, offensée par ces immondices,
réclame d'autres tableaux. L'âme soulevée veut des émotions
salutaires. Il faut un sursum corda pour oublier les vilenies
aperçui'S.
Oii le Trouver?
Dans un voyage autour de la grotte.
Henry Calhiat.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie
Yoici le discours de S. S. Léon XIII aux délégations des
sociétés catholiques de Rome, reçues au nombre de 15.000 per-
sonnes dans la basilique vaticane le 17 décembre 1893 :
« Très chers fils,
« S'il y avait encore quelque chose à désirer, comme digne
compléiuent de Nos fêtes jubilaires, c'était précisément
l'hommaye public de dévouement qu'en ce jour et d'une
parfaite concorde, prés de la Confession du Prince des
Apôtres, vous Nous offrez par les Associations si bien
méritantes réunies dans le commun dessein de donner appui
et impulsion au bien moral et religieux de votre Rome. Ce
NOUVELLES RELIGIEUSES 653
libre tribut de piété filiale vous lionore vous-mêmes et pro-
cure à Notre cœur une bien ciiére consolation. Béni soit le
Seigneur, qui, vous soutenant par sa grâce au milieu d'une
si grande perversité d'exemples et de tentations si persis-
tantes, vous rend dignes de vous maintenir fermes dans la
franche profession de sa très sainte foi. qui est la vraie
lumière, la force féconde, l'unique salut, et qui, dès les
débuts du christianisme, mérita d'être solennellement louée
dans vos ancêtres, par l'Apôtre des nations.
« Elevée au primat du monde depuis le jour où elle devint
le siège du primat pontifical, Rome, il est bien juste de le
dire, doit être signalée pour les manifestations de son atta-
chement à saint Pierre, qui vit et gouverne en ?sotre Per-
sonne. A Pierre, en effet, et à ses successeurs, elle est
redevable d'avoir surgi de ses ruines pour recevoir une vie
nouvelle, qui l'emporte sur son ancienne vie autant que
l'éternité l'emporte sur le temps et l'esprit sur la matière.
De métropole qu'elle était de l'empire romain, elle fut appelée
à devenir la reine du monde entier, partout où il y a une
âme qui croit et espère dans le Clirist rédempteur. Elle étaiti
le siège d'un royaume qui n'aura jamais de fin; ce qui lui
vaut un titre de gloire unique au monde, le titre de Ville
éternelle.
« Ce n'est pas la Rome des Scipions, ni la Rome des Cé-
sars, mais la Rome du Christ, qui a fait resplendir au
milieu des nations, d'un pôle à l'autre, l'astre de la vraie
civilisation, en réformant les lois et les mœurs, en portant
les peuples et les classes sociales à fraterniser, en perfec-
tionnant l'homme comme individu et comme faisant partie
de la société. La Rome des Quirites, forte de ses légions,
traînait dans les chaînes, au milieu de ces murs, les peuples
et les rois subjugués.
« La Rome de Pierre a attiré par la douceur, grâce à la
splendeur du vrai et aux doux attraits de la charité. La pre-
mière, bien que riche en sens politique et juridique, accueillit
beaucoup d'erreurs et de vices. La seconde, maîtresse indé-
fectible des saines croyances et des bonnes actions, res-
plendit et resplendira comme un phare céleste, jusqu'à la
654 ANNALES CATHOLIQUES
consommation des siècles, en dirigeant l'humanité dans sa
route vers le but final de la vie éternelle.
« Quant aux biens de l'ordre temporel et civil, vous savez
aussi, chers fils, que si l'Italie et l'Europe n'ont pas été-
irrémissiblement perdues au milieu des ténèbres et des mi-
sères sans nombre de la barbarie, c'a été l'œuvre et le mérite
de la Rome des Papes. Jusque dans les discordes intestines
et les factions belliqueuses, elle siéga en arbitre pour régler-
les difi'érends entre peuples et princes, comme aussi pour
faire valoir sa puissance morale au soulagement des oppri-
més, à la répression des prépotents. Et que ne fit-elle pas
aussi pour alléger les souffrances humaines, pour favoriser
le progrès des arts et des sciences ? Elle fut la première à
venir efficacement en aide à la misère, aux infirmités, à la
vieillesse, à l'abandon, à toutes sortes d'infortunes; elle fut
la seule qui, aux siècles d'ignorance, maintint allumé le-
flambeau du savoir, qui donna une impulsion efficace à la
Renaissance, qui fonda de célèbres Universités et un nombre
infini d'instituts d'éducation.
« Telle est, chers fils, dans les desseins du Ciel la mission'
de Rome : de là, sa vraie grandeur. Ce serait contrecarrer
follement les voies de la Providence que de prétendre re-
mettre en vigueur les gloii-es païennes de Rome et la dé-
corer de ce diadème brillant et immortel que le Verbe de
Dieu lui posa au front par la main de saint Pierre.
« Pour vous qui vous glorifiez à bon droit de ces véri-
tables grandeurs, soyez-en aussi les défenseurs vaillants.
Unis à Nous d'esprit et de cœur, entourez d'affection recon-
naissante le Siège romain, défendez-en fermement les
droits selon votre pouvoir ; conservez la foi vive et l'amour
ardent au divin Rédempteur Jésus-Christ qui a voulu placer
à Rome le siège de son royaume sur la terre. Que Dieu
daigne vous confirmer dans les bonnes œuvres entreprises
et couronner les eff'orts de votre zèle. Comme gage de cette
grâce et de tous les autres dons célestes. Nous vous accor-
dons du fond du cœur, à vous tous ici présents, à vos
familles, à Notre ville de Rome qui Nous est si chère, la
bénédiction apostolique. »
NOUVELLES RELIGIEUSES 655
Ffiince
CoNSTANTiNE. — Mardi, 5 décembre, Mgr Combe, archevêque
de Carthape et primat d'Afrique, a fait ses adieux à son cher
diocèse de Coustantine.
Un grand nombre de prêtres, ne redoutant ni les dépenses ni
les fatigues d'un long vojage (il y en a qui ont franchi plus de
.300 kilomètres], ont voulu saluer une dernière fois le Pasteur
bien-aimè sous la houlette duquel, depuis plus de douze ans,
nous étions si heureux de marcher. Ils ont voulu recevoir une
dernière bénédiction de celui que le grand pape Léon XIII a
donné comme successeur, dans la Tunisie, à l'illustre cardinal
Lavigerie, et qui doit être lui-même bientôt revêtu de la pourpre
romaine.
Avant la messe, le clergé, réuni à l'évêché, a offert à Mon-
seigneur une croix archiépiscopale en or, d'une finesse de tra-
vail et d'une richesse de décors qui ont fait l'admiration de tous
ceux qui ont pu la voir de prés.
C'est le souvenir du clergé de Constantine à son évêque
regretté.
M. le premier vicaire forain a lu une adresse dans laquelle il
SL traduit en un très beau langage les sentiments de tous. Mon-
seigneur a répondu en termes très émus, protestant de son
attachement au diocèse de Constantine où il aurait voulu rester ;
mais Rome ayant parlé, le moment' est venu de consommer le
sacrifice douloureux de la séparation, etc.
La procession s'est alors organisée, et croix archiépiscopale
en tête, on s'est rendu à la cathédrale. Monseigneur a célébré
une messe basse pendant laquelle la chorale de Sainte-Cécile a
fait entendre quelques-uns de ses délicieux morceaux.
L'église était comble.
A la fin de la messe. Sa Grandeur est montée en chaire, et au
milieu du recueillement le plus profond, a fait ses adieux au
diocèse de Constantine qu'il aimait. A certains moments, l'ora-
teur s'est élevé jusqu'à la plus haute éloquence, en particulier
quand il a parlé de son clergé et de sa chère basilique d'Hip-
pone, dont il avait béni la première pierre le jour de-son sacre,
et qu'il espérait bientôt consacrer.
« L'œuvre terminée, s'est-il écrié, il ne me restait plus qu'à
chanter le Nunc dimittis^ea marquant dans ta crypte, près des
reliques de l'immortel évêque d'Hippone, la place de mon repos
656 ANNALES CATHOLIQUES
jusqu'à la résurrection bienheureuse. La Providence en a décidé-
autrement : adieu, il faut te quitter.
« Te quitter ! mon âme se trouble, mes yeux s'inondent à&
larmes »
Monseigneur était visiblement très ému. On sentait que-
c'était le cœur qui parlait. Aussi, bien des larmes ont coulé^
témoignage vrai de la sympathie et de l'afiection que tous avaient
pour Mgr Combes, et du regret qu'éprouvaient tous de le voir
s'éloigner de l'antique Cirtha.
La cérémonie s'est terminée parla bénédiction du Très Saint-
Sacrement.
A midi, tous les prêtres, au nombre de plus de soixante, se-
sont de nouveau réunis à l'évêclié où Monseigneur, les aimant
jusqu'à la fin, les avait invités à sa table. Agapes fraternelles
d'oii la gaieté était bannie, car chacun songeait à la séparation
du lendemain.
Au dessert, M. l'aumônier du lycée a lu deux sonnets-acros-
tiches au nom de Mgr Combes Clément, l'un exprimant les dou-
leurs de Constantine et l'autre les joies de Carthage.
Et maintenant, l'Ange de l'Eglise de Constantine s'est envolé-
vers la nouvelle Carthage, où il va défendre, comme son illustre
prédécesseur, les intérêts de l'Eglise ot de la France.
Le champ est vaste : la mission est belle.
Comme le cardinal Lavigerie, auquel il était bien digne de
succéder, Mgr Combes portera haut et défendra ferme, dans la
régence tunisienne, l'étendard de la croix et le drapeau de la
France,
[Semaine de Rodez.) L'abbé Saint-Amans.
Lyon, — Mgr Coullié, archevêque de Lyon, vient d'adresser
aux leligieuses de son diocèse une lettre où il parle comme il
suit de la cause de béatification de Jeanne d'Arc :
Nous venons, nos chères filles, faire appel à votre amour pour la
sainte Eglise et pour la France, en donnant â vos prières une inten-
tion qui intéresse ces grandes causes. Dans quelques jours, le procès
de béatification de Jeanne d'Arc doit être introduit auprès de la
Sacrée Congrégation des Rites.
Vous savez avec quelle sagesse et quelle discrétion la sainte Eglise
traite la question de la canonisation de ses enfants. Si nous devons
respecter cette discrétion, il nous est permis de prier. Vos cœurs de
Françaises comprennent l'importance de la cause de Jeanne d'Arc
et entrevoient les bienfaits admirables et nombreux que notre chère
patrie peut recueillir de son succès. C'est l'union de toutes les âmes,.
NOUVELLES RELIGIEUSES 657
c'est le réveil d'un patriotisme chrétien élevé à la hauteur du sacri-
fice et du martyre. C'est uao nouvelle et pui-=saate protection donnée
à la France de Clotilde, de Charlemagne et de saint Louis.
Quolle joie pour notre France, le jour où Jeanne la Pucello d'Or-
léans ri'cevra de l'Egliso, par la voix de son bien-aimé Pontife, le
titre de vénérable! Ce sera l'aurore du grand jour où la gloire de la
bienheureuse et l'auréole de la sainte nous permettront de la regarder
comme la patronne de notre patrie, jour de miséricorde et d'espérance
que nous appelons de tous nos vœux.
Vannes. — Mgr l'évêtiue d e Vannes vient d'officier à Chartres,
où Sa Grandeur a donné l'habit religieux à 25 postulantes dans
le couvent des sœurs de Saint-Paul.
A cette occasion, Mgr Bêcel adresse à M. l'abbé Nicol, direc-
teur de la Semaine religieuse de Vannes, une éloquente lettre,
inspirée par les pensées qu'a fait naître en son àrae la contem-
plation du merveilleux monument qu'est Notre-Dame de Char-
tres. « Quel sujet de méditation et de rapprochement! » écrit Sa
Grandeur, qui ajoute: « Hélas! ces comparaisons ne sont pas
toutes à notre honneur et à notre avantage. Ces murs, bâtis il y
a tant de siècles, conservent la forte empreinte de la foi, de la
piété, du désintéressement de nos pères, de leur zèle pour la
maison de Dieu, de leur savoir, de leurs vertus.
« Pour bien des motifs, on ne travaille [dus avec le même
élan surnaturel et la même générosité quand il s'ai;it de la gloire
du Père céleste et de la sanctificatii)ii de sws enfants. >
Voici la conclusion de Mgr Bêcel. Elle contient une leçon qui
n'est pas seulement à l'adresse des populations de Bretagne, et
nous souhaitons vivement qu'elle porte partout ses fruits:
La mauvaise presse est devenue une puissance, qu'il faut combattre
énergiquement coûte que coûte, si l'on veut que la vérité triomphe
de l'erreur, et la justice de l'iniiiuité. Malheureusement, il ne manque
pas, même dans notre bon diocèse, de familles chiétiennes, de per-
sonnes dévotes qui, par un aveuglement inconcevable, une curiosité
malsaine, un goût dépravé, favorisent inconsciemment les écrivains
hostiles à la religion, à la famille, à la propriété ; elles deviennent
ainsi leurs complices, sans se faire scrupule de laisser en détresse
ceux qui soutiennent les saines doctrines et les bonnes cause?, sous
prétexte que leurs publications sont trop sérieuses et manquent de ce
je ne sais quoi qui cause des sensations vives, amuse et fait tuer le
temps.
Autrefois l'autel et le trône trouvaient des défenseurs intrépides,
prHs à tous les sacrifices. Aujourd'hui qu'd s'agit de prot-'^ger le
foyer domestique ébranlé jusque dans ses fondem:nts, on se dési<ité-
658 ANNALKS CATHOLIQUES
resse d'une guerre à outrance déclarée à Dieu lui-même. On proteste,
on gémit, mais on n'appuie ces récriminations et ces plaintes d'aucun
acte viril et désintéressé ; on se fait de vaines illusions ; on se laisse
aller à un sommeil que rien ne justifie. Le réveil pourrait bien être
terrible. Les victimes des nouvelles catastrophes qu'il est facile de
prévoir seront-elles toutes innocentes des attentats qu'il faut re-
douter? Combien d'entre elles devraient dire : Merito hœc pat/mur !
Résolus à ne point nous mêler inconsidérément aux querelles des
partis, mon cher abbé, parlons, écrivons, agissons, sans témérité et
sans faiblesse, dans la sphère où nous avons mission d'intervenir.
Dieu, quoi qu'il arrive, nous tiendra compte de la droiture de nos in-
tentions et de la constance de nos efforts.
LES CHAMBRES
Les quatre lois demandées contre les anarchistes par le gou-
vernement ont été votées par les deux Chambres à des majorités
énormes.
Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels !
Entre temps, on a terminé la discussion de l'interpellation
Basl}', et le ministère est sorti consolidé de la première ren-
contre qui s'est produite à la Chambre entre la majorité et la
gauche radico-socialiste.
La proposition Baslj a été repoussée dans ses deux parties :
la demande d'enquête sur les grèves du Nord et du Pas-de-
Calais, par 401 voix contre 131 ; et la demande d'enquête géné-
rale sur le travail des mines, par 366 voix contre 166.
Un incident n'a pas peu contribué à ce succès, c'est lorsque
M. Casimir Périer, pris à partie par M. Millerand, a déclaré
avoir résigné ses fonctions d'administrateur d'Anzin le jour où
il fut appelé à la présidence de la Chambre, et a demandé que
l'on fît au besoin une enquête sur sa situatiou personnelle.
Le président du conseil a été fort applaudi, et le succès du
gouvernement a été finalement complet.
La commission du travail, dont la nomination au sein de la
Chambre a été votée ensuite à l'unanimité, n'est pas un rouage
nouveau. Elle n'a pas le caractère d'une commission d'enquête
telle que la voulaient les socialistes, et elle fonctionnait déjà
dans l'ancienne Chambre. C'est à cette commission que sont
renvoyés les projets concernant la réglementation du travail,
les retraites^ les assurances, etc.
LES CHAMBRES 659
Le ministère Périer a, pour le moment, le vent en poupe.
L'attentat de Vaillant y a contribué pour une bonne part.
Nos députés, n'ayant plus aucune interpellation sur le tapis,
se sont retournés du côté de la vérification des pouvoirs de ceux
de leurs collègues qui ne sont pas encore validés. On a com-
mencé par l'élection de M. d'IIui^ues dans l'arrondissement de
Sisteron. Cette élection était attaquée par le concurrent malheu-
reux de M. d'Hugues, qui n'est autre que l'ancien député,
M. Mac-Adaras, qui n'a pu digérer encore sa défaite. Malgré
toutes les bonnes raisons qui militaient en faveur de M. d'Hu-
gues, qui a réduit à néant les objections de son adversaire, son
élection a été invalidée. M. d'Hugues avait contre lui un argu-
ment sans réplique : il est conservateur.
Après avoir commis un si bel exploit, la majorité a trouvé
que c'était assez d'une invalidation, et elle a repoussé la
demande d'enquête demandée par la commission chargée de
l'examen de l'élection de M. de La Rochejacquelein dans l'ar-
rondissement de Bressuire. M, de La Rochejacquelein a donc
été admis. Puis sont venues les élections de M. Cros-BonneL,
élu dans l'arrondissement de Saint-Pons, et de M. Flourens, élu
dans les Hautes-Alpes. Malgré les protestations soulevées contre
ces deux élections, la Chambre les a validées.
Après quoi on s'est séparé jusqu'au mois de janvier.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Le vote des lois de répression. — Une odieuse brochure. — Étranger.
21 décembre 1893.
Toutes les lois demandées par le ministère contre les anar-
chistes sont votées. Voilà donc le ministère Casimir Périer bien
armé, muni des textes de lois et des ressources qu'il déclarait
indispensables pour la défense de la société. Tout ce qui s'est
passé depuis l'attentat du 9 décembre lui a montré qu'il .«era
d'autant plus soutenu qu'il montrera plus de décision, d'énergie,
de vigueur, et, pour tout dire en un mot, de véritable esprit de
gouvernement. Nous espérons que le ministère ne se reposera
660 ANNALES CATHOLIQUES
pas sur ses lauriers, et qu'il répondra par des actes de bonne et
vigoureuse administration à la confiance que les Chambres lui
ont témoignée. Qu'il fasse sentir sa main. Qu'il oblige les admi-
nistrations départementales à se conformer à ses vues. Il ne
faudrait pas qu'un ministère qui combat l'anarchie laissât sub-
.sister cette sorte d'anarchie administrative qui a été un des
fléaux des gouvernements de concentration républicaine. La
route dans laquelle le gouvernement de M. Cusirair Périer doit
marcher et dans laquelle il doit faire marcher les représentants
du pouvoir central dans les départements, cette route est nette-
ment tracée par le sentiment de l'immense majorité du pays,
aussi bien que de la majorité du Parlement. L'orientation n'est
phis à gauche. Elle est à droite. Le comprendra-t-il? Nous
n'osons l'espérer.
Les hommes qui nous gouvernent ne sont-ils pas les dis-
ciples de ceux qui depuis un siècle se sont plu à détruire tout
ce qui fait le rempart des nations et des sociétés?
Dieu ! le Roi ! la Patrie !
De Philippe-Augusie à Louis XIV, de Bouvines à Denain, ce
sont les trois colonnes qui ont soutenu la France.
C'est la triple enceinte qui défendit pendant une longue suite
de siècles la société française contre les barbares du dedans et
les barbares du dehors.
Protégée par cette forteresse, la France était à l'abri des
invasions comme des révolutions.
Des hommes sont venus qui ont démantelé la forteresse.
Ils ont commencé par supprimer une des trois enceintes de la
forteresse en guillotinant le roi.
Ils en ont supprimé une autre eu biffant Dieu, comme disait
Raoul Rigault
Débarrassés de Dieu et du roi, nos républicains avaient le
charnp libre.
Et ils s'en sont donné à cœur joie.
Plus de Dieu! plus de roi! La République maçonnique avait
réalisé son idéal.
On avait abattu deux des remparts derrière lesquels on
s'abritait.
Qu'importe, puisqu'il en restait un troisième?
La bourgeoisie maçonnique et libre-penseuse, maîtresse du
pouvoir, s'appuyant sur le libéralisme vainqueur et triomphant,
a-t-elle besoin d'un Dieu et d'un roi?
CHRONIQUE DE LA SEMAINE G61
Ne lui suffit-il pas d'invoiiuer l'idée de la patrie pour faire
surgir du sol les légions qui doivent la protéger contre le péril
intérieur et le péril extérieur?
Pourquoi trois enceintes pour défendre la société quand on en
a une si formidable?
Mais voici que la troisième enceinte, la seule que les républi-
cains aient laissée debout, se trouve à sou tour exposée à de vio-
lentes attaques.
Les anarchistes contemporains, animés d'une rage de destruc-
tion analogue à celle à laquelle étaient en proie les jacobins de
l'/93, ne s'en prennent ni à Dieu ni à la Monarchie, car ils ne se
soucient pas de faire une besogne inutile. Ils attaquent l'idée de
patrie, parce que c'est la seule chose que le jacobinisme triom-
phant a laissée debout. Ils veulent démolir le seul rempart qui
défend encore la société.
Un journaliste qui, il y a deux mois, était employé au minis-
tère de l'intérieur (où recrute-t-on le personnel du ministère de
l'intérieur ? (et qui s'appelle Maurice Charnay, a publié une
brochure qui a pour titre : Le Catéchisme du Soldat. Dans ce
catéchisme, qui se compose de demandes et de réponses, nous
lisons :
D. — Qu'est-ce que la patrie ?
— C'est une idée fausse et un mensonge.
D. — Est-ce donc autre chose que la nation?
— La patrie n'est que le fantôme de la nation.
D. — Qu'est-ce que la nation?
— La nation est un grand pays, formé de la réunion de petits pays,
tantôt plus, tantôt moins, suivant le hasard dos guerres et des com-
binaisons politiques. Aucun de nous ne la connaît tout entière. Elle
est habitée par vingt peuples différents, qui ne sont ni de la même
race, ni de la même couleur ; qui n'ont pas le même costume, ne
parlent pas la même langue et ne peuvent pas se comprendre; qui
n'ont rien de commun, en dehors d'une haine féroce pour legendarme
qui les brutalise, et pour le percepteur qui les vole.
D. — Et la patrie?
— C'est un mot dont se servent les candidats à la députation et les
journalistes. Elle est représentée plus particulièrement par le percep-
teur et le gendarme, qu^on paye avec une partie de l'argent extorqué
aux ouvriers et aux cultivateurs. Le reste de cet argent s'en va dans
de grandes villes que nous ne verrons jamais, où des ministres, des
députéset des fonctionnaires font la noce pendant que nous travaillons,
La patrie, c'est le hideux impôt, c'est la loi qui commande, ce
maître impersonnel qui nous enlève peu à peu chacune de nos libertés;
662 ANNALES CATHOLIQUES
la patrie, c'est tout ce qui nous opprime, tout ce que nous devons
haïr.
D. — Qu'est-ce que l'armée ?
— L'armée est une classe à part dans la nation ; on reconnaît les
militaires à leur costume bizarre et ridicule.
L'armée se compose de tous les gens de vingt et un à vingt-quatre
ans, les plus grands, les plus forts, les plus vigoureux, les plus sains.
On prend ces jeunes gens de force; car, s'ils étaient libres, pas un
seul ne voudrait être soldat. On les éloigne de leur pays, on les sé-
pare de leur famille, de leurs amis ; on les oblige à laisser tous leur»
intérêts ; puis on les réunit dans des prisons nommées casernes, ow
ils vivent pendant trois ans, sous le même régime que les voleurs et
les assassins.
D. — Quelles sont les occupations des soldats à la caserne?
— La plus grande partie du temps est consacrée à l'astiquage. Les
chefs enseignent la manière de poser le cirage sur les cuirs, afin qu'au
bout de trois ans les soldats sachent bien cirer leurs bottes, et rien,
de plus. L'exercice dure moins que l'astiquage.
D. — Qu'entend-on par l'exercise?
— L'exercice consiste à remuer les bras et les jambes comme un
pantin, pendant des heures entières. Après l'exercice, on reprend
l'astiquage des cuirs ; puis on retourne à l'exercice, et ainsi de suite
pendant trois ans. C'est le service militaire.
Inutile de coniinuer. Ces citations suffisent pour montrer quel
est l'esprit de cette brochure abominable, qui se termine par
une question sensationnelle, véritable argument ad hominem :
Que ferais-tu, soldat, si ton chef te commandait de fusiller ton père?
C'est un appel direct à l'indiscipline, à la rébellion des soldats
contre leurs chefs, au mépris de l'armée, au mépris de la patrie.
Après de longues hésitations, le gouvernement a décidé de le
poursuivre.
Le gouvernement a raison. Il a raison de défendre la patrie,
de défendre l'armée, la seule des antiques assises de la société
qui reste encore à peu prés intacte. Mais n'est-il pas bien cou-
pable de ne pas vouloir reconnaître quel remède seul serait
efficace contre les abominables attentats que n'empêcheront pas
les lois les plus rigoureuses ?
Le ministère Crispi est, enfin, au complet: c'est la nomina-
tion du baron Blanc comme ministre des affaires étrangères qu[
a bouclé la combinaison. Ce personnage est un diplomate gallo-
phobe et d'une docilité passive. Du reste, M. Crispi est lui-
CHUONIQUE DE LA SEMAINE 663
même si foncièrement liostile à la France que la personnalité de
M. Blanc en est obscurcie. Quels que soient les mauvais senti-
rdents du ministre du roi Hnnibert, nous n'avons pour le mo-
ment rien à en redouter, et si la Rente italienne a baissé à Paris,
c'est uniquement parce que ceux qui soutiennent les cours pour
le crim[ite du fronvernement italien, ainsi qu'il appert des comptes
de la Banque romaine, n'avaient pas encore reçu le mot d'ordre.
Ce qu'il y a à craindre dans la nouvelle manière politique que
M, Crispi semble adopter, c'est moins le personnage en lui-même
que l'influence décevante des amis qu'il a en France parmi les
gens qui, ayant conspiré avec lui, voudraient nous faire croire
qu'ils ont travaillé ensemble pour la France. C'est donc contre
la tendance à faire briller la récipiscence de l'ami de MM. X.
Y. Z., qu'il faut surtout se prémunir. Ou l'Italie nous donnera
des gages tangibles, ou nous continuerons à laisser en sommeil
nos sympathies rétrospectives. Et nous ferons bien !
Il devient maintenant probable que le conflit de Melilla se
terminera paciflquement.
Il est certain que Mouley Araaf, le frère du Sultan, fait preuve
d'une condescendance et d'une bonne volonté à laquelle on était
loin de s'attendre de sa part.
Ainsi, dans la dernière conférence qu'il a eue avec le marécha^
Martiaez Campos, Mouley Araaf s'est porté garant que les Kaby-
les ne recomraenceraientpas les hostilités. Et pour donner immé-
diatement des gages, il a intimé l'ordre aux Kabyles de détruire
les retranchements qu'ils avaient établis sur le territoire espa-
gnol. La soir même les Kabyles ont obéi et comblé les tranchées
Quant aux conditions que le maréchal Martinez Campos a
manifesté l'intention d'imposer aux Kabyles pour la conclusion
de la paix, Mouley Araaf s'est déclaré incapable de les discuter,
n'ayant pas les pouvoirs nécessaires à cet efî'et. lia expliqué
qu'il allait demander des instructions à son frère, et que dès
qu'il aurait reçu la réponse, les négociations pourraient recom-
mencer.
On croit que le maréchal Martinez Campos, qui mène toute
cette affaire avec le plus grand tact, ne recommencera pas les
hostilités avant de connaître les véritables intentions du Sultan.
D'ailleurs, le gouvernement espagnol est d'avis qu'il vau-
drait mieux régler le conflit de Melilla par une action diplo-
matique.
664 ANNALES CATHOLIQUES
Ce n'est donc que si, contre toute probabilité, les négocia-
tions échouaient que l'on aurait recours aux armes.
II y a du nouveau au Brésil. Les insurgés viennent de rece-
voir un appoint considérable par la défection de l'amiral Sal-
danha, qui passe aux insurgés.
Il a notifié aux légations étrangères qu'il avait pris le corn-
mandement de l'escadre insurgée dans la baie de Rio; l'amiral
a adressé à la nation une proclamation ouvertement monar-
chique, mais dans laquelle il l'invite à choisir librement une
forme de gouvernement.
Le Herald publie une dépêche de Montevideo disant que les
communications télégraphiques avec Rio ont été interrompues
aujourd'hui même pour les dépêches officielles; on croit que
quelque chose de très important s'est produit dans la capitale
du Brésil.
M. Mendoza, ministre à Washington, reconnaît l'importance
de la défection de l'amiral ; cette défection donne aux insurgés
une puissance et un prestige qu'ils ne possédaient pas jusqu'ici ;.
il est probable que toute la marine suivra, car il exerce une
influence presque complète sur la plupart des officiers.
LES PRIX DE VERTU
(A^oir les Annales des 2 et 9 décembre 1893.)
Remarquez ici, Messieurs, ce caractère de persévérance dans
le bien, que vous exigez avec raison de vos lauréats. Les Espa-
gnols, qui se connaissent en bravoure, disent rarement : « Un tel
est brave », mais bien : « Un tel a été brave tel jour, en telle
circonstance ». Ils n'ont pas tort d'être si réservés. Les grandes
vertus, le courage comme la bienfaisance, ne valent que si elles
durent et si elles sont toujours prêtes. Combien peu sont bons
comme le Cid était brave, toujours ! Mais, vous pouvez dire de
l'humble femme dont je viens de vous parler qu'elle est bonne.
Son dévouement, qui n'a connu aucune lassitude, aucune défail-
lance, et qui lui coûte aujourd'hui la santé, a duré pendant
vingt-six ans.
Au moment où je dévoile devant vous, pour une minute, tant
de belles actions cachées, oii je résume en trois lignes tant
d'infatigable bonté et de patience héroïque, oii je consacre le-
LES PRIX DE VERTU 665
temps que dure uue phrase à toute une longue vie d'abnégation,
je ne me dissimule pas, Messieurs, combien, malgré sa sincé-
rité, est insuffisant l'éloge que je donne à ces gens de bien, et
je me demande aussi ce qu'ils on penseront. La plupart d'entre
eux seront, je le suppose, très surpris d'avoir été loués publi-
quement pour des actes qui leur semblent tout naturels; et,
comme ils ne savent pas, au moins pour la grande majorité, ce
que c'est que l'Académie française, ils s'en informeront. On leur
rôpondia ([ue c'est une réunion de lettrés, de savants, de
grands seigneurs, et leur modestie sera sans doute confuse que
de tels personnages aient daigné s'occuper d'eux.
Car ils sont tous ou presque tous dos ignorants. Par exemple,
Gasparde Bovagnet, à la Bridoire (Savoie), dont le père est
aveugle, la mère folle, dont les trois frères, devenus veufs, sont
rentrés à la maison paternelle avec leurs enfants au nombre de
dix, Gasparde Bovagnet, qui est la providence de tout ce petit
inonde, ne lit sans doute que ses prières ; Oljmpe Flageollet, à
Audruicq (Pas-de-Calais), dont le père, incorrigible ivrogne,
gaspillait son salaire, et qui a passé ses jours et; ses nuits à
rempailler des chaises au chevet de sa mère, gémissant sans
cesse d'une maladie intolérable, Olympe Flageollet pourrait
bien ne pas savoir signer son nom ; et Louis-Adolphe Chartier,
à Peocqueuse (Seine-et-Oise), pauvre homme d'équipe sur le
chemin de fer, qui, bien que chargé de famill«, a gafdé, élevé,
marié un nourrisson abandonné par les parents et qui, encore
aujourd'hui, en entretient un autre, Louis-Adolphe Chartier est
indifférent, je le crains, à nos discussions sur la réforme de
l'orthographe. Quand ils apprendront quelle célèbre et docte
compagnie a la mission de les récompenser solennellement, ils
trouveront, dans leur naïveté, que nous leur faisons beaucoup
d'honneur.
Ce qu'ils ne soupçonneront pas, c'est que votre rapporteur,
en ce moment même, se demande s'il est digne de les louer, et
que beaucoup d'entre vous, devant qui je retrace ces belles exis-
tences, éprouveraient, à ma place, le même scrupule. Car ces
simples d'esprit possèdent ce que nous n'avons pas, nous, ce
que ne peut donner l'art ni le savoir, c'est-à-dire la certitude
absolue d'avoir toujours été bienfaisants et utiles. Hélas! nous
vivons dans un temps de trouble et d'inquiétude oh les fruits de
l'arbre de la science sont parfois bien amers. Dans tous les
ordres d'idées, que d'illusions perdues ! que de rêves évanouis !
666 ANNALES CATHOLIQUES
Les doctrines pour lesquelles nous nous sommes passionnés, les
opinions que nous avons défendues avec tant d'ardeur, étaient-
elles vraiment bonnes et salutaires? Qui de nous se flatte d'avoir
atteint l'idéal de vérité ou de beauté toujours poursuivi !
Dans notre œuvre, que d'imperfections et que d'erreurs ! Tel
philosophe renie douloureusement ses croyances d'autrefois. Tel
écrivain rougit d'une page de sa jeunesse ; et cet homme d'Etat
se frappe en secret la poitrine et s'avoue avec désespoir qu'il a
mal servi son pays.
Quelle paix délicieuse, au contraire, chez ces pauvres gens
dont chaque journée et chaque heure de la journée furent tou-
jours consacrées à ce qui est incontestablement le devoir! Ils
sont sûrs d'avoir fait le bien. Et, en les admirant, nous en arri-
vons à les envier, ces pures consciences que n'assombrit jamais
l'ombre d'un regret, d'un mauvais souvenir. Nous les envions...
Oui, jusqu'à ces vieilles domesticiues, qui non seulement ont
fait abandon de leurs gages quand le malheur a frappé les
maîtres, mais qui les aident dans leur détresse en tirant l'ai-
guille ou en filant le rouet.
Qu'ils le sachent bien, tous ces êtres qui n'ont jamais vécu
que pour autrui, loin de nous croire leurs supérieurs, c'est
nous, les hommes d'étude et de pensée, qui sommes honorés
d'avoir à saluer leurs vertus, et qui le faisons avec mélancolie ,
car il nous enseignent que le cœur aie pas sur l'esprit, car nous
découvrons dans leur âme ce calme moral que ne nous ont pas
donné toutes les ressources de l'intelligence et qu'ils ont trouvé
dans le simple exercice d'un instinct.
J'ai prononcé le mot, mais gardez-vous bien de le prendre en
mauvaise part. Le propre de l'instinct, c'est d'abord de ne pas
raisonner et puis de ne se tromper jamais. Cette définition con-
vient parfaitement à la charité. Je viens de la dire, et j'y résiste.
Si l'on consulte la philaanthropie ordinaire, elle répond presque
toujours par un veto, tout au moins par beaucoup de restrictions,
à toute velléité charitable. Elle veut que le soulagement de la
misère individuelle soit subordonné à uu plan d'ensemble; elle
exige chez les vaincus de la vie tant de qualités, que, s'ils en
possédaient seulement une ou deux, comme la tempérance et
l'amour du travail, ils auraient remporté la victoire. On pour-
rait parodier ici la célèbre phrase de Figaro : « A toutes les
vertus qu'on exige d'un pauvre, combien peu de riches seraient
dignes de recevoir l'aumône! »
LES PRIX DE VERTU 667
La charité, au contraire, ne fait pas d'enquête préliminaire;
elle ne cherche pas les causes de la souflrance qu'elle rencontre.
Elle trouve un infirme, et elle l'adopte sans se demander si l'in-
conduite n'est pas la cause première de ses infirmités. Comme
ces ménagères pour qui le dé.sordre et la négligence sont des
ennemis personnels, et qui, devant un meuble déplacé ou un par-
quet terni, rangent et brossent avant de rechercher qui, dans la
maison, a péché contre la propreté, il y a des natures qui ne
peuvent voir la souffrance sans essayer de la soulager. Si vous
leur uemandez pourquoi, elles vous répondront simplement que
c'est plus fort qu'elles. Elles ont raison ; une force supérieure
les pousse, obscure et divine comme toutes les forces naturelles.
N'essayez pas de discuter avec ces natures-là, de les convaincre
qu'elles ont tort de céder ainsi à l'inconnaissable, de leur dire
que la raison doit tout dominer et tout expliquer. La raison est
courte et la foi sans limites, à se mesurer avec certains mystères,
l'esprit humain est toujours vaincu.
Grâce à la munificence de nos donateurs, nous sommes, comme
vous le savez, particulièrement riches en récompenses pour les
vertus de famille. De la lecture des dossiers qui s'y rapportent,
j'ai gardé l'impression la plus douce et la plus fortifiante. Quel-
qu'un à qui j'essayais de la faire partager, m'opposa quelque
résistance. Selon lui, le mérite était mince d'obéir à l'antique
commandement: « Tes père et mère honoreras », et l'esprit de
famille n'avait rien d'extraordinaire. Pourquoi ce témoignage
public de satisfaction à ceux qui n'avaient fait, en somme, que
leur devoir? Il me fut aisé de confondre cet homme si difficile
à contenter. Je n'ai eu qu'à lui laisser parcourir, entre autres,
les notices concernant les personnes à qui vous avez décerné les
vingt-sept médailles de 500 francs instituées par le testament
de Mlle Camille Favre. Il s'agit seulement ici de piété filiale, et
les pires détracteurs de l'humanité sont bien forcés de recon-
naître que cette vertu est, par bonheur, très commune et très
répandue. Mais vos lauréats. Messieurs, en ont donné des
preuves si éclatantes et si nombreuses, l'ont pratiquée dans des
circonstances si pénibles et au prix de tels sacrifices, que mon
austère contradicteur n'a pas pu y tenir. Quand il a bien voulu
m'accorder que j'avais raison et que les actions les plus natu-
relles peuvent être aussi les plus admirables, il avait les yeux
humides, et nous avons clos la discussion par le beau vers de
Musset :
Mais une larme coule et ne se trompa pas.
668 ANNALES CATHOLIQUES
. Comment, en effet, n'être pas attendri devant la conduite de
Martin Luquet? C'est dans un village perdu des Basses-Alpes,
à Escoublon, que cet homme de chêtive santé, souvent malade,
n'a cessé, depuis l'adolescence jusqu'à l'âge de vingt-six ans,
de travailler afin de soulager ses parents dans l'indigence. Il
allait se marier quand son père mourut, et, sur-le-champ, il
renonça à s'établir pour ne pas quitter sa mère déjà vieille. A
force de labeur, il avait amené un peu de bien-être au logis,
lorsque, il y a huit ans, sa mère fut atteinte de paralysie géné-
rale. Son état exige des soins continuels et répugnants ; elle est
d'une humeur chagrine, gémit sans cesse, blesse son fils à cha-
que instant par un reproche injuste, par une parole dure. Mais,
toujours travaillant et soignant sa chère malade, ce fils exem-
plaire ne la quitte que pour aller ramasser du bois dans la forêt
ou laver, comme une femme, à la rivière, le peu de linge qu'il
possède, car la paralytique doit très souvent être changée. Elle
a maintenant quatre-vingts ans, et son fils en a quarante et un.
Dans une masure délabrée, ouverte à tous les vents, où ne
brûle, par les plus grands froids, qu'un maigre tison, il reste
nuit et jour au chevet de sa mère. II gagne fort peu, étant con-
tinuellement interrompu par ses fonctions de garde-malade.
Privé de nourriture et de sommeil, il voit chaque jour ses forces
diminuer. Rien ne l'abat, rien ne le décourage. Fier, il ne
demande assistance à [)ersonne; modeste, il s'étonne des louanges
qu'on lui adresse; résigné, il ne se plaint jamais. Ce pauvre
homme en guenilles est du moins pai'é de l'estime générale, et,
dans la pétition couverte de signatures qui le signale à l'Aca-
démie, je relève cette phrase dont la naïveté vous plaira: « Il
n'est pas, dans la commune, jusqu'au plus méchant qui ne lui
donne un mot de félicitation. »
Martin Luquet est admirable; mais que dites-vous d'Adeline
Visine, à Ilaraucourt (Meurthe-et-Moselle), qui n'a jamais voulu
qu'on enfermât sa mère folle et qui la surveille et l'entoure de
tendresse depuis trente-deux ans? Que dites-vous de Brigitte
Camfranc, à Larruns (Basses-Pyrénées), qui, pendant l'été, est
fille de bains aux Eaux-Chaudes, qui, l'hiver, ne gagne que
0 fr. 80 par jour à fabriquer des chapelets, et qui, cependant,
avec ces ([uelques sous, fait vivre depuis vingt-cinq ans sa mère
aveugle et sa sœur épileptique et amputée des deux pieds? Pour
se consacrer entièrement au devoir filial, Adeline Visine et Bri-
gitte Camfranc ont refusé de se marier, ainsi d'ailleurs que
LES PRIX DE VERTU
Mlle Ii-ma I5ri(lault, une Parisienne, celle-là, qui appartient à
une famille d'artistes, et qui, elle aussi, s'est toute sa vie sacri-
fiée pour les siens.
D'abord, elle console la vieillesse de son père, pauvre et
infirme. Son frère et la femme de son frère, peu aisés, sont
retenus toute la journée hors de chez eux par leur travail:
c'est Mlle Bridault qni élève leurs enfants et qui leur tient lieu
de mère. L'un d'eux meurt à vini^t-quatie ans, constamment
soigné par elle pendant une longue maladie. Puis, c'est sur sa
belle-sœur, devenue impotente et incurablement atteinte, qu'elle
veille pendant quatre années. Aujourd'hui, très âgée, MUeBri-
d.uilt vient encore de se consacrer à l'éducation de deux des
orphelins laissés par le bon aquafortiste Lerat, mort récem-
ment : l'aîné a cinq ans, le dernier dix-huit mois. Avec la con-
fiance de fortes âmes, Mlle Bridault entreprend cette lâche
nouvelle. Et elle a soixante-seize ans ! Souhaitons, n'est-ce pas?
que cette noble femme devienne centenaire.
C'est presque au hasard, et je me le reproche, que je vous
cite ces noms et ces faits. En feuilletant notre livret annuel.
Messieurs, vous y lirez le récit d'un grand nombre d'existences
semblables; vous constaterez qu'elles s'écoulent dans les mi-
lieux les plus différents, et vous auiez, comme moi, je l'espère
un sourire de sympatliis en découvrant parmi ces coeurs d'or un
brave gendarme.
Les vertus de famille sont pour le gendarme un besoin et une
habitude. Dans le mélange singulier de vie de caserne et de
ménage qui constitue son existence, entre son brigadier et son
cheval, sa femme et ses enfants, il prend facilement le parti
d'être le modèle desi époux et des pères, comme il e?t celui des
soldats. Le gendarme célibataire est une exception. Voyez ces
maisons régulières et propres comme un uniforme qui s'alignent
sous le drapeau, à la lisière des villages. Au fond de la cour,
dans l'écurie, sonne le piaflfement des chevaux; à la porte, en
blouse de toile et en képi, le gendarme, revenu de la « corres-
pondance », astique son liarnachement ou sa buffieterie, et,
autour de lui, jouent des enfants, beaucoup d'enfants. La dépo-
pulation de la h'rance n'est pas sou fait, au contraire. La femme
et l'enfant du gendarme ont leur physionomie. Ils sont propres,
bien tenus; ils ont quelque chose delà rectitude et de l'élégance
militaires ; ils reçoivent, dans la mesure de leur sexe ou de leur
âge, cette empreinte que donne le « métier ». Donc, nous voyons
670 ANNALES CATHOLIQUES
bien le gendarme époux et père. Nous ne le voyons même que
comme cela. Il est plus difficile de nous imaginer cet homme
mùr comme soutien de vieux parents. Sa solde n'est pas forte;
s'il peut entretenir une famille, comment pourrait-il suffire à
deux, celle d'oii il sort et celle qu'il crée?
C'est pourtant ce qu'a fait Dominique-André Suzzoni, maré-
chal des logis, à Avapessa (Corse). Depuis 1858, il a été le fidèle
soutien de son père. Ce père est très pauvre; il a trois autres
enfants à élever; et la situation devient un jour si pénible que
le fils aîné, qui a déjà vingt-quatre ans, prend une résolution
héroïque. A cette époque, le remplacement militaire existai^
encore. Suzzoni, selon l'énergique expression des casernes, vend
sa peau pour 1,200 francs, et part en laissant ce petit capital à
sa famille, sans en détourner un écu. Plus tard, le père est
atteint de rhumatismes, puis de cécité complète. Son fils cadet
l'abandonne. Deux filles, qui lui restent, lui sont plutôt une
charge qu'un soulagement. Mais l'aîné, soldat d'élite, est devenu
gendarme; il veille toujours de loin sur le vieillard. A force de
privations et par des merveilles d'économie, il envoie de temps
à autre au pays des sommes dont le chiffre étonne, 200 francs,
300 francs, et, grâce à cet excellent fils, l'aveugle, qui est raor^
'année dernière, à l'âge de soixante-dix-neuf ans, n'a jamais
été dans le besoin.
Je ne vous parle jusqu'ici, Messieurs, que des œuvres de
bonté : je ne dois pas oublier que vous récompensez aussi les
actions héroïques.
Quelle est la source mystérieuse et sacrée d'oii jaillisent l'élan
irrc>sistible, l'impulsion souveraine qui provoque ce genre de
dévouement? Il y a là, vraiment, un problème attirant et inso-
luble. Ni la raison, ni l'analyse psychologique ne parviennent à
l'expliquer; le seul sentiment du devoir n'y suffit pas non plus
comme cause. L'homme qui se dévoue, celui dont toutes les
forces ph3'si(|ues et morales vont s'appliquer à un si prodigieux
effort tente presque toujours un résultat impossible, et il ne
réussit qu'en raison même de cette impossibilité. C'est comme
un défi de nos muscles débiles aux puissances de la nature, une
lutte rapide et triomphante avec la chimère. Le marin qu
a nage » vers le navire en perdition, le sauveteur qui monte à
travers les flammes vers la fenêtre oii une grappe de créatures
humaines est suspendue dans le vide, le passant qui se jette à
la tête du cheval emporté, ne prennent pas le temps de réfléchir.
BIBLIOGRAPHIE
671
car s'ils réfléchissaient, ils ne bougeraient pas; ils no consul-
tent pas leurs forces, car elles sont nécessairement inférieures
à de tels adversaires, l'eau, le feu, l'élan de la bête furieuse.
Non ! le danger exerce sur eux une sorte de fascination, et sitôt
aperçu, ils courent vers lui. Tout les retient: instinct de la
conservation, vision d'abandon et de misère pour ceux qu'ils
aiment. Un mobile plus fort les pousse en avant : on ne sait
quelle ivresse, l'attrait du danger, le besoin de se mesurer avec
la mort; et ils ramènent la vie avec eux. Et remar'iuez. Mes-
sieurs, que de telles actions sont le plus souvent individuelles.
Elles n'ont pas, d'ordinaire, le soutien puissant de ces forces
organisées qui s'appellent un régiment et un équipage, oii l'hé-
roïsme collectif est relativement facile; car un commandement,
sur une nature disciplinée, supprime la réflexion. Ici, presque
toujours, c'est le courage personnel qui voit et décide en un clin
d'oeil ; c'est une seule volonté qui s'affirme et se déploie.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE (I)
11. — ilLlniannclis. — Nous
recommandons à nos lecteurs
la magnifique collection des
Almanachs édités par la société
Saint-Augustin de Lille :
Almanach catholique, grand
in-4", illustré, 1 franc.
Almanach de la jeune fille,
in-4'» de G4 pages, 1 franc.
Almanach illustré des familles,
in-4o de SS pages, 50 cpnt.
Almanach des enfants, grand
iQ-32, 50 cent.
Almanach des enfants de Ma-
rie, petit in-4'', 30 cent.
Almanach populaire des en-
fants, in-Ls de (i4 pages, 15 codI.
Almanach j^opulaire, in-18 de
64 pages, 10 cent.
C'est, on le voit, une collection
aussi variée que soigneusement
mise à la portée des ressources de
chacun. Ajoutons que le fond ré-
pond à la forme, qui est gracieuse
et soignée.
12. — Lëfçislîitîon s«-"é-
fale tl«*« fï«bfî«|ues de*
l'^^liNeH eMllif>liqueti: de
France mise à la portée de
tous, lois, ordonnances, dé-
ciets, arrêtés, ciiculaiies, avis
et décisions de 1789 à nos jours,
avec notes explicatives, tables
chronologique et analytique,
par M. Penel-Beaufin, commis
principal au ministère des
finances, collaborateur au Dic-
tionnaire des Lois, auteur dou-
vragf^s classiques et littéraires.
— 1 vol. de 262 pages. Paris.
1893, chez Geffroy. — Prix :
2 francs.
Piéf^enter l'ensemble de la lé-
gislation des fabriques en un livre
à la portéf' de tous et accessible
à toutes Ips bourses, tel est le but
que l'auteur s'est proposé dans
le présent ouvrnge, fruit de pa-
tientes et consciencieuses recher-
ches.
(1} Il sera rendu compte de tout ouvrage dont deux exemplaires
ont été déposés dans les bureaux des Annales catholiques. MM. les
auteurs et MM. les éditeurs sont priés d'indiquer le prix des livres
qu'ils envoient. — L'administration des Atinales se charge de four-
nir, au prix de librairie, les ouvrages dont il est rendu compte dans
ce Bulletin.
672
ANNALES CATHOLIyUES
Les fabriques sont chargées de
l'adriiinistratioa temporelle des
paroisses, et par coasé({ueQt de
leurs revenus, lesquels sont pou
importants pour un grand nom-
bre d'églises. Avant 1789, il est
vrai, les fabriques avaient de bons
revenus provenant de Taccumu-
lation des dons légués à elles par
la piété des fidèles, mais la Révo-
lution s'empara des biens des fa-
briques et les déclara biens na-
tionaux comme ceux du clergé.
Cet état ne fut d'ailleurs que
provisoire, car après la paix reli-
gieuse rendue à notre cher pays
par Bonaparte, les fabriques re-
couvrèrent une partie de leurs
biens, qui augraeatènmt progres-
sivement, grâce aux offrandes des
catholiques d'un côté, aux sub-
ventions de l'Etat et des com-
munes de l'autre. Cependant, de-
puis quelque temps déjà, la si-
tuation a changé d'une manière
sensible, «^ar la loi du 5 avril 1884
a exonéré les communes de toute
participation aux frais du culte,
et le budget de l'Elat ne porte
plus aucun crédit pour subven-
tions aux fabriques. L=>s fabri-
ques doivent donc maintenant
trouver par elles-mêmes les res-
sources dont elles peuvent avoir
besoin, et il appartient aux fidèles
de donner en conséquence pour
l'entretien de leur culte, comme
il est intéressant pour eux de
connaître les détails tie l'organi-
sation et de l'administration des
fabriques.
Or, les fabriques sont soumises
à diviîrs r(;giem"nt.s, diipuisle dé-
cret du 30 décomijre 1809, qui les
a organisées, jusqu'au décret du
27 mars 189}, relatif à leur nou-
velle coinpuibilitô : cette règle-
ra-întation et les rapports qui
existent entre les fabriques et les
cures, les communes, etc., for-
ment les chapitres de notre ou-
vrage.
Après avoir con-<acré quelques
pages aux fabriques en général
(chap. l*""), au Concordat (ch. 2),
aux articles organiques (ch. 3) et
aux biens restitués aux fabriques
(ch. 4), l'auteur donne (ch. 5) les
113 articles du décret fondamen-
tal de 1809, avec les nombreuses
modifications qu'il a subies de-
puis cette époque, de manière à
avoir continuellement sous les
yeux la législation actuelle. Les
chapitres suivants font connaître
les rapports des fabriques avec
les cures et les presbytères (ch. 6),
les règlements concernant les sé-
pultures et les pompes funèbres
(ch. 7), la célèbre loi municipale
de 1884 (ch. 8), et celle du 30 mars
1887 (ch. 9) sur les monuments
historiques, que les fabriques doi-
vent étudier, enfin le décret du
27 mars 1893 et la circulaire qui
l'accompagne sur la comptabilité
des fabriques (ch. 10;.
Les textes, collationnés avec
soin sur les documents officiels,
sont accompagnés de notes expli-
catives, les unes définissant des
mots peu connus, les autres com-
plétant les articles par le résumé
des décisions interprétatives des
ministres, des tribunaux, et no-
tamment de la Cour de Cassation
et du Conseil d'Etat, qui jugent
souverainement. 11 va sans dire
que dans le choix judicieux fait
par M. Penel-Boaufin entre toutes
les décisions rendues depuis près
d'un siècle et parfois contradic-
toires, il n'a relaté que celles qui
pouvaient être consultées avec
fruit.
Une table chronologique des
lois, arrêtés, or^lonnances et ar-
rêtés du Gouvernement, et une
table analytique détaillée, ren-
dant les recherches instantanées,
terminent ce livre, qui, nous le
croyons, sera d'une grande uti-
lité pour le public, ecclésiastique
ou laïque, ami des études sé-
rieuses.
Un appendice tiendra constam-
ment l'ouvrage au courant des
changements qui pourraient avoir
lieu.
Le gérant : P. Chantrel.
Paris. — Imp. G. Picquoin, 53, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
L'ALERTE DE 1875
Sous ce titre, le Correspondant publie une note retrouvée
dans les papiers de M. Gavard, dont nous avons eu le regret
d'annoncer la mort, il y a quelques niois. Venu à Londres,
■en 1871, avec M. le duc de Broglie, M. Gavard y était resté,
^près le départ du duc, faisant fonction de chargé d'affaires pen-
dant l'absence des ambassadeurs. Il y était encore en 1875, au
moment où l'on put croire la paix de l'Europe menacée par
M. de Bismarck, etoii l'intervention de la Russie écarta le péril
de la guerre. La France n'était pas représentée à ce moment, à
Londres, par un ambassadeur: M. de Jarnac, qui occupait ce
poste, venait de mourir; ce fat M. Gavard, dont le tact, la sû-
reté, les solides qualités étaient fort appréciés dans la société de
Londres, qui se trouva chargé de représenter les intérêts de la
France et de la paix auprès du chef du Foreign Office.
M. Gavard rappelle d'abord les divers incidents qui commen-
cèrent au printemps de 1875 à alarmer le monde diplomatique.
Lord Derby, qui était alors ministre des affaires étrangères sous
la présidence de M. Disraeli, y avait d'abord opposé une grande
sérénité : M. Gavard retrace les différentes entrevues qu'il eut
avec lui, et les communications qu'il lui fit pour ébranler son
optimisme :
Le 6 mai, un mot particulier du duc Decazes contenait le passage
suivant: « Hohenlohe vient de me dire, avant de partir pour Munich,
que M. de Bulow trouve Gontaut bien optimiste et que le gouverne-
ment allemand est loin d'être entièrement convaincu du caractère
inolfen-eif de nos armements, i Cette commission me persuada que le
mouieat était venu de tout tenter pour faire sortir le gouvernement
anglais de sa réserve. Fort de ma conviction, je courus chez lord
Derby, je lui parlai avec une émotion qui n'était pas jouée ;jecroyai8
à un danger immédiat, et je m'imaginais réellement que je pouvais
être utilfi à mon pays. Est-ce encore un effet de mon imagination ? je
crois avoir ému lord Derby et lui avoir fait partager le sentiment qui
m'animait. Je vais rapporter ses paroles ; il faudrait les compléter
par l'accent et le regard.
Il me répondit d'abord que nos craintes, dans leur portée immé-
diate, n'étaient pas partagées par lord Odo Russell. D'après les ren-
LXXXVI — 30 DÉCEMBRE 1893. 49
674 ANNALES CATHOLIQUES
seigaements qu'il recevait de cet ambassadeur, lord Derby se demaD-
dait encore si le prince de Bismarck voulait la guerre ou s'il ne lui
convenait pas de faire croire à tout le monde qu'il la voulait. Il per-
sistait à penser, d'ailleurs, que si le chancelier voulait la guerre,
c'était contre l'Autriche que ses premiers coups seraient dirigés. Il a
avoué toutefois que la pensée secrète de cet homme, dont la volonté
est sans contrôle, était un sujet de grande perplexité, et que l'Europe
se trouvait ramenée au temps où son sort était entre les mains du
premier Napoléon. Ces paroles m'autorisaient à prévoir le cas où les
premiers coups seraient dirigés contre nous : « Une semblable agres-
sion, dit lord Derby, soulèverait en Europe une indignation univer-
sellp, et ce sentiment ne serait nulle part plus vif qu'en Angleterre.
L'Allemagne elle-même ne saurait braver un pareil soulèvement d©
l'opinion. » Comme je le pressais de s'expliquer sur la manière dont
l'Angleterre témoignerait son sentiment : « Vous pouvez compter sur
moi, m'a-t-il dit, vous pouvez compter que le gouvernement ne man-
quera pas à son devoir. Je vous donne à cet égard toutes les assu-
rances que peut vous donner le ministre d'un souverain constitu-
tionnel. »
Le danger, m'a-t-il dit, c'est l'idée fixe de Bismarclc que la France
se dispose à attaquer l'Allemagne, et, malheureusement, ce qui
est plus grave, elle est partagée par de Mollke. Celui-ci croit que
vous serez prêts en 1876, et que le moment sera d'autant plus favo-
rable pour vous que vous aurez encore une classe de vieux soldats
ayant fait la gusrre ; le chancelier croit que vous voudrez attemire 1877,.
mais ils sont d'accord pour penser qu'il faut vous prévenir. Ils pré-
tendent que vous êtes les agresseurs d'après cette théorie, nouvelle
dans leur bouche, que le véritable agresseur est non celui (jiii attaque,.
mais celui qui rend la guerre nécessaire, et ils se proposent, pour
résultat d'une nouvelle campagne, une accablante indemnité avec une
occupation prolongée... La garantie de la paix, c'est que la Russie ne
veut pas de la guerre. Elle s'opposerait à une agression aussi bien
d'un côté que de l'autre. Vous savez ce que l'empereur avait dit au
général Le Flô. J'étais chargé de le répéter à Berlin. J'ai vu le vieil
empereur, qui a paru d'abord fort étonné de nos inquiétudes. Il ne
pensait vraiment pas que la guerre fût imminente, mais il était le
seul aussi mal informé à Berlin. II n'a donc pas été diificile de l'amener
où nous voulions, après qu'il a été averti. Quant à Bismarck, il sait
qu'il ne peut ni attaquer la Russie, à cause de vous, ni vous si la
Russie s'y oppose. Je tiens donc la paix pour parfaitement assurée,
malgré des alertes qui peuvent encore se produire, pour cette raison
que la Russie ne veut pas la guerre et que ce n'est pas, de sa part,
une disposition purement platonique. » Suit un examen des forces
rrlatives des différentes pui3!»ances concluant à l'impossibilité où
l'Allemagne se trouve placée d'agir ni contre ni sans la Russie ou
l'ai.ertb de 1875 675
tout au moins sans sa neutralité bienveillante, comme dans la dernière
guerre.
Il m'a ensuite parlé de la revanche. 11 trouve naturel que le désir
de recouvrer nos provinces perdues existe au fond de tout cœur fran-
çais, mais il croit que nous ne pourrons jamais la provoqupr et que
nous devrons attendre l'occasion qui s'cfïiira d'elle-même d^ns une
com|)lication européenne. C'est ainsi que l'annulation du traité de
Pans a été obtenue, en 1S71, par la Russie, sans coup férir, après
quinze ans d'attente. Le comte Schouvaloff amena ensuite la conver-
sation sur la Belgique, pour me dire qu'une opinion, répandue à
Berlin et partagée par des hommes très sérieux, était que Bismarck
avait l'idée d'amener un état de choses qui lui permît d'offrir la Bel-
gique à la France, dans l'espérance de nous désintéressera ce prix de
la revanche. Mais il ajoute qu'il s'en était expliqué avec Bismarck et
que celui-ci avait désavoué la pensée qu'on lui prête.
Le comte Schouvaloft' n'était pas seul à éprouver des appré-
hensions sur le maintien de la paix; témoin cette conversation
du duo de Cambridge avec M. Gavard :
« Quelle semaine nous venons de passer! Il est convenu que c'est
fini et que c'est la Russie qui a sauvé la paix de l'Europe ; mais je
crois que rien n'est fini et que tout recommencera au premier jour,
et je ne compte pas plus sur la Russie que sur les belles paroles de
son ambas-sadeur. — Laissez-itoi tout au moins compter sur l'Angle-
terre. — 11 a repris alors avec une exclamation : t Que puis-je vous
dire de l'Angleterre? Les tories sont au pouvoir, le danger est flagrant,
tout le monde le reconnaît, et on nous refuse l'argent sans leque
nous n'avons pas d'armée. »
Lord Derby ajouta qu'il avait parlé au comte Munster et qu'il
lui avait dit ne pas comprendre Tintérêt qu'avait le gouverne-
ment allemand à semer et à entretenir l'inquiétude en Europe.
Nous touchions évidemment au point où la crise devait, d'une ma-
nière ou d'une autre, sortir de l'état d'incubation, et je me rendis, le
^ mai au soir, qui était un samedi, à la réception de lord Derby avec
la ferme intention de provoquer de nouvelles explications. 11 m'en
épaigna la peine. Dès qu'il m'eut aperçu, il vint à moi; le cercle
s'élargit autour de nous par discrétion. Chacun avait compr's la gra-
vité de notre entretien, surtout quand, après quelques minutes, il
■appela lord Lyons, qui assistait à la réception, pour répéter devant
lui ce qu'il venait de me dire. Il me pria de répéter à mon gouverne-
ment q-^e ses inquiétudes étaient quant à présent dissipées. 11 venait
de recevoir de lonl Odo llussell, en réponse à ses dernières instruc-
tions, un télégramme qui ne lui permettait pas de douter que le
danger ne fût écarté. 11 ajouta qu'il ne s'était pas contenté de cette
garantie et qu'il venait, ce soir même, de l'inviter, par le télégraphe,
676 ANNALES CATHOLIQUES
â appuyer, par les plus énergiques déclarations, les conseils pacifi-
ques de l'empereur de Russie. Il ne m'a pas dissimulé, en effet, que
l'action de la Russie avait été plus efficace que celle de son gouver-
nement dans cette crise. Il a ensuite voulu me démontrer qu'il n'en
pouvait être autrement, la Russie étant en mesure d'appuyer par les
armes ses représentations. Je n'ai pu m'empêcher de lui répondre
qu'il ne me paraissait pas tenir assez de compte de la marine de l'An-
gletCiTe. qui ne peut empêcher une guerre d'éclater, mais qui peut
l'empêcher de se prolonger. Le comte Derby, après être resté quel-
ques instants pensif, a repris en me disant que l'agression contre la
France, dans les conditions actuelles, aurait soulevé, dans le monde
entier, une réprobation morale telle, qu'elle aurait arrêté le chance-
lier de l'empire lui-même.
Le danger de guerre est conjuré. Le duc Decazes adresse ses
remercîmenis à lord Derbj pour ses bons offices et l'action que
l'Angleterre avait exercée en faveur de la paix.
Le danger passé, lord Derby devint de plus en plus expansif. Il me
dit, le 4 juin : « Je crois réellement que notre intervention a con-
tribué au maintien de la paix, et je crois aussi, quoi qu'on en dise
ailleurs, que le danger était grand. » Je l'interrogeai sur les garanties
que l'avenir nous présentait contre le retour d'un pareil danger : « Le
vieil empereur, me répon<lit-il, ne veut plus de guerre; mais nous
avons vu qu'il n'était pas au courant de ce qui se tramait autour de
lui. Le prince de Bismarck la veut, et il est pressé de la faire du
vivant de l'empereur Guillaume. Le prince impérial est un homm®
juste, pas du tout belliqueux; mais il est poursuivi de l'idée qu'il
faut mettre la dernièio main à l'unité allemande par la médiatisation
des Etats qui conservent encore une apparence d'autonomie, et il
croit qu'on ne peut arriver à ce résultat que par une guerre étran-
gère. Pour le présent, il s'agit de ne pas laisser circuavenir l'esprit
du vieil empereur. L'Angleterre a des moyens de lui faire parvenii- la
vérité, et vous savez qu'elle en a usé. Pour le prince impérial, c'est
plus difficile, puisque, malgré son antipathie contre la guerre, il
arrive aux mêmes conclusions que Bismarck. L'Angleterre s'est
entendue dans cette dernière crise avec la Russie et aussi avec l'Italie.
11 est probable que nous continueronsâ nous entendre avec la Russie,
tant qu'Alexandre vivra. Il aspire au rôle de pacificateur de l'Europe,
il ne rêve pas la conquête de Constantinople; il faut croire que sa
sagesse l'emportera sur les aspirations du peuple russe et sur les per-
fides excitations du dehors, mais après lui! » Il me confirma ensuite
que l'Autriche n'avait rien fait. Est-ce par simple timidité, ou par
secret espoir de s'entendre avec l'Allemagne ?
M. Gavard avait vu, le 12 mai, le comte Schouvaloff, arrivé
l'avant-veille de Berlin : celui-ci lui communiqua une dépêche
LES CURÉS OU DESSERVANTS 677
de l'empereur Alexandre, l'a.'Surant qn'il quittait Berlin com-
plètement tran(|uilisé sur le maintien de la paix.
Le comte Schouvaloff, poursuivant la conversation, ne dissi-
mula pas à M. Gavard qu'on pouvait craindre le retour d'un
incident pareil à celui qui venait d'être conjuré.
LES CURES OU DESSERVANTS
NK PEUVENT ÊTRE NI COMPTABLES NI ORDONNATEURS
DES FABKIQUES
M. le ministre des cultes, consulté sur le point de savoir si les
curés ou desservants peuvent exercer les fonctions de comj)table3
et d'ordonnateurs des fabriques, vient de répondre par les ins-
tructions suivantes :
En ce qui concerne les fonctions de comptable, le décret du 30 dé-
cembre 1809 a toujours été interprété en ce sens qu'elles ne pouvaient
être exercées par les curés et desservants. Ou a fait remarquer notam-
ment à ce sujet que l'article 50 de ce décret prévoyant que l'une des
clefs de rarmoiro à trois serrures doit être remise au curé et l'autre
au trésorier, il en résulte clairement que le curé ne peut être tréso-
rier de la fal)ri(iue. (>ette interprétation, admise par tous les auteurs
et consacrée par la pratique constante de l'administration civile et
ecclésiastique depuis plus de quatre-vingts ans, ne saurait être con-
testée aujourd'hui, où le décret du 27 mars 1893 n'a fait que la
confirmer.
En etl'et, aux termes de l'article o de ce décret, les fonctions de
comptable de la fabrique sont remplies soit par les trésoriers de ces
établissements, tels quils sont institués par le décret du 30 décem-
bre 1809, soit par une personne désignée en dehors du conseil de
fabrique et qui prend le titre de receveur spécial, soit par le percep-
teur de la réunion dans laquelle est située l'église paroissiale. Le
curé ou desservant, exclu de la première de ces trois catégories par
l'intorprétation ci-dessus rappelée du décret de 1809, ne .«aurait évi-
demment rentrer dans aucune des deux autres (receveur spécial ou
perce[)teur), puisqu'il fait partie du conseil de fabrique C)nimo
membre de droit.
EnfiT l'article 3 du même décret du 27 mars 1893 ne peut laisat-r
aucun doute sur la question. 11 est en effet ainsi conçu :
« Toutefois les oblations et les droits perçus à l'occasion du culte,
conformi'raent aux tarifs légalement appiouvés, peuvent être reçus
par le curé ou desservant, ou par l'ecclésiastique par lui délégué,
moyennant la délivrance aux parties d'une quittance détachée d'un
registre à souche, et à la charge de versement au comptable de la
678 ANNALES CATHOLIQUES
fabrique tous les mois, et plus fréquemment, s'il en est ainsi décidé
par l'évéque.
« Ce versement est effectué tant en deniers qu'en quittances,
d'apiés la répartition prévue auxdits tarifs, et constatée au moyen
d'un état dressé par le curé ou desservant et approuvé par le prési-
dent du bureau des marguilliers... »
Il résulte de cet article que ce n'est que pour des objets déter-
minés dans des limites précises, et à titre tout à fait exception-
nel, que le curé ou le desservant peut recevoir des deniers
entre ses mains. Il a ensuite à rendz-e compte, à des époques
périodiques, de ces deniers exceptionuellement reçus. Le décret
a donc clairement indiqué qu'il ne pouvait remplir d'une
manière générale les fonctions de comptable.
Quant aux fonctions d'ordonnateur, le décret du 30 décembre 1809
les confie au président du bureau des marguilliers, a chargé de
signer tous les mandats » (art. 28), et le décret du 27 mars 1S93 a
reproduit cette disposition (art. 2.)
Or la jurisprudence interprétative du décret du 30 décembre 1809
a toujours interdit le cumul des fonctions de curé ou desservant et
de président du bureau des marguilliers, « puisque, aux termes des
articles .50, o5 et 56, le curé et le président du bureau snnt appelés
chacun à avoir une clef de l'armoire à trois clefs, à signer les inven-
taires et récolements, à signer et à certifier les pièces, double garan-
tie qui cesserait d'exister si le curé pouvait réunir à ses fonctions
celles de président du bureau. » (Avis du Conseil d'Etat du 7 fé-
vrier 1867.)
L'article 3 du décret de 1893 est d'ailleurs une nouvelle preuve de
. l'impossibilité du cumul. Le curé ou desservant n'est pas, il est vrai,
et ne peut être comptable pour l'ens-emble des opérations de la
fabrique, mais il n'en a pas moins, dans les limites indiquées ci-dessus,
la responsabilité de certains fonds et il lui est par conséquent impos-
sible, aux termes des règles générales sur la comptabilité publique,
d'être ordonnateur.
Au surplus, le paragraphe 2 de cet article dispose que les verse-
ments effectués par le curé ou desservant sont constatés « au moyen
d'un état dressé par le cure ou det^servant et approuvé /or- le prési-
dent du bureau des marguilliers. »
11 est donc bien certain que le curé ou desservant ne peut être
lui-même ce président.
Pour ces divers motifs, les nominations de curés ou desservants
en qualité de comptables ou d'ordonnateurs des fabriques ne sau-
raient être acceptées.
En reproduisant ces instructions, dont il serait imprudent de
LES TIMBRES DE QUITTANCK 07'J
ne pas tenir compta, nous exprimons notre profond regret de
voir (jue la fonction d'ordonnateur edt interdite à ceux qui, dans
un grand nombre de petites paroisses, seraient seuls capables
de la bien remplir.
LE TIMBRE DES QUITTANCES
DKIJVRKES PAR LES COMPTABLES DE» FABRIQUES
M. le Directeur général de l'Enregistrement a, le 7 août 1893,
adressé à M. le Directeur général de la comptabilité publique,
une lettre qui donne les lieux solutions suivantes :
1" Les (juittances délivrées, à partir du l*^"" janvier 1894, par
les comptables directs ou auxiliaires des fabriques seront assu-
jetties au timbre de 25 centimes, comme émanant de comptables
publics, quel que soit le caractère des deniers recouvrés;
2" Mais seront exempts d'impôt, comme documents d'ordre
intérieur, les récépissés aux(|uels donneront lieu les mouve-
ments de fonds entre les régisseurs et le comptable en titre, et
les (juiltances qui seront délivrées par le trésorier de la fabrique
pour les sommes extraites de la caisse à trois serrures ou (jui
lui seront remises pour les sommes versées dans cette caisse.
Voici eu quels termes s'exprime M. le Directeur général de
l'Enregistrement:
L'article 78 de la loi de finances du 2G janvier 1892, porte que, « à
partir du l""" janvier 1893, les comptes ci budgets des fabriques et
consistoires seront soumis à toutes les règles de la comptabilité des
autres fttablissements publics ».
Les dccreis du 27 mars 1893, rendus pour son exécution, disposent
en consf'quence que les comptes des comptables des fabriques et
consistoires seront jug-^s et apurés (lar les conseils de préfeciure ou
par la Cour des comptes, selon les distinctions applicables aux
comptes des établissements de bienfaisance.
Vous pensez que, dans ces conditions, les quittances délivrées par
les comptables des fabriques et onsistoires devront être revr'tues du
droit de timbre de 0 fr. 25 à partir du 1«'' janvier 1894, date de la
mise on vigueur du nouveau régime.
Vous ajoutez que, ce point admis, la question se présente de savoir
à quel traitement seront assujetties les quittances données aux par-
ties lors du versement des oblations et droits perçus à l'occasion des
cérémonies du culte (ait. 3 du décret), quittances qui comprendront
à la fois la part allouée à la fabrique ou consistoire et celle revenant
aU clergé et aux serviteurs de l'église, c'est-à-dire des deniers
680 ANNALES CATHOLIQUES
puljlics et des deniers privés. Vous vous demandez si le droit de
timbre ne devrait pas varier, en ce qui les concerne, d'après l'impor-
taiice de chacun des éléments dont elles se composent: le timbre de
0 fp. 25 étant exigible si la part attribuée au budget de la fabrique
excède 10 fr.; le droit de timbre de 0 fr. 10 étant seul, au contraire,
susceptible d'être perçu toutes les fois que cette part sera inférieure
à 10 fr., mais que le total de la quittance dépassera cette somme.
Enfin, vous exprimez l'avis que les récépissés auxquels donneront
lieu les mouvements de fonds entre les régisseurs et le comptable en
titre et ceux, qui seront délivrés par le trésorier pour les sommes
extraites de la caisse à trois serrures ou qui lui seront remis pour les
sommes versées dans cette caisse, seront exempts d'impôt comme
documents d'ordre intérieur.
Sur ce deruier point, je partage absolument votre manière devoir.
Il est admis sans difficulté que les récépissés dont il s'agit échappe-
ront à toute perception, puisqu'ils seront échangés entre les agents
d'un même service pour l'ordre de la comptabilité.
D'autre part, il est également certain que, du moment où les tré-
soriers des fabriques et cnnsistoires seront tenus de rendre compte de
leurs recettes à l'autorité publique, ils devront être considérés
comme rentrant dans la catégorie des comptables publics que vise
l'article 4 de la loi du 8 juillet 1865, et, par voie de conséquence,
quo les quittances qu'ils donneront en cette qualité seront passibles
du droit de timbre de G fr. 25 (Sol. 19 juillet 1877, Dalloz. Pério-
dique, 1878, 3, 56).
Mais il n'y aura aucune distinction à établir entre les diverses
quittances qu'ils peuvent être appelés à délivrer. Dès l'instant qu'elles
émaneront d'un comptable public et qu'elles auront pour objet de
constater une recette dont il sera chargé, elles seront assujetties au
timbre de 0 fr. 25, sans qu'il y ait lieu de se préoccuper de l'objet
de la recette et du caractère des deniers recouvrés; l'article 4 de la
loi de 1865 s'applique, en effet, aux « quittances des produits et re-
venus de toute nature délivrées par les comptables de deniers
publics ».
Dans cet ordre d'idées, il a été décidé notamment : l" que les quit-
tances délivrées par les receveurs d'hospices d'aliénés aux personnes
qui effectuent à leur caisse des versements prévus par l'article 4 de
la loi du 30 juin 1S38, pour le compte d'aliénés pourvus d'un admi-
nistrateur provisoire, donnent ouverture au droit de timbre de Ofr. 25
(dée. min. 14 août 1865), et 2» qu'il en est de même des quittances
données aux patrons des enfants assistés, lors du versement des
gages dus à ces enfants entre les mains des agents de l'assistance
publique (déc. min. 10 juin, 16 octobre 1886 et 10 mai 1887; Instr.
n" 2745-8).
11 serait, du reste, contraire aux règles les plus certaines de la
LES TIMBRES UE QUITTANCES 681
perception de décomposer un écrit pour déternainer la quotité du
tarif applicable.
Oq doit doac reconnaître que la quittance unique délivrée par un
comptable direct ou auxiliaire d'une fabrique aura à supporter le droit
de timbre de 0 fr. 25, quand la somme globale dépassera 10 fr., et cela,
alors même que cete somme comprendrait des fonds revenant priva-
tivement au clergé et aux serviteurs de l'église.
Cette lettre delà direction générale de l'enregistrôment avait
été prédite par les principaux auteurs du décret du 27 mars 1893,
Dans leur Manuel de la comptabilité des fabriques (p. 160),
MM. Marques di Braga, conseiller d'Etat, et Théodore Tissier,
auditeur au Conseil d'Etat, disaient : « Sous le régime nouveau
et en raison de l'application aux fabriques des régies de la
comptabilité publique, l'on peut se demander si les quittances
délivrée.^ par les comptables des fabriques ne doivent pas sup-
porter le droit de timbre de vingt-cinq centimes établi sur les
quittances de produits et revenus de toute nature délivrées par
les comptables de deniers publics (Loi du 23 aoiit 1881, art. 2
et 20). L'administration de l'enregistrement seule compétente
aura à donner des instructions sur ce point. »
Maintenant que l'administration de l'enregistrement a parlé,
les tribunaux judiciaires pourraient bien avoir à leur tour
quelque compétence pour dire si les débiteurs de l'église se
trouvent régulièrement frappés d'un nouvel impôt.
Rien n'est moins « certain », quoi qu'en dise M. le Directeur
général de l'enregistrement, que l'assimilation, à ce point de
vue, des comptables des fabriques aux comptables des deniers
publics. En sens contraire, dès le lendemain de la publication
du décret du 27 mars 1893, un jurisconsulte distingué, M. J.
Marie, avocat, professeur de droit administratif à la Faculté de
droit de Rennes, donnait une forte argumentation qu'il est op-
portun de reproduire (1) :
Toute quittance, tout reçu d'objets, de sommes ou de valeurs, déli-
vrés par un particulier, sont soumis à un droit de timbre de 10 cen-
times, sauf les exceptions déterminées par la loi. Quant aux quit-
tances de produits et revenus délivrées par les comptables de deniers
publics, lo droit de timbre est de 25 centimes et la délivrance de la
quittance est obligatoire; le prix du timbre s'ajoute de plein droit au
montant de la somme due et est soumis au même mode de recouvre-
ment.
Or, jusqu'à présent les quittances données pa; les trésjrieis de»
(1) De la comptabilité des fabriques, page 146,
682 ANNALBS CATHOLIQUES
fabriques ont été regardées comme soumises au droit de 10 centimes
applicable à toutes les quittances en général. L'administration de
l'enregistrement l'avait formellement décidé ainsi par une solution en
date du 9 juillet 1877. En doit-il être encore de même à l'avenir? La
question est fort délicate; car les raisons, données à l'appui delà
solution qui a été suivie précédemment, ne semblent plus pouvoir
être invoquées sous l'empire du décret du 27 mars 1893. Que disait-on
en pffet autrefois? Que les fabriques ne sont pas placées, quant à
leurs comptes, sous la surveillance de l'autorité administrative; que
ni l'article 375 du décret du 31 mai 1862, ni le titre V de ce décret
sur Ips comptabilités spéciales ne mentionnent les comptables des
fabriques, que ces comptables ne sont donc point des comptables de
deniers publics. Mais aujourd'hui que les règles ordinaires de la
comptabibité publique ont été étendues aux fabriqu>'s, que leurs tré-
soriers et receveurs spéciaux doivent rendre compte aux conseils de
préfecture ou à la Cour des comptes, ne faut-il pas assimiler ces tré-
soriers et receveurs à tous les comptables publics et par conséquent
sounipttie dorénavant au droit de timbre de 25 centimes les quit-
tances délivrées par les fabriques? N'est ce pas là le résultat forcé du
nouveau régime de comptabilité?
Je ne le crois pas et, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné
par le législateur, j'estime que le droit de timbre de 10 centimes est
toujours le seul droit applicable, selon les règles ordinaires, aux
quittances délivrées par les trésoriers et comptables des fabriques,
sans aucune distinction entre ces conaptables. Sans doute les fabri-
ques sont des établissements publics, ayant une existence légale et
chargés d'un service reconnu par la loi ; mais si, pour la forme et le
contrôle, leur comptabilité est soumise à toutes les règles de la comp-
tabilité des autres établissements publics, cette assimilation n'a pas
nécessairement et légalement donné à leurs deniers, au point de vue
de l'impôt du timbre, le caractère de deniers publics. Il est certain
que ni la loi du 8 juillet 1865, art. 4. ni la loi du 23 aoiît 1871,
art. 2, ne comprenaient les comptables de deniers des fabriques ; que
l'administration des finances a constamment et explicitement exclu
les trésoriers des fabriques du nombre des comptables de deniers
publics.
Or, dans un intérêt général et communal, la loi a bien su assujettir
les trésoriers des fabriques au contrôle et au jugement de l'autorité
administrative; elle aurait pu astreindre ces trésoriers à ne délivrer
de quittances que moyennant l'acquit d'un droit de timbre de 25 cen-
times. Mais elle ne l'a point fait jusqu'ici, et seule la loi pourrait le
faire, car il n'appartient qu'au législateur seul d'établir un impôt.
Un simple décret même en Conseil d'Etat, une décision de l'adminis-
tration de l'enregistrement ne suffiraient point ; car il s'agit bien,
non pas d'une interprétation, d'une application d'une loi existante ;
LES TIM15KES DE QUITTANCES 683
il 8'iigirait en réalité de créer une situation nouvelle, crimprirner aux
deniers des fabii(iue3 un caractère diffôront de celui (jui leur a été
officiellement reconnu durant plus de trois quarts de siècle. Pour le
recouvrement de leurs deniers, les fabriques ne jouissent |)asdos faci-
lités accordées à l'Etat, aux communes, aux bureaux de bienfaisance.
Comment dès lors pourrait-on, par induction, appliquer aux quit-
tances de ces deniers un droit que l'article 4 de la loi du 8 juillet 1865
déclare formellement soumi!; au même mode de recouvremenf. que la
somme principale elle-même? Le texte rigoureusement iuteri)rété
les principes les plus indiscutables en matière d'impôt et de compta-
bilité, sopposent à ce résultat. La comptabilité des fabriques est AQ'
\enup., pour sa forme r- (jhmentaire, une comptabilité publique; ni
pour le mode de la perception, — ni pour l'impôt, — ni pour les
garanties de l'hypothèque légale, les deniers des fabriques ne sont
des deniers publics, actuellement du moins, en l'absence d'un texte
législatif précis.
La règle est la même, quand la comptabilité est gérée par le per-
cepteur; car celui-ci gère aux lieu et place du trésorier et en l'absence
d'un receveur spécial ; or, ce qui doit être envisagé pour la solution
de la (juestion du droit de timbie, ce n'est pas la personne du comp-
table considéré individuellement, mais la qualité légale et nécessaire
de comptable de deniers publics.
Les quittances délivrées parles fabriques, aussi bien que les quit-
tances délivrées aux fabriques sont donc, jusqu'à ce que le législateur
en ait décidé autrement, soumises, [ïour la quotité et le paiement du
droit de timbre, aux règles ordinaires applicables aux quittances
entre particuliers.
Depuis la lettre du 7 aoùf 1893, la même thèse a été soutenue
par un spéciali.^te de haute valeur en matières de questions
fiscales. M. A. Robert, qui a donné tant de preuves de compé-
tence et d'habileté en dirigeant la défense des communautés re-
ligieuses contre le droit d'accroissement, vient de rédio-er la re-
marquable note que voici :
;M. le Directeur général de l'Enregistrement, par lettre du 7 août
1893, adressée à M. le Directeur général de la comptabilité publique
a décidé qu'en principe les quittances délivrées par les comptables
directs ou indirects des fabriques, seront passibles du droit de timbre
de 0 fr. 2o, lorsque la somme excédera 10 francs, quel que soit le
caractère des deniers recouvrés.
Malgré l'approbation donnée par les journaux spéciaux d'Enregis-
trement, cette solution nous paraît absolument illégale. Elle dénote
dès avant la mise à exécution de la loi, l'esprit de tracasserie et de
fiscalité dont nos honnêtes mais inexpérimentés trésoriers des fabri-
ques d'églises de campagne vont être incessamment victimes, lorsque
684 ANNALES CATHOLIQUES
leurs conoptfts seront vérifiés aux secrétariats des conseils de préfec-
ture. Pour des timbres de quittance insuffisants ou annulés irrégu-
lièrement, il pleuvra des réclamations d'amendes s'élevant â 62 fr. 50,
Il est certain qu'à la première menace ou vexation de ce genre, le
petit propriétaire ou fermier donnera sa démission. Le service sera
alors remis au percepteur, qui, lui, timbrera trois fois plutôt qu'une.
Est-il vrai que, par la seule promulgation de l'article 78 de la loi
du 26 janvier 1892 et du décret du 27 mars 1893, les trésoriers des
Fabriques soient transformés, à partir du i**" janvier 1894, en comp-
ta'oles de deniers publics?
Nous répondons NON sans hésiter, parce que, ni au fond ni en la
forme, il n'y a de deniers publics, si ce n'est ceux qui sont perçus en
vertu de la loi budgétaire. Qu'on le remarque bien, en se reportant au
Journal officiel ; ce ne sont pas seulement les contributions au profit
de l'Ktat, des départements, des communes, qui sont inscrites an-
nuellement au budget; il y figure aussi toute une nomenclature de
recettes au profit d une foule d'autres établissements publics, bureaux
de bienfaisance, chambres de commerce, établissements scientifi-
ques, etc., etc. Voilà les véritables deniers publics: il n'y en a pas
d'autres. Les fabriques ne sont jamais bénéficiaires directs d'impôts,
de deniers publics votés par le Parlement. 11 est absolument inexact,
il est contraire aux données les plus élémentaires du droit adminis-
tratif, que la redevance payée par moi, pour ma chaise ou mon banc
à réglisse, constitue les deniers publics et soit recouvrée en vertu de
la loi budgétaire.
Ces principes incontestables ont-ils reçu une modification de par la
loi et le décret précités ? Le caractère des deniers n'a pu changer,
pas plus que l'ordonnateur du budget des fabriques : ce qui a seul
changé, c'est la forme de la comptabilité, c'est le nom de l'autorité
qui décharge le comptable. Or, comment est conçu l'article 4 de la
loi du S juillet 1865? Le timbre des quittances des produits et revenus
de toute nature, délivrés par les comptables de deniers publics
La loi ne dit pas : des comptables qui sont soumis aux formes de la
com'ptabilité publique. Elle dit: les comptables de deniers publics.
Avant comme après le l*"" janvier 1894 un trésorier de fabrique n'a
pu et ne peut être, par sa charge de trésorier, un comptable de de-
niers publics. Ce ne sont pas les quelques solutions ou décisions mi-
nistérielles invoquées dans la lettre du 7 août 1893, qui pourraient
dénaturer cette vérité incontestable. Outre que plusieurs do ces déci-
sions concernent manifestement des deniers publics, elles n'ont en
principe aucune autorité juridique. Comme le disait M. Blanche,
avocat général, devant les chambres réunies de la Cour de Cassation :
« Les interprétations ministérielles, comme les solutions de l'admi-
nistration, ne sont que l'expression d'une pensée individuelle sans
autorité devant les tribunaux, et auxquelles vous ne vous êtes jamais
LES TIMBRES DE QUITTANCES 685
arrêtes. Elles sont, d'ailleurs, presque toujours déterminées, dans
chaque affaire, par des circonstances^le fait qui ne permettent pas de
les invoquer oomme des règles de droit gouvernant tous les cas ana-
logues. » (Suey, 1874. 1.392;.
Nous ne voulons pas insister ici sur les tristes circonstani^es défait
qui, depuis quelques années, inspirent à l'Administration de l'Enre-
gistremeut des décisions manifestement hostiles au culte catholique.
Mais dans la décision du 7 août 189.:J, s'agit-il seulement de l'intérêt
des débiteurs de fabriques? Nous croyons qu'il y a quelques raisons
d'en douter.
1" Il y a plus de petites bourses que de grandes. Avec le poids
toujours croissant des impôts et la diminution constante des revenus
fonciers, l'obligation s'impose pour beaucoup de compter de plus en
plus stiictement. On donnera de très mauvaise grâce 25 centimes
pour le timbre dont le coût entrera dans la caisse de l'État, et la plu-
part, sinon tous, donneront aux quêtes 50 centimes de moins qui
n'entreront pas dans la caisse de la fabrique.
2*^ Kn Normandie (ce n'est que là que de pareils procès peuvent
naître) on a vu récemment une instance relativement colossale surgir
et se poursuivre en première instance et devant les deux chambres
de la Cour suprême, entre un avoué et la Caisse des dépôts et consi-
gnations, pour faire décider à qui incombait la dépense du timbre de
quittance de 10 centimes. La Chambre civile de la Cour de Cassation
a condamné la Caisse des consignations. Il serait très fâcheux que la
charge d'un procès analogue, surtout entre paroissien et fabrique,
au sujet de la légalité du timbre de 0 fr. 25, tombât sur une seule
petit(3 église de campagne.
3" Dans beaucoup de cas, pour se décharger de ce timbre de 0 fr. 25,
des paroissiens économes imposeront un surcroît de travail au tré-
sorier, en exigeant plusieurs quittances au lieu d'une seule. Exemple :
Monsieur a trois chaises, pour sa femme, sa fille et lui, à 5 fr. la
chaise. Pour ne pas payer 13 fr. 25, il demandera trois quittances de
5 fr. délivrées individuellement à Monsieur, à Madame, à Mademoiselle.
40 Sous certains rapports, il est du plus haut intérêt pour les tré-
soriers de fabrique de ne pas être assimilés aux comptables de deniers
publics ou communaux. Qu'on lise lise l'article 174 du Code pénal,
lequel, d'accord avec un article de la loi budgétaire annuelle, punit
théoriquement les comptables de deniers publics ou communaux qui
sciemment auraient trop perçu. Dans certains cas où les obligations
auraient été exigées au-delà du tarif authentiquement approuvé par
l'évêque, il suffirait du concours d'un tyranneau du village malveil-
lant et d'un magistrat incapable pour faire traduire en cour d'assises
on honnête trésorier qui aurait consenti, avec tous les autres^ à se
laisser assimiler à un comptable de deniers publics.
ANNALES CATHOLIQUES
Quel serait le moyen d'éviter ces incoavénieats et de ne pas subir
une nouvelle illégalité ?
Vuici ce que nous proposons, sauf meilleur avis :
1° Dès le 3 janvier 1894, soumettre à l'enregistrement, dans le res-
sort de ce tribunal une quittance de trésorier de fabrique délivrée la
veille sur timbre de 10 centimes, avancer l'amende de 02 fr. 50, avec
le droit minime de quittance et assigner le lendemain en restitu-
tion de l'amende ;
3° Jusqu'à la solution de ce procès, continuer partout à procéder
commp par le passé, en délivrant les quittances supérieures à 10 fr..
sur timbre de 10 centimes.
Contre les abus d'un pouvoir quel qu'il soit, contre la législation
des grands ou des petits sectaires, des Brisson ou des César Duval
l'énergie peut beaucoup, peu même tout. Tout serait compromis par
la faiblesse des compromissions et des soumissions.
Nous n'hésitons pas à penser, comme M. Robert, que les
tribunaux Judiciaires doivent être saisis de la question dès les
premiers jours de l'application de la nouvelle législation des
fabriques.
Mais nous n'allons pasjusqu'à conseiller, en attendant la dé-
cision de la Cour de cassation, « de continuer partout à procé-
der comme par le passé, en délivrant les quittances supérieures
à 10 francs sur timbre de 10 centimes. » A vrai dire, ce qui
nous détourne d'adopter cette proposition de M. Robert, c'est
ce que M. Robert lui-même soutient au commencement de sa
consultation, savoir : que l'administration de TeDregistrernent
s'inspire d'un esprit de tracasserie et de fiscalité dont nos hon-
nêtes mais inexpérimentés trésoriers des fabriques d'églises de
campagne vont être incessamment victimes; que, pour des
timbres de quittance insuffisants ou annulés irrégulièrement, il
pleuvra des réclamations d'amendes s'élevant à 62 fr. 50 ; qu'à
la première menace ou vexation de ce genre, le petit proprié-
taire ou fermier donnera certainement sa démission; qu'alors le
service sera remis au percepteur qui, lui, timbrera trois fois
plutôt qu'une.
Il V a là des perspectives qui ne sont pas rassurantes et qu'un
long procès ne fera pas disparaître. La question, si importante
qu'elle soit, n'a pas cependant ce degré de gravité qui permet-
trait (le courir de tels risques.
Certes, qu'on engage un de ces bons débats normands qui
finissent par avoir raison des prétentions de la direction de
l'enregistrement! nous le souhaitons vivement. Mais, jusqu'à la
jotJRNAL d'un pèlerin 687
solution du procès, si l'administration ne suspend pas la mise à
■exécution de sa décision du 7 août 1893, nous pensons que les
comptables des fabriques agiront sagement en employant le
timbre de 25 centimes. Peut-être feront-ils bien d'y ajouter
«ette noentioii : c Timbre exigé par l'administration de l'enre-
gistrement et s'ajoutant de plein droit au montant de la somme
•due, «n vertu de la loi du 8 juillet 1865. »
{Revue administrative du Culte Catholique.)
JOURNAL D'UN PELERIN
La publication des Livres de raison est assez à la mode, à
l'époque où nous sommes, dans le monde archéologique. Quand
un savant découvre, dans la bibliothèiiue d'un vieux manoir, un
de ces cahiers aux feuilles jaunies oii nos pères écrivaient les
principaux événements de leur vie, il est heureux d'un bonheur
que tout le monde n'est pas tenu de comprendre, mais qu'il sent
vivement. Il savoure avec un plaisir exquis la date des bap-
têmes, des mariages et des décès etsurtout les réliexions naïves,
pieuses, parfois humoristiques, qui, d'ordinaire, font l'ornement
<lu cahier.
Cest, il faut l'avouer, un plaisir bien innocent, et personne ne
«ongera à le critiquer, encore moins à le condamner.
De nos jours, le livre de raison est abandonné; mais il est
.avantageusement remplacé par \e joui'nal. Le nombre d'enfants,
•déjeunes filles ou déjeunes mères qui, depuis un demi-siècle,
•ont jour par jour écrit dans un cahier leurs impressions, leurs
joies ou leurs douleurs, est incalculable. Le siècle présent pré-
pare aux archéologues du siècle futur de charmantes découvertes. .
Or, il se fait que, dans mon voyage autour de la grotte, j'ai
trouvé un jour, aux abords de la fontaine miraculeuse, le jour-
oal d'un pèlerin. C'est pour moi une i)réci6use découverte, et je
suis heureux d'en faire part à mes lecteurs.
Ce journal était perdu dans la poussière... Il ne portait pas de
signature... Les premières lignes m'ont séduit; les dernières
m'ont touché... Le voici sans commentaires.
I
Au départ, juin 1893, le temps est gris et sombre; nous
sommes douze cents pèlerins. Les femmes sont de beaucoup plus
nombreuses que les hommes. Ceux-ci sont clairsemés dan^ la
688 ANNALES CATHOLIQUES
foule. D'où vient cela? Est-ce que les hommes n'ont pas, comme
les femmes, des mérites à gagner, des grâces à obtenir, des
péniter:ces à faire ?
On s'est demandé un jour, dans un concile du moyen-âge, si
les femmes avaient une âme. En voyaut certains hommes de
l'époque contemporaine, on pourrait se demander si, vraiment,
ils en ont une, eux, car beaucoup font comme s'ils n'en avaient
pas.
A la gare, on se fait des adieux comme si l'on entreprenait un
long voyage. Or, nous ne partons que pour quatre jours. N'im-
porte, les mouchoirs s'agitent, les saints s'échangent, on se serre
la main, on s'envoie des sourires, Vadieu est sur toutes les
lèvres. Hélas ! voilà un mot qu'il faut écrire en marge sur toutes
les pages de la vie.
Nous disons tous les jours adieu à quelque chose, àquelqu'un,
à un rêve, à une espérance, à une aflfection, à un idéal. Nul ne
pourra changer cela. Un poète l'a dit gracieusement:
Si j'étais Dieu, la mort serait sans proie,
Les hommes seraient bons, j'abolirais l'adieu,
Et nous ne verserions que des larmes de joie
Si j'étais Dieu !
C'est là une charmante poésie, elle est finement ciselée ; mais
je crois, malgré tout, que si le poète qui l'a écrite passait Dieu»
il laisserait les choses comme elles sont, car l'adieu, qui ne
réveille souvent que des idées noires, offre cependant quelque-
fois des perspectives agréables. Pour moi, si j'étais Dieu et que
l'adieu n'existât pas, je l'inventerais volontiers et je crois que,,
pour m'en remercier, l'humanité m'élèverait des autels.
La locomotive pousse son dernier cri, et nous partons. Mes
compagnons de route font le signe de la croix, les prêtres récitent
les psaumes de V itinéraire, les femmes commencent leur chape-
let, les jeunes filles chantent des cantiques, les malades mur-
murent des formules, la prière tombe de toutes les lèvres et
déborde de tous les cœurs. C'est un beau moment. L'émotion
s'empare déjà des âmes pour les accompagner jusqu'à Lourdes.
Dans le parcours, et surtout au pied de la grotte, que de
vœux s'élèveront vers le ciel! Que de touchantes envolées de
désirs monteront vers Marie ! Beaucoup, hélas ! n'arriveront
pas à destination. D'oii vient cela? Dieu le sait. Nous savons
aussi que nos prièressont parfois comme des oiseaux auxquels on
a crevé les yeux et coupé les ailes : elles s'égarent en route, et
JOURNAL u'ln pèlerin 68^
voilà pourquoi nous les voyons si rarement triomphantes et cou-
ronnées.
Lourdes est cependant aujourd'hui un des grands chemins de
la prière, et la sainte Vierge nous prouve tous les jours qu'il fait
bon le suivre ; c'est la raison de toutes les supplications formu-
lées, murmurées et chantées dans les wagons, tandis que les
voitures roulant sur les rails emportent la pieuse caravane.
Quand on a prié on cause ; de quoi ? I)e mille choses. La cam-
pagne est belle comme une mère parée de,sesplus beaux atours.
C'est bientôt le momentde la moisson, et la terre, qui jusqu'alors
montrait des fonds de sinopled' vue fraîcheur parfaite, présenteà
l'œil des fonds d'or d'un éclat éblouissant. Il y a là, pour ceux
qui aiment l'agriculture, des thèmes de conversation qui s'har-
monisent merveilleusement avec les pieuses pensées d'un pèlerin:
le pèlerin doit en toutes choses bénir la Providence.
Les enfants, voyant les coquelicots rouges dans les blés, les
clochers pointus dans les arbres, posent mille petits pourquoi
qui font le bonheur des mères et le charme de la société. Ils
agrémentent le voyage, qui a certains côtés pénibles. — Nous
devons passer vingt heures en wagon. — L'enfance poétise toute
chose : il en faut dans les jardins, dans les salons, dans les céré-
monies, dans les pèlerinages, partout.
D'ailleurs, un train de pèlerins est l'image du monde tel qu'il
existe avec nos besoins, nos instincts, nos intérêts. C'est la pho-
tographie mouvementée de notre Société. Il porte des souvenirs
et des espérances, des joies et des repentirs, des sourires et
des larmes, des vertus et des héroïsraes, ajoutons même des
hontes et des ignominies qui, heureusement, vont être bientôt
purifiées par une bonne confession.
Aussi les physionomies d'un pèlerinage ont un cachet particu-
lier de sérénité qui n'échappe pas à l'observateur. Examinez les
trains de plaisir qui portent à une exposition, à un concours, à
une foire, des voyageurs entassés ; quelle diflfèrence dans l'ex-
pression, dans le regard, dans l'attitude ! Dieu ! quelle exposi-
tion ambulante de chair humaine ! Quel concours régional de
types abêtis, de figures vulgaires, de visages grossiers ! Comme
l'humanité qui se rue vers le plaisir est vilaine, bestiale ! Et
comme, au contraire, l'humanité qui va à la sanctification est
belle et touchante! Elle est auréolée; elle porte un nimbe fait
dâ pureté, d'innocence et de ferveur. L'autre est engiiriandée
de cvnisme.
50
690 ANNALES CATHOLIQUES
D'un côté, je vois des âmes qui poursuivent un idéal pieux,
un rêve religieux; de l'autre, des êtres qui poursuivent la sen-
sation et le bien-être. Ici, c'est la caravane aux nobles instincts
qui va aux readez-vous divins; là le bétail humain qui se rend
à un marché de satisfactions banales.
A l'œil, c'est parfois la même houle qui déferle dans nos gares
au moment des arrêts annoncés; mais, certes, l'allure est loin
d'être la même, le langage est bien différent. Dans les foules
ordinaires, vagues moutonnantes qui envahissent les buffets et
les buvettes, on voit bientôt l'écurae; dans les flots tranquilles
des pèlerins recueillis, il n'y en a pas.
Les gens qui nous voient passer aux stations ont parfois ul
air d'ébahissement qu'il est aisé de constater. Le pèlerin est, en
effet, à l'époque oii nous sommes, une curiosité. Il doit même
apparaître à beaucoup de nos contemporains comme un revenant
du moyen-âge, comme une relique du passé, comme un fossile
exhumé pour l'amusement des incroyants.
Jugez donc : tandis que la plupart des hommes voyagent pour
le commerce ou l'industrie, le plaisir ou la santé, en voilà qui
voyagent pour la prière ! Ils portent un ruban ou une médaille
sur la poitrine ; ils font le signe de la croix ; ils chantent des
psaumes; ils suivent une bannière; ils se rangent derrière une
soutane violette ou une robe noire et ils font cent, deux cents,
trois cents lieues pour baiser une roche pyrénéenne et invoquer
une madone blanche. N'y a-t-il pas là de quoi surprendre des
gens épais et ventrus ?
Je connais toute une classe d'hommes qui ne comprennent
jamais les pèlerinages et qui sont toujours disposés à les criti-
quer : ce sont ceux qui se font les commis-voyageurs des pé-
chés capitaux... Cette marchandise a partout des colporteurs
patentés. Le diable établit sous tous les cieux des maisons de
commerce, et les représentants de ces maisons sillonnent le
monde dans tous les sens. L'invention des chemins de fer ne les
a rendus que plus nombreux et plus arrogants. Ils pullulent
dans notre société, et Dieu sait s'ils crient quand passent nos
pèlerinages. Mais rien n'arrête nos pieux pérégrinanis. « Le
chien aboie, disent les Arabes, et la caravane passe. »
A Lourdes. — Nous voilà arrivés. La ville est pleine de pè-
lerins. Nous croisons des Bretons, des Provençaux, des Béarnais,
des Normands, des Auvergnats. La France, qui est divisée
comme un échiquier, est représentée par ses types, ses couleurs
JOURNAL d'un PÊI.EKIN 691
et ses costumes. Cette bigarrure est, du reste, pleine de charme:
ou ne fraternise jamais mieux qu'au seuil d'un sanctuaire catho-
lique. La langue n'est pas toujours la même, mais l'âme chré-
tienne a les mômes aspirations et les mêmes besoins.
Jusqu'à une heure avancée de la matinée, les ra'isses se conti-
nuent: le saint sacrifice est célébré à la grotte, à la crvpte, au
Rosaire, dans la basilique. Tous les autels sont occupés; tous
sont entourés de fidèles ajrenouillés. Quel envoleraent de messes
vers le ciel, et comme Dieu doit prêter attentivement l'oreille
aux murmures qui montent de Massabielle !
Je ne sais plus quel est le peintre qui a représenté un prêtre
célébrant le Saint Saci-ifice au dernier njomentde la fin tragifiue
du monde. Dans la partie supérieure du tableau, on voit Dieu
armé de ses foudres, prêt à fi'apper la teire, et, dans la partie
inférieure, un prêtre qui achève le divin mystère. L'Eternel
attend que la cérémonie soit terminée pour céder à son courroux
et foudroyer l'univers. Le prêtre sacrificateur semble lui dire :
« Halte-là! ne frappez pas encore, la divine Victime s'immole,
le moment de la colère n'est pas encore venu. » Le ciel com-
prend ce langage, et la terre tourne encore !
Plus d'une fois, je me le figure sans trop de témérité, Dieu
doit avoir la tentation de faire tomber sur l'humanité les ana-
thèraes de sa vengeance ; mais, d'un sanctuaire béni, s'échappe
une messe qui vient apaiser sa fureur, et de nouveau le monde
est épargné ! Et lorsque les messes sont nombreuses et ferventes,
quelle puissance ne doivent-elles pasavoirsur le cœur du Très-
Haut ! Nos sanctuaires sont à cet égard les paratonnerres de la
société. Qui pourrait dire les coups de foudre providentiels
qu'arrête le pèlerinage de Lourdes ?
Aux messes qui se célèbrent sans nombre il faut ajouter les
prières qui montent sans interruption et les communions qui se
font sans cesse dans le même but. Les confessionnaux sont
assiégés une grande partie du jour, et les absolutions pleuvent
en quelque sorte ù tout instant bur une foule de têtes humiliées
dans le repentir. C'est un beau spectacle. On pense, en le voyant,
que les confesseurs qui passent leur vie à purifier des cons-
ciences doivent arriver à une connaissance profonde du cœur
humain. La pathologie spirituelle est une grande science, et on
ne peut l'acquérir que par l'expérience et l'étude. Or, c'est sur-
tout dans les lieux de péleririage que se présentent les cas les
plus variés des maladies de l'àme ; c'est là qu'on apporte les
692 ANNALES CATHOLIQUES
plaies hideuses, les ulcères repoussants, comme les anémies
invétérées et les langueurs persistantes.
Le confesseur voit passer sous ses yeux toutes les infirmités
morales; il rencontre aussi des vertus admirables, des courages
ândomptés, et tout cela lui donne la vraie mesure du cœur. Il
apprend mieux qu'ailleurs ses faiblesses et ses énergies, et il
arrive, par l'audition, à une connaissance parfaite de notre
valeur chrétienne ou de notre incapacité divine. Aussi, on ne
pourrait dire le nombre de guérisons morales et de cures spiri-
tuelles qui s'opèrent ici, dans les consciences, sans que le monde
les voie, à côté des prodiges qui s'accomplissent en plein soleil,
aux yeux des pèlerins.
Un autre spectacle touchant, c'est celui de la prière orga-
nisée en croisade. A Lourdes, la prière a tous les accents et
prend toutes les formules; elle est tour à tour muette, chan-
tante, parlante ; on la voit debout, couchée, à genoux, les bras
en croix, les yeux au ciel. C'est surtout devant la grotte et les
piscines qu'elle se fait humble et suppliante; c'est là son champ
de bataille et aussi son arène victorieuse.
Un libre-penseur qui verrait les pèlerins réciter le chapelet
ou chanter des cantiques sous la direction d'un prêtre ou d'un
religieux qui .bat la 'mesure de la prière comme du chant, et
cela en plein vent, à la pluie, au soleil, par tous les temps,
dirait peut-être : « Ces gens sont fous », et je suis convaincu
que cette parole a dû parfois tomber des lèvres de plus d'un
passant. Mais qu'importe? lorsque les apôtres sortirent du
cénacle, on les croyait ivres; leur ivresse a régénéré le monde.
La pr-iére est la sainte folie des pèlerins, et, avec elle, ils met-
tent Dieu dans les àraes, dans les familles et dans les nations;
ils mettent, en outre, du baume sur les blessures de la patrie,
des espérances dans la vie de l'Eglise et des miracles dans la
vie de l'humanité.
II
Il y H une étude qui m'intéresserait tout particulièrement à
Lourdes si je pouvais la faire assidûment. Elle consisterait à
noter le caractère des lettres et des télégrammes qui arrivent
journellement au sanctuaire, des cantiques et des psaumes qui
s'y chantent, des seriiions et des homélies qui s'y donnent. Ne
serait-ce pas, en quelijue sorte, tàter le pouls à la société
chrétienne, compter les pulsations du cœur catholique que de
voir en détail les demandes, les supplications, les actions de
JOURNAL d'un pèlerin 693
grâces qu'apportent tous les jours la poste et le télégraphe,
comme aussi de connaître les élans de joie, les cris d'espérance,
les hymnes de triomphe qui partent par les mêmes voies dans
toutes les directions du monde? Quelle belle photographie des
âmes aimant Lourdes ne ferait-on pas avec ce procédé! Mais
cette vue n'est réservée qu'aux anges. Nous devons nous con-
tenter de l'expression des physionomies sereines ou tristes,
radieuses ou éplorées, qui trahissent tour à tour les émotions
de la joie ou de la douleur.
Il serait aussi très curieux d'étudier les divers cantiques
composés et chantés, en l'honneur de Notre-Dame, par les pèle-
rins qui arrivent à Lourdes de tous les points de la France.
Chaque province donne sa note et chaque pays son accent: les
Provençaux font entendre leur langue harmonieuse et pitto-
resque à côté de la poésie rocailleuse des Bretons; les Béarnais
marient leurs voix à celles des Lorrains, les patois se croisent,
les dialectes se mêlent, les poèmes se confondent, les refrains
se répondent : c'est un concert dont on aimerait à noter les pa-
roles et la musique, et qui, dans tous les cas, laisse dans l'âme
les plus douces impressions.
Que dire de la prédication? Elle se présente ici sous toutes
les formes. J'y ai entendu tour à tour le sermon, l'homélie, la
conférence, le prône, le felvorino.
Ce dernier genre est, je crois, le plus usité. C'est à mon sens,
du reste, le plus en harmonie avec l'esprit des pèlerins venus
de loin, plus ou moins fatigués, qui réclament plutôt des senti-
ments chaleureusement exprimés que des enseignements métho-
diquement débités.
J'ai gardé dans mon souvenir l'ossature d'un discours pro-
noncé à la basilique devant un immense auditoire; la voici.
L'ossature d'un sermon me fait l'effet d'un navire auquel on
aurait arraché les voiles, les agrès et la mâture. Cette image
m'est fournie par un Père de l'Eglise qui parle du signe de la
croix fait par les prédicateurs avant leur exorde comme d'une
bannière ou d'un drapeau qui ornei'ait, à la proue, le vaisseau
du discours : Navim sermonis crucis signaculo insignitam.
Défait, le sermon analysé n'a plus le souflle de l'orateur qui
gonfle, en quelque sorte, ses voiles et le pousse triomphalement
à travers des flots d'éloquence vers la destination rêvée.
« Qu'est-ce qu'un pèlerinage ?> s'est demandé le prédicateur.
« C'est, a-t-il répondu, un élan de passion religieuse et un acte
694 ANNAI^ES CATHOLIQUES
de vertu, chrélienne. » Pour établir cette vérité, il faut recourir
à une autre: c'est que la religion, comme l'a dit le P. Lacor-
daire, est tout à la fois une passion et une vertu.
Quelles sont les routes qui nous conduisent à Dieu ? Ce sont
l'intelligence, le cœur, les sens. Or, ces puissances de notre être
sont toutes aimantées vers Dieu. Il est facile de s'en convaincre :
quelles sont dans l'humanité les trois races qui personnifient le
mieux l'intelligence, le cœur, les sens? Pour l'intelligence, c'est
le philosophe, le penseur, le poète ; pour le cœur, c'est .a femme,
la jeune fille, la mère; pour les sens, c'est le pauvre, l'ouvrier,
le malheureux.
Cela dit, que se passe-t-il ? Que voyons-nous ? Que cherche le
philosophe dans ses méditations? L'Infini; mais l'Infini n'est
qu'un voile, un rideau derrière le(iuel Dieu se cache. Que
cherche le penseur dans la profondeur de ses élucubrations? La
vérité; mais la vérité, c'est Dieu même. Que cherche le poète
dans les lêves de son imagination ? La beauté; or, qui ne sait que
Dieu est la beauté par essence? Voilà comment l'intelligence,
dans ce qu'elle a de plus exquis, est portée vers la religion.
Le cœur, dans ses plus nobles représentants, a les mêmes
entraînements. Quelle est la femme qui ne se sent pas faite pour
l'adoration ? Quelle est la jeune fille dont les lèvres ne s'ouvrent
pas pour la prière? Quelle est la mère qui ne dit pas : « Je veux
Dieu pour moi, pour mon fojer, pour mes enfants? »
Dans le domaine des sens, nous avons la même réponse. Que
cherche le pauvre, l'ouvrier, le malheureux? L'assistance, le
travail, le secours. Où trouvera-t-il tout cela ? N'est-ce pas
auprès de Dieu, je veux dire de ses ministres, de ses amis et de
ses serviteurs? Qu'est-ce que l'Hôtel-Dieu ? La maison de ceux
qui n'en ont pas. Le Prêtre? Le père des orphelins. L'Église?
La mère des infortunés.
Donc, l'humanité va vers Dieu par ses trois grandes puis-
sances comme l'aiguille va vers le nord, comme l'oiseau va vers
le ciel, comme le Gave va vers la mer. Donc, la religion est une
passion. Un jour, cette passion met en mouvement les âmes ; un
souffle, parti de la grotte de Massabielle, passe sur les intelli-
gences, les cœurs et les poitrines, et un pèlerinage s'organise.
On dit : « Allons à Lourdes, » et les foules se lèvent comme un
seul homme pour suivre un élan de passion religieuse.
Elles font en même temps un acte de vertu chrétienne. Qui
ne connaît la légende de saint Christophe qui, à travers un tor-
JOURNAL d'un pèlerin 695
rent impétueux, porte l'Etifant Jésus sur ses épaules et finit par
trouver qu'il pèse comme le monde? * Ce n'est pas étonnant, je
suis le maître du monde », répond Jésus. Or, nous devons tous,
qui que nous soyons, porter Dieu, et^il en coûte parfois de le
porter. Il en coûte de ployer le front sons la loi du Décalogue,
le cœur sous les préceptes du devoir, la chair sous les rigueurs
de la pénitence. Les devoirs que proclame la religion demandent
un combat de tous les instants. Contre quoi? Contre l'aberration
de l'esprit, la corruption du cteur, la fascination des sens. A
Lourdes, nous trouvons les armes qui nous sont nécessaires dans
cette triple lutte.
La grande aberration du moment, c'est le naturalisme ; nous
le combattons devant la grotte par la proclamation du miracle.
La corruption du cœur est immense. Le monde est contaminé
par une épidémie terrible qui fait partout d'affreux ravages : en
venant à Lourdes, nous nous plaçons sous le signe de la Vierge.
La madone blanche nous prêche la pureté, du fond de sa niche
de marbre, La fascination des sens arrive de nos jours à son
paroxysme ; le sensualisme triomphe partout, grâce au livre,
au journal, à la gravure, à la mode, au théâtre ; nous le com-
battons en pratiquant la pénitence proclamée devant Massabielle
par la Vierge Immaculée.
Un pèlerinage est donc un acte de vertu chrétienne, et telle
est, en ces quelques mots rapides, la charpente du discours que
j'ai entendu. C'est le sermon desemparé. Je n'ai plus qu'à
ajouter le mot de la fin en guise de gouvernail. Ce mot com-
prend les encouragements et les félicitations donnés aux pèlerins
parle prédicateur dans une éloquente péroraison. On voyait
qu'il était senti et qu'il partait du cœur. Aussi, après la céré-
monie, les auditeurs étaient-ils èlectrisés. L'éloquence vraie,
celle qui s'inspire des lieux, au moment des circonstances,
avait passé sur eux.
Après cela, ils sont montés en grand nombre au calvaire pour
y réciter les prières du chemin de la croix. Un calvaire attire
toujours les âmes endolories, et quelles sont celles qui ne le
sont pas un peu? Les porte-croix sont nombreux en ce monde,
et ceux qui aperçoivent un Golgotha simulé sur une colline en
font volontiers l'ascencion pour se familiariser avec la pensée
que la vie est une marche pénible à travers les souff"rances et
dans la direction du sacrifice.
Du reste, le calvaire de Lourdes, du haut du rocher qu'il
696 A.NNALK8 CATHOLIQUES
domine, offre aux regards un gracieux panorama. Les touristes
montent souvent à la cime des montagnes pour assister au lever
du soleil et voir le roi du jour poindre sous leurs pieds. A
Lourdes, quand nous sommes sur le calvaire, nous avons à nos
pieds et sous nos yeux le fief de la Sainte-Vierge: le sanc-
tuaire avec son clocher, le val avec son gave, la prairie avec sa
pelouse. C'est un site admirable qui doit faire rêver le peintre,
ie photographe, le poète. Toutes les muses peuvent s'y donner
la main en présence d'une riante perspective. La religion elle-
même ne peut que s'applaudir du paysage : la Vierge aurait pu
apparaître à la cime de la montagne : elle ne l'a pas voulu ; elle
s'est montrée dans la grotte de Massabielle, presque au niveau
du sol. N'était-ce pas pour indiquer qu'elle voulait se rendre
accessible à tout le monde et qu'elle désirait se rapprocher le
plus près possible de l'humanité?
On lui prouve qu'on l'a comprise, et voilà pourquoi Lourdes
est devenu un point d'admiration pour l'univers catholique;
voilà pourquoi, de tous les coins du globe, on y vient pour cher-
cher des prodiges et des bénédictions.
Quelqu'un se demandait devant moi pourquoi on y voyait plus
de femmes que d'hommes. La réponse est facile. Les historiens
ont remarqué que Notre-Seigneur, dans ses courses évangéli-
ques, était surtout suivi par des femmes et des enfants. Quel-
ques hommes quittaient bien leurs filets ou leur comptoir pour
se joindre à lui, mais c'était le petit nombre. Les choses n'ont
pas changé. Le cœur humain est resté le même. Certes, les
hommes qui savent quitter leurs filets, leur comptoir, leurs
plaisirs, pour aller à Lourdes ne manquent pas, mais on ne sau-
rait nier que les femmes y viennent toujours en plus grand
nombre.
L'homme défend la patrie, la femme défend l'Eglise, et, d'ici
à la fin du monde, il n'est pas à présumer que cette disposition
providentielle qui donne à l'âme féminine un apostolat particu-
lier soit jamais changée. Hâtons-nous de remarquer toutefois
que, souvent. Lourdes reçoit des pèlerinages composés exclusi-
vement d'hommes. Dans tous les cas, il faut signaler le nombre
infini de prêtres qui, seuls ou accompagnés de fidèles, entre-
prennent chaque année la pieuse pérégrination.
On voit à la sacristie de la crypte, de la basilique et du
Rosaire, un livre sur lequel mettent leurs noms ceux qui ont
célébré la messe dans l'une des chapelles du sanctuaire, et on
JOURNAL d'un pèlerin 697
retrouve là, parmi des noms obscurs, des noms constellés de
gloire: de petits vicaires à côté de nonces apostoliques, des pré-
lats avec des religieux, des curés de paroisse avec des princes
de l'Eglise ; et, quand on regarde les nationalités diverses repré-
sentées par ces hommes de Dieu, on découvre dans une colonne
de noms géogra[jhiques les chrétientés des cinq parties du
monde: la Russie y rencontre la Pologne, la Lorraine y coudoie
la Prusse et le Céleste-Empire y sourit à notre République :
Pétersbourg et Cracovie, Nancy et Uerlin, Pékin et Paris, se
donnent la main dans une fraternité édifiante et touchante à la
fois qui ne peut guère, hélas! exister que sous la rubrique de
Dieu et la bannière de Marie.
Ce qui existe sans conteste, c'est la fraternité vraie des pèle-
rins, quel que soit leur langage ou leur costume. Les sourires,
les amitiés et les poignées de main s'échangent avec une cordia-
lité qui fait penser aux premiers temps de l'Eglise, et cela dans
toutes les rencontres : à la grotte, à l'hôtel, à l'hôpital.
A la grotte, on fait connaissance; à l'hôtel, on s'assied à la
même table; à l'hôpital, on sympathise bien vite. Ce dernier
logis ne reçoit que des malades pauvres, mais ceux-ci ont tou-
jours à dépenser un trésor d'affection qui est en raison directe
de leurs souffrances et de leurs misères. Partout, enfin, on se
sent frères mieux qu'ailleurs, on se le dit de mille manières, on
se le prouve par mille petits riens qu'un autre ciel ne saurait
inspirer.
A l'hôpital, j'ai entendu une pauvre fille percluse s'écrier, en
présence d'une compagne qui venait d'être guérie après un bain
à la piscine : « Comme elle est gâtée de la Sainte Vierge, celle-
là! Jfa viens d'aussi loin qu'elle, j'ai fait autant qu'elle, et me
voilà toujours dans le même état; j'ai envie de faire un [>rocès
au bon Dieu! » La jalousie est un vilain défaut, mais, n'est-il
pas vrai tju'il peut y avoir de saintes jalousies? Si je ne me
trompe, celle-ci est du nombre.
C'est aussi une sainte jalousie qui s'empare des pèlerins par-
tants quand ils voient ceux qui restent. Nous partons après deux
jours d'enthousiasme, de prières et de ferveur. Il me semble,
pour ma part, que mon âme a pris un bain surnaturel et qu'elle
s'en va plus robuste et plus forte.
Nous faisons nos adieux à la grotte. Il y en a qui pleurent.
Je ne suis pas bien sur de n'avoir pas fait comme eux. Il me
semble que je ne rapporte pas mon âme tout entière et que j'en
698 ANNALES CATHOLIQUES
ai laissé quelques parcelles attachées à la grotte. Je ne ferai pas
un procès au bon Dieu, mais je reviendrai.
Les poètes comparent la vie à un banquet. Dans les banquets,
nous avons plusieurs verres devant nous pour déguster des vins
de différents crias. La Providence nous traite de la même ma-
nière : elle met devant nous des coupes différentes, dont les unes
sont douces et les autres araères. Un pèlerinage à Lourdes est,
pour une âme vraiment catholique, une coupe enchanteresse.
Le journal s'arrêtait là. Qui l'avait écrit? Je l'ignore. J'ai reconnu
cependant, sous l'écriture, une main masculine. J'ai même cru
deviner, grâce à la graphologie, aux caractères tourmentés, aux
lignes ascendantes, une nature d'artiste, une âme de poète.
L'auteur est-il un jeune homme ou un homme fait? Je n'ai pas
su le découvrir. Quoi qu'il en soit, je livre ces pages telles que
je les ai trouvées. Elles sont le miroir d'impressions éprouvées
et connues par les pèlerins de Lourdes. Ceux-ci pourront s'y
regarder, et ils diront, je l'espère : « C'est bien cela! »
Hknry Calhiat.
LES PRIX DE VERTU
(Voir les Annales des 2, 9 et 23 décembre 1893.)
Un psychologue, aujourd'hui fort à la mode, qui fut, chose
rare, homme d'action et d'observation, et qui avait été élevé à
la plus forte école d'énergie que le monde ait connue, l'armée
de l'empereur, Stendhal, raconte quelque part un de ces petits
faits qu'il aimait tant et qui, dans le problème qui nous occupe,
apportent sinon une solution, au moins une indication instruc-
tive.
Un ancien lieutenant de la Grande Armée, approchant de la
cinquantaine, sortait des Invalides par un froid rigoureux. Il
relevait de maladie et traînait le long du quai ses jambes rai-
dies par les rhumatismes, lors^qu'il entend des cris : « Un homme
se noie dans la Seine! » Le lieutenant poursuit son chemin en
se disant qu'on va sans doute sauver l'homme, qu'il y a des
gens plus jeunes et mieux portants que lui. Oui, mais il est
excellent nag<Mir et fameux comme tel. Sans doute, mais un
bain dans la Seine, par cette température, c'est une rechute,
LES PRIX DE VERTU 099
six mois à la chambre. Alors le lieutenant entend distincte-
ment une voix : « Lieutenant Louant, vous êtes un lâche! »
C'était sa conscience qui parlait. Il court sur la berg'e, se jette
à l'eau, sauve l'homme et rentre à l'hôpital. Je ne crois pas que
sa conscience ait pris la peine de parler encore pour lui dire :
« Lieutenant Louant, vous êtes un brave! »
Voilà bien, ce me semble, Messieurs, sous la forme probante
de l'anecdote, une explication de l'héroïsme propre au sauve-
teur : une voix mystérieuse qui commande, une lutte morale,
une résistance rapide comme l'éclair, puis l'acte soudain. De
telles natures agissent sur l'ordre de ce qu'il y a de plus noble
en nous, le besoin de dévouement. Si elles n'obéissaient {)as, ce
serait pour elles un remords immédiat; non pas le remords
du mal accompli, mais du bien non tenté.
A défaut de lieutenant de la Grande Armée, je puis vous pré-
senter, parmi plusieurs intrépides marins, le subrécargue
Edouard Levasseur, de Fécarcp, à qui plus de vingt-cinq per-
sonnes doivent la vie, et qui, le 29 janvier de l'année dernière,
a accompli le sauvetage de douze marins, du capitaine, de sa
femme et de son enfant de trois ans, qui se trouvaient à bord
du trois-mâts russe le Finland, jeté à la côte sur les rochers.
Levasseur est marié, père de quatre petits enfants; il aide ses
frères et sœurs à soutenir la vieille mère : nulle existence n'est
plus précieuse que la sienne. C'est une raison de plus pour qu'il
la risque au premier signe, et tenez pour certain que le prix
Lange, de 1,000 francs, qu'il vient d'obtenir, ne le corrigera pas
de sa témérité.
Aimé-François-Joseph Pagnez, à qui vous avez, avec justice,
attribué le prix Gémond, est un homme de la même trempe.
Cet ancien soldat, aujourd'hui très modeste employé à la
Chan)bre des députés, a positivement l'âme d'un héros. Quand
il y a un danger à courir, quand il faut exposer sa vie pour
celle d'autrui, Pagnez est toujours prêt. Un cheval prend-il le
mors aux dents et répand il, dans une rue populeuse, le désordre
et l'effroi, Pagnrz lui saute aux naseaux et se fait traîner par
l'animal affolé jusqu'à ce qu'il s'en soit rendu maître. S'il voit
des tiammes sinistres se tordre dans le ciel, il accourt et se
jette au feu, comme il l'a fait lors de l'effroyable incendie Je
l'Opéra-Comique, oii il a sauvé un homme et deux femmes. Il
faut dire aussi que, à son point de vue, Pagnez a de la chance :
les occasions de montrer son intrépidité se multiplient pour luj
700 ANNALES CATHOLIQUES
et semblent le chercher. En 1886, dans un restaurant où il pre--
nait son repas, il a dû lutter contre un fou furieux et lui arra-
cher le couteau de la main Plus récemment, dans la salle d'at-
tente du Palais-Bourbon, un aliéné brandissait un bâton, sans
doute avec l'intention d'assommer un ministre ou un député qui
ne représentait pas exactement sa nuance politique. Pagnez l'a
désarmé, mais en recevant lui-même un coup qui lui a brisé le
poignet. Félicitons cet homme courageux de s'être opoosé, dans
la mesure de ses forces, à l'introduction des voies de fait dans
nos mœurs parlementaires.
Mon devoir est accompli. Captif des étroites limites d'un rap-
port, je vous ai rappelé, trop laconiquement et en trop petit
nombre, quelques-uns des traits de bravoure, de bonté, de dé-
sintéressement, que vous avez eu la joie de récompenser. Ce-
pendant, au moment où je termine ma tâche, deux pensées me
sollicitent : l'une est toute de consolation, car je viens d'acqué-
rir la preuve qu'il est encore bien des grands coeurs; mais
l'autre, je vous l'avoue, est profondément triste, car, afin de
vous dire où et comment ces grands cœurs se sont prodigués,
j'ai dû remuer devant vous beaucoup de misère, et de misère
innocente. Ainsi, malgré tant de mains pieuses qui essaient de
la panser et delà guérir, elle n'est pas fermée, la vieille plaie;
elle est toujours à vif et saignante, et, bien des symptômes nous
l'indiquent, ceux qu'elle dévore n'ont jamais enduré leurs souf-
frances moins patiemment qu'aujourd'hui.
Devant ce spectacle navrant et ces plaintes exaspérées, il est
nécessaire de se recueillir.
Nous en avons tous la sensation; il y a là un péril. La foule
des déshérités du sort, que berçait jadis la prière, et qui s'enivra,
du temps de nos aïeux et de nos pères, de gloire et de liberté, a
été gagnée — et nul n'a le droit de le lui reprocher — par l'es-
prit positif de ce siècle qui finit. Loin de moi la pensée que le
prolétaire soit désormais incapable de s'enthousiasmer pour une
noble cause ou même pour une belle chimère! Je ne me rési-
gnerai jamais à admettre chez le peuple de France la décadence
de l'idéal. Mais, pour le moment, les revendications des classes
pauvres ont un caractère pratique. Ce qu'elles réclament, c'est,
après tout, ce que l'humanité leur devrait : un peu moins de
peine dans làge du travail, quelque sécurité pour la vieillesse;
et, qu'on y prenne garde, les voix deviennent chaque jour plus
impérieuses.
LES PRIX DE VERTU 70ï
En vain criera-ton à l'impossible devant certaines réfornaes,
qui semblent exorbitantes à nos préjiipfés et à nos habitudes.
Tout arrive. Un courtisan de l'Œil-de-Bœuf à qui un prophète
serait venu dire, en 1788, que soixante ans plus tard, le suf-
frage de son petit-fils ne pèserait pas plus, dans les balances
du pays, que le vote d'un rustre ou d'un laquais, aurait levé les
épaules en pirouettant sur son talon rouge. Instruite par le
passé, la société moderne sera, j'en ai le ferme espoir, moins
aveugle et moins légère.
D'ailleurs, soyons optimistes. A l'heure des concessions, les
privilégiés de ce monde n'écouteront pas seulement les conseils
de la prudence; ils entendront surtout l'appel fait à leur cœur.
Déjà il a été poussé, et de tous les côtés, par des bouches élo-
quentes; il a retenti à la tribune des assemblées et dans la
chaire chrétienne; il a trouvé un écho chez les croyants et chez
les scepti(iues, chez les plus autoritaires et chez les plus indé-
pendants. La question de la misère — car il n'y a pas d'autre
question sociale — est aujourd'hui solennellement posée, et ce
qui est dans tous les esprits ne tarde pas à passer dans les lois.
Laissez-moi, Messieurs, le jeter à mon tour, ce cri de pitié ;
laissez-moi déclarer bien haut que c'est, pour les gens de cœur,
une souffrance aiguë, insupportable, de se dire, chaque fois que
la nuit tombe, qu'elle enveloppe de son ombre le désespoir de
tant de misérables. Certes, il y aura toujours des infortunes ;
mais, si le nombre en diminuait sans cesse, s'il n'en était plus
du moins d'imméritées, quelle gloire et quel triomphe pour la
civilisation !
Non, nous ne conseillons à personne de céder aux menaces
d'en bas; nous rappelons seulement qu'il y a les pauvres, les
pauvres sacrés, ceux que l'Eglise appelle, par une ex[)ression
si forte, les membres souffrants de Jésus-Christ. Nous venons
de vous en montrer quelques-uns, comme il y en a tant, doux
et rèsi::ués, .s'aimant et se portant secours, partageant entre
eux leur dernier morceau de pain. Que leur souvenir et leur
exemple exaltent nos bonnes volontés, épanouissent nos cœurs,
nous préparent aux sacrifices et nous emportent dans un grand
courant de justice et de fraternité!
"702 ANNALES CATHOLIQUES
LETTRE ET INSTRUCTION
SUR I.A COMPTABILITÉ DES FABRIQUES
Oq va lire la belle protestatioa de Monseigneur l'évoque de Séez
-contre le principe du décret sur la comptabilité des fabriques et son
application.
Voici le texte de la lettre ministérielle qui, à la date du 15 dé-
cembre dernier, était adressée, sur ce sujet, à tous les évoques de
France :
Paris, le 15 décembre 1893.
Monsieur l'évêque,
Une circulaire de mon prédécesseur, en date du 30 mars 1893,
vous a transrais le texte du décret du 27 du même mois, portant
règlement d'administration publique sur la comptabilité des
fabriques. Cette circulaii-e traçait en même temps les règles
nouvelles applicables à la rédaction des budgets qui ont dû être
votés dans la dernière séance de Quasimodo, et elle vous annon-
çait l'envoi ultérieur des modèles et instructions prévus par
l'article 29 du décret.
J'ai l'honneur de vous adress^îr ci-joint ces documents.
Dans leur rédaction, mon administration, de concert avec
M. le ministre des finances, s'est appliquée à réduire au mini-
mum strictement indispensable les formalités en usage dans la
comptabilité publique, et, tout en conservant les règles essen-
tielles de cette comptabilité, à les approprier, dans les limites
tracées par le décret du 27 mars lui-même, au caractère spécial
des établissements fabriciens. L'Instruction générale ci jointe,
notamment, se borne à rappeler les principes qui sont la base
de la com|)tabilité publifiue et à se référer aux cas d'une appli-
cation usuelle et en quelque sorte courante. Dans ma pensée,
comme dans celle de mon collègue des finances, elle doit consti-
tuer, pour les conseils de fabri(jae et pour leurs comptables, un
guide aussi clair et aussi succinct que possible, dans lequel les
cas particuliers ont, à dessein, été laissés de côté, me réservant
de les examiner avec vous et de vous adresser les explications
qui vous paraîtront nécessaires.
A l'instruction générale proprement dite se trouvent annexés
la nomenclature des justifications à produire par les comptables
à l'appui de leurs comptes et les motièles des registres et impri-
més divers qui devront être remployés par les fabriques.
En ce qui concerne la nomenclature, il suffit de la comparer
à celle qui est en usage dans les communes et établissements de
COMPTABILITÉ DES KABKIWUES 703
bienfaisance, pour se convaincre du désir de simplification qui
a présidé à sa rédaction. Les pièces exigées sont seuienaent celles
qui sont strictement indispensables pour justifier de la sincérité
des opérations faites par les comptables.
En matière de timbre, l'exemption, qui a pour base l'article 81
du décret-loi du 30 décembre 1806, a reçu tout le développe-
ment [)Oss:ble: les justifications de titres à l'appui des comptes
pourioiit toujours être suppléées par des copies ou extraits sur
papier libre, et les mémoires des travaux ou fournitures par
des quittances explicatives, passibles seulement du timbre
de 0 fr. iO.
Quant aux quittances délivrées par les comptables au nom et
aux frais des débiteurs des fabiiques, elles sont passibles du
timbre de 0 fr. 25, comme toutes les quittances des comptables
publics ; mais toutes celles qui seront délivrées par les réjris-
seurs de recettes — et c'est de beaucoup le plus grand nombre
— continueront à n'être timbrées qu'à 0 fr. 10. Les divers
modèles qui suivent la nomenclature sont uniquement destinés
à faciliter la tâche des conseils de fabrique et de leurs comp-
tables, mais toute latitude est laissée aux fabriques, sons votre
autorité, au sujet du format et de la disposition matérielle des
registres et imprimés à employer.
J'appelle votre attention, M. l'évêque, sur les modèles des
comptes.
Les régies de la comptabilité publique exigent deux comptes:
l'un, le compte administratif, rendu par V ordonnateur, c'est-
à-dire par le président du bureau des marguilliers ; et l'autre,
le compte de gestion, rend» par le comptable. C'est ce dernier
qui est soumis à l'apurement du conseil de préfecture ou de la
cour dos comptes.
L'article 30 du décret du 27 mars 1893 ayant décidé que les
dispositions de ce décret ne seront applicables qu'aux budgets
délibérés par les fabriques, en 1893, et aux comptes rendus
pour l'exécution de ces budgets, il en résulte que les nouveaux
modèles ne seront obligatoires que oour les comptes rendus à
la Quasimodo 1895, pour l'exercice 1894.
Néanmoins il a paru préfér;ible de donner dés maintenant ces
modèles pour réunir à la présente circulaire et permettre ainsi
de conserver ensemble dans les évèchés les diverses formules
reconnues nécessaires.
Pour ce motif, vous trouverez également sous le n° l un nou-
veau modèle de budget.
704 ANNALES CATHOLIQUES
Ce modèle ne diflëre de celui qui était annexé à la circulaire
du 30 naars dernier que par quelques modifications de détail
relatives notamment à l'énumération de diverses recettes et
dépenses. Mais il demeure entendu que cette énumération,
donnée à titre de simple indication, n'a aucun caractère limi-
tatif, toutes additions utiles pouvant être faites à la main sous
l'autorisation et la responsabilité de l'autorité épiscopale chargée
d'approuver le budget.
De même il convient de ne pas se méprendre sur la portée de
la division du budget en budget ordinaire et budget extraordi-
naire, prévue par le modèle. Cette division prescrite par le
décret du 27 mars 1893 par analogie avec les dispositions de la
loi municipale du 5 avril 1884 et dans le but de permettre la
détermination de la compétence du conseil de préfecture ou de
la Cour des comptes pour le jugement des comptés, n'a, en
aucune façon, la portée que certains commentateurs ont paru
lui attribuer. Le décret du 27 mars 1893 n'a ni pu ni voulu
modifier celui du 30 décembre 1809 sur ce point essentiel, en
instituant deux budgets absolument indépendants et il serait
inadmissible que les fabriques ne pussent, comme par le passé,
recourir à l'excédent de leurs recettes extraordinaires pour
faire face, en cas de besoin, à des dépenses ordinaires, et vice
versa. Aussi tous les modèles de budget, qu'ils soient antérieurs
ou postérieurs au décret du 27 mars, se terminent-ils par une
récapitulation générale totalisant toutes les recettes et dépenses
de la fabrique aussi bien ordinaires qu'extraordinaires, l'équi-
libre devant être assuré sans tenir compte de cette distinction.
Enfin, vous remarquerez qu'à titre transitoire et pour per-
mettre l'établissement du piemier compte de gestion, l'article
51 de l'instruction prévoit un procès-verbal de la situation de la
caisse de chaque fabrique au 1" janvier prochain. Conformé-
ment à l'article 13 du décret réglementaire, ce procès-verbal
devra être dressé par le bureau des marguilliers.
Je vous serai obligé, M. l'évêque, de vouloir bien porter les
instructions ci-jointes à la connaissance des conseils de fabriques.
Je nie plais à espérer que vous y trouverez les indications néces-
saires pour compléter l'exécution du décret du 27 mars, déjà
commencée par le vote du budget et la désignation des comp-
tables. Je me tiens toutefois à votre disposition pour vous
adresser, sur votre demande, tous éclaircissements complémen-
taires.
PROTESTATION ÉPISCOPALE 705
Agréez, M. l'évêque, l'assurance de ma haute considération.
Le mmistre de rinstruction publique,
des beaux-arts et des cullei.
Spulletu
A cette lettre est jointe une instiuction détaillée et purement
technique, énumérant toutes les formalités à remplir pour la compta
bilité des fabriques.
PROTESTATION ÊPISCOPALE
Au sujot du décret sur la comptabilité des fabriques, voici la re-
marquable lettre que Mgr Trégaro vient d'adresser au minisire de
l'instruction publique et des cultes.
M^r l'évêque de Séez y prouve très bien que le décret est illégal.
Il y dénonce, avec une vigueur apostolique, à laquelle on ne saurait
trop applaudir, une main-niiso du gouvernement, à courte échéance,
aur les fabriques et « une nouvelle atteinte à nos libertés les plus
chères, les plus sacrées, en attendant les chaînes de plus en plus
écrasantes qu'on prépare à l'Eglise ».
Il n'est pertionne qui ne soit à même, parmi les catholiques, de vé-
rifier l'exaclituile parfaite de cette douloureuse constatation.
Voici la lettre de Mgr l'évêque de Séez :
Monsieur le ministre.
Une lettre de M. le préfet de l'Orne, en date du 4 novembre
dernier, m'invite à mettre à exécution le règlement d'adminis-
tration publique sur la comptabilité des fabriques, conformément
aux termes de l'article 9, § 2, du décret du 27 mars 1893. Je
vous prie, monsieur le ministre, lie me permettre de vous sou-
mettre qutslques observations, avant de donner suite à la de-
mande que M. le préfet de l'Orne me fait l'honneur de m'adresser.
L'article 5 du décret du 27 mars 1893, portant règlement
d'administration publique sur la comptabilité des fabriques,
s'exprime ainsi : « A défaut du trésorier et d'un receveur spécial,
les fonctions de comptable de la fabrique seront remplies par le
percepteur. » Ce décret, monsieur le ministre, ne tire sa force
que de l'article 78 de la loi du 2(3 janvier 1892. Or, en donnant
une délégation assez large, le léfrislateur a cependant fixé des
limites qui équivalent à dire : Le règleOient d'administration
publique n'aura qu'à faire l'application, aux comptes et budgets
des fabricpies, des régies de la comptabilité; l'organisation et le
fonctionnement des conseils des fabriques n'éprouveront aucune
modification. Ces limites s'imposent absolument au règlement
51
100' ANNALR8 CATHOMQUBS
d'administration, comme le prouve l'article 78 de la loi du 26 jan-
vier 1892, ainsi conçu :
« A partir du 1" janvier 1893, les comptes et budgets des
fabriques et consistoires seront soumis à toutes les règles de la
comptabilité des autres établissements publics. »
Or, 1-3 choix du comptable est-il une régie de comptabilité pu-
blique? Evidemment non; ce n'est qu'une régie d'organisation
administrative. Du reste, il avait été convenu qu'on respecte-
rait les dispositions formelles du décret du 30 décembre 1809,
qui décide que tous les deniers des fabriques seraient reçus et
dépensas par un marguillier. Le gouvernement n'ajant tenu
compte ni tlu mode de nomination du comptable, ni des disposi-
tions du décret de 1809, serait-ce trop présumer de croire que
le décret du 27 mars 1893 n'a qu'une valeur relativement légale?
Dans ce cas, monsieur le ministre, puis-je me prêter à colla-
borer comme évêque à son exécution? Votre Excellence condam-
nerait elle-même ma conduite ; et elle aui'ait raison.
De plus, monsieur le ministre, l'épiscopat n'avait- il pas un
certain droit, au moins de convenance, à être consulté dans cette
circonstance, suivant les traditions les mieux établies? En 1880,
en effet, sous le ministère de M. de Freycinet, dont faisaient
partie MM. Ferry, Sadi Carnot, Constans, Wilson, dans un rap-
port adressé au ministre des cultes par son directeur général,
on lit les paroles suivantes :
« Conformément au principe de notre droit public et à la pra-
tique suivie toutes les fois qu'il s'est agi de modifications à
appoi'ter au régime des divers cultes reconnus, j'ai l'honneur de
vous proposer la nomination d'une commission dans laquelle
tous les éléments d'impartialité et de compétence seraient réunis
par la représentation exacte des divers intérêts en présence. »
Par suite, M. Lepére, ministre des cultes, par arrêté du
26 février 1880, instituait une commission dont faisaient partie
le cardinal archevêque de Rouen. NN. SS. les archevêques de
Tours, de Sens, de Reims, de Bourges et Mgr le coadjuteur de
Paris, En 1883, M. Paul Bert lui-même, dont chacun connaît
les tendresses cléricales, dans une étude préparatoire à la sépa-
ration de l'Eglise et de l'Etat, écrivait :
« Les établissements ecclésiastiques seront astreints aux
règles générales de la comptabilité publique; un règlement
d'administration publique rendu en conseil d'Etat, ^es autorités
diucp'saives ewZewrfwes, déterminera l'application de ces règles à
chaque établissement ecclésiastique. »
PROTESTATION KPISCOPALE 707
S. Exc. M. Ricard, lorsqu'il instituait la coraraission chargée
d'élaborer le règlement administratif de la comptabilité des
fabritjnes, le 6 juillet 1892, aurait pu, ce me semble, sans déro-
ger, s'inspirer de ses prédécesseurs, MM. Lepére et Paul
Bert.
Mais il y a plus, monsieur le ministre: trois règlements ont
été rendu*, le 27 mars 18".>3, sur la comptabilité des fabri(|ues
et des consistoires. Or, le règlement relatif au culte protestant
porte en tête : « V^u l'avis du Conseil central des Eglises réfor-
mées de France : Vu l'avis de la commission executive du
synode général de V Eglise de la confession d'Augshourg. »
Celui qui concerne le culte israélite porte : « Vu Vavts du con-
sistoire central des Israélites de France en date du 2G février
1893. » Du culte catholique, il n'en est pas question, Notre co-
religionnaire, M. Ricard, car je le crois catholique, du moins
par son baptême, n'a pas daigné se souvenir que la religion de
ses pères était encore, jusqu'à nouvel ordre, la religion de la
majorité des Français.
Je crois vous avoir prouvé, monsieur le ministre, au moins
sommairement, que le décret du 27 mars 1893 n'a pas absolu-
ment de valeur légale. Du reste, ce décret est tellement com-
pliqué, à tort ou à raiscm, qu'il est difficile de s'en rendre un
compte exact, ce qui me fait encore en redouter plus les con-
séquences ; et pourtant vous me demandez de participera son
exécution. En vérité, je me demande si je le puis en conscience.
Je ne le ferai donc qu'en cédant au droit du plus fort; mais en
protestant, comme je l'ai fait du reste pour la loi scolaire, pour
la loi militaire et pour la loi du divorce, que je considère comme
destructives de la vraie liberté, comme anticalholiques et anti-
françaises.
Laissez-raoi espérer en terminant, monsieur le ministre, que
le gouvernement, mieux inspiré sur ses vrais intérêts et les
intérêts delà France, demandera lui-même la révision du dé-
cret du 27 mars 1893 et mettra nos fabriques, dont les ressour-
ces nous viennent souvent de la charité publique, auxquelles le
gouvernement n'a rien à voir, à l'abri de la menace d'être un
jour sous la direction d'un protestant, voire même d'un juif.
Pourtant l'article du décret de 1809 exige que tous les membres
du conseil de fabrique appartiennent au culte catholique, en
excluant même le maire ou l'adjoint, s'ils ne lui appartiennent
pas. N'y a-t-il pas lieu d'être péniblement surpris, après cela.
708 ANNALES CATHOLIQUES
de voir le gouvernement faire intervenir dans l'administration
des fabriques des percepteurs, des inspecteurs de finances, des
membres du conseil de préfecture ou de la cour des comptes,
sans exiger le moins du monde qu'ils soient catholiques. Je me
résume, monsieur le ministre : je ne vois, dans le nouveau dé-
cret, qu'une main-mise du gouvernement, à courte échéance,
sur nos fabriques, et qu'une nouvelle atteinte à nos libertés les
plus chères, les plus sacrées, en attendant les chaînes de plus
en plus en plus écrasantes qu'on prépare à l'Eglise.
Veuillez agréer, monsieur le ministre, l'hommage de mes
sentiments les plus distingués.
'|- François-Marie, Ev. de Séez.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
La loi sur la comptabilité des fabriques. — Chasse aux anarchistes. —
Les élections sénatoriales. — Etranger.
28 décembre 1893.
C'est un singulier cadeau de Noël que le gouvernement a fait
au clergé en lui imposant, aux approches de cette date, l'appli-
cation, retardée jusqu'ici, de l'inique décret sur la comptabilité
des fabriques. L'absence des Chambres empêchera que les séna-
teurs et les députés catholiques joignent leurs protestations à
celles de l'épiscopat. Mais nous voulons espérer que ce n'est
qu'un délai et que le silence ne se fera pas sur une réglementa-
tion qui aggrave encore, s'il est possible, les dispositions géné-
rales de la loi.
A ce propos, c'est un devoir aux catholiques de se rappeler,
avec la Vcrite, que le dernier discours de Mgr Freppel, mort à
pareille date il y a deux ans, était pour signaler le caractère
odieux et les graves dangers de ce nouvel attentat contre la
liberté du culte catholique. Le vaillant évéque n'avait que trop
bien prévu les conséquences funestes qu'on enregistre aujour-
d'hui.
La chasse aux anarchistes se poursuit activement à Paris et
dans les départements, depuis surtout que des instructions
sévères ont été adressées aux parquets par le ministre de la jus-
tice. Les agissements des sociétés révolutionnaires, qui pullu-
lent un peu partout, sont étroitement surveillés. Il ne se passe
CHRONIQUE DE LA SKMAINE 709
pas de, jours, en eftet, sans que nous ayons à sij?naler quelques
arrestations et de nombreuses perquisitions. Hier encore, la
préfecture de police s'est crue obligée de noettre un terme à l'in-
dustrie qui se pratiquait, à Paris, sous le nom de soupes-con-
férences. Voici quelques renseignements sur cette industrie d'un
genre tout à fait spécial : il y a deux ans, quelques anarchistes
s'avisèrent d'aller quêter à domicile, comme des frères men-
diants, pour organiser des conférences au cours desquelles des
soupes étaient servies aux assistants. Cette innovation eut un
certain succès, et l'on se souvient sans doute encore de l'assem-
blée de ce genre qui eut lieu dans une des salles de réunions
publiques du boulevard extérieur et où Mme Séverine coopérait
à la distribution. Mais ces réunions ne furent pas souvent renou-
velées, et l'hiver dernier, quoique des fonds eussent été recueillis
par les anarchistes, aucune conférence ne fut faite. Comme on
ne donnait plus ni conférences ni soupes, ces quêtes constituaient
une véritable escroquerie. Le fait fut signalé au parquet, avec
cette circonstance que les quêteurs dévoraient le produit de
leurs collectes dans les maisons de tolérance.
Il n'était pas trop tôt, comme on le voit, de sévir contre une
pareille organisation anarchiste.
Les élections sénatoriales du 7 janvier prochain vont amener
des changements sensibles dans le personnel parlementaire.
En ce qui concerne le Sénat, il est certain qu'un certain nombre
demembressortantsnese représenteront pas; que d'autres, quoi-
que se représentant, ne seront pas réélus; enfin, si l'on ajoute les
décédés qu'il s'agit de remplacer et qui sont au nombre de dix,
on calcule qu'il y aura au moins trente nouveaux sénateurs
élus. D'autre part, ces élections auront leur contre-coup sur la
composition de la Chambre, car il y a une dizaine de députés
qui, élus il y a trois mois à peine, sollicitent le mandat de sé-
nateurs.
Les sénateurs sortants qui ne se représentent pas sont:
MM. Léon Renault (Alpes-Maritimes), Bocher (Calvados), ma-
réchal Canrobert et général Brémont d'Ars (Charente), Lafond
de Saint-Miir (Corrèze) et Parry (Creuse). Ce nombre s'accroî-
tra probablement d'ici à quelques jours.
Les sénateurs décédés qu'il s'agit de remplacer sont :
MM. Bouteille (Basses-Alpes), Marcou et Lades-Gout (Audei,
Barnes (Bouches-du-Rhône , dont les sièges -appartiennent à la
7iO ANNALES CATHULigUES
série sortante, et MM. Guinot (Indre-et-Loire), Lenoël (Manche),
Margaine (Marne), Chardon (Haute-Savoie), Albert Ferry
(Vosges). Il faut y joindre M. Tirard, dont le siège a été trans-
formé, après le décès de ce sénateur, et annexé au département
de Seine-et-Marne, et M. Goblet f'Seine), qui a été élu député
de Paris.
Les députés déjà connus comme briguant le mandat de séna-
teurs, le 7 janvier prochain, sont : MM. Thivrier fAllier), Bor-
riirlione /'Alpes-Maritimes), Mir fAude), Peytral (Bouches-du-
RhôneJ, Labrousse et Dellestable (Corrèzej, Briens (Manche).
Ajoutons, à ce propos, qu'un certain nombre de députés de la
précédente Chambre non réélus à celle d'aujourd'hui se pré-
sentent au Sénat. Nous citerons : MM. Mâcherez (Aisne) , Corneau
(Ardeanes), Théron (Ch.y, Delraas (Charente-Inférieure), Le
Provost de Launay (Côtes-du-Nord), et Floquet (Seine).
La Libre Parole publie la lettre désolée et indignée d'un
malheureux père qui est allé réclamer à l'amphithéâtre d'un
hôpital le corps de son enfant mort du croup, après l'inutile
opération de la trachéotomie. Il décrit en termes d'une vérité trop
exacte le charnier où, jetés les uns contre les autres, les petits
cadavres nus sont démêlés dans le tas par ceux qui les ré
clament, dans un endroit malftropre, ouvert à tous les vents,
et termine par un détail touchant et douloureux. Quelques fa-
milles veulent da moins la photographie de l'enfant, désir !si
aisé à contenter aujourd'hui et que l'administration n'a pas
eu même la précaution de prévoir. On n'a rien gardé non plus
de la chapelle où les incroyants eux-mêmes pouvaient retrou-
ver une pensée de consolation ou du moins un instant de calme
dans leur chagrin. Mais rien no saurait rendre ici l'accent de
la douleur sentie :
Quelques parents veulent conserver l'image de leur enfant mort.
L'administiation n'a pas eu la pudeur de prévoir ce désir pourtant
ai rppppctable.
On est obligé de sortir son enfant dehors — sur un vieux banc de
j,ardinier, devant les latrines — sous la pluie, comme cela m'est
arrivé...
Il y avait autrefois... hélas! dans cet amphithéâtre, un autel élevé
par les religieuses; sur cet autel biûlaient toujours des cierges... Ils
ont tout cassé, tout emporlé... il leste encore une statuette de la
Mater doloroxa tenant entre ses bras Jésus descendu de la croix et le
couvrant de ses larmes.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 711
Symbole ou vérité ! C'était un*^ coasolation pour les malheureuses
mères, allant chercher les restes de leur enfant.
On enlève et on brise tout cela.
C'est odioux !
Je ne suis pas religieux, monsieur, je ne suis pas un pratiquant.
Mais mon cœur s'est soulevé de dégoût et d'horreur en présence
d'une telle profanation, d'une telle inhumanité, je devrais dire d'une
telle barbarie.
Un peuple sauvage aurait plus de respect de la mort et de la
douleur.
Je voudrais, monsieur, quece cri d'un honnête homme puisse trou-
ver un écho près da vous, et que votre plume autorisée puisse flétrir
publiquement et énergiquement de tels procédés.
Si je n'avais craint d'abuser de votre temps, je vous aurais prié de
m'accorder une audience pour vous due d'autres choses encore, que
j'ai vues, et que ne comporte pas une lettre, et je serais heureux de
pouvoir vous entretenir de vive voix.
Recevez, monsieur, l'assurance de mes sentiments distingués.
Lecerf,
44, rue Secrétan.
Que des religieuses aient voulu oublier les joies de la vie
pour entourer les mourants des soins de la piété, et pour con-
server aux morts le respect dû à des corps faits à l'iuiage de
Dieu et destinés à être glorieux dans la résurrection, cela, dit la
Vérité, se comprend et s'explique par la grâce de leur voca-
tion, 11 V ^ là un sacrifice que rien dans la nature ne commande au
personnel laïque. Mais à défaut de vocation, tant que les yeux les
plus aveugles ne s'ouvriront pas, il y a du moins, à la charge de
l'administration, au prix des millions qu'elle dévore, des sou-
cis d'humanité, de décence, de convenance même devant l'opi-
nion publique qu'il est honteux d'oublier à un tel point. La
lettre insérée par la Libre Parole révèle des choses et en fait
entrevoir d'autres qui ne sont point impunément livrées au
public.
Voici les passages principaux delà circulaire adressée par le
garde des sceaux aux procureurs généraux en vue de l'applica-
tion des lois contre. las anarchistes:
L'innovation la plus importante de la loi du 13 décembre 1893
consiste dans la modification à l'article 49. Les individus qui se ren-
dront coupables des infractions énumérées ci-dessus, aussi bien que
ceux qui auront provoqué des militaires à la désobéissance, seront
placés sous le régime du droit commun au point de vue de la saisie
712 ANNALES CATHOLIQUES
des écrits et de l'arrestation préventive. Aucune raison sérieuse ne
peut être invoquée pour soustraire à rapplication des règles du code
d'instruction criminelle les délinquants, vis-â-vis desquels la justice
doit pouvoir agir avec promptitude et efficacité.
Dans un intérêt d'ordre public qui n'est plus à démontrer, il
importe que ces dispositions nouvelles soient appliquées toutes les
fois que des infractions seront commises et que, dans ce but, de son-
cert avec l'autorité administrative, vous exerciez la plus active sur-
veillance, notamment sur certaines réunions publiques qui sont de-
venues des foyers d'agitation et de désordre où se produisent les
excitations les plus coupables à commettre des crimes et où la propa-
gande par le fait est ouvertement conseillée. Vous n'omettrez pas non
plus de faire constater et de poursuivre les provocations à des mili-
taires dans le but de les détourner de leurs devoirs et de l'obéissance.
Dans des cas semblables, l'éprimer c'est défendre la patrie.
Si la loi du 29 juillet 1881 était impuissante à réprimer les excita-
tions à commettre des crimes, lorsque ces excitations se dissimulaient
sous la forme d'une apologie, notre législation pénale ne fournissait,
d'autre part, aucun moyen légal pour entraver la préparation de ces
crimes.
C'est ainsi que, bénéficiant d'une trop longue impunité, des groupes
anarchistes ont pu se constituer qui, reliés entre eux par une idée
commune, se livrent à la préparation d'une série indéterminée
d'attentats. L'entente s'établit ensuite entre un nombre plus ou moins
considérable d'adhérents et l'exécution des crimes conçus est laissée
parfois à la libre initiative d'individus qui procèdent isolément pour
se dérober plus facilement aux recherches de la justice.
Pour atteindre tous les coupables, il était indispensable de modifier
les articles 265 et suivants du code pénal sur les associations de mal-
faiteurs. Les dispositions nouvelles punissent à la fois l'association
formée, qufls que soient sa durée ou le nombre de ses membres, et
même toute entente établie dans le but de commettre ou de préparer
des attentats contre les personnes ou les propriétés. En introduisant
dans le nouvel article 265 les mots « entente établie», le législateur
a voulu laisser aux magistrats le soin d'apprécier, suivant les circons-
tances, les conditions dans lesquelles un accord pourrait être consi-
déré comme intervenu entre deux ou ])lusieurs individus pour com-
mettre ou préparer les attentats. Le crime pourra ainsi être caractérisé,
abstraction faite de tout commencement d'exécution.
Telles sont, monsieur le procureur général, les dispositions nou-
velles que les Chambres ont introduites dans notre législation pé-
nale, pour vous mettre en état de concourir, d'une manière efficace,
à la défense des institutions et de l'ordre. Vous les appliquerez avec
résolution. Aucune infraction ne devra demeurer impunie. L'autorité
CHRONIQUE DE LA hEMAINE 713
administrative mettra au service de la justice tous les moyens dont
elle dispose. Vous vous concerterez avec elle en toute circonstance
en vous pénétrant de cette idée qu'il n'y a de gouvernement véritable
et que le gouvernement ne peut exercer une action féconde que si
tous les services publics sont unis entre eux par une étroite solida-
rité. Je ne doute pas que l'accord soit facile entre des magistrats et
des fonctionnaires, les uns et les autres dévoués à leurs devoirs et
conscients de leur responsabilité.
Dans le cas d'urgence, ou quand les infractions seront évidentes,
vous n'hésiterez pas à prendre l'initiative des poursuites, sauf à m'en
référer chaque fois que l'affaire vous paraîtra l'exiger. Dans la plu-
part des cas, une prompte répression est seule véritablement utile.
Vous veillerez, en conséquence, à ce que les poursuites soient tou-
jours conduites avec la plus grande célérité, et vous provoquerez des
sessions extraordinaires d'assises toutes les fois que cela vous paraîtra
nécessaire.
Le gouvernement espère que l'application énergique et persistante
des lois nouvelles suffira pour mettre un terme à une propagande
crimiuelle. Le pays attend de nous une protection efficace. Notre
devoir est de la lui donner par tous les moyens que les lois mettent à
notre disposition.
« L'heure de demander quelques sacrifices au pays a sonné. »
C'est de l'Italie qu'il i?'agit, et c'est M. Crispi qui le constate.
Il a été appelé au pouvoir pour exprimer encore des contribua-
bles italiens un peu d'argent pour les caisses de l'Etat.
< Noiis ferons les économies possibles, mais il ne faut pas se
faire illusion. » Ces deux phrases mélancoliques résument la
déclaration ministérielle de M. Crispi. Cette déclaration n'est
précise que sur ce point: il faut de nouveaux impôts. Pour le
reste, elle est demeurée dans un vague qui a beaucoup désap-
pointé les députés italiens. Combien d'impôts'? quels seront-ils?
On n'en sait rien encore. Mais, de l'aveu de M. Crispi, la
situation est grave et l'unité intérieure de l'Italie est en péril.
Cet aveu a soulevé des protestations, et pour le surplus, la décla-
ration ministérielle a été froidement accueillie.
L'avènement de Crispi n'amène donc qu'une aggravation dans
la situation de l'Italie. A l'intérieur, de nouveaux impôts; à
l'extérieur, la fidélité désastreuse à la triple alliance; c'est-à-
dire qu'avec Crispi, l'Italie va continuer à se ruiner tout dou-
cement.
En Hongrie, la discussion du budget, voté sans opposition, a
714 ANNALES CATHOLIQUES
donné au comte Esterhaz^» l'occasion de s'expliquer sur la poli-
tique religieuse du gouvernement. Il la combat, d'accord avec
ses amis politiques, ajoutant qu'ils entendent se borner à une
opposition constitutionnelle, renonçant pour le moment à une
action plus étendue.
Le comte Ferdinand Zichy s'est associé à ces paroles. Préci-
sant sa pensée avec pins d'énergie, il a montré quelle campagne
était menée contre la Chambre des magnats, à laquelle on vou-
lait finir par ôter le droit d'exprimer librement les volontés que
la Constitution lui donne le droit d'avoir et d'exprimer. On a
même été jusqu'à la mettre en présence de la question de vie au
de mort: on a parlé de son inutilité et des nécessités urgentes
de la supprimer. Autant de raisons pour l'assemblée de défendre
et d'affirmer son droit à la vie.
L'incident le plus remarquable de la séance a été l'interven-
tion d'un luthérien, le comte Zav, qui a combattu la politique
. religieuse du gouvernement avec encore plus de vigueur que
les députés catholiques.
« Il ne faut pas qu'un gouvernement, a-t-il dit, mette le
trouble dans un pajs et décliaîne la guerre confessionnelle pour
se soustraire aux difficultés qui pèsent sur lui : c'est le principe
coupable de la politi(iue de certains Etats d'Europe, qui cher-
chent la guerre extérieure pour se sauver des embarras qui les
menacent.
« Que nous réserve l'avenir si les réformes les plus radicales
sont imposées brutalement au pajs, dans le seul intéiêt du
parti dominant? Je souhaite (jue le libéralisme cherche le bien
du pays ailleurs que dans le renversement séculaire des insti-
tutions de notre pays. »
En réalité, la Chambre des magnats a trois causes à défendre :
celle de l'Eglise, celle du pays et de l'ordre intérieur^ et la
.sienne propre en même temps, car si elle capitule, elle aura
confessé son impuissance et l'inutilité absolue d'une assemblée
qui ne serait là qu'à titre d'écho fidèle pour répercuter les
■paroles de la. Chambre des dé uiés.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l*Ilalie
L'avant-veille de Noël, le Pape a reçu les félicitations et les
NOUVELLES RBLIQIEUSES 715
souhaits du Sacré-Collège. Voici comment s'est exprimé le car-
-dinal-doyen, S. Em. le cardinal Monaco La Valetta :
« Très Saint-Pèro,
c Que Dieu soit béni et loué, qui donne à Votre Sainteté la
force de pourvoir avec une admirable énergie à toutes les occur-
rences de l'Eglise catholique, et qui imprime au cœur des fidèles
la piété filiale dont la vigueur a rendu si splendides et agréables
à tous les fêtes jubilaires de Votre Sainteté, lesquelles ont suc-
cédé l'une à l'autre prescjue sans intermission.
« Je suis très heureux de pouvoir, une fois encore, au nom
du Sacré-Collège, m'en réjouir avec Votre Sainteté, et de pou-
voir en même temps remercier le Seigneur de tant d'autres
bienfaits remarquables qu'il vous a départis. Parmi eux, je me
réjouis de rappeler le zèle et la sagesse avec lesquels Votre Sain-
teté promut la dévotion à la très sainte Vierge, et spéciale-
-ment le Rosaire pratiqué en l'honneur de la Mère de Dieu, grâce
auquel l'Eglise a déjà remporté de si beaux triomphes et dont on
a sujet d'en espérer toujours déplus grands.
€ Le Sacré-Collège a confiance que Votre Sainteté, par la
médiation de Marie, non seulement obtiendra une vie longue et
prospère, mais qu'Elle aura cette haute fortune de rendre la
vraie paix au monde, cette paix que le monde ne peut donner,
mais dont il a tant besoin.
« En attendant, qu'il plaise à Votre Sainteté de nous bénir, »
Le Saint-Père a répondu :
Nombreux et signalés, assurément, sont les bienfaits que
Nous devons à l'amoureuse Providence divine ; et il Nous
est cher. Monsieur le Cardinal, que le Sacré-Collège le
reconnaisse lui aussi avec Nous et en rende grâces et
louanges au Dieu béni. Car Nos seules louanges et Nos seuls
remerciements seraient insuffisants pour une telle abon-
dance de miséricorde.
C'est la main du Seigneur qui nous a gardé en santé jus-
qu'à un si grand âge ; c'est elle qui Nous donne la souve-
raine consolation de voir si vive, par sa grâce, la dévotion des
«peuples au Siège Apostolique ; c'est elle qui Nous conduit,
sans que Nous faiblissions, au milieu des sollicitudes d'un
ministère qui, même en des temps et des conjectures moins
•difficiles, serait un poids bien pesant pour Nos épaules.
716 ANNALES CATHOLIQUES
Désireux comme Nous le sommes, d'en remplir lès devoirs
écrasants dans la mesure de Nos forces, Nous ne deman-
dons rien avec plus d'ardeur que ce que vous nous avez
souhaité tout à l'heure, Monsieur le Cardinal, c'est-à-dire
de pouvoir être effectivement, comme plusieurs de Nos pré-
décesseurs qui furent des ministres et des porteurs de paix
pour l'Europe et pour le monde. Il est certain d'ailleurs,
que par le caractère même de Notre haute fonction. Nous en
sommes un zélateur et un propagateurautorisé ; car la paix,
considérée par rapport à l'homme individuel ou par rapport
aux sociétés humaines, est fille de la justice, et la justice ne
vit que de la foi : Jus tus eœ fide vivit.
Or, le suprême sacerdoce chrétien, étant le gardien
incorruptible de la foi et le vengeur suprême de toute jus-
tice, est par conséquent un apostolat d'unificationet de paix.
Donnez libre cours à cet apostolat, qui tient sa mission d'en
haut: accueillez sans défiance la parole qu'il vous adresse;
faites qu'elle puisse pénétrer dans la libre conscience du
citoyen, dans la réunion de la famille, dans le gouvernement
des États, et vous verrez fleurir facilement la tranquillité de
l'ordre, aspiration souveraine et besoin suprême des peu-
ples.. , /
La cause morale du trouble des temps où nous sommes^
il faut la chercher principalement dans l'affaiblissement des
croyances religieuses, (^^uand l'œil de l'àme, ayant perdu' de
vue le ciel, est tout entier fixé sur la terre, alors on voit
diminuer la charité qui unit et prévaloir l'égoïsme qui divise.
Ainsi des apparences mensongères naissent les profondes
'discordes,' les rivalités et les ambitions effrénées, les inquié'
tildes croissantes dans tous les rangs de la société, les cupi-p
dites innovatrices qui, partout où elles se propagent, engen-
drent les désordres' et lés luttes. Dans ces conditions, les
peuples et les nations sentent instinctivement le besoin de
la paix, et la cherchent avidement; mais la véritable paix
ne vient pas, parce qu'on a trop oublié Celui qui seul peut la
donner. ■ " ' - '= '•'■■■ ■ '■ ■ ■■■' ■
Ne peut-on donc espérer un réveil l'eligieux qui promette
des jours plus tranquilles? Qui, on peut l'espérer, et même
NOUVELLES KELiOIEUSES 717
fermement, parce que Jésus-Christ n'abandonne jamais
l'humanité qu'il a rachetée. De même que l'esprit île Dieu au
premier jour de la création planait sur les eaux nouvelles et
les rendait fécondes, de même, au moment désigné par la
miséricorde. Il descendra pour voler sur la tète des généra-
tions humaines et, par sa vertu, avec l'œuvre de l'Eglise,
il ranimera les germes éteints ou peu vivants de la foi divine.
C'est avec cette douce confiance au cœur que Nous accueil-
lons les sentiments affectueux que le Sacré-Collége Nous
exprimait tout à l'heure par la bouche de son digne doyen.
Et, par un juste échange, dans les augustes et suaves
solennités de ces jours, Nous prierons le divin Enfant de
vouloir bien répandre en abondance ses célestes grâces sur
le Sacré-CoUége.
En même temps, comme gage de Notre paternelle affec-
tion, Nous donnons, dans toute l'effusion de Notre
cœur, à lui, aux évêques, aux divers prélats et à tous ceux
qui sont ici présents, la Bénédiction Apostolique.
Benediciio, etc.
A cette réception assistaient les archevêques et évêques,
la prélature romaine, une nombreuse représentation de
camériers secrets et d'honneur, tant ecclésiastiques que
séculiers.
Lé Saint-Pére, en recevant l'hommage de leur dévotion
et de leur attachement, avec leurs souhaits pour la pro-
chaine solennité, les a tous réconfortés par la Bénédiction
Apostolique.
France
Pasis. — Nous lisons dans un journal non suspect de cléri-
calisme, le Figaro :
Distribution de crucifix.
Oui, hier, à Paris, a eu lieu une distribution de crucifix, de
modestes christs en composition dorée sur deux bouts de bois
en croix.
Et ces crucifix se sont enlevés comme s'ils étaient de précieux
bijoux.
Et qui tendait vers eux les mains pour les avoir plus loi ï
De pauvres femmes débiles, des enfants ignorant^?
718 ANNALB8 CATHOLIQUES
Non. Des hommes dans toute la force de l'âge. Des ouvriers.
Des faubouriens.
Entre les malheureux qui se soulèvent, s'insurgent, et les
rares croyants qui patientent et espèrent, il y a une nombreuse
armée d'indécis, dont le silence pourrait se grossir de menaces.
Des prêtres l'ont compris. L'œuvre des Missionnaires diocé-
sains, fondée il y a quatre ans par l'archevêque de Paris, s'est
répandue dans les quartiers ouvriers. Elle a institué des mis-
sions pour hommes.
On se rappelle ses premières campagnes à Montrouge, à Pan-
tin, à Saint-Denis. Il n'était alors question que de socialisme.
L'abbé Garnier essayait de lutter à l'aide du socialisme chrétien
contre le socialisme révolutionnaire. L'abbé Lenfant, armé du
programme de M. de Mun, le soutenait en chaire. Autorisé par
Mgr Richard, il créa dans les églises de la banlieue des confé-
rences contradictoires, oii toutes les questions qui nous préoc-
cupaient étaient exposées et discutées par deux orateurs, dont
l'un faisait ce que l'on appelait au moyen âge « le diable »,
L'abbé Lenfant a repris, cet hiver, son idée, mais en la mo-
difiant.
Il croit que le travailleur est aujourd'hui fatigué de la dis-
cussion des questions sociales, éternellement soulevée dans la
Chambre, dans les réunions, dans les journaux.
L'heure est venue, dit-il, de ne laisser aux conférences que
« l'attrait religieux ». Par son seul pouvoir, la religion doit lut-
ter contre l'anarchie menaçante. Il est convaincu qu'il n'a qu'à
enseigner à la fois le travail, la souffrance et l'espérance pour
arracher de l'âme de ses auditeurs tout ferment dangereux.
Il faut reconnaître qu'il paraît avoir raison. Les conférences
qu'il fait depuis trois semaines à l'église de Grenelle, avec
l'abbé Poulain pour contradicteur, ont encore, bien qu'elles
soient absolument dénuées d'allusions et que la discussion soit
très sérieusement présentée, plus de succès que celles dont
nous avons rendu compte en leur temps.
Il n'y est question que de Dieu, des Religions, des Miracles^
et, chaque soir, l'église est pleine, mais tellement comble qu'on
a le plus grand mal à y pénétrer.
Ainsi qu'Ozanam — l'abbé Lenfant, l'abbé Poulain, l'abbé
Frisch, aumônier des Maristes, etc., appuient leur conviction
sur l'instinctif besoin religieux; ils se servent des arguments
« que le maçon et le charbonnier doivent comprendre », et tous
les ouvriers les comprennent.
NOUVELLES RELIGIEUSES 719
Et ceux-ci viennent, viennent.
Lundi soir, Mgr Richard, .|ui avait présidé la cérémonie, a eu
le plus grand naal à se retirer. Toutes les mains se tendaient vers
les siennes : * Mes chers amis, disait-il, je voudrais serrer la
main à tout le monde. Je ne puis pas. Vous êtes trop nombreux
et je vous en félicite. J'appelle sur vous tous la bénédiction de
Dieu. »
Et hier, autre tableau. L'œuvre de Saint-François de Sales
avait envoyé à l'abbé Letifant mille crucifix, débordant de qua-
tre corbeilles qu'on portait derrière lui.
Il venait de parler de la Providence éternelle, sur laquelle
chacun a le devoir de compter, mais dont on ne ressent les eflfets
que quand on a la foi.
— Mes chers frères, dit-il en descendant de la chaire, vous
qui avez la souffrance, ayez le courage, la charité, l'espérance
de Celui qui souffrit encore plus que vous et dont je vais vous
distribuer l'image.
Selon le rêve du missionnaire, l'idée religieuse était vraiment
entrée dans tous les cœurs. Quand il présenta à un ouvrier le
premier crucifix, on eût cru qu'iloffrait, matérialisé, le bonheur
même. Visiblement ce crucifix valait à peine quelques sous... et
chacun de le réclamer, de le saisir avec respect. C'était à se
croire au moven âge.
Voici la lettre adressée par le général Bogdanovitcli à S. Em.
le cardinal Richard:
a Eminence,
< J'ai été très honoré de la réponse de l'archevêque de Paris,
le cardinal Richard, au télégramme que m'inspirèrent les sen-
timents de vive reconnaissance de toute la pieuse Russie pour
la bienveillante initiative de Votre Eminence — consacrer par
la bénédiction céleste les liens de sincère amitié qui unissent
la France à la Russie.
« Je n'ose pas m'attribuer personnellement cette haute marque
de bonté de Votre Eminence ; mais comme chrétien et Russe,
j'éprouve une vive allégresse en pensant que ces récentes solen-
nités 011 la Russie et la France, pour la première, mais, espé-
rons-le, pas pour la dernière fois, ont uni dans une prière com-
mune devant l'autel les deux peuples, mus par un sentiment re-
ligieux, confondant leurs prières venant comme d'un seul cœur.
720 ANNALES CATHOLIQUES
« La Russie aime et rs'^pecte la France ; elle voit en elle une
contrée d'une haute civilisation et d'un grand développement
moral et artistique. Mais la vie religiduse du peuple français
nous est peu connue, tandis que toutes les classes du peuple
russe considèrent la foi en Dieu et le culte de la religion comme
le devoir le plus sacré. Cette ignorance en ce qui concerne la
vie religieuse du peuple français ne pouvait ne pas empêcher
l'union étroite et intime des deux peuples. Je me permettrai de
dire plus: beaucoup de Rnsses pouvaient s'inquiéter à la pensée
que dans le domaine de la vie religieuse et morale, entre la
Russie et la France il y avait une différence trop profonde...
Cette opinion — produit d'examens superficiels — a reçu le
démenti le plus formel pour tout le monde, lorsque la France,
convoquée par Votre Erainence, s'est inclinée devant l'autel
dans une prière fervente pour la Russie. Les coeurs russes sont
remplis d'une vive émotion au touchant souvenir de ces récentes
manifestations, et conserveront ce souvenir à jamais comme le
gage le plus précieux d'une amitié indissoluble, à la vie, à la
mort, avec la grande nation française.
« Permettez-moi, en terminant^ de faire remarquer à Votre
Eminence que l'arrivée de l'escadre russe à Toulon a co'incidé
avec une de nos grandes solennités, à laquelle nous attachons
une pensée de foi très religieuse: la fête de l'Intercession de la
Vierge et de sa bénédiction spéciale sur tous les croyants.
«Daignez accepter, en souvenir de ces inoubliables sentiments
■de joie chrétienne, au réveil desquels a tant contribué Votre
Erainence, mes modestes ouvi-ages publiés en langue française
et q'ii ont un rapport assez étroit avec l'objet de ma présente
lettre :
« La Description de la cathédrale de Saint-Isaac » et « Les
Noces d'argent du czar et de la czarine ».
« Avec le plus profond respect, sollicitant vos prières, j'ai
l'honneur d'être de Votre Eminence.
« Le très humble serviteur,
« Signe': Eugène Bogdanovitch.
« Saint-Pétersbourg, 11/23 novembre 1893. «
S. Em. le cardinal Richard a répondu :
Paris, 18 décembre.
« Monsieur le général,
« Je vous prie de me pardonner le retard involontaire de ma
réponse à la lettre que vous avez bien voulu m'adresser le 23 no-
NOUVELLES RELIGIEUSES 721
vembre. Les occupations incessantes de mon ministère à Paris
m'ont enlevé toute liberté.
« Je suis très touché des sentiments élevés que vous exprimez
sur l'union de la Russie et de la France. Vous montrez parfaite-
ment que la religion seule peut foi-raer une union vraie et intime
entre les nations. Le peuple russe, si profondément religieux, a
su apprécier les manifestations de la piété française dans le Te
Deum chanté à l'occasion de la visite des officiers de la marine
russe.
« C'est qu'en effet, si nous sommes tiop souvent affligés par
des actes d'impiété et d'indifférence religieuse, la France n'ea
demeure pas moins une nation chrétienne. L'église du Vœu na-
tional au Sacré-Cœur, où nous avons chanté le Te Deum dont la
Russie s'est montrée si reconnaissante, en est un témoignage
éclatant, puisque cette église monumentale s'est élevée avec les
offrandes volontaires des fidèles, et que chaque pierre est pour
ainsi dire un acte de foi et de piété.
« Vous avez aimé à me rappeler, monsieur le général, que
l'escadre russe avait abordé Toulon le jour où la Russie célé-
brait une de ses grandes solennités reliL^ieuses, celles de l'inter-
cession de la très sainte Vierge Marie. L'église métropolitaine
de Paris dédiée sous le nom de Notre-Dame en est un mémorial
permanent dans la capitale de la France.
« Pour moi, depuis le jour où nous avons couronné par un
acte de foi religieuse les fêtes franco-russes, je n'ai pas cessé de
demander à Dieu qu'il daigne bénir l'union de deux grands peu-
ples et que, selon la promesse du divin Maître dans l'Evangile,
il n'y ait dans le monde qu'un seul bercail et un seul Pasteur.
€ Je vous prie d'agréer mes remerciements pour les deux
opuscules que vous avez bien voulu m'envoyer et l'assurance de
mes sentiments respectueux.
« 7 François, cardinal Richard.
« Archevêque de Paris. »
— Une dépèche de Paris adressée aux journaux belges, et
que nous reproduisons sous réserve, porte que l'empereur
Alexandre III, soucieux de montrer quelle reconnaissance il
garde au clergé français de son attitude sympathique pour les
Russes, aurait décidé d'envoyer une des plus hautes décora-
tions de ses ordres à S. Em. le cardinal Richard, archevêque
de Paris, à NN. SS. les archevêques d'Aix et do Lyon, et à
. NN. SS. les évêques de Marseille, Toulon et Fréjus.
TABLE DES MATIÈRES
IVuméro 1 1 âS (7 octobre
1893). — Le livre de paroisse,
par M. l'abbé P. -G. Moreau, 5.
— Nécrologies épiscopales, par
M. M.-C.d'Agrigente(9uite),10.
— Echternach, 21. — Décret li-
turgu^ue, 26. — Le Congrès de
rUaioa des œuvres ouvrières
catholiques, 29. — Programme
de l'Assemblée générale des ca-
tholiques du N.)rd et du Pas-
de-Calais, 32. — Jeanne d'Arc,
discours de M. Poincaré, 37.
Nécrologie, 41. — Chronique de
la semaine, 42. — Nouvelles re-
ligieuses, 52. — Bulletin bi-
bliographique, 56.
IVuméro 1 1 SO (14 octobre
189cJ). — Vaucouleurs, par
Henri Arsae, 57. — Les origines
d'une grande œuvre. Louis
Veuillot, 65. — L'union natio-
nale ouvrière, 69. — Le con-
grès calholique de Chicago, 74.
— Lamaitinp, par M. Et. Cor-
nut. — L'affaire Quiquerez-de
Segonzac, 90. — Nouvelles
religieuse.'*, 94. — Chronique de
la semaine, 101.
IVuméfo 1 14EO. (21 octobre
1893j. — Un discours du pape,
113 — Le prêtre est l'homme
de Dieu, par M. l'abbé P. -G.
Moreau, 116. — La petite
Eglise, par M. Oscar Havard,
128. — Nécrologies épiscopa-
les, par M. M.-C. d'Agngente
(suite), 132. — Le socialisme et
les Juifs, par Ed. Drumont,
138. — Hommage à nos mis-
sionna:re.>5, 142. — Une tête
coupée qui parla, par M. Henry
Calhiat, 144. — Nécrologie, 149.
— Nouvelles religieuses, 162.
— Chronique de la semaine,
155. — La puissance des mots,
164. — Bulletin bibliographi-
que, 166.
IVuméro 114LI. (28 octobre
1893) — Le ot Dies irœ », 169.
De l'Evangile, par M. l'abbé
P. -G. Moreau, 173. — Douze
années de pratique adminisiia-
tive, 182. — Le droit et le
devoir, par Mgr Gouthe-Sou-
lard, 186. — Une tête coupée
qui parla, par M. Henry Cal-
hiat (suite), 195. — Le Cznr et
la famille impériale de llussie,
200. — Chronique de la se-
maine, 204. — Le maréchal de
Mac-Mahori, 220.
IVuiiiéfo 114E% (4 novembre
1893). — L'apaisement, 225.
— Les raenses épiscoiiales et
curjales, 226. — Nécrologies
épiscopales, par M. M.-C. d"A-
grigente (suite), 233. — Des
conditions de l'acte morale-
ment mauvais, par M. l'abbé
P. -G. Moreau, 239. — Le géné-
ral de Sonis, par M. R. do Sal-
berg, 246. — Nécrologie, 255.
— Chronique de la semaine,
260. — Nouvelles religieuses,
274.
rVuinéi-o I 1<43 (il novembre
1893). —Les fabriques, 281. —
De la conscience ti'méraire,
par M. l'abbé G. Moreau, 288.
— Charles Gounod, par M. le
marquis de Ségur, 297. — Un
vaillant porte-croix à Laiizerte,
par M. l'abbé Henry Calhiat,
307. — Le portefeuille de Louis
Veuillot, par Eugène Veuillot,
310. — Lettre de S. S. Léon XIII
aux évêques d'Espagne, 315. —
Lettre pastorale de S. Em. le
cardinal Richard, 320. — Né-
crologie, 326. — Chronique de
la semaine, 328. — Nouvelles
religieuses, 335.
IVuinéro 1 1-4-5 (18 novembre
1893). — De la haine d'abomi.
nation, par M. l'abbé G. Mo.
TABLE DES MATIERKS
723
reau, 337. — Les fabriques
(suite), 348. — Discours de
M. de MuD àLanderncau, 3o6.
— La question juive et l'Eglise,
367. — L'anlipape luciférien,
370. — Nouvelles religieuses,
371. — Chronique de la se-
maine, 381.
IVuinéi-o 1 1-42S ('25 novembre
1893). — Du traitement extra-
ordinaire lies curés, desser-
vants et vicaires, par M. l'abbé
F. -G. Moreau, 393. — Le ju-
daïsme cosmopolite, 402. —
M. E. Olliviei- et Léon XIII,
•406. — Le socialisme en Suisse,
411. — Le Vo^u National, par
M. le marquis d'Auray, 413. —
Les prix de l'Académie, 421. —
Nécrologie, 423. — Nouvelles
religieuses. 424. — Déclaration
ministérielle, 432. — Les
Chambres, 438. — Chronique
de la semaine, 444.
IVuméfo 1146(2 décembre
1893). — Les congrégations
religieuses, 449. — Règles li-
turgiques concernant le culte
des saintes Reliques et des
saintes Images, par M. l'abbé
P.-G. Moreau. 459. — Une
lettre de Donoso Coitès, 469.
— Causerie scientifique, par
M. H. de ParviUe, 473. — Les
prix de vertu, par M. F'rançois
Coppée, 478. — Nécrologie,
483. — Nouvelles religieuses,
486. — Les Chambres, 489. —
Chronique de la semaine, 496.
rVuméro 1 l-sy (9 décembre
1893). — Lettre encyclique de
S. S. Léon XIII, 505. — L'al-
coolisme. Lettre pastorale de
S. Em. le cardinal Thomas,
525. — La liberté d'association,
par le comte de Paris, 531. —
La neutralité scolaire, 533. —
Un vaillant porte-croix à Lau-
zerte, par M. H. Calhiat (suite),
535. — Nouvelles religieuses,
540. — La déclaration minis-
térielle, 542. — Les Chambres,
544. — Chronique de la se-
maine, 545. — Les prix de
vertu, par M. François Cop-
pée (suite), 555. — Bulletin bi-
bliographique, 557.
IVuinéro 1 1-48 (16 décembre
1893). — Lpttre encyclique de
S. S. Léon XIII (siiil'e), 561.—
L'alcoolisme par S. Em. le car-
dinal Thoraas(8uite), 574. — Le
couvent maçonnii^ue de 1893,
584. — Une visite à Notre-
Dame de Lourdes, par. M. l'abbé
Calhiat, 588. — Nécrologie,
Les Chambres, 595. — Chro-
nique de la semaine, 6u4. —
Nouvelles religieuses, 611.
FViiin<^ro 1 140 (23 décembre
1893). — De la prédication, par
M. l'abbé G. Moreau, 617. —
Une double équivoqup, 625. —
La liberté des syndicats ou-
vriers, par M. le comte de Pa-
ris, 629. — M. de Mun à Lille,
633. — Congrès des catholiques
du Nord et du Pas-de-Calais,
638. — Une visite à Notre-
Dame de Lourdes, par M. l'abbé
H. Calhiat (suite), 646 —Nou-
velles religieuses, 652. — Les
Chambres, 658. — ■ Chionique
de la semaine, 659. — Lps prix
de vertu, par M. Fr. Coppée,
664. — Bulletin bibliogra-
phique, 671.
IVuiné:ro 1 1 250 (30 décembre
1893).— L'alerte de 1875,673.
— Les curés ou desservants ne
peuvent être ni com(itables ni
ordonnateurs des fabriques,
677. — Les timbres dps quit-
tances délivrés par les comp-
tables des fabriques, 679. —
Journal d'un pèlerin, par
M. Henry Calhiat, 687. — Les
prix de vertu (suite), 698. —
Lettre et instruction sur la
comptabilité des fabnquf^s. 702
— Protestation épiscopale, 705
— Chronique de la semaine
708. — Nouvelles religieuses
717. — Table des matières. 722
— Table alphabétique, 724.
TABLE ALPHABÉTIQUE
(1)
Académie. — Les prix de vertu,
421 ; — Discours de M. François
CoppÉE. 478, 455, 664, 698.
Acte moralement mauvais. —
Conditions, par M. l'abbé G.
MoREAU, 239.
AgrigenteiM. lechanoineM.-C).
— Nécrologies épiscopales, 10,
132, 233.
Alcoolisme (L'). Lettre pastorale
de S. Em. le cardinal Thomas,
525, 574.
Alerte (T) de 1875, par M. C. Ga-
VARD, 673.
Anarchistes (Attentats). 387, 502;
— Au Palais-Bourbon, 604; —
Historique, 609.
Années (Douze) de pratique ad-
ministrative, 182.
Antipape (L'; luciférien, 370.
Apaisement (L'), 225.
Arsac (M . Hen ri ). — Vaucouleurs ;
originedu monument de Jeanne
d'Arc, 57.
Association (La liberté d'), par M.
LE COMTE DE PariS, 531.
AuRAV (Marquis d'). — Le vœu
national, 413.
B
Bulletin bibliographique. — Etu-
des niédico-théologiquessur les
anesthésiques, par M. l'abbé
Pie.accini, 56. — Cœcilia. Re-
cueil de chants sacrés, par M.
l'abbé Poivet, 166.— Vie de la
Vénérable Mère Maiguerite-
Maritt Alacoque, par Mgr Lan-
guet, 166. — Saint Stanislas
Kostka, S. J., par l'abbé LeMon-
nier, 167. — Leonis PP. XIII
allocutiones, epistolœ, consti-
tutiones, aliaque acta prsecipua.
167. — La fondation de la
France, par M. Lecov de la
Marche, 167. — Le rnaréchal
de Mac-Mahon, parle comman-
dant Grandin, 557. — Album
d'enfants, 558. — Décrets et
canons du Concile œcuménique
du Vatican, 559. — Le cœur de
Notre- Seigneur Jésus-Christ,
par le R. P. D. Mortier, O.P..
560. — Almanachs de la so-
ciété de Saint- Augustin de Lille,.
671. — Législation générale
des fabriques des églises ca-
tholiques de France, par M.
Penel-Beaufin, 671.
Cabuières (Mgr de). — Lettre au
sujet de la visite des marins
russes, de la mort du maréchal
de Mac-Mahon et de la mort
de Gounod, 278.
Calhiat (M. Henry). — Une tête
coupée qui parla, 145, 19.5. —
Un vaillant porte-croix àLau-
zerte, 307, o35. — Une visite à
Notre-Dame de Lourdes, 588,
646. — Journal d'un pèleri»,
687.
Catholiques du Nord et du Pas-
de-Calais. — Programme de
l'assemblée générale, 32. —
Compte-rendu, 638. — Dis-
cours de M. le comte de Cau-
LAINCOUKT.
Causerie scientifique, par M. H.
DE Parville, 473.
Chambres (Les). — Sénat, 438,
489. — Chambre des députés,
439. 493, 544, 595, 658.
(1) Dans cette Table, les chiffres qui suivent les articles indiquent
les pajîos; les noms des auteurs dont les travaux ont été publiés dans
ce volume des .-1 nna^e*- sont en petites majuscules; les titres des livres
Bont en italiques
TABLE ALPHABETIQUE
725
Chronique de la semaine. —
France : Les fj^rèves flu Noid ot
du Pas-de-Calais, 42, 104,328.
— Les « sans patrie », 415. —
Tiaitft franco-siamois, 47. —
L'arrivéede l'encadre russp, 100.
— Tyrannie municipale ( SMint-
Denis), 102. — Poursuites coh-
tre V Autorité, 103. — La mort
de Mac-Mahon, 155. — Ses
<>b.«èquos, 206. — Les marins
russes à Toulon et à Paris, 158.
— Congrès de la libre-pensée,
162. — La conversion, 163. —
Les fêtes franco-russes, 204. —
Un discours de M. de Mun à
Landerneau, i[9. — Conclu-
sion des fêtes franco-russes,
260. — Lancement du Jauré-
guiberni. 263. — Discours de
Mgr Migaot, 264. — La situa-
tion, 267. — Les fêtes de Mau-
beuge, 330. — Rentrée des
Chambres. 333. — Le cas de
Cornélius H<mz,381. — A l'Aca-
démie de médecine. Rapport
de .M. Brouardel, 381. — La
libre-pensée, 386. — Attentats
anarcliisles, 387. — La décla-
ration ministérielle (M. Dupuy),
444. — Lesenvoyés de Behan/in,
445. — L'eff(jndrement du ca-
binet, 496. — Le colonel Ar-
chinard, 498. — Syndicats ou-
vriers, 499, 551. — La liberté
de conscience à l'armée, 500.
— Attentat anarchiste, 502.
— Le nouveau ministère, 545.
— Déclaration, 5.Î0. — La dy-
namite au Palais Bourbon. 004.
— Les attentats anarchistes,
609. — Le vote des lois de ré-
pression, 659. — Une odieuse
brochure . Le catéchisme du
soldat, 660.
Etranger : Espagne, 50, 270, 610,
663. — Allemagne, 50, 389. —
Ouverture du Reichstag, 446.
— L'^s jésuites, 553. — Bié.sil,
51, 611. G64. — Italie: situa-
tion fina cièro, 105, 220, 600.
— Le nouveau ministère, 610,
662. — Angleterre, 108. 111.
— Fin des grèves, 447. — Au-
triche, 111. — Suisse, 272. —
. Maroc, 389.
Congrégations religieuses (Les),
449.
Congrès catholique de Chicago,
74.
Congrès de l'Union des œuvres
ouvrières catholiques, 29.
Congrès de la Libre-Pensée, à
Paris, 162 ; 386.
Conscience téméraire (De la), par
M. l'abbé G. MoREAU, 288.
Convent maçonniaue de 1893 (Le),
584.
CoKNLT (M. Ev.). — Lamartine,
80.
Curés (les) ou desservants ne
peuvent être ni com|)tables ni
ordonnateurs de fabrique, 677.
Czar (Le) et la famille impériale
de Russie, 200.
D
Déclaration ministérielle CM. Du-
puy), 432. — (M. Casimir Pé-
rieri, 542.
Décret liturgique. — Fêtes pri-
maires et secondaires, 27. —
« Dies irœ » (Le), 109.
DoNoso CoRTÈs (Une lettre de),
469.
Droit (Le) et le devoir, par Mgr
GOUTHE-SOULARI), 186.
Drumont (M. Kd.). — Le socia-
lisme et les Juifs, 138.
E
Eglise (L') et la question Juive,
367. '
Eglise (La petite) par M. Oscar
Bavard, 128.
Equivoque i Une double), à pro-
pos des Livres choraux, 625.
Echternacb, 21.
Evangile (De V) par M. l'abbé G.
Moreau, 173.
Fabriques (Les), 281, 348.
Fabriquas paroissiales. ^ V. Cu-
rés, Timbre, Ordonnateur, etc.
— Lettre du ministre. — Pro-
testation de Mgr Trégaro, 705.
Fêtes (les) primaires et secon-
daires. — Décret, 27.
Fêtes franco-russes. — L'arrivée
de l'escadre à Toulon, 100. —
Lettre de l'Evêque de Digne,
154. — Les marins russes à
726
ANNAI.KS CATHOLIQUES
' Toulon et à Paris, 158. — Les
fêtes, 204. — Visite à l'arche-
vêque de Paris, 211. — Te
De-im à l»aris. 213. 274;— àl'é-
glise du vœu national, 214. —
Au banquet municipal, 215. —
Leur conclusion, 260. — Lan-
cenoent du Jauréguiherry,'iQ3.
— Dernières paroles officielles,
266. — Lettre de Mgr Gouzot,
archevêque d'Auch, prescrivant
un Te Denm, 276. — A Lyon,
^277. _ A Lourdes. 279 — Une
cloche à Notre-Dame de Paris,
en souvenir des officiers russes,
373.
G
Gavard (C). — L'alerte de 1875,
673.
Gounod (M. Charles), le grand
musicien français. — 150, 237
— Discours prononcé à ses ob-
sèques par M. Poincaré, mi-
nistrede l'Instruction publique,
258. — Biographie par M. le
marquis de Ségur, 297.
GouTHE-Soui-ARD (Mgr), arche-
vêque d'Aix. — Discours sur I«
Droit et le devoir, 187. — Son
entretien av^c un rédacteur du
Figaro, sur les lois de laïcisa-
tion, 378.
Gouzot(. Mgr), archevêque d'Auch.
— Lettre prescrivant un Te
Deum à l'occasion des fêtes
franco-russes, 276.
H
Haine (De la) d'abomination, par
M. l'abbé G. Mobeac,337.
Icard (M,), supérieur général des
prêtres de Saiot-Suiiiice, 423.
— Lettre du cardinal Richard à
l'occasion de sa mort, 613.
Jeanne d'Arc: Discours de M.
Poincaré, ministre de l'Ins-
truction publique, 37.
Journal d'un Pèlerin à Lourdes,
par H Caliiiat, 687.
Judaïsme (Le) cosmopolite, 402.
Juifs (Les) et le socialisme, par
Ed. Drumont, 138.
Juive (La question) et l'Eglise,
367.
Lamartine, par M. Ed. Gornut, 80,
Lauzerte. — Un vaillant porte-
croix à, par M. l'abbé Henri
Calhiat, 307, 535.
LÉON XIII. — Discours aux pèle-
rins de l'Apostolat de la prière,
113. — Lettre aux Evêques
d'Espagne, 315. — Lettre en-
cyclique sur les études d'I^.cri-
ture Sainte, 505, 561. — (Voir
Nouvelles religieuses : Rome).
Léon XIII et M. E. Ollivier, 106.
Liturgie : Règles concernant le
culte des saintes reliques et les
saintes images, par M. l'abbé
Moreau, 459. — Une double
équivoque à propos des livres
choraux, 625. — Décret concer-
nant les fêtes primaires et se-
condaires, 27.
Lourdes (N.-D. de) : Une visite,
par M. l'abbé Henry Calhiat,
588, 646.
M
Mac-Mahon (M. le maréchal de),
duc d« Magenta. Sa mort,
149, 155. — Ses obsèques. 206.
— Discours de M. Dupuy, pré-
sident du Conseil des ministres,
207; Discours du géu'M-al Loi-
zillon, ministre de la guerre,
209. — Sa biographie, 220. —
Un service à Alger, 275.
Menses épiscopales et curiales
(i.es), 226.
MiGNOT (Mgr) évêque de Fréjus.
— Discours à l'occasion de la
bénédiction du Jauréguibcrry,
264.
Missionnaires. — Hommage à,
nos, par NL Eug. Wolf, explo-
rateur protestant allemand ,
142.
MoREAu(M. labbé P. G.), vicaire
général de Langres. — Le livre
de paroisse, 5. — Le prêtre est
l'homme de Dieu, 116. — De
l'Evangile, 173 — Des condi-
tions de l'acte moralement
mauvais, 239. — De la con-
science téméraire, 288. — De
la haine d'abomination, 337.
— Du traitement extraordi-
TABLE ALPHABETIQUB
727,'
naire des curés, dessflrvants et
vicaires, 393. — Règles litur-
giques concernant le culte des
samtfs reliques et des Siiintes
image». 4ô9. — De la prédica-
tion, 017.
Mots (La puissance des), 164.
MuN (M. le comte de). — Dis-
cours à Landeroeau, 219, 357, à
Lille. 633.
Musique sacrée. — Une double
équivoque, 6'2."i.
Nécioloffie. — Duc d'Uzès : Dis-
cours du commandant de Mon-
teil, 41. — Le maréchal de
MaC'Mahon, duc de M«genta,
149. — G()UDf)d, le grand mu-
sicien français, 150, 257. —
Mme la princesse Mar-jnerite
C2artoiy>ka, fille de Mgr le
duc de Nemours, 255. — Mgr
Poyet, de Jérusalem, 260. —
Cardinal Laurenzi, 326. — M.
Tirard, ancien ministre des
finances, 326. — M. Icîut, su-
périeur général des prêtres de
Saint-Sulpice, 423. — Sir A.
White, 623. — Mgr Juteau,
évêque de Poitiers, 483. —
Prince de Battonberg. ancien
prince de Bulgarie. 484. — Le
P. Gubtielmotti, 48o. — Mgr
Mac-Carthy, évêque de Cloyne
(Irlande), 594.
Nécrologies opiscopales, par M.
M. C. d'AGRiGENTE (suite).
— Année 1821 (suitp). — Le
cardinal de Talleyranrl-Péri-
goid, archevêque de R-^ims et
de Paris, 10. — Mgr d^ Poli-
• gnac, évêque de Meaux, 132.
— Mgr Hourlier, évêque d'Ë-
vreux, 233.
Neutralité scolaire (La). 534.
Nouvelles Religieuses : Rome et
l'Italie, 52. — Dlscour^' de Sa
Sainteté Léon XIII, aux che-
valiers de l'ordre Pro Ecclesia
et Ponli/ice, 371; — aux pèle-
rins du nord de l'Italie, 424; 486,
611. — Discours aux déléga-
tions des Sociétés catholiques
df Romp, 652. — Discours de
Léon XI II au Sacré Collège, 7 15.
Fr nce : La rentrée des cours et
tribunaux à Paris et en pro-
vince, 152. — Alger : 275. —
Amiens, 95. — Auch, 276. — .'
Autun,429. — Aix, 378. — Car-
thage : Mgr Combes, 429. —
Châlons : Caprices d'un maire,
96. —Chartres: Prise d'habit
chezdes Sœurs de St-Paul, 691..
— Coustantine: Adieux de Mgr
Combes, 655. — Digne, 154. —
Lyon : Lettre aux religieuses
pour la canonisation de Jeanne
d'Arc, 656. — Lnval, 431. —
Marseille: sa cathédrale, 540. — :
Montpellier, 278. - Nevers,52;
— sup|)rfssion de traitements
ecclésiastiques, 97. — Paris :
Installation de M. l'abbé Rivât,
à St-Lambert de Vaugirard,94.
— A propos du Te Deum des
fêtes franco-russes ,27 4. — Messe
de rentrée des cours de l'Insti-
tut catholique, 335 — Cente-
naire de la profanation de
Notre-Dame, 320, 375 ; — de
St.-Etienne-du-Mont , 487. —
Perpignan : séminaristes sol-
dats, i'9. — Séez : Le«! sémina-
ristes soldats, 380. — Tarbes:
Lourdes, 279. — Vannes, 657.
— Jérusalem, 430 ; — Terre
Sainte, 541.
Missions: Honolulu, 431
O
Ollivier (M. Eniilei et Léon XIII,
406.
Ordonnateurs des fabriques. (V.
Curé).
Oratoire (Congrégation de I'). —
L'^ttre lie Mgr Penaud, évêque
d'.\ulun et supérieur général,
au Souverain Pontife, 54. —
Réponse de Sa Sainteté, 55.
Paris (M. le comte de). — La li-
berté d'association. 531. — La
liberté des svndicats ouvriers,
629.
Paroisse (Lp livre de), parM. l'ab-
bé G. MOREAU. 5.
Parville (.m. h. de). — Causerie
scientifique, 473.
Perrald (Mgr), évêque d'Autun.
— Lettre au Pape, concernaut
la Congrégation de l'Oratoire,
5o. — Paroles prononcées à son
retour de Rome, 428.
728
ANNALES CATH0UQUE8
PoiNCARÉ (M.), ministre de l'ins-
truciion publique et des cultes ;
— Discours sur Jeanne d'Arc,
37 ; — aux obsèques de Gounod,
258.
Porte-Croix (Un vaillant) à Lau-
zerte, pav H. Calhiat, 307, 535.
Préd.caliOQ (De la), par M. l'abbé
G. MoRKAU, 617.
Prêlre (L'^), est l'homme de Dieu,
par M. l'abbé G. Moreau. 116.
Protestation de Mgr Trégaro
contrfi l'application de la nou-
velle loi sur les fabriques, 705.
Q
Quiquerez de Segonzac (L'affaire
de), 90.
R
Reliques. — Règles concernant le
culte des Sainte* Reliques, 459.
Richard iS. Em. le cardinal ar-
chevêque de Paris. — Lettre
pastorale à l'occasion du Cen-
tenaire de la i)rofanatii'n de
l'église Notre-Dame de Paris,
32U. — Cérémonie expiatoire et
Amende honorable, 376. —
Lettre à M. le curé de Saint-
Elieune du Mont, pour répara-
tion centenaire, 4îs6. — Lettre
à loccasion de la mort de M.
Icard, supérieur général des
prêtres de St-Sulpice, 613.
S
Segonzac (affaire Quiquerez), 90.
Séminaristes soldat.s), 380.
Socialisme (Li^), et les Juifs, par
Ed. Drumont, 138.
Socialisme Catéchisme) 272.
Socialisme (Le), en Suisse, 411,
Sœursdes Pauvres (Petites). — Les
origines d'une grande Œuvre
par Louis Veuillot, 6.5
SoMS (général de), par M. R. dk
Salbert, 246.
Syndicats ouvriers, 499. — Leur
dissolution, 551. — Leur liberté,
par M. le comte de Paris, 629,
Tête coupée (Une) qui parla,
(légende espagnole), par IVl.
l'abbé Henry Calhiat, 145, 195.
Tho.mas (S. Em. le cardinal). — •
Lettre pastorale sur l'alcoo-
lisme, 525, 574.
Timl)re (le) des quittances déli-
vrées par les comptables des fa-
briques, 679.
Traitement extraordinaire (Du)
des curés desservants et vi-
caires, par M. l'abbé G. Mo-
reau, 393.
Trégaro (Mgr). — Lettre de pro-
testation contre l'application
de la nouvelle loi sur les fabri-
ques, 705.
U
Union nationale ouvrière (L'), 69.
Vaucouleurs, par M. Henri Arsac,
57.
Veuillot (Louisj : Les origines
d'uue grande œuvre: Les Pe-
tites-Sœurs des pauvres, 65. —
Le portefeuille de Louis Veuil-
lot, par Eugène VeuiLlot.
Vœu national (L^), |)ar M. le mar-
quis d'AURAY, 413.
UNE CONQUETE
Après avoir trop longtemps subi le joug des sectes, la Fiance com-
mence à se ressaisir. C est ainsi que les Catholiques, par le Diction-
naire des Dictionnaires, ont enfin repris le domaine encyclopédique
usurpé «lepuis plus d'un siècle par la Franc-Maçonnerie et la Libre
Pensée, et y ont planté la croix. 11 importe d'affermir et d'étendre
cette précieuse conquête. Quiconque a souci de l'intérêt familial,
social, religieux, conseivateur, voudra participer à cette croisade,
qui a pour cri : Foi et Science, Dieu et Patrie. D'ailleurs, il s'agit
d'une œuvre aujourd'hui indispensable, d'une utilité quotidienne ; et
l'on p<'Ut encore en souscrivant de suite, se la procurer dans des
con lirions exceptiftniielles. On trouvera plus loin ces conditions avec
le bulletin de souscription.
Le gérant : I'. Chantrel.
Pans. — Imp. G. Picquoin, 53, rue de Lille.
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