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Full text of "Annales catholiques : revue religieuse hebdomadaire de la France et de l'église"

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iïRANSFERRED 


ANNALES 

CATHOLIQUES 


OCXOBRE - UECEMBRE 

1893 


PARIS.    —    IMP.    G.    PICQUOIN,    RUB  DE    LILLE,    53 


ANNALES 

CATHOLIQUES 


REVUE  HEBDOMADAIRE 


PUBLIEE  AVEC  L  APPROBATION   ET  L  ENCOUHAGKMKNT 

DE  NN.    SS.  PÈRES   PIB   IX   ET    LEON    XIII 

DE   SON    ÉMINENGE  M*'  LE    CARDINAL-ARCHEVÊQUE   DE    ROUEN 

DE    LL.    ÉM.    LES   CARDINAUX-ARCHEVEQUES    DE    REIMS  ET  DE   TOULOUSB 

DE    NN.    SS.    LES  AUCHEVÈQUES   DE  BOURGES,  d'aIX  ET  DE  BESANÇON, 

ET  DE  NN.  SS.   LES  ÉVÈQUES  d'aRRAS,  DE  BEAUVAIS, 

d'aNGERS,  DE  BLOIS,  DE  CAHORS,  D'ÉVREUX,  DU  MANS,    DU   PUY, 

DE     LIMOGES,      DE  CHALONS,      DE      MEAUX,     DE     MENDE,      DE      NANCY, 

OK   MARSEILLE,    DE   NANTES,    DE    NEVERS,    DE     NIMES,  d'ORLÉANS,   DE    PAMIER8 

DE   SAINT-CLAUDE,    DE  SAINT-DiÉ,  DE   TARENTAISE,  DE   TROYES,  d'aUTUN, 

DB    VANNES,    DE    SÉEZ,   DE   FRÉJUS,     d'aNNECY,   DE    CONSTANTINE,  DE  FRIBOURO 

DE  CARACAS,    DE   CARTHAGENE,  D'oLINDA,  DE  LEON   DU    MEXIQUE,  ETC. 

RÉDACTEUR   EN   CHEF 

P.  CHANTREL 

CHEVALIER   DE   L'ORDRE  DE  L'iMMACULÉK-CONCKPTION 


TOME  IV 
OCTOBRE  -  décembre: 


(tomb  lxxxvi   de  la  collection) 


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PARIS 
9,  RUE  PÉROU,  9 


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BEl-^  2/95 


ANNALES   CATHOLIQUES 


LE  LIVRE  DE  PAROISSE 

Toute  église,  toute  corporation  doivent  avoir  des  archives. 
■Ces  archives  sont  obligatoires,  non-seulement  dans  les  cathé- 
drales, mais  encore  dans  les  paroisses  et  même  dans  les  con- 
fréries. Dans  ces  archives,  outre  les  registres  nommément  exigés 
par  le  Rituel,  doit  se  trouver  le  livre  de  paroisse,  rendu  obliga- 
toire par  le  concile  de  Trente  (Sess.  XXIV,  De  Reformatione 
matrimoniali ,  chap.  I  et  II),  et  qui  contient  les  confirmations, 
les  mariages,  les  sépultures  et  l'état  des  âmes. 

A  côté  de  ce  livre  de  paroisse  canonique,  ne  convient-il  pas 
qu'il  s'en  trouve  un  autre,  sorte  de  chronique  rédigée  au  jour 
le  jour  racontant  l'existence  propre  de  chaque  église,  et  conte- 
nant au  fur  et  à  mesure  de  leur  éclosion'ces  feuilles  volantes, 
si  difficiles  à  se  procurer  plus  tard,  récits,  descriptions,  fêtes, 
gravures. 

Depuis  quelques  années  les  préfets  d'abord,  le  gouvernement 
ensuite  ont  prescrit  à  leurs  subordounés,  non-seulement  de  tirer 
leurs  archives  de  la  poussière  des  cartons,  mais  d'inscrire  sur 
des  répertoires  archéologiques  qu'ils  leur  ont  remis,  les  faits 
récents  et  contemporains  qui  intéressent  la  localité,  afin  d'en 
garder  la  mémoire. 

Pourquoi  chaque  église  n'aurait-elle  pas  son  histoire  propre, 
rédigée  au  jour  le  jour  par  son  curé?  Lès  faits  les  plus  saillants 
sont  gravés  sur  les  murs  mêmes  pour  en  perpétuer  à  jamais  le 
souvenir  de  la  manière  la  plus  apparente  et  la  plus  durable.  Les 
faits  d'un  ordre  moindre  seraient  consignés  dans  un  registre 
spécial.  De  ce  nombre  seraient  ia  visite  pastorale,  la  confirma- 
tion ;  une  cérémonie  extraordinaire,  comme  le  sacre  d'un  évêque; 
des  prédications  pour  jubilé  ou  mission,  la  donation  d'un  vitrail, 
la  pose  d'une  inscription  commémorative,  etc.;  la  réception  d'un 
orgue,  un  concert  spirituel  au  profit  des  pauvres,  l'enterrement 
d'un  grand  personnage.  —  La  rédaction  de  cette  chronique  de- 
vrait être  claire  et  calme.  On  demande  des  faits  et  non  des 
phrases,  la  vérité  et  non  une  appréciation,  de  l'exactitude  et 
monde  l'emphase.  Plus  tard,  rien  ne  sera  plus  curieux  à  con- 

LXXXVI  —  7  OCTOERE  1893.  1 


6  ANNALES    CATHOLIQUES 

sulter  que  cette  histoire  intime  qui  initie  à  la  vie  d'un  monu- 
ment et  à  celle  des  générations  qui  y  ont  prié. 

I.  Renseignements  historiques. —  Epoque  et  motifs  de  rérec- 
tion  de  la  commune  en  cure.  —  De  quel  diocèse  dépendait-elle 
avant  le  Concordat  en  1801  ?  De  quel  doyenné,  archiprêtré,  ar- 
chidiaconé  ressortissait-elle?  Quelle  était  autrefois  sa  circons- 
cription territoriale?  Quelles  étaient  ses  dépendances?  —  La 
cure  était-elle  à  la  nomination  de  l'évêque,  d'une  abbaye,  d'un 
■eigneur?  —  Quels  étaient  les  revenus  et  les  droits  de  l'église? 
—  Id.  de  la  cure? —  Quel  était  le  rang  du  curé  dans  la  hiérar- 
chie du  diocèse  ?  —  Quels  ont  été  successivement  les  curés  de  la 
paroisse  depuis  1802?  Indiquer  la  date  de  leur  entrée,  de  leur 
sortie  ou  de  leur  décès,  ainsi  que  leur  âge.  —  Y  a-t-il  quelques 
curés  ou  quelques  prêtres  originaires  de  la  paroisse?  Date  de 
leur  naissance,  de  leur  ordination,  de  leur  mort.  Se  sont-ils  si- 
gnalés  par  leurs  vertus,    leurs   bienfaits,  leur  science,   leurs 
fonctions,  ou  par  quelques  faits  mémorables  ?  Il  est  juste  qu'un 
curé  soit  l'historien  de  ses  prédécesseurs  et  transmette  aux  gé- 
nérations à  venir  leurs  vertus  et  les   beaux  faits  qui  peuvent 
honorer  le  clergé.  Il  conviendrait,  par  exemple,  de  rappeler  les 
principaux  traits  de  la  vie  des  martyrs  et  des  confesseurs  de  la 
foi  pendant  la  Révolution;  les  actes  de  charité  et  d'héroïsme 
dans  les  grandes  calamités,  comme  famine,  épidémie,   inonda- 
tion, incendie.  —  Mêmes  questions  sur  les  prêtres  qui,  n'étant 
pas  curés,  auraient  habité  la  paroisse  en  y  exerçant  ou  sans  y 
exercer  des  fonctions  sacerdotales.  —  La  paroisse  a-t-elle  un 
vicaire  reconnu  par  le  gouvernement? —  Y  a-t-il  des  prêtres 
qui  y  soient  domiciliés?  —  La  paroisse  renfermait-elle  autrefois 
des  abbayes,  prieurés,  ermitages?  Y  a-t-il  encore  des  débris  de 
ces  maisons,  de  leurs  églises  ?  Quelle  est  leur  destination  pré- 
sente ?  Indication  de  tous  les  détails  historiques  qui  peuvent 
offrir  de  l'intérêt.  —  Y  a-t-il  sur  le  territoire  de  la  paroisse  des 
fontaines  en  vénération,  fréquentées  par  les  malades  et  auxquelles 
on  attribue  la  vertu  de  guérir  différents  maux?  Pour  quel  genre 
de  maladie? —  Y  a-t-il  des  croix  antiques  ou  remarquables  dans 
la  circonscription  de  la  paroisse?  Origine  et  cause  de  leur  érec- 
tion. Y  a-t-il  des  pèlerinages?  Quel  est  le  but  de  la  dévotion?  Y 
a-t-il  des  abus? 

On  peut  avoir  ces  renseignements  historiques  dans  les  ar- 
chives de  la  commune,  de  l'église,  des  particuliers,  à  moins  que 
ces  archives  n'aient  été  portées  à  la  préfecture.  On  peut  encore 


LE    HVRB    DE    PAROISSE  7 

les  obtenir  de  témoins  oculaires  ou  auriculaires  et  les  compléter 
par  des  monographies  ou  à  l'aide  d'histoires  générales.  S'il  n'est 
pas  possible  de  faire  l'histoire  ancienne  de  la  paroisse,  se  borner 
à  l'histoire  récente  et  contemporaine.  Il  est  certain  que  remplir 
ce  programme  n'est  pas  l'affaire  d'un  jour;  on  assignera  à 
chaque  question  une  ou  plusieurs  pages  que  l'on  écrira  peu  à 
peu,  selon  l'occasion. 

Après  avoir  étudié  l'histoire  de  la  paroisse,  on  étudiera  celle 
de  l'église. 

Quel  est  Je  patron?  Y  a-t-il  des  usages  particuliers  dans  la 
manière  de  célébrer  sa  fête?  De  quels  saints  fait-on  solennelle- 
ment la  fête  comme  patrons  secondaires?  —  Y  a-t-il,  dans  le 
culte,  des  cérémonies  ou  usages  particuliers  et  locaux  utiles  à 
connaître?  — Epoque  de  la  construction  de  l'église.  Son  genre 
d'architecture.  —  L'étudier  avec  soin.  —  L'église  renferme- 
t-elle  des  chapelles  claustrales,  des  objets  d'art  et  d'antiquité, 
des  tombeaux  ? 

Puis,  l'histoire  de  la  Fabrique,  des  institutions  de  bienfai- 
sance, des  chapelles  placées  sur  le  territoire  de  la  paroisse,  et 
des  fondations.  11  conviendrait  de  rappeler  les  noms  des  bien- 
faiteurs de  l'église,  celui  des  fondateurs,  par  exemple,  de 
l'Octave  des  Morts,  du  Saint-Sacrement,  des  40  heures,  du 
Chemin  de  la  Croix,  des  personnes  qui  ont  fait  des  dons  ou  des 
legs  à  la  fabrique  ou  aux  autres  établissements  religieux  de  la 
paroisse.  Enfin  on  terminerait  par  l'histoire  du  presbytère,  des 
biens  de  la  cure,  de  l'état  présent  du  curé  au  point  de  vue  ma- 
tériel, de  ses  rapports  avec  l'autorité  civile.  On  aurait  ainsi  un 
historique  complet  de  la  paroisse  étudiée  dans  ses  origines, 
dans  son  culte  représenté  par  son  église,  sa  fabrique,  ses  fon- 
dateurs et  les  libéralités  de  ses  bienfaiteurs. 

IL  Renseignements  statistiques.  —  Ces  renseignements  por- 
teront : 

1°  Sur  le  nom  de  la  paroisse.  Etymologie  de  son  nom  actuel 
et  des  noms  qu'elle  a  successivement  portés.  Causes  et  dates  de 
ces  changements.  Si  l'étymologie  des  noms  donnés  à  des  établis- 
sements paroissiaux,  à  des  chemins  vicinaux,  ponts,  fontaines, 
offre  quelque  chose  d'intéressant,  si  elle  aide  à  constater  quel- 
ques points  historiques  de  la  localité,  le  dire. 

2°  Sur  la  situation  géographique  de  la  paroisse.  Est-elle  sur 
une  montagne,  sur  une  colline,  dans  une  vallée?  Dates  et  causes 
de  la  fondation  du  lieu. 


8  ANNALES   CATHOLIQUES 

30  Sur  la  population  de  la  paroisse.  Origine  de  la  population.. 
Raisons  qui  ont  déterminé  son  émigration.  Nombre  des  habi- 
tants, des  ménages.  Nombre  annuel  des  naissances,  mariages, 
décès. 

4°  Sur  les  industries  de  la  paroisse. 

5°  Sur  la  minéralogie,  la  zoologie,  la  botanique  et  la  flore  du 
pajs,  sur  la  paléontologie, la  numismatique,  l'archéologie;  si  le 
curé  peut  aborder  ces  questions,  ces  études  sont  loin  d'être  inu- 
tiles aux  prêtres  et  à  la  religion.  Soumise  depuis  plus  d'un  demi- 
siècle  à  l'épreuve  des  recherches  géologiques,  la  religion  les  a 
toutes  subies  sans  donner  lieu  à  l'incrédulité  de  les  entamer  ;  de 
plus  amples  découvertes  ne  feront  que  l'affirmer. 

III.  Renseignements  moraux.  —  Inclinations  morales  des 
habitants,  bonnes  qualités,  défauts  prouvés  par  des  faits.  — 
Usages  et  coutumes.  —  Nuances  de  caractères  et  goûts  particu- 
liers, esprit  mercantile,  processif,  militaire,  etc. — Nombre  des 
auberges,  cafés,  débits  de  boissons,  —  N'oublier  aucun  des  ren- 
seignements qui  peuvent  servir  à  apprécier  la  moralité  et  l'es- 
prit des  paroissiens.  —  Indication  des  causes  particulières  qui 
ont  amélioré,  altéré  ou  modifié  les  moeurs.  —  Proportion  des 
enfants  légitimes  et  naturels.  —  Foires,  fêtes  locales,  jeux 
et  plaisirs  ordinaires  du  peuple.  — Divertissements  particuliers 
à  chaque  saison,  à  chaque  âge,  à  chaque  sexe,  lieux  de  réunion. 

Quel  est  le  nombre  actuel  des  catholiques?  Le  nombre 
approximatif  et  moyen  des  communions  à  Pâques.  —  Des  enfants 
admis  à  la  première  communion.  —  Des  mariages.  —  Des  ma- 
riages civils,  mixtes. —  La  grande  majorité  des  habitants  prend- 
elle  part  aux  offices  paroissiaux? Est-ce  habituellement  ou  seu- 
lement aux  grandes  solennités?  —  Montre-t-elle  des  dispositions 
à  recevoir  l'instruction  religieuse?  —  Y  a-t-il  des  confréries 
d'hommes,  de  femmes,  de  filles,  de  garçons?  —  Quel  est  leur 
but  spécial  de  dévotion  ?  Quels  sont  leurs  patrons,  leurs  fêtes, 
leurs  réirlenients?  Y  a-t-il  des  titres  d'érection.  Sont-elles  enri- 
chies de  jiriviléges  particuliers,  d'indulgences  de  Rome?  Quelles 
sont  les  ressources  et  le  mode  d'administration  de  ces  confréries? 

Y  a-t-il  des  écoles?  Qui  les  dirige?  Sont-olles  fréquentées? 
Le  peuple  en  général  sait-il  lire  et  écrire? 

On  comprend  avec  quelle  sagesse  et  quelle  prudence  un  curé 
doit  consigner  ces  notes,  et  avec  quel  soin  il  doit  éviter  des 
réflexions  imprudentes  sur  les  personnes.  Qu'il  signale  des  dan- 
gers, des  abus,  mais  toujours  sur  le  ton  de  la  charité  et  avec- 


LE    LIVRE    DE    PAROISSE  9 

un  esprit  vraiment  sacerdptal.  II  écrit  une  histoire,  non  un 
pamphlet;  il  évitera  les  commérages,  les  légendes  et  ne  dira 
que  ce  que  la  vérité  et  la  charité  unies  ensemble  lui  permettront 
de  dire. 

IV.  —  Il  est  peu  de  paroisses  qui  n'offrent  quelques  pièces 
propres  à  jeter  du  jour  sur  l'histoire  locale  :  chartes,  statuts, 
règlements,  privilèges,  redressement  d'abus,  exemptions  de 
redevances,  tailles,  péages  ;  nombre  de  pièces  intéressant  l'his- 
toire d'une  foule  de  villages  et  de  bourgades  sont  encore  ense- 
velies dans  les  vieilles  archives  des  communes,  oii  on  ne  les 
soupçonne  pas.  Peut-on  croire  que  l'histoire  de  la  célèbre  abbaye 
de  Jouarre,  au  diocèse  de  Meaux,  qui  remonte  au  vii=  siècle, 
n'est  même  pas  commencée  !  On  découvre  tous  les  jours  d'anciens 
titres  fort  importants  et  qui  sont  mis  au  rebut  comme  papiers 
inutiles  par  d'ignorants  villageois  ;  on  les  trouve  quelquefois  à 
moitié  dévorés  par  les  insectes  et  la  moisissure,  entassés  dans 
des  greniers  ou  de  vieux  coffres.  Que  le  clergé  s'occupe,  dans 
ses  moments  de  loisir,  de  rechercher  tout  ce  qui  peut  jeter  du 
jour  sur  l'obscurité  de  notre  passé,  que  chaque  curé  mérite  le 
titre  d'historien  de  sa  paroisse.  Il  suffit  souvent  d'une  seule 
notice,  de  quelques  documents,  pour  exhumer  de  l'oubli  cer- 
tains faits,  ou  conserver  le  souvenir  de  quelques  événements  qui 
sont  loin  d'être  dénués  d'importance.  Le  prêtre,  en  montrant  du 
goiit  pour  les  études  historiques  et  naturelles,  se  fera  le  plus 
grand  honneur  aux  yeux  des  classes  éclairées.  On  ne  trouve 
malheureusement 'plus  à  moissonner  comme  il  y  a  vingt  ans; 
mais  on  peut  encore  glaner  à  peu  près  partout  et  faire,  en  cer- 
tains lieux,  une  utile  récolte.  Il  serait  triste  que  pendant  que 
les  laïques  instruits  de  chaque  commune  ne  restent  pas  inactifs, 
le  curé  seul  se  croisât  les  bras. 

Ne  voit-on  pas  d'ailleurs  quel  profit  la  religion  peut  retirer 
de  ces  recherches?  Récits  des  vieux  usages  pour  les  naissances, 
les  baptêmes,  les  mariages,  les  décès  ;  coutumes  anciennes, 
croyances  fabuleuses,  superstitions,  préjugés,  récits  merveil- 
leux, vieux  contes,  fabliaux,  uoëls,  refrains,  complaintes,  saints, 
souhaits,  félicitations,  etc.,  influence  de  certains  événements 
sur  l'éducation,  l'esprit  et  les  mœurs,  nous  aideront  à  découvrir 
souvent  la  vérité  au  milieu  des  ténèbres  dont  elle  est  enveloppée, 
et  nul  doute  que  ce  concours  unanime  de  zèle  et  d'efforts  dirigés 
de  tous  les  points  vers  un  centre  unique  par  les  cinq  ou  six  cents 
prêtres  répandus  sur  la  surface  de  chaque  diocèse,  n'ait  des 


10  ANNALES    CATHOLIQUES 

résultats,  sinon  immenses,  du  moins  fort  utiles  pour  la  science 
et  la  gloire  d'une  contrée. 

Lorsqu'un  curé  découvrira  des  titres,  bulles,  chartes,  terriers, 
actes  divers  en  faveur  des  paroisses,  il  fera  bien  de  les  envoyer 
à  l'évêché,  qui  les  fera  examiner  avec  soin  par  des  archivistes. 
S'il  peut  transcrire  les  pièces  originales,  il  suffira  d'envoyer 
cette  copie.  Si  l'original  est  illisible,  qu'il  le  communique  à  un 
archiviste.  Qu'il  ait  soin  de  faire  un  inventaire  exact  et  complet 
de  tous  ces  titres.  Qu'il  fasse  attention  à  leur  date,  aux  person- 
nages ou  à  l'autorité  dont  ils  émanent,  ainsi  qu'à  la  substance 
des  faits  qu'ils  renferment.  Qu'il  examine  si  la  pièce  est  origi- 
nale, ou  n'est  qu'une  simple  copie,  récente  ou  ancienne. 

P. -G.    MOREAU, 

vicaire  général  honoraire  de  Langres. 


NECROLOGIES    EPISCOPALES 

ÉVÊQUES    FRANÇAIS    DÉCÉDÉS   DURANT    LE   DIX-NEUVIEME    SIECLE 
DE    1800   A   1893  (1) 

(Smite.  —  Voir  les  numéros  du  16  jffnvier  1892  au  16  septembre  1893.) 
Année    1821  [Suite]. 

20  octobre.  —  Le  cardinal  Alexandre-Angélique  de  Talley- 
RAND-PÉRiGORD,  archcvêque  de  Reims  et  de  Paris.  Ce  prélat,  né  à 
Paris  le  16  octobre  1736  d'une  des  plus  anciennes  familles  du 
royaume,  était  fils  de  Daniel-Marie-Anne,  marquis  de  Talley- 
rand,  colonel  du  régiment  de  Saintonge,  tué  le  9  mai  1742  au 
siège  de  Tournai,  et  de  Marie-Elisabeth  de  Chamillard,  morte 
à  Paris  le  25  novembre  1788,  parente  du  ministre  de  ce  nom 
sous  Louis  XIV.  Sa  grand'mcre  avait  été  mariée  en  premières 
noces  avec  le  marquis  de  Chamillard,  en  secondes  avec  le  prince 
de  Chalais.  Elle  avait  marié  sa  fille  du  premier  lit  avec  le  mar- 
quis de  Talleyrand,  et  sa  fille  du  second  lit  avec  le  comte  de 
Périgord,  fils  du  marquis  de  Talleyrand.  L'une  des  deux  sœurs 
utérines  devint  donc  la  belle-mère  de  l'autre,  et  le  comte  de 
Périgord  était  à  la  fois  le  fils  et  le  beau-frère  du  marquis  de 
Talleyrand.  Le  futur  cardinal  fut  baptisé  le  lendemain  de  ?a 

(l)  Reproduction  et  traduction  interdites. 


NÉCROLOGIES  ÉPISCOPALKS  11 

naissance  dans  l'église  de  Saint-Sulpice,  par  l'abbé  Ringault, 
vicaire;  il  eut  pour  parrain  Louis-Claude  de  Chauvelin,  fils  du 
garde  des  sceaux,  ministre  et  secrétaire  d'État  des  Affaires- 
Étrangères,  et  pour  marraine  Catherine-Angélique  de  Chamil- 
lard,  épouse  de  Thomas  Dreux,  marquis  de  Brézé,  lieutenant 
général   des  armées  du  roi,  grand  maître  des  cérémonies  de 
France.  Élevé,  dès  sa  plus  tendre  enfance,  dans  les  sentiments 
de  la  plus  haute  piété  par  une  vertueuse  mère,  qui  était  dame 
du  palais  de  la  reine  Marie  Leczinska,  et  qui  ne  négligea  rien 
pour  lui  donner  une  éducation  vraiment  chrétienne,  il  se  des- 
tina de  bonne  heure  à  l'état  ecclésiastique,  état  qui  conservait 
alors  tout  l'éclat,  toute  la  splendeur,  dont  la  sage  politique  de 
tant  de  générations  et  de  tant  de  monarques  l'avaient  succes- 
sivement environné.  D'abord  élève  du  collège  de  La  Flèche, 
dirigé  par  les  Jésuites,  il  entra  au  séminaire  de  Saint-Sulpice, 
et  y  termina  ses  études  théologiques.  Il   n'avait  pas  encore 
atteint  sa  vingtième  année,  lorsque  le  roi  voulut  le  nommer  à 
une  abbaye,  avant  qu'il  ne  fût  engagé  dans  les  ordres.  Instruite 
des  intentions  de  Louis  XV,  sa  pieuse  mère  alla  se  jeter  aux 
pieds  du  souverain,  le  suppliant  de  suspendre  cette  grâce,  de 
peur  que  ce  bénéfice  ne  fût  pour  lui  un  motif  humain  pour  suivre 
une  vocation  qu'elle  désirait  que  la  religion  seule  lui  inspirât. 
Toutefois,  en  mémoire  des  services  de  son  père,  le    roi    lui 
accorda  dès  lors  une  pension  de  trois  mille  livres.  Lorsqu'il  fut 
sur  le  point  de  commencer  son  cours  de  théologie,  sa  famille 
appela  de  Rouen,  où  il  professait  la  philosophie  et  où  il  s'était 
distingué  dans  sa  licence  en  Sorbonne,  M.  l'abbé  Bourlier,  mort 
évêque  d'Evreux,  dix  jours  après  le  cardinal  de  Périgord,  pour 
diriger  les  études  du  jeune  abbé.  Pendant  son  séjour  au  sémi- 
naire, sa  tendre  mère   venait  souvent  le  visiter;  dès  que  les 
séminaristes  apercevaient  sa  voiture,  ils  se  disaient  entre  eux  : 
«Voici  la  Sainte  qui  vient  s'édifier  avec  son  cher  fils.  »  Son  Emi- 
nence  ne  parlait  jamais  de  sa  mère  qu'il  ne  s'exprimât  par  ces 
mots  :  ma  sainte  mère.  Après  avoir  pris  ses  grades,  il  fut  élevé 
à  la  prêtrise.  Mgr  de  Nicolaï,  évêque  de  Verdun,  lui  donna  des 
lettres  de  grand-vicaire.   Peu  de  temps  après,  il  fut  nommé 
par  Louis  XV  aumônier  par  quartier;  et,  en  décembre  17G3, 
l'abbaye  du  Gard,  au  diocèse  d'Amiens,  qui  rapportait  12,000  li- 
vres, lui  fut  donnée  en  commende. 

L'abbé  de  Périgord  avait  à  peine  trente  ans  quand  le  cardinal 
de  la  Roche-Aymon,  ministre  de  la  feuille  des  bénéfices,  arche- 


12  ANNALES    CATHOUQXrKS 

vèque  de  Reims,  le  demanda  au  roi  pour  coadjuteur.  Le  pape- 
Clément  XIII  le  préconisa  le  26  septembre  1766  archevêque  titu- 
laire de  Trajanople.  Il  reçut  ses  bulles  le  1"  décembre  suivant, 
et  fut  sacré  dans  la  chapelle  de  Saint-Sulpice,  à  Paris,  le  28^ 
du  même  mois  par  Mgr  de  la  Roche-Aymon,  assisté  des  évêques 
de  Senlis  et  d'Avranches,  Mgr  de  Roquelaure  et  Mgr  de  Malide. 
Il  prit  une  grande  part  dans  l'administration  du  diocèse  de 
Reims,  et  édifia  le  clergé  et  les  fidèles  par  une  conduite  vrai- 
ment apostolique.  Sans  rien  perdre  de  cette  élégance  de  mœurs 
et  de  cette  amabilité  que  le  grand  monde  prétend  seul  donner, 
il  sut  éviter  de  compromettre  la  sainteté  du  caractère  sacerdotal 
dans  le  commerce  de  la  vie  oii  il  conserva  toujours  les  mœurs, 
la  douceur,  le  langage  et  la  dignité  d'un  évêque.  En  1769,  il 
obtint  Tabbaye  de  Hauvilliers,  diocèse  de  Reims,  qui  rapportait 
24,000  livres,  dont  il  fut  le  70*  et  avant-dernier  abbé;  son  pré- 
décesseur dans  cette  abbave  avait  été  Mgr  de  Bouille,  évêque 
d'Evreux,  qui  la  posséda  dix  ans,  et  son  successeur  le  cardinal 
de  Bayanne,  en  1780. 

Le  jeune  coadjuteur  fut  admis  en  1770  à  l'Assemblée  du 
Clergé,  comme  député  d»  la  province  ecclésiastique  de  Reims, 
suppléant  de  Mgr  de  la  Roche-Aymon  qui  ne  pouvait,  à  cause 
de  ses  occupations  à  la  Cour  et  de  ses  infirmités,  remplir  les 
fonctions  de  président  auxquelles  il  avait  été  nommé.  Mgr  de 
Périgord  était  alors  d'une  santé  si  délicate,  que  dans  un  Mande- 
ment de  cette  année,  placé  à  la  tête  de  l'ancien  Missel  de 
l'église  de  Reims,  Mgr  de  la  Roche-Aymon  craignant  de  le  voir 
succomber  à  la  fatigue,  le  recommandait  à  son  clergé  en  ces 
termes  : 

«  Ne  cessez  point,  nos  chers  collaborateurs,  de  prier  pour  le 
vénérable  archevêque  que  la  miséricorde  divine  nous  a  donné 
pour  nous  aider  dans  l'exercice  de  notre  ministère.  Vous  con- 
naissez sa  piété,  sa  modestie,  sa  bonté,  sa  douceur.Nous  avons 
vu  avec  joie  celui  qui  est  destiné  à  devenir  le  pasteur  de  notre 
Eglise,  et  sans  crainte  de  nous  tromper,  nous  pouvons  présager 
déjà  le  bonheur  qui  lui  est  réservé...  » 

Au  moral,  sage  et  vertueux,  il  n'avait  rien  de  l'attitude  des 
prélats  de  cour,  et  il  ne  tint  pas  à  lui  de  préserver  son  neveu, 
Charles-Maurice  de  Talleyrand,  le  fameux  diplomate,  des  écarts 
de  sa  première  jeunesse.  Amoureux  de  la  ligne  droite,  animé 
d'un  grand  esprit  de  suite,  il  apportait  dans  sa  charge  pasto- 
rale la  même  régularité  que  dans  la  vie  privée.  Au  physique,  on 


NKCROLOOIES    ÉPISCOPALES  13 

ne  savait  lequel  des  deux  il  était  le  plus  et  le  mieux,  prélat  oa 
grand  seigneur  :  lé  tact,  cette  modération  exquise  dans  les 
manières,  ce  grand  air,  cette  simplicité  hautaine,  cette  politesse 
érangélique,  étaient  répandus  naturellement  dans  toutes  ses 
conversations.  Courtisan  religieux,  pasteur  homme  de  cour,  il 
portait  en  lui  et  au  plus  haut  point  le  mélange  d'un  successeur 
de  saint  Remy,  combiné  avec  un  gentilhomme  de  la  cour  de 
Louis  XV. 

On  lit  à  son  sujet  dans  les  procès-verbaux  de  l'Assemblée  du 
clergé  de  1770,  cet  hommage  éclatant  rendu  aux  nobles  et  tou- 
chantes vertus  du  coadjuteur  de  Reims.  «  La  considération  dis- 
tinguée qu'il  s'est  déjà  acquise,  son  mérite,  les  qualités  aimables 
que  forment  son  caractère,  sa  douceur  et  cette  politesse  si  natu- 
relle qui  lui  gagnent  tous  les  cœurs  et  ajoutent  un  nouveau 
lustre  à  sa  naissance,  feraient  penser  que  les  témoignages 
publics  d'estime  et  d'affection  qui  lui  sont  décernés,  mérite- 
raient d'être  un  jour  cités  comme  un  exemple  dans  les  fastes 
de  l'Eglise  gallicane  »,  passage  que  reproduisit  Mgr  de  Quélen 
dans  son  Mandement  du  10  octobre  1821,  qui  ordonnait  des 
prières  pour  le  repos  de  l'âme  du  cardinal  de  Périgord. 

Lorsqu'on  1777,  le  27  octobre,  la  mort  du  cardinal  de  la 
Roche-Aymon  appela  son  coadjuteur  au  gouvernement  d'une  des 
plus  anciennes  et  des  plus  célèbres  églises  des  Gaules,  Mgr  de 
Périgord  s'assit  dans  la  chaire  de  saint  Remy,  entouré  de  la 
considération  unanime  et  du  respect  particulier  du  clergé  et  des 
fidèles  de  son  diocèse;  il  devint  duc  et  premier  pair  ecclésias- 
tique. Il  s'était  démis  de  ses  abbayes  et  avait  reçu  en  échange 
en  1775  celle  de  Saint-Quentin-en-l'Ile,  au  diocèse  de  Noyon, 
qui  rapportait  mille  florins  (25,000  livres)  et  avait  été  possédée 
depuis  1757  par  le  prince  de  Salm-Salm  (Guillaume-Florent), 
évêque  de  Tournai,  et  en  1793,  archevêque  de  Prague  où  il  mou- 
rut en  1810.  Il  renvoya  de  son  séminaire  les  chanoines  réguliers 
Génovéfains  qui  l'avaient  gouverné  sous  la  direction  de  MM.  Bé- 
rée  et  Lefèvre  jusqu'en  1787,  et  il  s'entendit  avec  M.  Emery, 
supérieur  de  Saint-Sulpice,  qui  lui  envoya  un  de  ses  plus  esti- 
mables coopérateurs,  M.  de  Picamilh,avec  quatre  directeurs. 
M.  de  Picamilh  a  eu  dans  la  suite  pour  successeurs  au  grand 
séminaire  de  Reiras  MM.  Le  Raigecourt  de  Gournay  (1823- 
1836)  ;  Aubry  (1836-1866)  ;  Manier  (1866-1870)  ;  Bieil  (1870- 
1875)  ;  Bouët  depuis  1876.      ■■o/nfn] 

Dans  son  diocèse,  l'archevêque  ne  s'occupait  pas  seulement  de 


14  A.NNAL.B8   CATHOLIQUES 

l'amélioration  morale  de  ses  peuples,  il  fonda  plusieurs  éta- 
blissements de  luxe  ou  d'utilité,  notamment  une  maison  de 
retraite  pour  les  prêtres  vieux  et  infirmes.  En  1788,  il  acheva 
la  maison  de  Saint-Thierry,  prés  de  Reims,  destinée  à  la  réiji-. 
dence  des  archevêques.  Il  obtint  du  roi  d'Espagne  Charles  III  un. 
troupeau  de  mérinos  et  donna  ainsi  une  grande  finesse  aux 
laines  de  Reims;  il  fonda,  avec  l'aide  de  quelques  maisons  de 
commerce,  une  espèce  de  Mont-de-piété  dont  les  prêts  étaient 
gratuits  ;  pour  faire  adopter  par  les  paysans  la  couverture  en 
tuile  et  la  substituer  au  chaume  qui  avait  l'inconvénient  de 
favoriser  les  incendies,  il  s'engageait  à  payer  la  difi'érence  du 
prix  du  chaume  avec  celai  de  la  tuile,  il  faisait  enfin  dresser 
pour  rendre  l'eau  plus  abondante,  un  plan  général  de  forage  de 
puits  en  Champagne. 

Ce  fut  au  milieu  de  ces  soins  d'administration  et  de  cette 
active  sollicitude  que  le  trouva  la  Convocation  des  Etats-Géné- 
raux. 

Nommé  déjà  membre  des  Assemblées  du  Clergé  de  1780  et  de 
1788,  où  il  se  concilia  l'estime  de  ses  diocésains  et  de  l'Église  de 
France,  il  fit  aussi  partie  de  la  seconde  assemblée  des  notables 
en  1789,  et  le  bailliage  de  Reims  l'élut  député  aux  Etats-Géné- 
raux en  1789.  Caractère  très  froid,  très  simple,  très  doux  et  très 
entier,  Mgr  de  Périgord  était  peut-être  l'homme  de  France  le 
moins  fait  pour  vivre  en  temps  de  Révolution.  Étranger  au  mou- 
vement des  esprits  jusqu'en  1789,  le  bouleversement  qui  s'opéra 
sous  ses  yeux  le  surprit  comme  un  coup  de  foudre,  mais  sans 
l'ébranler.  Député,  il  combattit  dans  les  rangs  de  cette  loyale  et 
courageuse  minorité  qui,  en  défendant  contre  la  tyrannie  des 
novateurs  les  institutions  légitimes  de  la  monarchie,  montrait  à 
la  nation  indocile,  égarée,  la  seule  voie  d'une  véritable  régénéra- 
tion, la  voie  des  améliorations  proposées  et  consenties  librement 
par  les  corps  de  l'Etat.  Son  zèle  éclata  plus  particulièrement  lors- 
qu'il fallut  soutenir  la  cause  de  l'Église  et  les  droits  de  l'Ordre 
dont  il  était  un  des  ornements  ;  toujours  prêt  à  sacrifier  des  in- 
térêts purement  temporels,  il  ne  transigea  point  sur  ce  qui  touche 
aux  dogmes  et  à  l'antique  discipline  de  l'Eglise  ;  il  dut,  par  con- 
séquent, refuser  de  prêter  serment  à  cette  prétendue  constitution 
civile  du  Clergé,  par  laquelle,  dans  l'aveuglement  de  la  haine, 
l'esprit  de  quelques  novateurs  hypocrites  avait  livré  l'Église  et 
s'était  livré  lui-même  au  pouvoir  révolutionnaire,  ennemi  de 
toute  institution  religieuse.  Cet  acte  de  courage,  imité  par  la 


NÉCROLOGIES    ËPISCOPALES  15 

grande  majorité  du  clergé  du  diocèse  de  Reims,  devait  néces- 
sairement entraîner  l'archevêque  dans  un  exil  honorable.  Il 
n'assista  point  aux  dernières  séances  de  l'Assemblée  constituante 
et  se  retira  à  Aix-la-Chapelle  d'oii,  sans  donner  sa  démission,  il 
envoya  son  adhésion  aux  dernières  protestations  du  côté  droit. 
Il  n'avait  eu,  en  quittant  la  France,  qu'à  choisir  entre  les  meil- 
leures hospitalités.  Le  célèbre  ministre  anglais,  Pitt,  deuxième 
fils  d'un  des  plus  grands  hommes  d'Etat  de  l'Angleterre,  qui 
dans  sa  jeunesse  avait  connu  Mgr  de  Périgord  à  Reims,  chargea 
le  marquis  François  de  Barthélémy,  notre  ambassadeur  à 
Londres,  de  dire  à  l'archevêque  qu'il  mettait  à  sa  disposition 
tous  ses  moyens  de  crédit  et  de  puissance,  que  son  plus  grand 
bonheur  serait  d'adoucir  les  peines  de  l'homme  peut-être  le  plus 
respectable  qu'il  eût  jamais  connu.  Le  Prélat  n'accepta  pourtant 
pas  les  offres  du  premier  ministre  anglais,  et  d'Aix-la-Chapelle 
il  alla  à  Bruxelles,  oii  les  revenus  d'une  de  ses  abbayes,  dont  les 
terres  se  trouvaient  en  partie  sur  le  territoire  autrichien,  étaient 
les  seuls  qui  lui  restaient  ;  il  allait  les  consacrer  à  l'établisse- 
ment d'un  séminaire  oii  il  voulait  donner  asile  aux  jeunes  lévites 
français,  fidèles  à  leur  évêque  et  à  leur  prince.  A  Bruxelles,  il 
se  réunit  à  quelques  compatriotes  exilés  comme  lui,  et  forma 
dans  cette  ville  un  point  de  ralliement  pour  le  clergé  français 
expatrié.  Mais  la  fortune,  alors  et  si  longtemps  alliée  de  la  cause 
injuste,  le  chassa  bientôt  d'exil  en  exil,  jusqu'à  Dusseldorf  où  il 
accueillit  encore  avec  bienveillance  tous  les  ecclésiastiques  fran- 
çais déportés. 

Les  armées  de  la  république  s'étant  approchées  du  Rhin,  l'au- 
guste exilé  se  vit  forcé  de  se  réfugier  à  Wolfenbuttel  en  Saxe, 
puis  à  Brunswick  et  à  Weimar,  où  les  souverains,  quoique  luthé- 
riens, lui  offrirent  leurs  palais,  et  où  il  vécut  dans  l'intimité  du 
maréchal  de  Castries,  l'ancien  vainqueur  de  Clostercamp  en 
Prusse,  avec  lequel  il  resta,  jusqu'à  sa  mort  en  1801  à  Wolfen- 
buttel, étroitement  uni. 

En  1801,  il  fut  du  nombre  des  évêques  émigrés  qui  refusèrent 
de  donner  leur  démission,  et  envoya  conjointement,  le  12  dé- 
cembre 1801,  avec  le  cardinal  de  Montmorency-Laval,  évêque 
de  Metz,  Mgr  Asseline  évêque  de  Boulogne,  et  plusieurs  autres 
prélats,  ceux  de  Limoges,  Séez,  Aire,  Digne,  Auxerre,  une  ré- 
ponse dilatoire  au  bref  du  Pape,  à  laquelle  adhérèrent  depuis 
vingt-cinq  autres  princes  de  l'Eglise,  il  signa  les  Réclamations 
du  6  avril  1803,  et  s'abstint  néanmoins  de  tout  exercice  de  juri- 
diction. 


16  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  même  année  Louis  XVIII  l'appela  à  Mittau,  en  Russie,  oii 
celui  que  l'on  appelait  alors  le  comte  de  Lille,  vivait  avec  le  duc 
et  la  duchesse  d'Angoulême,  l'ange  du  malheur,  l'abbé  Henri 
Essex  Edgeworth  de  Firmont,  dernier  confesseur  de  Louis  XVI 
qu'il  assista  à  ses  derniers  moments,  le  comte  puis  duc  Hésiade 
d'Avaray  qui  avait  procuré  au  comte  de  Provence  (Louis  XViri) 
les  moyens  de  sortir  de  France  en  1791,  et  son  compagnon  fidèle 
dans  l'exil,  le  cardinal  de  Montmorency  et  quelques  familiers. 
Quand  le  prince  fut  contraint  de  s'éloigner,  Mgr  de  Périgord  le 
suivit  à  Varsovie,  vivant  au  milieu  d'une  foule  d'émissaires  et 
d'espions,  envoyés  de  toutes  les  parties  de  l'Europe,  principale- 
ment de  Paris  pour  observer  la  petite  cour.  Il  fut  témoin  de  ten- 
tatives sur  la  vie  même  de  son  maître,  que  l'administration 
prussienne  affecta  de  ne  pas  voir,  et  qui  mirent  plus  d'une  fois 
en  danger  les  jours  de  Louis  XVIII.  De  Varsovie,  l'archevêque 
s'en  fut  avec  la  famille  royale  à  Hartwel  en  Angleterre  que  le 
roi  avait  choisi  pour  sa  demeure,  et  oii  ce  monarque  lui  remit 
lui-même  sa  nomination  à  la  dignité  de  grand-aumônier  de 
France,  vacante  par  la  mort  du  cardinal  de  Montmorency  arri- 
vée à  Altona  en  1808  ;  il  reçut  en  cette  qualité  le  cordon  du 
Saint-Esprit  et  donna  l'accolade  au  prince  régent  d'Angleterre. 
La  charge  de  grand-aumônier  comportait  le  grade  de  comman- 
deur de  l'Ordre  du  Saint-Esprit. 

Mgr  de  Périgord  rentra  en  France  à  la  Restauration  et  fut 
nommé,  le  4  juin  1814,  membre  de  la  Chambre  des  pairs.  Pen- 
dant les  Cent-Jours,  il  suivit  Louis  XVIII  à  Gand,  et  revint  en 
France  après  la  bataille  de  Waterloo,  il  y  jouit  de  la  confiance 
du  monarque  qui  le  nomma  ministre  des  Affaires  ecclésiastiques. 
Ce  choix  fut  accueilli  à  Rome  avec  froideur,  parce  que,  par 
cette  nomination  d'un  prélat  qui  avait  refusé  en  1802  de  donner 
sa  démission,  c'était  paraître  infliger  une  leçon  au  Souverain 
Pontife,  et  inquiéter  la  cour  de  Rome  avec  laquelle  le  comte, 
depuis  duc  de  I>lacas,  allait  être  chargé  de  négocier  un  nouveau 
Concordat  ;  en  France,  c'était  jeter  une  sorte  de  défi  à  l'opinion 
et  adresser  un  blâme  à  tout  l'êpiscopat.  Le  grand-aumônier  ne 
se  dissimulait  pas  d'ailleurs  son  insuffisance;  il  s'adjoignit,  pour 
l'aider  dans  la  tâche  qu'il  avait  entrepritse,  M.  de  Quélen,  un 
jeune  aumônier  de  l'impératrice,  homme  éminent,  dont  il  fit 
plus  tard  son  coadjuteur,  et  qu'il  nomma  tout  d'abord  secrétaire 
de  la  grande-aumônerie,  ce  fut  le  plus  bel  acte  de  l'administra- 
tion de  Mgr  de  Périgord  qui  donna  sa  démission  de  l'archevêché 


NÉCROLOGIES  ÉPISCOPALES  17 

de  Reims  le  8  novembre  1816  après  une  longue  résistance; 
presque  tous  les  autres  évêques  l'imitèrent.  Pendant  les  négo- 
ciations du  Concordat  signé  à  Rome  le  11  juin  1817,  entre  le 
cardinal  Consalvi  et  le  duc  de  Blacas,  représentant  du  roi  de 
France,  le  grand-aumônier  entretint  avec  MM.  de  Richelieu  et 
de  Blacas  une  active  correspondance.  Le  pape  exigea  d'abord 
que  les  anciens  évêques  envoyassent  leurs  démissions.  Les 
termes  en  furent  discutés  avec  une  certaine  âpreté,  comme  nous 
le  voyons  par  des  lettres  de  Mgr  de  Périgord  au  duc  de  Riche- 
lieu les  25  et  27  juin  1817.  Conûrrué  le  27  juillet  suivant  par  la 
Bulle  Commissa  divinitus,  le  nouveau  Concordat  rétablissait 
celui  de  François  I". 

Sur  ces  entrefaites,  l'ancien  archevêque  de  Reims  était 
nommé  archevêque  de  Paris  :  le  roi  le  força  d'accepter,  en 
disant  que  son  ombre  seule,  comme  celle  de  saint  Pierre, 
suffirait  pour  faire  des  miracles;  il  ne  céda  aux  instances  du 
monarque  que  dans  la  confiance  de  voir  lui  succéder  son  grand 
vicaire  et  son  ami,  auquel  il  légua  son  anneau  épiscopal. 
Mgr  Talleyrand  de  Périgord,  qui  avait  fait  tous  ses  eftbrts  pour 
triompher  des  obstacles  qu'opposaient  les  Chambres,  fut  en 
récompense  de  son  zèle  créé  cardinal  le  28  juillet  1817,  avec  les 
évêques  de  Langres  et  d'Alais,  NN.  SS,  de  la  Luzerne  et  de 
Bausset, et  l'ambassadeur  de  France  à  Rome  écrivit  le  17  juillet^ 
à  l'égard  de  cette  négociation,  une  lettre  que  nous  avons  sous 
les  yeux,  et  dans  laquelle  nous  lisons  que  le  Pape  ne  pouvait 
recevoir  officiellement  que  la  nomination  au  cardinalat  de  l'an- 
cien archevêque  de  Reims,  le  roi  n'ayant  qu'une  seule  nomina- 
tion à  faire,  mais  que  sur  la  demande  du  monarque.  Pie  VII 
enverrait  aussi  le  chapeau  à  NN.  SS.  de  la  Luzerne  et  de 
Bausset.  La  barrette  fut  portée  au  cardinal  de  Périgord  par  le 
prélat  Brancadoro,  ablégat,  et  lui  fut  imposée  par  Louis  XVIII 
le  22  août  ;  n'étant  pas  allé  à  Rome^  il  ne  reçut  ni  le  chapeau  ni 
le  titre  cardinalice.  Appelé  au  siège  de  Paris  le  8  du  même 
mois,  il  fut  préconisé  le  1"  octobre,  mais  plus  de  deux  ans 
s'écoulèrent  avant  qu'il  piit  prendre  possession  de  son  siège  à 
cause  des  entraves  qu'apportaient  l'opposition  des  Chambres  et 
les  ministres  eux-mêmes  à  la  nouvelle  circonscription  des  dio- 
cèses. Une  Bulle  du  25  aoiàt  1819  créa  un  état  provisoire,  et  le 
cardinal  de  Périgord  fut  installé  à  Paris  le  9  octobre  suivant. 
Le  26  mai,  il  avait  apporté  avec  pompe  dans  l'église  abbatiale 
de  Saint-Denis  les  reliques  de  l'apôtre  de  Paris  et  de  ses  com- 

2 


18  ANNALES  CATHOLIQUES 

pagnons  qu'il  avait  renfermées   dans    une   châsse  magnifique 
donnée  par  Louis  XVIII. 

Le  29  septembre  et  le  5  octobre  1819,  les  vicaires  généraux 
de  Paris  publièrent  un  mandement  ordonnant  des  prières  pour 
appeler  les  bénédictions  divines  sur  l'épiscopat  du  nouvel 
archevêque,  et  donnèrent  des  avis  sur  sa  prise  de  possession. 
La  première  lettre  pastorale  du  cardinal  de  Périgord  à  Paris 
porte  la  date  de  son  intronisation,  9  octobre;  le  prélat  donne  un 
souvenir  à  son  ancienne  église  de  Reims  et  rappelle  ses  cin- 
quante années  d'un  épiscopat  traversé  par  les  orages,  la  persé- 
cution et  l'exil,  et  une  vie  de  quatre-vingts  ans  qui  s'achève  dans 
les  infirmités  et  la  douleur;  il  a  néanmoins  accepté  ce  fardeau, 
reconnaissant  dans  l'inébranlable  résolution  du  roi  une  preuve 
assurée  de  la  volonté  divine.  Redevable  à  tous,  aucun  de  ses 
diocésains  ne  sera  étranger  aux  soins  de  son  ministère,  qu'il 
remplira,  aidé  de  la  grâce^  pour  la  sanctification  des  âmes. 

Dans  la  collection  des  lettres  et  mandements  du  cardinal  de 
Périgord  que  nous  avons  eue  de  M.  l'abbé  Eglée  avec  les  autres 
mandements  des  archevêques  de  Paris,  nous  trouvons  les  sujets 
suivants  : 

Mandements  pour  V Anniversaire  de  la  mort  de  la  reine 
Marie- Antoinette,  13  octobre  1819,  10  octobre  1820,  10  octo- 
bre 1821  ; 

Décret  portant  Erection  de  trois  arehidiacon(fs  dans  le  cha- 
pitre et  le  diocèse,  18  octobre  1819; 

Mandements  à  l'occasion  de  V Ouverture  de  la  session  des 
Chambres,  26  novembre  1819,  12  décembre  1820  ;  ' 

Sur  la  Quête  annuelle'.en  faveur  des  prêtres  vieux  et  infirmes 
et  des  séminaires,  10  décembre  1819  ; 

Mandements  à  l'occasion  de  l'Anniversaire  de  la  mort  de 
Louis  XVI,  15  janvier  1820  et  12  janvier  1821  ; 

Le  Mystère  de  la  Croix,  pour  le  carême  de  1820,  12  février; 

Nomination  de  Mgr  de  Quélen  comtne  coadjuteur  de  Paris, 
12  février  1820; 

Ordonnance  d'un  Service  pour  le  repos  de  V âme  du  duc  de 
Berry  (Charles-Ferdinand  d'Artois)  dont  l'oraison  funèbre  fut 
prononcée  le  14  mars  1820,  à  Saint-Denis,  par  Mgr  de  Quélen, 
15  mars  1820  ; 

Quête  potir  la  Caisse  dioce'saine,  31  mars,  12  décembre  1820, 
et  17  avril  1821  ; 

Discours  de  Son  Eminence  aux  curés  du  diocèse  assemblés 


NÉCROLOGIES    ÉPISCOPALKS  19 

dans  son  palais  le  18  septembre  1820,  et  Mandement  à  l'occa- 
sion des  Retraites  ecclésiastiques,  même  date  et  4  septembre 
1821,  suivi  du  Règlement  de  la  retraite  ; 

Mandement  à  roccasion  de  la  Naissance  du  duc  de  Bordeaux 
29  septembre  1820  ; 

Mandement  à  roccasion  des  Elections,  26  octobre  1820  ; 

Ordonnances  concernant  les  Prières  pour  les  prêtres  décédés 
dans  son  diocèse,  2  novembre  1820,  et  concernant  les  Ordina- 
tions, 15  novembre  1820  ; 

Ses  vœux  pour  son  peuple^  Mandement  du  carême  de  1821, 
1"  mars; 

Sur  un  scandale  à  l'occasion  de  V Enterrement  d'un  sui- 
cidé, le  lundi  saint  12  avril,  à  l'église  de  Saint-Louis  d'Antin, 
14  avril  1821; 

Mandements  pour  V Accomplissement  du  vœu  de  Louis  XIII, 
12  août  1820,  et  10  août  1821  ; 

Visite  générale  du  diocèse^  9  octobre  1821  ; 

Mandement  du  prélat  ordonnant  lui-même  àes  Prières  à  V oc- 
casion de  sa  maladie,  13  octobre  1821.  Ce  mandement  fut  le 
dernier  du  cardinal  de  Périgord.  Il  avait  quatre-vingt-cinq  ans, 
et  les  infirmités  inséparables  de  la  vieillesse  s'aggravèrent  chez 
lui.  Un  point  douloureux  qui  s'était  formé  sur  sa  joue  depuis 
plusieurs  années  ayant  dégénéré  en  abcès  fit  des  progrés  fâcheux, 
et  un  catarrhe  s'y  joignit  et  força  le  cardinal  de  s'aliter.  Il 
demanda  les  sacrements  qui  lui  furent  administrés  par  son  coad- 
juteur  le  14  octobre.  Il  aimait  à  s'entretenir  des  choses  du  ciel; 
il  se  faisait  lire  des  psaumes  et  des  prières,  et  donnait  l'exemple 
du  calme  et  de  la  résignation.  Sa  bonté  et  son  afiabilité  ne  se 
démentirent  pas.  Il  recevait  affectueusement  les  évêques  et  les 
prêtres  qui  venaient  le  visiter.  Les  princes  vinrent  aussi  visiter 
la  compagnon  de  leur  exil;  le  roi  envoyait  trois  fois  par  jour 
s'informer  de  l'état  de  Son  Eminence,  et  quand  il  apprit  sa  mort, 
il  dit  aux  évêques  qui  se  trouvaient  prés  de  lui  :  Nous  y  perdons 
tous  ;  V Eglise  perd  un  de  ses  plus  vertueux  pontifes ,  la  Société 
un  modèle,  et  'moi  un  ami.  Il  entra  en  agonie  dans  la  nuit  du 
vendredi  19  octobre  1821,  le  coadjuteur  assisté  de  MM.  Desjar- 
dins et  Borderies,  archidiacres,  récita  les  prières  des  agonisants, 
et  le  prélat  mourut  le  samedi  20,  à  cinq  heures  vingt  minutes 
du  matin,  entouré  de  sa  famille  sacerdotale  et  de  ses  neveux. 
Dans  leur  dernière  visite  à  l'auguste  malade,  les  princes  de 
France  attendris  et  pleins  de  vénération  pour  ce  respectable 


ÎO  '  annaLks  catholïquks 

prélat,  voulurent  porter  leurs  lèvres  sur  sa  main  sacrée,  il  ne  le 
soutlrit  qu'après  beaucoup  de  résistance;  à  son  tour  il  approcha 
de  sa  bouche  la  main  de  S.  A.  R.  Monsieur,  qui  s'en  défendit, 
mais  qui  céda  ensuite  en  lui  disant  :  je  vous  laisse  faire,  cela 
me  portera  bonheur. 

Les  restes  mortels  du  cardinal  de  Périgord,  après  avoir  été 
exposés  pendant  plusieurs  jours,  furent  inhumés  avec  pompe, 
le  27  octobre,  dans  la  chapelle  de  Saint-Crépin  et  de  Saint-Cré- 
pinien,  à  Notre-Dame;  mais  son  cœur,  d'après  ses  intentions, 
porté  à  Reims,  fut  déposé  le  10  janvier  1822,  dans  l'église  de 
Saint-Remi  par  les  soins  de  Mgr  de  Coucy,  son  successeur  immé- 
diat à  Reims.  Ses  entrailles  furent  déposées  devant  l'autel  de  la 
chapelle  de  Saint-Marcel,  à  Notre-Dame,  à  l'angle  de  la  croisée 
septentrionale  de  l'église  et  qu'il  avait  fait  élever  à  ses  frais. 
Une  inscription  gravée  sur  le  marbre  était  un  témoignage  de  ce 
fait;  aujourd'hui,  par  suite  des  changements  faits  dans  l'église 
métropolitaine,  cette  inscription  se  trouve  dans  la  chapelle  des 
Ursins,  au-dessous  du  marbre  tumulaire  érigé  à  la  mémoire  de 
Mgr  Garibaldi,  mort  nonce  à  Paris,  la  voici  : 

Hoc  novum  altare  suh  invoeatione  Sancti  Marcelli,  Pari- 
storum  episcopi,  impensis  et  dispendio  Em.  et  Rev.  in  Christo 
patris  Alexandri  Angeli  S.  R.  E.prœshyt.  Cardinalis  de  Tal- 
LEYRANDPERiGORD,areAie;}.  Paris., paris  Francias  ac  JSleemo- 
synarii  Majoris,  olim  archiep.  ducis  Remens.,  erectum  et  orna- 
tum,  lll.  ac  Rev.  in  Christo  patris  Hyac.  Lud.  de  Quelen, 
coadjutor  olim  nunc  archiep.  Parisien.,  dedicavit  ac  conse- 
cravit  3  nov.  1835. 

L'abbé  Frajssinous,  depuis  évêquo  d'Hermopolis,  prononça 
l'oraison  funèbre  du  cardinal  de  Périgord  à  Notre-Dame,  le 
29  novembre  1821.  Un  prêtre  de  la  Mission  de  France  en  pro- 
nonça une  autre  dans  la  métropole  de  Reims  le  8  janvier  1822, 
et  le  lendemain  dans  l'église  de  Saint-Remi,  lors  de  la  transla- 
tion du  cœur  du  prélat,  Paris,  mars  1822,  29  pages.  Le  cardinal 
de  Bausset  a  publié  aussi  une  Notice  historique  sur  le  cardinal 
de  Périgord,  Paris,  1821,  in-8'' ;  et  Mgr  de  Bernis,  archevêque 
de  Rouen,  fit  son  éloge  à  la  Chambre  des  Pairs  le  27  no- 
vembre 1821.  Bien  que  les  actes  d'administration  du  cardinal 
ne  soient  point  nombreux  dans  le  diocèse  de  Paris,  où  il  ne  fit 
que  passer,  nous  voulons  rappeler  encore  qu'il  rédigea  un  nou- 
veau Bréviaire  oîi  il  admit  les  fêtes  du  Sacré-Cœur  et  de  saint 
Ignace  de  Loyola  que  Mgr  de  Belloj,  son  prédécesseur,  n'avait 


KCHTERNACH  21 

point  adoptées  ;  il  assigna  des  fonds  sur  son  revenu  pour  seconder 
l'œuvre  des  petits  séminaires.  En  sa  qualité  de  grand-aumônier 
de  France,  il  bénit  le  mariage  du  duc  de  Berry  avec  la  prin- 
cesse Marie-Caroline-Thérèse  des  Deux-Siciles  le  17  juin  1816, 
et  baptisa  le  1"  mai  1821,  à  Notre-Dame  de  Paris,  le  duc  de 
Bordeaux  issu  de  ce  mariage,  au  milieu  de  l'allégresse  de  là 
capitale.  Il  avait  aussi  sacré  Louis  XVI.  Il  avait  réorganisé,  au 
mois  de  décembre  1816,  le  chapitre  royal  de  Saint-Denis  et  en 
avait  été  nommé  primicier. 

Il  portait  pour  armoiries  : 

Parti,  au  premier  de  gueules,  à  trois  lions  rampants  et  cou- 
ronnés d'or;  au  deuxième  d'or,  au  sanglier  passant  de  sable, 
charge  sur  le  dos  d'une  housse  d'argent.  Ses  mandements  ne 
portent  que  la  première  partie  de  l'écusson. 

(A  suivre.)  M.-C.  d'Agrigente. 


ECHTERNACH 


Il  est  une  petite  ville  du  grand  duché  de  Luxembourg,  qui 
par  son  site,  les  souvenirs  légendaires  qu'y  a  laissés  la  vieille 
abbaye  de  Saint-Willibrad,  et  le  pèlerinage  que  l'on  y  fait'  en 
son  honneur,  offre  au  touriste,  comme  au  pèlerin,  un  but  d'ex- 
cursion digne  de  son  intérêt  :  nous  voulons  parler  d'Echternach! 

Située  sur  la  Sûre  (Sauer),  à  quatre  lieues  au  nord-ouest  de 
Trêves  et  à  une  distance  un  peu  plus  grande  de  Luxembourg, 
cette  cité  communique  avec  ces  deux  principaux  centres  par 
une  voie  ferrée  construite  par  la  Compagnie  du  Prince  Henri,  et 
se  trouve  accessible  aux  étrangers  venant  de  l'Allemagne,  de 
l'Autriche,  de  l'Italie,  de  la  France,  de  la  Belgique,  de  la  Hol- 
lande, de  l'Angleterre.  Mais,  hélas!  trop  souvent  n'arrive-t-il 
pas  que  le  visiteur  s'en  retourne  en  égoïste  gardant  pour  lui  les 
impressions  qu'il  doit  éprouver  nécessairement  si  son  âme  est 
douée  d'esthétique  !  Il  y  a  le  sublime  de  la  Foi,  qui  s'impose 
à  l'étranger  même  indifférent  en  matière  de  religion,  quand  il 
considère  cette  foule  de  15  à  17,000  personnes  de  tout  rang,  de 
tout  sexe  et  de  tout  âge,  exécutant  cette  cadence  originale, 
mêlée  au  chant  des  litanies  et  à  la  récitation  du  chapelet,  et  que 
l'on  appelle  la  procession  dansante.  Le  spectacle  qu'offre  cette 
procession  est  tellement  unique  en  son  genre  qu'on  ne  peut  le 


22  ANNALES    CATHOLIQUES 

retrouver  nulle  part.  L'abbé  Krier  et  le  D'Pariot  dans  leurs  in- 
téressantes notices  l'ont  décrite  avec  l'historique  qui  s'y  rattache 
et  le  numéro  20  de  la  Semame  Religieuse  du  diocèse  d'Evreux, 
juillet  1893,  donne  un  article  sur  la  procession  dansante  d'Ech- 
ternach  qui  peut  la  faire  suffisamment  connaître  du  touriste 
et  du  pèlerin  pour  exciter  la  curiosité  et  satisfaire  la  dévo- 
tion. 

Mais  ce  que  l'auteur  de  la  notice  sur  Echternach  et  ses  envi- 
rons ne  fait  qu'indiquer  en  passant,  c'est  le  côté  majestueux  et 
instructif  que  le  naturaliste  aimera  à  venir  étudier  et  admirer 
dans  une  contrée  qu'on  peut  appeler  classique  pour  la  botanique 
et  la  géologie.  Et  avant  d'entrer  en  matière,  qu'il  nous  soit 
permis  de  saluer  et  de  féliciter  ici  l'intelligente  société  qui  s'est 
fondée  à  Echternach  pour  agrémenter  et  rendre  plus  faciles 
aux  étrangers  les  excursions  nombreuses  qui  se  proposent 
d'elles-mêmes  dans  les  bois,  vallées,  collines  et  rochers  des 
environs.  Des  sentiers  tracés  avec  goût.  Des  poteaux  indicateurs, 
des  chalets  rustiques,  des  bancs  placés  en  lieux  bien  choisis. 
permettent  à  tous  d'essayer  ces  délicieuses  promenades.  Les 
malades  eux-mêmes,  fatigués  de  la  monotonie  des  stations  de 
bains  de  mer  ou  villes  d'eaux  thermales  trouveront  à  Echter- 
nach un  air  salubre  et  purifié  par  les  odeurs  balsamiques  des 
sapins  de  l'Ernzerberg  et  des  collines  d'en  face,  et  un  confortable 
si  parfait  qu'ils  y  établiront  volontiers  leurs  pénates  pour 
une  saison,  Echternach  ne  possède-t-il  pas  aussi  l'usine  oii 
l'on  fait  cet  élixir  bienfaisant  du  D""  Bœrhave,  célèbre  médecin 
hollandais,  dont  le  cordial  vaut  à  lui  seul  toute  une  médication. 
Cette  généreuse  liqueur,  à  laquelle  l'appareil  digestif  doit  tant 
de  reconnaissance,  est  préparée  avec  les  plantes  du  pays, 
comme  d'autres,  telles  que  la  Chartreuse  et  la  Bénédictine,  ce  qui 
prouve  que  nous  sommes  sur  une  terre  bénie  de  Dieu  dans  sa  vé- 
gétation. 

Le  botaniste  sait  que  la  flore  du  Grand-Duché  est  surtout 
riche  en  Phanérogames.  Nous  en  citerons  quelques-unes  ainsi 
que  d'autres  plantes  prises  au  hasard  que  nous  avons  cueillies  à 
Echternach,  par  exemple  en  suivant  le  cours  de  la  rivière  et 
celui  du  torrent  latéral  à  la  route  de  Berdorf.  Le  Butome  en  om- 
belle (Butomus  umbrellatus),  croissant  à  hauteur  d'homme  sur 
les  bords  de  la  Sûre,  prés  du  palais  des  Quatre-Saisons,  dépen- 
dant de  l'abbaye,  monument  que  nous  recommandons  en  passant 
à  l'attention  des  archéologues  ;  le  Sysimbre  Irion  (Sysimbrium 


ECHTERNACH  23 

Irio)  et  le  Couché  (Supinum)  ou  braga  de  Kirch.  L'achillée 
ptarmique  ou  Sternutatoire  très  velue  et  blanchâtre  difficile  à 
dessécher  pour  cette  raison,  le  mille-feuilles  compacte  avecfleurs 
rapprochées  en  glomérules  arrondis,  la  vipérine  des  Pyrénées 
(Echium  Pyrenaïcum),  le  sinapis  des  champs  (arvensis  hjspida) 
à  poils,  variété  peu  commune;  l'equisetum  des  bois,  qui,  rare 
ailleurs,  se  trouve  assez  communément,  ainsi  que  la  fluviatile 
de  Linné,  avec  ses  hampes  stériles,  parfois  d'un  beau  blanc 
d'ivoire,  et  enfin  une  grande  variété  de  Linaria. 

Si  la  botanique  a  son  côté  séduisant  àEchternach,  la  géologie 
y  offre  un  thème  plus  nourri  d'études  et  de  recherches.  Il  est 
intéressant  d'abord  d'étudier  la  coupe  de  ces  diverses  couches 
se  rapportant  à  la  période  jurassique,  avec  le  Lias  comme  ter- 
rain prédominant.  Le  Lias  inférieur  est  très  développé  dans  le 
Luxembourg,  et  c'est  sur  une  saillie  de  grès  infra-liasique  qu'est 
construite  la  citadelle  de  Luxembourg,  démantelée  depuis  1867 
et  qui  offre  toujours  un  coup  d'œil  si  pittoresque.  Elle  paraît 
inaccessible,  grâce  à  ses  rochers,  ses  forteresses  et  ses  remparts 
si  bien  construits  avec  le  quadersandsrein.  Echternach  pos- 
sède aussi  quelques  restes  de  fortifications  édifiées  avec  la 
même  pierre  à  bâtir.  Quatre  tourelles  assez  bien  conservées  et 
des  fossés  profonds  servant  aujourd'hui  de  jardins,  témoignent 
que  les  moines  de  Saint-Willibrad  avaient  tenu  à  se  mettre, 
eux  et  la  cité  abbatiale,  à  l'abri  des  incursions  néfastes  du  voi- 
sinage. A  côté  de  ce  grés,  le  géologue  trouvera  dans  la  colline 
de  l'Ernzerberg  le  calcaire  conchylien  ou  muscelkalk,  de  teinte 
grisâtre,  le  grès  bigarré  ou  buntersandstein  qui  se  montre  aussi 
du  reste  assez  fréquemment  en  magnifiques  carrières  exploitées 
depuis  Luxembourg  jusqu'à  Trêves  ou  Echternach,  par  la  di- 
rection de  Wasserbilig  ;  le  Trias  et  le  Lias  se  trouvent  juxta- 
posés dans  cette  contrée  qui  forme  pour  ainsi  dire  la  ligne  de 
démarcation  entre  les  deux  déluges  européens  du  Nord  et  du 
Sud,  et  participent  aux  différents  soulèvements  des  systèmes 
voisins  du  Rhin  et  des  Vosges.  Le  Trias  renferme  aussi  la 
marne  irisée  ou  keuper,  qui  se  rencontre  à  Echternach  et  aux 
environs,  voire  dans  les  matériaux  de  la  voie  ferrée.  Ces  ter- 
rains forment  autour  de  l'angle  sud-ouest  des  Vosges  une  cein- 
ture parallèle  à  celle  du  calcaire  conchylien  et  du  grès  bigarré, 
et  on  peut  le  suivre  depuis  Luxembourg  jusque  vers  les  limites 
■  du  Jura.  Les  dépots  jurassiques  sont  en  effet  très  abondants 
dans  le  Luxembourg.  Ain^i  une  large  bande  s'étend  jusqu'à 


24  ANNALES  CATHOLIQUES 

Mézières,  où  elle  se  termine  aux  schistes  anciens  de  l'Eiffel  et 
des  Ardennes,  en  sorte  que  les  villes  de  Metz  et  de  Luxembourg 
se  trouvent  situées  sur  cette  bordure  liasique  qui  se  dirige 
ensuite  vers  l'cuest  en  passant  un  peu  au  nord  de  Sedan.  La 
ligne  de  chemin  de  fer  de  Paris  via  Longwy  à  Luxembourg 
suit  d'ailleurs  assez  bien  ce  trajet. 

Ce  qui  prouve  que  nous  sommes  en  plein  terrain  triasique 
dans  le  Grand-Duché,  et  à  Echternach  en  particulier,  c'est  la 
présence  du  gjpse  ou  pierre  à  plâtre,  qui  semble  être  plutôt  un 
amalgame  de  coquillages  de  toutes  natures.  L'auteur  du  pré- 
sent travail  a  pu  en  ramasser  quelques  échantillons  oii  il  est 
très  aisé  de  retrouver  des  mollusques  entiers,  belemnites  et 
foraruiniféres.  Nous  voudrions  que  ce  travail  piit  comporter  des 
dessins  dans  lesquels  nous  reproduirions  grossis  au  microscope 
des  morceaux  de  gypse  qui,  pour  la  richesse  des  coquillages, 
n'en  cèdent  nia  la  craie  de  Meudon,  ni  à  celle  de  Gravesend. 

Et  cela  s'explique  ainsi  :  Pendant  les  temps  géologiques,  la 
mer  couvrant  la  surface  entière  du  globe,  les  sources  thermales, 
chargées  de  sels  calcaires,  se  déchargeaient  nécessairement  au 
milieu  de  ses  eaux.  Les  innombrables  animaux,  qui  vivaient 
dans  les  mers  anciennes,  en  particulier  les  zoophytes  et  les  mol- 
lusques au  test  solide  s'emparèrent  de  cette  chaux  pour  former 
leur  enveloppe  minérale,  qui  seule  a  survécu  sous  forme  de 
carbonate  de  chaux  après  le  retrait  lent  et  successif  des  eaux 
thermales  de  celles  delà  mer.  Notons,  en  effet,  qu'en  Luxembourg, 
Mersch  possède  des  sources  d'eau  thermale  salifère-carbonatée 
de  chaux.  Ce  sont  ces  coquillages  amoncelés,  aglutinés  en  une 
masse  unique,  qui  forment  ces  couches  superposées  que  nous 
dénommons  terrains  calcaires.  Sans  doute,  on  est  frappé  de 
surprise  en  apprenant  que  toutes  les  pierres  calcaires  employées 
à  la  construction  de  nos  maisons  et  de  nos  villes  sont  des  dépôts 
des  mers  de  l'ancien  monde,  et  ne  consistent  qu'en  une  aggré- 
gation  de  coquilles,  de  mollusques  ou  débris  de  tests  de  fora- 
minifères  et  autres  zoophytes.  Or,  à  Echternach,  l'intérieur  des 
maisons  est  fait  très  souvent  avec  ce  calcaire  ou  pierre  à  plâtre. 
Un  four  à  chaux,  voisin  hygiénique  du  cimetière  de  la  ville, 
met  en  liquéfaction  ce  calcaire  sorti  de  la  carrière.  On  le  passe 
ensuite  au  moule  pour  en  former  des  briquettes  qui  servent  à 
faire  les  murs  de  refend.  Une  autre  partie  est  pulvérisée,  et 
sert  à  faire  le  lait  de  chaux  avec  lequel  on  blanchit  les  maisons. 
Il  est  rare  de  trouver  réunis  si  près  des  terrains  qui,  par 


ECHTERNACH  25 

leur  nature,  sont  d'époque  et  de  nature  si  différentes.  Ceci 
prouve  combien  le  sol  luxembourgeois  a  été  tourmenté,  et  com- 
bien aussi,  par  conséquent,  il  présente  d'intérêt  à  l'étude  du 
géologue.  C'est  dans  la  vallée  de  la  Sûre  que  la  variété  dans 
les  couches  superposées  est  plus  frappante.  Dans  le  Trias,  la 
discordance  des  stratifications  est  plus  remarquable,  et  cela 
doit  être,  car  c'est  vers  les  rivages  des  mers  et  des  fleuves  que 
les  courants  sont  plus  nombreux  et  plus  sujets  aux  variations 
dans  leur  direction  par  tous  les  dérangements,  les  brisements, 
les  érosions  des  falaises,  par  les  atterrissements,  par  les  aflFais- 
sements,  par  les  soulèvements  lents  ou  brusques,  par  les  vol- 
cans qui  sont  souvent  sur  le  bord  des  mers  et  que  nous  re- 
trouvons, en  efi'et,  au  sud  de  la  mer  celto-germanique,  eh 
Auvergne,  au  nord-ouest  du  même  bassin,  dans  les  montagnes 
du  Bas-Rhin  et  du  Luxembourg. 

Est-il  possible  de  suivre,  par  exemple,  à  travers  le  bois 
le  sentier  latéral  à  îa  route  qui  conduit  à  Berdorf,  et  ne 
pas  être  émerveillé  du  travail  gigantesque  fait  au  milieu  des 
rochers  par  le  torrent  qui,  par  ses  contours,  ses  cascades  et 
le  murmure  de  ses  eaux,  donne  tant  de  poésie  à  cette  prome- 
nade charmante.  Ah!  l'Auvergne  et  la  Suisse  ofi'rent  au  touriste 
des  tableaux  incomparables,  mais  ne  sauraient  réunir  en  un 
cercle  plus  restreint  davantage  de  ces  beautés  naturelles.  Le 
Trias  et  le  Lias  se  joutent  sans  se  confondre  à  Echternach, 
comme  nous  l'avons  dit  déjà,  et  la  Sûre  semble  par  son  lit  en 
faire  la  séparation,  aussi  bien  qu'elle  le  fait  pour  la  flore,  dont 
les  individus  se  distinguent  si  bien,  en  effet,  conformément  à  la 
nature  du  terrain.  .    ; 

Une  preuve  encore  que  nous  sommes  dans  le  Trias  à  Ech- 
ternach, c'est  la  présence  de  schistes  saliféres  dont  nous 
avons  un  échantillon  dû  à  l'obligeance  de  notre  hôte  vénéré.  Et 
cela  n'a  rien  de  surprenant  puisque  le  Luxembourg  possède  un 
banc  de  'Sel  gemme  dans  la  région  de  Dockendorf.  D'ailleurs, 
l'échantillon  en  question  a  été  ramassé  sur  la  route,  ainsi  que 
des  morceaux  d'argile,  de  marnes  irisées,  grès  très  diverse- 
ment coloriés  que  l'on  trouve  abondamment  aux  abords  de  la 
voie  ferrée.  Je  noterai  aussi  l'Eumonia  radiata,  et  l'empreinte 
d'une  Rinchonella  lulcata.  Chose  remarquable,  la  sœur  si 
aimable  et  si  intelligente  de  mon  compagnon  d'excursions  m'avait 
trouvé  la  coquille  elle-même  et  l'empreinte  se  rapporte  si  bien 
à  la  coquille  qu'on  croirait  volontiers  les  deux  morceaux  de 


26  ANNALES  CATMOIJQOES 

pierre  identiques.  Il  n'en  est  rien,  puisque  le  coquillage  et  l'em- 
preinte ont  été  trouvés  à  150  lieues  de  distance. 

Le  lecteur  ne  sera  pas  surpris  non  plus  qu'à  Echternach  on 
puisse  rencontrer  l'oolithe  et  le  poudingue.  La  période  oolithique 
est  voisine  de  celle  du  Lias  et  du  Trias,  et  l'on  sait  que  les  ter- 
rains oolithiques  sont  riches  en  minerais  de  fer,  ce  qui  fait 
qu'en  Luxembourg  les  usines  métallurgiques  sont  si  répandues. 
A  quelques  kilomètres  d'Echternach,  en  face  la  première  sta- 
tion du  chemin  de  fer  de  Dukerch  se  trouvent  celles  de  Wel- 
lerbach,  situées  dans  un  site  pittoresque  et  voisin  d'un  château 
remarquable  par  l'originalité  de  son  style  et  de  la  magnifique 
pièce  d'eau  sise  sur  le  devant.  J'en  ai  rapporté  une  pyrite  de 
fer  grosse  comme  un  œuf.  On  trouve  enfin  à  Echternach  le  ter- 
rain d'alluvion  appelé  Lœhm  ou  Lœss,  par  exemple  dans  la 
vallée,  quand  on  contourne  l'Ernzerberg  et  qu'on  veut  gravir 
cette  colline  pour  aller  de  son  sommet  contempler  une  dernière 
fois  la  gracieuse  citée  due  à  saint  Willibrord,  Peut-être  on 
fouillant  ces  terrains,  trouverait-on  aussi  quelques  squelettes, 
quand  ce  ne  serait  par  exemple  que  celui  de  l'Ermite  qui  habi- 
tait les  flancs  d'Ernzerberg  et  dont  le  touriste  aimera  à  visiter 
les  appartements.  Involontairement,  je  le  comparais  au  Préada- 
mite  de  Scheuhzer  et  je  lui  appliquais  ces  vers  connus  : 

D'un  vieux  damné  déplorable  charpente. 
Qu'à  ton  aspect  le  pécheur  se  repente. 
Betrubtesbeingerùst  von  einen  altem  Sunder 
Erweiche,  stein,  dus  herz  derneuen  bosheitsknider. 

L'Ermite  qui,  à  cause  de  ses  péchés,  a  prévenu  la  damnation 
par  une  dure  pénitence,  ne  porterait-il  pas  au  repentir  le  pé- 
cheur qui  considérerait  les  résultats  de  sa  mortification,  et  c'est 
là  une  pensée  qui  nous  ramène  à  féliciter  saint  Willibrad 
d'avoir  fait  de  ce  pays,  jadis  si  profondément  paganisé,  comme 
le  témoignent  l'autel  païen  de  Berdorf  et  la  statue  de  Diane, 
prés  des  forges  de  Wellerbach,  une  contrée  si  chrétienne  ou  pè- 
lerins et  touristes  trouvent  une  hospitalité  si  gracieuse,  digne 
des  meilleurs  temps  de  la  foi  chrétienne. 


DÉCRET  LITURGIQUE 

Pour   faire   cesser  les  discussions    entre    liturgistes   et  les 
doutes  communs  au  sujet  de  la  prééminence  à  établir  entre  les 


DÉCRET    LITURGIQUE  27 

fêtes  primaires  et  secondaires  du  même  rite,  le  Saint-Siège  a 
fait  rendre  par  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  un  décret  qui 
règle  le  point  litigieux. 

La  question  soumise  à  la  Sacrée  Congrégation  était  ainsi 
posée  : 

Les  fêtes  secondaires  de  Notre-Seigneur,  do  la  Sainte  Vierge,  des 
anges,  des  saints  apôtres  et  des  autres  saints  doivent-olles  passer 
avant  les  fêtes  primaires  du  même  rite  et  de  la  même  classe,  mais 
d'une  dignité  moindre  dans  la  personne,  aussi  bien  en  cas  d'occur- 
rence qu'en  cas  de  concurrence  et  de  renv:i  ?  » 

An  festa  secundarta  Domini^  B.  Mariœ  Virg.,  Angelorum,  SS.Apos- 
tolorum,  aliorumque  Sanctorum  prœferenda  sint  festis  Primartis  ejus- 
dem  ritus  et  classis,  sed  minoris  personalis  dignitatis,  tam  in  occursu, 
quam  in  concursu,  et  in  eorumdem  repositione  ? 

La  Sacrée  Congrégation  des  Rites  a  rendu  le  décret  suivant, 
approuvé  et  ratifié  par  le  Souverain  Pontife,  à  la  date  du 
2  juillet  de  la  présente  année  : 

Les  fêtes  primaires,  comme  plus  solennelles,  doivent  primer  dans 
l'espèce  les  fêtes  secondaires,  en  cas  d'occurrence,  comme  en  cas  de 
concurrence,  selon  la  forme  de  la  Rubrique  X,  sur  la  Translation  des 
fêtes  no  6.  S'il  arrive  que  ces  fêtes  soient  transférées,  on  doit  obser- 
ver dans  leur  translation  l'ordre  prescrit  dans  la  susdite  Rubrique n'^1. 
Un  tableau  sera  dressé  des  fêtes  qui  devront  être  tenues  comme 
primaires  ou  secondaires. 

Festa  Primaria,  utpote  solemniara,  aliis  secundartis  in  casu  prœ- 
ferenda esse  tam  in  occursu  quam  in  concursu,  ad  formam  Rubricce  X. 
de  Translatione  festorum  n"  6.  Quod  si  eadem  festa  transferri  con- 
tingat,  in  illorum  repositione  servelur  ordo  prœscriptus  in  memorata 
Rubrica  n°  7  ;  et  (iat  catalogus  festorum,  quœ  uti  Primaria,  vel  secun- 
daria,  retinenda  sunt.  Die  27  Junii  1893. 

Conformément  au  décret  susdit,  le  tableau  suivant  des  fêtes  a 
été  établi.  Par  décision  du  Saint-Siège  rendue  à  la  même  occa- 
sion, la  fête  de  la  Dédicace  de  la  basilique  du  Très  Saint-Sau- 
veur, ainsi  que  celle  de  la  Dédicace  des  basiliques  des  saints 
Apôtres  Pierre  et  Paul,  ont  été  élevées  au  rite  double  majeur. 

Festa  Primaria 

IN    CALENDARIO   UNIVERSALI 

g  I.  Duplt'cia  Primœ  Classis. 
Nativitas  Domini.  —  Epiphania  Domini.  —  Pascha  Resurrectionis. 
—  Ascensio  Domini.  —  Pentecostes.  —  Feslum  Corporis  Christi.  — 


28  ANNALES     CATHOLIQUES 

Assumptio  et  Immaculata  Conceptio.  B.  M.  V.  —  Nativitas  S.  Joannis 
Baptistse.  —  Festum  S.  Joseph  Sponsi  B.  M.  V.  —  Festum  Sa.  Apos- 
tolorum  Petri  et  Patili.  —  Festum  Omnium  Sanctorum.  —  Dedicatio 
proprise  Ecclesise.  —  Patronus,  vel  Titulus  Ecclesise.  —  Patronus 
PriQcipalis  Regionie,  vel  Diœcesis,  aut  loci. 

g  II.  Duplicia  Secundce  Classis. 
Circumcisio  Domini.  —  Festum  Ssmse  Triaitatis.  —  Purificatio  B. 
Mariœ  V.  —  Annuntiatio  B.  Marias  V.  —  Visitatio  B.  Marias  V.  -— 
Nativitas  B.  Marias  V.  —  Dedicatio  S.  Michaelis  Archangeli.  —  Nata- 
lïtia  Uûdecim  Apostolorum.  —  Festa  Evangelistarura.  —  Festum 
S.  Stephaai  Protomartyris.  —  Festum  Ss,  lanoceotiura   Martyrum. 

—  Festura  S.  Laurentii  Martyris.  —  Festum  S.  Annae,  Matris  B.  ^, 
V.  —  Festum  S.  Joachim,  Patris  B.  M.V.  ,.^i 

$  ïll.  Duplicia  Majora  per  Annum. 
Traasfiguratio  Domini.  —  Dedicatio  Basilicse  Ssmi  Salvatoria.;  — 
Dedicatio  S.  Marias  ad  Nives.  —  Festum   Ss.    Angelorum  Custodum,, 

—  Dedicatio  Basilicarura  Ss.  Petri  et  Pauli  Apostolorum.  —  Festum 
S.  Barnabae.  —  Festum  S.  Benedicti  Abb.  —  Festum  S.  Dominici  C.  — 
Festum  S.  H'rancisci  C.  —  Festum  Patroaorum  minus  Priacipalittm. 

J  IV.  Alia  duplicia  per  Annum. 
Dies  Natalitia,  vol  quasi  Natalitia  uniuscujusque  Sancti. 

PRO   ALIQUIBUS  LOCIS 

s.  Gabrielis  Archangeli.  —  S.  Raphaelis  Archangeli,  —  Dies  Nata- 
litia, vel  quasi  Natalitia  uniuscujusque  Sancti.  —  Commemoratio 
Sanctorum,  quorum  Corpora,  vel  Reliquiae  in  Ecclesiis  Diœceseos 
asservantur. 

Feata  eecundaria 

IN  CALENDARIO  UNIVERSALI 

$  I.  Duplicia  primœ  Classis. 
Sacratissimi  Cortfis  Jesu. 

§  II.  Duplicia  Secundce  Classis. 

Festum  Ssmi  Nominis  Jesu.  —  Festum  Inventionis  S.  Crucis.  — 
Festum  Pretiosissimi  Sanguinis  D.  N.  J.  C.  —  Solemnitas  Smi  Ro- 
sarii  B.  M.  V. —  Festum  Patrocinii  S.  Joseph. 

§  nr.'  buplicia  Majora. 
Exallatio  S.  Crucis.  —  Duo  festa  Septem  Dolorum  B.  M.  V.  —  Com- 
memoratio B.   M.  V.  de   Monte  Garmelo.  —  Festum    Ssmi  Nominis 
B.  M.  V.  —  Festum  de  Mercede  B.  M.  V.  —  Praesentatio  B.  M.  V. 

—  Apparalio  S.  Michaelis  Archangeli.  —  Decollatio  S.  Joannis  Bap- 


LK    CONGRÈS    DKS    ŒUVRES    OUVRIERES    CATHOLIQUES  29 

tistas.  —  Cathedra  S.  Petri  Ap.,  utraque.  —  Festum  ejusdem  ad  Vin- 
cula.  —  Coaveraio  et  Commemoratio  S.  Pauli  Ap.  —  Festum  S.  Joaor 
Dis  ante  Portara  Latinam. 

PRO  ALIQUIBOS  LOGIS 

Officia  Myeteriorum  et  lastrumentorum  Passionis  D.  N.  J.  Çujrf 
Smi  Redemptoris.  —  Sanctae  Familiae  Jeau,  Mari»,  Jo&eijh.  ;  r^ 
Ssmi  Cordis  Mariée.  —  Despoaaatioais,  Materaitalis,  Puritatis,  Pa-« 
trocinii  B.  M.  V.  —  Exspectatioois  Partus  B.  M.  V,  —  B.  M.  V, 
Auxilium  Christianorum.  —  Prodigiorum  B.  M.  V.  —  Apparitionis 
B.  M.  V.  Immaculatœ.  —  Commemoratio  Omaium  Ss.  Summorum 
Pontificum. 

Item  alia  qusecuraque  fésta  sive  Domini,  sive  B.  M.  V.  sub  aliquo 
peculiari  titulo,  sive  Sanctorum,  prteter  eopuradem  natalera  diera, 
uti  Inveatioais  Corporum,  Translationis,  Receatioais,  Patrociaii^  et 
hisce  similia.  ■  'î&iii;  t;'  ';uu«po['' 

Die  22  Augusti  1893. 

Le  double  tableau  ci-dessus  a  été  promulgué  par  ordre  du 
Saint-Père  en  date  du  27  aoiit. 


LE  CONGRES  DE  L'UNION  DES  ŒUVRES 
OUVRIÈRES  CATHOLIQUES 

Le  Congrès  de  l'Union  des  œuvres  ouvrières  catholiques  z. 
été  tenu  à  Ars,  du  H  au  15  septembre,  sous  la  présidence  d,e 
S.  G.  Mgr  Lucon,  évêque  de  Belley,  qui  célébrait  la  messe^ 
présidait  les  assemblées  générales  et  prenait  mêjne  part  aux 
travaux  des  Commissions.  Les  organisateurs  du  Congrès  pou- 
vaient-ils faire  un  plus  heureux  choix  que  celui  d'Ars,  delà 
ville  sanctifiée  parle  souvenir  du  vénérable  abbé  Vianney,  pour 
discuter  les  questions  pratiques  intéressant  l'action  sociale  de 
l'Eglise.  Les  travaux  du  Congrès  étaient  distribués  en  trois 
sections  :  Union  des  Œuvres  sous  l'autorité  des  évêques; 
œuvres  de  zèle  en  faveui'  des  classes  ouvrières;  action  sociale 
des  propriétaires  chrétiens.  Avec  la  même  verve  intarissable, 
le  même  esprit  que  dans  les  années  précédentes,  M.  le  chanoine 
Tournamille,  curé  de  la  paroisse  Saint-Pierre  à  Toulouse, 
résumait  dans  l'assemblée  du  soir  les  travaux  de  chacune  des 
journées. 

Le  Congrès  d'Ars  réunissait  de  nombreux  éléments  de  succès  : 


30  ANNAMIS    CATHOMQOKS 

l'accueil  bienveillant  et  la  chaude  parole  de  Mgr  l'évêque  de 
Belley,  la  sage  direction  imprimée  aux  délibérations  par  le 
R.  P.  Leclerc,  directeur  de  l'Union  des  Œuvres  ouvrières,  l'in- 
fatigable concours  de  secrétaires  aussi  autorisés  que  M.  l'abbé 
Lucas-Championnière  et  M.  le  comte  Yvert,  la  présence  des 
délégués  de  NN.  SS.  les  évêques,  de  Mgr  Bourquart,  protono- 
taire apostolique,  de  deux  cents  ecclésiastiques  des  diocèses  de 
Lyon  et  de  Belley,  disposés  à  faire  connaître  les  résultats  de 
leur  apostolat  ou  avides  de  s'initier  à  la  vie  des  œuvres,  enfin 
de  laïques  éclairés,  pour  la  plupart  grands  propriétaires, 
MM.  Babeur,  Cottin,  Frèrejean,  des  Garrets,  de  Montbriant, 
du  Ribert,  de  Villoutreys,  de  Vrégille,  etc. 

Les  assemblées  générales  du  soir  ont  retenti  de  la  parole 
éloquente  de  M.  Ch.  Jacquier  et  du  R.  P.  Joseph,  fondateur  des 
orphelinats  agricoles  de  Douvaine  (Haute-Savoie). 

M.  Ch.  Jacquier,  l'ardent  défenseur  des  libertés  chrétiennes 
à  Lyon,  a  enthousiasmé  l'auditoire  de  ces  grandes  assises,  en 
combattant  éloquerament  toute  pensée  de  découragement  et  en 
recommandant  une  énergique  action  sociale  des  propriétaires 
et  des  capitalistes  chrétiens.  Il  a  constaté  avec  une  patriotique 
tristesse  qu'au  moment  de  la  récente  consultation  nationale 
aucun  des  candidats  n'a  écrit  le  nom  de  Dieu  dans  ses  profes- 
sions de  foi. 

Le  R.  P.  Joseph,  ancien  aumônier  militaire  et  fondateur  de 
YŒuvre  des  Tombes,  a  parlé  magnifiquement  des  soldats  et  des 
œuvres  destinées  à  leur  conserver  la  foi,  et  avec  la  foi,  la 
flamme  du  plus  généreux  patriotisme. 

Les  œuvres  militaires  ont  eu  la  place  importante  qu'elles 
méritent,  à  une  époque  où  la  nation  entière  voit  tous  ses  enfants 
passer  sous  les  drapeaux.  Deux  séances  ont  été  consacrées  aux 
soins  à  prendre  de  nos  soldats,  avant,  pendant  et  après  le  service. 
M.  l'abbé  Lucas-Championniére,  secrétaire  du  Comité  catho- 
lique des  militaires  et  des  marins,  a  demandé  aux  chefs  de 
paroisse  et  aux  pères  de  famille  de  préparer  les  jeunes  gens  à 
l'épreuve  do  la  caserne.  La  messe  du  départ,  la  recommandation 
du  conscrit  aux  prêtres  qui  veulent  bien  s'occuper  d'aux  dans 
les  villes  de  garnison,  la  retraite  du  retour  ont  été  reconnus 
comme  les  moyens  les  plus  efficaces  pour  obtenir  la  persévé- 
rance religieuse  de  nos  soldats. 

Tous  les  travaux  du  Congrès  ont  été  conduits  avec  une  grande 
cordialité  et  une  véritable  assiduité.  Les  rapports,  conformé- 


LE    CONGRÈS    DES    ŒUVRES    OUVRIÈRES    CATHOLIQUES  31 

ment  aux  traditions,  ont  été  écrits  avec  simplicité;  les  discus- 
sions, remarquablement  pratiques,  résultaient  d'un  échange 
d'observations  toujours  courtoises  entre  les  nombreux  congres- 
sistes. Ce  congrès  a,  en  un  mot,  un  caractère  pratique  sur  lequel 
nous  ne  saurions  trop  insister  auprès  de  tous  nos  amis.  La  sec- 
tion do  l'Union  proprement  dite  sous  l'autorité  des  Evêques  s'est 
occupée  des  Assemblées  diocésaines  de  directeurs  et  d'amis  des 
œuvres  ouvrières.  Elle  a  émis  un  vœu  important,  dont  le  but 
est  de  pousser  à  la  coordination  du  mouvement  social  et  ouvrier 
parmi  les  catholiques  sous  l'autorité  des  évêques.  Le  bureau 
diocésain  de  Lyon  offre  un  exemple  digne  d'être  proposé  :  Il  y  a 
des  assemblées,  convoquées  par  ce  bureau,  réunions  nombreuses, 
très  éclairées,  pour  les  hommes  du  métier,  et  donnant  d'excel- 
lents résultats  au  point  de  vue  de  l'accord  dans  l'action .  M.  l'abbé 
Petit,  secrétaire  du  bureau,  a  fourni  à  cet  égard  des  détails  fort 
intéressants.  On  a  également  traité  l'importante  question  des 
conférences  d'étude  des  œuvres  dans  les  grands  séminaires  et 
dans  les  établissements  chrétiens  d'instruction  secondaire. 

La  section  des  œuvres  de  zèle  est  entrée  dans  le  vif  des  ques- 
tions intéressant  les  œuvres  innombrables  que  le  zèle  catholique 
a  suscitées  en  faveur  des  jeunes  apprentis  et  des  ouvriers  :  indus- 
tries généreuses  autant  que  variées,  auxquelles  se  sont  portés 
les  prêtres,  et  même  les  plus  pauvres  vicaires  des  paroisses  les 
plus  humbles,  depuis  celles  des  vieux  pauvres  jusqu'à  celle  des 
forains,  depuis  celle  des  sourds-muets  jusqu'à  celles  des  jeunes 
gens  qui  se  destinent  à  la  direction  des  ateliers  et  usines. 

La  troisième  section  a  émis  un  vœu  relatif  aux  devoirs  des 
propriétaires.  De  toutes  parts,  on  constate  soit  l'absence  des  pro- 
priétaires terriens  qui  abandonnent  leurs  paysans  aux  influences 
révolutionnaires  et  vont  dépenser  au  loin  les  revenus  qu'ils  tou- 
chent à  la  campagne,  soit  le  déplorable  exemple  donné  sur  place 
par  le  luxe  excessif,  les  mauvaises  lectures,  etc.  Les  proprié- 
taires chrétiens  ont  préconisé  le  métayage  comme  moyen  pra- 
tique de  rapprochement  entre  les  ouvriers  agricoles  et  leurs 
maîtres;  ils  demandent  également  une  réforme  de  l'éducation 
des  jeunes  gens  de  famille.  Enfin,  ils  ont  aussi  parlé  du  diman- 
che qui  a  été  l'objet  d'un  vœu  très  pratique. 

Comment  parler  ici  de  l'esprit  d'union  et  de  prière  qui  préside 
à  tous  ces  travaux  de  l'apostolat  le  moins  tapageur,  le  plus  sin- 
cère? Il  faut  avoir  pris  part  à  ces  congrès  des  œuvres  ouvrières 
pour  demeurer  sous  une  aussi  bienfaisante  influence.  Les  hom- 


32  ANNALES    CATHOLIQUES 

mes  ne  peavent  tous  comprendre  refûcacité  de  pareilles  assises, 
c'est  de  Dieu  que  nous  en  attendons  la  vertu  vivifiante  et  région. 
nératrice.  Nous  l'implorons  avec  une  sereine  confiance. 


ASSEMBLEE  GENERALE  DES  CATHOLIQUES 

DU   NORD    ET    DU    PAS-DE-CALAIS 

A  Lille  du  21  aw  26  novembre  i89'i,  sous  le  patronage  de.NN.  SS.les 
Evcques  de  la  province  ecclésiastique  de  Cambrai. 

PROGRAMME 
lr«  Section.  —  Œuvres  de  foi  et  de  prières. 

OEUVRES  DU  TRÈS  SAINT  SACREMENT  : 

Confrérie  en  l'honneur  du  T.  S.  Sacrement.  —  Escorte  du  T.  S. 
Sacrement  quand  on  le  porte  aux  malades.  —  Adoration  perpétuelle 
diocésaine:  assistance  à  la  procession  de  clôture. —  Œuvre  de  l'Arfo- 
ration  nocturne.  —  Adorations  diurnes. —  Quarante  heures.  —  Pro- 
cessions; moyens  d'obtenir  leur  rétablissement.—  Messes  et  commu- 
munions  réparatrices.  —  Adorations  réparatrices  par  catégories.  — 
Formation  de  l'enfance  à  la  piété  eucharistique.  —  Messes  spéciales 
pour  les  enfants  des  écoles.  —  Moyens  d'assurer  aux  pauvres  l'assis- 
tance à  la  messe  le  dimanche.  —  Développement  de  la  piété  eucha- 
ristique dans  les  différentes  œuvres.  —  Retraites^  eucharistiques.  — 
Pèlerinage  eucharistique  d'Armentières  ;  compte-rendu.  —  Congrès 
eucharisques.  —  Réunions  eucharistiques  d'arrondissement.  —  Les 
Obhits  du  T.  S.  Sacrement.  —  Propagande  en  faveur  des  œuvres 
eucharistiques  ;  tracts  et  brochures. 

OEUVRES  DE  CATECHISME: 

Organisation  des  catéchistes  volontaires.  —  Confréries  de  la  doc- 
trine chrétienne.  —  Catéchismes  en  images.  —  Préparation  à  la  pre- 
mière communion.  —  Catéchismes  de  persévérance.  —  Concours  de 
catéchisme.  —  Conférences  catéchistiques  pour  les  hommes  du  monde. 

SANCTIFICATION  DU  DIMANCHE  ;  ■/>âltj    «l!0    S  :       ^ 

Œuvr«is  pour  le  repos  du  dimanche. —  Observation  du  repos  dorai», 
nical  dans  les  diverses  professions  :  assistance  à  la  messe  paroles 
employés  dos  services  actifs  des  administrations  publiques,  des  che- 
mins (le  fer,  des  sociétés  industrielles,  etc.;  devoirs  des  maîtres,  des 
chefs  d'atelier,  des  entrepreneurs;  devoirs  des  actionnaires  des  socié- 
tés commerciales  et  industrielles  ;  fermeture  des  magasins  et  des 
gares  de  marchandises  à  petite  vitesse  ;  timbre  dominical. 

pin-EniNAGEs  : 

Pèlerinage  à  un  SaTictuaire national.—*  Pèlerinage  à  un  sanctuaire! 


CATHOLIQUES  DU  NORD  ET  DU  PAS-DE-CALAIS  33 

régional.  —  Pèlerinage  eucharistique  en  1894.  —  Pèlerinages  à  Rome, 
à  Lourdes,  à  Jérusalem.  —  Pèlerinages  locaux;  moyens  de  les  remettre 
en  honneur.  —  Pèlerinages  à  Albain-Saint-Nazaire,  compte-rendu. 

—  Confrérie  des  pèlerins  de  Jérusalem. 

œUVRES  PONTirlCALES  : 

Revendication  des  droits  du  Souverain  Pontife.  —  Comité  des  droits 
du  Pape.  —  Union  avec  ce  Comité.  —  Le  jubilé  épiscopal  de  Sa 
Sainteté  Léon  XIII  ;  compte-rendu. 

•iffusion   des  enseignements  pontificaux  et  particulièrement  des 
dernières  Encycliques.  —  Denier  de  Saint-Pierre  et  œuvres  annexes. 

—  Union  avec  le  comité  romain  de  propagande  de  l'encyclique 
Rerum  novarum. 

OEUVRES  DES  RETRAITES: 

Retraites  dans  les  œuvres  et  dans  les  paroisses.  — Missions; 
moyens  d'en  assurer  les  fruits.  —  Maisons  de  retraites.  —  Retraites 
par  catégories. 

œUVRES  MILITAIRES  : 

Œuvres  paroissiales.  —  Messes  pour  les  soldats.  —  Réunions  et 
autres  moyens  de  préservation.  —  Soins  particuliers  à  donner  aux 
jeunes  séminaristes.  —  Messes  et  retraites  de  départ.  —  Relations  à 
établir  entre  les  jeunes  soldats  et  les  prêtres  des  villes  où  ils  se  ren- 
dent. —  Archiconfrérie  de  N.-D.  des  Armées.  —  Œuvre  des  prières 
et  des  tombes.  —  Œuvres  des  marins. 

OEUVRES  d'apostolat: 

L'apostolat  de  la  prière.  — La  propagation  de  la  foi.  —  La  Sainte- 
Enfance.  —  Les  écoles  d'Orient.  —  L'œuvre  de  Saint-François  de 
Sales.  —  L'œuvre  de  Notre-Dame  du  Salut.  —  Prières  publiques 
pour  la  France.  —  Union  de  prières  pour  les  intérêts  des  villes,  comme 
à  Paris  et  à  Lille.  —  Association  de  prières  contre  la  franc-maçon- 
nerie. —  Les  fondations  en  Terre-Sainte  ;  la  Trappe  d'El-Latroun. — 
Les  missions  d'Afrique.  —  L'œuvre  anti-esclavagiste. 

OEUVRES  DIVERSES  : 

Manifestations  au  sanctuaire  du  vœu  national  à  Montmartre.  — Ado- 
rations nocturnes  locales  à  Montmartre.  —  Le  quatorzième  centeHaire 
de  la  France  chrétienne  en  189G.  —  Béatification  de  Jeanne  d'Arc  et 
de  Christophe  Colomb.  —  La  réforme  chrétienne  du  droit  des  gens. 
—  L'arbitrage  international.  —  Les  Tiers-Ordres.  —  Le  Rosaire.  — 
Les  congrégations  de  la  Sainte-Vierge  pour  les  hommes,  pour  les 
jeunes  gens,  pour  les  enfants.  —  La  prière  en  commun  dans  les 
familles:  la  lecture  de  la  vie  des  Saints;  association  de  la  Sainte 
Famille  ;  le  crucifix  en  honneur  au  foyer  domestique.  —  Place  à 
donner  aux  images  pieuses  dans  la  décoration  intérieure  et  extérieure 
des  maisons.  —  Actes  de  respect  envers  les  prêtres.  —  Moyens  de 
venir  en  aide  aux  vocations  ecclésiastiques  et  religieuses.  —  Confé- 

3 


34  ANNALES     CATHOLIQUES 

rencea  sur  les  œuvres  dans  les  établissements  religieux.  —  Lois  con- 
ceTnant  les  congrégations  religieuses.  —  Le  denier  des  expulsés.  — 
Questions  relatives  aux  funérailles  et  aux  cimetières:  obsèques  de» 
pauvres.  —  Apostolat  de  la  jeunesse  chrétienne.  —  Touristes  du 
Sacré-Cœur  comme  à  Marseille.  —  Renouvellement  de  la  consécra- 
tion des  familles,  des  œuvres  et  des  villes  au  Sacré-Cœur. 

2*  Section.  — Enseignement,  Propagande.  Art  chrétien. 

l""*  Commission.  —  Enseignement. 
ENSEIGNEMENT  SUPERIEUR: 

Lps  lois  sur  l'enseignement  supérieur;  modifications  à  y  apporter 
dans  l'intérêt  de  la  liberté  et  de  la  science.  —  Facultés  catholiques.  — 
Ecoles  de  hautes  études  industrielles  et  de  hautes  études  agricoles.  — 
Œuvres  pour  les  étudiants.  —  Quêtes  diocésaines  et  souscriptions. 
—  La  Revue  de  Lille.  —  Association  des  anciens  étudiants  de  l'Uni- 
versité catholique.  —  Etudes  apologétiques  dans  l'enseignement 
supérieur.  —  Section  des  sciences  politiques. 

ENSEICNEMENT  SECONDAIRE'. 

Les  programmes  et  les  examens.  —  Les  établissements  secondaires 
libres  dans  la  région.  —  De  la  nécessité  de  maintenir  le  programme 
traditionnel  des  études  classiques.  —  Le  baccalauréat  moderne.  — 
Relations  entre  les  établissements  libres  d'enseignement  secondaire, 
au  j)Oint  lie  vue  des  méthodes,  des  livres  classiques,  des  livres  de  prix 
et  du  personnel  enseignant.  —  Conférences  et  visites  agricoles  dans 
les  collèges  libres.  —  L'enseignement  des  langues  vivantes.  —  Con-' 
cours  gémral  fondé  par  l'association  des  anciens  étudiants  de 
l'Université  catholique,  entre  tes  élèves  des  collèges  catholiques  de  la 
région. 

Etude  des  questions  sociales  dans  l'enseignement  supérieur  et 
dans  l'enseignement  secondaire. 

ENSEIGNEMENT  PROFESSIONNEL  : 

Ecoles  professionnelles  catholiques.  —  Ecole  de  commerce.  —  Ecoles 
d'arts  etmi'tiers.  —  Ecoles  pratiques  d'agriculture.  — Apprentissage. 

Inégalité  pour  le  service  militaire,  entre  les  écoles  officielles  et  les 
écoles  libres. 

ENSEIGNEMENT  DES  FILLES  : 

Les  programmes;  les  examens;  les  diplômes.  —  Les  lycées  de 
filles. 

ENSEIGNEMENT  l'Rl.MAIRE  : 

Los  lois  sur  l'enseignement  primaire;  nécessité  de  travailler  à  leur 
abrogation.  —  Organisation  d'écoles  libres  gratuites  ou  payantes.  — 
Enseignement  primaire  supérieur.  —  Inspection.  —  Certificats  d'études 
pour  les    écoles  libres.   —  Breveta  libres.  —  Comités  diocésains  des 


CATHOLIQUES  DU  NORD  ET  DU  PAS-DE-CALAIS  35 

écoles.  —  Comités  locaux.  —  Programniea  et  manuels  tla  renseigne- 
ment catholique.  —  Livres  classiques  et  livres  de  prix.  —  Recrute- 
ment des  inslituteurs  chrétiens.  —  .associations  des  instituteurs 
libres  de  la  ifigion.  —  Ecoles  normales  catholiques;  cours  normaux 
dirigés  à  Lille  par  les  Frères. —  Résultats  de  l'enseignement  neutre. 

—  Situation  des  écoles  libres  dans  les  diocèses  d'Arras  et  de  Cambrai. 

—  Caisse  des  écoles  libres.  —  Denier  des  écoles. 

Subventions  do  l'Etat, des  départements  et  des  communes  aux  éta- 
blissements libres  d'enseignement.  —  Journaux  pédagogiques  chré- 
tiens. 

2*  Commission.  —  Presse,  conférences  et  propagande. 

A.  —  Encouragements  et  concours  à  donner  à  la  presse  catholique. 

—  Etat  de  la  presse  catholique  dans  la  région.  —  Moyens  de  com- 
battre la  mauvaise  presse  et  d'empêcher  sa  propagation.  —  Réponses 
aux  attaques  contre  le  clergé  et  les  institutions  religieuses.  —  Le 
colportage  des  journaux,  brochures  et  almanaehs.  —  La  corporation 
chrétienne  des  publicistes.  —  La  doctrine  et  les  nouvelles  dans  leg 
journaux.  —  Les  abonnements,  les  annonces,  le  colportage.  —  Etat 
de  la  législation  en  matière  de  presse. 

B.  —  Conférences  dans  les  villes  et  dans  les  campagnes.  —  Petites 
conférences  ou  causeries  ouvrières.  —  Concours  à  donner  par  la  jeu- 
nesse catholique  à  l'œuvre  des  conféreoces  populaires. 

C.  —  Bibliothèques  populaires  catholiques.  —  Bibliothèques  rou- 
lantes. —  Tracts.  — Associations  pour  la  propagation  des  boQs  livres. 

—  Société  bibliographique.  —  Mesures  à  réclamer  contre  les  publica» 
lions  et  les  images  immorales.  —  Bibliothèque  des  chemins  de  fer.  — 
Les  brochures  et  les  almanachs. 

3^  Commission.  —  Art  chrétien. 
L'école  de  Saint-Luc  ;  rapport  sur  ses  développements  à  Gaud  et  en 
Belgique.  —  L'école  de  Saint-Luc,  à  Lille  ;  exposition  des  travaux  des 
élèves.  —  Inventaire  des  objets  d'ait  conservés  dans  les  églises  des 
diocèses  de  Cambrai  et  d'Arras.  —  Les  processions  et  les  cortèges 
religieux  en  Belgique  et  dans  le  nord  de  la  France.  —  Visite  des 
églises  de  Lille;  leurs  principaux  objets  d'art. 

3«  Section.  —  Œuvres  sociales,  Œuvres  charitables. 

l""»  Cumm,ission.  —  Œuvres  sociales. 

A.  —  Associations  et  action  giînérale  : 

Les  Comités  catholiques.  —  L'œuvre  des  Cercles  catholiques  d'ou- 
vriers. —  L'association  catholique  de  la  jeunesse  française.  —  Union 
des  œuvres  de  jeunesse  de  la  région.  —  L'union  des  associations 
ouvrières  catholiques.  —  La  lutte  contre  les  entreprises  de  la  franc- 
maçonnerie. 


36  ANNALES    CATHOLIQUES 

B.  —  La  question  sociale  et  ouvrière  : 

la)  L'Encyclique  de  conditione  opificum,  la  direction  qu'elle  trace 
et  l'influence  qu'elle  a  déjà  exercée.  —  Réunions  d'études  sociales. 
-^  Propagande  des  idées  sociales  chrétiennes  par  la  chaire,  la  presse, 
les  conférences,  etc.  —  La  législation  économique.  —  Lois  votées  ou 
à  voter. 

(b)  Dangers  sociaux  de  la  spéculation.  —  Organisation  du  crédit  de 
l'ouvrier. 

(c)  Amélioration  progressive  des  rapports  des  patrons  et  des  ouvriers. 
—  Organisation  chrétienne  de  l'usine.  —  Conseils  d'usine. 

(d)  Associations  professionnelles.  —  Syndicats  révolutionnaires, 
leurs  développements,  leurs  dangers.  —  Syndicats  chrétiens,  syndi- 
cats séparés,  syndicats  mixtes.  —  Institutions  destinées  à  défendre 
les  intérêts  économiques  et  professionnels  de  l'ouvrier. 

C.  Œuvres  de  préservation  : 

Patronage  d'écoliers,  d'apprentis,  déjeunes  ouvriers.  —  Maisons  de 
famille  pour  lesjeunes  ouvriers  venant  de  la  campagne.  —  Réunions 
dominicales.  —  Sociétés  de  Saint-Joseph,  sociétés  de  musique,  de  tir, 
de  gymnastique,  etc.  —  Œuvres  pour  les  commis  de  magasin,  les 
employés  de  commerce.  —  Les  vagabonds  :  des  moyens  de  les  réunir 
et  de  leur  faire  du  bien. 

D.  Œuvres  pour  les  campagnes  : 

Les  syndicats  agricoles;  leur  rôle,  les  services  qu'ils  sont  appelés 
à  rendre.  —  Crédit  agricole.  —  Orphelinats  agricoles.  —  De  l'éduca- 
tion et  de  l'emploi  des  orphelins  dans  les  familles.  —  Société  de  pro- 
priétaires chrétiens  sous  le  patronage  de  Saint-Michel  et  de  Saint- 
Remi.  —  La  confrérie  de  Notre-Dame  des  Champs.  —  L'œuvre  des 
campagnes. 

2"  Commission.  —  Œuvres  charitables 

Conférences  de  Saint-Vincent  de  Paul  et  œuvres  annexes.  — 
Œuvre  de  Saint-François  Régis.  —  Orphelinats  et  refuges.  —  Œuvres 
de  réhabilitation.  —  Assistance  des  malades  pauvres  à  domicile. — 
Comités  libres  de  charité.  —  Amélioration  des  logements  d'ouvriers. 
—  Œuvres  d'hospitalité  do  nuit.  —  Œuvres  pour  les  prisonniers  et 
les  condamnés  libérés.  —  Œuvres  pour  les  émigrants.  —  L'office 
central  des  institutions  charitables.  —  Liberté  des  fondations  chari- 
tables. 


JEANNE   d'arc  37 


JEANNE  D'ARC 

Discours  prononcé  par  M.  R.  PoiNCARÉ  (1),  ministre  de  l'Instruction 
publique,  des  Beaux-Arts  et  des  Cultes,  le  24  septembre,  à  Vau- 
couleurs,  à  l'occasion  des  fêtes  de  Jeanne  d'Arc  : 

Messieurs, 

Les  représentants  du  départeraeat  :  sénateurs,  députés,  conseillers 
généraux,  conseillers  d'arrondissement,  maires,  ont  répondu  avec 
empressement  à  l'appel  qui  leur  avait  été  adressé  par  la  municipalité 
de  Vaucouleurs.  Le  député  qui  a  eu  l'honneur  d'être  trois  fois  déjà 
l'élu  de  cette  ville  ne  pouvait  manquer  d'assister  à  ces  fêtes  et  il  est 
heureux  d'être  venu  y  représenter  le  gouvernement  delà  République. 

J'ai  eu,  messieurs,  comme  ministre  des  Beaux-Arts,  la  bonne  for- 
tune de  signer  moi-même  l'arrêté  qui  avait  été  préparé  par  mon  pré- 
décesseur et  qui  classe  au  nombre  des  monuments  historiques  les 
restes  de  la  crypte  de  la  chapelle  castrale  où  Jeanne  d'Arc,  au  témoi- 
gnage de  Jean  le  Fumeux,  passa  des  heures  si  longues  en  médita- 
tions solitaires.  Il  était  bon,  il  était  nécessaire  que  de  tels  souvenirs 
fussent  pieusement  conservés.  Sur  ces  vieilles  pierres  est  écrit  un 
des  plus  émouvants  chapitres  de  l'histoire  de  France.  11  y  a,  dans 
ces  choses  mortes,  quelque  chose  qui  vit  encore  et  qui  vivra  éternel- 
lement. 

Mgr  Pagis,  évêque  de  Verdun,  a  pris  l'initiative  patriotique  de  rap- 
peler, en  outre,  par  un  monument  nouveau,  le  séjour  de  Jeanne 
d'Arc  à  Vaucouleurs.  On  célèbre  beaucoup  Jeanne  d'Arc  depuis 
quelques  années,  et  je  ne  m'en  plains  pas.  On  ne  célébrera  jamais 
trop  une  mémoire  comme  la  sienne.  Il  y  a  peu  de  jours,  c'était 
Chinon  qui  élevait  une  statue  à  la  Pueelle.  Il  ne  saurait  y  avoir, 
dans  ces  hommages  multipliés,  ni  jalousie,  ni  concurrence.  Jeanne 
appartient  à  la  France  entière,  et  la  France  entière  a  raison  de 
l'honorer.  Mais  il  est  naturel  que  la  ville  de  Vaucouleurs  prenne  sa 
large  part,  une  part  privilégiée,  dans  ce  culte  général. 

C'est  à  Vaucouleurs,  qui,  depuis  Charles  V,  était  ville  royale, 
«  chambre  de  roi  »,  comme  disait  Jeanne,  c'est  à  Vaucouleurs  que 
commence  vraiment  la  mission  de  la  Pueelle.  C'est  ici  qu'elle  se  fit 
conduire  une  première  fois,  le  13  mai  1428,  par  son   cousin  Durand 

(1)  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  reproduire  aujourd'hui  le  discours 
de  Mgr  Pagis,  complément  indispensable  de  celui  de  M.  Poincaré  qui, 
faute  de  conviction  ou  de  courage,  n'a  pas  jugé  à  propos  de  parler  do 
la  mission  et  de  l'inspiration  surnaturelles  de  Jeanne  d'Arc.  Nous 
n'avons  encore  pu  trouver  le  texte  intégral  de  ce  discours,  où  le  sen- 
timent religieux  et  le  patriotisme  sont  parfaitement  unis  et  éloquem- 
ment  exprimés. 


"38  ANNALES    CATHOMQUKS 

Laxart,  ce  brave  cultivateur  de  Bureyqui  s'était  laissé  subjuguer  par 
l'enthousiasme  de  la  jeune  fille  et  dont  l'affection  complice  la  pro- 
tégeait secrètement  contre  l'hostilité  du  reste  de  sa  famille.  C'est  ici 
que  le  sire  de  Baudricourt  accueillit  d'abord  d'un  sourire  moqueur 
les  explications  de  Durand  Laiart  et  lui  conseilla  de  rameser  Jeanne 
chez  son  père  «  bien  souffletée  ».  C'est  ici  que,  par  un  terrible  froid 
d'hiver,  en  janvier  ou  février  1429,  Jeanne,  qui  ne  s'était  pas  rebutée, 
vint  s'installer  chez  le  charron  Henri  Leroyer,  résolue  â  triompher 
de  toutes  les  résistances  et  de  toutes  les  mauvaises  volontés.  C'est 
ici,  dans  la  chapelle  souterraine  de  Notre-Dame,  qu'elle  fit  ce  que 
M.  Siméon  Luce  a  éloquemment  appelé  sa  veillée  de  larmes.  C'est  ici 
que  sa  conviction  débordante  entraîna  peu  â  peu  les  gens  de  guerre 
comme  Jean  de  Metz  et  Bertrand  de  Poulengy;  c'est  ici  que  sa  con- 
fiance sereine  et  sa  simplicité  sublime  lui  conquirent  rapidement  les 
coeurs  de  la  population.  Le  capitaine  de  Baudricourt  demeurait  défiant. 
Ce  furent  les  habitants,  les  femmes  surtout,  qui  eurent  le  pressen- 
timent que  <t  cette  petite  bergerette  »  était  destinée  à  sauver  la 
France.  Certes,  il  y  a  là,  mf?3  chers  compatriotes,  une  page  glorieuse 
de  notre  histoire  locale.  Avoir  compris  Jeanne,  l'avoir  pour  ainsi 
dire  devinée,  à  l'heure  où  elle  était  encore  inconnue  des  uns  et  mé- 
connue des  ailtres!  Avoir  eu  foi  dans  cette  jeune  fille,  avoir  été  des 
premiers  à  sentir  auprès  d'elle,  avec  elle,  par  elle,  «  la  grande  pitié 
qu'il  y  avait  au  royaume  de  France  »,  c'est  avoir  collaboré  à  l'œuvre 
héroïque  de  Jeanne  d'Arc. 

Et  les  habitants  de  Vaucouleurs  ne  se  sont  pas  bornés  à  admirer 
la  Pucelle.  Ils  l'ont  encouragée.  Ils  ne  se  sont  pas  bornés  à  l'encou- 
rager, ils  l'ont  aidée,  secourue,  équipée,  lia  se  sont  cotisés  pour  lui 
acheter  un  cheval  et  pour  lui  procurer  des  vêtemoats.  C'est  grâce  à 
eux  qu'elle  a  pu  partir  pour  Cliinon,  et  pendant  que  le  sire  de  Bau- 
dricourt, encore  incrédule,  lui  adressait  cet  adieu  banal  :  «  Va,  et 
advienne  que  pourra!  ï>,  ce  sont  eux,  hommes  et  femmes  de  Vaucou- 
leurs, qui,  se  pressant  en  foule  sous  les  pas  de  son  cheval,  l'ont  en- 
tOUTéo  jusqu'au  delà  de  la  Porte  de  France  d'un  corlège  de  sympathies 
spontanées  et  de  vœux  attendris. 

Leur  cœxir  était  à  l'unisson  de  celui  de  Jeanne,  elle  avait  échauffé 
on  eux  toutes  les  ardeurs  du  sentiment  national.  Dans  aucune  région 
de  la  France,  les  fimes  ne  pouvaient  être  mieux  préparées  à  vibrer 
atec  la  sienne.  Depuis  1365,  Vaucouleurs  avait  été  uni  inséparable- 
mont  à  la  couronne.  Mais  la  marche  de  Lorraine  et  de  Champagne 
était  restée  une  sorte  de  ca^r^fc;ur  où  se  rencontraisut  sans  cesse  les 
Bourguignons,  allies  des  Anglais,  et  les  partisans  de  Charles  VII. 
Cette  vallée  de  la  Meuse,  qui  avait  été  si  longtemps  le  théâtre  des 
luttes  entre  le  roi  de  France  «t  le  duo  de  Lorraine,  était  maintenant 
ravagée  par  des  bandes  pillardes  de  soudards.  La  châtellenie  de  Vau- 
couleurs avait  été  à  idusieurs  reprises  menacée  par  les  Anglais.  Les 


JEANNE  d'arc  39 

populations  demeuraient  sur  un  perpétuel  qui-vive  ?  Elles  connais- 
saient la  guerre  par  une  expérience  quotidienne.  Toujours  incertaines 
du  lendemain,  elles  s'étaient  accoutumées  à  la  vigilance,  au  sang- 
froid,  au  courage  prudent  et  réfléchi.  Elles  avaient  appris  à  aimer  la 
France  à  la  grande  école  de  la  douleur. 

Mais  où  était  la  France  en  1429?  Vendue,  déchirée,  elle  semblait 
expirante.  Dix  ans  auparavant,  un  traité  conclu  à  Troyes,  au  nom 
de  Charles  VI,  avait  prétendu  la  livrer  à  la  maison  de  Lancastre.  Le 
duc  do  Bourgogne  avait  reconnu  les  droits  de  la  dynastie  anglaise  à 
la  couronne  de  France.  On  avait  abusé  de  la  folie  d'un  roi  pour  tra- 
fiquer d'un  peuple.  En  1422,  à  la  mort  de  Charles  VI,  le  héraut 
d'armes  de  France  avait  prononcé  sur  la  fosse  ces  paroles  sinistres  : 
«  Dieu  accorde  bonne  vie  à  Henri,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  do  France 
et  d'Angleterre,  notre  souverain  seigneur.  »  Le  dauphin  avait  été, 
de  l'avis  du  Parlement,  déshérité,  déchu,  banni.  Paris  était  aux  Bour- 
guignons et  aux  Anglais;  la  moitié  de  la  France  était  prise,  le  reste 
s'abandonnait.  Tout  conspirait  contre  Punité  nationale,  les  intrigues 
d'une  partie  de  la  noblesse,  les  subtilités  des  jurisconsultes,  lu  lassi- 
tude et  les  soufl'rances  des  populations  épuisées.  Voilà  l'heure  sombre 
où  Jeanne  apparaît  et  dresse,  au-dessus  de  toutes  ces  obscurités  et 
de  toutes  ces  misères,  l'image  brillante  et  immaculée  de  la  patrie. 

«  Souvenoas-nous,  a  écrit  Michelet,  que  la  patrie  chez  nous  est 
née  du  cceur  de  Jeanne  d'Arc,  de  sa  tendresse,  de  ses  larmes,  et  du 
sang  qu'elle  a  donné  pour  nous.  »  Et  rien  n'est  plus  vrai,  rien  n'est 
plus  juste,  que  ce  mot  du  grand  historien.  Au  commencement  du 
xv"  siècle,  Jeanne  n'a  pas  seulement  éveillé,  dans  les  profondeurs  des 
masses  populaires,  le  sentiment  encore  vague  et  confus  de  la  natio- 
nalité française.  Elle  a  été,  comme  l'a  dit  Henri  Martin,  l'idéal  vivant 
de  ia  patrie. 

Aucune  poésie,  aucun  drame,  aucune  légende  n'égalera  l'émou- 
vante réalité  de  cette  vie  de  jeune  fille,  doublement  auréolée  par  la 
victoire  et  par  le  martyre,  Jeanne  d'Arc  a  vraiment  personnifié  la 
France:  la  France  à  la  fois  brave  et  compatissante,  gracieuse  et  guer- 
rière, douce  et  enthousiaste,  résolue  surtout  à  défendre  son  indépen- 
dance et  à  demeurer  maîtresse  de  ses  destinées. 

Aux  ambitions  et  aux  convoitises  des  princes,  qui  croyaient  pou- 
voir disposer  des  nations  au  gré  de  leurs  caprices,  Jeanne  a  opposé 
l'idée  du  droit  et  la  revendication  de  la  liberté.  Elle  ne  s'attarde  pas 
à  disserter  sur  le  traité  de  Troyes,  à  peser  et  à  comparer  les  titres 
de  Charles  VII  et  de  Henri  VI.  Pour  elle,  il  ne  peut  y  avoir  qu'un  roi, 
c'est  celui  qui  n'est  pas  le  roi  de  l'étranger,  c'est  celui  qui  lutte 
contre  l'invasion.  Elle  ne  discute  pas  avec  les  docteurs  et  avec  les 
pharisiens.  Elle  voit,  elle  sent,  elle  eroit  :  elle  est  tout  flamme,  tout 
cœur,  tout  instinct.  Le  vrai  roi  est  là  où  est  la  France,  et  la  France 
est  partout  où  se  retrouve  le  passé  de  la  nation  grandissante,  partout 


40  ANNALK8     CATHOLIQUES 

OÙ  les  Français  ont  laissé  des  souvenirs  communs  de  gloire  ou  de 
tristesse. 

Voilà  bien  l'idée  de  la  patrie,  telle  qu'elle  se  dégagera  plus  tard  de 
l'œuvre  de  centralisation  et  d'unité  que  commencera  le  fils  de 
Charles  Vil,  Louis  XI,  et  que  poursuivront  si  patiemment  ses  suc- 
cesseurs. La  France  va  prendre  de  plus  en  plus  clairement  conscience 
de  son  existence  propre,  de  son  individualité  nationale. 

Le  mot  lui-même  de  patrie,  si  beau,  si  expressif,  et  qui  dit  si  bien 
toute  la  douceur  du  pays  paternel,  fait  son  apparition  dans  la  langue 
française  au  xv«  siècle.  L'historien  de  Charles  VII,  J.  Chartier,  est 
un  des  premiers  qui  l'emploient.  Jusque-là,  l'âme  française  se  cher- 
chait, hésitait,  s'endormait  par  intermittence.  Désormais,  la  voici  qui 
s'affirme,  qui  se  développe  et  qui   s'éclaire  d'une  lueur  immortelle. 

Ce  ne  sera  pourtant  qu'à  la  Révolution  française  que  la  conception 
de  la  patrie  et  le  sentiment  de  la  nationalité  trouveront  leur  force  et 
leur  pureté  définitives.  La  Bruyère  disait  :  «  11  n'y  a  point  de  patrie 
dans  le  despotique;  d'autres  choses  y  suppléent  :  l'intérêt,  la  gloire, 
le  service  du  prince.  »  Sans  doute  il  exagérait.  L'intérêt,  la  gloire, 
le  service  du  prince  ne  détruisaient  pas  la  patrie;  mais  ils  en  alté- 
raient la  notion.  La  patrie,  dans  le  sens  noble,  dans  le  sens  absolu, 
n'est  pas  une  agglomération  de  sujets  fidèles,  c'est  une  association 
libre  de  citoyens  solidaires. 

Pour  qu'un  peuple  soit  vraiment  un  peuple,  une  nation  une  et  indivi- 
sible, il  ne  suffit  pas  qu'il  ait  la  même  langue,  les  mêmes  lois,  les 
mêmes  mœurs;  il  faut  que  chacun  de  ses  membres  comprenne  qu'il 
est  la  partie  d'un  tout,  la  cellule  d'un  organisme,  la  note  d'une  har- 
monie ;  que  chacun  ait  la  perception  nette  de  son  rôle  dans  la  société, 
de  ses  droits,  de  ses  devoirs,  de  ses  responsabilités;  il  faut,  en  un 
mot,  qu'il  y  ait,  de  la  part  de  tous,  une  coopération  réfléchie,  une 
contribution  voulue  à  l'œuvre  générale. 

Mais  quelle  qu'ait  été,  depuis  Jeanne,  l'œuvre  des  siècles,  elle  a  illu- 
miné le  sien  d'une  apparition  radieuse.  Elle  a  été  l'aurore  de  la  patrie, 
et  les  rayons  de  sa  chaste  figure  éclairent  encore  le  ciel  de  France. 

Elle  plane  au-dessus  des  partis,  elle  n'est  prisonnière  d'aucune 
secte,  d'aucun  groupe,  d'aucune  école.  Ce  serait  diminuer  et  fausser 
son  souvenir  que  de  le  mêler  à  nos  luttes  politiques.  Chacun  de  nous 
aie  même  droit  et  le  même  devoir  de  l'admirer  et  de  l'aimer,  car 
elle  incarne  et  résume  ce  qu'il  y  a  de  commun  dans  les  sentiments 
des  Français  de  tous  les  partis:  l'inaltérable  dévouement  à  la  patrie, 
la  passioQ  de  l'indépendance  et  de  la  grandeur  nationales. 


NÉCROLOGIE  41 


NECROLOGIE 

Voici  les  principaux  passages  du  discours  du  commandant 
Monteil,  délégué  du  gouvernement  aux  obsèques  du  duc  d'Uzès, 
à  Uzès  : 

Le  gouvernement  de  la  République,  en  m'envoyant  pour  le  repré- 
senter en  cette  triste  circonstance,  m'a  chargé  de  vous  apporter 
madame  la  duchesse,  ainsi  qu'à  votre  famille,  le  témoignage  de  la 
part  très  vive  qu'il  a  prise  à  votre  grande  douleur,  et  de  vous  expri- 
mer en  son  nom  et  au  nom  de  tous  les  Français  de  cœur,  les  regrets 
unanimes  qu'a  provoqués  au  milieu  de  ses  concitoyens  la  mort  de 
celui  qui  fut  le  duc  Jacques  d'Uzès. 

De  toutes  parts  et  sous  toutes  les  formes,  je  le  sais,  les  marques  de 
la  sympathie  publique  ont  afflué  vers  vous. 

En  me  donnant  occasion  d'en  faire  entendre  ici  même  l'expression, 
le  souci  du  gouvernement  a  été  d'honorer  d'une  manière  spéciale 
celui  qui,  rendu  aujourd'hui  à  sa  dernière  demeure,  a  sacrifié  sa  vie 
à  la  noble  aspiration  d'étendre  toujours  plus  loin  les  bornes  de  la 
patrie  française.  Lourde  tâche  que  celle  qu'il  avait  assumée,  mais 
combien  grande  et  généreuse  ! 

11  fallut  au  défunt  une  grande  force  d'âme  pour  renoncer  en  un 
instant  à  la  vie  des  heureux  de  ce  monde  :  jouissance  de  la  fortune, 
éclat  d'un  grand  nom,  joies  de  famille,  cortège  d'amis  nombreux,  tel 
que  le  rêvent  les  ambitieux  de  cette  terre.  Il  trouva  le  rôle  au-dessous 
de  lui-même,  et  il  rêva  d'entreprises  plus  dignes  d'illustrer  son  nom. 

Lorsqu'il  vous  fit  part,  madame,  de  ses  projets,  ses  vues  furent 
accueillies  avec  enthousiasme  par  vous;  ses  aspirations  étaient  si  bien 
celles  de  votre  propre  nature.  Votre  seul  adieu  fut  de  lui  dire  :  «  Va, 
et  reviens  un  homme!  » 

Et  alors  commença  cette  lutte  terrible  où  tout  est  privations.  Pas 
un  instant  il  ne  fut  au-dessous  de  sa  tâche. 

Ce  fut  d'abord  une  route  pénible  le  long  de  l'immense  fleuve  afri- 
cain, le  Congo;  plus  tard,  la  chevauchée  de  guerre  dans  les  halliers 
vierges  qui  avaient  attiré  pour  l'assassiner,  un  des  nôtres,  de  Pomay- 
rac.  La  vengeance  fut  éclatante  et  la  victoire  complète. 

Pendant  ces  cinq  journées  de  combat,  Jacques  d'Uzès  a  accompli 
ses  devoirs  de  soldat  valeureux. 

Combien  d'autres,  que  je  connais,  n'eussent  eu  que  le  souci,  après 
plus  d'un  an  d'absence,  de  revenir  au  pays.  Telle  ne  fut  p;is  sa  con- 
duite :  il  resta,  et  cependant  la  maladie  l'avait  déjà  atteint.  Hélas!  il 
ne  lui  fut  point  donné  d'accomplir  jusqu'au  bout  son  noble  devoir,  si 
cher.  La  mort  implacable  le  saisit  au  moment  où  il  allait  mettre  le 
pied  sur  le  navire  qui  devait  le  ramener  dans  sa  patrie. 


42  ANNALES  CATHOLIQUES 

Honneur  à  celui  qui  a  su  donner  sa  vie  à  une  grande  œuvre  ! 

Comme  beaucoup  aujourd'hui,  le  duc  Jacques  d'Uzès  avait  compris 
les  vraies  destinées  de  la  France  contemporaine  :  il  faut  que  la 
France  se  retrempe  dans  ses  entreprises  pour  remplir  le  champ  de 
son  action  civilisatrice.  A  la  tâche  il  a  succombé,  ayant  jusqu'au  bout 
accompli  son  devoir. 

Paix  à  ses  cendres  qui  vont  entrer  dans  leur  demeure  dernière  : 
Jacques  d'Uzès  est  mort  au  champ  d'honneur! 

M.  Deloncle,  député,  a  prononcé  quelques  paroles  au  nom  du 
groupe  colonial  de  la  France.  Il  a  dit  : 

L'héroïsme  du  jeune  duc  d'Uzès  se  dévouant  à  la  glorieuse  tâche 
d'aller  planter  le  drapesu  français  sur  le  Haut-Nil  a  justifié  la  con- 
fiance de  tous  les  amis  de  l'expansion  coloniale.  Il  est  tombé,  mais 
son  œuvre  vivra. 

Cette  noble  jeunesse  de  France  aura  à  cœur  d'aller  lâ-bas,  comme 
au  temps  de  saint  Louis  et  de  Louis  XIV,  consacrer  son  ardeur  et  sa 
foi  à  de  nouveaux  exploits  qui  réveilleront  les  antiques  gloires  des 
Gesta  Dei  per  Francos.  Et  la  France,  qui  n'oublie  jamais,  rendra  impé- 
rissable le  fier  nom  des  d'Uzès  ! 


CHRONIQUE   DE    LA   SEMAINE 

Les  grèves  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais.  —  Les  «  Sans   patrie  ». 
Traité   franco-siamois.  —  Etranger. 

5  octobre  1893. 
Les  commis-vo^'ageurs  en  grèves  n'ont  qu'à  se  bien  tenir, 
M.  Dupuy,  président  du  Conseil  est,  paraît-il,  décidé  à  agir 
vigoureusement  pour  arrêter  leur  propagande  d'excitation. 
C'est,  du  moins,  ce  qu'il  fait  annoncer  par  les  journaux  à  sa 
dévotion,  mais  on  sait  que  le  langage  d'un  premier  ministre  ne 
constitue  pas  un  article  de  foi,  et  qu'il  y  a  souvent  loin  des 
paroles  aux  actes.  Si  nous  en  croyons  donc  une  information 
officieuse,  M.  le  président  du  Conseil  aurait  eu  dimanche  une 
conférence  avec  le  directeur  de  la  Sûreté  générale,  au  sujet  des 
grèves  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais,  et  des  résolutions  auraient 
été  prises  pour  empêcher  le  retour  des  promenades  deCarmaux. 
La  raison  de  cette  décision  tardive  serait  l'arrivée  annoncée 
d'un  certain  nombre  de  députés  socialistes  dans  les  bassins 
houillers,  en  vue  de  seconder  l'action  des  Basly,  Laraendin  et  G". 
Voici  comment  serait  exercée  la  répression  gouvernementale  : 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE  43 

ne  pouvant  interdire  aux  députés  de  tenir  des  réunions  publi- 
ques et  d'y  prendre  la  parole,  on  se  bornerait  à  défendre  toute 
manifestation  extérieure  et  à  exercer  une  surveillance  de  tous 
les  instants  autour  des  meneurs,  afin  de  réduire  leur  propagande 
à  l'impuissance.  On  irait  même,  si  ces  moyens  ne  réussissaient 
pas,  jusqu'à  menacer  messieurs  les  excitateurs  de  mesures  plus 
sévères.  Eu  un  mot,  il  serait  procédé  comme  on  procéda,  au 
mois  d'avril  dernier,  pour  les  grèves  d'Amiens.  A  cette  époque, 
on  s'en  souvient,  M.  Lafargue  reçut  officieusement  l'avis  qu'il 
pourrait  lui  en  cuire  s'il  continuait  son  rôle  de  perturbateur; 
aussi  s'empressa-t-il  de  partir  un  beau  soir,  sans  tambour  ni 
trompette,  se  sachant  tellement  filé  qu'il  n'avait  plus  aucune 
liberté  d'action.  M.  Dupuy  espère  que  la  même  façon  d'agir 
dans  le  Nord  et  le  Pas-de-Calais  amènera  des  résultats  sem- 
blables. Certes,  le  plan  conçu  peut  être  très  habile  et  très  bien 
combiné  théoriquement;  mais  c'est  l'exécution  qui  laisse  trop 
à  désirer,  ou  plutôt  qui  se  fait  trop  longtemps  attendre.  Si,  au 
début,  M.  le  président  du  Conseil  avait  pris  une  résolution  au 
lieu  de  laisser  les  choses  suivre  leur  cours  et  les  meneurs  se 
livrer  en  toute  liberté  à  leur  propagande  d'excitation,  non  seu- 
lement la  grève  n'aurait  pas  pris  d'extension,  mais  aurait  été 
étouflee.  La  France  ne  se  fournirait  pas  de  charbon  à  l'étranger, 
et  les  mineurs  ne  seraient  pas  réduits  à  un  chômage  ruineux 
pour  eux  et  leur  famille. 


Il  est  iscontestable,  d'ailleurs,  que  la  reprise  du  travail  dans 
les  mines  du  Pas-de-Calais  et  du  Nord  serait  déjà  un  fait  accompli, 
si  la  «  discipline  »  imposée  par  les  meneurs  ne  faisait  un  devoir 
à  un  certain  nombre  de  grévistes  de  s'y  opposer,  même  par  la 
violence.  C'est  ce  que  démontrent,  du  reste,  les  conflits  qui, 
depuis  deux  ou  trois  jours,  éclatent  en  divers  endroits  à  la  fois. 
Jusqu'ici  lu  bagarre  la  plus  grave  a  été  celle  qui  s'est  produite 
avant-hier  à  Drocourt.  Le  sang  a  coulé  entre  quelques  patrouilles 
des  mineurs  et  la  troupe.  Les  dépêches  nous  annoncent  qu'à  la 
nouvelle  de  cette  sanglante  échauffourée,  MM.  Basly  etLamen- 
din  sont  aussitôt  partis  pour  Drocourt,  afin  de  procéder  à  une 
enquête  et  de  visiter  les  blessés  assez  nombreux,  paraît-il.  On 
se  demandera  en  vertu  de  quelle  loi  ces  deux  chefs  improvisés 
de  la  grève,  qui  sont  à  la  fois  députés,  organisateurs  do.  grèves, 
enquêteurs,  etc.j  etc.,  ont  puisé  cette  extraordinaire  dictature 


44  ANNALES    CATHOLIQUES 

qui  leur  permet,  dit  la  France,  «  de  diriger  une  campagne  à 
main  armée  non-seulement  contre  les  patrons,  mais  contre  les 
gendarmes,  contre  l'armée  et  aussi  contre  le  suffrage  universel 
dont  tout  conflit  violent  est  la  négation  même.  » 

Il  y  a  lieu  aussi  de  constater  que  la  grève  actuelle  profite  sur- 
tout aux  Belges  et  aux  Allemands.  Cette  vérité  est  confirmée 
même  au-delà  de  toutes  prévisions.  Une  dépêche  de  Lille  nous 
annonce,  en  effet,  «  qu'il  entre  chaque  jour  en  France,  rien  que 
])ar  Erquelines,  1,200  wagons  de  charbons  belges  provenant  du 
bassin  de  Charleroi.  Dans  la  seule  gare  de  Tourcoing,  les  arri- 
vages quotidiens  sont  d'environ  150  wagons  de  houille  belge  *. 
D'Allemagne,  on  signale  également  de  nombreuses  expéditions. 
Du  reste,  la  Cote  libre,  un  important  journal  financier  de  Bel- 
gique, déclare  avec  une  grande  satisfaction,  qu'un  grand  mou- 
vement de  hausse  s'est  produit  sur  les  valeurs  minières  de  ce 
pays.  «  La  grève  française,  dit-il,  fait  affluer  les  commandes  à 
nos  charbonnages.  On  a  remarqué  hier,  à  la  Bourse  de  Charleroi, 
beaucoup  d'acheteurs  français.  Nous  savons,  d'autre  part,  que 
les  expéditions  ont  pris  une  activité  extrême  ;  l'on  craint  même 
i|ue  le  matériel  des  chemins  de  fer  ne  fasse  défaut.  »  Voilà  donc 
une  des  principales  conséquences  de  cette  grève  inepte  qui  a 
éclaté  sans  motif  et  qui  continue  sans  raison,  pour  le  profit 
exclusif  de  quelques  exploiteurs  de  la  crédulité  ouvrière. 


En  réponse  à  la  Petite  Republique,  dont  un  rédacteur  avait 
l)roduit  des  chiffres  fantastiques  ifur  l'énorme  taux  d'intérêt 
que,  selon  lui,  leur  argent  rapportait  aux  actionnaires  des 
mines,  voici  que  dit  le  Nouvelliste  du  Nord  et  du  Pas-de- 
Calais  : 

Ka  1880,  M.  Vuillemin,  que  le  rédacteur  de  la  Petite  Répu- 
blique considère  comme  la  loi  et  les  prophètes,  disait  que,  dans  les 
mines  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais,  le  chiffre  des  capitaux  engagés 
jiar  34  sociétéf»,  dont  30  fonctionnaient  encore  à  cette  époque,  s'éle- 
vait à  346,268,296  fr. 

Ajoutez-y  environ  200  millions  pour  les  sociétés  de  recherches  et 
autres  qui,  depuis  près  de  cent  ans,  ont  été  fondées  et  sont  mortes 
sans  donner  de  résultats  financiers,  et  vous  obtenez  un  chiffre  de 
550  millions. 

Depuis  douze  ans,  un  certain  nombre  de  millions  ont  été  ajoutés  à 
cet  énorme  capital,  de  telle  sorte  que,  autant  qu'on  peut  déterminer 


CHRONIQUK  DE  LA  SEMAINE  45 

semblable  chose,  le  chiffre  des  sommes  consacrées  à  l'iadustrie  mi- 
nière approche  de  600  milHoos. 
Voici  maintenant  les  revenus  distribués  l'année  dernière  : 

Aniche 2.334.000 

Anzin 6.912.000 

Bruay 2.025.000 

Bully-Grenay 2.300.000 

•      Carvin 236.700 

Courrières 3 .  970 .  000 

Douchy 728.800 

Bourges 585 .  000 

Drocourt 262 .  500 

L'EscarpelIft 173.190 

Ferfay 122.500 

Lens 3.300.000 

Liévin 1.166.400 

Maries 1,927.040 

Meurchin 1 .  000 .  000 

Vicoigne  et  Nœud 1.930.000 

Total  :  29.243.130 
Comme  on  le  voit,  c'est  un  revenu  d'environ  5  0/0  en  moyenne. 
Et  il  importe  de  constater  que  l'année  prise  comme  base  est  une 
année  exceptionnelle  et  que,  dès  maintenant,  plusieurs  sociétés,  et 
non  des  moindres,  telles  que  Lens  ont  annoncé  pour  cette  année 
des  dividendes  moindres. 

Le  principe  que  nous  émettions,  à  savoij  que,  dans  les  meilleures 
conditions,  le  capital  confié  aux  mines  n'obtenait  qu'un  revenu  de 
5  0/0,  est  donc  démontré.  S'il  n'y  avait  pas  dans  ces  entreprises  une 
sorte  de  loterie  promettant  parfois  des  chances  exceptionnelles, 
jamais  une  seule  société  n'aurait  pu  se  constituer,  et  une  source 
importante  de  la  richesse  publique  n'aurait  pas  été  créée.  Compren- 
dra-t-on  maintenant  à  la  Petite  République? 

Non,  l'on  ne  comprendra  pas,  parce  que  l'on  ne  veut  pas 
comprendre. 

On  lit  dans  le  Journal  des  Débats  : 

Il  y  a  quinze  jours  que  la  grève  a  commencé  dans  le  bassin  houil- 
1er  du  Pas-de-Calais  et  dans  une  partie  du  Nord.  Il  nous  a  paru  inté- 
ressant de  savoir  dans  quelles  proportions  l'importation  des  charbons 
belges  avait  augmenté,  durant  ces  quinze  jours,  par  rapport  à  la 
période  correspondante  de  l'an  dernier. 

Voici  les  chiffres  approximatifs  que  nous  avons  recueillis  : 


45  .    A31MAUXS    CATHOLIQUES  .  > 

En  1892,  du  15  septembre  au  l"*  octobre,  il  est  eatré  en  France 
environ  125,000  tonnes  de  charbons  belges. 

En  1893,  pendant  la  même  période,  il  a  été  expédié  en  France  en- 
viron 230,000  tonnes. 

L'augmentation  de  l'importation  des  charbons  belges,  depuis  le 
commencement  de  la  grève,  a  donc  été  de  100,000  tonnes  en  chiffres 
ronds. 

Les  grévistes  font  donc  surtout  les  affaires  de  l'étranger. 


Les  porte-drapeau  du  socialisme  ne  s'entendent  guère  entre 
eux,  la  division  n'est  pas  moins  grande  parmi  les  troupes.  C'est 
surtout  la  question  de  patrie  qui  les  met  en  désaccord.  Tandis 
que  les  uns  conservent  encore  un  restant  de  pudeur  patriotique, 
les  autres  se  montrent  les  ennemis  acharnés  des  frontières. 
Pour  ces  derniers,  tous  les  peuples  sont  frères,  quelle  que  soit 
leur  langue,  quels  que  soient  leurs  mœurs  et  leur  esprit  de 
nationalité.  Les  premiers  prennent,  sans  enthousiasme,  il  est 
vrai,  le  nom  de  «  patriotes  »,  et  les  seconds  celui  de  c  sans- 
patrie  ». 

M.  Millerand  qui  s'est  arrogé,  avec  M?  Gôblet^  le  droit  de 
moraliser  et  de  discipliner  les  socialistes  de  toutes  les  écoles,  a 
pri.«  la  parole,  dimanche  soir,  aux  Grandes-Carrières,  à  l'issue 
d'un  banquet  organisé  par  la  fine  fleur  socialiste  pour  fêter 
l'élection  d'un  des  leurs. 

M.  Millerand,  dont  on  ne  saurait  contester  le  talent  oratoire, 
avait  assumé  la  tâche  difficile  de  réconcilier  les  «  sans-patrie» 
avec  les  socialistes  qui  reconnaissent  que  le  patriotisme  a  du 
bon.  Il  paraît  même  qu'il  y  a  réussi,  auprès  de  ceux  qui  l'écoa" 
talent,  s'entend.  M.  Millerand  s'est  fait  applaudir  à  la  fois,  et 
par  ses  amis  et  par  ses  adversaires. 

Son  discours,  comme  on  pense  bien,  était  consacré  à  la  ligne 
politique  que  le  parti  socialiste  doit  suivre  vis-à-vis  de  l'étran- 
ger. Il  a  d'abord  démontré,  à  sa  manière,  que  la  théorie  des 
€  sans-patrie  »  était  une  absurdité  et  voici  pourquoi  :  c  L'exis- 
tence de  la  France  en  tant  que  nation  est  un  facteur  indispen- 
sable du  développement  et  du  triomphé  des  idées  socialistes.  » 

L'orateur,  on  le  voit,  ne  s'est  pas  trop  engagé  ni  trop  com- 
promis dans  sa  démonstration. 

Quant  au  maintien  de  l'armée  et  l'obligation  du  service  mili- 
taire qui  rencontrent  également  de  nçmbreux  adversaires  dans 


CHRONIQUE  DK  LA.  SEMAINE  47 

les  rangs  socialistes,  M.  Millerand  a  été  un  peu  plus  explicite. 

Les  socialistes  doivent  Toter,  a-t-il  dit,  le  budget  de  la 
guerre  et  accepter  l'obligation  du  service  militaire. 

C'est  à  tort,  selon  lui,  qu'on  propose  aux  socialistes  français 
l'exemple  de  «  cette  admirable  démocratie  socialiste  alle- 
mande »  qui  pendant  la  guerre  de  1870,  réclamait  qu'on  fît  la 
paix  avec  la  France.  Les  vaincus  ne  peuvent  avoir  la  même 
attitude  que  les  vainqueurs  et  le  détachement  ni  le  désinté- 
ressement ne  sont  de  mise  quand  l'intégrité  elle-même  du  ter- 
ritoire est  en  jeu. 

Au  sujet  de  l'alliance  franco-russe,  M.  Millerand,  après  une 
série  de  précautions  oratoires,  s'est  expliqué  devant  son  audi- 
toire sans  trop  soulever  de  tumulte.  Il  a  engagé  les  socialistes 
à  faire  taire  leurs  sympathies  personnelles  devant  les  intérêts 
supérieurs  du  pays.  «  La  communauté  des  institutions  n'est 
pas  une  raison  suffisante  pour  une  action  internationale  com- 
mune. »  D'oii  le  devoir  pour  tout  bon  socialiste  d'accepter  l'al- 
liance franco-russe. 

Mais,  comme  si  l'orateur  avait  craint  de  s'être  trop  avancé, 
il  a  bien  vite  fait  remarquer  que  les  Russes  avaient,  à  cette  en- 
tente, autant  d'intérêt  que  les  Français. 

Le  mobile  auquel  a  obéi  M.  Millerand,  en  prononçant  son 
discours,  se  devine  aisément.  Les  paroles  imprudentes  de  quel- 
ques-uns de  ses  coreligionnaires  ayant  soulevé,  dans  le  pays, 
une  réprobation  générale,  l'orateur  socialiste  a  voulu  dégager 
sa  responsabilité  personnelle  et  celle  de  son  parti,  en  protestant 
contre  les  déclamations  des  sans-patrie.  Mais  cette  protestation 
ne  saurait  être  qu'un  document  de  plus  à  ajouter  à  tous  ceux 
dont  les  socialistes  inondent  le  pays. 


Le  ministre  des  affaires  étrangères  a  reçu  un  télégramme  par 
lequel  M.  Le  Myre  de  Vilers  ,  notre  envoyé  extraordinaire, 
annonce  l'heureuse  issue  des  négociations  qu'il  poursuivait  avec 
le  gouvernement  du  Siam. 

Le  1"  octobre  ont  été  signés  à  Bangkok,  par  les  plénipoten- 
tiaires français  et  siamois,  un  traité  et  une  convention  sanction- 
nant les  clauses  de  Vultimatum  et  les  garanties  complémentaires 
telles  que  le  Siam  les  avait  déjà  acceptées  et  en  réglant  l'exé- 
cution. 

Les  parties  contractantes  y  prévoient  l'établissement  prochain 


48  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'un  régime  douanier  plus  favorable  aux  relations  commerciales 
entre  nos  possessions  et  les  territoires  limitrophes. 

Le  gouvernement  siamois  s'engage  à  assurer  toutes  les  faci- 
lités nécessaires  aux  travaux  que  la  navigation  du  Mékong  ren- 
drait nécessaires  sur  la  rive  droite  du  fleuve. 

La  France  continuera  à  occuper  Chantaboun  jusqu'à  la  com- 
plète exécution  des  stipulations  et,  notamment,  jusqu'à  l'éva- 
cuation pacifique  de  la  rive  gauche  du  Mékong  par  les  Siamois. 

Les  avantages  résultant  de  ce  traité  donnent  complète  satis- 
faction aux  réclamations  qu'avait  formulées  le  gouvernement 
français. 

Voici,  d'ailleurs,  le  texte  intégral  de  ce  traité  et  de  la  con- 
vention qui  y  fait  suite  : 

Traité. 

Art.  l""".  —  Le  gouvernement  siamois  renonce  à  toute  prétention 
sur  l'ensemble  des  territoires  de  la  rive  gaucho  du  Mékong  et  sur  les 
îles  du  fleuve. 

Art.  2.  —  Le  gouvernement  siamois  s'interdit  d'entretenir  ou  de 
faire  circuler  des  embarcations  ou  bâtiments  armés  sur  les  eaux  du 
Grand-Lac,  du  Mékong  et  de  leurs  affluents  situés  dans  les  territoires 
visés  à  l'article  suivant. 

Art.  3.  —  Le  gouvernement  siamois  no  construira  aucun  poste 
fortifié  on  établissement  militaire  dans  les  provinces  de  Battambang 
et  de  Sien-Reap  et  dans  un  rayon  de  vingt-cinq  kilomètres  sur  la  rive 
droite  du  Mékong. 

Art.  4.  —  Dans  les  zones  visées  par  l'articlo  3,  la  police  sera  exercée, 
selon  l'usage,  par  les  autorités  locales  avec  les  contingents  stricte- 
ment nécessaires.  Il  n'y  sera  entretenu  aucune  force  armée  régulière 
ou  irrégulière. 

Art.  5.  —  Le  gouvernement  siamois  s'engage  à  ouvrir  dans  le  délai 
de  six  mois  des  négociations  avec  le  gouvernement  français  en  vue  du 
règlement  du  régime  douanier  et  commercial  des  territoires  visés  à 
l'article  3  et  de  la  revision  du  traité  de  1856.  Jusqu'à  la  conclusion 
de  cet  accord  il  ne  sera  pas  établi  de  droits  do  douane  dans  la  zone 
visée  à  l'article  3.  La  réciprocité  continuera  à  être  accordée  par  le 
gouvernement  français  aux  produits  de  ladite  zone. 

Art.  G.  —  Le  déveloi)pement  do  la  navigation  du  Mékong  pouvant 
rendre  nécessaires  sur  la  rive  droite  certains  travaux  ou  l'établisse- 
ment de  relais  de  batellerie  et  do  dépôts  de  bois  et  de  charbon,  le 
gouvernement  siamois  s'engage  à  donner,  sur  la  demande  du  gouver- 
nement français,  toutes  les  facilités  nécessaires  à  cet  effet. 

Art.  7.  —  Los  citoyens,  sujets  ou  ressortissants  français  pourront 
librement  circuler,  commercer  dans  les  territoires  visés  à  l'article  3, 


CHRONIQUE  DS  LA  SEMAINE  49 

munis  d'une  passe  délivrée  par  les  autorités  françaises.  La  réciprocité 
sera  accordée  aux  habitants  desdites  zones. 

Art.  8.  —  Le  gouvernement  français  se  réserve  d'établir  des  consu- 
lats où  il  le  jugera  convenable,  dans  l'intérêt  de  ses  citoyens,  sujets 
ou  ressortissants,  et  notamment  à  Korat  et  à  Muang-Nam.  Le  gouver- 
nement siamois  concédera  les  terrains  nécessaires  pour  l'installation 
desdits  consulats. 

Art.  9.  —  En  cas  de  difficultés,  le  texte  français  fera  seul  foi. 
Art.  10.  —  Le  présent  traité  devra  être   ratifié  dans   un   délai   de 
quatre  mois  à  partir  du  jour  de  la  signature. 

Convention. 

Les  postes  militaires  siamois  établis  sur  la  rive  gauche  du  Mékong 
et  dans  les  îles  du  fleuve  devront  être  évacués  dans  le  délai  d'un  mois 
à  dater  de  la  signature  de  la  présente  convention.  Ceux  situés  dans 
les  provinces  d'Angkor  et  de  Battambang  et  sur  la  rive  droite  du  fleuve 
dans  un  rayon  de  vingt-cinq  kilomètres  devront  être  évacués  à  la 
même  époque  et  les  fortifications  rasées. 

Les  auteurs  des  attentats  de  Tong-Xieng-Khan  et  de  Kammmon 
seront  jugés  par  les  autorités  siamoises.  ITn  représentant  de  la  France 
assistera  au  jugement  et  veillera  â  l'exécution  des  peines  prononcées. 
Le  gouvernement  français  se  réserve  le  droit  d'apprécier  si  les  con- 
damnations sont  suffisantes,  et,  le  cas  échéant,  de  réclamer  un  juge- 
ment devant  un  tribunal  mixte  dont  il  fixera  la  composition. 

Le  gouvernement  siamois  devra  remettre  à  la  disposition  du  ministre 
de  France  à  Bangkok  ou  des  autorités  françaises  de  la  frontière  tous 
les  sujets  français,  annamites,  cambodgiens,  laotiens  de  la  rive  gauche 
détenus  â  titre  quelconque;  il  ne  mettra  aucun  obstacle  au  retour  sur 
la  rive  gauche  des  anciens  habitants  de  cette  région. 

Le  bang-bien  de  Tong-Xieng-Khan  et  sa  suite  seront  amenés  par 
un  délégué  du  ministre  des  afi'aires  étrangères  à  la  légation  de  France, 
ainsi  que  les  armes  et  le  pavillon  français  saisis  par  les  autorités 
siamoises. 

Le  gouvernement  français  continuera  à  occuper  Chantaboun  jusqu'à 
l'exécution  des  stipulations  de  la  présente  convention  et  notamment 
jusqu'à  la  complète  et  pacifique  évacuation  des  postes  siamois  établis 
tant  sur  la  rive  gauche  du  Mékong  et  dans  les  îles  du  fleuve  que  dans 
les  provinces  de  Battambang  et  de  Sien-Reap  et  dans  un  rayon  de 
vingt-cinq  kilomètres  sur  la  rive  droite  du  Mékong. 


A  l'occasion  des  fêtes  franco-russes,  les  anarchistes  vont, 
dit-on,  rentrer  en  scène  et  faire  de  nouveau  parler  la  dynamite. 
C'est  à  Londres  que  se  préparerait  le  complot.  La  police  fran- 

4 


50  ANNALES    CATHOLIQUES 

çaise  a  saisi  déjà  des  correspondances  échangées  entre  Paris  et 
Londres.  Le  gouvernement  songerait  à  prendre,  en  attendant, 
des  mesures  énergiques  à  l'égard  des  anarchistes  les  plus  mili- 
tants. On  remarquera  que  c'est  toujours  en  Angleterre  que 
s'organisent  les  complots  contre  l'alliance  franco-russe,  et  que 
c'est  là  toujours  que  les  anarchistes  ou  les  nihilistes  trouvent 
l'argent  dont  ils  ont  besoin  pour  les  mauvais  coups,  quand  ce 
ne  sont  pas  des  agents  anglais  qui,  à  Paris,  organisent  le 
désordre.  Nos  bons  amis  les  Ajiglais  s'occupent  décidément 
beaucoup  trop  de  nous. 

Un  grave  conflit  vient  d'éclater  entre  l'Espagne  et  le  Maroc. 
La  garnison  espagnole  du  fort  de  Melilla  a  été  attaquée  par  les 
Marocains  :  un  peloton  de  cavalerie,  envoyé  contre  eux,  a  dû 
battre  en  retz'aite  devant  leur  feu  nourri,  et  une  sortie  de  tous 
les  hommes  disponibles,  au  nombre  d'environ  700,  n'a  pas  été 
plus  heureuse,  malgré  les  efforts  de  l'artillerie  qui  la  soutenait. 
Quelque  graves  que  puissent,  au  premier  abord,  paraître  ces 
nouvelles,  il  ne  faut  pas,  sans  doute,  les  prendre  au  tragique. 
En  faisant  la  part  de  l'exagération  habituelle  des  renseigne- 
ments qui  parviennent  télégraphiquement  de  ces  régions  à  la 
presse,  quand  il  s'agit  d'événements  de  «  guerre  »,  on  réduira 
vraisemblablement  l'engagement  dont  il  s'agit  à  une  sortie  plus 
ou  moins  heureuse  contre  des  pillards. 


A  l'occasion  et  à  l'approche  des  élections  au  Landtag  de 
Prusse,  la  «  fraction  du  Centre  »,  présidée  par  M.  le  baron  de 
Heereman,  publie  un  manifeste  dont  voici  la  substance. 

Après  un  souvenir  ému  donné  aux  Windthorst,  aux  Pierre 
Reichensperger  et  aux  autres  membres  du  groupe  que  la  mort 
a  frappés  au  cours  de  la  dix-septième  législature,  les  auteurs  du 
manifeste  prennent  l'engagement  de  rester  fidèles  aux  principes 
et  aux  exemples  des  chefs  qui  ne  sont  plus. 

Les  catholiques  ont  encore  beaucoup  à  reconquérir. 

La  question  des  écoles  confessionnelles  attend  toujours  sa 
solution  définitive;  elle  est  livrée  à  l'arbitraire  gouvernemental. 
Or,  seul  un  peuple  élevé  chrétiennement,  craignant  Dieu,  est 
une  solide  garantie  pour  le  trône  et  pour  l'autel,  pour  l'Etat  et 
pour  l'Eglise. 


CHRONIQUE    VK    LA   SKMAIMB  -gl 

Le  Centre  ne  cessera  de  revendiquer  le  rétablissement  de 
l'école  confessionnelle  et  le  respect  dû  au  droit  naturel  des 
parents,  d'autant  plus  que  la  paix  religieuse  dépend  de  cette 
satisfaction  donnée  aux  catholi(|ue.s. 

Sui-  le  domaine  ecclésiastique  il  y  a  eu  du  mieux,  oà  et  là  une 
détente.  Mais  l'Eglise  a  besoin  d'une  liberté  complète,  d'une 
indépendance  telle  qu'autrefois  la  Constitution  l'avait  donnée. 
Les  catholiques  réclameront  donc  l'abrogation  des  lois  restric- 
tives de  celte  liberté,  notamment  en  ce  qui  concerne  les  ordres 
religieux. 

La  parité  légale  est  pour  les  catholiques  un  leurre;  ils  pas- 
sent trop  souvent  encore  pour  des  citoyens  de  second  ordre.  Le 
Centre  persistera  à  demander  pour  eux  un  traitement  équitable. 
•  L'œuvre  capitale  de  la  précédente  législature  a  été  la  réforme 
des  impôts.  Le  Centre  a  fait  tous  ses  efforts  pour  atténuer  les 
charges  des  classes  inférieure  et  moyenne,  bien  que  la  consé- 
quence en  fût  une  aggravation  sensible  pour  la  classe  riche. 

Quant  à  la  loi  électorale,  le  Centre  s'est  opposé  vigoureuse- 
ment, mais  inutilement,  à  ce  qu'elle  prît  un  caractère  trop  favo- 
rable aux  classes  aisées.  Il  est  décidé  à  en  combattre  les  mauvais 
effets  et  à  en  poursuivre  l'abrogation. 

Le  Centre  a  soutenu  toutes  les  motions  en  faveur  de  la  situa- 
tion matérielle  des  instituteurs  et  de  leurs  familles.  Il  le  fera 
encore  à  l'avenir,  dans  la  mesure  où  les  finances  du  pays  le  per- 
mettront. '  .;-.  ^-. i     i..   :  -. 

Il  en  est  de  même  en  ce  qui  concerne  les  artisans,  ouvriers, 
paysans.  Sans  doute  l'Etat  ne  doit  pas  intervenir  partout  et  tou- 
jours ;  mais  le  pays  ne  peut  que  gagner  à  ce  que  l'on  abandonne 
enfin  les  voies  d'un  faux  libéralisme. 

Plus  le  Centre  est  fort,  plusles  espérances  d'atteindre  son  l)ut 
seront  fondées.  Donc,  que  chaque  électeur  catholique  fasse  son 
devoir,  tout  son  devoir  !  Le  succès  est  entre  les  mains  de  Dieu  ; 
il  est  assuré  à  ceux  qui  remplissent  consciencieusement  leur 
devoir. 

Ce  document  est  daté  du  4  juillet,  mais  n'est  publié  que  d'au- 
jourd'hui. Il  porte  la  signature  du  baron  de  Heereman. 

D'après  les  derniers  renseignements  parvenus  du  Brésil,  le 
bombardement  de  Rio-de-Janeiro  est  tellement  sérieux  que  les 
afluires  sont  cprapiètement  suspendues,  les  banques  fermées.  La 


52  ANNALES    CATHOLIQUES 

situation  financière  de  ce  pays  se  trouve  en  un  si  lamentalDle 
état,  après  trois  ans  du  régime  républicain,  que  le  devoir  im- 
périeux, urgent  du  gouvernement  qui  sortira  de  cette  guerre 
civile,  sera  de  restaurer  les  finances  de  l'Etat  laissées  si  pros- 
pères et  si  brillantes  par  le  gouvernement  impérial. 

Dans  la  République  argentine,  la  guerre  civile  achève  éga- 
lement de  ruiner  ses  malheureuses  populations. 

La  République,  suivant  le  mot  historique,  comme  Saturne, 
dévore  ses  propres  enfants  ! 

Et  cela  est  tellement  vrai  que,  dans  la  nôtre,  pas  un  de  ceux 
qui  y  ont  joué  quelque  grand  rôle  n'est  mort  ou  n'a  pu  conser- 
ver pour  mourir  avec,  toute  l'intégrité  de  son  influence,  de  sa 
popularité  ni  même  de  son  honneur. 

Tous  ont  disparu  ou  disparaîtront,  accablés  de  quelque  ter- 
rible, et  plus  d'une  fois,  honteuse  déchéance. 

Est-ce  la  faute  du  régime  ?  Peut-être  ;  mais  c'est  le  plus  sou- 
vent la  suite  même  de  l'indignité,  de  l'infirmité  morale  des  indi- 
vidus qui  s'y  élèvent,  parce  que  la  vertu,  principe  fondamental 
des  républiques,  selon  Montesquieu,  est  précisément  ce  qui  leur 
manque  le  plus. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 


Ii4»me  et.  l*lt.t*lle. 


Le  jour  de  la  fête  de  saint  Michel-Archange,  protecteur  spé- 
cial de  la  Cité  Léonine  et  du  Vatican,  le  Souverain  Pontife  a 
admis  un  bon  nombre  d'étrangers  de  divers  pays  à  assister  à  la 
messe  qu'il  a  célébrée  dans  sa  chapelle  privée  et  à  recevoir  de 
sa  main  la  sainte  communion. 

Voici  un  détail  qui  prouve  l'excellente  santé  et  l'admirable 
mémoire  du  Saint-Père:  au  retour  de  sa  promenade  dans  les 
jardins  du  Vatican  et  après  qu'il  y  avait  reçu  plusieurs  person- 
nages, notamment  l'Eme  cardinal  RampoUa,  dans  la  nouvelle 
palazzina  de  Paul  IV,  où  il  passe  une  grande  partie  delà  journée, 
Léon  XIII,  pendant  qu'il  rentrait  dans  ses  appartements,  a  reçu 
un  ecclésiastique  presque  aussi  âgé  que  lui  et  originaire  du  dio- 
cèse de  Cologne.  Sa  Sainteté  s'est   plu  à  lui  rappeler  qu'Elle 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  53 

avait  eu  l'occasion  de  visiter  Cologne  et  qu'Elle  se  souvenait 
parfaitement  que  ce  même  prêtre,  en  ce  moment  en  sa  présence, 
lui  avait  servi  de  cicérone,  bien  mieux,  qu'Elle  se  souvenait 
aussi  de  toutes  les  belles  choses  qu'Elle  avait  pu  voira  Cologne, 
grâce  à  son  aimable  guide.  Celui-ci  s'est  trouvé  tout  pénétré 
d'admiration  à  ce  trait  de  mémoire  de  Léon  Xlll,  car  ces  souve- 
nirs datent  d'environ  un  demi-siècle  et  se  rapportent  tout  juste 
à  quarante-cinq  ans  en  arrière. 

C'est  ainsi  qu'il  plaît  à  Dieu  de  soutenir  son  Vicaire  jusque 
dans  l'extrême  vieillesse  et  pendant  que  le  poids  des  ans  et  des 
épreuves  semblerait  devoir  l'accabler. 

Celles-ci,  en  effet,  deviennent  chaque  jour  plus  pénibles,  car 
l'audacieuse  installation  de  la  Franc-Maçonnerie  dans  les  appar- 
tements de  Paul  V,  au  palais  Borghèse,  présage  un  nouveau 
déchaînement  de  la  haine  sectaire  contre  le  Saint-Siège  et  les 
catholiques  d'Italie.  En  vain  l'ex-ministre  de  la  justice  et  des 
cultes,  M.  Santamaria-Nicolini,  a-t-il  essayé,  pendant  les  deux 
mois  seulement  qu'a  pu  durer  son  administration,  de  faire 
preuve  d'une  certaine  équité  vis-à-vis  du  clergé,  au  moins  dans 
les  questions  administratives.  Sa  bonne  volonté  s'est  heurtée 
aux  tristes    desseins  des  sectes,  il  a  dû  abandonner  son  poste. 

Ainsi  dans  la  question  de  Vexequatur,  il  n'a  pu  aboutira  faire 
reconnaître  le  nouveau  patriarche  de  Venise  préconisé  par 
Léon  XIIl  dans  la  personne  de  l'Eme  cardinal  Sarto  qui,  pour- 
tant, avait  été  déjà  reçu  par  le  gouvernement  comme  ancien 
évêque  de  Mantoue. 

Et,  comme  le  gouvernement  s'arroge  la  prétention  d'attribuer 
à  la  Couronne  le  droit  de  nomination  directe  au  siège  de  Venise, 
en  se  réclamant  de  concordats  qui  ne  sauraient  avoir  aucune 
valeur  pour  le  roi  d'Italie,  il  s'ensuit  que  le  conflit  tourne  à  l'état 
aigu  et  s'étend  à  plus  de  quarante  autres  sièges  épiscopaux 
dont  les  titulaires  en  sont  encore  réduits  à  attendre  Ve.vequatu7'. 


France 

Nevers.  —  Le  chapitre  général  de  la  congrégation  de  l'Ora- 
toire s'est  tenu,  du  l"  au  5  août  dernier,  dans  le  petit  séminaire 
de  Pjgnelin,  près  Nevers.  Après  cette  solennelle  réunion,  Mon- 
seigneur Perraud  a  adressé  au  Souverain  Pontife  la  lettre  sui- 
vante : 


54  ANNALES   CATHOLIQUES 

ÀutuQ,  le  9  août  1893. 
Très  Saint  Père, 

Le  chapitre  général  de  la  Congrégation  de  l'OratoirG  de  Jésus- 
Christ  Notre-Seigneur  vient  de  se  terminer.  J'y  ai  rempli  le  devoir 
de  promulguer  solennellement  les  Constitutions  récemment  approuvées 
par  le  Saint-Siège. 

Avant  de  se  disperser  pour  aller  remplir  dans  les  diverses  maisons 
de  la  Congrégation  les  emplois  qui  leur  sont  confiés  par  les  évoques, 
les  membres  de  l'Oratoire,  députés  à  ce  chapitre,  m'ont  donné  l'ho- 
norable mandat  d'exprimer  à  Votre  Sainteté,  de  la  part  de  toute  la 
Congrégation,  la  reconnaissance  la  plus  vive  avec  les  sentiments  de 
la  plus  respectueuse  et  filiale  obéissance. 

Il  était  impossible  qu'ils  ne  fissent  pas  le  plus  grand  cas  de  l'impor- 
tante et  très  précieuse  faveur  dont  ils  se  proclament  très  volontiers 
redevables  à  Votre  Paternité,  je  veux  dire  l'approbation  de  leurs 
Constitutions  ;  cette  approbation  que  Votre  Sainteté  a  voulu  leur 
accorder,  non  pas  à  titre  provisoire  et  par  manière  d'essai,  mais  im- 
médiatement définitive,  ainsi  qu'il  résulte  du  décret  solennel  rendu 
le  2  juillet  1892. 

Ces  Constitutions,  nous  no  les  avons  pas  empruntées  à  d'autres 
familles  religieuses  ou  tirées  d'un  fonds  étranger.  Après  les  avoir 
reçues  de  ces  prêtres  d'éminente  vertu,  Pierre  de  Bérulle,  Charles  de 
Condren,  François  Bourgoing  et  d'autres  encore  qu'avaient  tenus  en 
si  grande  estime  vos  prédécesseurs  et  particulièrement  Paul  V^,  Ur- 
bain VIII,  Innocent  X,  Alexandre  VII,  nous  les  avons,  avec  une 
humble  confiance,  soumises  à  votre  jugement,  dans  la  mesure  où 
Votre  Sainteté  daignerait  en  faire  revivre  au  moins  l'économie  essen- 
tielle et  les  principales  dispositif  ns,  et  nous  les  restituer  comme  la 
portion  la  plus  précieuse  de  l'héritage  paternel. 

Reconnaissants  d'un  si  grand  bienfait,  nous  n'aurons  rien  tant  à 
cœur  que  de  pratiquer  à  l'égard  du  Souverain  Pontife  non  seulement 
a  l'obéissance  et  le  respect  »,  mais  un  tendre  et  affectueux  dévoue- 
ment. De  plus,  nous  sommes  résolus  à  noua  montrer  des  a  ouvriers 
infatigables  »  de  l'Eglise  du  Christ  dans  toutes  les  oeuvres  et  tous  les 
offices  qui  touchent  à  la  défense  de  la  foi  chrétienne,  aux  meilleurs 
moyens  de  pourvoir  à  l'éducation  religieuse  de  la  jeunesse  et  à  cet 
honneur  de  l'ordre  sacerdotal  que  nous  voudrions  toujours  mettre  en 
une  plus  vive  lumière. 

Pour  moi,  Très  Saint  Père,  non  seulement  comme  interprète  et 
fondé  de  pouvoirs  du  chapitre  général,  mais  encore  au  nom  de  cette 
congrégation  dont  Votre  Sainteté  me  confiait  le  gouvernement  il  y  a 
neuf  ans,  très  humblement  prosterné  à  ses  pieds,  je  la  prie  de  daigner 
accorder  sa  bénédiction  apostolique  à  moi  et  à  tous  les  membres  de 
l'Oratoire. 

•}-  Adolphe-Louis-Albert  Piîrkaud, 
èvêque  d'Autun,  supérieur  général  de  l'Oratoire. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  55 

Voici  la  réponse  du  Souverain  Pontife  : 

A  noire  vénérable  Frère  Adolphe,  évéque  oTAutun,  supe'rieur 
général  de  la  congrégation  de  VOratoire. 

Vénérable  Frère, 

Les  sentiments  de  pieuse  soumission  qui  animent  à  Notre  égard  la 
célèbre  congrégation  dont  vous  êtes  le  supérieur  nous  ont  été  attestés 
d'une  manière  éclatante  par  la  lettre  que  vous  Nous  avez  écrite  au 
nom  de  tous. 

Deux  choses  surtout  Nous  y  plaisent  et  méritent  Nos  éloges:  d'abord, 
l'élan  avec  lequel  les  membres  de  l'Oratoire  se  proposent  d'observer 
dans  une  fidélité  religieuse  les  Constitutions  de  votre  ordre  que  Nous 
avons  naguère  revêtues  de  Notre  approbation;  puis,  le  désir  ardent 
de  venir  en  aide  à  l'Eglise  dans  l'accomplissement  des  diverses  fonc- 
tions qui  sont  propres  à  votre  Institut.  Ces  deux  excellente?  disposi- 
tions sont  bien  dignes  des  hommes  éminents  qui  vous  ont,  pour  ainsi 
dire,  légué  leur  esprit  avec  leur  règle,  et  répondent  exactement  aux 
besoins  de  ce  temps,  lequel,  plus  qu'aucun  autre,  réclame  du  clergé 
une  vertu  .supérieure  dans  l'action. 

Quant  à  Nous,  si^  dans  la  protection  des  intérêts  qui  vous  touchent. 
Nous  entendons  ne  le  céder  en  rien  à  ceux  de  Nos  prédécesseurs  dont 
vous  avez  rappelé  le  souvenir  et  qui  se  sont  montrés  si  enclins  à  favo- 
riser votre  Congrégation,  comme  eux  Nous  attendons  des  fruits  tou- 
jours plus  abondants  de  Notre  sollicitude  et  de  Notre  affection  pour 
vous.  Ainsi,  avec  la  grâce  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  sachez  vous 
garder  intacts  de  toutes  les  mauvaises  influences  du  temps  présent; 
et,  comme  vous  en  avez  pris  l'engagement,  montrez- vous  dans  l'accom- 
plissement de  tous  vos  offices  «  des  ouvriers  infatigables  ».  C'est  à 
quoi  tendent  avec  force  Nos  exhortations  et  Nos  vœux. 

En  ce  qui  vous  touche  personnellement,  Vénérable  Frère,  outre  les 
témoignages  nombreux  de  particulière  bienveillance  que  Nous  vous 
avons  déjà  donnés,  Nous  voulons  que  la  présente  Lettre  vous  porte 
Nos  félicitations  pour  le  zèle  et  l'habileté  déployés  par  vous  au  sein 
du  Ch:ipitpe  de  la  Congrégation  que  vous  venez  de  présider,  vous,  son 
Supérieur  g'néral,  dont  Nous  avons  décrété  de  proroger  les  pouvoirs 
à  perpétuité. 

Nous  en  avons  le  très  ferme  espoir  :  l'éminente  vertu  avec  laquelle, 
depuis  longtemps  déjà,  vous  gouvernez  et  illustrez  votre  Eglise,  sera 
pour  la  Congrégation  à  laquelle  vous  vous  montrez  si  heureux  d'ap- 
partenir un  principe  fécond  de  progrès  et  de  prospérité. 

Aussi  bien,  à  vous  et,  ainsi  que  vous  en  avez  exprimé  le  désir,  à 
tous  les  membres  de  l'Oratoire,  Nous  accordons  dans  l'effusion  de  la 
charité  la  Bénédiction  apostolique. 

Donné  à  Rome,  près  Saint-Piorrc,  lo  VI  septembre  MDCCCXCIII, 
en  la  seizième  année  de  Notre  l'ontificat.  LÉON  XIII,  PAPEi  . 


56 


ANNALES    CATHOLIQUES 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  (I) 


1.  —  Etudes  métllco-lhéo* 
logiques  sun  les  aues- 
thésiques,  par  M.  l'abbé  Pie- 
racciai,  Membre  de  Sociétés 
savantes.  Excellente  brochure 
in-S",  sur  papier  extra.  En 
vente  chez  l'auteur,  curé  de 
Nessa,  par  Muro  (Corse,-.  Piix: 
franco  :  lï>  centimes. 

La  presse  catholique  a  salué 
avec  joie  l'apparition  de  ce  petit 
livre  qui  a  déjà  fait  tant  de  bien. 
En  quelques  pages,  le  savant  au- 
teur qui  fait  preuve  de  sérieuses 
connaissances  théologiques  et 
médicales,  a  condensé  une  réfu- 
tation de  théories  anti-chrétien- 
nes ayant  cours  sur  l'emploi  des 
anesthésiqups  et  surtotit  sur  los 
manifestations    de    l'hypnotisme. 

Jamais  peut-être  il  ne  fut  [dus 
nécessaire  de  prêcher  ces  graves 
vérités.  Ainsi  que  le  fait  si  judi- 
cieusement remarquer  M.  l'abbé 
Pieraccini,  aujourd'hui  on  ne  lit 
plus    guère     les    gros   ouvrages. 


Distrait  par  les  agitations  sociales» 
le  public  extra-scientifique  n'es 
plus  capable  d'une  attention  suu*^ 
tenue.  11  convient  donc  de  lu' 
servir  les  saines  doctrines  par  pe- 
tites doses.  Aussi  cet  intéressant 
opuscule,  fruit  de  patientes  re- 
cherches est  le  résumé  sub-^tan- 
tiel  d'innombrables  travaux  et  le 
premier  de  ce  genre  paru  après 
les  dernières  décisions  de  Rome. 
On  peut  donc  dire  que  cette  bro- 
chure vient  tout  à  fait  à  son  heure. 
L'ouvrage  honoré  des  puissauts 
suffrages  des  corps  savants  et  des 
sommités  scientifiques  de  l'Eu- 
rope a  reçu  de  M.  le  D""  Ferrand, 
le  plus  illustre  des  médecins 
chrétiens  de  notre  époque,  une 
lettre  des  plus  élogieuses.  La 
diffusion  de  cette  brochure  est 
très  désirable  et  nous  faisons  des 
vœux  sincères  pour  qu'elle  trouve 
dans  le  clergé  et  parmi  les  fidèles 
l'accueil  sympathique  et  tout  le 
succès  qu'elle  mérite. 

Un  docteur  en  théologie. 


(1)  Il  sera  rendu  compte  de  tout  ouvrage  dont  deux  exemplaires 
ont  été  déposés  dans  les  bureaux  des  Amiales  catholiques.  MM.  les 
auteurs  et  MM.  les  éditeurs  sont  priés  d'indiquer  le  prix  des  livres 
qu'ils  envoient.  —  L'administration  des  Annales  se  charge  de  four- 
nir, au  prix  de  librairie,  les  ouvrages  dont  il  est  rendu  compte  dans 
ce  Bulletin. 


UNE  CONQUETE 

Après  avoir  trop  longtemps  subi  le  joug  des  sectes,  la  France  com- 
mence à  se  ressaisir.  G  est  ainsi  que  les  Catholiques,  par  le  Diction- 
naire des  Dictionnaires,  ont  enfin  repris  lo  domaine  encyclopédique 
usurpé  depuis  plus  d'un  siècle  par  la  Franc-Maçonnerie  et  la  Libre 
Pensée,  et  y  ont  planté  la  crois.  Il  importe  d'affermir  et  d'étendre 
cette  précieuse  conquête.  Quiconque  a  souci  de  l'intérêt  familial, 
social,  religieux,  conservateur,  voudra  participer  à  cette  croisade, 
qui  a  pour  cri  :  Foi  et  Science,  Dieu  et  Patrie.  D'ailleurs,  il  s'agit 
d'une  fpuvre  aujourd'hui  indispensable,  d'une  utilité  quotidienne  ;  et 
l'on  pf'Ut  encore  en  souscrivant  de  suite,  se  la  procurer  dans  des 
conditions  exceptionnelles.  On  trouvera  plus  loin  ces  conditions  avec 
le  bulletin  de  souscription. 

Le  Gérant:  P.  Chantrei,. 


Paris.  Imp.  0.  Picquoin,  53,  rue  de  Lille. 


ANN.\LES    CATHOLIQUES 


VAUCOULEURS 


ORIGINES    DU    MONUMENT   DE    JEANNE    D  ARC 

Si  Doraremy  a  l'incomparable  honneur  d'avoir  été  le  berceau 
de  Jeanne  d'Arc,  le  lieu  des  apparitions  célestes  qui  lui  révé- 
lèrent sa  mission  et  qui  l'y  préparèrent,  Vaucouleurs  a  l'hon- 
neur insipne  d'avoir  été  le  point  de  départ  de  sa  miraculeuse 
épopée.  Au  temps  de  Jeanne  d'Arc,  Vaucouleurs  jouait  un  rôle 
glorieux.  Place  forte  restée  fidèle  à  la  France,  imprenable  aux 
Anglais,  elle  était  notre  sentinelle  avancée  sur  la  Meuse,  en 
face  de  la  Lorraine,  alors  notre  ennemie  déclarée  avec  le  duc 
Charles  II.  Cette  patriotique  cité  fut  la  première  à  qui  Jeanne 
annonça  sa  mission  surnaturelle  et  la  première  qui  y  crut. 

Jeanne  y  vint  d'abord  en  mai  1428,  vers  l'Ascension,  deman- 
der au  gouverneur  les  moyens  d'aller  trouver  le  roi.  On  sait 
avec  quelle  dureté  Beaudricourt  réconduisit.  Jeanne  revint  l'an- 
née suivante,  en  janvier  1429,  et  en  plusieurs  reprises  passa 
plusieurs  semaines  à  Vaucouleurs.  Sa  piété,  son  patriotisme, 
l'inspiration  qui  éclatait  dans  ses  paroles  et  dans  ses  actes,  lui 
gagnèrent  les  coeurs.  Devant  une  population  prenant  avec  en- 
thousiasme fait  et  cause  pour  la  Pucelle,  l'incrédule  Beaudri- 
court dut  faire  taire  ses  préjugés  soldatesques,  et  ne  plus  bar- 
rer la  route  au  secours  que  Dieu  envoyait  au  roi  de  France. 

L'église  paroissiale,  la  chapelle  du  château  et  principalement 
sa  crypte  furent  témoins  des  angoisses  de  Jeanne,  entendirent 
ses  prières,  virent  couler  ses  pleurs.  Elle  passait  des  heures 
entières  dans  la  crypte,  prosternée  devant  la  statue  de  Notre- 
Dames-d  es-Voûtes. 

Pour  lui  faire  bonne,  loyale  et  sûre  conduite  jusqu'à  Chinon, 
à  travers  un  pays  infesté  d'Anglais,  il  fallait  des  compagnons 
d'une  fidélité  et  d'un  courage  à  toute  épreuve. 

La  garnison  de  Vaucouleurs  fournit  ces  braves  :  Jean  de  Metz, 
Bertrand  de  Poulengy  et  leurs  serviteurs,  l'archer  Richard  et 
le  messager  royal  Colet  de  Vienne.  Il  fallait  à  Jeanne  un  équi- 
pement de  guerre.  Les  gens  de  Vaucouleurs  se  cotisèrent  pour 
lui  ofi'rir  un  costume  militaire,  un  cheval,  des  armes  défensives 
et  offensives,   auxquelles  Beaudricourt,   ébranlé  dans  ses    dé- 

LXXXTI  —  14  OCTOBKB  1893.  5 


58  ANNALKS    CATHOLIQUES 

fiances  par  l'entraînement  général,  ajouta  une  épée  de  sa  propre 
main. 

A  Vaucouleurs,  Jeanne  subit  l'épreuve  humiliante  de  l'exor- 
cisme. A  Vaucouleurs,  Jeanne  donna  le  premier  signe  de  sa 
mission,  en  révélant  à  Beaudricourt,  bien  avant  que  la  nouvelle 
eût  pu  lui  parvenir,  le  résultat  désastreux  pour  nos  «rriies  de  la 
journée  des  Harengs  (17  février  1429).  A  Vaucouleurs  enfin,  le 
soir  du  23  février  1429,  iors^iue  Jeanne  franchit  la  porte  de 
France  avec  son  escorte,  accompagnée  par  les  acclamations  et 
le?  vœux  du  peuple,  commença  sa  première  étape  pour  la  déli- 
vrance d'Orléans  et  le  salut  de  la  patrie. 

Donc,  Vaucouleurs  occupe  dans  l'histoire  de  Jeanne  d'Arc 
une  place  éminente  et  pos.«éde  des  titres  particuliers  à  l'estime 
des  Français.  Au  surplus,  les  gens  de  Vaucouleurs  ont  toujours 
conservé  le  culte  de  celle  dont  leurs  aïeux  eurent  la  gloire 
d'être  les  premiers  amis  et  partisans. 

Une  portion  des  remparts  et  des  tours  qui  bravèrent  l'inva- 
sion atiglaise  subsiste  encore  à  Vaucouleurs.  Du  château  qui 
dominait  la  ville,  il  ne  reste  que  l'emplacement.  Le  vandalisme 
-de  1793  ne  respecta  pas  la  chapelle  castrale,  qui  fut  démolie, 
mais  il  recula  devant  la  crypte  et  épargna  la  porte  de  France. 
Notre-Dame  des  Voiites,  soustraite  à  la  destruction,  fut  des- 
cendue dans  l'église  paroissiale,  oii  elle  existe  encoi-e.  Des  mal- 
heureux s'installèrent  dans  les  ruines  de  la  chapelle  et  avec  les 
débris  construisirent  une  vingtaine  de  pauvres  logis  contigus 
qui  transformèrent  le  lieu  sacré  en  une  espèce  de  cour  des 
Miracles.  La  crypte  servit  longtemps  d'étable  ;  puis  un  tisse- 
rand y  monta  son  métier.  Aux  œuvres  de  la  Révolution,  on  peut 
la  juger. 

Cependant  Vaucouleurs  ne  perdait  de  vue  ni  les  reliques  pro- 
fanées de  son  glorieux  passé,  ni  les  réparations  dues  à  la  Pu- 
celle.  En  1842  ou  1843,  sa  statue  en  pied  était  placée  sous  le 
campanile  de  l'hôtel  de  ville.  Le  17  décembre  1857,  le  conseil 
municipal,  réuni  extraordinairement,  décidait  l'érection  d'une 
statue  équestre  sur  une  des  places,  votait  10,000  francs  à  cet 
eflfet,  et  faisait  appel  au  concours  des  conseils  généraux  de  la 
Meuse  et  des  Vosges,  qui  accordèrent  chacun  5,000  francs.  La 
statue  fut  mise  au  concours,  mais  le  projet  avorta.  Au  mois 
d'avril  1869,  Mgr  Dupanloup,  revenant  d'un  pèlerinage  à  Dom- 
remy,  s'arrêta  à  Vaucouleurs  et  visita  la  ci'y|ite.  L'état  dans 
lequel  se  trouvait  ce  joyau  livré  aux  pourceaux,  lui  arracha  ce 


VAUCOULEURS  59 

cri  :  <  C'est  un  crime  national  que  de  laisser  des  ruines  si  pré 
cieuses  dans  un  tel  état  de  profanation.  11  faut  demander  de 
l'argent  à  la  France  pour  les  restaurer  et  élever  un  monument 
à  l'héroïne.  »  Vers  la  même  époque,  i'abbé  Perrejre,  alors  pro- 
fesseur d'histoire  à  la  Sorbonne,  ajunt  aussi  visité  la  crypte, 
écrivit  au  maire  de  Vaucouleurs  deux  lettres  très  vives  contre 
le  «  vandalisme  »  du  conseil  mui)ici[uil  qui  n'en  pouvait  mais. 

Lo  3  juin  S'Uivant,  le  conseil,  sur  la  motion  de  M.  Dislaire, 
notaire,  nommait  une  commission  executive  chargée  d'organiser, 
avec  le  concours  de  la  presse,  une  souscription  nationale,  des- 
tinée «  à  élever  à  Vaucouleurs  un  monument  en  l'honneur  de 
Jeanne  d'Arc  et  à  restaurer  les  lieux  illustrés  par  sa  présence.  > 
Nos  revers  de  1870  interrompirent  encore  ce  projet.  L'ajourne- 
ment ne  devait  pas  lui  nuire,  au  contraire. 

L'invasion  prussienne,  la  perte  de  Metz  et  de  Strasbourg  ont 
obligé  les  Français  oublieux  à  remonter  le  cours  de  leur  his- 
toire jusqu'à  la  guerre  de  Cent  ans  pour  y  chercher  des  époques 
sombres  comme  celle  de  1870,  suivies  d'époques  de  salut  comme 
celle  de  Jeanne  d'Arc  afin  d'entretenir  par  l'analogie  des  motifs 
d'espérance  en  l'avenir.  Nous  assi.<tons  depuis  lors  à  une  résur- 
rection surprenante  de  la  mémoire  de  Jeanne  d'Arc.  Erudits, 
orateurs,  prosateurs,  poètes,  peintres,  sculpteurs,  musiciens, 
toute  la  France  intellectuelle  célèbre  à  l'envi  cette  incarnation 
la  plus  pure  du  patriotisme  français.  La  nation  s'est  reprise 
pour  sa  libératrice  au  xv'  siècle  d  un  enthousiasme  qui  aboutit 
à  une  floraison  d'œuvres  superbes  en  l'honneur  de  la  Pucelle. 
C'est  à  qui  la  glorifiera.  Chaque  lieu  marqué  par  un  de  ses 
«  gestes  »  veut  lui  ériger  un  monument.  Ou  pense  que  le  culte 
de  son  souvenir  est  le  meilleur  réconfortant  du  courage  fran- 
çais, et  que  son  image  peut  nous  faire  encore  gagner  des  ba- 
tailles. 

Cet  état  d'esprit  est  caractéristique.  11  ne  faut  point  s'en 
plaindre.  Notre  histoire  ne  nous  oflre  pas  de  plus  beau  modèle 
de  toutes  les  vertus  qui  font  un  peuple  invincible.  La  France 
est  assez  riche,  assez  généreuse  pour  élever  des  monuments  à 
Jeanne  d'Arc  à  toutes  les  étapes  de  sou  épopée.  Rien  de  plus 
national  que  ces  monuments.  Aucun  lieu  n'a  le  droit  d'accaparer 
la  grande  Fiançaise  au  détriment  des  autres.  Une  telle  jalou- 
sie serait  indigne  de  la  France  et  de  la  Pucelle  d'Orléans. 

Ce  grand  mouvement  vers  Jeanne  d'Arc  n'échappait  pas  à  un 
de  ses  zélateurs,  M.  Le  Bas,  garde-mine  à  Bar-le-Duc.  11  était 


60  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  Rouen,  le  lieu  du  martyre.  Sa  carrière  l'avait  rapproché  du 
berceau  de  son  héroïne.  Il  avait  exploré  et  étudié  les  moindres 
monuments  rappelant  le  souvenir  de  Jeanne  dans  le  bassin  de 
la  Meuse,  depuis  Domremy  jusqu'à  Vaucouleurs.  En  1874, 
M.  Le  Bas  vint  trouver  les  membres  de  la  comnaission  de  1869 
et  leur  proposa  de  fonder  ensemble  une  Société  des  Souvenirs 
meusiens  de  Jeanne  d'Arc,  ayant  pour  but  de  réédifier,  acqué- 
rir, restaurer  et  entretenir  ces  monuments,  en  commençant  par 
Domre'my.  Projet  large,  conçu  sans  acceptation  de  limites  dio- 
césaines ou  départementales,  et  conforme  à  la  succession  des 
faits  historiques. 

Au  mois  de  mai  1877, M.  Le  Bas  exposait  son  projet  de  société 
dans  une  circulaire  tirée  à  quelques  cents  exemplaires,  et 
adressée  aux  notables  de  la  région  pour  recruter  des  fondateurs. 
Il  sollicitait  d'autre  part  le  concours  des  évêques  de  Verdun, 
de  Saint-Dié  et  de  Langres.  Mgr  Hacquart,  évêque  de  Verdun, 
se  déroba,  trouvant  le  projet  trop  vaste  pour  être  pratique 
[L.  du  2ô  Juin).  Mgr  de  Briey,  évêque  de  Saint-Dié,  répondit 
[L.  du  21  juillet)  :  «  Vous  pouvez  compter  sur  mon  concours  et 
sur  ma  souscription,  » 

Sans  attendre  la  constitution  d'une  société  qui  les  faisait  trop 
languir,  deux  hommes  de  coeur,  M.  Raulx,  doyen  de  Vaucou- 
leurs, et  M.  Martin  Pierson,  créateur  en  cette  ville  d'une  école 
de  statuaire  religieuse  rivale  de  Munich,  profitèrent  d'une  occa- 
sion favorable  et  achetèrent,  le  17  mars  1878,  moyennant 
4,000  fr.,  la  crypte  de  la  chapelle  castrale,  la  nef  au-dessus  et 
le  collatéral  droit.  Ils  devaient  en  faire  apport  à  la  future  so- 
ciété. Ce  fut  le  premier  pas  sérieux  vers  la  conquête  successive 
de  toutes  les  parcelles  qu'il  fallait  préalablement  acquérir, 
avant  de  songer  aussi  bien  à  la  simple  reconstruction  de  la 
chapelle  qu'à  l'édification  d'un  monument  plus  grandiose. 

Enfin,  le  25  mai  1878,  les  principaux  fondateurs  de  la  société 
due  à  l'initiative  de  M.  Le  Bas,  se  réunirent  au  presbytère  de 
Vaucouleurs,  sous  la  présidence  de  M.  le  baron  de  Braux,  des- 
cendant d'une  ligne  collatérale  de  Jeanne  d'Arc,  auteur  de  tra- 
vaux très  estimés  sur  la  Pucelle.  La  société  se  constitua  et 
adopta  le  titre  de  Société  des  Souvenirs  de  Jeanne  d'Arc  à 
Domremy  et  à  Vaucouleurs,  pour  ne  point  séparer  «  ces  lieux 
nséparabies  dans  l'histoire  ».  Le  comité  d'administration  fut 
composé  de  notables  de  la  région,  parmi  lesquels  M.  le  curé 
de  Domremy. 


VAUCOULEURS 


61 


Dans  sa  deuxième  réunion,  le  3  juin  suivant,  la  société  votait 
l'inopression  à  6,000  exemplaires  d'une  circulaire  rédip:ée  par 
M.  Le  Bas  et  destinée  à  être  répandue  dans  toute  la  France. 
Cette  circulaire  affirmait  l'union  indissoluble  de  Vaucouleurs  et 
de  Domremy,  et  signalait  comme  urgente  :  à  Domremy,  la  re- 
construction de  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  la  Pucelle  au 
Bois  Chesnu  et  la  restauration  de  l'église  paroissiale  ;  à  Vau- 
couleurs, la  reconstruction  de  la  chapelle  castrale. 

Pour  mieux  accentuer  l'union  des  deux  localités,  M.  le  curé 
de  Domremy  proposa  de  répartir  également  les  fonds  recueillis 
entre  Domremy  et  Vaucouleurs,  ce  qui  fut  adopté.  Puis  on  dé- 
cida de  mettre  la  crypte  en  état  de  recevoir  la  visite  des  nom- 
breux pèlerins  qui  ne  manqueraient  pas  de  venir  de  Domremy 
après  la  manifestation  nationale  organisée  pour  le  mercredi 
10  juillet  1878  par  Mgr  de  Briey. 

15,000  à  20,000  pèlerins  prirent  part  à  cette  imposante  dé- 
monstration, qui  surpassa  même  la  légitime  attente  de  son  pro- 
moteur; la  France  entière  se  trouva  ce  jour-là  à  Domremy. 
C'est  une  journée  inoubliable  pour  tous  ceux  qui  en  furent  les 
spectateurs.  Mgr  de  Briey  avait  invité  M.  le  doyen  de  Vaucou- 
leurs à  célébrer  le  service  divin;  il  le  fit,  en  outre,  chanoine 
honoraire  de  Saint-Dié.  Impossible  de  mieux  affirmer  l'union 
existant  jusque-là  entre  Domremy  et  Vaucouleurs.  Mais  le  suc- 
cès de  cette  magnifique  journée  devait  briser,  hélas!  cette 
union.  Un  comité  séparé  se  formait,  séance  tenante,  avec 
Mme  la  duchesse  de  Chevreuse  à  sa  tête,  non  plus  pour  recons- 
truire la  chapelle  du  Bois  Chesnu,  mais  pour  ériger  une  vaste 
basilique  sur  son  emplacement.  On  recueillit,  ce  jour-là  3,404  fr. 
en  vue  de  cette  oeuvre. 

Les  Vosgiens  se  sentant  assez  forts  pour  marcher  tout  seuls, 
rompirent  avec  la  société  Domremy- ^'^aucouleurs.  La  société  se 
réunit  pour  la  troisième  fois  le  26  mai  1879.  M.  le  curé  de  Dom- 
remy, revenant  sur  sa  motion  précédente,  demanda  l'affectation 
exclusive  à  Domremy  des  fonds  recueillis  par  lui.  On  les  lui 
remit.  Il  se  retira.  La  scission  était  consommée. 

La  société  ainsi  réduite  à  Vaucouleurs  ne  perdit  pas  courage; 
elle  suspendit  seulement  l'envoi  de  sa  circulaire,  qui  n'était 
plus  en  harmonie  avec  la  situation.  Puis  elle  concentra  ses  ef- 
forts sur  la  crypte  et  les  ruines  de  la  chapelle  castrale,  afin  que 
l'on  y  piit  dire  la  messe,  et  elle  continua  ses  acquisitions  de 
parcelles  pour  déloger    successivement   les  frelons   qui  y  ni- 


62  ANNALES  CATHOLIQUES 

chaient.  Les  libre-penseurs  de  Vaucouleurs,  maîtres  du  conseil 
municipal  depuis  la  République,  voulant  honorer  la  Pucelle  à 
la  façon  de  leur  ami  l'impudique  Voltaire,  ne  cessèrent  de  sus- 
citer toutes  sortes  d'obstacles  aux  acquéreurs  et  à  leur  projet 
si  favorable  cependant  à  l'intérêt  des  citoyens  et  à  rembellisse- 
ment  de  la  ville.  Mais  le  fanatisme  antireligieux  ne  raisonne 
pas.  Périssent  les  vénérables  vestiges  du  séjour  de  Jeanne 
d'Arc  à  Vaucouleurs,  plutôt  que  d'assister  à  une  restauration 
religieuse  de  ces  souvenirs!  Tel  était  le  mot  d'ordre  de  ce  joli 
monde. 

En  1885,  Mgr  Gonindard  succède  à  Mgr  Hacquart  sur  le  siège 
de  Verdun.  A  peine  installé,  il  vient  à  Vaucouleurs,  visite  la 
crypte  et  les  ruines  en  voie  de  réparation,  réunit  quelques 
fondateurs  de  la  société  et  leur  offre  son  concours  avec  l'élan 
d'un  grand  cœur.  Enlevé  trop  tôt  (1887)  à  la  Meuse,  il  n'eut  pas 
le  temps  de  donner  suite  à  ses  promesses.  Mais  en  1888,  pro- 
nonçant le  panégyrique  annuel  du  8  mai  dans  la  cathédrale  d'Or- 
léans, il  se  glorifiait  de  «  l'honneur  inoubliable  qu'il  avait  eu 
d'être  révêque  de  Vaucouleurs,  »  et  le  souvenir  de  ces  ruines, 
clés  plus  dignes,  disait-il,  du  regret  et  de  l'aujour  des  Français,  » 
lui  inspirait  le  plus  beau  passage  de  son  discours. 

Mgr  Gonindard  était  appelé  à  Rennes  afin  de  faire  place  sur 
le  siège  de  Verdun  à  Tapôtie  envoyé  de  Dieu  pour  réaliser  enfin 
le  vœu  patriotique  de  Mgr  Dupanloup  et  de  l'abbé  Peneyve,  le 
vœu  de  tous  les  bons  Français,  et  pour  faire  surgir  de  t=rre  le 
monument  rêvé  par  tous  les  braves  gens  de  Vaucouleurs. 

Mgr  Pagis  entre  en  scène  en  1887.  Il  vient  aussitôt  à  Vaucou- 
leurs, à  la  prière  de  M.  le  doyen  Raulx,  frère  du  précédent  et 
comme  lui  fervent  de  Jeanne  d'Arc.  L'évéque  se  sent  attiré  et 
conquis  par  l'éloquence  muette  des  pierres  qui  ont  vu  les  dou- 
leurs et  les  joies  de  Jeanne  d'Arc.  Une  grande  pensée  germe 
dans  son  es[irit,  elle  grandit,  elle  l'envahit.  Il  veut  illustrer  son 
épiseopat  par  une  mission  glorieuse,  doter  Vaucouleurs,  son 
diocèse,  la  France  d'un  monument  unique  en  son  genre.  Le  sort 
en  est  jeté,  il  sera  l'infatigable  ouvrier  de  ce  grand  œuvre. 

Au  mois  de  juin,  Mgr  Pagis  présidait  la  première  communion 
à  Vaucouleurs.  Son  cœur  déborde  sur  ses  lèvres;  il  annonce  sa 
résolution  de  consaci'er  son  temps,  ses  forces,  sa  vie  entière  à 
l'œuvre  de  réparation  que  la  p^rance  doit  à  Jeanne  d'Arc.  «  J'ai 
ma  plume,  s'écria-t-il,  j'ai  ma  parole;  s'il  le  faut, j'irai  partout, 
de  diocèse  en  diocèse,  d'église  en  église,  prêcher  pour  Jeanne 


VAUCOULEVRS  63 

d'Arc.  »  La  joie  fut  grande  à  Yaucouleurs  en  entendant  cos 
mots.  Mgr  Pagis  a  tenu  parole. 

La  sociale  de  Vaucouleuis  n'avait  plus  qu'à  céder  respec- 
tueuseraent  le  pas  au  prélat  qui  se  substituait  à  elle,  qui  .se 
levait  pour  reprendre,  poursuivre,  développer  et  achever  son 
plan.  C'est  ce  qu'elle  fit,  non  sans  procéder  à  une  dernière  ac- 
quisition, le  16  avril  1888.  Elle  clôtura  ses  opérations  le  31  dé- 
cembre 1889.  Elle  avait  recueilli  17,459  fr.  60  et  dépensé 
17,438  fr.  05.  Les  ressources  provenaient  de  parts  de  fondateurs 
(100  francs)  et  d'offrandes  soit  directes,  soit  versées  dans  le 
tronc  de  la  crypte,  soit  recueillies  par  les  journaux.  Yj  Univers 
avait  une  fois  recueilli  ::;03  francs.  Les  ressources  avaient  été 
employées  en  acquisitions  et  en  réparations. 

Mgr  Pagis  commença  résolument  son  admirable  camjiagne 
en  1890.  Il  avait  vu  d'abord  et  entretenu  le  Saint-Pére,  reçu 
ses  encouragements  et  sa  bénédiction,  obtenu  de  lui  un  bref  de 
recommandation  à  la  générosité  des  cailioliques  françaif!.  Armé 
de  toutes  pièces  et  d'un  plan  bien  mûri,  il  lanç.i,  le  6  janvier  1890, 
une  lettre  publique,  à  laquelle  la  presse,  sans  distinction  de 
parti,  fit  !e  plus  chaleureux  accueil.  Le  dimanche  16  février,  il 
inaugurait  à  Paris,  par  une  conférence  en  l'église  de  la  Made- 
leine, la  longue  série  de  ses  prédications  et  de  sas  conférences  à 
travers  la  France  entière.  Son  premier  succès  fut  superbe. 
L'archevêque  de  Paris  présidait  la  cérémonie;  il  bénit  l'assis- 
tance et  l'œuvre  au  nom  de  Léon  Xllf. 

Les  contradicteurs  surgirent.  Mgr  Pagis  en  rencontra  même 
dans  l'épiscopat.  Jeanne  d'Arc  ne  fut-elle  pas  aussi  en  butte  à  la 
contradiction?  Mgr  Pagis  n'était  pas  un  homme  à  se  laisser 
troubler  ni  décourager.  Enfant  de  cette  vieille  terre  celtique,  de 
cette  Auvergne,  qui  produit  des  hommes  à  la  volonté  aussi  ferme 
que  ses  basaltes,  il  eut  la  sagesse  de  ne  répondre  à  ses  contra- 
dicteurs que  par  un  redoublement  d'énergie  dans  sa  campagne 
t  par  de  nouveaux  succès.  Il  poursuivait  les  acquisitions  d'im- 
meubles et  de  terrains.  Il  achevait  la  restauration  de  la  crypte. 
Il  faisait  appel  au  talent  des  premiers  architectes. 

Toute  sa  pensée  est  développée  dans  une  lettre  admirable  du 
28  juin  1890.  D'après  lui,  Jeanne  d'Arc,  qui  a  sauvé  une  pre- 
înière  fois  la  France  de  l'invasion,  doit  la  sauver  une  seconde. 
Nous  assistons  à  une  résurrection  universelle  de  ses  souvenirs. 
C'est  le  moment  psychologique  pour  la  glorifier  par  l'éilifica- 
tion,  sur  le  plateau  de  Yaucouleurs,  point  de  départ  de  sa  pro- 


64  ANNALES    CATHOLIQUES 

digieuse  épopée,  d'un  monument  grandiose  placé  au  milieu  de 
notre  nouvelle  frontière  militaire  (Verdun,  Toul,  Neufchâteau), 
qui  soit  comme  un  palladium.  Ce  monument  doit  être  le  sym- 
bole du  patriotisme,  qui  consiste  dans  le  sacrifice  de  soi-même 
—  de  l'idée  religieuse,  qui  est  la  source  du  sacrifice  —  de  la 
vocation  de  la  France,  qui  est  le  soldat  du  Christ  à  travers  les 
âges  —  de  l'union  de  tous  les  Français  — ,  et  enfin  du  génie 
national,  opposé  à  celui  des  Allemands,  représenté  par  la  Ger- 
manie des  bords  du  Rhin. 

Ce  symbolisme  doit  se  trouver  dans  un  temple  d'un  caractère 
à  la  fois  guerrier  et  religieux,  enchâssant  comme  une  relique 
inestimable  la  crypte  restaurée  et  remise  en  possession  de 
Notre-Dame  des  Voûtes,  et  précédée  d'un  porche  servant  de 
socle  à  une  tour  robuste,  qui  s'élèvera  à  80  mètres  dans  les  airs, 
et  qui  portera  à  cette  hauteur  une  statue  colossale  de  l'immor- 
telle Libératrice,  indiquant  à  nos  soldats  le  chemin  des  victoires 
futures  et  de  la  délivrance  définitive.  Conception  magnifique, 
qui  séduit  le  cœur  et  l'imagination. 

Aujourd'hui,  Mgr  Pagis,  en  dépit  des  contradictions  et  des 
obstacles,  touclie  au  but  désiré.  Il  est  maître  du  terrain  et 
maître  de  l'opinion.  D'habiles  architectes  ont  traduit  exacte- 
ment sa  pensée.  Les  entrepreneurs  se  sont  mis  vigoureusement 
à  l'œuvre  au  mois  d'avril  de  la  présente  année.  Ils  ont  arrasé 
les  plateaux  de  Vaucouleurs  pour  y  jeter,  sur  un  roc  indestruc- 
tible, les  fondements  de  l'œuvre.  Et  dimanche,  24  septembre,  a 
eu  lieu  la  pose  de  la  première  pierre.  Honneur  à  Mgr  Pagis! 

Une  dernière  difficulté  a  été  soulevée  par  un  adversaire  qui 
a  méconnu  ses  intentions,  M.  Siméon  Luce,  un  savant  et  ardent 
panégyriste  de  Jeanne  d'Arc.  Mais  cette  difficulté  tournera  à 
l'avantage  de  l'entreprise.  M.  Siméon  Luce,  quelques  jours 
avant  sa  mort,  obtenait  le  classement  de  la  Porte  de  France  et 
de  la  crypte  parmi  les  monuments  historiques,  mû  par  la  crainte 
que  Mgr  Pagis  ne  sût  pas  conserver  l'intégrité  de  ces  reliques. 
Le  résultat  de  cette  intervention  est  d'obliger  l'Etat  à  faire  les 
frais  de  leur  restauration,  et  de  s'associer  ainsi  à  l'exécution 
du  projet  de  l'évêque.  Aussi  a-t-on  vu,  dimanche,  l'Église  et 
l'Etat  unis  sur  le  plateau  de  Vaucouleurs  pour  glorifier  la 
mémoire  de  la  Pucelle,  spectacle  assez  rare  pour  être  regardé 
comme  d'un  heureux  augure. 

On  attribue  un  mot  récent  à  Mgr  Pagis.  «  Là  où  d'autres  ne 
peuvent  enfoncer  un  clou  avec  le  marteau, l'Auvergnat  l'enfonce 


LKS  ORIGINES  d'uNE  GRlNDE  ŒUVRE  65 

avec  sa  tête.  »  Allusion  pittoresque  à  la  ténacité  avec  laquelle 
il  a  dû  lutter  contre  ses  adversaires,  découverts  ou  cachés, 
pour  mener  à  bien  son  entreprise. 

Il  a  été  à  la  peine,  il  est  juste  qu'il  soit  maintenant  à  l'honneur 
(Vérité).  Henri  Arsac. 


LES  ORIGINES  D'UNE  GRANDE  ŒUVRE 

Dans  les  Libres  penseurs,  au  livre  qui  termine  le  volume  qui  est 
intitulé:  Les  gens  qui  ne  jjensent  point,  se  trouve  un  chapitre  con- 
sacré par  Louis  Veuillot  à  l'œuvre,  encore  à  ses  débuts  et  déjà  si 
grande  et  merveilleuse,  des  Petites  Sœurs  des  Pauvres.  Louis  Veuillot 
y  parle  de  la  fondatrice  et  supérieure  générale  des  Petites  Sœurs  des 
Pauvres,  la  Mère  Marie-Augustine  dont  nous  avons  annoncé  la  mort. 
Nous  en  reproduisons  la  plus  grande  partie  qu'on  lira  avec  intérêt. 

Illustres  bourgeois,  vertueux  socialistes,  conservateurs  de  la 
société  qui  voulez  détruire  la  vieille  religion,  destructeurs  de 
la  vieille  société  qui  la  voulez  rebâtir  sur  une  religion  neuve, 
écoutez  cette  histoire  plus  intéressante  que  vos  systèmes,  et 
faites  connaissance  avec  des  personnages  plus  savants  en  poli- 
tique conservatrice  et  en  nouveautés  socialistes  que  vous  ne 
l'êtes  tous. 

Les  plus  austères  d'entre  vous  connaissent  les  prêtresses  des 
muses,  et  leur  ont  fait  mainte  oftrande;  mais  connaissez-vous 
les  Sœurs  des  pauvres?  Ge  sont  d'humbles  ouvrières  de  Bre- 
tagne, de  ce  pays  absurde  où  l'on  croit  en  Dieu,  monsieur  Prou- 
dhon  ;  de  ce  pays  noir,  oii  sous  votre  chère  monarchie  constitu- 
tionnelle, sages  bourgeois,  votre  chère  Université  frappait  de 
cent  francs  d'amende  une  vieille  qui,  tout  en  gagnant  sa  journée 
de  dix  sous  à  filer  sa  quenouille,  s'était  permis  d'enseigner  le 
catéchisme  aux  enfants  du  villag'e.  Et  peut-être  que  les  Sœurs 
des  pauvres  n'ont  étudié  le  catéchisme  que  de  cette  façon  illégale. 

Elles  étaient  deux,  elles  avaient  seize  et  dix-sept  ans,  elles 
travaillaient  de  leur  aiguille  et  gagnaient  dix  sous,  douze  sous 
dans  les  bonnes  journées,  dont  elles  donnaient  aux  pauvres  la 
plus  grande  part.  Elles  aimaient  les  pauvres,  car  elles  aimaient 
Dieu  ;  elles  aimaient  Dieu,  parce  qu'elles  avaient  appris  le  caté- 
chisme peut-être  en  fraude. 

Je  suis  forcé  d'avouer  qu'elles  se  confessaient.  Leur  confes- 
seur était  un  petit  vicaire  de  Saint-Servan,  fraîchement  sorti  du 


65  ANNALKS     CATHOLIQUES 

séminaire,  ne  sachant  ^uèie  le  grec,  n'ayant  guère  d'éloquence 
peu  de  grâce,  point  de  style,  quelque  chose  de  bien   méprisable 
à  comparer  aux  garçons  de  l'école  normale   qui  étudient  sous 
M.  Vacherot!  Un  jour,  ses  deux  pénitentes  le  prièrent  de  leur 
apprendre  à  aimer  Dieu  davantage  encore. 

«  Jusqu'à  présent,  leur  dit-il,  vous  avez  donné  aux  pauvres  ; 
maintenant,  partagez  avec  eux.  Il  y  a  dans  la  ville  tout  plein  de 
vieilles  femmes  indigentes  et  infirmes;  elles  ne  vivent  que 
d'aumônes,  elles  boivent  et  s'abrutissent,  et  leur  âme  est  aban- 
donnée. Recueillez  une  de  ces  malheureuses,  vous  la  nourrirez, 
vous  la  servirez,  vous  lui  ])arlerez  du  ciel.  Ainsi  vous  aimerez 
Dieu  plus  que  vous  n'avez  fait.  » 

Les  deux  petites  ouvrières,  le  soir  même,  avaient  une  com- 
pagne, ou  plutôt  une  niuîiresse.  Elles  s'en  trouvèrent  si  bien, 
qu'au  bout  de  peu  de  temps,  elles  en  eurent  une  seconde,  et 
bientôt  une  troisième.  —  Mais  comment  les  nourrirez-vous  ?  — 
Nous  mendierons,  répondirent-elles  !  Au  lieu  de  ti-ois,  elles  en 
eurent  six.  Alors  Dieu  leur  envoya  des  aides. 

La  piemière  qui  se  joignit  aux  fondatrices  fut  Jeanne  Jugan, 
une  rentière.  Après  avoir  servi  de  bons  maîtres,  Jeanne  déjà 
âgée,  vivait  de  son  travail  et  d'une  petite  pension  de  cent  cin- 
quante francs.  Elle  se  refit  servante,  servante  des  pauvres, 
donnant  à  ses  noti veaux  maîtres  ce  qu'elle  avait  reçu  des  an- 
ciens. D'autres  encore  vinrent  se  consacrer  à  servir  ce  qu'il  y  a 
de  plus  abandonné  dans  le  monde  et  de  plus  repoussant  aux 
yeux  de  la  chair,  les  vieillards  infirmes,  hommes,  femmes,  non- 
seulement  perdus  de  maladies,  mais  souvent  dégradés,  rendus 
méchants  par  une  impiété  grossière.  Aucune  de  ces  jeunes  filles 
n'était  riche.  A  l'exception  de  Jeanne,  elles  n'avaient  rien, 
absolument  rien  que  leur  aiguille,  leur  amour  et  leur  vertu.  Le 
nombi'e  des  pensionnaires  croissait.  Les  sœurs  quêtèrent  comme 
les  fondatrices  en  avaient  donné  l'exemple.  De  maison  en  maison 
elles  demandaient  ce  que  les  domestiques  ne  peuvent  pas  vendre, 
ce  (|ue  l'on  donne  aux  chiens,  ce  que  l'on  jette  :  croiites,  restes 
de  tout  genre.  Emerveillée  de  leur  charité,  la  population  entière 
los  honora.  Chose  admirable!  les  Autorités  ne  songèrent  point 
à  appliquer  les  lois  et  règlements  contre  la  uKînclicité.  Tout 
venait  en  même  temps,  tout  croissait  dans  la  même  mesure  :  les 
pauvres,  les  novices,  les  off'i'andes. 

La  congrégation  naissante  ne  pouvait  plus  tenir  dans  son 
berceau,  une  chambrette  au-dessous  du  sol  de  la  rue,  où  l'eau 


LES   ORIGINES  d'uNE  GRANDE  ŒUVRE  67 

entrait  les  jours  de  pluie.  On  manquait  d'argent  pour  acheter 
une  maison.  Sans  se  décourager,  les  hospitalières  entreprij'ent 
de  bâtir  elles-mêmes.  On  les  vit  prendre  la  pioche  et  apporter 
des  pierres.  Alors  l'honneur  des  ouvriers  s'émut;  tout  ce  qu'il  y 
avait  dans  la  ville  de  maçons,  de  charpentiers,  de  bon  peuple, 
se  ressembla:  —  «Nous  vous  aiderons,  dirent-ils  aux  fonda- 
trices, dans  ce  que  vous  faites  pour  nous.  Nous  allons  vous 
donner  un  jour  de  travail  par  semaine  et  bâtir  une  maison  ;  et 
ce  sera  de  l'ouvrage  bien  fait.  » 

La  maison  s'"éleva.  Aussitôt  achevée,  elle  se  trouva  pleine. 
Déjà  la  communauté  était  assez  nombreuse  pour  fonder  une 
seconde  maison  à  Dinan,  une  troisième  à  Rennes.  Tout  cela  date 
de  neuf  ans.  C'est  le  15  octobre  1840,  que  Marie-Augustine  et 
Marie-Thérèse,  les  deux  fondatrices,  l'ecueillirent  leur  première 
pensionnaire.  En  1848  une  quatrième  fondation  s'est  faite  à 
Tours;  en  1849  une  cinquième  à  Nantes,  une  sixième  à  Besançon, 
une  septième  à  Paris.  Malgré  la  perturbation  jetée  par  les  évé- 
nements dans  les  oeuvres  de  charité  comme  dans  les  affaires  de 
commerce,  les  fondations  réussissent  et  prospèrent  les  religieuses 
abondent,  l'Ordre  grandit  il). 

Car  j'ose  maintenant  le  dire,  les  Sœurs  des  pauvres  forment 
un  Ordre  religieux;  elles  prononcent  des  vœux,  elles  observent 
une  règle  monastique,  elles  ont  une  supérieure  générale.  C'est 
ce  que  l'on  a  toujours  fait,  c'est  ce  qu'il  faudra  toujours  faire 
lorsque  l'on  voudra  tout  de  bon,  et  efficacement,  donner  son 
temps,  sa  jeunesse  et  sa  vie  au  riche  labeur  de  la  charité.  C'est 
peu  d'avoir  ces  sentiments  tendres  et  philanthropiques:  de  tels 
dévouements  exigent  un  fond  plus  soiide.  Il  faut  les  appujer 
sur  le  crucifix  ;  il  faut  que  ni  les  jeux,  ni  l'âme,  ni  la  pensée,  ne 
s'éloignent  de  Dieu  percé  de  cinq  plaies,  de  ce  corps  flagellé,  de 
ce  front  couronné  d'épines,  de  ces  pieds,  de  ces  mains,  de  ce  sein 
d'oii  coule  le  sang  qui  a  lavé  le  monde,  de  ce  coeur  adorable, 
plus  déchiré  par  nos  ingratitudes  que  par  le  fer  des  bourreaux. 
Il  faut  venir  là,  se  tenir  là,  dans  les  fatigues,  dans  les  dégoûts, 
dans  les  accablements,  regarder,  adorer,  imiter,  se  dire  :  «  Comme 
il  a  fait  pour  moi,  je  ferai  pour  lui.  »  Grand  Dieu  !  si  l'on  ne 
vous  aimait,  qui  donc  nous  ferait  aimer  les  hommes?  Sait-on  ce 
qu'il  en  coûte  à  ces  chrétiennes  pour  servir  les  maîtres  qu'elles 
se  sont  donnés,  et  passer  leurs  jours   et  leurs  nuits  parmi  ces 

(1)  Louis  Veuillot  écrivait  en  1849. 


68  ANNALES    CATHOLIQUES 

infirmités,  ces  maladies,  ces  décompositions  de  la  vieillesse? 
Elles  sacrifient  plus  que  leur  jeunesse  et  leur  liberté,  elles  sacri- 
fient leur  vie,  elles  meurent  avant  l'âge.  Mais  que  leur  im- 
porte !  Elles  ont  soigné  les  plaies  de  Jésus-Christ,  et  il  ne  leur 
a  pas  laissé  l'exemple  de  vieillir. 

J'ai  eu  l'honneur  de  voir,  pour  la  première  fois,  madame  la 
Supérieure  générale  dans  sa  maison   de  Tours.   Cette  illustre 
femme  est  une  des   deux  fondatrices,  une  de  ces  deux  petites 
ouvrières  qui  gagnaient,  il  y  a  neuf  ans,  dix  sous  par  jour  avec 
leuraiguille.  Elle  a  maintenant  le  gouvernement  de  sept  maisons, 
et  de  cinq  cents  personnes;  elle  est  digne  par  son  esprit,  autant 
que  par  sa  vertu,  du  grand  fardeau  que  ses  sœurs  lui  ont  remis. 
Conduit  par  elle,  j'ai  visité  sa  quatrième  fondation,  la  maison 
de  Tours,  où  elle  était  arrivée  quelques  trois  auparavant  avec 
deux  compagnes,  sans  bagages,  ayant  pour  tout  pécule,  à  elles 
trois,  une  pièce  de  vingt  sous.  Quel  pauvreté  céleste!  Il  n'v  a 
pas  même  de  chaises  au  parloir,   et  le  Supérieur  général,  ce 
même  vicaire  de  Saint-Servan  à  qui  tout  remonte,  a  fabriqué 
de  ses  mains,  avec  des  débris  de  vieux  meubles,  le  confessionnal 
où  il  rend  la  dignité  d'enfants  de  Dieu  aux  pauvres  que  les 
sœurs  ont  ramassés  dans  les  rues.  La  maison  renfermait  alors 
quatre  vieillards  hommes,  et  vingt-six  pauvres  femmes  âgées  de 
soixante-dix  à  quatre-vingt-dix  ans.  Toutes  les  misères  physi- 
ques et  morales  sont  là  rassemblées;  mais  non,  elles  n'y  sont 
plus  ;  elles  n'ont  pu  franchir  ce  seuil  où  l'espoir,  l'amour  et  la 
paix  attendent  ceux  que  personne   n'aime  et  qui  n'ont  plus   ni 
paix  ni  espérance.  J'ai  vu  des  vêtements  propres,  des  visages 
gais  et  même  des   santés  charmantes.  Entre  les  jeunes  sœurs 
et  ces  vieillards,  il  y  a  un  échange  d'affection  et  de  respect  qui 
réjouit  le  cœur. 

Toutefois  les  nouveaux  arrivés  ne  sont  pas  toujours  tendres. 
Les  Sœurs  ont  été  plus  d'une  fois  battues.  L'un  des  hommes  se 
montrait  rude  et  impoli  :  «  C'est  un  esprit  fort,  me  dit-on  en 
souriant,  il  a  beaucoup  lu,  et  il  méprise  encore  un  peu  ceux  qui 
croient  en  Dieu  et  qui  prient.  Dans  un  mois  vous  ne  le  recon- 
naîtrez plus.  Il  se  sera  confessé.  » 

A  l'infirmerie,  un  seul  lit  était  occupé.  Une  bonne  vieille  y 
mourait,  la  paix  sur  le  visage,  le  crucifix  aux  mains.  Nous  lui 
demandâmes  comment  elle  se  trouvait:  <  Heureuse,  répondit- 
elle  ;  bientôt  Dieu  me  donnera  place  dans  son  paradis.  »  Elle 
nous  pressa  de  prier  pour  elle.  Elle  était  si  calme,  si  douce,  d'un 


l'union  nationale  ouvrière  69 

air  si  vénérable,  que  nos  cœurs  nous  commandaient  de  nous 
mettre  à  genoux  et  d'implorer  la  grâce  d'une  semblable  mort, 
c  Voilà,  nous  dit  M""'  Marie-Augustine,  la  première  conquête 
que  nous  fîmes  ici.  Lorsque  nous  arrivâmes,  ses  enfants,  des 
ouvriers  pourtant  qui  gagnent  leur  vie,  venaient  de  la  chasser, 
ne  voulant  pas  la  nourrir  davantage.  Elle  ne  pouvait  leur  par- 
donner cette  cruauté,  et  tous  ses  discours  n'étaient  que  malédic- 
tion et  blasphème.  Elle  meurt  en  priant  pour  eux,  et  en  leur 
donnant  du  fond  de  son  âme  sa  bénédiction...  qu'ils  ne  viendront 
pas  recevoir.  » 

Dans  la  cuisine,  je  vis  un  amas  de  toutes  sortes  de  débris, 
rapportés  le  matin  de  cinquante  maisons.  On  fait  réchauffer,  on 
raccommode  tout  cela,  et  c'est  la  nourriture  de  tout  le  monde. 
Les  religieuses  s'astreignent  en  tout  au  régime  de  leurs  pauvres, 
et  il  n'y  a  nulle  différence,  sinon  qu'elles  servent  et  qu'ils  sont 
servis.  Cette  récolte  de  la  charité  se  fait  tous  les  jours  deux  fois. 
Tout  arrive  à  point  pour  les  besoins  du  moment  ;  au  souper 
rien  ne  reste,  au  déjeuner  rien  ne  manque.  La  charité  a  donné  la 
maison  ;  lorsqu'il  survient  un  pensionnaire,  elle  envoie  le  lit  et  le 
vêtement. 

C'est  ainsi,  c'est  par  ces  moyens  que  la  Révérende  Mère 
Marie-Augustine  et  ses  soeurs  reconnaissent  et  pratiquent  le 
€  droit  à  l'assistance  ».  Elles  n'ont  pas  attendu  pour  cela  le 
préambule  de  la  Constitution  de  1848  ;  elles  n'ont  point  lu  les 
socialistes  ni  les  économistes  d'aucune  école.  Niera-t-on  qu'elles 
aient  une  science,  pourtant?  N'ont-elles  pas  résolu  le  problème 
d'assister  le  pauvre  sans  dégoiit  pour  elles,  sans  humiliation 
pour  lui,  sans  dépense  pour  l'Etat,  sans  rien  imposer  au  public 
que  le  plaisir  de  donner  ?  Quelle  est  donc  cette  science  qui  fait 
de  tels  prodiges  ?  Eh  !  monDieu  !  c'esttout  simplement  la  science 
de  Jésus  crucifié. 


L'UNION  NATIONALE  OUVRIÈRE 
Nous  lisons  dans  la  Vérité  : 

Sous  ce  titre  :  «  Un  congrès  qui  peut  mener  loin  »  nous  rece- 
vons la  communication  suivante,  émanant  de  l'ancien  comité 
électoral  de  M.  l'abbé  Garnier. 

La  ligue  démocratique  belge  vient  de  tenir  à  Bruxelles,  sous  la 
direction  de  M.  Helleputte,  son  président,  un  congrès  qui  mérite  une 
sérieuse  attention. 


70  ANNALES     CATHOLIQUES 

Beaucoup  de  Français  y  ont  pris  part,  et  M.  l'abbé  Garnier  a  pro- 
noncé à  la  clôture  un  discours  important,  qui  lui  a  valu  une  véri- 
table ovation. 

Le  but  de  ce  congrès  était  de  prendre  vigoureusement  en  main 
l'exécution  positive  des  réformes  sociales  que  réclame  l'état  actuel 
du  monde  ouvrier,  et  cela  par  les  chrétiens  sans  ou  plutôt  contre  les 
socialistes. 

Le  premier  soin  de  la  ligue  démocratique  avait  été  de  grouper,, 
au  nombre  de  125,  les  syndicats  ou  associations  corporatives  qui  con- 
sentaient à  entrer  dans  ses  vues.  Tous  étaient  représentés  au  congrès 
par  des  délégués,  et  lui  donnaient  un  caractère  indiscutable  d'auto- 
rité pratique. 

Le  premier  résultat  à  atteindre  est  de  grouper  les  syndicats  de 
même  profession,  puis  de  leur  faire  étudier  et  résoudre  les  questions 
qui  les  intéressent.  Déjà,  les  syndicats  de  tailleurs  des  principale^ 
villes  de  Belgique  sont  entrés  dans  cette  voie;  ils  vont  s'entendre: 
1»  sur  le  minimum  de  salaire;  2°  sur  le  repos  dominical;  3°  sur  les 
conditions  du  travail  des  femmes  et  de  l'apprentissage. 

D'autres  professions  se  préparent  à  en  faire  autant,  et  le  pays  tout 
entier  va  entrer  ainsi  dans  la  voie  de  la  solution  pacifique  des  ques- 
tions sociales. 

Si  plusieurs  nations  acceptaient  de  marcher  dans  cette  voie,  on 
pourrait  y  trouver  un  autre  résultat,  celui  d'une  entente  internatio- 
nale sur  les  points  qui  ne  peuvent  être  tranchés  sans  cette  entente. 

Tous  les  peuples  étant  d'accord  pour  prendre,  selon  les  indications 
du  Pape  Léon  XIII,  les  associations  corporatives  comme  base  de  la 
réglementation,  tant  nationale  qu'internationale,  des  questions  ou- 
vières,  c'est  en  marchant  dans  ce  sens  qu'on  peut  arrivera  toutes  les 
améliorations.  Un  tel  résultat  ne  peut  se  faire  en  un  jour,  il  deman- 
dera des  années.  L'essentiel  est  de  commencer  et  de  vouloir  à  tout 
prix  le  continuer  jusqu'au  bout. 

Il  a  été  décidé  à  la  fin  du  congrès  qu'on  allait  tenter  en  France, 
sous  le  nom  d'Unioti  nationale  ouvrière,  un  groupement  analogue  à 
celui  de  la  ligue  belge. 

Les  associations  ouvrières,  corporations  et  syndicats,  soit  pure- 
ment ouvrières,  soit  mixtes,  de  n'importe  quel  point  delà  France  qui 
voudraient  entrer  dans  cette  voie,  sont  priées  d'envoyer  leur  adhésion 
aux  bureaux  de  l'Union  nationale  ouvrière,  5,  rue  Bayard,  Paris.  Le 
travail  d'organisation  commencera  aussitôt  après. 

-Vu  moment  où  les  convulsions  du  monde  du  travail  causent  partout 
de  si  profondes  perturbations  et  de  si  vives  inquiétudes,  VUnion 
na^/onfi/e  O'turjiîre  apparaîtra  certainement,  à  tous  les  bons  esprifs, 
comme  l'aurore  de  la  paix  sociale  tant  désirée,  et  tous  voudront  en 
seconder  les  progrès  par  la  créntion  ou  par  l'adhésion  des  syndicats 
nui  doivent  la  composer. 


l'union  nationale  ouvrière  71 

Nous  sommes  loin  do  vouloir  combattre  une  initiative  comme 
celle  que  propose  la  note  ci-dessus.  Mais,  pour  son  succès  même, 
il  importe  au  préalable  de  bien  préciser  les  choses. 

Et  d'abord,  quand  on  parle  d'imiter  la  ligue  démocratique 
belge,  nous  supfiosons  qu'on  n'entend  pas  reproduire  certains 
errements  de  cette  ligue  qui  lui  ont  singulièrement  nui  dans 
l'esprit  des  catholiques  justement  effrayés  des  tendances  ultra- 
socialistes de  quelques-uns  de  ses  membres.  En  effet,  il  est  dit 
dans  la  note  ci-dessus  que  l'exécution  des  réformes  sociales 
dont  on  aura  reconnu  le  bien-fondé,  sera  poursuivie  par  les 
chrétiens  «  sans  ou  plutôt  contre  les  socialistes  ». 

En  second  lieu  et  à  propos  du  groupement  des  syndicats  de 
même  profession,  s'agit-il  de  syndicats  mixtes  ou  de  syndicats 
séparés  ?  La  question  n'est  pas  oiseuse,  car  de  la  réponse  dépend, 
pour  beaucoup,  la  bonne  solution  que  l'on  cherche.  Séparés,  il 
est  à  craindie  que  les  sj'ndicats  n'accroissent  les  difficultés  au 
lieu  d'y  parer,  tandis  que,  mixtes,  leur  action  s'exercerait  véri- 
tablement et  avec  efficacité  dans  le  sens  de  l'apaisement. 

Ajoutons  que  s'il  ne  s'agit  pas  de  syndicats  mixtes,  il  sera 
raatéiiellement  impossible  d'aboutir  à  la  réglementation  du 
travail  par  voie  corporative,  qui  est  la  seule  façon  d'écarter 
l'abusive  et  dangereuse  intrusion  de  l'Etat.  Nous  sommes  heu- 
reux de  voir  qu'en  préconisant  ce  moyen,  la  note  publiée  plus 
haut  combat  les  fâcheuses  tendances  au  socialisme  d'Etat,  que 
l'on  rencontre  trop  souvent  parmi  ceux  à  qui  ces  tendances  ont 
plus  ou  moins  mérité  le  nom  de  «  socialistes  chrétiens  »,  appel- 
lation que  repousse  absolument  la  doctrine  catholique.  Mais, 
comme  on  retrouve  ces  tendances  (M.  Garnier  qui  les  a  com- 
battues le  sait  mieux  que  personne)  dans  quelques-unes  des 
résoluiions  votées  au  Congrès  de  la  ligue  démocratique  belge, 
il  n'eût  pas  été  superflu,  ce  semble,  d'indiquer  plus  nettement 
encore  la  résolution  des  initiateurs  de  1'  Union  nationale  ou- 
vrière de  France  d'opposer  une  résistance  absolue  à  ces  inno- 
vations perturbatrices. 

C'est  seulement  à  la  condition  de  marquer  ces  différences,  et 
é.e  le  faire  dès  le  début,  que  V Union  nationale  ouvrière  fera 
œuvre  utile  et  pacificatrice,  avec  le  concours  de  tous  les  hommes 
de  bonne  volonté. 


D'autre  part,  la  Croix  publie  la  lettre   suivante,  que   lui   adresse 
M.  le  comte  do  Mun  : 


72  ANNALES  CATHOLIQUES 

«  Mon  cher  Directeur, 

«  J'applaudis  les  deux  mains  à  l'idée  de  la  formation  d'une  Union 
Nationale  ouvrière,  analogue  à  la  Ligue  Démocratique  belge.  11  n'y 
a  pas  un  jour  â  perdre  pour  travailler  à  l'organisation  des  forces 
ouvrières  et  à  l'exécution  des  réformes  sociales,  comme  le  dit  votre 
correspondant,  sans  et  contre  les  socialistes.  Je  suis  prêt,  pour  ma 
part,  à  associer  mes  efforts  à  ceux  de  M.  l'abbé  Garnier  et  de  M.  Léon 
Harmel  pour  réaliser  cette  idée  le  plus  promptement  possible. 

«  Votre  cordialement  dévoué, 

«  A   DE  M  UN.  » 

Cette  lettre  nous  paraît  bien  faite  pour  justifier  la  demande 
d'éclaircissements  de  la  Ve'rite  au  promoteur  de  l'Union  nationale 
ouvrière,  dont  le  programme  portait  de  même  qu'il  fallait  entre- 
prendre chez  nous  quelque  chose  d'analogue  à  la  Ligue  Démo- 
cratique belge.  Dans  cette  Ligue,  en  efi"et,  il  y  a  de  bonnes 
choses  ;  mais  il  en  est  d'autres  que  M.  l'abbé  Garnier  lui-même 
a  dû  combattre.  Par  conséquent,  il  convient  au  moins  de  faire 
certaines  réserves. 

Au  sujet,  spécialement,  du  caractère  des  syndicats  par  lesquels 
on  veut  procurer  la  réglementation  du  travail,  nous  avons  désiré 
savoir  s'ils  seraient  mixtes  ou  séparés.  La  Croix,  répond  à  la 
Vérité  : 

La  Vérité  se  demande  si  les  syndicats,  dont  M.  l'abbé  Garnier  pro- 
voque l'union,  seront  mixtes,  afin  d'arriver  par  voie  corporative  à  la 
réglementation  du  travail,  ou  il  s'agit  de  syndicats  ouvriers,  séparés 
des  patrons  et  opposés  à  ceux-ci,  tels  que  les  syndicats  qui  consti- 
tuent la  lutte  actuelle. 

Nous  ignorons  la  voie  que  suivra  VUnlon  nationale  ouvrière,  mais 
nous  devons  un  mot  à  nos  lecteurs  sur  les  syndicats  tels  que  nous  les 
comprenons,  d'après  les  eflForts  tentés  en  Belgique. 

Voici  le  mot  annoncé  ci-dessus  : 

Les  ouvriers  de  la  grande  industrie  pourraient  bien  difficilement 
former  aujourd'hui  avec  les  patrons,  qui  sont  souvent  des  actionnai- 
res, la  famille  corporative  qui  a  été  l'idéal  d'autrefois. 

L'ouvrier  isolé  ne  peut  discuter  les  conditions  de  son  travail,  et 
cependant  il  a  ses  revendications  à  faire.  Il  ne  peut  y  parvenir  par 
voie  corporative,  et  l'on  a  formé  des  syndicats  séparés  d'ouvriers. 
Hélas  !  Ils  sont  souvent  très  mauvais,  et  cherchent  la  guerre. 

Les  patrons,  de  leur  côté,  forment  des  syndicats  entre  eux.  En 
effet,  les  actionnaires  d'une  grande  industrie  ont  des  syndicats  dans 
la  personne  des  gérants  de  l'entreprise,  qui  représentent  et  défen- 
dent leurs  intérêts  selon  des  pouvoirs   donnés   aux   assemblées.   Les 


l'union  nationale  ouvrière  73 

chefs  d'usine,  aussi,  peuvent  facilement  se  rencontrer,  se  concerter 
et  fixer  leurs  revendications. 

Ces  représentations  des  ouvriers  d'une  part  et  des  patrons  d'autre 
part,  pourraient  entrer  en  relation,  et  former  entre  elles  quelque 
chose  qui  ressemblât  à  une  famille  corporative  ou  à  ce  qu'on  appelle 
un  syndicat  mixte,  à  la  condition  que  les  sans-Dieu  et  les  socialistes 
n'y  fussent  pour  rien. 

Actuellement,  les  syndicats  d'ouvriers  sont  souvent  des  machines 
de  guerre  pour  dépouiller  les  patrons  ;  ce  sont  des  assemblées  poli- 
tiques se  proposant  le  renversement  social,  et  on  les  ajustement  en 
suspicion. 

Les  catholiques  belges  ont  fait  appel  aux  ouvriers  pour  former  des 
syndicats  tout  différents,  qui,  prenant  une  direction  plus  ou  moins 
religieuse,  pourront  aborder  les  patrons  en  esprit  de  paix  et  d'équité, 
sans  pai  ti  pris,  et  avec  des  désirs  sérieux  de  résoudre  les  questions  à 
l'avantage  de  tous. 

Ces  syndicats  non  socialistes,  non  alliés  aux  socialistes  et  même 
chrétiens,  peuvent  évidemment  s'adresser  parfois  même  à  des  patrons 
ennemis  de  toute  idée  religieuse,  en  se  plaçant  sur  le  terrain  écono- 
mique, car  les  ouvriers,  groupés  autour  dune  direction  chrétienne  ne 
peuvent  attendre  que  tous  les  patrons  de  leur  industrie  se  convertis- 
sent pour  discuter  les  conditions  du  salaire  et  autres. 

Mais  on  peut  espérer  que  bientôt  le  sentiment  élevé  des  promoteurs 
de  l'œuvre  sera  accepté  des  patrons  pour  le  choix  de  leurs  délégués, 
et  qu'il  y  aura  des  discassions  utiles  à  l'ombre  de  la  croix  entre  les 
représentants  des  uns  et  des  autres. 

En  France,  où  ce  sont  les  patrons  chrétiens  qui  commencent  le 
mouvement,  cela  se  fera  vite. 

Ce  seiait,  au  xix*  siècle,  une  reformation  de  l'esprit  corporatif. 

Sans  l'idée  chrétienne,  il  n'y  a  que  le  socialisme  possible. 

Cette  note  est  signée  «  Le  Moine  »,  ce  qui  nous  met  en  face 
du  R.  P.  Vincent  de  Paul  Baillv,  et  non  de  M.  l'abbé  Garnier; 
il  est  vraisemblable,  d'ailleurs,  que  «  Le  Moine  s>  exprime  assez 
exactement  les  idées  de  M.  l'abbé  Garnier. 

Nous  aurons  à  examiner,  au  point  de  vue  pratique,  ce  que 
vaut  la  combinaison  des  délégations  mixtes  remplaçant  provi- 
soirement les  syndicats  ou  corporations  mixtes,  réputés  difficiles, 
sinon  impossibles  à  former.  Dès  aujourd'hui  cependant,  nous 
voulons  poser  une  question.  Pourquoi  juge-t-on  si  difficile  de 
former  une  famille  corporative  avec  des  patrons  parce  que 
ceux-ci  sont  souvent  des  actionnaires?  Ces  actionnaires,  en 
effet,  sont  représentés  eux  aussi,  par  des  délégués. 

Pour  le  reste,  nous  aimons  à  relever  dans  la  note  du  «  Moine  », 
une  déclaration  et  une  constatation. 


74  ANNALES    CATHOLIQUKS 

La  déclaration  porte  que  les  saiis-Dieu  et  les  socialistes  ne 
doivent  être  pour  rien  dans  la  formation  des  représentations 
patronales  et  ouvrières. 

La  constatation,  c'est  qu'en  France,  ce  sont  les  patrons  chré- 
tiens qui  ont  comnaencé  le  mouvement  qui  doit  ramener  la  paix 
dans  le  monde  du  travail. 

Il  n'est  pas  inutile  de  le  rappeler  à  certains  orateurs  enflam- 
més qui,  sans  en  tenir  le  moindre  compte,  excitent  trop  souvent 
le  peuple  ouvrier  contre  la  prènérulité  ddS  patrons,  sans  même 
croire  qu'il  puisse  j  avoir  (luelque  part  des  patrons  vraiment 
soucieux  de  remplir  en  conscience  tous  leurs  devoirs  d'état. 


LE  CONGRES  CATHOLIQUE  DE  CHICAGO 

Les  journaux  américains  nous  ont  apporté  d'intéressants 
détails  sur  le  Congrès  catholique  qui  a  eu  lieu  à  Chicago  du  4  au 
8  septembre.  Il  s'est  ouvert  par  une  messe  solennelle  célébrée  à 
l'égiise  de  Sainte-Marie,  et  à  laquelle  le  cardinal  Gibbons  assis- 
tait pontifioalement.  Le  clergé  et  les  délégués  se  sont  rendus  au 
Mémorial  Art  Palace,  oii  ont  été  tenues  les  séances. 

On  remarquait  dans  l'assistance  NN.  SS.  Rjan,  archevêque 
de  Philadelphie,  Fechan,  archevêque  de  Chicago;  Ireland,  arche- 
vêque de  Saint-Paul  ;  Redwood,  archevêque  de  la  Nouvelle- 
Zélande  ;  Folev,  évêque  de  Détroit;  Watterson,  évêque  de 
Columbus,  etc. 

De  chaleureux  applaudissements  ont  salué  les  noms  du  Sou- 
verain Pontife,  des  cardinaux  Manning  etNewman,  et  de  Mgr  Ire- 
land, lorsque  dans  son  discours  d'ouverture,  M.  Bonney,  prési- 
dent, leur  a  rendu  hommage.  Une  semblable  ovation  était  réservée 
à  S.  Em.  le  cardinal  Gibbons,  qui  a  pris  ensuite  la  parole. 

Après  s'être  fait  l'interprète  de  la  joie  que  cette  solennité  cau- 
sait aux  catholiques  américains,  le  prélat  a  rappelé  les  merveil- 
les de  l'exposition  de  Chicago,  ce  qui  y  avait  été  réalisé  pour  le 
progrés  matériel,  et  a  félicité  les  membres  de  l'assemblée  de  ce 
qu'ils  avaient  accompli,  eux,  pour  le  progrés  intellectuel  et 
moral  de  l'humanité.  Il  les  a  engagés  à  rester  toujours,  dans 
leurs  discussions,  fidèles  au  conseil  de  saint  Vincent  de  Lérins: 
«  In  necessariis  unitas,  in  dubiis  liber  las, in  omnibus  charitas.  * 

Mgr  Gibbons  a  donné  lecture  d'une  lettre  de  bénédictions 
reçue  du  Saint-Père  et  dont  voici  le  texte  : 


M-;  CONGRÈS  CATHOLIQUE  DE  CHICAGO  75 

LÉON  XIII,  PAPE 
A  Notre  bien-aimé  Fils  Jacques,  du  titre  de  Sainte-Marie  de  TranS' 
tf'vère,  cardinal  prêtre  de  la  Sainte  Eglise  Romaine,  archevêque 
de  Baltimore. 

<t  Bien-airaé  Fils, 

«  Salut  et  bénédiction  apostolique. 

«  C'est  avec  une  vive  satisfaction  que  Nous  avons  appris  par  vous 
qu'au  mois  de  septembre  une  grande  assemblée  catholique  se  réuni- 
rait à  Chicago,  pour  y  discuter  des  questions  d'un  haut  intérêt  et 
d'une  importance  capitale.  Nous  avons  été  particulièrement  charmé 
de  votre  hommage  et  du  désir  que  vous  Nous  manifestiez  d'obtenir 
pour  ce  congrès  Nos  bénédictions  et  Nos  prières. 

«  Nous  faisons  donc  droit  très  volontiers  à  cette  requête,  et  Nous 
supplions  le  Dieu  Tout  Puissant  de  bien  vouloir  vous  aider  de  son 
secours  et  vous  éclairer  de  sa  lumière  ainsi  que  ceux  qui  s'assemble- 
ront avec  vous  et  de  favoriser  des  trésors  de  ses  grâces  les  plus  pré- 
cieuses vos  délibérations  et  vos  conclusions. 

«  Aussi,  Notre  bien-aimé  F)ls,  à  vous  et  à  tous  ceux  qui  prennent 
part  audit  congrès,  ainsi  qu'au  clergé  et  aux  fidèles  confiés  à  vos 
soins,  Nous  accordons  bien  volontiers  Notre  bénédiction  apostolique 
en  Notre-Seigneur. 

«  Donné  à  Rome,  près  de  Saint-Pierre,  le  7»  jour  d'août  de  l'année 
de  Notre-Seigneur  1893,  de  Notre  Pontificat  la  seizième, 

«  LÉON  XIII,  PAPE.  » 

Parmi  les  travaux  qui  ont  été  présentés  dans  la  première 
séance,  signalons  les  sujets  suivants  :  Rapports  de  l'Eglise  catho- 
lique avec  les  institutions  civiles,  politiques  et  sociales  des  Etats- 
Unis  (Edgar  Gan?)  ;  l'Apostolat  de  l'Eglise  catholique  aux  Etats- 
Unis  (Rév.  Walter  Elliot)  ;  l'Indépendance  du  Saint-Siège 
(Martin  Morris)  ;  Colomb,  sa  mission  et  son  caractère  (Richard 
Clarcke),   etc. 

Le  second  jour  a  été  marqué  par  l'arrivée  de  Mgr  Satolli,  qui 
a  reçu  un  accueil  enthousiaste.  Mgr  Watterson  a  lu  une  étude 
des  plus  intéressante  et  pleine  d'actualité  relative  à  l'Ency- 
clique du  Souverain  Pontife  sur  la  condition  des  ouvriers.  «C'est 
à  Léon  XIII,  a-t-il  dit,  que  l'Eglise  et  la  société  devront  leur 
salut;  il  n'est  pas  une  question  vitale  que  ce  grand  Pape  n'ait 
étudiée  et  tranchée;  il  a  appris  aux  riches  à  aimer  les  pauvres 
plus  que  leur  argent  et  à  ne  pas  les  considérer  comme  des  ma- 
chines, mais  comme  des  frères.  »  Mgr  Satolli  a  lu  ensuite  en 
italien  une  adresse  dont  Mgr  Ireland  a  donné  la  traduction.  Un 
passage  a  surtout  fait  impression  sur  l'assistance,  c'est  celui  oar 


76  ANNALES    CATHOLIQUES 

lequel  le  délégué  a  indiqué  en  quels  termes  le  Souverain  Pon- 
tife lui  îivait  confié  sa  mission  :  «  Dites-leur  de  vivre  comme  de 
vrais  citoyens  et  de  vrais  catholiques,  ayant  la  Bible  dans  une 
main  et  la  Constitution  américaine  dans  l'autre,  » 

L'espace  nous  manque  pour  parler  longuement  des  rapports 
qui  ont  été  présentés  ce  jour-là  et  les  jours  suivants.  Relevons 
seulement  quelques  titres  qui  suffisent  à  montrer  l'intérêt  des 
questions  traitées  :  les  Droits  du  Travail  et  les  Devoirs  du 
Capital  (Rev.  Barry)  ;  la  Pauvreté,  ses  Causes  et  ses  Remèdes 
(Th.  Dwight)  ;  la  Charité  privée  et  la  Charité  publique  (Win- 
gerter). 

Deux  magnifiques  discours  ont  été  consacrés  à  Christophe 
Colomb  ;  le  premier  par  Mgr  Ryan,  archevêque  de  Philadelphie, 
qui  a  surtout  insisté  sur  le  rôle  du  célèbre  navigateur  au  point 
de  vue  catholique;  le  second  par  Mgr  Corrigan,  quia  développé, 
dans  un  langage  d'une  grande  élévation,  cette  belle  pensée  : 
«  Colomb  a  été  conduit  par  un  triple  amour,  l'amour  de  la  science, 
l'amour  de  son  paj's,  et  l'amour  de  sa  foi.  » 

Les  grèves  et  l'arbitrage,  le  travail  des  femmes,  l'intempé- 
rance (le  mal  et  ses  remèdes^,  l'immigration  et  la  colonisation, 
l'éducation  catholique  à  tous  les  degrés,  tels  sont  les  principaux 
problèmes  qui  ont  été  étudiés  dans  les  deux  dernières  journées 
du  Congrès. 

Faute  de  pouvoir  nous  étendre  sur  ces  différents  points,  indi- 
quons, au  moins,  les  résolutions  qui  ont  été  adoptées  : 

I 

1.  Nous  réaffirmons  les  résolutions  du  Congrès  tenu  â  Baltimore  les 
11  et  12  novembre  de  l'année  1889. 

2.  Nous  protestons  de  notre  loyal  et  inaltérable  attachement  à  Notre 
Saint-Père  le  Pape  Léon  XIII  ;  nous  le  remercions  de  nous  avoir 
envoyé  un  représentant  spécial  et  nous  saluons  avec  enthousiasme 
Son  Délégué  Apostolique  comme  le  gage  de  Son  amour  pour  l'Amé- 
rique et  de  Sa  paternelle  sollicitude  puur  notre  pays  et  ses  institu- 
tions. C'est  le  sentiment  de  ce  Congrès  que  le  Vicaire  de  Jésus-Christ 
doit  jouir  d'une  complète  indépendance  et  autonomie  dans  l'accom- 
plissement de  la  sublime  mission  à  laquelle,  par  la  Providence  de 
Dieu,  Il  a  été  appelé,  comme  chef  de  l'Eglise,  pour  le  bien  de  la  reli- 
gion et  de  l'humanité. 

3.  Nous  félicitons  nos  supériours  du  prodigieux  accroissement  et 
développement  de  l'Eglise  aux  Etats-Unis,  résultat  dû,  après  Dieu,  â 
l'union,  à  la  prudence,  au  désintéressement  et  à  la  piété  de  ces  vrais 


LK  CO.MGRÈS  CATHOLlQUlî   DE  CHICAGO  77 

pasteurs  du  troupeau  chrétien,  et  nous  offrons  à  nos  évêques  et  à  nos 
prêtres  l'hommage  de  notre  complet  ûévouement  et  de  notre  entière 
fidélité. 

4.  Bien  que  les  signes  du  temps  présent  soient  pleins  d'es[)éiances 
et  d'encouragements,  et  que  la  prospérité  matérielle  soit  plus  large- 
ment répandue  qu'à  aucune  autre  époque,  nous  serions  volontaire- 
ment aveugles  si  nous  méconnaissions  les  dangers  qui  menacent 
l'Eglise  et  la  société  et  qui  appellent  une  très  sérieuse  attention. 
Parmi  les  principaux  de  ces  dangers,  il  faut  ranger  le  mécontente- 
ment croissant  dans  le  monde  de  ceux  qui  gagnent  leur  vie  par  le 
travail  de  leurs  mains.  Un  esprit  d'antagonisme  s'est  glissé  entre 
l'employeur  et  l'employé  et  a  eu  dans  beaucoup  d'occasions  de  déplo- 
rables résultats.  Les  remèdes  suggérés  varient  de  la  révolution  anar- 
chique  aux  différents  systèmes  du  socialisme  d'Etat. 

Ces  remèdes,  de  quelque  nom  qu'on  les  appelle,  avec  quelque  zèle 
et  sincérité  qu'on  les  propose,  seront  impuissants  s'ils  sont  en  oppo- 
sition avec  les  principes  de  vérité  et  de  justice. 

Nous  acceptons  comme  le  sentiment  de  ce  Congrès  et  nous  sou- 
mettons à  Tattention  de  tout  homme,  quelles  que  soient  ses  opinions 
religieuses  et  sa  situation  mondaine,  l'Encyclique  de  Notre  Saint- 
Père  le  Pape  sur  la  condition  des  ouvriers,  datée  du  15  mai  1891, 

Dans  l'esprit  de  Sa  lumineuse  exposition  de  ce  sujet,  nous  déclarons 
que  nuls  remèdes  ne  peuvent  être  acceptés  hors  ceux  qui  respectent 
le  droit  de  la  propriété  privée  et  de  la  liberté  humaine. 

Le  capital  ne  peut  rien  sans  le  travail,  ni  le  travail  sans  le  capital. 
Moyennant  la  reconnaissance  de  cette  mutuelle  dépendance  et  grâce 
à  la  loi  chrétienne  d'amour  et  de  mutuelle  et  patiente  tolérance  nous 
obtiendrons  cet  apaisement  vers  lequel  doivent  tendre  ardemment 
tous  les  hommes  de  bonne  volonté. 

5.  Nous  sanctionnons  avec  force  les  principes  de  conciliation  et 
d'arbitrage  comme  un  remède  approprié  pour  le  règlement  des  conflits 
entre  employeurs  et  employés  et  grâce  auquel  les  grèves  et  les  chô- 
mages pourraient  être  évités;  et  nous  recommandons  la  création  par 
ce  Congrès  d'un  comité  chargé  d'étudier  et  de  discuter  les  moyens 
d'arriver  à  une  solution  pratique  par  un  système  d'arbitrage. 

6.  Nous  demandons  au  clergé  et  aux  laïcs,  comme  un  moyen  d'ap- 
pliquer les  vrais  principes  de  la  morale  chrétienne  au  problème  social, 
d'attacher  une  grande  importance  à  la  fondation  —  ou  au  développe- 
ment là  où  elles  existent,  —  de  sociétés  catholiques  pour  la  diff'usion 
de  la  saine  littérature  et  l'éducation  des  esprits  sur  les  sujets  écono- 
miques :  ils  détruiront  ainsi  les  effets  pernicieux  des  enseignements 
de  l'erreur.  Nous  recommandons  spécialement  la  diffusion  des  lettres 
de  Notre  Saint-Père,  et  particulièrement  celles  sur  le  Pouvoir  poli- 
tique, sur  la  Liberté  humaine  et  sur  la  Constitution  chrétienne  des 
Etats. 


78  ANNALES   CATHOLIQUES 

La  condition  d'un  grand  nombre  de  nos  jeunes  filles  et  femmes 
catholiques  qui  travaillent  dans  les  grandes  villes,  est  telle  qu'elle  les 
expose  à  de  sérieuses  tentations  et  à  des  dangers  :  nous  réclamons 
comme  une  œuvre  méritoire  da  charité  et  de  justice,  la  formation  de 
sociétés  catholiques  pour  leur  assistance,  leur  encouragement  et  leur 
protection. 

Nous  demandons  aussi  qu'on  continue  à  développer  les  sociétés 
catholiques  d'assurance  sur  la  vie,  de  bienfaisance  et  de  fraternité.  Le 
bien  que  de  telles  associations  ont  déjà  accompli  nous  garantit  qu'elles 
sont  basées  sur  les  vrais  principes. 

7.  Une  des  grandes  causes  de  misère  et  d'immoralité  est  l'accumu- 
lation de  la  population  ouvrière  dans  les  cités  et  les  grandes  villes,  et 
son  entassement  dans  les  maisons  de  logement,  où  les  enfants  sont, 
dès  leur  âge  le  plus  tendre,  exposés  à  tous  les  mauvais  exemples  et  à 
toutes  les  influences  corruptrices.  Ce  mal  a  attiré  l'attention  du  légis- 
lateur en  d'autres  pays.  Nous  croyons  qu'il  est  d'une  sage  charité 
d'aider  le  pauvre  à  s'aider  lui-même  et  en  conséquence  d'aviser  à 
l'adoption  de  mesures  propres  à  encourager  et  à  aider  les  familles  à 
se  fixer  dans  les  districts  agricoles.  Suivant  îes  indications  du  Saint- 
Père,  il  est  de  bonne  politique  de  les  pousser,  autant  que  possible,  à 
devenir  propriétaires  de  leur  domaine. 

En  accomplissement  du  grand  devoir  de  charité  chrétienne,  les 
catholiques  peuvent —  et  ils  le  devraient  faire  largement  — venir  en 
aide  à  l'reuvre  admirable  accomplie  par  les  ordres  religieux  voués  à 
la  charité  et  nous  les  adjurons  de  s'inscrire  ilans  les  conféiences  de 
Saint-Vincent  de  Paul,  ou  de  les  encourager  autrement,  ainsi  que  les 
associations  semblables  ayant  mission  de  venir  régulièrement  au 
secours  des  pauvres.  Nous  rappelons  à  l'esprit  de  tous  l'ancienne 
coutume  catholique  de  prélever  sur  ses  revenus  une  somme  propor- 
tionnelle au  profit  de  la  charité. 

9.  Un  mal  sensible  auquel  il  faut  attribuer  une  très  large  part  des 
30uff"rances  qui  affligent  le  peuple,  c'est  le  vice  de  l'intompérance. 
Bien  que  nous  pensions  que  l'individu  puisse  être  guidé  en  cette 
matière  par  les  préceptes  d'une  conscience  droite,  nous  ne  pouvons 
recommander  avec  trop  d'insistance  l'emploi  de  tous  les  moyens  capa- 
bles (le  pénétrer  nos  ouvriers  des  dangers  provenant  non  seulement 
de  l'abus,  mais  trop  souvent  même  de  l'usage  des  boissons  toxiques, 

A  cette  fin,  nous  approuvons  et  nous  recommandons  absolument 
les  sociétés  de  tempérance  et  d'abstinence  totale  déjà  formées  en  beau- 
coup de  paroisses,  et  nous  souhaitons  leur  multiplication  et  leur  exten- 
sion. Nous  appuyons  l'établissement  d'une  législation  propre  à  res- 
treindre et  à  régulariser  le  débit  des  liqueurs  toxiques,  et,  en  confor- 
mité de  la  décision  de  la  dornière  assemblée  plénière  de  Baltimore, 
nous  demandons  aux  catholiques  de  renoncer  à  leur  usage. 

10.  Aux  membre*  de  notre  clergé  séculier,  aux  ordres  religieux  et 


LE  CONGRÈS  CATHOI-IQUE  DE  CHICAGO  79 

aux  laïcs  qui  vouent  leur  vie  à  la  noble  mission  de  l'éducation  des 
Indiens  et  dos  nègres  nous  apportons  noire  chaude  sympathie  et  nous 
offrons  notre  coopération.  Nous  les  félicitons  des  consolants  succès 
déjà  obtenus  et  nous  souhaitons  que  Dieu  protège  leurs  travaux. 

II 

11.  Comme  la  préservation  de  notre  existence  nationale,  la  Consti- 
tution sous  laquelle  nous  vivons  et  tous  nos  droits  et  liberté  de 
citoyens,  dépendent  do  rintelligence,  de  la  vertu  et  de  la  moralité  de 
notre  peuple,  nous  devons  continuer  de  diriger  nos  principaux  efiforts 
vers  l'augmentation  et  le  développement  de  nos  écoles  paroisi^ialeset 
de  nos  collèges  catholiques,  afin  d'amener  toutes  nos  institutions 
d'éducation  au  plus  haut  degré  d'excellence.  —  Tel  est  le  sentiment 
de  ce  Congrès;  en  conséquence,  que  l'enseignement  cath)lii]ue  soit 
fermement  dirigé  selon  les  décrets  du  concile  de  Baltimore  et  les  dé- 
cisions du  Saint-Siège.  L'influence  de  la  haute  éducation  catholique 
peut  être,  nous  le  reconnaissons,  l'agent  le  plus  capable  de  nous 
donner  une  bonne  solution  des  problèmes  sociaux  qui  se  posent  ac- 
tuellement devant  les  hommes. 

Nous  voyons  la  preuve  de  la  haute  sagesse  de  Notre  Saint-Père 
Léon  XIII  et  do  l'épiscopat  américain  dans  la  fondation  d'une  insti- 
tution catholique  de  hautes  études  dans  la  capitale  de  notre  pays. 
Nous  avons  la  confiance  que  leur  sagesse  saura  diriger  cette  institu- 
tion selon  qu'il  sera  le  plus  confo'm'^  aux  besoins  de  notie  pays; 
nous  leur  promettons  cordialement  notre  coopération  dans  cette 
œuvre  afin  d'en  faire  une  des  principales  gloires  de  rEgli:5e  catho- 
lique et  de  la  République  américaine. 

Nous  faisons  appel  à  tous  les  botis  citoyens,  de  toute  religion, 
pour  élever  la  génération  naissante  dans  l'amour,  la  crainte  et  le 
respect  de  notre  commun  Créateur  et  pour  graver  dans  leurs  coeurs 
les  bons  principes  de  la  morale  sans  laquelle  notre  glorieuse  poli- 
tique de  liberté  ne  saurait  se  maintenir.  Appréciant  profondément  la 
sollicitude  du  Saint-Père  et  de  nos  évêjues  pour  l'enseignement, 
nous  répétons  ce  qui  a  été  dit  dans  le  Congrès,  que  «  ce  sont  seule- 
ment la  cloche  de  l'école  et  la  cloche  d'église  qui  peuvent  prolon- 
ger l'écho  de  la  cloche  de  la  liberté  ». 

12.  Nous  désirons  encourager  en  Amérique  les  écoles  catholiques 
d'été  récemment  établies  à  Lake  Champlaln,  nous  les  considérons 
comme  un  excellent  moyen  de  propager  l'enseignement;  nous  re- 
commandous  aussi  la  fondation  de  Cercles  catholiques  de  lectures 
pour  venir  en  aide  aux  écoles  d'été  et,  en  général,  au  haut  enseigne- 
ment. 

13.  Nous  reconnaissons  dans  la  «  Catholic  truth  Society  »  un  des 
résultats  du  premier  Congrès  catholique  américain  et,  persuadé 
qu'elle  s'adapte  admirablement  aux    nécessités  du  temps,   nous  la 


80  ANNALES    CATHOLIQUES 

recommandons  instamment  aux  laïcs,  à  qui  elle  oifce  un  excellent 
moyen  de  coopérer  à  l'œuvre  glorieuse  de  la  propagation  de  la  vérité 
catholique. 

14.  La  littérature  immorale  étant,  dans  notre  pays  comme  en 
Europe,  un  des  principaux  agents  de  la  ruine  de  la  foi  et  de  la  mora- 
lité, nous  recommandons  l'union  des  catholiques  et  des  non  catholi- 
ques pour  combattre  cette  plaie,  soit  qu'elle  se  présente  sous  la  forme 
de  mauvais  livres,  de  journaux  à  sensation  ou  de  gravures  obscènes. 

15.  Nous  n'avons  aucune  sympathie  pour  les  tentatives  faites  en 
vue  de  séculariser  le  dimanche.  Nous  demandons  à  tous  les  bons 
citoyens  de  joindre  leurs  efforts  pour  garder  au  dimanche  son  carac- 
tère sacré,  selon  les  préceptes  et  la  tradition  de  l'Eglise. 

16.  Nous  approuvons  pleinement  le  principe  de  l'arbitrage  dans  le 
règlement  des  conflits  internationaux.  Nous  nous  réjouissons  des  heu- 
reux résultats  qui  ont  déjà  été  obtenus  par  l'application  de  cet  ancien 
principe  de  notre  Sainte  Mère  l'Eglise,  et  nous  espérons  fermement 
qu'il  sera  étendu  et  qu'ainsi  les  dangers  de  guerre  entre  nations 
seront  progressivement  diminués  et  finalement  totalement  prévenus. 

Enfin,  en  bons  et  loyaux  citoyens,  nous  affirmons  notre  amour  et 
notre  vénération  pour  notre  glorieuse  république  et  nous  dénions 
solennellement  qu'il  puisse  jamais  exister  d'antagonisme  entre  nos 
devoirs  envers  l'Eglise  catholique  et  nos  devoirs  envers  l'Etat.  Selon 
la  parole  de  notre  délégué  apostolique,  notre  devise  sera  :  «  En  avant  ! 
dans  une  main  l'Evangile  du  Christ  et  dans  l'autre  la  Constitution 
des  Etats-Unis.  » 

Sachons  demeurer  dans  la  voie  de  la  vertu  et  de  la  religion,  afin 
que  les  bienfaits  de  nos  libertés  nationales,  nées  de  l'énergique  vail- 
lance et  de  la  moralité  de  nos  pères,  soient  préservés  à  toujours 
comme  un  héritage  sacré. 


LAMARTINE 


C'est  peu  à  peu  que  les  hommes  célèbres  prennent  leur  rang 
dans  l'histoire  et  que  la  gloire  remplace  le  bruit;  Lamartine  en 
offre  un  nouvel  exemple.  Nous  le  voyons  regagner  le  terrain 
que  la  vogue  de  V.  Hugo  et  l'engouement  pour  de  bruyantes 
écoles  poétiques  lui  avaient  fait  perdre.  Ce  revirement  n'a  rien 
qui  doive  surprendre.  A  mesure  qu'on  s'éloigne,  on  oublie  les 
défaillances  de  l'écrivain,  les  caprices  de  l'homme  et  les  fautes 
du  politique  ;  on  se  souvient  surtout  des  pages  d'un  vol  si  magni- 
fique et  d'une  si  incontestable  supériorité.  C'est  une  banalité  de 
dire  que  nul  contemporain  n'a  si  bien  réalisé  l'idéal  du  poète. 


LAMARTINE  81 

Plus  que  personne,  l'auteur  des  Méditations  et  des  Harmo- 
nies a  pris  les  fibres  de  l'âme  humaine  comme  les  cordes  de  sa 
lyre,  et  a  su  leur  donner  une  sonorité  inconnue,  une  voix  sym- 
pathique. Il  a  chanté,  comme  personne  avant  lui,  Dieu  et  sa  pro- 
vidence, la  nature  et  ses  merveilles,  l'amour  et  ses  émotions, 
l'homme  et  ses  destinées.  11  a  rompu  avec  un  passé  qui  était 
détestablement  faux  et  provoqué  une  réaction  glorieuse,  bien 
qu'elle  n'ait  pas  tenu  toutes  ses  promesses.  En  vérité,  une  poésie 
nouvelle  est  née,  ou  plutôt  la  poésie  française  est  ressuscitée 
en  1820.  N'est-ce  pas  là  tout  ce  qu'on  peut  demander  au  génie  ? 

Ce  n'est  pas  seulement  le  renom  du  poète  qui  grandit,  c'est 
encore  l'estime  pour  l'homme.  L'étude  plus  attentive  de  cette 
vie,  à  ses  diverses  phases,  y  découvre  non  seulement  une 
richesse  de  dons  extraordinaire,  mais,  en  dépit  de  nombreuses 
et  graves  défaillances,  que  notre  but  n'est  pas  de  montrer  une 
fois  de  plus,  mais  que  nous  n'avons  aucun  intérêt  à  dissimuler, 
une  élévation  d'âme  continuelle  et  une  dignité  relative  peu  com- 
mune. Les  comparaisons  qui  s'établissent  involontairement  sont 
toutes  à  son  avantage.  A  l'admiration  affectueuse  se  mêle  sou- 
vent la  pitié,  quelquefois  l'étonnementou  même  le  blârae,  jamais 
le  mépris;  c'est  l'impression  qui  se  dégage  des  nombreuses 
publications  parues  depuis  le  centenaire  de  la  naissance  de 
Lamartine.  Toutes  lui  sont  favorables  ;  mais  presque  toutes,  en 
laissaiit  dans  l'ombre  le  côté  religieux  et  chrétien,  nous  déro- 
bent un  élément  essentiel  du  caractère  et  de  l'œuvre  de  Lamar- 
tine ;  nous  voudrions  le  faire  ressortir. 

Au  sortir  du  collège,  Lamartine  hésita  longtemps  sur  le  choix 
d'une  carrière.  Volontiers  il  eut  été  soldat,  mais  sa  famille  légi- 
timiste répugnait  à  le  voir  au  service  de  Napoléon.  Après  avoir 
fait  quelque  temps  partie  des  gardes  du  corps  de  Louis  XVIII, 
par  convenance  plus  que  par  enthousiasme,  il  se  décide  pour  la 
diplomatie,  multiplie  les  démarches  pour  y  entrer  et  y  reste  de 
1820  à  1830.  «  Le  poste  de  ministre  plénipotentiaire  à  Florence 
a-t-il  écrit,  aurait  été  pour  moi  l'idéal  du  bonheur  terrestre.  » 
Simple  attaché  ou  secrétaire  d'ambassade,  il  montra  de  pré- 
cieuses aptitudes,  mais  n'eut  à  traiter  directement  aucune  affaire 
importante.  Cette  situation  eut  cependant  une  grande  influence 
sur  sa  vie  par  les  relations  qu'elle  amena,  par  les  loisirs  qu'elle 
lui  fit,  par  la  vue  qu'il  put  prendre  des  affaires  et  des  hommes, 
et  par  de  longs  séjours  en  Italie.  Son  imagination  poétique  en 
profita  d'abord,  ensuite  son  goût  pour  la  vie  de  famille. 


82  ANNA1.ES    CATHOLIQUES 

Le  succès  inespéré  des  Méditations^  en  lui  ouvrant  la  carriéro 
diplonaatique,  lui  avait  pei-rni<  d'épouser  une  Anglaise,  d'une 
rare  distinction,  Maria-Anna  Elisa  Birch.  Convertie  du  protes- 
tantisme, elle  devint  catholique  fervente.  On  peut  dire  qu'elle  a 
été  la  providence  et  l'ange  du  foyer  de  Lamartine,  l'ai  niant  pas- 
sionnément, l'admirant  sincèrement,  voilant  et  atténuant  dis- 
crètement ses  fautes,  prévenant  ou  corrigeant  autant  que  pos- 
sible ses  écarts  littéraires  ou  politiques,  charmant  sa  gloire  par 
des  qualités  aimables,  et  consolant  sa  détresse  par  un  dévoue- 
ment sans  bornes.  Hàtons-nons  dédire  que  le  poète  eut  toujours 
pour  cette  admirable  compagrie  un  amour  digne  d'elle,  fait  d'es- 
time, de  confiance  et  de  respect.  A  son  foyer,  Lamartine  est 
irréprochable;  non  seulement  le  scandale  n'en  approche  pas, 
mais  la  vertu,  sous  sa  forme  la  plus  gracieuse  et  la  plus  héroïque, 
l'embellit  et  le  sanctifie  jusqu'à  la  fin.  On  y  chercherait  vaine- 
ment une  Drouet. 

L'auteur  des  Méditations  «t  des  Girondins  s'est  toujours 
regardé  comme  un  homme  fait  pour  l'action,  pour  les  afl'aires  et 
surtout  pour  la  politique.  Les  vers  ne  lui  paraissaient  qu'un 
amusement  de  jeunesse,  une  distraction  après  des  occupations 
plus  graves.  De  bonne  heure  il  est  hanté  par  le  rêve  d'un  grand 
rôle  à  jouer  dans  une  révolution,  d'une  foule  à  maîtriser  et  à 
conduire;  et  l'événement  a  justifié  cette  tinguliére  prévision. 

T' ut  n'était  pas  fatuité  dans  cette  assurance.  Celui  qu'on 
accusait  de  tourner,  même  lorsqu'il  n'y  a  pas  de  vent,  de  siéger 
au  plafond  de  la  Chambre  <ies  députés,  de  vivre  de  musique  et 
d'azur,  n'est  pas  ce  qu'on  appelle  vulgairement  un  esprit  pra- 
tique ;  il  n'est  pourtant  pas  un  esprit  aussi  chimérique  qu'on 
veut  bien  le  dire,  encore  moins  est-il  un  esprit  aveuirle.  V.  Hugo, 
à  la  tribune,  a  été  presque  toujours  grotesque,  absolument  privé 
de  tact  parlementaire  et  du  sens  des  réalités  ;  il  a  trouvé  le  moyen 
de  faire  riro  même  au  rrjilieu  des  angoisses  du  siège  de  Paris, 
oii  on  le  vit,  en  habit  de  gai-de  national,  promener  son  fameux 
canon.  Lamartine,  au  contraire,  a  souvent  fait  preuvw  d'une 
admii-able  faculté  d'intuition  et  d'assimilation.  Semblable  à  ces 
oiseaux  hygrométriques  qui  pressentent  le  moindre  virement  de 
l'air,  il  avait  le  sentiment  de  ce  qu'on  pourrait  appeler  i'âme 
populaire,  de  ses  passions,  de  ses  besoins,  de  ses  désirs. 

Tandis  que  les  doctrinaires  et  ceux  qui  se  croyaient  habiles  se 
renfermaient  dans  quelques  questions  techniques  ou  dans  les 
formules  du  parlementarisme  et  du  pays  légal,   il   suivait  la 


LAMARTINE  83 

poussée  irrésistible  qui  emporte  le  monde.  De  là  sa  puissance; 
de  la  trilnine  de  la  Chambre,  dans  ses  Girondins,  dans  son  dis- 
cours de  MâcoD,  il  s'adressait  au  pays  ;  et  sous  cette  parole 
harmonieuse  le  pays  retrouvait  ses  préoccupations  les  plus 
chères  embellies  et  agrandies.  Quand  il  parlait  de  la  France  qui 
s'ennuie,  des  conservateurs  bornes,  de  la  révolution  du  mépris, 
du  besoin  de  liberté  et  d'égalité,  du  péril  qu'il  v  a  pour  un  gou- 
vernement à  ne  s'occuper  que  du  bien-être  matériel  et  à  négli- 
ger les  âmes,  il  ne  faisait  que  donner  une  formule  brillante  à  un 
sentiment  obscur  mais  profond.  Dans  l'ordre  économique  même, 
il  fut  plus  d'une  fois  d'une  singulière  clairvoyance.  Son  discours 
sur  l'établissement  des  chemins  de  fer  prédit  le  développement 
prodigieux  de  ces  voies  nouvelles,  et  les  défend  contre  M.  Thiers 
qui  n'y  voit  que  des  utopies.  Contre  M.  Thiers  encore  et  contre 
la  droite,  il  défend  les  institutions  de  prévoyance,  l'extension 
et  de  l'enseignement  primaire  et  du  suffrage  universel. 

Ce  qui  acheva  de  rendre  l'opposition  de  Lamartine  redou- 
table à  la  monarchie  de  Juillet,  c'est  qu'il  était  sincèrement 
convaincu  de  la  justice  de  ses  demandes,  de  la  nécessité  des 
réformes  et  de  la  marche  providentielle  de  l'humanité  vers  une 
fraternité  plus  large.  Arrivé  à  la  Chambre  avec  sa  renommée 
de  poète,  il  eut  d'abord  peine  à  se  f.  ire  prendre  au  sérieux  ;  ses 
plus  beaux  discours  sur  les  sujers  les  plus  précis  et  les  plus 
techniques  étonnaient  plus  qu'ils  ne  persuadaient.  A  la  fin  pour- 
tant, il  fallut  bien  reconnaître  dans  cet  orateur  si  magnifique 
d'images  une  incontestable  puissance.  C'était  un  peu  tard. 

L'idéal  politique  de  Lamartine  n'est  autre  que  le  dévelop- 
pement du  principe  démocratique.  Il  faut  bien  avouer  que  beau- 
coup de  ces  idées  triomphent  aujourd'hui  en  bon  et  haut  lieu. 
Il  y  a  un  demi-siècle  qu'il  écrivit  : 

«  Que  ce  principe  triomphe  sous  une  république  ou  sous  cette 
forme  mixte  de  gouvernement  qu'on  appelle  système  représen- 
tatif, peu  importe  :  c'est  aflfaire  de  temps  et  de  moeurs.  Je  n'ai 
pas  un  superstitieux  respect  pour  telle  ou  telle  de  ces  combi- 
naisons des  pouvoirs,  et  le  mérite  du  pouvoir  constitutionnel,  à 
mes  yeux,  est  surtout  d'exister  et  d'être  en  rapport  assez  exact 
avec  les  nécessités  d'une  époque  de  transition,  où  il  y  a  trop  de 
liberté  dans  les  désirs  pour  supporter  la  monarchie,  et  trop  de 
monarchie  dans  les  habitudes  pour  supporter  la  république.  » 

Au  delà  des  formes  changeantes  des  institutions,  Lamartine 


84  ANNALES    CATHOLIQUES 

aperçoit  l'agitation  sociale:  «La  charité  politique  de  ceux  qui 
gouvernent,  de  ceux  qui  possèdent,  envers  ceux  qui  souffrent, 
est  non  seulement  un  devoir  de  morale  divine,  mais  encore  la 
seule,  la  souveraine  habileté  gouvernementale.  La  Révolution 
française  a  suscité  bien  des  questions  et  les  a  bien  ou  mal  réso- 
lues toutes.  La  question  des  prolétaires  est  celle  qui  fera  l'ex- 
plosion la  plus  terrible  dans  la  société  actuelle,  si  la  société,  si 
les  gouvernements  se  refusent  à  la  sonder  et  à  la  résoudre.  » 

Cette  politique  généreuse  d'avenir  et  de  liberté  déconcertait 
les  amis  de  Louis-Philippe,  comme  elle  déconcerte  les  panégy- 
ristes de  la  monarchie  de  Juillet.  L'oiseau  bleu  voyait  plus 
clair  et  plus  loin  que  les  fourrais.  M.  Thureau-Daugin,  malgré 
son  hostilité  flagrante,  est  obligé  de  convenir  que  les  éclairs 
prophétiques  ne  manquent  pas  au  milieu  de  ces  discours.  On 
est  confondu  en  relisant  des  pages  écrites  avant  1848,  et  où 
la  chute  du  régime,  l'avènement  de  la  République,  l'anarchie 
socialiste,  l'Empire,  et  même  l'invasion,  sont  prédits  en  termes 
d'une  précision  étonnante  : 

«  Cette  paix  est-elle  la  paix?  Cet  ordre  est-il  l'ordre?  Ne 
serait-ce  pas  une  seconde  Régence,  pleine,  comme  la  première 
d'agiotages  et  de  concussions  ?  Ne  sera-t-elle  pas  suivie,  comme 
l'autre,  d'une  révolution,  non  plus  de  raison,  mais  de  démence, 
un  débordement  de  démagogie  irritée  submergeant  toutes  les 
bases  de  la  société,  état,  famille,  propriété?  Ou  bien  sera-ce 
une  de  ces  décadences  douces,  une  espèce  de  Capoue  de  la  Ré- 
volution, dans  laquelle  une  nation  glisse,  comme  une  prosti- 
tuée, des  bras  d'un  pouvoir  corrupteur  aux  bras  d'un  pouvoir 
despotique,  et  s'endort  dans  un  bien-être  matériel  pour  se 
réveiller  dans  l'invasion  ?  » 

Nous  n'avons  pas  à  raconter  ce  que  fit  Lamartine  porté  au 
pouvoir  par  la  révolution  de  Février.  Il  est  assez  notoire  qu'il 
rendit  à  la  France  et  à  l'Europe  de  précieux  services,  et  c'est 
principalement  à  lui  que  la  seconde  République  doit  son  renom 
de  libéialisme  honnête  et  religieux.  On  peut  contester  l'habileté 
do  queli^ues-uns  de  ses  actes,  non  les  intentions,  le  désinté- 
ressement et  l'honnêteté  de  celui  qui  les  accomplit.  Non  seule- 
ment il  ne  s'enrichit  point  en  passant  aux  affaires,  mais  il  s'y 
ruina.  On  objecte  qu'il  préféra  la  gloriole  à  l'argent,  et  qu'il  se 
servait  en  servant  le  pays.  Ily  adu  vrai  dans  ce  reproche;  mais 
il  ne  faudrait  pas  l'exagérer.  Lamartine  fut  moins  avide  assuré- 
ment que  la  plupart  de  nos  hommes  politiques;  il  ne  serait  pas 


LAMARTINE  85 

aisé  de  prouver  qu'il  fut  plus  vaniteux.  A  un  moment  donné  il 
sut  renoncer  au  pouvoir  plutôt  qu'à  ses  convictions.  C'est  déjà 
peu  commun. 

On  célébrera  toujours  comme  un  exemple  de  courage  civil  et 
comme  un  des  plus  beaux  triomphes  de  l'éloquence,  la  journée, 
l'heure  héroïiiue  du  25  février  1848,  oii  son  sang-froid  et  sa 
parole  prestigieuse  tirent  reculer  le  drapeau  rouge  et  les  flots 
plusieurs  fois  renouvelés  de  l'émeute.  Cette  circonstance  excep- 
tionnelle n'est  pas  la  seule  où  Lamartine  ait  été  admirable,  mais 
elle  suffirait  à  immortaliser  un  homme  politique,  comme  le  Lac 
ou  le  Crucifix  suffirait  à  immortaliser  un  poète. 

Lamartine  n'accepta  jamais  la  souveraineté  brutale  du  nom- 
bre, ni  l'athéisme  politique  ou  même  la  neutralité  religieuse. 
Il  comprenait  que  Dieu  doit  être  à  la  racine  de  tout  devoir,  de 
tout  droit  et  de  toute  loi,  comme  principe,  comme  témoin, 
comme  juge  et  comme  sanction;  sans  cela  tout  croule.  Le 
19  décembre  1848,  il  disait  au  peuple:  «  Dieu  seul  est  souve- 
rain, parce  que  seul  il  est  créateur;  parce  que  seul  il  est 
infaillible,  seul  juste,  seul  bon,  seul  parfait.  Qu'il  bénisse  la 
Constitution  !  qu'elle  finisse  et  commence  par  son  nom  !  Qu'elle 
soit  pleine  de  lui!  qu'elle  multiplie,  qu'elle  pacifie,  qu'elle 
sanctifie  le  peuple  français.  » 

En  1851,  il  écrivit  en  tête  du  Pays:  «  Toute  civilisation  qui 
ne  vient  pas  de  l'idée  de  Dieu  est  fausse.  Toute  civilisation  qui 
n'aboutit  pas  à  l'idée  de  Dieu  est  courte.  Toute  civilisation  qui 
n'est  pas  pénétrée  de  l'idée  de  Dieu  est  froide  et  vide.  La  der- 
nière expression  d'une  civilisation  parfaite,  c'est  Dieu  mieux  vu, 
mieuxservi  par  leshommes.  La  prière  est  lederniermotet  le  der- 
nier acte  de  toute  civilisation  vraie.  »  Et, fidèle  à  cette  théorie,  pen- 
dant que  les  élections  de  1848  préparaient  des  gouvernants  à  la 
France,  Lamartine  allait  dans  une  petite  église  prier  Dieu  d'éclai- 
rer les  électeurs,  et  de  donner  au  pays  des  hommes  capables 
de  le  conduire  à  la  gloire  et  à  la  vertu.  Après  avoir  été  patriote 
loyal  dans  le  triomphe  et  l'apothéose,  Lamartine  fut  d'une 
grandeur  stoïque  et  d'une  résignation  chrétienne  dans  la  chute. 
Cette  fin  de  vie  n'est  pas  suffisamment  connue  ;  si  la  renommée 
de  l'écrivain  n'y  gagne  guère,  le  courage  et  l'honneur  de 
l'homme  s'y  déploient  plus  que  jamais.  Grâce  au  malheur,  il 
montra  ce  qu'il  y  avait  en  lui  de  vaillance  tenace  ;  il  connut  ce 
qu'il  y  avait  de  tendresse  au  cœur  de  sa  noble  femme. 

Après  une  jeunesse  quelque  peu  besoigneuse,  il  s'était  vu  en 


86  ANNALES    CATHOLIQUES 

possessiou  d'une  opuleûte  fortune,  provenant  en  partie  d'héri- 
tages et  de  la  dot  de  Mlle  Bircli,  en  partie  du  produit  de  ses 
livres.  Mais  ce  grand  prodigue  dépensait  avec  la  même  insou- 
ciance son  génie,  son  âme  et  son  argent.  On  a  beaucoup  parlé  du 
faste  de  son  voyage  en  Orient;  il  aurait  fallu  insister  davantage 
sur  la  magnificence  de  son  hospitalité  et  sur  ses  aumônes.  Sa 
main  toujours  ouverte  donnait  sans  compter.  S'il  a  manqué  de 
prudence  dans  cette  distribution,  pas  une  parcelle  de  son  or  ne 
s'est  écoulée  par  des  voies  méprisables  ;  le  vice  n'a  été  poui- 
rien  dans  sa  ruine.  L'avouerai-je  ?  Cette  imprévoyance  me 
semble  préférable  à  l'économie  bourgeoise  de  V.  Hugo  ou  de 
M.  Thiers. 

Après  avoir  été  maître  de  la  France  pendant  trois  mois,  La- 
martine se  retirait  avec  plusieurs  millions  de  dettes.  Résolu  à 
ne  pas  tromper  ses  créanciers  qui  avaient  eu  confiance  en  lui,  le 
poète  se  confine  dans  une  modeste  maison  de  faubourg,  et  pen- 
dant vingt  ans  sans  un  jour  de  repos,  il  condamne  son  génie  à 
un  travail  foicé  d'improvisateur,  de  journaliste  et  de  libraire  : 

c  J'écris  sur  les  décombres  de  mon  propre  foyer.  J'écris,  in- 
terrompu vingt  fois  par  matinée,  par  des  malheureux  qui  vien- 
nent s'informer  si  j'ai  pu  vendre  hier  assez  pour  les  faire  vivre 
demain.  » 

Le  !«■■  juillet  1852,  il  confie  à  un  ami,  cette  plainte  résignée  : 
«  Tout  va  ici  à  la  suprême  misère  :  la  gelée,  la  grêle  hier  grosse 
comme  des  pommes,  la  pluie  tous  les  jours,  les  huissiers  toutes 
les  semaines!  Et  plus  une  action,  plus  un  abonnement!  Frère, 
il  faut  payer!  c'est-à-dire:  il  faut  mourir!  Je  suis  poursuivi, 
menacé,  accablé.  Et  qui  pis  est,  on  m'enlève  mon  crédit  depuis 
qu'on  sait  que  sérieusement  je  veux  vendre  mes  biens.  Je  m'en- 
terre commj  un  sanglier,  —  mais  sans  défense  î  » 

Dans  sa  i)oignante  détresse  il  savait  encore  refuser  deux  mil- 
lions que  lui  ofi'rait  Napoléon  III  sur  sa  cassette  personnelle,  ne 
voulant  point  d'un  salut  qui  semblait  entacher  l'honneur. 

Le  0  janvier  1861  il  écrit  de  Monceau  à  M.  de  Chamborant  : 
Cher  ami,  enfin  voilà  la  table  déblayée  de  500  lettres  et  de 
500  comptes,  arriérés  depuis  deux  mois  d'angoisses.  Il  me  reste 
une  journée  pour  répondre  à  mes  amis  ;  le  cœur  vous  présente 
le  premier  à  la  mémoire. 

«  Ma  femme  et  Valentine  vont  mieux,  sans  que  la  convales- 
cence soit  bien  caractérisée.  La  première  est  aujourd'hui  à 
Lyon  entre  les  mains  des  médecins.    Quant  à  moi,  j'ai  une  né- 


LAMARTINE  87 

vralgie  d'estomac  et  de  tête,  suite  de  dix  ans  de  surexcitations, 
de  chagrins  et  de  travaux.  Mais  le  ciel  m'est  témoin  (jiie  ce  qui 
m'inquiète  le  moins  en  moi,  c'est  moi.  Je  serais,  je  i^ense,  ravi 
d'être  endormi  sons  une  touffe  d'herbe  quelconque  pourvu  que 
ce  ne  soit  pas  de  l'herbe  du  Père-Lachaise,  à  l'odieux  murmure 
des  articles  nécrologiques,  des  discours  funéraires  et  des  éloges 
académiques,  que  le  diable  emporte!  J'en  ai  assez  de  la  vie! 

«  Mes  affaires  futures  sont  en  bonne  perspective,  mais  en 
triste  présent;  pas  le  sol  comptant,  mille  mains  tendues  à  ma 
porte,  une  arrière-garde  d'huissiers  toutes  les  fins  de  mois,  et 
des  millions  à  distance  :  voilà  le  bulletin  !  Quelques  rares  amis 
que  la  mort  élague  :  voilà  la  consolation. 

«  Je  déménage  ces  jours-ci  le  pauvre  Milîy,  vendu  pauvre 
prix,  pour  faire  face  aux  expropriations  menaçantes.  Mon  ber- 
ceau, celui  de  ma  sœur,  le  lit  de  ma  mère  viennent  d'arriver 
ici,  dans  la  cour.  Dieu  veuille  qu'ils  n'en  sortent  pas  pour 
l'encan  !  Sauvez  donc  des  patries  de  l'anarchie  et  de  la  guerre 
étrangère,  voilà  la  récompense  :  un  fover  vendu  et  perdu,  juste 
retour  de  tan  ,  de  foyers  défendus  !  J'ai  l'âme  navrée;  mais  il 
faut  travaillur  comme  si  de  rien  n'était,  pour  sauver  ceux  de 
mes  braves  et  pauvres  créanciers  et  de  leurs  familles.  » 

Notons  à  la  même  date  cette  triste  prédiction  que  Lamartine 
devait  si  fréquemment  et  si  inutilement  répéter  :  L'unité  ita- 
lienne, (]ue  vous  faites,  amènera  l'unité  allemande  qui  vous 
écrasera  ! 

«  Je  ne  vous  dis  rien  de  la  politique  étrangère,  que  ce  que  je 
vous  ai  dit  le  29  novembre  1858:  Nous  allons  doucement  à  la 
chute  du  Niagara.  Dans  deux  ans,  sauve  qui  peut  !  Le  carbona- 
risme extérieur  mène  inévitablement  à  la  démagogie  socialiste. 
Je  ferme  les  yeux  pour  ne  pas  voir,  faites-en  autant.  Comment 
l'empereur  ne  prend-il  pas  enfin  un  généreux  repentir  et  ne 
secoue-t-il  pas  sa  crinière  de  lion,  par  laquelle  les  Anglais  et 
les  Piémontais  le  conduisent  à  sa  perte?  La  bombe  d'Orsini  est- 
elle  devenue  la  boussole  du  monde  ? 

«  Adieu,  à  revoir,  dès  que  les  santés  nous  permettront  de 
quitter  le  nid  pour  la  branche.  » 

Sous  le  titre  de  :  Lamartine  inconnu,  M.  de  Chamborant  a 
publié,  l'an  passé,  un  livre  p.ein  de  chiffres  et  d'émotion.  Après 
l'avoir  parcouru,  on  approuve  de  toute  sa  raison  et  de  tout 
son  coeur  ces  belles  paroles  que  M.  d'Esprigny  a  iressait  à  l'il- 
lustre vieillard  dans  un  moment  où  ce  rocher  de  Sisyphe  sem- 
blait devoir  l'accabler:  on  était  à  la  fin  d'octobre  1865  : 


8o  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  Mon  cher  ami,  votre  lettre  m'a  fait  peine  et  mal.  Comment, 
ce  serait  là  l'issue  de  tant  d'années  de  luttes  énergiques,  d'un 
labeur  infatigable! 

«  Je  vous  suis  depuis  longtemps  avec  anxiété  dans  ce  combat 
si  triste,  mais  que  je  voudrais  faire  voir  de  près  à  l'univers,  ne 
fût-ce  que  pour  lui  révéler  ce  que  vous  y  avez  mis  de  force  de 
caractère,  de  ressource  d'esprit,  d'indomptable  courage,  de 
douloureux  efforts.  Qui  ne  vous  a  pas  vu  ainsi  à  l'œuvre  ne 
vous  connaît  pas.  Il  y  a  20  ans  que  tout  autre  eût  succombé. 
Vous  avez  souvent  passé  si  près  de  l'écueil  que  j'en  tremblais, 
mais  toujours  vous  l'évitiez  par  une  manoeuvre  inespérée;  et 
maintenant  vous  me  dites  que  la  mauvaise  heure  approche! 
Vous  m'avez  tellement  habitué  à  compter  sur  vous  que  j'ai 
peine  à  me  faire  à  cette  idée;  j'attends  encore  l'inattendu.  Avec 
quel  bonheur  j'en  saluerais  l'heureuse  nouvelle! 

«  Si  vous  succombez,  vous  pourrez,  du  moins,  être  fier  devant 
vos  créanciers,  comme  devant  vous-même,  en  leur  montrant 
tout  ce  que  vous  avez  fait  pour  les  satifaire;  ce  seraient  les 
derniers  des  hommes,  s'ils  n'en  étaient  frappés  de  respect.  Il 
faut  qu'ils  comprennent,  ils  comprendront,  je  n'en  doute  pas, 
qu'ils  doivent  s'en  remettre  à  vous  du  soin  de  leurs  intérêts, 
qu'ils  ont  dans  vos  loyaux  efforts  la  meilleure  des  hypothèques, 
qu'ils  doivent  accepter  vos  conditions,  et  non  vous  en  faire; 
que  troubler  vos  travaux,  c'est  tarir  leurs  créances. 

«  Hélas!  les  choses  sont  plus  fortes  que  les  hommes  les  plus 
forts,  et  ce  n'est  pas  un  tel  soir  que  présageait  votre  matin.  Mais 
c'est  encore  une  grande  et  bonne  chose  que  de  pouvoir  se  dire 
qu'on  a  fait  tout  ce  qui  était  humainement  et  surhuraainement 
possible  pour  vaincre.  Il  y  a  de  pires  défaites  ;  elles  n'étaient  pas 
possibles  pour  vous...  > 

C'e>-t  dans  le  sentiment  de  l'honneur  et  du  devoir,  dans  l'hé- 
roïque dévouement  de  sa  femme,  dans  la  religion  surtout,  que 
Lamartine  puisa  le  courage  de  poursuivre  vingt  ans  cette  écra- 
sante et  impossible  tâche.  La  mort  vint,  enfin,  délivrer  celui 
qui  ne  se  résignait  à  vivre  que  par  soumission  à  la  Providence. 

«  Quant  à  moi,  je  serais  mort  raille  fois  de  la  mort  do  Caton, 
si  j'étais  de  la  religion  de  Caton;  mais  je  n'en  suis  pas.  J'adore 
Dieu  dans  ses  desseins;  jd  crois  que  la  mort  patiente  du  dernier 
des  mendiants  sur  sa  paille  est  plus  sublime  que  la  mort  de 
Caton  sur  le  tronçon  de  son  épée.  Mourir,  c'est  fuir!  On  ne  fuit 
pas. 


LAMARTINE  89 

«  Caton  se  révolte,  le  mendiant  obéit  :  obéir  à  Dieu,  voilà  la 
vraie  gloire  ! 

€  Si  la  vie  est  un  don,  il  faut  la  savourer  jusqu'à  la  fin,  comnae 
un  bienfait  quelquefois  amer,  mais  enfin  comme  un  bienfait;  et 
si  elle  est  un  supplice,  il  faut  la  subir  comme  une  mystérieuse 
et  méritoire  expiation  de  nos  fautes.  » 

Loin  de  se  regarder  comme  un  homme  de  génie  infaillible  et 
impeccable,  il  proclamait  très  haut  que  les  plus  grandes  intelli- 
gences sont  soumises,  aussi  bien  que  les  plus  humbles,  à  la  loi 
morale  :  «  Le  génie  par  lui-même  n'est  rien  moins  qu'une  vertu; 
ce  n'est  qu'un  don,  une  faculté,  un  instrument  :  il  n'expie  rien, 
il  aggrave  tout.  Le  génie  mal  employé  est  un  crime  plus  illustre; 
voilà  la  vérité.  * 

A  la  fin  de  sa  vie,  il  a  écrit  son  livre  des  rétractations,  et 
plus  d'une  fois  il  s'est  jugé  sévèrement  :  «  J'ai  été  indigné  contre 
moi-même  en  relisant  ce  matin  la  dernière  page  lyrique  des 
Girondins,  et  je  conjure  les  lecteurs  de  la  déchirer  eux-mêmes, 
comme  je  la  déchire  devant  Dieu  et  devant  la  postérité.  »  Et, 
pour  conclusion  de  cet  examen  de  conscience,  il  ajoutait  ces 
belles  et  touchantes  paroles  :  «  Je  m'humilie,  je  me  repens  et 
j'espère.  » 

Le  grand  poète  n'attendit  pas  l'heure  suprême  pour  reprendre 
les  pratiques  religieuses,  négligées  pendant  sa  vie  brillante  et 
agitée,  et  pour  mettre  en  harmonie  ses  croyances  et  sa  conduite. 
Dieu  vint  consoler  son  isolement;  son  intelligence,  déjà  voilée 
par  les  ombres  de  la  mort,  s'illumina  tout  à  coup  de  clartés 
supérieures  à  celles  qui  avaient  ébloui  le  siècle.  Cette  fin  parfai- 
tement chrétienne  est  un  bienfait  que  n'ont  pas  obtenu  ou  qu'ont 
refusé  un  trop  grand  nombre  de  ses  rivaux  en  poésie  et  en  poli 
tique.  Elle  eflace  bien  des  faiblesses  et  jette  sur  cette  gloire 
humaine  une  espérance  divine.  En  louant  Lamartine,  on  n'est 
pas  invisiblement  importuné  par  ces  terribles  paroles  de  saint 
Augustin,  parlant  des  grands  hommes  qui  n'ont  pas  servi  Dieu  : 
«  On  les  vante  où  ils  ne  sont  plus,  on  les  tourmente  où  ils  seront 
éternellement.  » 

Terminons  en  transcrivant  ces  paroles,  que  l'on  peut  consi- 
dérer comme  la  profession  de  foi  du  noble  vieillard  :  «  Le  chris- 
tianisme a  été  la  vie  intellectuelle  du  monde  depuis  dix-huit 
cents  ans,  et  l'homme  n'a  pas  découvert  jusqu'ici  une  vérité 
morale  ou  une  vertu  qui  ne  fussent  contenues  en  germe  dans 
les  paroles  évangéliques. 

7 


90  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  J'ai  été  élevé  dans  son  sein.  J'ai  été  formé  de  sa  substance. 
Il  me  serait  aussi  impossible  de  m'en  dépouiller  que  de  me 
dépouiller  de  mon  individualité.  Et,  si  je  le  pouvais,  je  ne  le 
voudrais  pas  :  le  peu  de  bien  qui  est  en  moi  vient  de  lui  et  non 
de  moi.  » 

C'est  toute  la  conclusion  de  ce  travail. 

[Études  religieuses.)  Et.  Cornut. 


L'AFFAIRE   QUIQUEREZ-DE  SEGONZAC 

C'est  lundi  qu'a  comparu  à  Saint-Louis,  devant  le  conseil  do 
guerre,  le  lieutenant  de  Segonzac.  Au  moment  oii  s'ouvre  ce 
procès,  rappelons  rapidement  les  faits  qui  ont  motivé  les  pour- 
suites actuelles. 

On  sait  que  M.  le  lieutenant  de  Segonzac  est  accusé  d'avoir 
assassiné  son  compagnon  d'exploration  en  Afrique,  le  lieutenant 
Quiqiierez. 

Le  Journal  des  Débats  rappelle  en  ces  termes  les  origines  de 
la  mission  des  deux  explorateurs  : 

M.  Qtiiquerez  s'était  engagé  dans  l'armée  à  dix-sept  ans;  il  servit 
d'aboni  en  Tunisie,  dans  les  bataillons  mixtes,  plus  tard  au  Tonkinj 
puis  il  passa  de  l'infanterie  dans  la  cavalerie  et  fut  choisi  par  lo  gé- 
néral Jamon  comme  porte-fanion  ;  en  dernier  lieu  (1891),  il  était  lieu- 
tenant au  17»  dragonp.  Partout,  il  avait  laissé  la  réputation  d'un  bon 
soldat,  d'un  caractère  un  peu  aventureux,  auquel  semblait  funeste 
l'inaction  des  garnisons. 

P2dmond-Marie-René  de  Segonzac,  à  vingt  ans,  sortait  de  Saint- 
Cyr  cinquième,  dans  la  cavalerie,  à  vingt-deux  ans,  de  Saumur,  avec 
le  numéro  3.  Il  était  sous-lieutenant  au  4«  chasseurs,  à  Saint-Ger- 
main en  1891,  et,  dans  cette  dernière  garnison,  il  avait,  comme 
M.  Quiquerez,  plus  d'une  fois  fait  preuve  d'un  esprit  d'indôpendance, 
avide  d'inconnu,  qui  s'accommodait  assez  mal  avec  les  rigueurs  des 
rèj-'lements. 

Ces  deux  officiers,  chacun  de  leur  côté,  cherchaient  donc  une 
occasion  de  sortir  du  train-train  d'existence  qu'ils  menaient  au  régi- 
ment. Le  murant  do  curiosité  générale  qui  se  portait  alors  vers 
l'A'rique  les  avait  tous  deux  attirés;  il  devait  les  rap(>rocher;  de.s 
amis  communs  portèrent  à  leur  connaissance  un  plan  d'exploration  de 
la  côte  d'Ivoire,  entre  Grand-Bassam  et  la  frontière  de  Libéria;  ils 
s'abouchèi-ftnt  et  convinrent  de  faire  ce  voyage.  M.  Quiquerez,  à  ce 
moment,  avait   en  outre,  dit-on,  le  désir  d'illuRtier  son  nom  par  une 


l'affaire  QUIQUEREZ  -  DE  SEGONZAC  91 

action  d'éclat,  pour  se  rapprocher  d'une  famille  qui  avait  repoussé 
une  demande  en  mariage  qu'il  lui  avait  adressée.  M.  de  Segonzac 
voulait,  plu3  simplement,  échapper  à  la  monotonie  de  sa  vie  de 
garnison. 

Le  sous-secrétairc  d'Etat  aux  colonies,  qui  était  alors  M.Etienne, 
accueillit  fort  bien  les  deux  officiers  et,  le  5  mars  1891,  le  lieutenant 
Quiqueiez  et  le  sous-lieutenant  de  Segonzac  quittaient  Bordeaux  par 
le  paquebot  Ptata  qui  les  transportait  à  Dakar. 

Or,  le  26  mai  suivant,  M.  de  Segonzac  était  recueilli  au  village  de 
Drewin,  à  l'embouchure  du  San-Pedro,  par  un  négociant  anglais. 
M.  Hadley.  Le  sous-lieutenant  revenait  avec  quelques  hommes  seu- 
lement. 

Le  lieutenant  Quiquerez  était,  disait  il,  mort  de  la  fièvre  algide  à 
200  kilomètres  plus  haut,  sur  le  San-Fedro,  loin  de  tous  lieux  habi- 
tés, à  la  suite  d'une  attaque  des  Pahouins. 

M.  de  Segonzac  faisait  alors  adresser  aux  journaux  de  Paris  une 
note  où  il  relatait  le  décès  de  son  compagnon  et  il  disait  en  sub- 
stance, que,  après  ce  déplorable  événement,  lui-même  avait  été 
attaqué  par  les  anthropophages;  le  bras  cassé,  il  était  tombé  dans 
un  rapide  et  avait  dû  nager  plus  d'une  heure  avec  un  seul  bras  pour 
échapper  à  la  poursuite  des  sauvages. 

Le  l^""  juillet,  M.  de  Segonzac  était  à  Puris  ;  —  il  devait,  semblait- 
il,  rendre  tout  d'abord  visite  à  la  famille  de  son  camarade,  c'est-à- 
dire  à  Mme  Fix  (Mme  Quiquerez  avait  épousé,  en  secondes  noces, 
M.  le  lieutenant-colonel  en  retraite  Fix)  ;  il  hésita,  et  recula  cette 
visite  le  plus  longtemps  possible;  enfin  il  la  fit  et  raconta  ce  qui  est 
résumé  plus  haut.  Il  n'avait  rapporté,  disait-il,  aucun  souvenir  du 
mort,  qu'il  avait  fait  ensevelir  avec  ses  habits  et  ses  armes. 

Ce  récit,  M.  de  Segonzac  le  confirma  en  l'étendant,  non  seulement 
dans  un  rapport  officiel  adressé  à  l'administration  des  colonies,  mais 
aussi  dans  un  article  qu'il  publia  dans  la  Revue  des  Deux   Mondes. 

Après  avoir  raconté  le  combat  du  22  mai  contre  les  Puhuuins, 
M.  de  Segonzac  disait: 

«  Nous  n'avons  plus  ni  un  fusil,  ni  un  vêtement,  rien,  rien...  C'est 
navrant!  Où  sont  les  Pahouins?  S'ils  reviennent  c'en  est  fait  de 
nous  !  Et  nous  sommes  là,  sur  cet  étroit  banc  de  sable,  adossés  à 
notre  pirogue  renversée,  l'œil  fixe,  essayant  de  pénétrer  du  regard 
cette  terrible  forêt,  frémissant  au  moindre  bruit. 

*  Tout  à  coup,  Quiquerez  se  plaint  du  froid,  de  la  fièvre.  Je  m'ap- 
proche de  lui,  il  est  effrayant,  il  grelotte,  il  a  les  yeux  effarés  ;  nous 
le  couchons  sur  le  sable  mouillé,  n'ayant  pas  même  une  couverture 
pour  l'abriter.  Le  délire  le  prend,  un  délire  fou.  Il  veut  marcher,  et 
les  six  tirailleurs  pendus  après  lui  peuvent  à  peine  le  recoucher. 
Nous  le  massons  de  notre  mieux  ;  rien  ne  peut  le  réchauffer  ;  les 
extrémités  deviennent  noires.  Jamais  je  n'ai  vu  de  fièvre  aigide,  cette 
terrible  fièvre  pernicieuse  dont  on  parle  tant! 


92  ANNALES     CATHOLIQUES 

«  Un  moment,  j'ai  cru  que  c'était  le  choléra  qu'avait  Quiquerez. 
Peu  à  peu  il  s'est  calmé,  il  s'est  alourdi,  et  m'a  dit  encore  :  «  Prépare- 
moi  un  peu  de  quinine.  Ça  se  termine  par  un  mal  de  tête  épouvan- 
table au  réveil...  »  Et  puis,  très  doucement,  il  s'est  endormi...  Une 
heure  après,  il  était  mort! 

«  A  la  hâte  nous  avons  enterré  ce  pauvre  Paul.  Nous  avons  creusé 
sa  tombe  avec  les  planches  de  notre  pirogue,  dans  le  sable,  presque 
dans  l'eau. 

«  11  repose  là,  dans  ce  coin  perdu  d'Afrique  où  sont  venues  échouer 
toutes  nos  espérances. 

«  J'ai  perdu  un  camarade  dont  deux  mois  de  vie  et  de  souffrances 
communes  avaient  fait  un  frère  pour  moi.  Je  l'ai  vu  mourir,  sans 
pouvoir  rien  contre  son  mal,  sans  pouvoir  même  l'abriter  de  la  pluie 
et  lui  tendre  un  verre  d'eau,  sans  un  secours  religieux,  sans  une 
prière  !  » 

Ce  récit  du  sous-lieutenant  de  Segonzac  parut  étrange  au  lieute- 
nant-colonel Fix,  beau-père  du  lieutenant  Quiquerez,  qui,  d'ailleurs, 
avait  eu  connaissance  de  lettres  d'un  négociant  anglais,  établi  sur  la 
côte  d'Ivoire,  lequel  relatait  des  bruits  qui  couraient  de  tribu  en  tribu 
nègre,  et  d'après  lesquels  M.  Quiquerez  aurait  été  tué  et  enterré 
précipitamment. 

Comment,  se  demandait  M.  Fix,  M.  de  Segonzac  n'avait-il  pas 
pensé  à  rapporter  à  la  mère  de  son  compagnon  le  moindre  bijou,  le 
moindre  objet  venant  de  son  fils?  Comment  avait-il  pu,  quatrf  jours 
après  le  triste  événement,  être  de  retour  à  la  côte,  alors  que  200  ki- 
lomètres de  pays  inhabité  et  difficile  à  franchir  l'en  séparaient, 
d'après  son  récit  de  la  Revue  des  Deux  Mondes?  Enfin,  l'attitude  de 
M.  de  Segonzac,  lors  de  l'unique  visite  qu'il  avait  faite  à  la  mère  de 
l'infortuné  Quiquerez,  n'avait  pas  paru  naturelle  au  lieutenant-co- 
lonel Fix. 

Sans  hésiter,  égaré  peut-être  par  son  affection  pour  son  beau-fils, 
le  lieutenant-colonel  Fix  demanda  une  enquête.  Il  ne  tarda  pas  à 
aller  plus  loin  et  à  accuser  M.  de  Segonzac  d'avoir  tué  son  com- 
pagnon d'exploration. 

L'insistance  du  lieutenant-colonel  Fix,  les  indices  recueillis  par 
lui  auprès  d«s  négociants  anglais  qui  Vivaient,  les  premiers,  relaté  les 
bruits  terribles  que  l'on  avait  fait  courir,  enfin  les  déclarations  de 
certains  des  tirailleurs  sénégalais  qui  avaient  accompagné  les  deux 
officiers,  tout  cola  aboutit  à  la  découverte  du  corps  de  l'infortuné 
Quiquirez.  Il  était  enterré  à  vingt-cinq  kilomètres  environ  de  l'em- 
bouchure du  San-Pedro,  près  d'un  village.  Le  corps  fut  exhumé  :  le 
lieutenant  Quiquerez  avait  été  frappé  d'une  balle  à  la  tête,  comme  si 
le  coup  avait  été  tiré  de  bas  en  haut,  l'officier  étant  couché. 

En  présence  de  cette  constatation,  le  sous-lieutenant  de  Segonzac 
revint  sur  ses  premières  déclarations.   Quiquerez  s'était  suicidé  :  et 


l'affaire  QUIQUEREZ  -  DE  SEGONZAC  93 

si  M.  de  SegODzac  avait  imagine  son  piemier  récit,  c'était  par  égard 
pour  la  famille  et  par   respect  pour  la  mémoire   de  son  compagnon. 

Une  enquête,  ordonnée  par  le  gouvernement,  fut  faite  au  Sénégal 
parle  capitaine  Fortin.  L'officier  enquêteur,  après  avoir  entendu  les 
hommes  qui  faisaient  partie  de  l'expédition,  faisait  un  rapport  dont 
voici  le  point  principal  : 

Le  lieutenant  Quiquerez  était  couché  dans  sa  tente,  côte  à  côte 
avec  son  compagnon,  quand  le  lieutenant  de  Segonzac,  saisissant  son 
revolver  déposé  au  chevet  de  son  lit,  se  serait  approché  de  lui  et  lui 
en  aurait  tiré  un  coup  dans  la  tête. 

La  détonation  réveilla  les  ordonnances  des  deux  officiers  et  quel- 
ques indigènes  auxquels  M.  de  Segonzac  déclara,  d'une  voix  impé- 
rieuse, en  rpj(^tant  la  couverture  sur  la  tête  du  mort,  «  que  le  lieu- 
tenant venait  de  se  tuer  ». 

Mais  un  indigène,  assis  sur  le  devant  de  sa  hutte  en  face  du  cam- 
pement des  officiers,  avait  vu,  par  la  porte  de  la  tente  restée  ouverte, 
le  lieutenant  de  Segonzac  prendre  !<on  revolver,  se  lever  et  se  diriger 
vers  la  couchette  du  lieutenant  Quiquerez. 

L'enquête  du  capitaine  Fortin  établissait,  d'autre  part,  que  le 
revolver  de  M.  de  Segonzac  ne  contenait  plus  que  cinq  balles  au 
lieu  de  six,  tandis  que  le  revolver  du  lieutenant  Quiquerez  était 
encore  complètement  chargé. 

C'est  sur  les  conclusions  de  cette  enquête  de  M.  le  capitaine  Fortia 
que  M.  de  Segonzac  (lequel  avait  été  nommé  lieutenant  depuis  sa 
rentrée  en  France)  fut  arrêté  dans  un  château  de  Seine-et-Marne, 
appartenant  à  sa  famille,  où  il  s'était  retiré.  Sa  comparution  devant 
le  conseil  de  guerre  du  Sénégal  rendait,  paraît-il,  cette  arrestation 
nécessaire.  M.  de  Segonzac  fut  donc  conduit,  par  deux  officiers,  à 
Bordeaux,  puis  de  là  à  Saint-Louis,  où  le  procès  s'ouvre  aujourrrhui. 

Les  faits  relevés  par  l'enquête,  les  variations  des  récits  faits  par 
M.  de  Segonzac,  etc.,  paraissent  vérifier  l'hypothèse  du  meurtre, 
mais  il  faut  rappeler  qu'un  officier  français,  le  lieutenant  Arago,  en 
exploration  dans  les  mêmes  parages,  apprenait  la  mort  de  Quiquerez 
cinq  jours  après  qu'elle  s'était  produite;  les  chefs  de  village  qui  lui 
donnaient  cette  nouvelle  ajoutaient  que  le  lieutenant  s'était  tué  avec 
son  petit  pistolet. 

D'autre  part,  quel  serait  le  mobile  du  crime?  La  correspondance 
des  deux  officiers  ne  dénote  entre  eux  aucun  désaccord.  On  ne  voit 
pas  quel  intérêt  M.  de  Segonzac  pouvait  avoir  à  la  mort  de  son  com- 
pagnon. Reste  l'hypothèse  d'une  querelle. 

M.  de  Segonzac  déclare  lui-même,  dans  son  récit  de  la  Revue  des 
Deux  M*ondes,  qu'il  n'a  entendu  parler  que  le  23  février  1891  — dix 
jours  avant  son  embarquement  —  «  d'un  projet  d'excursion  dans 
l'Afrique  occidentale  »  ;  il  était  parti  pour  la  côte  d'Ivoire  dans  un 
«oup  d'emballement.  D'après  certains  renseignements,  d'ailleurs  assez 


94  ANNA.LES    CATHOLIQUES 

vagues,  les  premières  difficultés  l'auraient  désillusionné  et  rebuté.  Il 
aurait  même  cherché  à  rentrer  en  France  dès  les  premiers  jours, 
guettant  un  navire  à  l'horizon,  tandis  que  le  lieutenant  Quiquerez 
brûlait  d'envie  de  s'illustrer.  Sur  les  bords  du  San-Pedro,  une  que- 
relle subite  a  pu  éclater,  Celui-ci  décidé  à  aller  de  l'avant,  celui.Tlà 
déterminé  au  retour. 

Mais,  d'un  autre  côté,  nous  avons  dit  que  AI.  Quiquerez  était  parti 
avec  l'intention  d'obtenir,  par  une  belle  action,  la  main  dune  jeune 
fille  qui  lui  avait  été  refusée.  On  dit  que  cette  jeune  fille  s'étant 
mariée  pendant  l'absence  de  M.  Quiquerez  et  celui-ci  l'ayant  appris, 
ce  suicide,  par  désespoir  d'amour,  devient  très  vraisemblable... 

On  suppose  que  les  défenseurs  de  M.  de  Segonzac  plaideront 
l'incompétence  du  conseil  de  guerre  du  Sénégal,  le  territoire  sur 
lequel  se  sont  passés  les  faits  n'étant,  à  l'époque,  ni  français  ni  pro- 
tectorat français. 

D'assez  nombreux  témoins  seront  entendus. 

La  défense  pourra  sans  peine  faire  remarquer  le  peu  de  fond  qu'il 
faut  faire  sur  la  déposition  de  la  plupart  d'entre  eux  qui  auraient, 
s'il  faut  en  croire  l'enquête,  affirmé  successivement  et  avec  la  même 
énergie  la  vérité  des  deux  versions  de  M.  de  Segonzac. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

Fi-nnce 

Paris.  —  Le  lundi  2  octobre,  à  deux  heures  de  raprès-midi, 
a  eu  lieu  l'installation  solennelle  à  la  cure  de  Saint-Lambert  de 
Vaugirard  de  M.  l'abbé  Rivât,  précédemment  curé  de  Pantin. 

L'église,  magnifiquement  ornée,  était  remplie  d'une  très  nom- 
breuse assistance  composée  de  fidèles  de  Vaugirard  et  des  parois- 
ses où  M.  l'abbé  Rivât  avait  exercé  auparavant  le  saint  ministère. 

jM.  Amable  Rivât  est  né  le  7  juillet  1843,  à  Remiremont,  au 
diocèse  de  Saint-Dié.  Il  rencontra  dans  sa  famille  les  exemples 
et  les  leçons  qui  laissent  au  cœur  de  l'enfant  des  impressions 
durables.  Il  eut  au  petit  et  au  grand  séminaire  des  succès  dans 
ses  études.  Un  instant  il  se  crut  appelé  à  la  vie  religieuse  et  entra 
au  noviciat  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique;  mais  Dieu  le  vou- 
lait ailleurs.  Ordonné  prêtre  le  9  juin  1867,  à  vingt-quatre  ans. 
au  diocèse  de  Châlons,  par  Mgr  Meignan,  aujourd'hui  cardinal 
archevêque  de  Tours,  qui  l'avait  choisi  pour  secrétaire,  il  occupa 
une  chaire  de  dogme  au  grand  séminaire,  c'était  un  hommage 
rendu   à    la  valeur    intellectuelle   et  morale  du  jeune  prêtre. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  95 

Après  une  année  passée  en  Autriche,  avec  le  titre  de  précep- 
teur, il  revint  à  Paris  et  exerça  le  saint  ministère  dans  plusieurs 
paroisses  oîi  il  a  laissé  les  meilleurs  souvenirs.  Depuis  six  ans, 
il  était  curé  de  Pantin. 

Amiens.  —  L'événement  que  l'on  vient  de  célébrer  à  Albert 
occupera  une  grande  place  dans  l'histoire  de  l'Eglise  d'Amiens 
au  XIX*  siècle.  Là,  comme  à  Lourdes,  la  dévotion  envers  Marie 
a  opéré  des  prodiges.  Un  prêtre  intelligent  et  zélé  a  su  trouver 
dans  la  générosité  des  fidèles  les  deux  millions  avec  lesquels  il 
a  commencé  d'élever  à  Notre-Dame  de  Picardie  l'un  des  monu- 
ments religieux  les  plus  remarquables  de  ce  siècle.  Et  M.  l'abbé 
Godin,  doyeu  d'Albert,  sait  bien  que  le  million  qui  lui  manque 
pour  achever  son  œuvre  viendra  sûrement,  prélevé  par  la  foi  et 
l'amour  sur  le  superflu  du  riche  et  plus  encore  peut-être  sur  le 
nécessaire  des  pauvres  pèlerins  de  la  Vierge-aux-brebis. 

Les  fêtes  de  la  translation  delà  statue  miraculeuse  ont  com- 
mencé le  1"  octobre.  Mgr  Fallières,  évêque  de  Saint-Brieuc, 
ancien  vicaire  général  d'Amiens,  de  qui  M.  l'abbé  Godin  reçut 
les  premiers  encouragements  dans  une  entreprise  humainement 
si  téméraire,  a  célébré  la  dernière  messe  pontificale  dans  la 
vieille  église.  Le  soir,  à  vêpres,  M.  l'abbé  Morelle,  vicaire  gé- 
néral de  Saint-Brieuc,  l'un  des  prédicateurs  les  plus  goûtés  de 
la  neuvaine  de  Notre-Dame  de  Brebières,  a  célébré  avec  une 
éloquence  émue  et  entraînante  les  grandeurs  de  la  reine  du  ciel. 

La  translation  a  eu  lieu  le  lundi.  NN.  SS.  les  évêques 
d'Amiens,  d'Arras,  de  Saint-Brieuc,  de  Lydda,  auxiliaire  de 
Cambrai  et  de  Panéas,  en  Palestine,  et  Mgr  le  recteur  de  l'Insti- 
tut catholique  d'Angers,  assistaient  à  la  cérémonie.  Dès  le 
matin  les  pèlerins  se  pressaient  dans  la  vieille  église.  Plus  de 
vingt  mille  sont  arrivés  dans  la  matinée.  Il  y  a  eu  de  très  nom- 
breuses communions.  Mgr  l'évêque  d'Amiens  a  bénit  la  nou- 
velle basili(iue  et  célébré  dans  ce  magnifique  sanctuaire  la  pre- 
mière messe  pontificale. 

A  trois  heures  la  procession  de  la  translation  a  commencé. 
Comment  exprimer  l'enthousiasme  de  tout  ce  peuple?  Les  Al- 
bertins  avaient  rivalisé  de  zèle  pour  élever  des  arcs  de  triomphe 
et  pavoiser  les  maisons.  Des  groupes  historiques  formaient  la 
partie  la  plus  intéressante  du  cortège  de  la  Divine  Bergère  ;  une 
compagnie  d'archers,  sainte  Colette  et  ses  religieuses,  un  car- 
dinal-légat suivi  du  seigneur  Hugues  de  Camp  d'Avesnes,  venu 


96  ANNALES  CATHOLIQUES 

à  résipiscence  après  avoir  dévasté  les  biens  de  l'Eglise  d'Ancre, 
Jacques  d'Humiéres  et  ses  ligueurs.  On  y  voyait  aussi  des 
groupes  de  faucheuses,  de  bergères,  de  marins  et  de  zouaves, 
les  mystères  du  Rosaire,  les  agneaux  de  Notre-Dame  et  les 
diverses  congrégations  et  sociétés  d'Albert.  Quelle  superbe 
marche  triomphale  !  Quelles  joyeuses  et  vibrantes  acclamations! 
Mgr  Pagis,  évêque  de  Verdun,  est  monté  en  chaire  dans  la  nou- 
velle basilique,  et  a  chanté  les  gloires  de  Marie,  reine  du  ciel, 
de  la  terre,  de  la  France  et  do  la  Picardie.  L'auditoire  a  été 
dans  le  ravissement.  Le  soir  un  salut  solennel  a  été  donné  dans 
la  basilique  étincelante  sous  les  feux  électriques.  Rien  ne  peut 
rendre  l'effet  merveilleux  de  cette  lumière  sur  les  peintures, 
les  mosaïques  et  les  marbres  de  Tédifice. 

La  fête  s'est  terminée  le  mardi  par  un  très  éloquent  discours 
de  M.  le  chanoine Brettes  :  ce  que  la  Picardie  a  fait  pour  Notre- 
Dame  et  ce  que  Notre-Dame  fera  sans  nul  doute  pour  sa 
France  bien-aimée.  Magnifique  clôture  d'une  piagnifique  fête! 
Assurément  nul  de  ceux  qui  ont  assisté  à  la  translation  de 
Notre-Dame  de  Brebières  n'en  oubliera  jamais  l'éclat  et  les 
douces  émotions. 

Chalons.  —  Par  suite  du  caprice  d'un  maire,  les  habitants 
d'une  commune  de  l'arrondissement  de  Vitry  se  sont  vus  privés, 
le  dimanche  P''  octobre,  d'offices  religieux.  Voici  dans  quelles 
circonstances  : 

La  commuue  de  Sainte-Livière  était  depuis  quelque  temps  desser- 
vie, comme  annex'»,  par  M.  le  curé  do  Champaubert-aux-Bois, 

Par  décision  de  Mgr  l'Evêque  de  Châlons,  M.  l'abbé  Gillet,  vicaire 
à  Epernay,  vient  d'élre  nommé  curé  de  Laadricourt  (en  remplace- 
ment de  M.  l'abbé  Voillereau)  et  eu  même  temps   de  Sainte-Livière, 

M.  le  maire  de  cette  dernière  commune  a  profité  de  ce  changement 
pour  faire  un  coup  de  tête,  qui  a  jeté  l'émoi  non  seulement  à  Sainte- 
Livière,  mais  encore  dans  les  villages  voisins. 

UEcho  de  la  Marne,  auquel  nous  empruntons  ces  détails, 
publie  en  effet,  d'un  «  correspondant  tout  à  fait  digne  de  foi  », 
la  lettre  suivante  : 

Vendredi  dernier,  29  septembre,  M.  l'abbé  Gillet,  nommé  par 
Mgr  l'évêque  de  Châlons  curé  de  Landricourt  et  chargé  par  la  même 
décision  de  l'annexe  de  Sainte-Livière,  se  présentait  chez  M.  le  maire 
de  cette  commuuf».  Celui-ci  s'était  absenté  avec  intention.  M.  Gillet, 
prévenu  de  l'attitude  que  devait  prendre  le  maire,  se  rendit  néanmoins 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  97 

chez  lui  et,  ne  le  trouvant  pas,  se  fit  conduire  dans  les  champs  où  il 
travaillait.  Le  maire  le  reçut  en  lui  disant  qu'il  ne  le  connaissait  pas, 
qu'il  avait  retourné  sa  nomination  à  l'évêché  et  qu'il  fermait  la  boîte 
(sic).  M.  Gillet  lui  ayant  demandé  les  clefs  de  l'église  et  du  presby- 
tère, le  maire  les  refusa.  Or,  il  n'avait  pas  le  droit  de  refuser  les 
clefs;  le  maire  n'a  droit  qu'à  une  clef  de  l'église,  et  encore  pour  aller 
aux  cloches  s'il  ne  peut  y  arriver  sans  passer  par  l'église. 

Dimanche  dernier,  1*'  octobre,  M.  l'abbé  Michels,  curé  de  Cham- 
paubert-aux-Bois,  qui  desservait  depuis  trois  mois  la  commune  de 
Sainte-Livière  comme  annexe,  se  rendit  dans  cette  commune  pour  y 
dire  la  messe  paroissiale.  Il  avait  reçu  commission  de  Monseigneur 
d'y  célébrer  la  messe  à  la  place  de  M.  Gillet  non  encore  installé. 
Quand  il  arriva,  le  maire  lui  refusa  les  clefs  comme  à  l'abbé  Gillet, 
et  M.  Michels  dut  s'en  retourner,  sans  pouvoir  dire  la  messe  à  Sainte- 
Livière.  De  sorte  que  cette  paroisse  n'eut  pas  d'offices  dimanche  der- 
nier. Il  est  à  noter  que  le  dimanche  précé  lent  des  premières  com- 
munions y  avaient  eu  lieu. 

Que  fera-t-on?  Je  crois  que  le  maire,  M.  Guillemin,  pourrait  être 
poursuivi.  En  tout  cas,  je  pense  qu'il  est  bon  de  signaler  ce  fait  d'un 
maire  usant  d'un  droit  qu'il  n'a  pas  et  qui  interdit  à  un  ministre  d'un 
culte  reconnu  par  l'Etat,  dûment  envoyé  par  l'évêché,  de  pénétrer 
dans  l'église  et  d'y  dire  la  messe. 

J'oubliais  de  vous  dire  que  le  maire  de  Sainte-Livière  a  défendu  au 
sonneur  de  sonner  les  coups  de  la  messe  —  abus  de  pouvoir  ;  de  plus, 
il  a  fait  sonner  les  vêpres,  après  avoir  interdit  de  sonner  la   messe. 

h' Echo  de  la  Marne  ajoute  : 

Comme  à  notre  correspondant,  le  fait  nous  paraît  d'une  gravité 
exceptionnelle.  Nous  espérons  que  Mgr  l'évêque  de  Châlons  va 
prendre  l'affaire  en  main  énergiquement. 

En  tous  cas,  l'incident  montre  bien  que  les  maires  se  croient 
désormais  tout  permis  contre  l'Eglise.  Tant  d'intrusion  sera- 
t-elle  punie'?  ne  sera-t-elle  pas  plutôt  récompensée'? 

Nevers.  —  Nous  lisons  dans  la  Semaine  religieuse  de  Nevers, 
du  7  octobre  : 

Nous  annoncions  avec  tristesse  à  nos  lecteurs,  il  y  a  quelques 
semaines,  que  le  traitement  de  deux  de  nos  confrères  du  diocèse  de 
Nevers  venait  d'être  supprimé.  Mais  nous  ajoutions  avec  confiance  : 
«  Les  faits  reprochés  à  ces  ecclésiastiques  étant  faux,  Monseigneur 
en  a  informé  le  ministre  dont  la  bonne  foi  a  été  surprise  et  qui,  sans 
doute,  ne  maintiendra  pas  sa  décision.  » 

Notre  confiance  en  l'esprit  de  justice  de  M.  le  ministre  était,  hélaa! 


98  ANNALES   CATHOLIQUES 

excessive,  nous  le  reconnaissons  aujourd'hui.  M.  Poincaré  vient,  en 
effet,  de  faire  connaître  à  Mgr  l'évêque  qu'il  maintient  sa  décision  et 
que  le  traitement  des  deux  prêtres  en  question  demeure  supprimé. 

Quels  sont  donc  les  faits  si  graves  reprochés  à  ces  deux  ecclésias- 
tiques ?  De  quelle  faute  se  sont-ils  donc  rendus  coupables  pour  être 
l'objet  de  pareille  rigueur? 

M.  le  curé  d'Alluy  et  M.  le  curé  de  Tintury  sont  accusés  d'avoir 
favorisé  la  diffusion  du  journal  la  Croix  du  Nivernais  dans  leur 
paroisse  !  Voilà  le  seul  grief  qui  leur  est  reproché. 

Or,  connaissez-vous  la  Croix  du  Nivernais  ? 

C'est  un  journal  hebdomadaire  et  républica'tn. 

Fidèle  aux  recommandations  de  Léon  XIII,  la  Croix  accepte  loya- 
lement la  République;  elle  ne  combat  que  les  mauvais  républicains  et 
les  mauvaises  lois  républicaines. 

Ce  programme,  parait-il,  déplaît  aux  ministres  du  jour,  car  ils 
poursuivent  cette  feuille  et  ceux  qui  la  propagent  d'une  haine  impla- 
cable. Voici  les  faits  : 

MM.  les  curés  d'Alluy  et  de  Tintury,  écrivait  naguère  M.  le  minis- 
tre des  cultes,  propagent  dans  leurs  paroisses  un  journal  qui  me 
déplaît.  En  conséquence,  je  viens  de  supprimer  leurs  traitements. 

Aussitôt,  Mgr  l'Evêque  se  renseigne.  Les  témoignages  les  plus  sûrs 
sont  recueillis.  Tous  s'accordent  pour  prouver  que  les  deux  prêtres 
dénoncés  n'ont  pas  distribué  ni  fait  distribuer  la  Croix  ;  que  ce  jour- 
nal est  propagé  dans  la  paroisse  en  dehors  d'eux.  Monseigneur  en 
informe  aussitôt  M.  le  Ministre  qui  répond  :  C'est  vrai  ;  après  enquête,, 
je  reconnais  que  les  deux  prêtres  en  question  ne  distribuent  pas  la 
Croix,  mais  le  sacristain  et  la  femme  du  sacristain  la  distribw.nt. 
Donc...  nous  sommes  obligés  de  frapper  le  curé,  car  il  doit  être 
l'instigateur  de  cette  propagande.  Nous  sévissons  à  contre  cœur  ; 
mais,  même  en  République,  la  tolérance  a  des  bornes  ;  et  quand  un 
sacristain  et  son  épouse  sont  gravement  coupables,  alors  la  consé- 
quence s'impose  :  il  faut  priver  de  pain  le  curé  de  la  paroisse  ! 

En  vérité,  on  croit  rêver.  Nous  ne  saisissons  pas  du  tout  la  suite 
logique  du  raisonnement  et  nous  ne  comprenons  pas  comment  la 
faute  d'un  sacristain,  si  faute  il  y  a,  peut  entraîner  la  peine  de  mort 
par  inanition  prononcée  contre  le  curé. 

Devons-nous  en  conclure  que  la  logique  ministérielle  a  des  déduc- 
tions tellement  fulgurantes  et  inattendues  qu'elles  éblouissent  et 
aveuglent  de  simples  mortels?...  Nous  croyons  plutôt  que  l'image  du 
divin  Crucifié  partout  où  elle  se  rencontre,  inspire  à  nos  gouvernants 
une  défiance  voisine  de  la  haine  ;  et,  sous  l'empire  de  ce  sentiment, 
un  homme,  fùt-il  ministre,  devient  capable  des  plus  criantes  iujus- 
tices. 

En  nous  plaçant  au  point  de  vue  du  droit,  il  nous  serait  facile  de 
démontrer  à  M.  le  Ministre  que  sa  décision  est  illégale  de  tous  points. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  99 

Par  décret  du  3  novembre  1789,  la  CoDstituante  déclarait  que  la 
nation  s'appropriait  les  biens  du  clergé,  mais  en  même  temps,  elle 
stipulait  l'obligation  rigoureuse  pour  l'Etat  de  subvenir  à  la  subsis- 
tance des  ministres  des  autels. 

La  Constitution  votée  le3  septembre  1791  contenait  ('titre  V,  art.  3) 
cette  déclaration  :,Le  traitement  des  ministres  du  culte  fait  partie  de 
la  dette  publique. 

Le  Concordat  du  10  septembre  1801,  conclu  entre  Pie  VII  et  Napo- 
léon, confirma  solennellement  ces  deux  engagements. 

Le  traitement  du  clergé  est  donc  une  dette  de  VÉtat  au  même  titre 
que  la  dette  ordinaire,  celle  que  l'on  appelle  la  rente  sur  VEtat. 

Que  dirait-on  si  le  ministre  des  finances  répondait  au  rentier  qui 
vient  toucher  son  trimestre  :  «  Vos  opinions,  vos  actes,  vos  paroles 
me  déplaisent,  et  il  ne  me  convient  pas  de  donner  l'argent  de  l'Etat 
à  un  homme  qui  me  déplaît?  Il  est  bien  vrai  que  l'Etat  a  reçu  de  vous 
ou  de  vos  ancêtres  un  capital  en  échange  duquel  il  vous  avait  promis 
une  rente,  mais  nous  trouvons  plus  facile  de  garder  le  capital  et  de 
ne  pas  payer  la  rente.  Nous  sommes  les  plus  forts  ;  ainsi  vous  n'avez 
qu'à  subir  la  confiscation  ?  » 

Voilà  exactement  le  langage  que  tient  le  Gouvernement  aux  deux 
prêtres  dont  le  traitement  vient  d'être  supprimé. 

Dans  le  cas  présent,  le  ministre  est  un  débiteur  qui  dit  à  son  créan- 
cier :  «  Je  vous  dois,  mais  comme  je  suis  fort  et  que  vous  êtes  faible, 
je  ne  vous  payerai  pas.  » 

C'est  là  un  de  ces  abus  du  pouvoir  qui  ne  peuvent  être  réprimés 
par  les  tribunaux  parce  que  les  tribunaux  sont  momentanément  à  la 
disposition  de  ceux  qui  abusent  ;  mais  ils  relèvent  de  la  justice  éter- 
nelle et  de  la  conscience  publique  comme  tous  les  crimes  que  la  jus- 
tice humaine  n'atteint  pas. 

De  plus  c'est  un  principe  de  notre  droit  qu'il  faut,  pour  condamner 
un  citoyen  à  l'amende  la  plus  minime,  une  décision  de  justice  rendue 
contradictoirement  ;  et  ici,  c'est  le  ministre  seul  qui  condamne,  sans 
même  l'entendre,  le  prêtre  inculpé  à  subir  la  confiscation  de  tout  son 
revenu. 

Toute  suppression  de  traitement  ecclésiastique  est  illégale.  Mais 
lorsque  cette  suppression  n'est  nullement  motivée,  lorsque  les  faits 
allégués  pour  voiler  l'injustice  n'existent  même  pas,  cette  confiscation 
devient  particulièrement  odieuse.  Que  peut-on  répondre  à  un  ministre 
qui  dit  à  un  prêtre  :  Votre  sacristain  et  sa  femme  font  une  besogne 
qui  me  déplaît  :  je  supprime  votre  traitement  ?  On  ne  peut  qu'en 
appeler  au  bon  sens  public  et  plaindre  le  noble  pays  dont  les  des- 
tinées sont,  en  ce  moment^  aux  mains  de  tels  hommes.  On  ne  peut 
que  faire  des  vœux  et  d'ardentes  prières  pour  qu'une  ère  de  justice  et 
de  vraie  liberté  s'ouvre  bientôt  sur  la  France. 

M.  le  Ministre  se  trompe  s'il  croit  anéantir  la  bonne  presse  en  la 
frappant  ainsi  sans  franchise  et  par  derrière. 


100  ANNALES    CATHOLIQUES 

Il  se  trompe  surtout  s'il  compte,  par  de  telles  violences,  effrayer  le 
elergé.  De  tels  coups  grandissent  et  honorent  ceux  qui  sont  frappés. 
De  tels  coups  mettent  au  cœur  de  ceux  qu'ils  atteignent  une  indomp- 
table énergie  pour  combattre  jusqu'à  la  fin  le  boa  combat  et  secouer 
tout  joug  oppresseur.  Un  traitement  de  900  francs  pèse  bien  peu  au 
regard  d'une  conscience  sacerdotale,  qui  toujours  préférera  à  l'abdi- 
cation et  à  l'asservissement  la  liberté  et  l'honneur,  dussent-elles  avoir 
pour  compagne  la  pauvreté  ! 

Nos  gouvernants  viennent  donc  de  prouver  une  fois  de  plus  qu'ils 
s'efforcent  toujours  de  mettre  les  catholiques,  les  prêtres  surtout, 
hors  la  loi.  Une  fois  de  plus,  ils  démontrent  que  les  mots  d'apaise- 
ment, de  conciliation,  de  justice,  dont  ils  émaillent  leurs  discours, ne 
sont  qu'un  leurre  destiné  à  tromper  les  naïfs. 

En  ce  moment  même,  une  agitation  formidable  gronde  dans  le 
nord  de  la  France.  On  voit  des  députés  qui  émargent  au  budget  de 
l'Etat  fomenter  le  désordre  et  la  grève,  répandre  les  feuilles  les  plus 
anarchistes,  les  plus  révolutionnaires  parmi  les  ouvriers.  Le  Gouver- 
nement se  garde  bien  de  les  faire  arrêter  ou  même  de  suspendre  leur 
traitement.  Mais  deux  prêtres  sont  accusés  faussement  par  quelques 
politiciens  sans  aveu  d'avoir  répandu  un  journal  honnête  ;  aussitôt 
ils  sont  frappés  ! 

Quel  est  l'honnête  homme  en  France  qu'une  pareille  injustice  n'in- 
dignera pas? 

Perpignan.  — La  Semaine  religieuse  de  Perpignan  faisait, 
ces  jours  derniers,  le  triste  tableau  du  séminaire,  occupé  mili- 
tairement par  des  ecclésiastiques  travestis  en  soldats. 

C'est  avec  un  serrement  de  cœur  qu'on  visite  aujourd'hui  le  grand 
séminaire  de  Perpignan.  On  n'y  reconnaît  pas  le  temple  de  la  prière, 
ni  la  demeure  chère  entre  toutes  qui  a  été  témoin  de  tant  de  vertus 
et  de  tant  d'abnégations.  On  ne  rencontre  guère  que  des  soldats,  dont 
les  lourds  souliers  retentissent  dans  le  silence  des  corridors. 

Et  ces  soldats  sont  des  prêtres,  des  diacres  ou  des  sous-diacres, 
qu'une  loi  impie  a  ravis  pendant  vingt-huit  jours  au  service  des  au- 
tels. Il  y  a  en  eflfet,  au  grand  séminaire  do  Perpignan,  quarante-cinq 
ecclésiastiques  astreints  à  ce  service  :  ils  appartiennent  aux  diocèsee 
d'Albi,  Perpignan,  Mende,  Rodez,  Carcasonne,  Montpellier. 

Il  y  a  même  des  élèves  du  séminaire  des  Missions  étrangères  de 
Paris,  c'est-à-dire  des  jeunes  gens  qui  laissent  leur  famille  et  qui 
s'expatrient  afin  d'aller  civiliser  les  sauvages  et  implanter  dans  leurs 
cœurs  l'amour  de  l'Eglise  et  de  la  France. 

Sur  ces  quarante-cinq  ecclésiastiques,  il  y  a  huit  prêtres,  presque 
tous  engagés  dans  le  ministère  paroissial.  Quel  spectacle  !  et  comme 
la  franc-maçonnerie  poursuit  son  œuvre  de  déchristianisation  en 
s'acharnant  à  diminuer  le  prêtre  ! 


CHRONIQUE  DE  LA.  SEMAINE  101 

CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE 

L'arrivée  de  l'escadre  russe. —  Tyrannie  municipale.  —  Poursuites  contre 
ÏAutorité.  —  Les  grèves.  —  Etranger. 

12  octobre  1893. 

C'est  demain  à  midi  que  l'escadre  russe  doit  mouiller  en  rade 
de  Toulon  et  les  fêtes  vont  commencer.  L'accueil,  on  peut  en 
être  sûr,  sera  digne  des  hôtes  amis  de  la  France. 

L'amiral  Avellan  quittera  Toulon  le  16  et  arrivera  à  Paris  le 
17,  avec  ses  états-majors.  Il  y  restera  jusqu'au  25. 

Le  conseil  municipal  avait  résolu  d'inviter  au  banquet  qui 
aura  lieu  à  l'hôtel  de  ville  les  deux  maréchaux  survivants,  de 
Mac-Mahon  et  Canrobert.  Le  premier  est  trop  malade  en  ce  mo- 
ment pour  répondre  lui-même.  Le  second  a  écrit  à  M.  Hervieu, 
secrétaire  du  conseil  municipal  : 

Saint-Germain,  8  octobre. 
Monsieur  le  conseiller  municipal  de  Paris, 

J'ai  vivement  regi-etté  de  ne  pas  m'étre  trouvé  chez  moi  hier  lorsque 
vous  et  M.  Maury  avez  pris  la  peine  d'y  venir. 

J'aurais  voulu  pouvoir  vous  dire  verbalement  combien  je  suis  tou- 
ché de  la  démanche  que  le  cons'^il  municipal  de  la  ville  de  Paris  a 
bien  voulu  faire  auprès  de  moi  et  vous  prier  de  remercier  en  mon 
nom  messieurs  vos  collègues. 

Mais,  à  mon  grand  regret,  il  me  sera  impossible  de  me  rendre  à 
votre  invitation.  Mon  grand  âge  et  l'état  de  ma  santé  m'empêcheront 
de  prendre  part  à  ce  beau  banquet,  auquel,  en  ma  double  qualité  de 
Français  et  d'ancien  général  en  chef  de  l'armée  de  Crimée,  je  me 
serais  autrement  fait  un  plaisir  et  un  honneur  d'assister.  Car  j'ai 
appris,  dans  nos  acharnées  luttes  devant  Sébastopol,  à  apprécier  la 
vaillance  et  les  solides  qualités  dos  marins  et  des  soldats  de  la  grande 
nation  russe. 

Veuillez  recevoir,  monsieur  le  conseiller  municipal,  l'expression 
de  mes  sentiments  de  haute  et  sympathique  considération. 

Le  maréchal  de  France, 
Sénateur  de  la  Charente, 

Maréchal  Cankobert. 

On  est,  paraît-il,  assez  ému  dans  les  conseils  du  gouverne- 
ment, et  aussi  à  l'ambassade  de  Russie,  des  brnits  qui  ont 
couru,  relativement  à  l'envoi  par  certains  cabinets  étrangers 


102  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'agents  provocateurs,  chargés  de  soulever  des  incidents  pen- 
dant les  fêtes  franco-russes.  Des  instructions  très  précises  ont 
été  envoyées  à  Toulon  par  l'administration  supérieure,  et  c'est 
pour  s'y  conformer  que  le  maire  de  la  ville  fera  afficher  une 
proclamation  adressée  aux  habitants  pour  leur  recommander  de 
s'abstenir  de  tout  cri  sur  le  passage  des  personnages  officiels 
qui  se  trouveront  à  Toulon  pendant  les  fêtes.  Les  Toulonnais 
seront  invités,  en  outre,  à  avoir  une  attitude  calme  et  réservée, 
et  à  montrer  la  plus  grande  circonspection  pendant  le  séjour 
des  Russes.  Dans  sa  proclamation,  ie  maire  de  Toulon  ajoutera, 
dit-on,  que  la  population  a  intérêt  à  faire  elle-même  sa  police, 
et  à  arrêter  tout  individu  qui  se  livrerait  à  des  manifestations 
hostiles  aux  sentiments  publics.  Il  est  bien  certain  que  la  police 
allemande  et  la  police  italienne  ont  compté  sur  la  propension 
à  l'emballement  de  la  population  française.  Mais  il  est  non 
moins  certain  que  la  publicité  donnée  aux  petites  combinaisons 
de  nos  ennemis  aura  cet  avantage  de  nous  faire  réfléchir,  et 
d'attirer  notre  attention  sur  les  graves  conséquences  qui  pour- 
raient sortir  d'un  incident  préparé  par  eux.  Il  n'en  faut  pas 
davantage  pour  que  quiconque  se  livrera  à  un  acte  ou  poussera 
un  cri  susceptible  d'entraîner  des  complications  internationales, 
devienne  du  coup  suspect,  —  et  dès  lors,  le  gros  du  danger  est 
paré.  Toutefois,  ne  nous  contentons  pas  de  veiller  sur  les  ten- 
tatives des  agents  de  la  Triple  Alliance;  veillons  aussi  sur 
nous-mêmes,  sur  notre  propre  ardeur,  sur  cette  griserie  des 
enthousiasmes  spontanés  qui  monte  si  facilement  à  nos  cerveaux. 


Il  n'est  vraiment  que  temps  de  mettre  un  terme  à  l'anarchie 
municipale  qui,  depuis  trois  ans,  a  pris  des  proportions  inquié- 
tantes pour  la  sécurité  publique.  Forts  de  leur  importance  élec- 
torale et  comptant  sur  la  condescendance  illimitée  des  préfets, 
nombre  de  maires  en  prennent  trop  à  l'aise  avec  les  lois  qui 
nous  régissent.  Il  faut  absolument  sévir  et  infliger  à  ces  tyran- 
neaux, non  pas  une  suspension,  dont  ils  se  rient,  ou  une  révo- 
cation, dont  ils  se  font  un  titre  de  gloire,  mais  des  poursuites 
telles  que  le  code  pénal  en  comporte  contre  les  fonctionnaires 
qui  abusent  ou  mésusent  de  leur  autorité.  Si  justice  n'est  pas 
faite  de  ces  excès,  les  citoyens  seront  forcément  amenés  à  se  la 
faire  eux-mêmes.  C'est  ainsi  que  les  scandales  de  la  municipa- 
lité de  Saint-Denis  mettent  en  péril  la  vie  des  habitants  de 


CHRONIQUE  DK  LA  SEMAINE  103 

cette  localité,  où  il  n'3'  a  plus  de  sécurité.  Dans  la  Marne,  c'est 
bien  noieux  :  à  Sainte-Livière,  le  raaire  a  pris  sur  lui  de  fermer 
l'église  et  le  presbytère,  d'en  prendre  les  clefs  et  de  les  refuser 
au  desservant  titulaire  et  à  celui  d'une  paroisse  voisine  qui  y 
binait.  De  sorte  qu'il  ne  peut  plus  y  avoir  dans  ce  village  catho- 
lique ni  b;iptême,  ni  naariage,  ni  enterrement  religieux.  Le 
préfet  de  la  Marne  n'a  pris  aucune  mesure  pour  faire  cesser  ce 
scandale,  et  si  ce  fonctionnaire,  craignant  de  se  compromettre 
en  faisant  respecter  la  loi,  en  a  référé  à  M.  Dupuy,  son  chef 
hiérarchique,  celui-ci  n'a  pas  encore  fait  connaître  sa  réponse, 
et,  pendant  ce  temps-là,  le  maire  de  Sainte-Livière  continue,  de 
j;a  propre  autorité,  à  mettre  en  interdit  le  clergé  et  l'église. 


Il  n'y  a  qu'un  cri  dans  la  presse  pour  blâmer  les  poursuites 
que  le  gouvernement  vient  de  décider  contre  V  Autorité  et  conive 
M.  P.  de  Cassagnac.  L'article  poursuivi  était  violent,  injurieux 
même  pour  monsieur  le  gouverneur  militaire  de  Paris,  c'est  en- 
tendu; mais  on  fait  remarquer, à  juste  raison,  que  M.  de  Cassa- 
gnac enasigné  quantité  de  semblables  etqu'il  n'en  a  pas  été  pour- 
suivi. Ah!  c'est  que  l'ex-député  du  Gers  avait  alors  la  tribune 
parlementaire  pour  se  défendre,  et  pour  faire  passer  de  mauvais 
quarts  d'heure  aux  ministres.  Aujourd'hui,  sa  tribune,  c'est  son 
journal,  et  le  Cabinet  que  préside  M.  Dupuy  a  pensé  qu'il  était 
de  bonne  politique  de  faire  expier  au  journaliste  les  méfaits  du 
parlementaire.  La  bravoure  de  M.  Dupuy  ou  de  M.  le  garde 
des  sceaux,  qui  n'a  agi  que  par  ordre,  est  d'une  force  extraor- 
dinaire quand  il  s'agit  de  molester  des  vaincus.  M.  de  Cassagnac 
est  poursuivi  pour  outrages  à  l'armée.  Or,  cette  qualification 
du  délit  ne  se  soutient  pas.  Le  directeur  de  V Autorité ,  n'a  pas, 
en  effet,  comme  le  prétend  le  parquet,  offensé  l'armée;  il  n'a 
pas  parlé  d'elle;  il  n'a  visé  que  le  général  Saussier.  Peut-on 
dire  qu'il  a  ainsi  porté  atteinte  au  prestige  du  commandement, 
diminué  lu  confiance  des  troupes  en  leur  chef,  nui  à  la  défense 
nationale?  Ce  n'est  pas  sérieux.  On  ne  fera  croire  à  personne 
que  l'autorité  du  général  Saussier  soit  compromise  depuis  que 
M.  de  Cassagnac  l'a  appelé  Saussier-Tonneau.  D'autre  part, 
l'article  n'a  pas  fait  grand  scandale;  il  avait,  en  réalité,  passé 
inaperçu.  Il  a  fallu  que  le  gouvernement  le  déférât  aux  tribu- 
naux pour  que  ledit  article  ait  été  reproduit  par  tous  les  jour- 
naux de  France  et  de  Navarre.  Gageons  que  le  principal  inté- 


104  ANNALES    CATHOLIQUES 

ressè,  le  général  Saussier,  se  serait  facilement  passé  de  cette 
publicité  et  du  bruit  que  va  provoquer  cette  affaire. 


La  grève  des  mineurs  s'éteint  peu  à  peu;  encore  quelques 
jours,  et  tout  sera  rentré  dans  le  calme.  On  n'accusera  pas  les 
meneurs  d'avoir  contribué  à  ce  résultat;  ils  ont  fait  et  ils  font 
encore  des  efforts  désespérés  pour  attiser  le  feu.  Mais  les  mesures 
prises  par  le  gouvernement  commencent  à  porter  leurs  fruits: 
à  l'issue  d'une  conférence  faite  à  Méricourt  par  M.  Thurot, 
rédacteur  à  la  Petite  République  française,  l'orateur  a  été  mis 
en  état  d'arrestation,  à  cause  de  la  violence  de  son  discours, 
disent  les  uns,  à  cause  d'une  altercation  qui  serait  survenue 
entre  M.  Thurot  et  le  commissaire  de  police,  affirment  les  autres. 
A  Drocourt,  le  commissaire  de  police  a  empêché  M.  Baudin  de 
tenir  une  réunion  qui  avait  été  annoncée.  Si  on  avait  agi  de 
cette  façon,  dès  le  début  de  la  grève,  au  lieu  de  temporiser,  les 
ouvriers  qui  ont  écouté  les  perfides  conseils  des  agitateurs  de 
profession,  n'en  seraient  pas  pour  leurs  journées  perdues,  les 
fatigues  supportées  et  les  condamnations  subies  que  quelques- 
uns  d'entre  eux  ont  encourues  pour  atteinte  à  la  liberté  du  tra- 
vail. Les  industriels  français  n'auraient  pas  besoin  non  plus  de 
parcourir  les  bassins  belges  pour  chercher  à  se  faire  expédier 
du  charbon.  Les  demandes  sont  si  abondantes,  paraît-il,  que 
les  houillères  n'ont  pas  le  quart  des  véhicules  nécessaires  pour 
les  expéditions  demandées.  On  s'attendrait  même  à  une  nou- 
velle hausse  de  charbons. 


Les  orateurs  socialistes  étant  l'objet  d'une  surveillance  sévère 
sur  le  théâtre  de  la  grève  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais  et  ne 
pouvant,  dans  ces  conditions,  donner  libre  cours  à  leurs  décla- 
mations contre  le  travail  et  le  capital,  vont  trouver  une  autre 
tribune  et  celle-là  placée  en  dehors  de  toute  immixtion  gouver- 
nementale. Cette  tribune,  c'est  celle  du  congrès  national  du 
parti  ouvrierfrançais,  dontM.  Guesde  est  lechef,  qui s'estouvert 
lundi  à  Paris.  Les  séances  ont  lieu  à  huis  clos,  raison  de  plus 
pour  que  les  orateurs  puissent  se  livrer  sans  retenue  à  toutes 
leurs  élucubrations.  La  presse,  elle-même,  n'a  pu  trouver  grâce 
devant  une  semblable  exclusion  du  public.  M.  Jules  Guesde  a 
prétendu  que,  dans  ce  congrès,  il  ne  serait  traité  que  des  ques- 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  105 

tions  techniques  et  que,  dés  lors,  il  n'était  nullement  nécessaire 
d'avoir  un  auditoire  hétérogène. 

L'une  de  ces  «  questions  techniques  »  serait,  dit-on,  Torgani- 
sation  de  la  propagande  socialiste  dans  les  campagnes.  C'est  en 
convertissant  les  paysans  que  les  socialistes  espèrent  obtenir  la 
majorité  dans  le  Parlement  aux  élections  de  1898  et  devenir,  à 
leur  tour,  les  maîtres  du  pouvoir.  Ils  comptent,  pour  rendre 
cette  propagande  fructueuse  et  victorieuse,  sur  leurs  députés 
élus.  Jusqu'ici  ils  avaient  concentré  leurs  efforts  sur  les  grandes 
villes  et  les  grands  centres  ouvriers,  mais  l'expérience  leur  a 
démontré  que  ce  n'était  pas  suffisant  pour  triompher  et  qu'il 
fallait  s'adresser  aux  populations  rurales  qui  constituent  la  ma- 
jorité des  électeurs. 

Cette  nouvelle  tactique  du  parti  socialiste  n'est  pas  sans 
effrayer  les  républicains  qui  détiennent  l'assiette  au  beurre,  en 
d'autres  termes  les  beati  possidentes. 


Il  s'est  ouvert,  aujourd'hui  même,  à  Paris,  une  conférence  des 
gouvernements  qui  font  partie  de  l'Union  latine  afin  d'étudier 
une  proposition  de  l'Italie  tendant  à  la  reprise  immédiate  ou  à 
bref  délai  par  cette  puissance  de  ses  pièces  divisionnaires  d'ar- 
gent. 

On  sait  que  les  Etats  de  l'Union  latine,  la  France,  la  Grèce, 
l'Italie,  la  Suisse  et  la  Belgique,  se  sont  interdit,  par  la  conven- 
tion monétaire  du  6  novembre  1885  et  l'acte  additionnel  du 
12  décembre  suivant,  toute  frappe  d'argent,  en  ce  qui  concerne 
les  pièces  de  5  francs,  et  toute  émission  de  pièces  d'argent  de 
2fr.,  de  1  fr.,  de  50  centimes  et  de  20  centimes  au  delà  d'une 
somme  déterminée.  Or,  il  se  trouve  que  l'Italie,  actuellement, 
ne  possède  plus  une  quantité  de  monnaie  divisionnaire  suffi- 
sante. Elle  en  est  réduite,  pour  les  menus  payements  intérieurs, 
à  des  expédients;  par  exemple,  ses  timbres-poste  lui  tiennent 
lieu  de  monnaie.  Il  n'est  pas  besoin  d'insister  sur  la  gêne  et  les 
ennuis  multiples  d'une  telle  situation. 

Pour  y  mettre  fin,  il  est  clair  que  la  dénonciation  de  l'Union 
latine  suffirait.  L'Italie,  reprenant  sa  liberté  d'action,  aurait  la 
faculté  de  convertir  à  sa  guise  en  pièces  divisionnaires,  autant 
de  lingots  d'argent  que  bon  lui  semblerait.  Comme  l'argent  subit 
une  dépréciation  considérable,  l'Etat  italien  encaisserait  une  dif- 
férence d'autant  plus  importante  que  la  frappe  serait  plus  élevée. 

8 


106  ANNALES    CATHOUQUES 

Ce  serait  une  ressource  inattendue  pour  le  budget.  Au  premier 
abord,  quelles  perspectives  plus  tentantes?  Seulement,  toute  la 
question  de  l'urgent  se  poserait  aussitôt.  Grâce  à  l'accord  qu'ils 
ont  si  heureusement  conclu,  les  Etats  de  l'Union  latine  ont 
échappé  jusqu'ici  aux  difficultés  de  cette  redoutable  question. 
Le  moment  serait  singulièrement  choisi  pour  les  affronter.  Aussi 
nul  n'y  songe-t-il.  Les  délibérations  de  la  conférence  s'annon- 
cent comme  devant  être  très  restreintes.  La  convention  moné- 
taire n'est  pas  en  cause.  Il  ne  s'agit  nullement  de  la  modifier. 
On  se  propose  uniqtiement  de  régler,  sur  un  point  spécial,  l'un 
de  ces  modes  d'application. 

La  décision  sera  vraisemblablement  favorable  aux  vœux  de 
l'Italie  ;  reste  à  voir  si  elle  sera  efficace.  Car  enfin,  les  Etats  de 
l'Union  ne  rendront  à  l'Italie  sa  monnaie  divisionnaire  qu'en 
échange  d'or  ou  d'écus  de  cinq  francs  et  les  écus  de  cinq  francs 
comme  les  pièces  d'or  sont  aussi  rares  en  Italie  que  la  monnaie 
divisionnaire.  C'est  donc  la  quadrature  du  cercle  qu'on  veut 
résoudre. 


On  est  obligé  de  se  rendre  à  l'évidence.  Le  gouvernement 
italien  est  affolé;  il  ne  sait  plus  où  il  va,  et,  au  milieu  de  sa 
course  foile  à  travers  les  événements,  il  se  précipite  tête  bais- 
sée dans  les  aventures. 

Les  gouvernements  alliés  le  laisseront-ils  mettre  le  feu  aux 
poudres?  C'est  peu  probable,  car  on  ne  signale  du  côté  de  l'Al- 
lemagne et  de  l'Autriche,  aucun  préparatif. 

Il  se  pourrait,  néanmoins,  que  l'Italie  fût  conseillée  par  l'An- 
gleterre, dans  sa  politique  de  provocation.  En  tous  cas,  celle-ci 
intrigue  toujours  contre  la  France.  La  diplomatie  anglaise  s'ef- 
force même,  en  ce  moment,  d'après  une  dépêche  de  Constanti- 
nople,  d'inquiéter  la  Porte  au  sujet  de  l'Alliance  franco-russe 
et  de  lui  persuader  que  la  Russie  se  propose,  au  moyen  de  cette 
alliance,  de  lui  enlever,  à  la  première  occasion,  de  nouvelles 
provinces,  spécialement  l'Arménie.  Pour  mieux  alarmer  la 
Porte,  des  agents  anglais,  appartenant  à  la  colonie  arménienne 
de  Londres,  parcourent  en  ce  moment  l'Arménie  pour  y  créer 
un  simulacre  d'agitation.  Le  but  de  ces  menées  paraît  être  de 
décider  le  sultan  à  consentir,  en  cas  de  guerre  européenne,  à  ce 
que  l'Angleterre  occupe  la  Crète,  Smyrne  et  un  point  straté- 
gique à  l'entrée  des  Dardanelles. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  107 

Quoi  qu'il  en  soit,  en  sonnant  constamment  l'alarme  et  en 
prenant  tout  aussi  bien  sur  les  Alpes  qu'à  la  Maddalena,  des 
mesures  qui  précèdent  d'ordinaire  les  déclarations  de  guerre, 
l'Italie  ne  peut,  ne  doit  avoir  qu'un  but  :  inquiéter,  énerver  la 
France,  au  point  de  lui  faire  commettre  des  imprudences,  de 
l'amener  à  des  actes  qui  pourraient  être,  à  leur  tour,  présentés 
comme  des  provocations. 

Nous  le  disons  depuis  longtemps,  le  gouvernement  italien  est 
acculé  à  la  faillite,  à  la  révolution  ou  à  la  guerre  et  c'est  encore 
la  gueri'e  que  préférerait  le  roi  Hurabert.  Il  faut  toujours  laisser 
une  porte  ouverte  à  la  fortune,  et  sait-on  ce  qui  peut  résulter 
d'une  guerre?  Mais  pour  se  battre  il  faut  être  deux  au  moins 
et  personne  ne  semble  disposé  à  faire  le  jeu  de  l'Italie. 

Que,  sur  un  signe  de  Berlin,  les  forces  italiennes  s'engagent 
immédiatement,  c'est  dans  l'ordre  de  la  Triplice;  mais  que,  par 
contre,  l'Allemagne  marche  parce  que  la  cour  d'Italie  veut 
marcher,  c'est  ce  qu'on  ne  saurait  admettre  à  Berlin. 

Quoi  que  fasse,  en  ce  moment,  la  maison  de  Savoie,  elle  ne 
fera  pas  perdre  à  la  France  le  sang-froid  et  le  calme  que  lui 
donnent  la  conscience  de  sa  force  et  l'intelligence  de  la  situa- 
tion générale. 

L'opinion  française  est  fixée.  Après  le  voyagea  Metz,  plus  rien 
ne  peut  l'irriter.  On  a  coupé  le  pont.  Nous  n'avons  pas  à  le 
reconstruire.  Si,  plus  tard,  il  se  trouve,  en  Italie,  un  gouverne- 
ment qui  veuille  tenter  l'opération,  nous  le  regarderons  agir  et 
nous  attendrons  les  résultats  de  l'entreprise. 

Actuellement,  la  France  sait  que  dans  toutes  difficultés  pou- 
vant surgir  en  Europe,  elle  aura  contre  elle  la  maison  de  Savoie, 
c'est-à-dire  l'Italie,  puisque  la  politique  extérieure  de  ce  pays 
est  faite  par  la  dyuastie  et  pour  la  dynastie.  La  France  n'a  donc 
plus  qu'à  s'inquiéter  de  connaître,  en  temps  utile,  les  intentions 
des  autres  puissances.  Le  jour  où  l'Allemagne  et  l'Autriche  vou- 
dront la  guerre,  le  roi  Humbert  poussera  un  grand  soupir  de 
soulagement. 

Ce  jour  est-il  venu?  Nous  ne  le  croyons  pas. 

Quel  que  soit  le  pouvoir  qu'exerce  l'empereur  d'Allemagne,  il 
ne  saurait  déclarer  la  guerre  sans  avoir  prouvé  à  la  nation 
qu'elle  est  indispensable.  Dans  les  conditions  où  se  trouvent  les 
armées  actuelles,  une  guerre  sera  si  épouvantable  que  les  peu- 
ples ne  s'y  résigneront  pas  aisément  et  que  d'autre  part,  pour 
avoir  quelques  chances  de  succès,  il  faudra  pouvoir  compter  sur 


108  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  force  d'impulsion  que  donne  l'unanimité  du  sentiment  national. 
Or,  en  Allemagne,  la  grande  majorité  du  peuple  repous.-e  l'idée 
de  la  guerre  et  nous  ne  sachons  pas  que,  depuis  quelques  semai- 
nes, il  soit  survenu  des  événements  qui  puissent  modifier  cette 
situation. 

Enfin,  le  troisième  facteur  de  la  Triplice,  l'Autriche-Hongrie, 
n'est  certainement  pas  désireux  de  la  guerre  ;  et  là,  chose  rare, 
les  mêmes  opinions  sont  partagées  par  la  cour  et  les  nationalités 
diverses  groupées  autour  de  la  couronne  impériale.  Les  Magyars 
aussi  bien  que  les  Tchèques,  les  Polonais  comme  les  Croates  ou 
les  Allemands  d'Autriche  ne  demandent  que  la  paix  et  la  possi- 
bilité de  travailler  pacifiquement  aux  grosses  questions  que  sou- 
lèvent l'antagonisme  des  nationalités,  les  besoins  économiques  et 
sociaux. 

Actuellement,  pour  que  la  guerre  éclate,  il  faut  qu'elle  soit 
déclarée  à  la  fois  par  l'Autriche,  l'Allemagne  et  l'Italie;  si  l'un 
des  trois  facteurs  fait  défaut,  la  paix  reste  assurée,  étant  donnée 
l'entente  franco-russe.  D'oii  il  résulte  que  nous  ne  croyons  pas  à 
l'imminence  de  la  guerre.  Il  est  impossible  que  l'empereur 
François-Joseph  s'engage  dans  une  aventure.  Aucun  parti  ne  l'y 
sollicite  dans  son  empire  et  sans  l'Autriche,  dont  le  rôle  serait 
d'immobiliser  une  importante  fraction  des  forces  russes,  com- 
ment pourrait-on  supposer  que  l'Allemagne  partît  en  guerre? 


Les  hostilités  qui  s'ouvrent  actuellement  dans  le  Sud-Africain 
entre  Lobengula,  chef  des  Matabélés,  et  la  Compagnie  anglaise 
pourraient  avdir  des  conséquences  plus  graves  qu'on  ne  se 
l'imagine  au  premier  abord. 

La  Compagnie,  n'étant  pas  suffisamment  préparée  au  conflit, 
fait  un  appel  pressant  aux  Boërs  du  Transwaal  et,  pour  décider 
ceux-ci  à  lui  prêter  leur  concours,  elle  leur  promet  des  conces- 
sions allant  jusqu'à  1,200  hectares  par  homme  en  cas  de  succès 
définitif.  Ces  offres  portent  leurs  fruits  :  les  Boërs  reprennent 
leurs  lourdes  carabines  et  marchent  sur  la  frontière  des  Mata- 
bélés. Dans  ces  conditions  le  résultat  n'est  plus  douteux  ;  depuis 
plus  d'un  siècle  ces  colons  hollandais  pratiquent  la  «  guerre  de 
la  brousse  »  ;  ils  la  connaissent  à  fond  et  en  sont  toujours  sortis 
victorieux. 

Mais  leur  vaillance  extraordinaire  s'accompagne  d'un  senti- 
ment d'indépendance  indomptable.  Quand  les  Anglais  s'empare- 


CHaONIQUE  DE  LA  SEMAINE  100 

rent  du  Cap  de  Bonne-Espérance,  ils  leur  laissèrent  la  place  et 
à  travers  mille  dangers,  s'enfoncèrent  dans  le  nord  de  la  colonie  ; 
ils  arrivèrent  en  vue  de  la  mer  sur  la  côte  est,  où  ils  fondèrent 
la  République  du  Natal.  Dès  que  la  République  fut  fondée,  le 
commerce  florissant,  les  Anglais  apparurent  encore  et  «  annexè- 
rent >  la  «  colonie  du  Natal.  » 

Une  seconde  fois,  les  Boërs  reprirent  leurs  armes  et  leurs 
outils,  attelèrent  leurs  chariots  et  s'enfoncèrent  à  nouveau  dans 
les  terres.  Ils  s'arrêtèrent  sur  les  bords  du  fleuve  Orange  et  de 
son  affluent  le  Transwaal,  où  ils  fondèrent  les  deux  républiques 
qui  portent  les  noms  de  ces  cours  d'eau. 

Lorsque  en  1879,  les  Anglais  prétendirent  annexer  aussi  ces 
territoires,  les  Boërs  se  réunirent  à  Pretoria  et  àBloensfonteim, 
et  jurèrent  sur  l'Evangile  que  leurs  persécuteurs  ne  seraient 
pas  maîtres  de  leur  patrie  avant  d'avoir  exterminé  le  dernier 
d'entre  eux.  On  sait  qu'ils  tinrent  parole,  qu'ils  résistèrent  avec 
une  sauvage  énergie  et  détruisirent  totalement  deux  armées 
anglaises  :  c'est  au  col  d'Amajuba,  dans  la  chaîne  du  Drakens- 
berg,  que  le  fameux  général  Colley  trouva  la  mort  avec  ses 
officiers,  tous  —  chose  étrange  —  frappés  d'une  balle  à  la  visière 
de  leur  casque.  Comme  conclusion,  l'Angleterre  dut  reconnaître 
l'indépendance  du  Transwaal  et  du  Fleuve-Orange. 

Ce  sont  là  les  hommes  dont  la  Compagnie  Sud-Africaine  veut 
faire  ses  alliés,,  en  leur  promettant  des  concessions  de  terre. 
C'est  là  un  jeu  éminemment  dangereux  ;  car  la  guerre  une  fois 
terminée  et  le  partage  fait,  il  est  certain  que  les  Boërs  tiendront 
leurs  concessions  pour  territoires  transwaaliens  —  et  si  la  Com- 
pagnie veut  s'y  opposer  et  les  régir  comme  faisant  partie  de  ses 
possessions,  elle  aura  la  guerre  avec  ses  alliés  actuels. 

Elle  pourrait  s'apercevoir  alors  qu'à  jouer  les  Bertrands  avec 
ces  Ralons-Ià,  tout  ne  sera  pas  profit  pour  elle. 


On  a  des  nouvelles  de  Melilla.  Depuis  l'attaque  de  l'autre 
jour,  les  Maures  se  tiennent  tranquilles.  Il  y  a  bien  chaque  nuit 
quelques  escarmouches  aux  avant-postes.  Des  rôdeurs  isolés 
s'approchent  de  l'enceinte  de  la  ville  et  tirent  des  coups  de  fusil 
sur  les  sentinelles.  Mais  cela  n'a  pas  d'importance. 

En  ce  moment,  les  Maures  sont  occupés  à  la  construction  de 
baraques  sur  les  hauteurs  avoisinant  Melilla,  mais  en  dehors  du 
territoire  espagnol. 


110  ANNALES    CATHO:.IQUES 

D'après  des  renseignements  fournis  par  un  indigène  venant 
de  l'intérieur,  les  pertes  des  Maures,  dans  le  combat  du  2  oc- 
tobre, s'élèvent  à  120  morts  et  300  blessés. 

Des  renforts  suffisants  sont  arrivés  à  Melilla  et  la  place  se 
trouve  actuellement  à  l'abri  de  toute  surprise. 

Malgré  cela  on  continue  à  prendre  à  Madrid  toutes  les  me- 
sures de  précaution.  Tous  les  hommes  en  congé  illimité  qui  n'ont 
pas  fait  trois  ans  de  service  vont  être  rappelés  sous  les  drapeaux. 

L'émotion  qui  se  manifeste  dans  la  population  espagnole  à 
propos  de  cet  incident  nous  semble  un  peu  bien  artificielle.  Il 
est  probable  que,  de  son  côté,  le  gouvernement  est  moins  em- 
ballé qu'il  ne  paraît.  Sans  doute,  il  a  vu  surtout  dans  l'attentat 
commis  par  les  Maures  une  excellente  occasion  d'intervention 
militaire  au  Maroc. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut  reconnaître  que  l'affaire  est  menée 
rondement.  A  peine  le  conflit  avait-il  éclaté  qu'un  corps  d'ar- 
mée était  mobilisé.  Dans  quelques  jours  il  sera  sur  le  théâtre 
des  événements.  Le  cabinet  Sagasta  a  estimé  que  les  négocia- 
tions avec  le  sultan  feraient  perdre  un  temps  précieux  et  que  le 
meilleur  mo^^en  d'avoir  satisfaction,  c'était  de  prendre  des 
gages  d'abord,  sauf  à  s'expliquer  après. 


Le  vote  par  lequel  la  Chambre  des  lords  a  repoussé  la  réforme 
irlandaise  adoptée  par  la  Chambre  des  communes,  n'a  pas  dé- 
couragé M.  Gladstone  ni  affaibli  l'énergie  avec  laquelle  il  pour- 
suit le  triomphe  de  ses  idées.  Dans  un  discours  qu'il  vient  de 
prononcer  à  Edimbourg,  il  a  affirmé  ses  convictions  avec  une 
ardeur  nouvelle  et  jeté  un  fier  défi  à  la  Chambre  des  lords.  La 
question  qu'elle  a  tranchée  en  deuxième  lecture  par  le  rejet  du 
bill  sur  le  home  rule,  sera  soulevée  de  nouveau  dans  la  pro- 
chaine session  pour  subir  la  formalité  d'une  troisième  lecture. 
M.  Gladstone  avertit  la  Haute  Chambre  que,  si  elle  résiste  en- 
core, ce  ne  sera  pas  seulement  cette  question  spéciale  qui  sera 
en  jeu,  mais  ce  sera  l'existence  même  de  la  Chambre  des  lords. 
Il  constate  qu'au  cours  de  ce  siècle  elle  n'est  jamais  sortie  vic- 
torieuse des  conflits  qu'elle  a  engagés  contre  la  Chambre  des 
comniunes.  Il  déclare  que,  si  elle  entendait  provoqi\er  la  disso- 
lution des  Communes,  ce  serait  un  acte  de  haute  trahison  envers 
une  ijrande  nation  qui  a  le  droit  de  se  gouverner  elle-même. 
Cette  nation  a  donné  le  pouvoir  à  la  majorité,  et  cette  majorité 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  111 

a  le  devoir  de  trouver  ie  moyen  d'atteindre  son  but.  On  voit  que 
la  lutte  est  loin  d'être  finie.  Le  grand  old  man  est  plus  que  ja- 
mais résolu  à  la  poursuivre  et  ses  forces  physiques  et  morales 
semblent  s'accroître  avec  les  obstacles.  Ces  menaçantes  paroles 
feront-elles  ré/léchir  la  Chambre  des  lords  et  modifieront-elles 
ses  résolutions  ?  C'est  peu  probable.  Le  rejet  du  bill  a  été  pro- 
noncé à  une  majorité  trop  considérable  pour  qu'on  puisse  espé- 
rer un  revirement  à  brève  échéance.  D'ailleurs,  si  la  Chambre 
des  lords  doit  alors  céder,  elle  ne  le  fera,  comme  elle  en  a  l'habi- 
tude, qu'après  une  seconde  et  décisive  épreuve  des  vœux  du 
pays,  à  la  suite  d'élections  générales.  Il  faut  donc  s'attendre  à 
la  nécessité  d'une  dissolution  ;  mais  comme  le  dit  M.  Gladstone, 
c'est  bien  alors  l'existence  de  la  Chambre  des  lords  qui  sera 
mise  en  jeu  et  peut-être  en  péril. 


Le  25  septembre,  a  eu  lieu  l'ouverture  du  Reichstag  hongrois. 
C'est  dans  cette  session  que  le  ministère  Weckerlé  compte  faire 
triompher  son  programme  politico-religieux  et  ses  quatre  pro- 
jets de  loi  relatifs  au  mariage  civil  obligatoire,  à  l'introduction 
de  l'état  civil,  à  la  réception  des  Juifs  et  à  la  liberté  en  matière 
religieuse. 

Si  nous  ne  nous  trompons,  la  chose  sera  loin  d'aller  toute 
seule.  Les  débats  promettent  de  devenir  extrêmement  vifs  et 
même  violents.  Depuis  que  le  gouvernement,  à  l'instigation  de 
la  gent  judaïco-libérale,  a  imaginé,  sous  prétexte  d'apaisement, 
de  doter  le  pays  d'une  législation  qui  mène  droit  à  un  kultur- 
kampf,  il  n'a  abouti  qu'à  provoquer  une  agitation  profonde  et 
générale,  à  surexciter  les  esprits  jusqu'à  l'exaspération,  à  susci- 
ter une  opposition  tous  les  jours  grandissante. 

Evêques,  prêtres,  fidèles  sont  décidés  plus  que  jamais  à  sou- 
tenir vaillamment  la  lutte  qui  leur  est  imposée.  Ils  se  savent 
d'accord  avec  le  Souverain  Pontife,  lequel,  dans  sa  récente 
Encyclique,  a  condamné  une  fois  de  plus  ces  lois  qui  «  sont  en 
opposition  avec  les  droits  de  l'Eglise,  diminuent  sa  liberté  d'ac- 
tion et  font  obstacle  à  la  profession  de  foi  catholique  »,  ces  décrets 
et  ces  actes  de  l'autorité  civile  «  non  moins  pernicieux  à  l'Eglise 
elle-même  et  aux  intérêts  catholiques  ».  Ceux  qui  ont  eu  dans 
le  passé  à  se  reprocher  de  la  faiblesse  et  une  condescendance 
excessive  ont  entendu  le  langage  sévère  du  Pape  à  l'adresse  de 
«  certains  catholiques  qui,  alors  qu'ils   devraient  protéger  et 


112  ANNALES    CATHOLIQUES 

revendiquer  les  droits  de  l'Eglise  avec  le  plus  de  vigueur  et  de 
constance,,  obéissant  à  une  sorte  de  prudence  humaine,  ou  pren- 
nent un  parti  contraire,  ou  se  naontrent  timides  ou  indolents 
dans  l'action  ».  Leur  conduite  pouvait  être  excusable  aupara- 
vant, elle  ne  le  serait  plus  à  l'avenir,  car  ils  savent  maintenant 
€  qu'ils  trahiraient  leur  mission  et  leur  devoir  », 

Les  catholiques  ont  en  outre  le  droit  de  penser  qu'ils  ont  pour 
eux  l'empereur-roi  François-Joseph,  dont  diverses  récentes 
allocutions,  quoique  revêtues  des  formes  en  usage  dans  le  monde 
officiel,  laissaient  entrevoir  assez  clairement  de  quel  côté  vont 
les  sympathies  du  souverain  et  ne  permettaient  point  de  douter 
de  sa  volonté  bien  arrêtée  d'assurer  le  maintien  de  la  paix 
religieuse. 

En  somme,  on  peut  s'attendre  à  des  séances  mouvementées  au 
Reichstag  hongrois,  à  moins  que  M.  Weckerlé,  homme  d'Etat 
avisé,  dit-on,  n'ait  ou  la  sagesse  d'ajourner  l'exécution  de  son 
programme  religieux  à  des  «  temps  meilleurs  »,  ou  la  prudence 
de  se  retirer  de  son  plein  gré,  pour  ne  pas  courir  le  risque  d'une 
démission...  involontaire. 


Les  journaux  de  tous  les  pays  s'occupent  des  difficultés  qui 
ont  surgi  sur  le  Niger  entre  la  France  et  l'Angleterre,  à  l'occa- 
sion de  l'antagonisme  de  la  Compagnie  anglaise  du  Niger  et  de 
la  mission  française  dirigée  par  M.  Mizon.  C'est  une  afi'aire 
obscure — ce  qui  ne  nous  étonne  pas,  puisqu'il  s'agit  du  Niger, 
qui  en  latin  veut  dire  noir  —  dans  laquelle  il  est  difficile  de 
discerner  l'exacte  vérité.  En  tout  cas,  ce  ne  saurait  être  un 
casus  belli,  comme  les  organes  de  la  triple  alliance  voudraient 
le  faii'e  croire.  Il  est  certain  que,  comme  tous  les  explorateurs, 
M.  Mizon  va  de  l'avant  et  cherche  à  porter  le  plus  possil)le  ses 
investigations  et,  au  besoin,  les  annexions  qu'il  peut  réaliser 
au  profit  de  l'extension  de  la  juridiction  nominale  de  la  France. 
D'autre  [)art,  la  Compagnie  anglaise  voudrait  rééditer  dans  le 
continent  noir  les  traditions  envahissantes,  perfides,  égoïstes  et 
puniques  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  dans  l'Hindous- 
tan.  Ces  agissements  sont  sévèrement  jugés  en  Angleterre 
même,  oii  cetto  politique  de  mercanti  rencontre  de  loyaux 
adversaires.  Mais  les  griefs  que  Français  et  Anglais  articulent 
les  uns  contre  les  autres,  sont  de  la  compétence  du  juge  de 
paix,  et  les  gouvernements  des  deux  pays  ont  assez  de  sagesse 
pour  les  concilier. 

Le  Gérant:  P.  Chantrei.. 

Paris.  Imp.  G.  Picquoin,  b3,  rue  de  LiUe. 


ANNALES   CATHOLIQUES 


.  .       UN  DISCOURS  DU  PAPE 

Les  pèlerinages  du  jubilé  êpiscopal  de  Sa  Sainteté  ont  de 
nouveau  fait  leur  apparition  à  Rome.  Le  11  octobre,  Léon  XIII 
a  reçu  dans  la  grande  galerie  des  Cartes  géographiques  un 
groupe  nombreux  de  pèlerins  de  l'Apostolat  de  la  Prière,  venus 
à  Rome  sous  la  direction  du  R.  P.  Vitale,  religieux  barnabite, 
directeur  de  l'œuvre  en  Italie.  Toujours  plein  de  vigueur, 
Léon  XIII  a  fait  son  entrée  au  milieu  des  acclamations  des  pè- 
lerins, qui  tous,  au  nombre  de  700  environ,  avaient  placé  sur 
leur  poitrine  le  scapulaire  du  Sacré-Cœur  de  Jésus.  A  ces  pèle- 
rins s'étaient  joints  environ  150  pèlerins  de  Milan,  représentant 
les  œuvres  des  cercles  et  comités  diocésains  milanais.  Le  Pape 
a  pris  place  au  trône  érigé  au  milieu  de  la  galerie.  Il  était  en- 
touré des  cardinaux  Bianpjti,  dejIlUjggie;rp^,Ruffo^cilla,,Persico, 
Graniello  et  Mocenni.  .  ... 

Le  R,  P.  Vitale  s'est  approché  du  trône  et  à  lu  une  adresse 
italienne,  dans  laquelle  il  a  exprimé  l'espoir  de  voir  la  Ligue 
de  la  Prière,  le  rosaire  à  la  main,  remporter  la  victoire,  obtenir 
le  triomphe  par  celle  qu'on  appelle  à  juste  titre  :  Notre-Dame 
des  Victoires. 

Le  Saint-Père  a  répondu  par  un  discours  que  voici  : 

II  est  souverainement  agréable  et  consolant  pour  Notre 
cœur  paternel  d'accueillir  cette  magnifique  députation  de 
l'Apostolat  de  la  Prière,  à  laquelle  Nous  voyons  unie  avec 
plaisir  une  phalange  d'élite  de  catholiques  milanais,  for- 
mant ensemble  une  digne  couronne  de  fils  autour  de  leur 
commun  Père. 

Conduits  par  la  foi,  animés  par  votre  fervent  dévoue- 
ment envers  le  Siège  apostolique,  vous  êtes  venus  Nous 
témoigner  votre  filiale  affection  et  votre  joie  pour  l'insigne 
faveur  que  Dieu  Nous  a  accordée  en  prolongeant  Nos  jours 
jusqu'à  célébrer  cette  année  Notre  Jubilé  êpiscopal.  Cette 
nouvelle  preuve  de  votre  amour  Nous  réconforte  et  Nous 
dédommage  admirablement  de  l'abandon  où  Nous  ont  laissé 
de  nombreux  fils  dégénérés,  mais  toujours  aimés,  et  de  la 

Lxxxvi  —  21  Octobre  1893.  9 


114  ANNALES  CATHOLIQUES 

haine  gratuite  aTec  laquelle  d'autres  Nous  persécutent, 
Nous  et  l'Eglise,  «««i^j^.^.^.»- 

Yous  représentez  ici  une  des  associations  les  plus 
chères  à  Notre  cœur,  l'Apostolat  de  la  Prière,  plante  nou- 
velle qui  embellit  et  réjouit  si  grandement  aujourd'hui  le 
jardin  du  divin  Jardinier.  Bien  que  née  récemment  d'un 
humble  germe,  cette  plante  s'élève  déjà  à  des  proportions 
gigantesques  et  son  ombre  bienfaisante  s'étend  sur  tout  le 
monde  chrétien,  en  réunissant  autour  d'elle  d'innombrables 
multitudes  de  fidèles  de  diverses  nations,  unis  tous  en- 
semble dans  une  seule  pensée,  dans  une  commune  inten- 
tion et  dans  une  même  pratique  de  pieux  exercices  et  de 
vertus  chrétiennes. 

Cela  seul,  sans  compter  d'autres  mérites,  suffirait  pour 
vous  assurer  un  titre  spécial  à  Notre  aff'ection,  car  Nous 
avons  toujours  favorisé  et  encouragé  votre  société,  et 
chaque  mois  Nous  avons  béni  Vintention  qui  est  pério- 
diquement assignée  à  votre  prière.  Mais  un  autre  motif 
accroît  encore  Notre  aff'ection  envers  vous,  et  c'est  que 
vous  n'êtes  pas  seulement  les  apôtres  de  la  prière,  mais 
d'une  'prière  adressée  au  très  Saint  Cœur  de  Jésus; 
et,  partant,  singulièrement  propre  à  enflammer  les  âmes 
d'une  dévotion  que  l'on  peut  dire  aujourd'hui  un  carac- 
tère distinctif  de  l'Eglise,  l'arche  de  son  salut,  le  gage 
de  son  futur  triomphe,  le  fondement  de  toutes  nos  espé- 
rances dans  un  avenir  meilleur.  En  efi'et,  d'après  ce  que 
Jésus  lui-même  daigna  révéler  à  sa  servante  Marguerite- 
Marie  Alacoque,  le  culte  du  Sacré-Cœur  a  été  préordonné 
par  Dieu  même  à  guérir  la  plaie  capitale  de  la  société  mo- 
derne, Végoïsme.,  cet  égoïsme  qui  est  l'idolâtrie  de  soi,  ou 
le  culte  de  la  propre  sensualité  et  du  propre  orgueil;  cet 
égoïsme  qui  se  substituant  à  Dieu  et  se  plaçant  au-dessus 
de  l'humanité  rapporte  tout  à  soi  et  usurpe  tout  ce  qni  ap- 
partient aux  droits  de  Dieu,  de  l'Eglise  et  de  l'homme  indi- 
viduel et  social;  cet  égoïsme  enfin  qui  détruit  tous  les  biens 
de  la  vie  sociale  et  chrétienne,  en  combattant  à  la  fois  la 
religion  et  la  morale,  l'autorité  et  la  loi,  la  propriété  et  la 
famille. 


UN    DISCOURS    DU    PAPE  115 

Or,  est-il  un  moyen  mieux  fait  pour  le  vaincre  que  la 
puissance  infinie  de  cette  flamme  d'amour  qui,  partant  du 
Cœur  très  aimant  de  Jésus,  a  enflammé  d'un  heureux  embra- 
sement de  charité  le  monde  entier,  en  infusant  au  cadavre 
de  la  société  païenne  l'esprit  d'une  nouvelle  vie  morale  et 
civile?  Ignem  venitnittere  in  terram  et  quid  volo  nisi  ut 
accendatur? 'Mz.is  la  conservation  des  choses  ne  s'opère 
que  par  leurs  mêmes  principes  générateurs.  Et  comme  le 
principe  générateur  de  la  société  chrétienne  a  été  l'amour 
de  ce  Cœur  divin,  il  faut  que  le  même  amour  en  soit  le 
principe  restaurateur.  C'est  un  sentiment  que  Nous  avons 
d'autres  fois  déjà  exprimé  ;  le  salut  désiré  doit  être  princi- 
palement le  fruit  d'une  grande  effusion  de  charité,  de  cette 
charité  chrétienne  qui  est  la  synthèse  de  l'Évangile  et  le 
plus  sûr  antidote  contre  l'égoïsme  de  notre  siècle.  Cette 
•charité  a  sa  source  dans  le  Cœur  divin  du  Rédempteur,  d'où 
elle  jaillit  pour  le  salut  du  monde. 

Elevez  donc  vers  Lui  ,  très  chers  fils ,  votre  prière , 
accompagnée  de  la  pratique  des  vertus  chrétiennes,  afin 
<iue  ce  divin  Cœur  attire  de  nouveau  à  Lui  une  société  qui, 
en  grande  partie,  a  divorcé  d'avec  Dieu.  Ayez  le  plus  grand 
soin  d'en  propager  le  culte  dans  vos  familles  et  dans  votre 
patrie  ;  et  puisque  la  vraie  dévotion  ne  peut  ni  ne  doit  jamais 
être  désunie  d'avec  l'imitation,  efforcez-vous  de  conformer 
vos  cœurs  à  l'exemple  de  celui  du  Sauveur,  de  ce  Cœur 
dont  la  vie  mortelle  fut  une  vie  de  sacrifice,  comme  l'est 
aussi  sa  vie  sacramentelle,  vie  qui  se  résume  toute  dans 
■cette  formule  :  rien  pour  lui  comme  homme,  tout  pour 
nous.  Eh  bien  !  telle  doit  être  aussi  la  vie  de  votre  cœur, 
afin  que  chacun  de  vous  puisse  dire  en  toute  vérité  :  Rien 
pour  moi,  tout  pour  Jésus  ! 

De  la  sorte,  votre  prière  unie  à  la  pratique  de  l'imita- 
tion et  soutenue  par  la  méditation  et  par  les  mérites  infinis 
de  Jésus-Christ,  sera  d'une  souveraine  efficacité  pour  apaiser 
la  justice  divine,  et  obtenir  de  Dieu  le  retour  de  la  société  à 
Celui  qui  l'a  rachetée  par  son  sang  et  vivifiée  par  son  amour. 
Nous  aussi,  Nous  élevons  sans  cesse  la  voix  et  les  mains 
vers  le  ciel  pour  implorer  les  miséricordes  divines  sur  le 


116  ANNALES    CATHOLIQUES 

monde  chrétien,  et  surtout  sur  cette  terre  chérie,  si  privi- 
légiée de  Dieu  et  riche  en  gloires  immenses.  On  répond  à 
Notre  amour,  hélas  !  par  l'ingratitude  et  la  haine  ;  mais 
pour  Nous,  tout  en  soutenant  avec  constance  et  intrépidité 
les  droits  de  l'Eglise  et  du  Siège  Apostolique,  conformément 
à  Nos  devoirs  sacrés,  Nous  ne  cessons  pas  de  prier,  d'après 
le  précepte  de  Notre  divin  Maître,  pour  Nos  ennemis  qui 
sont  aussi  les  ennemis  de  Dieu,  de  la  société  et  de  la  patrie. 
Daigne  le  Seigneur,  qui  a  fait  les  nations  guérissables, 
accueillir  avec  bonté  nos  communes  prières  et  préparer  au 
monde  chrétien  et  à  l'Italie  des  jours  meilleurs. 

Cependant,  comme  gage  des  plus  insignes  faveurs  du 
ciel,  nous  accordons  du  fond  du  cœur  la  Bénédiction  apos- 
tolique à  vous  et  à  tous  les  associés  du  grand  Apostolat  de 
la  prière,  ainsi  qu'à  la  phalange  d'élite  des  bons  Milanais 
ici  présents  et  à  vos  familles.  -  -:. 

I .        .. ,..  I 

LE'  i>RÊTRE  EST  L'HOMME  DE  DIEU 

Commenter  ces  paroles  de  saint  Paul  à  Timottée  :  Tu  autem,  o 
hoiiio  Dei,  hœc  fuge...  (Tim.,  vi,  11.) 

I 

Saint  Paul  avait  reçu  de  Timotbée  des  renseignements  dou- 
loureux sur  l'église  d'Ephèse.  Les  loups  dont  il  avait  parlé 
dans  son  discours  de  Milet  avaient  fait  irruption  dans  la  berge- 
rie et  au  milieu  du  troupeau  dont  la  garde  avait  été  confiée  à 
Timothée.  La  saine  doctrine  et  les  bonnes  mœurs  étaient  en 
danger.  Il  n'en  fallait  pas  tant  pour  exciter  le  zèle  ardent  de 
l'apôtre.  Aussi  s'empressa-t-il  d'écrire  à  Timothée  pour  l'aider 
à  combattre  ces  ennemis  des  âmes.  Par  la  même  occasion  il  lui 
trace  les  règles  qui  doivent  le  guider  dans  le  gouvernement  de 
son  Eglise.  ,.^^,\,^,,  .,n(TMt,f/.>   »m  .-• 

Le  verset  11  du  chapitre  vi  est  le  commencement  de  la  péro- 
raison de  la  fin  de  cette  lettre;  ce  verset  est  l'exposé  succinct 
des  principales  vertus  sacerdotales.'  .     ',       '    ,, 

0  toi,  homme  de  Dieu  !  peut-on  indâ^inertfn'fiiils 'beau  titre, 
un  mot  qui  nous  indique  un  plus  haut  degré  dô  grandeur?  Théo- 


LE  PRÊTRE  EST  l'hOMMK  DE  DIEU  117 

doret  et  saint  Jean  Chrysostome,  à  propos  de  ce  passage  de  saint 
Paul,  nous  font  observer  que  ce  sont  ordinairement  les  grands 
saints  qui  sont  appelés  les  hommes  de  Dieu;  non  pas  que  les 
autres  hommes  ne  soient  pas  de  Dieu,  mais  les  grands  saints 
conservent  plus  pure  et  plus  parfaite  en  eux  l'image  du  Dieu 
qui  les  a  créés. 'iviôg  jin.;-  :aio5ôit] 

L'Ecriture  appelle  généralement  un  homme  de  Dieu  celui  qui 
est  son  interprète,  son  ambassadeur,  son  ministre.  Ainsi  Elle 
est  appelé  un  homme  de  Dieu  (IV  Reg.,  i,  11,  14).  Samuel 
reçoit  le  même  titre  (1  Reg.,  ix,  6).  Un  prophète  nous  dit: 
<  L'homme  de  Dieu  est  venu  de  Juda  à  Béthel  ayant  dans  sa 
bouche  les  ordres  du  Seigneur.  »  (III  Reg.,  xiii,  1).  Lorsque 
saint  Paul  dit  à  son  disciple:  0  toi,  homme  de  Dieu,  c'est 
comme  s'il  lui  disait  :  Toi  l'interprète  des  volontés  de  Dieu,  le 
ministre  de  sa  parole;  toi  son  prophète,  le  vengeur  de  sa  gloire, 
l'apôtre  de  la  vérité,  l'exemple  de  tes  frères,  le  saint  parmi  les 
saints. 

L'homme  de  Dieu  est  encore  le  juge,  le  prince,  le  législa- 
teur, qui  au  nom  de  son  Maître  et  par  la  puissance  divine  qu'il 
lui  a  communiquée,  juge  et  gouverne  les  âmes  et  les  conduit 
dans  la  voie  du  salut  (Cf.  Deut.,  xxxiii,  1  ;  II  Paralip,  viii,  14  ; 
Act.,  II,  22;  XVII,  31).  Timothée  est  donc  l'homme  de  Dieu, 
comme  docteur  et  comme  directeur  des  fidèles.  C'est  comme  si 
saint  Paul  lui  disait  :  «  Souviens-toi,  ô  Timothée,  de  qui  tu  es  et 
qui  tu  sers  ;  tu  es  de  Dieu,  tu  sers  Dieu,  tu  es  le  coopérateur  de 
Dieu  ».  (Corn,  a  Lapide,  Comm.  in  I  Ep.  ad  Timot.).  De  là  cet 
autre  motde  saint  Paul:  «  Non  estis  vestri  »  (I  Cor.,  vi,  19). 

Le  prêtre  ne  s'appartient  pas  à  lui-même.  Sa  personne,  ses 
talents,  ses  forces  physiques,  son  temps,  toute  son  existence 
sont  la  propriété  particulière  de  Jésus-Christ,  et  le  prêtre,  ser- 
viteur, ministre  de  Jésus-Christ,  ne  peut  disposer  de  rien  sans 
ses  ordres.  «  Omnibus  pontifex...  in  his  quae  sunt  ad  Deum...  > 
(Hebr.,  v,  1).  Dire  du  prêtre  qu'il  est  l'homme  de  Dieu,  c'est 
dire  qu'il  est  son  serviteur.  Et  que  ce  titre  ne  nous  humilie  pas. 
Jésus-Christ  est  appelé  dans  l'Ecriture  le  serviteur  de  Dieu  par 
excellence,  c  Voilà  mon  serviteur,  dit  Dieu  en  le  désignant  à 
tous  les  peuples,  mon  élu,  dans  lequel  mon  âme  a  mis  toute  son 
aflfection  ;  mon  Esprit  est  sur  lui  ».  (Is.,  xlii,,  1)  (Cf.  Matth.,  xii, 
où  Jésus-Christ  nous  apprend  lui-même  que  cette  parole  a  été 
dite  de  lui);  et  Notre-Seigneur  obéit,  en  efifet,  à  Dieu  son  Père 
comme  un  serviteur:  «  Non  veni  ut  faciam  voluntatem  meam» 


118  ANNALES    CATHOLIQUES 

sed  voluntatera  ejus  qui  misit  me  Patris.  Quae  placita  sunt  ei 
facio  semper.  Pater,  non  mea  voluntas,  sed  tua  fiât.  >  Et  pour 
noas  dire  toute  l'étendue  de  son  obéissance,  saint  Paul  emploie 
ces  expressions  énergiques  :«  Exinanivit  semetipsura,  formam 
servi  accipiens,  factus  obediens  usque  ad  mortem.  >  (Phil.,  ii, 
7,  8).  Voilà  le  premier,  le  vrai,  le  parfait  serviteur  de  Dieu.  Or 
Dieu  ne  dit-il  pas  de  chaque  prêtre  :  <  Ecce  servus  quem  elegi  ?  » 

Cette  qualité  de  serviteur  de  Dieu  est  donnée,  il  est  vrai,  à 
tous  les  fidèles;  mais  il  y  a  des  degrés  dans  ce  service;  il  y  a 
ceux  que  les  rois  ont  nommés  ministres.  Bien  que  placés  au  pre- 
mier rang,  ils  ne  cessent  pas  pour  cela  d'être  de  vrais  servi- 
teurs, ce  qui  doit  les  différencier  des  autres,  c'est  leur  zèle  plus 
grand,  leur  devoir  plus  strictement  accompli.  Ainsi  en  est-il 
par  rapport  à  Jésus-Christ  et  à  son  Eglise.  Les  premiers  servi- 
teurs sont  appelés  ministres  de  Jésus-Christ,  c  Sic  nos  existi- 
methomo  ut  ministres  Christi.  »  (I  Cor.,  iv,  1). 

Une  chose  digne  de  remarque,  c'est  la  fierté  avec  laquelle 
saint  Paul,  écrivant  aux  Romains,  les  plus  dédaigneux  des 
hommes,  les  plus  ennemis  du  caractère  d'esclave,  commence 
par  s'appeler  serviteur  de  Jésus-Christ  avant  de  dire  sa  qualité 
d'apôtre  :  <  Paulus  servus  Jésu  Christi,  vocatus  apostolus  ^; 
voilà  comment  il  s'annonce,  comment  il  se  présente  devant  le 
peuple  romain.  Il  est  serviteur.  Il  est  celui  dont  il  prêche  l'Evan- 
gile. Le  prêtre  est  un  homme  à  qui  Xotre-Seigneur  dit  :  Va,  et 
il  va  ;  viens,  et  il  vient  :  fais  cela,  et  il  le  fait  (Matth.,  viii,  9)  ;  je 
ne  me  suis  pas  fait  prêtre  pour  faire  ma  volonté,  mais  la  volonté 
de  Celui  qui  m'a  ap{)el6  à  son  service  ;  je  ne  dois  pas  chercher 
ma  gloire,  mais  la  sienne;  ce  qui  me  convient,  c'est  le  zèle  de 
sa  maison.  «  Ad  oinnia  quae  mittam  le  ibis.  Ecce  constitui  te 
ut  evellas  et  destiuas,  et  œdifice.s  et  plantes.  >  (Jer.,  ï,  10).  C'est 
le  même  langage  que  tient  saint  Paul:  «  Dei  agricuitura  estis; 
Dei  aedificatio  estis.  »  (I  Cor.,  lu,  O.j 

Pour  saint  Paul,  comme  pour  Jérémie,  il  s'agit  de  terre  à 
cultiver,  de  maison  à  édifier.  L'essentiel  pour  le  bon  serviteur 
est  de  connaître  la  nature  du  travail  auquel  il  est  appliqué.  La 
pensée  de  ce  travail  vous  épouvante.  L'homme  ennemi  s'est 
introduit  partout,  et  la  propriété  du  Fils  de  Dieu  est  couverte 
de  ronces  et  d'épines  qui  étouffent  les  plantes  utiles.  Malheur  à 
l'ouvrier  qui  se  croise  les  bras  et  qui,  après  10,  20,  30  ans, 
meurt  sans  avoir  rien  arraché,  rien  détruit,  qui  laisse  une  terre 
en  friche.  Saint  Paul  nous  représente  encore  les  âmes  comme 


LE    PRETRE    EST   l'hoMME   DE   DIEU  11^ 

formant  par  leur  union  un  tout  qu'il  appelle  l'édifice  de  Dieu. 
Saint  Pierre  désigne  les  fidèles  sous  l'image  de  pierres  vivantes, 
destinées  à  la  formation  d'une  maison  spirituelle  (I  Petr.,ii,  5). 
«  Posui  te  ut  aedifices.  >  Saint  Paul  s'attribue  la  qualité  d'archi- 
tecte (I  Cor.,  ni,  10).  Il  veut  que  tous  les  dons  de  Dieu,  toutes 
les  grâces  répandues  sur  l'Eglise  soient  regardées  comme  les 
matériaux  destinés  à  la  construction  d'un  même  édifice;  c'est 
cet  édifice  qu'il  appelle  le  corps  de  Jésus-Christ,  d'après  Notre- 
Seigneur  lui-même  appelant  son  corps  adorable  «  templura  hoc.  > 
Sans  doute  le  véritable  architecte  est  Dieu  (Ps.  cxxvi,  1)  ;  mais 
nous  sommes  «  Dei  adjutores.  »  (I  Cor.,  m,  9.) 

Nous  voilà  donc  constructeurs,  architectes,  placés  sous  la 
direction  d'un  chef  suprême,  qui  seul  a  le  droit  de  tracer  le  plan 
de  l'édifice.  Etudier  ce  plan  est  notre  premier  devoir.  Malheur 
à  nous  si,  sous  n'importe  quel  prétexte,  nous  nous  permettons 
des  changements,  des  modifications.  Le  plan  connu,  il  faut  cher- 
cher les  matériaux.  Les  pierres  et  les  marbres  se  trouvent  dans 
les  flancs  des  montagnes.  Pour  les  en  arracher  il  faut  de  la 
force,  du  travail.  Ces  pierres,  ce  sont  les  âmes  «  lapides  vivi,  > 
comme  dit  saint  Pierre,  Nous  trouvons  des  difficultés,  des  résis- 
tances ;  il  ne  faut  pas  nous  laisser  rebuter.  Elles  n'attendent 
que  nous.  Quelles  précieuses  pierres  Jésus-Christ  arracha  aux 
plus  dures  montagnes,  lorsque  Madeleine,  la  pécheresse  de 
Samarie,  Zachée,  parurent  au  grand  jour,  travaillées  par  les 
mains  du  Sauveur. 

TunsionibuB,  pressuris 
Expoliti  lapides, 

Suis  coaptantur  locis 
Per  manus  artificis. 

est-il  dit  dans  une  hymne  du  bréviaire;  oui,  voilà  bien  l'image 
des  soins,  âes  travaux,  des  fatigues  que  nous  impose  la  recherche 
des  âmes.  Maintenant,  creusons  la  terre,  préparons  les  fonda- 
tions, arrivons  au  sol.  Le  seul,  l'unique  fondement,  c'est  Jésus- 
Christ.  Sur  ce  fondement  bàlissons;  édifions.  Que  notre  édifice 
monte:  c  Crescit  in  templum  sanctura  in  Domino.  »  (Epi.  ii,  21)  ; 
plaçons  tous  les  jours  de  nouvelles  pierres  et  nous  arriverons 
à  la  voûte;  puis,  quand  le  temple  sera  couvert,  nous  étudierons 
l'art  de  l'embellir.  Que  l'or,  l'argent,  les  marbres  dominent  ; 
excluons  le  bois,  le  foin,  la  paille,  le  feu  les  consumerait.  C'est 
encore  saint  Paul  qui  nous  en  avertit.  Tout  doit  tendre  de  notre 
part  à  l'édification  de  ce  temple,  et  c'est  ce  qu'explique  saint 
Paul  dans  le  reste  du  verset. 


120;  ANHALKS    CATHOLIQUES 

.  B)  Fuis  ces  choses,  c'est-à-dire  fuis  la  cupidité  des  faux  doc- 
teurs qui  s'imaginent  que  la  piété  doit  leur  servir  à  s'enrichir» 
«  existimantium  questum  esse  pietatem.  *  Quand  Notre-Seigneur 
est  venu  sur  la  terre  pour  rendre  témoignage  à  la  vérité,  il  a 
déclaré  qu'il  ne  cherchait  pas  sa  gloire,  mais  la  gloire  de  celui 
qui  l'avait  envoyé.  Un  des  plus  grands  malheurs  pour  un  prêtre 
c'est  de  subordonner  son  devoir  à  l'estime  du  monde  et  à  ses 
intérêts  matériels.  S.  Paul  nous  avertit  que  le  véritable  amour 
de  Dieu  est  sans  ambition  et  qu'il  ne  cherche  pas  ses  intérêts 
personnels.  En  parlant  de  certains  ministres  de  l'Evangile,  il  les 
flétrit  devant  toute  l'Eglise,  en  s'écriant  :  «  Ils  cherchent  leurs 
intérêts  et  non  ceux  de  Jésus-Christ.  »  Les  intérêts  de  la  vérité 
les  touchent  moins,  en  effet,  que  les  leurs  propres.  De  là  ces 
allures  timides  qu'ils  affectent  et  qu'ils  décorent  du  nom  de  pru- 
dence, de  modération,  de  savoir-faire;  ils  se  taisent  là  oii  il  fau- 
drait parler;  ou  si  la  position  qu'ils  occupent  les  oblige  à  dire 
quelque  chose,  ils  possèdent  l'art  de  jeter  un  voile  sur  certaines 
vérités,  de  jurer  que  leur  éclat  en  fatigue  les  jeux  des  mondains. 
Au  confessionnal,  en  chaire,  ils  flattent,  ils  excusent,  ils  évitent 
de  blâmer.  Ils  ne  voient  dans  leur  ministère  qu'un  moj^en  de 
capter  la  faveur  du  monde.  Seul  le  désintéressement  permet  au 
prêtre  d'assurer  l'indépendance  et  la  liberté  de  son  ministère. 
Celui-là  seul  qui  n'attend  rien  des  hommes  n'aura  en  vue  que 
la  vérité  qu'il  est  chargé  de  faire  connaître.  Est-ce  que  les  ca- 
lomnies, la  haine  furieuse  des  chefs  de  la  nation  juive  ont  jamais 
porté  Notre-Seigneur  à  voiler  ou  à  dissimuler  une  vérité?  Est-ce 
que  saint  Jean-Baptiste  en  disant  à  Hérode  devant  une  femme 
scandaleuse  et  irascible  :  «  Non  licet,  »  ne  connaissait  pas  les  périls 
auxquels  il  s'exposait?  Est-ce  que  la  fureur  et  la  rage  des  enne- 
mis de  Jésus,  la  prison  qui  s'ouvrait  devant  eux,  les  ignominies 
de  la  flagellation,  la  mort  dont  ils  étaient  menacés,  purent  re- 
froidir le  zèle  des  Apôtres  à  leur  sortie  du  Cénacle  ?  c  Verbum 
Dei  non  est  alligatum,  »  s'écrie  S.  Paul  chargé  de  chaînes  du  foûd 
de  son  cachot.  Les  grands  évêques,  les  saints  prêtres  ont  tous  été 
des  héros  par  leur  courage  et  leur  énergie  devant  les  peuples  et 
les  rois.  Sans  doute  les  mondains  ne  les  ont  pas  aimés.  Cela  tient 
à  ce  que  trop  de  clarté  les  fatigue.  Ce  qu'ils  demandent  au  prêtre 
c'est  une  large  complaisance  qui  le  porte  à  laisser  dans  l'ombre 
certaines  vérités  qui  troublent  leur  fausse  paix.  De  là  leurs  pro- 
messes les  plus  flatteuses,  leurs  applaudissements  hypocrites  ou 
bien  leurs  critiques  améres,  leurs  mépris  et  leurs  menaces,  selon 


LB  PRÊTRE  EST  l'hOMME  DE  DIEU  121 

la  conduite  da  prêtre.  €  Mercenarius  non  est  pastor.  »  Et  le 
mercenaire  est  celui  qui,  pour  gagner  sa  vie,  pour  se  la  rendre 
heureuse,  agréable,  tranquille,  prend  la  conduite  d'un  troupeau 
dans  le  but  unique  d'utiliser  la  laine  des  brebis  et  de  se  nourrir 
de  leur  lait  toujours  abondant.  Celui-là  ne  s'inquiète  que  pour 
lui,  non  pour  elles,  du  sort  des  brebis  qui  lui  sont  confiées. 
€  Non  pertinet  ad  eura  de  ovibus  >  :  laconserration,  l'existence 
des  brebis  ne  le  touchent  guère;  pourvu  qu'il  reçoive  le  prix  de 
ses  travaux,  on  le  trouve  toujours  satisfait.  Il  fait  assidûment 
son  travail  matériel  ;  mais  entendez-le  parler.  Si  des  discours 
nous  passons  aux  actes,  où  est  le  dévouement,  le  zèle?  Le  pro- 
phète Ezéchiel  s'écrie  :  Malheur  aux  pasteurs  d'Israël  qui  se 
paissent  eux-mêmes!  Ils  se  nourrissent  du  lait  de  mes  brebis  et 
ils  se  couvrent  de  leur  laine;  ils  ne  travaillent  pas  à  fortifier 
celles  qui  sont  faibles,  à  guérir  celles  qui  sont  malades  ;  ils  ne 
bandent  pas  les  plaies  de  celles  qui  sont  blessées;  ils  ne  cou- 
rent pas  à  la  recherche  de  celles  qui  sont  perdues;  mais  ils  se 
contentent  de  les  dominer  avec  rigueur  et  avec  empire.  Aussi 
nos  brebis  sont  dispersées  parce  qu'elles  n'ont  pas  de  pasteurs; 
elles  errent  en  divers  lieux  ;  elles  deviennent  la  proie  des  loups. 
(Ezech.,  xxxiv,  2  seq.)  Pastor  vient  de  pascor.  Le  fidèle  qui 
entend  un  prêtre  lui  dire  :  Je  suis  votre  pasteur,  doit  pouvoir 
lui  répondre  :  Je  le  vois,  car  par  v»as  je  suis  nourri.  Le  grand, 
le  véritable  sens  du  mot  de  pasteur  est  celui-ci  :  Un  homme  qui 
nourrit  les  autres,  par  lequel  les  troupeaux  sont  conduits  à  de 
gras  pâturages,  avec  lequel  ils  n'ont  pas  à  redouter  de  mourir 
de  faim. 

II 

A)  Recherche;  c'est-à-dire,  comme  l'explique  Cornélius  à 
Lapide,  poursuis  avec  le  même  acharnement  que  le  chasseur  qui 
poursuit  son  gibier;  poursuis  la  justice,  etc.,  un  acte  ou  deux 
ne  suffisent  pas;  il  faut  que  tu  t'acharnes  à  posséder  et  à  déve- 
lopper en  toi  et  dans  ceux  qui  te  sont  confiés  les  vertus  sacer- 
dotales. Ces  vertus  sont  : 

B)  La  justice.  Saint  Thomas  définit  la  justice  :  une  habitude 
pour  laquelle  on  accorde  d'une  volonté  constante  et  perpétuelle 
à  chacun  ce  qui  lui  est  dû  (2»  2%  Q.  LVIII,  art.  1),  et  4'on  com- 
prend que  saint  Paul  la  place  ici  la  première  :  le  premier  devoir 
du  pasteur  est  de  veiller  à  rendre  et  à  faire  rendre  à  chacun  ce 
qui  lui  est  dû,  à  conduire  chaque  fidèle  selon  son  âge,  son  sexe, 


122  ANNALES  CATHOLÏtlUKS 

son  état.  C'est  pourquoi  il  doit  parler  aux  vieillards  comme  à 
des  pères  dont  on  n'oublie  jamais  l'autorité.  Il  y  a  quelquefois 
chez  eux  de  l'égoïsme  et  une  susceptibilité  qui  lient  ordinaire- 
ment au  sentiment  de  leur  dignité,  ou  à  la  conscience  de  leur 
faiblesse.  Une  parole  rude  les  rebute;  on  ouvre  leur  âme  à  la 
confiance  par  des  observations  respectueuses  et  les  sollicitations 
calmes  de  la  piété  filiale. 

Les  paroles  peuvent  être  plus  fermes  à  l'égard  des  jeunes 
gens  et  des  hommes  d'un  âge  mûr;  néanmoins  que  le  langage 
respire  une  douceur  toute  fraternelle  et  domine  par  la  charité. 
Les  femmes  et  les  filles  avancées  en  âge  méritent  beaucoup 
d'égards.  Leur  piété  est  sincère,  si  n'elle  n'est  pas  toujours 
éclairée  ;  des  vertus  solides  se  rencontrent  souvent  avec  des 
défauts  de  caractère.  Il  faut  les  traiter  comme  des  mères.  Quant 
aux  femmes  et  aux  jeunes  filles  plus  jeunes,  saint  Paul  veut 
qu'on  se  conduise  avec  elles  en  toute  chasteté  (v,  1,  2). 

Il  expose  ensuite  comment  le  prêtre  doit  se  conduire  vis-à-vis 
des  veuves,  des  prêtres,  des  serviteurs.  Le  prêtre,  dit-il,  doit 
veiller  :  1°  à  ce  que  les  veuves  dénuées  de  tout  secours  reçoi- 
vent-l'assistance  de  l'Eglise;  il  en  profite  pour  rappeler  aux 
veuves  riches  qu'elles  doivent  rendre  à  leurs  parents  l'assistance 
dont  ils  pourraient  avoir  besoin  (v,  3-16).  2<'  A  ce  que  les  fidèles 
veillent  à  la  subsistance  des  prêtres;  c'est  un  devoir  de  justice 
imposé  par  Dieu  lui-même.  «  C'est  une  chose  bien  remarquable, 
dit  Mgr  Ginoulhiac,  de  voir  saint  Paul  qui  vivait  ordinairement 
de  ses  mains,  qui  voulait  que  son  disciple  se  contentât  comme 
lui  du  nécessaire,  s'occuper  ainsi  de  pourvoir  à  l'honnête  subsis- 
tance des  ministres  de  l'Eglise,  et  la  mesurer  sur  l'importance 
des  devoirs  de  leur  charge  et  sur  leur  fidélité  à  les  remplir. 
C'est  que  pour  le  commun  des  hommes  l'absolu  nécessaire  ne 
suffit  pas  ;  qu'une  existence  gênée  honore  peu  les  ministres  du 
sanctuaire  aux  yeux  des  peuples,  et  un  sage  milieu,  entre 
l'abondance  et  la  pauvreté,  est  la  position  la  mieux  propor- 
tionnée à  une  vertu  ordinaire,  la  condition  la  plus  favorable 
pour  l'accomplissement  libre  et  soutenue  des  devoirs  de  notre 
état.  »  (Ep.  pastor.  p.  128).  S»  A  ce  que  les  jugements  de 
l'évêque  sur  les  prêtres  coupables  soient  équitables,  4°  A  ce  que 
les  serviteurs  donnent  l'exemple  d'une  obéissance  respectueuse 
et  prompte  (vi,  1,  2).  5«  Enfin,  à  ce  que  le  désintéressement  du 
prêtre  soit  entier;  à  ce  qu'aucun  ne  s'imagine  pouvoir  s'enri- 
chir par  sa  piété. 


LE  PRÉTRB  KST  l'hOMMB  DE  DIEU  123 

C)  La  piété.  Il  est  dit  de  Notre-Seigneur  que  l'esprit  de 
piété  est  descendu  sur  lui;  cet  esprit,  les  Apôtres  le  reçurent 
le  iour  de  la  Pentecôte  ;  cet  esprit  doit  être  celui  du  prêtre  ;  cet 
esprit  doit  paraître  dans  toutes  les  fonctions  de  notre  ministère  : 
€  Ut  non,  nous  dit  saint  Paul,  vituperetur  ministerium  nos- 
trum  »  (Il  Cor.,  i,  3).  «  Le  Fils  de  Dieu,  nous  dit  saint  Paul,  en 
entrant  dans  le  monde,  dit  à  son  Père  :  Vous  n'avez  pas  agréé 
les  sacrifices  pour  l'expiation  du  péché  ;  mais  vous  m'avez  donné 
un  corps.  J'ai  dit  :  me  voici.  Je  viens  pour  accomplir  votre 
volonté,  ô  Dieu,  selon  ce  qui  est  écrit  de  moi.  ■>  (Hebr.,  x,  5-7). 

Dès  en  entrant  dans  le  monde,  le  Fils  de  Dieu  fait  un  acte  de 
piété,  acte  qui  devient  désormais  persévérant.  En  entrant  dans 
le  monde  nouveau  où  l'ordination  introduit  le  prêtre,  celui-ci  a 
du  devenir  un  homme  de  prière,  «  Nos  vero  orationi  et  minis- 
terio  verbi  instantes  erimus,  »  dit  saint  Pierre  aux  fidèles  après 
la  descente  du    Saint-Esprit,   plaçant  ainsi    la  prière  comme 
leur  premier  devoir,  et  saint  Luc  remarque  que  cette  déclara- 
tion faite  publiquement  fut  agréable  à  la  multitude  des  fidèles. 
Nous  avons,  a  dit  saint  Bernard,  trois  grands  devoirsà  remplir: 
la  parole,  l'exemple,  la  prière  ;  or  le  plus  grand,  le  premier  de 
ces  devoirs,  c'est  la  prière,  car  c'est  elle  qui  donne  l'efficacité  à 
la  parole   et  à   l'exemple.   Le  prêtre   est   donc  avant  tout  un 
homme  de  prière.  Or,  voici  un  prêtre  qui    se  dispose  à  réciter 
son  bréviaire.    Si,   en  me  retournant  vers  quelques  personnes 
qui  ont  vu  le  bréviaire  dans   ses   mains,  je  leur  disais:  Voilà 
Moïse  qui  va  élever  ses    mains    suppliantes   vers    le  ciel  pour 
obtenir  la  victoire  à  l'Eglise    militante;    voilà  Elle  qui  s'élève 
sur  le  sommet  de  la  montagne  de  Dieu  pour  ouvrir  ou  fermer  le 
ciel;  voilà  David  qui  se  prosterne  devant  Dieu  et  qui  s'écrie  : 
«  Paratum  cor  meum,  Deus  ;  »  remplissez-le  de  cet   esprit  de 
grâce  que  vous  avez  promis  à  ceux  qui  vous  prient  avec  ferveur; 
ne  pensez-vous  pas  que  certains  prêtres  seraient  les  premiers  à 
sourire  devant  ce  langage  qu'ils  trouveraient  bien  solennel?  Et 
cependant  le  prêtre  en  disant  son   bréviaire  fait    un  acte  plus 
sublime  que  Moïse,  Elle  et  David.  C'est  Jésus-Christ  dont  il  va 
continuer  la  grande  action  dont  parle  saint  Paul:  «  Preces  sup- 
plicationesque  offerens.  >  C'est  pourquoi,  avant  d'ouvrir  le  bré- 
viaire, nous  récitons  :  «  Domine  Jesu  Christe,   in   unione  illius 
divinœ  intentionis...»  Il  faut  donc  parler  à  Dieu,  €  digne,  attente, 
dévote.  » 

Que  dire  du    prêtre   pour  lequel    les  offices  publics  ne  sont 


124  ANNALES    CATHOLIQUES 

qu'un  lourd  fardeau  et  un  labeur  insupportable?  Un  prêtre 
pieux  aime  tout  ce  qui  se  rapporte  à  notre  sainte  et  grave 
liturgie.  L'office  solennel  est  une  œuvre  précieuse  aux  yeux  du 
bon  prêtre;  les  heures  qu'il  lui  consacre  lui  paraissent  trop 
courtes.  Qu'est-ce  que  Dieu  pense  d'un  prêtre  qui,  à  l'autel, 
célébrant  la  sainte  Messe,  paraît  un  homme  ordinaire,  distrait, 
indifférent?  Qui  af/lige  les  âmes  pieuses  et  scandalise  ceux  qui 
ne  croient  pas?  Qui  à  l'autel  n'a  d'autre  souci  que  d'abréger  un 
exercice  qui  lui  paraît  toujours  trop  long;  qui  va,  vient  d'un 
côté  de  l'autel  à  l'autre  avec  des  yeux  qui  se  portent  sur  tout, 
qui  est  tellement  précipité  dans  la  récitation  des  formules,  dans 
les  signes  de  croix,  dans  les  génuflexions  qu'on  le  dirait  pour- 
suivi par  le  feu  d'un  incendie  qui  s'approche;  qui  ouvre  le 
tabernacle,  donne  la  sainte  Communion  à  la  façon  de  ces  ou- 
vriers qui  remuent  leurs  instruments  de  travail  quand  le  travail 
les  ennuie  et  qu'ils  ont  hâte  de  le  quitter,  et  pour  lequel  la 
lecture  du  dernier  Evangile  ressemble,  par  le  ton  qui  l'accom- 
pagne, au  soupir  de  l'homme  ennuyé  qui  crie:  Enfin,  c'est 
fait  !  La  messe  de  ces  prêtres  a  honoré  Dieu  quand  même  ;  mais 
leur  attitude  â  l'autel  et  leur  conduite  après  la  messe,  ne 
ressemblent-elies  pas  à  un  mépris  insultant  pour  lui  ?  Le  prêtre 
qui  monte  à  l'autel  avec  une  grande  idée  de  l'action  qu'il  va 
faire,  agit  avec  piété. 

D)  La  foi.  Justus  ex  fide  vivit  (Rom.,  i,  17).  Il  n'y  a  de 
véritable  justice  devant  Dieu  que  par  la  foi.  Or,  si  la  foi  est  le 
principe  de  la  vie  pour  les  simples  fidèles,  le  principe  générateur 
de  toutes  les  vertus  qui  constituent  la  vraie  justice,  que  penser 
de  la  vie  du  prêtre? 

Il  est  à  l'autel,  il  va  parler  le  langage  de  la  foi,  il  va  voir 
s'accomplir  sous  ses  yeux,  dans  ses  mains,  les  plus  sublimes 
mystères  de  la  foi  chrétienne;  que  va-t-il  devenir  si  son  âme 
n'est  pas  toute  pénétrée  des  vérités  que  cette  foi  lui  enseigne? 
Il  est  en  chaire,  au  confessionnal,  auprès  des  malades;  si  la  foi 
ne  l'anime  pas,  n'est-il  pas  à  craindre  que  ces  actions  divines 
qui  lui  sont  confiées  ne  deviennent  pour  lui  un  épouvantable 
jugement?  comme  le  dit  saint  Paul.  Non,  Seigneur,  nous  ne 
voulons  pas  être  de  ces  infortunés,  et  comme  vos  premiers 
Apôtres,  nous  demandons  une  grande  augmentation  de  foi. 
€  Domine,  adauge  nobis  fidem.  »  (Luc,  xvii,  5.) 

E)  La  charité.  L'amour  de  Dieu  se  révèle  par  des  actes  per- 
pétuels de  soumission  à  la  volonté  de  Diou.  Celui-là  seul  aime 


LB  PRÊTRE  EST  l'hOMMK  DE  DIEU  125 

Dieu  de  tout  son  cœur  qui  en  toutes  choses  s'applique  à  ne 
faire  que  ce  que  Dieu  veut  qu'il  fasse;  de  là,  cette  disposition 
de  l'âme  à  voir  nous  échapper  un  à  un  tous  les  objets  de  notre 
tendresse,  non  pas  sans  en  souffrir,  non  pas  sans  en  avoir  le 
-cœur  déchiré,  broyé,  anéanti,  mais  avec  une  entière  résignation 
B  la  volonté  de  Dieu.  «  Vous  êtes  bien  fier  de  votre  serviteur 
Job,  dit  un  jour  Satan  à  Dieu,  crovez-vous  que  c'est  parce  qu'il 
vous  aime  qu'il  vous  est  si  dévoué?  Ne  croyez-vous  que  c'est 
parce  qu'il  y  trouve  son  avantage?  Étendez  la  main  sur  lui, 
frappez-le  dans    ce    qu'il    a  de  plus  cher,  et  vous  verrez  s'il 
continuera  de  vous  bénir.  —  Tout  ce  que  mon  serviteur  Job  pos- 
sède, répondit  Dieu  à  Satan,  est  à  toi;  je  t'abandonne  tout,  tu 
peux  tout  lui  prendre.  >  Or,  un  jour  que    les  enfants  de  Job 
étaient  réunis  dans  un  festin  chez  leur  frère  aîné,  tout  à  coup 
un  serviteur  accourut  vers  Job:  «  Maître,    des   Sabéens  ont 
envahi  vos  prés,  ils  se  sont  emparés  de  vos  bœufs,  de  vos  ânes, 
ils  ont  tué  vos  serviteurs;  seul,  j'ai  été  épargné.  »  Il  parlait 
encore  qu'un  autre   accourt:  «  Le  feu   du  ciel  a  consumé  vos 
brebis  et  leurs  bergers;  seul,  j'ai  été  préservé.  »  Il  n'avait  pas 
achevé  qu'un  troisième  arrivait:  «Des  Chaldéens,  après  avoir 
égorgé  leurs  gardiens,  se  sont  emparés  de  vos  troupeaux;  j'ac- 
cours  vous  en  prévenir.  »  «  Vos  fils  et  vos  filles,  s'écrie   un 
dernier  arrivant,  mangeaient  et  buvaient  avec  leur  fiére  aîné, 
lorsqu'un  vent  violent  s'est  élevé,  a  ébranlé  la  maison  jusque 
dans  ses  fondations.  En  ce  moment,  vos  enfants  sont  ensevelis 
sous  les  décombres.  »  Job  se  leva,  déchira  ses  vêtements,  coupa 
ses  cheveux,  s'abattit  la  face  contre  terre,  comme  un  homme 
accablé;. puis   levant  les  yeux   vers  Dieu:  «  Seigneur...,  vous 
m'avez  tout  donné...,  vous  me  l'otez...,  qu'il  soit  fait...  selon 
votre    volonté...  Que  votre  saint  nom   soit  béni!  »  Voilà  un 
homme  qui  aimait  Dieu  de  tout  son  cœur. 
•  Le  /îat  de  la  très  sainte  Vierge,  au  jour  de  son  Annonciation, 
est  du  même  ordre. 

-  On  demandait  à  saint  François  de  Sales:  «  Qu'est-ce  que  vous 
aimeriez  mieux,  ou  vivre  en  bonne  santé  ou  passer  le  reste  de 
votre  vie  paralysé  sur  un  lit?  —  Je  n'aime  ni  l'un  ni  l'autre, 
répondit  le  .saint,  je  suis  indifi"érent;  je  ne  veux  en  l'an  comme 
en  l'autre  que  le  bon  plaisir  de  Dieu.  En  santé,  je  le  servirai 
agissant;  malade,  je  le  servirai  en  souffrant.  C'est  à  lui  de 
choisir  ce  qu'il  aimera  le  mieux.  Des  deux  côtés,  je  fais  sa 
volonté.  Cela  me  suffit.  »  Voilà  un  homme  qui  aimait  Dieu  de 
tout  son  cœur. 


126  ANNALES    CATHOLIQUES 

Aimer  Dieu  de  tout  son  cœur  n'est  donc  pas  une  affaire  de 
sentiment,  mais  une  affaire  de  volonté.  Ce  ne  sont  pas  ceux  qui 
disent  :  Seigneur!  Seigneur  !  qui  entreront  dans  le  royaume  des 
cieux,  mais  ceux  qui  font  la  volonté  de  mon  Père.  C'est  ainsi 
que  je  l'aime  moi-même.  Ma  nourriture  sur  la  terre  a  été  de 
faire  la  volonté  de  mon  Père.  Aussi  saint  François  de  Sales 
a-t-il  pu  définir  la  perfection  :  ne  rien  demander,  ne  rien 
refuser,  user  de  tout  sans  affection  et  sans  scrupule,  avec 
liberté  et  détachement. 

Aimer  Dieu  de  toute  son  dme  c'est  mettre  tout  en  œuvre  pour 
lui  gaener  des  âmes,  en  le  faisant  aimer.  Ce  n'est  donc  pas  assez 
de  donner  le  bon  exemple,  il  faut  avoir  une  vertu  aimable, 
attrayante.  Saint  François  de  Sales  aimait  à  raconter  que  Saint 
Charles  Borromée,  l'esprit  le  plus  exact,  disait-il,  le  plus  raide, 
le  plus  austère  qui  se  puisse  imaginer,  qui  ne  buvait  que  de  l'eau 
et  qui  ne  mangeait  que  du  pain,  ne  faisait  aucune  difficulté 
d'aller  manger  avec  les  Suisses  ses  voisins.  Il  allait  jusqu'à  trin- 
quer et  à  porter  des  santés  à  chaque  repas,  outre  ce  qu'il  avait 
bu  pour  sa  soif,  afin  de  les  gagner  à  mieux  faire. 

On  raconte  de  sainte  Chantai,  que  lorsque  son  mari  fut  mort^ 
elle  vint  tenir  la  maison  de  son  beau-père.  Elle  y  trouva  une 
servante  qui  était  maîtresse  absolue,  à  ce  point  qu'elle,  Mme  de 
Chantai,  n'eut  pas  le  droit,  pendant  sept  ans,  de  dépenser  une 
obole  dans  cette  maison.  Or  il  n'y  eut  de   démarches,  de  sacri- 
fices qu'elle  ne  s'imposât   dans   l'espérance   de  ramener  cette 
femme  à  Dieu.  Elle  en  vint  à  ce  degré  d'héroïsme  de  soigner  les 
enfants  de  cette  servante  comme  les  siens  propres,  se  donnant  la 
peine  non  seulement  de  les  instruire,  mais  de  les  habiller,  net- 
toyant leurs  vêtements,  leur  rendant  de  ses  mains  les  soins  les 
plus  abjects.  Dans  les  commencements,  elle  avoua  que  tout  son 
sang  se  révoltait  ;  peu  à  peu  elle  étouft'a  le  cri  de  la  nature  et 
n'opposa  jamais  qu'un  cœur  doux  et  un  visage  gracieux,  en  sou- 
venir de  Notre  Seigneur  au  milieu  des  foules  qu'il  guérissait, 
qu'il  accueillait  avec  un  visage  aimable,  pour  mieux  les  évan- 
géliser.  Voilà  des  âmes  chrétiennes  qui  aimaient  Dieu  de  toute 
leur  âme;  rien  ne  leur  coûtait  pour  rendre  la  vertu  aimable. 

A  imerDieu  de  tout  son  esprit ,  c'est  s'appliquer  à  le  mieux  con- 
naître, c'est  par  conséquent  éviter  les  conversations  et  les  lec- 
tures qui  peuvent  obscurcir  dans  notre  esprit  la  vérité  chré- 
tienne. Saint  Paul  ne  se  glorifiait  que  d'une  chose,  connaître 
Jésus-Christ  tel  qu'il  est,  non  un  Christ  de  fantaisie,  mais  le 


LE   PRÊTRE   EST   L'hOMME    DE   DIEU  12f7 

Christ  vraiment  Dieu  et  vraiment  homme.  Les  ouvrages  dignes 
d'un  prêtre  sont  ceux  dont  on  peut  dire,  comme  Bossuet  l'a  dit 
des  ouvrages  de  sainte  Thérèse,  qui  commencent  par  Jésus,  qui 
finissent  par  Jésus,  et  oii  l'auteur  ne  se  trouve  jamais  lui-même. 

Aimer  Dieu  de  toutes  ses  forces,  c'est  s'intéresser  aux  œuvres 
d'apostolat,  aux  œuvres  de  zélé,  encouragées  par  l'Eglise  et 
nécessitées  par  les  besoins  des  temps.  Si  l'on  ne  peut  y  prendre 
qu'une  faible  part  pécuniaire  ou  personnelle,  on  doit  les  encou- 
rager de  ses  vœux,  pour  qu'il  bénisse  les  efforts  de  ceux  qui  les 
fondent  et  les  organisent,  et  se  réjouir  des  heureux  résultats 
qu'elles  obtiennent.  «  Ego  diligentes  me  diligo.  »  Pour  nous 
encourager  à  aimer  ainsi  Dieu,  rappelons-nous  qu'il  ne  nous 
aime  que  dans  la  mesure  oii  nous  l'aimons. 

L'amour  du  prêtre  envers  le  prochain.  Il  y  a  dans  le  lan- 
gage ecclésiastique  un  mot  qui  revient  souvent  sur  nos  lèvres, 
que  les  Apôtres  ont  recueilli  sur  les  lèvres  mêmes  de  Notre- 
Seigneur,  mot  destiné  à  réveiller  dans  les  âmes  l'espérance.  Ce 
mot,  est  celui  de  pasteur,  ce  mot  Notre-Seigneur  se  l'est  appli- 
qué le  premier.  Il  nous  l'a  transmis.  Ce  mot  indique  au  prêtre 
comment  il  doit  aimer  tous  ceux  de  son  troupeau;  riches  et  pau- 
vres, bons  et  mauvais,  fidèles  et  infidèles,  saints  et  pécheurs. 

Or,  à  quel  signe  Notre-Seigneur  reconnaît-il  le  bon  pasteur? 
1°  à  ce  qu'il  connaît  ses  brebis  et  ses  brebis  le  connaissent;  2<^  à 
ce  que  les  brebis  suivent  leur  pasteur  partout  oii  il  va.  Le  Pas- 
teur traite  chacun  comme  il  convient  ;  de  là  la  confiance  que 
tous  lui  témoignent,  «  sciunt  vocem  ejus.  » 

F)  La  patience.  Saint  Thomas  après  saint  Augustin  (Lib.  de 
Patientià,  cap.  I),  après  saint  Grégoire  (Hom.  XXXV  in  Ev.), 
nous  dit  que  la  patience  est  une  vertu  qui  nous  protège  contre 
la  tristesse  et  contre  la  mauvaise  humeur  que  nous  ressentons 
à  la  suite  des  crimes,  des  maux  qui  nous  viennent  de  nos  sem- 
blables et  des  contrariétés  de  la  vie  (2*  2»,  Q.  CXXXVI,  art.  1). 

«  La  tristesse  du  siècle,  dit  saint  Paul,  produit  la  mort.  > 
(II  Cor.,  VII,  10).  «  La  tristesse  en  a  tué  une  multitude,  ellejn'est 
utile  à  rien.  >  (Eccli.,  xxx,  25).  La  patience  est  donc  une  des 
vertus  les  plus  utiles  au  prêtre,  parce  que  personne  plus  que  lui 
n'est  exposé  au  découragement.  Mais  la  patience  ne  vient  que 
de  Dieu  (Ps.  lxi,  6).  Pour  s'j^  exciter,  on  peut  considérer  la 
patience  de  Dieu  qui  tolère  les  pécheurs  (Eccl.,  v,  4),  celle  de 
Jésus-Christ  (Rom.,  i),  celle  des  Saints  ;  les  fruits  quon  retire 
de  cette  vertu,  les  inconvénients  du  vice  contraire.  D'ailleurs, 


128  A.NNAI.B8    CATHOLIQUBa 

comme  le  dit  saint  Paul,  la  charité  est  patiente  (I  Cor.,  xiii,  4). 
Un  prêtre  qui  a  la  charité,  est  patient. 

G)  La  mansuétude.  La  mansuétude  règle  la  colère,  comme  la 
patience  modère  la  tristesse. 

P. -G.   MOREA-U, 

vicaire  général  honoraire  de  Langres. 


LA  PETITE  EGLISE 

Le  schisme  de  la  Petite  Eglise  va-t-il  eofin  disparaître?  La 
lettre  de  S.  S.  Léon  XIII  achèvera-t-elle  de  subjuguer  les  der- 
niers tenants  delà  secte  anti-concordataire?  Il  faut  l'espérer. 
Chaque  année,  la  mort  décime  les  rangs  des  adeptes;  les  vieil- 
lards emportent  avec  eux  dans  la  tombe  l'obstination  et  le  fana- 
tisme qui  les  lièrent  trop  longtemps  à  l'erreur.  Mieux  aifranchis 
despiéjugés  qui  déçurent  leurs  pères,  les  jeunes  gens  se  tour- 
nent plus  volontiers  vers  Rome.  Tout  en  gardant  avec  un  soin 
jaloux  le  patrimoine  des  vertus  domestiques  et  les  traditions 
d'honneur  que  leur  léguèrent  des  aïeux  égarés,  puissent-ils 
rompre  bientôt  les  derniers  liens  qui  les  attachent  au  schisme 
et  obéir  joyeusement  à  la  voix  du  Père  vénéré  qui  leur  adresse 
un  si  tendre  appel  ! 

Au  nombre  des  évêques  qui  dans  la  seconde  moitié  de  ce 
siècle  s'employèrent  avec  le  plus  d'ardeur  à  la  conversion  des 
schismatiques,  il  faut  compter  l'illustre  cardinal  Pie.  Vers  1850, 
le  Poitou  comptait  encore  plusieurs  milliers  d'anti-concorda- 
taires,  dont  la  majeure  partie  habitait  la  paroisse  rurale  de 
Courlay  (Deux-Sèvres).  Dés  le  15  octobre  1851,  deux  années  à 
peine  après  son  intronisation,  Mgr  Pie  envoyait  aux  «  dissidents 
de  la  Petite  Eglise  »  une  lettre  pastorale  (1)  oii,  se  faisant  l'écho 
du  Saint-Siège,  il  rappelait  à  ses  diocésains  infidèles  les  pres- 
santes sollicitations  de  Léon  XII  (2)  et  de  Grégoire  XVI.  c  Où 
sont  aujourd'hui  vos  prêtres?  s'écriait,  avec  l'accent  d'un  doux 
reproche,  l'éminent  prélat.  Vous  êtes  un  corps  sans  tête  et  par 

conséquent  sans  via...  Où  nous  a  raconté,  —  et  nous  le  répétons 

. -ijiiq /,i  ■-..M/.    .;iiy!MH;;..'Uiu';-.-    u;;   ••-    ,/.'«     '.on 

(1)  Voir  Œuvres  complètes,  éditées  par  Oudin,  5"*  édition,  t.  I, 
pages  38.5-417.  "' 

(2)  «  Ad  Gallog  illos  dissidentes,  prsesertim  diœcesia  Pictaviensia 
qui  vulgo  anti-concordatiatce  appellanturExhortatio.  a  Die  2  julii  1826. 


LA  PETITE  ÉOLISB  129 

avec  confusion,  —  que  parmi  voua,  ce  sont,  non  seulement  de 
simples  laïques,  mais  le  plus  souvent  des  femmes  qui  font  les 
fonctions  de  ministre  sacré.  >  Rien  de  plus  exact.  L'hiérophante 
de  la  Petite  Eglise  poitevine  appartenait  au  sexe  féminin. 
Mlle  Tessier —  c'était  son  nom  —  descendait  de  l'un  de  ces 
intrépides  frères  Tessier  qui  comptèrent  parmi  les  héros  de  la 
guerre  de  Vendée.  En  quoi  consistait  et  consiste  encore  le  culte? 
Dans  la  récitation  du  chapelet  et  dans  quelques  prières  dites  en 
commun.  Point  de  confession  ni  de  communion,  bien  entendu. 
Quant  au  sacrement  de  mariage,  voici  de  quelle  manière  les 
dissidents  prétendaient  v  suppléer,  en  1850.  Un  vieux  prêtre 
anticoncordataire  habitait  alors  Toulouse.  Les  schismatiques 
aisés  faisaient  le  voyage  et  allaient  demander  la  bénédiction 
nuptiale  au  rebelle.  Mais  les  pauvres  se  contentaient  d'une  cé- 
rémonie sommaire  :  à  la  date  fixée,  les  futurs  époux  se  rendaient 
chez  l'une  des  vestales  de  la  secte.  Celle-ci  avait  reçu,  quelques 
jours  auparavant,  un  anneau  bénit  par  le  prêtre  toulousain.  Dès 
que  l'heure  convenue  avec  cet  ecclésiastique  interdit  sonnait, 
les  fiancés,  à  genoux,  échangeaient  l'anneau,  et  l'abbé  X...  pro- 
nonçait, à  quatre-vingts  lieues  de  la  grange  oii  s'accomplissait 
ce  rite  sacrilège,  les  paroles  de  la  bénédiction.  Un  certain 
nombre  de  chapelets  tenaient  lieu  de  messe  et  le  mariage  pas- 
sait pour  valide  et  régulièrement  contracté. 

Deux  années  plus  tard,  le  21  novembre  1853,  Mgr  Pie  se 
croyait  obligé  d'adresser  aux  dissidents  une  deuxième  lettre 
pastorale.  Intervention  trop  justifiée.  Si  à  la  suite  du  premier 
avertissement  épiscopal,  plusieurs  familles,  dociles  à  la  voix  de 
l'évêque,  avaient  abjuré  l'erreur,  chez  d'autres,  le  schisme 
venait  de  recevoir  un  stimulant  inattendu.  Après  avoir  tenu 
conseil  pour  aviser  aux  moyens  d'entretenir  la  révolte,  Courlay, 
€  la  Rome  de  la  dissidence  »,  avait  réussi  à  se  procurer  le  con- 
cours et  l'assistance  d'un  prêtre  indigne.  Né  vers  le  commence- 
ment de  ce  siècle  dans  un  diocèse  voisin  de  Poitiers  et  chassé  du 
petit  séminaire  pour  les  causes  les  plus  graves,  cet  homme  était 
parvenu  à  se  faire  ordonner  à  Nevers  par  un  évêque  parfaite- 
ment orthodoxe  et  concordataire.  Revenu  dans  son  pays  natal, 
après  avoir  exercé  dans  trois  paroisses  difi'érentes  les  fonctions 
de  vicaire,  il  avait  prévenu  l'éclat  d'une  sentence  canonique  en 
demandant  son  exeat...  L'archevêque  de  Reims  l'accueillit, 
mais  pour  peu  de  temps.  L'autorité  diocésaine  dut  bientôt  lu^ 
retirer  tous  les  pouYoirs.  Sur  ces  entrefaites,  l'abbé  X...  apprend 

10 


130  ANNALES    CATHOL,IQUES 

qu'au  fond  de  la  Basse-Normandie,  un  prêtre  concordataire,  non 
moins  mal  noté  que  lui,  a  fructueusement  simulé  et  exploité  le 
rôle  d'un  prêtre  dissident.  Il  sait  que  ce  vieillard  déshonoré  a 
déjà  un  pied  dans  la  tombe,  et  sur-le-champ  l'idée  lui  vient  de 
recueillir  l'héritage  infâme  de  son  ministère  auprès  des  âmes 
crédules  de  la  Petite  Eglise. 

«  Il  s'achemine,  raconte  Mgr  Pie,  vers  cette  demeure  de 
l'apostasie  abhoi'rée  de  tous  les  gens  de  bien.  Là  une  rencontre 
inattendue  lui  est  réservée...  deux  des  prêtresses  dissidentes  de 
notre  diocèse,  les  Sœurs  de  Courlay  et  de  Cirières,  arrivent  du 
Bocage  poitevin,  amenant  au  prix  de  grandes  fatigues  et  de 
grandes  dépenses  une  vingtaine  de  pauvres  enfants  préparés 
par  elles  à  la  première  communion.  Le  vieux  prêtre,  peu  jaloux, 
ce  semble,  de  conserver  son  auxiliaire,  se  hâte  de  mettre  à  leur 
disposition  cet  autre  lui-même,  qu'il  est  prêt  à  leur  céder.  L'oft're 
est  acceptée,  et  encore  bien  que  les  messagères  ne  fussent  pas 
chargées  des  pleins  pouvoirs  de  V assemblée^  le  prêtre  vagabond, 
dont  la  maison  normande  paraît  déjà  fatiguée,  arrive  tout  à 
coup  à  Courlay,  où  son  admission  est  décidée.  »  Quatorze  jours 
durant,  le  soleil  ne  se  lève  sur  cette  contrée  si  longtemps  bénie 
du  ciel,  que  pour  éclairer  de  nouveaux  sacrilèges.  Des  voitures 
arrivent  chaque  matin  et  repartent  le  soir,  amenant,  recondui- 
sant les  victimes  de  l'apostasie  de  ce  maître  fourbe.  Commencée 
deux  jours  avant  la  fête  de  l'Assomption,  cette  série  de  céré- 
monies se  termine  le  jour  de  la  saint  Louis,  au  milieu  du  con- 
cours de  tous  les  dissidents  du  Poitou.  Une  première  fois,  les 
tribunaux  condamnent  le  mauvais  prêtre  pour  usurpation  de 
pouvoir,  mais  il  revient  au  mois  d'octobre  suivant  au  hameau 
de  la  Planisiére  (commune  de  Courlaj^)  oii  il  reprend  la  trame 
de  ses  honteuses  manœuvres.  Un  ordre  de  la  police  l'oblige  enfin 
à  s'éloigner  pour  de  bon  le  20  octobre. 

La  deuxième  lettre  pastorale  de  Mgr  Pie,  en  portant  ces  faits 
à  la  connaisance  des  schismatiques,  produisit  la  meilleure  im- 
pression. De  nombreuses  conversions  s'opérèrent.  Quinze  ans 
plus  tard,  le  23  septembre  1868,  l'évêque  de  Poitiers  écrivait 
ce  qui  suit  sur  le  registre  de  ses  actes  : 

«  Il  a  été  écrit  dans  le  Psaume  :  <  Faites  des  vœux  et  rendez 
«  vos  vœux  au  Seigneur.  »  En  l'année  de  Notre-Seigneur  1853, 
jour  de  la  fête  de  l'Immaculée-Conception,  célébrant  une  so- 
lennité expiatoire  dans  l'église  pai^oissiale  de  Saint-Remj 
de  Courlay,   nous  avons    fait    publiquement  le    vœu  d'ériger 


LA  PETITE  lÎGLlSE  131 

à  Marie  un  autel  en  cette  église  le  jour  où  la  majeure  partie 
des  habitants  serait  revenue  du  schisme  des  anticoncordataires 
à  l'unité  de  l'Eglise.  Or  ayant  appris  que  depuis  quelque  temps 
le  nombre  des  catholiques  l'emporte  sur  celui  des  dissidents, 
nous,  évèque  de  Poitiers,  aujourd'hui  23  septembre  1868,  avons 
dédié  et  consacré  un  .lutel  de  pierre  portant  une  statue  de  Ma- 
rie, offerte  par  nous  à  cette  paroisse,  et  nous  y  avons  fait  au 
peuple  une  courte  allocution.  » 

A  l'heure  actuelle,  la  secte,  très  amoindrie  à  Courlay  et  à 
Ciriéres,  a  cessé  de  se  livrer  aux  belliqueuses  manœuvres  que 
dénonçait  Mgr  Pie  et  voit  tous  les  ans  s'écarter  d'elle  les  fa- 
milles jadis  les  plus  éprises  de  l'erreur.  La  Lettre  pastorale  de 
Léon  XIII  achèvera  de  ramener  ces  pauvres  gens  à  la  vraie 
foi.  La  Basse-Normandie  comptait  naguère  encore  plusieurs 
familles  anticoncordataires.  Il  n'en  reste  plus  que  deux  ou  trois, 
dont  l'une  habite  encore  la  petite  paroisse  de  Sainte-Cécile,  près 
Vi'.ledieu-les-Poëles.  Les  familles  rentrées  dans  le  giron  de 
l'Eglise  comptent  aujourd'hui  parmi  les  plus  chrétiennes  du 
pays. 

Dans  l'arrondissement  de  Charolles,  en  Saône-et-Loire,  les 
adeptes  sont  disséminés  un  peu  partout,  mais  plus  particuliè- 
rement dans  les  cantons  de  Chauffailles  et  de  Paray-le-Monial. 
Le  jour  de  la  Fête-Dieu,  ils  se  réunissent  sur  un  monticule 
appelé  la  Corne  d'Artus,  situé  dans  la  commune  de  Beaubery. 
canton  de  Saint-Bonnet-de-Joux.  Le  chant  des  cantiques  et  la 
psalmodie  constituent  toute  leur  liturgie.  Dans  le  Lot-et-Ga- 
ronne, les  <  Illuminés  >  —  c'est  le  nom  des  anticoncordataires 
—  habitent  au  nombre  d'une  trentaine  le  hameau  du  Bachelier, 
commune  de  Gcntaud,  arrondissement  de  Marmande.  Une  vieille 
demoiselle,  Mlle  Conin,  était  leur  prêtresse  dans  ces  derniers 
temps.  Citons  enfin  les  Béguins  de  Saint-Etienne  qui  se  ratta- 
chent également  à  la  Petite  Eglise.  C'est  à  Saint-Jean-Bonne- 
fonds  qu'on  les  trouve.  Toutes  ces  chapelles  ne  sont  plus  fré- 
quentées que  par  une  poignée  de  fidèles  :  dans  trois  ou  quatre 
ans,  il  en  sera  des  «  dissidents  >  comme  des  jansénistes.  La 
mort  anéantira  les  derniers  adeptes.  Depuis  de  longues  années 
ces  malheureuses  sectes  ne  font  plus  de  prosélytes.  Les  fils  ré- 
pudient eux-mêmes  les  erreurs  de  leurs  aïeux  et,  sortant  de 
leurs  granges,  reviennent  s'asseoir  avec  allégresse  autour  de  la 
table  du  Père. 

[Monde.)  Oscar  Havard. 


132  ANNALES    CATHOLIQUES 


NECROLOGIES    EPISCOPALES 

ÉVÉQUES    FRANÇAIS    DÉCÉDÉS    DURANT    LE    DIX-NEUVIEME    SlÈCLB 
DE    1800   A   1893  (1) 

(Suite.  —  Voir  les  numéros  du  16  janvier  1892  au  7  Octobre  1893.) 

Année    1821  {Suite). 

26  octobre.  —  Mgr  Camille-Louis-Apollinaire  de  Polignac, 
évêque  de  Meaux.  La  famille  de  Polignac,  originaire  du  Velaj^ 
une  des  plus  anciennes  maisons  d'Auvergne,  tire  son  nom  de 
l'ancien  château  de  Polignac  situé  à  deux  lieues  au  nord- 
ouest  du  Puj,  sur  une  grande  et  vaste  roche  qui  était  coji sacrée 
à  Apollon  dont  on  voit  encore  une  tête  toute  couverte  de  rayons, 
laquelle,  dit-on,  rendait  autrefois  des  oracles.  L'empereur 
Claude,  né  à  Lyon,  au  rapport  de  l'écrivain  Janus  Graterus  qui 
mourut  en  1627,  vint  consulter  cet  oracle  l'an  51  de  Jésus- 
Christ.  Prohahile  est  Claudium  Cœsarem  Lugduni  natwm,  in 
Castro  Apollianico,  sortito  nomine,  ut  fertw,  ab  Apolline  in 
provincia  Velaunia,vulgariterYEL\Y,  in  confiniis Arvernorum 
sita,  profectum  Oraculi  Apollinis  consulendi  gratia.  C'est  de 
ce  vieux  château  que  sont  sortis  depuis  les  ApoUinaires  dont  le 
nom  a  été  converti  en  celui  de  Polignac  d'oii  sont  venus  ceux 
qui  portent  ce  nom.  Sidoine  Apollinaire  parle  du  château  de  Po- 
lignac comme  de  sa  maison  paternelle.  (Liv.  IV.  Epit.  6).  Son 
bisaïeul  du  nom  d'Apollinaire,  descendu  d'une  ancienne  famille 
patricienne  qui  avait  donné  des  sénateurs  à  la  ville  de  Rome,  fut 
préfet  du  prétoire  des  Gaules  et  intendant  de  la  justice.  Le  fils 
de  celui-ci  eut  les  mêmes  dignités  et  fut  le  premier  de  sa  race 
qui  eut  le  bonheur  d'embrasser  le  christianisme,  qu'il  laissa  à  sa 
postérité  avec  les  mêmes  dignités  séculières.  Son  fiils,  père  de 
Sidoine  Apollinaire,  les  exerça  avec  honneur  sous  les  empereurs 
Honorius  et  Valentinien-Sidoine,  qui  avait  épousé  Papianille, 
fille  de  l'empereur  Avitus,  ayant  été,  après  la  mort  de  sa  femme, 
élu  évêque  de  Clermont  en  Auvergne,  l'an  472,  laissa  pour  fils 
Apollinaire  qui  fut  lieutenant  général  des  armées  d'Alaric  roi 
des  Yisigoths,et  qui  fut  père  d'Arcade  lequel  fit  la  branche  des 
anciens  comtes  d'Auvergne.  L'on  ajoute  que  dès  que  l'évêque 
de  Clermont  eut  été  promu  à  l'épiscopat,  il  fit  élire  Apollinaire 

(l)  Reproduction  et  traduction  interdites. 


NÉCROLOGIES  KPISCOPALBS  133 

son  frère,  vicomte  de  Velay,  qui  était  alors  un  pays  uni  à  l'Au- 
vergne, dignité  qui  le  rendait  comme  lieutenant  du  comte  en  ces 
quartiers-là,  et  que  c'est  de  lui  que  descendent  les  vicomtes  du 
pays  de  Velay  ou  de  Polignac,  qui  subsistent  encore  aujourd'hui. 
Ces  vicomtes  dont  le  premier  mentionné,  Hériman,vivaiten  870, 
ont  eu  longtemps  toutes  les  marques  de  souveraineté,  comme 
de  iaire  ^'attre  monnaie  à  leur  coin,  de  faire  grâce  aux  criminels, 
d'impos'' .  des  tailles  dans  leurs  terres,  de  déclarer  la  guerre,  etc. 
François  i",  roi  de  France,  se  trouvant  au  château  de  Polignac 
en  1533,  (t  entendant  parler  des  privilèges  dont  avait  joui  autre- 
fois les  seigneurs  de  ce  nom,  et  du  titre  qu'on  leur  donnait  alors, 
dit  qu'il  n'en  était  pas  surpris  après  la  magnificence  avec  la- 
quelle il  y  avait  été  reçu  avec  toute  sa  cour. 

Parmi  les  membres  de  cette  famille  qui  furent  très  nombreux, 
nous  nous  contenterons  de  citer  les  suivants  : 

Gaspard-Armand,  vicomte  de  Polignac,  marquis  de  Chalençon, 
baron  de  Randon,  gouverneur  d'Auvergne  et  du  Velay,  cheva- 
lier des  ordres  du  roi  en  1633.  Il  avait  épousé  Anne  de  Tournon, 
dont  il  eut  quatre  enfants  :  Louis-Armand;  Melchior,  abbé  de 
Montebourg,  mort  en  1699,  à  quatre-vingt-huit  ans  ;  Philiberte, 
mariée  avec  le  comte  de  Beaufremont;  et  Isabelle,  mariée  en 
premières  noces  avec  le  seigneur  des  Duniéres,  et  on  secondes 
noces  avec  le  marquis  de  Caylus. 

Louis-Armand  de  Polignac,  fils  aîné  du  précédent,  fut  gou- 
verneur du  Puy-en- Velay,  et  mourut  en  1692.  Il  se  maria  trois 
fois,  en  1638,  avec  Suzanne  des  Serpens,  fille  du  baron  de  Gon- 
dras;  en  1648,  avec  Isabelle  de  la  Baume,  fille  du  comte  de  Mon- 
trevel,  et  enfin  avec  Jacqueline  de  Beauvoir,  fille  du  comte  du 
Roure.  De  son  premier  mariage,  il  eut  Antoinette  de  Polignac, 
morte  carmélite  à  Paris  en  1690;  du  second,  Jean  et  Isabelle 
morts  jeunes;  et  du  troisième,  Sidoine-ApoUinaire-Gaspard- 
Scipion  de  Polignac,  et  Melchior  de  Polignac,  né  en  1661,  abbé 
de  Bonport,  de  Mouzon,  de  Bégard,de  Corbie,  d'Anchin,  ambas- 
sadeur en  Pologne,  et  plénipotentiaire  de  Louis  XIV,  pour  le 
traité  de  paix  à  Utrecht,  auditeur  de  Rote,  créé  le  30  jan- 
vier 1713,  cardinal  du  titre  de  Sainte-Marie  des  Anges,  par  le 
pape  Clément  XI,  à  la  demande  de  Jacques  III,  roi  d'Angleterre, 
maître  de  chapelle  du  Roi,  Grand-Maître  de  Tordre  du  Saint- 
Esprit,  académicien,  auteur  de  Mémoires,  Harangues  et  Lettres 
et  du  poème  V Anti-Lucrèce,  qu'il  composa  en  Hollande,  à  la 
suite  d'un  entretien  avec  le  sceptique  Bayle,  et  qui  inspiré  par 


134  ANNALKS   CATHOLIQUES 

la  religion  et  l'amonr  de  la  vertu  est  écrit  en  vers  latins,  arche- 
vêque d'Auch  (1725-1741),  et  mort  à  Paris. 

Sidoine-ApoUinaire-Gaspard-Scipion,  marquis  de  Polignac, 
fils  du  précédent,  épousa,  en  1686,  Marie  de  Rambures,  fille 
d'honneur  de  la  Dauphine,  et  en  1709,  Françoise  de  Mailly,  fille 
du  comte  de  ce  nom,  dont  il  eut  plusieurs  enfants,  un  du  pre- 
mier lit  et  trois  du  second. 

La  duchesse  de  Polignac,  née  Polastron,  femme  du  duc  Jules 
de  Polignac,  fut  intime  avec  la  reine  Marie-Antoinette,  qui  la 
fit  gouvernante  des  Enfants  de  France,  la  duchesse  émigra  et 
mourut  à  Vienne  en  1793,  à  44  ans.  Le  duc  Jules,  son  mari,  fut 
père  d'Armand  et  Jules  de  Polignac  qui  furent  impliqués  dans 
la  conjuration  de  Pichegru  et  de  Georges  Cadoudal  et  qui  res- 
tèrent incarcérés  jusqu'à  la  Restauration. 

Le  comte  Jules,  connu  sous  le  nom  de  prince  de  Polignac, 
parce  qu'il  avait  reçu  du  Pape  le  titre  de  prince  romain,  né  à 
Paris  en  1780,  mort  le  29  mars  1847,  emmené  en  émigration  en 
Angleterre  dés  1789,  fut  placé  fort  jeune  auprès  du  comte  d'Ar- 
tois (Charles  X),  qui  le  nomma  son  aide-de-camp,  revint  jeune 
en  France  en  1804,  et  après  sa  condamnation  à  deux  ans  de 
jirison  pour  l'affaire  du  complot,  il  tenta  par  un  généreux  dé- 
vouement de  sauver  son  frère  Armand,  impliqué  comme  lui 
dans  cette  aff'aire,  qui  avait  été  condamné  à  mort  et  ne  dut  son 
salut  qu'à  l'intercession  de  l'impératrice  Joséphine;  fut  détenu 
par  mesure  de  sûreté  après  l'expiration  de  sa  peine,  s'évada  à 
la  fin  de  1813,  et  alla  rejoindre  à  Vesoul  le  comte  d'Artois,  dont 
il  reçut  les  instructions,  pénétra  un  des  premiers  dans  Paris  et 
y  arbora  le  drapeau  blanc  dès  le  31  mars  1814;  il  remplit  di- 
verses missions  dans  l'intérêt  des  Bourbons,  fut  nommé  pair  en 
1816,  et  résida  depuis  1823,  à  Londres,  comme  ambassadeur,  il 
fut  appelé  par  Charles  X  au  ministère,  le  8  août  1829  et  reçut 
le  portefeuille  des  Aftaires-Etrangères  avec  la  présidence  du 
Conseil;  il  se  vit  accueillir  par  un  sentiment  général  de  dé- 
fiance, et  ne  tarda  pas  à  justifier  toutes  les  craintes  en  signant 
le  25  juillet  1830  les  funestes  ordonnances  qui  amenèrent  la 
chute  de  Charles  X  et  de  la  monarchie  aînée  des  Bourbons. 
Après  le  triomphe  de  la  Révolution,  il  tenta  de  s'échapper,  fut 
reconnu  à  Granville,  transféré  à  Paris  et  traduit  devant  la 
Cour  des  pairs  qui  la  condamna  à  une  prison  perpétuelle.  Dé- 
tenu au  fort  de  Ham,  il  fut  gracié  en  1836,  passa  en  Angleterre, 
obtint  de  rentrer  en  France  et  finit  ses  jours  tranquillement  à 


NÉCROLOGIES    ÉPISCOPALBS  135 

Saint-Germain-en-Laye,  en  1847.  Son  frère  aîné,  le  duc  Ar- 
mand, né  en  1771,  mort  aussi  en  1847,  avait  été  nommé  aide- 
de-caiiip  du  coirite  d'Artois,  et  entra  à  la  Chambre  des  pairs  en 
1817,  à  la  mort  de  son  père. 

Jules-Armand-Jean^Melchior,  prince  de  Polignac,  chef  actuel 
de  la  maison  de  ce  nom,  est  le  fils  aîné  du  prince  président  du 
conseil  de  Charles  X  et  de  sa  première  femme,  miss  Barbara 
Campbell.  Il  succéda  à  son  père  dans  sa  dignité  de  prince  en 
1847.  Il  habita  Wildthurn,  en  Bavière,  et  avait  rang  de  capi- 
taine dans  l'armée  bavaroise.  Marié  en  1842,  à  la  fille  du  mar- 
quis de  Crillon,  il  eut  quatre  enfants  dont  l'aîné  est  Armand- 
Héraclion-Marie,  né  le  14  juin  1843. 

Les  autres  frères  du  duc  Jules-Armand,  nés  du  second  ma- 
riage du  prince  Jules  avec  Marie-Charlotte  Parkim,  sont  : 
Alphonse-Armand-Charles-Marie,  ré  en  1826,  élève  de  l'école 
polytechnique,,  capitaine  d'artillerie  en  1856,  épousa,  en  1860, 
Mlle  Mirés  et  mourut  en  1863  ;  —  Camille-Armand-Jules- 
Marie,  né  en  1832,  élève  du  collège  Stanislas  et  lauréat  du 
concours  général,  fit  la  guerre  de  Crimée  comme  engagé  vo- 
lontaire ,  en  revint  avec  le  grade  d'officier  de  chasseurs, 
donna  sa  démission,  partit  pour  le  Nicaragua,  prit  parti  pour 
le  Sud  lors  de  la  guerre  civile  aux  Etats-Unis,  fut  attaché  à 
l'état-major  de  Beauregard  et  nommé  brigadier  général  en 
Louisiane  où  il  servait  encore  en  1864  ;  —  le  comte  Camille- 
Henri-Melchior,  mort  en  1855;  —  Héraclius-Auguste-Gabriel, 
oncle  du  prince  actuel,  naquit  en  1788,  fut  général  de  brigade 
en  1846,  s'était  marié  en  1816  à  la  comtesse  Betsy,  née  Petit 
de  Veyrière,  dont  il  eut  deux  fils,  Jules-Alexandre-Constan- 
tin, né  en  1817  et  Alexandre-Louis-Charles,  né  en  1821,  mort 
en  1858. 

L'évêque  Camille-Louis-Apollinaire  de  Polignac,  né  à  Paris 
le  31  août  1745,  était  fils  de  François-Camille  de  Polignac,  mar- 
quis de  Montpipeau,  et  de  Marie-Louise  de  la  Garde,  fille 
unique  du  président  de  ce  nom,  et  cousin  germain  de  Jules  de 
Polignac  dont  la  femme,  Yolande  de  Polastron,  que  nous  avons 
citée  plus  haut,  était  gouvernante  des  enfants  de  France.  Il 
était  l'un  des  sept  vicaires-généraux  de  Mgr  Champion  de  Cicé, 
évêque  d'Auxerre,  lorsqu'il  fut  nommé,  le  28  février  1779, 
évêque  de  Meaux  pour  remplacer  Mgr  Jean-Louis  Marthonic 
de  Caussade,  décédé  le  16  du  morne  mois.  Il  fut  sacré  le  8  août 
de  la  même  année,  fit  son  entrée  à  Meaux  le  10  septembre, 


136  ANNALES   CATHOLIQUES 

partit  du  courent  des  Trinitaires  hors  de  la  porte  de  Saint- 
Denis,  et  se  rendit  à  pied  à  la  cathédrale.  Le  comte  de  Long- 
périer  Grimoard,  dans  sa  Notice  héraldique,  sigillographique 
et  numismatique  sur  les  évêques  de  Meaux,  raconte  en  détail 
la  réception  faite  au  nouvel  évêque  qui  prit  possession  au  Cha- 
pitre le  11  septembre,  lé  13  à  la  cathédrale  oii  il  fut  harangué 
en  latin  par  le  doyen  Pidoux,  et  où  une  messe  du  Saint-Esprit 
fut  chantée  en  musique. 

Peu  de  temps  après,  en  février  1780,  il  était  nommé  premier 
aumônier  de  la  reine.  La  première  visite  du  prélat  fut  pour  les 
pauvres  malades  de  l'Hôtel-Dieu  et  les  vieillards  qu'il  voulut 
servir  lui-même.  Le  2  mars  1781,  il  bénit  solennellement  l'église 
de  Crécy,  en  présence  du  duc  dePenthiévre  qui  avait  contribué 
à  sa  reconstruction,  et  fut  nommé  chanoine  d'honneur  de  la  col- 
légiale de  Saint-Georges.  En  1781,  il  publia  un  Mandement 
pour  réduire  le  nombre  des  fêtes.  L'année  suivante,  il  appela 
le  P.  do  Beauregard,  célèbre  prédicateur  jésuite,  pour  donner 
la  retraite  ecclésiastiques  à  ses  prêtres. 

En  1788,  il  établit  l'usage  de  faire  prêcher  la  retraite  ecclé- 
siastique par  les  prêtres  qui  en  suivent  les  exercices.  La  crise 
révolutionnaire  approchait,  et  un  schisme  déplorable  allait 
désoler  l'Eglise  de  France.  L'Assemblée  constituante  décréta, 
le  3  novembre  1789,  que  les  biens  du  clergé  seraient  mis  à  la 
disposition  de  la  nation. 

Le  13  février  1790,  elle  supprima  tous  les  Ordres  monastiques. 
Le  12  juillet  suivant,  elle  décréta  la  constitution  civile  du 
clergé,  à  laquelle  Louis  XVI  fut  contraint  de  donner  sa  sanction 
le  24  août.  Un  décret  du  27  novembre  obligeait  tous  les  ecclé- 
siastiques à  prêter  le  serment  à  la  Constitution.  On  sait  quelle 
fut  la  noble  conduite  de  l'épiscopat  français  dans  ces  tristes 
circonstances.  Dès  le  30  octobre  1790,  trente  évêques  qui  fai- 
saient partie  de  l'Assemblée  publièrent  une  savante  exposition 
sur  la  constitution  civile  du  clergé.  Cette  protestation  fut  signée 
par  119  évêques,  entre  autres  par  l'évêque  de  Meaux.  Sur 
135  évêques  que  l'on  comptait  alors  en  France,  quatre  seulement 
se  soumirent  à  ce  serment  exigé  par  la  Constitution  :  ceux 
d'Autun,  d'Orléans,  de  Viviers,  et  le  cardinal  Loménie  de 
Brienne,  archevêque  de  Sens. 

Le  29  décembre  1790,  les  administrateurs  dû  district  de 
Meaux  se  présentèrent  à  l'évêché,  invitant  l'évêque  à  procéder 
à  la  nouvelle  organisation  de  son  clergé;  mais,  dans  une  lettre 


NÉCROLOGIES    ÉPISCOPALES  137 

du  11  janvier  1791,  Mgr  de  Polignac  se  refusait  au  serment 
demandé.  Le  20  février,  il  écrivit  aux  électeurs  de  Seine-et- 
Marne,  convoqués  pour  élire  un  évêque,  s'efforçant  de  les 
détourner  de  leur  entreprise  criminelle;  et,  le  2  avril,  il  déclare 
que  l'élection  de  Thuin  est  nulle,  sa  consécration  par  l'évêque 
de  Ljdda,  illicite  et  sacrilège,  défendant  à  l'intrus  d'exercer 
dans  le  diocèse  de  Meaux  aucune  fonction  épiscopale  ;  et  aux 
fidèles,  de  communiquer  avec  lui.  Le  26  mai,  il  promulgua  le 
Bref  de  Pie  VI,  donné  à  Rome  le  13  avril  précédent,  au  sujet  de 
la  mise  à  exécution  de  la  constitution  civile  du  clergé. 

Premier  aumônier  de  la  reine  Marie-Antoinette,  Mgr  de  Po- 
lignac avait  à  redouter  les  effets  do  l'orage  révolutionnaire,  et 
il  prit  le  chemin  de  l'exil  après  avoir  laissé  des  pouvoirs  de 
grand-vicaire  à  M.  Bonnet  de  Châteaurenaud,  son  vicaire  général 
et  plus  tard  celui  de  Mgr  de  Barrai,  lequel  administra  le  diocèse 
avec  sagesse  durant  l'absence  du  prélat,  et  mourut  doyen  du 
Chapitre  de  Meaux  en  1812.  Mgr  de  Polignac  se  retira  d'abord 
en  Suisse,  puis  à  Presbourg  en  Hongrie,  d'oii  il  envoj'a  la  dé- 
mission de  son  siège,  le  2  novembre  1801,  à  Pie  VII  qui  la  lui 
avait  demandée,  et  d'oii  il  écrivit  à  ses  diocésains  quelques  jours 
après,  le  10  novembre,  une  touchante  lettre  pour  leur  annoncer 
sa  détermination.  Il  eut  pour  compagnon  de  son  exil  M.  Boulay, 
son  autre  grand  vicaire,  docteur  en  Sorbonne  et  archidiacre  de 
Brie. 

Mgr  de  Polignac  ne  revint  en  France  qu'à  la  Restauration  en 
1814,  et  se  fixa  à  Paris  oii  il  vécut  dans  la  retraite.  Il  était  cha- 
noine du  premier  ordre  du  chapitre  de  Saint-Denis.  Depuis  long- 
temps ce  prélat  était  dans  un  état  d'infirmités  qui  ne  lui  permet- 
tait pas  de  sortir  de  chez  lui,  lorsqu'il  mourut  le  26  octobre  1821, 
sur  la  paroisse  Saint-Sulpice  où  eurent  lieu  ses  funérailles  le 
lundi  29.  Ce  fut  Mgr  de  Cosnac,  alors  évêque  de  Meaux,  qui  fit 
l'absoute.  ■  ''-'j   " 

La  maison  de  Polignac  a  deux  devises  ;  la  preniîèi'e.  In  anii- 
guissimïs;  la  deuxième,  Sacer  custos  paeis.  Un  vicomte  de  Po- 
lignac portait  l'étendard  de  l'Eglise  à  la  première  croisade. 

Antérieurement  à  l'adoption  des  armes  de  Polignac  qui  sont 
Fasce  d'argent  et  de  gueules  de  six  pièces,  comme  les  portait 
l'évêque;  ou  comme  nous  les  trouvons  ailleurs:  e'cartelé,  au 
1"  et  au  A"  d'argent  à  trois  fasces  de  gueules  ;  au  2^  de  sable 
au  lion  d'or;  au  3*  d'argent  plein,  les  barons  de  Chalançon 
qui,  au    quinzième  siècle,  entrèrent   en   possession    des  biens 


138  ANNALES   CATHOLIQUES 

des  vicomtes  de  Polignac,  portaient  :  de  gueules,  à  trois 
têtes  de  lion  d'or,  ou  e'cartelé  d'or  et  de  gueules,  à  la  bordure  de 
sable  semée  de  fleurs  de  lys  d'or.  On  trouve  une  courte  biogra- 
phie de  Mgr  de  Polignac  dans  la  Chronique  des  e'vêques  de 
Meaux  par  Mgr  Allou,  et  dans  la  Notice  sur  les  évêques  de 
Meaux,  par  le  comte  A.   de  Longpérier  Grimoard. 

(A  suivre.)  M.-C.  d'Agrigente. 


LE   SOCIALISME  ET  LES  JUIFS 

M.  E.  Drumont  commence  dans  la  Libre  Parole  une  étude  sur  le 
Socialisme  et  les  Juifs.  A  côté  d'affirmations  trop  risquées  comme, 
par  exemple,  dire  que  le  Pape  fait  du  socialisme,  il  y  a,  dans  son 
premier  article,  de  grosses  vérités.  Nous  en  reproduisons  une  partie  : 

La  question  sociale  contemporaine  se  réduit  à  ceci:  une  dis- 
proportion véritablement  choquante  entre  des  hommes  qui  ont 
trop  et  des  hommes  qui  n'ont  pas  assez,  un  contraste  cruel  entre 
des  misères  qui  déchirent  le  cœur  et  des  fortunes  monstrueuses 
qui  révoltent  la  conscience. 

Comment  donc  se  constitue  ce  Capital  à  qui  tous  les  socialites 
déclarent  la  guerre  ? 

Ecoutez  la  définition  de  Karl  Marx  :  «  Le  Capital,  vous  dira- 
t-il,  c'est  du  salaire  non  payé.  »  Si  l'ouvrier  touchait  le  prix 
intégral  de  son  travail,  la  paix  sociale  régnerait  partout  et 
l'équilibre  serait  rétabli, 

La  formule  de  Karl  Marx  peut  être  vraie  dans  un  certain 
sens,  mais  elle  est  assurément  incomplète  ;  elle  devrait,  tout  au 
moins,  être  rétablie  ainsi:  «  Le  Capital,  c'est,  pour  une  faible 
partie,  du  salaire  non  payé,  mais  c'est  surtout  du  salaire  écono- 
misé et  volé  par  les  faiseurs  d'escroqueries  financière.'  qui  opè- 
rent d'après  le  système  juif...  » 

Ce  qui  réduit  tant  de  millions  d'êtres  à  un  sort  précaire  et  mi- 
sérable, c'est  donc  à  la  fois  : 

1°  L'exploitation  patronale,  c'est-à-dire  le  désir  des  patrons  de 
s'enrichir  vite  en  payant  le  moins  possible  ceux  qu'ils  emploient  ; 

2°  L'exploitation  financière,  la  ploutocratie,  la  bancocratie, 
le  banditisme  financier;  nommez  la  chose  comme  vous  voudrez. 

L'exploitation  financière  procède  de  deux  façons  : 

Elle  procède  par  des  emprunts  d'Etat  qui  se  traduisent  par 


J.B  SOCIALISME  ET  LES  JUIFS  139 

des  impôts  écrasants,  par  des  accaparements  de  toute  espèce, 
par  des  syndicats  de  banquiers,  des  organisations  de  monopoles, 
des  lois  votées,  grâce  à  la  corruption  parlementaire,  comme  les 
Conventions. 

Elle  procède  par  le  vol  simple  qui  consiste  à  dépouiller  cA'ni- 
quement,  à  l'aide  de  manœuvres  frauduleuses  et  de  prospectus 
mensongers,  ceux  qui  ont  réussi  à  économiser  quelques  sous. 

Dés  que  la  travailleur,  écrasé  par  les  charges  fiscales,  insuffi- 
samment rémunéré  par  les  chefs  d'industrie  qui  veulent  réaliser 
de  gros  gains  tout  de  suite,  a  franchi  la  première  étape,  la  pre- 
mière écluse,  dès  qu'il  est  parvenu  à  avoir  un  pécule,  dès  qu'il 
peut  placer  quelques  fonds,  le  Juif  arrive  et  le  dépouille.  Le 
Juif  attend  que  l'oeuf  soit  pondu  pour  aller  le  prendre  sous  la 
poule. 

Constater  ceci,  qui  est  l'évidence  même,  c'est  démontrer  la 
fausseté  de  la  loi  cVairain  que  Karl  Marx  a  empruntée  à  Las- 
salle. 

La  loi  d'airain  du  salariat:  Das  cherne  logsheseiz,  en  voilà 
une  loi  dont  on  aura  entendu  parler  dans  les  réunions  publicjues  ! 
Dès  qu'on  parle  de  la  loi  d'airain,  les  ouvriers  frémissent  de 
confiance,  quoiqu'à  vrai  dire  beaucoup,  qui  sont  bons  vivants, 
connaissent  mieux  le  zinc  du  raastroquet  que  l'airain  de  la  loi  de 
Marx. 

Cette  loi,  formulée  avec  une  gravité  terrible,  par  le  Juif  qui 
est  pince  sans  rire  quand  il  veut,  se  résume  en  ceci: 

«  Le  salaire  moyen  dans  la  société  actuelle,  et  sous  l'action 
de  l'offre  et  de  la  demande,  est  réduit  à  ce  qui  est  indispensable 
au  travailleur  pour  vivre  et  pour  se  perpétuer.  » 

Mon  pauvre  Marx,  si  ta  loi  était  exacte,  comment  tes  coreli- 
gionnaires auraient-ils  les  plus  beaux  hôtels  de  Paris  et  les 
domaines  les  plus  magnifiques  de  notre  terre  de  France  ?  Com- 
ment les  Rothschild,  les  Hirsch,  les  Heine,  les  Camondo,  les 
Bischoffsheira  auraient-ils  des  milliards  ?  Où  les  auraient-ils 
pris  ? 

Pour  que  les  Juifs,  qui  n'ont  jamais  rien  produit,  puissent 
posséder  ces  milliards,  il  a  fallu  que  ces  milliards  fussent  gagnés 
par  des  gens  qui  travaillaient  —  et  il  a  fallu  qne  ces  gens  ne 
gagnassent  point  strictement  ce  qui  leur  était  nécessaire  pour 
vivre,  mais  qu'ils  gagnassent  encore  assez  pour  économiser 
un  peu? 

Comme  le  faisait  remarquer  très  justement  l'autre  jour  un 


140  ANNALES    CATHOLIQUKS 

socialiste  de  tempérament  français,  M.Pierre  Denis,  ce  sont  les 
travailleurs,  en  eiFet,  qui  alimentent  perpétuellement  les 
grandes  escroqueries  financières  de  ce  temps. 

Croyez-vous  sérieusement  qu'il  y  ait  un  seul  homme  mêlé  de 
près  ou  de  loin  à  la  vie  parisienne,  au  courant  de  ce  qui  se 
passe,  un  personnage  politique,  un  coulisssier,  un  journaliste 
qui  ait  placé  un  sou  dans  le  Panama? 

Tous  ces  affiliés  se  préviennent  entre  eux.  Au  début,  on  par- 
lait du  Panama  dans  l'hôtel  d'un  bas-bleu  célèbre.  «  Si  vous  en 
avez,  bazardez-le  vite!  »  cria,  d'un  bout  du  salon  à  l'autre,  un 
des  ingénieurs  grassement  appointés  parla  compagnie. 

Alphonse  de  Rothschild  me  pardonnerait  à  la  rigueur,  tout 
ce  que  je  puis  dire  sur  lui,  mais  il  serait  implacable  pour  moi  si 
je  supposais  une  minute  qu'il  eiit  été  assez  bête  pour  souscrire 
une  seule  action  de  l'emprunt  du  Honduras. 

Si  on  perquisitionnait  chez  les  Juifs  de  Paris,  on  n'y  trouve- 
rait certainement  pas  un  seul  titre  des  innombrables  sociétés 
fondées  par  Erlanger.  Les  Juifs  l'aiment  comme  frère,  ils  l'ad- 
mirent comme  opérateur,  mais  ils  ne  prennent  pas  ses  actions. 

C'est  Gogo  qui  prend  tout  cela,  et  Gogo  c'est  le  travailleur 
qui  a  peiné  toute  sa  vie  pour  économiser  quelques  sous. 

Encore  une  fois,  le  chifire  énorme  des  fortunes  de  la  Haute 
Banque,  qui  sont  fondées  sur  des  razzias  financières,  démontre 
jusqu'à  l'évidence  que  la  loi  d'airain  n'est  pas  exacte,  qu'elle 
est  une  «  blague  »à  forme  scientifique  comme  il  convient  à  une 
importation  judéo-allemande. 

Pour  ne  pas  fatiguer  inutilement  l'attention  des  lecteurs  qui 
voudraient,  sans  parti  pris,  étudier  la  question  sociale  avec  nous, 
nous  nous  bornerons  donc,  pour  le  premier  entretien,  à  indi- 
quer quelques  points  à  l'attention  de  ceux  qui  nous  suivent: 

Premier  point: 

H  y  a  une  exploitation  patronale,  en  ce  sens  que  les  grandes 
fortunes  industrielles  ont  été  incontestablement  constitués  par 
le  travail  des  salariés. 

Cette  exploitation  a  été  odieuse  pendant  les  soixante  pre- 
mières années  de  ce  siècle,  alors  que  la  Bourgeoisie,  triom- 
phante en  80,  avait  réduit  les  ouvriers  à  l'état  des  serfs  en  sup- 
primant les  corporations,  en  punissant  les  coalitions  et  les 
grèves,  c'est-à-dire  en  déniant  au  travailleur  le  droit  de  s'en- 
tendre avec  ses  camarades  pour  la  défense  de  ses  intérêts.  Cette 
exploitation  patronale  tend  de  plus  en  plus  à  diminuer,  grâce  à 


LE  SOCIALISNE  ET  LES  JUIFS  141 

la  loi  des  syndicats,  et  une  entente  pourrait  s'établir  sur  des 
bases  équitables.  . 

Deuxième  point  : 

Les  conséquences  de  cette  exploitation  patronale  n'ont  jamais 
été  si  loin  qu'elles  aient  pu  se  formuler  dans  la  fameuse  loi  d'ai- 
rain de  Marx.  L'instinct  de  la  propriété,  le  goût  de  l'économie, 
l'activité  et  l'intelligence  sont  si  développés  en  France  que  des 
centaines  de  milliers  de  travailleurs  ont  pu  arriver  à  acquérir 
un  petit  capital. 

Troisième  point  : 

Les  travailleurs  français  qui  avaient  réussi  à  amasser  ce  petit 
capital,  en  ont  été  presque  toujours  dépouillés  grâce  à  des 
émissions  et  à  des  sociétés  véreuses  par  le  banditisme  financier 
représenté  presque  exclusivement  par  les  juifs. 

Quatrième  point: 

Il  n'y  a  nulle  proportion  entre  les  résultats  de  l'exploitation 
patronale  et  les  résultats  du  banditisme  financier.  Les  patrons 
qui,  somme  tonte,  s'exposent  à  un  aléa,  sont,  dans  la  plupart 
des  cas,  des  travailleurs  eux  aussi;  ils  sont  obligés  de  faire 
preuve  d'initiative,  de  persévérance  et  de  volonté  ;  ils  contri- 
buent à  la  prospérité  du  pays;  ils  n'arrivent  jamais,  d'ailleurs, 
à  ces  fortunes  mondiales  qui  se  chifi'rent  par  des  centaines  de 
millions  comme  celles  des  Rothschild,  des  Hirsch  ou  des  Heine. 
Ce  n'est  pas  comme  chef  d'usine  que  Lebaudy  a  gagné  ses 
trois  cents  millions,  c'est  en  spéculant  ou  en  agiotant  sur  les 
sucres. 

Cinquième  point: 

Les  Juifs,  qui  ont  pris  la  direction  du  socialisme,  font  porter 
presque  exclusivement  le  débat  sur  les  rapports  entre  ouvriers 
et  patrons;  ils  attisent  constamment  la  haine  entre  eux  et  lais- 
sent soigneusement  de  côté  la  haute  banque,  la  grande  finance 
juive  qui  est  le  capitalisme  en  personne,  qui  résume  toutes  les 
exploitations.  Ils  parlent  sans  cesse  d'une  loi  d^airain  qui, 
comme  nous  l'avons  vu,  n'existe  pas,  mais  ils  ne  parlent  pas  de 
cette  loi  d^or  qui,  en  moins  d'un  siècle,  a  concentré  en  quelques 
mains  le  fruit  du  travail  d'une  nation  tout  entière... 


142  ANNALES    CATHOLIQUES 

HOMMAGE  A  NOS  MISSIONNAIRES 
par  un  protestant. 

Nous  sommes  heureux  de  publier  aujourd'hui  les  extraits  de  deux 
lettres  de  M.  Eugène  Wolf,  explorateur  protestant  allemand,  qui 
vengent  les  missionnaires  catholiques  des  attaques  idiotes  de  nos 
feuilles  libres-penseuses. 

Villa-Maria,  le  7  mars  1893. 

A  Kampala,  on  m'avait  décrit  la  province  du  Buddu,  dans 
laquelle  le  capitaine  Lugard  a  enfermé  les  catholiques,  après  la 
dernière  guerre  religieuse  de  l'Uganda,  comme  la  partie  la 
plus  fertile  de  tout  le  pays,  au  moins  comme  un  pays  meilleur 
et  plus  plat  que  le  reste  de  l'Uganda.  C'est  une  erreur. 

Le  Buddu  estcouvert  de  collines,  comme  les  autres  provinces  ; 
de  plus  il  est  beaucoup  plus  marécageux  que  le  reste  du  pays, 
si  j'en  juge  par  les  six  provinces  que  j'ai  déjà  parcourues. 

La  population  catholique  y  est  extrêmement  à  l'étroit;  c'est 
pourquoi  la  terrible  peste  kaumpoli  fait  dans  ses  rangs  de 
nombreuses  victimes  (hier  encore,  trois  personnes  y  sont  mortes). 
Elle  est  aussi  victime  du  cruel  fléau  de  la  funza,  ou  puce  de 
terre  qui  dévore  les  extrémités  des  membres  des  indigènes.  Les 
Européens  eux-mêmes  n'en  sont  pas  à  l'abri;  quelques-uns  des 
missionnaires  ne  peuvent  faire  un  pas.  Malgré  toutes  ces  diffi- 
cultés, les  catholiques  ont  réussi  dans  l'espace  de  neuf  mois  à 
peine,  à  cultiver  la  meilleure  partie  du  pays  en  le  couvrant  de 
bananiers,  pommes  de  terre,  etc.  ;  de  cette  façon,  ils  ont  pu 
arracher  à  la  famine  une  partie  de  la  population  bannie  de 
l'Uganda. 

A  la  vue  des  constructions  que  les  missionnaires  ont  achevées 
en  neuf  mois:  école,  église,  ferme;  de  ces  champs  de  pommes 
de  terre  européennes  et  d'arachides,  et  de  ce  jardin  potager  et 
de  ce  verger,  tout  cela  sur  un  terrain  qui,  il  y  a  neuf  mois 
seulement,  était  une  terre  sauvage  et  couverte  de  broussailles, 
on  sent  le  besoin  de  s'incliner  devant  ces  hommes  qui  ont  eu  le 
courage  de  se  relever  en  se  soumettant  à  un  tel  labeur,  après 
l'épreuve  qu'ils  ont  eu  à  subir  d'une  manière  si  injuste.  Ces 
missionnaires  catholiques  se  préparent  tout  eux-mêmes.  Chez 
eux,  pas  de  conserves  européennes,  peu  de  biscuits  anglais,  pas 
de  sucre,   ni  thé,  ni  bougie;   ils  préparent  de  leurs  propres 


HOMMAGE   A   NOS   MISSIONNAIRES  143 

mains  l'huile  qui  doit  les  éclairer  et  les  nourrir  et  leur  vinaigre; 
à  part  un  peu  de  viande  de  chèvre,  leur  nourriture  est  absolu- 
ment la  même  que  celle  des  indigènes,  des  bananes.  Leur  ma- 
nière de  vivre  est  sobre,  même  trop  sobre,  vu  les  exigences  du 
climat,  pour  de»  Européens. 

Après  avoir  traversé  le  Katonga,  où  il  faut  patauger  pendant 
deux  heures  dans  une  boue  profonde,  on  remarque  une  diffé- 
rence notable  dans  les  cultures  entre  le  Buddu  et  les  autres 
provinces. 

Pendant  que  le  district  mahométan  de  Katambala  est  très 
négligé,  alors  que,  depuis  Kampala  jusqu'à  Katonga,  on  ne 
trouve  que  des  sentiers  nègres,  étroits,  tortueux  qui  souvent 
vont  se  perdre  dans  les  forêts  vierges^  on  trouve  au  Buddu  des 
chaussées  d'une  largeur  de  quatre  mètres,  droites,  propres  ;  les 
maisons  et  les  haies  sont  en  bon  état,  les  plants  de  pommes  de 
terre  et  de  bananes  alignés  régulièrement,  nettoyés  des  mau- 
vaises herbes...,  la  population  au  travail.  Il  n'y  a  que  l'exemple 
de  l'Européen  qui  a  pu  produire  une  telle  influence  sur  les  indi- 
gènes. Ici,  le  missionnaire  travaille  à  la  sueur  de  son  front.  Il 
ne  vend  pas  dans  son  église  des  stocks  de  bibles,  il  ne  fait  pas 
de  collections  de  coquillages,  mais  il  travaille  lui-même  aux 
champs,  à  l'écurie,  à  la  cuisine,  en  un  mot,  partout  où  c'est 
nécessaire.  Il  fait  aussi  des  courses  de  plusieurs  milles  avec  des 
médicaments  qu'il  a  préparés  lui-même  pour  soulager  malades 
ou  blessés. 

Je  dis  la  vérité  en  affirmant  que  nous  fûmes  stupéfaits  et 
agréablement  surpris  à  la  vue  du  travail  commun  de  la  popula- 
tion et  des  missionnaires;  nous  ne  nous  attendions  pas  à  un  tel 
résultat,  étant  donné  le  court  espace  de  temps  qui  s'est  écoulé 
depuis  l'arrivée  des  catholiques  au  Buddu.  Les  champs  sont 
couverts  de  froment  magnifique,  de  pommes  de  terre,  de  légu- 
mes européens.  En  outre,  on  a  bâti  une  école  et  une  église  qui 
contient  plus  de  2,000  personnes.  C'est  une  preuve  de  ce  qu'on 
peut  faire  des  Baganda  quand  ceux-ci  n'ont  que  de  bons  exem- 
ples sous  les  yeux,  voient  l'Européen  se  dépenser  pour  eux  et 
ont  confiance  en  lui.  Cette  confiance  à  l'égard  du  missionnaire, 
jusqu'à  donner  leurs  biens  et  leur  sang  pour  ces  hommes  désin- 
téressés qui  se  sont  voués  en  leur  faveur  à  un  exil  volontaire  et 
sans  retour,  j'en  ai  eu  des  preuves  convaincantes  tous  ces  jours 
derniers,  à  l'occasion  des  diverses  conférences  que  j'ai  eues  avec 
les  affaires  de  l'Ueranda. 


144  ANNALES  CATHOLIQUES 

Bujaju,  le  9  mars  1893, 

Après  une  nouvelle  marche  d'environ  une  heure,  à  travers 
une  forêt  encore  vierge  de  la  main  de  l'homme,  nous  approchâ- 
mes du  lac  en  même  temps  de  Bujaju. 

C'était  le  terme  de  notre  voyage,  ce  jour-là.  Vers  11  heures, 
nous  arrivâmes  à  la  station,  fondée  il  n'y  a  pas  encore  dix  mois. 
Elle  est  située  sur  un  plateau  qui  domine  la  grande  île  Sésé  du 
nord  au  sud  et  une  partie  du  lac  Victoria,  lequel  s'étend  à  perte 
de  vue  et  qui  est  tourmenté  aujourd'hui  par  la  tempête. 

Vers  l'ouest,  la  terre  ferme  qui,  d'abord  verte,  prend  ensuite 
une  teinte  bleue,  puis  sombre  foncé.  C'est  un  point  splendide- 
ment choisi  que  cet  emplacement  oii  les  missionnaires  catholi- 
ques sont  venus  construire  après  leur  expulsion  des  îles  Sésé, 
lors  de  la  guerre  f janvier-mars  1892). 

Comment  deux  ou  trois  missionnaires  ont-ils  pu  réussir  à  bâtir 
une  église,  une  école,  quatre  maisons  d'habitation  et  de  travail, 
cuisine,  écurie,  à  construire  deux  enclos,  à  cultiver  des  champs 
de  riz,  de  maïs,  de  froment,  de  légumes,  et  tout  cela  en  instrui- 
sant chaque  jour  deux  cents  personnes?  C'est  une  énig'me  pour 
moi  et  mon  compagnon,  M.  Macdonald. 

De  nouveau,  nous  restons  muets  devant  l'œuvre  gigantesque 
de  ces  hommes  expulsés  de  leur  terre.,.,  nous  admirons  leur  té- 
nacité, leur  constance,  leur  confiance  en  Dieu  et  leur  amour  du 
travail.  Ici  encore,  les  missionnaires  se  préparent  tout  eux- 
mêmes  :  vinaigre,  huile  à  brûler,  huile  à  manger,  etc.  Le  sel 
vient  du  sud  du  lac.  Quant  aux  conserves  européennes  de  quel- 
que espèce  que  ce  soit,  elles  leur  sont  absolument  inconnues. 

Avec  nous,  le  soleil  était  arrivé  à  Bujaju.  Le  Père  supérieur 
nous  reçut  avec  amabilité  et  mita  notre  disposition  des  cham- 
brettes  propres  et  jolies  dans  leur  maison  de  roseaux. 


UNE  TETE  COUPÉE  QUI  PARLA 
Légende  espagnole. 

I 

Connaissez-vous   le   fameux   pèlerinage   de   Montserrat,    en 
Espagne?  Il  serait  difficile  de  rendre  l'impression  que  produit    : 
dans  l'âme  la  vue  de  la  montagne  célèbre  oii  la  sainte  Vierge  a 
voulu,  depuis  de  longs  siècles,  être  appelée  «  la  Princesse  de  la 
Catalogne.  > 


UNE  TÊTE  COUPÉE  QUI  PARL\  145 

Les  guides  décrivent  pompeusement  cet  assemblage  de  cônes 
immenses,  vertigineux,  inaccessibles,  qui  sont  comme  par  en- 
chantement, entassés  les  uns  sur  les  autres.  On  dirait  un  décor 
théâtral,  préparé  par  la  Providence  pour  des  drames  divins;  et 
de  fait,  ils  sont  innombrables  les  prodiges  qui  depuis  Charle- 
mague  se  sont  accomplis  là,  pour  la  gloire  de  Dieu  ou  de  la  Ma- 
done. Notre-Dame  de  Lourdes  est  le  poème  contemporain  de 
Marie  dans  les  Pyrénées.  Notre-Dame  de  Montserrat  est  son 
poème  primitif. 

J'ai  fait  un  jour  l'ascension  de  la  sainte  Montagne,  et  je  n'ou- 
blierai jamais  ce  qu'elle  a  d'étrange,  de  pittoresque  et  de  saisis- 
sant. Elle  dura  trois  heures  et  demie,  à  travers  des  lacets  sans 
nombre  et  sans  fin.  C'était  pendant  la  nuit  au  mois  d'août.  Le 
temps  était  beau,  le  ciel  pur,  la  nuit  superbe.  Nous  étions  portés 
par  de  grandes  diligences  traînées  par  six  mules  et  à  chaque 
tournant  de  la  route,  nous  pouvions  voir  à  la  clarté  des  étoiles, 
se  dérouler  devant  nous  des  perspectives  effrayantes  ou  gra- 
cieuses qui  nous  donnaient  tour  à  tour  le  frisson  ou  le  charme. 

Arrivés  au  sommet,  nous  reeûmes  des  religieux  bénédictins 
qui  ont  là  un  bel  et  grand  monastère  composé  d'une  centaine  de 
moines  et  une  immense  hôtellerie  capable  de  loger  mille  pèle- 
rins, l'hospitalité  la  plus  aimable  et  la  plus  cordiale. 

Nous  y  fûmes  émerveillés  des  goigs  chantés  par  leurs  trente- 
trois  jeunes  musiciens  qui  forment  une  maîtrise  de  premier 
ordre,  et  sous  la  robe  bénédictine  et  avec  des  instruments  de 
tout  genre,  donnent  à  leurs  imposantes  cérémonies  une  grâce 
et  une  poésie  incomparables. 

J'ai  vainement  cherché  pour  ma  part,  à  la  porte  du  monas- 
tère, le  corbeau  vivant  que  l'on  voit  au  Mont-Cassin.  Ce  corbeau, 
on  le  sait,  est  le  descendant  et  l'héritier  de  celui  qui  conduisit, 
un  jour,  saint  Benoît  de  Subiaco  à  la  montagne  italienne  qui, 
malgré  les  révolutions  garde  encore  ses  enfants.  Il  va,  il  vient, 
il  sautille  devant  les  étrangers  :  il  a  une  généalogie,  une  his- 
toire et  un  rôle.  J'aurais  désiré  rencontrer  un  de  ses  frères  à 
Montserrat.  C'est  là,  je  l'avoue,  l'unique  déception  de  mon  pè- 
lerinage. Mais,  en  revanche,  que  de  beaux  souvenirs  de  tout 
genre  j'en  ai  rapportés!  J'y  ai  trouvé  surtout  des  légendes  sans 
pareilles,  et  voici  la  plus  curieuse  :  c'est  V Histoire  d'imetête 
coupée  qui  parla.  Je  la  tiens  du  Révérend  Père  Abbé  qui  me  l'a 
contée  à  propos  d'un  beau  couteau  catalan  dont  il  me  fit  cadeau, 
après  le  bon  déjeuner  qu'il  nous    donna,  en  compagnie  d'un 

11 


146  ANNALK8    CATHOLIQUES 

évêqne  mexicain,  d'un  prélat  romain  et  d'un  journaliste  va- 
laque.  Ce  n'est  vraiment  qu'à  Montserrat  que  les  montagnes 
peuvent  ainsi  se  rencontrer. 

II 

Donc,  nous  dit  le  Père  abbé,  sur  la  fin  du  déjeuner,  tandis 
que  tous  les  convives  et  lui  aussi  fumaient  une  fine  cigarette 
apportée  naguère  de  Barcelone,  —  car,  en  Espagne,  personne 
ne  recule,  pas  même  les  prélats,  devant  ce  doux  et  funeste  pré- 
sent que  l'Amérique  nous  a  fait  :  le  tabac.  —  Or  donc,  en  ce 
temps-là,  il  j  avait  dans  les  environs  de  Montserrat  une  bande 
de  brigands  qui  étaient,  à  vingt  lieues  à  la  ronde,  la  terreur  du 
pajs.  Ils  détroussaient  les  voyageurs,  pillaient  les  églises  et  dé- 
valisaient les  monastères. 

Leur  chef  était  Francesco-Ximenès  Ysbert,  homme  robuste 
et  fort,  gaillard  de  haute  taille,  qui  n'avait  peur  de  personne, 
fors  du  diable  et  du  bon  Dieu. 

Un  soir  qu'il  était  triste  et  mélancolique,  malgré  les  fortes 
rasades  de  vin  d'Alicante  qu'il  venait  d'absorber,  il  réunit  ses 
hommes  dans  la  caverne  qui  lui  servait  de  palais,  et  il  leur 
parla  ainsi  :       i  on  'n'ii:-<j;  ■  >mii:  wii 

«  Mes  amis,  j'ai  une  nouvelle  à  vous  annoncer.  Je  sens  qu'il 
va  falloir  que  je  me  retire;  sous  peu,  je  donnerai  ma  démis- 
sion. Je  commence  à  être  vieux;  voilà  cinquante  ans  que  je 
fais  le  métier,  et  il  est  temps  que  je  me  donne  un  successeur. 
D'ailleurs,  je  me  trouve  aujourd'hui  singulièrement  découragé. 
Pas  plus  loin  qu'hier,  fignrez-vous  que  j'ai  été  battu  par  un 
moine.  Sur  la  route  de  Manrèze,  j'ai  rencontré  la  voiture  du 
Père  abbé  de  Montserrat.  Assisté  de  deux  de  vos  camarade:^, 
j'ai  voulu  l'arrêter  au  passage  et  lui  demander  la  bourse  ou  la 
vie,  et  voilà  qu'avec  ses  gens  qui  étaient  armés,  il  nous  a  mis 
en  déroute.  C'est  pour  moi  la  plus  grande  humiliation  de  ma 
vie  !!  Comprenez-vous  que  Francesco-Ximenès  Ysbert,  le  roi 
des  montagnes,  le  lion  de  la  Catalogne,  ait  été  vaincu  par  un 
simple  moine?  Pour  moi,  c'est  une  honte,  qui  me  navre.  È 

«  De  plus,  le  roi  d'Espagne  •*-  je  l'ai  lu  dans  un  lambeau  de 
journal  trouvé  ces  jours-ci  sur  une  route  —  a  mis  ma  tête  à 
prix.  .'el"iyif.'; 

«  Il  a  promis  mille  douros  à  celui  qui  porterait  ma  tête  dans 
un  sac,  à  l'alcade-major  de  Barcelone.  Or,  j'ai  envie  de  vivre 
encore  ;  je  veux  prendre  ma  retraite  à  Gerona  où  je  suis  né,  et 


UNE  TÊTB  CdCPéÈ  QDI  PARLA  f47' 

là,  me  disposer  à  mourir  et  prendre  m!a  place  au  ôimôtîère  de 
mon  pays,  à  côté  de  ma  pauvre  chère  femme  Dolorès  qui,  depuis 
yingt  ans,  n'est  plus  de  ce  monde.  Un  de  ces  jour.*,  je  vous 
ferai  mes  adieux,  je  vous  le  jure  par  Notre-Dame  de  Montsôrrat 
dont  je  porte  la  médaille,  et  qui,  jusqu'à  présent,  m'a  tonjours 
protégé.  » 

Ici  les  brigands  protestèrent,  disant  à  leur  chef  qu'il  était 
encore  vigoureux,  qu'il  pouvait  encore  avoir  de  grands  succès 
aux  environs,  que  le  temps  n'était  pas  venu  pour  lui  de  songer 
si  tôt  à  la  retraite,  etc.,  mais  Francisco  resta  inflexible.  Puis, 
pour  finir,  se  tournant  vers  le  brigand  le  plus  jeune,  il  lui  dit  : 
«Toi,  Almanzor,  viens  me  trouver  à  minuit.  J'ai  à  te  comnauni- 
quer  un  secret.  Et  maintenant,  mes  amis,  au  revoir.  Un  de  ces 
jours,  je  vous  ferai  connaître  le  successeur  du  roi  des  mon- 
tagnes. Dormez  bien,  et  à  bientôt.  » 

Cela  dit,  les  brigands  se  séparèrent,  et  se  rendirent  chacun 
dans  leur  grotte  pour  y  prendre  un  léger  repos  et  reprendre  le 
lendemain  leur  étrange  métier.  Dormirent-ils  ?  Je  l'ignore.  Dans 
tous  les  cas,  Almanzor  ne  put  fermer  l'œil.  Que  pouvait  lui  vou- 
loir dire  son  maître,  à  minuit?  Quel  secret  avait-il  à  lui  confier? 
L'avait-il  choisi  pour  son  successeur  ?  Il  ne  pouvait  le  croire, 
car  il  était  trop  jeune  encore,  pour  remplir  les  fonctions  de 
capitaine  an  milieu  d'hommes  mûrs,  faits  depuis  longtemps  à  la 
fatigue,  au  meurtre  et  au  carnage.  Il  avait  à  peine  vingt- 
cinq  ans,  et  de  plus,  il  était  pâle,  chétif  et  délicat.  Il  manquait, 
par  conséquent,  des  qualités  requises  pour  faire  un  chef  de  bri- 
gands. Ces  pensées  l'obsédaient.  Tout  en  songeant,  il  se  dit  à 
lui-même:  Si  je  tuais  Francesco?  Si  je  lui  coupais  la  tête?  Je 
la  porterais  à  l'alcade  et  j'aurais  pour  moi  les  mille  douros  pro- 
mis par  le  roi  d'Espagne.  Ce  serait  là  une  vraie  fortune  pour 
moi  qui  n'ai  pas  le  moindre  réal  à  ma  disposition.  Après  tout, 
je  vaincs  un  vilain  métier;  j'en  ferais  bientôt  un  autre  plus 
honorable  et  quel  qu'il  fût,  aussi  lucratif.  > 

L'idée  du  crime  vint  donc  hauter  son  cerveau,  mais  à  cette 
idée  (il  était  encore  novice  dans  l'art  de  tuer),  sa  conscience 
qni  avait  dèS>  restes  de -pudeur  se  révolta  ;  ou  plutôt  un  conflit 
terrible  s'éleva  dans  son  âme,  entre  le   diable  et  son  bon  ange. 

Le  diable  lui  disait  :  Yoilà  pour  toi  une  bonne  aftaire  ;  tue 
Francesco.  Tu  t'enrichiras  et  puis  tu  débarrasseras  la  Catalogne 
d'un  monstre  redouté  ;  tu  feras  une  œuvre  charitable  et  patrio- 
tique. 


148  ANNALES  CATHOLIQUES 

Son  bon  ange  lui  disait  au  contraire  :  Non,  ne  le  tue  pas,  res- 
pecte cette  tête;  Francesco  est  bon  pour  toi  ;  il  te  met  souvent 
à  sa  table  ;  il  te  fait  dormir,  près  de  la  caverne  qu'il  habite. 
La  reconnaissance  te  fait  un  devoir  de  ne  pas  attenter  à 
ses  jours.  Il  y  a  longtemps  sans  doute,  qu'il  vit  de  meurtres  et 
de  rapines,  mais  ce  n'est  pas  à  toi  qu'il  appartient  d'en  délivrer 
le  pays.  Tu  n'es  pas  le  justicer  de  la  Providence, 

Almanzor  ne  savait  à  quel  parti  s'arrêter,  et  il  restait  per- 
plexe. Il  avait  déjà,  dans  les  sierras  environnantes,  détroussé 
pas  mal  de  voyageurs,  marchands  ou  seigneurs  ;  mais  encore  il 
n'avait  tué  personne;  son  poignard,  un  cadeau  qui  lui  venait  de 
son  cher  maître,  une  fine  lame  de  Tolède,  était  vierge  de  sang 
humain,  il  reculait  devant  l'assassinat;  mais  d'un  autre  côté 
l'appât  du  gain  le  poursuivait  à  outrance.  Dans  le  fond  de  son 
âme  le  drame  de  la  tentation  se  déroulait  avec  toutes  les  péri- 
péties tumultueuses  du  désir,  de  la  terreur,  de  l'espérance.  Il 
regardait  son  poignard  tantôt  avec  complaisance,  tantôt  avec 
horreur. 

Son  bon  ange  ne  cessait  de  lui  montrer  la  monstruosité  de  sa 
forfaiture;  mais  le  mauvais,  pour  mieux  le  tromper  s'obstinait 
à  lui  prouver  la  magnanimité  de  sa  conduite,  s'il  parvenait  à 
purger  l'Espagne  d'un  bandit  abhorré,  A  travers  les  mille  ré- 
flexions qui  s'entrecroisaient  dans  sa  tète,  notre  jeune  homme 
regarda  sa  montre,  à  la  lueur  d'une  vieille  lampe  volée  dans 
une  église  et  suspendue  à  la  voûte  de  la  grotte;  il  était  minuit. 
C'était  l'heure  du  rendez-vous.  Partons,  se  dit  Almanzor,  sa- 
chons d'abord  ce  que  veut  notre  capitaine. 

Il  se  lève  armé  de  son  poignard  qui  du  reste  le  quittait  rare- 
ment et  se  dirige  vers  la  caverne  du  chef.  Celui-ci  dormait  pro- 
fondément. Il  avait  la  plus  grande  confiance  en  ses  hommes,  et 
rien  ne  pouvait  lui  faire  soupçonner  que  l'un  d'eux  fût  jamais 
capable  de  l'assassiner.  Dans  tous  les  cas,  s'il  s'était  méfié  de 
quelqu'un,  ce  n'est  pas,  certes,  de  son  fidèle  Almanzor,  le  plus 
aimé  de  ses  braves. 

Il  était  donc  plongé  dans  le  sommeil  le  plus  profond  que  puisse 
avoir  un  brigand,  il  ronflait  même  aussi  fort  qu'un  tuyau  d'orgue 
et  les  échos  de  son  antre  répétaient  le  bruit  sourd  que  produi- 
sait ce  ronflement. 

Arrivé  sur  le  seuil,  l'élève-bandit  s'arrêta,  et  là,  le  combat; 

qui  déjà  s'était  livré  dans  son  âme,  recommença  de  plus  belle. 

[A  suivre.)  Henry  Cailhiat. 


à 


à 


NECROLOGIE  149 


NECROLOGIE 

Le  maréchal  de  Mac-Mahon,  duc  de  Magenta,  est  mort  mardi 
matin  17  octobre,  dans  son  château  de  la  Forêt.  Il  était  né  à 
Sully  (Saône-et-Loire),  le  13  juillet  1808.  Il  descendait  d'une 
ancienne  famille  catholique  de  l'Irlande.  En  1825,  il  fut  reçu  à 
Saint-Cyr.  Il  fit  ses  premières  armes  durant  l'expédition  d'Alger 
et  assista,  comme  aide  de  camp  du  général  Achard,  au  siège 
d'Anvers.  Promu  capitaine  en  1833,  il  retourna  en  Afrique,  prit 
une  part  brillante  à  l'assaut  de  Constantine  en  1837.  Il  com- 
manda ensuite  le  10*  bataillon  de  chasseurs  à  pied,  servit  comme 
lieutenant-colonel  dans  la  légion  étrangère.  Il  fut  nommé  colonel 
du  41=  de  ligne  en  avril  1845,  général  de  brigade  en  juin  1848, 
et  divisionnaire  en  juillet  1852. 

On  sait  qu'il  fut  chargé  d'enlever  les  ouvrages  de  Malakoff. 
L'empereur  le  nomma  sénateur  en  récompense  de  ce  haut  fait 
d'armes.  Entre  la  guerre  de  Crimée  et  celle  d'Italie,  le  général 
de  Mac-Mahon  retourne  en  Algérie.  En  1859,  ceci  est  dans  le 
souvenir  de  tous,  il  prit  une  part  signalée  à  la  victoire  de 
Magenta  et  fut,  sur  le  champ  de  bataille,  nommé  duc  de  ce  nom 
et  maréchal  de  France. 

Après  la  guerre  d'Italie,  il  commanda  le  3*  corps  d'armée, 
puis  fut  pourvu  du  gouvernement  général  de  l'Algérie.  Au  mo- 
ment de  la  déclaration  de  guerre  à  la  Prusse,  il  fut  rappelé  en 
France,  mis  à  la  tête  du  1"  corps  d'armée.  Le  reste  de  sa  car- 
rière militaire  est  d'ordre  trop  contemporain  pour  qu'il  soit 
nécessaire  d'y  revenir  ;  son  courage,  la  vaillance  de  ses  troupes 
ne  purent  arrêter  l'invasion  ;  après  Sedan,  il  fut  interné  en  Alle- 
magne. 

La  guerre  finie,  il  revint  en  France  et  fut  placé  par  M.  Thiers 
à  la  tête  de  l'armée  de  Versailles  qui  rétablit  l'ordre  dans  Paris 
et  eut  raison  de  la  Commune. 

Quand  M,  Thiers  donna  sa  démission  de  président  de  la  Répu- 
blique, le  Congrès  lui  décerna  sa  succession.  Le  maréchal  de 
Mac-Mahon  se  retira  à  son  tour,  à  la  suite  non  des  incidents  du 
Seize  Mai,  mais  le  5  janvier  1879,  un  dissentiment  s'étant  élevé 
avec  ses  ministres  sur  le  projet  de  loi  concernant  les  grands 
commandements  militaires. 

Le  maréchal  est  rentré  dans  la  vie  privée,  entouré  jusqu'à  sa 
mort  du  respect  et  de  la  vénération  de  tous. 


150  ANNALKS    CA.THOLIQUES 


GouNOD,  le  grand  musicieh  français-,  l'auteur  de  Faust,  Roméo 
et  Juliette  pi  àe  idiXii  d'ajitres  œuvres  laniversellein^nt  conni^s, 
est  mort  mardi Imai^n J.7  octobre',  à  Saint-'Cloud.  ^  '  '''   T.'    "^^^ 

Depuis  plusieurs"  rijois,  la  santé  de  M.  Charles  Gouno^'d'ôn- 
nait  des  inquiç.tudes  à  ses  aiijiè;  mais  il,  n'en  travaillait  pas 
moii\s,^  ét'dimahcn/Q  matin,  âpres  etra  allé  à  la  mèspe,  "il  revint 
chez'  lui  avec  le  maître" cle  chapelle  de  Sàint-Cloud',  auquel  il 
voulait  confier  un  Requiem,  qu'il  venait  de  terminer  pour  lui 
faire  la  parution  pour  piano..  ,    ,  ,,.    , 

Le  maître,  dit  \q  Gauloi$,  s'assqyant  au,,  piano,  se  mit  à  jouer  et  à 
chanter,  à  la  plus  grande,  jçie  de  sa  famille,  qui  était  venue  se  réunir 
autour  de  lui  dans  le.  salon.'  Ce.  fat  une  heure  charmante  de  la.  plus 
aimable  et  de  la  plus  douce  intimité.  La  fille  du  maître  tournait  les 
feuillets  de  la  partition;  l'élève,  attentif,  suivait  les  pl'écieusès  indi- 
cations de  l'auteuf.    '•'     '       •■  ■  •  i   •      !         ;."■..  I,-.      .:;■    ,. 

—  En  voilà  assez  pbtiï*  "âiijottf  d'htfiV'Aît"  tbùt  a"'c(itip'GrOtinod';' jô 
crois  que' j'ai  bien  gagné  le  droit  de  faire  une  partie'  die'  dOminos  : 
qu'en  pen8ez.-vou3?-.    .       ■    . ,  .  ;•' ;j..-'.  r. -.   .,.,.■;■..     v(,.:i;[/'.- ,      .   ■..■:; 

Aussitôt  dit,  auçsitôt'fait-.yCeifttit  Mwie  Gçï^npjd  iqui  sjepviit  au  maiti!» 
de  partenaire,  Entre  temps,  il  avait  allumé  sa  pipe,  causant  et  ria,n,t 
entre  deux  bouffées.  La  partie  de  dominos  achevée,  M.  Cha^-les  Gounod 
se  dirigea  vers  le  pupitre  où  était  restée  la,  partition  dvi  Requiem,, 
qu'il  prit  et  dont  il  feuilleta  avec  soin  les  pages  comme  s  il  allait  la 
serrer'  quelque  part.  11  se  dirigea,  dans  cette  intention,  évidemment, 
■vers  an  petit  bureau  secrétaire  appartenant  à  Mme  Gouùod.  Arrive 
ïâ,  il  se  pencha  comme  s'*il  allait  s'asseoir  ^iir  la  chaise  placée  à  côté 
du  meuble  et  demeura  immobile,  la  pipô  â'Ha  bou^e  et 'l'e'posànt  sur* 
la  partition  qu'il  venait  de  placer.        ■'   '■  '       -  ■  .■.  ■;: 

Comme  qvl  ne  l'entendait  plus  bouger,  quelqu'iin  se  retourna  et  le 
vit  dans  cette  posture,  courbé,  retenu  pour  ainsi  dire  par  cette  pipe, 
qui  restait  appuyée  sur  la  partition.  ,,.,  î..  •..,     ,;  ,  ,i;  ;    <.!•!• 

—  Mais  assieds-toi  donc  !. lui  dit-on,  doucement..,, ,  .     ^.[^  ^. ,;. ,  . 
Et  comme  il  ne  répondait  pas,^  on  alla  vers  lui.  Il  ,éta.it.  te^iips.  Le 

maître  perdait  l'équilibre.  On  le  transporta  en  toute  h^te^sur  sou,  lit. 
Dans  le  trajet,  il  ouvrit  les  yeux  et  demanda  ce  qui  se  passait.  Mais 
ce  ne  fut  qu'une  lUeur,  car  depuis  il  n'a  pas  proféré  une  seule  parole. 

Charles  Gonnod  eat  fils  d'arttstes.  Son  père  était  un  jpfeintre 
de  talent,  et  sa  mère,  musicienne  accomplie,  lui  apprit  les  pre- 
miers bép^aiements  de  l'art  divin.  Élevé  dès  son  enfauce  à  l'aus. 
tère  école  des  maîtrises,  il  acheva  ses  études  sous  la  direction 
de  Reicha,  de  Lesu&ur  lot'd'HaléVy.  Après  avonr jp&mporté  le» 


NBCROLOGHB  151 

grand  prix  de  Rome  en  1839,  il  séjourna  pendant  quatre  ans 
dans  la  ville  éternelle,  où  les  horizons  classiques,  les  grandes 
auditions  des  basiliques,  les  spectacles  magnifiques  de  l'Église 
romaine  pénétrèrent  son  esprit  de  cette  religiosité  passionnée 
qui  fut  la  marque  de  son  talent. 

C'est  à  Rome  même  qu'il  songea  à  consacrer  à  Dieu  sa  per- 
gonno  et  son  inspiration,  et  il  s'enferma  au  séminaire  français; 
puis,  doutant  de  la  vocation,  il  revint  à  Paris  sans  abandonner 
l'Église,  puisqu'il  exerça  les  fonctions  de  maître  de  chapelle 
des  Missions-Étrangères.  C'est  là  qu'il  fit  entendre  sa  messe 
solennelle. 

En  1847,  il  épousait  Mlle  Zimmermann,  fille  du  pianiste  com- 
positeur. Il  travailla  dès  lors  pour  le  théâtre.  Mlle  Pauline 
Viardot  interpréta  sur  la  scène  de  l'Opéra  Sapho,  son  premier 
ouvrage  lyrique  (1850).  On  a  gardé  souvenir  des  tribulations  de 
son  Faust,  d'abord  repoussé  par  l'Opéra,  popularisé  au  Théâtre- 
Lyrique  par  Mme  Carvalho,  la  Marguerite  idéale,  repris  ensuite 
avec  éclat  à  l'Académie  de  musique  et  dont  le  succès  n'est  pas 
épuisé.  Faut-il  citer  les  œuvres  dont  les  noms  et  les  motifs  sont 
dans  toutes  les  mémoires,  et  qui  figurent  dans  les  répertoires 
de  tous  les  théâtres  du  monde  :  Roméo  et  Juliette,  Mireille?  A 
côté  de  ces  partitions  encore  vivantes,  que  de  pages  élégantes 
et  inoubliables  dans  le  volumineux  recueil  du  maître!  Que 
d'éloquence  dans  cette  Gallia  inspirée  à  Gounod  par  nos  désas- 
tres de  1870  ! 

Mats  il  n'est  pas  de  compositeur  dont  il  soit  plus  inutile  de 
rappeler  l'œuvre.  Elle  est  dans  toutes  les  bibliothèques  et  à 
côté  de  tous  les  pianos.  On  la  chante  en  toutes  les  langues,  on 
l'adapte  à  tous  les  instruments. 

La  vie  de  Charles  Gounod  a  répondu  à  la  nature  particulière 
de  son  talent  intime.  Elle  a  été  partagée  entre  les  aspirations 
mystiques  et  les  passions  les  plus  vives  et  les  plus  humaines. 
C'est  ainsi  que  peu  de  temps  après  avoir  refusé  de  diriger  les 
répétitions  de  Faust  à  l'Opéra,  pour  se  dégager  de  tout  travail 
profane,  il  avait  à  Londres  les  démêlés  que  l'on  sait  avec  une 
célèbre  cantatrice.  Sa  conversation,  même  aux  jours  de  souf- 
france, n'a  cessé  d'être  des  plus  captivantes.  Elle  abonde  en 
saillies  tantôt  profondes,  tantôt  plaisantes.  C'était,  il  y  a  ai  pea 
de  temps  encore,  merveille  de  le  voir  en  son  cabinet  de  travail 
de  la  place  Malesherbes,  interrompant  un  entretien  sur  l'art 
pour  conter  les  plus  amusantes  anecdotes,  puis  brusquement  se 


152  ANNALB8    CATHOLIQUES 

mettant  au  piano  pour  continuer  sa  pensée,  tout  ce  qu'il  rêvait 
ou  avait  rêvé. 

Il  est  artiste  jusqu'au  fond  de  l'ânae.  Comblé  d'honneurs, 
membre  de  l'Institut,  dignitaire  de  la  Légion  d'honneur,  il  a 
toujours  eu  des  échappées  de  jeunesse,  nous  oserons  dire  de 
gamineries,  qui  ajoutaient  à  la  sympathie  qu'il  inspirait  à  tous. 

Gounod  est  un  grand  maître;  il  joint  une  érudition  profonde 
à  la  recherche  d'une  limpidité  toute  classique  dans  l'expression. 
Dans  sa  dernière  manière,  il  chercha  même,  au  rebours  de  la 
jeune  école  de  musique,  à  traduire  sa  pensée  par  une  extrême 
simplicité  de  moyens  harmoniques,  qui  ne  sembla  dépourvue  ni 
d'affectation  ni  de  sécheresse. 

Mais,  en  retranchant  de  son  immense  répertoire  tout  ce  qui 
n'est  pas  destiné  à  lui  survivre,  il  reste  à  Gounod  assez  de 
gloire  pour  passer  à  la  postérité  à  côté  de  Méhul,  de  Spontini, 
d'Hérold,  de  Berlioz,  k  côté  des  plus  grands  parmi  les  modernes, 
et  pour  vivre  dans  la  mémoire,  non  seulement  des  dilettantes, 
mais  du  peuple. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
Fi-nnce 

La  rentrée  des  cours  et  tribunaux  a  eu  lieu  le  16  octobre  dans 
tous  les  ressorts  judiciaires  de  France.  En  nombre  d'endroits, 
elle  a  été  précédée  de  la  célébration  de  la  messe  du  Saint-Esprit, 
ce  pieux  usage  ayant  été  conservé  presque  partout. 

Cependant  on  signale  chaque  année  des  lacunes  en  plus  grand 
nombre.  De  plus,  même  dans  les  villes  où  est  célébrée  la  messe 
rouge,  on  constate  des  absences  scandaleuses;  c'est  ainsi  qu'à 
Lyon  aucun  des  membres  du  parquet  ou  du  tribunal  n'était  pré- 
sent. 

Voici,  quelques-unes  des  informations  qui  nous  viennent  direc- 
tement ou  par  V Agence  Haras  : 

A  Paris.  —  Selon  le  cérémonial  ordinaire,  la  cour  de  cassation,  la 
cour  d'appel  de  Paris,  le  tribunal  civil  de  la  Seine,  le  tribunal  de 
commerce  et  les  juges  de  paix  de  Paris  se  sont  rendus,  à  onze  heures, 
à  la  Sainte-Chapelle  pour  assister  à  la  messe  du  Saint-Esprit. 

S.  Em.  le  cardinal  Richard,  qui  présidait,  assisté  de  M.  le  vicaire- 
général  Caron,  de  M.  Odelin,  promoteur,  et  de  M.  le  chanoine 
Brettes,  a  entonné  le  Veni  Creator. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  153 

Pendant  la  messe,  célébrée  par  M.  le  chanoine  (le  Beuvron,  la  maî- 
trise de  la  cathédrale  a  exécuté  des  chants  d'un  effet  grandiose. 

A  rissue  de  la  messe,  après  le  chant  du  Z)omm«,  safram  ^ac  Rempu- 
blïcam,  le  cardinal  a  donné  solennellement  sa  bénédiction. 

Puis  toutes  les  cours,  ayant  à  leur  tête  le  président  de  la  cour  de 
cassation,  se  sont  rendues  processionnellement  à  leur  chambre  respec- 
tive, pour  l'audience  solennelle  d'ouverture. 

L'affluence  était  considérable.  Au  premier  rang,  on  remarquait  le 
général  Billot  en  civil. 

Des  centaines  d'invités  n'ont  pu  pénétrer  dans  la  Sainte-Chapelle, 

Le  tribunal  de  commerce,  les  avoués  et  les  juges  de  paix  avaient 
envoyé  une  nombreuse  délégation. 

—  A  Nancy,  Mgr  Turinaz  a  célébré  lui-même  la  messe  du  Saint- 
Esprit. 

—  A  Toulouse,  la  messe  rouge,  célébrée  dans  la  chapelle  du  palais 
attenant  à  la  première  chambre  de  la  cour  a  été  dite  par  un  vicaire- 
général.  S.  Em.  le  cardinal  Desprez  y  assistait. 

—  A  Bordeaux,  la  messe  rouge  a  été  dite  à  la  cathédrale  Saint- 
André.  Ensuite,  au  palais  de  justice,  a  eu  lieu  l'audience  solennelle  de 
rentrée  à  laquelle  assistaient  toutes  les  autorités,  au  premier  rang 
desquelles  on  remarquait  le  cardinal  Lecot,  le  préfet  de  la  Gironde,  le 
rabbin,  les  généraux,  etc. 

—  A  Grenoble  il  n'y  a  pas  eu  de  messe. 

—  A  Lyon,  c'est  à  la  primatiale  qu'a  été  célébrée,  selon  l'usage,  la 
messe  du  Saint-Esprit. 

Cette  messe  a  été  présidée  par  Mgr  l'archevêque  de  Lyon,  entouré 
de  tous  ses  vicaires  généraux. 

A  la  cérémonie,  assistaient  la  cour,  ayant  à  sa  tête  le  premier  pré- 
sident, M.  Fourcade;  les  membres  de  l'ordre  [des  avocats,  les  avoués, 
les  juges  de  paix,  les  membres  du  tribunal  de  première  instance. 

Aucun  des  membres  du  parquet  de  la  cour  ni  du  tribunal  n'était 
présent. 

A  l'issue  de  la  messe  du  Saint-E3prit,'le  cortège  s'est  rendu  dans  la 
salle  d'audience  de  la  première  chambre  de]  la  cour  dappel,  pour 
entendre  le  discours  de  rentrée. 

Mgr  CouUié  et  ses  vicaires  généraux,  le  général  Raynal  de  Tisso- 
nière,  représentant  le  gouvernement  militaire  de  Lyon  ;  M.  Rostainn, 
secrétaire  général  pour  la  police,  représentant  le  préfet  du  Rhône  ; 
MM.  Charles,  recteur  de  l'Académie  de  Lyon  ;'_Caillemer,  doyen  delà 
faculté  de  droit,  etc.,  assistaient  à  cette  dernière[cérémonie. 

—  A  Arras,  les  membres  du  tribunal  civil  se  sont  rendus  en  robes 
à  la  cathédrale  où  une  messe  du  Saint-Esprit  a  été  célébrée  par 
M.  Sueur,  vicaire  général;  Mgr  Williez  faisait  chapelle.  Le  chapitre, 
la  plupart  des  chanoines  et  le  clergé  de  la  cathédrale  assistaient  au 
chœur. 


154  ANNALES   CATHOLIQUES 

—  A  Cambrai,  la  messe  du  Saiut-Esprit  n'a  pas  eu  lieu.  Ainsi,  dit 
VEmancipateur,  en  avaient  décidé  messieurs  les  membres  du  tribunal 
civil,  «  non  à  l'unanimité,  mais  à  la  majorité  ». 

Il  ajoute  : 

«  C'est  plus  sincère  ainsi,  non  pour  l'unanimité,  mais  pour  la  ma- 
jorité. 

«  La  sincérité  demandait  également  q;ue  cette  messe  fût  supprimée 
pour  la  rentrée  du  collège  ;  mais,  là,  la  question  de  boutique  prime 
la  question  de  sincérité.  » 

Il  faut  plaindre  les  justiciables  de  MM.  les  magistrats  de  Cam- 
brai, car  s'ils  ne  croient  plus  en  Dieu,  qui  pei^t  répondre  de  leur  ira- 
partialité  ?  i;f.'l.\{'.'Z^-l'-\r  " 

—  A  Riom,  la  Dépêche  du  Puy-de-Dôme  dit  que  Mgr  Belmont,  assisté 
de  ses  vicaires  généraux,  présidait  la  cérémonie  de  la  messe  où  étaient 
venus  tous  les  magistrats  en  costume. 

Digne.  —  Une  lettre  de  Mgr  l'évêque  de  Digne  prescrit  un 
Te  JDeum  qui  sera  chanté  dans  toutes  les  paroisses  du  diocèse, 
«  à  l'occasion  de  la  visite  de  la  Russie  à  la  France  >,  pour 
remercier  Dieu  «  de  l'alliance  fraternelle  de  deux  peuples  dont 
l'union,  qui  fait  leur  force,  fait  et  fera  aussi  la  paix  générale  en 
Europe  ». 

Mgr  l'évêque  de  Digne  ajoute  qu'il  y  a  en  outre,  pour  en  agir 
ainsi,  «  une  raison  de  haute  délicatesse,  nous  allions  dire  de 
haute  courtoisie,  dans  le  sens  le  plus  élevé  du  mot  ».  Voici 
pourquoi  : 

La  Russie  est  une  nation  essentiellement  religieuse  et  chrétienne. 
Vous  savez  tous  peut-3tre  que  chaque  maison  russe  contient  un  ora* 
toire,  où  est,  avec  le  crucifix,  une  image  de  la  Vierge  toute  Sainte, 
que  la  prière  du  matin  et  du  soir  est  faite  non  seulement  dans  les 
familles,  mais  dans  les  casernes  et  dans  les  camps  par  le  chef  du 
grade  le  plus  élevé,  par   l'empereur  lui-même  quand  il  est  présent. 

Vous  n'ignorez  pas  que  tous  les  fonctionnaires,  que  les  dignitaires 
de  l'armée  notamment,  assistent  avec  exactitude  et  en  corps  à  l'office 
du  dimanche,  et  vous  vous  rappelez  sans  doute  que,  le  3  août  1890, 
lors  des  réceptions  que  la  marine  russe  allait  faire,  dans  le  port  de 
Cronstadt,  à  la  marine  française,  quatre-vingts  officiers,  avant  le 
départ,  montaient  sur  le  yacht  impérial  pour  assister  d'abord  à  la 
cérémonie  religieuse.  Qui  ne  connaît  enfin  VHymne  national  russey 
dont  voici  le  grand  et  beau  refrain  : 

0  Dieu,  protège  l'Empereur  ! 

Bénis  son  nom  :  étends  son  pouvoir,  sa  grandeur. 

0  Dieu,  protège  l'Empereur. 


CHRONIQUE  DB  LA.  SEMAINE  155 

Comment  donc  la  Franco  pourrait-elle  recevoir  sans  offices  reli- 
gieux et  sans  prière  cette  nation  chrétienne  ?  La  Russie  en  serait 
blessée  peut-être,  ou  tout  au  moins  péniblement  surprise.  Nous 
devons  lui  épargner  cette  impression  fâcheuse  et  lui  faire  l'accueil 
qu'elle  nous  faisait  à  nous-mêmes,  il  y  a  trois  ans  en  mêlant  aux 
joies  patriotiques  de  la  nation  les  cérémonies  de  l'Eglise. 

Oui,  il  faut  que  les  dignitaires,  officiers  et  marins  russes,  quand  ils 
traverseront  la  France,  entendent  le  son  des  cloches  annonçant  des 
offices  religieux  célébrés  à  leur  occasion,  et  des  Te  Deuni  pour 
remercier  le  Dieu- et  le  Christ  qu'ils  adorent,  de  les  envoyer  chez 
nous  comme  des  messagers  de  paix  :  de  paix  pour  notre  pays,  de  paix 
pour  l'Europe  et  le  monde. 


CHRONIQUE   DE    LA   SEMAINE 

La  mort  de  Mac-Mahon.  —  Les  marins  russes  à  Toulon  et  à  Paris . 
Congrès  de  la  Libre-Pensée.  —  Laconversion. 

19  octobre  1893. 

A  l'heure  même  oii  l'amiral  Avellan  et  les  officiers  russes  arri- 
vaient à  Paris,  une  dépêche  annonçait  la  mort  du  maréchal  de, 
Mac-Mahon,  du  glorieux  soldat  qui,  le  8  septembre  1855,  enle- 
vait aux  Russes,  après  une  résistance  acharnée,  la  redoute  de 
Malakofî,  repoussait  leurs  efforts  énergiques  pour  l'en  chasser 
et  répondait  à  ceux  qui  s'effrayaient  de  son  audace  qu'il  «  y 
resterait  mort  ou  vivant  ». 

Nous  rappelons  plus  haut  les  étapes  de  la  carrière  militaire 
du  maréchal,  il  est  superflu  d'y  insister  ici.  La  fortune  lui  fut 
constamment  heureuse,  même  le  jour  où  à  Sedan  un  éclat  d'obus 
le  blessa  assez  gravement  pour  le  forcer  à  résigner  son  com- 
mandement et  lui  évita  l'horrible  douleur  de  signer  une  capitu- 
lation inévitabbe. 

Ce  fut  la  dernière  faveur  que  lui  réservait  la  destinée.  La 
guerre  civile  l'attendait  à  sa  rentrée  en  France  et  ce  fut  à  lui 
que  M.  Thiers  confia  la  pénible  mission  de  reprendre  Paris 
abandonné  aux  mains  de  l'émeute.  Mac-Mahon,  qui  était  et  resta 
toujours  l'homme  du  devoir,  obéit,  et,  grâce  à  son  ascendant 
moral  sur  les  troupes,  il  réorganisa  l'armée,  l'anima  de  son  esprit 
et  rétablit  l'ordre  dans  la  capitale. 

Lorsque  l'évolution  significative  de  M.  Thiers  vers  la  gauche 


156  ANNALES  CATHOLIQUES 

eut  définitivement  brisé  les  liens  fragiles  qui  attachaient  encore 
la  majorité  conservatrice  de  l'Assemblée  nationale  au  chef  de 
l'Etat,  et  que  l'on  songea  à  le  remplacer,  tous  les  yeux  se  tour- 
nèrent vers  le  maréchal.  Mais  il  fallut  lui  faire  violence  pour  lui 
arracher  son  consentement. 

Un  témoin  l'a  raconté  il  y  a  quatre  ans,  dans  le  Figaro^  en 
ces  termes  : 

C'était  à  Versaillea,  le  24  mai,  assez  tard  dans  la  soirée.  Le  maré- 
chal qui,  jusque-là,  était  resté  tranquillement  chez  lui,  fut  averti  que 
l'Assemblée  nationale  allait  l'élever  à  la  présidence,  à  la  suite  de  la 
démission  de  M.  Thiers.  A  cette  nouvelle,  le  maréchal  est  comme 
atterré,  et  il  court  chez  M.  Thiers  pour  le  supplier  de  revenir  sur  sa 
détermination. 

M.  Thiers  n'aurait  pas  demandé  mieux  que  de  recoudre  l'habit 
déchiré,  mais  il  savait  trop  bien  le  fort  et  le  faible  de  la  politique 
pour  se  prêter  à  ce  rôle.  Il  avait  excédé  la  majorité,  et  la  majorité 
était  impatiente  de  le  remplacer.  Le  maréchal  se  retira  :  il  exhalait 
toujours  son  déplaisir  sans  réticence. 

En  franchissant  le  seuil  de  son  petit  ihôtel,  il  comprit  que  l'affaire 
devenait  sérieuse.  L'Assemblée  avait  nommé  le  maréchal  et  le  bureau 
de  l'Assemblée,  ayant  à  sa  tête  M.  Buffet,  était  déjà  là,  non  plus 
pour  lui  offrir,  mais  pour  lui  conférer  la  présidence  dont  il  venait 
d'être  revêtu  par  un  vote  solennel.  Le  premier  mot  de  l'élu  fut  de 
refuser  net  :  à  l'entendre,  il  n'était  pas  l'homme  de  la  fonction,  et  il 
ne  connaissait  que  l'armée. 

M.  Buffet  essaya  d'abord  de  convertir  le  maréchal  par  la  douceur  ; 
il  lui  parla  de  la  volonté  du  pays  ;  il  lui  exposa  les  périls  de  la  situa- 
tion: le  maréchal  ne  bronchait  pas.  Alors  M.  Buffet,  à  bout  de 
patience,  lui  déclara  que  le  président  de  l'Assemblée  n'était  pas  venu 
le  trouver  en  solliciteur,  et  qu'il  lui  apportait  un  ordre  positif. 
Devant  ce  langage,  le  maréchal  perdit  contenance  :  il  était  président 
de  la  République.  Notre  génération  aime  les  spectacles:  je  viens  d'en 
décrire  un  qu'on  ne  reverra  plus  de  longtemps. 

Les  événements  qui  se  déroulèrent  sous  sa  présidence  sont  trop 
récents  pour  qu'il  soit  possible  de  les  juger  aujourd'hui  avec  impar- 
tialité, La  justice  de  l'histoire  éclaire  à  peine  d'un  jour  vrai  l'époque 
de  la  Révolution  et  l'épopée  impériale  :  il  faudra  encore  des  années 
pour  que  les  dessous  de  nos  annales  contemporaines  apparaissent  a 
la  lumière  et  permettent  de  dire  avec  équité  quels  furent  les  mobiles 
qui  déterminèrent  le  Maréchal  de  Mac-Mahon  au  Seize-Mai,  puis  à 
subir  les  lois  du  vainqueur,  et  enfin  à  se  démettre  après  s'être 
soumis.  i)  ■•\i'\ii'i  i\ 

Les  conservateurs,  il  faut  le  reconnaître,  certains  d'entre  eux  du 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  157 

moins,  furent  aussi  injustes  à  cette  époque  envers  le  maréchal  que 
ceux  qui  essayaient  en  l'abreuvant  d'amertume  de  lui  faire  quitter  sa 
place.  Ils  lui  reprochaient  les  défaillances  de  sa  politique  sans  lui 
tenir  aucun  compte  des  exigences  d'une  situation  que  leurs  divisions, 
les  échecs  de  leurs  combinaisons  dynastiques,  leurs  compétitions 
n'avaient  pas  peu  contribué  à  créer.  En  temporisant,  en  consentant 
des  concessions  de  plus  en  plus  lamentables,  en  sacrifiant,  la  mort 
dans  l'âme,  aux  passions  et  aux  soupçons  de  ses  adversaires  tout- 
puissants,  les  plus  chers  parmi  ses  frères  d'armes  comme  parmi  ses 
amis  politiques,  le  maréchal  obéissait  cependant  au  plus  noble  des 
sentiments  :  au  sentiment  qui  le  rendait  sinon  insensible  du  moins 
impassible  devant  les  outrages  que  ne  lui  ménageaient  pas  les  répu- 
blicains. 

11  ne  faut  pas  que  l'ivresse  du  moment,  l'éclat  des  fêtes  de  Toulon 
et  de  Paris,  les  manifestations  militaires  qui  scellent  notre  alliance 
avec  la  Russie,  la  certitude  où  nous  sommes  de  n'avoir  désormais 
rien  à  craindre  nous  fassent  oublier  que  sous  la  présidence  du  duc 
de  Magenta  nous  étions  condamnés  au  recueillement  par  notre 
impuissance.  Tout  était  à  refaire  :  les  finances,  l'armée  gardienne  de 
notre  patrimoine  ébréché,  cette  armée  qu'un  ennemi  implacable  nous 
voyait  organiser  d'un  œil  jaloux.  L'alerte  de  1875  n'avait  été  qu'une 
alerte,  grâce  à  l'intervention  toute-puissante  de  la  Russie  ;  mais 
M.  de  Bismarck  et  M.  de  Moltke  ne  désespéraient  pas  de  faire  naître 
une  occasion,  qui  leur  permît  de  prendre  leur  revanche. 

Le  jour  où  tout  danger  imminent  fut  dissipé,  où  la  France  put 
sans  forfanterie  se  croire  en  droit  de  ne  point  avoir  à  redouter  de 
surprise  meurtrière,  le  maréchal  de  Mac-Mahon  se  retira  avec  une 
dignité  et  une  simplicité  que  ses  adversaires  reconnurent  eux-mêmes, 
et  il  entra  définitivement  dans  la  retraite.  11  n'en  sortit  plus  que  dans 
de  très  rares  occasions,  observant  une  réserve  dont  M.  Thiers  ne  lui 
avait  pas  donné  l'exemple,  ne  récriminant  ni  contre  les  hommes, 
ni  contre  les  choses,  et  forçant  au  respect  ceux  mêmes  qui  avaient  le 
plus  puissamment  contribué  à  sa  chute. 

Aujourd'hui,  s'ils  ne  sont  point  ingrats,  ils  reconnaîtront  non 
seulement  les  services  que  le  maréchal  de  Mac-Mahon  a  rendus  au 
pays,  mais  ceux  que  par  sa  présence  au  pouvoir  il  a  rendus  à  la 
République.  Sous  sa  présidence,  en  effet,  les  puissances  monarchiques 
s'accoutumèrent  et  au  mot  et  à  la  chose:  la  France  tenait  son  rang 
parmi  elles  et  elle  connaissait,  ce  qu'elle  n'est  pas  prêt  à  connaître 
encore,  des  budgets  en  équilibre,  des  excédents  de  recettes  et  des 
finances  prospères.  Ce  fut  aussi  cette  prospérité  qui  acclimata  dans 
les  masses  le  régime  actuel  et  effaça  en  partie  la  répulsion  profonde 
que  la  grande  majorité  de  la  nation  éprouvait  pour  ce  mot  de  Répu- 
blique, synonyme,  à  ses  yeux,  de  misère  et  de  désordre. 

Le  maréchal  de  Mac-Mahon  fut  donc  un  homme  de  devoir  et  d'ab- 


158  ANNALES     CÀTHOLIQUBS 

négation.  Il  laisse  un  exemple  qui  ne  sera  pas  suivi,  car  ce  n'est  point 
précisément  par  ces  deux  qualités,  ni  par  l'intégrité,  que  se  distin- 
guent ceux  qui  ont  bénéficié  de  la  dispai-itiôn  de  la  scène  publique, 
des  idées  et  des  espérances  que  le  duc  de  Magenta  incarnait.  Que  l'on 
considère  où  noué  étions  lorsqu'il  descendit  du  pouvoir  «t  que  l'on 
regarde  où  nous  sommes  :  la  comparaison  suffira  pour  faire  regretter 
aux"]()ltis  indifférents  la  mort  de  l'hounête  homme  [et  du  vaillant 
soldat  qui  fut  le  maréchal -db  Mac-Mâhonî'*  *"•   «^t  ;  xi;- 

■      ,       :     -    .        :i  -    i::      ,:!j     SffMi')   g||f(|    . 

■•'.'{  -1  .1    [■..t'f'rr.ur  f.M   .  ^  ,,■ 

Comme  nous  venons  de  le  dire,  les' 'officiers  russes  sont  arri- 
vés à  Paris  mardi  et  l'accueil  qui'Ieui*  a  été  fait  dépasse  toutes 
les  prévisions.  C'est  un  enthousiasme  dont  il  faut  avoir  ét'é  té- 
moin pour  pouvoir  s'en  rendre  compte.   *'/'     ' '"■   '""'■  ^" 

Voici  d'ailleurs  cornaient  est  fixé  Temploi  du  temps  pehdant 
le  seiour  des  russes  a  Pans  :  ,         ^ 

Mardi  17.  Arrivés  à  Paris  à  9  h:,  et  9  h>  20  par  deux  trains 
spéciaux,  les  officiers  russes  ont  été  conduits.au  Cercle  mili- 
taire, puis,  après  déjeuner,  ont  été  assister  à  l'office  religieux 
à  l'église  de  la  rue  Daru.  A  cinq  heures,  ils  se  sont  rendus  à 
l'Elysée,  où  ils  ont  été  présentés  au  président  de  la  République. 
Le  soir,  dîner  et  bal  à  l'Elvsée.         ''''     '  •   •   .      -  ... 

Mercredi  18.  Dans  la  matinée,  l'amiji-alAvellan  et  ges  offi- 
ciers achèvent  les  visites  officielles  qu'ils  n'ont  pas  eu  le  temps 
de  faire  la  veille. 

A  midi,  déjeuner  de  cent  vingt  couverts  à  l'ambassade  de 
Russie,  suivi  d'une  réception  ouverte  pour  tous  ceux  des  mem- 
bres de  la  société  russe  résidant  à  Paris  qui  ont  déjà  accès  à 
l'ambassade.  •  •;  ■ 

Dîner  au  ministère  de  la  marine:  ^'"'■' '"^  ^®  ''• 

,  .  ,11  Vf.   'vil.:  |i  îiio-i    ;  .       , 

Réception  et  bal. 

Jeudi  19.  Déjeuner  aux  affaires  étrangères,  réception  et  bal. 
Dîner  à  l'hôtel  de  ville,  concert,  retraite  aux  flambeaux. 
Vendredi  20.  Promenade  daûs  Paris,  déjeuner  au  Palmarium 
du  Jardin  d'acclimatation. 

Soirée  et  bal  à  l'hôtel  de  ville. 

5ame<it  21,,D(^jeuner  à  la  présidence  du  conseil. 
Réception,  dans  l'après-midi,  à  l'ambassade  de  Russie. 
Assaut  au. Grand  Hôtel. 
Représentation  de  gala;  à  l'Opéra^ 
Souper  au  Cercle  militaire. 


CHRONIQUE  DS  LA  SEMAINE  159 

Dimanche  22.  A  onze  heures  et  demie,  déjeuner  de  120  cou- 
verts au  ministère  de  la  guerre. 

Défilé  devant  les  sociétés  de  gymnastique  :  rue  de  Solfé- 
rino,  boulevard  Saint-Germain,  quai  d'Orsay,  esplanade  des 
Invalides  et  Ecole  militaire  oii  le  général  Saussier  présentera 
des  délégations  de  la  garnison  de  Paris  aux  officiers  russes. 

A  deux  heures  et  demie,  carrousel  qui  durera  une  heure  et 
demie. 

A  quatre  heures,  fête  nautique  sur  la  Seine. 

A  sept  heures,  banquet  au  Champ  de  Mars,  dans  la  galerie 
de  Trente-Mètres,  suivi  d'une  représentation  théâtrale. 

Après  le  banquet,  feu  d'artifice  au  Trocadéro;  pavoisement 
et  illumination  des  boulevards  et  fête  vénitienne. 

Lundi  22.  Déjeuner  au  Cercle  militaire. 

Après-midi,  grandes  eaux  à  Versailles. 

Représentation  et  souper  au  cercle  de  l'Union  artistique  et 
redoute  au  Grand-Hôtel. 

Mardi  24.  Déjeuner  d'adieu  à  la  présidence  de  la  Répu- 
blique, suivi  de  réception. 

Départ  pour  Toulon  à  onze  heures  du  soir. 


Si  la  réception  à  Paris  est  brillante,  celle  qui  a  été  faite  à  nos 
hôtes  à  Toulon  ne  l'a  pas  moins  été.  C'est  le  13  octobre,  au 
matin,  que  l'escadre  russe  a  mouillé  à  Toulon.  L'amiral  Rieu- 
nier,  ministre  de  la  marine,  s'y  était  rendu  et,  accompagné  des 
amiraux  Vignes,  préfet  maritime,  et  de  Boissoudy,  commandant 
notre  escadre  de  la  Méditerranée,  il  a  souhaité  la  bienvenue  à 
l'amiral  Avellan  que  le  Président  du  Conseil  municipal  de  Paris 
a  aussitôt  invité  à  venir  à  Paris,  ce  qui  a  été  gracieusement 
accepté. 

Dès  lors,  pendant  quatre  jours,  les  fêtes  et  les  acclamations 
se  sont  succédé    sans  interruption. 

Un  seul  point  fait  tache  dans  tout  cela  et  sera  certainement 
remarqué  de  nos  amis. 

Si  de  leur  côté  les  officiers  russes  ont  pensé  à  Dieu  et  com- 
inencé  leurs  visites  par  l'assistance  à  l'office  religieux,  aussi 
bien  à  Toulon  qu'à  Paris,  notre  gouvernement  de  son  côté  a 
oublié  Dieu. 

Les  Russes  pourront  parcourir  nos  campagnes  et  visiter  nos 


160  ANNALES    CATHOLIQUES 

villes,  sans  que  le  sentiment  religieux,  auquel  ils  sont  si  fière- 
ment asservis,  s'éveille  et  parle  sur  leur  passage. 

Us  entendent  la.  Marseillaise.  Les  orchestres  leur  font  cortège. 

Et  le  grand  bourdon  de  la  cathédrale  de  France,  le  grand 
bourdon  de  Notre-Dame,  qui  a  sonné  toutes  nos  joies,  toutes 
gloires,  reste  muet? 

On  a  invité  au  banquet  de  l'Hôtel-de- Ville  de  Paris  jusqu'au 
dernier  chiffonnier,  s'il  représente  une  corporation,  et  notre 
vénérable  archevêque  n'y  sera  pas. 

Voyons,  voyons,  républicains  qui  détenez  provisoirement  les 
destinées  de  notre  infortuné  pays,  faction  victorieuse  qui  cam- 
pez encore  dans  nos  murs,  ayez  donc  un  peu  la  pudeur  de  la  ■ 
situation  officielle  qui  est  momentanément  la  vôtre. 

Souvenez-vous  que  la  France  est  chrétienne  aussi,  et  que 
dans  chaque  chaumière  russe  est  l'image  de  la  Vierge  toute 
sainte,  comme  chez  nous  est  la  Vierge  de  Lourdes,  et  que  c'est 
la  même  qu'on  honore  dévotement  sur  les  bords  de  la  Neva  et 
sur  les  bords  du  Gave. 

Pour  que  rien  ne  manque  à  l'hospitalité  nationale  française, 
hâtez-vous  donc  de  réparer  l'oubli  de  ces  fêtes,  et  invitez  Dieu  ! 


Une  petite  dépêche  de  Copenhague  a  presque  passé  inaperçue 
dans  le  retentissement  des  fêtes  de  Toulon,  dans  le  bruit  des 
acclamations  et  sous  les  tonnerres  des  salves. 

En  efi'et,  pendant  que  la  flotte  russe  entrait  dans  un  port 
français  et  que  ses  marins  débarquaient  sur  la  terre  de  France, 
le  czar,  le  czarevitch  et  le  grand-duc  Michel  se  rendaient  à  bord 
de  VTsly,  et  cette  coïncidence  préméditée,  voulue,  était  une 
réponse  à  ceux  qui  s'obstinent  à  ne  voir  que  de  simples  échanges 
de  politesse,  des  manifestations  sans  portée,  sans  lendemain, 
dans  les  visites  échangées  par  les  flottes  françaises  et  russes  à 
Cronstadt  et  à  Toulon. 

En  montant  à  bord  de  VIsly,  le  czar  a  désiré,  sans  aucun 
doute,  affirmer  une  fois  de  plus  cette  sympathie,  née  des  inté- 
rêts des  deux  peuples,  qui  rapproche  la  Russie  de  la  Fi'ance,  et 
manifester  sa  résolution  bien  arrêtée  de  s'en  tenir  à  la  politique 
qu'il  a  voulue  et  qu'il  continue  à  vouloir  parce  qu'il  la  juge  la 
plus  efficace  pour  le  maintien  de  la  paix  en  Europe. 

Un  homme  d'Etat  disait  un  jour  :  «  Il  faut  en  user  avec  ses 
idées  comme  avec  ses  amis  :  en  avoir  peu  et  s'y  tenir  »:  il  sem- 


CHRONIQUE   DE    LA   SEMAINE  161 

ble  bien  que  le  czar  ait  fait  sienne  cette  devise  :  lorsque  sa 
volonté  s'est  une  fois  fixée  sur  un  point,  elle  n'en  dévie  pas  et, 
lorsqu'il  s'engage  dans  la  voie  qu'il  a  choisie,  il  la  suit  jusqu'au 
bout  avec  résolution. 

A  ceux  qui  invoquent,  pour  diminuer  l'importance  de  mani- 
festations gênantes  pour  leurs  intérêts  et  leurs  calculs,  notre 
emballement,  notre  frivolité,  nous  répondrons,  avec  le  Journal 
des  Débats,  que  ces  insinuations  ne  sauraient  atteindre  le  chef 
d'un  grand  peuple,  que  tout  "protège  et  défend  contre  les  ardeurs 
et  les  enthousiasmes  des  races  latines,   ni  ce  peuple  lui-même. 

Et  pourtant  les  manifestations  de  Cronstadt,  encore  présentes 
à  tous  les  yeux  et  à  toutes  les  mémoires,  prouvent  que  le  cœur 
de  la  Russie  n'a  pas  battu  avec  moins  de  force  que  le  cœur  de  la 
France  le  jour  uii  les  marins  des  deux  nations  fraternisèrent, 
cil  Ton  vit  se  mêler  et  se  confondre  leurs  drapeaux  et  leurs 
hymnes. 

Les  prédictions  pessimistes  de  ceux  qui  transformaient  par 
avance  notre  enthousiasme  en  imprudences  et  provocations,  les 
arguments  qu'on  en  tirait  pour  mettre  le  czar  en  garde  contre 
certaines  éventualités  prédites  avec  une  trop  évidente  complai- 
sance et  un  espoir  qui  ne  se  dissimulait  guère  seront  également 
démenties  et  déçues  par  l'événement.  Les  Méridionaux,  qui  ont 
le  cœur  ardent  et  la  tête  chaude,  n'ont  rien  fait  ni  rien  dit  qu'on 
puisse  exploiter  contre  nous  et  l'on  doit  maintenant  avoir  par- 
tout la  certitude,  comme  le  disent  encore  les  Débats,  que  la  ma- 
nifestation franco-russe  ne  blessera  personne  ni  n'alarmera  ceux 
qui,  très  sincèrement,  veulent  le  maintien  de  la  paix  en  Europe. 


La  lutte  continue  dans  nos  bassins  houillers  du  Nord  avec 
toutes  les  souffrances,  toutes  les  misères,  et  aussi  toutes  les 
violences  qui  en  sont  la  suite.  Il  n'est  pas  de  jour  où  les  tribu- 
naux n'aient  à  prononcer  plusieurs  condamnations  pour  entraves 
à  la  liberté  du  travail,  c'est-à-dire  pour  d'abominables  actes  de 
pression  commis  ou  tentés  sur  de  pauvres  gens  qui  voudraient 
gagner  leur  pain  et  celui  de  leurs  enfants.  Dans  le  vocabulaire 
socialiste,  ce  sont,  naturellement  les  auteurs  de  ces  délits  qui 
sont  les  «  victimes  »;  les  ouvriers  coupables  de  travailler  mal- 
gré l'interdiction  des  meneurs  de  la  grève  sont  des  «  traîtres  »; 
les  fonctionnaires,  les  gendarmes  et  les  soldats  qui  font  respec- 
ter l'ordre  public  sont  des  «  provocateurs  ».  Journalistes  et 

12 


162  ANNALES   CATHOLIQUES 

conférenciers  radicaux  se  livrent,  sur  ce  thème,  à  leurs  disser- 
tations habituelles.  Les  députés  en  exercice  et  les  aspirants 
députés  se  prodiguent.  Ils  ont  établis  entre  eux  un«  sorte  de 
roulement,  de  manière  à  se  relayer  sur  le  théâtre  de  la  grève, 
à  combattre  chez  les  ouvriers  toute  velléité  de  lassitude,  à  in- 
timider ceux  qui  feraient  mine  de  faiblir,  à  empêcher  à  tout 
prix  la  reprise  du  travail.  Ils  se  consacrent  à  cette  besogne 
avec  une  ardeur  d'autant  plus  vive,  mais  d'autant  moins  méri- 
toire qu'elle  ne  leur  impose  pas  le  moindre  sacrifice.  Ils  prê- 
chent la  grève,  d'autres  en  pâtissent.  C'est  une  façon  comme 
une  autre  de  comprendre  la  division  du  travail. 


La  Lanterne  annonce  qu'un  congrès  de  libres  penseurs  se 
tiendra  à  Paris,  le  dimanche  29  octobre,  94,  rue  d'Angoulême, 
dans  la  salle  de  l'Harmonie. 

Un  programme,  joint  à  la  convocation,  indique  les  points  à 
discuter  et  les  mesures  à  réclamer.  Comme  chef-d'œuvre  de  cy- 
nisme, c'est  assez  réussi,  mais  la  Lanterne  nous  y  a  trop  habi- 
tués pour  que  nous  ayons  le  n)auvais  goût  d'insister. 

Un  appel  éloquent  est  adressé  à  toutes  les  forces  sectaires  : 

Il  faut,  par  une  manifestation  imposaate  et  appuyée  sur  toutes  les 
forces  réunies  de  la  Libre-Pensée  française,  stimuler  le  zèle  et  encou- 
rager la  ferveur  des  élus  républicains  anticléricaux. 

La  défaite  écrasante  des  conservateurs  et  surtout  des  catholiques 
soi-disant  ralliés  est  une  caractéristique  lumineuse  de  l'état  général 
des  esprits  dans  notre  démocratie.  ;     -','j;. 

L'alinéa  sur  le  budget  des  cultes  ne  manque  pas  à  l'appel  : 

Allons-nous,  pour  cette  infime  minorité,  continuer  à  jeter  dans  les 
caisses  de  l'armée  noire  de  l'Eglise  cinquante  millions  chaque  année? 
Allons-nous,  par  une  tolérance  coupable...  etc.,  etc. 

Voici  donc  les  principaux  points  du  programme: 

1°  Loi  sur  les  associations.  —  Suppression  des  congrégations  reli- 
gieuses. —  Retour  à  la  nation  et  aux  communes  des  biens  dits  de 
main-morte. 

2*  Suppression  du  budget  des  cultes.  —  Dénonciation  du  coiica^dat 
et  séparation  des  Eglises  et  de  l'Etat.  — Laïcisation  de  tous  les  servi- 
ces publics.  —  Abolition  du  serment  religieux.  — ■  Interdiction  aux 
congrégations  religieuses  et  aux  membres  du  clergé  séculier,  du 
droit  d'enseigner.  —  Mise  à  l'ordre  du  jour  de  la  Chambre  et  vote  de 
la  proprosition  Pochon. 


CHï(OljldUB  DE  LA  SEMAINE  163 

4"  Rapport  du  comité  d'études  morales  (d'après  le  supplément  delà 
LanlerneT). 

6°  Inllueuce  do  la  Libre-Pensée  sur  la  condition  n^orale,  économi- 
(|Ue  et  sociale  de  la  femme.  —  Etude  des  moyens  les  plus  pratiques  de 

soustraire  Ufetiîmeâ'l'influeiice  néfaste  du  prêtre. 

.1  !  fJMiui  )■'  ■,•'•:/■'  .       :  . 

Nous  plaignons  leis  maris  dont  les  femmes,  instruites  à  penser 
et  sans  doute  à  agir  librement,  seront  soustraites  à  V influence 
néfaste  de  l'Eglise.  Enfin  la  Lanterne  réclame  au  plus  tôt  une 
interpellation  c  sur  l'observation  du  Vendredi  Saint  dans  l'armée 
et  les  prières  publiques  dans  la  marine  >.  La  «  prière  du  soir  à 
bord  des  vaisseaux  »,  si  insidieusement  décrite  en  belles  phra- 
ses par  cet  aristocrate  de  Chateaubriand,  constitue  effective- 
ment pour  notre  flotte  un  élément  de  faiblesse,  qui  éclatera  au 
jour,  à  l'heure  des  grandes  batailles  navales.  Le  plus  triste, 
c'est  que  les  marins  russes,  acclamés  par  la  Lanterne,  prient 
encore  plus  que  les  nôtres.  On  pourrait  interpeller  l'amiral 
Avellan  pour  obtenir  la  suppression  do  cet  abus.     ' 

On  peut  considéi*er'  qu'à  moins  d'événements  imprévus  la 
Chambre  sera  saisie  du  projet  de  loi  relatif  à  la  conversion  du 
4  1/2  0/0,  au  cours  de  la  session  extraordinaire  qui  va  s'ouvrir 
prochainement.  Toutefois,  tout  en  considérant  que  la  question 
pourra  être  résolue  parlementairement  d'ici  'au  31  décembre 
prochain,  il  importe  de  faire  remarquer  que  les  conséquences  de 
la  conversion  ne  pourront  se  faire  sentir  qu'au  cours  de  l'exer- 
cice 1894,  En  effet,  le  prochain  coupon  de  4  1/2  doit  être 
payé  le  16  novembre  prochain.  Or,  il  est  matériellement  impos- 
sible que  la  conversion  puisse  être  effectuée  avant  cette  date. 

La  Chambre  nouvelle  doit  être  convoquée  pour  le  7  ou  pour 
le  14  novembre  ;  la  date  n'est  pas  encore  fixée.  Mais,  même  en 
supposant  que  celle  du  7  novembre  fut  choisie,  il  n'y  aura  pas 
assez  de  temps  pour  que  la  conversion  fût  résolue  avant  le  16 
La  Chambre,  d'une  part,  doit,  avant  d'entreprendre  aucun  tra- 
vail législatif,  se  constituer  pour  la  vérification  des  pouvoirs  de 
ses  membres,  et  à  supposer  —  contre  toute  vraisemblance  — 
qu'elle  eût  accompli  cette  tâche  avant  le  16  novembre  et  qu'elle 
eût,  en  outre,  voté  la  conversion  avant  cette  date,  il  faudrait 
laisser  au  Sénat  le  temps  d'examiner  à  son  tour  et  de  voter 
cette  grande  mes^^'e  financière.  Il  y  a  doDC  impossibilité  absolue 
d'aboutir  à  la  prochaine  échéance.  Les  porteurs  de  4  1/2  sont, 


164  ANNALES     CATHOLIQUES 

par  suite,  assurés  de  toucher,  le  16  novembre,  l'intégralité  de 
leur  revenu. 

La  conversion,  si  elle  est  votée,  comme  nous  le  croyons,  d'ici 
la  fin  de  l'année,  ne  produira  ses  premiers  effets  qu'à  l'échéance 
du  16  février  1894,  qui  verra  effectuer  la  première  réduction  de 
revenu.  En  tout  cas,  l'exercice  1894  bénéficiera  de  la  réduction 
totale  de  charge  que  la  conversion  doit  avoir  pour  effet  de  pro- 
curer au  Trésor. 


LA  PUISSANCE  DES  MOTS 

Nous  avons  déjà  dit  pourquoi  nous  regrettons  profondément 
que  des  catholiques,  dans  les  meilleures  intentions  du  mond» 
d'ailleurs,  prissent  le  nom  ou  le  surnom  de  démocrates.  Nos 
regrets  augmentent  lorsque  nous  voyons  des  sociétés  ouvrières 
s'appeler  démocratiques,  ni  plus  ni  moins. 

L'organe  officieux  du  Saint-Siège  à  Rome,  YOsservaiore  ro- 
mano,  a  montré  dans  une  série  d'articles  le  danger  pour  les 
catholiques  d'admettre  des  mots  qui  grammaticalement,  histori- 
quement et  philosophiquement  représentent  des  choses  révolu- 
tionnaires. L'important  organe  romain  dit  très  bien  «  qu'après 
avoir  admis  des  mots  et  des  adjectifs  d'invention  socialiste  et 
révolutionnaire  (comme  le  mot  de  démocrate)  des  catholiques  en 
arrivent,  sans  qu'ils  s'en  aperçoivent,  ni  qu'ils  le  veuillent,  à 
accepter  des  idées,  à  propager  des  opinions,  à  approuver  des 
faits  >  très  peu  orthodoxes. 

L'organe  de  M.  le  comte  de  Mun  et  des  Cercles  catholiques,  la 
Corporation,  exprime  des  idées  analogues  à  propos  de  la  déno- 
mination prise  par  la  Ligue  démocratique  belge.  Nous  le 
citons  : 

C'est  la  deuxième  session  des  congrès  organisés  par  l'Association 
belge  formée  pour  la  défense  des  droits  du  peuple  et  de  l'Eglise,  sous 
le  nom  de  Ligue  démocratique.  Sans  doute  les  mots  sonnent  autre- 
ment en  Belgique  qu'en  France,  car  chez  nous,  malgré  un  certain 
penchant  pour  l'adoptiou  de  termes  risqués,  l'adjectif  démocratique 
n'est  pas  encore  tout  à  fait  nettoyé  des  mauvaises  compagnies  qu'il  a 
fréquentées. 

Mauvaises  compagnies  !  C'est  bien  cela  ;  compagnie  terroriste 
à  la  fin  de  l'autre  siècle,  compagnie  révolutionnaire  radicale  en 


LA  PUISSANCE  DES  MOTS  165 

1848,  compagnie  internationaliste  après  1870,  compagnie  socia- 
liste aujourd'hui,  le  mot  démocrate  les  a  toutes  qualifiées. 

Le  Saint-Père  donnait  un  exemple,  mieux  que  cela,  une  leçon 
à  éviter  soigneusement  d'employer  les  mots  «  démocrate...  dé- 
mocratie... démocratique  »,  même  lorsqu'il  parlait  du  peuple. 
Nous  avons  lu  le  mot  «  démocratie»  dans  des  traductions,  mais, 
vérification  faite,  il  n'était  pas  employé  dans  le  texte  latin. 

Aucune  Encyclique  ne  le  contient.  Dans  celle  de  1890  sur  les 
principaux  devoirs  des  chrétiens  qui  commence  par  ce  solennel 
avertissement  :  «  Retourner  aux  principes  chrétiens  et  y  con- 
former en  tout  la  vie,  les  mœurs  et  les  institutions  des  peuples 
est  une  nécessité  qui  de  jour  en  jour  devient  plus  évidente,  le 
Souverain-Pontife,  parlant  des  formes  de  gouvernement,  omet 
d'employer  le  mot  de  démocratie  :  «  Gardienne  de  son  droit  e* 
pleine  de  respect  pour  le  devoir  d'autrui,  l'Eglise  estime  un  droit 
de  rester  indillerente  aux  diverses  formes  de  gouvernement  et 
aux  institutions  civiles  des  Etats  chrétiens,  et  entre  les  divers 
systèmes  de  gouvernement  elle  approuve  tous  ceux  qui  respec- 
tent la  religion  et  la  discipline  chrétienne.  » 

Parle-t-il  de  l'intervention  du  peuple  dans  le  gouvernement, 
le  Saint  Père  évite  encore  de  parler  de  démocratie. 

«  Les  diverses  formes  de  gouvernement  n'ont  rien  qui  répugne 
à  la  doctrine  catholique  et  si  elles  sont  appliquées  avec  sagesse 
et  justice,  elles  peuvent,  toutes,  garantir  la  prospérité  publique. 
Bien  plus,  on  ne  réprouve  pas  en  soi  que  le  peuple  ait  sa  part 
plus  ou  moins  grande  dans  le  gouvernement;  cela  même,  en 
certains  temps  et  sous  certaines  lois,  peut  devenir  non  seule- 
ment un  avantage,  mais  un  devoir  pour  les  citoyens...  (Encycli- 
que sur  la  Constitution  chrétienne  des  Etats). 

Le  Saint-Père,  non  seulement  évite  le  mot  mais  il  répudie  la 
chose. 

Il  condamne  l'Etat  «  où  la  multitude  est  maîtresse  et  se  gou- 
verne elle-même,  de  sorte  que  le  peuple  est  censé  la  source  de 
tout  droit  et  de  tout  pouvoir  ».  C'est  bien  là  la  démocratie, 
c  Dans  l'ordre  politique  et  civil  (de  l'état  chrétien),  les  lois  ont 
pour  but  le  bien  commun,  dictées  non  par  la  volonté  et  le  juge- 
ment trompeur  de  la  foule,  mais  par  la  vérité  et  la  justice.  » 

Craignons  d'aller  chercher  des  forces  dans  des  mots  trom- 
peurs, d'origine  révolutionnaire,  et  surtout  dans  les  choses  et 
les  institutions  qui  ne  sont  pas  pénétrés  de  l'esprit  évangélique. 

Finissons  par  reproduire  un  dernier  avis,  il  est  donné  par 


166 


ANNALES    CAThOLi<HJES 


Léon  Xlir  à  oenx  qui  veule&t  restaurefia  société  sur  des  bases 

solides  :  .,■■.,.■. 

«  Le  temps  dans  lequel  nous  vivons,  nous  avertit  dô  chercher 
les  remèdes,  là  oii  ils  se  trouvent,  c'est-à-dire  de  rétablir  dans 
la  vie  privée  et  dans  toutes  les  parties  de  l'organisme  social,  les 
principes  et  les  pratiques  du  christianisme;  c'est  l'unique  moyen 
de  nous  délivrer  des  maux  qui  nous  affligent  et  de  prévenir  les 
dangers  dont  nous  sommes  menacés.  » 

{Courrier  de  Bruxelles). 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  (1) 


2,  —  Cœctiia.  —  Recueil  de 
chants  sacrés  à  une  ou  deux 
voix,  en  i'honneurdu  très  saint 
Sacrement,  du  Sacré-Cœur,  de 
la  Sainte  Vierge  et  des  saints 
Patrons,  par  M.  l'abbé  H.  Poi- 
vet.  Prix  1  fr.  50.  Paris,  Haton, 
éditeur. 

Les  recueils  de  musique  sacrée 
sont  très  nombreux,  mais  d'abord 
ils  coûtent  généralement  fort 
cher  ;  ensuite  leurs  mélodies  sont 
difficiles,  souvent  peu  religieuses. 
Si  par  hasard  on  rencontre  des 
chants  faciles,  par  contre  ils  sont 
d'une  platitude  désolante,  aussi 
le  niondo  religieux  demandait-il 
un  recueil  de  chants  faciles,  pieux 
bien  que  de  belle  et  grande  fac- 
ture. Aujourd'hui  ce  recueil  existe. 
Nous  le  devons  au  talentet  au  bon 
goût  de  M.  l'abbé  Poivet  ;  il  com- 
prend quelques  suaves  mélodies 
extraites  de  différents  livres  de 
chant  liturgique,  des  airs  anciens 
et  nouveaux,  remarquables  d'ins- 
piration chrétienne.  Les  motets, 
au  nombre  décent,  sont  presque 
tous  à  deux  voix  égales.  M.  l'abbé 
Poivet  a  indiqué  une  manière  de 


les  chanter  à  deux  choeurs  qui  ne 
peut  que  les  faire  goûter  davan- 
tage et  exciter  la  piété  des  fidèles. 
Les  maisons  d'éducation,  les  pa-. 
roisses,  les  communauté.?,  se  ser- 
viront avec  fruit  de  ce  petit  ma- 
nuel de  chant  pour  les  catéchismes 
les  saluts  et  les  réunions  reli- 
gieuses. ,     ■ 

3.  —  Vie  dielii'^'ônéraljle 
inèi*c  Marguerite-Marie 
Alacoque,  religieuse  de  la 
Visitation  Sainte-Marie  au  mo- 
nastère de  Paray-le-Monial  en 
Charolais,  d'après  Mgr  Jean- 
Joseph  L.VNGUET,  évêque  de 
Soissons,  mort  archevêque  de 
Sens,  membre  de  l'Académie 
française.  1  vol.  ia-S»  de  198 
pages,  illustré  de  15  gravures. 
Paris,  1893,  chez  Désolée.  Prix  : 
2  fr. 

M.  l'abbé  Deuzet,  à  qui  nous 
devons  des  vies  fort  intéressantes 
de  Saint  François  de  tSales,  de 
Saint  Vincent  de  Paul  et  de 
Sainte  Jeanne  de  Chantai,  nous 
donne  aujourd'hui  la  Bienheu- 
reuse Marguerite-Marie  d'après 


(1)  Il  sera  rendu  compte  de  tout  ouvrage  dont  deux  exemplaires 
ont  été  déposés  dans  les  bureaux  des  Annales  catholiques.  MM.  les 
auteurs  et  MM.  les  éditeurs  sont  priés  d'indiquer  le  prix  des  livres 
qu'ils  envoient.  —  L'administration  des  Annales  se  charge  de  four- 
nir, au  prix  de  librairie,  les  ouvrages  dont  il  est  rendu  compte  dans 
ce  Bulletin. 


BIBLIOGRAPHIE 


167 


son  premier  historien  Mgr  Lan- 
guet.  Cette  biographie  très  bien 
faite  de  la  révélatrice  du  Sacré- 
Cœur  contribuera  à  propager  la 
dévotion  qui  sauvera  le  monde, 
selon  la  parole  et  l'espoir  de  Pie  IX. 

4.  —  Saint  Stanislas 
Koatl^a  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  par  l'abbé  Le  Monnier, 
chanoine  honoraire  de  l'Insigne 
Archi-Basiliquede  Saint-Thomas 
Apôtre;  membre  de  l'Académie 
Romaine  de  Saint-Thomas  d'A- 
quin,  licencié  ès-Lettres,  etc., 
etc.,  d'après  le  Père  Joseph  Boe- 
ro,  S.  J.  —  1  vol.  in-8»  de  200 
pages,  illustré  de  13  gravures. 
Paris,  1893,  chez  Désolée.  Prix  : 
2  francs. 

5.  Stanislas  Kostka  n'avait  jus- 
qu'ici, dans  la  bibliothèque  sco- 
laire de  la  Société  Saint-Augus- 
tin, qu'une  jolie  plaquette  due 
au  Père  Rouvier,  tandis  que  les 
autres  patrons  de  la  jeunesse, 
S.  Louisde  Gonzagueet  S.  Berch- 
mans,  y  comptent,  l'un  cinq, 
l'autre  trois  biographies  de  for- 
mats et  de  prix  divers.  Grâce  à 
l'élégante  traduction  de  la  Vie 
de  S.  Stanislas  par  le  Père  Boero, 
cette  inégalité  est  aujourd'hui 
réparée.  L'auteur,  mort  depuis 
peu,  remplissait  à  Rome  les  fonc- 
tions de  postulateur  des  causes 
de  béatification  des  saints  de  la 
Compagnie  de  Jésus  :  c'est  assez 
dire  quelle  était  sa  compétence 
en  matière  d'hagiographie,  quelle 
autorité  on  reconnaissait  à  ses 
écrits. 

5.  —  L.eonls  PP.  liLm 
allocutlonea  ,  epistolae  , 
eonetitutlones,  aliaque 
acta  prcecipua.  —  Tome 
II1^  1  vol.  in-8<>  de  330  pages. 
Paris,  chez  Desclès.Prix  sur  papier 
ordinaire  :  2  fr.  50.  Prixsur  papier 
Wathmann  :  6  francs. 

Nous  sommes  heureux  d'an- 
noncer la  sortie  de  presse  du 
troisième  volume  des  Acta  prce- 
cipua de  S.  S.  Léon  XIII.  Impa- 
tiemment attendu,  ce  volume, 
qu'un  quatrième  viendra  complé- 


ter bientôt,  continue  la  collection 
commencée  en  1887,  soUs  la  direc- 
tion du  D''  Bouquillon,  profes- 
seur à  l'Université  catholique  de 
Washington.  La  nouvelle  série, 
confiée  aux  soins  de  Dom  Lau- 
rent Janssens,  Bénédictin  de  Ma- 
redsous,  docteur  en  théologie,  ira 
du  milieu  de  Tannée  1887  jusqu'à 
Tannée  189'2.  Ce  troisième  volume 
que  nous  offrons  au  public  con- 
tient, outre  les  principaux  docu- 
ments relatifs  au  jubilé  sacerdo- 
tal de  Léon  XIII,  un  grand  nom- 
bre de  pièces  importantes,  telles 
que  la  lettre  Relevatis  rébus  aux 
évoques  de  Bavière,  la  lettre  Ser- 
ves Brasilide  aux  évêques  du 
Brésil,  l'Encyclique  Lihertasprœ- 
stantissimum  sur  le  libéralisme, 
TEncvclique  Pontifex  gaudet  aux 
évêques  arméniens,  l'Encyclique 
Pontifex  grate  recordatur  sur  les 
devoirs  de  la  vie  chrétienne,  la 
lettre  Rursus  auxilium  sur  le 
culte  de  saint  Joseph,  etc.,  etc. 
Des  notes  marginales,  rédigée.s 
avec  un  soin  minutieux  et  recueil- 
lies à  la  fin  du  volume  en  table 
analytique,  facilitent  grandement 
Tétude  de  ces  documents  et  per- 
mettent de  se  rendre  compte  en 
un  rapide  coup  d'œil  des  matières 
dont  ils  traitent.  Nous  ne  doutons 
pas  que  la  continuation  de  cette 
importante  collection  ne  soit 
accueillie  du  public  avec  autant 
de  faveur  que  son  début.  Celui- 
ci  était  un  hommage  à  Léon  XIII 
à  l'occasion  de  son  jubilé  sacer- 
dotal. Nous  déposons  cette  nou- 
velle série  aux  pieds  du  Saint- 
Père  comme  un  modeste  tribut 
de  notre  admiration  en  la  glo- 
rieuse année  de  son  jubilé  épis- 
copal. 

6.     —   L^a  Fondation    de  la 
France,  par  M.  Lecov  de  LA 
Marche.  —    Beau   volume   gr. 
in-S»  de  300  pages,  orné  de  filets 
rouges  et  de  gravures. —  Paris, 
1893,  chez  Desclée.  Prix:  3fr. 
Quoique  M.  Lecoy  de  la  Marche 
se  soit  cantonné  dans  Tétude  des 
temps  anciens,  chacun  de  ses  li- 
vres estplein  de  choses  nouvelles. 


1C8 


A  n'nales  catholiques 


A  cet  égard,  la  Fondation  de  la 
France  n'a  rien  à  envier  aux 
œuvres  les  plus  modernes,  et 
d'heureuses  surprises  y  attendent 
le  lecteur.  Sans  séparer  les  deux 
forces  dont  l'action  combinée  a 
constitué  notre  pays,  ce  qu'il  est, 
l'auteur  les  distingue  ;  de  là  les 
deux  parties  de  l'ouvrage  :  fon- 
dation de  la  France  religieuse, 
fondation  de  la  France  politique. 
La  première  expose  les  origines 
du  christianisme  dans  les  Gaules, 
l'organisation  de  la  hiérarchie,  le 
rôle  des  évoques,  celui  des  moi- 
nes. La  seconde  raconte  la  con- 
quête franque,  et  montre  com- 
ment l'élément  gallo-romain,  as- 
sujetti par  les  armes,  s'empara  de 
son  vainqueur  en  lui  donnant  ses 
croyances  et  ses  mœurs,  si  bien 
qu'il  n'y  eut  plus  ni  race  domi- 
nante   ni    race    opprimée,    mais 


union  des  deux  peuples  dans  la 
communauté  de  religion  et  de 
patrie.  Sous  la  plume  loyale  de 
M.  Lecoy  de  la  Marche,  la  vérité 
historique  rend  à  la  vérité  reli- 
gieuse un  témoignage  irréfor- 
mable.  Non,  Clovis,  le  premier 
roi  très  chrétien,  ne  fut  pas  le 
fourbe  et  cruel  ambitieux  qno 
nous  dépeint  la  chronique;  non, 
l'Eglise  n'a  ni  conseillé  ni  toléré, 
ni  justifié  des  crimes  politiques 
dont  elle  espérait  tirer  profit, 
comme  le  prétend  certaine  école 
sur  la  foi  d'annales  interpolées  : 
ces  calomnies  sont  lumineuse- 
ment réfutées  dans  ce  livre,  qui 
vient  à  point  au  moment  où,  sur 
l'initiative  du  successeur  de  saint 
Remy,  la  France  catholique  s'ap- 
prête à  célébrer  magnifiquement, 
en  1896,  le  quatorzième  cente- 
naire de  son  baptême. 


UNE  CONQUETE 


Après  avoir  trop  longtemps  subi  le  joug  des  sectes,  la  France  com- 
mence à  se  ressaisir.  C'est  ainsi  que  les  Catholiques,  par  le  Diction- 
naire des  Dictonnaires,  ont  enfin  repris  le  domaine  encyclopédique 
usurpé  depuis  plus  d'un  siècle  par  la  Franc-Maçonnerie  et  la  Libre 
Pensée,  et  y  ont  planté  la  crois.  Il  importe  d'affermir  et  d'étendre 
cette  précieuse  conquête.  Quiconque  a  souci  de  l'intérêt  familial, 
social,  religieux,  conservateur,  voudra  participer  à  cette  croisade, 
qui  a  pour  cri  :  Foi  et  Science,  Dieu  et  Patrie.  D'ailleurs,  il  s'agit 
d'une  œuvre  aujourd'hui  indispensable,  d'une  utilité  quotidienne  ;  et 
l'on  peut  encore  en  souscrivant  de  suite,  se  la  procurer  dans  des 
conditions  exceptionnelles.  On  trouvera  plus  loin  ces  conditions  avec 
le  bulletin  de  souscription. 


Le  Gérant:  P.  Chantrel. 


Paris.  Jmp.  0.  Picqnoin,  53,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LE  DIES  IRJE 

Un  jour,  dans  sa  cellule,  un  religieux  médita  longtemps  sur 
In  mort  et  le  jugement  dernier.  Il  vit  les  redoutables  assises  oîi 
doivent  comparaître  les  vivants  et  les  morts  :  le  tribunal,  le 
juge,  les  accusés  passèrent  sous  son  regard  éperdu.  Il  entendit 
l'appel  fait  aux  élus  et  la  malédiction  suprême  ;  son  âme  fut 
frappée  de  terreur.  Comment  se  passèrent  ces  choses?  Fut-il 
transporté  aux  pieds  du  souverain  Juge  sur  les  ailes  de  l'extase  ? 
Son  âme  se  trouva-t-elle  éclairée  à  la  suite  d'une  prière  prolon- 
gée et  fervente?  On  l'ignore.  Le  religieux  écrivit  ce  que  ses 
jeux  avaient  vu,  ce  que  ses  oreilles  avaient  entendu,  ce  qu'avait 
senti  son  cœur. 

Il  l'écrivit,  non,  il  le  chanta,  et  son  chant  fut  sublime.  Quelles 
notes  poignantes  !  quels  lugubres  accents  !  quel  rythme  tour  à 
tour  plein  d'onction  et  d'épouvante  !  L'incrédule  lui-mêma  sou- 
vent en  frissonne.  Il  en  est  du  Dies  ir-*:  comme  de  l'Imitation 
de  Jésus-Christ  ;  l'œuvre  est  attribuée  à  plus  d'un  auteur.  Les 
uns  en  font  honneur  à  saint  Bernard,  à  saint  Bonaventure  ; 
d'autres  à  Frangipani  Malabranca  Orsini,  créé  cardinal  par  son 
oncle  Nicolas  III,  en  1278.  Il  paraît  aujourd'hui  certain  que 
l'auteur  véritable  est  Thomas  de  Celano,  l'un  des  premiers  dis- 
ciples de  saint  François  d'Assise  et  son  intime  ami.  Un  savant 
hjmnographe,  Adalbert  Daniel,  démontre  de  la  manière  la  plus 
pêremptoire  que  cette  prose  fameuse  ne  remonte  pas  au-delà  du 
xii«  siècle.  La  première  mention  en  est  faite  par  Denys  le 
Pisan  (1401).  Il  prouve  également  qu'elle  est  née  en  Italie,  et 
ne  s'est  répandue  en  France  et  en  Allemagne  que  dans  les  siè- 
cles suivants.  Quant  aux  droits  de  Thomas  de  Celano  ils  sont 
revendiqués  par  Wadding,  le  bibliographe  de  l'Ordre  Séraphi- 
que. 

Thomas  de  Celano  s'était  fait  connaître  par  d'autres  ouvra- 
ges ;  c'est  lui  qui  composa  la  première  biographie  de  saint 
François  qu'on  nomma  Legenda  Gregorii  IX,  parce  qu'elle  fut 
écrite  à  la  demande  de  ce  pape.  Il  en  rédigea  une  autre  plus 
étendue,  et  publia  sur  le  même  rythme  que  son  Dies  ïrœ  deux 
autres  proses  ou  séquences,  à  la  gloire  de  sou  bien-aimé  Père  : 
i-xxxTi  —  28  Octobre  1893.  13 


170  ANNALES    CATHOLIQUES 

Fregit  victor  virlualis  et  SanciiiaUs  signa  nova.  Le  texte 
authentique  est  celui  que  nous  lisons  au  Missel  Romain  et  que, 
bien  à  tort,  les  rédacteurs  de  la  liturgie  néo-gallicane  du 
XVII'  siècle  se  sont  permis  de  retoucher. 

Le  Dies  irœ,  sublime  par  les  idées  qu'il  exprime,  est  admira- 
ble au  point  de  vue  littéraire.  La  langue  latine,  si  pleine  de 
force  et  de  majesté,  se  prête  merveilleusement  au  sévère  génie 
du  vieux  poète.  Chaque  mot  porte  ;  chaque  strophe,  resserrée 
dans  un  tercet  composé  de  ces  vers  octosyllabiques  si  chers  aux 
troubadours  et  aux  trouvères,  retombe  trois  fois  sur  la  même 
rime  comme  pour  imiter  le  tintement  du  glas  funèbre.  Aucune 
recherche  de  l'effet  ;  partout  la  simplicité  d'un  style  nourri  de 
réminiscences  bibliques.  Mais  quelle  concision,  quelle  énergie  ! 
parfois  quelle  douceur  élégiaque  dans  la  supplication  et  dans  la 
plainte  !  On  sent  que  ce  poème  est  né  au  fond  d'un  cloître  des 
méditations  d'un  saint  :  In  meditatione  meâ  exardescet  ignis. 

C'est  seulement  dans  le  silence  qu'on  entend  ces  échos  de 
l'autre  monde,  c'est  dans  la  solitude  qu'on  a  de  semblables 
visions  ;  c'est  dans  l'oubli  complet  des  choses  présentes  qu'on 
peut  ainsi  contempler  l'avenir  et  s'absorber  dans  l'étude  pré- 
voyante des  années  éternelles.  11  n'est  pas  étonnant  que  ce 
chant  d'église  si  populaire,  ait  inspiré  poètes,  peintres  et  musi- 
ciens. 

Le  Lies  irœ  se  compose  de  dix-neuf  strophes.  Les  six  pre- 
mières sont  une  mise  en  scène  du  drame  qui  doit  s'accomplir  au 
dernier  des  jours,  la  septième  strophe  est  un  retour  de  l'âme 
sur  elle-même  et  comme  une  transition  à  la  prière  qui  remplit 
le  reste  de  la  prose. 

Dies  irae  dies  illa  Jour  de  colère,  jour  d'eifroi 

Solvet  steclum  in  favilla  Qui  réduira  le  monde  en  cendres 

Teste  David  cum  Sybilla  Prophète  et  Sybille  en  font  foi. 

Quantus  tremor  est  futurus  Quelle  terreur  et  quel  émoi 

Quando  Judex  est  venturus  Quand  du  ciel  on  verra  descendre 

Cuncta  stricte  discussurus!  Pour  noua  juger  le  divin  Roi? 

Tuba  mirum  spargens  sonum       Arrachant  les  morts  au  tombeau 
Por  sepulchra  regionum  Vers  Dieu  la  trompette  effrayante 

Coget  omnes  ante  thronum  Les  poussera  comme  un  troupeau. 

Cette  troisième  strophe  est  sublime.  Le  verset  Tuba  mirum 
spargens  sonum,  surtout  lorsqu'il  est  bien  chanté,  est  admira- 
ble d'harmonie  imitative  :  on  croit  entendre  le  son  de  la  trom- 


LE    DIE  S    IRiE  171 

pette.  Virgile  et  le  Tasse  ont  employé  plus  de  mots  pour  arriver 
à  un  effet  moindre. 

Un  poète  ordinaire  n'eût  pas  manqué  d'amener  les  anges  pour 
pousser  vers  le  trône  du  souverain  Juge  les  générations  ressus- 
■citées;  s'il  eût  voulu  atteindre  la  beauté  classique  il  eût  mis 
dans  la  main  de  ces  ministres  la  verge  avec  laquelle  Mercure 
conduisait  les  Ombres  aux  sombres  bords. 

L'auteur  du  Dies  irœ  est  plus  court,  et  plus  simple  et  plus 
beau  :  c'est  le  son  de  la  trompette,  c'est  l'elïroi  qui  pousseront 
vers  le  redoutable  tribunal  le  troupeau  tremblant  des  humains^ 
€oget  omnes  unie  ihronum. 

Saint  Paul  a  personnifié  la  création  et  en  a  fait  la  créature 
qui  gémit  :  Creatura  ingemiscit.  Dans  Milton,  le  Chaos  et  la 
Mort  sont  des  êtres  vivants  et  agissants  :  l'auteur  du  Dies  irœ 
est  de  la  race  de  ces  grands  poètes. 

Mors  stupebit  et  Natura  La  Mort  et  la  Nature  en  deuil 

Cum  resurget  Creatura  Dans  la  stupeur  et  l'épouvante 

Judicanti  responsura.  Les  verront  sortir  du  cercueil. 

Liber  scriptus  proferetur,  Et  le  livre  mystérieux 

In  quo  totum  continetur  Qui  doit  dicter  toute  sentence 

Unde  mundus  judicetur.  Nous  sera  mis  devant  les  yeux. 

Judex  ergo  cum  sedebit  Le  juge  assis  au  tribunal, 

Quidquid  latet  apparebit.  Rien  ne  restera  sans  vengeance, 

Nil  inultum  remanebit.  Tout  sera  connu,  bien  et  mal. 

En  face  de  cette  justice  exacte,  terrible,  imminente,  le  pre- 
mier sentiment  est  celai  de  la  terreur,  et  d'une  terreur  toute 
personnelle. 

Quidsum  miser  tune  dicturus?      Malheureux,  que  dirai-je  alors 
Quem  patronum  rogaturus.  Et  qui  donc  prendra  ma  défense 

Cum  vixjustus  sit  securus  ?  Quand  le  saint  est  sans  remords? 

Puis  vient  le  sentiment  de  l'espérance,  et  la  prière  qui 
demande  grâce,  invoquant  les  motifs  de  miséricorde  capables 
d'agir  sur  le  cœur  du  Juge  qui  fut  aussi  le  Sauveur  : 

Rex  treraendse  majestatis  0  redoutable  majesté, 

Qui  salvaados  salvas  gratis,  Roi   qui   nous  sauvez  par  clémence, 

Salvame,  fona  pietatis.  Sauvez-moi,  source  de  bonté. 

Recordare,  Jesu  pie,  Rappélez-vous  combien  de  pas 

■Quod  sum  causa  tuse  viae  Vous  avez  faits  pour  moi  sur  terre 

Ne  me  perdas  illa  die.  En  ce  jour  ne  me  perdez  pas  ! 


172 


ANNALES    CATHOLIQUES 


Quiârens  me  sedisti  lassus  ;  Jésus  à  me  suivre  lassé  ; 

Voilà  un  verset  qu'il  suffit  de  traduire  un  peu  largement  pour 
en  faire  sentir  la  touchante  beauté. 

«  Que  de  fois,  doux  Pasteur,  en  me  cherchant  moi,  brebis 
perdue,  vous  vous  êtes  assis  accablé  de  lassitude  au  bord  du 
chemin  !  » 

Quel  sujet  de  tableau  !  On  a  souvent  représenté  le  bon  Pas- 
teur portant  sur  ses  épaules  la  brebis  retrouvée  :  pourquoi  un 
grand  peintre,  s'inspirant  du  Dies  irœ  ne  nous  montrerait-il 
pas  le  divin  Berger  assis  au  milieu  du  jour  sur  la  route  pou- 
dreuse et  sans  ombrage,  se  reposant  quelques  instants  de  sa 
course  à  la  recherche  de  la  brebis  encore  égarée?  Qu'ils  vont 
vite  et  qu'ils  vont  loin  les  pécheurs,  puisqu'un  Dieu  se  fatigue 
à  les  poursuivre  et  à  les  atteindre.  Quel  touchant  plaidoyer 
dans  les  deux  versets  qui  terminent  la  strophe  : 

Que  sur  moi  le  sang  du  Calvaire 
Ne  soit  pas  vainement  versé- 


Redemisti  crucem  passus, 
Tantus  labor  non  sit  cassus 


La  prière  continue  : 

Juste  Judex  ultionis, 
Donumfac  remissionis. 
Ante  diem  rationis. 

Ingemisco  tanquam  reus. 
Culpa  rubet  vultus  meus, 
Supplicauti  parce,  Deus. 

Qui  Mariam  absolvisti, 
Et  latronem  exaudisti, 
Mihi  quoque  spem  dedisti. 

Preces  meœ  non  sunt  dignse, 
Sed  tu  bonus  fac  bénigne 
Ne  perenni  cremer  igné. 

Inter  oves  locum  prsesta, 
Et  ab  hsedis  me  séquestra, 
Statuons  in  parte  dextra. 

Confutatis  maledictis, 
Flammis  acribus  addictis, 
Voca  me  cum  benedictis. 

Oro  supplex  et  acclinis. 
Cor  contritum  quasi  cinis. 
Gère  curam  mei  finis. 


Dieu  qui  vous  vengez  justement, 
De  mon  crime  effacez  la  trace 
Avant  le  jour  du  Jugement. 

Je  supplie  et  gémis,  pécheur. 
Le  remords  fait  rougir  ma  face, 
Ayez  pitié  de  moi,  Seigneur  ! 

Vous  avez  fait  grâce  au  larron, 
Absous  Madeleine  coupable. 
Vous  m'avez  promis  le  pardon. 

Quels  droits  ai-je  à  votre  bonté? 
Dieu  bon,  tirez-moi,  misérable, 
Des  brasiers  de  l'éternité. 

Comptez-moi  parmi  vos  brebis, 
Placez-moi  loin  des  boucs  infâmes,'. 
A  votre  droite  en  paradis  ! 

Kt  quand  les  maudits  confondus 
Seront  livrés  en  .  proie  jaux  flammes 
Que  je  sois  avec  vos  élus  ! 

Humble  et  brisé  de  repentir, 
Je  vous  confie,  ô  Roi  des  âmes, 
Tout  le  soin  de  mon  avenir. 


DE  l'kvangile  173 

Lacrymosa  dies  illa.  Jour  de  larmes,  jour  de  grand  deuil 

(Jua  resurget  ex  favilln,  Où  l'homme  sortant  du  cercueil 

Judicandus  homo  reus  Répondra  de  tous  ses  forfaits  ! 

Huic  ergo  parce,  Deus.  Pardonnez  donc,  ô  Dieu  de  paix. 

Pie  Jesu  Domine,  Accordez-leur,  doux  Jésus, 

Dona  eis  requiem.  Le  saint  repos  des  élus  (1). 

Les  deux  derniers  versets  non  rimes  n'étaient  pas  évidemment 
dans  la  pièce  primitive  ;  ils  auront  été  ajoutés  par  l'Eglise  lors- 
qu'elle a  introduit  cette  magnifique  prose  dans  l'office  des  Morts. 
Ils  résument  dans  un  cri  simple  et  sublime  tous  les  sentiments 
de  piété  et  de  compassion  dont  nous  devons  être  pénétrés  envers 
les  Trépassés. 

Et  maintenant  qu'on  nous  pardonne  ces  détails  littéraires.  On 
a  dit  souvent  que  le  Dies  irce  est  un  chef-d'œuvre  :  nous  avons 
essayé  d'indiquer  quelques-unes  des  beautés  qu'il  renferme. 
Puissions-nous  avoir  obtenu  par  cet  exposé  trop  bref  que  nos 
lecteurs  le  récitent  avec  une  attention  plus  grande,  une  intelli- 
gence plus  éclairée,  et  partant  avec  plus  de  dévotion. 

A.  B. 


DE   L'EVANGILE 
(Voir  les  Annales  des  15  et  29  juillet  1893.) 

A)  On  a  dit  avec  raison  que  le  caractère  dominant  de  l'Ecriture 
Sainte,  quand  on  la  considérait  au  point  de  vue  littéraire,  était 
«  une  grande  simplicité  jointe  à  une  majesté  noble  et  sublime  ». 
Cette  observation  est  surtout  applicable  à  nos  saints  Evangiles. 
Car  si,  d'un  côté,  les  écrivains  qui  les  ont  composés  sont  en 
général  simples  et  d'un  ton  également  soutenu,  leur  narration 
est  parfois  pleine  d'expressions  nobles  et  élevées.  C'est  ainsi 
que  les  cantiques  de  la  Mère  du  Sauveur  et  du  prophète  Zacharie, 
rapportés  par  saint  Luc,  ne  manquent  pas  d'une  certaine  élo- 
quence. Quoi  de  plus  beau  et  de  plus  sublime  encore  que  le 
commencement  de  l'Evangile  de  saint  Jean  ?  Cependant,  on  peut 
dire  que  les  Evangiles  sont  plutôt  écrits  en  langage  populaire, 
c'est-à-dire  simple,  vif,  figuré,  plein  de  sentences,  et  parlant 
au  cœur  plus  qu'à  l'esprit. 

Mais  un  mérite  littéraire  qui  distingue  plus  particulièrement 

(1)  La  traduction  est  du  P.  Charles  Claii-. 


174  ANNALES   CATHOLIQUES 

les  Evangiles,  ce  sont  les  paraboles  admirables  qu'ils  contien- 
nent. Elles  sont,  en  effet,  bien  supérieures  non  seulement  aux 
apologues  les  plus  vantés  dans  l'antiquité  profane,  mais  encore 
à  ceux  des  prophètes  sacrés,  qui  ont  fait  un  usage  si  fréquent 
de  cette  figure.  «  On  a  beaucoup  vanté  en  ce  genre,  dit  Lowth, 
les  compositions  du  sage  de  Phrygie,  ou  celles  que  d'autres 
poètes  ont  rédigées  par  écrit  à  l'imitation  des  siennes.  Le  Sau- 
veur lui-même  n'a  pas  dédaigné  de  faire  usage  de  cette  sorte 
d'instruction,  et  nous  ne  savons  ce  qu'on  doit  admirer  le  plus, 
de  la  sagesse,  du  sens  profond,  de  l'élégance,  de  l'agrément  ou 
de  la  clarté  qu'il  j  a  déployés.  »  (De  la  poésie  sacrée  des  Hébreux, 
leQon  x).  Si  nous  appliquons,  en  effet,  aux  paraboles  évangéliques 
toutes  les  conditions  que  ce  judicieux  critique  exige  pour  la 
perfection  d'une  composition  de  cette  nature,  nous  verrons  faci- 
lement qu'elles  les  réunissent  toutes  au  suprême  degré.  La 
parabole,  pour  être  pratique,  doit  être  empruntée  à  une  image 
non  seulement  connue  et  convenable,  dont  la  signification  puisse 
être  facilement  saisie,  mais  encore  élégante,  agréable,  ayant 
toutes  ses  parties  et  les  accessoires  qui  la  composent,  d'une 
convenance  évidente  et  qui  concoure  à  l'effet  que  l'écrivain 
'>eut  produire;  d'une  image  enfin  qui  se  soutienne  sans  inter- 
ruption, et  à  laquelle  ne  vienne  point  se  mêler  l'idée  du  sujet 
propre.  Or,  nous  trouvons  toutes  ces  qualités  dans  les  paraboles 
de  Jésus-Christ. 

1°  Elles  sont  toutes  empruntées  à  des  images  tirées  elles- 
mêmes  des  objets  de  la  nature,  comme  d'un  arbre,  d'une  vigne, 
d'un  figuier,  de  la  semence,  du  grain  de  sénevé,  de  l'ivraie,  etc.; 
ou  de  ceux  de  la  vie  domestique  et  civile,  tels  que  la  moisson, 
la  vendange,  le  labour,  un  économe,  un  débiteur,  un  festin,  des 
noces,  un  royaume;  ou  enfin  des  idées  religieuses,  comme  nous 
le  voyons  dans  la  parabole  du  mauvais  riche;  images  connues, 
convenables,  et  dont  la  signification  ne  peut  être  difficile  à 
saisir. 

2°  En  second  lieu,  il  n'est  pas  une  seule  parabole  cvangélique 
dont  l'image  ne  paraisse  élégante  et  agréable,  puisque  loin 
d'être  tirées  d'objets  bas  et  méprisables,  elles  le  sont  toutes,  au 
contraire,  ou  de  l'agriculture,  si  fort  en  honneur  parmi  les 
Hébreux,  ou  des  emplois  les  plus  honorables  de  la  vie  domes- 
tique, ou  enfin  de  ce  qui  touche  à  la  religion.  Quoi  de  plus 
agréable,  par  exemple,  que  ce  petit  grain  de  sénevé  qui,  jeté 
en  terre,  devient  un  grand  arbre  sûr  les  rameaux  duquel  les 


DE  l'évangilb  175 

oiseaux  du  ciel  viennent  se  reposer?  (Matth.,  xiii,  31-32;  Marc, 
IV,  31,  32;  Luc,  xiii,  19).  Quoi  de  plus  gracieux  que  la  parabole 
de  ce  bon  pasteur  qui,  possédant  cent  brebis,  en  abandonne 
quatre-vingt-dix-neuf  dans  le  désert  pour  courir  après  la  cen- 
tième qu'il  a  perdue.  Après  bien  des  courses  et  des  fatigues,  il 
retrouve  ce  tendre  objet  de  sa  sollicitude;  plein  d'un  bonheur 
qui  ne  lui  permet  que  de  songer  à  sa  chère  brebis,  il  la  prend 
et  la  charge  sur  ses  épaules,  voulant  lui  éviter  par  là  une  peine 
qu'il  ne  s'épargne  pas  à  lui-même.  Il  la  reporte  donc  avec  em- 
pressement au  bercail,  et  il  invite  ses  amis  à  venir  partager  la 
joie  qu'il  éprouve  de  l'avoir  retrouvée  (Luc,  xv,  4-7).  Ces  mêmes 
images  se  retrouvent  dans  toute  la  parabole  de  l'enfant  pro- 
digue, mais  plus  particulièrement  dans  cette  partie  de  la  nar- 
ration où  lévangéliste  nous  représente  le  père  de  cet  enfant 
dénaturé  courant  à  sa  rencontre,  se  jetant  à  son  cou,  l'arrosant 
de  ses  larmes,  le  ramenant  avec  joie  dans  la  maison  paternelle, 
lui  mettant  l'anneau  au  doigt,  le  revêtant  d'une  robe  écarlate, 
et  ordonnant  qu'on  immole  le  veau  gras  pour  célébrer  dignement 
le  bonheur  de  son  retour  (Luc,  xv,  11-52).  Quoi  de  plus  gracieux 
que  la  parabole  des  dix  vierges  (Matth.,  xxv,  1-13),  et  celle  du 
Samaritain  (Luc,  x,  30-37)? 

3"  Si  on  examine  avec  quelque  attention  toutes  les  paraboles 
évangéliques,  on  se  convaincra  aisément  que  toutes  les  parties 
et  les  accessoires  qui  les  composent  ont  une  convenance  évi- 
dente, et  qu'elles  concourent  parfaitement  à  l'effet  que  leur 
divin  auteur  a  voulu  produire.  «  Observons  avec  Lowth,  dit 
M.  Glaire,  qu'il  n'est  pas  absolument  nécessaire  que  tous  les 
traits  de  l'image  se  rapportent  exactement  à  l'objet  principal  : 
car  il  y  a  quelquefois  de  ces  traits  qui  ne  sont  mis  que  comme 
de  simples  ornements,  et  dont  on  ne  doit  point  presser  l'expli- 
cation avec  une  rigueur  trop  minutieuse.  Mais  lorsque  la  nature 
de  l'image  employée  admet  ou  mérae  demande  plus  de  déve- 
loppement, et  que  la  ressemblance  de  cette  image  avec  l'objet 
qu'on  veut  signifier  se  présentant  naturellement  et  sans  efforts, 
se  soutient  dans  tous  les  détails,  il  est  hors  de  doute  que  de  ce 
concours  de  tous  les  traits  de  l'image  avec  l'objet  signifié  résul- 
tera la  plus  grande  beauté  ».  C'est  ce  que  nous  admirons  dans 
la  parabole  de  la  semence  oii  pas  une  circonstance  n'est  super- 
flue et  ne  conduit  au  dessein  manifeste  de  Jésus-Christ,  celui 
de  nous  enseigner  les  dispositions  avec  lesquelles  nons  devons 
entendre  la  parole  de  Dieu  (Matth.,  xiii,  3-32  ;  Marc,  iv,  8-20; 


176  ANNALES    CATHOLIQUES 

Luc,  VIII,  5-15).  Il  en  est  de  même  de  la  parabole  de  l'enfant 
prodigue  où  on  ne  trouve  pas  un  seul  trait  qui  ne  soit  utile  pour 
montrer  la  bonté  et  la  clémence  avec  laquelle  Dieu  reçoit  les 
plus  grands  pécbeurs. 

4°  Enfin,  dans  toutes  les  paraboles  de  Jésus-Christ,  l'image 
dont  se  sert  ce  divin  Sauveur  est  toujours  soutenue  sans  inter- 
ruption, et  jamais  l'idée  du  sujet  propre  ne  vient  s'y  mêler. 
L'allégorie,  en  eifet,  se  soutient  d'un  bout  à  l'autre,  et  l'idée  du 
sujet  propre  ne  paraît  que  quand  Jésus-Christ  en  donne  l'expli- 
cation. 

Ainsi  à  juger  les  paraboles  évangéliques  d'après  les  régies 
de  l'art,  elles  sont  beaucoup  plus  parfaites  que  toutes  celles  que 
nous  lisons  dans  les  autres  ouvrages,  sans  en  compter  celles  qui 
sont  contenues  dans  les  livres  de  l'Ancien  Testament.  Elles  sont 
remarquables  non  seulement  par  leur  simplicité  et  leur  conci- 
sion, mais  encore  par  leur  beauté  naturelle  (Cf.  Winer,  Dict. 
de  la  Bible,  art.  Jésus-Christ  ;  Glaire^  Introduction  à  l'Ecriture 
sainte,  t.  V,  p.  268-271j.  «  C'est  la  forme  populaire  de  l'ensei- 
gnement de  Jésus,  s'écrie  Mgr  Bougaud  ,  forme  exquise  et  qui 
a  tout  pour  elle,  la  sublimité  du  sujet,  la  naïveté  des  images, 
l'intérêt  du  récit,  le  piquant  du  mystère.  Elle  étonne  les  grands 
esprits,  elle  enchante  les  petits...  Avant  Jésus,  même  dans  Ja 
Bible,  il  n'y  a  que  deux  paraboles;  après,  il  n'y  en  a  plus,  ni 
dans  les  Apôtres,  ni  dans  les  Pères  de  l'Eglise,  et  les  tentatives 
faites  par  les  Juifs  dans  le  Talmud  n'ont  réussi  qu'à  montrer  la 
difficulté  de  l'entreprise...  »  (Le  Christ  et  les  temps  présents, 
t.  Il,  p.  127-128j. 

M.  Renan  dans  ses  Evangiles  a  trois  pages  (201-203)  assez 
curieuses  sur  les  paraboles  où  il  montre  avec  quel  art  certaines 
sont  composées  pour  faire  taire  les  rivalités  qui  pouvaient 
s'élever  entre  des  disciples  et  les  premiers  chrétiens.  Quelcjues 
personnes  étaient-elles  blessées  du  peu  de  qualité  de  ceux  qui 
entraient  dans  l'Eglise;  les  portes  ouvertes  à  deux  battants  par 
saint  Paul  les  scandalisaient-elles  ?  auraient-elles  voulu  un 
choix,  un  examen  préalable,  une  censure?  qu'on  n'admît  que 
des  personnes  intelligentes,  de  bonne  famille?  elles  n'avaient 
pour  se  calmer  qu'à  lire  la  parabole  de  l'homme  qui  a  préparé 
un  dîner  et  qui,  en  l'absence  des  convives  régulièrement  con- 
voqués ,  invite  les  boiteux,  les  vagabonds,  les  mendiants 
(Matth.,  XXII,  1-10;  Luc,  xiv,  15-24),  ou  bien  celle  du  pêcheur, 
'*qui  prend  les  poissons  bons  ou  mauvais,  sauf  à  choisir  ensuite. 


DB  l'évangilb  177 

(Matth.,  XIII,  47-50).  La  place  éminente  que  Paul,  que  d'anciens 
adversaires  de  Jésus,  que  des  tard-venus  dans  l'œuvre  évangé- 
lique  occupaient  parmi  les  fidèles  des  premiers  jours,  excitait- 
elle  des  murmures?  les  mécontents  n'avaient  qu'à  lire  la  para- 
bole des  ouvriers  de  la  dernière  heure,  récompensés  à  l'égal  de 
ceux  qui  ont  porté  le  poids  du  jour.  L'attente  de  Jésus  est 
dépeinte  à  l'aide  de  comparaisons  vives  et  fortes,  tantôt  sous 
l'image  du  voleur  qui  arrive  quand  on  n'y  pense  pas,  tantôt  de 
l'éclair  qui  paraît  à  l'Occident  sitôt  qu'il  a  brillé  en  Orient,  tan- 
tôt du  figuier  dont  les  jeunes  pousses  annoncent  l'été,  tantôt 
sous  l'apologue  charmant  des  jeunes  filles  prudentes  et  des 
jeunes  folles,  chef-d'œuvre  de  naïveté,  d'art,  d'esprit,  de  finesse. 
L'Evangile  est  vraiment  «  un  chef-d'œuvre  de  littérature  popu- 
laire »  (p.  199). 

B)  Il  ne  faudrait  pas  cependant  attribuer  le  charme  de  l'Evan- 
gile uniquement  «  à  la  naïveté  des  légendes  et  au  vague  exquis 
du  langage  »,  comme  l'a  fait  M.  Renan  (Evangile,  p.  198.  Cf. 
p.  lOT).  Ce  charme,  comme  l'intérêt  qu'on  j  trouve  et  le  fruit 
qu'on  en  retire  tient  plus  encore  à  l'évidente  réalité  de  l'histoire, 
à  l'exciillence  de  la  doctrine,  au  caractère  sublime  et  divinement 
aimable  qui  y  est  dépeint  :  1°  En  nous  tenant  en  présence  du 
Sauveur,  ce  livre  nous  le  fait  connaître,  non  seulement  dans  sa 
vie  extérieure,  mais  dans  ce  qu'il  a  de  plus  intime  et  de  plus 
ravissant,  dans  ses  sentiments,  dans  ses  vertus,  dans  son  esprit, 
dans  son  langage.  «  Ouvrez  saint  Matthieu  le  publicain  ou  saint 
Jean  le  jeune  homme  vierge  et  contemplatif;  choisissez,  s'écriait 
le  P.  Lacordaire,  telle  phrase  que  vous  voudrez  dans  l'un  et 
dans  l'autre,  aussi  difi'érente  par  l'expression  que  par  le  sujet, 
et  prononcez-la  devant  mille  hommes  assemblés,  tous  lèveront 
la  tête,  ils  ont  reconnu  Jésus-Christ.  »  (Conf.  de  Notre-Dame, 
t.  III,  p.  433).  «  Dans  l'Evangile,  a  écrit  M.  de  la  Mennais, 
c'est  le  calme  de  la  possession,  la  paix  ravissante  qui  suit  un 
immense  'désir  satisfait,  la  tranquille  sérénité  du  ciel  même. 
Celui  que  la  terre  attendait  est  venu...  pour  nous  élever 
jusi^u'à  lui,  il  vient  à  nous,  plein  de  douceur.  Sa  parole  est 
simple,  et  cette  parole  est  visiblement  celle  d'un  Dieu.  Voyez, 
dans  saint  Jean,  l'entretien  de  Jésus  avec  ht  Samaritaine;  voyez 
le  Sermon  sur  la  montagne  ;  le  discoursaprès  laCène,  dontehaque 
mot  est  une  source  de  vérité  et  d'amour...,  voyez  le  récit  de  la 
Passion...  voyez  tout...  Jamais  rien  de  semblable  ne  sortit  d'une 
bouche  humaine...  »  (Essai  sur  i'iadili*.,  t.  IV,  p.  176).  «  Quand 


178  ANNALES    CATHOLIQUES 

je  pénètre  le  sens  complet  de  passages  comme  ceux  qui  suivent  : 
«Venez  à  moi,  vous  tous  qui  souflYez...  Je  suis  venu  pour... 
sauver...  »  a  écrit  Channing;  il  me  semble  que  j'entends  un  lan- 
gage que  les  hommes  n'ont  jamais  parlé  ni  avant  ni  après  Jésus- 
Christ.  Il  y  a  dans  la  simplicité  de  ces  paroles  une  grandeur  qui 
m'étonne,  et  lorsque  je  rapproche  cette  grandeur  des  preuves 
que  je  vous  ai  données  des  miracles  du  Christ,  je  suis  forcé  de 
dire  avec  le  Centurion  :  «  En  vérité,  c'était  le  Fils  de  Dieu.  » 
(Essai  sur  le  caractère  du  Christ,  p.  187). 

Le  caractère  de  Jésus,  tel  qu'il  se  déploie  dans  l'Evangile,  est 
de  tel  ordre  que,    quoique  véritablement    humain,    il    s'élève 
au-dessus  de  toutes  les  proportions  humaines.  «  A  la  conscience 
d'une  grandeur  inestimable,  s'écrie  Channing,  il  joint  une  mo- 
destie, une  amabilité,  une  humanité  et  une  tendresse  sans  égales 
dans  l'histoire...  un  tel  caractère  dépasse  absolument  l'intelli- 
gence humaine...  La  vénération  que  j'ai  pour  Jésus  ne  le  cède 
qu'à  la  sainte  frayeur  avec  laquelle  je  contemple  Dieu.  »  (Loc. 
cit.,  p.  192).   <  Oui,   disait-il,  le  caractère  du  Christ  dépasse 
absolument  le  domaine  de  ses  Apôtres,  et  c'est  pourquoi  je  le 
crois  vrai.  »  (Loc.  cit.,  p.   194).   On  comprend  cette  situation 
d'âme:  plus  on  regarde  de  près  Xotre-Seigueur,  plus  on  tombe  à 
genoux  dans  une  admiration  qui  n'a  pas  sa  pareille  au  monde 
devant  sa  perfection  morale.  «  Audiendo  te  felix  sum,  s'écriait 
saint  Augustin;  de  tua  voce  felix  sum  ;  intus  bibendo  felix  sum.  » 
(In  Joa.  XXV,  17j.  S'il  est  doux  de  rencontrer  dans  le  monde  une 
belle  âme,  combien  plus  doux  est-il  d'étudier  et  de  contempler 
à  loisir  celle  du  Fils  de  Dieu,  la  grandeur  et  la  sainteté  mêmes  1 
2°  En  nous  faisant  connaître  Notre-Seigneur,  l'Evangile  nous 
le  fait  aimer.  Comment  ne  pas  s'attacher  à  celui  qu'on  voit  si 
aimable  et  si  parfait?  «  Quand  je  le  considère,  écrit  Channing, 
non  seulement  comme  ayant  conscience  d'une  majesté  incompa- 
rable et  sans  limites,  mais  comme  reconnaissant  dans  tous  les 
hommes  une  nature  parente  de  la  sienne  et  comme  vivant  et 
mourant  pour  les  élever  à  la  participation  de  sa  gloire  divine,  et 
lorsque  je  le  vois,  dans  cette  intention,  s'unir  aux  hommes  par 
les  plus  tendres  liens,  les  embrasser  avec  une  tendi*esse  que  ni 
l'insulte,  ni  l'injustice,  ni  la  souffrance  ne  pouvaient  un  moment 
refroidir  ou  vaincre,  je  suis  rempli  à  la  fois  d'admiration,  de 
respect  et  d'amour.  »  (Loc.  cit.,  p.  104).  Voyez  quels  sont  ceux 
qui  lui  ont  été  le  plus  affectionnés,  ce  sont  ceux  qui  l'ont  vu  de 
plus  près  et  fréquenté  davantage,  mulio  iniuitu,  comme  dit  Isaïe 


i 


DE  l'kvanoile  179 

(xxi,  7).  Legeham  et  ardebam  dit  saint  Augustin  (Conf.  ix,  A.) 
3°  En  étudiant  le  divin  Maître  on  s'anime  de  son  esprit,  on  se 
remplit  de  ses  dispositions,  on  se  conforme  à  ses  exemples.  On 
apprend  à  s'occuper  des  mêmes  objets  que  lui,  à  les  voir  du 
même  point  de  vue,  à  en  juger  comme  il  en  jugeait.  On  s'habitue 
à  parler  de  tout  comme  il  en  parlait,  chose  capitale  pour  un 
prêtre,  appelé  à  continuer  son  ministère  et  qui  a  besoin,  pour 
le  faire  avec  succès,  non  seulement  de  prêcher  la  même  doc- 
trine, mais  de  la  prêcher  avec  le  même  accent,  la  même  simpli- 
cité, la  même  cliarité.  Aussi  quoi  de  plus  cher  à  l'âme  fervente 
que  l'étude  de  l'Évangile?  Qui  loquitur  tecum,  Ijpse  est  (Joa., 
IX,  37).  Ego  qui  loquebar,  ecce  adsum  (Is.,  lu,  6). 

Saint  Augustin  rapporte  qu'un  barbare,  fait  prisonnier  par 
les  Romains  et  converti  au  christianisme,  fut  si  touché  de  cette 
pensée  que  l'Evangile  est  la  parole  de  Dieu,  qu'il  obtint  du  Ciel, 
par  des  prières,  d'apprendre  à  lire  en  trois  jours,  afin  de  se  ras- 
sasier à  son  gré  de  cette  nourriture  sacrée  (De  Doctr.  Christi, 
prol.  4).  «  Je  me  rappelle  le  moment,  a  écrit  le  Père  Ratis- 
bonne,  où,  après  avoir  lu  les  dernières  pages  des  Anciennes 
Ecritures,  j'ouvris  pour  la  première  fois  le  Nouveau  Testament. 
Il  était  neuf  heures  du  soir.  Mon  âme  s'attacha  si  fortement  à 
cette  lecture  que  je  ne  pus  la  quitter  durant  -une  partie  de  la 
nuit  ;  et  d'un  seul  trait  j'avalai  la  coupe  d'eau  vive  de  l'Evan- 
gile de  saint  Matthieu.  Il  m'en  arriva  de  même  avec  l'Evangile 
de  saint  Jean,  et  à  deux  reprises  je  ne  pus  le  laisser  qu'après 
l'avoir  lu  tout  entier.  >  (Phil.  du  Christ,  préf.). 

Dans  l'Evangile  on  voit,  on  entend  Jésus-Christ.  Jésus-Christ 
est  là,  seul  avec  celui  qui  le  lit,  vivant,  parlant,  agissant;  cha- 
que page  le  révèle,  si  simple,  si  nu  que  soit  le  stvle.  «  Il  est  nu, 
s'écrie  Mgr  Bougaud,  à  la  façon  du  crucifix...,  une  immense 
émotion  court  à  travers  ces  récits...,  nulle  âme  n'v  est  insen- 
sible et  les  plus  fermées  quelquefois,  les  plus  souillées  peut- 
être,  en  connaissent  un  jour  ou  l'autre  la  chaste  et  invincible 
impression.  II.  ne  faut  pour  cela  qu'un  peu  de  silence  et  de  sin- 
cérité. >  (Loc.  cit.,  p.  135-136). 

II 

Si,  en  effet,  l'Evangile  est  peu  lu,  si  nombre  de  lecteurs  y 
trouvent  peu  d'attraits,  cela  tient  à  la  mauvaise  disposition  de 
leur  esprit  ou  de  leur  cœur. 

Souvent  on  a,  par  rapport  à  l'Evangile,  le  même  préjugé  que 


180  ANNALES  CATHOLIQUES 

les  Juifs  avaient  par  rapport  au  Sauveur.  Ceux-ci,  sachant  que 
le  Messie  devait  descendre  du  ciel  et  appliquant  à  son  premier 
avènement  ce  que  les  prophètes  ont  dit  du  second,  ou  à  son 
humanité  ce  qui  se  rapporte  à  sa  nature  divine,  s'imaginaient 
qu'il  serait  entouré  d'un  éclat  tout  divin,  qu'il  effacerait  les  mo- 
narques du  monde  par  sa  magnificence.  Aussi  s'indignaieni-iis 
de  la  prétention  du  fils  du  charpentier.  Sa  pauvreté  les  cho- 
quait :  sa  simplicité  les  faisait  rougir.  Ils  voulaient  des  mer- 
veilles et  ils  ne  voyaient  que  des  haillons.  Aufer  hinc  sordidos 
pannos,  disaient-ils,  comme  Marcion.  Ainsi  en  est-il  encore  de 
beaucoup  de  chrétiens  à  qui  l'on  présente  l'Evangile  comme 
l'œuvre  du  Saint-Esprit.  Ils  s'imaginent  qu'un  livre  qui  a  Dieu 
pour  auteur  doit  posséder  au  plus  haut  degré  toutes  les  qualités 
qu'on  admire  dans  les  productions  humaines,  surpasser  en  élo- 
quence, en  poésie,  en  perfection  littéraire  les  chefs-d'œuvre 
les  plus  vantés.  Et  lorsqu'au  lieu  des  beautés  qu'ils  ont  rêvées, 
ils  trouvent  dans  ces  pages  tant  de  simplicité,  si  peu  de  littéra- 
ture, si  peu  d'art,  un  tel  dédain  de  l'éloquence  et  de  l'éclat,  ils 
s'étonnent  :  c'est  un  mystère  qui  les  confond.  Qu'ils  réfléchis- 
sent cependant  :  qu'ils  consultent  leur  foi,  ils  verront  que  ce 
livre  a  réellement  les  caractères  qu'il  doit  avoir.  Si  le  Fils  de 
Dieu  a  voilé  sa  grandeur  pour  habiter  parmi  nous,  s'il  a  été 
humble  et  caché  dans  son  humanité,  s'il  s'anéantit  chaque  jour 
sur  nos  autels,  ne  doit-il  pas  s'humilier  aussi,  se  voiler  dans  son 
langage,  dans  le  récit  de  ses  actes,  dans  l'énoncé  de  ses  maxi- 
mes? N'est-il  pas  naturel  qu'il  adopte  l'idiome  des  petits,  après 
s'être  réduit  à  leur  petitesse?  Ce  qui  ne  Veut  pas  dire  que  ses 
discours  manquent  d'élévation  ou  d'énergie. 

Si  l'humilité  de  savie  nel'apas  empêché  de  remplirsa mission, 
d'abattre  l'idolâtrie  et  de  faire  régner  sa  loi  d'un  bout  du  monde 
à  l'autre,  la  simplicité  de  son  langage  n'empêchera  pas  non 
plus  que  sa  parole  ne  devienne  ce  qu'elle  doit  être,  la  lumière 
des  intelligences  et  le  principe  de  toutes  les  vertus,  la  force  et 
le  soutien  des  âmes,  la  règle  et  le  mobile  du  monde  surnaturel. 

A  notre  époque  on  a  publié  un  certain  nombre  d'Histoires  ou 
de  Vies  de  Notre- Seigneur.  Ces  ouvrages  ont  leur  raison  d'être 
et  plusieurs  ont  été  publiés  par  des  hommes  d'une  foi  profonde 
et  d'un  grand  talent. 

Néanmoins  quel  est  celui  qui  oserait  remplacer  dans  l'Eglise 
nos  saints  Evangiles  par  ces  Hiatoires? 

Ne  craindrait-il  pas  de  ne  pas  produire  dans  les  âmes  la  même 


DH  l'Évangile  181 

impression  religieuse?  Presque  partout,  en  effet,  la  main  de 
l'auteur  se  trahit  trop.  En  faisant  du  Fils  de  Dieu  une  histoire 
suivie  et  complète,  comme  l'histoire  d'un  héros  ou  la  vie  d'un 
saint,  on  court  le  risque  de  le  réduire,  de  l'humaniser  plus  qu'il 
ne  convient.  Ce  qu'il  y  a  en  lui  d'extérieur  et  d'accidentel  prend 
du  relief,  mais  à  proportion,  ce  qu'il  y  a  d'intime  et  de  divin  se 
voile.  Les  paroles  de  vie  qui  sortent  de  ses  lèvres  se  perdent 
dans  une  multitude  de  paroles  oiseuses  et  stériles.  Qu'importent 
aux  fidèles  les  particularités  de  la  vie  de  Caïphe,  l'origine  de 
Pilate  et  d'Hérode,  le  site  de  Tibériade  et  les  paysages  du  lac 
de  Génézareth?  A  côté  de  l'Homme-Dieu,  toute  particularité 
s'efface.  L'horizon  de  la  Palestine  est  trop  étroit  pour  sa  gran- 
deur. S'il  devait  y  paraître,  ce  n'était  pas  pour  y  demeurer.  Le 
cadre  qui  lui  convient,  c'est  celui  que  saint  Jean  lui  a  tracé  dans 
son  premier  chapitre  et  que  le  lecteur  sous-entend  dans  les 
synoptiques.  C'est  sur  ce  fond  qu'il  faut  le  voir,  si  l'on  veut  se 
faire  une  juste  idée  de  son  élévation,  de  sa  sainteté  et  de  sa 
perfection  infinies.  «  La  grandeur  du  Sauveur  n'est  pas  de  ce 
monde,  disait  Pascal  ;  si  l'on  en  comprend  la  nature  on  le  verra 
si  grand  qu'on  ne  sera  pas  tenté  de  se  scandaliser  de  sa  bas- 
sesse. > 

Souvent  aussi  le  cœur  est  mal  disposé.  Il  manque  de  pureté, 
de  droiture,  d'élévation,  d'ardeur  pour  la  vérité  et  pour  la  per- 
fection. On  ne  cherche  pas  dans  l'Evangile  ce  qu'on  devrait 
y  chercher.  On  n'a  pas  les  sentiments  qu'on  devrait  avoir.  On 
lit  par  curiosité,  pour  éclairer  et  orner  son  esprit  {S.  Augustin, 
De  Catech.  rud.,  13).  On  lit  par  amour-propre,  afin  de  se 
distinguer  dans  la  prédication.  On  lit  par  un  goût  naturel 
pour  occuper  le  temps  ou  faire  diversion  à  des  travaux  qui  fati- 
guent. Ce  qu'on  voudrait  trouver,  ce  sont  les  agréments  des 
livres  profanes. 

Avec  ces  dispositions,  est-il  étonnant  que  l'Evangile  contente 
peu,  qu'on  y  rencontre  des  déceptions,  de  l'ennui,  du  dégoiit? 
Pour  s'y  plaire,  il  faudrait  avoir  les  mêmes  vues  que  les  Evan- 
gélistes,  n'y  chercher  que  ce  qu'ils  se  proposaient:  notre  sanc- 
tification, notre  avancement  dans  la  vertu,  l'établissement  du 
règne  du  Sauveur  en  nous.  Si  c'est  notre  vrai  bien  que  nous 
voulons,  nous  l'y  trouverons  (Hier.  Ep.  LUI,  9).  Rien  ne  fait 
mieux  connaître  le  Verbe  fait  chair,  ses  mystères,  ses  vertus, 
sa  doctrine,  ses  œuvres;  rien  ne  le  fait  plus  aimer. 

«  G    mon  ami,    s'écrie    Mgr    Bougaud,   entrez    dans    votre 


]82  ANNALES    CATHOMQUKS 

chambre  et  fermez-en  la  porte  aux  vains  bruits  du  dehors  ; 
entrez  dans  votre  cœur,  dans  ce  sanctuaire  auguste  où  ne  re- 
tentissent que  les  voix  d'en  haut  et  fermez-en  la  porte  aux 
bruits  plus  étourdissants  encore  des  passions  :  vous  n'êtes  plus 
jeune  peut-être;  vous  avez  souffert,  vous  connaissez  les  hommes: 
prenez  ce  livre  enfoui  sous  les  papiers  de  votre  bureau,  perdu 
dans  quelque  coin  de  votre  bibliothèque;  ouvrez-le  à  la  page 
que  vous  voudrez,  au  hasard.  Etes-vous  dans  la  paix,  dans  la 
sincérité,  sous  le  regard  de  Dieu  ?  Je  serais  bien  étonné  si  vous 
n'étiez  pas  ému  peu  à  peu  jusqu'au  fond  de  l'âme,  atteint  dans 
les  profondeurs  sacrées  oii  naissent  les  grandes  lumières  et  d'où 
s'échappent  les  flots  de  larmes  qui  emportent  quelquefois  en  une 
heure  vingt  années  de  doute.  »  (Loc.  cit.,  p.  136). 

Sur  la  beauté  des  Evangiles  on  peut  étudier,  entre  tous,  les 
morceaux  suivants  :  Dans  saint  Matthieu,  les  trois  principaux 
discours  :  Sur  la  montagne,  v-vii;  aux  Apôtres,  x;  sur  les  Pha- 
risiens, XXIII.  —  Dans  saint  Luc,  les  tableaux  et  les  cantiques 
i-iii;  X,  38-42;  xxiv.  —  Dans  l'un  et  l'autre  les  Paraboles.  — 
Matth.,  XIII,  6;  xxv,  1-30.  — Luc,  xv;  x,  38-39.  —  Enfin  dans 
saint  Jean,  la  Samaritaine,  v  ;  l'Aveugle-né,  ix  ;  la  Résurrection 
de  Lazare,  xi;  la  Dernière  Cène,  xiii;  les  Apparitions  du  Sau- 
veur ressuscité.  —  (Voir  sur  la  beauté  des  Ecritures,  Lacor- 
daire  :  Lettre  à  un  jeune  homme  sur  la  Vie  chrétienne,  2^  lettre .) 

P.  G.  MOREAU, 

Vicaire  général  honoraire  de  Langres. 


DOUZE  ANNEES  DE  PRATIQUE  ADMINISTRATIVE 

Lorsqu'on  fait  le  tableau  des  pertes  infligées  à  l'Eglise,  on 
montre  ordinairement  les  lois,  les  décrets,  les  arrêtés  ministé- 
riels, les  décisions  judiciaires,  c'est-à-dire  des  actes  apparents 
et  faciles  à  apprécier.  Mais  on  néglige  presque  toujours  les  actes 
journaliers  du  gouvernement  et  de  l'administration  qui  ne  sont 
guère  connus  que  des  intéressés.  Et  cependant,  là  aussi,  dans 
l'obscurité,  le  mal  se  fait  en  grand. 

Rien  ne  le  démontre  mieux  que  les  Notes  de  jurisprudence 
du  Conseil  d'Etat,  récemment  recueillies  et  classées  par  uu 
maître  des  requêtes  et  plusieurs  auditeurs,  sur  l'initiative  et 
sous  la  direction  du  Président  de  la  section  de  l'intérieur,  des 


DOUZE  ANNÉES  DE  PRATIQUE  ADMINISTRATIVE  183 

cultes,  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  du  Conseil 
d'État. 

Ce  précieux  recueil  des  ;ivi.s,  projets  de  loi  et  notes  du  Conseil 
d'Etat,  se  référant  à  la  période  comprise  entre  le  mois  d'août 
1879  et  le  31  décembre  1891,  n'a  point  été  composé  pour  édifier 
le  public.  Sa  préface  nous  apprend  qu'il  a  en  rue  «  de  faciliter 
les  recherches  des  membres  du  Conseil  d'Etat  et  des  fonction- 
naires qui  concourent  à  l'élaboration  des  actes  de  la  puissance 
executive  >.  Aussi  ajoute-t-on  :  «  Le  caractère  particulier  de 
cet  opuscule,  qui  est  d'ordre  tout  intérieur,  explique  pourquoi 
il  n'est  pas  mis  à  la  disposition  du  public  et  ne  porte  aucun  nom 
d'éditeur.  » 

Le  public  finira  pourtant  par  connaître,  d'une  manière  com- 
plète, les  Notes  de  Jurisprudence.  La  reproduction  intégrale  en 
a  été  commencée  par  la  Revue  générale  d' administration,  qui 
se  rédige  au  ministère  de  l'intérieur.  Dans  nos  livraisons  de  juin 
et  de  juillet,  nous  lui  avons  emprunté  le  chapitre  consacré  à 
l'organisation  et  au  fonctionnement  du  culte  catholique. 

Aujourd'hui,  nous  allons  de  l'avant.  Il  nous  a  été  donné  de 
faire,  avec  le  fameux  opuscule  en  mains,  un  examen  total  des 
Noies  de  jurisprudence  du,  Conseil  d'État.  Nous  en  avons 
profité  tout  d'abord  pour  recueillir  et  rassembler  les  diverses 
solutions  concernant  :  1°  les  menses  épiscopales  et  curiales  ;  2° les 
fabriques  ;  3°  les  congrégations  religieuses. 

Il  nous  paraît  superflu  d'attirer  l'attention  de  nos  lecteurs  sur 
l'extrême  importance  des  documents  que  nous  leur  ofi'rons.  Mais 
nous  voulons  exprimer  la  douleur  que  nous  ressentons  en  cons- 
tatant le  triste  sort  des  intérêts  qui  se  rattachent  à  la  religion 
et  qui  nous  sont  chers  par-dessus  tous  les  autres. 

Pour  tout  dire  d'un  mot,  les  catholiques  de  France  sont  traités 
avec  les  égards  qu'on  doit  à  des  malfaiteurs  publics.  Les  actes 
extérieurs  par  lesquels  ils  manifestent  leur  foi  et  obéissent  aux 
inspirations  de  la  charité  chrétienne,  sont  envisagés  par  le  Gou- 
vernement avec  une  inqualifiable  défiance.  Il  n'en  faut  pas  d'autre 
preuve  que  l'accueil  fait  aux  libéralités  adressées  aux  divers 
établissements  publics  religieux,  nantis  du  privilège  de  la  recon- 
naissance légale. 

C'est  le  Concordat  lui-même  qui  garantit  aux  catholiques  la 
liberté  des  fondations.  D'un  autre  côté,  la  loi,  toujours  en  vi- 
gueur, du  2  janvier  1817,  porte  que  tout  établissement  ecclé- 
siastique reconnu  par  la  loi  pourra  accepter,  avec  l'autorisation 


184  ANNALES    CATHOLIQUES 

du  Gouvernement,  «  tous  les  biens,  meubles,  immeubles  ou 
rentes,  qui  lui  seront  donnés  par  actes  entre  vifs  ou  par  actes 
de  dernières  volontés.  > 

En  violation  de  cette  loi  du  pays,  le  Conseil  d'Etat  a  créé  la 
théorie  de  la  capacité  spéciale  et  limitée  des  établissements 
religieux.  Il  fallait  bien  trouver  un  moj'en  de  mettre  hors  du 
domaine  de  l'Église  l'enseignement  et  l'aumône.  En  vain,  les 
tribunaux  judiciaires  ne  cessent  de  répéter  qu'aucun  texte 
n'empêche  les  évêchés,  les  cures  et  les  fabriques  de  recevoir  des 
libéralités  scolaires  et  charitables!  Le  Gouvernement,  en  leur 
refusant  son  autorisation  d'une  manière  absolue,  remplace  arbi- 
trairement la  faculté  légale  par  une  prohibition  administrative. 

On  sait  cela  (1),  mais  ce  qui  est  moins  connu,  ce  que  nous 
révèlent  les  Noies  de  jurisprudence  du  Conseil  d'État^  ce  sont 
les  mille  obstacles  inattendus  qui  barrent  la  voie  aux  libéralités 
les  plus  inoffensives. 

Faites  une  donation  ou  un  legs  à  votre  Evêque  «  pour  favo- 
riser les  vocations  religieuses  dans  le  diocèse  »,  ou  «  pour  fonder 
des  bourses  dans  le  séminaire  »,  ou  encore  «  pour  encourager  et 
perfectionner  l'éducation  catholique  dans  le  diocèse  ».  On  lui 
refusera  l'autorisation  d'accepter  vos  libéralités,  parce  que 
«  la  mense  épiscopale  est  instituée  uniquement  en  vue  de  l'amé- 
lioration du  sort  des  titulaires  successifs.  »  Il  fallait  borner  vos 
préoccupations  et  votre  générosité  au  bien-être  personnel  du 
prélat,  au  soin  de  sa  table  et  à  la  splendeur  de  son  palais. 

Faites  une  donation  ou  un  legs  à  votre  curé  «  pour  ses 
(ouvres  paroissiales  »,  On  lui  demandera  ce  qu'il  compte  en 
faire  et  s'il  i-efuse  de  répondre  ou^  ce  qui  revient  au  même,  s'il 
ne  répond  pas  de  manière  à  plaire  à  l'autorité  civile,  on  n'auto- 
risera, [las  l'acceptation  de  la  libéralité. 

Faites  une  donation  ou  un  legs  à  votre  fabrique  «  pour  assu- 
rer à  la  paroisse  des  missions  ou  des  prédications  extraordi- 
naires périodiques  r>.  On  lui  signifiera  que  les  missions  et  les 
exercices  qui  leur  ressemblent  sont  l'objet  d'une  interdiction 
par  le  décret  du  20  septembre  1809. 

Si  votre  libéralité  est  destinée  au  catéchisme  de  persévérance, 
on  la  déclarera  inacceptable,  parce  que  «  le  catéchisme  de  per- 

(1)  Voir,  A&jx%\&Revue  administrative  du  culte  catholique,  leslivrai- 
Eons  rlo  mai  1893,  page  32  ;  de  juillet  1893,  page  85  et  d'août  1893, 
page  139. 


DOUZE  ANNÉES  DE  PRATIQUE  ADMINISTRATIVE  185 

sêvérance  n'est  qu'un  exercice  religieux  facultatif  ne  se   ratta- 
chant directement  à  aucun  acte  du  culte  ». 

Si  votre  libéralité  est  faite  «  en  vue  d'assurer  l'instruction 
chrétienne  des  enfants  de  la  paroisse  »,  on  dira  que  ces  termes 
ont,  une  signification  trop  large,  susceptible  de  faire  sortir  la 
fabrique  de  sa  mission.  Il  est  vraiment  impossible  de  favoriser 
une  pareille  usurpation. 

Si  votre  libéralité  consiste  en  un  calvaire  qui  correspond  à  la 
reconnaissance  publique  d'une  pieuse  paroisse,  on  refusera  «  ce 
calvaire  qui  ne  se  rattache  à  aucune  tradition  historique  ou 
religieuse.  » 

Vous  croyez  peut-être  que  vous  pouvez  au  moins  affecter  une 
maison  au  logement  d'un  vicaire.  On  vous  affirmera  gravement 
qu'une  pareille  affectation  ne  saurait  être  autorisée,  car  elle 
aurait  pour  résultat  de  placer  dans  le  patrimoine  des  fabriques 
une  catégorie  d'immeubles  de  main-morte  dont  l'existence  n'est 
prévue  par  aucune  des  lois  en  vigueur  ».  La  loi  du  2  janvier  1817 
n'a  pas  l'honneur  d'être  toujours  présente  à  la  mémoire  des 
membres  du  Conseil  d'Etat! 

Apprenez  maintenant  qu'il  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser  l'Institut 
des  Frères  des  écoles  chrétiennes  à  accepter  une  maison  des- 
tinée à  la  tenue,  dans  une  commune,  de  l'école  libre  dirigée  par 
les  Frères,  «  lorsque  cette  commune  possède  une  école  publique 
dans  laquelle  toute  sa  population  scolaire  peut  être  reçue  ». 
Les  pères  de  famille"  qui  ne  trouveront  plus  de  place  à  l'écoie 
des  Frères  et  qui  seront  condamnés  à  garnir  le  palais  de  l'école 
officielle,  reliront  sans  doute  plusieurs  foij,  avant  d'y  croire, 
cette  invraisemblable  sentence. 

Enfin,  car  il  faut  savoir  se  borner,  lorsque  vous  donnez  ou 
léguez  aux  Petites-Sceurs  des  pauvres  ou  aux  Filles  de  la  cha- 
rité de  Saint-Vincent  de  Paul,  n'oubliez  pas  d'étudier  à  fond 
ler.rs  statuts.  Aux  unes,  on  a  refusé  l'autorisation  d'accepter  un 
legs  qui  avait  été  fait  «  à  charge  de  distribution  de  secours  à 
domicile  ».  Aux  autres,  on  a  refusé  l'autorisation  d'accepter 
une  donation  consistant  en  une  rente  destinée  «  à  des  distribu- 
tions pour  le  paiement  de  leurs  loyers  à  des  familles  pauvres  ». 
Pourquoi?  Parce  que,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  la  libéralité 
«  ferait  sortir  la  Congrégation  des  attributions  fixées  par  ses 
statuts  ». 

En  vérité,  il  est  plus  facile  de  gaspiller  malhonnêtement  sa 
fortune  que  de  l'employer  en  belles  et  bonnes  œuAres.  Et  qui 

14 


186  ANNALES    CATHOLIQUES 

en  souffre  surtout?  Les  pauvres,  les  malades,  les  déshérités, 
les  petits.  Qu'on  laisse  doue  à  la  générosité  chrétienne  le  droit 
d'aller  où  elle  veut,  comme  elle  veut,  quand  elle  veut. 

Il  y  a  tout  cela  et  d'autres  choses  encore  dans  les  Notes  de 
jurisprudence  du  Conseil  d'Etat.  En  les  parcourant,  on  se 
demande  parfois  si  c'est  bien  en  France  que  les  pouvoirs  publics 
parlent  ainsi  à  la  religion  et  à  !a  charité,  La  France  n'est  pour- 
tant pas  une  de  ces  nations  païennes  où  les  catholiques,  perdus 
dans  le  nombre,  sont  simplement  tolérés  à  cause  du  respect 
qu'imposent  leurs  vertus.  La  France  n'est  pourtant  pas  une  de 
ces  nations  barbares  où  les  actes  d'humanité  demeurent  sans 
écho.  Quand  on  a  l'honneur  de  gouverner  un  grand  peuple  chré- 
tien et  civilisé,  voilà  ce  qu'il  ne  faudrait  point  oublier!  (1) 


LE  DROIT  ET  LE  DEVOIR  (2) 

I 

Messieurs, 

Sans  vous  faire  un  compliment,  je  suis  heureux  de  vous  dire 
que  vous  êtes  nos  premiers  défenseurs  dans  les  luttes  difficiles 
de  nos  temps  malheureux.  Vous  êtes  des  jurisconsultes,  c'est- 
à-dire  les  savants,  les  doctes  conseillers,  les  docteurs  du  droit, 
qui  est  la  base  de  toute  justice  envers  Dieu,  envers  nous-mêmes 
et  envers  nos  semblables. 

Un  roi  de  France  disait,  après  une  grande  défaite  :  Tout  est 
perdu,  fors  V honneur,  et  rien  n'était  perdu.  Nous  aurions  nous- 
mêmes  tout  perdu  si  notre  droit  était  encore  debout,  nous  pour- 
rions dire  :  Rien  n'est  perdu  :  et  grâce  à  vous,  jamais  aucune 
de  nos  saintes  causes  ne  sera  définitivement  perdue  :  vous  êtes 
le  droit  en  action  et  toujours  l'arme  au  bras. 

Le  droit  tire  son  origine  du  préambule  du  Décalogue:  Et 
Dieu  dit:  Ego  sum  qui  sum  :  je  suis  celui  qui  suis  ;  je  suis  par 
moi-même  ;  je  suis  l'Eternel  ;  je  suis  l'éternité  sans  commence- 
ment et  sans  fin.  Ego  sum  Dominus  :  Je  suis  le  Maître  de  tout, 
du  ciel  et  de  la  terre  ;  tout  vient  de  moi,  tout  existe  et  se  con- 
serve par  moi  ;  donc,  tout  est  à  moi. 

(1)  Extrait  de  rexcellente  Revue  administrative  du  culte  catho- 
lique, measuelle.  —  Lille,  abonnement  12  francs. 

(2)  Discours  prononcé  par  S.  Gr.  Jlgr  Gouthe-Soulard,  archevêque 
d'Aix,  au  congrès  des  jurisconsultes  catholiques  tenu  dans  sa  ville 
archiépiscopale,  le  11  octobre  1893. 


LE  DROIT  ET  LE  DEVOIR  187 

Ego  sum  Leus,  je  suis  Dieu,  l'infinie  perfection,  l'infinie 
puissance,  l'infinie  bonté,  ce  qu'il  y  a  de  meilleur,  ce  qu'il  y  a  de 
plus  excellent  :  je  suis  le  bon  Dieu. 

J^ go  su'/n  Deus...  tuus:  Je  suis  de  plus  ton  Dieu  :  Dieu  tout 
court  pour  le  reste  ;  mais  pour  toi  ^e  suis  ion  Dieu  —  ton  bien 
suprême,  ton  seul  bien  nécessaire  ;  j'ai  mis  dans  ton  intelligence 
l'idée  indestructible  d'un  bien  éternel,  souverainement  beau  : 
j'ai  mis  dans  ta  volonté  le  désir  indestructible  d'un  bien  infini- 
ment bon  —  et  c'est  moi  qui  suis  tout  cela  :  JEgo  sum  Deus  iuus. 
Dieu  est  donc  notre  maître  absolu  :  il  a  sur  nous  tous  les  droits. 
Oui,  tous  nos  droits  viennent  de  Dieu  :  nous  les  recevons  par 
délégation  et  comme  un  mandat;  ils  doivent  être  exercés  sous 
sa  surveillance  et  son  contrôle  :  nous  en  rendrons  compte. 

II 

Mais  puisqu'il  est  mon  Maître  et  ma  fin  dernière,  je  dois  tendre 
à  lui  par  toutes  mes  actions.  C'est  mon  devoir  et  mon  droit 
devoir  et  droit  que  nulle  puissance  de  ce  monde  ne  peut  con- 
trarier, que  toutes  les  puissances  de  ce  monde  doivent  favoriser  : 
elles  n'existent  que  pour  m'aider  à  remplir  ma  double  mission 
de  citoyen  et  de  chréiien  eu  vue  de  mon  bonheur  éternel. 

Ego  sum  Deusiuus :]e  suis  ton  Dieu.  La  première  parole  de 
Dieu  au  monde  lui  a  fait  connaître  son  souverain  Maître.  Il  l'avait 
gravée  dans  le  cœur  de  l'homme  :  il  y  a  une  voix  intérieure, 
inextinguible  qui  me  dit  que  je  suis  fait  pour  Dieu.  Mais  pour 
que  je  ne  prétexte  pas  de  mon  ignorance.  Dieu  a  pris  un  jour  sa 
grande  voix,  qui  a  retenti  dans  le  monde  entier  et  que  les  échos 
de  l'éternité  et  du  temps  ne  cesseront  jamais  de  répéter: 
Ego  sum,  Dominus,ego  sum.  Deus  tuus. 

Voilà,  mes  chers  amis,  la  grande  œuvre  que  vous  avez  à  dé- 
fendre et  à  répandre.  Puis,  je  le  répète:  nous  pouvons  être 
battus  par  la  force,  persécutés,  dépouillés,  expulsés,  dépos- 
sédés, chassés  de  chez  nous;  tant  que  le  droit  est  là  pour  dire 
hautement  :  No7i  licet,  nous  restons  invincibles  :  fîecti  nescio  : 
je  ne  sais  ni  plier  ni  rompre. 

Mais  le  droit  a  besoin  d'être  défendu,  non  pour  vivre  lui- 
même,  puisqu'il  est  éternel,  mais  pour  faire  vivre  dans  l'hon- 
neur, la  justice  et  la  liberté. 

Vous,  mes  chers  amis,  vous  êtes  des  premiers  parmi  les 
auxiliaires  et  les  ouvriers  de  Dieu.  Le  droit  se  définit  quelque- 
fois: J.?-s  boni  etveri,  l'art  du  bon  et  du  vrai  ;  le  grand  artiste 


188  ANNALES    CATHOLIQUES 

du  bien,  c'est  Dieu.  Tout  bien  vient  de  Lui,  Lui  seul  est  bon,  il 
s'appelle  le  Souverain  bien,  il  est  tellement  le  bien  que  nous 
ne  pouvons  y  penser  et  en  parler  sans  dire  :  le  Bon  Dieu.  Ce 
nom  est  si  profond  dans  le  langage  ordinaire,  que  même  les 
impies  qui  le  méconnaissent,  l'outragent,  disent:  le  bon  Dieu, 
votre  bon  Dieu. 

III 

Vous  êtes  donc  ses  coopérateurs,  puisque  jurisconsultes  ou 
artistes  du  bien,  c'est  la  même  chose.  Arsboni.  Vous  êtes  aussi 
les  artistes  du  vrai.  Ars  veri.  Dieu  se  nomme  lui-même  la  vérité. 
Ego  sum  veritas.  Dieu  est  la  vérité,  il  est  toute  justice,  toute 
équité  et  vous,  mes  chers  amis,  vous  démontrez  les  principes  du 
droit,  les  fondements  du  droit,  ses  applications  dans  les  choses 
humaines,  vous  le  vengez  quand  il  est  outragé,  vous  dénoncez  à 
l'indignation  publique  ses  audacieux  et  puisslints  violateurs  : 
vous  établissez  le  droit  dans  sa  vérité,  dans  son  indépendance, 
dans  sa  fierté,  qui  ne  courbe  la  tête  devant  personne.  Ars  veri. 

Le  droit,  c'est  ce  qui  est  droit,  ce  qui  ne  biaise  pas,  ce  qui  ne 
branle  pas  tantôt  à  droite,  tantôt  à  gauche. 

Le  droit  ne  boite  pas,  comme  dit  la  sainte  Ecriture,  entre  deux 
voies,  selon  l'intérêt.  Le  droit  va  le  droit  chemin  inébranlable 
comme  deux  et  deux  font  quatre.  Le  droit  n'est  pas  opportu- 
niste. 

Pour  pratiquer  et  appliquer  le  droit,  il  faut  être  homme  de 
bien:  c'est  bien  plus  nécessaire  que  pour  être  un  maître  eu  élo- 
quence, et,  cependant,  c'était  la  maxime  de  Cicéron. 

IV 

Comme  il  est  heureux  que  le  droit  ait  une  origine  céleste  !  Si 
vous  voulez  que  je  vous  obéisse,  montrez-moi  des  ordres  qui 
viennent  de  plus  haut,  sinon  vous  n'êtes  que  la  force,  et  la  force 
n'a  point  de  droit. 

Avec  ces  principes,  l'Eglise  a  converti  le  monde  païeu,  qui 
était  le  monde  de  la  force  :  il  a  fallu,  bon  gré  mal  gré,  que  les 
puissants  comprissent  qu'il  y  a  au-dessus  d'eux  quelqu'un  qui 
est  leur  maître. 

Quelle  que  soit  la  puissance  qui  se  présente  devant  moi,  si 
elle  ne  me  montre  pas  ses  lettres  de  créance  divine,  je  lui  dirai 
sans  trembler  :  Je  ne  te  connais  pas,  il  n'y  a  qu'un  Dieu  et 
qu'un  maître,  et  ce  Dieu  et  ce  maître  ce  n^est  pas  toi. 


LE  DROIT  ET  LE  DEVOIR  189 

Non,  nous  ne  mettrons  jamais  aucun  homme  au-dessus  du 
droit,  au-dessus  de  la  loi.  Plus  la  dignité  est  grande,  et  plus 
on  est  le  très  humble  serviteur  de  tous,  à  l'exemple  de  Jé- 
sus-Christ qui  nous  dit  qu'il  n'est  pas  venu  pour  être  servi, 
mais  pour  servir;  à  l'exemple  du  Pape,  qui  s'appelle  le  servi- 
teur des  serviteurs  de  Dieu. 

Ah!  si  les  gouvernants  étaient  absolument  libres  de  fabri- 
quer des  lois  selon  leur  caprice,  il  faudrait  mieux  vivre  avec  les 
Peaux-Rouges  ;  au  moins  là  on  pourrait  peut-être  repousser  la 
force  par  la  force.  Chez  nous,  nous  n'avons  qu'une  résistance,  et 
nous  n'en  voulons  pas  d'autre  :  c'est  la  résistance  au  nom  de 
notre  droit,  et,  avec  notre  droit,  nous  aurons  le  dernier  mot;  le 
droit,  c'est  la  parole  qui  ne  passe  pas. 

Mais  le  droit  a  besoin  de  votre  plume  et  de  votre  parole,  qui 
est  cette  épée  à  deux  tranchants  qui  ne  revient  jamais  vide, 
puisqu'elle  frappe  au  nom  de  Dieu.  C'est  vous,  mes  chers  amis, 
qui  par  vos  écrits  et  vos  discours  rendez  le  droit  visible,  tan- 
gible, palpable,  vous  qui  le  réveillez  dans  tant  d'esprits  somno- 
lents et  paresseux,  disposés  à  en  faire  bon  marché,  parce  qu'il 
est  souvent  désagréable  de  sentir  qu'au  bout  d'un  droit,  il  y  a 
un  devoir  à  remplir. 

Si  tout  n'est  pas  absolument  foulé  aux  pieds,  c'est  parce  que, 
vous  et  d'autres,  avez  dit:  On  ne  vient  pas  jusque-là^  rons 
n'en  avez  pas  le  droit. 

Le  peu  de  liberté  qui  nous  reste,  nous  le  devons  à  nos  résis- 
tances ;  si  nous  avions  lutté  davantage  nous  n'aurions  pas  à 
gémir  sur  tant  de  ruines,  qui  ne  seront  réparées  que  lorsque 
nous  aurons  répété  sur  tous  les  toits,  avec  la  plus  invincible 
conviction  de  nos  droits  méconnus  :  Ceci  est  injuste,  ceci  est 
mal  ;  nous  ne  l'accepterons  jamais^  ni  pour  un  jour  ni  pour 
mille:  notre  premier  et  dernier  mot  sera  toujours  :  Non  licet, 
ce  nest  pas  permis,  nous  ne  pouvons  pas. 

C'était  au  nom  de  leur  droit  que  les  apôtres  parlaient  ainsi, 
et  après?  Après,  ils  sont  morts  pour  la  défense  des  droits  de 
Dieu  et  de  l'Eglise,  et  l'Eglise  est  sortie  victorieuse  de  ses  trois 
siècles  de  persécution,  parce  qu'on  croit  volontiers  à  des  droits 
pour  lesquels  on  se  fait  égorger. 

V 

Mes  chers  amis,  vous  êtes  des  jurisconsultes  catholiques  ;  votre 
Revue,  qui  est  l'expression  de  votre  pensée,  et  qui  résume  ces 


190  ANNALES   CATHOLIQUKS 

travaux  intéressants  et  savants  que  nous  lisons  avec  plaisir  et 
profit  chaque  mois,  s'appelle  :  Revtce  des  institutions  et  du 
droit.  Voilà  viugt-et-un  ans  que  vous  combattez  sans  défaillance 
pour  défendre  le  droit  et  nos  droits.  Dieu  sait  combien  vous 
avez  évité  ou  réparé  d'injustices,  et  combien  de  malfaiteurs  ont 
reculé  devant  les  vigoureuses  philippiques  que  vous  ne  leur 
ménagez  pas. 

VI 

Voulez-vous  me  permettre  de  vous  tracer  mon  programme  ? 
Il  sera  peu  scientifique,  mais  très  pratique,  comme  une  série  de 
sujets  pour  des  prônes,  la  plus  difficile  des  instructions,  parce 
que  c'est  la  meilleure. 

Vous  ne  devez  être  que  des  commentateurs  des  commande- 
ments de  Dieu  et  de  l'Eglise,  qui  sont  la  T&ison  sine  quâ  non  de 
tous  les  codes,  de  toutes  les  lois,  de  tous  les  jugements,  de  tous 
les  arrêts,  à  partir  des  décisions  du  pouvoir  souverain,  jusqu'au 
simple  procès-verbal  du  garde-champêtre  et  du  commissaire  de 
police,  jusqu'au  vulgaire  pensum  que  le  maître  d'école  inflige  à 
son  élève  paresseux  ou  désobéissant. 

Vous  direz  donc  dans  vos  discours  et  vos  écrits  que  Dieu  est 
le  créateur  et  le  conservateur  de  toutes  choses,  qu'il  est  notre 
bienfaiteur  de  toutes  les  minutes,  que  nous  recevons  de  sa  main 
et  le  rûorceau  de  pain  que  nous  mangeons  et  le  lambeau  d'étoffe 
qui  nous  couvre,  et  la  goutte  d'eau  que  nous  puisons  à  la  fon- 
taine. Cette  voix  qui  nous  parle,  et  vos  oreilles  qui  m'entendent, 
cette  intelligence  qui  a  composé  cette  modeste  allocution  et  vos 
intelligences  qui  la  comprennent,  tout  vient  de  Dieu. 

Répétez  bien  haut:  Puisque  Dieu  nous  a  tout  donné,  il  a  droit 
sur  tout;  et  quand  nous  lui  donnons  tout,  nous  faisons  droit  à 
son  droit,  nous  ne  lui  donnons  rien  de  trop. 

L'honnête  homme  est  celui  qui  rend  à  chacun  ce  qui  lui  est 
dii  :  si  vous  ne  rendez  pas  à  Dieu  ce  qui  appartient  à  Dieu,  vous 
ne  rendez  pas  à  César  ce  qui  appartient  à  César.  La  justice 
envers  Dieu  est  la  mesure  de  notre  justice  envers  nos  sembla- 
bles. Qu'importe  que  vous  ne  soyez  ni  voleur  ni  assassin  !  Beau 
mérite  que  de  n'être  pas  digne  de  la  prison  ou  de  Téchafaud! 

Défendez  de  toute  l'énergie  de  vos  volontés  et  de  toute  la 
puissance  de  votre  talent,  défendez  surtout  la  liberté  de  cons- 
cience. 


i 


LE  DROIT  ET  LE  DEVOIR  191 

VII 

Tous  les  tyrans  du  monde  ont  voulu  s'emparer  des  conscien- 
ces, et  quand  ils  disaient  aux  chrétiens:  Adorez  nos  dieux, 
c'était  une  question  de  conscience;  et  les  chrétiens  qui  n'avaient 
({ue  leur  conscience,  répondirent  :  Nous  n'adorons  que  le  Dieu 
(la  Ciel,  et  avec  leur  conscience  ils  restaient  vainqueurs. 

La  conscience  est  la  clé  de  la  place  :  quand  on  est  maître  là, 
on  est  maître  partout.  —  Est-ce  que  vous  croyez  que  la  guerre 
que  nous  subissons  n'est  pas  une  guerre  à  la  conscience  ? 

Pourquoi  les  écoles  sans  Dieu,  les  institutions  sans  Dieu,  les 
hôpitaux  sans  Dieu  ?  C'est  parce  qu'on  veut  chasser  Dieu  des 
âmes  ;  et  quand  il  ne  sera  plus  dans  les  âmes,  il  n'y  aura  plus  de 
conscience.  Alors  les  sectaires  se  mettront  à  la  place  de  Dieu, 
puisqu'il  faut  toujours  un  maître.  Ah  !  vous  ne  voulez  pas  des 
droits  de  Dieu  !  eh  bien,  vous  aurez  les  droits  de  l'homme,  et 
avec  les  droits  de  l'homme,  vous  aurez  toutes  les  servitudes  et 
toutes  les  iniquités;  c'est  de  la  vieille  histoire  qui  a  commencé 
avec  Caïn.  Quand  la  conscience  ne  parle  plus  et  ne  se  défend 
plus,  tout  est  fini,  tout  est  perdu.  Il  ne  reste  sur  la  terre  que 
des  tyrans  et  des  victimes. 

La  liberté  la  plus  difficile  à  conquérir  fut  la  liberté  de  cons- 
cience. L'Eglise,  pour  nous  la  donner,  soutint  trois  siècles  de 
persécutions  sanglantes.  Vingt  millions  de  martyrs  sont  morts, 
et  leurs  imitateurs  meurent  encore  aujourd'hui,  en  disant: 
J'obéis  à  ma  conscience  et  à  nul  autre. 

Défendez,  messieurs,  usque  ad  mortem,  défendez  le  sanc- 
tuaire dans  lequel  ni  rois  ni  empereurs,  ni  république,  ni  assem- 
blée législative  ou  sénatoriale  n'ont  rien  à  voir.  —  Là,  c'est 
'mon  chez  moi:  je  n'en  ouvre  la  porte  qu'à  Dieu  ;  mais  à  vous, 
jamais  !  —  Vous  vous  briserez  contre  mon  superbe  et  invincible 
dédain.  Non  possumus  :  On  ne  passe  pas  ! 

Avec  les  droits  de  Dieu,  défendez  les  droits  de  l'hoiume.  Ces 
droits  ne  sont  pas  ceux  qu'on  croit  avoir  inventés  en  1789:  ils 
sont  contemporains  d'Adata  et  d'Eve  :  il  y  a  quatre  ou  cinq  mille 
ans  qu'ils  ont  été  écrits  et  promulgués  sur  une  célèbre  montagne 
appelée  Sinaï,  ils  peuvent  être  contenus  dans  un  morceau  de 
papier  moins  grand  que  le  creux  de  votre  main;  car  Dieu  doni 
ils  sont  les  ordres,  a  le  talent  de  dire  beaucoup  en  peu  de  mots,  et 
ces  dix  mots,  ou  dix  petites  phrases,  lumineux  comme  le  plein 
midi,  sont  plus  indestructibles  que  le  soleil:  le  soleil  disparaîtra, 


192  ANNALES  CATHOLIQUES 

le  Dêcalogue  restera  pendant  toute  l'éternité  comme  le  titre  légal 
de  la  récompense  des  élus. 

VIII 

Défendez  vos  droits  dans  vos  rapports  envers  Dieu.  Il  a  dit  : 
Je  suis  le  Seigneur,  je  suis  ton  Dieu.  Donc  nous  avons  le  devoir 
et  le  droit  de  l'adorer  et  de  n'adorer  que  lui  seul.  C'est  la  con- 
sécration de  la  liberté  nécessaire,  la  liberté  de  la  conscience. 

Si  j'ai  le  droit  d'adorer  Dieu,  j'ai  droit  à  votre  respect  pour 
mes  convictions  religieuses.  L'insulte  faite  en  ma  présence  à 
Celui  que  j'adore,  est  faite  à  moi-même,  parce  qu'elle  s'adresse 
à  ma  foi,  à  ma  croj'ance,  à  mon  culte. 

Je  respecte  vos  convictions  politiques:  rendez-moi  la  pareille. 
J'ai  le  droit  d'adorer  Dieu;  j'ai  le  devoir  de  le  prier. 

J'ai  le  droit  et  le  devoir  d'adorer  Dieu,  j'ai  le  droit  de  ne  pas 
travailler  le  dimanche,  qu'il  a  spécialement  réservé  pour  lui 
rendre  nos  hommages  ;  et  vous  qui  êtes  mes  maîtres  ou  mes 
patrons,  vous  n'avez  pas  le  droit  de  m'y  contraindre,  hors  le  cas 
d'absolue  nécessité. 

Ce  jour  est  le  jour  que  Dieu  a  fait  pour  la  société,  pour  la 
famille,  pour  les  individus,  encore  plus  que  pour  lui-même.  La 
société,  la  famille,  les  individus  viennent  également  de  Dieu,  et 
lui  doivent  tout. 

^Quand  vous  me  faites  travailler  le  dimanche  sans  une  réelle 
nécessité,  vous  scandalisez  le  public,  vous  ruinez  ma  santé,  vous 
compromettez  mon  avenir  et  celui  des  miens, —  vous  abrutissez 
mon  âme,  qui  n'a  pas  le  temps  de  penser  à  Dieu,  —  Vous  me 
tuez  en  détail  et  physiquement  et  moralement,  puisque  mon 
corps  et  mon  âme  ont  besoin  de  repos  :  vous  vous  reposez  bien, 
vous  qui  commandez,  vous  vous  reposez  même  au-delà  du 
dimanche  ! 

Ne  dites  pas  qu'il  faut  manger  le  dimanche,  oui,  je  le  sais,  je 
voudrais  même  que  ce  joui'-là  la  table  fut  un  peu  mieux  servie 
pour  les  parents,  les  amis,  les  connaissances,  à  charge  de  retour. 
—  Le  dimanche  est  le  jour  de  l'amitié.  —  Eh  bien,  payez  six 
mois  pour  sept  et  le  pain  du  dimanche  sera  sauvé. 

Les  ouvriers  font  souvent  des  grèves.  Il  y  en  a  une  que 
j'approuverais,  c'est  la  grève  du  dimanche.  De  celle-là  j'en 
serais,  je  la  soutiendrais  de  tout  mon  cœur  et  {de  toutes  mes 
forces. 


LE  DROIT  ET  LE  DEVOIR  193 


IX 


Défendez  les  droits  des  pères  et  des  mères,  de  toutes  les  auto- 
rités spirituelles  et  temporelles.  Le  respect  s'en  va,  faites  re- 
venir le  respect.  Le  respect  est  la  reconnaissance  de  ce  qu'il  y  a 
de  divin  dans  l'homme  :  or  ou  chasse  Dieu,  et  dans  l'homme  il  ne 
reste  plus  que  l'animal  :  on  le  traite  comme  tel. 

Elevez,  agrandissez  votre  obéissance  ;  montrez,  dans  vos  sa- 
vantes études  juridiques,  montrez  que  ce  n'est  ni  à  un  roi,  ni  à 
un  maître  collectif  ou  personnel,  individu  ou  multitude,  ni  même 
à  un  Pape  que  nous  obéissons,  mais  à  Dieu  et  à  Dieu  seul. 
L'homme,  le  chrétien  surtout  est  trop  grand  pour  s'incliner 
devant  une  majesté  terrestre,  quelle  qu'elle  soit,  si  elle  ne 
commande  pas  au  nom  de  Dieu. 

Défendez  nos  œuvres  de  charité,  qu'on  veut  détruire  par  des 
impôts  équivalant  à  la  confiscation.  Ces  œuvres  sont  toutes  au 
profit  des  petits,  des  faibles,  des  pauvres,  des  ouvriers,  du  grand 
nombre  qui  forme  la  grande  majorité  habilement  trompée  et 
dupée,  qui  traite  ses  meilleurs  amis  comme  ses  pires  ennemis. 

Défendez  le  droit  de  propriété.  Dieu  a  dit:  Tune  voleras  pas. 
—  La  défense  de  voler  suppose  le  droit  de  posséder.  Sans  le 
droit  de  posséder,  le  vol  serait  permis. 

Si  j'ai  le  droit  de  posséder,  j'ai  le  droit  de  ne  pas  posséder. 
Donc  j'ai  le  droit  d'être  riche,  j'ai  le  droit  d'être  pauvre. 

Personne  ne  peut  m'empêcher  de  disposer  de  mon  bien  comme 
je  l'entends. 

Mon  moulin  est  à  moi,  comme  la  Prusse  est  au  roi,  di.-^ait  le 
meunier.  —  Le  meunier  était  un  brave  homme,  courageux  et 
énergique  :  mais  il  était  un  très  médiocre  philosophe  ;  il  se  trom- 
pait, ce  n'était  pas  la  Prusse  qui  appartenait  au  roi,  mais  bien 
le  roi  qui  appartenait  à  la  Prusse  :  car  les  rois  ne  sont  que  les 
serviteurs  de  leurs  sujets,  même, des -meuniers. 

Si  j'ai  le  droit  de  posséder,  je  puis  distribuer  tout  mon  bien 
aux  pauvres,  aux  ouvriers,  aux  fondations  charitables,  je  puis 
faire  l'aumône:  je  puis  la  recevoir.  J'ai  le  droit  d'embrasser  le 
genre  de  vie  qui  me  plaît,  de  vivre  au  pain  et  à  l'eau,  si  c'est 
mon  goût,  de  m'habiller  à  ma  façon,  dans  la  coupe,  la  forme  et 
la  couleur  qui  me  conviendront,  dussé-je  passer  pour  ridicule  à 
vos  yeux.  —  En  fait  de  ridicule  dans  ce  genre,  les  mondains 
et  les  mondaines  particulièrement  sont  des  modèles  achevés 
et  variés. 


194  ANNALES  CATHOLIQUES 

Défendez  nos  ordres  religieux,  qui  sont  toujours  à  l'avant- 
garde  dans  l'armée  du  bien.  —  Vous  l'avez  déjà  fait  vaillam- 
ment :  continuez.  —  Vous  savez  que  vous  n'êtes  pas  au  bout. 

Mais  je  suis  trop  long.  —  Je  passe  sur  beaucoup  de  nos  droits 
méconnus  :  vous  ne  les  oublierez  pas.  —  Cependant,  je  ne  puis 
pas  ne  pas  vous  dire  :  Défendez  l'éducation  chrétienne. 

Dites  donc  bien  haut  :  Nous  avons  le  droit  d'enseigner,  puis- 
que nous  avons  la  vérité  qui  ne  trompe  jamais,  et  la  science  qui 
ne  se  trompe  pas  plus  chez  nous  que  chez  vous. 

J'ai  le  droit  de  faire  élever  mon  enfant  comme  je  veux;  et  par  qui 
je  veux;  et  vous  qui  ouvrez  et  fermez  à  volonté  le  trésor  public, 
ce  trésor  rempli  par  tout  le  monde,  vous  avez  le  devoir  de  m'aider 
si  je  suis  pauvre,  et  de  me  faire  participer  aux  largesses  que  vous 
distribuez  si  généreusement  aux  élèves  de  vos  écoles  :  ils  ne  sont 
pas  plus  Français  que  nos  fils  et  nos  filles.  —  Nous  réclamons 
notre  part  dans  la  justice  distributive  dont  nous  supportons  les 
charges  aussi  bien  que  vous.  —  En  revendiquant  nos  droits, 
nous  ne  demandons  aucune  faveur  :  nos  droits  nous  suffisent  : 
nos  droits  et  Dieu,  c'est  assez  :  nous  nous  chargeons  du  reste. 

En  finissant,  laissez-moi  vous  citer  un  trait  de  la  Bible:  c'était 
au  temps  de  la  terrible  persécution  d'Antiochus  contre  les 
Juifs.  —  Un  vaillant  soldat,  du  nom  deMathathias,  se  leva  pour 
venger  les  droits  de  Dieu  et  de  sa  nation.  Les  hommes  d'Antio- 
chus tentèrent  de  le  séduire,  parce  qu'il  jouissait  d'une  grande 
considération  parmi  les  siens.  On  lui  demandait  des  services  :  il 
répondit  par  un  arrêt  de  sa  conscience.  Dussé-je  rester  seul, 
<Mi-[\^Jen^  abandonnerai  pas  la  loi  de  mes  pères, je  n'obéis  pas 
au  précepte  du  roi,  mais  au  précepte  de  la  loi. 

Beaucoup  d'entre  vous,  messieurs,  ont  fait  cette  réponse,  et 
eux  aussi  répondirent  par  un  arrêt  de  leur  conscience. 

Mathathias  dit  au  peuple  :  «  Que  quiconque  a  le  zèle  de  la  loi, 
vienne  après  moi  et  me  suive  !  »  Et  il  délivra  son  peuple,  parce 
qu'il  avait  défendu  la  loi,  c'est-à-dire  le  droit,  c'est-à-dire  Dieu. 

Au  moment  de  mourir,  il  n'eut  pas  d'autre  recommandation  à 
faire  à  ses  fils  : 

Vos  ergo  filii,  confortamini  et  viriliter  agite  in  lege  quia 
in  ipsa  gloriosi  eritis. 

Vous  donc,  mes  enfants,  prenez  courage,  et  combattez  sans 
crainte  et  sans  peur  pour  la  loi,  parce  que  par  elle  vous  serez 
couverts  de  gloire. 

Et  moi  aussi,  jo  vous  le  répète,  mes  chers  amis.  Conforta- 


UNB  TÊTE  COUPÉE  QUI  PARLA  195 

mini  et  viriliter  agite...  Soyez  courageux,  soyez  des  hommes 
de  caractère.  Aujourd'hui  nous  avons  plus  que  jamais  besoin  do 
caractère.  —  Les  dignités  sont  peu  de  chose,  ou  si  elles  ont 
quelque  valeur,  elles  ne  valent  que  par  le  caractère  qui  les 
relève. 

En  fondant  votre  œuvre,  vous  avez  dit  comme  Mathathias  : 
Omnis  qui  zelum  hahet  legis,  exeat  post  me.  Vous  qui  avez  le 
zèle  de  la  loi,  c'est-à-dire  du  droit,  venez  avec  nous  ;  nous  com- 
battrons pour  Dieu  et  pour  l'Eglise,  nous  combattrons  pour 
la  France,  qui  fait  une  même  cause  avec  Dieu  et  avec  l'Eglise  ; 
par  la  défense  du  droit  nous  serons  couverts  de  gloire  devant 
les  hommes,  et  surtout  devant  Dieu,  quia  in  ipso  gloriosi  eritis. 


UNE  TETE  COUPEE  QUI  PARLA 
Légende  espagnole  [suite] 

III 

L'heure  était  favorable,  le  moment  propice  :  que  devait-il 
faire?  Il  hésita  quelques  instants,  puis  marchant  sur  la  pointe 
des  pieds  pour  ne  pas  réveiller  son  maître,  il  s'approcha  de  lui 
pour  bien  constater  son  sommeil,  et,  cela  fait,  d'une  main  vi- 
goureuse mais  tremblante,  il  lui  trancha  la  tête. 

L'opération  ne  fut  pas  longue;  il  lui  fallut  pour  l'accomplir 
moins  de  temps  qu'il  n'en  faut  pour  la  raconter.  Le  diable  avait 
triomphé,  et  à  minuit  un  quart  tout  était  fini.  Francesco  n'était 
plus  d'ici-bas. 

Mais  ce  n'était  là  que  le  premier  acte  de  cette  sanglante  tra- 
gédie. A  minuit  et  demi,  le  corps  mutilé  du  brigand  avait  déjà 
roulé  dans  le  ravin  qui  clapotait  au  pied  de  la  montagne  et  Al- 
manzor  emportait,  dans  un  sac  de  cuir,  la  tête  qu'il  venait  de 
couper. 

Vers  trois  heures  du  matin,  après  une  course  effrénée  dans 
les  montagnes,  il  se  trouva  aux  abords  de  Monistrol,  en  face  de 
trois  routes.  Quelle  était  celle  de  Barcelone?  Il  ne  le  savait  pas  : 
car  il  connaissait  encore  assez  peu  le  pays.  Personne  n'était  là 
pour  le  lui  dire;  et  il  n'osait  pas  réveiller  les  habitants  du  vil- 
lage pour  le  leur  demander,  de  peur  que  l'émotion,  qui  malgré 
tout  l'étreignait  au  cœur,  ne  vînt  à  le  trahir. 

Il  regardait  autour  de  lui,  pour  s'orienter,  il  consultait  l'hori- 


196  ANNALES     CATHOLIQUES 

zon,  ne  sachant  trop,  non  pas  à  quel  saint,  mais  à  quel  chemin 
se  vouer,  quand  il  entend  une  voix  sourde  et  sépulcrale  qui  lui 
dit  :  «  Mon  ami,  il  faut  passer  à  droite,  c'est  là  la  route  de  la 
capitale  de  la  Catalogne.  » 

D'oii  venait  cette  voix,  d'abord,  il  ne  peut  le  comprendre. 
Emu,  terrifié,  il  cherche  à  droite,  il  cherche  à  gauche,  mais 
nulle  part,  il  n'y  a  l'ombre  d'un  être  vivant.  La  nuit  est  noire, 
et  il  y  a  partout  un  silence  de  tombe.  Il  écoute  de  nouveau,  et 
voilà  qu'encore  une  fois  la  voix  mystérieuse  se  fait  entendre 
pour  dire  :  «  Mon  ami,  voici  la  route  de  Barcelone.  » 

Ce  coup-ci  il  ne  peut  plus  y  avoir  da  doute;  c'est  la  tête  cou- 
pée qui  parle  au  fond  du  sac  de  cuir.  Jugez  de  la  terreur  qui 
s'empare  alors  de  l'assassin.  Que  va-t-il  faire?  Abandonner  sa 
proie,  et  par  suite,  son  espérance,  les  mille  douros  qu'il  a 
gagnés,  ou  bien  continuer  sa  route  vers  Barcelone,  au  risque 
d'être  trahi  en  chemin  parla  tête  parlante?  Il  s'arrête  au  second 
projet;  et  le  voilà  parti,  pâle  de  frayeur  et  déjà  torturé  par  le 
remords. 

Le  remords  est  l'épine  cruelle  qui  naît  dans  l'âme  coupable, 
après  le  péché;  c'est  une  voix  sinistre  qui  poursuit  sans  relâche 
la  conscience  criminelle;  c'est  un  œil  fascinateur  qui  s'acharne 
à  tourmenter  le  pécheur;  et  personne  ne  peut,  eût-il  pour  le 
garder  une  cohorte  de  prétoriens  et  l'impunité  d'une  couronne, 
se  soustraire  au  mal  que  fait  cette  épine,  au  trouble  que  pro- 
duit cette  voix,  à  la  fascination  qu'exerce  cet  œil  quand  il  a 
commis  un  crime.  Le  tigre  boit  le  sang  d'un  agneau  et  dort 
tranquille,  l'homme  tue  son  semblable,  il  ne  dort  plus;  il  est 
sans  cesse  poursuivi  comme  par  des  furies  vengeresses.  Dieu  l'a 
voulu  ainsi  pour  que  les  scélérats  trouvassent,  dès  ici-bas,  le 
châtiment  de  leurs  forfaits. 

Almanzor  le  sentit  bientôt,  mais  il  n'était  pas  encore  au  bout 
de  ses  épreuves. 

Arrivé  à  Barcelone,  il  demande  à  parler  à  l'alcade-mayor.  In- 
troduit auprès  de  lui,  il  lui  expose  l'objet  de  sa  visite,  et  au  mo- 
ment oii  il  veut  lui  montrer  la  tête  pour  laquelle  il  réclame  les 
mille  douros  promis  par  le  roi,  voilà  que  celle-ci  se  prend  à 
ouvrir  les  yeux,  et  à  remuer  les  lèvres. 

«  Ce  n'est  pas  ici,  dit-elle,  que  je  dois  reposer  :  c'est  à  Gé- 
rone;  Almanzor,  continue  ta  route.  » 

En  entendant  ces  mots,  l'alcade  est  pris  de  peur,  appelle  deux 
gendarmes  et  sans  autre  forme  de  procès,  fait  mettre  à  la  porte 


UNE  TÊTE  COUPEE  QUI  PAUl-A  197 

le  quémandeur  que  l'on  ne  regarde  plus  que  comme  un  hallu- 
ciné ou  comme  un  fou.  Celui-ci  sentant  de  plus  en  plus  la  pointe 
acérée  du  remords  et  se  voyant  en  outre  déçu  de  sa  chère  espé- 
rance, et  couvert  d'opprobre,  prend  alors  le  parti  d'aller  jeter 
dans  la  mer  la  tête  accusatrice. 

Mais  là,  elle  lui  adresse  encore  la  parole  et  le  supplie  de  la 
porter  au  tombeau  de  Dolorès.  Il  n'ose  pas  résister  à  cette  der- 
nière supplication,  et  moitié  mort  de  fatigue  et  de  terreur,  il 
prend  le  chemin  de  Gérone. 

Il  arrive  dans  cette  ville,  à  la  chute  du  jour,  se  fait  indiquer 
le  cimetière,  et  après  quelques  instants  de  recherches,  il  finit 
par  découvrir  une  croix  sur  laquelle  il  lit  l'inscription  suivante  : 
€  Ci-git  Dolorès  Ysbert.  »  M'y  voici^  dit-il. 

Aussitôt,  il  creuse  un  trou  dans  la  fosse  qui  contient  les  cen- 
dres de  la  femme  de  son  maître,  et  se  dispose  à  y  coucher  la 
tête  de  Francesco.  Il  commençait  déjà  à  la  couvrir  de  terre 
quand,  pour  la  dernière  fois,  elle  rouvrit  les  yeux  et  remua  les 
lèvres  :  «  Arrête,  s'écria-t-elle  d'une  voix  plus  forte  et  plus  ter- 
rible que  jamais,  arrête  Almanzor.  Je  te  remercie  de  me  donner 
enlin  le  repos  que  j'ambitionnais  auprès  de  ma  chère  Dolorès... 
Mais,  avant  de  me  taire  pour  jamais,  je  veux  te  dire...,  lâche, 
que  tu  as  commis  un  crime  horrible,  impardonnable;  car  tu  as 
commis  un  parricide,  je  suis  ton  père!!  »  Foudroyé  par  cette 
révélation  inattendue,  Almanzor  tomba  à  terre  évanoui.  Com- 
bien de  temps  resta-t-il  sans  connaissance?  il  ne  put  jamais  le 
dire.  Mais,  en  reprenant  ses  sens  et  en  remémorant  ses  souve- 
nirs, il  finit  par  comprendre  le  secret  que  Francesco  voulait  lui 
révéler,  quand  il  lui  avait  dit  d'aller  le  trouver  à  minuit.  Il 
comprit  également  l'affection  particulière  que  son  maître  lui 
témoignait,  au  risque  de  rendre  jaloux  ses  compagnons. 
Mais  c'était  trop  tard. 

Bourrelé  de  remords,  il  quitta  Gérone,  non  sans  être  venu 
prier  quelques  instants  sur  la  tombe  de  l'auteur  de  ses  jours; 
et  puis,  sans  se  demander  ce  qu'il  ferait,  ce  qu'il  deviendrait,  il 
reprit  le  chemin  des  montagnes  qui  avoisinent  Montserrat  ;  il 
revint  dans  le  pays  où  son  père  l'avait  conduit  enfant  sans  lui 
dire  son  nom  et  sa  naissance- 
Dieu  voulait-il  le  mettre  sur  la  route  du  repentir?  il  le 
semble,  car  un  soir,  après  avoir  erré  trois  mois,  déguenillé, 
mendiant  son  pain  dans  les  fermes  et  les  châteaux,  il  fut  ren- 
contré au  bord  d'un  ravin,  par  un  moine  qui  passait  en  égrenant 
son  rosaire  : 


198  ANNALES    CATHOLIQUES 

—  Que  faites-vous  là,  mon  ami?  lui  dit  le  religieux. 

—  Je  ne  fais  rien,  répondit  notre  vagabond. 

—  Mais  d'où" venez-vous? 

—  Je  n'en  sais  rien. 

—  Où  allez-vous? 

—  Je  ne  le  sais  pas  davantage. 

—  Qui  donc  étes-vous? 

—  Je  suis  un  parricide! 

Le  mot  intrigua  le  moine  qui  demanda  des  explications  avec 
une  grande  bienveillance.  Elles  lui  furent  données  en  toute 
franchise,  si  bien  qu'elles  l'émurent  en  faveur  du  pauvre  diable 
qui  venait  de  les  lui  donner,  et  il  lui  dit,  plein  de  compatis- 
sance  pour  ses  misères  :  Suivez-moi. 

Où  le  conduisit-il?  on  le  devine  :  à  son  monastère,  à  Montser- 
rat.  Là,  il  le  recommanda  au  Père  hôtelier  qui  aussitôt  lui  fit 
servir  un  bon  souper,  et  lui  assigna  ensuite  une  modeste 
chambre  pour  la  nuit.  Il  y  dormit  un  peu  mieux  que  sur  les 
grandes  routes,  et  le  lendemain,  son  sauveur,  qui  lui  défendit 
de  raconter  son  histoire  à  personne  jusqu'à  nouvel  ordre,  vint 
longuement  s'entretenir  avec  lui  dans  sa  petite  cellule. 

Il  fut  convenu  qu'il  passerait  six  mois  dans  le  couvent,  où  il 
travaillerait  dans  le  silence  et  la  mortification  à  se  réhabiliter, 
et  qu'après  ce  temps  il  suivrait  la  destinée  que  la  Providence 
voudrait  bien  lui  indiquer. 

Ainsi  fut  fait;  quand  les  six  mois  furent  écoulés,  Almanzor 
demanda  à  prendre  le  froc  bénédictin,  mais  son  confesseur  ne 
crut  pas  devoir  le  lui  permettre  à  cause  de  son  crime.  Heureu- 
sement pour  la  consolation  du  parricide  converti  et  repentant, il 
trouvera  un  terme  moyen. 

Il  l'engagea  à  se  retirer  dans  la  solitude  sauvage  de  San-Ger- 
minio  et  d'y  vivre  en  ermite,  dans  un  costume  semi-religieux. 
San-Germinio  est  la  cime  la  plus  haute  et  la  plus  escarpée  de 
la  montagne  de  Montserrat.  Elle  ne  semble  faite  que  pour  des 
aigles  ou  des  stylites.  Quand  on  arrive,  on  peut  se  croire  au 
bout  du  monde,  et  quand  on  y  vit,  on  est  en  quelque  sorte  aux 
portes  du  ciel. 

On  y  domine  un  panorama  immense,  grandiose,  prestigieux 
et  l'on  ne  peut  y  avoir  de  conversation  qu'avec  les  anges. 

Plusieurs  solitaires  y  ont  passé  jadis  leur  vie,  dans  des  aus- 
térités qui  nous  font  frissonner  et  dans  une  retraite  dont  les  ours 
eUX-mêmes  ne  voudraient  pas.  Ils  avaient  là,  dans  le  creux  du 


UNE  TÊTE  COUPÉE  QUI  PARI.A  199 

rocher  à  peine  accessible  au-dessus  des  précipices,  une  cellule, 
une  citerne,  un  oratoire,  un  parterre  et  quelques  livres.  Ils  des- 
cendaient le  dimanche  au  sanctuaire  pour  entendre  la  messe  et 
faire  leur  provision  spirituelle  de  la  semaine,  et  puis,  ils  remon- 
taient dans  leur  grotte  pour  y  manger,  trempé  de  leurs  larmes, 
le  pain  qu'une  main  charitable  leur  faisait  parvenir  de  loin  en 
loin,  et  y  continuer,  sous  l'œil  de  Dieu,  leur  dure  existence  faite 
de  prières  et  de  méditations. 

Tel  fut  le  genre  de  vie  qu'Almanzor  adopta.  Il  arriva,  malgré 
tout,  à  une  extrême  vieillesse  et  son  heure  étant  venue,  il  s'étei- 
gnit plein  de  vertus. 

Ainsi  se  terminait  l'histoire  de  la  tête  coupée  qui  parla. 

Quand  le  Père  abbé  eut  achevé  son  récit  que  nous  avions 
écouté  avec  une  attention  religieuse,  je  me  hasardai  à  lui 
demander  :  c  Qu'est  devenu  le  poignard  du  parricide  ?  Vous  n'en 
parlez  pas,  et  cependant  c'est  le  couteau  catalan  que  vous  m'avez 
oôert  qui  a  mis  sur  vos  lèvres  la  palpitante  histoire  que  nous 
venons  d'entendre.  > 

«  —  C'est  juste,  répondit  le  bon  religieux,  et  votre  question 
s'impose  d'elle-même.  Eh  bien,  ce  poignard  nous  l'avons  gardé 
longtemps  dans  le  monastère;  Almanzor  qui  ne  s'en  dessaisit 
qu'à  sa  mort,  aurait  voulu  que  nous  le  fissions  figurer,  dans 
notre  trésor,  au  milieu  des  ex-voto  que  les  pèlerins  laissent  à 
Notre-Dame  de  Montserrat. 

«Nous  n'avons  pas  voulu  que  l'instrument  d'un  assassinat  eût 
sa  place  parmi  les  souvenirs  religieux  qui  sont  offerts  au  sanc- 
tuaire. Un  jour,  un  prince  de  passage  eu  eut  envie,  et  nous  lui 
fîmes  cadeau,  comme  je  vous  fais  cadeau  du  couteau  que  vous 
emportez.  > 

Mon  couteau  catalan  je  l'ai  encore  ;  je  le  montre  avec  orgueil 
et  je  m'en  sers  avec  plaisir.  Il  n'a  jamais  coupé  aucune  tête,  pas 
même  la  tête  d'un  pigeon  ou  d'un  poulet.  Il  est  vierge  de  sang; 
il  a  bu  tout  au  plus,  quelquefois  à  mes  repas,  le  sang  d'un© 
poire  ou  d'une  pomme  ;  il  n'a  pas  commis  d'autre  méfait,  et  je 
lui  l'éserve  comme  nouvelle  fonction,  un  jour,  découper  les  feuil- 
les du  livre  qui  portera  l'histoire  de  la  tête  coupée  qui  parla. 

Henry  Calhia.t. 


200 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LE  CZAR  ET  LA  FAMILLE  IMPÉRIALE  DE  RUSSIE 

Alexandre  III  a  succédé  à  son  père,  Alexandre  II,  tombé  sous 
les  bombes  des  nihilistes  le  13  mars  1881. 

Certes,  à  ce  moment,  l'avenir  de  la  Russie  n'apparaissait  pas 
sous  de  riantes  couleurs.  La  guerre  russo-turque  avait  épuisé 
les  finances,  et  les  nihilistes  terrorisaient  l'empire.  En  outre, 
celui  qui  venait  de  prendre  le  nom  d'Alexandre  III  n'était  pas 
tout  d'abord  destiné  à  porter  la  lourde  couronne  de  toutes  les 
Russies,  et  le  genre  d'éducation  qu'il  avait  reçue  ne  paraissait 
pas  devoir  le  rendre  apte  à  gouverner  cent  millions  d'hommes. 
Aussi  était-on  tenté  de  croire  qu'il  n'avait  accepté  le  pouvoir 
suprême  qu'avec  résignation  et  sans  enthousiasme. 

Il  n'était  devenu  héritier  du  trône  qu'après  la  mort  de  son 
frère  Nicolas,  mort  à  Nice  en  1865,  comme  le  duc  d'York  ne 
l'est  devenu  en  Angleterre  qu'après  le  décès  du  duc  de  Cla- 
rence.  Le  mariage  du  grand-duc  Alexandre  eut  lieu  dans  des 
circonstances  toutes  pareilles  à  celui  du  prince  anglais. 

Alexandre  lia  pris  sa  tâche  à  cœur,  et  il  a  rendu  à  la  Russie 
des  services  que  l'histoire  gravera  sur  des  tables  de  bronze.  On 
peut  en  eflet  le  caractériser  d'un  mot  en  disant  qu'il  est  le  pre- 
mier des  Slaves  et  le  plus  honnête  homme  de  l'empire.  Il 
montre  en  politique  et  en  administration  des  vertus  peu  com- 
munes et  une  ténacité  à  toute  épreuve. 

Il  n'est  peut-être  pas  de  souverain  plus  occupé.  Il  remplit 
tous  les  devoirs  de  sa  charge  avec  une  ponctualité  digne  de 
remarque.  Revues,  cérémonies  religieuses,  réceptions,  tout  y 
passe,  j  compris  les  visites  aux  grands  personnages  qui  se 
trouvent  in  arliculo  inortis.  Comme  Nicolas  I'^,  l'Empereur 
actuel  ne  manque  pas,  en  effet,  d'aller  visiter  les  hauts  fonc- 
tionnaires en  danger  de  mort  et  leur  porter  les  suprêmes  conso- 
lations. On  raconte  même  qu'un  de  ces  malades  étant  revenu  à 
la  santé,  chacun  disait  de  lui  :  «  Voilà  un  manque  grave  de 
politesse  ;  un  tel  eût  dû  mourir.  » 

Ainsi  qu'en  fait  foi  l'anecdote  suivante,  Alexandre  III,  esclave 
du  devoir,  s'impose  volontiers  un  sacrifice  quand  il  s'agit  de 
montrer  l'exemple.  Un  jour,  on  avait  organisé  en  Finlande  une 
grande  pêche  aux  écrevisses.  Les  préparatifs  étaient  faits, 
quand  l'un  des  invités  remarqua  que  la  pêche  n'était  pas  encore 
ouverte.  Aussitôt  le  Tsar  contremanda  tout,  et  chacun  rentra 
les  mains  vides. 


LE  CZAR  ET  liA  FAMILLE  IMPÉRIALE  DE  RUSSIE  201 

Quand,  en  parlant  de  la  Russie,  on  a  dit  «  autocratie  par 
excellence  »,  on  croit  avoir  tout  dit.  Certes,  les  ministres  n'y 
jouent  guère  que  le  rôle  de  simples  commis  expéditionnaires; 
mais,  à  côté  de  cela,  la  commune  gère  elle-même  ses  intérêts  et 
jouit  d'une  indépendance  que  l'on  serait  fort  loin  de  soupçonner. 
Bien  plus,  en  1892,  sur  l'ordre  de  l'Empereur,  l'Etat  a  cédé 
dans  certaines  localités,  à  titre  d'essai,  des  parcelles  de  terre 
appartenant  à  la  commune,  ces  terrains  devant  être  cultivés  en 
commun  par  les  habitants.  Voilà,  certes,  une  expérience  hardie, 
que  le  souverain  compte  généraliser  si  elle  donne  d'heureux 
résultats. 

Le  pouvoir  absolu  de  l'empereur  a  donc  parfois  du  bon. 
Autre  exemple:  Saint-Pétersbourg,  qui  pèche  sous  plus  d'un 
rapport,  a  été  une  des  premières  villes  éclairées  à  l'électricité. 
Devant  un  oukase  impérial,  l'administration  perd  ses  droits, les 
bureaucrates  s'inclinent,  les  formalités  disparaissent  comme  par 
enchantement.  L'Empereur  a  donné  l'ordre  d'éclairer  la  ville  à 
l'électricité;  la  chose  s'est  faite  immédiatement. 

La  méfiance  étant  un  des  traits  dominants  de  son  caractère, 
l'Empereur  a  en  horreur  toute  espèce  de  changement,  surtout 
dans  son  entourage.  Aussi,  ses  ministres  conservent-ils  leurs 
fonctions  jusqu'à  la  mort,  ou  jusqu'à  ce  que  leur  état  de  santé 
les  rende  tout  à  fait  incapables  de  les  exercer. 

Son  tempérament  est  essentiellement  pacifique.  Il  disait  un 
jour  :  <  La  vue  d'un  convoi  de  blessés  efi'ace  dans  mon  esprit  le 
souvenir  de  la  plus  belle  victoire.  » 

Nous  citons  ce  trait  à  titre  de  simple  exemple  :  l'Empereur 
n'est  point  prodigue  de  ces  aphorismes,  et  l'historien  qui,  pour 
toute  besogne,  aurait  à  noter  ses  saillies,  jouirait  d'une  excel- 
lente sinécure.  Car  le  Tsar  parle  très  peu,  bien  que  ses  mots 
partent  quelquefois  comme  des  fusées.  Au  bal,  il  ne  souffle  mot, 
surtout  aux  dames.  Et  cette  attitude  de  sphinx  a  tout  au  moins 
l'avantage  de  lui  éviter  les  indiscrétions  ou  les  imprudences. 

Jamais  Alexandre  III  ne  commettrait  une  maladresse  dans  le 
genre  de  celle  que  commit,  dit-on,  son  père.  C'était  aux  grandes 
manoeuvres,  Alexandre  II  se  trouvait,  pendant  un  mouvement 
d'infanterie,  entre  le  général  Chanzy,  alors  ambassadeur  de 
France,  et  l'attaché  militaire  allemand.  Une  division  d'infante- 
rie ayant  réussi  à  faire  l'autre  prisonnière,  l'autocrate  se  tourna 
vers  le  général  Chanzy,  et  lui  lança  simplement  ces  mots  : 
<  C'est  un  petit  Sedan  !  »  L'ambassadeur  sut  se  contenir  et  ne 

15 


202  ANNALES    CATHOLIQUES 

répondit  rien.  Aussitôt  l'Empereur  s'aperçut  de  sa  faute  et 
s'excusa  de  son  mieux. 

Le  faste  de  la  Cour  paraît  importuner  Alexandre  III,  plutôt 
fait  pour  la  vie  de  famille  que  pour  présider  des  cercles  diplo- 
matiques. On  dirait  que  la  représentation  lui  est  à  charge  ;  il 
accomplit  sans  enthousiasme  cette  partie  de  ses  devoirs  profes- 
sionnels, si  je  puis  m'exprimer  ainsi.  En  supposant  qu'il  con- 
sente à  répondre  il  émettrait  certainement  à  cet  égard  le  même 
avis  que  le  duc  Ernest  de  Saxe-Cobourg-Gotha  :  «  Rien  que  de 
dire  à  mon  valet  de  chambre  les  uniformes  qu'il  faut  emporter 
à  Berlin,  j'en  suis  déjà  malade.  Je  me  représente  par  avance  le 
nombre  de  fois  que  j'aurai  à  me  vêtir  et  à  me  dévêtir.  » 

En  dehors  des  cérémonies  officielles,  la  famille  impériale 
mène  une  existence  des  plus  retirées,  au  palais  de  Gatchina, 
près  de  Saint-Pétersbourg.  L'Empereur  ne  passe  guère  que  deux 
mois  par  an  dans  sa  capitale,  et,  au  lieu  d'adopter,  comme  son 
père,  le  palais  d'Hiver,  Alexandre  III  se  confine  au  palais 
Anitchkofi",  sur  la  perspective  Newsky. 

Cet  édifice,  relativement  modeste,  rappelle  de  doux  souvenirs 
a  ses  augustes  hôtes.  C'est  là  que  l'Empereur  et  l'Impératrice 
ont  passé  les  premières  années  de  leur  mariage,  alors  qu'Alexan- 
dre III  n'était  encore  que  grand-duc  héritier.  C'est  là  aussi  qu'ils 
revinrent  après  la  catastrophe  sanglante  qui  mit  fin  aux  jours 
de  l'infortuné  Alexandre  II. 

Mais  le  Tsar  passe,  sans  contredit,  le  meilleur  de  son  temps 
dans  les  Etats  de  son  beau-père  le  roi  de  Danemark)  et  il  a  fait 
construire,  pour  s'y  rendre  commodément  le  plus  grand  yacht 
du  monde,  V Etoile  polaire  [Polarnaïa  Zvezda).  Ce  magnifique 
bâtiment  ne  met  que  trente-huit  heures  pour  aller  de  Saint- 
Pétersbourg  à  Copenhague. 

En  Danemark,  le  Tsar  vit  comme  un  bon  bourgeois,  sans 
aucun  souci  de  l'étiquette,  délivré  des  revues,  des  dîners,  des 
bals,  des  diplomates  et  même  de  ses  dix  ministres.  Il  fait  par- 
fois au  château  de  Fredensborg  de  longs  séjours,  et  l'on  peut 
s'étonner  que  le  souverain  d'un  si  vaste  empire  puisse  gouver- 
ner de  loin,  sans  l'assistance  de  fonctionnaires,  pas  même  d'un 
simple  secrétaire.  Il  reçoit  des  télégrammes  concernant  toutes 
les  affaires  de  quelque  importance  et,  chaque  semaine,  un  cour- 
rier apporte  de  volumineux  dossiers  à  l'autocrate,  qui  les  exa- 
mine à  lui  seul. 

En  dehors  des  occupations  politiques,  les  hôtes  impériaux  et 


1>E  CZAR  ET  LA  FAMILLE  IMPÉRIALE  DE  RUSSIE  203 

royaux  de  Fredensborg  passent  une  bonne  partie  de  leur  temps 
à  poser  devant  les  appareils  photographiques. 

Chaque  année,  les  vitrines  de  Bredgade  présentent  à  l'avidité 
du  public  danois  de  nouvelles  épreuves  des  familles  de  Russie, 
d'Angleterre,  de  Grèce  et  de  Danemark  réunies.  On  obtient 
ainsi  des  groupes  importants  de  trois  générations,  dont  le  roi 
Christian  et  la  reine  Louise  forment  le  point  central.  L'intérêt 
de  ces  épreuves  n'échappera  pas  au  lecteur,  s'il  veut  bien  se 
rappeler  que  le  prince  de  Galles  a  quatre  enfants;  l'empereur 
de  Russie,  cinq;  le  roi  de  Grèce,  six;  la  duchesse  de  Cumber- 
land,  six;  la  princesse  royale  de  Danemark,  huit.  On  a  tout  de 
suite  une  cinquantaine  de  personnages. 

Outre  le  Danemark,  Alexandre  III  visite  annuellement  di- 
verses parties  de  son  empire,  entre  autres,  la  Volh^'nie  et  la  Cri- 
mée. Pourtant,  ce  dernier  pays  semble  baisser  dans  la  faveur  du 
tsar.  Chacun  des  séjours  du  couple  impérial  est  marqué  par  des 
deuils  ou  des  accidents.  En  1892,  c'était  le  prince  Obolensky,  dont 
la  mort  créa  dans  son  entourage  un  vide  considérable.  Au  mois 
d'avril  1893,  le  vice-amiral  Bassarguine,  son  capitaine  de  pa- 
villon, l'un  des  familiers  d'Anitchkoff  et  de  Gatchina,  qui  avait 
accompagné  le  grand-duc  héritier  dans  son  voyage  de  1891,  au- 
tour du  monde.  Puis  le  comte  Voronzoff,  très  malade  lui-même, 
obligé  de  retourner  en  hâte  à  Saint-Pétersbourg  pour  voir  son 
fils  mourir  du  typhus.  Enfin  le  général  Richter  qui,  pendant 
quinze  jours,  est  resté  à  Livadia  entre  la  vie  et  la  mort. 


L'impératrice  est,  au  physique,  l'opposé  de  l'empereur.  Au- 
tant celui-ci  est  grand  et  fort,  autant  la  souveraine  est  petite, 
mince  et  plutôt  frêle.  Sa  bienveillance  et  son  amabilité  ne  se 
démentent  jamais,  qu'elle  soit  en  toilette  de  ville  et  en  chapeau 
rond,  ou  coiflfée  du  kakochnik  national  et  parée  de  diamants  de 
la  couronne,  à  l'occasion  des  fêtes  du  palais  d'Hiver.  Elle  ne 
quitte  jamais  son  impérial  époux,  toujours  prête  à  partager  sa 
bonne  comme  sa  mauvaise  fortune. 

Qui  pourrait  affirmer  que  la  présence  de  Marie  Féodorovna 
n'a  pas  évité  déjà  quelques  catastrophes?  Car,  à  un  moment 
donné,  le  nihiliste,  si  féroce  qu'il  soit,  hésitera  peut-être  à 
immoler  une  femme  à  son  ressentiment.  Le  nom  de  la  souve- 
raine est  mêlé  à  toutes  les  oeuvres  de  charité  :  les  pauvres  l'ap- 
pellent c  notre  mère  ». 


204  ANNALES    CATHOLIQUES 

A  la  cour,  l'impératrice  tient  au  respect  de  la  tradition,  sur- 
tout en  matière  de  modes;  elle  proscrit  notamment  le  décoUe- 
tage  carré,  la  grande  maîtresse  de  la  cour  se  chargeant  d'ailleurs 
de  maintenir  sous  la  férule  les  demoiselles  d'honneur  avec  ou 
sans  portrait. 

L'empereur  de  Russie  a  cinq  enfants,  dont  l'aîné,  Nicolas, 
porte  le  titre  de  grand-duc  héritier.  C'est,  quant  à  la  taille,  le 
plus  petit  des  Romanoff.  Oa  l'a  élevé  avec  une  grande  simpli- 
cité, plutôt  comme  le  fils  d'un  bourgeois  que  comme  l'héritier 
du  trône  des  Russies.  A  la  suite  de  longues  pérégrinations  dans 
l'intérieur  de  l'empire,  Alexandre  III  lui  a  fait  entreprendre  un 
voyage  de  circumnavigation,  destiné  à  servir  de  couronnement 
à  ses  études.  Il  a  rapporté  de  cette  expédition  une  cicatrice, 
encore  très  apparente,  au  côté  droit  du  front.  L'agression  dont 
le  grand-duc  fut  victime,  de  la  part  d'un  illuminé,  fit,  dans  le 
temps,  le  tour  de  la  presse. 

Depuis  son  retour  en  Russie,  il  commande  un  bataillon  du 
régiment  Préobajensky,  et,  comme  tous  les  autres,  il  fait,  à  son 
tour,  la  garde  au  palais  d'Hiver.  Il  parle  peu  et  joue  parfaite- 
ment le  rôle  de  second  plan  que  lui  assigne  son  rang  de  prince 
héritier,  peut-être  avec  un  peu  de  timidité,  mais  d'une  timidité 
qui  ne  va  jamais  jusqu'àla  gaucherie. 

On  a  parlé,  dans  ces  derniers  temps,  d'une  union  possible 
entre  le  tsaréwitch  et  la  princesse  Sybil  de  Hesse-Cassel,  propre 
nièce  de  la  reine  Louise  de  Danemark.  Ce  mariage  aurait  été 
décidé  pendantle  séjour  actuel  des  familles  impériales  et  royales 
au  château  de  Fredensborg.  Rien  de  formel  n'a  transpiré  jus- 
qu'à ce  jour.  [Correspondant). 


CHRONIQUE   DE    LA   SEMAINE 

Les  fûtes  franco-russes.  —  Obsèques  du  maréchal  de  Mac-Mahon. —  Visite 
à  l'Archevêque  de  Paris.  —  Te  Deum  à  Paris.  —  A  l'église  du  Vœu 
National.  —  Un  discours  de  M.  de  Mun.  —  Etranger. 

26  octobre  1893. 

Les  fêtes  données  à  Paris,  en  l'honneur  des  officiers  de  l'es- 
cadre russe,  ont  pris  fin  mardi  soir.  Après  une  série  inoubliable 
de  réjouissances,  après  une  magnifique  représentation  de  gala 
qui  leur  a  été  offerte  à  l'Opéra,  nos  hôtes  ont  repris,  vers  une 


CHRONIQUE  DE  LA.  SEMAINE  205 

heure  du  matin,  la  route  de  Toulon,  en  passant  par  Lyon  et 
Marseille  oii  leur  visite  recevra  le  même  accueil  enthousiaste. 
Puis,  revenus  à  leur  bord,  où  le  Président  de  la  République  ira 
leur  adresser,  lui-même,  l'adieu  du  départ,  ils  quitteront  notre 
pays  qui,  depuis  dix  jours,  n'a  cessé  de  leur  manifester  ses  plus 
cordiales  sympathies. 

Le  peuple  français  tout  entier,  sans  acception  de  parti,  a  été 
unanime,  en  effet,  à  protester  de  ses  sentiments  patriotiques  à 
l'égard  d'une  nation  amie,  parce  qu'il  a  compris  que  la  grande 
politique  qui  unit  la  France  à  la  Russie  était  une  garantie  de 
paix  européenne  et  la  sauvegarde  de  nos  intérêts  mutuels. 

Les  deux  grandes  nations  se  sentent  désormais  solidaires 
l'une  de  l'autre,  ce  qui  permet  d'envisager  l'avenir  avec  sécu- 
rité et  confiance. 

C'est  une  oeuvre  de  paix  qui  vient  de  s'accomplir  sous  les  yeux 
de  l'Europe  attentive. 

Le  peuple  français  vient  de  montrer,  par  son  attitude  pleine 
de  correction  dans  l'allégresse,  qu'il  est,  en  réalité,  meilleur, 
plus  sage,  plus  intelligent,  plus  sérieux  et  plus  sûr  qu'on  ne  se 
plaît  à  le  croire.  Ses  détracteurs  ne  veulent  voir  et  ne  mettent 
en  relief  que  ses  défauts.  Il  en  a,  certes,  et  de  très  grands, 
comme  tous  les  peuples  de  la  terre  ;  mais  il  a  aussi  de  merveil- 
leuses qualités.  Ce  qui  fait  notre  joie,  c'est  que,  pendant  le  sé- 
jour des  marins  russes,  cette  foule,  sans  autre  règle  que  son 
élan,  sans  autre  obstacle  que  sa  propre  raison,  livrée  entière- 
ment à  elle-même,  n'a  pas  commis  une  faute,  n'a  pas  dit  un  mot 
dont  nos  hôtes  ni  personne  aient  eu  sujet  de  s'émouvoir. 

La  France,  en  un  mot,  a  grandi  depuis  huit  jours  devant 
l'Europe  et  elle  a  su  montrer  qu'elle  était  admirable  quand,  dé- 
gagée des  mesquineries  et  des  petitesses  de  ses  gouvernants, 
elle  est  laissée  à  ses  instincts,  à  ses  sentiments  et  à  ses  propres 
inspirations. 

Les  inimitiés  étrangères  qui  espéraient  peut-être  un  incident 
qu'on  aurait  pu  exploiter  contre  nous,  sont  bien  déçues.  Pas  une 
note  discordante  ne  s'est  produite,  on  peut  le  dire,  dans  toutes 
les  manifestations  qui  se  sont  succédé  sans  interruption  depuis 
que  l'escadre  russe  a  mouillé  à  Toulon. 

Cette  situation  est  bien  faite  pour  donner  à  réfléchir  à  nos 
ennemis.  Elle  prouve  que  le  peuple  français  a  conscience  de  sa 
force,  de  ses  droits;  qu'il  sait  aussi  bien,  quand  il  le  faut,  se 
contenir,  qu'il  sait,  en  d'autres  occasions,  manifester  son  enthou- 


206  ANNALKS    CATHOLIQUES 

siasme  ;  en  un  mot,  qu'il  sait  montrer  plus  de  tact  et  de  dignité 
que  ceux  qui  sont  au  pouvoir. 


La  journée  de  dimanche,  à  Paris,  marquera  parmi  celles  qui 
font  le  plus  d'honneur  à  notre  nation  et  au  peuple  de  Paris  en 
particulier.  L'attitude  calme,  recueillie,  pleine  de  réserve  qu'il 
a  observée  aux  obsèques  du  maréchal  de  Mac-Mahon,  succédant 
aux  fêtes  et  aux  démonstrations  bruyantes  de  ces  derniers  jour.^, 
est,  de  la  part  de  la  population  parisienne,  un  spectacle  qui  a 
produit  une  impression  sur  tous  ceux  qui  y  ont  assisté,  et  qui 
n'en  produira  pas  moins  dans  l'Europe  entière. 

On  a  vu  une  foule  immense,  maîtresse  d'elle-même,  sachant 
modérer  et  contenir  tout  ce  que  ses  manifestations  auraient  pu 
avoir  d'inopportun,  animée  des  plus  dignes  sentiments  de  res- 
pect devant  le  cercueil  d'un  glorieux  soldat  et  pleine  de  conve- 
nance envers  tous  les  étrangers  sans  distinction  qui  sont  venus 
joindre  leurs  hommages  aux  nôtres  dans  cette  cérémonie  de 
deuil  national.  Pas  un  mot,  pas  un  geste,  pas  un  mouvement 
n'a  dépassé  la  mesure  sur  le  passage  de  ce  cortège  où  les  Alle- 
mands, les  Italiens  étaient  mêlés  aux  représentants  de  toutes 
les  puissances  pour  honorer  celui  qui  a  doublement  servi  sa  pa- 
trie sur  les  champs  de  bataille  et  dans  les  plus  hautes  fonctions 
de  l'Etat.  En  vérité,  tous  ces  hôtes  du  dehors  ne  peuvent  man- 
quer de  rapporter  chez  eux  la  conviction  que  le  peuple  français 
a  acquis  un  empire  étonnant  sur  lui-même  et  qu'il  sait  admirable- 
ment jusqu'oii  et  sous  quelle  forme  il  doit  et  peut  aller  dans  ses 
plus  expansives  et  plus  imposantes  démonstrations. 

Disons  aussi,  avec  une  entière  franchise,  que  les  gouverne- 
ments qui  se  sont  associés  à  la  grande  cérémonie  de  diman- 
che, surtout  ceux  avec  qui  nos  rapports  sont  moins  intimes, 
l'ont  fait  avec  un  tact  parfait  et  qui  a  été  très  apprécié. 

L'Italie  y  a  été  représentée  de  la  façon  la  plus  expressive,  et 
l'empereur  d'Allemagne  a  montré  la  plus  remarquable  délica- 
tesse en  faisant  déposer  sur  le  cercueil  du  maréchal  une  magni- 
fique couronne  portant  simplement  son  initiale  W. 

En  un  mot,  tout  s'est  merveilleusement  passé  départ  et  d'au- 
tre. Nos  amis  de  Russie,  qui  ont  si  noblement  voulu  participer 
aux  hommages  rendus  à  l'un  des  plus  héroïques  vétérans  de  no- 
tre armée,  pourront  dire  à  l'empereur  Alexandre  que  nous 
avons  le  culte  religieux  de  nos  morts  illustres,  autant  que  notre 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  207 

dévouement  est   inébranlable  et  notre  affection  profonde  pour 
ceux  sur  les  sympathies  de  qui  nous  avons  droit  de  compter. 

Paris  a  repris,  dès  le  lendemain,  le  cours  des  fêtes  que  ces 
funérailles  solennelles  étaient  venues  interrompre  et  qui  se 
sont  achevées  comme  elles  ont  commencé,  au  milieu  des  témoi- 
gnages d'une  éclatante,  infatigable  et  enthousiaste  hospitalité. 
Mais  de  toutes  les  impressions  que  conserveront  nos  visiteurs, 
celle  de  la  journée  du  22  octobre  sera  certainement  la  plus  pro- 
fonde. 


C'est  aux  Invalides  qu'ont  eu  lieu  les  obsèques  solennelles  du 
Maréchal.  Elles  avaient  commencé  la  veille  à  Montcresson 
d'où  le  corps  avait  été  dirigé  sur  Paris. 

Après  l'absoute  donnée  par  le  cardinal  Richard,  le  char 
funèbre  a  été  amené  devant  la  grille  d'honneur  et  les  troupes, 
15.000  hommes  de  toutes  armes,  a  défilé  devant  le  cercueil  du 
Maréchal. 

Les  discours  suivants  ont  été  prononcés  par  M.  Dupuy, 
d'abord,  puis  par  le  général  Loizillon. 

M.  Dupuy  a  dit: 

La  République,  dépositaire  des  souvenirs  et  gardienne  des  gloires 
de  la  patrie,  rend  hommage  à  ceux  qui  ont  honoré  la  France.  Pénétré 
de  cette  pensée,  le  gouvernement  a  décidé  que  des  funérailles  natio- 
nales seraient  faites  au  maréchal  de  Mac-Mahon,  duc  de  Magenta, 
ancien  président  de  la  République.  Le  ministre  de  la  guerre  redira 
avec  son  autorité  particulière  la  carrière  du  soldat,  l'éclat  des  jours 
heureux,  la  dignité  fière  des  mauvais  jours,  et,  dans  les  uns  et  les 
autres,  la  foi  inébranlable,  l'invincible  espérance  dans  les  destinées 
de  la  patrie.  Je  veux  essayer,  quant  à  moi,  de  noter  le  caractère  et 
le  rôle  du  citoyen,  de  l'homme  public,  de  l'ancieii  chef  d'Etat. 

En  adressant  aux  Chambres,  le  30  janvier  1879,  sa  démission  de  la 
présidence  de  la  République,  le  maréchal  de  Mac  Mahon  écrivait  ces 
lignes  :  «  Eu  quittant  le  pouvoir,  j'ai  la  consolation  de  ?penser  que, 
durant  cinquante-trois  ans,  consacrés  au  service  de  mon  pays,  je  n'ai 
jamais  été  guidé  par  d'autres  sentiments  que  ceux  de  l'honneur  et  du 
devoir  et  par  un  dévouement  absolu  à  la  patrie.  » 

L'histoire  ratifiera  ce  jugement.  Elle  dira  que  le  deuxième  prési- 
dent de  la  République  française  accepta  le  pouvoir  sans  l'avoir  même 
désiré,  qu'il  l'exerça  avec  loyauté  et  qu'il  sut  le  quitter  avec  une 
dignité  exemplaire.  Nos  successeurs,  mieux  placés  que  »ous  pour 
être  impartiaux,  dégageront  des  événements  des  14  et  16  mai  la  per» 
sonnalité  du  maréchal  et  la  montreront  simple  et  droite,  rebelle  aux 


208  ANNALBS    CATHOLIQUES 

intrigues,  ennemie  des  complots,  déjouant  par  sa  droiture  même  et 
sa  simplicité,  les  secrètes  intentions  de  ceux  qui,  en  lui  imposant  le 
pouvoir, avaient  escompté  l'inexpérience  politique  du  soldat  ouïes  dis- 
positions supposées  du  citoyen  pour  faire  de  lui  un  docile  instrument 
de  leurs  ambitions  ou  de  leurs  rancunes. 

11  ne  tarda  pas  à  les  détromper.  Dès  le  début  de  Tannée  1874, 
répondant  aux  vceux  et  aux  inquiétudes  des  présidents  du  tribunal  et 
de  la  Chambre  de  commerce  de  Paris,  il  prononçait  ces  paroles,  qui 
firent  en  leur  temps  un  si  grand  effet:  «  L'Assemblée  nationale  m'a 
remis  le  pouvoir  pour  sept  ans.  Mon  premier  devoir  est  l'exécution 
de  cette  décision  souveraine.  Soyez  donc  sans  inquiétude.  Pendant 
sept  ans,  je  saurai  faire  respecter  de  tous  l'ordre  de  chq^es  légale- 
ment établi.  » 

C'était  comme  une  consigne;  le  maréchal  l'a  observée  fidèlement. 
Assurément,  il  n'avait  pas  de  penchant  pour  les  institutions  répu- 
blicaines; ses  origines,  son  éducation,  ses  relatio&s  le  portaient  en 
sens  contraire;  mais  il  avait  le  respect  de  la  volonté  nationale,  et 
l'on  peut  dire  qu'il  ne  consentit  jamais  à  être  l'homme  de  personne; 
sous  les  régimes  politiques  si  divers  â  travers  lesquels  s'est  déve- 
loppée sa  noble  carrière  de  soldat,  il  avait  toujours  vu  la  France  ; 
aussi  bien  ne  fut-il  jamais  courtisan.  Il  eut  toujours  le  courage  de  la 
franchise. 

On  sait  que  seul,  dans  le  Sénat  impérial,  il  s'éleva,  au  nom  de  la 
liberté  individuelle  et  du  droit,  contre  la  loi  de  sûreté  générale  ;  on 
sait  moins,  mais  il  faut  rappeler  qu'il  jugeait  sévèrement  le  coup 
d'Etat  et  qu'il  s'en  ouvrit  à  Napoléon  III  lui-même  en  termes  d'une 
précision  énergique.  Napoléon  III,  qui  le  considérait  comme  un  légi- 
timiste, eût  été  bien  surpris  sans  doute  s'il  eût  pu  savoir  que  devenu 
président  de  la  République,  le  maréchal,  mettant  son  devoir  consti- 
tutionnel au-dessus  de  ses  sentiments  propres,  et  de  son  penchant  per 
sonnel  pour  le  comte  de  Chambord,  refuserait  au  prétendant  l'entre- 
vue secrète  que  celui-ci,  venu  de  Froshdorf  à  Versailles,  lui  avait  fait 
demander  par  M.  de  Blacas. 

Un  de  ses  ministres  l'a  appelé  le  «  soldat-légal  »  ;  le  mot  vaut  la 
peine  d'être  retenu.  Il  peint  l'homme  et  l'intime  fusion,  en  son  âme, 
des  sentiments  du  citoyen  ot  de  ceux  du  soldat,  incliné  devant  la 
règle  une  fois  consentie,  la  considérant  comme  une  discipline  supé- 
rieure, comme  une  consigne  inviolable,  admirable  exemple  de  cette 
servitude  volontaire  dont  les  consciences  d'élite  sont  leules  capables, 
et  dans  laquelle  elles  puisent  comme  à  une  source  féconde  l'aliment 
des  grands  efforts  et  l'inspiration  des  grands  devoirs  ! 

Dégagée  des  polémiques  et  des  controverses  des  partis,  la  figure  du 
maréchal  de  Mac-Mahon  apparaît  comme  celle  d'un  bon  Français  et 
d'un  grand  Français.  C'est  à  cette  figure  que  vont  les  sympathies 
émues  dont  ce  cercueil  est  entouré  ;  c'est  elle  qui  explique  ces  marques 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  209 

d'estime  et  de  regret  apportées  ici  par  les  représentants  des  souve- 
rains étrangers,  qui,  sous  des  drapeaux  amis  ou  dans  des  rangs  con- 
traires sur  tant  de  champs  de  bataille,  éprouvèrent  la  valeur  et  la 
loyauté  du  maréchal.  C'est  elle  qui  nlérite  le  recueillement  du  grand 
Paris  si  sensible  à  tout  ce  qui  est  noble  et  beau,  et  qui  sait  inter- 
rompre subitement  les  réjouissances  les  plus  attachantes  et  les  plus 
désirées,  pour  faire  un  respectueux  cortège  à  la  gloire  et  à  la  mort. 
Quand  il  descendit  volontairement  du  pouvoir,  le  maréchal  de  Mac- 
Mahon,  dans  une  entrevue  qui  restera  comme  un  acte  de  la  plus 
haute  et  de  la  plus  loyale  courtoisie,  disait  à  son  successeur  que  sa 
sa  préoccupation  dominante  devait  se  porter  sur  notre  situation  exté- 
rieure. 

Cette  situation  avait  eu  toute  sa  sollicitude,  et  certainement  son 
nom,  ses  relations,  sa  renommée  militaire  avaient  contribué  à  la  for- 
tifier. Il  a  pu,  dans  sa  retraite,  si  réservée,  si  discrète,  constater  que 
la  République  a  rempli  avec  persévérance,  ce  devoir  de  vigilance  et 
d'observation  qu'il  considérait  comme  supérieur  à  tous  les  autres.  Il 
a  pu,  avant  de  s'éteindre,  voir  que  quelque  chose  était  changé  dans  le 
monde,  et  que  la  France  avait  trouvé  dans  une  situation  nouvelle, 
comme  la  récompense  de  sa  sagesse  et  de  sa  droiture,  un  gage  solide 
de  cette  paix,  à  laquelle  elle  est  attachée  et  dont  toute  l'Europe  a 
besoin. 

Le  maréchal  avait  accueilli  avec  joie  la  nouvelle  des  fêtes  organi- 
sées à  l'occasion  de  la  visite  de  nos  amis  de  la  marine  russe,  et  suspen- 
dues aujourd'hui,  accord  unanime,  pour  lui  rendre  les  honneurs 
suprêmes.  Il  avait  pu  espérer  un  moment  qu'il  y  prendrait  part.  Son 
cœur  de  soldat  et  de  patriote  en  avait  compris  la  portée  morale. 

En  conduisant  sa  dépouille  aux  Invalides,  où  il  dormira  son  der- 
nier sommeil,  parmi  tant  de  braves  et  de  vaillants  dont  il  fut  l'imi- 
tateur ou  l'émule,  nous  prouvons  aux  amis  et  aux  hôtes  qui  mêlent 
leur  deuil  à  celui  de  la  France  que  la  République  sait  élever  et  main- 
tenir au-dessus  des  agitations  des  partis  et  de  leurs  disputes  l'image 
sainte  de  la  patrie. 

Inclinons-nous  devant  cette  image  vénérée  et,  quand  nous  sorti- 
rons de  l'hôtel  des  Invalides  ayant  dit  au  maréchal  de  Mac-Mahon, 
duc  de  Magenta,  le  dernier  adieu,  gardons  tous  au  cœur,  pour  nous 
inspirer  et  nous  conduire,  la  devise  qui  fut  la  sienne  et  qui  résume  sa 
noble  vie  :  Tout  pour  la  patrie  !  Tout  pour  la  France  ! 

Le  général  Loizilloa  a  dit  ensuite  : 

Messieurs, 

M.  le  président  du  conseil  vient  d'adresser,  au  nom  du  président 
de  la  République  et  de  la  France  entière,  les  derniers  adieux  à  celui 
qui  fut  pendant  six  ans  président  de  la  République  française. 

C'est  avec  une  profonde  émotion  que  je  viens,  à  mon  tour,  saluer, 


210  ANNALES    CATHOLIQUES 

au  nom  de  l'armée,  le  chef  illustre  et  vénéré  dont  elle  pleure  la  perte. 

Je  n'entreprendrai  pas  de  faire  le  récit  ni  le  résumé  de  la  carrière 
du  maréchal  de  Mac-Mahon  :  elle  appartient  déjà  à  l'histoire. 

Les  victoires  et  les  actions  d'éclat  qui  la  jalonnent  sont  gravées  sur 
nos  monuments  ;  elles  sont  inscrites  en  lettres  d'or  sur  les  drapeaux 
de  nos  régiments. 

Mac-Mahon  a  été  de  toutes  les  expéditions. 

Il  a  pris  part  à  toutes  les  campagnes  où  s'est  illustrée  l'armée  fran-^ 
çaise  plus  d'un  demi-siècle. 

A  Mouzaïa,  où  il  a  fait  ses  premières  armes,  au  siège  d'Anvers,  à 
Constantine,  dans  les  rudes  et  pénibles  labeurs  de  la  conquête  de 
l'Algérie,  partout  il  se  montre  le  brillant  et  valeureux  soldat  dont  le 
calme  et  l'héroïque  courage  arrachaient  des  cris  d'admiration  à  ceux 
qui  le  voyaient  au  feu. 

II  est  surtout  resté  le  légendaire  héros  de  Malakoff,  de  ce  glorieux 
épisode  où  sa  vaillance  lui  inspira  ce  mot  superbe  :  «  J'y  suis,  j'y 
reste  »,  et  qui  fut  le  couronnement  de  cette  lutte  gigantesque,  où  les 
adversaires  purent  s'apprécier  sans  se  haïr,  et  d'où  vainqueurs  et 
vaincus  emportèrent  une  estime  réciproque,  prélude  d'une  solide  et 
durable  amitié. 

La  campagne  d'Italie  marque  l'apogée  de  sa  carrière  ;  a  Magenta,^ 
malgré  le  courage  et  les  efforts  d'une  valeureuse  armée,  son  audace 
et  sa  décision  transforment  en  un  magnifique  triomphe  une  journée 
compromise  et  lui  valent,  avec  le  bâton  de  maréchal,  le  titre  glorieux 
qu'il  lègue  aujourd'hui  à  ses  enfants. 

Pourquoi  faut-il  qu'après  avoir  connu  les  enivrements  de  la  victoire 
il  ait  subi,  à  son  tour,  les  amertumes  de  la  défaite? 

Ses  suprêmes  efforts  n'avaient  pu  conjurer  les  malheurs  de  la 
patrie,  mais  il  sortit  de  l'épreuve  encore  grandi,  et  bientôt  la  confiance 
des  représentants  de  la  nation  l'appelait  à  la  première  magistrature 
de  la  République. 

Le  maréchal  de  Mac-Mahon  resta,  dans  l'exercice  de  ses  hautes 
fonctions,  ce  qu'il  avait  été  durant  toute  sa  carrière  :  le  soldat  de  son 
pays,  et  on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer  la  simplicité  avec  laquelle 
il  descendit  du  pouvoir  qu'il  avait  accepté  sans  l'avoir  désiré. 

Il  a  donné  l'exemple  de  toutes  les  vertus  militaires,  et  son  plus 
beau  titre  de  gloire,  au  milieu  de  tant  d'autres,  sera  d'avoir  toujours 
pratiqué,  sans  en  dévier,  cette  noble  devise,  qui  est  aussi  celle  de 
l'armée  :  «  Honneur  et  Patrie.  » 

Le  héros  de  Malakoff,  le  vainqueur  de  Magenta  va  dormir  son  der- 
nier sommeil,  au  milieu  de  cette  pléiade  de  guerriers  avec  lesquels  il 
a  si  largement  contribué  à  la  gloire  de  la  France,  sous  ce  dôme  dos 
Invalides  où  la  reconnaissance  nationale  lui  assure  une  sépulture 
digne  de  son  nom  et  de  ses  services. 
Au  seuil  de  cette  tombe,  autour  de  laquelle  se  pressent  avec  nous. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  211 

unis  dans  un  même  sentiment  d'admiration  et  de  tristesse,  ceux  qui 
furent  ses  adversaires  et  ceux  qui  combattirent  à  ses  côtés; 

Au  nom  de  la  vieille  et  de  la  jeune  armée, 

Au  nom  de  l'armée  française,  j'adresse  un  suprême  et  solennel 
adieu 

Au  maréchal  de  Mac-Mahon,  duc  de  Magenta. 


En  consacrant  à  une  église  leur  première  visite  à  Paris,  en 
inaugurant  la  huitaine  de  fêtes  de  leur  séjour  dans  la  capitale 
de  la  nation  alliée  par  un  acte  religieux,  les  officiers  russes 
avaient  donné  une  leçon  à  nos  gouvernants;  ils  leur  avaient 
notifié  qu'ils  honoraient  et  invoquaient  le  Dieu  dont  ces  tristes 
conducteurs  de  peuple  aff"ectent  d'ignorer  même  l'existence. 

Quelques  jours  après,  le  ministre  de  l'instruction  publique  en 

'  ssie,  adressant  un  télégramme  au  ministre  de  l'instruction 
I  *■  lique  en  France,  informait  que  l'on  prie  Dieu  dans  les  écoles 
ru^  es  celui  qui  a  charge  de  diriger  des  écoles  françaises  oii  il 
est  interdit  de  prononcer  le  nom  de  Dieu. 

Enfin,  l'amiral  a  rendu  visite  au  cardinal  Richard  et  appris  à 
M.  Carnot,  à  M.  Dupuy  et  à  ses  collègues,  au  conseil  municipal 
parisien,  qu'il  existe  un  archevêque  de  Paris  et  que  le  plus 
haut  représentant,  dans  la  capitale  de  la  France,  de  la  religion 
de  la  majorité  des  Français  compte  pour  quelque  chose  dans  la 
hiérarchie  des  autorités  sociales. 

En  vérité,  la  domination  franc-maçonnique  en  est  arrivée  à 
rendre  les  gouvernants  de  la  France  pratiquement  impies  jus- 
qu'à l'absurdité  et  jusqu'à  l'écœurement. 

Dans  la  matinée  du  19  octobre,  M.  le  comte  Tolstoï,  quittant 
le  Cercle  militaire  en  voiture,  se  rendait  à  l'archevêché  pour 
porter  à  S.  E m.  le  cardinal  Richard  l'expression  des  regrets  du 
commandant  de  l'escadre  russe,  qui  s'excusait  de  n'avoir  pu 
rendre  visite  plus  tôt  à  l'archevêque.  En  même  temps,  M.  le 
comte  Tolstoï  annonçait  que,  selon  les  convenances  du  cardinal, 
M.  l'amiral  Avellan  se  proposait  de  lui  rendre  visite  vers  quatre 
heures  de  l'après-midi. 

A  cette  heure,  eYi  efi'et,  l'amiral  se  présentait  avec  sept  de  ses 
officiers,  à  l'archevêché,  oii  S.  Em.  le  cardinal  Richard,  en- 
touré des  principaux  dignitaires  de  son  clergé,  les  a  reçus  dans 
le  grand  salon  d'honneur. 

Etaient  présents  tous  les  vicaires  généraux  :  MM.  Caron, 


212  ANNALES    CATHOLIQUES 

archidiacre  de  Notre-Dame  ;  Pelgé,  archidiacre  de  Sainte-Ge- 
neviève; Bureau,  archidiacre  de  Saint-Denis;  M. l'abbé Odelin, 
vicaire  général  et  promoteur  diocésain  ;  Mgr  d'Hulst,  recteur 
de  l'Institut  de  Paris;  MM.  Icard,  supérieur  de  Saint-Sulpice  ; 
Legrand,  curé  de  Saint-Germain-l'Auxerrois;  Fages,  chanoine 
titulaire;  de  l'Escaille,  doyen  du  chapitre;  Millaud,  curé  de 
Saint-Roch  ;  Gardey,  curé  de  Sainte-Clotilde,  et  plusieurs 
autres  curés,  les  secrétaires,  etc. 

Son  Éminence  le  cardinal  s'est  avancé  à  la  rencontre  de 
l'amiral  Avellan,  et  lui  a  souhaité  la  bienvenue  en  lui  disant 
qu'il  était  heureux  de  constater  que  la  population  de  Paris  et 
la  France  entière  étaient  unanimes  dans  l'expression  de  leurs 
sentiments  pour  la  Russie,  en  qui  elles  saluaient  une  nation 
amie,  et  qu'il  se  réjouissait  de  ce  que  cette  union  entre  les  deux 
peuples  était  un  gage  de  paix. 

L'amiral  a  répondu  qu'il  avait  été  particulièrement  touché  de 
voir  combien  cet  enthousiasme  était  spontané  et  sincère. 

Alors  Son  Éminence  a  conduit  l'amiral  dans  le  grand  salon 
d'honneur,  oii  des  fauteuils  avaient  été  préparés. 

Puis,  la  conversation  s'est  engagée,  et  l'amiral,  avec  un  tact 
exquis,  s'est  plu  à  rappeler  qu'il  y  a  deux  ans,  lorsqu'à  la 
demande  du  gouvernement  russe  la  France  avait  gracieusement 
rendu  deux  bannières  religieuses  militaires  prises  à  Eupatoria, 
conservées  à  Notre-Dame  après  la  guerre  de  Crimée,  l'inter- 
vention du  cardinal  avait  facilité  cette  remise,  ce  dont  la  Russie 
lui  serait  toujours  reconnaissante. 

Le  cardinal  a  serré  aflfectueusement  les  mains  de  l'amiral,  en 
le  remerciant  et  l'assurant  à  nouveau  des  sympathies  de  tout 
son  clergé. 

Voici  quelques  détails  au  sujet  des  deux  bannières  dont  il 
vient  d'être  question. 

Chaque  régiment  russe  a  un  drapeau  militaire  et  une  image 
religieuse.  Celle-ci  n'est  portée  qu'en  temps  de  guerre. 

«  Comment  voulez-vous,  disait  dans  le  salon  de  l'archevêché 
un  des  officiers  russes  à  un  des  vicaires-généraux  qui  lui  deman- 
dait l'explication  de  ces  bannières,  comment  voulez-vous  de- 
mander à  des  hommes  de  se  faire  tuer  sans  être  soutenus  par 
un  sentiment  religieux?  » 

Les  deux  images  rendues  par  Monseigneur  l'archevêque  de 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  213 

Paris  avaient  été  prises  sur  les  Russes  en  1855,  à  la  suite  de 
l'occupation  d'Eupatoria  par  l'armée  anglo- française.  Elles 
avaient  été  données  ensuite  par  l'empereur  Napoléon  à  Notre- 
Dame,  en  même  temps  qu'une  cloche  prise  à  Sébastopol  et  la 
croix  de  fer  d'une  des  églises  de  la  ville. 

En  1889,  des  personnages  russes  venus  à  l'Exposition  remar- 
quèrent les  bannières  d'Eupatoria  déposées  dans  le  trésor  de 
Notre-Dame.  A  leur  retour,  ils  prévinrent  leur  gouvernement. 

L'empereur  prit  l'affaire  en  mains.  Il  fit  demander,  en  1891, 
à  S.  Em.  le  cardinal  Richard,  par  son  ambassadeur  M.  de  Moh- 
renheim,  de  vouloir  bien  lui  faire  remettre,  à  titre  gracieux, 
ces  deux  pièces  du  trésor  de  la  cathédrale. 

Monseigneur  l'archevêque  de  Paris  convoqua  à  cet  effet  le 
Chapitre  de  Notre-Dame,  qui  accéda  volontiers  à  la  demande 
du  souverain  de  toutes  les  Russies. 

C'est  ainsi  que  les  bannières  d'Eupatoria  sont  revenus  à  la 
Russie.  L'amiral  Avellan  a  profité  de  sa  visite  au  cardinal 
Richard  pour  remercier  le  vénéré  prélat  de  la  part  de  l'empereur. 


Le  gouvernement  avait  soigneusement  évité  d'associer  la 
religion  et  le  clergé  à  la  manifestation  nationale  dont  la  visite 
des  officiers  de  la  marine  russe  a  été  l'occasion.  S.  E.  Mgr 
Richard,  agissant  de  sa  propre  initiative,  a  prescrit  un  TeBeum 
solennel  dans  toutes  les  églises  de  Paris. 

Le  19  octobre.  Son  Eminence  adressait  la  lettre  suivante  au 
clergé  de  son  diocèse  : 

ARCHEVÊCHÉ  Paris,  19  octobre  1893. 

DE 
PARIS 

Monsieur  le  curé. 

De  toutes  parts  nous  arrivent  les  vœux  de  la  population  parisienne, 
qui  demande  que  la  prière  se  joigne  aux  manifestations  unanimes  et 
spontanées  de  fraternelle  sympathie  avec  lesquelles  sont  accueillis  les 
représentants  de  la  marine  russe. 

Dans  cette  cordiale  et  patriotique  union  des  deux  peuples,  nous 
aimons  à  reconnaître  une  bénédiction  de  Dieu  sur  notre  patrie,  un 
gage  de  paix  et  de  sécurité  pour  l'Europe. 

Nous  répondrons  aux  vœux  de  tous  en  ordonnant  qu'un  Te  Deum 
soit  chanté  dans  les  églises  du  diocèse,  dimanche  prochain,  à  la  suite 
de  la  messe  paroissiale. 

Nous  répondrons  aussi  aux  désirs  qui  nous  ont  été  exprimés  par  un 


214  ANNALES    CATHOLIQUES 

grand  nombre  d'hommes  également  dévoués  à  la  France  et  à  l'Eglise* 
en  faisant  chanter  le  même  jour  un  Te  Deum  dans  la  basilique  du 
Sacré-Cœur,  à  Montmartre,  après  l'office  du  soir,  à  quatre  heures. 
Nous  présiderons  nous-méme  cette  cérémonie. 

L'édification  de  l'église  du  Vœu  national  a  été  une  œuvre  tout  à  la 
fois  patriotique  et  religieuse,  accomplie  avec  les  offrandes  spontanées 
de  la  France  entière.  Nous  suivons  nos  vieilles  traditions  françaises, 
en  allant  y  couronner,  par  un  acte  de  foi  ^religieuse,  les  fêtes  célé- 
brées en  l'honneur  de  nos  hôtes.  Nous  demanderons  à  Dieu  qu'il 
daigne  conserver  la  paix  entre  les  peuples  chrétiens,  que  l'union  des 
âmes  se  fasse  de  plus  en  plus  dans  le  monde  ;  et  que,  selon  la  pro- 
messe du  Divin  Maître,  il  n'y  ait  qu'un  seul  troupeau  et  un  seul  pas- 
teur. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  curé,  l'assurance  de  mon  affectueux 
dévouement  en  Notre-Seigneur. 

f  François,  cardinal  Richard 
Archevêque  de  Paris. 

Nous  venions  d'écrire  cette  lettre  quand  nous  avons  appris  que, 
sur  le  désir  manifesté  par  l'ambassadeur  de  Russie  et  les  officiers  de 
l'escadre  russe,  les  obsèques  du  maréchal  de  Mac-Mahon  seraient 
célébrées  dimanche  prochain.  La  France  sera  profondément  touchée 
de  voir  la  Russie  prendre  part  à  notre  deuil  national. 

Dans  toutes  les  églises  du  diocèse,  on  chantera,  après  le  Te  Deum 
prescrit  par  notre  lettre,  un  De  profundis  pour  le  repos  de  l'âme  de 
l'illustre  maréchal,  qui  demeurera  une  des  gloires  les  plus  pures  de 
notre  pays. 


Une  foule  immense  a  répondu  à  l'invitation  du  cardinal  Ri- 
chard et  se  pressait  dimanche  dans  la  basilique  du  Sacré-Cœur, 
à  Montmartre,  pour  assister  au  Te  Deum  chanté  à  l'occasion  de 
la  visite  des  marins  russes. 

La  solennité  était  présidée  par  S.  Em.  le  cardinal  Richard, 
archevêque  de  Paris;  dans  le  chœur  de  l'église  supérieure, 
décoré  de  drapeaux  français  et  russes,  avaient  pris  place 
Mgr  Grandin,  évêque  de  Saint-Albert  (Canada),  MM.  les  vi- 
caires généraux  Caron  et  Pelgé,  beaucoup  de  MM.  les  curés  de 
Paris  et  un  grand  nombre  de  religieux  de  tous  ordres. 

Parmi  les  personnes  présentes  on  peut  citer  encore  le  comité 
de  l'Œuvre  du  Vœu  national  et  le  comité  de  l'Union  nationale. 
Un  certain  nombre  d'officiers  russes,  en  vêtements  civils,  ont 
assisté  à  la  cérémonie. 

Au  sommet  de  la  Basilique  flottait  un  grand  drapeau  de  Saint- 


CHRONIQUE   DE    LA.   SEMAINE  215 

André.  L'intérieur  était  magnifiquement  orné  de  drapeaux 
russes  et  français.  Deux  gigantesques  étendards  aux  mêmes 
couleurs  encadraient  le  sanctuaire.  Pendant  la  cérémonie, 
l'excellente  musique  des  Frères  de  Saint-Nicolas  s'est  fait  en- 
tendre. 

Avant  le  Te  Deum^  M.  l'abbé  Caron,  vicaire  général,  est 
monté  en  chaire  et  a  prononcé  l'acte  de  consécration  suivant  au 
Sacré-Cœur  de  Jésus  : 

«  Cœur  sacré  de  Jésus  vivant  dans  la  sainte  Eucharistie, 
nous  voici  humblement  prosternés  devant  vous  pour  vous  offrir, 
au  nom  de  la  France,  nos  adorations,  nos  actions  de  grâces  et 
nos  prières. 

€  0  Jésus,  Dieu  le  Père  vous  a  donné  toutes  les  nations  en 
héritage;  nous  vous  adorons  comme  notre  Dieu  et  notre  souve- 
rain maître.  Adveniat  regnwn  tuum. 

€  La  France,  confiante  en  vos  promesses  et  en  vos  miséri- 
cordes, a  voulu  vous  élever  cette  église  du  vœu  National.  Dans 
les  patriotiques  émotions  qui  font  vibrer,  à  l'heure  présente, 
tous  les  cœurs  français,  nous  aimons  à  reconnaître  l'eôet  de 
votre  bonté  et  le  gage  de  votre  amour  pour  la  France.  A  vous. 
Seigneur,  louange,  amour  et  reconnaissance.  Te  Deum  lau- 
damus. 

«  O  Jésus,  vous  avez  apporté  la  paix  au  monde;  conservez 
l'union  entre  les  nations  chrétiennes  et  bénissez  l'amitié  qui  unit 
les  cœurs  de  deux  grands  peuples.  » 

S.  Em.  le  cardinal  Richard  a  donné  la  bénédiction  du  Très 
Saint-Sacrement,  puis  la  maîtrise  et  les  fidèles  ont  chanté  le 
De  Profundis  pour  le  repos  de  l'âme  du  maréchal  de  Mac- 
Mahon. 

La  cérémonie  a  pris  fia  à  5  h,  1/4.  Une  foule  innombrable, 
on  parle  de  150,000  personnes,  avait  envahi  la  butte  tout  en- 
tière. 

Dans  toutes  les  églises  du  diocèse  de  Paris,  le  Te  Deum  a  été 
également  chanté  devant  une  assistance  très  nombreuse  de 
fidèles. 

Pour  en  terminer  avec  les  fêtes  russes,  donnons  quelques-unes 
des  paroles  officielles  qui  ont  été  échangées  au  cours  des  ré- 
ceptions : 

Au  banquet  de  l'Hôtel-de-Ville,  M.  Carnet  a  porté  le  toast 
suivant  : 


216  ANNALES    CATHOLIQUES 

Je  bois  à  la  santé  de  Leurs  Majestés  l'empereur  Alexandre  111  et 
l'impératrice  de  Russie. 
Je  bois  au  grand-duc  césaréwitch. 
Je  bois  à  tous  les  membres  de  la  famille  impériale  de  Russie. 

Après  des  applaudissements  unanimes  de  tous  les  convives, 
le  chœur  a  chanté  en  russe  l'hymne  russe. 

Le  baron  de  Mohrenheim  a  pris  ensuite  la  parole. 
Il  a  dit: 

Je  bois  au  président  de  la  République. 
Ce  toast  dit  tout. 

Cependant,  je  prends  la  liberté  de   demander  au  président  la  per- 
mission d'enjoindre  un  autre  auquel  il  sera  particulièrement  sensible  : 
A  Paris  !  Fluctuât  nec  mergitur. 
(Nouveaux  applaudissements  de  la  salle  entière.) 

Le  chœur  a  chanté  la  Marseillaise. 

M.  Humbert,  président  du  conseil  municipal,  s'est  ensuite 
levé  et  a  porté  le  toast  suivant  : 
Messieurs, 

Au  nom  de  Paris,  je  lève  mon  verre  et  je  bois  à  nos  amis  et  à  nos 
hôtes  !  Qu'ils  soient  bienvenus  dans  notre  cité  comme  furent  à 
Cronstadt,  à  Moscou,  à  Saint-Pétersbourg,  les  officiers  de  notre 
escadre  !  (Applaudissements.) 

Je  boisa  nos  amis  et  à  nos  hôtes!  au  vaillant  amiral  Avellan,  aux 
braves  officiers  de  l'escadre  russe  de  la  Méditerranée,  Et,  en  buvant  à 
vous,  messieurs,  je  bois  à  tous  vos  camarades  de  la  marine  et  de 
l'armée  russes,  je  bois  à  tous  vos  compatriotes,  à  vos  frères,  à  vos 
fils,  à  vos  femmes,  à  vos  sœurs  et  à  vos  mères.  (Chaleureux  applau- 
dissements.) 

Je  bois  à  tout  ce  qui  vous  est  cher,  à  tout  ce  qui  fait  battre  vos 
cœurs,  à  tous  vos  amours,  à  toutes  vos  joies,  à  toutes  vos  espérances. 
Je  bois  à  la  patrie  russe,  sœur  de  la  patrie  française. 

Vive  la  Russie  et  vive  la  France  !  (Applaudissements  prolongés.) 

L'amiral  Avellan  d'une  voix  retentissante  a  répondu  : 

Les  officiers  de  mon  escadre  et  moi,  nous  sommes  très  touchés  des 
hommages  que  nous  recevons  _de  la  municipalité  de  Paris  et  de  ses 
habitants. 

Paris  est  la  ville  la  plus  hospitalière  du  monde. 

Avec  toute  la  reconnaissance  dont  nous  sommes  capables,  nous 
buvons  à  la  ville  de  Paris,  à  la  capitale  de  la  France,  à  ses  habitants. 

Vive  Paris  !  Vive  la  France  !  (Nouveaux  applaudissements  pro- 
longés. Cris  de  :  «  Vive  la  France  !  Vive  la  Russie  !  ») 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  217 

A  la  première  entrevue  de  l'Eljsée,  M.  le  baron  de  Mohren- 
lieim  a  présenté  l'amiral  Avellan,  qui  a  dit  .* 

J'ai  rhoaneur,  moasieur  le  président  de  la  République  française, 
de  voue  apporter  mes  hommages  les  plus  respectueux,  ceux  de  l'es- 
cadre que  je  commande  et  de  la  marine  russe  tout  entière. 

M.  Carnot  a  répondu  : 

Je  vous  remercie,  monsieur  l'ambassadeur,  de  m'avoir  présenté 
M.  l'amiral  Avellan  et  MM.  les  officiers  de  l'escadre  russe. 

J'avais  confié  à  M.  le  ministre  de  la  marine  la  mission  de  leur 
porter  mes  souhaits  de  bienvenue  à  leur  entrée  dans  les  eaux  fran- 
çaises, à  leur  arrivée  sur  notre  territoire.  Je  suis  heureux  de  pou- 
voir aujourd'hui  renouveler  ces  souhaits  en  personne. 

On  vous  a,  messieurs,  exprimé  à  Toulon  toute  la  sympathie  du 
gouvernement  français.  Les  populations  que  vous  avez  traversée! 
vous  ont  dit  celles  de  la  nation  tout  entière.  Partout  vous  trouverez 
le  même  accueil  chaleureux  et  cordial. 

Les  liens  d'affection  qui  unissent  la  Russie  et  la  France,  resserrés, 
il  y  a  deux  ans,  par  les  manifestations  touchantes  dont  notre  marine 
a  été  l'objet  à  Cronstadt,  sont  chaque  jour  plus  étroits  ;  et  le  loyal 
échange  de  nos  sentiments  d'amitié  doit  inspirer  à  tous  ceux  qui  ont 
à  eœur  les  bienfaits  de  la  paix,  confiance  et  sécurité. 

Le  grand  empereur  qui  vous  envoie,  messieurs,  et  que  je  salue 
d'ici,  vous  a  confié  une  haute  mission  que  vous  savez  dignement 
remplir. 

Soyez  les  bienvenus  ! 

Au  dîner  du  soir,  toujours  à  l'Elysée,  M.  le  Président  de  la 
République  a  porté  le  toast  suivant  : 

Je  porte  la  santé  de  Sa  Majesté  l'Empereur  Alexandre  III  ;  je  me 
permets  d'associer  respectueusement  à  cette  santé  celle  de  Sa  Majesté 
l'Impératrice  de  Russie. 

Je  bois  à  la  brave  marine  russe,  dont  les  représentants  sont  ici  les 
bienvenus, 

A  sa  vaillante  sœur  l'armée  de  terre. 

Et  à  la  nation  russe  tout  entière. 

Voici  en  quels  termes  M.  de  Mohrenheim  a  porté  la  santé  de 
M.  le  Président  de  la  République  : 
Monsieur  le  Président, 
Avant  de  porter  un  toast  destiné  à  faire  vibrer  sous  leurs  plus 
intimes  profondeurs  non  seulement  les  cœurs  réunis  dans  cette 
enceinte,  mais  également  et  tout  aussi  fort  tous  ceux  qui,  de  près  ou 
de  loin,  sur  tous  les  points  de  ce  grand  et  beau  pays  de  France 
comme  de  la  Russie  entière,  battent  en  ce  moment  à  l'unisson  des 

i6 


218  ANNALES    CATHOLIQUES 

nôtres,  je  viens  vous  prier  de  vouloir  bien  me  permettre  de  voua 
faire  agréer  l'expression  de  notre  profonde  gratitude  pour  les  paroles 
do  bienvenue  qu'il  vous  a  plu  d'adresser  ce  matin  au  vaillant  com- 
mandant de  notre  escadre,  chargé  par  Sa  Majesté  l'Empereur  de  la 
mission  flatteuse  de  rendre  à  la  vôtre  la  visite  de  Croustadt. 

Ces  paroles  ont  caractérisé,  avec  la  haute  autorité  qui  vous  appar* 
tient,  la  véritable  signification  et  la  portée  exacte  de  ces  magnifiques 
fêtes  de  la  paix,  célébrées  avec  une  si  remarquable  unanimité  et  une 
loyauté  et  une  sincérité  si  parfaites. 

Aussi,  par  quelle  manifestation  plus  éclatante  pourrions-nous 
mieux  nous  y  associer  et  y  répondre  que  par  le  cri  également  una- 
nime, également  loyal  et  également  sincère,  de  :  Vive  le  Président 
de  la  République  française  ! 

Enfin  voici  les  dépêches  échangées  entre  l'empereur  de  Rus- 
sie et  le  président  de  la  République,  à  l'occasion  de  l'arrivée  de 
l'escadre  russe  à  Toulon  : 

A  Sa  Majesté  Vempereur  de  Russie,  Château  de  Fredensborg. 

Au  moment  où  la  belle  escadre  envoyée  par  Votre  Majesté  vient 
de  mouiller  dans  la  rade  de  Toulon,  et  où  les  braves  marins  russes 
entendent  les  premières  acclamations  que  leur  réservait  le  peuple 
français,  j'ai  à  cœur  d'adresser  à  Votre  Majesté  tous  mes  remercie- 
ments, et  de  lui  dire  la  joie  sincère  que  j'éprouve  en  présence  de  ce 
nouveau  témoignage  des  sympathies  profondes  qui  unissent  la  Russie 
et  la  France.  Caunot. 

A  Monsieur  le  président  de  la  République.  Paris. 

En  réponse  à  votre  aimable  télégramme,  je  tiens  à  vous  exprimer 
tout  le  plaisir  que  j'éprouve  de  ce  que  notre  escadre  ait  pu  rendre  la 
visite  que  les  braves  marins  français  ont  faite  à  Cronstadt. 

Alexandre. 

Oq  sait  que  l'empereur  de  Russie,  au  moment  même  de  l'arri- 
vée de  l'amiral  Avellan  à  Toulon,  visitait  les  croiseurs  français 
mouillés  devant  Copenhague,  et  autorisait  le  commandant  de 
Ylsly  à  arborer  le  pavillon  impérial  pendant  son  séjour  à  bord. 

Informé  de  cette  visite,  le  président  de  la  République  a  adressé 
à  Sa  Majesté  la  dépêche  suivante  : 

A  Sa  Majesté  l'empereur  de  Russie,  Château  de  Fredensborg. 

En  honorant  de  sa  visite  les  navires  français  mouillés  devant  Co- 
penhague, Sa  Majesté  adonné,  hier,  â  mon  pays  une  nouvelle  marque 
de  sympathie,  dont  la  France  tout  entière  sera  profondément  tou- 
chée. Je  me  fais  son  interprète  en  vous    adressant  mes   chaleureux 

remerciements. 

Carnot 


I 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  219 


M.  de  Mun  a  présidé  dimanche  à  Landerneau  la  réunion  de 
l'Association  de  la  jeunesse  catholique  du  Finistère. 

Cinq  cents  personnes  environ  l'attendaient  à  la  gare,  ayant  à 
leur  tête  Mgr  d'Hulst,  député  du  Finistère. 

Après  la  messe  à  l'église  Saint-Thomas,  un  banquet  de  six 
cents  personnes  a  eu  lieu  dans  un  atelier.  M.  de  Mun  a  porté  un 
toast  au  Pape.  Mgr  d'Hulst  à  la  jeunesse  de  France. 

A  deux  heures,  a  eu  lieu  une  réunion  de  2,000  personnes  en- 
viron. M.  Soubigou,  sénateur,  présidait.  Il  a  donné  lecture  d'un 
télégramme  du  cardinal  Rampolla,  envoyant  la  bénédiction  du 
Saint-Père.  M.  de  Mun  a  prononcé  ensuite  un  important  dis- 
cours dont  voici  une  analyse  télégraphique. 

Faisant  allusion  à  son  échec  à  Pontivy,  M.  de  Mun  a  dit  que 
les  échecs  partiels  importent  peu  et  n'entravent  pas  la  marche 
en  avant  du  parti  catholique.  «  Le  seul  fait  d'avoir  affirmé  notre 
organisation  aux  dernières  élections  est  un  succès  et  une  espé- 
rance pour  l'avenir.  > 

M.  de  Mun  a  ensuite  annoncé  que  cette  réunion  serait  .suivie 
d'autres,  non  pour  prodiguer  des  discours  mais  pour  faire  des 
actes.  «  Le  but  à  atteindre,  a  ajouté  l'orateur  catholique,  est 
l'âme  populaire  ;  c'est  là  notre  champ  de  bataille.  Dans  les  der- 
nières élections,  il  y  a  quelque  chose  d'effrayant,  c'est  la  poussée 
du  socialisme.  L'arrivée  de  ce  groupe  avec  40  députés  socialistes 
est  le  fait  capital  des  élections  du  20  aoiit.  Aussi,  au  programme 
purement  socialiste  faut-il  opposer  le  programme  chrétien.  » 

M.  de  Mun  a  parlé  des  tentatives  du  parti  socialiste  pour 
gagner  les  campagnes  et  a  rappelé  que  ce  point  du  programme 
socialiste,  parts  insaisissables  et  incessibles  de  propriété  rurale, 
a  été  dérobé  au  programme  catholique.  Il  a  conseillé  d'opposer, 
par  des  syndicats  agricoles,  une  barrière  aux  idées  socialistes. 

En  terminant,  il  a  déclaré  que  jamais  les  ouvriers  n'avaient 
fait  défaut.  Le  Pape  s'est  posé  au  premier  rang  des  vrais  amis 
du  peuple.  Quant  à  lui,  il  a  foi  dans  l'avenir  et  ne  désespère 
jamais. 

Après  ce  discours,  tout  l'auditoire  debout  a  acclamé  M.  de 
Mun. 

De  nombreuses  personnalités  politiques  assistaient  à  la  con- 
férence. Parmi  elles,  M.  Boucher,  ancien  député,  plusieurs  con- 
seillers générauxet  desélecteurs  de  la  circonscription  dePontivy. 


220  ANNALES    CATHOLIQUES 

Pendant  le  déjeuner  l'assemblée  a  décidé  d'envoyer  un  télé- 
gramme de  sympathie  à  l'amiral  Avellan  et  un  télégramme  de 
condoléance  à  Mme  de  Mac-Mahon. 


S'il  était  besoin  d'insister  sur  le  triste  état  où  agonise  l'Italie, 
il  suffirait  de  lire  le  discours  que  prononçait  dimanche,  devant 
deux  cents  députés  et  sénateurs  italiens,  le  président  du  Conseil, 
M.  Giolitti.  Avec  un  optimisme  que  rien  ne  déconcerte,  l'orateur 
a  proclamé  l'obligation  pour  son  gouvernement  de  persister,  au 
dedans  comme  au  dehors,  dans  une  politique  dont  les  consé- 
quences ruineuses  éclatent  désormais  aux  yeux  de  tous.  Il  se 
flatte,  il  est  vrai,  de  remédier  à  la  crise  monétaire  dont  souffrent 
ses  concitoyens  par  diverses  réformes,  parmi  lesquelles  l'obli- 
gation de  payer  en  or  les  taxes  douanières.  L'accueil  de  ses  pro- 
pres journaux  doit  montrer  à  M.  Giolitti  que  son  opportunisme 
complaisant  ne  fait  plus  guère  de  dupes. 


LE  MARECHAL  DE  MAC-MAHON 

Nous  tenons  à  donner  une  biographie  plus  détaillée  du  maré- 
chal, à  qui  la  France  vient  de  faire  des  obsèques  vraiment 
nationales . 

Marie-Edme-Patrice-Maurice  de  Mac-Mahon  était  né  à 
Sully-sur-Loire  (Saône-et-Loire),  le  13  mai  1808,  de  Maurice- 
François,  comte  de  Mac-Mahon,  et  de  Pélagie-Edmée  de  Riquet 
de  Caraman,  dont  il  était  le  huitième  enfant. 

Les  Mac-Mahon  étaient  une  vieille  famille  irlandaise  réfugiée 
en  Bourgogne  à  la  chute  des  Stuarts,  et  par  suite  française 
depuis  plusieurs  générations. 

Fils  et  neveu  d'officiers  (son  père  fut  lieutenant-général,  et 
son  oncle,  le  marquis  Charles  de  Mac-Mahon,  maréchal  de  camp 
sous  la  Restauration),  Maurice  fut  d'abord  destiné  à  l'état  ecclé- 
siastique et  entra  au  petit  séminaire  d'Autun.  Mais  la  vocation 
des  armes  qu'il  tenait  de  famille  ayant  pris  le  dessus,  il  quitta 
bientôt  cette  maison  religieuse  pour  se  préparer  à  l'École  mili- 
taire, où  il  entra  en  1825,  et  d'où  il  sortit  avec  le  numéro  4. 

Il  y  avait  trois  ans  que  l'ancien  saint-cyrien  de  Mac-Mahon 
était  sous-lieutenant  d'état-major,  lorsque  se  fit  l'expédition 


LE  MARÉCHAL  DE  MAC-MAHON  221 

d'Alger,  à  laquelle  il  prit  part.  Revenu  en  Algérie  en  1833 
comme  capitaine,  le  jeune  officier  se  signala  par  une  série  d'ac- 
tions d'éclat  au  col  de  la  Mouzaïa,  à  Staouëli  et  au  siège  de 
Constantine,  oîi  il  reçut  un  coup  de  feu  en  pleine  poitrine.  Mac- 
Mahon  devint  ensuite  chef  du  10*  bataillon  de  chasseurs  à 
pied,  lieutenant-colonel  du  2*  régiment  étranger  et  colonel  du 
41*  de  ligne.  Il  reçut,  en  1848,  les  étoiles  de  brigadier  et  celles 
de  divisionnaire  en  1852. 

Pendant  les  vingt-deux  années  qu'il  passa  en  Algérie,  Mac- 
Mahon  fit  prouve  d'une  bravoure  légendaire,  notamment  au 
combat  des  Oliviers,  à  Aïn-Kebira,  à  Coléa  et  dans  vingt  autres 
affaires. 

Deux  fois  encore  le  maréchal  devait  revenir  en  Algérie  :  en 
1857,  comme  commandant  de  la  2*  division,  à  la  tête  de  laquelle 
il  prit  part  à  la  grande  expédition  de  Kabylie^  et  de  1864  à  1870, 
comme  gouverneur  général.  C'est  à  cette  époque  que  se  placent 
le  diff"érend  qui  s'éleva  entre  le  gouverneur  et  Mgr  Lavigerie, 
la  grande  famine  algérienne  et  la  répression  de  l'insurrection 
des  Ouled-Sidi-Cheik. 

En  1855,  Mac-Mahon  avait  été  rappelé  en  France  et  placé  à 
la  tête  d'une  division  de  l'armée  du  Nord  ;  mais,  bientôt  après, 
il  allait  rejoindre  en  Crimée  le  corps  du  général  Bosquet.  A  peine 
arrivé,  il  reçut  l'ordre  de  se  préparer  à  l'assaut  de  la  tour  de 
Malakoff"  et,  le  8  septembre  1855,  il  dirigeait  l'attaque.  La  posi- 
tion enlevée,  mais  battue  encore  par  les  feux  des  Russes,  sem- 
blaient intenable.  Bosquet  envoya  l'ordre  de  l'évacuer.  Eu 
réponse,  Mac-Mahon  prononça  le  mot  devenu  depuis  légendaire  : 
«  J'y  suis,  j'y  reste.  »  Ce  fait  d'armes  lui  valut  la  grand'croix 
de  la  Légion  d'honneur. 

Après  la  paix,  il  fut  nommé  sénateur  (24  juin  1856)  ;  mais  les 
fonctions  qu'il  remplissait  ne  lui  permirent  pas  de  prendre  une 
part  active  à  la  vie  parlementaire.  Toutefois,  il  eut  l'occasion  de 
manifester  l'indépendance  de  son  caractère  en  votant,  seul  de 
toute  la  Chambre  haute,  contre  \di  loi  de  sûreté  générale, ^vo^o- 
sèe  en  1858  par  le  ministre  de  l'intérieur,  le  général  Espinasse. 

La  période  la  plus  brillante  de  la  carrière  de  Mac-Mahon 
devait  être  la  campagne  d'Italie. 

Dès  le  début  de  la  guerre,  Mac-Mahon  fut  placé  à  la  tête  du 
2e  corps. 

Le  4  juin  1859,  il  prit  une  part  décisive  à  la  victoire  de 
Magenta.  Sans  lui,  Napoléon  III  et  toute  sa  garde  étaient  faits 


222  ANNALES    CATHOLIQUES 

prisonniers  par  les  Autrichiens.  Le  bâton  de  maréchal  de  France 
et  le  titre  de  duc  de  Magenta  furent  la  juste  récompense  de  son 
sang-froid  et  de  son  habileté. 

Le  nouveau  maréchal  devait  d'ailleurs  faire  preuve  des 
mêmes  qualités,  à  peu  de  jours  de  distance,  à  la  bataille  de 
Solférino. 

En  novembre  1861,  le  maréchal  de  Mac-Mahon  représentait 
l'empereur  à  Berlin  pour  le  couronnement  du  roi  de  Prusse 
Guillaume  III  ;  puis  prenait  le  commandement  du  2'  corps  à 
Nancy  (1862),  qu'il  quittait  le  1"  septembre,  pour  le  gouverne- 
ment général  de  l'Algérie. 

En  1870,  le  maréchal  de  Mac-Mahon  reçut  le  commandement 
du  1^'  corps  d'armée. 

Il  établit  son  quartier  général  à  Strasbourg.  Dès  le  début  des 
hostilités,  la  fortune  nous  fut  contraire  :  l'avant-garde  du  maré- 
chal commandée  par  le  général  Abel  Douay  était  battue  à  Wis- 
sembourg. 

Deux  jours  après,  écrasé  à  son  tour  par  des  forces  dix  fois 
supérieures  en  nombre,  Mac-Mahon  était  vaincu   à  Reischoffen. 

Battant  en  retraite,  le  maréchal  réussit  à  ramener  une  ving- 
taine de  mille  hommes  à  Châlons.  Là,  le  général  Palikao,  minis- 
tre de  la  guerre,  lui  confia  une  armée  de  120,000  hommes,  for- 
mée à  la  hâte,  avec  ordre  de  se  porter  au  secours  de  Bazaine, 
mission  dont  le  maréchal  de  Mac-Mahon  avait  lui-même  signalé 
l'inutilité  et  le  danger.  Il  obéit  néanmoins,  par  un  scrupule  exa- 
géré de  discipline,  et  commença  le  mouvement  fatal  qui  devait 
jeter  son  armée  dans  l'entonnoir  de  Sedan. 

Le  l^'  septembre  la  bataille  commença  sous  Sedan,  aux  portes 
mêmes  de  la  ville,  A  sept  heures  du  matin,  Mac-Mahon  était 
grièvement  blessé  à  la  cuisse,  sur  l'éminence  de  la  Moncelle,  et 
remettait  le  commandem.3nt  au  général  Ducrot,  bientôt  remplacé 
lui-même  par  le  général  de  Wimpffen. 

Grâce  à  cette  blessure,  Mac-Mahon  n'eut  pas  la  douleur  d'ap- 
poser sa  signature  au  bas  de  la  capitulation  de  Sedan. 

Prisonnier  sur  parole,  Mac-Mahon  fut  transporté  en  Belgique. 
Lorsque  sa  blessure  fut  guérie,  les  Allemands  l'internèrent  à 
Wiesbaden,  où  il  resta  jusqu'en  mars  1871. 

Après  la  signature  de  la  paix,  Mac-Mahon  reçut  le  comman- 
dement de  l'armée  de  Versailles  qui  reprit  Paris  sur  les  troupes 
de  la  Commune,  puis  il  rentra  dans  la  vie  privée  et  refusa  di- 
verses candidatures  à  l'Assemblée  nationale  qui  lui  étaient  offer- 


LE    MARÉCHAL    DK    MA.C-MAHON  223 

tes.  Sur  les  instances  qui  lui  furent  faites,  il  accepta  la  succes- 
sion de  M.  Tliiers,  à  la  présidence,  le  24  mai  1873.  Le  19  no- 
vembre 1873,  la  durée  de  ses  pouvoirs  était  fixée  à  sept  ans. 
Son  premier  ministère,  présidé  par  le  duc  de  Broglie,  fut  ren- 
versé le  16  mai  1874.  Le  ministère  de  Cissey  lui  succéda,  et 
conserva  le  pouvoir,  après  quelques  remaniements,  jusqu'au 
25  février  1875. 

A  la  suite  d'un  voyage  dans  le  Nord-Ouest  et  après  le  vote  de 
la  Constitution  du  21  février  1875,  le  maréchal  confia  le  minis- 
tère à  M.  Buffet;  puis,  il  appela  successivement  aux  affaires 
M.  Dufaure  (20  février  1876)  et  M.  Jules  Simon  (12  décembre 
1876).  Quelques  mois  après,  le  président  se  séparait  de  ce  mi- 
nistère, auquel  un  nouveau  ministère  de  Broglie  succéda.  Après 
une  prorogation  d'un  mois,  la  Chambre  l'accueillit  par  le  fameux 
ordre  du  jour  de  blâme  des  363,  et  fut  immédiatement  dissoute. 

Mais  les  élections  générales  de  1876  envoyèrent  à  la  Chambre 
une  opposition  plus  nombreuse  encore  que  la  précédente,  et  le 
cabinet  de  Broglie  dut  se  retirer.  A  la  chute  du  ministère  extra- 
parlementaire  du  général  de  Rochebouët  (23  novembre  1876), 
le  président  se  décida  à  appeler  au  pouvoir  un  cabinet  républi- 
cain présidé  par  M.  Dufaure.  L'Exposition  de  1878  apaisa  un 
moment  les  luttes  politiques;  mais,  après  les  élections  sénato- 
riales de  1879,  qui  faisaient  passer  la  majorité  de  droite  à  gau- 
che au  Luxembourg  comme  au  Palais-Bourbon,  voyant  ses  opi- 
nions personnelles  en  opposition  avec  toute  la  majorité  des  élus, 
il  se  décida  à  donner  sa  démission  (30  janvier  1879.) 

Depuis  ce  temps,  le  maréchal  se  renfermant  volontairement 
dans  une  retraite  pleine  de  dignité,  n'a  pris  aucune  part  active 
aux  luttes  politiques  et  ne  s'est  guère  occupé  que  d'oeuvres  pa- 
triotiques et  charitables. 

Marié  en  1855  à  Mlle  de  la  Croix  de  Castries,  sœur  du  dernier 
duc  de  ce  nom,  le  maréchal  de  Mac-Mahon  a  eu  plusieurs  en- 
fants :  l'aîné,  son  fils  Patrice,  est  capitaine  au  8'  bataillon  de 
chasseurs  à  pied  ;  le  troisième,  Emmanuel,  sert  avec  le  même 
grade  au  19'  bataillon  ;  sa  fille,  Mlle  Marie  de  Mac-Mahon,  a 
épousé,  en  1886,  le  comte  de  Piennes,  officier  de  hussards, 
démissionnaire  depuis. 

Le  Gaulois  a  donné  les  détails  suivants  sur  les  derniers  moments 
du  maréchal. 

A  sept  heures  et  demie  du  matin,  on  fit  mander  le  curé  de  la 


224  ANNALKS    CATHOLIQUES 

paroisse  qui  accourut  aussitôt.  Le  maréclial  le  reconnut  et  pressa 
sa  main  aflPectueusement. 

Alors  tout  le  monde  se  retira,  et  le  prêtre  confessa  une  der- 
nière fois  le  mourant;  puis  il  ouvrit  la  porte,  et  la  maréchale 
rentra,  suivie  de  sa  famille  et  de  ses  serviteurs,  pour  assister  à 
la  cérémonie  de  l'extrême-onction. 

Ce  fut  une  cérémonie  des  plus  touchantes.  Le  maréchal  avait 
encore  toute  sa  lucidité  d'esprit,  et  suivait  avec  recueillement 
les  prières  qui  accompagnent  l'administration  des  saintes  huiles. 
Cependant  la  chambre  était  pleine  de  sanglots  étouffés,  et  les 
serviteurs  pleuraient  à  chaudes  larmes  ce  maître  si  bon  et  si 
prévenant  pour  tous. 

Le  maréchal  eut  encore  la  force  de  presser  la  main  de  chacun 
de  ceux  qui  l'entouraient.  Jamais  soldat  ne  vit  venir  la  mort 
avec  plus  de  calme. 

L'agonie  fut  douce,  le  malade  s'en  allait  graduellement,  sans 
secousses  ;  la  respiration  devenait  plus  lente,  plus  rare,  et  enfin 
à  dix  heures,  elle  cessa  tout  à  fait. 

La  maréchale,  qui  était  à  genoux,  se  leva,  contenant  sa  dou- 
leur, ferma  les  yeux  du  maréchal  et  lui  donna  le  dernier  baiser. 

Un  peu  après,  on  disposa  la  ^chambre  mortuaire  et  l'on  per- 
mit à  la  foule,  accourue  de  tous  côtés,  de  venir  rendre  un  der- 
nier hommage  au  vaillant  soldat  qui  venait  de  mourir. 

Le  corps  était  étendu,  les  bras  le  long  du  corps,  sur  le  lit 
tout  blanc;  sur  la  poitrine,  un  crucifix.  Au  chevet  du  lit,  une 
table  recouverte  d'une  nappe  blanche,  avec  l'eau  bénite  et  une 
branche  de  buis,  une  croix  avec  incrustation  de  nacre,  un  cha- 
pelet d'ivoire  et  deux  flambeaux  allumés.  Au  pied  du  lit,  un 
prie-Dieu  que  la  maréchale  ne  quitte  guère. 

Aucun  apparat  dans  ce  spectacle  delà  mort.  Ni  armes,  ni  uni- 
formes, ni  décorations.  Rien  que  le  souvenir  de  la  mort  chré- 
tienne. Cette  touchante  simplicité  impressionne  d'autant  plus  la 
foule,  et  elle  contemple,  émue  et  recueillie,  les  traits  immobiles 
du  héros.  Sa  physionomie  a  conservée  dans  la  mort  son  expres- 
sion noble,  énergique  et  douce  en  même  temps. 

Le  maréchal  était  adoré  dans  le  pays.  Il  connaissait  tout  le 
monde  et  chacun  avait  à  cœur  de  lui  témoigner  d'une  façon  quel- 
conque son  attachement  et  son  respect.  Tous  comprennent  que 
la  France  a  perdu  un  de  ses  plus  braves  et  fidèles  serviteurs. 

Le  Gérant:  P.  Chantrel. 

Paria.  Imp.  0.  Picquoin,  53,  rue  de  LiUe. 


ANN/^LES    CATHOLIQUES 


L'APAISEMENT 

Si  le  gouvernement  continue  à  montrer  peu  de  bienveillance 
pour  les  catholiques,  les  nouveaux  députés  ne  leur  sont  non  plus 
guère  indulgents.  Voici  comment  parle  d'eux  M.  Batiot,  le  nou- 
vel élu  de  la  Roche-sur- Yon  :  «  Les  soldats  abandonnent  leurs 
chefs.  Parmi  ces  derniers,  les  uns,  et  c'est  à  leur  honneur,  veu- 
lent rester  dans  les  ruines  et  y  périr  écrasés  mais  ensevelis  dans 
leur  drapeau.  Les  autres  ont  pensé,  dans  ces  derniers  temps, 
demander  asila  à  la  République  qui  est  ouverte  à  tous  les 
hommes  de  bonne  volonté.  Mais  elle  n'a  pas  eu  confiance  dans 
la  sincérité  de  ces  ennemis  de  la  veille  qui  sollicitaient  l'entrée 
de  sa  maison.  Elle  s'est  aperçue  de  leur  attitude  équivoque,  elle 
s'est  défiée  de  leurs  projets  perfides  et  dédaigneusement  elle 
leur  a  fermé  sa  porte.  »  Ce  n'est  déjà  pas  mal;  mais  ce  qui  suit 
est  encore  moins  encourageant  : 

«  Ah  !  Messieurs,  vous  aviez  le  noir  dessein  de  détruire  les 
lois  que  vous  appelez  scélérates  et  qui  sont  l'honneur  de  notre 
pays,  vous  n'êtes  pas  de  taille  à  nous  enlever  nos  conquêtes. 
Les  séminaristes  porteront  le  sac  comme  les  autres;  nos  dignes 
instituteurs  continueront  à  élever  le  niveau  moral  et  intellec- 
tuel de  nos  enfants,  et  à  leur  enseigner  l'amour  de  la  liberté  et 
de  la  République.  »  Le  discours  de  M.  Batiot  n'eiit  pas  été  com- 
plet, si,  à  cette  affirmation  de  l'athéisme  officiel,  il  n'avait  joint 
des  menaces  à  l'enseignement  libre.  Il  n'y  a  pas  manqué. 

M.  Batiot  n'ose  pas  encore  réclamer  l'interdiction  des  certifi- 
cats d'instruction  libre;  mais,  en  attendant,  il  demande  à  ceux 
qui  l'écoutent  d'en  détruire  la  portée  et  il  annonce  que  «  dans 
un  avenir  plus  ou  moins  rapproché  »  le  certificat  de  l'Etat 
«  sera  formellement  exigé  de  ceux  (jui  solliciteront  leur  entrée 
dans  les  écoles  et  les  administrations  de  l'Etat  ». 

Quant  aux  associations  religieuses,  leur  compte  est  réglé.  La 
députation  républicaine  de  Vendée,  reprenant  l'infâme  projet 
Goblet,  annonce  cyniquement  que  c  si  la  République  doit  ac- 
corder un  régime  de  faveur  —  le  mot  y  est!  aux  associations 
françaises,  elle  doit  le  refuser  aux  congrégations  ».  Décidément 
la  République  n'est  pas  clémente  aux  hommes  de  bonne  volonté. 
Lxxxvi  —  4  Novembre  1893.  17 


2â6  ANNAIifiS    CA.THOLIQIHBS 

Les  dépotés  ne  sont  pas  les  seuls  à  papier  ce  langage.  iLa 
veille  de  l'arrivée  des  Russes  à  Paris,  c'est-à-dire  en  pleine 
trêve  russe,  on  voit  que  le  moment  était  bien  choisi,  le  nouveau 
procureur  général  à  la  cour  de  cassation,  un  sectaire  nommé 
Manan,  a  prononcé  l'éloge  de  son  triste  prédécesseur  M.  Ron- 
jat.  Or,  de  quoi  l'a-t-il  loué?  d'avoir  défendu  l'article  7  qui  pri- 
vait les  religieux  du  droit  d'enseigner;  d'avoir  soutenu,  en 
qualité  de  commissaire  du  gouvernement  auprès  du  tribunal 
des  conflits,  à  la  suite  des  expulsions  des  religieux,  les  conclu- 
sions tendant  à  enlever  aux  tribunaux  ordinaires  le  droit  de 
juger  les  crochetages  et  les  crocheteurs  officiels,  ensuite  d'avoir 
amené  la  cour  de  cassation  à  proclamer,  contrairement  à  la 
jurisprudence,  la  validité  du  mariage  des  prêtres. 

Enfin  il  l'a  glorifié  d'être  mort  en  philosophe,  fidèle  aux 
convictions  de  toute  sa  vie,  c'est-à-dire  d'être  mort  en  libi^e- 
penseur  et  de  s'être  fait  enterrer  civilement.  Gn  peut  juger, 
d'après  cela,  de  l'accueil  que  les  revendications  des  catholiques 
persécutés  recevront  à  la  cour  de  cassation.  Et  voilà  comment 
on  nous  promet  l'apaisement!  Ceux  qui  l'espèfent  encoie  sont 
bien  naïfs,  il  viendra  peut-être,  mais  ce  n'est  pas  le  gouverne- 
ment qui  nous  le  donnera.  Il  nous  le  faudra  conqtrérir.  Le  mot 
d'ordre  est  donc  toujours  le  aiême  :  la  guerre  aux  persécuteurs^ 
la  guerre  jusqu'à  la  victoire!  ne  désarmons  pas  ! 


LES  TVIENSES  EPISCOPALES  ET  CURIALES  (1) 
d'après  les   notes   de  jurisprudence  du  conseil  d'état 

I.  Organisation  et  fonctionnement. 

Menses  épiscopales. 

Le  diocèse  ne  constitue  pas  une  personne  morale.  La  capacité 
civile  appartient  uniquement  à  l'évêché considéré  comme  mense 
épiscopale,  c'est-à-dire  comme  établissement  destiné  à  assurer 
la  condition  des  titulaires  successifs  du  diocèse,  et  c'est  exclu- 
sivement en  vue  de  l'amélioration  de  cette  condition  que  lo: 
mense  épiscopale  est  apte  ,à  posséder.  (Avis  (Asueinblée  gêné-» 
Eale),  17  mars  1880,  Legs  Bastier  de  Meydat.) 

(1)  Voir  rlsns  le  numéro  précèdent  l'article  :  Douze  années  de  pra- 
tiques administratives  ;'Exlrn\i  de  l'oxcollente  Revue  admtnistrativtf 
du  culte  catholique  (un  an,  12  franc?). 


LES  MEN3ES  ÉPISCOPaLES  ET  CURIALES  227 

Le  commissaire  administrateur  nommé  au  décès  d'un  évêque, 
c<)nforraément  à  l'article  34  du  décret  du  6  novembre  1813,  pouT 
l'administration  des  biens  de  la  mense  épiscopale  pendant  la 
vacance,  est  chargé  de  precâïler  à  la  régnlarisation  de  la  dota«- 

n  de  cet  établipsement.  (Jurisprudence  constante,  voir  notam- 
1  'Ht:  Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  30  octobre  1884* 
Aliénation  par  la  mense  épiscopale  de  Langres.  —  Projet  de 
décret  (Assemblée  générale),  4  avril  1889.  Régularisation  de 
patrimoine  de  la  mense  épiscopale  de  Nîmes.) 
•  Lapremièreopération  àfairepour  arriver  à  cette  régularisation 
eonsiste  à  diviser  les  biens  qui  composent  le  patrimoine  de  la 
mense  en  tiois  catégories  :  1"  ceux  qui  concourent  directement 
au  but  de  la  mense  ;  2*  ceux  qui  ont  une  affectation  étrangère  à 
ce  bnt,  mais  prévue  cependant  par  les  décrets  ou  ordonnances 
qui  les  ont  fait  entrer  dans  le  patrimoine  de  l'établissement 
ecclésiastique;  S»  ceux  dont  l'affectation  irrégulière  n'a  jamais 
été  autorisée.  (Jurisprudence  constante,  voir  notamment  :  Projet 
de  décret  (Assemblée  générale),  21  juin  1888.  Régularisation 
de  la  mense  épiscopale  de  Limoges). 

S'il  y  a  des  immeubles  parmi  les  biens  compris  dans  la  pre- 
mière catégorie,  il  y  a  lieu  d'en  prescrire  l'aliénation,  dans  la 
mesure  du  possible,  afin  de  diminuer  la  mainmorte  immobilière. 
(Projet  de  décret  (As&emblée  générale),  23  décembre  1886.  Alié- 
nation d'immeubles  par  la  mense  épiscopale  de  Laval). 

Les  immiMibles  qui  rentrent  dans  la  seconde  catégorie  doi- 
vent-ils être  conservés  dans  le  patrimoine  de  la  mense?  (Rép. 
aff.  :  F^rojet  de  décret  (Assemblée  générale).  21  juin  1888.  Régu- 
larisation du  patrimoine  de  la  mense  épiscopale  de  Limoges. 

—  Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  9  août  1888.  Régu- 
larisation du  patrimoine  de  la  mense  épiscopale  de  Poitiers.) 

—  (Rép.  nég.  :  Projet  de  décret  (Assemblée  générale;.  30  oc- 
tobre 1888.  Aliénation  par  la  mense  épiscopale  de  Langres.  — 
Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  28  janvier  1S85.  Aliéna- 
tion par  la  mense  épiscopale  du  Mans,  —  Projet  de  décret  (As- 
semblée générale),  24  décembre  1885.  Régularisation  du  patri- 
moine de  la  mense  épiscopale  de  Fréjus.) 

Il  v  a  lieu  de  prescrire  l'aliénation  des  immeubles  qui  ren- 
trent dans  la  troisième  catégorie.  (.lurisprudence  constante,  voir 
notamment:  Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  11  dé- 
cembre 18S4.  Aliénation  par  la  mense  épiscopale  de  Verdun.  — 
Pïvjet  de  décret  (Assemblée  générale),  4  avril  1889.  Régulari- 
sation du  patrimoine  de  la  mense  épiscopale  de  Nîmes.) 


228  ANNALES    CATHOLIQUES 

Lorsqu'à  l'occasion  de  la  régularisation  d'un  patrimoine  d'une 
meDse,  le  commissaire  arlministrateur  constate  l'existence  de 
biens  dont  l'acquisition  n'a  pas  été  régulièrement  autorisée,  il 
convient,  tout  d'abord,  de  régulariser  cette  acquisition,  s'il  y  a 
litxi.  (Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  9  août  1888.  Ré- 
gularisation du  patrimoine  de  la  mense  épiscopale  du  diocèse 
de  F^oitiers.) 

Les  décrets  prescrivant  l'aliénation  des  immeubles,  qui  ne 
sont  pas  affectés  à  un  usage  conforme  au  but  de  la  mense  épis* 
copale,  doivent  énumérer  expressément  les  biens  aux(|uels  s'ap- 
p1i(juera  cette  prescription.  (Projet  de  décret  et  note  (Assemblée 
générale),  11  décembre  1884.  Aliénation  d'immeubles  par  la 
mense  épiscopale  de  Verdun.) 

Ils  sont  habituellement  li'nellés  de  la  manière  suivante  : 

Le  commissaire  administrateur  des  biens  de  la  mense  de 
,  pendant  la  vacance  du  siège,  devra  faire  procéder 
àla  vente  aux  enchères  publiques,  etc. 

Dans  certains  cas,  lorsqu'il  était  utile  de  réserver  à  l'admi- 
nistration le  soin  d'apprécier,  d'après  les  circonstances,  si  la 
vente  de  certains  immeubles  devait,  ou  non,  être  effectuée,  il  a 
été  substitué  à  cette  formule,  la  formule  suivante  : 

Le  commissaire  pour  V administration  des  biens  de  la  mense 
de  ,  pendant  la  vacance  du  siège,  est  investi  de  tous 

les  pouvoirs  nécessaires  à  V  effet  d'aliéner.  (Projet  de  décrétât 
note  (Assemblée  générale),  30  juillet  1891.  Régularisation  du 
patrimoine  de  la  mense  épiscopale  d'Angoulêrae). 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  justifier  les  mesures  prescrites  par  le  projet 
de  décret  au  moj'en  de  considérants  établissant  le  principe  de  la 
spécialité  des  établissements  publics,  et  limitant  le  but  dans 
lequel  ont  été  instituées  les  menses  archiépiscopales  et  épisco- 
pales.  (Note  (Assemblée  générale),  30  octobre  1884.  Aliénation' 
par  la  mense  épiscopale  de  Langres). 

Les  pouvoirs  du  commissaire  administrateur,  qui,  aux  termes 
de  l'article  45  du  décret  du  6  novembre  1813,  doit  régir  jusqu'à 
la  prise  de  possession  par  le  nouvel  évêque,  peuvent-ils  être 
prorogés  au  delà  de  ce  terme?  (Rép.  aff,:  Projet  de  décret  (As- 
semblée générale),  26  juin  1884.  Régularisation  du  patrimoine 
de  la  mense  épiscopale  de  Tours.  —  Nombreuses  décisions  con- 
formes et  notamment  :  Projet  de  décret  (Assemblée  générale), 
29 janvier  1885.  Aliénation  parla  mense  épiscopale  du  Mans. 
Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  9  août  1888.  Régularisa- 


LES  MENSES  ÉPISCOPALES  ET  CURIALES  22Ô 

tioD  du  patrimoine  de  la  mense  épiscopale  de  Poitiers.) —  (Rép. 
nég.:  Projet  de  décret  et  note  (Assemblée  générale),  4  avril  1889. 
Régularisation  du  patrimoine  de  la  mense  épiscopale  de  Nîmes,) 
N'a  pas  été  autorisée  la  mise  sous  séquestre  des  biens  d'une 
mense  épiscopale  jusqu'au  moment  où  la  régularisation  de  la 
dotation  devait  être  achevée.  (Projet  de  décret  et  note  (Assem- 
blée générale),  4  avril  1889.  Régularisation  du  patrimoine  de 
la  mense  épiscopale  de  Nîmes.) 

n.  Acquisitions  à  titre  onéreux.  —  Rétrocessions  (1). 

Il  n'y  a  pas  lieu,  en  principe,  d'approuver  des  rétrocessions, 
ces  opérations  n'ayant  pour  but  que  de  régulariser  des  acquisi- 
tions faites  sans  autorisation  pour  le  compte  d'établissements 
publics. 

Cependant  des  rétrocessions  ont  été  approuvées  à  raison  de 
circonstances  spéciales  dans  les  espèces  suivantes  : 

a)  Régularisation  de  la  dotation  d'une  mense  épiscopale, 
après  le  décès  de  l'évêque.  (Projet  de  décret,  29  mars  1882. 
Rétrocession  au  profit  de  l'archevêché  de  Sens.) 

b)  Rétrocession  accompagnée  d'une  demande  d'aliénation  de 
l'immeuble.  (Projet  de  décret  et  note,  13  avril  1880.  Aliénation 
par  l'évêché  de  Grenoble.) 

III.  Acquisitions  à  titre  gratuit. 

§  1"  :  Menses  épiscopales. 

Par  application  du  principe  de  la  spécialité,  la  mense  épisco- 
pale instituée  uniquement  en  vue  de  l'amélioration  du  sort  des 
titulaires  successifs,  ne  saurait  être  autorisée  à  accepter  les 
libéralités  ayant  pour  objet  : 

a)  De  favoriser  les  vocations  religieuses  dans  le  diocèse  ou 
de  fonder  des  bourses  dans  le  séminaire.  (Projet  de  décret  et 
note,  18  mai  1886.  Legs  Julien.  —  Projet  de  décret  et  note 
(Assemblée  générale),  27  février  1890.  Legs  Simon.  —  Avis  et 
note  (Assemblée  générale),  de  mai  1883.  Legs  Delpech.  —  Note 
(Assemblée  générale),  22  janvier  1891. Legs  Cesbron-Lamotte.) 

(1)  On  entend  par  rétrocession,  dans  le  langage  administratif  usiiél, 
la  déclaratioa  faite  par  un  particulier  qu'une  acquisition  opérée  par 
lui  en  son  nom  personnel  l'a  été  en  réalité  pour  le  compte  et  avec 
lea  deniers  d'un  établissement  soumis  à  la  tutelle. 


280  ANNALSiS   CATHOLIQUES 

i)  D'affecter  le  produit  de  la  libéralité  aux  besoins  des  écolea 
privées  conjrréganistes.  (Projet  de  décret  et  note  (Asstimbléft 
générale),  27  février  1890.  Legs  Simon.) 

c)  De  pourvoir  au  logement  et  à.  l'entretien  d.e  deux  soaurs 
chargées  de  l'instruciion  des  petites  filles.  (Piojet  de  décret  et 
note,  lÀ  mai  1889.  Legs  Pougnet.) 

d)  D'encourager  et  de  perfecUionnôr!  l'éducation  oatholiquô 
dans  le  diocèse.  (Projet  de  décret  et  note  (Assemblée  généralô), 
25  juin  1885.  Legs  Bertrand.) 

e)  De  faire  céiéb^n^r  des  services  religiieu^x. 

Par  application  du  même  principe,  il  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser 
les  raenses  épiscopales  à  accepter  des  legs  ayant  une  destination 
charitable  ni  mena  e  les  legs  pour  bonnes  œuvres;  néanmoins,  si 
la  libéralité  peut  être  attribuée  à  des  œuvres  diocésaines  érigées 
par  la  loi  en  personnes  civiles,  on  a  quelquefois  considéré 
l'évêque  comme  un  simple  exécuteur  testamentaire  chargé  de 
désigner  les  œuvres  qui  doivent  bénéficier  du  legs,  et  autorisé 
directement  l'acceptation  au  nom  de  ces  œuvres.  (Note  2  dé- 
décerabie  1890.  Legs  Lqnain). 

Il  y  a  liea  de  refuser  à  l'Archevêque  de  Paris  l'autorisation 
d'accepter  les  libéralités  faites  à  l'œuvre  du  Sacré-Cceur  de 
Montmartre.  (Projet  de  décret  et  note,  16  février  1887.  Legs 
Daméne. —  Projet  de  décret  et  note,  21  mai  1889.  Legs  Droulez.) 

§  2:  Cures  et  Succursales. 

Les  curés  et  les  desservants  peuvent  être  autorisés  à  recevoir 
des  legs  à  charge  de  services  religieux,  mais  il  convient,  dans 
ce  cas,  d'appeler  les  fabriques  à  accepter  lie  l)énéfice  résultant 
pour  elles  de  ces  mêmes  libéralités.  (Trois  projets  de  décret  et 
note  collective,  19  février  1889.  Legs  Bernouville^  Lîironce  et 
Lagrèze.  —  Projet  de  décret  et  note,  19  mars  1889.  Legs 
Travers.) 

Un  curé  peut  être  autorisé  à  accepter  un  legs  à  lui  fait,  à 
charge  de  cétêbrer  gratuitement  les  services  funéraires  dfes 
pauvres.  Mais  il  y  a  lieu  de  faire  accepter  le  bénéfloe  dudit  legs 
par  le  maiie,  au  nom  des  pauvres.  (Projet  de  décret  et  note, 
ll6  avril  1890.  Legs  Richard.) 

II  n'y  u  pas  lieu  d'autoriser  les  curés  et  desservants  à  recueil- 
lir des  libéI^alités  qui  constituent  des  fondations  charitallle^i.  La 
cure,   comme  tous  les   établissements  publics,  a  une  capacité 


LES  MENjrBS'ÉPlàCOPALBS 'ET  CURIALES  2^1 

Spéciale,  lirûîtée  aux  objets  q'ne  la' loi  faît  rètitfér  'dans  Sa  raia- 
■^oii.  Or,  aucun  telte  de  loi  n'a  donné  à  la  cure  )e  droit  d'adini- 
■-'Élièti'èT  ou  de  distribuer  des  fonds  destinés  au  Sôuiagenaent  dès 
-|yauvres.  (Projet  de  décret  et  avis  (Assemblée  générale),  B'â'<yAt 

IISSI.  Leg^  Aviat.  —  Avis  (Assemblée  générale),  31  mars  1881. 
•tiégs   Douvel'^t  Môiitreux  (Distributibn'âux  pauvres ''par 'l'es 

curés  successifs.) 

'Il  n'y  a'pas  lieu  d'autôriseT  un  cUré  à  accepter  un  kgs  à  lui 
''fait  «  pour  ses  œuvres  paroissiales  »,  loi'-Sque  cet  eec]ésia6ti(^ne 
'a  refusé  de  précisèf  l'emploi  qu'il  ôrit-èndâit  faire  du  "produit 
■de  la  libéralité.  (Projet  de  déérèt  et  note  (Assemblée  générale), 

20  novembre  1884.  Legs  Masèî-p.) 

Par  application  du  principe  de  la  spécialité,  il  n'y  a  pas  lieu 

d'autoriser  la  mense  curiaie-à  accepter' un  legs  qui  lui  a  été  fait 

pour  être  employé  par  le  desservant  en  bonnes  oeuvres.  (Projet 
-•de'd'ècrètétttote  (Assétnblée  générale)  ;16  février' 1887. LegsLizon.) 
'Lors^qw'un  legs  efet  fait  au  'desservant^*  à  charg-e  de  distHbu- 
"tiond'^abillêtoentS'aux  pauvres  de  la  parôisSe  »,  ily  a  lien/'poÉtr 
'^^fé  venir  les  difficultés  ultériétiïes,  d'inviter  k  désserva-nt  àcou- 
•SéU tir' 1«  Versement  immédiat  dafis  la^àisse  dubiVreau  'de'bién- 
'•ftâSAftee  ' 'du  éaibital   de'  la  rôYite  devant  i^étvir  à  faire  ôlvaque 

année   aux  pauvres,  la  distribution  prescrite  par  le  teàtateu'r. 

(Note,  10  mars  1888.  Legs  Thévot). 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser' uti  c'Uré  "à  accepter  un  legs  fait  à 

charge  de  fonder  ou  d'entretenir  une  salle  d'asile.  (Avis  7  août 
'Ï888.  Legs  Ruin,) 

La  cure  n'a  pas  capacité  pour  recevoir  des  liëéralîtés  destinées 

à  l'entretien  de  jeunes  gens  dans  un  séminaire.  (Projet  de  décret 

et  note,  29  mars  1881.  Legs  Marlin.) 

Un  curé  peut  être  autorisé  à  accepter  un' legs  d^nt  les  reVénus 
•  sont  d«stiBés  «  à  donner  des  vêtenaeots  aux  enfants  pau*Vres  de 
-laipreHaière  communion  ».  Une  serab'able  disposition  constitue, 
-èo  e-fît-t,  plutôt  un  legs  pieux  qu'un  legs  charitable.  Il  rentre, 
-d'ailleurs,  dans  les  attributions  des  curés  de  faciliter  l'accès  «de 

la  première  communion  aux  enfants  pauvres  en  les  mett^nt-'â 

même  de  participer  à  cet  acte  de  la  vie  religieuse.  (Projet  de 

décret  et  avis  (Assemblée  générale),  22  décembre  1881.  Legs  Le 

Bricquier  du  Meshir.) 

Il  y  a  lieu  de  faire  accepter  par  le  trésorier  de  la  fabrique  le 

legs  fait  à  un  curé  «  pour  son  église  ».  C'est  à  la  fabrique  qu'il 

appartient  d'accepter  les  libéralités  faites  dans  ce  but.  (Projet 

de  décret  et  note,  7  mars  1883.  Legs  Lafarge.  ) 


232  ANNALES   CATHOLIQUES 

Il  y  a  lieu  de  faire  accepter  nori  seulement  par  le  trésorier  de 
la  fabrique,  mais  encore  par  le  maire,  au  nom  de  la  commune, 
lorsque  celle-ci  est  propriétaire  du  presbytère,  le  bénéfice  d'un 
legs  fait  aux  desservants  successifs  d'une  succursale  et  consis- 
tant en  deux  pièces  de  terre  enclavées  dans  les  dépendances  du- 
dit  presbytère  et  destinées  à  son  agrandissement.  (Projet  de 
décret  et  note,  5  mars  1891.  Legs  Lemarchand  ) 

11  y  a  lieu  de  faire  accepter  par  la  commune  la  libéralité  ré- 
sultant de  la  disposition  par  laquelle  un  testateur  a  légué  à  la 
cure  une  somme  déterminée  pour  l'installation  dans  l'église  d'un 
calorifère  qui  aurait  le  caractère  d'immeuble  par  destination. 
(Note,  5  juillet  1890.  Legs  Sassot). 

IV.  Emprunts. 

Par  application  du  principe  de  la  spécialité,  un  empruntpar  une 
mense  épiscopale  ne  saurait  être  autorisé  lorsque  le  produit  doit 
en  être  affecté  à  une  oeuvre  qui  ne  rentre  pas  dans  ses  attribu- 
tions légales,  par  exemple,  lorsqu'il  a  pour  objet  de  pourvoir  aux 
travaux  d'agrandissement  d'une  maison  destinée  à  recevoir  des 
prêtres  malades.  (Note,  26  décembre  1882.  Emprunt  par  l'évêché 
de  Fréjus.) 

V.  Aliénations. 

Mense  épiscopale.  —  N'a  pas  été  autorisée  l'aliénation  d'un 
immeuble  appartenant  à  une  mense  épiscopale  dont  le  produit 
devait  être  employé  au  profit  du  séminaire.  (Avis,  10  juin  1882. 
Mense  épiscopale  de  Fréjus). 

Cures  et  succursales.  —  Les  fabriques  étant  chargées  par  l'ar- 
ticle 1"  du  décret  du  6  novembre  1813  de  veiller  à  la  conserva- 
tion des  biens  des  cures,  une  cure  ne  peut  être  autorisée  à  alié- 
ner un  bien  lui  appartenant  sans  que  le  conseil  de  fabrique  ait 
été  appelé  à  donner  son  avis.  (Note,  2  juin  1886.  Cure  de  Mer- 
ville.) 


NÉCROLOGIES  ÉPISCOPALES  233 

NÉCROLOGIES    ÉPISCOPALES 

ÉVÉQUES    FRANÇAIS    BÉCÉDÉS    DURANT    LE    DIX-NKUVIÈME    SlÈCLB 
DE    1800   A    1893  (1) 

(Suite.  —  Voir  Jes  numéros  du  16  janvier  1892  au  21  octobre  1893.) 

Année    1821  {Suite). 

30  octobre. —  Mgr  Jean-Baptiste  BouRLiER,évêque  d'Evreux. 
Ce  prélat  naquit  à  Dijon  le  1"  février  1731  de  parents  peu  for- 
tunés mais  qui  lui  donnèrent  une  bonne  éducation;  il  étudia 
dans  sa  ville  natale  au  collège  de  Dijon,  puis  au  Petit-Sémi- 
naire des  Robertins  de  Paris,  dépendance  de  Saint-Sulpice.  Reçu 
licencié  en  théologie,  il  alla  professer  cette  science  à  Rouen. 
L'abbé  de  Périgord  le  prit  pour  professeur,  et  devenu  arche- 
vêque de  Reims,  le  choisit  pour  grand  vicaire,  en  1777,  et  lui 
donna  la  dignité  de  Chantre,  la  troisième  du  Chapitre.  L'abbé 
Bourlier  avait  été  nommé  prieur  de  Saint-Jean  de  Colle  au  dio- 
cèse de  Périgueux  en  1774  ;  l'année  suivante  il  eut  l'abbaye  de 
Varenues,  au  diocèse  de  Bourges,  qui  rapportait  1.500  livres. 
La  révolution  le  dépouilla  de  ces  bénéfices.  Il  assista  aux  As- 
semblées du  clergé  de  1770  et  de  1788,  fut  persécuté  par  les 
Jacobins,  et  sous  le  régime  de  la  Terreur  dénoncé  par  son  do- 
mestique, il  fut  arrêté,  conduit  dans  les  prisons  de  la  Force  et 
de  Charenton,  et,  rendu  à  la  liberté,  il  se  retira  à  Creil  dans 
l'Oise.  M.  de  Talleyrandle  recommanda  au  premier  Consul  qui, 
après  le  Concordat,  le  nomma,  le  9  avril  1802,  à  l'évêché 
d'Évreux.  Il  fut  sacré  le  3  floréal  an  X  (23  avril  1802),  et  solen- 
nellement intronisé  le  14  juillet;  mais  il  refasa  d'assister  à  la 
fête  nationale  qu'on  célébrait  ce  jour-là  pour  l'anniversaire  de  la 
prise  de  la  Bastille  à  laquelle  le  préfet  de  l'Eure  l'avait  invité. 
Il  organisa  son  diocèse,  rassembla  ses  prêtres  dispersés,  fonda 
un  séminaire  diocésain  en  1804  dans  l'ancienne  abbaye  de  Saint- 
Taurin.  Le  31  juillet  1803,  il  fit  l'ouverture  de  la  grande  châsse 
de  saint  Taurin,  déposée  dans  la  cathédrale,  et  qui  avait  été 
sauvée  pendant  la  Révolution,  il  reconnut  l'authenticité  des 
reliques  du  saint  qui  furent  processionnellement  rapportées  dans 
l'église  qui  porte  son  nom  en  un  tombeau  gallo-romain,  la  châsse 
est  un  précieux  monument  d'orfèvrerie  du  xiii*  siècle  et  forme 

(1)  Reproduction  et  traduction  interdites. 


une  chapelle  gothique  couverte  de  lames  de  cuivre  et  d'argent 
doré,  les  côtés  sont  revêtus  de  bas-reliefs  et  de  statuettes 
d'évêques  et  de  saints.  Mgr  Bôurlier  fut  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur  le  5  juillet  1804^  et  officier  le  25  janvier  181^5.  Il 
assista  le  2  décembre  1804  au  couronnement  de  Napoléon  à 
Notre-Daoïe  de  Paris,, fut  nommé  député  le  11  août  1807  par  le 
collège  électoral  de  la  Seine-Inférieure,  et  réélu  le  6  janvier  1813 
pour  le  département  d^.l'Euirei.I^  raçijiit  le  titre  de  baron  de 
l'Empire  qu'accordait  aux  évêques  le  premier  statut  du  I"raars 
1808,  et  chargé  d'examiner  le  divorce  de  l'Empereur  avec 
d'autres  conseillers,  il  signa  l'acte  de  dissolution  du  mariage 
conclu  entre  Napoléon  et  Joséphine. 

Il  se  trouva  employé  dans  les  affaires  de  l'Eglise  lors  de  la  per- 
sécution suscitée  par  Bonaparte,  et  fut  membre  des  commi.-Jsions 
d'évêques  formées  à  Paris  en  1809  et  1811,  ainsi  que  de  la  dépu- 
t^tipn  envoyée  à  &avone  après  le  Concile,  pour  porter  à  Pîe  VII, 
résidant  alors  en  cette  ville,  des  propositions  qui  ne  furent  point 
accueillies.  Il  paraît  aussi  avoir  été  chargé  de  négociations 
auprès  du  Pape  lorsqu'on  l'eut  amené  à  Fontainebleau,  pour  la 
signature  du  Concordat  éphémère  du  25  janvier  1813'.  L'évêque 
d'Evreux  crut  sans  doute  dans  ces  différentes  occasions  travail- 
ler pour  le  bien  de  l'Eglise,  et  il  est  probable  qu'il  se  fit  illusion, 
mais  les  détails  de  sa  conduite  furent  toujours  en  harmonie  avec 
ses  pieux  sentiments.  Le  cardinal  Michel  di  Pietro,  grand  péni- 
tencier, qui  avait  l'entière  confiance  de  Pie  VII  qu'il  avait 
accompagné  à  Paris  et  qui  mourut  aussi  en  1821,  sous-di^yen 
du  Sacré-Collège,  dans  une  lettre  du  13  décembre  18'15,  décla- 
rait que  le  pape  conservait  un  vif  souvenir  de  l'évêque  d'Evreux^ 
Napoléon  récompensa  ses  services  en  le  nommant  sénateur  le 
5  avril  1813  ;  cette  dignité  lui  conférait  le  titre  de  comte,  il 
prêta  serment  à  l'empereur  le  11  du  même  mois.  Le  roi 
Louis  XVIII  le  comprit  dans  la  Chambre  des  Pairs  de  France 
le  4  juin  1814,  et  comme  le  prélat  ne  siégea  point  dans  la 
chambre  des  cents  jours,  il  reprit  son  rang  de  Pair  après  le 
second  retour  du  roi,  au  mois  d'août  1815.  En  1819,  il  fonda 
un  petit  séraiinaire  à  Ecouis. 

Nous  possédons  un  certain  nombre  de  Mandements  de  Mon- 
seigneur Bouriier  qui  publia  sa  lettre  de  prise  de  possession  au 
moment  de  son  intronisation  le  14  juillet  1802.  Voici  les  sujets 
de  ses  principaux  Mandements  : 

Ordonnance  d'un  Te  Djeum,  conformément  aux  instructioas 


NédROLOOlËS  ÉPISCOFALES  235 

de  M.  Portails,  chargé  des  affaires  des  Cultes  ati  sujet  du  Sf^na- 
tus-consulte  nommant  Napoléon  Bonapatte  Consul  à  vie,  le 
28  thermidor  an  X  (11  août  1802); 

Mandement  ordonnant  des  prières  pouf  la  Prospr^rêtf^des  armes 
de  la  République  française,  9  messidor  an  XI  (28  join  1803)  ; 

Instruction  pastorale  sur  *\e  Jubila  sùocovdè  par  Pie  VII  à  l*oc- 
casion  du  Concordat,  22  ve&tÔse  an  XII  (13  mars  18U4); 

Ordonnance  da  Te  Deum  et  du  Vbni  Creator  en  actions  de 
grâces  de  l'El^vfction  de  Napoléon  Bonaparte  à  la  dignité 
d'emppreur  des  Français,  et  pour  implorer  les  bénédiction!? 
du  Oie!  sur  son  règne,  14  messidor  an  XII  (3  juillet  1804)  ; 

Règlement  pour  les  Chatités  du  diocèse  d'Epreux,  30  floréal 
an  XII  [20  mai  1804); 

Ordonnance  d'un  Te  Dhcim  en  actions  de  grâces  du  Sacre  et 
dix,  Couronnement  de  Leurs  Majestés  l'Empereur  et  Vlmp&ra- 
Irice  des  Français,^  ventôse  an  XIII  (15  août  1805); 

Circulaire  relative  aux  Bient  et  rentes  attribues  aux  fahri~ 
ques,  25  thermidor  an  XIII,  (13  août  1805)  ; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  des  Victoires 
re>np07-ie'es  par  Napoléon  sur  les  armées  autrichiennes,  2  bru- 
maire an  XIV  {2  noTembre  1805); 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  de  la  Vic- 
toire remportée  à  AusterKtz  sur  les  armées  russes  et  autri' 
chiennes,  6  janvier  1806; 

Ordonnance  an  sujet  de  la  Solennité  de  V Assomption  de  la 
Sainte  Vierge  et  de  la  fête  de  la  Saint- Napoléon,  et  du  Réta^ 
hlissement  de  la  religion  catholique  en  France,  12  juillet  1806  ; 

Ordonnance  de  Prières  publiques  pour  la  prospérité  des 
armes  de  V Empire  Français,  24  octobre  1806  ; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  delà  Victoire 
rempoiHée  à  lénasurles  ai'mées  prussiennes,  11  novembre  1806; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  des  Succès 
remportés  par  S.  M.  sur  les  armées  Russes,  20  janvier  1807  ; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  pour  la  Prise 
de  Dantzick,  18  juin  1807; 

Mandement  pour  la  Publication  d'un  catéchisme  k  l'usage  de 
toutes  les  églises  de  l'Empire  Français  pour  être  seul  enseigné 
daossoQ  diocèse,  6  juillet  1807  ; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  de  la  Victoire 
remportée  à  Friedland  par  Napoléon,  13  juillet  1807  ; 

Circulaire  pour  ordonner  la  lecture  au  prône  du   Message 


236  ANNALES  CATHOLIQUES 

adressa  par  VEmpereur  au  Sénat  le  4  septembre  courant, 
19  septembre  1808  ; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  des  der- 
nières victoires  remportées  par  nos  armées  en  Espagne,  28  dé- 
cembre 1808; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  des  victoires 
remportées  à  Tann,  EckmHhl  et  Ratishonne,  8  mai  1809; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  de  Ventre'e 
triomphante  de  S.  M.  VEmpereur  et  Roi  dans  la  capitale  de 
V Autriche,  7  juin  1809; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  des  victoires 
remporte'es  à  Enzersdorfet  à  Wagram  par  les  armées  fran- 
çaises, 26  juillet  1809; 

Lettre  pastorale  en  faveur  àe^  séminaires ^Q  octobre  1810; 

Ordonnance  d'une  quête  en  faveur  des  aspirants  à  l'état 
ecclésiastique,  datée  de  Paris  14  août  1811; 

Circulaire  autorisant  le  6twa^e,  4  janvier  1812; 

Lettre  pastorale  sur  les  séminaires,  20  septembre  1812; 

Mandement  des  vicaires  généraux,  en  l'absence  de  l'évêque, 
ordonnant  un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  des  victoires  de 
V empereur  sur  les  armées  russes,  7  octobre  1812; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  en  actions  de  grâces  de  la  vic- 
toire remportée  à  L^Uzen  sur  les  armées  russe  et  prussienne, 
15  mai  1813; 

Mandement  ordonnant  des  prières  pour  Vempereur  se  prépa- 
rant à  repousser  l'invasion  des  ennemis  de  la  France  et  en 
délivrer  notre  territoire;  et  ordonnance  relative  aux  fêtes  sup- 
primées, 28  janvier  1814; 

Ordonnance  d'un  Te  Deum  à  l'occasion  du  retour  de  Louis  XVI II 
dans  la  capitale  de  ses  États,  18  mai  1814; 

Prières  solennelles  pour  V Assemblée  qui  doit  s' ouvrir  le  2^  de 
ce  mois,  21  septembre  1815. 

Mgr  Bourlier  jouissait,  dans  un  âge  avancé,  de  toute  la  viva- 
cité de  la  jeunesse,  lorsqu'il  fut  attaqué,  sur  la  fin  de  l'année  1820, 
d'une  maladie  organique.  La  force  de  sa  constitution  put  seule 
le  soutenir  pendant  plus  de  dix  mois  qu'il  garda  le  lit.  Il  con- 
serva sa  connaissance  jusqu'à  la  fin,  et  on  dit  qu'avant  de 
mourir  il  adressa  encore  une  lettre  forte  et  touchante  à  M.  de 
Talleyrand  avec  lequel  il  avait  eu  des  relations  étroites,  et 
auquel  il  donnait  des  conseils  dignes  d'un  évêque  zélé  et  d'un 
ami  fidèle.  Il  mourut  dans  son  palais  épiscopal  d'Évreux  le 


NÉCROLOGIES    ÉPISCOPALBS  237 

mardi  30  octobre  1821,  à  huit  heures  du  matin,  parvenu  au 
milieu  de  sa  91*  année.  Il  légua  tout  ce  qu'il  possédait  à  son 
séminaire  diocésain,  qui  comptait  alors  140  élèves  sous  la  direc- 
tion de  M.  Lambert;  il  excepta  urh  maison  qu'il  donna  pour  y 
établir  des  Frères  des  Ecoles  chrétiennes  à  Evreux.  Il  fut  le 
premier  évêque  d'Evreux  inhumé  dans  le  caveau  destiné  à  la 
sépulture  des  évêques  par  Mgr  de  Lesay-Marnésia  dans  la  cha- 
pelle de  la  Vierge.  M.  de  Talle^rand  prononça  son  éloge  à 
la  tribune  de  la  Chambre  des  pairs,  dans  la  séance  du  13  no- 
vembre 1821;  c'est  l'un  des  plus  s[»irituels  qui  soient  sortis  de 
la  plume  du  célèbre  diplomate  (1).  Le  G  septembre  1822, M.  l'abbé 
Painchon,  vicaire-général,  doyen  du  Chapitre,  et  qui  avait  été 
secrétaire  de  l'évêché  de  1802  à  1807,  prononça  aussi  son  éloge 
dans  la  séance  publique  de  la  Soci-né  d'agriculture,  sciences  et 
arts  de  l'Eure.  Le  2  novembre  1821,  MM.  de  la  Brunière, 
Painchon  et  Delacroix,  vicaires-généraux  capitulaires,  publiè- 
rent, à  l'occasion  du  décès  de  Mirr  Bourlier,  un  intéressant 
Mandement  dans  lequel  ils  faisaient  l'éloge  du  prélat  que  le 
diocèse  venait  de  perdre,  l'appelaient  un  ange  de  paix  et  de 
conciliation  et  rappelaient  ses  titres  à  la  reconnaissance  de 
tous,  après  avoir  esquissé  sa  belle  vie,  parlé  de  sa  douceur,  des 
largesses  de  sa  charité,  du  bien  qu'il  avait  fait  pendant  sa  vie 
et  celui  qu'il  voulut  perpétuer  airès  sa  mort,  <  laissant  à  ses 
successeurs  les  moyens  cle  multi[)lier  les  élèves  du  sanctuaire, 
et  de  proportionner  un  jour  le  nonibre  des  ouvriers  à  l'étendue 
des  besoins,  à  l'abondance  des  moissons.  A  jamais,  les  amis  de 
la  religion  et  des  mœurs  diront  quelle  a  été  sa  constante  solli- 
citude, quelle  fut  sa  générosité,  pour  procurer  aux  enfants  de 
l'un  et  l'autre  sexe,  dans  la  ville  et  dans  les  campagnes,  l'inesti- 
mable bienfait  d'une  éducation  solide  et  chrétienne  ;  à  jamais,  les 
pauvres  répéteront  que  toujours  leurs  besoins,  leurs  cris  le 
trouvèrent  sensible  et  généreux;  qu'ennemi  de  tout  luxe,  de 
tout  faste,  il  n'a  voulu  qu'on  s'aperçût  de  l'accroissement  de  sa 
fortune  qu'à  l'accroissement  de  ses  aumônes  :  Eleemosynas 
illius  narrahit  omnis  ecclesia  sanctorum  (Eccl.,  xxi,  11)...» 

Nous  ajouterons  que  Mgr  Bourlier  était  distingué  par  son 
esprit  et  par  sa  capacité  pour  les  affaires;  et  il  joignait  à  ces 
avantages  des  qualités  qui  ont  rendu  sa  mémoire  chère  à  ses 
amis  et  à  son  diocèse.  Sentant  sa  fin  approcher  il  demanda  de 

(l)  L'^mt  de  la  Religion  le  cite  dans  son  a»  2970  (22  mai  1838). 


^[8  ANNALES   CA.1HOL.1QUB6 

nouveau  le  Saint  Viatique  qui  lui  fut  administré  avec  rExtrèmo- 
Onction.  Depuis  ce  moment  il  ne  sortit  de  sa  bouche  que  des 
paroles  d'édification,  et  il  mourut  dans  les  sentiments  de  la  plus 
tendre  piété. 

Sur  l'écusson  de  ses  Mandements  ne  figurent  que  ses  initiales 
J,-B.  B.  enlacées,  et  autour  de  ces  mots  ;  Joawnes  Bccpiisia 
BouRLiER,  episeopus  Ebroioen. 

Mais  il  avait  aussi  des  armoiries  que  notre  défunt  ami  M.  Fig- 
quet,  dans  sa  France  pontificale,  diocèse  d'Evreux,  explique 
ainsi  : 

Parti:  au  premier,  d'azur  à  la  Sainte  Vierge  d'or  surmon,' 
tant  un  croissant  d'argent,  et  accompagnée  en  chef  de  deux 
étoiles  du  même  ;  au  deuxième,  d'azur  à  la  bande  e'chiquete'e 
d'or  et  de  gueules,  de  deux  tires,  chargée  d'un  lis  d'argent. 

Nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé  J.  Fossey,  premier 
vicaire  de  la  cathédrale  et  auteur  de  la  Monographie  de  la 
cathédrale  d'Evreux,  l'inscription  tumulaire  de  Mgr  Bourlier 
qui  se  trouve  au  tombeau  des  évéques,  dans  le  chœur  de  la 
chapelle  absidale,  et  qui  est  à  moitié  disparue  endommagée  par 
le  salpêtre,  mais  restituée  d'une  manière  sûre  par  notre  aimable 
correspondant.  Elle  est  ainsi  conçue  : 

In  Spem 

Beat.î;  Resurrectionis 

Hic  quiescit 

JOANNES      BaPTISTA 

BOURLIER 

Episcopus  Ebroicencis, 

Natis  Divione 

DIE  I  Februarii  mil  viv=^  rxxi, 

CONSÈCTRATUS 

die    xxiii  Aprilis   mil  viirri 

die     XXX  OCTOBRIS    MIL  VIII^XX! 
VlTA  FUNCTUS 

J.-B.  M.  0.  d'Agrigente. 
(A  suivre.) 


DES  CONDITIONS  DE. l' ACTE.  MORALEMENT  MAUVAIS  239 


1»ES  CONDITIONS  DE  L'ACTE  MORALEMENT  MAUVAIS 

L  Quelle  espèce  d'advertance  est  requise  concernant  la  malice  d'un 
acte  pour  que  le  péché  soit  formel? —  II.  Est-il  nécessaire  que 
l'acte  soit  Voulu  précisément  à  cause  de  sa  malice?  —  IlI.Suffii-il  qu'il 
soit  volontaiie  dans  sa  cause?  —  IV.  Une  simple  circonstance 
mauvaise  rend-elle  l'acte  entièrement  mauvais  ? 

I 

On  distingua  l'advertance  actuelle,  l'advertance  virtuelle  et 
l'advertance  iaterprétative. 

L'advertance  actuelle  caractérise  le  volontaire  direct.  On  dit 
que  le  volontaire  est  direct  quand  la  volonté  se  porte  directe- 
ment sans  intermédiaire  à  cet  acte;  tel  est,  par  exemple,  l'ho- 
micide pour  un  homme  qui,  voulant  la  mort  de  son  ennemi,  lui 
a  donné  lui-même  ou  lui  a  fait  donner  le  coup  mortel. 

L'advertance  virtuelle  caractérise  le  volontaire  indirect.  On 
dit  que  le  volontaire  est  indirect  lorsque  l'acte  n'est  volontaire 
que  dans  sa  cause;  ce  qui  a  lieu  toutes  les  fois  que  l'on  prévoit 
que  tel  ou  tel  effet  doit  résulter  de  l'acte  qu'on  se  propose  de  faire, 
d'une  démarche  ou  d'une  omission  qu'on  se  permet  volontaire- 
ment. Cet  effet,  étant  prévu,  devient  indirectement  volontaire 
pour  celui  qui  agit,  ou  qui  s'abstient  lorsqu'il  est  obligé  d'agir. 
Ainsi,  par  exemple,  les  blasphèmes,  les  injures  proférés  dans 
un  état  d'ivresse,  sont  volontaires  d'un  volontaire  indirect,  dans 
celui  qui  s'est  enivré  volontairement,  sans  surprise,  se  rappe- 
lant plus  ou  moins  distinctement  qu'il  est  sujet  à  blasphémer  ou 
à  s'emporter  quand  il  est  pris  de  vin. 

L'advertance  interprétative  est  la  faculté  de  remarquer  la 
malice  de  l'acte,  que  l'on  remarquerait  en  effet,  si  la  pensée 
s'en  présentait  à  l'esprit.  Les  théologiens  qui  prétendent  qu'elle 
suffit  pour  un  acte  humain,  pour  le  volontaire  indirect,  la  font 
consister  en  ce  que  celui  qui  ne  remarque  pas  la  malice  de 
l'acte  peut  et  doit  la  remarquer.  Mais  cette  espèce  d'advertance 
n'est  point  une  advertance  proprement  dite;  car  elle  ne  suppose 
aucune  attention,  aucune  idée  même  confuse  de  la  malice  do 
l'acte,  ni  pour  le  moment  où  l'on  agit,  ni  pour  le  moment  où 
l'on  a  posé  la  cause  d'où  l'acte  s'ensuit. 

Le  péché,  même  mortel,  n'exige  pas  nécessairement  l'adver- 
tance actuelle  de  la  malice  de  l'acte,  pour  le  moment  où  l'on 


240  ANNALES  CATHOLIQUES 

transgresse  une  loi.  Car  il  peut  arriver,  comme  il  arrive  en 
effet,  qu'une  action  soit  formellement  mauvaise  et  imputable  à 
péché,  sans  que  celui  qui  en  est  l'auteur  la  reconnaisse  présen- 
tement comme  telle.  Ce  qui  a  lieu,  quand  on  viole  une  loi  par 
suite  ou  d'une  ignorance  moralement  vincible  et  coupable,  ou 
d'une  passion,  d'une  habitude  volontaire  dans  sa  cause,  ou  de 
l'inconsidération  avec  laquelle  on  se  porte  à  un  acte,  malgré  le 
doute  ou  le  soupçon  qu'on  a  sur  la  malice  de  cet  acte,  ou  au 
moins  sur  le  danger  qu'il  y  a  de  faire  une  chose  sans  examiner 
si  elle  n'est  point  contraire  à  la  loi.  Par  conséquent,  l'adver- 
tance  virtuelle,  qui  est  suffisante  pour  le  volontaire  indirect, 
suffit  par  là  même  pour  pécher,  même  mortellement. 

Mais  un  péché  ne  peut  être  imputable  qu'autant  que  l'adver- 
tance  de  la  part  de  celui  qui  le  commet  est  au  moins  virtuelle. 
L'advertance  interprétative  ne  suffit  pas  pour  le  rendre  formel. 
Ce  sentiment,  dit  le  cardinal  Gousset,  nous  paraît  plus  probable 
que  le  sentiment  contraire,  et  nous  pensons  qu'on  peut  l'adopter 
dans  la  pratique.  En  efi'et,  un  acte  ne  nous  est  imputé  qu'autant 
qu'il  est  directement  ou  indirectement  volontaire.  Or,  pour 
qu'un  péché  soit  indirectement  volontaire,  c'est-à-dire  vo- 
lontaire dans  sa  cause,  les  théologiens  exigent  trois  condi- 
tions; dont  la  première  est  qu'on  ait  prévu,  d'une  manière  au 
moins  confuse,  que  tel  efi'et  devait  s'ensuivre  de  l'acte  qui  est 
volontaire  en  lui-même.  «  Ut  voluntarium  indirectum  imputetur 
ad  culpam,  dit  saint  Liguori,  requiritur  ut  prsevideatur  effec- 
tus.  »  (Homo  apost.  De  Act.  hum.,  n^  6);  ou  comme  il  s'ex- 
prime ailleurs  :  «  Ut  agens,  ponendo  causam,  advertat,  saltem 
in  confuso,  hujusmodi  eff'ectum  fore  ex  illâ  causa  secuturum.  » 
(Th.  Mor.  De  Act.  hum.,  n°  10.) 

Bailly,  Collet,  le  rédacteur  des  Conférences  d'Angers,  d'autres 
théologiens  prétendent  à  tort  que  pour  être  responsable  d'une 
mauvaise  action,  il  n'est  pas  nécessaire  qu'on  ait  réellement 
prévu  ni  même  soupçonné  ce  qui  est  arrivé.  Saint  Liguori  leur 
répond  :  «  Ut  imputentur  alicui  afiectus  cujusdam  causae,  débet 
necessario  prœcedere,  saltem  in  principio,  advertentia  actualis 
et  expressa  malitiae  objecti.  »  (De  Peccatis,  n°  4).  Un  acte,  en 
efi'et,  ne  peut  être  regardé  comme  indirectement  volontaire 
qu'autant  qu'il  a  été  prévu  saltem  in  confuso,  c'est-à-dire 
qu'autant,  comme  l'explique  toujours  saint  Alphonse  de  Liguori, 
que  celui  qui  pose  la  cause  a  quelque  idée,  une  idée  au  moins 
confuse,  et  de  la  liaison  qui  se  trouve  entre  cette  cause  et  l'efi'et, 


DES  CONDITIONS  DE  l'aCTE  MORALEMENT  MAUVAIS  241 

et  de  la  malice  qui  doit  probablement  en  résulter.  Pour  imputer 
à  quehju'un  l'effet  d'une  cause,  il  faut  qu'une  certaine  connais- 
sance actuelle  de  la  malice  de  l'objet  ait  précédé,  du  moins  dans 
le  principe,  de  manière  que,  par  suite  du  volontaire  direct,  l'effet 
devienne  indirectement  volontaire. 

D'ailleurs  l'advertance  interprétatrice  suppose,  dans  le  sys- 
tème contraire,  l'obligation  et  par  là  même  la  possibilité,  pour 
celui  qui  agit,  de  remarquer  la  malice  de  l'acte  et  de  ses  suites. 
Mais  comment  la  remarquer  si  elle  ne  se  présente  pas  à  l'esprit? 
Et  comment  s'y  présentera-t-elle,  s'il  y  a  absence  de  toute 
advertance  actuelle  ;  si  celui  qui  agit  n'a  même  pas  la  pensée 
de  l'obligation  d'examiner  ce  qu'il  fait  ;  s'il  n'éprouve  aucun 
doute,  aucun  soupçon,  soit  relativement  à  cette  obligation  soit 
relativement  au  danger  qu'il  peut  y  avoir  à  poser  telle  ou  telle 
cause?  «  Déficiente  omni  advertentia  expressa,  non  est  potentia 
advertendi,  et  ideo  nec  obligatio,  cum  nulla  obligatio  liget,  nisi 
prius  quodammodo  agnoscatur.  »  [S.  Liguori,  De  Peccatis, 
n°  4).  Concluons  donc  avec  le  même  docteur  que  pour  pécher 
mortellement  il  faut  toujours  être  actuellement  éclairé  sur  la 
malice  de  l'acte,  ou  sur  le  danger  de  pécher,  ou  sur  l'obligation 
de  s'enquérir  de  ce  danger,  à  moins  qu'on  ne  l'ait  aperçu  dans 
le  principe,  quand  on  a  posé  la  cause  de  l'acte  subséquent. 
(S.  Liguori  ;  Guide  du  confesseur  des  gens  de  la  campagne.  Des 
Ppéchés  n°  1)  (Cf.  Gard.  Gousset.  Théologie  morale.  Des  Actes 
humains,  ch.  2.  Des  Péchés,  ch.  1.) 

II 

Sur  cette  question  saint  Thomas  observe  (1»  2^  q.  78,  art.  III) 
que  le  péché  résulte  tantôt  du  défaut  de  raison,  comme  quand 
on  pèche  par  ignorance  ;  tantôt  il  est  produit  par  l'impulsion  de 
l'appétit  sensilif,  comme  quand  on  pèche  par  passion  ;  mais  que 
dans  ces  deux  cas  on  ne  pèche  pas  par  malice.  On  pèche  par 
malice,  dit-il,  quand  la  volonté  se  veut  d'elle-même  au  mal  ; 
ce  qui  constitue  la  malice,  c'est  à  proprement  parler  le  dérègle- 
ment de  la  volonté.  La  volonté  déréglée  aiiae  les  biens  tempo- 
rels plus  que  la  charité  de  Dieu,  elle  consent  à  souffrir  une  perte 
dans  ce  bien  spirituel  pour  acquérir  des  biens  temporels.  Elle 
veut  sciemment  un  mal  spirituel  ;  elle  pèche  de  dessein  formé. 
Il  y  a  donc  des  cas  oii  on  pèche  positivement  par  malice.  Il  v  en 
a  d'autres  oii  on  pèche  sans  songer  à  la  malice  du  péché  ;  d'oii, 

18 


242  ANNALES    CATHOLIQjUBS 

pour  qu'un  péché  soit  formel,  il  n'est  pas  nécessaire  que  l'acte 
soit  voulu  précisément  à  cause  de  sa  malice. 

III 

Le  consentement  libre  de  la  volonté  est  nécessaire  pour  le 
péché.  Il  u'y  a  pas  de  péché  qui  n'ait  la  volonté  pour  principe. 
«  C'est  par  la  volonté  qu'on  pèche,  dit  saint  Augustin,  et  c'est  par 
edle  qu'on  se  conduit  bien.  »  (Retract,  lib.  I,  cap.  1).  «  La  volonté, 
dit  saintThomas,est...le  principe  des  péchés,...  le  péché  est  dans 
la  volonté  comme  dans  son  principe.  »  (1*  2*  q.  72,  art.  1.) 

Mais  il  suffit  q^e  le  consentement  soit  indirect,  c'est-à-dire 
que  l'acte  soit  volontaire  dans  sa  cause  ;  ce  qui  a  lieu  quand 
celui  qui  agit  prévoit,  au  moins  confusément,  les  suites  mau- 
vaises de  son  action  ;  nous  l'avons  indiqué  plus  haut;  mais  il 
faut  en  second  lieu  qu'on  ait  pu  s'abstenir  de  l'acte  qui  en  est  la 
cause  ou  l'occasion.  Personne  n'est  tenu  à  l'impossible.  «  Quis 
enim  peccat,  dit  saint  Augustin,  in  eo  quod  nulle  modo  cavere 
potest?  »  (De  lib.  arb.  III,  cap.  18).  Il  faut  en  troisième  lieu 
qu'on  soit  tenu  de  s'abstenir  de  l'acte  ou  d'éviter  l'omission, 
desquels  on  prévoit  un  eflet,  un  résultat  contraire  à  la  morale. 
Ainsi,  on  ne  doit  point  regarder  comme  volontaires  dans  leur 
cause,  ni  les  pensées,  ni  les  tentations  contre  la  pureté  auxquelles 
nous  sommes  sujets  dans  l'exercice  de  nos  fonctions,  pourvu 
toutefois  qu'on  les  désavoue  aussitôt  qu'on  s'en  aperçoit.  Un 
prêtre  n'est  point  obligé  de  renoncer  à  son  ministère  pour  éviter 
les  tentations  dont  les  confessions  qu'il  entend  sont  l'occasion; 
lorsque  d'ailleurs  il  fait  ce  qui  dépend  de  lui  pour  en  prévenir 
les  suites.  Ce  que  nous  disons  du  prêtre  est  applicable  au  mé- 
decin, au  juge,  à  l'avocat  qui  se  trouvent  dans  la  nécessité  de 
traiter  les  matières  délicates  coRcernant  le  sixième  précepte. 
(Cf.  S.  Lignori,  TheoL  mor.  de  Act.  Hum.,  n"  14). 

La  volonté  peut  agir,  relativement  à  l'objet  qui  lui  est  pro- 
posé par  l'entendement,  de  trois  manières  différentes  :  1°  en 
consentant  positivement  au  péché;  2°  en.  résistant  positivement; 
3°  en  ne  consentant  ni  ne  résistant,  mais  en  demeurant  neutre, 
négative  se  habendo.  Or,  on  pèche  en  consentant  positivement  ; 
mais  on  ne  pèche  pas  en  résistant,  quand  la  résistance  est  posi- 
tive et  absolue;  Quant  à  celui  qui  demeure  neutre  ou  passif, 
sans  résister  ni  consentir  positivement  aux  mouvements  de 
l'appétit  sensuel  vers  un  objet  qui  est  matière  pour  le  péché 


DES  CONDITIONS  DB  X,'wCTE  MORALEMENT  MAUVAIS  248 

mortel,  les  uns  prétendent  qu'il  pèche  morteHement,  d'autreg 
pensent  qu'il  ne  pèche  pas;  mais  cette  opinion  est  commune* 
ment  rejeiée;  suivant  plusieui*s  docteurs,  il  pèche,  mais  son 
poché  n'est  que  véniel,  si  d'ailleurs  le  danger  du  consentement 
n'e^t  pas  prochain.  C'est  le  sentiment  de  saint  Alphonse  deLigtiofi 
(De  Peccatie,  n°  6). 

Mais  lorsqu'il  s'agit  de  délectation  charnelle,  nous  sommée 
oblig-és,  sous  peine  de  péché  mortel,  de  résister  positivement 
parce  que  ces  mouvements,  quand  ils  sont  violents,  peuvent  faci- 
lement entraîner  le  consentement  de  la  volonté,  si  elle  ne 
résiste  pas  positivement.  (S.  Liguori,  ibid.,  n»  7).  Cependant  il 
est  des  cas  oii  il  sutât  de  ne  pas  consentir  à  la  tentation,  aux 
mouvements  charnels.  Ainsi,  par  exenjple,  il  vaut  mieux  'les 
mépriser  que  de  résister  positivement,  quand  on  sait  par  expé- 
rience que  la  résistance  ne  sert  qu'à  les  exciter  et  à  les  rendre 
plus  forts. 

IV 

Trois  choses  concourent  à  déterminer  la  bonté  ou  la  malice 
d'un  acte  :  l'objet,  les  circonstances  et  la  fin  ;  l'action  n'est 
bonne  qu'autant  que  ces  trois  choses  sont  bonnes,  selon  l'axiome  : 
Bonum  ex  intégra  causa.  Mais  il  suffit  qu'une  seule  soit  viciée 
et  défectueuse  pour  que  l'action  le  soit  aussi,  suivant  cet  autre 
axiome  :  Malum  ex  quocumque  defeciu. 

Dans  tous  les  procès  criminels, l'appréciation  des  circonstances 
a  une  grande  influence  sur  le  jugement.  Une  circonstance, 
comme  le  mot  l'indique,  est  ce  qui  est  autour  d'-une  chose,  quod 
circumstat,  ce  qui,  entourant  de  près  une  chose,  la  touche,  la 
modifie,  jusqu'à  un  certain  point,  non  pas  au  fond  précisément, 
mais  par  le  dehors  ;  ou  bien,  si  l'iufluence  de  la  circonstance 
arrive  jusqu'au  fond,  c'est  en  passant  par  le  dehors,  en  sorte 
que  la  modification  imprimée  peut  être  plus  ou  moins  profonde. 
Il  peut  même  arriver  que,  par  l'influence  des  circonstances, 
quelquefois  d'une  seule,  une  action  change  tout  à  fait  de  nature. 
Quelques  exemples  nous  aideront  à  expliquer  notre  pensée. 

C'est  un  crime  ou  un  délit  d'exercer  une  violence  sur  un 
homme,  de  le  frapper,  de  le  maltraiter  ;  mais  si  l'objet  de  la  vio- 
lence est  un  père,  voilà  une  circonstance  qui  modifie  singulière- 
ment l'action  et  la  rend  pins  méchante  ;  frappersa  mère,  n'est-ce 
pas  quelque  chose  de  plus  abominable  ?  Cependant,  au  fond,  il 
n'y  a  qu'une  circonstance  de  plus. 


244  ANNALBS    CATHOLIQUES 

Voler  est  toujours  une  faute,  cependant  voler  un  pauvre, 
surtout  si  c'est  un  riche  qui  vole  le  pauvre,  n'y  a-t-il  pas  quelque 
chose  qui  révolte  davantage  que  si  le  volé  était  un  riche  ?  Il  n'y 
a  encore  là  qu'une  circonstance,  mais  pour  tous  elle  augmente 
d'un  degré  l'action  mauvaise. 

L'aumône  est  une  bonne  œuvre  ;  donner  de  son  superflu,  c'est 
bien;  de  son  nécessaire  c'est  mieux,  et  cette  circonstanse  amé- 
liore l'action.  Mais  si  l'on  fait  l'aumône  par  ostentation,  afin  de 
s'en  faire  un  instrument  d'influence,  voilà  une  circonstance  qui 
change  la  nature  de  l'acte. 

C'est  pourquoi  les  tribunaux  humains  tiennent  compte  des 
circonstances  qui  aggravent  ou  qui  atténuent  un  acte.  Or,  ce 
que  font  les  tribunaux  humains  doit  être  pratiqué  avec  sollici- 
tude au  tribunal  divin.  Les  circonstances  influent  de  trois  ma- 
nières sur  la  moralité  des  actions  :  l^Il  y  en  a  qui  changent  la 
nature  et  l'esprit  de  l'action  en  lui  ôtantla  qualité  morale  qui 
lui  est  propre,  et  en  lui  en  donnant  une  autre  ;  2°  d'autres 
ajoutent  une  malice  nouvelle  à  une  action  déjà  mauvaise,  mais 
sans  en  changer  la  nature,  ce  qui  fait  un  délit  ou  un  péché  com- 
plexe; 3°  ou  bien  encore  sans  changer  en  aucunemanièrela  nature 
de  l'action,  sans  y  ajouter  une  malice  nouvelle,  les  circonstances 
peuvent  en  augmenter  ou  en  diminuer  la  bonté  ou  la  malice.  De 
là  trois  cas  principaux  à  étudier. 

1"  Cas.  Prenons  le  cas  de  l'aumône.  Il  est  évident  que  si  vous 
donnez  par  intérêt,  par  vaine  gloire,  par  ostentation,  ce  n'est  plus 
l'aumône  que  vous  faites,  ou  si  vous  la  faites  matériellement, 
vous  ne  la  faites  pas  formellement. 

Dans  votre  acte  il  reste  ceci  de  l'aumône,  que  vous  donnez  un 
secours  à  autrui,  et  ce  secours  aura  son  efl'et  en  fournissant  à 
votre  prochain  de  quoi  satisfaire  à  ses  besoins.  Mais  comme 
action  morale,  ce  qui  la  caractérise  en  cette  occasion  n'est  plus 
son  objet  propre,  mais  la  circonstance  d'un  intérêt  privé,  d'une 
vaine  gloire;  donc  une  fin  extrinsèque  à  l'aumône;  car  le  but 
intrinsèque  de  l'aumône  est  de  soulager  son  semblable.  Or,  ce 
n'est  pas  ce  qu'on  recherche  dans  ce  cas,  et  si  l'on  pouvait 
acquérir  la  réputation  d'homme  charitable  autrement,  à  coup 
sûr  on  ne  donnerait  pas.  Donc,  l'action  est  dénaturée,  elle 
change  d'espèce  et  de  nature  par  l'efi'et  de  la  circonstance. 

Il  arrive  que  des  personnes  dévotes  cédant  à  l'attrait  qu'elles 
ont  pour  les  choses  religieuses,  négligent  les  devoirs  de  leur 
état.  C'est  un  serviteur  qui  négligera  une  obligation  de  son  état, 


DES  CONDITIONS  DE  l'aCTE  MORALEMENT  MAUVAIS  245 

à  laquelle  il  est  engagé  en  conscience,  pour  aller  à  l'église.  Ses 
maîtres  ne  l'empêchent  ni  de  faire  ses  prières,  ni  d'aller  à  la 
messe,  ni  de  communier.  En  faisant  à  l'insu  de  ses  maîtres  da- 
vantage, il  fait  des  actes  de  dévotion  qui  sont  mal  entendus;  et 
cette  circonstance,  qu'il  abandonne  des  choses  essentielles  et 
obligatoires  pour  des  pratiques  religieuses  auxquelles  il  n'est 
pas  tenu,  dénature  sa  piété  qui  tourne  en  vice. 

Voici  un  chrétien  qui  se  montre  dans  les  églises  afin  de  se  faire 
une  réputation  de  piété  :  il  affiche  les  dehors  delà  religion  pour 
en  avoir  le  renom.  Ses  actions,  bonnes  par  la  forme,  ne  le  sont 
pas  par  l'esprit,  c'est-à-dire  par  l'intention.  C'est  pour  être  loué, 
et  non  pour  honorer  Dieu  et  le  servir  qu'il  va  à  l'église.  Donc 
voilà  une  action  bonne  en  soi,  et  qui  ne  l'est  pas  en  effet,  changée 
qu'elle  est  dans  sa  nature  par  une  mauvaise  circonstance. 

2"*  Cas.  Les  circonstances,  ajoutant  une  malice  nouvelle  à  l'ac- 
tion mauvaise  sans  en  changer  la  nature,  font  que  la  faute  de- 
vient complexe.  Ainsi  la  fornication  est  une  faute  ;  mais  avec  une 
femme  mariée  elle  prend  le  nom  d'adultère  et  la  faute  est  plus 
grave.  Si  c'est  avec  une  personne  consacrée  à  Dieu,  c'est  un  sa- 
crilège ;  si  c'est  une  parente,  dans  les  degrés  prohibés,  c'est  un 
inceste.  Ainsi  dans  tous  ces  cas,  il  y  a  toujours  péché  de  la  chair, 
la  nature  de  l'acte  n'a  pas  changé,  mais  le  crime  est  plus  grave 
en  raison  de  la  condition  de  la  personne  avec  laquelle  on  pêche. 
€  Le  péché  est  d'autant  plus  grand,  dit  S.  Isidore,  que  la  per- 
sonne qui  le  commet  est  plus  élevée  en  vertu  et  en  dignité.  »  (Cf. 
S.  Th.  la  1»,  Q.  72,  art.  10).  Le  vol  est  toujours  un  délit,  mais 
il  peut  se  compliquer  de  violence  et  d'effraction,  qui  n'ont  pas  de 
connexion  nécessaire  avec  le  vol  :  ce  sont  deux  crimes  ajoutés  à 
un  délit,  et  dont  la  malignité  se  joint  à  celle  de  l'action  princi- 
pale et  la  complique. 

3*  Cas.  Les  circonstances  augmentent  ou  diminuent  la  bonté 
ou  la  malice  de  l'action  sans  en  changer  l'espèce  ou  la  nature. 
Ainsi  la  colère  est  une  faute,  mais  les  circonstances  peuvent 
s'exalter  à  un  tel  point  qu'elle  peut  devenir  une  faute  grave.  Un 
délit  quelconque  est  plus  grave  dans  un  prêtre  que  dans  un 
laïque.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  saint  Jérôme  :  <  Nugae  in  ore  laïci 
nugae  sunt,  in  ore  autem  sacerdotis  blasphemise.  >  ¥n  larcin  de- 
vient plus  ou  moins  grave  en  raison  de  la  quantité  de  la  chose 
dérobée.  Voler  un  objet  de  peu  d'importance,  chiper,  comme 
disent  les  écoliers,  est  certainement  mal;  la  preuve,  c'est  que 
saint  Augustin  s'en  accuse  dans  ses  Confessions.  Après  bien  des 


246  ANWALW8    CATHOLIQUES 

années,  il  se  reprochait  a\rec  larmes  d'avoir  pris  des  froits  danis 
UTi  jardin  voisin  de  la  maison  paternelle.  Noos  avons  tous  des 
confessions  de  ce  genre  à  faire,  et  bien  iqae  ces  fautes  semblent 
légères  à  cause  de  la  aiMtière  et  de  l'âge,  Dieu  veuille  que  nouiS 
les  regrettions  comme  saint  Augustin  !  Mais  dérober  une  somme 
importante  est  certainement  plus  gr&ve,  et  même  la  condition 
de  la  personne  volée  ajoute  encore  à  la  malice  du  vol.  Il  en  est 
de  même  des  fautes  commises  par  l'abus  de  la  parole,  si  fré- 
quentes dans  la  société.  Que  d'imprudences  et  quel  abandon  cou- 
pable !  On  se  laisse  aller  à  des  jugements  téméraires  pour 
s'amuser  et  passer  le  temps.  On  plaisante  sur  l'un,  sur  l'autre; 
des  plaisanteries  on  passe  à  des  choses  plus  graves,  et  on  ne  recu- 
lera pas  devant  un  trait  d'esprit  qui  peut  détruire  la  réputation 
d'une  personne.  Donc,  pour  apprécier  les  fautes  de  ce  genre,  il 
faut  connaître  les  circonstances  et  ein  tenir  compte.  '(Sï^int 
Thomas  1»  2»,  Q.  73,  art.  7,  8,  9). 

Les  différentes  circonstances  qui  peuvent  modifier  la  nature 
ou  la  malice  du  péché,  sont  renfermées  dans  le  vers  suivant  : 

Quis,   quid,  ubi,  quibus  auxiliis,  cur,  quoraodo,   quando? 

(Cf.  Gard.  Q-oasset.  Des  péchés,  ch.  3,  n'  252). 

P.   G.   MOREAU, 

Vicaire  général  honoraire  de  Langres. 


LE    GENERAL   DE    SONIS 
(Souvenirs  personnels)  (1). 

C'est  au  sixième  anniversaire  de  la  mort  d'un  des  plus  glo- 
rieux enfants  de  notre  France,  que  nous  voulons  réunir  ces 
quelques  notes,  tout  intimes. 

Remarquez  la  symbolique  coïncidence  de  cette  date  :  ce  che- 
valier de  la  Vierge  recevant  la  couronne  immortelle  le  jour  de 
la  grande  solennité  de  l'Assomption  ! 

Du  reste,  dans  cette  vie,  tout  est  providentiel.  Et  n'est-il  pas 
naturel  qu'il  en  soit  ainsi,  pour  cette  âme  soumise  à  Dieu,  qui, 
bien  loin  de  s'agiter,  se  laissa  toujours  conduire,  ne  cherchant 
que  la  volonté  divine. 

(Il  Nous  extrayons  ces  intéressants  souvenirs  de  la  Vérité  qui  les 
avjiit  reçus  en  août  dernier,  à  la  veille  des  fêtes  de  la  cousécration 
de  l'église  de  Loigay.  Ils  n'ont  riea  perdu  de  leur  émouvant  intérêt. 

(N.  DE  LA  R.) 


LE   GENERAL   DE  SONIS  247 

Il  vint  au  monde,  le  25  août  1825,  au  jour  de  fête  du  plus, 
grand  de  nosi  rois,  saiut  Louis,  qui  mourut  sur  cette  terre  afri- 
caine où  le  nouveau-né  devait  aussi  combattre  avec  tant  d'éclat. 
Sa  première  distinction  scolaire  fut  une  composition  sur  Jeanne 
d'Arc,  qui  eut  les  honneurs  d'une  lecture  publique,  tant  l'ado- 
le^cent  avait  mis  son  âme  de  feu  dans  le  récit  de  la  bataille  de 
Hatay.  A  quatre  siècles  d'intervalle»  dans  les  mêmes  lieux  où 
la  Pucelle  avait  sauvé  le  «  gentil  royaume  de  France  »,  l'en- 
fant aux  images  enflammées  devait,  lui,  sauver  la  gloire  de  la 
patrie. 

N'est-ce  pas  encore  la  Providence  qui  l'amena  à  Paris  au 
temps  où,  Lacordaire  parlait  «  du  gouvernement  divin  eu  de 
l'action  de  Jésus-Christ  au  sein  de  l'humanité  ».  Carême  de 
1851?  Il  sortait  des  inoubliables  séances  de  Notre-Dame  trans- 
porté, et  son.  cœur  de  héros  se  formait  pour  les  grands  sacrifices 
qui  l'attendaient. 

A  Limoges,  il  entre  dans  la  Société  de  Saint-Vincent  de  Paul. 
A  Alger^  il  fonde  l'Adoration  nocturne.  L'honneur  d'inaugurer 
sur  l'antique  terre  de  saint  Augustin  cette  sainte  «  veillée  des 
armes  »  était  bien  dii  à  ce  guerrier  digne  des  croisés.  Ce  fut 
dans  la  nuit  qui  précéda  l'Assomption  de  l'année  1854,  qu'il 
commença  avec  quelques  amis  la  garde  auprès  du  Saint- 
Sacrement. 

Presque  quarante  ans  après,  celui  de  ses  fils  qui  lui  ressem- 
blait le  plus,  ressemblance  encore  augmentée  par  une  identique 
amputation,  Jean  devait  rendre  le  dernier  soupir  et  dormir  son 
éternel  sommeil  dans  cette  même  ville  embaumée,  de  son  angé- 
lique  piété. 

Eu  lui,  deux  existences  également  parfaites  :  il  s'avance  à 
travers  la  vie,  un  crucifix  d'une  main»  une  épée  de  l'autre. 

Et  le.  chrétien  porte  la  dure  croix  de  la  pauvreté  comme  une 
.  oblesse,  avec  la  fierté  de  l'homme  dévoué  à  tous  les  sacrifices, 
«  sauf  celui  de  l'honneur  >,  ainsi  que  le  dit  son  éloquent  histo- 
j'ieo,  Mgr  Baunard. 

Dés  les  premiers  temps  de  son  séjour  en  Algérie,  spectateur 
attentif  et  perspicace  des  événements,  il  écrit  que  cette  splen- 
dide  colonie  ne  sera  réellement  à  la  France  que  lorsqu'elle 
sera  à  la  religion,  et  que  la  croix  j  ferait  bien  plus  que  l'épée. 

Chez  lui,  en  toutes  circonstances,  c'est  le  chrétien  qui  se 
;  lontre  d'abord.  Pendant  la  terrible  journée  de  Solférino,  il  se 
trauva  seul,  séparé  de  son  escadron,  au  milieu   des  ennemis: 


248  ANNALES  CATHOLIQUES 

«Dieu  m'a  miraculeusement  conservé  la  vie,  écrivait-il  ;  puissé-je 
ne  l'employer  qu'à  son  service  et  à  sa  gloire!  »  Telle  est  son 
unique  ambition.  La  suite  de  sa  vie  a  prouvé  à  quel  point  il  l'a 
réalisée. 

Nos  souvenirs  datent  de  1860,  alors  que  le  quatrième  galon 
venait  de  récompenser  son  admirable  dévouement  pendant  la 
funeste  expédition  au  Maroc,  où  le  choléra  s'était  fait  l'impla- 
cable allié  des  insurgés. 

Nommé  au  2«  régiment  de  spahis,  il  reçut  le  commandement 
militaire  du  cercle  de  Ténès,  jolie  petite  ville  assise  au  pied  du 
cap  du  même  nom,  sur  la  Méditerranée,  à  l'embouchure  de 
rOued-Allala.  Riche  en  souvenirs  de  l'époque  romaine,  elle 
devait  son  importance  aux  mines  de  fer,  de  plomb,  de  cuivre  et 
même  d'argent  situées  dans  son  voisinage. 

Le  nouveau  commandant  se  réjouissait  de  ce  poste,  situé  au 
milieu  d'un  pays  superbe,  dans  un  climat  très  sain,  où  il  pour- 
rait faire  venir  sa  «  petite  famille  »,  d'autant  que  l'habitation 
aflfectée  au  commandant  supérieur  était  spacieuse,  dominant  la 
mer,  et  bien  meublée  aux  frais  de  l'Etat,  heureuse  aubaine  à 
laquelle  le  père  de  famille  était  fort  sensible.  Pour  la  première 
fois  il  se  trouvait  son  chef,  absolument  comme  s'il  était  «  général 
commandant  une  subdivision  »,  et  écrivait-il,  «  je  suis  le  per- 
sonnage de  l'endroit;  si  je  n'étais  chrétien  il  y  aurait  de  quoi 
flatter  mon  amour-propre  »  ;  il  se  réjouissait  donc  à  la  pensée 
de  pouvoir  peut-être  y  passer  «  quelques  bonnes  années  ».  Ce 
souhait  ne  devait  pas  se  réaliser,  car  le  24  novembre  de  la  même 
année  il  était  appelé  au  poste  important  de  Laghouat. 

Trente-quatre  ans,  svelte  de  taille,  la  plus  charmante  figure, 
illuminée  par  des  yeux  spendides,  admirable  cavalier  portant  à 
merveille  le  coquet  uniforme  des  spahis,  dolman  rouge  sur  pan- 
talon bleu  de  ciel,  à  l'inverse  des  chasseurs,  tel  il  était  lorsqu'il 
débarqua  à  Ténès  en  1860. 

Mme  de  Sonis  était  revenue  rejoindre  son  mari  au  commen- 
cement de  mai,  amenant  avec  elle  deux  de  ses  enfants,  —  Albert 
et  Madeleine —  ayant  laissé  au  Sacré-Cœur  de  Poitiers  Marie, 
l'aînée,  ainsi  que  Gaston  et  Henri  chez  les  jésuites  de  la  même 
ville.  La  sixième  était  une  petite  fille  qui  était  restée  à  Castres 
chez  ses  grands-parents  où  elle  devait  mourir  en  bas  âge. 

Les  pouvoirs  civils  à  Ténès  étaient  alors  entre  les  mains  d'un 
fonctionnaire  qui  occupait  son  poste  depuis  cinq  ans.  Adminis- 
trateur de  premier  ordre,  ayant  laissé  d'impérissables  souvenirs 


LE    GÉNÉRAL    DE    SONIS  249 

dans  ce  coin  de  terre  algérienne,  connaissant  son  district  à  fond, 
il  avait  les  mêmes  idées  que  M.  de  Sonis  sur  la  colonisation; 
une  mutuelle  sympathie  les  attira  l'un  vers  l'autre,  et  une 
franche  amitié  unit  bientôt  les  deux  familles. 

Les  enfants  montaient  à  âne,  faisant  des  parties  appropriées 
à  leur  âge,  tandis  que  les  parents  partaient  à  cheval,  vers  sept 
heures  du  soir,  au  moment  où  la  brise  de  mer  se  lève,  et  par- 
couraient les  pittoresques  environs  de  Ténès,  jouissant  de  ces 
incomparables  soirées  d'Afrique,  sous  un  ciel  bleu,  profond,  aux 
constellations  si  brillantes  !  Aussi  les  promenades  se  prolon- 
geaient souvent,  surtout  quand  le  commandant  racontait  les 
palpitants  souvenirs  de  sa  campagne  de  Kabylie,  de  la  guerre 
d'Italie  et  de  l'expédition  du  Maroc...  Il  le  faisait  avec  une 
éloquence  simple,  un  charme  attachant;  en  dépit  de  sa  modes- 
tie, son  âme  se  montrait  toute  vibrante  encore  au  souvenir  des 
actions  où  il  avait  pris  une  si  grande  part. 

Au  m'ois  de  septembre  de  cette  année  1860,  un  fils  ardem- 
ment désiré  étant  né  au  commissariat  civil,  le  commandant  de 
Sonis  accepta  de  le  tenir  sur  les  fonts  du  baptême  en  remplace- 
ment d'un  parent  qui  ne  pouvait  venir  de  France.  Ce  fut  ainsi 
que  le  8  septembre  —  fête  de  la  Nativité  de  la  Vierge  —  il  pro- 
nonça le  Credo  au  nom  du  nouveau-né  de  la  veille,  lequel  — 
coïncidence  curieuse  —  tenait  de  son  véritable  parrain  le  pré- 
nom de  «  Gaston  »  qui  était  également  celui  du  parrain  par  pro- 
curation. 

Souvenir  précieux,  toujours  regardé  comme  un  gage  de  salut 
pour  l'enfant  qui  eut  l'extraordinaire  bonheur  d'avoir  un  pareil 
répondant  devant  Dieu. 

Le  départ  des  de  Sonis  fut  un  véritable  deuil  pour  la  famille 
du  commissaire  civil,  ia>ais  des  relations  si  bien  commencées  ne 
devaient  pas  se  perdre. 

Deux  ans  après,  le  commissaire  civil  passa  de  Ténès  à  Oran, 
où  il  venait  d'être  nommé  secrétaire  général.  Oran  c'est  le 
chemin  de  la  France  pour  ceux  qui  habitent  le  Sud.  M.  de  Sonis 
commandait  alors  à  Saïda  et  il  amena  bientôt  à  Oran  son  fils 
Albert,  pour  l'envoyer  rejoindre  ses  frères  au  collège  des  Pères 
jésuites  de  Poitiers.  Naturellement  tous  deux  virent  leurs  amis 
de  Ténès. 

En  1853,  l'empereur  avait  décidé  qu'une  juste  délimitation 
devait  être  établie  entre  les  territoires  appartenant  aux  diverses 
tribus.  Le  premier  désigné  pour  ce  travail  fut  le  commandant 


'250  ANNALES    CAmOLlQU'KS 

de  Sonis,  «  à  cause  de  ses  rares  qualités  de  conscience  »,  En 
conséquence,  il  s'installa  avec  sa  famille  à  Mostag^nem.'tJne 
grande  douleur  Tj  attendait  :  les  amis  d'Oran  étaient  allés  à 
Mostaganem  et  avaient  admiré  la  petite  Marthe,  sa  Benjamine; 
quelques  jours  après,  une  angine  couenneuse  étouffait  en  quel- 
ques heures  la  charmante  enfant... 

1864  vit  éclater  la  terrible  insurrection  fomentée  parSi-Làlla, 
M.  de  Sonis  fut  contraint  à  une  nouvelle  séparation  d'avec  les 
siens  : 

«  Ma  femme  est  partie  avec  l'espérance  de  devenir  mère 
encore  une  fois  —  pour  la  neuvième  fois,  ce  devait  être  Jean  — 
«e  qui  a  rendu  cette  séparation  doublement  cruelle.  Elle  s'est 
faite,  en  quelque  sorte  sur  le  tombeau  de  nôtre  enfant.  Nous 
avons  baisé  la  pierre  ensemble,  puis  nous  nous  sommes  séparés, 
elle  pour  s'embarquer,  moi  pour  me  diriger  vers  le  Sud.  » 

A  ce  triste  passage  à  Oran,  avant  de  se  rendre  àMers-el-Kébir 
pour  y  monter  à  bord,  Mme  de  Sonis  avait  trouvé  ses  aniis  de 
Ténés. 

Pendant  ce  temps,  la  campagne  s'engageait  péniblement. 
Voici  ce  qu'écrivait  un  officier  du  2*  zouaves,  qui  la  fit  avec  le 
commandant  : 

«  J'ai  beaucoup  connu  M.  de  Sonis  lorsqu'il  était  chef  d'esca- 
drons de  spahis.  Je  commandais  à  cette  époque  deux  compagnies 
de  zouaves  à  la  colonne  du  colonel  Marmier,  dont  il  faisait 
partie  ;  je  suis  resté  cinq  mois  détaché  à  cette  colonne  et,  attiré 
vers  lui,  je  le  voyais  tous  les  jours. 

«  Si  sa  mort  est  vraie  —  cette  lettre  était  écrite  après  Loigny 
—  c'est  une  grande  perte  pour  le  pays:  la  'noblesse  de  ses  sen- 
timents, la  grandeur  et  la  fermeté  de  son  caractère,  ainsi  que 
ses  talents  militaires,  en  faisaient  un  général  remarquable  et 
d'une  si  parfaite  honorabilité,  que  la  jalousie  et  le  mauvais 
esprit  de  l'armée  n'avaient  pu  l'atteindre  que  sur  ses  principes 
religieux;  car  aujourd'hui  c'est  une  liberté  que  Ton  cfroit,  à  ce 
qu'il  paraît,  dangereuse,  puisqu'on  la  supprime;  un  homme  reli- 
gienx  est  un  jésuite,  et,  comme  tel,  un  traître  à  la  patrie.  Amen. 
Nous  irons  encore  loin,  avec  ces  principes  !  > 

Celui  qui  traçait  ces  lignes  était  digne  de  juger  le  héros  de 
Loigny,  car  personne  ne  possédait  des  sentiments  plus  nobles  et 
plus  délicats  que  les  siens. 

L'insurrection  enfin  calmée,  l'empereur  entreprit,  au  prin- 
temps de   1865,  cette  solenn«lle  visite  en  Algérie  «  durant  la- 


LE    aÉNBR\L    DB   SONIS  25t 

qaelle  il  donna  pareillement  la.  me^uiB  et  des  illusions  de  80q 
ohiuiécique  esprit  et  des  bonnes  intentioDS  de  son  malheureux 
oœuE.  » 

Depuis  un  an,  le  maréchal  de  Mae-Mahon  avait  succédé  sm 
maréchal  Pélissier,  de  légendaire  méoioire. 

L'empereur  avait  exprimé  le  désir  d'attacher  à  sa  personne 
un  officier  distingué,  connaissant  également  bien  le  pays,  la 
langue  et  les.  mœurs,  arabes.  Le  comraatidant  de  Sonis  était 
d'autant  plus  désigné  que  le  souverain  l'avait  remarqtié  pun- 
dant  les  fêtes  militaires  données  en  son  honneur  lors  de  s^fon 
premier  voyage,  en  1860^  Le  mairéchaJ  lui  fit  donc  cette  flatteuse 
proposition  :  c'était  la  fortune  qui  s'offrait  à  lui.  Pourtant  il 
tt'hésita  pas  à  refuser.  C'est  que  M.  de  Sonis  n'était  pas  seiil«>. 
ment  un.  fidèle  légitimiste,  il  était  surtout  un  fils  dévoué  de 
L'Eglise,  et  personne  n'a  oublié,  hélas!  l'attitiude  du  cabinet 
impérial,  à  cette  même  époque,  vis-à-vis  d«  Pontife  dépouillé 
ée  ses  Etats. 

M.  de  Sonis  retourna  donc  à  son  poste  à  Saïda,  oii  il  resta 
(kins.  une  solitude  complète  pendant  quele  pays  était  en  fête. 

Ce  séjour  d'une  semaine,  que  l'empereur  fit  à  Oran,  est  un 
de  nos  plus  vifs  souvenirs  d'enfance  :  ces  cent  un  coups  de 
oanon  partant, de  tous  les  forts  à.  la  fois,  pour  annoncer  l'arrivée" 
de  V Aigle;  le  quartier  de  la  «  Marine  »  admirablement  pavoi.<é; 
1j8  trouble  du  maire,  voyant  l'empeieur  tendre  la  main  pour 
prendre  le  manuscrit  de  la  harangue  ([u'il  venait  de  lui  débiter 
et  croyant  que  le  souverain  lui  offrait  bourgeoisement  une  poi- 
gnée de  mains,  tout  comme  M.  Carnot...  Et  l'arrivée  dan.s  les 
rues,  —  bondées  de  spectateurs  haletants  de  curiosité,  —  du  chas- 
seur précédant  la  voiture  impériale,  s^tlendide  dans  un  costume 
vert,  rutilant  d'or  ;  la  population  éblouie,  crut  que  c'était  le 
souverain  en  personne;  son  délire  éclata,  mais  les  derniers  vi- 
vats étaient  finis  lorsque  parut  unn  calèche  contenant  plusieurs 
généraux...  on  voit  tant  de  généraux  sur  la  terre  algérienne 
que  personne  ne  fit  attention  à  ceux-là  :  on  les  prit  pour  la  suite. 

Et  le  coup  d'oeil  féerique  de  cette  pittore.eque  ville,  qui  .><*illu- 
minait  comme  par  enchantement  dès  que  la  nuit  tombait  brus- 
quement,  sans  crépuscule,  ainsi  que  cela  se  passe  dans  ces  ré'^ 
gione;  ces  minarets  enfiammés,  cette  belle  promenade  Létang- 
sillonnée  de  cordons  de  lumières.  Je  vois  encore  l'empereur, 
déjà  malade,  s'y  promenant  appuyé  au  bras  du  général  Fl«ury, 
un  ancien  officier  du  2«  chasseurs  d'Afrique,  que  tout  le  monde 


252  ANNALBS    CATHOLIQUES 

connaissait  à  Oran.  Puis  cette  revue  sur  le  champ  de  courses, 
suivie  d'une  merv^eilleuse  fantasia;  au  retour,  un  vent  du  sud 
souleva  soudainement  des  tourbillons  d'une  poussière  rouge  et 
impalpable,  qui  eut  bientôt  poudré  d'une  teinte  pourpre  bril- 
lants uniformes  et  fraîches  toilettes. 

Et  Ce  simulacre  de  la  prise  de  Mers-el-Kébir,  avec  le  débar- 
quement de  la  flotte;  tableau  grandiose,  resté  inefiacé  dans  mes 
yeux  d'enfant;  blotti  dans  les  bras  d'un  ambassadeur  marocain, 
qui  me  comblait  de  friandises  enfouies  dans  le  capuchon  de  son 
burnous,  au  sortir  du  déjeuner  impérial,  je  vois  encore  la  mer 
bleue,  le  grand  soleil,  l'émouvant  spectacle  de  ces  beaux  vais- 
seaux évoluant  dans  la  rade  grandiose  que  nous  contemplions 
du  balcon  du  commandant  du  port  ;  cet  officier  était  alors  le 
frère  d'Emile  Olivier,  bien  éloigné,  certes,  de  son  ralliement 
prochain.  Qui  eût  pu  prévoir  qu'il  serait  le  dernier  ministre  du 
souverain  tout-puissant,  et  si  acclamé  à  ce  moment! 

Ces  souvenirs  touffus  nous  ont  entraînés  en  dehors  de  notre 
sujet. 

A  peine  l'empereur  avait-il  quitté  le  sol  algérien  que  M.  de 
Sonis  était  nommé  lieutenant-colonel,  le  17  juin  1865.  En  même 
temps  on  lui  accordait  un  congé  pour  aller  voir  sa  famille,  dont 
il  était  séparé  depuis  plus  d'un  an.  En  arrivant  à  Oran,  il  fut 
informé  que  le  gouverneuj-  général  l'avait  nommé  commandant 
de  la  colonne  mobile  qui  opérait  dans  le  Sud,  avec  Laghouat 
comme  base  d'opération.  La  situation  était  superbe,  mais  quel 
sacrifice  de  renoncer  à  ses  trois  mois  de  congé  avec  tout  ce  qu'il 
aimait!  Il  s'embarqua  dotic  pour  Alger  au  lieu  de  s'embarquer 
pour  la  France...  En  disant  adieu  à  ses  amis  de  Ténès,  d'aucuns 
ne  se  doutaient  qu'ils  ne  verraient  plus  —  à  la  place  du  brillant 
cavalier  —  qu'un  glorieux  mutilé...  En  effet,  en  1866,  le  secré- 
taire général  rentrait  en  France  comme  sous-préfet,  et  les  deux 
familles  ne  devaient  se  retrouver  qu'à  Paris,  après  vingt  ans  de 
séparation. 

Le  lieutenant-colonel  inaugura  son  commandement  par  une 
expédition  heureuse  contre  Si-Lalla,  couronnée  par  le  combat  de 
Metlili.  Sa  famille  ne  put,  par  conséquent,  s'installera  Laghouat 
qu'au  début  de  1866.  Pendant  trois  ans,  le  père  de  famille  allait 
enfin  jouir  de  cette  vie  d'intérieur  qu'il  aimait  tant  et  dont  il 
était  sans  cesse  sevré.  C'était  le  calme,  précurseur  de  la  tour- 
mente. 

Calme  relatif,  car  chaque  printemps  avaient  lieu  des  expédi- 


i 


LB   GÉNÉRAL   DE    SONIS  253 

tioDS  destinées  à  entretenir  les  troupes  en  haleine  et  les  Arabes 
en  respect.  Le  redoutable  Si-Lalla  n'avait  pas  désarmé,  mais  que 
sa  poursuite  était  décevante,  à  travers  l'immensité  de  sable, 
n'ayant  à  combattre  que  la  cruelle  soif!... 

Un  témoin  oculaire  nous  conte  que  ce  fut  au  retour  de  l'expé- 
dition de  I8G7  que  le  lieutenant-colonel  donna  un  spectacle  qui 
ressuscitait  les  âges  de  foi,  si  loin  de  nous,  hélas  !  Les  troupes 
passaient  au  pied  du  Djébel-Amour,  les  torrents  étaient  à  sec, 
mais  l'orage  grondait  dans  la  montagne  et  la  crue  était  immi- 
nente. Or,  sur  l'autre  rive  se  trouvait  le  convoi  des  vivres, 
l'unique  ressource  des  troupes,  et  le  torrent  avait  un  kilomètre 
de  large;  le  péril  était  extrême  et  l'anxiété  aussi.  M.  de  Sonis 
n'hésite  pas;  tombant  à  genoux  sur  le  bord  de  la  rivière,  il  se 
mit  à  prier  ardemment  saint  Joseph.  Pendant  ce  temps  le  long 
défilé  avançait,  se  pressait...  Le  dernier  chameau  venait  d'at- 
teindre le  bord  du  salut  lorsque  les  flots  se  précipitèrent  en  ba- 
layant tout  sur  leur  passage. 

Les  vacances  de  1868  virent  pour  la  première  fois  toute  la 
famille  réunie.  Elle  s'était  augmentée  en  1866  d'une  mignonne 
fillette,  baptisée  Germaine  par  son  père,  en  mémoire  d'un  pèle- 
rinage qu'il  avait  fait  au  sanctuaire  de  la  sainte  bergère  de 
Pihrac. 

C'était  l'ange  que  Dieu  lui  envoyait  pour  assister  ses  dernières 
années  alors  que  tout  mouvement  lui  était  devenu  une  souf- 
france ;  Germaine  lui  servait  d'appui  et  l'accompagnait  matin  et 
soir  à  l'église.  C'est  elle  qui  devait  aussi  réaliser  le  rêve  de  son 
cœur,  si  désireux  de  voir  une  de  ses  filles  devenir  l'émule  de 
ses  sœurs  chéries  en  entrant  au  Carmel.  Elle  a  prononcé  ses 
premiers  vœux  en  octobre  dernier,  au  couvent  de  Laval. 

Dans  sa  piété  ardente,  le  père  de  famille  aurait  voulu  voir 
tous  ses  fils  militaires  ou  religieux.  Jusqu'à  présent,  ils  n'ont 
réalisé  que  le  premier  de  ces  souhaits. 

C'est  également  à  Laghouat  que  vint  au  monde  François  — 
1868  — ;  il  était  si  délicat,  que  pendant  quatre  mois  le  père  et 
la  mère  ne  quittèrent  ni  jour  ni  nuit  ce  pauvre  berceau  oii  s'a- 
gitait le  petit  être  «  réduit  à  l'état  de  squelette  ».  Ces  soins 
constants  le  sauvèrent  ;  aujourd'hui  c'est  un  de  nos  plus  brillants 
lieutenants  de  chasseurs.  Pendant  que  lous  écrivons  ces  lignes, 
il  est  en  Russie,  concourant  pour  sa  part  à  cimenter  l'alliance 
qui  nous  tient  au  cœur,  en  épousant  la  comtesse  Marie  Stolypine, 
demoiselle  d'honneur  de  la  czarine,  nièce  de  la  princesse  Lapou- 


254  ANNALES    CATHOLIQUBg' 

kine  Démidoff.  Union  éminemment  sympatliique  aux  deux,  pays  ; 
Itis  grands-ducs  ont  daigné  ailresser  leurs  félicitations  aux  jeunes 
fiancés.  L'histoire  de  ce  mariage  est  tout,  un  rom^n  dont  Jean 
fut  la  cause  :  au  cours  de  sa  seconde  année  da  Saint-Cyr,  le 
pauvre  jeune  homme  reçut  un  si  malheureux  coup  de  pied  de 
cheva)  qu'il  dut  se  faire  mettre  en  disponibilité;  il  souffrit  pen- 
dant des  années,  subit  tous  les  genres  de  traitements  pour  abou- 
tir à  l'amputation  ! 

Avant  d'en  arriver  à  cette  atroGe  extrémité,  il  avait  tenté  une 
dernière  chance  en  allant  chercher  à  Amsterdam  les  soins  d'un 
célèbre  docteur,  universellement  réputé  pour  ses  massages.  On 
vient  la  consulter  de  tous  les  pays  du  monde.  C'est  chez  lui,  qu'il 
fit  la  connaissance  d'une  grande  dame  russe,  la  princesse  Démi^ 
doff,  qui,  venant  passer  l'hiver  suivant,  à  Paris,  tint  à  ce  que 
tous  les  enfants  du  héros  de  Loigny  lui  fussent  présenté^'.  Elle, 
avait  auprès  d'elle  sa  nièce,  la  comtesse  Marie  Stoiy[)ine.  Ella 
distingua  François,  qui  de  son  côté  ne  pouvait  oublier  la  belle 
étrangère.  Au  boutde  trois  ans-,  le  roman  s'achévve  comme  un 
conte  de  fées,  mais  Jean  n'est  plus  là  pour  en  joua! 

Oa  éprouve  un  véritable  attendrissement  à, rapprocher  ceSifaita 
des  paroles  suivantes,  que  Mv  de  Sonis  écrivait  en  1869  à  son 
plus  cher  ami  : 

«  Toutes  mes  pensées  sont  concentréeta  sur  l'avenir  de  mes 
enfants  ;  je  ne  sais  ce  qu'ils  deviendront.  Je  crois  fermement  que 
Die^  leur  donnera  du  pain,  car  je  n'en  ai  pas  à  leur  donner^ 
mais  je  ne  me  s<iis  préoccupé  que  de  les  voir  fidèles  à  Dieu,  aux 
traditions  queje  leur  laisserai.  » 

M.  de  Sonis  attribuait  la  puérison  inespérée  de  François  à 
l'intercession  de  sainte  Philomène.  C'est  en.  témoigtiHge  de  re- 
connaissance qu'il  donnace  nom  à, son  dernier  et  douzième  enfant 
venu  au  monde  en  mai  18o9,  trois  jours  après  son  iet.our  d'une 
émouvante  expédition  oii  il  se  couvrit  de  gloire  au  combat d'Aïn- 
Madhi.  Cette  charmante  fleur  du  désert  est  retournée  d«ns  son 
pays  natal  ;  à  son  tour  elle  mène  la  vie  simple,  large,  libro,  au 
grand  air,  si  appréciée  de  ses  parentsi  Mariée  à  un  officier 
d'avenir  —  M.  du  Jonchet  —  elle  habite  Djelfa,  faisnnt  comme 
sa  mère  de  longues  courses  à  cheval  dans  cette  belle  forêt-oii, 
vingt-cinq  ans  plus  tôt,  les  siens  cherchaient  une  fraîcheur... 
relative,  dans- des  «  gourbis  »  improvisés  par  les  Arabes. 

R»  DE  SAMibRG. 


NÉCROLOGIB  265 


NECROLOGIE 

Une  grande  douleur  vient  de  frapper  Mgr  le  duc  de  Nemours 
et  avec  lui  tous  les  princes  de  la  maison  de  France.  Sa  fille 
aînée,  Mme  la  princesse  Marguerite  Czartorys{Ca,  vient  de  suo- 
comber  aux  atteintes  d'une  maladie  d©  poitrine  dont  elle  souf- 
frait depuis  plusieurs  années,  et  <iui  l'obligeait  à  passer  lee 
hivers  à  Nice,  à  Bordighera  ou  San  Remo,  etles  étés  à  Aix-les- 
Bains  ou  dans  les  villes  d'eaux  de  l'Europe  centrale. 

Revenue  il  y  a  peu  de  tecaps  d'Allemagne  à  Paris  dans  un 
état  de  santé  alarmant,  la  princesse  avait  semblé  recouvrer  un 
peu  de  forces,  ce  qui  avait  rendu  quelque  espérance  à  son  entou- 
rage. Malheureusement  cette  amélioration  n'était  que  le  prélude 
trompeur  de  la  crise  fatale,  et,  malgré  les  nombreuses  prières 
adressées  à  Dieu  pour  sa  guérison,  la  princesse  est  morte  mardi 
soir  à  l'hôtel  Lambert,  après  une  courte  et  cruelle  agonie,  ayant 
à  son  chevet  son  mari,  le  prince  Ladislas  Czartory^ki,  et  ses 
fils,  les  princes  Adam  et  Witold,  âgés  de  vingt-et-un  et  dix-sept 
ans.  Le  duc  de  Nemours,  qui  avait  vu  la  princesse  dans  la 
journée,  a  été  prévenu  ainsi  que  ses  fils,  le  comte  d'Eu  et  le 
due  d'Alençon,  dès  que  l'état  de  santé  de  la  princesse  a  empiré. 
Ils  n'ont  pu  arriver  qu'après  la  mort  delà  princesse. 

Née  à  la  veille  de  la  Révolution  de  1848,  à  Paris,  la  princesse 
n'avait  pas  tardé  à  connaître  les  tristesses  de  l'exil.  Pendant 
l'année  terrible,  souflfrant,  dans  son  âme  d^  Française,  de  toutes 
les  douleurs  de  la  patrie,  elle  avait  pris  à  cœuT  d'être  la  conso- 
latrice des  jeunes  Françaises  réfugiées  sur  la  terre  étrangère, 
au  couvent  Gumley-House,  près  de  Londres,  où  sa  sœur,  la 
princesse  Blanche  d'Orléans,  recevait  les  leçons  des  fidèles  Com- 
pagnes de  Jésus.  Ce  rôle  délicat  et  si  noble,  elle  le  remplissait 
en  vraie  princesse,  dont  la  qualité  dominante  était  la  bonté. 

En  1872,  peu  de  temps  après  le  jour  où,  les  princes  exilés 
ayant  été  réintégrés  dans  leurs  droits,  le  duc  de  Nemours  avait 
pu  montrer  à  Calais  la  terre  de  France  à  ses  filles,  un  prince  de 
souche  royale,  le  prince  Ladislas  Czartoryski,  chef  respecté  du 
pani  po<onais  à  Paris,  demandait  et  obtenait  la  main  de  la  prin- 
cesse Marguerite.  11  en  eut  deux  fils.  La  charmante  et  pieuse 
princesse  se  consacra  avec  le  plus  entier  dévouement  à  l'éduca- 
tion de  ses  enfants  et  aux  œuvres  charitables,  notamment  en  ce 
qui  touchait  la  colonie  polonaise.  Jusqu'au  moment  où  elle  res- 


256  ANNALES    CATHOLIQUES 

sentit  les  premières  atteintes  du  mal  qui  devait  l'emporter,  elle 
avait  l'habitude  de  donner,  dans  les  splendides  salons  de  l'hôtel 
Lambert,  de  magnifiques  réceptions. 

Elle  y  mit  un  terme  le  jour  oîi  sa  santé  parut  compromise,  et 
elle  se  consacra  exclusivement  à  l'éducation  des  deux  jeunes 
princes. 

L'hiver  dernier,  son  état  de  santé  s'aggrava.  Il  y  a  une  quin- 
zaine de  jours,  à  partir  de  son  retour  à  Paris,  un  mieux  relatif 
s'était  produit  dans  l'état  de  la  princesse,  qui  se  préparait  à  se 
rendre  dans  le  Midi  quand  la  crise  finale  l'arrêta. 

La  douloureuse  nouvelle  a  été  immédiatement  télégraphiée  à 
M.  le  comte  de  Paris,  aux  membres  de  la  Maison  de  France  et 
aux  cours  étrangères. 

Dans  le  courant  de  la  journée  d'hier,  S.  Em.  le  cardinal 
Richard  et  S.  Exe.  le  nonce  apostolique  sont  allés  prier  près  du 
corps  de  la  princesse,  exposé  dans  un  des  salons  au  milieu  d'une 
profusion  de  fleurs. 

Le  duc  de  Chartres,  le  duc  d'Aumale,  le  prince  de  Joinville, 
le  duc  et  la  duchesse  d'Alençon,  le  comte  et  la  comtesse  d'Eu 
ont  passé  presque  toute  l'après-midi  à  l'hôtel  Lambert. 

Les  obsèques  ont  eu  lieu  samedi  à  midi,  en  l'église  de  Saint- 
Louis-en-l'Ile,  sa  paroisse.  Après  la  cérémonie  religieuse,  le 
corps  resta  déposé  dans  les  caveaux  de  l'église  jusqu'à  son 
transport  en  Autriche,  dans  les  caveaux  de  la  famille  Czar- 
toryski. 

Un  sentiment  de  profond  respect  s'est  traduit  dans  la  foule 
groupée  en  masses  profondes  dans  les  rues  avoisinantes,  au 
passage  du  convoi,  à  la  vue  du  vénérable  duc  de  Nemours  et  de 
ceux  des  membres  de  la  famille  princière  auxquels  il  est  per- 
mis de  résider  sur  le  sol  français. 

On  remarquait  les  deux  princes  Czartoryski,  LL.  AA.  RR.  le 
duc  de  Nemours,  le  comte  et  la  comtesse  d'Eu  et  les  deux 
princes  leurs  flls;  le  duc  et  la  duchesse  d'Alençon,  le  duc  et  la 
duchesse  de  Chartres,  la  princesse  Marguerite  d'Orléans,  le 
prince  et  la  princesse  de  Joinville,  le  duc  de  Penthièvre, 
le  duc  d'Aumale,  le  prince  et  la  princesse  Antoine  d'Or- 
léans, l'infante  Eulalie,  l'archiduchesse  comtesse  de  Trapani, 
la  princesse  Antoinette  de  Bourbon,  la  comtesse  Zamoïska,  le 
comte  de  Bari,  le  comte  et  la  comtesse  de  la  Tour  en  Voivre, 
représentant  le  roi  et  la  reine  de  Naples  ;  lord  Dufl'eiin,  ambas- 
sadeur d'Angleterre,  représentant  la  reine  Victoria;  le  baron 


NÉOROLOOIB  257 

Beyens,    ministre   de  Belgique;  la   baronne  de   Mohrenheira, 
Mgr  d'Hulst. 

La  messe  a  été  célébrée  par  M.  le  curé  de  la  paroisse.  L'ab- 
soute a  été  donnée  par  S.  Em.  le  cardinal  Richard.  S.  Ex.  I4 
nonce  apostolique  assistait  à  la  cérémonie.  '        (Vérité.) 


GouNOD,  ainsi  que  nous  le  disions  il  y  a  15  jours,  vient  de 
mourir.  Frappé  en  travaillant  à  son  Requiem,  on  peut  dire  qu'il 
est  mort  en  musicien  et  en  chrétien,  unissant  dans  la  même 
pensée  son  art  et  la  mort. 

Né  à  Paris,  le  17  juin  1818,  d'une  famille  chrétienne,  il  étudia 
sous  Lesmeur,  Reicha,  Halévy,  et  obtint  le  prix  de  Rome  en 
1839.  Il  séjourna  quatre  ans  en  Italie,  s'adonnant  surtout  à  la 
musique  religieuse.  Une  de  ses  messes,  célébrée  à  Saint-E us- 
tache,  commença  à  le  faire  remarquer.  En  1851,  plusieurs  de  ses 
œuvres  furent  exécutées  à  Londres  ;  la  même  année  voyait  jouer 
Sapho  à  l'Opéra,  avec  un  succès  d'estime.  Les  chœurs  de 
V  Ulysse,  de  Ponsard  (1852),  la  Nonne  sanglante  (1853)  et  le 
Médecin  malgré  lui  (1858)  contribuèrent  à  accroître  sa  réputa- 
tion. Un  pas  restait  à  franchir  pour  que  cette  réputation  devînt 
de  la  gloire.  Le  Théâtre  lyrique,  en  1859,  donnait  Faust. 

Dés  lors,  Gounod,  par  le  suffrage  du  peuple  comme  par  celui 
des  amateurs,  prit  rang  parmi  les  grands  compositeurs  de  notre 
siècle.  Travailleur  ac'narné,  il  donna  successivement  :  Philémon 
et  Baucis  (1860),  la  Reine  de  Saha,  Mireille  (1864),  demeuré 
justement  populaire,  les  Deux  Reines,  Tobie,  la  Colombe, 
Roméo  et  Juliette  (1867). 

En  1872,  Gounod  alla  s'établir  en  Angleterre,  théâtre  de  ses 
premiers  succès,  et  devint  président  de  la  société  chorale 
d^ Albert  Hall  à  Londres.  Mais  il  ne  tarda  pas  à  se  dégoûter  de 
son  brumeux  séjour  et  donna  sa  démission.  Il  fit  jouer  encore 
Cinq-Mars  (1877),  Polyeucte  (1878),  le  Tribut  de  Zamora 
(1881).  N'oublions  pas  Jeanne  d'Arc  (1873)  et  Gallia  (1871). 

Les  dernières  œuvres  capitales  de  Gounod  furent  la  Rédemp' 
iton  (18X4)  et  Mors  et  vila  {iS8b].  Tout  le  monde  connaît  en 
outre  ses  admirables  messes,  car  Gounod,  à  travers  sa  carrière 
théâtrale,  garda  constamment  ses  instincts  et  ses  sentiments  re- 
ligieux. Disons  aussi  ses  croyances,  car  Gounod  était  un  croyant. 
On  sait  qu'il  se  faisait  un  plaisir,  dans  ces  derniers  temps,  de 
tenir  l'orgue  à  l'église  de  Saint-Cloud  ;  mais  ce  n'était  pas  en 

19 


258  ANNA.LES    CATHOLIQUES 

«impie  artiste  qu'il  assistait  aux  cérémonies.  On  l'a  vu  souvent 
«'approcher  de  la  Sainte  Table,  et  il  a  pu,  avant  de  mourir, 
recevoir  du  curé  de  sa  paroisse  les  suprêmes  secours  de  la 
religion. 

Artistes  et  chrétiens,  tout  le  monde  doit  donc  regretter  la 
disparition  de  l'illustre  musicien. 

Les  obsèques  de  Gounod  ont  eu  lieu,  aux  frais  de  l'Etat,  le 
27  octobre,  en  l'église  de  la  Madeleine. 

Après  l'absoute,  et  sous  le  péristyle  de  l'église,  M.  Poincaré, 
ministre  de  l'Instruction  publique,  a  prononcé  le  discours  sui- 
vant : 

Messieurs, 

La  France  qui  payait,  il  y  a  quelques  jours,  son  tribut  d'admiration 
i  la  vaillance  et  à  la  loyauté  d'un  soldat,  honore  aujourd'hui,  en  cé- 
lébrant lea  funérailles  de  Charles  Gounod,  le  souvenir  d'un  artiste 
dont  elle  revendique  le  nom  comme  un  bien  national.  Un  gouverne- 
ment a  le  devoir  de  ne  pas  laisser  partir,  sans  leur  adresser  un  re- 
connaissant adieu,  ceux  qui  ont  illustré  leur  pays. 

L'empressement  que  nous  mettons  à  rendre  hommage  à  tout  ce  que 
l'étranger  produit  de  grand  et  de  beau,  ne  doit  pas  nous  pousser  à 
l'injustice  vis-à-vis  de  nous-mêmes.  Nous  avons  donné,  et  nous  don- 
nons chaque  jour,  assez  de  preuves  de  notre  impartialité,  pour  avoir 
le  droit  de  proclamer  nos  devoirs;  et  quand  disparaît  un  maître  tel 
que  Gounod,  ce  serait  de  la  part  de  la  nation  une  ingratitude  et 
presque  une  impiété  de  ne  pas  porter  son  deuil. 

Charles  Gounod  a  été  un  des  plus  nobles  et  des  plus  purs  dans  la 
noble  et  pure  lignée  des  artistes  français.  En  lui  se  retrouvent  toutes 
les  qualités  de  notre  race,  le  goût,  le  charme,  le  naturel.  Il  redoute 
les  succès,  il  évite  les  éclats.  «  Dans  l'ordre  intellectuel,  dit-il,  aussi 
bien  que  dans  l'ordre  moral,  la  violence,  loin  d'être  un  sigce  de  force, 
est  un  indice  de  faiblesse.  »  Aucun  n'aura  plus  d'économie  et  de  so- 
briété dans  les  moyens,  plus  d'élégance  et  de  justesse  dans  l'expres- 
sion. Aucun  surtout  n'aura  plus  d'émotion  commumcative  et  de 
grâce  victorieuse.  Il  se  plaisait  à  dire  qu'il  n'aimait  pas  les  musiciens 
de  calcul,  parce  qu'on  ne  calcule  pas  le  sentiment,  qu'on  le  subit,  et 
bien  que  la  sincérité  de  l'inspiration  s'alliât  chez  lui  à  la  science  la 
plus  novatrice,  c'est  en  effet  le  meilleur  et  le  plus  intime  de  son 
propre  sentiment  qu'il  a  transporté  dans  ses  œuvres. 

Volontiers  il  a  substitué  son  âme  à  celle  de  ses  personnages.  C'est 
Ini  qui  souflfre,  qui  aime  et  qui  chante  en  eux.  Leur  psychologie  peut 
parfois  en  être  un  peu  faussée  ;  la  vérité  historique  ou  la  légende 
peuvent  en  être  légèrement  altérées.  Mais  combien  son  art  n'y  gagne- 
t-il  pas  en  fraîcheur,  en  humanité,  en  éternelle  jeunesse  !  Art  char- 


NÉCROLOGIE  259 

meur  et  délicat,  toujours  un  dans  sa  diversité.  Partout,  dans  les  en- 
volées lyriques  de  Sapho,  dans  la  spirituelle  gaieté  du  Médecin  maigri 
lui,  dans  les  accents  passionnés  de  Faust  ou  de  Roméo  et  JulieUey 
dans  la  délicieuse  tendresse  de  Philemon  et  Baucis,  dans  la  poésie 
lumineuse  et  parfumée  de  Mireille,  partout  Gounod  reste  lui-même 
et  partout  il  exprime  en  cette  forme  mélodique  si  ample  et  si  souple 
qu'il  a  vraiment  créée,  et  qui  restera  sa  marque  individuelle,  le 
constant  idéal  de  son  cœur  d'artiste. 

Et,  comme  l'a  si  exactement  indiqué  un  de  ses  amis,  qui,  lui 
aussi,  est  un  maître  et  qui  tout  à  l'heure  parlera  de  ce  grand  mort 
mieux  que  je  ne  saurais  le  faire,  cet  idéal  est  un  mélange  de  beauté 
antique  et  de  charité  chrétienne,  c  La  loi  de  la  vie,  comme  la  loi  d* 
l'art,  disait  Gounod,  tient  dans  ce  mot  de  saint  Augustin  :  aime  et 
c'est  presque  tout.  »  Et  il  ajoutait  qu'au  théâtre  l'amour  monte  au 
sacrifice,  tandis  «  qu'à  l'église  il  s'élève  à  la  foi,  perfection  de  l'amour  >. 

Il  a  chanté  la  foi,  comme  il  avait  chanté  l'amour. 

Dans  ce  Requiem  qu'il  jouait  au  moment  même  où  est  venu 
l'atteindre  le  mal  implacable,  dans  Rédemption,  dans  Mors  et  Vita, 
il  a  mis  à  servir  sa  ferveur  religieuse  toutes  les  ressources  de  son 
génie;  il  s'est  attaché  â  épurer  et  à  amplifier  sa  forme,  à  châtier  son 
style,  à  le  rendre  comme  il  disait  a  palestnnien  et  basilical  u  ;  mais 
jusque  dans  ces  œuvres  austères,  le  même  charme  pénétrant  et  doux 
subsiste,  qui  révèle  et  affirme  la  personnalité  de  l'auteur. 

Personnalité  séductrice  et  rayonnante,  dont  ce  serait  donner  un« 
idée  incomplète  et  mensongère  que  de  louer  le  compositeur  sans 
parler  de  l'homme  tout  entier.  L'homme,  en  Gounod,  était  égal  à 
l'artiste.  Son  esprit  avait  des  ouvertures  sur  toutes  choses.  Rien  de 
ce  qui  peut  éveiller  l'intérêt  d'un  lettré  ou  d'un  savant  ne  lui  demeu- 
rait étranger.  C'était  une  intelligence  souveraine,  qui  semblait  avoir 
la  nostalgie  de  tous  les  sommets.  Il  s'était,  avec  succès,  essayé  dans 
la  peinture.  Ecrivain  nerveux  et  pittoresque,  il  a  laissé  sur  le  Don 
Juan  de  Mozart  un  modèle  d'analyse  enthousiaste. 

Causeur  merveilleux,  il  savait  passer  avec  une  incomparable  aisance, 
de  la  finesse  à  l'éloquence,  de  l'enjouement  à  la  gravité,  de  la  bonhomie 
au  mysticisme.  Et  c'était  peut-être  dans  cet  art  subtil,  et  aujourd'hui 
trop  déserté,  de  la  conversation  que  se  livrait  le  plus  complètement 
cette  nature  si  française.  Son  cœur  ne  le  cédait  pas  à  son  intelligence. 
Généreux  et  bon,  il  a  subi,  avec  une  résignation  touchante,  les  épreuves 
de  la  vieillesse.  L'attentive  affection  des  siens  s'est,  il  est  vrai,  cons- 
tamment ingéniée  à  les  adoucir,  et  assurément,  pour  la  femme  dévouée 
qui  le  pleure  aujourd'hui,  pour  ses  enfants,  pour  toute  sa  famille  qui 
l'entourait  d'un  culte  attendri,  c'est  une  consolation  que  d'avoir  pu 
lui  rendre,  en  piété  prévenante  et  fidèle,  un  peu  du  bonheur  que  aa 
gloire  avait  répandu  dans  sa  maison. 

Vous  tous  qui  l'avez  aimé,  laissez  aujourd'hui  se  mêler  à  votre 


260  ANNALES    CATHOLIQUES 

douleur  les  regrets  du  pays.  Gounod  n'a  pas  seulement  été  un  grand 
artiste  national,  il  a  été  un  patriote,  et  la  France  ne  peut  oublier 
qu'en  mai  1871,  lorsqu'il  fit  entendre  à  Albert-Hall  sa  grande  cantate 
Galtia^  il  sut  trouver,  dans  la  tristesse  de  nos  désastres,  des  inspira- 
tions assez  ardentes  pour  réchauffer,  chez  des  auditeurs  étrangers, 
des  sympathies  éteintes.  Et  hier  même  n'a-t-il  pas  encore  aidé  par 
l'enchantement  de  la  musique  de  Faust,  à  la  communion  de  notre  âme 
avec  celles  de  nos  hôtes? 

Côte  à  côte,  nous  Tavons  écouté,  et  il  a  fait  passer  en  nous  la  se- 
cousse d'un  frisson  commun,  il  a  montré  une  fois  de  plus  ce  qu'il  y  a 
dans  son  génie  musical  de  pénétraot  et  de  doucement  envahisseur,  il 
a  élevé  nos  cœurs  du  même  mouvement,  il  a  emporté  nos  esprits  du 
même  souffle  et  il  a  donné  à  deux  peuples  amis,  au  lendemain  même 
de  sa  mort,  la  claire  vision  de  son  immortalité. 


Une  dépêche  de  Jérusalem  annonce  la  mort  du  vénérable 
Mgr  PoYET,  le  doyen  des  prêtres  qui  ont  restauré,  autour  de 
Mgr  Valerga,  le  patriarcat  de  Jérusalem.  Il  était  protoaotaire 
apostolique. 

Mgr  Poyet  était  de  Lyon,  et  il  a  attiré  plusieurs  prêtres  de 
cette  ville  en  Terre-Sainte. 

C'est  lui  qui  accueillit  principalement  M.  de  Vogiié,  lors  de 
ses  voyages  en  Terre-Sainte,  et  l'aida  de  ses  vastes  connais- 
sances. 

Il  laisse  une  belle  collection  de  livres  sur  les  Lieux  Saints. 

En  ces  derniers  temps,  il  fonda  un  service  annuel  à  Notre- 
Dame  de  France  pour  le  roi  Godefroy  de  Bouillon  et  tous  les 
pèlerins  français  morts  en  Terre-Sainte,  et  donna  un  magni- 
fique drap  mortuaire.  Il  sera  cette  année  un  des  principaux 
bénéficiaires  de  ces  prières. 


CHRONIQUE   DE    LA   SEMAINE 

Conclusion  des  fêtes   franco-russes.  —  Lancement  du  Jauréguiherry.  — 
Discours  de  Mgr  Mignot.  —  Dernières  paroles  officielles.  —  Etranger. 

2  novembre  1893. 

Maintenant  que  les  fêtes  franco-russes  sont  terminées  et  que 
nos  hôtes  et  amis  ont  repris  la  mer  pour  regagner  leur  patrie,  il 
n'est  peut-être  pas  sans  intérêt  de  tirer  la  conclusion  du  spec- 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  261 

tacle  que  le  peuple  français  a  offert,  pour  ainsi  dire;  au  monde 
entier  dans  cette  mémorable  circonstance. 

Partout  l'élan  patriotique  a  été  superbe  de  calme,  de  dignité 
et  de  patriotisme.  Si  l'on  a  pu  remarquer  quelque  tache  au 
tableau,  c'est  le  fait  de  nos  gouvernants  et  non  du  peuple  dont 
l'attitude  a  été  jusqu'au  bout  d'une  irréprochable  correction.  Ce 
qui  prouve  que  les  nations  n'ont  pas  toujours  les  gouvernements 
qu'elles  méritent. 

Il  est  heureux  pour  l'honneur  de  la  France  et  pour  son  bon 
renom  d'hospitalité  que  les  politiciens  de  profession  soient  restés 
dans  la  coulisse  pendant  toute  la  durée  des  manifestations.  Leur 
intervention  eût  tout  gâté  et  nul  ne  sait,  par  exemple,  les  déplo- 
rables incidents  qui  seraient  survenus  si  les  Chambres  avaient 
siégé. 

Le  monde  officiel  a  senti,  dès  le  premier  jour,  qu'il  ne  pou- 
vait résister  à  l'impulsion  populaire  et  qu'il  était  plus  prudent 
de  la  suivre  et  de  se  laisser  gouverner  par  elle. 

A  chaque  fois,  du  reste,  que  nos  ministresont  voulu  faire  acte 
d'initiative,  ils  n'ont  commis  que  des  gaffes. 

Ils  ont  commencé  par  froisser  la  délicatesse  des  sentiments 
de  nos  hôtes  qui  s'honorent  d'associer  Dieu  à  toutes  les  manifes- 
tations de  leur  vie  publique  et  privée,  en  faisant  parade  devant 
eux  d'irréligion  et  en  écartant  systématiquement  le  clergé  du 
programme  des  fêtes.  Il  a  fallu  que  le  cardinal-archevêque  de 
Paris  intervînt  pour  prouver  à  une  nation  amie  et  foncièrement 
croyante  que  si  notre  pays  est  gouverné  par  des  libres-penseurs, 
il  n'a  cessé  de  prier  et  de  croire. 

A  quels  misérables  marchandages  n'aurions-nous  pas  assisté, 
à  l'occasion  de  la  mort  et  des  obsèques  du  maréchal  de  Mac- 
Mahon,  si  la  courtoisie  de  nos  hôtes  et  le  tact  du  czar  n'avaient 
pas  rappelé  M.  Carnot  et  ses  dignes  ministres  au  respect  des 
convenances  et  à  la  notion  la  plus  élémentaire  de  leurs  devoirs. 

Le  caractère  religieux  des  funérailles  du  héros  de  Malakoff 
et  de  Magenta  les  gênait,  et,  dans  leur  sagesse  politique  et  par 
crainte  de  déplaire  aux  frères  et  amis  du  Grand-Orient,  ils 
avaient  d'abord  eu  la  pensée  de  cacher  le  cadavre  du  maréchal 
et  le  deuil  de  la  France  à  nos  hôtes.  Dans  ce  but,  les  obsèques 
de  l'illustre  maréchal  devaient  être  simplement  faites  aux  frais 
de  l'Etat  et  ajournées  après  le  départ  des  marins  russes. 

L'empereur  de  Russie  a  cru  alors  devoir  se  montrer  pour 
épargner  une  grande  honte  à  notre  pays.  Il  a  fait  savoir  à  Paris 


262  ANNALES     CATHOLIQUBS 

qu'il  désirait  que  l'amiral  Avellan  et  ses  officiers  assistassent  au 
convoi  funèbre  du  maréchal.  Si  donc  les  portes  des  Invalides  ont 
été  ouvertes  à  ses  restes  glorieux,  si  on  lui  a  fait  des  obsèques 
nationales,  si  les  réjouissances  ont  été  interrompues  pendant 
vingt-quatre  heures  et  si,  enfin,  la  France  entière  a  pu  conduire 
le  deuil  de  l'un  de  ses  plus  vaillants  enfants,  c'est  au  czar  qu'elle 
le  doit. 

Mais  notre  premier  ministre  a  tenu  malgré  tout,  à  commettre 
une  sottise,  en  évoquant  dans  le  discours  prononcé  sur  la  tombe 
de  l'illustre  défunt,  des  haines  assoupies  et  en  jetant  une  note 
discordantes  au  milieu  de  ce  deuil  national. 

Il  fallait  bien  donner  des  gages  aux  politiciens  perdus  dans 
cette  foule  recueillie  de  Français  et  d'étrangers  qui  élevaient 
leurs  pensées  et  leur  âme  au  souvenir  de  celui  qui  fut  un  type 
de  loyauté  et  de  désintéressement. 

Par  ce  simple  aperçu  des  bévues  commises  par  nos  gouver- 
nants dans  les  derniers  événements,  on  peut  se  faire  une  juste 
idée  des  difficultés  qu'ils  auraient  fait  naître  s'ils  avaient  été 
abandonnés  à  eux-mêmes. 

Le  peuple  a  montré  qu'il  avait  infiniment  plus  de  tact  et  de 
mesure  que  ceux  qui  sont  censés  le  diriger. 

Que  conclure  de  cette  constatation,  si  ce  n'est  que  leshonames 
qui  nous  gouvernent  ne  sont  pas  en  communion  d'idées  avec  la 
grande  majorité  du  pays  ? 

Portés  au  pouvoir  par  un  parti,  ils  ne  s'attachent  qu'à  gou- 
verner, au  nom  des  intérêts  et  des  passions  politiques  de  ce 
parti,  contre  le  reste  de  la  nation. 

Est-ce  là  ce  qu'on  peut  appeler  un  gouvernement  national? 

L'unité  de  la  patrie  française  vient  de  se  faire  à  l'occasion  des 
fêtes  franco-russes;  il  faut  la  maintenir  et,  pour  cela,  il  est 
indispensable  de  changer  de  tactique,  d'abandonner  cette  poli- 
tique de  persécution  et  de  haine,  qui  n'a  duré  que  trop  long- 
temps, cette  politique  de  rivalités  de  clocher,  de  compétitions 
de  groupe  et  d'esprit  de  parti. 

Le  pays  vient  de  manifester,  d'une  façon  non  équivoque,  qu'il 
a  des  aspirations  larges  et  libérales,  qu'il  veut  l'union  entre 
tous  les  citoyens,  afin  de  travailler  à  reconquérir  son  prestige 
à  l'extérieur,  sa  grandeur  morale  et  matérielle  à  l'intérieur. 

Mais  c'est  trop  demander  à  nos  gouvernants.  Les  Chambres 
vont  se  trouver  bientôt  réunies,  et  déjà,  au  lendemain  de  cette 
accalmie  fortifiante  que  nous  a  apportée  la  visite  de  l'escadre 


CHRONIQUE  DE  LA  SBMAINB  263 

russe,  on  parle  de  retomber  dans  les  errements  passés,  dans  les 
intrigues  et  les  manœuvres  du  régime  parlementaire. 

Les  socialistes  ont  recouvré  la  parole,  et  ils  se  préparent  à 
rentrer  en  scène  par  de  nouveaux  coups  de  théâtre. 

Sunitnes-nous  donc  condamnés,  comme  Sisyphe,  à  rouler 
éternellement  notre  rocher? 

Nous  ne  le  pensons  pas.  Une  évolution  heureuse  se  manifeste 
dans  les  masses  populaires  ;  on  reut  vivre  en  paix,  avec  un  gou- 
vernement honnête  et  respectueux  de  toutes  les  opinions. 
Puisse  ce  gouvernement  être  celui  de  demain. 


La  dernière  partie  des  fêtes  franco-russes  a  été  le  lancement 
à  Toulon  du  Jauréguiberry . 

Le  président  Carnet  y  assistait.  Après  avoir  passé  en  revue 
la  flotte  russe,  le  président  a  pris  place  dans  la  tribune  prési- 
dentielle, située  tout  à  fait  à  l'avant  du  ponton  de  droite.  Il 
avait  à  ses  côtés  l'amiral  Avellan,  le  baron  de  Mohrenheim, 
ambassadeur  de  Russie;  le  président  du  conseil,  le  ministre  des 
affaires  étrangères,  le  ministre  de  la  marine,  le  ministre  des 
finances,  M.  de  Montebello,  ambassadeur  de  France  à  Saint- 
Pétersbourg;  l'amiral  Vignes,  préfet  maritime;  l'amiral  de 
Boissoudj,  commandant  l'escadre  active  et  l'amiral  de  la  Jaille, 
commandant  l'escadre  de  réserve. 

Une  fotrie  immense  composée  d'habitants  de  la  Seyne,  de  cu- 
rieux venus  de  Toulon  et  de  tous  les  points  environnants  et  de  la 
plupart  des  ouvriers  des  chantiers,  était  massée  sur  les  navireg 
en  quai.  Des  ouvriers  étaient  même  montés  sur  les  navires  en 
construction  ou  en  réparation  ;  ceux  des  ouvriers  qui  n'avaient 
pu  grimper  jusque  sur  le  haut  des  navires,  s'étaient  glissés 
dans  l'etitre-pont  et  passaient  la  tête  à  travers  les  hublots. 

A  l'avant  du  Jauréguiberry ,  c'est-à-dire  du  eété  opposé  à  la 
mer,  puisque  le  lancement  s'effectue  toujours  par  l'arrière,  une 
petite  chapelle  avait  été  dressée.  Mgr  Mignot,  évêque  de  Fré- 
jus,  s'y  trouvait  entouré  du  clergé  de  la  Seyne. 

La  bénédiction  du  navire  a  eu  lieu  avec  le  cérémonial  d'usage. 

Au  moment  où  la  procession  formée  par  le  clergé  est  arrivée 
devant  la  tribune  officielle,  l'évêque  en  habits  pontificaux  ave« 
la  mitre  et  la  crosse,  s'est  arrêté  et  a  prononcé  le  discours  que 
nous  reproduisons  plus  loin. 

Après  la  bénédiction,  le  signal  du  lancement  a  été  donné  par 


264  ANNALES    CATHOLIQUES 

un  des  ingénieurs.  Des  ouvriers  chargés  de  débarrasser  le  bâti- 
ment de  ses  dernières  entraves,  se  tenaient  adroite  et  à  gauche. 
Les  épontilles  ont  été  enlevées  simultanément  avec  une  grande 
rapidité.  Les  saisines  qui  retenaient  le  bateau  par  l'avant  ont 
été  ensuite  coupées  au  moyen  de  haches. 

En  même  temps  et  pour  donner  à  l'immense  masse  de  fer  et 
d'acier  l'impulsion  qui  devait  la  faire  glisser  sur  son  berceau, 
on  faisait  manoeuvrer  deux  énormes  leviers  actionnés  par  ses 
palans. 

Le  Jaurêguiberry  s'est  mis  en  marche  presque  immédiate- 
ment et  c'est  avec  une  vitesse  toujours  croissante  qu'il  a  pris 
possession  de  la  mer,  faisant  rejaillir  autour  de  lui  de  superbes 
gerbes  d'eau. 

Les  spectateurs  enthousiasmés  ont  poussé  d'immenses  accla- 
mations. 

Le  président  de  la  République,  l'amiral  Avellan  et  les  officiers 
russes,  qui  n'avaient  pas  perdu  un  seul  des  détails  de  l'opéra- 
tion, ont  mêlé  leurs  applaudissements  à  ceux  de  la  foule. 

Le  Jaurêguiberry ^  après  avoir  parcouru  un  assez  long  espace, 
a  ralenti  sa  marche.  On  a  pu  alors  se  rendre  compte  de  ses 
dimensions  et  les  comparer  au  prix  de  revient  qui,  d'après  les 
évaluations  les  plus  modérées,  dépassera  la  somme  incroyable 
de  28  millions. 

Le  Jaurêguiberry  ne  possède  encore  ni  ses  machines,  ni  son 
artillerie.  Sa  construction  ne  paraît  pas  devoir  être  achevée 
avant  au  moins  un  an.  Son  armement  comprendra  28  canons. 


Voici  le  discours  de  Mgr  Mignot  : 

Monsieur  le  Préaident, 

Votre  présence  au  milieu  de  nous  ajoute  un  suprême  éclat,  apporte 
un  digne  couronnement  aux  fêtes  incomparables  dont  nous  avons 
été  les  témoins. 

Dès  le  premier  jour,  l'évêque  et  le  clergé  du  diocèse  de  Fréjus  et 
Toulon  se  sont  associés  avec  une  ardente  allégresse  aux  sentiments 
qui  faisaient  vibrer  tous  les  cœurs  français  dans  un  accord  touchant 
et  unanime.  Ce  qu'ils  ont  ressenti  de  fierté  patriotique,  de  sympathie 
et  d'admiration  pour  les  glorieux  amis  qui  venaient  nous  visiter,  de 
confiance  dans  un  fécond  et  pacifique  avenir,  je  suis  heureux  de  l'ex- 
primer publiquement,  au  moment  où  il  nous  est  permis  d'offrir  nos 
hommages  au  chef  respecté  de  la  République. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAIMB  209 

Lorsque  la  France  entière  se  lève  dans  un  mouvement  spontané  et 
montre  au  monde  attentif  qu'elle  possède  non  seulement  d'inépuisa- 
bles ressources  matérielles,  mais  aussi  d'étonnantes  réserves  de  jeu- 
nesse et  d'enthousiasme,  nul  ne  sera  surpris  que  le  clergé  se  signale 
par  son  empressement  à  prendre  part  à  ces  solennelles  manifesta- 
tions. 

C'est  donc  plus  qu'un  devoir  pour  nous,  c'est  une  joie  bien  vive, 
monsieur  le  Président,  de  vous  offrir,  en  pleine  conformité  aux 
intentions  du  Souverain  Pontife  Léon  Xlll,  cet  autre  grand  ami  de 
la  France,  avec  l'assurance  de  notre  loyale  fidélité  aux  institutions 
qui  nous  régissent,  l'expression  passionnée  de  notre  dévouement  à 
notre  pays,  sur  lequel  les  fêtes  qui  s'achèvent  semblent  avoir  fait 
luire  les  plus  rassurantes  perspectives. 

Messieurs,  toutes  les  fois  qu'un  de  ces  merveilleux  navires  est  con- 
fié à  la  mer,  l'évêque  de  Fréjus  est  heureux  de  témoigner  par  sa  pré- 
sence que,  s'il  admire  les  etTorts  et  les  résultats  de  ces  travaux 
gigantesques,  il  apprécie  surtout  l'esprit  religieux  qui  anime  les 
hommes  de  science  et  d'énergie  qui  président  à  ces  entreprises.  Il  les 
remercie  de  montrer  qu'ils  considèrent  leur  œuvre,  si  belle  soit-elle, 
comme  incomplète  tant  qu'ils  ne  Tout  pas  placée  sous  la  protection 
de  Celui  qui  commande  aux  vents  et  aux  flots,  de  donner  ce  spectacle 
solennel  aux  représentants  d'une  nation  amie,  chez  laquelle  la  foi 
chrétienne  se  manifeste  avec  une  si  grande  intensité. 

Vous  avez  vu,  monsieur  l'amiral,  la  France  maritime  et  militaire, 
la  France  qui  développe  magnifiquement  son  industrie  et  conserve  le 
goût  exquis  des  choses  de  l'esprit  et  de  l'art,  celle  qui  ouvre  son 
cœur  et  ses  bras  pour  y  recevoir  et  y  presser  ses  nobles  amis.  Mais, 
en  rendant  témoignage  à  Sa  Majesté  l'empereur  de  Russie  de  l'accueil 
que  nous  avons  essayé  de  vous  faire  et  des  scènes  qui  se  sont  dérou- 
lées sous  vos  yeux,  veuillez  lui  dire  aussi  que  vous  avez  vu  la  France 
qui  prie  pour  lui  et  pour  le  grand  peuple  russe,  comme  elle  prie 
pour  ceux  qui  président  à  ses  propres  destinées,  une  France  qui 
pleure  ses  grands  morts  et  sait  honorer  ses  héros  par  des  hommages 
dignes  de  leurs  vertus. 

C'était  un  héros  comme  Mac-Mahon,  le  fier  marin  dont  le  nom  va 
décorer  la  poupe  de  ce  navire.  Après  avoir  promené  sur  toutes  les 
mers  le  pavillon  national,  il  fut  l'un  des  chefs  de  cette  armée  de  la 
Loire  qui,  si  elle  ne  put  nous  assurer  la  victoire  définitive,  sut  au 
moins,  à  force  de  vaillance  et  de  dévouement,  prolonger  une  résis- 
tance qui  fit  l'admiration  de  nos  ennemis  eux-mêmes. 

Il  était  à  Patay  et  s'y  couvrit  de  gloire. 

Mais  ce  rude  guerrier  était  aussi  un  ferme  chrétien. 

L'amiral  Jauréguiberry  n'appartenait  pas  à  la  grande  famille  catho- 
lique dont  je  suis  ici  le  représentant  ;  mais  je  n'hésite  pas  à  louer  la 
foi  sincère  et  la  piété  dont  il  se  montra  toujours  animé,  unissant  en 


266  ANNALES  CATHOLIQUES 

sa  personne  le  palriotisme  le  plus  pur  et  le  zèle  religieux  le  plus 
ardent.  Il  est  donc  juste  que  son  souvenir  demeure  vivant  au  milieu 
de  nous,  et  que  son  nom  respecté  soit  gravé  comme  un  enseignement 
sur  le  vaisseau  que  nous  allons  bénir. 

Quelles  seront  ses  destinées?  Dieu  seul  sait  si  la  mort  doit  sortir 
wn  jour  de  ses  flancs  redoutables;  mais  ei^  après  avoir  invoqué  l« 
Dieu  de  paix,  il  nous  fallait  aussi  invoquer  le  Dieu  des  combats,  nous 
avons  la  ferme  confiance  que  le  Jauréguiberry  aflPronterait  la  lutte  à 
côté  et  en  compagnie  de  ces  puissants  navires,  «lont  les  équipagss  s« 
sont  unis  aux  vôtres  dans  la  plus  fraternelle  étreinte. 

Puisse  cependant  cette  perspective  être  écartée  ! 

Puisse  la  cérémonie  d'aujourd'bui  n'évoquer  que  de  pacifiques  sou- 
venirs, tels  que  celui  du  grand-duc  Constantin,  assistant  ici  à  la 
bénédiction  et  au  lancement  d'un  de  nos  navires. 

Puisse  enfin  l'amitié  de  la  France  et  de  la  Russie  faire  de  ces  deux 
grandes  nations  les  gardiennes  et  les  arbitres  de  la  paix. 


Voici,  pour  être  complets,  les  toasts  échangés  entre  M.  Carnot 
et  l'amiral  Avellan,  au  banquet  d'adieu  donné,  dans  les  salons 
de  la  préfecture  maritime  de  Toulon,  par  le  président  de  la  Ré- 
publique. 

C'est  M.  Carnot  qui  a  pris  tout  d'abord  la  parole.  Il  s'est 
exprimé  eu  ces  termes  : 

Après  les  manifestations  si  spontanées,  si  cordiales  et  si  loyalemeat 
pacifiques  auxquelles  donnèrent  lieu,  en  Russie  et  en  France,  les 
visites  échangées  par  uos  escadres  â  Cronstadt  et  à  Toulon,  j'ai  à 
cœur  de  remercier  la  marine  russe  et  la  marine  française,  que  je 
réunis  ici  dans  un  même  souhait  de  bonheur,  d'avoir  dignement 
rempli  leur  mission,  en  servant  de  trait  d'union  aux  sympathies  de» 
deux  peuples. 

A  la  santé  que  j'ai  l'honneur  de  porter  à  LL.  MM.  l'empereur 
Alexandre  III  et  l'impératrice  de  Russie,  je  joins  un  toast  qui  répond 
aux  vœux  de  tous  ;  A  l'amitié  de  deux  grandes  nations!  Et,  par  elle, 
à  la  paix  du  monde  ! 

L'amiral  Avellan  a  répondu  : 

Monsieur  le  Président, 

C'est  le  coïur  plein  d'émotions  et  d'une  éternelle  reconnaissance 
envers  les  autorités  et  toutes  les  classes  du  peuple  que  nous  voKte 
remercions  p®ur  le  chaleureux  accueil,  l'enthousiasme  et  la  cordialité 
avec  lesquels  noua  avons  été  reçus  en  France. 

C'est  un  souvenir  qui  fera  battre  nos  cœurs  à  chaque  instant.  Il  noue 
mt  infiniment  doux  et  agréable,  au  aom  de  la  Russie  reconnaissante. 


CHRONIQUE  DE  LK  SEMAINE  267 

de  témoigner  au   peuple  français  notre    gratitude   pour  cette  noble 
nation. 

Je  le  fais  avec  un  grand  plaisir,  et  je  me  permets  encore  une  fois  de 
boire  à  la  santé  de  M.  le  Président  de  la  République  et  de  la  noble 
nation  amie  de  la  Russie,  la  France. 


On  mande  de  Toulon  qu'au  moment  de  monter  dans  le  train 
qui  devait  le  reconduire  à  Paris,  M.  le  Président  de  la  Répu- 
blique a  reçu  la  dépêche  suivante  : 

Gatschina,  27  octobre,  11  h.  35  soir. 

A  «Son  Excellence  Monsieur  le  Président  de  la  République  Française, 

Paris. 
Au  moment  ou  l'escadre  russe  quitte  la  France,  il  me  tient  à  cœur 
de  vous   exprimer  combien  je  suis  touché  et   reconnaissant  de  l'ac- 
cueil chaleureux  et  splendide  que  nos  marins  ont  trouvé  partout  sur 
je  sol  français. 

Les  témoignages  de  vive  sympathie  qui  se  sont  manifestés  encore 
une  fois  avec  tant  d'éloquence,  joindront  un  nouveau  lien  à  ceux  qui 
unissent  nos  deux  pays  et  contribueront,  je  l'espère,  à  l'affermisse- 
ment de  la  paix  générale,  objet  de  leurs  efforts  et  de  leurs  vœux  les 
plus  constants.  Alexandre. 


Adieu  paniers;  vendanges  sont  faites!  Les  postulants  à  la 
présidence  de  la  République,  les  Constans,  les  Casimir  Périer, 
les  Challemel-Lacourn'ontplus  d'illusion  à  conserver.  M.  Carnot, 
en  effet,  que  l'on  nous  a  montré  si  longtemps  déterminé  à  démé- 
nager de  l'Elysée  dès  la  fin  de  son  bail  septennal,  est,  paraît-il, 
décidé  à  poser  à  nouveau,  en  1894,  sa  candidature  aux  fonctions 
de  président  de  la  République.  Il  était  fort  malade  il  y  a  quel- 
ques mois,  —  si  malade  que  subitement  il  ne  put  recevoir  le 
général  Dodds!  —  mais  les  fêtes  franco-russes  l'ont  guéri,  et  le 
voilà,  messieurs  les  sénateurs,  messieurs  les  députés,  à  la  dis- 
posicion  de  usted.  On  peut  considérer  la  nouvelle  comme  cer- 
taine, car  elle  émane  du  Figaro,  devenu  —  ce  qui  eût  fort 
étonné  feu  Villemessant  —  l'organe  attitré  aussi  bien  de  l'Elysée 
que  du  Vatican.  La  réélection  de  M.  Carnot  est  certaine  :  il 
tient  d'abord  la  place,  et  sa  nomination  aura  cet  avantage  aux 
yeux  de  ses  concurients  évincés,  momentanément,  de  laisser  les 
choses  en  l'état,  et  à  chacun  ses  chances  pour  l'avenir... 


268  A.NMALB8    CATHOLIQUB8 

C'est  pair  un  acquittement  que  s'est  terminé  le  procès  du 
lieutenant  de  Segonzac. 

L'expertise  naédicale,  demandée  par  le  commissaire  du  gou- 
vernement sans  conclure  nettement  au  suicide^  laisse  entendre 
que  cette  hypothèse  est  plus  vraisemblable  que  celle  du  meurtre. 

Après  la  plaidoirie,  Segonzac  s'est  levé,  et,  d'une  voix  ferme, 
a  dit  : 

«Je  jure  sur  l'honneur  que  je  n'ai  pas  tué  mon  camarade 
Quiquerez.  Personne  ne  peut  croire  que  je  sois  un  assassin.  J'ai 
altéré  la  vérité,  et  j'en  demande  pardon  à  tous  ceux  qui  n'ont 
pas  cru  devoir  m'en  excuser;  mais  je  n'ai  obéi  qu'à  cette  double 
préoccupation  de  ne  pas  ajouter  à  la  douleur  de  la  famille  Qui- 
querez, et  de  ne  pas  porter  atteinte  à  la  dignité  de  notre  mis- 
sion, à  l'œuvre  que  nous  avions  poursuivie  tous  les  deux.  > 

Le  Conseil  se  retire  pour  délibérer. 

Après  quelques  minutes,  il  revient  en  séance.  Le  président 
du  Conseil,  M.  de  Rocher,  lit  la  sentence.  Elle  prononce  l'ac- 
quittement du  sous-lieutenant  de  Segonzac.  Aussitôt  des  applau- 
dissements éclatent  dans  le  fond  de  la  salle,  oii  se  trouvent  de 
nombreux  officiers.  Segonzac,  très  ému,  se  penche  vers  son 
défenseur  et  lui  serre  la  main  à  plusieurs  reprises.  La  décision 
du  Conseil  portant  que  Segonzac  sera  mis  immédiatement  en 
liberté,  il  est  l'objet,  à  sa  sortie  de  la  salle  d'audience,  d'une 
ovation  enthousiaste,  qui  s'adresse  à  lui  et  à  son  éminent 
avocat.  M*  Léon  Renault. 

L'impression  à  Saint-Louis  est  excellente.  Bien  qu'on  s'at- 
tendît à  l'acquittement,  l'unanimité  dont  bénéficie  Segonzac,  et 
lès  ap[)laudissements  qui  ont  salué  la  lecture  de  la  sentence, 
réjouissent  le  monde  militaire  et  la  population. 


Ce  n'est  aujourd'hui  qu'un  même  cri  d'étonnement,  tant  à 
droite  qu'à  gauche,  sans  distinction  d'opinions,  à  la  nouvelle  de 
l'étrange  opération  que  le  gouvernement  français  est  sur  le 
point  de  conclure  avec  l'Italie.  Il  n'y  a  pas  deux  avis,  il  n'y  en 
qu'un:  M.  Clemenceau  voit  cette  fois  la  politique  du  même  oeil 
que  Drumont.  Qu'est-ce  donc?  C'est  qu'on  a  trouvé  le  miracu- 
leux moyen  de  faire  sortir  de  France  une  somme  monnayée  de 
cent  millions  pour  l'ofl^rir  aux  gallophobes  d'Italie,  pour  solder 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  269 

les  troupes  italiennes  qui  manœuvraient  récemment  sur  les  som- 
mets des  Alpes,  et  les  marins  que  l'amiral  anglais  vient  d'ins- 
pecter. 

Comment  s'y  est  pris  notre  gouvernement  ?  C'est  très  simple. 
Il  existe  une  convention  monétaire,  dite  de  l'Union  latine,  en 
vertu  de  laquelle  les  monnaies  d'argent  sont  frappées  au  même 
titre  et  circulent  avec  la  même  liberté  en  France,  en  Belgique, 
en  Suisse,  en  Italie,  en  Espagne.  Depuis  que  cette  pratique 
existe,  la  valeur  de  l'argent  a  diminué  par  rapport  à  l'or,  et  les 
quantités  d'or  se  sont  trouvées  réparties  très  inégalement,  par 
le  jeu  des  échanges  commerciaux,  entre  les  pays  de  l'Union 
latine.  La  convention  touchait  à  sa  fin.  11  y  avait  mille  raisons 
delà  reviser.  Une  commission  s'est  réunie  à  Rome. 

Or  voici,  d'après  les  nouvelles  officieuses,  ce  qui  serait  décidé, 
sauf  ratification  par  les  Chambres. 

1.  L'union  serait  continuée. 

2.  Mais  une  satisfaction  serait  accordée  par  la  France  à  l'Italie. 
Juste  Ciel  !  A  propos  de  quoi  devons-nous  des  satisfactions  à 
l'Italie?  Est-ce  pour  n'avoir  pas  subi  avec  assez  d'humilité,  à  son 
gré,  les  provocations  et  les  insultes  dentelle  nous  accable  depuis 
qu'elle  se  sent  sous  l'aile  de  l'Allemagne? 

L'Italie  a  demandé  qu'on  lui  renvoyât  toute  sa  monnaie  d'ar- 
gent circulant  en  France,  soit  cent  millions.  Elle  les  rendra,  car 
il  faut  ménager  la  fierté  nationale,  elle  les  rendra^  c'est  convenu, 
et  les  rendra  magnifiquement  en  or.  Oui,  en  or!  Et  bientôt: 
dans  le  délai  de  dix  jours  !  D'ailleurs,  si  elle  ne  les  rend  pas, 
elle  en  paiera  l'intérêt,  et  tout  sera  dit  !  Et  elle  en  paiera  l'in- 
térêt au  même  taux  d'intérêt  que  celui  des  bons  du  trésor  fran- 
çais en  France  !  On  n'est  pas  plus  correct  et  plus  majestueux  en 
afi"aires  !  !  ! . . . 

Or,  l'Italie  ne  remboursera  rien,  puisqu'il  est  notoire  qu'elle 
n'a  pas  un  sou. 

Elle  payera  donc  l'intérêt  ;  opération  sans  précédent.  Car  un 
peuple,  ainsi  que  l'observe  la  Liberté,  ne  prête  pas  à  un  autre 
peuple.  Et  la  dernière  bassesse  sei'ait  pour  le  gouvernement 
français  de  prêter  de  l'argent  à  un  Etat  de  la  triplice.  Mais  à 
quel  taux  cet  intérêt?  Les  bons  du  Trésor  français  rapportent 
2  0/0.  Or  l'Italie  n'a  pu  trouver  à  emprunter  en  Allemagne,  tout 
récemment,  50  millions  à  6  0/0.  Le  change  du  papier  sur  l'Italie 
est  aujourd'hui  de  12  0/0. 

Dans  ces  conditions,  cent  millions  remis  aux  termes  de  la  con- 


270  ANNALES    CATHOLIQUES 

vention  de  la  conférence  monétaire  sont  un  vrai  cadeau,  un  véri- 
table subside. 

Et  nous  savons,  dit  très  bien  la  F^r27^,raaintenant,  selon  toute 
apparence,  à  quoi  tendaient  ces  conciliabules  tenus  chf  z  Lemnoi, 
qui  n'est  pas  seulement  le  grand  maître  de  la  franc-maçonnerie 
d'Italie,  mais  qui  est  aussi  le  plus  riche  et  plus  aflairé  banquier 
de  Rome.  Et  pourquoi  les  journaux  juifs  faisaient  silence?  Si 
on  s'agitait  chez  Lemmi,  ce  n'était  pas  pour  ajouter  quelques 
scènes  à  l'étrange  roman  de  spiritisme  et  de  maçonnerie  avec 
lequel  on  a  déjà  détourné  notre  attention  pendant  la  période 
électorale,  c'était  pour  une  opération  tangible  et  palpable  en 
bonnes  espèces. 

Voilà  l'œuvre  de  notre  gouvernement  de  francs-maçons,  mené 
à  la  baguette  par  un  franc-maçon  étranger. 

Mais,  cette  fois,  le  scandale  est  tellement  énorme,  qu'il  semble 
impossible  que  la  ratification  des  Chambres  le  sanctionne,  et 
qu'il  se  pourrait  faire  que  les  ministres,  auteurs  de  cette  négo- 
ciation que  rien  ne  peut  qualifier,  aient  à  rendre  bientôt  des 
comptes  à  l'opinion  publique,  troublée,  et  qui  déjà  se  manifeste 
très  hautement  avec  la  plus  juste  sévérité. 


La  campagne  des  Espagnols  contre  les  Kabyles  au  Maroc 
s'est  ouverte  par  un  échec.  Un  combat  près  de  Melilla  a  com- 
mencé vendredi,  vers  quatre  heures,  par  un  feu  terrible  parti 
de  toutes  les  tranchées  arabes  sur  la  rive  droite  de  Rio-Oilo  et 
des  positions  plus  rapprochées  ;  puis,  subitement,  une  grande 
masse  d'Arabes  à  pied  et  à  cheval  se  ruèrent  sur  le  territoire 
espagnol  essayant  d'envelopper  les  troupes  qui  couvraient  la 
construction  d'une  redoute  en  avant  du  fort  Gamelles. 

Le  général  Margallo  ordonna  la  retraite  qui  se  fit  en  bon 
ordre,  protégée  par  le  feu  des  forts  Gamelles  et  San  Lorenzo, 
tandis  que  le  croiseur  Benavisto  canonnait  les  Arabes  qui  avaient 
essayé  de  tourner  les  Espagnols  par  la  plage. 

Ayant  sauvé  ses  pièces  de  montagne,  le  général  Margallo 
traversa  le  pont  sous  un  feu  incessant  et  se  rendit  à  Melilla 
pour  se  rendre  compte  de  ce  qui  se  passait  à  Rostrogordo  où  la 
brigade  d'Ortega  et  surtout  le  régiment  d'Estramadure  luttaient 
depuis  quatre  heures  contre  une  masse  considérable  d'Arabes 
qui  avaient  profité  des  accidents  de  terrain  pour  envahir  le  ter- 
ritoire espagnol   sur  la  rive  gauche  du  Rio-Oilo  et  pour  enve- 


CHRONIQUE  DK  LA  SEMAINE  271 

lopper  les  forces  espagnoles,  les  acculant  au  fort  malgré  des 
prodiges  de  courage  des  jeunes  troupes  et  surtout  des  officiers, 
qui  s'élançaient  dans  la  mêlée  et  se  battaient  souvent  corps 
à  corps. 

Deux  raille  Espagnols  étaient  éparpillés  sur  une  étendue  de 
quati-e  kilomètres  et  luttaient  contre  onze  mille  Arabes. 

Le  général  Margallo  n'hésita  pas  à  se  porter  en  avant  avec 
des  renforts  sur  le  théâtre  de  la  lutte,  mais  il  ne  put  pas  dé- 
passer le  fort  Cabrerizas  où  il  passa  la  nuit  pendant  qu'il  enten- 
dait au  loin  le  bruit  de  la  canonnade  et  de  la  fusillade  à  La 
Rostro-Serdo  où  le  général  Ortega  tenait  bon  contre  les  Arabes 
qui  se  servaient  des  tranchées  espagnoles  elles-mêmes  pour 
abri. 

Le  feu  dura  toute  la  nuit. 

Les  Arabes  poussaient  d'horribles  hurlements  et  ils  s'avan- 
cèrent jusqu'à  vingt  mètres  du  fort. 

Dans  les  lignes  de  Melilla  le  commandement  était  échu  au 
«oloriel  du  régiment  africain.  La  garnison  resta  sur  pied  toute 
la  nuit. 

Samedi  matin  une  colonne  de  troupes  de  toutes  armes,  ap- 
puyée par  de  l'artillerie  de  place  et  de  montagne,  se  dirigea 
vers  le  fort  Cabrerizas-Altas. 

Malheureusenaent  le  général  Margallo  avait  tenté  entre  temps 
une  sortie.  Il  y  trouva  la  mort. 

Les  renforts  envoyés  de  Melilla  permirent  de  rétablir  les 
communications  avec  les  forts  de  la  rive  gauche  de  l'Ouro  et  de 
dégager  à  Rostrogordo  le  général  Ortega  qui  put  rentrer  à 
Melilla  et  prendre  le  commandement. 

Le  ministre  de  la  guerre  annonce  que  les  pertes  des  Espa- 
gnols ont  surtout  été  sensibles  autour  des  forts  de  Rostrogordo  et 
de  Cabrerizas. 

El  Impartial  parle  de  70  morts  et  122  blessés,  mais  on  dit 
que  le  chiffre  des  pertes  est  plus  élevé. 

Le  ministre  de  la  guerre  est  parti  pour  Melilla. 


Le  général  Dodds  a  télégraphié,  à  la  date  du  27  octobre,  do 
Zaganado,  ancien  camp  retranché  de  Behanzin  situé  sur  l'Oué- 
mé,  un  peu  au  nord  du  parallèle  d'Abomey. 

L'arrivée  delacolonne  amena  la  soumission  des  populations 
qui  se  trouvent  entre  le  Zou  et  l'Ouémé,  l'ancien  roi  semble  de 


272  ANNALES    CATHOLIQUES 

plus  en  plu?  abandoDoé  par  les  féticheurs  de  la  région  que  nos 
troupes  occupent  actuellement  et  la  région  de  Bassa  au  nord 
d'Atcheribe,  dernier  séjour  de  Behanzin,  se  montre  peu  favo- 
rable à  ce  dernier. 

Le  général  annonce  sa  marche  en  avant  sur  le  camp  de  Be- 
hanzin. Le  colonel  marchera  parallèlement  en  appuyant  sur  la 
gauche  pendant  qu'un  troisième  groupe  pénétrera  dans  la  même 
région  par  le  cours  du  haut  Mono. 

Le  général  signale  une  tranquillité  complète  sur  ses  derrières 
et  un  état  sanitaire  très  satisfaisant  de  la  colonne  et  des  postes; 
l'inondation  baisse  toujours. 


Dimanche  a  eu  lieu,  dans  toute  la  Suisse,  le  renouvellement 
triennal  du  Conseil  national;  les  nouvelles  élections  donnent  la 
majorité  aux  radicaux  qui  l'avaient  déjà  dans  l'ancien  Conseil. 

A  Fribourg,  M.  Python  et  son  candidat  socialiste  ont  été 
battus. 

M.  le  comte  Louis  de  Diesbach  est  élu  contre  M.  Python. 

Souhaitons  que  cette  leçon  soit  salutaire  pour  les  catholiques, 
qui  ne  sauraient  jamais  sans  danger  s'unir  aux  socialistes. 


On  va  voir  sous  peu  sortir  des  presses  révolutionnaires  un 
catéchisme,  œuvre  mesurée  et  violente,  synthèse  aussi  ramas- 
sée que  possible  de  toutes  les  doctrines  socialistes.  Ce  caté- 
chisme tiré  à  200,000  exemplaires  et  vendu  à  un  prix  de  pro- 
pagande, doit  être  répandu  à  profusion  dans  les  villes  et  surtout 
dans  les  campagnes  où  les  socialistes,  à  leur  grande  surprise, 
font  de  nombreuses  recrues. 

Le  catéchisme  socialiste  se  ressent  des  lettres  de  son  auteur, 
M.  Tabarant,  le  romancier  de  1*^4 wJe,  l'adaptateur  à  la  scène  du 
Théâtre-Libre  du  Père  Goriot.  M.  Tabarant  est  encore  un  jeune 
homme,  mais  depuis  longtemps  mêlé  au  mouvement  socialiste. 
Le  catéchisme  qu'il  a  élaboré  est  écrit  en  collaboration  avec 
tous  les  chefs  des  groupes  socialistes. 

Il  est  divisé  en  cinq  «  entretiens  »  comprenant  90  demandes 
et  réponses. 

Dans  le  premier  entretien,  il  s'agit  de  la  condition  du  peuple. 

—  Qui  es-tu? 

—  Je  suis  le  peuple. 


OHRONIQUK   1>Z   LA   SKMAINB  273 

—  Qu'est-ce  que  le  peuple? 

—  C'est  l'outil  producteur,  la  force-travail;  c'est  l'être  col- 
lectif auquel  est  imposé  le  devoir  de  peiner  douze  et  quinze 
heures  par  jour  pour  créer  tout  ce  qui  est  nécessaire  aux  jouis- 
sances d'une  poignée  d'oisifs;  le  devoir  de  tisser  la  toile  et 
d'aller  sans  vêtements;  de  faire  des  chaussures  et  de  marcher 
pieds  nus;  de  bâtir  des  palais  et  de  n'avoir  pas  d'abri;  d'ex- 
traire le  charbon  et  de  blêmir  de  froid  devant  un  fojer  sans 
feu;  de  construire  les  voies  ferrées  et  de  traîner  la  jambe  au 
long  des  grandes  routes,  où  se  tiennent  à  l'affût  le  gendarme 
et  l'employeur. 

Il  dépeint  ainsi  la  liberté  du  travail  : 

€  La  liberté  de  crever  de  faim,  si  je  refuse  de  subir  les  con- 
ditions patronales,  ou  de  crever  de  misère  si  je  les  accepte.  » 
Au  courant  du  questionnaire,  quelques  définitions  : 

—  Qu'est-ce  qu'un  économiste? 

—  C'est  un  bourgeois  imbécile,  mais  éminent. 

—  Qu'est-ce  qu'un  conservateur? 

—  C'est  un  vieux  monsieur  généralement  très  mal  conservé. 

—  Qu'est-ce  qu'un  opportuniste? 

—  C'est  un  monsieur  qui  fait  ses  affaires. 

—  Qu'est-ce  qu'un  radical? 

—  Le  mot  radical  est  une  simple  préfixe.  On  peut  être  radical- 
conservateur,  radical-opportuniste,  radical-socialiste,  —  ce  qui 
ne  veut  pas  dire  qu'on  soit  socialiste  radicalement. 

—  Que  sont  les  socialistes  chrétiens? 

—  Ce  sont  d'honnêtes  réactionnaires,  qui  consentent  à  recon- 
naître que  le  pain  de  l'âme,  pour  l'ouvrier,  serait  beaucoup 
plus  substantiel  avec  du  bifteck. 

L'idéal  des  réformes,  c'est  le  communisme. 

«  Le  communisme  est  l'état  social  oii,  toutes  les  forces  pro- 
ductrices étant  mises  en  commun,  l'essor  de  toutes  les  forces 
intellectuelles  et  morales  étant  assuré,  chacun  jouira  d'une 
répartition  des  richesses  conforme  à  la  libre  expression  de  ses 
besoins.  » 

Dans  la  future  société  communiste,  tout  citoyen  travaillerait 
dés  son  instruction  suffisante;  la  durée  du  travail  quotidien 
serait  courte.  Il  ne  travaillerait  pas  longtemps.  Après,  en  pleine 
maturité,  libéré  de  tout  devoir  à  l'égard  de  la  société,  qui  assu- 
rerait ses  besoins  dans  la  plus  large  expression,  il  n'aurait  plus 
qu'à  vivre  à  sa  guise,  «  savourant  son  individualité,  jouissant 

20 


274  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  toutes  les  richesses  sociales  qui  se  chargeraient  de  créer 
des  générations  plus  jeunes.  > 

Ainsi  soit-il!  Nous  autres,  nous  sommes  nés  trop  tôt  pour 
voir  ça. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
Fi*nnce 

p^Ris.  —  s.  M.  l'empereur  de  Russie,  en  apprenant  qu'un 
Te  Deum  avait  été  chanté  dimanche  dernier  dans  l'église  du 
Voeu  national  à  Montmartre,  a  immédiatement  chargé  M.  le 
baron  de  Mohrenheim  de  transmettre  au  cardinal  de  Paris  l'ex- 
pression de  sou  émotion  et  de  sa  reconnaissance, 

M.  le  baron  de  Mohrenhein  s'est  rendu  le  mercredi  25  octobre 
à  l'archevêché  pour  s'acquitter  de  sa  mission  ;  le  cardinal  a  pu 
lui  répondre  qu'en  prescrivant  des  prières  publiques  d'actions 
de  grâces  à  l'occasion  de  la  visite  de  l'escadre  russe,  il  avait 
été  heureux  de  répondre  aux  sentiments  de  la  population  en- 
tière, et  de  demander  à  Dieu  de  bénir  l'union  cordiale  de  deux 
grands  peuples,  dans  laquelle  tous  aiment  à  voir  un  gage  de 
paix  et  de  sécurité  pour  l'Europe. 

Voici  le  texte  du  télégramme  par  lequel  le  général  Bogdano- 
vitch  a  voulu  remercier  S.  Em.  le  cardinal  Richard  d'avoir 
ordonné  des  prières  à  l'occasion  de  l'échange  solennel  des  sen- 
timents d'amitié  entre  la  Russie  et  la  France  : 

Saint-Pétersbourg,  2  octobre. 
Eminence, 

Les  fêtes  par  lesquelles  la  France  célèbre  actuellement,  avec  une 
B\  grande  loyauté  et  sans  arrière-pensée,  la  visite  des  marins  russe», 
constituent  l'inébranlable  alliance  de  deux  grands  peuples,  leur  ga- 
rantissent tous  les  bienfaits  d'une  longue  paix  générale  ;  elles  ont 
provoqué  dans  tout  rirametse  empire  russe  les  plus  sympathiques 
échos. 

Maintenant  le  télégraphe  noua  a  informé  que  Votre  Eminence,  par 
un  mandement,  a  reconnu  dani  la  tincère  alliance  des  peuples  rusa» 
et  fonçais  la  bénédiction  céleste  couvrant  la  France,  animée  de  sen- 
timents hautement  religieux. 

Votre  Emiaenne  a  jugé,  du  haut  de  la  chaire  épiscopale  de  la  ca- 
pitale de  la  Franoe,  que  dans  ce  moment  de  rapprochement  si  solen- 
nel de  de«x  nations,  s'accomplissant  au  milieu  des  circonstance» 
historique»  actuelles,  la  seule  force  capable  de  la  cimenter  solide- 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  275 

ment  ne  peut  émaner  que  de  la  force  suprême  et  de  la  bénédictioa 
du  Dieu  tout-puissant. 

L'histoire  de  la  Russie  offre  de  nombreux  témoignages  de  la  parti- 
cipation de  la  Providenco  divine  dans  les  destinées  de  la  patrie,  tou- 
jours fidèle  à  Dieu  dans  notre  sainte  Russie,  où  chaque  œuvre  de  bien 
s'atcomplit  sous  les  auspices  de  la  prière  et  où  la  devise  du  peuple 
est  de  vivre  et  d'agir  «  pour  la  foi,  le  Czar  et  la  patrie  ». 

Los  prières  célébrées  aujourd'hui  en  France,  par  l'initiative  de 
Votre  Eminence,  produisent  déjà  et  produiront  indubitablement  jus- 
que dans  les  parages  les  plus  lointains  de  la  terre  russe  la  plus  pro- 
fonde impression,  fortifiant  la  foi  dans  l'impérissable  alliance  des 
deux  nations,  et  conaéquemment  la  foi  dans  une  solide  paix  et  dans 
un  bien-êlre  commun. 

Comme  ancien  marguillier  que  j'ai  longtemps  été  de  la  cathédrale 
d'Isaac,  comme  éditeur  de  brochures  populaires  gratuites,  conçues 
dans  un  esprit  moral  et  religieux,  distribuées  déjà  à  plusieurs  mil- 
lions d'exemplaires,  j'ose  adresser  à  Votre  Eminence  cette  respec- 
tueuse déclaration. 

Signé  :  Eugène  Bogdanovitch. 

Son  Eminence  a  répondu  : 

Général  Bogdanovitch,  40,  grande  Morskata,  Pétersbourg. 

Très  touché  des  sentiments  exprimés  par  M.  le  général  Bogdano- 
vitch, le  cardinal  archevêque  de  Paris  ne  cessera  pas  de  demander  à 
Dieu  de  bénir  l'amitié  qui  unit  les  cœurs  de  deux  grands  peuples, 
afin  que  les  nations  chrétiennes  y  trouvent  un  gage  de  paix  et  de 
sécurité. 

Cardinal  Richard. 

AitGER.  —  On  télégraphie  d'Alger,  le  31  octobre  : 

Hier,  sur  l'ordre  de  Mgr  Dusserre,  archevêque  d'Alger,  un  service 
funèbre  a  été  célébré  à  la  cathédrale  d'Alger  pour  le  repos  de  l'âme 
du  maréchal  de  Mac-Mahon. 

M.  Cambon,  le  général  Hervé  et  toutes  les  autorités  civiles  et  mili- 
taires assistaient  à  la  cérémonie  qui  a  été  très  imposante. 

Les  drapeaux  du  l»""  zouaves  et  du  5"  chasseurs,  cravatés  de  crêpe 
et  entourés  d'une  garde  d'honneur,  étaient  placés  à  droite  et  à  gau- 
che du  catafalque  monumental  élevé  au  milieu  de  la  cathédrale. 

La  musique  des  zouaves  a  joué  plusieurs  morceaux  funèbres. 

En  l'absence  de  Mgr  Dusserre  retenu  à  Paris  pour  les  affaires  de 
son  diocèse,  M.  Roffat,  son  vicaire  général,  officiait. 

Mgr  Livinhac,  supérieur  général  des  missionnaires  d'Afrique,  a 
donné  l'absoute  après  l'oraison  funèbre  prononcée  par  M.  le  vicaire 
général  Ribolet. 


276  ANNALES    CATHOLIQUES 

AucH.  —  Mgr  Gouzot,  archevêque  d'Auch,  a  écrit  à  son  clergé 
en  prescrivant  le  chant  d'un  Te  Deum  : 

Auch,  23  octobre  1893, 
en  la  fête  de  saint  Léothade. 
Mon  cher  curé, 

Il  y  a  cent  ans,  la  France,  en  guerre  avec  l'Europe,  l'effrayait  par 
les  idées  encore  plus  que  par  les  armes. 

En  ce  moment,  nous  célébrons  ce  centenaire  terrible,  au  milieu  des 
fàtes  de  la  paix  ! 

L'année  1793  révolutionna  l'Europe;  espérons  que  l'année  1893, 
grâce  à  l'alliance  franco-russe,  ouvrira  une  ère  de  pacification. 

Les  témoignages  éclatants  de  sympathie  que  se  donnent  les  deux 
illustres  nations,  sont  un  hommage  â  la  paix,  à  l'honneur,  à  la  civi- 
lisation, à  toutes  les  grandes  choses  qu'inspire  le  christianisme. 

Ces  manifestations  eathousiastes,  qui  sont  la  gloire  des  deux  peuples 
et  des  deux  gouvernements,  resteront  parmi  les  événements  les  plus 
considérables  de  notre  temps. 

Elles  sont  la  paix  extérieure  et  le  triomphe  du  progrès  sur  la  bar- 
barie, comme  les  enseignements  de  notre  immortel  Léon  XIII,  basés 
sur  ceux  de  Nôtre-Seigneur  lui-même,  sont  la  paix  intérieure  en 
France  et  son  glorieux  rayonnement  dans  le  monde. 

Le  Saint-Père,  en  ces  dernières  années,  n'a  fait  que  commenter 
ces  paroles  divines  :  «  Rendez  à  César  ce  qui  est  à  César  et  à  Dieu  ce 
qui  est  à  Dieu.  » 

a  Cherchez  avant  tout  le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice,  et  tous  les 
autres  biens  vous  arriveront  par  surcroît.  » 

En  nous  conformant  à  cette  politique  sacrée,  nous  aurons  la  seule 
union  possible  ici-bas,  l'union  dans  la  vérité  ;  et  nous  la  manifeste- 
rons par  la  pratique  de  la  justice  et  de  la  charité. 

Là,  et  là  uniquement,  est  le  salut  de  la  patrie. 

Ces  principes,  goûtés  partout,  doivent  l'être  surtout,  mon  cher  curé, 
par  vos  paroissiens,  dont  les  ancêtres,  depuis  quinze  siècle'!,  sous 
Jeanne  d'Arc  en  particulier,  ont  combattn  avec  un  courage  indomp- 
table, sur  tous  les  champs  de  bataille,  pour  l'indépendance  et  la  gloire 
de  la  France. 

Comment  vous  montrerez-vous,  en  ce  moment,  mes  bien-aimés 
diocésains,  dignes  de  vos  intrépides  aïeux  ?  En  priant,  en  adhérant  à 
toute  la  vérité,  en  la  pratiquant. 

Ce  sont  là  les  armes  de  notre  temps  pour  la  défense  de  la  patrie. 

Le  Te  Deum  est  l'hymne  de  la  prière,  de  la  reconnaissance  et  de  la 
gloire  nationales. 

Il  a  retenti  au  milieu  des  grands  événements,  et  son  harmonie,  qui 
a  fait  tressaillir  tous  les  rivages,  n'a  cessé  d'y  célébrer  la  religion 
bénissant  toutes  les  joies  et  toutes  les  espérances. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  277 

Que  d'émotions  religieuses  et  patriotiques  dans  [l'histoire  du  Te 
Deum  ! 

En  conformité  à  l'esprit  de  l'Eglise,  je  vous  prie,  mon  cher  curé, 
d'annoncer  que  dimanche  prochain,  vous  le  chanterez  aussi  solennel- 
lement que  possible,  en  la  fête  de  la  Toussaint,  à  l'issue  de  la  messe 
principale. 

Nous  intéresserons  ainsi  nos  bien-aimés  élus,  qui  jouissent  de  la 
paix  du  Ciel,  à  aider  l'alliance  franco- russe,  à  la  maintenir  sur  la 
terre. 

Nous  ferons  éclater  la  grandeur  des  fêtes  du  temps  en  les  unissant 
à  celles  de  l'éternité. 

Je  m'associerai  aux  supplications  de  vos  pieux  paroissiens,  en  offi- 
ciant pontificalement  à  la  primatiale  ;  toutes  les  cloches  du  diocèse, 
la  veille  et  le  matin,  à  V Angélus,  annonceront,  par  leurs  sons  les 
plus  joyeux,  cette  double  solennité  de  la  paix,  et  inviteront  les  fidèles 
à  prier  pour  les  deux  peuples  unis  et  pour  le  triomphe  des  enseigne- 
ments du  Saint-Siège  en  Russie  et  en  France. 

Veuillez  agréer,  mon  cher  curé,  avec  vos  excellents  paroissiens,  la 
meilleure  expression  de  mon  meilleur  dévouement  en  Notre-Seigneur. 

•|*  Louis,  Archevêque  d'Auch. 

Lyon.  —  UEcho  du  Velay  raconte  l'incident  suivant  des 
fêtes  de  Lyou  : 

On  ne  saura  jamais  comment  tant  de  milliers  d'êtres  humains  ont 
réussi  à  s'entasser  dans  l'étroit  espace  qui  sépare  l'Hôtel-de- Ville  du 
palais  Saint-Pierre. 

Tout  à  coup  des  cris  s'élèvent  de  cette  masse  populaire  :  «  L'amiral  ! 
L'amiral  au  balcon!  » 

Rien  n'est  féroce,  même  dans  l'enthousiasme,  comme  les  foules, 
surtout  comme  les  foules  lyonnaises,  lorsqu'elles  sont  surchauffées 
par  de  longues  heures  d'entrain  et  de  fête. 

11  fallut  que  l'amiral Avellan  quittât  un  instantla  salle  du  banquet 
pour  venir  s'offrir  aux  vivats  énergiques  des  spectateurs  de  la  place. 
Il  s'avance  sur  le  balcon  avec  sa  bonne  figure  épanouie,  toute 
rayonnante  de  l'immense  ovation  qu'il  savoure  depuis  plus  d'une 
semaine.  Les  cris  éclatent  de  toutes  parts  :  «  Vive  l'amiral  !  Vive  la 
Russie!  » 

Et  l'amiral  ému,  se  retournant  à  demi,  désigne  de  la  main  un  per- 
sonnage qui  le  suivaitet  qui,  jusque  là, était  demeuré  au  second  plan  : 
c'était  Mgr  Coullié,  archevêque  de  Lyon.  En  même  temps,  une  pro- 
jection électrique  inonde  les  deux  augustes  personnages  et  leur  met 
au  front  comme  l'auréole  de  l'amitié. 

Instantanément  la  foule,  mue  par  une  étincelle,  fait  retentir  la 
place  du  cri  mille  fois  répété  :  «  Vive  l'archevêque!  » 


278  ANNALBS    CATHOLIQUES 

Il  faudrait  l'âme  de  la  patrie  elle-même  pour  traduire  l'émotioii 
qui,  â  ce  moment,  étreignit  tous  les  cteurs.  La  Russie,  notre  sœur, 
saluant  d'un  geste  sympathique  ce  vieux  catholicisme  incarné  â  cette 
heure  dans  la  personne  du  nouveau  primat  des  Gaules,  est-il  rien  de 
plus  saisissant  et  de  plus  poétique  ? 

Le  jour  peut  venir  même  où  il  nous  sera  permis  de  saluer  dans  nos 
hôtes  du  Nord  des  frères  dans  la  foi  catholique. 

Pourquoi  ne  l'espérerions-nous  pas? 

Lorsque  ce  jour  heureux  aura  lui  sur  nos  deux  patries,  soyons 
sûrs  que  rien  ne  pourra  plus  rompre  les  liens  qui  les  unisseot. 

Acceptons-en  le  présage  dans  l'incident  de  l'Hôtel-de-Ville  de  Lyon  ! 

Mo:*TPELLiER.  —  Au  sujet  de  la  visite  des  marins  russes,  de 
la  mort  du  maréchal  dt>  Mac-Mahoa  et  de  celle  de  Gounod, 
Mgr  de  Cabrières  a  adressé  la  lettre  suivante  au  directeur  de 
y  Eclair,  de  Montpellier  : 

ÉvÊCHÉ  Montpellier,  20  octobre. 

DE 
MONTPELLIER 

Monsieur  le  directeur, 

Vous  prêtiez,  hier,  votre  publicité  aux  souhaits  empressés  de 
«  quelques  Montpelliéraines  »,  désireuses  de  témoigner  à  Dieu  leur 
reconnaissance,  en  présence  des  événements  extraordinaires  dont 
Toulon  et  Paris  sont,  en  ce  moment  le  théâtre.  Je  serais  demeuré 
sourd,  malgré  mon  patriotisme  et  ma  foi,  à  une  telle  demande,  si  le 
vénérable  cardinal  Richard,  archevêque  de  Paris,  juge  excellent  en 
fait  de  piété,  d'honneur  et  de  délicatesse,  n'avait  estimé  que  la  visite 
des  officiers  de  l'escadre  russe  à  l'un  de  nos  ports  principaux  et  à 
notre  capitale  avait  revêtu  un  caractère  si  grandiose,  si  solennel,  qu'il 
était  juste  d'en  exprimer  à  Dieu,  Notre-Seigneur,  nos  vives  et  reli- 
gieuses actions  de  grâces. 

Après  cet  éminent  pontife,  et  dans  les  mêmes  sentiments  que  lui, 
je  crois  devoir  inviter  MM.  les  curés  et  aumôniers  du  diocèse  à  faire 
chanter,  dimanche  22,  à  l'issue  de  la  grand'messe  ou  après  les  vêpres, 
un  Te  Deum,  pour  remercier  Dieu  d'avoir  ménagé  à  notre  peuple  le' 
sympathies  de  la  nation  russe  et  de  son  chef.  Pour  moi,  forcé  d'être 
à  Béziers,  ce  jour-là,  pour  une  ordination,  c'est  dans  la  cathédrale  de 
Saint-Nazaire  que  je  présiderai,  vers  onze  heures  du  matin,  cette 
cérémonie  de  gratitude  publique.  Je  serais  heureux  d'y  être  entouré 
par  beaucoup  de  filèles  ;  et  votre  journal  leur  portera  mon  invitation. 

Cette  même  journée  verra  la  France  entière  tournée  du  côté  de 
l'Hôiel  des  Invalides,  où  se  célébreront  les  funérailles  de  M.  le  maré- 
chal de  Mac-Mahon,  duc  de  Magenta. 


NOUVELLES    RBLIGIEUSE8  279 

Vous  avez  eu  raison,  monsieur  le  directeur,  de  signaler  les  motifs 
pour  lesquels  notre  département,  et  surtout  les  villes  de  Montpellier, 
de  Béziers  et  de  Castries,  s'associent  plus  intimement  et  plus  dou- 
loureusement au  deuil  de  la  patrie  entière.  Tous,  nous  étions  accou- 
tumés à  regarder  le  maréchal  comme  une  dos  personnalités  illustres 
qui  nous  appartenaient,  et  nous  croyions,  en  le  voyant,  retrouver  les 
traits  de  la  noble  et  ptire  physionomie  du  marquis  de  Montcalm, 
dont,  à  un  siècle  de  distance,  il  rappelait  ici  la  bravoure,  la  loyauté, 
le  dévouement  au  pays,  la  foi  simple  et  courageuse. 

Il  serait  donc  convenable  aussi  que  dans  celles  de  nos  villes  où  son 
Bom  et  celui  de  ses  parents  et  alliés  rappellent  tant  de  souvenirs,  on 
priât,  dimanche,  pendant  les  offices  du  matin  ou  du  soir,  pour  re- 
commander à  Dieu  l'âme  du  vaillant  soldat. 

Enfin,  Monsieur  le  Directeur,  notre  Société  de  Saint-Jean,  sous 
l'inspiration  de  son  zélé  président,  M.  le  comte  A.  d'Espous,  a  si 
souvent  fait  interpréter  ici,  grâce  à  l'intelligenle direction  de  M.  Borne, 
les  chefs-d'œuvre  de  Gounod,  et  en  particulier  ses  grands  oratorios 
de  Rédemption  et  de  Mors  et  Vita,  qu'il  me  paraîtrait  convenable  de 
rapprocher,  dans  nos  prières,  comme  elles  le  sont  par  la  mortet  dans 
la  gloire,  la  mémoire  de  l'émule  de  Bayard  et  celle  du  maestro  puissant, 
dontle  génie  était  siprofondémentimprégné  del'inspirationchrétienne. 
A  nos  yeux,  l'épée  vaut  mieux  que  la  lyre  ;  mais  la  lyre  a  aussi  son 
beau  rôle,  quand  elle  chante  la  grandeur  et  la  bonté  de  Dieu. 

Agréez,  Monsieur  le  Directeur,  l'assurance  de  mon  dévoué  et  cor- 
dial respect. 

-{•  Fr.-M.-A.  DE  Cabrières, 
évêque  de  Montpellier. 


Tarées.  —  Nous  sommes  particulièrement  heureux,  au  milieu 
de  toutes  ces  belles  fêtes  du  patriotisme  qui  consacrent  l'alliance 
de  la  France  et  de  la  Russie, de  noter  les  symptômes  favorables 
d'un  rapprochement  entre  la  grande  nation  amie  et  le  catholi- 
cisme romain. 

La  démarche  de  l'ambassadeur  de  Russie  venant  transmettre 
au  vénérable  archevêque  de  Paris  «  l'expression  de  l'émotion 
et  de  la  reconnaissance  »  de  Sa  Majesté  l'empereur  de  Russie 
pour  le  Te  Deum  d'actions  de  grâces  chanté  à  la  basilique  du 
Sacré-Cœur  de  Montmartre,  cette  démarche  hautement  signi- 
ficative aura  un  retentissement  profond  dans  l'Eglise  russe. 

Après  ce  grand  acte,  il  n'y  en  a  pas  de  plus  heureux  et  de 
plus  consolant  que  la  visite  de  S.  A.  le  grand-duc  Alexis, 
deuxième  frère  du  czar,  à  Lourdes. 


280  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  commandant  en  chef  de  la  flotte  russe  a  assisté  incognito 
à  toutes  les  manifestations  parisiennes. 

En  quittant  Paris,  le  grand-duc  s'est  rendu  à  Lourdes. 

Il  était  accompagné  de  la  grande-duchesse  de  Leuchtenberg, 
de  la  princesse  Kotschoubej,  du  prince  Eugène  de  Leuchten- 
berg et  du  général  Nilhoff,  aide  de  camp  de  Son  Altesse. 

L'auguste  personnage  a  visité  pieusement  la  basilique  et  la 
grotte  miraculeuse.  Sa  tenue  recueillie  a  édifié  la  foule  qui  le 
suivait.  Dans  une  seconde  visite,  les  princesses  ont  fait  toucher 
des  objets  de  piété  à  la  grotte. 

Le  grand-duc  Alexis  est  l'ami  de  la  France.  L'alliance  franco- 
russe  n'a  pas  de  patron  et  de  défenseur  plus  ardent,  plus 
dévoué  que  lui. 

Son  pieux  pèlerinage  à  Lourdes  est  une  nouvelle  affirmation 
du  pacte  qui  unit  désormais  les  deux  peuples.  Puisse-t-il  être 
aussi  un  gage  de  la  réunion  des  deux  Églises  d'Orient  et  d'Oc- 
cident! {V&ii^) 

M.  l'amiral  Avellan  a  envoyé  aussi  une  invitation  spéciale  au 
R.  P.  Charmetant,  pour  le  prier  de  prendre  part,  comme  direc- 
teur général  de  l'Œuvre  des  Ecoles  françaises  d'Orient,  au 
banquet  qui  a  eu  lieu  à  bord  du  Pamyat  Azova. 

Cette  invitation  est  bien  significative  aussi.  C'est  une  leçon 
discrète  aux  organisateurs  qui  avaient  écarté  systématiquement 
le  clergé  des  fêtes  franco-russes  de  Paris. 


UNE  CONQUETE 

Après  avoir  trop  longtemps  subi  le  joug  des  sectes,  la  France  com- 
mence à  se  ressaisir.  C'est  ainsi  que  les  Catholiques,  par  le  Diction- 
naire des  Dictionnaires,  ont  enfin  repris  le  domaine  encyclopédique 
usurpé  depuis  plus  d'un  siècle  par  la  Franc-Maçonnerie  et  la  Libre 
Pensée,  et  y  ont  planté  la  croix.  Il  importe  d'affermir  et  d'étendre 
cette  précieuse  conquête.  Quiconque  a  souci  de  l'intérêt  familial, 
social,  religieux,  conservateur,  voudra  participer  à  cette  croisade, 
qui  a  pour  cri  :  Foi  et  Science,  Dieu  et  Patrie.  D'ailleurs,  il  s'agit 
d'une  œuvre  aujourd'hui  indispensable,  d'une  utilité  quotidienne  ;  et 
l'on  peut  encore  en  souscrivant  de  suite,  se  la  procurer  dans  des 
conditions  exceptionnelles.  On  trouvera  plus  loin  ces  conditions  avec 
le  bulletin  de  souscription. 

Le  gérant  :  P.  (Jhantrbl. 

Paris   —  Imp.  O.  Picqaoin,  63,  rae  de  LUle. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LES  FABRIQUES 
d'après   les  notes    dk  jurisprudence  dcj   conseil   d'état  (!)■ 

I.  Organisation  et  fonctionnement. 

A  été  approuvée  une  ordonnance  épiscopale  ayant  pour  but 
de  régler  l'organisation  d'une  fabrique  cathédrale  sur  les  bases 
suivantes  :  la  nomination  de  raenabres  laïcs  et  ecclésiastiques 
du  conseil  de  fabrique  et  du  bureau  des  raarguillers  était  laissée 
au  choix  de  révêqne;  mais  les  prescriptions  du  décret  du 
30  décembre  1809  étaient  déclarées  applicables  aux  séances,  à 
la  comptabilité,  à  la  tenue  des  livres,  à  la  lègle  des  biens 
meubles  et  immeubles,  etc.  (Projet  de  décret,  6  août  1879. 
Approbation  de  l'ordonnan'-e  é()iscopale  portant  règlement  de  la 
fabrique  de  l'église  cathédrale  de  Tulle.) 

Les  fabriques  d'une  même  ville  peuvent  se  faire  représenter 
par  un  conseil  d'administration  destiné  à  exercer  les  droits  qui 
leur  sont  conférés  par  les  lois,  décrets  et  ré.'lements  relative- 
ment aux  pompes  funèbres  du  culte  catholique.  Il  a  été  décidé 
que  le  partage  des  bénéfices  aurait  lieu  par  portions  égales  entre 
toutes  les  paroisses  de  la  ville.  (Projet  de  décret  et  note  (As- 
semblée générale),  10  février  1881.  Création  d'un  conseil  d'ad- 
ministration représentant  his  fabriques  des  églises  de  Bordeaux, 
pour  le  service  des  pompes  fnnèbres.) 

A  été  accepté  un  projet  de  décret  modifiant  la  répartition 
entre  les  divers  fabriques  et  consistoires  de  Paris  des  bénéfices 
de  l'exploitation  des  pompes  funèbres.  (Projet  de  décret  (Assem- 
blée générale),  11  juin  1891.  Fixation  de  la  répartition  entre 
les  divers  fabriques  et  consistoires  de  Paris  des  bénéfices  de 
l'exploitation  des  pompes  funèbres.) 

II.  Acquisitions  à  titre  onéreux. 

A. —  Acquisitions  amiables. 

Les  acquisitions  payables  au  moyen  d'annuités  à  Ions?  terme 

(1)  Cet  articl»  fait  suite  à  celui  que  nous  avons  publié  il  y  a  huit 
jouis  sur  1p*  Menses  épi-iro  lales  et  curinles.  —  Comme  lui  il  est 
9xt"ait  rie  Vu  Revue  administrative  du  Culte  catholiin<e  (Lille,  un  an, 
12  francs.) 

LxxxTi  —  11  Novembre  1893.  21 


282  ANNALES   CATHOLIQUES 

sontponmises  aux  mêmes  rèfrles  d'autorisation  que  les  emprunta. 
(Avis,  25  juillet  1885,  fabrit|ueet  ville  deLorient.) 

Lorsqu'une  fabrique  sollicite  rautorisation  d'acquérir  un  im- 
meub'e  destiné  à  être  ajouté  aux  dépendances  d'un  presb^'tère 
ou  d'une  égUse,  propriétés  communales,  il  y  a  lieu  d'engager 
la  tabi'i(jue  et  la  commune  à  régler  à  l'avance  la  question  de  pro- 
prieié  du  nouvel  immeuble,  afin  d'éviter  les  difficultés  pouvant 
résulter  de  la  copropriété  entre  ces  deux  établissements.  (Note, 
23  mars  1881.  Acquisition  de  la  fabrique  de  Caux.) 

En  pareil  cas,  la  fabrique  a  été  invitée  à  prendre  l'engage- 
ment de  céder  à  la  comn.une  la  propriété  de  l'immeuble  à 
acquérir.  (Note,  31  août  1881.  Acquisition  par  la  fabrique  de 
Lantiec.) 

Mais,  avant  de  prendre  cet  engagement,  la  fabrique  doit 
s'assurer  si  les  pouscripteurs  qui  se  sont  engagés  vis-à-vis  d'elle 
acceptent  cette  substitution.  (Note,  li  février  1890.  Acquisition 
par  la  fabrique  de  Miélan.) 

Il  y  a  lieu  enfin  de  prendre  acte  de  la  déclaration  faite  par  la 
fabiique  en  insérant  dans  le  projet  de  décret  une  disposition 
ainsi  conçue: 

Conformément  à  la  délibération  du  conseil  municipal  de 

en  date  du  et  à  celle  du  conseil 

de  fabrique  de  en  date  du  Vimmeuble 

préiHé   sera   considf^r^  comme  une  dépendance   de  l'Eglise 

paroissiale  et  du  presbytère. 

(Note,  21    mai  1890.  Acquisition  de   la   fabrique  de  Miélan.) 

].ors<|u'il  s'agit  d'une  ai;ijuisition  de  presbytère  opérée  con- 
jointement par  la  fabi  ique  et  la  commune  et  que  celle-ci  n'j 
contribue  (|ue  pour  une  somme  relativ«ment  peu  importante,  il 
y  a  lieu  de  lui  demander  si  elle  n'est  pas  dis[)Osée  à  renoncer  à 
tout  droit  de  propriété  sur  l'immeuble  à  acquérir.  (Note  25  mai 
1880.  Ac<|>ii8ition  d'an  presbytère  à  Mariol.) 

Une  fabrique  ne  peut  être  autorisée  à  acquérir  un  immeuble 
en  vue  d'une  opération  de  voirie  destinée  à  dégager  les  abords 
de  l'église.  (Note,  22  février  1888.  A<'quisition  par  la  fibrique 
de  Faiiis.  —  Note,  2  aoiii  1890.  Acijuisition  par  la  ftibrique  de 
la  Sauvetat-sur-Lèdf e  ) 

L'ue  iVibiique  ne  peut  être  autorisée  à  acquérir  un  immeuble, 
si  l'opération  n'est  pas  justifiée  par  les  besoins  de  service'^  aux- 
quels la  fabrique  doit  pourvoir  et  si  elle  a  pour  unique  résultat 


LES  FABRIQUES  283 

l'extension  de  la  mainmorte  immobilière.  (Avis, 6  décombro  1881. 
Ac<njisif.ion  par  la  fabrique  de  Crossac  —  Ni>te,  14  mai  1889. 
Acquisition  par  la  fabri(iue  de  Saint-Ouen-Marcliefroy.) 

B.  — Fondations. 

Les  actes  so'is  seings  privés  portant  fondation  de  services 
religieux  peuvent  être  soumis  à  l'approbation  du  Conseil  d'État 
avant  l'accomplissement  de  la  formalité  de  l'enregistrement. 
(Note,  24  janvier  1883.  Fondation  Jouliannaud.) 

Les  conventions  ayant  pour  objet  la  fondation  de  services 
religieux  doivent  être  passées  avec  les  trésoriers  des  fabii(|ue8 
et  non  avec  les  desservants  des  succursales.  (Note,  25  mai  1880. 
Fondation  Anfray.) 

Exceptionnellement  elles  peuvent  être  signées  par  le  prési- 
dent, au  nom  du  conseil  de  fabrique,  lorsque  des  pouvoir."»  spé- 
ciaux lui  ont  été  conférés,  à  cet  eftet,  par  ce  conseil.  (Projet  de 
décret,  14  mars  1882.  Convention  Trouard.  —  Note,  1"  août  1890. 
Fondation  Collot.) 

L'original  de  l'acte  sous  seings  privés  portant  fondation  de 
serviiies  religieux  doit  êtie  joint  au  dossier.  (Note,  19  octo- 
bre 1881,  fabrique  de  Saint-Maurice.  Fondation  Mollard.) 

Il  y  a  lieu  de  mentionner  dans  les  décrets  autorisant  la  foo- 
dation  de  services  religieux  la  clause  de  la  convention  qui  coq- 
tieiit  l'indication  du  lieu  de  culte  oii  les  services  religieux 
doivent  être  célébrés.  (Note,  9  juin   1886.  Fondation  Bertrand.) 

Il  y  a  lieu  de  réclamer  la  piolnctiori  du  tarif  diocésain  ainsi 
qu'un  extrait  du  sommier  des  fondations  dans  toutes  les  affaires 
qui  ont  trait  à  des  fondati  >ns  religieuses.  (Noie,2décembre  1885. 
Legs  Rondel.  —  Note,  9  novembre  1881.  Legs  Édelin.) 

Lorsque  le  sommier  des  fondations  de  la  paroisse  est  déjà  très 
chai'gé,  il  y  a  lieu  de  s'assurei'  si  rien  dans  la  convention  ne 
s'oppose  à  cà  que  les  messes  fondées  soient  dans  une  autre 
église.  (Note,  26  janvier  1881.  Fondation  Cau«hard.  —  Projet 
de  décret  et  note,  19  février  1890.  Fondation  de  Landrevoisin.) 

C.  —  Expropriation  pour  cause  d'utilité  publique. 

Les  établissements  publics  (hos|iices,  bureaux  de  bienfai- 
sanoe,  fabricjues),  n'ayant  pas  qualité  |)Otir  user  des  formalités 
de  l'expropriation  pour  cause  d'utilité  publique,  doivent,  lors- 
qu'ils veulent  acquérir  par  cette  voie,  emprunter  l'intermédiaire 
de  la  commune. 


284  A.NNALB8     CATHOLIQUES 

Le  projet  de  décret  doit  alors  être  rédigé  de  la  manière  sui- 
vante : 

Le  maire  de  au  nom  de  la  commu/ne  pour  le 

compte  de  {tel  établissement)  est  autorise  à 

Les  frais  d* acquisition  et  le  prix  des  travaux  seront  payés 
par  Rétablissement. 

III.  Acquisitions  à  titre  gratuit. 

A.  —  Services  religieux. 

Les  conventions  pour  des  services  religieux  passées  avec  les 
fabriques  par  actes  sous  seings  privés  ne  peuvent  être  assimilés 
à  des  contrats  à  titre  onéreux  et  par  suite  dispensées  des  forma- 
lités prescrites  pour  les  actes  de  donation  entre  vifs,  que  lorsque 
ces  conventions  ont  uniquement  pour  objet  une  fondation  de 
services  religieux  dont  le  prix  d'après  le  tarif  des  oblations 
représente  une  somme  à  peu  près  équivalente  aux  revenus  dont 
disposera  la  fabrique.  En  conséquence,  une  convention  portant 
que  les  revenus  des  sommes  et  rentes  remises  à  une  fabrique 
seront  employés  eu  partie  à  des  services  religieux  et  pour  le 
surplus  à  l'entretien  des  ornements  sacrés,  ou  à  faire  donner 
des  statious  de  l'avent  ou  du  carême,  constitue  une  véritable 
libéralité  qui  doit  être  faite  dans  les  formes  prescrites  par 
l'article  931  du  Code  civil.  (Note,  ôaoïit  1889.  Fondation  Mane- 
goit,  fabrique  d'Albert.  —  Note,  8  avril  189L  Fondation  Villa- 
ret-Jojeuse.) 

Lorsqu'il  est  établi  par  l'instruction  que  la  convention  passée 
en  vue  d'assurer  la  fondation  de  services  religieux  ne  doit  im- 
poser à  la  fabrique,  eu  égard  aux  dispositions  du  tarif  diocésain, 
qu'une  dépense  de  beaucoup  inférieure  au  revenu  des  sommes 
attribuées  à  cet  établi.^seraent,  et  qu'elle  constitue  par  suite, 
non  un  contrat  à  titre  onéreux,  mnis  bien  une  véritable  dona- 
lion  grevée  de  charges,  il  y  a  lieu  d'inviter  les  intéressés  à 
recourir  aux  formes  prescrites  i-ar  l'article  931  du  Code  civil. 
(Note,  8  avril  1891.  Legs  Tixier.) 

Le  budget  des  fabiicjues  vérifié  et  certifié  conforme  par  le  pré- 
fet peut  suppléer  à  l'état  de  l'actif  et  du  passif,  mais  à  la  condi- 
tion que  ce  budget  renferme  les  indications  très  précises  sur  la 
provenance  et  la  valeur-  des  biens  non  productifs  de  revenus  ou 
qu'il  soit  accompagné  d'une  attestation  certifiée  conforme  par 
l'autorité  préfectorale  et  établissant  que  la  fabrique  ne  possède 


LES    FABRIQUES  285 

pas  de  biens  affectés  à  un  autre  service  que  celui  du  culte.  (Note, 
5  décembre  1882.  Legs  Pihert.  —  Note,  9  janvier  1884.  Legs 
Chavériat.) 

L'autorisation  donnée  aux  fabriques  de  recevoir  des  libéra- 
lités à  charge  de  services  religieux  ne  fait  pas  obstacle  à  l'exer- 
cice du  droit  réservé  à  l'autorité  épiscopale  de  réduire  le  nombre 
de  ces  services  lorsqu'il  est  en  disproportion  avec  l'importance 
de  la  somme  donnée  ou  léguée.  (Projet  de  décret  et  avis,  2  aotit 
1882.  Legs  Mourot.) 

Le  nombre  des  messes  ou  services  à  célébrer  ne  doit  pas  être 
fixé  arbitrairement  par  l'évêque  et  doit  être  déterminé  en  pre- 
nant uniquement  pour  base,  d'une  part,  les  arrérages  de  1& 
somme  léguée,  et,  d'autre  part,  le  taux  des  honoraires  portés 
au  tarif  diocésain  pour  la  rémunération  des  messes  de  fondation, 
(Note,  15  juin  1880.  Legs  Md-iier.  —  Note,  6  avril  1881.  Legs 
Jarnole.  —  Note,  19 juillet  1881.  Lejjs  Delatour.  —  Avis,  16  no- 
vembre 1881.  Legs  Depierre.  —  Note,  20  avril  1882.  Legs 
Arnaud.) 

11  y  a  lieu,  dans  toutes  les  affaires  relatives  à  des  fondations 
de  services  religieux,  de  réclamer  outre  la  décision  de  l'évêque 
fixant  le  nombre  des  services  religieux  calculé  eu  égard  à  la 
somme  léguée  et  aux  dispositions  du  tarif  diocésain,  une  expé- 
dition du  tarif  des  oblations  ainsi  qu'un  extrait  du  sommier  des 
fondations  permettant  de  connaître  le  nombre  exact  des  messes 
qui  doivent  être  célébrées  dans  l'église  (Note,  9  novembre  1881. 
Legs  Edelin. —  Note,  29  décembre  1885.  Legs  Rondel.) 

Il  n'y  a  pas  Leu,  en  principe,  de  prononcer  la  réduction  des 
libéralités  destinées  à  assurer  la  célébration  des  services  reli- 
gieux. (Jurisprudence  constante  :  Projet  de  décret  et  note,  29  dé- 
cembre 1891.  Legs  Dujrué.) 

S'il  convient  de  tenir  compte,  autant  que  possible,  des  vo- 
lontés du  testateur,  en  lui  assurant  les  services  religieux  qu'il 
a  demandés,  le  Gouvei-nement  ne  saurait  autoriser  une  fabrique 
à  accepter  une  fondation  d'une  importance  telle  qu'il  lui  serait 
impossible  de  faire  célébrer  le  nombre  de  services  correspondant 
à  la  fondation  ou  même  que  toute  nouvelle  fondation  de  messes 
dans  l'église  deviendrait  inexécutable  pour  l'avenir.  (Projet  de 
décret  et  note  (Assemblée  générale),  27  février  1890.  Legs  BeF- 
tiii,  100.000  francs  à  charge  de  messes.  —  Projet  de  décret 
(Assemblée  générale),  24  juillet  18y0.  Legs  Amouroux.) 

Les  fabriques  ne  sauraient  étr^  autorisées  à  répudier  des  legs 


286  annai.es  catholiques 

faits  à  charge  de  services  religieux  sous  le  prétexte  que  ces  legs 
ne  leur  procureraient  pas  un  bénéfice  suffisant.  Les  legs  de  cette 
nature  constituent  moins,  en  effet,  des  libéralités  en  faveur  de  la 
fabrique  que  la  rémunération  de  prières  que  le  testateur  a 
entendu  s'assurer.  (Projet  de  décret  et  note,  19  mai  1886.  Legs 
Messier.  — En  sens  contraire:  Projet  de  décret  et  note,  20  fé- 
vrier 1889.  Legs  Mingot.) 

Le  Gouvernement  peut  autoriser  d'office  une  fabrique  à 
accepter  un  legs  fait  A  charge  de  services  religieux,  bien  que  le 
conseil  de  fabri(|ue  ait  déclaré  refuser  ledit  legs  par  le  motif 
qu'il  ne  lui  laisserait  pas  un  bénéfice  suffisant.  Les  fondations 
de  services  religieux  ne  peuvent  jamais  être  onéreuses  pour  les 
fabriques,  puisque  le  décret  du  30  décnrabre  1809,  prévoyant  le 
cas  où  les  charges  imposées  excéderaient  le  chiffre  des  sommes 
données  ou  léguées,  permet  aux  évêques  de  réduire  le  nombre 
de  services  à  célébrer,  en  se  conformant  aux  tarifs  régulière- 
ment approuvés.  (Projet  de  décret  et  avis,  12  mars  lb84.  Legs 
Gazel.  —  Avis,  20  décembre  1882.  Legs  Laurin.) 

La  formule  qu'il  convient  d'adopter  dans  les  décrets  imposant 
aux  fabriques  l'acceptation  d'<»ffi.e  est  la  suivante; 

N'est  pas  approuvée  la  délibération  du  conseil  de  fabrique 
portant  refus  d'accepter. 

En  conséquence,  le  trésorier  de  la  fabrique  est  autorisa  à 
accepter,  aux  clauses  et  conditions  énoncées.  (Projet  de  décret 
et  note,  12  mai  1885.  Legs  Ménétré.  — Projet  de  décret  et  note, 
21  décembre  1887.  Legs  Garippuv.  —  Note,  10  janvier  1889. 
Lef.'s  D'spujols.  —  Projet  de  décret  et  avis,  19  féviier  1890. 
Legs  Gallot.) 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser  une  fabrique  à  accepter  une  libé- 
ralité faite  à  con^lition  (jue  «  le  revenu  en  sera  appliqué  à  donner 
dans  la  paroisse  des  exercices  religieux  et  périodiques  appelés 
misisions»,  les  missions  à  l'intérieur  étant  prohibées  par  ledécret 
du  2<>  septembre  1809.  (Projet  de  décret  et  note,  3  aoiît  1880. 
Legs  Pinget.) 

Une  fabrique  ne  saurait  être  autorisée  à  recueillir  une  libé- 
ralité dont  les  revenus  c  devront  être  employés  à  faire  donner 
dans  la  paroisse  tous  les  cinq,  huit  ou  dix  ans,  des  prédi<-ations 
extraordinaires  ».  Ces  prédications  ont,  en  effet,  le  caractère  de 
missions,  interdites  par  le  décret  du  26  septembre  1809.  (Projet 
de  décret  et  note,  19  novembre  lf<84.  Legs  d'Imbert.  —  Projet 
de  décret  et  avis,  14  janvier  1885.  Legs  Loustalot.) 


LES    FABRIQUES  287 

L'article  50  de  la  loi  du  18  germinal  an  X  ayant  préva  la  pu- 
blication dans  1h9  paroisses  de  sermons  connus  sous  le  nom  de 
gtations  d'aventet  de  carême,  et  implicitement  autoiisé  ces  sta- 
tions sous  la  seule  réserve  qu*elle8  soient  prêchées  par  des 
prêtres  aofréés  par  l'autorité  diocésaine,  rien  ne  s'oppose  à  ce 
qu'une  fabrique  soit  autorisée  à  accepter  une  libéralité  destinée 
à  assurer  de  semblables  pré^lications.  Toutefois,  il  est  nécessaire 
de  spécifier  dans  le  décret  d'autorisation,  que  les  prêtres  agréés 
par  l'autorité  diocésaine  pour  faire  les  prédications  d'avent  et 
de  carême  ne  pourront  être  que  des  membres  du  clergé  parois- 
sial. (Projet  de  décr<-t  et  note,  3  septembre  1890.  Legs  Bard.) 

L'engHgement  [)ris  |)ar  le  conseil  de  fabrique  de  se  conformer 
à  la  loi  et  de  consacrer  entièrement  un  legs  destiné  à  une  pré- 
dication extraordinaire,  à  une  prédication  de  l'avent  ou  du  ca- 
rême par  des  prêtres  séculiers,  peut  justifier  l'acceptation  du 
legs.  (Projet  de  décret  et  note,  6  mars  1889.  Legs  Laclavère.) 

11  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser  une  fabrique  à  placer  le  produit 
d'un  legs  à  la  caisse  d'épargne;  la  règle,  d'après  laquelle  les 
Taleiirs  léguées  aux  établissements  publics  doivent  être  placées 
ou  transformées  en  rentes  3  p.  100  sur  l'État,  doit  s'appliquer 
avec  d'autant  plus  de  rigueur  aux  fabriques  que  ce  mode 
d'emploi  est  prescrit  par  l'article  63  du  décret  du  30  no- 
vembre 1809.  (Projet  de  décret  et  note,  22  janvier  1890.  Legs 
Dubail.) 

B.  —  Pauvres. 

Par  application  du  principe  de  la  spécialité,  les  fabriques  ne 
sont  pas  autorisées  à  recevoir  des  legs  dans  l'intéiêt  des  pauvres. 
(Avis  (Assemblée  générale),  13  juillet  1881.  Legs  Lauzero). 

En  conséquence  il  y  a  lieu  lie  refuser  à  la  fabrique  l'autori- 
sation d'accepter  un  legs  à  charge  d'en  employer  le  revenu  : 

a)  A  des  distributions  de  vêtements  aux  pauvres. 

b)  A  la  fondation  de  prix  pour  les  familles  les  plus  méritantes 
de  la  paroisse.  (Avis  (Assemblée  générale),  3  aotit  1881.  Legs 
Bottin.) 

c)  A  des  distributions  de  pain  aux  pauvres  de  la  commune. 
(Projet  de  décret  et  note,  9  janvier  1883.  Legs  Mercier.  — 
Projet  de  décret,  27  octobre  1886.  Legs  Blanc.  —  Avis, 
23  avril  1884.  Legs  Yvelin.  —  Projet  de  décret  et  noie, 
21  juin  1890.  Legs  Rollin.) 

Toutefois,  la  distribution  de  pain  prescrite  par  un  testateur, 


288  ANNALES   CATHOLIQUES 

lorsqu'elle  doit  avoir  lieu  à  l'issue  d'un  service  religieux,  peut 
être  considérée  comme  raccessoire  de  ce  service  et  comme  la 
charge  d'une  disposition  licite.  En  conséquence,  la  fabrique 
peut  être  autorisée  à  accept-jr  un  legs  fait  sous  cette  charge. 
(Piojet  de  décret  et  note  (Assemblée  générale),  24  mars  1881. 
Legs  Ménard.  —  Projet  de  décret,  4  avril  1882.  Legs  Slélandre.) 

Lorsqu'une  libéralité  est  faite  à  une  fabrique  à  la  fois  pour  le 
soulagement  des  pauvres  et  pour  la  célébration  de  services 
religieux,  l'incapacité  de  cet  établissement  de  recueillir  pour 
les  pauvres  ne  saurait  faire  obstacle  à  sou  droit  de  recevoir 
poui-  la  célébration  des  service.-s  religieux.  Les  charges  du  legs, 
quoique  figurant  dans  une  seule  et  même  disposition  testamen- 
taire, n'en  restent  pas  moins  distinctes,  et  si  la  fabrique  ne  peut 
remplir  l'une  d'elles,  rien  ne  s'oppose  à  ce  qu'elle  soit  mise  en 
état  d'accomplir  celle  qui  rentre  dans  ses  attributions.  Il  con- 
vient en  pareil  cas  de  limiter  l'autorisation  d'accepter,  accordée 
à  la  fabrique,  à  la  somme  nécessaire  à  l'acquittement  des  charges 
qui  lui  sont  spécialement  imposées,  et  d'autoriser  le  bureau  de 
bienfaisance  à  accefiter  le  surplus  du  legs.  (A  vis,  25  janvier  1882... 
Legs  Loisel.  —  Projet  de  décret  et  note,  15  février  1890.  Legs 
Aubrj.) 

Au  cas  où  la  rente  acquise  par  la  fabrique  deviendrait  insuf- 
fisante pour  assurer  l'acquit  des  messes,  le  bureau  de  bienfai- 
sance serait  tenu  de  paifaire  la  difiérence,  mais  seulement  jus- 
qu'à concurrence  des  revenus  de  la  somme  lui  revenant.  En 
conséquence,  le  projet  de  décret  doit  contenir  une  disposition 
en  ce  sens.  (Projet  de  décret  et  note,  14  mai  1890.  Legs  Gérarl.) 

[A  suivre.) 


DE  LA  CONSCIENCE  TEMERAIRE 

I.  Des  règles  de  la  conscience  téméraire.  —  II.  Prouver  qu'on  ne 
peut  jamais  suivre  sans  pécher  une  telle  conscience.  —  III.  Dire 
quel  péché  commet  celui  qui  écoute  le  dictamen  d'une  conscience 
téméraire.  —  IV.  Dire  encore  si  le  confesseur  d'un  tel  pénitent  est 
obligé  de  l'avertir  pour  dissiper  son  erreur? 

La  conscience  téméraire  ou  conscience  plus  ou  moins  pro- 
bable,  plus  ou    moins  douteitse,  plus  ou  moins  perplexe,  est 


I 


DE  LA  CONSCIENCE  TÉMÉRAIRE  289 

celle  qui  juge  dans  les  choses  morales  sur  des  probabilités 
sur  une  opinion  peu  probable.  Une  opinion  est  probable  quand 
elle  repose  sur  des  raisons  non  pas  absolument  certaines,  raais 
assez  fortes  pour  pro'luire  l'assentinaent  d'un  homme  sérieux 
et  raisonnable.  <  Opinari,  seu  probabile,  dit  saint  Thomas, 
est  rem  veram  judicaro  non  rationibus  ceriis,  sed  prohabili- 
bus  cum  formidine  partis  confrariae.  »  La  probabilité  consiste 
à  croire  qu'une  chose  est  vraie,  non  pas  sur  des  raisons  dé- 
cisives, mais  sur  des  raisons  suffisantes,  qui  laissent  cepen- 
dant toujours  subsister  la  crainte  que  le  contraire  ne  soit 
vrai.  Ainsi,  le  caractère  de  la  probabilité  est  de  nous  don- 
ner quelque  assurance,  mais  sans  exclure  jamais  la  crainte  du 
contraire,  tandis  que  la  certitude  exclut  tout  doute,  toute 
crainte,  quelquefois  même,  comme  dans  la  certitude  métaphy- 
sique, la  possibilité  du  contraire.  La  probabilité  se  compose 
donc  de  plusieurs  raisons  et  elle  admet  des  degrés;  car  plus 
vous  aurez  de  raisons  pour  motiver  votre  assentiment  ou  le 
former,  plus  votre  0[»inion  sera  probable.  Il  y  a  donc  des  opi- 
nions simplement  probables,  plus  probables,  très  probables.  On 
comprend  que  ces  degrés  soient  élastiques  et  mobiles.  D'abord, 
dans  l'opinion  simplement  probable,  combien  faut-il  de  raisons 
pour  faire  une  probabilité?  C'est  ce  qu'il  n'est  pas  facile  de  dé- 
terminer. Ou  peut  renouveler  ici  le  sophisme  antique  :  Com- 
bien faut-il  de  crins  pour  former  la  queue  d'un  cheval?  Trente, 
soit;  si  j'en  ôte  un,  sera-ce  encore  une  queue?  Oui;  si  j'en  ôte 
deux,  trois,  et  ainsi  de  suite  jusqu'au  dernier,  à  quel  nombre 
cessera-t-elle  d'être  une  queue?  Ainsi  des  raisons  qui  consti- 
tuent une  probabilité,  il  est  difficile,  dans  cette  accumulation 
de  preuves  qui  doivent  la  composer,  de  dire  justement  ce  qu'il 
en  faut.  Mais  enfin,  dit-on,  il  en  faut  assez  pour  obtenir  l'assen- 
timent d'un  homme  prudent?  Il  n'est  guère  facile  de  le  définir. 
Il  y  a  donc  déjà  ici  du  vague.  En  outre,  la  probabilité  est  quelque 
chose  de  subjectif  et  par  conséquent  de  relatif.  Les  raisons  qui 
me  semblent  probables  ne  le  seront  pas  pour  un  autre,  en  sorte 
que  dans  la  discussion  des  probabilités  il  sera  toujours  malaisé 
de  s'entendre. 

On  distingue  deux  espèces  de  probabilités,  l'une  intrinsèque, 
l'autre  extrinsèque.  La  première  est  formée  par  les  motifs,  par 
les  raisons  de  croire  qui  naissent  de  la  question,  du  sujet  même  * 
la  seconde, par  le  poids  des  autorités,  ce  qui  est  aussi  une  raison 
de  croire.  Un  auteur  éclairé  a  pensé  ainsi  et  plusieurs  autres  ont 


290  ANNALES  CATHOLIQUKS 

partagé  son  opinion;  donc,  cette  opinion  mérite  considération, 
car  ces  hommes  étaient  savants,  ils  ont  sans  aucun  doute  étudié 
à  fond  la  question.  Leur  autorité  est  donc  une  présomption  en 
faveur  de  cette  opinion.  Cette  source  extrinsèque  de  probabilité 
est  admise,  en  effet,  en  philosophie,  en  histoire,  comme  en  lé- 
gislation. Elle  forme  dans  les  lois  ce  qu'on  appelle  les  antécé- 
dents, et  en  quelque  matière  que  ce  soit  les  autorités  sont  tou» 
jours  respectables. 

Cependant,  il  j  a  encore  un  autre  élément  dont  il  faut  tenir 
compte  :  car  il  s'agit  de  probabilité  morale,  c'est-à-dire  de  ce 
qu'il  faut  faire  ou  ne  pas  faire,  ce  n'est  point  une  spéculation 
oii  la  conscience  ne  soit  pas  engagée  comme  en  physique,  en 
chimie  et  dans  les  sciences  naturelles.  Dans  ces  matières,  si 
l'on  se  trompe  en  avançant  à  tort  que  telle  opinion  est  probable 
00  plus  probable,  Terreur  n'est  pas  de  grande  conséquence. 
Mais  dans  les  opinions  morales  la  conscience  et  le  salut  sont 
directement  intéressés.  Donc,  en  dehors  de  la  probabilité  d'une 
opinion,  il  faut  encore  en  examiner  et  en  peser  la  sûreté,  si  ell* 
m'expose,  si  elle  peut  compromettre  mes  intérêts  à  venir  ou  s'il 
n'y  a  rien  à  risquer.  Voilà  donc  deux  parties,  les  opinions  sûres 
d'un  côté  et  les  opinions  moins  sûres  ou  probables  de  l'autre» 
Les  premières  sont  toujours  en  faveur  de  la  loi  et  plaident  pour 
elle,  car  il  y  a  plus  de  sécurité  à  se  ranger  du  côté  de  la  loi,, 
même  quand  elle  n'est  pas  certaine.  Les  autres  favorisent  la 
liberté.  Elles  s'appuient  sur  l'incertitude  de  la  loi,  pour  déclarer 
que  la  liberté  reste  entière,  tout  ce  qui  n'est  pas  défendu  par  la 
loi  étant  permis.  Donc,  si  la  loi  est  incertaine,  si  je  puis  douter 
qu'elle  existe  ou  si  elle  n'a  pas  été  suffisamment  promulguée,, 
je  reste  avec  ma  liberté.  C'est  ma  liberté  qui  possède;  car  elle 
est  certaine  et  ne  peut  être  restreinte  ou  suspendue  que  par  une 
loi  certaine. 

Toute  la  question  du  probabilisme  est  dans  la  combinaison,, 
le  balancement  ou  la  prédominance  de  ces  deux  éléments  :  la 
probabilité  et  la  sûreté  des  opinions.  Pour  aider  à  la  com- 
prendre, nous  la  réduirons  à  trois  questions  qui  nous  parais- 
sent renfermer  toutes  les  autres  et  dans  lesquelles  le  probable 
et  le  sûr,  mis  en  face  l'un  de  l'autre,  présentent  leurs  diverses 
chances  à  la  conscience  et  à  la  liberté  de  l'homme. 

A.  Eftt-ii permis  de  suivre  une  opinion  moins  sûre  et  moins 
probable  en  face  d'une  autre  opinion  plus  sûre  et  plus  pro- 
bable^ 


DE  LA  CONSCIENCE  TÉMÉRAIRE  291 

Une  opinion  moins  sûre  est  celle  qui  m'expose  davantao'e  à 
mal  faire;  la  plus  siîre  est  celle  qui  est  le  plus  en  faveur  de  la 
loi  et  qui  sauvegarde  le  mieux  ma  responsabilité;  la  moins  pro- 
bable est  celle  qui  a  le  moins  de  chance  d'être  conforme  à  la 
rérité. 

Nous  répondons  :  Non,  il  n'est  jamais  permis  de  suivre  ane 
opinion  moins  sûre  et  moins  probable  en  face  d'une  autre  plus 
sûre  et  plus  probable. 

Le  contraire  a  été  soutenu  au  xvi*  siècle  par  un  théologien 
espagnol  nommé  Médina  qui  a  fait  école,  l'école  du  probabilisrae 
relâ'-hé.  La  question  avait  d'abord  été  posée  par  ce  théologien 
gpéculativement :  Dans  la  direction  spirituelle  doit-on  obliger 
une  âme  à  se  ranger  du  côté  de  la  loi,  même  quand  il  n'est  par 
sûr  qu'elle  existe  et  si  elle  se  croit  suffisamment  en  régie  et  en 
sécurité  avec  une  opinion  probable,  peut-on  lui  en  imposer  une 
autre  plus  probable?  L'opinion  probable,  celle  qui  est  approu- 
vable  et  qui,  pouvant  être  adoptée  sans  danger,  exclut  par  cela 
même  toute  opinion  contraire,  c'est  lo  bon  sens  ;  mais  Médina  et 
surtout  ses  disciples  en  étaient  arrivés  à  trouver  qu'on  pouvait 
se  décider  pourvu  qu'on  ait  une  raison  suffisante  d'agir,  quelles 
que  soient  les  raisons  différentes  ou  contraires,  à  la  fois  plus 
probables  et  plus  sûres.  Ils  en  étaient  arrivés  à  mettre  de  côté  la. 
probabilité  intrinsèque,  et  à  ne  plus  raisonner  que  sur  la  pro- 
babilité extrinsèque,  celle  qui  existe  quand  une  opinion  est 
soutenue  par  des  auteurs  graves.  Mais  combien  en  faut-il  pour 
la  rendre  probable?  Les  uns  ont  dit  vingt;  d'autres  dirent  seize; 
enfin,  il  y  en  eut  qui  affirmèrent  qu'un  seul  suffisait,  du  raonient 
où  c'était  un  homme  grave  et  qui  avait  beaucoup  étudié  la  ma- 
tière. Il  y  eut  dispute.  On  finit  par  s'entendre  sur  le  chiffri  de 
seize  docteurs  autorisés  pour  donner  à  une  opinion  une  probabi- 
lité suffisante.  Les  disciples  de  Médina  trouvèrent  alors  seize 
docteurs  qui,  dans  une  consultation,  déclarèrent  à  l'unanimité 
qu'il  n'en  fallait  qu'un!  !  La  cause  était  gagnée;  mais  le  pape 
Innocent  XI  condamna  cette  proposition  :  «  En  général,  toutes 
les  fois  que  nous  faisons  un  acte  en  nous  appuyant  sur  la  proba- 
bilité soit  intrinsèque,  soit  extrinsèque,  quelque  petite  qu'elle 
soit,  pourvu  que  nous  ne  sortions  point  des  limites  de  la  proba- 
bilité, nous  agissons  prudemment.  »  L'assemblée  du  Clergé  de 
France  a  condamné  en  1700  une  proposition  analogue. 

L'Ecriture  et  la  raison  condamnent  cette  doctrine. 

a)  L'Ecriture.  *  Qui  amat  periculum  in  illo  peribit,  >  quand 


202  ANNALES    CATHOLIQUES 

en  face  da  plus  probable  et  du  plus  sûr  on  a  la  témérité  de 
prendre  le  moins  probable  et  le  moins  sûr,  il  n'est  que  trop 
clair  qu'on  cherche  à  satisfaire  ses  passions  ou  au  moins  à 
s'exempter  de  la  gêne  de  bien  faire.  On  aime  donc  le  péril  et  on 
court  risque  de  se  perdre.  «  Regnum  coelorum  vim  patitur...  » 
Ce  n'est  pas  avec  ces  maximes  relâchées,  ces  habitudes  d'indui- 
gence,  de  faiblesse  pour  soi,  qu'on  peut  avancer  dans  la  vertu. 
Sans  doute,  il  y  a  souvent  des  concessions  à  faire,  surtout  aux 
âmes  faibles  et  engagées  dans  le  péché,  en  raison  de  leur  bonne 
Tolonté  de  le  quitter;  mais  ces  tempéraments  ne  sont  accordés 
que  pour  les  aider  à  se  détacher  du  mal  et  à  revenir  à  Dieu. 
«  Omne  quod  non  est  ex  fîde  peccatum  est»,  dit  saint  Paul.  Or, 
peut-on  prétexter  de  la  bonne  foi,  quand  on  sait  que  l'opinion 
qu'on  adopte  est  la  moins  sûre,  la  moins  probable  et  qu'on  s'ex- 
pose ainsi  à  mal  faire  ? 

b)  La  raison.  Il  est  évident  que,  si  on  est  convaincu  qu'une 
opinion  est  moins  piobable  et  moins  sûre,  on  ne  peut  ni  la  sou- 
tenir ni  la  suivre  sidcèrement.  C'est  une  imprudence  qu'on  se 
garderait  bien  de  commettre  dans  les  affaires  humaines.  Jamais 
dans  ses  affaires  d'intérêt  on  n'adoptera  une  opinion  moins  pro- 
bable et  moins  sûre  en  face  d'une  autre  plus  probable  et  plus 
sûre.  On  prendra  toujours  le  plus  probable,  celui  qui  exposera 
le  moins  notre  fortune.  Ce  que  l'on  fait  pour  son  argent,  ne 
doit-on  pas  le  faire  pour  son  âme?  De  ce  probabilisme  relâché, 
qui  n'était  d'abord  qu'un  jeu  d'esprit,  sont  sorties  toutes  sortes 
d'opinions  singulières,  de  maximes  relâchées,  qui  ont  porté  un 
grand  préjudice  aux  bonnes  mœurs.  Pascal  a  accusé  les  jésuites 
de  s'être  fait  les  patrons  de  cette  erreur. 

B.  Est-il  permis  de  suivre  une  opinion  moins  sûre^  mais 
plus  probable,  en  face  d'une  plus  sûre  et  moins  probable? 

Oui,  car  notre  conscience  doit  se  décider  par  les  raisons  les 
plus  fortes  et  les  plus  nombreuses.  L'opinion  peut  être  moins 
sûre,  mais  nous  ne  sommes  pas  tenus  au  plus  sûr,  quand  nous 
avons  pour  nous  la  plus  grande  probabilité.  L'opinion  contraire 
a  été  condamnée  par  Alexandre  VIII  :  «  Non  licet  sequi  opi- 
niones  vel  inter  probabiles,  probabilissimas.  »  L'Assemblée  du 
Clergé  de  France  a  également  condamné  cette  doctrine,  contre 
les  jansénistes,  qui  sout3naient  que,  dans  tous  les  cas,  on  était 
tenu  de  prendre  le  parti  le  plus  sûr.  C'est  comme  si  l'on  préten- 
dait que  dans  tous  les  cas  il  faut  aspirer  au  plus  parfait.  Une 
telle  opinion  mène  fatalement  au  désespoir.  En  pratique  donc  on 


DE  LA  CONSCIENCE  TÉMÉRAIRE  293 

peut  suivre  le  parti  le  plus  probable,  quoique  moins  sûr,  sauf 
cependant  les  exceptions  ou  la  probabilité  ne  peut  s'a[)[jii(iner. 
Ainsi  la   probabilité  n'est  point  aciraissibie  en  ce  qui  concerne: 

lo  Le  salut  et  les  raoyens  absolument  requis  pour  j  arriver. 
Innocent  XI  a  censuré  la  proposition  contraire  :  «  Ab  infidelitate 
excusabitur,  infidelis  non  credens  ductus  opinione  minus  pi-o- 
babili.    » 

2°  Pour  ce  qui  touche  à  la  validité  des  sacrements.  Les  sacre- 
ments ont  une  vertu  déterminée,  positive,  et  qui  agit  à  certaines 
conditions,  que  la  probabilité  ne  peut  jamais  combattre  ni  sup- 
pléer. Innocent  XI,  en  1679,  a  condamné  la  proposition  sui- 
vante: €  Non  est  illicitum  in  sacramentis  cnnferendis  uti  opi. 
nione  probabili  de  valore  sacramenti,  relicta  tutiore.  »  Il  v  a 
cependant  deux  cas  particuliers  oii  on  peut  se  servir  d'une  opi- 
nion probable,  dit  le  cardinal  Gousset  (p.  39),  à  l'égard  de  la 
validité  des  sacrements.  Le  premier  cas  est  celui  d'une  néces- 
sité extrême,  absolue.  Alors  il  est  permis  de  s'arrêter  à  une 
opinion  probable,  et  même  faiblement,  très  faiblement  probable, 
«  sacramenta  propter  homines  ».  On  confère  alors  le  sacrement 
sous  condition.  Le  second  cas  (Ib.  p.  40)  a  lieu  quand  on  pré- 
sume que  l'Eglise  supplée  à  ce  qui  manque  à  la  validité  du  sacre- 
ment ;  ce  qui  arrive  pour  le  mariage  et  la  pénitence.  Ainsi, 
quand  on  contracte  un  mariage  dont  la  validité  est  probable,  on 
présume  que  l'Eglise  lève  l'empêchement,  s'il  existe,  et  com- 
plète la  certitude  de  la  validité  du  contrat.  Il  ne  s'agit  évidem- 
ment que  des  empêchements  établis  par  l'Eglise  Quant  à  la 
pénitence,  si  l'opinion  probable  est  que  le  confesseur  a  le  pou- 
voir de  l'administrer,  l'Eglise  supplée  à  la  juridiction  en  la  con- 
férant au  confesseur  qui  ne  l'aurait  pas.  Mais  cela  ne  doit  s'en- 
tendre que  des  cas  de  grave  nécessité,  ou  au  moins  d'utilité, 
majeure. 

3°  De  même  pour  tout  ce  qui  peut  compromettre  la  vie  des 
hommes  et  leurs  droits,  par  exemple  dans  l'exercice  de  la  méde- 
cine ou  de  la  judicature.  On  avait  été  jusqu'à  soutenir  qu'un 
médecin  n'était  pas  obligé,  dans  son  traitement,  de  choisir  la 
médication  la  plus  probable  et  la  plus  sûre,  pourvu  qu'il  en 
adoptât  une  probable,  même  quand  il  la  supposerait  moins  siire. 
Il  a  été  décidé,  qu'en  vertu  des  engagements  qu'il  a  contractés, 
il  était  tenu  d'appliquer  le  remède  le  plus  sûr  et  le  plus  pro- 
bable. Pour  ce  qui  regarde  le  juge.  Innocent  XI  a  censuré  celte 
proposition:    c    Probabiliter   existimo  judicem  posse  judicare 


294  A^NALES    CATHOLIQUES 

juxta  opinionem  etiam  minus  probabilem.  »  On  en  était  arrivé  à 
soutenir  qu'il  n'était  pas  obligé  d'ailopter  l'opinion  la  plus  pro- 
bable, pourvu  qu'il  en  prît  une  probable,  et  qu'il  ne  sortît  pas 
des  linaites  de  la  probabilité.  Il  pourrait,  disait-on,  JB»er  d'après 
une  opinion  suffisamment  probable,  même  quand  des  raisons 
plus  fortes  lui  démontreraient  que  la  justice  est  de  l'autre  côté. 
Il  s'est  même  trouvé  de.^  théologiens  qui  ont  osé  affirmer  qu'un 
juge  pouvait,  sans  blesser  sa  conscience,  recevoir  des  présents 
et  juger  sous  cette  influence,  qui  devenait  une  raison  de  plus  pour 
se  former  une  opinion  probable! 

4"  Il  y  a  encore  des  cas  oii  l'opinion  la  plus  sûre  doit  être 
suivie,  par  exemple,  si  l'on  s'y  est  obligé  par  une  convention, 
par  un  vœu,  par  l'obéissance  promise  à  un  supérieur  ;  ou  s'il 
s'agit  de  faire  un  acte  périlleux  ponr  le  prochain  ;  c'est  le  cas 
d'un  chasseur  qui  a  lieu  de  craindre  qu'en  déchargeant  son  coup, 
il  n'atteigne  quelqu'un. 

G.  Entre  deux  opinions  également  probables,  est-il  permis 
cf embrasser  la  moins  sûre? 

Oui.  Il  est  vrai  que  les  théologiens  se  divisent  en  tutioristes 
et  eu  probabilistes  modérés.  La  controverse  a  été  très  vive  de 
part  et  d'autre  et  dure  encore.  C'est  qu'on  se  fonde  des  deux 
côtés  sur  d'excellentes  raisons,  sur  des  axiomes,  sur  des  prin- 
cipes dont  chacun  tire  des  conséquences  favorables  à  sa  manière 
de  voir.  Ainsi  les  tutioristes  s'appuient  sur  cet  axiome  :  €  In 
dubio  tutius  est  eligendum.  »  Si  vous  admettez  qu'il  y  a  pro- 
babilité égale  des  deux  côtés,  il  y  a  doute,  donc  vous  devez 
choisir  le  parti  le  plus  sûr.  Les  autres  mettent  en  avant  deux 
principes  incontestables  aussi  :  «  Lex  dubia  non  parit  obliga- 
tionem  certam.  »  Il  est  évident  que  si  on  doute  de  l'existence  de 
la  loi,  ou  si  elle  n'a  pas  été  suffisamment  promulguée,  on  n'est 
pas  obligé  de  la  suivre.  Or,  dans  l'hypothèse  présente  la  loi 
n'est  pas  certaine,  elle  est  douteuse.  Donc  elle  n'oblige  pas,  donc 
je  puis  suivre  le  parti  que  je  veux.  <  Iq  dubio  melior  est  con- 
ditio  possidentis.  > 

Or,  il  y  a  doute  sur  la  loi,  puisqu'il  y  a  deux  probabilités 
égales.  Telle  opinion  probable  dit  qu'on  peut  agir  ainsi,  telle 
autre  également  probable  affirme  qu'on  peut  faire  le  contraire; 
donc  la  loi  est  douteuse,  donc  ma  liberté  possède,  donc  sa  con- 
dition est  la  meilleure,  et  je  puis  choisir  le  parti  qui  me  plaît. 
La  question  a  été  jugée  à  Rome,  mais  pour  la  pratique  seule- 
ment. Car  l'Eglise,  toujours  sage,  discerne  et  règle  dans  ces  cas 


DE  LA  CONSCIENCE  TÉMÉRAIRE  295 

ca  qu'il  faat  faire  dans  la  réaliié,  et  laisse  la  question  spéculative 
aux  agitations  des  Ecoles.  Le  prob;ibilistne  modéré  n'a  jamais 
été  coridaniné  ni  directement,  ni  in'lirectemerit.  Il  peut  donc 
dire  enseigné  et  appliqué.  En  outre,  Pie  VII  a  confirmé  le  décret 
de  la  Congréyration  des  Rites,  qui  déclare  qu'on  n'a  rien  trouvé 
à  reprendre  dans  les  écrits  de  saint  Liguori,  principal  défenseur 
du  probtibilisme  modéré.  Enân  à  une  question  adressée  au  grand 
pénitencier  par  le  cardinal  de  Rohan,  archevêuue  de  Besançon. 
Si  un  professeur  de  thf^ologie  morale  pouvait  dans  son  ensei- 
gnement suivre  Liguori,  il  a  été  répondu  affirmativement;  et 
si  un  confesseur,  qui  applique  cette  doctrine  à  la  direction  des 
dm  es  H  dans  le  saint  ministère  de  la  con  fession  pouvait  être 
inquiété,  il  a  été  lépondu  néfrativeraent  ;  sans  cependant  qu'on 
doive  regarder  comme  répréhensibles  les  opinions  contraires, 
soutenues  par  des  docteurs  approuvés. 

Rappelons-nous,  d'ailleurs,  qu'on  ne  traite  pas  les  âmes  dans 
la  pratique  comme  les  questions  dans  l'Ecole.  Quand  on  doit 
conneiller,  guider,  soutenir,  guérir  des  hommes  faibles  ou  pas- 
sionnés, on  n'est  point  placé  seulement  devant  la  vérité  d'une 
manière  spéculative,  mais  devant  une  pauvre  âme  qui  est  dans 
le  mal,  dans  l'erreur,  sous  le  joug  des  passions  ou  de  l'habitude 
et  qui  a  beaucoup  de  peiue  à  s'en  détacher.  Il  faut  donc  la  porter 
à  des  efforts  successifs  et  mesurés,  la  mener  pas  à  pas,  la 
prendre,  la  soulever  peu  à  peu,  la  ramener  d'abord  à  la  justice, 
puis  à  la  vertu,  et  enfin  s'il  est  possible,  au  plus  parfait.  Mais, 
si,  au  début,  vous  voulez  la  pousser  à  l'abnégat'on  complète,  au 
gacrifice  le  plus  entier,  vous  lui  demanderez  ce  qu'elle  ne  peut 
faire,  et  pour  vouloir  trop  gagner  vous  n'obtiendrez  rien.  C'était 
la  pensée  de  Gerson  et  du  P.  Palavicini,  cités  par  le  cardinal 
Gousset  (p.  42-43).  Voilà  pourquoi  on  ne  peut  pas  recommander 
aux  confesseurs  trop  d'indulgence,  de  bienveillance,  de  conces- 
sions raisonnables.  Nous  disons  raisonnables,  parce  qu'il  ne  faut 
jamais  tomber  dans  le  relâchement,  ni  aller  contre  la  loi  de 
Dieu.  Mais  toutes  qu'on  peut  ôter  légitimement  à  la  sévérité  de 
la  loi  par  l'indulgence,  on  doit  le  retirer  sans  crainte  quand  la 
salut  d'une  âme  ou  la  charité  le  demande.  «  Quand  il  y  a  diffé- 
rentes opinions  sur  une  question,  toutes  choses  égales  d'ailleurs, 
dit  saint  Bernardin,  il  faut  préférer  la  plus  douce,  la  plus  indul- 
gente. »  C'est,  nous  dit  le  cardinal  Gousset,  la  pensée  do  saint 
Chrjsostome,  de  saint  Thomas,  de  saint  Antonin,  de  saint  Ray- 
mond de  Pennafort,  de  saint  Odiloa  de  Cluny,  de  saint  Grégoire 
de  Naxianze  (p.  45). 


296  ANNALES    CATHOLIQUES 

Il  était  nécessaire  de  rappelercet  enseignement  pour  résoudre 
en  quelques  mots  les  quatre  questions  que  nous  nous  sommes 
posées. 

I 

Une  conscience  téméraire  est  celle:  1°  qui  suit  une  opinion 
moins  sûre  et  moins  probable,  en  face  d'une  autre  opinion  plus 
sûre  et  plus  probable  :  2°  qui  suit  une  opinion  moins  sûre,  mais 
plus  probable  en  face  d'une  plus  sûre  et  moins  probable,  pour 
ce  qui  concerne  le  salut  et  les  moyens  absolument  requis  pour  y 
arriver;  pour  ce  qui  touche  à  la  validité  des  sacrements;  pour 
tout  ce  qui  peut  compromettre  la  vie  des  hommes  et  leurs  droits  ; 
pour  ce  qui  contrarie  certaines  conventions  de  conscience,  ou 
certains  actes  périlleux  pour  le  prochain  ;  S»  qui  oblige  les  autres 
à  choisir  en  conscience,  entre  deux  opinions  également  pro- 
bables, celle  qui  favorise  le  plus  la  loi;  4°  qui  suit  une  opinion 
qui  n'est  point  probable. 

II 

Nous  avons  prouvé  qu'on  ne  pouvait  jamais  suivre  sans  péché 
une  conscience  téméraire  :  la  première  dans  notre  A  ;  la  seconde 
dans  notre  B  (1°,  2^,  3°,  4°);  la  troisième  dans  notre  G;  quant  à 
la  quatrième,  c'est  de  toute  évidence. 

La  gravité  du  péché  que  commet  celui  qui  écoute  le  dictamen 
d'une  conscience  téméraire  doit  se  juger  d'après  cette  double 
considération  :  ou  celui  qui  juge  d'après  cette  conscience  est 
coupable  d'actes  qui  n'ont  pas  de  retentissement  autour  de  lui; 
ou  ces  actes  sont  ceux  d'un  confesseur,  d'un  chef  de  famille, 
d'un  chef  de  société. 

IV 

La  conscience  est  téméraire  parce  qu'elle  placée  dans  le  doute; 
elle  ne  sait  pas  au  juste  quels  moyens  elle  doit  prendre  pour  ne 
pas  offenser  Dieu,  sans  cependant  restreindre  la  liberté  que 
Dieu  nous  laisse,  c'est  du  désir  de  donner  satisfaction  à  ces 
deux  exigences  légitimes  qu'est  né  le  probabilisme,  qui  fournit 
le  moyen  d'agir  prudemment.  Le  confesseur  est  donc  tenu 
d'avertir  son  pénitent  dès  qu'il  s'aperçoit  qu'il  entre  dans  une 
série  d'imprudences.  Nous  sommes  persuadés  que  si  tous  ceux 


GOUNOD  2Ô7 

qni  enseignent  et  qui  dirigent  joignaient  à  une  grande  loyauté, 
à  une  pMrfaite  proltité,  à  un  complet  désiiitéressenjeiit  d'eux- 
mêmes  de  leurs  idées  et  de  leur  intérêt  personnel,  le  courage 
de  parler  toujours  selon  leurs  lumières;  et  qu'à  ces  mêmes 
qualités,  ceux  qui  sont  enseignés  et  dirigés,  ajoutaient  une  vo- 
lonté résolument  déterminée  à  ne  tenir  aucun  compte  ni  de 
leurs  préjugés,  ni  de  leurs  sympathies,  ni  de  leurs  antipa- 
thies, et  à  remplir  généreusement  ce  que  leur  bon  sens,  éclairé 
par  la  foi  et  l'expérience,  leur  déclare  être  pour  eux  le  devoir, 
tous,  confesseurs  et  pénitents,  auraient  une  vue  plus  nette  de 
ce  qu'ils  doivent  faire  ou  ne  pas  faire.  Il  faut  que  nous  soyons 
corisciencieux  comme  Dieu  l'exige,  et  non  comme  nous  l'enten- 
dons nous-mêmes  ;  que  nous  consentions  à  aller  au  ciel,  non  par 
le  chemin  que  nous  traçons,  mais  par  celui  que  l'Evangile  a 
déterminé,  sous  peine  de  rester  des  chrétiens  de  surface  et  de 
manquer  le  ciel. 

P. -G.    MOREAU, 

vicaire  général  honoraire  de  Langres. 


CHARLES  GOUNOD 

L'amitié  de  Gounod  a  été  une  des  joies,  un  des  bonheurs  de 
ma  vie.  Pendant  plus  de  vingt-cinq  ans,  nous  avons  vécu  dans 
les  rapports  de  la  plus  tendre  intimité,  et  je  pourrais  écrire  sur 
lui  tout  un  volume  sans  épuiser  mes  souvenirs.  Mais  je  laisse  à 
de  plus  jeunes  et  plus  autorisés  le  soin  de  faire  la  biographie 
complète  de  ce  grand  homme  d'esprit,  de  cœur  et  de  foi,  qui 
réunissait  en  sa  personne  tant  de  forces,  de  facultés  rares,  et 
des  charmes  si  divers,  que  Dieu  eût  pu  tailler,  dans  cette 
splendide  étoffe,  tout  un  lut  de  musiciens,  de  poètes,  d'écrivains, 
de  penseurs,  de  causeurs  charmants,  et  même  d'éloquents  théo- 
giens. 

Ma  seule  ambition  serait  de  mettre  en  lumière  ce  que  le  monde 
connaît  le  moins  en  lui,  je  veux  dire  la  simplicité  de  son  âme, 
son  humilité  chrétienne,  le  charme  de  son  intimité  et  la  profon- 
deur de  sa  foi.  Des  traits  de  caractère,  des  anecdotes,  des  sou- 
venirs attendrissants,  des  paroles  jaillies  de  son  esprit  ou  de 
son  cœur  épris  jusqu'à  l'enthousiasme  du  beau  et  du  vrai  dans 
leur  source  divine  et  dans  leurs  manifestations  humaines,  voilà 

22 


298  ANNALES  CATHOLIQUES 

ce  que  je  voudrais  rassembler  en  ces  quelques  pages  écrites  au 
courant  de  la  plume  et  de  l'amitié,  et  consacrées  à  cette  grande 
et  obère  mémoire. 

Quand  je  le  vis  pour  la  première  fois,  il  était  déjà  célèbre  : 
son  nom  retentissait  partout,  en  France  et  hors  de  France,  porté 
par  delà  les  mers  sur  les  deux  ailes  de  la  musique,  la  mélodie 
et  l'harmonie.  C'était  après  l'éclosion  de  ses  plus  purs  ch-^fs- 
d'œuvre,  Sapho,  Faust,  Roméo  et  Juliette,  Mireille,  Phile'mon 
et  Baucis. 

Il  vint  me  voir,  oserai-je  le  dire?  en  solliciteur,  pour  me  par- 
ler d'une  affaire  dont  j'étais  rapporteur  au  Conseil  d'Etat,  et 
qui  intéressait  une  famille  amie.  Sa  commission  faite,  il  chan- 
gea de  ton  en  changeant  do  sujet;  je  vis  soudainement  aftpa- 
raître  et  s'épanouir  devant  moi  le  grand  artiste,  l'auteur  de  ces 
merveilles  qui  m'avaient  enchanté.  Tout  en  lui  parlait,  les  yeux, 
le  geste,  l'accent,  en  même  temps  que  les  lèvres,  et  de  cet  en- 
semble parfaitement  harmonieux  s'exhalait  comme  une  sympho- 
nie pénétrante  de  flamme  et  de  lumière. 

Nous  parlâmes  de  Rome  d'où  je  revenais,  des  choses  ro- 
maiues,  de  mon  saint  frère,  Mgr  de  Ségur,  qu'il  y  avait  ren- 
contré vingt  ans  auparavant,  qu'il  avait  revu  un  moment  au 
séminaire  de  Saint-Sulpico,  et  dont  il  avait  conservé  un  pieux 
souvenir.  Ce  nom  fit  évanouir  ce  qu'il  y  avait  encore  d'un  peu 
réservé  dans  son  attitude  et  dans  la  mienne. 

Il  s'abandonna  alors  avec  une  charmante  liberté  à  la  douceur 
de  ses  impressions  passées.  Il  m'ouvrit  son  âme  avec  une  en- 
tière confiance,  et  bientôt  la  conversation  prit  un  tour  si  intime 
que  je  lui  dis  en  souriant  :  «  Cher  maître,  ne  vous  trora[)ez- 
vous  pas  de  personne'/  Il  me  semble  que  c'est  avec  Mgr  de 
Ségur  plutôt  qu'avec  moi  que  vous  devriez  poursuivre  cet  en- 
tretien. —  Vous  avez  raison,  me  dit-il  en  se  levant  soudain  et 
en  me  saisissant  la  main.  Est-il  à  Paris?  —  Certainement.  — 
Oii  demeure-t-il?  —  A  deux  pas  d'ici,  rue  du  Bac,  39.  — 
Croyez-vous  qu'il  soit  chez  lui  en  ce  moment?  —  J'en  suis  à 
peu  près  sûr.  —  Eh  bien  !  j'y  cours  de  ce  pas.  »  Il  se  jeta  dans 
mes  bras,  comme  dans  ceux  d'un  frère,  et  sortit  à  grands  pas, 
empoitant  mon  coeur  et  me  laissant  quelque  chose  du  sien. 

Il  trouva  Mgr  de  Ségur,  et  quand  il  le  quitta  une  heure  après, 
il  rayonnait  de  joie,  comme  un  ami  qui  vient  de  retiouver  un 
ami  d'enfance,  comme  une  âme  troublée  à  qui  Dieu  a  rendu  un 
consolateur  et  un  père. 


r 


I 


GOUNOD  299 

C'est  ainsi  que  Gounod  recommença  avec  mon  frère  une  liai- 
son intime  qui  ne  finit  qu'à  la  mort  du  saint  aveugle  de  Jésus- 
Christ,  et  voici  le  résumé  de  leurs  relations  tel  que  je  l'ai  écrit 
dans  la  Vie  de  Monseigneur  de  Se'gur,  résumé  fidèle  dont  le 
grand  artiste  lui-même,  après  l'avoir  lu,  a  reconnu  la  parfaite 
exactitude  : 

«  Dès  leur  première  entrevue,  l'auteur  de  Faust  lui  ouvrit 
son  âme,  lui  confia  les  secrets  de  sa  vie,  et  se  trouva,  on  ne  sait 
comment,  à  ses  pieds  et  sur  son  cœur.  Leur  intimité,  suspendue 
à  l'époque  de  la  guerre,  se  renoua  après  le  retour  du  maître 
en  France,  et  se  continua  sans  interruption  jusqu'à  la  mort  de 
Mgr  de  Ségur.  Gounod  l'appelait  tantôt  Gaston,  tantôt  mon  ami, 
tantôt  mon  frère.  Chaque  fois  qu'ils  se  revoyaient,  c'étaient  des 
effusions,  des  confidences,  des  causeries  sans  fin.  Ils  parlaient 
d'art,  de  théologie,  de  Rome,  centre  et  fojer  de  la  théologie 
comme  de  l'art,  et  la  gaieté  était  toujours  de  la  partie.  Gounod 
trouvait  moyen,  même  dans  les  derniers  temps,  quand  l'àrae  du 
doux  aveugle  semblait  prête  à  s'affaisser  sous  le  poids  de  l'infir- 
mité corporelle,  de  rappeler  sur  les  lèvres  de  son  saint  ami  le 
bon  rire  des  âmes  innocentes,  ce  rire  touchant  et  pur  des  en- 
fants et  des  prêtres.  Ce  fut  sous  l'influence  de  cette  amitié  bénie 
que  le  grand  musicien  trouva  l'inspiration  de  ses  plus  beaux 
cantiques,  qu'il  conçut  la  pensée  de  son  Polyeucte  et  de  soh 
oratorio  de  la  Re'demption,  dont  il  écrivit  à  la  fois  la  poésie  et 
la  musique.  Peu  de  mois  avant  la  mort  de  Mgr  de  Ségur,  il  le 
pria  de  venir  une  fois  encore  s'asseoir  à  sa  table  entre  sa  femme 
et  ses  enfants.  Après  le  dîner,  il  le  conduisit,  comme  de  cou- 
tume, dans  son  cabinet  de  travail,  véritable  sanctuaire,  au  fond 
duquel  s'élève  un  orgue  monumental  ayant  pour  ornement  prin- 
cipal une  belle  tête  de  Christ,  par  Franceschi.  Là,  il  lui  joua  et 
lui  chanta  quelques-unes  des  plus  belles  pages  de  cette  compo- 
sition religieuse  dont  les  paroles  sont  aussi  pures,  aussi  inspi- 
rées que  la  musique  ;  et  Mgr  de  Ségur  entendit  ce  soir-là  comme 
un  écho  de  l'harmonie  céleste  qui  l'attendait  bientôt  au  paradis.  » 

Voilà  ce  que  fut  Gounod  pour  mon  frère,  du  premier  au  der- 
nier jour  de  leur  intimité,  et  voilà  ce  qu'il  fut  aussi  pour  moi  et 
pour  ma  famille,  qui  se  lia  étroitement  avec  la  sienne.  Après 
les  séparations  ordinaires  ou  extraordinaires  qui  sont  la  condi- 
tion et  l'épreuve  de  toutes  les  affections  humaines,  après  les 
horreurs  de  la  guerre  et  les  tristesses  d'un  long  séjour  à  l'étran- 
ger, nous  le  retrouvions  toujours  le  même,  aussi  jeune  d'esprit, 


300  ANNALES    CATHOLIQUES 

aussi  tendre  de  cœur,  parlant  et  s'enivrant  des  beautés  et  des 
joies  de  la  vie  chrétienne,  corame  s'il  n'en  avait  jamais  connu 
d'autres,  gardant  son  admirable  candeur  d'enfant  à  travers  tous 
les  oiages,  toutes  les  péripéties  de  sa  longue  carrière. 

Quelle  âme  fut  plus  limpide,  quelle  bouche  plus  incapable  de 
rien  dire  aux  autres  ou  à  lui-même  qui  fût  contraire  à  ce  qu'il 
pensait  et  ressentait?  Comment,  aux  heures  les  plus  troublées 
de  sa  vie,  eiît-on  songé  à  lui  en  vouloir  de  ce  qu'il  avouait  avec 
tant  d'élan,  de  ce  qu'il  regrettait  avec  tant  de  sincérité,  de  ce 
qu'il  oubliait  avec  une  si  charmante  bonne  foi?  Lui-même  excu- 
sait, oubliait  les  torts  des  autres  encore  plus  facilement  que  les 
siens. 

Un  tout  petit  trait  de  sa  vie  la  plus  intime  le  peint  au  naturel 
dans  les  naïvetés  délicieuses  de  son  indulgence  et  de  son  humi- 
lité. II  avait  emmené  sa  petite  Jeanne,  âgée  de  quatre  ou  cinq 
ans,  pour  une  promenade  en  tête  à  tête  au  Bois  de  Boulogne.  Au 
retour,  Mme  Gounod  demande  à  sa  fille  si  elle  a  été  sage  : 
«  Non,  maman,  répond  l'enfant;  j'ai  été  méchante...,  mais  papa 
m'a  demandé  pardon.  » 

GouQod  est  là  tout  entier,  dans  la  naïveté  sublime  de  sa 
bonté.  Le  pardon  des  offenses  ne  lui  suffit  pas  :  il  demande  par- 
don à  qui  l'a  ofi'ensé.  C'est  l'application  du  précepte  inefi'able 
de  saint  François  d'Assise,  cet  homme  presque  divin  :  «  Si  ton 
frère  t'a  manqué  et  qu'il  refuse  de  te  demander  merci,  mets-toi 
à  genoux  devant  lui,  et  lui  demande  toi-même  miséricorde.  » 

Sublime  excès  de  charité,  folie  suivant  le  monde,  sagesse  su- 
prême suivant  l'Evangile!  Heureux  qui  la  comprend  et  plus 
heureux  qui  la  pratique  ! 

C'est  à  la  campagne  surtout,  loin  des  conventions  et  des 
envahissements  du  monde,  que  Gounod  se  montrait  dans  tout  le 
charme  de  son  abandon.  C'est  là  que  sa  bonté,  sa  gaieté,  sa 
merveilleuse  organisation  musicale,  la  variété  de  ses  dons  na- 
turels ou  acquis,  se  donnaient  cours  en  toute  liberté. 

Il  aimait  notre  petite  propriété  des  Nouettes,  maison  sans 
prétention,  entourée  d'un  parc  avec  grands  bois  et  aux  vastes 
prairies,  où  ma  mère  avait  écrit  la  plupart  de  ses  livres  si  po- 
pulaires et  fait  vivre  beaucoup  de  ses  personnages  ;  il  y  revenait 
toujours  avec  un  visible  plaisir.  11  y  retrouvait  souvent  mon 
saint  frère  Gaston  qui  y  passait  ses  courtes  vacances,  et  dont  la 
présence  le  charmait  en  le  sanctifiant. 

Nous  y  avions  une  chapelle  avec  le  Saint-Sacrement.  C'était 


GOUNOD  301 

comme  le  cœur  et  le  centre  de  la  famille.  Chaque  soir,  la  prière 
s'y  faisait  en  coraraun  :  les  maîtres  et  serviteurs  y  assistaient  à 
genoux,  dans  rêjjralité  de  l'adoration.  Gounod  se  gardait  bien 
d'y  manquer,  non  plus  qu'à  la  messe,  célébrée  chaque  matin 
par  Mgr  de  Ségur  avec  une  angélique  dévotion. 

En  ces  moments  divins,  le  grand  artiste  était  aussi  beau  à 
contempler  que  le  saint  prêtre  ;  et  rien  n'était  plus  touchant 
que  de  voir  cet  homme  de  génie  s'approcher  de  la  sainte  table, 
recevoir  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  avec  la  simplicité  de 
foi  et  la  tendre  piété  d'un  enfant  qui  fait  sa  première  commu- 
nion. Qui  n'a  pas  vu  Gounod  en  ces  transfigurations  du  saint 
amour,  ne  connaît  pas  Gounod  tout  entier. 

C'est  aux  Nouettes  qu'il  écrivit  les  premières  notes  de  son 
Polyeude,  ce  drame  mystique  que  le  public  de  l'Opéra  ne  put 
comprendre  assez  pour  l'admirer,  mais  pour  lequel  l'illustre 
compositeur  garda  jusqu'à  la  fin  une  secrète  prédilection. 

C'est  là  aussi  qu'il  me  demanda  d'écrire  les  paroles  d'un  can- 
tique d'adoration,  d'amour  et  d'actions  de  grâces  après  la  com- 
munion. Je  me  rendis  à  son  désir,  heureux  et  fier  d'un  tel  colla- 
borateur, et  je  dois  dire  que,  sans  le  savoir,  il  fut  pour  quelque 
chose  dans  mon  œuvre  poétique,  si  indigne  qu'elle  fût  de  la 
musique  qu'il  y  adapta.  Je  lui  avais  souvent  entendu  citer  une 
parole  de  l'Evangile  qu'il  adorait  entre  toutes,  celle  de  saint 
Pierre  répondant  à  Jésus  ressuscité  :  <  Seigneur,  vous  savez 
tout;  vous  savez  que  je  vous  aime  !  »  Comme  il  savourait  cette 
réponse  de  l'amour  humble  et  pénitent  !  Et  avec  quel  bonheur  il 
se  l'appropriait,  en  la  répétant. 

Je  me  la  rappelais,  et  je  la  mis  dans  une  des  strophes  de  ce 
cantique:  Le  ciel  a  visité  la  terre,  devenu  célèbre,  grâce  à  la 
mélodie  sublime  dont  Gounod  le  revêtit  et  l'immortalisa.  Il  me 
dit  que  lorsqu'il  en  composait  le  prélude,  il  avait  senti  comme 
un  vol  d'anges  passer  sur  lui  et  toucher  son  front  de  leurs  ailes. 
Il  est  certain  que  ce  cantique  est  une  des  plus  célestes  inspira" 
tions  de  son  génie  mystique. 

Un  souvenir  personnel  se  rattache  également  pour  moi  à  son 
oratorio,  intitulé  Rédemption,  bien  qu'il  n'ait  pas  eu  recours  à 
moi  pour  les  paroles.  Il  les  fit  lui-même,  et  fit  bien.  Doutant  à 
tort  de  son  talent  de  librettiste  et  de  poète,  il  pria  ma  femme  de 
réunir  chez  elle  quelques  amis,  pour  entendre  la  lecture  de  son 
poème.  Je  me  rappelle  que  Louis  Veuillot  et  le  père  Gratry  se 
trouvaient  parmi  les  rares  invités  admis  nar  lui  à  cette  fête  lit- 


302  ANNALES    CATHOLIQUES 

téraire.  Il  va  sans  dire  que  Mgr  de  Ségur  y  assistait  an  premier 
rang. 

Le  succès  fut  complet,  l'émotion  unanime  et  profonde.  La 
composition  du  poème,  la  ficture  des  vers  fermes,  sobres,  fait» 
pour  porter  la  musique  sacrée,  cette  reine  céleste,  et  non  pour 
partager  sa  souveraineté,  tout  était  conçu  et  travaillé  de  main 
de  maîf.re.  —  Gounod  disait  si  parfaitement,  que  récités  par  lai, 
ses  vers  auraient  pu  se  passer  d'être  parfaits  ;  mais  ils  valaient 
tant  par  eux-mêmes,  qu'ils  auraient  pu  se  passer  de  son  admi- 
rable diction. 

Je  me  souviens  qu'un  autre  soir,  il  nous  lut  successivement 
un  fragment  du  rôle  de  Néron  dans  Britannicus,  une  .«cène  du 
Don  Juan,  de  Molière,  et  un  chapitre  de  Don  Quichotte.  Je  ne 
crois  pas  qu'un  artiste,  même  du  Théâtre-Français,  eût  pn 
mieux  dire  et  produire  une  telle  impression  dramatique  ou  comi- 
que, avec  une  telle  sobriété  de  moyens.  A  en  juger  par  ces  lec- 
tures, accompagnées  de  regards  et  de  gestes  presque  involon- 
taires et  saisissants,  il  eût  été,  s'il  avait  voulu  descendre,  un 
acteur  de  premier  ordre. 

Quant  à  cet  art  unique  qu'il  possédait,  et 'que  nul  n'a  porté  ii 
haut,  de  rendre,  avec  sa  voix  et  son  piano,  les  effets  les  plus 
grandioses  et  les  nuances  les  plus  délicates  d'une  symphonie, 
d'un  opéra,  d'un  chœur  ou  d'un  finale  à  grand  orchestre,  tant 
de  personnes  l'ont  admiré  qu'il  serait  superflu  d'y  revenir  et  d'y 
insister. 

Je  me  contenterai  de  rappeler  qu'un  jour,  aux  Nouettes, 
s'étant  mis  au  piano  et  y  laissant  courir  ses  doigts,  tandis  qu'il 
causait  avec  nous  et  quelques  amis,  il  se  tut  tout  à  coup,  se 
recueillit  un  moment,  et  commença  à  chanter  le  quatuor  de 
l'acte  du  jardin,  de  Faust,  avec  une  voix,  un  air,  des  yeux  d'une 
expression  pénétrante.  Il  ne  voyait,  n'entendait  plus  rien  que 
ces  chants,  ces  harmonies,  ouvrage  de  son  génie,  qu'il  semblait 
enfanter  une  seconde  fois. 

Nous  étions  tous  muets,  immobiles,  suspendus  à  ses  lèvres. 
Il  continua,  passa  du  quatuor  à  la  prière  déchirante  de  Margue- 
rite, à  son  invocation  suprême,  et  ne  s'arrêta  qu'à  la  fin  de 
l'acte.  Quand  il  revint  à  nous  et  qu'il  regarda  autour  de  lui,  il 
vit  que  tous  les  yeux  étaient  remplis  de  larmes.  Jamaii»,  non 
jamais,  tragédien  de  génie,  cantatrice  inspirée,  ne  produisirent 
gur  leur  auditoire  une  impression  plus  profonde.  C'était  plus 
qu'une  interprétation,  plus  qu'une  représentation,  c'était  une 
évocation. 


GOUNOD  303 

La  conrersation  de  Gounod  nVtait  pas  un  de  ses  moindres 
charmes:  tarilôt  élevée  jusqu'à  l'élo(}iionce,  tantôt  enjouée,  gra- 
cieuse, toujours  imagée  et  jamais  vulgaire,  niêmd  daii9  les 
épancheraents  les  plus  libres  de  sa  gaieié.  11  riait  comme  il  pleu- 
rait, de  bon  cœur,  et  ses  plaisanteries,  ses  anecdotes,  contées 
avec  un  naturel  plein  d'arr,  répandaient  autour  de  lui  les  éclats 
d'une  joie  saine  et  débordante. 

Il  adorait  les  enfants  qui  le  lui  rendaient  bien.  Il  se  plaisait  k 
développer  chez  les  nôtres  les  di-jpositious  musicales  que  le  ciel 
leur  avait  largement  départies.  Il  formait  leur  goût,  agrandis- 
sait leur  horizon,  élevait  leur  point  de  vue,  et  il  fut  pour  moi 
jusqu'à  la  fin  plus  qu'un  professeur  sans  pareil,  un  révélateur 
de  l'art  et  comme  directeur  de  leur  conscience  musicale. 

Comme  s'il  eiit  prévu  que  les  Nouettes  se  fermeraient  à  jamais 
pour  nous  après  la  terrible  guerre  franco-allemande,  il  voulut 
nous  laisser,  à  la  Ru  de  son  dernier  séjour,  à  la  veille  même  de 
l'invasion,  un  témoignage  original  et  vraiment  unique  de  sa 
fraternelle  amitié.  Il  composa  un  quatrain  qu'il  mit  en  musique 
sous  la  forme  d'un  canon  à  quatre  voix  qu'il  écrivit,  paroles  et 
musique,  de  sa  plus  fine  éciiiure,  et  que  nos  enfants,  après  leur 
mère  ont  précieusement  conservé. 

Voici  ces  quatre  petits  vers  oii  se  retrouvent  son  esprit  et  son 
cœur  : 

Il  est  en  Normandie  une  maivon  sauvage 

Où  les  gens  qu'on  reçoit  sont  drôlement  aiméa. 

Oa  n'y  peut  exprimer  un  désir  dont  j'enrage  : 

On  vous  les  prévient  tous,  avant  qu'ils  soient  formés. 

Du  talent  littéraire  de  Gounod,  je  ne  dirai  rien.  Ceux  qui  ont 
lu  ses  communications  à  l'Institut  et  surtout;  son  merveilleux 
volume  sur  le  Don  Juan  de  Mozart  savent  quel  bonheur  d'expres- 
sion il  joignait  à  la  profondeur  des  pensées,  à  l'exposé  à  la  fois 
enthousiaste  et  serein  de  la  philosophie  du  Beau  et  des  prin- 
cipes éternels  de  l'Art,  juxquici  éternels,  disait-il  avec  une  spi- 
rituelle ironie.  Ces  principes  il  les  voyait  vivants  et  resplendis- 
sants dans  toute  l'oeuvre  de  Mozart  et  surtout  dans  son  immortel 
Don  Juan. 

Aussi  proclamait-il  Don  Juan  le  chef-d'œuvre  de  l'art  dra- 
mati(}ue  et  Mozart  le  plus  parfait  des  musiciens  et  le  maître  des 
maîtres,  Mozart,  Autrichien  par  son  père,  mais  Italien  par  sa 
mère,  et  toujours  lumineux  et  précis  jusque  dans  ses  plus  sa- 


304  ANNALES    CATHOLIQUES 

vantes  harmonies.  Le  génie  français,  n'est-il  pas  fait,  avant 
tout,  de  ces  deux  qualités  naaîiresses  qui  brillent  dans  toutes  nos 
grandes  œuvres  littéraires,  oratoires  et  nousicales  :  la  clarté  et 
la  mesure?  Dieu  préserve  notre  patrie,  déjà  trop  germanisée,  de 
les  échanger  contre  les  profondeurs  mystérieuses  et  les  longueurs 
même  géniales  du  grand  prophète  W.igner!  Tels  étaient,  tels 
furent  jusqu'à  la  fia  le  vœu  et  la  prière  intime  de  Goiinod. 

La  bonté,  qui  est  la  pins  belle  des  vertus  de  cet  homme  érai- 
nent,  allait  grandissant  dans  son  cœur  à  mesure  qu'il  avançait 
dans  la  vie.  Assailli  par  les  opportuns,  les  solliciteurs,  les  génies 
méconnus,  désolé  de  voir  son  temps  dévoré  par  les  lettres  à 
écrire,  les  recommandations  à  faire,  le  concours  et  les  commis- 
sions à  présiier,il  était  parfois  tenté  de  se  révolter  contre  cette 
tyrannie  à  mille  têtes  et  d'envoyer  promener  tout  ce  qui  le  dé- 
tournait de  la  composition.  Mais  sa  bonté  prenait  toujours  le 
dessus  et,  en  fin  de  compte,  il  acceptait,  il  endossait  tout,  sans 
autre  protestation  qu'une  poussée  d'impatience  qui  s'exhalait  en 
un  mot  piquant  ou  plaisant  et  finissait  en  bonne  humeur  rési- 
gnée. «Je  vais  me  faire  faire  une  plaque  de  commissionnaire», 
disait-il  parfois,  en  se  rendant  à  l'une  de  ses  innombrables  com- 
missions. On  riait,  il  riait  lui-même  et  tout  était  dit. 

Dans  certains  cas,  cette  bonté  prenait  un  caractère  d'apos- 
tolat; alors,  elle  le  rendait  capable  de  tout  et  le  portait  jusqu'à 
sacrifier  son  sommeil  et  sa  santé  pour  courir  au  secours  d'une 
âme  en  danger. 

Le  fils  d'un  de  ses  vieux  amis,  atteint  de  la  poitrine,  s'ache- 
minait lentement  vers  la  tombe.  Indifi"érent  en  religion,  comme 
sa  famille,  il  courait  risque  de  mourir  sans  sacrements.  Gounod 
prodigua  à  ce  pauvre  jeune  homme  ses  visites,  ses  bonnes  pa- 
roles, les  marques  de  sa  tendre  affection  ;  mais  quand  il  touchait 
à  la  question  religieuse,  le  malade  se  taisait  ou  changeait  de 
conversation.  La  fin  approchait,  Gounod,  sachant  que  lui  seul 
pouvait  obtenir,  à  l'heure  suprême,  le  consentement  du  mourant 
à  recevoir  le  prêtre,  avait  exigé  des  parents  la  promesse  qu'on 
viendrait  le  chercher,  au  premier  symptôme  alarmant,  fût-ce 
au  milieu  de  la  nuit.  Une  nuit,  en  effet,  on  sonna  à  sa  porte  ;  le 
malade  était  en  crise  violente,  il  n'y  avait  pas  de  temps  à  perdre. 
—  Quoique  déjà  vieux  et  souffrant,  le  maître  se  leva  sur-le- 
champ,  s'habilla  à  la  liâte  et  courut  chez  le  moribond  :  l'infor- 
tuné venait  de  rendre  le  dernier  soupir. 

Gounod  pria  et  pleura  sur  lui,  consola  ses  parents,  rentra 


OOUNOD 


305. 


exténué  de  fatiofue,  offrant  à  Dieu  pour  le  salut  de  cette  pauvre 
âme  sa  nuit  sacrifiée,  sa  santé  compromise,  et  son  regret  d'avoir 
été  appelé  trop  tard  pour  le  préparer  au  grand  voyage. 

Cette  bonté  du  grand  artiste  n'allait  jamais  jusqu'à  la  fai- 
blesse, quand  le  devoir  était  en  jeu.  Un  de  ses  collègues  de 
l'Institut,  dînant  un  jour  chez  lui,  s'était  permis  une  parole 
plus  qu'inconvenante  sur  la  personne  sacrée  de  Jésus-Christ. 
Gounod,  sans  se  départir  de  la  plus  exacte  politesse,  l'arrêta 
d'un  geste  et  d'un  mot  :  «  De  grâce,  lui  dit-il,  respectez  devant 
moi  et  chez  moi  Celui  que  j'adore  et  que  j'aime  comme  un  Dieu.  » 
Puis,  brisant  net,  il  adressa  la  parole  à  un  autre  convive,  et  la 
conversation  reprit  son  cours  un  moment  interrompu, 

J'arri  ve  aux  derniers  temps  de  cette  belle  et  grande  existence. 
Gounod  venait  d'atteindre  sa  soixante-quinzième  année,  sans 
infirmités,  sans  diminution  de  son  intelligence,  de  son  activité, 
de  la  jeunesse  d'esprit  et  de  corps.  Il  était  en  pleine  possession 
de  sa  gloire,  et,  quoiqu'il  en  parût  presque  désintéressé,  on 
pouvait  croire  qu'il  en  savourait  les  secrètes  douceurs.  L'heure 
de  l'épreuve  décisive  allait  sonner. 

Au  mois  de  juin  1892,  une  congestion  subite  toucha  sa  tête 
puissante,  et  menaça  un  moment  sa  vie.  Les  traces  en  disparu- 
rent ra{iidement,  mais  elle  le  laissa  atteint  dans  une  paiiie  de 
sa  vue,  et  le  condamna  de  ce  jour  à  mille  précautions  nouvelles 
pour  lui.  Il  fallait  renoncer  à  tout  travail,  à  toute  composition, 
à  l'usage  même  de  ses  jeux;  plus  de  lectures,  ni  d'écritures^ 
pas  d'Institut,  de  théâtres,  de  visites,  de  distraction  ou  d'amitié; 
avec  cela,  un  régime  sévère;  en  un  mot,  le  renoncement  aux 
habitudes  de  toute  sa  vie. 

Il  embrassa  d'un  seul  coup  d'oeil  l'étendue  de  ce  sacrifice,  et 
il  l'accepta  avec  une  force  et  une  sérénité  d'âme  qui  étonna 
jus(ju'à  l'admiration  ses  amis,  ses  parents  et  même  son  entourage 
intime.  Cette  admiration  eiit  été  plus  grande  encore  s'il  ne  leur 
avait  d'abord  caché  le  fond  de  sa  pensée.  Pendant  que  Scs  pro- 
ches dissimulaient  devant  lui  la  gravité  de  son  mal,  leurs  inquié- 
tudes pour  l'avenir,  lui, dissinaulait  devaut  eux  ce  qu'il  pensait, 
ce  qu'il  sentait  de  lui-rnêrae. 

Mais  à  quelques  amis  chrétiens  comme  lui,  il  confia  dès  les 
premiers  jours  qu'il  se  savait  touché  à  fond,  et  de  ce  moment, 
il  considéra  la  vie  comme  une  préparation  à  la  mort.  Il  me  le 
dit  à  moi-même,  presque  au  lendemain  de  l'accident,  et  il 
ajouta  que  la  résignation  lui  était  facile  et  son  attente  du  dé- 


306  ANNALES    CATHOLIQUES 

noûraent  sans  mérite,   parce   qu'elle  était  sans  appréhension. 

€  Loin  de  ntie  plaindre  à  Dieu  de  ce  qu'il  m'a  enlevé,  me  dit- 
il,  je  suis  plutôt  tenté  de  l'en  lemercier  et  de  me  plaindre  de  ce 
qu'il  m'a  laissé.  J'ai  accompli  ma  tâche  et  je  vois  approcher 
avec  bonheur  le  moment  de  retourner  à  Dieu,  »  et  il  redi- 
sait avec  une  merveilleuse  douceur  sa  parole  favorite  :  c  Moa- 
rir  c'est  sortir  de  Vexislence  pour  rentrer  dans  la  vie.  » 

Cette  sérénité  joyeuse  ne  se  démentit  pas  un  instant,  et  quand 
je  le  revis  quatre  mois  plus  tard,  à  mon  retour  de  campagne,  je 
le  trouvai  plus  épanoui,  plus  heureux  que  jamais.  C'était  le 
4  novembre,  jour  de  la  saint  Charles,  toujours  fêté  par  ceux 
qui  l'aimaient.  Nous  déjeunâtues  chez  lui  à  Montretout  et,  tout 
le  temps,  il  se  montra  d'une  gaieté  charmante.  A  table,  il  de- 
mandait à  sa  femme  s'il  pouvait  manger  de  tel  ou  tel  mets,  et 
en  cas  de  refus,  il  assaisonnait  son  obéissance  d'un  bon  sourire 
et  de  quelque  aimable  plaisatiterie.  Le  docteur  Blanche,  son 
vieil  ami,  était  du  déjeuner:  ni  Tun  ni  l'autre  ne  se  doutaient 
que  le  médecin  dût  partir  avant  le  malade.  La  mort  a  de  ces 
ironies. 

Je  remportai  de  cette  fête  de  saint  Charles,  la  dernière  que 
Oounod  dût  célébier  sur  la  terre,  une  impression  de  paix  pro- 
fonde, d'espérance  sereine  et  de  tendre  admiration. 

Il  parut  se  remettre,  et  le  printemps  suivant  le  trouva  de- 
bout, en  apparence  rétabli,  presque  rajeuni.  «  Gounod  a  dix- 
huit  ans  >,  me  disait  en  souriant  un  de  mes  enfants  qui  l'avait 
TU  en  septembre,  un  mois  avant  sa  mort.  Mais  lui  ne  s'y  trooa- 
pait  |ias. 

Je  n'ajouterai  plus,  pour  terminer  cette  rapide  exquisse,  que 
quelques  mots  touchatits  oii  se  retrouvent  jusqu'au  bout  la  foi 
et  la  charité  de  sa  grande  âme. 

«  La  dernière  fois  que  je  le  vis,  me  dit  une  de  ses  vieilles 
amies,  il  fit  devant  moi  une  méditation  à  haute  voix  sur  le 
Pater  ;  je  ne  puis  en  redire  les  paroles,  mais  je  me  souviendrai 
toujours  de  ses  yeux  pleins  de  larmes  et  de  son  regard  qui  sem- 
Itlaii  lire  dans  l'infini  ce  que  8a  bouche  me  disait.  —  Il  me  dit 
aussi,  à  propos  de  la  douleur  rhumatismale  qui  le  tourmentait 
cruelletnent  :  c  La  Fouflrance  est  la  porte  la  plus  sûre  par  la- 
quelle Dieu  entre  dans  notre  âme.  Aussi  devons-nous  la  lui  <m- 
vrir  bien  grande,  en  aimant  de  tout  notre  cœur  les  maux  qu'il 
nous  envoie.  > 

Parlant  du   Purgatoire  une  semaine  avant  sa  moit,  il  rendit 


UN  VAILLANT  PORTB-CROIX  A  LAUZERTB  307 

grâces  à  Dieu  devant  sa  fille  <  de  cette  divine  invention  qui 
donne  à  l'àme  l'amour  dans  la  souffrance,  souffrance  expiatoir© 
qu'elle  ne  voudrait  pas  ne  pas  souffrir,  parce  qu'en  épurant 
l'âme  pécheresse,  elle  la  prépare  à  voir  Dieu.  ^ 

Et  le  lendemain  matin,  15  octohre,  le  jour  même  oii  il  fut 
frappé,  entendant  critiquer  un  peu  trop  vivement  devant  lui  ana 
personne  amie,  il  prononça  d'un  ton  de  doux  reproche,  cette 
parole  vraiment  évangéliciue  : 

«  Allons,  tâchons  de  ne  voir  les  défauts  des  autres  qu'à  tra- 
vers leurs  qualités,  et  de  voir  nos  qualités  à  nous,  qu'à  travers 
nos  tléfauts.  » 

Cette  leçon  de  charité  fut  la  dernière  qui  sortit  de  ses  lèvres, 
fermées  peu  d'heures  aptes  par  la  paralysie  et  la  mort. 

Moins  iiitéreï<sante  que  ses  chefs-a'œuvre,  elle  lui  servira 
plus  devant  Dieu,  et  peut-être  même  vivra-t-elle  dans  la  mé- 
moire de  ceux  qui  prisent  la  bonté  à  l'égal  du  ^énie.  {Univers.) 

Marquis  de  Ségur. 


UN  VAILLANT  PORTE-CROIX  A  LAUZERTE 
[Histoire  vraie.) 

I 

Connaissez-vous  Lanzerte  dans  le  midi  de  la  Francp.?  Non, 
n'ost-ce  pas?  Je  crois  même  que  vous  vous  coiis^olez  sans  peine 
de  cette  lacune  dans  vos  notions  géojjiaphiques.  Eli  bien,  vous 
avez  tort;  car  c'est  une  petite  ville  qui  mérite  un  rang  et  ua 
nom  dans  l'histoire,  et  voilà  pouniuoi  elle  se  permet,  à  son 
tour,  de  se  consoler  de  votre  ignorance. 

Son  nom  lui  vient-il  de  la  famille  des  le'zards  qui  s'étaient 
oichés  dans  les  trous  du  rocher  sur  lequel  elle  est  bâtie?  Les 
Tieillards  le  disent.  C'est  pour  cola,  d'ailleurs,  qu'elle  porte  un 
lézard  —  lacerta —  dans  ses  armes  qu'un  peintre  a  reproduites 
naguère  tant  bien  que  mal   au-dessus  de  la  porte  de  la  luaiiie. 

Ces  armes  parlantes  sont  ornées  du  chef  cousu  de  France  et 
ont,  en  outre,  sur  champ  de  gueules,  trois  tours  maçonnées 
d'argent  à  dexire,  et  une  croix  trériée  d'or  à  senestre. 

Elles  racontent  ainsi  aux  enfants  qui  giamlissent  et  qui  veu- 
lent s'instruire  le  rang  que  la  ville  occupa  dans  les  annales  du 
pasbé. 


308  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  chef  cousu  de  France  proclame  son  attachement  à  l'an- 
cienne royauté.  Les  trois  tours  disent  sa  puissance  qui  ne  vit 
plus  que  de  souvenirs,  et  sa  croix  raconte  sa  foi  qui  n'est  pas 
morte,  mais  qui  est  peut-être  légèrement  endormie. 

Cette  puissance  rappelle  surtout  le  souvenir  d'une  sénéchaus- 
sée qui  avait  une  immense  juridiction  aux  alentours,  et  cette  foi 
qui  sommeille  pourrait  évoquer  des  ombres  de  l'oubli  de 
grandes  figures  ecclésiastiques,  religieuses,  monacales,  qui  ne 
sont  pas  sans  gloire.  Aussi,  les  rares  savants  qui  visitent  Lau- 
zerte  voient  avec  plaisir  son  château,  sa  barbacane,  sa  brèche 
et  son  carnel. 

Le  vieux  château  contiendrait  encore,  paraît-il,  des  restes  du 
manoir  seigneurial  que  Raymond  VII,  comte  de  Toulouse,  bâtit 
là  jadis,  pour  en  faire  un  rendez-vous  de  chasse,  nu  milieu  de 
vallées  riantes  d'aspect  et  luxuriantes  de  végétation. 

La  barbacane  aurait  servi  à  la  défense  de  la  ville  pendant  la 
guerre  des  Anglais. 

La  brèche  leur  aurait  un  jour  donné  accès  dans  la  ville  vain- 
cue, et  le  carnel  ou  charnier  aurait  reçu  les  cadavres  de  ses 
ennemis  que  l'on  avait  enfin  repoussés  et  ignominieusement 
chassés  d'un  nid  d'aigle  qui  n'était  pas  fait  pour  eux. 

Les  archéologues  voient  aussi  avec  intéiêi  les  restes  de  plu- 
sieurs monastères  qui,  avant  la  Révolution,  abritèrent,  là, 
comme  ailleurs,  l'innocence,  la  prière  et  la  vertu. 

Aujourd'hui,  l'église  de  Notre-Dame  nous  rappelle  un  couvent 
de  Caimes  qui  ont  lais^sé  à  la  postérité  l'exemple  d'un  courage 
héroïf^ue  au  moment  de  la  grande  tourmente,  et  à  l'art  un  ma- 
gnifique rétable,  dans  le  goût  espagnol,  qui  est  une  vraie  mer- 
veille pour  une  petite  ville. 

Au  bas  du  château,  on  remarque  une  masure  entourée  d'un 
jardin  potager,  laquelle  fut,  à  la  même  époque,  la  demeure  de 
quelques  religieux  capucins. 

La  mairie  occupe  l'ancien  monastère  des  Mirepoises,  et  la 
gendarmerie,  celui  des  Clarisses. 

C'est  dire  que  sur  bien  des  murailles  de  Lauzerte,  comme 
ailleurs,  on  pourrait  écrire,  si  l'histoire  n'avait  des  lois  inéluc- 
tables devant  lesquelles  il  faut  forcément  s'incliner,  la  protes- 
tation du  doux  Virgile  : 

Sic  vos  nonvobis  melli/îcatts,  opes  (1). 

(1)  C'est  ainsi,  abeilles,  que  vous  faites  du  miel  pour  d'autres  que 
pour  vous. 


UN  VAILLANT  PORTE-CROIX  A  LAUZERTE  309 

C'est  dire  aussi  que  ce  n'est  pas  en  vain  que  les  saintes 
abeilles  du  lieu  firent  du  miel  dans  leurs  cellules.  Le  fait  que 
je  veux  raconter  tout  à  l'heure  le  prouvera. 

II 

Mais  faisons  mieux  connaître  le  site. 

Si  la  gloire  n3  l'a  pas  consacré,  et  si  les  dictionnaires  et  les 
guides  ne  le  signalent  pas  à  l'attention  des  touristes,  il  n'en 
mérite  pas  moins  l'admiration  des  voyageurs  qui  le  rencontrent 
sur  leur  route. 

Dans  tous  les  cas,  les  habitants  en  sont  fiers  et  c'est  une  de 
leurs  joies  de  contempler  du  haut  des  promenades  qui  l'entou- 
rent les  gracieuses  vallées  qu'il  domine.  Le  spectacle  ne  varie 
guère  :  il  est  peut-être  monotone,  mais,  quand  pour  le  plaisir 
des  yeux,  on  n'a  ni  monuments,  ui  musées,  il  faut  bien  se  con- 
tenter de  la  campagne. 

La  nature,  du  reste,  n'est-elle  pas  le  plus  beau  musée  du 
monde?  C'est  le  bon  Dieu  qui  l'a  meublé,  et  l'horizon  de  Lau- 
zerte,  orné,  comme  il  l'est  de  tout  côté,  de  vieux  castels  déman- 
telés, de  clochers  essorant  au  milieu  de  la  verdure,  de  villages 
blancs  émaillant  les  collines  voisines,  et  de  rubans  multicolores 
dessinés  par  des  ruisseaux  et  des  rivières,  des  sentiers  et  des 
routes,  n'est  pas  sans  charme  et  sans  poésie,  surtout  quand  il 
est  éclairé  par  un  brillant  soleil. 

Faut-il  mentionner,  an  passage,  les  macarons  que  produit  le 
pays?  Pourquoi  pas. 

Ce  petit  paiu  des  heureux  —  le  mot  rnacar,  macaros  qui,  en 
grec,  veut  dire  heureux^  doit,  je  suppose,  entrer  pour  quelque 
chose  dans  l'étymologie  de  cette  friandise  faite  de  sucre  et 
d'amandes  — ce  petit  pain  des  heureux,  dis-je,  est-il  aussi 
célèbre  là  qu'a  Nancy? 

Je  l'ignore,  je  sais  seulement  qu'il  est  estimé  partout  oii  il 
paraît,  et  qu'il  a  été  goiité  avec  plaisir  par  des  bouches  augustes 
à  Paris,  à  Rome,  à  Saint-Pétersbourg,  peut-être  même  à  Berlin, 
oii  cependant  il  ne  doit  pas  y  avoir,  à  mon  sens,  de  dents  dignes 
de  le  croquer. 

Je  sais  en  outre  que  lorsqu'il  n'est  pas  dénaturé,  quand  il  est 
pétri  consciencieusement  suivant  les  principes  de  l'art  que  se 
transmettent  les  grand'mères  de  génération  en  génération,  il 
mérite  la  réputation  qu'on  lui  a  faite  à  cent  lieues  à  la  ronde. 


310  ANNALES   CATHOLIQUES 

Aussi,  si  jamais  la  modeste  cité  qui  doit  soa  berceau  à  Ray- 
mond VII  vient  à  disparaître,  si  un  jour,  dans  les  âges  futurs, 
les  barbares  de  l'avenir  viennent   semer  le  sel  sur  les  ruines  : 

Li,  talent  avertite  casum  !  (1) 

alors  que  les  pâtres  et  les  archéologues  seuls  prononceront  son 
nom,  alors  surtout  que  les  lézards  habiteront  ses  décombres, 
comme  leurs  ancêtres  habitèrent  ses  fondations,  le  souvenir  de 
Laiizerte  vivra  encore  dans  la  mémoire  de  nos  arriére-petits- 
neveux. 

Une  gourmandise  sauvera  de  l'oubli  le  nom  d'une  ville  qui 
luit  au  vieux  soleil  des  cieux,  coquettement  assise  à  la  cîrae  d'un 
macaron  granitique  et  qui  aux  approches  du  xx«  siècle  n'a  pas 
encore  de  chemin  de  fer,  bien  (ju'à  la  veille  des  élections  légis- 
latives, tous  les  candidats  à  la  députation  lui  en  promettent  un 
éivant  l'août  ..  foi  d'Iiomrae  politiijue! 

Cependant  —  et  c'est  là  que  je  veux  arriver  —  bien  qu'elle 
soit  Comme  les  peuples  heureux,  bien  que  comme  eux,  elle  n'ait 
pas  a'hisioire,  il  y  a,  dans  ses  annales,  que  les  vieillards  se 
racontent  entre  eux,  il  y  a  des  faits  qui  pourraient  aii8si,  et 
mieux  en^^ore  qu'un  gâteau  populaire,  conserver  son  souvenir 
inta<^t  au  milieu  des  bouleversements  de  l'humanité. 

En  voici  un  qui  mérite  d'être  raconté  aux  enfants  petits  et 
grands. 

{A  suivre.)  .  Abbé  H.  Cailhiat. 


LE  PORTEFEUILLE  DE  LOUIS  VEUILLOT 

Nous  lisoa-<  dans  l'Univers,  sous  la  sigaature  de  M.  Eug.  Veuillot  : 

Louis  Veuillot  s'est  toujours  promis  d'écrire  pour  lui  €  son 
journal  ».  C'est  une  promesse  que  se  font  volontiers  les  homme* 
qui  ont  beaucoup  à  entendie  et  (pielque  chose  à  dire.  Mallieu- 
reupement,  ces  horatnes-là  étatit  d'ordinaire  très  occupés,  trou- 
vent difficilement  le  temps  de  se  tenir  parole.  Ainsi  en  est-il 
arrivé  (lour  mon  frère. 

Je  u'ai  donc  pas  ce  journal  resté  pour  ainsi  dire  à  l'état  de 
projet,  mais  j'ai  des  pHges  écrites  ou  dictées  aiirés  d'importantes 
couTetsatious.  J'en  donnerai  quelques-unes  aujourd'hui. 

(1)  Dieux,  épargnez-nous  un  tel  malheur  (Virgile). 


I 


LK   PORTIFBUILI.E    DE   LOUIS    VEUILLOT  311 

En  décembre  185',  le  grand  évêi|ue  de  Poitiers,  Mgrr  Pie, 
Tient  à  Paris  pour  prendre  langue  près  de  diverses  personne» 
et  8'expliquer  avec  le  ministre  des  cultes,  M.  Fortoul,  et  même 
avec  l'Knjpereur,  sur  un  blâme  dont  il  avait  été  officiellement 
frappé,  au  sujet  d'une  lettre  synodale  ou  il  avait  jugé  en  évênoe 
la  politique  de  Victor-Emmanuel.  La  note  suivante  de  Louis 
Veuillot  se  rapporte  à  ce  voyage  : 

«  L'évêijue  do  Moulins  est  venu  dans  la  soirée.  Il  a  une  fermeté 
étroite  et  un  légitimisme  encore  plus  étroit,  qui  l'ont  mis  dans 
de  fàrheuses  affaires  avec  son  clergé  et  aveo.  le  gouvernement. 
Il  voit  avec  peine  l'évê  jue  de  Poitiers  s'éloigner  de  la  voie  poli- 
tique où  il  se  trouve  lui-même  si  mal.  L'èvêque  de  Poitiers  ne 
lui  a  pas  du  tout  déguisé  son  désir  de  se  dépêtrer  et  sa  lésolu- 
lution,  s'il  le  fallait,  de  se  dcbourhonniser.  Il  lui  a  dit,  en  le 
consultant  sur  différentes  règles  d'étiquettes,  qu'il  irait  voir  le 
lendemain  l'Empereur.  —  Ah  !  ali  !  fit  Mgr  de  Brézé.  —  Ma  foi, 
répondit  l'èvêque  rie  Poitiers,  d'abord  les  intérêts  de  mon  dio- 
cèse m'y  oliligetit.  Et  puis,  je  ne  veux  pas  arriver  à  Rome  avec 
une  couleur  d'opposition,  parce  qtie  je  n'y  réussirais  à  rien,  — 
Monseigneur,  reprit  révêijue  de  Moulins,  vous  me  demandier 
s'il  faiii  avoir  des  gant.*  :  jumais  devant  un  souverain,  jaruais.  » 

Je  dois  noter  ici  que  Mgr  Pie,  malgré  ses  hé.-itations  d'alors, 
De  se  débourbonnisa  point.  La  poliii(jue  de  Napoléon  III  deve- 
nait telle  qu'elle  lui  en  fil  passer  l'idée. 

Les  pages  suivantes  sont  presque  de  la  même  date  que  les 
précédentes  : 

«  Evêi/ua  d'Amiens  (Mgr  de  Salinis).  Derniers  jours  de  dé- 
cembre (1855).  —  L'èvêque  d  Arai^ins  est  venu  à  Paris  pour 
Taliaiie  de  sa  translation  à  l'archevêché  d'Auch.  Nous  aurions 
voulu,  du  Lac  et  moi  et  quelques  autres  de  ses  amis  à  qui  il  en 
a  parlé,  qu'il  restât  sur  son  siège,  plus  voisin  et  lui  permettant 
mieux  de  suivre  les  iniérêtsde  la  cause  romaine.  Mais  ce  chan- 
gement lui  sourit.  Il  sera  dans  .>;on  pay«,  dans  sa  famille,  il  est 
connu  du  clergé  d'Auch,  où  il  compte  beaucoup  d'anciens  com- 
pagnons d'études  qui  lui  sont  restés  attachés.  Un  saint  piêire  da 
diocèse  et  qui  fut  le  principal  instrument  de  la  reconstruction 
Hprés  les  désastres  de  la  première  république,  l'avait  toujours 
désiré,  et  est  mort  en  le  désirant  et  presqu'en  l'annonçant.  Enfin, 
raison  pius  grave  st  dét2rn:::2ant,e,  l'intérêt  de  la  province  lout 


312  ANNALES  CATHOLIQUES 

entière  exige  un  métropolitain  aussi  dévoué  que  lui  dans  toutes 
les  questions  qui  intéressent  le  Saint-Siège;  et  le  nonce  est 
d'avis  qu'il  accepte. 

«  E.i  quittant  son  Eglise,  il  n'a  pas  voulu  l'abandonner,  et  il 
a  fait  condition  à  Fortoul  qu'il  aurait  le  choix  de  son  successeur 
ou  que,  du  moins,  on  n'en  choisirait  pas  un  sans  son  avis  ou 
contre  son  avis.  Il  propose  l'abbé  Caire,  son  ami  de  tout  temps, 
ou  l'abbé  de  Ladoue,  son  élève  et  aujourd'hui  son  vicaire  général. 

€  Le  bruit  parmi  les  ennenais  est  que  cette  transition  est  une 
disgrâce  à  laquelle  on  attribue  deux  causes  :  la  première,  que 
Fortoul,  jaloux  de  son  influence,  désire  l'éloigner;  l'autre,  que 
l'EmpertJur  veut  l'écarter  parce  qu'il  a  saisi  une  lettre  de  lui 
au  comte  de  Charabord.  Deux  sottises  qui  se  contredisent.  Il 
n'est  pas  du  caractère  de  l'évêque  d'Amiens  de  se  mettre  mal 
avec  un  ministre  tant  soit  peu  supportable,  et  encore  moins 
d'écrire  une  lettre  compromettante.  Il  a  la  petite  faiblesse  de  se 
dire  légitimiste,  parce  qu'en  efFdt,  il  l'a  été  plus  ou  moins,  mais 
il  ne  prouve  pas  qu'il  le  soit,  et  surtout  il  ne  l'écrit  pas. 

«  Du  reste,  il  a  vu  l'Empereur  qui  l'a,  comme  de  coutume, 
très  bien  reçu.  11  lui  a  dit:  j'ai  vu  l'archevêque  d'Auch(l),  il 
m'a  dit  qu'Auch  n'était  pas  un  siège  fait  |)Our  vous;  ijue  c'est 
Bordeaux  qu'il  vous  faudrait.  Je  trouve,  en  effet,  qu'Auch  est 
bien  petit  et  bien  loin;  mais  je  n'ai  pas  Bordeaux  à  donner, 
Voyez  donc.  Monseigneur,  si  vous  voulez  aller  là  bas;  je  n'en  ai 
pour  ma  part  aucun  désir;  faites  à  votre  gré. —  Il  lui  a  répondu 
que,  personnellement,  Aiich  lui  conviendrait  et  qu'il  ne  deman- 
dait qu'une  chose,  c'était  de  subordonner  sa  décision  à  la 
volonté  du  Pape  qu'il  allait  consulter.  Abordant  ensuite  d'autres 
questions,  il  parla  en  évêiiue:  «  Sire,  dit-il,  après  les  précau- 
tions oratoires  voulues,  je  dois  vous  confier  f|u'il  y  a  dans  le 
cœur  des  catholiques  beaucoup  d'alarme.  C  est  parmi  eux.  je 
l'ose  dire,  que  sont  vos  meilleurs  et  vos  plus  siirs  amis;  néan- 
moins ils  s'inquiètent  et  conçoivent  quel(|Uefois  une  soite  de 
désespoir.  —  L'Em[)ereur,  attentif,  lui  en  demanda  la  cause.  -  - 
«  C'est,  reprit  l'évêiiue,  qu'il  y  a  autour  de  vous  des  hommes 
capables  de  nous  effrayer  et  de  nous  décourager.  Nous  avons 
pleine  confiance  en  vous.  Nous  savons  combien  vous  êtes  bon, 
juste,  ferme,  quels  nobles  sentiments,  et  quels  grands  désirs 
sont  dans  votre  cœur.  Mais  les  hommes  dont  je  parle  sont  loin 
de  vous  ressembler. 

(1)  Mgr  de  la  Croix,  démissionnaire. 


LK    PORTEFEUILLE    DE    LOUIS    VEUII.LOT  313 

€  Ils  ne  comprennent  rien  à  la  mission  que  vous  avez  reçue  de 
Dieu,  et  c'est  encore  peu  de  chose.  Ils  jettent  sur  votre  goa- 
vernement  une  ombre  d'improbité  toujours  funeste.  Sans  parler 
de  leurs  moeurs,  point,  cependant,  qu'un  souverain  ne  doit  pat 
négliger,  on  les  accuse  d'avoir  les  mains  dans  de  fâcheuses 
affaires.  Ils  s'enrichissent  beaucoup  par  des  moyens  que  Votre 
Majesté  ne  piîut  approuver.  Permettez  à  un  évê(|ue  qui  voa« 
aime  de  le  dire  franchement,  sire,  c'est  un  grand  danger  pour 
vous  et  pour  nous.  Les  Français  se  plient  volontiers  sous  I» 
main  qui  gouverne,  mais  ils  veulent  qu'elle  soit  pure.  Ce» 
mains-là  ne  le  sont  pas.  Il  faut  vous  débarrasser  de  cela,  sire. 
Voilà  l'imi'ératrice  à  la  veille  de  vous  donner  un  héritier.  Ce 
sera  un  grand  événement  qui  consolidera  votre  sécuiité  et  nos 
espi'îrances  ;  ce  sera  une  grande  grâce  de  Dieu.  Il  faut  la  recon- 
naître et  répondre  à  l'émotion  des  cœurs  eu  faisant  quelque 
chose  qui  satisfasse  le  vœu  des  honnêtes  gens.  »  L'Empereur 
remercia  l'évêfjue  des  avis  qu'il  lui  donnait,  lui  promit  â'j 
réfléchir  et  ajouta  :  «  J'ai  déjà  songé  à  ce  que  vous  me  dites;  il 
n'est  pas  si  facile  que  vous  croyez  de  trouver  des  honnêtes 
gens.  J'ai  autour  de  moi  des  hommes  que  j'ai  été  forcé  de 
prendre,  faute  d'autres  que  j'ai  appelés  après  le  Deux  Décembre 
et  qui  ne  sont  pas  venus  ou  qui  se  sont  écartés.  » 

«  —  Je  vous  en  conjure,  sire,  pensez-y.  Les  plaintes  que  je 
vous  adresse  sont  réelles,  les  sentiments  que  je  vous  exprime, 
je  les  ai  trouvés  dans  la  bouche  des  hommes  les  plus  dévoués, 
et  dévoués  avec  le  plus  de  désintéressement,  à  votre  personne 
et  à  votre  mission.  Votre  Majesté  connaît  le  nom  de  M.  Louif 
Veuillot. 

€  —  Assurément,  dit  l'Empereur  attentif,  je  connais  son  talent, 
je  sais  ce  que  vaut  son  caractère. 

c  —  Eh  bien, sire,  lui-même  me  disait  hier  ce  que  je  viens  de 
vous  rapporter.  Il  lui  conta  alors  avec  assez  'le  détails  l'inier- 
vention  de  Collet  Miygret  dans  les  polémi(iues  de  l'Univers 
avec  le  Siècle,  et  coanuent  V  Univers  qui  défendait  pourtant  la 
religion,  la  justice  et  l'empereur,  avait  àù  braver  un  avertisse- 
ment pour  ne  pas  laisser  honteusement  le  dernier  mot  à  se» 
adversaii'es. 

€  Sur  cette  question  delà  défense  de  la  religion  et  de  la  protec- 
tion que  le  gouvernement  doit  lui  donner,  l'empereur  dit  queîa 
marche  à  suivre  dans  l'intérêt  même  de  l'Eglise  paraissait  bieit 
difficile  et  bien  ténébreuse.  <  Vous  voyez,  dit-il,  mouseignear. 


314  ANNALES   CATHOLIQUKS 

ce  qui  est  arrivé  de  notre  temps  :  sous  la  Restauration,  la  reli- 
gion était  protégée  par  le  pouvoir  et  en  baisse  dans  le  pays.  Sous 
Louis-Philippe,  elle  était  livrée  à  toutes  les  attaques,  elle  a  fait 
des  progrès.  > 

€  C'est,  dit  l'évèque,  qu'elle  a  été  fort  mal  protégée  sous  la 
Restauration,  et  qu'une  protection  inintelligente  est  encore  pire 
qu'une  hostilité  ouverte.  La  Restauration  était  un  gouvernement 
inepte,  à  qui  la  Providence  avait  tout  mis  dans  les  mains  et  qui 
a  tout  laissé  tomber.  Sa  conduite  envers  la  religion  qu'elle  vou- 
lait défendre  a  été  absurde,  comme  sa  conduite  envers  les  enne- 
mis contre  lesquels  elle  avait  à  se  défendre  elle-même.  La  pro- 
tection était  toute  d'apparence  et  de  fareur,  mais  en  même  temps, 
on  liait  les  mains  à  l'Eglise  et  on  l'opprimait.  On  envoyait  des 
gendarmes  pour  protégerquelques  prédications  de  missionnaires, 
et  on  traduisait  devant  le  conseil  d'Etat  un  évêque  qui,  ayant 
reçu  un  Bref  du  Pape  pour  des  indulgences,  avait  usé  le  publier. 
Les  évêques  étaient  reçus  à  la  cour  avec  faveur  et  on  leur  dé- 
fendait d'aller  à  Rome.  On  leur  accordait  toutes  les  grâces  per- 
sonnelles qu'ils  pouvaient  demander  et  on  réduisait  le  nombre 
des  élèves  dans  de  petits  séminaires;  quelques  petit»  séminaires 
même  étaient  fermés:  on  fermait  enfin  les  écoles  des  Jésuites. 
Ainsi  une  protection  personnelle  pour  les  prêtres,  aucune  liberté 
pour  l'Eglise.  Ce  n'est  pas  ainsi  que  l'on  protège  la  religion  :  et 
le  régime  pervers  et  détestable  de  Louis-Philip[te  valait  cepen- 
dant mieux,  parce  qu'il  y  avait  plus  de  liberté.  Cent  la  liberté 
de  l'Eglise,  sire,  qui  est  la  protection  de  l'Eglise.  N'accordez 
aucune  faveur  aux  évêques  pour  leurs  protégés,  pour  leurs  pa- 
rents ;  refusez  même  durement  ceux  qui  en  solliciteraient,  mais 
maintenez  et  étendez  la  liberté  de  l'Eglise,  et  elle  vous  fera 
beaucoup  de  bien  et  aucun  mal.  En  même  temps,  usez  légiti- 
mement de  votre  pouvoir  pour  empêcher  que  la  religion  soit 
chaque  jour  diffamée  et  vilipendée  par  les  journaux  au  milieu 
de  ces  populations  ignorantes  dont  nul  pouvoir  ne  pourra  plus 
tirer  parti  loi-squ'elles  seront  irréligieuses.  » 

«  Dans  le  cours  de  la  conversation,  l'empereur  eut  occasion 
de  parler  du  comte  de  Chambord  et  de  ses  idées  politiques.  «  J'ai 
là,  dit-il,  une  lettre  curieuse  du  général  Lamoriciére  à  un  d© 
ses  amis  à  qui  il  rend  compte  de  sa  dernière  visite  à  Frohsdorff. 
Le  comte  de  Chambord  lui  a  dit:  «  Bonaparte  a  pour  lui  le 
clergé,  l'armée  et  les  paysans  ;  moi  je  m'appuierai  sur  les  classes 
éclairées  et  je  leur  donnerai  la  liberté  qui  leur  manque.  »  — 


LETTRK  DE   LEON  XIII  AUX  ÉVÉQUES  d'eSPAGNK  315 

«  Eb  bien,  sire,  dit  en  souriant  l'évêque.  Monsieur  le  comte  de 
Chambûi'd  se  prépare  là  un  joli  avenir  !»  — «  Oui,  reprit  l'em- 
pereur, il  ira  loin.  » 

«  La  conversation  a  duré  plus  d'une  heure  et  l'évêque  en  est 
revenu  foi-t  content.  Je  l'ai  féli'îité  d'avoir  su  dire  la  vérité  au 
maître,  car  c'est  du  moins  un  avantage  qu'il  la  connaisse,  mais 
j'ai  bien  dû  observer  qu'au  fond  de  tout  cela  il  n'y  avait  rien  de 
positif  et  que  nous  restions  dans  les  mains  de...  et  autres,  mains 
démoci'ates,  mains  tripoteuses,  etc.  L'évêque  en  est  convenu, 
ajoutant  qu'il  fallait  pourtant  avouer  que  tout  ce  qui  est  de  l'em- 
pereur personnellement  est  ferme,  sensé,  droit  et  sujet  d'espé- 
rance. C'eî«t  vrai.  » 

J'ai  mi^i  dans  ce  dernier  paragraphe  des  points  à  la  place  des 
noms  propies.  Je  puis  cependant  nommer  dés  à  présent  un  de 
ces  personnages,  celui  en  qui  Louis  Yeuillot,  ne  l'accusant  pas 
de  tripoter,  voyait  un  démociate,  c'est-à-dire  un  révolution- 
naire particulièrement  hostile  aux  droits  de  l'Eglise:  c'était 
M.  Billaut.  Ce  fut  ce  même  M.  Billaut  qui  contresigna  en  jan- 
vier L^59  comme  ministre  de  l'intérieur,  le  décret  de  suppres- 
sion de  l'Univers. 


LETTRE  DE  SA  SAINTETE  LEON  XIII 

PAPE    PAR    LA    DIVINE   PROVIDENCE 

Aux  Evêques  d'Espagne 

A  nos  Vénérables  Frères  les  Archeoèques 
et  Evêques  d'Espagne. 

LÉON  XIII,  PAPE 

Vénérables  Frères,  salut  et  bénédiction  apostolique. 
C'est  avec  un  grand  zèle  et  une  non  moindre  vigilance, 
vous  le  savez,  que,  aussitôt  arrivé  au  gouvernement  su- 
prême de  l'Eglise,  Nous  Nous  sommes  appliqué  à  défendre 
et  à  développer  dans  votre  pays  la  foi  catholique,  et,  sur- 
tout, à  affermir  la  concorde  des  âmes,  à  exciter  dans  le 
cler;j;é  une  féconde  émulation.  Aujourd'hui,  animé  pour 
vous  du  même  zélé.  Nous  avons  tourné  Notre  pensée  vers 
vos  jeunes  clercs,  et  Nous  avons  voulu,  d'accord  avec 
TOUS,  contribuer  en  quelque  manière  à  leur  éducation. 


316  ANNALES    CATHOLIQUES 

Nous  voulons  que  ce  soit  là  an  nouveau  gage  de  la  pa- 
ternelle bienveillance  dont  Nous  avons  accoutumé  de 
TOUS  entourer  tous.  Et  certes,  c'est  justice,  car  Nous  n'ou- 
blions pas  l'histoire  d'Espagne  et  Nous  n'-gnorons  pas  votre 
souveraine  et  immuable  constance  dans  la  foi  de  vos  pères 
et  dans  l'obéissance  au  Saint-Siège.  Telle  est  la  principale 
cause  à  laquelle  le  nom  espagnol  doit  le  comble  de  gloire  et 
d'influence  qu'attestent  les  monuments  de  l'histoire.  Nous 
nous  rappelons  aussi,  ce  que  Nous  voulons  spécialement 
noter  ici,  qu'au  milieu  de  Nos  amertumes,  des  consolations 
BOMibreuses  et  très  souhaitables  Nous  sont  souvent  venues 
d'Espagne.  Il  nous  est  donc  très  agréable  de  répondre  ré- 
ciproquement à  l'affection  que  manifestent  vos  bons  offices. 

Eclatante  a  été  dès  longtemps  l'effiorescence  du  clergé 
espagnol  dans  les  sciences  divines  et  dans  les  belles- lettres; 
il  a  contribué  grandement  par  ses  qualités  à  la  grandeur 
de  la  foi  chrétienne  et  au  nom  de  sa  pati  ie.  De  même  ils 
n'ont  pas  manqué  les  hommes  distingnés  qui,  assumant  le 
patronage  des  ans  les  plus  excellents,  leur  ont  apporté 
l'appui  propre  aux  circonstances.  Ils  n'ont  pas  manqné  non 
plus,  les  esprits  bien  doués  pour  l'étude  de  la  philosophie 
et  de  la  théologie,  comme  pour  le  culte  des  lettres. 

Nous  savons  combien  ont  fait,  pour  l'accroissement  deg 
études  doctrinales,  et  la  libéralité  des  rois  catholiques,  et 
les  travaux  et  la  sollicitude  des  évêques.  Le  Saint-Siège  a 
joint  des  encouragements  de  toute  sorte,  afin  que  ni  la  lu- 
mière de  la  philosophie,  ni  l'éclat  d'une  civilisation  avan- 
cée ne  manquassent  à  la  sainteté  des  mœurs  chrétiennes. 

En  ce  genre,  des  hommes  auxquels  il  en  est  peu  qu'on 
puisse  comparer,  François  Suarez,  Jean  Lugo,  François 
de  Tolède  ei  surtout  i''rawpoùXzme;ièy  vous  ont  transmis 
comme  un  insigne  patrimoine  de  gloire. 

Sous  la  direction  et  les  auspices  des  Pontifes  romains, 
Xiiupnès  put  atteindre  à  une  telle  hauteur  d:-  doctrine  qu'il 
en  éclaira  non  seulement  l'Espagne,  mais  toute  l'Europe, 
surtout  lorsque  fut  établie  l'université  d'Alcala,  oîi  les 
jeunes  écoliers,  c  au  milieu  de  l'Église  de  Dieu,  bxillant 


LBTTRB  DB  LÉON  XIII  AUX  ÉVÊQUES  d'eSPAGNK  2t7 

comme  les  étoiles  du  matin,  par  l'éclat  de  la  sagesse,  pus- 
sent éclairer  les  aat^^es  dans  la  voie  de  la  vérilé  »  (1  ). 

De  cette  mwisson  cultivée  avec  tant  de  zèle  et  d'habileté, 
sortit  la  cohorte  de  docteurs  illustres  qui,  convoqués  au 
concile  de  Trente  par  le  Pontife  romain  et  par  le  roi  catho- 
lique, remplirent  excellemment  l'attente  de  tous  les  deuX- 
II  n'est  pas  étonnant,  d'ailleurs,  que  l'Espagne  ait  vu  naître 
tant  de  si  grands  hommes;  car,  sans  parler  de  la  vigueur 
naturelle  des  esprits,  on  y  trouvait  des  secours  et  des  ins- 
truments merveilleusement  propres  à  faciliter  la  perfection 
des  études.  Il  suffit  de  rappeler  les  grandes  Universités 
d'AIcala  et  de  Salamanque,  qui,  sous  l'œil  vigilant  de 
l'Eglise,  furent  d'illustres  foyers  de  la  science  chrétienne- 
Leur  souvenir  se  joint  tout  naturellement  à  celui  des  col- 
lèges qui  fournirent  un  lieu  commun  de  réunion  à  des 
ecclésiastiques  remarquables  par  leur  talent  et  par  leur 
amour  de  la  science. 

Maintenant,  au  contraire,  Vénérables  Frères,  vous  avez 
sous  les  yeux  le  désastre  des  temps  postérieurs.  Au  milieu 
des  révolutions,  qui,  au  siècle  dernier  et  pendant  celui-ci, 
ont  bouleversé  toute  l'Europe,  on  a  vu  renversées  comme 
par  une  violente  tempête  et  détruites  jusqu'aux  fondements 
ces  diverses  institutions,  fondées  pour  faire  fleurir  la  science 
et  la  foi,  par  les  soins  et  les  ressources  des  pouvoirs  royad 
et  ecclésiastique. 

Les  Universitiés  catholiques  et  leufs  collèges  ayant  ainsi 
disparu,  l'on  rit  s'éclipser  les  sémiHaires  eui-mêmes^i^u 
défaut  de  cette  science  qui  découlait  si  abondamment  de 
ces  grandes  écoles.  Ajoutons  qu'ils  n'auraient  pu  conserver 
leur  ancienne  splendeur,  au  milieu  des  guerres  civUes  et 
des  troubles  qui,  plus  d'une  fois,  détoirnèrent  des  études 
les  forces  des  citoyens. 

Le  temps  vint  où  le  Saint-Siège,  ayec  l'accord  du  pou- 
voir civil,  mit  ardemment  ses  soins  à  arranger  les  affaires 
ecclésiastiques  bouleversées  par  les  tempêtes  précédentes, 

(1)  AIffzaDdra  VI,  belle  Inter  cœUras,  ide*  d'avrii  11*99. 


318  ANNALBS    CATHOLIQUES 

Mais  sa  sollicitude  se  tourna  de  préférence  vers  les  sémi- 
naires diocésains,  car  il  était  aussi  bien  de  l'intérêt  privé 
que  de  l'intérêt  public  que  ces  foyers  de  la  piété  et  de  la 
science  fussent  rétablis  dans  leur  ancien  état. 

Or,  vous  savez  que  la  réforme  ne  s'accomplit  pas  absolu- 
ment selon  le  plan  arrêté.  Ni  les  ressources  n'étaient  suffi- 
santes, ni  le  programme  des  études  ne  pouvait  refleurir 
avec  l'espoir  d'atteindre  à  la  gloire  passée,  parce  que  la 
disparition  des  anciennes  Universités  avait  produit  la  pénurie 
de  professeurs. 

Cn  accord  intervint  donc  entre  les  deux  puissances  su- 
prêmes pour  fonder  dans  certaines  provinces  des  séminaires 
générauXy  étant  convenu  que  ceux  d'entre  leurs  élèves  qui 
auraient  fait  tous  les  cours  des  études  théologiques  seraient, 
suivant  l'ancien  usage,  admis  aux  grades  académiques. 
Mais  nombre  d'obstacles  ont  empêché  et  empêchent  aujour- 
d'hui encore  qu'en  fait  ces  conditions  soient  réalisées. 

Ainsi,  maintenant  qu'a  disparu  le  secours  des  universités, 
il  manque  beaucoup  de  ces  adjuvants  sans  lesquels  un  clere 
peut  difficilement  aspirer  au  complet  et  souverain  honneur 
de  la  science.  C'est  pourquoi  il  n'y  a  qu'une  voix  et  un  avis 
chez  tous  les  hommes  sages,  à  savoir  qu'il  faut  perfectionner 
et  compléter  le  programme  des  études  dans  les  séminaires. 

Cela  Nous  est  à  grand  souci,  surtout  lorsque  Nous  consi- 
dérons les  exemples  de  Nos  prédécesseurs,  qui  n'ont  laissé 
échapper  aucune  occasion  de  favoriser  les  hautes  études. 
Mais  leur  grande  sagesse  a  brillé  principalement  en  ce  point 
qu'ils  ont  toujours  attiré  les  élèves  ecclésiastiques  vers  cette 
ville,  centre  de  la  foi  catholique,  et  qu'ils  ont  cherché  aies 
réunir  dans  des  collèges.  Ils  s'y  sont  appliqués  avec  plus 
d'ardeur  chaque  fois  que  ces  jeunes  gens  trouvaient  dans 
leur  patrie  moins  d'appui  pour  leurs  travaux,  ou  que  péri- 
clitait l'orthodoxie  de  l'enseignement,  publiquement  sous- 
traita  la  vigilance  de  l'Eglise. 

C'est  pour  ce  motif  qu'ont  été  fondés  à  Rome  plusieurs 
collèges  oij  les  jeunes  gens  étrangers  ont  coutume  de  se 
rendre  pour  y  faire  les  études  sacrées.  Et  ils  le  font  à  ce 


LETTRE  DE  LÉON  XIII  AUX  ÉVÊQUE8  d'esPAGNE  319 

dessein  qu'une  fois  revêtus  du  sacerdoce,  ils  emploient  pour 
le  bien  commun  de  leurs  concitoyens  les  trésors  de  l'esprit 
et  du  cœur  amassés  dans  la  Ville  éternelle.  Comme  cet  usage 
a  produit  et  donne  toujours  en  abondance  des  résultats  sa- 
lutaires, Nous  avons  pensé  que  Nous-mêmes  ferions  une 
œuvre  de  tous  points  excellente  en  augmentant  le  nombre 
de  telles  institutions;  de  là  vient  que  Nous  avons  ouvert  à 
Rome  un  séminaire  pour  les  Arméniens,  un  pour  la  Bohême, 
et  Nous  avons  pris  soin  de  rendre  à  celui  des  Maronites  son 
ancienne  dignité. 

Or,  Nous  supportions  avec  peine  que,  parmi  cette  foule 
déjeunes  gens,  ceux  originaires  de  votre  pays  ne  fussent 
pas  en  aussi  grand  nombre.  C'est  pourquoi,  dans  l'espoir 
d'obtenir  un  résultat  utile,  Nous  avons  formé  le  dessein  de 
faire  que  le  collège  romain  des  clercs  espagnols,  fondé 
naguère  grâce  à  la  sage  industrie  de  prêtres  remplis  de 
piété,  non  seulement  s'affermisse,  mais  puisse  s'accroître 
promptement. 

Il  Nous  plaît  donc  qut  tous  les  sujets  de  la  Péninsule 
ibérique  et  des  îles  voisines  soumises  au  roi  catholique, 
rassemblés  dans  ce  collège,  y  soient  placés  sous  Notre  auto- 
rité, et  que,  vivant  en  commun,  sous  la  direction  d'hommes 
sages  et  choisis,  ils  se  livrent  aux  études  qui  parfont  excel- 
lemment l'éducation  du  cœur  et  de  l'esprit. 

Nous  jugeons  que  cette  œuvre  trouvera  un  siège  et  une 
demeure  appropriés  dans  le  palais  appelé  Altemps,  du  nom 
des  ducs  ses  anciens  maîtres,  qui  est  devenu  Notre  pro- 
priété et  celle  du  Saint-Siège,  d'autant  plus  que  cet  édifice 
est  illustré  par  le  sanctuaire  du  Pontife  martyr,  Anicet, 
dont  les  cendres  sacrées  y  reposent,  et  aussi  par  la  mémoire 
de  Charles  Borrotnée^  qui  y  demeura. 

Nous  accordons  et  Nous  attribuons  la  jouissance  et  l'usu- 
fruit de  ce  palais  au  collège  des  évêques  d'Espagne,  à  la 
condition  pour  eux  d'en  user  afin  d'y  recevoir  et  loger  les 
clercs  de  leurs  diocèses  qu'ils  auront  résolu  d'envoyer  à 
Rome  y  faire  leurs  études  —  ainsi  que  Nous  l'avons  dit. 

Et  afin  que  Nos  projets  se  réalisent  plus  vite,  pendant  le 


320  ANNALES    CATHOLIQUES 

temps  nécessaire  pour  élever  les  cons  ructions  et  préparer 
les  autres  choses,  les  élèves  résideront  dans  une  partie 
déterminée,  et  appropriée  à  cet  usage,  du  palais  de  l'illustre 
famille  Altieri. 

Nous  désignons  les  archevêques  de  Tolède  et  de  Séville 
^ur  traiter  avec  Nous  et  Nos  successeurs  des  affaires  les 
pj^  importantes  du  collège  et,  dans  ce  but,  le  supérieur  de 
cet  .établissement  devra,  chaque  année,  référer  de  tout  ce 
qui.iîQncerne  les  choses  intérieures  du  collège,  la  discipline 
et  les  mœurs  des  élèves,  avec  Notre  sacré  conseil  des  étu- 
dBs  et  par  écrit,  avec  les  archevêques  susnommés  ;  ceux-ci, 
de  leur  côté,  auront  soin  de  s'entendre  à  ce  sujet  avec  leurs 
collègues  les  évêques  d'Espagne. 

Il  vous  appartient.  Vénérables  Frères,  de  Nous  aider 
dans  une  telle  œuvre,  et  cela  avec  autant  de  zèle  et  d'ar- 
deur que  l'afifaire  le  réclame  et  que  le  promettent  vos  vertus 
épiscopales, 

BiU  attendant.  Vénérables  Frères,  comme  gage  de  Notre 
singulière  bienveillance.  Nous  vous  accordons  très  tendre- 
ment dans  ie  Seigneur  la  Bénédiction  Apostolique,  ainsi 
qu'au  clergé  et  aux  fidèles  confiés  à  vos  soins. 

Donné  à  Home,  près  de  Saint-Pierre,  le  25  octobre  de 
l'année  1893,  la  seizième  de  Notre  pontificat. 

LÉON  XIII,  PAPE. 


LETTRE  PASTORALE  DE  S.  E.  LE  CARDINAL  RICHARD 

ARCHEVÊQUE    DE    PARIS 

Ordonnant  une  cérémonie  de  réparation  à  V  occasion  du  cen- 
tenaire de  la  profanation  de  l'église  de  Notre-Dame,  10  no- 
vembre \1M,  et  de  la  profanation  des  reliques  de  sainte 
Geneviève,  3  décembre  1793. 

Nos  très  chers  frères, 

L'anoéd  qui  s'acliève  a  ramené  pour  la  France  de  doulou- 
reux anniversaires.  Nous  voudrions  aujourd'hui  méditer  avec 
vous  devant  Dieu  les  loçons  qui  ressorteat  pour  nous  des  événe- 


LETTRE  DE  MONSEIGNEUR  RICHARD  3!^ 

ments  qui  marqyèrent  la  un  du  xviii*  siècle.  Il  est  loin  de 
jiotre  pensée  de  nous  arrêter  à  des  considérations  de  l'ordre 
purement  humain,  bien  moins  encore  de  l'ordre  politique.  Notre 
intention  est  tout  autre,  et  au-dessus  des  questions  qui  agitent 
trop  souvent  les  hommes  entraînés  par  leurs  passions  ou  domi- 
nés par  leurs  intérêts.  C'est  à  la  lumière  de  l'Evangile  que  nous 
désirons  jeter  un  regard  sur  des  événements  qui  ont  si  profoiï- 
déraent  atteint  l'existence  de  notre  pajs  il  y  a  cent  ans,  en  vous 
invitant  à  sanctifier  ce  centenaire  par  la  prière  et  la  pénitence. 

Vous  connaissez  tous,  nos  très  chers  frères,  ce  que  l'histoire 
nous  apprend  de  l'attaque  dirigée  contre  Dieu  et  contre  l'Eglise, 
jpendant  un  siècle  entier  par  une  philosophie  i;ailleuse  et  incré- 
dule. La  foi  ébranlée  dans  les  âmes,  les  moeurs  chrétiennes 
affaiblies,  les  principes  constitutifs  de  la  société  remis  sans  cesse 
«n  question  par  des  sophistes  ambitieux,  tout  annonçait  les 
ruines  qui  allaient  bientôt  se  faire.  Nous  de  devons  pas  le  dissi- 
muler, l'Eglise  de  France,  sous  l'influence  du  philosophisme  et 
de  l'hérésie  janséniste,  subissait  elle-même  quelque  défaillance; 
et,  si  elle  ne  cessait  pas  de  produire  des  saints,  comme  le  Bien- 
heureux de  la  Salle,  fondateur  des  écoles  chrétiennes  ;  le  Bien- 
heureux Grignon  de  Montfort,  qui  entraînait  les  populations  par 
sa  parole  ardente;  de  généreux  missionnaires,  qui  portaient 
l'Evangile  aux  nations  infidèles  de  l'Asie  et  de  l'Amérique;  si 
l'on  vit,  quand  éclata  la  persécution  révolutionnaire,  se  lever 
dans  son  sein  des  légions  héroïques  de  martyrs  et  de  confes- 
seurs, évêques  et  prêtres,  qui  préférèrent  la  mort  ou  l'exil  à 
l'apostasie,  de  salutaires  réformes  étaient  devenues  nécessaires. 

Alors  se  renouvela  ce  que  saint  Paul  a  si  éloquemment  décrit 
dans  l'Epître  aux  Romains  :  des  hommes  non  pas  seulement 
éclairés  par  la  lumière  de  la  loi  naturelle,  mais  élevés  dans  le 
christianisme,  qui  avaient  appris  à  connaître  Dieu  dès  leur 
enfance,  ne  voulurent  ni  le  glorifier,  ni  lui  rendre  grâces.  Ils  se 
disaient  sages  ces  philosophes,  ces  lettrés  du  xvm'  siècle  et  ils 
devinrent  insensés.  Ils  échangèrent  la  gloire  du  Dieu  immortel, 
pour  l'orgueil  de  l'homme  s'adorant  lui-même  dans  les  inven- 
tions vaines  ou  honteuses  de  sou  esprit. 

Aussi  (nous  parlons  toujours  le  langage  même  de  l'Apôtre) 
Dieu  les  livra  aux  désirs  de  leur  coeur  et  à  d'ignominieuses  pas. 
.siens  (1).  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  refaire  l'histoire  de  cette 

(1)  ÂD  RoM.,  I,  21,  22,  33,  25.  «  Quum  cogaovisaent  Deum,  non 


332  ANNALES     CATHOLIQUES 

année  trop  célèbre  dont  nous  traversons  l'anniversaire  sécu- 
laire. Non  seulement  des  victimes  royales,  mais  des  hommes  du 
peuple,  des  prêtres,  des  magistrats  montèrent  sur  réchafMud. 
L'année  douloureuse  marcha  vers  son  terme  et  avant  qu'elle 
prît  fin  s'accomplit  sous  les  voûtes  de  notre  vieille  église  de 
Notre-Dame,  la  profanation  sacrilège  que  nous  venons  réparer 
conime  chiétiens  et  comme  Français. 

Quand  la  France  revenue  à  elle-même  commença  à  poser  les 
fondements  de  sa  restauration  religieuse  et  sociale,  on  entendit 
à  la  tribune  française  prononcer  ce  jugement  que  l'impartiale 
histoire  devait  ratifier:  c  0  temps  de  honte  éternelle  !  jour  qui 
semblait  avoir  ramené  le  peuple  le  plus  doux  de  la  terre 
à  la  férocité  des  peuples  les  plus  barbares  !  Les  monuments  de 
la  religion,  comme  ceux  des  arts,  se  changèrent  en  ruines. 
Dans  les  temples  régnèrent  le  silence  et  la  désolation.  Les 
mains  sanglantes  de  l'athée  dépouillèrent  le  sanctuaire  que 
l'hommage  de  tant  de  générations  successives  eût  suffi  pour 
rendre  sacré.  Les  pierres  sépulcrales  de  nos  familles  furent 
des-honorées  et  des  courtisanes  promenées  en  triomphe  s'assi- 
rent sur  le  marbre  des  autels.  Dans  ce  délire  effrayant  on  eût 
dit  que  le  coeur  de  l'homme  était  changé  et  que  plusieurs  siè- 
cles s'étaient  écoulés  dans  l'espace  de  quelques  jours  (1).  » 

La  parole  de  saint  Paul  avait  reçu  une  fois  de  plus  son  appli- 
cation. Ces  hommes  qui  avaient  renié  Dieu  et  Jésus-Christ 
étaient  devenus  insensés  en  instituant  la  grossière  idolàtiie 
de  la  déesse  Raison. 

Or,  N.  T.  C.  F.,  n'oublions  pas  que  ces  crimes  et  ces  folies 
qui  nous  font  horreur  ont  été  commis  par  des  hommes  qui  con- 
naissaient les  raffinements  de  la  civilisation.  Grande  leçon  pour 
nous  de  ne  pas  nous  endoimir  dans  le  luxe  et  le  confoitabie  de 
la  vie,  sans  apercevoir  l'abîme  qui  se  cache  sous  les  fleurs, 
quand  nous  cessons  de  fortifier  nos  âmes  par  l'austérité  de  la  foi 
et  de  la  morale  chrétienne. 

C'est  donc  une  pensée  éminemment  salutaire  de  considérer 
oii  les  hommes  peuvent  tomber  quand  ils  s'éloignent  de   Dieu, 

gicut  Dfiim  glorificaverunt  aut  gratias  egerunt...  Dicentes  enim  se 
esse  sajiiputes,  stuiti  facti  suntet  mutaverunt  gloriam  incorrnplibilis 
Dei  iD  similitudiaem  imaginis  corruptibilis  hominis...  Propteiea  tra- 
didit  illos  Deus  in  passiones  ignomioiae. 

(1)  Discours  prononcé  au  Corps  législatif  par  Lucien  Bonaparte, 
8  avril  1802. 


LETTRB  DE  MONSEIGNBUR  RICHARD  323 

•et  de  réparer  par  nos  larraes  et  nos  supplications  les  outragea 
que  nos  pères  ont  fait  à  la  Majesté  divine  dans  des  jours  d'égare- 
mnnt.  Ces»  prières  seront  l'écho  de  la  divine  prière  du  Sauveur 
crucifié  :  «  Mon  Père,  pardonnez-leur,  parce  qu'ils  ne  savent  c« 
qu'ils  font  »  (I).  C'est  là,  en  eflfet,  le  cri  qui  s'échappe  des  ânae« 
chrétiennes.  Elles  ne  demandent  pas  vengeance  contre  les 
pécheurs;  à  l'exenople  du  Dirin  Maître  elles  prient  et  s'immo- 
lent pour  leur  conversion. 

L'église  métropolitaine  de  Notre-Dame  subit  la  douloureuse 
et  sacrilège  profanation,  le  10  novembre  1793.  Ce  sera  1« 
dimanche  12  novembre,  que  nous  accomplirons  notre  acte  de 
réparation.  Par  une  coïncidence  providentielle,  nous  célébrerons, 
ce  même  jour,  l'anniversaire  de  la  dédicace  de  nos  églises  de 
France.  Nul  jour  ne  pouvait  mieux  convenir  à  cette  cérémonie 
expiatoire. 

Dans  la  consécration  solennelle  de  nos  sanctuaires,  la  liturgie 
chante  cette  triple  invocation  à  la  Très  Sainte  Trinité,  an 
moment  où  le  pontife  franchit  le  seuil  de  l'édifice  sacré:  «  Que 
la  paix  éternelle  soit  donnée  par  le  Père  éternel  à  cette  maison! 
Que  le  Verbe  du  Père  soit  la  paix  perpétuelle  de  cette  maison! 
Que  l'Esprit-Saint,  pieux  Consolateur  des  âmes,  donne  la  paix 
à  cette  maison  (2)  !  »  L'église  est,  en  effet,  la  maison  de  Diea 
sur  la  terre,  où  nous  venons  chercher  la  paix  de  l'intelligence, 
la  paix  du  coeur,  la  paix  de  la  vie  durant  les  jours  de  notre  pèle- 
rinage ici-bas. 

Notre-Seigneur  y  demeure  avec  nous  par  sa  présence  réelle 
dans  la  sainte  Eucharistie.  C'est  aussi  la  demeure  des  saints, 
nos  frères,  dont  nous  y  conservons  les  reliques  en  attendant  le 
jour  de  leur  glorieuse  résurrection. 

Un  solennel  hommage  rendu  à  Notre-Seigneur,  au  Très  Saint- 
Sacrement  de  l'autel,  et  aux  reliques  de  nos  saints  constituera 
l'acte  de  notre  réparation. 

Après  le  chant  des  vêpres,  nous  ferons  une  procession  dans 
laquelle  nous  porterons  les  reliques  des  saints  que  conserve 
réglise  métropolitaine. 

Ce  sont  les  reliques  de  saint  Denis,  notre  apôtre,  le  grand 

(1)  Lucse,  XXIII,  34.  «  Pater,  dimitte  illis  ;  non  enim  eciunt  quid 
faeiunt.  > 

(2)  Pont.  Rom.  :  De  Eclcesiœ  dedicatione  :  «  Fax  seterna  ab  ./Etprne 
knie  domui.  Pai  perennis  Verbum  Patris  ait  pax  huic  domui,  Pacem 
pins  CoQsolator  huic  prsestet  domui.  » 


324  AMNALBS    CATHOLIQUES 

évêque  éleré  dans  la  civilisation  de  la  Grèce  et  envoyé  par  le 
successeur  de  Pierre  pour  porter  à  nos  pères  le  symbole  de  la 
foi,  que  nous  redisons  toujours  le  mênoe  d«-puis  dix-huit  siècles, 
parce  que  la  vérité  de  Dieu  demeure  dans  l'éternité*  Veritas 
Domini  manei  in  œternum  (1). 

Après  lui,  nous  invoquerons  les  saints  évêques  Marcel  et 
Germain,  dont  les  noms  sont  toujours  bénis  dans  la  cité;  saint 
Landri,  qui  a  tant  aimé  les  pauvres  et  à  qui  l'Hôtel-DIeu  doit 
son  origine  ;  saint  Céran,  le  grand  promoteur  du  culte  des  saints 
et  des  martyrs  dans  l'Eglise  de  Paris. 

Nous  saluerons  notre  patronne,  l'humble  vierge  de  Nànterre, 
sainte  Geneviève,  dont  le  culte  est  demeurés!  cher  à  la  popula-^ 
tion  parisienne.  Elle  a  beaucoup  aimé  le  peuple  de  Paris  ;  elle 
lui  a  fait  beaucoup  de  bien  en  le  préservant  des  barbares  et  en 
le  nourrissant  dans  la  famine.  La  mémoire  du  peuple  est  recon- 
naissante et  Paris  aime  toujours  sainte  Geneviève. 

A  côté  de  cette  fille  du  peuple,  nous  saluerons  aussi  la  reine 
chrétienne  sainte  Clotilde,  qui  amena  Clovis  et  ses  Francs  à 
saint  Remy,  au  baptistère  de  Reims. 

Admirable  rapprochement  comme  il  s'en  fait  sans  cesse  dans 
l'Eglise  où  nous  voyons  tous  les  rangs  de  la  société  unis  dans  la 
même  gloire  et  la  même  charité. 

Comment  ne  pas  être  profondément  émus  comme  chrétiens  et 
comme  Français  en  vénérant  les  reliques  de  saint  Louis,  si  vail- 
lant sur  le  champ  de  bataille,  si  doux  pour  son  peuple,  si  ami 
de  la  justice  pour  tous,  surtout  pour  les  pauvres  et  les  faibles, 
si  pur  dans  sa  vie,  si  dévoué  à  Notre-Seigneur  et  à  son  Eglise.. 
Nous  retrouvons  la  trace  de  ses  pas,  depuis  la  Sainte-Chapelle 
jusqu'au  chêne  de  Vincennes. 

Nous  la  retrouvons  sur  cette  terre  d'Afrique  où  la  Providence 
nous  conduit  aujourd'hui  pour  y  porter  la  civili.iation  chré- 
tienne, si  nous  sommes  fidèles  à  notre  mission.  Et  là,  près  de 
Tunis,  nous  pouvons  entendre  encore  la  dernière  prière  que  le 
saint  roi  mourant  faisait  pour  son  peuple:  Seigneur,  disait-il 
sur  son  lit  de  mort,  en  jetant  un  regard  vers  la  France,  Sei- 
gneur, soyez  le  gardien  et  le  sanctificateur  de  votre  peuple  : 
£slo,  Domine,  plebis  tuop  sancHficator  et  custos^ 

Pliera  digne  d'un  roi  qui  avait  gardé  son  peuple  par  l'épée  et 
qui  l'avait  sanctifié  par  les  lois  orhétiennés. 

(I)  P8.  cxvi,  2.  '    '""•' 


LETTRE  DE  MONSEIGNKUR  RICHARD  325 

Il  serait  trop  long  de  nommer  ici  tous  les  saints  dont  nous 
possédons  les  reliijues,  on  qui  ont.  prié  à  Notre-Dame,  depuis 
les  grands  docteurs  qui  répandirent  un  si  vif  éclat  sur  l'antique 
Université  de  Paris,  les  saint  Ttionias  et  les  saint  Bmiaventure, 
jus<|u'à  l'angélique  adolescent  Pierre  de  Luxembourg  servant  à 
l'autel  parmi  les  chanoines  de  l'église  métropolitaine  et  mou- 
rant cardiua!  à  dix-huit  ans. 

Mais  avec  quel  amour  nous  honorerons  les  reliques  de  saint 
Vincent  de  Paul,  dont  l'impiété  même  n*a  pas  osé  outrajrer  le 
nom,  parce  qu'il  a  été  l'ami,  le  serviteur  des  pauvres,  le  prêtre 
à  qui  rien  ne  |)onvait  piaire,  ni  des  honneurs,  ni  des  richesses, 
ni  des  délices  de  la  rie;  qui  n'aimait  que  Nôtre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  qu'il  s'efforçait  d'imiter  en  toutes  choses.  Comment  ne 
ne  pas  l'aimer  puisqu'il  vit  encore  au  milieu  de  nous  par  les 
œuvres  qu'il  a  fondées,  par  les  Filles  de  la  Charité  et  les  prê- 
tres delà  Mission  ! 

Nous  accompagnerons  toutes  ces  reliques  précieuses,  enchan- 
tant le?  litanies  des  saints.  Il  nous  semblera  voir  passer  au  mi- 
lieu de  nous  l'Eglise  avec  son  cortège  d'élus  à  travers  les  siè- 
cles. La  splendeur  dont  nous  nous  efforçons  d'entourer  leurs 
ossements  dess^-chés  est  une  image  de  la  gloire  dont  ces  restes 
mortels  seiont  revêtus  au  jour  de  la  résurrection.  En  les  sui- 
vant,, nous  chanterons  avec  le  Psalmiste:  Euntes  ibant  et 
fiehant,  mittentes  semina  sua.  Ils  allaient  dans  la  vie;  ils  mar- 
chaient, pleurant  et  jetant  la  semence  des  bonnes  œuvres  sur 
leur  chemin;  ils  sont  arrivés  joyeux  et  portant  les  gerb-^s  d'une 
riche  moisson  de  vertus  :  Venientes  auiem  ventent  cum  exul- 
tatione,  portantes  manipulos  suos. 

Aucune  prière  ne  pouvait  mieux  convenir  dans  notre  acte  de 
réparation  que  les  litanies  qui,  dans  leur  simplicité,  sont  pleines 
d'enseignements,  puisque  chaque  nom  de  saint  ra^)peile  une 
mémoire  bénie  et.  des  exemples  consolants.  Nous  nous  sentons 
attirés,  comme  l'Ecrlise  le  fait  dans  celte  prière,  à  nous  approcher 
du  Sauveur,  à  la  suite  des  saints,  à  invoquer  le  souvenir  des 
mystères  de  sa  vie  depuis  sa  naissance  dans  sa  crèche  jusiiu'à  la 
Croix,  jus(|u'a  la  Résurrection  et  à  l'Ascension.  Per  mysterium 
sanctœ  incarnationis  tuœ,  libéra  nos.  Domine.  Etnon^  deman- 
dons avec  confiance  que  Dieu  nous  délivre  des  maux  de  l'àme  et 
ducorps;les  j^nints  les  ontconnus,  les  ont  éprouvés  autref«is  sur 
la  terre,  le  Seijrneur  les  en  a  délivrés  ;  il  nous  exaucera  à  notre 
tour.  7e  rogamus,  audi  nos. 


326  ANNALB8  CATHOLIQUES 

La  seconde  partie  de  notre  réparation  s'adressera  à  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ  dans  la  sainte  Eucharistie. 

Nous  nous  prosternerons  deyant  l'autel  en  chantant  la  prière  de 
pénitence  par  excellence,  le  Miserere.  C'est  alors  que  nous  redi- 
rons du  fond  du  cœur,  pour  tous  ceux  qui  blasphènaent  ou  qui 
ignorent  dans  notre  chère  France:  Père,  pardonnez-leur,  parce 
qu'ils  ne  savent  ce  qu'ils  font.  Nous  y  puiserons  un  redouble- 
ment de  charité  pour  tous,  d'e8prit|de  sacrifice  et  dedévouemeot. 

La  prière  à  Marie,  reine  de  France  et  patronne  de  Paris, 
viendra  relever  nos  âmes,  parce  qu'elle  est  la  Mère  de  miséri- 
corde et  le  refuge  des  pécheurs. 

Puis  nous  prierons  pour  le  Souverain  Pontife  et  pour  l'Eglise  ; 
BOUS  prierons  pour  la  France.  L'Eglise,  la  patrie  céleste  ;  la 
France,  la  patrie  terrestre,  c'est  là  notre  double  amour,  et  c'est 
une  double  bénédiction  que  nous  demanderons  à  Notre-Seigneur 
pour  l'Eglise  et  pour  la  France. 


NECROLOGIE 


Une  dépêche  de  Rome  annonce  la  douloureuse  nouvelle  de  la 
mort,  du  cardinal  Laurenzi,  survenue  ce  matin  en  cette  ville.  Il 
était  âgé  de  72  ans. 

Le  vénérable  prince  de  l'Eglise  défunt  était  supérieur  dn 
grand  séminaire  de  Pérouse,  lors  de  l'élection  du  cardinal  Pecci 
comme  Souverain  Pontife. 

Ap[)elé  aussitôt  à  Rome  par  la  bienveillance  du  Pape,  il  était 
deux  ans  plus  tard  créé  cardinal  inpetto  dans  le  Consistoire  dn 
13  décembre  1880,  et  publié  dans  celui  du  10  novembre  1884. 

Il  était  cardinal  du  titre  de  Sainte-Anastasie  et  appartenait  à 
nn  grand  nombre  de  Congrégations  romaines. 

Sa  mort  est  une  nouvelle  et  grande  douleur  pour  le  Pape,  qui 
daignait  l'avoir  en  grande  estime  et  affection. 

M.  TiRARD,  ancien  ministre  des  finances^  ancien  président  da 
conseil,  est  mort  le  4  novembre,  des  suites  d'une  albuminurie  «t 
d'une  maladie  de  cœur. 

L'ancien  ministre  suufiTrait  depuis  deux  ans  de  la  maladie  qai 
raeinport3.  Au  mois  d'août  drfi'nier,  il  se  rendit  à  Aix  et  y  sui- 
vit le  traitement  qui  lui  était  imposé  par  les  médecins  ;  mais  lê 


NECROLOGIK  327 

mal  ne  fit  qu'empirer  et,  au  mois  de  septembre,  il  reprit  soq 
appartement  de  la  rue  Bonaparte,  dans  un  état  de  santé  qui 
laissait  peu  d'espoir  à  son  entourage. 

M.  Pierre-Emmanuel  Tiraru  était  né  à  Genève,  en  1827, 
d'une  famille  originaire  de  l'Isèie.  Ayant  quitté  Genève  à  dix- 
neuf  ans,  il  vint  à  Paris  et  entra  dans  l'administration  des  ponts 
et  chaussées;  il  n'y  passa  que  peu  de  temps.  En  1851,  il  fonda 
une  maison  d'orfèvrerie  et  de  bijouterie  qui,  sous  son  haMIe 
direction,  prospéra  rapidement.  Lors  de  l'élection  de  1869,  il 
soutint  avec  ardeur  la  candidature  du  républicain  Bancel  contre 
celle  de  M.  Emile  Ollivier.  Après  la  révolution  du  4  septembre 

1870,  le  gouvernement  de  la  Défense  nationale  nomma  M.  Tirard 
maire  du  2*  arrondissement  de  Paris.  Il  fut  appelé,  le  8  février 

1871,  par  75.207  voix,  à  siéger  comme  député  de  la  Seine  à 
l'Assemblée  nationale.  Le  \"  mars,  il  votait,  à  Bordeaux,  con- 
tre les  préliminaires  de  la  paix  et  pour  la  déchéance  de  l'empire. 

Pendant  le  mouvement  communaliste,  il  fut  désigné  par  les 
maires  de  Paris  pour  faire  partie  de  la  commission  de  trois  mem- 
bres chargés  d'ordonnancer  les  dépenses,  de  s'occuper  de  la  dé- 
fense et  du  maintien  de  l'ordre.  Elu  membre  de  la  Commune 
dans  le  2*  arrondissemeut,  il  assista  à  la  première  réunion  de 
l'Assamblée  communaliste;  mais  donna,!trois  jours  après,  sa  dé- 
mission en  déclarant  qu'il  ne  pouvait  conserver  «  un  mandat 
qui,  dans  sa  pensée, devait  être  exclusivement  municipal  *. 

Il  quitta  Paris  et  retourna  reprendre  son  siège  à  l'Assemblée 
nationale  où  il  prit  sa  place  dans  les  rangs  de  la  gauche  républi- 
caine. 

Il  a  voté  notamment  pour  la  proposition  Rivet,  contre  le  pou- 
voir constituant  de  l'Assemblée,  pour  la  dissolution  de  l'Assem- 
blée, contre  le  septennat,  pour  la  liberté  des  enterrements  ci- 
vils, pour  le  renversement  du  cabinet  de  Broirlie. 

Ses  principaux  discours  portent  sur  les  déchéances  des  effets 
de  commerce,  sur  l'élection  des  tribunaux  de  commerce,  contre 
l'impôt  sur  les  matières  premières,  contre  les  tarifs  douaniers, 
sur  la  fabrication  à  tous  les  titres  des  objets  d'or  et  d'argent 
pour  l'exportation,  sur  l'admission  des  princes  d'Orléans  dans 
l'armée. 

Au  mois  de  juillet  1871,  il  a  eu,  avec  M.  Francis  Aubert,  ré- 
dacteur du  Gaulois,  un  duel  dans  lequel  il  a  été  blessé. 

Le  5  mars  1876,  M.  Tirard  fut  réélu  à  la  nouvelle  Assemblée 
par  le  premier  arrondissement  de  la  ville  de  Paris.  Il  proposa 


328  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  supprimer  l'ambassade  de  France  près  du  pape;  vota  pour 
l'amaistie  partielle,  la  suppression  du  crédit  des  aumôniers  mi- 
litaires. Il  signa  la  protestation  des  gauches  contre  le  message 
du  maréchal  de  Mac-Mahon. 

A  la  rentrée  des  Chambres,  qui  suivit  la  dissolution,  il  fit  par- 
tie du  comité  des  18,  dit  comité  directeur  dcs  gauches.  Il  vota 
la  nomination  d'une  enquête  parlementaire  et  l'ordre  du  jour 
contre  le  cabinet  de  Rochcbouët. 

M.  Tirard  a  fait  plusieurs  fois  partie  du  gouvernement.  Il  a 
été  notamment  ministre  des  finances  en  1882,  sous  le  ministère 
de  M.  Jules  Ferry.  Il  a  été  deux  fois  président  du  conseil;  Ij^ 
première  fois,  son  cabinet  a  succédé  à  celui  de  M.  Rouvier, 
après  l'élection  présidentielle  de  M.  Carnot.  M.  Tirard  y  occu- 
pait, avec  la  présidence  du  conseil,  le  miDistèce  des  finances. 
M.  Tirard  fut  de  nouveau  président  du  cabinet  en  1889;  il  avait 
le  portefeuille  du  commerce.  C'est  en  cette  qualité  qu'il  présida 
à  l'inauguration  de  l'Exposition  universelle.  Ce  fut  également 
sous  son  cabinet,  dont  M.  Constans  était  le  ministre  de  l'inté- 
rieur, qu'eurent  lieu  les  élections  générales. 

Le  ministère  Tirard  fut  renversé  sur  la  question  du  traité 
franco-turc  et  céda  la  place  au  cabinet  Freycinet. 

M.  Tirard  est  une  dernière  fois  redevenu  ministre  des  finan- 
ces sous  le  cabinet  présidé  l'année  dernière  par  M.  Ribot,  lors- 
que M.  Rouvier  résigna  sjs  fonctions. 


CHRONIQUE   DE    LA   SEMAINE 

Fin  de  la  grève  du  Pas-de-Calais.  —  Les  fêtes  de  Maubeuge.  —  Rentrée 

des  Chambres. 

9  novembre  1803. 

La  grève  du  Pas-de-Calais  est  enfin  terminée.  Les  ouvriers, 
de  moins  en  moins  nombreux,  qui  n'avaient  pas  encore  repris 
leur  travail,  l'ont  repris  lundi.  Ainsi  l'a  décidé  le  congrès  qui 
s'est  réuni  samedi  à  Lens.  L'ordre  du  jour  voté  n'est  exempt  ni 
de  récriminations  amères,  ni  même  de  menaces  révolutionnaires 
auxquelles  il  est  inutile  de  s'arrêter  ;  mais  il  contient  une  pre- 
mière partie  plus  précise,  qui  appelle  quelques  observations. 
Nous  disons  précise  et  non  pas  exacte.  Les  motifs  et  les  prétextes 
de  la  grève  y  sont  énumérés,  en  effet,  avec  quelque  fantaisie,  et 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  329 

il  est  d'autant  plus  facile  de  s'en  rendre  compte  que  ce  document 
renvoie  à  la  séance  que  le  congrès  ouvrier  avait  déjà  tenu  à 
Lens  le  14  septembre  dernier,  séance  dans  laquelle  la  giève  gé- 
nérale a  été  proclamée.  Les  réclamations  des  ouvriers  étaient  à 
cette  époque  au  nombre  de  six  ;  leur  texte  ressemble  mal  à  celui 
qu'on  présente  aujourd'hui  et  qui  a  la  prétention  de  les  rap- 
peler. 

L'ordre  du  jour  de  samedi  dit  formellement  que  «  le  motif 
majeur  de  la  grève  était  que  l'engagement  conclu  à  Arras,  le 
30  novembre  1891,  n'était  plus  tenu  par  les  patrons».  Il  n'y  a 
pas  un  mot  de  cela  dans  les  six  points  du  14  septembre.  L'enga- 
gement d'Arras,  on  s'en  souvient,  était  le  résultat  d'un  arbi- 
trage ;  cettt)  origine  aurait  dû  le  faire  respecter,  au  moins  pen- 
dant quelque  temps  ;  on  a  vu  le  peu  de  cas  qu'en  ont  fait  les 
ouvriers.  Ce  qu'ils  voulaient,  le  14  octobre  dernier,  c'était 
r  <  augmentation  de  10  0/0  sur  le  salaire  et  la  fixation  à  5  fr.  50 
du  maximum  de  la  journée,  ce  qui,  avec  les  20  0/0  accordés 
antérieurement,  donne  pour  les  ouvriers  à  la  veine  un  salaire 
quotidien  de  7  fr.  25».  Nous  voilà  loin  de  l'arrangement  conclu 
à  Arras  en  1891.  La  grève  n'avait  pas  pour  but  d'en  assurer  le 
respect,  puisqu'elle  débutait  par  le  dénoncer. 

Les  autres  griefs  des  ouvriers  sont-ils  mieux  fondées  ?  Ils 
assurent  aujourd'hui  qu'en  approchant  de  l'âge  de  la  retraite 
■*  ils  étaient  congédiés  sous  le  plus  futile  prétaxte  ».  Cette  allé- 
gation est  difficile  à  admettre;  en  tout  cas,  ce  n'est  pas  celle 
qu'ils  mettaient  en  avant,  il  y  a  sept  semaines.  Ils  demandaient 
alors  qu'aucun  d'entre  eux  ne  pùtêtre  congédié,  quoi  qu'il  fît  ou 
quoi  qu'il  ne  fît  pas,  après  l'âge  de  quarante  ans.  Ils  réclamaient 
la  suppression  des  amendes  pour  charbons  malpropres.  Ils  pré- 
tendaient ne  pouvoir  être  renvoyés  après  avoir  encouru  une  con- 
damnation qu'autant  que  celle-ci  aurait  porté  préjudice  à  la 
compagnie,  sans  dire  bien  entendu,  comment  et  par  qui  ce  pré- 
judice serait  constaté.  On  le  voit  de  nouveau,  il  y  a  un  écart 
sensible  entre  les  causes  de  la  grève  telles  qu'on  les  avouait  au 
moment  où  "celle-ci  commençait  et  telles  qu'oncles  expose  main- 
tenant qu'elle  finit. 

Enfin,  le  congrès  prétend  que  les  compagnies  «  ont  refusé  de 
se  soumettre  à  la  loi  nouvelle  qui,  en  pareil  cas  (en  cas  de 
grève),  prescrit  l'arbitrage  ».  Il  y  a  là  une  confusion.  L'arbi- 
trage, comme  le  fait  observer  le  Journal  des  Débats,  par  son 
essence  même,  ne  peut  pas  être  prescrit,  puisqu'il  est  le  résul- 


330  ANNALES  CATHOLIQUES 

tat  d'un  libre  et  réciproque  consentement.  Le  juge  de  paix  doit 
le  proposer,  'mais  il  n'est  ordonné  à  personne  de  s'y  soumettre. 
Nous  n'avons  pas  le  dessein  d'énumérer  les  raisons  qui  ont  dicté 
l'attitude  des  compagnies.  Quant  aux  ouvriers,  lisent  eu  le  tort 
de  se  faire  représenter  par  des  syndicats  illégalement  constitués, 
de  sorte  que,  de  leur  côté,  il  ne  s'est  trouvé  personne  avec  qui 
la  conversation  pût  être  utilement  et  correctement  engagée. 
Voilà  la  vérité  sur  la  grève  du  Pas-de-Calais,  sur  ses  causes 
véritables,  sur  la  manière  dont  elle  a  été  conduite  et  sur  l'avor- 
temunt  auquel,  dès  l'origine,  elle  était  fatalement  condamnée. 

Voici  d'ailleurs  la  fin  de  l'ordre  du  jour  qui  a  mis  fin  à  la 
grève  : 

Nous  avons,  sept  semaines  durant,  fait  appel  à  l'opinioa  publique, 
à  la  France?  Des  députés  socialistes  sont  venus  nous  soutenir,  nous 
encourager.  Ils  ont  raconté  dans  la  presse  l'oppression  que  nous  endu- 
rons et  notre  lutte.  Leur  voix,  pas  mieux  que  la  nôtre,  n'a  été  en- 
tendue. 

«Il  semble  pourtant  qu'aujourd'hui  on  s'émeuve;  mais  c'est  trop 
tard;  nous  sommes  à  bout  de  forces,  à  bout  de  misère.  Il  nous  faut 
courber  la  tête,  avouer  que  nous  sommes  vaineus,  subir  sans  condi- 
tions le  despotisme  du  capital,  enfermer  dans  nos  cœurs  l'espoir 
d'une  prochaine  revanche. 

«  Mais  la  démonstration  est  faite  une  fois  de  plus  que  le  travailleur 
n'a  nulle  amélioration  de  son  sort  à  espérer,  nulle  équité  à  attendre, 
que  d'une  révolution  sociale.  C^la,  nous  ne  l'oublierons  pas,  et,  avant 
de  retourner  à  notre  dur  et  sombre  labeur,  nous  remercions  les  ora- 
teurs socialistes  qui,  avec  nous,  ont  fraternisé,  les  journaux  qui  nous 
ont  soutenus,  en  particulier  notre  organe,  le  Réoeil  du  Nord  et  la 
Petite  République  Française  qui,  jusqu'au  bout,  ont  lutté  pour  le 
triomphe  de  notre  cause. 

En  conséquence,  le  congrès  se  prononce,5aujourd'hui  4  novembre, 
pour  la  reprise  générale  du  travail. 

Cet  ordre  du  jour  a  été  adopté  par  38  voix  contre  16  et  un 
bulletin  blanc. 


On  a  inauguré  dimanche  le  monument  destiné  à  commémorer 
le  souvenir  de  la  bataille  de  Wattignies,  sous  Maubeuge,  à 
laquelle  Carnot  prit  une  part  active  en  qualité  de  délégué  du 
Comité  de  Salut  public  près  de  l'armée  du  Nord,  dont  Jourdan, 
qui  venait  de  se  faire  connaître  à  Hondschoote,  était  le  général 
en  chef.  Le  président  de  la  République  assistait  à  la  cérémonie. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  331 

L'exhumation  de  cette  victoire  est  une  question  d'aetualité,  car 
elle  gisait  à  peu  près  oublif^e  au  milieu  de  toutes  celles  qui 
jonchent  le  irrand  livre  de  nos  victoires  et  conquêtes,  succès  et 
revers.  Ce  fut  cependant  en  son  temps  un  événement  important 
qui,  après  la  réussite  heureuse  de  Hondschoote,  vint  rompre  le 
charme  fâcheux  qui  semblait  peser  sur  les  armes  de  la  Répu- 
blique depuis  l'évacuation  de  la  Belgique  et  la  tentative  de  tra- 
hison de  Dumouriez. 

Lazare  Carnot  est  assez  connu  pour  que  nous  n'ayons  pas  à 
en  parler.  Son  frère,  Carnot  de  Feulins,  était  chef  commandant 
du  génie  dans  l'armée  de  Jourdan.  L'un  des  autres  subalternes 
de  Jourdan,  Duquesnoy,  était  un  ancien  moine;  il  siégeait  à  la 
Montagne;  ce  fut  un  des  instigateurs  de  l'attentat  de  Prairial  : 
condamné  à  mort  par  la  commission  militaire,  il  se  poignarda 
dans  sa  prison,  le  16  juin  1795.  Son  frère,  ancien  officier  dans 
l'armée  royale,  commandait  l'aile  droite  dans  l'armée  de  Jour- 
dan. Ce  fut  plus  tard  un  des  plus  violents  bourreaux  de  la  Ven- 
dée, oii  il  organisa  la  trop  fameuse  colonne  infernale.  Il  mou- 
rut aux  luvalides,  en  1796.  Quant  à  Jourdan,  ancien  soldat 
dans  le  corps  de  Rochambeau  aux  Etats-Unis,  il  quitta  sa  bou- 
tique de  mercier  pour  s'engager,  en  1791.  C'était,  en  1793,  le 
futur  vainqueur  de  Fleurus.  Il  fut  hostile  au  coup  d'Etat  de 
Brumaire,  et  cependant  obtint  de  Napoléon  le  gouvernement 
du  Piémont  et  le  maréchalat.  Louis  XVIII,  qui  l'aimait  beau- 
coup, le  fit  plus  tard  pair  de  France.  Louis-Philippe  n'eut  pas 
moins  d'égards  pour  lui  et,  en  août  1830,  le  fit  ministre  des  af- 
faires étrangères  et,  quelques  jours  après,  gouverneur  des 
Invalides,  où  il  mourut  en  1833,  non  sans  avoir  occupé  une 
large  place  dans  le  dictionnaire  des  Girouettes,  bien  que  ses 
évolutions  successives  aient  obéi  à  des  événements  irrémé- 
diables. 

Ce  fut  dans  la  séance  du  27  octobre  que  le  ministre  de  la 
guerre  Bouchotte  communiqua  la  lettre  suivante  de  Jourdan 
annonçant  la  victoire  de  Wattignies.  Ce  document  est  daté  du 
17,  au  quartier  général  d'Avesne  :  <  J'ai  reçu  votre  dépêche  sur 
le  champ  de  bataille,  disait  le  général.  Le  général  Duquesnoy 
a  forcé  le  camp  et  le  poste  de  Wattignies,  que  sa  position  ren- 
dait inexpugnable,  mais  rien  n'a  résisté  à  la  valeur  des  répu- 
blicains. La  division  de  gauche,  aux  ordres  du  géaéral  Fro- 
mentin, a  forcé  le  val  Saint- Waast,  Saint-Rémy  et  Saint- 
Aubin.  J'apprenda  à  l'instant  que  l'ennemi  a  évacué  dans  la 


'332  ANNALRH    CATHOLIQUR8 

nuit  les  postes  qu'il  avait  sur  les  hauteurs  de  Boulera,  Les  re- 
présentants du  peuple  Carnet  et  Duquesnoy  ont  maiché  à  la 
tête  des  troupes  qni  ont  charpré. 

«  Ils  ont  destitué  sur  le  champde  bataille  le  général  de  brigade 
Gratien,  qui,  ayant  reçu  l'ordie  de  se  porter  en  avant,  avait 
"battu  en  retraite.  »  Dans  la  séance  du  28,  on  lut  un  rapport 
plus  complet  de  Jourdan  et  un  mémorandum  amphigourique 
rédigé  par  D'iquesnoy.  C'est  là  que  l'on  trouve  le  mot  attribué 
à  Cobourg  :  «  Il  faut  que  les  Français  soient  de  fiers  républicaing 
s'ils  arrivent  à  nous  déloger  de  Wattignies.  »  On  remarquera 
que  la  dépêche  de  Jourdan  mit  dix  jours  à  arriver  à  Paris,  ce 
qui  est  impossible.  Il  est  donc  évident  que  le  Comité  de  Salât 
public  se  réservait  les  nouvelles. 

La  victoire  de  Wattignies  fit  concevoir  de  grandes  espérances. 
On  crut  que  la  Belgique  allait  être  de  nouveau  conquise.  On 
donna  le  nom  de  Wattignies  à  la  porte  de  Versailles,  à  Paris. 
Or,  comme  Jourdan  ne  put  pas  profiter  de  sa  victoire,  on  accusa 
les  membres  du  Comité  de  Salut  public  d'avoir  entravé  les  opé- 
rations. C'estcontre  cette  imputation  queBarére,le  26  novembre, 
vint  défendre  le  Comité.  Son  discours  filandreux  commençait 
ainsi  :  «  Français,  faut-il  donc  être  si  nombreux  pour  vaincr» 
les  hordes  étrangères?  Non,  le  génie  de  la  liberté  et  le  souvenir 
que  vous  l'avez  créée  et  que  vous  l'avez  votée  suffisent.  Votr» 
tacti<iue  est  dans  votre  courage;  votre  victoire  est  écrite  dans 
le  c(eur  des  hommes;  votre  invincible  force  est  dans  votr» 
réunion.  »  Après  avoir  donné  un  libre  cours  à  ce  pathos,  Barèr* 
lut  une  longue  lettre  de  Jourdan,  dans  laquelle  celui-ci  décla- 
rait et  démontrait  que  les  membres  du  Comité  du  Salut  public 
ne  lui  avaient  donné  que  de  bons  conseils  et  d'excellentes  ins- 
tructions, ajoutant  que  s'il  n'avait  pas  immédiatement  conquis 
la  Belgique,  c'est  que  les  antres  généraux,  occu[»és  à  guerroyer, 
n'avaient  pu  se  joindre  à  lui,  —  ce  qui,  du  reste,  est  très  réel 
et  parfaitement  justifié  par  l'état  de  dispersion  des  armées  de  la 
République  et  le  défaut  d'unité  dans  la  direction.  L'autocratie 
du  Comité  du  Salut  public  était,  malgré  la  pénalité  do  la  guil- 
lotine, mise  à  chaque  instant  en  échec  par  ses  propres  délégués 
auprès  des  armées,  de  sorte  qu'il  était  plus  facile  de  remporter 
la  TÎctoire  de  Tutiliser.  Les  démocraties  sont  jalouses  et  in- 
quiètes. Il  n'est  pas  inutile  de  le  rappeler. 


À 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE  333 

Nous  voici  à  la  veille  de  la  rentiée  des  Chambres  qui  repren- 
dront leurs  travaux  le  14  novembre. 

Depuis  queli|ues  semaines  le  pajs  était  calme,  s'occupait 
tranquilleitieiit  d'oeuvres  de  paix,  avait  conservé  pour  cette  so- 
lennité de  l'alliance  avec  la  Russie  toutes  ses  effervescences» 
et  il  va  lui  falloir  recommencer  à  se  défendre  contre  quelques 
centaines  de  [leiiis  tyrans  qui,  armés  de  leurs  passions,  de  leurs 
vices,  de  leurs  intérêts  personnels,  de  leurs  haines  réciproques, 
sans  travailler  autrement  au  grand  intérêt  commun,  vont  re- 
commencer à  se  déchirer. 

Que  ne  peut-il,  le  pays,  mettre  entre  ces  hommes  et  lui  cette 
cloison  que  réclamait  l'autre  jour,  dans  sa  loge,  au  gala  de 
l'Opéra,  M.  Challemel-Lacour,  trouver  un  abri  contre  leurs  inu- 
tiles folies,  et  les  cacher  à  jamais  aux  yeux  de  l'étranger. 

Aux  obsè^iues  du  maréchal  de  Mac-Mahon,  la  fdule  énorme 
qui  se  piessait  au  passage  du  cortège  se  découvrait  à  l'appa- 
rition du  char,  et  il  n'était  pas  un  homme  qui  ne  gardât  à  la  main 
son  chapeau  tandis  que  défilait  les  groupes  diplomatiques,  ceux 
de  l'armée,  des  tribunaux,  des  grands  corps  de  l'Etat.  Mais, 
tout  à  coup,  des  voix  prononçaient:  «  Voici  les  Chambres,  on 
peut  remettre  son  chapeau  !  »  Et  personne  ne  protestait.  Les 
hommes  de  toutes  classes  et  de  tous  âges  qui  se  trouvaient  là, 
côte  à  côte,  se  souriaient  d'un  air  entendu,  et  se  couvraient  pour 
regarder  curieusement  défiler  ceux  qui  sont  devenus  un  sujet 
d'univeiselle  raillerie. 

Oa  a  reproché  au  groupe  de  ces  nouveaux  élus  de  rompre,  par 
la  bi^nrruredes  pardessus  de  toutes  nuances  etde  toutes  formes, 
l'harmonie  d'un  auguste  cortège.  Ce  n'est  certes  jioint  là  le  re- 
proche que  je  leur  adresserai,  aus^i  fervent  que  je  sois  de  l'har- 
monie, condition  de  toute  beauté.  Mais  je  suis  intjuiet  de  ne  voir 
dans  l'expression  de  ces  visag.iS  aucune  dignité,  dans  c..  s  yeux 
aucune  flamme,  sur  ces  fronts  aucuue  pensée  de  raison  ni  de 
bon  sens. 

Ils  vont,  trottants  et  gauches,  sans  la  conscience  d'un  but; 
€t,  ne  devant  pas  travailler  pour  un  intérêt  commun,  ils  n'ont 
point  de  cohésion,  et  ne  sont  point  une  force.  Leur  maladresse 
s'augmente  de  la  honte  qu'eux-mêmes  ou  leurs  prédécesseurs 
représentent,  et  dont  la  Fiance  ne  s'est  pas  rachetée. 

Ils  marchent  en  coupables,  et  ce  qu'il  y  a  de  pire,  en  cou- 
pables décidés  à  braver  l'oitinion,  à  s'appuyer  sur  la  majorité 
naïve  et  trompée  qui  les  a  élus,  pour  regarder  en  face  la  mino- 


334  ANNALES    CATHOLIQUES 

rite  plus  éclairée  qui  les   juge   et  sait   bien    ee   qu'i's    valent. 

Les  uns,  et  c'est  le  gi-and  nombre,  sont  bien  décidés  à  ne 
voir  dans  leur  mandat,  comme  par  le  passé,  que  la  situation 
qui  leur  permet  de  vivre  à  Paris  d'oii  ils  exercent  de  loin  leur 
pouvoir  de  petit  potentat  sur  leur  département  ;  d'autres  n'hési- 
teront pas  plus  qu'avant,  on  le  sent,  à  chercher  les  occasions  de 
bonnes  affaires  que  ce  mandat  leur  procure,  car  il.s  ne  se  sont 
fait  nommer  députés  que  pour  cela,  et  leur  élection,  qui  leur  a 
coûté  très  cher,  doit  leur  rapporter  des  sommes  qui  leur  fassent 
oublier  cette  dépense  ;  d'autres,  comme  le  député-coiffeur,  sont 
telli'ment  aveuglés  par  la  nouvelle  dignité  dont  le  peuple  a  eu 
la  fantaisie  de  les  revêtir,  qu'ils  ne  voient  rien  pour  l'instant, 
et,  affolés,  prennent  de  n'importe  qui  le  mot  d'ordre  d'une  di- 
rection que  leur  expérience  et  leur  fatale  ignorance  les  rendent 
incH|iables  de  déterminer  par  eux-mêmes. 

Dans  quelques  jours  le  Luxembourg  et  le  Palais-Bourbon, 
qui  se  taisaient  si  heureusement  pour  la  dignité  de  notre  pays, 
loi'S  de  la  visite  des  Russes,  vont  retentir  de  nouveau  des  cris, 
son  pas  seulement  inutiles,  mais  funestes  de  ces  hommes  ;  nous 
«lions  les  voir,  ces  hommes  qui  ne  sont  apparus  un  instant  dans 
les  dernières  fêtes  que  pour  s'y  montrer  ridicules  et  y  être 
accueillis  par  l'ironie  générale,  reprendre  possession  de  la  scène, 
nous  occuper  de  leurs  ca|irices  et  de  leurs  mensonges,  et  boule- 
verser tous  les  intérêts  du  pays. 

Ceux  qui  travaillent  et  qui,  au  lieu  d'être  gênés,  se  devraient 
voir  assurer  la  sécurité  et  le  calme  par  des  gouvernants  d'esprit 
éclairé,  désignés  par  leur  sagesse  et  leur  pondération  pour  être 
choisis  comme  législateur-s,  recommencent  déjà  à  trembler. 

A  partir  de  la  rentrée  en  scène  des  Chambres,  ce  va  être,  cha- 
que jour,  un  intérêt  social  menacé,  un  ministère  ébranlé,  la 
direction  politique  changée,  la  paix  compromise.  Et  le  plus 
pénible,  c'est  qu'il  faut  aller  chercher  la  cause  première  de  l'agi- 
tation do  ces  questions  dans  les  mesquins  intérêts  privés  d'hom- 
mes qui  n'ont  point  été  accoutumés  à  remuer  d'autres  pensée» 
que  des  pensées  vulgaires  ou  naïves,  et  dont  l'esprit  est  le  terrain 
feitileau  développement  de  toutes  les  utopies,  de  toutes  les  fan- 
taisies, de  toutes  les  insanités. 

Combien  tout  cela  e^t  regrettable  pour  la  France,  qui  serait 
li  grande  et  si  prospère,  dans  le  progrès  général  du  travail  hu- 
main, si  elle  n'avait  pas  été  amenée  à  se  faire  fiouverner  par 
l'écume  de  tous  les  égoïsmes  et  de  toutes  les  ambitions. 


NOVVBLLRS    RBLIOIEUSES  335 

NOUVELLES  RELIGIEUSES 
france 

Paris.  —  La  messe  de  rentrée  des  cours  de  l'institut  catholi- 
que a  été  célébrée  dans  l'église  des  Carmes,  par  Mgr  d'Hulst, 
député  du  Finistère,  recteur  de  l'institut  catholique. 

Suivant  l'usage,  Mgr  d'Hulst  a  adressé,  après  l'Evangile, 
quelijues  mots  à  ses  nombreux  et  chers  étudiants.  Voici  l'ana- 
lyse bien  impaifaito  de  cette  éloquente  et  vigoureuse  allocution. 

Après  avoir  rappelé  que  de  toutes  les  réunions  de  l'année  la 
plus  chère  à  son  cœur  est  cette  messe  du  Saint-Esprit  qui 
groupe  aux  pieds  de  Dieu  maîtres  et  élèves  dans  une  commune 
prière  pour  le  succès  de  leurs  travaux,  Mgr  d'Hulst  adresse  ses 
souhaits  de  bienvenue  aux  anciens  comme  aux  nouveaux. 

€  Mais,  ajoute-t-il,  vous  n'attendez  pas  de  moi  seulement 
des  souhaits  de  bienvenue,  vous  attendez  aussi  des  exhortations 
et  des  conseils.  Qui  êtes-vous  donc,  jeunes  gens,  et  que  venez- 
vous  faire  ici?  —  Vous  êtes  des  chrétiens  commenç;ints,  vous 
êtes  des  hommes  encore  incomplets;  vous  venez  ici  pour  deve- 
nir des  chrétiens  parfaits  et  des  hommes  dans  toute  la  force  du 
terme.  C'est  cette  double  pensée  que  l'éloquent  recteur  déve- 
loppe rapidement. 

Deux  êtres  sont  capables  de  faire  un  homme.  Dieu  d'abord 
qui  crée  le  fonds  et  les  puissances,  l'homme  ensuite,  incapable 
de  créer,  mais  qui  peut  cultiver  ce  fon  Is  et  développer  ces  puis- 
sances qui  sont  les  racines  de  son  être.  Mais  dans  l'homme  s'il 
j  a  des  puissances  d'un  ordre  élevé,  il  y  a  aussi  des  puissances 
basses.  Doit-il  faire  donner  à  ces  dernières  leur  maximum 
d'énergie,  sans  se  préoccuper  de  développer  harmonieusement 
tout  l'ensemble?  Doit-il  ne  s'occuper  que  des  puissances  sensi- 
tives  et  appétitives?  Non  car  il  ne  ferait  pas  un  homme,  il  ferait 
une  bête.  Il  doit  avant  tout  accorder  sa  préférence  aux  puis- 
sances supérieures  qui  sont  en  lui,  il  doit  travailler  surtout  à 
soumettre  la  chair  à  l'esprit. 

Or  rien  ne  peut  aider  plus  puissamment  l'homme  dans  ce  dur 
travail  que  la  religion  chrétienne.  La  raison,  la  sagesse,  lui  con- 
seillent bien  de  soumettre  la  chair  à  l'esprit,  elles  ne  peuvent  le 
lui  commander  et  s'il  lui  plaît  de  rejeter  leurs  prescriptions 
importunes,  s'il  lui  plaît  de  c  brûler  sa  vie  en  vingt  ans  »,  il  en 
est  le  maître. 


336  ANNALES    CATHOLIQUES 

Seul  le  christianisme  peut  lui  présenter  l'idée  du  devoir,  et 
l'obliger  ainsi  à  développer  surtout  les  puissances  nobles  en 
donopiant  les  puisstinces  basses.  Mais,  la  religion  fera  plus  que 
l'obliger,  elle  l'aidera:  la  religion  développera  son  intelligence 
par  l'amour  de  la  vérité  ;  les  martyrs  sont  morts  pour  la  vérité; 
elle  échauffera  son  cœur  par  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain, 
elle  fortifiera  sa  volonté  par  l'amour  du  bien.  Enfin,  elle  lui 
apportera  l'aide  la  plus  puissante  dans  cette  lutte  entre  la  chair 
et  l'esprit,  elle  lui  apportera  la  grâce.  Voilà  comment  on  devient 
homme  en  restant  chrétien. 

On  devient  aussi  meilleur  chrétien  en  restant  homme,  car  en 
luttant  contre  soi-même  on  devient  de  plus  en  plus  digne  des 
grâces  du  christianisme. 

«  Jusqu'à  présent,  continue  l'éminent  orateur,  en  s'adressant 
plus  particulièrement  aux  jeunes  gens  qui  l'écoutent,  charmés  de 
ce  ferme  et  austère  langage  peut-être  un  peu  nouveau  pour  eux, 
jusiju'à  présent  vous  avez  beaucoup  reçu  et  peu  donné.  »  Jusqu'à 
présent  le  mal  n'a  pu  approcher  de  ces  jeunes  gens  défendus  con- 
tre lui  avec  tant  de  sollicitude  ;  mais  voici  le  temps  de  l'épreuve 
qui  commence.  La  tempête  viendra  plus  tard  ;  aussi  faut-il 
pendant  ces  quelques  années  de  calme  travailler  à  devenir  plus 
forts  afin  de  résister  ensuite  victorieusement  aux  assauts  du 
mal.  Un  moyen  puissant  est  à  leur  disposition,  le  travail  ;  en  tra- 
vaillant, ils  obéiront  à  leurs  parents,  ils  accompliront  leur  devoir 
d'état,  ils  habi'.ueront  surtout  leur  esprit  à  l'idée  du  devoir  et 
le  détourneront  de  toute  pensée  mauvaise. 

En  terminant,  l'orateur  souhaite  pour  l'Eglise  si  mal  servie  et 
si  méconnue,  que  ces  jeunes  gens,  comme  ceux  qui  les  ont  pré- 
cédés dans  cette  vénérable  maison,  deviennent  pour  elle  des  fils 
dévoués  et  d'ardents  défenseurs. 

Après  cette  ardente  allocution,  la  messe  se  termine  tandis  que 
les  étudiants  chantent  le  Credo  et  le  Magnificat,  émus  eux- 
mêmes  d'entendre  ces  chants  si  beaux  redits  par  des  centaines 
de  voix  mâles  et  pleines  de  foi. 

La  bénédiction  du  Saint-Sacrement  termine  cette  belle  céré- 
monie, et  les  étudiants  se  dispersent  pour  revenir  le  lendemain 
commencer  une  année  de  travail  oii  Dieu  bénira  sans  nul  doute 
doute  leurs  généreux  efforts.  (Ve'ril^.) 

Le  gérant  :  F.  Chantrel. 
Pans.  —  Imp.  G.  Picquoin,  53,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


DE  LA  HAINE  D'ABOMINATION 

1»  La  haine  d'abomination  peut-elle  être  un  acte  de  vertu?  2»  même 
quand  elle  nous  porte  à  nous  attrister  du  bonheur  d'autrui  et  à  lui 
souhaiter  du  mal  ?  3°  Peut-elle  être  un  péché  et  dans  quel  cas? 

Cas  de  conscience.  1°  Louis,  commerçant  s'attriste  de  voir  de  nom- 
breux clients  chez  Alfred  son  concurrent;  2°  il  désire  les  attirer 
chez  lui,  au  risque  de  le  ruiner;  3°  pour  cela,  il  vend  ses  marchan- 
dises à  un  prix  dérisoire,  bien  convaincu  que  si  Alfred  veut  soutenir 
la  concurrence,  il  va  se  ruiner  en  quelques  jours  ;  4»  enfin,  appre- 
nant qu'Alfred  s'est  suicidé  de  désespoir,  il  en  éprouve  une  grande 
joie.  —  A-t-il  péché  dans  chacun  de  ces  cas  ? 

Dans  le  sens  absolu,  la  haine  pour  le  prochain  est  directe- 
ment opposée  à  la  charité  chrétienne.  C'est  donc  un  péché  mor- 
tel en  son  genre,  c  Celui  qui  hait  son  frère,  dit  saint  Jean, 
demeure  en  état  de  mort;  il  est  comme  coupable  d'homicide.  » 
(I  Jo.,  iir,  14,  15).  c  Celui  qui  hait  son  frère  est  dans  les  ténè- 
bres. »  (I  Jo.,  II,  9).  La  haine  du  prochain  ne  peut  donc  pas 
exister  sans  péché. 

Cependant  ce  péché  peut  devenir  véniel,  non  seulement  par 
suite  du  défaut  de  consentement,  mais  par  la  légèreté  de  la 
matière  ;  par  exemple  si  l'on  ne  souhaite  pas  à  quelqu'un  un 
mal  grave.  Considérée  même  comme  un  dérèglement  intérieur 
de  la  volonté,  dit  saint  Thomas,  la  haine  du  prochain  est  une 
faute  plus  grave  que  les  autres.  On  peut  nuire  au  prochain 
davantage  par  le  vol,  l'homicide,  l'adultère,  mais  la  haine  est 
un  péché  plus  grave  que  ces  actes  extérieurs,  parce  qu'elle 
trouble  la  volonté,  qui  est  la  faculté  prédominante  dans  l'homme 
et  la  source  du  péché.  En  effet,  ces  actes  extérieurs  si  déréglés 
qu'ils  soient,  pourraient  être  exempts  de  péché,  comme  lorsque 
quelqu'un  tue  un  homme  par  ignorance  ou  par  zèle  pour  la  jus- 
tice; ce  qui  donne  à  ces  actes  déréglés  une  gravité  particulière, 
c'est  la  haine  intérieure  qui  les  a  conçus  (2*  2'^ ,  q.  34,  art.  m,  iv.) 

Ce  que  nous  disons  de  la  haine,  nous  le  disons  de  la  malé- 
diction. €  Faire  formellement  une  malédiction  et  souhaiter  un 
grand  malheur,  dit  saint  Thomas,  c'est  un  péché  mortel  dans 
son  genre,  mais  il  peut  être  véniel  si  le  mal  n'est  pas  grave  ou 
si  la  malédiction  résulte  d'un  mouvement  léger  de  l'esprit.  » 
(Q.  26,  art.  3).  La  raison  de  cette  décision  est  que  les  péchés  de 
Lxxxvi  —  18  Novembre  1893.  25 


338  ANNALES    CATHOLIQUES 

parole  s'apprécient  surtout  d'après  l'intention.  (Q.  72,  art.  ii). 
Ainsi  «il  est  défendu  de  maudire  dans  l'intention  de  faire  une 
malédiction  en  désirant  ou  en  souhaitant  du  mal  à  quelqu'un.  » 
Maudire,  c'est  la  même  chose  que  dire  du  mal.  Mais  une 
chose  peut  se  dire  de  trois  manières  :  1°  Sous  forme  d'énoncia- 
tion,  comme  quand  on  emploie  le  mode  de  l'indicatif.  Dans  ce 
cas,  dire  du  mal  consiste  simplement  à  rapporter  du  mal  sur  le 
compte  d'autrui,  ce  qui  appartient  à  la  détraction.  C'est  pour- 
quoi on  appelle  quelquefois  ceux  qui  parlent  mal:  des  détrac- 
teurs. 2°  Quelquefois  le  mot  dire  remplit,  par  rapport  à  la  chose 
que  l'on  dit,  le  rôle  de  cause.  En  ce  sens,  il  convient  primitive- 
ment et  principalement  à  Dieu,  parce  qu'il  a  tout  fait  par  sa 
parole  ou  son  Verbe;  secondairement  il  s'applique  aux  hommes 
qui,  par  leur  parole,  commandent  aux  autres  de  faire  quelque 
chose  et  les  mettent  ainsi  en  mouvement.  C'est  dans  ce  but  qu'on 
a  établi  la  forme  de  l'impératif.  3°  Le  mot  dire  s'emploie  comme 
l'expression  de  la  volonté  qui  désire  ce  que  la  parole  exprime, 
et  c'est  à  cette  intention  qu'on  a  formé  le  mode  de  l'optatif. 

Laissant  de  côté  le  premier  ordre  de  malédiction  qui  consiste 
dans  la  simple  énonciation  du  mal,  nous  avons  à  nous  occuper 
des  deux  autres.  Il  faut  d'abord  observer  que  faire  une  chose  ou 
la  vouloir  sont  deux  actes  qui  ont  la  même  bonté  ou  la  même 
malice.  Par  conséquent,  il  est  également  permis  et  il  est  égale- 
ment défendu  de  (tommander  de  faire  du  mal  à  quelqu'un  ou  de 
lui  en  souhaiter.  Car  si  l'on  commande  ou  que  l'on  souhaite  le 
mal  d'un  autre,  sans  avoir  d'autre  but  que  ce  mal  lui-même,  il 
est  défendu  dans  ces  deux  cas  de  prononcer  cette  malédiction, 
et  c'est,  absolument  parlant,  ce  qu'on  appelle  maudire.  Mais 
si  l'on  commande  ou  que  l'on  souhaite  le  mal  d'un  autre  en  vue 
du  bien,  cet  acte  est  licite.  Dans  ce  cas,  il  faut  que  le  mal  que 
l'on  souhaite  soit  moindre  que  le  bien  qu'on  se  propose.  Ainsi 
on  peut  souhaiter  la  défaite  d'une  armée  dans  l'intérêt  du  pays- 
qu'elle  menace;  mais  le  fils  ne  peut  souhaiter  la  mort  de  son 
père  pour  jouir  de  son  héritage.  Il  n'y  a  pas  là  de  malédiction,- 
absolument  parlant;  elle  n'a  lieu  que  par  accident,  parce  que 
celui  qui  parle  n'a  pas  pour  but  principal  le  mal,  mais  le  bien. 
Il  peut  se  faire  que  l'on  ordonne  ou  que  l'on  souhaite  le  mal 
pour  deux  sortes  de  bien.  Quelquefois  pour  une  raison  de  jus- 
tice. C'est  ainsi  qu'un  juge  maudit  licitement  celui  qu'il  fait 
frapper  d'une  peine  qu'il  a  méritée;  c'est  aussi  de  cette  façon 
que  l'Eglise  maudit  par   ses  anathémes  et  que  les  prophètes. 


DE    LA    HAINB    d'aBOMINATION  339 

dans  l'Ecriture,  font  des  imprécations  contre  les  péclieurs,  en 
conformant  pour  ainsi  dire  leur  volonté  avec  la  justice  divine; 
quoiqu'on  puisse  aussi  expliquer  ces  imprécations  dans  un  sens 
prophétique.  D'autres  fois  on  maudit  pour  une  raison  d'utilité, 
comme  quand  on  souhaite  qu'un  pécheur  ait  une  maladie  ou  qu'il 
floit  traversé  par  quelque  obstacle,  afin  qu'il  se  convertisse  ou 
qu'au  moins  il  cesse  de  nuire  aux  autres.  (Q,  76,  art.  I). 

Ces  principes  posés,  il  nous  est  facile  de  répondre  aux  ques- 
tions proposées. 

1°  La  haine  d'abomination  jpeut-elle  être  un  acte  de  vertu? 

Elle  peut  être  un  acte  de  charité  quand  nous  haïssons  dans 
un  de  nos  frères  le  péché  et  le  défaut  de  vertu;  c'est  par  amour 
pour  lui;  car,  comme  dit  saint  Thomas,  c'est  le  même  motif  qui 
fait  que  nous  voulons  le  bien  d'un  individu  et  que  nous  haïssons 
ce  qui  fait  son  mal.  (Q.  34,  art.  III).  C'est  ainsi,  comme  nous  le 
faisions  entendre  plus  haut,  d'après  saint  Thomas,  qu'on  peut 
•désirer  la  mort  d'un  brigand,  le  renversement  de  tels  hommes 
politiques,  leur  mort  même,  dans  l'intérêt  du  bien  général;  ou 
souhaiter  à  un  pécheur  une  maladie  dans  l'ordre  temporel  pour 
qu'il  se  convertisse.  On  peut  souhaiter  la  mort  pour  jouir  de 
Dieu  et  ne  plus  l'oflTenser,  et  par  conséquent  pour  être  délivré 
des  peines  et  de  misères  de  cette  vie.  C'est  dans  ce  sens  que 
maudit  l'Eglise.  Ses  censures,  l'excommunication,  la  suspense, 
l'interdit,  par  lesquels  elle  appelle  sur  le  coupable  toutes 
espèces  de  maux,  ne  sont  portés  que  par  amour  pour  le  cou- 
pable, afin  qu'efi'rayé  il  revienne  à  des  sentiments  meilleurs  ; 
par  amour  pour  les  fidèles,  afin  qu'avertis  des  mauvaises  inten- 
tions du  coupable  à  l'égard  de  leur  salut  éternel,  ils  ne  se  lais- 
sent pas  séduire  par  lui.  C'est  pourquoi  les  censures  sont  des 
peines  médicinales.  Comme  le  dit  saint  Thomas  :  «  souhaiter  à 
quelqu'un  du  mal  en  vue  du  bien, ce  n'est  pas  un  acte  contraire 
au  sentiment  qui  nous  porte  à  désirer  du  bien  à  quelqu'un,  mais 
il  lui  est  plutôt  conforme.  >  (Q.  76,  art.I,  ad  2.) 

2°  Cette  haine  d'abomination  peut  être  une  vertu,  même 
quand  elle  nous  porte  à  nous  attrister  du  bonheur  d'autrui  et  à 
lui  souhaiter  du  mal.  Seulement  il  faut  bien  prendre  garde  de 
confondre  la  haine  pour  la  personne  avec  la  haine  ou  l'aversion 
qu'on  éprouve  quelquefois  pour  la  conduite  du  prochain.  Autre 
chose  est  de  haïr  le  pécheur,  autre  chose  de  haïr  le  péché.  Dans 
le  premier  cas,  on  veut  la  mort  de  l'impie,  ce  qui  est  contraire 
à  la  charité  ;  dans  le  second,  on  veut  seulement  qu'il  se  conver- 


840  ANNALES    CATHOLIQUES 

tisse  :  «  Nolo  mortem  impii,  sed  ut  convertatur  impius  a  via 
suâ,  et  vivat.  »  (Ez.,  xxîiii,  11). 

Nous  trouvons  d'ailleurs  dans  la  manière  dont  Notre-Sei- 
gneur  s'est  comporté  envers  le  monde  d'une  part,  et  envers  les 
pécheurs  de  l'autre,  une  règle  de  conduite  pratique.  Le  monde, 
c'est  l'ensemble  des  institutions  dont  le  but  est  d'empêcher  l'ex- 
tension du  règne  de  Jésus-Christ  sur  la  terre.  Les  mondains 
«ont  les  adversaires  systématiques  de  l'Evangile,  et  voilà  pour- 
quoi Notre-Seigneur  nous  déclare  qu'il  n'est  pas  de  ce  monde; 
voilà  pourquoi  il  ne  néglige  aucune  occasion  de  faire  com- 
prendre aux  mondains  que  s'ils  continuent  l'œuvre  du  démon, 
ils  n'auront  pas  d'ennemi  plus  redoutable  que  lui;  pourquoi  à 
la  fin  de  son  discours  de  la  Cène,  dans  la  série  de  prières  qu'il 
adresse  à  son  Père,  il  afi"ecte  d'exclure  le  monde.  «  Je  ne  vous 
prie,  mon  Père,  lui  dit-il,  que  pour  ceux-là  seulement  qui  m'ont 
écouté;  quant  au  monde,  je  ne  vous  prie  pas  pour  lui.  >  Et  lors- 
qu'il annonce  à  ses  disciples  qu'il  leur  enverra  le  Saint-Esprit 
pour  achever  l'œuvre  qu'il  a  commencée  :  «  Cet  esprit,  leur 
dit-il,  vous  aidera  à  combattre  le  monde,  il  s'élèvera  avec  force 
contre  lui;  il  ne  cessera  de  lui  reprocher  son  aveuglement,  ses 
inconséquences,  son  idolâtrie;  >  voilà  pourquoi  il  ne  cesse  de 
mettre  ses  disciples  en  garde  contre  le  monde.  Tantôt  il  com- 
pare les  mondains  à  une  troupe  de  loups  affamés;  tantôt  à  une 
bande  d'empoisonneurs;  tantôt  à  un  homme  mauvais  qui  sème 
de  l'ivraie  dans  le  champ  du  père  de  famille  pendant  son  som- 
meil, de  façon  à  étouffer  le  bon  grain  ;  tantôt  au  démon  lui- 
même,  dont  les  mondains  sont  les  enfants. 

Notre-Seigneur  accumule  lesépithètes,  les  comparaisons,  pro- 
fite de  toutes  les  occasions  qui  lui  sont  offertes  pour  manifester 
clairement  sa  haine  contre  les  mondains  et  cette  haine  est  une 
haine  d'abomination.  Il  leur  prophétise  toutes  sortes  de  malédic- 
tions, il  en  prophétise  aux  riches  avares  et  prodigues,  à  ceux 
qui  rient,  à  ceux  qui  sont  comblés  d'honneurs,  qui  ne  se  privent 
de  rien,  à  ceux  qui  scandalisent  les  enfants,  les  petits,  les  igno- 
rants, à  ceux  qui  le  méconnaissent,  aux  hypocrites,  aux  faux 
dévots,  au  malheureux  qui  le  trahit.  Et  cette  haine,  Notre-Sei- 
gneur veut  que  nous  l'ayons.  «  Je  suis  venu,  dit-il,  apporter 
sur  la  terre,  non  la  paix,  mais  le  glaive.  C'est  pourquoi  je  sé- 
parerai, s'il  le  faut,  le  fils  du  père,  la  fille  de  sa  mère,  je  brise- 
rai les  liens  de  la  nature  les  plus  doux,  les  plus  étroits,  les  plus 
légitimes.  >  Entre  le  monde  et  l'Evangile  il  n'y  a  pas  de  trait 


DE    LA    HAINE    d'aBOMINATION  341 

d'union  possible,  c'est  comme  si  l'on  cherchait  à  établir  un  pas- 
sage entre  le  ciel  et  l'enfer,  de  façon  à  permettre  aux  élus  et  aux 
réprouvés  de  communiquer  entre  eux.  Le  monde  nous  hait,  nous 
maudit;  nous  devons  le  haïr  et  le  maudire,  comme  Notre-Sei- 
gneur  le  hait  et  le  maudit. 

Et  cependant  Notre-Seigneur  a  tout  .fait  pour  ramener  ce 
inonde  à  lui.  «  Je  suis  venu  sur  la  terre,  dit-il,  non  pour  juger 
le  monde,  mais  pour  le  sauver.  »  «  Mon  père  aime  tellement  le 
monde  qu'il  n'a  pas  hésité  à  m'envover  vers  lui  pour  l'empêcher 
de  périr.  >  C'est  ce  vif  désir  de  convertir  le  monde  qui  explique 
que,  malgré  les  répugnances  de  sa  nature,  Notre-Seigneur  n'a 
pas  hésité  à  se  mêler  aux  mondains  et  à  ceux  qui  s'en  scanda- 
lisaient, il  se  contentait  de  répondre  :  Cela  vous  étonne?  Mais 
je  ne  suis  pas  venu  pour  ceux  qui  sont  en  bonne  santé,  je  suis 
venu  pour  les  malades.  Ce  sont  ceux-là  qui  ont  besoin  de  méde- 
cin. Or,  je  suis  le  médecin  des  âmes.  Il  est  donc  tout  naturel 
que  j'aille  aux  plus  pressés,  aux  plus  malades.  Et  voilà  pour- 
quoi quand  le  pharisien  Simon  l'invite  à  un  festin  avec  d'autres 
pharisiens,  il  accepte,  bien  qu'il  n'y  eût  pas,  humanum  dico, 
d'individus  qui  lui  fussent  plus  antipathiques  que  les  pharisiens  ; 
pourquoi  il  fait  du  publicain  Matthieu  un  apôtre;  il  ne  se  laisse 
pas  arrêter  par  le  préjugé  qui  fait  de  sa  fonction  de  receveur 
d'impôts  une  fonction  presque  honteuse,  en  tout  cas  méprisable. 
Matthieu,  pour  célébrer  sa  vocation  nouvelle,  offre  à  Notre- 
Seigneur  un  grand  festin,  auquel  il  invite  naturellement  ses 
collègues,  Notre-Seigneur  accepte.  Il  s'invite  lui-même  chez  un 
autre  publicain,  chez  Zachéo. 

On  dirait  qu'il  affecte  de  se  trouver  dans  la  société  des  gens 
dont  il  hait  les  opinions  et  contre  lesquels  il  prophétise  ses 
malédictions,  et  cette  attitude  est  si  nette  qu'elle  lui  attire  à 
plusieurs  reprises  les  reproches  des  chefs  de  la  nation,  qui  di- 
saient de  lui  que  c'était  un  homme  de  bonne  chère,  aimant  le 
vin,  faisant  ses  amis  des  gens  de  mauvaise  vie.  Ses  apôtres  eux- 
mêmes  ont  peine  à  retenir  leur  étonnement,  et  c'est  pour  accen- 
tuer devant  eux  sa  prédilection  pour  les  pécheurs  qu'il  propose 
les  trois  paraboles  du  bon  pasteur,  de  la  drachme  perdue  et 
retrouvée,  de  l'enfant  prodigue.  Les  expressions  et  les  témoi- 
gnages de  son  amour  pour  les  pécheurs  passent  de  très  loin 
ce  qu'il  eut  jamais  de  plus  tendre  et  de  plus  affectueux  pour 
aucun  autre.  Pour  les  pécheurs  il  pousse  des  cris  de  détresse, 
il  verse  des  larmes.  Ses  prévenances,  ses  bontés  les  plus  déli- 


342  ANNALES   CATHOLIQUES 

cates  sont  pour  eux.  L'accueil  qu'il  fait  à  la  Madeleine,  à  la 
Samaritaine,  à  l'épouse  coupable,  déconcerte  ceux  qui  en  sont 
les  témoins.  Soit  qu'il  les  rassure,  soit  qu'il  les  reprenne,  soit 
qu'il  leur  pardonne,  soit  même  qu'il  les  condamne,  c'est  toujours 
avec  une  tendresse  secrète  et  profonde.  Aussi  adresse-t-il  des 
reproches  au  frère  de  l'enfant  prodigue  s'indignant  de  la  géné- 
rosité dont  son  père  use  envers  le  coupable,  et  exige-t-il  de 
ses  Apôtres  et  de  ses  disciples  qu'ils  aient  envers  les  pécheurs 
la  même  condescendance  dont  il  ne  s'est  jamais  départi. 

Une  des  choses,  en  effet,  que  Notre-Seigneur  reproche  le 
plus  sévèrement  à  ses  Apôtres,  ce  sont  leurs  actes  de  violence 
contre  les  mondains,  sous  prétexte  que  ce  sont  des  adversaires. 
«  Qui  donc,  répond-il  à  Jacques  et  à  Jean  qui  lui  demandaient 
de  faire  descendre  le  feu  du  ciel  sur  des  gens  qui  les  avaient 
mal  reçus,  qui  donc  a  pu  vous  suggérer  une  pareille  idée?  Où 
puisez-vous  donc  vos  inspirations?  »  Et  quand  Pierre  tire  son 
épée  pour  le  protéger,  il  lui  donne  ordre  de  la  remettre  dans  le 
fourreau  ;  et  pour  qu'il  ne  reste  pas  trace  de  l'acte  de  violence 
de  son  Apôtre,  il  guérit  le  soldat  que  Pierre  avait  blessé  :  «  Je 
vous  envoie  au  milieu  des  loups,  mais  c'est  comme  des  agneaux; 
ce  n'est  pas  pour  qu'à  votre  tour  vous  deveniez  des  loups,  vous 
devez  rester  des  agneaux.  On  vous  insulte,  gardez  le  silence, 
et  ne  répondez  pas  par  une  autre  insulte.  Est-ce  que  vous 
m'avez  jamais  entendu  répondre  ainsi?  Que  des  païens  le  fas- 
sent, soit!  Mais  vous,  vous  devez  éviter  d'achever  de  briser  le 
roseau  déjà  cassé,  d'éteindre  violemment  la  mèche  qui  fume 
encore.  >  Sans  doute  Notre-Seigneur  a  eu  à  l'égard  des  Phari- 
siens des  paroles  sanglantes  ;  mais,  outre  qu'il  agissait  à  la 
façon  du  bon  pasteur  qui  crie:  au  loup!  afin  d'être  entendu  et 
compris,  on  doit  observer  que  Notre-Seigneur  pouvait  être 
d'autant  plus  sévère  avec  les  Pharisiens  qu'il  était  plus  attentif 
à  ne  jamais  les  repousser,  qu'il  était  en  quelque  sorte  toujours 
à  leurs  ordres;  il  avait  donc  quelque  droit  à  les  traiter  sévère- 
ment, surtout  dans  certaines  circonstances  ;  mais  on  sent  qu'il 
n'a  aucune  haine  contre  leurs  personnes,  c'est  ce  qui  explique 
ces  paroles  à  la  foule  à  propos  des  Pharisiens  :  €  Faites  ce 
qu'ils  vous  disent,  parce  qu'ils  ont  reçu  la  mission  de  vous 
interpréter  la  loi;  mais  ne  faites  pas  ce  qu'ils  font.  Ne  les 
imitez  pas.  Ce  sont  des  hypocrites,  des  serpents,  des  comédiens, 
des  orgueilleux.  >  Et  voilà  pourquoi  le  jour  où  ces  mêmes  pha- 
risiens lui  amènent  une   épouse   coupable,  il   n'hésite    pas   à 


CE  LA  HAINE  d'aBOMINATION  343 

dévoiler  les  turpitudes  de  leur  vie  privée.  «  Ils  vous  en  imposent; 
ce  sont  d'élégants  sépulcres  qui  cachent  des  ossements  de  mort.  > 
«  C'est  charité,  a  dit  saint  François  de  Sales  de  crier  au  loup  ! 
partout  où  il  le  faut!  »  Et  c'est  ce  qu'a  fait  Notre-Seigneur. 

Donc,  tout  en  étant  inébranlable  sur  les  principes,  soyons 
pleins  d'indulgence  envers  les  personnes.  «  Un  jour,  raconte  saint 
François  de  Sales,  j'étais  auprès  de  ruches  d'abeilles,  et  quel- 
ques-unes se  mirent  sur  mon  visage.  Je  voulais  y  porter  la  main 
et  les  ôter.  Ne  faites  pas  cela,  me  cria  un  paysan,  n'ayez  pas 
peur,  ne  les  touchez  pas,  elles  ne  vous  piqueront  nullement; 
tandis  que  si  vous  les  touchez,  elles  vous  piqueront.  Je  le  crus, 
et  pas  une  ne  me  mordit.  Faites  de  même,  ajoutait  François, 
avec  ceux  qui  cherchent  à  vous  irriter  par  leurs  railleries, 
leurs  questions  embarrassantes.  N'y  faites  pas  attention.  Ils  se 
tairont.  Si  vous  avez  le  malheur  de  leur  répondre,  vous  aurez 
beaucoup  de  peine  à  ne  pas  chercher  à  remporter  une  victoire 
sur  eux,  et  à  incliner  les  rieurs  de  votre  côté.  Comment 
voulez-vous,  après  les  avoir  irrités  à  l'occasion  do  Notre-Sei- 
gneur, les  lui  ramener  convertis?  »  «  Tout  par  amour,  disait-il 
à  un  jeune  évêque,  porté  à  user  de  paroles  un  peu  vives,  rien 
par  force.  »  «  Voyez  Notre-Seigneur,  répétait-il  souvent,  il  se 
tient  à  la  porte  des  cœurs,  mais  il  n'en  presse  l'ouverture  que 
doucement,  il  se  garde  bien  de  la  forcer  jamais.  »  Donnant  des 
conseils  à  Mme  de  Chantai  sur  l'éducation  de  ses  enfants,  il  lui 
disait:  «Faites  cela  petit  à  petit,  lentement,  suavement,  comme 
font  les  anges,  par  des  mouvements  gracieux,  sans  violence  ; 
ou  à  la  façon  des  parfums  qui  n'ont  d'autre  pouvoir  pour  attirer 
à  leur  suite  que  leur  suavité.  »  Un  de  ses  mots  ordinaires  était 
qu'aux  bonnes  salades  il  faut  plus  d'huile  que  de  vinaigre  et  de 
sel.  «  Vous  êtes  le  sel  de  la  terre,  a  dit  de  son  côté  Bossuet, 
cependant  ne  mettez  pas  trop  de  sel  à  la  fois;  au  lieu  de  piquer 
la  langue  pour  réveiller  l'appétit,  vous  mettriez  en  feu  toute  la 
bouche.  >  C'est  en  traitant  les  hérétiques  avec  cette  condescen- 
dance et  ces  égards,  en  marchant  «  tout  bellement,  à  pas  de 
plomb  »  que  saint  François  de  Sales  en  a,  dit-on,  ramené  70,000. 
N'oublions  jamais  que  l'Eglise  est  une  mère,  qu'elle  enseigne  à 
la  façon  des  mères,  sans  passions,  sans  exagération,  avec  une 
autorité  calme  et  une  sage  mesure.  «  La  vérité  qui  n'est  pas 
charitable,  avait  encore  coutume  de  dire  saint  François  de 
Sales,  cesse  d'être  la  vérité  ;  car  en  Dieu,  qui  est  la  source  du 
vrai,  la  charité  est  inséparable  de  la  vérité.  > 


344  ANNALES  CATHOLIQUES 

Saint  Augustin  raconte  qu'au  monaent  d'entreprendre  son 
immortel  ouvrage  de  la  Cité  de  Dieu  pour  venger  contre  les 
calomnies  du  paganisme  expirant  les  saintes  vérités  de  la  foi 
chrétienne,  sentant  bouillonner  au-dedans  de  lui  les  ardeurs  du 
zélé,  il  se  mit  à  genoux  et  adressa  au  ciel  cette  admirable  prière  : 
«  Seigneur,  envoyez  dans  mon  cœur  l'adoucissement,  le  tem- 
pérament de  votre  esprit;  afin  qu'entraîné  par  l'amour  de  la 
vérité,  je  ne  perde  pas  la  vérité  de  l'amour.  »  Certains  orateurs 
et  certains  polémistes  chrétiens  auraient  peut-être  intérêt  à 
adresser  à  Dieu  cette  même  prière  toutes  les  fois  qu'ils  se  trou- 
vent en  face  des  adversaires  de  l'idée  chrétienne.  S'il  nous  est 
interdit  d'altérer  la  religion  de  Notre-Seigneur  pour  l'accom- 
moder au  goût  des  mondains,  nous  avons  reçu  la  mission  de  les 
amener  à  goûter  la  religion,  en  la  leur  présentant  avec  le 
charme  qui  lui  convient. 

3°  La  haine  d'abomination  est  un  péché  dans  trois  cas,  nous 
dit  saint  Liguori,  d'accord  en  cela  avec  tous  les  théologiens: 
1°  lorsque  nous  souhaitons  véritablement  du  mal  à  notre  frère; 
2*  lorsque  c'est  de  propos  délibéré  ;  3°  lorsque  ce  mal  est  grave. 
(De  Peccatis,  cap.  m,  Dubium  vi).  La  charité  ne  nous  permet 
pas  de  désirer  le  mal  du  prochain,  ni  de  se  réjouir  du  mal  qui 
lui  arrive,  ni  de  s'affliger  de  ses  succès,  de  sa  prospérité. 

Cas  de  conscience. 

-•.■:1; 

1°  Louis,  commerçant,  s'attriste  de  voir  de  nombreux  clients 
chez  Alfred^  son  concurrent.  Cette  tristesse  est-elle  un  péché? 

Il  faut  d'abord  observer  avec  saint  Thomas  que  l'on  peut  con- 
sidérer comme  son  propre  mal  le  bien  qui  arrive  à  un  autre,  et 
pour  ce  motif  en  concevoir  de  la  tristesse  dans  deux  circonstances  : 

lo  On  s'attriste  du  bien  de  quelqu'un  ou  parce  qu'il  en  résulte 
pour  soi-même  le  danger  d'un  dommage  imminent,  comme  quand 
un  homme  s'attriste  de  l'élévation  de  son  ennemi,  parce  qu'il 
craint  qu'il  ne  lui  nuise  ;  ou  parce  que  l'on  craint  que  cet  ennemi 
ne  soit  funeste  à  d'autres  personnes  vertueuses.  Cette  tristesse 
n'est  pas  de  l'envie,  c'est  plutôt  un  effet  de  la  crainte.  C'est  la 
tristesse  des  catholiques  à  la  vue  des  francs-maçons  maîtres  de 
la  France.  Cette  tristesse  n'est  pas  coupable.  C'est  ce  qui  faisait 
dire  à  saint  Grégoire  qu'il  arrive  souvent  que  sans  perdre  la 
charité,  la  ruine  d'un  ennemi  nous  réjouit,  et  que  sans  pécher 
par  envie  nous  nous  attristons  de  sa  gloire,  lorsque  nous  croyons 


DE  LA  HAINE  D*AB0MINATI0N  345 

que  sa  chute  relèvera  les  bons  et  lorsque  nous  craignons  que  sa 
prospérité  ne  soit  la  cause  injuste  de  l'oppression  de  plusieurs. 
(Mor.  Lib.  XXir,  cap.  6.) 

2*  Nous  considérons  le  bien  d'un  autre  comme  notre  propre 
mal,  parce  qu'il  diminue  notre  gloire  et  notre  supériorité.  Cette 
tristesse  est  contraire  à  l'amour  que  nous  devons  avoir  pour  le 
prochain,  aussi  est-elle  un  péché.  S'attrister  du  bien  de  quel- 
qu'un quand  il  surpasse  le  nôtre  est  un  sentiment  toujours  mau- 
vais, parce  que  l'on  s'attriste  d'une  chose  dont  on  devrait  se 
réjouir,  c'est-à-dire  du  bien  du  prochain.  Même  l'indignation 
que  nous  manifestons  contre  ceux  qui,  à  notre  sens,  sont  indi- 
gnes des  biens  temporels  qu'ils  possèdent,  est  un  péché;  parce 
que  ces  biens  leur  sont  dispensés  par  un  juste  jugement  de  Dieu, 
soit  pour  leur  correction,  soit  pour  lenr  damnation,  et  qu'atta- 
quer cette  sorte  de  répartition,  c'est  paraître  s'en  prendre  à  la 
Providence  elle-même. 

D'ailleurs  ces  biens  ne  sont  rien  comparativement  aux  biens 
futurs  qui  sont  réservés  aux  bons  :  c'est  pourquoi  l'Ecriture 
condamne  cette  tristesse  :  <  Gardez-vous  de  porter  envie  aux 
méchants,  n'ayez  point  de  jalousie  contre  ceux  qui  commettent 
l'iniquité.  »  (Ps.  xxxvi,  1).  Et  ailleurs  :  «  Mes  pieds  ont 
presque  failli  parce  que  j'ai  eu  de  l'indignation  contre  la 
prospérité  des  méchants  et  en  voyant  la  paix  des  pécheurs.  » 
(Ps.  Lxxii,  2).  Aussi  l'envie  dans  son  genre  est-elle  un  péché 
mortel.  Le  genre  du  péché,  en  effet,  se  considère  d'après  son 
objet.  Or,  l'envie  selon  la  nature  de  son  objet  est  contraire  à  la 
charité  qui  est  la  cause  de  la  vie  spirituelle  de  l'âme,  d'après 
ces  paroles  de  l'Apôtre  :  «  Nous  reconnaissons  à  l'amour  que 
nous  avons  pour  nos  frères  que  nous  sommes  passés  de  la  mort 
à  la  vie.  »  (I  Jo.,  m,  14), 

L'objet  de  la  charité  et  celui  de  l'envie  est  donc  le  bien  du 
prochain,  mais  considéré  d'une  manière  opposée.  Car  la  charité 
se  réjouit  du  bien  du  prochain,  tandis  que  l'envie  s'en  attriste. 
D'où  il  est  évident  que  l'envie  est  un  péché  mortel  dans  son 
genre,  c  L'envie,  dit  Job,  tue  le  plus  petit.  >  (Job,  v,  2).  Or,  il 
n'y  a  que  le  péché  mortel  qui  tue  spirituellement.  Mais  en  tout 
genre  de  péché  mortel,  il  y  a  des  mouvements  imparfaits  qui 
existent  dans  la  sensibilité  et  qui  sont  des  péchés  véniels. 
(2»  2«  ,  Q.  XXXXI,  art.  I,  II,  III). 

Il  semble  que  la  tristesse  de  Louis  à  l'occasion  d'Alfred 
peut  n'être  pas  toujours  une  faute  grave,  bien  qu'en  soi  elle  soit 


346  ANNALES  CATHOLIQUES 

grave;  certaines  circonstances  peuvent  atténuer  la  gravité  de 
la  faute  de  Louis. 

2°  Louis  désire  attirer  chez  lui  les  clients  d'Alfred,  au  risque 
de  le  ruiner. 

Ce  sentiment  est  légitime,  d'après  ce  principe  admis  par 
saint  Thomas,  que  l'homme  est  tenu  de  s'aimer  lui-même  par 
charité  plus  que  le  prochain;  d'aimer  par  conséquent  sa  fortune 
plus  que  la  fortune  de  son  prochain.  Louis  est  donc  dans  son 
droit  en  cherchant  à  attirer  chez  lui  les  clients  d'Alfred,  pour 
gagner  plus  d'argent  qu'Alfred;  c'est  d'ailleurs  conforme  à  la 
pratique  du  commerce,  et  le  risque  qu'il  fait  courir  à  Alfred 
de  le  ruiner  pourrait  l'arrêter  s'il  était  tenu  à  avoir  de  la 
charité  pour  Alfred,  si  Alfred  était,  par  exemple,  un  de  ses 
parents,  un  de  ses  bienfaiteurs;  mais  il  ne  donne  pas  à  son 
désir  un  caractère  délictueux. 

3°  Pour  cela,  il  vend  ses  marchandises  à  un  prix  dérisoire, 
bien  convaincu  que  si  Alfred  veut  soutenir  la  concurrence^  il 
va  se  ruiner  en  quelques  jours. 

a)  Le  fait  de  vendre  ses  marchandises  à  un  prix  dérisoire 
est-il  répréhensible?  Saint  Thomas  observe  qu'on  peut  consi- 
dérer un  individu  de  deux  manières  :  1°  en  lui-même,  s'il  vient 
à  se  nuire,  il  peut,  à  ce  point  de  vue,  se  rendre  coupable  d'un 
autre  péché,  tel  que  l'intempérance  ou  l'imprudence;  mais  il  ne 
peut  pas  commettre  d'injustice,  parce  que  comme  la  justice  se 
rapporte  toujours  à  autrui,  il  en  est  de  même  de  l'injustice. 
2"  On  peut  considérer  un  individu  comme  étant  une  partie  d'un 
Etat,  ou  comme  étant  quelque  chose  de  Dieu,  sa  créature,  par 
exemple,  son  image.  Alors  celui  qui  se  tue  fait  injure  non  pas  à 
lui,  mais  à  l'Etat  et  à  Dieu.  C'est  pourquoi  il  est  puni  par  les 
lois  divines  aussi  bien  que  par  les  lois  humaines.  C'est  ainsi  que 
l'Apôtre  dit  du  fornicateur  :  (I  Cor.,  m,  17).  c  Si  quelqu'un  vient 
à  violer  le  temple  de  Dieu,  Dieu  le  perdra.  » 

En  perdant  son  argent  Louis  ne  commet  pas,  à  proprement 
parler,  une  injustice,  mais  il  fait  une  injure  à  Dieu,  en  gaspil- 
lant imprudemment  les  dons  qu'il  en  a  reçus.  Il  doit  aussi  bien 
compte  à  Dieu  de  sa  vie  que  de  sa  fortune.  Il  n'a  pas  plus  le 
droit  de  se  tuer  que  de  se  ruiner.  (Q,  LIX,  art.  III,  ad  2). 

Il  peut  et  doit  être  libéral,  mais  non  prodigue.  La  libéralité 
est  une  vertu  qui  tient  le  milieu  entre  deux  excès  :  l'avarice  et 
la  prodigalité.  «  La  prodigalité  consiste,  dit  saint  Thomas,  soit 
à  trop  donner,  soit  à  ne  pas  conserver  ou  à  ne  pas  amasser 


DE  LA  HAINE  d'aBOMINATION  347 

assez.  *  (Q.  CXIX,  art.  1).  Or,  ajoute-t-il  (art.  II),  la  prodiga- 
lité est  nécessairement  un  péché  aussi  bien  que  l'avarice.  Le 
prodigue  est  sans  doute  maître  de  ses  biens,  mais  il  a  le  Seigneur 
au-dessus  de  lui,  et  il  ne  doit  pas  disposer  de  ce  qu'il  a  contrai- 
rement à  sa  volonté.  Saint  Paul  dit  bien  :  «  Ordonnez  aux  riches 
de  ce  monde  de  donner  de  bon  cœur,  de  faire  part  de  leurs  biens.  > 
(I  Tim.  17)  ;  mais  il  engage  les  riches  à  donner  comme  il  faut,  ce 
que  ne  font  pas  les  prodigues.  Il  n'y  a  rien  d'honorable  ni  dans 
leurs  motifs,  ni  dans  la  manière  dont  ils  donnent.  Notre-Sei- 
gneur  dit  bien  :  «  Vendez  tout  ce  que  vous  avez  et  donnez-le 
aux  pauvres;  >  mais  ce  que  Notre-Seigneur  encourage,  c'est  la 
libéralité  et  non  la  prodigalité.  La  prodigalité  consiste  moins 
dans  l'excès  de  la  chose  donnée,  que  dans  ce  qu'elle  excède  la 
mesure  qu'on  n'aurait  pas  dû  dépasser.  Nul  doute  que  Louis  ne 
dépasse  cette  mesure,  et  qu'il  ne  soit  prodigue  :  surtout  si  l'on 
considère  que  le  devoir  de  la  charité  le  saisit  vis-à-vis  de  sa 
famille  qu'il  mettra  dans  l'embarras.  Il  semble  donc  qu'il  com- 
met une  injure  envers  Dieu,  une  injustice  envers  ceux  dont  il  a 
la  charge  et  la  responsabilité,  une  prodigalité  dont  Dieu  lui 
demandera  compte  en  vendant,  sans  raison  suffisante,  ses  mar- 
chandises à  un  prix  dérisoire. 

b)  La  conviction  oii  il  est  que  si  Alfred  l'imite,  il  se  ruinera, 
n'ajoute  rien  à  sa  faute,  au  point  de  vue  de  la  justice.  La  ruine 
d'Alfred  est  une  conséquence  de  l'acte  méchant  qu'il  pose.  Il  est 
coupable  devant  Dieu  de  différentes  manières,  mais  au  point  de 
vue  de  la  restitution  il  n'est  tenu  à  rien  vis-à-vis  d'Alfred.  En 
présence  de  la  concurrence  que  lui  fait  Louis,  Alfred  devrait 
fermer  boutique  et  attendre  ;  mais  Louis  ne  peut  être  rendu 
responsable  de  sa  ruine  quant  aux  dommages. 

4*  Enfin,  apprenant  qxC Alfred  s'est  suicidé  de  désespoir,  il 
en  éprouve  une  grande  joie. 

Innocent  XI  a  condamné  la  proposition  suivante:  «  Si  cum 
débita  moderatione  facias,  potes  absque  peccato  mortali  de  vitâ 
alicujus  tristari,  et  de  iilius  morte  naturali  gaudere,  illam  inef- 
licaci  affectu  appetere,  et  desiderare,  non  quidem  ex  displicentiâ 
personae,  sed  ob  aliquod  temporale  emolumentum.  »  (Cité  par 
Saint  Liguori.  Cap.  Il,  Dubium  II). 

P. -G.    MOREAU, 

vicaire  général  honoraire  de  Langres. 


348  ÎLNNALES    CA.THOLIQUES 

LES  FABRIQUES 
d'après   les  notes    de  jurisprudence  du   conseil   d'ÉTAT'" 
(Suite.  —  Voir  le  numéro  précédent.) 

C.  —  Ecoles. 

Par  application  du  principe  de  la  spécialité,  les  fabriques  ne 
sont  pas  autorisées  à  recevoir  des  libéralités  en  vue  de  fonder  ou 
d'entretenir: 

a)  Des  écoles.  (Avis  (Assemblée  générale),  13  avril  1881.  Legs 
Bonhoure.) 

h)  Des  salles  d'asile.  (Projet  de  décret  (Assemblée  générale), 
25  mai  1882.  Legs  Favier.) 

c)  Un  établissement  des  frères  de  la  doctrine  chrétienne  ou 
de  tout  autre  ordre  religieux  dirigeant  l'école.  (Projet  de  décre^ 
et  avis,  11  mars  1884.  Legs  Rossignol.)  ,,j 

De  même  une  fabrique  ne  peut  être  autorisée  à  recevoir  une 
libéralité  faite  en  vue  de  payer  la  pension  d'un  élève  du  grand 
ou  du  petit  séminaire.  (Même  décision.) 

D.  —  Instruction  religieuse. 

Si  une  fabrique  peut  être  autorisée  à  accepter  une  libéralité 
affectée  au  catéchisme  de  la  première  communion,  lequel  a  pour 
but  de  donner  aux  enfants  l'instruction  religieuse  nécessaire 
pour  être  admis  à  l'un  des  sacrements  de  l'église,  il  n'en  résulte 
pas  qu'elle  puisse  être  autorisée  à  accepter  une  libéralité  des- 
tinée au  catéchisme  de  persévérance,  qui  n'est  qu'un  exercice 
religieux  facultatif  ne  se  rattachant  directement  à  aucun  acte 
du  culte.  (Projet  de  décret  et  note,  25  janvier  1887.  Legs  Lau- 
rent. —  Projet  de  décret  et  avis,  12  mai  1890.  Legs  Delbarre.) 

Une  fabrique  ne  peut  être  autorisée  à  accepter  une  libéralité 
consistant  dans  un  terrain,  à  charge  d'affecter  les  constructions 
qui  y  seront  élevées  à  une  chapelle  pour  les  catéchismes,  que 
sous  la  réserve  que  «  le  terrain  donné  sera  affecté  à  la  construc- 
tion d'une  salle  de  catéchisme  et  non  d'un  lieu  de  culte».  (Pro- 
jet de  décret  et  note,  17  mai  1890.  Donation  Ravailhe.) 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser  l'acceptation  par  une  fabrique  des 
libéralités  faites  en  vue  d'assurer*  l'instruction  chrétienne  des 
enfants  de  la  paroisse  »,  ces  termes  ayant  une  signification  trop 


i 


LES  FABRIQUES  349 

large  pour  ne  s'appliquer  qu'à  l'enseignement  du  catéchisme. 
L'acceptation  d'une  semblable  libéralité  aurait  pour  eiïet  de 
faire  sortir  la  fabrique  de  sa  mission.  (Projet  de  décret  et  note, 
20  juin  1883.  Legs  Palisse.) 

La  fabrique  a  capacité  pour  recueillir  les  libéralités  faites 
pour  l'habillement  des  enfants  de  la  première  communion.  (Pro- 
jet de  décrets  et  note,  25  janvier  1887.  Legs  Laurent.) 

E.  —  Maîtrise. 

Une  fabrique  peut  être  autorisée  à  accepter  des  libéralités 
faites  pour  l'entretien  de  la  maîtrise  de  l'église,  à  moins  que 
cette  maîtrise  n'ait  perdu  son  caractère  d'école  de  chant  pour 
devenir  un  véritable  établissement  d'instruction.  (Note,  31  juil- 
let 1880.  Legs  Loyaulté.  — ■  Projet  de  décret  et  note,  26  juil- 
let 1890.  Legs  Pellissier.) 

F.  —  Entretien  des  tombes. 

Si  une  fabrique  peut  être  autorisée  à  accepter  une  libéralité 
faite  sous  la  condition  d'entretenir  un  tombeau,  lorsque  cette 
condition  ne  constitue  qu'une  charge  accessoire  du  legs,  il  n'en 
saurait  être  de  même  lorsque  les  frais  d'entretien  du  tombeau 
doivent  absorber  les  revenus  du  legs  ou  même  ne  laisser  à  la 
fabrique  qu'un  émolument  insuffisant.  (Projet  de  décret  et  note, 
29  février  1888.  Legs  de  Béhague.  —  Avis,  21  novembre  1888. 
Legs  Bourdereau.  —  Projet  de  décret  et  note,  20  février  1889. 
Legs  Mingot.  — Note,  15  mars  1890.  Legs  Hébert.  —  Projet  de 
décret  et  note,  22  octobre  1890.  Legs  Guilloteau.) 

Les  mêmes  solutions  doivent  être  admises  dans  le  cas  oii  la 
condition  d'entretenir  le  tombeau,  tout  en  résultant  d'ailleurs 
du  même  testament,  fait  l'objet  d'une  disposition  distincte  et 
spéciale.  Il  n'y  aurait  lieu  de  refuser  à  la  fabrique  l'autorisation 
d'accepter  que  si  les  frais  d'entretien  du  tombeau  ne  devaient 
lui  laisser  sur  les  libéralités  prises  dans  leur  ensemble  qu'un 
émolument  insuffisant.  (Projet  de  décret  et  note,  17  no- 
vembre 1891.  Legs  Guédé.) 

Par  application  de  la  même  règle,  le  conseil  d'administration 
des  pompes  funèbres  de  Marseille  n'a  pas  été  autorisé  à  accepter 
un  legs  dont  les  revenus  devaient  être  aflfectés  à  l'entretien  du 
tombeau  du  testateur;  d'ailleurs  les  attributions  de  l'adminis- 
tration des  pomp.es  funèbres  de  Marseille  ont  été,  par  l'arrêté 


350  ANNALBS    CATHOLIQUES 

préfectoral  du  7  juillet  1808  et  le  décret  du  10  septembre  sui- 
vant, limitées  au  transport  et  à  l'inhumation  des  corps.  (Projet 
de  décret  et  avis,  5  mai  1891.  Legs  Paux.) 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser  l'acceptation  par  une  fabrique 
d'un  legs  «  d'une  pièce  de  terre  sur  laquelle  est  établie  une  sé- 
pulture de  famille,  et  d'une  allée  conduisant  à  la  tombe  ». 

L'acceptation  de  cette  libéralité  aurait,  en  effet,  le  double- 
inconvénient  de  constituer  un  bien  de  mainmorte  dans  des  con- 
ditions qui  n'ont  été  prévues  par  aucune  loi^  et  de  rendre  la 
fabrique  propriétaire  à  perpétuité  d'une  sépulture  de  famille  en 
dehors  du  cimetière  communal.  (Projet  de  décret  et  note, 
23  juillet  1890.  Legs  Massacré.) 

Une  fabrique  ne  saurait  être  autorisée  à  accepter  la  donation 
d'une  chapelle  funéraire  dans  le  cimetière  communal,  les  con-^ 
cessions  perpétuelles  dans  les  cimetières  ne  pouvant  être  trans- 
mises au  moyen  de  donations  entre-vifs.  (Note,  3  décembre  1883. 
Donation  Pouria  à  la  fabrique  de  la  Roë.) 

Lorsque  la  charge  de  la  libéralité  consiste  dans  l'entretien 
d'une  chapelle  funéraire,  il  convient  de  n'autoriser  l'acceptation 
que  sous  la  réserve  relative  aux  clauses  et  conditions  contraires 
aux  lois.  Cette  réserve  est  destinée  à  prévenir  la  transformation 
de  la  chapelle  en  un  lieu  de  culte  non  autorisé.  (Projet  de  décret 
et  note  (Assemblée  générale),  15  février  1883.  Legs  Maurin.) 

G.  —  Construction  cCéglises. 

Lorsqu'un  legs  est  fait  à  la  fabrique  pour  la  construction  d'une 
nouvelle  église,  il  y  a  lieu  d'insérer  au  projet  de  décret  autori- 
sant la  fabrique  à  accepter  ce  legs,  une  disposition  prescrivant 
le  placement  du  montant  du  legs  en  rentes  3  0/0  sur  l'Etat  et 
la  capitalisation  des  revenus  jusqu'à  l'entier  achèvement  des 
travaux.  (Projet  de  décret  et  note  (Assemblée  générale)  15  fé- 
vrier 1883.  Legs  Monsaint.) 

H.  —  Maisons  vicarialès. 

Lorsqu'une  libéralité  faite  à  une  fabrique  consiste  en  une 
maison  destinée  au  logement  d'un  vicaire,  la  fabrique  ne  peut 
être  autorisée  à  l'accepter  qu'à  la  condition  que  l'immeuble  sera 
vendu  et  le  produit  de  la  vente  placé  en  rentes  3  0/0  avec  affec- 
tation des  arrérages  à  l'acquit  de  la  charge.  L'affectation  d'une 
maison  au  logement  d'un  vicaire  ne  saurait  être  autorisée,  car- 


LES    FABRIQUES  351 

elle  aurait  pour  résultat  de  placer  dans  le  patrimoine  des  fabri- 
ques une  catégorie  d'immeubles  de  mainmorte  dont  l'existence 
n'est  prévue  par  aucune  des  lois  en  vigueur.  (Note,  10  mai  1890. 
Donation  Bocquet.) 

Il  y  a  lieu,  par  le  même  motif,  de  refuser  à  une  fabrique  l'au- 
torisation d'accepter  le  legs  d'une  maison  destinée  à  servir  de 
logement  gratuit  à  un  vicaire,  lorsque  le  testateur  a  stipulé 
qu'au  cas  où  «  la  fabrique  ne  pourrait  garder  la  maison  dont  il 
s'agit,  la  propriété  en  ferait  retour  à  sa  famille  >.  (Projet  de 
décret  et  note,  5  février  1890.  Legs  Lemercier.) 

Exceptionnellement,  une  fabrique  a  été  autorisée  à  conserver 
en  nature,  mais  seulement  jusqu'à  l'expiration  d'un  bail  emphy- 
téotique, l'immeuble  à  elle  légué  pour  le  logement  des  vicaires. 
(Projet  de  décret  et  note,  26  juillet  1890.  Legs  Detournay.) 

I.  —  Cloches. 

Les  libéralités  destinées  à  l'acquisition  de  cloches  doivent  être 
acceptées  par  le  maire,  au  nom  de  la  commune,  et  non  par  la 
fabrique.  Ce  dernier  établissement  ne  doit  être  appelé  à  recueil- 
lir que  le  bénéfice  de  ces  libéralités.  Il  ne  serait  pas,  en  effet, 
de  bonne  administration  de  faire  placer  dans  le  clocher  de  l'église, 
propriété  communale,  une  cloche  qui  resterait  propriété  de  la 
fabrique.  (Note,  21  février  1888.  Legs  Gallin-Martel.  —  Projet 
de  décret  et  note,  17  avril  1888.  Legs  Paillard.  —  Projet  de 
décret  et  note,  9  janvier  1889.  Legs  Fosse.) 

Il  y  a  lieu  d'appliquer  les  mêmes  règles  aux  libéralités  faites 
en  vue  de  l'acquisition  d'une  horloge  à  placer  dans  la  tour  de 
l'église,  ou  d'tin  lustre  ayant  le  caractère  d'immeuble  par  des- 
Jiation.  (Note,  8  janvier  1889.  Legs  Poupart  et  Herluison.) 

J.  —  Calvaire. 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser  la  fabrique  à  recueillir  une  libé- 
ralité consistant  en  un  calvaire  qui  ne  se  rattache  à  aucune  tra- 
dition historique  ou  religieuse.  (Projet  de  décret  et  avis,  24  octo. 
bre  1882.  Legs  Duflo.  —  Note,  4  août  1886.  Legs  Gosse.  —  Note, 
■21  décembre  1887,  et  projet  de  décret,  14  mars  1888.  Legs  Del' 
<îroix). 

K.  —  Grosses  réparations. 

Dans  tous  les  cas  où  la  fabrique  est  autorisée  à  accepter  une 
libéralité  destinée  aux  grosses  réparations  de  l'église,  le  maire, 


352  ANNALES    CATHOLIQUES 

au  nom  de  la  commune,  doit  intervenir  pour  en  accepter  le  béné- 
fice. (Note,  9  mars  1887.  Legs  Groussiane). 

C'est  à  la  fabrique  seule,  et  non  à  la  commune  et  à  la  fabrique 
conjointement,  qu'il  appartient  d'accepter  une  libéralité  destinée 
«  aux  réparations  de  l'église  ou  du  presbytère  ».  L'article  136, 
§§  11  et  12,  de  la  loi  du  5  avril  1884  n'a  en  eifet  maintenu  à  la 
charge  des  communes  les  grosses  réparations  des  édifices  consa- 
crés au  culte  qu'après  l'application  préalable  des  revenus  et  res- 
sources disponibles  des  fabriques  à  ces  réparations.  Quant  aux 
réparations  d'entretien,  elles  ne  peuvent  jamais  être  à  la  charge 
des  communes.  (Note,  14  mai  1884.  Legs  Bousquet.  —  Note, 
9  mars  1887.  Legs  Groussiane). 

Par  le  même  motif,  il  appartient  à  la  fabrique,  et  non  à  la 
commune  d'accepter  un  legs  fait  pour  l'entretien  des  autels  de 
l'église.  (Note,  7  novembre  1888.  Legs  Rebeyrol.) 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  faire  accepter  par  le  maire  le  bénéfice  d'un 
legs  fait  à  la  fabrique  pour  l'achat  d'une  chasuble,  pour  l'entre- 
tien de  la  lampe  du  sanctuaire,  ou  pour  l'achat  d'ornements 
d'église  ou  de  vases  sacrés.  (Note,  30  avril  1884.  LegsLegrand). 

L.  —  Généralités. 

Lorsque  le  testateur  a  omis  de  désigner  l'église  qu'il  entend 
faire  bénéficier  de  sa  libéralité,  il  y  a  lieu  d'inviter  la  fabrique 
de  l'église  de  son  domicile  à  délibérer  sur  l'acceptation  ou  sur  le 
refus  de  cette  libéralité.  (Note,  20  décembre  1887.  Legs  Raudon.) 

La  fabrique  d'une  église  paroissiale  ou  succursale  a  capacité 
pour  recueillir  les  legs  faits  à  une  chapelle  de  secours  dépen- 
dant, pour  le  culte,  de  cette  église.  (Projet  de  décret  et  note, 
22  décembre  1891.  Legs  Dégrugillier.) 

Lorsqu'un  legs  est  fait  en  faveur  d'une  chapelle  sans  titre,  le 
décret  statuant  sur  cette  libéralité  est  ainsi  conçu  :  Il  n'y  a  pas 
lieu  de  statuer. 

Dans  le  cas  où  le  legs  est  fait  à  une  fabrique  pour  une  cha- 
pelle non  autorisée,  la  formule  adoptée  est  la  suivante  :  Le  tré- 
sorier de  la  fabrique  n'est  pas  autorisé.  (Note,  21  mai  1890. 
Legs  Bonnet). 

Toutefois,  lorsqu'un  legs  est  fait  à  une  chapelle  sans  titre  à 
charge  de  services  religieux,  il  peut  y  avoir  lieu  d'autoriser  la 
fabrique  de  l'église  paroissiale  dans  la  circonscription  de  laquelle 
se  trouve  située  la  chapelle  à  recueillir  cette  libéralité,  sous  la 
condition  toutefois  que  les  services  seront  célébrés  dans  l'église 


LES    FABRIQUES  353 

paroissiale.  (Projet  de  décret  et  note,  26  avril  1888.  Legs  Grin). 

M.  —  Fabriques  cathédrales. 

L'évêque,  au  nom  de  sa  cathédrale,  a  capacité  pour  accepter 
les  libéralités  destinées  à  l'embellissement  ou  à  l'amélioration  de 
cet  édifice.  Mais  c'est  au  trésorier  de  la  fabrique  de  l'église  cathé- 
drale qu'il  appartient  d'accepter  les  libéralités  destinées  à  la 
fondation  de  services  religieux.  (Projet  de  décret  et  note,  8  jan- 
vier 1889.  Legs  Bermond). 

IV.  —  Emprunts. 

Il  n'j  a  pas  lieu,  en  règle  générale  d'autoriser  une  fabrique  à 
contracter  un  emprunt  destiné  à  payer  des  dépenses  irréguliè- 
rement engagées.  (Avis,  12  février  1891.  Empruntpar  la  fabrique 
de  l'église  succursale  de  Montlaur). 

Le  délai  de  remboursement  d'un  emprunt  peut  être  réduit 
d'office,  (Projet  de  décret  et  note,  23  février  1881,  fabrique  de 
Cordemais). 

Dans  le  cas  où  l'emprunt  est  contracté  en  vue  de  construire 
une  église  sur  un  terrain  appartenant  à  la  commune,  il  y  a  lieu 
an  préalable  de  régler  la  question  de  la  propriété  de  la  future 
église.  (Note,  21  février  1883.  Emprunt  par  la  fabrique  de  Che- 
millé). 

Une  fabrique  peut  être  autorisée  à  emprunter  par  la  voie  de 
l'émission  publique.  (Projet  de  décret,  18  juillet  1883.  Emprunt 
parla  fabrique  de  Saint-Aubin,  à  Rennes). 

Lorsque  des  particuliers  prennent  l'engagement  d'assurer  le 
remboursement  de  l'emprunt  pour  le  cas  où  les  ressources  de  la 
fabrique  ne  seraient  pas  suffisantes,  il  convient  de  viser  cet 
engagement.  (Note,  9  janvier  1884.  Emprunt  par  la  fabrique  de 
Puceul). 

V.  Aliénations.  —  Mainlevées  d'hypothèques. 

Lorsqu'une  fabrique,  pour  établir  ses  droits  de  propriété  sur 
un  immeuble  qu'elle  se  propose  d'aliéner,  se  borne  à  invoquer 
l'arrêté  du  7  thermidor  an  XI  qui  a  transféré  aux  fabriques  con- 
servées les  biens  des  fabriques  supprimées,  sans  justifier  d'un 
envoi  en  possession  prononcé  par  l'autorité  administrative  con- 
formément à  l'avis  du  Conseil  d'Etat  du  25  janvier  1807,  il  y  a 

26 


354  ANNALES    CATHOLIQUES 

lieu  de  demander  l'avis  du  Ministre  des  finances  sur  la  question 
de  savoir  si  l'immeuble  n'est  pas  resté  propriété  de  l'Etat;  en 
cas  d'affirmative,  il  conviendrait  d'inviter  la  fabrique  à  faire 
procéder  à  la  formalité  de  l'envoi  en  possession.  (Note,  28  no- 
vembre 1883,  fabrique  de  Saint-Germer  (Oise).  —  Note,  10  dé- 
cembre 1883,  fabrique  de  Landerneau.) 

L'acte  de  vente  doit  être  passé  par  le  trésorier  de  la  fabrique 
et  non  par  le  président,  à  moins  que  ce  dernier  ait  reçu  une  dé- 
légation spéciale  du  conseil  de  fabrique.  (Note,  16  novembre  1881, 
fabrique  de  Versanne.) 

Il  convient  de  mentionner  dans  les  visas  les  actes  en  vertu 
desquels  la  fabrique  a  été  autorisée  a  acquérir  les  biens  qu'il 
s'agit  d'aliéner.  (Note,  29  août  1883,  fabrique  de  Bourgay.) 

Lorsque  le  produit  de  l'aliénation  doit  être  employé  au  paie- 
ment des  dettes  de  la  fabrique,  celle-ci  doit  établir  qu'elles  ont 
été  contractées  en  vertu  d'autorisations  régulières.  (Avis, 
4  mars  1889,  fabrique  de  Doizieu-Saint-Laurent.) 

Si  les  biens  qu'il  s'agit  d'aliéner  sont  grevés  de  charges,  il 
.mporte  de  n'autoriser  l'aliénation  que  sous  réserve  de  la  somme 
suffisante  pour  l'acquit  des  charges  imposées  et  de  calculer  cette 
somme  de  manière  à  prévoir  le  cas  d'une  augmentation  du  tarif 
diocésain  s'il  s'agit  de  charges  pieuses.  (Note,  22  octobre  1879, 
fabrique  de  Plancoet.  —  Note,  8  mars  1882,  fabrique  de  Mis- 
sillac.  —  Avis,  20  février  1884,  fabrique  de  Saint-Ouen-la- 
Rouerie.  —  Note,  12  février  1890,  fabrique  de  Montégut 
(Hautes-Pyrénées). 

Lorsque  le  produit  d'aliénation  doit  être  employé  aux  dépenses 
de  reconstruction  de  l'église  ou  du  presbytère,  il  y  a  lieu  de 
régler  au  préalable  la  question  de  la  propriété  de  cet  édifice. 
(Note,  13  février  1889,  fabrique  de  Lassigny,  —  Note, 
12  mai  1886,  fabrique  d'Aboin). 

Une  fabrique  peut  être  autorisée  d'office  à  aliéner  une  rente 
provenant  d'un  legs  et  lui  appartenant  conjointement  avec  une 
commune,  qui  en  demandait  la  vente  pour  en  affecter  le  pro- 
duit à  la  création  d'une  salle  d'asile  prescrite  par  le  testateur. 
(Projet  de  décret  et  note,  12  mars  1890,  fabrique  de  Martres- 
de-Veyre.) 

Mais,  cette  aliénation  d'office  n'a  pas  été  prescrite  lorsque  la 
demande  de  la  commune  était  formée  en  vue  de  faire  cesser  un 
état  d'indivision,  les  parties  ayant  réciproquement  le  droit 
d'intenter  une  action  en  partage.  (Avis,  2  décembre  1884^  fa- 
brique de  Martigny.) 


LES   FABRIQUES  355 

C'est  au  chef  de  l'Etat  et  non  au  préfet  qu'il  appartient  d'au- 
toriser la  cession  des  biens  expropriés  appartenant  aux  fabriques 
et  autres  établissements  publics  du  culte,  l'article  13  de  la  loi 
du  3  mai  1841  ne  s'appliquant  pas  dans  l'espèce.  (Note,  22 
juin  1886,  fabrique  de  Verlac.) 

D'après  la  loi  du  5  avril  1884,  la  mainlevée  d'hypothèques 
consenties  au  profit  des  fabriques  doit  être  autorisée  par  décret 
au  Conseil  d'État.  (Avis,  28  juillet  1885.) 

La  régularité  de  l'acquisition  des  rentes  pour  la  sûreté  des- 
quelles ont  été  constituées  les  hypothèques  doit  résulter  da 
l'instruction.  (Note,  26  mai  1886,  fabrique  d'Écrammeville.) 

VI.  Autorisation  de  plaider. 

La  règle  édictée  par  l'article  121  (que  la  décision  du  conseil 
de  préfecture  doit  être  rendue  dans  les  deux  mois  à  compter  du 
jour  de  la  demande  en  autorisation)  est  applicable  aux  demandes 
en  autorisation  de  plaider  formées  par  les  fabriques.  (Jurispru- 
dence constante,  notamment  :  Projet  de  décret,  5  février  1890, 
fabrique  de  Saint-Sozy.) 

Les  fabriques  ont  besoin  d'une  nouvelle  autorisation  du  Con- 
seil de  préfecture  pour  interjeter  appel  d'un  jugement  rendu 
contre  elles.  (Jurisprudence  constante:  Projet  de  décret,  23  no- 
vembre 1866,  pompes  funèbres  de  Marseille. 

L'autorisation  du  conseil  de  préfecture  n'est  pas  nécessaire 
aux  fabriques  pour  interjeter  appel  d'une  ordonnance  de  référé. 
La  j  uridiction  des  référés  a  été  constituée  pour  tous  les  cas 
d'urgence  sans  distinction,  et  les  communes  et  les  établissements 
publics  ne  pourraient  y  recourir  s'ils  devaient  au  préalable 
remplir  une  formalité  incompatible  avec  la  célérité  que  la  loi 
a  eu  en  vue  d'assurer  aux  parties.  (Projet  de  décret,  12  jan- 
vier 1886,  fabrique  de  Breloux.) 

VII.  Fabriques  et  communes. 

Depuis  la  loi  du  5  avril  1884,  les  communes  n'étant  plus 
tenues  même  subsidiairement  de  pourvoir  aux  dépenses  du 
culte,  il  importe  de  ne  pas  laisser  les  fabriques  aliéner  les  ca- 
pitaux qu'elles  possèdent  en  vue  de  dépenses  qui  ne  sont  obli- 
gatoires pour  elles  que  jusqu'à  concurrence  de  leurs  ressources 
disponibles,  c'est-à-dire  pour  celles  prévues  aux  paragraphes 


356  ANNALES    CATHOLIQUES 

11  et  12  de  l'article  136  de  la  loi  de  1884.  (Note,  18  septem- 
bre 1884,  fabrique  de  Joursac.) 

On  doit  coasidérer  comme  ressource  disponible  des  fabriques, 
dans  le  sens  de  l'article  136  de  la  loi  du  5  avril  1884,  non  le 
produit  de  la  vente  d'un  immeuble  ou  d'une  rente  non  grevée 
de  charges,  mais  seulement  les  excédents  des  recettes  sur  les 
dépenses  nécessitées  par  l'exercice  du  culte  et  par  l'entretien 
des  édifices  paroissiaux  ou  le  montant  des  libéralités  spéciale- 
ment afi"ectées  aux  réparations  desdits  édifices.  (Avis,  2  juil- 
let 1884.  Note,  31  mai  1835,  fabrique  d'Epeigné-les-Bois.) 

De  même  le  produit  d'un  emprunt  ne  saurait  être  considéré 
comme  une  ressource  disponible.  (Avis,  23  décembre  1884, 
fabrique  de  l'église  d'Yffiniac.) 

Les  communes  ne  sauraient  être  obligées  de  suppléer  à  l'in- 
suffisance des  ressources  pour  les  frais  du  culte  dans  une  cha- 
pelle de  secours.  (Projet  de  décret  et  note,  30  juillet  1884. 
Erection  en  chapelle  de  secours  de  la  chapelle  des  Oblats,  à 
Nancy.) 

Il  ne  convient  d'approuver  l'engagement  pris  par  un  conseil 
municipal  de  garantir  l'emprunt  contracté  par  une  fabrique  en 
vue  de  la  reconstitution  d'une  église,  que  si  l'effet  de  cet  enga- 
gement est  limité  au  cas  où  les  revenus  de  la  fabrique  ne 
présenteraient  pas  d'excédent  après  le  paiement  des  dépenses 
ordinaires  du  culte.  (Note,  5  août  1884.  Emprunt  de  la  fabrique 
du  Mesnil-Armand.) 

Il  doit  toujours  être  statué  par  décret  sur  les  difficultés  |qui 
s'élèvent  entre  une  fabrique  et  une  commune  au  sujet  des 
dépenses  prévues  aux  paragraphes  11  et  12  de  l'article  136  delà 
loi  de  1884,  ladite  loi  n'ayant  fait  aucune  distinction  entre  le 
cas  où  les  Ministres  sont  d'accord  pour  proposer,  soit  l'admis- 
sion, soit  le  rejet  de  la  demande  de  la  fabrique  et  le  cas  où  les 
Ministres  eux-mêmes  sont  en  désaccord.  (Avis,  6  août  1885.) 


DISCOURS  DE  M.  DE  MUN  A  LANDERNEAU 

Voici,  d'après  VUnivers,  l'analyse  détaillée  du  discours  que  M.  le 
comte  Albert  de  Mun  a  prononcé  à  Landerneau,  à  la  réunion  de  la 
jeunesse  catholique  de  Bretagne,  discours  que  nous  avons  déjà  signalé, 
mais  que  nous  n'avons  pas  voulu  apprécier  avant  d'avoir  un  texte 
autorisé  sous  les  yeux. 


DISCOURS    DE    M.    DK    MUN    A    LANDERNEAU  357 

Au  moment  de  prendre  la  parole,  dit  l'illustre  orateur,  je 
tiens  à  vous  redire  toute  ma  gratitude  pour  l'accueil  qui  m'est 
fait.  J'en  suis  profondément  ému.  Je  ne  l'oublierai  jamais. 

Il  ne  veut  pas  se  livrer  à  l'examen  détaillé  delasituation  poli- 
tique proprement  dite.  Il  ne  veut  pas  non  plus  déduire  des  élec 
tiens  dernières  les  conséquences  qu'elles  pourront  avoir  au  point 
de  vue  parlementaire  et  ne  cherchera  pas  à  tirer  l'horoscope  de 
la  nouvelle  Chambre.  Ce  qu'il  peut  affirmer  c'est  que,  quoi  qu'on 
dise  et  quoi  qu'on  fasse,  rien  ne  saurait  venir  à  bout  de  l'union 
qui  existe  entre  la  France  et  l'Eglise.  (Applaudissements.) 

S'adressant  aux  jeunes  gens  accourus  si  nombreux  pour  l'en- 
tendre, M.  do  Mun  leur  parle  des  souffrances  qu'ils  auront  à 
subir,  des  obstacles  qu'ils  rencontreront  dans  leur  lutte  pour  la 
revendication  des  libertés  religieuses  et  des  réformes  sociales. 
Qu'ils  ne  se  laissent  pas  décourager,  qu'ils  soient  prêts  à  tous 
les  sacrifices  pour  le  salut  de  la  France  et  le  boaheurdu  peuple. 
(Applaudissements.) 

A  ses  yeux,  la  situation  politique  ne  justifie  pas  les  découra- 
gements qu'il  a  rencontrés  chez  de  nombreux  électeurs.  L'obéis- 
sance au  Pape  est  un  gage  de  succès.  (Applaudissements).  Le 
seul  fait  d'avoir  obéi  à  Léon  XIII  qui  nous  conviait  à  laisser  de 
côté  nos  espérances  ou  nos  regrets  et  à  nous  organiser  sur  un 
terrain  plus  large  et  plus  fertile,  est  une  grande  espérance  pour 
l'avenir.  (Applaudissements).  Qu'importe  les  échecs  personnels! 
Nous  devons  être  avant  tout  des  hommes  d'action  et  ne  pas  imi- 
ter ceux  qui  s'endorment  dans  la  routine  des  vieilles  habitudes. 
(Applaudissements.)  Depuis  un  an  l'organisation  des  forces 
catholiques  sur  ce  nouveau  terrain  a  fait  d'immenses  progrés. 
Les  télégrammes  qu'on  vient  de  lire  en  sont  la  preuve. 

Ce  ne  sont  pas  là  de  simples  témoignages  de  sympathie  per- 
sonnelle ;  s'il  en  avait  été  ainsi,  nous  ne  les  aurions  pas  livrés 
au  grand  jour  de  la  publicité.  Nous  les  aurions  gardés  dans  l'in- 
timité de  nos  cœurs.  Non  !  ces  télégrammes  démontrent  que 
partout,  sur  tous  les  points  de  la  France,  il  se  forme  en  ce  mo- 
ment une  ligue  d'hommes  résolus,  de  catholiques  disposés  à  agir 
et  à  présenter  des  candidats  et  possédant  tous  un  même  pro- 
gramme; ces  télégrammes  sont  le  témoignage  d'une  force  exis- 
tante, réelle  et  très  vivante,  et  il  était  bon  que  ce  témoignage 
fut  apporté  ici,  au  cœur  de  cette  vieille  terre  de  granit,  au  cœur 
de  la  Bretagne.  (Bravos  et  applaudissements.) 

Sans  doute,  messieurs,  continue  le  grand  orateur,  ce  n'est  pas 


358  ANNALES    CATHOLIQUES 

une  parole  de  victoire  que  je  vous  apporte,  mais  c'est  une 
parole  d'indicible  confiance.  (Applaudissements.) 

Au  lendemain  de  la  bataille,  il  est  bon  que  l'un  des  vaincus 
vienne  relever  le  drapeau,  appeler  à  lui  tous  les  courages  et  dire  : 

Nous  sommes  encore  debout,  prêts  pour  de  nouveaux  com- 
bats. (Acclamations  ;  on  crie  :  Vive  de  Mun  !) 

Pour  la  lutte  que  nous  préparons,  il  est  utile  que,  le  plus 
souvent  possible,  les  chrétiens  se  rassemblent  et  appellent  à 
eux  tous  les  hommes  de  bonne  volonté.  Cette  belle  réunion  sera 
le  début  de  beaucoup  d'autres.  Des  conférences,  des  congrès  au- 
ront lieu  partout,  non  pas  pour  prononcer  des  discours,  plus  ou 
moins  stériles,  mais  pour  organiser  pratiquement  l'action  sociale 
catholique.  (Applaudissements.) 

Il  faut  nous  faire  connaître.  Nous  succombons  parce  que  nous 
ne  sommes  pas  connus  ou  que  nous  sommes  méconnus.  On  con- 
tinue de  faire  croire  aux  masses  que  nous  représentons  un  régime 
déchu.  Il  y  a  là  une  équivoque  qu'il  faut  dissiper.  Il  faut  faire 
comprendre  au  peuple  qu'on  nous  calomnie.  (Applaudissements). 

Le  but  que  nous  devons  atteindre,  c'est  Tâme  populaire.  Voilà 
notre  champ  de  bataille.  (Applaudissements.)  C'est  là  qu'il  faut 
arriver  et  il  le  faut  pour  deux  raisons,  d'abord  parce  que  le 
sentiment  de  la  justice  nous  en  fait  une  loi,  ensuite  parce  que  le 
salut  du  peuple  ne  peut  être  assuré  par  d'autres  que  par  nous. 
(Applaudissements.) 

Nous  avons  deux  moyens  de  réaliser  cette  grande  œuvre  :  la 
parole  et  les  actes. 

Gardons-nous  des  récriminations,  ne  nous  attardons  pas  à  scru- 
ter les  accusations  de  ceux  qui  nous  reprochent  d'avoir  tout 
compromis.  Gardons-nous  des  appréciations  améres  ou  violentes. 
Cela  produit  de  mauvais  résultats,  cela  aigrit  et  divise.  Nous 
frayons  la  voie  de  l'Eglise  ;  à  travers  les  changements  humains, 
à  travers  les  révolutions,  par  delà  les  formes  nouvelles,  il  faut 
que  l'Eglise  passe!  (Applaudissements).  Nous  sommes  ses  fils, 
unissons-nous  pour  la  faire  passer.  (Nouveaux  applaudissements.) 

Examinons  donc  la  situation  avec  sang«froid  et,  dans  cet 
examen,  sachons  retremper  nos  énergies. 

Il  y  a  dans  les  élections  qui  viennent  d'avoir  lieu,  quelque 
chose  d'effrayant,  c'est  la  poussée  du  socialisme,  c'est  l'arrivée 
à  la  Chambre  de  quarante  socialistes,  les  uns  dévoués  depuis 
longtemps  à  leur  doctrine,  les  autres  ayant  accepté  cette  même 
doctrine  par  calcul  ou  par  ambition.  Il  y  a,  chez  ces  hommes, 


DISCOURS    DE    M.    DE    MUN    A    LANDERNEAU  359 

du  talent,  des  idées,  de  l'audace,  de  quoi  surmonter  tous  les 
obstacles  et  je  souhaite  aux  catholiques  d'en  avoir  autant. 
(Applaudissements.) 

Cette  marche  en  avant  du  socialisme  doit  nous  frapper,  c'est 
le  fait  capital  des  dernières  élections. 

Et  je  vous  dis  :  Prenez-y  garde  !  Le  mal  fait  chaque  jour  des 
progrès.  Il  est  grand  temps  d'oppo?er  à  ces  hommes  une  résis- 
tance active  et  de  tous  les  instants.  En  définitive,  il  n'}'  a  plus 
aujourd'hui  que  deux  doctrines  qui  se  disputent  l'âme  du  peuple, 
il  n'y  a  plus  en  présence  que  deux  programmes;  d'un  côté,  le 
programme  socialiste  et,  d'un  autre  côté,  notre  programme  à 
nous,  le  programme  chrétien.  fVifs  applaudissements.) 

Pour  nous  organiser,  il  nous  suffit  de  regarder  le  parti  ouvrier 
qui  nous  donne  l'exemple. 

Voyez  ce  qui  s'est  passé  dans  le  Nord  et  dans  le  Pas-de-Calais. 
Quarante-cinq  mille  ouvriers  se  mettent  en  grève  sans  pouvoir 
formuler  de  revendications  bien  précises,  uniquement  parce  qu'on 
leur  a  dit  de  faire  grève  ;  ils  obéissent  aux  syndicats  qui  leur 
donnent  des  ordres  et  on  les  voit  s'abstenir  de  la  fréquentation 
des  cabarets  pour  diminuer  leurs  dépenses,  pour,  comme  ils  le 
disent,  durer  plus  longtemps. 

Il  en  est  de  même  pour  les  élections  ;  les  ouvriers  votent  pour 
le  candidat  que  le  syndicat  leur  désigne.  Et  ce  n'est  plus  seule- 
ment dans  les  villes  que  le  socialisme  fait  ses  ravages  et  qu'il 
recueille  les  fruits  de  sa  propagande  incessante.  Autrefois,  au 
moment  des  élections,  dans  les  campagnes,  il  suffisait  d'agiter 
devant  le  paysan  le  spectre  rouge,  l'épouvantail  socialiste,  pour 
obtenir  son  vote.  Il  n'en  est  plus  de  même  aujourd'hui.  Le  pay- 
san commence  à  prêter  l'oreille  aux  discours  de  ceux  qui  lui 
parlent  de  sa  misère  et  lui  promettent  un  avenir  meilleur.  Un 
jour,  à  propos  d'une  question  d'administration  forestière,  dans 
le  Cher,  un  député  socialiste  est  intervenu  et  les  bûcherons  de 
ee  département  se  sont  mis  en  grève.  Enfin,  retenez  ce  fait  d'une 
importance  considérable  :  aux  dernières  élections,  trois  députés 
socialistes  ont  été  nommés  dans  des  circonscriptions  purement 
rurales.  (Sensation.) 

Non  !  la  campagne  elle-même  n'est  plus  àl'abri.  Là,  comme  dans 
les  villes,  le  terrain  est  prêt.  Les  socialistes  le  savent  et  voilà 
pourquoi,  lors  du  récent  congrès  qui  vient  de  se  tenir  à  Paris,  sans 
bruit,  dans  le  secret,  comme  il  convient  à  des  hommes  qui  ont  à 
prendre  des  résolutions  décisives,  il  a  été  entendu  qu'on  allait 


360  ANNALES    CATHOLIQUES 

entreprendre  une  propagande  active  dansles  campagneset  qu'on 
commencerait  par  conquérir  la  Bretagne,  parce  qu'on  la  consi- 
dère, ajuste  titre,  comme  un  pays  jusqu'ici  réfractaire  à  l'idée 
socialiste.  Oui,  l'on  veut  asservir  la  Bretagne  !  (A  ce  moment, 
une  voix  dans  l'auditoire  s'écrie  :  Jamais  /  les  applaudissements 
éclatent.) 

Cette  interruption  me  fait  plaisir  continue  l'orateur,  mais, 
encore  une  fois,  prenez  garde  et  ne  laissez  pas  le  sommeil  vous 
fermer  les  yeux!  (Applaudissements.) 

L'on  a  beaucoup  ri,  dernièrement,  du  député  coiffeur  et  du 
député  chapelier;  l'on  avait  ri  beaucoup  aussi  quand  la  blouse 
de  M.  Thivrier  fit  son  apparition  dans  l'enceinte  du  Palais- 
Bourbon.  Pour  ma  part,  je  n'ai  pas  trouvé  cela  risible.  J'ai  vu 
dans  cette  blouse  un  symbole  et,  dans  l'élection  du  coiffeur  et 
du  chapelier,  j'ai  vu  la  manifestation  de  l'organisation  et  de  la 
discipline  d'un  parti  redoutable.  Le  socialisme  est  un  grave 
danger.  Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  s'imaginent  qu'on  puisse 
l'arrêter  par  des  haussements  d'épaules.  (Applaudissements.) 

Je  le  dis  donc  aux  catholiques  :  le  terrain  de  la  lutte,  c'est  le 
terrain  social,  c'est  là  qu'il  faut  nous  placer,  c'est  là  qu'il  faut 
concentrer  nos  efforts,  organiser  notre  ligue  contre  le  socialisme 
grandissant.  (Applaudissements.) 

Sans  doute,  la  question  sociale  est  intimement  liée  à  la  ques- 
tion religieuse.  C'est  grâce  à  la  loi  scolaire  qui  bannit  de  l'âme 
des  enfants  tout  sentiment  chrétien,  que  le  socialisme  a  réussi, 
a  fait  d'aussi  rapides  progrès  (Applaudissements.)  Nos  adver- 
saires s'en  rendent  compte  et  l'on  s'explique  aisément  pourquoi 
l'un  des  organes  du  parti  ouvrier  faisait  récemment  l'éloge  de 
la  loi  scolaire  et  demandait  qu'on  la  défendît  comme  étant  l'une 
des  conquêtes  les  plus  utiles.  Aussi  ne  sera-ce  pas  la  majorité  qui 
va  se  constituer  dans  la  prochaine  Chambre,  qui  barrera  la 
route  au  socialisme  (Applaudissements)  et  j'avoue  que  je  ne 
partage  pas  la  confiance  de  M,  le  président  du  conseil  qui  se 
fiattait,  il  y  a  quelques  mois  d'enfermer  le  socialisme  dans  un 
dilemme  (Rire  général).  Je  crois  que  le  socialisme  aura  bientôt 
fait  d'en  renverser  les  deux  termes  et,  peut-être,  M.  le  président 
du  conseil  avec  eux.  (Rires  et  applaudissements.) 

Non  !  le  parti  dominant,  le  parti  qui  depuis  quinze  ans  gou- 
verne la  France,  le  parti  qui  a  écarté  Dieu  des  institutions  et 
des  lois,  ce  parti-là  ne  peut  barrer  la  route  au  socialisme,  car 
c'est  lui  qui  a  ouvert  la  porte  (vifs  applaudissements),  et  les 


DISCOURS  DE  M.  DE  MUN  A  LANDERNEAU  361 

socialistes  ne  sont  que  des  opportunistes  conséquents.  (Applau- 
dissements.) 

Ce  ne  sont  pas  non  plus  les  conservateurs  qui  lui  barreront 
la  route.  (Rires  et  applaudissements.)  Je  les  crois  plutôt  desti- 
nés à  être  balayés  par  lui. 

L'on  m'a  acusé  d'èire  socialiste.  (Protestations  dans  l'audi- 
toire. Cris  de  :  Vive  de  Mun!j 

Je  prétends,  au  contraire,  que  les  seuls  qui  aient  essayé  d'op- 
poser une  barrière  au  socialisme,  sont  ceux  qui  ont  suivi  la  voie 
tracée  par  Rome.  (Applaudissements,  nouvelles  acclamations.) 

Eh  bien!  il  faut  continuer  l'œuvre  entreprise,  mais  comment? 

La  première  des  conditions,  si  l'on  veut  réussir,  c'est  de  bien 
connaître  les  soufirances  populaires,  c'est  de  faire  des  enquêtes. 
C'est  là  le  meilleur  moyen  d'attirer  l'attention  de  l'opinion  pu- 
blique. En  Autriche,  le  baron  de  Vogelsang  l'a  employé  ;  il  a 
fait  une  enquête  sur  la  situation  industrielle  de  ce  pays;  il  a 
révélé  des  faits  qu'on  ne  soupçonnait  pas,  il  a  montré  toute  une 
misère  qu'on  croyait  impossible.  L'opinion  publique  s'est  émue 
et  la  législation  sociale  autrichienne  est  sortie  de  là. 

En  Angleterre,  le  pays  le  plus  avancé  en  fait  de  législation 
sociale,  en  Allemagne,  dans  tous  les  pays  qui  se  préoccupent  de 
la  question  sociale  et  veulent  sérieusement  y  remédier,  l'on  a 
fait  des  enquêtes.  En  France,  quand  il  s'est  agi  de  discuter  les 
lois  sur  le  travail,  nous  avons  apporté  à  la  Chambre  des  faits 
précis,  des  chiffres,  des  détails  qui  ont  étonné  tout  le  monde  et 
qui  ont  créé  un  courant  d'opinion. 

Ce  que  nous  avons  fait  pour  les  villes,  il  faut  le  faire  pour  les 
campagnes.  Je  voudrais  qu'on  parcourût  les  campagnes,  afin  de 
connaître  exactement  la  condition  des  paysans,  des  fermiers  et 
des  ouvriers  des  champs,  afin  d'améliorer  leur  sort  moral  et 
matériel,  de  prévenir  la  révolte,  d'empêcher  qu'on  n'allume  là, 
comme  on  l'a  allumée  dans  les  villes,  la  guerre  des  classes.  Cette 
œuvre  de  salut,  qui  donc  l'a  commencée?  Quand  il  s'agit  des 
campagnes,  j'entends  bien  qu'on  parle  de  la  culture  et  des 
récoltes,  mais  qui  donc  a  songé  à  cette  question  du  socialisme, 
qui,  d'un  moment  à  l'autre  peut  se  dresser  menaçante  entre  le 
propriétaire  et  le  fermier,  entre  celui  qui  possède  et  celui  qui 
n'a  rien?  (Applaudissements.) 

Que  de  fois  je  me  suis  dit  ces  choses,  quand  je  passais  dans 
les  chemins  creux  de  votre  Basse-Bretagne,  dans  ces  champs  oii 
les  socialistes  n'ont  pas  encore  pénétré.  En  visitant  ces  chau- 


362  ANNALES    CATHOLIQUES 

mières  étroites,  trop  étroites  quelquefois  pour  contenir  les  mem- 
bres de  la  famille  agricole,  en  découvrant  certaines  misères,  je 
songeais  :  Ah  !  si  quelque  Basly  campagnard  parcourait  ces 
sentiers,  entrait  dans  ces  maisons  et,  mettant  le  doigt  sur  la 
plaie  vive,  entreprenait  de  révéler  au  paysan  toute  l'étendue 
de  sa  souffrance,  ah!  la  révolte  ne  tarderait  pas  à  se  produire. 
Un  jour,  l'un  de  ces  fermiers,  excellent  homme,  attaché  à  sa 
terre  et  l'aimant  vraiment,  dit  devant  moi  :  «  Les  ouvriers  des 
villes  se  mettent  en  grève.  Pourquoi  donc  les  paysans  ne  feraient- 
ils  pas  comme  eux  ?  »  Cette  parole  me  fit  frémir,  elle  fut  pour 
moi  comme  l'une  de  ces  lueurs  sinistres  qui  éclairent  un  horizon 
noir,  et  je  partis  en  me  disant  :  Si  les  socialistes  passent  par  là, 
avant  nous,  ils  trouveront  le  terrain  préparé  pour  les  recevoir  !  » 
(Applaudissements.) 

Je  vous  le  dis,  messieurs,  il  est  grand  temps  de  se  mettre  à 
l'œuvre.  C'est  parce  que  je  vois  l'imminence  du  péril,  que  je 
viens  vous  adjurer  de  vous  organiser,  d'unir  toutes  les  bonnes 
volontés  en  vue  des  réformes  sociales  nécessaires,  de  travailler 
de  toutes  vos  forces  pour  obtenir  des  pouvoirs  publics  une  légis- 
lation agricole  en  faveur  du  travailleur  des  champs.  (Applaudis- 
sements.) 

A  l'heure  présente,  la  campagne  se  dépeuple  au  profit  des 
villes  :  ce  travail  qu'ils  voient  faire  à  leur  père,  rebute  les  en- 
fants qui  ne  le  trouvent  pas  suffisamment  rémunérateur.  Com- 
bien n'en  avons-nous  pas  rencontrés  à  Paris,  de  ces  malheureux 
qui,  ne  pouvant  plus  vivre  à  la  campagne  et  attirés  par  le  mirage 
de  la  jouissance  et  de  la  richesse,  sont  descendus  bien  vite  au 
plus  profond  des  abîmes  de  la  misère,  quand  ils  ne  se  sont  pas 
enfoncés  dans  le  bourbier  du  vice  !  (Applaudissements.) 

Quand  on  songe  à  tout  cela,  l'on  reconnaît  aussitôt  la  néces- 
sité d'une  réforme,  et,  tout  de  suite,  l'idée  d'une  foule  de  ré- 
formes particulières  se  présente  à  l'esprit. 

Aujourd'hui,  le  paysan  ne  peut  plus  vivre  sur  sa  terre;  il  est 
ruiné  par  les  impôts  et  par  l'hypothèque.  Les  socialistes  l'ont 
bien  vu,  et,  immédiatement,  ils  se  sont  approprié  l'un  des  points 
de  notre  programme  catholique.  Ils  ont  demandé  ce  que  nous 
demandons  depuis  longtemps  :  qu'on  rendît  insaisissables  dans 
les  campagnes  la  maison  et  le  champ  du  cultivateur,  les  instru- 
ments et  le  bétail  de  première  nécessité.  Au  cours  de  la  der- 
nière législature,  je  l'avais  demandé  moi-même  à  la  Chambre, 
et  l'on  me  répondit  alors  :  «  Mais  que  voulez-vous  que  les  pay- 


DISCOURS    DE    M.    DK    MUN    A    LANDERNEAU  363 

flans  fassent?  Ils  ne  pourront  plus  emprunter,  puisqu'ils  n'offri- 
ront plus  de  garantie  au  premier  hypothécaire  »? 

De  là,  messieurs,  l'obligation  d'organiser  partout  dans  les 
campagnes  des  sociétés  de  crédit  agricole. 

Dans  d'autres  pays,  les  catholiques  se  sont  préoccupés,  depuis 
longtemps,  de  toutes  ces  questions.  Vous  avez  entendu  raconter 
l'histoire  de  ces  banques  Raiffeisen  qui  couvrent  aujourd'hui 
l'Alsace  tout  entière,  grâce  à  l'activité  des  catholiques  et  sur- 
tout du  clergé  de  cette  province.  Ce  sont  les  prêtres  qui  en  ont 
pris  l'initiative  et  il  ne  faut  pas  chercher  ailleurs  la  raison  de 
l'influence  qu'ils  ont  conservée  là-bas  sur  le  peupla. 

En  France,  hélas!  il  n'en  est  pas  de  même  et  je  trouve  que 
notre  clergé  ne  se  mêle  pas  assez  à  la  lutte  sociale. 

Le  champ  qui  s'ouvre  devant  nous  est  cependant  assez  large. 
Dans  chaque  paroisse,  dans  chaque  commune,  formons  des  syn- 
dicats agricoles  qui  nous  procureront  les  moyens  d'organiser 
ces  institutions  économiques  dont  je  vous  ai  parlé  et  dont  lei 
travailleurs  de  la  campagne  ont  besoin.  (Applaudissements.) 

Je  vous  signale  une  lacune  à  laquelle  il  importe  de  remédier 
sans  retard  :  vingt-cinq  à  trente  communes  seulement  sont  or- 
ganisées à  ce  point  de  vue.  Il  est  grand  temps  de  se  mettre  à 
l'oeuvre;  cette  formation  de  syndicats  agricoles  est  absolument 
nécessaire.  Si  les  catholiques  ne  l'entreprennent  pas,  on  l'entre- 
prendra sans  eux  ;  si  nous  ne  nous  organisons  pas  dés  mainte- 
nant, on  s'organisera  sans  nous  et  contre  nous  !  (Vifs  applaudis- 
sements.) Encore  une  fois,  c'est  le  seul  moyen  de  résister  utile- 
ment au  socialisme  qui  s'avance. 

L'heure  est  grave  et  je  ne  me  dissimule  pas  que  vous  rencon- 
trerez des  difficultés.  Grâce  aux  lois  scolaires,  grâce  au  parti 
pris  qu'on  voit  chez  ceux  qui,  depuis  quinze  ans,  détiennent  le 
pouvoir,  d'écarter  du  peuple  le  clergé  catholique,  on  a  fini  par 
l'habituer  à  ne  plus  aimer,  à  ne  plus  croire  ceux  qui  ont  mis- 
sion de  l'enseigner  et  de  le  défendre.  On  enferme  le  prêtre  dans 
sa  sacristie,  dans  la  pratique  de  son  ministère  le  plus  étroit,  on 
le  met  dans  l'impossibilité  de  s'occuper  du  peuple  et  l'on  sd 
retourne  ensuite  vers  les  ouvriers  des  villes  et  des  champs  en 
disant  :  «  Vous  voyez  vos  prêtres!  à  quoi  vous  servent-ils?  ils 
ne  font  rien  pour  vous,  ils  ne  font  rien  qui  puisse  améliorer 
votre  bien-être  matériel!  »  (Applaudissements.) 

Messieurs,  il  faut  sortir  de  là.  Je  vous  adjure,  encore  une 
fois,  de  vous  organiser,  de  prendre  et  de  faire  connaître  un  pro- 


364  ANNALES    CATHOLIQUES 

gramme  social.  Vous  avez  encore,  dans  ce  pays  breton,  une 
influence  considérable,  vous  possédez  un  clergé  dévoué  et  zélé. 
Sachez  utiliser  cette  grande  force.  Allez  au  peuple,  parlez  à  son 
cœur  et  ranimez  sa  foi.  Vous  avez  des  orateurs  laborieux  et 
jeunes.  Organisez  des  conférences.  Le  peuple  vous  entendra. 
On  a  voulu,  on  veut  encore  nous  empêcher  d'aller  à  lui,  on  nous 
accuse,  on  nous  calomnie,  mais  je  puis  dire  que  toutes  les  fois 
que  nous  avons  pu  l'approcher,  que  nous  nous  sommes  adressés 
à  lui,  que  nous  lui  avons  tendu  la  main,  toutes  les  fois  qu'il  a  pu 
nous  rencontrer  dans  les  réunions,  que  là,  les  yeux  dans  les 
yeux,  nous  avons  fait  connaître  notre  programme  au  travail- 
leur, eh  bien!  je  puis  dire  que  nous  avons  trouvé  bon  accueil. 
(Acclamations.)  Quelquefois  les  conservateurs  nous  ont  fait 
défaut,  jamais  les  ouvriers!  (Bravos  et  applaudissements,  la 
salle  entière  acclame  l'orateur.) 

Et  pourquoi  donc  n'aurions-nous  pas  confiance?  N'avons-nous 
pas  un  Code,  n'avons-nous  pas  cette  Encyclique  mémorable  sur 
la  condition  des  ouvriers  ? 

Mais  ce  code,  le  connaissons-nous  bien?  Qui  donc  l'a  lu, 
parmi  ceux  qui  prétendent  que  nous  n'avons  pas  le  droit  de  nous 
en  armer,  parmi  ceux  qui  l'interprètent  au  gré  de  leurs  fantai- 
sies'/ Oui,  qui  l'a  lue  cette  Encyclique,  qui  l'a  étudiée,  qui  l'a 
méditée,  parmi  les  conservateurs?  (Bravos  et  applaudissements.) 

Les  socialistes  la  connaissent  mieux  que  nous.  Dans  toutes  les 
réunions  qu'ils  organisent,  dans  tous  leurs  congrès,  on  en  parle, 
on  en  cite  des  passages,  tantôt  pour  se  les  approprier,  tantôt 
pour  en  critiquer  les  prétendues  faiblesses.  Et  dans  les  assem- 
blées populaires,  il  est  arrivé  bien  souvent  que  le  nom  de 
Léon  XIII  a  été  acclamé  comme  le  nom  d'un  Pape  qui  s'est  placé 
au  premier  rang  des  serviteurs  de  la  démocratie.  (Cris  de  Vive 
Léon  XIII!  Salve  d'applaudissements.) 

La  voie  nous  est  tracée,  nous  n'avons  qu'à  la  suivre.  Ecoutons 
la  parole  du  Pape  étudions-la,  sachons  nous  en  pénétrer.  Ainsi 
nous  serons  armés  pour  la  lutte.  (Applaudissements.) 

Messieurs,  j'ai  confiance  dans  l'avenir.  Les  années  auront 
beau  s'accumuler  sur  mes  épaules,  m'obligeant  à  me  reposer  un 
jour  des  fatigues  du  combat,  jamais  il  n'entrera  dans  mon  cœur 
une  pensée  de  désespoir  ou  de  découragement!  (Acclamations.) 
A  l'heure  présente,  des  transformations  sont  possibles,  mais 
qu'importe!  La  France  n'a-t-elle  pas  traversé  des  périodes 
aussi  troublées  ?  N'a-t-elle  pas  subi,  il  y  a  cent  ans,  des  secousses 


DISCOURS  DE  M.  DE  MUN  A.  LANDERNEAU  365 

autrement  terribles  qu'on  ne  soupçonnait  pas  quelques  années 
auparavant,  qu'on  aurait  évitées  si  l'on  avait  su  les  prévoir? 
Oui,  les  formes  changent,  les  modifications  sont  une  loi  de  l'his- 
toire; il  ne  faut  pas  s'en  émouvoir  plus  qu'il  ne  convient.  Pou- 
vons-nous prédire  quelles  seront  les  formes  du  prochain  siècle, 
pouvons-nous  affirmer  que  la  propriété  elle-même  ne  subira  pas, 
dans  sa  forme,  un  changement  que  nous  ne  pouvons  décrire? 
Notre  tâche  est  de  préparer  l'avenir.  (Applaudissements),  de 
faire  comprendre  à  nos  contemporains  que  la  propriété  n'est 
pas  seulement  pour  celui  qui  possède  un  droit  à  la  jouissance, 
mais  qu'elle  est  corrélative  d'un  devoir,  qu'elle  est  une  fonction 
sociale.  (Vifs  applaudissements.) 

Ces  transformations,  messieurs,  ces  formes  nouvelles  il  faut 
les  accepter,  il  faut  nous  efforcer  de  rendre  pacifique  l'évolu- 
tion qui  se  prépare.  Il  faut  combattre  courageusement,  sans 
jamais  déserter  le  champ  de  bataille,  il  faut  avoir  confiance  î 
(Nouveaux  applaudissements.) 

Pourquoi  n'aurions-nous  pas  espoir?  On  parle  de  décadence. 
Pour  ma  part,  je  n'en  vois  qu'une  qui  soit  à  redouter,  c'est 
l'oubli  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ.  (Applaudissements.)  Mais 
quand  je  jette  un  regard  en  arriére  et  que  je  compare  le  pré- 
sent au  passé,  je  ne  puis  m'empêcher  d'éprouver  une  grande 
joie.  Quelle  difi'érence  entre  les  hommes  d'aujourd'hui  et  ceux 
de  ma  génération  !  En  ce  moment  des  associations  de  la  jeunesse 
catholique,  semblables  à  la  vôtre,  couvrent  la  France  entière. 
Partout,  dans  les  carrières  libérales  et  dans  l'armée,  déjeunes 
hommes  se  lèvent  pour  affirmer  leur  foi.  (Applaudissements.)  Et 
je  suis  heureux  de  pouvoir  constater  combien  les  idées  sociales 
que  j'ai  servies  depuis  dix-sept  ans,  sont  en  progrès.  (Acclama- 
tions.) 

Ayez  donc  courage.  Dieu  n'a  pas  abandonné  la  France  ;  Dieu 
n'abandonne  pas  son  Eglise,  l'Eglise  est  immortelle  et  la  France 
vivra  parce  qu'elle  est  sa  fille  aînée.  (Nouvelles  acclamations.) 

En  ce  moment  même,  à  Paris,  pour  fêter  les  représentants 
d'une  maison  amie,  tous  les  Français  sans  distinction  d'opinions 
ni  de  partis,  se  sont  unis  dans  un  grand  sentiment  de  paix  et  de 
concorde.  (Applaudissements,  — On  crie:  vive  la  Russie  !),  et 
je  ne  puis  m'empêcher  de  voir  dans  cette  alliance  qui  s'off'ie  à 
nous,  un  témoignage  nouveau  de  la  bonté  de  Dieu  pour  la 
France.  (Acclamations.) 

Il  faut  employer  toute  l'énergie  de  nos  dévouements  à  pro- 


366  A.NNALBB     CATHOLIQUES 

curer  à  notre  pays,  d'une  façon  définitive,  cette  paix  et  cette 
concorde  dont  il  jouit  à  cette  heure.  (Applaudissements.)  C'est 
le  vœu  du  Saint-Père,  et  vous  avez  remarqué  que  c'est  bien  là 
ce  qu'il  nous  demande  dans  le  télégramme  qu'on  vous  a  lu  tout 
à  l'heure,  la  concorde  et  la  paix.  (Nouveau  applaudissements; 
cris  de  :  Vive  Léon  XIII  !) 

Dans  l'un  de  ses  derniers  écrits,  l'un  des  hommes  qui  hono- 
reront le  plus  la  Chambre  nouvelle,  M.  de  Vogiié,  raconte  qu'à 
Ravenne  il  découvrit  un  jour,  gravé  dans  la  pierre,  cette  ins- 
cription :  «  En  espoir.  Dieu!  >  Et,  d'après  l'étude  qu'il  en 
fit,  il  croit  pouvoir  dire  que  ces  mots  se  rapportent  à  l'expédi- 
tion des  Français  en  Italie,  sous  le  commandement  de  Bayard. 

Les  siècles  ont  passé.  L'inscription  est  restée  dans  la  pierre, 
attestant  que  les  Français  ont  passé  par  là.  (Applaudissements.) 

Messieurs,  il  en  sera  de  même  pour  vous.  Vous  ne  verrez  pas 
le  triomphe  de  vos  œuvres;  mais  vous  aurez  semé  vos  idées. 
Vous  laisserez  la  trace  de  votre  passage.  Vous  souvenant  que 
vous  travaillez  pour  l'avenir,  vous  graverez  partout  votre 
devise,  et  plus  tard  vos  descendants  diront  que  notre  siècle  ne 
fut  pas  un  siècle  de  décadence,  car  l'inscription  que  vous  leur 
léguez  aujourd'hui  atteste,  pour  eux,  la  fécondité  de  vos  œuvres 
et  la  gloire  de  vos  combats  :  «  En  espoir.  Dieu!  » 

(Longues  salves  d'applaudissements;  la  salle  entière,  debout, 
acclame  l'orateur  pendant  plusieurs  minutes.  Au  moment  ou  le 
calme  se  rétablit,  un  paysan  lève  son  chapeau  et  crie  :  «Encore 
une  fois  !  »  L'auditoire  fait  à  l'orateur  une  nouvelle  ovation.) 

On  voit  par  ce  discours  quel  sera  sans  doute  le  thème  fondamental 
des  autres  discours  que  M.  le  comte  de  Mua  se  propose  de  prononcer 
dans  une  série  de  conférences. 

Si  nous  ne  nous  trompons  dans  cette  conjecture,  il  y  aura  lieu 
d'examiner  une  à  une  les  indications  fournies  par  l'orateur  pour 
travailler  à  la  meilleure  solution  do  la  question  sociale  dans  les  cam- 
pagues  comme  dans  les  villes.  Aujourd'hui,  nous  ne  nous  permet- 
trons, avec  la  Vérité,  qu'une  observation  :  c'est  que,  pour  les  paysans 
comme  pour  les  ouvriers  des  villes,  il  importe  souverainement  de  ne 
pas  se  tenir  dans  le  vague  de  programmes  d'ailleurs  éloquents,  mais 
où  la  critique  ne  devrait  marcher  qu'accompagnée  de  l'indication 
précise  du  lemède  par  lequel  on  peut  se  promettre  de  traiter  effica- 
cement telle  plaie  désigoéo. 

Dans  ce  premier  discours,  M.  de  Mua  indique  :  1°  les  enquêtes  qui 
devraient,  ce  semble,  précéder  toute  résolution  pratique,  mais  qui. 


LA.    QUESTION  JUIVE  367 

hâtons-nous  de  le  dire,  ont  déjà  été  faites  en  grande  partie;  2°  une 
législation  agricole,  mais  trop  vague  et  trop  complexe  pour  ne  pas 
couvrir  bien  des  dangers  à  côté  d'avantages  qui  seraient  à  préciser; 
3°  des  syndicats  agricoles  qui,  existant  déjà  en  grand  nombre,  ont 
amené  des  bienfaits  relatifs,  mais  dont  l'influence  sera  nulle  sur 
bien  des  causes  du  mal  socialiste,  dont  M.  le  comte  de  Mun  redoute 
à  bon  droit  la  propagande  funeste,  après  le  succès  que  les  socialiste 
viennent  d'obtenir  aux  dernières  élections. 

Ici,  comme  toujours,  il  faut  constater  que,  tout  en  réclamant  cer- 
taines réformes  qui  feraient  disparaître  du  code  les  dispositions  le» 
plus  défavorables  à  la  législation  familiale,  c'est  surtout  la  question 
religieuse  qui  est  au  fond  de  la  question  sociale,  et  que  tous  doivent 
avoir  à  cœur  de  tourner  de  ce  côté  leurs  principaux  efforts.  D'une 
façon  générale,  il  est  vrai  de  dire  que  si  propriétaires  et  ouvriers 
des  champs  étaient  moins  oublieux  de  leurs  devoirs  religieux,  nous 
ne  disons  pas  seulement  la  situation  morale,  mais  la  situation  maté- 
rielle serait  meilleure  pour  les  uns  et  les  autres;  nous  n'en  serions 
pas  dans  l'état  de  crise  aiguë  qui  nous  désole  et  dont,  sans  ce 
remède,  il  ne  faut  pas  espérer  de  sortir. 


LA  QUESTION  JUIVE    ET  L'EGLISE 

.  Nous  avons  une  question  juive  et  on  pourrait  presque  dire,. 
en  certains  pays,  qu'elle  résume  la  question  sociale. 

Nous  souffrons,  en  effet,  dit  très  bien  le  Courrier  de  Bruxelles, 
surtout  du  mal  d'argent  :  envie  d'argent  qui  souffle  en  bas  les 
convoitises  et  les  mauvaises  passions  ;  amour  d'argent  qui 
répand  en  haut  l'égoïsme  et  les  stériles  jouissances.  Nous  ai- 
mons l'or,  nous  nous  y  attachons  pour  lui-même,  au  lieu  que 
l'Eglise  nous  enseigne  qu'il  faut  s'en  détacher  et  n'en  user  que 
pour  le  bien. 

C'est  de  l'oubli  de  cette  grande  loi  chrétienne  que  sortent 
presque  tous  nos  maux,  le  Saint-Père  nous  le  rappelait  dans  sa 
dernière  Encyclique  sur  le  Rosaire. 

Cette  conception  mauvaise  de  la  richesse  livre  notre  société 
aux  entreprises  de  la  juiverie,  et,  grâce  à  l'ascendant  qu'on  leur 
a  permis  de  prendre,  nous  met  à  leur  discrétion.  Car  nous  en 
sommes  bien  là,  et  l'explosion  d'antisémitisme  en  Russie,  en 
Autriche,  en  Allemagne,  en  France,  témoigne  de  la  profondeur 
du  mal.  Que  n'a-t-on  écouté  l'Eglise  qui  nous  a  dit  de  tout 
temps  :  gardez-vous  des  Juifs  ! 


368  ANNALES    CATHOLIQUES 

Un  écrivain  de  talent,  M.  Auzias  Turenne,  vient  d'étudier  la 
question  au  point  de  vue  spécial  de  ses  relations  avec  le  droit 
ecclésiastique  dans  l'excellente  Revue  catholique  des  Institu- 
tions et  de  Droit  et  il  arrive  à  cette  conclusion  que  «  l'Eglise 
s'était  occupée  de  cette  question,  comme  dotant  d'autres,  avant 
les  sages  et  les  prudents  du  monde;  mais  qu'en  outre  elle  avait 
su  trouver  et  prescrire  la  meilleure  solution,  la  plus  conforme  à 
la  justice  et  par  conséquent  la  plus  favorable  non  seulement 
aux  intérêts  spirituels,  mais  encore  aux  intérêts  temporels  des 
peuples  ». 

Dans  les  siècles  suivants,  nombreux  sont  les  Conciles  où  de 
semblables  défenses  sont  formulées.  Le  Concile  de  Mâcon  (581) 
interdit  aux  juifs  d'exercer  des  fonctions  qui  leur  permettent  de 
décerner  des  peines  contre  des  chrétiens  :  combien  de  juifs  ne 
siègent-ils  pas  dans  nos  tribunaux? 

Le  Concile  d'Avignon  (1409)  défend  aux  chrétiens  de  traiter 
aucune  affaire  d'argent  avec  les  juifs.  Ceux-ci  sont  condamnés 
à  rendre  ce  qu'ils  ont  extorqué  par  usure. 

Le  quatrième  Concile  de  Latran  revient  sur  ces  défenses  et 
interdit  aux  juifs  d'exiger  des  intérêts  exagérés,  à  peine 
«  d'être  privés  de  tous  rapports  avec  les  chrétiens  ».  On  ne  doit 
leur  confier  aucun  emploi  public;  si  on  le  fait,  le  contrevenant 
sera  puni  et  le  juif,  après  avoir  été  révoqué  honteusement, 
devra  en  outre  remettre  à  l'évêque,  pour  le  distribuer  aux  pau- 
vres, tout  l'argent  reçu  par  lui  à  l'occasion  de  cet  emploi.  C'est 
alors  qu'on  vit  apparaître  l'injonctionpour  les  juifs  de  se  distin- 
guer par  les  vêtements  ou  du  moins  par  une  marque  bien 
visible. 

A  côté  de  ces  documents,  M.  Ch.  Auzias  Turenne  en  cite 
beaucoup  d'autres,  ainsi  que  des  actes  pontificaux,  plus  nom- 
breux encore,  d'oii  il  ressort  que  l'Eglise  ne  s'est  jamais  dé- 
partie de  sa  règle  de  conduite  vis-à-vis  des  juifs,  tout  en  con- 
damnant les  violences  dont  ils  étaient  parfois  l'objet  de  la  part 
des  peuples  pressurés  et  poussés  à  bout. 

Constamment,  dit  M.  Auzias  Turenne,  l'Eglise  s'est  inspirée 
du  principe  directeur  que  le  Concile  de  Latran  énonçait  en  ces 
termes  :  Judeos  subjacere  christianis  oportet  et  ah  eis  pro  solo, 
humanitate  foveri.  Que  les  juifs  soient  traités  avec  humanité; 
mais  qu'ils  soient  toujours  tenus  dans  la  dépendance  et  qu'on 
ait  avec  eux  le  moins  de  rapports  qu'il  se  pourra. 

Malheureusement,  ne  pas  écouter  l'Eglise  et  se  croire  plus 


LA  QUESTION  JUIVE  369 

sage  qu'elle,  n'est  pas  non  plus  chose  nouvelle.  Fréquemment 
on  oubliait  ou  onfoulait  ouvertement  aux  pieds  les  prescriptions 
de  Synodes  ou  des  Conciles;  il  en  résultait  que  les  Juifs  ne  tar- 
daient pas  à  s'enrichir,  à  accaparer  les  marchandises  et  tout 
l'argent  du  pays  ;  si  bien  que  loin  d'être  dans  la  dépendance, 
c'étaient  eux  qui  imposaient  le  joug  aux  chrétiens.  Quand  ce 
joug  était  devenu  intolérable,  si  les  princes  n'intervenaient  pas, 
parfois  les  multitudes  avaient  recours  aux  plus  déplorables 
violences.  L'Eglise  alors  devenait  la  seule  protectrice  des  juifs 
et  l'on  voyait  les  Papes,  comme  Jean  XXII  et  Clément  VI, 
intervenir  en  leur  faveur  et,  en  même  temps,  rappeler  au 
peuple  chrétien  que  ses  maux  provenaient  surtout  de  l'oubli  des 
prescriptions  si  prudentes  de  l'Eglise. 

Le  premier  Concile  où  l'on  paraisse  s'être  occupé  des  juifs 
est  celui  d'Evire,  en  Espagne,  tenu  avant  la  fin  de  la  dixième 
persécution.  Un  canon  défendait  aux  chrétiens  de  donner  leurs 
filles  en  mariage  aux  juifs,  un  autre  de  manger  avec  eux. 

Plusieurs  Papes,  Pie  IV  notamment  et  Sixte-Quint,  voulu- 
rent essayer  de  l'indulgence  et,  dans  l'espoir  de  convertir  les 
juifs,  leur  firent  des  concessions,  mais  le  résultat  fut  tout  autre 
et  après  quelques  années  Pie  V  et  Clément  VIII  étaient  forcés 
de  rétablir  les  canons  dans  toute  leur  rigueur.  «  Tous,  disait 
Clément  VIII,  soufî'rent  de  leurs  usures,  de  leurs  monopoles,  de 
leurs  fraudes  ;  ils  ont  réduit  à  la  mendicité  une  foule  de  malheu- 
reux, principalement  les  paysans,  les  simples  et  les  pauvres.  » 

Nous  pourrions  encore  citer  bien  des  détails  intéressants 
consignés  dans  l'étude  de  M.  Auzias  Turenne  ;  mais  nous 
devons  nous  arrêter.  Terminons  par  ce  passage  de  ses  conclu- 
sions que  nous  ferons  nôtres  : 

€  L'Eglise,  dés  l'origine  et  avant  tous  les  politiques,  a  com- 
pris que  les  juifs  étaient  un  danger  et  qu'il  fallait  les  tenir  à 
l'écart.  Dépositaire  de  la  douceur  évangélique,  elle  a  défendu 
la  vie  des  juifs;  mère  des  nations  chrétiennes,  elle  veut  les 
préserver  de  l'envahissement  hébraïque  qui  serait  leur  mort  au 
spirituel  et  au  temporel.  Si  on  lui  avait  obéi,  les  chrétiens  n'au- 
raient pas  eu  à  souffrir  tout  ce  qu'ils  ont  souffert  de  la  part  des 
juifs  et,  par  suite,  les  réactions  terribles  avec  tous  les  crimes 
qui  les  ont  accompagnées,  n'auraient  pas  eu  lieu.  Chrétiens  et 
3uifs  se  seraient  donc  bien  trouvés  de  cette  observation  des 
règles  de  l'Eglise. 

«  Au  lieu  de  tenir  les  juifs  à  l'écart,  les  nations  chrétiennes, 

27 


370  ANNALES    CATHOLIQUES 

après  avoir  entièrement  laissé  de  côté  les  prescriptions  de 
l'Eglise,  ont  fini  par  les  admettre  dans  la  société  et  leur  accorder 
tous  les  droits  de  citoyens.  Et  aujourd'hui  il  se  trouve  que  ces 
nouveaux  citoyens,  après  avoir  accaparé  la  plus  grande  partie 
de  la  richesse  nationale,  tendent  à  s'emparer  du  gouvernement 
et  à  opprimer  ceux  qu'ils  n'ont  pas  cessé  de  regarder  comme  des 
êtres  impurs,  des  gentils,  des  Philistins  incirconcis.  Toutes  les 
mesures  proposées,  en  dehors  de  celles  de  l'Eglise,  seront 
vaines,  et  celles  de  l'Eglise,  pour  être  efficaces,  doivent  être 
appliquées  de  concert  par  l'Etat  et  par  chacun  de  nous  person 
nellement.  Aussi  longtemps  que  les  juifs  seront  juifs,  c'est-à-dire 
jusque  vers  la  fin  du  monde  au  moins,  la  seule  politique  à  suivre 
à  leur  égard  sera  de  les  tenir  à  l'écart,  en  ne  les  maltraitant 
pas  ;  mais  aussi  en  frayant  le  moins  possible  avec  eux  et  en  les 
empêchant  de  nuire,  » 


L'ANTIPAPE  LUCIFERIEN 

Sous  ce  titre,  la  Croix  de  Reims  donne  le  résultat  d'une  enquête 
récente  sur  le  chef  actuel  de  la  franc-maçonnerie. 

Dans  nos  articles  précédents,  dit-elle,  nous  avons  dit  qu'A- 
driano  Lemmi  était  juif;  mais  comment  est-il  juif? 

Il  n'y  a  pas  beaucoup  de  juifs  de  son  espèce;  car  il  est  extrê- 
mement rare  de  voir  un  catholique  passer  à  la  juiverie,  et 
Adriano  Lemmi  est  né  catholique,  a  été  baptisé. 

C'est  un  renégat  qui  s'est  fait  juif,  par  haine  du  catholicisme, 
en  1846,  à  Constantinople.  (Si  nous  en  croyons  la  Vraie  Rome, 
du  24  septembre  dernier,  il  circule  à  Rome  une  brochure  inti- 
tulée :  Question  i^npor tante.  —  Documents.  —  Livourne,  Mar- 
seille^ Firenze,  1844,  1891.  —  Italie,  où  des  documents  authen- 
tiques copiés  en  fac-similé  établissent  que  l'Adrien  Lemmi 
condamné,  en  1844,  à  P^arseille,  à  un  an  et  un  jour  de  prison 
pour  vol  et  escroquerie,  était  le  même  Adrien  Lemmi  qui  vient 
de  se  faire  nommer  G.'.  M.*,  de  la  Maçonn.'.  Luciférienne). 

Lemmi,  qui  a  aujourd'hui  71  ans,  quoiqu'il  paraisse  en  avoir 
dix  de  moins,  naquit  à  Livourne  (Italie),  de  père  et  mère  cai^o- 
liques,  en  1822.  Il  avait  donc  24  ans  quand  il  renia  la  foi  de  ses 
ancêtres  et  se  fit  circoncire! 

Nous  recevons,   à  l'instant,  la  preuve  irrécusable   de  cette 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  371 

apostasie.  Elle  consiste  dans  Ve\tva.\i  authentique  et  absolument 
inédit  encore  de  son  acte  de  baptême.  Nous  sommes  heureux 
d'offrir  cette  primeur  aux  lecteurs  de  lu  Croix  de  Reims  et  d'éta- 
blir une  fois  de  plus  l'excellence  de  notre  service  2^&>'sonnel 
d'informations  : 

Archivi  délia  Cathédrale  di  Livorno.  Attestati  da  me  infrio 
parocco  délia  Cathédrale  che  dal  Libro  dei  Battezati  delV 
Anna  1822,  résulta  che  diSO  aprile  1822  nacque  : 

Giuseppe- Antonio- Adriano-Leonida, 

del  signor  Fortunado  [figlio  del  signor  Giaçomo  Spirito 
Lemmi)  e  délia  signora  Teressa  {figlia  del  signor  Gaetano 
Merlini),  conjugi,  di  Livorno  ;  fut  battezzato  il  di  2  maggio 
1822  ;  e  fu  compare  :  il  signor  Niccola  Lemmi. 

(Timbre  des  Archives  de  la  Cathédrale). 

«  Archives  de  la  Cathédrale  de  Livourne.  Il  est  attesté  par 
moi  soussigné  curé  de  la  Cathédrale,  que  du  Livre  des  Baptisés 
en  l'année  1822,  il  résulte  que  le  jour  du  30  avril  1822  naquit  : 

«  Joseph-Antoine-Adrien-Léonidas, 

«  (fils)  de  monsieur  Fortuné  (fils  de  monsieur  Jacques-Esprit 
Lemmi)  et  de  madame  Thérèse  (fille  de  monsieur  Gaëtan  Mei'- 
lini),  mariés,  de  Livourne  ;  il  fut  baptisé  le  jour  du  2  mai  1822  ; 
et  fut  parrain  :  monsieur  Nicolas  Lemmi. 

(Signature  de  M.  l'abbé  Pietro  Boccaci,  vicaire  de  la  Cathé- 
drale, préposé  aux  archives). 

Nul  mieux  que  ce  misérable  ne  méritait  de  devenir  le  vicaire 
de  Satan,  de  recueillir  l'une  des  trois  successions  d'Albert  Pike  ! 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

Rome  et  l*ltalie. 

Voici  le  discours  de  Léon  XIII,  lu  par  Mgr  Radini-Tedeschi, 
en  réponse  à  une  éloquente  adresse  lue  par  le  vaillant  directeur 
de  rOsservatore  Cattolico  de  Milan,  don  David  Albertario,  au 
nom  des  chevaliers  de  l'ordre  Pro  Ecclesia  et  Pontiflce: 

Comme  un  témoignage  durable  de  votre  zèle  à  glorifier  Jésus-Christ 
dans  la  personne  de  son  Vicaire  sur  la  terre,  et  comme  une  preuve 
de  Notre  paternelle  et  reconnaissante  affection,  Nous  vous  avons,  à 
l'occasion  de  Notre  jubilé  sacerdotal,  orné  la  poitrine  de  cette  croix 


372  ANNALKS    CATHOLIQUES 

qui,  dans  son  inscription  Pro  Ecclesia  et  Pontifice,  résume  votre  passé 
et  votre  avenir. 

Elle  Nous  rappelle  en  eflFet  l'activité  si  grande  que  vous  avez  dé- 
ployée afin  d'accroître  l'éclat  et  la  splendeur  des  fêtes  jubilaires, 
dont  la  magnificence  rejaillit  sur  cet  auguste  Siège  ;  en  même  temps 
elle  Nous  donne  la  confiance  que  votre  ardeur  pour  la  gloire  de  Dieu, 
pour  Notre  liberté,  pour  Notre  indépendance,  ne  dimiauera  pas  dans 
le  cours  des  âges  et  des  événements.  Et  comment  les  croisés  de  la 
sainte  milice  pourraient-ils  défaillir  et  se  relâcher  de  leurs  glorieux 
liens,  aujourd'hui  que  sévit,  plus  perverse  chaque  jour,  la  guerre 
dirigée  contre  le  Christ  et  son  Église  ? 

Souvenez-vous  bien,  très  chers  fils,  que  Notre  but,  en  vous  donnant 
la  croix,  ne  fut  pas  seulement  de  récompenser  vos  mérites  en  honorant 
votre  personne,  mais  plus  encore  de  vous  donner  force  et  vigueur 
pour  les  futures  batailles. 

Serrez-vous  donc  toujours  plus  compactes  autour  de  votre  ban- 
nière, et  combattez  fermement  les  combats  du  Seigneur.  Que  le 
nombre,  la  puissance  et  l'acharnement  des  ennemis  ne  vous  décon- 
certent point  :  ils  seront  poussière  et  le  Christ  régnera.  «  Ayez  con- 
fiance, dit  le  Christ  ;  j'ai  vaincu  le  monde  !  »  L'homme  ne  peut  rien 
contre  Dieu,  ni  la  synagogue  de  Satan  contre  l'Eglise,  foadée  sur  la 
pierre  immobile  qui  est  le  Christ,  et  au  pied  de  laquelle  s'est  brisé 
jusqu'ici  le  sceptre  des  Césars  comme  l'épée  des  plus  puissants  per- 
sécuteurs. Les  générations  de  leurs  ennemis  ont  passé,  jouet  des  tem- 
pêtes humaines,  et  l'Eglise  demeure,  le  siège  de  Pierre  est  immobile, 
la  croix  du  Christ  triomphe. 

Mais  rappelez-vous  que  l'Eglise  n'est  victorieuse  et  la  croix  triom- 
phante que  par  le  martyre.  Depuis  le  jour  où  le  sang  d'un  Dieu  l'a 
consacrée,  jamais,  pendant  l'espace  de  dix-neuf  siècles,  le  sang  chré- 
tien n'a  cessé  de  la  féconder.  Nous  ne  sommes  pas  dignes  de  le  ré- 
pandre pour  son  triomphe;  mais  le  martyre  du  sang,  s'il  est  le  plus 
excellent  témoignage  de  la  foi,  n'est  pas  le  seul  qui  couronne  de 
lauriers  triomphants  la  croix  de  Jésus-Christ.  A  vous  le  martyre  de 
la  patience  dans  le  support  de  toute  sorte  d'adversités  pour  l'amour 
de  Jésus  ;  le  martyre  de  la  pénitence,  dont  les  larmes,  comme  dit 
saint  Augustin,  sont  le  sang  du  cœur  ;  le  martyre  de  l'abnégation  et 
de  l'obéissance,  qui  est  un  holocauste  où  tout  l'homme  s'offre  à  Dieu 
par  la  main  de  ses  représentants. 

Voilà  la  manière  de  glorifier  cette  croix,  dont  beaucoup  d'autres  se 
décorent  semblablement  la  poitrine,  mais  que  tous  peut-être  ne  por- 
tent pas,  comme  vous,  gravée  dans  le  creur.  Oui,  il  Nous  plaît  de  le 
dire,  vous  l'avez  gravée  dans  le  cœur,  et  Nous  en  avons  pour  preuve 
indubitable  vos  œuvres,  et  cette  solennelle  et  généreuse  protestation 
de  votre  fidélité  et  de  votre  amour,  que  vous  renouvelez,  en  Notre 
personne,  au  Christ  lui-même,  par  votre  adresse,  par  cet   album,  et 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  373 

par  la  croix  ornée  de  pierreries  que  vous  Nous  offrez  eu  souvenir  de 
Notre  jubilé  épiscopal. 

Nous  vous  remercions  de  cœur  de  ce  splendide  témoignage  d'af- 
fection, qui  met  le  sceau  à  tous  ceux  que  Nous  avons  reçus  de  vous 
dans  Notre  jubilé  précédent,  et  Nous  Nous  réjouissons  souveraine- 
ment des  nobles  sentiments  exprimés  par  vous.  Et  Nous  ne  sommes 
pas  moins  reconnaissant  de  la  signification  que  vous  avez  donnée  à 
cette  croix  d'or  et  de  pierres  précieuses,  en  voulant  symboliser  par 
l'or  la  pureté  de  votre  foi,  et  par  les  pierres  Nous  représenter  la 
vivacité  des  vœux  que  vous  faites  pour  Nous. 

Aussi  bien  dans  cette  croix  Nous  considérons  également  le  symbole 
des  sacrifices  que  le  Seigneur  attend  de  vous  et  de  Nous,  comme 
dans  l'or  et  les  pierres  précieuses  Nous  voyons  celui  de  la  palme 
immortelle  et  de  la  couronne  que  la  croix  nous  vaudra  au  Ciel. 
Qu'elle  vous  soit  donc  chère,  fils  très  aimés,  la  croix  de  Jésus-Christ 
qui,  rendue  précieuse  par  son  sang,  s'est  transformée  de  signe  d'in- 
famie en  signe  de  gloire  et  brille  en  souveraine  sur  le  front  des  rois, 
sur  la  cime  des  temples,  sur  les  étendards  chrétiens,  sur  la  poitrine 
des  guerriers.  Aimons  cette  croix  qui  concentre  en  soi  la  vie  de 
l'Eglise  et  celle  de  tout  fidèle  disciple  de  Jésus-Christ,  et  qui  est 
poumons,  en  même  temps,  l'arbre  de  vie,  l'étendard  de  la  liberté, 
une  arme  de  défense,  le  labarum  de  la  victoire  et  la  palme  du 
triomphe. 

Avec  ces  sentiments  au  cœur,  Nous  implorons  de  Dieu  sur  vous  et 
les  autres  décorés  de  la  croix  Pro  Ecclesia  et  Pontifice,  même  dé- 
funts, sur  vos  familles  et  les  leurs,  les  grâces  de  Dieu  les  plus  choi- 
sies, en  gage  desquelles  Nous  vous  donnons  du  fond  du  cœur  la 
Bénédiction  apostolique. 

France 

La  pensée  d'une  souscription  nationale  pour  l'offrande  d'une 
cloche  à  Notre-Dame  de  Paris,  en  souvenir  de  la  visite  des  offi- 
ciers de  marine,  est  bien  accueillie  en  Russie.  Le  clergé  catho- 
lique de  Moscou  s'y  associe  et  la  propage. 

Voici  la  dépêche  adressée  à  ce  sujet  à  S.  Em.  le  cardinal 
Richard,  par  M.  l'abbé  Vivien,  curé  de  Saint-Louis,  à  Moscou  : 

A  Son  Éminence  Monseigneur  l'archevêque  de  Paris. 
De  Moscou,  6  novembre,  6  h.  20. 
La  Russie  désire  offrir  à  la  France,  pour  l'église  Notre-Dame,  une 
cloche. 

Quel  poids  peut  recevoir  une  des  tours?  On  y  mettra  de  32,000  à 
40,000  kilogrammes.  Peut-on,  pour  les  premières  fois,  sonner  à  la 
façon  russe,  par  le  seul  mouvement  du  battant  ?  La  Russie  offre  aussi 


374  ANNALES    CATHOLIQUES 

deux  étendards,  en  échange  des  deux  complaisamraent  rendus  par  la 
France  en  1891.  Répondez  par  vous-même. 

Vivien,  curé  de  Saint-Louis. 

Voici  la  réponse  de  Son  Eminenceà  ce  télégramme  : 

Vivien,  curé  de  Saint-Louis,  Moscou. 

Vivement  touché  du  généreux  témoignage  de  sympathie  offert  à  la 
France,  je  vous  écrirai  cette  semaine  pour  répondre  â  vos  questions. 

Cardinal  Richard. 

—  Dans  l'intervalle  de  cent  ans,  quelles  actions  diverses  de  la 
foule  dans  la  vénérable  basilique,  élevée  jadis  par  la  foi  des 
générations  du  moyen  âge  à  la  gloire  du  Seigneur  Dieu,  de  la 
Vierge  et  des  saints  !  En  1793,  c'était  le  triomphe  de  la  Raison 
déifiée  sous  la  forme  d'une  fille  de  mauvaise  vie,  sacrilègement 
acclamée,  au  milieu  d'orgies  sans  nom,  dans  ce  temple  souillé! 
Hier  c'était  l'adoration  réparatrice  du  Dieu  vivant  au  taber- 
nacle, la  solennelle  procession  de  saintes  reliques,  glorieux 
restes  d'un  trésor  qui  comptait  jadis  des  richesses  incompara- 
bles, la  supplication  ardente  de  tout  un  peuple  criant  :  Pitié 
mon  Dieu!  Cor  Jesu  sacratissimum,  Miserere  !  La  France 
chrétienne  prenait  enfin  sa  revanche  sur  la  Révolution  achar- 
née à  détruire  le  culte.  C'était  un  acte  de  piété  vraiment  in- 
comparable. 

Il  serait  oiseux  de  remémorer  ici  l'émouvante  invitation  par 
laquelle,  il  y  a  dix  jours  à  peine,  S.  Em.  le  cardinal  Richard 
pressait  le  peuple  fidèle  de  se  porter  à  la  cérémonie  ordonnée 
en  réparation  d'un  scandale  centenaire.  Bien  avant  l'heure  fixée 
pour  la  fonction  sainte,  l'empressement  de  la  foule  disait  assez 
quel  écho  avait  eu  partout  l'appel  du  pieux  prélat  !  A  deux 
heures  la  basilique  était  comble;  pas  une  place  des  cinq  vastes 
nefs,  des  chapelles  latérales,  des  galeries  supérieures,  qui  ne 
fût  occupée.  Avec  un  respect  et  un  ordre  admirables,  sans  la 
moindre  force  de  police,  sans  la  plus  petite  apparence  d'orga- 
nisation préalable,  des  milliers  de  fidèles  s'étaient  massés  en 
rangs  pressés  du  seuil  à  l'abside  du  superbe  édifice. 

Aussitôt  les  vêpres  commencent  au  milieu  du  plus  religieux 
silence.  A  elle  seule,  cette  attitude  recueillie  de  la  foule  disait 
éloquemment  ce  qu'elle  était  venue  faire  et  à  quel  point  elle  en 
avait  conscience.  Etait-il  besoin  d'une  autre  prédication  et  en 
pouvait-on  souhaiter  une  plus  éloquente? 

Après  le  Magnificat,  après  le  prélude  du  cantique  national, 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  375 

Pitiëy  mon  Dieu!  dont  la  foule  en  un  immense  unisson  chante 

le  refrain  : 

Dieu  de  clémence, 
0  Dieu  vainqueur, 
Sauvez  la  France 
Par  votre  Sacré-Cœur, 

le  cardinal  monte  en  chaire.  D'une  voix  pénétrante,  il  donne 
lecture  d'un  acte  de  réparation  qui  développe  la  pensée  de  la 
cérémonie  expiatoire,  et  quand  la  foule  y  a  répondu  d'un  même 
élan,  en  poussant  de  toutes  ses  forces  le  même  cri  :  Ainsi 
soit-il!  le  cardinal  va  prendre  son  rang  d'honneur,  au  terme  de 
la  procession,  qui  aussitôt  se  met  en  branle. 

Nous  avons  publié  déjà  l'ordre  de  cette  théorie  superbe  oii 
l'on  voit  successivement  défiler,  portés  en  triomphe,  les  restes 
vénérés  des  saints  et  saintes  dont  le  patronage  s'exerce  plus 
spécialement  sur  le  diocèse.  Après  les  jeunes  filles  vêtues  de 
blanc  suivant  la  bannière  de  la  Sainte  Vierge,  voici  venir  les 
groupes  imposants  d'hommes  de  toutes  conditions,  de  laïques 
appartenant  à  diverses  confréries,  de  lévites,  de  prêtres  sécu- 
liers, de  religieux,  qui,  des  flambeaux  à  la  main,  font  escorte 
aux  reliques  de  chacun  de  ces  saints  patrons.  De  l'un  et  l'autre 
côté  des  châsses  qui  les  renferment,  des  porte-palmes  mar- 
chant deux  à  deux  dressent  au-dessus  des  reliques  comme  un 
arc  triomphal,  doublé,  au  moyen  de  quatre  palmes  dont  les 
tiges  flexibles  se  rejoignent,  pour  ombrager  le  chef  de  saint 
Denis  qui  clôt  la  monstrance  et  derrière  lequel  on  voit  successi- 
vement apparaître  Mgrd'Hulst,  recteur  de  l'Institut  catholique, 
Mgr  révêque  de  Bayeux,  Mgr  l'évêque  de  Vannes  et  enfin 
S.  Em.  le  cardinal  Richard. 

Et  quelle  émotion  quand,  au  chant  du  Salve  Regina,  la  pro- 
cession a  fait  halte  devant  la  statue  de  Notre-Dame  de  Paris,  la 
même  qui  fut  mise  sacrilègement  sous  les  pieds  de  l'actrice 
Aubry  qui  figurait,  il  y  a  cent  ans,  la  déesse  Raison  ! 

Cependant,  le  chant  du  cantique  Pitié, mon  Dieu!  n'a  cessé 
de  retentir,  avec  son  refrain  répercuté  par  la  foule.  Il  est  suivi 
des  litanies  des  saints  et  du  psaume  Miserere  chantés  aussi  à 
l'unisson.  C'est  l'accent  d'une  immense  prière  qui  remplit  l'en- 
ceinte en  s'élevant  jusqu'aux  voûtes,  et  qui  ne  saurait  manquer 
de  faire  violence  au  Ciel.  Aussi  quel  n'est  pas  le  sentiment 
d'adoration  oii  s'abîme  l'assistance  tout  entière  quand,  la  pro- 
cession achevée,  le  cardinal,  après  les  prières  liturgiques  du 


376  ANNALKS    CATHOLIQUES 

salut  du  Saint-Sacrement,  fait  descendre  sur  la  foule  agenouillée 
la  bénédiction  de  l'Hostie  Sainte  enfermée  dans  l'ostensoir  d'oîi 
elle  s'offre  aux  hommages  du  peuple  fidèle! 

Il  est  cinq  heures.  L'acte  solennel  d'expiation  a  pris  fin  et, 
avec  le  même  calme  qu'il  avait  afflué,  le  flot  des  réparateurs 
reflue,  de  l'enceinte  au  dehors,  accompagné  jusqu'au  bord  par 
les  sublimes  gémissements  de  l'orgue  associés  aux  voix  humaines 
du  repentir. 

Des  outrages  d'il  y  a  cent  ans,  il  ne  reste  maintenant  que  le 
souvenir  d'une  supplication  nationale  qui  plaidera  victorieuse- 
ment pour  la  France  au  tribunal  des  justices  divines.  En  dépit 
des  bourreaux  et  des  scribes  qui  violentent  et  bafouent  l'Epouse 
mystique  du  Christ,  de  tels  spectacles  nous  disent  que  l'Eglise 
aura  le  dernier  mot,  même  en  ces  temps  de  suprême  détresse. 
Dans  ces  manifestations  de  la  piété  publique,  les  catholiques 
puiseront  une  énergie  nouvelle  pour  la  lutte  contre  la  Révolu- 
tion, qui  voudrait  nous  ramener  aux  horreurs  de  la  fin  du  der- 
nier siècle.  Par  l'union  de  leurs  efforts,  ils  obtiendront  que  le 
Christ  triomphe,  qu'il  règne  sur  la  France  comme  au  temps  du 
grand  roi  saint  Louis,  dont  les  reliques  étaient  portées  hier 
dans  la  basilique,  qu'il  y  commande  en  vainqueur  (Vérité). 

Voici  le  texte  de  l'amende  honorable  dont  Son  Em.  le  cardinal 
Richard  a  donné  lecture,  dimanche,  du  haut  de  la  chaire  de 
Notre-Dame  : 

Seigneur,  nous  voici  prosternés  devant  vous  pour  accomplir  l'acte 
de  réparatiou  que  nous  devons  à  Votre  Majesté  divine. 

Un  siècle  s'est  écoulé  depuis  le  jour  où  nos  pères,  dans  une  heure 
d'égarement  insensé,  commirent  la  douloureuse  et  sacrilège  profana- 
tion dont  nous  portons  le  deuil  en  ce  moment  devant  vous. 

Cette  église  métropolitaine,  dédiée  sous  le  nom  doux  et  vénéré  de 
la  très  sainte  Vierge  Marie,  Mère  de  Dieu  et  notre  Mère,  était  la 
gloire  de  la  capitale  de  la  France.  Nos  pères  aimaient  à  y  saluer  la 
Bienheureuse  Vierge  du  titre  de  Notre-Dame  de  Paris.  Elle  avait  été 
témoin  de  nos  gloires  et  de  nos  douleurs  nationales.  Le  peuple  de 
France  y  avait  tressailli  de  joie  dans  les  jours  de  triomphe  et  de 
prospérité  ;  il  y  avait  pleuré  et  imploré  la  miséricorde  divine,  quand 
la  main  du  Seigneur  le  frappait  pour  ses  péchés. 

Comment  le  sanctuaire  entouré  de  la  vénération  des  générations 
chrétiennes,  pendant  de  longs  siècles,  fut-il  transformé  en  un  lieu  de 
honte  et  de  péché  ?  C'est  qu'alors  s'accomplissait  la  parole  de  l'Apôtre  : 
des  hommes  aveuglés  par  leur  orgueil  et  séduits  par  la  corruption  de 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  377 

leur  cœur,  oublièrent  la  gloire  du  Dieu  immortel  ;  ila  lui  préférèrent 
les  ioventions  de  leur  esprit  dépravé,  et,  s'adorant  eux-mêmes  dans 
une  grossière  idolâtrie,  ils  offrirent  leurs  hommages  à  la  créature 
sous  le  nom  de  la  déesse  Raison. 

0  douleur!  Qui  jamais  eût  pensé  que  des  chrétiens  pussent  des- 
cendre à  un  tel  degré  d'avilissement  et  de  démence?  Au  souvenir  de 
ce  sacrilège,  nous  ne  pouvons  que  courber  nos  fronts  dans  la  pous- 
sière du  temple,  et  répéter  la  prière  du  Sauveur  crucifié  :  «  Mon  Père, 
pardonnez-leur,  parce  qu'ils  ne  savent  pas  ce  qu'ils  font  ».  C'est  le 
cri  qui  s'échappe  de  nos  cœurs;  nous  ne  demandons  pas  vengeance 
contre  les  pécheurs;  nous  implorons  votre  miséricorde,  car  vous  avez 
dit,  ô  mon  Dieu  :  Je  ne  veux  pas  la  mort  des  pécheurs,  mais  plutôt 
qu'ils  se  convertissent  et  qu'ils  vivent. 

Pour  nous,  Seigneur,  à  qui  vous  faites  la  grâce  de  comprendre  le 
bienfait  ineffable  de  votre  présence  dans  nos  églises,  nous  voudrions 
glorifier,  par  notre  repentir  et  notre  dévouement,  votre  Majesté  et 
votre  amour  outragés. 

Daignez,  ô  mon  Dieu,  agréer,  avec  nos  larmes,  le  triple  hommage 
de  notre  foi,  de  notre  espérance  et  de  notre  amour. 

Nous  nous  rappelons  avec  une  humble  reconnaissance  que  la  France 
a  reçu,  par  une  conduite  admirable  de  votre  Providence,  et  conserve 
toujours  le  nom  de  Fille  aînée  de  l'Eglise.  Nous  voulons  garder  la 
foi  que  saint  Denis,  notre  apôtre,  nous  a  apportée  du  siège  de  Pierre 
•t  scellée  de  son  sang,  sur  la  montagne  de  nos  martyrs  ;  nous  voulons 
la  transmettre  à  nos  fils,  et,  avec  votre  grâce,  rendre  les  habitudes 
chrétiennes  plus  énergiques  dans  nos  familles. 

Nous  espérons  en  votre  bonté,  qui  n'a  jamais  fait  défaut  à  la  France, 
depuis  les  jours  de  Clovis  et  de  Charlemagne  jusqu'à  ceux  de  Jeanne 
d'Arc,  jusqu'à  nos  jours  :  puisque  notre  patrie,  après  les  profanation 
que  nous  nous  efforçons  de  réparer  aujourd'hui,  s'est  relevée  plus 
généreuse  et  plus  chrétienne,  Seigneur,  nous  espérons  en  votre  misé 
ricorde,  et  notre  espérance  ne  sera  pas  confondue. 

Seigneur  Jésus,  vous  demandez  aujourd'hui  à  la  France,  comme 
autrefois  à  Pierre  :  «  M'aimez-vous?  »  Ah!  nous  portons  devant  vous 
la  confusion  de  nos  péchés,  et  pourtant,  nous  disons  humblement 
avec  l'apôtre  :  «  Seigneur,  vous  connaissez  toutes  choses;  vous  savez 
que  nous  vous  aimons.  »  Les  fils  de  la  France  versent  toujours  leur 
sang  dans  les  missions  pour  étendre  votre  règne  et  sauver  les  âmes. 
Les  filles  de  la  France  se  dévouent  par  milliers  pour  soulager  toutes 
les  misères  dans  les  asiles  de  la  souff'rance  et  de  la  pauvreté  ;  elles 
s'immolent  dans  la  pénitence  et  dans  la  prière.  Ces  fils  et  ces  filles  de 
notre  patrie  sont  la  gloire  des  familles  françaises,  et  prouvent  que  le 
sang  chrétien  n'est  pas  tari  dans  les  veines  de  leurs  parents. 

Et  maintenant.  Seigneur  Jésus,  nous  vous  adorons,  nous  vous 
aimons,  présent  dans  notre  tabernacle.  C'est  le  trône  de  la  grâce  où 


378  ANNALES    CATHOLIQUES 

VOUS  nous  conviez  pour  y  trouver  le  secours  au  temps  opportun.  Nous 
répétons  à  notre  génération  l'invitation  que  l'Eglise  nous  adresse 
dans  la  solennité  du  Très  Saint-Sacrement  :  k  Venez,  adorons  ensemble 
le  Christ-Roi.  »  C'est  lui  qui  donne  aux  âmes  nourries  de  sa  chair 
adorable  l'inspiration  des  généreuses  vertus. 

Autour  de  vous,  nous  vénérons  les  ossements  sacrés  de  vos  servi- 
teurs et  de  vos  amis.  C'est  la  nuée  glorieuse  des  Saints,  nos  frères, 
qui  nous  couvre  de  son  ombre.  Ils  ont  été  autrefois  vos  témoins  sur  la 
terre,  dans  nos  contrées  ;  et  lorsque  nous  saluons  saint  Denis,  notre 
apôtre;  sainte  Geneviève,  notre  patronne;  la  reine  sainte  Clotilde, 
qui  a  conduit  nos  pères  au  baptême;  les  saints  Marcel,  Germain,  Lan- 
dri  et  Céran,  nos  évêques;  saint  Louis,  le  roi  chrétien,  gardien  et 
sanctificateur  de  son  peuple  ;  saint  Vincent  de  Paul,  l'ami  des  pau- 
vres, nous  voyons  se  dérouler  à  nos  yeux  les  siècles  passés  de  la 
France,  avec  ses  traditions  religieuses  et  nationales  ;  mais  nous  avons 
aussi  la  vision  de  l'avenir,  si  nous  restons  fidèles  à  notre  mission  pro- 
videntielle, et  si  nous  répétons  avec  l'Apôtre,  en  présence  de  ces  glo- 
rieux témoins  du  passé  :  «  Marchons  avec  courage  et  patience  vers  le 
but  proposé  aux  chrétiens,  l'auteur  et  le  consommateur  de  notre  foi.  » 

Avec  nos  pères,  nous  déposons  à  vos  pieds,  Seigneur  Jésus,  l'humble 
protestation  de  notre  fidélité,  en  disant  comme  l'apôtre  :  «  Nous 
n'irons  pas  à  d'autres  qu'à  vous.  Vous  seul  avez  les  paroles  de  la  vie 
éternelle  pour  les  âmes  et  pour  les  nations.  » 

Chrétiens  et  Français,  nous  sommes  à  vous,  à  la  vie  et  à  la  mort. 
Ainsi  8oit-il. 

Aix.  —  Plusieurs  journaux  reproduisent  le  récit  publié  par  le 
Figaro,  d'un  entretien  que  l'un  de  ses  rédacteurs  aurait  eu  avec 
Mgr  l'archevêque  d'Aix. 

En  voici  la  partie  essentielle  qui  débute  par  une  déclaration 
générale  prêtée  à  Mgr  Gouthe-Soulard  : 

La  France  est  un  pays  catholique,  on  ne  saurait  l'oublier  sans 
méconnaître  son  esprit.  Nos  grandeurs  historiques  sont  inséparables 
de  notre  foi.  On  ne  les  comprendrait  pas  sans  elle.  Aussi  est-il 
fâcheux  qu'on  l'ait  si  longtemps  méconnu  :  ce  que  le  clergé  désire  — 
comme  un  seul  homme  —  avec  ardeur,  c'est  la  concorde,  c'est  l'union 
entre  les  citoyens. 

Ah  !  si  le  gouvernement  avait  voulu,  il  ne  nous  aurait  jamais 
trouvés  contre  lui  !  Car  dans  nos  revendications,  nous  avons  seule- 
ment en  vue  l'intérêt  des  consciences,  le  bien  des  âmes  :  c'est,  par 
conséquent,  celui  du  pays. 

Nous  prêchons  l'obéissance,  la  résignation,  la  pauvreté,  le  travail, 
la  vertu.  En  quoi  donc  sommes-nous  répréhensibles  aux  yeux  du 
pouvoir  civil,  nous  qui  voulons  être  des  hommes  de  paix  ? 


NOUVELLES  RBUOIEUSES  379 

—  Cependant,  Monseigneur,  accepterez-vous  jannais  le  service  mi- 
litaire des  séminaristes,  et  la  laïcisation  à  tous  les  degrés  ? 

—  La  laïcisation  des  écoles,  nous  l'aurions  peut-être  acceptée  si 
elle  n'avait  pas  été  promulguée  dans  une  arrière-pensée  de  haine,  et 
ceci  est  tellement  vrai  que,  dans  certaines  localités  ou  l'école  est  vrai- 
ment ce  qu'elle  devrait  être,  bienveillante  à  l'idée  religieuse,  nous 
renonçons  à  faire  appel  aux  congréganistes. 

Mais  dans  la  plupart  des  villes  et  des  villages,  l'instituteur  est  un 
instrument  aux  mains  de  préfets  sectaires.  11  devient  alors  impossible 
d'élever  les  enfants  dans  les  principes  de  leur  foi,  et  nous  sommes 
forcés  de  bâtir  des  écoles  ! 

Pour  la  laïcisation  des  hôpitaux,  notre  inébranlable  conviction  est 
qu'on  reviendra  là-dessus.  Quant  au  service  militaire  des  séminaristes, 
nous  ne  cesserons  jamais  d'en  demander  l'abolition. 

—  Auriez-vous  eu,  Monseigneur,  à 'vous  plaindre  de  votre  diocèse 
des  résultats  du  service?  Le  passage  des  séminaristes  à  la  caserne  les 
a-t-il  décimés? 

—  Non  !  Dieu  merci,  aucune  désertion  ne  s'est  produite  dans  les 
rangs  de  nos  séminaristes.  Mais  croyez-vous  que  leur  place  réelle  soit 
à|  la  chambrée  ?  Destinés  au  service  de  Dieu  —  le  plus  difficile  et 
le  plus  délicat —  ces  jeunes  gens  auront-ils  toujours  sous  les  yeux, 
à  la  caserne,  des  spectacles  très  édifiants...  l'affirmeriez-vous?  A  quoi 
bon,  je  vous  prie, ce  passage  obligatoire  au  régiment?  Ne  nous  a-t-on 
pas  trouvés  d'une  manière  constante  quand  on  avait  besoin  de  nous? 
Avons-nous  hésité  sur  les  champs  de  bataille  à  faire  notre  devoir  ? 

Nous  sommes  passionnément  attachés  à  notre  pays,  nous  autres 
prêtres,  et  je  le  répète,  c'est  contre  notre  volonté  que  toutes  ces 
luttes,  si  regrettables,  ont  eu  lieu.  Mais  on  nous  attaquait,  on  nous 
traquait.  Nous  avons  été  obligés  de  nous  défendre;  aujourd'hui  qu'on 
semble  revenu  à  de  meilleurs  sentiments,  qu'on  paraît  animé  d'inten- 
tions plus  pacifiques  et  plus  conformes  à  nos  vœux  (quoiqu'on  n'ait 
nullement  renoncé  à  prélever  ces  néfastes  droits  d'accroissement  qui 
dépouillent  nos  pauvres),  nous  faisons  dans  nos  églises,  chanter  de 
joyeux  Te  Deum. 

—  Alors  Monseigneur,  votre  dernier  mot,  avant  de  prendre  congé 
de  vous?... 

—  Mon  dernier  mot,  c'est  espérance.  Le  bien  ne  peut  pas  être 
vaincu.  Les  hommes  passent,  les  principes  demeurent.  Notre  beau 
pays  renferme,  du  reste,  trop  de  dévouement,  de  générosité,  de  cha- 
rité, de  saine  vitalité,  pour  qu'on  désespère  de  l'avenir,  Dieu  protège 
toujours  la  France  ! 

Il  y  a  au  moins  un  mot  de  ce  récit  qui  ne  saurait  être  exact. 
Certainement  Monseigneur  l'archevêque  d'Aix  n'a  pas  dit:  c  La 
laïcisation   des  écoles  nous   l'aurions   peut-être   acceptée...  > 


380  ANNALES    CATHOLIQUES 

attendu  que  cette  laïcisation,  de  quelque  façon  qu'elle  soit 
appliquée,  consacre  un  principe  de  neutralité  en  naatière  sco- 
laire réprouvée  par  l'enseignement  de  l'Eglise. 

Autre  chose  est  la  laïcité  du  personnel  des  écoles,  qui  peut 
être  excellent,  autre  chose  la  laïcité  de  l'enseignement. 

Séez.  — •  A  l'occasion  de  la  messe  qui  vient  d'être  célébrée  au 
grand  séminaire  de  Séez  pour  le  départ  des  séminaristes  appelés 
au  service  militaire,  la  Semaine  Catholique  fait  les  réflexions 
suivantes  sur  l'odieuse  loi  que  certains  acceptent  trop  facilement 
et  qu'ils  ne  seraient  même  pas  éloignés  de  trouver  bonne,  parce 
qu'elle  ne  fait  pas  encore  tout  le  mal  qu'en  attendaient  ses 
auteurs  : 

Jusqu'à  ce  jour  les  séminaristes-soldats  sont  revenus  fidèlement 
vers  nous,  leur  année  de  service  accomplie;  et  nous  ne  serons  que 
justes  en  disant  ici  qu'ils  ont  eu  à  cœur  de  reprendre,  dès  le  premier 
jour,  la  vie  de  piété,  de  règle  et  de  recueillement  du  séminaire,  heu- 
reux de  rejeter  loin  d'eux,  comme  un  mauvais  rêve,  le  souvenir  dos 
souffrances,  des  tortures  morales  endurées  à  la  caserne. 

Nous  pouvons  dire  qu'une  tradition  de  fidélité  à  leur  vocation  est 
désormais  établie  parmi  nos  élèves  appelés  sous  les  drapeaux.  Les 
aînés  de  la  tribu  sacerdotale  ont  montré  à  ceux  qui  viendront  après 
eux  le  chemin  de  l'honneur. 

Il  y  a  là  un  fait  que  nous  signalons  à  l'attention  des  familles  chré- 
tiennes, pour  les  rassurer  contre  une  crainte  qui  les  arrête  parfois 
quand  il  s'agit  de  donner  leurs  enfants  à  l'Eglise.  Devant  les  multi- 
ples obstacles  qui  s'opposent  aujourd'hui  au  développement  des  voca- 
tions, on  hésite  à  faire  les  sacrifices  que  demandent  les  études  du 
petit  et  du  grand  séminaire.  Sans  doute,  les  difficultés  sont  très 
grandes;  et  quand  les  hommes  du  monde,  quand  les  chrétiens  même, 
approuvent  cette  loi  dont  le  joug  nous  écrase,  ils  n'imaginent  pas  à 
quel  supplice  est  condamnée  l'âme  d'un  jeune  clerc  jeté  dans  l'at- 
mosphère de  la  chambrée.  Dans  les  propos  de  ceux  qui  affirment 
qu'avec  de  la  bonne  volonté  nous  pourrions  nous  accommoder  de 
cette  loi,  nous  voyons  l'ironie  cruelle  du  puissant  disant  au  faible  au 
moment  où  il  le  dépouille  :  Vos  cris  m'importunent,  et,  si  vous  voua 
taisiez,  je  forais  mon  oeuvre  plus  librement. 

Cette  loi  est  ce  que  sont  toutes  les  vexations,  soit  ouvertes,  soit 
dissimulées;  elle  est  pour  les  séminaristes  et  pour  nous  une  source 
de  souffrances  morales  que  nous  ne  pouvons  taire.  Cependant  elle  ne 
réussira  pas  à  nous  détacher  de  la  cause  que  nous  servons.  A  force 
de  courage,  aidées  de  Dieu,  les  âmes  divinement  appelées  déjouent 
les  plans  des  ennemis  de  la  religion. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  381 

La  Semaine  catholique  constate  que,  après  le  départ  des  sé- 
minaristes pour  la  caserne,  le  nombre  des  restants  sera  réduit  à 
soixante-six.  C'est  la  pénurie,  comme  dans  beaucoup  d'autres 
grands  séminaires. 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE 

Le  cas  de  Cornélius   Herz.  —  A  l'Académie  de   médecine.  —  R,apport  de 
M.  Brouardel.  —  La  libre-pensée.  —  Attentats  anarchistes.  —  Etranger. 

16  novembre  1893. 
Ou  Cornelias  Herz  était  aussi  malade  il  y  a  plusieurs  mois 
que  le  déclaraient  les  médecins  envoyés  alors  à  Bournemouth, 
et  alors  il  ne  pouvait  échapper  à  la  mort  ;  ou  sa  maladie  n'était 
qu'imaginaire,  et  alors  quelle  confiance  veut-on  qu'on  ait  dans 
les  résultats  de  la  nouvelle  visite  médicale  eflTectuée  ces  jours 
derniers?  M.  Dupuj,  qui  s'y  connaît  en  dilemmes,  a  prévu  que 
ce  dilemme-Là  n'échapperait  pas  au  public,  et  c'est  lui  que  tous 
les  journaux  accusent  aujourd'hui  d'avoir  voulu  mêler  l'Aca- 
démie de  médecine  à  l'afiTaire,  afin  que  l'autorité  dont  elle  jouit 
corrigeât  la  suspicion  légitime  où  on  le  tient  lui-même.  Mais 
l'Académie  n'a  pas  voulu  se  prêter  à  ce  petit  calcul  ;  compétente 
pour  apprécier  un  cas  pathologique  extraordinaire,  elle  ne  s'est 
pas  crue  instituée  pour  couvrir  un  rapport  qui,  se  bornant  à 
constater  un  changement  d'état  inexpliqué,  cache  en  définitive 
une  intrigue  fort  peu  honorable.  Et  c'est  sans  la  sanction  aca- 
démique que  Cornélius  va  comparaître  devant  le  juge  de  Brow- 
Street.  C'est  là  qu'on  verra  si  M.  Dupuy  désire  sincèrement  la 
lamière. 


Voici  le  rapport  dont  les  docteurs  Brouardel  et  Dieulafoy 
devaient  donner  lecture  intégrale,  mais  dont  ils  ont  ajourné  la 
production  à  la  suite  des  incidents  particulièrement  graves  et 
caractéristiques  dont  on  trouvera  plus  loin  le  récit: 

Nous  avons  l'honneur,  M.  le  professeur  Brouardel  et  moi,  de  faire 
connaître  à  l'Académie  de  médecine  le  rapport  qui  nous  a  été  demandé 
par  M.  le  président  du  conseil,  concernant  les  résultats  de  la  mission 
dont  nous  avons  été  chargés,  en  vue  de  constater  l'état  de  santé  de 
Cornélius  Herz. 


382  ANNALES     CATHOLIQUES 

Eu  publiant  ce  rapport  m  extenso,  notre  but  est  de  nous  opposer  à 
toute  légende,  à  tout  malentendu  qui  pourrait  être  tenté  de  se  subs- 
tituer à  la  vérité. 

Cette  publicité  est  du  reste  justifiée  par  l'exemple  que  nous 
ont  donné  nos  très  honorables  confrères  anglais,  qui,  à  plusieurs 
reprises,  et  tout  récemment  encore,  dans  le  Britisch  médical  journal, 
ont  discuté  avec  les  détails  les  plus  circonstanciés  le  diagnostic  et  le 
pronostic  de  la  maladie  de  Cornélius  Herz. 

Ce  qu'ont  fait  les  médecins  anglais,  nous  allons  le  faire  également, 
et  entrés  dans  cette  voie,  nous  plaçons  le  présent  rapport  sous  le 
patronage  de  cette  Académie  de  médecine,  dépositaire  des  traditions 
d'honneur  professionnel  et  de  bonne  foi  scientifique. 

Maintenant  établissons  nettement  les  faits  : 

Le  20  juin  1893,  MM.  les  professeurs  Charcot  et  Brouardel  étaient 
chargés  par  M.  le  ministre  des  aff'aires  étrangères  de  se  rendre  à  Bour- 
nemouth,  pour  examiner  Cornélius  Herz  à  l'effet  de  savoir  s'il  était 
en  état  d'être  transporté  hors  de  son  domicile. 

A  la  suite  d'un  double  examen,  aussi  prolongé  que  scrupuleux,  et 
éclairés  par  les  renseignements  fournis  par  les  médecins  anglais, 
MM.  Charcot  et  Brouardel  rédigèrent  un  rapport,  dont  nous  allons 
reproduire  les  traits  les  plus  saillants. 

Cornélius  Herz  est  atteint  de  diabète  sucré  avec  phosphaturie, 
ozoturie  et  albuminerie. 

A  ces  symptômes  diabétiques  s'ajoutent  une  pâleur  des  tissus,  un 
amaigrissement  considérable,  une  déperdition  telle  des  forces,  que 
pendant  les  examens  prolongés  faits  par  les  médecins  français,  le 
malade  fut  pris  d'angoisses,  de  sueurs  froides,  de  refroidissement 
des  extrémités,  avec  tendance  à  la  syncope. 

La  dépression  des  forces  était  encore  expliquée  par  ce  fait  que  le 
malade  atteint  d'une  intolérance  stomacale  absolue,  vomissait  tous 
les  aliments,  ce  qui  avait  engagé  les  médecins  anglais  à  recourir  à 
l'alimentation  par  la  voie  rectale. 

D'autre  part,  Cornélius  Herz  avait  été  pris  le  6  février  1893,  d'un 
accès  de  fièvre  avec  anxiété  précordiale  et  troubles  cardio-vasculaires 
qui  avaient  fait  diagnostiquer  aux  médecins  anglais  une  aortite 
aiguë.  Depuis  cette  époque,  le  malade  était  sujet  à  des  sensations 
de  défaillance  et  de  syncope  survenant  principalement  dès  qu'il  vou- 
lait se  lever  ;  c'étaient  bien  là  des  signes  d'angine  de  poitrine. 

En  face  de  cette  situation  caractérisée  par  un  état  diabétique  voi- 
sin de  la  cachexie  et  par  des  accidents  cardio-aortiques  sans  cesse 
menaçants,  les  conclusions  de  MM.  Charcot  et  Brouardel  furent  les 
suivantes  :  «  Les  constatations  directes  que  nous  venons  de  relater, 
notamment  la  crise  avec  tendance  à  la  syncope,  dont  nous  avons  été 
témoins,  ne  nous  laissent  aucun  doute  sur  la  réponse  qu'il  y  a  lieu 
de  faire  à  la  question  qui  nous  a  été  posée. 


CHRONIQUE  DB  LA  SEMAINE  383 

«c  On  ne  pourrait  transporter  Cornélius  Herz  sans  faire  courir  au 
malade  les  plus  grands  dangers.  Nous  ne  prendrions  pas  la  responsa- 
bilité de  conseiller  son  transport.  j> 

Néanmoins  le  rapport  se  terminait  par  une  phrase  dans  laquelle 
nous  relevons  la  déclaration  suivante  :  Il  n'est  pas  impossible  qu'il 
BUrvienne  une  rémission  dans  la  marche  de  la  maladie. 

Eh  bien  !  cette  rémission  est  survenue,  et  c'est  ici  que  commence 
la  deuxième  partie  du  rapport  actuel. 

Sous  l'influence  d'une  hygiène  alimentaire  sévère,  et  d'un  traite- 
ment bien  conduit,  le  malade  s'est  amélioré,  les  forces  ont  reparu 
peu  à  peu  et  quand  nous  sommes  arrivés  à  Bournemouth  samedi 
4  novembre,  voici  ce  que  nous  avons  constaté,  M.  Brouardel  et  moi, 
en  présence  de  nos  honorables  confrères  anglais: 

Cornélius  Herz  est  dans  la  plénitude  de  ses  facultés  intellectuelles. 
Il  n'est  plus  l'homme  anémié  et  amaigri  du  mois  de  juin;  il  n'est 
plus  l'homme  tombant  d'inanition  et  de  faiblesse,  il  a  bonne  mine,  il 
est  solidement  musclé,  il  a  engraissé,  la  voix  est  forte  et  bien  timbrée, 
le  pouls  est  de  bonne  qualité.  Au  point  de  vue  des  symptômes  diabé- 
tiques, le  sucre  urinaire  a  notablement  diminué  et  l'albuminerie  a 
complètement  disparu,  nous  ne  constatons  aucun  symptôme  de 
brightisme. 

L'alimentation  qui  était  impossible  il  y  a  quelques  mois,  est  actuel- 
ment  solide  et  substantielle  ;  on  en  peut  juger  du  reste  par  quelques 
vomissements  qui  ont  eu  lieu  en  notre  présence,  vomissements  pro- 
voqués, suivant  le  malade,  par  l'état  nerveux  dans  lequel  l'avait 
plongé  notre  examen. 

Entre  autres  symptômes,  d'ordre  également  nerveux,  nous  signale- 
rons des  sensations  de  froid  et  de  légère  anesthésie  occupant  princi- 
palement le  côté  gauche  du  corps  et  parfois  provoqués  par  la  pression 
de  l'hypocondre  gauche. 

L'examen  du  cœur  nous  a  donné  les  renseignements  suivants  :  il 
n'y  a  pas  d'hypertrophie  cardiaque  et  le  choc  systolique  est  normal. 

A  l'auscultation  on  perçoit  un  très  léger  souffle,  au  premier  temps 
à  la  région  mitrale  et  un  prolongement  du  second  temps  à  l'orifice 
aortique;  ce  prolongement  ne  mérite  même  pas  le  nom  de  souffle  de 
retour  ;  du  reste  les  autres  signes  de  l'insuffisance  aortique  font 
défaut. 

.\u  dire  du  malade,  qui  reste  confiné  dans  son  lit,  les  tendances  à 
la  défaillance  sont  fréquentes,  l'angoisse  syncopale  survient,  soit 
spontanément,  soit  â  l'occasion  des  mouvements,  avec  la  sensation  de 
la  vie  qui  s'éteint.  Ce  sont  là  des  symptômes  d'angine  de  poitrine, 
mais  ils  ne  se  sont  pas  produits  en  notre  présence  :  nous  nous  con- 
tentons de  les  signaler. 

Il  ressort  donc  de  notre  examen,  qu'à  part  les  souffles  cardio-aor- 
tiques  avec  lesquels  il  faut  compter,  car  chacun  sait  les  terribles  sur- 


384  ANNALBS    CATHOLIQUES 

prises  que  peut  réserver  \'ango7'  pectoris,  à  part  ses  troubles  cardio- 
vasculaires,  il  y  a  dans  l'état  général  du  malade  une  amélioration 
tellement  manifeste  que  Cornélius  Herz,  répondant  à  nos  questions, 
nous  a  dit  lui-même: 

«  Oui,  je  me  sens  mieux,  oui,  je  suis  plus  fort.  » 

Il  ne  peut  donc  y  avoir  aucune  hésitation  dans  nos  conclusions, 
relativement  au  déplacement  et  au  transport  de  Cornélius  Herz  :  «  Ce 
qui  n'était  pas  possible  il  y  a  quatre  mois,  est  possible  aujourd'hui.  » 

A  ces  conclusions  qu'il  nous  soit  permis  d'ajouter  quelques  mots  ; 
après  avoir  accompli  notre  mandat  auprès  du  malade,  nous  avons 
pris  congé  de  nos  honorables  confrères  anglais,  que  nous  ne  saurions 
trop  remercier  de  leur  parfaite  courtoisie  et  de  l'extrême  obligeance 
avec  laquelle  ils  nous  ont  fourni  tous  les  renseignements  désirables. 

A  l'issue  de  notre  consultation  à  Bournemouth,  nous  sommes  ren- 
trés à  Londres;  nous  avons  envoyé  un  mot  à  l'ambassade  française, 
et  le  soir  même,  à  dix  heures,  nous  étions  reçus  avec  empressement 
et  une  bonne  grâce  charmante,  par  le  premier  secrétaire,  M.  le  baron 
d'Estournelles. 

Séance  tenante,  nous  faisions  part  de  nos  conclusions  à  M.  le  baron 
d'Estournelles  et  il  en  informait  aussitôt  à  Paris,  M.  le  président  du 
conseil,  par  une  dépêche  que  nous  avons  rédigée  en  commun. 

Notre  mission  était  terminée, 

Paris,  1  novembre  1893. 

Signé:  Dieulafoy,  P.  Brouardel. 

Voici  maintenant  à  la  suite  de  quels  incidents  ce  rapport  n'a 
pas  été  lu  à  rAcadèmie  de  médecine. 

M.  Dieulafoy  avait  à  peine  ouvert  la  bouche  que  des  mur- 
mures désapprobateurs  se  font  entendre,  vagues  d'abord,  puis 
formulés  à  haute  voix. 

M.  Bouchardat,  M.  Besnier  protestent,  et  le  bruit  grandit  peu 
à  peu,  couvrant  la  voix  de  l'orateur: 

—  En  quoi  le  cas  de  M.  Herz  concerne-t-il  l'Académie? 

—  Fâcheux  précédent  :  ceci  ne  nous  regarde  pas. 

—  C'est  de  la  politique  et  non  pas  de  la  médecine. 

—  Cette  communication  choque  le  sentimeat  du  plus  grand 
nombre  d'entre  nous  ! 

Et  le  baron  Larrej,  gardien  des  saines  traditions  académi- 
ques, déclare  qu'une  communication,  pour  être  officielle,  doit 
être  accompagnée  d'une  lettre  ministérielle.  Pas  de  lettre  minis- 
térielle, pas  de  communication  possible. 

Les  deux    médecins   rapporteurs,   qui  ont  grande  envie  de 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  385 

parler  et  de  se  garer  de  la  sorte  de  tout  soupçon  désobligeant, 
insistent  auprès  du  président  pour  que  la  lecture  se  fasse. 

M.  Brouardel,  plus  rouge  encore  que  de  contume,  les  fils  trop 
longs  de  sa  moustache  jaune  et  blanche  tranchant  sur  le  cra- 
moisi de  son  teint,  monte  à  la  tribune,  déclare  que  l'Académie 
a  été  créée  pour  débattre  des  questions  d'hygiène  publique  et 
de  médecine  légale,  et  que  le  cas  de  Cornélius  est  précisément 
de  ceux-là. 

—  Nous  pouvons  parler  aujourd'hui,  ajoute-t-il,  car  Cornélius 
Herz  n'ignore  rien  de  son  diagnostic  et  de  son  pronostic  :  nous 
l'avons  trouvé  corrigeant  les  épreuves  d'un  journal  publié  par 
lui,  et  oîi  les  plus  cruels  détails  le  concernant  sont  détaillés! 

Mais  l'Académie  refuse  d'en  entendre  plus  long  et,  d'accord 
avec  M.  Dieulafov,  M.  Brouardel  retire  son  rapport. 

—  Il  suffira  à  notre  honneur  d'experts  d'avoir  voulu  faire 
pleine  lumière  ! 

Le  rapport  a  ensuite  été  communiqué  à  la  presse. 

On  pense  bien  qu'après  cet  incident,  les  couloirs  de  l'Acadé- 
mie de  médecine  ressemblaient  un  peu  à  ceux  du  Palais-Bourbon, 
aux  jours  de  crise.  Les  journalistes  cherchent  à  recueillir  une 
explication  nette  de  cette  agitation. 

—  Pourquoi  ?  pourquoi?  nous  dit-on.  C'est  bien  simple. 

«  Ce  que  l'Académie  a  entendu  blâmer,  c'est  le  procédé,  au 
moins  singulier,  qui  consiste  à  venir  lire,  en  séance  publique^ 
un  document  où  il  est  déclaré  que  telle  personne  est  atteinte  de 
telle  maladie. 

«  Depuis  quand  est-on  autorisé  à  agir  ainsi?  Plus  et  mieux 
que  personne,  M.  le  doyen  Brouardel  devait  avoir  à  cœur  de 
rester  strictement  dans  les  limites  qu'assigne  à  tout  médecin  le 
secret  professionnel,  et  c'est  pour  avoir  perdu  de  vue  ce  principe 
qu'il  s'est  trouvé  aussi  vivement  pris  à  partie. 

«  Tout,  au  surplus,  dans  cette  affaire  a  été  bizarre.  Savez- 
vous  par  qui  M.  le  professeur  Laboulbène,  président  de  l'Aca- 
démie de  médecine,  avait  appris  qu'il  y  aurait  aujourd'hui  cette 
fameuse  lecture  ?  Par  les  journaux  !  A  l'heure  de  son  déjeuner, 
il  n'avait  encore  été  saisi  officiellement  de  rien  ! 

«  Il  était  pourtant  facile  de  prévenir  tout  le  monde  et  comme 
il  s'agissait  d'une  affaire  qui  pouvait  avoir  de  graves  consé- 
quences —  puisqu'une  procédure  est  ouverte,  —  on  aurait  dû 
se  constituer  en  comité  secret.  L'Académie  aurait  alors  jugé  — 
au  point  de  vue  scientifique  —  et  tout  aurait  été  dit. 

28 


386  ANNALES  CATHOLIQUES 

<  Encore  une  fois,  on  ne  pouvait  tolérer  une  lecture  de  ce 
genre  :  cela  n'est  pas  dans  les  habitudes  de  notre  compagnie  et 
il  serait  dangereux  de  créer  un  pareil  précédent, 

—  A  quel  mobile  attribuez-vous  la  lecture  qu'ont  tentée 
MM.  Brouardel  et  Dieulafoy  ? 

—  Oh  !  nul  ne  contesta  la  parfaite  bonne  foi  de  ces  messieurs  : 
ce  qu'on  a  voulu  condamner,  je  vous  l'ai  dit,  c'est  l'usage  qu'ils 
ont  fait  d'un  secret  qui  n'est  point  leur.  M.  le  doyen  avait  cer- 
tainement le  désir  de  faire  sanctionner  officiellement  par  l'Aca- 
démie sa  manière  de  voir  en  ce  qui  touche  M.  Cornélius  Herz. 
Comme  il  a  été  très  vivement  attaqué,  au  lendemain  de  son 
voyage  avec  M.  le  professeur  Charcot,  il  a  tenu  à  s'abriter  der- 
rière notre  grand  corps  médical.  Mais  en  protestant  avec  un  rare 
ensemble,  nous  avons  voulu  montrer  qu'il  y  avait  encore  des 
médecins  qui  savaient  garder  le  secret  professionnel. 

—  Et  les  conséquences  ? 

—  Oh  !  il  n'3^  en  aura  pas  ;  il  ne  peut  y  en  avoir,  mais  c'est 
un  avertissement. 


Le  Journal  officiel  a  publié  les  décrets  qui  convoquent,  pour 
le  dimanche?  janvier  1894,  les  électeurs  sénatoriaux  de  la  série 
sortante,  laquelle  comprend  les  départements  qui  vont  de  l'Ain 
au  Finistère  dans  l'ordre  alphabétique.  Les  délégués  sénato- 
riaux  des  communes  seront  élus  le  dimanche  3  décembre  1893. 


Le  préfet  de  police  a  effectué  sa  rentrée  au  conseil  municipal 
de  Paris.  Les  interruptions  et  incidents  n'ont  pas  manqué  pen- 
dant le  discours  qu'il  a  prononcé  pour  expliquer  les  réformes 
par  lui  consenties  dans  l'organisation  de  la  police;  mais  en 
somme,  la  majorité  s'est  montrée  conciliante,  et  l'on  peut  dire 
que  la  paix  est  faite,  au  moins  jusqu'à  nouvel  ordre. 


L'église  ou  plutôt  la  chapelle  de  la  Libre-Pensée  qui  va  être 
inaugurée  à  Paris,  passage  Saulnier,  par  M.  le  député  Hubbard, 
ne  séduit  pas  tout  le  monde  dans  le  parti  de  la  république 
même  la  plus  avancée.  La  République  française,  entre  autres, 
y  voit  bien  des  inconvénients.  Le  programme  lui  semble  orageux 
et  incohérent  : 


CHRONIQUE  DK  LA  SEMAINE  387 

«  ...  Commeut  rester  sans  émoi  devant  le  document  singuliè- 
rement «  suggestif»  qu'on  me  communique?  C'est  le  texte  du 
programme  proposé  par  le  conseil  central  de  la  Fédération 
française  de  la  libre-pensée  à  un  congrès  tenu  récemment  à 
Paris,  vers  la  lin  du  mois  d'octobre.  Il  contient  de  nombreux 
numéros,  parmi  lesquels  je  me  contenterai  de  citer  les  suivants  : 
suppression  des  congrégations  religieuses,  suppression  du  bud- 
get des  cultes,  dénonciation  du  Concordat  et  séparation  des 
Eglises  et  de  l'Etat,  laïcisation  de  tous  les  services  publics, 
abolition  du  serment  religieux,  interdiction  aux  membres  du 
clergé  du  droit  d'enseigner,  organisation  de  la  propagande,  in- 
fluence de  la  libre-pensée  sur  la  condition  morale,  économique 
et  sociale  de  la  femme,  de  l'influence  des  symboles  religieux  sur 
l'esprit  humain...  enfin,  choix  d'un  interpellateur  chargé  de 
réclamer  du  cabinet  des  explications  sur  l'observation  du  ven- 
dredi-saint dans  l'armée  et  des  règlements  concernant  les 
prières  publiques  dans  la  marine...  Et  ceci  n'est  qu'un  simple 
sommaire!  Excusez  du  peu!  comme  disait  Rossini.  » 

En  effet,  ce  n'est  pas  peu  de  chose.  Mais  ce  n'est  pas  nouveau. 


Au  théâtre  du  Liceo,  à  Barcelone,  on  inaugurait,  il  y  a  huit 
jours,  la  saison  d'hiver  avec  l'opéra  de  Rossini,  Guillaume  Tell. 

L'élite  de  la  société  catalane  remplissait  la  vaste  salle.  Au 
second  acte,  après  le  duo  du  ténor  et  de  la  chanteuse,  deux 
bombes  Orsini  furent  lancées  du  paradis  et  vinrent  tomber  sur 
le  treizième  rang  des  fauteuils  d'orchestre.  L'explosion  jeta  la 
panique  parmi  les  spectateurs,  qui  gagnèrent  précipitamment  les 
portes.  Au  premier  moment,  on  avait  cru  à  une  explosion  de  gaz. 
Bientôt  retentirent  les  cris  des  blessés.  On  essaya  de  calmer  le 
public  pour  éviter  d'autres  malheurs  dans  les  couloirs  et  les 
escaliers  où  des  milliers  de  personnes  se  ruaient  pour  fuir  plus 
vite.  Le  préfet,  le  maire  et  les  autorités,  qui  étaient  au  théâtre, 
rétablirent  l'ordre  et  organisèrent  des  secours. 

Une  bombe  avait  fait  explosion  dans  les  rangs  12,  13  et  14 
des  fauteuils  d'orchestre,  vers  l'allée  du  milieu  du  théâtre.  La 
seconde,  sous  le  rang  12,  n'avait  pas  éclaté.  Le  spectacle  était 
horrible  :  au  milieu  des  débris  de  fauteuils  gisaient  neuf  cada- 
vres de  femmes  et  six  d'hommes,  tous  plus  ou  moins  mutilés. 
Tout  alentour,  beaucoup  de  personnes  avaient  été  blessées,  la 


388  ANNALES   CATHOLIQUKS 

plupart  légèrement.  Parmi  les  victimes  se  trouvent  une  dame 
enceinte  de  huit  mois,  sept  membres  d'une  famille  qui  étaient 
assis  ensemble,  et  trois  étrangers,  dont  un  Américain. 

On  porta  les  blessés  et  les  morts  dans  la  salle  du  foyer,  trans- 
formée en  ambulance.  Beaucoup  de  personnes  légèrement  bles- 
sées, furent  transportées  chez  elles,  au  milieu  d'une  foule  énorme 
qui  se  pressait,  indignée,  aux  abords  du  théâtre.  Le  bruit  de 
l'explosion  avait  été  entendu  au  loin.  On  eut  beaucoup  de  peine 
d'empêcher  les  familles  de  pénétrer  dans  le  théâtre  pour  cher- 
cher leurs  parents.  Les  soldats  du  génie  et  les  gendarmes  durent 
garder  les  portes  jusqu'à  une  heure  avancée. 

Les  spectateurs  de  la  galerie  supérieure  firent  arrêter  deux 
anarchistes  connus,  dont  l'un  aurait  été  vu  jetant  les  projec- 
tiles. Trois  blessés,  transportés  chez  eux,  sur  des  civières,  ont 
succombé.  Il  y  a  donc  dix-huit  victimes.  On  dit  que  les  deux 
arrêtés  sont  Saldani,  italien,  et  Aragon,  français. 

Cet  horrible  attentat  a  jeté  la  consternation  en  Espagne.  Les 
mesures  les  plus  rigoureuses  sont  prises  contre  les  anarchistes. 


La  répulsion  universelle  inspirée  par  l'odieux  et  infâme  atten- 
tat de  Barcelone  n'a  pas  fait  la  moindre  impression  sur  les  anar- 
chistes parisiens.  Les  artisans  de  la  propagande  par  le  fait  ne  se 
rendront  qu'à  la  répression  par  le  fait.  Vendredi  même  on  col- 
lait sur  les  murs  de  Paris  et  de  la  banlieue  une  affiche  convo- 
quant les  frères  et  amis  à  une  réunion  qui  a  eu  lieu  dimanche  à 
la  Maison-Blanche,  et  dont  l'objet  est  synthétisé  par  les  trois 
paragraphes  suivants  de  cet  appel  aux  mauvaises  passions  : 

Il  y  a  six  ans,  aujourd'hui,  que  quatre  hommes  ont  été  pendus  â 
Chicago  pour  avoir  lutté  pour  ton  affranchissement  ;  As-tu  oublié  ces 
martyrs  ? 

Révolutionnaires, 

Le  souvenir  des  victimes  réveille  la  haine  des  bourreaux. 

Hommes  qui  voulez  être  libres,  souvenez-vous  quelquefois  de  ceux 
qui  sont  tombés  pour  la  grande  cause  de  l'émancipation  humaine; 
regardez  les  étapes  sanglantes  de  la  Révolution  :  Chicago,  Xérès, 
Montbrison,  Barcelone,  Pétersbourg  et  Moscou. 

Pensez  aux  martyrs  tombés  dans  la  lutte  et  venez  avec  nous  saluer 
l'idée  pour  laquelle  ils  sont  morts. 

Les  autres  numéros  de  cette  représentation  offerte  au  high 
life  de  la  démagogie,  comprennent  une  dissertation  «  sur  les 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  389 

potences  >  et  le  panégyrique  des  bandits  sans  nom  qui  viennent 
d'opérer  à  Barcelone.  Que  l'on  ne  nous  dise  pas  que  ce  sont  là 
des  excentricités.  Cjvoct  n'a  pas  fait  autrement  à  Bellecourque 
son  disciple  au  Liceo,  et  pourtant  depuis  douze  ans,  Cyvoct  est 
le  premier  sujet  de  toutes  les  listes  de  futurs  amnistiés. 


Les  élections  du  Landtag  do  Prusse  n'ont  pas  vivement 
préoccupé  l'opinion.  A  peu  près  partout,  les  électeurs  se  sont 
rendus  au  scrutin  avec  indifférence,  quand  toutefois  ils  y  sont 
allés.  Tout  le  monde  a  gardé  ses  positions,  à  l'exception  des 
libéraux  et  des  nationaux,  qui  ont  cédé  un  petit  nombre  de  siè- 
ges au  Centre,  aux  conservateurs  et  aux  socialistes.  Le  seul  fait 
qui  mérite  d'être  commenté,  c'est  le  progrés  surprenant  du 
parti  danois  dans  le  Sleswig-Holstein.  Le  nombre  des  voix  du 
parti  protestataire  a  doublé  depuis  1888.  En  Bavière,  en  Polo- 
gne, en  Hanovre  et  dans  certaines  régions  de  TAllemagne  du 
Sud,  un  mouvement  analogue  se  développe  et  ne  cesse  d'arra- 
cher des  adhérents  aux  anciens  partis.  Ce  ne  sont  que  des 
symptômes,  mais  des  symptômes  qu'on  aurait  vainement  cher- 
ché à  découvrir  il  y  a  cinq  ans. 


D'après  les  dernières  dépêches  du  Maroc,  si  les  troupes  espa- 
gnoles ont  dii  renoncera  leur  mouvement  en  avant  et  se  replier, 
elles  sont  parvenues  à  chasser  les  Arabes  qui,  un  moment, 
avaient  envahi  le  territoire  espagnol.  L'incident  regrettable  qui 
vient  de  se  produire  est  donc  facilement  réparable  à  l'aide  de 
nouveaux  renforts. 

L'Espagne,  il  n'y  a  pas  à  en  douter,  saura  maintenir  ses 
droits  au  Maroc,  châtier  les  Arabes  et  venger  l'héroïque  général 
Margallo.  La  situation  ne  pourrait  devenir  grave  que  si  les 
Espagnols  se  laissaient  aller  à  la  compliquer.  La  vieille  haine 
du  Maroc  ne  sera  jamais  éteinte  dans  l'âme  fière  et  valeureuse 
des  Espagnols  ;  l'Espagne  tout  entière  est  disposée  à  se  lever 
pour  une  nouvelle  croisade  contre  les  mécréants.  Il  ne  faudrait 
pas  que  cette  émotion,  du  reste  légitime,  entraînât  les  Espa- 
gnols à  faire  le  jeu  de  leurs  adversaires  qui  se  montrent  et  de 
ceux  qui  agissent  dans  l'ombre.  Si  les  Espagnols  prenaient  une 
offensive  pouvant  faire  croire  à  un  autre  but  que  celui  de  défen- 


390  ANNALES    CATHOLIQUES 

dre  leur  territoire  et  d'exiger  du  sultan  le  châtiment  des  cou- 
pables, ils  motiveraient  l'intervention  des  autres  puissances. 
Les  Anglais,  tout  disposés  à  se  rendre  à  Tanger,  trouveraient 
une  fois  de  plus  que  l'insurrection  des  Kabyles  est  le  premier 
de  leur  devoir  et  qu'il  est  fort  pratique  de  leur  prêcher  ce 
devoir-là. 

Une  partie  de  la  presse  espagnole,  comprenant  très  bien  la 
situation,  tâche  de  réagir  contre  une  agitation  exagérée.  Elle 
démontre  avec  beaucoup  de  raison  que  la  garnison  de  Mélilla  et 
les  Barbares  du  Riff  n'ont  jamais  été  en  paix  que  d'une  façon 
très  intermittente.  La  guerre  périodique  autour  de  Mélilla  est 
une  tradition  et  l'Europe  ne  s'en  mêle  pas,  laissant  Espagnols 
et  Barbares  combattre  et  traiter  entre  eux.  Il  y  aurait  de  nom- 
breux inconvénients  à  modifier  la  tradition  et  adonner  prétexte 
à  une  intervention  européenne. 


Une  épouvantable  catastrophe  a  eu  lieu  ces  jours  derniers  à 
Santander.  Pendant  le  déchargement  d'un  vapeur  contenant  de 
la  dynamite,  un  incendie  se  déclara  à  bord.  Le  bâtiment  était  le 
long  du  quai,  en  face  du  café  Suisse.  Les  autorités,  les  pompiers 
et  une  foule  nombreuse  étaient  accourus  sur  les  quais,  lorsque 
tout  à  coup  une  explosion  formidable  se  produisit.  De  nom- 
breuses victimes  furent  relevées.  Dans  le  nombre  se  trouvaient 
le  préfet  et  le  président  du  conseil  général,  beaucoup  de  pom- 
piers et  de  gendarmes. 

Les  navires  voisins  du  bâtiment  incendié  qui,  par  l'explosion, 
avait  été  mis  en  morceaux,  furent  fortement  endommagés.  Les 
maisons  du  quai  étaient  en  ruines  et  prirent  feu.  L'incendie  se 
propageant  rapidement  causa  une  panique  terrible. 

L'explosion  coupa  toutes  les  lignes  télégraphiques.  Les  pre- 
mières nouvelles  durent  être  portées  à  la  station  de  Boo,  à  huit 
kilomètres  de  Santander.  Le  secrétaire  général  de  la  préfecture 
réclama  des  secours  que  le  ministère  de  l'intérieur  fit  envoyer  de 
Palencia  et  de  Valladolid  par  trains  spéciaux. 

Les  autorités  militaires  durent  prendre  la  direction  des  se- 
cours, quoique  le  colonel  d'un  régiment  de  ligne  et  plusieurs 
officiers  de  la  gendarmerie  fussent  parmi  les  blessés. 

Par  la  force  de  l'explosion  beaucoup  de  cadavres  ont  été 
lancés  au  milieu  de  la  baie  et  dans  les  rues. 

Le  navire   qui  a  fait  explosion   appartient  à  la  Compagnie 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  391 

espagnole  Vasco-Andaluza  de  Bilbao  et  Séville,  et  était  en  par- 
tance avec  un  chargement  de  diverses  marchandises  ;  la  plus 
grande  partie  était  composée  de  caisses  de  dynamite. 

Les  libéraux  de  Budapest  sont  revenus  de  leur  consternation. 
Leur  truc  a  réussi,  l'empereur  François-Joseph  a  capitulé  devant 
leurs  instances. 

Le  chef  du  cabinet  hongrois,  M.  Wekerlé,  a  suivi  l'empereur 
à  Vienne.  Il  l'a  mis  en  demeure  de  choisir  entre  la  démission 
collective  du  cabinet  et  le  dépôt  du  projet  de  loi  sur  le  mariage 
civil.  L'Empereur  a  cédé,  et  le  projet  de  loi  rendant  le  mariage 
civil  obligatoire  sera  déposé  au  Parlement  hongrois  avant  la 
discussion  des  budgets. 

M.  Wekerlé  a  su  habilement  tirer  parti  de  la  situation  diffi- 
cile dans  laquelle  se  trouve  la  monarchie  austro-hongroise.  Une 
crise  ministérielle  éclatant  en  ce  moment  à  Budapest  eût  mis 
l'Empereur  en  présence  de  difficultés  et  de  complications  dan- 
gereuses. M.  "Wekerlé  a  représenté  à  l'Empereur  que  la  Chambre 
hongroise  refuserait  de  voter  les  budgets  si  le  projet  de  loi  sur 
le  mariage  civil  ne  lui  était  pas  soumis.  Aucun  homme  politique 
n'aurait  voulu  se  charger,  dans  les  circonstances  actuelles,  de 
la  formation  d'un  cabinet,  la  majorité  libérale  étant  maîtresse 
de  la  situation  politique. 

Cette  politique  du  couteau  sur  la  gorge  a  eu  un  plein  succès. 
L'adhésion  de  l'Empereur  au  dépôt  du  projet  de  loi  n'implique 
nullement  d'ailleurs  son  adhésion  au  projet  lui-même.  Son  droit 
de  refuser  la  sanction  après  le  vote  du  Parlement  subsiste 
entièrement. 

L'Empereur  n'engage  donc  pas  le  Parlement  à  voter  le  projet 
de  loi  en  en  permettant  le  dépôt.  Il  espère  bien  sans  doute  que 
M.  Wekerlé  ne  réussira  pas  à  faire  voter  son  projet  par  les 
deux  Chambres.  L'opposition  de  la  Chambre  des  Magnats  sera 
certainement  très  sérieuse  et  ne  sera  pas  facilement  vaincue. 

C'est  même  cette  éventualité,  que  M.  Wekerlé  a  prévue  et 
qu'il  voulait  écarter,  qui  a  retardé  de  quelques  jours  le  consen- 
tement de  l'Empereur.  Le  président  du  Conseil  voulait  obtenir 
de  l'Empereur  qu'il  s'engageât,  en  approuvant  le  dépôt  du 
projet  de  mariage  civil,  à  créer  de  nouveaux  pairs  à  la  Chambre 
haute,  si  celle-ci  persistait  dans  son  opposition  au  projet.  Fran- 
çois-Joseph refusa.  M.  Wekerlé  a  renoncé  pour  le  moment  à 
obtenir  cette  concession. 


392  ANNALES  CATHOLIQUES 

On  en  comprend  l'importance.  Si  l'Empereur  y  consentait,  il 
s'engageait  à  faire  triompher  coûte  que  coûte  le  projet  de  ma- 
riage civil  et  il  signifiait  nettement  au  Parlement  qu'il  emploie- 
rait les  mesures  extrêmes  pour  faire  triompher  la  réforme. 
François-Joseph  n'a  pas  voulu  aller  plus  loin  qu'un  simple  con- 
sentement au  dépôt  du  projet,  arraché  sous  la  pression  de  cir- 
constances critiques  que  le  ministère  libéral  a  exploitées  sans 
vergogne. 

M.  Wekerlé  a  gagné  la  première  manche.  Nous  verrons  s'il 
emportera  la  dernière,  celle  qui  compte. 


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UNE  CONQUETE 

Après  avoir  trop  longtemps  subi  le  joug  des  sectes,  la  France  com- 
mence à  se  ressaisir.  C  est  ainsi  que  les  Catholiques,  par  le  Diction- 
naire des  Dictionnaires,  ont  enfin  repris  le  domaine  encyclopédique 
usurpé  depuis  plus  d'un  siècle  par  la  Franc-Maçonnerie  et  la  Libre 
Pensée,  et  y  ont  planté  la  croix.  Il  importe  d'affermir  et  d'étendre 
cette  précieuse  conquête.  Quiconque  a  souci  de  l'intérêt  familial, 
social,  religieux,  conservateur,  voudra  participer  à  cette  croisade, 
qui  a  pour  cri  :  Foi  et  Science,  Dieu  et  Patrie.  D'ailleurs,  il  s'agit 
d'une  œuvre  aujourd'hui  inHjppensable,  d'une  utilité  quotidienne  ;  et 
l'on  pout  encore  en  souscrivant  de  suite,  se  la  procurer  dans  des 
conditions  exceptionnelles.  On  trouvera  plus  loin  ces  conditions  avec 
le  bulletin  de  souscription. 

Le  gérant  :  P.  Chantrel. 

Paris    —  Imp.  0.  Picgnoin,  hi,  nie  de  Lille. 


ANNALES   CATHOLIQUES 


DU  TRAITEMENT  EXTRAORDINAIRE  DES  CURES, 
DESSERVANTS,  VICAIRES 

Quand  les  curés  et  desservants  ont-ils  droit  à  une  indenanité  pour 
double  service?  —  A  un  supplénaent  de  traitement?  —  Quels  sont 
leurs  droits  en  matière  de  casuel  ? 

I.  — -Quand  un©  succursale  est  vacante,  c'est-à-dire  dépour- 
vue de  titulaire  payé,  l'évêque  autorise  le  desservant  d'une 
paroisse  voisine,  le  curé  ou  le  vicaire  du  curé  à  biner  dans  cette 
succursale.  Le  double  ministère  qui  consiste  à  dire  la  messe  le 
dimanche,  à  faire  des  instructions,  à  visiter  les  malades  et  à 
administrer  les  sacrements,  assure  au  prêtre  qui  le  remplit  : 

lo  Une  indemnité  annuelle  de  200  francs,  accordée  sur  les 
fonds  de  l'Etat. 

2°  La  jouissance  du  presbjtère  et  de  ses  dépendances,  avec 
faculté  de  louer,  si  l'évêque  l'autorise,  mais  sous  la  condition 
de  rendre  immédiatement  le  presbytère  s'il  était  nommé  un 
desservant.  (Ordonnance  du  3  mars  1825.)  Cette  ordonnance  a 
été  rendue  pour  anéantir  les  prétentions  des  Fabriques  sur  les 
presbytères  des  succursales  vacantes.  Plusieurs  Fabriques 
avaient  cru  qu'il  suffisait  que  le  bineur  trouvât  un  pied-à-terre 
dans  le  presbytère,  et  qu'elles  pouvaient  amodier  le  reste  du 
logement.  Le  ministre  des  affaires  ecclésiastiques,  dans  son 
rapport  au  roi,  fit  d'abord  observer  que  la  Fabrique  d'une  suc- 
cursale vacante  ne  pouvait  amodier  le  presbytère,  puisqu'il 
devait  toujours  être  prêt  à  recevoir  le  desservant  qui  pouvait 
être  envoyé  comme  titulaire  de  la  paroisse  ;  que,  d'ailleurs,  les 
presbytères  en  général  n'étant  pas  très  vastes,  une  semblable 
location  temporaire,  et  pour  laquelle  on  ne  saurait  passer  bail, 
serait  de  très  peu  de  valeur  ;  qu'enfin,  serait-il  très  étendu,  il 
V  aurait  inconvénient  à  loger  dans  une  partie  de  la  maison  des 
personnes  qui  souvent  ne  conviendraient  pas  au  desservant,  et 
dont  la  présence  pourrait  gêner  les  paroissiens  qui  auraient  à 
s'entretenir  avec  lui. 

3°  Le  droit  au  casuel.  (Ordonnance  du  6  novembre  1814.)  Il  y 
aactuellement  1,028  ecclésiastiques  qui  reçoiventcetteindemnité. 

Depuis  1827,  on  a  substitué  au  mot  binage  celui  de  double 
LxxxTi  —  25  Novembre  1S93.  29 


394  ANNALES    CATHOLIQUES 

service,  parce  qu'il  n'est  plus  indispensable  comme  auparavant 
que  l'on  célèbre  deux  messes  le  même  jour  pour  avoir  droit  à 
l'indemnité;  ainsi  l'avait  réglé  la  Circulaire  du  1"  avril  1823. 
Une  instruction  ministérielle  du  20  juin  1827  et  une  Circulaire 
du  2  août  1833  ont  décidé  qu'il  suffit  de  desservir  une  seconde 
paroisse,  en  y  disant  la  messe  le  dimanche  ou  tout  autre  jour 
de  la  semaine.,  en  y  allant  faire  des  instructions.,  en  visitant 
les  malades  et  en  administrant  les  sacrements,  c'est-à-dire  que 
si  l'évêque  organise  ainsi  le  double  service,  l'indemnité  sera 
acquise  au  remplaçant.  Cette  décision  est  plus  conforme  à  l'or- 
donnance du  6  novembre  1814  et  à  la  décision  du  28  mars  1820. 
Ainsi  l'ont  réglé  les  circulaires  des  20  juin  1827,  2  août  1833  et 
l"  février  1843. 

La  décision  suivante,  adressée  le  11  avril  1867  par  le  Ministre 
de  la  justice  et  des  cultes  à  M.  le  Préfet  de  l'Oise,  prouve  que 
les  règles  précédentes  étaient  encore  en  vigueur  à  cette  époque^ 
et  nous  ne  connaissons  aucune  disposition  de  loi  ou  de  règlement 
qui  les  ait  modifiées. 

«  Paris,  le  11  avril  1867. 

«  Monsieur  le  Préfet, 

€  M.  l'abbé  Hébert,  desservant  de  Sénoville  (Manche),  réclame 
le  paiement  de  l'indemnité  qui  serait  due  à  son  frère,  décédé 
desservant  de  Rethondes  (Oise),  pour  le  binage  qu'il  a  exercé 
dans  la  paroisse  de  Saint-Crépin-aux-Bois,  pendant  les  onze 
premiers  mois  de  1865. 

«  D'après  les  documents  que  vous  m'avez  transmis,  une  indem- 
nité de  200  francs  a,  en  effet,  été  portée  aux  budgets  de  1864 
et  1865  de  la  commune  de  Saint-Crépiu,  pour  supplément  de 
traitement  au  curé  ou  desservant,  mais  avec  cette  mention  : 
pour  un  prêtre  résidant  dans  la  commune. 

«  M.  le  Maire  de  Saint-Crépin,  se  fondant  sur  ce  que  M.  Hé- 
bert, desservant  de  Rethondes,  n'a  pas  rempli  cette  condition, 
a  refusé  de  mandater  l'indemnité  réclamée  par  son  frère  et  héri- 
tier, M.  le  desservant  de  Sénoville. 

«  Dans  une  lettre  qui  vous  a  été  adressée  le  19  février  der- 
nier, le  maire,  l'adjoint  et  des  membres  du  conseil  municipal  de 
Saint-Crépin  reconnaissent  eux-mêmes  que  c'est  pour  M.  Hébert, 
desservant  de  Rethondes,  qu'ils  ont  voté  l'indemnité  de  200  francs, 
portée  depuis  plus  de  six  ans  au  budget  de  la  commune.  Ils  ne 
pouvaient  donc  pas  avoir  la  prétention  d'astreindre  cet  ecclé- 


i 


DU  TRAITEMENT  DES  CURÉS,  DESSERVANTS,  VICAIRES  395 

siastique  à  la  résidence  de  Saint-Crépin,  puisqu'il  était  desser- 
vant d'une  autre  commune  où  il  était  obligé  de  résider. 

«  D'après  les  règles  sur  la  matière,  le  prêtre  chargé  du  binage 
ou  double  service  dans  une  succursale  vacante  remplit  toutes 
ses  obligations  et  a  droit  à  l'indemnité  affectée  à  ce  service,  s'il 
célèbre  la  messe  dans  cette  succursale,  le  dimanche  ou  tout 
autre  jour  de  la  semaine,  suivant  que  l'évêque  diocésain  l'a 
ordonné,  s'il  a  soin  d'y  faire  des  instructions,  d'y  visiter  les 
malades  et  d'y  administrer  les  sacrements.  Il  n'est  point  établi 
que  M.  Hébert  ait  manqué  à  aucun  de  ces  devoirs.  Cet  ecclé- 
siastique n'a  point  satisfait,  il  est  vrai,  h  une  condition  qui  lui 
avait  été  imposée,  la  résidence  dans  la  commune  de  Saint-Cré- 
pin; mais  dans  la  position  oii  il  se  trouvait,  cette  condition  était 
inexécutable  et  contraire  même  à  la  loi;  elle  doit  donc  être 
considérée  comme  nulle  (art.  1172  du  Code  civil). 

«  D'après  ces  motifs,  j'estime,  M.  le  Préfet,  que  la  récla- 
mation de  M.  Hébert,  desservant  de  Sénoville,  est  fondée  et  qu'il 
y  a  lieu  d'inviter  M.  le  Maire  de  Saint-Crépin-aux-Bois  à  man- 
dater au  profit  de  qui  de  droit  l'indemnité  due  à  M.  Hébert,  an- 
cien desservant  de  Réthondes,  pour  le  binage  qu'il  a  exercé, 
pendant  les  onze  premiers  mois  de  l'année  1865,  dans  la  com- 
mune de  Saint-Crépin-aux-Bois.  » 

La  circulaire  du  l*''  février  1843  avait  rappelé  que   confor- 
mément à  l'article  191    du  règlement  du  31    décembre    1841, 
sur  la  comptabilité  des  cultes,  un  certificat  de   binage  devait 
être  joint  aux  pièces  à   produire    au   payeur,    et   avait  donné 
comme  modèle  de  certificat  de   binage  celui  indiqué  par  la  cir- 
culaire du  20  juin  1827;  une  circulaire  ministérielle  du  31  jan- 
vier 1884  a  modifié  la  teneur  de  ce  certificat.  Il  faut  non-seule- 
ment la  production  du  certificat  ecclésiastique  exigé  par  l'ar- 
ticle  191  du   règlement  de  la  comptabilité    des  cultes,    mais 
encore  une  attestation  du  maire  de  la  commune  oii  le   double 
service  a  eu  lieu,  portant  que  M.  .  .  .  .  .,  curé,  desservant  ou 

vicaire,  a  accompli  les  devoirs    du   binage  dans   la   succursale 

vacante  de à  partir  du  .   »  .  .  .  jusqu'au  »  .  »  .  .  de 

la  même  année.  Une  déclaration  semblable  du  sous-préfet  ou  du 
préfet  peut  suppléer  à  cette  attestation  du  maire. 

Ainsi,  pour  qu'un  prêtre  ait  droit  aux  trois  indemnités  rela- 
tées plus  haut,  il  faut  : 

1°  Qu'il  s'agisse  d'une  succursale  proprement  dite  (cire,  du 
2  août  1833)   et  non  pas  seulement  d'une  chapelle  dont  le  ser- 


396  ANNALES    CATHOLIQUES 

vice,  à  défaut  du  titulaire  résidant,  ne  pourrait  être  assure 
qu'au  moyen  d'une  allocation  fixée  à  l'amiable,  sous  le  contrôle 
de  l'évêque,  entre  les  habitants  et  recclésiastique  qui  en  seirait 
chargé.  La  loi  n'a  attribué  aucun  traitement  au  binage  dans  les- 
annexes  et  les  chapelles  de  secours.  L'annexe  est  une  église  non 
paroissiale,  érigée  sur  la  demande  des  principaux  contribuables 
d'une  commune  et  sur  l'obligation  personnelle  qu'ils  souscri- 
vent de  payer  le  prêtre  qui  la  desservira.  Il  convient  qu'ils  ne 
donnent  point  à  leur  desservant  une  indemnité  moindre  de 
200  francs.  Cette  indemnité  est  portée  au  budget  communal  et 
votée  annuellement  par  le  conseil  municipal  ou  fournie  par  des 
souscriptions  particulières.  La  chapelle  de  secours  est  un  édi- 
fice religieux  dans  lequel  le  curé  fait  célébrer  l'office  lorsqu'il  le 
juge  opportun,  le  chapelain  est  payé  par  le  curé  ou  les  fidèles, 
mais  non  par  la  Fabrique.  La  jurisprudence  du  Conseil  d'Etat 
sur  ce  dernier  point  est  peu  connue,  mais  elle  est  formelle. 

2°  Que  la  vacance  soit  complète  et  ne  consiste  pas  seulement 
en  une  absence  prolongée.  Il  y  aurait  néanmoins  binage  si  le 
desservant,  âgé  et  infirme,  ne  pouvant  obtenir  un  vicaire  en  titre 
par  défaut  de  prêtres,  était  aidé  par  un  confrère  nommé  par 
l'évêque. 

3°  Que  le  double  service  soit  fait  par  le  desservant  lui-même» 
le  curé  ou  le  vicaire  du  curé,  à  l'exclusion  du  vicaire  du  desser- 
vant (cire,  du  2  aoiit  1833).  Ce  dernier  serait  censé  n'agir  qu'au 
nom  du  desservant  lui-même,  qui  seul  pourrait  être  porté  sur 
l'état.  Ainsi  un  chanoine,  un  prêtre  habitué  ou  sans  fonctions, 
un  chapelain  n'auraient  pas  droit  à  l'indemnité  de  binage,  quand 
même  ils  desserviraient  réellement  la  succursale. 

4°  Que  le  bineur  produise  tous  les  six  mois  les  certificats  ec- 
clésiastique et  civil  sur  la  réalité  du  binage.  L'évêque  joint  ces 
certificats  à  l'état  qu'il  adresse  au  préfet,  comme  pièces  justi- 
ficatives au  mandat  de  paiement.  Le  préfet  qui  délivre  ces  man- 
dats est  toujours  celui  du  département  où  le  binage  a  lieu,  alors 
même  que  l'ecclésiastique  binerait  dans  un  autre  département 
que  lesien.  (Instr.  minist.  1823, 1827,  1833;  décis.  rainist.  1843, 
1837,  1869.) 

Un  curé  qui  binerait  dans  sa  paroisse  propre  en  attendant  le 
remplacement  de  son  vicaire,  ou  à  cause  de  la  petitesse  de 
l'église,  n'aurait  droit  à  aucune  indemnité,  à  moins  de  conven- 
tion préalable  avec  la  commune  ou  la  fabrique.  (Ordonnance  du 
13  mai  1844.) 


DU  TRAITEMENT  DES  CURÉS,  DESSERVANTS,  VICAIRES  397 

Les  chapelles  vicariales  sont  assimilées  d'une  certaine  façon 
aux  succursales  dépourvues  de  titulaires  et  desservies  par  un 
prêtre  succursaliste  qui  bine.  En  effet,  quand  une  commune 
n'est  pas  assez  importante  pour  motiver  la  création  d'une  suc- 
cursale, soit  à  cause  de  l'infériorité  ou  de  l'éparpillement  de  la 
population,  soit  à  cause  de  l'insuffisance  de  sa  participation  aux 
contributions  publiques  (Cire.  min.  9  novembre  1819),  elle  peut 
obtenir  une  chapelle  que  dessert  un  vicaire  de  la  cure  ou  de  la 
succursale.  Ce  vicaire  touche  350  francs  sur  le  trésor  public. 
(Ord.  des  25  août  1819  et  2  janvier  1830.) 

Lorsqu'un  ecclésiastique  bine  dans  deux  paroisses  différentes, 
alors  même  qu'il  ferait  ce  service  dans  deux  succursales  vacan- 
tes, il  n'a  droit  qu'à  une  indemnité  de  binage.  (Art.  192  du  règle- 
ment de  la  comptabilité  des  cultes,  31  décembre  1841).  C'est  la 
jurisprudence  constante,  confirmée  par  une  lettre  du  ministre 
des  cultes  en  date  du  3  mai  1864  au  préfet  de  Loir-et-Cher. 
Toutefois,  et  cette  jurisprudence  le  confirme,  rien  ne  s'oppose  à 
ce  (lue,  à  raison  des  distances  ou  de  l'état  des  communications, 
il  soit  accordé  à  un  prêtre,  en  outre  de  l'indemnité  de  binage 
payée  sur  les  fonds  de  l'Etat,  une  indemnité  de  déplacement 
payée  sur  les  fonds  de  la  commune.  Mais  cette  dernière  indem- 
nité a  un  caractère  purement  facultatif  et  ne  saurait  être  portée 
au  nombre  des  dépenses  obligatoires  de  la  commune. 

La  dépense  nécessitée  par  une  seconde  messe  du  dimanche 
dans  une  paroisse  incombe  à  la  fabrique,  comme  toutes  les 
dépenses  d'intérêt  paroissial,  et  en  cas  d'insuffisance  de  revenus 
de  la  Fabrique,  à  la  commune,  si  ce  second  service  est  célébré 
en  vertu  d'une  décision  de  l'autorité  épiscopale.  Elle  devient 
obligatoire  pour  la  Fabrique  dés  qu'elle  a  été  inscrite  à  son 
budget,  approuvée  ou  même  imposée  d'office  par  l'évêque.  Elle 
ne  devient  obligatoire  pour  la  commune  qu'autant  que  l'organi- 
sation de  ce  double  service  a  eu  lieu  après  l'accomplissement 
des  formes  et  dans  les  confiitions  prévues  par  les  articles  37,  38, 
96  et  97  du  décret  du  30  décembre  1809  combinés. 

Dans  le  même  sens  il  a  été  statué  parle  Conseil  d'Etat  (Arrêts 
des  21  mai  1875,  14  juin  1878  et  4  juin  1880),  que  l'allocation 
accordée  à  un  vicaire  chargé  de  célébrer  la  messe  de  midi  doit 
être  considérée  comme  dépense  du  culte  lorsque  le  préfet  et 
l'évêque  ont  été  d'accord  pour  imposer  cette  charge  à  la  Fabri- 
que et  à  défaut  de  la  Fabrique  à  la  commune.  Si  c'est  sponta- 
nément que  la  commune  ou  la  Fabrique  se  sont  engagées  à  cette 


398  ANNA.LBS    CA.THOL.IQUES 

dépense,  elles  sont  toujours  libres  de  la  supprimer,  et  cette  allo- 
cation ne  peut,  dans  ce  cas,  constituer  qu'une  dépense  facultative. 
II.  —  Le  gouvernement  a  toujours  reconnu  la  modicité  et 
l'insuffisance  des  traitements  des  desservants  ;  il  a  même  sou- 
vent invité  les  communes  à  y  pourvoir  par  des  suppléments  sur 
les  fonds  communaux  ;  mais  il  s'est  abstenu  de  les  déclarer  obli- 
gatoires et  de  les  imposer  d'office,  parce  que  ce  supplément  est 
rangé  parmi  les  dépenses  facultatives  des  communes.  Les  con- 
seils municipaux  sont  donc  libres  de  voter  les  suppléments  de 
traitement  et  d'en  fixer  le  montant;  ils  peuvent,  à  leur  gré,  les 
augmenter,  les  réduire  et  même  les  supprimer.  Les  préfets,  de 
leur  côté,  étant  tuteurs  des  communes  et  ayant  en  cette  qualité 
droit  de  régler  les  budgets  municipaux,  pourraient  aussi  approu- 
ver, rejeter  ou  réduire  ces  suppléments,  puisqu'ils  sont  facul- 
tatifs et  arbitraires.  Néanmoins,  nous  estimons  que  la  munifi- 
cence municipale  envers  le  clergé  étant  aujourd'hui  exempte  de 
toute  exagération,  il  serait  peu  convenable  qu'un  préfet  désap- 
prouvât un  témoignage  d'afi'ection  et  de  dévouement  que  les 
paroissiens  voudraient  donner  à  leur  guide  spirituel.  Les  com- 
munes sont  les  juges  les  plus  compétents  du  zèle,  des  travaux, 
des  bonnes  œuvres  et  des  besoins  de  leurs  pasteurs.  Les  conseil- 
lers municipaux  qui  sont  les  représentants  légaux  des  habitants 
et  les  interprètes  les  plus  éclairés  de  leurs  vœux,  qui  d'ailleurs 
sont  intéressés  à  apporter  une  juste  et  sévère  économie  dans 
l'emploi  des  revenus  dont  la  gestion  leur  est  confiée,  apprécie- 
ront mieux  que  toute  autre  personne  l'opportunité  ou  la  conve- 
nance d'un  vote  de  fonds  au  profit  de  leur  curé.  Le  rôle  d'un 
préfet,  dans  cette  circonstance,  doit  se  borner  à  sanctionner  les 
subventions  des  administrateurs  communaux. 

Le  maximum  de  supplément  n'a  été  fixé  par  aucune  décision  ; 
mais  c'est  l'usage  qu'il  ne  dépasse  point  250  à 300  francs. 

Le  supplément  voté  pour  le  desservant  n'appartient  pas  de 
plein  droit  au  prêtre  étranger,  ni  même  au  vicaire  qui  vient  biner 
pendant  que  la  paroisse  est  vacante.  Il  ne  peut  lui  être  attribué 
sans  le  consentement  du  conseil  municipal.  (D.  m.  Bulletin  1865, 
p.  134.)  Même  le  conseil  municipal,  après  avoir,  au  budget  ar- 
rêté en  mai  pour  l'année  suivante,  porté  un  supplément  pour  le 
curé,  peut,  à  la  session  de  novembre,  revenir  sur  son  vote.  Le 
ministre  a  décidé,  en  1867,  qu'en  pareil  cas  le  maire  ne  pouvait 
délivrer  de  mandat.  Après  l'année  commencée,  il  n'y  a  d'acquis 
au  curé  que  du  P«"  janvier  au  jour  du  nouveau  vote. 


DU  TRAITEMENN  DES  CURÉS,  DESSERVANTS,  VICAIRES         399 

III.  —  «  Personne,  dit  saint  Paul,  combattant  pour  Dieu,  ne 
s'embarrasse  dans  les  affaires  séculières.  »  (II  Tim.,  ii,  4.)  Et 
ailleurs:  «  Ceux  qui  servent  à  l'autel  doivent  vivre  de  l'autel.  » 
(I  Cor.,  IX,  7,  13;  Hebr.,  XIII,  10.)  Ce  qui  veut  dire  que  le  prêtre 
engagé  au  service  de  Dieu  et  des,  âmes  ne  doit  pas  g:agner 
sa  vie  par  le  commerce,  l'industrie  ou  le  travail  des  champs  ; 
mais  que,  voué  au  service  du  temple,  il  doit  recevoir,  en  retour 
de  ses  occupations  saintes,  de  quoi  vivre  selon  sa  condition. 
Autrement,  on  violerait  à  son  égard  les  règles  les  plus  élémen- 
taires de  l'équité,  en  le  contraignant  de  déroger  à  sa  dignité  et 
de  manquer  à  ses  sublimes  fonctions. 

A  l'origine  du  Christianisme,  lorsque  l'Eglise  se  bornait  au 
collège  apostolique,  les  Apôtres  purent,  sous  la  pression  de  la 
nécessité,  revenir  parfois  au  métier  dont  ils  vivaient  avant  leur 
vocation.  Il  est  marqué  toutefois  expressément  que  cette  vocation 
impliquait  l'abandon  de  leur  profession  séculière.  Quand  Pierre 
et  André  suivent  Jésus,  ils  quittent  leurs  filets;  quand  Matthieu 
est  appelé,  il  se  lève  de  son  bureau  et  abandonne  ses  registres 
de  comptabilité;  quand  Barthélémy,  Thomas,  Luc,  Paul  et  les 
autres  partent  à  la  conquête  du  monde,  il  est  par  trop  clair  qu'ils 
ne  peuvent  plus  jouer  de  l'aiguille  ou  de  la  trousse,  raccommoder 
des  filets,  dresser  des  tentes  et  donner  des  consultations.  Aussi, 
dès  ce  moment,  et  déjà  quand  le  Sauveur  était  encore  avec  les 
douze,  il  y  avait  pour  l'entretien  une  bourse  commune,  loculos 
hahens^  dont  Judas  était  le  porteur  et  le  dispensateur.  De  ces 
lointai-ns  mais  fidèles  souvenirs  on  en  conclut  que  les  ministres 
du  culte  recevaient  des  fidèles  leur  subsistance.  L'institution  du 
casuel  remonte  donc  aux  premiers  temps  du  christianisme,  et 
on  le  retrouve  à  toutes  les  époques,  divers  sans  doute  quant  au 
mode,  mais  uniforme  quant  au  principe.  Le  casuel  est  l'hono- 
raire ou  rétribution  accordée  aux  ecclésiastiques  pour  les  diverses 
fonctions  de  leur  ministère,  heneficium  propter  officium,  non 
pas  que  le  casuel  représente  le  prix  du  bienfait  spirituel  reçu, 
mais  il  est  la  juste  rémunération  de  la  fonction  exercée,  «  l'ou- 
vrier étant  digne  de  son  salaire  ».  (Matth.  x,  10;  I  Cor.,  ix,  11.) 
De  là  sont  venues  ces  offrandes  de  pain,  de  vin  et  autres  comes- 
tibles, plus  tard  ces  dons  en  argent,  en  terres,  en  maisons,  etc.. ., 
qui  ont  formé  le  fonds  commun  des  biens  de  l'Eglise.  —  D'après 
l'article  68  de  la  loi  du  18  germinal  an  X,  le  produit  des  obla- 
tions  forme,  avec  le  montant  des  pensions,  le  traitement  des  vi- 
caires et  des  desservants.  Trois  choses  sur  cette  matière  sont 
incontestables: 


400  ANNALES    CATHOLIQUES 

1°  L'évêque  a  le  droit  de  répartir,  in  foro  conscientiœ,  les 
revenus  casuels  selon  sa  prudence  entre  les  prêtres  d'une 
même  paroisse  dans  la  limite  des  besoins  de  cette  paroisse  ;  c'est- 
à-dire  d'y' mettte  le  nombre  de  prêtres  qu'il  juge  nécessaire  pour 
la  bonne  administration  des  choses  saintes  et  d'assigner  à  chacun 
d'eux,  en  gardant  la  proportion  convenable  entre  le  curé  et  les 
ricaîres.lapartdu  câsùel  qui  leur  est  nécessaire  pour  vivre. 

2°  Il  peut  même  transporter  une  partie  du  casuel  d'une  pa- 
roisse à  des  prêtres  d'une  autre  paroisse,  le  Concile  de  Trente 
lui  ayant  donné  pleine  autorité  de  pourvoir  aux  besoins  des  prê- 
tres par  les  moyens  qu'il  jugerait  convenables, 

3°  Les  tarifs  qu'il  fait  ne  sont  obligatoires,  au  point  de  vue  lé- 
gal, que  lorsqu'ils  ont  été  approuvés  par  l'autoi-ité  civile:  «  Les 
évêques  rédigeront  les  projets  de  règlement  relatifs  aux  obla- 
tions  que  les  ministres  du  culte  sont  autorisés  à  recevoir  pour 
l'administration  des  sacrements.  Les  projets  de  règlement  ré- 
digés par  les  évéques  ne  pourront  être  publiés  ni  autrement  mis 
à  exécution  qu'après  avoir  été  approuvés  par  le  gouvernement.  » 
(Art.  69,  loi  du  18  germinal  an  X.) 

4°  Toujours  au  point  de  vue  légal,  l'évêque  ne  peut  apporter 
de  modifications  dans  les  tarifs  qu'après  s'être  entendu  avec 
l'autorité  civile.  (Avis  du  Conseil  d'État,  31  août  1848.  Arrêté 
ministériel,  2  septembre  1848.)  Ainsi  le  casuel  des  prêtres  est 
tarifé  par  l'évêque  sous  l'approbation  du  gouvernement;  le 
casuel  des  Fabriques  est  tarifé  par  l'évêque  et  approuvé  par  le 
Conseil  municipal  ou  le  préfet. 

Donc  ni  le  clergé  des  paroisses,  ni  les  Fabriques,  ni  l'évêque 
ne  pourront  établir  des  règlements  spéciaux  pour  tarifer  les 
droits  casuels.  Par  conséquent,  les  usages  particuliers  à  cer- 
taines localités  relativement  à  ce  point  sont  abusifs,  s'ils  attri- 
buent des  honoraires  supérieurs  à  ceux  qui  sont  indiqués  dans 
le  tarif.  Ces  taxes,  fondées  sur  de  prétendus  privilèges  ou  cou- 
tumes, sont  illégales  ;  ceux  qui  les  imposeraient  seraient  con- 
cussionnaires et  s'exposeraient  aux  peines  de  la  loi.  Toutes  les 
fonctions  ecclésiastiques  auxquelles  le  tarif  diocésain  n'attache 
aucune  rétribution  doivent  être  gratuites.  (Art.  5  du  décret  du 
18  germinal  an  X.) 

Ainsi  on  ne  doit  rien  exiger  pour  l'administration  des  sacre- 
ments de  Baptême,  de  l'Extrême-Onction,  de  la  Pénitence,  de 
l'Eucharistie...  Ce[)endant,  le  curé  peut,  sans  être  répréhensible, 
recevoir  une  offrande  spontanée.  Même  pour  un  acte  tarifé,  le 


DU  TRAITEMENT  DES  CURÉS,  DESSERVANTS,  VICAIRES  401 

curé  peut  recevoir  d'un  paroissien  une  offrande  sans  encourir 
de  poursuites  {Arrêt  du  Conseil  d'Etat,  4  mars  18J.50).  Le  pri- 
vilège reconnu  par  les  articles  2101,  2104  du  Code  civil,  relati- 
vement aux  frais  funéraires,  comprend  les  seuls  frais  faits  pour 
l'enterrement,  non  ceux  des  messes  et  services  séparés  des  funé- 
railles. Ce  privilège  peut  être  contesté  pour  les  services  reli- 
gieux, le  corps  étant  présent,  s'ils  paraissent  exagérés  compa- 
rativement à  la  position  sociale  du  défunt  et  à  l'opinion  régnante 
sur  sa  fortune.  (Jugement  d' Angers  S  janvierlSQQ).  Ce  n'est  pa« 
au  curé  à  poursuivre,  mais  au  trésorier  de  la  Fabrique.  Lorsqu'un 
vicaire  croit  devoir  formuler  des  réclamations  contre  son  curé 
à  l'occasion  du  casuel,  il  ne  doit  pas  porter  ses  plaintes  devant 
les  tribunaux,  mais  devant  son  évêque.  (Décisions  ministérielles 
des  16  novembre  1807  et  7  avril  1817).  Un  curé  n'a  pas  le  droit 
d'accorder,  au  détriment  de  ses  vicaires,  ou  même  malgré  eux, 
des  réductions  de  tarif  à  quelques  paroissiens  non  indigents. 

Le  vicaire  chargé  provisoirement,  en  cas  de  vacance  de  la 
cure  ou  succursale,  de  l'administration  de  la  paroisse,  n'a  pa.s 
le  droit  de  percevoir  ni  le  droit  curial,  ni  même  l'indemnité  de 
binage,  mais  il  a  droit  à  la  totalité'  du  casuel  {Décidions  minis' 
t&ielles  des  29  aoiit  et  14  décembre  1868  et  2  avril  1867). 
D'après  le  décret  du  26  décembre  1813,  les  cierges  employés 
aux  enterrements  et  aux  services  funèbres,  autour  du  corps,  à 
l'autel,  appartiennent  moitié  à  la  Fabrique,  moitié  au  curé;  les 
autres  ecclésiastiques  n'ont  droit  qu'au  cierge  que  chacun  porte. 
Le  cierge  tenu  à  la  main  par  celui  qui  oflVe  le  pain  bénit  appar- 
tient au  curé;  s'il  y  a  des  cierges  sur  le  pain  bénit  même,  ils 
appartiennent  à  la  Fabrique  (Z)éci5ionmmîsiér2e^^e, 14  wanHll). 
Une  coutume  universelle  et  immémoriale  attribue  aux  curés  les 
cierges  de  la  première  communion  que  chaque  enfant  porte  à  la 
main.  Toutes  les  offrandes  faites  au  baiser  de  paix  sont  au  curé. 
Les  offrandes  faites  lors  de  la  vénération  d'une  image,  d'une 
relique  ou  d'une  croix,  tant  que  dure  la  cérémonie,  appartien- 
nent au  curé;  mais  celles  faites  après  la  cérémonie,  tandis  que 
l'image  ou  la  châsse  sont  déposées  sur  l'autel  ou  ailleurs,  appar- 
tiennent à  la  Fabrique  {Décision  ministérielle,  IQ  juin  1845). 

Certains  auteurs  ont  prétendu  que  le  produit  des  oblations  ne 
pouvait,  dans  aucun  cas,  être  revendiqué  par  les  curés  de  l"et 
de  2*  classe,  sous  prétexte  que  la  loi  ne  l'attribue,  du  moins 
d'une  façon  expresse  et  formelle,  qu'aux  desservants  et  aux 
vicaires.  De  son  côté,  le  ministre  des  cultes,  dans  une  lettre 


402  ANNALES  CATHOLIQUES 

particulière  qu'il  écrivait  au  ministre  de  l'intérieur  le  5  sep- 
tembre 1812,  exprimait  une  opinioa  contraire  :  c  Partout, 
disait-il,  les  oblations  appartiennent  au  curé.» Les  vicaires  n'y 
ont  pas  plu8  de  droit  dans  les  grandes  communes  que  dans  les 
petites...  Le  cnré  a  toutes  les  oblations,  parce  que  son  droit  est 
de  faire  lui-même  tous  les  actes  qui  jy  dennent  lieu.  Les  obla- 
tions sont  des  rétributions  attachées  au  titre  curial.» 

Ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  deux  sentiments  n'a  prévalu.  Toutfts 
les  fois  que  la  difficulté  a  été  soulevée  devant) l'administration 
civile,  celle-ci  a  reconnu  que  les  vicaires  avaient,  en  principe, 
droit  à  une  portion  du  casuel,  mais  que  ces  ecclésiastiques 
devaient  porter  leurs  prétentions  à  la  quotité  qui  leur  est  réser- 
vée par  leurs  évêques.  C'est  ce  qui  résulte  en  particulier  d'une 
décision  ministérielle  du  16  novembre  1807  et  d'une  lettre  du 
ministre  des  cultes  à  l'évêque  de  Viviers  en  date  du  4  septem- 
bre 1832. 

Aucune  portion  des  traitements  ecclésiastiques  n'est  saisis- 
sable  (Arrêté  du  13  nivôse  an  XI,  8  janvier  1803).  On  a  élevé 
devant  le  tribunal  de  la  Seine,  12  avril  1877,  la  question  de 
savoir  si  l'on  pourrait  saisir  le  cinquième  du  casuel  d'un  curé 
ou  d'un  vicaire.  Le  ministère  public  s'est  prononcéjnégativement 
en  se  fondant  sur  ce  que  le  casuel  est  une  partie  du  traitement 
de  l'ecclésiastique. 

Le  curé  qui  revend  en  détail  la  cire  que  les  règlements  lui 
attribuent,  n'a  point  de  patente  à  payer  ;  il  est  dans  l'exception 
de  l'article  13  de  la  loi  des  patentes. 

Il  fautassirailerau  casuel  les  honoraires  des  messes.  A  l'évêque 
seul  appartient  le  droit  de  les  régler. 

P.  G.  MOREAU, 
Vicaire  général  honoraire  de  Langres. 


LE  judaïsme  cosmopolite 

ET    LES    PARTIS    SUBVERSIFS    EN    EUROPE 

rs'ous  traduisons  de  VUnità  catlolica  l'important  article  que  voici: 

Quiconque  lit  avec  quelque  assiduité  la  Libre  Parole  de 
M.  Edouard  Drumont  ne  peut  pas  ne  pas  avoir  remarqué  une  sin- 
gulière évolution  dans  la  tactique  du  célèbre  écrivain  antisénnte. 


LE  judaïsme  cosmopolite  403 

Quand  il  commença  sa  campagne  contre  le  judaïsme  par  la 
publication  de  la  France  Juive  en  1885,  Drumont  constatait  et 
indiquait  clairement  les  liens  qui  unissaient  les  Juifs  au  parti 
de  la  Commune.  Gomme  preuve,  il  alléguait  ce  fait  que,  lors  des 
terribles  incendies  de  la  Commune,  aucune  des  maisons  des 
Rothschild  —  qui  sont  au  nombre  de  plus  de  cent —  n'avait  subi 
le  moindre  dommage. 

Mais,  dans  ses  œuvres  subséquentes,  envahi  par  l'ardeur  du 
prosélytisme,  Drumont  a  paru  oublier  ce  fait,  ou  du  moins  ne 
pas  en  tenir  suffisamment  compte.  Aussi  l'a-t-on  vu  s'approcher 
peu  à  peu  des  socialistes,  les  excuser,  les  défendre,  exalter  leurs 
mérites  ;  il  est  même  allé  jusqu'à  tenter  de  justifier  les  «  héros  > 
de  la  Commune,  —  du  moins  les  c  héros  »  obscurs,  sinon  les 
chefs. 

Dans  cet  esprit  stratégique,  il  a  fondé  en  1891  la  Libre 
Parole,  dont  le  but  était  la  constitution  d'un  parti  antisémite 
en  France,  avec  les  contingents,  non  point  des  conservateurs  et 
des  croyants,  comme  cela  s'est  fait  en  Allemagne  et  en  Autriche, 
mais  des  ennemis  du  capital.  Drumont  avait  calculé  que  les 
socialistes,  étant  les  ennemis  acharnés  du  capitalisme,  devaient 
nécessairement  devenir  les  ennemis  du  judaïsme,  qui  trouve 
précisément  dans  le  capitalisme  sa  force  immense  et  prépondé- 
rante. 

La  lecture  de  Toussenel,  un  socialiste  qui  déjà  en  1845  avait 
publié  un  livre  contre  les  juifs,  intitulé  c  Les  Juifs  rois  de 
l'époque  >,  dut  confirmer  Drumont  dans  son  opinion  ;  mais  si  au 
début  il  se  fit  illusion  au  point  d'espérer  de  réussir,  il  fut  bientôt 
obligé  d'en  revenir.  Un  seul  socialiste  de  quelque  valeur  se  mit 
à  sa  suite  ;  ce  fut  Auguste  Chirac,  auteur  de  l'ouvrage  :  «  L'agio- 
tage sous  la  troisième  république.  »  Par  malheur,  Chirac  s'en 
alla  échouer  en  police  correctionnelle,  dans  un  procès  bruyam- 
ment scandaleux,  et  son  nom  fut  biffé  de  la  liste  des  écrivains 
que  l'on  peut  estimer. 

La  dernière  lutte  électorale  devait  apporter  à  Drumont  une 
plus  grande  désillusion  encore.  Il  se  présenta  comme  candidat  à 
Amiens  ;  si  les  socialistes  avaient  voté  pour  lui,  il  eût  sans  doute 
été  vainqueur,  mais,  au  contraire,  il  subit  une  éclatante  défaite, 
et  obtint  à  peine  un  millier  de  voix.  Dans  aucun  autre  des 
580  collèges  électoraux  de  France,  on  ne  put  trouver  un  seul 
candidat  antisémite,  bien  que  la  Libre  Parole,  journal  d'agres- 
sion, qui  ne  recule  pas  devant  le  scandale  et  est  écrit  avec  un 


404  ANNALKS    CATHULIQUKS 

rare  mérite  de  'polémiste,  ait   partout  une  immense  diffusion. 

Il  reste  ainsi  démontré  à  l'évidence  que  les  socialistes  n'osent 
pas  ou  ne  veulent  point  engager  la  lutte  contre  le  juif,  si  capita- 
liste, si  bourgeois,  si  accapareur,  si  usurier  que  celui-ci  soit. 
Et  ce  phénomène. ne  se  circonscrit  pas  dans  les  limites  de  la 
France;  en  Autriche,  les  «chrétiens  unis  »  du  député  Lueger 
n'ont  jamais  réussi,  malgré  tous  leurs  efforts  dans  ce  but,  à 
attirer  à  eux  les  socialistes.  Et  il  y  a  peu  de  jours  que  les  socia- 
listes allemands,  réunis  en  Congrès,  ont,  après  une  vive  discus- 
sion et  sur  la  proposition  de  Bebel  lui-même,  repoussé  les  offres 
d'alliance  des  antisémites. 

Comment  s'expliquent  ces  faits  ?  Drumont  les  avait  déjà  expli- 
qués dans  la  France  Juive  de  la  manière  la  plus  claire,  la  plus 
convaincante. 

Tous  les  mouvements  antisociaux,  révolutionnaires,  anar- 
chistes, se  concentrent  au  Ghetto  ;  le  juif  tient  en  mains  les  fils 
de  toutes  les  agitations,  soit  contre  l'ordre  public,  soit  contre 
l'ordre  religieux,  soit  contre  l'ordre  social,  qui  troublent  l'Eu- 
rope. Et  comme  il  tient  les  fils  en  mains,  il  sait  frapper  les 
autres  et  se  sauver  lui-même,  fût-ce  au  milieu  des  plus  grandes 
difficultés. 

Qui  peut  nier  que  tout  la  symbolisme  maçonnique  soit  d'ori- 
gine judaïque?  Les  grades  ou  degrés  de  la  secte  correspondent 
à  la  prétendue  hiérarchie  du  temple  de  Salomon,  et  le  jargon 
de  la  loge  est  presque  entièrement  sémitique.  La  parenté  entre 
la  franc-maçonnerie  et  le  ghetto  est  telle,  qu'il  a  été  facile  à 
plusieurs  écrivains  de  démontrer  que  celle-là  est  fille  et  ser- 
vante de  celui-ci. 

C'est  pourquoi  la  nouvelle  donnée  par  le  Matin,  d'après 
laquelle  les  francs-maçons  français,  dans  leur  récent  «  convent  » 
de  Paris,  auraient  décidé  de  faire  la  guerre  au  socialisme,  avait 
causé  un  grand  étonneraent  dans  le  monde. 

Mais  la  Lanterne,  du  juif  Eugène  Mayer,  en  sa  qualité  de 
porte-voix  semi-officiel  du  Grand  Orient  de  France,  s'est  em- 
pressée de  démentir  cette  étrange  information,  ajoutant  même 
qu'au  contraire  la  franc-maçonnerie  avait  résolu  de  se  mettre  à 
la  tête  du  mouvement  socialiste.  C'est  une  chose  qui  semble 
absurde  ;  car,  s'il  y  a  une  société  oii  se  concentre  par  excellence 
l'esprit  égoïste,  épicurien,  utilitaire,  de  la  bourgeoisie  moderne, 
aussi  bien  que  de  l'ancienne,  c'est  bien  la  franc-maçonnerie. 
Mais  le  juif  socialiste  n'est-il  pas  une  chose  plus  absurde  encore 


LE  judaïsme  cosmopolite  405 

en  apparence?  Et  cependant  la  secte,  qui  a  eu  pour  fondateurs 
deux  juifs  (Marx  etLasalle)  continue  à  posséder  parmi  ses  chefs 
des  millionnaires  appartenant  à  cette  race,  Singer  par  exemple, 
sans  que  les  foules  ignorantes  comprennent  rien  et  sans  qu'elles 
se  doutent  de  rien. 

Le  programme  de  la  franc-maçonnerie  française  n'est  pas 
autre  chose  qu'une  action  parallèle  à  celle  du  judaïsme.  Et 
même  le  mot  d'ordre  est  parti  du  Ghetto.  Diriger  le  mouvement 
antisocial  de  manière  à  achever  la  ruine  de  tous  au  bénéfice  du 
juif  et  du  franc-maçon:  tel  est  le  secret  du  plan  de  campagne 
auquel  des  millions  de  malheureux  donnent  leur  concours  avec 
une  ardeur  qui  ne  leur  laisse  pas  la  moindre  faculté  de  conce- 
voir le  soupçon  qu'ils  pourraient  bien  être  trahis. 

Et  cependant  ils  sont  trahis,  et  de  la  manière  la  plus  scélé-  • 
rate,  encore.  Lejour  où  le  socialisme  triompherait,  l'impratica- 
bilité, l'absurdité,  les  contradictions  de  ses  doctrines  et  de  ses 
systèmes  engendreraient  un  désordre  et  des  convulsions  dont  les 
fourbes  profiteraient  et  dont  les  travailleurs  paieraient  les 
dépens,  au  bout  de  la  comédie. 

Nous  disons  cela,  non  point  pour  éclairer  les  aveugles  (entre- 
prise supérieure  à  nos  forces)  mais  pour  exposer  la  condition 
dans  laquelle  la  société  civile  et  la  religion  se  trouvent.  Edouard 
Drumont  a  constaté  justement,  avec  beaucoup  de  sagacité,  que 
le  salut  social  dépend  de  la  fermeté  qu'on  mettra  à  enlever  au 
juif  l'autorité  qu'il  exerce;  mais  il  s'est  trompé  relativement 
aux  moyens,  en  s'imaginant  qu'il  lui  était  possible  d'attirer  à  lui 
les  multitudes  de  travailleurs  composant  les  rangs  du  socia- 
lisme. La  position  était  déjà  occupée  parle  Ghetto,  et  l'arme  de 
la  plume,  à  elle  seule,  a  été  impuissante  à  en  déloger  celui-ci. 

Drumont  voudra-t-il  reconnaître  aujourd'hui  que  le  judaïsme, 
la  franc-maçonnerie  et  le  socialisme  doivent  être  combattus  en 
même  temps  par  les  armes  du  christianisme? 

En  Italie,  les  catholiques  doivent  faire  en  sorte  de  percevoir 
nettement  une  vérité  de  fait,  qui  se  manifeste  d'une  manière 
plus  claire  do  l'autre  côté  des  Alpes.  Parmi  nous  aussi,  la  puis- 
sance du  judaïsme  va  croissant  de  jour  en  jour,  et  en  même 
temps  que  ses  forces  grandissent,  le  mouvement  subversif 
s'étend  dans  notre  pays. 

Il  n'existe  encore  ici  aucun  parti  antisémite,  et  nous  en 
sommes  charmés,  car  les  partis  qui  portent  ce  nom  en  dehors 
de  l'Italie  pèchent  dans  leur  origine,  dans  leurs  moyens,  et  ea 


406  ANNALES    CATHOLIQUES 

partie  aussi  dans  leurs  buts.  En  Italie,  l'antisémitisme  doit  être 
une  seule  et  même  chose  avec  le  catholicisme,  en  ce  sens  que 
nous  devons  combattre  les  juifs  comme  les  francs-maçons,  comme 
les  socialistes,  comme  les  anarchistes,  pour  la  défense  de  la 
société  civile,  de  la  patrie  italienne  et  de  la  croix  de  Jésus-Christ. 

Nous  avons  affaire  à  un  peuple  dispersé  sur  la  terre  qui  con- 
serve intact  l'esprit  du  sanhédrin. 

Le  sanhédrin,  qui  s'était  cru  vainqueur,  a  été  vaincu  sur  le 
Calvaire  par  la  mort  du  Juste.  Et  il  cherche  à  prendre  sa  re- 
vanche. 

Il  se  croit  maintenant  près  d'atteindre  au  but,  parce  que 
toutes  les  puissances  sont  aujourd'hui  prosternées  devant  le 
Juif.  Les  monarchies  et  les  républiques  sont  à  ses  pieds,  non 
moins  que  les  peuples  saignés  à  blanc  par  sa  rapacité  insatiable. 
Le  comte  de  Caprivi  et  Bebel,  Kalnocky  et  Kronawetter,  Carnet 
et  Lafargue,  Giolitti  et  Colaianni  sont  également  adorateurs  du 
Ghetto. 

L'antisémitisme  fait  fausse  route  quand  il  recourt  aux  vio- 
lences et  aux  délits,  comme  quand  il  s'imagine  pouvoir  triom- 
pher de  l'ennemi  par  des  moyens  humains.  A  la  Croix  seule  est 
réservé  le  triomphe,  et  elle  nous  le  vaudra  quand  nous  saurons 
opposer  l'esprit  de  l'Evangile  à  celui  du  sanhédrin.  Le  triomphe 
de  la  Croix  est  assuré;  nous  en  avons  la  parole  de  Dieu  même; 
mais  il  dépend  de  nous  d'en  hâter  l'heure. 


M.  E.  OLLIVIER  ET  LEON  XIII 

M.  E.  OUivier,  dont  on  avait  annoncé  le  Voyage  à  Rome,  a  eu  une 
entrevue  avec  le  rédacteur  du  Figaro.  A  titre  de  document,  nous 
reproduisons  les  déclarations  de  l'ancien  ministre  faites  au  corres- 
pondant de  notre  confrère  : 

Rome  10  novembre. 

Du  jour  oïl  on  a  su  que  M.  Emile  Ollivier  était  à  Rome,  on 
s'est  demandé  ce  qu'il  était  venu  y  faire  :  comme  s'il  ne  lui 
était  p!xs  permis  de  visiter  la  Ville  Eternelle  en  touriste,  en 
érudit.  Les  uns  ont  dit  qu'il  venait  faire  amende  honorable  de 
son  opposition  à  la  politique  pontificale  en  France;  les  autres 
qu'il  voulait  tout  bonnement  convertir  le  Pape. 

Je  n'ai  prêté  foi  ni  aux  premiers  ni  aux  seconds;  mais,  pour 


M.   E.  OLLIVIKR  KT  S.  S.  LÉON  XIII  407 

«tre  mieux  fixé,  je  me  suis  présenté  chez  M.  Emile  OUivier,  qui 
occupait  un  modeste  appartement,  au  troisième  étage  d'une 
maison,  au  coin  de  la  rue  Fontanella  di  Borgaese  et  du  Corso, 
et  j'ai  eu  avec  lui  une  conversation  des  plus  intéressantes  et  des 
plus...  attachantes. 

J'ai  retrouvé  l'homme  aussi  jeune,  aussi  vibrant,  aussi  élo- 
quent qu'il  a  pu  jamais  être. La  disgrâce  a  permis  àcetéminent 
orateur  d'acquérir  les  connaissances  les  plus  profondes,  et  c'est 
vraiment  un  charme  que  de  l'entendre  développer  ses  réflexions 
avec  cette  vie  et  cette  expression  pittoresque  dont  il  a  le  secret. 

Nous  avons  d'abord  parlé  de  Rome  qu'il  connaît  très  bien  et 
dont  il  est  un  admirateur  passionné,  ensuite  du  Figaro  dans 
lequel  il  a  publié  plusieurs  articles  retentissants  et  enfin  du 
sujet  qui  m'intéressait  le  plus,  celui  de  sa  présence  à  Rome. 

—  Vous  n'êtes  pas  précisément  un  inconnu  pour  le  Saint- 
Pére,  lui  dis-je  en  souriant,  puisque  je  me  suis  laissé  dire  que 
c'est  un  peu  sur  son  invitation  que  vous  avez  écrit  votre  bro- 
chure sur  la  question  romaine. 

—  Ah  !  vous  savez  cela?  Oui,  c'est  vrai.  Léon  XIII  voulut 
bien  me  demander  de  livrer  à  la  publicité  quelques-unes  des 
idées  que  j'avais  émises  en  sa  présence  et  qu'il  a  eu  la  bonté 
d'approuver. 

—  Je  doute  qu'aujourd'hui  il  vous  inviterait  à  écrire  une  bro- 
chure sur  la  politique  pontificale  en  France. 

—  Ah!  non.  Je  vois  les  choses  tout  différemment. 

—  Voulez-vous  me  dire  comment  vous  les  voyez  ? 
L'ancien  ministre  de  Napoléon  III  réfléchit  un  instant,  puis 

braqua  ses  yeux  sur  moi  et,  d'un  ton  ferme,  assuré,  fort, 
comme  s'il  parlait  à  la  tribune  : 

«  Mon  point  de  vue  à  moi,  me  dit-il,  n'est  pas  celui  d'un 
monarchiste,  parce  que  je  ne  le  suis  pas  :  il  n'est  pas  davantage 
celui  d'un  bonapartiste,  puisqu'il  n'en  existe  plus.  Mon  origine 
est  républicaine,  mes  opinions  sont  républicaines.  J'ai  fait  avec 
l'Empire  un  pacte  libéral  auquel  j'ai  été  fidèle,  comme  Manin 
avait  fait  avec  Victor-Emmnauel  un  pacte  national;  mais  je 
n'ai  jamais  désavoué  aucune  des  opinions  de  mon  origine,  et 
dans  ce  que  j'ai  dit  ou  écrit  on  ne  trouvera  pas  un  mot  qui  soit 
haineux  ou  simplement  contraire  à  la  République.  Donc,  une 
politique  républicaine  recommandée  par  le  Pape  n'a  rien  qui  me 
blesse  dans  mes  convictions  intimes.  Ce  contre  quoi  j'ai  protesté 
et  ce  que  je  n'admets  pas  encore  aujourd'hui,  c'est  qu'il  y  ait 


408  ANNALES    CATHOLIQUES 

en  France  une  politique  du  Pape,  quelle  qu'elle  soit,  même 
bonne.  Sans  cela,  le  Pape  serait  le  véritable  monarque  de 
France,  du  moins  pour  les  catholiques,  et  la  vie  laïque  serait 
supprimée.  C'est  cette  entreprise  que  je  considère  comme  désas- 
treuse pour  l'Eglise.  Car  si,  provisoirement,  elle  ne  soulève  pas 
d'orages,  parce  qu'elle  est  d'accord  avec  les  passions  de  notre 
gouvernement,  elle  sera  pleine  de  périls  le  jour  oîi  le  Pape 
croira  avoir  une  politique  qui  sera  contraire  aux  vues  de  ceux 
qui  gouvernent. 

—  Vous  êtes  gallican  ? 

—  On  a  parlé,  en  effet,  de  gallicanisme,  le  mot  à  épouvan- 
tai}. Il  faut  s'entendre.  Dans  le  gallicanisme  formulé  par  la 
Déclaration  de  1682,  il  y  a  deux  parties  absolument  distinctes. 
Il  3'  a  la  partie  ecclésiastique  contenue  dans  les  trois  derniers 
articles  consacrant  la  supériorité  du  Concile  sur  le  Pape  ;  mais 
cette  partie  est  abolie  par  le  Concile  oecuménique.  Il  faut  y 
renoncer  ou  sortir  de  l'Eglise.  Mais  —  ajoute-il  avec  force  en 
frappant  sur  une  table  —  la  partie  politique  des  libertés  galli- 
canes formulée  par  l'article  premier  de  la  Déclaration  reste 
debout,  intacte,  et  chaque  fois  que  de  Rome  on  voudra  y  porter 
atteinte,  on  soulèvera  la  vieille  clameur  gallicane  patriotique 
d'autrefois. 

—  Vous  n'avez  sans  doute  pas  demandé  audience  au  Saint- 
Père  pour  lui  faire  entendre  vos  idées?... 

—  J'aurais  été  le  plus  naïf  des  hommes  si  javais  cru  qu'un 
entretien  de  moi  avec  le  Pape  changerait  ses  dispositions,  résul- 
tat de  longues  méditations.  Je  ne  suis  donc  pas  venu  à  Rome 
pour  me  donner  ce  ridicule.  Le  but  de  mon  voyage  est  très 
simple.  J'aime  passionnément  Rome  et  Michel-Ange.  Je  pré- 
pare une  nouvelle  édition  de  mon  étude  sur  la  chapelle  Sixtine. 
J'ai  voulu  contrôler  une  dernière  fois  mes  jugements  par 
l'examen  des  originaux  et,  comme  je  commence  à  être  vieux  et 
que  je  ne  suis  pas  sûr  de  revenir  dans  la  Ville  Eternelle,  lorsque 
mes  jeunes  enfants  seront  arrivés  à  un  certain  âge,  j'ai  voulu 
leur  procui'er  ce  souvenir  ému  de  pouvoir  dire  ;  «  Je  suis  entré 
à  Saint-Pierre  la  première  fois  avec  mon  père.  » 

€  Je  n'ai  donc  pas  demandé  au  Pape  une  audience  qui  aurait 
dû  avoir  nécessairement  un  caractère  d'explication  et  peut- 
être  de  discussion  qu'il  ne  me  convenait  pas  par  respect  de  lui 
imposer. 

—  On  m'a  affirmé  cependant  que  vous  aviez  fait  une  dé- 
marche. 


M.    E.   OLLIVIER  ET   S.  S.  LKON  XIII  409 

—  Voici.  Je  m'explique.  Je  n'ai  pas  voulu  que  ma  pré- 
sence ici  parût  une  bravade  pour  le  Pontife  qui  m'avait  accueilli 
avec  bonté.  Je  lui  ai  donc  écrit  personnellement  en  termes  très 
respectueux  les  motifs  de  mon  abstention.  Il  les  a  compris  et 
m'a  fait  répondre  par  son  maître  de  chambre  une  lettre  pleine 
de  bonté  paternelle,  preuve  nouvelle  de  l'étendue  de  son  esprit. 
Léon  XIII  ne  garde  donc  aucun  ressentiment  d'une  opposition 
qu'il  sait  sincère,  respectueuse  et  exclusive  de  toute  pensée 
amère  ou  inconvenante  vis-à-vis  de  son  auguste  personne.  » 

L'occasion  était  trop  bonne  pour  ne  pas  pousser  plus  loin  mes 
demandes  : 

—  Quels  résultats  pensez-vous  que  pourra  avoir  la  politique 
de  Léon  XIII  en  France  ? 

—  Pour  moi,  cela  ne  fait  aucun  doute  ;  le  résultat  sera 
l'anéantissement  moral  de  l'Eglise  de  France... 

Et  comme  je  voulais  manifester  mon  étonnement,  il  m'inter- 
rompit : 

—  Jamais,  s'écria-t-il,  l'Eglise  de  France  ne  fut  dans  une 
plus  misérable  condition.  L'évêque  est  nommé  par  un  délégué 
de  la  franc-maçonnerie,  le  curé  de  canton  n'est  agréé  que  si  le 
politicien  radical  du  lieu  n'y  fait  pas  opposition.  Après  l'école, 
l'église  vient  d'être  laïcisée  par  l'ordonnance  sur  les  fabriques. 
Bientôt  ce  sera  le  percepteur  qui  réglera  ce  qui  se  passera  dans 
le  sanctuaire.  Et  enfin,  ce  qui  est  plus  grave  que  tout,  le  bâton 
de  la  suppression  administrative  des  traitements  est  sans  cesse 
suspendu  sur  la  tête  des  ecclésiastiques  d'un  ordre  quelconque. 
Nous  voyons  la  plus  exécrable  violence  du  jacobinisme,  con- 
traire à  tous  les  principes  de  la  Révolution  de  89,  qui  ne  permet 
pas  qu'un  homme  quelconque  soit  condamné  sans  avoir  été 
entendu,  et  le  prêtre  est  privé  de  sa  subsistance  stipulée  obli- 
gatoire par  le  Concordat,  sans  enquête  contradictoire,  sans  aver- 
tissement; que  voulez-vous  que  devienne  une  Eglise  ainsi  cons- 
puée, ainsi  garrottée,  ainsi  annihilée  ? 

—  Quelle  aurait  donc  dû  être,  d'après  vous,  la  politique  du 
Pape  en  France  ? 

—  D'élever  la  voix  tous  les  jours  contre  les  procédés  iniques 
qne  je  viens  de  condamner.  A  mon  très  humble  avis,  les  chefs  de 
l'Eglise  devraient  se  confier  aux  héroïsmes  de  l'apostolat  et  non 
aux  arts  de  la  politique.  Lorsqu'on  se  trouve  en  présence  d'une 
persécution  violente,  il  est  sage  de  lui  opposer  une  politique 
de   temporisation  silencieuse;  mais  lorsqu'on  se  trouve  en  pré- 

30 


410  ANNALES    CATHOLIQUES 

sence  d'une  persécutioQ  raffinée,  souterraine,  hypocrite,  habile 
à  replis,  il  faut  opposer  à  ces  artifices  les  audaces  de  la  sincérité 
et  de  la  protestation,  qui  constituent  alors  la  véritable  prudence. 

«  Evidemment,  pour  moi,  la  politique  de  résignation  à 
outrance  recommandée  par  la  curie  de  Rome  au  clergé  français 
ne  peut  s'expliquer  que  par  un  plan  de  politique  générale  faisant 
de  l'holocauste  momentané  du  clergé  français  la  condition  de 
plus  vastes  combinaisons  européennes...  Mais  ici  je  m'arrête,  je 
suis  dans  le  domaine  des  suppositions  et  je  ne  parle  ainsi  que 
parce  qu'ayant  une  grande  admiration  pour  le  puissant  esprit  de 
Léon  XIII,  je  ne  puis  m'expliquer  sa  conduite  que  comme  pro- 
venant de  grandes  vues  d'homme  d'Etat  dans  la  confidence  des- 
quelles je  ne  suis  pas.  » 

Et  comme  je  lui  disais  que  sans  partager  sa  manière  de  voir 
on  ne  pouvait  s'empêcher  de  reconnaître  que  ses  travaux  et  son 
passé  politique  donnent  une  grande  autorité  à  ses  réflexions. 

—  Mon  insistance  dans  cette  question  n'est  pas  une  affaire 
d'amour-propre  d'auteur.  Elle  n'est  pas  même  inspirée  par  la 
profonde  sollicitude  que  m'inspirent  nos  pauvres  prêtres.  Elle  a 
une  cause  toute  personnelle  et  de  celles  que  l'on  peut  avouer. 
Sans  moi,  il  y  a  vingt-trois  ans,  sans  ma  résistance  aux  inspi- 
rations du  prince  de  Bismarck,  du  comte  de  Beust,  de  lord  Cla- 
rendon  et  d'une  partie  puissante  des  catholiques  français,  la 
proclamation  définitive  de  l'infaillibilité  aurait  peut-être  été 
empêchée  parla  dissolution  du  Concile.  J'ai  donc  comme  homme 
politique  devant  l'histoire  la  responsabilité  d'avoir  aidé  l'Eglise 
à  défendre  librement  les  prérogatives  et  la  supériorité  de  son 
magistère  suprême.  Par  cela  même  j'ai  le  devoir  de  m'opposer 
autant  qu'il  est  en  moi  à  ce  que  l'on  donne  à  l'infaillibilité 
définie  par  le  Concile  du  Vatican  une  extension  dangereuse 
dont  on  s'était  défendue  au  moment  de  la  discussion  et  qui  serait 
de  nature  à  rouvrir  les  plus  pénibles  conflits  religieux.  » 

J'en  savais  plus  que  je  ne  voulais  sur  les  idées  de  l'ancien 
ministre  de  Napoléon  III  au  sujet  du  Vatican.  Je  le  remerciai 
donc  de  l'entretien  qu'il  avait  bien  voulu  m'accorder  et  je  pris 
congé  de  lui.  Fklix, 


LE  SOCIALISME  EN  SUISSE  411 


LE    SOCIALISME   EN  SUISSE 

II  n'est  pas  inntile,  de  temps  à  autre,  de  jeter  un  coup  d'œil 
sur  la  Suisse,  afin  d'y  voir  à  l'œuvre  cette  démocratie  qu'on 
nous  propose  comme  exemple,  probablement  parce  qu'on  ne  l'a 
pas  étudiée  de  prés. 

L'Association  des  ouvriers  suisses,  dont  le  précédent  congrès 
de  Bienne  a  fait  quelque  bruit  dans  le  monde,  s'est  réunie 
dimanche  dernier  à  Zurich  pour  discuter  la  question  à  l'ordre 
du  jour  en  Suisse  :  l'assurance  contre  la  maladie  et  les  acci- 
dents. 525  délégués  représentaient  191,000  ouvriers,  apparte- 
nant à  toutes  les  confessions  religieuses,  à  tous  les  partis  poli- 
tiques. La  réunion  avait  lieu  dans  les  locaux  de  l'Association 
catholique  et  avait  été  convoquée  d'urgence. 

Le  Congrès  de  dimanche  est  appelé  également  à  un  certain 
retentissement.  La  démocratie  suisse  et  l'Association  ouvrière 
y  ont  fait  un  pas  décisif  en  avant  vers  le  socialisme  d'Etat  ou 
plutôt  vers  le  socialisme  tout  court.  On  y  a  voté  sans  coup  férir, 
sans  discussion,  une  résolution  qui  réclame  l'organisation  par 
l'Etat  de  l'assistance  médicale  gratuite  aux  frais  de  l'Etat!  Et 
les  moyens!  On  les  a  votés  aussi  en  un  tour  de  main,  sans  hési- 
tation :  l'organisation  du  corps  médical  en  un  corps  de  fonction- 
naires rétribués  par  le  gouvernement  de  4  à  8,000  francs  et  la 
mainmise  de  l'Etat  sur  la  vente  du  tabac. 

C'est  le  secrétaire  du  Grutltverein,  M.  Greulich,  qui  est  l'au- 
teur de  ce  projet.  Il  a  calculé  que  l'assistance  médicale  gratuite, 
les  secours  pharmaceutiques  gratuits,  le  séjour  à  l'hôpital  gra- 
tuit, pourraient  être  assurés  à  l'ouvrier  malade  moyennant  une 
dépense  de  15  millions  par  an.  Et  c'est  le  monopole  du  tabac 
qui  fournira  à  l'Etat  la  plus  grande  partie  de  cette  somme,  une 
dizaine  de  millions  environ. 

Le  Conseil  fédéral  a  fait  préparer,  par  une  commission  spé- 
ciale, un  projet  d'assurance  contre  la  maladie  qui  rappelle,  dans 
son  économie  générale,  la  loi  allemande. 

Les  dirigeants  du  mouvement  ouvrier  et  le  grutliverein  ne 
veulent  pas  de  ce  projet,  et  c'est  pour  lui  faire  échec  que  le 
Congrès  extraordinaire  de  Zurich  avait  été  convoqué. 

Sans  autre  forme  de  procès,  le  projet  du  gouvernement  a  été 
écarté  et  condamné,  et  le  projet  élaboré  par  M.  Greulich  mis 
en  discussion  et  adopté. 


412  AKNA.LES    CATHODIQUES 

Le  premier  rapporteur  était  M.  Beck,  professeur  à  l'Université 
de  Fribourg,  qui  a  exécuté  en  quelques  mots  le  projet  fédéral  ; 
il  le  trouve  trop  capitaliste,  trop  bureaucratique  et  trop  centra- 
lisateur. Les  deux  derniers  reproches  paraissent  fondés.  Pour 
comprendre  ce  que  signifie  le  reproche  d'être  trop  capitaliste,  il 
faut  lire  le  passage  suivant  du  rapport  de  M.  Beck  : 

<  L'assemblée  générale  et  un  comité  des  patrons  est  ajouté 
(dans  le  projet  du  gouvernement)  en  quelque  sorte  comme  frein 
à  l'assemblée  générale  des  assurés.  Il  résulte  de  cette  organisa- 
tion particulière  que  l'administration  autonome  des  caisses  par 
les  ouvriers  est  rendue  impossible,  et  que  la  caisse,  en  fin  de 
compte,  doit  servir  tout  simplement  les  intérêts  des  patrons.  Il 
paraît  étrange  à  tout  observateur  impartial  que  les  ouvriers, 
constitués  en  seconde  Chambre,  doivent^  se  laisser  conduire  et 
dominer  par  la  Chambre  haute  des  patrons.  Ce  système  des  deux 
Chambres  dans  l'administration  est  simplement  la  conséquence 
du  faux  principe  que  l'ouvrier  et  le  patron  paient  chacun  la 
moitié  de  la  prime  d'assurance  et  doivent  en  conséquence,  avoir 
la  même  part  d'autorité.  Mais  en  réalité  qu'est-ce  que  la  prime 
d'assurance  ?  Pour  le  salarié,  elle  n'est  au  point  de  vue  j  uridique 
qu'une  partie  de  son  salaire,  elle  lui  appartient  donc  et  doit  être 
administrée  par  lui.  > 

Ne  voulant  pas  de  la  tutelle  des  patrons,  l'Association  ouvrière 
demande  la  tutelle  de  l'Etat.  Ne  voulant  pas  de  l'argent  des 
patrons,  elle  réclame  l'argent  de  l'Etat,  c'est-à-dire  de  tous  les 
contribuables.  Elle  veut  qu'on  entretienne  les  ouvriers  malades 
aux  frais  du  trésor  public. 

Pourquoi  les  ouvriers  et  pas  les  autres  citoyens?  L'Etat  don- 
nera-t-il  donc,  sans  contrôle,  sans  droit  de  surveillance,  les  dix 
ou  quinze  millions  nécessaires  aux  associations  ouvrières,  et 
n'est-ce  pas  se  livrer,  pieds  et  poings  liés,  à  la  bureaucratie  que 
d'attendre  d'elle,  de  son  bon  vouloir,  les  secours  nécessaires 
pour  la  partie  la  plus  nécessiteuse,  la  plus  faible  de  la  classe 
ouvrière? 

Et  puis  cette  transformation  des  médecins  en  fonctionnaires? 
On  ne  leur  demande  pas  leur  avis,  on  ne  s'aperçoit  pas  que  c'est 
augmenter  d'une  façon  considérable  les  pouvoirs  de  l'Etat  que 
de  créer  d'un  coup  une  nouvelle  classe  de  fonctionnaires,  pos- 
sesseurs des  secrets  des  familles  et  qui  tirent  l'autorité  et  la 
considération  de  la  confiance  qu'ils  inspirent. 

De  telles  décisions  ouvrent  des  abîmes  et  on  ne  voit  pas  oii 
l'on  pourrait  s'arrêter. 


LE   VŒU    NATIONAL  413 

Le  Congrès  de  Zurich  a  voté  le  projet  de  M.  Greulich.  Il  a 
voté  aussi  une  motion  décidant  qu'un  pétitionneraent  serait  im- 
médiatenoent  organisé  pour  soumettre  ce  projet  au  droit  d'ini- 
tiative constitutionnelle. 

Les  cinquante  mille  signatures  seront  facilement  recueillies 
et  nous  verrons,  sans  doute,  bientôt  le  peuple  suisse  appelé  à 
t;e  prononcer  sur  le  projet  Greulich,  le  plus  radical,  le  plus 
franchement  socialiste  qui  ait  été  proposé  jusqu'ici  dans  les  ten- 
tatives de  réforme  socialiste. 

Voilà,  dit  en  terminant  cette  étude  le  Courrier  de  Bruxelles, 
où  aboutissent  les  associations  ouvrières  qui  se  disent  neutres 
et  acceptent  des  éléments  hétérogènes.  Le  congrès  de  Zurich  est 
une  preuve  nouvelle  que  dans  des  réunions  semblables,  les  élé- 
ments catholiques  sont  submergés,  les  solutions  chrétiennes 
écartées.  Pour  les  malades  indigents  on  a  remplacé  à  Zurich  les 
monuments  de  la  charité,  l'esprit  de  prévoyance  et  de  solidarité, 
les  soins  du  dévouement  par  la  contrainte  et  l'uniforme  du 
fonctionnaire  sans  entrailles. 

Il  n'en  irait  pas  autrement  chez  nous  si,  par  malheur,  écou- 
tant de  funestes  conseils  nos  ouvriers  catholiques  se  laissaient 
entraîner  à  conclure  des  alliances  avec  les  socialistes,  même  sur 
des  questions  déterminées,  fussent-elles  purement  économiques. 


LE  VŒU  NATIONAL 

De  tous  les  miracles  que  la  foi  produit  chaque  jour,  il  n'eii 
est  pas  de  plus  manifeste  que  la  construction  de  l'église  du  Vœu 
National. 

Ce  miracle  peut  passer  inaperçu,  ne  pas  émouvoir  les  indiffé- 
rents, ne  pas  troubler  les  sceptiques,  parce  qu'il  s'accomplit  en 
silence  et  sans  modifier  le  cours  ordinaire  des  choses.  Il  n'en  est 
pas  moins  touchant  ;  il  n'en  mérite  pas  moins  l'attention  recueil- 
lie de  tous  les  hommes  qui  pensent  et  ne  renferment  pas  leurs 
regards  dans  les  horizons  terrestres. 

S'il  nous  plaît  aujourd'hui  d'en  parler  avec  une  émotion  par- 
ticulière et  de  confier  à  la  Vérité  des  réflexions  qui  nous  parais- 
sent venir  à  leur  heure,  c'est  qu'en  France  les  impressions  sont 
souvent  fugitives,  c'est  qu'on  oublie  trop  facilement,  c'est  qu'on 
aime  à  entretenir  des  illusions  et  à  jeter  un  voile  discret  sur  les 
réalités  douloureuses. 


414  ANNALES    CATHOLIQUES 

De  sublimes  espérances  demeurent  attachées  à  l'œuvre  du 
Vœu  National.  Elle  est  le  signe  des  grandes  intensités  de  la  foi  ; 
elle  promet  une  véritable  rénovation  chrétienne  ;  mais  cette 
rénovation  ne  saurait  être  que  le  prix  d'un  long  et  patient 
effort,  d'une  énergie  constante,  d'une  lutte  persévérante,  se  pro- 
posant pour  but  d'assurer  le  triomphe  de  la  royauté  sociale  du 
Christ  et  de  son  Eglise. 

Qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  en  effet,  tout  l'effort  de  la  puissance 
publique  tend,  depuis  dix-sept  ans,  à  contredire  ou  même  à 
nier  l'action  providentielle  et  nécessaire  de  Dieu  sur  la  société, 
à  reléguer  le  Créateur  du  monde  dans  les  profondeurs  d'un  ciel 
idéal,  à  tenir  la  nation  absolument  en  dehors  de  tout  acte  public 
de  soumission  et  d'adoration.  ,ig  onti 

La  cité  de  l'orgueil  satanique  se  dresse  fièrement  contre  la 
cité  de  Dieu.  Elle  déborde  comme  un  torrent;  elle  voudrait  tout 
matérialiser,  tout  faire  plier  sous  un  joug  de  fer  et  s'emparer, 
une  à  une,  des  âmes  destinées  à  l'immortalité. 

Qu'est-ce  que  toutes  les  sécularisations  qui  se  succèdent  ; 
sans  interruption,  si  elles  ne  sont  pas  une  protestation  sacri- 
lège contre  le  droit  absolu  et  souverain  de  Jésus,  roi  des 
hommes?  il;>...n  .-,^ 

I 

En  présence  de  ces  attentats  et  de  ces  usurpations  impies, 
l'église  du  Vœu  National  a,  par  elle-même,  une  éloquente  signi- 
fication :  elle  élève  vers  le  ciel  une  puissante  protestation  ;  elle 
rappelle  un  trait  d'histoire  qui  date  de  deux  siècles;  elle  est 
comme  la  première  revanche  de  Marguerite-Marie  ;  mais  elle 
n'est  encore  qu'une  promesse,  qu'un  acte  particulier  de  résipis- 
cence. Il  y  a  deux  siècles  que  le  Sacré-Cœur  demande  et  attend 
la  consécration  nationale. 

C'est,  en  effet,  en  l'année  1672  que,  prosternée  humblement 
dans  le  monastère  de  Paray-le-Monial,  Marguerite-Marie  a  vu, 
pour  la  première  fois,  sous  une  forme  sensible,  le  Christ-Jésus, 
lui  montrant  son  cœur  tout  brûlant  d'amour  pour  les  hommes, 
tout  environné  de  flammes  ardentes,  tout  épris  pour  la  France 
d'une  véritable  prédilection.  Il  voulait  son  triomphe  et  l'abais- 
sement de  tons  ses  ennemis  ;  il  voulait  sa  grandeur  et  sa  pros- 
périté ;  mais  il  voulait  aussi  que  le  roi  Louis  XIV  méritât  ces 
faveurs  par  un  acte  public  et  national  et  par  une  consécration 
solennelle  de  sa  personne,  de  sa  famille,  de  son  peuple  et  de 
ses  Etats. 


LE    VŒU    NATIONAL  415 

Quel  levain  d'orgueil  put  détourner  le  roi  de  France,  celu. 
qui  s'appelait  le  roi  très  chrétien,  d'un  si  noble  et  si  facile 
devoir?  Marguerite-Marie  eut-elle  un  interprète  assez  pressant» 
assez  pénétré  de  sa  haute  mission  ?  Les  sommations  divines 
furent-elles  portées  à  la  cour  par  des  voix  assez  puissantes  pour 
en  affirmer  l'authenticité?  Voilà  ce  que  nous  ne  saurions  dire. 

Toujours  est-il  que  Marguerite-Marie  ne  fut  pas  écoutée  et 
que  sa  voix  se  perdit  dans  les  bruits  du  monde.  Cependant  les 
gloires  n'eurent  qu'un  temps  et,  quand  un  siècle  eut  passé, 
toutes  les  corruptions,  tous  les  débordements  de  la  pensée, 
toutes  les  défaillances,  tous  les  revers  annonçaient  déjà  une 
catastrophe. 

Louis  XVI,  prisonnier  au  Temple,  n'était  plus  qu'un  souve- 
rain découronné,  lorsqu'à  genoux  sur  les  dalles  d'un  cachot  il  se 
souvint  des  promesses  de  Marguerite-Marie  et  jura  d'acquitter 
la  dette  de  la  France,  si  jamais  il  retrouvait  son  trône. 

Ce  fut  la  Révolution  qui  l'emporta.  Son  triomphe  dépassa 
toute  mesure  ;  elle  n'eut  pas  seulement  pour  cortège  la  dévasta- 
tion, la  ruine  et  la  mort,  elle  inaugura  une  ère  nouvelle  et, 
selon  l'expression  de  Joseph  de  Maistre,  elle  marqua  le  commen- 
cement d'une  époque.  Tout  un  siècle  a  passé  et  l'époque  dure 
encore.  Les  échafauds  et  les  comités  de  salut  public  ont  cessé 
de  fonctionner  ;  mais  il  reste  dans  les  moeurs,  dans  les  habitudes 
de  la  vie  publique,  dans  les  institutions,  un  trait  particulier, 
auquel  se  reconnaît  le  génie  de  la  Révolution. 

La  Déclaration  des  droits  de  l'homme  est  là,  toujours  vivante, 
toujours  à  l'état  de  dogme;  aujourd'hui  comme  en  1789,  elle  est 
une  protestation  contre  les  droits  de  Dieu  ;  si  elle  a  emporté 
certains  abus,  elle  en  vulgarisa  d'autres  qui  sont  un  péril  per- 
manent pour  la  société. 

Est-ce  à  dire,  en  effet,  que  plus  de  bonheur,  plus  de  paix 
sociale,  plus  de  stabilité,  plus  de  dignité,  plus  de  grandeur  mo- 
rale ait  été  le  partage  de  quelque  nouveau  régime  survenu 
depuis  l'époque  sanglante? 

Nullement. 

Les  révolutions  ont  succédé  aux  révolutions,  les  catastrophes 
aux  catastrophes,  les  ruines  aux  ruines  :  les  constitutions  n'ont 
changé  que  pour  démontrer  leur  caducité  et  leur  impuissance. 
Deux  républiques,  deux  monarchies,  deux  empires  ont  sombré 
tour  à  tour,  et  le  second  empire  venait  de  disparaître,  après  des 
désastres  sans  précédents,  laissant  sur  le  sol  de  la  France  une 


416  ANNALKS    CATHOLIQUES 

armée  de  deux  cent  mille  Prussien?,  lorsqu'une  fois  encore  le 
malheur  rappela  le  souvenir  oublié  de  la  Vierge  de  Paray-le- 
Monial. 

Seulement  le  souvenir  ne  fut  pas  recueilli,  cette  fois,  par  des 
hommes  publics  et  capables  d'imposer  leur  autorité,  il  s'empara 
de  gens  plus  modestes,  mais  plus  résolus;  il  pénétra  leurs 
âmes,  il  souleva  leurs  cœurs  de  telle  façon  qu'ils  puisèrent  dans 
leur  foi  assez  de  courage  et  de  résolution  pour  prendre  à  leur 
compte  l'obéissance  que  Marguerite-Marie  n'avait  encore  pu 
obtenir. 

Ce  furent  donc  quelques  chrétiens,  d'une  trempe  particulière 
et  d'une  pieuse  intrépidité  qui,  en  face  de  la  patrie  envahie  et 
prête  à  périr,  jurèrent  au  Seigneur,  pour  elle  et  en  son  nom, 
d'accomplir,  après  l'expiation,  un  acte  de  réparatien. 

Cet  acte  devait  consister  dans  l'édification  d'un  temple  dédié 
au  Sacré-Cœur,  au  frontispice  duquel  serait  gravée  cette  ins- 
cription :  «Au  très  Sacré-Cœur  de  Jésus  la  France  religieuse  et 
repentante;  Sacratissimo  Jesu  Cordi  Gallia  pœnitens  et 
devota.  » 

Ainsi,  sans  tenir  compte  des  difficultés,  sans  vouloir  les  pré- 
voir, ceux  qui  firent  ce  serment  solennel  stipulèrent  pour  la 
France;  ils  ne  voulurent  pas  douter  un  instant  qu'elle  ne  rati- 
fiât leur  promesse  et  qu'elle  ne  se  montrât  chrétienne,  ainsi 
qu'aux  grands  jours  de  son  histoire.  N'était-ce  pas,  en  effet,  le 
plus  sûr  moyen  de  se  relever  avec  dignité  et  grandeur? 

II 

Comme  pour  bénir  ces  résolutions,  comme  pour  en  proclamer 
le  mérite  et  l'efficacité,  bientôt  la  Reine  du  Ciel  apparaissait  à 
Pontmain,  dans  un  nuage  d'azur,  et  annonçait  à  la  France  que 
Jésus  s'était  laissé  toucher  et  que  la  guerre  allait  finir.  On 
n'avait  plus  qu'à  attendre  les  résipiscences  de  la  France. 

Sur  ces  entrefaites,  l'armistice  permettait  au  pays  de  rentrer 
en  lui-même,  de  se  ressaisir  et  de  donner  une  nouvelle  orienta- 
tion à  ses  destinées.  Ce  fut  en  toute  liberté,  et  par  un  mouve- 
ment vraiment  spontané,  qu'il  nomma  une  Assemblée  nationale, 
choisie  parmi  les  meilleurs  et  animée  du  souffle  chrétien.  Elle 
comprenait  une  forte  majorité  qui  ne  laisserait  jamais  protester 
la  parole  donnée  :  de  là  vient  que  l'œuvre  du  Voiu  National  ne 
tarda  pas  à  recevoir  un  commencement  d'exécution. 


LE  VŒU  NATIONAL  417 

Le  cardinal  archevêque  de  Paris  ne  manqua  pas  défaire  sienne 
la  promesse  de  ses  pieux  diocésains.  L'idée  était  belle  ;  l'exécu- 
tion devait  être  grandiose;  il  fallait  un  monument  magnifique 
que  la  France  chrétienne  pût  contempler  à  distance,  qui  dominât 
Paris,  qui  arborât,  pour  ainsi  dire,  la  croix  au  faîte  de  la  civili- 
sation moderne  et  proclamât,  devant  la  nation  entière,  tous  les 
triomphes  du  Golgotha. 

Pour  réaliser  ces  grandes  pensées,  pour  donner  à  l'œuvre  le 
cachet  national  qui  devait  en  être  inséparable,  on  n'eut  pas  de 
peine  à  tomber  d'accord  sur  l'emplacement  de  la  basilique.  Il  fut 
entendu  qu'elle  serait  édifiée  au  point  culminant  de  Paris,  sur 
les  sommets  de  Montmartre,  là  même  oii  les  premiers  martyrs 
des  Gaules  avaient  versé  leur  sang  pour  la  défense  de  la  foi. 

Ce  fut  alors  que  l'archevêque  de  Paris  s'adressa  à  l'Assem- 
blée nationale  pour  en  obtenir  une  loi  d'utilité  publique  qui  asso- 
cierait le  pouvoir  souverain  à  l'acte  d'adoration  et  de  réparation 
que  nous  avons  scrupuleusement  rapporté,  qui  lui  imprimerait 
aussi  ce  caractère  d'universalité  nationale  qui  en  avait  entouré 
la  conception,  qui  en  avait  constitué  secrètement  la  majesté  et 
devait  en  être  le  couronnement  final. 

Faut-il  rappeler  ici  ce  jour  inoubliable  où,  en  présence  des 
représentants  de  la  France  et  de  toutes  les  notabilités  catholi- 
ques, le  cardinal  Guibert  posa  la  première  pierre  de  la  basi- 
lique? 

Quel  recueillement!  quelle  piété!  quel  spectacle!  Sur  les 
sommets  de  la  butte  Montmartre  déjà  éventrèe  se  presse  une 
foule  immense;  elle  répète  avec  le  prélat  la  formule  de  consé- 
cration et  s'engage  par  un  nouveau  serment,  à  élever  au  Sacré- 
Cœur  un  temple  de  gloire  et  de  réparation. 

La  France  repentante  est  là  à  genoux  pour  se  réconcilier  avec 
le  Ciel,  pour  promettre  d'immortelles  fidélités.  Tous  les  cœurs 
battent  à  l'unisson,  toutes  les  âmes  frémissent  de  reconnaissance 
et  d'amour. 

Enfin  un  cri  immense  de  Vive  le  Sacré-Cœur  !  Vive  Pie  IX! 
s'échappe  de  toutes  les  poitrines,  lorsque  le  cardinal,  debout,  en 
face  de  l'horizon  sans  bornes,  lève  la  main  sur  la  France,  et  il 
prononce  les  paroles  de  la  bénédiction  pontificale.  Il  semble  que 
ce  soit  là  la  bénédiction  urbi  et  orbi  que  le  Souverain  Pontife, 
des  sommets  du  Vatican,  laissait  tomber  sur  Rome  et  sur  l'uni- 
vers, lorsqu'il  n'était  pas  prisonnier  de  la  Révolution. 

Il  y  a  vingt-deux  ans  que  nous  avons  vu  ces  grandes  choses. 


418  ANNALES    CATHOLIQUES 

Nous  en  avons  gardé  un  impérissable  souvenir.  Car  ce  jour-là, 
nous  n'avons  pas  seulement  éprouvé  une  de  ces  émotions  qui 
résistent  à  toutes  les  épreuves  du  temps  ;  nous  avons  eu  foi 
dans  le  salut  de  la  France,  nous  avons  eu  l'illusion  de  la  conver- 
sion nationale,  et  avons  cru  entrevoir  dans  les  perspectives  de 
l'avenir  les  nouveaux  triomphes  de  la  fille  aînée  de  l'Eglise. 

III 

Cependant  la  France  n'a  point  ratifié  ces  solennelles  pro- 
messes ;  le  souffle  satanique  s'est,  une  fois  encore,  emparé  d'elle 
et  l'a  rejetée  dans  des  égarements  où  pourtant  elle  ne  rencontre 
que  déceptions  et  mécomptes.  Perverties  par  de  funestes  doc- 
trines, par  ces  théories  malsaines  et  enfiévrantes  que  nous  devons 
à  1h  Révolution,  les  masses  ont  cru  que,  pour  conserver  la  Répu- 
blique, il  fallait  donner  la  préférence  à  ceux  qui,  dans  l'histoire, 
avaient  été  les  initiateurs  du  nouveau  régime,  c'est-à-dire  aux 
libre-penseurs  et  aux  athées.  Ainsi  la  France  s'est  comme  abî- 
mée, en  tant  que  nation,  dans  une  incrédulité  qui  la  déshonore, 
dans  un  scepticisme  qui  l'empoisonne,  dans  des  haines  qui  trou- 
blent et  défigurent  son  unité  séculaire. 

Mais  on  ne  vient  pas  facilement  à  bout  de  la  foi  d'un  peuple 
qui  a  pour  origine  le  baptistère  de  Clovis,  qui  compte  parmi  ses 
gloires  les  règnes  de  Charlemagne  et  de  saint  Louis  et  la  mission 
de  Jeanne  d'Arc.  Sous  l'étreinte  de  la  persécution,  sous  le  poids 
des  plus  douloureuses  épreuves,  il  est  resté  debout  et  invincible 
une  France  catholique.  C'est  elle  qui,  toujours  vaillante,  tou- 
jours fidèle,  a  érigé  le  monument  qui  couronne  aujourd'hui  les 
sommets  de  Montmartre  et  appelle  sur  la  France  révoltée  des 
regards  de  pitié  et  de  miséricorde. 

Et  c'est  là  le  prodige  ;  c'est  là  le  miracle  qui  laisse  dans  nos 
nos  âmes  d'indicibles  espérances,  qui  provoque  à  l'adoration,  à 
la  prière,  à  la  pénitence,  des  multitudes  privilégiées.  Elles  ont 
pieusement  conservé  le  dépôt  de  la  foi  et  font  au  Sacré-Cœur 
une  magnifique  garde  d'honneur. 

Quel  effort  de  persévérance,  quelle  puissance  secrète,  quels 
élans  d'amour,  quelles  convictions  irrésistibles  n'affirme  pas  la 
basilique  du  Vœu  National  ! 

Quand  la  première  pierre  se  posa,  on  était  efi'rayé  de  deman- 
der à  la  France  chrétienne  une  souscription  de  huit  millions  ; 
on  redoutait  de  rester  en  route. 


LE  VŒU  NATIONAL  419 

Tel  était  cependant  la  nature  du  sol  sur  lequel  les  fondations 
devaient  être  assises  qu'il  fallut  creuser,  creuser  toujours,  et 
chercher  un  point  solide  jusque  dans  les  entrailles  de  la  terre,  à 
80  mètres  de  profondeur.  C'est  ainsi  que  furent  englouties,  sans 
résultat  apparent,  les  premières  sommes  offertes  par  la  généro- 
sité des  disciples  du  Sacré-Cœur.  Cinq  millions  étaient  dépen- 
sés ;  on  ne  voyait  encore  qu'un  trou  béant. 

Toute  entreprise  humaine  eût  été  arrêtée  par  ces  débuts,  par 
ces  difficultés,  par  ces  déboires  et  se  fîit  brisée  contre  le  décou- 
ragement. Mais  l'œuvre  du  Vœu  National  portait  le  cachet  sur- 
naturel. Les  obstacles  ne  firent  que  surexciter  les  élans  de  la 
générosité  :  plus  la  persécution  se  faisait  intense,  plus  les  chré- 
tiens était  nombreux  à  faire  l'ascension  à  Montmartre  ;  plus  on 
menaçait  l'œuvre  d'une  désaffectation  criminelle,  plus  les 
offrandes  du  pauvre  et  du  riche  arrivaient  nombreuses  de  tous 
les  coins  de  la  France,  plus  le  Sacré-Cœur  apparaissait  comme 
le  refuge  nécessaire  contre  la  tempête  déchaînée. 

Combien  fut  propice  au  succès  de  l'œuvre  l'heureuse  idée  de 
ne  point  attendre  la  construction  de  la  basilique  et  d'inaugurer, 
dans  une  chapelle  provisoire,  le  culte  public  du  Sacré-Cœur  ! 

Qui  dira  jamais  combien  de  pieux  pèlerins  allèrent  s'agenouil- 
ler, durant  ces  longues  années  de  travail  continu,  dans  le  mo- 
deste sanctuaire  où  le  Sauveur  des  hommes  ouvrait  son  cœur  à 
toutes  les  douleurs,  à  toutes  les  afflictions,  d'où  il  répandait  ses 
dons  et  ses  faveurs  sur  les  cœurs  humiliés,  où  il  attendait,  avec 
une  patience  toute  divine,  les  résipiscences  des  ingrats  ! 

Pendant  que  le  flot  de  l'impiété  montait,  avec  une  véritable 
fureur,  le  Sacré-Cœur  recevait  aux  sommets  de  Montmartre 
d'incessants  hommages  ;  l'adoration  nocturne  j  était  entretenue 
avec  un  zèle  infatigable:  c'était  par  milliers  que  les  recomman- 
dations étaient,  chaque  matin,  transmises  aux  fidèles  par  les 
oblats  de  Marie.  Que  d'ex-voto  attestent  les  faveurs  obtenues 
par  la  prière  et  la  communion! 

Voilà  comment  l'œuvre  du  Vœu  National,  toujours  plus  vi- 
vante, toujours  plus  populaire,  est  arrivée  à  réunir  vingt-deux 
millions  et  à  édifier  le  monument  magnifique  qui  appelle  les 
regards  de  tout  un  peuple,  qui  fait  l'admiration  des  étrangers, 
qui. atteste  la  majesté  du  Sacré-Cœur,  qui  est  prêt  pour  la  con- 
sécration nationale. 

Une  fois  encore,  n'est-ce  pas  là  le  plus  éclatant  miracle  des 
temps  modernes  ? 


420  ANNALES    CATHOLIQUKS 

IV 

Ne  nous  lassons  pas  cependant:  si  la  basilique  est  large  ou- 
verte pour  recevoir  tous  les  pèlerins,  pour  se  prêter  aux  plus 
grandioses  cérénaonies,  il  lui  manque  encore  ses  dômes,  ses  clo- 
chers, ses  flèches,  ses  décorations  intérieures,  ses  autels  particu- 
liers. Il  y  a  encore  des  millions  à  dépenser  pour  parachever  la 
merveille,  pour  l'enrichir  de  toutes  ses  parures,  pour  qu'elle 
réalise  intégralement  la  pensée  qui  y  est  attachée,  pour  que  le 
Vœu  de  1870  ait  reçu  sa  pleine  et  entière  exécution. 

Gloire  à  vous,  pieux  fidèles,  apôtres  de  la  dernière  heure,  qui 
avez  tant  fait,  sans  le  savoir,  qui  avez  remué  le  monde  des  âmes, 
généralisé  déjà  le  culte  du  Sacré-Cœur,  et  détourné  de  la  pa- 
trie les  colères  de  la  justice  divine! 

Lorsque  vous  prêtiez  votre  serment,  vous  ne  pouviez  vous 
faire  une  idée  de  l'entreprise  qu'il  contenait,  des  sacrifices,  des 
peines  qu'il  devait  exiger,  mais  la  toute-puissance  d'un  Dieu 
couvrait  vos  débilités  et  vos  incapacités,  et  la  victoire  était  dans 
votre  foi,  parce  qu'une  foi  telle  que  la  vôtre  est  celle  qui  trans- 
porte les  montagnes. 

Soyez  les  bien-aimés  de  la  patrie;  soyez  les  bénis  du  Sacré- 
Cœur;  sollicitez  encore  et  toujours  la  générosité  des  fidèles. 

Votre  appel  sera  entendu;  vous  remercierez  les  âmes,  vous 
toucherez  les  cœurs.  Et  ainsi  vous  ne  donnerez  pas  seulement 
satisfaction  aux  inspirations  surnaturelles  qui  vous  ont  sollici- 
tés, vous  obéirez  aux  plus  pressantes  instances  du  Sacré-Cœur, 
auquel  il  a  plu  de  reprendre  parfois  une  forme  sensible  pour 
demander  encore  pénitence  et  réparation. 

Si  certaines  langues  pouvaient  être  déliées,  si  certaines  lè- 
vres pouvaient  s'ouvrir,  si  certaines  âmes  d'élite  pouvaient  sor- 
tir du  cloître  et  se  montrer  aux  hommes,  ils  seraient  plus  que 
jamais  convaincus  que  le  Christ-Jésus  a  pour  la  France  d'inex- 
primables tendresses  et  qu'il  attend  au  ciel,  avec  une  sorte  d'im- 
patience, le  moment  d'accorder  un  divin  pardon  au  repentir  na- 
tional et  d'être  à  jamais  le  Roi  de  la  paix  et  de  la  réconciliation 
sociale. 

Puisse  donc  venir  bientôt  le  jouroii,  du  nord  au  midi,  de  l'est 
à  l'ouest,  la  France  proclamera  enfin  les  droits  de  Dieu,  s'age- 
nouillera solennellement  devant  le  trône  de  gloire  préparé  à 
son  Sacré-Cœur  et  redira  avec  un  véritable  enthousiasme* 
Christus  vincit,  im^^erat^  régnai! 


LES   PKIX  DE  l'aCADKMIE  421 

C'est  là  qu'est  l'unité  nationale;  c'est  là  qu'est  la  mission  de 
notre  glorieux  pays.  C'est  ainsi  que  deviendra  vérité  totale 
cette  inscription  déjà  gravée  sur  la  pierre:  Sacratissimo  Jesu 
cordi  Gallia  pœnilens  et  devota,  et  qu'après  deux  siècles  de 
douleurs  et  de  tribulations,  le  suprême  triomphe  appartiendra 
à  la  messagère  du  Sacré-Cœur,  à  la  bienheureuse  Marguerite- 
Marie  . 

En  attendant,  unissons  toutes  nos  forces,  toutes  nos  bonnes 
volontés,  toute  notre  foi,  toutes  nos  espérances,  dans  l'œuvre 
du  Vœu  National  en  répétant  ce  cri  du  salut:  Vive  le  Sacre'- 
Cœur  et  Vive  la  France! 

[Vérité).  Marquis  d'AuRA Y. 


LES  PRIX  DE  L'ACADEMIE 

Voici  la  liste  des  prix  littéraires  décernés  par  l'Académie  dans  sa 
séance  du  16  novembre  : 

Prix  Montjon  (destinés  aux  ouvrages  les  plus  utiles  aux  mœurs). 
—  Deux  prix  de  1.500  francs  à  MM.  Alfred  Rébelliau  et  C.  de 
Varigny.  Douze  prix  de  1,000  francs  à  MM.  Gaston  Deschamps, 
René  Bazin,  Ferdinand  Dreyfus,  Eugène  Mouton ,  Charles 
BerkeUy,  Emile  Chabrand,  Mary  Summer  (Mnr.e  Charlotte  Fou- 
eaux),  le  commandant  Weil,  la  baronne  Double,  Gabriel  Fra- 
nay,  Charles  Le  Goffic,  Louis  Mainard.  Huit  prix  de  500  francs 
MM.  l'abbé  Delfour,  Camille  Julian,  Charles  Richet,  A.  Verley, 
Frédéric  Dillaye,  Frédéric  Bataille,  Aristide  Coutecourt,  Henri 
Allais. 

Prix  Saintour.  — Deux  prix  de  500  francs,  à  M.  André  Saglio 
et  Gaston  de  Raimes. 

Prix  Gobert.  —  L'Académie  décerne  le  grand  prix  Gobert  au 
comte  Albert  Vandal,  pour  ses  deux  volumes  d'histoire  sur  Na- 
poléon et  Alexandre  i",  et  le  second  prix  de  la  même  fondation 
à  M.  Marion,  pour  son  étude  sur  Machault  d'Arnouvillle  et  le 
contrôleur  général  des  finances. 

Prix  Thérouanne.  —  Un  prix  de  1,500  francs  à  M.  Albert 
Lefranc  ;  deux  prix  de  1,000  francs  à  MM.  Waliszeski  etFernand 
Bournou  ;  un  prix  de  500  francs  à  M.  Maurice  Jolivet. 

Prix  Halphen.  —  1.500  francs  à  M.  Lucien  Perey. 

Prix  Guizot.  —  3.000  à  M.  Joseph  Fabre. 

Prix  Bordin.   —  Trois   prix   de  1,000  francs  à  M.  le  Comte 


422  ANNALES    CATHOLIQUES 

Charles  de  Moiiy,  Charles  Dardier  et  Charles  Lenthéric  ;  men- 
tion honorable  avec  médaille  d'or  à  Mme  la  vicomtesse  de  Bar^- 
donnet. 

Prix  Marcelin  Guérin.  —  Deux  prix  de  1,500  francs  à 
MM.  Paul  Decharmes  et  Gabrielle  Sêailles;  deux  prix  de 
1,000  francs  à  MM.  Charles  Gidel  et  Victor  Fournel;  une  men- 
tion honorable  à  M.  Bérard  des  Glajeux, 

Prix  Langlois.  —  Un  prix  de  1,000  francs  à  M.  Daniel  Lesur; 
un  prix  de  500  francs  à  M.  J.  Dupuis. 

Prix  Jules  Janin.  —  Un  prix  de  2,000  francs  à  MM.  Emile  et 
Raoul  Pessonneaux;  deux  prix  de  500  francs  à  MM.  Justin 
Bellanger  et  Henri  Ferté. 

Prix  de  Jouy.  —  Un  prix  de  1,000  francs  au  marquis  Philippe 
de  Massa;  un  prix  de  500  francs  à  M.  Paul  Vigué  d'Octon. 

Prix  Archon-Despérouse.  —  Un  prix  de  6,000  francs  à  M.  José- 
Maria  de  Heredia  ;  un  prix  de  2,000  francs  à  M.  André  Lemoyne; 
trois  prix  de  1,000  francs  à  MM.  Robert  de  Bonnières,  Grand - 
mougin,  F.-E.  Adam;  deux  prix  de  500  francs  à  MM.  Anatole 
Le  Braz,  et  Mme  Gustave  Mesureur;  une  mention  honorable  à 
M.  Gaston  Amelin. 

Prix  "Vitet.  —  5,800  francs,  à  Guy  de  Maupassant,  aujourd'hui 
décédé.  'jfifV'j 

Prix  Montbinne.  —  Trois  prix  de  1,000  francs  à  MM.  Lau- 
zières  de  Théraines,  Bêchard  et  Charles  Simond. 

Prix  Jules  Favre.  —  Un  prix  de  800  francs  à  Mme  Camus- 
Buffet,  une  médaille  en  or  de  500  francs  à  feu  Mme  Colomb; 
une  mention  honorable  à  Mme  Elisabeth  Schaller. 

Prix  Toirac.  —  Un  prix  de  4,000  francs  à  M.  Jean  Richepin; 
deux  prix  de  500  francs  à  MM.  Georges  Monval  et  Albert 
Soubies. 

Prix  Kastner-Boursault.  —  Un  prix  de  2,000  francs  à  M.  Jo- 
seph Hermann;  une  mention  honorable  à  M,  Auguste  Devaux. 

Prix  Lambert.  —  Un  prix  de  600  francs  à  M.  Robert  Vallier; 
deux  prix  de  500  francs  à  MM.  Pierre  Maël  et  Théodore  Véron. 

Voici  maintenant  la  listo  des  prix  de  vertu  : 

Deux  prix  de  2,500  francs:  A  Tabbé Colombier,  à  Albi  (Tarn); 
à  Marie  Danesi,  à  Bastia  (Corse). 

Un  prix  de  1,500  francs  :  A  Françoise  Cayrol,  dite  Marie,  à 
Aurillac  (Cantal). 

Trois   médailles  de  1,000  francs  :  A  sœur  Marie-Germaine, 


NECROLOGIE  423 

rue  Bridaine,  n"  3,  à  Paris;  à  Marie  Lauthé,  dite  Bonnecaze, 
rue  de  Chabrol,  n»  28,  à  Paris  ;  à  Elisa-Marie  Lecat,  à  E tapies 
(Pas-de-Calais). 

Vingt  et  une  médailles  de  500  francs. 

A  Louis-Adolphe  Chartier,  à  Pecqueuse  (Seine-et-Oise)  ;  à 
Julie  Delœil,  rue  Singer,  n"  68,  à  Paris  ;  à  Hortenso  Fleury,  à 
Brigueil  (Charente)  ;  à  Désiré  Giauffret,  à  Touët-de-Breuil 
(Alpes-Maritimes);  à  Alexandrine  Gourbin,  à  Granville  (Man- 
che) ;  à  Marie  Gourdon,  à  Lamastre  (Ardèche);  à  Joséphine  Le- 
roux, à  Nantes  (Loire-Inférieure);  à  Justice  Lorrain,  Grande- 
Rue,  n°  113,  à  Boulogne  (Seine);  à  la  dame  Ménard,  à  Cours 
(Nièvre);  à  la  dame  veuve  Moriette,  â  Redon  (Ille-et-Vilaine)  ; 
à  Anne-Marie  Moulinier,  à  Bergerac  (Dordogne)  ;  à  Jeanne-Ma- 
rie-Louise Ollivrin,  à  Rostrenen  (Côtes-du-Nord)  ;  à  la  dame 
veuve  Orfeuil,  àBeynat  (Corrèze);  à  Marie-Scholastique  Pairet, 
à  Poitiers  (Vienne);  à  Léonide  Petit,  rue  Jean-Bologne  no  14, 
à  Paris  ;  àZoéPrimaux,  à  Palais  (Belle-Ile-en-Mer)  (Morbihan); 
à  Marguerite  Quinsac,  à  Flamarens  (Gers)  ;  à  Marie-Pulchérie 
Robert,  à  Béziers  (Hérault);  à  Jeanneton  Saussède,  à  Toulouse 
(Haute-Garonne);  à  Blaizine  Savy,  rue  du  Chemin-Vert,  n"  106, 
à  Paris  ;  à  Guillaume  Siméon-Benoît,  dit  Germain,  à  Issoudun 
(Indre). 


NECROLOGIE 


Nous  arons  la  douleur  d'annoncer  à  nos  lecteurs  la  mort  subite 
du  vénérable  M.  Icard,  supérieur  général  des  prêtres  de  Saint- 
Sulpice,  décédé  subitement  à  Paris  dans  la  nuit  du  19  au  20  no- 
vembre. 

M.  Icard  était  âgé  de  quatre-vingt-huit  ans. 

Sa  mort  est  un  deuil  pour  le  clergé  de  Paris  et  pour  le  clergé 
français  tout  entier  dont  tant  de  membres  devaient  au  vénéré 
défunt  la  formation  cléricale. 


L'Angleterre  n'a  pas  de  chance  avec  ses  diplomates  depuis 
quelque  temps.  Elle  a  perdu  assez  récemment  son  ancien  repré- 
sentant à  Constantinopie  sir  A.  White,  un  des  ambassadeurs  les 
plus  remarquables  qu'elle  ait  eus  à  Constantinopie  et  qui,  très 
bon  catholique,  a  rendu  de  grands  services  à  la  politique  anglaise 


424  A^•NALES  CATHOLIQUES 

par  sa  profonde  connaissance  des  hommes  et  des  choses  de 
l'Orient.  L'autre  jour  elle  enterrait  son  ambassadeur  à  Rome, 
lord  Vivian.  Aujourd'hui  c'est  le  tour  de  son  ambassadeur  à 
Saint-Pétersbourg  sir  Robert  Morier,  dont  une  dépêche  nous 
apprend  la  mort  survenue  à  Montréux  (Suisse). 

La  dépêche  dit  que  sir  Robert  a  succombé  à  une  maladie  dont 
il  souffrait  depuis  un  mois.  Cela  veut  dire  apparemment  qu»; 
depuis  un  mois  il  s'était  déclaré  une  crise  aiguë  dans  la  santé 
du  diplomate  anglais.  Mais  en  fait  il  était  souffrant  depuis  long- 
temps, et  le  climat  de  Saint-Pétersbourg  lui  allait  si  peu  qu'il 
avait  été  question  de  le  transférer  à  Rome.  Néanmoins  la  ques- 
tion politique  l'emporta  sur  la  question  personnelle,  et  sir  Ro- 
bert était  resté  en  Russie.  Cela  n'aura  pas  été  pour  longtemps. 

Personne  ne  pouvait  mieux  que  sir  Robert  Morier  servir  la 
politique  expectante  et  sage  du  cabinet  Gladstone  vis-à-vis  de 
la  Russie.  Là  oii  un  tory  ardent  aurait  vu  une  menace  des  am- 
bitions asiatiques  du  czar  contre  le  sacro-saint  empire  des 
Indes,  sir  Robert  voyait  un  progrès  légitime  de  la  politique 
russe  ou  un  malentendu.  Et  pendant  son  séjour  sur  les  bords 
de  la  Neva,  toute  difficulté  grave  entre  la  Russie  et  l'Angle- 
terre a  été  facilement  résolue. 

Dans  les  cercles  russes,  sir  Robert  était  personnellement  po- 
pulaire. On  lui  savait  gré  d'avoir,  à  Munich,  résolument  tenu 
têle  à  Bismarck  et  de  s'être  montré  plus  fier  que  son  gouverne- 
ment lequel  avait  déplacé  son  diplomate  avec  avancement  pour 
éviter  une  affaire  avec  l'ogre  teuton. 

Au  lendemain  des  fêtes  franco-russes,  le  choix  du  successeur 
de  sir  Robert  Morier  offrira  quelque  intérêt. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

Itome  et  l*It.nlfe. 

Voici  d'après  le  texte  authentique  en  langue  italienno,  la  Iraduc- 
tioa  de  l'important  discours  du  Saint-Père  aux  pèlerins  du  nord  de 
l'Italie  : 

<  Très  chers  Fils, 

«  Dieu,  qui,  dans  sa  providence  pleine  de  bonté,  tempère  Nos 
amertumes  par  des  consolations,  se  plaît,  au  moment  même  oii 
il  permet  l'âpre  tribulation  que  Nous  souffrons  par  l'œuvre  d'une 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  42S 

secte  perverse,  à  réconforter  Notre  cœur  par  de  nouveaux  et 
éclatants  témoignages  de  piété  filiale,  qui  nous  sont  offerts  par 
tout  le  monde  catholique,  et,  notamment,  par  cette  Italie  qui 
Nous  est  particulièrement  chère.  Oui,  chaque  preuve  de  fidélité 
et  d'amour  qu'elle  Nous  donne.  Nous  est  spécialement  agréable, 
à  cause  des  liens  sacrés  qui  Nous  unissent  à  elle  plus  étroite- 
ment ;  aussi  avons-Nous  pour  très  agréable  ce  témoignage  que 
vous  Nous  offrez  avec  toute  l'effusion  de  vos  coeurs  si  noblement 
catholiques. 

«  Très  noble,  en  effet,  est  l'admiration  et  la  reconnaissance 
que  vous  professez  envers  le  Très-Haut,  (jui,  dans  l'un  et  l'autre 
de  Nos  Jubilés  successifs,  a  daigné  faire  tourner  à  un  renouveau 
de  splendeur  de  ce  Siège  apostolique,  l'unanime  allégresse  des 
peuples  croyants.  Non  moins  noble  est  le  regret  que  vous  Nous 
exprimez  en  considérant  l'iniquité  dominante  qui  détient  en  état 
de  rébellion  contre  Dieu  et  contre  Nous  tant  de  pauvres  âmes 
iafortunées,  lesquelles,  comme  vous  venez  de  le  dire,  dédai- 
gnent d'écouter  Notre  voix  les  rappelant  à  Lui,  en  son  nom. 

«  Par  ces  paroles.  Nous  ne  le  reconnaissons  que  trop,  vous 
entendez,  dans  votre  charité  fraternelle.  Nous  signaler  et  plain- 
dre le  grand  nombre  d'Italiens  que  plaint  également  Notre  cœur 
de  père.  Ce  qui  Nous  attriste  plus  vivement  encore,  c'est  que, 
pour  alimenter  et  envenimer  les  mauvaises  tendances  de  ces 
infortunés,  on  ne  cesse  pas  de  répandre  l'imprudente  calomnie, 
par  laquelle  on  Nous  représente.  Nous  et  le  clergé,  ainsi  que 
les  catholiques  les  plus  dévoués  à  l'Eglise,  comme  contraires  et 
hostiles  à  la  paix,  à  la  prospérité,  au  progrés  de  la  patrie  ;  et, 
malheureusenaent,  cette  perfide  insinuation  fait  brèche  dans  les 
esprits  !        niîjir.-'.i..-   :■.[  ,no 

«  Dieu  sait  à  quoi  ont  visé  constamment  les  principales  solli- 
citudes de  Notre  auguste  ministère  ;  et  Nous  n'hésitons  pas  à  en 
appeler  à  tous  ceux  qui,  l'esprit  libre  des  préjugés  des  passions, 
veulent  se  souvenir  des  actes  de  Notre  pontificat  si  éprouvé. 
Nous  Nous  sommes  eftorcé  plus  activement  que  jamais  à  main- 
tenir intègre  et  vigoureose,  en  Italie,  son  antique  foi,  qui  fut  et 
qui  est  son  bien  suprême,  le  lien  le  plus  sacré,  le  principe  et 
l'aliment  de  ses  plus  belles  gloires.  Affectueusement  soucieux 
de  ces  gloires,  Nous  avons  tâché,  autant  que  cela  Nous  a  été 
permis,  de  favoriser  les  sciences,  les  lettres  et  les  arts;  tandis 
qu'il  Nous  était  souverainement  cher  de  pouvoir,  grâce  à  l'obole 
de  Nos  fils,  tantôt  soulager  les  malheurs  publics,  tantôt  favori- 

30 


426  ANNALES   CATHOLIQUES 

ser  dans  son  sein  d'excellentes  institutions,  au  profit  surtout  de 
la  jeunesse  en  butte  à  toutes  sortes  d'embûches.  C'est  aussi 
pour  éloigner  de  l'Italie  des  maux  plus  graves  et  pour  lui  pro- 
curer tous  les  avantages  possibles,  que  nous  avons  adressé  de 
pressantes  et  ardentes  exhortations  au  clergé  et  aux  catholi- 
ques ;  et,  parmi  les  heureux  fruits  qui  en  ont  résulté,  voici  que 
naguère,  le  clergé,  par  les  enseignements  de  la  justice  évangé- 
lique,  s'est  eflforcé  de  rétablir  le  calme  au  milieu  des  populations 
agitées  ;  voici  de  même  que  les  catholiques  (et  vous,  chers  Fils, 
méritez  d'être  loués  parmi  les  plus  diligents)  mettent  la  main, 
sous  les  auspices  de  la  religion,  à  des  oeuvres  excellentes  qui 
les  rendent  bien  méritants  de  la  société. 

«  Est-ce  que  tout  cela,  pour  ne  pas  en  dire  davantage,  n'est 
que  contrariété  et  hostilité  envers  la  patrie,  ou  n'est-ce  pas 
plutôt  la  preuve  que  nous  l'aimons  d'une  charité  non  menteuse? 

«  C'est  parce  que  Nous  l'aimons  que  Nous  voudrions  aussi, 
jusque  dans  l'ordre  social  et  politique,  lui  faire  éprouver  toute 
la  vertu  surhumaine  de  la  Papauté,  qui,  toujours  vivante  et  tou- 
jours nouvelle,  peut,  en  tout  temps,  régénérer  les  nations,  les 
acheminer  vers  la  civilisation  et  la  justice,  les  rendre  grandes 
et  prospères.  Si  à  Nos  conseils  et  à  Nos  invites,  on  répondait, 
non  par  la  suspicion  et  la  malveillance,  mais  avec  une  loyale 
rectitude  d'intentions,  à  coup  sûr,  on  aurait  moins  de  mal  à  ré- 
soudre les  problèmes  les  plus  ardus,  et  l'Italie  pourrait  plus  tôt 
peut-être  que  d'autres  ne  le  croient,  figurer  au  milieu  des 
nations  avec  un  renouveau  de  gloire.  Mais  que,  pour  l'aimer. 
Nous  ayons  à  tolérer  en  silence  les  offenses  flagrantes  qui  se 
commettent  presque  impunément  et  à  son  détriment  contre  l'hon- 
nêteté et  la  religion,  ah!  certes,  non,  la  conscience  du  devoir 
ne  pourra  jamais  Nous  le  permettre,  non,  jamais! 

«  Les  vrais  ennemis  de  la  patrie,  c'est  Nous  qui,  maintes 
fois  et  d'une  façon  non  douteuse,  les  avons  dénoncés;  Nous  en 
avons  démasqué  les  desseins  et  exposé  les  effets  très  pernicieux 
qui  en  résultent.  Mais  on  ne  recourt  que  trop  à  toutes  sortes 
d'artifices  pour  étouffer  Notre  voix  et  la  vilipender.  Et  quoique 
Notre  parole  se  manifeste  de  plus  en  plus  véridique,  quoique 
tout  le  monde  soit  rempli  d'effroi  à  la  vue  d'un  si  grand  débor- 
dement de  corruptions,  d'agitations  subversives  et  de  toutes 
sortes  de  maux,  oîi  sont  ceux  néanmoins  qui  veulent  se  per- 
suader de  leur  erreur  et  adopter  les  remèdes  qui  peuvent  seuls 
aboutir  au  salut? 


NOUVELLES    RELIGIBUSES  427 

«  Ces  remèdes  précisément  parce  qu'ils  sont  proposés  par 
l'Eglise  ou  par  Nous,  on  les  rejette  ou  on  les  méconnaît,  telle- 
ment sont  grands,  on  ne  saurait  lequel  davantage,  de  l'aveugle- 
ment ou  de  l'orgueil. 

«  Pour  Nous,  cependant,  soutenu  par  le  bras  de  Dieu,  Nous 
poursuivrons  l'oeuvre  de  revendication  des  droits  foulés  aux 
pieds  et  de  la  liberté  de  son  Eglise;  Nous  continuerons  d'im- 
plorer de  Lui  la  paix  et  la  bénédiction. 

«  Grâce  aux  communes  prières,  puissions-nous  hâter  l'heure 
des  divines  miséricordes  pour  cette  Italie  déchue,  et  puissent 
tant  de  pauvres  âmes  infortunées  revenir  repenties  vers  Celui 
qui  est  la  vie,  la  vérité,  la  lumière! 

«  A  la  prière,  très  chers  fils,  ajoutez  avec  une  ardeur  crois- 
sante l'action  et  le  sacrifice.  D'autres  fois  déjà,  Nous  avons 
indiqué  le  terrain  sur  lequel  votre  action  peut  utilement  se 
déployer. 

«  Souvenez-vous  de  Nos  avertissements  et  observez-les  en 
toute  fidélité. 

«  Que  vos  sufifrages  soient  donnés  de  plein  accord  pour  être 
assurés  que  dans  les  conseils  des  provinces  et  des  municipes,on 
sauvegarde,  de  la  façon  qui  est  maintenant  possible,  vos  inté- 
rêts vitaux.  Voyez,  dans  la  famille,  dans  l'école,  dans  les  ate- 
liers, partout,  à  quel  point  en  arrive  l'audace  de  l'irréligion, ce 
que  peut  la  mauvaise  presse,  que  de  ruines  accumule  la  licence, 
et  vous,  sans  vous  lasser,  multipliez  les  moyens  qui  vous  sont 
permis  pour  y  opposer  un  remède  efficace.  La  lumière  et  l'au- 
torité de  votre  exemple  sera  surtout  utile  à  cet  efi"et. 

«  En  agissant  ainsi,  vous  aurez  sans  doute  à  endurer  des  sacri- 
fices nombreux  et  rien  moins  que  légers;  mais  vous  les  avez 
prévus  et  vous  vous  êtes  déclarés  tout  prêts  à  tout  sacrifier 
pour  Notre  cause  qui  est  la  cause  même  de  Dieu  ;  en  combattant 
pour  elle  avec  constance,  vous  vous  montrerez  dignes  de  vos 
ancêtres  qui,  dans  leur  vif  amour  pour  la  religion,  ont  puisé  le 
génie  et  l'ardeur  pour  ennoblir  la  patrie. 

€  Au  reste,  votre  venue  ici  pour  fêter  Notre  jubilé,  votre 
nombreux  et  solennel  concours  autour  d\3  Nous,  la  franche  pro- 
fession de  votre  foi  attestent  splendidement  la  fermeté  de  vos 
résolutions.  Que  Dieu  les  bénisse  et  les  féconde  amplement,  qu'il 
retrempe  votre  foi  comme  vous  le  désirez,  qu'il  soutienne  et 
couronne  vos  espérances  et  qu'il  vous  enflamme  de  cet  esprit  de 
charité  qui  sait  tout  souffrir  et  tout  opérer  généreusement. 


428  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  Avec  Nos  vœux  soyez  accompagné?  de  la  bénédiction  aposto- 
lique que  Nous  accordons,  au  nom  de  Dieu  lui-même,  avec  effu- 
sion de  cœur  à  vous  ici  présents,  à  vos  familles,  et  à  tout  le 
peuple  italien.  » 

Finance 

AuTuN.  —  Mgr  Perraud,  évêque  d'Autun,  de  retour  de  son 
pèlerinage  à  Rome,  a  reçu,  tout  récemment,  le  clergé  de  sa  ville 
épiscopale.  La  Semaine  religieuse  d'Autun  donne  un  résumé 
de  la  réponse  que  Sa  Grandeur  a  faite  aux  paroles  pleines  d'à- 
propos  que  lui  a  adressées  M.  Fontaine,  doj'eu  du  chapitre  et 
vicaire  général.  En  voici  la  principale  partie  : 

Dieu  soutient  le  Pape  et  le  conserve  d'une  manière  merveilleuse,  et 
le  Saint-Père  aime  à  attribuer  cette  étonnante  conservation  aux 
prières  que  les  fidèles  font  chaque  jour  pour  lui.  Il  en  parle  avec  une 
émotion  touchante  qui  va  au  cœur,  et  qui  est  bien  capable  d'encou- 
rager les  chrétiens  à  prier  pour  le  Vicaire  de  Jésus-Christ.  Monsei- 
gneur, dans  ses  entretiens,  a  eu  la  filiale  confiance  de  dire  au  Pape, 
que,  chaque  jour,  en  priant  pour  lui  au  saint  sacrifice,  il  demandait 
trois  choses  au  ciel  :  «  Lesquelles  ?  lui  dit  affectueusement  Léon  XIII. 
—  Saint-Père,  dit  Mgr  Perraud,  je  demande  pour  vous  l'illumina- 
tion, la  force  et  la  consolation.  —  Combien  je  vous  remercie,  dit  le 
Pape,  de  demander  pour  moi  la  consolation,  j'en  ai  tant  besoin!  » 
Puis  le  Saint-Père  fait  part  à  notre  Evêque  de  ses  inquiétudes  au 
sujet  de  la  nomination  de  plusieurs  Evoques  en  Italie  que  le  gouver- 
nement ne  veut  pas  ratifier  Y>^T\'exequalur. 

La  France  occupa  une  large  place  dans  ces  conversations  intimes. 
Le  Pape  aime  à  s'entretenir  de  notre  patrie  avec  tous  les  Evoques 
français  qui  viennent  le  visiter,  mais  comme  son  cœur  dut  s'ouvrir 
avec  plus  d'abandon  avec  un  pontife  qui  marche  si  fidèlement  sur  les 
traces  du  Vicaire  de  Jésus-Christ,  à  l'exemple  du  général  courageux 
qui  va  au  combat  à  la  suite  de  son  roi  ! 

Une  des  tristesses  de  Léon  XIII  est  de  voir  en  France  des  esprits 
encore  rebelles  à  sa  parole,  et  qui  pervertissent  les  intentions  si  droites 
de  son  cœur.  Mgr  Perraud  a  été  heureux  d'affirmer  encore  une  fois  au 
Saint-Père  que  le  clergé  du  diocèse  d'Autun  est,  à  l'instar  de  son 
Evêque,  très  fidèle  aux  enseignements  de  Sa  Sainteté.  Ils  sont  bien 
blâmables  les  hommes  qui  ne  veulent  point  suivre  la  voie  tracée  par 
le  Souverain  Pontife.  C'est  à  faux  qu'on  l'a  accusé  de  s'être  laissé 
guider  par  des  vues  politiques  ;  Léon  XIII  n'a  agi  et  n'agit  encore 
que  sons  l'inspiration  de  l'esprit  surnaturel,  et  le  désir  très  désinté- 
ressé de  conserver  à  la  France  son  antique  foi  chrétienne. 

Le  Pape  persévère  plus  que  jamais  dans  ses  idées.  Il  ne  voit  le  sa- 


NOUVELLES    RKLI0IEU8BS  429 

lut,  pour  notre  chère  patrie,  que  dans  la  ligne  tracée  par  lui.  Il  con- 
seille plus  que  jamais  aux  fidèles,  et  surtout  aux  prêtres,  de  s'oc- 
cuper de  l'ouvrier,  du  pauvre,  du  petit.  Il  voudrait  nous  voir  tous 
descendre  au  milieu  du  peuple,  pour  briser  la  barrière  que  d'absurdes 
préjugés  ont  élevée  entre  lui  et  nous.  Le  prêtre  devrait  chercher, 
par  tous  les  moyens,  selon  son  ministère,  à  atteindre  l'ouvrier  :  la 
parole,  les  visites,  l'aumône  ou  la  plume,  tout  doit  nous  servir  pour 
arriver  au  but,  qui  est  de  prêcher  l'Evangile  et  de  faire  aimer  Jésus. 

A  cette  occasion  le  Saint-Père  voulut  bien  rappeler  à  Monseigneur 
la  lettre  que  Sa  Sainteté  daigna  lui  adresser  le  8  septembre  1893, 
lettre  où  le  Pape  affirme  que  «  notre  temps  plus  qu'aucun  autre, 
réclame  du  clergé  une  vertu  supérieure  dans  l'action  :  Yirtutem  a 
clero  desiderat  quam  alias  unquam  egregie  actuosam.  * 

Dans  sa  dernière  audience,  le  Souverain  Pontife  adressa  de  nou- 
veau ses  félicitations  à  Mgr  Perraud  pour  sa  docilité  à  suivre  ses  con- 
seils, et  son  courage  à  le  défendre  dans  ses  récents  écrits.  Puis  il  le 
combla  de  ses  plus  paternelles  bénédictions,  pour  son  auguste  per- 
sonne, son  clergé  et  les  fidèles  de  son  diocèse. 

Carthage —  Le  nouveau  primat  d'Afrique,  Mgr  Combes,  arche- 
vêque de  Carthage,  est  arrivé  dans  la  capitale  au  commencement 
de  la  semaine.  Mardi,  il  a  rendu  visite  à  M.  Develle,  ministre  des 
affaires  étrangères,  et  repartira  prochainement  pour  l'Afrique. 

Mgr  Combes  revient  de  Rome  où  l'importante  affaire  du 
siège  de  Carthage  vient,  sur  ses  instances,  d'être  réglée  défini- 
tivement. 

Créé  en  1841,  le  vicariat  apostolique  de  la  Tunisie  relevait  de 
la  Propagande  qui  l'avait  confiée  aux  Capucins  italiens.  En  1881, 
quand  la  France  établit  son  protectorat  sur  ce  pays,  le  cardinal 
Lavigerie  qui  avait  déjà  obtenu  pour  ses  missionnaires  la  garde 
du  tombeau  de  saint  Louis,  sur  l'emplacement  de  l'ancienne 
Carthage,  fut  nommé  administrateur  du  vicariat  apostolique. 
Le  Saint-Siège,  sans  vouloir  tout  d'abord  engager  l'avenir, 
décida  que  l'Archevêque  d'Alger  ne  serait  chargé  qu'à  titre  inté- 
rimaire de  l'administration  de  cette  vaste  contrée. 

En  1882,  le  Saint-Père  autorisa  le  cardinal  à  joindre  désor- 
mais le  nom  de  Carthage  à  celui  de  Tunis  dans  le  titre  canonique 
de  ce  vicariat.  A  la  mort  du  cardinal  Lavigerie,  la  question  se 
posait  donc  à  nouveau.  Ou  ne  pouvait  rester  indéfiniment  dans 
le  provisoire.  L'affaire  était  d'autant  plus  délicate,  que  la  Tuni- 
sie étant  un  simple  pays  de  protectorat,  certaines  puissances 
insistaient  pour  que  l'on  éliminât  l'élément  français. 

Léon  XIII^  voulant  donner  à  la  France   un   nouveau  srage  de 


430  ANNALES    CATHOLIQUES 

sa  paternelle  affection,  a  décidé  que  la  nomination  de  l'Arche- 
vêque de  Gârthage  serait  faite  désormais  par  le  Pape,  et  que  le 
titulaire  serait  nommé  après  entente  préalable  entre  le  Souve- 
rain Pontife  et  le  gouvernement  français. 

Laval.  —  On  écrit  de  Laval  en  date  du  15  novembre  à  la 
Vérité: 

Samedi  dernier,  onze  élèves  ecclésiastiques  ont  quitté  le  grand 
séminaire  de  Laval  pour  entrer  à  la  caserne.  Nous  croyons  savoir  que 
sept  d'entre  eux  resteront  dans  notre  ville.  Les  autres  seront  dirigés 
sur  des  régiments  plus  éloignés.  C'est  la  persécution  qui  se  continue, 
s'accentue  et  se  régularise.  Le  dimanche  précédent,  ils  avaient 
assisté  avec  bon  nombre  de  futurs  conscrits  à  la  messe  du  départ 
célébrée  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Beauregard.  Par  une 
délicate  attention,  M.  le  chanoine  Normandière,  aumônier  militaire, 
avait  orné  les  murs  du  sanctuaire  du  nombreux  drapeaux  français  et 
russes.  Les  étendards  des  deux  patries  méritaient  bien  d'être  réunis 
au-dessus  de  l'autel,  dans  la  paix  de  l'église. 

M.  l'abbé  Lemaître,  vicaire  général,  représentait  à  cette  touchante 
cérémonie.  Monseigneur  de  Laval,  appelé  près  de  son  frère  malade. 
L'assistance  était  très  nombreuse  et  de  ferventes  prières  sont  montées 
vers,  le  trpi;e  du  I)i§u  des  armée^  pour  le  salut  de.  la  France. 

JÉRUSALEM.  —  On  écrit  de  Jérusalem  à  V Univers: 

«  Un  meurtre  épouvantable  vient  d'être  commis  à  la  grotte  de 
Bethléem,  le  jeudi  26  octobre.  En  voici  en  peu  de  mots  les  détails 
principaux  : 

a  Les  franciscains  ont  la  louable  habitude  de  faire  une  procession 
quotidienne  aux  sanctuaires  contenus  dans  la  grande  basilique  bâtie 
par  sainte  Hélène  sur  le  lieu  de  la  nativité  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ.  Jeudi,  vers  quatre  heures  du  soir,  au  moment  où  la  procession 
allait  arriver  dans  la  grotte  de  la  nativité,  le  sacristain  l'avait  pré- 
cédée pour  allumer  les  cierges  sur  l'autel  ;  un  général  russe  se  trou- 
vait avec  sa  suite,  précisément  devant  cet  autel.  Après  avoir  allumé 
les  cierges,  le  sacristain,  prenant  par  le  bras  le  jannissaire  qui 
accompagnait  le  général,  le  pria  poliment  de  se  garer  un  peu  pour 
donner  place  à  la  procession  qui,  en  ce  moment,  rentrait  à  la  grotte, 
refus  ab  irato  de  celui-ci  et  insistance  du  frère  sacristain  qui  entre- 
prenait de  le  faire  retirer  par  la  force  lorsque  celui-ci,  tirant  son 
revolver,  en  décharge  cinq  coups  sur  le  malheureux  frère  et  sur  deux 
Pères  qui  s'étaient  interposés.  Le  frère  est  mort  sur  l'heure;  des 
deux  Pères,  l'un  n'a  eu  qu'une  blessure  légère,  l'autre  a  eu  l'os  de 
l'avant-bras  fracassé  et  la  balle  lui  est  entrée  dans  le  ventre  :  il  se 
meurt. 


NOUVELLES  RBLIQIEUSES  431 

«  Les  franciscains  ont  sonné  la  cloche  d'alarme  et  tout  Bethléem 
est  accouru,  le  fil  télégraphique  a  donné  aussitôt  la  nouvelle  à  Jéru- 
salem, le  gouvernement  local,  les  consulats  de  France  et  de  Russie 
ont  fait  leur  apparition  ;  l'émotion  était  grande  et  légitime,  jamais 
pareil  acte  ne  s'était  produit  dans  ce  premier  sanctuaire  du  monde 
chrétien.  Et  puis,  qu'allait-il  se  passer  entre  la  France  et  la  Russie 
mises  en  querelle  par  ce  double  assassinat  au  moment  où  elles  se 
donnent  en  France  le  baiser  de  paix?  Heureusement,  l'anxiété  a  été 
de  courte  durée  :  l'assassin  que  réclamait  le  consul  de  Russie,  s'est 
déclaré  sujet  ottoman,  mais  il  a  été  constaté  par  l'inspection  de  ses 
papiers  qu'il  était  natif  du  Monténégro  et  protégé  autrichien,  et 
ainsi  il  a  été  consigné  au  consulat  d'Autriche  qui  l'enverra  sous 
bonne  garde,  à  Vienne  où  il  sera  jugé.  Cet  individu  est  grec  schis- 
matique.  » 

Hissions. 

HoNOLULU.  —  Le  dernier  numéro  du  Daily  Bulletin  d'Hono- 
lalu  nous  apporte  des  détails  sur  une  touchante  cérémonie  qui  a 
eu  pour  théâtre  l'île  de  Molokaï,  la  terre  des  lépreux.  Il  s'agit 
de  l'érection  d'un  monument  en  l'honneur  du  P.  Damien. 

Le  lundi  4  septembre,  Mgr  l'évêque  de  Panopolis,  l'évéque 
anglican  d'Honolulu,  MM.  Edmond  Stilles,  sous-secrétaire  du 
Foreign  Office  des  îles  Sandwich,  King,  ministre  de  l'intérieur, 
Smith,  procureur  général,  le  R.  P.  Conrad,  les  sœurs  francis- 
caines et  an  grand  nombre  de  lépreux  prirent  place  autour  de  la 
croix  de  granit,  recouverte  d'un  voile,  qui  a  été  élevée  par 
souscription,  grâce  aux  soins  notamment  du  Leprosy  Fund  de 
Grande-Bretagne. 

M.  Stilles  prononça  alors  un  discours  ému  : 

«  Je  voudrais,  dit-il,  vous  apporter  en  même  temps  que  cette 
croix,  quelques  paroles  d'encouragement  et  de  joie,  un  message 
qui  ramènerait  parmi  vous  l'espérance.  Cette  croix,  elle  vous 
est  offerte  par  une  association  composée  des  hommes  les  plus 
distingués  d'une  nation  grande  et  éclairée,  qui  se  proposent  de 
contribuer  par  tous  les  moyens  au  soulagement  des  malheureux 
atteints  de  la  lèpre,  de  leur  procurer  les  secours  que  peuvent 
leur  donner  l'argent  et  la  science.  Ce  monument  est  un  gao:e  da 
la  sympathie  et  de  la  pitié  que  vos  souffrances  inspirent  au 
monde  étranger.  » 

L'orateur  retraça  ensuite  brièvement  la  vie  du  P.  Damien,  et 
rendit  un  bel  hommage  à  ce  héros  de  la  charité  et  de  la  foi. 
«  Son  nom,  a-t-il  dit,  passera  à  la  postérité  ;  il  sera  entouré 


432  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'honneurs  et  de  bénédictions  dans  chaque  pays  et  dans  chaque 
langue.  Humble  ministre  de  l'Eglise  catholique,  noble  martyr 
chrétien,  ce  religieux  consacra  tous  ses  efforts  et  enfin  sacrifia 
sa  vie  à  la  grande  mission  de  soulager  les  misères  physiques  et 
morales  des  malades  contraints  d'habiter  dans  cette  vallée. 

«  Comme  ils  s'appliquent  bien  à  lui,  les  mots  que  ses  admira- 
teurs d'Angleterre  ont  inscrits  sur  ce  piédestal  :  «  Aucun  homme 
n'a  un  grand  amour  que  celui  qui  donne  sa  vie  pour  ses  amis.  » 
—  Bien  que  le  monde  honore  le  nom  du  P.  Damien  conservé  par 
le  bronze  et  le  marbre,  cependant  la  mémoire  du  saint  religieux 
vivra  plus  longtemps  encore  dans  le  cœur  de  l'humanité  pour 
laquelle  il  est  mort.  » 

Cette  adresse,  que  l'orateur  répéta  en  langue  hawaïenne,  afin 
qu'elle  fiit  comprise  par  les  lépreux, 'fit  couler  bien  des  larmes. 
Le  voile  qui  recouvrait  la  divine  image,  tomba  ensuite,  et 
Mgr  l'évêque  de  Panopolis,  après  avoir  prié  M.  Stilles  de  trans- 
mettre ses  remerciements  au  prince  de  Galles,  président  du 
Leprosy  Fund,  et  au  gouvernement  hawaïen,  procéda  à  la  béné- 
diction du  monument. 

Et  désormais,  les  lépreux  de  Kalaupapa  regardant  cette  croix 
qui  domine  leur  village,  uniront,  dans  un  pieux  et  reconnais- 
sant souvenir,  le  nom  du  prêtre  qui  pansa  leurs  plaies  à  celui 
du  Christ.  Jésus  rencontrant  par  les  chemins  de  Judée  des 
lépreux  que  tous  fuyaient,  était  touché  de  compassion  et  leur 
disait:  «  Soyez  guéris  et  allez  vers  le  prêtre.  >  Au  P.  Damien, 
son  vaillant  disciple,  il  a  dit:  «  Prêtre,  va  vers  eux  !  » 


DECLARATION  MINISTERIELLE 

Voici  le  texte  de  la  déclaration  lue  à  la  Chambre  par  M.  Dupuy. 
Messieurs, 

Le  gouvernement  a  pensé  que,  dès  le  premier  contact  avec  les 
élus  du  pays,  il  devait  leur  déclarer  les  intentions  et  les  projets 
avec  lesquels  il  aborde  la  nouvelle  législature. 

Si  l'on  a  pu  dire  parfois  que  la  situation  était  équivoque  faute 
d'une  direction  politique  que  le  Parlement  attendait  du  minis- 
tère, tandis  que  le  ministère  semblait  l'attendre  du  Parlement, 
nous  espérons,  quant  à  nous,  dissiper  cette  équivoque  par  des 
déclarations  précises  et  loyales. 


DÉCLARATION    MINISTÉRIEULE  433 

Nous  n'envisagerons  que  les  questions  qui  nous  paraissent 
susceptibles  d'une  solution  pratique  au  cours  de  la  présente 
législature.  Nous  ne  sommes  ni  avec  ceux  qui  réclament  les 
réformes  d'après-demain  pour  se  dispenser  de  concourir,  par  un 
travail  sérieux,  à  celles  plus  modestes  de  demain,  ni  avec  ceux 
qui,  datant  l'histoire  de  leur  entrée  dans  la  vie  publique,  font 
raine  d'ignorer  ce  qui  a  été  fait  pour  avoir  le  prétexte  de  dire 
que  tout  est  à  refaire. 

Nous  n'avons  d'ailleurs,  pour  éclairer  nos  choix,  qu'à  nous 
inspirer  de  la  dernière  consultation  nationale. 

Dans  les  élections  des  20  aoiit  et  3  septembre,  qui  ont  donné 
à  la  République  une  victoire  sans  précédent,  le  suffrage  uni- 
versel s'est  prononcé  pour  une  politique  pratique,  écartant  lui- 
même  les  questions  irritantes  et  les  discussions  théoriques. 

Tout  d'abord,  pour  déblayer  le  terrain,  bous  considérons 
comme  ne  pouvant  aboutir  au  cours  de  la  législature  les  discus- 
sions annoncées  sur  la  révision  de  la  Constitution  et  sur  la  sépa- 
ration des  Eglises  et  de  l'Etat.  Nous  écartons  de  même  toute 
proposition  tendant  à  changer  le  mode  de  scrutin,  ou  à  établir, 
sous  quelque  nom  que  ce  soit,  un  impôt  unique,  inquisitorial  et 
progressif.  Si  ces  propositions  se  produisent,  nous  les  combat- 
trons loyalement,  avec  le  désir  et  l'espoir  de  contribuer  à  affran- 
chir les  esprits  de  la  tyrannie  des  mots  confus  et  des  formules 
générales. 

Dans  l'ordre  social,  nous  ne  considérerons,  en  aucune  circon- 
stance, comme  des  amis  ou  des  alliés  politiques,  ceux,  quels 
qu'ils  soient,  qui  n'admettent  pas,  comme  principes  nécessaires, 
le  respect  du  suffrage  universel,  la  propriété  privée  et  la  liberté 
individuelle,  avec  son  corollaire,  la  liberté  du  travail. 

Fidèles  à  l'esprit  de  la  Déclaration  des  droits  de  l'homme  et 
du  citoyen,  nous  répudions  les  doctrines  qui,  sous  des  vocables 
divers,  collectivisme  ou  autres,prétendent  substituer  la  tyrannie 
anonyme  de  l'Etat  à  l'initiative  individuelle  et  à  la  libre  asso- 
ciation des  citoyens,  et  nous  réprimerons,  avec  énergie,  toute 
tentative  d'agitation  ou  de  désordre,  quels  que  soient  les  me- 
neurs et  les  agitateurs. 

Et,  s'il  en  est  qui  joignent  aux  prétentions  révolutionnaires 
je  ne  sais  quelles  tendances  internationalistes,  nous  ne  cesse- 
jons  de  les  combattre,  au  nom  même  de  la  Patrie! 

Nous  avions  à  cœur  de  dire  nettement  ce  que  nous  tenons,  on 
pour  irréalisable,  ou  pour  mauvais  en  soi.  Il  nous  faut,  mainte- 


434  ANNALBB     CATHOLIQUES 

nant,  indiquer  les  données  positives  sur  lesquelles  devra,  selon 
nous,  s'exercer  votre  activité. 

Tout  d'abord,  nous  regardons  comme  acquises  la  loi  scolaire 
et  la  loi  militaire  ;  elles  sont  la  pierre  de  touche  de  l'esprit  ré- 
publicain, et  rien  ne  saurait  prévaloir  contre  elles.  Elles  sont  la 
partie  capitale  de  l'œuvre  législative  de  la  République.  Il  faut 
compléter  cette  œuvre  par  des  lois  sociales  inspirées  du  prin- 
cipe de  la  solidarité  humaine,  et  qui  fassent  appel  à  ce  principe, 
non  pas  pour  opprimer  la  liberté  individuelle,  mais  pour  la  dé- 
gager, la  développer,  la  fortifier. 

Au  premier  rang  dans  cet  ordre  d'idées,  se  place  la  législa- 
tion de  l'assistance  et  de  l'hygiène,  dont  les  lois  sur  la  protec- 
tion de  l'enfance,  sur  l'enfance  abandonnée  ou  coupable,  et  sur 
l'assistance  médicale  gratuite,  offrent  déjà  d'heureux  exemples  ; 
viennent  ensuite  :  la  loi  sur  les  caisses  d'épargne,  dont  le  Sénat 
poursuit,  en  ce  moment,  la  discussion;  —  les  lois,  à  corriger  ou 
à  faire  sur  les  sociétés  de  secours  mutuels,  sur  les  sociétés 
coopératives,  sur  une  équitable  participation  du  travail  aux  bé- 
néfices du  capital,  et,  enfin,  l'organisation,  si  désirable,  encore 
que  si  malaisée,  d'une  caisse  des  retraites  pour  les  travailleurs, 
dont  la  caisse  des  retraites  des  ouvriers  mineurs  sera  l'utile 
préface. 

Mais  les  lois  sociales  ne  peuvent  être  efficacement  votées  que 
si  le  budget  de  l'Etat,  dont  leur  fonctionnement  dépend  en 
partie,  présente  dans  un  solide  équilibre  des  disponibilités  suf- 
fisantes et  durables. 

A  vrai  dire,  messieurs,  l'œuvre  budgétaire  de  laquelle  tout 
dépend,  sera  votre  tâche  principale. 

Le  gouvernement  déposera  le  projet  de  budget,  pour  l'exer- 
cice 1895,  dans  les  premières  semaines  de  la  session  ordinaire. 
Il  espère  que  la  Chambre,  rompant  avec  les  habitudes  anté- 
rieures, le  votera  au  cours  de  cette  session  ;  il  aidera  à  ce  ré- 
sultat de  tout  son  pouvoir. 

Le  budget  de  1896  pourra  faire  état  de  la  conversion  du 
4  1/2  0/0,  que  le  gouvernement  vous  demandera  l'autorisation 
d'opérer,  au  moment  favorable,  en  tenant  compte,  à  la  fois,  des 
intérêts  de  l'Etat  et  de  ceux  des  porteurs.  Nous  estimons  que 
le  boni  de  cette  conversion  devra  servir,  pour  la  plus  grande 
part,  à  rouvrir  le  chapitre  trop  longtemps  fermé  de  l'amortisse- 
sement,  dont  la  présence  dans  un  budget  est  à  la  fois  un  aver- 
tissement et  un©  espérance.  Aussi,  nous  mettons-nous,  dès  main- 


DÉCLARATIO^f  MINISTÉRIELLE  435 

tenant,  en  garde  contre  d'imprudents  dégrèvements,  persuadés 
que  le  vrai  moyen  de  dégrever  c'est  d'amortir. 

Nous  insérons,  dans  le  budget  de  1895,  la  réforme  de  la  con- 
tribution des  portes  et  fenêtres,  combinée  avec  un  remaniement 
de  l'impôt  personnel  et  mobilier  ;  nous  y  joindrons,  avec  une 
persévérance  que  vous  apprécierez,  un  projet  de  réforme,  au 
moins  partielle,  de  l'impôt  des  boissons. 

En  dehors  de  l'œuvre  essentielle  du  budget,  vous  avez  à 
régler  la  question  de  la  Banque  de  France,  si  brillamment  posée 
devant  vos  prédécesseurs,  le  régime  fiscal  en  matière  de  suc- 
cession, la  question  des  pensions  civiles  dont  le  flot  montant  ne 
tarderait  pas  à  être  une  menace  pour  l'équilibre  budgétaire. 

Le  problème  des  impôts  tant  directs  qu'indirects  viendra 
ainsi  devant  vous  sous  les  formes  les  plus  diverses  et  les  plus 
intéressantes.  Nous  nous  efforcerons,  quant  à  nous,  d'en  diriger 
la  solution  dans  les  voies  de  l'équité,  en  poursuivant  une  pro- 
portionnalité de  plus  en  plus  exacte  entre  les  charges  et  les 
facultés  des  contribuables. 

A  ces  projets  que  leur  caractère  plus  spécialement  financier 
et  budgétaire  nous  fait  placer  au  premier  rang,  s'en  ajouteront 
d'autres  que  vous  nous  permettrez  de  vous  indiquer  sommaire- 
ment, sans  nous  astreindre  à  mettre  en  eux  un  lien  que  leur 
diversité  ne  comporte  pas. 

Nous  rencontrons  d'abord  les  projets  en  instance  devant  le 
Sénat  et  qui  sont  à  la  veille  d'aboutir:  tels  les  projets  sur  les 
caisses  d'épargne,  sur  les  sociétés  coopératives,  sur  le  crédit 
agricole,  sur  les  prestations. 

Viennent  ensuite  divers  projets  que  le  renouvellement  de  la 
Chambre  a  rendus  caducs  et  qui  méritent  d'être  repris.  Nous 
citerons,  entre  autres,  les  projets  sur  le  casier  judiciaire,  sur  la 
réforme  des  codes  d'instruction  criminelle  et  de  procédure,  sur 
la  compétence  plus  étendue  des  juges  de  paix  ;  —  le  projet  sur 
la  navigation  intérieure;  —  le  crédit  agricole  relatif  aux  irri- 
gations; —  les  livres  2  et  3  du  code  rural  concernant  l'unie 
régime  des  eaux  et  l'autre  la  police  rurale  ;  —  l'exercice  de  la 
médecine  vétérinaire,  etc. 

Il  nous  reste  pour  achever  cette  revue  qui  nous  a  paru  être 
l'indispensable  prélude  de  vos  travaux,  à  vous  signaler  les 
principaux  projets  actuellement  en  préparation  dans  nos  diverses 
administrations.  En  première  ligne,  nous  plaçons  certaines  lois 
destinées  à  compléter  ou  à  corriger  sur  divers  points  notre 


436  ANNALES    CATHOLIQ  UES 

législation  de  défense  nationale  ainsi  que  les  projets  tendant  à 
étendre  ou  à  achever  les  grands  travaux  publics  qui  importent 
à  la  fois  à  la  sécurité  et  à  la  prospérité  du  pays. 

Vous  aurez  en  outre  à  examiner  plusieurs  projets  relatifs  à 
l'Exposition  universelle  de  1900  que  vous  ferez  digne  de  la 
France  et  du  siècle  fécond  dont  elle  marquera  la  fin  ;  —  des 
projets  plus  modestes,  mais  d'une  réelle  portée  pratique,  ten- 
dant à  accroître  les  facilités  du  service  postal  et  des  installations 
électriques  industrielles  ;  des  projets  apportant  des  garanties 
plus  sérieuses  aux  clients  des  Compagnies  d'assurances  sur  la 
vie  et  à  ceux  des  bureaux  de  placement. 

L'Agriculture  réclamera  sa  large  part  dans  vos  travaux  ,  aux 
projets  déjà  cités  et  qui  la  concernent,  s'ajouteront  un  projet 
sur  les  distilleries  agricoles,  un  autre  sur  les  assurances  agri- 
coles, un  autre  sur  l'enseignement  agricole,  créé  par  la  Répu- 
blique, et  qui  appelle  de  nouveaux  développement*. 

Nous  pensons  répondre  aux  préoccupations  les  plus  légitimes 
du  temps  présent  en  vous  annonçant  un  projet  organique  sur  la 
police,  destiné  à  assurer  à  l'ordre  public  de  solides  garanties 
contre  les  agitations  dont  certain  parti  se  fait  un  jeu  et  dont  le 
pays  est  excédé,  et  un  projet  sur  la  fabrication,  la  vente  et  le- 
transport  de  la  dynamite  et  des  explosifs. 

Enfin,  nous  sommes  décidés  à  vous  soumettre  un  projet  de 
loi  sur  les  associations,  dans  lequel  nous  nous  efforcerons  de 
concilier  la  liberté  des  individus  avec  les  droits  de  l'Etat. 

Nous  aurions  pu  étendre  encore  cette  énumération  ;  nous 
avons  pensé  qu'elle  était  nécessaire  et  qu'elle  serait  suffisante 
pour  vous  donner  une  idée  de  la  variété  et  de  la  fécondité  des 
œuvres  qu'il  dépendra  de  vous  d'accomplir.  L'initiative  parle- 
mentaire y  joindra  son  apport,  toujours  considérable,  mais  il 
importe  d'observer  que  les  [propositions  privées  n'aboutissent 
en  fait  que  pour  une  faible  proportion,  tandis  que  les  projets 
gouvernementaux  aboutissent  presque  tous.  Cette  observation 
suffit  à  justifier  le  soin  que;  nous  avons  pris  de  tracer  le  plan 
des  travaux  de  la  législature  dont  nous  partageons  avec  le  Par^ 
lement  la  responsabilité. 

Le  Gouvernement  n'a  pas  seulement  pour  devoir  de  présenter 
au  Parlement  des  projets  de  loi  nouveaux.  Il  doit  faire  respecter 
les  lois  existantes  par  tous  les  citoyens.  Il  doit  avoir  à  cœur 
d'appliquer  loyalement  les  décisions  des  chambres,  qu'il  s'agisse 
du  régime  économique  ou  de  toute  autre  partie  de  la  législa- 


DÉCLARATION  MINISTERIELLE  437 

tion.  Nous  ne  faillirons  pas  à  ce  devoir  essentiel  d'un   Gouver- 
nement. 

En  toute  circonstance,  nous  nous  inspirerons  de  ce  qui  importe 
au  bien  public,  à  la  solidité  de  notre  crédit,  à  la  défense  des 
intérêts  et  des  besoins  de  la  nation,  à  la  dignité  et  au  bon 
renom  de  la  France. 

Nous  nous  efforcerons,  au  dedans,  par  une  administration 
exacte,  équitable  et  bienveillante,  de  répondre  à  la  formelle 
volonté  d'apaisement  et  d'unité  morale  dont  le  dernier  scrutin  a 
manifestement  témoigné.  Nous  serons  les  serviteurs  persévérants 
de  la  loi,  les  défenseurs  résolus  de  l'ordre  public.  Au  dehors, 
nous  aurons  pour  règle  le  maintien  et  la  défense  de  nos  droits, 
le  souci  de  nos  relations  internationales,  la  conservation  de  no- 
tre domaine  et  sa  mise  en  valeur  par  des  encouragements  aux 
initiatives  privées  sur  lesquelles  nos  explorateurs,  nos  commer- 
çants, nos  savants  nous  ont  montré  qu'on  peut  sérieusement 
compter. 

Républicains  et  démocrates,  nous  convions  les  hommes  de 
bonne  volonté  à  se  réunir  sur  le  programme  progressiste  et  sur 
les  principes  de  gouvernement  dont  nous  venons  de  vous  pré- 
senter l'exposé.  Nous  savons  que  nos  projets  pris  chacun  à 
part,  n'ont  pas  le  caractère  ambitieux  de  certaines  formules,  ni 
la  sonorité  de  certains  programmes.  Mais  les  nations  ne  vivent 
pas  de  promesses  et  de  bruit.  Ce  qui  importe,  c'est  que  l'en- 
semble soit  pratique  et  utile  ;  nous  crovons  pouvoir  dire  que  le 
plan  de  travail  que  nous  vous  apportons  a  cette  qualité. 

Il  nous  appartient  à  tous  de  nous  montrer  laborieux  et  de  na 
pas  confondre  l'action  et  l'agitation.  La  France  ne  s'y  trompera 
pas  ;  elle  aura  bientôt  fait  de  reconnaître  ceux  qui  travaillent 
pour  elle  et  qui  ne  cherchent  pas  la  popularité  au  détriment  de 
sa  sécurité  et  de  son  repos.  Elle  sait  ce  qu'elle  doit  à  la  Répu- 
blique qui  l'a  relevée  de  ses  ruines,  qui  l'a  replacée  au  premier- 
rang  des  nations,  qui  l'a  faite  assez  forte  pour  qu'elle  puisse 
parler  sincèrement  de  la  paix,  qui  lui  a  donné  de  connaître 
enfin,  après  un  long  isolement,  des  sympathies  dont  les  inou- 
bliables fêtes  du  mois  d'octobre  ont  précisé  le  caractère  et  mar- 
qué la  portée. 

Elle  le  sait  si  bien  qu'elle  a  désormais  identifié  son  destin 
avec  celui  de  la  République.  Il  ne  tient  qu'à  vous,  Messieurs,  de 
consacrer  et  de  rendre  indestructible  cette  union  constitution- 
nelle de  la  République  et  de  la  France.  Vous  y  parviendrez 


438  ANNALES    CATHOLIQUES 

sûrement  si,  comme  nous  en  sommes  convaincus,  vous  imitez 
dans  son  amour  de  la  liberté  et  de  l'ordre,  dans  son  ardeur  pour 
le  travail  utile  et  pour  le  progrés  réfléchi  la  grande  nation  qui 
vient  de  vous  honorer  de  ses  suffrages. 

Quant  à  nous,  nous  serons  les  auxiliaires  dévoués  de  vos  tra- 
vaux. Si  vous  avez  confiance  dans  notre  bon  vouloir  et  dans 
notre  activité,  vous  saurez  le  dire.  Mais  si  vous  pensiez  que 
votre  tâche  serait  plus  facile  ou  plus  féconde  avec  d'autres  gui- 
des, dites-le  également  sans  hésitation,  sans  retard.  Nos  per- 
sonnes ne  sont  rien  ;  nous  plaçons  au-dessus  d'elles,  au-dessus 
de  tout,  la  France  et  la  République.  Nous  vous  avons  mis  en 
mesure  de  vous  prononcer  sans  équivoque  et  sans  obscurité. 
Que  votre  volonté  se  manifeste  dès  le  début  de  la  législature  : 
le  temps  de  la  France  est  précieux  ;  ne  le  perdez  pas  ! 


LES  CHAMBRES 


Sénat. 


L'ouverture  de  la  première  séance  de  la  session  a  donné  à 
M.  Challemel-Lacour  l'occasion  d'adresser  à  l'empereur  et  à  la 
famille  impériale  de  Russie  l'hommage  du  respect  du  Sénat.  Le 
président  l'a  fait  dans  les  termes  suivants  : 
Messieurs  les  sénateurs, 

Je  crois  qu'il  est  convenable  qu'avant  d'entrer  dans  les  travaux  de 
la  session,  votre  président  rappelle,  dès  cette  première  séance,  ce 
que  nous  avons  vu  s'accomplir  chez  nous,  il  y  a  quelques  semaines, 
et  qui  a  fixé  l'attention  du  monde  civilisé  :  je  parle  de  la  visite  en 
France  des  marins  de  l'escadre  russe  dans  la  Méditerranée.  Cette 
visite,  qui  était  une  réponse  à  la  visite  faite  par  notre  flotte  à  Crons- 
tadt  en  1891,  a  profondément  ému  la  France. 

Les  marins  russes  ont  été  reçus  partout  avec  la  cordialité  la  plus 
sincère,  et  les  acclamations  qui  lèsent  accueillis  à  Toulon, qui  les  ont 
accompagnés  partout,  depuis  leur  arrivée  jusqu'à  leur  départ,  ont  eu 
dans  le  pays  un  long  retentissement. 

Si  le  Parlement  avait  pu  être  réuni,  si  le  Sénat  avait  été  en  session, 
vous  auriez  été  heureux  de  fêter,  vous  aussi,  la  bienvenue  des  hôtes 
de  la  France  et  de  joindre  vos  acclamations  à  celles  du  pays. 

Je  remplis  un  devoir,  et  je  suis  sûr  d'être  l'interprète  fidèle  de 
votre  pensée  unanime,  en  déclarant  aujourd'hui  quo  vous  vous  asso- 
ciez pleinement  aux  sentiments  qui  se  sont  manifestés  de  toute  part 
avec  tant  de  spontanéité  et  d'éclat. 


LES  CHAMBRES  439. 

Nous  sommes  persuadés  que  ces  sympathies  réciproques  de  deux 
grands  peuples  n'ont  rien  d'accidentel  ni  de  passager. 

Elles  reposent  sur  un  sentimeot  déjà  ancien  d'estime  mutuelle  et 
sur  des  intérêts  qui  se  correspondent  partout  et  qui  ne  se  contrarient 
nulle  part. 

Le  Sénat  adresse  à  l'empereur  Alexandre  III  et  à  la  famille  impé- 
riale de  Russie  l'hommage  de  son  respect.  Il  salue  dans  cette  illustre 
amitié  une  espérance  nouvelle  de  paix  et  une  garantie  de  plus  pour 
la  civilisation. 

Après  cette  allocution  entrecoupée  de  bravos  répétés  et  d'ap- 
plaudissements prolongés,  M.  Challemel-Lacour  a  prononcé 
l'éloge  funèbre  des  sénateurs  décédés  pendant  l'intersession  : 
MM.  Chardon,  Barne,  Margaine,  Lenoel  et  Tirard.  Puis  il  a 
donné  lecture,  sans  commentaire,  de  la  très  brève  lettre  de  dé- 
mission de  M.  Goblet,  élu  député  de  Paris,  dont  le  Sénat  fait 
sans  regret  le  sacrifice. 

Nous  avons  eu  ensuite  la  satisfaction  d'apprendre,  par  la 
bouche  du  président  du  Sénat,  que  M,  de  l'Angle-Beaumanoir 
demande  à  interpeller  le  gouvernement  sur  la  punition  infligée 
à  deux  soldats  du  59^  de  ligne  qui  avaient  servi  la  messe.  Il  y  a 
là  une  atteinte  portée  au  libre  exercice  du  culte  catholique,  que 
M.  de  l'Angle-Beaumanoir  doit  demander  au  gouvernement  de 
blâmer.  La  discussion  de  l'interpellation  est  fixée  au  vendredi 
24  novembre. 

Chambre  des  Députés. 

M.  Pierre  Blanc,  président  d'âge,  déclare  la  session  ouverte 
(séance du  14  novembre).  Il  prononce  le  discours  suivant: 

Messieurs  les  députés. 

Soyez  les  bienvenus,  vous  tous  qui  êtes  les  élus  du  suffrage  univer- 
sel, qui,  en  entrant  dans  ce  palais,  portez  avec  vous  les  espérances  du 
pays.  C'est  avec  une  joie  bien  vive  que  je  salue  en  vous  la  troisième 
République  qui,  après  vingt-trois  années  de  lutte,  est  sortie  des 
nouvelles  élections  non  seulement  triomphante,  mais  encore  Indes» 
tructible. 

Jamais  une  session  parlementaire  ne  s'est  ouverte  au  lendemain 
d'événements  plus  considérables  et  plus  heureux  que  ceux  auxquels 
nous  venons  d'assister.  L'on  se  rappelera  bien  longtemps,  l'on  se 
rappellera  toujours  ces  fêtes  merveilleuses,  où  dans  un  immense 
enthousiasme  s'est  accomplie  l'union  de  la  France  et  de  la  Russie, 
où  deux  grands  peuples  entraînés  l'un  vers  l'autre  par  une  attraction 
irrésistible,  ont  mi-rié  leurs  drapeaux,  signé  sur  leur  cœur  la  paix  de 


440  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'Europe,  et  l'ont  glorifiée  dans  la  plus  touchante  fraternité  ;  où  pour 
rester  toujours  inséparables,  ils  se  sont  donné  leurs  âmes,  au  milieu 
des  plus  ardentes  acclamations. 

On  n'oubliera  jamais  cette  dépêche  immortelle  où  un  magnanime 
souverain,  dans  un  noble  et  sympathique  langage,  a  scellé  l'alliance 
des  deux  pays  et  affirmé  leurs  sentiments  pacifiques. 

Que  la  France  se  rassure  et  se  réjouisse  ;  elle  n'est  plus  seule  ! 
Lorsqu'elle  a  à  ses  côtés  une  grande  est  puissante  nation,  elle  ne  doit 
avoir  aucune  inquiétude  sur  son  aveuir  et  conserver  toutes  ses  espé- 
rances. 

Messieurs,  en  ouvrant  la  première  session  de  la  nouvelle  législa- 
ture, permettez-moi  de  vous  inviter  à  être  résolument  dans  vos  tra- 
vaux, l'action  et  le  mouvement  ;  c'est  ainsi  que  vous  répondrez  digne- 
ment à  la  volonté  de  vos  électeurs. 

Que  la  vérification  des  pouvoirs  à  laquelle  nous  allons  procéder 
soit  le  prélude  heureux  des  réformes  que  le  pays  attend  de  nous  et 
que  tous  ici  nous  avons  l'ardent  désir  de  lui;donner. 

Après  quoi,  on  élit  M.  Casimir-Périer  président  provisoire  en 
attendant  la  constitution  de  la  Chambre. 

M.  Casioair-Périer  remercie  ses  collègues.  Il  espère  que  la 
Chambre  n'aura  qu'un  souci,  celui  de  respecter  la  volonté  du 
suffrage  universel  etd'apporter  un  esprit  de  justice  dans  la  véri- 
fication des  pouvoirs.  (Applaudissements.) 

Après  vérificaiion  de  415  élections,  la  Chambre  élit  M.  Ca- 
simir Périer  président  (séance  du  21  novembre). 

M.  Casimir  Périer  prononce  l'allocution  suivante  : 

Messieurs  et  chers  collègues, 

Si  vous  me  jugez  capable  de  mesurer  à  l'honneur  que  vous  me 
faites  la  reconnaissance  que  je  vous  dois,  vous  me  pardonnerez  de 
ne  pas  trouver  de  paroles  pour  exprimer  les  sentiments  dont  je  suis 
pénétré. 

Mais  ce  que  je  puis  vous  promettre,  c'est  d'être  tout  à  mes  fonc- 
tions ;  j'ai  le  devoir  et  j'ai  la  volonté  d'assurer  la  liberté  à  la  mani- 
festation légale  de  toutes  les  opinions.  (Bien  !  bien  !) 

L'autorité  dont  je  suis  investi  est  faite  de  votre  confiance;  cette 
confiance,  je  m'efforcerai  de  la  conquérir  tout  entière.  Je  pourrai,  je 
vous  l'affirme,  sans  effort  sur  moi-même,  témoigner  mon  respect 
pour  la  sincérité  de  la  pensée.  (Très  bien  !) 

Cette  législature  commence  presque  au  lendemain  des  événements 
qui  ont  éveillé  chez  tous  les  Français  de  généreuses  et  bienfaisantes 
émotions.  Nous  avons  reçu  d'inoubliables  témoignages  d'estime  et 
de  sympathie.  Ces  trophées,  qui  portaient  entrelacés  les  drapeaux  de 
la  Russie  et  de  la  France,  étaient  l'image  de  l'union  des  cœurs,  et 


LES    CHAMBRES  441 

nous  gardons  de  ceux  qui  nous  ont  fêtés  à  Cronstadt,  de  ceux  qui 
ont  été  nos  hôtes  à  Toulon  et  à  Paris  un  cordial  et  fidèle  souvenir. 
(Applaudissements.) 

La  France  est  heureuse  d'avoir  mérité  l'amitié  d'un  grand  peuple  ; 
elle  est  fière  d'elle-même,  et  elle  en  a  le  droit.  Le  despotisme,  après 
avoir  brisé  les  forces  morales  de  la  nation,  avait  livré  son  armée  et 
sa  frontière:  c'est  au  bon  sens  de  la  démocratie,  à  son  amour  de 
l'ordre,  du  travail  et  de  l'épargne  que  la  France  doit  d'avoir  recon- 
quis dans  le  monde  la  place  qui  lui  est  due.  (Applaudissements.) 

Quant  à  nous,  nous  devons  nous  souvenir.  Nous  avoQs  vu  Paris 
admirable  d'enthousiasme  et  de  sang-froid  ;  nous  avons  vu  la  France 
goûtant  cette  joie  suprême  d'avoir  une  môme  pensée,  d'être  une 
seule  âme.  A  qui  la  saisissante  affirmation  de  cette  grande  unité 
morale  ne  dicte-t-elle  pas  des  devoirs  impérieux?  Qui  ne  les  a  pas 
compris?  Le  patriotisme  est  autre  chose  que  l'excitation  passagère 
de  l'amour-propre  national,  c'est  le  sentiment  permanent  de  ce  qu'on 
doit  à  son  pays,  c'est  le  sacrifice  quotidien  fait  à  sa  grandeur  et  à  sa 
puissance  des  querelles  stériles  et  des  rivalités  personnelles.  (Double 
salve  d''applaudissements.)  Nos  ambitions  s'élèvent  assez  haut  pour 
que  ce  soit  toujours  l'image  de  la  patrie  qui  nous  inspire. 

La  tribune  est  ouverte  à  la  discussion  féconde  des  idées.  Les  moeurs 
de  la  liberté  ont  fortifié  les  esprits;  le  pays  ne  redoute  plus  les  con- 
troverses parlementaires.  11  sait  que  rien  ne  peut  être  mis  en  péril 
de  ce  qui  garantit  l'œuvre  de  la  Révolution,  de  ce  qui  protège  les 
droits  et  les  espérances  du  suffrage  universel.  (Très  bien!) 

Il  sait  que  ce  serait  la  plus  folle  des  contradictions  de  faire  de  la 
République  un  gouvernement  de  défiance  contre  la  démocratie,  que 
ce  serait  la  plus  ridicule  des  politiques  de  nier  le  progrès  et  de  pré- 
tendre arrêter  la  marche  de  la  civilisation.  (Applaudissements.) 

Ceux  qui  se  sont  donnés  tout  entiers  à  la  République  se  sont 
donnés  sans  réserves  à  la  démocratie,  et  c'est  à  la  liberté  qu'ils 
demandent  de  les  guider  dans  ce  grand  chemin  où  l'humanité  s'avance 
à  la  recherche  du  mieux  matériel  et  moral.  (Applaudissements.) 

Le  président.  —  La  parole  est  à  AL  le  président  du  Conseil. 

M.  Charles  Dupuy,  président  du  Conseil,  donne  alors  lecture 
de  la  Déclaration. 

La  lecture  de  la  déclaration  est  suivie  d'un  assez  long  mo- 
ment d'incertitude;  les  groupes  délibèrent. 

Bientôt  MM.  Jaurès  et  Millerand  demandent  à  «  interpeller 
le  gouvernement  sur  sa  politique  générale  ». 

Qnand  discuter?  Jeudi?  Sur-le-champ  ? 

M,  Dupuy,  président  du  conseil,  accepte  la  discussion  immé- 
diate. 

32 


442  ANNALES,  CATHOLIQUES 

M.  Lavertujon  préfère  le  renvoi  à  jeudi.  La  Déclaration  est 
longue;  elle  a  provoqué  des  mouvements  divers;  il  faut  la 
relire,  la  méditer. 

M.  Dupuy  insiste  pour  le  débat  immédiat. 

Après  une  épreuve  douteuse  par  291  voix  contre  221  le  ren- 
voi à  jeudi  est  refusé  et  la  discussion  immédiate  ordonnée. 

M.  Jaurès,  socialiste,  ouvre  le  feu.  ' 

'  ..1. /;■•.  î 

Toutes  les  paroles,  toutes  les  attitudes  du  gouvernement  nous 
signifient  la  guerre  ;  je  dirais  même  que  toutes  ses  pensées  sont  tour- 
nées contre  nous,  si  la  conscience  de  quelques-uns  de  ceux  qui  sont 
au  pouvoir  n'était  pas  souvent  traversée  par  certains  souvenirs. 

Mais  ceux-là  nous  détestent  plus  encore  que  les  autres,  car  nous 
sommes  pour  eux  l'occasion  incessante  d'un  douloureux  retour  sur 
eux-mêmes. 

Donc,  c'est  contre  noua  le  combat  avoué,  déclaré,  implacable,  et, 
en  vérité,  on  nous  fait  trop  d'honneur  quand  on  nous  attribue  un 
mouvement  créé  par  la  nature  même  des  choses. 

Aussi  je  n'ai  pas  à  vous  demander  ni  de  nous  seconder,  ni  de  nous 
combattre.  Ce  que  j'ai  à  vous  demander,  c'est  au  nom  de  quel  prin- 
cipe, de  quelle  conception  gouvernementale  vous  entendez  combattre 
le  mouvement  socialiste.  •. 

L'orateur  défend  ensuite  ceux  que  le  président  dit  conseil 
appelle  des  c  meneurs  >.  C'est  un  plaidoyer  ^ro  domo: 

Eh  bien,  dit  M.  Jaurès,  savez-vous  où  sont  réellement  les  me- 
neurs, les  excitateurs  ?  Il  ne  sont  pas  parmi  les  ouvriers  qui  créent  des 
syndicats,  ils  ne  sont  pas  parmi  ces  prétendus  meneurs  que  vous  dé- 
noncez à  la  majorité;  non,  les  principaux  meneurs  se  trouvent  parmi 
les  capitalistes,  ils  sont  dans  la  majorité  gouvernementale  elle-même. 

La  vérité  est  que  ce  mouvement  vient  du  fond  même  des  cheses  ;  il 
prend  sa  source  dans  les  souffrances  du  peuple;  dans  notre  France 
républicaine,  il  est  sorti  de  la  forme  même  du  gouvernement  répu- 
blicain et  de  la  situation  économique  du  pays. 

Vous  avez  fait  la  République,  et  c'est  votre  honneur.  Vous  l'avez 
faite  inattaquable,  indestructible;  mais  par  là  vons  avez  institué, 
dans  notre  pays,  entre  l'ordre  politique  et  l'ordre  économique  une 
flagrante  contradiction. 

Dans  l'ordre  politique,  notre  société  est  émancipée,  mais,  dans 
l'ordre  économique,  elle  est  encore  soumise  aux  oligarchies  finan- 
cières. Tout  à  l'heure  vous  avez  vous-même  parlé  de  la  Banque  de 
France.  Vous  avez  dit  qu'il  fallait  améliorer  cette  institution.  Cela 
ne  suffit  pas.  Il  fallait  dire  dans  quel  sens  cette  amélioration  doit 
être  réalisée.  .  .   ■  .  '    • 

Pour  le  suffrage  universel,  vous  avez  fait  de  tous  les  citoyens  mW' ' 


LES  CHAMBRES  443 

assemblée  de  rois  qui  changent,  quand  il  leur  convient,  leurs  manda- 
taires, législateur  ou  ministre.  Mais  dans  l'ordre  économique  le 
peuple  reste  sans  garanties. 

Du  jour  au  lendemain  il  peut  être  chassé  de  l'atelier;  il  ne  colla- 
bore pas  à  la  rédaction  des  règlements  d'atelier,  tous  les  jours  plus 
rigoureux. 

Il  est  la  proie  de  tous  les  hasarda,  de  toutes  les  servitudes  ;  il  peut 
être  privé  de  tout  travail  par  la  coalition,  des  grandes  Compagnies 
minières  qui  lui  retranchent  même  son  pain;  et  alors  que  les  tra- 
vailleurs n'ont  plus  à  payer  à  un  souverain  une  liste  civile  de  quel- 
ques millions,  ils  ont  à  prélever  sur  leur  tâche  journalière  une  liste 
civile  de  plusieurs  milliards  en  faveur  de  l'oligarchie  capitaliste. 

Et  c'est  parce  que  le  socialisme  proclame  que  la  République  poli- 
tique doit  aboutir  â  la  République  sociale,  parce  qu'il  veut  que  la 
nation  soit  souveraine  dans  le  domaine  économique  comme  dans  le 
domaine  politique,  que  vous  accusez  ce  socialisme  d'être  un  fléau  et 
que  vous  voulez  le  livrer  à  vos  gendarmes. 

Le  peuple  avait,  dans  sa  souffrance,  une  consolation:  la  foi; 
la  République  la  lui  a  fait  perdre. 

Vous  avez  interrompu,  s'écrie  M.  Jaurès,  la  vieille  chanson  qui 
berçait  la  misère  humaine;  et  la  misère  humaine  s'est  réveillée;  elle 
se  dresse  devant  vous. 

M.  de  Ramel.  —  L'idée  religieuse  a  elle  seule,  a  fait  plus  que  tout 
ce  que  vous  pourrez  faire. 

M.  Jaurès  traite  la  question  des  syndicats,  —  celle  de  la  pro- 
priété rurale  en  commentant  le  programme  de  Marseille. 

Il  fait,  avec  des  métaphores  cosmographiques,  aussi  singu- 
lière que  brillantes,  un  interminable  exposé  de  doctrines  ;  il  re- 
proche au  gouvernement  decprendre  le  mot  d'ordre  auVatican>  (!). 

Il  conclut  aux  applaudissements  de  la  Montagne  : 

Le  socialisme  est  à  ce  point  un  mouvement  profond,  nécessaire, 
qui  sort  de  nos  institutions  républicaines  et  laïques,  que  pour  le 
combattre  vous  allez  être  obligé  à  une  œuvre  de  réaction. 

Essayez-la  :  pendant  que  vous  userez  ainsi  ce  qui  vous  reste  de 
force  et  de  prestige,  nous  apporterons  des  projets  de  réformes  et, 
puisque  vous  désertez  la  politique  républicaine,  c'est  nous,  socialis- 
tes qui  la  ferons  ici. 

Je  dépose  comme  sanction  de  celte  interpellation  l'ordre  du  jour 
suivant: 

«  La  Chambre,  convaincue  qu'on  ne  peut  combattre  le  socialisme 
sans  déserter  les  principes  républicains  etconJamnant  énergiquement 
la  politique  rétrograde  et  provocatrice  du  ministère  passe  â  l'ordre  du 
jour.» 


444  ANNALES    CATHOLIQUES 

M.  Dupuy  répond,  mais  il  patauge  et  s'enlise  tant  et  si  bien» 
que,  fatiguée,  la  Chambre  renvoi  la  suitede  la  discussion  à  jeudis 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE 

La  déclaration  ministérielle.  —  Les  envoyés    de  Behanzin.  —  Ouverhrre 
du  Reischtag.  —  Fin  des  grèves  anglaises. 

23  novembre  1893. 

Nous  voici  donc  pourvus  d'une  Chambre  constituée  et  d'une- 
nouvelle  déclaration  ministérielle  ! 

Que  dire  de  celle-ci,  sinon  que,  pavée  de  bonnes  intentions 
et  de  tournures  de  phrases  bizarrement  construites  et  pénible- 
ment enchevêtrées,  rédigée  et  lue  par  M.  Dupuy,  elle  a  fatigué 
la  Chambre,  qui  pourtant  était  toute  disposée  à  faire  un  succès 
au  président  du  conseil.  Jamais  M.  Dupuy  n'a  été  plus  lourd  et 
plus  pâteux.  Quand  c'était  M.  de  Freycinet  qui  tenait  la  plume 
pour  le  compte  du  gouvernement,  ses  discours  ne  disaient  pas 
grand'chose,  mais  au  moins  ils  étaient  écrits  en  français.  M.  Du- 
puy a  cru  devoir  écrire  la  déclaration  ministérielle  en  charabia: 
nous  ignorons  dans  quel  but.  Cette  déclaraiion  est  d'une  lon- 
gueur inusitée.  Le  président  du  conseil  a  enfilé  des  phrases  qui 
vont  de  Paris  à  Pontoise.  On  prétend  que  les  collègues  de  M.  Du- 
puy ont  obtenu  de  lui  de  retrancher  un  quart  de  son  document. 
11  aurait  pu  sans  inconvénient  retrancher  les  trois  quarts  et 
demi  de  ce  qu'il  en  restait.  Il  en  serait  resté  bien  assez. 

M.  Dupuy,  dans  la  déclaration  ministérielle,  a  parlé  de  tout, 
du  suffrage  universel,  de  la  propriété,  de  l'assistance,  de  l'hy- 
giène, de  l'enfance  abandonnée  ou  coupable,  des  sociétés  coopé- 
ratives et  des  sociétés  de  secours  mutuels,  des  caisses  de  re- 
traites des  ouvriers  mineurs,  qui  sont  la  pr^/acé  de  la  caisse 
de  retraites  des  travailleurs  (il  paraît  qu'on  parle  comme  ça  au 
Puy),  du  budget,  de  la  conversion  qu'on  fera  et  des  dégrève- 
ments qu'on  ne  fera  pas,  de  l'impôt  des  boissons  et  de  la  contri- 
bution des  portes  et  fenêtres,  du  flot  montant  des  pensions  ci- 
viles, des  caisses  d'épargne,  des  prestations  et  du  crédit  agri- 
cole, des  irrigations  et  de  la  médecine  vétérinaire  et  sous-vété- 
rinaire, de  l'Exposition  universelle  de  1900  et  des  installations 
électriques.  Que  sais-je?  Cette  déclaration  est  tout  un  monde. 
C'est  la  déclaration  de  M.  Touche-à-Tout. 


CHRONIQUE  DE  LA.  SEMAINE  445 

Ce  qui  se  dégage  de  tout  ce  fatras,  c'est  que  M.  Dupuy  et  ses 
-collègues  ue  veulent  ni  de  la  revision  de  lu  Constitution,  ni  de 
la  séparatioa  des  Eglises  et  de  l'Etat,  ni  de  l'impôt  unique  sur 
le  revenu,  ni  du  scrutin  de  liste,  ni  de  la  nationalisation  de  la 
propriété.  Ils  auraient  pu  dire  cela  en  dix  lignes.  Les  quatre 
•cinquièmes  de  la  Chambre  les  auraient  approuvés.  Ilétaitinutile 
de  faire  suivre  ces  déclarations  d'une  dissertation  politique  fort 
ennuyeuse  et  qui  ne  veut  rien  dire. 


Les  envoyés  de  Behanzin  arrivés  ici  il  y  a  plusieurs  jours  ont 
quitté  Paris,  hier  soir,  pour  retourner  au  Dahomey.  Ils  n'ont 
•été  reçus  ni  par  les  ministres  ni  par  M.  Carnot.  En  partant,  ils 
ont  adressé  au  président  de  la  République  une  missive  en  langue 
■anglaise,  dont  voici  la  traduction  : 

Noua  sommes  envoyés  par  le  roi  Behanzin  à  la  France,  pour  voir 
le  Président  Carnot  et  ses  ministres  afin  de  conclure  la  paix  et  pour 
raconter  tous  les  malentendus  suscités  par  le  roi  Toffa  entre  la  France 
-et  le  Dahomey.  Cette  a/faire  a  été  deux  fois  résolue  à  la  côte,  mais 
sans  bon  résultat  ;  ceci  a  été  cause  que  le  roi  Behanzin  a  envoyé  son 
propre  bâton  avec  ses  ambassadeurs  au  gouvernement  français,  et  il 
parait  maintenant  que  le  gouvernement  refuse  de  nous  recevoir  et 
d'entendre  de  nous  le  message  que  nous  apportons  du  roi  Behanzin. 
Nous  sommes  arrivés  ici  le  10.  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  rentrer 
chez  nous,  puisque  nos  messagers  ne  peuvent  être  reçus  pour  con- 
clure la  paix  avec  le  Dahomey.  Dieu  fera  la  paix. 

A  Son  Excellence  M.  le  Président  Carnot. 
Chef  Chettingan, 
Chef  Ayenkukex, 
Messager  confidentiel  Tossah, 
Henry-A.  Dosoo,  secrétaire  et  interprète. 
P.-S.  —  Nous  partons  ce  soir,  car  nous   ne  pouvons   supporter  le 
froid.  Veuillez  nous  envoyer  une  bonne  réponse,  soit  à  Liverpool, 
«oit  à  Grand -Caaary,  en   nous  accordant   un  sauf-conduit  pour  dé- 
barquer à  Whydah  et  nous  permettre  de  rejoindre  notre  roi. 

En  même  temps  que  cette  lettre,  le  gouvernement  a  reçu  des 
nouvelles  du  général  Doods. 

Le  6  novembre,  le  général  se  trouvait  à  six  kilomètres  au  sud 
du  camp  de  Behanzin  et  le  8  la  colonne  Dumas  est  arrivée  à  dix 
kilomètres  à  l'Est.  Le  mouvement  combiné  des  deux  colonnes  a 
produit  une  grande  panique  chez  l'ennemi  et  a  donné  d'heureux 
résultats. 


446  ANNALES  CATHOLIQUES 

Behanzin  et  ses  guerriers  se  sont  enfuis  dans  la  brousse.  Un 
grand  nombre  des  chefs  de  Behanzin,  parmi  lesquels  quatre 
oncles  et  frères  de  l'ex-roi,  ont  fait  leur  soumission.  460  fusils  à 
tir  rapide  et  trois  canons  Krupp,  ainsi  qu'une  mitrailleuse,  ont 
été  remis  entre  les  mains  du  général,  qui  se  trouvait  le  12  au 
bivouac  à  Zounatou. 

Une  colonne  légère  a  été  lancée  à  la  poursuite  de  Behanzin. 
Il  y  a  lieu  d'espérer  qu'il  se  rendra  dans  un  bref  délai.  Les 
troupes  sont  en  bonne  santé  et  montrent  beaucoup  d'entrain. 

Il  faut  convenir  que  le  gouvernement  a  mille  fois  raison  de  ne 
vouloir  rien  connaître  de  la  mission  de  ces  ambassadeurs  ; 
aurait-il  d'ailleurs  la  certitude  qu'ils  sont  accrédités  par  Behan 
zin  que  ce  ne  serait  que  sagesse  de  les  éconduire.  Les  négocia- 
tions parallèles  ne  valent  rien  ;  d'une  part,  le  général  Doods  a 
invité  Behanzin  à  entrer  directement  en  relations  avec  lui,  ce  à 
quoi  le  roi  ne  met,  du  reste,  aucun  empressement;  d'autre  part, 
le  commandant  de  la  colonne  française  fait  actuellement  un 
efifort  pour  réduire  le  chemin  qui  sépare  Behanzin  de  nos 
bivouacs  ;  ce  n'est  donc  pas  le  cas  de  discuter  à  Paris  lorsqu'on 
tente  d'amener  Behanzin  â  composition  au  Dahomey  par  des 
arguments  qui  peuvent  avoir  un  très  grand  poids  dans  ses  dé- 
minations. 


L'ouverture  du  Reichstag  allemand  a  eu  lieu  le  16  par  un 
discours  du  trône.  L'Empereur  exprime  ses  remerciements  pour 
l'empressement  patriotique  qu'on  a  mis  à  concourir  au  dévelop- 
pement des  institutions  de  l'armée.  Les  nombreuses  marques  de 
sympathie  qui  ont  accueilli  et  réjoui  l'Empereur,  dans  les 
diverses  parties  de  l'Empire,  sont  une  garantie  de  la  satisfaction 
de  la  nation  constatant  que  l'organisation  de  l'armée  est  assurée. 

C'est  sur  cette  organisation  que  repose  la  garantie  de  la  défense 
de  la  patrie  et  de  la  conservation  de  la  paix. 

Le  principal  devoir  du  Reichstag  est  maintenant  de  prendre 
des  mesures  pour  créer  les  ressources  nécessaires  pour  couvrir 
les  dépenses  nécessitées  par  l'organisation  de  l'effectif  de  pré- 
sence en  temps  de  paix.  Les  expériences  faites  jusqu'à  présent, 
relativement  aux  rapports  financiers  entre  l'Empire  et  les  Etats 
fédérés,  ont  prouvé  que  la  séparation  entre  les  services  finan- 
ciers s'impose  sous  peine  de  porter  préjudice  à  l'Empire  et  aux 
Etats.  La  contribution  que  l'Empire  demande  aux  Etats  fédérés 


CHRONIQUB    DB    LA    SEMAINE  447 

doit  être  dans  un  rapport  fixe  avec  les  contributions  ;  la  part  en 
revenant  aux  Etats  fédérés  doit  être  stable  pour  un  espace  de 
temps  prolongé. 

Le  projet  de  loi  à  ce  sujet  ainsi  que  le  projet  d'impôt  sur  le 
tabac,  le  vin  et  le  timbre  sont  déposés  sur  le  bureau  du  Reich- 
tag;  le  budget  de  l'Empire  a  été  établi  avec  la  plus  grande 
économie. 

Sont  également  déposés  pour  ratification  par  le  Reichstag,  les 
traités  de  commerce  avec  l'Espagne,  la  Roumanie  et  la  Serbie. 
Le  discours  du  trône  annonce  ensuite  qu'incessamment  seront 
soumises  au  Reichstag  des  dispositions  concernant  une  augmen- 
tation extraordinaire  des  droits  d'entrée  pour  les  importations 
venant  de  Russie.  L'empereur  espère  que  les  négociations  pen- 
dantes entre  l'Allemagne  et  la  Russie  écarteront  ces  mesures. 
Les  gouvernements  ont  réussi,  par  des  mesures  énergiques,  à 
s'opposer  avec  succès  à  la  propagation  du  choléra. 

Le  discours  du  trône  annonce  une  loi  pour  combattre  les  épi- 
démies dans  l'Empire  ainsi  que  le  dépôt  des  conclusions  de  la 
conférence  sanitaire  de  Dresde,  afin  de  les  faire  approuver  par 
le  Reichstag.  Vu  la  tâche  étendue  du  Reichstag  sur  les  terrains 
financiers  et  d'économie  politique,  le  nombre  des  projets  à  dé- 
poser a  été  restreint  autant  que  possible.  Dans  les  rapports  avec 
l'extérieur,  il  n'y  a  pas  de  modifications.  Le  discours  constate 
la  continuation  d'une  étroite  amitié  liant  l'Allemagne  avec  les 
pays  alliés  avec  lesquels  elle  poursuit,  de  commun  accord,  des 
buts  pacifiques. 

Nous  entretenons,  dit  le  discours  en  terminant,  avec  toutes 
les  puissances  de  bons  et  amicaux  rapports. 

J'ai  donc  la  conviction  entière  qu'avec  l'aide  de  Dieu  les  bien- 
faits de  la  paix  nous  seront  acquis  également  pour  l'avenir. 


La  conférence  des  délégués  des  patrons  et  des  mineurs 
anglais,  réunie  au  Foreign  Office  sous  la  présidence  de  lord 
Roseberry,  a  heureusement  abouti.  Il  semble  bien  que  les 
ouvriers,  contrairement  à  ce  qui  vient  de  se  passer  dans  le 
Pas-de-Calais,  aient  obtenu  jusqu'à  un  certain  point  gain  de 
cause,  en  ce  sens,  tout  au  moins,  que  la  réduction  de  25  0/0  sur 
les  salaires,  cause  de  la  grève,  ne  sera  pas  appliquée  :  le  travail 
va  être  repris  aux  anciens  salaires  jusqu'en  février;  on  verra 
alors  à  s'entendre  sur  de  nouvelles  conditions.  Les  prix  excep- 


448  ANNALES     CATHOLIQUES 

tionnels  atteints  par  le  charbon  depuis  la  fermeture  des  mines 
du  Centre  ont  sans  doute  permis  cette  concession  aux  proprié- 
taires. Il  s'agit  de  savoir  si  la  baisse  inévitable  qui  va  suivre  la 
reprise  du  travail  par  200,000  hommes  ne  ramènera  pas  la  situa- 
tion ancienne,  avec  la  réduction  du  salaire  comme  conséquence, 
encore  plus  vite  que  la  Fédération  des  mineurs  ne  s'en  flatte. 
Leur  victoire  risque  donc  fort  d'être  éphémère,  et  elle  a  été,  en 
outre,  si  chèrement  achetée,  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  les  féliciter 
beaucoup  d'avoir  engagé  la  bataille.  Deux  mois  et  demi  de 
salaires  avantageux  ne  répareront  jamais  les  misères  de  près 
de  quatre  mois  de  grève. 

Et  les  souffrances  endurées,  les  pertes  subies,  l'arrêt  d'une 
partie  de  la  vie  manufacturière  du  Centre,  cœur  industriel  de 
l'Angleterre;  certaines  villes^  l'autre  jour  encore,  privées  de 
l'éclairage  au  gaz,  tous  ces  inconvénients  et  ces  désastres  ne 
constituent  pas  tout  le  passif  de  cette  lutte  sans  précédent.  Elle 
a  révélé  dans  les  masses  ouvrières  des  symptômes  inquiétants; 
les  désordres  causés  par  les  grévistes  ont  été  à  un  moment  si 
grands  que  la  troupe  a  dià  faire  usage  de  ses  armes,  ce  qui  ne 
s'était  pas  vu  depuis  plus  de  trente  ans  ;  les  meneurs,  MM.  Pic- 
kard,  Woods,  etc.,  outre  les  théories  économiques  particulières 
qu'ils  ont  manifestées  par  des  apophtegmes  dont  on  se  souvient, 
ont  fait  montre,  à  plusieurs  reprises,  d'un  penchant  regrettable 
pour  les  solutions  violentes  ;  bref,  cette  formidable  armée  de 
travailleurs  anglais,  dont  le  sens  pratique,  les  goûts  raisonna- 
bles, l'instinct  de  l'égalité,  l'horreur  naturelle  du  socialisme 
d'Etat,  sont  si  souvent  proposés  en  exemple  à  leurs  frères  du 
continent,  s'est  montrée  sous  un  jour  beaucoup  moins  favora- 
ble ;  ce  qui  n'a  que  médiocrement  étonné  ceux  qui  suivent  le 
mouvement  social  en  Angleterre  depuis  quelques  années. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  bien  que  la  paix  conclue  ressemble  fort, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit,  à  une  simple  trêve,  on  ne  peut  que 
se  réjouir  de  la  fin  de  cette  guerre  de  près  de  cent  vingt  jours. 


Le  gérant  :  P.  Chantrel. 

ly 


Pans.  —  Imp.  G.  Picquoin,  53,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LES  CONGREGATIONS  RELIGIEUSES 
d'après    les  notes  de    jurisprudence  du  conseil  d'éta.t   (1). 

I.  Org^anisation  et  fonctionnement. 

§  l•^   —    CONGRÉGATIONS  d'hOMMES 

Un  décret  ou  une  ordonnance  qui  a  autorisé  une  congré- 
gation d'hommes  comme  association  charitable  vouée  à  l'ensei- 
gnement ou  comme  établissement  d'utilité  publique  n'a  pu  sup- 
pléer à  la  loi  qui  était  nécessaire  pour  lui  donner  la  personnalité 
civile.  Si  la  loi  du  24  mai  1825  a  permis  au  gouvernement,  dans 
certains  cas  et  sous  certaines  conditions,  de  constituer  par 
simple  décret  en  personnes  civiles  les  congrégations  de  femmes, 
aucun  texte  de  loi  ne  lui  donne  le  même  droit  en  ce  qui  con- 
cerne les  congrégations  d'hommes.  (Avis  (Assemblée  générale), 
16  juin  1881.  Société  de  Marie.) 

Un  décret  qui  a  autorisé  l'existence  d'une  congrégation 
d'hommes  n'a  pu  avoir  pour  eifet  de  lui  conférer  la  personnalité 
civile,  et  peut  être  rapporté  par  un  autre  décret  pris  dans  la 
même  forme.  (Projet  de  décret  et  note  (Assemblée  générale), 
22  septembre  1888.  Retrait  du  décret  du  6  mai  1853  qui  avait 
reconnu  l'association  religieuse  des  Frères  de  Saint-Joseph.) 

§  2.    CONGRÉGATIONS  DE  FEMMES 

Une  congrégation  religieuse  de  femmes  ne  constitue  pas  une 
personne  morale  unique  ayant  un  patrimoine  collectif  qui  serait 
commun  à  tous  les  établissements  dépendant  de  cette  congréga- 
tion :  chacun  des  établissements  dûment  autorisés  possède  la 
personnalité  civile  et  un  patrimoine  distinct.  (Avis  (Assemblée 
générale),  4  juin  1891.) 

En  conséquence  : 

(1)  Nous  empruntons  encorn  cette  excellente  étude  sur  les  congré- 
gations religieuses  à  la  savante  Revue  administrative  du  culte  catho 
lique  (octobre  1893),  dirigée  par   M.  GroussEau,  avocat,    professeur_ 
de  droit   administratif  aux  Facultés  catholiques  de  Lille    (Lille,  19, 
r  ue  Pas,  revue  mensuelle  :  abonnement  12  francs  par  anj. 

LXXXVI   —  2  DÉCEMBRE  1893.  '  33 


450  ANNALES  CATHOLIQUES 

l°Dans  les  actes  de  la  vie  civile,  chaque  établissement  parti- 
culier doit  être  représenté  non  par  la  Supérieure  générale  de  la 
congrégation,  mais  par  sa  supérieure  locale  préalablement  auto- 
risée par  son  Conseil  d'administration.  (Même  avis.) 

2°  L'établissement  principal  ou  Maison-Mère  ne  peut  pas  dis- 
poser des  biens  régulièrement  acquis  ou  possédés  par  un  établis- 
sement diiment  autorisé.   (Même  avis.'l 

Mais  l'établissement  principal  d'une  congrégation  peut  être 
autorisé  à  disposer  des  biens  qui  lui  appartiennent  en  propre  ou 
à  emprunter,  en  son  nom,  pour  les  besoins  des  établissements 
particuliers  légalement  reconnus.   (Même  avis.) 

A.  —  Autorisation  de  nouvelles  congrégations.  Pendant  la 
période  du  lerjuillet  1879  au  31  décembre  1890,  il  n'a  pas  été 
présenté  de  demande  d'autorisation  pour  une  nouvelle  congré- 
gation. 

B.  —  Fondation  d'établissements  dépendant  de  congréga- 
tions déjà  autorise'es.  La  fondation  d'un  établissement  ne  sau- 
rait être  autorisée  : 

1°  Si  cet  établissement  doit  se  rattacher  à  une  congrégation 
reconnue  à  titre  de  communauté  à  supérieure  locale.  (Avis 
(Assemblée  générale),  16  juin  1887.  Legs  de  la  demoiselle  Rul- 
lier.  Fondation,  à  Limoges,  d'un  établissement  des  Sœurs  Saint- 
Alexis.) 

2°  Si  les  services  qu'a  rendus  l'établissement  qui  a  déjà  une 
existence  de  fait,  ou  qu'est  appelé  à  rendre  l'établissement  qu'il 
s'agit  de  créer,  ne  paraissent  pas  suffisants  pour  justifier  la 
mesure  proposée.  (Avis,  25  janvier  1882.  Fondation,  à  Cam- 
bayrac,  d'un  établissement  dépendant  de  la  congrégation  ensei- 
gnante des  Filles  de  Jésus.  —  Avis  (Assemblée  générale), 
8  juin  1882.  Fondation,  àAmbert,  d'un  établissement  dépendant 
de  la  congrégation  hospitalière  des  Sœurs  gardes-malades  de 
Notre-Dame  de  Bon-Secours.  —  Avis  (Assemblée  générale), 
23  mars  1882.  Fondation,  à  Gournay,  d'un  établissement  dépen- 
dant de  la  congrégation  hospitalière  des  Sœurs  de  la  Compas- 
sion. Dans  cette  affaire,  le  refus  était  basé,  en  outre,  sur  la 
proximité  de  la  Maison-Mère.) 

S'il  résulte  de  l'instruction  que  l'établissement  qu'il  s'agit  de 
fonder,  au  lieu  de  poursuivre  un  but  purement  charitable,  peut 
devenir  une  source  de  bénéfices  pécuniaires  pour  la  congrégation. 

Il  convient  donc,  avant  d'autoriser  un  établissement  destiné 
à  fonder  un  orphelinat,  de  demander  des  renseignements  sur 


LES    CONGRÉGATIONS    RELIGIEUSES  451 

Fâge  d'admission  des  orphelins  dans  l'établissement,  et  sur  celiji 
auquel  ils  en  sortiront,  sur  la  part  du  produit  du  travail  de  cha- 
que orphelin  qui  serait  affecté  à  la  constitution  d'un  pécule,  et 
sur  l'emploi  de  l'oxcédent  de  recettes  que  pourra  avoir  l'éta- 
blissement. (Note,  21  mars  1888.  Legs  de  la  demoiselle  Mérel. 
Fondation,  à  La  Guerche,  d'un  établissement  de  la  congréga- 
tion hospitalière  des  Filles  do  la  Charité  de  Saint-Vincent  de 
Paul). 

3°  Si  la  congrégation  possède  déjà  un  grand  nombre  d'établis- 
sements dans  le  même  département.  (A.vis  (Assemblée  géné- 
rale), 3  aoiît  1882.  Fondation,  à  Ennezat,  d'un  établissement 
dépendant  de  la  congrégation  hospitalière  et  enseignante  de  la 
Miséricorde.) 

4°  Si  l'œuvre  en  vue  de  laquelle  la  congrégation  sollicite  l'au- 
torisation de  fonder  une  succursale  peut  recevoir  une  existence 
propre  à  raison  de  la  nature  ou  de  l'origine  des  ressources  qui 
lui  sont  destinées.  (Note,  5  février  1889.  Legs  de  la  demoiselle 
Mérel.  Fondation,  à  La  Guerche,  d'un  établissement  dépendant 
de  la  congrégation  hospitalière  des  Filles  de  la  Charité  de  Saint- 
Vincent  de  Paul.) 

5°  Si  la  reconnaissance  de  l'établiÉsement  est  demandée  en 
vue  de  l'installation  d'écoles  libres,  par  ce  motif  que,  si  la  loi 
du  15  mars  1850  autorise  les  congrégations  religieuses  à  fonder 
et  à  entretenir  des  écoles  libres,  le  gouvernement  ne  saurait,  en 
présence  du  principe  de  la  neutralité  de  l'enseignement  pri- 
maire proclamé  par  notre  législation,  accorder  le  privilège  de  la 
personnalité  civile  à  des  établissements  qui  donnent  un  ensei- 
gnement confessionnel.  (Note,  6  aoiàt  1883,  projet  de  décret  et 
avis  (Assemblée  générale),  9  janvier  1884.  Donatien  de  la  dame 
Vigoureux.  Fondation,  à  Allejras,  d'un  établissement  dépen- 
dant de  la  congrégation  hospitalière  et  enseignante  de  Saint- 
Joseph.) 

6*  Sauf  des  circonstances  exceptionnelles,  si  la  reconnais- 
sance est  demandée  par  une  congrégation  à  la  fois  hospitalière  et 
enseignante,  en  vue  de  fonder  un  établissement  de  son  Ordre  ; 
car  la  reconnaissance  qui  lui  serait  accordée  sous  la  seule  con- 
dition que  les  Sœurs  qui  en  feront  partie  se  conformeront  aux 
statuts  approuvés  de  la  Maison-Mère,  leur  donnerait  implicite- 
ment la  faculté  d'y  annexer  une  école  primaire.  (Note,  18  juil- 
let 1891.  Fondation,  à  Bois-Guillaume,  d'un  établissement 
dépendant  de  la  congrégation  des  Sœurs  de  Saint-Vincent  de  Paul.) 


452  ANNALKS    CATHOL1QUK8 

Depuis  le  1"  juillet  1879,  la  reconnaissance  d'un  établisse- 
ment particulier,  dépendant  d'une  congrégation  autorisée,  a  été 
accordée  dans  les  affaires  suivantes  : 

Projet  de  décret,  11  août  1879.  Fondation,  à  Sillé-le-Guil- 
laume,  d'un  établissement  de  Sœurs  gardes-malades  de  la  Misé- 
ricorde. Congrégation  hospitalière.  —  Projet  de  décret,  25  mai 
1880.  Fondation,  à  Châtellerault,  d'un  établissement  de  la  même- 
congrégation.  —  Projet  de  décret,  26  octobre  1881.  Fondation^ 
à  Gan,  d'un  établissement  des  Filles  de  la  Croix,  dites  de  Saint- 
André.  Congrégation  hospitalière  et  enseignante.  —  Note,  12. 
janvier  1881.  Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  8  juin 
1882.  Fondation,  au  Pecq,  d'un  établissement  des  Sœurs  gardes- 
malades  de  Notre-Dame  de  Bon-Secours.  Congrégation  hospita- 
lière. —  Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  8  juin  1882. 
Fondation,  à  la  Madeleine-lés-Lille,  d'un  établissement  dépen- 
dant de  la  congrégation  des  Petites-Sœurs  des  Pauvres.  Con- 
grégation hospitalière.  —  Projet  de  décret  (Assemblée  géné- 
rale), 15  janvier  1885.  Fondation,  à  Lyon-Vaise,  d'un  établisse- 
ment de  la  même  congrégation.  —  Projet  de  décret  (Assemblée 
générale),  5  novembre  1885.  Fondation,  à  Evreux,  d'un  établis- 
sement de  la  même  congrégation.  —  Projet  de  décret  (Assem- 
blée générale),  21  janvier  1886.  Fondation,  à  Fourraies,  d'un 
établissement  de  la  même  congrégation.  —  Projet  de  décret 
(Assemblée  générale),  6  octobre  1887.  Fondation,  à  Alencon, 
d'un  établissement  de  la  même  congrégation. — Projet  de  décret 
(Assemblée  générale),  l*""  décembre  1887.  Fondation,  à  Aix, 
d'un  établissement  de  la  même  congrégation. 

Un  décret,  bien  qu'ayant  autorisé  un  établissement  dépen- 
dant d'une  congrégation  religieuse  de  femmes  à  acquérir  des 
immeubles  ou  à  accepter  des  libéralités,  n'a  pu  avoir  pour  effet, 
en  l'absence  des  formalités  exigées  par  les  dispositions  combi- 
nées de  la  loi  du  24  mai  1825  et  du  décret  de  31  janvier  1852, 
de  conférer  à'cet  établissement  la  personnalité  civile.  (Projet  de 
décret  et  note,  13  février  1884.  Legs  Puirajoux.) 

C.  —  Modification  de  statuts.  —  Translation  de  siège.  — 
Le  changement  du  siège  d'une  congrégation  constitue  une  mo- 
di-fication  des  conditions  de  l'autorisation,  et  ne  peut,  dés  lors,. 
avoir  lieu  qu'après  une  autorisation  nouvelle. 

Cette  autorisation  doit  être  demandée  avant  que  la  transla- 
tion ne  soit  effectuée.  Par  application  de  cette  règle,  n'a  pas  été 
adopté  UL  projet  de  décret  autorisant  une  congrégation  à  trans- 


l.ES  CONGRÉGATIONS  RELIGIEUSES  453 

férer  le  siège  de  l'association  dans  une  autre  commune,  alors 
qu'il  résultait  de  l'instruction  que  cette  translation  avait  été 
opérée  en  fait  avant  que  l'autorisation  ait  été  régulièrement 
sollicitée  du  gouvernement.  (Avis  (Assemblée  générale),  5  fé- 
vrier 1891  et  projet  de  décret  (Assemblée  générale),  30  juillet 
1891,  Translation,  à  Boulogne-sur-Mer,  du  siège  de  la  congré- 
gation des  Bénédictines  de  l'Adoration  perpétuelle  du  Saint- 
Sacrement  existant  à  Longuenesse.) 

D.  —  Réunion  de  congrégations.  —  Une  communauté  à  su- 
périeure locale  ne  saurait  être  autorisée  à  se  réunir  à  une  autre 
communauté  à  supérieure  locale,  s'il  doit  subsister  en  fait, 
après  la  réunion,  deux  établissements  distincts.  (Avis  (Assem- 
blée générale),  4  septembre  1879.  Réunion  de  l'Association  reli- 
gieuse des  Dames  Franciscaines  de  Sainte-Elisabeth  existant  à 
Montsoult,  à  l'association  du  même  nom  de  Paris.) 

E.  —  Retrait  d'autorisation.  —  Lorsqu'un  établissement  dé- 
pendant d'une  congrégation  de  femmes,  ou  lorsqu'une  commu- 
nauté demande  sa  dissolution  en  arguant  du  manque  de  res- 
sources nécessaires  pour  continuer  à  subsister,  l'autorisation 
qui  lui  a  été  donnée  par  décret  doit  être  rapportée  dans  la  même 
forme.  (Projet  de  décret  (Assemblée  généraiel,  3  août  1882.  Rap- 
port de  l'ordonnance  du  17  janvier  1817,  qui  a  autorisé  l'éta- 
blissement, à  Bordeaux,  des  Sœurs  dépendant  de  la  congréga- 
tion de  Marie-Thérèse.  —  Projet  de  décret  et  note  (Assemblée 
générale),  20  novembre  1889.  Rapport  des  autorisations  résul- 
tant des  ordonnance  et  décret  en  date  des  23  juillet  1826  et 
2  décembre  1854,  et  relatives  à  l'établissement,  à  Desnes,  et  à 
la  translation,  à  Bletterans,  d'une  communauté  d'Ursulines.) 

II.  Acquisitions  à  titre  onéreux. 

Avant  d'autoriser  une  congrégation  à  acquérir  un  immeuble, 
il  y  a  lieu  de  s'assurer  si  cet  immeuble  est  destiné  à  un  usage 
conforme  aux  statuts  de  la  congrégation.  ^Note,  28  mars  1881. 
Acquisition  par  la  communauté  de  la  Sainte-Famille,  à  Séez.  — 
Avis,  3  mai  1881.  Acquisition  par  la  communauté  des  Sœurs  de 
la  Croix,  à  Chauny.  — Note,  16  janvier  1883.  Acquisition  par 
la  congrégation  des  Sœurs  de  la  Doctrine  chrétienne,  à  Bor- 
deaux. —  Avis,  18  novembre  1891.  Acquisition  par  la  commu- 
nauté des  Dames  hospitalières  de  l'Hôtel-Dieu,  à  Baveux.) 

Par  application  de  ce  qui  précède,  l'Institut  des  Frères  des 


454  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ecoles  chrétiennes  n'a  pas  été  autorisé  à  acquérir  un  inameuble 
en  vue  d'agrandir  un  établissement  scolaire  dans  lequel  les 
élèves  payent  une  pension  annuelle.  Aux  termes  de  l'article 
premier  de  ses  statuts,  l'Institut  fait  profession  de  tenir  les 
écoles  gratuitement.  (Avis  (Assemblée  générale),  5  juillet  1883.) 

Il  y  a  lieu  de  tenir  compte  du  développement  qu'ont  pris  les 
ressources  de  la  congrégation  et  de  sa  dotation  actuelle.  (Note, 
2  décembre  1879.  Acquisition  par  la  communauté  des  Ursulines 
d'Ambert.  —  Note,  15  décembre  1879.  Acquisition  par  la  <îon- 
grégation  des  Sœurs  de  la  Providence.) 

La  congrégation  doit  justifier  qu'elle  possède  les  ressources 
nécessaires  pour  le  payement  du  prix  d'acquisition.  (Note,  1=^  dé- 
cembre 1880.  Acquisition  par  les  Petites-Sœurs  des  Pauvres.) 

Ne  peut  être  autorisée  une  acquisition  par  une  congrégation 
lorsqu'elle  est  destinée  à  un  établissement  dépourvu  d'existence 
légale.  (Avis  (Assemblée  générale),  23  novembre  1872.  Acquisi- 
tion par  la  communauté  des  Filles  de  la  Sainte-Famille  existant 
à  Albert.) 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser  une  congrégation  à  faire  une 
acquisition  lorsque  l'acte  de  vente  énonce  qu'en  cas  de  refus 
d'autorisation  par  le  gouvernement,  l'acquisition  sera  faite  pour 
le  compte  de  la  Supérieure  générale  agissant  en  son  nom  per- 
sonnel. (Note,  7  décembre  1887.  Acquisition  par  la  congréfa- 
tion  des  Filles  de  la  Charité  de  Saint-Vincent  de  Paul.) 

III.  —  Acquisitions  à  titre  gratuit. 

§  l^"".  —  CONGRÉGATIONS  d'hOMMES 

Les  congrégations  religieuses  d'hommes  ne  peuvent,  avec 
l'autorisation  du  gouvernement,  recevoir  des  libéralités  ou  ac- 
quérir des  biens  immeubles  ou  des  rentes  que  si  elles  ont  été 
reconnues  par  une  disposition  législative. 

(Avis,  projet  de  décret  et  note,  1"  février  1883.  Legs  Béroud.) 

Les  ordonnances  ou  décrets  qui  auraient  autorisé  ces  congré- 
gations comme  établissement  d'utilité  publique  ne  sauraient 
avoir  eu  pour  effet  de  leur  conférer  la  personnalité  civile.  Des 
actes  de  cette  nature  ne  peuvent,  en  effet,  conférer  la  person- 
nalité civile  à  des  associations  qui,  à  raison  de  leur  nature  et 
de  la  qualité  des  personnes  qui  les  composent,  sont  régies  par 
des  lois  spéciales. 


LES    CONGRÉGATIONS  RELIGIEUSKS  '155 

(Avis  (Assemblée  générale),  l^""  février  1883.  Legs  Béroud  à 
l'Institut  des  Petits-Frères  de  Marie.  —  Projet  de  décret  et 
note,  12  décembre  1888.  Legs  Mercié  de  Villehervé  à  l'Institut 
des  Frères  de  Saint-Gabriel.  — Projet  de  décret,  lOjanvier  1889. 
Legs  Lepecq.) 

L'Institut  des  Frères  des  Ecoles  chrétiennes  ne  saurait  être 
autorisé  à  accepter  des  libéralités  faites  en  faveur  d'un  établis- 
sement scolaire  placé  sous  sa  direction,  et  dans  lequel,  contrai- 
rement aux  statuts  de  la  congrégation,  tous  les  élèves  ne  se- 
raient pas  reçus  gratuitement. 

(Projet  de  décret  et  note  (Assemblée  générale),  17  juillet  1884. 
Legs  Cécile.  —  Avis  (Assemblée  générale),  18  décembre  1884. 
Legs  Faye.  —  Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  7  juil- 
let 1891.  Legs  Laborde.) 

En  conséquence,  l'Institut  ne  peut  être  autorisé  à  accepter 
une  libéralité  faite  à  charge  de  fonder  dans  une  commune  un 
pensionnat  où  il  serait  perçu  une  rétribution  quelle  qu'en  soit 
d'ailleurs  la  modicité.  La  congrégation  des  Frères  des  Ecoles 
chrétiennes,  étant  tenue  par  ses  statuts  de  donner  gratuitement 
l'enseignement,  ne  saurait  réaliser  la  condition  imposée  par  le 
testateur. 

(Projet  de  décret  et  note,  25  janvier  1888.  Legs  Loslier.) 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser  le  Supérieur  général  de  l'Institut 
des  Frères  des  Ecoles  chrétiennes  à  accepter  un  legs  consistant 
en  une  maison  avec  dépendances  destinée  à  la  tenue  de  l'école 
libre  dirigée  par  les  Frères  dans  la  commune,  lorsque  cette 
commune  possède  une  école  publique  dans  laquelle  toute  sa  po- 
pulation scolaire  peut  être  reçue. 

(Avis,  30  avril  1884.  Legs  Lapeyre.  —  Projet  de  décret  (As- 
semblée générale),  16  juillet  1891.  Legs  Galvaing.) 

Le  Supérieur  général  de  l'Institut  des  Frères  des  Ecoles 
chrétiennes  peut  être  autorisé  à  accepter  des  libéralités  faites 
aux  orphelins  dirigés  par  l'Institut. 

(Projet  de  décret  (Assemblée  générale',  19  juin  1884.  Legs 
Fosseret.  —  Projet  de  décret  (Assemblée  générale),  16  juil- 
let 1891.  Legs  Ronce.) 

§  2.  —  CONGRÉGATIONS  DE  FEMMES 

Les  libéralités  faites  aux  établissements  particuliers  d'une 
congrégation  doivent  être  acceptées  par  la  Supérieure  de  l'éta- 


456  A.NNALKK     CA.THULIQU88 

blissement  légataire,  la  Supérieure  générale  ayant  seulement 
qualité  pour  accepter  les  libéralités  faites  à  la  Maison-Mère 
considérée  comme  établissement  ayant  un  patrimoine  propre  et 
sa  personnalité  distincte. 

(Avis  (Assemblée  générale),  4  juin  1891.) 

On  ne  saurait,  en  présence  de  l'article  4  de  la  loi  du 
24  mai  1825,  distinguer  entre  les  établissements  qui,  à  raison 
de  leur  importance,  ne  pourraient  accepter  aucune  libéralité 
avant  d'avoir  obtenu  leur  reconnaissance  préalable,  et  ceux  qui, 
moins  importants,  se  confondraient  dans  la  personnalité  des  con- 
grégations elles-mêmes,  lesquelles  accepteraient,  à  leur  place, 
les  libéralités  faites  en  leur  faveur.  Une  pareille  distinction  au- 
rait l'inconvénient  de  reconnaître  l'existence  d'une  possession 
collective  commune  à  tous  les  établissements  d'une  même  con- 
grégation et  de  faciliter  ainsi  aux  congrégations  le  moyen  de 
s'étendre  indéfiniment  et  d'échapper  aux  prescriptions  de  la 
loi  du  24  mai  1825. 

Chaque  établissement  autorisé  ayant  son  patrimoine  propre, 
les  libéralités  faites  soit  à  un  établissement  particulier,  soit  à 
la  Supérieure  générale  pour  un  établissement  particulier,  doi- 
vent être  converties  en  rentes  immatriculées,  non  pas  au  nom  de 
la  congrégation,  mais  au  nom  de  l'établissement  particulier. 

(Avis,  18  février  et  21  juillet  1880.  Legs  Ardy.  —  Avis, 
17  janvier  1831.  Legs  Bérard.) 

Lorsqu'un  legs  est  fait  à  un  établissement  non  reconnu  d'une 
congrégation  autorisée,  le  décret  statuant  sur  cette  libéralité 
est  ainsi  conçu  :  Il  n'y  a  pas  lieu  de  statuer. 

(Projet  do  décret  et  avis  (Assemblée  générale),  23  janvier  1884. 
Legs  Balmont.) 

Dans  le  cas  oii  le  legs  est  fait  à  la  congrégation  pour  l'éta- 
blissement non  autorisé,  la  formule  des  décrets  est  la  suivante  : 

La  Supérieure  générale  ri  est  pas  autorisée  à  accepter. 

(Projet  de  décret  et  avis,  20  février  1884.  Legs  Lecerf.  — 
Projet  de  décret,  10  novembre  1885.  Legs  Borgoltz.) 

Il  y  a  lieu  de  faire  accepter  par  la  congrégation  des  Filles  de 
la  Charité  de  Saint-Vincent  de  Paul  un  legs  fait  aux  Lazaristes 
«  pour  la  création  ou  l'entretien  de  maisons  de  Sœurs  de  la 
Charité  dans  la  banlieue  »,  les  établissements  des  Soeurs  de 
Saint- Vincent  de  Paul  devant  seuls  profiter  du  legs. 

(Note  (Assemblée  générale),  13  décembre  1883.  Legs  Bresson.) 


LES  CONGRKGATIONS  RELIGIEUSES  457 

La  congrégation  des  Filles  de  la  Charité  de  Saint-Vincent  de 
Paul  n'a  pas  été  autorisée  à  accepter  une  donation  consistant  en 
une  rente  destinée  «  à  des  distributions  pour  le  payement  de 
leurs  loyers  à  des  familles  pauvres  ».  La  distribution  de  secours 
de  loyers  dans  les  conditions  prévues  par  l'acte  de  donation, 
ferait  sortir  la  congrégation  des  attributions  qui  sont  fixées  par 
ses  statuts.  (Avis,  29  janvier  1890.  Donation  Galliera.) 

La  congrégation  des  Petites  S(eurs  des  Pauvres  ne  saurait 
être  autorisée  à  accepter  un  legs  fait  «  à  charge  de  distribution 
de  secours  à  domicile»,  ses  statuts  ne  lui  permettant  pas,  en 
effet,  la  distribution  de  secours  de  cette  nature.  (Projet  de  dé- 
cret et  note,  29  janvier    1884.  Legs  Paillette.) 

11  n'y  a  pas  lieu  d'autoriser  une  congrégation  enseignante  à 
accepter  une  donation  immobilière  à  charge  do  fonder  dans  les 
immeubles  légués  un  établissement  de  Sœurs  de  son  Ordre  «qui 
se  consacreront  à  l'instruction  des  jeunes  filles  de  cette  com- 
mune et  des  communes  environnantes  ».  Si,  en  effet,  la  loi  du 
15  mars  1850  autorise  les  congrégations  religieuses  à  fonder  et 
entretenir  des  écoles  libres,  le  gouvernement  ne  saurait,  en  pré- 
sence du  principe  de  la  neutralité  de  l'enseignement  primaire 
public,  proclamé  par  la  législation  en  vigueur,  reconnaître,  en 
leur  accordant  la  personnalité  civile,  un  caractère  d'utilité  pu- 
blique, à  des  établissements  qui  donnent  un  enseignement  con- 
fessionnel. (Avis  (Assemblée  générale),  10  juillet  1884.  Donation 
Vigoureux.) 

Il  n'y  a  pas  lieu,  à  moins  de  circonstances  exceptionnelles, 
d'autoriser  une  congrégation  à  conserver  eu  nature  les  immeu- 
bles qui  font  l'objet  d'une  libéralité.  (Projet  de  décret  et  avis, 
4  juin  1889.  Donation  Glauzade.) 

IV.    Emprunts. 

Par  application  des  principes  formulés  dans  l'avis  du  4  juin 
1891,  lorsqu'une  congrégation  demande  l'autorisation  de  con- 
tracter un  emprunt,  en  vue  de  payer  les  droits  d'accroissement 
réclamés  par  le  Trésor,  l'instruction  doit  faire  connaître,  au 
moyen  d'un  avis  du  ministre  des  Finances,  quelle  est,  dans  la 
somme  totale  réclamée  à  la  congrégation,  la  part  afférente  à  la 
Maison-Mère  et  à  chacun  des  autres  établissements  autorisés, 
et  si  ces  établissements  ne  pourraient  acquitter  les  droits  qui  les 
concernent  sur  leurs  propres  ressources.  Ce  n'est  qu'en  cas  d'in- 


458  ANNALES    CATHOLIQUES 

suffisance  que  la  Maison-Mère  pourrait  être  autorisée  à  donner 
son  concours  financier  aux  établissements  particuliers  en  les 
aidant  à  payer  une  dette  qui  leur  incombe  personnellement. 
(Note,  10  juin  1891.  Aliénation  et  emprunt  par  la  congrégation 
des  Filles  de  la  Croix,  dites  Sœurs  de  Saint-André.  Note, 
18  novembre  1891.  Emprunt  par  la  congrégation  des  Soeurs  du 
Saint  Nom  de  Jésus  à  Toulouse.) 

Les  congrégations  ne  peuveni  emprunter  sans  y  avoir  été 
spécialement  autorisées  par  décret.  (Jurisprudence  constante  ) 

Un  emprunt  ne  saurait  être  autorisé  : 

a)  Si  l'établissement  de  la  congrégation  aux  besoins  duquel  le 
produit  doit  être  employé  n'a  pas  été  régulièrement  reconnu. 
(Note,  13  juillet  1880.  Emprunt  par  la  congrégation  de  Sainte- 
Marthe  à  Romans.) 

b)  Si  l'opération  est  faite  dans  un  but  non  prévu  par  le  décret 
d'autorisation  de  la  congrégation  ou  par  ses  statuts.  (Avis,  18  jan- 
vier 1888.  Emprunt  par  la  congrégation  des  Augustines  à 
Cambrai.) 

c)  Si  la  congrégation  peut  faire  face  aux  dépenses  projetées 
au  moyen  d'autres  ressources  :  par  exemple,  au  moyen  de  l'alié- 
nation d'une  partie  improductive  de  sa  dotation.  (Note,  21  oc- 
tobre 1890.  Emprunt  par  la  congrégation  des  Sœurs  de  l'As- 
somption d'Auteuil.) 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'accueillir  la  demande  d'emprunt  lorsque 
les  dépenses  auxquelles  doit  pourvoir  le  produit  ont  déjà  été 
engagées.  L'autorisation  d'emprunter  accordée  dans  ces  condi- 
tions aurait  pour  résultat  de  rendre  illusoire  le  droit  de  con- 
trôle qui  appartient  au  gouvernement.  (Note,  6  octobre  1890, 
Ursulines  de  Jésus  à  Nantes.  —  Note,  21  décembre  1881,  Sœurs 
de  la  Providence,  à  Gap.  —  Note,  29  octobre  1890,  Sœurs  de  la 
Miséricorde,  à  Paris.) 

A  été  adopté  un  projet  de  décret  autorisant  le  Supérieur  gé- 
géral  de  la  Compagnie  des  prêtres  de  Saint-Sulpice  à  emprun- 
ter, au  nom  de  cette  Compagnie,  une  somme  destinée  à  la  re- 
construction du  Petit  Séminaire  dépendant  de  la  congrégation* 
(Projet  de  décret,  15   avril  1801.  Compagnie  de  Saint-Sulpice.) 

V.    Aliénations. 

L'établissement  qui  sollicite  l'autorisation  d'aliéner,  ou  au 
profit  duquel  doit  être  employé  le  produit  de  l'aliénation,  doit 


CULTE   DES    IMAGES   ET   DES   RELIQUES  459 

avoir  été  régulièrement  autorisé.  (Note,  23  décembre  1884, 
Sœurs  de  Notre-Dame  de  la  Charité  du  Bon-Pasteur,  à  Bourges. 
—  Note,  4  août  1885,  Soeurs  de  la  Présentation  de  Marie,  à 
Jaugeac,  et  emploi  des  fonds  provenant  de  l'aliénation  au  profit 
de  leur  établissement  du  Pont-Saint-Esprit.) 

La  Maison-Mère  d'une  congrégation  ne  peut  être  autorisée  à 
aliéner  un  bien  lui  appartenant  en  vue  de  pourvoir  au  rem- 
boursement d'un  emprunt  contracté  sans  autorisation  et  dont  le 
produit  a  été  consacré  à  un  établissement  dépourvu  d'existence 
légale.  (Avis,  l*""juillet  1891.  Aliénation  par  la  congrégation  des 
Ursulines  de  Jésus.) 

La  congrégation  doit  justifier  de  la  régularité  de  l'acquisition 
des  biens  qu'il  s'agit  d'aliéner.  (Note,  2  mars  1881,  communauté 
des  Sœurs  Augustines  à  Orbec.) 


REGLES  LITURGIQUES  CONCERNANT  LE    CULTE  DES 
SAINTES  RELIQUES  ET  DES  SAINTES  IMAGES 

I.  Quelles  sont  les  précautions  imposées  par  l'Eglise  pour  assurer 
l'aulhenticité  des  reliques  et  à  quelles  conditions  est-il  permis  de 
leur  rendre  un  culte  public?  —  II.  Quels  sont  les  honneurs  que 
l'Eglise  permet  de  rendre  aux  saintes  reliques  ;  quels  sont  ceux 
qu'elle  interdit?  —  III.  Quelles  sont  les  règles  qui  doivent  présider 
au  choix  des  images,  des  tableaux  et  des  statues  qu'on  peut  expo- 
ser dans  les  églises  ?  —  «  Nihil  pium  nisi  verum.  * 

On  ne  peut  nier  que  le  culte  des  saintes  reliques  et  des 
saintes  images  n'ait  engendré  de  graves  abus  ;  les  débuts  du 
protestantisme  en  sont  la  preuve.  Aussi  pour  déraciner  ces 
abus  et  pour  en  prévenir  le  retour,  le  S.  Concile  de  Trente 
a-t-il,  dans  son  décret  De  reliquiis  sanciorum  et  sacris  imagï- 
nihus,  prescrit  aux  évoques  de  redoubler  de  vigilance  et  de 
fermeté.  Rien,  en  efi'et,  n'est  plus  dangereux  au  point  de  vue 
de  la  foi,  surtout  chez  les  simples,  comme  de  laisser  se  propa- 
ger parmi  eux  certaines  images  oii  le  dogme  chrétien  serait 
altéré  ou  représenté  sous  de  fausses  couleurs.  Ce  serait  les 
entraîner  fatalement  à  l'erreur.  Que  les  pasteurs  aient  bien 
soin,  dit  le  S.  Concile,  lorsqu'ils  mettent  sous  les  yeux  des 
gens  simples  des  images  qui  rappellent  des  histoires  racontées 
dans  la  Sainte  Ecriture,  ce  qui  est  excellent  pour  les  leur 
mieux  graver  dans  l'esprit,  de  bien  leur  rappeler  qu'ils  ne  doi- 


460  ANNAI-ES  CATHOLIQUES 

veht  pas  prendre  à  la  lettre  ce  qu'on  leur  montre.  Le  Père 
Eternel  n  est  pas  un  vieillard  avec  une  barbe  blanche;  le  Saint- 
Esprit  w'e^^joas  une  colombe;  les  anges  ne  sont  pas  de  jeunes 
hommes  avec  des  ailes;  on  représente  Dieu,  le  Saint-Esprit,  les 
anges  sous  ces  figures  allégoriques  pour  mieux  faire  comprendre 
leur  nature  ou  leurs  fonctions  essentielles.  Ce  que  le  peuple 
voit  de  ses  yeux  dans  ces  images  n'a  aucune  réalité  dans  le  ciel. 
On  ne  lui  met  sous  les  yeux  que  des  figures,  des  légendes,  des 
fictions. 

Le  S.  Concile  indique  ensuite  quatre  abus  principaux  qui 
peuvent  naître  du  culte  des  reliques  et  des  images  :  la  supers- 
tition, la  simonie,  les  images  inconvenantes,  les  fêtes  mon- 
daines. 

L  Les  reliques  se  divisent  :  1°  en  reliques  approuvées  et  non 
approuvées;  2°  en  reliques  insignes  et  non  insignes. 

Les  reliques  approuvées  sont  celles  que  l'autorité  compé- 
tente a  reconnues  et  authentiquées.  L'autorité  compétente, 
c'est  tout  évêque  ;  peu  importe  l'évêque  qui  a  reconnu  et 
authentiqué  une  relique,  du  moment  que  son  sceau  les  garantit 
authentiques  on  peut  les  regarder  comme  telles  et  les  vénérer 
en  son  particulier.  Pour  les  exposer  à  la  vénération  des  fidèles 
dans  une  église,  le  S.  Concile  de  Trente  a  décidé  qu'il  fallait 
avoir  en  outre  l'autorisation  de  l'évêque  du  lieu  ;  et  la  sacrée 
Congrégation  des  rites  a  ajouté  que  la  signature  devait  être 
de  la  propre  main  de  l'évêque  et  non  faite  avec  une  griffe;  celle 
du  vicaire  général  n'est  pas  valable.  Bien  plus,  lorsque  des 
reliques  viennent  de  Rome,  approuvées  par  le  Souverain  Pon- 
tife, l'Ordinaire  doit  les  reconnaître  avant  de  les  exposer  à  la 
vénération  de  ses  diocésains,  non  pas  pour  les  approuver  de 
nouveau,  mais  pour  s'assurer  que  le  Souverain  Pontife  les  a 
bien  approuvées,  qu'il  n'y  a  aucune  raison  de  douter  de  leur 
identité,  de  leur  intégrité  et  pour  éloigner  tout  soupçon  de 
fraude,  même  pieuse.  Dans  cette  vérification,  on  ne  peut  de- 
mander à  l'évêque  qu'unu  certitude  morale;  sa  décision  n'est 
nullement  infaillible;  il  peut  même  arriver  qu'il  se  trompe  et 
qu'il  livre  à  la  vénération  des  fidèles  de  fausses  reliques.  L'er- 
reur n'étant  pas  formelle,  mais  matérielle,  ne  peut  pas  jeter  les 
fidèles  dans  le  péché,  par  cette  raison  que  ce  qu'ils  vénèrent 
dans  les  reliques,  c'est  le  saint,  vers  lequel  ce  culte  est  dirigé. 
Il  n'est  pas  nécessaire  que  ce  soit  l'évêque  qui  bénisse  les 
reliquaires,  tout  prêtre  approuvé  pour  les  bénédictions  peut  les 
bénir. 


i 


C(U.TE    DES    IMAGES    ET    DES    RELIQUES  461 

Les  reliques  non  approuvées  ne  peuvent  jamais  être  expo- 
sées dans  les  églises,  ni  être  placées  entre  des  candélabres,  ni 
encensées  pendant  la  messe. 

Les  reliques  insignes  se  divisent  en  reliques  insignes  de 
saints  et  en  reliques  insignes  de  la  vraie  croix,  de  la  couronne 
d'épines  et  des  autres  instruments  de  la  passion.  Chaque  espèce 
de  reliques  insignes  a  ses  privilèges  qui  lui  sont  propres,  qui 
ne  peuvent  pas  se  communiquer  de  l'une  à  l'autre;  c'est  pour- 
quoi les  décrets  qui  parlent  des  instruments  de  la  passion 
excluent  formellement  les  autres  reliques  insignes;  de  même 
ceux  qui  parlent  des  reliques  insignes  des  saints  ne  disent  pas 
.un  mot  des  reliques  insignes  de  la  passion;  c'est  pourquoi  on  ne 
doit  pas  placer  dans  un  même  reliquaire  les  reliques  de  la  pas- 
sion et  celles  des  saints.  Cependant  Cavalieri  esi  d'un  avis  con- 
traire (Cavalieri,  t.  I,  déc.  51). 

Les  reliques  insignes  des  saints  sont  le  corps  entier  ou  une 
partie  notable  du  corps  (S.  R.  C.  3juin  1617,  n.  392-539,  Ij. 

La  S.  R.  C.  a  déclaré  qu'il  fallait  entendre  par  partie  notable 
la  tête,  le  bras,  la  jambe  ou  la  partie  du  corps  qui  a  été  marty- 
risée, pourvu  qu'elle  soit  entière,  assez  grande  et  approuvée 
par  l'Ordinaire  (S.  R.  C.  13  janvier  1631,  n.  593-740,  3,  et 
745-892,  initio  hreviarii). 

Toute  partie  du  corps  est  censée  entière,  bien  que  ses  frag- 
ments soient  reliés  artificiellement,  pourvu  que  les  fragments 
soient  assez  importants  pour  qu'on  y  reconnaisse  le  membre  et 
que,  rapprochés  les  uns  des  autres,  ils  présentent  à  l'œil  la  tête, 
le  bras,  la  jambe. 

Aussi  ne  sont  pas  considérés  comme  reliques  insignes  la 
main  et  le  pied,  à  moins  que  le  martyr  n'ait  été  mutilé  dans 
ces  parties,  le  fémur,  le  tibia,  car  la  jambe  comme  le  bras  se 
compose  de  deux  os  principaux,  dont  le  premier  est  nécessaire 
pour  que  Ton  puisse  dire  que  l'on  a  sous  les  yeux  une  jambe,  un 
bras. 

D'après  un  décret  de  S.  R.  C.  du  11  aoiàt  1691,  pour  qu'une 
relique  soit  insigne,  elle  doit  provenir  d'un  saint  canonisé,  ins- 
crit au  martyrologe  romain,  et  dont  l'identité  est  bien  prouvée. 

Les  reliques  insignes  des   saints  ne  doivent   être   conservées 

.que  dans  les  églises;  il  conviendrait  qu'il  en  fût   de  même    des 

autres  reliques  ;  cependant  on  peut  les   conserver  dans  des  cha- 

.  pelles  privées,  et  même  les  laïques  peuvent  les  conserver   dans 

leurs  maisons. 


462  ANNALES    CATHOLIQUES 

II.  Le  culte  public  que  l'on  rend  slux  reliques  approuvées  con- 
siste principalement  en  trois  choses  :  1°  elles,  sont  exposées 
dans  les  églises  publiquement,  à  une  place  d'honneur,  de  façon 
à  ce  que  les  fidèles  puissent  les  vénérer  et  les  embrasser; 
Scelles  sont  exposées  ou  placées  sur  les  autels  et  y  sont  enfer- 
mées; 3°  on  les  porte  en  procession. 

Sur  l'exposition  et  la  vénération  des  reliques,  il  convient  de 
faire  quelques  remarques  : 

1°  Bien  qu'on  puisse  exposer  dans  n'importe  quelle  église 
toute  relique  approuvée,  l'usage  veut  qu'on  n'expose  dans  une 
église  que  celles  dont  on  peut  réciter  l'office  ou  chanter  la  messe 
dans  cette  église  (S.  R.  C,  17  avril  1660,  n.  1899-2046.4); 
2°  il  est  convenable  de  ne  pas  exposer  les  reliques  dans  une 
église  oii  le  Saint-Sacrement  est  exposé.  Cependant,  dans  la  fête 
du  titulaire  ou  d'un  autre  saint  dont  on  posséderait  les  reliques, 
la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  permet  de  les  exposer  à  la 
vénération  des  fidèles,  nonobstant  l'exposition  du  Saint-Sa- 
crement, à  la  condition  qu'elles  ne  seront  exposées  que  dans 
une  chapelle  jprivée.  Il  est  défendu  de  les  exposer,  même  sur 
une  crèdence,  dans  le  sanctuaire  oîi  se  trouve  l'autel  sur  lequel 
est  exposé  le  Sa.int-Sa.crement  (Nouvelle  revue  the'olog.,  t.  XIV, 
p.  225)  ;  3°  quand  on  expose  des  reliques,  on  doit,  non  seule- 
ment les  entourer  de  candélabres,  mais  faire  brûler  une  lampe 
devant  elles.  Il  ne  doit  y  avoir  que  deux  flambeaux  allumés  à 
l'autel,  et  les  autres  reliques  ne  doivent  pas  être  exposées; 
40  pour  exposer  les  reliques  à  la  vénération  des  fidèles  et  les 
leur  faire  baiser,  le  prêtre  se  revêt  du  surplis  et  de  l'étole  de  la 
couleur  convenable  au  saint  dont  on  honore  la  relique.  Ceci  ne 
doit  se  faire  qu'après  la  messe.  Il  peut  même  bénir  le  peuple 
avec  les  reliques,  mais  cette  bénédiction  se  donne  en  silence; 
5°  toutes  les  fois  qu'on  passe  devant  les  reliques  exposées,  on 
leur  doit  une  inclination  profonde;  on  ferait  une  génuflexion 
devant  celles  de  la  Passion;  6®  on  encense  debout  et  de  deux 
coups  les  reliques  exposées,  de  trois  celles  de  la  Passion,  après 
celles  de  l'autel  et  après  l'autel  lui-même  (De  Cony,  p.  78)  ;  lés 
reliques  ne  sont  pas  censées  exposées  quand  on  éteint  le  lumi- 
naire et  que  l'on  couvre  le  reliquaire  d'un  voile  ;  ?<>  quand  on 
fait  baiser  les  reliques  aux  fidèles,  on  peut  dire  pour  les  re- 
liques d'un  saint  :  Per  mérita  et  intercessionem  sancti  N.  con- 
cédai tibi  vel  vobis  Dominus  salutem  et  pacem  ;  pour  les  re- 
liques de  la  vraie  croix  :  Per  signum  crucis  de  inimicis  nostris 
libéra  nos,  Deus  n  osier. 


CULTE  DES  IMAGES  ET  DES  RELIQUES  463 

Les  reliques  peuvent  être  placées  sur  l'autel  alternativement 
avec  les  candélabres,  mais  il  est  défendu  de  les  placer  sur  lo 
tabernacle  ou  se  conserve  le  Saint-Sacrement,  quand  même  ce 
seraient  des  reliques  de  la  vraie  croix  ou  des  autres  instruments 
de  la  Passion.  Il  est  défendu  d'encenser  de  plus  de  deux  coups 
les  images  ou  les  reliques  des  saints,  même  celles  de  la  sainte 
Vierge.  Il  n'est  pas  nécessaire  que  les  statues  ou  bustes  des 
saints  placés  sur  l'autel  contiennent  des  reliques  pour  qu'on 
puisse  les  encenser  après  la  croix. 

Les  reliques  sont  enfermées  dans  un  vase  placé  sur  la  table 
de  l'autel.  La  cérémonie  du  scellement  de  ces  reliques  est 
faite  par  l'évêque. 

Dans  la  procession  du  Saint-Sacrement,  il  n'est  pas  permis  de 
porter  les  reliques  des  saints  ni  les  instruments  de  la  Passion. 
Cependant  Innocent  XI  permit  aux  religieux  du  diocèse  de  Ma- 
lines,  20  mai  1682,  de  porter  des  reliques  dans  les  processions 
du  Saint-Sacrement,  mais  à  la  condition  qu'elles  soient  en  tête, 
de  façon  qu'il  y  ait  entre  elles  et  le  Saint-Sacrement  une  dis- 
tance raisonnable.  En  dehors  des  processions  du  Saint-Sacre- 
ment, on  peut  porter  les  reliques  et  les  images  saintes  dans 
toutes  les  processions. 

•  Lorsqu'on  porte  les  reliques  en  procession,  il  faut  se  confor- 
mer aux  prescriptions  du  rituel  romain.  Les  églises  et  les  che- 
mins par  oii  l'on  passe  doivent  être  décemment  ornés.  Les 
prêtres  doivent  être  revêtus  d'ornements  suivant  la  couleur  du 
saint,  porter  des  cierges  allumés,  précéder  les  reliques,  chanter 
les  litanies,  le  Te  Deum,  etc..  C'est  au  plus  digne  à  porter  les 
reliques.  Si  on  les  porte  à  plusieurs,  ce  soin  doit  être  confié  à 
des  clercs  dans  les  ordres  sacrés;  on  ne  doit  jamais  les  placer 
sur  un  char,  sur  des  chevaux,  les  confier  à  des  jeunes  filles. 
Ceux  qui  portent  ces  reliques  doivent  avoir  la  tête  découverte. 

Certains  privilèges  sont  accordés  aux  reliques  insignes  et 
aux  instruments  de  la  Passion. 

Dans  les  églises  où  l'on  possède  une  relique  insigne  on  peut, 
le  jour  de  la  fête,  réciter  l'office  et  chanter  la  messe  avec  Credo, 
sous  le  rite  double,  et  cela  sans  avoir  l'autorisation  de  l'Ordi- 
naire ni  induit  du  Pape;  du  moment  oii  les  formalités  ont  été 
toutes  remplies  pour  la  réception  de  la  relique. 

Cavalier!  prétend  même  que  cet  office  est  de  précepte  si  le 
jour  de  la  fête  est  celui  qui  lest  assigné  par  le  martyrologe 
romain. 


464  ANNALES    CATHOLIQUES 

•  Les  instruments  de  la  Passion  sont  portés  sous  un  dais.  Le 
célébrant  se  comporte  à  leur  égard  comme  s'il  officiait  devant 
le  tabernacle  fermé  et  contenant  le  Saint-Sacrement. 

Le  saint  concile  de  Trente  (Sess.  XXV)  recommande  aux 
évêques  de  s'entourer  de  théologiens  et  d'hommes  pieux  toutes 
les  fois  qu'il  s'agit  de  reliques  à  reconnaître  et  de  nouveaux  mi- 
racles attribués  à  ces  reliques. 

III.  L'iconographie  est  la  science  des  images  sacrées.  Elle 
embrasse  tous  les  sujets  religieux  traités  par  la  sculpture,  la 
peinture,  les  arts  plastiques  et  le  dessin. 

L'iconographie  religieuse  est  placée  sous  la  surveillance  de 
l'Ordinaire,  qui  doit  faire  observer  les  régies  canoniques  (Conc. 
Trid.  Sess.  XXV).  L'évêque  a  le  droit  et  le  devoir  de  s'opposer 
aux  écarts  en  cette  matière,  il  doit  veiller  à  ce  que  les  artistes 
s'attachent  exclusivement  aux  types  religieux,  qui  n'ont  rien  de 
commun  avec  des  modèles  d'atelier;  à  ce  que  leur  pensée  soit 
pure,  chaste,  élevée;  à  ce  qu'ils  gardent  les  formes  consacrées 
par  la  tradition  et  ne  se  permettent  aucune  innovation  (S.  R.  G. y 
15  mars  1642.  Décret  génér.  De  sacris  imaginihus). 

L'iconographie  a  posé  certaines  régies  particulières  qu'il  faut 
respecter. 

1"  Règle  relative  au  nimbe,  à  V auréole,  à  la  gloire,  au  ra- 
diatum  caput,  à  la  nudité  des  pieds. 

Le  nimbe  est  une  couronne  que  l'art  chrétien  attribue  aux 
personnes  divines  et  aux  saints.  La  tête  est  considérée  dans 
l'homme  comme  le  siège,  le  temple  de  l'âme;  aussi  est-ce  à  la 
tête  (jue  s'adresse  l'hommage,  c'est-à-dire  à  l'âme  qui  y  réside. 
Comme  on  prête  aux  personnes  divines  les  formes  humaines, 
pour  les  représenter  à  nos  yeux,  il  est  juste  d'exprimer  notre 
vénération  vis-à-vis  de  ces  divines  personnes  en  leur  donnant 
ce  qui  est  l'insigne  de  l'hommage  suprême  :  la  couronne.  Nous 
devons  en  dire  autant  par  proportion  de  Marie  et  des  autres 
saints. 

La  forme  ronde  du  nimbe  symbolise  l'éternité.  Le  nimbe  des 
personnes  divines  est  crucifère.  On  le  colore  en  or  ou  en  jaune, 
parce  que  cette  coulear  est  considérée  comme  la  plus  noble  à 
cause  de  son  analogie  avec  la  lumière.  L'art  chrétien  attribue  à 
Marie  le  nimbe  d'or,  mais  il  n'est  pas  crucifère.  Les  apôtres, 
les  pontifes  et  les  docteurs  ont  le  nimbe  d'argent.  Les  martyrs 
et  les  vierges  le  nimbe  rouge,  couleur  de  feu.  Les  saints  qui 
ont  été  engagés  dans  les  liens  dujmariage,  le  nimbe  vert,  cou- 


CULTE  DES  IMAGES  ET  DES  RELIQUES  465 

leur  de  la  terre.  Les  pécheurs  réhabilités  par  la  grâce  le  nimbe 
jaunâtre,  couleur  altérée,  moitié  jaune  et  moitié  blanche. 

h'auréole  consiste  dans  des  ondulations  de  lumière,  qui  en- 
veloppent, comme  d'un  vêtement  de  gloire,  l'image  des  per- 
sonnes divines  et  les  saints  dont  le  corps  jouit  déjà  des  félicités 
éternelles.  Ces  saints  sont  Marie  et  Joseph,  lequel,  selon  quel- 
ques auteurs,  partage  ce  privilège  avec  la  sainte  Vierge. 

La  gloire,  c'est  le  nimbe  et  l'auréole  réunis. 

Les  bienheureux  n'ont  droit  qu'au  radiatum  caput,  auréole 
de  la  tête,  non  au  diadema  circa  caput. 

Une  loi  iconographique  attribue  la  nudité'  des  pieds  à  Notre- 
Seigneur,  à  la  sainte  Vierge,  aux  anges,  aux  prophètes,  à  saint 
Jean-Baptiste,  à  saint  Joseph  et  aux  apôtres.  C'est  la  caracté- 
tique  de  ceux  dont  Isaïe  a  chanté  la  gloire  en  disant  :  «  Qu'ils 
sont  beaux,  sur  la  montagne,  les  pieds  de  ceux  qui  annoncent  la 
paix  et  prêchent  le  salut  !  >  (Isaïe,  lu,  7.) 

2*  Règle  relative  à  V iconographie  de  la  Sainte-Trinité . 

a)  Lieu  le  Père  est  représenté  sous  la  forme  d'un  vieillard, 
assis  sur  un  trône  lumineux;  «l'Ancien  des  jours  »  (Daniel, 
vvii,  9).  Il  repose  sur  un  globe,  a  en  main  un  livre  fermé 
(Apocal.,  v,  4,5).  Une  main  ninabée,  sortant  d'un  nuage,  figure 
sa  puissance.  Le  nimbe  est  trifide  ou  crucifère. 

h)  Les  images  de  Dieu  le  Fils  se  réduisent  à  huit  :  le  Bon 
Pasteur,  l'Agneau,  le  Crucifix,  la  Sainte-Face,  le  Poisson,  le 
Pélican,  le  Sacré-Cœur  et  les  différents  sigles  du  Christ. 

Comme  la  jeunesse  du  divin  Pasteur  est  éternelle,  il  convient 
de  représenter  le  Bon  Pasteur  sous  la  forme  d'un  beau  jeune 
homme,  imberbe,  les  cheveux  courts,  l'œil  plein  de  tendresse, 
avec  une  tunique  courte,  ceinte  autour  des  reins  et  recou- 
verte d'un  petit  manteau;  la  jambe  est  revêtue  de  bandelettes 
et  la  tête  nue.  Il  paraît  tantôt  avec  une  brebis  sur  les  épaules, 
tantôt  il  la  serre  sur  sa  poitrine  avec  le  bras  gauche,  tandis  que 
de  la  main  droite  il  tient  le  vase  pastoral.  Il  a  comme  insigne  le 
bâton  pastoral  et  la  flûte  à  sept  tuyaux. 

L'Agneau,  sous  forme  de  l'Agneau  immolé;  de  l'Agneau  aux 
pieds  du  Christ  ;  au  revers  de  la  croix  ;  de  l'Agneau  triomphal, 
avec  un  étendard,  une  ceinture  d'or,  une  lance  ;  de  l'Agneau 
immolé,  reposant  sur  un  livre  fermé  de  sept  sceaux.  Notre-Sei- 
gneur  crucifié,  revêtu  d'une  étroite  bande  d'étoffe;  les  pieds, 
attachés  par  deux  clous,  reposent  sur  une  tablette;  au-dessus 
de  sa  tête,  l'inscription  IISRI,  avec   les  accessoires  dont  l'his- 

34 


466  ANNALES    CATHOLIQUES 

toire  évangêlique  de  la  Passion  nous  fournit  le  type;  des  deux 
côtés  de  la  tète  du  Sauveur,  le  soleil  radieux,  la  lune  sous  forme 
de  croissant;  debout,  de  chaque  côté  de  la  croix,  la  Sainte 
Vierge  et  saint  Jean,  appuyant  leur  joue  sur  leur  main. 

Copier  la  Saincte  Face  telle  que  l'a  imaginée  M.  Dupont,  de 
Tours. 

Le  Poisson  et  le  Pélican  sont  maintenant  peu  employés. 

L'emblème  du  Sacré-Cœur  consiste  dans  un  cœur  d'oii 
s'échappent  des  flammes  ;  il  est  entouré  d'une  couronne  d'épines, 
surmonté  d'une  croix,  et  laisse  voir  une  large  plaie. 

Les  sigles  de  Notre-Seigneur  sont  l'alpha  et  l'oméga  et  les 
différents  monogrammes  du  Christ. 

c)  Les  représentations  de  Dieu  le  Saint-Esprit  sont  la  co- 
lombe, une  nuée,  des  langues  de  feu,  la  couleur  bleue. 

L'assistance  du  Saint-Esprit  est  souvent  exprimée  par  une 
colombe  sur  la  tète  ou  sur  l'épaule  d'un  personnage.  La  colombe 
au  bec  et  aux  pattes  rouges  désigne  l'Esprit-Saint.  La  colombe 
au  bec  noir  est  l'emblème  du  démon. 

Les  nuées  laissent  tomber  sur  la  terre  l'eau  qui  la  féconde  ; 
elles  sont  l'image  de  la  rosée,  de  la  grâce.  Tel  est  le  sens  mys- 
tique de  ces  nuées  qui  entourent  nos  tabernacles  et  autres 
objets  du  culte. 

Une  caractéristique  traditionnelle  dans  l'Eglise  réservée  au 
Saint-Esprit,  c'est  la  couleur  bleue,  couleur  apparente  de  l'air  ; 
parce  que  le  Saint-Esprit  s'est  manifesté  dans  la  forme  de  l'air, 
d'un  souffle,  d'un  vent  impétueux  (Gènes.,  i,  2;  Actes,  ii,  2; 
Joan.,  XX,  22),  De  là  l'emploi  de  la  couleur  bleue  dans  les 
livrées  de  l'Ordre  du  Saint-Esprit  ;  de  là  cette  couleur  consa- 
crée à  Marie,  l'épouse  du  Saint-Esprit. 

3*  Règle  relative  à  Viconographie  de  la  Sainte  Vierge. 

La  Vierge  immaculée.  Les  mains  croisées  sur  la  poitrine  ou 
jointes,  son  diadème  sur  la  tête  ou  une  couronne  de  douze  étoiles, 
la  lune  sous  les  pieds  ainsi  que  le  serpent  et  le  globe  du  monde, 
sur  la  tète  un  voile,  sa  robe  est  blanche,  son  manteau  bleu^ 
parsemés  de  fleurs  d'or. 

La  Vierge  mèrCy  assise  comme  une  reine  sur  son  trône,  ou 
debout,  elle  porte  dans  ses  bras  l'enfant  Jésus  qui  tient  à  la 
main  une  boule  surmontée  d'une  croix. 

Notre-Dame  des  Sept-Douleurs,  assise  au  pied  de  la  croix, 
tenant  sur  ses  genoux  Jésus-Christ  que  vient  de  lui  remettre 
Joseph   d'Arimathie.  Les  artistes  la  représentent  encore  avec 


CULTE  DE8  IMAGES  ET  DES  RELIQUES  467 

un  cœur  transpercé  de  sept  glaives.  La  couleur  rouge  convient 
à  Marie  au  pied  de  la  croix.  Quelquefois  on  lui  attribue  le  violet. 

Plus  récemment  les  artistes  ont  représenté  la  sainte  Vierge 
telle  qu'elle  a  apparu  à  La  Salette  et  à  Lourdes.  Autrefois  elle 
a  été  très  fréquemment  représentée  sous  la  forme  d'une  Vierge 
noire,  interprétation  trop  littérale  de  cette  parole  du  Cantique 
des  Cantiques,  i,  4  :  Nigra  sum,  sed  formosa;  voir  à  ce  sujet 
Corneille  Lapierre,  Cant.  des  Cant.,  ch.  i,  v,  4. 

4*^  Règle  relative  à  V iconographie  des  Anges, 

La  forme  la  plus  ordinaire  donnée  aux  Anges  est  celle  d'une 
tête  d'enfant  soutenue  par  deux  ailes. 

On  les  représente  sous  la  forme  déjeunes  hommes,  vêtus  de 
blanc,  avec  une  ceinture,  les  pieds  nus.  Ils  portent  dans  leurs 
mains  tantôt  des  baguettes,  emblème  de  leur  autorité  royale, 
tantôt  des  lances  et  des  haches,  comme  exécuteurs  des  ven- 
geances divines;  d'autres  fois  des  instruments  de  musique, 
un  encensoir,  une  trompette  quand  ils  sont  au  haut  de  la  chaire 
à  prêcher. 

L'Ange  gardien  porte  A  la  main  le  bâton  du  voyageur  et 
accompagne  un  enfant  auquel  il  montre  le  ciel  et  qu'il  défend 
contre  les  mille  dangers  de  la  route.  Ces  dangers  ont  pour  figure 
expressive  un  serpent  qui  menace  l'enfant  de  son  dard.  Saint 
Michel  est  toujours  représenté  sous  la  forme  d'un  guerrier  qui 
terrasse,  avec  sa  lance  un  dragon  (Apoc.  xii,  7  ;  Daniel  xii,  1). 
Saint  Gabriel  est  représenté  développant  un  philactére  ou  ban- 
derolle,  sur  laquelle  on  lit  la  salutation  angélique,  ou  tenant  un 
lis  à  la  main. 

5*^  Règle  relative  à  l'iconographie  de  saint  Joseph  et  de  saint 
Jean-Baptiste. 

Saint  Joseph  est  souvent  représenté  avec  une  hache,  une  scie 
ou  un  instrument  propre  à  la  profession  de  charpentier,  ou  en- 
core un  lis  à  la  main  pendant  que  Notre-Seigneur  repose  dans 
ses  bras. 

Saint  Jean-Baptiste  est  représenté  dans  quatre  circonstances 
de  sa  vie  :  dans  ses  rapports  avec  la  sainte  Famille,  il  est  devant 
l'Enfant-Jésus,  un  genou  en  terre,  et  porte  une  banderolle  avec 
l'inscription  :  Ecce  Agnus  Dei  ;  au  de'sert^  il  est  représenté  avec 
des  vêtements  de  peau,  un  agneau  est  à  ses  côtés  ;  au  Jourdain, 
il  répand  l'eau  sur  la  tête  du  Sauveur;  martyrise,  on  voit  la 
tête  du  précurseur  sur  le  plat  d'IIérodiade. 

6®  Règle  relative  à  V iconographie  des  Apôtres  et  des  Evan- 
gêlistes. 


468  ANNALES    CATHOLIQUES 

Les  clefs,  la  croix  renversée,  le  coq  sont  les  caractéristiques 
de  saint  Pierre.  Les  deux  clefs  qu'il  porte  à  la  main  sont  l'une 
en  or,  l'autre  en  argent.  Saint  Paul  est  représenté  avec  un  glaive, 
un  livre  ou  un  phénix  posé  sur  un  palmier.  Saint  Jean  porte  à  la 
main  un  calice  d'où  sort  un  serpent.  Le  serpent  rappelle  la  cir- 
constance de  sa  vie  où  on  tenta  de  l'empoisonner  à  Ephèse.  Saint 
Jacques  est  représenté  avec  un  glaive  ou  en  costume  de  pèlerin, 
avec  le  bourdon,  le  chapelet,  les  coquilles  et  le  chapeau.  Les 
Espagnols  le  représentent  montant  un  cheval  de  bataille  et  char- 
geant à  leur  tête  les  Maures.  Saint  André  est  représenté  avec  la 
croix  en  forme  de  X.  Saint  Jean  le  Mineur  tient  à  la  main  une 
massue,  par  allusion  à  son  genre  de  supplice.  Saint  Simon  est 
représenté  avec  une  scie.  Saint  Jude  avec  une  massue,  il  tient 
un  livre  à  la  main.  Saint  Thomas  avec  un  glaive.  On  lui  attribue 
aussi  une  pierre  taillée  ou  une  équerre,  pour  rappeler  la  tradi- 
tion qui  veut  qu'il  ait  bâti  beaucoup  d'églises  dans  les  Indes. 
Saint  Philippe  fut  mis  en  croix  et  lapidé,  c'est  ce  que  rappellent 
la  croix  et  les  pierres  qui  accompagnent  son  image.  Saint  Mat- 
thieu est  transpercé  d'un  coup  de  pique.  Saint  Barthélémy  fut 
écorché  vif  en  Arménie,  de  là  le  couteau  qu'il  tient  à  la  main. 
Saint  Barnabe  est  représenté  avec  des  pierres  et  une  fournaise. 
Saint  Mathias  porte  à  la  main  une  hache  ou  un  glaive. 

Les  Evangélistes  ont  pour  attributs  :  Saint  Matthieu,  l'homme; 
saint  Marc,  le  lion;  saint  Luc,  le  veau;  saint  Jean,  l'aigle; 
quelquefois  chaque  évangéliste  joint  à  son  propre  attribut  celui 
des  trois  autres,  pour  montrer  par  là  l'unité  dans  la  variété  des 
Evangiles. 

7'  Règle  relative  à  V iconographie  des  saints  les  plus  ^popu- 
laires. 

a)  Règles  générales.  Les  martyrs  ont  des  palmes  à  la  main  ou 
portent  leurs  têtes  dans  leurs  mains.  Les  vierges  ont  une  lampe 
à  la  main.  Les  saints,  auteurs  de  règles  monastiques,  les  papes 
et  les  évoques  portent  des  rouleaux  ou  des  livres.  Des  armes 
sont  les  attributs  des  saints  qui  ont  été  soldats.  Quand  un  saint 
a  refusé  ou  déposé  une  dignité,  on  met  à  ses  pieds  une  mître, 
une  crosse,  une  couronne,  un  sceptre.  Un  monastère,  une  église 
à  la  main  ou  un  drapeau,  désigne  les  fondateurs  d'ordres  ou  de 
communautés.  Des  serpents  ou  des  monstres  placés  auprès  de 
quelques  saints  symbolisent  des  vices  ou  des  tentations  vio- 
lentes, ou  rappellent  la  destruction  d'animaux  nuisibles.  On 
accompagne  souvent  la  représentation  des  saints  de  banderoles 


UNE  LETTRE  DE  DONOSO  CORTÈS  469 

sur  lesquelles  se  lisent  les  paroles  qu'ils  ont  prononcées  ou  qu'on 
leur  a  adressées. 

b)  Règles  particulières.  Un  certain  nombre  de  saints  ont  des 
attributs  et  des  emblèmes  consacrés  par  la  tradition,  voici  leurs 
noms  :  saint  Ambroise,  sainte  Anne,  saint  Antoine,  saint  Au- 
gustin, saint  Henoît,  saint  Bernard,  saint  liernardin  de  Sienne, 
saint  Bruno,  saint  Dominique,  saint  François  d'Assise,  saint 
François  de  Sales,  saint  François-Xavier,  sainte  Geneviève, 
saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Jean 
Chrysostome,  saint  Jérôme,  saint  Laurent,  saint  Louis,  saint 
Louis  de  Gonzague,  sainte  Madeleine,  sainte  Marthe,  saint  Mar- 
tin de  Tours,  saint  Nicolas,  saint  Norbert,  saint  Stanislas 
Kostka,  sainte  Thérèse,  saint  Thomas  d'Aquin. 

Ouvrages  à  consulter  sur  l'iconograhie  : 

Lerosey,  Histoire  et  symbolisme  de  la  Liturgie.  —  Didron, 
Iconographie  chrétienne.  —  Ferraris,  Prompta  hibliotheca 
canonica,  etc..  8^  Imagines.  —  Cahier,  Caractérist.  des 
Saints.  —  Martigny,  Lict.  des  Antiq.  chrét.  —  Riche,  la  Face 
de  r homme  et  la  Sainte  Face  de  Jésus.  —  Barbier  de  Montault. 

—  Durand,  le  Culte  calh.  dans  ses  cérémonies  et  ses  symboles. 

—  Malou,  Iconogr.  de  la  Sainte  Vierge. 

P. -G.    MOREAU, 

vicaire  général  honoraire  de  Langres. 


UNE  LETTRE  DE  DONOSO  CORTES 

M.  Eugène  Veuillot  a  retrouvé,  dans  le  portefeuille  de  Louis 
Veuillot,  une  lettre  de  Donoso  Certes  à  M.  de  Montalembert. 
Cette  lettre,  écrite  en  espagnol,  avait  été  communiquée  à  Louis 
Veuillot,  qui,  la  trouvant  très  belle  et  très  forte,  la  copia  sur 
un  de  ses  cahiers.  Elle  se  trouve  dans  les  Œuvres,  mais  avec 
quelques  changements.  M.  Eugène  Veuillot  la  donne  ici  telle 
que  son  frère  l'a  transcrite  : 

Donoso  Cortès  à  Montalembert. 

«  Berlin,  le  26  mai  1S49. 
«  ...  La  destinée  de   l'humanité  est  un  mystère  profond  qui  a  reçu 
deux   explications   contraires,  celle  du  catholicisme  et  celle  de  la 
philosophie.  L'ensemble  de  chacune  de  ces  explications  constitue  une 


470  ANNA.LE8    CATHOLIQUES 

civilisation  complète.  Eatre  ces  deux  civilisatious,  il  y  a  un  abîme 
insondable,  un  antagonisme  absolu.  Les  tentatives  de  transaction 
entre  elles  ont  été,  sont  et  resteront  toujours  vaines.  L'une  est  l'er- 
reur et  l'autre  la  vérité;  l'une  est  le  mal,  l'autre  est  le  bien.  Il  est 
nécessaire  de  faire  un  choix  suprême  et,  le  choix  fait,  de  proclamer 
l'une  et  de  condamner  l'autre  dans  toutes  ses  parties.  Ceux  qui  flot- 
tent, ceux  qui  acceptent  de  l'une  les  principes,  de  l'autre  les  consé- 
quences, les  éclectiques  enfin,  sont  tous  hors  de  la  catégorie  des 
grandes  intelligences  et  condamnés  plus  irrésistiblement  à  l'absurde. 

«  Je  crois  que  la  civilisation  catholique  contient  le  bien  sans  mé- 
lange de  mal,  et  que  la  civilisation  philosophique  contient  le  mal 
sans  mélange  de  bien. 

t  La  civilisation  catholique  enseigne  que  la  nature  de  l'homme 
est  corrompue  et  déchue,  corrompue  et  déchue  d'une  manière  radi- 
cale, dans  son  essence  et  dans  tous  les  éléments  qui  la  constituent. 
Dans  la  corruption,  l'entendement  humain  ne  peut  inventer  la  vérité 
ou  la  découvrir;  il  la  voit  quand  on  la  lui  présente.  Dans  sa  corrup- 
tion, la  volonté  ne  peut  vouloir  le  bien,  ni  le  faire,  sans  être  aidée, 
et  elle  ne  sera  aidée  que  lorsqu'elle  sera  assuj«ttie  et  réprimée.  Les 
choses  étant  ainsi,  il  est  clair  que  la  liberté  de  discussion  conduit 
nécessairement  à  l'erreur,  comme  la  liberté  d'action  conduit  néces- 
sairement au  mal.  La  raison  humaine  ne  peut  voir  la  vérité  si  une 
autorité  infaillible  ne  la  lui  montre.  La  volonté  humaine  ne  peut 
vouloir  ni  faire  le  bien  si  elle  n'est  réprimée  par  la  crainte  de  Dieu. 
Quand  la  volonté  s'émancipe  de  Dieu,  et  quand  la  raison  s'émancipe 
de  l'Eglise,  l'erreur  et  le  mal  régnent  sans  obstacle  dans  le  monde. 

«  La  civilisation  philosophique  enseigne  que  la  nature  de  l'homme 
est  une  nature  parfaite  et  saine!  saine  et  parfaite  dans  son  essence 
et  dans  les  éléments  qui  la  constituent.  Etant  sain,  l'entendement 
de  l'homme  peut  voir  la  vérité,  la  discuter,  la  découvrir.  Etant  saine, 
la  volonté  veut  le  bien  et  le  fait  naturellement.  Cela  supposé,  il  est 
clair  que  la  raison  abandonnée  à  elle-même,  arrivera  à  connaître  la 
vérité,  toute  la  vérité,  et  que  la  volonté  par  elle  seule  réalisera  for- 
cément le  bien  absolu.  S'il  en  est  ainsi,  il  est  clair  également  que  la 
solution  du  grand  problème  social  est  de  rompre  les  liens  qui  com- 
priment et  assujettissent  la  raison  et  le  libre  arbitre  de  l'homme. 

«  Sans  ces  liens,  le  mal  n'est  pas  dans  ce  libre  arbitre  ni  dans  cette 
raison.  Si  le  mal  consiste  à  avoir  des  liens,  et  le  bien  à  n'en  avoir  pas, 
la  perfection  consistera  à  n'en  avoir  aucun,  d'aucune  espèce.  Cela 
étant  admis,  l'humanité  sera  parfaite  quand  elle  niera  Dieu  qui  est 
son  lien  divin,  quand  elle  niera  le  gouvernement  qui  est  son  lien 
politique,  quand  elle  niera  la  propriété  qui  est  son  lien  social,  et 
quand  elle  niera  la  famille  qui  est  son  lien  domestique.  Quiconque 
n'accepte  pas  toutes  ces  conclusions,  se  met  en  dehors  de  la  civilisa- 
tion  philosophique,  et  quiconque  se  met  en  dehors  de  la  civilisation 


UNE  LETT1E  DE  DONOSO  CORTES  471 

philosophique  et  n'entre  pas  dans   le  sein  du  catholicisme,  marche 
dans  les  déserts  du  vide. 

«  Du  problème  théorique,  passons  au  problème  pratique.  Laquelle 
de  ces  deux  civilisations  vaincra  l'autre  et  triomphera  dans  le  temps. 
Je  réponds  sans  que  ma  plume  hésite,  sans  que  mon  cœur  tremble, 
sans  que  ma  raison  se  trouble  :  la  victoire  appartiendra  irrémissible- 
ment  à  la  civilisation  philosophique.  L'homme  a  voulu  être  libre  ?  i* 
le  sera.  Il  abhorre  les  liens?  Les  liens  tomberont  en  poussière  à  ses 
pieds.  Un  jour,  pour  essayer  sa  liberté,  il  a  voulu  tuer  son  Dieu.  Ne 
Ta-t-il  pas  frappé  ?  Ne  l'a-t-il  pas  crucifié  entre  deux  voleurs...  ?  Des 
légions  d'anges  sont-elles  descendues  du  ciel  pour  défendre  le  juste 
qui  était  à  l'agonie  sur  la  terre?  Eh  bien,  pourquoi  descendraient- 
elles  aujourd'hui,  quand  notre  conscience  nous  crie  de  si  haut  que 
dans  cette  grande  tragédie,  personne  ne  mérite  leur  intervention,  ni 
ceux  qui  doivent  être  les  victimes,  ni  ceux  qui  doivent  être  les  bour 
reaux  ! 

«  Il  s'agit  donc  ici  d'une  question  très  grave  :  il  ne  s'agit  de  rien 
moins  que  de  vérifier  quel  est  le  véritable  esprit  du  catholicisme  tou- 
chant les  vicissitudes  de  cette  lutte  gigantesque  entre  le  mal  et  le  bien 
ou  comme  dirait  saint  Augustin,  entre  la  cité  de  Dieu  et  de  la  cité  du 
monde.  Quant  à  moi,  je  tiens  pour  prouvé  et  évident  qu'ici  bas  le  mal 
finit  toujours  par  triompher  du  bien  et  que  le  triomphe  sur  le  mal  est 
réservé,  si  on  peut  s'exprimer  ainsi,  à  Dieu  personnellement. 

«  Aussi  n'y  a-t-il  aucune  période  historique  qui  ne  vienne  aboutir 
à  une  catastrophe.  La  première  période  historique  commence  à  la 
création  et  finit  au  déluge?  Et  que  signifie  le  déluge  ?Deux  choses:  le 
triomphe  naturel  du  mal  sur  le  bien,  et  le  triomphe  surnaturel  de 
Dieu  sur  le  mal,  [)ar  le  moyen  d'une  action  directe,  personnelle  et 
souveraine. 

<c  Les  hommes  étaient  encore  tout  ruisselants  des  eaux  du  déluge, 
que  la  même  lutte  recommence.  Les  ténèbres  s'amoncellent  à  tous  les 
horizons.  A  la  venue  de  Notre-Seigneur,  la  nuit  était  partout,  une 
nuit  épaisse,  palpable.  Le  Seigneur  est  élevé  en  croix,  le  jour  revient 
pourle  monde.  Que  signifie  cette  catastrophe?  Deux  choses  :  le  triomphe 
naturel  du  mal  sur  le  bien  et  le  triomphe  surnaturel  de  Dieu  sur  le 
mal,  par  le  moyen   d'une  action  personnelle,  directe  et   souveraine. 

a  Que  disent  les  Ecritures  sur  la  fin  du  monde?  Elles  disent  que 
l'Antéchrist  sera  le  maître  de  l'univers,  et  qu'alors  viendra  le  juge- 
ment dernier  avec  la  dernière  catastrophe  ?  Comme  les  autres,  elle 
signifiera  le  triomphe  naturel  du  mal  sur  le  bien  et  le  triomphe  sur" 
naturel  de  Dieu  sur  le  mal  par  le  moyen  d'une  action  directe,  per- 
sonnelle et  souveraine. 

«  Telle  est  pour  moi  la  philosophie,  toute  la  philosophie  de  l'his- 
toire. Vico  fut  sur  le  point  de  voir  la  vérité,  et  s'il  l'eût  vue,  il  l'eût 
exposée  mieux  que  moi,  mais  perdant  bientôt  la  trace  lumineuse,  il 


472  ANNALES    CATHOLlgUES 

se  trouva  enveloppé  de  ténèbres.  Dans  la  variété  infinie  des  événe- 
ments humains,  il  a  cru  découvrir  un  nombre  toujours  fixe  et  res- 
treint de  formes  politiques  et  sociales.  Pour  démontrer  son  erreur,  il 
suffit  de  regarder  les  Etats-Unis  qui  ne  s'ajustent  à  aucune  de  ces 
formes.  S'il  fût  entré  plus  profondément  dans  les  mystères  catho- 
liques, 11  aurait  vu  que  la  vérité  est  dans  cette  même  proposition 
prise  à  revers.  La  vérité  est  dans  l'identité  substantielle  des  événe- 
ments; voilée  et  comme  cachée  par  la  vérité  infinie  des  formes, 

«  Voilà  ma  croyance,  je  vous  laisse  à  deviner  mon  opinion  sur  le 
résultat  de  la  lutte  qui  se  livre  dans  le  monde. 

oc  Et  qu'on  ne  me  dise  pas  que  si  la  défaite  est  certaine,  la  lutte  est 
inutile.  En  premier  lieu,  la  lutte  peut  adoucir  la  catastrophe;  en 
second  lieu,  la  lutte  est  un  devoir  et  non  une  spéculation  pour  nous 
qui  nous  faisons  gloire  d'être  catholiques.  Remercions  Dieu  de  nous 
avoir  octroyé  le  combat,  et  ne  demandons  pas,  en  outre  de  cette 
faveur,  la  grâce  du  triomphe,  à  Celui  qui,  dans  son  infinie  bonté, 
réserve  à  ceux  qui  combattent  bien  pour  sa  cause,  une  récompense 
plus  grande  que  la  victoire. 

«  Quant  à  la  manière  de  combattre,  je  n'en  vois  qu'une  qui  puisse 
donner  aujourd'hui  des  résultats  avantageux:  c'est  de  combattre  par 
la  presse  périodique.  Il  est  nécessaire  que  la  vérité  frappe  les  oreilles 
et  y  retentisse  toujours  et  toujours,  si  ses  échos  doivent  arriver 
jusqu'au  sanctuaire  secret  où  les  âmes  gisent  énervées  et  endormies. 
Les  combats  de  tribune  servent  de  peu  ;  les  discours  fréquents  ne 
captivent  pas  ;  rares,  ils  laissent  peu  de  traces  dans  la  mémoire.  Les 
applaudissements  qu'ils  arrachent  ne  sont  pas  des  triomphes,  parce 
qu'ils  s'adressent  à  l'artiste  et  non  au  chrétien. 

«  Entre  tous  les  journaux  qui  paraissent  actuellement  en  France, 
l'Univers  est  celui  qui  me  semble  avoir  exercé,  surtout  dans  ces  der- 
niers temps,  l'influence  la  plus  salutaire  et  la  plus  heureuse.  Quand 
j'aurai  le  plaisir  de  vous  voir,  je  voua  prierai  de  me  présenter  à  ses 
principaux  rédacteurs... 

a  Dans  cette  espèce  de  confession  générale  que  je  fais  devant  vous,^ 
je  dois  ici  déclarer  ingénûmentque  mes  idées  politiques  et  religieuses 
d'aujourd'hui  ne  ressemblent  pas  à  mes  idées  politiques  et  religieuses 
d'un  autre  temps.  Ma  conversion  aux  bons  principes  est  due  d'abord 
à  la  miséricorde  divine  et,  ensuite,  à  l'étude  profonde  des  révolutions. 
Les  révolutions  senties  fanaux  de  la  Providence  et  de  l'histoire.  On 
peut  dire  do  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  ou  le  malheur  de  vivre  et  de 
mourir  en  des  temps  paisibles  et  calmes,  qu'ils  ont  traversé  la  vie  et 
sont  arrivés  à  la  mort  sans  sortir  de  l'enfance.  Ceux-là  seulement  qui, 
comme  nous,  ont  vécu  au  milieu  des  tourmentes,  peuvent  revêtir  la 
robe  virile  et  dire  d'eux-mêmes  qu'ils  sont  hommes. 

Œ  Les  révolutions  sont,  sous  un  certain  aspect,  et  jusqu'à  un  cer- 
tain point,  bonnes,  comme  les  hérésies,   parce   qu'elles  confirment 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUK  473 

dans  la  foi  et  rendent  la  foi  plus  resplendissante.  Je  n'avais  jamais 
compris  la  révolte  gigantesque  de  Lucifer  jusqu'au  moment  où  j'ai 
vu,  de  mes  propres  yeux,  l'orgueil  insensé  de  Proudhon.  L'aveugle- 
ment humain  a  presque  cessé  d'être  un  mystère,  depuis  qu'on  voit 
l'aveuglement  incurable  et  surnaturel  des  classes  aisées.  Quant  au 
dogme  de  la  perversité  innée  de  la  nature  humaine  et  de  son  inclina- 
tion au  mal,  qui  le  mettra  aujourd'hui  en  doute,  s'il  jette  les  yeux 
sur  les  phalanges  socialistes  ?  » 

{Traduit  sur  l'original  en  espagnol.) 

Cette  traduction  fut  faite    par  un   rédacteur   de   VUnivers, 
M.  Barrier,  et  revue  par  M.  de  Montalembert. 


CAUSERIE  SCIENTIFIQUE 

Photographie  des  couleurs.  —  La  présence  du  grisou  révélée  par  un 
tuyau  d'orgue. 

Oii  en  est  le  problème  de  la  photographie  des  couleurs? 

Ces  jours  derniers,  j'entrais  à  la  Sorbonne  :  «  Le  laboratoire 
de  M.  Lippmann,  s'il  vous  plaît?  »  On  me  répondit  avec  volu- 
bilité :  €  Traversez  tout  au  long  la  galerie,  prenez  le  couloir  à 
gauche,  suivez  jusqu'au  bout,  montez  l'escalier  de  bois,  tournez 
à  droite,  puis  à  gauche,  encore  à  droite  ;  après  la  cour,  longez 
les  démolitions,  reprenez  votre  droite,  évitez  la  voûte  et  sur 
votre  gauche  vous  y  serez.  —  Grand  merci.  »  Ainsi  je  fis,  et, 
après  l'escalier  de  bois,  je  m'égarai.  On  l'a  bien  changée,  la 
Sorbonne  de  mon  temps  !  La  Sorbonne  moderne  a  laissé  en  place 
quelques  parties  de  l'ancienne;  et,  tout  s'enchevêtrant,  vieilles 
murailles,  vieux  couloirs  et  nouveaux  bâtiments,  c'est  partout 
un  labyrinthe  inextricable.  Les  laboratoires  s'entassent  les  uns 
au-dessus  des  autres,  d'étage  en  étage,  où  l'on  parvient  par  des 
escaliers  obscurs;  tout  tombe  de  vétusté;  l'air  et  la  lumière 
manquent.  C'est  lamentable.  Heureusement  que  les  jours  des 
bâtiments  en  ruine  sont  comptés  ;  au  point  de  vue  de  l'hygiène, 
il  est  temps  qu'on  les  jette  bas...  «  Le  laboratoire  de  M.  Lipp- 
mann, s'il  vous  plaît?  —  Descendez  ces  marches,  traversez  la 
cour,  vous  vous  heurterez  à  un  mur,  à  gauche,  puis  encore  à 
gauche.  » 

Et,  quand  j'eus  beaucoup  tourné  à  gauche  et  à  droite,  je 
trouvai,  en  efl'et,  un  perron  et  une  porte.  Au-dessus  de  la  porte, 


474  ANNALES     CATHOLIQUES 

on  lit  :  «  Laboratoire  de  recherches  physiques,  fondé  par  M.  Ja- 
min  en  1868.  >  Cette  fois  je  reconnus  le  bâtinaent  que  j'avais  vu 
construire,  la  porte  en  rouge  sombre...  C'était  bien  le  labora- 
toire de  M.  Jamin,  masqué  maintenant  par  un  mur,  M.  G.  Lipp- 
mann  de  l'Académie  des  Sciences  a  hérité  de  la  chaire  et  du 
laboratoire  de  M.  Jamin  ;  et  la  chaire  comme  le  laboratoire  sont 
en  bonnes  mains.  L'éminent  physicien  avait  bien  voulu  m'inviter 
à  venir  voir  les  résultats  les  plus  récents  obtenus  par  la  méthode 
qu'il  a  découverte  pour  photographier  les  couleurs. 

On  rencontre  encore  quelques  personnes  qui  semblent  ignorer 
que  la  solution  est  complète,  et  qu'on]  peut  photographier  un 
objet  quelconque  avec  toutes  ses  teintes  naturelles.  Jusqu'ici  la 
photographie  donnait  la  forme  et  le  modelé  ;  on  est  en  droit 
d'avancer  qu'elle  reproduit  maintenant  l'image  avec  toutes  ses 
couleurs.  Regardez-vous  dans  une  glace  :  c'est  cette  image  telle 
qu'elle,  avec  la  vivacité  des  teintes  et  ses  divers  tons,  que  re- 
produira l'héliochromie.  C'est  une  merveille,  et  cette  découverte 
suffit  "bien  pour  faire  passer  un  nom  à  la  postérité. 

La  découverte  n'a  rien  d'empirique,  elle  a  été  prévue  théori- 
quement et  elle  a  donné  ce  qu'avait  annoncé  la  théorie.  C'est 
déjà  très  beau.  La  méthode,  nous  l'avons  déjà  indiquée  à  plu- 
sieurs reprises.  La  lumière  imprime  d'elle-même  ses  teintes  sur 
la  plaque  sensible  et  à  toutjamais  ;  quand  on  regardera  la  plaque, 
on  retrouvera  les  couleurs  ainsi  fixées.  En  d'autres  termes,  les 
vibrations  lumineuses,  dont  la  tonalité  produit  l'impression  co- 
lorée, se  moulent  dans  la  couche  sensible  en  y  laissant  un  dépôt 
photographique  permanent,  susceptible  de  reproduire  après  coup 
les  mêmes  vibrations. 

Est-ce  pratique?  Bientôt,  nous  l'espérons,  on  pourra  livrer 
aux  amateurs  d'héliochromie  des  plaques  qui  leur  permettront 
de  reproduire  les  objets,  les  paysages]avec  leurs  véritables  cou- 
leurs. Il  fallait,  il  y  a  un  an,  trois  quarts  d'heure  de  pose;  au- 
jourd'hui, il  ne  faut  plus  que  quatre  minutes.  On  abrégera 
encore.  Le  seul  reproche  que  l'on  puisse'faire  à  la  méthode,  et 
il  est  réel,  c'est  que,  pour  voir  les  couleurs,  il  est  nécessaire  de 
donner  au  cliché  une  certaine  inclinaison,  comme  pour  les 
plaques  daguerriennes;  l'image  est  miroitante  et  les  teintes 
apparaissent  un  peu  comme  celle  de  la  nacre,  ce  qui  va  de  soi, 
puisqu'elles  sont  dues,  de  part  et  d'autre,  au  jeu  de  la  lumière 
à  travers  des  lames  minces.  Mais  l'inconvénient  disparaît  com- 
plètement si,  au  lieu  de  regarder  directement  le  cliché,  on  le 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE  475 

projette  avec  une  lanterne  électrique  sur  un  écran  blanc.  L'opé- 
ration est  de  celles  que  font  beaucoup  d'amateurs  qui  se  servent 
couramaient  des  projections  pour  montrer  leurs  photographies. 
Alors  tout  change,  et  la  beauté  des  épreuves  colorées  est  inima- 
ginable. C'est  un  véritable  enchantement  pour  les  yeux. 

A  mon  arrivée  au  laboratoire,  la  lanterne  électrique  brillait 
dans  le  cabinet  noir  et  l'écran  blanc  attendait  ses  images.  Les 
épreuves  les  plus  récentes  sont  dues  à  MM.  Lumière  qui,  avec 
leur  habileté  professionnelle,  sont  parvenus  à  des  résultats  vrai- 
ment étonnants.  Leurs  petits  clichés  sur  plaque  transparente, 

—  tant  le  grain  de  l'éraulsion  sensible  est  devenu  inappréciable, 

—  donnent  sur  l'écran  blanc  des  tableaux  d'un  coloris  incompa- 
rable. 

A  trente-cinq  centimètres  de  l'écran,  tout  prés  par  conséquent 
de  l'image,  on  a  l'illusion  entière  de  la  réalité.  Il  me  semblait 
regarder  avec  le  gros  bout  d'unejumelle  l'image  rapetissé  d'un 
paysage.  Quel  éclat  et  quelles  variétés  de  ton!  Jamais  peintre 
n'a  eu  pareille  palette.  Une  douzaine  de  clichés  ont  été  projetés 
successivement,  paysages,  bâtiments,  maisons,  fleurs,  portraits. 
C'est  un  ravissement.  Comme  les  épreuves  viennent  en  plein 
soleil,  l'éclairage  est  parfait:  le  ciel  bleu  tendre,  les  arbres  vert 
foncé,  vert  éteint,  émeraude  clair,  les  Heurs  avec  toutes  leurs 
nuances  délicates,  les  pierres,  les  briques,  les  chemins  se  pei- 
gnent avec  leurs  tons  respectifs,  tout  cela  est  illuminé.  C'est 
bien  la  nature  prise  sur  le  fait,  et  que  de  teintes  et  d'ombres, 
quelle  gamme  !  Les  efl'ets  d'automne  sont  de  toute  beauté.  En 
allongeant  la  main,  on  croirait  pouvoir  la  poser  sur  les  feuilles 
mortes,  sur  les  vieux  troncs  sombres.  Le  jaune  d'automne,  au 
milieu  des  massifs  d'arbres,  est  rendu  avec  une  perfection  frap- 
pante; toutes  ces  couleurs,  dont  le  soleil  couchant  couvre  les 
bois  et  les  grands  espaces,  on  les  voit  se  marier  ensemble,  se 
fondre  et  virer  lentement,  comme  on  les  voit  en  fait  vers  la  fin 
d'une  belle  journée.  L'illusion  est  complète. 

Parmi  les  épreuves  projetées,  il  en  est  au  moins  quatre  qui 
sont  particulièrement  réussies  :  un  chimiste  est  assis,  le  dos 
tourné  contre  un  treillage  tapissé  de  vigne  vierge;  au  premier 
plan,  une  table,  des  instruments,  des  flacons  pleins  de  substances 
chimiques.  Toutes  les  couleurs  sont  venues  avec  leurs  intensités 
respectives.  On  voit  le  microscope,  le  verre,  l'éclat  métallique 
de  la  monture  ;  dans  un  flacon  il  y  a  de  la  fluorescine,  c'est  cer- 
tain ;  au   fond,  en  effet,  le  liquide  est  rougeâtre  ;  il  est  vert 


476  ANNALES    CATHOLIQUES 

tendre  au-dessus.  C'est  le  caractère  de  la  fluorescine.  Il  y  a  du 
sulfate  de  cuivre,  on  le  distingue  à  sa  couleur.  Les  blancs  res- 
tent parfaitement  purs  au  milieu  de  cette  orgie  véritable  de 
tons  complexes.  Ainsi  une  épreuve  représente  un  officier  d'in- 
fanterie en  uniforme  ;  sur  la  manche  sombre  se  détache,  d'un 
blanc  immaculé,  l'extrémité  de  la  manchette.  Les  galons  ont 
l'éclat  de  l'or  ;  le  sabre  est  bien  d'acier.  On  ne  le  saurait  pas 
qu'on  le  dirait.  Et  cette  villa  perdue  au  milieu  des  arbres  et 
des  parterres  de  fleurs  !  C'est  gai,  ensoleilé;  la  lumière  filtre  à 
travers  les  feuilles.  On  la  suit  se  glissant  au  milieu  des  allées,, 
éclairant  les  buis  et  les  corbeilles  ;  on  dirait  qu'on  va  pouvoir 
cueillir  les  dahlias,  les  roses  de  Noël.  C'est  charmant  d'éclat  et 
de  finesse.  Aucun  ton  n'est  cru,  aucune  couleur  criarde.  C'est... 
comme  c'est.  Et  la  petite  fille  endormie  dans  un  jardin,  presque 
couchée  sur  une  table  chargée  de  fruits  et  toute  semée  de  fleurs  l 
On  devine  le  sang  qui  coule  sous  la  peau  rosée  du  visage  et  des 
mains  ;  on  croit  respirer  le  parfum  des  roses  et  des  héliotropes. 
Il  existe  même  des  effets  qu'aucun  peintre  n'aurait  jamais  songé 
à  produire.  Les  lumières  colorées  diffusent  sur  les  objets  les- 
teintes  qui  n'échappent  pas  à  une  observation  attentive.  Les 
ombres  noires  elles-mêmes  se  colorent.  L'ombre  des  feuilles 
vertes  est  un  peu  verte.  Or,  on  retrouve  tous  ces  détails  repro- 
duits dans  ces  photographies  colorées  directement.  On  resterait 
des  heures  à  regarder  ces  projections  dont  personne  ne  saurait 
se  faire  une  idée  exacte  qu'après  les  avoir  vues.  Souhaitons  donc 
qu'on  les  multiplie  assez  pour  que  tout  le  monde  puisse  les  ad- 
mirer. 

La  découverte  de  M.  Lippmann  est  donc  déjà  assez  au  point 
pour  satisfaire  les  plus  difficiles.  On  peut  la  classer  au  nombre 
des  grandes  inventions  de  notre  temps.  C'est  une  opinion  que 
je  suis  heureux  d'e^^primer  en  quittant  la  vieille  Sorbonne  et 
son  laboratoire  de  recherches  physiques. 


Tout  est  dans  tout.  On  n'aurait  guère  soupçonné  qu'une  note 
musicale  servirait  un  jour  à  révéler  avec  une  étonnante  préci- 
sion les  proportions  du  grisou  qui  peut  envahir  les  galeries  d'une 
houillère.  C'est  cependant  ce  que  vient  de  prouver  M.  E.  Hardy 
l'ingénieur  électricien  bien  connu,  en  inventant  l'appareil  qu'il 
a  baptisé  du  nom  de  Formènephone.  Formènephone,  parce  qu'il 
fait  connaître  au  son  l'arrivée  du  grisou  ou  gaz  des  marais,  ou 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE  477 

formène  dans  la  nomenclature  chimique.  L'invention  est  bien 
originale. 

Lorsque  l'on  fait  parler  en  même  temps  deux  tuyaux  d'orgue 
donnant  le  même  son,  à  l'aide  de  deux  souffleries  distinctes  ali- 
montées  d'air  pur,  on  obtient  une  note  unique.  Mais  si  l'une  des 
deux  souffleries  est  alimentée  non  plus  avec  de  l'air  pur,  mais 
avec  un  mélange  d'air  et  d'un  autre  gaz,  le  son  du  tuyau  est 
modifié  et  les  deux  tuyaux,  parlant  â  la  fois,  donnent  des  batte- 
ments plus  ou  moins  fréquents,  suivant  que  le  mélange  est  plus 
ou  moins  riche  en  gaz.  On  pressent  l'application  de  ce  fait  inté- 
ressant. Le  nombre  des  battements  relevés  indiquera  ainsi  la 
présence  du  forméne  ou  du  grisou  dans  une  mine. 

Le  forménephone  se  compose  de  deux  soufflets  et  de  deux 
tuyaux  d'orgue.  L'un  des  tuyaux  et  son  soufflet  sont  enfermés 
dans  une  enveloppe  étanche  et  pleine  d'air  pur  qui  sert  sans 
déperdition  à  faire  parler  le  tuyau.  L'autre  soufflerie  et  son 
tuyau  sont  libres  dans  l'atmosphère  de  la  mine,  et  on  les  ali- 
mente avec  l'air  impur  de  la  galerie.  On  fait  parler  les  deux 
systèmes  à  la  fois.  Or.  voici  ce  qu'on  observe.  Lorsqu'il  y  a  dans 
la  galerie  1  0/0  de  formène,  on  constate  1  battement  par  3  se- 
condes; pour  2  0/0,  3  battements  par  2  secondes  ;  pour  3  0/0, 
2  battements  par  seconde  ;  pour  4  0/0,  3  battements  par  se- 
conde, etc.  Or  le  grisou  ne  détermine  d'explosion  que  lorsqu'il 
est  déjà  dans  la  galerie  en  proportion  un  peu  supérieure  à  5  0/0. 

Le  nouvel  appareil  peut  donc  révéler  très  nettement  la  pro- 
portion dangereuse.  Il  donne  d'abord  son  signal  sonore  dés  que 
le  gaz  atteint  1  0/0  dans  la  galerie  ;  mais,  de  plus,  il  peut  être 
relié  par  un  fil  métallique,  en  dehors  des  galeries,  au  cabinet  de 
l'ingénieur  et,  électriquement,  faire  fonctionner  un  stylet  qui 
marquera  sur  un  papier  les  proportions  de  grisou.  Signal  so- 
nore, signal  écrit,  tout  à  la  fois.  Scripta  manent.  Quant  au 
fonctionnement  dans  la  mine,  il  peut  être  continuel,  puisque  les 
souffleries  sont  mues  par  un  petit  moteur  électrique.  Et  voilà 
comment  un  simple  son  musical  peu  prévenir  du  péril  ouvriers 
et  ingénieurs. 

La  pratique  dira  comment  se  comporte  l'invention  en  service 
courant.  Nous  ne  sommes  pas  si  dépourvus,  que  paraît  le  penser 
M.  Hardy,  d'appareils  avertisseurs.  Les  lampes  à  alcool,  nou- 
vellement imaginées,  par  l'auréole  significative  qui  couronne  la 
flamme,  dénoncent  une  proportion  de  grisou  de  1  0/0  ;  la  lampe 
de  mineur  ordinaire,  du  type  combiné  par  M.  Fumât,  révèle 


478  ANNALES    CATHOLIQUES 

aussi  le  1  0/0.  Mais  il  est  clair  que  deux  précautions  valent 
mieux  qu'une,  et  qu'une  note  d'alarme  entendue  dans  une  gale- 
rie peut  aussi  présenter  beaucoup  d'avantages.  En  tous  cas,  le 
forménephone  apporte  une  solution  extrêmement  élégante  et 
nouvelle  d'un  problème  pourtant  déjà  bien  étudié.  On  ne  saurait 
donc  trop  encourager  les  essais. 

{Débats.)  H.  de  Parville. 


LES  PRIX  DE  VERTU  (1) 

Messieurs, 

Si,  nouvel  Epiménide,  M.  de  Montyon  se  réveillait  du  som- 
meil de  la  tombe,  il  serait  exposé,  j'en  ai  peur,  à  quelques  sur- 
prises désagréables;  car  il  entendrait  à  droite  et  à  gauche,  dire 
du  mal  de  la  charité.  Des  gens  graves,  ayant  étudié  la  question 
du  paupérisme,  lui  prouveraient  que,  loin  de  soulager  et  de  dé- 
truire la  misère,  la  bienfaisance  privée  la  développe  au  con- 
traire, et  la  perpétue  ;  et,  devant  la  grimace  avec  laquelle  de 
nombreux  pauvres  accueilleraient  son  obole  sans  la  refuser  tou- 
tefois, l'illustre  philanthrope  serait  forcé  de  reconnaître  qu'elle 
n'est  pas  reçue  de  bon  cœur.  Devant  le  tapis  vert  des  commis- 
sions administratives,  de  savants  économistes  lui  démontre- 
raient que,  dans  l'intérêt  même  des  misérables,  il  ne  faut  leur 
venir  en  aide  qu'en  s'entourant  de  toutes  sortes  de  précautions 
et  de  garanties,  et  que  l'action  de  saint  Martin,  voyant  un 
mendiant  tout  nu  et  lui  donnant,  sans  enquête,  la  moi- 
tié de  son  manteau,  n'est  pas  du  tout  sage.  Si  d'autre  part, 
M.  de  Montyon  pénétrait  dans  un  cercle  populaire,  il  y  trouve- 
rait sans  doute,  à  la  tribune  un  orateur  au  verbe  plein  d'àpreté, 
déclarant  aux  meurt-de-faim  qu'ils  ont  droit  au  bien-être  que  les 
repus  ne  font  en  leur  faveur  que  des  sacrifices  dérisoires,  et 
qu'ils  n'ont  pas  à  être  reconnaissants  d'une  aumône  qui  les 
avilit. 

De  pareils  discours  causeraient,  vous  n'en  doutez  pas,  une 
peine  profonde  au  grand  homnae  de  bien.  Comment  ose-t-on 
lui  parler  de  sagesse  et  de  circonspection  en  matière  de  charité  ? 
Celle  qui  a  voulu  surtout  qu'on  honorât,  c'est  la  plus  folle  et  la 

(1)  Rapport  lu  daaa  la  séance  publique  annuelle  de  l'Académie 
française  par  M.  François  Coppée,  directeur  de  l'Acadéraie  française. 


PRIX    DK    VERTIJ  479 

plus  imprudente  de  toutes,  celle  du  pauvre  envers  un  plus  pau- 
vre. Quant  à  cet  odieux  paradoxe  qui  prétend  qu'un  bienfait 
irrite  et  dégrade  celui  qui  le  reçoit,  il  en  aurait  horreur.  Car, 
fidèle  à  l'optimisme  et  à  la  facile  sensibilité  de  son  temps,  qui 
le  faisaient  fondre  en  larmes  devant  toutes  les  infortunes  et  lui 
montraient  un  ami  dans  chaque  malheureux  qu'il  avait  soulagé, 
Montyon  ressuscité  serait  toujours  convaincu  que  les  hommes 
sont  naturellement  bons.  On  a  donc  changé  tout  cela.  Est-il 
possible  que,  dans  l'espace  de  si  peu  d'années,  les  esprits  soient 
devenus  si  faux  et  les  cœurs  si  durs? 

Il  faut  le  dire  cependant,  les  gens  d'expérience  qui  pensent 
que  la  charité  est  parfois  capricieuse  et  souvent  inefficace  et 
qui  étudient  les  moyens  d'atténuer  graduellement  et  même  de 
supprimer  l'indigence  par  des  règlements  parfaits  sur  le  travail, 
sur  répargne,;sur  l'assistance  publique,  font  une  œuvre  utile:  et 
ce  ne  sont  pas  non  plus  de  dangereux  sophistes,  ceux  qui  révol- 
tés par  le  spectacle  de  l'inégalité  des  conditions  humaines,  ré- 
clament une  moins  inique  distribution  des  biens  de  ce  monde. 
Partis  de  deux  points  différents,  ils  vont,  les  uns  et  les  autres, 
vers  le  même  but,  et  ils  sont  tous  poussés  par  le  sentiment  de  la 
justice  et  l'amour  de  l'humanité.  Leur  idéal,  en  somme,  est  le 
même  :  ils  veulent  un  état  de  civilisation  où  l'excès  du  malheur 
soit  impossible,  où  la  société  intervienne  comme  une  sorte  d'in- 
faillible Providence.  Si  la  perfection  est  de  ce  monde  et  si  le 
progrès  y  mène,  ils  préparent  l'avènement  d'un  nouvel  âge  d'or. 
Il  n'est  pas  plus  noble  rêve. 

Mais  le  monde  est  vieux,  et  ce  rêve  est  aussi  vieux  que  lui. 
Celui  dont  la  sublime  morale  avait  donné  aux  hommes  le  meil- 
leur moyen  de  le  réaliser.  Celui  qui  parlait  sur  la  Montagne,  a 
laissé  tomber  de  ses  lèvres  cette  parole,  la  plus  mélancolique 
qu'on  ait  jamais  entendue  :  «  Il  y  aura  toujours  des  pauvres 
parmi  vous.  »  Rien  n'est  venu  la  démentir,  et  deux  mille  ans 
après  qu'elle  a  été  prononcée,  il  existe  encore  des  lois  —  hélas! 
probablement  nécessaires  —  qui  considèrent  et  punissent  comme 
un  délit  l'action  d'un  malheureux  sans  pain  ni  gîte,  qui  tend  la 
main  ou  qui  dort  à  la  belle  étoile.  Qu'ils  ne  se  hâtent  donc  pas 
de  faire  le  procès  de  la  charité,  tous  les  réformateurs,  calmes 
ou  impatients,  qui  rêvent  d'abolir  la  misère.  Contre  cette  mala- 
die sociale,  nous  n'aurons  point,  d'ici  à  bien  longtemps,  d'autre 
spécifique.  Et,  quand  même  les  problèmes  qui  se  posent  si 
mpérieusement  aujourd'hui  seraient  résolus,  quand  même  les 


480  ANNALES    CATHOLIQUES 

rapports  de  celui  qui  possède  et  de  celui  qui  travaille,  de  celui 
qui  jouit  et  de  celyi  qui  souffre,  seraient  réglés  à  la  satisfaction 
de  tous,  quand  même  un  Code  nouveau,  Code  de  prévoyance  et 
de  réparation,  protecteur  de  l'enfance,  pieux  pour  la  vieillesse 
indulgent  pour  toutes  les  infirmités  de  l'homme,  veillerait  pater- 
nellement sur  lui  du  début  à  la  fin  de  son  existence,  il  y  aurait 
■encore,  de  par  le  monde,  bien  des  infortunes  et  bien  injustices. 
Les  Solons  de  l'avenir  ne  pourront  jamais  inscrire  sur  leurs 
programmes  et  voter  dans  les  Assemblées  le  désintéressement 
et  la  bonté  obligatoires,  ni  remédier,  par  décrets,  à  l'égoïsme 
des  uns  et  aux  faiblesses  des  autres.  Il  y  aura  toujours  des  pau- 
vres parmi  nous.  Et  grâce  au  ciel,  il  y  aura  toujours  des  riches 
qui  s'appauvriront  pour  les  secourir,  et,  spectacle  plus  consolant 
encore,  des  pauvres  qui,  n'ayant  adonner  que  leur  temps,  leurs 
soins,  leur  dévouement,  leur  tendresse,  les  donneront  spontané- 
ment à  leurs  frères  en  indigence  et  feront  apparaître  aux  yeux 
de  tous  la  vertu  dans  ce  qu'elle  a  dejplus  admirable  et  de  plus 
touchant. 

C'est  à  ces  pauvres  au  cœur  si  prodigue  que  M.  de  Montyon 
et  ses  généreux  imitateurs  ont  légué  des  récompenses,  et  c'est 
le  plus  honorable  et  le  plus  doux  privilège  de  notre  compagnie 
d'avoir  à  les  leur  décerner. 

De  toutes  les  œuvres  de  miséricorde  qu'ils  accomplissent,  les 
plus  essentielles  sont  assurément  celles  qui  s'adressent  à  l'en- 
fance et  à  la  vieillesse.  Rien  de  plus  douloureux  que  de  voir 
dans  le  dénuement  et  dans  l'abandon  ceux  qui  ne  peuvent  pas 
encore  et  ceux  qui  ne  peuvent  plus  gagner  leur  pain.  Ce  spec- 
tacle a  été  intolérable  pour  M.  l'abbé  Colombier,  à  Albi,  et  pour 
Mlle  Marie  Danesi,  à  Bastia.  11  s'est  dévoué  aux  orphelins,  elle 
s'est  dévouée  aux  vieillards.  En  donnant  à  chacun  d'eux  un  prix 
de  2,500  fr.  sur  la  fondation  Montyon,  vous  ne  pouviez  rêver  do 
lauréats  plus  dignes  et  plus  intéressants. 

L'abbé  Colombier  n'a  que  trente-trois  ans,  mais  ce  jeune 
prêtre  a  derrière  lui  un  long  passé  de  vertu  chrétienne.  Pour 
moi,  je  ne  puis  me  le  représenter  que  sous  les  traits  du  saint 
Vincent  de  Paul  des  images  populaires,  ramassant  des  enfants 
tout  nus  dans  l'angle  des  murailles.  Dès  1886,  il  en  recueille  un, 
sans  famille,  puis  un  autre,  pauvre  martyr,  qu'une  marâtre 
torturait;  puis  un  autre  encore,  que  sa  mère,  venue  de  Paris 
très  malade  et  morte  à  Albi,  laissait  sans  protection  aucune. 
L'abbé  Colombier  n'a  que  de   très  modestes  ressources.  C'est 


PRIX    DE    VERTU  481 

déjà  pour  lui  une  charge  très  lourde,  pensez-vous,  que  d'élever 
trois  petits  garçons.  Mais,  coranae  dit  le  proverbe,  quand  il  y  en 
a  pour  trois,  il  y  en  a  pour  quatre.  Aujourd'hui,  chez  l'abbé 
Colombier,  il  y  en  a  pour  quatre-vingts.  C'est  un  miracle  qui  a, 
sur  bien  des  miracles,  la  supériorité  d'être  incontestable. 

L'abbé  Colombier  a  commencé  par  se  faire  prêter  une  petite 
maison  ;  puis  des  dons  sont  arrivés,  le  nombre  des  enfants  s'est 
accru.  L'abbé  s'adjoignit  alors,  pour  l'aider,  d'abord  ses  parents 
puis  quatre  religieuses,  puis  un  autre  prêtre,  qui  rivalisèrent 
avec  lui  de  zèle  et  de  dévouement.  Un  des  caractères  de  la  cha- 
rité, c'est  qu'elle  est  contagieuse.  Cela  se  gagne.  L'abbé  Colomr 
hier  l'a  donnée  à  tout  le  département  du  Tarn.  Vous  auriez 
plaisir  à  lire  les  nombreuses  signatures  qui  le  recommandent  à 
l'Académie.  Vous  y  verriez  pêle-mêle  des  noms  de  personnages 
officiels  et  de  réactionnaires  bien  reconnus  pour  tels.  Sa  petite 
république  d'orphelins  ne  compte  que  des  ralliés.  N'est-ce  pas 
encore  un  autre  miracle  ?  A  sa  façon,  l'abbé  Colombier  travaille 
à  l'apaisement  politique;  il  réconcilie,  au  moins  momentané- 
ment, tous  les  partis  dans  la  bienfaisance.  Les  enfants  d'adop- 
tion de  ce  digne  homme  possèdent  à  présent  une  maison,  des 
terres  qu'ils  cultivent,  des  ateliers  où  ils  font  leur  apprentis- 
sage, et  Albi,  qui  n'avait  point  d'orphelinat  pour  les  garçons, 
esta  présent  très  fier  du  sien  et  peut  le  donner  pour  modèle. 

A  Bastia,  c'était  un  hospice  pour  les  vieillards  qui  faisait  dé- 
faut. Comme  M.  l'abbé  Colombier,  Mlle  Marie  Danesi  n'a  pas 
mis  plus  de  six  ans  à  combler  cette  lacune, et,  par  son  initiative, 
par  ses  tenaces  et  constants  efforts,  elle  a  doté  sa  ville  natale 
de  l'établissement  qui  lui  manquait.  A  la  mort  de  son  père, 
Mlle  Danesi  hérite  de  7,000  francs;  c'est  toute  sa  fortune.  Sans 
hésiter,  elle  la  consacre  immédiatement  à  la  vieillesse  sans 
asile.  Tout  d'abord  elle  loue  un  appartement  de  sept  pièces, 
moyennant  dix-huit  francs  par  mois,  —  nous  sommes  loin, 
comme  vous  le  voyez,  des  prix  de  l'avenue  de  l'Opéra,  —  et  s'y 
installe  avec  une  dizaine  de  vieux  indigents  des  deux  sexes, 
vivant  avec  eux,  les  servant,  subvenant  à  tous  leurs  besoins. 
-  Ce  qu'il  y  a  de  particulièrement  touchant  dans  ce  genre  de 
bonnes  Œuvres,  ce  sont  leurs  débuts,  toujours  médiocres  et 
cachés,  et  l'admirable  témérité  de  ceux  qui  les  entreprennent. 
Quand  on  imagine  cette  excellente  fille,  dans  son  étroit  logis, 
soignant  de  ses  mains  maternelles  sa  famille  de  vieux  enfants, 
certes  on  est  attendri  ;  mais  si  l'on  songe  qu'elle  n'a  que  7,000  fr. 

35 


482  ANNALES    CATHOLIQUES 

dans  son  tiroir,  on  ne  peut  s'empêcher  de  dire  :  c  Cela  ne  durera 
pas  !  C'est  absurde  !  »  Eh  bien  non  !  C'est  très  raisonnable. 
Car  il  n'j  a  pas  que  le  mal  qui  finisse  par  se  savoir  :  le  bien 
aussi,  poussé  à  cette  limite,  est,  en  quelque  sorte,  scandaleux. 
Toute  la  ville  apprit  la  sublime  imprudence  de  Mlle  Danesi.  On 
lui  vint  en  aide.  Mais,  comme  toutes  ses  pareilles,  elle  était 
atteinte  du  délire  des  grandeurs.  Dés  que  ses  ressources  furent 
augmentées,  elle  ne  se  contenta  plus  d'un  appartement  et  de 
quelques  hôtes  :  ce  fut  une  maison  tout  entière,  et  vingt,  puis 
bientôt  trente  vieillards  qu'il  lui  fallut.  Le  croiriez-vous  ?  Ceux 
qui  l'avaient  soutenue  jusqu'alors  de  leurs  sympathies  et  de 
leurs  subsides  ne  se  découragèrent  pas.  Que  dis-je?  Ils  partagè- 
rent sa  folie  ambitieuse,  si  bien  que  Bastia  possède  maintenant 
un  hospice  qui  compte  quarante  pensionnaires.  Ce  n'est  encore 
qu'un  pavillon,  mais  construit  de  façon  à  devenir,  un  jour  l'an- 
nexe d'un  établissement  plus  considérable;  et  soyez  sûrs  que 
l'infatigable  Mlle  Danesi,  qui  a  créé  dans  toute  la  contrée  une 
rivalité  de  dévouement  et  de  sacrifices,  une  véritable  passion 
pour  le  bien,  ne  perd  pas  de  vue  ses  projets  d'agrandissement. 
Je  ne  serais  nullement  surpris  d'apprendre  qu'elle  n'attendait 
plus  que  vos  2,500  fr.  pour  appeler  les  maçons. 

J'ai  le  devoir.  Messieurs,  de  rendre  en  votre  nom  un  éclatant 
hommage  à  ceux  qui  mettent  au  service  de  la  charité  leur  es- 
prit d'entreprise  et  de  propagande,  leur  besoin  de  fonder  des 
établissements  durables;  mais  je  suis  peut-être  encore  plus  ému, 
je  l'avoue,  et  je  voudrais  vous  faire  partager  mon  émotion, 
devant  ceux  qui,  plus  faibles  et  plus  timides,  ne  réclament,  pour 
faire  le  bien,  aucune  assistance,  n'y  consacrent  que  leur  effort 
personnel,  et  qui,  pourtant,  accomplissent,  à  eux  tout  seuls, 
modestement  et  discrètement,  des  actes  de  vertu  d'une  beauté 
"suprême.   Je  vous  citerai  quelques  exemples. 

En  1866,  un  Wurtembourgeois,  du  nom  de  Louis  Weisser, 
Tint  s'établir  à  Lonze,  dans  le  département  de  la  Haute-Marne, 
avec  sa  femme  et  quatre  filles,  et,  il  avait  su  gagner  l'estime  de 
tous  par  sa  douceur  hypocrite.  Mais,  au  moment  de  l'invasion, 
cet  abject  personnage,  jetant  le  masque,  devint  un  de  ces  lou- 
ches trufi([uants  qui  suivent  les  armées  et  partit  avec  les  four- 
gons allemands,  en  abandonnant  pour  toujours  sa  famille. 
Quelle  situation  pour  la  mère!  Elle  est  Française,  mais  mariée 
à  un  ennemi,  à  un  espion  peut-être:  personne  ne  voudj-a  la  se- 
courir. Si  fait  !  La  magnanime  pitié  habite  dans  le  cœur  d'un 


NECROLOGIE  483 

ouvrier  maçon  et  de  ?a  femme,  les  époux  Coiffîer.  Grâce  à  eux, 
l'abandonnée,  qui  tombe  malade  de  chagrin  et  meurt  deux  ans 
plus  tard,  ne  manque  de  rien  jusqu'au  dernier  jour.  Elle  laisse 
quatre  orphelines.  Sans  hésiter,  les  époux  Coiffier  en  prennent 
deux,  bien  (ju'ils  aient  eux-mêmes  quatre  enfants.  Et  leur  dé- 
vouement ne  s'est  jamais  démenti,  car  voilà  vingt  ans  de  cela, 
et  l'année  dernière,  ils  mariaient  celle  de  leurs  deux  filles  d'a- 
doption qui  vit  encore,  et  qui  est  devenue  une  sage  et  laborieuse 
personne,  à  un  brave  compagnon  charpentier  qui  l'aimait  de- 
puis son  enfance.  J'ai  tenu  à  vous  conter  cette  émouvante 
anecdote,  entre  tant  d'autres,  parce  que  j'y  trouve  une'  preuve 
de  la  générosité  de  notre  race.  Voilà  ce  qu'on  a  fait,  dans  un 
village   de   France,  pour  la  famille  d'un    vagabond  allemand  ! 

[A  suivre.) 


NECROLOGIE 


Nous  apprenons  la  mort  de  Mgr  Juteau,  évêque  de  Poitiers. 

Mgr  Augustin  Juteau  était  né  le  4  mai  1834.  Nommé  évêque 
de  Poitiers  à  la  date  du  5  juin  1888,  il  avait  été  préconisé  le 
14  février  1889,  et  sacré  le  23  avril  suivant. 

Précédemment,  il  avait  été  curé  de  la  paroisse  SaintJulien- 
Saint-François  à  Tours. 

Le  Courriel'  de  la  Vienne,  de  Poitiers,  publie  les  détails  que 
voici  sur  les  derniers  moments  de  Mgr  Juteau  : 

Monseigneur  était  indisposé  hier  vendredi,  mais  sans  donner  de 
grandes  inquiétudes. 

Cette  nuit  à  deux  heures,  sentant  le  mal  s'aggraver,  il  sonna  son 
secrétaire  particulier  et  lui  dit  :  «  Mon  cher  ami,  voilà  la  mort,  je  me 
sens  frappé;  donnez-moi  l'absolution,  —  présentement  je  suis  bien 
disposé  à  recevoir  rextréme-onction  parce  que  je  jouis  de  ma  pleine 
connaissance  ;  si  le  danger  s'approchaut  il  ne  me  venait  pas  à  la 
pensée  de  la  demander  moi-même,  ne  craignez'pas  de  me  le  rappeler. 

Et  en  effet,  après  une  crise,  averti  selon  le  désir  qu'il  en  avait 
exprimé,  il  s'empressa  de  réclamer  ce  sacrement,  qui  lui  fut  alors 
administré  et  qu'il  rec^'ut  dans  les  dispositions  les  plus  touchantes, 
répondant  lui-môme  aux  prières.  Il  demanda  qu'on  lui  appliquât 
l'indulgence  de  la  bonne  mort. 

Son  confesseur,  mandé  par   lui,  arriva  vers  cinq  heures  du  matin 
le  pauvre  malade   s'entretint  longtemps  avec  lui,  se   confessa,    reçut 
de  nouveau  l'absolution  et  lui  confia  ses  dernières  volontés. 


484  ANNALES  CATHOLIQUES 

Dès  la  première  atteinte  du  mal,  il  avait  demandé  â  recevoir  le 
saint  viatique  ;  mais  les  différentes  crises  qui  se  succédaient  ne  lui  en 
avaient  pas  laissé  la  faculté.  Vers  six  heures,  un  peu  de  calme  était 
revenu,  le  malade  le  réclama  de  nouveau  et  témoigna  d'une  grande 
joie  de  recevoir  ainsi  la  visite  du  bon  Maître.  S'adressant  à  sa  sœur, 
qui  ne  l'avait  pas  quitté  :  «  Joignez-vous  donc  à  moi,  lui  dit-il,  pour 
remercier  Notre-Seigneur  de  l'insigne  faveur  qu'il  vient  de  me  faire.  » 

Comme  on  lui  suggérait  de  pieuses  invocations.  Il  désira  lui-même 
qu'on  récitât  les  prières  des  agonisants,  au  milieu  desquelles  il  lais- 
sait échapper  ces  paroles  :  In  'inanus  tuas,  Domine,  conimendo  spi- 
ritum  meum  et  corpus  meum  !  Toute  la  nuit  il  ne  cessa  d'offrir  à 
Dieu  le  sacrifice  de  sa  vie  et  ses  souffrances  pour  le  bien  de  son  dio- 
cèse, l'accroissement  de  la  foi  dans  les  âmes  et  l'expiation  des  man- 
quements dont  il  aurait  pu  se  rendre  coupable.  —  On  l'entendit  ré- 
péter à  plusieurs  reprises  :  Seigneur,  pardonnez-moi  comme  je  par- 
donne moi-même  à  tous  ceux  qui  ont  pu,  sans  intention  peut-être, 
manquer  à  mon  égard. 

Le  matin,  sentant  les  douleurs  se  calmer  un  peu,  tandis  que  la  pa- 
ralysie gagnait  ses  membres,  il  demandait  â  Dieu  de  le  prendre  dans 
ses  dispositions  actuelles,  plutôt  que  de  le  laisser  incapable  de  remplir 
les  fonctions  de  son  ministère  :  «  Cependant,  Seigneur,  que  votre 
volonté  se  fasse  :  non  recuso  laborem.  » 

Après  une  agonie  de  sept  heures,  pendant  laquelle  il  s'entretenait 
encore  avec  Dieu  —  on  le  voyait  au  mouvement  de  ses  lèvres  —  il 
expira  doucement  sans  aucune  contraction  de  son  visage. 

Il  était  alors  entouré  de  sa  famille  épiscopale,  de  son  médecin, 
M.  le  docteur  Jablonski,  qui  lui  a  prodigué  les  soins  les  plus  dévoués  ; 
de  M.  le  docteur  Berland,  et  d'un  grand  nombre  de  prêtres  accourus 
à  la  triste  nouvelle  de  cette  mort  imminente. 

Mgr  Juteau  n'a  ainsi  administré  le  diocèse  qu'un  peu  plus  de  quatre 
ans.  Son  dernier  acte,  qui  ne  date  que  de  l'avant-veille  de  sa  mort, 
est  une  lettre  pastorale  à  son  clergé  au  sujet  du  récent  pèlerinage  du 
diocèse  de  Poitiers  au  tombeau  de  saint  Martin  à  Tours;  on  sait 
qu'il  avait  très  particulièrement  contribué  à  la  reconstruction  de  la 
basilique. 

Mgr  Juteau,  officier  d'académie,  était  chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur depuis  le  mois  de  janvier  dernier. 


Le  prince  Ale.randre  de  Battf;nherg,  ancien  prince  de  Bul- 
garie, vient  de  mourir,  comte  de  Ilartenau, 

Cette  mort  provoque  de  divers  côtés,  mais  surtout  en  Bul- 
garie, des  manifestations  qu'il  faut  brièvement  noter. 

La   plus  importante  est  l'envoi,   par  le  pri  nce  Ferdinand  de 


NÉCROLOGIE  485 

Cobour^,  qui  règne  actuellement  en  Bulgarie,  du  rescrit  sui- 
vant à  l'armée  bulgare  : 

Aujourd'hui  est  mort  à  Gratz  le  premier  prince  I)ulgare,  Alexan- 
dre I«'",  général  d'infanterie  de  notre  armée,  clief  du  !«■•  régiment 
portant  Son  nom. 

L'armée  bulgare  fait  une  grande  perte  :  elle  perd  celui  dont  le  nom 
est  étroitement  lié  à  sa  fondation  et  à  son  premier  développement  et 
à  qui  incomba  la  tâche  de  la  conduire  sur  le  chemin  de  l'honneur, 
de  la  discipline  et  de  la  dignité  nationale.  Elle  perd  celui  qui,  le 
l>remier,  eut  la  joie  de  traverser  avec  ces  jeunes  troupes  une  époque 
difficile  et  glorieuse  et  de  participer  avec  elles  aux  premières  victoires 
de  nos  braves  guerriers. 

L'armée  bulgare  se  souvient  aujourd'hui  de  son  chef  sans  peur  de 
1885;  elle  perd  son  glorieux  héros. 

Soldats,  ce  jour  est  l'anniversaire  des  faits  d'armes  de  notre  armée. 
Vos  cœurs  sont  pleins  du  souvenir  de  vos  camarades  tombés;  et  de 
fierté  pour  les  journées  inoubliables  de  nos  glorieuses  victoires. 

Puisse  la  mémoire  du  premier  prince  de  Bulgarie  et  du  premier 
chef  de  l'armée  bulgare,  qui  sera  inséparablement  liée  avec  les  faits 
de  notre  histoire,  rester  impérissable,  et  disons  tous  que  Dieu  le 
reçoive  en  grâce. 

Samedi,  le  président  du  Sobranié  a  annoncé  la  mort  du  comte 
de  Hartenau,  a  fait  son  éloge  et  a  proposé  de  lever  la  séance  en 
signe  de  deuil.  La  Chambre  a  élu  trois  de  ses  membres,  j  com- 
pris le  président,  pour  la  représenter  aux  funérailles.  Le  dra- 
peau du  palais  a  été  mis  en  berne. 

Dimanche,  dans  toute  la  Bulgarie,  un  Requiem  a  été  chanté 
pour  l'âme  d'Alexandre  de  Battenberg  et  des  soldats  tombés  à 
Slivnitza. 

On  a  proposé  au  Sobranié  de  continuer  ;\  la  veuve  du  prince 
une  dotation  annuelle  de  50,000  francs  et  de  lui  demander  d'au- 
toriser le  transfert  des  restes  de  son  époux  en  Bulgarie. 


Un  savant  marin  vient  de  mourir  à  Rome,  le  P.  Alberto  Gu- 
GLiELMOTTi,  dominicain.  A  ses  obsèques,  derrière  les  représen- 
tants de  l'ordre  des  frères  prêcheurs,  venaient  les  huissiers  du 
ministère  de  la  marine,  les  hauts  fonctionnaires  de  tous  les  mi- 
nistères, le  syndic  de  Rome,  le  raunicipe  de  Civita-Vecchia,. 
patrie  du  défunt,  avec  la  bannière  de  la  ville. 

Ces  diverses  délégations  venaient  rendre  hommage  à  un  sa- 
vant, versé  dans  les    études   historiques,  et   particulièrement 


486  ANNALES    CATHOLIQUES 

dans  la  connaissance  des  choses  navales.  Sans  avoir  jamais  ap- 
partenu à  la  flotte,  puisqu'il  était  entré  dans  l'ordre  à  l'âge  de 
quinze  ans,  le  P.  Guglielmotti  avait  le  génie  instinctif  de  la 
science  maritime.  lia  publié  un  grand  nombre  d'ouvrages  hau- 
tement appréciés  sur  la  marine  pontificale  et  sur  les  événements 
auxquels  elle  prit  part,  depuis  l'immortelle  bataille  de  Lépanto 
jusqu'à  ses  derniers  exploits  de  l'Egypte  à  Corfou. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

■tome  et  l'Italie. 

.  Les  journaux  de  Rome  arrivés  hier  publient  la  première  par- 
tie de  l'Encjclique,  que  le  Saint  Père  vient  de  faire  paraître 
sur  les  Etudes  de  V Ecriture  Sainte. 

Apaès  avoir  largement  développé  l'utilité  des  Saintes  Ecri- 
tures pour  la  science  des  orateurs  sacrés  et  l'édification  morale, 
Léon  XIII  dit  que  l'Eglise  a  toujours  cultivé  les  études  bibli- 
ques, et  il  retrace  à  grands  traits  l'histoire  de  l'exégèse  catho- 
lique. 

Sa  Sainteté  rappelle  en  outre  quelle  a  été,  à  ce  sujet,  l'œu- 
vre attentive  des  Papes  et  des  conciles. 

Le  Pape  défend  la  Bible  contre  les  rationalistes  et  repousse 
.'interprétation  naturaliste  ! 

Il  exhorte  à  faire  étudier  de  plus  en  plus  dans  les  séminaires 
les  langues  qui  faciliteront  les  travaux  bibliques,  mais  toujours 
en  se  référant  au  texte  grec  ou  au  texte  hébreu. 

Il  rappelle  les  principes  de  l'herméneutique  sacrée,  disant 
•que,  s'il  convient  de  compléter  les  études  anciennes,  on  doit 
toujours  soigneusement  défendre  l'autorité  du  texte  sacré  dont 
Dieu  est  l'auteur. 

En  multipliant  les  études  historiques,  théologiques  et  bibli- 
,ques,  il  faut  bien  se  garder  d'accepter  aveuglément  les  hypo- 
. thèses  de  la  science  moderne. 

Car  il  ne  saurait  y  avoir  de  contradiction  entre  la  vraie 
.science  et  la  Bible. 

Fi*ï«nee 

-     Paris.  ~-  S.    Km.  le  cardinal  Richard,  archevêque  de    Paiis,  vient 
d'adresser  la  lelue  suivante  à  M.  le  curé  de  Saint-Etienne-du-Mont, 


NOUVELLES  RELIGIEUSES  487 

au  sujet  fie  la  cérémonie  de  réparatiim  qui  aura  lieu  dans  cette 
église  à  l'occasion  de  la  profanation  des  reliques  de  sainte  .Geneviève 
(3  décembre  1793).  , 

Paris,  23  novembre. 
Monsieur  le  curé, 

Dans  ma  Lettre  pastorale  annom^ant  et  prescrivant  la  céré- 
monie générale  de  réparation  que  nous  avons  solennellement 
célébrée  le  13  novembre  dans  l'église  métropolitaine,  j'ai  réglé 
qu'une  seconde  et  spéciale  cérémonie  de  réparation  aurait  lieu 
dans  l'église  Saint-Etienne-du-Mont,  le  premier  dimanche  de 
l'Avent  3  décembre. 

C'est  en  eiïet  le  3  décembre  1793  que  les  ossements  de  sainte 
Geneviève  furent  profanés  et  brûlés  en  place  de  Grève  par  une 
population  en  délire,  qui  répétait  la  parole  de  l'impie  :  «  Fai- 
sons disparaître  du  milieu  de  nous  le  culte  de  Dieu  et  des  saints: 
Quiescere  faeiamus  omnea  dies  feslos  Dei  a  terra.  » 

Mais  le  Seigneur  vit  toujours  et  triomphe  dans  les  saints.  Ua 
siècle  s'est  écoulé  depuis  la  douloureuse  et  sacrilège  profana- 
tion; les  profanateurs  ont  disparu.  Le  peuple  de  Paris  n'a  pas 
cessé  d'aimer  et  d'honorer  sainte  Geneviève.  Son  culte  est  en 
honneur  comme  dans  les  siècles  passés.  Elle  est  notre  patronne, 
nous  lui  devions  à  ce  titre  un  hommage  particulier  de  vénération 
et  d'amour  ;  c'est  un  devoir  qu'il  nous  sera  doux  d'accomplir  près 
de  son  tombeau. 

Quand  nous  nous  rappelons  la  vie  de  sainte  Geneviève,  nous 
y  reconnaissons  un  dessein  particulier  de  la  Providence,  pour  en 
faire  la  céleste  protectrice  de  la  capitale  de  la  France.  Humble 
fille  du  peuple,  elle  fut  associée  par  sa  sainteté  à  toute  la  vie  de 
son  siècle  et  de  son  pays. 

Un  grand  évêque  des  Gaules,  saint  Germain  d'Auxerre,  la 
bénit  enfant  et  lui  annonce  les  desseins  de  Dieu  sur  elle.  Consa- 
crée au  Seigneur  par  la  virginité,  elle  offre  aux  habitants  de  la 
cité  parisienne  un  admirable  modèle  de  piété  et  de  pénitence 
durant  sa  longue  vie.  Préludant  à  la  mission  que  les  vierges 
chrétiennes  n'ont  pas  cessé  et  ne  cessent  pas  de  remplir  dans 
notre  cher  pays  de  France,  elle  puise  dans  l'oraison  et  dans  son 
ardent  amour  pour  Notre-Seigneur  la  charité  qui  soulage  toutes 
les  soullVances  et  console  toutes  les  douleurs.  Quand  la  famine 
menace  la  cité,  elle  se  dévoue  pour  lui  procurer  du  pain.  Quand 
Attila  et  les  barbares  s'approchent,  elle  rassure  les  habitants  par 
son  courage  et  les  protège  par  sa  prière. 


488  ANNALES    CATHOl.lyUES 

Nous  la  trouvons  unie  aux  i^rands  souvenirs  de  notre  histoire 
nati.na'e.  Elle  honore  d'un  culte  filial  saint  Denis,  l'apôtre  de 
Paris;  elle  est  près  de  sainte  Clotilde  et  de  Clovis,  quand  les 
Francs  viennent  soumettre  leur  fier  courage  au  joug  de  la  loi 
chrétienne. 

Quand  elle  s'endort  dans  le  Seigneur  à  l'âge  de  quatre-vingts 
ans,  son  historien  résume  sa  vie  dans  trois  paroles  :  Elle  a  vécu 
dans  le  détachement  des  hiens  du  monde,  à  qui  elle  demeurait 
étrangère,  peregrina  inundo  ;  elle  a  été  entourée  de  la  vénéi-a- 
tion  du  peuple  témoin  de  ses  vertus  et  de  ses  miracles  :  venera- 
hilis  populo.  Le  secret  de  sa  gloire  et  do  sa  sainteté  a  été  dans 
son  dévouement  entier  à  Jésus-Christ,  Notre-Seigneur:  devota 
Christo. 

Heureuse  la  ville  de  Paris  de  compter  parmi  ses  enfants  une 
sainte  qui  lui  a  révélé  dans  sa  personne  la  puissance  et  la  dou- 
ceur de  la  foi  chrétienne  pour  les  familles  et  pour  la  société  tout 
entière.  Heureuse  la  ville  de  Paris  d'avoir  pour  patronne  dans 
le  ciel  celle  qui  l'a  aimée  autrefois  sur  la  terre,  et  qui  n'a  cessé 
de  la  protéger  dans  le  cours  des  siècles,  comme  l'attestent  les 
monuments  de  notre  histoire. 

\\  était  donc  juste  qu'après  la  solennelle  réparation  accomplie 
dans  l'église  métropolitaine,  le  peuple  chrétien  vînt  au  tombeau 
de  sainte  Geneviève  donner  un  témoignage  éclatant  de  la  véné- 
ration dont  ce  tombeau  est  toujours  entouré  et  qu'une  heure 
d'oubli  sacrilège  n'a  pu  effacer. 

Nous  approuvons,  monsieur  le  curé,  le  programme  des  céré- 
monies que  vous  nous  avez  proposé  pour  le  dimanche  3  décembre. 

Nous  présiderons  nous-même  les  vêpres  votives  solennelles  de 
sainte  Geneviève.  La  procession,  dans  laquelle  seront  portées 
en  triomphe  les  reliques  qui  ont  pu  échapper  aux  profanations 
de  la  fin  du  siècle  dernier,  fera  une  station  à  son  tombeau. 

La  bénédiction  du  Très  Saint-Sacrement  et  la  vénération  des 
saintes  reîiquas  termineront  notre  cérémonie  de  réparation. 

En  achevant  cette  journée,  nous  répéterons  avec  joie  et  con- 
fiance la  parole  du  psaume  :  Dieu  est  admirable  dans  ses  saints, 
Mirabilis  Deus  in  sanctis  suis. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  curé,  l'assurance  de  mon  affec- 
tueux dévouement  en  Notre-Scigneur. 

-J-  François,  cardinal  Richard. 
Archevêque  de  Paris. 


LES     CHAMBRES  489 


LES  CHAMBRES 

M.  le  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir  a  commencé  son  iuter-, 
pellaUoD,  en  affirmant  sa  volonté  de  ne  porter  aucune  atteinte 
au  principe  d'autorité  dans  l'armée.  De  sa  part  c'était  su- 
perflu. Il  a  demandé  ensuite  au  gouvernement  comment  il 
entendait,  d'une  manière  générale,  respecter  et  faire  respecter 
la  liberté  de  conscience,  et  dans  quelle  mesure  il  prétendait  se 
soumettre  aux  obligations  que  lui  imposent  les  stipulations  du 
Concordat. 

On  sait  à  quel  propos  la  Dépêche  de  Toulouse  avait  dénoncé 
deux  soldats  du  59'  de  ligne,  coupables  d'avoir  servi  la  messe  en 
uniforme.  Aussitôt  la  dénonciation,  le  colonel  du  59^  de  ligne 
punissait  les  deux  soldats  de  quinze  jours  de  salle  de  police  pour 
ce  fait  déjà  vieux  de  quatre  jours.  A  cette  époque,  M.  de 
TAngle-Beaumanoir  avait  entretenu  du  fait  le  ministre  de  la 
guerre,  qui  a  déclaré  «  n'avoir  aucune  observation  à  faire  sur 
la  mesure  prise  par  le  colonel  du  59«  de  ligne  à  l'égard 
d'hommes  de  son  régiment  qui,  sans  autorisation,  ont  servi  la 
messe  en  tenue,  le  25  juin  dernier,  à  Pamiers  ». 

Messieurs,  a  dit  hier  M.  de  l'Angle-Beaumanoir  en  développant 
son  interpellation,  j'espère  que  l'on  m'accordera  qu'il  en  est  du  code 
pénal  militaire  comme  du  code  pénal  civil,  c'est-à-dire  que,  les  délits 
et  les  crimes  y  étant  énumérés  avec  les  peines  qu'ils  comportent,  il 
n'appartient  à  personne,  pas  plus  aux  chefs  de  corps  qu'aux  magis- 
trats, d'en  augmenter  la  nomenclature  suivant  leur  bon  plaisir. 

C'est  cependant  à  une  improvisation  de  ce  genre  que  s'est  livré 
M.  le  colonel  du  59»  de  ligne. 

Parmi  les  fautes  militaires  désignées  dans  le  règlement  sur  le  ser- 
vice intérieur  des  troupes,  on  chercherait  vainement  l'acte  de  servir 
la  messe...  (Interruption  à  gauche;  à  moins  qu'il  ne  soit  compris 
sous  la  rubrique  «  contraventions  aux  ordres  et  règlements  de  po- 
lice ■».  Mais,  dans  ce  cas,  il  faudrait  savoir  si  une  défense  préalable 
visant  l'acte  de  servir  la  messe  avait  été  édictée  spécialement  pour 
le  59=  régiment  de  ligne. 

Donc,  jusqu'à  preuve  contraire,  le  fait  seul  de  servir  la  messe,  dé- 
pouillé de  toute  circonstance  accessoire,  n'est  pas  un  délit  militaire 
et  ne  peut  être  puni  comme  tel. 

Second  grief  :  le  port  de  l'uniforme. 

Le  dernier  décret  paru  sur  la  matière  et   portant  la  date  peu  an- 


490  ANNALES    CATHOLIQUES 

cienne  du  20  octobre  1892  dispose  «  que  la  régularité  de  la  tenue 
pour  tous,  en  toutes  circonstances,  que  les  militaires  soient  réunis 
en  troupe  ou  isolés,  qu'ils  soient  dans  le  service  ou  hors  de  service, 
a  une  importance  capitale.  Le  colonel  responsable  de  la  tenue  ne 
peut,  sous  aucun  prétexte,  y  rien  changer  ni  tolérer  qui  soit  con- 
traire au  règlement.  «  Donc,  c'eût  été  le  fait  de  servir  la  messe  au- 
trement qu'en  uniforme  qui  eût  été  punissable. 

Passons  au  troisième  grief:  la  messe  a  été  servie  sans  autorisation. 

Mais,  messieurs,  au  moment  où  ces  deux  hommes  servaient  la 
messe,  ils  n'étaient  pas  de  service  ;  on  ne  prétend  pas  qu'ils  se  soient 
soustraient  à  un  service  militaire  commandé  pour  aller  à  l'église 
servir  la  messe. 

M.  le  colonel  du  59*  n'avait  donc  ni  à  refuser  ni  à  accorder  de  per- 
mission, pas  plus  que  les  hommes  n'avaient  à  lui  en  demander  pour 
cet  objet. 

Examinant  enfin  la  nature  de  la  punition,  je  rappellerai  que  la 
salle  de  police  ne  peut  être  infligée  que  dans  des  cas  déterminés  qui 
sont  les  suivants  :  «  Manquement  à  l'appel  du  soir,  mauvais  propos, 
désobéissance,  querelle,  ivresse  »,  toutes  conditions  n'ayant,  ni  de 
près  ni  de  loin,  aucun  rapport  avec  le  fait  de  servir  la  messe. 

L'orateur  reprend  ensuite  l'article  du  journal  dénonciateur 
de  Toulouse,  où  il  est  dit  «  que  les  règlements  militaires  ne 
comportent  pas  l'obligation  de  servir  la  messe  »,  et  il  dément 
l'assertion  de  la  façon  la  plus  piquante,  en  lui  opposant  la  dis- 
position suivante  du  décret  de  1892  : 

Toutes  les  fois  qu'un  soldat  en  reçoit  l'ordre,  il  est  tenu  d'exercer 
temporairement  la  profession  qu'il  exerçait  avant  son  entrée  au 
service. 

D'oii  il  suit  que  lesrèglements  militaires  pourraient  dans  cer- 
tains cas,  obliger  un  soldat-séminariste,  comme  ceux  dont  il 
s'agit,  à  servir  la  messe.  C'est  d'ailleurs  ainsi  que  cela  se  passe 
dans  la  marine.  Au  camp  de  Châlons,  c'étaient  des  soldats  en 
uniforme  qui  servaient  la  messe,  à  laquelle  assistait  toute  l'ar- 
mée. L'orateur  a  cité  d'autres  exemples  de  soldats  servant  la 
messe,  notamment  le  général  de  Sonis,  de  glorieuse  mémoire,  et 
le  général  de  Charette.  A  Lyon,  il  n'y  a  pas  plus  de  trois  se- 
maines, a  été  célébrée,  pour  le  repos  de  l'âme  des  soldats  morts 
pendant  l'année,  une  messe  servie  par  des  soldats. 

Voilà  pour  le  point  de  vue  militaire. 

Au  point  de  vue  politique,  comment  interdire  à  un  soldat  de 
servir  la  messe?  L'article  l*""  du  Concordat  dit  en  effet  que  la 
religion  catholique,  apostolique  et  romaine,  sera  librement 
exercée  en  France,  et  que  son  culte  sera  public. 


LES  CHAMBRES  491 

Il  faut,  dit  l'orateur,  que  le  gouvernement  nous  dise  comment  il 
entend  concilier  la  liberté  des  catholiques  avec  les  pénalités  appliqués 
arbitrairement  à  ceux  qui  exercent  leurs  droits. 

A  ce  moment,  se  place  l'incident  Terrier,  que  nous  reprodui- 
sons textuellement  ailleurs,  afin  de  montrer  à  quel  point  un 
ministre  ose  se  moquer  de  la  religion  catholique,  dans  un  Par- 
lement français.  La  droite  s'est  montréjustement  indignée,  et  la 
gauche,  au  fond,  très  gênée  de  cette  intervention  scandaleuse 
du  ministre  du  commerce. 

M.  de  l'Angle-Beaumanoir  a  continué  en  objectant  la  faveur 
dont  jouit  la  franc-maçonnerie,  en  regard  de  la  religion  catho- 
lique. Depuis  qu'il  a  été  interdit  aux  militaires,  par  circulaire 
confidentielle  du  6  mars  1889,  de  fréquenter  les  loges  maçonni- 
ques, trois  officiers  en  activité  de  service  ont  été  nommés  mem- 
bres du  conseil  de  l'ordre. 

Après  avoir  rappelé  la  tolérance  dont  jouissent  les  Israélites 
à  l'armée,  l'orateur  a  terminé  ainsi  : 

Faut-il,  messieurs,  pour  continuer  ce  pai'allèle,  vous  parler  des 
défenses  faites,  dans  plusieurs  villes,  aux  soldats-séminaristes  ou 
autres,  de  tenir  les  orgues  dans  les  églises,  de  faire  partie  'de  cercles 
fondés  ou  présidés  par  des  ecclésiastiques;  et  en  revanche,  vous  rap- 
peler ces  permissions  de  durée  excessive  et  provocatrice  laissant  tant 
déjeunes  hommes  oisifs  sur  le  pavé  des  villes  de  garnison,  jusqu'aux 
heures  avancées  de  la  nuit,  au  détriment  de  leur  santé,  de  la  moralité, 
de  l'ordre  public  et  du  bien  du  service,  ainsi  que  de  la  discipline  et  de 
l'honneur. 

Lorsque  l'impossibilité  d'appliquer  la  loi  militaire  actuelle,  aussi 
bien  pendant  la  paix  comme  pendant  la  guerre,  sera  démontrée,  et 
que  l'on  aura  abandonné  l'idée  chimérique  de  l'armement  universel, 
on  se  demandera  comment  on  a  pu  faire  accepter  comme  une  néces- 
sité, à  un  Parlement  et  à  une  nation,  l'enrôlement  de  quelques  mil- 
liers de  séminaristes  d'abord,  de  prêtres  ensuite.  (Mouvements  divers 
à  gauche.) 

Mais  avant  ce  jour,  plus  prochain  peut-être  que  vous  ne  le  pensez, 
nous  avons  le  devoir  de  les  protéger  contre  toute  aggravation  d'une 
épreuve  si  inutile  et  si  dure,  d'exiger  pour  eux  non  pas  le  minimum, 
ce  pitoyable  minimum  dont  se  déclarent  rassasiés  ceux  que  leur  foi 
chancelante  dans  un  avenir  réparateur  a  métamorphosés  en  soupi- 
rants rebutés,  en  amoureux  transis  de  la  République  actuelle.  (Excla- 
mations et  rires  à  gauche.  —  Très  bien  !  â  droite.) 

Grâce  à  Dieu,  messieurs,  nous  avons  meilleur  appétit  ;  nous  récla- 
mons le  maximum  de  leur  droit  et  des  nôtres,  et  tout  d'abord  de 
ceux  que  leur  confère,  comme  à  tous  les  catholiques,  l'article  l<='du 
Concordat. 


492  ANNALES    CATHOLIQUES 

M.  le  Ministre  de  la  guerre  répond  : 

Messieurs,  l'autorité  militaire  s'est  toujours  attachée  à  laisser  aux 
hommes  sous  les  drapeaux  toute  latitude  pour  accomplir  avec  une 
entière  liberté  les  pratiques  de  leur  culte  reconnu,  quel  qu'il  soit, 
dans  la  mesure  compatible  avec  les  nécessités  du  service  et  les  exi- 
gences de  l'instruction.  Nous  sommes  toujours  dans  les  mêmes  dis- 
positions, et  en  ce  qui  concerne  le  culte  catholique  particulièrement,, 
nous  n'aurions  garde  d'y  manquer,  cette  liberté  étant  garantie  par 
l'article  l"""  du  Concordat. 

Mais  là,  et  pour  plus  d'une  raison,  doit  se  borner  et  se  borne  en 
effet  la  tolérance.  Aussi,  toutes  les  fois  qu'une  pratique  religieuse, 
non  imposée  à  tous  les  fidèles,  peut,  par  suite,  sembler  de  nature  à 
revêtir  un  caractère  particulier  ou  l'apparence  d'une  manifestation,.. 
(Murmures  à  droite)  —  permettez  !  je  le  ferai  voir  tout  à  l'heure  —  il 
est  de  jurisprudence  constante  dans  l'armée  que  l'autorisation  doit 
en  être  tout  d'abord  demandée  à  l'autorité  militaire,  (Très  bien  !  très 
bien  !  à  gauche).  Celle-ci  peut  alors  examiner  le  cas  et  prendre  la 
décision  qui  convient,  refusant  ou  accordant  l'autorisation,  sous  la 
condition  toutefois  de  quitter  l'uniforme. 

Ainsi,  un  prêtre  réserviste  qui  se  trouve  dans  l'obligation  de  dire 
la  messe  peut  en  obtenir  l'autorisation,  sous  la  condition  de  quitter 
l'uniforme,  ce  qui,  sans  cela,  pourrait  paraître  une  profanation  ou 
tout  au  moins  une  inconvenance. 

Il  est,  d'ailleurs,  des  prélats  —  et  non  des  moins  distingués  — qui, 
pour  éviter  à  cet  égard  toute  situation  fausse,  ont  soin  de  ne  conférer 
l'ordination,  dans  leur  diocèse,  qu'aux  jeunes  gens  qui,  ayant  atteint 
l'âge  de  vingt-six  ans,  ont  accompli  le  service  militaire  auquel  il  sont 
astreints  dans  l'armée  active  ou  dans  la  réserve. 

Messieurs,  les  jeunes  soldats  punis  à  Pamiers  pour  avoir  servi  la 
messe  en  uniforme  et  sans  autorisation  sont,  dit-on,  des  séminaris- 
tes. Je  le  veux  bien,  mais  les  séminaristes  ne  sont  pas  des  prêtres. 
Rien  ne  les  autorise  donc  à  des  pratiques  spéciales  qui  n'ont,  du 
reste,  jamais  été  réclamées  pour  eux.  En  tous  cas,  ils  ont  été  punis, 
non  pas  tant  pour  le  fait  lui-même,  malgré  l'émotion  à  laquelle  il 
aurait  pu  donner  lieu  —  et  à  laquelle,  en  effet,  il  a  donné  lieu  — 
que  pour  ne  pas  avoir  demandé  et  obtenu  l'autorisation.  La  punition 
qui  leur  a  été  infligée  par  le  colonel  du  59^  m*a  paru  de  nature  à 
maintenir  chacun  dans  les  limites  de  ses  attributions.  J'ai  donc  dû, 
comme  les  autres  chefs  hiérarchiques,  du  reste,  sous  les  ordres  des- 
quels se  trouvaient  ces  séminaristes,  approuver  le  colonel  qui  l'a  pro- 
noncée, otje  dois  avouer,  messieurs,  qu'à  l'avenir,  et  a  l'occasion,  je 
suis  tout  à  fait  résolu  à  agir  absolument  de  même,  (Très  bien  !  très 
bien  !  —  Vive  approbation  à  gauche.) 

Quelqu'un  s'est  aussitôt  chargé  d'apprécier  àsa  juste  valeur  le 


LES  CHAMBRES  493 

discours  du  ministre  do  la  guerre.  C'a  été  M.  Fresneau.  Dans  un 
langage  des  plus  élevés  et  des  plus  éraus,  l'éloquent  sénateur  a 
déclaré  au  ministre  de  la  guerre  qu'il  avait  omis  de  traiter  la 
question  sous  son  véritable  jour.  Adversaire  de  la  loi  militaire, 
comme  tout  catholique  doit  l'être,  l'orateur  réclame  le  droit 
tout  entier,  n'acceptant  ni  ménagement  ni  modération,  mais  il 
n'en  est  pas  moins  surpris  de  voir  le  ministre  de  la  guerre  se 
mettre  en  contradiction  avec  la  déclaration  ministérielle  qui 
donne  les  droits  de  l'homme  comme  base  de  la  politique  du  gou  - 
vernement. 

Ce  qu'il  fallait  nous  démontrer,  monsieur  le  ministre  de  la  guerre» 
continue  l'orateur,  c'est  que  vous  aviez  vu  autre  chose  que  le  parfait 
exercice  du  culte  dans  le  fait  que  votre  subordonné  s'est  permis  de 
flétrir  et  de  punir  si  rigoureusement. 

Je  crois,  en  vérité,  que  puisqu'on  fait  des  prêtres  des  soldats,  on 
sera  aussi  obligé  de  faire  des  soldats  quelque  chose  comnae  des  prêtres 
et  de  décider  que  les  premiers  devront  recevoir  quelque  teinture  du 
droit  public  qui  apprend  à  respecter  le  Concordat. 

Je  me  permets  également  de  vous  rappeler  que  la  théologie  catholi- 
que enseigne  que  servir  la  messe  n'est  pas  une  fonction  sacerdotale 
et  n'a  rien  qui  ressemble  à  un  pontificat.  Le  catholique  qui  va  à  la 
messe  peut  participer  d'une  manière  bien  autrement  intime  au  service 
divin  qu'en  servant  la  messe.  La  manifestation  |qui  consisterait  à 
s'asseoir  à  ce  que  nous  appelons  la  sainte  table,  celle  que  bien  des  sol- 
dats ont  faite  pendant  la  Commune  —  dont  le  souvenir  vous  est  si 
désagréable  —  en  venant  s'agenouiller  au  nombre  de  vingt,  trente, 
quarante  sous  un  arbre  pour  se  confesser  et  mettre  leur  conscience 
en  paix  avec  Dieu,  ne  sont-elles  pas  des  manifestations  absolument 
légitime-j  et  que  vous]ae  pourriez  certainement  atteindre. 

J'affirme  donc  que  dans  la  circonstance  présente  vous  avez  non 
seulement  violé  les  droits  du  citoyen  libre,  mais  que  vous  avez  laissé 
violer  à  la  fois  et  la  Constitution,  qui  n'a  pas  été  modifiée  par  la  déci- 
sion que  je  rappelais  tout  à  l'heure  et  qui  a  laissé  tous  les  citoyens 
libres  de  professer  leur  religion  comme  ils  l'entendent,  et  le  Concor- 
dat, parce  que,  si  vous  vouliez  le  lire  en  entier,  vous  y  verriez  que 
les  chefs  de  l'Etat  sont  obligés  de  faire  profession  de  la  religion  catho- 
lique, apostolique  et  romaine. 

Sans  vous  en  demander  tant,  laissez  au  moins  les  Français  obéir 
au  Concordat,  puisque  c'est  encore,  dans  le  droit  public,  une  chose 
que  vous  devez  respecter. 

Après  le  discours  de  M.  Fresneau,  très  applaudi  par  la 
droite,  il/,  le  marquis  de  V  Angle-Beaumanoir  a.  déposé  l'ordre 
du  jour  suivant  : 


494  ANNALES    CATHOLIQUKS 

Le  Sénat,  reconaaissant  avec  M.  le  Miaistre  de  la  guerre  que  le 
gouvernement  doit  assurer  la  liberté  du  culte  catholique  dans  les  con- 
ditions stipulées  par  l'article  l""'  du  Concordat,  passe  à  Tordre  du 
jour. 

Plusieurs  sénateurs  de  gauche  ont  demandé  l'ordre  !du  jour 
pur  et  simple,  qui,  accepté  par  le  gouvernement,  a  été  voté  à 
mains  levées. 

C'était  à  prévoir. 

Voici,  d'après  le  Journal  officiel,  l'incident  occasionné  au 
cours  de  l'interpellation  de  M.  de  l'Angle-Beaumanoir  par  la 
fâcheuse  intervention  de  M.  le  ministre  du  commerce  : 

Nous  n'entendons  émettre  aucune  plainte  par  les  Français  prati- 
quant les  autres  cultes  :  ni  les  protestants  des  différentes  confessions, 
ni  les  Israélites,  ni  les  musulmans,  ne  sont  inquiétés.  Je  ne  m'en  plains 
pas,  au  contraire,  car  je  suis  partisan  sincère  de  la  liberté  des  cultes; 
mais  je  les  envie,  j'en  suis  jaloux,  car  tous  les  soins,  toutes  les  fa- 
veurs, je  dirais  volontiers  toutes  les  coquetteries  du  pouvoir  actuel 
sont  pour  eux. 

M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  cultes.  — Pour  qui? 

M.  le  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir.  —  Pour  les  protestants, 
pour  les  Israélites,  pour  les  mahométans  et  pour  tous  les  fidèles  des 
cultes  autres  que  le  culte  catholique. 

M.  Le  Breton.  —  Et  même  pour  les  bouddhistes? 

M.  le  ministre  de  l'instruction  puljlique.  —  C'est  une  affirmation 
contre  laquelle  le  gouvernement  s'élève  avec  la  plus  grande  énergie. 

M.  le  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir.  —  On  fait  ce  qu'on  peut. 

M.  le  ministre  de  l'instructioa  publique.  —  Et  l'on  dit  ce  que  l'on 
peut. 

M.  le  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir.  —  Et  ce  que  l'on  veut. 

Je  dis  donc  que  je  ne  me  plains  pas  des  faveurs  accordées  aux 
cultes  non  catholiques. 

M.  Terrier,  ministre  du  commerce  et  des  colonies.  —  Il  n'y  a 
aucune  faveur. 

M.  le  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir.  —  Monsieur  le  ministre  du 
commerce,  il  me  semble  que  nous  ne  parlons  pas  commerce  en  ce 
moment. 

iM.  le  ministre  du  commerce.  —  Je  jne  sais  pas  jusqu'à  quel  point 
il  n'est  pas  question  de  commerce  (Bruit  à  droite.) 

M.  le  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir.  —  Qu'est-ce  qui  serait  un 
commerce,  monsieur  le  ministre  ? 

M.  le  ministre  du  commerce.  —  Les  religions.  (Vives  protestations 
à  droite.) 

M.  le  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir.  —  Messieurs,  je  prends  acte 


LES    CHAMBRES  495 

de  l'interruptioa  et  je  suis  très  heureux   qu'elle  figure  au    Journal 
officiel. 

dinnibi>e  «les  Députés. 

Jeudi  23  et  samedi  24,  la  Chambre  a  continué  à  discuter  l'in- 
terpellation Jaurès.  On  entend  plusieurs  orateurs,  MM.  Goblet, 
Deschanel,  Lockroy,  Dupuy  qu'on  applaudit  avec  enthousiasme 
puis  se  produit  tout  àcoup  l'incident  qui  amène  la  chute  du  ca- 
binet. 

M.  Pelletan  demande  la  parole. 

On  renonce  alors  à  demander  la  clôture,  pour  voir  donner 
quelques  coups  de  boutoir  aux  ministres  avant  de  leur  voter  un 
bel  ordre  du  jour.  Mais  c'est  tout  autre  chose  qu'un  discours 
qu'apporte  le  député  radical. 

M.  Pelletan.  —  Avant  de  prendre  la  parole  dans  cette  interpella- 
tion,jevoudi-ais  savoirs'il  y  a  encoreune  interpellation.  (Mouvement.) 

Pour  une  interpellation  il  faut  deux  choses:  des  membres  du  Par- 
lement qui  interpellent  et  un  ministère  interpellé. 

Le  ministère  existe-t-il  encore?  (.applaudissements  à  gauche.) 

M.  LE  PRÉSIDENT  DU  CONSEIL.  —  Nous  Rommes  là. 

M.  Pelletan.  — Une  important»^  partie  du  ministère  n'est-elle  pas 
démissionnaire?  (Oui  !  oui!  â  gauche.) 

M.  LE  PRÉSIDENT  DU  CONSEIL.  —  Vous  pouvez  en  toute  confiance 
continuer  votre  interpellation:  le  cabinet  est  au  complet  devant  vous. 
(Mouvements  divers.) 

M.  Pelletan. — Tout  le  monde  comprend  qu'il  faut  ici  que  les  ex- 
plications soient  très  nettes  et  les  situations  très  claires.  (Très  bien  ! 
très  bien!  à  gauche.) 

Etes-vous  autorisé  par  tous  vos  collègues,  monsieur  le  président 
du  conseil,  à  nous  faire  cette  déclaration? 

M.  LE  PRÉSIDENT  DU  CONSEIL.  —  -Te  ne  réponds  pas  â  une  question 
comme  celle-là.  (Réclamations  à  gauche.)  Elle  n'est  pas  dans  votre 
droit,  et  il  serait  indigne  de  moi  d'y  répondre.  (Mouvements  divers.) 

M.  Pelletan.  —  Je  ne  veux  soulever  ici  aucune  passion,  et  il  n'y 
avait  rien  de  blessant  pour  vous  dans  les  motifs  qui  ont  inspiré  ma 
question. 

J'ai  appris  tout  à  l'heure  de  la  bouche  d'un  ministre,  qu'une  partie 
du  ministère  était  démissionnaire. 

Si  les  choses  ont  changé  depuis,  permettez-moi  de  vous  féliciter  de 
votre  force  de  persuasion,  mais  la  situation  nouvelle  ne  date  certai- 
nement que  de  quelques  minutes.  (Bruit.) 

M.  Ouvré.  —  Je  demande  à  dir^^  un  mot  de  ma  place,  «i  M.  Pelletan 
le  permet. 

M.  Pelletan.  —  Très  volontiers. 


496  ANNALES    CATHOLIQUES 

Grand  tumulte,  M.  Casimir  Périer  veut  imposer  silence  à 
M.  Ouvré;  mais  la  Chambre,  curieuse,  impatiente,  exige  qu'il 
parle. 

M.  OcvRÉ. —  Je  demande  à  M.  Peytral  s'il  est  vrai  qu'il  m'a  déclaré 
tout  à  l'heure  que  sa  démissiou  était  signée. 

M.  Brisson. —  J'ajoute  mon  témoignage  à  ceux  de  MM.  Pelletanet 
Ouvré.  Il  n'y  a  pas  cinq  minutes  qu'un  ministre  m'a  déclaré  qu'il 
était  démissionnaire.  (Bruit  prolongé.) 

M.  Pelletan.  Après  la  scène  qui  vient  de  se  passer,  j'attendrai, 
pour  discuter  la  politique  du  gouvernement,  que  le  gouvernement 
ait  mis  d'accord  ses  actes  avec  ses  paroles.  Je  ne  sais  pas  s'il  y  a  un 
gouvernement  devant  nous,  et  je  descends  de  la  tribune. 

Les  interpellateurs  déclarent  alors,  qu'en  l'absence  du  cabi- 
net complet,  ils  retirent  leur  interpellation. 

Les  ministres  n'ont  plus  qu'à  se  retirer  eux  aussi,  ce  qu'il 
font  aussitôt. 

Le  ministère  est  renversé. 


CHROiNIQUE    DE    LA    SEMAINE 

L'effondrement  du  Cabinet. —  Le  colonel  Archinard.  —  Syndicats.  —  La 
liberté  de  conscience  à  l'armée.  —  Attentat  anarchiste. 

30  novembre  1893. 

Le  ministère  s'est  effondré.  C'est  le  seul  mot  qui  rende  d'une 
façon  exacte  le  sentiment  que  fait  éprouver  au  public  la  chute 
du  ministère  Dupuy.  Les  oraisons  funèbres  des  journaux  qui 
accompagnent  ordinairement  la  disparition  des  cabinets  sont 
remplacés  cette  fois  par  une  série  d'épigrammes  dédaigneuses. 

Mais  comment  cette  démission  s'est-elle  produite  d'une  façon 
si  étrange,  car,  de  mémoire  de  parlementaire,  elle  n'a  pas  d'é- 
quivalent? L'élément  radical  était  représenté  dans  le  cabinet 
par  MM.  Pejtral,  Viette  et  Terrier.  Après  les  élections  géné- 
rales, la  majorité  de  la  Chambre  semblait  réclamer  un  minis- 
tère dont  l'élément  radical  dût  être  absent,  le  radicalisme  ayant 
subi  au  scrutin  du  20  août  un  échec  indéniable.  M.  Dupuy  le 
comprenait  et  aurait  voulu  se  présenter  à  la  rentrée  avec  des 
collègues  nouveaux  représentant  l'élément  modéré.  M.  Carnot,  ! 
paraît-il,  h  y  opposa  et  M.  Dupuy  s'inclina  devant  la  volonté  du  | 
chef  de  l'Etat.  j 

Par  trois  ou  quatro  foi-,  depuis  cette  époque,  la  nouvelle  fut 


CHRONIQUE    1>K    LA    SKMAINK  497 

donné  du  départ  prochain  (le  quelques  membres  du  cabinet.  A 
chaque  retraite  annoncée,  des  pourparlers  étaient  en^^açés  qui 
assuraient  le  maintien  aux  affaires  de  tel  ou  tel  ministre.  Cette 
situation  ne  pouvait  toutefois  se  prolonger  indéfiniment.  Le 
dernier  acte  de  la  petite  comédie  ministérielle,  répétée  avec 
soin  depuis  plusieurs  semaines,  vient  de  provoquer  ce  qu'en  ma- 
tière théâtrale  on  appelle  un  vaste  four. 

Au  conseil  des  ministres  —  samedi  matin  —  il  avait  été  con- 
venu que,  devant  l'accueil  peu  sympathique  fait  à  MM.  Peytral, 
Viette  et  Terrier,  ces  trois  messieurs  abandonneraient  leurs 
places  gouvernementales.  Faut-il  assez  peu  connaître  le  cœur 
humain  pour  supposer  que  trois  ministres  en  fonctions  allaient 
consentir  à  s'en  aller  sans  un  mouvement  de  mauvaise  humeur! 

Au  cours  du  même  conseil,  la  retraite  de  ce  trio  ministériel 
arrêtée,  il  fut  décidé  que  le  secret  serait  bien  gardé  et  que  les 
trois  remerciés  ne  souffleraient  mot  à  personne  de  la  décision 
prise.  Inutile  de  dire  qu'en  arrivant  au  Palais-Bourbon  tout  le 
monde  connaissait  la  nouvelle.  Le  coup  de  théâtre  qui  s'est 
produit  vers  la  fin  de  la  journée  n'étonna  personne,  mais  il  eut 
pour  conséquence  la  crise  totale,  la  démission  collective  du  ca- 
binet. 

Cependant  M.  Dupuy  avait  bien  combiné  son  plan.  Il  se  sépa- 
rait de  trois  collègues,  mais  les  remplaçait  aussitôt,  de  façon  à 
ce  que  le  Journal  Officiel  de  dimanche  publiât  la  composition 
du  nouveau  cabinet.  Mais  M.  Dupuy  comptait  sans  l'imprévu,  et 
l'imprévu  a  été  la  démission  collective  du  cabinet.  Voici  quelle 
«tait  la  combinaison  : 

On  rempla(;!ait  tout  d'abord  MM.  Peytral,  Terrier  et  Viette; 
on  allait  peut-être  jusqu'à  donner  des  successeurs  à  MM.  Gué- 
rin,  le  général  Loizillon  et  l'amiral  Rieunier.  Rien  ne  prouvait 
que  M.  Develle  dut  être  conservé  I  II  restait  donc  comme  base 
au  nouveau  cabinet  MM.  Dupuy,  Viger  et  Poincaré.  Parmi  les 
nouveaux  titulaires  de  portefeuiles  oi:  citait  MM.  Burdeau,Ray- 
nal,  Etienne,  Paul  Deschanel,  Barthou,  Félix  Faure,  Jonnart. 
Mais  cet  excellent  ministère  était  mort  avant  de  naître,  et  si  la 
plupart  des  candidats  réunissent  toutes  les  qualités  désirables, 
il  n'en  est  pas  moins  certain  qu'il  leur  faudra  attendre  qu'on 
ait  trouvé  un  chef  de  gouvernement.  Quel  sera-t-il?  Personne 
n'en  veut. 

Les  instances  de  M.  Carnot  n'ont  pu  décider  M.  Casimir-Pé- 
rier,  à  accepter  le  pouvoir,  M.  Raynal   refuse,  M.  Develle    se 

36 


498  ANNALKS  CAtHOLiQUES 

récuse,  on  parle  aujourd'hui  de  M.  SpuUer,  mais  rien  n'est 
encore  fait. 

Le  gâchis,  voilà  où  nous  en  sommes.  L'homme  politique  qui, 
au  lendemain  du  triomphe  des  candidats  officiels  et  de  l'effrite- 
ment de  l'opposition,  s'écriait  :  «  L'ère  des  difficultés  com- 
mence! >  avait  une  noiion  exacte  de  la  situation.  Il  n'aurait 
jamais  pensé  cependant,  et  personne  d'ailleurs,  pas  plus  que  lui, 
que  ces  difficultés  surgiraient,  dés  les  premières  séances,  par  le 
fait  du  cabinet  lui-même,  et  que  le  premier  embarras  causé  au 
gouvernement  viendrait  du  suicide  imprévu  du  ministère. 

Sous  le  régime  actuel,  il  faut  toujours  s'attendre  à  cet  im- 
prévu ;  ce  qui  s'est  passé  samedi  le  prouve  bien,  et  nous  ne 
sommes  qu'au  début  de  la  législature  ! 

Que  nous  réserve-t-elle  ? 


Avant  de  mourir,  le  cabinet  a  tenu  à  nous  donner  un  dernier 
échantillon  de  son  savoir-faire.  Nous  avons  donc  vu  la  semaine 
dernière  à  notre  grand  étonnement,  paraître  un  décret  qui,  don- 
nant le  Soudan  pour  pacifié,  a  transformé  le  gouvernement 
militaire  de  ce  pays  en  gouvernement  civil.  Notre  étonnement 
était  si  bien  fondé  que  le  colonel  Archinard,  qui  doit  connaître 
la  question,  en  avait  éprouvé  autantquelques  heures  auparavant,, 
ainsi  qu'il  résulte  de  la  lettre  qu'il  avait  adressée  la  veille  au 
sous-secrétaire  d'Etat  des  colonies,  en  apprenant,  par  la  *  Der- 
nière heure  »  des  journaux  du  soir  que  son  gouvernement  lui- 
avait  été  retiré.  Le  vaillant  officier  qui,  à  si  peu  de  frais,  nous 
a  conquis,  ou  plutôt  nous  a  jalonné  la  conquête  de  ce  gros  mor-- 
ceau  de  l'Afrique,  s'exprime  en  termes  prouvant  que  l'on  ne  sait 
pas  au  juste,  au  sous-secrétariat,  à  quoi  s'en  tenir  sur  cette  pa- 
cification : 

Les  journaux  du  soir,  écrit  le  colonel,  m'apprennent  que  je  suis 
relevé  de  mes  fonctions,  avant  qu'il  m'ait  été  possible  de  vous  re- 
mettre mon  rapport  de  fin  de  campagne  relatif  à  l'administration, 
aux  conventions  avec  les  chefs  noirs,  et  à  notre  situation  politique 
et  militaire  au  Soudan. 

Je  suis  heureux,  en  quittant  mes  fonctions,  de  me  rappeler  qu'à 
ma  dernière  entrevueavec  vous,  vousjm'avez  fait  l'honneur  d'approuver 
sans  restriction  ma  conduite,  et  que  vous  avez  môme  eu  la  bonté 
d'ajouter  que  vous  comptiez  toujours  sur  moi.    . 

Ce  billet  s'est  croisé  avec  une  lettre  de  M.  Delcassé.  La  voici 
intégralement  : 


CHRONIQUE  DK  LA  SEMAINE  499 

Mon  cher  colonel, 

Le  gouvernement  a  jugô  que  le  moment  était  venu  de  modifier  le 
régime  exclusivement  militaire  sous  lequel  le  Soudan  a  été  placé 
jusqu'à  ce  jour. 

En  vous  informant  de  cette  décision,  je  suis  heureux  de  vous 
exprimer  notre  gratitude  pour  vos  brillants  et  solides  services  ;  grâce 
à  vos  prédécesseurs,  grâce  à  vous  et  à  vos  vaillantes  troupes,  notre 
conquête  est  désormais  à  l'abri  de  toute  attaque  sérieuse  et  nous 
pouvons,  avec  une  complète  liberté  d'esprit,  appliquer  nos  soins  à  la 
mettre  en  valeur. 

Comme  témoignage  de  ma  satisfaction,  je  vous  nomme  comman- 
deur du  Dragon  de  l'Annam. 

Croyez-moi,  mon  cher  colonel,  votre  bien  dévoué. 

Delcassé. 

Le  colonel  Archinard  y  a  répliqué  par  un  accusé  de  réception 
écrit  avec  de  l'axcellente  encre,  comme  on  va  le  voir: 
Monsieur  le  sous-secrétaire  d'Etat, 

J'ai  l'honneur  de  vous  accuser  réception  de  la  lettre  dans  laquelle 
vous  avez  bien  voulu  me  dire  que  le  gouvernement  m'exprimait  sa 
gratitude  pour  mes  «  brillants  et  solides  services  »  au  Soudan. 

Cette  déclaration  me  pénètre  de  reconnaissance. 

Quanta  la  croix  de  commandeur  du  Dragon  vert  de  l'Annam  que 
vous  voulez  bien  m'accorder  comme  témoignage  de  satisfaction,  je 
vous  serais  reconnaissant,  s'il  m'est  permis  d'exprimer  un  désir,  de 
vouloir  bien  la  donner  à  M.  le  capitaine  Mahmadou  Racine,  pour 
lequel  je  l'ai  demandée. 

Cette  distinction,  à  laquelle  je  n'attache  personnellement  aucun 
prix,  ferait  certainement  grand  plaisir  à  ce  brave  et  loyal  serviteur 
indigène  du  Soudan. 

Veuillez  agréer,  etc.  L.  Arciuxard. 

Décidément  le  brillant  officier  qui  a  su  renouveler  au  Soudan 
des  prouesses  que  l'on  croyait  incompatibles  avec  l'attirail  mi- 
litaire moderne,  est  aussi  tranchant  avec  la  plume  qu'avec  l'épée. 

Mais,  que  peuser  d'un  cabinet  qui  remplace  un  officier  de  ce 
mérite,  sans  même  daigner  l'en  informer  au  préalable? 


Des  poursuites  sont  dirigées  en  ce  moment,  par  le  parquet  de 
Montluçon,  contre  un  certain  nombre  de  syndicats  ouvriers  du 
département,  notamment  ceux  des  mineurs  et  métallurgistes  de 
Montluçon,  Commentry,  Bénezet,  Monvicq,  Doyet,  Durdat-La- 
requille,  qui  constituent  «  l'agglomération  des  travailleurs  socia- 


500  ANNALES    CATHOLIQUES 

listes  de  l'Allier  ».  Parmi  les  personnes  poursuivies,  on  cite 
M.  Thivrier,  député,  et  plusieurs  maires.  La  prévention  reproche 
aux  syndicats  incriminés  de  s'occuper  de  politique,  de  faire  de 
la  propagande  électorale  et  d'employer  une  partie  de  leurs  res- 
sources à  subventionner  un  journal,  qui  est  un  organe  avoué  du 
collectivisme  révolutionnaire. 

Nous  me  pouvons  qu'approuver  le  gouvernement  de  le  faire 
rentrer  énergiquement  dans  la  légalité  et  dans  le  principe  de 
leur  institution  les  syndicats  qui  s'en  écartent.  Personne  n'est 
plus  sympathique  que  nous  au  développement  régulier  des 
syndicats  professionnels. 

Mais,  pour  qu'ils  répondent  au  véritable  esprit  de  leur  créa- 
tion, il  faut,  à  tout  prix,  les  empêcher  de  devenir,  entre  les 
mains  de  quelques  politiciens  ambitieux  et  brouillons,  de  véri- 
tables clubs  révolutionnaires,  préparant,  dans  l'ombre,  quelque 
vaste  bouleversement  social.  Ils  ne  sont  créés  que  pour  s'occuper 
des  intérêts  professionnels  des  ouvriers  qui  en  font  partie.  Sous 
aucun  rapport,  on  ne  peut  tolérer  qu'ils  se  mêlent  à  la  politique 
générale  et  aux  luttes  des  partis.  La  poursuite  dirigée  par  le 
parquet  de  Montluçon  a  pour  but  de  faire  consacrer  et  respecter 
ce  principe.  Puisque  tant  de  syndicats  persistent  à  se  mettre 
ainsi  au-dessus  de  la  loi,  il  faut  bien  les  ramener  au  sentiment 
exact  de  leurs  droits  et  de  leurs  devoirs  et  demander  à  la  j  ustice 
pénale  d'en  réprimer  les  écarts. 


M.  Goblet,  se  comparant  samedi  aux  ministres  qu'il  attaquait 
rappelait  avec  une  certaine  complaisance  qu'on  ne  peut  pas  lui 
reprocher  d'avoir  jamais  parlé  en  termes  inconvenants  de 
l'Eglise  et  de  la  religion. 

C'est  vrai,  M.  Goblet,  poursuit  la  séparation  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat;  quand  il  est  au  pouvoir,  il  fusille  volontiers  les  femmes 
catholiques  ;  mais  il  s'exprime  toujours  en  homme   bien    élevé. 

M.  Terrier  n'en  a  pas  fait  autant  devant  le  Sénat  :  et  la  pu- 
nition n'a  pas  tardé;  cet  homme  d'Etat  par  trop  fantaisiste, 
cryptogararae  surgi  soudain  sur  un  dossier  de  la  gabelle,  et  de 
rat-de-cave  bombardé  ministre,  a  quitté  maintenant  le  Ministère 
du  commerce  pour  le  Café  du  commerce.  A  sa  vraie  place,  entre 
deux  manilles,  il  pourra  vanter  à  loisir  aux  commis-voyageurs 
de  passage  sa  prodigieuse  invention  d'un  impôt  «  proportionnel 
à  la  base  et  progressif  dans  les  chiffres  ». 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  501 

La  question  soulevée  par  M.  de  rAngle-Beaumanoir,  et  dont 
notre  collaborateur  Jacques  Breton  a  dit  hier  deux  mots,  ne 
doit  pas  être  éludée  par  les  facéties  du  député  d'Eure-et-Loir  ni 
étouflee  parles  mésaventures  du  cabinet  Dupuy.  M.  de  l'Angle- 
Beaumanoir  a  formulé  deux  griefs,  l'un  général,  l'autre  par- 
ticulier. 

Le  grief  général,  c'est  que  la  religion  catholique,  professée 
par  l'immense  majorité  des  citoyens,  est  dans  une  situation  de 
fait  très  inférieure  à  celle  des  religions  pratiquées  en  France 
par  des  minorités  infîmes.  Alors  que  les  protestants,  les  Israéli- 
tes, les  musulmans,  les  boudhistes  et  les  fétichistes  jouissent  de 
toutes  les  faveurs  et  de  tous  les  privilèges,  trente-six  millions 
de  catholiques  n'ont  droit  qu'aux  vexations  et  aux  persécutions. 

D'une  seule  voix  les  ministres  présents  au  Luxembourg  se 
«se  sont  élevés  avec  la  plus  grande  énergie  contre  cette  alléga- 
tion ».  Mais  les  faits  la  confirment.  Lisez  le  budget  :  Vous  j 
trouverez  des  Facultés  de  théologie  protestantes  entretenues 
aux  frais  des  contribuables  et  point  de  Facultés  de  théologie 
catholiques  ;  donc,  la  religion  protestante  est  regardée  comme 
la  religion  officielle  et  la  religion  catholique  comme  une  religion 
dissidente,  tolérée. 

Tous  les  financiers  Israélites  qui  peuvent  donner  à  chasser 
aux  membres  du  gouvernement  dans  les  forêts  nationales  sont 
autorisés  à  ouvrir  dans  leur  châteaux  des  chapelles  de  leur 
culte.  Mais  d'un  bout  de  la  France  à  l'autre,  les  chapelles  ca- 
tholiques sont  fermées  par  les  gendarmes,  scellées  par  les  ma- 
gistrats; M.  Goblet,  si  courtois,  a  fait  évacuer  celle  de  Château- 
villain  à  coups  de  revolver. 

Sur  ces  exemples,  il  est  difficile  d'admettre  que  les  cultes 
égaux  en  droit  devant  la  loi,  sont  égaux  en  fait  devant  le  gou- 
vernement. L'égalité  paraîtrait  encore  douteuse  si  l'on  envisa- 
geait le  côté  politique  de  la  question,  —  si  l'on  comptait  qu'il  y 
a  quelquefois  dans  le  ministère  six  membres  protestants  sur  dix 
—  si  l'on  considérait  que  cinquante  départements  environ  sont 
administrés  par  des  préfets  Israélites  et  donnent  au  pays  l'aspect 
d'une  conquête  gouvernée  par  les  proconsuls  de  la  race  victo- 
rieuse. 

Le  giief  particulier  produit  par  ^l.  de  TAngle-Beaumanoir, 
c'est  la  punition  infligée  à  deux  soldats  par  leur  colonel,  sur  la 
sommation  d'un  journal  radical  pour  avoir  servi  la  messe  en 
uniforme.  La  réponse  du  ministre  de  la  guerre  était   eiu[)reinte 


502  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  quelque  hésitation  ;  M.  le  général  Loizillon  a  dit  exactement 
ceci  : 

«  Toutes  les  fois  qu'une  pratiqne  religieuse  non  imposée  à 
«  tous  les  fidèles  peut,  par  suite,  sembler  de  nature  à  revêtir  un 
«  caractère  particulier  ou  l'apparence  d'une  manifestation,  il  est 
«  de  jurisprudence  constante  dans  l'armée  que  l'autorisation  doit 
«  être  tout  d'abord  demandée  à  l'autorité  militaire.  Celle-ci  peut 
«  examiner  le  cas  et  prendre  la  décision  qui  convient,  refusant 
«  ou  accordant  l'autorisation  sous  la  condition  parfois  de  quitter 
«  l'uniforme.  » 

Ce  langage  n'est  pas  d'une  netteté  militaire  il  est  même  trcs 
embrouillé.  Mais  le  fait  est  très  clair,  lui. 

Deux  soldats  ont  été  punis  pour  avoir  servi  la  messe  en  uni- 
forme. S'ils  avaient  ôté  l'uniforme  ils  auraient  été  punis  tout 
autant.  C'est-à-dire  que  les  soldats  ne  peuvent  en  aucun  cas 
servir  la  messe. 

A  l'époque  des  fêtes  Israélites,  qui  ne  concordent  pas  avec  les 
fêtes  légales,  des  permissions  de  huit  jours  sont  distribuées  aux 
soldats  de  cette  religion.  Non  seulement  les  soldats  catholiques 
n'ont  point  de  permissions,  mais  à  leurs  heures  de  liberté,  ils  ne 
peuvent  impunément  pratiquer  leur  culte. 

Les  hommes  qui  ont  l'honneur  de  porter  l'uniforme  doivent 
le  respecter.  Il  leur  est  défendu  de  le  montrer  aux  cérémonies 
catholiques  :  mais  il  leur  est  tout  à  fait  permis  de  le  traîner 
dans  les  bouges,  dans  les  lieux  ignobles  où  règne  —  il  faut  bien 
le  croire  —  leur  esprit  républicain.  [Soleil.) 

Un  engin  explosif  a  été  expédié  d'Orléans  à  l'adresse  du  chan- 
celier de  Caprivi.  La  boîte  a  été  reçue  par  le  major  Ebmeyer. 
Elle  avait  0"',06  de  hauteur  et  0'",18  de  largeur. 

Elle  avait  été  expédiée  d'Orléans  à  titre  d'échantillon,  conte- 
nant des  graines  de  radis  d'une  espèce  étonnante,  ce  qui  fait 
supposer  que  l'expéditeur  était  au  courant  des  habitudes  du 
chancelier,  qui  est  grand  amateur  de  jardinage  et  s'occupe  per- 
sonnellement des  légumes  de  son  potager.  La  lettre  qui  accom- 
pagnait l'envoi  faisait  l'éloge  des  radis.  Le  major  Ebmeyer,  en 
essayant  d'ouvrir  la  boîte  avec  un  couteau,  rencontra  de  la 
résistance.  En  même  temps,  par  les  interstices,  s'échappaient 
des  grains  de  poudre. 

La  machine  infernale,  ouverte  à  la  préfecture  de  police,  étaiw 


CHKONIQUE  DE  LA  SEMAINE  503 

formé  d'un  détonateur  comprimé  au  moyen  de  bandes  de  caout- 
chouc. L'ouverture  de  la  boîte  aurait  déterminé  l'explosion 
d'une  cartouche  de  nitroglycérine.  Le  chancelier,  d'accord  avec 
les  ministres,  résolut  tout  d'abord  de  garder  l'affaire  secrète. 
C'est  l'empereur  qui  se  prononça  pour  la  publicité. 

Les  journaux  expriment  leur  indignation  au  sujet  de  l'attentat 
dirigé  contre  M.  de  Caprivi,  qu'ils  considèrent  comme  étant  de 
même  nature  que  le  crime  de  Ravachol,  de  Pallas  et  que  celui 
do  Barcelone.  Ils  se  félicitent  de  l'heureux  hasard  qui  a  prévenu 
une  catastrophe.  Seul,  le  Tagehlatt  exploite  l'incident  contre  la 
France.  Ce  journal  dit  qu'il  «  est  navrant  que,  vingt-deux  ans 
après  le  traité  de  Francfort,  la  haine  aveugle  d'un  Français  se 
porte  sur  un  homme  d'Etat  absolument  étranger  aux  malheurs 
que  la  France  s'est  attirés  par  sa  frivole  déclaration  de  guerre 
en  1870.  Les  honnêtes  gens  de  tous  pays  devraient  cependant 
condamner  unanimement  un  pareil  forfait  ».  Ce  journal  a  parlé 
trop  vile,  car  dès  maintenant  il  semble  certain  que  l'envoi  a  été 
fait  par  un  Allemand. 

L'ambassadeur  de  France  a  exprimé  au  chancelier  ses  regrets 
pour  la  tentative  crinîinelle  dirigée  contre  lui.  La  lettre  envoyée 
d'Orléans  était  adressée  au  «  général  grand  chancelier  de  Ca- 
privi, chancelier  d'Allemagne  ».  Elle  était  écrite  en  mauvais 
français  et  rédigée  sous  la  forme  d'une  offre  commerciale.  La 
Gazette  de  V Allemagne  du  Nord,  journal  de  la  chancellerie, 
en  publiera  le  texte. 


DERNIERE  HEURE.  —  M.  SpuUer  a  déclaré  à  M.  Carnet 
qu'il  acceptait  la  mission  de  former  le  cabinet  et  qu'il  avait 
l'adhésion  formelle  de  M.  Raynal  et  de  M.  Burdeau.  Il  a  en- 
suite indiqué  les  noms  de  plusieurs  titulaires  pressentis  ou  dési- 
gnés pour  les  autres  portefeuilles. 

h' Agence  Havas  nous  communique  la  note  suivante  : 

«  M.  Carnot  a  reçu  hier  soir  M.  Spuller  à  onze  heures. 

«  M.  Spuller  a  informé  le  président  de  la  République  qu'il 
acceptait  la  mission  de  former  le  cabinet  et  qu'il  s'était  assuré 
le  concours  de  M.  Raynal  pour  le  portefeuille  de  l'intérieur  et 
celui  de  M.  Burdeau  pour  le  portefeuille  des  finances. 

«  Il  continuera  demain  ses  démarches.  » 

Nous  pouvons  ajouter  qu'à  l'issue  de  la  conférence  avec  M. 
Carnot,  M.  Spuller  a  eu  un  entretien  avec  MM.  Raynal  et  Bur- 


504  ANNALES    CATHOLIQUES 

deau.  M.  Spuller  n'a  pris  encore  aucune  décision  personnelle. 
Tra-t-il  aux  affaires  étrangères,  à  la  justice  ou  à  l'instruction 
publique? 

En  tout  cas,  voici  la  liste,  sous  la  réserve  des  modifications  et 
additions  possibles  : 

Présidence  du  conseil.  .     SPULLER 

Intérieur RAYNAL 

Finances BURDEAU 

Affaires  étrangères.   .   .     X... 

Justice X... 

Travaux  publics  ....     ETIENNE  ou  F.  FAURE 

Commerce JONNART 

Agriculture VIGIER  ou  de  KERJÉGU 

Guerre Général  MERCIER  ou 

général  FERRON 

Marine Amiral  LAFONT 

Sous-secrétariat  des  co- 
lonies      DELCA^SÉ. 

On  dit  que  le  ministre  des  affaires  étrangères,  si  M.  Spuller 
no  prend  pas  le  portefeuille  et  va  à  l'instruction  publique,  se- 
rait un  sénateur...  et  qu'un  autre  sénateur  aurait  le  portefeuille 
de  la  justice. 


UNE  CONQUETE 

Après  avoir  trop  longtemps  subi  le  joug  des  sectes,  la  France  com 
mence  à  se  ressaisir.  C'est  ainsi  que  les  Catholiques,  par  le  Diction- 
naire des  Dictionnaires,  ont  enfin  repris  le  domaine  encyclopédique 
usurpé  depuis  plus  d'un  siècle  par  la  Franc-Maçonnerie  et  la  Libre 
Pensée,  et  y  ont  planté  la  crois.  Il  importe  d'affermir  et  d'étendre 
cette  précieuse  conquête.  Quiconque  a  souci  de  rintérêt  familial, 
social,  religieux,  conservateur,  voudra  participer  à  cette  croisade, 
qui  a  pour  cri  :  Foi  et  Science,  Dieu  et  Patrie.  D'ailleurs,  il  s'agit 
d'une  œuvre  aujourd'hui  indispensable,  d'une  utilité  quotidienne  ;  et 
l'on  pout  encore  en  souscrivant  de  suite,  se  la  procurer  dans  des 
conditions  exceptionnelles.  On  trouvera  plus  loin  ces  conditions  avec 
le  bulletin  de  souscription. 


Le  gérant  :  P.  Chantrel. 


Pans.  —  Imp.  G.  Picquoin,  53,  rue  de  Lille. 


ANN4LES    CATHOLIQUES 


LETTRE  ENCYCLIQUE  DE  SA  SAINTETE  LEON  XIU 

PAPE   PAR    LA    DIVINE  PROVIDENCE 

Aux  Patriarches,  Primats,  Archevêques  et  à  tous 
les  Évoques  du  monde  catholique  ayant  Grâce  et 
Communion  avec  le  Siège  Apostolique. 

'  r  r 

liBS  Etudes  d'Eeritare  sainte. 

A    nos   Vénérables  Frères  les  Patriarches,   Primats, 
Archevêques  et  Evêques  du  Monde  catholique,  ayant 
Grâce  et  Communion  avec  le  Siège  Apostolique. 
LÉON  XIII,  PAPE 

Vénérables  Frères,  salut  et  bénédiction  apostolique. 

Le  Dieu  de  toute  Providence  qui,  dans  un  admirable 
dessein  de  charité,  a  élevé,  au  commencement,  le  genre 
humain  à  la  participation  de  la  nature  divine  et,  ensuite, 
après  l'avoir  tiré  de  la  faute  commune  et  de  la  chute,  l'a 
rétabli  dans  sa  première  dignité,  lui  a  donné  en  consé- 
quence un  secours  particulier  pour  lui  découvrir  les  secrets 
de  sa  divinité,  de  sa  sagesse  et  de  sa  miséricorde  par  une 
voie  surnaturelle.  Car,  bien  qu'il  y  ait  dans  la  divine  révé- 
lation des  choses  qui  ne  sont  pas  inaccessibles  à  la  raison 
humaine,  elles  ont  été  néanmoins  révélées  aux  hommes  de 
telle  sorte  qu'elles  pussent  être  connues  par  tous  faci- 
leraent,  en  toute  certitude,  et  sans  aucun  mélange  d'er,- 
reur,  sans  que  pour  cela  la  révélation  doive  être  abso- 
lument nécessaire,  mais  parce  que  Dieu,  dans  son  infinie 
bonté,  a  ordonné  V homme  pour  une  (in  surnaturelle  (1). 

Cette  révélation  surnaturelle,  d'après  la  foi  de  V Eglise 
universelle,  est  contenue  tatit  dans  les  traditions  non 
écrites  que  dans  les  livres  écrits,  qui  sont  appelés  sacrés 

(1)  Conc.  Vat.  sess.  m,  cap.  ii  dg  revel. 
LxxxTi  —  9  Dkcembrb  1893.  37 


506  ANNALES    CATHOLIQUES 

et  canoniques,  de  ce  que,  ayant  été  écrits  sous  Vinspira- 
tion  du  Saint-Esprit,  ils  ont  Dieu  pour  auteur^  et  ont 
été  transmis  comme  tels  à  l'Eglise  elle-même  (1).  C'est 
ce  que  l'Eglise  a  toujours  tenu  et  professé  publiquement  au 
sujetdes  livres  de  l'un  et  l'autre  Testament;  et  ils  sont  bien 
connus  les  graves  témoignages  des  anciens,  où  il  est  dit  que 
Dieu,  ayant  parlé  d'abord  par  les  prophètes,  ensuite  par 
lui-même,  puis  par  les  apôtres,  a  composé  aussi  la  sainte 
Ecriture  dite  canonique  (2),  laquelle  contient  les  oracles  et 
les  discours  divins,  et  forme  les  lettres  adressées  par  le 
Père  céleste  au  genre  humain,  en  marche  loin  de  Ja  patrie, 
et  transmises  parles  auteurs  sacrés  (3). 

Dès  lors,  comme  telle  est  l'excellence  et  la  dignité  des 
Ecritures,  que  composées  par  Dieu  lui-même,  elles  con- 
tiennent ses  mystères,  ses  desseins,  ses  ouvrages  les  plus 
augustes,  il  s'ensuit  que  cette  partie  de  la  théologie  sacrée 
qui  a  pour  objet  la  défense  et  l'interprétation  des  Livres 
Divins  est'de  la  plus  grande  importance  et  utilité. 

Pour  Nous  donc,  qui  Nous  sommes  efforcé  déjà,  non  sans 
succès,  avec  l'aide  de  Dieu,  dans  de  nombreuses  lettres  et 
allocutions,  de  faire  progresser  plusieurs  autres  genres 
d'études, ceux  qui  nous  paraissaient  importerie  plus  à  l'ac- 
croissement de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  du  monde.  Nous 
songions  aussi  depuis  longtemps  à  promouvoir  et  à  encou- 
rager cette  noble  étude  des  Saintes  Lettres  et  à  lui  donner 
une  direction  mieux  appropriée  aux.  nécessités  du  temps. 
'  Nous  sommes  engagé,  en  effet,  et  presque  poussé  parle 
souci  de  Notre  charge  apostolique,  non  seulement  à  vouloir 
■que  cette  source  insigne  de  la  révélation  catholique  s'ouvre 
plus  sûrement  et  plus  abondamment  pour  l'utilité  du  trou- 
peau du  Seigneur,  mais  aussi  à  ne  pas  permettre  qu'elle  soit 
violée  dans  aucune  de  ses  parties,  ni  par  ceux  qui  attaquent 
ouvertement  dans  leur  audace  impie  la  Sainte  Ecriture,  ni 
par  ceux  qui  fallacieusement  ou  témérairement  cherchent  à 
y  introduire  des  nouveautés. 

(l)CoDc.  Vat.  5<?S5.  m,  cap.  n  de  revel. 
(2i  S.  Aug.  de  etc.  Dei,  xl,  3. 

{■Aj  S.  CU'Mi.  l{(jm.  I  ;.fl  Cor.  45;  S.  Polycarp.  ad  Phil.  7;  S.  Ircn. 
c.  hœr.  Il,  28,  2. 


MÎTTUE  KNCYCLIQUK  DE  S.   S.   LÉON  XIH  507 

Nous  n'ignorons  pas.  Vénérables  Frères,  qu'il  y  a  beau- 
coup de  catholiques,  éminents  par  l'esprit  et  le  savoir,  qui 
s'emploient  avec  ardeur  à  la  défense  ou  au  progrés  &e  la 
connaissance  et  de  l'intelligence  des  divins  Livres.  Mais,  en 
louant  justement  leur  zèle  et  les  fruits  de  leur  travail.  Nous 
no  pouvons  Nous  dispenser  d'exhorter  vivement  d'autres 
qui,  par  leurs  talents,  leur  savoir,  leur  piété,  promettent 
également  de  réussir  en  ce  genre,  à  se  proposer  aussi  un  si 
noble  objet  d'études.  Nous  désirons  et  Nous  souhaitons 
vivement,  en  effet,  que  le  plus  grand  nombre  possible 
d'entre  eux  embrassent  convenablement  et  soutiennent  avec 
constance  la  cause  des  Lettres  sacrées,  et  que  ceux  surtout 
que  la  divine  grâce  a  appelés  dans  les  ordres  sacrés,  s'adon- 
nent de  plus  en  plus,  comme  il  convient,  avec  un  redouble- 
ment de  zèle  et  d'application,  à  la  lecture,  à  la  méditation, 
des  saints  Livres.  ■     ■ 

Or,  cette  étudedoitétre  vivement  recommandée,  non  pas 
uniquement  à  cause  de  l'excellence  de  la  parole' de  Dieu  et 
de  Tobéissance  qui  lui  est  due,  mais  aussi  parce  qu'elle  ren- 
ferme des  avantages  de  diverses  sortes,  avantages  que  Nous 
savons  devoir  tirer  d'elle  puisque  le  Saint-Esprit  nous  en  a 
donné  la  plus  formelle  assurance  : 

Toute  écriture  inspirée  de  Dieu  est  utile  pour  ensei- 
gner, pour  raisonner^  pour  reprendre,  pour  instruire 
dans  la  justice,  afin  que  l'homme  de  Dieu  soit  parfait  et 
préparé  pour  toute  œuvre  de  bien  (1). 

C'est  dans  ce  but  que  les  Ecritures  ont  été  données  aux 
hommes  :  les  exemples  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  des 
Apôtres  le  démontrent.  Celui-là  même,  en  effet,  qui  «  acquit 
l'autorité  par  les  miracles,  par  l'autorité  mérita  la  foi,  par  la 
foi  entraîna  la  multitude  »  (2),  a  coutume  d'en  appeler  aux 
Saintes  Ecritures  dans  Y accoyivplissement   de  sa  mission 


(1)  «  Omnis  scriptura  divinitus  inspirata,  utilis  est  ad  docendum, 
ad  arguendum,  ad  corripiendum,  ad  erudiondam  itt'justitia,  ut  per- 
fectus  sit  homo  Dei,  ad  omae  opus  bonum  instructus.  » 

(-)  S.  Chrys.  in  Gen.  hom.'i,  2;  S.  Aug.;  in  Ps.  \\\,  serm.  2,  1  ; 
S.  Greg.  M  .ad  Theod.ep.  iv,  31. 


508  ANNALES    CATHOLIQUES 

divine  :  car,  en  toute  occasion,  c'est  par  elles  qu'il  se  dé- 
clare Dieu  et  envoyé  de  Dieu,  c'est  à  elles  qu'il  emprunte 
les  enseignements  destinés  à  instruire  ses  disciples  et  à  les 
confirmer  dans  la  doctrine  ;  Il  relève  leur  témoignage  pour 
le  venger  des  calomnies  des  détracteurs,  pour  l'opposer  aux 
Sadducéens  et  aux  Pharisiens  afin  de  les  confondre,  pour  le 
retourner  contre  Satan  lui-même  qui  a  l'impudence  de  le 
tenter.  C'est  encore  elles  qu'il  s'approprie  à  la  fin  de  sa  vie, 
et  qu'il  explique  aux  disciples  après  sa  résurrection  jusqu'à 
ce  qu'il  monte  dans  la  gloire  de  son  Père, 

Or  les  apôtres,  bien  qu'instruits  par  sa  parole  et  par 
ses  préceptes,  bien  qu'il  leur  promît  que  des  prodiges  et 
des  miracles  s'accompliraient  par  leurs  mains  (7),  utili- 
sèrent cependant  les  Saintes  Ecritures  avec  grande  effica- 
cité, soit  pour  persuader  aux  nations  d'accepter  la  foi  chré- 
tienne, soit  pour  briser  l'obstination  des  Juifs,  soit  pour 
réprimer  les  hérésies  qui  surgissaient. 

C'est  ce  qui  ressort  de  leurs  discours,  particulièrement  de 
ceux  de  saint  Pierre,  où  les  preuves  les  plus  fortes  de  la  loi 
nouvelle  sont  appuyées  par  des  paroles  de  l'Ancien  Testa- 
ment. Le  même  fait  ressort  encore  des  Evangiles  de  saint 
Mathieu  et  de  saint  Jean,  comme  des  Epîtres  appelées  ca- 
tholiques, et  d'une  façon  plus  évidente  encore  du  témoignage 
de  celui  qui«  se  glorifie  d'avoir  appris  la  loi  de  Moïse  et  les 
prophètes  aux  pieds  de  Gamaliel,  en  sorte  qu'armé  des  traits 
spirituels,  il  pouvait  dire  plus  tard  :  Nos  armes  dans  le 
combat  ne  sont  pas  des  armes  ckarnelles  inais  la  puis- 
sance de  Dieu  (2)  » 

.  Ainsi.donc  les  exemples  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
et  des  ^.pôtres  font  comprendre  à  tous,  surtout  aux  nouveaux 
soldats  de  la  milice  sacrée,  quelle  estime  ils  doivent  faire 
des  Saintes  Ecritures,  avec  quel  zèle,  avec  quelle  religion 
ils  doivent  les  cultiver,  venant  à  elles  comme  à  un  arsenal. 
Car,  ceux  qui  ont  à  exposer  la  doctrine  de  la  vérité  catho- 
lique aux  savants  comme  aux  ignorants,  ne  trouveront  nulle 

.   (1)  IITim.  ili.ift.  17. 
(2j  s.  Aug.  de  util.  cred.  xiv,  32. 


LETTRE  ENCYCLIQUE  DE  S.  S.  LEON  XIII  509 

part  une  matière  plus  ample,  ni  des  ressources  plus  riches 
pour  s'instruire  de  Dieu,  bien  suprême  et  souverainement 
parfait,  et  de  ses  œuvres  qui  révèlent  sa  gloire  et  sa  bonté. 

()r,  sur  le  Sauveur  du  genre  humain  il  n'a  rieri  été  dit  de 
plus  abondant  ni  de  plus  expressif  que  ce  qui  se  trouve  dans 
tout  le  contexte  de  la  Bible  ;  et  c'est  à  bon  droit  que  saint 
Jérôme  affirme  que  «  l'ignorance  des  Ecritures,  c'est  l'igno- 
rance de  Jésus-Christ.  »  (1).  Car  de  ses  Ecritures  sort, 
■comme  vivante  et  animée,  son  image  d'où  procèdent  mer- 
veilleusement le  soulagement  des  maux,  l'exhortation  aux 
vertus,  l'appel  de  l'amour  divin. 

Quant  à  ce  qui  concerne  l'Eglise,  son  institution,  sa  na- 
ture, ses  dons,  ses  grâces,  il  en  est  fait  si  souvent  mention, 
■et  en  sa  faveur  les  arguments  se  pressent  en  telle  abon- 
dance et  avec  une  telle  force  que  le  même  saint  Jérôme  a  pu 
■dire  en  toute  vérité  :  «  Quiconque  a  été  fortifié  par  les 
témoignages  des  Ecritures,  celui-là  est  le  rempart  de 
l'Eglise  >  (2). 

Que  s'il  s'agit  de  la  formation  et  de  la  discipline  de  la  vie 
^t  des  mœurs,  les  hommes  apostoliques  y  trouveront  de 
même  les  secours  les  plus  larges  et  les  meilleurs,  à  savoir  : 
les  préceptes  complets  de  la  sainteté,  des  exhortations 
pleines  à  la  fois  de  douceur'  et  de  force,  et  de  remarquables 
exemples  pour  tout  genre  de  vertu;  notons  encore,  annoncée 
au  nom  et  par  la  parole  de  Dieu  même,  la  promesse  des  ré- 
•compenses  et  la  menace  des  peines  éternelles. 

Or,  cette  vertu  propre  et  spéciale  des  Ecritures,  qui  pro- 
vient du  souffle  divin  de  l'Esprit-Saint,  c'est  elle  qui  donne 
l'autorité  à  l'orateur  sacré,  elle  qui  inspire  la  liberté  apos- 
tolique de  la  parole,  et  qui  rend  l'éloquence  persuasive  et 
triomphante.  Quiconque,  en  efl'et,  reproduit  dans  le  discours 
l'esprit  et  la  force  de  la  parole  divine,  celui-là  ne  prononce 
pas  seulement  un  discours,  mais  il  parle  dans  la  force, 
dans  C Esprit-Saint  et  dans  une  abondante  plénitude  (3). 


(1)  Act.,  XIV,  3. 

(2)  S.  Hier,  de  studio  Sc/'ip.  ad  Paulin,  ep.  lui,  3. 
(3j  In  Is.  Prol. 


510  ANNALES  CATHOLIQUES 

Aussi  doit-on  dire  qu'ils  agissent  à  contre-sens  et  incon- 
sidérément ceux  qui,  parlant  de  religion,  font  de  tels  dis- 
cours et  exposent  les  préceptes  divins,  de  telle  sorte  qu'ils 
n'emploient  à  peu  prés  que  les  paroles  de  la  science  et  de 
la  prudence  humaine,  s'appuyant  ainsi  beaucoup  plus  sur 
leur  propres  arguments  que  sur  les  arguments  divins.  Il 
s'ensuit  nécessairement  que  leur  parole,  bien  qu'ayant 
l'éclat  des  lumières,  languit  et  est  froide,  car  il  lui  manque 
le  feu  de  la  parole  de  Dieu  (1).  De  même  elle  est  bien  loin 
d'avoir  cette  vertu  que  donne  la  parole  divine  :  Car  la 
parole  de  Dieu  est  vicante;  elle  est  efficace,  pénètre 
p)lus  avant  qu'un  glaive  à  deux  tranchants,  et  atteint 
jusqu'à  l'intime  de  l'âme  et  de  l'esprit  (2). 

Bref,  et  de  cela  les  plus  habiles  eux-mêmes  en  convien- 
dront, les  Saintes  Lettres  sont  naturellement  remplies 
d'une  éloquence  admirablement  variée,  féconde  et  digne  des 
plus  grands  sujets,  saint  Augustin  l'a  compris  et  en  a  fait  la 
preuve  éloquente;  et  c'est  aussi  ce  que  confirme  l'expé- 
rience des  plus  célèbres  orateurs  sacrés,  dont  la  reconnais- 
sance envers  Dieu  s'est  plu  à  proclamer  que  leur  renom 
était  dû  principalement  à  la  fréquentation  assidue  et  à  la 
pieuse  méditation  de  la  Bible. 

De  tout  cela,  les  Saints  Pérès  «'étant  pénétrés  par  l'ensei- 
gnement et  la  coutume,  n'ont  jamais  cessé  de  fréquenter  les 
lettres  divines  et  d'en  célébrer  les  fruits.  En  effet,  dans 
maints  endroits  ils  les  appellent  soit  le  très  riche  trésor  des 
doctrines  célestes  (3),  soit  les  fontaines  éternelles  de 
salut  (4)  ;  ou  bien  ils  les  comparent  à  des  prés  fertiles  et  à 
des  jardins  très  agréables  où  le  troupeau  du  Seigneur  a  de 
quoi  se  refaire  et  se  délecter  d'une  façon  merveilleuse  (5). 

C'est  ici  que  viennent  très  opportunément  les  recomman- 
dations de  saint  Jérôme  au  clerc  Népotien  :  «  Lis  souvent 
les  divines  Ecritures;  bien  plus,  ne  laisse  jamais  tomber  de 


(l)7n  Is.  Liv  12. 

(2)  IThess.,  I,  5. 

(3)  Jerera.,  xxix,  29. 

(4)  Hebr.,  iv,  12. 

(5)  De  doctr,  chr.  iv,  6,  7. 


LETTRE  ENCYCLIQUE  UE  S.  S.  LÉON  XIII  511 

tes  mains  cette  lecture  sainte;  apprends  ce  que  tu  dois  en- 
seigner... que  la  parole  du  prêtre  soit  nourrie  de  la  lecture 
des  Ecritures  »  (1).  Pareil  est  le  jugement  de  saint  Gré- 
goire le  Grand,  qui  a  défini  plus  sagement  que  personne  les 
devoirs  du  prêtre.  «  Il  est  nécessaire,  dit-il,  que  ceux  qui 
s'appliquent  à  l'office  de  la  prédication  n'abandonnent  pas 
la  lecture  et  l'étude  des  saints  livres  (2).  » 

Citons  maintenant  saint  Augustin,  nous  avertissant  «  que 
le  prédicateur  qui  n'écoute  pas  en  soi  la  parole  de  Dieu,  sera 
impuissant  à  la  manifester  au  dehors  »  (3),  et  le  même 
saint  Grégoire  prescrivant  aux  orateurs  sacrés,  avant  de 
porter  devant  les  autres  les  paroles  divines,  d'y  appliquer 
leurs  propres  méditations,  de  peur  qu'en  poursuivant  les 
actes  d'autrui,  ils  ne  se  perdent  eux-mêmes  (4). 

Déjà,  d'ailleurs,  par  l'exemple  et  l'enseignement  de  Jésus- 
Christ  qui  commence  par  agir  et  puis  enseigne,  la  voix  de 
l'Apôtre  avait  porté  au  loin  les  premiers  avertissements, 
qui  ne  s'adressaient  pas  au  seul  Timothée,  mais  à  l'ordre 
entier  des  clercs.  Voici  cette  prescription  :  Veille  sur  toi 
et  sur  la  doctrine  et  sois  ferme  à  observer  ces  choses, 
car' en  agissant  ainsi  lu  te  sauveras  toi-même  avec  ceux 
qui  t'écouteront  (5). 

En  effet,  les  Saintes  Lettres  renferment  des  secours  tou- 
jours prêts  pour  le  salut,  pour  sa  propre  perfection  et  celle 
des  autres  :  c'est  ce  que  chantent  éloquemment  les  psaumes; 
mais,  pour  cela,  il  faut  apporter  à  l'étude  des  divines  pa- 
roles, non  seulement  un  esprit  docile  et  attentif,  mais  la 
disposition  d'une  bonne  volonté  pieuse  et  entière. 

Car  il  ne  faut  pas  croire  que  le  caractère  de  ces  livres  soit 
pareil  à  celui  des  livres  ordinaires.  Comme  ils  ont  été  dictés 
par  l'Esprit-Saint  et  qu'ils  renferment  les  choses  les  plus 
hautes,  obscures  et  difficiles  snr  beaucoup  de  points,  pour 

(1)  S.  Chrvs.  in  Gen.  hom.  21,  2;  hom.  60,  3,  S.  Aug.  de  discipl. 
chr.  2. 

(2)  S.  Athan.  ep,  fest.  39. 

(3)  S.  Aug.  serm.  26,  24;  S.  Amb:'.  in  Ps.  cxviii,  serm.  19,  2. 

(4)  S.  Hier,  de  vit.  çleric.  ad  Nepot. 

(5)  S.  Greg.M.,  A'e^u/.past.  II,  11  [al.  22);  Moral.  xvni.2G,  (al.  14). 


512  ANNALES    CATHOUQUES 

les  bien  comprendre  et  les  bien  exposer,  «  nous  avons  tou- 
jours besoin  du  secours  »  (1)  du  Saint-Esprit,  c'est-à-dire 
de  sa  lumière  et  de  sa  grâce,  lesquelles,  ainsi  que  nous  en 
avertit  fréquemment  l'autorité  du  divin  Psalmiste,  doivent 
être  implorées  dans  l'humilité  de  la  prière  et  conservées- 
par  la  sainteté  de  la  vie. 

C'est  donc  par  là  qu'éclate  la  prévoyance  de  l'Eglise,  qui 
a  toujours  veillé,  par  d'excellentes  lois  et  décisions,  à  ce 
que  ce  trésor  sacré  des  Livres  saints  que  le  Saint-Esprit 
a  livré  aux  hommes  avec  une  libéralité  souveraine,  ne 
demeurât  point  négligé  (2).  Elle  a  établi,  en  effet,  non 
seulement  qu'une  grande  partie  devrait  en  être  lue  et  pieu- 
sement méditée  par  tous  ses  ministres  dans  l'office  quoti- 
dien de  la  psalmodie  sacrée,  mais  que  l'exposition  et  l'inter- 
prétation en  devrait  être  faite  par  des  hommes  compétents 
dans  les  églises  cathédrales,  dans  les  monastères,  dans  les 
couvents  des  autres  réguliers,  dans  lesquels  les  études  peu- 
vent aisément  fleurir;  d'autre  part,  elle  a  rigoureusement 
prescrit  (3)  qu'au  moins  les  dimanches  et  les  jours  de  fêtes 
solennelles,  les  fidèles  fussent  nourris  des  paroles  de  l'Evan- 
gile. De  même,  c'est  à  la  sagesse  et  au  zèle  de  l'Eglise 
qu'est  dû  ce  culte  de  la  Sainte  Ecriture,  vivant  à  travers 
tous  les  âges  et  fécond  en  multiples  bienfaits. 

A  cet  égard,  et  aussi  pour  fortifier  Notre  enseignement 
et  Nos  exhortations,  il  Nous  plaît  de  rappeler  comment  dés 
les  origines  de  la  religion  chrétienne,  tous  ceux  qui  brillè- 
rent parla  sainteté  de  la  vie  et  par  la  science  des  choses 
divines,  furent  abondamment  et  assidûment  versés  dans  les 
Saintes  Lettres.  Par  leurs  lettres  et  leurs  livres.  Nous 
voyons  les  plus  proches  disciples  des  apôtres,  et  parmi  eux 
saint  Clément  de  Rome,  saint  Ignace  d'Antioche,  saint 
Polycarpe;  Nous  voyons  aussi  les  apologistes,  et  nommé- 
ment saint  Justin  et  saint  Irénée,  qu'ils  pourvussent  à  la 
défense    ou  à  la    glorification    des    dogmes    catholiques^ 


(1)  S.  Aug.  :ierm.  179,  1 


(1)  S.  Aug.  serm.  179,  1. 

(2)  S.  Greg.  M.,  Regul.past.  III,  24  {al  48); 
(3)1  Tim.,iv,  16. 


LETTRE  ENCYCLIQUE  DE  S.  S.  LEON  XIII  513 

puiser  surtout  dans  les  divines  Lettres,  la  foi,  la  force, 
la  grâce  tout  entière  de  leur  piété.  Quand  surgirent  des 
écoles  catéchétiques  et  théologiques  en  beaucoup  de  sièges 
épiscopaux,  notamment  celles  si  fréquentées  d'Alexan- 
drie et  d'Antioche,  leur  plan  d'études  consistait  pour 
ainsi  dire  uniquement  dans  la  lecture,  l'explication,  la 
défense  de  la  parole  divine  écrite.  C'est  d'elles  que  sor- 
tirent la  plupart  des  Pères  et  des  écrivains,  dont  les  savantes 
études  et  les  excellents  livres  furent  tellement  nombreux 
pendant  environ  trois  siècles,  que  cette  période  fut  à  juste 
titre  appelée  l'âge  d'or  de  l'exégèse  biblique. 

Parmi  ceux  de  l'Orient,  le  premier  rang  revient  à  Ori- 
-géne,  admirable  par  la  pénétration  de  son  esprit  et  l'opi- 
niâtreté de  ses  travaux,  et  presque  tous  ont  puisé  depuis 
■dans  ses  nombreux  écrits  et  dans  sou  immense  ouvrage  des 
Hexaples.  Il  faut  en  ajouter  plusieurs  qui  ont  reculé  les 
frontières  de  cette  science  :  ainsi,  parmi  les  meilleurs, 
Alexandrie  a  possédé  saint  Clément,  saint  Cyrille  ;  la  Pales- 
tine, saint  Eusébe,  l'autre  saint  Cyrille  ;  le  Cappadoce,  saint 
Basile  le  Grand,  les  deux  saints  Grégoire,  celui  de  Na- 
zianze  et  celui  de  Nysse;  Antioche  enfin,  ce  saint  Jean 
Chrysostome,  en  qui  la  science  de  l'exégèse  a  brillé  avec 
tant  d'éloquence.  Et  cette  observation  n'est  pas  moins  vraie 
pour  les  Pères  d'Occident.  Parmi  ceux  qui,  en  si  grand 
nombre,  s'illustrèrent  particulièrement,  célèbres  sont  les 
noms  de  TertuUien  et  de  saint  Cj'prien,  de  saint  Hilaire  et 
de  saint  Ambroise,  de  saint  Léon  le  Grand  et  de  saint  Gré- 
goire le  Grand  ;  bien  célèbres  aussi  sont  ceux  de  saint  Au- 
gustin et  de  saint  Jérôme  ;  le  premier  se  montra  merveilleu- 
sement sagace  à  découvrir  le  sens  de  la  parole  divine,  et 
très  éloquent  pour  la  faire  concourir  à  la  défense  de  la 
vérité  catholique;  le  second,  par  sa  connaissance  excep- 
tionnelle des  Livres  Saints  et  par  ses  grands  travaux  pour 
leur  vulgarisation,  a  été  honoré,  par  l'acclamation  de 
l'Eglise,  du  titre  de  grand  docteur. 

Depuis  cette  époque  jusqu'au  xi'  siècle,  bien  que  la  cul- 
ture de  cette  sorte  d'études  ne  fût  pas  entretenue  avec  la 


514  ANNALKS    CATHOLIQUES 

même  ardeur  et  le  même  fruit  qu'auparavant,  elle  fut  cepen- 
dant en  vigueur,  grâce  surtout  aux  hommes  du  sacerdoce. 
Ils  prirent  soin,  en  effet,  ou  de  recueillir  les  travaux  les 
plus  profitables  que  les  anciens  avaient  laissés  sur  cette 
matière,  et  de  les  répandre  après  les  avoir  convenablement 
classés  et  les  avoir  accrus  de  leurs  propres  études,  comme 
ont  fait  surtout  Isidore  de  Séville,  Bédé  et  Alcuin  ;  ou  d'en- 
richir de  commentaires  les  textes  sacrés,  comme  Walfrid 
Strabon  et  Anselme  du  Bec,  ou  d'apporter  de  nouveaux 
soins  à  l'intégrité  des  Livres  sacrés,  comme  Pierre  Damien 
et  Lanfranc. 

A  partir  du  xii*  siècle,  la  plupart  de  ceux  qui  se  sont 
occupés  de  l'interprétation  allégorique  de  l'Écriture  l'ont- 
fait  d'une  manière  digne  de  grands  éloges  ;  dans  ce  genre, 
saint  Bernard  a  de  beaucoup  surpassé  les  aulres,  et  ses 
discours  sont  presque  entièrement  inspirés  des  divines 
Ecritures.  Mais  la  méthode  des  Scholastiques  favorisa  de 
nouveaux  et  plus  heureux  développements  de  ces  études. 
Ceux-ci,  bien  qu'ils  se  fussent  appliqués  à  l'étude  de  l'ori- 
ginal de  la  version  latine,  comme  l'attestent  pleinement  les 
*  Variantes  bibliques  faites  par  eux-mêmes,  ont  cependant 
consacré  plus  de  soin  et  d'efforts  à  l'interprétation  et  à 
l'explication. 

Avec  une  sagacité  et  une  clarté,  en  effet,  qu'on  n'avait 
pas  dépassées  auparavant,  on  a  distingué  les  divers  sens 
des  textes  sacrés;  la  valeur  de  chacun  en  théologie  a  été 
appréciée;  on  a  établi  les  divisions  des  livres  et  les  sommaires 
de  ces  divisions,  on  a  recherché  la  pensée  des  écrivains; 
on  a  expliqué  le  lien  et  la  connexité  des  pensées  entre  elles  : 
en  tout  -cela,  il  n'est  personne  qui  ne  voie  quelle  quantité 
de  lumière  a  été  apportée  aux  passages  les  plus  obscurs. 
En  outre,  des  livres  de  théologie,  ou  des  commentaires  sur 
les  Ecritures,  mettent  au  fond  les  trésors  de  doctrine  qui 
en  ont  été  tirés  ;  et  entre  tous,  c'est  le  nom  de  saint  Thomas 
d'Aquin  qui  tient  le  premier  rang. 

Mais  après  que  Notre  prédécesseur  Clément  V  eut  enrichi 
le  Collège  romain  et  les  plus  célèbres  Universités  des  monu 


LETTRE  KNCTCLIQUE  DE  S.  S.  LÉON  XIII  515 

ments  des  lettres  orientales,  nos  auteurs  commencèrent  à 
s'occuper  avec  plus  d'application  du  texte  original  et  de  la 
traduction  latine.  Ensuite,  l'érudition  des  Grecs  apportée 
chez  nous,  et  surtout  l'heureuse  invention  de  l'imprimerie, 
développa  rapidement  la  culture  des  saintes  Écritures.  Il 
laut  admirer,  en  eifef,  le  peu  de  temps  qu'amis  l'imprimerie 
à  multiplier  les  textes  sacrés,  particulièrement  la  Vulgale, 
et  à  en  remplir  en  quelque  façon  l'univers;  aussi,  durant 
cette  même  époque,  contre  laquelle  les  ennemis  de  l'Eglise 
lancent  leurs  calomnies,  les  Livres  divins  étaient  en  hon- 
neur et  en  dilection. 

Il  ne  faut  pas  omettre  de  rappeler  le  grand  nombre  de 
savants,  surtout  dans  les  Ordres  religieux,  qui,  depuis  lo 
Concile  de  Vienne  jusqu'à  celui  de  Trente,  ont  bien  mérité 
de  la  science  biblique  :  profitant  des  ressources  nouvelles 
et  apportant  la  contribution  de  leur  savoir  en  tout  genre  et 
de  leur  esprit,,  ils  ont  non  seulement  accru  les  richesses 
amassées  par  les  anciens,  mais  ils  ont,  en  quelque  sorte, 
préparé  la  voie  à  la  supériorité  que  s'est  acquise  le  siècle 
suivant,  à  partir  du  concile  de  Trente,  si  bien  que  l'on  se 
serait  cru  revenu  à  l'âge  illustre  des  Pérès. 

Personne  n'ignore,  en  effet,  et  il  Nous  est  agréable  de  le 
rappeler,  que  Nos  prédécesseurs,  depuis  Pie  V  jus([u'à 
Clément  VIII,  ont  été  les  instigateurs  de  ces  magnifiques 
éditions  des  anciennes  versions  :  La  Vulgate  et  l'Alexan- 
drine,  qui,  publiées  ensuite  par  ordre  de  l'autorité  de  Sixte- 
Quint  et  du  même  Clément  VIII,  sont  aujourd'hui  dans 
l'usage  commun.  On  sait  aussi  que,  à  la  même  époque,  furent 
éditées  avec  beaucoup  de  soin,  et  avec  de  bons  commentaires 
explicatifs,  diverses  autres  versions  anciennes  de  la  Bible, 
et  les  versions  polyglottes  d'Anvers  et  de  Paris  ;  et  il  n'y  a 
pas  un  seul  livre  de  l'un  et  l'autre  Testament  qui  n'ait 
trouvé  plusieurs  habiles  éditeurs,  et  aucune  question  impor- 
tante à  leur  sujet  qui  n'ait  exercé  très  heureusement  la  saga- 
cité de  nombreux  critiques  :  parmi  eux,  beaucoup,  qui  étaienc 
en  même  temps  appliqués  a  l'étude  des  Saints  Pères,  se 
sont  même  acquis  un  nom  illustre.  A  partir  de  cette  époque^ 


516  ANNALBS    CATHOMQUBS 

le  talent  de  nos  modernes  n'a  point  manqué  à  la  tâche  ;  des 
écrivains  illustres  n'ont  pas  cessé  de  bien,  mériter  des 
études  bil^liques,  et  empruntant  à  la  philologie  et  îiux  études 
qui  s'y  rapportent,  leurs  arguments,  ils  ont  vengé  les  Let- 
tres sacrées  des  attaques  du  rationalisme  par  les  mêmes 
armes  qu'on  les  combattait. 

En  considérant  de  bonne  foi,  comme  il  convient,  ce  que 
Nous  venons  de  passer  en  revue,  on  accordera  que  l'Eglise 
n'a  jamais  manqué  de  sollicitude  pour  faire  couler  avec 
profit  sur  ses  fijs  les  sources  de  la  divine  Ecriture,  et  qu'elle 
leur  a  toujours  conservé  cette  forteresse  dans  laquelle  elle 
a  été  divinement  établie  pour  la  défense  et  la  glorification 
de  cette  Sainte  Ecriture,  qu'elle  s'est  toujours  appliquée  à 
la  munir  de  toutes  les  ressources  de  savoir,  sans  avoir 
jamais  eu  et  sans  avoir  encore  besoin  maintenant  des  exci- 
tations des  hommes  du  dehors. 

Mais  le  sujet  que  Nous  Nous  sommes  proposé  de  traiter^ 
demande  que  Nous  vous  communiquions,  Vénérables  Frères, 
ce  qui  Nous  semble  le  plus  convenable  à  la  bonne  direction 
de  ces  études.  Et  d'abord,  il  importe  de  montrer  ici  quels 
adversaires  se  dressent  en  face  de  nous  et  quels  sont  les 
procédés  et  les  armes  dont  ils  se  servent  avec  tant  de  pré- 
somption. Car,  de  même  que  nous  avons  eu  affaire  autre- 
fois à  ceux, qui,  se  fondant  sur  leur  .propre  jugement,  décla- 
raient, après  avoir  répudié  les  divines  traditions  et  le  magis- 
tère de  l'Eglise,  que  l'Ecriture  était  l'unique  source  de  la 
révélation  et  le  juge  suprême  de  la  foi,  ainsi,  aujourd'hui, 
nous  sommes  aux  prises  avec  les  rationalistes,  qui,  en  vrais 
fils  et  héritiers  des  précédents,  et  comme  eux  appuyés  sur 
leur  priQpre  jugement,  ont  rejeté  loin  d'eux  jusqu'à  ces  derr 
niers  restes  de  foi  qui  leur  avaient  été  légués  par, leurs  pères* 
Ils  nient  complètement,  en,  effet,  qu'il  y  ait  une  révélation^, 
ou  une  inspiration,  ou  une  Ecriture  Sainte,  et  ils  ne  voient 
là  que  des  compositions  et  inventions  humaines;  d'après 
eux,  ce  ne  sont  pas  là  des  narrations  authentiques  d'événe- 
ments vrais,  mais  de  pures  fables  ou  des  histoires  menson- 
gères ;  il  n'y  a  pas  là  de  prophéties  ni  d'oracles  divins  ; 


LETTRE  HNOYCLIQUK  UK  S.   S.    I.KON  XIII  517 

mais,  ou  des  prédictions  arrangées  après  l'événement,  ou 
de  simples  intuitions  de  l'esprit  humain  ;  il  ne  faut  pas  non 
plus  y  voir  de  vrais  miracles  et  des  prodiges  de  la  puissance 
divine,  mais  seulement  des  phénomènes  qui  ne  dépassent 
pas  la  force  de  la  nature,  ou  des  prestiges  quelconques  et 
des  mythes;  enfin,  il  faudrait  attribuer  les  évangiles  et  les 
écrits  apostoliques  à  de  tous  autres  auteurs  que  ceux  qu'on 
leur  donne. 

Ces  erreurs  monstrueuses,  par  lesquelles  ils  croient 
détruire  la  sainte  vérité  des  Livres  divins,  ils  les  donnent 
comme  les  décrets  définitifs  de  nous  ne  savons  quelle  nou- 
velle science  libre,  et  cependant,  ils  les  tiennent  eux- 
mêmes  pour  si  peu  assurés  qu'on  les  voit  souvent  changer 
d'avis  et  se  contredire  sur  les  mêmes  points.  Et  parmi  ceux 
qui  pensent  ou  parlent  ainsi  avec  tant  d'impiété  de  Dieu, 
de  Jésus-Christ,  de  l'Evangile  et  de  toute  l'Ecriture,  il  y  en 
a  qui  voudraient  encore  passer  pour  théologiens,  pour  chré- 
tiens, pour  croyants  de  l'Evangile,  et  qui  cherchent  à  cou-^ 
vrir  du  nom  le  plus  honorable  la  témérité  de  leur' orgueil- 
feux  esp<rit.  A  ceux-là  s'unissent  comme  complices  et 
auxiliaires  nombre  d'autres  savants,  que  le  mêiiie  refus 
d'admettre  la  révélation  pousse  également  à  attaquer  la 
Bible.  Nous  ne  pouvons  assez  déplorer  l'extension  et  la  mal- 
veillance de  plus  en  plus  grandes  que  prennent  chaque  jour 
ces  attaques.  Elles  atteignent  même  les  hommes  instruits  et 
judicieux,  qui  peuvent  facilement,  il  est  vrai,  se  mettre  sur 
leurs  gardes,  mais  c'est  surtout  contre  la  masse  des  igno- 
rants que  nos  adversaires  s'acharnent  de  toute  manière  et 
avec  un  art  perfide.  Tantôt  ils  répandent  leur  venin  mortel 
dans  les  livres,  les  revues,  les  journaux;  tantôt,  c'est  par 
des  conférences,  ou  par  des  discours  qu'ils  s'insinuent  dans 
les  esprits;  ils  ont  déjà  tout  envahi  et  ils  possèdent  même 
un  grand  nombre  d'écoles  soustraites  à  la  tutelle-de  l'Eglise, 
où  ils  façonnent  lamentablement,  jusque  par  le  sarcasme  et 
la  plaisanterie,  les  tendres  et  crédules  esprits  des  enfants 
au  mépris  de  l'Ecriture.  Voilà,  Vénérables  Frèrei»,  de  quoi 
exciter  et  animer  le  zèle  commun  des  pasteurs  ;  afin  que 


518  ANNALES    CATHQLIQUKS 

ceite' nouvelle  science  de  faux  nomil)  rencontre  devant 
elle  cette  antique  et  vraie  foi,  que  l'Eglise  a  reçue  de  Jésus- 
Christ  par  les  apôtres,  et  que,  au  milieu  d'une  lutte  si  achar- 
née, de  dignes  défenseurs  de  la  Sainte  Ecriture  se  lèvent 
partout. 

Votre  premier  soin  doit  donc  être  de  faire  en  sorte  que 
l'enseignement  des  Lettres  divines  soit  donné  dans  les  sémi- 
naires et  les  collèges  ecclésiastiques,  comme  le  demandent 
l'importance  même  de  cette  étude  et  les  exigences  du  temps. 
A  cet  effet,  rien  ne  doit  vous  être  plus  à  cœur  que  le  choix 
de  maitres  habiles  ;  car  il  ne  faut  pas  confier  cette  missit)n 
aux  premiers  venus,  mais  à  ceux  seulement  qu'un  grand 
amour  et  une  longue  pratique  delà  Bible,  ainsi  qu'un  savoir 
convenable  recommandent  à  votre  choix  et  rendent  dignes 
(de  leur  charge.  Ktil  ne  faut  pas  veiller  avec  moins  de  sol- 
licitude à  leui-  préparer  des  successeurs.  Il  sera  bon,  par 
conséquent,  partout  où  cela  sera  possible  de  prendre  un 
certain  nombre  de  jeunes  gens  bien  doués,  ayant  tei-miné 
avec  honneur  leur  cours  de  théologie,  pour  les  appliquer 
tout  entiers  aux  Livres  saints,  en  leur  donnant,  s'il  y  «^ 
lieu,  la  faculté  d'en  étudier  un  en  particulier.  Et  après  cela, 
que  les  jeunes  docteurs  ainsi  ciioisis  et  pi'é  paré  s  .acceptent 
avec  confiance  la  oharge,qui>l<îur  sera  confiée  ,  et  pour  (ju'ils 
y  réussissent  mienx  et  qu'ils  lui  fassent  produire  plus  do 
fruits  convenables,  il  Nous  parait  bon  de  leur  donner  ici 
quelques  conseils  4)lus  détaillés  — Au  seuil  même  de  ces 
études  hibliqueg,  ils  devront  s'adresser  à  l'intelligence  de 
leurs  élèves  de  manière  à  former  et  à  entretenir  en  eux  un 
jugement  également  apte  à  la  défense  des  Saints  Livres  et 
à  leur  interprétation.  C'est  a  quoi  tond  le  traité  communé- 
ment appelé,  Inlf'oduclion  à  la  Bible,  où  l'élève  trouve 
abondamment  ce  qui  sert  à  établir  l'intégrité  et  l'autorité 
de  la  P)ible,  à  découvrir  et  à  saisir  le  vrai  sens  du  texte,  â 
prévenir  et  à  réfuter  radicalement  les  objections.  On  ne 
saurait  trop  dire  combien  sont  importants  ces  préliminaires 
méthodiquement  et  savamment  traités,  avec   la  théul^/ffie 

(1)  I  Tint).  VI,  20. 


LETTRE  ENCYCMQUB   DK  S.   S.   LÉON  XIII  t)]^ 

pour  compagne  et  pour  auxiliaire,  puisque  toute  la  suite 
des  études  bibliques  s'appuie  sur  ces  bases  et  s'éclaire  de  ces 
lumières.  —  Ceia  terminé,  que  le  zèle  du  professeur  s'ap- 
plique particulièrement  à  cette  autre  partie  plus  fructueuse 
de  l'enseignement,  qui  est  l'interprétation,  pour  qu'elle  per- 
mette aux  étudiants  de  faire  servir  ensuite  les  richesses  de 
la  parole  divine  au  progrés  de  la  religion  et  de  la  piété. 
Nous  comprenons,  sans  doute,  qu'il  n'est  pas  possible,  ni  en 
raison  de  la  matière,  ni  en  raison  du  temps,  d'étudier  toute 
l'Ecriture  Sainte  dans  les  écoles. 

Mais,  parce  qu'il  est  besoin  d'une  méthode  sûre  d'expo- 
sition pour  qu'elle  soit  étudiée  utilement,  le  maitre  prudent 
évitera  ce  double  inconvénient  :  ou  bien  de  parcourir  tous 
les  livres  à  la  hâte  ou  bien  de  s'appesantir  immodérément  sur 
telle  partie  d'un  livre.  Car  si  l'on  ne  peut  obtenir  dans  la 
plupart  des  écoles,  ce  qui  se  fait  dans  les  grandes  univer- 
sités, que  tel  ou  tel  livre  soit  exposé  avec  une  certaine 
suite  et  un  certain  développement,  il  doit  du  moins  absolu- 
ment veiller  à  ce  que  les  parties  des  livres  choisies,  comme 
sujet  d'étude,  reçoivent  une  explication  suffisamment  pleine  ; 
de  la  sorte,  les  disciples  et  les  élèves,  comme  sollicités  par 
cette  attrayante  expérience,  liront  d'eux-mêmes  les  autres 
et  les  aimeront  pendant  toute  la  vie. 

A  cet  effet,  le  maître,  observant  les  régies  des  anciens, 
prendra  pour  texte  la  version  de  la  Vulgate,  dont  le  con- 
cile de  Trente  a  décrété  qu'elle  devait  être  tenue  pou)- 
authentique  dans  les  leçons  publiques,  dans  les  discus- 
sions, dans  les  prédications  et  dans  les  expositions  (1), 
ce  que  recommande  aussi  la  pratique  quotidienne  de  l'Eglise. 

Ce  n'est  pas  à  dire  pourtant  qu'il  ne  faille  tenir  compte 
des  autres  versions  dont  l'antiquité  chrétienne  a  fait  l'éloge 
et  a  fait  usage,  surtout  des  manuscrits  primitifs. 

Car,  bien  que,  pour  l'intelligence  générale  du  texte,  le 
sens  de  l'original  hébreu  et  grec  apparaisse  bien  dans  les 
traductions  de  la  Vulgate  (2),  cependant,  s'il  }■  reste  quelque 

(1)  Sess.  vt,  decr.  de  edit.  et  usu  sacr,  libror. 

(2)  De  dûctr.  chr.  \n,  4. 


520  A.NNALE8   CATHOLlQUEâ 

chose  d'équivoque  ou  de  moins  clair,  ou  pourra  recourir 
utilement,  selon  le  conseil  de  saint  Auguste,  à  la  collation 
de  la  version  primitive. 

Mais  il  va  de  soi  qu'il  faut  apporter  ici  beaucoup  de  pru- 
dence, puisque,  en  définitive,  «  l'office  du  commentateur  est 
d'exposer,  non  ce  qu'il  veut  lui-même,  mais  ce  que  pense 
celui  qu'il  est  chargé  d'interpréter  »  (1). 

Après  avoir  établi,  avec  tout  le  soin  possible,  là  où  il  y 
a  lieu,  le  bon  texte,  il  restera  à  rechercher  et  à  établir  le 
sens.  Mais  le  premier  conseil  à  donner  est  de  s'en  tenir  aussi 
strictement  que  possible  à  l'interprétation  commune  dans 
les  passages  où  la  critique  des  adversaires  s'exerce  avec  le 
plus  d'insistance. 

C'est  pourquoi,  à  la  recherche  de  la  signification  exacte 
du  mot,  à  l'examen  du  contexte,  à  la  comparaison  des 
endroits  similaires,  et  autres  élucidations  du  même  genre, 
il  faut  joindre  le  secours  extérieur  des  lumières  de  l'érudi- 
tion ;  mais  il  faut  le  faire  avec  précaution,  afin  de  ne  pas 
consacrer  plus  de  temps  et  de  travail  aux  questions  de  cette 
nature  qu'à  la  connaissance  intrinsèque  des  Livres  saints, 
et  afin  de  ne  pas  apporter  à  l'esprit  des  jeunes  gens,  par 
une  étude  irop  complexe  des  choses,  plus  de  désagrément  que 
d'avantages. 

De  cette  façon,  on  s'élèvera  plus  sûrement  à  l'emploi  de 
la  divine  Ecriture  dans  la  théologie.  Et  ici,  il  faut  remar- 
quer qu'aux  causes  de  difficultés  qui  se  rencontrent  sou- 
vent dans  l'intelligence  de  certains  livres  des  anciens,  s'en 
ajoutent  d'autres,  propres  aux  Livres  saints.  En  effet,  dans 
les  termes  de  ces  Livres  saints  inspirés  par  l'Esprit-Saint, 
blendes  pensées  se  rencontrent, qui  surpassent  de  beaucoup 
la  force  et  la  pénétration  de  la  raison  humaine,  par  exemple 
les  divins  mystères  et  les  autres  choses  qui  s'y  rapportent  ; 
et  cela,  en  raison  d'un  sens  plus  élevé  et  plus  caché  que  ne 
semblent  l'exprimer  ou  l'indiquer  la  traduction  littérale  et 
les  lois  de  l'herméneutique  ;  quant  aux  autres  sens,  qui  ser- 
vent soit  à  éclairer  les  dogmes,  soit  à  mettre  en  relief  les 

(1)  S.  Hier,  ad  Pammach. 


LETTRE  ENCYCUQUE  DE  S.  S.  LÉON  XIII  521 

préceptes  de  la  vie,  le  sens  littéral  lui-même  les  fournit. 

Aussi  il  ne  faut  pas  faire  difficulté  d'avouer  que  les  Livres 
saints  sont  enveloppés  d'une  certaine  obscurité,  telle  que 
personne  ne  peut  s'y  aventurer  sans  guide  (1)  :  Dieu  pour- 
voit ainsi,  (telle  est  l'opinion  connue  des  Saints  Pérès)  à  ce 
que  les  hommes  les  étudient  avec  plus  d'application  et  de 
zèle,  qu'ils  incrustent  plus  profondément  dans  leurs  esprits 
et  leurs  cœurs  les  connaissances  qu'ils  ont  eu  plus  de  peine 
à  acquérir  ;  qu'ils  comprennent  particulièrement  que  Dieu 
a  livré  les  Ecritures  à  l'Eglise,  en  qui  ils  ont  un  guide  et  un 
maître  infaillible  quand  il  s'agit  de  lire  et  d'expliquer  ses 
paroles.  C'est  en  effet  là  où  résident  les  grâces  du  Seigneur 
qu'il  faut  chercher  la  vérité,  et  il  n'y  a  aucun  péril,  pour  les 
dépositaires  de  la  succession  apostolique,  à  expliquer  les 
Ecritures.  Tel  est  l'enseignement  de  saint  Irénée  (2)  ;  c  est 
d'ailleurs  sa  doctrine  et  celle  des  autres  Pérès  que  s'est 
appropriée  le  concile  du  Vatican,  lorsque  renouvelant  le 
décret  du  concile  de  Trente  sur  l'interprétation  des  saintes 
Ecritures,  il  a  déclaré  que  la  pensée  de  celles-ci  était  que 
dans  les  questions  de  la  foi  et  des  mœurs,  touchant  à 
V édification  de  la  doctrine  chrétientie,  celui-là  devait 
être  tenu  comme  le  sens  réel  de  l'Ecriture  sainte,  qu'a 
tenu  et  tient  pour  tel  notre  Mère  l'Eglise,  dont  le  rôle 
est  déjuger  de  la  signification  exacte  et  de  l'interpréta- 
tion des  saintes  Ecritures  ;  en  conséquence^  il  n'était 
permis  à  personne  d'interpréter  l'Ecriture  elle-même 
contrairement  à  ce  sens,  ou  tnêtiie  à  Vopinion  unanime 
des  Pères  (3). 

Par  cette  loi  pleine  de  sagesse,  l'Eglise  ne  retarde  ni 
n'empêche  en  aucune  façon  l'étude  approfondie  de  la  science 
biblique,  mais  plutôt  elle  la  met  à  l'abri  de  l'erreur  et  l'aide 
beaucoup  dans  la  voie  du  véritable  progrés.  Car  devant 
chaque  docteur  privé  s'ouvre  un  champ  vaste,  dans  lequel 


(1)  S.  Hier,  ad  Paulin,  de  studio  script,  ep.  lui,  4. 

(2)  C.  hœr.  iv,  26,  5. 

(3j  Sess.  m.  cap.  ii,  de  recel.  :  cf,  Conc.  Trid.  sess.  iv,  decr.  de  edit. 
et  usu  sacr.  libror. 

38 


522  ANNALES    CATHOLIQUES 

son  art  d'interprète  peut,  sur  des  traces  non  périlleuses, 
s'exercer  avec  éclat  et  utilement  pour  l'Egli&e.  De  fait,  dans 
les  passages  de  la  Sainte  Ecriture  qui  réclament  encore  une 
exposition  sûre  et  définie,  il  peut  arriver  ainsi,  suivant  un 
dessein  ineffable  du  Dieu  de  Providence,  que  l'étude  en  étant 
en  quelque  sorte  préparée,  le  jugement  de  l'Eglise  soit  hâté; 
et,  pour  les  passages  déjà  définis,  le  docteur  privé  peut 
également  rendre  service,  en  les  expliquant  plus  clairement 
devant  l'assemblée  des  fidèles  et  plus  ingénieusement  auprès 
des  savants,  ou  en  les  arrachant  plus  victorieusement  aux 
adversaires. 

C'est  pourquoi  l'interprète  catholique  doit  tenir  pour 
principe  supérieur  et  sacré  d'interpréter  de  la  même  manière 
les  témoignages  de  l'Ecriture  dont  le  sens  a  été  authentique- 
ment  établi,  soit  par  les  auteurs  sacrés,  sousl'inspiration  du 
Saint-Esprit,  comme  en  beaucoup  de  passages  du  Nouveau 
Testament,  soit  par  l'Eglise,  assistée  du  même  Esprit,  et 
rendant  une  sentence  solennelle  ou  exerçant  son  ministère 
ordinaire  et  universel  (1).  Et  il  doit  donner,  par  sa  méthode 
d'enseignement,  la  conviction  que  seule  cette  interpréta- 
tion peut  être  sanctionnée  par  les  lois  d'une  saine  hermé- 
neutique. 

Au  reste,  il  faut  suivre  l'analogie  de  la  foi,  et  garder 
comme  une  règle  souveraine  la  doctrine  catholique,  telle 
qu'elle  est  reçue  par  l'autorité  de  l'Eglise  ;  car,  comme  le 
même  Dieu  est  l'auteur,  et  des  Livres  Saints,  et  de  la  doc- 
trine dont  l'Eglise  a  le  dépôt,  il  ne  peut  assurément  pas  se 
faire  qu'une  interprétation  légitime  tire  des  Livres  .Saints 
un  sens  qui,  en  quelque  façon,  ne  soit  pas  d'accord  avec 
elle.  Il  s'ensuit  qu'il  faut  rejeter  comuie  inexacte  et  fausse 
toute  interprétation  qui  place  les  auteurs  sacrés  pour  ainsi 
dire  en  contradiction  l'un  vis-à-vis  de  l'autre,  ou  qui  répu- 
gne à  la  doctrine  de  l'Eglise. 

Il  faut  donc  que  le  maitre  en  cette  science  ait  aussi  le 
mérite  de  connaître  supérieurement  toute  la  théologie,  et 
soit  versé  dans  les  commentaires  des  Saints  Pères,  des  Doc- 

(1)  Conc.  Vat.  sess.  m,  cap.  w,  de  fide. 


1,BTTRK   KNCYCLIQLE  DE  S.   S.   i.EON   XllI  523 

teurs  et  des  meilleurs  interprètes.  C'est  ce  qu'enseigne  saint 
Jérôme  (1),  ôt  aussi  saint  Augustin,  qui,  sur  un  légitime  ton 
de  plainte,  dit:  «  Si  toute  science,  même  la  plus  profane 
et  la  plus  facile,  réclame,  pour  être  acquise,  un  docteur  ou 
un  professeur,  peut-il  y  avoir  quelque  chose  de  plus  orgueil- 
leusement téméraire,  que  de  ne  pas  vouloir  connaître  les 
livres  des  choses  divines  d'après  leurs  propres  inter- 
prètes (2)?  » 

Les  autres  Pères  ont  pensé  la  même  chose,  et  l'ont  con- 
firmée par  leur  exemple,  eux  qui  «  puisaient  rintelli|:ence 
des  divines  Eciitures,  non  dans  leur  présomption  person- 
nelle, mais  dans  les  écrits  et  l'autorité  de  leurs  prédéces- 
seurs, quand  il  était  constant  que  ceux-là  mêmes  tenaient 
de  la  succession  des  Apôtres  leur  méthode  d'interpréta- 
tion »  (3). 

A  leur  tour,  les  Saints  Pères,  à  qui  «  la  Sainte  Eglise 
doit,  après  les  apôtres,  son  accroissement,  puisqu'ils  l'ont 
plantée,  arrosée,  bâtie,  entretenue,  nourrie  (4)  »,  ont  une 
autorité  souveraine,  chaque  fois  qu'un  texte  biblique,  se 
rattachant  à  la  foi  ou  à  la  règle  des  mœurs,  est  expliqué 
par  eux  tous  d'une  seule  et  même  manière  :  car,  de  leur 
■accord  même  il  apparaît  clairement  que  telle  est  la  tradition 
depuis  les  apôtres  et  conformément  à  la  foi  catholique. 

Le  jugement  de  ces  Pères  doit  être  tenu  en  grande  estime, 
alors  même  que  traitant  de  ces  choses,  ils  le  font  au  titre  de 
docteurs  privés.  En  effet,  non  seulement  ils  se  recomman- 
dent hautement  par  la  science  de  la  vérité  révélée  et  pai- 
leur  science  de  beaucoup  d'autres  choses,  mais  Dieu  même 
a  souvent  aidé  du  puissant  secours  de  sa  lumière  les  hom- 
mes qui  se  sont  distingués  par  la  sainteté  de  leur  vie  et  leur 
zèle  de  la  vérité.  C'est  pourquoi  1  interprète  saura  qu'il  est 
de  son  devoir  de  suivre  leurs  traces  avec  respect  et  de  se 
servir  de  leurs  travaux  avec  un  discernement  intelligent. 

Et  qu'il  ne  croie  pas  qu'on  embarrasse  ainsi  sa  route  ;  au 

(1)  Ibi.l.  fi,  7. 

(2)  Ad  Honorât,  de  utiiit.  cred.  xvir,  35. 

(3)  Rufin.  Hisl.  eccl.  il,  9. 

(4)  S.  Aug.  c.  Julian.  n,  10,  37. 


524  ANNALES    CATHOLIQUES 

contraire,  quand  il  y  en  aura  un  juste  motif,  qu'il  aille  môme 
au  delà  dans  ses  recherches  et  son  investigation,  pourvu 
qu'il  s'en  tienne  religieusement  à  cette  réglé  sagement  pro- 
posée par  saint  Augustin,  à  savoir  de  ne  s'écarter  en  rien' 
du  sens  littéral  et  comme  x)bvie,  à  moins  que  quelque  motif 
n'empêche  de  le  retenir  ou  que  la  nécessité  oblige  de 
l'abandonner  (1). 

Cette  régie  doit  être  observée  avec  d'autant  plus  de  fer- 
meté qu'au  milieu  d'un  si  grand  désir  de  nouveautés  et  d'une 
telle  licence  d'opinions,  plus  gr.aûd  et  plus  instant  est  le 
danger  de  tomber  dans  l'erreur. 

L'interprète  devra  veiller  encore  à  ne  pas  négliger  ce 
que  les  Pérès  ont  apporté  pour  l'interprétation  allégorique 
ou  une  interprétation  de  même  genre,  surtout  quand  ces 
sens  dérivent  du  texte  littéral  et  sont  appuyés  par  l'auto- 
rité d'un  grand  nombre.  Car  l'Eglise  a  reçu  des  apôtres  ce 
mode  d'interprétation  et,  comme  il  appert  par  la  liturgie, 
elle  l'a  confirmé  par  son  exemple.  Non  que  les  Pères  en 
usant  de  ce  mode  d'interprétation  prétendissent  démontrer 
les  dogmes  de  la  foi  par  eux-mêmes,  mais  parce  qu'ils 
savaient  par  expérience  qu'elle  était  très  efficace  pour  l'ali- 
ment de  la  vertu  et  de  la  piété. 

Moindre  assurément  est  l'autorité  des  autres  interprètes 
catholiques  ;  cependant,  comme  les  études  bibliques  ont  tou- 
jours été  en  continuel  progrès  dans  l'Eglise,  il  faut  accorder 
aussi  à  leurs  commentaires  l'honneur  qu'ils  méritent  ;  on 
peut,  en  effet,  y  trouver  nombre  d'arguments  pour  repoosser 
les  interprétations  contraires  et  dénouer  les  plus  grandes 
difficultés. 

Mais  ce  qui  est  absolument  contre  toute  convenance  c'est 
que,  dans  l'ignorance  ou  par  le  dédain  des  travaux  excel- 
lents que  les  nôtres  ont  laissés  en  abondance,  on  préfère  les 
livres  des  hétérodoxes  et  qu'au  péril  instant  de  la  saine  doc- 
trine et  souvent  au  détriment  de  la  foi,  on- cherche  chez  eux 
l'explication  des  passages  où  se  sont  déjà  et  très  e:îiceilem- 
ment  exercés  l'esprit  et  le  labeur  des  catholiques.  Car,  bien 

(1)  De  Gen.  ad  litt.  1.  viii,  c,  7,  13. 


l'alcoolisme  525 

que  l'interprète  catholique  puisse  parfois,  en  en  usant  pru- 
demment, trouver  quelque  secours  dans  les  études  des  hété- 
rodoxes, qu'il  se  souvienne  pourtant,  d'après  de  nombreux 
témoignages  des  anciens  (1),  que  le  sens  incorruptible  des 
Saintes  Lettres  ne  se  trouve  jamais  en  dehors  de  l'Eglise,  et 
qu'il  ne  peut  être  donné  par  ceux  qui,  ignorants  de  la  vraie 
foi,  ne  vont  pas  jusqu'à  la  moelle  des  Ecritures,  mais  se 

bornent  à  en  ronger  l'écorce  (2). 

[A   suivre.) 


L'ALCOOLISME  (3) 

Un  économiste  a  jeté  naguère  ce  cri  d'alarme:  «  Nous  cher- 
chons desnoms  ambitieux  pour  notre  xix'  siècle.  Il  faut  l'appeler 
le  siècle  de  l'alcoolisme.  Cette  étiquette  expliquera  d'avance  les 
cataclysmes  de  toutes  sortes  dans  lesquels  il  pourrait  bien  finir.  > 

Les  statistiques  officielles  établissent  qu'en  moins  d'un  demi- 
siècle,  la  consommation  de  l'alcool  a  triplé  dans  notre  pays. 
Elle  dépasse  le  chiffre  annuel  d'un  million  et  demi  d'hectolitres. 
Le  nombre  des  débits  s'est  accru  dans  la  même  proportion,  et 
ils  sont  rarement  déserts.  Dés  le  matin,  ils  s'ouvrent  à  une 
clientèle  qui  .se  renouvelle  durant  le  cours  de  la  journée.  Le 
soir  surtout,  à  l'heure  oii  il  serait  si  bon  pour  les  ouvriers  de 
chercher  le  repos  du. foyer, domestique,  on  les  voit  s'enfermer 
da.ns  une  atmosphère  viciée  par  d'acres  parfums  et  absorber, 
sous  des  noms  vaiiés,  un  poison  qui  brûle  leur  sang,  éteint  leur 
intelligence  et  flétrit  leur  cœur. 

Ce  fléau  n'épargne  d'ailleurs  aucune  classe  de  la  société.  Il 
fait  plus  de  victimes  qu'on  ne  pense  parmi  ces  riches  désœuvrés 
dont  l'existence  s'écoule  dans  les  salons  d'un  cercle,  partagée 
entre  les  vains  propos  du  jour  et  les  malsaines  émotions  du  jeu  ; 
.«ceptiques  et  légers,  comment  ne  seraient-ils  pas  séduits  par 
un  vice  oii  les  pousse  le  goût  de  la  bonne  chère  et  du  plaisir? 
S'ils  s'arrêtent  sur  la  pente  qui  conduit  aux  derniers  excès,  ils 

(1)  Cfr.  Clem.  Alex.  Strom.  vu,  IG;  Orig  ;  de  princ.  iv.  8;  in 
Levit.  hom.  4,  8;  T(îrtull.  de  prœscr.  15,  seqq.\^.  Hilar.  Pict.  in 
Matth.  13,  1. 

(2i  S.  Greg.  M.  Moral,  xx,  9,  (a!.   11). 

(3)  Lettre  pastorale  de  S.  K.  le  cardinal  Thomas,  archevêque  de 
Rouen,  au  clergé  et  aux  fidèles  de  son  diocèse. 


526  ANNALES    CATHOLIQUES 

le  doivent  à  une  certaine  retenue  que  leur  impose  le  milieu 
social  oii  ils  vivent,  à  la  facilité  de  se  procurer  des  jouissances 
plus  raffinées,  peut-être  aux  conseils  d'une  prudence  naéprisable 
qui  les  avertit  de  jouir  avec  mesure,  afin  de  jouir  plus  long- 
temps. 

Mais  au  sein  des  classes  laborieuses,  oia  le  choix  des  plaisirs 
est  limité  par  l'exiguitè  des  ressources,  où  la  passion, afFranehie 
de  toute  contrainte,  revêt  une  forme  plus  sincéie  et  plus  bru- 
tale, l'alcoolisme  va  se  développant  avec  une  étrange  rapidité. 
Ce  (|u'il  cause  de  désordres,  ce  qu'il  engeudie  de  misères,  ce 
qu'il  accumule  de  ruines,  nous  l'avons  constaté  avec  douleur, 
et  nous  nous  proposons  de  le  dire  avec  franchise,  convaincu  que 
c'est  déjà  combattre  l'intempérance  que  de  montrer  les  maux 
dont  elle  est  la  source  pour  l'individu,  la  famille  et  la  société. 
Là  ne  se  borne  pas  notre  dessein.  Avant  nous,  les  économistes 
ont  étudié  l'horrible  plaie;  mais,  cédant  la  plupart  à  des  pré- 
jugés regrettables,  ils  n'ont  pas  su  voir,  ou  bien  ils  n'ont  pas 
osé  dire  les  vraies  causes  du  mal.  Nous  nous  efforcerons  de  les 
mettre  en  lumière  ;  car,  pour  les  maladies  morales  comme  pour 
les  maladies  physiques,  signaler  la  cause,  c'est  indiquer  le 
remède. 

I.  —  Effets  de  l'alcoolisme  sur  l'individu. 

La  grandeur  de  l'homme  est  indépendante  de  la  situation 
qu'il  occupe  ici-bas.  Dépouillez-le  de  cet  éclat  souvent  trompeur, 
toujours  fragile,  que  lui  prêtent  la  naissance,  la  fortune,  les 
honneurs  ;  réduisez-le  à  la  condition  d'un  artisan  obligé  de 
gagner  sa  vie,  en  remuant  la  terre,  en  portant  de  lourds  far- 
deaux, en  rompant  ses  membres  aux  durs  labeurs  d'un  métier 
mécanique;  si  petit,  si  pauvre  que  vous  le  fassiez,  pourvu  qu'il 
soit  un  homme  digne  de  ce  nom,  il  v  a  sur  son  visage  un  reflet 
d'honneur  que  rien  ne  peut  voiler,  dans  son  regard  une  lumière 
et  une  flamme  que  rien  ne  peut  éteindre,  dans  son  attitude  une 
noblesse  que  rien  ne  peut  abaisser.  Les  misères  de  son  exis 
lence  ne  font  pas  oublier  la  dignité  «le  sa  nature.  Ce  sont  là,  dit 
Pascal,  misères  de  grand  seigneur,  miî^éres  de  roi  dépossédé. 

Visitez  un  de  ces  vastes  ateliers  où  l'on  travaille  la  soie,  le 
coton,  la  laine,  le  bois,  les  métaux  ;  et  voyez  avec  quelle  aisance 
royale  se  meut  le  plus  humble  ouvrier  au  milieu  de  la  dévo- 
rante activité  des  puissantes  machines  et  de  l'inextricable  enche- 
vêtrement des  rouages,  des  courroies,  des  moteurs  de  toutes 


J 


l'alcoolisme  527 

formes  et  de  toutes  dimensions.  II  commande,  et  la  force  aveugle 
lui  obéit.  Il  la  tient  sous  sa  main,  il  la  met  en  mouvement,  il 
l'excite,  la  modère,  l'arrête  quand  il  lui  plaît.  Toute  cette  matière 
(]ui  est  là,  informe  et  inerte,  il  la  façonne  à  son  gré,  il  lui 
imprime  le  sceau  de  son  intelligence,  et  les  merveilles  de  l'art 
et  de  l'industrie  éclosent  riches  et  variées,  comme  les  lleurs  de 
nos  prairies  sous  les  rayons  du  soleil. 

Il  y  a  dans  l'homme  une  autre  souveraineté  qui  fait  sa  vraie 
grandeur,  sa  force  et  sa  gloire,  en  même  temps  que  le  péril  de 
son  existence,  c'est  la  liberté.  «  L'homme  dit  l'Ecriture,  est 
dans  la  main  de  son  conseil.  Devant  lui  sont  la  vie  et  la  mort, 
le  bien  et  le  mal.  11  lui  sera  donné  ce  qu'il  aura  choisi.  >  Dans 
l'exercice  de  cette  souveraineté,  l'homme  du  peuple  est  l'égal 
des  plus  grands  par  la  fortune,  la  science  et  le  génie.  Comme 
eux,  il  est  roi  d'une  âme  immortelle;  il  est  maître  de  ses  actes 
et  ne  relève  que  de  Dieu. 

Or,  toute  cette  grandeur  s'écroule  quand  il  devient  l'esclave 
d'une  avilissante  passion,  l'intempérance. 

La  première  ruine  est  celle  de  l'intelligence  qui  se  trouble  et 
s'obscurcit.  Les  idées  se  pressent  et  se  heurtent,  bizarres,  inco- 
hérentes. Le  désordre  de  la  parole  trahit  celui  de  la  pensée.  On 
dirait  un  instrument  dont  toutes  les  cordes,  mêlées  et  confon- 
dues, jettent  au  hasard  des  notes  sans  harmonie.  L'esprit  se 
faiigue  par  l'eflort  qu'il  fait  pour  reprendre  possession  de  lui- 
même,  et  lorsque  les  fumées  de  l'ivresse  sont  dissipées,  il  reste 
affaibli.  A  cette  faiblesse,  accrue  par  des  excès  souvent  renou- 
velés, succède  une  pesante  torpeur,  un  engourdissement  général 
des  facultés  et  des  organes.  L'alcoolique  devient  alors  silen- 
cieux, et,  durant  de  longues  heures,  il  se  tient  dans  une  immo- 
bilité morne.  Rien  de  ce  qui  se  passe  autour  de  lui  ne  l'intéresse 
ni  ne  l'émeut.  11  ne  se  souvient  plus,  il  ne  pense  plus;  il  vit 
cependant,  mais  d'une  vie   inconsciente  et  presque  machinale. 

En  effet,  cet  homme  n'est  plus  libre.  De  ses  goûts  dépravés, 
est  née  la  passion,  et  la  passion  a  tué  en  lui  la  liberté.  Ce  n'est 
même  plus  l'attrait  du  plaisir  qui  le  pousse  aux  folies  de  l'intem- 
pérance, mais  la  tyrannie  de  l'habitude.  Plus  de  sentiments 
d'honneur,  plus  de  respect  de  soi,  plus  de  sens  moral;  aucune 
honte  ne  l'effrave,  aucune  infamie  ne  lui  répugne.  11  n'a  regret 
ni  du  mal  qu'il  se  fait  à  lui-même,  ni  du  mal  qu'il  fait  aux 
autres  ;  et  pour  échapper  aux  suites  de  ses  actes,  il  en  vient  jus- 
qu'à invoquer  son  irresponsabilité.   Elle  n'est,  hélas!  que   trop 


528  ANNALES    CATHOLIQUES 

réelle.  Dans  l'effondrement  de  son  être  moral,  la  conscience  a 
été  étouffée,  aussi  bien  que  l'intelligence  et  la  liberté. 

L'homme  animal  survit  seul,  et  dans  quel  état,  grand  Dieu  ! 
Les  tissus,  les  muscles,  les  nerfs,  le  sang,  le  cœur,  le  cerveau, 
tout  a  été  attaqué,  brûlé  par  le  mortel  poison.  La  voix  devient 
sourde  et  indistincte,  le  visage  s'altère,  le  regard  prend  une 
expression  farouche  et  bestiale.  D'effrayants  symptômes  révèlent 
au  dehors  la  décomposition  qui  s'opère  au  dedans.  Ce  malheu- 
reux éprouve  dans  tous  ses  membres  des  tremblements  convul- 
sifs.  C'est  la  paralysie  qui  commence  et  qui  va  désormais 
l'étreindre  et  le  torturer.  Les  sens,  non  Sdulement  émoussés, 
mais  pervertis,  ne  sont  plus  les  serviteurs  dociles  de  l'âme,  mais 
ses  bourreaux.  L'œil  lui  apporte  de  sombres  images,  de  san- 
glantes visions  ;  l'oreille  des  rumeurs  sinistres,  des  bruits  mena- 
çants. En  proie  à  d'inexplicables  terreurs,  il  pleure,  il  se  plaint, 
il  implore  secours  contre  des  ennemis  invisibles.  Tantôt  il  tombe 
dans  un  anéantissement  voisin  de  la  mort;  tantôt  l'eff'roi  et  la 
colère  le  jettent  en  des  crises  furieuses  oii  ses  forces  achèvent 
de  s'épuiser.  Sa  vie  n'est  plus  qu'une  lente  et  cruelle  agonie  qui 
inspire  le  dégoût  autant  que  la  pitié. 

Précipité  dans  cet  abîme  de  honte  et  de  misères,  le  trriste 
vaincu  de  l'alcoolisme  y  entraîne  avec  lui  sa  famille. 

II.  —  Effets  de  l'alcoolisme  dans  la  famille. 

Qui  n'aime  à  contempler  l'intérieur  d'un  ménage  ouvrier  oii, 
avec  la  religion,  régnent  le  travail,  l'ordre  et  l'économie?  Le 
logis  est  modeste  ;  mais  la  propreté  l'embellit,  et  des  soins  ingé- 
nieux, de  naïves  industries  lui  donnent  un  aspect  agréable.  Sur 
les  murs,  un  crucifix,  surmonté  de  la  branche  de  buis  bénit, 
occupe  la  place  d'honneur,  au  milieu  des  chers  souvenirs  gardés 
comme  de  saintes  reliques.  La  femme  et  les  enfants  sont  décem- 
ment vêtus;  la  table  est  frugale,  mais  saine  et  suffisante;  tout 
respire  l'honnêteté  et  la  paix.  Point  de  propos  violents,  de 
plaintes  amères,  de  récriminations  jalouses.  Le  travail  accepté 
avec  courage,  n'assure  pas  seulement  le  pain,  il  entretient  aussi 
la  gaieté,  et,  sous  le  plafond  jauni,  on  entend  des  voix  joyeuses, 
plus  souvent  que  dans  la  maison  du  riche.  Vo3-ez  cette  femme 
dont  les  devoirs  sont  austères  et  les  plaisirs  si  rares,  elle  est 
heureuse  dans  son  étroit  et  pacifique  royaume.  L'ennui,  ce  mau- 
vais conseiller   des  classes  opulentes,   n'a  jamais   troublé  son 


l'alcoolisme  529 

cœur.  Si  nombreux  sont  ses  travaux,  que  les  heures  lui  semblent 
trop  rapides.  Du  reste,  tout  n'est  pas  petit  dans  la  vie  de  cette 
femme,  puisqu'elle  est  raére  et  qu'elle  élève  ses  enfants.  Elle 
forme  leurs  lèvres  à  la  prière,  elle  veille  sur  les  progrès  de  le«r 
instruction,  elle  provoque  et  encourage  leurs  efforts.  Par  ses 
soins,  la  vie  morale  se  développe,  en  même  temps  que  la  vie 
physique,  et  le  sentiment  du  devoir  s'enracine  dans  ces  jeunes 
âmes  avec  les  saintes  affections  de  la  famille. 

Comment  songer  sans  admiration  que  tout  ce  bonheur  repose 
sur  le  dévouement  d'un  ouvrier?  Ce  vaillant,  aux  membres 
robustes,  si  ardent,  on  pourrait  dire  si  terrible  au  travail,  si 
bon  et  si  doux  à  la  maison,  c'est  lui  la  providence  visible  du 
foyer.  Dès  la  première  heure  du  jour,  il  va  aux  labeurs  de 
l'usine  ou  des  champs,  et,  sans  se  lasser. ni  se  plaindre,  il  pro- 
digue ses  forces  pour  subvenir  à  tous  les  besoins  de  la  famille. 
Point  de  chômages  volontaires  ;  il  ne  connaît  d'autres  repos  que 
le  bienfaisant  repos  du  dimanche,  d'autres  plaisirs  que  ceux  qu'il 
partage  avec  les  siens.  Viennent  les  temps  mauvais,  on  le  verra 
grandir  par  l'épreuve  et  puiser  dans  sa  foi  l'inspiration  de  ces 
obscurs  sacrifices  qui  s'élèvent  parfois  jusqu'à  l'héroïsme. 

0  foyer  de  l'ouvi'ier  chrétien,  je  te  salue  avec  respect  ;  car 
dans  les  générations  formées  à  ton  école,  l'Eglise  recrute  de 
vaillants  apôtres,  la  patrie,  de  bons  citoyens,  et,  à  l'heure  du 
péril,  d'intrépides  soldats. 

Quel  contraste  offre  le  ménage  ouvrier  atteint  par  l'alcoo- 
lisme. Dans  le  logement  qui  lui  sert  de  refuge,  partout  la  confu- 
sion et  le  désordre;  les  rayons  mêmes  du  soleil  ne  peuvent 
égayer  la  nudité  des  murs  noircis,  ni  l'aspect  lamentable  des 
meubles  brisés  et  sordides.  L'àtre  sans  feu,  la  femme  et  les 
enfants  à  peine  couverts  de  vêtements  en  lambeaux,  les  visages 
dévastés  et  Hétris  :  tout  atteste  que  la  misère  livide  et  affamée  a 
établi  là  son  repaire.  Cette  famille  de  travailleurs  lui  a  été  livrée 
par  l'alcoolisme.  Il  est  venu  lui-même,  comme  vient  tout  ce  qui 
est  mauvais,  cachant  sous  un  voile  menteur  sa  face  hideuse, 
dissimulant  sous  des  apparences  de  plaisir  le  long  cortège  de 
maux  qu'il  traîne  après  lui.  Avec  des  habitudes  d'intempérance, 
le  désordre  est  entré  dans  la  maison  de  l'ouvrier,  et,  avec  le 
désordre  la  gêne. 

Pour  refaire  l'équilibre  de  son  budget,  il  lui  faudrait  redoubler 
d'activité,  mais  ses  membres,  mous  et  paresseux,  se  refusent 
au  travail.  S'il  consent  à  reprendre  le  chemin  de  l'atelier,  c'est 


530  ANNALES    CATHOLIQUES 

par  caprice  et  dans  le  but  de  s'assurer  les  moyens  de  satisfaire 
sa  passion.  Hôte  assidu  des  débits  d'alcools,  il  est  comme  un 
étranger  sous  son  propre  toit,  et,  par  une  coupable  inconscience 
de  ses  devoirs  les  plus  sacrés,  il  laisse  à  sa  femme  toutes  les 
charges.  Elle  est  donc  obligée,  à  son  tour,  d'abandonner  le 
foyer  et  de  s'en  aller  au  dehors  chercher  du  travail,  affrontant 
les  rebuts  les  plus  humiliants.  Et  quand  elle  rentre  le  soir,  il 
lui  faut  trop  souvent  défendre  contre  d'insatiables  exigences  le 
morceau  de  pain  gagné  pour  elle  et  ses  enfants.  Faut-il  s'éton- 
ner si  elle  succombe  aux  privations  et  au  chagrin,  ou  bien  si, 
courbant  le  front  sous  une  inexorable  destinée,  elle  envie  à  son 
mari  ses  ignominieuses  jouissances  et,  comme  lui,  demande  à 
l'ivresse  l'oubli  de  ses  maux  !  Ce  que  devient  un  ménage  oii 
l'homme  et  la  femme  se  livrent  tous  deux  à  l'intempérance,  il 
n'est  que  trop  aisé  de  le  concevoir.  On  y  vit  d'expédients;  on 
vend,  à  vil  prix,  tout  ce  qui  peut  se  vendre  ;  et  quand  cette  der- 
nière ressource  est  tarie,  on  tend  la  main.  Dès  lors,  à  l'affection 
disparue  succède  un  mutuel  mépris,  aux  angoisses  de  la  misère 
s'ajoutent  les  infamies  de  la  débauche.  Un  désordre  innom- 
mable envahit  et  souille  le  foyer. 

Et  les  enfants  grandissent  dans  ce  milieu  abject!  Pauvres 
enfants  !  ils  ont  un  père  et  une  mère,  et  ils  sont  plus  abandonnés 
que  s'ils  étaient  orphelins.  Jamais  pour  eux  ni  douces  par<iles, 
ni  reproches  affectueux;  mais  des  propos  grossiers  qui  salissent 
leur  esprit,  et  des  violences  qui  aigrissent  leur  cœur.  Dans  leur 
âme  comme  dans  un  champ  délaissé,  les  bons  sentiments  se 
dessèchent  et  meurent,  les  instincts  pervers  croissent  en  toute 
liberté.  Quand  on  les  interroge,  on  est  également  effrayé  de  ce 
qu'ils  savent  et  de  ce  qu'ils  ignorent.  Nulle  tendresse  ne  les 
retenant  au  foyer,  ils  vagabondent  à  l'aventure  et  ils  appren- 
nent, en  désertant  l'école,  à  déseiter  un  jour  l'atelier.  Témoins 
et  victimes  des  vices  de  leurs  parents,  ils  en  méprisent  l'auto- 
rité; et  comme  ils  sont  sans  respect,  ils  sont  aussi  sans  amour. 
Déjà  ils  se  font  craindre  par  leur  audace  précoce.  Soyez  sûrs  que, 
plus  lard,  leurs  habitudes  de  paresse  et  de  révolte  aggraveront 
la  crise  redoutable  qu'à  l'heure   présente  traverse  la  société. 

(A  suivre.) 


i 


I.A   LIBKRTK  d'aSSOCIATION  531 


LA    LIBERTE  D'ASSOCIATION 

La  liberté,  telle  que  je  l'entends,  qu'elle  s'applique  aux  droits 
de  la  conscience  ou  de  la  parole,  aux  droits  individuels  ou  poli- 
tiques, cette  liberté  fortement  pondérée  sans  laquelle  les  plus 
puissantes  nations  ne  tardent  pas  à  dépérir,  ne  saurait  trouver 
une  garantie  plus  efficace  que  la  pratique  de  l'association.  Celle- 
ci  seule  permet  aux  citoyens  d'être  indépendants,  de  résister  à 
l'inprérence  tracassiére  de  l'Etat,  à  ses  confiscations  plus  ou 
moins  déguisées. 

De  plus,  l'ordre  et  le  respect  de  l'autorité,  sans  lesquels  la 
liberté  n'est  que  licence,  trouveront  dans  cette  pratique  leur 
plus  ferme  appui.  Plus  les  associations  seront  nombreuses, 
variées  et  prospères,  plus  elles  auront  pénétré  dans  les  mœurs 
du  pays,  et  plus  elles  consolideront  les  sables  mouvants  de  la 
démocratie  en  fortifiant  dans  sa  base  l'édifice  social! 

La  minorité  conservatrice  de  la  nouvelle  Chambre  verra  dans 
la  liberté  d'association  un  nio^'en  efficace  de  défense  entre  les 
mains  d'une  opposition  qui  vient  de  ressentir  tout  le  poids  de  la 
puissance  administrative  exercée  par  des  adversaires  sans  scru- 
pules. Mais  elle  doit  la  réclamer  non  moins  instamment  en  vue 
du  jour  où  ses  chefs  seront  appelés  à  leur  tour  au  pouvoir.  Un 
gouvernement  siir  de  lui-même,  ferme  et  prévoyant,  doit  être 
le  partisan  le  plus  convaincu  de  la  liberté  d'association.  Il  sait, 
en  effet,  qu'il  ne  peut  s'appuyer  avec  sécurité  que  sur  ce  qui 
résiste.  Les  associations  qui  se  produisent  au  grand  jour,  qui 
assurent  à  leurs  membres  des  avantages  incontestables,  ne  sau- 
raient être  des  éléments  de  révolution.  Elles  s'intéressent  de 
plus  en  plus  au  maintien  de  l'ordre  de  choses  existant,  et  for- 
ment peu  à  peu  autour  de  ses  fondations  de  solides  assises.  La 
pratique  sincère  de  cette  liberté  est  la  gymnastique  la  plus 
uécessaire  pour  développer  l'esprit  politique  en  Frante,  pour 
combattre  l'apathie  de  ceux  qui,attendanttoutdugouverneBJeDt, 
ne  font  rien  pour  l'aider  dans  sa  tâche. 

Pénétrés  de  cette  pensée,  les  conservateurs,  le  jour  où  ils 
seraient  au  pouvoir  et  pourraient,  par  conséquent,  veiller  au 
respect  de  la  loi,  ne  déviaient  pas  s'attacher  à  des  restrictions 
puériles,  vexatoires,  et  de  plus  inefficaces.  Les  lieux  de  réunion 
eux-mêmes,  fort  improprement  appelées  Bourses  du  travail,  ne 
devraient  pas  être,  en   principe,  malgré  les  abus  scandaleux 


532  ANNAI.BS    CATHOLIQUES 

dont  ils  ont  été  l'occasion,  l'objet  de  l'aniraadversion  des  con- 
^BTTateurs.  On  a  le  droit  de  protester,  au  nom  des  contribuables, 
«outre  leur  édification  et  surtout  contre  leur  dispendieux  entre- 
tien aux  frais  de  nos  grandes  municipalités  urbaines,  mais  uni- 
quement parce  qu'ils  ont  été  détournés  de  leur  première  desti- 
nation, qui  peut  parfaitement  rentrer  dans  les  attributions  de 
l'édilité  moderne.  Mais  si  les  syndicats  ne  profitent  pas  de  la 
coupable  connivence  de  ces  municipalités  pour  chercher  à  op- 
primer le  marché  du  travail,  pour  porter  atteinte,  par  la  sup- 
pression indirecte  des  bureaux  de  placement,  à  cette  liberté  du 
travail  que  l'on  considère  comme  l'une  des  plus  précieuses  con- 
quêtes de  la  Révolution  de  1789,  s'ils  ne  visaient  pas  à  rétablir, 
sous  un  vocable  nouveau,  le  monopole,  définitivement  condamné,  '. 
des  anciennes  corporations  fermées,  il  faudrait  les  voir  sans 
crainte,  et  même  avec  plaisir,  se  constituer  un  local  commun 
dans  lequel  leurs  opérations  et  leurs  délibérations  se  poursui- 
vraient au  grand  jour,  pourvu  qu'il  fiît  impartialement  ouvert 
à  tous  les  ouvriers  syndiqués  ou  non  syndiqués,  et  qui  se 
trouverait  tout  naturellement  placé  sous  la  surveillance  du 
gouvernement. 

Mais  les  associations  ne  peuvent  jouer  un  rôle  utile  dans 
notre  organisation  politique  et  sociale  que  si  elles  ne  sont  pas 
soumises  au  bon  plaisir  du  pouvoir.  C'est  pour  cela  que  je  vou- 
drais les  voir  libres,  et  que  je  ne  puis  me  défendre  d'une  véri- 
table tristesse  à  la  pensée  que  la  France  a  déjà  dépassé  le 
centenaire  de  1789,  et  qu'elle  n'a  encore  pu  ou  voulu  acquérir 
une  liberté  aussi  nécessaire.  Et  il  est  'permis  de  croire  que,  si 
les  conservateurs  avaient  réclamé  et  pratiqué  cette  liberté,  c'est 
à  eux  et  non  à  leurs  adversaires  politiques  qu'il  aurait  appartenu 
de  présider  à  la  célébration  de  ce  centenaire. 

Pour  être  vraiment  féconde,  il  faïut  que  la  liberté  d'associa- 
tion puisse  s'appliquer  également  à  tout  objet  qui  n'est  pas  par 
lui-même  contraire  aux  lois  civiles  ou  criminelles.  Il  faut  que 
les  intérêts  moraux  et  matériels,  d'ordres  les  plus  divers,  puis- 
sent s'associer  librement,  que  les  chrétiens  et  les  philosophes, 
comme  les  savants  et  les  littérateurs,  que  les  commerçants  et 
les  industriels,  aussi  bien  que  les  ouvriers  et  les  agr"ieulteurs 
aient  le  droit  de  demander  à  l'association  des  moyens  de  défense 
et  d'action.  Elle  doit  avoir  pour  but  la  formation  d'une  personne 
civile  qui  groupe  leurs  forces,  agisse  en  leur  nom,  et  se  substitué 
à  des  individus  isolés  pour  assurer  à  chacun  les  avantages  qui 
ne  se  p«dvent  acquérir  que  par  la  durée  et  la  tradition. 


LA  NEUTRALITÉ  SCOLAIRE  533 

Aussi,  au  lieu  de  combattre  la  loi  de  1884,  qui  a  permis  aux 
syndicats  de  se  constituer,  faut-il  s'efforcer  de  l'améliorer  et  de 
la  compléter.  Vouloir  supprimer  les  syndicats  ouvriers  est  une 
entreprise  absurde  et  impossible.  N'oublions  pas  que  cette  même 
loi  a  fait  naître  le  grand  mouvement  qui  a  couvert  nos  campa- 
gnes de  syndicats  agricoles  :  institutions  admirables  qui  rap- 
prochent toutes  les  classes,  confondent  leurs  intérêts  et  leur 
sont  d'un  puissant  secours  au  milieu  de  la  crise  actuelle.  Il  faut 
à  tout  prix  les  conserver  et  les  développer.  Sans  doute  Tindus- 
trie  n'offre  pas  les  mêmes  occasions  que  l'agriculture  pour  opérer 
ces  rapprochements.  Mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  contester 
aux  ouvriers  le  droit  de  s'associer  afin  de  défendre  leurs  intérêts. 

Nous  devons  donc  réclamer  pour  tous  les  citoyens  le  droit  de 
former  des  associations  ayant  un  but  légitime,  sans  aucune 
autorisation  préalable  et  sans  que  ces  associations  puissent  être 
dissoutes  autrement  qu'en  vertu  d'un  jugement  motivé  par  une 
violation  de  la  loi.  Elles  doivent  jouir  de  la  plus  grande  liberté 
possible:  elles  doivent  pouvoir  correspondre  entre  elles  et  s'unir 
pour  une  action  commune,  recevoir  dans  leur  sein  toute  per- 
sonne majeure  qu'un  jugement  n'a  pas  frappée  d'indignité,  pos- 
séder des  valeur^!  mobilières  et  certains  biens  fonds,  les  recevoir 
par  donations  ou  testaments,  ester  en  justice;  en  un  mot, 
acquérir  la  personnalité  civile  sous  des  conditions  très  larges 
et  excluant  tout  arbitraire  (1). 

PHILIPPE,  Comte  de  Paris. 


LA  NEUTRALITE  SCOLAIRE 
Les  francs-maçons  et  tous  ceux  qui  travaillent,  parlent,  écri- 
vent sous  leurs  ordres,  ont  décidé  et  juré  que  toute  religion 
devait  disparaître  de  ce  monde. 

La  première  chose  à  faire  pour  en  arriver  là,  c'est  assurément 
d'empêcher  que  les  enfants  et  les  jeunes  gens  prennent  l'habi- 
tude des  pratiques  de  la  religion,  et  même  connaissent  la  reli- 
gion. —  Comment  les  empêcher  de  devenir  chrétiens  ?  C'est  bien 
simple,  se  sont-ils  dit:  qu'à  l'école  ces  enfants  n'entendent  plus 
parler  de  religion,  qu'ils  n'aperçoivent  jamais  un  signe,  un  em- 

(1)  Extrait  de  la  brochure  :  Une  liberté  nécessaire  :  le  droit  à 
l'association^ 


534  ANNALES   CATMOLIQUKS 

blèrae  quelconque  de  religion,  et  ce  sera  bientôt  fait.  C'est  pour 
en  arriver  là  qu'on  a  inventé  l'Ecole  neutre. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  cela,  une  Ecole  neutre?  C'est  une 
école  oii  il  ne  peut  y  avoir  ni  un  crucifix,  ni  une  image  de  la 
sainte  Vierge,  ni  un  bénitier.  C'est  une  école  dans  laquelle  les 
mots  :  Dieu,  la  sainte  Vierge,  ne  peuvent  pas  être  prononcés  une 
seule  fois  ni  par  les  élèves,  ni  par  les  maîtres.  C'est  une  école, 
enfin,  oii  l'on  travaille,  oii  l'on  parle,  comnie  si  la  religion  n'exis- 
tait pas,  comme  si  Dieu  n'existait  pas. 

Quand  les  francs-maçons  et  leurs  sujets  ont  voté  les  lois  qui 
font  les  écoles  neutres,  les  braves  gens  leur  ont  dit  :  «  Mais, 
qu'est-ce  que  vous  faites  dortclà?Nous  tenons  à  la  religion  pour 
nos  enfants  comme  pour  nous  ;  nous  ne  voulons  pas  de  ces  écoles 
où  l'on  ne  peut  même  pas  prononcer  le  nom  de  Dieu  ».  Et  nos 
députés,  nos  sénateurs,  nos  préfets,  ont  répondu  aux  braves 
gens  :  «  La  religion  !  mais  nous  y  tenons  autant  que  vous  !  Seu- 
lement, vous  comprenez  :  les  écoles  des  communes  sont  pour 
tout  le  monde.  S'il  y  a  des  familles  qui  n'ont  pas  de  religion  et 
qui  ne  veulent  pas  de  religion  pour  leurs  enfants,  on  ne  peut 
pas  la  leur  donner  de  force.  C'est  pour  cela  qu'on  ne  parlera 
pas  de  religion  à  l'école,  que  personne  n'y  fera  jamais  même  un 
signe  de  croix  ;  c'est  par  égard  pour  ceux  qui  n'ont  pas  de  reli- 
gion. » 

Et  nous  répondons  à  ces  hommes  politiques  et  à  ces  adminis- 
trateurs hypocrites  ;  «  Quand  il  y  a  cent  mille  personnes  d'un 
côté  et  mille  de  l'autre,  on  ne  fait  pas  des  lois  pour  ce  millier, 
mais  pour  les  cent  mille.  On  fait  des  lois  pour  la  majorité,  et 
non  pas  pour  des  exceptions.  Or,  la  majorité  des  familles  veut 
la  religion  pour  les  enfants.  Cela  est  absolument  vrai,  puisque 
partout,  même  dans  les  départements  oii  il  y  a  le  moins  de  vrais 
chrétiens,  les  écoles  libres  et  chrétiennes  ont  plus  d'élèves  que 
les  écoles  communales,  et  toujours,  au  moins,  plus  d'élèves 
(ju'elles  n'en  peuvent  contenir. 

«  Votre  loi  est  faite  pour  le  petit  nombre,  pour  lo  toat  petit, 
nombre  ;  par  cela  seul,  elle  est  donc  injuste. 

«  Vous  dites  encore  :  «  Il  faut  penser  à  ceux  qui  n'ont  pas  de 
religion.  »  Et  je  vous  dis  :  «  Soit.  Mais  il  faut  penser  aussi  aux 
catholiques  qui  veulent  pratiquer  leur'  religion.  »  Il  y  a  en 
France,  dit-on,  trente  mille  sourds-muets,  et  à  peu  près  autant 
d'aveugles  dés  leur  naissance,  ou  dés  leur  bas  âge;  en  tout, 
soixante  mille  sur  trente-cinq  millions.   Ces  sourds-muets  ne 


UN   VAILLANT  PORTE-CROIX  K  LADZERTE  535 

peuvent  être  instruits  que  par  des  signes  inventés  tout  exprès 
pour  eux.  ?]st-ce  qu'on  dira  :  Il  ne  faut  plus  instruire  que  par 
des  signes  les  enfants  qui  ont  de  bonnes  oreilles;  vous  compre- 
nez :  il  peut  y  avoir  un  jour  un  sourd-muet  dans  la  commune, 
et  il  faut  bien  penser  à  lui.  Pour  les  jeunes  aveugles,  on  a  inventé 
l'alphabet  en  relief  :  ils  suivent  les  lettres  avec  le  doigt.  ?]st-ce 
qu'on  dira  :  Désormais,  tous  les  alphabets  seront  en  relief  ;  vous 
comprenez  :  il  pourrait  y  avoir  un  enfant  aveugle  dans  la  com- 
mune. Faisons  donc  comme  si  tous  les  enfants  étaient  aveugles. 

[Revue  d'Annecy.) 


UN  VAILLANT  PORTE-CROIX  A  LAUZERTE 

{Histoire  vraie.) 

I 

C'était  sous  la  Restauration,  et  le  jour  du  Jeudi-Saint.  En 
quelle  année?  je  l'ignore.  Les  chroniqueurs  ne  le  disent  pas. 
D'ailleurs,  la  chose  importe  peu.  La  religion  était,  comme  la 
royauté,  revenue  de  son  exil,  et  de  cette  époque  tournée  provi- 
dentiellement vers  Dieu,  on  pourrait  répéter  aujourd'hui  la 
parole  du  poète  : 

«  Et  quel  temps  fat  jamais  plus  fertile  en  miracles  !  » 
*     On  ne  craignait  pas  d'affirmer  sa  foi,  et  dans  les  rangs  de  la 
société  profondément  christianisée,  il  y  avait  une  sainte  rivalité 
pour  la  manifester. 

C'était  donc  le  Jeudi-Saint.  La  cérémonie  du  matin  avait  eu 
lieu,  en  grande  pompe,  dans  l'église  de  Saint-Barthélémy.  Au 
Gloria,  suivant  l'usage,  les  cloches,  dans  une  joyeuse  envolée, 
étaient  parties  pour  Rome,  à  la  grande  joie  des  clercs  qui 
avaient  agité  la  clochette  de  l'autel  avec  une  pieuse  frénésie,  et 
des  carillonneurs  qui  allaient  pouvoir  se  reposer  pendant  trois 
jours. 

Durant  ces  trois  jours,  en  eflet,  c'était  le  tambour  qui  devait 
f^ervir  de  moniteur  religieux  et  convoquer  les  lidéles  aux  offices. 
Cn  vieux  soldat  balafré  qui  avait  fait  les  campagnes  de  l'Em- 
pire, était  payé  par  la  fabiique  iiour  faire  le  tour  de  la  ville,  et 
annoncer  par  un  roulement  spécial  les  cérémonies  chrétiennes. 

Ailleurs,  c'est  la  crécelle  qui  appelle  à  l'église.  Là,  aujour- 
d'hui comme  autrefois,  c'est  le  tambour.   Or,   le    premier  appe 


536  ANNALES    CATHOLIQUES 

avait  été  roulé  à  1  heure  de  l'aprés-raidi  pour  les  Ténèbres  du 
soir  qni  devaient  commencer  à  3  heures. 

Les  enfants,  en  assez  grand  nombre  —  cet  âge  aime  les  spec- 
tacles nouveaux  —  avaient  suivi  le  vieux  soldat  qui  s'acquittait 
de  son  rôle  avec  une  gravité  parfaite,  et  faisaient  aux  boules 
devant  la  porte  de  l'église,  en  attendant  l'appel  de  2  heures  qui 
leur  promettait  une  nouvelle  promenade  à  travers  les  rues. 

Sur  ces  entrefaites,  un  cavalier  et  un  piéton  venant  de  Beau- 
caire,  petit  village  voisin,  montaient  doucement  la  côte  qui  con- 
duit à  la  ville. 

La  journée  était  belle;  mais  le  chemin  était  pierreux  et  la 
montée  un  peu  raide.  On  montait  à  petits  pas  et  l'on  causait  de 
la  fête  du  jour. 

Le  cavalier  était  un  gentilhomme,  le  piéton,  un  paysan.  Le 
premier  s'appelait  le  marquis  de  Beaucaire,  seigneur  de  Mon- 
barla  et  de  Pechperon^  et  le  second  n'avait  pas  de  nom  connu; 
c'était  Pierre  tout  court,  un  serviteur  du  marquis. 

Il  avait  fait  des  économies,  s'était  marié,  et  cultivait  pour  son 
compte  quelques  arpents  déterre,  non  loin  du  château  de  «on 
seigneur  avec  lequel,  d'ailleurs,  il  était  resté  dans  les  meilleurs 
termes. 

C'était  un  robuste  gaillard  qui  dépassait  la  trentaine.  Le 
marquis  comptait  quelques  années  de  plus.  Tous  les  deux  étaient 
bons  chrétiens,  et  de  plus,  membres  dépuis  quelque  toinips  dé  la 
Confrérie  des  Pénitents-Bleus  d«»  Lauzerte. 

■ —  Vous  allez  donc  à  la  procession,  M.  le  marquis,  dit  Pierre 
à  son  ancien  maître,  au  moment  oii  celui-ci  semblait'  presser 
son  cheval  pour  prendre  les  devants. 

—  Oui,  avait  répondu  le  marquis,  et  même  aujoard*hui,  je 
veux  poser  ma  candidature  pour  porter  le  Christ,  pieds  nus, 
comme  c'est  la  coutume. 

—  Eh  bien!  bonne  chance,  je  vous  souhaite  de  réussir,  avait 
ajouté  le  paysan,  mais  vous  aurez,  je  crois,  de  rudes  concur- 
rents. 

—  Nous  verrons,  et  sur  ce,  notre  gentilhomme  avait  piqué 
des  deux  pour  arriver  assez  tôt  à  la  cérémonie,  car  l'écho  avait 
apporté  à  son  oreille  le  bruitdu  tambour  battant  le  second  rap- 
pel. 

Il  faut  savoir  qu'il  j  avait  depuis  un  temps  immémorial  à 
Lauzerte,  une  confrérie  de  Pénitents-Bleus  que  la  Révolution 
avait  dispersée,  mais  qui,  après  le  Concordat,  s'était  reformée 


1 


UN  VAILLANT  PORTK-CROIX  A  LAUZERTE  537 

sur  des  bases  nouvelles  et  qui,  depuis  la  Restauration,  marchait 
à  merveille. 

Elle  avait  pour  patron  saint  Jérôme,  et  c'est  avec  une  solen- 
nité particulière  qu'elle  en  célébrait  la  fête  chaque  année.  Elle 
comprenait  dans  son  sein  des  nobles  et  des  bourgeois,  des  ou- 
vriers et  des  paysans.  Il  suffisait  pour  en  faire  partie  d'avoir 
une  conduite  régulière,  une  attitude  chrétienne  à  l'église,  aux 
enterrements,  aux  processions,  et  de  mourir  dans  le  sac  bleu  du 
Pénitent.  Ce  sac  couronné  par  un  capuchon  qui  n'avait  que 
deux  petites  ouvertures  rondes  pour  les  yeux,  était  une  vérita- 
ble curiosité  pour  les  enfants  et  les  femmes. 

Aussi,  quand  la  Confrérie  sortait  pour  la  sépulture  de  l'un  de 
ses  membres,  allait  loin  dans  la  campagne  pour  chercher  le 
mort,  et  revenait  en  chantant  le  Miserere  sur  un  ton  plaintif  et 
lugubre,  à  travers  les  chemins  rocailleux,  toute  la  ville  était 
sur  pied  pour  jouir  du  spectacle.  Je  me  hâte  de  dire  que  ce 
spectacle  avait  quelque  chose  de  grandiose  et  de  saisissant,  à 
condition  pourtant  • —  ce  qui,  disent  les  mauvaises  langues, 
arrivait  quelquefois  — que  dans  le  cortège  des  Pénitents-£^ews, 
il  n'y  en  eût  pas  quelques-uns  qui  fussent  —  le  dirai-je?  — 
légèrement  gris. 

Il  fallait  parfois  faire  cinq,  six,  huit  kilomètres  dans  les  envi- 
rons pour  aller  chercher  le  confrère  défunt,  et  puis  le  porter  à 
l'église  et  de  là  au  cimetière.  A  la  maison  mortuaire,  on  avait 
la  charitable  habitude  de  donner  du  vin  aux  porteurs,  aux 
chantres,  à  tous  ceux  qui  voulaient  reprendre  haleine,  et  dame  î 
il  pouvait  bien  se  faire  que  quelques-uns  trahis  par  le  jus  de  la 
treille,  devinssent  plus  gais  qu'il  ne  l'aurait  fallu  en  pareille 
occurrence. 

Ils  n'en  chantaient  que  mieux  l'office,  et  d'ailleurs,  personne, 
à  part  les  initiés,  ne  s'apercevait  de  la  chose. 

Pour  la  foule  groupée  dans  les  rues,  la  cérémonie  était  pleine 
de  grandeur.  Aussi,  pour  la  voir,  les  écoliers  oubliaient  régu- 
lièrement la  classe,  et  au  passage  de  la  procession,  comme  à  ce 
fameux  passage  historique  chanté  par  le  poète  : 

«  Les  poissons  ébahis  se  mettaient  aux  fenêtres  » 

On  aimait  à  deviner  la  tête  que  cachait  le  capuchon  baissé  de 
la  coule  bleue.  On  désirait  surtout  découvrir  le  pénitent  qui 
portait  le  Christ,  en  tête  du  cortège.  Car  celui-là  devait  mar- 
cher pieds  nus,  et  de  plus  il  avait  dû  acheter  aux  enchères, 
l'honneur  d'être  porte-croix.  39 


538  ANNALES    CATHOLIQUES 

C'était  là  une  loi  de  la  Confrérie  :  Quiconque,  fîit-il  gentil- 
hororae,  devait  se  déchausser  pour  avoir  cet  honneur  alors  très- 
ambitionné,  et  d'après  les  règlements  on  ne  l'accordait  qu'au 
plus  offrant. 

Le  Christ  qu'il  fallait  porter  était  beau,  grand  et  passable- 
ment lourd.  Aussi  le  crucifère  était-il  ordinairement  un  homme 
fort,  bien  planté  et  relativement  dans  l'aisance. 

Il  revenait  parfois  harassé,  haletant,  avec  des  pieds  ensan- 
glantés ;  mais  il  était  le  héros  de  la  journée,  et  son  nom,  quand 
on  pouvait  arriver  à  le  savoir,  courait  de  bouche  en  bouche, 
comme  le  nom  d'un  triomphateur. 

Or,  le  jour  du  Jeudi-Saint,  pendant  l'office  qui  se  psalmodiait 
à  la  grande  église,  la  Confrérie  visitait,  en  procession,  Notre- 
Dame  des  Carmes  et  la  chapelle  de  Saint-Mathurin,  et  c'était 
justement  le  jour  oii  les  enchères  montaient  le  plus  haut  pour 
l'obtention  de  l'honneur  tant  convoité. 

Revenons  à  notre  histoire. 

Trois  heures  allaient  bientôt  sonner,  et  le  vieux  soldat  balafré 
battait  son  troisième  rappel  dans  les  rues. 

Les  Pénitents  étaient  réunis  dans  la  salle  de  leurs  délibéra- 
tions, prés  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  des  Vaux,  jadis  rendez- 
vous  d'assez  nombreux  pèlerinages,  quand  entra  le  marquis  de 
Beaucaire. 

Il  venait  avec  l'intention  —  nous  l'avons  dit  —  de  poser  sa 
candidature  pour  être  porte-croix  du  Jeudi-Saint. 

La  veille,  sa  vieille  mère  —  une  sainte  femme  qui  avait  tra- 
versé saine  et  sauve  les  horreurs  de  la  Révolution  —  lui  avait 
dit:  «  Mon  fils,  vous  êtes  par  votre  naissance  le  défenseur  du 
trône  et  de  l'autel,  et  j'espère  que  demain,  à  la  procession  des 
Pénitents,  vous  voudrez  montrer  que  beau  sang  ne  sait  pas 
mentir;  vous  voudrez  avoir  l'honneur  de  porter  le  Christ  à  la 
cérémonie  de  la  visite  des  tombeaux.  Mais  de  grâce,  ne  vous 
laissez  pas  battre  par  un  manant.  » 

«  —  Ma  mère,  avait-il  répondu,  vous  pouvez  compter  sur 
moi.   » 

Mais  il  avait  rencontré  sur  son  chemin  son  concurrent  prin- 
cipal, et  il  allait  de  nouveau  le  voir  en  face  au  moment  des 
enchères  :  c'était  Pierre  ! 

«  La  mise  à  prix,  dit  le  Prieur  d'une  voix  grave  et  solen- 
nelle, est,  aujourd'hui  comme  toujours,  pour  commencer,  de 
cinq  sols.  »  '    " 


i 


UN  VAILLANT  PORTE-CROIX  A  LAUZKRTE  539 

Dans  un  clin  d'œil,  cette  petite  somme  fut  portée  à  25,  à  50 
et  à  100  livres.  Puis  la  surenchère  monta  si  haut  qu'on  arriva  à 
500  livres. 

L'office  allait  commencer,  les  Pénitents  n'attendaient  plus 
<jue  l'ordre  de  se  mettre  en  rang  pour  la  procession,  la  plus  belle 
de  l'année. 

Les  dignitaires  étaient  déjà  armés  de  leurs  bâtons  surmontés, 
suivant  leurs  fonctions,  d'une  statuette  de  saint  Jérôme  ou  d'une 
simple  croix. 

M.  le  curé  fit  dire  qu'il  allait  commencer.  L'église  était  rem- 
plie, le  peuple  attendait,  et  l'enchère  n'était  pas  encore  finie.  Le 
marquis  et  Pierre  se  disputaient  toujours  avec  acharnement  le 
droit  de  porter  le  Christ. 

Qui  l'emporta  ?  Le  gentilhomme?  Non.  Le  paysan.  11  avait 
offert  600  livres,  et  son  rival  qui  avait  poussé  à  575,  mais  que  la 
Révolution  avait  un  peu  rfcsar^en^É'',  avait  baissé  pavillon  devant 
lui. 

Pierre  s'était  dit:  je  vendrai,  s'il  le  faut,  une  pièce  de  terre; 
mais  je  veux  remporter  la  victoire  et  il  l'avait  remportée. 

A  trois  heures  un  quart,  la  procession  sortait,  composée  d'une 
centaine  de  Pénitents  qui  chantaient  un  triomphant  Te  Deum, 
et  en  tête,  marchait  pied  nus,  heureux  et  fier  comme  un  vain- 
queur, Pierre  le  manant  de  Beaucaire  qui  portait  l'image  de 
son  Dieu. 

Personne  ne  le  reconnut;  mais  le  soir  tout  le  monde  savait 
son  histoire  ;  on  la  racontait  à  la  ville  et  au  faubourg. 

Notre  héros  était  rentré  chez  lui,  et  en  arrivant,  avait  dit 
tout  simplement  à  sa  femme  :  «  Françoise,  il  me  faudra  vendre 
notre  plus  belle  pièce  de  terre. 

«  —  Et  pourquoi  donc  ?  demanda  celle-ci  qui  ne  savait  rien  du 
grand  événement  ;  car  elle  était  restée  à  la  maison  pour  garder 
les  enfants. 

«  —  C'est  parce  qu'aujourd'hui,  j'ai  porté  le  Christ  des  Péni- 
tents et  que  j'ai  acheté  cet  honneur  600  livres. 

«  —  Eh  bien,  repartit  Françoise,  en  embrassant  son  homme, 
tu  as  bien  fait.  Nous  serons  plus  pauvres  ;  mais  le  bon  Dieu  que 
tu  as  porté,  nous  bénira!  !  !   » 

Au  château,  on  fut  triste.  La  vieille  marquise  n'entendit  pas 
sans  chagrin  le  récit  de  son  fils  et  ne  put  se  consoler  qu'à  la 
pensée  qu'une  autre  année,  il  serait  plus  heureux. 


540  ANNALES    CATHOLIQUES 

II 

L'histoire  ne  nous  dit  pas  ce  qui  arriva  l'année  suivante.  Elle 
nous  apprend  seulement  que  le  duel  chrétien  qui  avait  eu  lieu 
entre  le  marquis  et  Pierre,  eut  de  bons  résultats  pour  ce  dernier. 

Il  aliéna  une  grande  partie  de  son  petit  patrimoine  pour  faire 
honneur  à  la  dette  sacrée  qu'il  venait  de  contracter,  mais  il  n'en 
fut  pas  plus  malheureux.  Le  bon  Dieu  se  plut  à  bénir  visible- 
ment ses  récoltes,  sa  famille  et  ses  enfants.  Quand  son  heure 
fut  venue,  il  mourut  plein  de  jours  et  de  mérites,  et  lorsque  ses 
confrères  allèrent  le  chercher  à  Beaucaire,  pour  le  porter  en 
terre,  ce  fut  le  fils  aîné  du  marquis  qui  demanda  et  obtint  l'hon- 
neur d'être  porte-croix.  Ce  fut  là  la  récompense  du  paysan  et  la 
revanche  du  gentilhomme. 

Il  y  a  dans  ce  fait  qu'on  ne  saurait  trop  louer,  un  exemple  de 
foi  vive  et  d'émulation  chrétienne  qu'on  ne  peut  qu'admirer. 

Quand  reviendront  àLauzerteet  ailleurs  les  jours  où  un  pau- 
rre  sera  capable  de  vendre  un  champ  pour  disputer  à  un  riche 
un  droit  religieux,  un  honneur  sacré?  Dieu  seul  pourrait  le 
dire.  Il  faudrait,  dans  tous  les  cas,  pour  qu'un  acte  pareil  à  celui 
que  je  viens  de  raconter  se  reproduisît,  une  restauration  reli- 
gieuse qui  ne  paraît  pas  près  de  s'accomplir. 

Ombres  des  Carmes  et  des  Capucins,  des  Clarisses  et  des 
Mirepoises,  qui  venez  quelquefois,  au  dire  des  vieilles  légendes, 
errer  sur  les  débris  de  vos  anciens  monastères  rongés  par  le 
temps  et  transformés  par  la  Révolution,  qu'en  pensez-vous? 

Abbé  H.  Cailhiat. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
F'i'nnce 

Marseille.  —  L'église  de  Sainte-Marie-Majeure,  la  cathé- 
drale de  Marseille,  l'édifice  religieux  le  plus  important  construit 
dans  le  siècle  et  unique  par  son  style  architectural,  a  été  inau- 
gurée et  livrée  au  culte.  C'est  M.  le  préfet  qui  a  fait  remise  des 
travaux  à  l'évêque  au  non^  de  l'Etat. 

La  cathédrale  est  l'œuvre  de  M.  Léon  Vaudoyer,  successive- 
ment continuée  par  MM.  Espérandieu  et  Réveil.  La  première 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  541 

pierre  fut  posée  par  Napoléon  en  1852.  Plus  de  dix  mille  per- 
sonnes ont  assisté  à  la  cérémonie. 

Dès  huit  heures,  le  vicaire  général,  M.  Olivier,  a  commencé 
à  béiiir  les  murs  extérieurs  et  intérieurs.  Une  foule  considérable 
stationnant  aux  abords  de  l'église  a  été  alors  admise  à  pénétrer 
dans  la  nouvelle  cathédrale. 

Une  grand'messe  a  été  ensuite  célébrée  par  Mgr  Robert, 
évèque  de  Marseille,  entouré  d'un  nombreux  clergé. 

Au  banc  d'honneur  se  trouvaient,  avec  le  préfet,  M.  Bérard, 
adjoint  au  maire,  délégué  de  la  municipalité  et  de  nombreux 
conseillers  municipaux,  les  présidents  du  tribunal  civil  et  du 
tribunal  de  commerce  et  toutes  les  autorités  civiles. 

Le  D'  Flaissière,  maire  de  Marseille,  indisposé,  était  repré- 
senté par  M.  Dubois,  son  secrétaire  particulier. 

Mgr  Jaufiret,  évêque  de  Bayonne,  assistait  à  la  cérémonie. 

Selon  l'antique  usage,  la  corporation  des  calfats,  qui  a  pris 
ipart  à  la  procession,  portait  les  écussons  de  la  ville. 

La  cérémonie  a  été  terminée  à  onze  heures  et  demie. 

L'évêque  de  Marseille  est  venu  solennellement  remercier  les 
autorités. 

Terre- Sainte.  —  La  Revue  illustrée  de  la  Terre-Sainte 
donne  sur  la  situation  actuelle  de  l'Orient,  au  point  de  vue 
chrétien,  le  tableau    sommaire    des   églises  orientales    unies  : 

1°  Les  Chaldéens  unis  de  Turquie  et  de  Perse,  sous  la  juridiction 
du  patriarche  de  Babylone  ; 

2°  Les  Syriens  unis,  relevant  d'un  patriarche  du  titre  d'Antioche; 

3»  Les  Maronites,  sous  l'autorité  d'un  patriarche  également  du 
titre  d'Antioche,  formant  un  groupe  de  250,000  âmes  environ; 

4»  Les  Arméniens  unis  de  l'Orient  qui  ont  un  patriarche  du  titre  de 
Cilicie  et  dix-sept  ou  dix-huit  évêques  ; 

5°  Les  Grecs  unis  d'Orient,  dépendant  d'un  patriarche  du  titre 
d'Antioche;  Grégoire  XIV  joignit  à  ce  titre  ceux  d'Alexandrie  et  de 
Jérusalem  ; 

6°  Les  Coptes,  qui  forment  en  Egypte  une  communauté  catholique 
encore  peu  nombreuse  ; 

7»  A  ces  Eglises  orientales  proprement  dites,  il  faudrait  joindre 
encore,  pour  donner  une  idée  générale  des  rites  orientaux  unis  :  les 
Arméniens  unis  d'Autriche,  de  Venise  et  de  Rome  ;  les  Géorgiens 
unis  de  Constantinople  ;  les  Ruthènes  unis  de  la  Pologne,  de  la 
Galicie  et  de  la  Hongrie  ;  les  Serbes  unis  de  la  Croatie;  les  Valaques 


542  ANNALES    CATHOLIQUES 

unis  de  l'Autriche,  et  les  Bulgares  unis  de  la  Bulgarie  proprement 
dite,  de  la  Macédoine  et  de  la  Thrace. 

A  ce  tableau  des  Eglises  uniesjoignons  un  aperçu  des  Eglises,  non 
unies,  et  nous  aurons  une  notion  générale  de  l'état  de  la  religion 
chrétienne  en  Orient. 

1«  Les  Nestoriens,  la  plus  ancienne  des  communautés  détachées  de 
l'Eglise  catholique,  est  celle  qui  aujourd'hui  s'en  rapproche  le  plus. 
Ils  sont  gouvernés  par  un  patriarche  qui  réside  à  Koclhanès  et  porte 
le  nom  de  Catholicos  ; 

2"  Les  Syriens  Jacobites,  répandus  en  Syrie,  en  Mésopotamie  et 
dans  les  Indes  ; 

3°  Les  Arméniens  non  unis,  appelés  Grégoriens  ; 

4»  Les  Grecs  non  unis  ; 

S»  Les  Coptes  non  unis. 


LA  DECLARATION  MINISTERIELLE 

Voici  le  texte  de  la  déclaration  du  nouveau  nainistère  qui  a 
été  lue,  liier,  à  la  Chambre  des  députés,  par  M.  Casimir  Parier, 
ministre  des  affaires  étrangères,  et  au  Sénat,  par  M.  Spuller, 
ministre  de  l'instruction  publique. 

Messieurs, 

Le  gouvernement  qui  se  présente  devant  vous  trouve  son  devoir 
tracé  par  l'expression  récente  des  volontés  du  pays.  Jamais  la  France 
n'a  affirmé  avec  plus  de  force  son  attachement  à  la  République,  son 
aversion  pour  un  régime  de  réaction,  son  respect  pour  la  liberté  de 
la  pensée  et  de  la  conscience,  sa  foi  dans  le  progrès;  jamais  le  suf- 
frage universel  n'a  plus  nettement  condamné  la  politique  des  formules 
abstraites,  des  préventions  injustifiées,  des  classifications  arbitraires, 
ni  plus  énergiquement  réclamé,  en  face  des  théories  d'une  certaine 
école,  le  maintien  de  l'ordre  et  la  défense  des  principes  que  la  Révo- 
lution française  a  donnés  pour  assises  à  la  société  moderne  :  liberté 
et  propriété  individuelles. 

Ce  sera  répondre  aux  vœux  de  la  France  d'apporter  dans  la . 
direction  des  affaires  publiques  cette  unité  et  , cette  fixité  de  vue  qui 
constituent  seules  un  gouvernement  digne  de  ce  nom  ;  de  servir'  la 
démocratie  sans  arrière-pensée,  avec  dévouement,  avec  confiance; 
d'opposer  aux  doctrines  socialistes,  qui,  en  se  produisant  à  la  tribune 
du  Parlement,  témoignent  nécessairement  leur  respect  pour  la  sou- 
veraineté nationale,  non  le  dédain,  mais  l'action  généreuse  et 
féconde  des  pouvoirs  publics. 

C'est  pour  gouverner  avec  toutes  les  lois  qui  sont  déjà  le  patri- 


DÉCLARATION  MINISTÉRIELLE  b'i^ 

moine  de  la  République  et  en  nous  inspirant  des  espérances  de  la 
nation  que  nous  assumons  la  responsabilité  du  pouvoir. 

Nous  pensons  qu'il  faut  plus  équitablement  répartir  le  poids  de 
l'impôt,  qu'il  faut,  tenant  compte  des  modifications  qui  se  sont  pro- 
duites depuis  un  siècle  dans  la  distribution  de  la  fortune  publique  et 
dans  la  valeur  respective  des  éléments  qui  la  composent,  remanier 
les  contributions  directes,  pour  leur  rendre  le  caractère  qu'avait 
voulu  leur  donner  l'Assemblée  constituante,  et  atteindre  surtout  la 
richesse  acquise. 

D'autres  réformes  nous  apparaissent  légitimes  et  possibles  :  assurer 
grâce  à  une  revision  du  cadastre  et  à  un  cadastre  tenu  à  jour,  la  base 
d'un  établissement  précis  de  la  propriété  foncière  et  de  donner  un 
point  d'appui  plus  solide  au  crédit  agricole,  demander  à  un  relève- 
ment, modéré  en  ligne  directe,  des  droits  de  succession  les  ressources 
suffisantes  pour  défalquer  le  passif  dans  le  calcul  des  taxes  à  acquitter 
et  pour  dégrever  sensiblement  les  ventes  d'immeubles  ;  étudier  la 
création  d'une  caisse  des  retraites  pour  les  travailleurs,  avec  la 
volonté  d'accomplir  ce  grand  acte  de  solidarité  sociale  ;  soumettre  au 
Parlement  les  modifications  qui  doivent  être  apportées  à  la  législa- 
lation  des  boissons;  régler,  sur  les  bases  du  projet  dont  les  Chambres 
ont  été  saisies,  les  relations  de  l'Etat  et  de  la  Banque  de  France. 

Le  Cabinet  est  résolu  à  défendre  l'œuvre  économique  de  la  précé- 
dente législature,  à  venir  en  aide  à  notre  agriculture,  à  notre  indus- 
trie. Nous  avons  déjà  parlé  du  crédit  agricole;  nous  vous  saisirons 
de  projets  relatifs  aux  assurances  agricoles.  Relever  le  courage, 
«econder  les  efforts  de  cette  vaillante  démocratie  rurale,  qui  est  une 
des  sources  les  plus  fécondes  de  richesse  pour  le  pays  et  de  force 
pour  les  institutions  républicaines  nous  apparaît  comme  un  devoir 
impérieux. 

Nous  comptons  déposer  un  projet  de  loi  sur  les  Associations.  Quant 
à  la  séparation  des  Eglises  et  de  l'Etat,  la  politique  respectueuse  du 
suffrage  universel  ne  devance  ni  les  mœurs  ni  les  manifestations  de 
l'opinion  publique,  et,  surtout  dans  le  domaine  des  questions  qui 
touchent  à  la  liberté  de  conscience,  rien  ne  peut  être  entrepris 
■qu'après  le  consentement  du  pays. 

Déterminés  par  des  considérations  de  même  nature,  nous  vous 
demanderons  d'écarter  toute  proposition  tendant  à  la  revision  de  la 
Constitution. 

Nous  pensons  qu'il  faut  ranger  parmi  les  réformes  les  plus  instam- 
ment réclamées  des  modifications  sérieuses  à  introduire  dans  nos 
Codes  de  procédure  pour  en  faire  disparaître  les  complications.  Ce 
sera  l'honneur  delà  République  de  rendre  la  justice  plus  rapide  et 
moins  coûteuse. 

Notre  politique  extérieure,  —  et,  sur  ce  terrain,  des  événements 
inoubliables  l'attestent,  toutes  les  dissidences  disparaissent,  —  s'ina.- 


544  ANNALB8    CATHOLIQUK8 

pirera  toujours  de  ce  que  commande  la  dignité  d'une  nation  assez 
puissante  pour  proclamer  qu'elle  veut  sincèrement  la  paix,  et  pour 
défendre,  sur  tous  les  points  du  globe,  ses  droits,  les  intérêts  de  son 
commerce  et  de  son  industrie. 

C'est  assurément  l'ambition  d'un  gouvernement  d'eflFacer  les  pré- 
ventions et  de  convaincre  ses  adversaires.  C'est  la  nôtre.  Nous  ne 
voulons,  nous  ne  pouvons  y  réussir  que  par  la  loyauté  du  langage  et 
la  fermeté  des  résolutions. 

Quelques  principes  qu'ils  servent  avec  les  armes  pacifiques  de  la 
liberté,  les  représentants  dé  la  nation  ont  ici  les  mêmes  droits  et,  au 
regard  de  la  souveraineté  nationale,  ils  siègent  au  même  titre. 

Mais  nous  n'aurons  d'autorité,  nous  n'avons  de  raison  d'être  que, 
si,  placés  comme  nous  le  sommes,  entre  les  adversaires  de  la  Répu- 
blique et  ceux  qui  veulent  détruire  l'œuvre  sociale  de  la  Révolution 
française,  noua  obtenons  le  concours  permanent  d'une  majorité  réso- 
lue à  servir  la  cause  à  laquelle  nous  donnons  tout  notre  cœur  et 
toutes  les  forces  de  notre  volonté. 


LES  CHAMBRES 

Pour  ses  débuts  et  aussitôt  après  la  lecture  do  la  déclaration,, 
le  cabinet  a  eu  à  discuter  lundi  une  demande  d'amnistie  déposée 
par  M.  Paschal  Grousset,  amnistie  à  accorder  à  tous  les  indi- 
vidus condamnés  pour  crimes  ou  délits  politiques,  faits  de 
grève  ou  faits  connexes,  délits  de  paroles  ou  de  réunion.  Les 
débats  ont  été  vifs.  M.  Rajnal,  le  ministre  de  l'intérieur,  a 
repoussé  l'amnistie  :  la  clémence  lui  suffit.  Il  a  été  violemment 
pris  à  parti  par  un  ancien  boulangiste,  et  il  a  eu  quelque'^peine 
à  tenir  tête  aux  attaques  dont  il  a  été  l'objet.  La  discussion 
générale  close,  le  scrutin  a  été  ouvert  pour  la  passage  à  la  dis- 
cussion des  articles.  C'était  là  que  l'on  allait  se  compter.  Il  a 
fallu  procéder  à  un  pointage,  et  le  rejet  du  passage  a  été  voté 
par  257  voix  seulement  contre  226.  C'est  un  maigre  succès  pour 
une  première  bataille. 

Le  lendemain,  on  s'est  compté  à  nouveau  au  sujet  de  la  nomi- 
nation du  président  de  la  Chambre,  M.  Périer,  comme  de  juste, 
ayant. donné  sa  démission. 

MM.  Brisson  et  Ch.  Dupuy,  le  ministre  d'hier,  étaient  en 
présence. 

De  même  que  le  ministère  Casimir  Perier  repoussait  l'am- 
nistie, de  même  il  combattait  M.  Brisson  et  soutenait  M.  Dupuy. 


LBS     CHAMBRES  545 

En  réalité,  la  question  de  confiance  était  posée  sur  l'élection 
à  la  présidence  de  la  Chambre,  comme  sur  la  question  de 
l'amnistie. 

Personne  ne  s'y  est  trompé  :  c'était  pour  et  contre  le  minis- 
tère que  l'on  votait. 

Seconde  victoire  du  cabinet,  victoire  très  disputée,  comme 
l'a  été  la  première. 

L'analyse  de  ces  deux  scrutins  est  intéressante  à. établir. 

L'urgence  sur  la  proposition  .d'amnistie  a  été  repoussée  par 
257  voix  contre  226. 

La  majorité  comprenait  lundi  206  républicains,  33  membres 
de  la  Droite  et  18  membres  de  la  Droite  républicaine. 

La  minorité  comprenait  211  républicains,  7  membres  de  la 
Droite  et  8  membres  de  la  Droite  républicaine. 

L'élection  de  M.  Dupuy  a  été  faite  par  351  voix  contre 
213  voix  données  à  M.  Brisson. 

Les  deux  scrutins  se  ressemblent  comme  deux  gouttes  d'eau. 

Ceux  qui  ont  voté  pour  M.  Dupuy  sont  ceux  qui  ont  voté 
contre  l'amnistie. 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE 

Le  nouveau  ministère.  —  Déclaration.  —  Dissolution  de  syndicats. 
Les  Jésuites  en  Allemagne. 

7  décembre  1893. 

Le  Journal  officiel  a  publié  dimanche,  3  décembre,  lès  décrets 
suivants  : 

Le  président  de  la  République  française  ; 

Décrète  : 

Art.  premier.  —  M.  Casimir-Pér'ier,  député,  est  nommé  ministre 
des  affaires  étrangères,  en  remplacement  de  M.  Develle,  dont  la  dé- 
mission est  acceptée. 

Art.  2.  [ —  Le  président  du  conseil,  ministre  de  l'intérieur,  est 
chargé  de  l'exécution  du  présent  décret.         ' 

Fait  à  Paria,  le  3  décembre  1893.  i'.Gjmsot: 

Par  le  président  de  la  République  : 
Le  président  du  conseil,  ministre  de  Vintérieur^ 
Ch.  Dupuv. 

■      ^  .  ;  fa  j,  :.'î'tf  "t.      1  -  . 

Le  président  de  la  République  française.:  ..  .^;  ,.^>       .   .  ;. 
Décrète  : 


546  ANNA.LES    CATHOLIQUES 

Article  premier. —  M.  Casimir-Périer,  député,  ministre  des  affaires 
étrapgères,  est  nommé  président  du  conseil  des.rainislres,  en  rempla- 
cement de  M.  Ch.  Dupuy,  dont  la  démission  est  acceptée. 

Art.  2.  —  1(6  président  du  conseil,  ministre  de  l'intérieur,  est  chargé 
de  l'exécution  du  présent  décret. 

Fait  à  Paris,  le  8  décembre  1893.  '-'5'-'    C^BNOtV; 

Par  le  président  de  la  République  :        "  '  ."  '->*'-."^-y*  '    a'  -.i^-' -/^ 
Le  président  du  conseil,  ministre  de  l  intérieur,-  ^-  ■--•-'  ,  >■' 

■  -  Ch-.  Dupuir/-^:-" '--•■    ■■  •     • '  ■'■■  j^i-'---  ■■-.■i  t-"_ji.-^-fJ,../i  ■  . 

y-   -.h*-:  ;.,..■,■■-         -.--^    •  [    •;:.■-    -. -.j}'»-;  ■  m*.  ' 

Suivent  neuf  autres  décrets,  contresignés .  cette  fois  par. 
M.  Casiiuir-Perier,  et  dont  voici  la  substance  : 

M.  liaynal,  député,  est  nommé  ministre  de  l'iotérieur,  en  rempla- 
cement de  M.  Ch.  Dupuy,  dont  la  démission  est  acceptée. 

M.  Bardeau,  député,  est  nommé  ministre  des  finances,  en  rempla- 
cement de  M.  Peytrai,  dont  la  démission  est  acceptée. 

M.  le  général  Mercier  est  nommé  ministre  dé  |la  guerre,  en  rem- 
placement de  M.  le  général  Loizillon,  dont  la' démission  est  acceptée. 
■  M.  le  vice-amiral  Léfèore  est  nommé  ministre  de  la  marine,  en 
remplacement  de  M.  le  vice-amiral  Rieunier,  dont  la  démission  est 
acceptée. 

M.  Spuller,  sénateur,  est  nommé  ministre  de  l'inslruction  pu- 
blique, des  beaux-arts  et  des  cultes,  en  remplacement  de  M.  Poin- 
caré,  dont  la  démission  est  acceptée. 

M.  Jonnart,  député,  est  nommé  ministre  des  travaux  publics,  en 
remplacement  de  M.  Terrier,  dont  la  démission  est  acceptée. 

M.  Marti/,  député,  est  nommé  ministre  du  commerce,  de  l'indus- 
trie et  des  colonies,  en  remplacement  de  M.  Terrier,  dont  la  démission 
est  acceptée..  • 

M.  Viger^  député,  est  nommé  ministre  de  l'agriculture. 

Enfin,  lundi,  \e  Journal  o/7?cî«^  a  publié  un  dernier  décret, 
coutresig-nê  par  M.  Martj,  et  ainsi  conçu  : 

M.  Maurice  Lebon,  député,  est  nommé  sous-secrétaire  d'Etat  au 
ministère  du  commerce,  de  l'industrie  et  des  colonies,  en  remplace- 
ment  de  M.  Delcassô,  dont  la  démission  est  acceptée. 

M.  Maurice  Lebon  est  spécialement  chargé  de  l'administration  des 
colonies. 


Voici  quelques  notes  biographiques  sur  les  ministres  qui  com- 
posent le  nouveau  cabinet  formé  par  M.  Casimir  Perier  : 

M,  Casimir  Perier. 

Le  nouveau  président  du  Conseil  est  tout  jeune  encore.  Il  est 
né  à  Paris,  le  Sjioverabre  1847.  Petit-fils  du  célèbre  ministre 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  547 

de  Louis-Philippe  enlevé  par  le  choléra  en  1832,  fils  du  ministre 
de  l'intérieur  de  M.  Thiers  noort  en  1870,  M.  Casimir  Periér  fit 
a'.i  lycée  Bonaparte  de  braillantes  études,  et  fut  lauréat  au  con- 
cours général.  En  1870,  à  l'âge  de  vingt-trois  ans,  il  prit  part 
en  qualité  de  capitaine  de  la  garde  mobile  de  l'Aube  aux  combats 
livrés  autour  de  Paris.  A  Bagneux,  il  était  aux  côtés  du  com- 
mandant de  Dampierre,  lorsque  celui-ci  tomba  mortellement 
frappé  à  l'assaut  d'une  barricade.  Ce  fut  lui,  qui  sous  une  grêle 
de  balles,  ramassa  le  corps  de  son  chef.  Il  fut  porté  à  l'ordre  du 
jour  «  comme  avant  enlevé  sa  compagnie  avec  un  entrain  remar- 
quable ».  Le  8  janvier  1871,  il  fut  nommé  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur. 

Après  la  guerre,  M.  Casimir  Perier  devint  attaché  au  minis- 
tère de  l'intérieur,  puis  chef  de  cabinet.  Elu  conseiller  général 
en  1873,  il  n'a  pas  cessé  depuis  cette  époque  de  représenter  le 
canton  de  Nogent-snr-Seine. 

En  1876,  il  se  présenta  aux  élections  législatives  comme  can- 
didat républicain  etfutélu  sans  concurrent.  Après  le  Idmai  1877, 
M.  Casimir  Perier  fut  sous-secrétaire  d'Etat  au  ministère  de 
l'instruction  publique. 

En  1883,  au  moment  oii  s'agitait  la  question  de  l'expulsion 
des  princes,  il  estima  qu'il  ne  pouvait  concilier  le  respect  dû  à 
la  mémoire  des  siens  avec  l'expression  de  ses  convictions  répu- 
blicaines et  donna  sa  démission.  Les  électeurs  le  renrojèrent  à 
la  Chambre  avec  une  grande  majorité.  En  novembre  1883,  il 
entra  au  ministère  de  la  guerre  comme  sous-secrétaire  d'Etat 
et  fut  pendant  quinze  mois  le  collaborateur  du  général  Carapenon. 

Après  les  élections  de  1885,  la  Chambre  le  choisit  comme  l'un 
de  ses  vice-présidents.  A  la  fin  de  la  dernière  législature,  il  fut 
porté  à  la  présidence  de  la  Chambre  et  réélu  au  début  de  la 
législature  actuelle. 

M.  Casimir  Perier  a  fait  partie  des  commissions  les  plus  im- 
portantes, notamment  de  celle  du  budget;  il  a  souvent  pris  la 
parole  à  la  Chambre  dans  les  questions  financières,  diplomati- 
ques et  militaires.  Comme  président  de  la  Chambre,  M.  Casimir 
Perier  avait  fait  preuve  de  fermeté  et  en  même  temps  de  cour- 
toisie ;  il  avait  su  se  concilier  les  sympathies  de  tous  les  groupes 
de  la  Chambre. 

,     i  M.  Burdeau. 

M.  Bdrdeau  eât  dé^tité  de  la  première  circonscription  de' 


548  ANNALES     GATHOLIQUBS 

Lyon;  il  a  quarante-deux  ans.  Ancien  élève  de  l'École  normale, 
ilfut  décoré  en  1871  pour  sa  belle  conduite  à  rarmée  de  l'Est 
cil  il  fut  grièvement  blessé.  Agrégé  de  philosophie,  il  fut  suc- 
cessivement professeur  à  Saint-Etienne,  à  Nancy  et  au  lycée 
Louis-le-Grand.  Lorsque  M.  Paul  Bert  fut  nommé  ministre  de 
l'instruction  publique  dans  le  cabinet  du  14  novembre  1881,  il 
choisit  M.  Burdeau  comme  chef  de  son  cabinet.  M.  Burdeau  a 
fait  partie  de  la  presse  pendant  plusieurs  années  et  on  se  rap- 
pelle encore  la  campagne  qu'il  fit  dans  le  Globe  contre  la  Banque 
de  France. 

.  Elu  député  du  Rhône  en  1885,  M.  Burdeau  a  été  rapporteur 
du  budget  de  l'instruction  publique  et  ensuite  rapporteur  du 
budget.  Il  fut  quelque  temps  ministre  de  la  marine  et  c'est  sous 
sa  direction  que  fut  organisée  l'expédition  du  Dahomey.  M.  Bur- 
deau a  publié  des  traductions  de  plusieurs  ouvrages  d'Herbert 
Spencer  et  de  Schopenhauer. 

M.  Raynal. 

Député  de  la  quatrième  circonscription  de  Bordeaux,  M.  Ray- 
nal est  né  le  26  février  1840  et  appartient  à  la  religion  Israélite. 
Il  est  député  depuis  1876,  a  été  sous-secrétaire  d'Etat  au  minis- 
tère des  travaux  publics  dans  le  cabinet  du  23  septembre  1880, 
ministre  des  travaux  publics  dans  le  ministère  Gambetta  et  dans 
le  second  cabinet  Ferry.  Le  passage  de  M.  Raynal  aux  affaires 
a  été  marqué  par  le  vote  des  conventions  conclues  avec  les 
grandes  Compagnies  de  chemins  de  fer  qui  donna  lieu  à  de  si 
vives  discussions. 

M.  SpuUer. 

M.Eugène  SpuUer,  publiciste,  est  né  à  Seurre  (Côte-d'Or),  le 
8  décembre  1835.  Il  a  occupé  dans  la  presse  une  place  très  dis- 
tinguée. D'abord  député  de  Paris,  il  fut  sous-secrétaire  d'Etat 
aux  affaires  étrangères  avec  Gambetta,  puis  ministre  de  l'ins- 
truction publique  dans  le  cabinet  Rouvier  (30  mai  1887).  Le 
22  février  1889,  il  remplaça  M.  Goblet  au  département  des  af- 
faires étrangères  et  fut  élu  député  de  Beaune  (Côte-d'Or).  Il 
représente  actuellement  ce  département  au  Sénat. 

Le  général  Mercier. 

Le  général  Mercier  commandait  en  dernier  lieu  le  18*=  corps 
d'armée  à  Bordeaux.  Il  a  été  appelé  à  ce  poste  important  à  la 


CHKOMQUE    DE    LA    SEMAINE  549 

suite  des  dernières  manœuvres  de  Beauvais,  dans  lesquelles  ilse 
révéla  comme  tacticien  remarquable.  Né  à  Arras,  le  7  dé- 
cembre 1833,  il  est  entré  à  l'Ecole  polytechnique  le  l*""  oc- 
tobre 1852  et  appartient  à  l'arme  de  l'artillerie.  Il  était  capi- 
taine au  moment  de  la  guerre,  il  fut  nommé  général  de  brigade 
le  27  décembre  1884.  En  1888,  M.  de  Frejcinet,  alors  ministre 
de  la  guerre,  l'appela  à  la  direction  des  services  administratifs 
de  son  ministère.  Le  général  Mercier  fut  promis  divisionnaire 
le  11  juillet  1889  et  alla  commander  à  Amiens  la  3«  division 
d'infanterie,  c'est  d'Amiens  qu'il  partit  pour  aller  commander  le 
18*  corps. 

L'amiral  Lefèvre. 

L'amiral  Lefèvre  est  entré  en  1845,  à  l'âge  de  dix-sept  ans, 
à  l'Ecole  navale.  Si  nous  le  suivons  dans  sa  longue  carrière  de 
marin,  nous  le  trouvons  successivement  à  la  station  navale  de 
la  Réunion,  dans  l'escadre  de  la  Méditerranée,  sous  les  ordres 
de  Jurien  de  la  Graviére,  dans  les  mers  de  Chine,  où  il  se  dis- 
tingua à  l'incendie  de  la  ville  de  Macao.  Lieutenant  de  vaisseau 
en  1859,  il  devint  officier  d'ordonnance  de  l'amiral  Larrieu  et  fit 
sous  ses  ordres  la  campagne  du  Mexique.  Pendant  la  guerre, 
le  capitaine  de  frégate  Lefèvre  remplit  les  fonctions  d'aide  de 
camp  auprès  de  l'amiral^  Fourichon.  11  remplit  de  nouveau  les 
mêmes  fonctions,  en  qualité  de  capitaine  de  vaisseau,  lorsque 
l'amiral  Fourichon  redevint  ministre  de  la  marine  en  1876. 
Au  commencement  de  1881,  il  reçut  le  commandement  de  la  Re- 
vanche, avec  laquelle  il  prit  part  au  bombardement  de  Sfax  et 
à  l'afi'aire  de  Gabès.  11  siégea  ensuite  pendant  deux  ans  au  con- 
seil des  travaux.  Promu  contre-amiral  en  1884  il  occupa  les 
fonctions  de  major  de  la  flotte  à  Brest  et  commanda  en  chef  la 
division  navale  du  Pacifique. 

A  la  suite  de  ce  commandement,  il  obtint  le  grade  de  vice- 
amiral  et  fut  nommé  chef  du  service  hydrographique  de  la  ma- 
rine, service  qu'il  abandonna  pour  prendre  le  commandement 
chef  de  l'escadre  du  Nord.  C'est  là  que  M.  Casimir  Perier  a  été 
le  chercher  pour  occuper  le  ministère  de  la  rue  Royale. 

M.  Antonin  Dubost. 

Député  de  la  première  circonscription  de  la  Tour-du-Pin, 
M.  Antonin  Dubost  a  quarante-neuf  ans.  11  débuta  sous  l'Em- 
pire dans  le  journalisme,  fut  chef  de  cabinet  de  M.  Le  Royer, 


550  ANNALES    CATHOLIQUES 

lorsque  celui-ci  était  ministre  de  la  justice.  Elu  député  en  1880, 
M.  Antonin  Dubost  a  été  rapporteur  de  divers  projets  impor- 
tants et  rapporteur  général  du  budget  de  la  dernière  législature. 

M.  Jonnart. 

M.  Charles  Jonnart  est  député  de  la  deuxième  circonscription 
de  Saint-Omer,  il  a  trente-six  ans,  il  a  été  longtemps  chef  de 
cabinet  du  gouverneur  de  l'Algérie.  Républicain  de  la  nuance 
Ribot,  protectionniste,  il  a  été  élu  député  en  1885. 

M.  Marty. 

M.  Marty  est  un  ancien  avocat  de  Carcassonne  et  représente 
la  première  circonscription  de  cet  arrondissement  à  la  Chambre. 
Il  est  président  du  groupe  viticole  et  ancien  vice-président  de  la 
commission  des  douanes. 

M.  Viger. 

Député  du  Loiret,  M.  Viger  est  le  seul  membre  du  précédent 
cabinet.  Il  a  été  à  la  commission  des  douanes  le  lieutenant  infa- 
tigable de  M.  Méline,  et  le  rapporteur  des  droits  sur  les  pro- 
duits agricoles. 

Tel  est  le  ministère  Casimir-Périer.  De  la  lecture  de  la 
Déclaration  qu'on  a  lue  plus  haut,  il  ressort  que  c'est  bien  à 
gauche  et  avec  la  gauche,  que  M.  Casimir-Périer  entend  mar- 
cher et  gouverner.  Ceux  qui  s'attendaient  à  une  déclaration  de 
nature  à  satisfaire  les  modérés,  les  hommes  qui,  par  raison  ou 
par  calcul,  ont  passé  le  Rubicon  constitutionnel,  n'ont  plus  à 
conserver  d'illusion.  C'est  pour  gouverner  «  avec  toutes  les  lois 
€  qui  sont  déjà  le  patrimoine  de  la  Républque  »  que  le  nouveau 
€  ministère  assume  la  responsabilité  du  pouvoir  ».  Il  ne  faut  pas 
s'en  étonner.  A  Troyes,  il  y  a  quelques  mois,  dans  un  banquet 
politique,  M.  Casimir-Périer  s'était  prononcé  en  ces  termes  pour 
la  concentration  républicaine  ;  «L'armée  républicaine  n'accepte 
«  et  n'accueille  que  ceux  qui  s'enrôlent  comme  soldats.  Il  ne 
«  suffit  pas  de  rédiger  des  déclarations  constitutionnelles  :  il 
€  faut  être  constitutionnel  dans  ses  actes  et  même  dans  ses  espé- 
«  rances.  »  On  ne  peut  donc  accuser  le  président  du  Conseil  de 
variation,  et  si  les  libéraux  se  sont  trompés  sur  les  tendances 
de  M.  Casimir-Périer,  c'est  qu'ils  ont  été  dupés  par  ce  nom  de 
Casimir-Périer,  qui  est  resté  synonyme  de  résistance  aux  idées 


CHRONIQUE  DR  LA  SEMAINE  551 

dont  celui  qui  le  porte  aujourd'hui  s'est  constitué  au  contraire 
le  défenseur  résolu.  Les  auxiliaires  principaux,  d'ailleurs,  dont 
il  s'est  entouré  nous  avaient  mis,  comme  on  dit,  la  puce  à  l'oreille, 
et  laissé  quelque  peu  sceptique  sur  les  tendances  que  l'on  prê- 
tait à  M.  Casimir-Périer  :  M.  Burdeau  et  M.  Rajnal  ont  joué 
dans  la  politique  de  ces  dernières  années  un  rôle  trop  en  vue 
pour  que  nous  avons  besoia  d'insister. 

Mais  revenons  à  la  Déclaration.  Elle  est  écrite  avec  plus  de 
simplicité  que  celle  de  M.  Ch.  Dupuy,  mais  elle  est  tout  aussi 
surchargée  que  celle  dont  elle  n'est  en  somme  qu'une  répétition. 
Le  cabinet  a  tracé  un  programme,  qui,  pour  être  exécuté,  de- 
manderait une  législature  tout  entière.  Or,  qui  sait  oii  sera  le 
cabinet  dans  trois  mois,  et  qui  oserait  prétendre  que  le  bon  ac- 
cueil qu'il  a  reçu,  constitue  pour  lui  un  brevet  de  longue  vie? 
La  Déclaration  nous  promet  la  revision  du  cadastre,  la  création 
d'un  crédit  agricole  et  des  assurances  agricoles,  une  loi  sur  les 
associations,  la  revision  du  code  de  procédure,  un  relèvement 
des  droits  de  succession  en  ligne  directe  —  ce  qui  a  été  mal 
accueilli  au  Sénat  —  et  enfin  elle  nous  apprend  que  le  ministère 
s'opposera  et  à  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  et  à  la  revi- 
sion. Combien  dd  ces  projets  verrons-nous  aboutir? 


L*un  des  derniers  actes  du  ministère  Dupuy  a  été  la  dissolu- 
tion de  plusieurs  syndicats  ouvriers.  Il  f.st  vrai  que  ces  syndicats 
étaient  catholiques.  C'est  ce  qui  explique  que  le  gouvernement 
de  la  République  n'a  pas  hésité  à  les  frapper,  montrant  en  la 
circonstance  un  esprit  de  décision  dont  il  aurait  pu  trouver  ail- 
leurs un  meilleur  emploi. 

A  la  suite  d'une  conférence  faite  en  avril  1891  par  l'abbé  Gar- 
nier,  une  association  fut  fondée  à  Albi  sous  le  nom  d'Union  des 
syndicats  catholiques  de  l'agriculture,  du  commerce  et  de  l'in- 
dustrie. Cette  association  comprenait  quatre  syndicats  :  celui 
de  l'Agriculture,  celui  de  l'Habillement,  celui  du  Bâtiment  et 
celui  des  Produits  alimentaires.  Mais  ces  syndicats  étant  des 
syndicats  catholiques,  le  procureur  de  la  République  d'Albi 
adressa  au  procureur  général  de  Toulouse  des  rapports,  les  4  et 
30  janvier  suivants,  émettant  un  avis  défavorable  à  ces  diverses 
associations. 

Le  Figaro  publie  les  principaux  passages  de  la  réponse  confi- 
dentielle que  le  procureur  général  de  Toulouse  a  faite,  le  14  oc- 


552  ANNALES    CATHOLIQUES 

tobre,  au  procureur  de  la  République  d'Albi.  Ea  voici  la  partie 

essentielle  : 

Syndicat  de  l'Agriculture.  —  L'article  2,  paragraphe  2,  des 
statuts,  énumère  parmi  les  conditions  d'admii^sion  :  «  l"  l'obligatiou' 
d'être  catholique  et  d'houorersa  foi  par  la  conduite»,  disposition  qui 
présente  un  caractère  religieux  contraire  au  texte  et  à  l'esprit  de  la 
loi  ;  «  2<»  l'obligation  de  respecter  le  repos  du  dimanche  »,  cause  qui 
trahit  le  but  religieux  poursuivi  par  l'association. 

Cette  dernière  observation  s'applique  également  aux  motifs  d'exclu- 
sion suivants  :  «  Irréligion  notoire  et  affiliation  à  des  associations 
manifestement  opposées  par  leurs  tendances  aux  principes  de  l'Union.  » 

M.  le  garde  des  sceaux  estime  qu'il  convient  d'EXiGBR  la  suppres- 
sion des  dispositions  ci-dessus  énumérées.., 

SvNDicAT  DES  PRODUITS  ALIMENTAIRES.  —  Les  articles  3,  5  et  6  pla- 
cent le  Syndicat  sous  la  dépendance  absolue  de  l'Union  qui,  seule, 
peut  agréer  et  expulser  les  membres  et  ratifier  les  décisions  de  la 
chambre  syndicale.  Ces  dispositions  contraires  au  principe  de  l'indi- 
vidualité des  syndicats  ne  peuvent  être  maintenues.  > 

Les  conditions  d'admission  et  d'exclusion  énumérées  dans  l'article  3 
accusent  une  tendance  religieuse  en  opposition  avec  l'esprit  et  le 
texte  de  la  loi  de  1884,  et  doivent  par  suite  être  supprimées... 

Union  des  syndicats  catholiques.  —  L'examen  des  statuts  de 
cette  union  révèle  chez  ses  fondateurs  une  tendance  manifeste  à 
ériger  la  corporation  en  un  vaste  syndicat  contrôlant,  dirigeant  et 
absorbant  en  quelque  sorte  les  associations  adhérentes,  qui  ne  con- 
servent plus  qu'une  indépendance  illusoire. 

C'est  ainsi  qu'aux  terrbes  de  l'article  2  du  chapitre  2,  le  conseil' 
général  de  l'Union  "détermine  quels  sont  les  syndicats  qu'il  est  op- 
portun de  former,,  prononce  l'admission  dans  les  syndicats  des  can- 
didats ainsi  que  leur  maintien,  convoque  les  syndicats  et  prend  toutes, 
les  mesures  utiles  à  leurs  intérêts. 

D'autre  part,  le  chapitre  IV  des  statuts  prévoit  la  création  d'un 
certain  nombre  d'institutions  de  prévoyance,  administrées  par  le 
conseil  de  l'Union,  bureau  de  placement,  office  de  renseignements 
commerciaux,  bureaux  de  consultation  juridique,  conseil  d'arbitrage, 
bureau  de  consultation  médicale,  etc. 

Ces'diverses  dispositions  sont  iriégulièrès.    '        ' 

II  convient,  en  effet,  de  remarquer  que  chacun  des  s^'cidicats  reliés' 
à  rUnioû  doit  avoir  son  existence  propre,  son  adnïinistration  indé- 
pendamte,  son  patrimoine  distinct.  En  outre,  PUnionV  dépourvue  de 
la  personnalité  civile,  n'est  pas  autorisée  par  la  loi  à  fonder,  et  à<  ad- 
ministrer les  institutions  de  bienfaisance. 

Il  conviendra,;  dès  lors,  d'exiger  une  refonte  complète,  dans  le  sens 
des  observations  qui  précèdent,  des  statuts  de  l'Union,  ainsi  que  la 
suppression  de  toute  disposition  présentant  un  caractère  religieux. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  553 

Je  vous  prie  de  vouloir  bieu,  monsieur  le  procureur  de  la  Répu- 
blique, faire  inviter  les  administrateurs  des  Syndicats  et  de  l'Union 
à  se  conformer  aux  instructions  qui  précèdent,  en  les  avertissant  que, 
faute  d'obéir  à  cette  injonction,  ils  s'exposeraient  à  des  poursuites 
judiciaires  par  application  de  l'article  9  de  la  loi  de  1884. 

Vous  voudrez  bien  me  tenir  informé  du  résultat  de  vos  diligences 
dans  cette  affaire. 

Se  conformant  aux  instructions  de  son  chef  hiérarchique,  le 
procureur  de  la  République  d'Albi  a  demandé  aux  intéressés  de 
modifier  leurs  statuts  dans  le  sens  qui  lui  avait  été  indiqué. 

M.  Drezet,  président  de  l'Union,  et  les  présidents  des  syndi- 
cats ont  répondu  dans  une  lettre  collective  qu'ils  n'avaient  rien 
à  modifier  et  qu'en  protestant  énergiquement  contre  les  modifi- 
cations qu'on  leur  demandait  —  et  qu'ils  ne  pouvaient  d'ailleurs 
accepter  —  ils  préféraient  se  dissoudre. 

Le  Figaro,  en  publiant  ces  renseignements,  dit  que  cette 
affaire  a  produit  dans  le  département  du  Tarn  une  impression 
fâcheuse  et  notre  confrère  ajoute  avec  raison: 

Ce  n'est  pas,  pourtant,  sur  les  syndicats  catholiques  d'Albi  que 
tous  les  journaux  d'opinion  modérée  avaient  appelé  l'attention  du 
gouvernement,  mais  bien  sur  la  chambre  syndicale  de  Carmaux  et  sur 
le  maire  de  cette  ville,  M.  Calvignac.  Ce  dernier,  en  effet,  a  menacé 
M.  le  trésorier  payeur-général  d'Albi  de  susciter  une  nouvelle  grève 
si  on  exigeait  la  rentrée  des  amendes  que  quelques  grévistes,  en  1891, 
furent  condamnés  à  payer  par  le  tribunal  correctionnel  d'Albi. 

Le  gouvernement  aurait  montré  plus  de  fermeté  en  rappelant 
M.  Calvignac  au  respect  de  la  loi,  qu'en  provoquant  d'une  ma- 
nière si  inopportune  la  dissolution  des  syndicats  catholiques  du 
Tarn. 

Le  Reichstag  allemand  a  tenu  le  l*""  décembre  une  séance 
historique.  A  l'ordre  du  jour  figurait  la  proposition  du  Centre, 
tendant  à  l'abrogation  de  la  loi  du  4  juillet  1872  contre  la  Com- 
pagnie de  Jésus.  La  presse  s'en  était  occupée  en  des  sens  divers, 
et  tous  les  groupes  de  la  Chambre  avaient  pris  d'avance  position. 
Les  prévisions  étaient  que  l'abrogation  de  la  loi  serait  votée 
peut-être,  mais  en  tout  cas  à  une  très  faible  majorité. 

Longtemps  avant' l'ouverture  dès  portes  qui  donnent  accès 
aux  tribunes  du  Reichstag,  une  foule  considérable  se  pressait 
devant  le  palais.  En  un  clin  d'oeil  les  tribunes  ont  été  remplies^ 
on  y  remarquait  surtout  un  grand  nombre  de  dames;  plusieurs 
centaines  de  personnes  n'ont  pu  trouver  place.  40 


554  ANNALES  CATHOLIQUES 

-  Dans  la  salle,  tous  les  groupes  étaient  fortement  représentés; 
mais  le  Centre  et  les  socialistes  étaient  presque  au  complet.  Le 
chancelier  de  Caprivi  et  M.  de  Bœtticher  siégeaient  au  banc  du 
gouvernement.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'a  pris  la  parole.  | 

C'est  au  milieu  d'une  attention  extraordinaire  que  !e  comte 
de  Hompech,  président  du  Centre,  a  motivé  la  proposition  de 
rappel  des  Jésuites.  Il  a  surtout  insisté  sur  l'égalité  des  citoyens 
devant  la  loi  et  sur  les  considérations  de  sage  politique,  qui 
conseillent  d'effacer  l'un  des  plus  fâcheux  souvenirs  du  Kul- 
tuikampf.  ■ 

Chaque  groupe  est  ensuite  venu  préciser  sa  position  par  la 
bouche  de  l'un  de  ses  principaux  chefs.  Le  débat  a  été  en  somme 
très  modéré,  et  tous  les  orateurs  sont  restés  dans  les  considéra- 
tions générales.  La  proposition  du  Centre  a  été  combattue  par 
M.  Kurt  Merbach  au  nom  du  parti  de  l'Empire,  par  M.  de  Man- 
teuffel  au  nom  des  conservateurs  allemands,  par  M.  de  Marquard- 
sen  au  nom  des  nationaux  libéraux,  et  par  M.  Schrœder  au  nom 
du  parti  libéral  démocratique.  Cependant,  ce  dernier  parti  n'a 
pas  suivi  en  entier  le  point  de  vue  de  son  porte-voix,  et  à  la 
votation  il  s'est  divisé.  Un  groupe  de  conservateurs  s'est  égale- 
ment séparé  de  l'ensemble  du  parti,  et  par  l'organe  de  M.  de 
HoUeuffer,  il  a  exprimé  ses  dispositions  favorables  à  la  levée  de 
l'interdiction  de  la  Compagnie  de  Jésus. 

Le  débat  a  duré  cinq  heures.  A  la  votation,  la  proposition  du 
Centre,  tendant  au  rappel  des  Jésuites,  a  été  adoptée  en  pre- 
mière lecture  par  173  voix  contre  137.  Cette  majorité  de  36  voix 
dépasse  toutes  les  prévisions.  | 

La  question  n'est  pas  résolue  pour  autant.  Outre  que  ce  n'est 
qu'un  premier  débat  au  Reichstag,  il  faudra  ensuite  obtenir 
l'adhésion  du  Conseil  de  l'Empire,  où  les  dispositions  sont  loin 
d'être  favorables.  Mais  il  faut  espérer  que  Guillaume  II,  de  qui 
dépend  le  vote  de  ce  Conseil,  ne  voudra  pas  froisser  les  catho- 
liques par  le  maintien  d'une  loi  d'ostracisme  au  préjudice  de  la 
■Compagnie  de  Jésus. 


AVIS  IMPORTANT  A  NOS  ABONNES 

Nous  osons  solliciter  de  nos  souscripteurs  la  plus  grande 
exactitude  dans  l'envoi  de  leur  renouvellement  d'abonne- 
ment pour  l'année  1894. 


PRIX    DB    VERTU  555 

L'échéance  du  31  décembre  étant  la  plus  considérable, 
les  services  très  chargés  de  notre  administration  seraient 
insuffisants,  si  nous  ne  comptions  sur  le  bienveillant  empres- 
sement de  tous  pour  les  faciliter. 

Les  prix  d'abonnement  restent  les  mêmes  :  le  mode  de 
paiement  le  plus  simple  est  l'envoi  d'un  mandat-poste.  — 
A  ceux  qui  ne  pourraient  payer  en  ce  moment,  nous  de- 
mandons seulement  de  nous  aviser  par  un  simple  mot  de 
leur  intention  de  continuer  leur  abonnement. 

Comme  accusé  de  réception  de  leur  réabonnement,  payé 
ou  non,  nous  enverrons  un  exemplaire  des  gracieux  bons- 
points  du  R.  P.  Vasseur  ('288  gravures)  à  tous  ceux  de  nos 
souscripteurs  qui  joindront  à  leur  lettre  0  fr.  75  en  timbres- 
poste  (ou  autant  d'exemplaires  que  de  fois  75  centimes). 
De  plus,  pour  six  exemplaires  il  en  sera  donné  sept. 

pour  douze    —  —  quinze. 

pour  vingt-quatre  —  trente. 


LES   PRLX  DE  VERTU 

(Suite.  —  Voir   le    Numéro    précédent). 

Ce  n'est  pas  seulement  au  village  que  fleurit  la  vertu  :  nous 
allons  la  découvrir,  s'il  vous  plaît,  dans  une  des  plus  sombres 
et  des  plus  étroites  venelles  du  vieux  Paris,  dans  la  rue  de 
l'Hôtel-de-Ville.  Il  y  a  quelques  années,  les  époux  Bourzat, 
celui-ci  infirme,  celle-là  maladive,  avaient  ouvert  là  une  petite 
crémerie.  Tous  les  flâneurs  connaissent  bien  la  physionomie  de 
ce  genre  d'établissement,  avec  sa  vitrine  invariablement  ornée 
de  deux  grandes  terrines,  l'une  de  riz  au  lait  et  l'autre  de 
crème  au  chocolat.  Dans  la  plupart  des  crémeries,  le  chifire 
d'afl"aires  est  généralement  très  médiocre.  Il  était  presque  nui 
dans  la  boutique  de  la  rue  de  l'Hôtel-de-Ville,  parce  que  les 
Bourzat,  comme  on  dit  vulgairement,  étaient  trop  bons.  Ils 
avaient  pour  convives  habituels  des  pauvres,  des  infirmes,  des 
enfants  aôamés,  à  qui  l'on  ne  refusait  jamais  la  nourriture;  et 
le  fils  de  la  maison,  le  jeune  Louis  Bourzat,  qui  tient   de  ses 


556  A-NNALKS     CA.THOLIQUK8 

parents  les  sentiments  les  plus  charitables,  leur  amenait  sans 
cesse  de  nouvelles  pratiques  et  augmentait  ainsi  cette  onéreuse 
clientèle. 

Ce  fut  d'abord  une  vieille  femme,  puis  un  vieux  professeur 
qui  avait  donné  à  Louis  des  leçons  de  grammaire  et  qui,  tombé 
dans  la  pire  détresse,  menaçait  de  se  suicider.  L'enfant  supplia 
sa  mère  de  le  gar.der  à  la  maison  :  on  l'y  conserva  six  mois, 
partageant  avec  lui  le  peu  qu'on  avait.  Au  vieux  professeur, 
succéda  une  femme  aveugle.  Louis  l'aidait  à  manger,  lui  dé- 
coupait ses  morceaux,  lui  glissait  parfois  dans  la  main  quelques 
sous,  ses  économies  d'écolier.  On  recueillit  encore  chez  ces 
bonnes  gens  une  pauvre  fille  à  jambe  de  bois,  atteinte  d'une 
maladie  incurable.  Je  n'ai  pas  la  prétention  de  vous  étonner, 
Messieurs,  en  vous  apprenant  que  les  Bourzat  n'ont  pas  fait 
fortune;  tout  au  contraire,  ils  durent  fermer  leur  crémerie.  Ce 
fui  la  misère.  Mais  aujourd'hui,  Louis  a  dix-sept  ans;  il  est  me- 
nuisier, gagne  sa  journée.  Modèle  de  piété  filiale,  il  fait  vivre 
ses  parents  ruinés  tout  en  restant  fidèle  à  leurs  traditions  de 
dévouement  et  de  bonté.  Dans  ces  temps  derniers,  il  a  installé 
dans  sa  chambre  et  soigné  jusqu'à  la  dernière  heure  un  de  ses 
camarades,  un  ouvrier  comme  lui,  à  qui  jadis  il  avait  appris  à 
lire  et  qui  se  mourait  de  la  poitrine.  Aujourd'hui,  il  prend  soin 
du  tombeau  de  son  ami. 

Ces  petits  crémiers  de  la  rue  de  l'Hôtel-de-Ville  qui  furent 
de  si  détestables  commerçants,  mais  qui  soulagèrent  tant  d'in- 
fortunes dans  leur  voisinage,  méritaient,  certes,  un  prix  de 
vertu  :  vous  avez  cru  mieux  faire  et  les  récompenser  encore 
plus  en  attribuant  ce  prix  à  leur  excellent  fils,  malgré  son 
extrême  jeunesse.  Ces  âmes  délicates  comprendront  votre  in- 
tention. Vous  encouragez  ainsi  ce  jeune  homme  à  marcher  tou- 
jours dans  la  bonne  voie,  et  vous  honorez  le  père  et  la  mère  qui 
lui  ont  enseigné  de  tels  principes  et  donné  de  tels  exemples. 

Ne  quittons  pas  encore  Paris,  notre  cher  Paris,  si  calomnié 
parce  qu'il  est  si  charmant.  Ses  ennemis  y  viennent  chercher 
des  plaisirs,  pas  toujours  innocents;  puis,  de  retour  dans  leurs 
mornes  foyers,  où  désormais  ils  ne  pratiquent  apparemment  que 
la  vertu,  ils  ne  parlent  plus  qu'avec  une  extrême  sévérité  de 
ce  lieu  de  perdition.  Paris,  du  reste,  ne  s'en  émeut  guère,  sa- 
chant qu'il  en  est  des  villes  comme  des  femmes,  que  la  plus 
aimable  et  la  plus  belle  est  la  plus  exposée  aux  médisances,  et 
que  le  vice  n'est  nullement  incompatible  avec   la  laideur  q\ 


PRIX   DE    VERTU  557 

l'ennui.  Dans  le  livre  d'or  où  vous  enregistrez  tant  de  bonnes 
actions,  votre  rapporteur,  qui  est  un  vieux  Parisien,  a  eu  la 
fierté  de  rencontrer  le  nom  de  son  pays  natal  sur  bien  des  pages. 
Permettez-moi  de  vous  en  lire  encore  une  : 

Mme  Baube,  née  Madeleine  Poulalion,  n'avait  que  dix-sept 
ans  quand  elle  entra  au  service  d'une  de  ses  parentes,  Mlle  Mo- 
rand, qui  dirigeait  un  petit  pensionnat  de  la  rue  Lacépéde. 
C'est,  vous  le  savez,  un  quartier  de  très  pauvres  gens.  L'insti- 
tutrice était  âgée  déjà,  et  l'établissement  ne  prospéra  point. 
Tout  de  suite,  les  gages  da  Madeleine  furent  supprimés.  Loin 
de  se  plaindre,  elle  donna  tout  ce  qu'elle  possédait,  apprit  le 
métier  de  brodeuse  afin  de  gagner  du  pain  pour  deux,  puis, 
l'ouvrage  lui  manquant  dans  ce  métier,  se  remit  en  place  ail- 
leurs, sans  jamais  abandonner  sa  maîtresse.  Un  honnête  em- 
ployé, M.  Baube,  épousa  Madeleine.  D'accord  avec  lui,  elle  prit 
alors  chez  elle,  dans  son  très  modeste  ménage,  Mlle  Morand 
qui  venait  d'être  frappée  de  paralysie,  et  lui  prodigua  des  soins 
incessants.  La  pauvre  vieille  s'est  éteinte,  à  l'âge  quatre-vingt- 
quatre  ans,  dans  les  bras  de  son  ancienne  servante  devenue  sa 
filiale  amie. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  (1) 

7.  —  Le  Maréchal  de  Mac-  viedeshommes;  dispeusantl'éloge 

Mahon,  par  le   commandaat  et  le  blâme  elle  devient  un  ensei- 

Grandin. —2  volumes  ia-18.  —  gnement    fécond    et  un    exemple 

Paris     1893,     Haton,    éditeur.  salutaire.   Aussi   est-ce   avec    un 

Prix  :  6  francs,  franco  7  francs.  g^anJ  plaisir  que  nous  signalons 

La  France  vient  de   perdre  un  ^a    biographie     du    maréchal    de 

de    ses   héros,  elle    lui  a  fait  de  Mac-Mahon    écrite    par   le  com- 

nationales  et  pompeuses  funérail-  mandant  Grandier. 

les,  puis  une  pelletée  de  terre  et  ^^    «st   beau    et  juste    que    les 

tout  a  été   fini    pour  le  maréchal  ^éros   soient   loués;    qui    loue  et 

de  Mac-Mahon;  un  souvenir  dans  admire    les   héros,  les  saints  est 

la   mémoire    de    ceux    qui    l'ont  ^i^n    près    de   les    imiter.   Or  la 

connu, un  nom  svaonvme  de  bra-  biographie   de  Mac-Mahon    con- 

voure  et  de  lovaûté  pour  le  grand  t'^nt  de  nobles  enseignements,  on 

nombre,  voilà"  tout  ce  qui  reste-  7  appcend  qu'il  n'existe  point  de 

rait  de  cette  longue  vie  du  maié-  grand  homme  sans   la   foi   chré- 

chal  si  l'histoire  n'était  là.  L'his-  tienne  et  sans  le  sacrifice  de  soi- 

toire  rend  immortels  les  actes,  la  même. 

(1)  Il  sera  rendu  compte  de  tout  ouvrage  dont  deux  exemplaires 
ont  été  déposés  dans  les  bureaux  des  Annales  catholiques.  MM.  les 
auteurs  et  MM.  les  éditeurs  sont  priés  d'indiquer  le  prix  des  livres 
qu'ils  envoient.  —  L'administration  des  Annales  se  charge  de  four- 
nir, au  prix  de  librairie,  les  ouvrages  dont  il  est  rendu  compte  dans 
ce  Bulletin. 


558 


ANNALES  CATHOLIQUES 


Mac-Mahon. descendant  de  no- 
bles Irlandais  venus  en  France  à 
la  suite  de  Jacques  II,  naquit  en 
1808  au  château  de  Sully  où  il 
passa  sa  première  jeunesse  sous 
la  tutelle  d'une  mère  chrétienne 
et  sincèrement  dévouée  à  la  pa- 
trie française. 

Il  commence  ses  études  au  pe- 
tit séminaire  d'Autun,  les  achève 
à  Versailles,  entre  à  Saint-Cyr  et 
en  sort  sous-lieutenant  en  1827, 
fait  partie  du  corps  expédition- 
naire d'Algérie.  Sa  première  ac- 
tion d'éclat  au  passage  de  Mou- 
zaia  lui  vaut  le  grade  de  lieute- 
nant et  la  croix,  le  14  septembre 
1831. 

Le  triomphe,  l'honneur  accom- 
pagnent ensuite  chaque  pas  de  sa 
longue  vie;  c'est  la  campagne  de 
Belgique,  le  siège  d'Anvers,  le 
retour  en  Algérie,  cette  campa- 
gne d'Afrique,  longue  épopée 
homérique  qui  a  fait  un  lac  fran- 
çais de  la  Méditerranée;  ce  sont 
les  glorieuses  campagnes  de  Cri- 
mée et  d'Italie,  le  commande- 
ment général  en  Algérie. 

Rien  n'a  manqué  à  la  gloire  de 
Mac-Mahon,  il  a  subi  de  terribles 
épreuves  ;  l'année  1870  l'a  soumis 
aux  chagrins  d'une  défaite  immé- 
ritée; il  a  eu  la  douleur  d'insuc- 
cès qui  étaient  dus  à  l'incapacité 
fatale  de  Napoléon  III,  il  a  été 
victime  du  devoir.  C'est  ce  qu'a 
compris  \o.  pays  le  jour  où  il  l'a 
mis  à  sa  tête  comme  président  de 
la  République. 

Tels  sont  les  faits  que  nous 
raconte  le  commandant  Grandin 
avec  un  style  clair,  concis,  plein 
d'enthousiasme  et  d'intérêt,  avec 
une  émotion  qui  gagne  le  lecteur: 
ce  livre  ne  peut  qu'être  utile  à 
tous  et  faire  germer  les  plus  no- 
bles ambitions  et  les  plus  beaux 
sacrifices. 

Puisse-t-il  inspirer  la  vocation 
de  l'heureux  soldat  de  l'armée 
future  qui  nous  apportera  a  au 
milieu  des  acclamations  unani- 
mes de  la  nation,  les  clefs  de  nos 
cités  captives...  Metz  et  Stras- 
bourg. » 


8.    —     A.lbuin     d'EnTants. 

La    légende    du   grand    saint 

Nicolas,     texte     en     français, 

russe,  allemand  et  Flamand.  — 

Cet   album,    de    format    grand 

in-4<',  contient    12  magnifiques 

chromolithographies, la  légende 

en    musique,   sous   un   élégant 

cartonnage,  tranche    dorée.  — 

Paris,  Desclée.  —  Prix,  3  fr. 

On    aurait    mauvaise    grâce    à 

contester  les  progrès  actuels  des 

industries  artistiques.  Le  monde 

peut  aller  assez  mal  en  matière 

morale,  de  politique,  d'art  et  de 

littérature  :  on  dit  qu'il  marche  à 

côté  de  la  bonne  voie,  et  parfois 

qu'il  lui  tourne  le  dos.  Mais,  en 

certaines    branches,   ses    progrès 

sont  patents,  et  tout  le  monde  en 

profite. 

Tout  le  monde,  même  les  petits 
enfants. 

Voyez  combien  leurs  jouets,  par 
exemple,  deviennent  chaque  an  née 
plus  jolis,  plus  ingénieux,  plus 
étonnants!  Quel  régal  pour  les 
yeux,  quel  charme  pour  le  goût, 
quel  intérêt  pour  l'intelligence  ! 
Le  cœur  seul  est  négligé,  presque 
sacrifié.  11  semble  que  les  fal)ri- 
cants  aient  peur  d'être  chrétiens 
et  s'efforcent  d'être  neutres.  Hé- 
las !  le  libéralisme  a-t-il  pénétré 
jusqu'aux  hochets  de  ces  pauvres 
innocents  ? 

Paimi  les  cadeaux  que  la  fin  de 
l'année  leur  apporte,  il  en  est  qui 
s'adressent  spécial'-'ment  à  leur 
intelligence  et  à  leur  âme  can- 
dide :  ce  sont  les  Albums  d'en- 
fants. Il  sont  aujourd'hui  impri- 
més avec  luxe  sur  papier  glacé, 
cartonnés  comme  des  bonbon- 
nières, enluminés  avec  un  jart 
exquis.  De  vrais  artistes,  et  pas  des 
moindres,  ont  peint  les  modèles 
de  leurs  ravissants  chromos.  Ceux- 
ci  offrent  plus  d'art  même  que  les 
babys  n'en  savent  goûter  ;  visi- 
blement, toute  cette  dépense  de 
talent  et  cette  perfection  de  pein- 
ture savante,  un  peu  réalistique, 
s'adressent  aux  grands  enfants, 
visent  le  dilettantisme  des  papas 
et  des  mamans. 


IIIBLIOGKAPHIE 


559 


Mais  ne  '  dépasse-t-oa  pas  le 
but?  ne  perd-oa  pas  de  vue  la  naï- 
veté enfantine,  et  cette  8im|,)licité 
«le  râmequi  est  le  propre  du, pre- 
mier âge  ? 

Faites-moi,  je  le  veux  bien,  des 
chefs-d'œuvre  de  peinture  et  de 
littérature.;  mais  que  vos  histoires 
ne  soient  pas,  de  grâce,  si  raffinées 
comme  style,  et  que  vos  images 
restent  du  moins  amusantes,  in- 
téressantes pour  des  marmots. 
Qu'elles  n'abondent  pas  de  cet 
esprit  caustique, léger, malicieux, 
qui  s'amuse  aux  dépens  des  mé- 
saventures du  prochain  honnête 
mais  balourd.  Qu'elles  soient 
bienveillantes,  sereines,  gracieu- 
ses. Qu'elles  offrent,  dans  le  texte 
et  dans  l'illustration,  cette  onction 
et  cette  chaleur  que  donne  seul 
le  sentiment  pieux. 

II  nous  manque  des  Albums 
d'Enfants  naïfs  et  chrétiens  en 
même  temps  que  riches  et  artis- 
tiques. Il  y  en  a  une  mine  su- 
perbe à  exploiter  pour  les  édi- 
teurs :  ce  sont  les  Légendes  des 
Saints. 

Je  m'étonne  que  la  Société 
Saint-Augustin,  toute  désignée 
pour  cette  tâche,  ne  l'ait  pas  en- 
treprise depuis  longtemps.  Il  est 
vrai  qu'elle  a  commencé;  c'est 
beaucoup,  on  dit  qu'il  n'y  a  que 
le  premier  pas  qui  coûte. 

J'ajoute  que  l'essai  est  un  coup 
de  maître.  Son  premier  album 
neus  donne  la  naïve  légende  du 
grand  saint  Nicolas  et  du  méchant 
boucher  : 

11  était  trois  petits  enfants 

Qui  s'en  allaient  glaner  anx  champs. 

C'est  gracieux,  c'est  artistique, 
cela  soutient  la  comparaison  avec 
les  albums  les  plus  habilement 
illustrés  que  nous  offre  la  librairie 
mondaine.  Mais  en  même  temps 
c'est  suave,  ingénu,  enfantin.  Le 
dessin  de  ces  douze  scénettes  po- 
lychromes, serties  dans  des  mé- 
daillons décoratifs,  est  distingué, 
expressif,  et  se  lit  comme  un  ré- 
cit. Le  coloris  en  est  légèrement 
idéalisé,  et  s'harmonise  avec  un 
cadre  d'une  grande  richesse,  dans 


lequel  s'inscrivent  les  textes  eh 
lran(,'ais,  en  russe,  en  allemand, 
en  flamand,  si  joliments  décorés 
de  filets  r<juges,  de  lettrines,  de 
vignettes,  d'interlignes,  qu'ils 
sont  eux-mêmes  œuvre  artistique 
faisant  corps  avec  la  décoration 
des  pages. 

Une  grande  joie  est  réservée 
cette  année  à  des  milliers  d'en- 
fants. Avec  quelle  émotion  tous 
nos  chérubins  vont  feuilleter,  de 
leurs  petits  doigts  roses,  le  gra- 
cieux volume  que  leur  déposera 
dans  le  panier  traditionnel  le 
héros  même  de  l'histoire,  saint 
Nicolas,  le  grand  saint  qu'ils 
prient  chaque  soir  ! 

Etceux  qui  ne  l'auront  pas  reçu 
le  6  décembre  pourront  encore  le 
demander  au  nouvel  an;  c'est  un 
fort  joli  cadeau  d'étrennes. 

(  Vraie  France.) 

9.  —     Décret»     et    eaiion» 
du  Coneîleœeunaénîque 
du  Y'atlean.  —  Texte  latin 
et  traduction,  avec  notes.  Edi- 
tion   populaire    et     complète. 
Un  vol,  in-l"2,    à   l'imprimerie 
Salésienne,  rue  Léon  Gambetta. 
288,  à  Lille.  Franco,  0,75. 
Ce  livre,  d'une  utilité  pratique 
incontestable,  est  mis  à  la  portée 
de  tout  le  monde  par  la  modicité 
du  prix.  Non  seulement  le  texte  la- 
tin est  accompgané  d'une  excel- 
lente traduction  française,  d'après 
les  meille  ures  éditions  des  déci- 
sions conciliaires  publiées  à  Rome, 
mais  des  notes  variées,  histori- 
ques, biographiques,hagiographi- 
ques,  géographiques,  en  complè- 
tent d'une  manière  très  heureuse 
les  deux  chapitres  du  livre,  qui 
sont  consacrés:  le  premier, à  la  foi 
catholique,  le  deuxième  à  l'infail- 
libilité pontificale.  A  signaler  par- 
ticulièrementlanote  remarquable 
(du  chapitre  premier)  qui  donne  la 
liste    complète    et    officielle   des 
conciles   œcuméniques,  avec   les 
détails  y  relatifs   et   les   notes  25 
à   27   sur   des  monuments  de  la 
ville  de   Rome,  visitée  pur   l'au- 
teur, un  cooperateur  salésien.  A 


560 


ANNALES    CATHOLIQUES 


signaler  encore  les  notes  qui  re- 
produisent les  endroits  cités  de 
la  sainte  Bible,  et  traduits  par 
l'auteur. 

Ce  petit  livre  convient  fort  bien 
aux  catholiques  de  notre  temps 
qui  y  trouveront  la  règle  de  leur 
véritable  croyance  et  les  réponses 
aux  attaques  incessantes  de  l'er- 
reur. 

10.  —   I-e  4^oeur  de  IVotre- 
Sei^neur     «lésus-Cirist 
daua     l'Evangile,   ou    lec- 
tures    évangéliques      pour     le 
mois    du    Sacré-Cœur,   par   le 
R.  P.  D.-A.  Mortier,  des  Frères- 
Prêcheurs,  joli   volume    in-16. 
—  Prix  :  1   fr.  75,  broché  ;    et 
2  fr.  relié  en  percaline. 
Rome  n'est  pas  seulement  «  la 
maîtresse  des  gloires  augustes  », 
«lie    est  aussi   l'inspiratrice   des 
âmes    religieuses    et    des  jeunes 
jeunes   talents.    D'un    séjour    de 
quelques   mois   dans   cette   ville, 
où  bat   le  cœur  de    la  chrétienté, 
le  R.    P.  Mortier   nous  rapporte 
un  excellent  petit  livre  :  Le  Cœur 
de  Noire-Seigneur  Jèsus-Chrisi 
dans  l'Evangile.  Ce  n'est  pas  un 
traité  théologique  sur  la  dévotion 
au  Sacré-Cœur  ;  ce  n'est  pas  non 
plus  l'histoire  du  culte,  secret  ou 
triomphal,  rendu  par  les  fidèles  à 
ce    symbole  vivant  de  l'amour  du 
Christ.    C'est    l'Evangile,    ouvert 
devant  nous,  comme    la   tunique 
sans  couture,  et  qui  nous   laisse 
voir  le   cœur  de   Jésus   priant   et 
enseignant,   aimant    et    pardon- 


nant, souffrant  et  rachetant.  Sans 
doute,  parce  que  les  plus  beaux 
jours,  reliés  seulement  par  la 
nuit,  se  suivent  et  ne  se  ressem- 
blent pas,  l'auteur,  pour  éviter 
toute  monotonie,  n'a  pas  voulu 
grouper  sous  une  idée  commune, 
plusieurs  à  plusieurs,  les  diffé- 
rents sujets  qu'il  traite.  Il  suit 
simplement  le  traité  évangélique, 
recueille  jour  par  jour,  selon 
qu'ils  s'échappent  de  l'abondance 
de  son  Cœur,  les  actes  et  les  pa- 
roles du  divin  Maître,  et  les  ap- 
plique aux  besoins  si  changeants 
de  notre  propre  cœur.  C'est  une 
leçon  de  choses,  nouvelle  chaque 
jour,  que  Notre-Seigneur  nous 
donne. 

Ce  livre  a  donc  sa  place  de 
choix  parmi  ses  aînés  déjà  si 
nombreux.  Sérieux,  nourri  de  la 
moelle  de  Bossuet,  il  est  à  cer- 
taines pages,  plein  d'une  piété 
tendre  et  d'une  surnaturelle  mé- 
lancolie, reflet  de  la  physiono- 
mie du  Christ  qu'on  vit  rarement 
sourire.  Le  style  est  élégant, 
chaud,  oratoire  même,  et  plus 
d'un  lecteur  regrettera  de  ne  pas 
entendre  l'auteur  lui  dire  ce  qu'il 
écrit  si  bien.  Bref,  fils  et  frère  de 
prophètes,  nous  osons  prédire  à 
ce  nouveau  venu,  sinon  tout  le 
succès  de  librairie  qu'il  mérite  et 
qui  ne  va  pas  toujours  aux  plus 
dignes,  du  moins,  un  grand  suc- 
cès d'apostolat  dans  les  âmes  qui 
auront  la  bonne  inspiration  de 
l'acheter,  de  le  lire  et  de  le  ré- 
pand-i^e. 


Le  gérant  :  P.  Chantrel. 


Paris    —  Imp.  O.  Picqnoln,  fc3,  me  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LETTRE  ENCYCLIQUE  DE  SA  SAINTETE  LEON  XIII 

(Voir  le  numéro  précédent) 

Les  Ktudes  «rÉeriture  sainte. 

Il  est,  certes,  extrêmement  désirable  et  nécessaire  que 
l'usage  de  la  divine  Ecriture  influe  sur  toute  la  science  théo- 
logique et  en  soit,  pour  ainsi  dire,  l'âme:  telle  a  été,  en 
effet,  dans  tous  les  temps,  la  pratique  des  Pérès  et  des 
plus  éminents  théologiens,  et  ils  s'y  sont  illustrés.  Car,  pour 
les  choses  qui  sont  l'objet  de  la  foi  ou  qui  procèdent  d'elle, 
ils  se  sont  appliqués  à  les  démontrer  et  à  les  établir  princi- 
palement d'après  les  divines  Lettres  ;  c'est  d'après  elles 
aussi,  comme  d'après  la  tradition  divine  elle-même,  qu'ils 
se  sont  attachés  à  réfuter  les  nouvelles  inventions  des  héré- 
tiques, à  rechercher  la  raison,  l'intelligence,  l'enchaîne- 
ment des  dogmes  catholiques.  Et  personne  ne  s'en  étonnera, 
en  se  rappelant  qu'une  place  si  éminente  est  due,  entre  les 
diverses  sources  de  la  révélation,  aux  Livres  divins  que, 
sans  leur  étude  et  leur  usage  habituel,  on  ne  peut  s'occu- 
per convenablement  et  dignement  de  théologie.  Car,  bien 
que  dans  les  académies  et  les  écoles  les  jeunes  gens  doivent 
être  principalement  formés  à  acquérir  l'intelligence  et  la 
science  des  dogmes,  par  une  exposition  méthodique  partant 
des  articles  de  foi  pour  arriver,  selon  les  régies  d'une  sage 
et  solide  philosophie,  aux  autres  déductions  ;  cependant,  le 
judicieux  et  docte  théologien  ne  doit  pas  négliger  la  démons- 
tration des  dogmes  d'après  les  autorités  de  la  Bible,  «  car 
la  théologie  ne  tire  pas  ses  principes  des  autres  sciences, 
mais  de  Dieu  immédiatement  par  révélation.  Et  ainsi,  elle 
ne  reçoit  rien  des  autres  sciences  comme  lui  étant  supérieures 
mais  elle  se  sert  d'elles  comme  de  subalternes  et  de  ser- 
vantes ».  Cette  méthode,  à  l'égard  de  la  doctrine  sacrée, 
a  pour  exemple  et  pour  autorité  le  prince  des  théologiens, 

Lxxxvi  —  IQ  Décembre  1893.  41 


562  ANNALES  CATHOLIQUES 

Thomas  d'Aquia  (1),  qui,  déplus,  a  montré  comment,  avec 
cette  manière  de  bien  comprendre  la  théologie  chrétienne, 
le  théologien  peut  défendre  ses  principes  mêmes,  s'ils  sont 
Tivement  attaqués  :  «  par  l'argumentation  d'abord,  si  l'ad- 
Tersaire  accorde  quelqu'une  des  choses  qui  viennent  de  la 
révélation  divine  ;  de  même  que  par  les  autorités  de  la 
sainte  Ecriture,  nous  discutons  contre  les  hérétiques,  et 
au  moyen  d'un  article  nous  répondons  à  ceux  qui  en  nient 
un  autre.  Mais,  si  l'adversaire  ne  croit  rien  de  ce  qui  a  été 
divinement  révélé,  il  n'y  a  plus  de  moyen  de  lui  prouver 
rationnellement  les  articles  de  foi,  mais  il  reste  à  réfuter  les 
arguments  qu'il  produirait  contre  la  foi  »  (2).  Il  faut  donc 
pourvoir  à  ce  que  les  jeunes  gens  abordent  les  études  bibli- 
ques convenablement  préparés  et  instruits,  pour  qu'ils  ne 
trompent  pas  de  justes  espérances,  et,  ce  qui  est  pire 
encore,  pour  qu'ils  ne  se  laissent  pas  prendre  à  l'erreur, 
trompés  par  les  systèmes  captieux  des  rationalistes  et  l'ap- 
parence d'une  érudition  savamment  montée.  Ils  seront  par- 
faitement préparés  si,  en  suivant  la  route  que  Nous  avons 
Kous-mème  indiquée  et  prescrite,  ils  s'adonnent  conscien- 
cieusement et  s'initient  à  fond,  sous  la  conduite  du  même 
saint  Thomas  à  l'enseignement  philosophique  et  théologique. 
Ils  s'avanceront  ainsi  sûrement  et  dans  la  science  biblique, 
et  dans  cette  partie  de  la  théologie  qu'on  appelle  jjositive, 
et  ils  y  feront  dans  l'une  et  dans  l'autre  d'heureux  progrés. 
Prouver,  exposer,  commenter  la  doctrine  catholique  par 
«ne  légitime  et  habile  interprétation  de  la  Sainte  Bible, 
c'est  déjà  beaucoup  ;  mais  il  reste  une  autre  partie,  d'une 
aussi  grande  importance  que  d'une  tâche  difficile,  celle  qui 
consiste  à  établir  inébranlablement  son  entière  autorité.  Et 
il  n'y  a  pas  d'autre  moyen  d'y  arriver  pleinement  et  univer- 
sellement qu'avec  le  vivant  et  spécial  magistère  de  l'Eglise, 
«  qui,  en  raison  de  sa  merveilleuse  diffusion,  de  sa  liante 
sainteté  et  de  son  inépuisable  fécondité  en  toutes  sortes 
d'œuvres  du  bien,  en  raison  aussi  de  son  unité  catho- 
lique, de  son  imynuable  stabilité,  est  2^(ir  elle-même  un 

{\)  Summ.  theul.  j).  1,  q.  1,  a.  5  ad.  2. 
(2)  Ibid.  a.  8. 


LETTRE  ENCYCLIQUE  DE  9.  S.  LÉON  XIII  563 

grand  et pey^pétuel  motif  de  crédibilité  et  un  témoignage 
irréfragable  de  sa  divine  mission  »  (1). 

Mais  comme  le  divin  et  infaillible  magistère  de  l'Eglise 
consiste  aussi  dans  l'autorité  de  la  Sainte  Ecriture,  la  foi 
au  moins  humaine  qui  est  due  à  celle-ci  doit  être  d'abord 
établie  et  prouvée  :  au  moyen  de  ces  livres,  comme  des  plus 
sûrs  témoins  de  l'antiquité,  la  divinitéet  la  mission  de  Jésus- 
Christ,  l'institution  de  la  hiérarchie  ecclésiastique,  la  pri- 
mauté conférée  à  Pierre  et  à  ses  successeurs  seront  démon- 
trées et  mises  en  évidence. 

Rien  ne  contribuera  plus  efficacement  à  cette  œuvre,  que 
s'il  se  trouve  un  grand  nombre  de  prêtres  bien  préparés, 
qui  combattront  aussi  sur  ce  terrain-là  pour  la  foi  et  repous- 
seront les  attaques  ennemies,  en  se  revêtant  surtout  de  l'ar- 
mure de  Dieu,  selon  le  conseil  de  l'Apôtre  (2),  mais  sans 
être  inexpérimentés  non  plus  dans  les  nouvelles  armes  et 
les  nouvelles  tactiques  des  ennemis.  Cette  œuvre,  saint  Jean 
Chrysostome  la  met  ainsi,  en  excellents  termes,  au  nombre 
des  devoirs  du  prêtre  :  «  Il  faut  apporter  un  grand  zélé  à  ce 
que  le  Verbe  du  Christ  habite  abondamment  en  nous  (3), 
car  nous  ne  devons  pas  être  prêts  seulement  à  un  seul 
genre  de  combat,  mais  multiple  est  la  guerre  et  variés  sont 
les  ennemis,  et  tous  ne  se  servent  pas  des  mêmes  armes,  et 
ils  ne  combattent  pas  contre  nous  d'une  seule  manière. 
C'est  pourquoi  il  faut  que  celui  qui  doit  livrer  bataille  contre 
tous,  possède  tous  les  engins  et  tous  les  artifices  de  guerre 
connus,  qu'il  soit  à  la  fois  sagittaire  et  frondeur,  tribun  de 
légion  et  capitaine  de  détachement,  chef  et  soldat,  fantassin 
et  cavalier,  habile  dans  le  combat  naval  comme  dans  la 
défense  des  places  fortes  ;  car  s'il  ne  connaît  pas  tout  l'art 
de  la  guerre,  le  diable  saura  trouver  la  partie  faible,  poui* 
faire  passer  les  brigands  et  enlever  les  brebis  >  (4). 

Nous  avons  indiqué  plus  haut  les  ruses  des  ennemis  et 
leurs  procédés  multiples  d'attaque  sur  ce  terrain  ;  mainie- 

(1)  Conc.  Vat.  sess.  III,  c.  III,  de  fide. 

(2)  Eph,,  VI,  13,  seqq. 
(S)  Cfr.  Col.  111,  16. 
(4)  De  sacerd.  IV,  4. 


564  ANNALES    CATHOLIQUES 

nant  Nous  allons  dire  par  quels  moyens  il  faut  pourvoir  à 
la  défense.  Le  premier,  c'est  l'étude  des  anciennes  langues 
orientales  et  de  la  science  que  l'on  appelle  la  critique. 
Comme  aujourd'hui  l'habileté  dans  ces  deux  genres  de 
connaissances  est  en  grande  estime  et  considération,  le 
prêtre  qui  la  possédera  plus  ou  moins  étendue,  selon  les 
lieux  et  les  hommes,  pourra  mieux  soutenir  son  rang  et 
remplir  son  ministère;  car  il  doit  se  faire  tout  à  tous  (1) 
et  être  toujours  prêt  à  rendre  compte  à  qui  lui  demande 
des  motifs  de  V espérance  qui  est  en  lui  (2).  Il  est  donc 
nécessaire  aux  professeurs  d'Ecriture  sainte  et  il  convient 
aux  théologiens  de  connaître  les  langues  dans  lesquelles 
les  livres  canoniques  ont  été  rédigés  à  l'origine  par  les 
écrivains  sacrés,  et  il  sera  très  bon  aussi  que  les  élèves 
ecclésiastiques  les  cultivent,  surtout  ceux  qui  aspirent  aux 
grades  académiques  en  théologie.  Et  il  faudra  faire  en  sorte 
que,  dans  toutes  les  académies,  ce  qui  est  déjà  heureuse- 
ment établi  dans  beaucoup  d'entre  elles,  il  y  ait  aussi  un 
enseignement  des  autres  langues,  principalement  des  lan- 
gues sémitiques  et  des  sciences  qui  s'y  rapportent,  surtout 
à  l'usage  de  ceux  qui  sont  appelés  à  enseigner  les  Saintes 
Lettres.  Tous  ceux-là  aussi,  et  pour  la  même  raison,  devront 
se  rendre  particulièrement  habiles  et  instruits  dans  la  vraie 
science  de  la  critique  ;  car  il  y  a  une  méthode  perverse  et 
dangereuse  pour  la  religion,  décorée  du  nom  de  critique 
transcendante,  qui  consiste  à  discuter  par  les  seuls  argu- 
ments internes  comme  l'on  dit,  l'origine,  l'intégrité  et  l'au- 
torité de  chaque  livre. 

Il  est  évident,  à  l'encontre,  que  dans  les  questions  histo- 
riques relatives  à  l'origine  et  à  la  conservation  de  chacun 
des  livres,  les  témoignages  de  l'histoire  l'emportent  sur  les 
autres,  et  que  ce  sont  eux  d'abord  qu'il  faut  rechercher  et 
discuter  :  quant  à  ces  raisons  internes,  elles  n'ont  pas  tant 
de  valeur,  en  général,  qu'il  faille  les  employer  ici,  si  ce 
n'est  par  manière  de  confirmation.  Que  si  l'on  en  agit  autre- 
ment, il  en  résultera,  sans  contredit,  de  grands  inconvé- 

(1)  ICoi-.,  IX,  22. 
(2i  I  l»etr.,  m,  15 


LETTRE  ENCYCLIQUE  DE  S.  S.  LÉON  XIII  565 

nients.  Car  les  ennemis  de  la  religion  n'en  auront  que  plus 
-d'assurance  pour  attaquer  et  discuter  l'authenticité  des  Saints 
Livres  ;  et  ce  genre  de  critique  transcendante  qu'ils  exal- 
tent en  arrivera  lui-même  à  ce  que  chacun  suivra  dans  l'in- 
terprétation sa  manière  de  voir  et  son  opinion  préconçue;  dés 
lors  il  n'y  aura  plus  cette  lumière  nouvelle  que  l'on  cher- 
chait pour  les  Ecritures,  ni  aucun  profit  à  attendre  de  la 
science,  mais  on  verra  se  manifester  cette  note  certaine  d'er- 
reur, qui  est  la  variété  et  le  dissentiment  des  opinions, 
comme  les  chefs  de  cette  nouvelle  école  en  sont  eux-mêmes 
un  témoignage  :  de  là  aussi,  comme  la  plupart  d'entre  eux 
sont  imbus  des  j^réjugés  de  la  vaine  philosophie  et  du  ratio- 
nalisme, ils  ne  craindront  pas  d'éliminer  des  Saints  Livres 
Jes  prophéties,  les  miracles  et  tout  le  surnaturel. 

Il  faut  combattre,  en  second  lieu,  ceux  qui,  par  l'abus 
-des  sciences  physiques,  s'appliquent  à  rechercher  dans  les 
Livres  saints  tous  les  indices  de  l'ignorance  de  leurs  auteurs 
•en  ces  matières,  et  raillent  leurs  écrits  eux-mêmes.  Comme 
ces  attaques  se  rapportent  à  des  choses  qui  tombent  sous  les 
-sens,  elles  sont  d'autant  plus  dangereuses  qu'elles  se  répan- 
dent dans  les  masses  et  surtout  chez  la  jeunesse  écoliére, 
qui,  dés  qu'elle  aura  perdu  sur  un  point  le  respect  de  la 
-divine  révélation,  perdra  bientôt  la  foi  sur  tous  les  autres. 
Il  est  constant,  en  effet,  que,  autant  la  science  de  la  nature, 
si  elle  est  bien  dirigée,  est  propre  à  faire  découvrir  dans  les 
-choses  créées  la  gloire  du  Grand  Ouvrier,  autant  elle  sert 
lorsqu'elle  est  inculquée  de  travers  dans  les  jeunes  esprits, 
-k  renverser  les  éléments  de  la  saine  philosophie  et  à  cor- 
rompre les  mœurs.  C'est  pourquoi  la  connaissance  des  cho- 
ses de  la  nature  sera  d'un  bon  secours  au  maître  d'Ecriture 
Sainte,  pour  lui  permettre  de  démasquer  et  de  réfuter  plus 
facilement  les  objections  de  cette  sorte  dirigées  contre  les 
Livres  divins. 

Il  n'y  aura  jamais  de  véritable  désaccord  entre  le  théo- 
logien et  le  physicien,  tant  que  chacun  d'eux  restera  dans 
son  domaine  propre,  en  ayant  soin,  comme  le  conseille  saint 
Augustin,  «  de  ne  rien  donner  témérairement  pour  connu 


566  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  ce  qui  est  inconnu  »  (1).  S'ils  se  trouvent  l'un  et  l'autre 
en  dissentiment,  la  règle  de  conduite  pour  le  théologien  se 
trouve  tracée  encore  par  le  même  docteur  :  «  Tout  ce  que 
ceux-là,  dit-il,  arriveront  à  établir  dans  l'ordre  de  la  nature 
sur  des  preuves  véridiques,  montrons  que  ce  n'est  pas  con- 
traire à  nos  Ecritures  ;  mais  tout  ce  qu'ils  avanceront  dans 
leurs  livres  de  contraire  à  nos  Ecritures,  c'est-à-dire  à  la 
foi  catholique,  prouvons  aussi,  de  notre  côté,  avec  nos 
moyens,  ou  croyons  sans  hésitation  que  c'est  absolument 
faux  »  (2).  Pour  apprécier  la  justesse  de  cette  règle,  il 
faut  considérer  d'abord  que  les  écrivains  sacrés  ou,  pour 
mieux  dire,  «  Tesprit  de  Dieu,  qui  parlait  par  eux,  n'a 
point  voulu  instruire  les  hommes  de  ces  choses  (à  savoir 
l'intime  constitution  du  monde  visible),  comme  étant  inu- 
tiles au  salut  »  (3)  ;  c'est  pourquoi  ces  écrivains  ont  bien 
moins  cherché  à  approfondir  les  secrets  de  la  nature  qu'à 
décrire,  à  l'occasion,  les  choses  elles-mêmes,  ou  à  les  expri- 
mer et  à  les  rendre  selon  le  langage  courant  du  temps, 
comme  font  aujourd'hui  bien  souvent  dans  l'usage  habituel 
de  la  vie  les  hommes  les  plus  instruits  eux-mêmes.  Or, 
comme  dans  la  manière  ordinaire  de  parler,  on  s'exprime 
selon  ce  que  paraissent  les  choses  qui  tombent  sous  les 
sens,  ainsi  l'écrivain  sacré  (et  cette  remarque  est  du  Doc- 
teur Angélique)  «  s'est  conformé  aux  apparences  sensi- 
bles »  (4)  ;  de  même  que  Dieu,  en  parlant  aux  hommes,  a 
approprié  son  langage  à  leur  intelligence,  à  la  manière 
humaine. 

Mais  de  ce  que  la  Sainte  Ecriture  doit  être  énergique- 
ment  défendue,  il  ne  s'ensuit  pas  que  tous  les  sens  que  les 
saints  Pères,  en  particulier,  ou  les  interprètes  postérieurs 
ont  donnés  d'accord  avec  eux,  doivent  être  tous  également 
défendus  ;  ceux-ci,  en  raison  des  opinions  de  leur  temps, 
n'ont  pas  toujours  interprété  si  exactement  les  passages  qui 
concernent  les  choses  de  la  nature,  qu'ils  n'aient  émis  cer- 


(1)  hi  Gcn.  op.  imper f.  IX,  30. 

(2)  De  Gen.  ad  litt.  1.  21,  il. 
m  s.  Aug.  ib.  II,  9,  20. 

(ij  Summa  theol.  p.  1,  q.  LXX,  a.  1  ad  3. 


LETTRE  ENCYCLIQUE  UE  S.  S.  LÉON  XIII  567 

taines  opinions,  qui  paraissent  moins  probables  aujourd'hui. 
C'est  ]!Ourquoi  il  faut  distinguer  soigneusement  dans  leurs 
interprétations  ce  qu'ils  donnent,  en  effet,  comme  concer- 
nant la  foi  ou  ayant  directement  rapport  à  elle,  et  où  ils 
s'accoident  unanimement  ;  car  «  dans  les  choses  qui  ne  sont 
pas  de  nécessité  de  foi,  il  fut  toujours  permis  aux  saints, 
comme  à  nous,  d'être  d'un  avis  différent  les  uns  des  autres  », 
et  ceci  est  l'opinion  de  saint  Thomas  (1).  Ailleurs,  il  dit 
avec  beaucoup  de  sagesse  :  «  Le  plus  sûr,  au  sujet  des  sen- 
timents communs  des  philosophes,  qui  ne  répugnent  pas  à 
notre  foi,  ne  parait  être  ni  de  les  tenir  pour  des  dogmes  de 
foi,  quoiqu'ils  aient  été  quelquefois  présentés  à  ce  titre  sous 
le  nom  des  philosophes,  ni  de  les  rejeter  comme  contraires 
à  la  foi,  atin  de  ne  pas  donner  lieu  aux  savants  du  siècle  de 
mépriser  la  doctrine  de  la  foi  »  (2). 

En  conséquence,  pour  les  choses  que  les  savants  physi- 
ciens affirment  être  certaines,  d'après  des  preuves  cer- 
taines, l'interprète  sacré  doit  montrer  qu'elles  ne  contre- 
disent en  rien  l'Eciiture  bien  comprise,  sans  oublier, 
cependant,  qu'il  est  arrivé  plus  d'une  fois  que  des  choses 
données  d'abord  comme  certaines  par  ces  savants  ont  été 
mises  ensuite  en  discussion  et  finalement  rejetées.  Que  si 
les  auteurs  de  physique,  sortant  des  limites  de  la  science,  en- 
vahissent, par  une  subversion  des  idées,  le  domaine  des 
philosophes,  l'interprète  théologien  doit  les  renvoyer  aux 
philosophes  pour  les  réfuter.  Il  convient  aussi  d'appliquer 
ces  remarques  aux  sciences  annexes,  principalement  à 
l'histoire.  Il  est  déplorable,  en  effet,  de  voir  tant  de  gens 
étudier,  au  prix  des  plus  grands  labeurs,  et  faire  connaître 
les  monuments  de  l'antiquité,  les  mœurs  et  les  institutions 
des  peuples,  et  en  général  les  divers  documents  de  ce  genre, 
le  plus  souvent  dans  le  but  de  trouver  des  erreurs  dans  les 
Livres  sacrés,  afin  d'infirmer  ainsi  et  de  détruire  leur  au- 
torité sur  tous  les  autres  points.  Et  cela,  beaucoup  le  font 
avec  un  esprit  par  trop  hostile  et  un  jugement  trop  peu 
équitable  ;  car  ils  ont  dans  les  livres  profanes  et  les  docu- 

(1)  In  sent.  II,  dist.  II,  q.  1,  a.  3. 

(2)  Opusc,  X. 


568  ANNALES    CATHOl.lgUES 

ments  de  l'histoire  ancienne  une  telle  confiance  qu'il  semble 
qu'on  ne  puisse  avoir  même  le  soupçon  d'une  erreur  à  leur 
endroit;  au  contraire,  pour  les  livres  de  la  Sainte  Ecriture, 
si  l'on  suppose  seulement  une  apparence  d'erreur,  sans^ 
même  la  discuter  honnêtement,  ils  leur  refusent  une  con- 
fiance au  moins  égale. 

A  la  vérité,  il  peut  arriver  que  dans  la  transcription  des 
manuscrits  certaines  choses  soient  copiées  peu  exactement, 
mais  cela  doit  être  apprécié  avec  beaucoup  de  discerne- 
ment, et  ne  doit  pas  être  facilement  admis,  si  ce  n'est  pour 
les  passages  où  l'on  a  pu  en  fournir  la  preuve  ;  il  peut  arri- 
ver aussi  que  le  sens  vrai  de  quelque  passage  demeure  dou- 
teux; et  pour  dénouer  la  difficulté,  on  pourra  se  servir  des 
régies  les  plus  autorisées  de  l'interprétation;  mais  il  est 
absolument  interdit,  soit  de  restreindre  l'inspiration  à  cer- 
taines parties  seulement  de  la  Sainte  Ecriture,  soit  de  con- 
céder que  l'auteur  sacré  lui-même  s'est  trompé. 

On  ne  saurait,  en  effet,  tolérer  le  système  de  ceux  qui,. 
pour  échapper  à  ces  difficultés,  ne  craignent  pas  de  soutenir- 
que  l'inspiration  divine  se  rapporte  aux  choses  de  la  foi  et 
des  mœurs,  mais  à  rien  de  plus,  parce  qu'ils  croient  faus- 
sement, quand  il  s'agit  du  vrai  sens  des  pensées,  qu'on  ne 
doit  pas  rechercher  ce  que  Dieu  a  dit,  afin  de  n'avoir  pas  à 
examiner  davantage  pour  quel  motif  il  l'a  dit. 

Car  tous  les  livres  que  l'Eglise  reconnaît  comme  saints 
et  canoniques  ont  été  écrits,  dans  leur  intégralité  et  dans 
toutes  leurs  parties  sous  la  dictée  de  l'Esprit-Saint.  Or,  bien 
loin  que  l'inspiration  divine  puisse  être  sujette  à  aucune 
erreur,  cette  inspiration,  par  elle-même,  non  seulement 
exclut  toute  erreur,  mais  l'exclut  et  la  repousse  aussi  né- 
cessairement qu'il  est  nécessaire  que  Dieu,  vérité  souve- 
raine, ne  soit  l'auteur  absolument  d'aucune  erreur. 

C'est  l'ancienne  et  constante  foi  de  l'Eglise,  définie  en- 
outre  par  un  jugement  solennel  dans  les  conciles  de  Flo- 
rence et  de  Trente,  confirmée  enfin  et  déclarée  plus  expres- 
sément encore  dans  le  concile  du  Vatican,  qui  a  décrété 
absolument  quïl  faut  recevoir  pour  sacrés  et  canoniques 
tous  les  livres  entiers  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Tes- 


LETTRE  ENCVCMQUE  DE  S.  S.  LÉON  XIII  569 

iament  avec  toutes  leurs  parties,  tels  qu'ils  sont  énumé- 
rés  dans  le  décret  du  )nême  concile  (le  concile  de  Trente) 
-et  quils  sont  contenus  dans  V ancienne  édition  latine  de 
la  Vulgate.  Et  que  V Eglise  les  tienne  pour  sacrés  et  ca- 
noniques^ non  parce  que,  composés  par  la  seule  indus- 
trie humaine,  ils  ont  été  ensuite  approuvés  par  son 
{lutorité,  ni  seulement  parce  qu  ils  contiennent  la  vérité 
sans  erreur,  mais  parce  que,  écrits  sous  l'inspiration 
du  Saint-Esprit,  ils  ont  Dieu  pour  auteur  (1). 

C'est  pourquoi  il  n'importe  en  rien  que  le  Saint-Esprit 
ait  pris  des  hommes  comme  instruments  pour  écrire,  comme 
si  quelque  chose  de  faux  avait  pu  échapper,  non  sans  doute 
à  l'auteur  premier,  mais  aux  écrivains  inspirés.  Car  il  les  a 
tellement  déterminés  et  poussés,  par  une  vertu  surnaturelle, 
-à  écrire,  il  les  a  si  bien  assistés  pendant  qu'ils  écrivaient, 
que  toutes  les  choses  et  celles-là  seulement  qu'il  ordonnait, 
•ceux-ci  les  concevaient  avec  rectitude  dans  leui'  esprit  et 
ils  voulaient  fidèlement  les  écrire,  et  ils  les  exprimaient 
■convenablement  avec  une  vérité  infaillible  :  autrement  il  ne 
serait  pas  lui-même  l'auteur  de  la  Sainte  Ecriture. 

C'est  ce  dont  furent  toujours  convaincus  les  Saints  Pérès. 
«  Donc,  dit  saint  Augustin,  comme  ils  ont  écrit  ce  qu'il 
leur  a  montré  et  dit,  on  ne  doit  jamais  dire  qu'il  n'a  pas 
écrit,  car  ses  membres  ont  opéré  ce  qu'ils  ont  connu  par  la 
•dictée  de  la  tête  »  (2).  Et  saint  Grégoire  le  Grand  déclare  : 
«  Il  est  bien  superflu  de  chercher  qui  les  a  écrits,  quand  on 
•croit  fidèlement  que  le  Saint-Esprit  est  l'auteur  du  livre. 
Celui  donc  qui  a  écrit,  c'est  celui  qui  a  dicté  les  choses  à 
•écrire  ;  celui  qui  a  écrit,  c'est  celui  qui,  dans  cette  œuvre,  a 
été  l'inspirateur  »  (3). 

Il  s'ensuit  que  ceux  qui  pensent  que  dans  les  endroits 
-authentiques  des  Livres  Sacrés,  il  peut  y  avoir  quoi  que  ce 
soit  de  faux,  ceux-là  ou  bien  pervertissent  la  notion  catho- 
lique de  l'inspiration  divine  ou  bien  font  de  Dieu  même 
l'auteur  de  l'erreur.  Et  tous  les  Pérès  et  les  Docteurs  ont 


(1)  Sess.  III,  c.  II.  derevel. 

(2)  De  consensuEcangel.  I,  I.  c.  35. 

(3)  Prœf.  in  lob.,  n.  2. 


570  ANNALES    CATHOLIQUES 

été  si  entièrement  persuadés  que  les  divines  Lettres,  telles- 
qu'elles  ont  été  éditées  par  les  hagiograplies,  sont  absolu- 
ment à  l'abri  de  toute  erreur,  que,  pour  les  nombreux  pas- 
sages qui  semblaient  renfermer  quelque  chose  de  contraire 
ou  de  dissemblable  (et  ce  sont  à  peu  près  les  mêmes  qu'on 
oppose  aujourd'hui  au  nom  de  la  science  nouvelle),  ils  se 
sont  appliqués  avec  non  moins  d'habileté  que  de  respect  à. 
les  coordonner  et  à  les  concilier  entre  eux  ;  tous  furent 
unanimes  à  professer  que  ces  livres  dans  leur  intégralité  et 
dans  leurs  parties  étaient  également  inspirés  par  le  souffle 
divin,  et  que  Dieu  lui-même  ayant  parlé  par  les  auteurs- 
sacrés  n'a  pu  rien  exprimer  qui  soit  contraire  à  la  vérité. 
Ce  qu'a  écrit  saint  Augustin  à  saint  Jérôme  servira  pour 
résumer  ce  témoignage  universel.  «  Pour  moi,  dit-il,  j'avoue 
à  votre  charité  que  j'ai  appris  à  rendre  un  tel  respect  et  un 
tel  honneur  à  ces  seuls  livres  des  Ecritures  qui  sont  appelés 
canoniques  que  je  crois  très  fermement  qu'aucun  de  leurs 
auteurs  n'a  erré  sur  aucun  point,  en  écrivant.  Et  si  je  ren- 
contre dans  ces  Lettres  quelque  chose  qui  paraisse  con- 
traire à  la  vérité,  je  n'hésiterai  pas  à  penser,  ou  bien  que 
le  manuscrit  est  fautif,  ou  bien  que  l'interprète  n'a  pas  saisi 
ce  qui  a  été  dit,  ou  bien  que  moi-même  je  n'ai  pas  compris 
du  tout  »  (1). 

Mais,  lutter  pleinement  et  parfaitement  pour  l'intégrité 
des  Saintes  Ecritures,  avec  le  secours  de  toutes  les  sciences 
les  mieux  fondées,  c'est  là  une  œuvre  beaucoup  trop  consi- 
dérable pour  qu'on  puise  en  attendre  la  réalisation  du  zèle 
des  seuls  interprètes  et  théologiens.  Il  faut  désirer  qu'ils  y 
contribuent  et  qu'ils  s'y  appliquent  aussi  ces  catholiques  qui 
ont  acquis  quelque  célébrité  de  nom  dans  les  sciences  pro- 
fanes. A  coup  sûr,  jamais  l'Eglise,  par  un  bienfait  de  Dieu, 
et  maintenant  moins  que  jamais,  n'a  été  privée  de  l'orne- 
ment dû  à  des  esprits  de  cette  sorte,  et  plaise  au  Ciel  qu'il 
s'accroisse  encore  pour  la  défense  de  la  foi,  car  Nous  esti- 
mons que  rien  n'est  plus  nécessaire  que  de  voir  la  vérité 
trouver  des  défenseurs  plus  nombreux  et  plus  forts  que  les 

(1)  Ep.  LXXXII,  I,  et  crebrius  alibi. 


LETTRE  ENCYCLiyUE  DE  S.  S.  LKON  Xllt  571 

adversaires  qu'elle  rencontre  ;  et  rien  ne  peut  mieux  per- 
suader à  la  société  de  rendre  hommage  à  la  vérité,  que  de 
la  voir  professée  librement  par  ceux,  qui  se  distinguent  par 
quelque  don  de  l'esprit.  Même  la  haine  des  détracteurs  recu- 
lei'a  facilement,  ou  encore  ils  n'oseront  plus  aussi  témérai- 
rement dénoncer  la  foi  comme  ennemie  de  la  science,  quand 
ils  verront  les  hommes  illustres  par  la  science  honorer 
souverainement  la  foi  et  lui  apporter  leur  respectueuse 
adhésion. 

Donc,  puisque  la  religion  peut  attendre  tant  d'avantages 
de  ceux  à  qui  la  Providence  a  eu  la  bonté  d'accorder  un 
esprit  heureusement  doué  avec  la  grâce  de  la  profession 
catholique,  que  chacun  de  ceux-là,  au  milieu  de  cette  ter- 
rible mêlée  de  sciences  qui  poursuivent  de  tout  côté  les 
Ecritures,  s'assigne  un  genre  d'étude  approprié,  dans  lequel 
il  excelle  en  quelque  manière,  afin  de  repousser,  non  sans 
succès,  les  traits  dirigés  contre  elle  par  la  science  impie. 

Il  Nous  plaît  ici  d'approuver  comme  il  le  mérite  le  dessein 
dfi  certains  catholiques  qui  ont  coutume  de  faire  des  lar- 
gesses pour  qu'il  ne  manque  point  de  savants  qui  se  livrent 
à  ces  sortes  d'études  avec  l'abondance  de  tous  les  secours, 
et  qui  les  développent  par  l'association  des  efforts.  C'est  là 
certainement  un  emploi  excellent  et  très  opportun  de  la 
fortune,  car  moins  les  catholiques  peuvent  espérer  de  sub- 
ventions publiques  pour  leur  enseignement,  plus  il  convient 
que  soit  empressée  et  abondante  la  libéralité  des  souscrip- 
tions privées.  Qu'ils  consacrent  donc  à  la  défense  du  trésor 
de  la  doctrine  révélée  par  Dieu  les  richesses  dont  ils  ont 
été  favorisés  par  ce  Dieu  même. 

Mais,  pour  que  des  travaux  de  ce  genre  profitent  vrai- 
ment à  la  cause  des  Ecritures,  que  les  savants  s'astreignent 
aux  vrais  principes  que  Nous  avons  définis  ci-dessus,  et 
qu'il  les  observent  fidèlement.  Dieu,  créateur  et  maître  de 
toutes  choses,  est  en  même  temps  l'auteur  des  Ecritures; 
partant,  et  de  par  la  nature  des  choses,  rien  ne  peut  être 
tiré  des  monuments  de  l'histoire  qui  soit  en  contradiction 
avec  les  Ecritures.  Que  si  quelque  chose  parait  tel,  il  faut 
s'appliquer  à  le  faire  disparaître,  soit  en  invoquant  le  juge- 


572  ANNALES    CATHOLIQUES 

ment  sage  des  théologiens  et  des  interprètes  sur  la  questionr 
de  savoir  quel  est  le  sens  le  plus  vrai  ou  le  plus  vraisem- 
blable du  passage  controversé  de  l'Ecriture,  soit  en  exa- 
minant avec  plus  de  soin  la  force  des  arguments  produits  à 
rencontre.  Et  il  ne  faut  pas  se  rebuter  si  même  alors  sub- 
siste quelque  apparence  de  désaccord  :  car,  puisque  le  vrai 
ne  peut  jamais  contredire  le  vrai,  qu'on  tienne  pour  certain 
que  l'erreur  s'est  glissée  soit  dans  l'interprétation  des  textes- 
sacrés,  soit  dans  la  thèse  adverse;  mais  si  on  ne  l'aperçoit 
suffisamment  d'aucun  côté,  il  faut  provisoiremeut  surseoir 
à  la  décision.  Nombreuses  sont,  en  effet,  les  attaques  qui 
ont  été  dirigées  de  tout  temps  et  constamment  contre  l'Ecri- 
ture par  tous  les  genres  de  sciences,  et  qui  maintenant 
reconnues  vaines  sont  absolument  abandonnées  ;  de  même, 
touchant  certains  passages  de  l'Ecriture  (qui  ne  se  ratta- 
chent pas  proprement  à  la  règle  de  la  foi  et  des  mœurs),  on-, 
a  proposé  parfois  nombre  d'interprétations,  dans  lesquelles- 
une  investigation  plus  sagace  a  mieux  vu  par  la  suite.  De 
fait,  le  temps  fait  justice  des  fausses  opinions  ;  mais  «  la 
vérité  demeure  et  se  fortifie  éternellement  (1).  »  Aussi  que 
personne  ne  prétende  comprendre  exactement  toute  l'Ecri- 
ture ;  ce  serait  dire  qu'on  en  sait  plus  que  saint  Augustin 
n'en  avouait  savoir  (2)  ;  de  même,  s'il  se  présente  un  texte 
trop  difficile  à  expliquer,  chacun  prendra  la  précaution  et 
la  méthode  du  même  docteur.  «  Mieux  vaut  être  asservi 
par  des  textes  incompris,  mais  utiles,  que  de  s'exposer,  en 
ies  interprétant  inutilement,  à  laisser  choir  dans  les  filets 
de  l'erreur  l'esprit  qu'on  aura  soustrait  au  joug  de  cette 
servitude  »  (3). 

Si  Nos  conseils  et  Nos  ordres  sont  fidèlement  et  respec- 
tueusement suivis  par  ceux  qui  s'adonnent  à  ces  sciences 
salutaires,  si  par  la  plume  et  par  la  parole  ils  consacrent 
les  fruits  de  leurs  études  à  réfuter  les  ennemis  de  la  vérité, 
à  préserver  la  jeunesse  des  dangers  que  sa  foi  peut  courir, 
alors  ceux-là  pourront  enfin  se  féliciter  de  servir  dignement 

(1)  III  Esdr,  4,  38. 

(2)  Ad  lanuar.  ep.  LV,  21. 

(3)  De  doctr.  chr.  IH,  9,  18. 


LETTRE  ENCYCLIQUE  DE  S.   S.   LEON   XIII  573 

les  saintes  Lettres,  et  d'apporter  au  catholicisme  ce  secours 
que  l'Eglise  se  promet  à  bon  droit  de  la  piété  et  de  la  science 
de  ses  fils. 

Tels  sont,  Vénérables  Frères,  les  avertissements  et  les 
prescriptions  que  Nous  avons,  sous  l'inspiration  de  Dieu, 
jugés  opportuns  touchant  l'étude  de  l'Ecriture  Sainte.  A 
vous  de  veiller  à  ce  que  cette  étude  soit  gardée  et  cultivée 
avec  le  zèle  qui  convient,  de  telle  sorte  que  la  reconnais- 
sance due  à  Dieu  pour  la  communication  au  genre  humain 
du  langage  de  sa  sagesse  s'atteste  d'une  façon  plus  écla- 
tante, et  qu'abondent  les  avantages  désirés,  surtout  pour 
l'instruction  de  la  jeunesse  sacrée,  qui  est  Notre  grande 
préoccupation  et  l'espoir  de  l'Eglise.  Ainsi,  par  autorité  et 
par  persuasion,  empressez-vous  de  donner  vos  soins  à  ce 
que  dans  les  séminaires,  et  dans  les  Universités  qui  dépen- 
dent de  vous,  les  études  bibliques  fleurissent  et  demeurent 
justement  honorées.  Qu'elles  fleurissent  dans  une  heureuse 
intégrité  sous  la  direction  de  l'Eglise  suivant  les  très  salu- 
laires  enseignements  et  les  exemples  des  Saints  Pères,  sui- 
vant la  tradition  glorieuse  des  ancêtres  :  et  que,  dans  le 
cours  des  âges,  elles  reçoivent  des  développements  qui  soient 
vraiment  au  profit  et  à  la  gloire  de  la  vérité  catholique,  née 
de  Dieu  pour  le  salut  éternel  des  peuples. 

Nous  convions  enfin,  avec  un  paternel  amour,  tous  les 
jeunes  clercs  et  les  ministres  de  l'Eglise  à  s'adonner  aux 
Saintes  Ecritures  avec  un  sentiment  toujours  profond  de 
vénération  et  de  piété;  car  on  ne  peut  en  avoir  l'utile  com- 
préhension qui  convient  que  si,  écartant  la  présomption  de 
la  science  terrestre,  l'on  s'excite  saintement  à  l'étude  de 
cette  sagesse  qui  est  au-dessus  de  7ious.  L'esprit  une  fois 
formé  à  cette  méthode,  et  par  elle  éclairé  et  fortifié,  sera 
merveilleusement  propre,  même  dans  la  science  humaine, 
à  discerner  et  à  éviter  ce  qui  est  malsain,  à  cueillir  et  à 
rapporter  pour  léternité  ce  qui  en  est  le  fruit  solide  :  par 
suite,  leur  âme  s'enflammant  davantage  tendra  avec  plus 
de  désir  vers  les  récompenses  de  la  vertu  et  de  l'amour  di- 
vin: Bienheureux  ceux  qui  scrutent  les  témoignages  du 
Seigneur;  ils  le  recherchent  de  tout  leur  cœur. 


574  ANNALES    CATHOLIQUES 

Et  maiatenani  fort  de  l'espoir  du  secours  divin  et  con- 
fiant dans  votre  zèle  pastoral,  Nous  vous  accordons  avec 
amour  dans  le  Seigneur  à  vous  tous,  à  tout  votre  clergé  et 
au  peuple  confié  à  chacun  de  vous,  la  Bénédiction  Apostoli- 
que, gage  des  faveurs  célestes  et  preuve  de  Notre  particu- 
lière bienveillance. 

Donné  à  Rome,  prés  Saint-Pierre,  le  dix-huit  novembre 
de  l'année  mil  huit  cent  quatre-vingt-treize,  de  Notre  pon- 
tificat la  seizième. 

LEON  XIII,  PAPE. 


L'ALCOOLISME 
(Suite.  —  Voir  le  Numéro  précédent.) 

III.  —  Effets  de  ralcoolisme  dans  la  Société. 

Cette  crise  a  pour  cause,  au  point  de  vue  économique,  l'anta- 
gonisme du  capital  et  du  travail.  Ils  concourent  l'un  et  l'autre 
à  produire  la  richesse;  mais  dans  la  répartition  de  la  richesse, 
les  classes  laborieuses  se  plaignent  que  la  balance  ne  soit  pas 
égale.  L'argent,  avec  les  avantages  qu'il  procure,  s'accumule 
entre  les  mains  d'un  petit  nombre,  tandis  que  la  pauvreté,  avec 
ses  privations  et  ses  souffrances,  reste  le  lot  des  travailleurs. 
De  cette  inégalité  naît  une  irritation  qui,  habilement  exploitée 
par  des  ambitieux,  grandit  sans  cesse  et  détermine  des  troubles 
profonds.  Pour  calmer  cette  irritation,  il  est  nécessaire  de  don- 
Ber  satisfaction  à  ce  qu'il  y  a  de  légitime  dans  le  programme 
des  revendications  ouvrières.  Mais,  point  d'illusions  !  si  l'on 
n'arrête  pas  les  ravages  de  l'alcoolisme,  l'amélioration  du  sort 
des  travailleurs  est  impossible.  En  effet,  une  augmentation  des 
salaires  qui  n'aurait  pas  pour  base  et  pour  garantie  un  accrois- 
sement équivalent  de  bénéfices,  n'aboutirait  qu'à  un  désastre  et 
envelopperait  dans  une  commune  ruine  le  capital  et  le  travail, 
les  patrons  et  les  ouvriers.  La  facilité  des  écbanges  et  le  déve- 
loppement illimité  de  l'industrie  ayant  déchaîné  sur  tous  les 
marchés  du  globe  une  concurrence  sans  frein,  les  bénéfices  ne 
sont  assurés  qu'à  ceux  dont  l'intelligence  et  l'activité  réalisent 
à  la  fois,  dans  la  production,  des  progrès  et  des  économies.  Or, 
l'alcoolisme  fait  de  l'ouvrier  un  mauvais  producteur,  par  l'inca- 
pacité dont  il  le  frappe  et  par  les  chômages  auxquels  il  l'expose. 


l'alcoolisme  575 

C'est  un  préjugé  malheureusement  trop  répandu  que  l'alcool 
accroît  les  forces  :  en  réalité,  il  les  use.  La  période  de  surexci- 
tation musculaire  qu'il  avait  d'abord  produite  est  bieritôt  suivie 
d'une  période  d'accablement.  La  main  de  l'ouvrier  devient 
moins  sûre,  son  esprit  plus  lent  et  plus  lourd.  Une  lassitude 
étrange  amollit  ses  membres,  énerve  son  courage.  Il  ne  se 
remet  au  travail  qu'au  prix  d'un  rude  effort,  il  le  prend  ea 
dégoût,  il  n'y  apporte  qu'une  attention  distraite;  il  produit  peu 
et  il  produit  mal.  Pour  se  livrer  au  désœuvrement,  il  met  i 
profit  ou  invente  au  besoin  des  prétextes  futiles.  On  ne  le  voit 
plus  que  rarement  à  l'atelier,  si  rarement  que  l'atelier  lui  ferme 
ses  portes,  et  il  s'en  va  au  hasard  offrir  un  travail  d'autant 
moins  rémunéré  que,  par  le  fait  de  ses  habitudes  d'intempé- 
rance, il  est  plus  déprécié.  Que  ces  paresseux  et  ces  incapables 
se  multiplient,  tout  souffre,  tout  languit;  l'industrie  est  para- 
lysée, les  patrons  ne  s'enrichissent  plus  et  l'ouvrier  est  encore 
plus  pauvre.  Alors,  cédant  à  de  perfides  conseils,  il  rêve  de 
conquérir  le  bien-être  par  la  violence.  Certes,  les  travailleurs 
sont  dans  leur  droit,  quand  ils  s'efforcent  d'obtenir  pacifique- 
ment des  réformes,  et  parmi  ces  réformes  une  augmentation  de 
salaires  ;  mais  qu'ils  se  gardent  de  l'oublier,  s'ils  ne  forment 
pas  comme  une  sainte  croisade  contre  l'ennemi  que  nous  leur 
dénonçons,  toutes  les  réformes  seront  impuissantes.  Si  élevés 
que  soient  les  salaires,  ils  ne  le  seront  jamais  assez.  La  famille 
ouvrière  restera  misérablement  logée,  à  peine  nourrie  et  livrée 
à  toutes  les  incertitudes  du  lendemain. 

Désastreuses  au  point  de  vue  économique,  les  conséquences 
de  l'alcoolisme  ne  le  sont  pas  moins  au  point  de  vue  moral.  La 
prospérité  matérielle  ne  peut  suffire  au  bonheur  des  peuples. 
Ils  ne  vivent  pas  seulement  de  pain,  mais  aussi  de  vertu.  Or, 
quelles  vertus  sociales  pouvez-vous  attendre  d'un  homme  avili* 
Est-ce  la  probité?  le  sentiment  do  la  justice  ?  le  respect  des  lois* 
Sous  l'influence  de  sa  passion,  il  a  perdu  jusqu'à  Ja  notion  de 
la  justice  et  de  l'honneur.  Ce  qui  le  retient,  ce  n'est  pas  la 
conscience,  mais  la  crainte  ;  et  lorsque,  dans  le  délire  de  ses 
convoitises  brutales,  la  crainte  elle-même  disparaît,  rien  ne 
l'arrête.  Ce  n'est  plus  un  homme,  c'est  un  fauve.  Il  se  précipite 
sur  tout  ce  qui  est  l'objet  de  ses  appétits  ;  il  n'obéit  plus  qu'à 
des  instincts;  et  si  dans  ses  veines  s'allume  l'instinct  de  la  bête 
sauvage,  il  le  suit.  De  là,  ces  nombreux  attentats  contrôla  pro- 
priété et  contre  les  personnes  ;  de  là  ces   rixes  furieuses  et  ce« 


Ç>76  ANNALES    CATHOLIQUES 

meurtres  commis  avec  une  sorte  de  tranquillité  inconsciente, 
qui  épouvantent  l'opinion.  Qu'on  ne  dise  pas  que  de  tels  faits 
ont  peu  d'importance,  parce  qu'ils  sont  rares.  Hélas!  ils  aug- 
mentent tous  les  jours,  comme  le  prouvent  les  registres  de  la 
criminalité.  Si  rares  qu'ils  soient  d'ailleurs,  ils  montrent  à  quel 
degré  de  perversion  l'alcoolisme  fait  descendre  un  être  humain, 
Et  qui  donc,  lorsqu'il  se  livre  à  rintenopérance,  peut  se  pro- 
mettre de  ne  pas  aller  jusque-là? 

Quand  il  n'est  pas  dangereux  pour  la  société,  l'alcoolique  lui 
est  du  moins  inutile.  Cet  homme,  insensible  au  spectacle  de  sa 
femme  et  de  ses  enfants  réduits  par  sa  faute  aux  dernières 
extrémités,  quel  souci  aura-t-il  de  ses  devoirs  de  citoyen?  Que 
lui  importent  les  intérêts  de  la  patrie,  sa  sécurité,  sa  gloire? 
S'il  s'occupe  de  la  chose  publique,  c'est  uniquement  lorsqu'il 
lui  est  donné  de  trafiquer  de  son  vote,  et  de  vendre  pour 
un  verre  d'alcool  sa  part  d'influence  sur  les  destinées  de  son 
pavs. 

Inutile  à  la  société,  il  lui  devient  bientôt  à  charge,  soit  que 
l'épuisement  de  ses  forces  le  condamne  à  l'hôpital,  soit  que 
l'égarement  de  sa  raison  lui  ouvre  les  portes  d'un  asile  d'alié- 
nés. Ceux-ci  ne  sont  nulle  part  plus  nombreux  que  dans  les 
régions  où  l'alcoolisme  sévit  avec  intensité.  Ils  le  seraient  plus 
encore,  si  trop  souvent  le  suicide  ne  mettait  fin  à  ces  misérables 
vies  par  une  mort  plus  misérable  encore. 

Entrez  maintenant  dans  une  de  ces  maisons  oii  l'on  recueille 
les  enfants  infirmes  et  rachitiques.  Regardez  ces  pauvres  petits 
êtres  qui,  frappés  de  maux  incurables,  ne  connaîtront  jamais 
la  douceur  de  vivre.  Leur  visage  étiolé  est  empreint  d'une 
pâleur  livide,  leurs  yeux  sont  sans  expression^  le  sourire  de 
l'idiotisme  est  sur  leurs  lèvres,  et  ils  portent  dans  tous  leurs 
membres  la  trace  douloureuse  du  vice  de  leurs  pères.  Ils  sont, 
pour  la  plupart,  des  enfants  d'alcooliques,  et  sans  doute  les  der- 
niers de  leur  race,  la  science  ayant  établi  qu'après  avoir  tra- 
versé pendant  trois  ou  quatre  générations  les  phases  de  la 
dégénérescence,  cette  race  fiétrie  s'éteint.  Il  ne  faut  donc  pas 
s'étonner  si  nous  entendons  retentir  ce  cri  sinistre  :  La  France 
se  dépeuple.  Les  statistiques  le  constatent,  l'étranger  le  sait, 
nos  ennemis  s'en  réjouissent  et  ils  escomptent,  avec  l'impa- 
tience de  la  haine,  l'époque  prochaine  oii  ils  pourront  lancer 
sur  nos  frontières  leurs  innombrables  armées,  sans  qu'il  y  ait 
parmi  nous  assez  de  bras,  ni  assez  de  poitrines  pour  les  arrêter. 


l'alcoolisme  577 

Donc,  au  nom  de  la  dignité  humaine  profanée,  de  la  famille 
ouvrière  dissoute,  de  la  société  menacée  dans  ses  plus  graves 
intérêts,  nous  vous  convions.  Nos  Très  Chers  Frères,  à  joindre 
vos  efforts  aux  nôtres  et  à  user  de  toute  votre  influence  pour 
mettre  un  terme  aux  progrès  de  l'alcoolisme.  Le  plus  sûr  moyen 
d'j  réussir,  c'est  d'en  supprimer  les  causes.  Les  pires  fléaux 
s'éteignent  d'eux-mêmes  quand  on  a  le  courage  de  détruire  ce 
qui  leur  sert  d'aliment. 

IV.  —  Causes  de  l'alcoolisme. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  les  économistes  ont  signalé 
comme  favorables  au  développement  de  l'alcoolisme  les  modifi- 
cations profondes  apportées  par  l'industrie  moderne  dans  l'exis- 
tence de  l'ouvrier.  Presque  partout  l'atelier  domestique  a  dis- 
paru, et  des  usines  immenses  ont  été  ouvertes  à  un  monde  de 
travailleurs.  Isolé  au  milieu  de  cette  multitude,  déconcerté  par 
la  faiblesse  de  son  action  individuelle  en  face  de  patrons  puis- 
sants, souvent  anonymes,  l'ouvrier  s'est  découragé,  et  le 
découragement  l'a  conduit  aux  premiers  désordres.  La  chute, 
d'ailleurs,  lui  était  rendue  facile  par  la  multiplicité  des  séduc- 
tions qui  l'attendaient  an  sortir  de  l'atelier.  A  côté  de  l'usine,  en 
effet,  on  voit  presque  toujours  des  cabarets  s'établir  nombreux, 
pressés  les  uns  autour  des  autres,  spéculant  à  l'envi  sur  les 
mauvais  instincts.  A  l'attrait  des  liqueurs  enivrantes,  certains 
entrepreneurs  d'intempérance  ont  mêlé  celui  d'un  luxe  menteur 
mais  éclatant  :  la  profusion  des  lumières,  des  peintures,  des 
décorations;  d'autres,  plus  versés  dans  l'art  de  la  corruption, 
ont  imaginé,  pour  attirer  leur  proie,  de  lui  offrir  l'appât  de  la 
débauche.  Ils  ont  étalé  sous  ses  yeux  des  spectacles  immondes, 
des  exhibitions  éhontées.  Ils  ont  fait  retentir  à  son  oreille  une 
musique  prostituée  à  des  paroles  obscènes,  des  chansons  dont 
les  couplets  sont  un  outrage  à  peine  déguisé  à  la  morale  pu- 
blique. 

Avec  le  danger  de  ces  tentations,  il  y  a  l'entraînement  de 
l'exemple.  Qu'il  se  rencontre  dans  un  atelier  un  ouvrier  adonné 
à  l'intempérance  ;  il  est  à  craindre  que  d'autres  deviennent  bien 
vite  les  compagnons  de  ses  désordres.  C'est  une  sorte  de  conta- 
gion. La  peur  des  railleries,  le  désir  de  faire  preuve  d'indépen- 
dance, je  ne  sais  quel  amour-propre  et  quelle  déplorable  ému- 
lation à  qui  supportera  le  mieux  les  efiets  de  l'alcool  ;  tout 

42 


578  ANNALES    CATHOLIQUES 

contribue  à  ébranler  les  meilleures  résolutions  et  à  pousser 
Touvrier  sur  la  pente  fatale  qui  aboutit  aux  plus  coupables 
excès. 

L'esprit  de  faraille  serait  un  point  très  fernîe  de  résistance. 
Malheureusement,  il  s'est  amoindri,  par  suite  des  nécessités 
industrielles.  L'usine  absorbe  le  travailleur,  elle  lui  prend  les 
heures  du  jour,  et  parfois  les  heures  de  la  nuit;  elle  le  tient 
attaché  à  son  métier,  sans  même  lui  donner  le  loisir  d'aller,  au 
moment  du  repas,  s'asseoir  avec  les  siens.  Il  en  résulte  pour  lui 
l'habitude  de  chercher  au  dehors  ses  distractions  et  ses  plaisirs, 
et  de  ne  rentrer  sous  son  toit  que  pour  donner  à  son  corps 
accablé  de  fatigue  le  repos  qu'il  réclame  impérieusement.  Quant 
au  repos  moral,  encore  plus  nécessaire,  il  le  trouverait  dans  la 
société  de  sa  femme  et  de  ses  enfants  ;  mais  il  en  jouit  si  rare- 
ment, et  pour  de  si  courts  moments,  qu'il  finit  par  en  perdre  le 
goût  et  n'en  plus  sentir  le  besoin. 

Du  reste,  le  logis  lui  offre  peu  d'attraits,  surtout  dans  les 
villes,  où  il  se  réduit  à  une  ou  deux  chambres  qu'un  petit 
nombre  de  meubles  suffit  à  encombrer.  L'homme,  accoutumé 
aux  grands  mouvements,  est  mal  à  l'aise  dans  cet  espace  étroit, 
il  est  inoccupé,  il  s'ennuie  ;  et  si  la  femme  n'a  pas  su  répandre 
autour  d'elle  un  air  d'aisance,  si  elle  ne  possède  pas  le  secret 
d'intéresser  son  mari  aux  incidents  quotidiens  de  la  vie  de 
famille,  si  lui-même  n'a  pas  un  profond  sentiment  de  ses  devoirs 
d'époux  et  de  père,  il  se  sent  attiré  par  le  cabaret,  oii  il  trouve 
du  moins  une  apparence  de  luxe  et  l'idée  d'un  bien-être  momen- 
tané. 

Un  autre  péril,  c'est  le  chômage  du  lundi.  Certains  patrons 
ont  contribué  à  propager  ce  déplorable  abus.  Sans  être  excusés 
par  une  de  ces  nécessités  impérieuses  que  la  religion  elle-même 
reconnaît,  ils  ont  contraint  leurs  ouvriers  à  fouler  aux  pieds  le 
précepte  de  la  sanctification  du  dimanche.  Mais,  comme  il  y  a 
aux  forces  de  l'homme  une  limite  qu'on  ne  peut  impunément 
franchir,  le  travailleur  a  dû,  pour  ne  s'être  pas  reposé  le  di- 
manche, se  reposer  le  lundi.  Eh  bien!  que  sera  cette  journée? 
La  maison  est  déserte,  la  femme  est  au  travail,  les  enfants  à 
l'école,  les  distractions  honnêtes  font  défaut.  Après  avoir  pro- 
mené son  ennui,  il  se  réfugie  là  oix  il  est  assuré  d'avoir  un 
passe-temps  dans  le  jeu  et  une  société  bruyante.  Provoqué  à 
l'intempérance,  il  ne  résiste  pas;  dans  ses  veines,  s'allume 
comme  une  fièvre  de  plaisir;  et  la  raison  ne  le  contenant  plus. 


i/alcoolisme  579 

il  donne  à  l'orgie  les  heures  qu'il  s'était  promis  de  donner  au 
repos. 

Rejeter  sur  l'industrie  moderne  toute  la  responsabilité  de  ces 
désordres  serait  une  injuste  et  ridicule  exagération.  L'industrie 
a  réalisé,  au  point  de  vue  du  bien-être  général,  des  progrès 
incontestables  ;  elle  a  rendu  de  grands  services  à  la  cause  de 
l'humanité.  11  faut  lui  en  savoir  gré.  Mais,  aujourd'hui,  après 
un  siècle  de  développement  ininterrompu,  on  est  en  droit  de 
lui  demander  de  se  réformer  elle-même  et  de  corriger  les  abus 
que  l'expérience  a  révélés  dans  son  organisation.  Son  prenfiier 
devoir  est  de  secouer  cette  frayeur  puérile  ou  égoïste  qu'elle  a 
trop  longtemps  fait  paraître  à  l'égard  de  l'association.  E>n  l'iso- 
lant du  mouvement  qui  porte  les  ouvriers  à  unir  leurs  forces,  à 
confondre  leurs  intérêts,  les  chefs  d'industrie  ont  commis  une 
lourde  faute,  aussi  funeste  à  eux-mêmes  qu'aux  travailleurs. 
Ceux-ci,  en  effet,  abandonnés  par  leurs  guides  naturels,  se  sont 
enrôlés  dans  ces  Sociétés  qui,  sous  des  drapeaux  divers,  repré- 
sentent des  doctrines  également  détestables  et  dont  le  moindre 
souci  est  de  rendre  l'ouvrier  meilleur  et  plus  heureux.  Pour 
combattre  leur  influence,  il  importe  de  multiplier  et  d'encoura- 
ger les  associations  oti  l'on  développe  ce  qu'il  y  a  de  bon  et  de 
généreux  dans  l'âme  du  peuple;  principalement  celles  qui  faci- 
litent l'épargne,  en  inspirent  le  goût,  et  opposent  aux  sollicita- 
tions de  l'intempérance  le  charme  du  bien-être  et  de  la  sécurité 
qu'on  trouve  dans  l'ordre  et  l'économie. 

Il  est  de  l'intérêt  comme  du  devoir  des  patrons  de  veiller  à 
tout  ce  qui  peut  améliorer  la  condition  morale  et  matérielle  de 
leurs  ouvriers.  Ils  sont  tenus  de  les  soustraire,  autant  qu'il  est 
en  eux,  à  la  contagion  du  mauvais  exemple,  par  conséquent 
d'écarter  de  l'atelier  ou  de  l'usine  les  incorrigibles  buveurs 
d'alcool.  L'appât  du  gain  wi  les  autorise  jamais  à  prolonger 
sans  mesure  les  heures  du  travail,  car  un  travail  excessif,  fut- 
il  largement  rémunéré,  démoralise  le  travailleur  en  l'épuisant. 
11  appartient  également  aux  chefs  d'industrie  d'atténuer  le  tort 
causé  à  l'esprit  de  famille  en  favorisant  la  création  de  loge- 
ments salubres  et  décents.  Donner  à  ces  logements  de  l'air,  de 
l'espace  et  de  la  lumière,  c'est  combattre  indirectement  mais 
très  efficacement  l'intempérance  ;  car,  selon  la  remarque  d'un 
éminent  écrivain,  «  ce  qui  vaut  mieux  que  la  sévérité  du  patron 
pour  arracher  l'ouvrier  au  cabaret,  c'est  de  rendre  le  cabaret 
inutile  en  rendant  la  maison  agréable  (1).  » 

(1)  Jules  Siuos.  Le  travail. 


580  ANNALES    CATHOLIQUES 

Dans  la  lutte  contre  l'alcoolisme,  quel  est  le  rôle  des  pouvoirs 
publics?  Déjà,  plusieurs  gouvernements  ont  réussi,  non  seule- 
ment à  entraver  sa  marche,  mais  encore  à  le  refouler  et  à  le 
chasser  du  terrain  qui  semblait  définitivement  conquis.  Or,  leur 
principal  mojen  d'action  a  été  de  restreindre  par  des  mesures 
énergiques  l'inquiétante  multiplication  de  ces  débits  d'alcool, 
qui  jouissent  parmi  nous  d'une  liberté  presque  absolue.  Us  acca- 
parent les  centres  ouvriers,  ils  envahissent  les  campagnes, 
créant  partout  de  véritables  foyers  de  dépravation.  Un  gouver- 
nement qui  entreprendrait  d'en  diminuer  le  nombre,  rendrait  à 
la  société  et  surtout  aux  classes  populaires  un  inappréciable 
service;  il  aurait  bien  mérité  de  la  reconnaissance  publique. 
Pourquoi  donc  s'arrêter  à  des  calculs  politiques  inavouables? 
N'esi,-il  pas  temps  enfin  d'exercer  sur  la  vente  de  l'alcool  une 
rigoureuse  surveillance,  de  mettre  un  terme  à  ces  falsifications 
qui  centuplent  l'action  meurtrière  des  boissons  enivrantes  et  de 
réprimer  avec  fermeté  toute  excitation  à  l'intempérance,  toute 
provocation  à  la  débauche  ? 

En  cette  matière  d'ailleurs,  comme  en  tout  ce  qui  touche  à  la 
question  sociale,  on  aurait  tort  d'attendre  un  remède  souverain 
de  l'intervention  de  l'Etat.  Comme  l'a  dit  un  économiste  anglais, 
Channing,  l'alcoolisme  n'est  pas  un  vice  isolé,  il  est  à  la  fois  et 
la  conséquence  et  le  sjraptôme  d'une  démoralisation  générale. 
Or,  toutes  les  lois  sont  impuissantes  à  extirper  un  mal  qui  a 
pris  racine  dans  la  vie  d'une  nation.  On  ne  rend  pas  les  peuples 
tempérants  et  vertueux  par  décret.  «  Que  peuvent  les  lois  sans 
les  mœurs?»  disait  l'axiome  antique.  Avant  tout  il  faut  une 
réforme  dans  les  mœurs,  et  par  conséquent  une  réforme  dans 
les  idées,  car  la  raison  et  l'expérience  démontrent  que  l'une  est 
inséparable  de  l'autre. 

V.—  Quel  sera  le  vrai  remède  contre  l'alcoolisme? 

Une  grande  erreur  produit  toujours  un  grand  désordre,  et  la 
perversion  des  idées  a  pour  conséquence  inévitable  la  corruption 
des  mœurs.  Voici,  à  notre  époque,  l'erreur  dominante.  Eblouis 
par  l'éclat  des  découvertes  que  la  science  doit  à  la  méthode 
expérimentale,  on  s'est  persuadé,  qu'appliquée  à  l'ordre  méta- 
physique, cette  méthode  produisait  d'aussi  merveilleux  résultats. 
Théorie  fausse  et  stérile  qui  aboutit  à  la  négation  de  Dieu,  de 


l'alcoolisme  581 

l'âme  et  de  l'avenir  immortel.  Le  xviu*  siècle  avait  dit  : 
«  L'homme  n'est  tenu  de  croire  qu'à  ce  qu'il  comprend.  »  Mais, 
si  par  cette  formule  il  renonçait  aux  dogrjes  surnaturels,  il . 
gardait  du  moins  les  vérités  fondamentales  qui  sont  le  natrimoine 
inaliénable  de  l'esprit  humain.  Ce  patrimoine,  la  nouvelle  école 
philosophique  le  rejette  en  disant  :  L'homme  ne  doit  croire  qu'à 
ce  qui  se  voit,  se  touche  et  s'observe.  Rechercher  en  dehors  du 
monde  visible  l'explication  de  l'origine  et  de  la  destinée  des 
êtres,  c'est  une  spéculation  oiseuse,  un  pur  jeu  d'esprit.  Dieu, 
s'il  existe,  est  insaisissable;  dans  la  solitude  où  il  se  dérobe,  la 
science  ne  peut  ni  l'atteindre,  ni  même  l'approcher.  Du  reste,  il 
n'importe  en  aucune  matière  de  vérifier  l'hypothèse  de  son 
existence.  L'homme  se  suffit  à  lui-même  et  n'a  besoin  d'aucun 
secours  d'en  haut;  ses  facultés,  ses  passions,  ses  appétits,  tout 
en  Ini  est  bon,  parce  que  tout  est  l'œuvre  de  la  nature  :  c'est 
elle  qui  est  son  Dieu,  son  principe,  sa  loi,  sa  fin. 

0  homme,  fils  de  la  terre,  pourquoi  lasser  tes  regards  à  con- 
templer le  ciel?  Le  ciel  est  vide,  l'infini,  l'idéal,  ra"bsolu,  autant 
de  visions  décevantes.  Si  tu  veux  être  heureux,  aftranchis-toi, 
par  nn  viril  effort  du  joug  des  vieilles  croyances.  Cesse  de 
trembler  à  des  craintes  sans  fondement  ou  de  tressaillir  à  des 
espoirs  sans  lendemain.  Le  bonheur  n'est  pas  au-dessus  de  toi, 
en  des  régions  lointaines  et  inexplorées;  il  est  sous  ta  main,  il 
est  dans  la  nature,  ses  fieurs,  ses  parfums,  ses  sourires;  dans 
les  voluptés  qu'il  ofi"re  à  tes  désirs,  dans  les  ivresses  qu'il  pro- 
digue à  tes  sens.  Le  bonheur,  il  est  en  toi,  dans  tes  convoitises 
satisfaites  et  des  appétits  rassasiés. 

Cette  doctrine  n'a  été  que  trop  bien  comprise.  Vulgarisée  par 
le  livre,  le  journal,  le  théâtre,  elle  a  pénétré  partout,  minant  le 
sol  et  désagrégeant  les  bases  sur  lesquelles  repose  la  société.. 
Elle  a  ébranlé  les  croyances,  amolli  les  convictions,  provoqué 
un  affaissement  général  des  intelligences  et  des  cœurs.  Cap- 
tivés par  Y  enchantement  de  la  bagatelle,  les  âmes  n'ont  plus 
senti  cette  sublime  angoisse  de  l'éternité  qui,  aux  âges  de  foi, 
remuaient  les  peuples.  Devant  les  formidables  mystères  de  la 
vie  et  de  la  mort,  beaucoup  d'hommes  qui  se  croient  sérieux 
passent  sans  même  relever  la  tête.  On  dirait  qu'ils  ont  perdu 
j  usqu'à  l'espoir  de  rien  apprendre  des  choses  éternelles,  et  qu'ils 
sont  résignés  à  disparaître  tout  entiers  dans  la  tombe.  Mais  quoi 
donc?  Le  plaisir  est-il  l'unique  but  de  la  vie  humaine?  On  le 
poursuit  avec  une  âpreté  dévorante  et  implacable;  ce  qu'on 


582  ANNALES    CATHOLIQUES 

appelle  la  lutte  pour  la  vie  n'est  qu'une  mêlée  d'appétits  sau- 
vages et  impatients.  On  se  hâte,  on  rivalise  d'ardeur  pour 
s'emparer  d'une  plus  grosse  part  de  jouissances.  Et  ceux-là  sont 
jugés  dignes  d'envie,  qui  ont  été  les  plus  habiles  et  les  plus 
forts.  C'est  à  peine  si,  pour  dissimuler  la  honte  de  scandales 
inouis,  on  les  couvre  d'un  léger  voile,  tant  on  se  croit  autorisé 
à  trafiquer  de  tout,  même  de  la  conscience,  même  de  l'honneur. 

En  présence  de  ce  libre  étalage  de  luxe  et  de  volupté,  que  pense 
l'homme  du  peuple,  ce  pauvre  artisan  qu'on  laisse  aux  prises 
avec  le  travail  et  la  souffrance?  Ce  qu'il  pense,  le  voici  :  égaré 
par  les  doctrines  qu'on  lui  a  prêchées,  persuadé  que  le  tout  de 
l'homme,  c'est  le  plaisir,  que  tout  commence  et  finit  à  la  terre, 
et  qu'au  delà  il  n'y  a  rien  à  craindre,  rien  à  espérer,  il  se  dit 
que  la  sagesse  consiste,  pour  lui,  aussi  bien  que  pour  les  autres, 
à  amasser  en  passant,  le  plus  de  joies  qu'il  pourra,  et  comme  il 
n'a  pas  d'or  pour  acheter  des  plaisirs  délicats,  élégants,  raffinés, 
il  se  jette  sur  les  grossières  jouissances  que  procure  l'ivresse  et 
se  livre  à  l'intempérance,  sans  mesure  et  sans  remords. 

Prêcheurs  de  morale  indépendante,  chantres  du  plaisir,  cet 
homme  abruti  vous  répugne,  et  vous  en  avez  peur.  Daus  le 
monde  que  vous  avez  arrangé  au  gré  de  votre  fantaisie,  il 
apparaît  comme  un  reproche  et  une  menace,  car  il  est  pauvre  et 
il  souffre.  De  ce  bonheur  dont  vous  lui  avez  fait  de  séduisantes 
peintures,  il  n'a  pas  reçu  sa  part.  La  terre  est  toujours  pour  lui 
une  marâtre.  Elle  boit  ses  sueurs  et  ne  lui  donne  en  échange 
ni  fieurs,  ni  parfums,  ni  sourires. 

Selon  vos  conseils,  il  a  lâché  la  bride  à  ses  convoitises,  il  leur 
a  sacrifié  ce  qu'il  y  avait  dans  son  âme  de  bon,  do  noble,  de 
divin  ;  ce  qui  avait  fait  peut-être,  en  des  jours  lointains,  le 
charme  et  l'honneur  de  sa  vie.  Une  horrible  passion  a  dévoré 
sa  chair,  son  sang,  son  intelligence,  sa  liberté;  et  à  présent,  il 
ôst  plus  malheureux  que  jamais,  victime  non  seulement  de  ses 
vices,  mais  encore  de  votre  impiété.  Qui  donc  aura  pitié  de  cet 
homme?  Qui  lui  tendra  la  main?Oserez-vous  lui  parler  du  sen- 
timent de  sa  dignité,  vous  qui  ne  voyez  dans  l'homme  qu'un 
produit  perfectionné  de  la  matière?  Ferez-vous  appel  à  sa  con- 
science, vous  qui,  dans  la  conscience,  n'avez  découvert  qu'un 
vil  préjugé?  Essayerez-vous  de  l'effrayer  par  la  crainte  d'une 
responsabilité  quelconque,  vous  qui  proclamez  que  les  phéno- 
mènes de  la  vie  morale,  comme  ceux  de  la  vie  physique,  sont 
régis  par  des  lois  inflexibles?  Moralistes  sans  principes  et  sans 


i/alcoolisme  583 

cœur,  passez  votre  chemin;  ce  misérable,  étendu  dans  la  boue 
et  couvert  de  blessures,  vous  avez  contribué  à  le  dépouiller  et 
à  le  perdre;  vous  ne  pouvez  rien  pour  le  sauver.  Celui-là  seul 
saura  le  guérir,  qui  autrefois  s'arrêtait  avec  une  tendre  com- 
misération prés  du  blessé  de  Jéricho  et  versait  sur  ses  plaies 
saignantes  l'huile  et  le  vin. 

Dans  l'élan  d'un  amour  infini,  le  Fils  de  Dieu  est  sorti  du 
sein  do  sa  gloire,  il  est  descendu  en  ce  monde  et  a  pris  une  chair 
mortelle,  afin  de  s'approcher  de  l'homme,  de  le  relever,  de  le 
])urifier  et  de  le  rétablir  dans  sa  primitive  grandeur.  En  ce 
temps-là,  épuisée  de  luxure,  livrée  à  la  fièvre  des  passions, 
l'humanité  s'agitait  en  des  crises  désespérées.  Plus  de  lumière 
divine  dans  ses  yeux,  plus  de  sang  généreux  dans  sa  chair.  Son 
cœur  était  glacé  ;  sous  l'étreinte  de  la  peur,  il  frissonnait  encore, 
il  ne  tressaillait  plus  au  souffle  des  nobles  amours. 

Jésus-Christ,  prenant  cette  humanité  entre  ses  bras  puis- 
sants et  doux,  la  baigna  dans  son  sang.  Elle  en  sortit  régénérée. 
Regardez  maintenant,  sa  chair  est  saine,  ses  membres  vigou- 
reux, une  vie  nouvelle  circule  dans  ses  veines;  elle  croit,  elle 
aime,  elle  sourit,  elle  espère.  Par  delà  les  obscurités  de  la  vie 
présente,  son  regard  découvre  avec  ravissement  l'aurore  d'un 
soleil  sans  déclin;  par  delà  toutes  les  joies  et  toutes  les  affec- 
tions humaines,  son  cœur  pressent  et  devine  les  saintes  ivresses 
de  l'éternel  amour. 

Or,  celui  qui  a  fait  refleurir  la  vertu  au  sein  de  la  corruption 
païenne  est  seul  capable  d'firrèter  la  contagion  qui  nous  envahit. 
«  Pour  le  monde,  a  dit  saint  Hilaire,  point  de  plus  grand  péril 
que  d'abandonner  Jésus-Christ.  Nihil  tam  mundo  periculosum 
quani  dereliquisse  Chrislum.  »  Est-ce  que  nos  fautes  et  nos 
malheurs  ne  justifient  pas  la  vérité  de  cette  parole?  Séduits  par 
de  brillantes  erreurs,  enorgueillis  des  merveilleuses  conquêtes 
de  la  science  et  de  l'industrie,  nous  avons  rêvé,  en  multipliant 
le  plaisir,  de  multiplier  le  bonheur.  Chimères  que  tout  cela!  Il 
n'est  pas  en  notre  pouvoir  de  changer  les  conditions  essentielles 
de  l'existence  humaine.  Le  plaisir  est  resté  le  privilège  du  petit 
nombre,  le  bonheur  devient  de  plus  en  plus  rare,  et  l'envie,  la 
haine,  la  souffrance,  se  disputent  avec  plus  d'acharnement 
l'humanité.  Ce  qui,  à  la  fin  d'un  siècle  dont  on  avait  tant  es- 
péré, caractérise  l'état  des  âmes,  c'est  une  lassitude  immense, 
un  malaise  universel.  Il  y  a  dans  les  esprits  une  inquiétude 
douloureuse,  dans  les  cœurs  le  sentiment  d'avoir  perdu  quelque 
chose  de  grand,  de  bon,  de  nécessaire,  avec  une  ardente  aspi- 


584  ANNALES    CATHOLIQUES 

ration  à  sortir  de  l'abaissement  moral  ou  nous  ont  fait  tomber  de 
désolantes  erreurs.  On  veut  respirer  un  air  plus  pur,  on  veut 
vivre  autrement  que  par  les  sens,  on  parle  sans  cesse  des  choses 
de  l'au  delà,  et  Ton  essaye  de  rallumer  dans  les  âmes  une  nou- 
velle et  généreuse  passion  pour  le  beau,  pour  le  bien,  pour 
l'idéal. 

Mais  le  suprême  idéal  est  une  magnifique  réalité,  c'est  le 
Christ  qui  peut  seul  donner  un  aliment  à  cette  soif  et  à  cette 
faim  mystérieuses  qui  tourmentent  notre  époque.  La  vérité,  la 
bonté,  la  beauté,  c'est  lui  ;  la  justice,  l'honneur,  la  liberté,  c'est 
encore  lui.  Que  son  nom  soit  donc  rétabli  en  tête  de  nos  institu- 
tions et  de  nos  lois  ;  que  la  lumière  de  son  Evangile  ra3'onne  de 
nouveau  dans  les  esprits  et  dans  les  cœurs,  que  sa  morale  rede- 
vienne la  loi  souveraine  des  mœurs  privées  et  des  mœurs  pu- 
T3liques;et  les  fléaux  qui  nous  menacent  s'arrêteront  d'eux- 
mêmes;  les  belles  pensées  et  les  saintes  aiïections  se  réveille- 
ront dans  les  âmes,  les  vertus  sociales  reprendront  leur  sève 
«t  leur  vigueur,  et  nous  verrons  régner  parmi  nous  l'ordre,  la 
charité,  la  paix.  Cardinal  Thomas. 


LE  CONVENT  MAÇONNIQUE  DE  1893 

En  une  trentaine  de  pages  in-S^  d'une  brochure  élégante,  sur 
beau  papier,  imprimée  en  un  texte  très  clair,  en  un  mot  avec 
tous  les  petits  menus  attraits,  qui  ne  sont  jamais  à  dédaigner 
d'un  bon  instrument  de  propagande,  Mgr  l'èvéque  de  Grenoble 
réunit  trois  choses:  1°  l'exposé  du  convent  maçonnique  de  1893; 
2°  sa  discussion;  3°  un  catéchisme  de  la  politique  chrétienne, 
catéchisme  électoral  à  la  fois  bref  et  largement  conçu.  Procé- 
dons par  ordre. 

L  —  Les  résolutions  du  convent  n'ont  rien  de  nouveau  quant 
à  la  question  religieuse  proprement  dite.  C'est  à  peu  prés  tou- 
jours la  même  cliose.  Mais  elles  inaugurent  la  politique  d'action 
sur  le  terrain  social.  En  fait  d'anticléricalisme,  une  résolution 
générale  résume  tout  : 

Le  convent  de  1893,  fitlèle  aux  doctrines  anticléricales  et  humani- 
taires de  la  F. -.-M.*.,  désireux  de  voir  le  conseil  de  l'Ordre  donner  à 
toutes  les  LL.*.  de  l'Obédience  une  impulsion  énergique  propre  à 
amener  la  réalisation,  depuis  si  longtemps  souhaitée,  des  réformes 
nécessaires,  le  charge  d'organiser,  sur  toute   l'étendue  du  territoire 


l.E  CONVKNT  MAÇONNIQUE  DE  1893  585 

de  la  République,  une  ngitation  pacifique  destinée  à  permettre  rnfin 
l'écrasement  définitif  du  cléricalisme. 

Comme  raovens  d'exécution,  l'application  intégrale  des  lois 
scolaires  et  militaire,  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  ce 
qui  signifie,  en  termes  exacts,  la  suppression  du  budget  des 
cultes,  la  suppression  des  congrégations  et  la  conliscation  do 
leurs  biens,  en  attendant  la  suppression  des  congréganistes  eux- 
mêmes  par  le  procédé,  méthodique  et  chirurgical,  de  la  section 
du  cou. 

Ce  sont  des  vœux  (!...)  dont  la  maçonnerie  se  contente  tant 
qu'elle  ne  peut  faire  autrement,  et  qu'elle  réalise  immanquable- 
ment quand  les  conjonctures  s'y  prêtent.  Alors  ce  sont  des  sou- 
venirs qui  passent  à  l'état  de  grandes  époques  de  l'histoire,  et 
dont  on  célèbre  le  centenaire. 

Les  questions  d'actualité  sociale  sont  énuraérées  par  le 
F.*.  Merchier  au  nom  de  la  commission  de  propagande  : 

Convaincue,  en  outre,  que,  tout  en  continuant  la  lutte  séculaire 
contre  le  cléricalisme,  la  Fr...-Maç.".  ne  peut  rester  hypnotisée  en 
face  des  questions  religieuses,  votre  commission  vous  propose  de  sou- 
mettre à  l'étude  des  44  .•.  les  questions  suivantes  éminemment 
propres  à  fixer  l'orifintation  que  la  fédération  veut  voir  donner  à 
l'ordre: 

1°  Reprise  des  monopoles  (chemins  de  fer.  Banque  de  France, 
mines); 

2o  Création  de  l'assistance  publique  intégrale  dans  les  villes  et 
dans  les  campagnes,  nécessité  d'assurer  à  tout  être  humain,  inca- 
pable de  gagaer  sa  vie,  la  satisfaction  de   son  minimum  de   besoins; 

3°  Suppression  des  impôts  qui  pèsent  sur  la  consommation  et  le 
travail;  leur  remplacement  par  un  impôt  sur  la  richesse; 

4»  Suppression  de  l'héritage  en  ligne  collatérale  ; 

5°  Création  d'un  impôt  progressif  sur  les  successions  en  ligne 
directe  ; 

6°  De  la  propriété  et  de  ses  différentes  formes. 

II.  —  Dans  la  discussion  de  ce  programme  de  propagande  de 
désordre,  Mgr  Fava  rappelle  aux  catholiques  quel  instrument 
légal,  légitime  et  invincible  ils  peuvent  trouver  dans  le  Concor- 
dat, traité  conclu  de  puissance  à  puissance  entre  la  France  et 
l'Eglise, et  que  le  gouvernement  français,  fùt-il  révolutionnaire^ 
ne  saurait  mettre  à  néant  de  sa  seule  volonté.  Sur  ce  terrain  la 
résistance  est  de  droit  absolu  : 

Convient-il  que  quelques  centaines  de  conspirateurs',  qui  voudraient 


586  ANNALES    CATHOLIQUES 

s'envelopper  d'ombre  et  de  silence,  au  fond  de  leur  sombre  demeure, 
commandent,  comme  ils  le  font  au  gouvernement  de  la  France,  d'en 
finir  avec  l'Eglise,  comme  les  juifs  imposaient  à  Pilate  un  arrêt  de 
mort  contre  Jésus-Christ  ! 

Nous,  évêque  de  cette  divine  Eglise,  au  nom  de  nos  diocésains, 
nous  protestons;  et  comme  nous  savons  que  notre  voix  ne  trouvera 
point  d'écho,  nous  demandons  au  Pape,  qui  est  partie  contractante 
avec  la  France,  d'appuyer  nos  justes  réclamations  ;  car  nous  n'en- 
tendons pas  nous  laisser  écraser  de  la  sorte  par  une  poignée 
d'hommes  qui  se  préparent  à  se  glisser  sur  nos  pas  pour  nous  deman- 
der la  ôowrse  d'abord,  la  vie  ensuite,  sans  nous  défendre  avec  toutes 
les  armes  que  la  justice  et  la  liberté  ont  laissées  à  nos  voix  et  à  nos 
bras.  S'il  le  faut,  nous  ferons  appel  à  nos  frères,  les  catholiques  fran- 
çais, et  tous  ensemble  nous  demanderons  justice  au  chef  de  la  nation, 
qui  doit  être  lui-même  catholique,  de  par  la  loi  des  Francs,  sous 
peine  de  déchéance. 

Quant  aux  questions  purement  sociales,  celle  de  la  propriété 
par  exemple,  Monseigneur  l'êvêque  de  Grenoble  observe  que  les 
francs-maçons  n'y  comprendront  goutte  en  dehors  du  Décalogue. 
Cela  est  certain.  La  multitude,  la  variété,  l'incohérence  de  leurs 
systèmes,  constamment  nouveaux  et  constamment  détruits  les 
uns  par  les  autres,  prouvent  surabondamment  que  la  vérité 
n'est  pas  là.  Les  expériences  révolutionnaires  qui  ont  été  faites 
le  démontrent,  hélas!  suffisamment  aussi.  Mgr  Fava  résume 
l'idée  de  la  résistance  dans  une  proposition  claire  et  hors  do 
toute  équivoque  : 

Qu'on  le  sache  bien,  nous  serons  toujours  avec  la  France,  quelle 
que  soit  la  forme  de  gouvernement  qu'elle  se  donne,  mais  jamais  avec 
la  maçonnerie,  ni  avec  les  erreurs  qu'elle  professe:  Non  possumus. 

Notre  avis  est  qu'il  faut  combattre  la  secte  maçonnique  là  où  elle 
porte  elle-même  le  combat. 

Comment  combattrons-nous  avec  efficacité  la  secte  maron- 
nique  partout  oii  elle  porte  le  combat?  C'est,  chacun  dans  notre 
sphère,  par  l'union  des  volontés  sur  des  principes  formulés  en 
peu  de  mots,  lucides,  fermes,  tels  que  chacun  les  puisse  entendre 
dans  sa  condition  sociale,  tels  et  c'est  tout  dire,  qu'ils  se  puis- 
sent résumer  en  un  bref  catéchisme. 

in.  —  Le  catéchisme,  sous  le  titre  de  Politique  chrétientie, 
est  divisé  en  quatre  chapitres  qui  traitent:  de  la  Royauté  divine 
de  Jésus-Christ,  des  Apôtres  de  Jésus-Christ,  des  ruoyens 
d'apostolat,  des  élections  ;  nous  citerons  ce  dernier  chapitre 
en  entier: 


LE  CONVENT  MAÇONNIQUE  DE  1893  587 

DES  ELECTIONS 

Est-ce  que  les  élections  sont  un  moyen  d'apostolat  ? 

Oui,  les  élections  diverses,  surtout  celle  des  députés  et  des  séna- 
teurs, sont  un  moyen  puissant  d'être  apôtre  de  Jésus-Christ. 

Quelle  en  est  la  raison? 

La  raison  en  est  que  les  députés  et  les  sénateurs  font  les  lois  et 
forment  le  gouvernement  du  pays.  Si  leurs  lois  sont  conformes  à  la 
justice  et  respectueuses  des  croyances  catholiques,  ces  lois  sont 
bonnes;  sinon,  elles  sont  injustes  et  impies,  et  le  gouvernement 
mauvais. 

Que  faut-il  penser  des  électeurs  qui,  sciemment  et  le  voulant,  notn- 
ment  des  députés  et  sénateurs  quils  savent  devoir  voter  contre  les 
croyances  catholiquzs  ? 

11  faut  penser  que  ces  électeurs  se  rendent  gravement  coupables 
envers  Dieu,  et  qu'ils  sont  responsables  devant  lui  des  actes  mauvais 
que  commettront  les  députés  et  sénateurs  nommés  par  eux. 

Et  pourquoi  cela  ? 

Parce  que  si  les  électeurs,  en  nommant  les  députés  et  sénateurs, 
n'insultent  pas  eux-mêmes  Jésus-Christ  et  son  Eglise,  ils  les  font 
offenser,  insulter  et  blasphémer  par  les  hommes  de  leur  choix. 

Mieux  vaudrait  donc  ne  pas  voter  du  tout  ? 

Puisque  les  élections  sont  un  moyen  d'être  apôtres  de  Jésus-Christ, 
et  que,  en  général,  il  est  facile  de  voter,  il  faut  regarder  les  élections 
comme  obligatoires  devant  Dieu. 

Que  faire  si  aucun  catholique  ne  se  présente? 

Il  fautque  les  catholiques  s'entendent  entre  eux  pour  en  choisir  un. 

Cela  coûte  cher  et  de  diverses  manières  ? 

Oui,  c'est  cher  aussi  pour  les  ennemis  de  Dieu,  et  ils  trouvent  de 
l'argent.  Unissons-nous,  et  nous  en  trouverons. 

Les  évêques  et  les  prêtres  peuvent-ils  se  mêler  d'élections  ? 

Oui,  puisque  la  loi  les  reconnaît  électeurs  et  éligibles,  et  leur 
assure  tous  les  droits  de  citoyens  français,  dont,  par  ailleurs  ils  rem- 
plissent les  obligations. 

Est-ce  que  le  clergé  à  l'étranger  s'occupe  des  élections  ? 

Oui,  en  Belgique,  en  .Vllemagne,  en  Angleterre,  en  Amérique,  par- 
tout, les  évêques  et  les  prêtres  s'occupent  des  élections,  étant,  plus 
que  les  citoyens  ordinaires,  obligés  d'être  les  apôtres  de  Jésus-Christ, 
défenseurs  des  droits  de  l'Eglise,  pères  du  peuple,  gardiens  des 
moeurs  et  amis  de  la  gloire  de  la  nation. 

Il  faut  donc  quand  il  y  a  des  élections  en  vue,  s'y  préparer? 

Oui,  il  faut  s'y  préparer  comme  à  un  acte  d'où  dépendent  la  fortune 
du  pays,  son  bonheur  et  son  avenir. 

Voilà,  croyons-nous,  les  plus  excellents  préceptes  exprimés 


588  ANNALES   CATHOLIQUKS 

en  termes  non  moins  excellents.  La  brochure  de  Mgr  Fava  est 
intitulée  Converti  maçonnique  des  11,  12,  13,  14  et  15  septem- 
bre 1893.  Elle  se  trouve  chez  Baratier  et  Dardelet,  libraires  à 
Grenoble.  C'est  une  vraie  bonne  œuvre  que  de  la  répandre. 
C'est  en  quelque  sorte  répondre  au  convent  maçonnique  par 
une  sorte  d'intellectuel  et  très  efficace  convent  catholique  sans 
déplacement,  réunissant  dans  la  même  croisade  tous  les  hommes 
intelligents,  tous  ceux  qui  savent  comprendre  et  lire,  et  qui 
possèdent  assez  d'influence  autour  d'eux  pour  distribuer  quel- 
ques exemplaires  d'une  brochure. 

[Vérité.)  G.  Bois. 


UNE  VISITE  A  NOTRE-DAME  DE  LOURDES 

Voyage  autour  de   la  grotte. 

Amis  lecteurs,  je  vous  propose  un  voyage  autour  de  la  grotte 
de  Lourdes.  Dans  notre  célèbre  sanctuaire  pyrénéen,  le  grand 
aimant  du  pèlerin,  nul  ne  l'ignore  c'est  le  rocher  béni.  C'est 
à  la  grotte  que  l'on  va  le  plus  volontiers,  c'est  là  que  l'on  prie 
avec  le  plus  d'ardeur,  c'est  là  qu'on  se  réunit  avec  le  plus  de 
plaisir,  c'est  là  d'ailleurs,  si  je  puis  parler  ainsi,  le  quartier 
général  des  prodiges.  Laissons-nous  donc  entraîner;  suivons  la 
foule  et  rapprochons-nous  de  Massabielle. 

I 

Notre  voyage,  si  vous  le  voulez  bien,  commencera  à  la  gare. 

Nos  pères  ont  eu  des  émotions  que  nous  n'avons  plus.  Autre- 
fois, quand  on  venait  de  loin  et  pédestreraent  faire  un  pèlerinage 
dans  un  lieu  consacré  par  des  miracles  et  des  apparitions,  on 
savourait  à  l'avance  le  plaisir  de  l'arrivée.  A  l'époque  où  nous 
sommes,  les  chemins  de  fer  ont  aboli  les  impressions  patriar- 
cales. Avec  la  vapeur,  les  pèlerinages  ont  gagné  en  rapidité  ce 
qu'ils  ont  perdu  en  poésie.  Ne  nous  en  plaignons  pas  trop  ;  car, 
sans  la  vapeur.  Lourdes  ne  compterait  certainement  pas  tant  de 
visiteurs  venus  des  pays  les  plus  reculés  du  monde. 

Au  débarcadère,  nous  trouvons,  comme  partout  ailleurs,  des 
voitures  de  tout  genre  qui  ont  toutes  l'ambition  de  nous  porter. 
IV'en    contentons  aucune  et  partons  à  pied.  La  voiture  de  saint 


UNE  VISITE  A   LOURDES  589 

François  est  la  plus  recommandée  quand  on  fait  un  pèlerinage. 

Nous  avons  devant  nous  deux  chemins  pour  arriver  à  la  grotte  : 
l'un  qui  traverse  la  ville,  l'autre  qui  la  longe,  le  dernier  est  le 
plus  court  et  le  plus  intéressant,  nous  le  suivons.  Nous  rencon- 
trons sur  notre  passage  des  pèlerins  et  des  voyageurs  de  tout 
costume  et  de  tout  pays  qui  arrivent  ou  qui  partent.  Ce  spec- 
tacle n'a  rien  encore  que  de  très  ordinaire,  d'autant  plus  que  la 
petite  ville  de  Lourdes,  aperçue  de  la  gare  avec  son  pâté  de 
constructions  noircies  par  le  temps  et  son  encadrement  de  mon- 
tagnes sans  prétention,  n'oliVe  aux  regards  (ju'un  tableau  sans 
couleur  et  sans  animation. 

Ce  qui  peut  nous  consoler  un  peu  de  la  tristesse  de  la  pers- 
pective, c'est  la  vue  du  château  qui,  devant  nous  dresse  sa  tête 
légendaire  comme  pour  nous  rappeler  un  passé  qui  ne  fut  pas 
sans  gloire.  Miramhel  fut,  dit-on,  son  nom  primitif,  son  nom  de 
baptême.  On  voit,  d'après  ses  augustes  débris,  qu'il  méritait 
bien  cette  appellation.  Plus  tard,  au  temps  de  Charlemagne, 
quand  le  grand  conquérant  le  ravit  aux  Sarrazins,  il  fut  débap- 
tisé et  s'appela  Lourdes.  Pourquoi?  Les  étymologistes  cherchent 
encore  et  ne  sont  pas  d'accord  â  ce  sujet.  Quoi  qu'il  en  soit,  on 
sait  qu'il  a  changé  plusieurs  fois  de  maîtres  à  travers  l'histoire. 
On  sait  aussi  que  de  Louis  XIV  à  la  Révolution,  et  même  sous 
l'Empire,  il  a  servi  de  prison  d'Etat.  Maintenant,  avec  son  don- 
jon, haut  de  plus  de  trente  mètres  au-dessus  du  sol  de  la  ter- 
rasse, il  sert  à  agrémenter  le  paysage.  Nous  le  saluons  en 
passant,  nous  le  laissons  à  gauche,  et  nous  voilà  enfin  en 
présence  du  sanctuaire. 

Nous  traversons,  sur  un  pont  neuf,  le  gave  qui  descend  de  la 
montagne  avec  des  colères  sublimes  à  certains  jours,  et  nous 
nous  trouvons  dans  ce  que  j'appelle  le  fief  de  la  sainte  Vierge, 
sur  le  boulevard  qui  sert  d'avenue  au  pèlerinage.  Là,  le  tableau 
est  de  tous  points  admirable;  il  serait  difficile  d'en  donner  une 
juste  idée,  on  ne  rend  pas  l'impression  qu'il  produit  dans  l'âme 
de  celui  qui  le  voit  pour  la  première  fois. 

On  peut  dire  que  la  sainte  Vierge  s'est  montrée  paysagiste, 
en  demandant  une  chapelle  sur  la  roche  de  Massabielle;  c'est  là 
surtout  qu'on  le  comprend.  C'est  là,  que  les  processions  aux 
flambeaux  déploient  leurs  magnificences  et  c'est  là  enfin,  que 
nous  rencontrons  la  Vierge  couronnée,  non  loin  de  l'endroit  oii 
se  fit  la  mémorable  solennité  du  3  juillet  1876. 

Cette  date  rappelle  un   des  plus  beaux  jours  de  Notre-Dame 


590  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  Lourdes.  Ce  jour-là,  au  milieu  de  cent  cinquante  mille  pèle- 
rins arrivés  de  tous  les  coins  de  la  France,  en  présence  de 
trente-cinq  archevêques  ou  évêques  français  et  étrangers,  sous 
les  yeux  du  Cardinal  de  Paris,  une  statue  de  Marie  fut  cou- 
ronnée parle  nonce  apostolique  délégué  pour  cette  cérémonie, 
par  le  Souverain  Pontife.  Rarement  le  soleil  a  éclairé  de  pareils 
spectacles  dans  l'histoire  de  l'Eglise  catholique.  Les  sanctuaires 
de  Jérusalem,  de  Compostelle,  de  Lorette  et  d'Assise  ont,  dans 
leurs  annales,  des  journées  aussi  célèbres,  mais  n'en  comptent 
pas  de  plus  belles.  La  fête  fut  splendide  :  l'éloquence,  la  poésie, 
la  littérature,  l'épigraphie,  le  journalisme,  l'ont  tour  à  tour 
célébrée,  je  ne  la  raconte  pas.  Ceux  qui  en  furent  les  témoins 
disent  qu'elle  est  inénarrable.  De  fait,  toutes  les  merveilles  que 
peuvent  produire  la  foi  chrétienne,  l'enthousiasme  religieux, 
l'ardeur  apostolique  semblaient  s'être  donné  rendez-vous  pour 
la  rehausser  d'un  éclat  incomparable. 

La  statue  que  nous  saluons  n'est  pas  celle  qui  re^ut  le  dia- 
dème, mais  elle  en  porte  un  qui  brille  au  soleil,  et  c'est  la  pre- 
mière Vierge  que  nous  vénérons  sur  la  terre  sacrée  du  pèlerinage. 
A  côté,  nous  admirons  Yabri,  et,  en  suivant,  entre  le  gave  et 
l'église  du  Rosaire,  notre  route  vers  la  grotte,  nous  arrivons 
aux  piscines. 

C'est  ici  le  grand  théâtre  des  miracles.  Arrêtons-nous  un 
instant  pour  contempler  cette  scène  principale  du  surnaturel  à 
Lourdes.  C'est  le  lieu,  du  reste,  pour  répondre  à  quelques-unes 
des  questions  sans  nombre  qui  se  font  aujourd'hui,  dans  le 
monde,  en  voyage,  dans  les  salons,  en  chemin  de  fer,  à  propos 
des  guérisons  miraculeuses  de  notre  cher  sanctuaire.  Qu'est-ce 
que  le  miracle?  Est-il  possible?  Est-il  constaté  à  Lourdes?  La 
réponse  théologique,  savante,  détaillée  à  ces  trois  questions,  de- 
manderait un  volume.  J'abrège  et  je  ne  touche  que  le  sommet 
des  choses  :,  Fastigia  rerum. 

«  Le  miracle,  dit  saint  Thomas,  est  le  fait  d'une  intervention 
divine  en  dehors  et  au-dessus  des  énergies  connues.  Opus  divi- 
num  prceter  ordinem  communem  ou  encore,  pour  traduire  plus 
librement  :  «  l'intervention  surnaturelle  et  directe  de  Dieu  se 
faisant  connaître  elle-même  par  des  signes  manifestes  de  puis- 
sance et  de  perfection.   » 

D'après  cette  définition  qui  me  paraît  mieux  faite  que  toute 
autre  pour  réfuter  victorieusement  les  objections  des  incrédules, 
on  voit  que  le  miracle  n'est  point  un  fait  abrupte,  choquant, 


USE  VISITE  A  LOURDES  591 

inconciliable  avec  l'ordre  général  des  choses  et  qu'il  est  simple- 
ment, comme  le  mystère,  au-dessus  de  la  nature,  mais  non  con- 
traire à  la  nature. 

Après  cela,  demander  s'il  est  possible,  c'est  demander  si  le 
Créateur,  qui  est  à  la  fois  tout-puissant,  libre,  aimant,  peut 
rester  inditlërent  ou  étranger  à  son  œuvre.  Tout-puissant,  il 
peut  intervenir  extraordinairement  quand  bon  lui  semble  à  tra- 
vers la  trame  de  l'histoire,  au  milieu  des  manifestations  de  la 
vie.  Libre,  il  peut  mettre  ce  pouvoir  en  exercice  quand  il  lui 
plaît  :  quelqu'un  a  dit  que  les  miracles  sont  les  coups  cVétat  de 
Dieu.  Or,  ces  coups  d'état,  il  est  maître  de  les  multiplier,  s'il  le 
veut.  Aimant,  il  doit  s'intéresser  au  chef-d'œuvre  de  ses  mains, 
à  l'homme;  mais  l'homme  est  faible,  pauvre  et  malade.  Com- 
ment Dieu  ne  se  serait-il  pas  réservé  de  le  protéger,  de  l'assister, 
de  le  guérir  et  d'avoir,  par  suite,  recours  à  des  moyens  extraor- 
dinaires pour  cela  faire,  si  les  moyens  ordinaires  ne  pouvaient 
i-uffire  ? 

Un  mot  de  Thiers  va  trouver  ici  sa  place. 

Le  célèbre  historien  causait  un  jour  avec  Mgr  Dupanloup,  et 
la  conversation  roulait  sur  l'athéisme  :  c'était  à  propos  de  la 
candidature  de  Littré  à  l'Académie.  «  Comment  peut-on  être 
athée?  disait  M.  Tliiers.  Est-ce  qu'il  n'y  a  pas  un  calcul  évident 

dans  le  monde?  Donc,  il  y  a  un  calculateur sublime!  Mais 

Dieu  n'est  pas  seulement  grand  et  puissant;  il  est  bon.  »  Ef,  se 
détournant,  il  regardait  une  gravure  :  <  Voyez,  poursuivit-il, 
Monseigneur,  comme  c'est  beau  une  gravure!  il  y  manque  pour- 
tant quelque  chose  :  la  couleur  !  Eh  bien^  Dieu  aurait  pu  ne  faire 
du  monde  qu'une  gravure,  il  en  a  fait  un  tableau!  » 

Oui,  il  faut  le  reconnaître  avec  l'auteur  de  ce  mot,  le  monde 
est  un  tableau  grandiose  et  merveilleux.  Mais,  qui  ne  sait  que 
les  artistes  ont  mille  moyens  d'animer  leurs  tableaux  et  de  les 
rendre  en  quelque  sorte  vivants?  Pour  cela,  il  leur  suffit  d'une 
tète,  d'un  personnage,  d'une  chaumière,  d'un  enfant  qui  dort 
sur  les  genoux  de  sa  mère,  d'une  vache  qui  paît  dans  la  prairie, 

d'un  pâtre  qui  garde  ses  chèvres  dans  la  campagne Est-ce 

que  le  grand  artiste  qui  a  fait  l'univers  n'aurait  pas,  lui  aussi, 
ses  moyens  pour  rendre  son  tableau  vivant?  11  les  a,  et  l'un 
d'eux,  c'est  le  miracle. 

Libre  à  lui  de  le  placer  où  il  veut  sur  la  scène  de  la  création  : 
dans  une  vallée  ou  sur  une  montagne,  au  bord  d'une  fontaine 
ou  aux  abords  d'une  grotte,  chez  un  peuple  sauvage  ou  chez  un 


592  ANNALES    CATHOLIQUES 

peuple  civilisé.  Est-ce  que  le  peintre  ne  place  pas  ses  person- 
nages sur  la  toile  suivant  le  caprice  de  ses  inspirations?Et  main- 
tenant, si  les  critiques  d'art  ont  assez  de  flair  pour  reconnaître 
l'œuvre  d'un  maître,  à  la  touche,  au  faire,  à  la  manière,  qui 
ne  voit  que  nous  pouvons  tous  reconnaître  au  miracle  l'inter- 
vention de  Dieu  dans  le  monde?  C'est  sa  manière  à  Lui  de  se 
montrer.  Quelqu'un  a  dit,  je  crois  :  «  Le  miracle  est  la  signa- 
ture de  Dieu.  » 

Mais  peut-on  prouver  que  Dieu  s'est  montré  à  Lourdes?  En 
d'autres  termes,  le  miracle  y  est-il  constaté?  Oui,  il  l'est,  et 
d'une  façon  irréfragable.  Sans  doute,  il  ne  se  fait  pas  là,  comme 
le  voudrait  Renan,  —  ce  guitariste  qui  nous  a  joué  contre  les 
miracles  des  airs  démodés,  mais  rendus  neufs  par  son  talent,  — 
dans  un  amphithéâtre,  devant  une  commission  composée  de  mé- 
decins, de  chimistes  et  de  physiciens  qui  régleraient  à  leur  fan- 
taisie le  programme  de  l'expérimentation;  mais  il  se  fait,  au  vu 
et  au  su  de  tout  le  monde,  en  présence  de  touristes,  de  curieux, 
de  sceptiques  et  d'incrédules,  et  les  foules  qui  le  constatent 
l'acclament  dans  des  chants  triomphants. 

Ces  acclamations  disent  peu,  je  le  sais,  à  un  libre-penseur, 
mais  le  miracle  est  toujours  soumis  à  l'étude  d'une  commission 
médico-théologique,  et  ce  n'est  que  lorsqu'il  a  été  passé  au 
crible  d'un  examen  sérieux  qu'il  est  annoncé  officiellement. 
Pour  moi,  qui  l'ai  vu  maintes  fois  éclater  à  mes  côtés,  sous  mes 
yeux,  je  n'oublie  pas  l'impression  qu'il  produit  dans  l'âme  quand 
il  passe  comme  une  aurore  boréale. 

La  foule  est  prise  d'une  joie  enivrante,  et  cette  joie  se  traduit 
aussitôt,  à  la  grotte,  devant  la  Vierge  blanche,  par  des  hymnes 
de  reconnaissance,  d'enthousiasme  et  d'amour.  Rien  n'est  beau 
comme  ce  saint  délire. 

A  certains  jours,  devant  les  piscines,  on  voit  en  miniature 
une  paroisse,  une  ville,  une  province,  une  nation  ageiiouillée> 
les  bras  en  croix,  les  larmes  aux  yeux,  priant  pour  demander  la 
guérison  des  infirmes  qui  sont  plongés  dans  le  bain.  Ce  sont 
tour  à  tour  Paris,  Lyon,  Marseille,  la  Lorraine,  la  Bretagne, 
l'Auvergne,  la  Belgique,  l'Italie,  la  France,  représentées  par 
leurs  enfants  :  hommes,  femmes,  prêtres,  religieux,  tous  unis 
dans  les  mêmes  supplications,  tous  ne  faisant  qu'un  cœur  et 
qu'une  âme,  pour  arracher  des  prodiges  à  Dieu  par  la  prière 
émue,  haletante...  et  voilà  que  tout  à  coup  on  proclame  une 
grâce...  un  frisson  de  joie  inconnue  passe  sur  la  foule,  c'est  le 


UNE  VISITE  A  LOURDES  593 

plaisir  de  la  victoire!  Dieu  s'est  laissé  fléchir,  il  a  donné  à  une 
ville,  à  une  province,  à  une  nation,  la  couronne  du  miracle! 

On  admire  à  Anvers,  dans  l'église  de  Saint-Jacques,  un  grand 
tryptique  de  Van  den  Voort  représentant  Jésus  chassant  les 
vendeurs  du  temple,  et  dans  l'un  des  volets,  on  voit  une  reli- 
gieuse agenouillée  et  recueillie  devant  un  crucifix. 

Elle  prie  pour  ceux  qui  ne  le  font  pas  et  pour  ceux  qu'elle 
aime  sans  doute,  et  voilà  que,  derrière  elle,  s'avance  doucement 
le  divin  Sauveur,  comme  sur  la  pointe  des  pieds,  pour  ne  pas 
troubler  l'oraison  de  cette  sainte  âme;  il  tient  une  couronne 
dans  ses  mains  et  vient  lui-même  la  déposer  gracieusement  sur 
la  tète  de  la  religieuse  qui  continue  sa  prière. 

Or  ce  tableau  plein  de  poésie,  nous  le  voyons  vivant,  palpi- 
tant, chantant  à  Lourdes,  devant  les  piscines,  la  foule  crie  vers 
le  ciel. 

Dieu  passe  et  la  couronne  d'un  miracle  !  Il  met  sur  la  tète 
d'une  ville,  d'une  province,  d'une  nation  suppliante,  le  diadème 
du  surnaturel. 

Les  piscines  contiennent  l'eau  qui  fait  les  miracles  sur  place, 
et  la  fontaine  qui  les  avoisine  donne  celle  qui  les  fait  ailleurs  : 
en  France,  en  Europe  et  dans  le  nouveau  monde.  On  ne  saurait 
dire  la  quantité  d'eau  qu'on  vient  chercher  tous  les  jours  aux 
nombreux  robinets  de  cette  fontaine,  pour  l'expédier  aux  quatre 
coins  de  l'univers. 

Un  jour,  à  Rome,  j'ai  vu  dans  le  jardin  du  Vatican  une  prise 
de  cette  eau  couler  devant  Pie  IX  et  une  nombreuse  assistance 
composée  de  cardinaux,  de  princes  et  de  prélats.  C'était  le  jour 
même  de  l'inauguration  d'une  petite  grotte  rocailleuse  repré- 
sentant assez  fidèlement  celle  de  Lourdes.  La  rocaille,  comme 
l'eau  venait  de  Massabielle,  et  ce  ne  fut  pas,  pour  le  vénéré  Pon- 
tife, une  médiocre  joie  que  d'assister  à  cette  innocente  représen- 
tation. 

Du  reste,  le  grand  Pape  avait  toujours  chez  lui  quelques 
flacons  de  l'eau  miraculeuse.  Il  l'appelait  volontiers  Vhuile  de 
la  sainte  Vierge,  et  il  la  mettait  souvent  sur  ses  plaies  en  guise 
de  baume.  C'est  dans  la  même  pensée  que  les  pèlerins  quels 
qu'ils  soient  :  évêques,  prêtres,  femmes,  enfants,  vieillards  en 
emportent  avec  eux.  Ils  vont  aussi  en  boire  avec  un  empresse- 
ment qui  ne  se  dément  jamais,  ils  obéissent  en  cela  à  l'ordre  de 
la  Vierge  Immaculée  disant  à  Bernadette  :  c  Allez  boire  et  vous 
laver  à  la  source  »,  car  un  grand  nombre,  dans  un  sentiment 

43 


594  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  foi,  se  servent  de  cette  eau  sur  place  pour  se  laver  le  front^ 
les  tempes,  les  yeux,  afin  d'obtenir  uneguêrison  ou  un  soulage- 
ment dans  la  région  de  la  tête. 

Aussi  les  abords  de  la  fontaine  sont  sans  cesse  envahis  :  on  y 
voit  du  monde  à  toute  heure  du  jour.  On  s'arme  d'un  verre  ou 
d'une  coquille,  et  l'on  boit  avec  délices  cette  eau  pure  et  vierge 
qui,  on  le  sait,  est  dépourvue  de  toute  propriété  thermale,  mais 
qui,  certes,  n'est  pas  sans  vertu,  les  miracles  qu'elle  opère  sous- 
tous  les  yeux  en  sont  une  preuve  irrécusable. 

Ce  serait  peut-être  ici  le  lieu  de  se  demander  ce  qu'il  faut 
penser  de  la  source  dont  nous  entendons  le  doux  murmure  sous 
la  vieille  roche.  A-t-elle  été  créée  par  Dieu  au  moment  des  ap- 
paritions, comme  le  fut  celle  du  mont  Sinaï  à  l'appel  de  la  ba- 
guette de  Moïse  ;  ou  bien,  existant  déjà  à  l'état  latent  sous  le 
sable,  dans  un  terrain  humide  qui  devait,  d'après  les  hydrogéo- 
logues être  émaillé  de  sources  naturelles,  a-t-elle  été  simplement 
découverte  au  moment  où  Marie  dit  à  Bernadette  en  lui  dési- 
gnant un  point  précis  :  «  Allez  boire  à  la  fontaine?  »  C'est  une 
question  que  je  ne  veux  point  examiner  car,  dans  l'un  et  l'autre 
cas,  l'action  de  la  Providence  se  montre;  dans  l'un  et  l'autre 
cas,  le  surnaturel  éclate.  Cela  nous  suffit  pour  dire:  il  y  a  là 
une  source  miraculeuse. 

En  poursuivant  notre  route,  nous  passons  devant  un  grand 
pilastre  qui  porte,  gravées  en  caractères  d'or,  les  diverses  pa- 
roles adressées  par  Marie  à  Bernadette.  Admirable  livre  de 
marbre  !  il  est  beau  à  parcourir  et  encore  plus  beau  à  méditer  ; 
mais  nous  voici  devant  la  grotte,  c'est  le  foyer  des  dévotions  et 
des  prodiges. 

Arrêtons-nous  pour  la  contempler  ! 

{A  suivre.) 

Abbé  H.  Cailhiat. 


NECROLOGIE 


Les  journaux  d'Irlande  nous  apportent  ce  matin  la  nouvelle 
de  la  mort  de  Mgr  Mac-Carthy,  évêque  catholique  de  Cloyne 
(Irlande),  qui  a  succombé  en  sa  résidence  épiscopale  de  Queens— 
town,  aux  suites  d'une  attaque  d'influenza.  Mgr  Mac-Carthy,. 
qui  avait  été  élevé  au  siège  de  Cloyne  en  1874,  était  un  des 
prélats  les  plus  populaires  et  les  plus  respectés  de  la  hiérarchie^ 


LES    CHAMBRES  595 

catholique  en  Irlande.  La  nouvelle  de  sa  mort  cause  partout 
•d'unanimes  regrets. 

A  Queenstown,  les  magasins  et  les  principaux  éta})lisseraents 
ont  fermé,  pendant  que  les  consulats  et  les  navires  en  rade 
arboraient  un  drapeau  en  berne  pour  s'associer  au  deuil  public. 


LES  CHAMBRES 

La  Chambre  dans  sa  séance  du  7  décembre,  a  voté  une  enquête 
sur  l'élection  de  M.  de  Vogué  et  s'est  occupée,  le  9,  de  l'élection 
Mirraan,  ce  professeur  démissionnaire  élu  député  à  Reims,  et 
qui,  cessant  de  remplir  son  engagement  décennal,  devrait 
rejoindre  son  régiment. 

Il  était  quatre  heures  précises.  M.  Mirman  venait  de  terminer 
son  discours,  et  déjà  M.  de  Montfort,  député  de  la  Seine-Infé- 
rieure, avait  demandé  la  parole  pour  combattre  les  conclusions 
du  bureau,  lorsque  soudain  une  explosion,  causée  par  un  engin 
lancé  du  haut  d'une  tribune  sur  la  deuxième  travée  de  droite, 
retentit. 

Non  pas  une  explosion  formidable,  mais  une  explosion  peu 
bruyante. 

A  tel  point  qu'on  a  pu  croire  d'abord  que  c'était  un  fumiste 
quelconque  qui  venait  de  tirer  un  inoffensif  coup  de  revolver, 
pour  attirer  l'attention  sur  lui. 

Mais  non  ! 

M.  l'abbé  Lemire  s'affaisse  sur  son  banc. 

M.  le  comte  de  Lanjuinais  tait  de  même. 

M.  Drake  del  Castillo  pousse  un  cri  déchirant. 

Ce  cri  se  répercute  dans  les  tribunes  et  les  galeries,  oii  les 
'blessés  sont  nombreux.  Plus  de  70  personnes,  députés  et  specta- 
teurs, sont  atteintes  ! 

En  même  temps,  la  salle  des  séances  est  obcurcie  par  un  épais 
nuage  de  fumée  et  de  poussière. 

Cependant,  si  les  spectateurs,  affolés  se  précipitent  hors  des 
tribunes,  les  députés  conservent  le  sentiment  de  leur  dignité; 
c'est  au  milieu  d'un  calme  relatif  que  M.  Dupuy  prononce  les 
.paroles  suivantes,  saluées  par  plusieurs  salves  d'applaudis- 
•sements  : 

Messieurs  les  députés  la  séance  continue.  (Applaudissements.)  Il  ne 


596  ANNALES    CATHOLIQUES 

serait  pas  de  la  dignité  de  la  France  et  de  la  République  que  d-e 
pareils  attentats,  d'où  qu'ils  viennent,  et  dont  nous  ignorons  d'ail- 
leurs la  cause,  eussent  le  pouvoir  de  troubler  vos  délibérations. 

Quand  la  séance  sera  levée,  le  bureau  se  réunira  et  prendra,  avec 
calme,  les  mesures  nécessaires.  (Applaudissements.) 

Voix  nombreuses.  —  Assis  !  Assis  ! 

M.  le  vicomte  de  Montfort  monte  à  la  tribune  et  s'exprime 
ainsi  : 

M.  LE  VICOMTE  DK  ÏNIoNTFORT.  —  La  Chambre  excusera  mon  émo- 
tion et  la  comprendra,  quand  elle  saura  que  j'avais  une  de  mes  filles 
dans  une  tribune,  au  moment  où  l'explosion  s'est  produite,  et  je  ne 
sais  pas  encore  si  elle  est  blessée.  (Applaudissements). 

Si  j'ai  cru  devoir  monter  à  la  tribune,  au  nom  de  la  minorité  du 
6«  bureau,  c'est  que  nous  avorrs  estimé,  mes  collègues  et  moi...  (Bruit). 

M.  LE  Président.  —  Messieurs,  la  Chambre  doit  à  sa  dignité 
d'écouter  en  silence.  (Très  bien  !  très  bien  !) 

M.  LE  vicomte  de  Montfort. —  Oui,  continuons  la  discussion,  mes 
chers  collègues,  ce  sera,  croyez-moi,  très  crâne.  (Très  bien  !  très  bien  !) 

M.  de  Montfort  combat  l'élection  de  M.  Mirraan,  qui  est  sou- 
tenue par  M.  Hubbard. 

A  la  majorité  de  326  voix  centre  133,  M.  Mirman  est  admis. 

M.  Casimir  Perier  escalade  à  son  tour  la  tribune,  et  au  nom 
du  gouvernement,  fait  cette  déclaration  : 

C'est  avec  un  profond  sentiment  de  tristesse,  la  Chambre  le  com- 
prendra, que  je  monte  à  la  tribune  après  l'odieux  attentat  qui  vient 
de  so  commettre. 

Je  remercie  M.  le  président  de  la  Chambre  de  l'attitude  qu'il  a  su 
conserver. 

La  Chambre  a  fait  son  devoir. 

Le  gouvernement  fera  le  sien. 

Il  a  la  responsabilité  de  l'ordre  public. 

II  ne  faillira  pas  à  son  devoir. 

Il  a  la  garde  des  lois  qui  protègent  la  société. 

Le  gouvernement  les  appliquera. 

Après  le  président  du  conseil,  le  président  de  la  Chambre  dit 
ces  quelques  mots  : 

En  votre  nom,  votre  président  s'associe  aux  paroles  qui  viennent 
d'être  prononcées  par  le  chef  du  gouvernement. 

Quand  la  séance  sera  levée,  le  président,  accompagné  du  bureau, 
portera  aux  blessés  de  cet  odieux  attentat  les  sentiments  de  sympa- 
thie de  la  Chambre  tout  entière.  (Vifs  applaudissements.) 

Dans  un  pareil   moment,  il  n'y  a  qu'un  sentiment,  c'est  un  senti- 


LES  CHAMBRES  507 

ment  de  pitié  unanime;  votre  bureau  se  réserve  de  prendre  les  me- 
sures d'ordre  et  de  sécurité  qui  lui  incombent.  (Très  bien  !  très  bien  !) 

La  séance  est  levée  à  cinq  heures,  au  milieu  d'une  émotion 
indescriptible. 

M.  Casimir  Perier,  président  du  conseil,  a  déposé  lundi,  au 
début  de  la  séance,  quatre  projets  de  lois  élaborés  en  vue  de 
réprimer  les  attentats  anarchistes  et  dont  le  texte  avait  été 
arrêté  au  conseil  des  ministres  qui  avait  eu  lieu  dans  la  matinée. 

Le  premier  de  ces  projets  concerne  la  presse.  Il  a  été  défini- 
tivement voté  par  la  Chambre  (413  voix  contre  G3).  Egalement 
adopté  par  le  Sénat,  il  sera  vraisemblablement  promulgué  au- 
jourd'hui. 

Voici  d'ailleurs  le  texte  complet  de  cette  loi  tel  qu'il  a  été 
adopté  par  la  Chambre  : 

Article  umoie.  —  Les  articles  24  —  paragraphe  1,  —  25  et  49  de 
la  Im  du  29  juillet  1881  sur  la  presse  sont  modifiés  ainsi  qu'il  suit  : 

Art.  24.  —  Ceux  qui  par  un  des  moyens  énoncés  en  l'article  précé- 
dent auront  directement  provoqué  soit  au  vol,  soit  aux  crimes  de 
meurtre,  de  pillage  et  d'incendie,  soit  à  l'un  des  crimes  punis  par 
l'article  435  du  Code  pénal,  soit  à  l'un  des  crimes  et  délits  contre  la 
sûreté  intérieure  de  l'Etat  prévus  par  les  articles  75  et  suivants 
jusques  et  y  compris  l'article  85  du  même  code. 

Seront  punis  dans  le  cas  où  cette  provocation  n'aurait  pas  été  suivie 
d'effet  de  un  à  cinq  ans  d'emprisonnement,  de  100  à  3,000  francs 
d'amende  ceux  qui,  par  les  mêmes  moyens,  auront  directement  pro- 
voqué à  l'un  des  crimes  contre  la  sûreté  intérieure  de  l'Etat  i)révus  par 
les  articles  86  et  suivants,  jusques  et  y  compris  l'article  101  du  Code 
pénal. 

Seront  punis  de  la  même  peine  ceux  qui,  par  l'un  des  moyens 
énoncés  en  l'art.  23,  auront  fait  l'apologie  des  crimes  de  meurtre,  de 
pillage  ou  d'incendie  ou  délits  de  vol  ou  de  lun  des  crimes  prévus 
par  l'article  435  du  Code  pénal. 

Art.  25.  Toute  provocation  par  l'un  des  moyens  énoncés  en  l'ar- 
ticle 23,  adressée  à  des  militaires  des  armées  de  terre  ou  de  mer  dans 
le  but  de  les  détourner  de  leurs  devoirs  militaires  et  de  l'obéissance 
qu'ils  doivent  à  leurs  chefs  dans  tout  ce  qu'ils  commandent  pour 
l'exécution  des  lois  et  règlements  militaires  sera  puni  d'un  emprison- 
nement de  un  à  cinq  ans  et  d'une  amende  de  100  à  3,000  francs. 

Art.  49.  —  Immédiatement  après  le  réquisitoire,  le  juge  d'instruc- 
tion pourra,  mais  seulement  en  cas  d'omission  du  dépôt  prescrit  par 
les  art.  3  et  10  ci-dessus,  ordonner  la  saisie  de  quatre  exemplaires 
de  l'écrit,  du  journal  ou  du  dossier  incriminé. 


598  ANNALES    CATHOLIQUES 

Toutefois  dans  les  cas  prévus  aux  art.  24,  paragraphes  1  et  3  et  25- 
de  la  préseote  loi,  la  saisie  des  écrits  ou  imprimés,  des  placards  ou 
affiches,  aura  lieu  conformément  aux  règles  édictées  par  le  code 
d'instruction  criminelle. 

Si  le  prévenu  est  domicilié  en  France,  il  ne  pourra  être  préventi- 
vement arrêté,  sauf  dans  les  cas  prévus  aux  articles  23,  24,  paragra- 
phes 1  et  3  et  25  ci-dessus. 

S'il  y  a  condamnation,  l'arrêt  pourra,  dans  les  cas  prévus  aux 
articles  24,  —  paragraphes  1,  3  — et  25  prononcer  la  confiscation  des 
écrits  ou  imprimés,  placards  ou  affiches  saisis,  et,  dans  tous  les  cas» 
ordonner  la  saisie  et  la  suppression  ou  la  destruction  de  tous  les 
exemplaires  qui  seraient  mis  en  vente,  distribués  ou  exposés  aux 
regards  du  public.  Toutefois  la  suppression  ou  la  destruction  pourra 
ne  s'appliquer  qu'à  certaines  parties  des  exemplaires  saisis. 

L'adoption  de  ce  projet  a  été  précédé,  au  Sénat,  de  la  décla- 
ration suivante  : 

M.  LE  PRÉSIDENT.  —  Quelqu'un  demande-t-il  la  parole  pour  la  dis- 
cussion générale?... 

M.  LE  MARQUIS  DE  l'Angle-Beaumanoir.  —  Je  la  demande  pour  pré- 
senter une  courte  observation. 

M.  LE  PRÉSIDENT.  —  La  parole  est  à  M.  de  r.\ngle-Beaumanoir. 

M.  LE  MARQLisDE  l'Angle-Beaumanoir,  de  sa place.  —  Je  crois  que 
le  moment  est  venu  de  faire  remarquer  au  Sénat... 

Voïx  noinbreuses.  —  A  la  tribune  ! 

M.  le  PRÉSIDENT.  —  Veuillez  monter  à  la  tribune,  monsieur  de 
r  Angle-Beau  manoir. 

M.  LE  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir,  à  la  tribune.  —  Je  crois, 
messieurs,  que  le  moment  est  favorable  pour  faire  remarquer  au  Sénat 
que  les  différents  ministères  républicains  qui  se  sont  succédé  depuis 
plusieurs  années  ont  laissé  faire  l'apologie  constante  des  crimes  révo- 
lutionnaires de  1792  et  1793  et  s'y  sont  associés...  (Exclamations  et 
protestations  à  gauche.  —  Cris:  A  l'ordre  !) 

M.  LE  président.  —  Monsieur  de  l'Angle-Beaumanoir,  je  vous  rap- 
pelle à  l'ordre. 

M.  LE  MARQUIS  DE  l'Angle-Beaumanoir.  —  Pour  quel  motif,  mon- 
sieur le  président? 

M.  le  président.  —  Parce  que  vous  avez  prononcé  une  parole  in- 
jurieuse pour  les  gouvernements  précédents.  Aucun  ne  s'est  associé 
aux  crimes  dont  vous  parle/. 

M.  LE  MARQUIS  DE  l'Angi.e-Beaumanoir.  —  J'ai  dit  à  l'apologie  de 
ces  crimes. 

Ils  ont  élevé  une  statue  à  Danton,  et  c'est  là  une  véritable  provo- 
cation révolutionnaire. 

M.  LE  président.  —  Non,  ce  n'est  pas  là  une  provocation.  Je  main- 
tiens le  rappel  à  l'ordre.  (Très  bien!  à  gauche.) 


LES  CHAMBRES  599 

Mi  LE  MAnouis  DE  l'A.nt.le-Bkaumanoir.  —  Je  dis  qu'élever  une 
statue  à  l'auteur  des  massacres  de  septembre... 

M.  Ernest  Hamel.  —  Ce  sont  vos  amis  qui  soutiennent  que  Danton 
est  l'auteur  des  massacres  de  septembre,  mais  il  faudrait  le  prouver 

M.  LE  MAROiiLs  i)K  l'Ancle-Bkaumanoir.  — J'en  appelle  à  notre  sa- 
vant collègue  M.  Wallon,  qui  a  dit  sur  ce  sujet,  à  cette  tribune  même, 
tout  ce  qu'il  était  nécessaire  de  dévoiler. 

M.  Ernest  Hamel.  —  Nous,  nous  avons  dit  autre  chose  ! 

M.  Leliêvre.  —  L'année  dernière  vous-même  vous  avez  refusé  de 
"voter  la  loi  ! 

M.  Baduel.  —  Certains  membres  de  la  droite  n'ont-ils  pas  été  les 
associés  des  boulangistes? 

M.  LE  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir.  —  Je  ne  puis  prendre  ce 
reproche-là  pour  moi. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  membres  du  gouvernement  ont  assisté  à 
l'inauguration  et  ont  péroré  au  pied  de  la  statue  de  Danton  ;  en  glo- 
rifiant ce  grand  criminel...  (Bruit  et  interruption  à  gauche  et  au  centre.) 

M.  le  président.  —  Le  moment  est  mal  choisi,  monsieur  de  l'Angle- 
Beaumanoir,  pour  soulever  un  pareil  incident. 

M.  LE  MARQUIS  DE  l'Angle-Beaumanoir.  —  J'exprime  le  vœu  que  le 
ministère  nouveau,  mis  en  garde  par  l'abominable  crime  qui  vient 
d'être  commis,  renonce  à  ces  sortes  d'apothéoses  auxquelles  la  consé- 
cration officielle  a  été  si  imprudemment  accordée. 

A  la  Chambre  le  même  incident  s'était  produit  : 

M.  DE  Baldry  d'Asson.  —  Personne  ne  m'accusera,  dans  cette  en- 
ceinte, d'être  un  homme  de  désordre.  Ce  que  je  veux  avant  tout,  c'est 
l'ordre  public  ;  mais  ce  que  je  ne  puis  tolérer,  c'est  que  M.  le  prési- 
dent du  conseil  ne  soit  pas  venu  ici  déposer  un  autre  projet  de  loi, 
ou  du  moins  en  ajouter  un  à  ceux  dont  il  vous  a  donné  lecture.  J'au- 
rais voulu  lui  voir  apporter  celui-ci,  dont  le  texte  est  court  : 

«  La  loi  scolaire,  laïque  et  obligatoire,  votée  par  la  Chambre  des 
députés  dans  la  séance  du  28  octobre  1888,  est  abolie.  »  (Exclama- 
tions ironiques  au  centre  et  à  gauche.) 

Un  membre  à  gauche,  —  Vous  êtes  pressé. 

M.  de  Baldry  d'Assox.  —  On  n'est  jamais  trop  pressé,  mon  cher 
collègue,  quand  on  fait  le  bien. 

Vous  me  permettrez,  monsieur  le  président  du  conseil,  de  vous  dire 
que  les  mesures  que  vous  voulez  prendre  peuvent  être  bonnes,  mais 
qu'elles  ne  seront  jamais  assez  efficaces  tant  que  vous  n'aurez  pas 
aboli  cette  loi  qui  supprime  Dieu  des  écoles,  cette  loi  qui  tarit  au 
cœur  des  enfants  la  croyance  en  Dieu,  qui  enlève  le  respect  du  père 
et  de  la  mère,  et  qui  détruit  l'obéissance  au  patron;  cette  loi,  en  un 
mot,  qui  est  celle  que  l'on  a  appelée  la  loi  scélérate  avec  juste  raison, 
parce  qu'elle  est  attentatoire  à  la  liberté  de  conscience.  (Exclamations 
au  centre  et  à  gauche.) 


600  ANNALES     CATHOLIQUES 

Or,  monsieur  le  ministre,  je  suis  tout  prêt  à  donner  au  gouverne- 
ment de  la  République  —  et  je  ne  suis  pas  suspect  de  républicanisme 
—  les  armes  nécessaires  pour  maintenir  la  tranquillité  dans  ce  pays. 
Oui,  je  veux  l'ordre  autant  que  vous,  monsieur  le  président  du  con- 
seil, mais  ce  que  je  veux  avant  tout,  c'est  que  les  lois  antichrétiennes, 
antireligieuses,  —  et  qui  sont  votre  œuvre,  à  vous,  messieurs  du 
centre... 

Au  centre.  —  Et  nous  nous  en  vantons  ! 

M.  DE  Baudry  d'Asson...  soient  abrogées. 

J'ai  été  vraiment  fort  étonné,  messieurs,  lorsque  j'ai  vu  M.  le  pré- 
sident du  conseil  monter  à  cette  tribune  et  rappeler  un  passage  de  la 
déclaration  ministérielle  où  il  est  dit  que  ces  lois,  qui  sont  le  patri- 
trimoine  de  la  République,  seraient  toutes  maintenues. 

Je  le  répète  en  terminant,  ce  n'est  pas  avec  des  mesures  telles  que 
celles  que  vous  réclamez  que  vous  arriverez  à  faire  l'apaisement  et  à 
maintenir  l'ordre;  vous  n'y  parviendrez  qu'en  abrogeant  toutes  les 
lois  qui  arrachent  du  cœur  des  Français  les  croyances  religieuses. 
(Très  bien!  très  bien!  à  droite.  —  Exclamations  sur  divers  bancs  à 
gauche.) 

Oui,  monsieur  le  ministre,  ces  croyances  doivent  faire  la  base  de 
toutes  les  lois;  je  ne  crains  pas  de  le  déclarer  à  cette  tribune,  parce 
que  je  sais  qu'en  parlant  ainsi  j'accomplis  mon  devoir  de  catholique 
et  de  Français:  le  pays  tout  entier  en  sera  juge  !  (Très  bien  !  sur 
divers  bancs  à  droite.  —  Aux  voix  !  aux  voix!) 

Voici  les  autres  projets  déposés: 

Projet  de  loi  sur  les  explosifs.  —  L'exposé  des  motifs  du  pro- 
jet de  loi  porte  modifications  et  additions  àla  loi  du  3  juin  1891 
sur  les  explosifs  ;  il  est  ainsi  conçu  : 

Messieurs,  la  loi  du  19  juin  1871  punit  la  fabrication  ou  la  déten- 
tion sans  autorisation  d'engins  meurtriers  ou  incendiaires  agissant  par 
explosion  ou  autrement,  ou  de  poudre  fulminante,  quelle  qu'en  soit 
la  composition. 

Celte  énumération  nous  a  paru  devoir  être  complétée. 

Il  est  nécessaire  vie  pouvoir  atteindre  désormais  la  fabrication  ou  la 
détention  sans  motifs  légitimes  de  toute  autre  substance,  lorsqu'il 
sera  manifeste  que  cette  substance  est  destinée  à  entrer  dans  la  com- 
position d'un  explosif. 

Le  nouveau  texte  que  nous  vous  proposons  a  pour  objet  de  combler 
sur  ce  point  une  lacune  existant  dans  notre  législation.  En  consé- 
quence, nous  avons  l'honneur,  etc. 

Article  unique.  —  L'article  3  de  la  loi  du  19  juin  1871  est  modifié 
ainsi  qu'il  suit. 

Tout  individu  fabricant  ou  détenteur  sans  motifs  légitimes,  de  ma- 


LES    CHAMBRES  601 

chines  ou  engins  meurtriers  ou  incendiaires  agissant  par  explosion 
ou  autrement,  ou  do  poudre  fulminante  quelle  que  soit  sa  composi- 
tion, ou  lie  toute  autre  substance  destinée  à  entrer  dans  la  composi- 
tion d'un  ez.p\oa>(  sera  puni  d'un  emprisonnement  de  six  mois  àcinq 
ans  et  d'une  amende  de  50  à  3.000  francs. 

Demande  d'un  crédit  de  820.000  francs.  —  Ce  projet  de  loi 
demande  rouvertuie  d'un  crédit  supplémentaire  c/e  820.000 /"r. 
Voici  l'exposé  des  motifs  : 

La  gravité  de  l'attentat  qui  vient  d'être  commis  contre  la  représen- 
tation nationale  et  qui  a  succédé  à  tant  d'autres  crimes  inspirés  d'un 
même  sentiment  de  haine  implacable  contre  l'ordre  social  tout  entier 
impose  au  gouvernement  un  redoublement  de  vigilance. 

Le  pays,  justement  alarmé,  n'attend  pas  seulement  de  noua  la  ré- 
pression énergique  des  méfaits  qui  ont  soulevé  son  indignation  ;  il 
aurait  peine  à  comprendre  que  le  gouvernement  ne  prît  pas  contre 
des  malfaiteurs  d'une  nouvelle  école  des  mesures  préventives  de  toua 
les  instants. 

Pour  l'organisation  d'une  surveillance  spéciale  réellement  efficace, 
les  ressources  du  budget  de  la  sûreté  générale  sont  notoirementinsuf- 
fisantes.  elles  ne  nous  fournissent  pas  les  moyens  de  mettre  en  œuvre 
un  système  défensif  proportionné  au  péril  que  court  l'ordre  public  et 
répondant  exactement  au  vœu  de  l'opinion. 

Il  faut  combler  de  nombreuses  lacunes  qui  existent  dans  le  service 
de  la  police  et  resserrer  les  mailles  de  son  réseau;  C'est  dans  ce  but 
que  nous  avons  l'honneur  de  vous  proposer  le  projet  de  loi  suivant. 
Nous  sommes  convaincus  que  le  gouvernement  nous  donnera  les 
moyens  d'action  qui  nous  sont  indispensables. 

Voici  maintenant  le  texte  du  projet  de  loi: 

Article  premier.  — Il  est  ouvert  au  ministère  l'intérieur,  sur  l'exer- 
cice 1894,  en  augmentation  du  crédit  accordé  par  la  loi  de  finances 
du  26  juillet  1893,  au  chapitre  54;  traitement  des  commissaires  de 
police,  indemnités  de  déplacement  et  autres. 

Les  associations  de  malfaiteurs. 

Le  quatrième  et  dernier  projet  de  loi  vise  les  associations 
de  malfaiteurs  et  leur  assimile  les  associations  et  les  groupes 
anarchistes. 

L'exposé  des  motifs  est  rédigé  en  ces  termes: 
Messieurs, 

Le  code  pénal  considère  toute  association  de  malfaiteurs  envers  les 
personnes  ou  les  propriétés  comme  un  crime  contre  la  paix  publique  ; 
le  fait  seul  de  l'association  organisée  entre  malfaiteurs  constitue  en 
effet  par  lui-même  un  danger  contre  lequel  la  société   doit  se  pré- 


602  ANNALES    CATHOLIQUES 

Toutefois  le  crime  n'est  caractérisé  que  par  l'organisation  de 
bandes  ou  de  correspondance  entre  elles  et  leurs  chefs,  justifiées  par 
les  formes  particulières  sous  lesquelles  se  manifestaient,  lors  de  la 
promulgation  du  code  pénal,  les  associations  de  malfaiteurs.  Cette 
disposition  ne  suffit  plus  pour  faire  face  aux  nécessités  de  l'heure 
présente. 

Aujourd'hui,  des  associations  de  malfaiteurs  se  forment  qui  ne 
présentent  plus  les  mêmes  caractères.  Leur  mode  d'action  ne  com- 
porte ni  organisation  de  bande  ni  subordination  des  associés  à  leurs 
ehefs. 

Si  les  individus  affiliés  à  ces  associations  y  sont  rattachés  par  le 
lien  d'une  entente  commune,  ils  n'en  conservent  pas  moins  dans 
certains  cas  leur  indépendante  pour  le  choix  des  moyens  d'exécution. 

Dans  ces  conditions,  les  chances  d'impunité  se  multiplient  de  telle 
sorte  que  les  motifs  qui  ont  déterminé  le  législateur  à  punir  le  seul 
fait  de  l'association  de  malfaiteurs  s'imposent  avec  plus  de  force 
encore.  Il  importe  en  effet  de  ne  [jas  être  obligé  d'attendre  pour  que 
la  justice  intervienne  que  des  attentats  préparés  contre  les  personnes 
ou  les  propriétés  aient  reçu  leur  exécution.  La  sécurité  publique  est 
à  ce  prix.  ^ 

Pour  assurer  à  la  répression  toute  efficacité,  il  est  nécessaire  que 
les  individus  affiliés  à  ces  associations  ne  rencontrent  ni  aide  ni  assis- 
tance dans  la  préparation  de  leurs  actes  criminels. 

Ceux  qui  sciemment  et  volontairement  leur  auront  fourni  des  ins- 
truments de  crime,  des  moyens  de  correspondance,  logement,  lieu 
de  retraite  ou  de  réunion  seront  passibles  de  la  pénalité  édictée  en 
l'article  267.  11  est  formellement  spécifié  que  ce  concours  devra  être 
prêté  sciemment  et  volontairement. 

La  nécessité  de  pareilles  dispositions  a  été  depuis  longtemps 
»econnue  et  la  commission  de  révision  du  code  pénal  a  déjà  élaboré 
un  projet  de  même  nature. 

En  conséquence, 

Article  unique.  —  Les  articles  263,  266,  267,  268  du  code  pénal 
sont  remplacés  parles  dispositions  suivantes: 

Article  265.  —  Toute  association  formée  dans  le  but  de  commettre 
ou  de  préparer  des  attentats  contre  les  personnes  ou  les  propriétés 
est  une  association  de  malfaiteurs  constituant  un  crime  contre  la 
paix  publique. 

Article  2G6.  —  Quiconque  se  sera  affilié  à  une  association  de  mal- 
faiteurs sera  puni  de  travaux  forcés  à  temps. 

Le  coupable  pourra  en  outre  être  frapi)é  pour  la  vie  ou  à  temps  de 
rintterdiction  de  séjour  établie  par  l'article  19  do  la  loi  du  27  mai  1885. 

Article  267.  —  Sera  puni  de  cinq  ans  à  dix  de  réclusion  quiconque 
aura  sciemment  et  volontairement  fourni  aux  associations  de  malfai- 


LES    CHAMBRES  603 

teura  ou  aux  affiliés  â  ces   associations  des  instruments   de   crime, 
moyens  de  correspondance,  logement,  lieu  de  retraite  ou  de  réunion. 


M.  Basly  a  interpellé  mardi  le  gouvernement  sur  les  derniè- 
res grèves  du  Nord  et  demandé  la  nomination  d'une  commissioa 
d'enquête.  , 

M.  Jonnart,  ministre  des  travaux  publics,  repousse  au  nom 
du  gouvernement  la  proposition  d'enquête. 

Un  peu  ému  d'abord,  il  redevient  bientôt  froid,  forme  et  pré- 
cis. Il  se  fait  applaudir  continuellement  de  la  grande  majorité 
de  l'assemblée,  en  posant  la  question  sur  le  terrain  politique,  ea 
offrant  le  combat  aux  socialistes. 

Après  avoir  examiné  le  rôle  du  syndicat  des  mineurs,  oii  la 
grève  fut  décidée  par  88  délégués,  dont  56  caharetiers,  le  mi- 
nistre établit  que  les  Compagnies  ne  pouvaient  se  prêter  aux 
exigences  qui  servaient  de  prétexte  à  la  rupture.  Le  syndicat 
voulait  avoir  le  c  carnet  de  paye  »  des  ouvriers,  pour  tenir  à  la 
fois  sous  sa  coupe  les  syndiqués  et  les  non  syndiqués. 

Le  gouvernement  s'oppose  à  la  nomination  d'une  commissioa 
d'enquête;  il  promet  à  la  Chambre  son  concours  pour  reviser  la 
législation  du  travail  en  général  et  des  mines  en  particulier  ;  \i 
veut  s'en  tenir  à  la  politique  exposée  dans  sa  déclaration.  Pour 
la  grève,  il  se  solidarise  avec  ses  prédécesseurs. 

Kn  prenant  des  mesures  pour  faire  respecter  la  liberté  du  travail, 
le  gouvernement  précédent  a  fait  son  devoir,  et,  à  Toccasioa,  noua 
ferions  comme  lui. 

On  ne  peut  pas  permettre,  en  effet,  à  la  tyrannie  de  s''exercer  sur 
des  milliers  d'ouvriers  qui,  vous  l'avez  vu,  doivent  s'incliner  devant 
la  toute-puissance  du  syndicat,  devant  toutes  ses  fantaisies. 

Ce  sont  ceux-là,  ces  malheureux  qui  n'ont  commis  d'antre  crime 
que  de  refuser  de  sacrifier  leur  pain  et  celui  de  lear  famille  à  «ne 
cause  qui  leur  échappe,  qui  encourent  la  colère  du  syndicat. 

Aux  autres,  on  promet  l'amnistie,  on  garantit  l'impunité. 

Nous  n'avons  pu  accorder  l'amnistie  l'autre  jour  ;  nous  avons 
cependant  l'intention  de  nous  montrer  cléments,  et  je  puis  annoncer 
qu'au  mois  de  janvier,  après  les  grâces  qui  seront  accordées,  it  ne 
restera  que  deux  ou  trois  ouvriers  dans  la  prison  de  Béthune. 

C'est  que  le  gouvernement  n'ignore  pas  que  les  plus  coupables,  le« 
vrais  coupables,  ne  sont  peut-être  pas  dans  les  prisons  de  Béthune» 

Une  voix  à  Vextrême-gauchg  :  C'est  le  procureur  général! 

M.  LE  Ministre  des  travaux  pislics.  —  Les  plua  coupables  wat 


604  ANNALBS  CA-THOLIgUES 

cçux  qui  s'installent  dans  la  grève  comme  en  pays  conquis,  qui  guet- 
tent de  leur  comité  central,  le  premier  signal  de  l'orage,  pour  s  élan- 
cer au  milieu  des  malheureux  et  exaspérer  toutes  les  souffrances  et 
toutes  les  haines. 

Ce  sont  ceux  qui  enveniment  les  conflits  entre  le  capital  et  le  tra- 
vail et  leur  donnent  l'allure  d'une  guerre  de  classes,  alors  qu'un  peu 
de  bonne  volonté  de  part  et  d'autre  suffirait  le  plus  souvent  à  les 
apaiser. 

Le  ministre,  en  regagnant  son  banc,  est  acclamé  longuement, 
à  trois  reprises,  par  la  majorité. 


CHROiNIQUE   DE    LA    SEMAINE 
.  La  dynamite  au  Palais-Bourbon.  —  Les  attentats  anarchistes.  —  Etranger. 
•  ^V,•^■:  14  décembre  1893. 

C^est  au  Palais-Bourbon  cette  fois  que  la  djnamite  a  fait  son 
apparition. 

Quelques  semaines  après  l'attentat  du  théâtre  de  Barcelone, 
celui  de  la  Chambre  des  députés  à  Paris! 

On  a  lu  plus  haut  les  détails  de  ce  nouveau  crime  de  la  secte 
anarchiste. 

Fort  heureusement,  le  misérable  qui  a  lancé  hier  une  bombe 
dans  la  salle  du  Palais-Bourbon  est  un  criminel  novice.  Il  a 
moins  bien  réussi  que  l'auteur  ou  les  auteurs  de  l'attentat  de 
Barcelone.  Plusieurs  députés,  des  journalistes,  des  spectateurs 
des  tribunes  ont  été  plus  ou  moins  grièvement  atteints  par  les 
éclats  de  la  bombe.  Il  y  a  de  nombreux  biessés.  Grâces  à  Dieu, 
il  n'y  a  personne  de  tué. 
.    Il  n'en  est  ])as  moins  vrai  que  l'intention  y  était. 

Les  anarchistes  ont  voulu  frapper  un  grand  coup,  de  manière 
à  répandre  la  terreur  dans  Paris  et  dans  toute  la  France. 

S'ils  n'ont  qu'à  moitié  réussi,  ce  n'est  pas  de  leur  faute. 

Il  n'est  que  juste  de  rendre  hommage  à  la  présence  d'esprit  et 
au  sangfroid  de  M.  Dupuy,  le  nouveau  président  de  la  Chambre, 
qui  a  rappelé  au  sentiment  de  leur  dignité  un  certain  nombre 
de  députés  qui  fuyaient  afl'olés... 

M.  Casimir  Perier  est  venu,  comme  c'était  son  devoir,  pro- 
tester au  nom  du  gouvernement  contre  l'attentat  des  anarchistes. 
Il  a  affirmé  que  le  gouvernement  était  résolu  à  appliquer  les 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  605 

lois,  à  user  des  armes  qu'il  a  entre  les  mains  pour  la  défense  de 
l'ordre,  de  la  Société, 

Nous  comptons  sur  la  promesse  du  président  du  conseil. 

On  comprend  l'effet  produit  en  France  et  à  l'Etranger  par  cet 
odieux  attentat. 

De  tous  côtés,  des  voix  s'élèvent,  voix  de  la  foule  et  voix  de 
la  presse,  pour  demander  une  répression  sans  pitié.  Il  faut, 
disent  les  uns,  traquer  comme  des  bêtes  fauves  les  auteurs  de 
ces  abominables  forfaits.  Il  faut  réprimer  sévèrement  les  excita- 
tions à  les  commettre,  produites  soit  par  la  parole,  soit  par  le 
journal.  Timidement,  quelques-uns  ajoutent  qu'il  faudrait  mettre 
un  frein  à  la  liberté  de  la  presse  et  l'empêcher  de  dégénérer  en 
licence. 

L'idole  est  frappée  ! 

Oui,  la  liberté  de  la  presse,  la  liberté  absolue  d'exprimer 
toutes  opinions,  voilà  la  grande  coupable  de  tous  ces  attentats 
publics  qui  terrorisent  les  peuples. 

Vainement  le  libéralisme  orgueilleux  essaie  de  protester  et 
•de  maintenir  «  les  droits  de  la  pensée  »  ;  les  illusions  produites 
par  l'abus  des  mots  se  dissipent  et  la  société  commence  à  douter 
de  la  valeur  de  ces  dogmes  nouveaux  (]ui  ont  prétenda  détrôner 
les  vieilles  lois  de  l'Eglise.  La  dynamite  parle  assez  haut  pour 
forcer  tout  le  monde  à  entendre  et  ses  éclats  fulgurante  frappent 
les  yeux  les  plus  aveuglés. 

De  l'excès  même  du  mal  sortira  peut-être  le  salut;  mais  que 
de  secousses  terribles  et  que  d'épreuves  la  société  eût  évitées  si 
elle  avait  écouté  les  avertissements  que  n'ont  cessé,  depuis  un 
siècle,  de  lui  donner  les  Papes? 

De  Léon  XIII  à  Fie  VII,  tous  les  Postifes  qui  se  sont  succédé 
sur  le  siège  de  Pierre,  ont  élevé  la  voix  pour  montrer  aux  peu- 
ples les  périls  de  la  voie  dans  laquelle  ils  entraient. 

Au  début  même  du  siècle,  en  cette  année  1800  qui  le  vit 
s'asseoir  sur  le  trône  pontifical,  le  Pape  Pie  VII  adressait  au 
monde  ces  paroles  auxquelles  les  événements  de  ces  dernières 
années  donnent  une  portée  véritablement  prophétique  : 

<  Si  l'on  n'arrête,  si  l'on  n'étouffe  une  si  grande  licence  de 
pensées,  de  paroles,  d'écrits  et  de  lectures,  nous  pourrons  bien, 
grâce  aux  eftorts  combinés  de  rois  et  de  capitaines  pleins  de 
science  politique  ou  militaire,  grâce  aux  bataillons  et  aux  expé- 


606  ANNALES    CATHOLIQUES 

dients,  nous  pourrons  paraître  soulagés  du  mal  qui  nous  tra- 
vaille; mais  faute  d'en  arracher  la  racine,  d'en  détruire  la 
semence  (je  frissonne  de  le  dire,  mais  il  faut  le  dire),  le  mal  ira 
croissant,  se  fortifiant,  étreindra  tout  le  globe  de  la  terre,  et 
alors,  pour  l'anéantir  ou  le  conjurer  ce  ne  sera  plus  assez  ni  des 
régiments,  ni  des  garnisons,  ni  des  yeux  de  la  police,  ni  des 
remparts  des  villes  ou  des  frontières  des  empires.  » 

Nous  en  sommes  là.  Le  complot  révolutionnaire  étend  son 
réseau  serré  sur  tous  les  pays  de  la  vieille  Europe.  Ses  recrues 
ne  connaissent  ni  patrie,  ni  frontières  et  grâce  aux  progrés  du 
socialisme,  font  planer  partout  une  même  terreur. 

Car  c'est  bien  le  socialisme  qui  arme  ces  bras  criminels.  Et 
sur  ce  point  encore,  la  vigilance  des  Papes  a  voulu  nous  mettra 
en  garde  de  la  façon  la  plus  précise  : 

«  Il  est  constant,  disait  Pie  IX  dans  son  Encyclique  Nostis  et 
Nobiscum  aux  èvêques  d'Italie,  que  les  chefs,  soit  du  commu- 
nisme, soit  du  socialisme,  bien  qu'agissant  par  des  méthodes  et 
des  moyens  différents,  ont  pour  but  commun  de  tenir  en  agita- 
tion continuelle  et  d'habituer  peu  à  peu  à  des  actes  plus  crimi- 
nels encore  les  ouvriers  et  les  hommes  de  condition  inférieure^ 
trompés  par  leur  langage  artificieux  et  séduits  par  la  promesse 
d'un  état  de  vie  plus  heureux.  Ils  comptent  se  servir  ensuite  de- 
leurs  secours  pour  attaquer  le  pouvoir  de  toute  autorité  supé- 
rieure, pour  piller,  dilapider,  envahir  les  propriétés  de  l'Eglise 
d'abord  et  ensuite  celles  de  tous  les  autres  particuliers,  pour 
violer  enfin  tous  les  droits  divins  et  humains,  amener  la  des- 
truction du  culte  de  Dieu  et  le  bouleversement  de  tout  ordre 
dans  les  sociétés  civiles.  » 

Qui  oserait  nier  aujourd'hui  la  clairvoyance  des  papes? 
Quelle  terrible  justification  viennent  donner  à  leurs  paroles  les 
abominables  attentats  dont  nous  sommes  les  témoins.  Le  droit 
de  propriété  de  l'Eglise  a  été  violé  et  voici  qu'on  nie  les  droits 
de  la  propriété  privée.  Les  édifices  du  culte  ont  été  légalement 
€  désaff'ectés  »  et  voici  que  les  maisons  des  particuliers  ont 
sauté.  Le  libéralisme  a  rêvé  de  détruire  partout  le  culte  de 
Dieu,  et  voici  que  le  socialisme  proclame  hautement  son  hor- 
rible dessein  d'amener  le  «  bouleversement  de  tout  ordre  dan» 
les  sociétés  civiles  ». 

Irons-nous  à  la  catastrophe  finale,  ou  la  société  aura-t-elle 
l'énergie  de  se  ressaisir  et  de  quitter  la  voie  fatale  oii  elle  est 
engagée?  Mystère  impénétrable  comme  les  desseins  de  Dieu. 


CHRONIQUE  DK  LA  SEMAINE  607 


Le  premier  résultat  de  l'attentat  anarchiste  de  samedi  a  été  de 
fortifier  la  situation  du  ministère  Casimir  Périer  et  de  lui  assu- 
rer une  énorme  majorité. 

Dans  la  journée  de  dimanche  et  dans  la  matinée  de  lundi  le 
gouvernement  avait  étudié  c  les  mesures  législatives  et  admi- 
nistratives à  prendre  pour  protéger  la  société  contre  les  attentats 
anarchistes  ». 

Ces  mesures  ont  été  apportées  lundi  à  la  Chambre  par  M.  le 
président  du  conseil. 

Le  ministère  a  soumis  à  la  Chambre  quatre  projets  de  loi. 

Le  premier  de  ces  projets  tend  à  modifier  certains  articles  de 
la  loi  de  1871  sur  la  presse. 

D'après  ces  modifications,  l'apologie  des  faits  qualifiés  crimes 
sera  punie  comme  l'excitation  à  commettre  ces  crimes. 

La  provocation  [sera  désormais  punie,  qu'elle  soit  directe  ou 
indirecte. 

Enfin  dans  les  cas  nouveaux  que  prévoient  les  modifications 
projetées,  ainsi  que  dans  les  cas  déjà  prévus,  le  projet  autorise 
l'arrestation  préventive  des  coupables  et  la  saisie  préventive  des 
écrits,  documents  et  placards  faisant  l'apologie  de  faits  qualifiés 
crimes. 

Le  deuxième  projet  de  loi  tend  à  modifier  les  articles  265  et 
suivant  du  Code  pénal  sur  les  associations  de  malfaiteurs.  Il 
assimile  à  ces  ^sociations  les  groupes  et  les  associations  anar- 
chistes. 

Le  troisième  projet  vise  la  fabrication,  le  port,  la  détention  et 
l'emploi  illicite  ou  non  justifié  des  matières  explosives,  en 
aggravant  les  pénalités. 

Le  quatrième  projet  ouvre  un  crédit  de  800.000  francs  pour 
renforcer  l'action  de  la  police.  Il  prévoit  notamment  l'augmen- 
tation du  nombre  des  commissaires  de  police  en  province,  com- 
porte la  création  de  commissariats  nouveaux. 

M.  Casimir  Périer  aurait  pu  demander  les  pouvoirs  les  plus 
étendus,  les  mesures  les  plus  draconiennes  à  cette  Chambre 
visiblement  afi'olée,  il  les  auraient  obtenus. 

En  ce  moment,  les  trois  quarts  des  députés  qui  composent 
cette  Chambre,  terrifiés  par  l'explosion  qui  a  eu  le  Palais-Bour- 
bon pour  théâtre,  sont  prêts  à  tout  sacrifier  à  la  peur  des  attentats 
anarchistes. 


608  A.NNALB8     CATHOLIQUES 

Ce  n'est  peut-être  qu'un  feu  de  paille.  Nous  ignorons  ce  que 
cela  durera.  Mais  il  y  a  là  un  phénomène  curieux  à  observer. 

Un  vent  de  réaction  a  passé  sur  la  Chambre.  On  ne  demande 
pas  seulement  au  cabinet  Casimir  Perler  d'être  un  gouvernement 
de  résistance.  On  lui  demande  d'être  un  gouvernement  de  com- 
bat contre  les  partis  révolutionnaires.  Le  gouvernement  n'a  pas 
besoin  d'entraîner  en  avant  la  majorité  qui  s'est  formée  autour  do 
lui  pour  la  défense  de  l'ordre  social.  Il  aurait  plutôt  besoin  de  la 
modérer  et  de  la  retenir. 

Mais  tout  ce  que  l'on  tentera,  tout  ce  que  l'on  fera  n'aboutira 
à  rien  de  décisif  si  le  gouvernement  ne  voit  dans  les  actes  qui 
ont  terrifié  le  pays,  on  peut  le  dire,  autre  chose  que  des  actes 
individuels,  l'œuvre  de  quelques  sectaires  que  l'on  arrivera  à 
entraver  par  la  force  ou  par  la  vigilance.  Les  législations  spé- 
ciales que  l'on  réclamera  n'arrêteront  pas  les  fanatiques  :  c'est 
une  direction  morale  qui  nous  manque,  et  ce  défaut  de  direc- 
tion morale,  cette  absence  de  toute  morale  qui  distingue  la  po- 
litique actuelle  fait  germer  les  Ravachol  et  les  Vaillant  sur  \& 
fumier  révolutionnaire.  Nous  ne  voudrions  pas  nous  répéter, 
mais  il  le  faut  bien  :  le  remède  souverain,  c'est  le  retour  aux 
idées  que  l'on  s'est  plu  à  détruire  dans  l'esprit  des  générations 
nouvelles,  pour  y  substituer  l'idée  positiviste,  l'idée  matéria- 
liste qui,  dans  les  âmes  aigries  par  l'infortune,  poussent  les 
coeurs  à  la  haine  et  à  la  révolte. 


L'auteur  du  criminel  attentat  de  samedi  est  connu.  C'est  un 
anarchiste  nommé  Vaillant,  surveillé  autrefois  de  prés,  disparu 
subitement  —  il  était  allé  en  Amérique  —  de  retour  depuis 
quelques  mois  et  qui  a  fait  des  aveux.  Loin  de  regretter  son 
crime,  Vaillant  s'en  glorifie  :  il  se  plaint  même  d'avoir  manqué 
son  but,  car  il  visait,  avec  sa  marmite  chargée  de  nitru-gljcé- 
rine,  le  président  de  la  Chambre,  Un  mouvement  d'une  femme 
qui  se  trouvait  à. côté  de  lui  a  fait  dévier  son  bras  :  M.  Dupuy 
l'a  échappé  belle.  On  a  perquisionné  chez  Vaillant  :  on  a  trouvé 
des  papiers  compromettants  et  un  second  engin  pareil  au  pre- 
mier, que  son  arrestation  l'a  empêché  d'uliliser.  On  a  trouvé 
autre  chose  :  des  publications  anarchistes,  des  traités  de  chimie, 
que  cet  ancien  gérant  de  la  Révolution  sociale  étudiait,  avec 
quel  profit  pour  ses  desseins  meurtriers,  on  le  sait  aujourd'hui  ! 
A-t-il  des    complices?  Est-ce  au    contraire   un    c  solitaire  »  "/ 


,  CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  609 

L'instruction  nous  l'apprendra.  Maintenant  que  le  parquet  tient 
l'auteur  du  crime,  il  faut  lui  laisser  le  temps  de  faire  la  lumière 
et  une  lumière  complète. 


Le  Journal  de  Bruxelles  a  fait  le  relevé  des  attentats  anar- 
chistes commis  dans  ces  quinze  dernières  années  : 

En  avril  1877,  Malatesta  et  Caffiers  rassemblent  une  bande  dans  la 
province  de  Bénévent  (Italie)  et  pillent  les  caisses  municipales. 

Hln  février  1878,  à  Pétersbourg,  Véra  Zassoulitch  tue  le  général 
Trépoff,  chef  de  la  police. 

En  mai  1878,  à  Berlin,  Hcedel  fait  feu  sur  l'empereur  Guillaume  I*-". 

En  juin  1878,  Nobiling  tire  sur  le  même  souverain  deux  coups  de 
carabine.  Guillaume  l*"""  reçoit  dix-sept  blessures. 

En  août  1878,  un  anarchiste  resté  inconnu  a  poignardé  à  Péters- 
bourg un  autre  chef  de  la  police,  le  général  Metgenkoff  ;  en  octobre, 
Mornasi  tire  un  coup  de  pistolet  sur  Alphonse  XII  ;  en  novembre, 
Passavante  essaie  de  tuer  Humbert  I*""  à  coups  de  couteau  et  blesse  le 
ministre  Cairoli. 

En  mars  187t),  Dmitri  Kropolkine,  aide  de  camp  du  tsar,  meurt 
d'un  coup  de  pistolet;  le  meurtrier  reste  introuvable.  Le  même  mois, 
le  colonel  Knopp,  chef  de  la  police  à  Odessa,  est  étranglé  dans  son 
lit,  et  un  billot  épingle  à  la  chemise  porte  que  cette  mort  est  l'œuvre 
des  anarchistes.  En  avril,  Jean  Solowief  tire  quatre  coups  de  revolver 
sur  le  tsar.  En  décembre,  les  anarchistes  font  sauter  le  train  du  tsar 
à  l'entrée  de  Moscou.  En  décembre  encore,  Gonzalès  tire  deux  coups 
de  pistolet  sur  Alphonse  XII. 

En  février  1880,  Khaltourine  fait  sauter  un  étage  du'palais  d'Hiver, 
à  Pétersbourg;  quatre  soldats  de  la  garde  sont  tués.  En  mars,  Milo- 
detzsky  blesse  le  général  Loris  Mélikoff,  chef  de  la  police.  En  mars 
encore,  le  13,  Ryssakotf  et  Jelaboff  tuent  le  tsar  Alexandre  II.  En 
décembre,  le  chef  de  la  police,  général  Tchévocine,  est  attaqué  à 
coups  de  revolver  par  Melnikoff  et  Saukowky. 

En  1882  a  lieu  l'attentat  de  Cyvoct,  au  théâtre  de  Bellecourt,  à 
Lyon. 

En  mai  1883,  en  Espagne,  des  bandes  anarchistes,  dites  la  Mano 
negra  —  la  main  noire  —  commettent  en  dix  jours  vingt-deux 
meurtres  et  se  rendent  coupables  de  huit  incendies.  En  avril,  Louise 
Michel  et  Pouget  président  le  meeting  de  l'esplanade  do8  Invalides  ; 
des  boulangeries  sont  pillées. 

En  février  1884,  Reinsdorff  et  Mannheim  font  sauter  à  la  dynamite 
le  bâtiment  de  police  de  Francfort. 

En  février  1885,  le  chef  de  la  police  de  Francfort,  Rampf,  est  poi- 
gnardé dans  sa  maison. 

44 


610  ANNALES    CATHOLIQUES  ^ 

Eq  mai  1886,  soulèvement  des  anarchistes  à  Chicago. 

En  juin,  Galle  tente  de  faire  sauter  la  Bourse,  à  Paris. 

En  novembre,  Duval  pille  et  incendie  l'hôtel  de  Mlle  Lemaire  et 
tente  de  tuer  l'agent  Rossignol. 

En  novembre  1889,  Pini,  coupable  de  plus  de  vingt  vols,  se  voit 
condamner  à  vingt  ans  de  travaux  forcés. 

En  janvier  1890,  Lawroff,  Stépanof,  Levrénius  et  Mlles  Bomberg  et 
Fodoron  sont  condamnés,  à  Paris,  pour  fabrication  d'engins  explo- 
sifs; en  novembre,  Padlewsky  tue  le  général  SéliverstortF,  à  l'hôtel  de 
Bade  à  Paris. 

Puis  viennent  : 

En  février  1891,  le  premier  attentat  de  Ravachol,  boulevard  Saint- 
Germain. 

En  mars,  par  le  même,  l'explosion  de  la  rue  de  Clichy. 

En  mai,  le  crime  des  vengeurs  de  Ravachol,  boulevard  Magenta,  où 
le  malheureux  Véry  trouve  la  mort. 

En  novembre  1892,  l'explosion  rue  des  Bons-Enfants  de  la  bombe 
précédemment  déposée  à  la  Compagnie  de  Carmaux  ;  cinq  personnes 
sont  tuées. 

Signalons  pour  mémoire  l'attentat  contre  l'hôtel  de  Trévise,  l'ex- 
plosion de  la  caserne  Lobau,  les  multiples  crimes  anarchistes  en 
Italie,  l'assassinat  du  maire  de  Chicago. 

La  dynamite  vient  de  parler  dans  le  Pas-de-Calais,  lors  des  récentes 
grèves;  l'explosion  de  Marseille  date  de  quelques  semaines. 

En  Espagne,  après  les  attentats  dirigés  contre  M.  Canovas  del  Cas- 
tillo  et  contre  le  maréchal  Martinez  Campos,  a  eu  lieu  la  terrible 
explosion  du  Lyceo  de  Barcelone, 

La  série  se  termine  pour  le  moment  par  l'attentat  de  Vaillant, 
dit  Marchai. 

Le  roi  d'Italie  est  toujours  à  la  recherche  de  quelques  hommes 
politiques  qui  voudraient  se  charger  de  la  succession  du  cabinet 
Giolitti.  La  combinaison  Zanardelli  est  allé  à  vau  l'eau.  La  si- 
tuation politique  devient  très  critique.  M.  Crispi  a  été  chargé 
d'élaborer  une  combinaison,  mais  n'aboutit  pas  davantage. 


Pendant  queM.  Crispi  tarde  autant  que  M.  Zanardelli  à  consti- 
tuer un  ministère,  le  maréchal  Martinez  Campos  continue  à  né- 
gocier sans  résultat  avec  las  Marocains.  Il  faudra  pourtant  bien 
que  cette  phase  diplomatique  se  termine,  s'il  est  vrai,  comme  on 
l'annonce  de  Melilla,  que  les  Kabyles  persistent  à  vouloir  élever 
un  fort  en  face  du  fort  espagnol  de  Sidi-el-Guarriach. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  611 

L'amiral  Gonzalès,  qui  commandait  au  Brésil  les  vaisseaux 
Tiradentes  et  Bahia  pour  le  compte  du  gouvernement  républi- 
cain, a  passé  à  la  cause  de  l'insurrection,  eta  publié  unmanifeste 
dont  voici  l'analyse,  telle  qu'on  l'envoie,  via  Montevideo,  de 
Rio-de-Janeiro  au  Times  : 

11  déclare  qu'il  s'est  joint,  par  un  devoir  que  le  patriotisme  lui  im- 
posait, à  ceux  qui  ont  combattu  vaillamment  pour  affranchir  le  pays 
du  militarisme,  de  l'anarchie  et  de  la  servitude. 

Il  n'est  que  juste  de  restaurer  par  les  armes  le  gouvernement  qui, 
dans  un  moment  de  stupeur  et  do  surprise,  a  été  renversé,  le  15  no- 
vembre 1889,  par  une  insurrection  militaire  qui  a  mis  au  pouvoir  le 
gouvernement  actuel. 

Je  respecte  ajoute  l'amiral,  l'expression  libre  de  la  volonté  natio- 
nale, mais  il  faut  qu'on  lui  fasse  appel  et  qu'elle  décide  de  la  forme 
de  gouvernement  qui  doit  exister  à  l'avenir. 

A  coup  sûr,  l'armée  qui  combat  si  bravement  ne  persistera  pas  à 
défendre  un  gouvernement  qui  a  perdu  l'appui  moral  du  peuple  et 
ruiné  notre  crédit  parmi  les  nations  étrangères. 

Le  soulèvement  gagne  de  proche  en  proche  tous  les  Etats  ;  je  fais 
appel  à  toutes  les  classes  conservatrices  pour  rejeter  le  joug  intolé- 
rable de  la  servitude  imposée  par  le  militarisme  en  1889. 

J'espère  faire  mon  devoir  en  Brésilien  quoique  la  fia  peut-être 
doive  être  la  mort,  comme  les  autres  le  feront. 

Cette  démarche  et  ce  langapre  de  l'amiral  Gonzalès  donnent 
à  l'insurrection  de  la  marine  brésilienne  son  véritable  carac- 
tére>  et  l'on  ne  peut  plus  nier  que  nous  ne  nous  trouvions  en  pré- 
sence d'une  tentative  de  restauration  monarchique,  qui  semble 
d'ailleurs  correspondre  avec  les  besoins  et  les  désirs  du  peuple 
brésilien. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

IKome  et  l*Itnli«>. 

On  écrit  de  Turin,  le  5  décembre,  au  Monde  : 

Le  Congrès  des  sociétés  catholiques  ouvrières  du  Piémont, 
qui  s'est  ouvert,  le  2  décembre,  a  tenu  quatre  longues  séances 
très  animées  ;  il  s'est  clôturé  par  un  hommage  solennel  à 
Sa  Sainteté  Léon  XIII  et  par  une  invitation  à  venir  au  futur 
congrès  de  1894. 


612  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ce  matin,  le  comité  promoteur  du  Congrès  s'est  réuni  pour 
coordonner  les  vœux  émis  et  les  résolutions  votées.  Voici  îe 
résumé  des  délibérations  qui  ont  été  prises,  omission  faite  de 
tous  les  considérants  par  lesquels  on  les  a  motivées  : 

Mouvement  catholique  :  Que  la  sanctification  des  fêtes  soit 
universellement  observée  par  la  mise  à  l'index  des  maisons  de 
commerce  et  des  fabriques  qui  violent  le  commandement  de  la 
religion;  assistance  en  corps  aux  offices  paroissiaux  et  aux  fêtes 
catholiques  ;  missions  paroissiales,  catéchismes,  cours  de  religion. 

Qu'il  se  fonde  dans  les  villes  des  associations  d'industriels  et 
de  commerçants  catholiques,  à  la  campagne  des  associations  de 
propriétaires  agriculteurs  pour  concilier  sur  les  bases  chrétiennes 
les  rapports  entre  le  capital  et  le  travail. 

Institutions  économiques  :  Création  dans  toute  société  catho- 
lique d'une  caisse  de  secours  mutuels,  d'une  caisse  pour  les  inva- 
lides du  travail  et  pour  les  vieillards,  d'un  magasin  alimentaire 
coopératif,  de  banques  de  petit  crédit. 

Qu'il  y  ait  dans  chaque  ville  des  bureaux  de  renseignements 
et  de  placement  pour  les  ouvriers  et  les  personnes  en  condition  ; 
et  que  l'on  organise  des  conférences  économiques  et  sociales 
pour  l'instruction  des  ouvriers. 

Que  l'on  fasse  des  expositions  d'échantillons  des  marchan- 
dises et  des  produits  manufacturés  des  industriels  et  ouvriers 
catholiques. 

Institution  dans  toutes  les  paroisses  de  campagne  de  caisses 
rurales,  d'associations  agraires  et  d'assurance  sur  le  bétail. 

Que  dans  toute  société  il  y  ait  une  classe  d'apprentis  oii  l'on 
formera  de  jeunes  ouvriers  catholiques  aux  solides  principes 
religieux. 

Que  chaque  société  soit  abonnée  à  un  journal  catholique  quo- 
tidien de  la  région  et  que  l'on  raye  des  membres  quiconque  lit 
ou  achète  quotidiennement  des  feuilles  libérales  et  antichré- 
tiennes. 

Lectures  et  cercles  :  Dans  toute  paroisse,  établissement  d'une 
bibliothèque  roulante  avec  un  cercle  de  lectures.  Pour  les 
annonces  et  les  communications,  recourir  exclusivement  aux 
journaux  catholiques. 

Il  sera  fondé  à  Turin  un  comité  permanent  de  jurisconsultes 
catholiques  pour  la  défense  des  droits  des  sociétés  catholiques. 

Une  lutte  sera  engagée  contre  la  jurisprudence  du  tribunal  de 
Casai  pour  qui  la  condition  imposée  d'être  catholique  pour  faire 
partie  des  caisses  rurales  doit  être  abolie. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES  613 

Elections  administratives:  L'abstention  dans  les  élections 
politiques  restant  toujours  maintenue,  donner  une  impulsion 
vigoureuse,  avec  un  programme  exclusivement  catholique,  aux 
élections  administratives. 

Comme  premiers  fruits  du  congrès,  nous  pouvons  citer  encore  : 

La  constitution  d'une  Société  aj-ant  pour  but  l'établissement 
d'un  four  coopératif  suivant  le  système  de  M.  le  curé  Auelli, 
pour  la  fabrication  du  pain  de  ménage  à  18  centimes  le  kilo- 
gramme ;  la  Société  sera  fondée  ce  mois-ci  et  en  janvier  le  four 
pourra  fonctionner" 

La  constitution  d'une  ligue  antisocialiste  qui  fera  delà  propa- 
gande dans  les  villes  et  dans  les  campagnes  et  qui  fondera  des 
établissements  économiques  au  grand  avantage  des  travailleurs. 

Une  exposition  de  l'art  chrétien  dans  ses  diverses  applications, 
à  une  époque  et  dans  les  formes  à  déterraimer. 

Le  comité  promoteur  du  Congrès  restera  en  permanence  à 
Turin  pour  s'occuper  de  la  réalisation  des  vœux  et  pour  trans- 
mettre les  instructions  nécessaires  aux  sociétés  du  Piémont. 

Le  nombre  de  ceux  qui  ont  pris  part  aux  travaux  de  l'assera- 
clée  était  d'environ  240,  représentant  plus  de  30,000  ouvriers  et 
quarante  sociétés.  M.  le  comte  César  Balbo  présidait;  Mgr  l'ar- 
chevêque de  Turin  a  adressé  aux  congressistes  une  aflectueuse 
allocution. 

Ki-ance 

Pakîs.  —  A  l'issue  des  obsèques  du  regretté  M.  Icard,  supé- 
rieur général  des  prêtres  de  Saint-Sulpice,  le  cardinal  Richard 
a  écrit  aux  curés  du  diocèse  la  lettre  suivante  : 

Paris,  le  23  novembre  1893. 
Monsieur  le  Curé, 

Nous  venons  de  rendre  tous  ensemble  les  derniers  devoirs  au  véné- 
rable supérieur  du  séminaire  de  Saint-Sulpice,  qui  demeurera  pour 
nous  de  douce  et  sainte  mémoire.  C'est  sous  l'impression  de  la  céré- 
monie à  peine  achevée  que  j'écris  ces  pages,  comme  on  voit  une 
famille  se  réunir  après  avoir  conduit  un  père  à  sa  dernière  demeure, 
et  chercher  une  consolation  àson  deuil,  en  s'entretenant  des  exemples 
qu'il  lui  a  laissés. 

La  mort  de  M.  Icard  est  arrivée  dans  des  circonstances  qui  la  ren- 
dront particulièrement  précieuse  aux  yeux  du  clergé.  Nous  étions  à 
la  veille  du  jouroù  suivant  la  tradition  de  Saint-Sulpice,  nous  renou- 
velons nos  promesses  cléricales  et  nous  chantons  l'hymne  à  Marie, 


614  ANNALES    CATHOLIQUES 

qui  a  doucement  remué  nos  cœurs  dans  les  années  de  notre  jeunesse; 
Ergo  nunc  tua  gens  se  tibi  consecrat,  Ergo  nostra  mânes  portio  tu 
Deus,  Qui  de  Vïrgine  natus,  Pernos  sœpe  renasceris. 

Le  vénérable  supérieur  avait,  dimanche  encore,  pris  part  aux  exer- 
cices de  la  Communauté,  et  présidé  le  Conseil  des  directeurs.  On 
l'attendait  le  lundi  matin  à  la  Métropole,  où  chaque  année,  se  confor- 
mant à  l'une  de  ces  traditions  dont  la  simplicité,  j'allais  presque  dire 
la  naïveté  filiale,  exprime  le  sens  profond  de  la  piété  chrétienne,  le 
successeur  de  M.  Olier  allait  inviter  la  très  sainte  Vierge,  Notre-Dame 
de  Paris,  à  présider  la  fête  du  séminaire.  Le  pieux  vieillard,  qui  était 
entré  depuis  le  l»""  novembre  dans  sa  quatre-vingt-neuvième  année, 
ne  Vint  pas.  C'est  le  Maître  divin  qui  était  venu  l'appeler  à  lui  aux 
premières  heures  de  cette  journée,  durant  un  paisible  sommeil.  Le 
bon  serviteur  avait  achevé  sa  longue  tâche.  C'est  au  Ciel,  pouvons- 
nous  l'espérer  de  la  miséricorde  divine,  qu'il  sera  allé  redire  les  pro- 
messes cléricales:  Dominuspars  hœreditatismeœ  et  calicis  mei'.tu  es 
qui  restitues  kœreditatem  meam  mthi. 

Nous  qui  restons  encore  sur  cette  terre,  nous  nous  sommes  retrou- 
vés mardi,  fête  de  la  Présentation  de  la  sainte  Vierge,  dans  la  cha- 
pelle du  séminaire  qui  garde  pour  nous  le  souvenir  de  tant  de  grâces 
de  Dieu.  Je  ne  crois  pas  m'abuser,  en  pensant  que  la  rénovation  des 
promesses  cléricales  de  cette  année  1893  restera  profondément  gra- 
vée dans  nos  mémoires. 

A  quelques  pas  de  nous  reposait  la  dépouille  mortelle  du  prêtre 
dont  la  longue  vie  avait  été  la  pratique  fidèle  de  notre  engagement: 
Domtnus  pars  hœredilatis  meœ.  Nous  pouvions  dire  de  lui  :  Defunctus 
adhuc  loquitur. 

M.  Icard  était  né  dans  le  diocèse  d'Avignon;  et,  jusque  dans  les 
dernières  années  de  sa  vie,  il  aimait  â  parler  de  la  pieuse  mère  qui 
l'avait  offert  à  Marie;  mais  il  appartenait  au  diocèse  de  Paris  par  son 
ordination  et,  plus  d'une  fois  dans  nos  conversations,  il  se  plaisait  à 
me  le  rappeler.  On  sentait  qu'il  nous  avait  donné  toute  son  âme  et, 
en  effet  sa  vie  entière,  sauf  une  courte  absence,  s'est  écoulée  dans  le 
séminaire  de  Saint-Sulpice.  On  sait  combien  cette  vie  a  été  remplie. 

Professeur  de  morale  et  de  droit  canonique,  directeur  des  caté- 
chismes de  la  paroisse,  il  a  exercé  une  grande  influence  sur  l'ensei- 
gnement de  la  doctrine  chrétienne  parmi  les  prêtres  et  les  fidèles. 
Directeur  du  séminaire  de  Saint-Sulpice,  appelé  au  Conseil  épiscopal 
par  les  Archevêques  de  Paris,  il  a  efficacement  travaillé  à  maintenir 
les  règles  de  la  discipline  ecclésiastique.  ^ 

Fidèle  aux  maximes  des  enfants  de  M.  Olier,  il  demeurait  caché 
dans  le  séminaire,  et  pourtant  son  action  s'étendait  au  loin.  Conseiller 
d'un  grand  nombre  d'Evêques,  appelé  par  l'un  d'eux  comme  théolo- 
gien au  Concile  du  Vatican,  il  n'était  étranger  à  aucun  des  grands 
intérêts  de  la  religion. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  615 

C'est  surtout  pendant  sa  supériorité,  qui  a  duré  dix-huit  ans,  que 
s'est  manifestée  cette  action  féconde  pour  le  bien  de  l'Eglise.  Les  tra. 
dilions  de  Saint-Sulpice  maintenues  dans  leur  pureté;  de  nouveaux 
séminaires  fondés  en  plusieurs  diocèses  de  France;  les  séminaires  de 
nos  Universités  catholiques  confiés  aux  enfants  do  M.  Olier  par  les 
Evoques  fondateurs  en  France  et  en  Amérique  ;  la  maison  de  procure 
de  la  Compagnie  établie  à  Rome  ;  les  retraites  communes  des  Sulpi- 
ciens  instituées  pendant  les  vacances  dans  la  maison  d'Issy  ;  tout  con- 
court à  faire  de  M.  Icard  un  des  supérieurs  que  la  Compagnie  placera, 
dans  sa  reconnaissance,  après  M.  Olier,  à  côté  de  M.  Tronson  et  de 
M.  Emery. 

Le  vénérable  supérieur  allait  mettre  la  main  à  l'œuvre  pour  ter- 
miner la  reconstruction  du  séminaire  d'Issy,  commencée  et  poursui- 
vie par  lui  avec  autant  d'activité  qne  de  prudence.  Il  y  a  quelques 
mois,  nous  bénissions  le  pavillon  central  et,  en  voyant  rassemblés 
autour  de  lui  les  élèves  du  séminaire  et  des  prêtres  nombreux  du 
diocèse  de  Paris,  nous  aimions  à  lui  appliquer  la  parole  du  psaume  : 
Filii  tut  sicut  novelUe  olivarum  in  circuitu  mensœ  tuie. 

C'est  qu'en  effet,  Monsieur  le  Curé,  nous  tous  qui  avons  eu  le  bon- 
heur d'être  élevés  dans  le  séminaire,  nous  savons  quelle  charité  pater- 
nelle Notre-Seigneur  a  mise  au  cœur  des  fils  de  M.  Olier  pour  le 
clergé,  non  seulement  durant  les  années  de  notre  éducation  cléricale, 
mais  lorsque  la  Providence  nous  a  appelés  à  travailler  au  champ  du 
Père  de  famille  dans  les  conditions  les  plus  diverses. 

Le  clergé  de  Paris  le  sait  mieux  que  tout  autre  :  tous  aussi  étaient 
réunis  autour  du  cercueil  de  M.  Icard.  C'étaient,  suivant  l'expression 
du  vieux  biographe  d'un  saint,  les  fils  de  sa  charité.  J'ai  été,  Monsieur 
le  Curé,  profondément  touché  et  reconnaissant  de  cet  hommage  de 
piété  filiale,  qui  s'étend  à  la  Compagnie  de  Saint-Sulpice  tout  entière. 
Que  Dieu  daigne  lui  rendre  au  centuple  pour  le  bien  qu'elle  fait  aux 
âmes  sacerdotales. 

Que  Mgr  le  Nonce  apostolique  et  NN.  SS.  les  Evêques  qui  ont  voulu 
honorer  de  leur  présence  les  obsèques  du  vénérable  supérieur  reçoi- 
vent l'expression  de  la  commune  gratitude  de  la  Compagnie  et  du 
clergé  de  Paris. 

Une  des  dernières  sollicitudes  de  M.  Icard  a  été  de  travailler  à  la 
béatification  de  M.  Olier.  Bientôt,  le  procès  sera  porté  à  Rome,  et, 
grâce  au  soin  avec  lequel  l'infatigable  vieillard  a  mis  en  lumière  la 
doctrine  et  les  vertus  de  M.  Olier,  nous  pouvons  espérer  que  la  cause 
sera  introduite  par  le  Souverain-Pontife  et  le  titre  de  Vénérable  donné 
par  l'Eglise  au  fondateur  de  la  Compagnie  de  Saint-Sulpice. 

Pour  nous,  Monsieur  le  Curé,  nous  aurons  puisé  dans  ces  grandes 
et  saintes  leçons  de  la  mort  d'un  piôtre  vénérable  une  intelligence  de 
plus  en  plus  profonde  du  dévouement  sacerdotal  :  Dominus  pars  hœ- 
reditatis  meœ  et  calicis  met  :  tu  es  qui  restitues  hœreditatem  meam 
mi  ht. 


616  ANNALES    CATHOLIQUES 

S'il  m'est  permis  de  parler  de  ce  qui  m'est  personnel,  je  déposerai 
sur  la  tombe  du  père  vénéré  que  nous  pleurons,  une  dernière  expres- 
sion de  ma  reconnaissance  filiale.  Cinquante-deux  ans  se  sont  écoulés 
depuis  le  jour  où  M.  Icard  me  recevait  au  séminaire  de  Saint-Sul- 
pice.  Son  affection  m'avait  suivi  dans  les  événements  divers  de  ma  vie 
sacerdotale.  C'est  au  séminaire  de  Saint-Sulpice  que  j'étais  revenu, 
vingt-sept  ans  plus  tard,  me  préparer,  avec  l'aide  de  sa  charité  et  de 
ses  conseils,  à  la  consécration  épiscopale.  Quand,  profondément  ému 
par  l'annonce  de  ma  nomination  au  siège  de  Paris,  je  versais  des 
larmes  à  la  vue  de  )a  charge  redoutable  que  la  Providence  m'imposait, 
c'est  encore  la  parole  paternelle  de  M.  Icard  qui  m'avait  encouragé. 

En  voyant  se  prolonger  cette  vigoureuse  vieillesse,  je  m'étais  flatté 
de  l'espoir  que  je  l'aurais  près  de  moi  pour  m'aider  à  terminer,  par 
une  sainte  mort,  le  laborieux  combat  de  la  vie  épiscopale,  laboriosum 
certamen,  comme  parle  l'Eglise  dans  les  oraisons  pour  le  repos  de 
l'âme  des  Evéques  défunts.  Dieu  ne  Ta  pas  permis;  que  son  saint  nom 
soit  béni  ! 

Je  porterai  chaque  jour  devant  Dieu  le  souvenir  de  ce  père  vénéré 
de  mon  âme  et  je  vous  demande  à  tous,  Frères  vénérés  dans  le  sa- 
cerdoce et  Fils  bien-aimés  venerahiles  Consacerdotes  et  Filii  dilec' 
(issimi,  de  vous  souvenir  à  l'autel  du  Seigneur  de  celui  qui  a  aimé 
nos  âmes  et  a  travaillé  pour  elles  jusqu'au  dernier  jour. 

Veuillez,  Monsieur  le  Curé,  agréer  l'assurance  de  mon  affectueux 
dévouement  en  Notre-Seigneur. 

•j;  François,  Cardinal  Riciiahd, 
Archevêque  de  Paris. 


UNE  CONQUETE 

Après  avoir  trop  longtemps  subi  le  joug  des  sectes,  la  France  com- 
mence à  se  ressaisir.  C'est  ainsi  que  les  Catholiques,  par  le  Diction- 
naire des  Dictionnaires,  ont  enfin  repris  le  domaine  encj^clopédique 
usurpé  depuis  plus  d'un  siècle  par  la  Franc-Maçonnerie  et  la  Libre 
Pensée,  et  y  ont  planté  la  crois.  Il  importe  d'affermir  et  d'étendre 
cette  précieuse  conquête.  Quiconque  a  souci  de  l'intérêt  familial, 
social,  religieux,  conservateur,  voudra  participer  à  cette  croisade, 
qui  a  pour  cri  :  Foi  et  Science,  Dieu  et  Patrie.  D'ailleurs,  il  s'agit 
d'une  œuvre  aujourd'hui  indispensable,  d'une  utilité  quotidienne  ;  et 
l'on  peut  encore  en  souscrivant  de  suite,  se  la  procurer  dans  des 
conditions  exceptionnelles.  On  trouvera  plus  loin  ces  conditions  avec 
le  bulletin  de  souscription. 


Le  gérant  :  P.  Chantrel. 


Pans.  —  Imp.  G.  Picquoin,  53,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


DE  LA  PREDICATION 

Commeatairo  do  ces  paroles  de  saint  Paul  :  Attende  libi  et  doc- 
trinic,  et  du  reste  du  verset  (!='■  Tim.  IV,  16). 

I 

Attende  tibi.  L'ordre  est  de  se  sanctifier  d'abord.  Atlendite 
vobis,  disait  encore  saint  Paul  dans  son  discours  aux  fidèles  de 
Troas  (Act.  XX,  28).  «  A  te  tua  consideratio  inchoet,  dit  saint 
Bernard,  ne  frustra  extandaris  in  alia,  te  neglecto.  Quid  tibi 
prodest  si  mundura  universum  lucreris  te  unum  perdens?  »  [De 
Consid.  Lib.  II,  Cap.  III).  Ce  chapitre  mérite  d'être  lu  en  entier. 
C'est  un  zèle  faux  et  stérile  que  celui  qui  s'épuise  et  se  dissipe 
en  œuvres  extérieures,  comme  s'exprime  Corneille  Lapierre  : 
«  Qui  se  ipso  negliirutit,  et  totos  se  in  proximorura  curara  efl'un- 
dnnt,  nec  sibi  nec  aiiis  prosunt.  »  Commençons  donc  à  nous  unir 
à  Dieu  pour  attirer  sa  l)ériédictiori  sur  notre  parole  et  sur  nos 
travaux.  Les  Apôtres  le  comprirent  bien  lorsqu'ils  se  déchar- 
gèrent sur  les  diacres  du  soin  des  pauvres  :  car  l'Esprit-Saint 
leur  révélait  qu'ils  devaient  premièrement  s'appliquer  à  l'oraison, 
puis  au  ministère  de  la  parole  •  *  Nos  vero  orationi  et  ministerio 
verbi  instantes  erimus.  »  (Act.  VI,  4).  (Cf.  Abbé  Maunoury. 
Comm.  sw  les  Ep.  de  iaini  Paul,  Paris,  1882). 

II 

Et  doctrinœ.  Sans  doute,  l'administration  des  sacrements  et 
l'oblation  du  sacrifice  sont  nécessaires;  mais  la  prédication  ne 
l'est  pas  moins.  Un  très  grand  nombre  d'âmes  se  perdent,  ou 
parce  qu'on  ne  prêche  pas,  ou  parce  qu'on  prêche  mal.  Attende 
doctrinœ  ;  il  faut  que  le  prêtre  s'applique  avec  soin  au  minis- 
tère de  la  parole.  «  On  ne  peut  assez  admirer,  disait  Bossuet, 
l'usage  de  la  parole  dans  les  aff'aires.  Qu'elle  soit,  si  vous  voulez, 
l'inLerprète  de  tous  les  conseils,  la  médiatrice  de  tous  les  traités, 
le  gage  de  la  bonne  foi  et  le  lien  de  tout  le  commerce  ;  elle  esi 
plus  nécessaire  et  plus  efficace  dans  le  ministère  de  la  religion, 
et  en  voici  la  preuve  sensible.  C'est  une  vérité  fondamentale 
que  l'on  ne  peut  obtenir  la  grâce  que  par  les  moyens  établis  de 
Dieu.  Or,  est-il  que  le  Fils  de  Dieu,  l'unique  médiateur  de  notre 
Lxxxvi  —  23  Décembre  1893.  45 


618  ANNALES    CATHOLIQUES 

salut,  a  voulu  choisir  la  parole  pour  être  l'instrument  de  sa 
grâce  et  l'organe  universel  de  son  esprit  dans  la  sanctification 
des  âmes.  »  [Prédication  évangélique,  3^  point).  La  foi  vient 
par  l'ouïe  (Rom.  X,  11)  ;  de  là  cette  injonction  :  «  Priez  le  maître 
d'envoyer  des  ouvriers  dans  sa  moisson.  »  (Mattli.,  IX, 38). 

Parler  dans  l'êg-lise,  au  milieu  de  l'assemblée  des  fidèles,  est 
pour  le  prêtre  un  ministère.  C'est  un  pouvoir  qui  lui  a  été  con- 
féré, une  grâce  qui  lui  a  été  promise  par  le  fait  de  son  ordina- 
tion. C'est  i)ar  la  parole  que  l'Eglise  a  paru  pour  la  première 
fois  :  «  Stans  autem  Petrus  cum  undecim,  levavit  vocem  suam, 
et  locutus  est  eis.  »  (Act.  II,  14).  Le  langage  que  le  Pontifical 
met  dans  la  bouche  de  l'Evêque,  lorsqu'il  confère  les  Saints 
Ordres,  est  encore  une  expression  du  désir  qu'a  l'Eglise  d'une 
prédication  multipliée  et  continuelle  des  saintes  vérités  de  la 
toi.  Plusieui's  passages,  dans  l'Ordination  du  Lecteur,  indiquent 
qu'il  était  a[)[ielé  à  ex[)]i')uer  sommairement  le  texte  dont  il  a 
d'abord  fait  lecture.  Au  sous-diacre  il  est  dit  :  «  Si  itaque  humana 
fragilitate  contingat  in  aliqiio  fidèles  maculari,  prsebenda  est  a 
vobis  aqua  cœlestis  doctrinae...  »  Le  diacre  est  l'auxiliaire 
naturel  de  l'évêque  et  du  prêtre  pour  le  ministère  de  la  parole. 
Et  si  la  pensée  du  Saint  Sacrifice  semble  dominer  l'ordination 
du  prêtre,  c'est  de  beaucoup  celle  de  l'enseignement  doctrinal 
qui  est  l'idée  de  la  consécration  de  l'évêque.  Le  livre  ne  rem- 
place pas  la  parole.  Le  livre  prépare  à  entendre  et  à  suivre 
avec  plus  de  fruit  le  discours,  la  leçon  orale.  11  résume  aussi  et 
conserve  ses  principales  données;  à  ce  titre  le  piètre  peut 
écrire;  mais  il  doit  parler.  (Mgr  Isoard,  De  la  Prédication, 
Paris,  1871). 

Comment,  dans  la  pensée  de  saint  Paul,  le  prêtre  doit-il  prê- 
cher ?  «  ...  I-'ais  œuvre  d'cvangèliste  »,  écrivait-il  encore  à 
Timoihée  (II  Tim.  IV,  2,  5;.  L'oltjet  de  la  prédication,  c'est  donc 
l'Evangile.  Jésu.«-Christ  n'a  prêché  que  la  parole  du  Père,  et  il 
s'en  fait  gloire  (Jo.  XII,  50  ;  XIV,  lOj  ;  nous  devons  mettre  tout 
notre  honneur  à  i)rêcher  les  insondables  richesses  du  Christ 
(Eph.  III,  8).  Pas  un  ]»rètie,  sans  doute,  qui  oserait  s'avouer  à 
lui-même  qu'il  considère  l'Evangile  comme  un  thème  un  peu 
usé:  niais  n'en  trouve-t-on  pas  qui  le  fardent,  le  déguisent, 
l'habillent  si  bien  à  la  modei-ne  qu'il  en  devient  j»resque  mécon- 
naissable? On  sait  l'épigrammode  Louis  XVI  a[)rês  un  sermon 
de  Maury  :  «  C'est  dommage  qu'il  n'ait  pas  dit  quelques  mots 
de  religion  ;  il  nous  aurait  parlé  de  tout.  >  Prêchons  donc  l'Evan- 


Ulî    r,A     PKKDrCATION  619 

g^ile,  et  prèchons-le  tout  entier.  Dépositaires  et  responsables, 
nous  ne  pouvons  rien  supprimer,  rien  amoindrir.  Est-ce  à  dire 
qu'il  faille  jeter  indistinctement  tonte  vérité  à  la  face  de  toute 
âme,  prépaiêe  ou  non,  rebelle  peut-être  ou  prévenue?  Non. 
Jésus-Christ  lui-même  a  usé  de  réticence,  quand  il  déclarait  les 
Apôtres  incapables  de  porter  préventivement  tout  ce  qui  lui  res- 
tait à  leur  dire.  L'Eglise  a  usé  de  la  même  réticence  alors 
qu'elle  différait  jusqu'au  baptême  la  connaissance  du  mystère 
eucharistique. 

Le  prédicateur  a  le  droit  de  taire  aujourd'hui  telle  vérité 
dont  il  estime  la  publication  inopportune  ;  mais  paraître  l'aban- 
donner définitivement,  c'est  à  quoi  il  ne  saurait  consentir,  à  peu 
prés  comme  le  chrétien  persécuté  peut  cacher  sa  foi,  mais  non 
pas  donner  à  croire  qu'il  apostasie.  Quoi([u'il  arrive,  nous  avons 
appris  des  Apôtres  que  nous  ne  pouvons  point  ne  pas  dire  ce 
que  nous  tenons  de  Dieu  (Act.  IV,  iO)  ;  nous  savons  de  saint 
Paul  que  si  jamais  on  ne  supporte  plus  la  vérité,  ce  n'est  pas 
l'heure  de  nous  taire,  mais  de  prêcher  la  parole,  d'arguer,  de 
reprendre,  de  conjurer  en  toute  patience  et  doctrine  (II  Tira.  IV, 
2,  3).  Saint  Paul  dit  opportuve,  importune;  non  pas  qu'il  faille 
provoquer  les  résistances,  les  heurter  à  plaisir  comme  si  l'Apôtre 
avait  déconseillé  tout  souci  de  l'opiiortunité  :  ce  serait  le  fait 
d'un  zèle  faux  et  amer  ;  le  vrai  zèle  consiste  à  ne  pas  reculer 
devant  les  sujets  importuns,  lorsqu'il  est  opportun  de  les 
aborder  ;  il  en  est  des  vérités  comme  des  remèdes,  elles  sont 
quelquefois  d'autant  plus  opportunes  qu'elles  ont  plus  de  chances 
d'importuner. 

Tout  l'Evangile  et  rien  que  1  Evangile.  Un  courtisan  de 
Louis  XIV  disait  au  P.  De  la  Rue  :  «  Ne  donnez  pas  dans  l'écueil 
commun  ;  ne  prétendez  pas  réussir  en  nous  flattant  l'oreille  par 
un  étalage  de  fins  mots.  Si  vous  allez  par  le  chemin  du  bel  esprit, 
vous  trouverez  ici  des  gens  qui  en  montreront  plus  dans  un  seul 
couplet  de  chanson  ([ue  vous  dans  tout  un  sermon.  Ils  se  raille- 
ront de  vous.  ^lais  pnrlez-leur  de  Dieu  vivement  et  prudem- 
ment, comme  vous  parleriez  aux  honnêtes  gens  de  la  ville.  C'est 
ce  qu'ils  n'entendent  point  et  que  vous  entendez  mieux  qu'eux  ; 
par  là  vous  serez  leur  maître  et  ils  vous  respecteront.  »  (P.  De 
la  Rue,  préface  des  Sermons). 

Or,  la  première  de  toutes  les  conditions  pour  que  notre  parole 
exerce  de  1  influence,  c'est  de  parler  un  langage  que  l'auditeur 
comprenne,  et  qu'il  entende  sans  ennui  et  sans  être  choqué.  L'au- 


620  ANNALES  CATHOLIQUES 

ditoire  que  nous  avons  autour  de  nos  chaires  ne  rappelle  raênae  pas 
de  loin  celui  qu'avaient  les  prédicateurs  du  XVII^  siècle;  nous 
parlons  des  auditoires  des  villes.  Bossuet,  Bourdaloue,  Massillon 
avaient  pour  auditeurs  la  noblesse  et  la  grande  bourgeoisie, 
qui  avaient  tous  une  connaissance  assez  approfondie  des  vérités 
de  la  religion.  On  savait  à  cette  époque  sa  religion,  même  malgré 
soi,  parce  qu'on  la  rencontrait  partout,  dans  la  famille,  dans  les 
lois.  Elle  intervenait  à  tout  moment  dans  la  vie.  On  parlaitalors 
religion  comme  on  parle  de  nos  jours  politique,  et  cela  surtout 
aux  époques  les  plus  troublées.  Après  les  guerres  de  religion, 
pendant  la  longue  durée  de  l'agitation  causée  par  le  jansénisme, 
les  questions  religieuses  étaient  le  fond  habituel,  inépuisable 
des  conversations.  Les  femmes  du  monde  même  s'entretenaient 
de  ces  questions  avec  la  plus  grande  aisance.  A  une  semblable 
réunion  le  prédicateur  pouvait  donner  sa  pensée  telle  qu'il  se  la 
formulait  à  lui-même,  employant  les  mots  de  la  théologie  et  de 
l'Ecole,  ne  faisant  qu'indiquer  et  rappeler  de  loin  des  preuves 
trop  connues,  des  faits  ou  des  maximes  chaque  jour  répétés  et 
invoqués  par  ceux-là  mêmes  qui  l'écoutaient.  Il  n'avait  nul 
besoin  de  traduire  sa  pensée  pour  l'usage  des  fidèles.  Entre  eux 
et  lui  la  langue  était  commune. 

Est-ce  là  notre  condition  '!  jN'otre  société  n'est  plus  chrétienne. 
Lamoriciére  écrivait  au  P.  Gratr}'  :  «  J'ai  fait  mes  humanités, 
y  compris  ce  qu'on  nomme  la  philosophie.  J'ai  passé  deux  ans  à 
l'Ecole  polytechnique;  j'y  ai  travaillé  en  conscience  à  l'étude 
des  sciences  et  arts  et  quelque  peu  à  celle  de  leur  philosophie. 
Quant  à  la  théologie,  je  n'en  sais  pas  un  mot.  11  y  a  trente-quatre 
ans,  combien  peu,  hors  des  séminaires,  savaient  autre  chose 
que  le  nom  de  cette  science  !  »  (Cité  par  Mgr  Baunaid,  La  Foi 
et  ses  victoires,  1"  série). 

Tenons  donc  pour  certain  que  notre  langue  habituelle,  qui  est 
encore  celle  des  grands  prédicateurs  du  XVIP  siècle,  n'est  |ias 
conipiise  par  la  presque  totalité  des  fidèles.  Qui  n'aime  à  diie 
le  Prophète  royal,  l'Apôtre  des  Gentils,  l'Apôtre  bien-aimé.  les 
fruits  de  la  terre  promise,  les  délices  de  Sion,  l'Epouse  du  Can- 
tique? Qui  ne  parle  des  sentiers  de  la  justice,  delà  terre  d'Egypte, 
des  fleuves  de  Babylone,  des  victoires  comparées  de  l'ancienne 
loi  et  de  la  loi  nouvelle?  Qui  prêche  sans  parler  du  vieil 
homme  et  de  l'homme  nouveau,  du  dépouillement,  de  la  mort 
spirituelle,  de  la  concupiscence,  de  la  mortification,  du  rôvête- 
ment  de  Jésus-Christ,  des  enfants  de  la  promesse,  des  enfants 


DE    LA    PKKDICATION  621 

de  colère,  des  nations  assises  à  l'ombre  de  la  mort,  de  la  voca- 
tion des  Gentils?  Expressions,  raots,  métaphores,  locutions, 
donnés  crûment,  sans  commentaires,  sans  explication,  qui  n'of- 
frent aucun  sens  pour  nos  auditeurs  ;  et  toute  notre  terminolo- 
gie est  dans  ce  cas.  De  là,  un  espiit  de  gêne  pour  nos  auditeurs. 
Notre  langage  leur  paraît  hérissé  de  formes  et  de  locutions 
inconnues;  écouter  ne  leur  suffit  pas,  il  faudrait  qu'ils  nous 
déchiffrent,  et  ils  n'en  ont  ni  le  goût,  ni  le  loisir.  Lu  suite  des 
idées  n'a  pas  pour  eux  moins  de  difficultés  que  n'en  ofi"re  la  ter- 
minologie. Nous  supposons,  lorsque  nous  prêchons,  que  l'on  sait 
autour  de  nous  les  dogmes  et  les  maximes  essentiels  du  chris- 
tianisme. C'est  une  illusion.  Il  n'est  presque  aucune  des  propo- 
sitions sur  lesquelles  s'appuient  nécessairement  nos  raisonne- 
ments et  nos  exhortations  qui  puisse  être  comprise  ou  acceptée 
dans  son  sens  véritable  et  complet.  Qu'ils  puissent  ou  non  s'en 
rendre  compte,  le  fait  est  que  nous  leur  présentons  à  tous  mo- 
ments des  conséquences  de  principes  qu'ils  ne  connaissent  pas 
ou  n'admettent  point  pratiquement.  Le  vague  oii  demeure  l'es- 
[irii  de  nos  auditeurs  les  amène  à  cette  conviction  qu'il  y  a  peu 
d'utilité  pratique  à  tirer  de  nos  prédications  ;  aussi  elles  passent 
au-dessus  de  leur  vie  sans  la  pénétrer  et  sans  l'entamer. 

Un  critique  sage,  respectueux,  catholique  de  cœur  et  de 
croj'ance  a  pu  écrire  :  «  C'est  dans  la  chaire  qu'il  est  le  plus 
fiioile  de  parler  sans  rien  dii-e.  »  (A.  Fugère,  Bourdaloue^  sa 
prédication  et  son  temps^.  Four  que  notre  prédication  soit 
«'■contée,  il  faudrait  nous  prooccuper  de  dire  quelque  chose  à 
quelqu'un,  et  de  le  dire  suivant  les  dispositions  de  ce  quelqu'un. 
Il  est  certain  qu'on  doit  prêcher  aujourd'hui  autrement  qu'il  y 
a  cent  ans. 

Mais  comment  arriver,  rajeunir  notre  prédication?  Nous  n'y 
arriverons  pas  en  cherchant  la  nouveauté  sur  des  routes  péril- 
leuse?, en  entrant  dans  la  voie  des  concessions  à  outrance,  en 
imaginant  des  eflfets  littéraires  contestables,  en  nous  faisant 
bizarres,  excentriques.  La  nouveauté  est  dans  un  retour  sérieux, 
énergique,  d'une  part  à  l'objet  véritable  et  intégral  de  la  prédi- 
cation, c'est-à-dire  à  l'Evangile  et  à  Jésus-Christ;  de  l'autre,  à 
une  parole  simple,  vraie,  vivante,  allant  droit  de  l'àme  à  l'âme. 
Nous  serons  neufs  à  la  condition  de  posséder  mieux,  d'exploiter 
•mieux  l'inépuisable  trésor  de  la  doctrine,  les  insondables 
richesses  du  Christ;  de  prêcher  par-dessus  tout  et  en  tout 
Jésus-Christ  ;  d'écarter  les  théories  hasardées,  les  sentiments 
faux,  le  langage  factice,  le  ton  nouveau. 


622  ANNALES    CATHOLIQUES 

•  Que  si  l'auditeur  moderne  a  quelquefois  ses  engouements,  ses 
préjugés,  ses  faiblesses,  taisons-lui  l'honneur  de  ne  pas  les  esti- 
mer incurables  et  n'oublions  pas  que  notre  devoir  est  de  tra- 
vailler à  l'en  guérir.  Touchons  à  tout  cela  d'une  main  respec- 
tueuse et  délicate,  mais  aussi  ferme  qu'aimante.  Prêtons-nous  à 
ses  fantaisies  de  malade,  mais  avec  mesure  et  pour  un  temps, 
avec  l'intention  et  l'assurance  de  refaire  peu  à  peu  son  tempéra- 
ment intellectuel  et  moral.  A  tout  prendre,  le  prédicateur  du 
XIX'  siècle  se  trouve,  comme  ses  devanciers,  en  présence  de  l'âme 
humaine,  toujours  sensible  au  vrai  proposé  avec  chaleur  par  une 
àme  convaincue,  en  présence  de  Tàiiie  baptisée  toujours  inclinée, 
qu'elle  en  ait  ou  non  conscience,  vers  le  pur  christianisme  et  le 
vrai  Jésus-Christ. 

Les  instructions  données  habituellement  dans  nos  paroisses 
ont  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  formes  :  le  prône  ou  le  ser- 
mon. 

Le  prône  est  de  beaucoup  la  forme  plus  fréquente.  Le  saint 
Concile  de  Trente  avait  conseillé  de  donner  tous  les  dimanches 
l'explication  de  quelques  versets  de  l'Ecriture,  et  indiqué  en 
particulier  ceux  qui  se  rencontrent  dans  la  liturgie,  que  les 
fidèles  chantaient  ou  entendaient  lire  pendant  la  messe.  On  a 
peu  à  peu  donné  à  ce  conseil  un  sens  de  plus  en  plus  étroit,  et 
aujourd'hui  l'instruction  est  devenue  une  homélie  sur  l'Evan- 
gile du  dimanche.  Ce  retour  périodique  des  mêmes  passages  a 
un  grave  inconvénient  :  la  monotonie,  inconvénient  qui  devient 
d'autant  plus  redoutable  que  le  prêtre  est  dans  la  même  paroisse 
depuis  10,  20,  30  ans.  Nous  nous  contentons  de  poser  la  ques- 
tion :  N'y  aurait-il  pas  lieu  de  modifier  un  peu  le  prône  V 

Le  sermon  d'apparat,  donné  à  certains  jours,  vaut-il  beaucoup 
mieux  (jue  le  prône?  Outre  que  le  prédicateur  est  encore  moins 
libre  que  le  curé,  c'est  l'usage  qui  lui  impose  le  thème  de  son 
sermon  ;  il  est  encore  contraint  de  traiter  ses  invariables  sujet^ 
d'une  manière  vague  et  un  peu  lâche.  En  eff^et,  son  sei'raon  est 
écrit  pour  tous  les  auditoires  à  qui  il  peut  avoir  à  s'adresser.  11 
se  tient  donc  dans  une  note  moyenne  pour  l'expression  et  pour 
la  pensée. 

Il  s'ensuit  qu'il  ne  captive  que  rarement  les  âmes.  Car  pour 
les  captiver  il  faudrait  leur  parler  à  elles-mêmes.  Et  comment 
trouver  le  mot  qui  va  droit  au  cœur  du  Breton,  s'il  veut  frapper 
de  ce  même  mot  les  oreilles  des  habitants  de  l'Orléanais,  de  la 
Provence  ou  de  Paris?  Il  choisira  donc   un  mot,  une  forme,  un 


DE    LA    PRÉDICATION  623 

genre,  que  tous  entendront  sans  surprise,  sans  déplaisir,  mais 
qui,  certainement,  ne  saisira  et  ne  touchera  personne.  Il  j  a 
actuellement  tant  de  différence  dans  la  manière  d'être  chré- 
tien ! 

Le  sentiment  religieux  subit,  d'un  lieu  à  un  autre,  des  diminu- 
tions de  teintes  si  variées.  Dans  une  même  ville,  à  Paris,  par 
exemple,  est-on  chrétien  de  la  même  façon  à  Saint-Sulpice  et  à 
Ménilraontant?  Le  sermon  que  dans  telle  paroisse  on  aurait 
trouvé  dicté  par  une  froide  raison,  sera  considéré  ailleurs 
comme  trop  empreint  d'une  molle  piété.  Bref,  le  sermon  subit, 
plus  encore  que  le  prône,  le  joug  de  conventions  factices  qui 
étreignent  les  esprits  et  rendent  presque  inféconds  les  plus  heu- 
reux talents.  Aussi,  posez  aux  prédicateurs  de  profession  cette 
question  :  «  Qu'attendez-vous  de  votre  sermon  ?  » 

S'ils  sont  sincères,  ils  vous  répondront  :  «  Il  en  sera  de  ce 
sermon  comme  de  tant  d'autres.  »  Très  peu  songent  aux  fruits 
qu'il  en  pourrait  sortir.  Aussi,  dit  Mgr  Isoard,  qui  a  écrit  un 
excellent  livre  sur  cette  question,  ne  demandez  pas  la  suppres- 
sion de  ce  sermon  qu'il  appelle  c  une  majesté  bien  déchue  », 
bien  qu'il  soit  convaincu  que  ce  genre  de  prédication  à  l'assem- 
blée générale  des  fidèles  soit  désormais  frappé  de  stérilité  :  ce 
qu'il  voudrait,  c'est  la  division  d'une  paroisse  en  plusieurs  audi- 
toires, auxquels  on  ferait  une  série  d'instructions  en  rapport 
avec  leur  âge,  leur  sexe,  leur  condition,  et  il  s'appuie  sur  l'opi- 
nion du  savant  abbé  Le  Hir,  de  Saint-Sulpice,  qui  prenait  pour 
type  la  paroisse  de  Saint-Sulpice  ,  avec  ses  catéchismes,  ses 
patronages,  ses  cercles  ;   il  aurait  souhaité  encore  plus  de  divi- 

Cette  manière  de  voir  est  encore  celle  du  cardinal  Mei- 
sion. 

gnan.  Nous  cro^'ons  que  la  résurrection  de  la  foi  et  le  renouvel- 
lement des  mœurs  chrétiennes  ne  se  peuvent  en  effet  obtenir  que 
par  le  moj-en  de  ce  discours  à  des  groupes  homogènes. 

Il  y  a  un  dernier  genre  de  parole  :  ce  sont  les  allocutions,  les 
entretiens,  les  mots.  Ce  genre  est  d'une  très  médiocre  impor- 
tance. L'auditoire  très  restreint  appartient  tout  entier  au  sexe 
dévot.  Les  mots  se  succèdent  au  gré  des  circonstances,  sans  le 
moindre  enchaînement.  Le  plan  n'en  a  pas  été  tracé.  Ils  doivent 
exprimer  les  sentiments  personnels  de  l'orateur;  c'est  sa  médi- 
tation du  matin  que  l'usage  autorise  à  répéter.  Les  phrases  se 
suivent  sans  que  les  pensées  arrivent.  Les  exclamations  [denses 
ne  sont  point  appelées  par  ce  qui  les  précède.  Somme  toute,  il 


624  ANNALES    CATHOLIQUES 

est  à  désirer  que  ces  mots  aient  toujours  peu  de  personnes  qui 
les  recueillent;  ils  ne  sont  généralement  pas  propres  à  faire 
estimer  et  honorer  la  parole  de  Dieu. 

La  question  de  la  préparation  de  la  parole  chrétienne  est  trop 
complexe,  et  d'ailleurs  trop  connue  de  tous  pour  que  nous  vou- 
lions la  traiter.  Nul  doute  que  plus  l'étude  est  suivie,  sérieuse, 
plus  la  méditation  est  complète,  plus  l'idée  sera  mûrie  et  fé- 
conde. Une  seule  chose  nous  intéresse,  parce  qu'elle  est  débat- 
tue, c'est  de  savoir  si  le  sermon  doit  être  appris  par  cœur  ou 
improvisé. 

Les  maîtres  penchent  pour  l'improvisation.  Selon  saint  Au- 
gustin, il  faut  acquérir  de  longue  main  et  le  fond  des  choses  et 
l'aisance  de  la  parole;  puis,  le  moment  venu,  s'appliquer  plu- 
tôt l'injonction  de  Notre-Seigneur  aux  persécutés  :  «  Ne  cher- 
chez pas  que  dire,  ni  comment  le  dire,  car  au  moment  même,  il 
vous  sera  donné  de  le  trouver.  »  {De  Doctrina  Christ.,  t.  VI, 
p.  32). 

La  Bruyère  aiguise  une  épigramrae  contre  les  récitateurs  [De 
la  Chaire,  w'^  209)  ;  le  P.  de  La  Rue  dirige  contre  eux  presque 
toute  la  préface  de  ses  sermons,  et  Fénelon  abonde  dans  le  même 
sens  [Bial.  sur  VEloq.,  dial.  III,  avec  une  pointe  d'excès  et  de 
paradoxes  justement  relevée  par  M.  Feugére  [Bourdaloue, 
l"-'  part.,  chap.  1,  n"  7). 

Le  discours  écrit  et  appris  par  cœur,  en  effet,  ne  saurait  être 
la  forme  première  et  naturelle  de  la  parole,  encore  moins  de  la  pa- 
role apostolique,  vive  et  spontanée  entre  toutes.  On  ne  peut  guère 
le  concevoir,  dit  le  P.  Longhaje,  qu'à  titre  d'expédient,  de  res- 
source m  extremis.  Mais  à  tout  prendre,  il  est  bien  des  cas  où 
l'expérience  s'impose.  Nombre  de  prédicateurs  ne  sont  pas  ca- 
pables de  s'en  passer.  De  plus,  les  conditions  matérielles  de  la 
parole  :  haute  chaire,  grand  vaisseau,  assemblées  nombreuses, 
rendent  difficile  la  prédication  familière  et  improvisée.  Toute- 
fois l'orateur  doit  s'habituer  à  ne  pas  dépendre  absolument  de 
sa  niémoire,  de  façon  à  s'assurer  une  allure  moins  contrainte. 
Par  contre,  l'improvisation  absolue,  la  parole  sans  préparation 
aucune,  est  un  tour  de  force  auquel  un  orateur  sérieux  ne  se 
hasardera  jamais  que  s'il  ne  peut  faire  autrement. 

Grâce  à  ses  études,  à  aes  notes,  le  prédicateur  doit  être 
comme  le  scribe  du  céleste  royaume,  ressembler  au  père  de  fa- 
mille qui  tire  de  son  trésor  l'ancien  tout  ensemble  et  le  nou- 
veau (Matth.,  XIII,  52). 


UNE   DOUBLE   ÉQUIVOQUE  625 

Attende  doctrinœ.  Appliquons-nous  à  l'enseignement  de  la 
doctrine,  préparons  sérieusement  nos  instructions  ;  qu'elles 
soient  courtes,  claires,  nourries  de  pensées  et  de  faits  de  la 
Sainte  Ecriture.  Pasteurs  dont  la  timidité  enchaîne  la  langue, 
travaillez,  priez,  aimez  Dieu  et  les  âmes,  et  l'Esprit-Saint  vous 
donnera  la  hardiesse  de  prononcer  de  bonnes  paroles. 

III 

Jusla  in  illis.  —  Appliquez-vous  à  ces  deux  points  avec 
constance.  En  grec  epimene^  persiste.  Au  sortir  de  l'ordination, 
■on  est  plein  de  ferveur;  après  une  retraite,  on  plie  sa  conduite 
à  la  règle;  mais  le  difficile  est  de  persévérer.  Cependant  il  nous 
in)[»orte  de  dominer  notre  inconstance.  Hoc  enim  faciens,  et  te 
ipsum  satvum  faciès,  et  eos  qui  te  audiunt. 

AUTEURS  A  CONSULTER 

(Le  pasteur  Vinet,  Ilome'litique  ou  théorie  de  la])7'édication, 
Paris,  1853.  —  Abbé  Clerc,  Essai  sur  Vart  oratoire  au  point  de 
vue  chrétien,  1854). 

P.  G.  MOREAU. 
Yicaire  général  honoraire  de  Langres, 


UNE  DOUBLE  EQUIVOQUE 

L'enquête  ouverte  par  la  S.  Congrégation  des  Rites  sur  le 
chant  grégorien  nous  engage  à  nous  expliquer  une  fois  encore 
sur  la  question  des  livres  choraux;  non  certes  dans  le  but  de 
relever  les  injures  personnelles  adressées,  à  défaut  d'arguments, 
par  certains  polémistes  aux  défenseurs  du  chant  traditionnel  — 
ces  injures  sans  portée  sont  à  elles  seules  leur  réponse  ou  plutôt 
leur  châtiment ,  —  mais  dans  l'espoir  de  dissiper  une  double 
équivoque  derrière  laquelle  plusieurs  aiment  à  se  retrancher. 

I.  La  première  équivoque  consiste  dans  la  confusion  entre  deux 
côtés  très  différents  de  cette  question:  le  côté  disciplinaire  et  le 
côté  artistique  ou  historique. 

Les  décrets  émanés  de  la  Sacrée-Congrégation,  même  celui 
de  1883,  touchant  l'édition  typique  de  Ratisbonne,  n'ont  pas  le 
caractère  impératif  qu'on  leur  attribue  avec  force  déclamations. 


626  ANNALES    CATHOLIQUES 

a).  Le  texte  des  documents  ne  contient  aucune  formule  vrai- 
ment impérative.  b)  Léon  XIII,  interprète  suprême  des  inten- 
tions do  Rome,  a  déclaré  en  plusieurs  circonstances,  notamment 
lors  du  centenaire  de  saint  Grégoire  le  Grand  et  il  v  a  peu  de 
semaines  à  un  cardinal  français,  qu'il  entend  laisser  la  liberté,  La 
récente  note  de  VOsservaiore  Romano  est  formelle  à  cet  égard. 
Cj  Dans  la  ville  éternelle,  sous  les  yeux  du  Saint-Pére,  plusieurs 
établissements  ecclésiastiques  ont  adopté  l'édition  de  Dona  Po- 
thier.  d)  Eu  France,  cette  édition  se  répand  de  plus  en  plus 
jusque  dans  les  églises  cathédrales,  e)  Dans  le  doute,  si  doute  il 

avait,  odiosa  restringenda  ;  or,  tout  privilège,  surtout  gratuit, 
a  un  caractère  odieux,  suivant  l'enseignement  commun  des  théo- 
logiens :  f)  enfin,  c'est  aux  évêques  à  juger  de  l'opportunité 
qu'il  y  a  à  introduire  dans  leurs  diocèses  les  livres  choraux  re- 
commandés par  les  décrets.  Si  donc,  suivant  une  formule  mj's- 
tique  dont  on  abuse  à  plaisir,  les  désirs  du  Saint-Siège  sont  des 
ordres  pour  les  catholiques,  ceux  de  chaque  évéque  sont  aussi 
des  ordres  pour  ses  diocésains. 

Voilà  pour  la  question  disciplinaire,  telle  qu'elle  se  présente 
actuellement. 

Toute  diflerente  est  la  question  artistique  et  historique. 
'Supposons  que  Rome  rende  obligatoire  sans  réserves  pour 
toutes  les  églises  la  version  typique  de  Ratisbonne —  nous  avons 
des  motifs  de  croire  que  l'issue  du  débat  sera  tout  opposée  — 
supposons  cela,  est-ce  que  cette  disposition  modifierait  la  valeur 
artistique  de  celte  version  et  détruirait  la  force  des  arguments 
historiques  qu'on  lui  oppose  ?  Assurément  non!  Prétendre  le 
contraire,  ou  même  simplement  confondre  ces  deux  questions, 
c'est  rendre  à  la  cause  de  Rome  un  service  injurieux,  et  jeter  le 
discrédit,  aux  yeux  des  savants  incrédules  ou  protestants,  sur  la 
sincérité  et  la  liberté  de  la  science  catholique. 

Or,  que  dit  l'archéologie  musicale,  touchant  la  valeur  artis- 
tique de  l'édition  Mèdicéenne,  modifiée  par  les  auteurs  de  l'édi- 
tion typique  ?  Que  dit  l'histoire  de  cette  version? 

L'archéologie  démontre  avec  une  clarté  chaque  jour  plus 
grande  que  la  version  Mèdicéenne  est  une  des  plus  fantaisistes 
de  toutes  celles  qui  existent,  étant  faite  dans  de  mauvaises  con- 
ditions à  une  époque  où  la  tradition  était  perdue,  et  qu'elle  est 
un  obstacle  grave  à  la  restauration  du  chant  grégorien. 

L'histoire  affirme  en  outre  :  a)  que  le  manuscrit  dont  on  se 
serait  servi  pour  cette  version  a  été  reconnu  par  un  décret  de  la 


UNK    DOUBLE    EQUIVOQUE  bZt 

Rote,  en  date  du  21  juin  1596,  n'être  pas  de  Palestrina  et  même 
ita  referiiun  erroribus  et  varietatibus  ut  imprimi  non  possit  et 
sic  non  possit  servire  ad  usum  destinatum...;  h)  que  la  Médi- 
céenne  n'a  pas  été  officiel leaient  reconnue  par  Paul  \  \  c)  que 
la  Médicéenne  n'avait  pas  été  officiellement  introduite  à  Rome 
et  en  Italie. 

Enfin,  pour  ce  qui  concerne  la  réimpression  de  la  Médicéenne 
à  Ratisbonne,  l'histoire-démontrera  et  démontre  déjà  que  le 
fameux  concours  qui  servirait  de  base  au  privilège,  quasi  mono- 
pole, accordé  à  M.  Pustet,  s'il  a  été  ouvert,  n'a  pas  été  ouvert 
sérieusement. 

Voilà  la  vérité  historique  et  artistique,  à  laquelle  l'autorité 
ne  peut  rien  changer.  En  présence  de  ces  conclusions  fournies 
par  l'étude  impartiale  de  l'archéologie  et  de  l'histoire,  est-il  à 
souhaiter,  dans  l'intérêt  même  du  prestige  de  Rome,  que  la  dé- 
cision disciplinaire  soit  défavorable  aux  postulata  les  plus  légi- 
times de  l'art?  Et  n'est-ce  pas  plutôt  un  amour  ardent,  mais 
îsincére,  de  Rome  qui  fait  désirer  aux  défenseurs  de  la  tradition 
une  décision  conforme  aux  titres  de  celles-ci. 

II.  Mais,  répond-on  aussitôt,  vous  voulez  donc  introduire  par- 
tout la  version  si  longue,  si  difficile  de  Dom  Pothier,  et  rendre 
ainsi  impossible  l'unification  si  désirable  du  chaut  liturgique  ? 

Ici  est  la  seconde  équivoque  que  nous  voudrions  essayer  de 
dissiper. 

L'unification  du  chant  sacré  est  en  eff"et  une  chose  éminemment 
désirable.  Encore  peut-on  souhaiter  que  certains  trésors  ne  dis- 
paraissent pas  dans  un  nivellement  absolu.  Pour  arriver  à  cette 
unification,  une  simplification  des  mélodies  les  plus  ornées  est 
utile.  La  pensée  d'une  édition  abrégée  est  donc  en  elle-même 
fort  louable.  Mais  il  y  a  abréviation  et  abréviation. 

Nous  croyons  que  la  question  n'est  pas  mûre  pour  qu'on  fixe 
une  édition  quelconque  ne  varietur.C èid>.\i  la  pensée  de  l'évêque 
d'Arras  dans  sa  fameuse  lettre  à  Pie  IX.  Lorsque  les  recherches 
archéologiques  auront  résolu  jusque  dans  les  détails  le  problème 
de  la  diction  et  de  l'écriture  grégoriennes,  déjà  résolu  dans  ses 
grandes  lignes,  alors,  mais  alors  seulement,  on  pourra  arrêter 
une  version  définitive  capable  de  faire  honneur  à  la  science  et  à 
l'art  catholiques. 

Cette  version,  on  pourrait,  en  vue  des  petites  maîtrises, 
l'abréger  en  certains  endroits  en  prenant  pour  base  le  vérit-ible 
texte  traditionnel  et  en  opérant  d'après  les  principes  désormais 


628  ANNALES    CATHOLIQUES 

établis.  Mais  à  côté  de  cette  version  abrégée,  y  aurait-il  incon- 
vénient à  maintenir,  pour  les  maîtrises  mieux  formées,  une  vei"- 
sion  intégrale,  comme  le  Missel  contient  deux  chants  pour  I.l 
Préface  et  le  Pater,  l'un  plus  orné,  l'autre  plus  simple? 

Cette  édition  abrégée,  élaborée  par  une  commission  de  plain- 
chantisles  au  courant  des  récentes  découvertes,  pourrait  êuo 
considérée  comme  la  continuation  de  l'œuvre  de  la  Congréga- 
tion, puisqu'elle  s'inspirerait  du  même  principe  de  l'abréviation. 
Ainsi,  sans  se  dédire,  Rome  aboutirait  à  une  solution  qui  satis- 
ferait à  la  fois  les  amis  de  la  tradition  et  ceux  de  l'unité  d'un 
chant  simplifié. 

Du  reste,  est-il  bien  vrai  de  dire  que  l'édition  traditionne]l-:> 
soit  si  difficile  et  la  Médicéenne  si  facile?  Rien  n'est  plus  gra- 
tuit. Ce  qui  rend  un  chant  difficile  pour  un  chœur,  c'est  bien 
moins  le  nombre  de  notes  à  clianter  que  leur  défaut  de  groupe- 
ment. Sans  doute  l'édition  typique  est  sensiblement  abrégée  ; 
dans  tel  groupe  de  482  notes  on  en  a  supprimé  422;  dans  tel 
autre  de  381  on  n'en  a  laissé  que  131.  Mais  les  groupes,  souvent 
encore  assez  longs,  que  l'on  a  conservés,  d'après  quels  principes 
les  chantera-t-on  ?I1  y  a  peu  de  semaines,  un  professeur  de  plain- 
chant,  excellent  musicien  du  diocèse  de  Cologne,  envoya  un  de 
ses  élèves  demander  au  directeur  de  l'école  de  Ratisbonne 
quelles  règles  il  suivait  dans  l'exécution  des  groupes  neuraati- 
ques.  Le  maître  embarrassé  se  contenta  de  lui  dire  :  «  Consultez 
votre  golit  et...  votre  besoin  de  respirer.  » 

Voyez-vous  l'unité  du  chant  sacré  basée  sur  le  goût  de  chaque 
chantre  et  sur  la  force  de  ses  poumons? 

Ajoutez  à  cela  qu'une  mélodie  tronquée,  sans  égard  à  la  struc- 
ture neumatique,  l'est  souvent  contre  le  sens  mélodique  et  de- 
vient dés  loi's  d'autant  plus  difficile  qu'elle  est  moins  naturelle. 
Que  d'exemples  on  pourrait  produire  à  l'appui  de  cette  as- 
sertion !  (l) 

Pour  toutes  ces  raisons,  sans  violer  en  rien  le  respect  dû  aux 
actes  de  la  Sacrée-Congrégation,  on  peut  en  pleine  sûreté  de 
conscience  souhaiter  qu'après  l'expiration  du  monopole  de  trente 

(1)  Ce  que  nous  avançons  est  si  vrai,  qu'au  Collège  germanique  de 
Rome  les  chantres  se  servent  constamment  du  Liber  gradualis  tra- 
ditionnel pour  faire  à  leurs  livres  de  chœur  des  ajoutés,  des  correc- 
tions, des  signes  qui  permettent  un  chant  d'ensemble  bien  rythmé. 
Que  deviennent  les  livres  authentiques  ainsi  corrigés?  Sont-ils  encore 
authentiques  ? 


LA    hrHERTlJ    DKS    .«YNIJICATS    OUVRIERS  620 

ans  assuré  à  l'édition  de  Ratisbonne,  l'Eglise  retire  à  cette 
œuvre  la  continuation  de  ses  faveurs  et  laisse  une  entière  li'rjerté, 
à  moins  qu'elle  ne  veuille  prendre  sous  sa  protection  les  travaux 
tiiiditionnels  substitués  si  avantageusement  à  la  réimpression 
de  laMédicéenne,  suivant  le  vœu  formulé  en  1878  par  M.  Haberl 
lui-même  : 

«  Si  dans  le  courant  de  trente  années  que  dure  le  privilège  de 
M.  Pustet,  on  peut,  dans  le  monde  savant,  reconstituer  une  édi- 
tion meilleure  d'après  des  manuscrits  inconnus  jusqu'ici  ;  si  l'on 
publie  les  manuscrits  connus  et  si  l'on  arrive  à  les  déchiffrer; 
si  l'on  sait  ordonner  tout  cela  d'après  son  âge  et  sa  valeur,  je  ne 
doute  point  (,ue  Rorae  ne  re(;oive  un  travail  semblable  avec  joie 
et  qu'il  ne  soit  mis  à  la  place  de  celui  qui  est  moins  parfait,  et 
Mioi-même  je  voudrais  avec  plaisir  aider  de  toutes  mes  forces  à 
l'érection  de  ce  monument.  » 

Giàce  aux  encouragements  que  Sa  Sainteté  Léon  XIII  ne  cesse 
de  donner  aux  travaux  d'archéologie  musicale,  de[)uis  le  Liber 
yradualis  de  Dora  Pothier  jusqu'au  récent  ouvrage  du  P.  Lhou- 
meaii,  ce  monument  est  en  train  de  s'élever.  Encore  quelques 
années  et  toutes  les  conditions  que  nous  avons  posées  plus  haut 
seront  réalisées.  Espérons  qu'alors  M.  Haberl  se  souviendra  de 
ses  propres  paroles. 

^Courrier  de  Bruxelles).  L.  R. 


LA  LIBERTE  DES   SYNDICATS  OUVRIERS 

>a  loi  qui  a  affranchi  les  syndicats  est  en  vigueur  depuis  neuf 

•-    s.  Les  ouvriers  ont  usé   et  abusé  de  la  liberté  sans  contrôle 

iiftisant  qui  leur  était  accordée.  Jusqu'à  présent  l'usage  (ju'ils 

en  ont  fai .  ii*a  profité  ni  à  l'industrie  nationale  i^i  même  à  leurs 

véritablos  intérêts. 

Le  résultat  le  plus  clair  de  toute  l'agitation  qu'ils  ont  provo- 
quée a  è\h  d'ouvrir  les  portes  de  la  Chambre  à  quelques  me- 
neurs qui  se  sont  fait  une  situation  lucrative  en  promenantleur 
ccharpe  partout  oii  ils  pouvaient  pêcher  en  eau  trouble. 

Les  syndicats  sont  dévenus  des  instruments  politiques  entre 
leurs  mains.  Au  lieu  d'être  le  dernier  recours  des  ouvriers  pour 
affirmer  leur  union  et  amener  les  patrons  à  transiger  sur  des 
questions  pratiques,  au  lieu  d'être  employée  seulement  dans  les 
moments  où  ceux-ci  avaient  un  grand  intérêt  à  ne  pas  inter- 


030  ANNAl.liS    CaTHOLIQUKS 

rompre  le  travail,  hi  grève  esi  devenue  le  recours  quotidien  de 
ceux  qui  se  posaient  en  a  1  versai les  résolus  du  ca[)iLaL 

Grâce  aux  syndicat?",  on  a  imposéàde  nombreuses  |)Opulations 
ouvrières  les  ciuelles  sonflVances  du  chômage  pour  obtenir  soit 
des  patrons,  soit  mègnu  du  législateur,  des  mesures  inapplica- 
bles ou  ruineuses,  des  règlement-;  (|ui  fra[ipe:-aient  de  [»aralysie 
les  industries  les  plus  puissantes. 

Enfin  l'aclioii  des  syndicats  a  été  {)articuliérement  diriirée 
contre  la  liberté  du  travail.  Allant  cliercUer  dans  les  traditions 
de  l'ancien  régime  ce  qu'elles  avaient  de  [dus  oppressif,  ils  ont 
voulu  rétablir  à  leur  profit  le  mono[)ole  dont  jouissaient  autre- 
fois les  corpoiatioiis  fcirmées. 

Mais  ces  abus  duiveat-ils  faire  condamner  en  bloc  l'institu- 
tion même  des  syndicats?  Je  ne  le  crois  [)as,  car  ils  sont  dus  à 
l'imperfection  de  ia  loi  et  surtout  à  la  faiblesse  du  gouverne- 
ment qui  le  plus  souvent,  comme  à  Garmaux,  n'a  pas  su  api)li- 
quer  cette  loi,  tout  insuffisante  qu'elle  fut,  ou  s'3'  est  résigné 
trop  tard  comme  à  pi'opos  de  la  Bourse  du  travail  de  Paris. 

Pour  se  rendre  com[)te  des  avantages  et  des  inconvénients  du 
régime  de  la  liberté  ap[)liqiié  aux  associations  ouvrières,  il  faut 
clierchei'  des  exemples  ailleurs,  tout  en  se  rappelant  que  le 
}'etour  à  l'ancien  système  prohibitif  semble  impossible  aujour- 
d'hui en  ce  qui  les  concerne.  En  réalité,  il  ne  s'agit  que  de  sa- 
voir si  l'on  continuera  à  avoir  deux  poids  et  deux  mesures,  si 
la  liberté,  accordée  aux  uns,  continuera  à  être  refusée  aux 
autres. 

Dans  une  étude  sur  les  Trade's  Unions,  publiée  il  y  a  déjà 
prés  d'un  quart  de  siècle,  j'ai  cherché  à  prévoir  le  rôle  que 
cette  pratique  d'une  liberté,  si  nouvelle  alors,  pourrait  leur 
assurer.  Ces  prévisions  se  sont  déjà  en  partie  réalisées  :  je  suis 
Leureux  de  le  constater. 

On  a  vu  leur  influence  morale.  Il  suffit  de  rappeler  en  pas- 
sant toutes  les  améliorations  i-écentes.  que  leur  doit  la  condition 
de  l'ouvrier  au  point  de  vue,  tant  de  la  durée  du  travail,  de 
l'emploi  des  femmes  et  des  enfants,  que  des  règlements  hygié- 
niques dans  les  mines  et  les  ateliers. 

On  sait,  d'autre  part,  que  la  plupart  des  Unions  sont  en  même 
temps  des  Sociétés  de  secours  et  d'assurances  nuituelles.  Je  ne 
puis  m'arrêter  sur  une  ([uestion  étrangère  au  sujet  de  cette 
étude,  la  mutualité  étant  l'objet  d'une  législation  particulière 
qu'il  n'y  a  pus  lieu  d'examiner  et  d'apprécier   ici. 


LA.    LIBERTE    DES    SYNDICATS    OUVRIERS  631 

Mais  il  est  perm.-g  du  constater  que  les  Unions  ont  beaucoup 
contribué  à  stimuler  le  mouvement  par  lequel  ces  institutions 
se  sont  si  rapidement  développées,  à  ce  point  qu'elles  atteignent 
cette  année  le  chiffre  de  trente-cinq  mille  cinq  cents  et  com- 
prennent plus  de  onze  millions  de  membres-,  avec  un  avoir  qui 
dépasse  deux  milliards  et  demi  de  francs.  Les  ouvriers  com- 
prendront mieux  chaque  jour  que  moins  les  unions  subvention- 
neront de  grèves,  plus  elles  pourront  employer  les  fonds 
qu'elles  accumulent  à  améliorer  la  situation  de  leurs  membres 
et  particulièrement  à  développer  les  caisses  de  retraite  pour  la 
vieillesse. 

Ces  exemples  encourageants  no  sauraient  nous  empêcher  de 
reconnaître  que  parfois  l'expérience  si  chèrement  acquise  semble 
être  oubliée  dans  un  moment  d'égarement.  On  voit  alors  repa- 
raître la  grève  avec  tout  son  cortège  de  misères  et  de  violences, 
comme  il  y  a  dix-huit  mois,  dans  les  forges  du  nord  de  l'Angle- 
terre et  tout  récemment  dans  les  houillères  du  centre  et  du 
pa3'S  de  Galles.  On  dirait  alors  que  l'on  a  reculé  de  trente  ou 
quarante  ans  en  arriére  et  que  tous  les  progrés  faits  depuis  lors 
ont  été  perdus  en  un  jour.  Il  n'en  est  rien  cependant.  Il  suffit 
d'étudier  ces  nouvelles  grèves  pour  s'en  convaincre.  Celles  que 
nous  venons  de  citer  comme  les  plus  importantes  ne  pouvaient 
réussir,  car  elles  avaient  pour  but  de  résister  à  une  diminution 
de  salaires  dans  un  moment  oii  les  produits  étaient  tellement 
dépréciés  que  les  patrons  préféraient  le  chômage  à  la  reprise 
des  travaux  aux  conditions  antérieures. 

Aussi  dans  la  première,  les  chefs  des  Unions,  qui  avaient 
traité  avec  eux  et  comprenaient  la  situation,  avaient-ils  accepté 
une  réduction  considérable  des  salaires.  La  grève  eut  lieu  parce 
qu'ils  furent  désavoués  par  leurs  camarades,  qui,  après  de 
longues  et  inutiles  souffrances,  furent  obligés  d'accepter  la  tran- 
saction offerte  par  les  maîtres  de  forges.  Les  Unions  avaient 
donc  porté  aux  premiers  rangs  des  hommes  appartenant  à  la 
classe  ouvrière  qui  comprenaient  bien  ses  intérêts  et  qui,  si  on 
les  avait,  comme  d'habitude,  écoutés,  lui  auraient  épargné  de 
nombreuses  épreuves. 

Les  faits  montrent  qu'il  faudra  encore  bien  des  années  et  bien 
des  épreuves  pour  que  la  liberté  d'association  porte  tous  les 
fruits  qu'on  pouvait  en  attendre.  Mais  ce  n'est  pas  un  motif 
suffisant  pour  renoncer  à  l'espoir  de  les  voir  éelore.  Parmi  les 
effets  de  la  liberté  d'association  qu'on   ne  peut  malheureuse- 


632  ANNALKS    CATHOLIQUKS 

ment  pas  constater  aujourd'hui  même  en  Angleterre,  mais  sur 
lesquels  on  peut  compter  dans  un  avenir  plus  ou  moins  rappro- 
ché, j'en  citerai  deux  auxquels  j'attachais  dès  1869  une  impor- 
tance particulière  :  le  rôle  des  Trade's-Unions  comme  capitalis- 
tes et  le  développement  des  sociétés  coopératives  de  production, 
■  Les  principales  Unions  ont  accumulé  dans  leurs  caisses  des 
sommes  considérables.  Si  elles  comprennent  leur  rôle,  elles  doi- 
vent arriver  à  réduire  j)rogressivement  le  nombre  et  la  durée 
des  grèves.  Elles  pourront  ainsi  disposer  de  plus  en  [ilus  libre- 
ment des  fonds  réservés  pour  les  soutenir.  En  outre,  les  fonds 
qui  sont  destinés  aux  secours  mutuels  ne  peuvent  être  appelés 
que  graduellement  selon  une  moyenne  constante  facile  à  calcu- 
ler. Ils  peuvent  donc,  sans  inconvénients,  être  placés  dans  des 
valeurs  industrielles,  et  on  peut  espérer  que  lejour  viendra  où, 
par  l'intermédiaire  des  Trade's-Unions,  les  ouvriers  emploieront 
les  économies  ainsi  accumulées  à  commanditer  eux-mêmes  en 
tout  ou  en  partie  les  industiies  auxquelles  ils  demandent  leur 
salaire  quotidien. 

Ils  pourront  obtenir  le  même  heureux  résultat  d'une  manière 
plus  directe  encore,  par  les  sociétés  coopératives  de  production 
ou  par  la  libéralité  des  patrons  qui  les  associent  à  leurs  béné- 
fices. Mais,  il  faut  l'avouer,  les  expériences  faites  en  pareille 
matière  n'ont  pas  jusqu'à  présent  été  fort  encourageantes.  La 
société  coopérative  de  production  est  une  véritable  république 
à  côté  de  l'ancien  système  aux  formes  monarchiques  où  le  patron 
a  la  direction  et  la  responsabilité;  elle  n'a  jamais  jusqu'ici  ré- 
sisté à  la  concurrence.  Elle  n'a  réussi  que  lorsqu'elle  a  rencon- 
tré un  homme  d'une  intelligence  supérieure  pour  la  guider,  et 
son  succès  a  toujours  été  aussi  précaire  que  la  vie  de  ce  chef. 

Les  sociétés  où  l'ouvrier  est  appelé  à  partager  les  bénéfices 
ont  destinées,  suivant  moi,  à  un  meilleur  avenir.  Quelques- 
unes  d'entre  elles  ont  parfois  donné  pendant  longtemps  d'excel- 
lents résultats.  Mais,  jusqu'à  présent,  elles  n'ont  jamais  résisté 
aux  brusques  fluctuations  qu'une  forte  crise  industrielle  pro- 
voque dans  le  taux  des  salaires.  La  fixité  relative  de  ce  taux 
est  la  base  même  du  système.  Les  ouvriers,  après  avoir  long- 
temps touché  en  sus  de  ce  taux  des  parts  importantes  de  béné- 
fiees,  les  ont  vu  disparaître  sans  murmurer,  en  même  temps 
qu'on  réduisait  le  prix  de  la  main-d'œuvre  dans  les  usines  voi- 
sines. Mais,  dès  que  ce  prix  s'est  relevé  accidentellement  et 
temporairement  un  peu  au-dessus  du  taux  de  leurs  salaires,  ils 


M.    DK    MUN    A    LILLE  633 

n'ont  pas  voulu  attendre  que  la  société  pût  de  nouveau  leur 
assurer  un  bénéfice;  ils  l'ont  abandonnée,  absolument  oublieux 
de  tous  les  avantages  (lu'elle  leur  procurait.  La  confiance  qu'ils 
témoignaient  en  général  aux  patrons  n'a  malheureusement  pas 
résisté  à  cette  épreuve. 

De  ces  exemples,  il  faut  seulement  conclure  que  le  temps  est 
nécessaii'e  pour  confirmer  et  consolider  les  institutions  qui  se 
fondent  sous  l'iclluence  d'une  législation  libérale  et  prévoyante. 
Raison  de  plus  pour  ne  pas  différer  davantage  cette  législation 
en  ce  qui  concerne  la  liberté  d'Association  (1). 

PHILIPPE,  Comte  de  Paris. 


M.  DE  MUN  A  LILLE 

M.  le  comte  Albert  de  Mun  était,  il  y  a  quelques  jours,  à  Lille  où 
il  a  donné  uue  coaférence  sur  la  question  sociale.  Naturellement,  une 
foule  considérable  s'était  rendufî  dans  la  vaste  salle  du  Panorama 
pour  entendre  le  graod  orateur  catholique. 

De  l'aveu  unanime,  les  diverses  questions  traitées  par  M.  de  Mun 
l'ont  été  avec  uue  grande  distinction  et  une  giande  netteté. 

Nous  empruntons  à  la  Vraie  France  un  compte  rendu  de  cette  belle 
conférence.  Nous  espérons  qu'elle  aura  cette  bonne  fortune  de  dissi- 
per des  malentendus  regrettables,  nés  d'interprétations  contre 
lesquelles  le  vaillant  orateur  a  tenu  à  protester,  à  diverses  reprises, 
avec  la  plus  grande  énergie. 

La  salle  de  l'ancien  Panorama,  rue  Jean-Bart,  a  été  complè- 
tement transformée;  il  n'en  reste  plus  que  les  murs.  Sans 
doute  elle  n'a  point  un  aspect  agréable,  au  contraire  ;  ronde, 
sans  gradins,  sans  ornement,  sans  aucune  peinture,  elle  semble 
froide  et  beaucoup  trop  élevée.  A  quoi  servira  désormais  ce 
vaste  emplacement?  Nous  l'ignorons,  mais  c'est  là  que  s'est  fait 
entendre  hier,  ainsi  ([ue  nous  l'avions  annoncé,  le  sympathique 
orateur  populaire,  M.  de  Mun.  Est-ce  l'inauguration  d'un  nou- 
vel usage  qu'on  en  compte  faire?  Si  oui,  on  pourra  dire  que 
cette  inauguration  a  été  splendide. 

En  face  de  la  porte  d'entrée  a  été  élevée  la  tribune.  Tout  le 
reste  de  la  salle  est  couvert  de  chaises.  A  la  porte  d'entrée  et 
par-ci  par-là  sont  des  trophées  de  drapeaux  tricolores.  Une  ten- 
ture est  tendue  derrière  l'estrade. 

(1)  Extrait  de  la  brochure  :  Une  Liberté  néeessaire,  le  Droit  à 
l'associa' ion. 

45 


634  ANNAI.es    CATHOLigUES 

Le  groupe  des  Vrais  Travailleurs  de  Roubaix  est  venu  avec 
ses  tambours  et  clairons  et  son  drapeau  qui  est  placé  à  la  tri- 
bune. Ce  drapeau  tricolore  est  magnifique;  en  lettres  d'or  se 
détachent  ces  phrases  :  Union  des  Vrais  Travailleurs.  Roubaix. 
Pour  Dieu.  Pour  le  peuple. 

La  conférence  doit  commencer  à  cinq  heures.  Bien  avant,  il  y 
a  une  foule  compacte  dans  la  saile.  Cette  assistance  est  compo- 
sée en  grande  majorité  d'ouvriers;  on  aperçoit  çà  et  là  quelques 
prêtres,  des  Frères,  des  industriels,  des  comniercants,  des 
dames  et  des  jeunes  gens.  L'assemblée  comprend  environ  trois 
mille  personnes.  Le  service  d'ordre  était  fort  bien  fait  par  des 
commissaires  ayant  à  la  boutonnière  une  cocarde  tricolore.  Il 
n'y  a  pas  dans  l'enceinte  une  seule  place  inoccupée,  et  des  retar- 
dataires sont  forcés  de  se  tenir  debout  prés  de  la  porte  et  sur  les 
côtés. 

Tout  à  coup  les  tambours  battent,  les  clairons  sonnent.  L'as- 
semblée se  lève,  une  immense  et  unanime  acclamation  retentit: 
Vive  M.  de  Mun  !  Vive  Léon  XIII  !  C'est  en  effet  M.  de  Mun,  ac- 
compagné de  tout  le  bureau,  qui  fait  son  entrée. 

Lorsque  le  calme  est  rétabli,  un  ouvrier  entonne  d'une  voix 
vibrante  une  chanson  dédiée  à  M.  de  Mun  ;  il  est  obligé  de  re- 
prendre le  dernier  couplet.  Puis,  M.  Leclercq,  qui  préside  le  bu- 
reau, souhaite  la  bienvenue  au  brillant  orateur  catholi(iue  et 
lui  présente  les  syndicats  (jui  sont  représentés  dans  l'assistance 
et  expose  brièvement  leur  but  et  leurs  aspirations. 

M.  de  Mun  remercie  M.  Leclercq  de  ses  paroles  aftectueuses 
etl'assembléede  ses  acclamations,  qui  s'adressent  non  à  l'homme, 
mais  à  l'opinion  qu'il  représente.  D'ailleurs,  il  ne  refuse  jamais 
sa  sympathie  et  son  concours  à  ceux  qui  travaillent  à  l'œuvre 
utile  de  la  paix  sociale. 

L'heure  est  grave  et  décisive  pour  les  ouvriers  sages  et  labo- 
rieux qui  veulent  arriver  à  l'apaisement;  jamais  les  questions 
sociales  qui  intéressent  la  vie  du  peuple,  sa  subsistance,  sa  li- 
berté d'âme  et  de  conscience  n'ont  autant  dominé  dans  le  par- 
lement, la  presse  et  partout  qu'à  l'heure  actuelle. 

Il  faut  que  les  ouvriers  réfléchissent,  s'unissent  pour  faire 
valoir  leurs  justes  revendications  et  se  séparent  des  meneurs 
qui  veulent  les  conduire  au  socialisme  révolutionnaire.  Si  l'heure 
est  grave  pour  les  ouvriers,  elle  ne  l'est  pas  moins  pour  les  hom- 
mes arrivés  qui  veulent  aussi  l'apaisement  social,  et  voilà  pour- 
quoi les  ouvriers  doivent  se  servir  de  l'arme  ou  plutôt  du  moyen 


M.    DE    MUN    A  -LILLE  63$ 

que  leur  dt)niie  la  loi  :  se  grouper  pour  savoir  oii  doivent  abou- 
tir leurs  ellorts,  et  arriver  au  but  qu'ils  entrevoient. 

Le  mal  dont  les  ouvriers,  comme  les  patrons,  souffrent,  c'est 
l'isolement  créé  par  l'individualisme.  L'individualisme,  ainsi 
qu'une  barrière,  a  créé  des  classes  antagonistes  là  où  il  ne  de- 
vait y  avoir  que  l'union. 

Si  le  premier  moyen  pour  les  ouvriers  est  de  se  grouper,  il 
est  nécessaire  ensuite  qu'ils  sachent  ce  qu'ils  veulent.  Il  faut  en 
linir  avec  des  paroles  creuses  pour  réclamer  des  réformes  utiles, 
nécessaires,  pratiques.  Les  ouvriers  doivent  s'arracher  au  mirage 
que  fait  briller  à  leurs  yeux  la  propagande  du  socialisme  révo- 
lutionnaire. 

«  Quand  j'écoute  les  échos  des  réunions  publiques,  quand  je 
connais  les  paroles  des  orateuj's  socialistes,  je  me  rappelle  les 
jours  de  mon  ])assé  militaire  :  je  revois  les  soldats  après  des 
marches  pénibles,  succombant  à  la  fatigue,  lorsqu'ils  aperce- 
vaient au  loin  un  lac,  un  ombrage  délicieux,  ils  reprenaient  cou- 
rage et  marchaient  de  nouveau  avec  entrain.  Arrivés  là  où  ils 
croyaient  se  reposer,  ils  tombaient  évanouis,  ils  avaient  couru 
vers  un  but  trompeur. 

«  Ainsi  on  fait,  miroiter  aux  yeuxdes  ouvriers  dansle  lointain 
une  sorte  de  vallée  enchantée  où  régnera  le  collectivisme  révo- 
lutionnaire. Ce  n'est  là  qu'un  rêve. 

«Si  les  unions  ouvrières  semultiplientavecun  but  d'apaise- 
ment social,  elles  feront  la  conquête  de  la  nation. 

«  Les  ouvriers  doivent  former  entre  eux  des  groupes  d'études 
sociales  qui  examineront  en  détail  ce  que  c'est  que  le  socia- 
lisme ;  ils  sauront  alors  quels  écueils  ils  auront  à  éviter,  quelles 
réformes  ils  devront  demander.  Ils  inspireront  la  confiance,  et 
lorsqu'on  verra  qu'ils  ne  veulent  se  baser  que  sur  la  justice, 
tontes  les  mains  se  tendront  vers  eux.   » 

M.  de  Mun  s'occupe  alors  du  socialisme  révolutionnaire  ; 
longuement  il  montre  ce  que  valent  les  théories  de  Karl  Marx, 
de  Lasalle.  Il  conseille  aux  ouvriers  de  lire  non  pas  les  œuvres 
du  socialisme  allemand,  mais  celles  qui  expliquent  ses  destinées. 
Point  par  point,  il  prouve  victorieusement  que  les  rêves  de  Karl 
Marx  sont  absolument  irréalisables  ;  l'égalité  ne  peut  pas  exister 
complètement,  c'est  impossible.  L'état  social  préconisé  par  le 
philosophe  allemand  est  une  utopie.  Le  collectivisme  n'est  qu'une 
chimère  au  point  de  vue  matériel;  chose  bien  plus  grave,  qui 
fait  bien  plus  que  toutes  les  autres  raisons  qu'on  ne  peut  l'ac- 
cepter, il  détruit  la  famille. 


636  ANNALES   CATHOLIQUES 

Si  le  collectivisme  pouvait  être  appliqué,  ce  serait  un  régime- 
de  travaux  forcés  avec  une  légion  de  gardes-chiourraes  ;  il  nous 
précipiterait  dans  la  pire  des  barbaries,  dans  le  plus  odieux  des- 
despotisraes. 

Le  collectivisme  se  présente  enfin  comme  une  religion,  il  » 
ses  apôtres  et  il  nie  la  loi  divine.  Or,  que  veut  une  société  qui 
nie  Dieu,  qui  ne  reconnaît  pas  sa  loi?  Dans  pareille  société,  qui 
serait  assez  fort  pour  mettre  une  limite  aux  passions  de  ceux 
qui  souffrent? 

Donc  la  chose  est  claire  :  les  ouvriers  doivent  se  réunir  entre 
eux  pour  étudier  leur  situation  et  aviser  aux  moyens  pacifiques- 
de  l'améliorer.  11  parle  alors  des  syndicats  professionnels  que 
régit  la  loi  de  1884.  Cette  loi  constitue  un  grand  progrés,  il  y  a 
travaillé,  il  l'a  votée,  mais  il  la  considère  encore  incomplète  et 
mal  bâtie.  En  effet,  elle  n'a  fait  considérer  les  syndicats  que- 
comme  une  arme  de  lutte,  elle  n'a  pas  mis  en  lumière  la  néces- 
sité de  combler  le  fossé  qui  existe  entre  patrons  et  ouvriers. 
M.  Leclerq  l'a  dit  aux  débats  :  pour  combler  ce  fossé,  il  faut 
créer  les  conseils  d'arbitrage.  L'éminent  orateur  engage  vive- 
ment les  ouvrieis  à  former  des  syndicats  professionnels  et  leur 
montre  les  avantages  qu'ils  pourraient  retirer  de  cette  organi- 
sation professionnelle. 

M.  de  Mun  fait  allusion  à  un  article  que  Jules  Guesde  a  publié 
récemment  dans  le  Matin,  et  fait  observer  aux  ouvriers  que  ce 
que  le  parti  collectiviste  attend  d'eux,  c'est  la  révolution  sembla- 
blable  à  la  Commane  1871e  t  des  journées  de  juin  1848.11  supplie- 
les  ouvriers  de  ne  point  écouter  les  conseils  perfidesdes  meneurs; 
une  bataille  sanglante  n'apporterait  aucun  remède  et  fermerait 
au  contraire  la  porte,  et  pour  longtemps,  aux  réformes  légitimes. 

Les  travailleurs  sérieux  doivent  répudierles  moyens  violents;. 
ils  ne  doivent  songer  qu'à  l'oj'ganisation  professionnelle  pour 
arriver  à  l'amélioration  de  leur  situation. 

Apié.s  des  explications  fort  intéressantes  sur  les  Trades- 
Unions  en  Angleterre,  sur  les  Chevaliers  du  travail  en  Améri- 
que, M.  de  Mun  croit  que  les  syndicats  professionnels  doivent 
rechercher  ce  qu'il  est  possible  d'obtenir  dans  chaque  industrie; 
ils  acquerront  ainsi  une  grande  force. 

Quelles  sont  d'ailleurs  les  réformes  générales  nécessaires 
et  pratiques?  Il  y  a  la  loi  sur  la  duiée  du  travail.  La  durée 
du  travail  ne  peut  évidemment  pas  être  la  même  pour  toutes 
les  industries.  Il  y  a  bien  une  loi,  mais  elle  n'est  pas  appliquée 


M.    I>E    MUN    A    LILLE  637 

partout  et  elle  est  mal  faite;  il  faut  aussi  une  loi  sur  le  travail 
de  nuit,  sur  le  repos  du  dimanche,  sur  les  accidents  du  travail. 
Et  le  distingué  conférencier'  montre  la  nécessité  de  toutes  ces 
lois  et  les  avantages  qu'elles  proeurer-aient  aux  ouvriers. 

Il  faut  encore  réclamer  le  développement  de  la  loi  sur  les- 
syndicats  professionnels.  M.  do  Mun  voudrait  que  la  loi  sur  les 
associations  embrassât  les  syndicats. 

Ce  qu'il  est  urgent  de  faire  c'est  d'organiser  les  syndicats. 
Les  ouvriers  rédigeront  les  cahiers  de  doléances  et  ils  pour- 
ront ainsi  sefairorendrejustice.il  y  a  un  mouvement  dan  s 
l'opinion  publique,  une  génération  de  jeunes  hommes  se  lève  ; 
qu'ils  se  fassent  les  défenseurs  et  les  porte-paroles  des  ouvriers 
et  ils  auront  comme  récompense  la  satisfaction  du  devoir 
accompli. 

Et,  termine  M.  de  Mua,  toutes  ces  réformes  seront  pénétrées 
de  l'esprit  chrétien.  Dans  une  chaleureuse  péroraison,  l'orateur 
catholique  donne  toute  la  mesure  de  l'ardeur  de  sa  foi  et  de  ses 
convictions;  il  souhaite,  comme  le  disait  la  chanson  entendue, 
de  voir  refleurir  la  concorde  et  la  paix. 

Le  discours  de  M.  de  Mun,  écouté  au  milieu  d'un  silence  ab- 
solu, a  été,  inutile  de  l'écrire,  sans  cesse  interrompu  par  des  ap- 
plaudissements et  des  marques  d'appr'obation.  La  péroraison 
provoque  un  enthousiasme  indescriptible.  Lorsque  le  calme  est 
rétabli  un  peu,  M.  Leclercq  propose  de  chanter  un  vivat  en 
l'honneur  du  grand  orateur  catholique.  Toute  l'assemblée  se 
lève  et  trois  mille  voix  acclament  M.  de  Mun. 

M.  Leclercq  annonce  qu'il  a  reçu  un  télégramme  de  sympa- 
thie pour  M.  de  Mun  d'un  syndicat  d'Arras. 

La  foule  se  retire  lentement  en  poussant  les  cris  de:  Vive 
M.  de  Mun!  Vive  Léon  XIII  1  Une  ovation  est  faite  au  fondateur 
des  cercles  catholiques  quand  il  traverse  les  rangs  serrés  du 
|)ublic.  Les  Vrais  Travailleurs  se  forment  en  groupe  et,  précé- 
dés de  leur  drapeau,  se  rendent  à  la  gare. 

Toute  la  soirée,  en  ville,  on  a  commenté  tiés  favorablement 
le  magistral  discours  de  M.  de  Mun. 


638  ANNALES    CATHOLIQUES 

CONGRÈS  DES  CATHOLIQUES  (1) 

DU  NORD    ET  DU    PAS-DE-CALAIS 

Messeigneurs, 

Mesdames, 

Messieurs, 

L'incertitude  et  l'obscurité  de  l'avenir,  l'extrême  division  des 
esprits,  l'évolution  irrésistible  qui  agite  le  monde  et  le  conduit 
à  des  solutions  que  Dieu  seul  connaît,  ont  diminué  l'importance 
des  partis.  Le  problème  est  beaucoup  moins  politique  que  reli- 
gieux et  social. 

De  plus  en  plus,  deux  camps  absolument  opposés  tendent  à  s6 
former.  La  lutte  existe  entre  les  chrétiens  et  ceux  qui  ne  le  sont 
pas,  entre  Dieu  et  Satan;  elle  est  sans  trêve  et  sans  merci. 

Le  mouvement  que  je  signale  n'éclate  pas  à  tous  les  yeux. 
Nous  sommes  plongés  dans  un  déluge  d'erreurs,  de  préjugés 
qui  voilent  la  vérité. 

Tout  y  contribue  :  la  presse,  une  instruction  superficielle 
et  faussée  ;  les  crises  intermittentes  du  suffrage  universel  avec 
ses  agitations  irritantes  et  passionnées.  Voilà  pourquoi  il  me 
semble  intéressant  et  utile  de  passer  en  revue  dans  un  rapide 
tableau  d'ensemble  :  L'armée  du  mal,  ses  agissements  et  ses 
programmes. 

L'armée  du  bien  et  les  ressources  dont  elle  dispose. 

L'armée  impie  reçoit  la  direction  d'une  Franc-Maçonnerie 
visiblement  ins[)irée  par  l'esprit  du  mal, 

-    Une  foule  de  sociétés   secrètes   travaillent  sans  relâche  au 
bouleversement  de  tout  ce  qui  existe. 

Les. loges  ont  été  mêlées  aux  principaux  événements  de  l'his- 
toire contemporaine.  Ce  qu'elles  niaient,  hier,  elles  s'en  vantent 
aujourd'hui.  Se  croyant  sûres  du  triomphe,  elles  ont  jeté  le 
masque. 

Une  savante  organisation,  une  discipline  rigoureuse,  un  plan 
suivi  avec  une  perfide  habileté  et  une  apparente  modération, 
minant,  pièce  à  pièce,  la  religion,  la  famille,  toutes  les  bases 
fondamentales  de  la  société,  révèlent  une  influence  diabolique; 
tous  les  eflbrts  tendent  à  la  haine  et  à  la  destruction. 

Cette  armée  se  divise  en  une  foule  de  groupes  qui,  sous  des 
noms  différents,  se  multiplient  tous  les  jours;  ils  ne  sont  unis 
que  pour  l'attaque. 

(1)  Discours  d'ouverture  pi'ODoacé  par  M.  le  comte  de  Caulincourt. 


CONGRÈS  DES  CATHOLIQUES  639 

Dans  leurs  tumultueuses  assemblées,  la  liberté  de  discussion 
n'est  nullement  respectée.  La  moindre  contradiction  soulève  des 
orages  et  souvent  des  violences;  cela  n'empêche  pas  que  la  li- 
berté, la  fraternité,  l'égalité  s'étalent  sur  toutes  les  murailles 
—  à  la  façon  des  objets  perdus  qu'on  n'affiche  que  dans  l'espoir 
de  les  retrouver,  avec  cette  différence  pourtant  qu'ils  n'en  ont 
certes  aucune  envie.  L'habileté  consiste  à  tromper  le  peuple  par 
des  mirages,  de  séduisantes  théories,  par  des  promesses  irréali- 
sables. Ces  prétendus  amis  du  peuple  vivent  de  sa  crédulité 
quand  ils  ne  volent  pas  ses  épargnes. 

On  reste  stupéfait  quand  on  voit  une  masse  d'électeurs,  la 
plupart  personnellement  honnêtes,  repousser  les  hommes  les 
plus  honorables,  les  plus  justement  appréciés,  pour  choisir  des 
hommes  notoirement  tarés. 

Cependant  le  peuple  avait  connaissance  des  escroqueries  colos- 
sales de  ceux  qu'il  appelait  les  panamistes.  Il  avait  recueilli  les 
aveux  de  beaucoup  de  déinités  qu'il  acclamait  la  veille.  Il  enten- 
dait chaque  matin  accuser  les  pouvoirs  publics  d'une  singulière 
indulgence  ;  il  suivait  dans  les  moindres  détails  toutes  les  pour- 
suites légendaires,  aussi  avancées  aujourd'hui  qu'à  la  première 
heure. 

L'indignalion  avait  semblé  générale.  Malheureusement,  en 
France,  on  oublie  vite. 

Au  bout  de  quelques  mois,  les  premières  émotions  passées, 
les  mêmes  hommes  ont  pu  reparaître  avec  un  air  d'innocence 
méconnue  et  de  vertu  persécutée. 

Et  la  grande  leçon  de  l'hiver  était  perdue  avant  l'août,  comme 
disait  Lafontaine. 

C'est  là,  Messieurs,  une  de  nos  plaies  sociales. 

Pour  que  les  habiles  cèdent  la  place  aux  honnêtes  et  l'argent 
à  l'honneur;  pour  que  le  pays  reprenne  confiance  en  ceux  qui,  à 
tous  les  degrés  et  sous  toutes  les  formes  du  pouvoir,  de  l'admi- 
nistration, de  la  justice,  le  représentent  et  le  conduisent,  il  faut 
que  la  conscience  publique  de  la  France  se  refasse;  et  toute 
notre  histoire  prouve  assez  qu'elle  ne  se  refera  qu'en  redevenant 
chrétienne. 

L'armée  catholique,  à  laquelle  se  rattachent  de  près  ou  de  loin 
tous  les  honnêtes  gens,  place  au  premier  rang  le  clergé  avec  son 
admirable  hiérarchie,  établie  par  Dieu  lui-même,  sous  la  disci- 
pline incomparable  de  la  conscience  et  du  devoir. 

Le  Clergé,  et  avec   lui  toutes  les  Congrégations  religieuses, 


640  ANNALES    CATHOLIQUES 

sauvegarde  tous  les  intérêts  de  la  société.  Bienfaiteur  de  l'homme, 
du  berceau  à  la  tombe,  il  l'assiste  dans  toutes  ses  nécessités,  et, 
tout  en  adoucissant  les  épreuves  du  pèlerinage  terrestre,  il  con- 
duit le  chrétien  par  les  voies  les  plus  sûres  à  ses  immortelles 
destinées. 

L'Eglise  est  la  source  divine  de  cette  fécondité  inépuisable 
qui  place  la  consolation  à  côté  de  la  douleur,  le  remède  à  côté 
delà  souffrance. 

Aucun  peuple  ne  saurait  vivre  de  négation.  Que  deviendrait- 
il  sans  culte  et  sans  clergé? 

Mais  l'âme  franr-aise  surtout  a  un  impérieux  besoin  de  croire. 

La  France  avec  ses  traditions  est  moins  que  toute  autre  nation 
capable  de  vivre  sans  le  Dieu  qui   l'a  faite  si  grande  autrefois. 

Protestons  en  son  nom  contre  des  sectaires  qui,  avec  un  plan 
arrêté,  enlèvent  une  à  une  au  clergé  toutes  ses  ressources  et, 
au  nom  de  la  liberté,  lui  imposent  des  charges  incompatibles 
avec  son  ministère,  sans  aucune  utilité  pour  le  pays.  La  France 
en  souffre  plus  que  son  clergé.  C'est  un  véritable  crime  de  lèse- 
nation. 

A  côté  du  clergé  et  sous  sa  direction,  l'armée  catholique 
compte  une  foule  de  compagnies,  de  régiments. 

Citons,  avant  tout,  la  Société  de  Saint-Vincent  de  Paul,  qui, 
répandue  sous  toutes  les  latitudes,  forme  à  elle  seule  un  corps 
d'élite.  Les  secours  matériels  qu'elle  distribue  ne  donnent 
qu'une  faible  idée  de  sa  noble  mission,  et  cependant  ils  s'élèvent 
chaque  année  à  la  somme  respectable  de  dix  millions. 

Réunis  sous  le  patronage  de  l'apôtre  de  la  Charité,  des 
hommes  de  toutes  les  classes,  décidés  à  s'associer  pour  exercer 
un  véritable  apostolat,  pour  se  vouer  à  toutes  les  œuvres  qui 
soulagent  le  pauvre,  forment  l'instrument  le  mieux  approprié 
au  rapprochement  des  diverses  classes.  L'affection,  les  services 
rendus  dans  le  secret  et  avec  toutes  les  délicatesses  de  la  cha- 
rité, ne  sont-ils  pas  le  moyen  le  plus  puissant  pour  gagner  le 
cœur  et  la  confiance  du  peuple? 

Les  cercles  d'ouvriers  s'ouvrent  à  toutes  les  salutaires  in- 
fluences, aussi  utiles  à  ceux  qui  diligent  qu'à  ceux  qui  sont, 
dirigés.  Ils  forment  un  noyau  d'ouvriers  d'élite  qui,  convaincus 
eux-mêmes  de  la  vérité,  éclairés  sur  leurs  intérêts,  veulent 
faire  aux  autres  le  bien  qu'on  leur  a  fait,  en  devenant  apôtres. 

Ils  font  pénétrer  dans  les  masses  les  idées  d'association  chré- 
tienne, qui  seules  peuvent  les  soustraire  aux  périls  et  à  l'im- 


CONGRÈS  DES  CATHOLIQUES  641 

puissance  de  l'isolement;  en  même  temps  ils  mettent  leurs 
camarades  en  garde  contre  les  meneurs  intéressés  qui  les  flattent 
et  les  trompent  pour  les  exploiter. 

D'une  manière  plus  générale,  les  comités  catholiques  étendent 
leurs  préoccupations  à  toutes  les  formes  de  l'activité  nationale, 
à  l'enseignement  à  tous  les  degrés,  aux  œuvres  économiques 
qui  répondent  aux  besoins  actuels,  tant  à  la  ville  qu'à  la  cam- 
pagne. 

Ils  étudient  dans  leurs  Congrès  tout  ce  que  la  science  dé- 
couvre, tout  ce  que  le  cœur  inspire,  non  seulement  en  France 
mais  à  l'étranger,  en  faveur  des  populations,  et  s'efforcent  de  le 
mettre  à  portée  de  ceux  qui  y  sont  directement  intéressés. 

Une  foule  d'œuvres  de  toute  espèce,  remédiant  à  une  souf- 
france spéciale  par  un  dévouement  spécial,  naissent  chaque  jour 
et  apportent  à  la  société  d'innombrables  consolations. 

A  côté  des  œuvres  antichrétiennes,  à  côté  des  œuvres  inspi- 
rées par  la  religion,  il  y  a  une  multitude  de  syndicats,  de  ban- 
ques populaires,  d'œuvres  de  crédits,  de  mutualité,  également 
à  l'usage  des  bons  et  des  mauvais.  Il  dépend  de  nous  de  les  em- 
ployer au  service  de  Dieu. 

Nous  sommes  en  arriére  sur  plusieurs  points,  nous  avons  des 
progrés  à  imiter. 

N'oublions  pas  les  admirables  services  rendus  par  le  clergé 
aux  catholiques  allemands  ;  profitons  de  tout  ce  qui  se  fait 
ailleurs. 

Je  voudrais  signaler,  en  passant,  le  rôle  social  que  le  tiers- 
ordre  Franciscain  peut  être  appelé  à  jouer. 

Au  xiii'  siècle,  saint  François  d'Assise  ne  se  borna  pas,  en 
fondant  le  tiers-ordre,  à  établir  une  Association  de  prières;  il 
voulut  une  véritable  milice  qui  eût  la  plus  heureuse  et  la  plus 
grande  influence  sur  la  société  contemporaine. 

Les  rois,  les  reines,  les  plus  illustres  personnages,  se  firent 
un  honneur  de  lui  appartenir. 

Il  s'agissait  alors  de  combattre  le  luxe,  l'esprit  de  mollesse  et 
de  jouissance,  l'oppression  des  faibles,  la  désorganisation  de  la 
famille,  la  guerre  au  Christ.  N'avons-nous  pas  aujourd'hui  les 
mêmes  ennemis,  et  le  Tiers-Ordre  n'aurait-il  pas  des  remèdes 
efficaces  pour  les  maux  dont  nous  soufi'rons? 

C'est  ce  que  voudra  bien  nous  dire  le  R.  P.  Pascal  au  nom 
du  Congrès  des  proviiiciaux  rècollets,  réunis  il  v  a  peu  de  mois 
au  Val-des-Bois,  sous  la  présidence  d'un  délégué  de  Léon  XIII. 


642  ANNALES    CATHOLIQUES 

Que  de  ressources  offre  à  l'heure  qu'il  est  l'Eglise,  toujours  à 
la  hauteur  de  sa  divine  mission! 

Il  y  a  eu  cette  année  encore  des  preuves  éclatantes  de  sa 
puissance. 

Je  n'en  citerai  que  deux:  le  Jubilé  épiscopal  de  Léon  XIIl, 
le  Congrès  eucharistique  de  Jérusalem. 

Le  Jubilé  sacerdotal  avait  déjà  provoqué  un  admirable  élan. 
Le  nouvel  anniversaire  a  encore  surpassé  les  merveilles  du 
•premier. 

De  toutes  les  régions,  de  toutes  les  nations  sont  arrivés  au 
Vatican  les  hommages  les  plus  inattendus.  Les  pèlerinages  se 
sont  succédé  sans  interruption.  Toute  l'Europe  a  été  officielle- 
ment représentée,  sauf  l'Italie;  60,000  pèlerins  de  toute  race 
ont  reçu  la  bénédiction  du  Souverain-Pontife  à  Saint-Pierre  dans 
une  même  cérémonie. 

Le  Sultan  lui-même  s'est  exprimé  en  ces  termes:  «  J'envoie 
mes  hommages  à  la  plus  haute  puissance  morale  qui  soit  au 
monde.  » 

Des  témoignages  innombrables  seraient  à  citer. 

Les  journaux  en  étaient  remplis,  et  votre  cœur,  en  les  lisant, 
s'est  réjoui  des  honneurs  l'endus  par  les  païens  eux-mêmes  au 
représentant  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Au  milieu  de  toutes  ses  préoccupations,  Léon  XIII  pense  à 
la  France,  qu'il  aime  d'un  amour  de  prédilection. 

De  la  position  élevée  qui  lui  permet  de  dominer  et  déjuger 
les  événements,  le  Pape  voit  la  formidable  armée  qui  menace 
l'Eglise. 

Elle  ne  peut  être  vaincue  que  par  l'union,  l'organisation, 
l'énergie  des  honnêtes  gens. 

Se  plaçant  bien  au-dessus  des  partis  politiques  essentielle- 
ment divisés;  regardant  en  face  le  parti  inspiré  par  la  Franc- 
Maçonnerie  qui  a  l'incroyable  prétention  de  représenter  à  lui 
seul  la  Fjance  et  de  lui  imposer,  au  nom  de  la  liberté,  ses  lois 
et  ses  doctrines  contraires  à  la  conscience  de  l'immense  majorité, 
le  Pape  conseille  l'union  sur  le  terrain  religieux,  le  seul  où  les 
«juestioMs  sociales  trouvent  leur  lumière  et  leur  solution. 

Il  trace  d'une  main  sûre  les  principes,  suivant  les  règles  de 
la  Théologie,  en  conformité  avec  le  bon  sens,  avec  la  nature  de 
j'homrae.  Il  laisse,  pour  les  détails,  au  temps,  à  l'expérience,  à 
la  science,  le  soin  de  déterminer  les  applications  particulières. 

Tout  le  monde  parle  de  l'Encyclique  sur  la  condition  des 


C0NGRK8  DES  CATHOLIQUES  643 

ouvriers,  bien  souvent  sans  même  l'avoir  lue;  on  la  travestit, 
on  lui  fait  dire  ce  qu'elle  ne  dit  pas;  de  là,  les  accusations  les 
plus  contradictoires;  de  là  des  programmes  vag-ues,  mal  définis, 
même  dangereux,  malgré  les  meilleures  intentions. 

C'est  le, plus  grand  service  que  puisse  rendre  le  clergé  aux 
fidèles  de  mettre  l'Encyclique  à  leur  portée  par  des  commen- 
taires clairs  et  précis. 

.  C'est  ce  besoin  que  cherche  à  satisfaire  l'université  populaire 
créée  récemment  en  Allemagne;  c'est  une  nécessité  reconnue 
partout. 

Qu'on  nous  permette  une  observation.  Il  est  imprudent  de  se 
lancer,  sans  préparation  suffisante,  dans  les  questions  les  plus 
controversées  dont  la  solution  pratique  est  variable  suivant  les 
temps,  les  lieux,  les  circonstances. 

Ce  qu'il  faut  avant  tout,  c'est  de  faire  comprendre  et  préva- 
loir les  préceptes  de  l'Evangile.  La  famille,le  travail,  l'économie, 
l'abnégation,  le  sacrifice,  sont  les  moyens  indiqués  par  le  Créa- 
teur lui-même;  s'il  les  suit,  l'ouvrier  est  amené  sans  secousse 
à  ètie  content  de  sa  position, et  parfois, s'il  en  fait  l'habitude  de 
la  règle  de  sa  conduite,  à  en  sortir  pour  être  patron  à  son  tour, 
comme  le  sont  devenus,  sans  prendre  la  place  de  personne,  tant 
d'ouvriers  qui  ont  commencé  comme  lui. 

C'est  le  seul  moyen  de  combattre  efficacement  le  socialisme 
qui,  sans  aller  jusqu'à  dire  brutalement  avec  Proudhon:  «  La  pro- 
priété, c'est  le  vol  »,  fausse  ce  principe  vrai  que  l'argent  doit 
appartenir  à  celui  qui  le  gagne;  il  prétend,  en  efi'et,  attribuer  à 
l'ouvrier  ce  que  d'autres  avaient  gagné  avant  lui  et  dont,  par 
conséquent,  ils  étaient  devenus  légitimes  propriétaires. 

Rêve  malsain,  contraire  aux  instincts  les  meilleurs,  les  plus 
profonds  de  la  nature  humaine. 

Rêve  qui  détruit  toute  initiative,  toute  émulation,  qui  n'a 
jamais  fait  et  ne  fera  jamais  que  par  surprise  des  sociétés  sans 
durée,  obligées  de  revenir,  après  d'épouvantables  catastrophes, 
aux  bases  essentielles  sans  lesquelles  rien  ne  saurait  être  stable. 

La  troupe  la  plus  nombreuse  ne  peut  vaincre  sans  cohésion, 
sans  discipline,  sans  direction. 

C'est  en  tenant  compte  de  ces  conditions,  dans  un  but  nette- 
ment catholique,  qu'on  a  réussi,  en  Belgique,  à  former  des 
groupes  antisoci»listes  de  plus  de  60,000  membres. 

En  Allemagne,  sous  la  direction  du  clergé,  plus  de  100,000  ca- 
tholiques ont  échappé  à  l'oppression  des  Juifs.  —  Nous  n'avons 


■644  ANNALES    CATHOLIQUES 

guère  que  des  tirailleurs  isolés;  or,  quand  ils  seraient  des  héros, 
quand  ils  seraient  légion,  ils  sont  réduits  à  l'impuissance,  le 
■coup  parti,  lorsque  le  bruit  et  la  fumée  ont  cessé. 

L'abus  dénoncé  est  vite  oublié.  Les  coupables  dédaignent  la 
résistance  la  plus  fonriée,  car  on  sait  qu'elle  n'aura  qu'un  écho 
passager. 

La  Fille  aînée  de  l'Eglise  trouvera  des  ressources  à  nulle 
autre  pareilles,  le  jour  où  les  catholiques,  groupés  et  dirigés, 
Auront  compris  leur  force  et  seront  décidés  à  s'en  servir. 

Grâces  à  Dieu,  on  fait  de  divers  côtés  les  efforts  les  plus 
louables. 

Nous  devons  le  témoignage  de  notre  sympathie  et  de  notre 
admiration  avant  tout  aux  patrons  chrétiens  du  Nord  qui  n'ont 
reculé  devant  aucun  sacrifice,  qui  ont  donné  et  continuent  à 
donner  de  plus  en  plus  des  exemples  qu'on  ne  saurait  trop 
imiter. 

Heureusement,  ils  ne  sont  pas  seuls.  Partout  on  cherche,  on 
<itudie;  dans  des  questions  si  neuves,  si  délicates,  personne  n'a 
la  prétention,  je  suppose,  de  posséder  à  lui  seul  la  lumière  et 
la  vérité. 

Il  est  dans  le  rôle  du  Congrès  d'étendre  et  d'élever  les  ques- 
tions sans  parti  pris,  sans  polémique  irritante,  sans  systénio 
exclusif;  nous  désirons  que  tout  ce  qui  tend  à  rétablir  l'iiar- 
monie,  à  fonder  la  paix  parmi  tous  les  éléments  qui  composent 
le  monde  du  travail,  que  les  faits  appuyés  sur  de  sérieux  résul- 
tats, puissent  être  portés  à  votre  connaissance. 

Un  simple  exposé,  qui  permet  à  chacun  de  choisir  dans  la 
gerbe  les  épis  qui  lui  conviennent,  ne  peut  choquer  personne  et 
sera  profitable  à  tout  le  monde. 

La  France  e?t  le  i)ays  des  contrastes.  Quand  on  voit  des 
grèves  provoquées  i)ar  d'inavouables  manœuvres  soulever  des 
populations  entières,  les  soumettre  à  la  plus  implacable  des 
tyrannies,  en  précipitant  les  ouvriers  dans  la  misère,  les  Com- 
pagnies dans  la  ruine,  et  cela  au  préjudice  du  travail  national, 
ou  s'attriste  patriotiquement.  Si  quelque  chose  peut  consoler, 
■c'est  l'échec  qui  déconsidère  les  meneurs.  Puisse  une  si  dure 
leçon  profiter  à  leurs  victimes!  Et  n'est-ce  pas  maintenant  à 
nous,  catholiques,  de  travailler  à  guérir  ces  cœurs  ulcérés,  et  à 
hâter  par  notre  action  et  notre  langage  la  paix  sociale  qui  est 
•dans  les  vœux  de  tous? 

■  Puisse  ce  peuple,  si  facilement  égaré,  revenir  à  ses  généreux 
instincts  et  se  ressaisir!  N'a-t-il  pas  déjà  commencé? 


CONGUÈS  DES  CATHOLIQUES  645 

Quel  cri  populaire  et  patriotique  A  vient  de  faire  entendre 
spontanément!  S'il  ne  condanone  pas  assez  sévèrement  les  intri- 
gants qui  l'exploitent,  il  réserve  des  hommages  enthousiastes 
et  recueillis  pour  les  héros  chrétiens,  sans  peur  et  sans  reproche, 
pour  les  Mac-Mahon,  les  Miribel.  Ceux-ià,  du  moins,  se  sont 
consacrés  sans  réserve  à  leur  pays. 

Ils  ont  traversé  leur  pouvoir  en  diminuant,  au  lieu  de  l'auj;- 
menter,  leur  fortune. 

Un  mot  seulement  pour  le  Congrès  de  Jérusalem,  si  merveil- 
leusement conduit,  si   plein   d'espérances.  Il   a  été  fixé  par  le 
Saint-Père  au  moment  voulu. 
Déjà  De  Maislre  disait  : 

«  L'Orient  se  maintient  par  l'ignorance  et  le  respect  des 
traditions. 

«  Le  jour  oii  il  ira  chercher  la  science  à  ses  sources  plus  ou 
moins  empoisonnées,  on  bien  il  reviendra  à  l'unité,  ou  bien  il 
se  [leirira  dans  l'irapiété.  » 

A  l'heure  actuelle,  de  grandes  tendances  se  manifestent  en 
faveur  de  l'union  par  le  retour  à  llCgiise  catholique,  mais  en 
même  temps  une  propagande  protestante  très  active  mine  les 
croyances,  et  .prépare  le  rationalisme  dans  des  proportions 
inquiétantes. 

Je  voulais  seulenaent  attirer  votre  attention  sur  celte  situa- 
tion au  moment  oii,  en  Europe,  des  défections  menacent  ou  se 
produisent.  Dieu  semble  préparer  des  consolations  à  l'Eglise, 
«n  comblant  les  vides  par  la  rentrée  au  bercail  des  nations  qui 
conservent  encore  les  coutumes  et  la  liturgie  de  la  primitive 
l'église.  Le  Congrès  de  Jérusalem  aura  des  échos  dans  nos 
assemblées. 

La  question  sociale  sera  facilement  résolue  si,  fidèles  aux 
ois  de  l'b^vangile,  les  patrons  et  les  ouvriers  se  donnent  rendez- 
vous  dans  le  Cœur  de  Jésus  qui  les  a  tous  également  sauvés,  de 
Jésus  qui  a  résumé  tous  ses  préceptes  en  un  seul  :  Aimer  ses 
frères. 

La  réalisation  dépend  de  tous  et  de  chacun. 
«  Nous  souffrirons  beaucoup,  nous  souffrirons  longtemps  peut- 
être,  disait  naguère  Mgr  d'Hulst;  mais  nous  en  sortirons  plus 
forts.  »  Ajoutons  avec  Garcia  Moreno  :  «  Dieu  ne  meurt  pas  !  »  ; 
avec  saintBenoît  :  «  Ora  et  labora;  »  avec  saint  Michel,  le  vain- 
queur de  Satan,  le  patron  de  la  France  :  «  Quis  ut  Deus?  » 


646  ANNAI-ES    CATHOI^IQUES 

NOTRE-DAME   DE  LOURDES 

(Voir  le  numéro  précédent) 

II 

La  première  impression  que  l'on  éprouve,  en  entrant  dans 
Tine  église,  c'est  celle  du  respect,  et  le  premier  mouvement  que 
l'on  fait,  c'est  de  porter  la  main  à  son  chapeau  pour  se  décou- 
vrir. Cette  impression,  on  la  ressent,  et  ce  mouvement  devient 
instinctif  dès  qu'on  approche  de  la  grotte.  Tout  le  monde  se 
découvre,  même  les  indifférents;  on  sent  qu'on  est  en  face  d'un 
sanctuaire  privilégié.  On  raconte  que  Newton  ôtait  son  cha- 
peau quand,  sur  une  colline,  il  apercevait  un  moulin  à  vent;  il 
saluait  dans  ce  moulin  l'œuvre  du  génie  humain,  Franc-Floris, 
visitant  un  jour  l'atelier  d'Aertgen,  peintre  comme  lui,  se 
découvrit  aussi  en  y  entrant,  par  respect  pour  le  talent  de 
l'artiste  auquel  il  était  venu  rendre  hommage.  Les  pèlerins! 
font  comme  eux;  n'ont-ils  pas  en  présence  un  chef-d'œuvre  «lu 
génie  divin,  un  des  grands  ateliers  contemporains  de  J'arti>te 
céleste  qui  étonne  le  mon(ie  par  ses  miracles? 

Il  en  est  (jui  seraient  même  tentés  de  faire  davantage  et  qui, 
volontiers,  ôteraient  leurs  chaussures  pour  marcher  sur  le  sol. 
N'y  a-t-il  pas  là,  en  quelque  sorte,  un  buisson  ardent  qui  brûle 
toujours  et  ne  se  consume  jamais?  —  Quare  non  comburatur 
ruhus.  C'est  le  grand  candélabre,  qui  ne  suffit  jamais  à 
porter  les  cierges  allumés  que  de  pieuses  mains  lui  confient.  11 
brûle  nuit  et  jour,  sans  discontinuer,  et,  quand  on  le  considère, 
la  vision  de  Moïse  revient  à  la  pensée.  D'ailleurs,  la  terre  que 
l'on  foule  est  sainte  :  i&rra  sancta  est.  N'a-t-elle  pas  été  bénie 
et  consacrée  par  la  Vierge  Immaculée? 

Approchons-nous  donc  avec  des  sentiments  de  respect  et 
écoutons  les  échos  de  la  grotte.  M"*  de  Staël  dit  quelque  part, 
dans  son  livre  sur  l'Allemagne,  que  «  souvent,  au  milieu  des 
superbes  jardins  des  princes  allemands,  l'on  place  des  harpes 
êoliennes  près  des  grottes  entourées  de  fleurs,  afin  que  le  vent 
transporte  dans  les  airs  des  sons  etdes  parfums  tout  ensemble  ». 
S'il  est  un  lieu  en  France  où  je  voudrais  placer  une  harpe 
èolienne  en  face  d'une  grotte,  c'est  bien  Lourdes.  Le  vent  qui 
passerait  sur  ses  cordes  pour  les  faire  chanter  nous  apporterait 
tout  ensemble  des  harmonies  et  des  parfum?,  et  le  site,  qu'elle 
poétisorait  ainsi,  ne  serait  que  plus  attachant  encore. 


UNE    VISITE    A    LOURDES  647 

Il  l'est  déjà  beaucoup;  c'est  l'aveu  de  tous  ceux  qui  le 
connaissent.  Lorsqu'on  eu  a  subi  une  fois  le  charme,  on  veut  le 
goijter  encore.  Les  effluves  qui  s'en  échappent  ont  un  je  ne 
sais  quoi  de  naagnétique  qui  captive  l'imagination  la  moins 
éveillée.  Le  rocher  de  Mas.sabielle  est  un  sublime  magnétiseur. 
Aussi,  je  comprends  qu'on  s'oubliu  à  son  ombre;  je  comprends 
aussi  qu'à  cette  même  ombre  on  puisse  oublier  les  all'aires, 
la  politique,  la  vie. 

On  voit  là  des  hommes  qui,  dans  leur  sphère  ordinaire,  ne 
passeraient  pas  un  jour  sans  lire  leur  journal  pour  savoir  les 
oscillations  de  la  Bourse,  les  nouvelles  de  la  Chambre,  les  dis- 
cussions du  Sénat,  les  craintes  du  lendemain,  les  gloires  de  nos 
troupes,  les  scandales  de  nos  villes,  et  qui,  cependant,  passent 
des  mois  entiers  à  Lourdes  sans  se  demander  ce  qui  se  passe 
dans  leur  arrondissenent,  à  Paris,  au  Dahomey  ou  au  Siam. 
Ils  sont  là,  non  au  bout  du  monde,  —  le  sifflet  des  locomotives 
qui  passent  au  delà  du  Gave  suffit  pour  leur  enlever  cette  illu- 
sion,—  [mais  ils  .«-ont  en  quelque  sorte  au-dessus  et  en  dehors  du 
monde,  et  voilà  pourquoi  les  bruits  du  monde  ne  leur  arrivent 
pas. 

La  grotte  est  connue  de  tout  l'univers  catholique  :  la  photo- 
graphie, la  gravure,  la  peinture  et  la  chromo-lithographie  l'ont 
popularisée  partout. 

Aussi  est-elle  bientôt  reconnue,  même  par  les  petits  enfants. 
Inutile  de  la  décrire  avec  ses  ex-voto,  ses  arbustes,  ses  fleurs, 
son  églantier,  sa  statue,  sa  grille,  sa  chaire...  Disons  seulement 
que  les  pèlerins  sont  ordinairemeet  avides  d'emporter  des 
feuilles  et  des  fleurs  des  plantes  qui  croissent  sur  le  rocher  béni. 
C'est  pour  eux  une  bonne  fortune  quand,  grâce  à  une  protec- 
tion particulière,  ils  ptiuvent  obtenir,  ne  serait-ce  qu'une  herbe 
modeste,  pourvu  qu'elle  ait  poussé  à  l'un  des  endroits  que  la 
Vierge  a  touchés.  Les  plus  heureux  arrivent  à  conquérir,  à 
force  de  diplomatie,  une  branche  de  lierre  ou  de  rosier  qui, 
bientôt,  grâce  aux  soins  dont  elle  est  entourée,  sera  plantée  et 
cultivée  bien  loin,  sous  un  ciel  étranger. 

Parmi  les  ex-voto  qu'on  admire,  appendus  aux  parois  delà 
roche  :  coeurs,  tableaux,  couronnes,  c'est  la  béquille  qui 
domine.  Elle  est  là,  représentée  par  un  grand  nombre  de  types, 
comme  pour  accuser  la  variété  des  miracles  qui  s'opèrent  sous 
les  yeux  de  Marie.  En  È;:ypte,  le  Tau  grec  servait  de  scei)tre  à 
certaines  divinités;  à  Lourdes,  la  béquille,  qui  afl'ecte  souvent 


648  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  forme  du  Tau,  apparaît  comme  le  sceptre  de  Tinfirraité 
guérie.  On  ne  saurait  dire  le  nombre  d'infirmes  qui,  depuis 
trente  ans,  venus  à  Lourdes  avec  ce  bâton  tutélaire,  sont 
répartis  sans  lui,  et,  si  quelqu'un  écrivait  l'histoire  de  chaque 
béquille  laissée  à  la  grotte,  il  ferait,  à  coup  sûr,  un  ouvrage  de 
longue  haleine. 

La  statue  en  marbre  blanc  qui  attire  les  jeux,  surtout  les 
yeux  suppliants,  donne  à  la  grotte  une  physionomie  pour  ainsi 
diie  vivante. 

La  grille,  qui,  trop  souvent,  arrête  les  pèlerins,  est,  à  cer- 
tains jours,  l'objet  d'indignations  vivement  senties  et  d'ana- 
thémes  amèrement  exprimés.  Il  faut  parfois,  dans  des  vues 
d'ordre,  la  tenir  fermée,  et  de  là  des  plaintes  parmi  les  fidèles 
qui  désirent  entrer  dans  le  sanctuaire  rocailleux,  baiser  la 
roclie  bénie  et  prier  le  plus  prés  possible  de  l'endroit  frôlé  par 
la  robe  de  la  Vierge  Immaculée  :  Ubi  steterunt  pedes  ejus. 
Hàtons-nous  de  dire  (juela  fermeture  n'a  lieu  qu'au  moment 
des  immenses  concours,  qu'en  temps  ordinaire,  on  peut  toujours 
pénétrer  dans  la  sainte  caverne,  et  que,  même  dans  les  jours 
d'affluence  extraordinaire,  chai|ue  pèlerin  a  la  consolation  d'y 
entrer  au  moins  une  fois. 

Il  y  a,  à  ce  sujet,  des  règlerijents  formels,  et  on  comprend 
qu'il  y  en  ait;  partout  oti  les  troupeaux  humains  se  retrouvent 
en  rangs  pressés,  il  faut  qu'une  discipline  sévère  préside  à 
leurs  évolutions.  Il  y  a  des  ordonnances  encore  plus  l'igides  à 
propos  de  l'autel  qui  occupe  le  milieu  de  la  grotte;  les  prêtres 
n'y  peuvent  monter  indistinctement  pour  le  saint  sacrifice. 

La  messe  n'y  est  célébrée  qu'à  l'occasion  des  pèlerinages,  et 
la  faveur  de  V\  dire  n'est  accordée  qu'aux  directeurs  qui  les 
conduisent  ou  aux  évêques  qui  les  président. 

Or,  quand  cette  faveur  est  accordée,  que  la  messe  soit  basse 
ou  chantée,  le  spectacle  qui  se  déroule  aux  abords  de  Massa- 
bielle  est  vraiment  imposant  et  grandiose.  Il  rappelle  un  peu 
celui  de  la  messe  au  camp. 

Le  piètre  est  sous  la  tente,  c'est-à-dire  sous  la  voûte  brunie 
de  la  roche.  La  foule  agenouillée  et  recueillie  suit  les  prières, 
et  le  divin  sacrifice  s'accomplit  dans  un  silence  parfait  qui  n'est 
interrompu  que  par  des  cantiques  populaires.  Quelquefois  c'est 
un  Gloria  ou  un  Credo,  chanté  à  l'unisson  par  les  hommes, 
qui  s'élève  triomphalement  vers  le  ciel  ;  d'autres  fois,  quand  la 
cérémonie  est  couronnée  par  un  salut,  c'est  un  0  Salutaris  ou 


UNE    VISITE    A    LOURDES  649 

un  Tanlmn  gr^/o.  et  toujours  c'est  plaisir  d'entendre  ces  mâles 
harmonies  réveiller  les  échos  de  la  vieille  caverne. 

La  chaire  que  j'ai  mentionnée  est  simple  et  modeste,  et  cepen- 
dant il  y  a  peu  de  chaires  chrétiennes  aussi  célchres  qu'elle. 
Si  l'on  écrivait  sa  monographie,  en  faisant  succinctement  l'his- 
toire des  prédicateurs  qui  l'ont  occupée  tour  à  tour  pour  porter 
la  parole  sainte  devant  la  grotte,  nous  aurions,  à  coup  sur,  une 
étude  intéressante  à  lire.  Ce  serait  comme  une  mosaïque  de 
têtes  juvéniles  ou  blanchies,  épiscopales  ou  sacerdotales  qui 
passeraient  sous  nos  yeux. 

Il  en  serait  de  même  si  l'on  reproduisait  les  principaux  dis- 
cours qui  ont  été  prononcés  depuis  trente  ans  du  haut  de  cette 
chaire  ;  nous  aurions  là,  en  l'honneur  de  Marie  Immaculée,  une 
anthologie  oratoire  qui,  par  sa  variété,  plairait  aux  amis  de 
Notre-D^me  de  Lourdes. 

En  face  de  la  chaire,  je  signale,  pour  l'acquit  de  ma  con- 
science, la  petite  fontaine  qui  reçoit  la  première  eau  de  la 
source  miraculeuse,  mais  qui,  d'ordinaire,  ne  la  donne  pas,  à 
cause  de  l'encombrement  qui  serait  produit  par  ceux  qui  vien- 
draient la  prendre.  Elle  est,  du  reste,  avantageusement  rem- 
placée par  la  grande  fontaine  dont  j'ai  parlé  plus  haut  et  qui 
suffit  à  la  soif  des  pèlerins  altérés  et  aux  expéditions  d'eau  qui 
se  font,  chaque  jour,  dans  toutes  les  directions. 

Faut-il  mentionner  le  petit  mngasin  qui  est  bâti  dans  l'an- 
fraetuosité  du  rocher,  entre  les  deux  fontaines?  C'est  là  que  les 
pèlerins  trouvent  les  cierges  qu'ils  font  brûler  devant  la  Vierge 
et  quelques  images  du  sanctuaire.  La  vente  se  f;:it  au  pr.^tit  de 
la  basilique.  Quant  aux  mille  autres  objets  qui  tentent  l'aclie- 
teur  comme  souvenirs  de  [èlerinige,  c'est  dans  !es  i:  n  m- 
brables  magasins  de  la  ville  qu'il  faut  îe^  chercher.  Mais  une 
question  se  pose  ici  :  que  faut-il  penser  du  ruercamili-me  qui, 
dès  leur  arrivée,  assiège  les  foules  et  travaille  à  lés  séduire  par 
toute  espèce  d'appâts?  Est-il  vrai  qu'il  dépoétise  le  pèlerinage 
et  qu'il  gâte  les  impressions  heureuses  qu'on  y  trouve? 

Question  délicate  !  je  ne  veux  pas  la  résoudre.  L'humanité 
étant  ce  qu'elle  est,  il  est  bien  difficile  de  ne  pas  admettre  que, 
dans  un  lieu  béni  de  Dieu,  les  habitants  ne  bénéficient  pas  du 
privilège  dont  ils  ont  été  gratifiés  en  naissant  dans  ce  lieu.  Les 
sanctuaires  chrétiens  sont  toujours  la  fortune  des  populations 
qui  les  entourent.  Une  des  raisons  pour  lesquelles  les  Romains 
seraient  désespérés  du  départ  du  Souverain  Pontife,  s'il  venait 
47 


650  ANNALES    CATHOLIQUES 

un  jour  à  déserter  la  Ville  Eternelle,  c'est  que  le  Pape  est  pour 
eux,  même  à  l'époque  où  nous  sommes,  la  grande  attraction 
de  Rome,  l'attraction  qui  amène  quand  même  des  voyageurs  et 
des  pèlerins  :  ceux-ci  sont  une  proie,  et,  s'ils  ne  venaient  plus, 
la  misère,  déjà  grande,  le  serait  encore  davantage.  Le  Saint- 
Père  a  été,  est  encore,  sera  toujours  la  vie  de  Rome,  comme  il 
est  la  tête  de  l'Eglise  catholique  et  le  cœur  de  l'univers  chrétien. 
Mais  revenons  à  notre  voyage.  Nous  avons  maintenant  devant 
nous  la  gracieuse  allée  qui  longe  le  Gave.  Elle  sert  tour  à  tour, 
suivant  les  circonstances,  de  promenade,  de  salon  et  de  salle  à 
manger.  Cette  troisième  destination  n'est  pas  la  moins  curieuse 
à  observer  au  point  de  vue  des  mœuis  et  du  pittoresque.  Les 
pèlerins  qui  viennent  de  l'étranger  ou  de  nos  provinces  éloi- 
gnées, de  l'Alsace,  de  la  Bretagne,  de  la  Normandie,  vont  cher- 
cher en  ville  leur  abri  et  leurs  repas  ;  mais  ceux  qui  viennent 
des  environs  ou  des  départements  voisins,  du  Béarn,  delà  Gas- 
cogne, de  l'Ariège,  surtout  s'ils  n'arrivent  que  pour  un  jour, 
out  l'habitude  de  porter  avec  eux  leur  nourriture;  dans  ce  cas, 
ils  ne  vont  pas  se  réconforter  dans  les  hôtels.  Ils  n'ont  qu'à 
ouvrir  leurs  paniers,  et  sous  leurs  yeux  s'étalent  aussitôt  les 
provisions  de  leur  journée.  Il  faut  seulement  découvrir  un  site 
propice, 

«  Où  de  dîner  en  paix  on  ait  la  liberté. 

Le  site  est  tout  trouvé  :  il  semble  que  la  Providence  ait  eu  le 
soin  de  le  préparer  à  l'avance.  L'allée  offre  tous  les  avantages 
désirables  pour  une  salle  à  manger  :  des  bancs  de  pierre  ou  de 
bois  pour  s'asseoir  et  pour  mettre  la  nappe;  un  gazon  vert, 
si  l'on  préfère  la  nappe  du  bon  Dieu  ;  le  Gave  qui  fait  de  la  mu- 
sique quand  on  dîne  et  une  perspective  agrémentée  de  trains 
qui  passent  et  de  monuments  qui  ne  bougent  pas.  Ces  monu- 
ments sont  les  trois  maisons  religieuses  qui  couronnent  la  col- 
line voisiue  :  le  couvent  des  Bénédictines,  le  monastère  des 
Carmélites  et  l'orphelinat  des  Soeurs  de  Nevers,  asiles  d'éduca- 
tion, de  prière  et  de  charité  dont  les  pieuses  habitantes  sont 
heureuses  de  vivre  sous  le  ciel  de  Lourdes  et  en  face  de  la  grotte 
enchanteresse. 

L'appétit,  ce  moniteur  que  la  Providence  a  placé  en  nous 
pour  nous  avertir  de  l'heure  oii  nous  devons  réparer  nos  forces, 
remplit  partout  son  rôle;  mais  il  est  des  lieux  où  il  me  semble 
qu'il  le  remplit  plus  agréablement. 

Alors,    selon    l'expression  pittoresque  d'un   célèbre   gastro- 


UNE    VISITE    A    LOURDES  651 

nome  (1),  toutes  les  puissances  digestives  sont  sous  les  armes, 
•comme  les  soldats  qui  n'attendent  que  le  commandement  pour 
agir.  L'allée  dans  laquelle  nous  sommes  est  un  de  ces  endroits 
privilégiés.  Un  vient  de  loin...  on  a  respiré  l'air  de  la  montagne... 
on  a  sous  les  yeux  une  belle  nature;  on  se  sent  disposé,  quand 
l'heure  est  venue  et  que  le  moniteur  a  parlé,  à  faire  honneur 
aux  provisions  apportées...  On  s'assied  au  pied  d'un  arbre, 
on  demande  aux  prêtres  qui  passent  de  bénir  la  salle  improvisée... 
on  rompt  ensemble,  comme  dans  les  agapes  patriarcales  des 
premiers  siècles,  le  pain  de  l'amitié...  on  boit  au  besoin  dans  la 
même  coupe...  on  se  communique,  dans  l'expansion  d'une  joie 
sainte,  les  impressions  du  pèlerinage,  on  est  heureux  plus  qu'on 
ne  saurait  le  dire... 

On  voit  sur  les  physionomies  une  irradiation  de  sérénité 
joA^euse  qui  ne  peut  se  dépeindre.  Comment  en  serait-il  autre- 
ment? L'àme  est  contente,  la  conscience  est  pacifiée;  on  cause 
en  famille,  ou  avec  des  amis,  sous  un  ciel  nouveau,  après  un 
voyage  intéressant  et  des  cérémonies  pompeuses;  on  a  sous 
les  yeux  des  horizons  embellis  tout  à  la  fois  par  la  nature  et  par 
la  grâce;  on  ne  peut  que  bénir  la  Providence;  on  éprouve  des 
sentiments  d'ivresse  intime  qu'on  n'a  pas  connus  ailleurs  et  qui 
peut-êre  ne  reviendront  plus. 

11  faut  songer,  en  effet,  pour  expliquer  ce  bonheur,  que  dans 
la  classe  de  ceux  qui  l'éprouvent  :  villageois  et  villageoises, 
artisans  et  ouvrières,  arrivés  des  régions  plus  ou  moins  recu- 
lées, beaucoup  n'ont  pu  le  réaliser  qu'en  s'imposant  de  lourds 
sacrifices.  Que  de  pèlerinages  à  Notre-Dame  de  Lourdes  sont  le 
fruit  d'économies  successives,  faites  sou  par  sou  et  jour  par- 
jour  dans  la  tirelire  du  malheureux  !  Que  de  pauvres  femmes, 
que  d'humbles  jeunes  filles  n'ont  pu  se  donner  le  plaisir  d'un 
voyage  au  sanctuaire  qu'après  de  longues  années  d'espérance  et 
des  retranchements  multiples  opérés  sur  leur  modeste  salaire! 
Aussi,  quelle  joie  pour  leurs  yeux  et  pour  leur  âme  quand  elles 
peuvent  contempler  la  Vierge  du  rosier  et  tremper  leur  pain 
dans  l'eau  de  la  source  miraculeuse!  Jamais  de  la  vie  ce  pain  ne 
leur  a  paru  si  bon!  Elles  emportent,  quand  elles  s'en  vont,  des 
souvenirs  émus  dont  elles  parleront  longtemps  dans  leurs  veil- 
lées et  qu'elles  voudront  garder  jusqu'à  la  tombe! 

Il  est  facile  de  voir,  d'après  les  pages  qui  précèdent,  qu'un 
(1)  Brillât-Savarin. 


652 


ANNALICS    CATHOI.lyUES 


voyage  autour  de  la  grotte,  entrepris  même  en  dehors  de  toat 
sentiment  religieux,  offre  un  intérêt  constant  et  un  charme  sou- 
tenu. Faut-il  s'étonner  que,  parnai  les  habitants  de  Lourdes,  il 
s'en  trouve  qui  le  fassent  plusieurs  fois  par  semaine,  et  que, 
parmi  les  pèlerins,  il  3' en  ait  qui  le  fassent  plusieurs  fois  par 
jour?  Aussi  je  me  plais  à  le  recommander  à  quiconque  cherche 
de  douces  émotions  après  un  pénible  labeur,  un  fatigant  voyage, 
un  terrible  malheur.  N'aurait-il,  du  reste,  que  l'avantage  de 
reposer  l'esprit  des  spectacles  attristants  que  l'on  rencontre 
dans  nos  villes,  il  serait  désirable.  A  certains  jours,  ce  que  l'on 
voit  dans  nos  cités  populeuses,  même  en  plein  soleil,  est  telle- 
ment révoltant  qu'on  sent  le  besoin  de  baigner  ses  yeux  dans 
une  lumière  pure. 

Les  audaces,  les  folies^  les  nudités  qui  frappent  partout  les 
yeux,  sont  tellement  brutales  qu'on  prendrait  parfois  pour  un 
étal  de  chair  à  vendre  la  vitrine  des  libraires  et  les  kiosques 
des  marchands  de  journaux.  La  vue,  offensée  par  ces  immondices, 
réclame  d'autres  tableaux.  L'âme  soulevée  veut  des  émotions 
salutaires.  Il  faut  un  sursum  corda  pour  oublier  les  vilenies 
aperçui'S. 

Oii  le  Trouver? 

Dans  un  voyage  autour  de  la  grotte. 

Henry  Calhiat. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

Rome    et   l'Italie 

Yoici  le  discours  de  S.  S.  Léon  XIII  aux  délégations  des 
sociétés  catholiques  de  Rome,  reçues  au  nombre  de  15.000  per- 
sonnes dans  la  basilique  vaticane  le  17  décembre  1893  : 

«  Très  chers  fils, 
«  S'il  y  avait  encore  quelque  chose  à  désirer,  comme  digne 
compléiuent  de  Nos  fêtes  jubilaires,  c'était  précisément 
l'hommaye  public  de  dévouement  qu'en  ce  jour  et  d'une 
parfaite  concorde,  prés  de  la  Confession  du  Prince  des 
Apôtres,  vous  Nous  offrez  par  les  Associations  si  bien 
méritantes  réunies  dans  le  commun  dessein  de  donner  appui 
et  impulsion  au  bien  moral  et  religieux  de  votre  Rome.  Ce 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  653 

libre  tribut  de  piété  filiale  vous  lionore  vous-mêmes  et  pro- 
cure à  Notre  cœur  une  bien  ciiére  consolation.  Béni  soit  le 
Seigneur,  qui,  vous  soutenant  par  sa  grâce  au  milieu  d'une 
si  grande  perversité  d'exemples  et  de  tentations  si  persis- 
tantes, vous  rend  dignes  de  vous  maintenir  fermes  dans  la 
franche  profession  de  sa  très  sainte  foi.  qui  est  la  vraie 
lumière,  la  force  féconde,  l'unique  salut,  et  qui,  dès  les 
débuts  du  christianisme,  mérita  d'être  solennellement  louée 
dans  vos  ancêtres,  par  l'Apôtre  des  nations. 

«  Elevée  au  primat  du  monde  depuis  le  jour  où  elle  devint 
le  siège  du  primat  pontifical,  Rome,  il  est  bien  juste  de  le 
dire,  doit  être  signalée  pour  les  manifestations  de  son  atta- 
chement à  saint  Pierre,  qui  vit  et  gouverne  en  ?sotre  Per- 
sonne. A  Pierre,  en  effet,  et  à  ses  successeurs,  elle  est 
redevable  d'avoir  surgi  de  ses  ruines  pour  recevoir  une  vie 
nouvelle,  qui  l'emporte  sur  son  ancienne  vie  autant  que 
l'éternité  l'emporte  sur  le  temps  et  l'esprit  sur  la  matière. 
De  métropole  qu'elle  était  de  l'empire  romain,  elle  fut  appelée 
à  devenir  la  reine  du  monde  entier,  partout  où  il  y  a  une 
âme  qui  croit  et  espère  dans  le  Clirist  rédempteur.  Elle  étaiti 
le  siège  d'un  royaume  qui  n'aura  jamais  de  fin;  ce  qui  lui 
vaut  un  titre  de  gloire  unique  au  monde,  le  titre  de  Ville 
éternelle. 

«  Ce  n'est  pas  la  Rome  des  Scipions,  ni  la  Rome  des  Cé- 
sars, mais  la  Rome  du  Christ,  qui  a  fait  resplendir  au 
milieu  des  nations,  d'un  pôle  à  l'autre,  l'astre  de  la  vraie 
civilisation,  en  réformant  les  lois  et  les  mœurs,  en  portant 
les  peuples  et  les  classes  sociales  à  fraterniser,  en  perfec- 
tionnant l'homme  comme  individu  et  comme  faisant  partie 
de  la  société.  La  Rome  des  Quirites,  forte  de  ses  légions, 
traînait  dans  les  chaînes,  au  milieu  de  ces  murs,  les  peuples 
et  les  rois  subjugués. 

«  La  Rome  de  Pierre  a  attiré  par  la  douceur,  grâce  à  la 
splendeur  du  vrai  et  aux  doux  attraits  de  la  charité.  La  pre- 
mière, bien  que  riche  en  sens  politique  et  juridique,  accueillit 
beaucoup  d'erreurs  et  de  vices.  La  seconde,  maîtresse  indé- 
fectible des  saines  croyances  et  des  bonnes  actions,  res- 
plendit et  resplendira  comme  un  phare  céleste,  jusqu'à  la 


654  ANNALES    CATHOLIQUES 

consommation  des  siècles,  en  dirigeant  l'humanité  dans  sa 
route  vers  le  but  final  de  la  vie  éternelle. 

«  Quant  aux  biens  de  l'ordre  temporel  et  civil,  vous  savez 
aussi,  chers  fils,  que  si  l'Italie  et  l'Europe  n'ont  pas  été- 
irrémissiblement  perdues  au  milieu  des  ténèbres  et  des  mi- 
sères sans  nombre  de  la  barbarie,  c'a  été  l'œuvre  et  le  mérite 
de  la  Rome  des  Papes.  Jusque  dans  les  discordes  intestines 
et  les  factions  belliqueuses,  elle  siéga  en  arbitre  pour  régler- 
les  difi'érends  entre  peuples  et  princes,  comme  aussi  pour 
faire  valoir  sa  puissance  morale  au  soulagement  des  oppri- 
més, à  la  répression  des  prépotents.  Et  que  ne  fit-elle  pas 
aussi  pour  alléger  les  souffrances  humaines,  pour  favoriser 
le  progrès  des  arts  et  des  sciences  ?  Elle  fut  la  première  à 
venir  efficacement  en  aide  à  la  misère,  aux  infirmités,  à  la 
vieillesse,  à  l'abandon,  à  toutes  sortes  d'infortunes;  elle  fut 
la  seule  qui,  aux  siècles  d'ignorance,  maintint  allumé  le- 
flambeau  du  savoir,  qui  donna  une  impulsion  efficace  à  la 
Renaissance,  qui  fonda  de  célèbres  Universités  et  un  nombre 
infini  d'instituts  d'éducation. 

«  Telle  est,  chers  fils,  dans  les  desseins  du  Ciel  la  mission' 
de  Rome  :  de  là,  sa  vraie  grandeur.  Ce  serait  contrecarrer 
follement  les  voies  de  la  Providence  que  de  prétendre  re- 
mettre en  vigueur  les  gloii-es  païennes  de  Rome  et  la  dé- 
corer de  ce  diadème  brillant  et  immortel  que  le  Verbe  de 
Dieu  lui  posa  au  front  par  la  main  de  saint  Pierre. 

«  Pour  vous  qui  vous  glorifiez  à  bon  droit  de  ces  véri- 
tables grandeurs,  soyez-en  aussi  les  défenseurs  vaillants. 
Unis  à  Nous  d'esprit  et  de  cœur,  entourez  d'affection  recon- 
naissante le  Siège  romain,  défendez-en  fermement  les 
droits  selon  votre  pouvoir  ;  conservez  la  foi  vive  et  l'amour 
ardent  au  divin  Rédempteur  Jésus-Christ  qui  a  voulu  placer 
à  Rome  le  siège  de  son  royaume  sur  la  terre.  Que  Dieu 
daigne  vous  confirmer  dans  les  bonnes  œuvres  entreprises 
et  couronner  les  eff'orts  de  votre  zèle.  Comme  gage  de  cette 
grâce  et  de  tous  les  autres  dons  célestes.  Nous  vous  accor- 
dons du  fond  du  cœur,  à  vous  tous  ici  présents,  à  vos 
familles,  à  Notre  ville  de  Rome  qui  Nous  est  si  chère,  la 
bénédiction  apostolique.  » 


NOUVELLES  RELIGIEUSES  655 

Ffiince 

CoNSTANTiNE.  — Mardi,  5  décembre,  Mgr  Combe,  archevêque 
de  Carthape  et  primat  d'Afrique,  a  fait  ses  adieux  à  son  cher 
diocèse  de  Coustantine. 

Un  grand  nombre  de  prêtres,  ne  redoutant  ni  les  dépenses  ni 
les  fatigues  d'un  long  vojage  (il  y  en  a  qui  ont  franchi  plus  de 
.300  kilomètres],  ont  voulu  saluer  une  dernière  fois  le  Pasteur 
bien-aimè  sous  la  houlette  duquel,  depuis  plus  de  douze  ans, 
nous  étions  si  heureux  de  marcher.  Ils  ont  voulu  recevoir  une 
dernière  bénédiction  de  celui  que  le  grand  pape  Léon  XIII  a 
donné  comme  successeur,  dans  la  Tunisie,  à  l'illustre  cardinal 
Lavigerie,  et  qui  doit  être  lui-même  bientôt  revêtu  de  la  pourpre 
romaine. 

Avant  la  messe,  le  clergé,  réuni  à  l'évêché,  a  offert  à  Mon- 
seigneur une  croix  archiépiscopale  en  or,  d'une  finesse  de  tra- 
vail et  d'une  richesse  de  décors  qui  ont  fait  l'admiration  de  tous 
ceux  qui  ont  pu  la  voir  de  prés. 

C'est  le  souvenir  du  clergé  de  Constantine  à  son  évêque 
regretté. 

M.  le  premier  vicaire  forain  a  lu  une  adresse  dans  laquelle  il 
SL  traduit  en  un  très  beau  langage  les  sentiments  de  tous.  Mon- 
seigneur a  répondu  en  termes  très  émus,  protestant  de  son 
attachement  au  diocèse  de  Constantine  où  il  aurait  voulu  rester  ; 
mais  Rome  ayant  parlé,  le  moment' est  venu  de  consommer  le 
sacrifice  douloureux  de  la  séparation,  etc. 

La  procession  s'est  alors  organisée,  et  croix  archiépiscopale 
en  tête,  on  s'est  rendu  à  la  cathédrale.  Monseigneur  a  célébré 
une  messe  basse  pendant  laquelle  la  chorale  de  Sainte-Cécile  a 
fait  entendre  quelques-uns  de  ses  délicieux  morceaux. 

L'église  était  comble. 

A  la  fin  de  la  messe.  Sa  Grandeur  est  montée  en  chaire,  et  au 
milieu  du  recueillement  le  plus  profond,  a  fait  ses  adieux  au 
diocèse  de  Constantine  qu'il  aimait.  A  certains  moments,  l'ora- 
teur s'est  élevé  jusqu'à  la  plus  haute  éloquence,  en  particulier 
quand  il  a  parlé  de  son  clergé  et  de  sa  chère  basilique  d'Hip- 
pone,  dont  il  avait  béni  la  première  pierre  le  jour  de-son  sacre, 
et  qu'il  espérait  bientôt  consacrer. 

«  L'œuvre  terminée,  s'est-il  écrié,  il  ne  me  restait  plus  qu'à 
chanter  le  Nunc  dimittis^ea  marquant  dans  ta  crypte,  près  des 
reliques  de  l'immortel  évêque  d'Hippone,  la  place  de  mon  repos 


656  ANNALES    CATHOLIQUES 

jusqu'à  la  résurrection  bienheureuse.  La  Providence  en  a  décidé- 
autrement  :  adieu,  il  faut  te  quitter. 

«  Te  quitter  !  mon  âme  se  trouble,  mes  yeux  s'inondent  à& 
larmes » 

Monseigneur  était  visiblement  très  ému.  On  sentait  que- 
c'était  le  cœur  qui  parlait.  Aussi,  bien  des  larmes  ont  coulé^ 
témoignage  vrai  de  la  sympathie  et  de  l'afiection  que  tous  avaient 
pour  Mgr  Combes,  et  du  regret  qu'éprouvaient  tous  de  le  voir 
s'éloigner  de  l'antique  Cirtha. 

La  cérémonie  s'est  terminée  parla  bénédiction  du  Très  Saint- 
Sacrement. 

A  midi,  tous  les  prêtres,  au  nombre  de  plus  de  soixante,  se- 
sont  de  nouveau  réunis  à  l'évêclié  où  Monseigneur,  les  aimant 
jusqu'à  la  fin,  les  avait  invités  à  sa  table.  Agapes  fraternelles 
d'oii  la  gaieté  était  bannie,  car  chacun  songeait  à  la  séparation 
du  lendemain. 

Au  dessert,  M.  l'aumônier  du  lycée  a  lu  deux  sonnets-acros- 
tiches au  nom  de  Mgr  Combes  Clément,  l'un  exprimant  les  dou- 
leurs de  Constantine  et  l'autre  les  joies  de  Carthage. 

Et  maintenant,  l'Ange  de  l'Eglise  de  Constantine  s'est  envolé- 
vers  la  nouvelle  Carthage,  où  il  va  défendre,  comme  son  illustre 
prédécesseur,  les  intérêts  de  l'Eglise  ot  de  la  France. 

Le  champ  est  vaste  :  la  mission  est  belle. 

Comme  le  cardinal  Lavigerie,  auquel  il  était  bien  digne  de 
succéder,  Mgr  Combes  portera  haut  et  défendra  ferme,  dans  la 
régence  tunisienne,  l'étendard  de  la  croix  et  le  drapeau  de  la 
France, 

[Semaine  de  Rodez.)  L'abbé  Saint-Amans. 

Lyon,  —  Mgr  Coullié,  archevêque  de  Lyon,  vient  d'adresser 
aux  leligieuses  de  son  diocèse  une  lettre  où  il  parle  comme  il 
suit  de  la  cause  de  béatification  de  Jeanne  d'Arc  : 

Nous  venons,  nos  chères  filles,  faire  appel  à  votre  amour  pour  la 
sainte  Eglise  et  pour  la  France,  en  donnant  â  vos  prières  une  inten- 
tion qui  intéresse  ces  grandes  causes.  Dans  quelques  jours,  le  procès 
de  béatification  de  Jeanne  d'Arc  doit  être  introduit  auprès  de  la 
Sacrée  Congrégation  des  Rites. 

Vous  savez  avec  quelle  sagesse  et  quelle  discrétion  la  sainte  Eglise 
traite  la  question  de  la  canonisation  de  ses  enfants.  Si  nous  devons 
respecter  cette  discrétion,  il  nous  est  permis  de  prier.  Vos  cœurs  de 
Françaises  comprennent  l'importance  de  la  cause  de  Jeanne  d'Arc 
et  entrevoient  les  bienfaits  admirables  et  nombreux  que  notre  chère 
patrie  peut  recueillir  de  son  succès.  C'est  l'union  de  toutes  les  âmes,. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES  657 

c'est  le  réveil  d'un  patriotisme  chrétien  élevé  à  la  hauteur  du  sacri- 
fice et  du  martyre.  C'est  uao  nouvelle  et  pui-=saate  protection  donnée 
à  la  France  de  Clotilde,  de  Charlemagne  et  de  saint  Louis. 

Quolle  joie  pour  notre  France,  le  jour  où  Jeanne  la  Pucello  d'Or- 
léans ri'cevra  de  l'Egliso,  par  la  voix  de  son  bien-aimé  Pontife,  le 
titre  de  vénérable!  Ce  sera  l'aurore  du  grand  jour  où  la  gloire  de  la 
bienheureuse  et  l'auréole  de  la  sainte  nous  permettront  de  la  regarder 
comme  la  patronne  de  notre  patrie,  jour  de  miséricorde  et  d'espérance 
que  nous  appelons  de  tous  nos  vœux. 

Vannes.  —  Mgr  l'évêtiue  d  e  Vannes  vient  d'officier  à  Chartres, 
où  Sa  Grandeur  a  donné  l'habit  religieux  à  25  postulantes  dans 
le  couvent  des  sœurs  de  Saint-Paul. 

A  cette  occasion,  Mgr  Bêcel  adresse  à  M.  l'abbé  Nicol,  direc- 
teur de  la  Semaine  religieuse  de  Vannes,  une  éloquente  lettre, 
inspirée  par  les  pensées  qu'a  fait  naître  en  son  àrae  la  contem- 
plation du  merveilleux  monument  qu'est  Notre-Dame  de  Char- 
tres. «  Quel  sujet  de  méditation  et  de  rapprochement!  »  écrit  Sa 
Grandeur,  qui  ajoute:  «  Hélas!  ces  comparaisons  ne  sont  pas 
toutes  à  notre  honneur  et  à  notre  avantage.  Ces  murs,  bâtis  il  y 
a  tant  de  siècles,  conservent  la  forte  empreinte  de  la  foi,  de  la 
piété,  du  désintéressement  de  nos  pères,  de  leur  zèle  pour  la 
maison  de  Dieu,  de  leur  savoir,  de  leurs  vertus. 

«  Pour  bien  des  motifs,  on  ne  travaille  [dus  avec  le  même 
élan  surnaturel  et  la  même  générosité  quand  il  s'ai;it  de  la  gloire 
du  Père  céleste  et  de  la  sanctificatii)ii  de  sws  enfants.  > 

Voici  la  conclusion  de  Mgr  Bêcel.  Elle  contient  une  leçon  qui 
n'est  pas  seulement  à  l'adresse  des  populations  de  Bretagne,  et 
nous  souhaitons  vivement  qu'elle  porte  partout  ses  fruits: 

La  mauvaise  presse  est  devenue  une  puissance,  qu'il  faut  combattre 
énergiquement  coûte  que  coûte,  si  l'on  veut  que  la  vérité  triomphe 
de  l'erreur,  et  la  justice  de  l'iniiiuité.  Malheureusement,  il  ne  manque 
pas,  même  dans  notre  bon  diocèse,  de  familles  chiétiennes,  de  per- 
sonnes dévotes  qui,  par  un  aveuglement  inconcevable,  une  curiosité 
malsaine,  un  goût  dépravé,  favorisent  inconsciemment  les  écrivains 
hostiles  à  la  religion,  à  la  famille,  à  la  propriété  ;  elles  deviennent 
ainsi  leurs  complices,  sans  se  faire  scrupule  de  laisser  en  détresse 
ceux  qui  soutiennent  les  saines  doctrines  et  les  bonnes  cause?,  sous 
prétexte  que  leurs  publications  sont  trop  sérieuses  et  manquent  de  ce 
je  ne  sais  quoi  qui  cause  des  sensations  vives,  amuse  et  fait  tuer  le 
temps. 

Autrefois  l'autel  et  le  trône  trouvaient  des  défenseurs  intrépides, 
prHs  à  tous  les  sacrifices.  Aujourd'hui  qu'd  s'agit  de  prot-'^ger  le 
foyer  domestique  ébranlé  jusque  dans  ses  fondem:nts,  on  se  dési<ité- 


658  ANNALKS    CATHOLIQUES 

resse  d'une  guerre  à  outrance  déclarée  à  Dieu  lui-même.  On  proteste, 
on  gémit,  mais  on  n'appuie  ces  récriminations  et  ces  plaintes  d'aucun 
acte  viril  et  désintéressé  ;  on  se  fait  de  vaines  illusions  ;  on  se  laisse 
aller  à  un  sommeil  que  rien  ne  justifie.  Le  réveil  pourrait  bien  être 
terrible.  Les  victimes  des  nouvelles  catastrophes  qu'il  est  facile  de 
prévoir  seront-elles  toutes  innocentes  des  attentats  qu'il  faut  re- 
douter? Combien  d'entre  elles  devraient  dire  :  Merito  hœc  pat/mur  ! 
Résolus  à  ne  point  nous  mêler  inconsidérément  aux  querelles  des 
partis,  mon  cher  abbé,  parlons,  écrivons,  agissons,  sans  témérité  et 
sans  faiblesse,  dans  la  sphère  où  nous  avons  mission  d'intervenir. 
Dieu,  quoi  qu'il  arrive,  nous  tiendra  compte  de  la  droiture  de  nos  in- 
tentions et  de  la  constance  de  nos  efforts. 


LES   CHAMBRES 

Les  quatre  lois  demandées  contre  les  anarchistes  par  le  gou- 
vernement ont  été  votées  par  les  deux  Chambres  à  des  majorités 
énormes. 

Que  ne  peut  la  frayeur  sur  l'esprit  des  mortels  ! 

Entre  temps,  on  a  terminé  la  discussion  de  l'interpellation 
Basl}',  et  le  ministère  est  sorti  consolidé  de  la  première  ren- 
contre qui  s'est  produite  à  la  Chambre  entre  la  majorité  et  la 
gauche  radico-socialiste. 

La  proposition  Baslj  a  été  repoussée  dans  ses  deux  parties  : 
la  demande  d'enquête  sur  les  grèves  du  Nord  et  du  Pas-de- 
Calais,  par  401  voix  contre  131  ;  et  la  demande  d'enquête  géné- 
rale sur  le  travail  des  mines,  par  366  voix  contre  166. 

Un  incident  n'a  pas  peu  contribué  à  ce  succès,  c'est  lorsque 
M.  Casimir  Périer,  pris  à  partie  par  M.  Millerand,  a  déclaré 
avoir  résigné  ses  fonctions  d'administrateur  d'Anzin  le  jour  où 
il  fut  appelé  à  la  présidence  de  la  Chambre,  et  a  demandé  que 
l'on  fît  au  besoin  une  enquête  sur  sa  situatiou  personnelle. 

Le  président  du  conseil  a  été  fort  applaudi,  et  le  succès  du 
gouvernement  a  été  finalement  complet. 

La  commission  du  travail,  dont  la  nomination  au  sein  de  la 
Chambre  a  été  votée  ensuite  à  l'unanimité,  n'est  pas  un  rouage 
nouveau.  Elle  n'a  pas  le  caractère  d'une  commission  d'enquête 
telle  que  la  voulaient  les  socialistes,  et  elle  fonctionnait  déjà 
dans  l'ancienne  Chambre.  C'est  à  cette  commission  que  sont 
renvoyés  les  projets  concernant  la  réglementation  du  travail, 
les  retraites^  les  assurances,  etc. 


LES    CHAMBRES  659 

Le  ministère  Périer  a,  pour  le  moment,  le  vent  en  poupe. 
L'attentat  de  Vaillant  y  a  contribué  pour  une  bonne  part. 


Nos  députés,  n'ayant  plus  aucune  interpellation  sur  le  tapis, 
se  sont  retournés  du  côté  de  la  vérification  des  pouvoirs  de  ceux 
de  leurs  collègues  qui  ne  sont  pas  encore  validés.  On  a  com- 
mencé par  l'élection  de  M.  d'IIui^ues  dans  l'arrondissement  de 
Sisteron.  Cette  élection  était  attaquée  par  le  concurrent  malheu- 
reux de  M.  d'Hugues,  qui  n'est  autre  que  l'ancien  député, 
M.  Mac-Adaras,  qui  n'a  pu  digérer  encore  sa  défaite.  Malgré 
toutes  les  bonnes  raisons  qui  militaient  en  faveur  de  M.  d'Hu- 
gues, qui  a  réduit  à  néant  les  objections  de  son  adversaire,  son 
élection  a  été  invalidée.  M.  d'Hugues  avait  contre  lui  un  argu- 
ment sans  réplique  :  il  est  conservateur. 

Après  avoir  commis  un  si  bel  exploit,  la  majorité  a  trouvé 
que  c'était  assez  d'une  invalidation,  et  elle  a  repoussé  la 
demande  d'enquête  demandée  par  la  commission  chargée  de 
l'examen  de  l'élection  de  M.  de  La  Rochejacquelein  dans  l'ar- 
rondissement de  Bressuire.  M,  de  La  Rochejacquelein  a  donc 
été  admis.  Puis  sont  venues  les  élections  de  M.  Cros-BonneL, 
élu  dans  l'arrondissement  de  Saint-Pons,  et  de  M.  Flourens,  élu 
dans  les  Hautes-Alpes.  Malgré  les  protestations  soulevées  contre 
ces  deux  élections,  la  Chambre  les  a  validées. 

Après  quoi  on  s'est  séparé  jusqu'au  mois  de  janvier. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Le  vote  des  lois  de  répression.  —  Une  odieuse  brochure.  —  Étranger. 

21  décembre  1893. 

Toutes  les  lois  demandées  par  le  ministère  contre  les  anar- 
chistes sont  votées.  Voilà  donc  le  ministère  Casimir  Périer  bien 
armé,  muni  des  textes  de  lois  et  des  ressources  qu'il  déclarait 
indispensables  pour  la  défense  de  la  société.  Tout  ce  qui  s'est 
passé  depuis  l'attentat  du  9  décembre  lui  a  montré  qu'il  .«era 
d'autant  plus  soutenu  qu'il  montrera  plus  de  décision,  d'énergie, 
de  vigueur,  et,  pour  tout  dire  en  un  mot,  de  véritable  esprit  de 
gouvernement.  Nous  espérons  que  le  ministère  ne  se  reposera 


660  ANNALES    CATHOLIQUES 

pas  sur  ses  lauriers,  et  qu'il  répondra  par  des  actes  de  bonne  et 
vigoureuse  administration  à  la  confiance  que  les  Chambres  lui 
ont  témoignée.  Qu'il  fasse  sentir  sa  main.  Qu'il  oblige  les  admi- 
nistrations départementales  à  se  conformer  à  ses  vues.  Il  ne 
faudrait  pas  qu'un  ministère  qui  combat  l'anarchie  laissât  sub- 
.sister  cette  sorte  d'anarchie  administrative  qui  a  été  un  des 
fléaux  des  gouvernements  de  concentration  républicaine.  La 
route  dans  laquelle  le  gouvernement  de  M.  Cusirair  Périer  doit 
marcher  et  dans  laquelle  il  doit  faire  marcher  les  représentants 
du  pouvoir  central  dans  les  départements,  cette  route  est  nette- 
ment tracée  par  le  sentiment  de  l'immense  majorité  du  pays, 
aussi  bien  que  de  la  majorité  du  Parlement.  L'orientation  n'est 
phis  à  gauche.  Elle  est  à  droite.  Le  comprendra-t-il?  Nous 
n'osons  l'espérer. 

Les  hommes  qui  nous  gouvernent  ne  sont-ils  pas  les  dis- 
ciples de  ceux  qui  depuis  un  siècle  se  sont  plu  à  détruire  tout 
ce  qui  fait  le  rempart  des  nations  et  des  sociétés? 

Dieu  !  le  Roi  !  la  Patrie  ! 

De  Philippe-Augusie  à  Louis  XIV,  de  Bouvines  à  Denain,  ce 
sont  les  trois  colonnes  qui  ont  soutenu  la  France. 

C'est  la  triple  enceinte  qui  défendit  pendant  une  longue  suite 
de  siècles  la  société  française  contre  les  barbares  du  dedans  et 
les  barbares  du  dehors. 

Protégée  par  cette  forteresse,  la  France  était  à  l'abri  des 
invasions  comme  des  révolutions. 

Des  hommes  sont  venus  qui  ont  démantelé  la  forteresse. 

Ils  ont  commencé  par  supprimer  une  des  trois  enceintes  de  la 
forteresse  en  guillotinant  le  roi. 

Ils  en  ont  supprimé  une  autre  eu  biffant  Dieu,  comme  disait 
Raoul  Rigault 

Débarrassés  de  Dieu  et  du  roi,  nos  républicains  avaient  le 
charnp  libre. 

Et  ils  s'en  sont  donné  à  cœur  joie. 

Plus  de  Dieu!  plus  de  roi!  La  République  maçonnique  avait 
réalisé  son  idéal. 

On  avait  abattu  deux  des  remparts  derrière  lesquels  on 
s'abritait. 

Qu'importe,  puisqu'il  en  restait  un  troisième? 

La  bourgeoisie  maçonnique  et  libre-penseuse,  maîtresse  du 
pouvoir,  s'appuyant  sur  le  libéralisme  vainqueur  et  triomphant, 
a-t-elle  besoin  d'un  Dieu  et  d'un  roi? 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  G61 

Ne  lui  suffit-il  pas  d'invoiiuer  l'idée  de  la  patrie  pour  faire 
surgir  du  sol  les  légions  qui  doivent  la  protéger  contre  le  péril 
intérieur  et  le  péril  extérieur? 

Pourquoi  trois  enceintes  pour  défendre  la  société  quand  on  en 
a  une  si  formidable? 

Mais  voici  que  la  troisième  enceinte,  la  seule  que  les  républi- 
cains aient  laissée  debout,  se  trouve  à  sou  tour  exposée  à  de  vio- 
lentes attaques. 

Les  anarchistes  contemporains,  animés  d'une  rage  de  destruc- 
tion analogue  à  celle  à  laquelle  étaient  en  proie  les  jacobins  de 
l'/93,  ne  s'en  prennent  ni  à  Dieu  ni  à  la  Monarchie,  car  ils  ne  se 
soucient  pas  de  faire  une  besogne  inutile.  Ils  attaquent  l'idée  de 
patrie,  parce  que  c'est  la  seule  chose  que  le  jacobinisme  triom- 
phant a  laissée  debout.  Ils  veulent  démolir  le  seul  rempart  qui 
défend  encore  la  société. 

Un  journaliste  qui,  il  y  a  deux  mois,  était  employé  au  minis- 
tère de  l'intérieur  (où  recrute-t-on  le  personnel  du  ministère  de 
l'intérieur  ?  (et  qui  s'appelle  Maurice  Charnay,  a  publié  une 
brochure  qui  a  pour  titre  :  Le  Catéchisme  du  Soldat.  Dans  ce 
catéchisme,  qui  se  compose  de  demandes  et  de  réponses,  nous 
lisons  : 

D.  —  Qu'est-ce  que  la  patrie  ? 

—  C'est  une  idée  fausse  et  un  mensonge. 

D.  —  Est-ce  donc  autre  chose  que  la  nation? 

—  La  patrie  n'est  que  le  fantôme  de  la  nation. 
D.  —  Qu'est-ce  que  la  nation? 

—  La  nation  est  un  grand  pays,  formé  de  la  réunion  de  petits  pays, 
tantôt  plus,  tantôt  moins,  suivant  le  hasard  dos  guerres  et  des  com- 
binaisons politiques.  Aucun  de  nous  ne  la  connaît  tout  entière.  Elle 
est  habitée  par  vingt  peuples  différents,  qui  ne  sont  ni  de  la  même 
race,  ni  de  la  même  couleur  ;  qui  n'ont  pas  le  même  costume,  ne 
parlent  pas  la  même  langue  et  ne  peuvent  pas  se  comprendre;  qui 
n'ont  rien  de  commun,  en  dehors  d'une  haine  féroce  pour  legendarme 
qui  les  brutalise,  et  pour  le  percepteur  qui  les  vole. 

D.  —  Et  la  patrie? 

—  C'est  un  mot  dont  se  servent  les  candidats  à  la  députation  et  les 
journalistes.  Elle  est  représentée  plus  particulièrement  par  le  percep- 
teur et  le  gendarme,  qu^on  paye  avec  une  partie  de  l'argent  extorqué 
aux  ouvriers  et  aux  cultivateurs.  Le  reste  de  cet  argent  s'en  va  dans 
de  grandes  villes  que  nous  ne  verrons  jamais,  où  des  ministres,  des 
députéset  des  fonctionnaires  font  la  noce  pendant  que  nous  travaillons, 

La  patrie,  c'est  le  hideux  impôt,  c'est  la  loi  qui  commande,  ce 
maître  impersonnel  qui  nous  enlève  peu  à  peu  chacune  de  nos  libertés; 


662  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  patrie,  c'est  tout  ce  qui  nous  opprime,  tout  ce  que  nous   devons 
haïr. 

D.  —  Qu'est-ce  que  l'armée  ? 

—  L'armée  est  une  classe  à  part  dans  la  nation  ;  on  reconnaît  les 
militaires  à  leur  costume  bizarre  et  ridicule. 

L'armée  se  compose  de  tous  les  gens  de  vingt  et  un  à  vingt-quatre 
ans,  les  plus  grands,  les  plus  forts,  les  plus  vigoureux,  les  plus  sains. 
On  prend  ces  jeunes  gens  de  force;  car,  s'ils  étaient  libres,  pas  un 
seul  ne  voudrait  être  soldat.  On  les  éloigne  de  leur  pays,  on  les  sé- 
pare de  leur  famille,  de  leurs  amis  ;  on  les  oblige  à  laisser  tous  leur» 
intérêts  ;  puis  on  les  réunit  dans  des  prisons  nommées  casernes,  ow 
ils  vivent  pendant  trois  ans,  sous  le  même  régime  que  les  voleurs  et 
les  assassins. 

D.  —  Quelles  sont  les  occupations  des  soldats  à  la  caserne? 

—  La  plus  grande  partie  du  temps  est  consacrée  à  l'astiquage.  Les 
chefs  enseignent  la  manière  de  poser  le  cirage  sur  les  cuirs,  afin  qu'au 
bout  de  trois  ans  les  soldats  sachent  bien  cirer  leurs  bottes,  et  rien, 
de  plus.  L'exercice  dure  moins  que  l'astiquage. 

D.  —  Qu'entend-on  par  l'exercise? 

—  L'exercice  consiste  à  remuer  les  bras  et  les  jambes  comme  un 
pantin,  pendant  des  heures  entières.  Après  l'exercice,  on  reprend 
l'astiquage  des  cuirs  ;  puis  on  retourne  à  l'exercice,  et  ainsi  de  suite 
pendant  trois  ans.  C'est  le  service  militaire. 

Inutile  de  coniinuer.  Ces  citations  suffisent  pour  montrer  quel 
est  l'esprit  de  cette  brochure  abominable,  qui  se  termine  par 
une  question  sensationnelle,  véritable  argument  ad  hominem  : 

Que  ferais-tu,  soldat,  si  ton  chef  te  commandait  de  fusiller  ton  père? 

C'est  un  appel  direct  à  l'indiscipline,  à  la  rébellion  des  soldats 
contre  leurs  chefs,  au  mépris  de  l'armée,  au  mépris  de  la  patrie. 

Après  de  longues  hésitations,  le  gouvernement  a  décidé  de  le 
poursuivre. 

Le  gouvernement  a  raison.  Il  a  raison  de  défendre  la  patrie, 
de  défendre  l'armée,  la  seule  des  antiques  assises  de  la  société 
qui  reste  encore  à  peu  prés  intacte.  Mais  n'est-il  pas  bien  cou- 
pable de  ne  pas  vouloir  reconnaître  quel  remède  seul  serait 
efficace  contre  les  abominables  attentats  que  n'empêcheront  pas 
les  lois  les  plus  rigoureuses  ? 


Le  ministère  Crispi  est,  enfin,  au  complet:  c'est  la  nomina- 
tion du  baron  Blanc  comme  ministre  des  affaires  étrangères  qu[ 
a  bouclé  la  combinaison.  Ce  personnage  est  un  diplomate  gallo- 
phobe  et  d'une  docilité  passive.  Du   reste,   M.   Crispi  est  lui- 


CHUONIQUE  DE  LA  SEMAINE  663 

même  si  foncièrement  liostile  à  la  France  que  la  personnalité  de 
M.  Blanc  en  est  obscurcie.  Quels  que  soient  les  mauvais  senti- 
rdents  du  ministre  du  roi  Hnnibert,  nous  n'avons  pour  le  mo- 
ment rien  à  en  redouter,  et  si  la  Rente  italienne  a  baissé  à  Paris, 
c'est  uniquement  parce  que  ceux  qui  soutiennent  les  cours  pour 
le  crim[ite  du  fronvernement  italien,  ainsi  qu'il  appert  des  comptes 
de  la  Banque  romaine,  n'avaient  pas  encore  reçu  le  mot  d'ordre. 
Ce  qu'il  y  a  à  craindre  dans  la  nouvelle  manière  politique  que 
M,  Crispi  semble  adopter,  c'est  moins  le  personnage  en  lui-même 
que  l'influence  décevante  des  amis  qu'il  a  en  France  parmi  les 
gens  qui,  ayant  conspiré  avec  lui,  voudraient  nous  faire  croire 
qu'ils  ont  travaillé  ensemble  pour  la  France.  C'est  donc  contre 
la  tendance  à  faire  briller  la  récipiscence  de  l'ami  de  MM.  X. 
Y.  Z.,  qu'il  faut  surtout  se  prémunir.  Ou  l'Italie  nous  donnera 
des  gages  tangibles,  ou  nous  continuerons  à  laisser  en  sommeil 
nos  sympathies  rétrospectives.  Et  nous  ferons  bien  ! 

Il  devient  maintenant  probable  que  le  conflit  de  Melilla  se 
terminera  paciflquement. 

Il  est  certain  que  Mouley  Araaf,  le  frère  du  Sultan,  fait  preuve 
d'une  condescendance  et  d'une  bonne  volonté  à  laquelle  on  était 
loin  de  s'attendre  de  sa  part. 

Ainsi,  dans  la  dernière  conférence  qu'il  a  eue  avec  le  marécha^ 
Martiaez  Campos,  Mouley  Araaf  s'est  porté  garant  que  les  Kaby- 
les ne  recomraenceraientpas  les  hostilités.  Et  pour  donner  immé- 
diatement des  gages,  il  a  intimé  l'ordre  aux  Kabyles  de  détruire 
les  retranchements  qu'ils  avaient  établis  sur  le  territoire  espa- 
gnol. La  soir  même  les  Kabyles  ont  obéi  et  comblé  les  tranchées 

Quant  aux  conditions  que  le  maréchal  Martinez  Campos  a 
manifesté  l'intention  d'imposer  aux  Kabyles  pour  la  conclusion 
de  la  paix,  Mouley  Araaf  s'est  déclaré  incapable  de  les  discuter, 
n'ayant  pas  les  pouvoirs  nécessaires  à  cet  efî'et.  lia  expliqué 
qu'il  allait  demander  des  instructions  à  son  frère,  et  que  dès 
qu'il  aurait  reçu  la  réponse,  les  négociations  pourraient  recom- 
mencer. 

On  croit  que  le  maréchal  Martinez  Campos,  qui  mène  toute 
cette  affaire  avec  le  plus  grand  tact,  ne  recommencera  pas  les 
hostilités  avant  de  connaître  les  véritables  intentions  du  Sultan. 

D'ailleurs,  le  gouvernement  espagnol  est  d'avis  qu'il  vau- 
drait mieux  régler  le  conflit  de  Melilla  par  une  action  diplo- 
matique. 


664  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ce  n'est  donc  que  si,   contre  toute  probabilité,  les  négocia- 
tions échouaient  que  l'on  aurait  recours  aux  armes. 


II  y  a  du  nouveau  au  Brésil.  Les  insurgés  viennent  de  rece- 
voir un  appoint  considérable  par  la  défection  de  l'amiral  Sal- 
danha,  qui  passe  aux  insurgés. 

Il  a  notifié  aux  légations  étrangères  qu'il  avait  pris  le  corn- 
mandement  de  l'escadre  insurgée  dans  la  baie  de  Rio;  l'amiral 
a  adressé  à  la  nation  une  proclamation  ouvertement  monar- 
chique, mais  dans  laquelle  il  l'invite  à  choisir  librement  une 
forme  de  gouvernement. 

Le  Herald  publie  une  dépêche  de  Montevideo  disant  que  les 
communications  télégraphiques  avec  Rio  ont  été  interrompues 
aujourd'hui  même  pour  les  dépêches  officielles;  on  croit  que 
quelque  chose  de  très  important  s'est  produit  dans  la  capitale 
du  Brésil. 

M.  Mendoza,  ministre  à  Washington,  reconnaît  l'importance 
de  la  défection  de  l'amiral  ;  cette  défection  donne  aux  insurgés 
une  puissance  et  un  prestige  qu'ils  ne  possédaient  pas  jusqu'ici  ;. 
il  est  probable  que  toute  la  marine  suivra,  car  il  exerce  une 
influence  presque  complète  sur  la  plupart  des  officiers. 


LES  PRIX   DE  VERTU 
(A^oir  les  Annales  des  2  et  9  décembre  1893.) 

Remarquez  ici,  Messieurs,  ce  caractère  de  persévérance  dans 
le  bien,  que  vous  exigez  avec  raison  de  vos  lauréats.  Les  Espa- 
gnols, qui  se  connaissent  en  bravoure,  disent  rarement  :  «  Un  tel 
est  brave  »,  mais  bien  :  «  Un  tel  a  été  brave  tel  jour,  en  telle 
circonstance  ».  Ils  n'ont  pas  tort  d'être  si  réservés.  Les  grandes 
vertus,  le  courage  comme  la  bienfaisance,  ne  valent  que  si  elles 
durent  et  si  elles  sont  toujours  prêtes.  Combien  peu  sont  bons 
comme  le  Cid  était  brave,  toujours  !  Mais,  vous  pouvez  dire  de 
l'humble  femme  dont  je  viens  de  vous  parler  qu'elle  est  bonne. 
Son  dévouement,  qui  n'a  connu  aucune  lassitude,  aucune  défail- 
lance, et  qui  lui  coûte  aujourd'hui  la  santé,  a  duré  pendant 
vingt-six  ans. 

Au  moment  où  je  dévoile  devant  vous,  pour  une  minute,  tant 
de  belles  actions  cachées,  oii  je  résume  en  trois  lignes  tant 
d'infatigable  bonté  et  de  patience  héroïque,  oii  je  consacre  le- 


LES    PRIX    DE    VERTU  665 

temps  que  dure  uue  phrase  à  toute  une  longue  vie  d'abnégation, 
je  ne  me  dissimule  pas,  Messieurs,  combien,  malgré  sa  sincé- 
rité, est  insuffisant  l'éloge  que  je  donne  à  ces  gens  de  bien,  et 
je  me  demande  aussi  ce  qu'ils  on  penseront.  La  plupart  d'entre 
eux  seront,  je  le  suppose,  très  surpris  d'avoir  été  loués  publi- 
quement pour  des  actes  qui  leur  semblent  tout  naturels;  et, 
comme  ils  ne  savent  pas,  au  moins  pour  la  grande  majorité,  ce 
que  c'est  que  l'Académie  française,  ils  s'en  informeront.  On  leur 
rôpondia  ([ue  c'est  une  réunion  de  lettrés,  de  savants,  de 
grands  seigneurs,  et  leur  modestie  sera  sans  doute  confuse  que 
de  tels  personnages  aient  daigné  s'occuper  d'eux. 

Car  ils  sont  tous  ou  presque  tous  dos  ignorants.  Par  exemple, 
Gasparde  Bovagnet,  à  la  Bridoire  (Savoie),  dont  le  père  est 
aveugle,  la  mère  folle,  dont  les  trois  frères,  devenus  veufs,  sont 
rentrés  à  la  maison  paternelle  avec  leurs  enfants  au  nombre  de 
dix,  Gasparde  Bovagnet,  qui  est  la  providence  de  tout  ce  petit 
inonde,  ne  lit  sans  doute  que  ses  prières  ;  Oljmpe  Flageollet,  à 
Audruicq  (Pas-de-Calais),  dont  le  père,  incorrigible  ivrogne, 
gaspillait  son  salaire,  et  qui  a  passé  ses  jours  et;  ses  nuits  à 
rempailler  des  chaises  au  chevet  de  sa  mère,  gémissant  sans 
cesse  d'une  maladie  intolérable,  Olympe  Flageollet  pourrait 
bien  ne  pas  savoir  signer  son  nom  ;  et  Louis-Adolphe  Chartier, 
à  Peocqueuse  (Seine-et-Oise),  pauvre  homme  d'équipe  sur  le 
chemin  de  fer,  qui,  bien  que  chargé  de  famill«,  a  gafdé,  élevé, 
marié  un  nourrisson  abandonné  par  les  parents  et  qui,  encore 
aujourd'hui,  en  entretient  un  autre,  Louis-Adolphe  Chartier  est 
indifférent,  je  le  crains,  à  nos  discussions  sur  la  réforme  de 
l'orthographe.  Quand  ils  apprendront  quelle  célèbre  et  docte 
compagnie  a  la  mission  de  les  récompenser  solennellement,  ils 
trouveront,  dans  leur  naïveté,  que  nous  leur  faisons  beaucoup 
d'honneur. 

Ce  qu'ils  ne  soupçonneront  pas,  c'est  que  votre  rapporteur, 
en  ce  moment  même,  se  demande  s'il  est  digne  de  les  louer,  et 
que  beaucoup  d'entre  vous,  devant  qui  je  retrace  ces  belles  exis- 
tences, éprouveraient,  à  ma  place,  le  même  scrupule.  Car  ces 
simples  d'esprit  possèdent  ce  que  nous  n'avons  pas,  nous,  ce 
que  ne  peut  donner  l'art  ni  le  savoir,  c'est-à-dire  la  certitude 
absolue  d'avoir  toujours  été  bienfaisants  et  utiles.  Hélas!  nous 
vivons  dans  un  temps  de  trouble  et  d'inquiétude  oh  les  fruits  de 
l'arbre  de  la  science  sont  parfois  bien  amers.  Dans  tous  les 
ordres  d'idées,  que  d'illusions  perdues  !  que  de  rêves  évanouis  ! 


666  ANNALES     CATHOLIQUES 

Les  doctrines  pour  lesquelles  nous  nous  sommes  passionnés,  les 
opinions  que  nous  avons  défendues  avec  tant  d'ardeur,  étaient- 
elles  vraiment  bonnes  et  salutaires?  Qui  de  nous  se  flatte  d'avoir 
atteint  l'idéal  de  vérité  ou  de  beauté  toujours  poursuivi  ! 
Dans  notre  œuvre,  que  d'imperfections  et  que  d'erreurs  !  Tel 
philosophe  renie  douloureusement  ses  croyances  d'autrefois.  Tel 
écrivain  rougit  d'une  page  de  sa  jeunesse  ;  et  cet  homme  d'Etat 
se  frappe  en  secret  la  poitrine  et  s'avoue  avec  désespoir  qu'il  a 
mal  servi  son  pays. 

Quelle  paix  délicieuse,  au  contraire,  chez  ces  pauvres  gens 
dont  chaque  journée  et  chaque  heure  de  la  journée  furent  tou- 
jours consacrées  à  ce  qui  est  incontestablement  le  devoir!  Ils 
sont  sûrs  d'avoir  fait  le  bien.  Et,  en  les  admirant,  nous  en  arri- 
vons à  les  envier,  ces  pures  consciences  que  n'assombrit  jamais 
l'ombre  d'un  regret,  d'un  mauvais  souvenir.  Nous  les  envions... 
Oui,  jusqu'à  ces  vieilles  domesticiues,  qui  non  seulement  ont 
fait  abandon  de  leurs  gages  quand  le  malheur  a  frappé  les 
maîtres,  mais  qui  les  aident  dans  leur  détresse  en  tirant  l'ai- 
guille ou  en  filant  le  rouet. 

Qu'ils  le  sachent  bien,  tous  ces  êtres  qui  n'ont  jamais  vécu 
que  pour  autrui,  loin  de  nous  croire  leurs  supérieurs,  c'est 
nous,  les  hommes  d'étude  et  de  pensée,  qui  sommes  honorés 
d'avoir  à  saluer  leurs  vertus,  et  qui  le  faisons  avec  mélancolie , 
car  il  nous  enseignent  que  le  cœur  aie  pas  sur  l'esprit,  car  nous 
découvrons  dans  leur  âme  ce  calme  moral  que  ne  nous  ont  pas 
donné  toutes  les  ressources  de  l'intelligence  et  qu'ils  ont  trouvé 
dans  le  simple  exercice  d'un  instinct. 

J'ai  prononcé  le  mot,  mais  gardez-vous  bien  de  le  prendre  en 
mauvaise  part.  Le  propre  de  l'instinct,  c'est  d'abord  de  ne  pas 
raisonner  et  puis  de  ne  se  tromper  jamais.  Cette  définition  con- 
vient parfaitement  à  la  charité.  Je  viens  de  la  dire,  et  j'y  résiste. 
Si  l'on  consulte  la  philaanthropie  ordinaire,  elle  répond  presque 
toujours  par  un  veto,  tout  au  moins  par  beaucoup  de  restrictions, 
à  toute  velléité  charitable.  Elle  veut  que  le  soulagement  de  la 
misère  individuelle  soit  subordonné  à  uu  plan  d'ensemble;  elle 
exige  chez  les  vaincus  de  la  vie  tant  de  qualités,  que,  s'ils  en 
possédaient  seulement  une  ou  deux,  comme  la  tempérance  et 
l'amour  du  travail,  ils  auraient  remporté  la  victoire.  On  pour- 
rait parodier  ici  la  célèbre  phrase  de  Figaro  :  «  A  toutes  les 
vertus  qu'on  exige  d'un  pauvre,  combien  peu  de  riches  seraient 
dignes  de  recevoir  l'aumône!  » 


LES    PRIX    DE    VERTU  667 

La  charité,  au  contraire,  ne  fait  pas  d'enquête  préliminaire; 
elle  ne  cherche  pas  les  causes  de  la  souflrance  qu'elle  rencontre. 
Elle  trouve  un  infirme,  et  elle  l'adopte  sans  se  demander  si  l'in- 
conduite  n'est  pas  la  cause  première  de  ses  infirmités.  Comme 
ces  ménagères  pour  qui  le  dé.sordre  et  la  négligence  sont  des 
ennemis  personnels,  et  qui,  devant  un  meuble  déplacé  ou  un  par- 
quet terni,  rangent  et  brossent  avant  de  rechercher  qui,  dans  la 
maison,  a  péché  contre  la  propreté,  il  y  a  des  natures  qui  ne 
peuvent  voir  la  souffrance  sans  essayer  de  la  soulager.  Si  vous 
leur  uemandez  pourquoi,  elles  vous  répondront  simplement  que 
c'est  plus  fort  qu'elles.  Elles  ont  raison  ;  une  force  supérieure 
les  pousse,  obscure  et  divine  comme  toutes  les  forces  naturelles. 
N'essayez  pas  de  discuter  avec  ces  natures-là,  de  les  convaincre 
qu'elles  ont  tort  de  céder  ainsi  à  l'inconnaissable,  de  leur  dire 
que  la  raison  doit  tout  dominer  et  tout  expliquer.  La  raison  est 
courte  et  la  foi  sans  limites,  à  se  mesurer  avec  certains  mystères, 
l'esprit  humain  est  toujours  vaincu. 

Grâce  à  la  munificence  de  nos  donateurs,  nous  sommes,  comme 
vous  le  savez,  particulièrement  riches  en  récompenses  pour  les 
vertus  de  famille.  De  la  lecture  des  dossiers  qui  s'y  rapportent, 
j'ai  gardé  l'impression  la  plus  douce  et  la  plus  fortifiante.  Quel- 
qu'un à  qui  j'essayais  de  la  faire  partager,  m'opposa  quelque 
résistance.  Selon  lui,  le  mérite  était  mince  d'obéir  à  l'antique 
commandement:  «  Tes  père  et  mère  honoreras  »,  et  l'esprit  de 
famille  n'avait  rien  d'extraordinaire.  Pourquoi  ce  témoignage 
public  de  satisfaction  à  ceux  qui  n'avaient  fait,  en  somme,  que 
leur  devoir?  Il  me  fut  aisé  de  confondre  cet  homme  si  difficile 
à  contenter.  Je  n'ai  eu  qu'à  lui  laisser  parcourir,  entre  autres, 
les  notices  concernant  les  personnes  à  qui  vous  avez  décerné  les 
vingt-sept  médailles  de  500  francs  instituées  par  le  testament 
de  Mlle  Camille  Favre.  Il  s'agit  seulement  ici  de  piété  filiale,  et 
les  pires  détracteurs  de  l'humanité  sont  bien  forcés  de  recon- 
naître que  cette  vertu  est,  par  bonheur,  très  commune  et  très 
répandue.  Mais  vos  lauréats.  Messieurs,  en  ont  donné  des 
preuves  si  éclatantes  et  si  nombreuses,  l'ont  pratiquée  dans  des 
circonstances  si  pénibles  et  au  prix  de  tels  sacrifices,  que  mon 
austère  contradicteur  n'a  pas  pu  y  tenir.  Quand  il  a  bien  voulu 
m'accorder  que  j'avais  raison  et  que  les  actions  les  plus  natu- 
relles peuvent  être  aussi  les  plus  admirables,  il  avait  les  yeux 
humides,  et  nous  avons  clos  la  discussion  par  le  beau  vers  de 
Musset  : 

Mais  une  larme  coule  et  ne  se  trompa  pas. 


668  ANNALES  CATHOLIQUES 

.  Comment,  en  effet,  n'être  pas  attendri  devant  la  conduite  de 
Martin  Luquet?  C'est  dans  un  village  perdu  des  Basses-Alpes, 
à  Escoublon,  que  cet  homme  de  chêtive  santé,  souvent  malade, 
n'a  cessé,  depuis  l'adolescence  jusqu'à  l'âge  de  vingt-six  ans, 
de  travailler  afin  de  soulager  ses  parents  dans  l'indigence.  Il 
allait  se  marier  quand  son  père  mourut,  et,  sur-le-champ,  il 
renonça  à  s'établir  pour  ne  pas  quitter  sa  mère  déjà  vieille.  A 
force  de  labeur,  il  avait  amené  un  peu  de  bien-être  au  logis, 
lorsque,  il  y  a  huit  ans,  sa  mère  fut  atteinte  de  paralysie  géné- 
rale. Son  état  exige  des  soins  continuels  et  répugnants  ;  elle  est 
d'une  humeur  chagrine,  gémit  sans  cesse,  blesse  son  fils  à  cha- 
que instant  par  un  reproche  injuste,  par  une  parole  dure.  Mais, 
toujours  travaillant  et  soignant  sa  chère  malade,  ce  fils  exem- 
plaire ne  la  quitte  que  pour  aller  ramasser  du  bois  dans  la  forêt 
ou  laver,  comme  une  femme,  à  la  rivière,  le  peu  de  linge  qu'il 
possède,  car  la  paralytique  doit  très  souvent  être  changée.  Elle 
a  maintenant  quatre-vingts  ans,  et  son  fils  en  a  quarante  et  un. 
Dans  une  masure  délabrée,  ouverte  à  tous  les  vents,  où  ne 
brûle,  par  les  plus  grands  froids,  qu'un  maigre  tison,  il  reste 
nuit  et  jour  au  chevet  de  sa  mère.  II  gagne  fort  peu,  étant  con- 
tinuellement interrompu  par  ses  fonctions  de  garde-malade. 
Privé  de  nourriture  et  de  sommeil,  il  voit  chaque  jour  ses  forces 
diminuer.  Rien  ne  l'abat,  rien  ne  le  décourage.  Fier,  il  ne 
demande  assistance  à  [)ersonne;  modeste,  il  s'étonne  des  louanges 
qu'on  lui  adresse;  résigné,  il  ne  se  plaint  jamais.  Ce  pauvre 
homme  en  guenilles  est  du  moins  pai'é  de  l'estime  générale,  et, 
dans  la  pétition  couverte  de  signatures  qui  le  signale  à  l'Aca- 
démie, je  relève  cette  phrase  dont  la  naïveté  vous  plaira:  «  Il 
n'est  pas,  dans  la  commune,  jusqu'au  plus  méchant  qui  ne  lui 
donne  un  mot  de  félicitation.   » 

Martin  Luquet  est  admirable;  mais  que  dites-vous  d'Adeline 
Visine,  à  Ilaraucourt  (Meurthe-et-Moselle),  qui  n'a  jamais  voulu 
qu'on  enfermât  sa  mère  folle  et  qui  la  surveille  et  l'entoure  de 
tendresse  depuis  trente-deux  ans?  Que  dites-vous  de  Brigitte 
Camfranc,  à  Larruns  (Basses-Pyrénées),  qui,  pendant  l'été,  est 
fille  de  bains  aux  Eaux-Chaudes,  qui,  l'hiver,  ne  gagne  que 
0  fr.  80  par  jour  à  fabriquer  des  chapelets,  et  qui,  cependant, 
avec  ces  ([uelques  sous,  fait  vivre  depuis  vingt-cinq  ans  sa  mère 
aveugle  et  sa  sœur  épileptique  et  amputée  des  deux  pieds?  Pour 
se  consacrer  entièrement  au  devoir  filial,  Adeline  Visine  et  Bri- 
gitte Camfranc  ont  refusé  de    se  marier,  ainsi  d'ailleurs  que 


LES    PRIX    DE    VERTU 

Mlle  Ii-ma  I5ri(lault,  une  Parisienne,  celle-là,  qui  appartient  à 
une  famille  d'artistes,  et  qui,  elle  aussi,  s'est  toute  sa  vie  sacri- 
fiée pour  les  siens. 

D'abord,  elle  console  la  vieillesse  de  son  père,  pauvre  et 
infirme.  Son  frère  et  la  femme  de  son  frère,  peu  aisés,  sont 
retenus  toute  la  journée  hors  de  chez  eux  par  leur  travail: 
c'est  Mlle  Bridault  qni  élève  leurs  enfants  et  qui  leur  tient  lieu 
de  mère.  L'un  d'eux  meurt  à  vini^t-quatie  ans,  constamment 
soigné  par  elle  pendant  une  longue  maladie.  Puis,  c'est  sur  sa 
belle-sœur,  devenue  impotente  et  incurablement  atteinte,  qu'elle 
veille  pendant  quatre  années.  Aujourd'hui,  très  âgée,  MUeBri- 
d.uilt  vient  encore  de  se  consacrer  à  l'éducation  de  deux  des 
orphelins  laissés  par  le  bon  aquafortiste  Lerat,  mort  récem- 
ment :  l'aîné  a  cinq  ans,  le  dernier  dix-huit  mois.  Avec  la  con- 
fiance de  fortes  âmes,  Mlle  Bridault  entreprend  cette  lâche 
nouvelle.  Et  elle  a  soixante-seize  ans  !  Souhaitons,  n'est-ce  pas? 
que  cette  noble  femme  devienne  centenaire. 

C'est  presque  au  hasard,  et  je  me  le  reproche,  que  je  vous 
cite  ces  noms  et  ces  faits.  En  feuilletant  notre  livret  annuel. 
Messieurs,  vous  y  lirez  le  récit  d'un  grand  nombre  d'existences 
semblables;  vous  constaterez  qu'elles  s'écoulent  dans  les  mi- 
lieux les  plus  différents,  et  vous  auiez,  comme  moi,  je  l'espère 
un  sourire  de  sympatliis  en  découvrant  parmi  ces  coeurs  d'or  un 
brave  gendarme. 

Les  vertus  de  famille  sont  pour  le  gendarme  un  besoin  et  une 
habitude.  Dans  le  mélange  singulier  de  vie  de  caserne  et  de 
ménage  qui  constitue  son  existence,  entre  son  brigadier  et  son 
cheval,  sa  femme  et  ses  enfants,  il  prend  facilement  le  parti 
d'être  le  modèle  desi  époux  et  des  pères,  comme  il  e?t  celui  des 
soldats.  Le  gendarme  célibataire  est  une  exception.  Voyez  ces 
maisons  régulières  et  propres  comme  un  uniforme  qui  s'alignent 
sous  le  drapeau,  à  la  lisière  des  villages.  Au  fond  de  la  cour, 
dans  l'écurie,  sonne  le  piaflfement  des  chevaux;  à  la  porte,  en 
blouse  de  toile  et  en  képi,  le  gendarme,  revenu  de  la  «  corres- 
pondance »,  astique  son  liarnachement  ou  sa  buffieterie,  et, 
autour  de  lui,  jouent  des  enfants,  beaucoup  d'enfants.  La  dépo- 
pulation de  la  h'rance  n'est  pas  sou  fait,  au  contraire.  La  femme 
et  l'enfant  du  gendarme  ont  leur  physionomie.  Ils  sont  propres, 
bien  tenus;  ils  ont  quelque  chose  delà  rectitude  et  de  l'élégance 
militaires  ;  ils  reçoivent,  dans  la  mesure  de  leur  sexe  ou  de  leur 
âge,  cette  empreinte  que  donne  le  «  métier  ».  Donc,  nous  voyons 


670  ANNALES     CATHOLIQUES 

bien  le  gendarme  époux  et  père.  Nous  ne  le  voyons  même  que 
comme  cela.  Il  est  plus  difficile  de  nous  imaginer  cet  homme 
mùr  comme  soutien  de  vieux  parents.  Sa  solde  n'est  pas  forte; 
s'il  peut  entretenir  une  famille,  comment  pourrait-il  suffire  à 
deux,  celle  d'oii  il  sort  et  celle  qu'il  crée? 

C'est  pourtant  ce  qu'a  fait  Dominique-André  Suzzoni,  maré- 
chal des  logis,  à  Avapessa  (Corse).  Depuis  1858,  il  a  été  le  fidèle 
soutien  de  son  père.  Ce  père  est  très  pauvre;  il  a  trois  autres 
enfants  à  élever;  et  la  situation  devient  un  jour  si  pénible  que 
le  fils  aîné,  qui  a  déjà  vingt-quatre  ans,  prend  une  résolution 
héroïque.  A  cette  époque,  le  remplacement  militaire  existai^ 
encore.  Suzzoni,  selon  l'énergique  expression  des  casernes,  vend 
sa  peau  pour  1,200  francs,  et  part  en  laissant  ce  petit  capital  à 
sa  famille,  sans  en  détourner  un  écu.  Plus  tard,  le  père  est 
atteint  de  rhumatismes,  puis  de  cécité  complète.  Son  fils  cadet 
l'abandonne.  Deux  filles,  qui  lui  restent,  lui  sont  plutôt  une 
charge  qu'un  soulagement.  Mais  l'aîné,  soldat  d'élite,  est  devenu 
gendarme;  il  veille  toujours  de  loin  sur  le  vieillard.  A  force  de 
privations  et  par  des  merveilles  d'économie,  il  envoie  de  temps 
à  autre  au  pays  des  sommes  dont  le  chiffre  étonne,  200  francs, 
300  francs,  et,  grâce  à  cet  excellent  fils,  l'aveugle,  qui  est  raor^ 
'année  dernière,  à  l'âge  de  soixante-dix-neuf  ans,  n'a  jamais 
été  dans  le  besoin. 

Je  ne  vous  parle  jusqu'ici,  Messieurs,  que  des  œuvres  de 
bonté  :  je  ne  dois  pas  oublier  que  vous  récompensez  aussi  les 
actions  héroïques. 

Quelle  est  la  source  mystérieuse  et  sacrée  d'oii  jaillisent  l'élan 
irrc>sistible,  l'impulsion  souveraine  qui  provoque  ce  genre  de 
dévouement?  Il  y  a  là,  vraiment,  un  problème  attirant  et  inso- 
luble. Ni  la  raison,  ni  l'analyse  psychologique  ne  parviennent  à 
l'expliquer;  le  seul  sentiment  du  devoir  n'y  suffit  pas  non  plus 
comme  cause.  L'homme  qui  se  dévoue,  celui  dont  toutes  les 
forces  ph3'si(|ues  et  morales  vont  s'appliquer  à  un  si  prodigieux 
effort  tente  presque  toujours  un  résultat  impossible,  et  il  ne 
réussit  qu'en  raison  même  de  cette  impossibilité.  C'est  comme 
un  défi  de  nos  muscles  débiles  aux  puissances  de  la  nature,  une 
lutte  rapide  et  triomphante  avec  la  chimère.  Le  marin  qu 
a  nage  »  vers  le  navire  en  perdition,  le  sauveteur  qui  monte  à 
travers  les  flammes  vers  la  fenêtre  oii  une  grappe  de  créatures 
humaines  est  suspendue  dans  le  vide,  le  passant  qui  se  jette  à 
la  tête  du  cheval  emporté,  ne  prennent  pas  le  temps  de  réfléchir. 


BIBLIOGRAPHIE 


671 


car  s'ils  réfléchissaient,  ils  ne  bougeraient  pas;  ils  no  consul- 
tent pas  leurs  forces,  car  elles  sont  nécessairement  inférieures 
à  de  tels  adversaires,  l'eau,  le  feu,  l'élan  de  la  bête  furieuse. 
Non  !  le  danger  exerce  sur  eux  une  sorte  de  fascination,  et  sitôt 
aperçu,  ils  courent  vers  lui.  Tout  les  retient:  instinct  de  la 
conservation,  vision  d'abandon  et  de  misère  pour  ceux  qu'ils 
aiment.  Un  mobile  plus  fort  les  pousse  en  avant  :  on  ne  sait 
quelle  ivresse,  l'attrait  du  danger,  le  besoin  de  se  mesurer  avec 
la  mort;  et  ils  ramènent  la  vie  avec  eux.  Et  remar'iuez.  Mes- 
sieurs, que  de  telles  actions  sont  le  plus  souvent  individuelles. 
Elles  n'ont  pas,  d'ordinaire,  le  soutien  puissant  de  ces  forces 
organisées  qui  s'appellent  un  régiment  et  un  équipage,  oii  l'hé- 
roïsme collectif  est  relativement  facile;  car  un  commandement, 
sur  une  nature  disciplinée,  supprime  la  réflexion.  Ici,  presque 
toujours,  c'est  le  courage  personnel  qui  voit  et  décide  en  un  clin 
d'oeil  ;  c'est  une  seule  volonté  qui  s'affirme  et  se  déploie. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  (I) 


11.  —  ilLlniannclis.  —  Nous 
recommandons  à  nos  lecteurs 
la  magnifique  collection  des 
Almanachs  édités  par  la  société 
Saint-Augustin  de  Lille  : 
Almanach  catholique,  grand 
in-4",  illustré,  1  franc. 

Almanach    de    la  jeune    fille, 
in-4'»  de  G4  pages,  1  franc. 

Almanach  illustré  des  familles, 
in-4o  de  SS  pages,  50  cpnt. 

Almanach    des  enfants,  grand 
iQ-32,  50  cent. 

Almanach  des  enfants  de  Ma- 
rie, petit  in-4'',  30  cent. 
Almanach    populaire    des  en- 
fants, in-Ls  de  (i4  pages,   15  codI. 
Almanach  j^opulaire,  in-18  de 
64  pages,  10  cent. 
C'est,  on  le  voit,  une  collection 
aussi    variée   que  soigneusement 
mise  à  la  portée  des  ressources  de 
chacun.  Ajoutons  que  le  fond  ré- 
pond à  la  forme,  qui  est  gracieuse 
et  soignée. 


12.  —  Lëfçislîitîon  s«-"é- 
fale  tl«*«  fï«bfî«|ues  de* 
l'^^liNeH  eMllif>liqueti:  de 
France  mise  à  la  portée  de 
tous,  lois,  ordonnances,  dé- 
ciets,  arrêtés,  ciiculaiies,  avis 
et  décisions  de  1789  à  nos  jours, 
avec  notes  explicatives,  tables 
chronologique  et  analytique, 
par  M.  Penel-Beaufin,  commis 
principal  au  ministère  des 
finances,  collaborateur  au  Dic- 
tionnaire des  Lois,  auteur  dou- 
vragf^s  classiques  et  littéraires. 
—  1  vol.  de  262  pages.  Paris. 
1893,  chez  Geffroy.  —  Prix  : 
2  francs. 

Piéf^enter  l'ensemble  de  la  lé- 
gislation des  fabriques  en  un  livre 
à  la  portéf'  de  tous  et  accessible 
à  toutes  Ips  bourses,  tel  est  le  but 
que  l'auteur  s'est  proposé  dans 
le  présent  ouvrnge,  fruit  de  pa- 
tientes et  consciencieuses  recher- 
ches. 


(1}  Il  sera  rendu  compte  de  tout  ouvrage  dont  deux  exemplaires 
ont  été  déposés  dans  les  bureaux  des  Annales  catholiques.  MM.  les 
auteurs  et  MM.  les  éditeurs  sont  priés  d'indiquer  le  prix  des  livres 
qu'ils  envoient.  —  L'administration  des  Atinales  se  charge  de  four- 
nir, au  prix  de  librairie,  les  ouvrages  dont  il  est  rendu  compte  dans 
ce  Bulletin. 


672 


ANNALES  CATHOLIyUES 


Les  fabriques  sont  chargées  de 
l'adriiinistratioa  temporelle  des 
paroisses,  et  par  coasé({ueQt  de 
leurs  revenus,  lesquels  sont  pou 
importants  pour  un  grand  nom- 
bre d'églises.  Avant  1789,  il  est 
vrai,  les  fabriques  avaient  de  bons 
revenus  provenant  de  Taccumu- 
lation  des  dons  légués  à  elles  par 
la  piété  des  fidèles,  mais  la  Révo- 
lution s'empara  des  biens  des  fa- 
briques et  les  déclara  biens  na- 
tionaux comme   ceux  du  clergé. 

Cet  état  ne  fut  d'ailleurs  que 
provisoire,  car  après  la  paix  reli- 
gieuse rendue  à  notre  cher  pays 
par  Bonaparte,  les  fabriques  re- 
couvrèrent une  partie  de  leurs 
biens,  qui  augraeatènmt  progres- 
sivement, grâce  aux  offrandes  des 
catholiques  d'un  côté,  aux  sub- 
ventions de  l'Etat  et  des  com- 
munes de  l'autre.  Cependant,  de- 
puis quelque  temps  déjà,  la  si- 
tuation a  changé  d'une  manière 
sensible,  «^ar  la  loi  du  5  avril  1884 
a  exonéré  les  communes  de  toute 
participation  aux  frais  du  culte, 
et  le  budget  de  l'Elat  ne  porte 
plus  aucun  crédit  pour  subven- 
tions aux  fabriques.  L=>s  fabri- 
ques doivent  donc  maintenant 
trouver  par  elles-mêmes  les  res- 
sources dont  elles  peuvent  avoir 
besoin,  et  il  appartient  aux  fidèles 
de  donner  en  conséquence  pour 
l'entretien  de  leur  culte,  comme 
il  est  intéressant  pour  eux  de 
connaître  les  détails  tie  l'organi- 
sation et  de  l'administration  des 
fabriques. 

Or,  les  fabriques  sont  soumises 
à  diviîrs  r(;giem"nt.s,  diipuisle  dé- 
cret du  30  décomijre  1809,  qui  les 
a  organisées,  jusqu'au  décret  du 
27  mars  189},  relatif  à  leur  nou- 
velle coinpuibilitô  :  cette  règle- 
ra-întation  et  les  rapports  qui 
existent  entre  les  fabriques  et  les 
cures,  les  communes,  etc.,  for- 
ment les  chapitres  de  notre  ou- 
vrage. 

Après  avoir  con-<acré  quelques 
pages  aux  fabriques  en  général 
(chap.  l*""),  au  Concordat  (ch.  2), 


aux  articles  organiques  (ch.  3)  et 
aux  biens  restitués  aux  fabriques 
(ch.  4),  l'auteur  donne  (ch.  5)  les 
113  articles  du  décret  fondamen- 
tal de  1809,  avec  les  nombreuses 
modifications  qu'il  a  subies  de- 
puis cette  époque,  de  manière  à 
avoir  continuellement  sous  les 
yeux  la  législation  actuelle.  Les 
chapitres  suivants  font  connaître 
les  rapports  des  fabriques  avec 
les  cures  et  les  presbytères  (ch.  6), 
les  règlements  concernant  les  sé- 
pultures et  les  pompes  funèbres 
(ch.  7),  la  célèbre  loi  municipale 
de  1884  (ch.  8),  et  celle  du  30  mars 
1887  (ch.  9)  sur  les  monuments 
historiques,  que  les  fabriques  doi- 
vent étudier,  enfin  le  décret  du 
27  mars  1893  et  la  circulaire  qui 
l'accompagne  sur  la  comptabilité 
des  fabriques  (ch.  10;. 

Les  textes,  collationnés  avec 
soin  sur  les  documents  officiels, 
sont  accompagnés  de  notes  expli- 
catives, les  unes  définissant  des 
mots  peu  connus,  les  autres  com- 
plétant les  articles  par  le  résumé 
des  décisions  interprétatives  des 
ministres,  des  tribunaux,  et  no- 
tamment de  la  Cour  de  Cassation 
et  du  Conseil  d'Etat,  qui  jugent 
souverainement.  11  va  sans  dire 
que  dans  le  choix  judicieux  fait 
par  M.  Penel-Boaufin  entre  toutes 
les  décisions  rendues  depuis  près 
d'un  siècle  et  parfois  contradic- 
toires, il  n'a  relaté  que  celles  qui 
pouvaient  être  consultées  avec 
fruit. 

Une  table  chronologique  des 
lois,  arrêtés,  or^lonnances  et  ar- 
rêtés du  Gouvernement,  et  une 
table  analytique  détaillée,  ren- 
dant les  recherches  instantanées, 
terminent  ce  livre,  qui,  nous  le 
croyons,  sera  d'une  grande  uti- 
lité pour  le  public,  ecclésiastique 
ou  laïque,  ami  des  études  sé- 
rieuses. 

Un  appendice  tiendra  constam- 
ment l'ouvrage  au  courant  des 
changements  qui  pourraient  avoir 
lieu. 


Le  gérant  :  P.  Chantrel. 


Paris.  —  Imp.  G.  Picquoin,  53,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


L'ALERTE  DE  1875 

Sous  ce  titre,  le  Correspondant  publie  une  note  retrouvée 
dans  les  papiers  de  M.  Gavard,  dont  nous  avons  eu  le  regret 
d'annoncer  la  mort,  il  y  a  quelques  niois.  Venu  à  Londres, 
■en  1871,  avec  M.  le  duc  de  Broglie,  M.  Gavard  y  était  resté, 
^près  le  départ  du  duc,  faisant  fonction  de  chargé  d'affaires  pen- 
dant l'absence  des  ambassadeurs.  Il  y  était  encore  en  1875,  au 
moment  où  l'on  put  croire  la  paix  de  l'Europe  menacée  par 
M.  de  Bismarck,  etoii  l'intervention  de  la  Russie  écarta  le  péril 
de  la  guerre.  La  France  n'était  pas  représentée  à  ce  moment,  à 
Londres,  par  un  ambassadeur:  M.  de  Jarnac,  qui  occupait  ce 
poste,  venait  de  mourir;  ce  fat  M.  Gavard,  dont  le  tact,  la  sû- 
reté, les  solides  qualités  étaient  fort  appréciés  dans  la  société  de 
Londres,  qui  se  trouva  chargé  de  représenter  les  intérêts  de  la 
France  et  de  la  paix  auprès  du  chef  du  Foreign  Office. 

M.  Gavard  rappelle  d'abord  les  divers  incidents  qui  commen- 
cèrent au  printemps  de  1875  à  alarmer  le  monde  diplomatique. 
Lord  Derby,  qui  était  alors  ministre  des  affaires  étrangères  sous 
la  présidence  de  M.  Disraeli,  y  avait  d'abord  opposé  une  grande 
sérénité  :  M.  Gavard  retrace  les  différentes  entrevues  qu'il  eut 
avec  lui,  et  les  communications  qu'il  lui  fit  pour  ébranler  son 
optimisme  : 

Le  6  mai,  un  mot  particulier  du  duc  Decazes  contenait  le  passage 
suivant:  «  Hohenlohe  vient  de  me  dire,  avant  de  partir  pour  Munich, 
que  M.  de  Bulow  trouve  Gontaut  bien  optimiste  et  que  le  gouverne- 
ment allemand  est  loin  d'être  entièrement  convaincu  du  caractère 
inolfen-eif  de  nos  armements,  i  Cette  commission  me  persuada  que  le 
mouieat  était  venu  de  tout  tenter  pour  faire  sortir  le  gouvernement 
anglais  de  sa  réserve.  Fort  de  ma  conviction,  je  courus  chez  lord 
Derby,  je  lui  parlai  avec  une  émotion  qui  n'était  pas  jouée  ;jecroyai8 
à  un  danger  immédiat,  et  je  m'imaginais  réellement  que  je  pouvais 
être  utilfi  à  mon  pays.  Est-ce  encore  un  effet  de  mon  imagination  ?  je 
crois  avoir  ému  lord  Derby  et  lui  avoir  fait  partager  le  sentiment  qui 
m'animait.  Je  vais  rapporter  ses  paroles  ;  il  faudrait  les  compléter 
par  l'accent  et  le  regard. 

Il  me  répondit  d'abord  que  nos  craintes,  dans  leur  portée  immé- 
diate, n'étaient  pas  partagées  par  lord  Odo  Russell.  D'après  les  ren- 

LXXXVI  —   30  DÉCEMBRE  1893.  49 


674  ANNALES    CATHOLIQUES 

seigaements  qu'il  recevait  de  cet  ambassadeur,  lord  Derby  se  demaD- 
dait  encore  si  le  prince  de  Bismarck  voulait  la  guerre  ou  s'il  ne  lui 
convenait  pas  de  faire  croire  à  tout  le  monde  qu'il  la  voulait.  Il  per- 
sistait à  penser,  d'ailleurs,  que  si  le  chancelier  voulait  la  guerre, 
c'était  contre  l'Autriche  que  ses  premiers  coups  seraient  dirigés.  Il  a 
avoué  toutefois  que  la  pensée  secrète  de  cet  homme,  dont  la  volonté 
est  sans  contrôle,  était  un  sujet  de  grande  perplexité,  et  que  l'Europe 
se  trouvait  ramenée  au  temps  où  son  sort  était  entre  les  mains  du 
premier  Napoléon.  Ces  paroles  m'autorisaient  à  prévoir  le  cas  où  les 
premiers  coups  seraient  dirigés  contre  nous  :  «  Une  semblable  agres- 
sion, dit  lord  Derby,  soulèverait  en  Europe  une  indignation  univer- 
sellp,  et  ce  sentiment  ne  serait  nulle  part  plus  vif  qu'en  Angleterre. 
L'Allemagne  elle-même  ne  saurait  braver  un  pareil  soulèvement  d© 
l'opinion.  »  Comme  je  le  pressais  de  s'expliquer  sur  la  manière  dont 
l'Angleterre  témoignerait  son  sentiment  :  «  Vous  pouvez  compter  sur 
moi,  m'a-t-il  dit,  vous  pouvez  compter  que  le  gouvernement  ne  man- 
quera pas  à  son  devoir.  Je  vous  donne  à  cet  égard  toutes  les  assu- 
rances que  peut  vous  donner  le  ministre  d'un  souverain  constitu- 
tionnel. » 

Le  danger,  m'a-t-il  dit,  c'est  l'idée  fixe  de  Bismarclc  que  la  France 
se  dispose  à  attaquer  l'Allemagne,  et,  malheureusement,  ce  qui 
est  plus  grave,  elle  est  partagée  par  de  Mollke.  Celui-ci  croit  que 
vous  serez  prêts  en  1876,  et  que  le  moment  sera  d'autant  plus  favo- 
rable pour  vous  que  vous  aurez  encore  une  classe  de  vieux  soldats 
ayant  fait  la  gusrre  ;  le  chancelier  croit  que  vous  voudrez  attemire  1877,. 
mais  ils  sont  d'accord  pour  penser  qu'il  faut  vous  prévenir.  Ils  pré- 
tendent que  vous  êtes  les  agresseurs  d'après  cette  théorie,  nouvelle 
dans  leur  bouche,  que  le  véritable  agresseur  est  non  celui  (jiii  attaque,. 
mais  celui  qui  rend  la  guerre  nécessaire,  et  ils  se  proposent,  pour 
résultat  d'une  nouvelle  campagne,  une  accablante  indemnité  avec  une 
occupation  prolongée...  La  garantie  de  la  paix,  c'est  que  la  Russie  ne 
veut  pas  de  la  guerre.  Elle  s'opposerait  à  une  agression  aussi  bien 
d'un  côté  que  de  l'autre.  Vous  savez  ce  que  l'empereur  avait  dit  au 
général  Le  Flô.  J'étais  chargé  de  le  répéter  à  Berlin.  J'ai  vu  le  vieil 
empereur,  qui  a  paru  d'abord  fort  étonné  de  nos  inquiétudes.  Il  ne 
pensait  vraiment  pas  que  la  guerre  fût  imminente,  mais  il  était  le 
seul  aussi  mal  informé  à  Berlin.  II  n'a  donc  pas  été  diificile  de  l'amener 
où  nous  voulions,  après  qu'il  a  été  averti.  Quant  à  Bismarck,  il  sait 
qu'il  ne  peut  ni  attaquer  la  Russie,  à  cause  de  vous,  ni  vous  si  la 
Russie  s'y  oppose.  Je  tiens  donc  la  paix  pour  parfaitement  assurée, 
malgré  des  alertes  qui  peuvent  encore  se  produire,  pour  cette  raison 
que  la  Russie  ne  veut  pas  la  guerre  et  que  ce  n'est  pas,  de  sa  part, 
une  disposition  purement  platonique.  »  Suit  un  examen  des  forces 
rrlatives  des  différentes  pui3!»ances  concluant  à  l'impossibilité  où 
l'Allemagne  se  trouve   placée  d'agir  ni  contre  ni   sans  la   Russie  ou 


l'ai.ertb  de  1875  675 

tout  au  moins  sans  sa  neutralité  bienveillante,  comme  dans  la  dernière 
guerre. 

Il  m'a  ensuite  parlé  de  la  revanche.  11  trouve  naturel  que  le  désir 
de  recouvrer  nos  provinces  perdues  existe  au  fond  de  tout  cœur  fran- 
çais, mais  il  croit  que  nous  ne  pourrons  jamais  la  provoqupr  et  que 
nous  devrons  attendre  l'occasion  qui  s'cfïiira  d'elle-même  d^ns  une 
com|)lication  européenne.  C'est  ainsi  que  l'annulation  du  traité  de 
Pans  a  été  obtenue,  en  1S71,  par  la  Russie,  sans  coup  férir,  après 
quinze  ans  d'attente.  Le  comte  Schouvaloff  amena  ensuite  la  conver- 
sation sur  la  Belgique,  pour  me  dire  qu'une  opinion,  répandue  à 
Berlin  et  partagée  par  des  hommes  très  sérieux,  était  que  Bismarck 
avait  l'idée  d'amener  un  état  de  choses  qui  lui  permît  d'offrir  la  Bel- 
gique à  la  France,  dans  l'espérance  de  nous  désintéressera  ce  prix  de 
la  revanche.  Mais  il  ajoute  qu'il  s'en  était  expliqué  avec  Bismarck  et 
que  celui-ci  avait  désavoué  la  pensée  qu'on  lui  prête. 

Le  comte  Schouvaloft' n'était  pas  seul  à  éprouver  des  appré- 
hensions sur  le  maintien  de  la  paix;  témoin  cette  conversation 
du  duo  de  Cambridge  avec  M.  Gavard  : 

«  Quelle  semaine  nous  venons  de  passer!  Il  est  convenu  que  c'est 
fini  et  que  c'est  la  Russie  qui  a  sauvé  la  paix  de  l'Europe  ;  mais  je 
crois  que  rien  n'est  fini  et  que  tout  recommencera  au  premier  jour, 
et  je  ne  compte  pas  plus  sur  la  Russie  que  sur  les  belles  paroles  de 
son  ambas-sadeur.  —  Laissez-itoi  tout  au  moins  compter  sur  l'Angle- 
terre. —  11  a  repris  alors  avec  une  exclamation  :  t  Que  puis-je  vous 
dire  de  l'Angleterre?  Les  tories  sont  au  pouvoir,  le  danger  est  flagrant, 
tout  le  monde  le  reconnaît,  et  on  nous  refuse  l'argent  sans  leque 
nous  n'avons  pas  d'armée.  » 

Lord  Derby  ajouta  qu'il  avait  parlé  au  comte  Munster  et  qu'il 
lui  avait  dit  ne  pas  comprendre  Tintérêt  qu'avait  le  gouverne- 
ment allemand  à  semer  et  à  entretenir  l'inquiétude  en  Europe. 

Nous  touchions  évidemment  au  point  où  la  crise  devait,  d'une  ma- 
nière ou  d'une  autre,  sortir  de  l'état  d'incubation,  et  je  me  rendis,  le 
^  mai  au  soir,  qui  était  un  samedi,  à  la  réception  de  lord  Derby  avec 
la  ferme  intention  de  provoquer  de  nouvelles  explications.  11  m'en 
épaigna  la  peine.  Dès  qu'il  m'eut  aperçu,  il  vint  à  moi;  le  cercle 
s'élargit  autour  de  nous  par  discrétion.  Chacun  avait  compr's  la  gra- 
vité de  notre  entretien,  surtout  quand,  après  quelques  minutes,  il 
■appela  lord  Lyons,  qui  assistait  à  la  réception,  pour  répéter  devant 
lui  ce  qu'il  venait  de  me  dire.  Il  me  pria  de  répéter  à  mon  gouverne- 
ment q-^e  ses  inquiétudes  étaient  quant  à  présent  dissipées.  11  venait 
de  recevoir  de  lonl  Odo  llussell,  en  réponse  à  ses  dernières  instruc- 
tions, un  télégramme  qui  ne  lui  permettait  pas  de  douter  que  le 
danger  ne  fût  écarté.  11  ajouta  qu'il  ne  s'était  pas  contenté  de  cette 
garantie  et  qu'il  venait,  ce  soir  même,  de  l'inviter,  par  le  télégraphe, 


676  ANNALES    CATHOLIQUES 

â  appuyer,  par  les  plus  énergiques  déclarations,  les  conseils  pacifi- 
ques de  l'empereur  de  Russie.  Il  ne  m'a  pas  dissimulé,  en  effet,  que 
l'action  de  la  Russie  avait  été  plus  efficace  que  celle  de  son  gouver- 
nement dans  cette  crise.  Il  a  ensuite  voulu  me  démontrer  qu'il  n'en 
pouvait  être  autrement,  la  Russie  étant  en  mesure  d'appuyer  par  les 
armes  ses  représentations.  Je  n'ai  pu  m'empêcher  de  lui  répondre 
qu'il  ne  me  paraissait  pas  tenir  assez  de  compte  de  la  marine  de  l'An- 
gletCiTe.  qui  ne  peut  empêcher  une  guerre  d'éclater,  mais  qui  peut 
l'empêcher  de  se  prolonger.  Le  comte  Derby,  après  être  resté  quel- 
ques instants  pensif,  a  repris  en  me  disant  que  l'agression  contre  la 
France,  dans  les  conditions  actuelles,  aurait  soulevé,  dans  le  monde 
entier,  une  réprobation  morale  telle,  qu'elle  aurait  arrêté  le  chance- 
lier de  l'empire  lui-même. 

Le  danger  de  guerre  est  conjuré.  Le  duc  Decazes  adresse  ses 
remercîmenis  à  lord  Derbj  pour  ses  bons  offices  et  l'action  que 
l'Angleterre  avait  exercée  en  faveur  de  la  paix. 

Le  danger  passé,  lord  Derby  devint  de  plus  en  plus  expansif.  Il  me 
dit,  le  4  juin  :  «  Je  crois  réellement  que  notre  intervention  a  con- 
tribué au  maintien  de  la  paix,  et  je  crois  aussi,  quoi  qu'on  en  dise 
ailleurs,  que  le  danger  était  grand.  »  Je  l'interrogeai  sur  les  garanties 
que  l'avenir  nous  présentait  contre  le  retour  d'un  pareil  danger  :  «  Le 
vieil  empereur,  me  répon<lit-il,  ne  veut  plus  de  guerre;  mais  nous 
avons  vu  qu'il  n'était  pas  au  courant  de  ce  qui  se  tramait  autour  de 
lui.  Le  prince  de  Bismarck  la  veut,  et  il  est  pressé  de  la  faire  du 
vivant  de  l'empereur  Guillaume.  Le  prince  impérial  est  un  homm® 
juste,  pas  du  tout  belliqueux;  mais  il  est  poursuivi  de  l'idée  qu'il 
faut  mettre  la  dernièio  main  à  l'unité  allemande  par  la  médiatisation 
des  Etats  qui  conservent  encore  une  apparence  d'autonomie,  et  il 
croit  qu'on  ne  peut  arriver  à  ce  résultat  que  par  une  guerre  étran- 
gère. Pour  le  présent,  il  s'agit  de  ne  pas  laisser  circuavenir  l'esprit 
du  vieil  empereur.  L'Angleterre  a  des  moyens  de  lui  faire  parvenii-  la 
vérité,  et  vous  savez  qu'elle  en  a  usé.  Pour  le  prince  impérial,  c'est 
plus  difficile,  puisque,  malgré  son  antipathie  contre  la  guerre,  il 
arrive  aux  mêmes  conclusions  que  Bismarck.  L'Angleterre  s'est 
entendue  dans  cette  dernière  crise  avec  la  Russie  et  aussi  avec  l'Italie. 
11  est  probable  que  nous  continueronsâ  nous  entendre  avec  la  Russie, 
tant  qu'Alexandre  vivra.  Il  aspire  au  rôle  de  pacificateur  de  l'Europe, 
il  ne  rêve  pas  la  conquête  de  Constantinople;  il  faut  croire  que  sa 
sagesse  l'emportera  sur  les  aspirations  du  peuple  russe  et  sur  les  per- 
fides excitations  du  dehors,  mais  après  lui!  »  Il  me  confirma  ensuite 
que  l'Autriche  n'avait  rien  fait.  Est-ce  par  simple  timidité,  ou  par 
secret  espoir  de  s'entendre  avec  l'Allemagne  ? 

M.  Gavard  avait  vu,  le  12  mai,  le  comte  Schouvaloff,  arrivé 
l'avant-veille  de  Berlin  :  celui-ci  lui  communiqua  une  dépêche 


LES  CURÉS  OU  DESSERVANTS  677 

de  l'empereur  Alexandre,  l'a.'Surant  qn'il  quittait  Berlin  com- 
plètement tran(|uilisé  sur  le  maintien  de  la  paix. 

Le  comte  Schouvaloff,  poursuivant  la  conversation,  ne  dissi- 
mula pas  à  M.  Gavard  qu'on  pouvait  craindre  le  retour  d'un 
incident  pareil  à  celui  qui  venait  d'être  conjuré. 


LES  CURES  OU  DESSERVANTS 

NK  PEUVENT  ÊTRE  NI  COMPTABLES  NI  ORDONNATEURS 
DES  FABKIQUES 

M.  le  ministre  des  cultes,  consulté  sur  le  point  de  savoir  si  les 
curés  ou  desservants  peuvent  exercer  les  fonctions  de  comj)table3 
et  d'ordonnateurs  des  fabriques,  vient  de  répondre  par  les  ins- 
tructions suivantes  : 

En  ce  qui  concerne  les  fonctions  de  comptable,  le  décret  du  30  dé- 
cembre 1809  a  toujours  été  interprété  en  ce  sens  qu'elles  ne  pouvaient 
être  exercées  par  les  curés  et  desservants.  Ou  a  fait  remarquer  notam- 
ment à  ce  sujet  que  l'article  50  de  ce  décret  prévoyant  que  l'une  des 
clefs  de  rarmoiro  à  trois  serrures  doit  être  remise  au  curé  et  l'autre 
au  trésorier,  il  en  résulte  clairement  que  le  curé  ne  peut  être  tréso- 
rier de  la  fal)ri(iue.  (>ette  interprétation,  admise  par  tous  les  auteurs 
et  consacrée  par  la  pratique  constante  de  l'administration  civile  et 
ecclésiastique  depuis  plus  de  quatre-vingts  ans,  ne  saurait  être  con- 
testée aujourd'hui,  où  le  décret  du  27  mars  1893  n'a  fait  que  la 
confirmer. 

En  etl'et,  aux  termes  de  l'article  o  de  ce  décret,  les  fonctions  de 
comptable  de  la  fabrique  sont  remplies  soit  par  les  trésoriers  de  ces 
établissements,  tels  quils  sont  institués  par  le  décret  du  30  décem- 
bre 1809,  soit  par  une  personne  désignée  en  dehors  du  conseil  de 
fabrique  et  qui  prend  le  titre  de  receveur  spécial,  soit  par  le  percep- 
teur de  la  réunion  dans  laquelle  est  située  l'église  paroissiale.  Le 
curé  ou  desservant,  exclu  de  la  première  de  ces  trois  catégories  par 
l'intorprétation  ci-dessus  rappelée  du  décret  de  1809,  ne  .«aurait  évi- 
demment rentrer  dans  aucune  des  deux  autres  (receveur  spécial  ou 
perce[)teur),  puisqu'il  fait  partie  du  conseil  de  fabrique  C)nimo 
membre  de  droit. 

EnfiT  l'article  3  du  même  décret  du  27  mars  1893  ne  peut  laisat-r 
aucun  doute  sur  la  question.  11  est  en  effet  ainsi  conçu  : 

«  Toutefois  les  oblations  et  les  droits  perçus  à  l'occasion  du  culte, 
conformi'raent  aux  tarifs  légalement  appiouvés,  peuvent  être  reçus 
par  le  curé  ou  desservant,  ou  par  l'ecclésiastique  par  lui  délégué, 
moyennant  la  délivrance  aux  parties  d'une  quittance  détachée  d'un 
registre  à  souche,  et  à   la   charge  de  versement  au  comptable  de  la 


678  ANNALES    CATHOLIQUES 

fabrique  tous  les   mois,   et  plus  fréquemment,  s'il  en  est  ainsi  décidé 
par  l'évéque. 

«  Ce  versement  est  effectué  tant  en  deniers  qu'en  quittances, 
d'apiés  la  répartition  prévue  auxdits  tarifs,  et  constatée  au  moyen 
d'un  état  dressé  par  le  curé  ou  desservant  et  approuvé  par  le  prési- 
dent du  bureau  des  marguilliers...  » 

Il  résulte  de  cet  article  que  ce  n'est  que  pour  des  objets  déter- 
minés dans  des  limites  précises,  et  à  titre  tout  à  fait  exception- 
nel, que  le  curé  ou  le  desservant  peut  recevoir  des  deniers 
entre  ses  mains.  Il  a  ensuite  à  rendz-e  compte,  à  des  époques 
périodiques,  de  ces  deniers  exceptionuellement  reçus.  Le  décret 
a  donc  clairement  indiqué  qu'il  ne  pouvait  remplir  d'une 
manière  générale  les  fonctions  de  comptable. 

Quant  aux  fonctions  d'ordonnateur,  le  décret  du  30  décembre  1809 
les  confie  au  président  du  bureau  des  marguilliers,  a  chargé  de 
signer  tous  les  mandats  »  (art.  28),  et  le  décret  du  27  mars  1S93  a 
reproduit  cette  disposition  (art.  2.) 

Or  la  jurisprudence  interprétative  du  décret  du  30  décembre  1809 
a  toujours  interdit  le  cumul  des  fonctions  de  curé  ou  desservant  et 
de  président  du  bureau  des  marguilliers,  «  puisque,  aux  termes  des 
articles  .50,  o5  et  56,  le  curé  et  le  président  du  bureau  snnt  appelés 
chacun  à  avoir  une  clef  de  l'armoire  à  trois  clefs,  à  signer  les  inven- 
taires et  récolements,  à  signer  et  à  certifier  les  pièces,  double  garan- 
tie qui  cesserait  d'exister  si  le  curé  pouvait  réunir  à  ses  fonctions 
celles  de  président  du  bureau.  »  (Avis  du  Conseil  d'Etat  du  7  fé- 
vrier 1867.) 

L'article  3  du  décret  de  1893  est  d'ailleurs  une  nouvelle  preuve  de 
.  l'impossibilité  du  cumul.  Le  curé  ou  desservant  n'est  pas,  il  est  vrai, 
et  ne  peut  être  comptable  pour  l'ens-emble  des  opérations  de  la 
fabrique,  mais  il  n'en  a  pas  moins,  dans  les  limites  indiquées  ci-dessus, 
la  responsabilité  de  certains  fonds  et  il  lui  est  par  conséquent  impos- 
sible, aux  termes  des  règles  générales  sur  la  comptabilité  publique, 
d'être  ordonnateur. 

Au  surplus,  le  paragraphe  2  de  cet  article  dispose  que  les  verse- 
ments effectués  par  le  curé  ou  desservant  sont  constatés  «  au  moyen 
d'un  état  dressé  par  le  cure  ou  det^servant  et  approuvé  /or-  le  prési- 
dent du  bureau  des  marguilliers.  » 

11  est  donc  bien  certain  que  le  curé  ou  desservant  ne  peut  être 
lui-même  ce  président. 

Pour  ces  divers  motifs,  les  nominations  de  curés  ou  desservants 
en  qualité  de  comptables  ou  d'ordonnateurs  des  fabriques  ne  sau- 
raient être  acceptées. 

En  reproduisant  ces  instructions,  dont  il  serait  imprudent  de 


LES  TIMBRES  DE  QUITTANCK  07'J 

ne  pas  tenir  compta,  nous  exprimons  notre  profond  regret  de 
voir  (jue  la  fonction  d'ordonnateur  edt  interdite  à  ceux  qui,  dans 
un  grand  nombre  de  petites  paroisses,  seraient  seuls  capables 
de  la  bien  remplir. 


LE  TIMBRE  DES  QUITTANCES 

DKIJVRKES    PAR    LES    COMPTABLES    DE»    FABRIQUES 

M.  le  Directeur  général  de  l'Enregistrement  a,  le  7  août  1893, 
adressé  à  M.  le  Directeur  général  de  la  comptabilité  publique, 
une  lettre  qui  donne  les  lieux  solutions  suivantes  : 

1"  Les  (juittances  délivrées,  à  partir  du  l*^""  janvier  1894,  par 
les  comptables  directs  ou  auxiliaires  des  fabriques  seront  assu- 
jetties au  timbre  de  25  centimes,  comme  émanant  de  comptables 
publics,  quel  que  soit  le  caractère  des  deniers  recouvrés; 

2"  Mais  seront  exempts  d'impôt,  comme  documents  d'ordre 
intérieur,  les  récépissés  aux(|uels  donneront  lieu  les  mouve- 
ments de  fonds  entre  les  régisseurs  et  le  comptable  en  titre,  et 
les  (juiltances  qui  seront  délivrées  par  le  trésorier  de  la  fabrique 
pour  les  sommes  extraites  de  la  caisse  à  trois  serrures  ou  (jui 
lui  seront  remises   pour  les  sommes  versées  dans  cette  caisse. 

Voici  eu  quels  termes  s'exprime  M.  le  Directeur  général  de 
l'Enregistrement: 

L'article  78  de  la  loi  de  finances  du  2G  janvier  1892,  porte  que,  «  à 
partir  du  l"""  janvier  1893,  les  comptes  ci  budgets  des  fabriques  et 
consistoires  seront  soumis  à  toutes  les  règles  de  la  comptabilité  des 
autres  fttablissements  publics  ». 

Les  dccreis  du  27  mars  1893,  rendus  pour  son  exécution,  disposent 
en  consf'quence  que  les  comptes  des  comptables  des  fabriques  et 
consistoires  seront  jug-^s  et  apurés  (lar  les  conseils  de  préfeciure  ou 
par  la  Cour  des  comptes,  selon  les  distinctions  applicables  aux 
comptes  des  établissements  de  bienfaisance. 

Vous  pensez  que,  dans  ces  conditions,  les  quittances  délivrées  par 
les  comptables  des  fabriques  et  onsistoires  devront  être  revr'tues  du 
droit  de  timbre  de  0  fr.  25  à  partir  du  1«''  janvier  1894,  date  de  la 
mise  on  vigueur  du  nouveau  régime. 

Vous  ajoutez  que,  ce  point  admis,  la  question  se  présente  de  savoir 
à  quel  traitement  seront  assujetties  les  quittances  données  aux  par- 
ties lors  du  versement  des  oblations  et  droits  perçus  à  l'occasion  des 
cérémonies  du  culte  (ait.  3  du  décret),  quittances  qui  comprendront 
à  la  fois  la  part  allouée  à  la  fabrique  ou  consistoire  et  celle  revenant 
aU  clergé    et    aux    serviteurs    de    l'église,    c'est-à-dire    des    deniers 


680  ANNALES    CATHOLIQUES 

puljlics  et  des  deniers  privés.  Vous  vous  demandez  si  le  droit  de 
timbre  ne  devrait  pas  varier,  en  ce  qui  les  concerne,  d'après  l'impor- 
taiice  de  chacun  des  éléments  dont  elles  se  composent:  le  timbre  de 
0  fp.  25  étant  exigible  si  la  part  attribuée  au  budget  de  la  fabrique 
excède  10  fr.;  le  droit  de  timbre  de  0  fr.  10  étant  seul,  au  contraire, 
susceptible  d'être  perçu  toutes  les  fois  que  cette  part  sera  inférieure 
à  10  fr.,  mais  que  le  total  de  la  quittance  dépassera  cette  somme. 

Enfin,  vous  exprimez  l'avis  que  les  récépissés  auxquels  donneront 
lieu  les  mouvements  de  fonds  entre  les  régisseurs  et  le  comptable  en 
titre  et  ceux,  qui  seront  délivrés  par  le  trésorier  pour  les  sommes 
extraites  de  la  caisse  à  trois  serrures  ou  qui  lui  seront  remis  pour  les 
sommes  versées  dans  cette  caisse,  seront  exempts  d'impôt  comme 
documents  d'ordre  intérieur. 

Sur  ce  deruier  point, je  partage  absolument  votre  manière  devoir. 
Il  est  admis  sans  difficulté  que  les  récépissés  dont  il  s'agit  échappe- 
ront à  toute  perception,  puisqu'ils  seront  échangés  entre  les  agents 
d'un  même  service  pour  l'ordre  de  la  comptabilité. 

D'autre  part,  il  est  également  certain  que,  du  moment  où  les  tré- 
soriers des  fabriques  et  cnnsistoires  seront  tenus  de  rendre  compte  de 
leurs  recettes  à  l'autorité  publique,  ils  devront  être  considérés 
comme  rentrant  dans  la  catégorie  des  comptables  publics  que  vise 
l'article  4  de  la  loi  du  8  juillet  1865,  et,  par  voie  de  conséquence, 
quo  les  quittances  qu'ils  donneront  en  cette  qualité  seront  passibles 
du  droit  de  timbre  de  G  fr.  25  (Sol.  19  juillet  1877,  Dalloz.  Pério- 
dique, 1878,  3,  56). 

Mais  il  n'y  aura  aucune  distinction  à  établir  entre  les  diverses 
quittances  qu'ils  peuvent  être  appelés  à  délivrer.  Dès  l'instant  qu'elles 
émaneront  d'un  comptable  public  et  qu'elles  auront  pour  objet  de 
constater  une  recette  dont  il  sera  chargé,  elles  seront  assujetties  au 
timbre  de  0  fr.  25,  sans  qu'il  y  ait  lieu  de  se  préoccuper  de  l'objet 
de  la  recette  et  du  caractère  des  deniers  recouvrés;  l'article  4  de  la 
loi  de  1865  s'applique,  en  effet,  aux  «  quittances  des  produits  et  re- 
venus de  toute  nature  délivrées  par  les  comptables  de  deniers 
publics  ». 

Dans  cet  ordre  d'idées,  il  a  été  décidé  notamment  :  l"  que  les  quit- 
tances délivrées  par  les  receveurs  d'hospices  d'aliénés  aux  personnes 
qui  effectuent  à  leur  caisse  des  versements  prévus  par  l'article  4  de 
la  loi  du  30  juin  1S38,  pour  le  compte  d'aliénés  pourvus  d'un  admi- 
nistrateur provisoire,  donnent  ouverture  au  droit  de  timbre  de  Ofr.  25 
(dée.  min.  14  août  1865),  et  2»  qu'il  en  est  de  même  des  quittances 
données  aux  patrons  des  enfants  assistés,  lors  du  versement  des 
gages  dus  à  ces  enfants  entre  les  mains  des  agents  de  l'assistance 
publique  (déc.  min.  10  juin,  16  octobre  1886  et  10  mai  1887;  Instr. 
n"  2745-8). 

11  serait,  du   reste,  contraire  aux   règles  les  plus   certaines  de  la 


LES    TIMBRES  UE    QUITTANCES  681 

perception    de   décomposer  un    écrit  pour  déternainer   la   quotité  du 
tarif  applicable. 

Oq  doit  doac  reconnaître  que  la  quittance  unique  délivrée  par  un 
comptable  direct  ou  auxiliaire  d'une  fabrique  aura  à  supporter  le  droit 
de  timbre  de  0  fr.  25,  quand  la  somme  globale  dépassera  10  fr.,  et  cela, 
alors  même  que  cete  somme  comprendrait  des  fonds  revenant  priva- 
tivement  au  clergé  et  aux  serviteurs  de  l'église. 

Cette  lettre  delà  direction  générale  de  l'enregistrôment  avait 
été  prédite  par  les  principaux  auteurs  du  décret  du  27  mars  1893, 
Dans  leur  Manuel  de  la  comptabilité  des  fabriques  (p.  160), 
MM.  Marques  di  Braga,  conseiller  d'Etat,  et  Théodore  Tissier, 
auditeur  au  Conseil  d'Etat,  disaient  :  «  Sous  le  régime  nouveau 
et  en  raison  de  l'application  aux  fabriques  des  régies  de  la 
comptabilité  publique,  l'on  peut  se  demander  si  les  quittances 
délivrée.^  par  les  comptables  des  fabriques  ne  doivent  pas  sup- 
porter le  droit  de  timbre  de  vingt-cinq  centimes  établi  sur  les 
quittances  de  produits  et  revenus  de  toute  nature  délivrées  par 
les  comptables  de  deniers  publics  (Loi  du  23  aoiit  1881,  art.  2 
et  20).  L'administration  de  l'enregistrement  seule  compétente 
aura  à  donner  des  instructions  sur  ce  point.  » 

Maintenant  que  l'administration  de  l'enregistrement  a  parlé, 
les  tribunaux  judiciaires  pourraient  bien  avoir  à  leur  tour 
quelque  compétence  pour  dire  si  les  débiteurs  de  l'église  se 
trouvent  régulièrement  frappés  d'un  nouvel  impôt. 

Rien  n'est  moins  «  certain  »,  quoi  qu'en  dise  M.  le  Directeur 
général  de  l'enregistrement,  que  l'assimilation,  à  ce  point  de 
vue,  des  comptables  des  fabriques  aux  comptables  des  deniers 
publics.  En  sens  contraire,  dès  le  lendemain  de  la  publication 
du  décret  du  27  mars  1893,  un  jurisconsulte  distingué,  M.  J. 
Marie,  avocat,  professeur  de  droit  administratif  à  la  Faculté  de 
droit  de  Rennes,  donnait  une  forte  argumentation  qu'il  est  op- 
portun de  reproduire  (1)  : 

Toute  quittance,  tout  reçu  d'objets,  de  sommes  ou  de  valeurs,  déli- 
vrés par  un  particulier,  sont  soumis  à  un  droit  de  timbre  de  10  cen- 
times, sauf  les  exceptions  déterminées  par  la  loi.  Quant  aux  quit- 
tances de  produits  et  revenus  délivrées  par  les  comptables  de  deniers 
publics,  lo  droit  de  timbre  est  de  25  centimes  et  la  délivrance  de  la 
quittance  est  obligatoire;  le  prix  du  timbre  s'ajoute  de  plein  droit  au 
montant  de  la  somme  due  et  est  soumis  au  même  mode  de  recouvre- 
ment. 

Or,  jusqu'à  présent   les  quittances  données  pa;  les  trésjrieis  de» 

(1)  De  la  comptabilité  des  fabriques,  page  146, 


682  ANNALBS    CATHOLIQUES 

fabriques  ont  été  regardées  comme  soumises  au  droit  de  10  centimes 
applicable  à  toutes  les  quittances  en  général.  L'administration  de 
l'enregistrement  l'avait  formellement  décidé  ainsi  par  une  solution  en 
date  du  9  juillet  1877.  En  doit-il  être  encore  de  même  à  l'avenir?  La 
question  est  fort  délicate;  car  les  raisons,  données  à  l'appui  delà 
solution  qui  a  été  suivie  précédemment,  ne  semblent  plus  pouvoir 
être  invoquées  sous  l'empire  du  décret  du  27  mars  1893.  Que  disait-on 
en  pffet  autrefois?  Que  les  fabriques  ne  sont  pas  placées,  quant  à 
leurs  comptes,  sous  la  surveillance  de  l'autorité  administrative;  que 
ni  l'article  375  du  décret  du  31  mai  1862,  ni  le  titre  V  de  ce  décret 
sur  Ips  comptabilités  spéciales  ne  mentionnent  les  comptables  des 
fabriques,  que  ces  comptables  ne  sont  donc  point  des  comptables  de 
deniers  publics.  Mais  aujourd'hui  que  les  règles  ordinaires  de  la 
comptabibité  publique  ont  été  étendues  aux  fabriqu>'s,  que  leurs  tré- 
soriers et  receveurs  spéciaux  doivent  rendre  compte  aux  conseils  de 
préfecture  ou  à  la  Cour  des  comptes,  ne  faut-il  pas  assimiler  ces  tré- 
soriers et  receveurs  à  tous  les  comptables  publics  et  par  conséquent 
sounipttie  dorénavant  au  droit  de  timbre  de  25  centimes  les  quit- 
tances délivrées  par  les  fabriques?  N'est  ce  pas  là  le  résultat  forcé  du 
nouveau  régime  de  comptabilité? 

Je  ne  le  crois  pas  et,  jusqu'à  ce  qu'il  en  ait  été  autrement  ordonné 
par  le  législateur,  j'estime  que  le  droit  de  timbre  de  10  centimes  est 
toujours  le  seul  droit  applicable,  selon  les  règles  ordinaires,  aux 
quittances  délivrées  par  les  trésoriers  et  comptables  des  fabriques, 
sans  aucune  distinction  entre  ces  conaptables.  Sans  doute  les  fabri- 
ques sont  des  établissements  publics,  ayant  une  existence  légale  et 
chargés  d'un  service  reconnu  par  la  loi  ;  mais  si,  pour  la  forme  et  le 
contrôle,  leur  comptabilité  est  soumise  à  toutes  les  règles  de  la  comp- 
tabilité des  autres  établissements  publics,  cette  assimilation  n'a  pas 
nécessairement  et  légalement  donné  à  leurs  deniers,  au  point  de  vue 
de  l'impôt  du  timbre,  le  caractère  de  deniers  publics.  Il  est  certain 
que  ni  la  loi  du  8  juillet  1865,  art.  4.  ni  la  loi  du  23  aoiît  1871, 
art.  2,  ne  comprenaient  les  comptables  de  deniers  des  fabriques  ;  que 
l'administration  des  finances  a  constamment  et  explicitement  exclu 
les  trésoriers  des  fabriques  du  nombre  des  comptables  de  deniers 
publics. 

Or,  dans  un  intérêt  général  et  communal,  la  loi  a  bien  su  assujettir 
les  trésoriers  des  fabriques  au  contrôle  et  au  jugement  de  l'autorité 
administrative;  elle  aurait  pu  astreindre  ces  trésoriers  à  ne  délivrer 
de  quittances  que  moyennant  l'acquit  d'un  droit  de  timbre  de  25  cen- 
times. Mais  elle  ne  l'a  point  fait  jusqu'ici,  et  seule  la  loi  pourrait  le 
faire,  car  il  n'appartient  qu'au  législateur  seul  d'établir  un  impôt. 
Un  simple  décret  même  en  Conseil  d'Etat,  une  décision  de  l'adminis- 
tration de  l'enregistrement  ne  suffiraient  point  ;  car  il  s'agit  bien, 
non  pas  d'une  interprétation,  d'une  application  d'une  loi  existante  ; 


LES    TIM15KES    DE    QUITTANCES  683 

il  8'iigirait  en  réalité  de  créer  une  situation  nouvelle,  crimprirner  aux 
deniers  des  fabii(iue3  un  caractère  diffôront  de  celui  (jui  leur  a  été 
officiellement  reconnu  durant  plus  de  trois  quarts  de  siècle.  Pour  le 
recouvrement  de  leurs  deniers,  les  fabriques  ne  jouissent  |)asdos  faci- 
lités accordées  à  l'Etat,  aux  communes,  aux  bureaux  de  bienfaisance. 
Comment  dès  lors  pourrait-on,  par  induction,  appliquer  aux  quit- 
tances de  ces  deniers  un  droit  que  l'article  4  de  la  loi  du  8  juillet  1865 
déclare  formellement  soumi!;  au  même  mode  de  recouvremenf.  que  la 
somme  principale  elle-même?  Le  texte  rigoureusement  iuteri)rété 
les  principes  les  plus  indiscutables  en  matière  d'impôt  et  de  compta- 
bilité, sopposent  à  ce  résultat.  La  comptabilité  des  fabriques  est  AQ' 
\enup.,  pour  sa  forme  r-  (jhmentaire,  une  comptabilité  publique;  ni 
pour  le  mode  de  la  perception,  —  ni  pour  l'impôt,  —  ni  pour  les 
garanties  de  l'hypothèque  légale,  les  deniers  des  fabriques  ne  sont 
des  deniers  publics,  actuellement  du  moins,  en  l'absence  d'un  texte 
législatif  précis. 

La  règle  est  la  même,  quand  la  comptabilité  est  gérée  par  le  per- 
cepteur; car  celui-ci  gère  aux  lieu  et  place  du  trésorier  et  en  l'absence 
d'un  receveur  spécial  ;  or,  ce  qui  doit  être  envisagé  pour  la  solution 
de  la  (juestion  du  droit  de  timbie,  ce  n'est  pas  la  personne  du  comp- 
table considéré  individuellement,  mais  la  qualité  légale  et  nécessaire 
de  comptable  de  deniers  publics. 

Les  quittances  délivrées  parles  fabriques,  aussi  bien  que  les  quit- 
tances délivrées  aux  fabriques  sont  donc,  jusqu'à  ce  que  le  législateur 
en  ait  décidé  autrement,  soumises,  [ïour  la  quotité  et  le  paiement  du 
droit  de  timbre,  aux  règles  ordinaires  applicables  aux  quittances 
entre  particuliers. 

Depuis  la  lettre  du  7  aoùf  1893,  la  même  thèse  a  été  soutenue 
par  un  spéciali.^te  de  haute  valeur  en  matières  de  questions 
fiscales.  M.  A.  Robert,  qui  a  donné  tant  de  preuves  de  compé- 
tence et  d'habileté  en  dirigeant  la  défense  des  communautés  re- 
ligieuses contre  le  droit  d'accroissement,  vient  de  rédio-er  la  re- 
marquable note  que  voici  : 

;M.  le  Directeur  général  de  l'Enregistrement,  par  lettre  du  7  août 
1893,  adressée  à  M.  le  Directeur  général  de  la  comptabilité  publique 
a  décidé  qu'en  principe  les  quittances  délivrées  par  les  comptables 
directs  ou  indirects  des  fabriques,  seront  passibles  du  droit  de  timbre 
de  0  fr.  2o,  lorsque  la  somme  excédera  10  francs,  quel  que  soit  le 
caractère  des  deniers  recouvrés. 

Malgré  l'approbation  donnée  par  les  journaux  spéciaux  d'Enregis- 
trement, cette  solution  nous  paraît  absolument  illégale.  Elle  dénote 
dès  avant  la  mise  à  exécution  de  la  loi,  l'esprit  de  tracasserie   et  de 
fiscalité  dont  nos  honnêtes  mais  inexpérimentés  trésoriers    des   fabri- 
ques d'églises  de  campagne  vont  être  incessamment  victimes,  lorsque 


684  ANNALES    CATHOLIQUES 

leurs  conoptfts  seront  vérifiés  aux  secrétariats  des  conseils  de  préfec- 
ture. Pour  des  timbres  de  quittance  insuffisants  ou  annulés  irrégu- 
lièrement, il  pleuvra  des  réclamations  d'amendes  s'élevant  â  62  fr.  50, 
Il  est  certain  qu'à  la  première  menace  ou  vexation  de  ce  genre,  le 
petit  propriétaire  ou  fermier  donnera  sa  démission.  Le  service  sera 
alors  remis  au  percepteur,  qui,  lui,  timbrera  trois  fois  plutôt  qu'une. 

Est-il  vrai  que,  par  la  seule  promulgation  de  l'article  78  de  la  loi 
du  26  janvier  1892  et  du  décret  du  27  mars  1893,  les  trésoriers  des 
Fabriques  soient  transformés,  à  partir  du  i**"  janvier  1894,  en  comp- 
ta'oles  de  deniers  publics? 

Nous  répondons  NON  sans  hésiter,  parce  que,  ni  au  fond  ni  en  la 
forme,  il  n'y  a  de  deniers  publics,  si  ce  n'est  ceux  qui  sont  perçus  en 
vertu  de  la  loi  budgétaire.  Qu'on  le  remarque  bien,  en  se  reportant  au 
Journal  officiel  ;  ce  ne  sont  pas  seulement  les  contributions  au  profit 
de  l'Ktat,  des  départements,  des  communes,  qui  sont  inscrites  an- 
nuellement au  budget;  il  y  figure  aussi  toute  une  nomenclature  de 
recettes  au  profit  d  une  foule  d'autres  établissements  publics,  bureaux 
de  bienfaisance,  chambres  de  commerce,  établissements  scientifi- 
ques, etc.,  etc.  Voilà  les  véritables  deniers  publics:  il  n'y  en  a  pas 
d'autres.  Les  fabriques  ne  sont  jamais  bénéficiaires  directs  d'impôts, 
de  deniers  publics  votés  par  le  Parlement.  11  est  absolument  inexact, 
il  est  contraire  aux  données  les  plus  élémentaires  du  droit  adminis- 
tratif, que  la  redevance  payée  par  moi,  pour  ma  chaise  ou  mon  banc 
à  réglisse,  constitue  les  deniers  publics  et  soit  recouvrée  en  vertu  de 
la  loi  budgétaire. 

Ces  principes  incontestables  ont-ils  reçu  une  modification  de  par  la 
loi  et  le  décret  précités  ?  Le  caractère  des  deniers  n'a  pu  changer, 
pas  plus  que  l'ordonnateur  du  budget  des  fabriques  :  ce  qui  a  seul 
changé,  c'est  la  forme  de  la  comptabilité,  c'est  le  nom  de  l'autorité 
qui  décharge  le  comptable.  Or,  comment  est  conçu  l'article  4  de  la 
loi  du  S  juillet  1865?  Le  timbre  des  quittances  des  produits  et  revenus 

de  toute  nature,  délivrés  par  les  comptables  de  deniers  publics 

La  loi  ne  dit  pas  :  des  comptables  qui  sont  soumis  aux  formes  de  la 
com'ptabilité  publique.  Elle  dit:  les  comptables  de  deniers  publics. 
Avant  comme  après  le  l*"" janvier  1894  un  trésorier  de  fabrique  n'a 
pu  et  ne  peut  être,  par  sa  charge  de  trésorier,  un  comptable  de  de- 
niers publics.  Ce  ne  sont  pas  les  quelques  solutions  ou  décisions  mi- 
nistérielles invoquées  dans  la  lettre  du  7  août  1893,  qui  pourraient 
dénaturer  cette  vérité  incontestable.  Outre  que  plusieurs  do  ces  déci- 
sions concernent  manifestement  des  deniers  publics,  elles  n'ont  en 
principe  aucune  autorité  juridique.  Comme  le  disait  M.  Blanche, 
avocat  général,  devant  les  chambres  réunies  de  la  Cour  de  Cassation  : 
«  Les  interprétations  ministérielles,  comme  les  solutions  de  l'admi- 
nistration, ne  sont  que  l'expression  d'une  pensée  individuelle  sans 
autorité  devant  les  tribunaux,  et  auxquelles  vous  ne  vous  êtes  jamais 


LES    TIMBRES  DE    QUITTANCES  685 

arrêtes.  Elles  sont,  d'ailleurs,  presque  toujours  déterminées,  dans 
chaque  affaire,  par  des  circonstances^le  fait  qui  ne  permettent  pas  de 
les  invoquer  oomme  des  règles  de  droit  gouvernant  tous  les  cas  ana- 
logues. »  (Suey,  1874.  1.392;. 

Nous  ne  voulons  pas  insister  ici  sur  les  tristes  circonstani^es  défait 
qui,  depuis  quelques  années,  inspirent  à  l'Administration  de  l'Enre- 
gistremeut  des  décisions  manifestement  hostiles  au  culte  catholique. 
Mais  dans  la  décision  du  7  août  189.:J,  s'agit-il  seulement  de  l'intérêt 
des  débiteurs  de  fabriques?  Nous  croyons  qu'il  y  a  quelques  raisons 
d'en  douter. 

1"  Il  y  a  plus  de  petites  bourses  que  de  grandes.  Avec  le  poids 
toujours  croissant  des  impôts  et  la  diminution  constante  des  revenus 
fonciers,  l'obligation  s'impose  pour  beaucoup  de  compter  de  plus  en 
plus  stiictement.  On  donnera  de  très  mauvaise  grâce  25  centimes 
pour  le  timbre  dont  le  coût  entrera  dans  la  caisse  de  l'État,  et  la  plu- 
part, sinon  tous,  donneront  aux  quêtes  50  centimes  de  moins  qui 
n'entreront  pas  dans  la  caisse  de  la  fabrique. 

2*^  Kn  Normandie  (ce  n'est  que  là  que  de  pareils  procès  peuvent 
naître)  on  a  vu  récemment  une  instance  relativement  colossale  surgir 
et  se  poursuivre  en  première  instance  et  devant  les  deux  chambres 
de  la  Cour  suprême,  entre  un  avoué  et  la  Caisse  des  dépôts  et  consi- 
gnations, pour  faire  décider  à  qui  incombait  la  dépense  du  timbre  de 
quittance  de  10  centimes.  La  Chambre  civile  de  la  Cour  de  Cassation 
a  condamné  la  Caisse  des  consignations.  Il  serait  très  fâcheux  que  la 
charge  d'un  procès  analogue,  surtout  entre  paroissien  et  fabrique, 
au  sujet  de  la  légalité  du  timbre  de  0  fr.  25,  tombât  sur  une  seule 
petit(3  église  de  campagne. 

3"  Dans  beaucoup  de  cas,  pour  se  décharger  de  ce  timbre  de  0  fr.  25, 
des  paroissiens  économes  imposeront  un  surcroît  de  travail  au  tré- 
sorier, en  exigeant  plusieurs  quittances  au  lieu  d'une  seule.  Exemple  : 
Monsieur  a  trois  chaises,  pour  sa  femme,  sa  fille  et  lui,  à  5  fr.  la 
chaise.  Pour  ne  pas  payer  13  fr.  25,  il  demandera  trois  quittances  de 
5  fr.  délivrées  individuellement  à  Monsieur,  à  Madame,  à  Mademoiselle. 
40  Sous  certains  rapports,  il  est  du  plus  haut  intérêt  pour  les  tré- 
soriers de  fabrique  de  ne  pas  être  assimilés  aux  comptables  de  deniers 
publics  ou  communaux.  Qu'on  lise  lise  l'article  174  du  Code  pénal, 
lequel,  d'accord  avec  un  article  de  la  loi  budgétaire  annuelle,  punit 
théoriquement  les  comptables  de  deniers  publics  ou  communaux  qui 
sciemment  auraient  trop  perçu.  Dans  certains  cas  où  les  obligations 
auraient  été  exigées  au-delà  du  tarif  authentiquement  approuvé  par 
l'évêque,  il  suffirait  du  concours  d'un  tyranneau  du  village  malveil- 
lant et  d'un  magistrat  incapable  pour  faire  traduire  en  cour  d'assises 
on  honnête  trésorier  qui  aurait  consenti,  avec  tous  les  autres^  à  se 
laisser  assimiler  à  un  comptable  de  deniers  publics. 


ANNALES    CATHOLIQUES 

Quel  serait  le  moyen  d'éviter  ces  incoavénieats  et  de  ne  pas  subir 
une  nouvelle  illégalité  ? 

Vuici  ce  que  nous  proposons,  sauf  meilleur  avis  : 

1°  Dès  le  3  janvier  1894,  soumettre  à  l'enregistrement,  dans  le  res- 
sort de  ce  tribunal  une  quittance  de  trésorier  de  fabrique  délivrée  la 
veille  sur  timbre  de  10  centimes,  avancer  l'amende  de  02  fr.  50,  avec 
le  droit  minime  de  quittance  et  assigner  le  lendemain  en  restitu- 
tion de  l'amende  ; 

3°  Jusqu'à  la  solution  de  ce  procès,  continuer  partout  à  procéder 
commp  par  le  passé,  en  délivrant  les  quittances  supérieures  à  10  fr.. 
sur  timbre  de  10  centimes. 

Contre  les  abus  d'un  pouvoir  quel  qu'il  soit,  contre  la  législation 
des  grands  ou  des  petits  sectaires,  des  Brisson  ou  des  César  Duval 
l'énergie  peut  beaucoup,  peu  même  tout.  Tout  serait  compromis  par 
la  faiblesse  des  compromissions  et  des  soumissions. 

Nous  n'hésitons  pas  à  penser,  comme  M.  Robert,  que  les 
tribunaux  Judiciaires  doivent  être  saisis  de  la  question  dès  les 
premiers  jours  de  l'application  de  la  nouvelle  législation  des 
fabriques. 

Mais  nous  n'allons  pasjusqu'à  conseiller,  en  attendant  la  dé- 
cision de  la  Cour  de  cassation,  «  de  continuer  partout  à  procé- 
der comme  par  le  passé,  en  délivrant  les  quittances  supérieures 
à  10  francs  sur  timbre  de  10  centimes.  »  A  vrai  dire,  ce  qui 
nous  détourne  d'adopter  cette  proposition  de  M.  Robert,  c'est 
ce  que  M.  Robert  lui-même  soutient  au  commencement  de  sa 
consultation,  savoir  :  que  l'administration  de  TeDregistrernent 
s'inspire  d'un  esprit  de  tracasserie  et  de  fiscalité  dont  nos  hon- 
nêtes mais  inexpérimentés  trésoriers  des  fabriques  d'églises  de 
campagne  vont  être  incessamment  victimes;  que,  pour  des 
timbres  de  quittance  insuffisants  ou  annulés  irrégulièrement,  il 
pleuvra  des  réclamations  d'amendes  s'élevant  à  62  fr.  50  ;  qu'à 
la  première  menace  ou  vexation  de  ce  genre,  le  petit  proprié- 
taire ou  fermier  donnera  certainement  sa  démission;  qu'alors  le 
service  sera  remis  au  percepteur  qui,  lui,  timbrera  trois  fois 
plutôt  qu'une. 

Il  V  a  là  des  perspectives  qui  ne  sont  pas  rassurantes  et  qu'un 
long  procès  ne  fera  pas  disparaître.  La  question,  si  importante 
qu'elle  soit,  n'a  pas  cependant  ce  degré  de  gravité  qui  permet- 
trait (le  courir  de  tels  risques. 

Certes,  qu'on  engage  un  de  ces  bons  débats  normands  qui 
finissent  par  avoir  raison  des  prétentions  de  la  direction  de 
l'enregistrement!  nous  le  souhaitons  vivement.  Mais, jusqu'à  la 


jotJRNAL  d'un  pèlerin  687 

solution  du  procès,  si  l'administration  ne  suspend  pas  la  mise  à 
■exécution  de  sa  décision  du  7  août  1893,  nous  pensons  que  les 
comptables  des  fabriques  agiront  sagement  en  employant  le 
timbre  de  25  centimes.  Peut-être  feront-ils  bien  d'y  ajouter 
«ette  noentioii  :  c  Timbre  exigé  par  l'administration  de  l'enre- 
gistrement et  s'ajoutant  de  plein  droit  au  montant  de  la  somme 
•due,  «n  vertu  de  la  loi  du  8  juillet  1865.  » 

{Revue  administrative  du  Culte  Catholique.) 


JOURNAL  D'UN   PELERIN 

La  publication  des  Livres  de  raison  est  assez  à  la  mode,  à 
l'époque  où  nous  sommes,  dans  le  monde  archéologique.  Quand 
un  savant  découvre,  dans  la  bibliothèiiue  d'un  vieux  manoir,  un 
de  ces  cahiers  aux  feuilles  jaunies  oii  nos  pères  écrivaient  les 
principaux  événements  de  leur  vie,  il  est  heureux  d'un  bonheur 
que  tout  le  monde  n'est  pas  tenu  de  comprendre,  mais  qu'il  sent 
vivement.  Il  savoure  avec  un  plaisir  exquis  la  date  des  bap- 
têmes, des  mariages  et  des  décès  etsurtout  les  réliexions  naïves, 
pieuses,  parfois  humoristiques,  qui,  d'ordinaire,  font  l'ornement 
<lu  cahier. 

Cest,  il  faut  l'avouer,  un  plaisir  bien  innocent,  et  personne  ne 
«ongera  à  le  critiquer,  encore  moins  à  le  condamner. 

De  nos  jours,  le  livre  de  raison  est  abandonné;  mais  il  est 
.avantageusement  remplacé  par  \e  joui'nal.  Le  nombre  d'enfants, 
•déjeunes  filles  ou  déjeunes  mères  qui,  depuis  un  demi-siècle, 
•ont  jour  par  jour  écrit  dans  un  cahier  leurs  impressions,  leurs 
joies  ou  leurs  douleurs,  est  incalculable.  Le  siècle  présent  pré- 
pare aux  archéologues  du  siècle  futur  de  charmantes  découvertes. . 
Or,  il  se  fait  que,  dans  mon  voyage  autour  de  la  grotte,  j'ai 
trouvé  un  jour,  aux  abords  de  la  fontaine  miraculeuse,  le  jour- 
oal  d'un  pèlerin.  C'est  pour  moi  une  i)réci6use  découverte,  et  je 
suis  heureux  d'en  faire  part  à  mes  lecteurs. 

Ce  journal  était  perdu  dans  la  poussière...  Il  ne  portait  pas  de 
signature...  Les  premières  lignes  m'ont  séduit;  les  dernières 
m'ont  touché...  Le  voici  sans  commentaires. 

I 

Au  départ,  juin  1893,  le  temps  est  gris  et  sombre;  nous 
sommes  douze  cents  pèlerins.  Les  femmes  sont  de  beaucoup  plus 
nombreuses  que  les  hommes.  Ceux-ci  sont  clairsemés  dan^  la 


688  ANNALES    CATHOLIQUES 

foule.  D'où  vient  cela?  Est-ce  que  les  hommes  n'ont  pas,  comme 
les  femmes,  des  mérites  à  gagner,  des  grâces  à  obtenir,  des 
péniter:ces  à  faire  ? 

On  s'est  demandé  un  jour,  dans  un  concile  du  moyen-âge,  si 
les  femmes  avaient  une  âme.  En  voyaut  certains  hommes  de 
l'époque  contemporaine,  on  pourrait  se  demander  si,  vraiment, 
ils  en  ont  une,  eux,  car  beaucoup  font  comme  s'ils  n'en  avaient 
pas. 

A  la  gare,  on  se  fait  des  adieux  comme  si  l'on  entreprenait  un 
long  voyage.  Or,  nous  ne  partons  que  pour  quatre  jours.  N'im- 
porte, les  mouchoirs  s'agitent,  les  saints  s'échangent,  on  se  serre 
la  main,  on  s'envoie  des  sourires,  Vadieu  est  sur  toutes  les 
lèvres.  Hélas  !  voilà  un  mot  qu'il  faut  écrire  en  marge  sur  toutes 
les  pages  de  la  vie. 

Nous  disons  tous  les  jours  adieu  à  quelque  chose,  àquelqu'un, 
à  un  rêve,  à  une  espérance,  à  une  aflfection,  à  un  idéal.  Nul  ne 
pourra  changer  cela.  Un  poète  l'a  dit  gracieusement: 

Si  j'étais  Dieu,  la  mort  serait  sans  proie, 
Les  hommes  seraient  bons,  j'abolirais  l'adieu, 
Et  nous  ne  verserions  que  des  larmes  de  joie 
Si  j'étais  Dieu  ! 

C'est  là  une  charmante  poésie,  elle  est  finement  ciselée  ;  mais 
je  crois,  malgré  tout,  que  si  le  poète  qui  l'a  écrite  passait  Dieu» 
il  laisserait  les  choses  comme  elles  sont,  car  l'adieu,  qui  ne 
réveille  souvent  que  des  idées  noires,  offre  cependant  quelque- 
fois des  perspectives  agréables.  Pour  moi,  si  j'étais  Dieu  et  que 
l'adieu  n'existât  pas,  je  l'inventerais  volontiers  et  je  crois  que,, 
pour  m'en  remercier,  l'humanité  m'élèverait  des  autels. 

La  locomotive  pousse  son  dernier  cri,  et  nous  partons.  Mes 
compagnons  de  route  font  le  signe  de  la  croix,  les  prêtres  récitent 
les  psaumes  de  V itinéraire,  les  femmes  commencent  leur  chape- 
let, les  jeunes  filles  chantent  des  cantiques,  les  malades  mur- 
murent des  formules,  la  prière  tombe  de  toutes  les  lèvres  et 
déborde  de  tous  les  cœurs.  C'est  un  beau  moment.  L'émotion 
s'empare  déjà  des  âmes  pour  les  accompagner  jusqu'à  Lourdes. 

Dans  le  parcours,  et  surtout  au  pied  de  la  grotte,  que  de 
vœux  s'élèveront  vers  le  ciel!  Que  de  touchantes  envolées  de 
désirs  monteront  vers  Marie  !  Beaucoup,  hélas  !  n'arriveront 
pas  à  destination.  D'oii  vient  cela?  Dieu  le  sait.  Nous  savons 
aussi  que  nos  prièressont  parfois  comme  des  oiseaux  auxquels  on 
a  crevé  les  yeux  et  coupé  les  ailes  :  elles  s'égarent  en  route,  et 


JOURNAL  u'ln   pèlerin  68^ 

voilà  pourquoi  nous  les  voyons  si  rarement  triomphantes  et  cou- 
ronnées. 

Lourdes  est  cependant  aujourd'hui  un  des  grands  chemins  de 
la  prière,  et  la  sainte  Vierge  nous  prouve  tous  les  jours  qu'il  fait 
bon  le  suivre  ;  c'est  la  raison  de  toutes  les  supplications  formu- 
lées, murmurées  et  chantées  dans  les  wagons,  tandis  que  les 
voitures  roulant  sur  les  rails  emportent  la  pieuse  caravane. 

Quand  on  a  prié  on  cause  ;  de  quoi  ?  I)e  mille  choses.  La  cam- 
pagne est  belle  comme  une  mère  parée  de,sesplus  beaux  atours. 
C'est  bientôt  le  momentde  la  moisson,  et  la  terre,  qui  jusqu'alors 
montrait  des  fonds  de  sinopled' vue  fraîcheur  parfaite,  présenteà 
l'œil  des  fonds  d'or  d'un  éclat  éblouissant.  Il  y  a  là,  pour  ceux 
qui  aiment  l'agriculture,  des  thèmes  de  conversation  qui  s'har- 
monisent merveilleusement  avec  les  pieuses  pensées  d'un  pèlerin: 
le  pèlerin  doit  en  toutes  choses  bénir  la  Providence. 

Les  enfants,  voyant  les  coquelicots  rouges  dans  les  blés,  les 
clochers  pointus  dans  les  arbres,  posent  mille  petits  pourquoi 
qui  font  le  bonheur  des  mères  et  le  charme  de  la  société.  Ils 
agrémentent  le  voyage,  qui  a  certains  côtés  pénibles.  — Nous 
devons  passer  vingt  heures  en  wagon.  — L'enfance  poétise  toute 
chose  :  il  en  faut  dans  les  jardins,  dans  les  salons,  dans  les  céré- 
monies, dans  les  pèlerinages,  partout. 

D'ailleurs,  un  train  de  pèlerins  est  l'image  du  monde  tel  qu'il 
existe  avec  nos  besoins,  nos  instincts,  nos  intérêts.  C'est  la  pho- 
tographie mouvementée  de  notre  Société.  Il  porte  des  souvenirs 
et  des  espérances,  des  joies  et  des  repentirs,  des  sourires  et 
des  larmes,  des  vertus  et  des  héroïsraes,  ajoutons  même  des 
hontes  et  des  ignominies  qui,  heureusement,  vont  être  bientôt 
purifiées  par  une  bonne  confession. 

Aussi  les  physionomies  d'un  pèlerinage  ont  un  cachet  particu- 
lier de  sérénité  qui  n'échappe  pas  à  l'observateur.  Examinez  les 
trains  de  plaisir  qui  portent  à  une  exposition,  à  un  concours,  à 
une  foire,  des  voyageurs  entassés  ;  quelle  diflfèrence  dans  l'ex- 
pression, dans  le  regard,  dans  l'attitude  !  Dieu  !  quelle  exposi- 
tion ambulante  de  chair  humaine  !  Quel  concours  régional  de 
types  abêtis,  de  figures  vulgaires,  de  visages  grossiers  !  Comme 
l'humanité  qui  se  rue  vers  le  plaisir  est  vilaine,  bestiale  !  Et 
comme,  au  contraire,  l'humanité  qui  va  à  la  sanctification  est 
belle  et  touchante!  Elle  est  auréolée;  elle  porte  un  nimbe  fait 
dâ  pureté,  d'innocence  et  de    ferveur.  L'autre  est  engiiriandée 

de  cvnisme. 

50 


690  ANNALES    CATHOLIQUES 

D'un  côté,  je  vois  des  âmes  qui  poursuivent  un  idéal  pieux, 
un  rêve  religieux;  de  l'autre,  des  êtres  qui  poursuivent  la  sen- 
sation et  le  bien-être.  Ici,  c'est  la  caravane  aux  nobles  instincts 
qui  va  aux  readez-vous  divins;  là  le  bétail  humain  qui  se  rend 
à  un  marché  de   satisfactions  banales. 

A  l'œil,  c'est  parfois  la  même  houle  qui  déferle  dans  nos  gares 
au  moment  des  arrêts  annoncés;  mais,  certes,  l'allure  est  loin 
d'être  la  même,  le  langage  est  bien  différent.  Dans  les  foules 
ordinaires,  vagues  moutonnantes  qui  envahissent  les  buffets  et 
les  buvettes,  on  voit  bientôt  l'écurae;  dans  les  flots  tranquilles 
des  pèlerins  recueillis,  il  n'y  en  a  pas. 

Les  gens  qui  nous  voient  passer  aux  stations  ont  parfois  ul 
air  d'ébahissement  qu'il  est  aisé  de  constater.  Le  pèlerin  est,  en 
effet,  à  l'époque  oii  nous  sommes,  une  curiosité.  Il  doit  même 
apparaître  à  beaucoup  de  nos  contemporains  comme  un  revenant 
du  moyen-âge,  comme  une  relique  du  passé,  comme  un  fossile 
exhumé  pour  l'amusement  des  incroyants. 

Jugez  donc  :  tandis  que  la  plupart  des  hommes  voyagent  pour 
le  commerce  ou  l'industrie,  le  plaisir  ou  la  santé,  en  voilà  qui 
voyagent  pour  la  prière  !  Ils  portent  un  ruban  ou  une  médaille 
sur  la  poitrine  ;  ils  font  le  signe  de  la  croix  ;  ils  chantent  des 
psaumes;  ils  suivent  une  bannière;  ils  se  rangent  derrière  une 
soutane  violette  ou  une  robe  noire  et  ils  font  cent,  deux  cents, 
trois  cents  lieues  pour  baiser  une  roche  pyrénéenne  et  invoquer 
une  madone  blanche.  N'y  a-t-il  pas  là  de  quoi  surprendre  des 
gens  épais  et  ventrus  ? 

Je  connais  toute  une  classe  d'hommes  qui  ne  comprennent 
jamais  les  pèlerinages  et  qui  sont  toujours  disposés  à  les  criti- 
quer :  ce  sont  ceux  qui  se  font  les  commis-voyageurs  des  pé- 
chés capitaux...  Cette  marchandise  a  partout  des  colporteurs 
patentés.  Le  diable  établit  sous  tous  les  cieux  des  maisons  de 
commerce,  et  les  représentants  de  ces  maisons  sillonnent  le 
monde  dans  tous  les  sens.  L'invention  des  chemins  de  fer  ne  les 
a  rendus  que  plus  nombreux  et  plus  arrogants.  Ils  pullulent 
dans  notre  société,  et  Dieu  sait  s'ils  crient  quand  passent  nos 
pèlerinages.  Mais  rien  n'arrête  nos  pieux  pérégrinanis.  «  Le 
chien  aboie,  disent  les  Arabes,  et  la  caravane  passe.  » 

A  Lourdes.  —  Nous  voilà  arrivés.  La  ville  est  pleine  de  pè- 
lerins. Nous  croisons  des  Bretons,  des  Provençaux,  des  Béarnais, 
des  Normands,  des  Auvergnats.  La  France,  qui  est  divisée 
comme  un  échiquier,  est  représentée  par  ses  types,  ses  couleurs 


JOURNAL  d'un    PÊI.EKIN  691 

et  ses  costumes.  Cette  bigarrure  est,  du  reste, pleine  de  charme: 
ou  ne  fraternise  jamais  mieux  qu'au  seuil  d'un  sanctuaire  catho- 
lique. La  langue  n'est  pas  toujours  la  même,  mais  l'âme  chré- 
tienne a  les  mômes  aspirations  et  les  mêmes  besoins. 

Jusqu'à  une  heure  avancée  de  la  matinée,  les  ra'isses  se  conti- 
nuent: le  saint  sacrifice  est  célébré  à  la  grotte,  à  la  crvpte,  au 
Rosaire,  dans  la  basilique.  Tous  les  autels  sont  occupés;  tous 
sont  entourés  de  fidèles  ajrenouillés.  Quel  envoleraent  de  messes 
vers  le  ciel,  et  comme  Dieu  doit  prêter  attentivement  l'oreille 
aux  murmures  qui  montent  de  Massabielle  ! 

Je  ne  sais  plus  quel  est  le  peintre  qui  a  représenté  un  prêtre 
célébrant  le  Saint  Saci-ifice  au  dernier  njomentde  la  fin  tragifiue 
du  monde.  Dans  la  partie  supérieure  du  tableau,  on  voit  Dieu 
armé  de  ses  foudres,  prêt  à  fi'apper  la  teire,  et,  dans  la  partie 
inférieure,  un  prêtre  qui  achève  le  divin  mystère.  L'Eternel 
attend  que  la  cérémonie  soit  terminée  pour  céder  à  son  courroux 
et  foudroyer  l'univers.  Le  prêtre  sacrificateur  semble  lui  dire  : 
«  Halte-là!  ne  frappez  pas  encore,  la  divine  Victime  s'immole, 
le  moment  de  la  colère  n'est  pas  encore  venu.  »  Le  ciel  com- 
prend ce  langage,  et  la  terre  tourne  encore  ! 

Plus  d'une  fois,  je  me  le  figure  sans  trop  de  témérité,  Dieu 
doit  avoir  la  tentation  de  faire  tomber  sur  l'humanité  les  ana- 
thèraes  de  sa  vengeance  ;  mais,  d'un  sanctuaire  béni,  s'échappe 
une  messe  qui  vient  apaiser  sa  fureur,  et  de  nouveau  le  monde 
est  épargné  !  Et  lorsque  les  messes  sont  nombreuses  et  ferventes, 
quelle  puissance  ne  doivent-elles  pasavoirsur  le  cœur  du  Très- 
Haut  !  Nos  sanctuaires  sont  à  cet  égard  les  paratonnerres  de  la 
société.  Qui  pourrait  dire  les  coups  de  foudre  providentiels 
qu'arrête  le  pèlerinage  de  Lourdes  ? 

Aux  messes  qui  se  célèbrent  sans  nombre  il  faut  ajouter  les 
prières  qui  montent  sans  interruption  et  les  communions  qui  se 
font  sans  cesse  dans  le  même  but.  Les  confessionnaux  sont 
assiégés  une  grande  partie  du  jour,  et  les  absolutions  pleuvent 
en  quelque  sorte  ù  tout  instant  bur  une  foule  de  têtes  humiliées 
dans  le  repentir.  C'est  un  beau  spectacle.  On  pense,  en  le  voyant, 
que  les  confesseurs  qui  passent  leur  vie  à  purifier  des  cons- 
ciences doivent  arriver  à  une  connaissance  profonde  du  cœur 
humain.  La  pathologie  spirituelle  est  une  grande  science,  et  on 
ne  peut  l'acquérir  que  par  l'expérience  et  l'étude.  Or,  c'est  sur- 
tout dans  les  lieux  de  péleririage  que  se  présentent  les  cas  les 
plus  variés  des   maladies  de  l'àme  ;  c'est  là  qu'on  apporte  les 


692  ANNALES    CATHOLIQUES 

plaies  hideuses,  les  ulcères  repoussants,  comme  les  anémies 
invétérées  et  les  langueurs  persistantes. 

Le  confesseur  voit  passer  sous  ses  yeux  toutes  les  infirmités 
morales;  il  rencontre  aussi  des  vertus  admirables,  des  courages 
ândomptés,  et  tout  cela  lui  donne  la  vraie  mesure  du  cœur.  Il 
apprend  mieux  qu'ailleurs  ses  faiblesses  et  ses  énergies,  et  il 
arrive,  par  l'audition,  à  une  connaissance  parfaite  de  notre 
valeur  chrétienne  ou  de  notre  incapacité  divine.  Aussi,  on  ne 
pourrait  dire  le  nombre  de  guérisons  morales  et  de  cures  spiri- 
tuelles qui  s'opèrent  ici,  dans  les  consciences,  sans  que  le  monde 
les  voie,  à  côté  des  prodiges  qui  s'accomplissent  en  plein  soleil, 
aux  yeux  des  pèlerins. 

Un  autre  spectacle  touchant,  c'est  celui  de  la  prière  orga- 
nisée en  croisade.  A  Lourdes,  la  prière  a  tous  les  accents  et 
prend  toutes  les  formules;  elle  est  tour  à  tour  muette,  chan- 
tante, parlante  ;  on  la  voit  debout,  couchée,  à  genoux,  les  bras 
en  croix,  les  yeux  au  ciel.  C'est  surtout  devant  la  grotte  et  les 
piscines  qu'elle  se  fait  humble  et  suppliante;  c'est  là  son  champ 
de  bataille  et  aussi  son  arène  victorieuse. 

Un  libre-penseur  qui  verrait  les  pèlerins  réciter  le  chapelet 
ou  chanter  des  cantiques  sous  la  direction  d'un  prêtre  ou  d'un 
religieux  qui  .bat  la  'mesure  de  la  prière  comme  du  chant,  et 
cela  en  plein  vent,  à  la  pluie,  au  soleil,  par  tous  les  temps, 
dirait  peut-être  :  «  Ces  gens  sont  fous  »,  et  je  suis  convaincu 
que  cette  parole  a  dû  parfois  tomber  des  lèvres  de  plus  d'un 
passant.  Mais  qu'importe?  lorsque  les  apôtres  sortirent  du 
cénacle,  on  les  croyait  ivres;  leur  ivresse  a  régénéré  le  monde. 
La  pr-iére  est  la  sainte  folie  des  pèlerins,  et,  avec  elle,  ils  met- 
tent Dieu  dans  les  àraes,  dans  les  familles  et  dans  les  nations; 
ils  mettent,  en  outre,  du  baume  sur  les  blessures  de  la  patrie, 
des  espérances  dans  la   vie  de  l'Eglise  et  des  miracles   dans  la 

vie  de  l'humanité. 

II 

Il  y  H  une  étude  qui  m'intéresserait  tout  particulièrement  à 
Lourdes  si  je  pouvais  la  faire  assidûment.  Elle  consisterait  à 
noter  le  caractère  des  lettres  et  des  télégrammes  qui  arrivent 
journellement  au  sanctuaire,  des  cantiques  et  des  psaumes  qui 
s'y  chantent,  des  seriiions  et  des  homélies  qui  s'y  donnent.  Ne 
serait-ce  pas,  en  quelijue  sorte,  tàter  le  pouls  à  la  société 
chrétienne,  compter  les  pulsations  du  cœur  catholique  que  de 
voir  en    détail    les    demandes,  les  supplications,  les  actions  de 


JOURNAL  d'un  pèlerin  693 

grâces  qu'apportent  tous  les  jours  la  poste  et  le  télégraphe, 
comme  aussi  de  connaître  les  élans  de  joie,  les  cris  d'espérance, 
les  hymnes  de  triomphe  qui  partent  par  les  mêmes  voies  dans 
toutes  les  directions  du  monde?  Quelle  belle  photographie  des 
âmes  aimant  Lourdes  ne  ferait-on  pas  avec  ce  procédé!  Mais 
cette  vue  n'est  réservée  qu'aux  anges.  Nous  devons  nous  con- 
tenter de  l'expression  des  physionomies  sereines  ou  tristes, 
radieuses  ou  éplorées,  qui  trahissent  tour  à  tour  les  émotions 
de  la  joie  ou  de  la  douleur. 

Il  serait  aussi  très  curieux  d'étudier  les  divers  cantiques 
composés  et  chantés,  en  l'honneur  de  Notre-Dame,  par  les  pèle- 
rins qui  arrivent  à  Lourdes  de  tous  les  points  de  la  France. 
Chaque  province  donne  sa  note  et  chaque  pays  son  accent:  les 
Provençaux  font  entendre  leur  langue  harmonieuse  et  pitto- 
resque à  côté  de  la  poésie  rocailleuse  des  Bretons;  les  Béarnais 
marient  leurs  voix  à  celles  des  Lorrains,  les  patois  se  croisent, 
les  dialectes  se  mêlent,  les  poèmes  se  confondent,  les  refrains 
se  répondent  :  c'est  un  concert  dont  on  aimerait  à  noter  les  pa- 
roles et  la  musique,  et  qui,  dans  tous  les  cas,  laisse  dans  l'âme 
les  plus  douces  impressions. 

Que  dire  de  la  prédication?  Elle  se  présente  ici  sous  toutes 
les  formes.  J'y  ai  entendu  tour  à  tour  le  sermon,  l'homélie,  la 
conférence,  le  prône,  le  felvorino. 

Ce  dernier  genre  est,  je  crois,  le  plus  usité.  C'est  à  mon  sens, 
du  reste,  le  plus  en  harmonie  avec  l'esprit  des  pèlerins  venus 
de  loin,  plus  ou  moins  fatigués,  qui  réclament  plutôt  des  senti- 
ments chaleureusement  exprimés  que  des  enseignements  métho- 
diquement débités. 

J'ai  gardé  dans  mon  souvenir  l'ossature  d'un  discours  pro- 
noncé à  la  basilique  devant  un  immense  auditoire;  la  voici. 
L'ossature  d'un  sermon  me  fait  l'effet  d'un  navire  auquel  on 
aurait  arraché  les  voiles,  les  agrès  et  la  mâture.  Cette  image 
m'est  fournie  par  un  Père  de  l'Eglise  qui  parle  du  signe  de  la 
croix  fait  par  les  prédicateurs  avant  leur  exorde  comme  d'une 
bannière  ou  d'un  drapeau  qui  ornei'ait,  à  la  proue,  le  vaisseau 
du  discours  :  Navim  sermonis  crucis  signaculo  insignitam. 

Défait,  le  sermon  analysé  n'a  plus  le  souflle  de  l'orateur  qui 
gonfle,  en  quelque  sorte,  ses  voiles  et  le  pousse  triomphalement 
à  travers  des  flots  d'éloquence  vers  la  destination  rêvée. 

«  Qu'est-ce  qu'un  pèlerinage  ?>  s'est  demandé  le  prédicateur. 
«  C'est,  a-t-il  répondu,  un  élan  de  passion  religieuse  et  un  acte 


694  ANNAI^ES    CATHOLIQUES 

de  vertu,  chrélienne.  »  Pour  établir  cette  vérité,  il  faut  recourir 
à  une  autre:  c'est  que  la  religion,  comme  l'a  dit  le  P.  Lacor- 
daire,  est  tout  à  la  fois  une  passion  et  une  vertu. 

Quelles  sont  les  routes  qui  nous  conduisent  à  Dieu  ?  Ce  sont 
l'intelligence,  le  cœur,  les  sens.  Or,  ces  puissances  de  notre  être 
sont  toutes  aimantées  vers  Dieu.  Il  est  facile  de  s'en  convaincre  : 
quelles  sont  dans  l'humanité  les  trois  races  qui  personnifient  le 
mieux  l'intelligence,  le  cœur,  les  sens?  Pour  l'intelligence,  c'est 
le  philosophe,  le  penseur,  le  poète  ;  pour  le  cœur,  c'est  .a  femme, 
la  jeune  fille,  la  mère;  pour  les  sens,  c'est  le  pauvre,  l'ouvrier, 
le  malheureux. 

Cela  dit,  que  se  passe-t-il  ?  Que  voyons-nous  ?  Que  cherche  le 
philosophe  dans  ses  méditations?  L'Infini;  mais  l'Infini  n'est 
qu'un  voile,  un  rideau  derrière  le(iuel  Dieu  se  cache.  Que 
cherche  le  penseur  dans  la  profondeur  de  ses  élucubrations?  La 
vérité;  mais  la  vérité,  c'est  Dieu  même.  Que  cherche  le  poète 
dans  les  lêves  de  son  imagination  ?  La  beauté;  or,  qui  ne  sait  que 
Dieu  est  la  beauté  par  essence?  Voilà  comment  l'intelligence, 
dans  ce  qu'elle  a  de  plus  exquis,  est  portée  vers  la  religion. 

Le  cœur,  dans  ses  plus  nobles  représentants,  a  les  mêmes 
entraînements.  Quelle  est  la  femme  qui  ne  se  sent  pas  faite  pour 
l'adoration  ?  Quelle  est  la  jeune  fille  dont  les  lèvres  ne  s'ouvrent 
pas  pour  la  prière?  Quelle  est  la  mère  qui  ne  dit  pas  :  «  Je  veux 
Dieu  pour  moi,  pour  mon  fojer,  pour  mes  enfants?  » 

Dans  le  domaine  des  sens,  nous  avons  la  même  réponse.  Que 
cherche  le  pauvre,  l'ouvrier,  le  malheureux?  L'assistance,  le 
travail,  le  secours.  Où  trouvera-t-il  tout  cela  ?  N'est-ce  pas 
auprès  de  Dieu,  je  veux  dire  de  ses  ministres,  de  ses  amis  et  de 
ses  serviteurs?  Qu'est-ce  que  l'Hôtel-Dieu  ?  La  maison  de  ceux 
qui  n'en  ont  pas.  Le  Prêtre?  Le  père  des  orphelins.  L'Église? 
La  mère  des  infortunés. 

Donc,  l'humanité  va  vers  Dieu  par  ses  trois  grandes  puis- 
sances comme  l'aiguille  va  vers  le  nord,  comme  l'oiseau  va  vers 
le  ciel,  comme  le  Gave  va  vers  la  mer.  Donc,  la  religion  est  une 
passion.  Un  jour,  cette  passion  met  en  mouvement  les  âmes  ;  un 
souffle,  parti  de  la  grotte  de  Massabielle,  passe  sur  les  intelli- 
gences, les  cœurs  et  les  poitrines,  et  un  pèlerinage  s'organise. 
On  dit  :  «  Allons  à  Lourdes,  »  et  les  foules  se  lèvent  comme  un 
seul  homme  pour  suivre  un  élan  de  passion  religieuse. 

Elles  font  en  même  temps  un  acte  de  vertu  chrétienne.  Qui 
ne  connaît  la  légende  de  saint  Christophe  qui,  à  travers  un  tor- 


JOURNAL  d'un  pèlerin  695 

rent  impétueux,  porte  l'Etifant  Jésus  sur  ses  épaules  et  finit  par 
trouver  qu'il  pèse  comme  le  monde?  *  Ce  n'est  pas  étonnant,  je 
suis  le  maître  du  monde  »,  répond  Jésus.  Or,  nous  devons  tous, 
qui  que  nous  soyons,  porter  Dieu,  et^il  en  coûte  parfois  de  le 
porter.  Il  en  coûte  de  ployer  le  front  sons  la  loi  du  Décalogue, 
le  cœur  sous  les  préceptes  du  devoir,  la  chair  sous  les  rigueurs 
de  la  pénitence.  Les  devoirs  que  proclame  la  religion  demandent 
un  combat  de  tous  les  instants.  Contre  quoi?  Contre  l'aberration 
de  l'esprit,  la  corruption  du  cteur,  la  fascination  des  sens.  A 
Lourdes,  nous  trouvons  les  armes  qui  nous  sont  nécessaires  dans 
cette  triple  lutte. 

La  grande  aberration  du  moment,  c'est  le  naturalisme  ;  nous 
le  combattons  devant  la  grotte  par  la  proclamation  du  miracle. 
La  corruption  du  cœur  est  immense.  Le  monde  est  contaminé 
par  une  épidémie  terrible  qui  fait  partout  d'affreux  ravages  :  en 
venant  à  Lourdes,  nous  nous  plaçons  sous  le  signe  de  la  Vierge. 
La  madone  blanche  nous  prêche  la  pureté,  du  fond  de  sa  niche 
de  marbre,  La  fascination  des  sens  arrive  de  nos  jours  à  son 
paroxysme  ;  le  sensualisme  triomphe  partout,  grâce  au  livre, 
au  journal,  à  la  gravure,  à  la  mode,  au  théâtre  ;  nous  le  com- 
battons en  pratiquant  la  pénitence  proclamée  devant  Massabielle 
par  la  Vierge  Immaculée. 

Un  pèlerinage  est  donc  un  acte  de  vertu  chrétienne,  et  telle 
est,  en  ces  quelques  mots  rapides,  la  charpente  du  discours  que 
j'ai  entendu.  C'est  le  sermon  desemparé.  Je  n'ai  plus  qu'à 
ajouter  le  mot  de  la  fin  en  guise  de  gouvernail.  Ce  mot  com- 
prend les  encouragements  et  les  félicitations  donnés  aux  pèlerins 
parle  prédicateur  dans  une  éloquente  péroraison.  On  voyait 
qu'il  était  senti  et  qu'il  partait  du  cœur.  Aussi,  après  la  céré- 
monie, les  auditeurs  étaient-ils  èlectrisés.  L'éloquence  vraie, 
celle  qui  s'inspire  des  lieux,  au  moment  des  circonstances, 
avait  passé  sur  eux. 

Après  cela,  ils  sont  montés  en  grand  nombre  au  calvaire  pour 
y  réciter  les  prières  du  chemin  de  la  croix.  Un  calvaire  attire 
toujours  les  âmes  endolories,  et  quelles  sont  celles  qui  ne  le 
sont  pas  un  peu?  Les  porte-croix  sont  nombreux  en  ce  monde, 
et  ceux  qui  aperçoivent  un  Golgotha  simulé  sur  une  colline  en 
font  volontiers  l'ascencion  pour  se  familiariser  avec  la  pensée 
que  la  vie  est  une  marche  pénible  à  travers  les  souff"rances  et 
dans  la  direction  du  sacrifice. 

Du  reste,  le  calvaire  de  Lourdes,   du  haut  du  rocher  qu'il 


696  A.NNALK8     CATHOLIQUES 

domine,  offre  aux  regards  un  gracieux  panorama.  Les  touristes 
montent  souvent  à  la  cime  des  montagnes  pour  assister  au  lever 
du  soleil  et  voir  le  roi  du  jour  poindre  sous  leurs  pieds.  A 
Lourdes,  quand  nous  sommes  sur  le  calvaire,  nous  avons  à  nos 
pieds  et  sous  nos  yeux  le  fief  de  la  Sainte-Vierge:  le  sanc- 
tuaire avec  son  clocher,  le  val  avec  son  gave,  la  prairie  avec  sa 
pelouse.  C'est  un  site  admirable  qui  doit  faire  rêver  le  peintre, 
ie  photographe,  le  poète.  Toutes  les  muses  peuvent  s'y  donner 
la  main  en  présence  d'une  riante  perspective.  La  religion  elle- 
même  ne  peut  que  s'applaudir  du  paysage  :  la  Vierge  aurait  pu 
apparaître  à  la  cime  de  la  montagne  :  elle  ne  l'a  pas  voulu  ;  elle 
s'est  montrée  dans  la  grotte  de  Massabielle,  presque  au  niveau 
du  sol.  N'était-ce  pas  pour  indiquer  qu'elle  voulait  se  rendre 
accessible  à  tout  le  monde  et  qu'elle  désirait  se  rapprocher  le 
plus  près  possible  de  l'humanité? 

On  lui  prouve  qu'on  l'a  comprise,  et  voilà  pourquoi  Lourdes 
est  devenu  un  point  d'admiration  pour  l'univers  catholique; 
voilà  pourquoi,  de  tous  les  coins  du  globe,  on  y  vient  pour  cher- 
cher des  prodiges  et  des  bénédictions. 

Quelqu'un  se  demandait  devant  moi  pourquoi  on  y  voyait  plus 
de  femmes  que  d'hommes.  La  réponse  est  facile.  Les  historiens 
ont  remarqué  que  Notre-Seigneur,  dans  ses  courses  évangéli- 
ques,  était  surtout  suivi  par  des  femmes  et  des  enfants.  Quel- 
ques hommes  quittaient  bien  leurs  filets  ou  leur  comptoir  pour 
se  joindre  à  lui,  mais  c'était  le  petit  nombre.  Les  choses  n'ont 
pas  changé.  Le  cœur  humain  est  resté  le  même.  Certes,  les 
hommes  qui  savent  quitter  leurs  filets,  leur  comptoir,  leurs 
plaisirs,  pour  aller  à  Lourdes  ne  manquent  pas,  mais  on  ne  sau- 
rait nier  que  les  femmes  y  viennent  toujours  en  plus  grand 
nombre. 

L'homme  défend  la  patrie,  la  femme  défend  l'Eglise,  et,  d'ici 
à  la  fin  du  monde,  il  n'est  pas  à  présumer  que  cette  disposition 
providentielle  qui  donne  à  l'âme  féminine  un  apostolat  particu- 
lier soit  jamais  changée.  Hâtons-nous  de  remarquer  toutefois 
que,  souvent.  Lourdes  reçoit  des  pèlerinages  composés  exclusi- 
vement d'hommes.  Dans  tous  les  cas,  il  faut  signaler  le  nombre 
infini  de  prêtres  qui,  seuls  ou  accompagnés  de  fidèles,  entre- 
prennent chaque  année  la  pieuse  pérégrination. 

On  voit  à  la  sacristie  de  la  crypte,  de  la  basilique  et  du 
Rosaire,  un  livre  sur  lequel  mettent  leurs  noms  ceux  qui  ont 
célébré  la  messe  dans  l'une  des  chapelles  du  sanctuaire,  et  on 


JOURNAL   d'un   pèlerin  697 

retrouve  là,  parmi  des  noms  obscurs,  des  noms  constellés  de 
gloire:  de  petits  vicaires  à  côté  de  nonces  apostoliques,  des  pré- 
lats avec  des  religieux,  des  curés  de  paroisse  avec  des  princes 
de  l'Eglise  ;  et,  quand  on  regarde  les  nationalités  diverses  repré- 
sentées par  ces  hommes  de  Dieu,  on  découvre  dans  une  colonne 
de  noms  géogra[jhiques  les  chrétientés  des  cinq  parties  du 
monde:  la  Russie  y  rencontre  la  Pologne,  la  Lorraine  y  coudoie 
la  Prusse  et  le  Céleste-Empire  y  sourit  à  notre  République  : 
Pétersbourg  et  Cracovie,  Nancy  et  Uerlin,  Pékin  et  Paris,  se 
donnent  la  main  dans  une  fraternité  édifiante  et  touchante  à  la 
fois  qui  ne  peut  guère,  hélas!  exister  que  sous  la  rubrique  de 
Dieu  et  la  bannière  de  Marie. 

Ce  qui  existe  sans  conteste,  c'est  la  fraternité  vraie  des  pèle- 
rins, quel  que  soit  leur  langage  ou  leur  costume.  Les  sourires, 
les  amitiés  et  les  poignées  de  main  s'échangent  avec  une  cordia- 
lité qui  fait  penser  aux  premiers  temps  de  l'Eglise,  et  cela  dans 
toutes  les  rencontres  :  à  la  grotte,  à  l'hôtel,  à  l'hôpital. 

A  la  grotte,  on  fait  connaissance;  à  l'hôtel,  on  s'assied  à  la 
même  table;  à  l'hôpital,  on  sympathise  bien  vite.  Ce  dernier 
logis  ne  reçoit  que  des  malades  pauvres,  mais  ceux-ci  ont  tou- 
jours à  dépenser  un  trésor  d'affection  qui  est  en  raison  directe 
de  leurs  souffrances  et  de  leurs  misères.  Partout,  enfin,  on  se 
sent  frères  mieux  qu'ailleurs,  on  se  le  dit  de  mille  manières,  on 
se  le  prouve  par  mille  petits  riens  qu'un  autre  ciel  ne  saurait 
inspirer. 

A  l'hôpital,  j'ai  entendu  une  pauvre  fille  percluse  s'écrier,  en 
présence  d'une  compagne  qui  venait  d'être  guérie  après  un  bain 
à  la  piscine  :  «  Comme  elle  est  gâtée  de  la  Sainte  Vierge,  celle- 
là!  Jfa  viens  d'aussi  loin  qu'elle,  j'ai  fait  autant  qu'elle,  et  me 
voilà  toujours  dans  le  même  état;  j'ai  envie  de  faire  un  [>rocès 
au  bon  Dieu!  »  La  jalousie  est  un  vilain  défaut,  mais,  n'est-il 

pas  vrai  tju'il  peut  y  avoir  de  saintes  jalousies? Si  je  ne  me 

trompe,  celle-ci  est  du  nombre. 

C'est  aussi  une  sainte  jalousie  qui  s'empare  des  pèlerins  par- 
tants quand  ils  voient  ceux  qui  restent.  Nous  partons  après  deux 
jours  d'enthousiasme,  de  prières  et  de  ferveur.  Il  me  semble, 
pour  ma  part,  que  mon  âme  a  pris  un  bain  surnaturel  et  qu'elle 
s'en  va  plus  robuste  et  plus  forte. 

Nous  faisons  nos  adieux  à  la  grotte.  Il  y  en  a  qui  pleurent. 
Je  ne  suis  pas  bien  sur  de  n'avoir  pas  fait  comme  eux.  Il  me 
semble  que  je  ne  rapporte  pas  mon  âme  tout  entière  et  que  j'en 


698  ANNALES     CATHOLIQUES 

ai  laissé  quelques  parcelles  attachées  à  la  grotte.  Je  ne  ferai  pas 
un  procès  au  bon  Dieu,  mais  je  reviendrai. 

Les  poètes  comparent  la  vie  à  un  banquet.  Dans  les  banquets, 
nous  avons  plusieurs  verres  devant  nous  pour  déguster  des  vins 
de  différents  crias.  La  Providence  nous  traite  de  la  même  ma- 
nière :  elle  met  devant  nous  des  coupes  différentes,  dont  les  unes 
sont  douces  et  les  autres  araères.  Un  pèlerinage  à  Lourdes  est, 
pour  une  âme  vraiment  catholique,  une  coupe  enchanteresse. 


Le  journal  s'arrêtait  là.  Qui  l'avait  écrit?  Je  l'ignore.  J'ai  reconnu 
cependant,  sous  l'écriture,  une  main  masculine.  J'ai  même  cru 
deviner,  grâce  à  la  graphologie,  aux  caractères  tourmentés,  aux 
lignes  ascendantes,  une  nature  d'artiste,  une  âme  de  poète. 

L'auteur  est-il  un  jeune  homme  ou  un  homme  fait?  Je  n'ai  pas 
su  le  découvrir.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  livre  ces  pages  telles  que 
je  les  ai  trouvées.  Elles  sont  le  miroir  d'impressions  éprouvées 
et  connues  par  les  pèlerins  de  Lourdes.  Ceux-ci  pourront  s'y 
regarder,  et  ils  diront,  je  l'espère  :  «  C'est  bien  cela!  » 

Hknry  Calhiat. 


LES  PRIX    DE  VERTU 
(Voir  les  Annales  des  2,  9  et  23  décembre  1893.) 

Un  psychologue,  aujourd'hui  fort  à  la  mode,  qui  fut,  chose 
rare,  homme  d'action  et  d'observation,  et  qui  avait  été  élevé  à 
la  plus  forte  école  d'énergie  que  le  monde  ait  connue,  l'armée 
de  l'empereur,  Stendhal,  raconte  quelque  part  un  de  ces  petits 
faits  qu'il  aimait  tant  et  qui,  dans  le  problème  qui  nous  occupe, 
apportent  sinon  une  solution,  au  moins  une  indication  instruc- 
tive. 

Un  ancien  lieutenant  de  la  Grande  Armée,  approchant  de  la 
cinquantaine,  sortait  des  Invalides  par  un  froid  rigoureux.  Il 
relevait  de  maladie  et  traînait  le  long  du  quai  ses  jambes  rai- 
dies par  les  rhumatismes,  lors^qu'il  entend  des  cris  :  «  Un  homme 
se  noie  dans  la  Seine!  »  Le  lieutenant  poursuit  son  chemin  en 
se  disant  qu'on  va  sans  doute  sauver  l'homme,  qu'il  y  a  des 
gens  plus  jeunes  et  mieux  portants  que  lui.  Oui,  mais  il  est 
excellent  nag<Mir  et  fameux  comme  tel.  Sans  doute,  mais  un 
bain  dans  la  Seine,  par  cette  température,  c'est  une  rechute, 


LES    PRIX    DE    VERTU  099 

six  mois  à  la  chambre.  Alors  le  lieutenant  entend  distincte- 
ment une  voix  :  «  Lieutenant  Louant,  vous  êtes  un  lâche!  » 
C'était  sa  conscience  qui  parlait.  Il  court  sur  la  berg'e,  se  jette 
à  l'eau,  sauve  l'homme  et  rentre  à  l'hôpital.  Je  ne  crois  pas  que 
sa  conscience  ait  pris  la  peine  de  parler  encore  pour  lui  dire  : 
«  Lieutenant  Louant,  vous  êtes  un  brave!  » 

Voilà  bien,  ce  me  semble,  Messieurs,  sous  la  forme  probante 
de  l'anecdote,  une  explication  de  l'héroïsme  propre  au  sauve- 
teur :  une  voix  mystérieuse  qui  commande,  une  lutte  morale, 
une  résistance  rapide  comme  l'éclair,  puis  l'acte  soudain.  De 
telles  natures  agissent  sur  l'ordre  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  noble 
en  nous,  le  besoin  de  dévouement.  Si  elles  n'obéissaient  {)as,  ce 
serait  pour  elles  un  remords  immédiat;  non  pas  le  remords 
du  mal  accompli,  mais  du  bien  non  tenté. 

A  défaut  de  lieutenant  de  la  Grande  Armée,  je  puis  vous  pré- 
senter, parmi  plusieurs  intrépides  marins,  le  subrécargue 
Edouard  Levasseur,  de  Fécarcp,  à  qui  plus  de  vingt-cinq  per- 
sonnes doivent  la  vie,  et  qui,  le  29  janvier  de  l'année  dernière, 
a  accompli  le  sauvetage  de  douze  marins,  du  capitaine,  de  sa 
femme  et  de  son  enfant  de  trois  ans,  qui  se  trouvaient  à  bord 
du  trois-mâts  russe  le  Finland,  jeté  à  la  côte  sur  les  rochers. 
Levasseur  est  marié,  père  de  quatre  petits  enfants;  il  aide  ses 
frères  et  sœurs  à  soutenir  la  vieille  mère  :  nulle  existence  n'est 
plus  précieuse  que  la  sienne.  C'est  une  raison  de  plus  pour  qu'il 
la  risque  au  premier  signe,  et  tenez  pour  certain  que  le  prix 
Lange,  de  1,000  francs,  qu'il  vient  d'obtenir,  ne  le  corrigera  pas 
de  sa  témérité. 

Aimé-François-Joseph  Pagnez,  à  qui  vous  avez,  avec  justice, 
attribué  le  prix  Gémond,  est  un  homme  de  la  même  trempe. 

Cet  ancien  soldat,  aujourd'hui  très  modeste  employé  à  la 
Chan)bre  des  députés,  a  positivement  l'âme  d'un  héros.  Quand 
il  y  a  un  danger  à  courir,  quand  il  faut  exposer  sa  vie  pour 
celle  d'autrui,  Pagnez  est  toujours  prêt.  Un  cheval  prend-il  le 
mors  aux  dents  et  répand  il,  dans  une  rue  populeuse,  le  désordre 
et  l'effroi,  Pagnrz  lui  saute  aux  naseaux  et  se  fait  traîner  par 
l'animal  affolé  jusqu'à  ce  qu'il  s'en  soit  rendu  maître.  S'il  voit 
des  tiammes  sinistres  se  tordre  dans  le  ciel,  il  accourt  et  se 
jette  au  feu,  comme  il  l'a  fait  lors  de  l'effroyable  incendie  Je 
l'Opéra-Comique,  oii  il  a  sauvé  un  homme  et  deux  femmes.  Il 
faut  dire  aussi  que,  à  son  point  de  vue,  Pagnez  a  de  la  chance  : 
les  occasions  de  montrer  son  intrépidité  se  multiplient  pour  luj 


700  ANNALES    CATHOLIQUES 

et  semblent  le  chercher.  En  1886,  dans  un  restaurant  où  il  pre-- 
nait  son  repas,  il  a  dû  lutter  contre  un  fou  furieux  et  lui  arra- 
cher le  couteau  de  la  main  Plus  récemment,  dans  la  salle  d'at- 
tente du  Palais-Bourbon,  un  aliéné  brandissait  un  bâton,  sans 
doute  avec  l'intention  d'assommer  un  ministre  ou  un  député  qui 
ne  représentait  pas  exactement  sa  nuance  politique.  Pagnez  l'a 
désarmé,  mais  en  recevant  lui-même  un  coup  qui  lui  a  brisé  le 
poignet.  Félicitons  cet  homme  courageux  de  s'être  opoosé,  dans 
la  mesure  de  ses  forces,  à  l'introduction  des  voies  de  fait  dans 
nos  mœurs  parlementaires. 

Mon  devoir  est  accompli.  Captif  des  étroites  limites  d'un  rap- 
port, je  vous  ai  rappelé,  trop  laconiquement  et  en  trop  petit 
nombre,  quelques-uns  des  traits  de  bravoure,  de  bonté,  de  dé- 
sintéressement, que  vous  avez  eu  la  joie  de  récompenser.  Ce- 
pendant, au  moment  où  je  termine  ma  tâche,  deux  pensées  me 
sollicitent  :  l'une  est  toute  de  consolation,  car  je  viens  d'acqué- 
rir la  preuve  qu'il  est  encore  bien  des  grands  coeurs;  mais 
l'autre,  je  vous  l'avoue,  est  profondément  triste,  car,  afin  de 
vous  dire  où  et  comment  ces  grands  cœurs  se  sont  prodigués, 
j'ai  dû  remuer  devant  vous  beaucoup  de  misère,  et  de  misère 
innocente.  Ainsi,  malgré  tant  de  mains  pieuses  qui  essaient  de 
la  panser  et  delà  guérir,  elle  n'est  pas  fermée,  la  vieille  plaie; 
elle  est  toujours  à  vif  et  saignante,  et,  bien  des  symptômes  nous 
l'indiquent,  ceux  qu'elle  dévore  n'ont  jamais  enduré  leurs  souf- 
frances moins  patiemment  qu'aujourd'hui. 

Devant  ce  spectacle  navrant  et  ces  plaintes  exaspérées,  il  est 
nécessaire  de  se  recueillir. 

Nous  en  avons  tous  la  sensation;  il  y  a  là  un  péril.  La  foule 
des  déshérités  du  sort,  que  berçait  jadis  la  prière,  et  qui  s'enivra, 
du  temps  de  nos  aïeux  et  de  nos  pères,  de  gloire  et  de  liberté,  a 
été  gagnée  —  et  nul  n'a  le  droit  de  le  lui  reprocher  —  par  l'es- 
prit positif  de  ce  siècle  qui  finit.  Loin  de  moi  la  pensée  que  le 
prolétaire  soit  désormais  incapable  de  s'enthousiasmer  pour  une 
noble  cause  ou  même  pour  une  belle  chimère!  Je  ne  me  rési- 
gnerai jamais  à  admettre  chez  le  peuple  de  France  la  décadence 
de  l'idéal.  Mais,  pour  le  moment,  les  revendications  des  classes 
pauvres  ont  un  caractère  pratique.  Ce  qu'elles  réclament,  c'est, 
après  tout,  ce  que  l'humanité  leur  devrait  :  un  peu  moins  de 
peine  dans  làge  du  travail,  quelque  sécurité  pour  la  vieillesse; 
et,  qu'on  y  prenne  garde,  les  voix  deviennent  chaque  jour  plus 
impérieuses. 


LES    PRIX    DE    VERTU  70ï 

En  vain  criera-ton  à  l'impossible  devant  certaines  réfornaes, 
qui  semblent  exorbitantes  à  nos  préjiipfés  et  à  nos  habitudes. 
Tout  arrive.  Un  courtisan  de  l'Œil-de-Bœuf  à  qui  un  prophète 
serait  venu  dire,  en  1788,  que  soixante  ans  plus  tard,  le  suf- 
frage de  son  petit-fils  ne  pèserait  pas  plus,  dans  les  balances 
du  pays,  que  le  vote  d'un  rustre  ou  d'un  laquais,  aurait  levé  les 
épaules  en  pirouettant  sur  son  talon  rouge.  Instruite  par  le 
passé,  la  société  moderne  sera,  j'en  ai  le  ferme  espoir,  moins 
aveugle  et  moins  légère. 

D'ailleurs,  soyons  optimistes.  A  l'heure  des  concessions,  les 
privilégiés  de  ce  monde  n'écouteront  pas  seulement  les  conseils 
de  la  prudence;  ils  entendront  surtout  l'appel  fait  à  leur  cœur. 
Déjà  il  a  été  poussé,  et  de  tous  les  côtés,  par  des  bouches  élo- 
quentes; il  a  retenti  à  la  tribune  des  assemblées  et  dans  la 
chaire  chrétienne;  il  a  trouvé  un  écho  chez  les  croyants  et  chez 
les  scepti(iues,  chez  les  plus  autoritaires  et  chez  les  plus  indé- 
pendants. La  question  de  la  misère  —  car  il  n'y  a  pas  d'autre 
question  sociale  —  est  aujourd'hui  solennellement  posée,  et  ce 
qui  est  dans  tous  les  esprits  ne  tarde  pas  à  passer  dans  les  lois. 
Laissez-moi,  Messieurs,  le  jeter  à  mon  tour,  ce  cri  de  pitié  ; 
laissez-moi  déclarer  bien  haut  que  c'est,  pour  les  gens  de  cœur, 
une  souffrance  aiguë,  insupportable,  de  se  dire,  chaque  fois  que 
la  nuit  tombe,  qu'elle  enveloppe  de  son  ombre  le  désespoir  de 
tant  de  misérables.  Certes,  il  y  aura  toujours  des  infortunes  ; 
mais,  si  le  nombre  en  diminuait  sans  cesse,  s'il  n'en  était  plus 
du  moins  d'imméritées,  quelle  gloire  et  quel  triomphe  pour  la 
civilisation  ! 

Non,  nous  ne  conseillons  à  personne  de  céder  aux  menaces 
d'en  bas;  nous  rappelons  seulement  qu'il  y  a  les  pauvres,  les 
pauvres  sacrés,  ceux  que  l'Eglise  appelle,  par  une  ex[)ression 
si  forte,  les  membres  souffrants  de  Jésus-Christ.  Nous  venons 
de  vous  en  montrer  quelques-uns,  comme  il  y  en  a  tant,  doux 
et  rèsi::ués,  .s'aimant  et  se  portant  secours,  partageant  entre 
eux  leur  dernier  morceau  de  pain.  Que  leur  souvenir  et  leur 
exemple  exaltent  nos  bonnes  volontés,  épanouissent  nos  cœurs, 
nous  préparent  aux  sacrifices  et  nous  emportent  dans  un  grand 
courant  de  justice  et  de  fraternité! 


"702  ANNALES  CATHOLIQUES 

LETTRE  ET  INSTRUCTION 

SUR  I.A  COMPTABILITÉ  DES  FABRIQUES 

Oq  va  lire  la  belle  protestatioa  de  Monseigneur  l'évoque  de  Séez 
-contre  le  principe  du  décret  sur  la  comptabilité  des  fabriques  et  son 
application. 

Voici  le  texte  de  la  lettre  ministérielle  qui,  à  la  date  du  15  dé- 
cembre dernier,  était  adressée,  sur  ce  sujet,  à  tous  les  évoques  de 
France  : 

Paris,  le  15  décembre  1893. 
Monsieur  l'évêque, 

Une  circulaire  de  mon  prédécesseur,  en  date  du  30  mars  1893, 
vous  a  transrais  le  texte  du  décret  du  27  du  même  mois,  portant 
règlement  d'administration  publique  sur  la  comptabilité  des 
fabriques.  Cette  circulaii-e  traçait  en  même  temps  les  règles 
nouvelles  applicables  à  la  rédaction  des  budgets  qui  ont  dû  être 
votés  dans  la  dernière  séance  de  Quasimodo,  et  elle  vous  annon- 
çait l'envoi  ultérieur  des  modèles  et  instructions  prévus  par 
l'article  29  du  décret. 

J'ai  l'honneur  de  vous  adress^îr  ci-joint  ces  documents. 

Dans  leur  rédaction,  mon  administration,  de  concert  avec 
M.  le  ministre  des  finances,  s'est  appliquée  à  réduire  au  mini- 
mum strictement  indispensable  les  formalités  en  usage  dans  la 
comptabilité  publique,  et,  tout  en  conservant  les  règles  essen- 
tielles de  cette  comptabilité,  à  les  approprier,  dans  les  limites 
tracées  par  le  décret  du  27  mars  lui-même,  au  caractère  spécial 
des  établissements  fabriciens.  L'Instruction  générale  ci  jointe, 
notamment,  se  borne  à  rappeler  les  principes  qui  sont  la  base 
de  la  com|)tabilité  publifiue  et  à  se  référer  aux  cas  d'une  appli- 
cation usuelle  et  en  quelque  sorte  courante.  Dans  ma  pensée, 
comme  dans  celle  de  mon  collègue  des  finances,  elle  doit  consti- 
tuer, pour  les  conseils  de  fabri(jae  et  pour  leurs  comptables,  un 
guide  aussi  clair  et  aussi  succinct  que  possible,  dans  lequel  les 
cas  particuliers  ont,  à  dessein,  été  laissés  de  côté,  me  réservant 
de  les  examiner  avec  vous  et  de  vous  adresser  les  explications 
qui  vous  paraîtront  nécessaires. 

A  l'instruction  générale  proprement  dite  se  trouvent  annexés 
la  nomenclature  des  justifications  à  produire  par  les  comptables 
à  l'appui  de  leurs  comptes  et  les  motièles  des  registres  et  impri- 
més divers  qui  devront  être  remployés  par  les  fabriques. 

En  ce  qui  concerne  la  nomenclature,  il  suffit  de  la  comparer 
à  celle  qui  est  en  usage  dans  les  communes  et  établissements  de 


COMPTABILITÉ    DES    KABKIWUES  703 

bienfaisance,  pour  se  convaincre  du  désir  de  simplification  qui 
a  présidé  à  sa  rédaction.  Les  pièces  exigées  sont  seuienaent  celles 
qui  sont  strictement  indispensables  pour  justifier  de  la  sincérité 
des  opérations  faites  par  les  comptables. 

En  matière  de  timbre,  l'exemption,  qui  a  pour  base  l'article  81 
du  décret-loi  du  30  décembre  1806,  a  reçu  tout  le  développe- 
ment [)Oss:ble:  les  justifications  de  titres  à  l'appui  des  comptes 
pourioiit  toujours  être  suppléées  par  des  copies  ou  extraits  sur 
papier  libre,  et  les  mémoires  des  travaux  ou  fournitures  par 
des  quittances  explicatives,  passibles  seulement  du  timbre 
de  0  fr.  iO. 

Quant  aux  quittances  délivrées  par  les  comptables  au  nom  et 
aux  frais  des  débiteurs  des  fabiiques,  elles  sont  passibles  du 
timbre  de  0  fr.  25,  comme  toutes  les  quittances  des  comptables 
publics  ;  mais  toutes  celles  qui  seront  délivrées  par  les  réjris- 
seurs  de  recettes  —  et  c'est  de  beaucoup  le  plus  grand  nombre 
—  continueront  à  n'être  timbrées  qu'à  0  fr.  10.  Les  divers 
modèles  qui  suivent  la  nomenclature  sont  uniquement  destinés 
à  faciliter  la  tâche  des  conseils  de  fabrique  et  de  leurs  comp- 
tables, mais  toute  latitude  est  laissée  aux  fabriques,  sons  votre 
autorité,  au  sujet  du  format  et  de  la  disposition  matérielle  des 
registres  et  imprimés  à  employer. 

J'appelle  votre  attention,  M.  l'évêque,  sur  les  modèles  des 
comptes. 

Les  régies  de  la  comptabilité  publique  exigent  deux  comptes: 
l'un,  le  compte  administratif,  rendu  par  V ordonnateur,  c'est- 
à-dire  par  le  président  du  bureau  des  marguilliers  ;  et  l'autre, 
le  compte  de  gestion,  rend»  par  le  comptable.  C'est  ce  dernier 
qui  est  soumis  à  l'apurement  du  conseil  de  préfecture  ou  de  la 
cour  dos  comptes. 

L'article  30  du  décret  du  27  mars  1893  ayant  décidé  que  les 
dispositions  de  ce  décret  ne  seront  applicables  qu'aux  budgets 
délibérés  par  les  fabriques,  en  1893,  et  aux  comptes  rendus 
pour  l'exécution  de  ces  budgets,  il  en  résulte  que  les  nouveaux 
modèles  ne  seront  obligatoires  que  oour  les  comptes  rendus  à 
la  Quasimodo  1895,  pour  l'exercice  1894. 

Néanmoins  il  a  paru  préfér;ible  de  donner  dés  maintenant  ces 
modèles  pour  réunir  à  la  présente  circulaire  et  permettre  ainsi 
de  conserver  ensemble  dans  les  évèchés  les  diverses  formules 
reconnues  nécessaires. 

Pour  ce  motif,  vous  trouverez  également  sous  le  n°  l  un  nou- 
veau modèle  de  budget. 


704  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ce  modèle  ne  diflëre  de  celui  qui  était  annexé  à  la  circulaire 
du  30  naars  dernier  que  par  quelques  modifications  de  détail 
relatives  notamment  à  l'énumération  de  diverses  recettes  et 
dépenses.  Mais  il  demeure  entendu  que  cette  énumération, 
donnée  à  titre  de  simple  indication,  n'a  aucun  caractère  limi- 
tatif, toutes  additions  utiles  pouvant  être  faites  à  la  main  sous 
l'autorisation  et  la  responsabilité  de  l'autorité  épiscopale  chargée 
d'approuver  le  budget. 

De  même  il  convient  de  ne  pas  se  méprendre  sur  la  portée  de 
la  division  du  budget  en  budget  ordinaire  et  budget  extraordi- 
naire, prévue  par  le  modèle.  Cette  division  prescrite  par  le 
décret  du  27  mars  1893  par  analogie  avec  les  dispositions  de  la 
loi  municipale  du  5  avril  1884  et  dans  le  but  de  permettre  la 
détermination  de  la  compétence  du  conseil  de  préfecture  ou  de 
la  Cour  des  comptes  pour  le  jugement  des  comptés,  n'a,  en 
aucune  façon,  la  portée  que  certains  commentateurs  ont  paru 
lui  attribuer.  Le  décret  du  27  mars  1893  n'a  ni  pu  ni  voulu 
modifier  celui  du  30  décembre  1809  sur  ce  point  essentiel,  en 
instituant  deux  budgets  absolument  indépendants  et  il  serait 
inadmissible  que  les  fabriques  ne  pussent,  comme  par  le  passé, 
recourir  à  l'excédent  de  leurs  recettes  extraordinaires  pour 
faire  face,  en  cas  de  besoin,  à  des  dépenses  ordinaires,  et  vice 
versa.  Aussi  tous  les  modèles  de  budget,  qu'ils  soient  antérieurs 
ou  postérieurs  au  décret  du  27  mars,  se  terminent-ils  par  une 
récapitulation  générale  totalisant  toutes  les  recettes  et  dépenses 
de  la  fabrique  aussi  bien  ordinaires  qu'extraordinaires,  l'équi- 
libre devant  être  assuré  sans  tenir  compte  de  cette  distinction. 

Enfin,  vous  remarquerez  qu'à  titre  transitoire  et  pour  per- 
mettre l'établissement  du  piemier  compte  de  gestion,  l'article 
51  de  l'instruction  prévoit  un  procès-verbal  de  la  situation  de  la 
caisse  de  chaque  fabrique  au  1"  janvier  prochain.  Conformé- 
ment à  l'article  13  du  décret  réglementaire,  ce  procès-verbal 
devra  être  dressé  par  le  bureau  des  marguilliers. 

Je  vous  serai  obligé,  M.  l'évêque,  de  vouloir  bien  porter  les 
instructions  ci-jointes  à  la  connaissance  des  conseils  de  fabriques. 
Je  nie  plais  à  espérer  que  vous  y  trouverez  les  indications  néces- 
saires pour  compléter  l'exécution  du  décret  du  27  mars,  déjà 
commencée  par  le  vote  du  budget  et  la  désignation  des  comp- 
tables. Je  me  tiens  toutefois  à  votre  disposition  pour  vous 
adresser,  sur  votre  demande,  tous  éclaircissements  complémen- 
taires. 


PROTESTATION  ÉPISCOPALE  705 

Agréez,  M.  l'évêque,  l'assurance  de  ma    haute  considération. 
Le  mmistre  de  rinstruction  publique, 
des  beaux-arts  et  des  cullei. 
Spulletu 

A   cette    lettre   est  jointe  une    instiuction   détaillée  et   purement 
technique,  énumérant  toutes  les  formalités  à  remplir  pour  la  compta 
bilité  des  fabriques. 

PROTESTATION  ÊPISCOPALE 

Au  sujot  du  décret  sur  la  comptabilité  des  fabriques,  voici  la  re- 
marquable lettre  que  Mgr  Trégaro  vient  d'adresser  au  minisire  de 
l'instruction  publique  et  des  cultes. 

M^r  l'évêque  de  Séez  y  prouve  très  bien  que  le  décret  est  illégal. 
Il  y  dénonce,  avec  une  vigueur  apostolique,  à  laquelle  on  ne  saurait 
trop  applaudir,  une  main-niiso  du  gouvernement,  à  courte  échéance, 
aur  les  fabriques  et  «  une  nouvelle  atteinte  à  nos  libertés  les  plus 
chères,  les  plus  sacrées,  en  attendant  les  chaînes  de  plus  en  plus 
écrasantes  qu'on  prépare  à  l'Eglise  ». 

Il  n'est  pertionne  qui  ne  soit  à  même,  parmi  les  catholiques,  de  vé- 
rifier l'exaclituile  parfaite  de  cette  douloureuse  constatation. 

Voici  la  lettre  de  Mgr  l'évêque  de  Séez  : 

Monsieur  le  ministre. 

Une  lettre  de  M.  le  préfet  de  l'Orne,  en  date  du  4  novembre 
dernier,  m'invite  à  mettre  à  exécution  le  règlement  d'adminis- 
tration publique  sur  la  comptabilité  des  fabriques,  conformément 
aux  termes  de  l'article  9,  §  2,  du  décret  du  27  mars  1893.  Je 
vous  prie,  monsieur  le  ministre,  lie  me  permettre  de  vous  sou- 
mettre qutslques  observations,  avant  de  donner  suite  à  la  de- 
mande que  M.  le  préfet  de  l'Orne  me  fait  l'honneur  de  m'adresser. 

L'article  5  du  décret  du  27  mars  1893,  portant  règlement 
d'administration  publique  sur  la  comptabilité  des  fabriques, 
s'exprime  ainsi  :  «  A  défaut  du  trésorier  et  d'un  receveur  spécial, 
les  fonctions  de  comptable  de  la  fabrique  seront  remplies  par  le 
percepteur.  »  Ce  décret,  monsieur  le  ministre,  ne  tire  sa  force 
que  de  l'article  78  de  la  loi  du  2(3  janvier  1892.  Or,  en  donnant 
une  délégation  assez  large,  le  léfrislateur  a  cependant  fixé  des 
limites  qui  équivalent  à  dire  :  Le  règleOient  d'administration 
publique  n'aura  qu'à  faire  l'application,  aux  comptes  et  budgets 
des  fabricpies,  des  régies  de  la  comptabilité;  l'organisation  et  le 
fonctionnement  des  conseils  des  fabriques  n'éprouveront  aucune 
modification.  Ces  limites  s'imposent  absolument  au  règlement 

51 


100'  ANNALR8    CATHOMQUBS 

d'administration,  comme  le  prouve  l'article  78  de  la  loi  du  26 jan- 
vier 1892,  ainsi  conçu  : 

«  A  partir  du  1"  janvier  1893,  les  comptes  et  budgets  des 
fabriques  et  consistoires  seront  soumis  à  toutes  les  règles  de  la 
comptabilité  des  autres  établissements  publics.  » 

Or,  1-3  choix  du  comptable  est-il  une  régie  de  comptabilité  pu- 
blique? Evidemment  non;  ce  n'est  qu'une  régie  d'organisation 
administrative.  Du  reste,  il  avait  été  convenu  qu'on  respecte- 
rait les  dispositions  formelles  du  décret  du  30  décembre  1809, 
qui  décide  que  tous  les  deniers  des  fabriques  seraient  reçus  et 
dépensas  par  un  marguillier.  Le  gouvernement  n'ajant  tenu 
compte  ni  tlu  mode  de  nomination  du  comptable,  ni  des  disposi- 
tions du  décret  de  1809,  serait-ce  trop  présumer  de  croire  que 
le  décret  du  27  mars  1893  n'a  qu'une  valeur  relativement  légale? 
Dans  ce  cas,  monsieur  le  ministre,  puis-je  me  prêter  à  colla- 
borer comme  évêque  à  son  exécution?  Votre  Excellence  condam- 
nerait elle-même  ma  conduite  ;  et  elle  aui'ait  raison. 

De  plus,  monsieur  le  ministre,  l'épiscopat  n'avait- il  pas  un 
certain  droit,  au  moins  de  convenance,  à  être  consulté  dans  cette 
circonstance,  suivant  les  traditions  les  mieux  établies?  En  1880, 
en  effet,  sous  le  ministère  de  M.  de  Freycinet,  dont  faisaient 
partie  MM.  Ferry,  Sadi  Carnot,  Constans,  Wilson,  dans  un  rap- 
port adressé  au  ministre  des  cultes  par  son  directeur  général, 
on  lit  les  paroles  suivantes  : 

«  Conformément  au  principe  de  notre  droit  public  et  à  la  pra- 
tique suivie  toutes  les  fois  qu'il  s'est  agi  de  modifications  à 
appoi'ter  au  régime  des  divers  cultes  reconnus,  j'ai  l'honneur  de 
vous  proposer  la  nomination  d'une  commission  dans  laquelle 
tous  les  éléments  d'impartialité  et  de  compétence  seraient  réunis 
par  la  représentation  exacte  des  divers  intérêts  en  présence.  » 

Par  suite,  M.  Lepére,  ministre  des  cultes,  par  arrêté  du 
26  février  1880,  instituait  une  commission  dont  faisaient  partie 
le  cardinal  archevêque  de  Rouen.  NN.  SS.  les  archevêques  de 
Tours,  de  Sens,  de  Reims,  de  Bourges  et  Mgr  le  coadjuteur  de 
Paris,  En  1883,  M.  Paul  Bert  lui-même,  dont  chacun  connaît 
les  tendresses  cléricales,  dans  une  étude  préparatoire  à  la  sépa- 
ration de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  écrivait  : 

«  Les  établissements  ecclésiastiques  seront  astreints  aux 
règles  générales  de  la  comptabilité  publique;  un  règlement 
d'administration  publique  rendu  en  conseil  d'Etat,  ^es  autorités 
diucp'saives  ewZewrfwes, déterminera  l'application  de  ces  règles  à 
chaque  établissement  ecclésiastique.  » 


PROTESTATION  KPISCOPALE  707 

S.  Exc.  M.  Ricard,  lorsqu'il  instituait  la  coraraission  chargée 
d'élaborer  le  règlement  administratif  de  la  comptabilité  des 
fabritjnes,  le  6  juillet  1892,  aurait  pu,  ce  me  semble,  sans  déro- 
ger, s'inspirer  de  ses  prédécesseurs,  MM.  Lepére  et  Paul 
Bert. 

Mais  il  y  a  plus,  monsieur  le  ministre:  trois  règlements  ont 
été  rendu*,  le  27  mars  18".>3,  sur  la  comptabilité  des  fabri(|ues 
et  des  consistoires.  Or,  le  règlement  relatif  au  culte  protestant 
porte  en  tête  :  «  V^u  l'avis  du  Conseil  central  des  Eglises  réfor- 
mées de  France  :  Vu  l'avis  de  la  commission  executive  du 
synode  général  de  V Eglise  de  la  confession  d'Augshourg.  » 
Celui  qui  concerne  le  culte  israélite  porte  :  «  Vu  Vavts  du  con- 
sistoire  central  des  Israélites  de  France  en  date  du  2G  février 
1893.  »  Du  culte  catholique,  il  n'en  est  pas  question,  Notre  co- 
religionnaire, M.  Ricard,  car  je  le  crois  catholique,  du  moins 
par  son  baptême,  n'a  pas  daigné  se  souvenir  que  la  religion  de 
ses  pères  était  encore,  jusqu'à  nouvel  ordre,  la  religion  de  la 
majorité  des  Français. 

Je  crois  vous  avoir  prouvé,  monsieur  le  ministre,  au  moins 
sommairement,  que  le  décret  du  27  mars  1893  n'a  pas  absolu- 
ment de  valeur  légale.  Du  reste,  ce  décret  est  tellement  com- 
pliqué, à  tort  ou  à  raiscm,  qu'il  est  difficile  de  s'en  rendre  un 
compte  exact,  ce  qui  me  fait  encore  en  redouter  plus  les  con- 
séquences ;  et  pourtant  vous  me  demandez  de  participera  son 
exécution.  En  vérité,  je  me  demande  si  je  le  puis  en  conscience. 
Je  ne  le  ferai  donc  qu'en  cédant  au  droit  du  plus  fort;  mais  en 
protestant,  comme  je  l'ai  fait  du  reste  pour  la  loi  scolaire,  pour 
la  loi  militaire  et  pour  la  loi  du  divorce,  que  je  considère  comme 
destructives  de  la  vraie  liberté,  comme  anticalholiques  et  anti- 
françaises. 

Laissez-raoi  espérer  en  terminant,  monsieur  le  ministre,  que 
le  gouvernement,  mieux  inspiré  sur  ses  vrais  intérêts  et  les 
intérêts  delà  France,  demandera  lui-même  la  révision  du  dé- 
cret du  27  mars  1893  et  mettra  nos  fabriques,  dont  les  ressour- 
ces nous  viennent  souvent  de  la  charité  publique,  auxquelles  le 
gouvernement  n'a  rien  à  voir,  à  l'abri  de  la  menace  d'être  un 
jour  sous  la  direction  d'un  protestant,  voire  même  d'un  juif. 
Pourtant  l'article  du  décret  de  1809  exige  que  tous  les  membres 
du  conseil  de  fabrique  appartiennent  au  culte  catholique,  en 
excluant  même  le  maire  ou  l'adjoint,  s'ils  ne  lui  appartiennent 
pas.  N'y  a-t-il  pas  lieu  d'être  péniblement  surpris,   après  cela. 


708  ANNALES  CATHOLIQUES 

de  voir  le  gouvernement  faire  intervenir  dans  l'administration 
des  fabriques  des  percepteurs,  des  inspecteurs  de  finances,  des 
membres  du  conseil  de  préfecture  ou  de  la  cour  des  comptes, 
sans  exiger  le  moins  du  monde  qu'ils  soient  catholiques.  Je  me 
résume,  monsieur  le  ministre  :  je  ne  vois,  dans  le  nouveau  dé- 
cret, qu'une  main-mise  du  gouvernement,  à  courte  échéance, 
sur  nos  fabriques,  et  qu'une  nouvelle  atteinte  à  nos  libertés  les 
plus  chères,  les  plus  sacrées,  en  attendant  les  chaînes  de  plus 
en  plus  en  plus  écrasantes  qu'on  prépare  à  l'Eglise. 

Veuillez  agréer,    monsieur  le    ministre,    l'hommage  de  mes 
sentiments  les  plus  distingués. 

'|-  François-Marie,  Ev.  de  Séez. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

La  loi  sur  la  comptabilité  des   fabriques.  —  Chasse  aux   anarchistes.  — 
Les  élections  sénatoriales.  —  Etranger. 

28  décembre  1893. 

C'est  un  singulier  cadeau  de  Noël  que  le  gouvernement  a  fait 
au  clergé  en  lui  imposant,  aux  approches  de  cette  date,  l'appli- 
cation, retardée  jusqu'ici,  de  l'inique  décret  sur  la  comptabilité 
des  fabriques.  L'absence  des  Chambres  empêchera  que  les  séna- 
teurs et  les  députés  catholiques  joignent  leurs  protestations  à 
celles  de  l'épiscopat.  Mais  nous  voulons  espérer  que  ce  n'est 
qu'un  délai  et  que  le  silence  ne  se  fera  pas  sur  une  réglementa- 
tion qui  aggrave  encore,  s'il  est  possible,  les  dispositions  géné- 
rales de  la  loi. 

A  ce  propos,  c'est  un  devoir  aux  catholiques  de  se  rappeler, 
avec  la  Vcrite,  que  le  dernier  discours  de  Mgr  Freppel,  mort  à 
pareille  date  il  y  a  deux  ans,  était  pour  signaler  le  caractère 
odieux  et  les  graves  dangers  de  ce  nouvel  attentat  contre  la 
liberté  du  culte  catholique.  Le  vaillant  évéque  n'avait  que  trop 
bien  prévu  les  conséquences  funestes  qu'on  enregistre  aujour- 
d'hui. 

La  chasse  aux  anarchistes  se  poursuit  activement  à  Paris  et 
dans  les  départements,  depuis  surtout  que  des  instructions 
sévères  ont  été  adressées  aux  parquets  par  le  ministre  de  la  jus- 
tice. Les  agissements  des  sociétés  révolutionnaires,  qui  pullu- 
lent un  peu  partout,  sont  étroitement  surveillés.  Il  ne  se  passe 


CHRONIQUE  DE  LA   SKMAINE  709 

pas  de, jours,  en  eftet,  sans  que  nous  ayons  à  sij?naler  quelques 
arrestations  et  de  nombreuses  perquisitions.  Hier  encore,  la 
préfecture  de  police  s'est  crue  obligée  de  noettre  un  terme  à  l'in- 
dustrie qui  se  pratiquait,  à  Paris,  sous  le  nom  de  soupes-con- 
férences. Voici  quelques  renseignements  sur  cette  industrie  d'un 
genre  tout  à  fait  spécial  :  il  y  a  deux  ans,  quelques  anarchistes 
s'avisèrent  d'aller  quêter  à  domicile,  comme  des  frères  men- 
diants, pour  organiser  des  conférences  au  cours  desquelles  des 
soupes  étaient  servies  aux  assistants.  Cette  innovation  eut  un 
certain  succès,  et  l'on  se  souvient  sans  doute  encore  de  l'assem- 
blée de  ce  genre  qui  eut  lieu  dans  une  des  salles  de  réunions 
publiques  du  boulevard  extérieur  et  où  Mme  Séverine  coopérait 
à  la  distribution.  Mais  ces  réunions  ne  furent  pas  souvent  renou- 
velées, et  l'hiver  dernier,  quoique  des  fonds  eussent  été  recueillis 
par  les  anarchistes,  aucune  conférence  ne  fut  faite.  Comme  on 
ne  donnait  plus  ni  conférences  ni  soupes,  ces  quêtes  constituaient 
une  véritable  escroquerie.  Le  fait  fut  signalé  au  parquet,  avec 
cette  circonstance  que  les  quêteurs  dévoraient  le  produit  de 
leurs  collectes  dans  les  maisons  de  tolérance. 

Il  n'était  pas  trop  tôt,  comme  on  le  voit,  de  sévir  contre  une 
pareille  organisation  anarchiste. 

Les  élections  sénatoriales  du  7  janvier  prochain  vont  amener 
des  changements  sensibles  dans  le  personnel  parlementaire. 

En  ce  qui  concerne  le  Sénat,  il  est  certain  qu'un  certain  nombre 
demembressortantsnese représenteront  pas;  que  d'autres,  quoi- 
que se  représentant,  ne  seront  pas  réélus;  enfin,  si  l'on  ajoute  les 
décédés  qu'il  s'agit  de  remplacer  et  qui  sont  au  nombre  de  dix, 
on  calcule  qu'il  y  aura  au  moins  trente  nouveaux  sénateurs 
élus.  D'autre  part,  ces  élections  auront  leur  contre-coup  sur  la 
composition  de  la  Chambre,  car  il  y  a  une  dizaine  de  députés 
qui,  élus  il  y  a  trois  mois  à  peine,  sollicitent  le  mandat  de  sé- 
nateurs. 

Les  sénateurs  sortants  qui  ne  se  représentent  pas  sont: 
MM.  Léon  Renault  (Alpes-Maritimes),  Bocher  (Calvados),  ma- 
réchal Canrobert  et  général  Brémont  d'Ars  (Charente),  Lafond 
de  Saint-Miir  (Corrèze)  et  Parry  (Creuse).  Ce  nombre  s'accroî- 
tra probablement  d'ici  à  quelques  jours. 

Les  sénateurs  décédés  qu'il  s'agit  de  remplacer  sont  : 
MM.  Bouteille  (Basses-Alpes),  Marcou  et  Lades-Gout  (Audei, 
Barnes  (Bouches-du-Rhône  ,  dont  les   sièges -appartiennent  à  la 


7iO  ANNALES    CATHULigUES 

série  sortante,  et  MM.  Guinot  (Indre-et-Loire),  Lenoël  (Manche), 
Margaine  (Marne),  Chardon  (Haute-Savoie),  Albert  Ferry 
(Vosges).  Il  faut  y  joindre  M.  Tirard,  dont  le  siège  a  été  trans- 
formé, après  le  décès  de  ce  sénateur,  et  annexé  au  département 
de  Seine-et-Marne,  et  M.  Goblet  f'Seine),  qui  a  été  élu  député 
de  Paris. 

Les  députés  déjà  connus  comme  briguant  le  mandat  de  séna- 
teurs, le  7  janvier  prochain,  sont  :  MM.  Thivrier  fAllier),  Bor- 
riirlione  /'Alpes-Maritimes),  Mir  fAude),  Peytral  (Bouches-du- 
RhôneJ,  Labrousse   et   Dellestable  (Corrèzej,  Briens  (Manche). 

Ajoutons,  à  ce  propos,  qu'un  certain  nombre  de  députés  de  la 
précédente  Chambre  non  réélus  à  celle  d'aujourd'hui  se  pré- 
sentent au  Sénat.  Nous  citerons  :  MM.  Mâcherez  (Aisne) ,  Corneau 
(Ardeanes),  Théron  (Ch.y,  Delraas  (Charente-Inférieure),  Le 
Provost  de  Launay  (Côtes-du-Nord),  et  Floquet  (Seine). 

La  Libre  Parole  publie  la  lettre  désolée  et  indignée  d'un 
malheureux  père  qui  est  allé  réclamer  à  l'amphithéâtre  d'un 
hôpital  le  corps  de  son  enfant  mort  du  croup,  après  l'inutile 
opération  de  la  trachéotomie.  Il  décrit  en  termes  d'une  vérité  trop 
exacte  le  charnier  où,  jetés  les  uns  contre  les  autres,  les  petits 
cadavres  nus  sont  démêlés  dans  le  tas  par  ceux  qui  les  ré 
clament,  dans  un  endroit  malftropre,  ouvert  à  tous  les  vents, 
et  termine  par  un  détail  touchant  et  douloureux.  Quelques  fa- 
milles veulent  da  moins  la  photographie  de  l'enfant,  désir  !si 
aisé  à  contenter  aujourd'hui  et  que  l'administration  n'a  pas 
eu  même  la  précaution  de  prévoir.  On  n'a  rien  gardé  non  plus 
de  la  chapelle  où  les  incroyants  eux-mêmes  pouvaient  retrou- 
ver une  pensée  de  consolation  ou  du  moins  un  instant  de  calme 
dans  leur  chagrin.  Mais  rien  no  saurait  rendre  ici  l'accent  de 
la  douleur  sentie  : 

Quelques  parents  veulent  conserver  l'image  de  leur  enfant  mort. 
L'administiation  n'a  pas  eu  la  pudeur  de  prévoir  ce  désir  pourtant 
ai  rppppctable. 

On  est  obligé  de  sortir  son  enfant  dehors  —  sur  un  vieux  banc  de 
j,ardinier,  devant  les  latrines  —  sous  la  pluie,  comme  cela  m'est 
arrivé... 

Il  y  avait  autrefois...  hélas!  dans  cet  amphithéâtre,  un  autel  élevé 
par  les  religieuses;  sur  cet  autel  biûlaient  toujours  des  cierges...  Ils 
ont  tout  cassé,  tout  emporlé...  il  leste  encore  une  statuette  de  la 
Mater  doloroxa  tenant  entre  ses  bras  Jésus  descendu  de  la  croix  et  le 
couvrant  de  ses  larmes. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  711 

Symbole  ou  vérité  !  C'était  un*^  coasolation  pour  les  malheureuses 
mères,  allant  chercher  les  restes  de  leur  enfant. 

On  enlève  et  on  brise  tout  cela. 

C'est  odioux  ! 

Je  ne  suis  pas  religieux,  monsieur,  je  ne  suis  pas  un  pratiquant. 

Mais  mon  cœur  s'est  soulevé  de  dégoût  et  d'horreur  en  présence 
d'une  telle  profanation,  d'une  telle  inhumanité,  je  devrais  dire  d'une 
telle  barbarie. 

Un  peuple  sauvage  aurait  plus  de  respect  de  la  mort  et  de  la 
douleur. 

Je  voudrais,  monsieur,  quece  cri  d'un  honnête  homme  puisse  trou- 
ver un  écho  près  da  vous,  et  que  votre  plume  autorisée  puisse  flétrir 
publiquement  et  énergiquement  de  tels  procédés. 

Si  je  n'avais  craint  d'abuser  de  votre  temps,  je  vous  aurais  prié  de 
m'accorder  une  audience  pour  vous  due  d'autres  choses  encore,  que 
j'ai  vues,  et  que  ne  comporte  pas  une  lettre,  et  je  serais  heureux  de 
pouvoir  vous  entretenir  de  vive  voix. 

Recevez,  monsieur,  l'assurance  de  mes  sentiments  distingués. 

Lecerf, 
44,  rue  Secrétan. 

Que  des  religieuses  aient  voulu  oublier  les  joies  de  la  vie 
pour  entourer  les  mourants  des  soins  de  la  piété,  et  pour  con- 
server aux  morts  le  respect  dû  à  des  corps  faits  à  l'iuiage  de 
Dieu  et  destinés  à  être  glorieux  dans  la  résurrection,  cela,  dit  la 
Vérité,  se  comprend  et  s'explique  par  la  grâce  de  leur  voca- 
tion, 11  V  ^  là  un  sacrifice  que  rien  dans  la  nature  ne  commande  au 
personnel  laïque.  Mais  à  défaut  de  vocation,  tant  que  les  yeux  les 
plus  aveugles  ne  s'ouvriront  pas,  il  y  a  du  moins,  à  la  charge  de 
l'administration,  au  prix  des  millions  qu'elle  dévore,  des  sou- 
cis d'humanité,  de  décence,  de  convenance  même  devant  l'opi- 
nion publique  qu'il  est  honteux  d'oublier  à  un  tel  point.  La 
lettre  insérée  par  la  Libre  Parole  révèle  des  choses  et  en  fait 
entrevoir  d'autres  qui  ne  sont  point  impunément  livrées  au 
public. 

Voici  les  passages  principaux  delà  circulaire  adressée  par  le 
garde  des  sceaux  aux  procureurs  généraux  en  vue  de  l'applica- 
tion des  lois  contre. las  anarchistes: 

L'innovation  la  plus  importante  de  la  loi  du  13  décembre  1893 
consiste  dans  la  modification  à  l'article  49.  Les  individus  qui  se  ren- 
dront coupables  des  infractions  énumérées  ci-dessus,  aussi  bien  que 
ceux  qui  auront  provoqué  des  militaires  à  la  désobéissance,  seront 
placés  sous  le  régime  du  droit  commun  au  point  de  vue  de   la  saisie 


712  ANNALES  CATHOLIQUES 

des  écrits  et  de  l'arrestation  préventive.  Aucune  raison  sérieuse  ne 
peut  être  invoquée  pour  soustraire  à  rapplication  des  règles  du  code 
d'instruction  criminelle  les  délinquants,  vis-â-vis  desquels  la  justice 
doit  pouvoir  agir  avec  promptitude  et  efficacité. 

Dans  un  intérêt  d'ordre  public  qui  n'est  plus  à  démontrer,  il 
importe  que  ces  dispositions  nouvelles  soient  appliquées  toutes  les 
fois  que  des  infractions  seront  commises  et  que,  dans  ce  but,  de  son- 
cert  avec  l'autorité  administrative,  vous  exerciez  la  plus  active  sur- 
veillance, notamment  sur  certaines  réunions  publiques  qui  sont  de- 
venues des  foyers  d'agitation  et  de  désordre  où  se  produisent  les 
excitations  les  plus  coupables  à  commettre  des  crimes  et  où  la  propa- 
gande par  le  fait  est  ouvertement  conseillée.  Vous  n'omettrez  pas  non 
plus  de  faire  constater  et  de  poursuivre  les  provocations  à  des  mili- 
taires dans  le  but  de  les  détourner  de  leurs  devoirs  et  de  l'obéissance. 
Dans  des  cas  semblables,  l'éprimer  c'est  défendre  la  patrie. 

Si  la  loi  du  29  juillet  1881  était  impuissante  à  réprimer  les  excita- 
tions à  commettre  des  crimes,  lorsque  ces  excitations  se  dissimulaient 
sous  la  forme  d'une  apologie,  notre  législation  pénale  ne  fournissait, 
d'autre  part,  aucun  moyen  légal  pour  entraver  la  préparation  de  ces 
crimes. 

C'est  ainsi  que,  bénéficiant  d'une  trop  longue  impunité,  des  groupes 
anarchistes  ont  pu  se  constituer  qui,  reliés  entre  eux  par  une  idée 
commune,  se  livrent  à  la  préparation  d'une  série  indéterminée 
d'attentats.  L'entente  s'établit  ensuite  entre  un  nombre  plus  ou  moins 
considérable  d'adhérents  et  l'exécution  des  crimes  conçus  est  laissée 
parfois  à  la  libre  initiative  d'individus  qui  procèdent  isolément  pour 
se  dérober  plus  facilement  aux  recherches  de  la  justice. 

Pour  atteindre  tous  les  coupables,  il  était  indispensable  de  modifier 
les  articles  265  et  suivants  du  code  pénal  sur  les  associations  de  mal- 
faiteurs. Les  dispositions  nouvelles  punissent  à  la  fois  l'association 
formée,  qufls  que  soient  sa  durée  ou  le  nombre  de  ses  membres,  et 
même  toute  entente  établie  dans  le  but  de  commettre  ou  de  préparer 
des  attentats  contre  les  personnes  ou  les  propriétés.  En  introduisant 
dans  le  nouvel  article  265  les  mots  «  entente  établie»,  le  législateur 
a  voulu  laisser  aux  magistrats  le  soin  d'apprécier,  suivant  les  circons- 
tances, les  conditions  dans  lesquelles  un  accord  pourrait  être  consi- 
déré comme  intervenu  entre  deux  ou  ])lusieurs  individus  pour  com- 
mettre ou  préparer  les  attentats.  Le  crime  pourra  ainsi  être  caractérisé, 
abstraction  faite   de  tout  commencement  d'exécution. 

Telles  sont,  monsieur  le  procureur  général,  les  dispositions  nou- 
velles que  les  Chambres  ont  introduites  dans  notre  législation  pé- 
nale, pour  vous  mettre  en  état  de  concourir,  d'une  manière  efficace, 
à  la  défense  des  institutions  et  de  l'ordre.  Vous  les  appliquerez  avec 
résolution.  Aucune  infraction  ne  devra  demeurer  impunie.  L'autorité 


CHRONIQUE  DE  LA  hEMAINE  713 

administrative  mettra  au  service  de  la  justice  tous  les  moyens  dont 
elle  dispose.  Vous  vous  concerterez  avec  elle  en  toute  circonstance 
en  vous  pénétrant  de  cette  idée  qu'il  n'y  a  de  gouvernement  véritable 
et  que  le  gouvernement  ne  peut  exercer  une  action  féconde  que  si 
tous  les  services  publics  sont  unis  entre  eux  par  une  étroite  solida- 
rité. Je  ne  doute  pas  que  l'accord  soit  facile  entre  des  magistrats  et 
des  fonctionnaires,  les  uns  et  les  autres  dévoués  à  leurs  devoirs  et 
conscients  de  leur  responsabilité. 

Dans  le  cas  d'urgence,  ou  quand  les  infractions  seront  évidentes, 
vous  n'hésiterez  pas  à  prendre  l'initiative  des  poursuites,  sauf  à  m'en 
référer  chaque  fois  que  l'affaire  vous  paraîtra  l'exiger.  Dans  la  plu- 
part des  cas,  une  prompte  répression  est  seule  véritablement  utile. 
Vous  veillerez,  en  conséquence,  à  ce  que  les  poursuites  soient  tou- 
jours conduites  avec  la  plus  grande  célérité,  et  vous  provoquerez  des 
sessions  extraordinaires  d'assises  toutes  les  fois  que  cela  vous  paraîtra 
nécessaire. 

Le  gouvernement  espère  que  l'application  énergique  et  persistante 
des  lois  nouvelles  suffira  pour  mettre  un  terme  à  une  propagande 
crimiuelle.  Le  pays  attend  de  nous  une  protection  efficace.  Notre 
devoir  est  de  la  lui  donner  par  tous  les  moyens  que  les  lois  mettent  à 
notre  disposition. 

«  L'heure  de  demander  quelques  sacrifices  au  pays  a  sonné.  » 
C'est  de  l'Italie  qu'il  i?'agit,  et  c'est  M.  Crispi  qui  le  constate. 
Il  a  été  appelé  au  pouvoir  pour  exprimer  encore  des  contribua- 
bles italiens  un  peu  d'argent  pour  les  caisses  de  l'Etat. 

<  Noiis  ferons  les  économies  possibles,  mais  il  ne  faut  pas  se 
faire  illusion.  »  Ces  deux  phrases  mélancoliques  résument  la 
déclaration  ministérielle  de  M.  Crispi.  Cette  déclaration  n'est 
précise  que  sur  ce  point:  il  faut  de  nouveaux  impôts.  Pour  le 
reste,  elle  est  demeurée  dans  un  vague  qui  a  beaucoup  désap- 
pointé les  députés  italiens.  Combien  d'impôts'?  quels  seront-ils? 

On  n'en  sait  rien  encore.  Mais,  de  l'aveu  de  M.  Crispi,  la 
situation  est  grave  et  l'unité  intérieure  de  l'Italie  est  en  péril. 
Cet  aveu  a  soulevé  des  protestations,  et  pour  le  surplus,  la  décla- 
ration ministérielle  a  été  froidement  accueillie. 

L'avènement  de  Crispi  n'amène  donc  qu'une  aggravation  dans 
la  situation  de  l'Italie.  A  l'intérieur,  de  nouveaux  impôts;  à 
l'extérieur,  la  fidélité  désastreuse  à  la  triple  alliance;  c'est-à- 
dire  qu'avec  Crispi,  l'Italie  va  continuer  à  se  ruiner  tout  dou- 
cement. 

En  Hongrie,  la  discussion  du  budget,  voté  sans  opposition,  a 


714  ANNALES    CATHOLIQUES 

donné  au  comte  Esterhaz^»  l'occasion  de  s'expliquer  sur  la  poli- 
tique religieuse  du  gouvernement.  Il  la  combat,  d'accord  avec 
ses  amis  politiques,  ajoutant  qu'ils  entendent  se  borner  à  une 
opposition  constitutionnelle,  renonçant  pour  le  moment  à  une 
action  plus  étendue. 

Le  comte  Ferdinand  Zichy  s'est  associé  à  ces  paroles.  Préci- 
sant sa  pensée  avec  pins  d'énergie,  il  a  montré  quelle  campagne 
était  menée  contre  la  Chambre  des  magnats,  à  laquelle  on  vou- 
lait finir  par  ôter  le  droit  d'exprimer  librement  les  volontés  que 
la  Constitution  lui  donne  le  droit  d'avoir  et  d'exprimer.  On  a 
même  été  jusqu'à  la  mettre  en  présence  de  la  question  de  vie  au 
de  mort:  on  a  parlé  de  son  inutilité  et  des  nécessités  urgentes 
de  la  supprimer.  Autant  de  raisons  pour  l'assemblée  de  défendre 
et  d'affirmer  son  droit  à  la  vie. 

L'incident  le  plus  remarquable  de  la  séance  a  été  l'interven- 
tion d'un  luthérien,  le  comte  Zav,  qui  a  combattu  la  politique 

.  religieuse  du  gouvernement  avec  encore  plus  de  vigueur  que 
les  députés  catholiques. 

«  Il  ne  faut  pas  qu'un  gouvernement,  a-t-il  dit,  mette  le 
trouble  dans  un  pajs  et  décliaîne  la  guerre  confessionnelle  pour 
se  soustraire  aux  difficultés  qui  pèsent  sur  lui  :  c'est  le  principe 
coupable  de  la  politi(iue  de  certains  Etats  d'Europe,  qui  cher- 
chent la  guerre  extérieure  pour  se  sauver  des  embarras  qui  les 
menacent. 

«  Que  nous  réserve  l'avenir  si  les  réformes  les  plus  radicales 
sont  imposées  brutalement  au  pajs,  dans  le  seul  intéiêt  du 
parti  dominant?  Je  souhaite  (jue  le  libéralisme  cherche  le  bien 
du  pays  ailleurs  que  dans  le  renversement  séculaire  des  insti- 
tutions de  notre  pays.  » 

En  réalité,  la  Chambre  des  magnats  a  trois  causes  à  défendre  : 
celle   de  l'Eglise,  celle   du  pays  et  de  l'ordre  intérieur^  et  la 

.sienne  propre  en  même  temps,  car  si  elle  capitule,  elle  aura 
confessé  son  impuissance  et  l'inutilité  absolue  d'une  assemblée 
qui  ne  serait  là   qu'à  titre  d'écho  fidèle   pour  répercuter  les 

■paroles  de  la. Chambre  des  dé  uiés. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
Rome   et   l*Ilalie 

L'avant-veille  de  Noël,  le  Pape  a  reçu  les  félicitations  et  les 


NOUVELLES  RBLIQIEUSES  715 

souhaits  du  Sacré-Collège.  Voici  comment  s'est  exprimé  le  car- 
-dinal-doyen,  S.  Em.  le  cardinal  Monaco  La  Valetta  : 

«  Très  Saint-Pèro, 

c  Que  Dieu  soit  béni  et  loué,  qui  donne  à  Votre  Sainteté  la 
force  de  pourvoir  avec  une  admirable  énergie  à  toutes  les  occur- 
rences de  l'Eglise  catholique,  et  qui  imprime  au  cœur  des  fidèles 
la  piété  filiale  dont  la  vigueur  a  rendu  si  splendides  et  agréables 
à  tous  les  fêtes  jubilaires  de  Votre  Sainteté,  lesquelles  ont  suc- 
cédé l'une  à  l'autre  prescjue  sans  intermission. 

«  Je  suis  très  heureux  de  pouvoir,  une  fois  encore,  au  nom 
du  Sacré-Collège,  m'en  réjouir  avec  Votre  Sainteté,  et  de  pou- 
voir en  même  temps  remercier  le  Seigneur  de  tant  d'autres 
bienfaits  remarquables  qu'il  vous  a  départis.  Parmi  eux,  je  me 
réjouis  de  rappeler  le  zèle  et  la  sagesse  avec  lesquels  Votre  Sain- 
teté promut  la  dévotion  à  la  très  sainte  Vierge,  et  spéciale- 
-ment  le  Rosaire  pratiqué  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu,  grâce 
auquel  l'Eglise  a  déjà  remporté  de  si  beaux  triomphes  et  dont  on 
a  sujet  d'en  espérer  toujours  déplus  grands. 

€  Le  Sacré-Collège  a  confiance  que  Votre  Sainteté,  par  la 
médiation  de  Marie,  non  seulement  obtiendra  une  vie  longue  et 
prospère,  mais  qu'Elle  aura  cette  haute  fortune  de  rendre  la 
vraie  paix  au  monde,  cette  paix  que  le  monde  ne  peut  donner, 
mais  dont  il  a  tant  besoin. 

«  En  attendant,  qu'il  plaise  à  Votre  Sainteté  de  nous  bénir,  » 

Le  Saint-Père  a  répondu  : 

Nombreux  et  signalés,  assurément,  sont  les  bienfaits  que 
Nous  devons  à  l'amoureuse  Providence  divine  ;  et  il  Nous 
est  cher.  Monsieur  le  Cardinal,  que  le  Sacré-Collège  le 
reconnaisse  lui  aussi  avec  Nous  et  en  rende  grâces  et 
louanges  au  Dieu  béni.  Car  Nos  seules  louanges  et  Nos  seuls 
remerciements  seraient  insuffisants  pour  une  telle  abon- 
dance de  miséricorde. 

C'est  la  main  du  Seigneur  qui  nous  a  gardé  en  santé  jus- 
qu'à un  si  grand  âge  ;  c'est  elle  qui  Nous  donne  la  souve- 
raine consolation  de  voir  si  vive,  par  sa  grâce,  la  dévotion  des 
«peuples  au  Siège  Apostolique  ;  c'est  elle  qui  Nous  conduit, 
sans  que  Nous  faiblissions,  au  milieu  des  sollicitudes  d'un 
ministère  qui,  même  en  des  temps  et  des  conjectures  moins 
•difficiles,  serait  un  poids  bien  pesant  pour  Nos  épaules. 


716  ANNALES    CATHOLIQUES 

Désireux  comme  Nous  le  sommes,  d'en  remplir  lès  devoirs 
écrasants  dans  la  mesure  de  Nos  forces,  Nous  ne  deman- 
dons rien  avec  plus  d'ardeur  que  ce  que  vous  nous  avez 
souhaité  tout  à  l'heure,  Monsieur  le  Cardinal,  c'est-à-dire 
de  pouvoir  être  effectivement,  comme  plusieurs  de  Nos  pré- 
décesseurs qui  furent  des  ministres  et  des  porteurs  de  paix 
pour  l'Europe  et  pour  le  monde.  Il  est  certain  d'ailleurs, 
que  par  le  caractère  même  de  Notre  haute  fonction.  Nous  en 
sommes  un  zélateur  et  un  propagateurautorisé  ;  car  la  paix, 
considérée  par  rapport  à  l'homme  individuel  ou  par  rapport 
aux  sociétés  humaines,  est  fille  de  la  justice,  et  la  justice  ne 
vit  que  de  la  foi  :  Jus  tus  eœ  fide  vivit. 

Or,  le  suprême  sacerdoce  chrétien,  étant  le  gardien 
incorruptible  de  la  foi  et  le  vengeur  suprême  de  toute  jus- 
tice, est  par  conséquent  un  apostolat  d'unificationet  de  paix. 
Donnez  libre  cours  à  cet  apostolat,  qui  tient  sa  mission  d'en 
haut:  accueillez  sans  défiance  la  parole  qu'il  vous  adresse; 
faites  qu'elle  puisse  pénétrer  dans  la  libre  conscience  du 
citoyen,  dans  la  réunion  de  la  famille,  dans  le  gouvernement 
des  États,  et  vous  verrez  fleurir  facilement  la  tranquillité  de 
l'ordre,  aspiration  souveraine  et  besoin  suprême  des  peu- 
ples..  ,  / 

La  cause  morale  du  trouble  des  temps  où  nous  sommes^ 
il  faut  la  chercher  principalement  dans  l'affaiblissement  des 
croyances  religieuses,  (^^uand  l'œil  de  l'àme,  ayant  perdu'  de 
vue  le  ciel,  est  tout  entier  fixé  sur  la  terre,  alors  on  voit 
diminuer  la  charité  qui  unit  et  prévaloir  l'égoïsme  qui  divise. 
Ainsi  des  apparences  mensongères  naissent  les  profondes 
'discordes,' les  rivalités  et  les  ambitions  effrénées,  les  inquié' 
tildes  croissantes  dans  tous  les  rangs  de  la  société,  les  cupi-p 
dites  innovatrices  qui,  partout  où  elles  se  propagent,  engen- 
drent les  désordres'  et  lés  luttes.  Dans  ces  conditions,  les 
peuples  et  les  nations  sentent  instinctivement  le  besoin  de 
la  paix,  et  la  cherchent  avidement;  mais  la  véritable  paix 
ne  vient  pas,  parce  qu'on  a  trop  oublié  Celui  qui  seul  peut  la 
donner.  ■  "  '     -    '=   '•'■■■  ■      '■  ■  ■■■'  ■ 

Ne  peut-on  donc  espérer  un  réveil  l'eligieux  qui  promette 
des  jours  plus  tranquilles?  Qui,  on  peut  l'espérer,  et  même 


NOUVELLES    KELiOIEUSES  717 

fermement,  parce  que  Jésus-Christ  n'abandonne  jamais 
l'humanité  qu'il  a  rachetée.  De  même  que  l'esprit  île  Dieu  au 
premier  jour  de  la  création  planait  sur  les  eaux  nouvelles  et 
les  rendait  fécondes,  de  même,  au  moment  désigné  par  la 
miséricorde.  Il  descendra  pour  voler  sur  la  tète  des  généra- 
tions humaines  et,  par  sa  vertu,  avec  l'œuvre  de  l'Eglise, 
il  ranimera  les  germes  éteints  ou  peu  vivants  de  la  foi  divine. 

C'est  avec  cette  douce  confiance  au  cœur  que  Nous  accueil- 
lons les  sentiments  affectueux  que  le  Sacré-Collége  Nous 
exprimait  tout  à  l'heure  par  la  bouche  de  son  digne  doyen. 
Et,  par  un  juste  échange,  dans  les  augustes  et  suaves 
solennités  de  ces  jours,  Nous  prierons  le  divin  Enfant  de 
vouloir  bien  répandre  en  abondance  ses  célestes  grâces  sur 
le  Sacré-CoUége. 

En  même  temps,  comme  gage  de  Notre  paternelle  affec- 
tion, Nous  donnons,  dans  toute  l'effusion  de  Notre 
cœur,  à  lui,  aux  évêques,  aux  divers  prélats  et  à  tous  ceux 
qui  sont  ici  présents,  la  Bénédiction  Apostolique. 

Benediciio,  etc. 

A  cette  réception  assistaient  les  archevêques  et  évêques, 
la  prélature  romaine,  une  nombreuse  représentation  de 
camériers  secrets  et  d'honneur,  tant  ecclésiastiques  que 
séculiers. 

Lé  Saint-Pére,  en  recevant  l'hommage  de  leur  dévotion 
et  de  leur  attachement,  avec  leurs  souhaits  pour  la  pro- 
chaine solennité,  les  a  tous  réconfortés  par  la  Bénédiction 
Apostolique. 

France 

Pasis.  —  Nous  lisons  dans  un  journal  non  suspect  de  cléri- 
calisme, le  Figaro  : 

Distribution   de   crucifix. 

Oui,  hier,  à  Paris,  a  eu  lieu  une  distribution  de  crucifix,  de 
modestes  christs  en  composition  dorée  sur  deux  bouts  de  bois 
en  croix. 

Et  ces  crucifix  se  sont  enlevés  comme  s'ils  étaient  de  précieux 
bijoux. 

Et  qui  tendait  vers  eux  les  mains  pour  les  avoir  plus  loi  ï 
De  pauvres   femmes  débiles,  des  enfants  ignorant^? 


718  ANNALB8    CATHOLIQUES 

Non.  Des  hommes  dans  toute  la  force  de  l'âge.  Des  ouvriers. 
Des  faubouriens. 

Entre  les  malheureux  qui  se  soulèvent,  s'insurgent,  et  les 
rares  croyants  qui  patientent  et  espèrent,  il  y  a  une  nombreuse 
armée  d'indécis,  dont  le  silence  pourrait  se  grossir  de  menaces. 

Des  prêtres  l'ont  compris.  L'œuvre  des  Missionnaires  diocé- 
sains, fondée  il  y  a  quatre  ans  par  l'archevêque  de  Paris,  s'est 
répandue  dans  les  quartiers  ouvriers.  Elle  a  institué  des  mis- 
sions pour  hommes. 

On  se  rappelle  ses  premières  campagnes  à  Montrouge,  à  Pan- 
tin, à  Saint-Denis.  Il  n'était  alors  question  que  de  socialisme. 
L'abbé  Garnier  essayait  de  lutter  à  l'aide  du  socialisme  chrétien 
contre  le  socialisme  révolutionnaire.  L'abbé  Lenfant,  armé  du 
programme  de  M.  de  Mun,  le  soutenait  en  chaire.  Autorisé  par 
Mgr  Richard,  il  créa  dans  les  églises  de  la  banlieue  des  confé- 
rences contradictoires,  oii  toutes  les  questions  qui  nous  préoc- 
cupaient étaient  exposées  et  discutées  par  deux  orateurs,  dont 
l'un  faisait  ce  que  l'on  appelait  au  moyen  âge  «  le  diable  », 

L'abbé  Lenfant  a  repris,  cet  hiver,  son  idée,  mais  en  la  mo- 
difiant. 

Il  croit  que  le  travailleur  est  aujourd'hui  fatigué  de  la  dis- 
cussion des  questions  sociales,  éternellement  soulevée  dans  la 
Chambre,  dans  les  réunions,  dans  les  journaux. 

L'heure  est  venue,  dit-il,  de  ne  laisser  aux  conférences  que 
«  l'attrait  religieux  ».  Par  son  seul  pouvoir,  la  religion  doit  lut- 
ter contre  l'anarchie  menaçante.  Il  est  convaincu  qu'il  n'a  qu'à 
enseigner  à  la  fois  le  travail,  la  souffrance  et  l'espérance  pour 
arracher  de  l'âme  de  ses  auditeurs  tout  ferment  dangereux. 

Il  faut  reconnaître  qu'il  paraît  avoir  raison.  Les  conférences 
qu'il  fait  depuis  trois  semaines  à  l'église  de  Grenelle,  avec 
l'abbé  Poulain  pour  contradicteur,  ont  encore,  bien  qu'elles 
soient  absolument  dénuées  d'allusions  et  que  la  discussion  soit 
très  sérieusement  présentée,  plus  de  succès  que  celles  dont 
nous  avons  rendu  compte  en  leur  temps. 

Il  n'y  est  question  que  de  Dieu,  des  Religions,  des  Miracles^ 
et,  chaque  soir,  l'église  est  pleine,  mais  tellement  comble  qu'on 
a  le  plus  grand  mal  à  y  pénétrer. 

Ainsi  qu'Ozanam  —  l'abbé  Lenfant,  l'abbé  Poulain,  l'abbé 
Frisch,  aumônier  des  Maristes,  etc.,  appuient  leur  conviction 
sur  l'instinctif  besoin  religieux;  ils  se  servent  des  arguments 
«  que  le  maçon  et  le  charbonnier  doivent  comprendre  »,  et  tous 
les  ouvriers  les  comprennent. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  719 

Et  ceux-ci  viennent,  viennent. 

Lundi  soir,  Mgr  Richard,  .|ui  avait  présidé  la  cérémonie,  a  eu 
le  plus  grand  naal  à  se  retirer.  Toutes  les  mains  se  tendaient  vers 
les  siennes  :  *  Mes  chers  amis,  disait-il,  je  voudrais  serrer  la 
main  à  tout  le  monde.  Je  ne  puis  pas.  Vous  êtes  trop  nombreux 
et  je  vous  en  félicite.  J'appelle  sur  vous  tous  la  bénédiction  de 
Dieu.  » 

Et  hier,  autre  tableau.  L'œuvre  de  Saint-François  de  Sales 
avait  envoyé  à  l'abbé  Letifant  mille  crucifix,  débordant  de  qua- 
tre corbeilles  qu'on  portait  derrière  lui. 

Il  venait  de  parler  de  la  Providence  éternelle,  sur  laquelle 
chacun  a  le  devoir  de  compter,  mais  dont  on  ne  ressent  les  eflfets 
que  quand  on  a  la  foi. 

—  Mes  chers  frères,  dit-il  en  descendant  de  la  chaire,  vous 
qui  avez  la  souffrance,  ayez  le  courage,  la  charité,  l'espérance 
de  Celui  qui  souffrit  encore  plus  que  vous  et  dont  je  vais  vous 
distribuer  l'image. 

Selon  le  rêve  du  missionnaire,  l'idée  religieuse  était  vraiment 
entrée  dans  tous  les  cœurs.  Quand  il  présenta  à  un  ouvrier  le 
premier  crucifix,  on  eût  cru  qu'iloffrait,  matérialisé,  le  bonheur 
même.  Visiblement  ce  crucifix  valait  à  peine  quelques  sous...  et 
chacun  de  le  réclamer,  de  le  saisir  avec  respect.  C'était  à  se 
croire  au  moven  âge. 


Voici  la  lettre  adressée  par  le  général  Bogdanovitcli  à  S.  Em. 
le  cardinal  Richard: 
a  Eminence, 

<  J'ai  été  très  honoré  de  la  réponse  de  l'archevêque  de  Paris, 
le  cardinal  Richard,  au  télégramme  que  m'inspirèrent  les  sen- 
timents de  vive  reconnaissance  de  toute  la  pieuse  Russie  pour 
la  bienveillante  initiative  de  Votre  Eminence  —  consacrer  par 
la  bénédiction  céleste  les  liens  de  sincère  amitié  qui  unissent 
la  France  à  la  Russie. 

«  Je  n'ose  pas  m'attribuer  personnellement  cette  haute  marque 
de  bonté  de  Votre  Eminence  ;  mais  comme  chrétien  et  Russe, 
j'éprouve  une  vive  allégresse  en  pensant  que  ces  récentes  solen- 
nités 011  la  Russie  et  la  France,  pour  la  première,  mais,  espé- 
rons-le, pas  pour  la  dernière  fois,  ont  uni  dans  une  prière  com- 
mune devant  l'autel  les  deux  peuples,  mus  par  un  sentiment  re- 
ligieux, confondant  leurs  prières  venant  comme  d'un  seul  cœur. 


720  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  La  Russie  aime  et  rs'^pecte  la  France  ;  elle  voit  en  elle  une 
contrée  d'une  haute  civilisation  et  d'un  grand  développement 
moral  et  artistique.  Mais  la  vie  religiduse  du  peuple  français 
nous  est  peu  connue,  tandis  que  toutes  les  classes  du  peuple 
russe  considèrent  la  foi  en  Dieu  et  le  culte  de  la  religion  comme 
le  devoir  le  plus  sacré.  Cette  ignorance  en  ce  qui  concerne  la 
vie  religieuse  du  peuple  français  ne  pouvait  ne  pas  empêcher 
l'union  étroite  et  intime  des  deux  peuples.  Je  me  permettrai  de 
dire  plus:  beaucoup  de  Rnsses  pouvaient  s'inquiéter  à  la  pensée 
que  dans  le  domaine  de  la  vie  religieuse  et  morale,  entre  la 
Russie  et  la  France  il  y  avait  une  différence  trop  profonde... 
Cette  opinion  —  produit  d'examens  superficiels  —  a  reçu  le 
démenti  le  plus  formel  pour  tout  le  monde,  lorsque  la  France, 
convoquée  par  Votre  Erainence,  s'est  inclinée  devant  l'autel 
dans  une  prière  fervente  pour  la  Russie.  Les  coeurs  russes  sont 
remplis  d'une  vive  émotion  au  touchant  souvenir  de  ces  récentes 
manifestations,  et  conserveront  ce  souvenir  à  jamais  comme  le 
gage  le  plus  précieux  d'une  amitié  indissoluble,  à  la  vie,  à  la 
mort,  avec  la  grande  nation  française. 

«  Permettez-moi,  en  terminant^  de  faire  remarquer  à  Votre 
Eminence  que  l'arrivée  de  l'escadre  russe  à  Toulon  a  co'incidé 
avec  une  de  nos  grandes  solennités,  à  laquelle  nous  attachons 
une  pensée  de  foi  très  religieuse:  la  fête  de  l'Intercession  de  la 
Vierge  et  de  sa  bénédiction  spéciale  sur  tous  les  croyants. 

«Daignez  accepter,  en  souvenir  de  ces  inoubliables  sentiments 
■de  joie  chrétienne,  au  réveil  desquels  a  tant  contribué  Votre 
Erainence,  mes  modestes  ouvi-ages  publiés  en  langue  française 
et  q'ii  ont  un  rapport  assez  étroit  avec  l'objet  de  ma  présente 
lettre  : 

«  La  Description  de  la  cathédrale  de  Saint-Isaac  »  et  «  Les 
Noces  d'argent  du  czar  et  de  la  czarine  ». 

«  Avec  le  plus  profond  respect,  sollicitant  vos  prières,  j'ai 
l'honneur  d'être  de  Votre  Eminence. 

«  Le  très  humble  serviteur, 

«  Signe':  Eugène  Bogdanovitch. 

«  Saint-Pétersbourg,  11/23  novembre  1893.  « 

S.  Em.  le  cardinal  Richard  a  répondu  : 

Paris,  18  décembre. 
«  Monsieur  le  général, 
«  Je  vous  prie  de  me  pardonner  le  retard  involontaire  de  ma 
réponse  à  la  lettre  que  vous  avez  bien  voulu  m'adresser  le  23  no- 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  721 

vembre.  Les  occupations  incessantes  de  mon  ministère  à  Paris 
m'ont  enlevé  toute  liberté. 

«  Je  suis  très  touché  des  sentiments  élevés  que  vous  exprimez 
sur  l'union  de  la  Russie  et  de  la  France.  Vous  montrez  parfaite- 
ment que  la  religion  seule  peut  foi-raer  une  union  vraie  et  intime 
entre  les  nations.  Le  peuple  russe,  si  profondément  religieux,  a 
su  apprécier  les  manifestations  de  la  piété  française  dans  le  Te 
Deum  chanté  à  l'occasion  de  la  visite  des  officiers  de  la  marine 
russe. 

«  C'est  qu'en  effet,  si  nous  sommes  tiop  souvent  affligés  par 
des  actes  d'impiété  et  d'indifférence  religieuse,  la  France  n'ea 
demeure  pas  moins  une  nation  chrétienne.  L'église  du  Vœu  na- 
tional au  Sacré-Cœur,  où  nous  avons  chanté  le  Te  Deum  dont  la 
Russie  s'est  montrée  si  reconnaissante,  en  est  un  témoignage 
éclatant,  puisque  cette  église  monumentale  s'est  élevée  avec  les 
offrandes  volontaires  des  fidèles,  et  que  chaque  pierre  est  pour 
ainsi  dire  un  acte  de  foi  et  de  piété. 

«  Vous  avez  aimé  à  me  rappeler,  monsieur  le  général,  que 
l'escadre  russe  avait  abordé  Toulon  le  jour  où  la  Russie  célé- 
brait une  de  ses  grandes  solennités  reliL^ieuses,  celles  de  l'inter- 
cession de  la  très  sainte  Vierge  Marie.  L'église  métropolitaine 
de  Paris  dédiée  sous  le  nom  de  Notre-Dame  en  est  un  mémorial 
permanent  dans  la  capitale  de  la  France. 

«  Pour  moi,  depuis  le  jour  où  nous  avons  couronné  par  un 
acte  de  foi  religieuse  les  fêtes  franco-russes,  je  n'ai  pas  cessé  de 
demander  à  Dieu  qu'il  daigne  bénir  l'union  de  deux  grands  peu- 
ples et  que,  selon  la  promesse  du  divin  Maître  dans  l'Evangile, 
il  n'y  ait  dans  le  monde  qu'un  seul  bercail  et  un  seul   Pasteur. 

€  Je  vous  prie  d'agréer  mes  remerciements  pour  les  deux 
opuscules  que  vous  avez  bien  voulu  m'envoyer  et  l'assurance  de 
mes  sentiments  respectueux. 

«  7  François,  cardinal  Richard. 
«  Archevêque  de  Paris.  » 

—  Une  dépèche  de  Paris  adressée  aux  journaux  belges,  et 
que  nous  reproduisons  sous  réserve,  porte  que  l'empereur 
Alexandre  III,  soucieux  de  montrer  quelle  reconnaissance  il 
garde  au  clergé  français  de  son  attitude  sympathique  pour  les 
Russes,  aurait  décidé  d'envoyer  une  des  plus  hautes  décora- 
tions de  ses  ordres  à  S.  Em.  le  cardinal  Richard,  archevêque 
de  Paris,  à  NN.  SS.  les  archevêques  d'Aix  et  do  Lyon,  et  à 
.  NN.  SS.  les  évêques  de  Marseille,  Toulon  et  Fréjus. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


IVuméro  1  1  âS  (7  octobre 
1893).  —  Le  livre  de  paroisse, 
par  M.  l'abbé  P. -G.  Moreau,  5. 

—  Nécrologies  épiscopales,  par 
M.  M.-C.d'Agrigente(9uite),10. 

—  Echternach,  21.  —  Décret  li- 
turgu^ue,  26.  —  Le  Congrès  de 
rUaioa  des  œuvres  ouvrières 
catholiques,  29.  —  Programme 
de  l'Assemblée  générale  des  ca- 
tholiques du  N.)rd  et  du  Pas- 
de-Calais,  32.  —  Jeanne  d'Arc, 
discours  de  M.  Poincaré,  37. 
Nécrologie,  41.  —  Chronique  de 
la  semaine,  42.  —  Nouvelles  re- 
ligieuses, 52.  —  Bulletin  bi- 
bliographique, 56. 

IVuméro  1  1  SO  (14  octobre 
189cJ).  —  Vaucouleurs,  par 
Henri  Arsae,  57.  —  Les  origines 
d'une  grande  œuvre.  Louis 
Veuillot,  65.  —  L'union  natio- 
nale ouvrière,  69.  —  Le  con- 
grès calholique  de  Chicago,  74. 

—  Lamaitinp,  par  M.  Et.  Cor- 
nut.  —  L'affaire  Quiquerez-de 
Segonzac,  90.  —  Nouvelles 
religieuse.'*,  94.  —  Chronique  de 
la  semaine,  101. 

IVuméfo  1  14EO.  (21  octobre 
1893j.  —  Un  discours  du  pape, 
113  —  Le  prêtre  est  l'homme 
de  Dieu,  par  M.  l'abbé  P. -G. 
Moreau,  116.  —  La  petite 
Eglise,  par  M.  Oscar  Havard, 
128.  —  Nécrologies  épiscopa- 
les, par  M.  M.-C.  d'Agngente 
(suite),  132.  — Le  socialisme  et 
les  Juifs,  par  Ed.  Drumont, 
138.  —  Hommage  à  nos  mis- 
sionna:re.>5,  142.  —  Une  tête 
coupée  qui  parla,  par  M.  Henry 
Calhiat,  144.  —  Nécrologie,  149. 

—  Nouvelles   religieuses,    162. 

—  Chronique  de  la  semaine, 
155.  —  La  puissance  des  mots, 
164.  —  Bulletin  bibliographi- 
que, 166. 


IVuméro  114LI.  (28  octobre 
1893)  —  Le  ot  Dies  irœ  »,  169. 
De  l'Evangile,  par  M.  l'abbé 
P. -G.  Moreau,  173.  —  Douze 
années  de  pratique  adminisiia- 
tive,  182.  —  Le  droit  et  le 
devoir,  par  Mgr  Gouthe-Sou- 
lard,  186.  —  Une  tête  coupée 
qui  parla,  par  M.  Henry  Cal- 
hiat (suite),  195.  —  Le  Cznr  et 
la  famille  impériale  de  llussie, 
200.  —  Chronique  de  la  se- 
maine, 204.  —  Le  maréchal  de 
Mac-Mahori,  220. 

IVuiiiéfo  114E%  (4  novembre 
1893).    —     L'apaisement,    225. 

—  Les  raenses  épiscoiiales  et 
curjales,  226.  —  Nécrologies 
épiscopales,  par  M.  M.-C.  d"A- 
grigente  (suite),  233.  —  Des 
conditions  de  l'acte  morale- 
ment mauvais,  par  M.  l'abbé 
P. -G.  Moreau,  239.  —  Le  géné- 
ral de  Sonis,  par  M.  R.  do  Sal- 
berg,  246.   —  Nécrologie,  255. 

—  Chronique  de  la  semaine, 
260.  —  Nouvelles  religieuses, 
274. 

rVuinéi-o  I  1<43  (il  novembre 
1893).  —Les  fabriques,  281.  — 
De  la  conscience  ti'méraire, 
par  M.  l'abbé  G.  Moreau,  288. 

—  Charles  Gounod,  par  M.  le 
marquis  de  Ségur,  297.  —  Un 
vaillant  porte-croix  à  Laiizerte, 
par  M.  l'abbé  Henry  Calhiat, 
307.  —  Le  portefeuille  de  Louis 
Veuillot,  par  Eugène  Veuillot, 
310.  —  Lettre  de  S.  S.  Léon  XIII 
aux  évêques  d'Espagne,  315. — 
Lettre  pastorale  de  S.  Em.  le 
cardinal  Richard,  320.  —  Né- 
crologie, 326.  —  Chronique  de 
la  semaine,  328.  —  Nouvelles 
religieuses,  335. 

IVuinéro  1  1-4-5  (18  novembre 
1893).  —  De  la  haine  d'abomi. 
nation,  par  M.  l'abbé  G.  Mo. 


TABLE    DES    MATIERKS 


723 


reau,  337.  —  Les  fabriques 
(suite),  348.  —  Discours  de 
M.  de  MuD  àLanderncau,  3o6. 

—  La  question  juive  et  l'Eglise, 
367.  —    L'anlipape  luciférien, 

370.  —  Nouvelles  religieuses, 

371.  —  Chronique  de  la  se- 
maine, 381. 

IVuinéi-o  1  1-42S  ('25  novembre 
1893).  —  Du  traitement  extra- 
ordinaire lies  curés,  desser- 
vants et  vicaires,  par  M.  l'abbé 
F. -G.  Moreau,  393.  —  Le  ju- 
daïsme cosmopolite,  402.  — 
M.  E.  Olliviei-  et  Léon  XIII, 
•406.  —  Le  socialisme  en  Suisse, 
411.  —  Le  Vo^u  National,  par 
M.  le  marquis  d'Auray,  413.  — 
Les  prix  de  l'Académie,  421.  — 
Nécrologie,  423.  —  Nouvelles 
religieuses.  424.  —  Déclaration 
ministérielle,  432.  —  Les 
Chambres,  438.  —  Chronique 
de  la  semaine,  444. 

IVuméfo  1146(2  décembre 
1893).  —  Les  congrégations 
religieuses,  449.  —  Règles  li- 
turgiques concernant  le  culte 
des  saintes  Reliques  et  des 
saintes  Images,  par  M.  l'abbé 
P.-G.  Moreau.  459.  —  Une 
lettre   de   Donoso  Coitès,  469. 

—  Causerie  scientifique,  par 
M.  H.  de  ParviUe,  473.  —  Les 
prix  de  vertu,  par  M.  F'rançois 
Coppée,  478.  —  Nécrologie, 
483.  —  Nouvelles  religieuses, 
486.  —  Les  Chambres,  489.  — 
Chronique  de  la  semaine,  496. 

rVuméro  1  l-sy  (9  décembre 
1893).  —  Lettre  encyclique  de 
S.  S.  Léon  XIII,  505.  —  L'al- 
coolisme. Lettre  pastorale  de 
S.  Em.  le  cardinal  Thomas, 
525.  —  La  liberté  d'association, 
par  le  comte  de  Paris,  531.  — 
La  neutralité  scolaire,  533.  — 
Un  vaillant  porte-croix  à  Lau- 
zerte,  par  M.  H.  Calhiat (suite), 
535.  —  Nouvelles  religieuses, 
540.  —  La  déclaration  minis- 
térielle, 542.  —  Les  Chambres, 
544.  —   Chronique   de   la   se- 


maine, 545.  —  Les  prix  de 
vertu,  par  M.  François  Cop- 
pée (suite),  555.  —  Bulletin  bi- 
bliographique,  557. 

IVuinéro  1  1-48  (16  décembre 
1893).  —  Lpttre  encyclique  de 
S.  S.  Léon  XIII  (siiil'e),  561.— 
L'alcoolisme  par  S.  Em.  le  car- 
dinal Thoraas(8uite),  574.  —  Le 
couvent  maçonnii^ue  de  1893, 
584.  —  Une  visite  à  Notre- 
Dame  de  Lourdes,  par. M.  l'abbé 
Calhiat,  588.  —  Nécrologie, 
Les  Chambres,  595.  —  Chro- 
nique de  la  semaine,  6u4.  — 
Nouvelles  religieuses,  611. 

FViiin<^ro  1  140  (23  décembre 
1893).  —  De  la  prédication,  par 
M.  l'abbé  G.  Moreau,  617.  — 
Une  double  équivoqup,  625.  — 
La  liberté  des  syndicats  ou- 
vriers, par  M.  le  comte  de  Pa- 
ris, 629.  —  M.  de  Mun  à  Lille, 
633.  —  Congrès  des  catholiques 
du  Nord  et  du  Pas-de-Calais, 
638.  —  Une  visite  à  Notre- 
Dame  de  Lourdes,  par  M.  l'abbé 
H.  Calhiat  (suite),  646  —Nou- 
velles religieuses,  652.  —  Les 
Chambres,  658.  — ■  Chionique 
de  la  semaine,  659.  —  Lps  prix 
de  vertu,  par  M.  Fr.  Coppée, 
664.  —  Bulletin  bibliogra- 
phique, 671. 

IVuiné:ro  1  1  250  (30  décembre 
1893).—  L'alerte  de  1875,673. 

—  Les  curés  ou  desservants  ne 
peuvent  être  ni  com(itables  ni 
ordonnateurs  des  fabriques, 
677.  —  Les  timbres  dps  quit- 
tances délivrés  par  les  comp- 
tables des  fabriques,  679.  — 
Journal  d'un  pèlerin,  par 
M.  Henry  Calhiat,  687.  —  Les 
prix  de  vertu  (suite),  698.  — 
Lettre  et  instruction  sur  la 
comptabilité  des  fabnquf^s.  702 

—  Protestation  épiscopale,  705 

—  Chronique  de  la  semaine 
708.  —  Nouvelles  religieuses 
717.  —  Table  des  matières.  722 

—  Table  alphabétique,  724. 


TABLE   ALPHABÉTIQUE 


(1) 


Académie.  —  Les  prix  de  vertu, 
421  ;  —  Discours  de  M.  François 
CoppÉE.  478,  455,  664,  698. 

Acte  moralement  mauvais.  — 
Conditions,  par  M.  l'abbé  G. 
MoREAU,  239. 

AgrigenteiM.  lechanoineM.-C). 

—  Nécrologies  épiscopales,  10, 
132,  233. 

Alcoolisme  (L').  Lettre  pastorale 
de  S.  Em.  le  cardinal  Thomas, 
525,  574. 

Alerte  (T)  de  1875,  par  M.  C.  Ga- 
VARD,  673. 

Anarchistes  (Attentats).  387,  502; 

—  Au  Palais-Bourbon,  604;  — 
Historique,  609. 

Années  (Douze)  de  pratique  ad- 
ministrative, 182. 

Antipape  (L';  luciférien,  370. 

Apaisement  (L'),  225. 

Arsac (M .  Hen ri ). — Vaucouleurs  ; 
originedu  monument  de  Jeanne 
d'Arc,  57. 

Association  (La  liberté  d'),  par  M. 

LE  COMTE  DE  PariS,   531. 
AuRAV   (Marquis   d').  —  Le  vœu 
national,  413. 

B 

Bulletin  bibliographique.  — Etu- 
des niédico-théologiquessur  les 
anesthésiques,  par  M.  l'abbé 
Pie.accini,  56.  —  Cœcilia.  Re- 
cueil de  chants  sacrés,  par  M. 
l'abbé  Poivet,  166.—  Vie  de  la 
Vénérable  Mère  Maiguerite- 
Maritt  Alacoque,  par  Mgr  Lan- 
guet,  166.  —  Saint  Stanislas 
Kostka,  S.  J.,  par  l'abbé  LeMon- 
nier,   167.  —  Leonis  PP.  XIII 


allocutiones,  epistolœ,  consti- 
tutiones,  aliaque  acta  prsecipua. 
167.  —  La  fondation  de  la 
France,  par  M.  Lecov  de  la 
Marche,  167.  —  Le  rnaréchal 
de  Mac-Mahon,  parle  comman- 
dant Grandin,  557.  —  Album 
d'enfants,  558.  —  Décrets  et 
canons  du  Concile  œcuménique 
du  Vatican,  559.  —  Le  cœur  de 
Notre- Seigneur  Jésus-Christ, 
par  le  R.  P.  D.  Mortier,  O.P.. 
560.  —  Almanachs  de  la  so- 
ciété de  Saint- Augustin  de  Lille,. 
671.  —  Législation  générale 
des  fabriques  des  églises  ca- 
tholiques de  France,  par  M. 
Penel-Beaufin,  671. 


Cabuières  (Mgr  de).  —  Lettre  au 
sujet  de  la  visite  des  marins 
russes,  de  la  mort  du  maréchal 
de  Mac-Mahon  et  de  la  mort 
de  Gounod,  278. 

Calhiat  (M.  Henry).  —  Une  tête 
coupée  qui  parla,  145,  19.5.  — 
Un  vaillant  porte-croix  àLau- 
zerte,  307,  o35.  —  Une  visite  à 
Notre-Dame  de  Lourdes,  588, 
646.  —  Journal  d'un  pèleri», 
687. 

Catholiques  du  Nord  et  du  Pas- 
de-Calais.  —  Programme  de 
l'assemblée  générale,  32.  — 
Compte-rendu,  638.  —  Dis- 
cours de  M.  le  comte  de   Cau- 

LAINCOUKT. 

Causerie  scientifique,  par  M.  H. 
DE  Parville,  473. 

Chambres  (Les).  —  Sénat,  438, 
489.  —  Chambre  des  députés, 
439.  493,  544,  595,  658. 


(1)  Dans  cette  Table,  les  chiffres  qui  suivent  les  articles  indiquent 
les  pajîos;  les  noms  des  auteurs  dont  les  travaux  ont  été  publiés  dans 
ce  volume  des  .-1  nna^e*- sont  en  petites  majuscules;  les  titres  des  livres 
Bont  en  italiques 


TABLE    ALPHABETIQUE 


725 


Chronique  de  la  semaine.  — 
France  :  Les  fj^rèves  flu  Noid  ot 
du  Pas-de-Calais,  42,  104,328. 

—  Les  «  sans  patrie  »,  415.  — 
Tiaitft  franco-siamois,  47.  — 
L'arrivéede  l'encadre  russp,  100. 

—  Tyrannie  municipale  (  SMint- 
Denis),  102.  —  Poursuites  coh- 
tre  V Autorité,  103.  —  La  mort 
de  Mac-Mahon,  155.  —  Ses 
<>b.«èquos,  206.  —  Les  marins 
russes  à  Toulon  et  à  Paris,  158. 

—  Congrès  de  la  libre-pensée, 
162.  —  La  conversion,  163.  — 
Les  fêtes  franco-russes,  204.  — 
Un  discours  de  M.  de  Mun  à 
Landerneau,  i[9.  —  Conclu- 
sion des  fêtes  franco-russes, 
260.  —  Lancement  du  Jauré- 
guiberni.  263.  —  Discours  de 
Mgr  Migaot,  264.  —  La  situa- 
tion, 267.  —  Les  fêtes  de  Mau- 
beuge,  330.  —  Rentrée  des 
Chambres.  333.  —  Le  cas  de 
Cornélius  H<mz,381. — A  l'Aca- 
démie de  médecine.  Rapport 
de  .M.  Brouardel,  381.  —  La 
libre-pensée,  386.  —  Attentats 
anarcliisles,  387.  —  La  décla- 
ration ministérielle  (M.  Dupuy), 
444. —  Lesenvoyés  de  Behan/in, 
445.  —  L'eff(jndrement  du  ca- 
binet, 496.  —  Le  colonel  Ar- 
chinard,  498.  —  Syndicats  ou- 
vriers, 499,  551.  —  La  liberté 
de  conscience  à   l'armée,   500. 

—  Attentat    anarchiste,     502. 

—  Le   nouveau  ministère,  545. 

—  Déclaration,  5.Î0.  —  La  dy- 
namite au  Palais  Bourbon.  004. 

—  Les  attentats  anarchistes, 
609.  —  Le  vote  des  lois  de  ré- 
pression, 659.  —  Une  odieuse 
brochure  .  Le  catéchisme  du 
soldat,  660. 

Etranger  :  Espagne,  50,  270,  610, 
663.  —  Allemagne,  50,  389.  — 
Ouverture    du    Reichstag,    446. 

—  L'^s  jésuites,  553. —  Bié.sil, 
51,  611.  G64.  —  Italie:  situa- 
tion fina   cièro,   105,  220,  600. 

—  Le  nouveau  ministère,  610, 
662.    —   Angleterre,    108.   111. 

—  Fin  des  grèves,  447.  —  Au- 
triche, 111.  —  Suisse,  272.  — 

.  Maroc,  389. 


Congrégations   religieuses  (Les), 

449. 
Congrès    catholique  de   Chicago, 

74. 
Congrès   de    l'Union    des  œuvres 

ouvrières   catholiques,  29. 
Congrès    de   la   Libre-Pensée,    à 

Paris,  162  ;  386. 
Conscience  téméraire  (De  la),  par 

M.  l'abbé  G.  MoREAU,  288. 
Convent  maçonniaue  de  1893  (Le), 

584. 
CoKNLT  (M.  Ev.).  —   Lamartine, 

80. 
Curés    (les)    ou    desservants    ne 

peuvent  être  ni  com|)tables  ni 

ordonnateurs  de  fabrique,  677. 
Czar  (Le)  et  la  famille  impériale 

de  Russie,  200. 

D 

Déclaration  ministérielle  CM.  Du- 
puy), 432.  —  (M.  Casimir  Pé- 
rieri,  542. 

Décret  liturgique.  —  Fêtes  pri- 
maires  et    secondaires,  27.  — 

«  Dies  irœ  »  (Le),  109. 

DoNoso  CoRTÈs  (Une  lettre  de), 
469. 

Droit  (Le)  et  le  devoir,   par  Mgr 

GOUTHE-SOULARI),  186. 

Drumont  (M.  Kd.).  —  Le  socia- 
lisme et  les  Juifs,  138. 

E 

Eglise  (L')  et  la  question  Juive, 
367.  ' 

Eglise  (La  petite)  par  M.  Oscar 
Bavard,  128. 

Equivoque  i  Une  double),  à  pro- 
pos  des    Livres    choraux,  625. 

Echternacb,  21. 

Evangile  (De  V)  par  M.  l'abbé  G. 
Moreau,  173. 


Fabriques  (Les),  281,  348. 

Fabriquas  paroissiales.  ^  V.  Cu- 
rés, Timbre,  Ordonnateur,  etc. 
—  Lettre  du  ministre.  —  Pro- 
testation de  Mgr  Trégaro,  705. 

Fêtes  (les)  primaires  et  secon- 
daires. —  Décret,  27. 

Fêtes  franco-russes.  —  L'arrivée 
de  l'escadre  à  Toulon,  100.  — 
Lettre  de  l'Evêque  de  Digne, 
154.    —    Les  marins   russes    à 


726 


ANNAI.KS    CATHOLIQUES 


'  Toulon  et  à  Paris,  158.  —  Les 
fêtes,  204.  —  Visite  à  l'arche- 
vêque de  Paris,  211.  —  Te 
De-im  à  l»aris.  213.  274;—  àl'é- 
glise  du  vœu  national,  214.  — 
Au  banquet  municipal,  215.  — 
Leur  conclusion,  260.  —  Lan- 
cenoent  du  Jauréguiherry,'iQ3. 

—  Dernières  paroles  officielles, 
266.  —  Lettre  de  Mgr  Gouzot, 
archevêque  d'Auch,  prescrivant 
un  Te  Denm,  276.  —  A  Lyon, 
^277.  _  A  Lourdes.  279  —  Une 
cloche  à  Notre-Dame  de  Paris, 
en  souvenir  des  officiers  russes, 
373. 

G 
Gavard  (C).  —  L'alerte  de  1875, 

673. 
Gounod    (M.   Charles),    le  grand 

musicien   français.  —  150,  237 

—  Discours  prononcé  à  ses  ob- 
sèques par  M.  Poincaré,  mi- 
nistrede  l'Instruction  publique, 
258.  —  Biographie  par  M.  le 
marquis  de  Ségur,  297. 

GouTHE-Soui-ARD  (Mgr),  arche- 
vêque d'Aix.  —  Discours  sur  I« 
Droit  et  le  devoir,  187.  —  Son 
entretien  av^c  un  rédacteur  du 
Figaro,  sur  les  lois  de  laïcisa- 
tion, 378. 

Gouzot(. Mgr), archevêque  d'Auch. 

—  Lettre  prescrivant  un  Te 
Deum  à  l'occasion  des  fêtes 
franco-russes,  276. 

H 

Haine  (De  la)  d'abomination,  par 
M.  l'abbé  G.  Mobeac,337. 


Icard  (M,),  supérieur  général  des 
prêtres  de  Saiot-Suiiiice,  423. 
—  Lettre  du  cardinal  Richard  à 
l'occasion  de  sa  mort,  613. 


Jeanne  d'Arc:  Discours  de  M. 
Poincaré,  ministre  de  l'Ins- 
truction publique,  37. 

Journal  d'un  Pèlerin  à  Lourdes, 
par  H   Caliiiat,  687. 

Judaïsme  (Le)  cosmopolite,  402. 

Juifs  (Les)  et  le  socialisme,  par 
Ed.  Drumont,  138. 


Juive  (La  question)   et  l'Eglise, 
367. 


Lamartine,  par  M.  Ed.  Gornut,  80, 

Lauzerte.  —  Un  vaillant  porte- 
croix  à,  par  M.  l'abbé  Henri 
Calhiat,  307,  535. 

LÉON  XIII.  —  Discours  aux  pèle- 
rins de  l'Apostolat  de  la  prière, 
113.  —  Lettre  aux  Evêques 
d'Espagne,  315.  —  Lettre  en- 
cyclique sur  les  études  d'I^.cri- 
ture  Sainte,  505,  561.  —  (Voir 
Nouvelles  religieuses  :  Rome). 

Léon  XIII  et  M.  E.  Ollivier,  106. 

Liturgie  :  Règles  concernant  le 
culte  des  saintes  reliques  et  les 
saintes  images,  par  M.  l'abbé 
Moreau,  459.  —  Une  double 
équivoque  à  propos  des  livres 
choraux,  625.  —  Décret  concer- 
nant les  fêtes  primaires  et  se- 
condaires, 27. 

Lourdes  (N.-D.  de)  :  Une  visite, 
par  M.  l'abbé  Henry  Calhiat, 
588,  646. 

M 

Mac-Mahon  (M.  le  maréchal  de), 
duc  d«  Magenta.  Sa  mort, 

149,  155.  —  Ses  obsèques.  206. 

—  Discours  de  M.  Dupuy,  pré- 
sident du  Conseil  des  ministres, 
207;  Discours  du  géu'M-al  Loi- 
zillon,  ministre  de  la  guerre, 
209.  —  Sa  biographie,  220.  — 
Un  service  à  Alger,  275. 

Menses    épiscopales    et   curiales 

(i.es),  226. 
MiGNOT  (Mgr)  évêque  de  Fréjus. 

—  Discours  à  l'occasion  de  la 
bénédiction  du  Jauréguibcrry, 
264. 

Missionnaires.  —  Hommage  à, 
nos,  par  NL  Eug.  Wolf,  explo- 
rateur protestant  allemand  , 
142. 

MoREAu(M.  labbé  P.  G.),  vicaire 
général  de  Langres.  —  Le  livre 
de  paroisse,  5.  —  Le  prêtre  est 
l'homme  de  Dieu,  116.  —  De 
l'Evangile,  173  —  Des  condi- 
tions de  l'acte  moralement 
mauvais,  239.  —  De  la  con- 
science téméraire,  288.  —  De 
la   haine    d'abomination,    337. 

—  Du    traitement    extraordi- 


TABLE    ALPHABETIQUB 


727,' 


naire  des  curés,  dessflrvants  et 
vicaires,  393.  —  Règles  litur- 
giques concernant  le  culte  des 
samtfs  reliques  et  des  Siiintes 
image».  4ô9.  —  De  la  prédica- 
tion, 017. 

Mots  (La  puissance  des),  164. 

MuN  (M.  le  comte  de).  — Dis- 
cours à  Landeroeau,  219, 357, à 
Lille.  633. 

Musique  sacrée.  —  Une  double 
équivoque,  6'2."i. 

Nécioloffie.  —  Duc  d'Uzès  :  Dis- 
cours du  commandant  de  Mon- 
teil,  41.  —  Le  maréchal  de 
MaC'Mahon,  duc  de  M«genta, 
149. —  G()UDf)d,  le  grand  mu- 
sicien français,  150,  257.  — 
Mme  la  princesse  Mar-jnerite 
C2artoiy>ka,  fille  de  Mgr  le 
duc  de  Nemours,  255.  —  Mgr 
Poyet,  de  Jérusalem,  260.  — 
Cardinal  Laurenzi,  326.  —  M. 
Tirard,  ancien  ministre  des 
finances,  326.  —  M.  Icîut,  su- 
périeur général  des  prêtres  de 
Saint-Sulpice,  423.  —  Sir  A. 
White,  623.  —  Mgr  Juteau, 
évêque  de  Poitiers,  483.  — 
Prince  de  Battonberg.  ancien 
prince  de  Bulgarie.  484.  —  Le 
P.  Gubtielmotti,  48o.  —  Mgr 
Mac-Carthy,  évêque  de  Cloyne 
(Irlande),  594. 

Nécrologies  opiscopales,  par  M. 
M.    C.     d'AGRiGENTE     (suite). 

—  Année  1821  (suitp).  —  Le 
cardinal  de  Talleyranrl-Péri- 
goid,  archevêque  de  R-^ims  et 
de  Paris,  10.  —  Mgr   d^  Poli- 

•  gnac,  évêque   de   Meaux,    132. 

—  Mgr  Hourlier,  évêque  d'Ë- 
vreux, 233. 

Neutralité  scolaire  (La).  534. 

Nouvelles  Religieuses  :  Rome  et 
l'Italie,  52.  —  Dlscour^'  de  Sa 
Sainteté  Léon  XIII,  aux  che- 
valiers de  l'ordre  Pro  Ecclesia 
et  Ponli/ice,  371;  —  aux  pèle- 
rins du  nord  de  l'Italie,  424;  486, 
611.  —  Discours  aux  déléga- 
tions des  Sociétés  catholiques 
df  Romp,  652.  —  Discours  de 
Léon  XI II  au  Sacré  Collège,  7 15. 

Fr  nce  :  La  rentrée  des  cours  et 
tribunaux  à  Paris  et  en  pro- 
vince, 152.  —  Alger  :   275.  — 


Amiens,  95.  —  Auch,  276.  — .' 
Autun,429.  — Aix,  378.  —  Car- 
thage  :  Mgr  Combes,  429.  — 
Châlons  :  Caprices  d'un  maire, 
96.  —Chartres:  Prise  d'habit 
chezdes  Sœurs  de  St-Paul,  691.. 

—  Coustantine:  Adieux  de  Mgr 
Combes,  655.  —  Digne,  154. — 
Lyon  :  Lettre  aux  religieuses 
pour  la  canonisation  de  Jeanne 
d'Arc,  656.  —  Lnval,  431.  — 
Marseille:  sa  cathédrale, 540.  —  : 
Montpellier,  278.  -  Nevers,52; 

—  sup|)rfssion  de  traitements 
ecclésiastiques,  97.  —  Paris  : 
Installation  de  M.  l'abbé  Rivât, 
à  St-Lambert  de  Vaugirard,94. 

—  A  propos  du  Te  Deum  des 
fêtes  franco-russes  ,27  4. —  Messe 
de  rentrée  des  cours  de  l'Insti- 
tut catholique,  335  —  Cente- 
naire de  la  profanation  de 
Notre-Dame,  320,  375  ;  —  de 
St.-Etienne-du-Mont ,  487.  — 
Perpignan  :  séminaristes  sol- 
dats, i'9.  —  Séez  :  Le«!  sémina- 
ristes soldats,  380.  —  Tarbes: 
Lourdes,  279.  —  Vannes,   657. 

—  Jérusalem,  430  ;  —  Terre 
Sainte,  541. 

Missions:  Honolulu,  431 

O 

Ollivier  (M.  Eniilei  et  Léon  XIII, 
406. 

Ordonnateurs  des  fabriques.  (V. 
Curé). 

Oratoire  (Congrégation  de  I').  — 
L'^ttre  lie  Mgr  Penaud,  évêque 
d'.\ulun  et  supérieur  général, 
au  Souverain  Pontife,  54.  — 
Réponse  de  Sa  Sainteté,  55. 


Paris  (M.  le  comte  de).  —  La  li- 
berté d'association.  531.  —  La 
liberté  des  svndicats  ouvriers, 
629. 

Paroisse  (Lp  livre  de),  parM.  l'ab- 
bé G.   MOREAU.  5. 

Parville  (.m.  h.  de).  —  Causerie 
scientifique,  473. 

Perrald  (Mgr),  évêque  d'Autun. 
—  Lettre  au  Pape,  concernaut 
la  Congrégation  de  l'Oratoire, 
5o.  —  Paroles  prononcées  à  son 
retour  de  Rome,  428. 


728 


ANNALES    CATH0UQUE8 


PoiNCARÉ  (M.),  ministre  de  l'ins- 
truciion  publique  et  des  cultes  ; 
—  Discours  sur  Jeanne  d'Arc, 
37  ;  —  aux  obsèques  de  Gounod, 
258. 

Porte-Croix  (Un  vaillant)  à  Lau- 
zerte,  pav  H.  Calhiat,  307,  535. 

Préd.caliOQ  (De  la),  par  M.  l'abbé 
G.  MoRKAU,  617. 

Prêlre  (L'^),  est  l'homme  de  Dieu, 
par  M.  l'abbé  G.  Moreau.  116. 

Protestation  de  Mgr  Trégaro 
contrfi  l'application  de  la  nou- 
velle loi  sur  les  fabriques,  705. 

Q 

Quiquerez  de  Segonzac  (L'affaire 
de),  90. 

R 

Reliques. —  Règles  concernant  le 
culte  des  Sainte*  Reliques,  459. 

Richard  iS.  Em.  le  cardinal  ar- 
chevêque de  Paris.  —  Lettre 
pastorale  à  l'occasion  du  Cen- 
tenaire de  la  i)rofanatii'n  de 
l'église  Notre-Dame  de  Paris, 
32U.  —  Cérémonie  expiatoire  et 
Amende  honorable,  376.  — 
Lettre  à  M.  le  curé  de  Saint- 
Elieune  du  Mont,  pour  répara- 
tion centenaire,  4îs6.  —  Lettre 
à  loccasion  de  la  mort  de  M. 
Icard,  supérieur  général  des 
prêtres  de  St-Sulpice,  613. 

S 

Segonzac  (affaire  Quiquerez),  90. 
Séminaristes  soldat.s),  380. 
Socialisme  (Li^),  et   les  Juifs,  par 

Ed.  Drumont, 138. 
Socialisme    Catéchisme)    272. 


Socialisme   (Le),  en   Suisse,  411, 

Sœursdes  Pauvres  (Petites). —  Les 
origines  d'une  grande  Œuvre 
par  Louis  Veuillot,  6.5 

SoMS  (général  de),  par  M.  R.  dk 
Salbert,  246. 

Syndicats  ouvriers,  499.  —  Leur 
dissolution,  551.  —  Leur  liberté, 
par  M.  le  comte  de  Paris,  629, 


Tête  coupée  (Une)  qui  parla, 
(légende  espagnole),  par  IVl. 
l'abbé  Henry  Calhiat,  145,  195. 

Tho.mas  (S.  Em.  le  cardinal).  — • 
Lettre  pastorale  sur  l'alcoo- 
lisme, 525,  574. 

Timl)re  (le)  des  quittances  déli- 
vrées par  les  comptables  des  fa- 
briques, 679. 

Traitement  extraordinaire  (Du) 
des  curés  desservants  et  vi- 
caires, par  M.  l'abbé  G.  Mo- 
reau, 393. 

Trégaro  (Mgr).  —  Lettre  de  pro- 
testation contre  l'application 
de  la  nouvelle  loi  sur  les  fabri- 
ques, 705. 

U 

Union  nationale  ouvrière  (L'),  69. 

Vaucouleurs,  par  M.  Henri  Arsac, 
57. 

Veuillot  (Louisj  :  Les  origines 
d'uue  grande  œuvre:  Les  Pe- 
tites-Sœurs des  pauvres,  65.  — 
Le  portefeuille  de  Louis  Veuil- 
lot, par  Eugène  VeuiLlot. 

Vœu  national  (L^),  |)ar  M.  le  mar- 
quis d'AURAY,  413. 


UNE  CONQUETE 

Après  avoir  trop  longtemps  subi  le  joug  des  sectes,  la  Fiance  com- 
mence à  se  ressaisir.  C  est  ainsi  que  les  Catholiques,  par  le  Diction- 
naire des  Dictionnaires,  ont  enfin  repris  le  domaine  encyclopédique 
usurpé  «lepuis  plus  d'un  siècle  par  la  Franc-Maçonnerie  et  la  Libre 
Pensée,  et  y  ont  planté  la  croix.  11  importe  d'affermir  et  d'étendre 
cette  précieuse  conquête.  Quiconque  a  souci  de  l'intérêt  familial, 
social,  religieux,  conseivateur,  voudra  participer  à  cette  croisade, 
qui  a  pour  cri  :  Foi  et  Science,  Dieu  et  Patrie.  D'ailleurs,  il  s'agit 
d'une  œuvre  aujourd'hui  indispensable,  d'une  utilité  quotidienne  ;  et 
l'on  p<'Ut  encore  en  souscrivant  de  suite,  se  la  procurer  dans  des 
con  lirions  exceptiftniielles.  On  trouvera  plus  loin  ces  conditions  avec 
le  bulletin  de  souscription. 

Le  gérant  :  I'.  Chantrel. 

Pans.  —  Imp.  G.  Picquoin,  53,  rue  de  Lille. 


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