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Full text of "Annales de l'Academie de Reims"

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ANNALES 


DE 


L'ACADEMIE DE REIMS. 


18h42 — 18h53. 


ji EN ALES 


E. TRS 
N DE REMS. 


Premier Volume, 


1842-1813 


RE DT AF 1 j 
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REIMS, 
L. JACQUET, LIBRAIRE, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE , 
y 


MDECCXLIII. 


ANNALES 


DE 


L'ACADÉMIE DE REIMS. 


LETTRE 
A M. LE MINISTRE 
SECRÉTAIRE D'ÉTAT 


AU DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. 


MONSIEUR LE MINISTRE , 


Nous avons l’honneur de soumettre à votre examen 
les Statuts organiques d’une association dont le but, 
tout intellectuel, répond à l’un des besoins de notre 
industrieuse cité. 


ME. +. 

Le titre d'Académie de Beims, que nous proposons 
de lui donner, nous a paru le plus en rapport avec l'in- 
tention littéraire et scientifique d’une telle création. 

Reims n’est pas seulement la ville des grands sou- 
venirs historiques , et d’une puissante activité indus- 
trielle ; Reims , ä toutes les époques de son histoire , 
s’est placée au premier rang des villes du même ordre 
que recommandent le goût des lettres et les travaux de 
l'intelligence. Ses écoles, célèbres même au temps de 
la conquête romaine, furent, sous la deuxième et au 
commencement de la troisième race, illustres entre 
toutes celles qu'avaient fondées les capitulaires , et que 
soutenail le génie chrélien. Pour des maîtres comme 
Gerbert, saint Bruno, Jean de Salisbéry, les écoles de 
Reims eurent des disciples tels que le roi Robert et le 
pape Urbain IF. 

A travers les luttes barbares du moyen-àge, ces éco- 
les, dont la principale fat le collége des Bons-Enfants , 
conservèrent le dépôt de la science et les traditions 
des bonnes études ; et, tandis que le génie des Li- 
Bergier, des Robert de Coucy enfantait les merveilles 
de la cathédrale et de Saint-Nicaise, Robert Sorbon , 
Guillaume de Filliastre, Jean Gerson, Guillaume Coquil- 
lart, et tant d’autres, sortis des écoles de Reims , éle- 
vaient à la jurisprudence, à la théologie , aux sciences 
et à la poésie, d’impérissables monuments. 

Ce mouvement des esprits fut constamment soutenu 
et encouragé par les archevêques de Reims; nul n’a 
manqué à cette noble mission, et quand Charles de Lor- 
raine fonda l Université , il continuait, dans la mesure 
de sa haute position et des besoins de lépeque, l'œuvre 
de ses prédécesseurs. 

En même temps que l'université, l'imprimerie s’éta- 


o 


blit à Reims et y amena les célèbres Nicolas Bacquenois 
et Jean de Foigny. Les arts et les lettres brillèrent 
alors d’un nouvel éclat , et les grands travaux de Ber- 
gier, de Marlot, de Mabilion, de Dom Ruinart; le 
talent du graveur Nanteuil , lérudition de Rainssant , 
et aprèseux Pabbé Pluche , Pabbé Batteux, Lévesque 
de Pouilly et le P. Féry, profond mathématicien , con- 
servèrent à la patrie rémoise sa vieille illustration. 
Puis vint Jean-Baptiste de la Salle, qui fonda Pensei- 
gnement primaire, et le perpétua dans un institut, dont 
le berceau fut à Reims, et dont le bienfait s’est répandu 
sur tout le monde civilisé. Enfin, des cours gratuits de 
mathématiques et de dessin , établis par łe conseil de 
ville et dotés par la munificence de Nicolas Rogier , 
compléièrent, en 1748, les institutions locales d’ensei- 
gnement public. 

Vers ce temps, et plusieurs fois depuis, l'esprit d'é- 
mulation et le goût des arts provoquèrent la création 
d’une société littéraire et scientifique ; si le suecès n’a 
pas répondu à ces généreux efforts , on sait qu’il faut 
Pattribuer à l’insouciance d’un pouvoir énervé , et aux 
perturbations politiques de la fin du xvm siècle. Ces 
tentalives réitérées constatent néanmoins la tendance de 
l'esprit publie à Reims, et ce n’est pas sous un gou- 
vernement qui a tant fait pour la propagation de Fen- 
seignement et le progrès des arts et des lettres, ce n’est 
pas quand le besoin d'instruction et de communications 
intellectuelles promptes et faciles est devenu un besoin 
dè première nécessité, que nous pouvons craindre de 
voir nos vœux repoussés, et Reims privée plas long- 
temps d’une institution qui lui manque. 

Nous avons done, monsieur Le Ministre, la confiance 
que le: gouvernement se inontrera favorable au projet 


es 
que nous lui soumettons , el pour lequel nous sollici- 


tons votre appui. f 


Nous sommes avec respect , 
Monsieur le Ministre , 


Vos très-humbles et très-obéissants serviteurs, 
Tuomas , archevêque de Reims, le Vte de BRIMONT, 
DérODÉ-GÉRUZEZ, de SAVIGNY, SAUBINET, 
MAILLE-LEBLANC ,ROBILLARD , BANDEVILLE, 
de GourGas , H. FLieury , Hergé, L. Paris, 
NANQUETTE, FANART, BOUCHÉ , BRUNETTE , 
P. Targé, Th. Conranr, H. Lanpouzx. 


Reims, le 15 Mai 184. 


ARRÊTÉ 


DU MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. 


MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. 
N° 29182. 


Nous. Ministre secrétaire d'État au département de 
Y Instruction publique, grand-maître de l Université de 
France, 

Vu la demande qui nous a été adressée par plusieurs 
habitants notables de la ville de Reims, à l'effet d’être 
autorisés à se réunir en société sous le titre d Académie 
de Reims : 

Vu les Statuts de ladite Société , dont les diverses 
dispositions sont susceptibles d’être approuvées, 


DE 
ARRÉTONS : 
ARTICLE PREMIER. 

L'Académie de Reims est autorisée à se constituer 
délinitivement, et ses Statuts règlementaires sont ap- 
prouvés tels qu’ils sont annexés à sa demande. 

ARTICLE DEUXIÈME. 

M. le Préfet du département de la Marne est chargé 

de l’exécution du présent arrêté. 
Fait à Paris, le 6 Décembre 18/41. 
Signé : VILLEMAIN. 

Pour ampliation, le chef du secrétariat. 

Signé: A. DANTON. 


— 10 — 


EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL 
DE LA PREMIÈRE SÉANCE, 


Le 20 Décembre 18414, sept heures du soir, les mem- 
bres de l’Académie étant réunis sous la présidence 
provisoire de monseigneur l’ Archevêque, il est procédé 
à la formation du bureau définitif, et à la nomination 
des membres du conseil d'administration, suivant les 
formes prescrites par les règlements. 

Monseigneur l'Archevêque ayant réuni l'unanimité 
des suffrages au premier tour de scrutin, est élu prési- 
dent annuel de l'Académie. 


Sont élus : 
Vice-Président , MM. Dérodé-Géruzez. 
Secrétaire , Landouzy. 
Secrétaire-Adjoint, Contant. 
Trésorier. Saubinet. 


Membres du conseil d'administration : MM. L. Paris, 
Maille et Fleury. 
Le Secrétaire de l’Académie, 


Signé: H. Lanpouzy. 


STATUTS 


DE L'ACADÉMIE DE REIMS. 


ARTICLE PREMIER, 

L'Académie de Reims est constituée, conformément 
à l'arrêté ministériel du 6 Décembre 1841, dans le but 
de travailler au développement des sciences, des arts 
et belles-lettres , et surtout de recueillir et de publier 
les matériaux qui peuvent servir à l’histoire du pays, 

II. 

L'Académie se compose de trente membres titu- 
laires, de dix associés résidants, et de membres hono- 
raires et correspondants dont le nombre est indéter- 
miné. 

MI. 

L’archevêque de Reims, le préfet de la Marne, le 
sous-préfet de l'arrondissement et le maire de la ville 
ont droit de séance dans les assemblées de l’Académie. 


IV. 

Le bureau sera composé d’un président, d’un vice- 
président , d’un secrétaire, d’un secrétaire-adjoint et 
d’un trésorier. 

) À 

La police des réunions appartient au président ; il 
est chargé d'ouvrir et de clore les séances , de faire les 
discours d'ouverture des séances publiques, de procla 


RES 


mer les noms des lauréats, enfin de faire les honneurs 
de l Académie, et d’y introduire les étrangers qui vou- 
draient lire quelque mémoire ou répéter quelque ex- 
périence. 

En l'absence du président, le vice-président jouit 
des mêmes prérogatives et remplit les mêmes fonctions. 


VI. 


Le secrétaire est chargé de la correspondance gé- 
nérale, de la convocation des séances ordinaires, de la 
rédaction des procès-verbaux, et du rapport historique 
des travaux de la compagnie ; il doit faire annoncer les 
séances publiques, adresser aux journaux les sujets de 
prix ainsi que les noms des lauréats ; il conserve en sa 
garde le sceau de l’Académie, et toutes les pièces qui 
composent les archives. 


VII. 


Les procès-verbaux de chaque réunion ne seront 
transcrits sur les registres qu'après avoir été lus et 
approuvés à la séance suivante. 


VIII. 


Le trésorier est chargé de la caisse de l'Académie, 
et de la rentrée des sommes qui composent ses reve- 
ous ; il fait toutes les recettes et toutes les dépenses : 
ses comptes sont vérifiés à la fin de chaque année. 


IX. 


Le conseil d'administration est composé des mem- 
bres formant le bureau et de trois autres membres 
nommés au scrutin; il s'occupe spécialement de tout 
ce qui a rapport aux intérêts matériels et moraux de 
l'Académie, et de la surveillance de ses publications. 


X. 

Le président et le vice-président sont élus au scrutin 
secret, à la majorité absolue; la durée de leurs fonc- 
tions est d’un an; ils peuvent être réélus après une 
année d'intervalle. 

Après deux tours de scrutin sans résultat, il y aura 
scrutin de ballotage entre les deux candidats qui auront 
réuni le plus de voix. En cas de partage des voix , le 
plus ancien d'âge l’emportera. 

XI. 

Le secrétaire, le secrétaire-adjoint et le trésorier sont 
nommés dans la même forme , pour un an, mais ils 
sont indéfiniment rééligibles. 


XII. 
Le conseil d'administration est renouvelé tous les 
deux ans ; les mêmes membres ne peuvent y être ap 
pelés qu'après une année d'intervalle. 


XII. 

Les membres du bureau et ceux du conseil d’admi- 
nistration ne peuvent être choisis que parmi les titu- 
laires. ; 

XIV. 

Les titulaires seuls seront admis à donner leurs votes 
dans les élections et dans les affaires d'administration. 

Les associés résidants auront voix délibérative dans 
toutes les questions qui concernent les travaux de lA- 


cadémie. 
XV. 


Les assemblées de l'Académie ne prendront aucune 
résolution qu’elles ne soient composées de la majorité 
des membres titulaires, et il ne pourra être procédé à 


An — 


aucune élection sans que les deux tiers au moins des 
membres titulaires soient présents, 


XVI. 

Tout candidat à une place vacante dans le sein de 
l'Académie sera tenu d’adresser au président ses Litres 
à l’admission. 

XVII. 

Ces titres seront renyoyés à une commission qui en 
fera l’objet d’un rapport par écrit dans une réunion 
spéciale. Si les deux tiers des suffrages se réunissent 
en faveur du candidat, le président proclamera son 
admission ; dans le cas contraire, son nom ne sera pas 
inscrit au procès-verbal. 

XVHI. 

Le titulaire ou associé nouvellement élu présentera, 
dans la séance de réception, un travail sur une ques 
tion à son choix. 

XIX. 


L’ Académie publiera annuellement ses travaux. 


XX. 

Les membres titulaires sont tenus de donner tous les 

ans un travail écrit sur un sujet à leur choix. 
XXI. 

Les membres correspondants s'engagent à commu- 
niquer à l’Académie leurs ouvrages et le fruit de leurs 
recherches ; si l’un d’eux laisse écouler trois années 
sans exécuter cette clause, il sera censé renoncer à son 
titre, et son nom pourra être rayé du tableau. 

XXII. 
Tous les ouvrages, imprimés ou manuscrits, seront 


soumis à une commission chargée d'en rendre comple 
à la compagnie. Si quelques expériences nouvelles et 
importantes s’y trouvaient indiquées , elles pourront 
être répétées dans les séances particulières de l’Aca- 
démie. 

XXIII. 

L'Académie n’admettra aucun ouvrage qui blesserait 
la morale, la religion , ou le respect dù aux lois de 
l'État. i 

XXIV. 


Chaque année l’Académie tiendra une séance pu- 
blique dans laquelle seront distribués les prix ; il ne 
sera lu dans cette séance que des travaux préalablement 
soumis à l'examen de la compagnie. 

XXV. 

Le programme des questions mises au concours sera 
rendu public, après avoir été lu dans la séance an- 
nuelle. 

XXVI. 


Aucun membre résidant ne pourra concourir, ni 
sous son nom, ni sous un nom emprunté, 


XX VII. 


Jusqu'à ce que des fonds spéciaux soient mis à la 
disposition de l’Académie, les membres résidants s’im- 
poseront une cotisation qui sera déterminée chaque 
année. 


XXVII. 


Toute proposition qui tendrait à modifier les pré- 
sents statuts devra être signée par trois membres , lue 
à l Académie, et renvoyée à une commission, qui, après 
avoir entendu les motifs des membres signataires, fera 


— 16 — 


un rapport par écrit. H sera alors procédé au serulin , 
et la proposition ne pourra être adoptée qu'autant 
qu’elle réunirait au moins les trois quarts des suffra- 
ges. Les modifications adoptées par la compagnie 
seront soumises à l'approbation du Ministre. 


Le President de l Académie, 
Signé : THOMAS, archevêque de Reims, 


Le Secrétaire de l Académie , 
Signe : H. LANDOUZY. 


EXTRAIT DE RÈGLEMENT 


d'organisation intérieure. 


ARTICLE PREMIER. 


L'Académie se réunit le {et le 3° Vendredi de 
chaque mois, à 7 heures du soir, sauf le cas de conyo- 
‘ation extraordinaire. Elle clot ses séances le 3° Ven- 
dredi du mois d’Août et fait sa rentrée le 4°" Vendredi 
de Novembre. 

IT. 


L'ordre à observer dans les séances ordinaires est 
établi ainsi qu’il suit : 

4° Lecture du procès-verbal et de la correspon- 
dance. + 

2 Des travaux des membres correspondants. 

3 Des personnes étrangères à l'Académie. 

4° Des membres titulaires et résidants. 

5° Rapports des commissions. 

6° Discussion des objets d'administration. 


HI. 

Les membres qui auront à faire des lectures ou des 
communicalions devront s'inscrire à l’avance au secré- 
tariat, et la parole leur sera donnée suivant l’ordre du 
jour fixé par le président. 


ES 
IV. 


Tous les travaux adressés à l’Académie seront, (à 
l'exception de ceux des membres titulaires ou rési- 
dants), soumis à l’examen du bureau, avant qu'il en 
puisse être donné lectare à la compagnie. 


V. 


Lorsque dans une séance ordinaire on devra s'oc- 
cuper d’un objet indépendant des travaux habituels, 
il y aura convocation expresse avec désignation du 
molif. 


VI. 


Quoique les séances ordinaires ne soient pas publi- 
ques, les étrangers peuvent y assister pourvu qu'ils 
soient présentés par deux membres. 


XI. 

Tout candidat au titre de Correspondant devra être 
présenté par deux membres titulaires ou résidants, 
un mois au moins avant l'élection. 

Les noms et les titres des candidats seront inscrits 
sur un tableau dans la salle des séances de l'Académie 
avec les noms des membres présentateurs. 


XII. 


Les élections des membres titulaires résidants ou 
correspondants qui doivent compléter la compagnie, 
auront lieu deux fois par année, en séance extraordi- 
naire, le 2m. Vendredi de Mai pour le premier semestre, 
et le 2m° Vendredi de Novembre pour le deuxième 
semestre. 


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XV. 

La compagnie décernera le titre d’Académicien 
d'honneur dans ceriaines circonstances spéciales dont 
elle se réserve l'appréciation. 

XX. 
Tous les rapports devront être présentés à l’Aca- 


cadémie dans le délai de deux mois; passé ce terme, 
ils seront de droit portés à l’ordre du jour. 


XXI. 

Tous les ans dans la 2° séance de Mai, des rappor- 
teurs seront nommés pour analyser les travaux de Pin- 
stitut de France. Ces rapports devront être faits dans le 
1e et le 3° trimestre. 

XXVII. 

Les droits de diplôme sont de dix francs pour les 

membres titulaires , résidants ou correspondants. 


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SÉANCE PUBLIQUE DU JEUDI 4 MAI 1843. 


Présidence de Ms" L'ARCHEVÈQUE. 


La Séance est ouverte à 1 h. 172 en présence d’un 
nombreux auditoire. 

MM. le Sous- Préfet de l'arrondissement , M. le Pré- 
sident du tribunal civil, M. le Président du tribunal 
de commerce et M. le Maire occupent des siéges d’hon- 
neur à droiteet à gauche du bureau : 


Sont présents : 


MM. DÉRODÉ-GÉRUZEZ, DE BRIMONT, DE SAVIGNY, 
SAUBINET, MAILLE-LEBLANC, ROBILLARD, BANDEVILLE, 
HERBÉ , BOUCHÉ , L. PARIS, L. FANART , NANQUETTE, 
BRUNETTE, TH. CONTANT, H. LANDOUZY, DE BELLY, 
WAGNER, BARA, HOUZEAU, BONNEVILLE , PHILLIPPE, 
QUERRY , HUBERT, GARCET, E. DÉRODÉ, GOBET, 
MAILLEFER , LECONTE, M. SUTAINE, TARBÉ DE 
S.-HARDOUIN , membres titulaires. 


MM. MAQUART, GEOFFROY DE VILLENEUVE , 
DUQUENELLE , MONNOT DES ANGLES, LOUIS-LUCAS , 


SOILLY , DE JONCIÈRES , Membres résidants, 


MM. AUBERT , BARBEY , CHARPENTIER , COLLESSON , 
DAGONET , DESSAIN-PÉRIN , GOSSIN , LELEU-D'AUBIELY , 
DE MAIZIERE, DE MELLET, MOPINOT, POYILLON-PIERRARD, 
RONDOT , membres correspondants. 


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ORDRE DU JOUR. 


Discours d'ouverture, par Mgr L'ARCHEVÈQUE, Prési- 
dent. 

Compte-rendu des travaux de l’Académie, par 
M. Laxpouzy , secrétaire. 


RAPPORTS 


De MM. BonneviLLe , sur la question d'économie poli- 
tique. 
NANQUETTE , sur la question historique. 
MAILLEFER-COQUEBERT , sur la question d é- 
conomie agricole. 


LECTURES . 


De MM. RogiLLaRD , visite au mont Saint-Michel. * 
Le C'° pe Merter, de l'archéologie consi- 
dérée sous le triple rapport de la religion , 
de l’histoire et de l'art. * 
L. Paris, nole sur la publication de Dom 
Marlot. 
PHILLIPPE , essai historique sur la vie et les 
ouvrages de Jean Goulin, médecin né à 
Reims. 
WaGner, voyage aulour de mon cabinet, 
( vers ). 
Proclamation des prix et des médailles d’encoura- 
gement., 
Programme des concours ouverts pour l’année 1844. 


** Ces deux pièces, faisant partie d'ouvrages qui ont été imprimés 
depuis la séance publique, n'ont pu être insérées dans le volume 
annuel, 


DISCOURS 


DE 


MONSEIGNEUR L’ARCHEVÊQUE DE REIMS. 


Messieurs, 

« Il y aura bientôt deux ans que vous avez conçu 
le projet de former dans cette vilie une société litté- 
raire et scientifique. Secondés par Padministration du 
premier magistrat de la cilé, qui vous a donné dans 
celle circonstance une nouvelle preuve de son zèle 
pour tout ce qui est bien, vous avez oblenu du gou- 
vernement du Roi l'autorisation de constituer cette 
société, sous le titre d’ Académie de Reims, et vous l’a- 
vez constituée, C’est à vous, Messieurs, à vous tous 
qui avez bien voulu vous associer à ses travaux, que 
l'Académie que j'ai l'honneur de présider doit son 
existence. Il n’y a pas moins de gloire à soutenir et à 
fortifier une organisation naissante et débile, qu’à lui 
donner la vie : continuer et développer une œuvre, 
c’est en quelque sorte la créer, 


« Il vous a semblé qu’un évêque, qu'un archevêque 
de Reims surtout, ne pouvait, à raison de la posi- 
tion qu’il occupe au milieu de vous, être tout-à-fait 
étranger à l'exécution d’un projet dont le but était 
d’entretenir le goût des sciences, des arts et des let- 
tres. Je partageais votre manière de voir à cet égard, 
et je vous remercie d’avoir compris mes sentiments. 
Non, je ne saurais oublier le double témoignage et 
du respect que vous portez au caractère auguste dont 
je suis revêtu, et de la confiance dont vous m'avez 
honoré, en m’associant à une œuvre que je regardais 
et que je regarde comme un hommage offert à votre 
pays, à ma patrie; car votre patrie, Messieurs, est 
ma patrie d'adoption. 

« Depuis que les études sérieuses sont en honneur, 
la science a fait de rapides progrès; les arts d’utilité 
publique, comme les arts d'agrément, se développent 
et se perfeclionnent de jour en jour. Partout, confor- 
mément aux desseins de la divine Providence, se ma- 
nifeste un mouvement intellectuel qui doit tourner au 
bonheur des peuples et à la gloire du pays. Ce mouve- 
ment, qui est la vie des intelligences , ne s'arrêtera 
point. C’est une loi générale pour les nations comme 
pour les individualités qui les composent : plus on 
avance dans le domaine immense et inépuisable de 
la science, plus aussi on est fortement poussé, plus 
on éprouve d’altrait, entraînement. Le progrès, en 
dilatant notre intelligence, ne la rend que plus capa- 
ble, et plus avide de nouvelles découvertes. Cepen- 
dant, parce qu’il n’est pas de loi qui ne soit limitée 
dans son objet, celle qui nous donne cette salutaire 
impulsion pour la culture et le développevement des 
sciences, veut que nous respeclions ces vérités d’un 


0 


00) — 


ordre plus élevé que la religion proclame immuables 
et inaccessibles à nos investigations ; telle la loi qui, en 
imprimant le mouvement à l'Océan, lui fait respecter, 
jusque dans sa fureur, les limites qui lui ont été tra- 
cées par le Créateur. 

« Une impulsion générale étant soutenue par le Pou- 
voir, ne pouvait être sans résultat. Partant de la capi- 
tale, et se communiquant de province en province, de 
ville en ville, elle a remué tous les esprits; il n’est pas 
une partie de la France où elle mait ranimé lémula- 
tion et formé des sujets capables de disputer les pal- 
mes de la science. Aujourd’hui, dans le modeste ha- 
meau comme dans la bourgade, dans les plus petites 
villes comme dans les plus grandes cités, on rencontre 
des hommes qui cultivent avec succès ou les lettres, 
ou les sciences, ou les arts. 

« Mais vous l’avez reconnu , Messieurs, ces résultats 
qui étonnent l'étranger, on les doit principalement à 
l'esprit d'association. En effet, quelles que soient les 
facultés de l’homme, il n’est pas bon qu’il soit seul ; 
s’il est abandonné à ses propres forces, sans guide, 
sans direction, sans secours, ses efforts deviennent 
impuissants, ses travaux stériles; loin de pouvoir rien 
faire pour les autres, il peut à peine se suffire à lui- 
même. Nos connaissances les plus précieuses sont des 
connaissances d'emprunt; le génie même ne produit 
qu'autant qu’il est fécondé dans le sein d’une société. 
Ce n’est que par le concours persévérant des eflorts 
individuels et des hommes et des générations, qu’on 
peut exécuter de grandes choses, créer des établis- 
sements durables et vraiment utiles. Vous le savez, 
Messieurs, car l’histoire nous l'apprend : c’est à des 
associations laborieuses et régulières que la républi- 


0 


que des lettres est redevable de la conservation des 
chefs-d’œuvre de l'antiquité. Ce sont des associations 
qui nous ont laissé ces prodiges d'érudition, où nous 
retrouvons les titres primitifs de nos annales, ces vas- 
tes recueils imprimés ou manuscrits, où nous pouvons 
suivre la marche progressive de notre civilisation, élu- 
dier l’origine et la formation de notre langue, le carac- 
tère des diflérents âges, les habitudes et les mœurs de 
nos pères. Ce sont des corporations encore qui ont 
élevé nos basiliques, ces superbes monuments qu’on 
a appelés gothiques et barbares, apparemment parce 
que, ayant quelque chose de surhumain dans leur 
conception, ils cessaient d’être conformes aux règles 
du classicisme qui nous est venu des Grecs et des 
Romains. Ces merveilles de l’art chrétien font Padmi- 
ration de notre siècle, la gloire des villes qui les pos- 
sèdent, comme elles ont fait pendant longtemps le dé- 
sespoir des plus habiles architectes, qui ne pouvaient, 
comme aujourd’hui le peuvent nos jeunes artistes, s’in- 
spirer au foyer de quelque association scientifique. 
« C’est parce qu’on a compris que l'association est 
le principe le plus fécond en résultats, que toutes les 
grandes villes ont établi des académies, où, par une 
admirable alliance peu connue des anciens, l’émula- 
tion fait marcher de front les belles-lettres, les scien- 
ces et les arts. C’est là que le prêtre et le magistrat, 
le militaire et le paisible citoyen se réunissent aux sa- 
vants et aux hommes lettrés, non-seulement pour pren- 
dre le plus doux et le plus noble délassement, mais 
encore pour s'instruire davantage, et étendre le cer- 
cle de leurs connaissances. Dans un corps académi- 
que, tous les membres sans distinction, par une com- 
munication libre et mutuelle, se donnent et reçoivent 


— 7 — 


en même temps une direction convenable à chacun, 
sans qu’il y ait ni orgueil ou domination d'aucune part, 
ni humiliation pour qui que ce soit. 

« Vous connaissiez ces avantages, Messieurs ; vous 
avez pu les apprécier en suivant les travaux de la 
société académique de Chàlons, à laquelle plusieurs 
d’entre vous appartiennent, et dont j'ai moi-même 
l'honneur d’être un des membres correspondants. Aus- 
si, à l'exemple de vos voisins, et comme eux jaloux 
de concourir au progrès de la science dans l’ancienne 
province de Champagne, vous avez fondé l’Académie 
de Reims. Vous avez pensé d’ailleurs qu’il ne con- 
venait pas qu’une ville riche de souvenirs et d’illus- 
trations en tout genre; que l'antique Durocort qui, 
au rapport du rhéteur Cornelius Fronto, cité par Gon- 
sentius grammairien du cinquième siècle , et depuis 
par le docte Cellarius, avait su, dès le temps de Marc- 
Aurèle, mériter le surnom d'Athènes par la réputation 
de ses établissements littéraires; que Reims enfin, lais- 
sàt vaquer plus longtemps sa place dans la liste 
honorable des sociétés savantes, dont nous voyons le 
nombre augmenter tous les jours. 

« Ce n’est pas, Messieurs, qu’en dotant notre ville 
de cette nouvelle institution, vous ayez élevé des pré- 
tentions ambitieuses. Il n’est point donné généralement 
à une académie de province de reculer les bornes de 
l'empire des sciences. C’est pour elle une assez grande 
gloire d'inspirer et d’entretenir le goût des bonnes étu- 
des , d’encourager par son suffrage et ses récompenses 
le talent naturellement timide à son début, de suivre 
les progrès des sciences et des arts, pour en faire d'u- 
tiles applications; de recueillir les traditions populaires 
qui font le charme d’un récit historique, de faire de 


RE 


nouvelles recherches, et de publier celles qui sont res- 
tées inédites, sur l’histoire littéraire , ecclésiastique et 
civile du pays. 

«En offrant ce vaste champ à nos travaux, vous vous 
êtes associé des hommes amis de la science et de la 
vertu que vous regardez comme inséparables. Aussi, 
fidèles à l'esprit de vos sages institutions, vous ne vous 
écarterez jamais dans vos écrits du respect que vous 
professez pour la religion, la morale, l'autorité des lois 
et des magistrats. La science , quel qu’en soit l’objet, 
est une émanation de la lumière qui nous vient d’en 
haut , de cette lumière qui éclaire, échauffe et féconde; 
elle est pour celui qui en est dépositaire un don du ciel, 
qui doit retourner à celui qui en est le premier au- 
teur, en répandant sur nos frères une douce et salu- 
taire influence. 

« Messieurs , lorsque vous avez organisé l’Académie 
de Reims, vous m'avez fait l'honneur de m’appeler à la 
présidence pour la première année de vos travaux. J’ai 
été d’autant plus sensible à ce nouveau témoignage, que 
je ne pouvais ignorer le sentiment qui vous lavait 
dicté. Qu'il me soit donc permis, en cédant le fauteuil à 
celui qui sera désigné par vos suffrages , d'exprimer 
ma gratitude à l'honorable compagnie, en la priant de 
compter toujours sur mon parfait dévouement. » 


COMPTE-RENDU 


DES 


TRAVAUX DE L'ACADÉMIE, 
PENDANT L'ANNÉE 1842-1843, 


Par M. LANDOUZY, Secrétaire. 


Messieurs, 


L'obligation imposée aux académies de rendre compte 
chaque année de leurs travaux, en séance publique, ne 
dérive pas, vous le savez , d’une idée de vaine pompe 
et de stérile solennité. 

Instituées dans le but de propager la science, les 
arts et les belles lettres, les sociétés savantes avaient 
besoin , pour acquérir l'influence indispensable à toute 
œuvre intellectuelle, de cette autorité morale que les 
noms les plus éminents ne peuvent donner et qui se 
gagne seulement par la manifestation positive du pro- 
grès accompli et des actes utiles. 

Il fallait lutter surtout par la preuve irrécusable des 
faits contre ces vieux préjugés , rajeunis tous les jours, 
enfants de l’espérance décue , de l'amour propre blessé, 
et qui s’attaquant aux plus illustres classes de l'in- 


— 30 — 

stitut comme aux plus modestes académies, embrassent 
dans une même proscription toutes les associations 
scientifiques, les considérant, si je puis ainsi dire, 
comme des sociétés d’admiration mutuelle, comme des 
bureaux d'esprit , où quelques poëtes inédits viennent 
se ceindre de couronnes et s’énivrer aux fumées d’un 
encens réciproque. 

Persuadée qu’une société savante ne peut aujour- 
d'hui, sous peine de déchéance , se soustraire à ce con- 
trôle public qui fait, en définitive, la force de tout ce 
qui est dansla vérité, l'Académie de Reims a voulu 
dès sa première année, et malgré le peu qu’elle a pu 
faire encore, répondre à la confiance du gouvernement 
qui l’a établie, justifier le haut patronage sous lequel 
elle a été fondée en obéissant avec résignation à ses 
statuts et en venant livrer à l’appréciation d’un audi- 
toire éclairé les produits de ses premiers eflorts. 

Je ne vous parlerai pas, Messieurs, des travaux 
préliminaires nécessaires à notre constitution, et des 
obstacles qu'il nous a fallu vaincre. Grâce au savant 
prélat qui nous préside, nous avons triomphé aisément 
de toutes ces difficultés, de tous ces mauvais vouloirs 
que rencontrent inévitablement à leur origine les nou- 
velles créations. celles surtout qui, dans ces temps 
d’effervescence utilitaire , n'apparaissent pas comme 
devant concourir directement au progrès matériel. 

En quelques mois, une bibliothèque déjà riche 
était fondée pour le diocèse et mise à la disposition 
de la compagnie ; en quelques mois, le palais archi- 
épiscopal redevenait comme au neuvième et au dixième 
siècle, comme au temps d'Hincmar et de Gerbert, le 
foyer de la civilisation scientifique ; en quelques jours 
enfin, nous trouvions pour nos assemblées ordinaires 


— 31 — 


une salle de séances ornée naguère pour un roi; et 
certes, si belle que fùt la maison consacrée par Acadé- 
mus à la réunion des savants d'Athènes et dans laquelle 
enseigna Platon, nous n'avions rien sous le rapport 
de la splendeur matérielle à envier aux Péripatéticiens. 
Non , Messieurs, que je veuille admettre qu’en ma- 
tière académique, comme en jurisprudence, la forme 
puisse jamais influer sur le fond ; mais ne devons-nous 
pas légitimement nous féliciter d’avoir pu par unenoble 
hospitalité échapper à ce reproche immémorial adressé 
aux gens de lettres , reproche de dénuement et de pau- 
vreté plus fatal que jamais dans ce siècle d’or, j'allais 
dire d'argent , où nous vivons ? 

Là , du reste, n'étaient pas les plus graves difficultés, 
l'académie fondée, il fallait des académiciens, car à 
l'exception de quelques privilégiés qui formaient le 
noyau primitif, on avait, chose incroyable , négligé ce 
précepte si sage inscrit dans l’un de nos codes les plus 
usilés, et qui veut dire en langue vulgaire : pour 
faire une académie , prenez des académiciens. 

A Reims, l'académie était faite, il fallait faire les 
académiciens. Si l’on n’eût pas été si loin, c’est-à- 
dire si l’on s’en fût tenu à la création abstraite et in- 
corporelle, il ne se fût pas trouvé assez d'éloges au 
dehors pour une pareille création. Reims, en effet , 
Pune des premières dans la hiérarchie des cités, 
Reims l’ancienne capitale de la France orientale , 
Reims, l’ancienne métropole universitaire , si riche en 
matériaux historiques et artistiques , devait pour son 
honneur et pour la durée de ses souvenirs réclamer 
une académie ; une académie sans prétentions pédan- 
tesques, sans idées de tyrannie littéraire ; une acadé- 
mie qui eût choisi pour devise : « Unum scio quod nihil 


00 — 


scio ; tout ce que je sais , c'est que je ne sais rien ; » si dans 
sa modestie elle eût osé prendre ila sublime maxime 
de Socrate et de Platon ; une académie enfin formant 
tout simplement comme la maison d’Académus ou 
comme la retraite de Cicéron à Persépolis, un centre 
où pourrait s'adresser avec confiance tout ce qui se 
rattache au passé et à lavenir de la Champagne, tout 
ce qui tient au progrès scientifique et industriel du 
pays. 

On connaissait d’ailleurs l'influence des sociétés 
scientifiques en province; on.savait leur puissance ci- 
vilisatrice aux Etats-Unis, leur force plus grande encore 
dans la savante Allemagne , et sans aller chercher nos 
exemples siloin, on savait parmi nous les heureux 
effets de la société de Châlons sur la prospérité agricole 
du département de la Marne. 

Toutes ces considérations étaient trop puissantes 
pour qu'on n’eût pas applaudi à l’idée d’une académie. 
Mais, je le répète, l'idée devait passer à l'état de 
réalité ; la fondation abstraite devait prendre un corps, 
une forme humaine, et l'académie faite homme était 
vouée dès lors à toutes les censures, à toutes les cri- 
tiques , soumise en un mot à toutes les misères de l'hu- 
manité; 

Ce n’était pas qu'on ne sût qu’une grande cité comme 
Reims n’était pas, malgré son peu de célébrité ac- 
telle dans la république des lettres, dépourvue de 
littérateurs , d'artistes et de véritables savants ! Des 
ouvrages estimés en haut lieu étaient là pour rappeler 
le nom d’un grand nombre d’adeptes , mais nul n’est 
prophète en son pays, et depuis que cela est écrit dans 
l'Évangile, il a toujours fallu franchir la limite de 
deux départements pour se faire juger sans conteste. 


— 33 — 


« En mon climat de Gascoigne, dit Montaigne, on tient 
pour drôlerie de me veoir imprimé : d'autant que la cog- 
noissance qu'on prend de moy s’esloingne de mon giste , 
J'en vaulz d'autant mieulx ; j'achète les imprimeurs en 
Guienne , ailleurs ils m'achètent. » A fortiori devait-on, 
dans notre climat de Champagne , où l’on est plus mo- 
deste qu’en Gascogne, tenir pour drôlerie de voir im- 
primer nos collègues, quelque renommée qu’eussent 
du reste leurs œuvres dans les plus grands centres de 
science. 

Et d’ailleurs, comment ces hommes qu’on avait ren- 
contrés la veille , négociants , juges, industriels , méde- 
cins ou avocats, seraient-ils devenus le lendemain 
académiciens? Ce problème était difficile et embarras- 
sait sérieusement les esprits les plus philosophiques ! 

Sans doute, on w’avait pas été sans remarquer une 
réaction locale bien manifeste depuis quelques années 
en faveur des habitudes scientifiques, littéraires ou 
artistiques , et il fallait bien que queiques mains ca- 
chées eussent travaillé à Cette régénération si rapide. 
Oui! mais c'était l'électricité sous forme latente ét dont 
on n’apercevait pas l’origine. Ces travailleurs infati- 
gables, ces artistes modestes presqu'inconnus lun à 
Pautre , étaient épars , on ne trouvait aucun avantage à 
les réunir; pour tout dire, en un mot, la nouvelle insti- 
tution n’était pas inscrite dans la coutume de Reims. 


Tant et de si puissants arguments rendaient la ques- 
tion insoluble ; aussi l’ Académie sans employer ses pre- 
mières séances à en chercher la solution a fait, suivant 
Pexpression d’un de nos rapporteurs , comme ce philo- 
sophe devant qui les Pyrrhoniens niaient le mouvement, 


5 


EN ve 


elle a marché, et pendant sa marche, le temps, ce 
juge impartial a tranché la question a notre avantage ; 
la négation et les doutes ont passé, la critique s’est 
eudormie de guerre lasse; les témoignages les plus 
éclatants , le concours le plus efficace, les sympathies 
les plus honorables nous ont été accordés , et nous 
voyons aujourd’hui les premières aulorités de larron- 
dissement et les premiers magistrats de la cité don- 
ner la preuve la moins équivoque de lintérêt qu’ils 
portent à nos travaux , en abandonnant un instant les 
plus graves occupations pour venir honorer de leur 
présence cette solennité littéraire. 

Vous n’attendez pas de moi, Messieurs, que je vous 
fasse assister en quelques minutes aux séances de toute 
une année. Vous savez qu'un compte-rendu de secré- 
taire ne peut être, à moins de renfermer un volume, 
qu’une simple table de matières , une sèche et rapide 
énumération. Si étendu que soit le résumé des sujets 
que vous avez traités , ilserait toujours trop court pour 
faire comprendre l'intérêt qui s’est attaché aux travaux 
que j'exposerais, et si brève que soit cetle analyse, 
elle dépasserait toujours les limites que je dois mim- 
poser dans cette séance. 


Je n'ai donc pas besoin, Messieurs, pour obtenir lin- 
dulgence que mérite un travail si ingrat de recourir aux 
phrases obligées de modestie derrière lesquelles se cache 
l'amour-propre d'auteur ; le secrétaire est dans toute 
académie, la victime offerte en sacrifice en séance publi- 
que; il est inévilablement ou trop long ou trop court; 
entre ces deux périls mon choix ne pourrait être dou- 
teux, mais après bien des efforts j'ai acquis la triste 


cu DD a 


conviction que je succombais à l’un et à l’autre danger, 
car j'ai été en même temps trop long et trop court : 
trop court pour mon sujet, trop long pour laudi- 
toire ; j'obéis donc fatalement aux obligations que 
m'impose l'honneur de mon titre : j'ai pour moi l’ex- 
cuse de la nécessité. 


Da veniam seriptis quorum non gloria nobis 
Causa , sed utilitas officiumque fuit. 


. . . . . . . » . . . . . . . . 


Au nombre destravaux que l’Académie pouvait en- 
treprendre avec le plus de succès, il faut mettre en 
première ligne les études d'histoire et surtout d’his- 
toire locale. Longtemps abandonnés comme s'ils mof- 
fraient qu’un stérile intérêt, les siècles qui ont précédé 
le nôtre ont été tout-à-coup depuis quelques années ex- 
plorés avec un zèle qui semble vouloir combler toutes 
les lacunes et remplir immédiatement tous les vides. 
On a compris qu’en dehors d'Athènes et de Rome, il y 
avait une vaste érudition à créer et à acquérir, érudi- 
tion toute nationale, qui tend à éclairer le présent par 
un passé mieux connu, et surtout à remplacer les opi- 
nions par les faits, les systèmes par des documents pré- 
cis, par des chartes particulières, des pièces inédites 
de correspondance, par tous ces secrets enfin que dé- 
couvrent chaque jour les paléographes dans la pous- 
sière de nos archives, et qui dédaignés par les histo- 
riens classiques donnent souvent la cause, les moyens 
et la fin des épisodes les plus intéressants. 

Sous ce rapport , le département de la Marne et 
Reims en particulier offrent les sources les plus riches 
à exploiter, et heureusement aussi, c’est chez nous que 


LR N 


se trouvent ceux qui pouvaient le faire avec le plus de 
zèle et de succès. 

Ainsi, pour l'histoire générale vous avez eu de 
M. Louis Paris de précieux documents sur le règne 
de François II ; pour l'histoire locale, les notes les plus 
curieuses sur l’ancienne académie fondée à Reims en 
1749 sous la présidence de M. de Lassalle dont Vol- 
taire faisait si grand cas; un rapport verbal sur un 
buste antique trouvé sous les fondations de ancienne 
église Saint-Symphorien et qui nous a été adressé par 
M. de Brunet. Ce bronze a dù appartenir à la plus 
belle époque romaine, il représente Jupiter Olym- 
pien, et malgré l’énormité d’un pareil titre, il a bien 
fallu reconnaître, avec M. Paris, que le maitre des 
Dieux, porteur d’un crochet sur la tête n’était, en 
cette occasion, descendu des hauteurs de FOlympe 
que pour servir de peson à une balance romaine. 

M. Paris vous a donné aussi sur l'origine des ta- 
pisseries de Reims des détails qui servent maintenant 
de préface à un magnifique ouvrage, et celte histoire 
des tapisseries a été même, vous vous le rappelez, la 
source d’une discussion remarquable entre MM. Herbé 
et Fanart sur l'architecture chrétienne et l'acoustique 
monumentale; discussion qui a porté ses fruits au 
dehors de l'Académie , puisqu'elle a eu pour résultat 
la réparation des plus somptueuses tentures qui déco- 
raient il y a trois siècles le chœur de nos églises. 

Nous avons obtenu de M. Povillon-Pierrard notre 
infatigable correspoudant des renseignements pleins 
d'intérêt sur les sépultures et les inscriptions tumulai- 
res mises à découvert par les fouilles pratiquées lan 
dernier dans l'arrondissement ; 

De MM .Duquenelle et Louis-Lucas plusieurs lectures 


ca. M 
sur la numismatique ; et en particulier sur les mon- 
uaies et objets d’antiquité trouvés à Reims et dans le 
pays rémois depuis 4820 jusqu’en 1840 ; 

De M. Failly, inspecteur des douanes à Cambrai, 
membre correspondant, une note curieuse sur les an- 
ciennes poteries de grès flamand : 

De M. Dessain-Périn, membre correspondant, un 
projet d’étudefpour l'achèvement (sur le papier) de la 
cathédrale de Reims que beaucoup d’entre nous, sans 
doute, croyaient complète et qui n’est point à moitié 
terminée; 

De M. abbé Querry, une analyse de Phistoire de la 
cathédrale de Châlons par M. Estiayer-Cabrassole : 

Enfin, puisque j’en suis à la paléographie, un rapport 
de M. Nanqaette que j'aurais à peine besoin de rappe- 
ler, car personne ne l’a oublié, sur les publications de 
la société des bibliophiles. 


Je mentionnerai aussi dans le mème genre un travail 
important de notre correspondant M. Ozeray de Bouil- 
lon, sur le culte des mystères d'Égypte, de Samothrace 
et d'Éleusis : une dissertation du mème auleur sur une 
question d'érudition qui à soulevé au dehors de P Aca- 
démie trop d’orages pour que j'ose m’exposer de nou- 
veau à en reproduire le titre. 

Je dois dire seulement que l'histoire littéraire des 16° 
et 17° siècles est pleine de ces paradoxes! gravement 
soutenus, en plusieurs volumes, à grand renfort de grec 
et de fatin. Les écrivains étaient alors séparés en deux 
camps, le camp des dames et le camp des messieurs, 
pour parler textuellement ; les uns, à la tête desquels 
il faut placer Corneille Agrippa, examinaient si les 


2 @ 


hommes appartenaient réellement à l'espèce humaine. 
Les autres, qui avaient pour premier champion Jac- 
ques Olivier, licencié aux loix et au droict canon, dé- 
fendaient les messieurs se retranchant avec làcheté 
derrière ce verset de la bible, au chapitre 7 de 
l'Écelésiaste «de mille hommes j'en ai trouvé un bon et de 
toutes les femmes pas une, » verset que je n’oserais citer 
qu’en latin si je n'étais convaincu que les scribes du 
moyen âge en ont altéré le texte et renversé le sens. 

De cette grave querelle est sortie une myriade de 
petits volumes qu’on trouve dans notre bibliothèque 
pour ou contre légalité des sexes, pour ou contre 
la prééminence de l’homme et dela femme; et bien que 
j'aie à peine besoin de rappeler solennellement, pour 
la sécurité de l'Académie, qu’elle n’a recu qu’une dis- 
cussion de pure terminologie et non point une discus- 
sion de prééminence, je crois pouvoir assurer que si 
nous en étions encore à ces controverses de mauvais 
goût dont le 17° siècle était si avide, l'Académie à 
l'unanimité aurait décidé, sans appel, que la femme 
tient le milieu entre l’homme et les anges, mais en se 
rapprochant beaucoup plus des anges que des hommes. 

Je devrais avant de quitter la section d’histoire 
mentionner icile rapport de M. Belin sur Dom Mariot, 
et vous parler de l’œuvre immense que l’Académie a 
entreprise en éditant ces précieux matériaux désirés 
par tous les savants; mais cette tâche sera beaucoup 
mieux remplie par un de nos confrères plus compétent 
que moi en matière historique. 


Bien que la tendance présente des esprits vers les 


+ = 


études positives ait diminué peut-être l'ardeur pour 
ce qu'on appelait autrefois les lettres pures , néan- 
moins , il nous a été fait des lectures assez remar- 
quables et assez nombreuses en ce genre pour rassurer 
les esprits les plus exigeants sur le sort des belles- 
lettres dans notre Académie. Ainsi vous avez entendu 
les discours de réception de MM. de Mellet , Collesson 
et Dessain, membres correspondants , de MM. Louis- 
Lucas , Monnot des Angles, Failly et de Joncières, 
membres résidants. 

Nous avons reçu de M. Failly , que je cilais tout-à- 
l'heure, la traduction d’une nouvelle inédite d Hoff- 
mann, sur laquelle M. Dérodé-Géruzet, nous a fait un 
rapport : 

De M. Max. Sutaine, une traduction de l'ouvrage 
d’Eclzer, intitulé : La poesie allemande considérée dans 
ses rapports avec la morale ; une notice biographique 
sur Perceval , peintre rémois, dont les tableaux 
exposés dans notre musée attestent assez le talent ; 

De M. E. Dérodé, un rapport sur les principaux faits 
de la vie publique du cardinal de Lorraine et sur lim- 
portance que présente pour l'histoire du pays l’élude 
d’une existence qui a laissé à Reims tant et de si 
grands souvenirs ; 

De M. Ponsinet, juge‘à Sainte-Ménéhould , membre 
correspondant, plusieurs épisodes de l’histoire de la 
Champagne, parmi lesquels je citerai : l’Argonne, 
le champ de bataille de Valmy, la rue de Tambour à 
Reims , Me de Chateauroux à Possesse, etc. ; 

De M. Monnot des Angles , un rapport sur les ou- 
vrages de M. Ozanneau, Pun en prose, intitulé les Ro- 
mains, Vautre en vers, intitulé la Mission de Jeanne 
d'Arc; 


JP SD a 


De M. Dérodé-Géruzet , une biographie de Linguet , 
célèbre jurisconsulte rémois, et l’un des hommes les 
plus remarquables du dernier siècle ; 

De M. l’abhi Bandeville, un rapport sur la diablerie 
de Chaumont, opuscule plein des détails les plus cu- 
rieux par M. E. Jolibois de Rethel ; 

De M. Dess:in-Périn, une jolie anecdote de l'émigra: 
tion, intitulée le Panier de péches, et qui a pour héros le 
chanoine Desloges, ancien pénitencier du chapitre de 
Reims ; 

Erfin plusieurs fragments de voyage par M. Robil- 
lard, dont je pourrais me dispenser de parler puisque 
vous allez l'entendre, et qui fera bientôt, nous l’espé- 
rons, pour la Champagne ce qu’il a fait pour la Nor- 
mandie. 


Quant à la poésie, malgré la somnolence actuelle des 
neuf sœurs en province, P Académie a pu réveiller quel- 
ques muses endormies sur les bords de la Vesle où elles 
mouraient de langueur dans un fatal isolement, comme 
des arbres exotiques sur un sol ingrat. Ainsi vous vous 
rappelez Y Ode à la Champagne et la Première commu- 
nion d'une jeune fille par M.Wagner ; lépitre au tisse- 
rand-poèle par M. Violette ; les stances à l’Académie 
par M. Maillefer; une élégie et une traduction du psaume 
Super flumina Babylonis par M. Des Angles; des pièces 
fugitives de M. Drouet, membre correspondant; plu- 
sieurs satires par M. Dureteste de Fismes ; la traduc- 
tion des sept psaumes de la pénitence, qui nous a été 
dédiée par M. Clicquot, membre correspondant ; des 
fables de M. Galis, que je vous lirais si je savais lire 
les vers sans leur ôter toute leur poésie; enfin un 


EN UE 


recueil de M. Gonzalles , humble ouvrier vraiment né 
poèle, sur lequel M. Dérodé-Géruzet nous a fait un rap- 
port plein d'intérêt. 


Au nombre des travaux que la section des sciences 
morales, économiques et législatives a soumis à PA- 
cadémie, je citerai surtout l'essai de M. Jourdain sur 
le crédit considéré dans ses rapports avec la morale, la 
politique et les intérêts commerciaux; 

Le rapport de MM. Houzeau et Contant sur la 
question des caisses d’épargnes , adoptée comme sujet 
de prix; 

Plusieurs fragments d’un ouvrage sur la récidive en 
matière criminelle et un mémoire sur la répression des 
plaideurs de mauvaise foi par M. Bonneville: 

Un essai de M. Charpentier, membre correspondant, 
sur l'influence générale des sociétés littéraires et sur 
les bons effets qui résulteraient de la création d’un 
certificat spécial pour léduealion commune; 

Le rapport de M. Maille-Leblanc sur le traité des 
monnaies de M. Bonneville de Paris, notre correspon- 
dant; 

Un mémoire sur la division de travail par M. Rondot; 

Un discours de M. le comte de Mellet touchant lin- 
fluence réciproque des doctrines religieuses sur la 
science et de la science sur les doctrines religieuses; 

Un compte-rendu des ouvrages de M. Bonneville, 
par M. E. Dérodé ; 

Enfin de M. E. Perrier de Châlons, membre corres- 
pondant, une analyse remarquable du livre intitulé 
Travail et Salaire de notre tres-regreltable confrère 
M. Prosper Tarbé ; 


+ 7 


Parmi les lectures qui vous ont été faites sur les scien- 
ces exactes, je mentionnerai les nombreux mémoires de 
M. de Maizière sur les vents alizés, sur la masse du 
calorique, sur les rapides migrations des oiseaux mes- 
sagers, sur les indices fournis par les étoiles filantes, et 
les savants rapports que MM. Garcet et Tarbé de Saint- 
Hardouin vous ont faits au sujet de ces travaux. 

« M. de Maizière, vous a dit dans un de ses derniers 
« rapports, M.de Saint-Hardouin, est un de nos corres- 
« pondants les plus laborieux, disciple fervent de la 
« science, il la cultive depuis sa jeunesse avec une per- 
« sévérance que le défaut d'encouragement n’a pu las- 
« ser, et les travaux qu’il vous a communiqués sont le 
« résultat de cinquante années d’études et de médita- 
« tions. N 

« C’est là certainement, ajoute le rapporteur, un 
« speclacie remarquable dans un siècle comme le 
« nôtre, où les idées d’hier sont déjà vieillies, où te 
« découragement s'empare des âmes de vingt ans 
« quand le succès leur a manqué un seul jour. 

Quoique les rapporteurs n’aient point partagé les idées 
de M. de Maizière sur tous les points, et en particulier 
sur la plus grande question peut-être qu’on ait jamais 
agitée, c’est-à-dire sur la pondérabilité du calorique, 
néanmoins ils ont été, comme toute l’Académie, unani- 
mes à reconnaître le succès des expériences faites 
avec le paracasse, et le haut mérite d’une invention 
qui pourrait, en se soumettant aux naturelles exigences 
de l'industrie, produire un jour d'immenses résultats 
économiques. 

Je n’omettrai point parmi les sciences exactes le 
compte-rendu des travaux mathémathiques de l'Insti- 
tut pendant l'année 1842, par M. Garcet ; un mémoire 


ST a 


sur la nouvelle comète aussi par M. Garcet, dont l'in- 
flexible logique est malheureusement venue détruire les 
espérances que, dans ses doux souvenirs de 1811, la 
Champagne fondait déjà sur un astre si fécond en 
présages ! 


Pour la mécanique appliquée, vous avez entendu un 
rapport très-favorable de M.Tarhé de Saint-Hardouin, 
sur l’ingéuieuse invention de M. Bailly directeur de la 
saile d'asile du quartier Saint-Remi , et dont la ville 
connaît le mérite et le dévouement. 

« Ce procédé, dit votre ‘apporteur M. Tarbé de 
x Saint-Hardouin, est destiné à faciliter aux enfants 
« l’étude de la géographie. 

« Sur une carte de France d’une grande dimension 
« les noms des départements et leurs chefs-lieux sont 
« disposés en strophes rimées que l’on fait chanter aux 
« enfants sur une modulation trés-simple. A mesure 
« que le nom d’une ville arrive sur leurs lèvres , un 
« bouton placé sous la ville même sort du tableau et 
« vient ainsi montrer successivement la position géo- 
« graphique de tous les points du territoire; à cet ap- 
« pareil est joint un petit jeu d’orgues destiné à soute- 
« nir la voix des enfants. » 

Cette machine a été entièrement conçue et exécutée 
par M. Bailly et avec ses seules ressources , elle Lé- 
moigne puissamment de l'intelligence et de lasollicitude 
vraiment remarquables qu'il apporte dans l'éducation 
des jeunes enfants ; à l'unanimité, P Académie a voté à 
M. Bailly une médaille d'encouragement, 


» +. En chimie, vous avez distingué surtout un 


+ A 


mémoire de M. Leconte, pharmacien en chef de P Hôtel- 
Dieu, qui a trouvé par de nouvelles analyses la com- 
position exacte de la gentiane et des principes qui la 
constituent : un essai de M. Lebourdais, sur un nou- 
veau procédé de préparation des alcalis végétaux , 
sur lequel M. Leconte vous a fait un rapport très- 
favorable qui a valu à M. Lebourdais le titre de 
membre Correspondant. 

En électro-chimie, vous avez eu sous les yeux les 
expériences de MM. Houzeau et Duquenelle sur les ap- 
plications si simples et si puissantes de la méthode 
galvano-plastique ; 


En photographie, les belles épreuves dagnerriennes 
que M. Lory vous a présentées afin de vous montrer 
dans toutes leurs phases les modifications que subit 
depuis son origine celte admirable découverte. Vou- 
lant encourager la patiente intelligence avec laquelle 
cet ingénieux artiste a suivi les progrès incessants 
d’une science si fertile en résultats pratiques , el vou- 
lant récompenser surtout les nombreux essais qu’il 
a entrepris pour la reproduction des images à la lu- 
mière diffuse et médiate, l'Académie a voté à M. Lory 
uñe médaille d'argent. 


Parmi les sciences physiques et naturelles je rappelle- 
rai le compte-rendu des séances de l'Institut pour Ja 
physiologie, ła botanique et la zoologie; les expériences 
répétées en présence de la compagnie touchant les cu- 
rieux effets des courants galvaniques sur les animaux à 
sang froid ; un mémoire sur l'hygiène des prisons de 
Reims ; enfin les savantes communications de M. 
le docteur Seurre de Suippes, menibre correspondant , 


— 45 — 


sur un cas très-grave de chirurgie, et sur l'épidémie 
dysenterique qui parcourut il y a deux ans toutes 
nos contrées. 


Au nombre des travaux dont nous avons désiré 
nous occuper le plus promptement se trouvent la flore 
et la carte géologique de l'arrondissement, œuvres 
précieuses non-seulement comme monument de statis- 
tique naturelle, mais comme documents indispensables 
à la métallurgie et surtout à l’industrie rémoise el à la- 
griculture raisonnée. 

Pour la botanique, MM. de Belly et Saubinet vous 
ont déjà communiqué la première partie de leur travail 
sur la flore, et vous avez reçu en outre de M. Saubinet 
une notice pleine d'intérêt sur les champignons des 
environs de Reims, avec l'indication des caractères pro- 
pres aux espèces comestibles ou vénéneuses. 

En géologie, M. Rondot a appelé toute l'attention des 
naturalistes sur une mine d’or récemment découverte 
au mont Saran près d'Épernay, sur les gisements de 
Rilly, des Voisillons et de Ludes, terrains des plus 
importants à étudier pour la solution d’une foule de 
questions géognostiques qui divisent encore les savants. 
Vous avez eu sous les yeux les échantillons recueillis 
par M. Rondot dans notre arrondissement, et le pro- 
gramme si complet et si méthodique des recherches 
qu'il a entreprises, pour remplir la mission difficile 
que vous lüi avez confiée en le chargeant de suivre , 
surtout pour la conchyliologie, les études ordonnées par 
le conseil général du département. 

Pour tous ces travaux d'un grand intérêt local 
et général, vous avez décerné à M. Rondot une 


Rd 


médaille d'argent et le titre de membre correspondant. 


Dans les sciences naturelles ,ou plutôt dans leurs 
dérivés nous devons ranger aussi l’agriculture, le pre- 
mier des arts quant à son origine , et le dernier peut- 
être quant à ses progrès. 

Convaincue que sans être incomplète et surtoutinutile, 
une sociélé savante ne peut se concentrer exclusivement 
aujourd’hui dans les études spéculatives , l'Académie a 
voulu concourir pour sa part à ces louables eflorts 
qu’on fait de toute part en faveur de la première science 
pratique, et elle s’est associée avec empressement aux 
vues d’un de ses plus honorables membres, en conti- 
puant pour 1844 le prix fondé par lui cette année. Un 
autre beaucoup plus compétent que moi, vous dira tout- 
à-l’heure les heureux résultats de ce concours d’écono- 
mie agricole, je me borne à vous rappeler parmi les 
communications qui vous ont été failes dans cette sec- 
tion, une note de M. de Vroiïl sur les avantages que les 
stations d'étalons procurent à l’agriculture ; le rapport 
de M. Maillefer sur le congrès vinicol d'Angers ; un 
essai de M. Geoffroy de Villeneuve sur l'amélioration de 
la race chevaline dans le département de la Marne ; 
les notes de MM. Rondot , de Brimont et Maillefer 
sur la germinalion des plantes sans terre végétale, sans 
engrais et sans labour; ua mémoire de M. de Brimont 
sur la culture des terres calcaires, œuvre qui a déjà 
porté ses fruits, car elle a engagé nombre d’agricul- 
teurs à échanger contre leurs anciens procédés la nou- 
velle méthode qui valut à notre honorable confrère le 
prix qu'il partagea il y a quelques années avec le 
célèbre abbé de Pradt à la société royale d'agriculture. 

Enfin, un rapport de M. Geoffroy sur une charrue 


+, pe 


à plusieurs socs, inventée par M. Huet, cultivateur à 
Nogent-l'Abbesse. Bien que cet instrument ne rem- 
plisse pas complètement le but de l'auteur, il témoi- 
gne cependant de louables efforts qui méritent d’être 
encouragés, et conformément au vœu de la commission, 
l'Académie décerne à M. Huet une médaille d’argent. 


Pour terminer l’'énumération des travaux manuscrits, 
je vous citerai des rapports très-importants, quoiqu’ils 
ne rentrent pas directement dans l’ordre scientifique , 
de MM. Fanart, Bouché, Fleury, Contant, Philippe, 
Hubert, Maquart et Max. Sutaine. 

Quant aux ouvrages imprimés qui nous ont été re- 
mis, je vous ferai grâce d’un long catalogue que j'ai 
là sous les yeux , formé presque tout entier par les 
œuvres des membres de cette compagnie, et en tête 
duquel je vois Les Actes de la province ecclésiastique 
de Reims, les Toiles peintes et les Tapisseries de la ville de 
Reims , les Trésors de nos églises, le Traité des monnaies 
d'or et d'argent, etc., ouvrages des plus importants et 
par les travaux immenses auxquels ils ont donné lieu 
et par les sacrifices pécunaires qu’ils ont im, osés. 


. . «+ . . Quoique comptant à peine une année 
d'existence, l’Académie a déjà plusieurs membres à 
regretter. Ainsi nous avons perdu comme titulaires 
MM. de Gourgas , Fleury et Prosper Tarbé, que leurs 
fonctions ont forcé de changer de résidence et dont tout 
le monde a pu apprécier les travaux et les talents. 


Parmi les membres correspondants , nous avons à 


. E 


déplorer la mort de MM. de Felcourt, Sous-Préfet 
de Vitry, connu par d’utiles essais administratifs ; 
d'Herbès d’Ay, savant modeste occupé surtout d’é- 
tudes archéologiques, et Loriquet, officier de Puni- 
yersité, qui après avoir consacré à l'instruction de 
la jeunesse toute une vie des plus honorables et des 
plus honorées, employait ses derniers loisirs à mettre 
en ordre de précieux documents sur l'histoire de la 
ville d'Épernay dont ila pendant quarante ans dirigé 
le collége. 


... .. e . o Vous le voyez, Messieurs, je mai 
point eu à recourir à ces ingénieuses fictions dont un 
de nos confrères nous parlait dernièrement, et que 
sont contraints d'employer quelques secrétaires dans 
leurs comptes-rendus annuels. Fai pu à peine donner 
le titre de chacune des communications manuscriles , 
j'insiste sur ce mot, qui vous ont été faites, je mai 
pu citer une seule phrase des travaux les plus impor 
tants, et j'ai déjà , en vous lisant une simple table de 
malières , dépassé les termes en-deca desquels la dis- 
crétion me forcait de rester. 

Continuons, Messieurs, cette œuvre de régénéra- 
tion scientifique pour laquelle il ne faut plus que 
des efforts faciles. Le défaut de loisirs que chacun de 
nous peut attribuer aux exigences de sa profession, et 
que nous invoquons par fois pour nous soustraire à 
la loi de travail que nous nous sommes imposée , est 
rarement le légitime et véritable motif. 

Non, il faut bien l'avouer, ce n’est pas le défaut 
de temps qui met la province si loin de Paris quant 


CE es 


aux productions libérales, mais le défaut d'initiative, 
le défaut d'exemple , le défaut d'habitude. C’est cette 
douce paresse du lutrin, cet inexprimable farniente 
dans lequel on s'endort si bien en province, parce 
qu’on n’y est pas, comme ailleurs, réveillé par le mou- 
vement des esprits et par la circulation des idées. 

Une fois endormi dans cette molle et douce oisiveté, 
le moindre bruit intellectuel vous trouble et vous fati- 
gue; de-là ces plaintes inarticulées, ces vagues inter- 
jections qu’entendent si souvent ceux qui travaillent 
et qui ont eu le malheur de réveiller ceux qui dor- 
maient. 

Ainsi se gagne de proche en proche cette inaction 
que, par respect humain, on est convenu d'attribuer au 
défaut de loisirs et aux nécessités de la profession, 
comme si l’on nous demandait plus d’un travail par 
année et de deux heures par quinzaine ; comme si l’on 
ne dépensait pas chaque jour, et de mille manières, 
dix fois plus de temps que n’en emploient au culte de 
la science, les plus féconds académiciens. 

En vous montrant ce que nous avons fait, et ce qui 
nous reste à faire, ce compte-rendu des travaux de 
l’année , quelqu'incomplet qu’il soit, fortifiera, on peut 
l’espérer , le zèle de la compagnie et la confiance que le 
gouverment a mise en elle. Il prouvera d’ailleurs à 
ceux qui ne se laissent pas dominer par les habitudes 
de scepticisme systématique et de dénigrement uni- 
versel , à ceux qui savent se contenter du possible, que 
l'académie a créé autour d’elle une impulsion que l'a- 
venir rendra de plus en plus féconde ; qu’elle a produit 
ce qui n’eût pu être produit sans elle, et que si, dès 
la première année de sa fondation , elle a excité au- 
dedans et au-dehors une émulation puissante et des 


4 


= 50 == 


travaux dont personne ne conteste le mérite, il n’y a 
pas à désespérer du salut des lettres dans l'une des 
plus anciennes et des plus illustres capitales du monde 
savant. 


RAPPORTS 


SUR LES CONCOURS 


OUVERTS POUR L'ANNÉE 1843. 


PROGRAMME 
DES QUESTIONS PROPOSÉES. 


ÉCONOMIE POLITIQUE. 


« Quels seraient les moyens les plus efficaces d'en- 
« gager les classes ouvrières, particulièrement dans les 
« campagnes, à confier leurs économies aux caisses 
« d’épargnes, et de quelle manière les maîtres, les 
« chefs d'ateliers, les propriétaires, pourraient-ils exer- 
« cer le plus utilement leur influence à cet effet? 


« Quelle destination l'Etat devra t-il donner aux 
« fonds versés dans les caisses d’épargnes, afin qu’ils 
« ne demeurent pas improductifs et par conséquent 
« onéreux pour le trésor public, sans cependant dimi- 
« nuer les garanties ni altérer la sécurité des dépo- 


« sants? » 


L’ Académie invite les concurrents à étudier d’abord 
l'influence que peut avoir linstitution des caisses d’é- 
pargnes sur la moralisation des classes ouvrières, en 
introduisant dans le peuple l’élément d'ordre que por- 
tent avec elles la prévoyance et l’économie ; si des ob- 
jections ont été soulevées contre cette institution, ils 
devront les examiner avec soin; en y répondant, ils 
s’attacheront à indiquer les moyens de ramener sans 
cesse les caisses d’épargnes aux conditions le plus en 
harmonie avec le but moral de leur création ; enfin ils 
rechercheront dans l’histoire de quelques institutions 


— 53 — 


analogues , tout ce qui peut éclairer cette première et 
importante partie de la question. 

Le dépôt de toutes les économies des classes ou- 
vrières dans les caisses d’épargnes pouvant devenir 
ouéreux pour l'État, si Pon n’était autorisé à leur don- 
ner une destination utile, les concurrents diront quel 
emploi le gouvernement pourrait faire de ces capitaux, 
soit en les appliquant aux grands travaux d’utilité pu- 
blique, soit en opérant, pour le compte des caisses d’é- 
pargnes , des achats de forêts, soit en les rejetant de 
toute autre manière dans le commerce et l’agriculture; 
la première condition des moyens à proposer , sera que 
les déposants y trouvent des garanties incontestables et 
que leur confiance ne puisse jamais être ébranlée ; on 
devra entrer dans quelques détails sur la forme et la 
nature des titres qui assureraient aux déposants la 
propriété et la libre transmission de leurs créances. 


HISTOIRE. 


« Etude sur Charles, cardinal de Lorraine , arche- 
« vêque de Reims. » 


Les concurrents devront principalement apprécier 
l'influence du cardinal de Lorraine , sur les évène- 
ments politiques et religieux de son époque; dire et 
caractériser les institutions qu’il a fondées dans Pin- 
térêt des sciences, des arts et du commerce, et s’atta- 
cher spécialement à celles dont il a doté la ville de 
Reims. 


— Jý -= 


AGRICULTURE. 


« Quel est le mode d’assolement le plus favorable 
aux terrains calcaires du département de la Marne? » 


Après avoir indiqué le meilleur système d’assole- 
ment , les concurrents devront s’attacher principale- 
ment à déterminer : 1° les avantages qui pourraient 
résulter de la suppression partielle ou totale de la ja- 
chère dans les loams calcaires ; 2° la rotation la plus 
convenable pour les différentes récoltes à faire dans 
ces terrains, et notamment pour celles des récoltes 
sarclées. 

Les prix, consistant, pour chacune des deux premiè- 
res questions, en une médaille d’or de la valeur de 
200 fr., et pour la troisième question, en une médaille 
d'or de la‘valeur de 100 fr. et les OEuvres d'Olivier de 
Serres, seront décernés dans la séance publique de 
l’Académie, du 15 avril au 15 mai 1843. 


Des médailles d'encouragement seront distribuées 
aux auteurs des travaux, des inventions ou des perfec- 
tionnements que l’Académie jugera dignes de récom- 
pense. 


Le Président de l’Académie, 
THOMAS , ARCHEVÈQUE DE REIMS. 


Le Secrétaire de l Académie, 


H. LANDOUZY. 


EXTRAIT DU RAPPORT 


SUR LE 


CONCOURS D'ÉCONOMIE POLITIQUE. 


Commissaires : MM. DÉRODÉ-GÉRUZEZ, SAUBINET , 
Houzeau - Moron , Conranr, Lucas; 


M. Bonxeviice, Rapporteur. 


Messieurs , 


De toutes les institutions qu'a créées le génie de la 
bienfaisance, la caisse d’épargnes est à coup sûr celle 
qui mérite , au plus haut degré, les sympathies et le 
dévouement des hommes éclairés ; car elle est à fois, un 
encouragement au travail ; une prime à l'esprit d’ordre 
et d'économie; une ressource assurée contre les besoins, 
et dès-lors un préservatif non-seulement des vices. 


nr 
mais aussi des crimes qu’enfante la misère ; enfin , elle 
est pour le travailleur une garantie de bien-être et d’in- 
dépendance. Et pourtant, Messieurs, il faut le dire, 
une partie de la France, et principalement les habitants 
de nos campagnes, sont encore, à l'heure qu’il est, 
deshérités du bienfait de cette salutaire institution. 

De là, l’ardent désir qu'ont tous les hommes de bien 
de concourir à la multiplication de ces banques du 
pauvre, que la France doit à deux de ses noms les 
plus vénérés , Larochefoucault et Delessert. 


La première partie de la question mise au concours 
n’était autre, que l'expression généreuse de ce vœu 
philantropique ; elle était conçue en ces termes : 


« Quels seraient les moyens les plus efficaces d'engager 
les classes ouvrières , particulièrement dans les campagnes 
à confier leurs économies aux caisses d’épargnes ; et de 
quelle manière les maitres, les chefs d'ateliers, les 
propriétaires , pourraient-ils exercer le plus utilement 
leur influence à cet effet ? » 


Mais, de cette première question découlait , comme 
conséquence nécessaire, un autre problème, bien plus 
important et qui commence à préoccuper sérieusement 
les économistes. 


L'institution des caisses d’épargnes est évidemment 
destinée , soit par la vertu de sa propre influence, soit 
par les efforts mêmes qu’on fera pour la propager , à 
prendre une extension considérable. Nous pouvons 


R — 


déjà juger de cette extension par un résultat qui nous 
touche et qui vient de se produire sous nos yeux. Dans 
un document récent, l'honorable rapporteur du conseil 
des directeurs de la caisse de Reims (1) signalait à 
l'attention publique ce fait remarquable : que le solde 
à la disposition des déposants pour 1842 : était 
augmenté d'un quart, comparé à l’année 1841; du 
double eu égard à 1840 ; et qu’enfin, les dépôts des 
deux seules dernières années (18/41 et 1842) avaient 
dépassé la somme totale les dépôts des 17 annees pré- 
cédentes l... 

En présence d’un mouvement de progression aussi 
brusquement rapide, ne doit-on pas espérer que, le 
chiffre des dépôts aura pris, avant peu d'années, un 
accroissement extraordinaire ?... Quelemploi fera donc 
alors l’État de ces immenses capitaux? S'il consent à 
continuer aux épargnes du travailleur sa généreuse 
garantie , ne faudrait-il pas, du moins, qu’il cherche à 
utiliser ces fonds qui, laissés sans emploi, devien- 
draient, entre ses mains , un stérile et insupportable 
fardeau ? Or, cet emploi exige trois conditions ca- 
pitales : d’abord, il doit présenter une solidité à toute 
épreuve; ce serait un crime que d’aventurer le pécule 
amassé par les sueurs du pauvre; — il doit être aussi 
productif que possible ; car il faut que l'épargne mo- 
dique du travailleur fructifie plus, s’il est possible, 
que celle du riche ; — enfin, cet emploi doit permettre 
la possibilité immédiate d’un remboursement; car 
l'ouvrier qui a faim, ou qui est malade, n’a pas le 
temps d'attendre. 


(1) Rapport de M. Croutelle , sur la situation de la caisse 
d'épargnes de Reims, au 31 Décembre 1842. 


ET i 


Ces conditions , Messieurs , font assez comprendre 
toute la difficulté du second problème que vous n’a- 
vez pas craint de livrer aux méditations du public. 

Cette dernière partie de votre programme est ainsi 
conçue : 


« Quelle destination l État devra-t-il donner aux fonds 
versés dans les caisses d'épargnes afin qu’ils ne demeu- 
rent pas tmproductfs , et par conséquent onéreux pour 
le Trésor public, sans cependant diminuer les garanties 
ni altérer la sécurité des déposants ?» 


Parmi les divers mémoires envoyés à l’Académie, 
quatre seulement ont paru dignes de figurer au con- 
cours ; et sur ces quatre mémoires, trois ont attiré 
particulièrement l'attention de votre commission. 

Je me bornerai à les analyser avec autant de fidé- 
lité que de concision , en commencant par le dernier 
dans l’ordre de nos préférences. 


Ce mémoire a pour épigraphe : « Avant la concur- 
rence universelle, les progrès n’appauvrissaient pas 
l'owvrier. (Be Sismondi.) » 


En ce qui touche la première question du pro- 
gramme, l’auteur n’a fait que reproduire des documents 
déjà connus. Sur la deuxième question, son système 
peut se résumer en deux mots. Selon lui, l'État de- 
vrait recevoir les fonds directement des déposants, et 
il les utiliserait à son profit, par l'établissement de 
banques industrielles, agricoles ou d’escompte, dans 
chacun de nos chefs-lieux d'arrondissement, 


= 99 = 


Ce système , qui a du moins l'avantage d’une entière 
simplicité, aurait mérité d’être sérieusement étudié et 
discuté; mais l’auteur s’est borné à l'énoncer , sans 
aucun autre développement. 


Ce mémoire , vous le voyez, Messieurs, ne répond 
que très-imparfaitement au but de l'Académie. Sur la 
première question, rien de nouveau ; sur Pemploi des 
fonds, un mode proposé, sans aucune discussion qui 
puisse faire apprécier la possibilité d'exécution. Cepen- 
dant, le mémoire, dans son ensemble et surtout dans 
quelques développements donnés par l’auteur, sur les 
causes et les remèdes du paupérisme, nous a paru mériter 
l'encouragement d’une mention honorable. 


Le mémoire n° 2 a pour épigraphe ces mots d’un 
célèbre économiste : « Les caisses d’épargnes doivent 
pourvoir a des besoins futurs, au moyen d'économies ac- 
tuelles; les monts de picté, au contraire, offrent une res- 
source immédiate, en vue d'économies futures. » 


Il se divise en deux chapitres : le premier pose en 
quelque sorte les notions préliminaires de la discus- 
sion. L'auteur y étudie les caisses d’épargnes à leur 
origine ; il rappelle à ce sujet la fondation des caisses 
de Paris, de Strasbourg, de Metz, de Rouen; puis, 
il jette un coup-d’œil général sur l'institution actuelle 
des caisses d’épargnes en France, ainsi que sur la 
législation qui régit l'emploi des fonds. 


Le chapitre deuxième est consacré à la réponse di- 
recte aux deux questions posées par l'Académie, 


RU po 


En ce qui touche l'emploi des fonds, l'auteur convaincu 
que l'État seul peut se prononcer sur une question de 
cette importance , croit devoir se borner à indiquer 
quelques-uns des moyens d’utiliser les fonds des caisses 
d’épargnes, dans les localités mémes où elles sont établies. 
En conséquence, il voudrait que les fonds fussent 
versés dans la caisse du Trésor, ou convertis en effets 
publics , selon que l’un ou l’autre placement offrirait 
le plus d'avantages ; 

Que la caisse escomptât les effets de commerce re- 
vêtus de bonnes signatures payables dans un rayon 
peu étendu ; 

Qu'un mont de piété fût annexé à chaque caisse 
d’épargnes, comme cela existe déjà à Metz, à Nancy, 
à Avignon , et danste Hanôvre ; 

Que des prêts fussent faits à des propriétaires , soit 
sur hypothèques, soit sur lettres de change , avec cau- 
tion solvable ; 

Que les fonds pussent, selon les localités , être em- 
ployés à divers usages, comme acquisitions de biens, 
prêts aux communes ou établissements publics, ele.; 

Enfin, il voudrait que les caisses d’épargnes pussent, 
comme les tontines, recevoir des placements à fonds 
perdus el à intérêt progressif. 


Ce mémoire est rédigé avec méthode et clarté ; c'est 
le travail d’un esprit droit : mais l’auteur a complète- 
ment négligé la partie principale de la question, l’em- 
ploi des fonds par l'État. 

Toutefois, Messieurs, comme il contient d'excellentes 
idées , sur l'emploi des fonds à faire par les caisses qui 
ne versent point au Trésor public , et que, sous ce 
rapport , l'auteur s’est rapproché des vues de l’Acadé- 


pes i 


mie , la commission vous a proposé de lui décerner 
aussi une mention honcrable. 


J'arrive au mémoire n° 4, travail de beancoup supé- 
rieur aux deux autres, et qui a réuni, sans comparai- 
son aucune, l'unanimité des suffrages de notre com- 
mission. 


Il se divise en trois parties : La première, est la 
description historique des caisses d’épargnes en France 
et à l'étranger. Cette partie est riche de documents 
dont quelques-uns sont inédits. Elle se rattache parti- 
culièrement à la question posée , en ce qu’elle indique 
les divers emplois faits à l'étranger des fonds déposés aux 
caisses d’épargnes. De plus, elle fait parfaitemeut con- 
naître l’état des caisses d’épargnes en France, leur légis- 
lation , leur mode de comptabilité, l'emploi des fonds 
dans l’origine et leur destination actuelle selon la loi. 

Par un scrupule de zèle que nous ne pouvons trop 
louer, l’auteur n’a pas craint , remontant l’ordre des 
temps , d'étudier la question d'épargne dans le moyen- 
âge et jusque sous l'empire Romain. Il nous montre 
dans le peculum castrense des soldats et dans le pecu- 
lum civile des esclaves , le type ancien et générateur de 
nos caisses d’épargnes. Ce rapprochement , Messieurs , 
n’est pas sans intérêt pour l'avenir; car, de même que 
le pécule civil a dù fortement contribuer , de concert 
avec les idées chrétiennes, à l’affranchissement des es- 
claves; de même, les caisses d’épargnes, en répandant 
dans les rangs inférieurs de la société, l'esprit d'ordre 
et de prévoyance, seront le plus fort levier de éman- 
cipation et de la liberté des classes laborieuses. 


— 62 — 


Dans la seconde partie de son travail, Pauteur aborde 
la question d'emploi des fonds. 

Sur ce point, il pense que l’État devrait constam- 
ment restreindre le chiffre du dépôt qu’il accepte, dans 
des limites telles, que ce dépôt ne pùt jamais com- 
promettre sa responsabilité et que , par exemple, il 
abandonnât aux caisses, sous la garantie de leur propre 
gestion, la moitié des sommes , composant le solde 
de compte. 

«Cela étant, dit l’auteur, si nous pouvons organiser 
un mode d'emploi qui permette aux communes de 
trouver des ressources en elles-mêmes, en déchargeant 
PEtat dela moitié de sa responsabilité , nous aurons 
résolu un des principaux points de la question. » 

Or, le mode d'emploi que l’auteur propose, c'est le 
placement hypothécaire déjà adopté en Allemagne, en 
Suisse eten Hollande ‚comme présentant presqu’autant 
de solidité et plus de produits que la propriété foncière. 
ll en donne pour exemple pratique, les opérations dela 
caisse d’épargnes de Francfort, laquelle ne place les 
fonds déposés que sur hypothèques ou sur obligations 
de la ville. 

Il fait fonctionner ce mode d'emploi , en l’appliquant 
à une de nos caisses d'arrondissement ; et il démontre, 
que, si surtout ces diverses caisses voulaient s'entendre 
pour s’entr’aider dans leurs remboursements , on pour- 
rait, au moyen d’un roulement organisé de placements 
hypothécaires, à échéance de deux ans , utiliser d’une 
manière aussi profitable qu'assurée les fonds déposés. 


Toutefois, l’auteur voulant approfondir la question 
sous toutes ses faces, n’a pas voulu se borner à vous pré- 
senter un seul système d'emploi des fonds de l'épargne. 


LD 


Au défaut du placement hypothécaire, il signale, 
comme deuxième moyen d'emploi, l’amortissement.Dans 
ce nouveau système, les fonds de l'épargne qui sont au- 
jourd’hui versés à la caisse des consignations et em- 
ployés à l’acquit de la dette flottante, seraient exclusi- 
vement employés à l'amortissement de nos 96 millions 
de rente 5 pour 0/0. Par suite, les caisses d’épargnes 
se trouveraient subrogées aux garanties hypothécaires 
attribuées à la caisse d'amortissement, sur tous les 
biens de l'État (1); en telle sorte, qu’au cas d’impossi- 
bilité immédiate de remboursement, les déposants ver- 
raient au moins leur pécule assuré par une garantie 
immobilière. Nous ne suivrons pas l’auteur dans les 
ingénieux développements qu’il donne à sa proposition; 
mais, sans rien préjuger sur sa réalisation, nous dirons 
que , dans cette partie remarquable de son travail, il 
a fait preuve d’une étude approfondie de l’adminis- 
tralion et des ressources de la caisse d'amortissement 
ainsi que des véritables éléments du crédit public. 


Cependant, Messieurs, l’auteur ne se dissimulant pas 
les graves motifs qui peuvent déterminer le gouverne- 
ment à conserver son action pleine et entière sur la 
caisse d'amortissement, propose, au défaut du pré- 
cédent moyen, l'un des modes d'emploi indiqué par 
votre programme lui-même, l'acquisition de foréts. 
Jl pense que ces achats faits par l'Etat, avec privilége 
de bailleur de fonds, au profit des caisses d’épargnes, 
pourraient à la fois procurer au gouvernement de 
grands bénéfices et offrir aux déposants toutes les sé- 
curités désirables. 


(1) Ce privilége résulte de la loi du 25 Mars 1817. 


— 6% — 


Enfin l’auteur signale, comme quatrième mode d’em- 
ploi des fonds, la faculté accordée aux déposants âgés de 
50 ans au moins, de convertir une parlie du capital par 
eux déposé, en une rente viagère. Il prouve qu'il y a tou- 
jours avantage d’une part, pour l'État, à amortir une 
dette en principal , et de l’autre, pour l’indigent arrivé 
au déclin de sa carrière, à renoncer à la possession 
d’un capital, pour toucher un revenu à 10 pour 0/0 
destiné à préserver sa vieillesse des souffrances de la 
misère. 

Il est inutile de dire, Messieurs, que selon l’auteur, 
tous ces modes d'emploi pourraient être appliqués en- 
semble ou séparément , pour tout ou partie des fonds 
des caisses d’épargnes. 


La troisième partie du mémoire traite des moyens 
de propager l'institution des caisses d’épargnes et no- 
tamment dans les campagnes. 

D'après l’auteur, ces moyens devraient être entr’au- 
tres : 

1° « De confier de préférence l'administration des 
caisses d’épargnes , comme on le fait à Reims, à des 
hommes en possession de la confiance et du respect des 
ouvriers ; 

2° De recommander aux maîtres et fabricants de 
choisir surtout les ouvriers qui, par la représenta- 
tion de leur livret d’épargnes, prouveraient qu’ils sont 
hommes d'ordre et d'économie ; 

3° D'employer une portion des fonds provenant de 
la libéralité des particuliers ou des municipalités en 
délivrance, à quelques enfants indigents , de livrets de 
caisse d’épargnes. 

Ce dernier moyen de propagation, était, vous le savez, 


= 66 

Messieurs, celui qu'aimait à employer le prince dont 
la France pleure si amèrement la perte. C’est grâce à 
ses distributions annuelles de livrets que plusieurs de 
nos grandes villes manufacturières doivent létat de 
prospérité de leurs caisses d’épargnes (1). J’ajouterai 
que la ville de Reims, qu’on trouve toujours la pre- 
mière quand il s’agit de bonnes actions, a plusieurs 
fois employé avec grise ce mode de propagation. 


Enfin l’auteur propose un dernier moyen d'influence; 
ce serait l'attribution d'un intérêt plus élevé en faveur 
des pelits versements qui ne dépasseraient pas 200 fr. 
Cette mesure, depuis longtemps conseillée par les phi- 
lantropes, mérite une sérieuse considération.Les caisses 
d’épargnes ne sont pas seulement une sollicitation à la 
prévoyance , elles doivent être un encouragement, une 
prime aux vertus du travail et de l'économie. La partie 
de la société qui possède dit aujourd’hui aux prolétaires: 
«Soyez laborieux, soyez économes, soyez vertueux, pour 
que tous les droits soient respectés, pour que vous re- 
posiez, comme nous-mêmes, en sécurité; elle ferait plus 


(1) On ne sent pas assez tout le bien que peut produire 
un livret donné à propos à un jeune ouvrier. Voici à cet 
égard un fait remarquable. Les 1760 livrets donnés à Paris, 
en 1837, par M. le duc et madame la duchesse d’Orléaus , lors 
de leur mariage, et qui représentaient, à cette époque , une 
somme de 40,000 fr., montent actuellement, par suite d’ac- 
cumulations d'intérêts et de nouveaux versements faits par 
les bénéficiaires, à la somme de 152,185 fr. En cinq années, 
le capital primitif se trouve triplé; ce qui prouve que les 
1790 ouvriers pauvres, sur lesquels s’est étendue la munifi- 
cence du prince , sont devenus des hommes d'ordre et d’éco- 
nomie, 


"cr 


ET T a 


alors , elle leur dirait : soyez vertueux , probes, écono- 
mes, et nous, vos aînés dans la civilisation, dans la ri- 
chesse , dans le bien être social, nous viendrons à votre 
secours, nous administrerons, à nos frais, le pro- 
duit de vos économies, nous les ferons fructifier, et 
nous ferons davantage encore; nous vous paierons l'in- 
térêt, le plus haut intérêt possible de vos laborieuses 
épargnes?... (1).» C’est par ces belles paroles d’un de 
nos plus grands orateurs que l'auer a terminé sa dis- 
cussion. 


Telle est à peu près, Messieurs, l'analyse sèche et 
décolorée de l'excellent travail qui a particulièrement 
fixé les suffrages de votre commission. 

Ce mémoire ne résout sans doute pas encore com- 
plètement l'immense et difficile problème que vous avez 
proposé aux méditations des hommes sérieux ; mais il 
en prépare et facilite la solution. Du reste, ce travail 
est plein d'érudition, d'ordre, de logique; c’est, sous 
un titre modeste, un véritable traité sur l'institution 
des caisses d’épargnes. 

En conséquence votre commission, à l'unanimité, 
vous a proposé de décerner une médaille d’or , à l'au- 
teur de ce mémoire n° 4. 


Maintenant, Messieurs , qu’il me soit permis en ter- 
minant, de faire oublier la froide monotonie de ce 
rapport par la relation d’un incident qui, je l'espère, 
obtiendra vos vives sympathies. 


(1) Discours de Lamartine à la chambre des députés, 
seance du 4 Février 1835. 


ni Gi. 

M. le secrétaire ayant, au nom de l’Académie, in- 

formé l’auteur de la décision qui le concernait, a reçu 
de lui la réponse suivante : 


« Monsieur le secrétaire, 


« Je suis on ne peut plus sensible à l'honorable bien- 
veillance avec laquelle l'Académie a accueilli mon tra- 
vail sur les caisses d’épargnes. 

« L’empressement que vous avez mis à m’annoncer 
celle décision m’encourage à vous confier l'expression 
d'un vœu, dont la réalisation ajouterait un nouveau 
prix à la faveur qui m’est accordée. 

« Ce serait que l’Académie voulût bien affecter la 
valeur intrinsèque de la médaille d’or qu’elle me des- 
tine , à la distribution de quelques livrets de caisse 
d’épargnes. 

« Cette proposition me paraît se rattacher à la pensée 
de moralisation et d'humanité que Académie a voulu 
féconder, et j'espère d'ailleurs qu’elle trouvera naturel 
que pénétré comme je le suis, de l'efficacité de ses en- 
couragements, j'exprime le désir d’en faire partager 
le bienfait à quelques enfants de la classe laborieuse. 


« Agréez , etc. 
« Eve. GONEL, avocat. » 


Vous le voyez, Messieurs, l'honorable auteur du mé- 
moire que l’Académie couronne; a fait plus qu'un bon 
mémoire, il a fait une bonne et généreuse action!.. 


« h. E tft TE Le À 


rit Mess PAR Ton y 


RAPPORT 


DE LA COMMISSION NOMMÉR POUR L'EXAMEN DES 
MÉMOIRES SUR LA QUESTION HISTORIQUE. 


(M. NanQuerTE, Rapporteur.) 


Messieurs, 


L’ Académie de Reims, dans le concours ouvert pour 
l’année 1843, a proposé, comme sujet tout à la fois 
littéraire et historique, cette question : Étude sur Char- 
les , cardinal de Lorraine, archevéque de Reims; c’est du 
résultat de ce concours que je suis chargé de vous en- 
tretenir. Fidèle à son origine, à la pensée qui a présidé 
à son institution, l’Académie accorde dans ses travaux 
une large part à l’histoire, à l’histoire locale surtout. 
Créée dans un moment où bon nombre d’esprits délite 
se portent avec ardeur vers l'étude du passé, et recueil- 
lent avidement les traditions religieuses et nationales du 
pays, elle est d'autant plus heureuse de s'associer à ce 
mouvement, que notre ville de Reims est riche en sou- 
venirs historiques, qu’elle possède dans sa bibliothèque 


zme 


les précieux restes de ces trésors où ont puisé les Mabil- 
lon et les Ruinart, et que, comme ancienne ville d’ Uni- 
versité, elle nous a légué des traditions littéraires dont 
nous devons à notre tour transmettre l'héritage à ceux 
qui viendront après nous. 

C’est dans cette pensée que l'Académie a inauguré 
ses concours par un des plus beaux noms historiques qui 
honorent la ville de Reims. La puissante maison de 
Guise a fourni un grand nombre d’archevèques à notre 
antique métropole ; mais entre tous, Charles de Lor- 
raine a laissé dans les souvenirs rémois des traces pro- 
fondes qui le fontencore appeler de nos jours le grand 
cardinal. Possesseur d'immenses revenus, il savait les 
dépenser avec la magnificence d’un prince et l’intelli- 
gence d’un esprit supérieur , et il a répandu ses bien- 
faits avec une égale profusion sur l’église et la cité, les 
sciences et les lettres, les arts et le commerce. C’est 
sans contredit l’homme qui a créé à Reims le plus 
d'institutions utiles, qui a attaché son nom au plus 
grand nombre d'œuvres dignes de la reconnaissance du 
pays; les institutions qu’il a fondées parmi nous au- 
raient suffi à illustrer plusieurs vies; celles qu’il a pro- 
jetées, et qu'une mort prématurée ne lui a pas permis 
de réaliser, ont laissé encore à ceux qui ont continué 
son œuvre une gloire précieuse à recueillir. 

Aussi c'était l’homme de Reims surtout, c'était lar- 
chevêque, que le programme proposait aux concurrents 
d'étudier, en les invitant à caractériser spécialement les 
institutions dont il a doté notre ville ; c’était-là pour 
nous le côté important, principal de cette étude. Le 
cardinal considéré comme homme d'état ne devait fi- 
gurer qu’au second plan, et il y avait là encore pour 
Charles de Lorraine un rôle honorable et glorieux; il y 


LAN S- 


avait aussi pour les concurrents sous le rapport histo- 
rique, une brillante matière à l'appréciation d’une im- 
portante époque de nos annales, et sous le rapport 
littéraire, une belle occasion d’éclaircir les faits par 
une discussion vive et serrée, d’en vivifier le tableau 
par une narration colorée , par un style en quelque 
sorte en harmonie avec la physionomie si animée du 
seizième siècle , avec la vie si agitée du cardinal. Les 
évènements si variés et si passionnés de cette époque 
jettent sur cette vie un attrait bien grand, un intérêt 
vraiment dramatique. Tout puissant dans les conseils 
de la couronne , investi par ses grandes dignités ecclé- 
siastiques d’une espèce de suprématie religieuse qui 
l'avait fait surnommer à Rome même le pape d’au- 
delà des monts, il se montre digne, par ses talents et 
son génie, du grand rôle qu’il est appelé à jouer au 
milieu des envahissements du Protestantisme. Jugeant 
en véritable homme d'état la situation de la France, 
il comprend que par intérêt politique autant que par 
devoir religieux elle doit rester catholique, et qu’au 
moment où l’ Allemagne s’affaiblit et semble se dissou- 
dre au souffle de la réforme , il faut que la France 
conserve son unité religieuse, pour conquérir cet as- 
cendant polilique et préparer les voies à cette prépon- 
dérance qu'un autre cardinal devait lui assurer au 
commencement du siècle suivant et qu’elle a toujours 
su maintenir depuis. Pour quiconque pénètre au-des- 
sous de la surface des évènements, ce fut celte pensée 
qui fit la force du cardinal et la puissance de la maison 
de Guise , parce qu’elle répondait à tous les instincts 
catholiques et populaires de la France du seizième 
siècle, et qu’elle faisait du parti catholique un parti 
véritablement national. Aussi, au point de vue de celte 


PS de 


pensée tout à la fois nationale et religieuse , Charles 
de Lorraine n’est pas seulement Phomme de sa famille, 
mais l'homme de la France et du Catholicisme. C'est 
ce grand intérêt qui domine toutes ses vues, qui expli- 
que toute sa conduite, soit comme premier ministre, 
soit comme chef de parti, et même comme arche- 
vêque, qui inspire tous les actes de sa vie religieuse et 
politique, et leur imprime une puissante unité au 
milieu de certaines variations apparentes : vie toute de 
lutte et decombat, qui a bien pu lui attirer la haine des 
partis et l'injustice d’un grand nombre de ses contem- 
porains, mais qui m'aurait inspiré à la postérité d’autre 
sentiment que celui de l'admiration, si toules ses mesu- 
res avaient été couronnées de succès, si les moyens qu’il 
a adoptés élaient tous irréprochables sous le rapport 
religieux et moral (1), 


(1) Le caractère et l'influence de Charles de Lorraine, un des 
personnages les plus calomniés par l'esprit de parti, commen- 
cent à étre mieux appréciés à mesure que les études histori- 
ques deviennent plus sérieuses et plus larges. Voici le jugement 
qu’en porte un historien moderne : 


« Le cardinal de Lorraine laissait une double renommée 
expliquée par les combats de sa vie, Honoré par les catholi- 
ques à légal d’un saint, maudit par les huguenots à légal 
d'un bourreau, Phistoire n’a point à choisir entre ces juge- 
ments extrêmes. Le cardinal avait été un grand politique, son 
génie fut un génie d'habileté, de ténacité, de courage; il méla 
l'ambition, sans doute, à la défense de l'Eglise; mais quel 
homme se dégage tout entier des retours naturels de l’égoïsme? 
Il lutta pour l’unité nationale; ce fut sa gloire. Les batailles 
de factions le poussèrent au-delà de la volonté clémente d’un 
prêtre; ce fut son malheur. Sa mort ne fut pas moins une 
grande perte pour l'Etat; il pouvait encore modérer, par są 


— 7 — 


Tel est le sujet que l’Académie a mis au concours ; 
il est difficile sans doute, mais c’est un des plus beaux 
peut-être, et assurément le plus large que puisse 
offrir l’histoire de notre cité. C’est pour nous un 
motif de plus pour regretter qu'aucun des concurrents 
pait pu obtenir le prix, c’est-à-dire la médaille d’or. 
Hâtons-nous de dire cependant que parmi les mémoires 
qui nous ont été remis, deux surtout nous ont paru 
assez remarquables pour mériter une récompense. 


L'auteur du mémoire inscrit sous le n°2, et por- 
tant pour épigraphe ces mots de Tite-Live : In hoc 
viro lanta vis animi ingeniique fuit ut, quocunque loco 
natus essel , fortunam sibi ipse facturus videretur, consi- 
dère successivement Charles de Lorraine comme hom- 
me politique, comme archevêque , comme homme pri- 
vé, et ce cadre comprend naturellement, avec la 
biographie du cardinal, toutes les institutions dont 
Reims lui est redevable , et les principaux évènements 
du seizième siècle auxquels il a pris une si grande part. 

L'auteur nous montre que dès son entrée aux affai- 
res, à peine âgé de vingt-trois ans, il se fait une 
réputation d’habile négociateur; ses missions diplo- 
matiques auprès des papes Paul IHI et Paul IV 
préparent la décadence de cet empire que Charles- 
Quint avait rendu si menaçant pour l'équilibre euro- 
péen ; il est mêlé à tous les évènements politiques du 


seule présence auprès du roi, les conseils funestes, et imposer 
aux partis adverses; après lui le champ redevenait ouvert aux 
alternatives furieuses de la politique. » Laurentie, Histoire de 
France, tom, v. p. 462. 


f — 74 — 
règne de Henri H (1); sous François IT, il rétablit 
en peu de temps les finances , et associe le chancelier 
de l'Hôpital au gouvernement. Si Pon peut reprocher 
aux exécutions d’Amboise une rigueur peut-être ex- 
cessive, on ne leur reprochera pas du moins de man- 
quer de molif, puisque les conjurés sont pris les armes 
à la main marchant sur le château pour enlever le 
roi et massacrer les Guise. L'auteur expose ensuite la 
lutte du cardinal contre le Protestantisme dans toutes 
ses phases, avec son unité dans le but, sa variété 
dans les moyens : il nous le montre essayant d’abord 
les voies de conciliation; c’est lui qui, au risque de 


(1) Le règne de Henri II, dit un historien moderne, est 
trop peu connu et trop mal jugé, et il eût été grand en tout ce 
qui touche à la défense, à la dignité et à l'importance politi- 
que du pays, sans le funeste traité de Cateau-Cambrésis qui 
fut signé la dernière année de ce règne. Poirson, Précis de 
l'histoire de France. — Ce traité, entr’autres conditions oné- 
reuses, imposait la reddition de Calais, et ouvrait de nouveau 
la porte de la France aux Anglais, que le duc de Guise en avait 
chassés, en leur enlevant, par la prise de cette ville qu’ils pos- 
sédaient depuis 210 ans, le seul espace de terrain qui leur 
restait dans un royaume où ils avaient eu autrefois des posses- 
sions si étendues. — Mais ce qui ne fait pas peu d’honneur à 
la politique du cardinal, c’est qu’il fut opposé à ce traité; ce 
fut Diane de Poitiers qui, pour abaisser les Guise que la guerre 
popularisait de plus en plus, et pour se venger du cardinal 
qu'elle ne trouvait pas assez complaisant, se ligua avec Mont- 
morency pour pousser Henri II à ces concessions et conclure 
la paix à tout prix. Les négociations furent même compro- 
mises par les Guise qui firent alors prendre les armes d'An- 
gleterre au Dauphin et à Marie-Sluart. Voir Robertson, His- 
toire de Charles V. 


— 75 — 


mécontenter son parti, propose la création des prési- 
diaux qui enlèvent aux tribunaux ecclésiastiques une 
partie de leurs attributions ; c’est lui qui fait décider le 
colloque de Poissy pour ramener, s’il est possible, les 
dissidents par la persuasion, Dans sa conduite au con- 
cile de Trente comme dans l'administration de son 
diocèse , nous le voyons marcher constamment vers le 
même but ; représentant des intérêts de la France au 
concile de Trente, il aime mieux s'exposer à l'accusa- 
tion de trahir honneur national en adoptant un moy- 
en terme sur une question de préséance , que de faire 
manquer, en se retirant, un concile dont le monde 
chrétien attendait la fin des discordes religieuses et 
civiles. Si, comme archevêque de Reims, il n’insiste 
pas dans ses réclamations lorsqu'on enlève à sa pro- 
vince ecclésiastique plusieurs diocèses pour l'érection 
de la métropole de Cambrai, c’est qu’il comprend que 
dans la situation difficile où est l'Église il ne faut pas 
compliquer les dissensions religieuses. L'auteur discute 
successivement les diverses accusations lancées contre 
le cardinal, et montre que si elles pouvaient s’expli- 
quer, chez les contemporains , par les passions de l’es- 
prit de parti , elles ne s’expliqueraient plus aujourd’hui 
que par l'ignorance ou la mauvaise foi (1). 


(1) Parmi les accusations, dont on a chargé la mémoire du 
cardinal de Lorraine, il y en a une dont l’auteur du mémoire 
ne cherche pas à le justifier, et nous l’en félicitons : c’est sa 
prétendue participation à la Saint-Barthélemy; l’auteur savait 
que le cardinal était à Rome depuis longtemps quand la 
Saint-Barthélemy a été conçue et exécutée. — Il est vrai que 
dans un drame composé dans les beaux jours de 93 et qui a 
reparu sur la scène en 1830, Chénier fait précéder la Saint- 
Barthélemy par une parodie sacrilège, où le cardinal de Lor- 


mn O — 

Il y a dans ce mémoire des aperçus ingénieux , de la 
méthode dans l’ensemble, de l'intérêt dans les détails, 
une grande sagesse dans le ehoïx des faits, beaucoup 
de conscience dans les recherches, enfin de la réserve , 
trop de réserve peut-être dans certaines appréciations. 
En effet , l’ensemble du travail laisse apercevoir une 
intention trop marquée de panégyrique; et l’Académie 
en inscrivant dans son programme : Étude sur le car- 
dinal de Lorraine, indiquait par cela même qu’elle 
ne demandait pas un éloge ; et quand dans une vie si 
courte et pourtant si remplie, il y aurait quelques 


raine joue un rôle odieux et bénit solennellement les poignards 
qui doivent servir à massacrer les protestants. Mais parce que 
certains esprits-forts ont pris cela pour de l’histoire, il ne s’en- 
suit pas qu’ils méritent l'honneur d’une réfutation. —Voici au 
reste, au sujet de toutes ces accusations, un curieux passage 
d’un auteur qu'on ne soupconnera pas de partialité pour la 
maison de Lorraine et le Catholicisme : « Quelque méchants 
que vous fassiez Messieurs de Guise, il sera toujours vrai qu’on 
leur imputait dans les libelles cent choses qu’ils n’avoient point 
faites. C’est une fatalité inévitable à tous ceux qui se mêlent 
d'écrire sans avoir eu part aux affaires, ou sans avoir consulté 
de bons papiers; ce leur est, dis-je, une fatalité inévitable que 
d'avancer mille mensonges, s’il s’agit décrire contre des gens 
dont on a été maltraité. On veut se venger, et on est bien aise 
de rendre infâmes ceux qui persécutent; dans cette disposition 
on croit tout ce qu’on entend dire , et quand même on ne le 
croirait pas, on juge qu’on a droit de le publier, puisqu'on l’a 
entendu dire. Il est donc certain que ceux qui publient de cette 
espèce de petits livres diffamatoires , dissipent leur mauvaise 
humeur ou donnent carrière à leur zèle avec beaucoup d’im- 
prudence, » Bayle, Dictionnaire historique et critique, t, 11 
art. Guise. p. 65o. 


fautes et quelques erreurs, ne reste-t-il pas bien assez 
de grandes qualités et d’éminents services pour qu'on 
puisse, sans compromettre ce grand nom, le juger 
avec limpartialité de l’histoire plutôt qu'avec l'en- 
thousiasme du panégyrique ? Le programme recom- 
mandait aussi aux concurrents de s’attacher spéciale- 
ment aux institutions dont Charles de Lorraine a doté 
notre ville, et l’auteur en faisant une plus large part 
à l’homme d'état qu'à Phomme de Reims, a un peu 
trop sacrifié le principal à ce qui était pour nous lac- 
cessoire. À côté de ces imperfections, ce travail ren- 
ferme d’assez bonnes qualités pour mériter une mé- 
daille de bronze. 


L'auteur du mémoire n° 3 qui a pris pour épigraphe 
cette vieille traduction du Cedant arma toge : 


Les armes faut qu’à la toge concèdent , 
Et les lauriers à l’éloquence cèdent ; 


est entré plus complètement dans la pensée du pro- 
gramme; il s’est appliqué à apprécier l'influence du car- 
dinal en même temps que ses actes; il nous fait voir que 
de tous les hommes de son temps, Cétait lui qui avait le 
mieux l'intelligence des besoins et des intérêts véritables 
de la France; que seul il était l'âme du parti dont Fran- 
çois de Guise son frère n’était que le bras, et dont au 
reste aucun personnage iinportant de l’époque n'aurait 
pu diriger le mouvement. 

« Quelles que soient les manières diverses dont on 
« a jugé le cardinal, dit l’auteur de ce mémoire , on 
« ne peut nier qu'il n'ait rendu d'énormes services 
« à la France; et peut-être que sans lui la religion 
« protestante seroit de nos jours la religion prin- 


EU es 


« cipale du royaume. Qu’on se rappelle en effet tous 
« ces moments de troubles , qu’on cherche parmi les 
« personnages de cette époque quel est celui qui , sans 
« Charles de Lorraine , nous auroit sauvés de l’enva- 
« hissement des principes de la réforme. — Etait-ce 
« Catherine de Médicis? mais ne l’a-t-on pas vue en 
« maintes circonstances abandonner les catholiques 
« pour se ranger du côté des calvinistes ; et toute sa 
« vie ne montre-t-elle pas qu’elle meut pas balancé 
« un instant entre une abjuration et le pouvoir ?— 
« Etait-ce le roi? mais où donc était le roi sous Fran- 
« çois II et Charles IX ?.... que restait-il alors ? Les 
« Guise et les Coligny : les Coligny étaient préci- 
« sément à la têle des calvinistes. Le prince de Condé 
« se joignit à eux ; le roi de Navarre entraîné, ra- 
« mené, puis entrainé de nouveau, ne pouvait être 
« d'aucune influence..….—Restaient les Guise, et des 
« Guise, tous, à l’exeption du cardinal de Lorraine, 
« étaient chefs du parti catholique plutôt par ambition 
« que par enthousiasme religieux. » C’est de ce point 
de vue qu’il examine toute la vie politique du cardinal, 
qu’il nous fait assister à la lutte si vive et si intéressante 
qu’il eut à soutenir. Les vues de l’auteur sont élevées 
et étendues : toutefois au nombre des considérations 
qu’il développe , nous avons regretté de trouver une 
apprécialion des causes de la réforme qui est démentie 
par l’histoire, et qui du reste est un hors-d’œuvre dans 
son travail. Les détails sont animés par une érudition 
attachante , variée, puisée aux sources ; les recherches 
sur la maison de Lorraine sont d’un vif intérêt ; seu- 
lement nous aurions voulu que l’auteur les eût com- 
plétées en nous initiant à la vie intime du cardinal , à 
ses relations avec les artistes et les hommes célèbres 


e a 


de son temps : nous avons à signaler encore quelques 
erreurs dans les faits , quelques contradictions dans les 
détails, quelques négligences dans le style qui accusent 
une précipitation dont l’ensemble du travail a un peu 
souffert. Mais tous ces défauts disparaissent quand 
l’auteur traite le côté rémois de la question; le ta- 
bleau animé des bienfaits et des institutions dont le 
cardinal a doté la ville de Reims, nous donne une idée 
assez complète de ce qu’il fut comme archevêque, et 
c’est à ce titre surtout que l’Académie lui décerne une 
médaille d'argent. 

Voici comment l’auteur résume cette partie de son 
travail : « Le cardinal de Lorraine emporta en mou- 
rant les regrets de toute la France catholique, mais 
nulle part ces regrets ne furent plus universels et plus 
mérités qu’à Reims ; les affaires politiques ne lui avaient 
jamais fait oublier son diocèse , et de tous nos arche- 
vêques , c’est celui qui a laissé à la ville de Reims le 
plus de traces de sa sollicitude et de ses libéralités ; 
nous nous sommes arrêté dans le cours de ce récit aux 
plus importantes de ses institutions dans cette ville : 
nous allons les énumérer sommairement. 

« En 1547 , il fait achever le bâtiment du collège. — 
En 1548, il fonde et dote l'Université de Reims (D); 
la même année il rédige d'importantes constitutions 
synodales pour RU ONE de son diocèse.— 
L’annéesuivante, il contribue aux frais de l'érection du 
grand autel de la Cathédrale.—En 1550, il fonde et dote 
le bureau des pauvres ou de la miséricorde.—En 1557, 
il règle avec les états de Vermandois le ressort du 
présidial , et fonde le séminaire, qu’il dota suffisam- 


(2) Plus tard il fonda aussi l'Université de Pont-à-Mousson. 


— 80 — 


ment, dit Anquetil, pour que les jeunes clercs pussent, 
débarrassés de tout autre soin, s'appliquer uniquement 
à se former dans les devoirs de leur état.—En 1560, 
il érige la chapelle Saint-André en paroisse.—En 1561, 
il remet la prédication en honneur, et se charge de 
prêcher le carême dans sa cathédrale alternativement 
avec Richard Dupré, célèbre théologal. Suivant les 
historiens, son éloquence altirait à ses sermons une 
foule immense d’auditeurs ; du reste son talent comme 
orateur forçait quelquefois ses adversaires eux-mêmes 
à admiration, et Théodore de Bèze qui Favait en- 
tendu au colloque de Poissy , et qui eut ensuite à Reims 
plusieurs conférences avec lui sur les matières contro- 
versées , disait en sortant d’une de ces conférences : 
si j’avois telle élégance que M. le cardinal de Lorraine; 
j'espérerois convertir et rendre moitié des personnes de la 
France à la religion de laquelle je fais profession. 

« En 1564, il célèbre un concile provincial. — En 
1569 , il recueille dans son palais les Minimes de 
Bracancourt, dont la maison avait été incendiée par les 
calvinistes, et leur bâtit ensuite un couvent.—En 1570, 
il donne à sa cathédrale la grosse cloche qui porte en- 
core son nom, et que Pluche cite comme la plus harmo- 
nieuse et ta plus parfaite qui existe.—En 1572, il fait 
des règlements pour l'administration de l'Hôtel-Dieu. 

« Ce fut aussi le cardinal de Lorraine qui, dans 
l'intérêt du commerce, obtint pour les marchands 
de vin l’exemption du droit d'aide pendant les foires 
de Saint-Remi et de la Madelaine. Il fit creuser le lit 
de la Vesle, et pratiquer des saignées dans les marais 
qui par ce moyen devinrent propres à la culture. Ge 
grand prélat, dit Dallier , songait à rendre la rivière 
de Vesle navigable ; des études furent faites et des 


Le pt 


iravaux furent commencés dans ce but; il fit construire 
la Halle Saint-Remi (1); il voulait aussi bâtir une 
halle entre les deux marchés ; déjà les plans étaient 
dressés, les alignements tracés, et il avait donné 
ordre qu'on amenât des bois de la forêt de Joinville. 
Enfin il projetait d'établir des fontaines qui auraient 
distribué dans les différents quartiers de la ville l’eau 
des montagnes voisines, et l’état des dépenses était 
déjà dressé, mais les guerres continuelles et une 
mort. prématurée qui enleva le cardinal à l’âge de 49 
ans empêchèrent l'exécution de tous ces beaux projets. 

« ll donna aux arts et aux lettres le plus puissant pa- 
tronage , il les introduisit à Reims et les y soutint de 
tout son pouvoir : c’est lui qui y établit le premier impri- 
meur N. Bacquenois, qu’il avait fait élever, à ses frais, 
chez les plus habiles maîtres de Lyon; on devait en partie 
à ses libéralités et à celles des princes qu’il avait in- 
téressés à cette œuvre l’élégant portail de Saint-Pierre- 
les-Dames, gracieux monument de la Renaissance. 
La ville lui est redevable de précieux manuscrits. Ja- 
mais, dit Cocquault , il ne retournait à Reims, qu’il ne 
rapportât des dons pour son espouse. En revenant du 
concile de Trente , il donna à sa cathédrale plusieurs 
tableaux, qu’il avait commandés aux premiers artistes 
de l'Italie : la Nativité du Tintoret , le Noli me tangere 
du Guide, la Descente de Croix de Thadée Zuccharo , 
et le Lavement des pieds, le plus beau tableau que la 
France possède de J. Mutiano ; il enrichit encore son 
église de la somptueuse tapisserie de six pièces re- 
présentant l'Histoire du fort roy Clovis. C’est de lui 


(1) On doit encore à ses libéralités la halle si remarquable 
d'Attigny. 


<= 
aussi que vient un magnifique Christ en ivoire placé 
maintenant dans l'église de Vuitry-lès-Reims, et qu'il 
avait donné à l’abbaye de Saint-Pierre, dont sa sœur 
était abbesse. » 

Ce simple apercu suffit pour faire comprendre que si 
jamais mémoire dut être chère aux Rémois , ce fut celle 
du cardinal de Lorraine, et que l’Académie de Reims , 
à son début, ne pouvait choisir un nom qui fût plus en 
harmonie avec łes sympathies locales, et en même 
temps avec la tendance générale qui porte aujourd’hui 
la science vers les réhabilitations historiques. 


RAPPORT 


SUR LA 


QUESTION D'ÉCONOMIE AGRICOLE. 


Commissaires: MM. pe BELLY, MaiLLEFER-COQUEBERT, 
LECONTE, GEOFFROY DE VILLENEUVE. 


M. Marcrerer-CoqueserrT, Rapporteur. 


Messieurs , 


Un des résultats les plus remarquables du grand 
mouvement industriel qui s'est manifesté dans la so- 
ciélé, depuis une vingtaine d'années, est, sans contre- 
dit, le développement de l'industrie agricole et Pheu- 
reuse application à la culture des terres d’une partie 
des conquêtes de la chimie et de la géologie. 


L'arrondissement de Reims et notamment les can- 
tons de Bourgogne et de Beine ont fait des pas immen- 
ses dans celte carrière. 

Des terres arides, qui n'offraient naguère que des 
plaines stériles, parées maintenant des plus riches 
moissons ; 

Ces espèces de landes presque improduelives qui 


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fournissaient à peine la nourriture suffisante à un 
petit nombre de brebis maigres et décharnées , cou- 
vertes maintenant de succulents paturages artificiels 
et de nombreux troupeaux pleins de vigueur et de santé ; 

D’importantes améliorations dans les méthodes adop- 
tées pour élever les chevaux et engraisser les bes- 
tiaux, qui assurent le placement prompt et avantageux 
des uns et des autres, dans les départements qui nous 
avoisinent, et jusques sur les marchés de la capitale ; 

Telles sont en très-peu de mots les principales con- 
séquences, dans nos environs, du développement de 
l’industrie agricole. 

C’est tout à la fois pour en accélérer et en régler la 
marche, qu’un honorable anonyme a fondé l’année 
dernière, un prix en faveur de l'Auteur du meilleur 
mémoire sur cette question : 


« Quel est le mode d’assolement le plus favorable aux 
« terrains calcaires du département de la Marne ? » 


Trois mémoires ont été adressés à l’Académie. 


Les numéros 4 et 2 ont attiré et fixé l'attention de 
la commission, par la manière large dont ils ont envi- 
sagé la question proposée. 


Beaucoup moins explicite que ses concurrents, l'au- 
teur du n° 3, dont je crois devoir vous entretenir de 
suite, admet quelques-unes des améliorations dont l’ex- 
périence a démontré ľ avantage. 

Ainsi , il est d’avis que l’on empouille un tiers des 


NOR 
jachères en prairies artificielles ou en plantes fourra- 
gères, à condition qu’on ne les laisse pas arriver à 
maturité. 

Il conteste l'avantage de l’assolement alterne et con- 
clut au maintien de lassolement triennal en vigueur 
depuis un tems immémorial. 

Les raisons qu’il en donne n’ont pas paru pouvoir 
être admises sans de nombreuses réserves , et le juge- 
ment porté à l'unanimité sur ce mémoire , le mettant 
en quelque sorte, hors de cause, nous permet de passer 
à l'examen des numéros 4 et 2. 


Par une ingénieuse fiction , auteur du mémoire nu- 
méro Í suppose un agronome , cherchant à se créer 
un domaine dans les vastes plaines de la Champagne, 
sur un terrain sans construction, sans abri, sans 
rivière, et sans eau. Le sol arable ne lui offre qu’une 
épaisseur de 15 à 20 centimètres, et se compose de 
roches crayeuses réduites à l’état pulvérulent, de dé- 
tritus de végétaux et d’un peu de terre sableuse. Le 
sous sol calcaires très-fendillé en lignes verticales 
filtre les eaux à une profondeur considérable. En pré- 
sence de ces difficultés l'auteur concoit et développe le 
mode suivant d’exploitation. 

A la sécheresse et aux nuisibles effets des fortes 
chaleurs. il opposera un système d'irrigation qu’il 
pourra entretenir aussi longtemps et aussi souvent qu’il 
le jugera nécessaire. 

Une pompe mise en mouvement par le jeu d’un mou- 
lin à vent pourra élever l’eau à la hauteur nécessaire 
pour la diriger sur les différents points de !son exploi 
tation. 

Ce point du problème , Messieurs, a été résolu par 


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l’auteur, et votre commission en, a constaté les heureux 
effets dans ses jardins qu’elle a visités elle-même, 

Il ne soulève et ne retourne le sol qu’en raison de 
l'épaisseur de la couche arable, fait parquer ses terres 
avant de les ensemencer , ne leur confie d’abord que 
de l’avoine, du trèfle, et du sarazin dont il fait manger 
quelques pièces en vert qu’il retourne ensuite, 

Il prélude ainsi à son système d'engrais qu'il divise 
en trois classes. 

Engrais gazeux sur les prairies artificielles. 

Engrais gras et matériels pour les grains ; 

Enfin, engrais forts et résistants pour les plantes 
sarclées. 

Ne suivons pas, Messieurs , l’auteur dans les détails 
de l'application de son système, mais arrivons à son 
opinion sur le meilleur mode d’assolement des terres 
calcaires. 

Sur une propriété de 80 hectares, l’agronome veut 
quon en mette un tiers au moins en prairies artificielles, 
et un tiers en gros grains; 

Le dernier tiers recevra tous les menus grains connus 
sous le nom de mars et quelques plantes sarclées. 

ll ne laissera sans rapport, qu’un dixième environ de 
la totalité, ou 8 hectares. Toutefois , il ne dissimu'e pas 
les avantages de la jachère pour le laboureur dénué de 
moyens pécuniaires et qui n’a pas beaucoup d'engrais. 

Dans ce cas, dit-il, un peu de repos, de bons et fré- 
quents labours permettent à la terre de s’amender par 
les eaux pluviales, les brouillards et les neiges qui con- 
tiennent tant de principes fertilisants et par les herbes 
qu'on enfouit et qui se convertissent en engrais. 

il ue permet enfin au laboureur la culture des plan- 
les sarclées qu'autant qu'il peut soutenir et enrichir 
sa lerre par de nombreux engrais. 


— 87 — 
Le mémoire n° 2 nous présente , Messieurs , le ta- 
- bleau de l’état de perfection auquel on peut désirer de 
voir parvenir l’agriculture dans nos terrains. 

L'auteur passe d’abord en revue les diverses plantes 
sarelées, fourragères et céréales que l’expérience a dé- 
montré eonvenir plus ou moins à notre sol. 

Il expose les avantages qui résultent de la suppres- 
sion de la jachère. Il propose la rotation qui lui parait 
la plus convenable pour les différentes récoltes à faire 
dans les terres calcaires. 

Il suppose cette exploitation d’une contenance de 
120 hectares; toutefois il en distrait les deux neuvièmes 
pour prairies artificielles, dont un tiers en sainfoin 
et deux tiers en luzerne. 

il développe dans un tableau présentant un assole- 
ment de 6 ans, la série des plantes, fourrages et céréa- 
les qui doivent se succéder dans chacune des divisions 
entre lesquelles il a partagé son exploitation. 

Chaque division se subdivise elle-même en deux ou 
trois parties , suivant qu’elle est destinée, par l’ordre 
qu’elle occupe dans lassolement précité, à porter des 
plantes sarclées , fourrages pour être mangés en vert, 
ou céréales. 

A cette indication générale de l'emploi des terres suc- 
cède dans le mémoire, l'exposé de l’opinion de l’auteur. 

1° Sur les amendements qu’il divise en trois classes 

2° Sur l’ordre dans lequel le cultivateur doit les 
employer. 

3° Sur la quantité d'engrais à mettre par hectare, en 
raison des grains ou des graines qui lui sont confiés. 

Plus loin, l’auteur, fixe le nombre de personnes qui 
sont nécessaires pour l'exploitation de la propriété de 
120 hectares , et la quantité de bestiaux qui devront 


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se partager les travaux, effectuer la consommation des 
produits, et par là, assurer la confection des engrais. 

Rien de plus clair et de plus précis que la marche 
adoptée par l’auteur pour prouver la vérité de ses as- 
sertions. 

Il ouvre un compte d'entrée et de sortie à chacun 
de ses produits en nature, et de la balance de ces comp- 
tes d'entrée et de sortie il résulte bien clairement. 

1° Qu'ils ont d’abord largement fourni à la nourri- 
ture du personnel et des bestiaux de toute nature que 
demande son exploitation. 

2° Qu'ils ont donné et au-delà, la quantité de fumier, 
désignée par l’agronome pour l'amendement de ses 
terres. 

3° Qu’enfin, ce dernier a trouvé dans la vente de 
excédant de ses grains, de ses laines , des bestiaux 
engraissés, un chiffre qui lui assure, après avoir pré- 
levé le paiement de toutes ses charges et l'intérêt à 
50/0 de son capital d'exploitation , un bénéfice net de 
8,500 francs. 

Ce résultat, Messieurs , prouve les richesses que 
peut procurer l’abriculture bien entendue ; car en sup- 
posant que le cultivateur soit fermier et qu’il loue les 
terres sur le pied de 45 francs l’hectare, il lui reste- 
rait encore après avoir vécu lui et toute sa famille , un 
bénéfice net de 3,000 francs. 

On ne saurait désirer trop vivement de voir cetle 
heureuse idée d’ordre et de comptabilité se répandre 
dans nos campagnes. 

Elle mettrait le cultivateur dans la nécessité de se 
rendre compte de ses opérations, d’en calculer les con- 
séquences, d'en éviter les écueils, et de sortir enfin de 
celte voie dangéreuse qu'on appelle la routine. 


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Permettez-nous maintenant, un court rapproche - 
ment entre les mémoires n% 1 et 2. 

La théorie, ou pour mieux dire, l'application de 
la théorie du n° 2, suppose des terres ratteintes, Cest- 
à-dire, des terres antérieurement et convenablement 
fumées, condition bien rare, on peut même dire ex- 
ceptionnelle dans notre pays, condition à laquelle 
l’agriculteur ordinaire ne peut arriver qu'après de lon- 
gues années s’il est propriétaire, et qu’a prix d’argent 
s’il est fermier, el malheureusement, vu le taux élevé 
de l'intérêt des capitaux, il est peu de fermiers qui 
soient en état de faire les avances propres à leur assu- 
rer de prompts succès dans l'exploitation de nos terres. 


L'auteur du n° { se place au contraire dans des con- 
ditions plus ordinaires et moins favorables. 

C’est un terrain maigre, aride, infertile qu'il achète ; 
là, livré à ses propres forces, il est obligé de tout 
créer autour de lui. 

Vous le voyez aux prises avec la stérilité du sol; il 
l'attaque corps à corps, l’éloigne peu à peu et finit par 
la bannir de son domaine. 


Le n° 2 dans l’hyporhèse où il s’est placé, n’a plus 
qu’à entretenir une rotation que ses terres peuvent 
supporter. 


Le n° 1 vous donne les moyens d'amener un terrain 
nud et presqu'improductif, à l’état de culture régu- 
lière. 


Le n° 2? ne devra le succès de ses récoltes, qu'à la 
régularité et à l'influence des temps favorables. 


— 90 — 

Le n° 4 par son système d'irrigalions , vous mel en 
main des armes puissantes pour combattre avec suc- 
cès les effets pernicieux des sécheresses et des chaleurs 
longtemps prolongées. 


Pour nous résumer , Messieurs , l'Académie tout en 
appréciant les mérites divers des mémoires n° 4 et 2', 
a dû ne pas perdre de vue les deux conditions impo- 
sées, par le fondateur du prix en faveur du meilleur 
mémoire sur le mode d’assolement le plus favorable 
aux terrains calcaires du département de la Marne. Ce 
mémoire devait : 

1° Signaler les avantages qui pourraient résulter de 
la suppression partielle ou totale de la jachère dans ies 
terres calcaires. 

2° Indiquer la rotation la plus convenable pour les 
différentes récoltes à faire, dans ces terrains et notam- 
ment pour celles des récoltes sarclées. 

La manière dont ces deux questions ont été traitées 
par l'auteur du mémoire n° 2, lui a assuré une supé- 
riorité incontestable sur l’auteur du n° 1. 


C’est donc à l’auteur du n° 2 que l’Académie a dé- 
cerné, à l’unanimité, le prix fondé par l'honorable 
anonyme , mais en même temps, considérant les vues 
utiles dèveloppées dans le mémoire n° 1 et les immen- 
ses avantages qui résulteraient du système d'irrigation 
bien appliqué, elle a cru devoir, par une exception ho- 
norable, voter une médaille d'encouragement à son au- 
teur, et prouver, par cette faveur, l'intérêt qu’elle porte 
à tout ce qui peut assurer le succès , de l’agriculture 
dans nos contrées. 


EXTRAIT 


DU PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE PUBLIQUE 


pu 4 mar 1843. 


Sur le rapport des commissions chargées d'examiner 
les travaux envoyés au concours, les prix et les men- 
lions honorables sont proclamés dans l'ordre suivant 
par M. le secrétaire : 


ÉCONOMIE POLITIQUE. 


« La médaille d’or votée en faveur du meilleur mé- 
moire sur la question des caisses d’épargnes est dé- 
cernée à M. GonEL, avocat du barreau de Reims à 
auteur du mémoire n° 4. 


« Par un sentiment que nous n'avons pas besoin de 
louer, car il est au-dessus de tout éloge. M. Gonel à 
voulu que les fonds destinés à la médaille d’or fussent 
employés en livretsde caisse d’épargnes qui seront dé- 
livrés dans la prochaine séance publique aux élèves des 
écoles désignés par le comité communal. 

« L'Académie s’est associée avec empressement à 
celle généreuse idée et elle décerne une médaille à 
M. GONEL comme souvenir de son œuvre, 


ne 


« Pour le mème concours il est accordé des mentions 
honorables : 

« À MM. Bazin (Armand-Gabriel), directeur du 
Mont-de-Piété el archiviste de l'académie royale de 
Rouen, auteur du mémoire n° 1. 

« Et LanceLor, chef d’Institution à Bourges, anteur 
du mémoire n° 2, 


HISTOIRE. 


« Le prix n’a point été décerné. 

« La première médaille d'encouragement est accor- 
dée à M. Henri Paris d'Épernay ; 

« La deuxième, à M. l'abbé Sury, curé de Loivre. 


ECONOMIE AGRICOLE. 


« Le prix est partagé ex œæquo entre MM. Taizrer 
(André-Claude), adjoint au maire de la commune de 
Brimont ; : 

« Et LAURENT (Joseph-Augustin ) , régisseur de la 
ferme de l'Hermitage, auteurs du mémoire n° 2. 

« (Le fondateur anonyme du prix à joint aux mé- 
dailles le Théâtre d Agriculture d'Olivier de Serres, 
et la Maison rustique du XIX siècle. 

« Une médaille d’argent est accordée à M. GuizLor- 
CHÉON, propriétaire aux Mesneux, auteur du mémoire 
nodi 


— 93 — 
MÉDAILLES D ENCOURAGEMENT. 


« Sur le rapport de la commission des médailles 
d'encouragement , l’Académie décerne des médailles 
d'argent 

A MM. Roxpor, de Saint-Quentin, pour ses travaux 

en géologie; 

Lory, de Reims, pour ses épreuves photo- 
graphiques ; 

BALLY, de Rheims, pour sa Carte méca- 
nique de géographie ; 

Huer, cultivateur à Nogent-l’Abbesse , pour 
son invention d'une charrue à plusieurs 
SOCS. ») 


Les lauréats viennent successivement recevoir leurs 
médailles des mains de monsieur le président, au mi- 
lieu d’unanimes applaudissements. 


M. Contant, secrétaire adjoint, donne lecture du 
programme des concours pour l’année 1844. (Voir à 
la fin du Volume.) 


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ÉCONOMIE POLITIQUE. 


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NOTION 
DE LA RICHESSE 


Par M, Ch. SAINTE-FOI. 


La vraie notion de la richesse est une notion toute mo- 
rale et toute spirituelle. L'homme seul est riche sur cette 
terre, parce que l’homme seul vit en société. Otez la so- 
ciété, et vous rendez la richesse impossible, vous détrui- 
sez sa notion, vous tarissez sa source et vous niez son 
principe. L'animal renfermé dans le moment présent 
et dans cette parlie de l’espace où il trouve la nourri- 
ture et le repos, ne peut-être riche ; car il ne se sou- 
vient pas et ne prévoit pas. Il possède moins les objets 
qu’il consomme, qu’il n’est possédé par eux. Ce n’est 
point la volonté qui met un frein à ses appétits, et qui 
les circonscrit dans de justes limites, mais c’est un 
instinct aveugle auquel on ne peut résister. Aussi ne 
saurait-il épargner , parce que épargner c’est prévoir. 

L'homme dans l’état sauvage n’a qu'un sentiment 
vague et confus de la richesse. Il jouit du présent, 
sans se souvenir du passé ni prévoir lavenir. Il pos- 

7 


LR (ESS 


sède, parce qu'il conçoit jusqu'à un certain degré le 
rapport qui existe entre la volonté de l’homme et les 
objets extérieurs. Mais comme il ne sait point les ani- 
mer, en leur communiquant en quelque sorte sa vie 
et en les rendant productifs comme tout ce qui est vi- 
vant, ces objets ne sont qu'imparfaitement en son 
pouvoir : ilsne sortent point de l'état brut, grossier, 
je pourrais dire inanimé où il les a trouvés. Ce n’est 
pas là la richesse : car là il wy a ni vie ni mouve- 
ment. i 

Au reste comment en serait-il autrement, lorsqu'il 
nya ni vie ni mouvement parmi les hommes eux-mé- 
mes ? Les rapports des choses avec l’homme ne peuvent 
pas être plus intimes que ne le sont ceux des hommes 
entre eux ; et la société de la nature avec la volonté hu- 
maine, ne peut pas être plus parfaile que ne l’est l'ac- 
cord des volontés humaines entre elles. Il n’y a point de 
richesse chez les sauvages, parce qu’il n’y a point chez 
eux de production : et il n’y a point de production par- 
ce qu'iln’ya point de désirs qui la sollicitent. Car 
c’est une loi de la nature, qui se manifeste sous des as- 
pects divers dans les diverses classes d’êtres, que le dé- 
sir doit précéder et activer la production, et il y a dans 
la société comme dans le corps humain une sorte de 
concupiscence , qui, quoique souvent impure dans son 
principe, et imparfaite dans ses formes, est sanctifiée 
par son but, et que Dieu fait servir aussi à la reproduc- 
tion. Qu'un homme désire une chose ; et s’il ne peut la 
faire ou se la procurer, il trouvera toujours un autre 
homme qui la lui donnera, car l’homme a été fait pour 
la société; et vivre en sociéte, c’est se désirer mutuel- 
lement, c’est avoir besoin les uns des autres, il n’y a 
de société possible que parmi des hommes de désirs. 


= 0 — 


Dieu en donnant à l’homme des besoins, lui a donné 
en même temps le désir et les moyens de les satisfai- 
re. Tout désir est donc à la fois et la manifestation 
d’an besoin, et un mouvement vers le bien qui doit le 
remplir. Plus il y a de désirs dans une nation, plus 
elle possède d'éléments de richesse et de prospérité, 
plus elle a de vie et de mouvement. La valeur des cho- 
ses leur vient du nombre plus ou moins grand de désirs 
qui se groupent autour d’elles et qui les convoitent. Le 
principe de cette valeur est donc tout spirituel, puis- 
qu'il tient à ce qu’il y a de plus intime dans l’homme, 
aux actes les plus profonds de son cœur et de sa vo- 
lonté. 

L'homme lui-même n’a une valeur sociale, qu’autant 
qu’il est nécessaire aux autres, que les autres ont be- 
soin de lui et le désirent. Aussi toute son ambition est 
de se rendre nécessaire à ses semblables. Il est à charge 
à soi-même, dès qu'il est inutile aux autres, et son or- 
gueil est humilié dès qu’on croit pouvoir se passer de 
lui. Il vaut tous les désirs qu’il excite, tous les besoins 
qu’il peut remplir, tousles honneurs qu’il peut conten- 
ter : son chiffre s'élève avec sa position. Ce n’est plus 
un individu seulement, c’est un membre vivant de la 
société, c’est une puissance. Le besoin le plus impé- 
rieux pour l’homme est d’être un besoin pour les autres, 
comme son premier devoir est de les aimer : et la ha- 
rité qui est la verta la plus élevée, a de cette manière 
sa racine dans la passion la plus profonde du cœur hu- 
main. 


La valeur d’un objet ne consiste ni dans l’objet lui- 


— 100 — 


même, ni dans le désir de ceux qui le convoitent. Si 
elle consistait dans les choses, celles-ci seraient supé- 
rieures à l’homme, et lui feraient en quelque sorte la 
loi. Si elle consistait uniquement dans l'opinion qu’on 
s’en fait, ce ne serait plus rien de réel, mais quelque 
chose de factice et d’imaginaire. La valeur des choses 
n’est rien d'absolu, c’est un rapport entre un objet et 
un désir. Par la même raison, la richesse qui est la 
somme de toutes les valeurs ne consiste pas seulement 
dans la production ; puisqu’une quantité moindre de 
produits peut valoir plus dans un temps ou dans un 
lieu où elle est plus demandée , qu’une quantité supé- 
rieure ne vaut là où elle l’est moins. Elle ne consiste 
pas non plus dans la demande qu’on fait de ces produits; 
mais dansle rapport qui existe entre leur production et 
les désirs qu’ils doivent satisfaire, c’est donc une con- 
duite également funeste à la richesse d’un pays, que de 
multiplier la production bien au-dessus de la demande 
qui peut être faite des objets produits, ou de provoquer 
par une excitation factice des désirs qui ne peuvent être 
satisfaits. Et la cause des révolutions qui bouleversent 
les états est bien souvent, ou dans l’inaction à laquelle se 
trouvent condamnés les capitaux accumulés outre me- 
sure, ou dans l'agitation fébrile des désirs et des inté- 
rêts qu'une politique imprévoyante a soulevés pour pa- 
rer aux exigences du moment. Dans le premier cas, la 
classe entière des producteurs; dans le second, celle des 
consommateurs s'inquiète et menace le repos de l’état 
qui a si peu compris et si peu ménagé leurs intérêts. 
Voilà cependant, il ne faut pas craindre de le dire, 
le grand mal dont souffre aujourd’hui la société euro- 
péenne, et qui doit s’accroître avec le temps d’une ma- 
nière effrayante, sila sagesse et la prudence des gou- 


— 101 — 


vernements ne se hâtent d'y apporter remède. Il ne faut 
pas, sans doute, leur attribuer tout le mal qui a été 
fait jusqu'ici; car les circonstances ont été si difficiles 
et si impérieuses, que tous les calculs et tous les efforts 
humains auraient été insuffisants, sinon pour retarder, 
du moins pour arrêter leur cours. Mêlés eux-mêmes dans 
la lutte des intérêts les plus divers et des passions les 
plus opposées : obligés de se sauver pour pouvoir sauver 
ensuite les peuples de leur propre fureur, et conserver 
parmi eux ce reste d'ordre sans lequel nulle société ne 
peut vivre, les gouvernements ne consultant que le 
danger présent , ont appelé à leur secours, les inté- 
rêts dans lesquels ils croyaient trouver protection, 
et pour prix de leur assistance, ils les ont favori- 
sés outre mesure, aux dépens des intérêts opposés; de 
sorte que la lutte est devenue plus vive et plus achar- 
née. Mais comment songer à l’avenir, lorsqu'on peut 
à peine se défendre contre le présent ? Celui qui dans 
un naufrage va s'abimer sous les flots, saisit la main 
qu’on luitend, sans examiner ce que devra lui coûter 
plus tard le service qu’il accepte. Quelle sagesse hu- 
maine ne serait déconcertée dans des conjonctures ex- 
traordinaires où la règle manque pour les hommes et la 
mesure pour les choses, où toute l'attention de l'esprit, 
et toute l’énergie de la volonté semblent se concentrer 
dans l'instinct de la conservation, dans cet instinct qui, 
aux jours de péril, tient lieu d’habileté et de génie ! 

La société étant absorbée par le soin des intérêts ma- 
tériels , il n’y avait de prise sur elle que par eux. Les 
gouvernements crurent donc ne pouvoir se soutenir 
qu’en s'appuyant sur eux. Le principe de la libre con- 
currence eut pour résultat dans la pratique une produc- 
tion démesurée, et une ambition effrénée dans les pro- 


— 102 — 


dueteurs. Mais pour donner du prix à ces produits 
surabondants, et pour leur procurer un écoulement ra- 
pide, il fallut exciter par tous les moyens et jusque 
dans les dernières classes de la société ces desirs fac- 
tices, et ces besoins imaginaires, qui en aclivant la 
demande, favorisent la production. C’est ainsi que 
l'ambition des riches provoqua dans le peuple l'amour 
du luxe , que les vices et les passions des uns appelè- 
rent à leur secours les vices et les passions des autres, 
et qu'un abîme invoqua un autre abime. L'activité 
fiévreuse qui résulta d’abord de ce choc et de cette 
mêlée des intérêts divers , qui parurent un instant ou- 
blier leur inimitié et s'embrasser dans un mutuel 
accord, cette activité put faire illusion aux esprits qui 
préoccupés du présent ne songent point à Pavenir. 
Mais déjà dans plusieurs états de l'Europe, l'épuise- 
ment a succédé à celte fièvre. Les désirs des consoni- 
mateurs n’ont plus répondu à Pappel des producteurs. 
Ceux-ci ont vu leurs produits diminuer de valeur dans 
leurs mains, parce qu'ils n’élaient plus demandés. 
Ceux-là sont restés avec leurs désirs inquiets, sans 
aucun moyen de les satisfaire. Après s'être trompés et 
appauvris mutuellement par leurs provocations insen- 
sées , ils se sont tournés les uns contre les autres, ou 
se sont unis pour attaquer ensemble les gouvernements, 
et pour les punir de leur imprévoyance et de leur 
apathie. 

Ceci nous mène à conclure, que la vraie richesse 
d’une nation consiste dans un rapport bien établi entre 
la production et la demande, entre les objets produits 
et les désirs de l’homme qui leur donnent leur valeur. 
Mais un rapport ne peut être fixé que d’après une 
règle qui pose dans ses véritables limites les termes 


` 


— 103 — 


qu’il doit concilier. Cette règle, que sera-t-elle? où la 
trouverons-nous ? quelle qu’elle soit, ne craignons pas 
de dire d'avance que sans elle, il n’y a point de ri- 
chesse assurée pour un peuple, qu’elle est le premier 
trésor qu’il doive se procurer, puisque sans lui tous les 
autres sont inutiles, et que celui qui la possède a 
un élément et une garantie de prospérité que rien ne 
saurait suppléer. 


Pour que les uns produisent , avons nous dit, il faut 
que les autres désirent. On ne peut donc pas savoir 
mauvais gré aux premiers d’exciter dans les seconds 
des désirs qui activent la production, ni à ceux-ci de 
demander à ceux-là les choses dontils ont éveillé en eux 
le désir et le besoin. Ces provocations mutuelles sont 
non-seulement permises, mais elles sont encore avan- 
tageuses à un état, parce qu’elles y augmentent la valeur 
des choses et des hommes, et qu’elles y développent le 
mouvement et la vie. Elles ne commencent à devenir 
dangereuses que du moment où elles dépassent les li- 
mites dans lesquelles elles doivent se renfermer. Trou- 
ver le moyen de développer l’activité des producteurs, 
sans exciter leur cupidité, et de provoquer les désirs 
des consommateurs, sans enflammer leur vanité et leur 
amour-propre, ce serait posséder cette règle que nous 
cherchons , et qui doit fixer le rapport entre la produc- 
tion et la demande- 

Le but de cette règle ou de ce moyen en indique suf- 
fisamment la nature. Il est clair que ce ne peut être un 
moyen purement extérieur, ni l’objet de quelque loi 
spéciale et passagère; mais il doit être fourni par la 


— 104 — 


constitution même de la nation, par cette constitution 
morale qui est le résultat de l’histoire et le fruit des 
temps, qui est écrite, non sur le papier, mais dans les 
cœurs, dans les mœurs , dans les habitudes du peuple. 
Car il n’y a point de loi humaine et écrite qui puisse 
pénétrer dans les profonds abîmes du cœur, et y tenir 
enchaînées ces passions qui tiennent à la nature même 
de l’homme, et qui ne meurent qu'avec lui. La loi peut 
arrêter ou punir la main qui s'étend pour dérober ou 
pour frapper, mais elle ne peut aller réprimer au fond 
du cœur la cupidité ou la vengeance qui pousse au vol 
ou au meurtre. Cette fonction est réservée à une loi 
supérieure, qui ayant son principe plus haut peut s’é- 
tendre plus loin, et pénétrer plus avant dans la cons- 
cience : je veux parler de la religion, qui doit vivifier et 
consacrer les constitutions de tous les peuples, sans la- 
quelle ces constitutions ne sont qu’une lettre morte, 
un arbre sans racines, que le moindre coup de vent 
peut arracher. 

Et sous ce mot de religion , je comprends l’ensemble 
des devoirs qui obligent l'homme envers Dieu, envers 
sa patrie, envers ses frères ; je comprends cette loi vi- 
vante qui s'applique à tout, qui régle tous les rapports, 
qui fortifie tous les liens, qui élargit tous les senti- 
ments, qui élève toutes les pensées, qui multiplie en 
quelque sorte celui qu’elle anime, en l’associant par 
une charité profonde aux intérêts et aux espérances de 
ses frères, et en le faisant vivre de leur vie : qui fait de 
chaque homme un citoyen noblement épris de la gloire 
de sa patrie, prêt à défendre au prix de son sang ses 
droits et son indépendance, et pour lequel rien n’est 
étranger de ce qui est grand, beau et glorieux. L'homme 
par un côté de son être, penche insensiblement vers 


— 105 — 


la terre : il lui faut un contre-poids qui fasse équilibre 
à celte loi de la nature, et qui le redresse perpétuelle- 
ment vers le ciel. Sans cela, il va s'inclinant toujours 
davantage, et finit par oublier et son origine et sa 
fin. Que peuvent les constitutions les plus savantes, les 
lois les plus parfaites sur un peuple qui ne reconnaît 
point de loi supérieure, et qui est entraîné comme par 
son propre poids vers les intérêts matériels. Que pou- 
vez-vous attendre d’un tel peuple, sinon la guerre de 
chacun contre tous, la lutte de l'égoisme contre la cu- 
pidité, l’affaiblissement de tous les sentiments géné- 
reux, et une dépréciation sensible dans la valeur de 
l’homme ? L'expérience des derniers temps n'est-elle 
pas là pour confirmer cette lugubre peinture ? Nous n’a- 
vons qu’à remuer les ruines qui sont sous nos yeux, et 
il en sortira des enseignements puissants et salutaires. 

La société a tous les éléments de richesse et de 
prospérité, mais elle n’a point où les mettre pour les 
conserver, elle n’a rien qui les contienne. Il ne suffit 
pas de faire descendre l’eau des montagnes , si on ne 
lui creuse un lit où elle puisse se jeter, et qui empê- 
che de s'épuiser en se répandant outre mesure. La 
juste limite des choses n’est pas ce qu’il y a de moins 
précieux en elles, puisque c’est cette limite qui les 
retient et les rend propres à notre usage; et que sans 
elle, les objets qui nous sont les plus nécessaires, nous 
seraient inutiles ou même nuisibles. Or, où trouvera- 
t-on des bornes à la cupidité et un frein pour les pas- 
sions, si ce n’est dans le sentiment religieux ? La reli- 
gion est donc le principal élément de richesse pour un 
peuple, parce qu’elle seule peut régler les désirs , éta- 
blir les rapports, donner aux hommes leur vraie valeur 
et aux choses leur véritable mesure. Elle est le prin- 


— 106 — 


cipal élément de richesse et de force, parce qu'elle 
comprime toutes les passions qui appauvrissent, étouffe 
tous les vices qui énervent , et développe avec la cha- 
rité ce mouvement harmonieux et réglé, où consiste 
proprement la vie des peuples. Hors d’elle, vous n’a- 
vez aucun moyen d'arrêter cette lutte déplorable des 
divers intérêts, vous n’avez aucun remède contre l'é- 
goïsme et la cupidité. 

Je ne sais par quel aveuglement on en est venu à ex- 
clure la religion de la société, à soustraire à ses divines 
influences les rapports et les devoirs qui constituent 
celle-ci, et à la reléguer dans le cercle étroit de la fa- 
mille; au lieu de la considérer comme l’atmosphère 
qui doit envelopper, pénétrer et vivifier tout l'homme, 
et qu’il doit respirer, dans quelque lieu, dans quelque 
position qu’il soit. L'action de la religion est plus né- 
cessaire à l’homme dans l’exercice des fonctions de la 
vie sociale, qu’elle ne l’est dans l’accomplissement des 
devoirs de la famille. Car plus les obligations sont im- 
portantes et compliquées, moins il est facile à l'homme 
de les remplir par les seules forces de la nature : et il 
ne faut point douter que la négligence des devoirs du 
citoyen et l’affaiblissement du patriotisme ne viennent 
du peu d’empire que la religion exerce sur les âmes, 
et de la défiance qu’on a conçue contre elle. 


Le premier effet de la religion, lorsqu'elle est bien 
comprise, c’est de faire tomber les barrières derrière 
lesquelles l’égoïsme de l’homme se retranche , de le 
faire sortir de soi-même , de le disposer à toutes les 
affections généreuses, et à cet esprit de dévouement et 


-— 107 — 


de sacrifice qui les entretient et les alimente. C'est au 
feu divin de la religion que s'allume le feu sacré du 
patriotisme; et celui-ci n’est à proprement parler qu’un 
reflet de celle-là. La patrie c'est le sol béni consacré 
par la religion. Le sol tout seul, ce n’est pas encore la 
patrie; autrement la plante qui enfonce ses racines 
dans la terre, et l'animal qui en broute l'herbe, au- 
raient une patrie comme l’homme, et même plus que 
l'homme, puisqu'ils tiennent au sol plus fortement que 
lui, et qu’on ne peut quelquefois les en arracher sans 
les détruire. Mais qu’un rayon du ciel tombe sur celle 
terre et la sanctifie, et la patrie apparaît. 

L'idée de patrie est très-complèxe , car elle se com- 
pose de plusieurs éléments divers, dont l’un tient à ce 
qu'il y a de plus spirituel, la religion, tandis que l’autre 
appartient à l’ordre matériel. Ce serait avoir une idée 
incomplète de la patrie que de séparer ces deux éléments 
qui lui sont essentiels. Mais ilen est encore un troisième 
qui n'entre pas moins nécessairement dans la compo- 
sition de cette idée : c’est le temps. Le temps et Pes- 
pace elevés par la religion dans une sphère supérieure 
à l’un et à l’autre; c’est la patrie. I n’y a pas de pa- 
trie pour l’animal, parce qu’il n’a point de siècles der- 
rière lui , point de siècles devant lui, mais que renfermé 
dans le moment présent, il ne voit rien au-delà. Il n’y 
a point de patrie sans une histoire ; ct l'histoire, c’est 
le développement plus ou moins régulier du temps dans 
un certain espace, et leur réaction mutuelle et cons- 
tante. Car il n’y a point de repos dans la vie des peu- 
ples. Le temps fait l’espace et les hommes; il les chan- 
ge ou les modifie : l’espace à son tour fait les hommes 
et le temps , et les marque de son empreinte : les hom- 
mes aussi font le temps et l'espace et les dominent de 


— 108 — 


toute la puissance de leur intelligence et de leur vo- 
lonté. Et au-dessus de ces actions et de ces réactions 
diverses et incessantes, plane l’actron suprême de Dieu 
qui lient en sa main tous les fils de l’histoire , les rompt» 
quand ils n’ont plus de force, les renoue, quand ils 
sont rompus, et ramène à l’unité toutes ces divergences. 

Après la religion, le premier trésor d’un peuple 
c'est le patriotisme ; et sans patriotisme il n’y a point 
de patrie, mais seulement une agglomération plus ou 
moins nombreuse d'individus vivant sur un certain es- 
pace de terre, et soumis à la même force. Chez un peu- 
ple ou règne l'amour de la patrie, les individus peuvent 
être pauvres, mais la nation est toujours riche et puis- 
sante, parce qu’elle peut toujours disposer des cœurs, 
des bras et du sang de tous les citoyens. Sans cet amour 
au contraire, quelque riches que puissent être les indi- 
vidus, la nation est toujours pauvre et indigente, puis- 
qu'elle ne peut compter, ni sur le dévouement ni sur les 
richesses de ses enfants. 

Depuis que l’idée de la société s’est perdue, on a 
faussé de la manière la plus étrange la notion de l’u- 
nité. Ce n’est plus un principe, c’est un résultat. Ce n’est 
plus un tout homogène, ayant des conditions d’exis- 
tence qui lui son propres; c’est un mélange informe et 
un composé des éléments les plus divers. Ce n’est plus 
quelque chose de supérieur aux éléments qu’elle com- 
prend, qu’elle unitet qu’elle embrasse, mais c’est lad- 
dition, la somme de tous les membres qui la compo- 
sent. De ce point de vue matériel et grossier, ce qui 
fait la puissance d’une nation, ce n’est plus la magnifi- 
cence de son histoire, la gloire de son passé, la richesse 
de ses souvenirs, son action providentielle dans le mon- 
de : c’est le nombre de citoyens qu’elle compte, et l'é- 


— 409 — 


tendue de terrain qu'elle occupe. L’sppréciation de cette 
force et de cette puissance n'est plus du ressort de lhis- 
toire ni de la philosophie : c’est le fait de la statistique. 
On compteles hommes, et l’on mesure lesol, et tout est 
fini. Dans cette fausse balance, telle nation née d'hier, 
pèse plus que l'Espagne, que la Suisse, que la républi- 
que des Pays-Bas, et tant d’autres états qui ont joué un 
rôle si important et occupé une si grande place dans 
Phistoire. 

Pour apprécier la richesse d’un peuple, on emploie 
la même mesure. On part encore des individus, parce 
qu'on ne sait plus voir que cela. On compte et 
on additionne les valeurs que chaque ciloyen possède, 
et l’on se persuade que la somme de ces valeurs repré- 
sente la richesse de la nation. Mais que le jour du dan- 
ger arrive, que des événements imprévus contraignent 
l'État à des efforts extraordinaires, et l’on verra si sa 
puissance consiste uniquement dans le nombre des 
hommes, et si sa richesse n’est que la somme des va- 
leurs dispersées entre les mains des individus. Si le pa- 
triotisme s’est éteint dans les âmes , de quelle utilité 
sera pour l'État cette multitude d'hommes qui lui refu- 
seront leurs bras et leur sang? Les trésors qu’ils au- 
ront amassés sauveront-ils la patrie, si pour les leur ar- 
racher , elle est obligée d’avoir recours à la force, 
au risque de les armer contre elle, et d'ajouter aux 
embarras d’une guerre extérieure les hasards plus 
terribles encore d’une lutte intestine? quelque grand 
que soit un corps, où sera sa force, s'il n’y a point 
d'âme qui l'anime, et s’il n’est qu’une masse inerte? 

Si vous lui donnez une âme, je comprends que la 
force de chaque organe tourne au profit du corps en- 
tier. Si la nation est riche de patriotisme et de dévoû- 


— 110 — 


ment : si la patrie est dans chaque citoyen, comme 
l'âme est dans chaque partie du corps, et si chaque 
citoyen vit dans la patrie et pour la patrie, dès-lors il y 
aura une véritable unité, et non plus seulement une 
composilion et une addition de nombres. La nation sera 
puissante, forte et riche; parce que la puissance, la 
force et la richesse de tous les citoyens lui appartien- 
dront, et qu’elle en pourra disposer, sans avoir recours 
à la contrainte. La personne et la fortune des citoyens 
n’appartiennent à l'État que par le patriotisme : j'avais 
donc raison de dire au commencement de ce chapitre, 
qu'après la religion, le patriotisme est la principale rì- 
chesse d’une nation. 

Mais, pour cela, il faut qu'il soit éclairé, intelligent, 
moral, juste et complet, car, il y a un patriotisme 
aveugle, fanatique, destructeur, haineux, injuste, in- 
complet et immoral, qui ne voit dans le monde qu'un 
petit espace, et qui dans cet espace ne voit que le mo- 
ment présent; pour qui le passé et l’histoire n’existent 
pas, qui renie avec une coupable indifférence les plus 
belles gloires de la patrie, qui ne craint pas d’en renver- 
ser les plus magnifiques monuments, et qui étroitement 
ingrat insulte ou calomnie les noms qui l'ont le plus il- 
lustrée. Aimer la patrie, c’est l’aimer tout entière, 
c’est l’aimer dans tous les lieux et dans tous les temps 
qu’elle a remplis de sa gloire, c’est aimer son passé et 
son avenir aussi bien que son présent; c’est aimer tou- 
tes les pages de son histoire, tous les monuments qui 
parlent de sa foi, de ses triomphes ou de ses revers, 
tous les noms qui ont ajouté quelque chose à sa gloire 
ou à sa puissance, car la patrie, c’est tout cela : c’est 
quelque chose de vivant, qui commetout ce qui vit, ne 
s'arrête jamais, jamais n’est achevé, mais commence à 


Pae 


as H — 


chaque instant de sa durée, . sans cesser d’être ce qu'il 
était dans le moment précédent. Lorsque les citoyens 
d’un état sarment les uns contre lesautres, l’on regarde 
avec raison ces dissentions intestines comme un des 
plus grands malheurs qui lui puisseut arriver. Mais nos 
ancêtres ne sont-ils pas nos concitoyens au même titre 
que ceux qui vivent en même temps que nous? N’ont-ils 
pas habité et cultivé le même sol? parlé la même langue? 
Tout, l'histoire , la gloire, la religion, les lois, n’est-il 
pas Commun entre nous? C’est done véritablement une 
guerre Civile, que cette lutte dans le même état des gé- 
nérations les unes contre les autres, que cette haine du 
présent contre le passé. Ces dissensions sont peut-être 
plus dangereuses pour la gloire d’une nation que celles 
qui divisent les citoyens d’une même époque , car elle 
sont ordinainairement accompagnées d’un caractère de 
lâcheté qui est plus rare dans celle-ci. H y a peu de cou- 
rage, en effet, pour un homme dans la fleur de l’âge, 
fort et vigoureux, x'attaquer un vieillard qui ne peut lui 
résister. Et dans ce cas la victoire ne prouve riën pour 
la justice de la cause en faveur de laquelle elle se décide. 

L'école matérialiste, considérant plutôt les effets 
que les causes , et les produits que la production Fen 
est venue à cet excès de n’estimer l’homme que par la 
quantité de produits qu’il fournit immédiatement, et 
de n’attribuer aucune valeur à ceux qui enrichssent 
leur pays de vertus, de gloire ou de génie. Adam 
Smith lui-même, si élevé d’ailleurs au-dessus des 
hommes qui , soit avant lui, soit depuis, se sont oc- 
Cupés d'économie politique, nie que les savants et les 
prêtres contribuent à augmenter les richesses d’une 
nation. De ce point de vue, le macon qui taille la 
pierre aurait plus de valeur que le soldat qui verse son 


— 112 — 

sang pour la patrie , ou que l'artiste qui l’enrichit de 
chefs d'œuvre. On ne serait point descendu à une théorie 
aussi humiliante pour la nature humaine, si on avait 
réfléchi que les produits supposent la production , et 
que la production se compose d’un nombre plus ou 
moins grand d'opérations, dont quelques-unes sont dé- 
terminées par des causes purement morales , et dont la 
première consiste dans la volonté de travailler ou de 
produire. La première cause de la production étant 
dans l'intelligence et dans la volonté de l’homme, on ne 
peut regarder comme indifférent pour la richesse d’un 
pays , tout ce qui peut imprimer le mouvement à cette 
première cause , ou l’accélérer , si elle l’a déjà reçu. 

Il y a deux choses dans l'homme : le corps et l'âme ; 
les bras et la volonté : et la production exige le con- 
cours de ces deux choses. Mais comme le corps est mu 
par les déterminations de la volonté , et qu'il est réglé 
dans ses mouvements par les lumières de l'esprit, 
on peut dire qu’une nation est d'autant plus riche 
qu’il y a en elle plus de volonté et d'intelligence ; et 
que les hommes les plus précieux pour elle, sont ceux qui 
peuvent donner aux autres ou des lumières ou de la 
force pour agir. Et ce que je dis ici des hommes, doit 
s'entendre pour la même raison des choses. On ne voit 
pas au premier abord de quelle utilité peut être , sous 
le rapport de l’économie politique, un monument na- 
tional qui rappelle à l'esprit les gloires du passé , et 
aux yeux l’image du beau ; et pourquoi il ne serait pas 
plus avantageux de le changer ep un atelier , où des 
ouvriers pourraient, par leur travail, développer lin- 
dustrie du pays. Il est certain que, si le corps ne dé- 
pendait pas de l’âme dans l'exercice de son activité, 
et si la force pouvait lui tenir lieu de volonté, le point 


— 113 — 


de vue où se place l’école matérialiste serait le seul vrai 
et raisonnable. Mais si les bras sont mis en mouvement 
par la volonté , je ne connais rien de plus utile pour la 
richesse d’une nation , que ce qui augmente la force de 
la volonté, en dégageant l'âme de la servitude des sens, 
en l’élevant au-dessus de cetle sphère étroite et basse, 
où s'agitent toutes les passions qui arrêtent, ou re- 
tardent, ou dérèglent ses mouvements et son activité. 

Nier la puissance du vrai, du bien et du beau sur 
l'âme, c’est nier celle-ci : et nier leur influence sur les 
actions extérieures et par conséquent sur la production, 
c’est nier le rapport qui existe entre l'âme et le corps. 
Un savant > Un artiste , un prêtre, un beau monument S 
un beau tableau, une belle statue , un bon livre ne pro- 
duit rien , je Pavoue : mais savez-vous tout ce qu’il 
fait produire ? A quoi sert le bras , si la paresse ou 
quelque autre vice paralyse son action ? Vous estimez 
le médecin qui guérit les maladies du corps , et Par- 
tiste ingénieux qui en augmente la force par la dé- 
couverte de quelque instrument. Mais les maladies de 
l'âme sont bien plus improductives que celles du corps 
et l’homme qui donne à celle-ci un instrument , ou un 
procédé pour agir, c’est-à-dire une disposition ou une 
vertu, enrichit bien plus la société que l'artiste dont 
je parlais tout à l'heure. Mais, pour comprendre ces 
considérations, il ne faut pas s'arrêter à la superficie, 
ni au résultat des choses : il faut remonter à leurs 
principes et à leurs causes ; et c’est ce que peu de per- 
sonnes savent faire. 

J'appelle heureux un pays riche en hommes , et les 
hommes pour moi, ce n’est pas seulement des bras, 
mais c’est encore des volontés et des cœurs pleins de 
courage , de vertu et d'énergie. Le travail le plus pro- 

8 


— 114 — 


ductif est celui qui produit des hommes , c’est-à-dire 
des intelligences et des volontés. L'état le mieux cons- 
titué est celui ou chaque homme peut développer le 
plus facilement les deux côtés de son être, les puis- 
sances de son esprit et les facultés de son corp:; où il 
peut donner à la société tout ce qu’il a et tout ce qu’il 
est, et l’enrichir de tous les trésors que Dieu a nis 
dans son intelligence et dans son cœur. Point de pros- 
périté par conséquent pour un état, sans une liberté 
sage qui laisse à chacun les moyens de produire au 
dehors tout le bien qui est au dedans de lui. Toute 
servitude est pour l'âme ce qu'est la paralysie pour 
le corps. Elle rend improductifs ces précieux trésors 
dont Dieu a enrichi la nature humaine ; elle appauvrit 
l'intelligence et la volonté, et tarit ainsi la source même 
de la production et de la richesse. L'histoire est là 
d’ailleurs pour confirmer cette vérité par ses ensei- 
gnements. Elle ne nous offre pas un seul peuple qui 
ait été riche sans liberté, et il est arrivé plus d’une 
fois qu’un gouvernement oppresseur n’a donné au peuple 
qu’il opprimait , un peu de liberté que pour pouvoir 
en tirer plus d'argent , en lui laissant le moyen de pro- 
duire davantage et de devenir plus riche faisant ainsi 
servir la liberté, à l’accomplissement de ses projets am- 
bitieux ou de ses folles espérances. 


LÉGISLATION. 


DE LA RÉPRESSION 


DES 


PLAIDEURS DE MAUVAISE FOI, 


Par A. BONNEVILLE, 


DES 


PLAIDEURS DE MAUVAISE FOI. 


« ll s’agit plutôt de régulariser et d'améliorer 
« ce qui existe, que de détruire, pour inventer 
« et renouveler, sur la foi de théories hasar- 


« deuses. Guizor. 
(Exposé des motifs de la loi sur l'Instruction primaire.) 


SOMMAIRE. 


Comment on pourrait, en étendant à tous les cas de mauvaise foi 
judiciairement constatée la pénalité d'amende prévue par l'art. 213 
du code de procédure civile, 

1. Eloigner du sanctuaire de la justice ces plaideurs frauduleux, 
que la loi romaine appelait improbi litigatores ; 

2. Diminuer d'autant le nombre des procès civils et commerciaux; 

3. Imprimer aux décisions de la justice un nouveau cachet de cer- 
titude et de vérité : 

4. Faire cesser l'impunité et le scandale actuels de la mauvaise foi 
judiciaire ; 

5. Enfin, couvrir, chaque année, au moyen de cette dime salu- 
taire levée sur l'improbité, tout ou partie de l'énorme impot des frais 
de la justice criminelle. 


La statistique criminelle, ce grand et authentique 
indicateur de la moralité publique, nous dénonce, 
depuis 1830 , dans le nombre des crimes et délits, un 


— 118 — 


accroissement hors de toute proportion avec le mouve- 
ment de la population et le développement progressif 
de la richesse commune (1). Elle constate un autre 
fait symptômatique non moins grave, c’est que cet ac- 
croissement de criminalité porte exclusivement sur les 
divers méfaits, qui ont pour mobile une même passion : 
LA CUPIDITÉ. (2). 

D'une autre part, la statistique civile signale aussi , 
quoique dans une moindre mesure , un accroissement 
anormal dans le nombre des procès civils et de com- 
merce (3); et bien que la cause n’en soit pas indiquée, 
on peut facilement s’en rendre compte. 

En effet, d’où proviennent en général les procès ? de 
trois causes principales : 


DE L'IGNORANCE DE LA LOI; 
DE L'ESPRIT DE CHICANE ; 
DE LA MAUVAISE FOI. 


Sur le premier point , tout le monde conviendra que 
jamais la loi civile n’a été, à aucune époque en France, 
plus simple, plus claire, plus uniforme, plus à la 
portée de tous les citoyens, par conséquent moins 
ignorée. 

On ne peut disconvenir davantage que l'esprit de 
chicane et de plaiderie ne tende chaque jour à dimi- 
nuer, à mesure que les citoyens s'éclairent sur la 


(1) Voir la série des comptes généraux de la justice crimi- 
minelle. 

(2) Voir la série des comptes généraux de la justice crimi- 
nelle, et notamment rapp. du compte de 1840, p. 2 et 3. 

(3) Voir la série des comptes-rendus de la justice civile, et 
spécialement ceux de 1840 et de 1841, 


— 119 — 


nature ct les limites de leurs droits. Ce qui le prouve 
du reste, c’est la progression ascendante du nombre 
des conciliations obtenues (1). 

Cela étant, si, en présence de l’affaiblissement évi- 
dent de ces deux premières sources de litiges, le nom- 
bre des procès civils et de commerce continue néan- 
moins d'augmenter, ne faut-il pas conclure que cet 
accroissement ne saurait provenir que de la troisième 
source que j'ai indiquée, LA MAUVAISE FOI? 

Ainsi donc, les crimes et délits, qui provoquent Pac- 
tion de la jnstice répressive , comme les procès, qui 
nécessitent l'intervention de la justice civile ou consu- 
laire, vont sans cesse augmentant, sous l'influence gé- 
nérale d’une même cause; et cette cause commune, 
cette cause unique, c’est la passion qui domine toutes 
les tendances de ce siècle, c’est lamour des choses et 
des jouissances matérielles , c’est l'amour de l'argent, 
c'est, en un mot, la cupidité!… 

Cette vérité, sans doute, est triste à dire, mais il faut 
pourtant oser la proclamer ; car là est la plaie endémi- 
que de l’époque ; e'est vers ce foyer de contagion qu’il 
faut diriger toutes les études. C’est là qu’il faut se häter 
d'appliquer d’énergiques remèdes. 

Or, tandis que, de leur côté, le jury et les tribunaux 
s'efforcent de plus en plus (2) d'apporter à la répres- 
sion des crimes une sévérité salutaire, ne serail-ce pas 
une heureuse pensée, que de chercher à arrêter la hon- 
teuse progression des procès résultant de l'improbité, 


(1) Voir, compte de la justice civile de 1840, rapp., p. 56. 

(2) Les comptes criminels de 1837, 38, 39 et 40 consta- 
tent une recrudescence très-marquée dans la répression des 
crimes et délits. — V. rapp. de 1840, page 10, 


= 190! — 


par l'effet d’une penalité D'AMENDE, contre tout plaideur 
judiciairement convaincu de mauvaise foi?... 

J'ajoute que cette pénalité pourrait, sous un autre 
rapport, acquérir un nouveau degré d'importance. 

Les crimes et délits ne sont pas seulement une at- 
teinte journalière à la sécurité des citoyens; ils sont, 
et c’est en général ce qu’on ignore, un des impôts les 
plus onéreux de la vie sociale. On a peine à imaginer 
l'énorme capital que les crimes et délits de cupidité pré- 
lèvent annuellement sur les honnêtes gens (1). Ces 
derniers, après avoir fourni la matière des crimes, ont 
encore à payer, en frais de justice criminelle, une somme 
qui, augmentant chaque jour (2), s'élève, pour 4840, 
à plus de QUATRE MILLIONS (4,571,325 fr.) (3)! 

Dans cet état de choses, la mesure pénale que je 
viens d'indiquer ne serait-elle pas un précieux progrès, 
une sorte de bienfait public, si, iudépendamment de 
ses résultats directs pour la morale, pour la diminution 
des procès, pour la meilleure administration de la 
justice, elle permettait encore, au moyen de ces 
amendes infligées à la mauvaise foi, de couvrir, en 
tout ou en partie , le chiffre si lourd des frais de la jus- 
tice criminelle ? 

Voyons si nos espérances , à cet égard, sont fon- 
dées , et s’il ne serait pas possible de les traduire en 
des résultats pratiques. 


Pour cela , je me demande si l'édiction d’une amende 


(1) Le produit moyen de chaque crime de vol est pour 
1840 de 28 fr. Voir compte crim. de 1840, pag. 15. 

(2) Elle n'était en 1831 que de 3,434,383 fr. 

(3) Circulaire du ministère de la justice du 16 août 1842. 


— 121 — 


contre les plaideurs de mauvaise foi, serait chose ur- 
gente et légitime en soi; si elle serait justifiée par 
quelques précédents répressifs , soit du droit romain, 
soit de notre ancienne législation; si elle serait d’une 
application simple, facile, exempte d’arbitraire; si 
enfin son produit aurait l'importance financière que 
nous avons présumée, 


I. 


URGENCE ET LÉGITIMITÉ D'UNE PÉNALITÉ D’ AMENDE. 


Chacun sent qu'entre le plaideur ignorant ou témé- 
raire et le plaideur de mauvaise foi , il y a une diffé- 
rence immense. 

On conçoit qu'un homme , ne sachant pas les lois, 
ou les comprenant mal, puisse se tromper sur la na- 
ture et l’étendue de son droit, et que, par suite, il 
plaide. 

On conçoit encore qu’un homme ardent , entêté , ani- 
mé par la discussion, et poussé peut-être par une humeur 
processive, aille témérairement réclamer, à l'appui d’un 
droit douteux ou exagéré, l'intervention des magistrats. 
La justice est là pour l’éclairer , pour le ramener à des 
sentiments de sagesse et de conciliation; au besoin , 
pour lui faire comprendre la légèreté et le mal fondé de 
ses prétentions. 

Mais lorsqu'un homme , qui sait n'avoir pas payéla 
somme qu’on lui réclame, vient, paresprit de dol ou de 
mauvaise foi, soutenir qu'il l’a payée ; quand il présente 
à l'appui de ses prétentions injustes , des allégations 
fausses et calomnieuses ; quand il tente par là de s'ap- 


— 122 — 


proprier frauduleusement le bien d'autrui, ce plaideur 
ne commet pas seulement une action immorale , il fait 
plus , il outrage la justice jusque dans son sanetuaire ; 
car il s'étudie à la tromper ; car il s'efforce d'obtenir 
d’elle le résultat le plus affligeant , le plus scandaleux 
qu’on puisse imaginer : la consécration de la fraude , 
sous l'apparence et sous l'autorité sacrée du bon 
droit l... 

Et cependant , on le sait , notre loi civile actuelle ne 
fait aucune différence entre le plaideur honnête que 
l'ignorance ou la témérité aveuglent , et le plaideur dé- 
loyal qui agit sous l'inspiration de la mauvaise foi ! En 
vain sera-t-il évidemment constaté que, dans tout ce 
qu’il a allégué, celui-ci a impudemment menti à la 
justice ; en vain sera-t-il notoire à tous qu’il a employé 
les moyens de défense les plus frauduleux ; cette odieuse 
conduite , dont la justice aura gémi , dont tous les hou- 
nêtes gens se seront indignés , ne recevra aucun châti- 
ment. Le plus indigne plaideur , à l'égal du plaideur 
le plus honorable, n’a à redouter d’autre peine, sil 
succombe , que le simple paiement des frais et celui 
des dommages-intérêts, s’il y a lieu (4) l... 

Or, je dis qu’il y a , dans un pareil état de la légis- 
lation, non-seulement une absence de justice et de pré- 
voyance, mais une prime permanente d'encouragement 
accordée à l’improbité. 

Car remarquez que si les plaideurs de mauvaise foi 
sont soumis, comme tous les plaideurs honnêtes , au 
risque de perdre leur procès , ils ont , de plus que ces 
derniers, espoir d’un gain illicite, et la possibilité, si 
leur ruse triomphe, s'ils parviennent à abuser la justice, 


f1) Art. 130 à 137, G. proc. civile. V. la pag. 122. 


— 123 — 

de s'enrichir au dépens de leur adversaire : certant de 
lucro captando. Il y a donc pour eux, par le fait , tout à 
gagner , rien à perdre. Et c’est là ce que j ‘appelle une 
prime SG accordée à l’improbité ! E 

Je dis donc qu’une peine imposée à la mauvaise foi 
des plaideurs serait la mesure, sous tous les rapports, 
la plus urgente et la plus légitime. 


Examinons si elle serait justifiée par quelques pré- 
cédents législatifs. 


IT; 


RÉPRESSION DES PLAIDEURS DE MAUVAISE FOI, 
SOUS LE DROIT ROMAIN. 


Le droit romain, cet inépuisable trésor où vont in- 
cessament s'enrichir les législations modernes , avait 
établi diverses pénalités etes contre le plaideur 
de mauvaise foi, qu'il appelait improbus litigator (1). 

Et d’abord pour éloigner à l'avance les artifices de 
la fraude, les deux parties et leurs avocats étaient te- 
nus de jurer, au début de tout procès, de ne rien faire 
et dire, pendant l'instance, PAR ESPRIT DE MENSONGE 
ET DE DOL: « se nihil dolo malo, neque vexandi nec 
calumniandi animo ; se nihil calumniose dolosèque ac- 
turos (2). » 

A cette première garantie , la loi en avait ajouté 
une seconde non moins efficace : c'était l'action en 


(a) Lust., lib- 1v, t- XVI. 
(2) Henucccius, § 1174. 


— 4124 — 


dommages-intérêts résultant du dol même dont on avait 
usé, pour le gain du procès : actio de dolo malo; en 
telle sorte qu’il y avait non-seulement, comme aujour- 
d'hui, l’action ordinaire en dommages-intérêts, à rai- 
son du préjudice causé par l’objet du litige, mais une 
action particulière, à raison des moyens frauduleux 
employés devant la justice, au soutien d’une action in- 
juste, ou pour résister à une juste demande. 

Parfois, la loi déterminait elle-même le taux de ces 
dommages-intérêts, qu’elle imposait à la mauvaise foi. 

Par exemple, le défendeur qui avouait sur-le-champ 
le dommage fait à son adversaire, n’était tenu que de 
réparer ce dommage. Mais si, par esprit de mau- 
vaise foi, il niait, et qu’il fùt ensuite convaincu, il 
était condamné AU DOUBLE, « in pænam mendacii et 
calumniæ (1). » 

De même, dans ce qu’on appelait les causes pies 
(piæ causæ), si l'héritier niait frauduleusement devoir 
le legs fait à quelque lieu saint, il était, en cas de re- 
jet de ses prétentions, condamné à payer le DOUBLE : 
« in duplum condemnatur (2). » Il payait ainsi et le 
legs réclamé et la peine de sa mensongère dénégation : 
« quod et legatum et pænam continet (2). » 

C'était, vous le voyez, une véritable amende civile 
imposée à la mauvaise foi. Seulement elle élait sti- 
pulée au profit des parties, non du trésor public. 

Enfin, dans certains cas, une autre peine, la plus 
grave de toutes, l’infamie, atteignait les plaideurs frau- 
duleux : « Ex quibusdam judiciis, dit Justinien, dam- 


(1) Inst., $ 26, h. t 
(2) Henneccius, § 1154. 
(3) Ibid. 


— 125 — 
nati ignominiosi fiunt. » Les plaideurs ainsi frappés 
étaient ceux qu'on condamnait civilement pour infrac- 
tion constatée aux contrats de tutelle, de dépôt, de 
société et de mandat (1). 

La loi romaine avait donc trois moyens différents 
de refréner la mauvaise foi des plaideurs; le serment 
de ne rien dire ni faire contre la vérité; les dommages- 
intérêts spéciaux, ou la peine pécuniaire, à raison du 
dol emplogé dans l'instance ; et l’infamie. 


« On ne saurait trop louer, dit Henneccius, cette 
sévérité des anciens Romains qui ne soufraient 
pas qu'on vint impunément mentir en face de la 
justice (2) ! » 


HI. 


RÉPRESSION DES PLAIDEURS DE MAUVAISE FOI SOUS 
L'ANCIEN DROIT FRANÇAIS. 


Notre ancienne législation française n’avait eu garde 
de négliger ces moyens de contreminer les ruses et 
les manœuvres de la mauvaise foi. 

L'un de nos plus vieux et de nos plus remarquables 
monuments judiciaires, les fameux establissements du 
Saint Roy Loys, avaient, dès l’année 1270 , consacré 
l'usage romain du serment respectif des parties. 

« Et pour ce que malice et tricherie, dit le saint Roi, 
« est si porcreue entre l'humain lignage, que les uns 


(3) Inst., lib. IV, t. XVL, 2. 
(1) Henneccius; De leg. aquilid. $ 1095. 


— 126 —- 


« font souvent aux autres tort et ennuy en maintes 
« manières ; et pour ce que nous voulons que le peu- 
« ple dessous nous puisse vivre loyaument et en paix, 
« et que li uns se garde de forfaire à l’autre; et pour 
« refréner les maufaiteurs par la voie de droit, avec 
« l’aide de Dieu, qui est juge droicturier sur tous au- 
« tres, avons ordonnné : 

« Li demandeur jurera que il cuide avoir droite 
« querelle et droite demande, et qu’il répondra droite 
« vérité, selon ce qu’il croit; et que il ne donnera rien 
« à la justice, ni ne promettra, pour la querelle, ni 
« aux témoins, fors leurs dépens ; ni empêchera les 
« preuves de son adversaire, ni rien ne dira contre les 
« témoins amenés devant lui, qu'il ne croie que vray 
« soit, et qu’il n’uscra de fausses preuves. 

« Li défendeur jurera qu’il croit avoir droit et 
« bonne raison de soy défendre et jurera les autres 
« articles qui sont dits dessus. » 

De même, par l'ordonnance de Louis XII de 1499 
(art. 16), le demandeur « était tenu de jurer, sur les 
« saints évangiles de Dieu, la vérité du contenu en sa 
« demande, et le défendeur tenu d’y répondre perti- 
« nemment et par serment auxdits évangiles. » 

A cette époque, que nous appelons barbare, où les 
luttes judiciaires étaient l’image et souvent le prélude 
de combats réels, on trouvait juste que les parties li- 
tigantes, semblables à des combattants en champ clos, 
ne se servissent que d’armes égales et courtoises , et 
qu’elles se conduisissent en toute vérité et loyauté, comme 
des gens d'honneur. 

Aussi voyez-vous que les plaideurs ne devaient pas 
seulement jurer que leur demande était juste, mais 
encore qu'ils n’allégueraient , à l'appui de leur bon 


— 127 — 
droit, que des faits vrais; qu'ils n'useraient que 
de moyens avoués par la conscience et la loyauté ! 

Les ordonnances de nos rois et la plupart de nos 
coutumes conservérent religieusement cet appel à la 
bonne foi des parties. Plusieurs même imposèrent une 
pénalité spéciale au cas d’articulation de faits reconnus 
faux. 

Ainsi, par l’article 41 de l'ordonnance de Fran- 
çois 1°", de 1489 , « la partie qui alléguait calomnieu- 
« sement un reproche faux contre un témoin, était 
« condamnée à 20 livres parisis d'amende, ou à plus 
« grande peine, pour la grandeur de la calomnie, à 
« l’arbitrage de justice. » 

Par la même ordonnance, les parties « étaient te- 
« nues d'affirmer, par SERMENT, le contenu en leurs 
« écritures, et ce, sous peine de 10 livres parisis d’a- 
« mende, pour chacun fait calomnieusement dénié, en 
« cour souveraine, et de 400 sols parisis, dans les 
« cours inférieures (art. 38). » 

Une peine pareille était encourue par les avocats qui, 
« en plaidant, avaient posé et articulé aucuns faux 
« faits (art. 40). » 

Enfin , voici ce qu’on lisait à ce sujet dans l’admi- 
rable ordonnance d’une province limitrophe de la 
Champagne, le pays Messin ; elle est en date du mois 
de décembre 1564 : 

« Art. 4. — Et pour ce que la longueur des 
« procès et desguisement de la justice dépendent la 
« plupart du temps de la MAUVAISE Foy des parties, 
« subterfuges, calomnies et mauvaises inventions des 
« procureurs et gens de conseil desdites parties liti- 
gantes, il est enjoint à toute personne voulant faire 
« plainte, demande, réponse ou défense en justice, de 


Px 
A 


= 


s 498 — 


« proposer son fait simplement et à la vérité, sans au- 
« cuns fard ou déguisement, soit la partie même, soit 
« son procureur ou conseil, et défendu d’user d’au- 
« cuns subterfuges ou mauvaise foy, sur peine, pour la 
« première fois, d’être mis prisonnier en prison fer- 
« mée, par deux jours entiers, au pain et à l'eau, 
« et d'amende arbitraire envers justice. Et, pour la 
« seconde et tierce fois, de double et triple peines 
« de prison et d'amende , et la quatrième, de peine 
« corporelle. » 

Ce n’est pas tout, et comme pour purifier davan- 
tage encore les voies de la justice, l'art. 17 ajoutait : 

« Enjoignons aux procureurs de se bien informer DU 
« FAIT et DROIT des parties, à ce que, contre leur de- 
« voir et serment, il n’entreprennent la charge d'aucune 
« CAUSE MAUVAISE ET INJUSTE, le tout sur peine de 
prison et d'amende arbitraire envers justice. » 

On ne saurait imaginer un système plus complet et 
plus énergique de répression pour la mauvaise foi 
judiciaire. 

D'abord, le serment de vérité des parties et de leurs 
avocats ; puis la peine progressive d'amende et de pri- 
son contre le plaideur frauduleux; enfin, la même 
pénalité d'amende et de prison pour l'avocat qui avait, 
contre son devoir et serment, accepté la charge d’une 
cause mauvaise el injuste l... 

Telle avait été, sur ce point, la prudente sagesse 
de nos pères. 

Toutefois, je dois dire que, vers le xvu" siècle, le 
serment de bonne foi exigé des parlies, jusjurandum 
calumniæ, tomba peu à peu en désuétude. On comprit 
qu'il était difficile d'attendre, de la passion et de l'in- 
térêt des parties litigantes, une complète et candide 


— 129 — 


sincérité sur la justice de leurs prétentions, et que 
dès-lors ce serment, dégénérant en vaine formule de 
style, pourrait devenir la source de nombreux parjures. 
On se borna donc, en ce qui touche les plaideurs, 
soit à exécution des anciennes pénalités spécialement 
édictées contre les articulations de faits reconnus FAUX 
(1), soit au droit qu’avaient toujours exercé les tribu- 
naux de condamner à des peines pécuniaires les plai- 
deurs manifestement convaincus de MAUVAISE FOI. 
Ces amendes civiles, dont on trouve de nombreux 
exemples dans les arrêtistes, étaient, dans quelques 
ressorts, appelées aumônes (2), parce qu’elles étaient 
en général consacrées aux hôpitaux, aux prisons et 
autres heux pitoyables (3). 

Quant au serment par lequel les avocats juraient 
de ne se charger sciemment d'aucune CAUSE INJUSTE, 
il fût soigneusement maintenu. 

« On le réitérait, dit Guyot, à chaque début de 
« cause nouvelle, avec déclaration qu’on n’entendait 
« nullement favoriser la fraude, ni la calomnie. Plus 
a tard on ne le prêta plus que tous les trois mois, et 
« bientôt après, tous les ans seulement, à la Saint- 
« Martin. » 

C’est de cet antique usage que provient l’habitude 
qu'ont encore les barreaux de divers siéges, de renou- 
veler leur serment au commencement de l’année judi- 
ciaire. 

A côté de ces mesures, qui tendaient à garantir 
l'entière loyauté des plaidoiries et des procédures, ou 


(1) Cout. de Tours. art. 376. 
(a) Merlin, rep. V. Aumône, Guyot. id. 
(3) Encyclopédie de Diderot, V. Aumône. 
x 


— 130 — 


qui du moins, armaient la justice d’un droit souverain 
de châtiment, il v en avait d’autres, qui permettaient 
aux tribunaux d'atteindre, en dehors de l'audience, 
tous les faits de fraude au moyen desquels on avait 
pu s'emparer du bien d'autrui. 

C'était dans ce but que la loi du 22 juillet 1791 avait 
rangé au nombre des délits punissables le simple DOL , 
c’est-à-dire, d’après la définition des lois romaines, 
« omnis calliditas , fallacia , machinatio ad circumveni- 
endum, fallendum, decipiendum alterum adhibita (1). » 

D’après l’article 35 de cette loi, tous ceux qui, par 
DOL, ou à l’aide de faux noms ou de manœuvres frau- 
duleuses , avaient extorqué tout ou partie de la for- 
tune d'autrui , étaient punis correctionnellement d’a- 
mende et de prison. 

Ainsi donc, sous notre ancien droit, comme sous 
le droit romain, LE DOL OU LA MAUVAISE FOI pouvaient 
être réprimés, soit qu’ils se produisissent dans le cours 
des procédures, sous l’œil des magistrats, soit, qu’en 
dehors du sanctuaire de la justice, ils se manifestas- 
sent dans les relations entre citoyens. 


IV. 


NULLITÉ ACTUELLE DE LA RÉPRESSION. PÉNALITÉ 
D’AMENDE PROPOSÉE. 


Aujourd’hui, malheureusement, il n’en est plus 
ainsi. En ce qui touche les faits commis en dehors 


des procédures, tout ce qui ne vient point exactement 


(1) L.1,2,6 De dolo. 


— 131 — 


s'appliquer à la définition légale du vol, de l'escroguerie 
ou de labus de confiance, échappe à l'action répres- 
sive; et, chose honteuse à dire ! le coupable est assuré 
d'avance d’un bill judiciaire d'innocence, du moment 
qu'il peut prouver n’avoir employé, pour s'approprier 
le bien d'autrui, QUE LE DOL! QUE DES MANOEUVRES 
FRAUDULEUSES |... 

Ce que j’avance ici n’est pas une exagération. 

« Il ne suffit pas, pour constituer l’escroquerie lé- 
gale, dit un arrêt de cassation du 15 mai 1820, de 
s'être fait remettre des sommes à l’aide de manœuvres 
frauduleuses ou dolosives , il faut encore que ces ma- 
nœuvres aient été employées pour persuader lexis- 
tence de fausses entreprises, d’un pouvoir ou d'un 
crédit imaginaire, ou pour faire naître la crainte ou 
l'espoir d’un évènement chimérique. » 

« Le débiteur, dit un autre arrêt (1), qui, par une 
fausse promesse, obtient la restitution du gage par lui 
remis à son créancier, et qui non-seulement n’éxécute 
pas sa promesse, mais qui déclare même faussement 
avoir payé sa dette, ne commet pas le délit d’escro- 
querie. » 

De même, point d’escroquerie de la part du porteur 
d'effets exigibles qui, « pour se faire livrer des mar- 
chandises par le marchand débiteur de ces effets, le- 
quel refusait de les acquitter, a exhibé en sa présence 
du numéraire et des billets de banque auxquels il a 
substitué adroitement les effets acquittés. — Ce fait, 
bien que moralement repréhensible, ne constitue pas 
l'escroquerie (2). » 


(1) Cass., 24 brumaire an VIII. 
(2) 6 Juillet 1826. 17 Février 1809. 


— 132 — 


Je citerais, dans cet ordre de faits, un nombre 
infini d’actes de la plus insigne mauvaise foi, qui, ne 
pouvant se classer sous les rubriques incomplètes de 
notre loi pénale, obtiennent , au grand scandale de la 
justice et de la morale, l’immunité réservée aux actions 
légalement irréprochables. 

Mais je l'ai dit : si l'impunité de la fraude est déplo- 
rable, si elle est dangereuse et démoralisante, c’est sur- 
tout lorsqu'elle se produit dans le sanctuaire de la jus- 
tice, au cours du débat et des procédures, sous les yeux 
et à la face mème des magistrats, dans le but de surpren- 
dre et d’égarer leur religion; parce qu’alors cette fraude, 
s’aggravant à raison du lieu, du motif, des circons- 
tances, devient une sorte de tentative sacrilége. 

Et cependant, pour cette fraude si coupable, notre 
législation actuelle n’a ni dispositions préventives, ni 
pénalités ! 

Toutes les mesures par lesquelles nos pères s’effor- 
caient d’éloigner les plaideurs de mauvaise foi, ont été 
successivement abolies, sans qu’on ait essayé d’y rien 
substituer. Un seul effort glorieux a été tenté contre 
cet oubli des anciennes traditions. 

En 1810, le plus grand législateur de ce siècle, Na- 
poleon, après avoir doté la France de l’admirable édi- 
fice de ses lois civiles, après avoir réorganisé la ma- 
gistrature, voulut compléter son œuvre en restituant 
au barreau ses règles et sa splendeur passées. Dans 
ce but, il comprit qu’il fallait réhabiliter avant tout 
la probité judiciaire et la placer en tête des indispen- 
sables vertus de l'avocat. 

En conséquence, il se hâta d'ajouter au serment 
incomplet qu'avait imposé au barreau le décret de ven- 
tôse an XII, cette formule digne des temps antiques : 


Mine 
« Je jure de ne conseiller ni défendre aucune cause que 
je ne croirai pas JUSTE en mon âme el conscience (1). » 


Il était beau de voir, chaque année, à pareil jour , 
alors que chaque magistrat prêtait, au fond de son 
cœur, le serment d’être fidèle à la justice, de voir, 
dis-je, les avocats jurer, en présence du public et des 
magistrats, de n’accorder l'appui de leur talent qu'au 
bon droit et à la justice l... Un tel serment ne pouvait 
que relever encore les nobles attributions du barreau. 
Il tendait à consacrer la généreuse alliance que rêvait 
l'orateur romain, entre la science du jurisconsulte et la 
probité du citoyen (2). 

Toutefois, l'ordonnance de 1822 sur l’organisation 
du barreau suprima, dans le serment des avocats, l’ad- 
dition faite par Napoléon. On pensa qu’une clause de 
ce genre était inutile pour les avocats honnêtes et 
qu’elle ne retiendrait pas ceux qui auraient intention 
de se parjurer. 

Mais , dans ce cas, il fallait, par la même raison, 
supprimer le serment entier; car celui qui ne craindrait 
pas d’être parjure à sa conscience, infidèle à la vérité, 
serait il plus exact observateur des autres prescriptions 
du serment conservé ?...... 

Pour moi, je dois l’avouer, j'ai toujours considéré 
cette modification comme la plus sanglante injure 
qu’on ait faite à l’ordre des avocats, dans les temps 
modernes. Elle est venue donner une sorte de consécra- 
tion légale à cette erreur trop répandue, que l'office 
obligé de l'avocat est de soutenir indifléremment le pour 


(1) Art. 14 du décret du 14 déembre 18 10. 
(1) Fir probus , legum peritus. 


== 9 — 
et le contre avec le plus de talent et d’apparente convic- 
tion possibles : erreur d’autant plus dangereuse, qu'elle 
tend à ravaler une des plus honorables professions au 
méprisable rôle des anciens rhéteurs d'Athènes et de 
Rome !... 

Et voyez quelle étrange contradiction résulte aujour- 
d’hui de cette suppression injurieuse! tandis que la 
loi n’ose plus demander à l'avocat, en malière civile, 
de ne pas se charger d’une cause MAUVAISE et INJUSTE, 
elle ne craint point, au grand criminel, de lui imposer 
l'obligation de ne rien dire CONTRE SA CONSCIENCE (1)!. 

Or, l’on comprendrait, jusqu'à un certain point, 
qu’à la cour d’assises, alors que la société accuse un 
coupable qu’elle tient entre ses mains, prête à le punir, 
l'avocat pût, malgré les apparences les plus fortes de 
culpabilité, défendre, par tous les moyens, le malheu- 
reux dont les intérêts lui ont été confiés d'office. Car nul 
en France ne peut être condamné sans avoir été défen- 
du! il y a ici une pensée d'humanité qui domine tout. 

Mais, en matière civile, où il n’y a jamais en jeu 
qu'un intérêt privé et presque toujours un intérêt d’ar- 
gent, l'avocat qui, contrairement à sa conscience, plai- 
derait la vérité d’un fait qu’il saurait être faux; qui 
ferait valoir un moyen qu’il saurait illégal; qui prêterait 
son ministère à des prétentions évidemment injustes; 
cet avocat se rendrait complice de lå mauvaise foi de 
son client, et sa conduite serait d'autant plus répré- 
hensible, qu’un prix d'argent serait la récompense de 
celte coupable collusion. 

Sur ce point, nous sommes convaincus qu’il n’est 
pas une de nos paroles qui ne trouve écho dans les 


(1) Art. 31. G. Inst. crim. 


— 135 — 


rangs honorables du barreau; tous, nous n’en dou- 
tons pas, regretteront avec nous l'abolition de la belle 
formule du décret de 1810. Elle était pour le bar- 
reau moins une obligation imposée qu’un glorieux pri- 
vilége ; et s’il est vrai, ce que nous aimons à admettre , 
qu’elle n’était pas nécessaire, elle était du moins un 
hommage solennel rendu à ces sentiments de bonne foi 
et de loyauté, sans lesquels le généreux ministère de 
la parole west plus qu'un vil métier pour l'avocat, 
qu’un fléau pour la société (1). 

Mais enfin, remarquons que l'avocat, qui manque- 
rait à ses devoirs de probité, peut être puni : la loi le 
soumet au contrôle d’une juridiction disciplinaire ! 
Quelle sanction pénale reste-t-il aux tribunaux contre 
la mauvaise foi des plaideurs ?... Aucune. 

A part un seul cas d'exception, dont je vais bientôt 
parler , notre droit nouveau a aboli jusqu'aux pénalités 
spéciales qui s’appliquaient à tous les cas d’allégations 
reconnues fausses ou de mauvaise foi constatée. 

C'est parce que les tribunaux sentent et compren- 
nent à merveille cette fächeuse lacune dela loi, que, 
cherchant à y suppléer , nous les voyons chaque jour 
flageller, par la rigueur afilictive de leurs considé- 
rants, la mauvaise foi prouvée de certains plaideurs. Et, 
s’il faut le dire, sous ce rapport comme sous tant d’au- 
tres, la magistrature a, depuis quelques années, rendu 
d’éclatants services à la morale publique. 

Toutelois, cette pratique, dont le but est si louable, 
woffre-t-elle pas de graves inconvénients ? 


(1) Si quis, omissis honestissimis studiis rationis et officii , 
consumit omnem operam in exercitatione dicendi; is inutilis 


sibi j perni LOsUS civis patriæ alutur, (Cicero; De invent.) 


— 136 — 

D'une part, elle a soulevé de vives réclamations. 
En agissant ainsi, dit-on, les tribunaux excèdent leurs 
pouvoirs. La justice n’a pas le droit de blämer, et à 
plus forte raison de fltrir ce que la loi civile ou pénale 
ne punit pas. Les magistrats ne sont pas institués pour 
exercer la censure publique , pour professer des cours 
de morale, mais pour appliquer froidement la loi. 

D'une autre part, į! n’est que trop vrai que les 
hommes improbes, dont les fraudes appelleraient un 
châtiment exemplaire, se jouent de ces considérants 
infamants. Verba justitiæ rident et flocci faciunt.: Pour 
eux, c’est une sanction pénale qu’il faudrait, au lieu de 
ces paroles impuissantes. 

Au surplus, la peine d’amende que j’invoque, en de- 
hors des prescriptions du code pénal contre la mau- 
vaise foi des plaideurs, n’est pas unede ces innovations 
qui peuvent effrayer ou surprendre. Elle existe déjà 
dans notre code de procédure civile ; il ne s’agirait 
que de l’étendre à tous les cas où cette mauvaise foi 
serait manifeste. 

N'avons-nous pas un article 243 qui dit : 

« Sil est prouvé que la pièce est écrite ou signée par 
celui qui l’a deniée, ilsera condamné à 150 FRANCS D'A- 
MENDE ENVERS LE DOMAINE, Outre les dépens et domma- 
ges-intérêéts de la partie, et il pourra étre condamné par 
corps, méme pour le principal? » 

On reconnaît, dans cet article, ce seul cas d’excep- 
tion dont j'ai parlé, et la seule disposition qui nous 
soit restée de l’ancienne sévérité de nos coutumes (1). 


(1) Part. 376 de la cout. de Tours disait avec plus de pré- 
cision et d'énergie: « Qui nie son scing et succombe doit payer 
l'amende arbitraire. » 


— 137 — 


Or, quel est le but évident de cet article 213 2... 
c’est la répression de la mauvaise foi; c’est le châti- 
ment du scandale causé par l’exemple d'une dénégation 
impudente et frauduleuse !.… 

Pourquoi donc restreindre la peine à ce cas spécial 
et unique de mauvaise foi? Pourquoi ne pas l’étendre à 
tous ceux où le dol et la fraude sont aussi manifestes ; à 
tous ceux où il y a, comme dans l'espèce, scandale 
public et dangereux exemple ?... 

Quelle différence faites-vous, je le demande, entre 
celui qui a tenté de voler une marchandise dans un 
magasin, et celui qui, l'ayant achetée, en dénie fraudu- 
leusement le prix devant la justice? Si l’un a tenté de 
voler la chose, l’autre n’a-t-il pas tenté de volerle prix? 
Tous les deux n’ont-ils pas commis le même acte d’im- 
probité?.. Et cependant quelle différence dans les ré- 
sultats !... l’un est puni, comme voleur, d'amende et de 
prison ; lautre, on le condamne... à quoi ?... à payer 
simplement le prix de la marchandise qu’il doit !... 

Et l’on appelle cela de la justice distributive l... 

C’est contre ce fächeux état de choses que je m’é- 
lève, au nom de la morale et de la justice; c’est pour 
le faire cesser que je réclame l'extension, à tous les cas 
de fraude constatée, d'une pénalité déjà établie par la 
loi elle-même, o 

A cet égard, on alléguera peut-être qu’on peut re- 
conventionnellement réclamer des dommages-intérêts, 
à raison du préjudice causé par cette frauduleuse dé- 
négation. 

Je l'admets. Ces dommages-intérêts répareront le 
préjudice souffert par la partie; mais répareront-ils 
l'irréparable préjudice moral que fait à la chose pu- 
blique l'exemple de la mauvaise foi ?... 


— 138 — 

D'ailleurs, remarquez que cette action en domma- 
ges-intérêts existe aussi, au cas de dénégation d’une 
vraie signature, pourquoi la loi y a-t-elle ajouté la- 
mende envers le domaine? c’est qu’elle pense apparem- 
ment que ces dommages-intérêls privés ne sufliraient 
pas à la répression ! c’est que l'amende, dans cecas, est 
à ses yeux la réparation nécessaire du dommage morul 
causé par l'emploi de la mauvaise foi! Donc la loi, 
pour être conséquente, devrait attribuer aux tribunaux 
ce droit d'amende, toutes les fois que la mauvaise foi 
du plaideur serait également manifeste et de nature à 
faire scandale. 

Mais, dira-t-on encore, le législateur a craint d’armer 
les tribunaux d’un arbitraire trop grand; il n’a pas voulu 
livrer la considération et l'honneur des citoyens à Pap- 
préciation irresponsable des magistrats ; dans l'espèce 
de l’art. 213, la mauvaise foi est hors de doute, elle ré- 
sulte d’une expertise, elle a pour base un fait matériel, 
et pour ce cas spécial d'exception, l’on conçoit qu’on ait 
pu sans crainte confier à la justice un droit de pénalité. 

C’est là précisément une argumentation que je ne 
puis admettre. D'abord, peut-on appeler vérité hors de 
doute celle qui repose uniquement sur l’art si incertain 
et si conjectural des expertises? Non, certainement. 
Aussi faut-il dire que la consiction des juges ne se 
fonde pas sur l’expertise seule, mais sur l’ensemble 
des présomptions résultant du procès. 

Il n’y a done pas, pour le cas de l'art. 213, plus de 
certitude que pour les autres cas de fraude dûment 
constatée. La vérité du fait reste toujours soumise à 
l'appréciation souveraine des magistrats. 

Et puis, cette crainte de l'arbitraire, qu'on entend 
si souvent alléguer, est-elle bien fondée ? 


— 139 — 

Je dis, moi, que l’arbitraireest beaucoup plus grand 
et plus redoutable, tel qu’il est aujourd’hui exercé par 
le moyen détourné des considérants. Car le juge pèsera 
toujours scrupuleusement une peine d’amende qui 
frappe à la fois la fortune et la considération du coupa- 
ble; tandis qu’il pourra se montrer d'autant plus sévère, 
dans l'expression de son blâme, qu’il s'efforcera, par 
cette sévérité des paroles, de suppléer au défaut d’une 
peine réelle. 

Il y aurait donc, selon moi, avantages nombreux, 
sans nul mélange d’inconvénients , à insérer au code 
de procédure civile un article général ainsi conçu : 


« Toutes les fois que, dans une instance civile ou 
commerciale , il y aura PREUVE ÉVIDENTE de mauvaise 
foi, celle des parties qui en sera reconnue coupable, sera 
condamnée d'office, sur les conclusions du ministère pu- 
blic à une amende de 150 francs, devant les cours royales; 
de 100 francs devant les tribunaux de première instance 
et de commerce ; et de 25 francs, devant les justices-de- 
paix et les bureaux des prud hommes. » 


On voit que je ne conserve la pénalité de 150 francs 
de l’art. 213 que devant la juridiction la plus élevée, et 
que je l’abaisse progressivement devant les juridictions 
inférieures. ÿ 

Cette simple mesure, qui est un retour aux prescrip- 
tions du droit romain et de notre ancien droit, et dont 
l’application existe déjà dans notre code actuel, serait 
à la fois une lecon de moralité etune salutaire menace. 
Elle purifierait les abords de la justice et écarterait, 
loin de son sanctuaire, cette tourbe impure de plai- 
deurs, qui n’y sont amenés que par l'impulsion d’une 
frauduleuse cupidité. 


— 140 — 
v 


RÉSULTAT FINANCIER DE CETTE PÉNALITÉ 
D’ AMENDE 


Il me reste à démontrer, ainsi que je lai annoncé, 
que la mesure proposée produirait, indépendamment 
deses résultats, au point de vue de la morale et de la 
justice, une ressource financière fort importante, en ce 
qu’elle permettrait de couvrir , au moyen de ces amen - 
des prélevées sur la mauvaise foi, l'énorme dépense an- 
nuelle des frais de la justice criminelle. D’autorité des 
chiffres vient ici justifier mes assertions. 


Nos 27 Cours royales jugent annuellement, (je prends 
le chiffre de la statistique de 4840, la dernière qui ait 
été publiée) 17,929, affaires civiles : ei. . 17,929 


Les 361 tribunaux de première 

instance en jugent. . . . . 182,940 
Et les 220 tribunaux spéciaux 

de commerce. «+ . + + . 
Ce qui fait, au total, 353,263 af- 

faires civiles et de commerce; ci. 353,263 
Retranchement de ce nombre 

17,188 affaires portées en appel de- 

vant les cours royales, il reste 

336,075 affaire définitivement ju- 


170,323 


géesseh impr nn 14 396,075 
Les 2,846 justices-de-paix ju- 
gent. PE a EN + PIS 


A reporter. . . . 354,004 


— 111 — 
Report. . . . 454,004 


dont il faut également retrancher 

les 4,12 1'affaires déférées sur appel 

aux ae" ‘de proniere instan- 

(E E E, De : 900,098 
Enfin, les 59 conseils de ihai 

d'hommes jugent en bureau géné- 


ral, 468 affaires ; ci. . a 468 
Total général des affaires EEN 
ses jugées définitivement en 1840. 1,254,570 


Ce calcul suppose au moins 2,509,140 parties litigan- 
tes, en ne comptant qu’un seul demandeur et défendeur, 
par chaque affaire. 

Or en admettant que sur 200 plaideurs, tant deman- 
deurs que défendeurs, il y en ait six seulement qui 
soient évidemment de mauvaise foi, (et c’est là certaine- 
ment une proportion dontla moralité publique aurait à 
se glorifier !) on aurait annuellement un nombre total de 
75,198 plaideurs réputés de mauvaise foi, lesquels, con- 
damnés à l’amende ci-dessus fixée, d’après l’ordre des 
juridictions({), donneraient une amende totale et facile- 
ment recouvrable dette 7." . 9021140 T. 


(1) Cours royales, 1,075 plaideurs condamnés à une amen- 

dede 5ho fr donnent... 1... « . . r61,2hofr. 
Tribunaux de première instance et de 

commerce, 20,164 plaideurs à 100 francs. 2,016,400 
Justice-de-paix et conseils de prud’hom- 

mes, 54,003 plaideurs à celle de 25 fr. 1,550,075 


TOTALO ae i H à +. OSATA 


somme égale, à peu de chose près, à la moyenne des 
frais de justice criminelle, entre les deux années 1831 
et 1840 (1). 

Maintenant , supposons la mesure adoptée , il arri- 
vera de deux choses l’une : ou bien la proportion par 
nous admise de 6 individus de mauvaise foi sur 200 
plaideurs , sera au-dessus de la réalité, ou bien , le 
nombre de ces plaideurs frauduleux diminuant insensi- 
blement , notre proportion se trouvera exagérée. 


Dans le premier cas , si le nombre des plaideurs de 
mauvaise foi est supérieur à nos prévisions, la péna- 
lité que nous avons proposée n’en devra paraître que 
plus nécessaire et plus urgente; et de plus, le chiffre 
de l'amende encourue , se trouvant augmenté, permet- 
trait non-seulement de couvrir la totalité des frais de 
justice, mais de subvenir à quelques-unes de ces 
criantes misères que l'insuffisance actuelle du budget 
laisse en souffrance. 


Dans le deuxième cas, si nous étions assez heureux 
pour que notre calcul fût exagéré, ou que le nombre 
des plaideurs frauduleux vint à diminuer progressive- 
ment , par l'effet de cette prudente rigueur ; alors nous 
verrions avec joie s’évanouir , en tout ou partie, l'im- 
pôt sur lequel nous avions compté, car l'on aurait 
obtenu le plus beau résultat dont un gouvernement 
puisse s'enorgueillir : celui d’avoir enfin purgé len- 
ceinte des tribunaux de tous les hommes d’improbité et 
de mauvaise foi. 


(i) Le chiffre des frais de justice de 183r était de 
3,434,383. — Celui de 1840, de 4,571,325. Moyenne, 


4,002,854. 


— 143 — 
VI. 


RÉSUMÉ DES CONSIDÉRATIONS QUI PRÉCÉDENT. 


En résumé, de même qu’en ce moment la princi- 
pale cause de augmentation des crimes et délits est 
la cupidité, de même on ne saurait douter que la 
mauvaise foi des plaideurs ne soit la source la plus 
féconde des procès civils et l'obstacle le plus sérieux à 
la bonne administration de la justice. 

Tout le monde, du reste , est frappé du scandale et 
des dangers de l'impunité actuelle de la mauvaise foi 
judiciaire. 

Les tribunaux , en présence de cette triste impuis- 
sance de la loi, en sont réduits , à l'encontre des plai- 
deurs frauduleux , à de vaines paroles de bläme et de 
censure. 

Or, pour remédier à ce fàcheux état de choses, je 
propose, non pas une de ces grandes innovations qui 
pourraient troubler l’harmonieuse économie de nos 
lois civiles, mais une simple extension, à tous les cas de 
MAUVAISE FOI CONSTATÉE, de l’art. 213 du code de 
procédure civile, lequel est aujourd’hui restreint , 
comme on l’a vu, au cas tout spécial de la dénégation 
frauduleuse d’une vraie signature. 

Cette mesure, d’ailleurs si urgente et si légitime dans 
son but, est justifiée par de remarquables précédents 
législatifs tirés, soit du droit romain, soit de notre an- 
cienne jurisprudence. 

Son application serait facile, exempte d’arbitraire , 
et , sous tous les rapports, excellente dans ses résultats. 


E — 


Elle deviendrait, pour chaque citoyen , une haute 
admonition de droiture et de loyauté. 

Par sa pénalité flétrissante et d'autant plus efficace , 
elle éloignerait des tribunaux les plaideurs de mau- 
vaise foi. 

Elle diminuerait d'autant le nombre des procès 
civils. 

Tout en facilitant l’œuvre de la justice, elle impri- 
merait à ses décisions un nouveau cachet de certitude 
et de vérité. 

Enfin , elle serait pour le trésor public, non-seu- 
lement une importante ressource , mais, de tous les 
impôts le plus moral et le plus juste, puisqu'il met- 
trait à la charge exclusive de l’improbité ces frais de la 
justice criminelle qui , jusqu’à ce jour , sont supportés 
par les honnêtes gens. 

Ainsi done, la justice, la morale, et le trésor public, 
d'accord cette fois , auraient également à s’applaudir 
de l'adoption de cette salutaire mesure. 


SCIENCES PHYSIQUES. 


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AGRICULTURE. 


EXTRAIT 


DE LA NOTICE 


SUR LA CULTURE DES TERRES CALCAIRES, 


PAR M. LE VICOMTE RUINART DE BRIMONT. 


……. Avant de faire connaître le mode de culture que 
j'ai adopté à Brimont, je crois convenable non seule- 
ment de déterminer d’une manière précise la situation 
de mes terres, mais encore d’en faire connaître exac- 
tement la nature. Le sol est à peu près semblable à 
celui qui forme la partie Nord-Ouest du bassin géo- 
logique dans lequel est située la ville de Reims. 

La plaine de Reims est sur un fond de craie, comme 
le sont les abords du mont de Brimont ; dans cette plaine 
s'élève au nord le mont de Brimont, qu'ou peut définir 
terrain tertiaire suprà crétacé. 


ie — 

On voit en faisant l'examen de la superposilion des 
couches qui le composent, et en les comparant à la mon- 
tagne d’'Hermonville, et à celle de Villers-Franqueux, 
qui les avoisinent, on voit, dis-je, qu’il ne présente 
qu'une partie des terrains élevés, qui dominent ces 
montagnes ; les eaux qui së sont retirées à la suite de 
leur irruption auront diminué la cime du mont, et 
auront entrainé les couches supérieures au sable. 

Le sable se trouve par fois sur un banc d'argile plas- 
tique, d’autres fois sur un tuf calcaire, qui précède un 
banc de pierre ou de grès ; ensuite se trouve la craie 
qui forme la base de la montagne. 

C’est ce banc de craie qui, depuis Langres, traverse 
partie de la Champagne, le bassin de la Seine, le Pas- 
de-Calais , et qui, devenant alors sous-marin, traverse 
le détroit, et se termine à Richmond, dans le comté de 
Surrey, à 15 milles de Londres. 

.…… Pour agir d’après des données précises, et avant 
de me fixer sur le mode de culture que je voulais adop- 
ter, j'ai fait procéder sous mes yeux à l’analyse de mes 
terres arables. 

Je me suis adressé pour cette opération à feu Bar- 
ruel, chef des travaux chimiques à la faculté de méde- 
cine de Paris, et l’un des hommes les plus habiles en 
chimie expérimentale. 

Voici le résultat de cette analyse : 

Sable silicieux . . . , . . . 218 

Carbonate de chaux . . . . 667 

Phosphate de chaux. . . . . 20 


Alumine eD a PU: ERTAS 
Hydrate de gdiotiaé ag ii 12 


1,000 


= ut — 


On voit que ces terres surabondent en carbonate de 
chaux. 

Jl fallait donc chercher à atténuer cette surabon- 
dance par des réactions contraires, et se rapprocher 
autant que possible du type d’un terrain fertile. 

Jai voulu d’abord étudier la méthode de culture 
du comté de Kent, sol analogue au mien, et j’ai re- 
connu dans mes voyages en Angleterre, que l’on em- 
ployait le sable comme amendement, les plantes de 
Varech comme engrais végétal, et le poisson comme 
engrais animal. 

J'ai consulté en outre les ouvrages d'Arthur Young; 
il assure qu'un sol qui contiendrait un 173 de craie, 
23 de sable mêlé à de l'argile, serait très favorable 
à la végétation : c’est aussi l'opinion de Fabroni, qui 
regarde le sable mêlé à un sixième d'argile et à de la 
craie pulvérisée, comme constituant un terrain très con- 
venable, lorsqu'on y ajoute des engrais animaux. 

L'auteur d'un ouvrage anglais fort estimé, The Comp- 
tèle Grazier, confirme ces idées. 

Toutes ces remarques jointes aux indications de sir 
Humphry Davy, chimiste très-distingué , mont con- 
vaincu qu’il fallait atténuer les effets du carbonate de 
chaux. 

Je lisais dans un ancien ouvrage anglais, Tull, ce qui 
suit : « Heureux le cultivateur qui est à méme de trans- 
porter des sables dans les loams calcaires, car il ne tardera 
pas à en reconnaître tous les avantages. »Guidé par mes 
propres observations et par ces renseignements , j'ai 
donc considéré que nos terres calcaires, étant souvent 
soulevées par la gelée, ou par une trop grande séche- 
resse , il en résultait des espaces vides , dans lesquels 
se desséchaient les racines des plantes. Or les couches 


— 150 — 


de sable répandues sur le sol doivent remplir ces iu- 
terstices, entretenir l'humidité, et donner plus de con- 
sistance à la terre, 


....... Convaincu que je pouvais commencer mes 
travaux d’après ces données, j'ai fait conduire du 
sable sur les jachères, et j'en ai reconnu de suite les 
avantages. Mais il fallait des engrais; mes terres 
avaient été aflermées en partie, et avaient le plus 
grand besoin d’amendements. 

Les fumiers de mes fermes ne pouvant suffire, j'ai 
essayé à diverses reprises, comme engrais animaux, les 
bouts de laine, le sang liquide, mais sans pouvoir en 
employer en quantité suffisante. Comme les engrais 
animaux étaient sans contredit les plus efficaces pour 
notre sol calcaire , je me suis attaché à augmenter mes 
produits en fumier, par des engraissements de bœufs ; 
mais ayant bientôt reconnu que ces fumiers me reve- 
naient beaucoup trop cher , j'ai trouvé plus d’avantage 
à employer des matières fécales, converties en compotes 
au moyen du sable , et j'en ai éprouvé de très-bons ré- 
sultats. 

Un autre engrais animal qui est très-riche, et dont 
l'emploi fait avec prudence est des plus avantageux, 
c’est le sang desséché à la vapeur. 

Le sang est réduit en poudre; on en sème 750 kilog. 
sur un hectare après une récolte sarelée, soit de bette- 
raves , de rulabaga ou de pommes de terre; cet engrais 
rend à la terre effritée par les racines qu’elle a pro- 
duites, ce que leur végétation lui a enlevé, et j'ai lex- 
périence que les récoltes qui suivent sont également 
prospères. 


— 151 — 


Le sang desséché est de tous les engrais celui qui 
contient le plus d'azote. L’azote a une action stimu- 
lante bien démontrée, et c’est dans Pair atmosphérique 
que les plantes puisent ce gaz, qui agit avec efficacité 
sur les conduits de leur sève ascendante. 

On peut lire à cet égard un article fort intéressant 
de M. Payen, inséré dans le Cultivateur du mois de 
septembre 1841. 

Il se fait une grande exportation de sang desséché 
pour les colonies , où on l’emploie avec succès dans la 
culture de la canne à sucre. 

C’est un engrais très-puissant, et d'autant plus pré- 
cieux, qu'il est d’un transport facile, qu’il n’y a pas de 
main-d'œuvre, pour en faire l'emploi. 

…….. . Je compte en semer sur des terres disposées 
à recevoir des orges, mais je mélangerai alors le sang 
avec du sable, pour diminuer sa force en le divisant. 

Sans doute dans une culture bien ordonnnée les fu- 
miers de cours pourraient suffire, cependant les terres 
calcaires ont tellement besoin d'engrais , que si, par 
une industrie bien calculée, on n’aidait pas à ce qui 
peut manquer, il serait difficile de les maintenir dans 
un état prospère. 

C'est ainsi que nos laborieux et estimables voisins, 
les cultivateurs de Fresnes, Pomacle et environs, ont 
vaincu la stérilité que présentaient leurs sols crayeux. 

..... Ceux qui n’habitent pas dans le voisinage d’une 
grande ville, et qui ne peuvent facilement se procurer 
du fumier, ne doivent pas cependant rester station- 
naires. 

Tout cultivateur placé sur un terrain calcaire, doit 
chercher à lutter contre l'excès de carbonate de chaux. 
S'il est assez heureux pour avoir du sable à sa proxi- 


— 152 — 
mité, il doit employer. S'il a de l'argile, il peut s’en 
servir en la laissant sécher. 

La marne siliceuse conviendrait bien; lengrais 
Jeauffret réduit aujourd’hui en sels combinés peut être 
admis comme essai ; les bouts de laine, les détritus des 
manufactures, les compots de gazons, qui contiennent de 
l'alkali; la suie, qui contient beaucoup de sel ammonia- 
que, le noir animalisé, et surtout le sang désséché, tous 
ces moyens peuvent être employés avec le plus grand 
avantage, Sans doute ils donnent lieu à quelques dé- 
penses, mais ces dépenses sont bien compensées... 

Ah! que l’on y réfléchisse, une fois que l’on est arrivé 
suivant l’expression bien comprise dans nos plaines, à 
ratteindre ses terres, c’est-à-dire à les fumer dans un 
temps périodique que l’usage local indique comme 
nécessaire, on n’a plus qu’à les maintenir dans l’état 
prospère où on est parvenu à les placer. Les récoltes 
se suivent, on peut nourrir des bestiaux à proportion 
de leurs produits, et on est récompensé de ses peines. 

Puissent les idées que j’émets, être utiles à mes com- 
patriotes cultivateurs ; puisse le peu d’expérience que 
je me suis efforcé d'acquérir, par les différents essais 
que j'ai faits dans l'intérêt de l’agriculture, leur venir 
à profit, et je me féliciterai de m'être adonné à la cul- 
ture des champs, et de pouvoir terminer ainsi ma lon- 
gue carrière industrielle, 


DU MODE D’ASSOLEMENT 
LE PLUS FAVORABLE AUX TERRAINS CALCAIRES 
DU DÉPARTEMENT DE LA MARNE, 


Par MM. LAURENT et TAILLET (1). 


Pour suivre avec avantage l’assolement de six ans 
que nous proposons, il faut opérer sur une terre en 
assez bon état, au courant d’amendements et d'en- 
grais, qu’on appelle dans le pays une terre ratleinte. 

L’'assolement qui a été suivi sur ces terrains, a tou- 
jours été celui triennal, où la {"° année était versaine, 
la 2° seigle ou froment avec fumier, et la troisième 
avoine ou orge dans les terres qui avaient été empouil- 
lées en froment, et quelquefois du sarrazin. 
= C’est cet assolement qui est encore pratiqué aujour- 


(1) Extrait du mémoire n° 2 qui a obtenu le prix proposé par 
l’Académie. 

Malgré tout ce que la rédaction de ce travail présente d’incorrect 
quant à la forme, nous avons cru devoir l’insérer textuellement dans 
nos annales, en raison des aperçus pratiques qu'il contient. 

Nous n’avons pas voulu même faire disparaitre les nombreuses im- 
perfections du style, afin d'encourager davantage les habitants des 
campagnes à nous transmettre, sans prétention et sans crainte, le ré- 
sultat de leur expérience, et de leur prouver, qu’en matière d’éco- 
nomic agricole, l’Académie fait complètement abstraction de la forme. 
st ne tient compte que du fond, 


d'hui ; l'introduction des luzernes el sainfoins, comme 
prairies artificielles, n’a rien changé à ce système; il 
n’y a eu réellement variation qu’au moment où on a es- 
essayé la culture du trèfle, des vesces ou dravières, et 
des pommes de terre, qu’on a toujours placées dans la 
versaine, pour suivre ensuite la rotation par les seigles 
ou froments. On s’est toujours bien trouvé de ces 
récoltes, mais le sol demande de l'engrais pour les 
cultiver asantageusement : et c’est pourquoi les culti- 
vateurs qui ont une fois leurs terres ratteintes et au 
courant d’amendements, peuvent lui confier ces plan- 
tes, à cause du produit en fumier qu’elles lui procurent. 

Quelquefois la lupuline est semée aussi pour faire 
pâturer dans l’année de versaine ; on s’est plaint sou- 
vent que cette plante épuisait considérablement le sol, 
sans prendre en considération qu’il y a une grande dif- 
férence d’épuisement entre la récolte coupée et patu- 
rée en vert, et la même qu’on a laissé venir à graine ; 
car il est de fait que cette plante coupée en vert 
n’épuise pas le sol, tandis qu’au contraire, l’épuise- 
ment est considérable par la grande quantité de graines 
qu’elle produit, lorsqu'on la laisse venir : cette consi- 
dération est applicable en général à toutes les plantes. 

La navetle est cultivée en grand aux environs de 
Reims, pour en livrer la graine au commerce; cette 
culture rend de beaux bénéfices au cultivateur, mais 
pourtant à la condition de faire l’acquisition des en- 
grais que cette plante retire du sol, puisqu'elle n’en 
rend pas, comme les céréales, par la litière : on peut 
cependant y trouver de l'avantage, si on se trouve à 
proximité des villes ou des lieux où il existe des dé- 
pôts d'engrais. Il arrive quelquefois qu’on la fait pâtu- 
rer sur place; dans ce cas, il faut éviter que ce soit 


— 155 — 
pendant la floraison, parce qu’alors les bestiaux qui 
en mangeraient, seraient sujets à être météorisés. 


L'assolement triennal produit peu de bénéfice au 
cultivateur; par l'introduction des luzernes et Sainfoins, 
on a accru le revenu ; plus tard , en essayant le trèfle 
et quelque peu de pommes de terre, on a trouvé de 
plus grands bénéfices. Ces considérations prouvent 
qu’on peut supprimer les jachères ou versaines, pourvu 
qu'on suive une succession de culture bien entendue et 
bien combinée. 

Par l’assolement de six ans que nous proposons, et 
par l’intercalation des récoltes, nous prouvons que la 
jachère peut-être supprimée ; que les bénéfices du cul- 
tivateur seront plus considérables, quand toutefois les 
terres seront bien au courant d’engrais ; que le sol s’en- 
tretiendra, net de mauvaises herbes, et même augmen- 
tera en fertilité. Cet assolement aura de plus le double 
avantage de pouvoir être mis en pratique sur la grande 
propriélé, qui se trouve réunie, pour ainsi dire, en une 
seule pièce, et anssi par le plus petit propriétaire qui 
aura ses terres morcelées parmi les terroirs d’une ou 
plusieurs communes. 

Le besoin d’élémens à engrais nous oblige à ne 
pas suivre strictement la théorie des assolemens indi- 
quée par un des meilleurs ouvrages d'agriculture, (nous 
voulons parler de la Maison rustique du XIX™e siècle) : 
parce qu'en formant la végétation, il faut nécessaire- 
ment donner au sol de quoi l'activer : et c’est après 
de longues méditations, et après des résultats obtenus 
sur des récoltes antérieures, que nous nous sommes ar- 
rêlés au système suivant, qui nous a paru le mieux con 
venir pour les terrains calcaires. 


— 156 —- 


Nous partageons le terrain à cultiver en six divi- 
sions, en mettant à part les 29 de la superficie totale 
pour les sainfoins et luzernes, quantité suffisante pour 
le produit en foin, comme nous le prouverons plus 
loin. 


Racines, moitié. 
Navette el lupuline pour pà- 
ture , 172. 


-= 


41 Division 

A E Froment, 172 

2e Mivision Seigle, l’autre moitié. 

Avoine, 1/3. 

Lentilles avec un peu de sei- 
gle, 175. 

Trèfle, 172. 

Dravières ou vesces, 172. 


3° Division 


4° Division 


Froment , 1/2. 


5e Division i PA 
Seigle , l’autre moitié. 


| 
| Orge, 173. 
| 
| 
| 


6° Division , la totalité en avoine. 


Les racines de la première division seront fumées à 
raison de 36 voitures de fumier par hectare, chaque 
voiture de 1,250 kilos, et comprendront celles-ci : 
1° pommes de terres 1/4, betteraves 1/3 et navets 5/12. 
Ces racines devront être cultivées comme plantes 
nettoyantes, en même temps qu’elles seront d’un bon 
usage pour la nourriture des vaches, bœufs et moutons, 
pendant l'hiver ; on en pourra donner aussi aux porcs. 

On devra choisir pour semences de pommes de 
terre, celles jaunes, rondes plates , hâtives et tardives , 


— 157 — 


qui donnent de beaux produits, et n’ont pas l’inconvé 
nient d’avoir une quantité innombrable de chevelus, 
comme certaines variétés, qui doivent, par cette rai- 
son, épuiser davantage le sol. On les plante à A0-cen- 
timètres de distance, toutes les quatre raies de charrue; 
elles sont trop serrées à trois raies. Lorsqu’elles sont 
bien levées, on les sarcle à la houe à cheval, instrument 
qui fonctionne très-bien, ensuite on les bute ; voilà les 
seuls travaux à faire après la plantation. Pour cette 
dernière opération, on se sert de la charrue à buter , 
qui est très-simple. 

On choisira pour semence de betteraves , la variété 
rose, sortant de terre, vu que le peu de profondeur de 
terre végétale empêcherait sa croissance, si elle devait 
y prendre tout son développement. Si on dispose d’as- 
sez de bras, on pourra les semer à la volée, parce 
qu’alors on pourra les sarcler à la main; en cas con- 
traire, on pourra les semer en ligne, à 60 centimètres de 
distance , pour pouvoir les sarcler à la houe à cheval, 
comme les pommes de terre. On objectera que le ter- 
rain calcaire ne convient pas pour les betteraves, et 
qu’elles ne viendront pas. Nons dirons et nous certifie- 
rons que nous en avons vu dans un terrain de cette 
nature, appartenant à M. de Vroïl, propriétaire à 
Courey , et qu’elles ne laissaient rien à désirer pour 
leur produit; à la vérité l'année était favorable pour 
leur végétation , mais cela n'autorise pas à dire qu’en 
année ordinaire , elles ne viendraient pas. 

Les navets proprement dits et le rutabaga , ou na- 
vet de Suède, peuvent être semés avantageusement 
tous deux. Il faut remarquer qu'après être fumée, il 
faut que la terre soit bien pulvérisée et bien meuble , 
pour que les graines puissent lever ; après le dernier 


-— 158 — 
labour, on doit herser et rouler deux fois avant que 
d’ensemencer. 

Ces navets prospèrent sur les terres calcaires, et 
on pent être certain de la réussite, si on a soin de bien 
préparer la terre. Il ya une trentaine d’années , on 
en cultivait beaucoup sur le territoire de Bourgogne , 
et ils avaient quelque réputation sur les marchés , prin- 
cipalement à Reims. 

Après que la lupuline et la navette seront pâturées, 
on préparera la terre comme une versaine, et on amen- 
dera à raison de 18 voitures de fumier par hectare, 
pour y semer du seigle ; on semera en froment l’autre 
moitié de la sole, lorsque les racines en seront enle- 
vees. 


Dans la deuxième division, on fera les récoltes de 
froment et de seigle 


Dans la troisième division , qui sera subdivisée par 
tiers, dont le premier sera empouillé en orge, dans 
laquelle on devra renouveler ie sixième de la quantité 
de luzerne, qu’on devra toujours tenir sur la pro- 
priété , on fera bien , pour assurer la réussite de la 
luzerne, de répandre 18 voitures de fumier par hectare, 
le restant sera semé en trèfle : le deuxième tiers sera 
empouillé en avoine dans laquelle on devra semer en 
trèfle la quantité nécessaire, pour que la sole suivante 
contienne moitié de cette plante; le dernier tiers sera 
empouillé en lentilles avec un peu de seigle. 


Dans la quatrième division , on fera la récolte de la 
moitié en trèfle, et l’autre moitié sera empouillée en 
vesces ou dravières, tant d'hiver que de mars. 


L 189 | 


La cinquième division sera empouillée , savoir 
moitié en froment après trèfle, famée à 18 voitures de 
fumier par hectare ; et la seconde moitié en seigle, 
après pare ou divers amendements, comme sable 
mélangé de terreau pris sous les fumiers , terres de 
dessous les bestiaux, etc... C’est dans ce seigle que 
devra être semé le sainfoin. 


La sixième division sera empouillée en avoine, on 
peut y semer une portion en sarrazin , et on aura soin 
de semer de la navette el de la lupuline, pour faire 
pâturer l’année suivante. 

C’est dans cette sixième division que rentreront les 
sainfoins et luzernes retournés fur et à mesure de leurs 
défrichements. Or, nous avons dit que les luzernes se- 
raient semées dans la troisième division , et celles re- 
tournées ne rentrant que dans la sixième, par con- 
séquent les quatrième et cinquiéme divisions ne con- 
tiendraient pas autant que les première, deuxième, 
troisième et sixième. Il n’en serait pas de même pour 
les sainfoins, qui étant défrichés, rentreraient précisé- 
ment à la sixième division, d’où ceux semés sor- 
tiraien£. 

Nous développons cet assolement dans le tableau 
ci-après, où, d’un seul coup-d’œil, on peut suivre les 
diverses successions de récoltes. 

On aurait pu intercaler dans les six divisions les 
prairies artificielles, notamment les sainfoins et luzer- 
nes: mais nous avons pensé qu’il élait mieux d'en faire 
une division à part, dans Pintérêt de la culture , car 
il est impossible de préciser l’époque de leur défriche- 
ment, qui dépend des saisons plus ou moins favora- 
bles, et de leur durée, qui est toujours incertaine. 


“a[80s 4/1 
“JUUOA 4/1 


“89959A NO 
SƏIMALIP 4/1 
"9AN 6/17 


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'SNV XIS Ad LINANATOSSV.T 44 NVATAVL 


| 


— 161 — 


Nous avons dit plus haut que nous ferions les 
2/9 de la superficie totale en prairies artificielles , 
que nous diviserions par sainfoin 1/3 et luzerne 2/3. 


Afin de pouvoir mieux encore développer , et cer- 
lifier l'application de cet assolement , nous allons Pa- 
dapter à une propriété supposée contenir 120 hec- 
tares ; nous suivrons en tout point les règles posées au 
tableau d'autre part; ensuite nous établirons approxi- 
mativement le produit des récoltes comparé à la con- 
sommation, la quantité de bestiaux à entretenir , afin 
de pourvoir aux fumiers nécessaires, puis enfin le pro- 
duit en numéraire qu'on pourra réaliser. Mais comme 
nous l'avons déjà dit , nous supposons cette propriété 
bien ratteinte et au courant d’amendement. 

De ces 420 hectares, nous avons à soustraire les 
2/9 ou 26 hectares 66 ares, dont le tiers en sain- 
foin ou 8 hectares 88 ares, et deux tiers en luzerne 
ou 17 hectares 78 ares. 

La durée ordinaire des sainfoins est de trois ans, 
quelquefois quatre ans, ainsi on aura à en semer tous 
les ans le tiers ou le quart , selon les besoins , afin de 
remplacer ceux qui seront défrichés. 

Celle des luzernes est ordinairement de six ans : 
ainsi on en semera le sixième tous les ans, pour en 
défricher la même quantité. 

Des circonstances imprévues empêchent quelque- 
fois le cultivateur de suivre à la lettre la règle géné- 
rale , telle est par exemple l’année 1842. Beaucoup de 
semis de luzerne et de trèfle n’ont pas réussi, en 
conséquence, on se trouve dans l'obligation de con- 
server d'anciennes luzernes qui étaient destinées à 
être retournées ; il faut faire celte remarque en 


— 162 — 
passant , et rapporter les paroles d’un agronome 
distingué : 


« Tout est relatif en agriculture , rien west absolu. » 


Nous diviserons les 93 hectares 34 ares qui restent 
en six divisions pour la culture. Nous avons dit plus 
haut que les quatrième et cinquième divisions ne de- 
vraient pas contenir aulant que les première, deuxième, 
troisième et sixième, parce qu’en semant les luzernes 
dans la troisième, elles sortent à la quatrième, et celles 
retournées ne rentrent que dans la sixième. D'après 
ce, les première, deuxième, troisième et sixième divi- 
sions, contiendraient chacune 16 hectares 59 ares, 
et les quatrième et cinquième seulement 13 hectares 
97 ares. 

Nous savons bien qu’on n’est pas tenu de suivre exac- 
tement la quantité énoncée dans chaque division : cela 
est impossible, les contenances de chaque pièce de 
terre n'étant pas semblables, y mettent obstacle , mais 
nous dirons qu'on doit s’en rapprocher autant que 
possible. 


Ate Division. 


Contenant 16 hectares 55 ares : 


2 hectares 07 en pommes de terre. } Fumer à raison 
— 76 en betteraves. de 36 voit. de 
— 44 en navets. fumier par hec. 


Dre © 


— 14 en navette. Pour pâturer en 
— 1% en lupuline. vert. 


— 163 — 


2° Division. 


Contenant 16 hectares 55 ares : 
8 hectares 27 en froment après racines. 


S — 28 en seigle, après pâture ; fumer à 
18 voitures de fumier par hectare. 


3° Division. 


Contenant 16 hectares 55 ares : 


à hectares 52 ares en orge. 


D — 52 -— en avoine. 
D = 1 — en lentilles mélangées avec du 
seigle. 


C’est dans l'orge qu'on devra semer la luzerne. 
On devra, pour cette partie, fumer à raison de 18 voi- 
tures de fumier par hectare : il conviendra aussi, pour 
mieux assurer la bonne réussite de la luzerne , de se- 
mer l'orge un peu clair; on choisira une terre nette 
d'herbes : celle qui aura porté des racines, conviendra. 

L'avoine se sèmera dans le restant des pièces qui 
ont porté du froment, et les meilleures de celles qui 
étaient empouillées en seigle ; dans l'orge qui ne sera 
pas ensemencé en luzerne , on y sèmera du trèfle ; on 
en sèmcra dans l’avoine la quantité nécessaire pour 
que la sole suivante en contienne la moitié. 


— 164 — 
4e Division. 


Contenant 43 hectares 57 ares : 


6 hectares 78 ares en trèfle. 
6 — 79 — en vesces ou dravières de Mars 
et d'hiver. 
Ces dernières seront mangées en vert. 


5° Division. 


Contenant 13 hectares 57 ares : 


6 hectares 78 ares en froment après trèfle, avec 
18 voitures de fumier à lhect. 

6 —' 79 — en ‘seigle après parc et divers 
amendements. 


C’est dans ce seigle qu’on sèmera le sainfoin; la 
réussite en sera plus assurée que dans les mars. 

Pour parquer en seigle, 100 moutons et brebis , re- 
cevant une bonne nourriture , peuvent parquer 1 hec- 
tare en 63 nuits , ou { are 60 centiares par nuit. 


6° Division. 


Contenant 16 hectares 55 ares : 


La tolalité er avoine. 


— 165 — 


On pourra retrancher une partie des 16 hectares 
55 ares, pour semer du sarrazin, si on désire en 
récolter. 

On ne perdra pas de vue, que c’est dans cette divi- 
sion qu’il faudra semer la lupuline et la navette, pour 
faire pâturer l’année suivante au printemps. 

Les sainfoins et luzernes retournés , prendront leur 
point de départ de cette division pour la succession 
des récoltes qui, après l'avoine , demandent à être fu- 
mées ; en y cultivant les racines, comme plantes sar- 
clées, on détruit l'herbe qui habituellement se montre 
dans les prairies artificielles défrichées. 

Nous allons maintenant comparer les produits de cet 
asSolement , avec les besoins de la consommation , tant 
pour les hommes que pour les bestiaux. 

Sur ces 120 hectares , 9 chevaux suffisent pour la 
culture ; il ne faudrait pas avoir au-delà de 350 mou- 
tons, brebis et agneaux; une plus grande quantité 
consommerait plus de paille, et elle sera précieuse à 
conserver comme litière ; 30 vaches , taureaux et 
élèves suffiront ; ensuite on aura à opter pour 
engraisser 15 bœufs ou vaches, ou léquivalent en 
moutons : 300 volailles ; seulement 3 pores pour les 
besoins de la maison. Si on en veut faire une indus- 
trie ou une spéculation à part, on devra suivre la règle 
pour les élever, les acheter et les engraissser pour la 
vente : on aura aussi un âne ou un petit cheval , pour 
faire quelques menus charroïs , comme aller chercher 
de l'herbe, conduire les liens aux moissonneurs, etc... 
Habituellement , ce dernier vit avec les chevaux de 
ce qu'ils ont de superflu. 

La cuisine sera composée de 10 personnes avec 
les allants et venants. 


— 166 — 


1° FROMENT. 


Produits. 
Récolte de 8 hectares 27 ares après 
racines, évaluée à 90 douzaines l’hec- 
tare — 744 douzaines à 37 litres de 
rendement l’une, fait 275 hect. 28 lit. 
Récolte de 6 hectares 78 ares 
après trèfle, évaluée à 75 douzaines de 
l’hectare — 508 douzaines , pouvant 
produire 25 litres par chaque dou- 


zaine, fait 127 
Total 402 hect. er 
Report de la consommation 132 


Disponible 269 hect. 98 lit. 


2° SEIGLE. 
Produits. 

Récolte de 8 hectares 28 ares avec 
172 fumier, évaluée produire 75 dou- 
zaines l’hectare — 621 douzaines, à 
40 litres de rendement par douzaine 
fait 248 hect. 40 lit, 

Récolte de 6 hectares 79 ares, à 
75 douzaines l’hectare, chaque dou- 
zaine à 35 litres fait pour 509 dou- 
zaines 478 » 45 


Total 426 hect. 55 it. 
Report de la consommation 400 » 


Disponible 26 hect. 55 lit, 


=A — 
1° FROMENT. 


Consommation. 
Pour la cuisine (173 en froment et 
23 seigle), pour l’année 20 bectolitres. 
Semence de 15 hectares 5 ares, à 
3 hectolitres par hectare 45 » 
Aux moissonneurs, 480 litres de 
l’hectare 2T » 
Aux batteurs le 1718° 22 » 30 
Criblures pour les volailles 18 » 


Total 132 hec. 301it. 


E 


2° SEIGLE. 
Consommation. 

Cuisine (pour %3). : 40 hectolitres. 

Semence de 16 hectares 07 ares, 
à 3 hectolitres de l’hectare. 45 » 
Moissonneurs et hommes de moissons 37 » 

Batteurs au 1718°. 24 » 

Aux bœufs en graisse, chacun 4 
litres par jour pendant l’année. 216 » 

Gage au berger. 38 » 


Total 400 hectolitres. 


EN en 


3 ORGE. 
Produits. 
Récolte de 5 hectares 52 ares éva- 
juée à 60 douzaines l’hectare, fait 330 
douzaines , pouvant rendre chacune 
50 litres par douzaine. 165 hectolitres. 
Report de la consommation ALT 2500 


Disponible 47 hect. 10 lit. 


EE 


4° AVOINE. 


Produits. 


Récolte de 22 hectares, O7 ares, 
pouvant produire 51 douzaines par 
hectare, fait 1122 douzaines à 75 li- 


tres de rendement. 8/41 hect. 50 lit, 
Report de la consommation 58T » 
Disponible. 254 hect. 50 lit. 


p r maa a n 


— 169 — 


3 ORGE. 


Consommation. 

Eau blanche pour les chevaux. 3 hect. 
Aux trois porcs à graisser, 18 » 
Volailles. 24 » 
Semencede 5 hectares, 52 ares, à 

3 hectol. par hectare. 16 », 50 
Moissonneurs, 180 litres par hec- 

tare. 9 » 90 
Batteurs au 1718. 9 » 
Pour 75 agneaux, 150 jours à 25 

litres, EVA L 

Total 117 hect. 90 lit. 


4° AVOINE. 
Consommation. 


Aux 9 chevaux, à chacun 12 litres 
par jour, pendant 8 mois, 259 h. 20 1. 
et 6 litres par jour, pen- 324 hect. 
dant quatre mois. 64 h. 80 1. 

Troupeau, aux brebis et moutons 
40 lit. par jour, pendant 5 mois 60 h. 120 


75 agneaux, 150 jours à 40 lit. 60 h. H 
Semence de 22 hectares à 3 hecto- 

litres. 66 » 
Batteurs au 1718° #7 » 
Volailles, 24 » 
Pores. 6 » 


Total 587 hect. 


— 170 — 
5° FOINS. 
Produits. 
Récolte de la première coupe de 
luzerne en 17 hectares, 78ares à 3,000 
kilos par chaque hect. 53,340 kil. 
Récolte de la deuxième coupe sur 
11 hect. (6 hectares, 78 ares pour être 
mangé en vert) à raison de 2,250 kil. 
de l’hectare. 24,750 
Récolte de la troisième coupe sur 
11 hectares à 1,125 kil. de l’hectare. 12,375 
Récolte de 8 hectares, 88 ares de 
sainfoin, à 2,700 kil. de l’hectare. 23,760 
Récolte de 6 hectares, 78 ares de 
trèfle 4re et 2° coupe à 6,000 k°® par 


hectare. 40,680 
Total 154,905 kil. 

Report de la consommalion 150,000 
Disponible 4,905 kil. 


6 PAILLE DE FROMENT ET DE SEIGLE. 
Produits. 
Produit de 1,252 douzaines de fro- 
ment, à 8 bottes de 5 k% par dou- 
zaine. 10,016 bot. 
Produit de 1,130 douzaines de sei- 
gle, à 8 bottes de 5 k° par dou- 


zaine. 9,040 
Total 19,056 bot. 
Report de la consommation 17,520 


Disponible 1,536 bot. 


°X 


— 171 — 
d FOINS. 


Consommation. 


9 chevaux à chacun 15 K° par jour 
pendant 240 jours 32,400 k% 
et 10 k° par jour, 43,200 kil. 
pendant 120 jours. 10,800 k°s 


30 Vaches à chacune 5 k” par 


jour pendant 9 mois. 40,500 
15 bœufs à graisser à chacun 7 k° 
par jour pendant l’année 37,800 


Troupeau, 80 brebis à 80 kes par 
Jour pendant 5 mois 12,000 k°° 
200 moutons, à 100 k°° | 


pendant 3 mois 9,000 28,500 
T5 Agneaux, à 50 k° | 
pendant 5 mois 7,900 
Total 150,000 kil. 


6 PAILLE DE FROMENT ET DE SEIGLE. 


Consommation. 


A 9 chevaux, 120 jours à 2 bottes 
pour chacun par jour 2,160 | 
Et 240 jours à chacun 
1 botte 2,160 ) 
An troupeau, pendant 5 mois, 
64 bottes par jour 9,600 
Et pendant 4 mois à 13,200 
930 bottes 3,000 


Total 17,520 bottes 


4,320 bottes 


= 172 — 
7° PAILLE D'ORGE ET D'AVOINE. 


Produits. 
De 330 douzaines d'orge à 6 bottes 1,980 bottes. 
De 1,122 douzaines d'avoine à 6 


bottes 6,132 
Total 8,712 bottes. 

Report de la consommation 5,400 
Disponible 3,312 bottes. 


& LENTILLES MÉLANGÉES DE SEIGLE. 


Produits. 
Récolte de 5 heetares 55 ares en 
lentillats, à 60 douzaines de lhecto- 


litre 3,960 gerbes. 
Report de la consommation 3,600 
Disponible 360 gerbes. 


9 RACINES. 
POMMES DE TERRE, BETTERAVES ET NAVETS. 
Produits. 
2 hectares 7 ares en pommes de 
terre, à 200 hectolitres par hectare 400 hectolitres. 
2 hectares 76 en betteraves, à 150 


hectolitres 420 
3 hectares 44 ares en navette à 
100 hectolitres par hectare 344 
Total 4164 hectolitres. 
Report de la consommation 1040 


Disponible 124 hectolitres. 


7° PAILLE D'ORGE ET D'AVOINE. 


Consommation. 
Aux 30 vaches, 15 bottes par jour, 
pendant l’année 5400 bottes. 


—— n 


8° LENTILLES MÉLANGÉES DE SEIGLE. 
Consommation. 


Au troupeau, pendant # mois, 
30 gerbes par jour 3600 gerbes. 


On battra seulement ce qui sera nécessaire pour 
la semence. 


9 RACINES. 
POMMES DE TERRE, BETTERAVES ET NAVETS. 
Consommation. 
Aux 30 vaches , 3 hectolitres par 
jour pendant 7 mois 630 hect. 
Plantation el sujets pour graine 70 
Au troupeau, deux hectolitres par 


jour pendant 120 jours 210 
Aux pores, (pommes deterre cuites) 50 
Cuisine, (pommes de terre) 50 


Total 1040 hect. 


— 174 — 

Ainsi qu’on le voit d'autre part, tous les bestiaux 
et Loutes les personnes employés dans la culture des 
120 hectares , recevront ce qui sera nécessaire pour 
leur nourriture, et il restera en outre du disponible sur 
les récolles. 

Nous avons porté à 180 litres par hectare ; le prix 
payé aux moissonneurs, pour en couper et lier le grain, 
c’est le plus haut prix qu’on donne peut-être dans tout 
le département de la Marne; en conséquence, si on 
peut le faire faire à 150 litres, on même 440 , il res- 
tera plus de disponible. 

Les bœufs à l’engrais recevront par jour quatre li- 
tres de seigle cuit, mêlé avec du son et 8 k” de foin 
haché pour chacun ; on obtiendra avec ceite nourri- 
ture des bœufs propres à la boucherie’, en 5 ou 6 mois. 

Les brebis recevront la quantité de foin qui leur est 
allouée ; aux moutons , on alternera avec les lentilles, 
c’est-à-dire, un jour du foin et un jour des lentilles. 

Quoiqu'il se trouve de la paille de disponible , ce 
n’est pas qu'il faille en vendre, on pourra la faire con- 
sommer par les moutons, même quand ce serait dans 
le temps qu'ils vort au paré, et qu'on a que peu 
de pâture à leur faire manger. 

On aura soin de ne pas faire consommer des pommes 
de terre aux vaches : nous avons la certitude qu’elles 
rendront plus de lait en consommant des navets ou des 
betteraves ; mais de plus, le beurre qu’on en obtiendra 
sera de meilleure qualité; les moutons, les porcs et la 
cuisine suffiront pour leur consommation; on pourrait 
même mettre {/# navets ou betteraves avec 3/4 pommes 
de terre pour le troupeau. 

On mélangera les racines avec les menues-pailles 
dont on disposera , ce qui formera une bonne nourri- 
ture pour les vaches et le troupeau. 


Maintenant, nous avons à prouver qu'avec cet asso- 
lement et la nourriture qu’on donnera aux bestiaux, 
on fera dans l'exploitation même, tous les fumiers né- 
cessaires. 


Il faudra en fumier : 


1° Pour 8 hectares 27 ares en racine, 


à 36 voitures par hectare 298 voilures. 
2° Pour 8 hectares 28 ares en seigle, 
à 18 voitures par hectare 149 


3 Pour 3 hectares pour orge, à semer 
en luzerne , à 18 voilures par 
hectare 

4 Pour 6 hectares 78 ares en froment 
avrès trèfle, à 18 voitures par 
hectare 122 voitures. 


r 
Qt 
à 


Ensemble 623 voitures. 


Nous avons dit qu’on aurait pour bestiaux : 


9 chevaux ; 
30 vaches ; 
15 bœufs à graisser ; 
35 pour 350 moutons (10 pour 1); 
1 pour âne , volailles, etc. 
Ensemble 90 têtes de bétail qui pro- 
duiront chacun 7 voitures de fu- 
mier par an, fait 630 voitures. 


ou 7 voitures en sus des besoins (*). 


(*) Voyez à la fin du présent. 


— 176 — 

D'après M. Moll, on aurait une autre manière de 
calculer les produits en fumier, d’après la consom- 
mation des bestiaux. Selon lui, la production du fu- 
mier est toujours en raison directe avec la quantité de 
nourriture que consomme le bétail, et un poids donné 
de foin employé avec un quart de litière, rend le dou- 
ble de son poids en fumier ordinaire, et un peu plus 
avec un tiers de litière ; ainsi 400 k% de foin, consom- 
més par du bétail, sous lequel on aura mis, en même 
temps, 25 à 30 k° de paille pour litière, rendront 
250 à 260 k” de fumier. 


Ainsi nous dirons que les bestiaux consomment : 


1° en foin 154,905 k” 
2 en racines, 172 de leur poids 45,000 
ə? Pailles, consommées 


37,360 kos 149,440 
Pailles en litière, 112, 080 
4° Grains évalués à 10,000 


Ensemble 389,345 k” 


A ajouler le même chiffre, 
pour avoir la quantité de fumier 
indiqué par M. Moll, 389,345 


Total 778.690 k% 


de fumier qui divisés par 1,250 k" poids d’une voi- 
ture, produit 623 voitures. Donc, il est prouvé qu’on 
trouvera le fumier nécessaire pour suivre cet assole- 
ment dans l'exploitation même. 


On objectera que la paille consommée, ne peut 
produire une aussi grande quantité de fumier que le 


— 177 — 


foin, cela est vrai; mais afin de ne pas établir une 
trop grande quantité de chiffres, nous avons conservé 
le poids, en même temps que nous n'avons pas porté 
au-delà de son poids, le grain consommé par les bes- 
tiaux, qui a réellement plus de valeur nutritive que 
le foin, et qui, par ce raisonnement, rend plus de 
fumier. 

Maintenant nous avons à donner un aperçu destravaux 
à exécuter mois par mois pour toute l'exploitation. 

On devra toujours tenir et avoir à la maison, outre 
le cultivateur et son épouse, qui exerceront la direc- 
tion el la surveillance de tous les services : 

1° Un maître charretier et deux aides pour les 
chevaux ; 2° un homme pour lemménagement des fu- 
miers; 9° un homme pour avoir soin des bestiaux 
à l'engrais, et qui veillera à la conservation des di- 
vers instruments; 4° et deux filles de basse cour. Le 
cultivateur aura soin des grains, et fera les semences. 
Le berger est supposé avoir son ménage à part. 


| 


RER 5 [=n = 
S Sio eaS 
R ETE 
MOIS DE JANVIER. Sss Egz 
Soins à donnner aux fumiers » 30 


Charrois de 55 voitures de fu- 

mier à la distance moyenne de 

1,500 mètres 27| 18 
Divers charrois, réparations des 

chemins, entretiens, rentrées des 


meules 90 | 20 
Un homme pour aider le berger » | 30 
Totaux "| 98|» 


Se —— ——— 
PER 
2e5|s5l|3s$s 

MOIS DE FÉVRIER. Sopje 2.le 
= O < o O © 
A| ga ga 
ŘS -< 
Soins à donner aux fumiers » | 30 » 
Charrois des 55 voitures de 
fumier 27 18 » 
Divers charrois, comme plus 
haut DUT AU » 
Un homme pour aider le berger) "| 30| >” 
manne | ne | CHERE 
Totaux 77| 98 »i 


MOIS DE MARS. 


Soins à donner aux fumiers » 30 » 
Charrois de 48 voitures de fumier| 24! 16 » 
Etendre les 268 voitures de fu- 


mier » » 34 
Semailles de 12 hectares d'avoine » 6 »| 

et couvrir la senence 24 | 924 » 
Herser avant et après les se- 

mailles 9 » 
Divers charrois 40 | 20 
Etendre les taupinières sur les 

prairies artificielles » »| 12 
Charrois des cendres sulfureuses| 36| 12 


a 


Totaux 133 | 108| 55 


MOIS D'AVRIL. 


Soins à donner aux fumiers » 30 
Charrois de 48 voitures de fumier! 24| 16 ) 


A reporter 24 | 46 | 


SUITE DU MOIS D'AVRIL. 


Report 


Etendre les 48 voitures de fumier 

Semailles de 10 hectares d'avoine 
el couvrir la semence 

Herser avant et après 

Semailles de 5 hectolitres , 
52 d'orge et couvrir 

Labour avant les semences 

Trois hersages 

Labour de 2 hectares 07 ares, 
pour pommes de terre 

Mettre le fumier dans la raie 

Pour la plantation 

Hersage après la plantation 

Labours pour 2 hectares 79 ares 
en betteraves 

Mettre le fumier à la raie 

Semer la graine à la volée 

Herser après les semailles 

Labours de 3 hectares 44 ares, 
pour navets 

Rouler les blés , seigles , orges , 
avoines, racines 

Semailles et labours sur 3 hec- 
tares pour dravières de mars 

Semer les cendres sulfureuses 


Totaux 


saAorduo p 
soauanof 


24| 46 
» ») 
» 5 

20 | 20 
8 » 

11 13 

29 11 
“| » 
8 4 
) » 
D » 
1 )) 

10 5 
)) » 
» 1 
1 | i; 
14 Fi 

15 15 

10 7 

150 | i | 


"8198219, p 
Saauimof 


MOIS DE MAI. 


e 
2 
a 
og 
Q` 
a 


Re Me he 
Soins à donner aux fumiers 
Charrois de 48 voitures 
Étendre les 48 voitures 
Semailles et labours de 4 hectare 

72 ares pour navets 
Mettre le fumier à la raie 
Hersage et roulage 
Réparation des chemins 
Divers charrois 
Verser 172 des pâtures et draviè- 


res 9 hectares , 50 ares 38| 19 » 
Totaux 150| 123| 9 

MOIS DE JUIN. so: | 

Soins à donner aux fumiers »| 30 ». 
Charrois de 48 voit. de fumier 27 “10 » 
Étendre les 48 voitures » 6 


Semailles, labours, fumier à la | 
raie , hersage ct roulage sur 4 hec- 
tare 72 ares en navets 8 7i 2 
Rentrée de 97,460 k” de foin, 
à 1,000 k% par voitures, 97 voi- 


tures , 4 par jour 15 | .50 » 
Hommes nécessaires à la rentrée des foins (*) » ) 75 
Sarcler les pommes de terre et betteraves 10! 10 10 
Verser 172 des pàlures et dra- | 
vières 9 hectares 50 ares 00 | 19 » 
Totaux 155 | 1321 93 


(") On ferait faire la fauchaison et fenaison des foins à la tâche. 


MOIS DE JUILLET. 


soaumof | 
soauinof | 


*S108 02119 P 


Soins à donner aux fumiers 

Charrois de 48 voitures de fumier 

Rentrée de 73 voilures de sei- 
gles et lentilles de chacune 20 dou- 
zaines, 6 par jour 

Pour l'engrangement 

Buter les pommes de terre 

Sarcler les betteraves et navets 

Divers charrois 


Totaux 


MOIS D’AOUT. 

Soins à donner aux fumiers 

Charrois de 48 voitures de fumier 

Rentrée de 63 voitures de fro- 
ment 

Pour l’engrangement 

Rentrée de 13 voitures d'orge 

Engrangement 

Rentrée de 45 voitures d’avoine 

Engrangement 

Labours sur 15 hectares pour 
seigle 

Labours sur 5 hectares 51 ares 
pour lentilles 

Divers charrois 


22 {1 » 
_20 Le: 18) rt 


Totaux 7186 186 | 117 117 "85 
N" Rentrée et engrangement de 24.750 k° m |e 
foin. 2° coupe luzerne 18 » | 30 


204 117 | 115 


Ensemble 


— 182 — 


MOIS DE SEPTEMBRE. 


Soins à donner aux fumiers 

Charrois de 55 voitures de fumier 

Étendreles 150 voitures de fumier 

Rentrée de 20,000 k% de foin, 
2° coupe de trèfle 

Engrangements 

Pour la semer, la couvrir, herser 
ayant et après sur 20 hectares 58 
ares de seigle et lentilles 

Mettre le fumier en raie 

Divers charrois 


Totaux 


MOIS D'OCTOBRE. 

Soins à donner aux fumiers 

Charrois de 55 voitures de fumier 

Étendreles 120 voitures defumier 

Arrachage des pommes de terre 
et rentrée 

Arrachage des betteraves et ren- 
trée 

Arrachage des navets et rentrée 

Enmagasinement des racines 

Semailles, labours, herser. avant 
et après sur 15 hectares en fro- 
ment 

Mettre te fumier en raie 

Rentrée de 12,375 k° de foin 3° 
coupe de luzerne 


Totaux 


COURS — 


CNE 
s #55 
MOIS DE NOVEMBRE. Ses|2zs ls 
En a Dit A EE 
T L EN ER 
Nora. Achever les fromens si il en 
reste à faire. 
Soins à donner aux fumiers » | 30 » 
Charrois de 55 voitures de fu- 
mier 21| 18 » 
Labours de 20 hectares 83 ares, 
pour être ensemencés en racines et 
marsages 84| 42 » 
Divers charrois et journées 25| 95 » 
Totaux 136 | 115 » 
MOIS DE DÉCEMBRE. 
Soins à donner aux fumiers »| 30 » 
Charrois de 55 voitures de fu- 
mier 214118 » 
Labours de 15 hectares, prés 
artificiels pour marsages 70! 35 » 
Divers charrois 20 | 15 » 
Pour aider le berger CTE EE iS » 
Totaux 1417| 443 


Ainsi qu'on le voit par la distribution des travaux, 
le mois qui comporte le plus de journées pour les 
chevaux, est le mois d’Août; en supposant qu'il y ait 
24 journées de travail dans ce mois, 9 chevaux suffi- 
ront, puisqu'ils feraient 216 journées et que les tra- 
vaux n’en demandent que 204 ; les autres mois deman- 
dent moins de travaux aux chevaux. 


UT Pr 


Celui;qui demande le plus de journées d'hommes et 
de femmes est le mois d’octobre, parce qu’il faut dans 
ce mois arracher les racines et les emmagasiner; on 
devra se mettre en mesure d’avoir des ouvriers en 
suffisance ; pour que celte opération n'aille pas en lan- 
gueur, on pourra prendre aussi des enfans. 

Nous n’avons pas compris dans le nombre des jour- 
nées, la fauchaison des grains et des foins : ces derniers 
ainsi que les avoines se font, à tant de l’hectare, pour 
couper et faire la fenaison, ou pour amasser; quant aux 
gros grains, nous avons porté à leurs comptes les 
droits payés aux moissonneurs. 

Nous comprenons aussi aux comptes des grains les 
droits payés aux batteurs, qui habituellement font aussi 
Ja fauchaison des grains et des foins. 


Nous allons donner un aperçu d’après les dépenses 
et recettes des produits en argent qu’on pourra tirer de 
l'exploitation. 


Dépenses pour la culture des 120 hectares. 


Fermage de 120 hectares de 


terre, à raison de #5 fr. l’hectare 5,400 f. 
Impositions ou contributions 600 f. 
Assurance mobilière et sur les 800 

bestiaux 130 
Prestations ou corvées 70 


A reporter 6,200 f, 


— 185 — 


Report 6.200 f. 


Artiste vétérinaire 100 f. 
Gages du {°° domestique 300 
d° des 2° et 3° qe 500 


d° des deux filles de basse cour 250 16.40 
d° celui qui aura soin des fumiers 150 í 
d° celui qui aura soin des bes- 

tiaux 200 


Gages des bergers 140 


Ménage, bois, vin, épiceries, vais- 


selle, linge, lessives 1,000 
Journées, fauchage, fenaison des 
foins et avoines 1,600 
Achat de cendres sulfureuses 150 
maréchal 250 
Mémoires d'ouvriers : charron 200 600 
bourrelier 150 
Réparations locatives 500 
Intérêts du capital d'exploitation , 
25 000 fr. 5 pour 0/0 1,250 
Pour divers, imprévus 460 


Total des dépenses 13,400 


— 186 — 


Recettes des produits de la culture des 


120 hectares. 


Sur le disponible en grains. 
270 hectolitres de froment à 


16 fr. Pun 4,320 f. 


26 hectolitres 50 litres de seigle 
à 10 fr. Pun 265 
#7 hectolitres d'orge à 8 fr. Pun 376 
253 hectolitres 50 litres d'avoine 
à 6 fr. Pun 1,927 
Vacherie, 30 vaches produisant 
soit par laitage ou veau, chacune 
100 fr. par an, nous déduirons le 
produit de 4 d’entr’elles pour les 
besoins du ménage 
Bestiaux en graisse à 15, supposé 
vendu deux fois dans l’année 80 
fr. l’un 
Troupeau, produit des laines 2,750 
Vente de trente-cinq moutons 
gras à 30 fr. l’un 1,050 
Vente de 35 brebis d'âge grasses 
à 20 fr. 3 
Produits de la basse cour, volail- 
les, œufs, etc. 


700 


Total des produits 


Report des dépenses 


Balance ou produit net 


6,188 f. 


2,600 


— 187 — 


Nora. On doit observer que la masse d'engrais sera 
augmentée par le disponible en foin, en paille et en 
divers grains, et par les fourrages en vert qui servi- 
raient à la nature des bestiaux. 

Il est à observer que nous avons 628 journées en 
sus du travail obligé des chevaux ; nous n’en compte- 
rons que 500 que nous pouvons évidemment employer 
en améliorations, en charrois de terre neuve, etc. 
etc.. pour bonifier les terres, et nous aurions à cet 
effet les moyens d’y faire transporter 1,250 voitures. 


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BOTANIQUE. 


ss 


NOTICE 


SUR 


LES CHAMPIGNONS 


trouvés aux environs de Reims, 
AVEC INDICATION DES ESPÈCES COMESTIBLES OU VÉNÉNEUSES, 
Par M. SAUBINET aîné (1). 


- a 


La famille des champignons est sans contredit, 
une des plus curieuses, et celle qui offre le plus vaste 
champ d’études à l'amateur de cryptogamie. 

C’est aussi une de celles qui offré le plus de diffi- 
cullés dans lexacte détermination des espèces. 

Depuis douze ans, j’étudie avec soin les champi- 
gnons, et cependant, je dois avouer que sans le se- 
cours des belles gravures, jointes aux excellents ou- 
vrages de Bulliard et de Roques, je n’eusse pas acquis 
la certitude d’une bonne détermination, et que j'eusse, 
peut être, été forcé d'abandonner leur étude. 


(1) Cette notice, indépendamment de l'intérèt général qu'elle 
offre, au point de vue de la science , est une œuvre d'utilité pratique 
fort recommandable, en présence des nombreux empoisonnements 
qui ont encore lieu par les champignons. 


ERN fe 


J'ai l'honneur de mettre sous les yeux de l’Acadé- 
mie la liste de 94 champignons cueillis par moi aux 
environs de Reims. 

Parmi eux, Bulliard et Roques reconnaissent 25 es- 
pèces suspectes ou vénéneuses , et 19 espèces comes- 
tibles. J'ai cru utile de les indiquer. 

Il wa fallu huit années d’études suivies, pour ac- 
quérir la confiance de bien connaître les champignons 
comestibles. Je ne puis trop recommander d’apporter 
les plus grands soins et une minutieuse attention dans 
leur récolte, car plusieurs espèces vénéneuses peuvent 
être facilement confondues avec les espèces comestibles. 


Jai classé les champignons d’après l’ordre adopté 
par Duby dans son Botanicon Gallicum. 

J'ai, pour les champignons comestibles, suspects ou 
vénéneux, indiqué leurs noms vulgaires, le lieu où je 
les ai trouvés et le mois dans lequel je les ai cueillis. 
J'ai également indiqué le numéro des planches de 
l’atlas de Roques. 

Jeles considérerai 4° Sous le rapport de leur beauté 
et de leur singularité de formes; 

2 De leur qualité suspecte ou vénéneuse ; 

3 De l'avantage qu'ils offrent comme comestible 
sain et abondant. 


Sous le rapport de la beauté et de la singularité 
de formes, je signalerai : 


La fausse Oronge (Agaricus muscarius, Lin.), dont 
le chapeau d’un rouge vif et agréablement moucheté de 
pellicules blanches flatte beaucoup la vue. Ce champi- 
gnon est très-vénéneux. Íl abonde dans tous nos bois; 


— 191 — 


à Louvois, il se trouve quelquefois en telle quantité , 
que la terre semble couverte d'un tapis de pourpre. 
La véritable Oronge (Agaricus aurantiacus , Bull.) 
est au contraire un champignon comestible délicieux, si 
connu et si estimé des Romains, que l’empereur Néron 
l’appelait cibus Deorum, mets des dieux. Elle ne vient 
pas dans nos environs; on en trouve quelquefois aux 
environs de Paris, mais dans le midi où elle est très- 
appréciée, on en fait une grande consommation. 

L’ Agaric bulbeux (Agaricus vernus , DC., bulbosus 
vernus, Bull. ), surnommé Boule de neige à cause de son 
éblouissante blancheur, est un des poisons les plus 
actifs et les plus dangereux. Sa ressemblance avec 
lagaric comestible (Agaricus edulis. DC. campestris, 
Lin) a été fatale à bien des personnes. ll en diffère par 
la bulbe qui se trouve à la base de son pédicule, par 
l'odeur nauséabonde et virulente qui se manifeste par- 
ticulièrement à sa bulbe, et par desssus tout, à l’impos- 
sibilité de peler son chapeau, tandis que celui de 
l Agaricus edulis se pèle très-facilement. 

Le Bolet comestible (Boletus edulis, Bull.), dont quel- 
ques individus sont si gros, que le chapeau a trente 
centimètres de diamètre, et le pédicule vingt cinq. Sa 
couleur varie du fauve au rouge brique, et du blanc 
au brun. 

La Chanterelle (Cantharellus cibarius, Fries.), cham- 
pignon comestible, dont le parfum suave annonce la 
présence, et dont les coupes sont dorées et festonnées. 

Sa couleur d’or et son petit chapeau en forme d'en- 
tonnoir la font facilement reconnaître. 

La Clavaire (Clavaria coralloides, Lin.), champignon 
comestible, ressemble à un buisson de corail, formé 
d’une multitude infinie de branches fines et déliées 


= #9 = 


reposant sur un tronc d’une blancheur éblouissante: 

L’ Agaric violet (Agaricus violaceus, Lin.), comestible. 
Ce champignon est du plus beau violet pourpre dans 
toutes ses parties. 

L’ Agaric élevé (Agaricus procerus, Scop.); il a jus- 
qu'à quarante centimêtres de hauteur, et son cha- 
peau s'élève en forme de parasol. Ce chapeau est 
d’un roux panaché de brun, recouvert d’écailles im- 
briquées par l'effet de la gerçure de lépiderme. 

L'Hydne (Hydnum repandum , Lin.), comestible, 
remarquable par la partie inférieure de son chapeau 
garnie d’aiguillons semblables à des pointes de cloux. 

La Mérule corne d'abondance (Cantharellus cornu- 
copioides, Fries) ,dont la forme est celle d’une trompette; 
sa couleur noire lui a fait donner le nom lugubre de 
Trompette des morts ou du jugement dernier. 

La Morille (Morchella esculenta, Pers.), comestible, 
se fait remarquer par sa forme pyramidale. Le chapeau 
est composé d’alvéoles semblables aux cellules des mou- 
ches à miel. 

L’ Agaric échaudé (Agaricus crustuluniformis, Bull.), 
remarquable par sa ressemblance avec l’échaudé dont 
il affecte la forme, et par la manière dont il est semé 
sur la terre : tantôt autour d’un arbre, à la distance de 
deux ou trois mètres ; tantôt au milieu d’une prairie 
ou d’une forêt où il forme des cercles immenses régu- 
liers , ou des bandes sinueuses ayant quelquefois jus- 
qu’à cent mètres de longueur, sur six à huit décimètres 
de largeur. 


Comme vénéneux, j'indiquerai particulièrement, 
outre la fausse Oronge et l’ Agaric bulbeux mentionnés 
ci-dessus commie tels : 


— 405 — 


L'Agaric rude (Agaricus asper, DC.); sa chair est 
blanche intérieurement, et sa superficie est d’un rouge 
Yineux. 

L’Agaric rouge (Agaricus ruber, DC.), remarquable 
par son chapeau couleur de sang. 

L’ Agaric à lait jaune (Agaricus theiogalus, Bull.). Sa 
chair naturellement blanche, jaunit lorsqu'on la coupe ; 
elle est saturée d’un suc jaunâtre et amer. 

L’ Agaric fourchu (Agaricus furcatus, DC.), dont le 
chapeau d’un vert terne, farineux et comme moisi, 
annonce la mauvaise qualité. 


Je crois utile d’avertir 4° qu'il faut se garder de 
cueillir les champignons trop vieux ; 

2° Que tout champignon qui a conservé à demeure 
sur son chapeau des pellicules blanches , est véné- 
neux ; par exemple : la fausse Oronge; 

3° Que tout champignon, dont la chair prend im- 
médiatement , ou par suite de la rupture une teinte ver- 
dâtre ou bleuâtre , est vénéneux , ou tout au moins fort 
suspect, et qu'il est ainsi très-prudent de s’en abstenir; 
par exemple : le Bolet azuré. 


J'appellerai particulièrement votre attention sur 
quatre espèces de champignons délicieux que déjà je 
vous ai signalés comme comestibles, et dont la forme 
est telle qu'on ne peut les confondre avec aucun autre: 
il suffit de les avoir examinés une fois avec attention, 
pour les reconnaître ensuite au premier aspect. Leur 
récolle offre toute espèce de sécurité sans crainte d’au- 
cun danger, ce sont : 

4° La Morille (Morchella esculenta, Pers.), un des plus 
sains et des plus délicats champignons. Elle est assez 

13 


— 194 — 


abondante à Chenay, Merfy, Trigny. Elle se rencontre 
aussi assez fréquemment à Aubilly et sur toute la li- 
sière des bois de la montagne de Reims, de Ludes à 
Villers-Allerand. 

2 La Chanterelle (Cantharellus cibarius, Fries.), dont 
le parfum décèle la présence. Elle est en abondance 
dans tous nos bois, et affectionne les lieux humides et 
ombragés. 

3 La Clavaire (Clavaria coralloides, Lin.), qui se 
plaît dans tous nos bois de haute futaie où elle est très- 
abondante. 

h° L'hydne (Hydnum repandum, Lin.), est très-abon- 
dant dans tous les bois de la montagne. 


Il en est d’autres qui, pouvant offrir un aliment 
sain et agréable, présentent cependant plus de difficul- 
tés dans leur détermination ; ce sont particulièrement : 

L'Agaric comestible (Agaricus campestris, Lin., 
edulis, Bull.), que tout le monde connait, puisqu'il vient 
sur les couches , et qu’on le vend dans nos marchés. 
Cet excellent champignon est abondant dans tous les 
patis de nos montagnes , et près de la ferme de Bœuf: 
j'ai vu des pâturages tout blancs par la masse de ces 
champignons. À Bouzy , Trépail, Verzenay , Chigny , 
Rilly , il est commun sur les plaines de la montagne, 
mais il faut bien le connaître. Il se confond facilement 
avec l Agaric bulbeux, qui est un poison violent. Je 
vous réitère que souvent des accidents bien funestes 
en sont résultés ; il faut done faire bien attention aux 
différences que j'ai signalées entre ces deux espèces. 

Le Bolet comestible (Boletus edulis, Bull.), connu 
sous le nom de Cep, est un champignon excellent 


— 195 — 

dont la pulpe est fine, délicate, d’un parfum agréable, 
d’une blancheur permanente , surtout dans les jeunes 
individus qu'on doit toujours préférer. Ce champi- 
gnon très-estimé dans le midi de la France , se trouve 
si abondamment dans tous nos bois, que très-certaine- 
ment il serait facile, dans l’espace d’une heure, d’en ré- 
colter une suffisante quantité pour en rassasier vingt 
personnes. Il faut apporter beaucoup de soins dans 
son choix , et prendre bien garde de le confondre soit 
avec le Bolet. orangé (Boletus aurantiacus, Bull.), soit 
avec le Boletus cyanescens, Buil. auxquels il ressemble 
beaucoup. On reconnaîtra ces deux dernières espèces 
qui sont suspectes (suivant Bulliard ) à la teinte bleuà- 
tre ou verdätre qu’ils prendront après la rupture. On 
doit aussi se méfier du Bolet à tubes jaunes ( Boletus 
subtomentosus, Pers.), qui est plus dangereux que les 
deux autres. Ce dernier champignon est un des plus 
communs, surtout dans les sapinières , et il peut facile- 
ment être confondu avec une variété da bolet comes- 
tible. Sa chair est mollasse, jaune, et prend une teinte 
grisâtre, verdätre ou bleuàätre lorsqu'on l’entame. 
Quelquefois aussi ce changement de couleur wa pas 
lieu , ou du moins il est peu sensible. 


En terminant, Messieurs, je vous exprimerai mon 
vif regret de voir Pétude des champignons si négligée 
par les habitants de la campagne. En les éclairant sur 
le danger de certaines espèces , elle leur ferait trouver 
dans certaines autres un aliment agréable et abondant, 
qui serait encore une véritable ressource pour les indi- 
gents. 

Je me trouverai heureux, si sous ce double rapport, 
la notice que j'ai Phonneur de vous présenter peut 
être de quelque utilité. 


NOMS 


Des espèces de champignons trouvés aux environs de Reims 


Classés suivant Dugy, en son Botanicon Gallicum , 


Avec indication des espèces comestibles ou 
vénéneuses, et celle des planches 
de l'Atlas de Roques. 


Nota. Le signe PL. veut dire planche, fig. signifie figure, et v.variété. 


— “re ——— 


Morchella esculenta. Pers., comestible, PL. 1, fig. 4 et 
5, avril, Merfy, Chenay, Trigny, Aubilly et toule 
la lisière des bois de la montagne de Reims. 

M.— esculenta. v. fulva. Fries., comestible , avril, 
Merfy. 

M.— semi libera. DC., comestible, mai,iReims , Bois- 
d'Amour. 

Pistillaria micans. Fries., mai, Bouzy. 

Clavaria cornea. Batsch., octobre, Ambonnay. 

C.— coralloides. Lin., comestible, Tripette, Barbe de 
chèvre , Mainotte , Pied de coq, Buisson , Ganteline, 
Cheveline, Balai, Bouquinbarde, PL. 1, fig. 1, en 
octobre , Bouzy et tous les bois de la montagne de 
Reims. ; 

Thelephora caryophillea. Pers., novembre, Bouzy. 


— 197 — 


Thelephora hirsuta. Wild., novembre , Bouzy. 

T.— rubiginosa. Schrab., novembre , Bouzy. 

T.— purpurea. Pers., novembre , Bouzy. 

T.— corticalis. DC., novembre , Bouzy. 

T.— aurantia. Pers., novembre, Bouzy. 

T.— cretacea. Pers., novembre, Vandeuil. 

Auricularia mesenterica. Pers., novembre , Reims, aux 
promenades. 

Hydnum repandum. Lin., comestible, Rignoche, 
Eurchon , Curchon , Pied de Mouton blanc, PL. 2, 
fig. 2, octobre, Bouzy et tous les bois de la mon- 
tagne de Reims. 

Boletus subtomentosus. Lin., chrysenteron. Bull., suspect, 
PL. 8, fig. 3, octobre, Bouzy, Brimont et tous les 
bois de la montagne de Reims. 

B.— luridus. Schæff., perniciosus. Roques, vénéneux , 
PL. 7, fig. 1, 2, 3, septembre, Bouzy et tous les 
bois de la montagne de Reims. 

B.— edulis. Bull., comestible, Cepe, Ceps, Gyrole, 
Gyroule, Bruguet, Potiron, PL. 4, fig. 2, PL. 5, 
fig. 1, 2 et 3, septembre, octobre, novembre, Bouzy 
et tous les bois de la montagne de Reims. 

B.— œreus. Bull., comestible , Ceps noir , Ceps bronzé 
PL. 3, fig. 1,2, et 3, PL. #, fig. 1, septembre, 
octobre , novembre, Bouzy et tous les bois de la 
montagne de Reims. 

B.— viscidus. v. B. — aurantiacus. Bull., suspect, 
Roussile , Gyrole rouge, PL. 9, fig., 2 et 3, septem- 
bre, octobre, novembre, Bouzy et tous les bois de 
la montagne de Reims. 

B. — cyanescens. Bull., suspect, PL. 8, fig. 1 et 2, 
septembre , octobre, novembre , Bouzy et tous les 
bois de la montagne de Reims. 


Me — 


Polyporus perennis. Lin., août, Villers-Marmery. 

P. — varius. Fries., août, Chaussée de Vaudétré. 

P. — hispidus., Fries., octobre, au Château de Ver- 
geur. 

P. — adustus. Fries., novembre , Bouzy. 

P.`>— suaveolens. Fries., suspect, octobre, ruisseau 
de Crilly-sur-Vieux-Saules et à Saint-Brice. 

P. — versicolor. Fries., suspect, octobre , Bouzy. 

P. — fomentarius. Fries., novembre, Bouzy. 

P. — ignarius. Fries., novembre, Bouzy, Muire. 

P. — salicinus. Fries., novembre, Bouzy. 

P. — squamosus., Fries., juin, Ludes. 

Deædalea gibbosa. Pers., janvier, autour de Reims. 

D. — suaveolens. Pers., suspect, novembre , Bouzy et 
Clairmarais. 

D. — variegata. Fries., novembre , Bouzy et Clairma- 
rais. 

D. — unicolor. Fries., novembre , Bouzy. 

D. — betulina. Rebent, mars, Bouzy. 

D. — quercina. Pers., décembre , aux promenades de 
Reims. 

Schizophyllum commune. Fries., novembre, Bouzy. 

Merulius lacrymans. DC., novembre, Reims. 

Cantharellus cornucopioides. Fries., suspect, Trompette 
des morts, du jugement dernier, novembre, Bouzy. 

C. — lutescens. Fries., novembre , Bouzy. 

C. — cibarius. Fries., comestible, Gyrolle, Gérille , 
Cheveline, Chevrette, Gingoule, Jaunelet, Girandet, 
Escraville, Oreille de lièvre, PL. 10, fig. 1 et2, 
septembre, octobre, novembre, Bouzy et tous les 
bois de la montagne de Reims. 

Agaricus deliquescens. Bull., décembre, Reims , Bois- 
d'Amour. 


198 — 


Agaricus digitaliformis. Bull., octobre, Keims. 

A. -— hydrophorus. Buli., octobre, Bouzy. 

A. — striatus. Bull., septembre, Bouzy. 

A. — hydrophilus. Bull., novembre, Bouzy. 

Á. — lateritius. Schœfl., Amarus. Bull., vénéneux, 
PL. 15, fig. 4, septembre , Bouzy. 

À. — fascicularis. Bolt., vénéneux , PL. 15, fig. 2, oc- 
tobre , Bouzy. 

À. — hæmatospermus. Bull., octobre , Bouzy. 

A. — campestris. Lin., Edulis. Bull., comestible, pr..1#, 
fig- 1 à 6, Boule de neige, Paturons, avril, septem- 
bre, octobre, novembre, Bouzy et tous les pâtis des 
montagnes, et les pâturages des environs de Reims. 

A. —cretaceus. Bull., octobre, serres de M. d’Aubillv, 
à Aubilly. 

A.— variabilis. Pers., novembre. Bouzy. 

A.— pygmæus. Bull., novembre, Bouzy. 

A.—crustuluniformis. Bull., vénéneux, octobre, Bouzy. 

A. — violaceus. Lin., comestible, PL. 17, fig. 1°, sep- 
tembre, Bouzy. 

A. — turbinatus. Buli., comestible, octobre, Bouzy. 

A. — collinitus. Sow., octobre, Bouzy. 

A. — stypticus. Bull., venéneux, PL. 10, fig. 5, novem- 
bre, Bouzy. 

A.—petaloides v. B.spathulatus. Pers., octobre, Bouzy. 

A. — conchatus. Bull., novembre, Bouzy. 

A. — inconstans. Bull., novembre, Bouzy. 

A. — corticalis. Bull., novembre, Bouzy. 

A. — pellucidus. Bull., novembre, Bouzy. 


A. — androsaceus. Lin., aoùt, Brimont. 
A. — cyathiformis. Buil., novembre, Bouzy. 
oe infundibuliformis., Bull., comestible , novem- 


bre, Bouzy. 


— 200 — 

Agaricus driophilus. Bull., novembre, Bouzy. 

A. — velutipes. Curt., décembre, Bouzy. 

A. — sulphureus. Bull., suspect, PL, 16. fig. 6, août, 
Brimont. 

A. — arcuatus. Bull., octobre, Bouzy. 

A. — laccatus. v. B. amethysteus. Bull., comestible , 
PL. 15, fig. 3, octobre, Bouzy. 

A. — puniceus. Fries., novembre, Bouzy., 

A. — dentatus. Lin., octobre, Bouzy. 

A. — virgineus. Wulf., comestible, octobre, Bouzy. 

A. — Eryngii. DC., comestible, octobre, plaine de 
Condé-sur-Marne. 

A. — piperatus. Scop., comestible, Vache blanche. 
PL. 13, fig. 1 et 2., octobre, novembre, Bouzy. 

A. — theiogalus. Bull., vénéneux, août, Brimont. 

A. — subdulcis. Pers., suspect, septembre, Bouzy. 

A. — nigricans. Bull., octobre, Bouzy. 

A. — furcatus. Pers., vénéneux, PL. 12, fig. 2, septem- 
bre, Bouzy. 

A.—Ruber. DC., vénéneux, PL. 12, fig. 1, septembre, 
Bouzy. 

Á. — pectinaceus. v. A. fulvus. Bull., Emeticus. Pers., 
vénéneux, PL. XI, fig. 1 à5, novembre, Bouzy. 

A. — acerbus. Bull., octobre, Bouzy, 

A. — eburneus. Bull., comestible, octobre, Bouzy. 

A.— annularius. Bull., vénéneux, octobre, Bouzy. 

A. — clypeolarius. Bull., suspect, septembre, Bouzy. 

A. — procerus. Scop., comestible, Grisette, Couleu- 

vrée, Parasol, Columelle, Potiron à bagues, Bru- 

guet , PL. 17, fig. 3 et 4, novembre, Bouzy, 

.— asper. DC., vénéneux, octobre, Bouzy. 

A. — pantherinus. DC. herpeticus. Roq., vénéneux, 
PL. 20, fig. 3, octobre, Trépail. 


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— 201 — 


Agaricus muscarius. Lin., vénéneux, PL. 18, fig. 1 et 2, 
PL. 19, fig. 1, 2 et 3, PL. 20, fig. 1, octobre, no- 
vembre, Bouzy et tous les bois de la montagne de 
Reims. 

A. — vaginatus. Bull., comestible, juillet, Brimont. 

A. — phalloides. Bull., Bulbosus. Bull., vénéneux, 
PL. 23, fig. A et 2, novembre, Bouzy. 

A. — Vernus. DC., Venenatus. Rog., vénéneux, PL. 23, 
fig. 5, avril, Bouzy. 


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GÉOLOGIE. 


RAPPORT o 


SUR LA 
STATISTIQUE MINÉRALOGIQUE ET GÉOLOGIQUE 
DU DÉPARTEMENT DES A RDENNES, 
DE MM. SAUVAGE ET BUVIGNIER, 


Membres correspondants de l'Académie. 


La science de la géologie est une des conquêtes de 
notre époque, nous pouvons en revendiquer toute la 
gloire. Il y a quelques années à peine, que les savants 
wen avaient pas la moindre idée, et déjà nous en som- 
mes au point de connaître d'une manière à peu près 
certaine la constitution matérielle du globe que nous 
habitons. Des faits constants, vérifiés en divers lieux et 
en diverses circonstances constatent que le centre de la 
terre est dans un élat d’incandescenee, et que la soli- 
dité de son enveloppe est dûe au refroidissement gra- 


(1) De M. Querry, membre titulaire. 


— 904 — 


duel des points qui sont en contact avec l'atmosphère. 
Il a fallu un espace de temps inappréciable et d’innom- 
brables bouleversements extérieurs, pour que notre 
planète fût susceptible de recevoir des habitants et de 
fournir aux besoins de leur existence. 

Nous remarquons en effet que la surface de la terre 
est formée d’un grand nombre de couches distinctes. 
Les matières dont elles se composent varient daus leur 
nature et dans les objets qu’elles renferment. Ce sont, 
d’une part, des roches d’une contexture très-dure , 
immédiatement en contact avec les feux souterrains 
qui les tenaient autrefois en état de fusion, telles que 
les basalles , les granits, les porphyres, etc.; d'autre 
part, ce sont des dépôts laissés par les eaux qui les te- 
naient primilivement en dissolution : on en juge par les 
débris d’une multitude d'animaux aquatiques dont ils 
sont remplis. 

Un monde nouveau s’est révélé à nos yeux; le do- 
maine de l’histoire naturelle est presque doublé; de 
jour en jour de nouvelles races d’animaux éteintes 
aujourd’hui, présentent leurs débris à l’investigation 
et aux conjectures des naturalistes. 

Quel magnifique spectacle que celui que nous offre 
celte longue série d’êtres, de toutes formes, de toutes 
grandeurs ! c’est dans leur contemplation que l’on com- 
prend la justesse de cette sublime expression de l Écri- 
ture sainte, qui, pour caractériser l’action du Créateur 
faisant tout sortir du néant par une seule parole , nous 
dit que celte opération divine n’a élé qu’un jeu pour 
sa toute puissance : Ludens in orbe terrarum. 

Mais qu’eût été pour nous tant de magnificence, s’il 
ne s'était trouvé quelques uns de ces hauts et vastes 
génies, qui, par la persévérance de leurs recherches et 


— 205 — 


la profondeur de leurs conceptions, ont réussi à soulever 
le voile dont la sagesse éternelle avait enveloppé ses 
ouvrages ? Nous aurions vu sans comprendre, sembla- 
bles à ces hommes ignorants qui ne voient qu'avec in- 
différence le firmament parsemé de ses étoiles brillantes, 
parce qu’ils ne savent point que ce sont autant de globes 
immenses se mouvant à des distances infinies, avec 
l’ordre le plus parfait. Grâce donc à ces hommes illus- 
tres, les diverses formations de notre globe sont coor- 
données et classées, on sait ce que chacune d'elles con- 
tient et ce qu'on peut espérer d'y découvrir en les 
fouillant. Les êtres qu’elles contiennent sont rattachés 
d'avance par des caractères spéciaux à une famille 
commune qui la sépare de tout autre, et chacun est 
désigné par un nom qui lui est propre. Avec des in- 
dications aussi précises , il n'existe plus de crainte de 
s'égarer lorsque lon veut s'appliquer à l'étude de la 
description d’une contrée quelconque ; on perre plus à 
l'aventure à la poursuite d’un système qui peut être 
combattu et renversé par d’autres plus habiles. 


C’est guidés par ces travaux précédents que MM. 
Sauvage et Buvignier sont venus vous décrire la cons- 
titution géologique du département des Ardennes; lou- 
vrage qu'ils vous ont adressé comme titre à leur ad- 
mission parmi vous, est rempli des détails les plus inté- 
ressants, et contient les renseignements les plus utiles. 

Ce livre étant un recueil de faits et d'observations 
se prêtera peu à une analyse, aussi n’entreprendrai-je 
pas de la faire; je me contenterai de vous signaler la 
méthode suivie par ses auteurs, en faisant ressortir 
quelques traits plus saillants de cette savante deserip- 
tion. Ils ont su y concilier deux choses bien difficiles: ne 


— 206 — 
rien omettre et ne jamais se répéter, malgré les rap- 
ports d'identité qu’avaient les lieux et les choses qu’ils 
avaient à décrire, et ils Pont fait sans confusion, sa- 
chant soutenir l'intérêt du lecteur du commencement 
à la fin. 


La statistique géologique des Ardennes est divisée 
en quatre parties auxquelles viennent se joindre deux 
appendices , Pun servant d'introduction pour rappe- 
ler les principes de la science géognostique, Pautre 
placé à la fin et servant de corollaire à toutes les ob- 
servations contenues dans ouvrage : c’est un diction- 
naire de tous les villages du département avec Pin- 
dication de espèce de terrain sur lequel ils sont cons- 
truits, et des richesses que le sol peut offrir à ses 
habitants. En outre, des cartes, des plans et conpes 
géologiques avee des dessins de tous les fossiles nou- 
veaux et inédits trouvés dans les Ardennes sont ajou- 
tés au texte, pour en donner au lecteur une parfaite 
intelligence. 


Les trois premières parties sont consacrées à la des- 
cription générale el sommaire du sol sous ies trois 
rapports, topographique, géologique et minéralogique. 
Les auteurs nous y donnent les évyalualions exactes 
de la hauteur des principaux sommets des Ardennes 
et de la profondeur des vallées par lesquelles s'écoulent 
les rivières qui arrosent la contrée. Ils nous montrent 
toutes les révolutions de la surface de cette terre, et 
les diverses espèces de terrains que possède le dépar- 
tement. Au Nord, les schistes ardoisiers et antraxifères 
immédiatement placés sur les roches primilives; au 
centre et à PEst, les terrains secondaires, et enfin au 


— 207 — 


Sud et à l'Ouest les terrains dits de la craie, sem- 
blables à ceux de l'arrondissement de Reims. 

A l'exception des terrains primitifs, le département 
des Ardennes offre dans sa superficie toutes les espèces 
de dépôts dûs à l’action des eaux, depuis les schistes 
ardoisiers et les grès, jusqu'aux couches formées par 
le dernier cataclÿsme qui a bouleversé notre globe. 

Ainsi, le livre de MM. Sauvage et Buvignier en main, 
on pourrail, sans sortir des Ardennes, faire un cours 
à peu près complet de géologie, et former un riche ca- 
binet de minéralogie. 


C’est surtout la 4° parlie qui excite l'intérêt non 
seulement des savants, mais de tous les habitants du 
département en général. Elle est consacrée à l’énumé- 
ration de toutes les richesses que l’on peut tirer du sol 
jusque dans ses plus grandes profondeurs. Il serait né- 
cessaire à tous les cultivateurs d’en faire une étude 
spéciale, ils en retireraient de grands avantages pour 
l’amélioration de leurs terres, pour l'agrément et la 
solidité de leurs habitations, et le développement de 
leur commerce. On ne peut douter, à la précision de 
leurs descriptions, qu'ils maient exploré par eux-mé- 
mes tous les lieux dont ils parlent, et alors on peut 
se faire une idée des peines qu’ils se sont données pour 
produire une œuvre consciencieuse à tous égards. 


L'exploitation des ardoises dans la partie N. du 
département a surtout attiré leur attention, el il de- 
vait en être ainsi, puisque c’est une richesse spéciale 
à cette contrée. lls ont savamment décrit le mode 
d'exploitation, le nombre d'hommes qui y élaient em- 
ployés, les dépenses des travaux, les diverses chances 


— 208 — 


de succès qu'offraient les explorations, puis enfin les 
bénéfices qui en revenaient aux propriétaires, et les 
sommes que ce commerce versait dans le pays. Sous 
ce rapport, cet ouvrage est spécial, c’est un traité com- 
plet sur l'extraction et le commerce des ardoises. 


En un mot, le livre que je vous signale remplit par- 
faitement son but, qui est de donner une notion exacte 
des différents terrains dont se compose le sol du dé- 
partement des Ardennes, et de signaler tout ce qui 
peut y intéresser la science, l’industrie, le commerce 
et l’agriculture. Nous avons à nous féliciter de ce que 
les mêmes savants qui ont jusqu'ici fait preuve d’une 
si grande activité et d’une si consciencieuse exactitude 
dans leurs publications, aient été chargés de dresser la 
statistique du département de la Marne, parceque nous 
savons d'avance ce que sera cet ouvrage, et le bien qu’il 
fera ; et quelque parfaite que soit celle des Ardennes, 
nous avons lieu d'espérer, que de nouvelles observa- 
tions faites sur des terrains identiques, mais placés dans 
des rapports différents, agrandiront encore le cercle 
de ces connaissances qu’ils vont consacrer à notre in- 
struction et à notre utilité. 


ÉTUDE GÉOLOGIQUE 


DU PAYS DE REIMS. 


RAPPORT 
DE M. N. RONDOT, 


MEMBRE CORRESPONDANT, COMMISSAIRE DE L'ACADÉMIE, 


(Séances des 28 avril et 16 juin 1843.) 


Messieurs, 


Dans la séance du 3 mars , sur la proposition de 
M. le sécrétaire, vous avez décidé la nomination d’un 
commissaire , chargé de vous représenter dans les étu- 
des de la carte géologique du département de la Marne, 
et de vous rendre compte des progrès du travail. Vous 
m'avez fait l'honneur de me confier cette mission , et 
m'avez associé mon savant ami, M. Garcet. 


Votre commissaire, Messieurs, doit tout d’abord 
vous prier de sanctionner le nouveau mandat qu'il s’est 
I 4 


— 210 — 
imposé. Nous n’étions appelé qu’à remplir un rôle se- 
condaire , nous avons pensé plus utile d'intervenir 
activement, de prendre l'initiative des études et de 
constituer ainsi en fait la carte géologique sous le pa- 
tronage de l’Académie. 

Depuis Réaumur et Buffon (1) , la science a singu- 
lièrement progressé, entraînée el fixée par Cuvier et 
Elie de Beaumont : une carte géologique exacte est 
donc possible aujourd’hui ; et elle mest pas seulement 
précieuse comme monument de statistique naturelle , 
comme constatation locale des cataclysmes mystérieux 
qui ont modifié le relief de notre globe; — elle est 
snrtout importante par son intérêt pralique, car c’est 
à elle que l’industrie, la métallurgie, agriculture vont 
demander leurs renseignements. Deux de nos confrè- 
res, MM. C. Sauvage, ingénieur des mines et A. Buvi- 
gner, de Ja société géologique de France, seront , 
sans nul doute, chargés de cette topographie; une 
communication officieuse leur en a donné l’assurance ; 
leurs noms témoignent suffisamment de l'exactitude in- 


telligente et du talent avec lesquels seront dirigées leurs 
recherches. 


Ces faits posés, permeltez-nous, Messieurs, de vous 
exposer notre but et nos premiers travaux. 


(1) L'historien de l’Académie des sciences pour l'année 1720 disait : 
« Pour parler plus sûrement sur cette matière (l'hypothèse d'un golfe, 
proposée par Réaumur pour expliquer la présence des falunières de la 
Touraine), il faudrait avoir des espèces de cartes géographiques dres- 
sées selon toutes les minières de coquillages enfouis en terre : quelle 
quantité d'observations ne faudrait-il pas, et quel temps pour les 


avoir ? Qui sait cependant si les sciences n'iront pas jusque là, du 
moins en partie? » 


=A = 


Nous voulons préciser l’âge et l'horizon géologique 
de chaque formation , de chaque assise de la strati- 
fication tertiaire; nous avons donc décidé de recueillir 
et coordonner tous les documents spéciaux à la con- 
chyliologie géognostique. Un programme a été arrêté ; 
un modèle de catalogue, un tableau sommaire de la 
faune tertiaire ont été dressés , et ces éléments de re- 
cherches ont été partiellement envoyés à MM. les na- 
turalistes du département. Nous y avons joint une série 
de questions pour vérifier les conclusions du mémoire 
de M. Elie de Beaumont sur les calcaires grossier et 
siliceux de la montagne de Reims, et notre opinion sur 
la dénudation diluvienne du sol de la Champagne. 

Vers votre commissaire convergent déjà tous les 
faits, toutes les observations , toutes les recherches. 
Les maîtres s’empressent de nous éclairer de leurs lu- 
mières et de leur savante expérience ; et, par la diffu- 
sion de leur savoir , Péchange des renseignements, la 
discussion des idées , nous avons pu rectifier certaines 
erreurs, provoquer des explorations sérieuses et pré- 
parer quelques matériaux. Nous les avons déduits de 
documents vérifiés sur les lieux , constatés par échan- 
tillons caractéristiques. C’est comme système de preu- 
ves, comme médailler résumant les titres chronologi- 
ques de chaque terrain, que nous avons voulu établir 
une collection des fossiles tertiaires. Pour nous, ce n’est 
qu'un moyen dont l'étude philosophique est le but, et 
le fait, ainsi précisé, ne nous intéresse que comme 
auxiliaire de l’idée , comme lemme de géométrie. 

Nos études ne sont encore que sommaires ; elles 
n'ont porté que sur six gisements , différenciés d'ail- 
leurs à tous égards, dont nous allons avoir l'honneur 
de vous entretenir successivement. 


— 212 — 


Bien que notre rayon d'exploration soit limité par le 
2 5 de longitude et le 48° 50° de latitude, nous men- 
tionnerons pour mémoire le terrain crétacé inférieur , 
qui se montre à l'E. et au S. E., dans les arrondis- 
sements de Sainte-Menehould et de Vitry-le-Francais. 

M. Drouet (1) y signale le terrain néocomien : sans 
avoir visité cette région, nous émettons le doute, 
d’après nos renseignements et nos échantillons, que 

\ cette formation marine, synchronique, comme vous 
le savez, Messieurs, du Wealden, soit relevée et af- 
fleure bien caractérisée en quelque point du dépar- 
/ tement. 

En effet, — il est borné au N., de Berry à Monthois, 
au S., de Villenauxe à Chavanges, par la craie blan- 
che à inocérames et spatangus cor-anguinum (terrain 
sénonien d'A. d'Orbigny), dont au S. E. la limite est 
déterminée par une ligne dont Margerie, Gigny, Arzil- 
lières, Couvrot et Changy précisent le contour. Le 
gault (terrain albien, A. d’Orb.) lui succède, recouvert 
de craie tufau, d’alluvions anciennes , et sa puissance 
est telle qu’à Vitry-le-Francçais, un forage commencé a 
déjà traversé une épaisseur de 123" 75, et qu'à Cour- 
demange, un second sondage n’en a point atteint la fin 
à 429» 93. Les seuls fossiles que nous connaissions de 
notre gault sont la turbinolia conulus, Michelin, et 
neuf espèces de céphalopodes tentaculifères ammo- 
nidés : 


(1) « Le département de la Marne appartient à trois grandes divi- 
sions : 1° Le terrain crétacé, premier étage des terrains secondaires, 
comprenant de bas en haut les sables et grès verts; le errain néoco- 
mien, l'argile gault, la craie tuffau etlacraie blanche, etc. » M. Drouet, 
de la Géologie du département de la Marne; Ann. de la société d'agri- 
culture de Châlons, 4840. p. 232. 


— 213 — 


Ammonites interruptus,Brug.Grandpré(Ard.), SauvageetBuvigner. 


A. Denarius, Sowerby. id. arr. de Vassy, Cornuel. 
A. Lyelli, Leymerie. id. Aube (arg. tégulines) Leymerie. 
A. latidorsatus, Michelin. id. id. 

A. Beudanti, Brongniart id. id. 

A. bicurvatus, Michelin. arr. de Vassy, Cornuel. id. 

A. Deshayesi, Leymerie, id. 

Crioceras? 

Hamites alterno-tuberculatus, Leymerie. id 


(Collection de M. Dutemple). 


Au S. E., à Sermaize, règne le grès vert inférieur 
(terrain albien) avec l’exogyra sinuata (gryphæa latis- 
sima, LkS, la terebratula sella , Sow., la plicatula in- 
flata et la serpula socialis, Goldf., des lutraires, quel- 
ques dents de pycnodus, etc. C’est un segment de cette 
zône qui semble le rivage de la mer Sénonienne et 
court du N. à l'O. en passant par Aubenton, Grandpré, 
Sainte-Menehould, Vassy , Brienne , Ervy, Auxerre et 
Cosne. Le terrain crétacé inférieur n’est pas seulement 
cité à Sainte-Menehould qui, suivant M. Wyld (1), re- 
pose sur la craie tufau ; M. Arnould a observé celle-ci 
à Dammartin , Berzieux...... et le lower-green-sand à 
Vienne-la-Ville, Florent, Passavant, Ante, la Neuville- 
aux-Bois, etc. 

Enfin au N. E., sur la lisière des Ardennes, le cal- 
caire à astartes et le kimmeridge-clay à exogyra vir- 
gula, Goldf. plongent sous le gault et la craie tufau ; 
celle-ci y est caractérisée par l’endogenites erosa, Fitton, 
l'ammonites Renauxianus , À. d'Orb. et l’hamttes ar- 
matus, Mantell. 

En résumé, nulle part d'indication du terrain néo- 


(1) Coup-d'œil botanique et géologique sur l'arrondissement de 
Sainte-Menehould, par M. de Lambertye. Ann. de la Soc. d'agric. de 
Chälons, 1842. p. 204. 


— 214 — 

comien; sa direction de relèvement du S. S. O. à 
l'E. N. E. explique d’ailleurs comment il peut passer 
de l’Aube dans la Haute-Marne, et de l'arrondissement 
de Vassy dans la Meuse, sans se montrer sur notre sol. 
—Le riche minerai de fer oolithique exploité à Chemi- 
non , se retrouve à Vassy, à Sommevoire, à Narcy, non 
point dans l’étape néocomien, mais dans la partie infé- 
férieure du green-sand, au-dessus de largile à plica- 
tules. Quant au calcaire que M. Drouet (p. 247) pense 
devoir être utilisé pour la construction et le pavage, 
ce ne peut être que l’analogue du grès jaunâtre (lower 
green-sand) des Côtes noires de Moëlains, mais non pas 
des calcaires à pavés dela Haute-Marne, qui sont loo- 
lithe vacuolaire et le calcaire tubuleux du terrain su- 
pra-jurassique. 

Nous terminerons, Messieurs, en vous faisant re- 
marquer le silence de M. Leymerie sur la présence 
dans le département de la Marne de la formation qui 
nous occupe. — Le terrain néocomien, dit-il , forme 
autour du bassin de Paris une ceinture qui l’entoure 
dans toute sa partie orientale, en traversant les dépar- 
tements de la Meuse, de la Haute-Marne, de l’ Aube, de 
l Yonne et de la Nièvre. Cette ceinture, qui n’a jamais 
plus de 2 lieues de largeur, atteint une longueur d’en- 
viron 50 lieues... Sous le rapport de l'étendue, le 
terrain néocomien du bassin de Paris semblera consi- 
dérable, si l’on se rappelle que cette ceinture n’est que 
l’affleurement d’une nappe qui probablement se pro- 
longe sous le green-sand et la craie jusqu’en Picardie 
et en Normandie... » (1) 


(1) Consulter : A. Leymerie. Mém. sur le terrain crétacé du dép. de 
l'Aube. Mém. de la Soc. Géol. t. IV. N° V. — J. Cornuel. Mém. sur 
les terrains crétacé inf. et supra-jurassique de l'arrondissement de 
Vassy (Haute-Marne). Mém. de Ja Soc, Géol. t. IV. N° IV. 


— 215 — 

La faune de la craie blanche qui affleure dans les 
dépressions de l'arrondissement d'Épernay , nous est 
connue par le catalogue de M. Dutemple, de Pierry , 
qui l’explore avec une intelligente activité. A Chavot , 
outre les terebratula DeFrancü et subundata , il a dis- 
tingué parmi neuf genres de polypiers indéterminés 
l Eschara disticha de Goldfuss (1); à Cramant, il a 
trouvé une anatife et six espèces de thécidée ; à Dizy, 
la belemnitella quadrata, d'Orbigny. Si la craie blanche 
de Reims (2) a enrichi le cabinet de M. Hardouin Mi- 
chelin d'un aptychus, et celui de M. de Saint-Marceaux 
du belemnites dilatatus de Blainville (3), d’apiocrinidées 
et de spatangus bufo, A. Br.; les foraminifères sti- 
chostègues et les pectinibranches de Chavot attachent 
un vif intérêt à la collection de M. Dutemple , et assu- 
rent sa supériorité. Nous ne mentionnerons que sa no- 
dosaire et ses deux belles espèces inédites , peut-être 
uniques. 

Les sables inférieurs (glauconie inférieure de M. d’Ar- 
chiac) reposent partout immédiatement sur la craie 


(1) Conchifères de la craie blanche supérieure de Chavot : — Chama 
(2 variétés), lima (5 var.), pecten versicostatus, Lk., pecten 
(8 espèces), spondylus (3 variétés), podopsis ? (2 variétés), exo- 
gyra, ostrea (4 espèces), crania parisiensis, Defr. (bivalve), 
terebratula subundata, Sow., T. octoplicata, Sow., T. alata. 
Lk.? T. carnea, Sow., T. Defrancii, Brongniart. T. concava, Lk, 
(Collection de M. Dutemple). 

. (2) On trouve parfois dans la craie blanche à belemnitella mucro- 
nata, (d'Orb. ) de Reims, des plaques de fer oxidé hydraté qui sem- 
blent avoir une origine organique, et qui, tout mutilées qu'elles sont , 
rappellent par leurs formes arrondies et leurs expansions latérales , 
l'osselet interne des belemnosepia. 

(3) M. A. d'Orbigny ne mentionne le belemnites dilatatus , BI. que 
dans les terrains néocomiens des Basses-Alpes et du Var. Paléontolo- 
gie française, J, 42. 


— 216 — 


et constituent la base de nos collines. Leurs dunes 
s'élèvent vers Cumières et Ambonnay à 230 pieds au- 
dessus de la mer, et à partir de ce point culminant, 
se dépriment et se perdent vers PO. A Chälons-sur- 
Vesle, à Muizon, à Thil, à Cormicy, à Villers-Fran- 
queux, se montre le premier étage de ces sables, 
caractérisé par les 


Pectunculus terebratularis. Lamarek. 
Cardium semigranulosum. Sowerby. 

Cyrena intermedia. Melleville. 

Buccinum fissuratum. Deshayes. 

Natica labellata. Lk. 

Turritella imbricataria. Ek. (Variété locale.) 
Melania inquinata. DeFrance. 

Melanopsis buccinoidea, Férussac. 

Neritina vicina. Mell. 

Tornatella biplicata. Mell. 


Toutes coquilles d’une fragilité extrême, déposées par 
lits onduleux. M. Melleville , de Laon, y a recueilli 
43 espèces, dont 23 nouvelles qu'il a nommées (1), 
et parmi celles-ci, nous citerons : 


Pholadorya plicata. Melleville. 


Helix fallax ld, 
Pupa elongata. Id. 
Pedipes crassidens. Id. 
Panopæa Remensis. Id, 
Pyrula intermedia. Id. 


Nous avons dans notre collection lostrea rarilamel- 
la ? (Villers-Franqueux), lostrea puncticulata , la neri- 
tina ornata, la dreissene antiqua, la corbis lamellosa, la 
teredina personata et des serpules (Chälons-sur-Vesle). 


(3) Mémoire sur les sables tertiaires inférieurs du bassin de 
Paris, 1843. 


e. — 


Toutefois l'espèce qui spécialise le plus nettement cet 
étage est une huître dont le type et les variétés, tout 
communs qu’ils sont, n’ont pas, que nous sachions , 
encore été décrits. Jusqu’alors nous n'avons point vu 
ces huîtres en place, non plus que les dents de squa- 
les et les ossements d'émydes; toujours ils sont épars 
à la surface du sable, au milieu de fragments de grès 
ferrugineux coquillier et de feuillets sableux, ondulés 
comme si le dépôt de cette formation s'était effectué 
sous une mer sans cesse agitée, ou avait été charrié 
par les vents (1). 

Au centre des buttes elliptiques de Châlons-sur-Vesle, 
de Chenay, etc., enchâssées le plus souvent entre deux 
bancs d’un grès peu étudié, M. Melleville a constaté 
la présence d’amas d'argile plastique et de lignites, 
affectant la forme d’un cône tronqué renversé , comme 
s'ils s'étaient moulés dans des bassins en entonnoir. 
Cette disposition que nous avons vérifiée, Messieurs , 
dans des circonstances diverses, nous a conduit à ad- 
mettre ce théorême géologique, — que les argiles 
à lignites ne constituent point à ła base de la formation 
tertiaire des bancs continus, mais se sont déposées 
dans les sables inférieurs en amas circulaires ou amyg- 
daloïdes. — Nous avons regretté d’être forcé, par 
l'évidence des faits conchyliologiques, à ne plus croire 
à cette théorie des affluents de M. Constant Prévost, qui 
nous semblait si rationnelle. Il était si simple de pri- 
me abord de considérer nos gisements d’argiles, de 


(t) Dans la séance du 4 août, nous avons présenté à l'Académie des 
échantillons d'une roche siliceuse compacte, criblée de gyrogonites 
(chara medicaginula, Leman), et d'autres graines, que nous avons 
recueillie dans le premier étage des sables inférieurs, à Chälons-sur- 
Vesle. 


— 218 — 


lignites, de sables, comme autant de points délimitant 
le cours d’une immense nappe d’eau douce, qui s’épan- 
dait sur le continent crétacé et débouchait vers Laon 
dans la mer du Cerithium giganteum (LK.) ; si simple 
d'expliquer comment le cataclysme du diluvium, éli- 
minant par dénudation et ravinant une partie de notre 
sol, les avait constitués sur nos collines en bassins 
isolés et distants. La théorie des puits naturels de M. 
Melleville, l'opinion de M. Dufrénoy nous ont ramené 
à un lout autre ordre d'idées, que nous nous réservons 
de développer devant la compagnie. 

M. d’Archiac (coordination des terr. tert.) intercale 
le calcaire pisohithique entre la glauconie inférieure et 
le calcaire tufacé lacustre; M. Ch. d’Orbigny (coupe 
théorique du bassin de Paris) le place directement au- 
dessus de la craie, et ne mentionne ni nos sables infé- 
rieurs de Châlons-sur-Vesle, ni notre travertin à physa 
gigantea de Rilly et Sézanne. 

Nous regrettons vivement, Messieurs, de m'avoir 
point étudié nous-mèême le gisement de cette forma- 
tion ; aussi lės observations que nous avons l’honneur de 
vous soumettre sur ce sujet, sont-elles empruntées 
aux recherches de M. James Wyld, d'Épernay. 

MM. Duval et Meillet (Bull. de la soc. géol. t. XIV, 
p- 100) affirment avoir reconnu le calcaire pisolithique 
à Sézanne et au mont Saran, près Cramant. — « Je 
prétends positivement, nous écrit M. Wyld (6 mai 
1843), qu'il n’y existe point, non plus qu'à Rilly ; 
c’est un dépôt tout local dans notre pays, ayant au 
mont Aimé et aux falaises de Vertus sa plus grande 
puissance. » — À Meudon, près Paris, où il agglutine 
nombre de débris de polypiers, de radiaires et de 
coquilles (orbitolites plana, turbinolia elliptica, A. Br. 


ET 


cardium porulosum , Lk., arca biangula, Lk., mo- 
diola cordata, Lk., nerita angiostoma, Desh., turritella 
imbricataria, Lk., ete.) il est réellement au-dessous de 
ce conglomérat d'os de mammifères et de lignites, étage 
inférieur de l'argile plastique, caractérisé par lano- 
donla Cuvieri, Ch. d'Orb., la paludina lenta, Sow., 
le mosasaurus el le lophiodon. Par analogie, on peut 
donc supposer que sa position est la même au mont 
Aimé et à Vertus; cette probabilité est pour M. Elie 
de Beaumont une certitude , bien que le fait ne soit 
point prouvé, le calcaire pisolithique n’y étant sur- 
monté d'aucune couche fossilifère. 

Les points où il se montre dans le département sont, 
nous le répétons, très-limités; M. Wyld l’a vu adossé 
à la craie au bois de la Houppe; — la craie s’y élève 
à 240 m. au-dessus de la mer, c’est le niveau du 
mont Aimé et des falaises : il ne reparaît ni au N. du 
bois de la Houppe, ni à PO. de Vertus, et il n’en 
existe aucune trace à Givray, à Loizy, à Soulières, 
à Saran, etc. M. d’Archiac le cite au plateau de la 
Magdeleine. 

M. Dutemple a recueilli dans la roche dolomitique 
du mont Aimé un grand poisson indéterminé, et M. 
Arnould des dents de squaloïde, des vertèbres de cro- 
codiles, etc. 

Le Calcaire travertin ancien à physa gigantea n'a 
encore été observé qu’à Rilly-la-Montagne, à Sézanne, 
à Romery et à Sermiers. De la rareté et du peu de 
puissance de cette formation on peut inférer qu’elle est 
toute locale, comme sa parallèle et peut-être sa com- 
temporaine, la marne blanchâtre à Physa colum- 
naris, Desh., Paludina Desnoyersi, Desh., Cyelas 
lævigata, Desh., et à graines de Chara helicteres, 


NPA -— 
Ad. Br. (1) du mont Bernon. 

Pour qui a dressé la coupe de la sablière de Rilly (2), 
âge du calcaire travertin lacustre est. nettement 
précisé. ll est supérieur à cette puissante assise de 
sable blanc, exploité pour les cristalleries de Baccarat, 
Saint - Quirin, etc., qui repose directement sur la 
craie; il est inférieur à l’argile plastique et aux lignites 


{1) Les characées sont des plantes aquatiques classées dans les 
cryptogames, entre les marsiléacées et les mousses. 

(2) Coupe de la sablière de Rilly (25 septembre, 1842). 

í. Terre végétale, fragmens de meulières sur le plateau. 

2. Terre siliceuse ferruginée. 

3. Marne avec rognons de calcaire gris très-dur. — Quelquefois 
on y trouve des concrétions sableuses tubiformes. 

4. Argile plastique gris noirâtre. 

5. Marne. 

6. Sable. 

7. Argile plastique. 

8. Marne blanche avec nodules siliceux et coquilles d'après M. Ar- 
nould. 

9. Calcaire travertin lacustre dur, en rognons concrétionnés. 

t0. d. altéré. 

Les assises supérieures ne sont composées que d'un limon argileux 
ferrugineux. 

t1. Calcaire travertin lacustre, (banc dur). 

#2. Sable ferrugineux. 


13. Sable quartzeux blanc avec grès blanc. (3%. 25) 
14. Sable. (aa) 
15. Sable rougeûtre. (0. 65) 


16. Gravier (appelé chalin par les ouvriers) avec coquilles. (0. 65) 

47. Craie blanche. 

Dans le petit bois qui domine la sablière, on trouve une cendrière 
abandonnée dont voici la coupe : 

1. Sable gris avec petites meulières et silex. 

2. Sable ocreux avec grès ferrugineux à gros grains. 

3. Lignite avec petits cristaux de chaux sulfatée (sans fossiles). 

4. Sable blane. 

5. Sable ferrugineux. 

6. Ligniles (Cyrena, Arca, Cerithium variabile). 


— 221 — 


coquilliers, inférieur naturellement au calcaire gros- 
sier, bien qu’il manque dans la localité, et au cal- 
caire siliceux, avec lequel on l’a quelquefois confondu. 
Les espèces qui le caractérisent sont rares encore au- 
jourd’hui dans les cabinets : ce sont avec des valvata, 
des limnées, des cyclades, des ancyles inédits les 


Helix luna. Michaud, Mag. de zool. cl. V. pl. 81 à 85, 1837. 
Helix hemisphærica. id. id. 
Helix Arnouldii. id. id. 
Physa gigantea. id. id. 
Cyclostoma Arnouldii. id. id. 
Paludina aspersa. id. id. 
Pupa bulimoidea. id. Act. de la soc.Linn. de Bord.t.X.4°1.1838. 
Pupa columelluris. id. id. 
Pupa sinuata, id. id, 
Pupaoviformis. id. id. 


Pyramidella exarata. id. (Clausilia exarata, Arnould) (1). 
Helix Drouetii. de Boissy. 


Quant au mode de formation de ce tuf lacustre, il est 
diversement expliqué. On ne sait si les molécules cal- 
caires étaient en solution ou en suspension, et l’on n’est 
pas d’accord sur les dispositions topographiques. « Il 
me semble assez probable, nous écrivait M. V. Raulin 
(25 décembre 1843), qu'après la révolution qui a inter- 

‘rompu la formation de la craie, des matériaux sableux, 
amenés vraisemblablement par des courants fluviatiles 
dans un bassin marin peu profond, s’y sont accumulés 
en formant des dunes, principalement sur les bords. Ces 
dunes ont laissé entre elles des espaces où s’accumu- 


(1) « Elle ne peut appartenir ni aux clausilies, ni aux auricules; 
— Lamarck, dans son histoire des animaux sans vertèbres, semble- 
rait ne pasêtre certain que les Pyramidelles soient marines. » 

Micnaup. Actes de la société Linnéenne de Bordeaux, t. X. 4°liv., 
juillet, 1838. 


— 222 — 

laient exclusivement des eaux, soit pluviales, soit flu- 
viatiles, et même de sources, chargées de calcaire qui, 
en se déposant, a pu englober les mollusques terres- 
tres et lacustres, vivant sur les bords et dans ces eaux 
mêmes, ou amenés par les fleuves qui ne pouvaient 
manquer de venir des terres alors découvertes (Ar- 
dennes, Lorraine, Bourgogne, etc.)» 

Quant à nous, Messieurs, nous pensons que les 
strates à clausiha exarata de Sézanne et de Rilly, 
sont des travertins , c’est-à-dire des dépôts de sources 
silicéo- calcaires; et tout en reconnaissant d’après 
l'identité de la faune, leur contemporanéité absolue, la 
nature minéralogique de la roche nous porte à ad- 
mettre, en faveur de Sézanne, une antériorité relative. 
La marne du mont Bernon ne nous semble point avoir 
la même origine; c’est le lit de quelque bassin d’eau 
stagnante, couverle de characées, sédiment vaseux qui 
a conservé les tests si frêles des mollusques qui y 
vivaient. 

L’argile à lignites des environs de Rilly-la-Monta- 
gne a été l’objet de nos recherches les plus assidues. 
Nous avons recueilli aux Voisillons (Vaux-Sillons), 
petit gite de cendre vitriolique encaissée dans les sa- 
bles inférieurs , et exploitée pour l'amendement des ` 
vignes , une série jusqu’à présent unique d’espèces et 
de variétés marines et lacustres. 


ESPÈCES LACUSTRES, 


Melania inquinata. De France (9 variétés, dont 3 nouvelles) (1). 
Melanopsis buccinoidea. Férussac (plusieurs variétés). 


(1) Melania inquinata, Defr. — Var. callosa , nobis. (Caractérisée 
par une excroissance au milieu du bord columellaire, callosité sail- 
lante, en forme d'òméga , qui est peut-être un effet de l'âge). 


= gg — 


Nerilina globulus, Fér. 

Neritina pisiformis, Fér. 

Neritina (Espèce inédite). 

Cyrena antiqua, Fér. 5 
Cyrena cuneiformis, Fér. 

Cyrena tellinella, Fér. 


ESPÈCES MARINES. 


Auricula hordeola, Lamarck. 

Natica labellata, Lamarck. 

Natica (2 espèces indéterminées ). 

Cerithium variabile, Deshayes (12 var. dont 5 nouvelles) (1). 
Cerithium turris, Deshayes (3 var. dont 2 nouvelles). 
Buccinum semicoslatum, Deshayes. 

Corbula (Espèce inédite ). 

Nucula deltoidea, Lamarck. 

Ostrea (3 espèces). 

Ostrea sparnacensis, DeFrance. 


Ossements indéterminés. 

Dents de squaloïde. 

Mandibules de poissons (identiques à celles de la burge du cal- 
caire grossier supérieur d'Hermonville ). 

Cypris. 


Nous avons remarqué que l'abondance et la pré- 
sence de certaines espèces varient suivant la profon- 
deur. A telendroit se montre la mélanie souillée, à tel 
autre, le cérite tour; telle dépression offre le buccin 
demi costulé, qui ne se retrouve en nul autre point; 
telle fouille dans le lignite amène au jour la corbule et 
l’auricule grain d'orge et dans le sable ferrugineux la 
variété A (Desh.) du cérite variable : enfin, telle poche 
sableuse ne renferme que des fossiles roulés, cyrènes 


(1) Cerithium variabile, Deshayes. — Var. AA. nobis. Anfracti- 
bus unistriatis, tuberculis serratis, numerosis , coronatis ; striá 
serratå. Var. AB, nobis. Anfractibus unistriatis, tuberculis serratis, 
numerosis, coronatis, striå simplice, 


00: 

tellinelles et cunéiformes, néritines et mélanies. Cette 
localisation des espèces sur une surface d’à peine cent 
pas carrés et dans une profondeur maximum de 2 mè- 
tres, nous a paru mériter d’être mentionnée (1). A 
Coulommes du reste, peut se remarquer aussi cette 
originalité d’une faune spéciale à chaque étage, car 
l'argile qui recèle les plaques vermiculées de trionyx, 
les écailles d’un crocodile analogue au gavial de Caen, 
les vertèbres, les palais de sauriens et de poissons , et 
les épines que nous croyons provenir de silures, cette 
argil e est supérieure à la fausse glaise à ostrea, cyrena , 
cerithium et ne renferme aucune coquille (2). 

Ce qui attache tant d'intérêt à l’étude du système de 
l'argile plastique dans la montagne de Reims, c’est la 
dissemblance de chacun de ses gisements et la multi- 
plicilé des accidents géologiques qui les singulari- 
sent. — Mailly (270" au-dessus de la mer) semble 
être l’herbier de la flore tertiaire inférieure. Chaque 
coup de pic y détache par clivage des feuillets d’une 
glaise rougeâtre qui a conservé l'empreinte fidèle des 
tiges, des feuilles, des fleurs, des graines des végétaux 
dicotylédones des créations passées. Fismes est re- 


(1) A mi-côte, calcaire siliceux à Limnæa longiscata , A. Br. 

1. Sable gris avec blocs de grès ferrugineux à gros grains et cailloux 
roulés. 

2. Sable ferrugineux. 

3. Lignite avec petits cristaux de chaux sulfatée. 

4. Lignite avec efflorescences vitrioliques. 

6. Sable lignitifere ferrugineux. 

6. Argile à lignites. 

7. Sable gris dans lequel sont déposés les lignites coquilliers. 

(2) M. Melleville a omis dans sa coupe de Chamery à Coulommes 
(Bulletin dela Soc. Géol. t. X. p. 16), le terrain de l'argile plastique, 
qui dans ce dernier village a une puissance de plusieurs mètres et 
est caractérisé par nombre de coquilles et d'ossements. 


— 925 — 


présenté dans les cabinets par son mytilus, Bernon par 
sa webstérilé aluminifère et son hydrate d'alumine ré- 
siniforme; Saran par la corbula Droueti et la cyrena 
Gravesii ?; Ambonnay par ses fruits, Villers-Marmery 
par son succin; Béru, Bouzy par leurs belles cristallisa- 
tions prismatiques de chaux sulfatée, créée au sein des 
iigaites vitrioliques par double décomposition électro- 
chimique. A Pouillon (1), célèbre par ses lignites fi- 
breux et ses ossements de sauriens et de chéloniens, 
s'est, depuis 1838 , attachée une réputation classique. 
Les sondages exécutés par ordre de M. Andrieux, ont 
montré, à 2 mètres, les argiles non point adossées con- 
tre le calcaire grossier, mais parallèles à ses assises, et 
prouvé qu’elles lui sont constamment inférieures : ce 
fait, vérifié par M. Arnould sur un ou deux autres 
points du département, est acquis aujourd’hui à la 
science. 

il n’en esl point de même du rang qu'occupent dans 
échelle tertiaire celles du versant N. N. E. de la mon- 
tagne de Reims, et c’est sur ce point indécis que 
nous appelons l'attention sérieuse de nos amateurs. 
Il existe, d’après M. Melleville, deux étages d'argiles 
à lignites : « Pour ne vous parler que des environs de 
Reims, nous écrit-il (8 mai 1843), si vous parcourez 
tout le pays compris entre Fismes et Monchenot, vous 
remarquez dans la plaine et reposant sur la craie, des 
amas d'argile plastique associés aux sables inférieurs 
(premier étage); puis, sur le versant des collines et 
immédiatement sous le calcaire grossier, d’autres banes 

(1) A Pouillon, on a trouvé des fragments de troncs de palmiers 
(Statist. du canton de Bourgogne par Chalette, 1838). 

M. J. Wyld a recueilli à Mailly une tête de Chélonien, que M. Va- 
lenciennes a reconnu provenir d'une grande espèce de Trionyx. 


15 


— 9% — 


puissants d’argiles plus ou moins sableuses, queje rap- 
porte aux fausses glaises des environs de Paris. Mêmes 
faits dans la vallée de la Marue. On trouve au même 
niveau , sur le versant de la montagne d’Ambonnay et 
au-delà, soit des dépôts isolés, soit des bancs continus 
d'argiles avec ou sans ligaites , puis, au fond de la 
vallée, à quelques mètres seulement au-dessus du ni- 
veau de la Marne, d’autres dépôts toujours isolés d’ar- 
giles avec lignites (notamment sous Châtillon et près 
de Passy). il y a entre ces deux sÿstêmes une diffé- 
rence de niveau qui va là à près de cent mètres. Mêmes 
observations pour le massif tertiaire qui sépare la 
Vesle de l'Aisne. » — Ces faits admis, que l’on suive 
les affleurements de nos lignites dans la montagne : 
entre Jonchery et Gueux , ils se montrent dans les dé- 
pressions du continent crétacé, puis leur niveau s'élève 
insensiblement,et, un peu en avant de Chamery, semble 
atteindre celui du banc süpérieur et se confondre avec 
lui. A quel système appartiennent les dépôts de Vil- 
lers-Allerand , de Rilly, de Chigny et ceux de Verze- 
nay, qui sont à une hauteur de 252 mètres ? Telle est la 
question posée par notre savant correspondant , ques< 
tion toute de géognosie, car les fossiles semblent être 
communs aux deux étages; cependant les cerithium 
turris, teredina personata, ostrea sparnacensis, parais- 
sent propres, suivant M. Melleville, aa système supé- 
rieur (fausses glaises), et l'ostrea pellbosinai à l'inférieur 
(argiles plastiques). — Celte dernière espèce est tout 
aussi rare dans nos environs que les planorbis incertus 
et punctum de Férussac , caractéristiques ; d’après M. 
Brongniart, de la montagne de Reims ; — et que l'os- 
trea plicatella, que M. Deshayes annonce (t. 1. p. 362) 
se trouver habituellement dans les terrains à lignites du 


= M = 


Soissonnais et de la Champagne. (Ostrea testà ovato- 
elongatä, apice attenuatà, depressä; plicis angustis, ru- 
gæformis, radiantibus utrâque valvå ornatå ; umbonibus 
longis, acutis; pl. L, fig. 2-5.) 

M. d’Archiac a eflleuré ce sujet (Bull. de la Soc. 
Géol. X. p. 179) : malgré une différence d’altitude de 
198 mètres , les lignites de Verzenay et de Soissons lui 
paraissent dériver d’un méme système, qui s’iticline de 
VE: au N. de 11 mètres par lieue. 

Nous n’entretiendrons point l'Académie de certaines 
particularités géologiques qui donnent plus d’intérêt 
encore à nos terrains tertiaires inférieurs ; nous avons 
hâte de fixer devant elle les points d’une discussion 
sur la détermination de l’âge des sables à gros grains 
quartzeux et à feredina personala qui recouvrent les 
argiles à lignites. C’est un corollaire du problème que 
nous venons de poser. Caractérisée à Bernon (Strate 
n° 5 de la coupe de M. Preswich ) par une faune très- 
variée, à Cuys par l’unio truncatosa, (Michaud), les ano- 
mies et les ossements d’herbivores, à Chavot par une 
mulette inédite, à Mailly par une cyrène également 
inédite, celte assise a jusqu’à présent été comprise dans 
l'argile plastique. La plupart de ceux qui Pont observée 
avec soin n’ont point adopté un classement qui ne pré 
vise rien. Done, les uns rattachent ces sables à l'étage 
inférieur du calcaire grossier ; d’autres proposent de 
les constituer en formation intermédiaire, indépen- 
dante; plusieurs enfin, et parmi ceux-ci nous nous cile- 
rons avec MM. Wyld et Dutemple, désirent voir com= 
biner le secoud projet avec l’ancienne opinion, ©’est-à: 
dire, caractériser ce sable par lunio truncatosa et là 
teredina personata, el tout en le maintenant dans l'ar- 
gile plastique, isoler de la partie supérieure de €8 


= -7 — 


système.— Le sable à mulettes, nous écrivait M. Rau- 
lin, est une ancienne plage heureusement appropriée; 
c’est un de ces accidents purement locaux, toujours 
très - limités, et que l’on n’a guère encore constatés 
que dans le pays de Reims et d'Épernay. — (1) 

MM. James Wyid et Prestwich ont recueilli au 
mont Bernon dans ce strate (1" 40 de puissance) les 
fossiles suivants : 


Melania inquinata, De France. 

Melanopsis buccinoidea, Férussac. 

Paludina. 

Unio. ( U. truncatosa ? Michaud.) 

Teredina personata , Lamarck. 

Poissons. Écailles et arètes. 

Crocodiles. Plusieurs dents. 

Mosasaurus. Partie de côte et dents. 

Trionyx. Plusieurs ossements. 

Emys. id. 

Serpent. Vertèbres. 

Lézard (petite espèce). Màchoire. 

Anthracotherium (petite espèce). Dent molaire. 

Lophiodon (peut-être deux espèces). 4 dents molaires inférieures et 
1 dent canine inférieure. 

Rongeur ou Carnassier. Un fémur. 


Mammifère indéterminable. Une vertèbre (atlas). f 


Un marchand de minéraux, M. Danhaüser nous a 
déclaré sans preuves y avoir pris en place et posséder le 
fusus bulbiformis, Lk., la pyrula lævigata, Lamk., quel- 
ques cérites et une dent de carnassier. Les neritina 


(1) Au mont de Béru, dans un sondage exécuté pour rechercher 
les cendres vitrioliques, la sonde a traversé, avant de les atteindre, un 
sable fin, jaunâtre, analogue à celui du calcaire grossier de Courta- 
gnon; M. de St-Marceaux y à trouvé un fragment de Teredina perso- 
nata, Lk., la Melania inquinata. Def., le Cerithium variabile, Desh., 
des petites hüitres et des cyrènes (C. oblongue , trigone; la charnière 
présente sur la valve gauche 3 dents cardinales, dont la médiane est 
bifide). 


= 1929 


globulus, Fér. operculées de la collection de M. St-Mar- 
ceaux semblent provenir, non point de ces sables supé- 
rieurs, mais de l'argile plastique brunâtre à cyrena an- 
tiqua, Fér. (strate n° 14 de la coupe de M. Prestwich). 

L’argile bigarrée de rose vif avec fer hydroxydé 
aurifère du mont Saran n'appartient pas , comme Pont 
pensé MM. Duval et Meillet, à la région moyenne de 
l'argile plastique lignitifère. Elle en est, d’après 
M. Jimes Wyld et nous, la couche la plus supérieure, 
contemporaine des sables à térédines du mont Ber- 
non, de Cuys, de Chavot et de Saint-Martin-d’Ablois. 
M. Elie de Beaumont, qui l'a examinée avec M. Wyld, 
pense qu’elle dépend du calcaire grossier, et le repré- 
sente à Saran. Quelques détails sur ce précieux af- 
fleurement intéresseront la compagnie. L'or ne se re- 
marque pas seulement tapissant de petites lamelles 
cristallines les fissures naturelles de largile (1) ; souil- 
lé d’un peu de pyrite jaune verdâtre, il recouvre assez 
souvent d’une mince pellicule les pisolithes d’hydrate 
de sesqui-oxyde de fer. C’est la première fois que Por 
se montre dans les terrains tertiaires dans une position 
définie, non plus en paillettes roulées , détachées des 
roches primordiales , mais en lamelles qui sont évi- 
demment le résultat d’une précipitation électro-chimi- 
que. Le dissolvant n’a pu être qu’un sulfure alcalin qui, 
décomposé par un métal avide d'oxygène comme le fer, 
a formé un sulfure ferrique, en même temps que l'or 
révivifié s'est déposé en cristaux ou en couche mince. 
M. Melleville a trouvé dans cette découverte d’or natif 


(1) La masse séchée, pulvérisée et traitée par le mercure pur, nous 
a donné de l'or en parcelles très-reconnaissables. 500 grammes de cette 
substance nous ont fourni environ 5 centigrammes d'or (1°/.). Duval 
et Meillet. Bull. dela Soc. Géol. t. XIV, p. 100. 


00 …— 
un puissant argument en faveur de sa théorie des puits 
palurels : « même explication que pour le gypse , nous 
dit-il ; en descendant à travers les couches, les canaux 
naturels pouvaient arriver à celles qui forment le 
gîte ordinaire de ce métal. » (1) 

Le calcaire grossier de nos environs mériterait les 
honneurs d’une monographie. Courtagnon , gràce à la 
réputation que lui a faite sa chätelaine si coquettement 
savante , est depuis longtemps le but du pélérinage des 
naturalistes. M. de Buffon cite, dans sa Théorie de la 
terre, ce banc de coquilles qui, suivant lui, a près 
de quatre lieues de largeur sur plusieurs de longueur. 
Le ravin de Chamery (C. G. médio-inférieur) (2) et les 
carrières d’ Hermonville (C. G., inf., moyen, sup. et G. 
M. I.), Damery et Harty, Rosnay et Jonchery attirent 
chaque année de nombreux visiteurs, et les belles es- 
pèces fossiles qu’ils recèlent sont partout recherchées , 
partout étudiées avec empressement. Nous ne vous rap- 
pellerons point, Messieurs, combien variée est la faune 
de cette puissante formation ; nous ne vous tracerons 
point l’hydrographie de l'époque du cerithium gigan- 
teum de Lamarck, cette coquille-reine qui est devenue 


(4) « J'ai des grains de fer hydraté d'une montagne toute voisine 
de Saran (Oger), quisont réunis par un ciment fort dur ct composés de 
couches concentriques revêtues d’or natif. » M. Arnould. Lettre du 
11 février, 1843. 

(2) Coupe prise à Chamery par M. Melleville (Bull. de Ja Soc. Géol. 
t. X. p. 19). 

1. Craie blanche. = 

2. Sable vert du C. G. 

3. Calcaire grossier parisien à Cerithium giganteum(i0®). 

4. Sable (G. M. I. ?) 

5. Marnes d'eau douce à limnées et planorbes (50). 

6. Silex meuliéres ct calcaire siliceux. 

7. Marnes (à 250. au-dessus de la mer). 


— 231 — 
une date géologique ; nous vous citerons quelques noms 


isolés d'échantillons d’une belle conservation, qui offri- 
ront à nos amateurs un vif intérêt. 


Nautilus Lamarckii, Desh. Chamery. calc. grossier méd. inf. 
Voluta torulosa, Lamk. id. id. 

V. turgidula, Desh. id. id. 
Strombus ornatus, Desh. id. id. 
Rostlellaria macroptera, Lamk. id. id. 
Murex frondosus, Lamk. id, id. 
Harpa mutica, Lamk. Courtagnon. id. 
Pterocera pespelicani. Chamery. id. 
Beloptera belemnitoidea, Blainville. id. id. 
Teredina personata, Lamk. Chamery et Courtagnon. id. 
Limnæa et Planorbis. Hermonville. Grès marin inf. ou de Beau- 

champs. 
Cardium aviculare, Lamk, "id. id. 


(Collection de M. de St-Marceaux.) 


M. J.Wyld d’'Epernay s’est spécialement occupé de 
déterminer les limites du calcaire grossier dans le dé- 
partement : Sermiers (près Monchenot), Courtagnon 
(un peu à PE.), Cumières (à PO.), Boursault (à PE.), 
Mareuil-en-Brie et Moutmirail , tels sont les points qui 
précisent le tracé de cette ligne. Ni MM. Elie de Beau- 
mont , Arnould, Dutemple, Wyld, V. Raulin, ni nous- 
même , personne, jusqu’à présent, n’a vu le calcaire 
grossier au-delà de Cumières; M. Melleville déclare Pa- 
voir reconnu entre ce village et Ay :« lorsqu'on se dirige 
de Dizy sur Reims par la grande route, nous écrit-il, 
on marche jusqu'aux deux-tiers au moins de la mon- 
tagne sur la craie. Arrivé là, on rencontre d'abord des 
sables (sables inférieurs, premier étage), dans lesquels 
sont encaissées des argiles à lignites parfaitement ca- 
ractérisées par leurs fossiles. Immédiatement au-des- 
sus, on trouve un banc de calcaire friable , désagrégé , 
en tout semblable à celui de Fleury-la-Rivière , et ren- 


. 


— 232 — 


fermant en abondance les mêmes fossi'es. » Nous n’a- 
vons pu encore vérifier ce fait, mais nous ne doutons 
pas que notre savant correspondant d’Epernay ne s’em- 
presse de rechercher et d'étudier cet affleurement ex- 
ceptionnel (1). 

Ce tracé délimitatif du calcaire grossier dans la 
Marne acquerra une singulière importance géognosti- 
que, dès qu’il sera complété par l'indication du passage 
latéral du calcaire grossier au calcaire siliceux, et des re- 
lations de position qui existent entre ces deux systêmes, 
les masses argileuses vertes et les lignites. C’est une 
étude dont M. Elie de Beaumont a tracé les prolégo- 
mènes dans un mémoire depuis longtemps célèbre : 
(Observations sur l'étendue du systéme tertiaire inférieur 
dans le nord de la France et sur les dépôts de lignites 
qui s’y trouvent. Mémoires de la société géologique de 
France. T. I. N° V.). 

Il est à regretter qu'il n’y ait pas consacré quelques 
lignes à la description des argiles supérieures au cal- 
caire grossier d'Hermonville. M. de Saint-Marceaux 
semble être le premier qui les ait remarquées, et per- 
sonne encore, que nous sachions, ne les a mentionnées. 
C’est chose singulière pourtant de voir alterner, au 


(1) Le 15 août dernier, nous avons gravi la montagne, depuis Dizy 
jusqu'au-dessus de Bellevue, en examinant avec attention les terrains 
qui se montrent sur le revers de la route, et nous n'avons observé, 
comme MM. Elie de Beaumont et Arnould, que la série suivante ; 

1. Craie. 

2. Sablesayec veinules d'argiles et mélanopsides, cyrènes, ete. qui 
proviennent de quelque affleurement de lignites. 

3.Marnes blanches et verdätres. 

4. Calcaire siliceux et meulières. 

Entre les marneset les sables inférieurs, nous n'avons aperçu au- 
cune trace de calcaire grossier coquillier. 


— 233 — 


milieu des clicarts, des veines d’une espèce d'argile à 
lignites , dont chaque feuillet est couvert de myriades 
de corbules et de paludines , si fraîches encore qu’on 
se prend à oublier leur mystérieuse antiquité. 

Notre coupe indique approximativement ia succes- 
sion et la puissance des couches : 


1. Sables inférieurs (sans fossiles). 

2. Glauconie du C. G. à grains de quartz et de fer silicaté, et cal- 
caire grossier inférieur, à Nummulites lævigata, Lk., Venericardia 
planicosta, Lk., et Turritella terebellata, Lk. 


3. Calcaire grossier moyen à Orbitolites plana. o» 50 
4. Calcaire grossier supérieur à Cerithium lapidum, Lk. 0 59 


5. Calcaire grossier sableux à Arca modioliformis, Desh., 
Cerithium Bouei, Desh., Natica labellata, Lk., dents de 


squale et mandibules de poissons (Burge). Ju? 
6. Sable calcaire à Cerithium conoideum, Lk., C. echidnoi- 
des, Lk., Natica depressa, Desh. » p» 


7. Grès marin inférieur (Grès de Beauchamps) à Lucina 
saxorum, Lk., Lucina contorta, Def., L. divaricata, Lk., Par- 
mophorus elongatus, Lk., etc. (1). La? 

8. Rognons de silex, engagés dans une marne sableuse'` 
jaune et empätant des coquilles du G. M. I. (ces silex alternent] 
souvent avec les sables supérieurs n° 7). 

9. Lit mince de calcaire arénacé avec culnites, phyllites,ete. { 0,78 

10. Rognons de silex engagés dans une marne sableuse jaune | 


(sans fossiles). j 


11. (Burgin.) 0 50 
12. (Franc-Burgin.) 0 30 
13. Argile grasse feuilletée mi-partie ferrugineuse, mi-partie 

d'un noir brillant. 0 05 
14. Argile brune. 0 18 
15. Calcaire blanc compacte avec rares empreintes de bival- 

ves. o 25 
16. Calcaire marneux. 0 22 


17. Argile grasse d'un noir brillant : sur les feuillets sont 


(1) On remarque dans ces sables (G. M. 1.) beaucoup de melania 
lactea, Lk., percées par la trompe rétractiie de mollusques trachéli- 
pores carnivores. 


E "y 
conservées intactes des myriades de corbules (voisines des 
Corbula striata ct rostrata) et de petites paludines (voisines 
de la Paludina subulata, Desh.), on 30 
18. Argile grasse verdätre(sans fossiles), 0 10 
19. Argile grasse verte avec les mêmes espèces que le n° 17, 
des cyrènes?, des végétaux, de très-petites vertèbres et écailles, © 10 
Ces trois strates, supérieurs aux sables de Beauchamps, sont 
bien distincts de ces lignites fluvio-marins , avec natices, céri- 
thes, vénus, paludines, limnées, que M, Desnoyers a signalés 
en 1824, à Vaugirard, daps le calcaire grossier moyen à orbi- 
tolites plang. 
20. Marne verte. : 0 60 
21. Calcaire blanc compacte (Clicart) que nous rapportons au 
calcaire siliceux. 
22. Marne verte. 
23. (Clicart.) 
24. Marne verte. 
25. (Clicart.) 
26. Argile bruno. 
27. Marne verte. 
28. (Crayon.) 
29. Argile brunâtre. 
30. (Crayon.) 


Om OO © © © © © 


x 
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Du milieu des argiles et des marnes éboulées , nous 
avons dégagé des plaques de calcaire blanc avec em- 
preintes de corbules , mais nous n'avons pu reconnaitre 
à quelle assise elles se rapportent. — MM. Cuvier et 
Brongniart (Dese. géol. des env. de Paris) ont obser- 
vé un banc analogue à la parlie supérieure du calcaire 
grossier , au-dessus de la roche à cerithium lapidum. 
ll est, disent-ils, peu épais, mais dur ; remarquable 
par la prodigieuse quantité de corbules allongées et 
striées qu'il présente dans ses fissures horizontales. 
Ces corbules y sont couchées à plat et serrées les unes 
contre les autres. — Cette indication s'applique aux 
échantillons d’Hermonwville, nous pensons donc pou- 
voir les classer entre les n° # et 5. 

L'ordre de stratification nous conduit , Messieurs , 


— 235 — 

à vous parler d’un terrain de découverte récente, dont 
nous n'avons pu encore qu'ébaucher l'étude. La mon 

tagne de Ludes est le dernier anneau de la chaîne de 
collines, qui, de Coulomme à Mailly, se déroule en are 
de cercle devant Reims , qui au S. O. avait la craie à 
sa base et au S. E. lui voit atteindre près de sa crète 
à une altitude de 240 mètres : aussi déjà à Ludes ce re- 
lèvement de la formation secondaire réduit-il nos strates 
tertiaires à une faible épaisseur. Le calcaire grossier 
et les marnes vertes ont disparu entre Sermiers et Mon- 
chenot ; les lignites ne sont représentés que par quel- 
ques bancs d’argiles figulines , le calcaire siliceux s’a- 
mincit et se termine en biseau; mais les meulières re- 
couvrent un terrain nouveau pour nous, qui paraît avoir 
en ce point sa plus grande puissance. Le gypse man- 
que en Champagne, il est vrai, mais à Ludes, nous 
voyons développée toute la formation qui le recèle , 
espèce d'anomalie originalisée par d’autres anomalies. 
A l'étage inférieur, un calcaire à fossiles marins et 
lacustres ; au milieu, les argi'es feuilletées avec débris 
organiques; au sommet, les silex meulières à limnées. 
Nous avons donc sous les yeux , Messieurs , non seule- 
ment toute la série des sédiments d’eau douce moyens, 
mais aussi assise la plus remarquable, la contempo- 
raine de cette marne calcaire jaunâtre (n° 18, 3° 
masse) de Montmartre , dans laquelle MM. Desmarets 
et C. Prévost ont, il y a plus de 25 ans, recueilli une 
si belle série d'espèces marines. 

Notre calcaire à pholadomyes est plus intéressant 
encore par ce fait, qu'il ofre le mélange des espèces 
marines ct lacustres ; nous n'y connaissions que le cy- 
clostome en momie, M. Danbaüser nous a montré sur 
le même échantillon les limnees , les psammobies , les 
huîtres, les ‘volutes et les arches. I a appelé notre 


— 236 — 

attention sur un fossile assez commun , mais d'extrac- 
tion difficile : c’est un fourreau tubuleux , terminé en 
arrière par une massue subcomprimée , qui présente 
une valve découverte enchassée dans la paroi, tandis 
que l’autre valve semble être libre. Ces caractères 
sont propres aux clavagelles, que nous n'avions jus- 
qu’alors remarquées que dans les calcaires grossier 
moyen d'Hérmonville et médio-inférieur de Courtagnon. 

Nous avons eu l'honneur de mettre sous les yeux de 
la compagnie, dans la séance du 20 janvier, les fossiles 
caractéristiques et le relèvement géodésique des diffé- 
rents étages de la montagne de Ludes: depuis cette 
époque, nous l'avons plusieurs fois explorée avec atten- 
tion, et, d'après ces nouvelles observations, nous avons 
dressé la coupe suivante, plus exacte par la précision 
des détails et vérifiée par les ouvriers carriers. 


COUPE DE LA MONTAGNE DE LUDES 


Au point maximum, entre ce village et la tuilerie (environ 275 metres 
au-dessus de la mer). 


I Gazon. Terre végétale. 
II [Grasse des pierres| Marne argileuse jaunàtre em- 
à bàtie. påtant les meulières n° 3. 
| I |Pierre à bàtie ou | Silex meulière ordinaire, dont les 
| meunière. petites cavités sont quelquefois 
| tapissées de quartz mamelonné | 
| cristallin (sans fossiles). Banc ex- 
| ploité à la Ferté-sous-Jouarre. 
IV [Grasse des pierres! Marne argileuse jaunâtre dans 
rouges. laquelle sont engagees les meulie- 
res n° 5. 
y Pierre rouge. | Silex meulière calcédonieux com- )3® 25 


| pacte, avec géodes tapissées de pe- 
| tits mamelons cristallins de quartz | 
E hyalin.— Limnæa longiscata, Al. 
Br., Cyclostoma mumia, Lk., pe- 
tites paludines (ma collection). Pla- 
norbis (collection de M. de Saint- 
Marceaux). 
Meulières contemporaines de cel- 
les de la Ferté-sous-Jouarre et de | 
Noizy , près Paris. 


= 


— 237 — 


VI | Premierliais ou | Calcaire compacte dendritique. 
clicart. (M. Danhaüser prétend y avoir ob- 
servé les cypris faba, Desm.) 

VII | Blanc de la 1r° Marne friable. (Quelques ou- 

pierre à chaux. |vriers carriers pensent y avoir re- 
marqué de tout petits grains (gy- 
rogoniles); nous n'en avons jamais 
vu.) 

VII {Grasse des pierres! Marne argileuse feuilletée, jaune 

mal faites. verdätre, au milieu de laquelle est 
le banc de calcaire n° 9. (Le maitre 
tuilier nous avait prévenu que cet- 
te argile renfermait des coquilles; 
nous l'avons en effet trouvée per- 
forée de tubes qui semblent avoir 
une origine organique et offrent un 
peu d’analogie avec les tubicolés de 
Lamarck, et quelques petits trous 
radiés qui peuvent provenir de 
graines, 

IX Pierre mal faite, | Calcaire compacte grenu tra- 
versé par des veines de calcaire 
spathique en cristaux rhomboédri- 
ques, — quelquefois en rognons in- 
formes, le plus souvent en pseudo- 
morphose exagérée du gypse len- 
ticulaire (sans fossiles). 

X (Grasse des pierres| Marne argileuse, vert-jaunâtre, 

argentées, fissile, dendritique. 


XI | Pierre argentée, | Rognons de calcaire dur à grain 
fin, presque toujours géodique , 
fendillé, rétréci par la dessiccation: 
les fissures et les parois de ces géo- 
des produites par retrait, sont ta- 
pissées tantôt de cristaux de chaux 
carbonatée limpide métastatique et 
irhomboédrique, tantôt d'un vernis 
spathique transparent ou coloré en 
noir (sans fossiles). Ces rognons 
ne seraient-ils pas les analogues 
des sphéroïdes géodiques de stron- 
tianesulfatée terreuse, engagés aus- 
si dans une marne argileuse yert- 

jaunätre, qui caractérisent à Mont- 
martre l'assise moyenne du gypse? 

XII [Pierre à chaux à| Calcaire compacte avec especes 

yeux de bœuf|marines et lacustres. 
ou gros yeux. 
i. Clavagella (Ma collection). 


== hé = 


2" (1) Crassatella lamellosa , 
Lk. (Ma collection.) 
3” Corbula. (Ma coll.) 
4; Corbula umbonella, Desh. 
5. Psammobia. (Ma coll.) 
6* Pholadomya. (3 espèces.) 
(Ma coll). 
6. Lucina. 
7* Cytheræa. (Ma coll.) 
. 8. Cytheræa multisulcata. Ð. 


9. Venericardia. . . .(imbri- 
cata; Lk?) 

10° Cardium porulosum , Lk. 
(Ma coll.) 


11. Arca (deux espèces) (Ma coll). 

12. Pectunculus. 

13. Nucula? (Ma coll.) 

14. Chama rusticula, Desh. 
(Ma coll.) 

15. Modiola lithophaga, LK. 
(Ma coll.) 

16: Ostrea. (Variétés de l'Ostrea 
longirostris, Lk.) (Ma coll.) 

17. Anomia. (Ma coll.) 

18* Calyptræa trochiformis, Lk. 

19. Cyclostoma mumia, Lk. 
(Muséum d'hist. nat.) 

20. Limnæa longiscata, Al. Br. 
(Muséum d'hist. nat.) 

21. Paludina. 

22. Natica. (Ma eoll.) 

23. Turbo. (coll. de M. Aübriot.) 

24" Turritella: 

25" Cerithium. 

26. Buccinum. (Ma coll.) 

27° Voluta. 

28 Voluta spinosa, Lk. (Coll. 
de M: de Saint-Marceaux.) 

29. Milioliles. 

30. Serpula (adhérant aux Os- 
| tred). 

31. Balanus. (Coll. de M. Ar- 
uould.) 

M. C. Prévost a trouvé à Mont- 
martre (Hulte-aux-Gardes), des 
oursins et des crustacés; les fossi- 
les que nous y rapporlons, ne sont 
pas assez caractérisés pour devoir 
ètre mentionnés. 

(1) Les astérisques indiquent les genres et les espèces que MM. 
Desmarets fils et C. Prévost ont recucillis à Montmartre. (Dese. géol. 
des env. de Paris). 


= 239 — 


La partie inferiéure du banc peut 
constituer une assise à part, car le 
calcaire y est altéré, désagrégé ; 
c'est une vraie marne, caractérisée 
d'ailleurs par la présence d’une 
grande quantité d'anomies et d'hui- 
tres. Parmi celles-ci, nous avons 
datis notre collection Postrea pseu- 
do-chama, Lk. et une autre va- 
riété de l'osłrea longirostris, Lk. | 0= 70 
XIII [Deuxième liais ouj Calcaire compacte avec dendri- 

deuxième clicart.|tes manganésiques. Petites paludi- 

nes allongées? Limnées et cyclos- 
loma mumia, Lk. (toujours apla- 
tis); Très-peu de coquilles. 0 35 

XIV | Deuxième blañic Marne argileuse blanche. (Les 

des pierres à chaux échantillons de cettë marne que les 

ouvriers nous ont montrés, étaient 
remplis d'anomies et de petites 
huitres; nous croyons devoir dou- 
ter de l'exactitude de leurs rensei- 
gnements sur cë point.) 0 65 

XV Freigtiasse. Calcaire marneux blanc, désa- 

j gregé avec peu de coquilles. — 

Cyclostoma mumia; Lk. d'après 
M. Arnould. — Petites paludines, 
d'après M. Danhaüser. Nous n’a- 
vons pu voir ce strate en place, et 
les divers morceaux que l'on nous 
en a remis renfermaient ou les fos- 
siles du deuxième blanc, où ceux 
de la coquille. « Les coquilles de la 
vraie freignasse ne sont pas les 
mèmes que vous avez vues dans les 
yeux de bœuf; elles sont un peu 
plus allongées. » (Lettre du maitre 
tuilier de Ludes , 24 juillet ) 

XVI Coquil.e. 1° Calcaire lacustre siliceux. — 

Limnæa loñgiscata, A. Be., Pla- 

norbis rotundatus, A. Br., Cyclos- 

loma mumia, Lk. 

Ces trois espèces, très-abondan- 
tes, se trouvent le plus souvent 
isolées: lè eyclostoma mumia se 
montre seul à Fa partie supérieure, 
les planorbes à ła partie moyenne, 
iles limnées au-dessous. 

2%? Calcaire lacustre siliceux 
|plus compacte, renfermant moins 
ide coquilles {Limnæa longiscata 
iet cyclostoma mumia). 


po u a P a a am 


Coquille. 


| XVII Saine décombre: 


| XVII Petit sieu. 
I XIX Gros sieu. 
| XX Cendrasse. 


| XXI |Bläne dela meule. 
| XXII Verte. 
‘XXII | Fions tirans. 
XXIV | Brouilla mimi. 
t: XXV Fions féras. 
XXVI | Fions fleurettes. 
XXVII | Fions naturels. 
XXVII| Fions savelonna. 
XXIX Bruns fions. 
XXX Chair d'âne. 
XXXI Brune. 
XXXII Loustiaux. 
XXXIII Forte terre. 
XXXIV Tertiaux. 


— 240 — 


3°? Calcaire lacustre siliceux , 
très-compacte, avec moins encore 
d'individus fossiles (Limnæa au | 


62 70 
P. mém 


giscata, cyclostoma mumia, peti- 
tes paludines, gyrogonites?) 


1° Argile maigre (sableuse) ver- | 
dâtre, sans fossiles. 

2° Argile maigre id. verte, 
sans fossiles. 2 

Argile maigre id. ver- 
dàtre, sans fossiles. 

Argile maigre id.. o verte, 


sans fossiles. ] 

Argile dure vert-foncé avec quel- į 
ques infiltrations ferrugineuses. 
Traces de coquilles. « Il y a, nous 
écrivait le maitre tuilier, des pe- 
tites coquilles allongées dans la 
cendrasse. » 

Marne tendre, se désagrégeant 
facilement, traversée de fissures 
remplies d'argile verte. (Limnæa 
longiscata, A. Br. (avee le test); 
petites paludines et gyrogonites 
(Chara medicaginula, Leman). 

Argile grasse verte. (C'est ce 
banc qui retient les eaux). 

Argile sableuse gris-jaunâtre. 
grasse rouge de sang. 
sableuse gris-jaunâtre. 

id. bfanc-grisâtre. 

id. id. 

Sable argileux blanchâtre. 


0 


0 


0 


| G 
COMMENCEMENT 
DES ARGILES GLAISES. 
Argile brunâtre. 
Argile grasse jaune, bigarrée de 


(rose vif. 0 
Argile brune. 0 
— risåtre. 0 

— run foncé. 0 

— brune. 0 


Ces argiles sont employées pour 
faire des tuiles et des briques; on 
n'y à jamais trouvé, ainsi que 
‘dans les fions, que des petits grains 
(peut-être pyriteux) que les ou- 
es appellent féras. 


— Où — 
oo 
| XXXV Sable. Sable blanc micacé (sans fos- | 

siles). 9m 75 
On a creusé 9® 75 dans ces sa- | 
ibles sans en atteindre le fond. Vers | 

Ja fin du sondage, on a remarqué 
| (qu'ils étaient souillés d'une légère | 
| teinte ferrugineuse. | 
| 


XXXVI Craie blanche. y f 


Cette coupe mest point définitive : la détermination 
des espèces sera révisée, la délimitation de chaque for- 
mation fixée avec précision , les points indécis seront 
vérifiés ; ces rectifications ne peuvent se faire que lors 
du forage de nouveaux puits d'extraction. Nous espé- 
rons que ce document, tel qu’il est, intéressera nos 
confrères. 

Quelle est la stralification théorique de Ludes? — 
Telle est la question que nous allons effleurer. Il est 
tout d’abord utile de rappeler les renseignements sur 
lesquels la société géologique de France s’est basée dans 
sa discussion. 


Coupe dressée par M. Arnouldet communiquée par M.de Pinteville. 

1. A partir de la surface du sol, presqu'au sommet de la montagne, 
Meulière. 

2. Terre argileuse jaunâtre (9" 30). 

3. Calcaire blanc. 

4. Calcaire avec serpula, pholadomya, corbula, cardium, arca, 
chama, anomia , turrilella, miliola, ostrea (2 espèces), et 
quelques autres fossiles dont les genres sont indéterminables, 

5. Clicart sans coquilles. 

6. Calcaire avec cyclostoma mumia. 

7. Calcaire avec limnæa longiscalta. 

Les argiles qui viennent ensuite appartiennent au systéme des ar- 
giles plastiques , qui est recouvert par le calcaire siliceux. 

Bulletin de la Soc. Géol. de France, t. XIV, p. 41. 


À c'est le n° xvi de notre coupe. 


Ce n’est, on le voit, qu'une très-simple esquisse qui 
profile, toutefois assez nettement, la succession des 
16 


— 242 — 


couches. Tout l’ensemble, suivant nous, se rapporte au 
terrain lacustre moyen. Notre calcaire marneux à co- 
quilles d’eau douce (n° xvi) représente le calcaire sili- 
ceux de Saint-Ouen ; nous hésitons d’y rattacher la 
marne à gyrogonites n° XXI qui en est séparée par cing 
strates argileux. Notre banc n° xu est l’analogue des 
marnes marines de la partie inférieure du gypse, carac- 
térisées aussi par les pholadomyes à la Chapelle Saint- 
Denis et à la Hutte-aux-Gardes, au pied de Montmar- 
tre. L’étage moyen est formé par nos marnes argileuses 
fissiles jaunes-verdâtres, qui, près de Paris, renferment 
deux ou trois ovoïdes de gypse. Les meulières, comme 
à Pantin et dans la Brie, terminent la formation gyp- 
seuse. — Le bassin amygdaloïde dans lequel elle s’est 
déposée, est très-limité; à Villers-Allerand, le calcaire 
siliceux couronne le plateau; à Mailly, les argiles à li- 
gaites affleurent sur les erètes. 

Un mot, avant de terminer, sur ces bivalves que 
nous classons avec M. Arnould, dans le genre phola- 
domya de G. Sowerby. Notre but n’est point de ravi- 
ver une discussion éleinle, mais de la résumer et de 
donner un exemple de la divergence des opinions en ma- 
tière de conchyliologie. La pholadomye de Ludes est 
d’ailleurs pour nous une médaille historique, une date 
de la chronologie tertiaire, et il importe de s’accorder 
sur sa détermination générique.— Pour mémoire, nous 
citerons un amateur de Metz, M. T... qui, vers 1840, y 
crut reconnaître, après un examen sans doute superfi- 
ciel, les caractères des mulettes, et la nomma unio abbre- 
viala ; depuis longtemps, elle était cataloguée tantôt 
comme trigonie , tantôt comme lutraire, et le 15 qé- 
cembre 1842, M. DeFrance nous écrivait : « Je mai 
Jamais vu de pholadomyes que dans les terrains de tran- 
sition , et je ne puis croire que le moule que vous 


— 243 — 

soupçonnez être celui d’une pholadomye ait jamais ap- 
partenu à une coquille de ce genre. » — Les pholado- 
myes ne se montrent guère qu’à partir des strates les 
plus inférieurs du lias; elles abondent en individus et 
en espèces dans les terrains jurassiques, diminuent 
dans les crétacés, se réduisent dans les tertiaires à 3 
ou 4 espèces (1), et à une dans la faune actuelle (Phol. 
candida, Sow., des côtes d'Islande). M. DeFrance lui- 
même (Dict. des sciences naturelles) rapporte au genre 
pholadomye (t. 39, p. 536) les lutraria ovalis, lirata et 
ambigua qu’il a recueillies dans le Portland-stone , le 
blue lias de Normandie, le calcaire du Jura et la craie 
inférieure (t. 27, p. 378). 

Tout en maintenant nos bivalves dimyaires et baîl- 
lantes dans ce genre, parceque réellement elles sont 
par l’identité des formes les sœurs de celles des ter- 


(1) La faune de nos environs fournit la preuve de cette asser- 
tion. 
Ardennes. Formation liassique : 12espèces. (PA. Hausmanni, Godt.» 
Ph. decorata, Zieten, Ph. elongata, 
Münster, etc.) 
id. id. jurassique : 37 esp. (Ph. parvula, Rœmer, Ph. 
ovalis et concentrica, Goldf., Ph. 
Protei, Br. etc.) 
id. id. crétacée : 2 esp. indéterminées. 
Sauvage et Buvigner, Statistique géol. des Ardennes. 
Aube. Terr. néoc. Cale. à spatangues : 6 esp. (Ph. neocomensis, 
Leym., Ph. Langii, Voltz 
Ph. solenoides, Desh., ete.) 
id, id. Arg. ostréennes : 2 esp. (Ph. Prevosti, acuti- 
sulcata, Desh.) 
id. Terr. crétacé. gròs vert et arg. teg. : (Ph. acutisulcata. Desh.) 
id, id. craie blanche.  (Ph.cordiformis, Desh.) 
A. Leymerie, mém. de la soc, géol. t. IV. n° V. 
Nous avons dans les sables inférieurs tertiaires de Laon et Chälons- 
Sur-Vesle les Pholadomya margaritacea, Sow., et plicata, Melleville 
Melleville, mém., sur les sables inf. tort. p. 31:39, pl. I 


= ON = 


rains oolithiques, nous pensons qu’il y a lieu de divi- 
ser le type du calcaire gypseux de Ludes en plusieurs 
espèces. Si, sur certains échantillons, les côtes longitu- 
dinales et transversales qui se dessinent si finement sur 
le moule, indiquent et un test strié et l'extrême ténuité 
de ce test, s’il y a absence non-seulement de dents car- 
dinales, mais encore d'impressions musculaires ; dans 
d’autres, celles-ci et l'impression palléale sont forte- 
ment prononcées; le moule est ou lisse, ou déformé 
par les plis d’accroissement; une lame cardinale rudi- 
mentaire s’apercoit sur le crochet ; enfin langle formé 
par l’apex et les extrémités orale et anale varie sou- 
vent de 25 degrés. 

Quant à l'espèce n° 5, nous devons avouer que nous 
l’avons rangée dans les psammobies , plutôt que dans 
les sanguinolaïres et les psammotees, non point d’après 
le nombre des dents qui est variable, mais d’après la 
forme générale. Quoiqu'il en soit, les noms d’unio elon- 
gata (M" T.) et d’amphidesme (D.) doivent être rayés 
des catalogues. 

Qu'il nous soit permis, Messieurs, de revenir un peu 
sur nos pas, et d'ajouter quelques traits à l’histoire du 
calcaire siliceux. A Ludes, inférieur à la formation gyp- 
seuse, il affleure, vous le savez, à mi-côte; entre Rilly 
et les Voisillons, il se montre sur l’escarpement supé- 
rieur de la montagne, sous un calcaire dur à ostrea et à 
cyclostoma mumia, identique, suivant M. de Pinteville, 
au banc à pholadomya; de Villers-Allerand à Mon- 
chenot, il se relève jusqu’à la erète où, caractérisé par 
la limnæa longiscata, A. Br., le cyclostoma mumia, LK., 
le planorbis rotundatus, A. Br. et des rognons de silice 
brunâtre, il nous offre letype du travertin moyen. Dans 
le bassin d'Épernay, sa faune est plus variée. A Cuys, à 
Chavot, à Monthelon, à Ay, il surmonte le sable à térédi- 


— 245 — 

nes et à mulettes , dont le séparent des marnes vertes 
qui nous semblent appartenir au gypse (1).— «Le cal- 
caire siliceux renferme quelquefois dans ses assises in- 
férieures des coquilles marines analogues à celles du 
calcaire grossier, mêlées avec des coquilles d’eau douce, 
el semble faire ainsi le passage de la formation marine 
à la formation d’eau douce qui la recouvre (Descript. 
géol. des env. de Paris, p.276). » Cette observation que 
M. Brongniart faisait en pensant aux coquilles turricu - 
lées de Villiers près Mantes, s'applique naturellement 
au travertin du bassin d'Épernay, qui renferme avec le 
cerihium lapidum, Lk., les limnæa longiscata, A. Br., 
planorbis rotundatus, A. Br., paludina lenta, Sow. 
(junior, P. angulata, Michaud ), cyclostoma mumia, 
Lk., et une cyclade inédite. 

Partout les meulières s’exploitent à la surface du 
sol : elles couronnent les plateaux de la montagne de 
Reims, et s'étendent dans la plaine ondulée qui sépare 
les monts Bernon et Saran. Nous pensons qu’elles se 
raltachent au travertin moyen. 

En effet, — M. V. Raulin nous écrit (25 décembre, 
1842):A la partie supérieure (de Ludes), comme à 
Pantin et dans toute la Brie, se trouve un terrain de 


(1) Coupe du sol d'Ay, d'après les renseignements de MM. Arnould 
et Drouet. 
Í Meulière inférieure. 


Eau douce moyenne LO aa á 
| Calcaire siliceux, avec marnes vertes. 


Argile avec gros sable (térédines). 
Argile plastique ou à } Sable fin (mélanopsides, mélanies, cerites 
lignites. cyrènes). 
Sable gris (mélanopsides). 
Banc de craie . . . . Craiesupéricure. 
Mém. sur la pyrale de la vigne par M. Dagonet. Ann. de la Soc. 
d'agric. de Chälons, 1839, p. 281. 


— 246 — 
meulières qui est celui exploité à la Ferté-sous-Jouarre, 
mais qui pest pas le terrain lacustre supérieur de 
M. Brongniart, puisqu'il en est séparé par le système 
marin des grès de Fontainebleau. C’est ce que M. Wyld 
a reconnu dans l'arrondissement d'Épernay.—M. d’Ar- 
chiac dans sa coordination des terrains tertiaires (1), 
établit la stratification théorique suivante : —/° groupe. 
1° Marnes (à l'E. de la montagne de Reims), argiles, 
calcaires lacustres (sous tout le plateau; collines entre 
Epernay et Vertus). 2° Gypse. 3° Marnes vertes (sur les 
deux versants de la montagne, collines entre Épernay 
et Montmirail). 4° Marnes, Lattre marneux, avec si- 
lice disséminée ou en rognons (Montchenot). 5° Argiles 
et meulières (elles recouvrent tout le plateau supérieur 
de la montagne, et atteignent à sa pointe orientale, 
entre Verzy et Verzenay, une hauteur absolue de 280 
mètres; c’est le point le plus élevé des terrains tertiai- 
res du N. de la France). Cette coupe concorde exac- 
tement avec celle de M. Ch. d'Orbigny (1838), et ce 
nous semble très-utile, malgré le double emploi, d'en 
résumer la partie qui nous intéresse : 1° Travertin 
inférieur ; alternance de calcaires et de marnes, à 
graines et tiges de chara, feuilles de typha, paludines, 
limnées, planorbes, cyelostomes en momie; magnésite 
et silex ménilite, couronné par des meulières en quel- 
ques points (Montereau). 2° Gypse. 3° Marnes lacustres 
de Pantin et Montmartre. — Les cytheræa plana et 
convexa appartiennent, suivant M. Deshayes, au genre 
glauconomya de Gray, vivant dans les rivières de l Inde. 
—Marne vert-jaunâtre (Melun) avec rognons géodiques 
de calcaire. — Rognons de célestine calcarifère pré- 
sentant dans l'intérieur des retraits prismatiques, sur 
les parois desquels sont implantés des cristaux acicu- 


1) Bulletin de la Soc, Géol. 1839. t. X. p. 200. 


= 247 — 
laires de célestine. 4° Travertin moyen, calcaire de la 
Brie avec limnées, planorbes, paludines et rognons de 
silex brunâtre. 5° Meulières exploitées à la Ferté-sous- 
Jouarre et à Montmirail. 6° Marnes marines à huîtres 
de Montmartre, ete. 7° Sables et grès de Fontainebleau. 

Nous venons d'indiquer les formations de sédiment 
qui se montrent dans le département de la Marne, 
nous avons insisté sur celles qui offrent un intérêt de 
localité, il nous reste à entretenir la compagnie du 
terrain de transport ancien. 

Le cataclysme qui accompagna le soulèvement des 
Pyrénées termina brusquement la période crétacée ; 
les relèvements de la craie déterminèrent des escar- 
pements et des dépressions ; celles-ci se trouvèrent 
constituer , les unes des bassins marins ou lacustres 
dans lesquels commença la sédimentation tertiaire, les 
autres des ouvertures de puits naturels, par lesquels 
affluèrent les eaux thermo-minérales et les roches an- 
ciennes remaniées. D’après de telles conditions géo- 
géniques, il est naturel de retrouver le calcaire gros- 
sier, par exemple, horizontalement déposé au pied des 
récifs plus anciens, qui ont constitué le rivage du 
bassin parisien. Si dans les Ardennes, les arrondisse- 
ments de Vitry et de Sainte-Menehould , et l'Aube, 
il nous est facile de préciser les limites de la mer Sé- 
nonienne, en suivant les escarpements contre lesquels 
ses flots se brisaient ; dans le pays de Reims, aucune 
délimitation n’est possible , car il ne nous reste de lan- 
cienne surface qu'un lambeau qui a résisté aux éro- 
sions diluviennes , que le bourrelet montagneux qui 
court du N. à l'E. C’est au système de soulèvement 
de la chaîne principale des Alpes que l’on rapporte (1) 

(1) Elie de Beaumont. Révolutions de la surface du globe. Manuel 
géol, de La Béche. Traduct. franç., p. 653-055. 


— 248 — 


et cette dénudation , et le grand attérissement détri- 
tique, et le relèvement de nos terrains tertiaires dans la 
direction O. 16° S. à E. 16° N. 

Notre terrain de transport ancien est analogue à 
celui de Paris, et nos grèves alluviales, comme celles 
de la plaine de Boulogne , présentent les preuves miné- 
ralogiques de l’irruption des puissants torrents dilu- 
viens (1) qui ont raviné et enlevé une partie de notre 
sol tertiaire. Elles recouvrent vers le S.-E. nos landes 
et nos mamelons de craie d’un gravier de 5 à 6 mètres 
d'épaisseur, dont les éléments, fossiles roulés et galets, 
sont le plus souvent empruntés aux traverlins siliceux 
ou à la couche sous-jacente. A Isse , près Condé-sur- 
Marne, c'est un conglomérat à granules crayeux , 
cimentés par un limon brunâtre, que les ouvriers 
appellent tuf. Dans le mois de mai dernier, les travaux 
du canal de l'Aisne à la Marne y amenèrent la décou- 
verte d’un squelette entier , dont une partie des osse- 
ments a été offerte au musée de la ville par lingé- 
nieur en chef, M. Payen. Nous avons pu, Messieurs, 
en examiner quelques-uns , mais nos Connaissances 
ostéologiques sont si bornées, que nous devons nous 
abstenir de toute affirmation absolue. 

Les noyaux des deux cornes, par leurs caractères et 
leur direction, classent l’animal dans les ruminants 
cavicornes (4° genre de la 4° section). Ils ressemblent 
presque en tous points à ceux qui couronnent une tête 
trouvée en 1816, dans le marais de Saint-Vrain, canton 


(1) Les phénomènes géologiques de cette période sont généralement 
désignés sous le nom de diluviens, quoiqu'ils soient antérieurs au dé- 
luge noachique et n'aient détruit que les grandes espèces de mammi- 
feres (mastodontes, rhinocéros, ours des cavernes, dinotherium , 
elephas primigenius), contemporains des époques de la molasse et 
du terrain subapennin. 


(ah — 


d’Arpajon (Cuvier, oss. foss. t. IV, pl. XI, 1—4), et 
le diamètre à la base est presque le même. Dans ceux- 
| ci, il égale 0™ 14; dans les nôtres, le grand axe de 
l'ouverture elliptique (diamètre vertical)— 0® 15. Cu- 
vier (t. IV, pl. XII, fig. 3—8) et Faujas (ann. du Mu- 
séum, t. II, pl. XXXIV) figurent deux cornes, dont 
| la circonférence à la base du noyau — 0" 336 et la lon- 
gueur suivant la courbure — 0" 720. Ces dimensions, 
combinées avec celles du crâne, annoncent, suivant eux 
(p. 151), un individu de 3" 90 de longueur et de 3" 
10 de hauteur au garrot. La circonférence du noyau 
des cornes d’Isse —0" 340, leur longueur suivant la 
courbure — 0™ 610 et en ligne droite 0" 430. Le ta- 
bleau suivant réunit quelques cotes de comparaison. 


5 a S 
p LEE BOEUF PRIMITIF.) z AUROCHS | 
© w | 
z, 2 54 Bos -5 FOSSILE, || 
E D = CE | de. : SES r 
Z 2 Se primigenius, | 3 3 Bos priscus, 
© orale ` LR i 
RE ange TOR n 
$z 258 Bojanus. = 8 > Bojanus. 
p= am EAO 
Eon DES CORNES.| 52 [SOS | mma aua aM | 
2-2 T Fo o e 2 Q 
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Z SEIS SNS : 8 4 She! 
sa deR AR DNN xg Spici S S 
= ou RE LA UE S ORS R || 
+ ASSISES | S T He | 
A D CN kr 8 g e | 
© © = = a il 
£ EI 2 © = = |! 
S ; = | 


a aad auaa |__| ————— 


Circonférence du 
noyau à la base. | 0,340 | 0,189 


0,380 


| 

0,336 | 0,340 | 0,340 | 0,350 || 
11 

| 


Longueur du noyau 
en suivant la cour- 
A Y 0,610 


0,352 


— 250 — 

Cuvier estime la longueur de l’aurochs de Bonn à 3" 
70 et sa hauteur au garrot à 2"40. — La tête de Pani- 
mal d’Isse nous manque; aussi la grandeur des 
proéminences frontales n’est-elle pour nous qu’un élé- 
ment secondaire dans l'appréciation de la taille, et 
nous avons pensé trouver dans les mesures com- | 
paratives des ossements une indication plus sûre. 
Nous présentons ci-dessous le relevé des plus impor- 
tantes : 


G. CUVIER. 
Ostéologie des Ruminants 
t. 1v, p. 139. 


= 
= 
== 
zZ | eem e 
> 
2 
=j 


OSSEMENTS. 


aSSLP 
SQUUDIOUE SUOTANIIE SƏP 


Zer X Id ‘AI 3 an) 
‘uməsnu NP SU20NY 


UUNIQUOUIS əp syoomy 


SHJOQYAV 
‘ANAO 
ATAANA 


Humérus, longueur du 
sommet de la tubérosité 
externe au bas du con- 
dyle du même côté. . . | 0,398 | 0,366 | 0,337 À 0,350 | 0,400 


Humérus, largeur de la 
tète supérieure, d'avant 


en arriere. . se at et. 11012321 10,121m|#0;1014 100,186 » 
Humérus, largeur de la 
tète inférieure. . . . . 0,102 | 0,088 | 0,095 | 0,092 $ 


Fémur, longueur. . . . . | 0,495 | 0,420 | 0,420 | 0,405 | 0,480 
id., largeur des deux 


condyles inférieurs | 0,131 | 0,111 | 0,111 | 0,116 > 

Canon de devant, longueur | 0,239 | 0,217 | 0,206 | 0,202 » 
id., largeur de la tête 

supérieure. . . . | 0,080 | 0,070 | 0,068 | 0,073 a 


id., largeur de la tète 
inférieure. . . . | 0,080 | 0,070 | 0,071 | 0,077 » 


- Canon de derrière, 


— By — 


> > 

R 3 = ļ 

G. CUVIER. ZIS 

=  |Ostéologie des Ruminants| S: 
- 28 tv, D:139;: a | 

Joa Sl A 

a SE p aa A 
OSSEMENTS. AA ajy 
D E > = =a 

sz = z a 8 |: 

A El = = = 1% 

SA © = = i~ 

D Q = E = = 

= A sa [ol = 1 

æ a N 

2 = 


longueur . . . . . | 0,275 | 0,265 | 0,236 | 0,229 » 
id., largeur de la tète 

supéricure. . . . | 0,065 | 0,056 | 0,055 | 0,060 » 
id., largeur de la tête 


inférieure . . 


ly a identité entre ces fémurs, humérus, métacarpes, 
mélatarses, etc. dont nous donnons les dimensions, et 
ceux figurés dans l’ostéologie des ruminants de Cuvier 
(oss. foss. t. IV, pl. II, fig. 2, 4, 6, 7, 10), comme ap- 
partenant au genre bœuf. — Donc, d’après l'examen 
d’une partie des débris, nous pensons qu’ils provien- 
nent d’un ruminant du genre bœuf, et si l’on désire une 
approximation plus grande dans la détermination géné- 
rique, nous ferons observer que, eu égard à la forme des 
noyaux des cornes, à la force des ossements de locomo- 
tion, ils paraissent se rattacher au bos primigenius de 
Bojanus, type de celte race sauvage, différente de lau- 
rochs, qui a été, dit Cuvier (IV, p. 150), la véritable 
souche de nos bœufs domestiques; race qui aura été 
anéantie par la civilisation, commele sont maintenant 
celles du chameau et du dromadaire.— Il y a pourtant 
plus de rapport de grandeur entre nos ossements et ceux 


‘NP np SYP0ANY 


Z-T ‘XI Id ‘AI 3 an) | 


=W — 


del'aurochs bos priscus, Bojanus, et cette remarque nous 
avait porté à les croire analogues. Nous avons regretté 
de ne pouvoir vérifier sur le frontal du crâne les carac- 
tères ostéologiques qui différencient les deux espèces, 
et, en considérant la longueur moyenne (0" 27) des 
apophyses épineuses des vertèbres dorsales, la gros- 
seur des os (grêles dans l’aurochs), ete (1). Nous avons 
persisté dans notre opinion première. 

La présence d’un squelette de bœuf, voire même d’au- 
rochs, dansle diluvium, n’a rien qui nous doive étonner: 
on sait combien, durant la période de Volder pliocène, 
les mammifères herbivores, pachydermes et ruminants 
se sont multipliés ; leurs restes se retrouvent na- 
turellement dansles grèves détriliques des vallées , 
contemporaines du refroidissement et de l'inonda- 
tion qui les ont détruits. Aussi cette trouvaille n’est 
pas unique dans nos environs : à Maizy (Aisne), 
on a trouvé, dans les fouilles du canal latéral de 
l Aisne à la Marne, des mâchelières de l’elephas primi- 
genius (Blumenbach) et des dents de pachydermes; à 
Châlons, on a vu plusieurs fois des molaires d’éléphants 
parmi des fossiles oolithiques charriés de la Haute- 
Marne (2); M. de Villarcé en a envoyé deux de Gham- 
pagne au cabinet du roi (Cuvier, t. I, p. 109); etc. 


(1) Ily a proportion exacte de hauteur entre les canons de devant 
et de derrière dans le ruminant d'Isse et le type du bœuf. La preuve 
en est fort simple :—0® 236 (longueur du canon dederrière du bœuf): 
0® 206 (longueur du canon de devant) :: 0™ 275 (long. du canon de der- 
rière de notre ruminant) : x — x. = 0,240 — La hauteur mesurée du 
canon de derrière est de 0" 239. 

(2) Il y a quelques années, on a trouvé dans un banc de pierre, situé 
au voisinage de la Marne (à Chälons), des os qui ont paru être ceux 
d'un éléphant; on n’en a conservé qu’une dent de 10 centimètres de 
longueur sur 4 de largeur. — Essai sur la statistique de la ville 
de Chälons-sur-Marne par Jolly. Ann. de la Marne, 1820.p. 82. 


Ré he — 


— 


— 253 — 

Tel est, Messieurs, le résumé de nos observations : 
il y a huit mois à peine que nous consacrous nos loisirs 
à l’étude géologique du pays, et nos explorations n’ont 
pu être que rapides et restreintes, nos recherches de 
fossiles que peu fructueuses. Maintenant que, commis- 
saire de l’académie, nous nous sommes assuré l’active 
collaboration des amateurs du département, nous es- 
pérons, grâce à ce concours, remplir dignement la 
mission dont vous nous avez honoré. Déjà nous vous 
pouvons promettre les plans délimitatifs des calcaires 
pisolithique et grossier dans les arrondissements de 
Reims et d'Épernay, la coupe de la surface triangu- 
laire dont Ay, Avize et St-Martin d’Ablois sont les 
sommets, ainsi que le programme des études de la carte 
agronomique, auquel a pleinement adhéré M. de Cau- 
mont (1). 

Vous nous excuserez si, dans le cours de cet essai, 
nous avons oublié la réserve que notre jeunesse nous 
impose, et si quelque valeur s’y altache, veuillez en 
déférer le mérite à MM. Arnould, James Wyld, à tous 
ceux qui, comme eux, nous ont éclairé de leurs conseils 
el entouré utiles renseignements. 

Nous nous sommes borné à vous présenter l exposé 
des fails que nous avons constatés ou sur lesquels nous 
appelons l’attention de nos confrères, et nous sommes 
abstenu de développer les belles idées Bucklandiennes 


(1) Sur la proposition de M. Rondot, dans la séance du 19 mai, une 
commission a été chargée de dresser la carte agronomique de Parron- 
dissement de Reims, d’après les idées et les plans de M. de Caumont. 
— Ont été nommés commissaires : MM. Ruinart de Brimont, de Belly, 
Saubinet, Houzeau-Muiron, Maillefer-Coquebert, Geoffroy de Ville- 


neuve et Rondot. 
(Note du secrétaire.) 


— 254 — 

sur l'unité, l'harmonie, la perfection des créations orga- 
niques passées. Nous aurons l'honneur, Messieurs, de 
vons en poser les prolégomènes, car pour se reporter 
aux premier âges de la nature, il faut, ainsi que le dit 
M. de Buffon, suivre les points fixés dans l’immensité 
de l’espace, et se guider d’après les pierres numé- 
raires placées sur la route éternelle du temps. En re- 
montant à la genèse du globe, nous vous rappellerons 
la mystérieuse histoire de ses révolutions, depuis la flui- 
dité ignée des roches primordiales, depuis le jour où la 
vie organique commença dans les mers par l'apparition 
simultanée de vertébrés, de mollusques, d’articulés, de 
rayonnés et de cryptogames fucoïdes, jusqu’au dernier 
fiat de Dieu, la création de l’homme. 


PHYSIQUE MATHÉMATIQUE. 


2 
ve 


m 
<< 
s- 


PHYSIQUE MATHÉMATIQUE. 


RAPPORT o 


DE LA COMMISSION CHARGÉE D'EXAMINER LE MÉMOIRE 
DE M. DE MAIZIÈRE, MEMBRE CORRESPONDANT, SUR 
LA PONDÉRABILITÉ DU CALORIQUE. 


M. TARBÉ de Sr-HARDOUIN, rapporteur, 


— N 


Dans la séance du 30 décembre dernier, l’Académie 
nous achargés, MM. Garcet, Leconte et moi d’exami- 
ner le mémoire de M. de Maizière sur la Pondérabilité 
du calorique. 

Nous nous sommes appliqués à cette tâche avec 
l'intérêt qui s'attache à toutes les productions de l'au- 
teur. M. de Maizière est eneflet un de vos correspon- 
dants les plus laborieux ; disciple fervent de la science, 
il la cultive depuis sa jeunesse avec une persévérance 
que le défaut d’encouragements n’a pu lasser, etles 
travaux qu’il vous communique aujourd'hui sont le 


résultat de cinquante années d’études et de médita- 
tions. 


(1) Par extrait. 
17 


— 258 — 


C’est la certainementun spectacle remarquable, dans 
un siècle comme le nôtre, où les idées d’hier sont déjà 
vieillies, et où le découragement s’empare des hommes 
de vingt ans, quand le succès leur a manqué un seul 
jour ! 

Mais indépendamment de la position particulière de 
l'auteur, la nature de ses travaux suffirait seule à com - 
mander l'attention la plus sérieuse. 

En effet, si d’un côté M. de Maizière s'attaque aux 
parties les plus élevées de la science, de l’autre il pour- 
suit avec constance l’application d’un procédé dont 
une expérience récente a démontré les chances de suc- 
cès, et qui pourrait avoir une influence marquée sur 
une des grandes industries du pays (1). 

Dans le mémoire dont nous avons à nous occuper, 
M. de Maizière a étudié la nature intime du calorique; 
il a cherché à établir que c’était une substance ponde- 
rable, analogue aux corps gazeux que nous connaissons. 

La conséquence de cette idée serait que le poids des 
corps augmente à mesure qu'ils s'échauffent, ce qui ne 
seraitpasen contradiction avec le fait général de la dila- 
tation par suite duquel la chaleur diminue la densité 
des corps, ou leur poids sous l'unité de volume. 

Jusqu'à ce jour, dans l’enseignement de;la physique, 
on a représenté le calorique (ou la cause des phénamè- 
nes de la chaleur) comme un agent impondérable, dont 
l'essence était inconnue. 

Cette ignorance où nous sommes de la constitution 
intime du principede la chaleur s'étend à tous les corps 


(1) Le paracasse , appareil destiné à empêcher la casse des bou- 
teilles de vin mousseux. 


— 259 — 


et à tous lesagents de la nature, mais elle n’arrête pas 
la marche de lascience . 

En eflet, le but de la physique est uniquement de 
connaître les lois des phénomènes qui se produisent 
dans l’état des corps: 

Lorsque l’étude de ces phénomènes a montré un cer- 
tain nombre de relations constantes, entre les éléments 
qui les constituent, on cherche à réunir les résultats 
par une hypothèse sur leurs causes premières , hypo- 
thèse qui sert ensuile à manifester de nouvelles lois 
échappées à l'observation. 

La plus célèbre des hypothèses de ce genre, est 
celle de lattraction universelle en vertu de laquelle tou- 
tes les parties matérielles des corps tendent les unes 
vers les autres proportionnellement à leurs masses et en 
raison inverse du carré des distances qui les séparent. 

L'existence de cette force et la loi qui la régit ser- 
vent aujourd’hui de bases à la théorie physique la plus 
complète et la mieux établie parmi les connaissances 
humaines. 

Cependant la science ne se croit pas fondée à admet- 
tre la réalité de l'attraction ; elle admet seulement cette 
idée provisoirement, comme la manifestation de la 
cause inconnue des phénomènes célestes et comme un 
moyen d’en rendre raison. 

Dans son mémoire, M. de Maizière rappelle ces 
doutes avec une sorte de tristesse et annonce sa foi 
complète dans la réalité de l'attraction; il s’indigne 
de voir mettre en question un principe qui sert de 


base à tout l’enseignement de la physique et de l’as- 
tronomie. 


Quant à nous, ce doute nous étonne et nous aflige 
moins; Car nous ne croyons pas que l’homme soit 


= 60 — 


destiné en ce monde au bonheur dont parle le poète 
latin et que M. de Maizière poursuit avec constance : 
Rerum cognoscere causas. Les théories physiques ne 
sont généralement pour nous que des hypothèses pro- 
visoires destinées à être modifiées, ou même renversées 
par les progrès de la science, et qui pour être infirmées 
par certains faits ne peuvent pas moins être utilisées 
comme instruments d’explication. 

Ainsi la théorie de l'émission de la lumière, quoique 
formellement contredite par un grand nombre de phéno- 
mènes est encore employée dans l’enseignement com- 
me moyen simple et facile d’énoncer et de faire conce- 
voir ceux qu’elle ne coatrarie pas. 

Il en est à peuprès de même de la théorie de ṣa cha- 
leur ; quoique l'hypothèse de l'émission permette d'ex- 
pliquer fort simplement la plupart des phénomènes 
calorifiques, de nouveaux faits et particulièrement les 
expériences de M. Melloni sur la transmission de la 
chaleur à travers diverses substances, lont amené à 
des conclusions fort embarrassantes pour cette théorie. 

D'un autre côté, la théorie des ondulations n'ayant 
pas encore donné une explication très satisfaisante de 
tous les phénomènes de la chaleur, ilen résulle une in- 
certitude qui heureusement n’a rien de fàcheux, car 
on peut se passer de toute hypothèse sur l’origine de la 
chaleur pour découvrir ses lois. 

Cette digression paraîtra longue, mais elle était né- 
cessaire pour faire comprendre dans quelle disposition 
d'esprit nous a trouvés la lecture de M. de Maizière : 
car nous ne partageons pas ses opinions sur la possibi- 
lité de découvrir la constitution intime du calorique, 
non plus que sur l'importance des résultats qu'il an- 

nonce devoir découler de cette découverte. 


— 261 — 


Mais revenons à l’objet de son mémoire, et exami- 
nons successivement les motifs sur lesquels il fonde 
son opinion: 

4° « La substance ignée est mobile, donc elle est 
« corporelle, donc elle pèse. » 

Ces conclusions ne nous paraissent pas rigoureuses, 
car elles s’appuyent sur un point qu’il faudrait démon- 
trer, savoir, que le calorique est une substance spé- 
ciale. 

Déjà Ampèreet OErsted ont démontré que le magné- 
tisme n’était qu'un cas particulier de l’électricité, et 
de nombreuses expériences semblent indiquer que la 
lumière et la chaleur sont dues à un même agent ; de- 
puis long-temps Davy avait émis l’idée que la chaleur 
n’était que du fluide électrique neutre, et quoique 
cette opinion hardie mait pas encore été complètement 
vérifiée, l'étude des phénomènes thermo-électriques est 
venue démontrer qu'il existait un rapport intime entre 
la chaleur et la lumière. 

Nous pensons donc que la science pourra bientôt 
énoncer ce magnifique théorème, savoir , que la lu- 
mière , la chaleur et l’électricité, ou les trois agents 
principaux de la physique ont une même source ou une 
même cause, dont elles ne sont que des manifestations 
particulières. 

Le calorique n’est donc pas pour nous une substance 
spéciale; si, comme le dit M. de Maizière , il est mo- 
bile, cela ne prouve pas que ce soit une substance corpo- 
relle, car le son aussi est mobile, et personne n’a pensé 
que ce fût un corps; c’est seulement un effet transmis 
à distance par l'intermédiaire d’un fluide , et le calori- 
que est pour nous chose semblable. 

«2° La substance ignée (dit M. de Maizière), peut 


= D — 


« être accumulée au point de devenir visible, colorée, 
« donc elle est matérielle, etc. » 

La coloration qui se manifeste dans les corps soumis 
à une forte chaleur est pour nous le résultat d’un chan- 
gement dans la disposition des molécules qui les con- 
stituent, et non pas la preuve de l’accumulation d’une 
substance particulière. 

Le troisième motif sur lequel s’appuie M. de Mai- 
zière est déduit du rayonnement des odeurs. 

L'auteur expose qu’il est impossible de n’y pas voir 
de longs courants de calorique rayonnant, emportant 
quelques atômes de la substance odorante. 

Nous ne prétendons pas donner l'explication de tous 
les phénomènes que peut présenter le rayonnement des 
odeurs; mais celle de M. de Maizière n’est pes à l’a- 
bri des objections, car il en résulterait que les corps ne 
pourraient être odorants qu’à condition d'émettre de la 
chaleur, ce qui n’est pas démontré. 

Les effets de la foudre qu’invoque ensuite l’auteur à 
l'appui de son opinion nous paraissent aussi faciles à 
expliquer par la répétition très-rapide de vibrations 
violentes, que par le secours d’un courant de calorique 
animé d’une énorme vitesse; car on sait, qu'indépendam- 
ment de toute action électrique, des mouvements vi- 
bratoires suffisent pour amener la fracture des corps. 

Enfin, M. de Maizière s'appuie sur ce que le fonde- 
ment de l’impondérabilité du calorique n’est pas plus 
solide que celui de l’impondérabilité de lair et de 
l’incompressibilité de l’eau , admis jusqu’au dix-sep- 
tième siècle. 

Il est incontestable , et nous l'avons rappelé plus 
haut , que la plupart des principes de la physique ne 
sont que provisoires, mais pour prétendre à les renver- 


— 263 —- 


ser, il faut employer une rigueur inattaquable, et s’ap- 
puyer sur des expériences précises. 

Aussi M. de Maïizière propose-t-il à l’Académie 
d'encourager un moyen d’expérimentation directe pour 
apprécier la différence du poids d’une masse de fer 
en fusion et de la même matière refroidie. 

Son appareil se composerait d’une cuve en platine 
portée sur un bateau plongeant dans un réservoir d’eau 
calme. 

On ferait arriver du fer en fusion dans le récipient 
qui serait ensuite fermé de toutes parts ; on noterait 
avec soin la hauteur de la flottaison du bateau et on 
laisserait le fer refroidir; si, comme le suppose l’auteur, 
le fer perd alors de son poids, le bateau sera allégé , 
son tirant d’eau diminuera, et il semble qu’on pourrait 
en employant une masse de fer très-considérable arri- 
ver à apprécier une diflérence de poids très-petite dans 
l'unité de volume. 

Mais malheureusement il n’en est pas ainsi. Suppo- 
sons en eflet, comme l’auteur, une masse de fer de 
trente mètres cubes; il résulte d’autres recherches qu’il 
nous a communiquées, qu’il évalue la densité du calo- 


rique à 900 trillionièmes de celle de Pair; en admet- 


tant qu’elle augmente dans le corps proportionnelle- 
ment à la température, la différence du poids de cette 
masse de fer, entre la température de 1500 degrés et 
celle de O ne serait que de cing centigrammes ; or, le 
bateau devrait déplacer au moins 300 mètres cubes 
d’eau ; en lui donnant un tirant d’eau de deux mètres, 
son relèvement total pendant l'expérience ne serait 
que de trois dix millionièmes d'un millimètre (=)! 
Quels que soient les moyens de précision employés, il 
nous paraît évidemment impossible d'apprécier un 
mouvement aussi faible. 


— 264 — 


L'augmentation de la masse métallique ne ferait 
qu’accroitre les difficultés d'exécution que nous avions 
signalées à M. de Maizière, avant de calculer les ré- 
sultats de son expérience, et dont il serait superflu 
d'entretenir l’Académie. 

Il nous suffira de dire que la principale provient de 
ce qu’il nous semblerait impossible de réunir une 
masse de platine suffisante pour établir le creuset, 
même en le restreignant à la contenance de trente mè- 
tres cubes ; ce métal ne pourrait être d’ailleurs rem-. 
placé convenablement par une autre substance. 

Nous n’avons pas cherché à calculer la dépense to- 
tale de l’appareil, maiselle serait nécessairement très- 
considérable , car le vase de platine exigerait 60 mil- 
lions de métal (pour une épaisseur de cinq centimètres) 
en supposant qu’on le payät à son prix ordinaire; il est 
vrai qu’il pourrait ensuite être utilisé, mais il faut tenir 
compte des difficultés d’approvisionnement et de main- 
d'œuvre. 

En résumé , la Commission tout en rendant hom- 
mage à la sagacité et à l’érudition qui signalent toutes 
les recherches de M. de Maizière, ne se croit nulle- 
ment autorisée à admettre les conclusions de son mé- 
moire sur la constitution du calorique ; et tout en re- 
connaissant ce que le mode d’expérimentation indi- 
qué présente d'ingénieux et de séduisant au premier 
apercu , elle est convaincue qu’il ne pourrait jamais 
être réalisé. 

En admettant d’ailleurs les hypothèses de l’auteur 
sur la masse du calorique , cette masse serait si petite 
qu’elle nous parait être en dehors des limites d’appré- 
ciation possible d’une expérience quelconque. 

La Commission regrette donc de ne pouvoir dans 


— 265 — 


cette circonstance appuyer auprès de l’Académie les 
idées et les propositions de M. de Maizière (1). 


(1) Malgré la sévérité des conclusions de ce rapport, l'Académie en 
a décidé l'impression dans ce volume afin de montrer l'importance des 
sujets dont M. de Maizière l'a entretenue cette année. 

M, de Maizière a d'ailleurs présenté sur le même objet un nouveau 
mémoire qui est en ce moment soumis à l'examen d'une commission. 


ve QUE — 


si sonia hr adrie amugyis soise aitan 


ir 


Qhasi sh -M'abandihiengorg eskas adhi- 


rehrok i AUX t) ya ‘ais nahad adatos COMENT nioni à 
ae jeu 1 but 3 Hal: orulur ao inf gorges i abih à 
tte aiaa onada A I Snae i ni 
PURE e E ZE EP 
Ahk ; 6 nimh T A ocre és D nF les UN ne 


ARCHEOLOGIE. 


DES ANCIENNES TAPISSERIES 
ET TOILES PEINTES 


DE LA 


CATHÉDRALE DE REIMS. 


DISCUSSION 


SUR LES AVANTAGES ET LES INCONVÉNIENTS D'APPLIQUER CES SORTES 
DE TABLEAËX A LA DÉCORATION INTÉRIEURE DES ÉGLISES CHRÉ- 
TIENNES. 


Par SIM, L. PARIS, L. FANART et HERBE. 


LECTURE PAR M. PARIS. 
(Séance du 4 Novembre 1842.) 


—s2#<—————— 


Nous commencerons par rendre hommage au zèle 
désintéressé que déploient quelques amis des arts, 
pour la conservation des monuments de l’ancienne 
France. Les études archéologiques si puissamment en- 
couragées par le ministère, si habilement dirigées par 
les comités historiques auront pour heureux résultat 
le salut des chefs-d'œuvre échappés aux malfaisantes 
inspirations du dernier siècle. Déjà les remarquables 
travaux de M. le comte de Montalembert, de MM. de 
Caumont, Vitet, Mérimée, Didron, et du regrettable 
Du Sommerard ont rendu accessible à tous, l'étude de 
ces merveilleux édifices, qui naguère encore n’exci- 
taient chez nous qu'une ininlelligente et stérile admi- 
ration. Bientôt, grâce aux efforts de ces hommes d’é- 
lite, le savoir des gens du monde ne se bornera pas à de 
simples notions sur les divers styles architectoniques : 


P MN KL: 


on voudra connaître les nombreuses transformations 
qwa subies, durant le cours des siècles, Part des Liber- 
gier, des Luzarche, des Robert de Couci. Le domaine 
de la critique s’agrandira de l'interprétation des types 
sacrés, des figures mystérieuses et symboliques, des 
créations singulières, parfois bizarres et pleines d’é- 
nigmes qui décorent et surchargent nos plus beaux 
édifices religieux. Que ne doit-on pas attendre de cette 
association d'esprits généreux et distingués qui, sur 
tous les points de la France, travaillent à la réhabilita- 
tion, hélas! un peu tardive, de la maçonnerie du 
moyen-àge. 

Toutefois, osons le dire : ce culte de la pierre peut 
avoir son exagération, son écueil! Nous voyons en effet. 
que le respect pour l’œuvre du maître entraîne quelques 
esprits au-delà des limites raisonnables. A force de 
vouloir rendre au monument, objet des prédilections, 
sa majesté primitive; à force de le dégager des orne- 
ments étrangers à son style, des décorations dont un 
goût suspect la surchargé, on en vient à dévêtir cet 
édifice, et à l’évider de telle facon que bientôt on le ré- 
duit à ses seules murailles, et que ce temple, naguère 
si riche des pieux tributs de cent généralions éteintes, 
n'offre plus à la vue que limage d’une vaste solitude, 
d’une immense salle de pas perdus, ou bien encore 
d’un puissant navire que la tempête a démâté. Et c’est 
au nom de l’art que se commettent ces énormités ! 

Mais c'était pareillement au nom de l’art et du bon 
goût, et pour rendre au monument son majestueux as- 
pect, qu’au siécle dernier les chanoines des cathédrales, 
comme aussi les moines des abbayes démolissaient les 
jubés, détruisaient les clôtures sculptées du chœur de 
leurs églises, et posaient à leur place, les grilles et les 


OM — 


balustrades en fer dont nous avons aujourd’hui lesti- 
timable possession ! 

C'était au nom de l'art et du bon goût, et pour le plus 
grand honneur du monument, qu'aux autels gothiques 
rayonnant autour du rond-point, on substituait des au- 
tels à la romaine avec colonnes marbrées et jaspées , 
d'ordre ionique ou corinthien, surmontées de fastueux 
baldaquins ! 

C'était au nom de l’art et du bon goût et pour donner 
plus d'éclat à la basilique que, vers le même temps, on 
surchargeait d’un plâtras épais les peintures à fresque 
des chapelles, et que Pon brisait les vitraux peints pour 
les remplacer par des verres éclatants de blancheur ! 

En un mot, c’est au nom de l’art et du bon goût que 
se sont accomplies les mille el une dévastations dont 
nos plus célèbres églises ont été le théâtre! 

Tout le monde reconnait aujourd’hui l’odieux et le 
ridicule de ces prétendus embellissements; comme nous, 
on maudit la manie des démolitions, des restaurations, 
des enjolivements, du badigeon; mais comme nous, 
tout le monde n’a pas au mème degré l'horreur des in- 
novations. Nous accuserons même certains hommes, 
dont nous honorons d’ailleurs le caractère et admirons 
le talent, d’être les propagateurs d’idées qui, pour être 
nouvelles , n’en sont pas moins à nos yeux entachées 
de vandalisme. 

Par exemple, une opinion professée par quelques ar- 
tistes de notre temps, opinion que semble avoir ins- 
pirée un livre très-remarquable de tous points, c’est 
que la peinture à l'huile forme un contre-sens dans nos 
églises gothiques et qu’elle n’y peut trouver la plus pe- 
tite place! — En effet, nous dit-on, outre l’inconvé- 
nient qu’elle a toujours de couper désagréablement 


— 272 — 


les lignes de l'architecture, elle n’est jamais en harmo” 
nie avec le style religieux de l'édifice. L’un est l'œuvre 
de l’art chrétien du moyen-âge, époque de conviction et 
de foi sincère, l’autre dela Renaissance, époque de l'in- 
trusion dans l’art, de tout ce que le matérialisme a de 
plus grossier. Les yeux sont péniblement aflectés de 
rencontrer, à côté des formes si pures de la sculpture 
symbolique du xin° siècle , ces compositions charnelles 
el tout-à-fait paiennes de l’école moderne. Aux temples 
élevés par des artistes pleins de foi, il faut des pein- 
tures que la foi ait également inspirées, et depuis bien 
longtemps la foi manque aux hommes qui s’occupent 
de peinture. — Voilà ce que nous disent quelques amis 
zélés de l’art chrétien. , 
Nous avons , quant à nous, un médiocre amour pour 
la peinture dite religieuse de l’école moderne, et nous 
reconnaissons qu'elle manque absolument de ce feu 
divin qui respire dans les belles compositions de Cima- 
bué, de Fra Angelico, de Giotto, de Thadeo Gaddi, et 
même de Perrugino, ces derniers représentants en Italie 
de la peinture du moyen-àge. Mais, en premier lieu, 
nos églises de France n’ont jamais été fort riches des 
œuvres de ces maîtres auxquels on nous renvoie, et les 
compositions estimables dont les artistes français, leurs 
contemporains, avaient peuplé jusqu'aux moindres de 
nos chapelles, ne sont pas même arrivées jusqu’à nous. 
Le faux goût, le zèle mal entendu des décorateurs du siè- 
cle dernier, zèle que le clergé encourageait et soldait, 
n’en a pas laissé le moindre vestige. Il faut déplorer à 
jamais ces actes d'incroyable vandalisme; mais enfin le 
mal est fait : et maintenant qu’il ne nous reste rien de 
ces grandes mosaïques que nous avaient léguées les 
premiers siècles de l’église et que nos pères appelaient 


— 273 — 


la peinture de l'éternité; maintenant que nos fresques 
sont badigeonnées, nos panneaux brûlés, nos vitraux 
défoncés, faut-il renoncer tout-à-fait à la peinture ? 
faut-il bannir de nos églises un art qui tient le pre- 
mier rang parmi les arts? Et si les tendances du siècle 
ont perverti les pieuses intentions des artistes, doit-on 
leur fermer les portes des seuls lieux où l'inspiration 
sacrée leur puisse être rendue? D'ailleurs, à défaut de 
peintres exclusivement mystiques, irez-vous proscrire 
Raphaël parce qu'il a peint la Fornarina? Il faudra 
donc exclure Léonard de Vinci, Le Titien, Lesueur et 
Le Poussin, et tous ces dieux de la peinture moderne, 
parce que tous sont coupables de quelques profanes 
compositions ? 

Nous ne pouvons supposer ces prétentions sérieuses. 
Le catholicisme ne s’est pas produit sous le patronage 
de l’art revêtu de telle ou telle forme : en appelant au 
contraire l’homme à la liberté, la foi chrétienne a ravivé 
pour tous les sources de vie; elle a ouvert à toutes les 
intelligences d’incommensurables voies, et l’art depuis 
longtemps oblitéré sous le fait d’une dépravation gros- 
sière, a dù prendre sa part de l’affranchissement. 
Pourquoi donc retrécir son domaine en l’enfermant 
dans un cercle inflexible, en lui assignant des formes 
absolues, exclusives? -— Pour ce qui nous concerne, 
nous ne doutons nas que le mode architectonique dont 
nos zélés antiquaires se déclarent champions ne soil le 
plus expressif et celui qui se plie le mieux aux exi- 
gences du culte: nous regrettons les pieuses et tou- 
chantes peintures du moyen-âge, parce qu’elles par- 
laient vraiment à l’âme et savaient réveiller la foi: 
mais en présence même de l'impuissance du siècle, il 
y aurait témérité à dire que l'esprit humain n'ira plus 

18 


— 97% — 


au-delà. — Et puis, il ne faut pas oublier que le chris- 
tianisme est né sous l'ère bizantine, et que l’art grec 
qui lui a prêté ses premières basiliques se formulait 
tout autrement, quoique d’une facon non moins em- 
preinte d'amour et de foi. Aussi recherchons-nous avec 
un zèle passionné les ‘images de cette époque primi- 
tive, qui ne sont pourtant que les derniers produits de 
Vart antique dégénéré. Ces peintures perdraient-elles 
donc beaucoup à nos yeux si, au même sentiment re- 
ligieux, elles réunissaient certaines études anatomi- 
ques, une plus grande correction de dessin, et ce co- 
loris vigoureux que l’on admire dans l'antique ? 

Voilà l'essai qwa voulu tenter la Renaissance, et cer- 
tes elle n’est pas si coupable; mais il est arrivé que 
déjà le doute s’était glissé dans les esprits : Luther 
était aux portes, et les convictions ébranlées n’ont pas 
laissé aux artistes le temps d'opérer l'alliance réclamée 
au nom du goût et de la foi. Qui faut-il en accuser ? la 
société tout entière qui, dominée par un puissant be- 
soin d'innovations, s’élancait hors des voies connues à 
la conquête d'impressions nouvelles. Les artistes l'ont- 
ils devancée ou suivie? Là est toute la question. Ainsi 
ne disons anathème à personne et ne faisons point un 
reproche aux Médicis, et à François 1° du magnanime 
appui qu'ils prêtèrent aux sublimes hardiesses des 
hommes d’art de leur époque, ces hommes s’appelas- 
sent-ils Jules Romain, Michel-Ange, ou Jean Goujon. 

Quelle que soit désormais l'influence du sentiment 
religieux dans les arts, il faut renoncer aux suaves et 
délicieuses productions des écoles de Sienne et de 
l’Ombrie, à ces types divins consacrés par les Ficsole, 
les Gozzoli, et que disputèrent au matérialisme de la 
Renaissance le pieux Lorenzo di Credi et l’immortel 


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Bartholomeo : d’autres idées ont marché, l’école dite 
du naturalisme a grandi, il s’en est suivi la réhabili- 
tation du beau selon la terre, et par conséquent la 
science des contours et des formes, l'étude des chairs 
et du coloris. Dès-lors, il nous a fallu donner lettres de 
crédit à des œuvres qui se présentaient sous l’autorité 
de Raphaël ou de Titien, ou qu'avaient signées, chez 
nous, des élèves tels que Lesueur ou Le Poussin. Et 
nous l’avouons bien ingénument, si religieux zélateur 
que nous soyons des traditions catholiques, nous ne 
saurions nous décider à stygmatiser ces hommes de l’é- 
pithète de barbares, et proclamer leur époque celle d’une 
nouvelle et funeste décadence. 

De tous les chefs-d’œuvre d'autrefois, la cathédrale 
de Reims, bâtie au xine siècle ne possède plus que 
huit peintures, et toutes de l’école moderne : quatre 
toiles italiennes qui se recommandent par les noms de 
Mutiano, du Guide, du Tintoret et de Taddée Zuccha- 
ro (1); quatre autres pour lesquelles on invoque les 
noms de Poussin, de Stella son élève, de Lahireet de 
Rubens.— Un archéologue émérite, un ardent petro- 
phile, qu’on nous passe ce méchant mot, nous adjurait 
tout récemment de joindre nos efforts aux siens pour 
obtenir de l'autorité compétente l'enlèvement de ces 
peintures dont le style est payen, l’origine équivoque, et 
qui troublent l'harmonie des lignes et salissent d’odieux 
points noirs la coupe symétrique des pierres, le plein des 


(1) Un prince français, au dernier siècle, offrit au chapitre de 
Notre-Dame de Reims une somme de cent mille francs pour deux de 
ces tableaux dont, en outre, il promettait des copies exécutées par 
Van Loo. Les toiles furent livrées : une circonstance heureuse, l'in- 
solvabilité du prince , valut à la cathédrale la restitution de ces deux 
tableaux, avariés il est vrai par suite d'une longue traversée. 


+ 


parois latérales! Grande fut, il faut le dire, notrestupéfac- 
tion, et malgré notre habituel respect pour la parole du 
maître , nous osèmes refuser notre concours à cette me- 
sure, sollicitée au nom de l’art, mais que, tout bas, nous 
prenions la liberté grande de taxer de néo-vandalisme ! 

Plaignez-vous que l’on sillonne les murs de nos égli- 
ses gothiques des hideuses productions des derniers ra- 
pins de l’école dite moderne; que les fabriques des ca- 
thédrales mettent à la folle enchère la restauration, par 
la brosse et le badigeon, des fresques antiques; qu’elles 
livrent à la merci d’un ignare et grossier macon les élé- 
gantes statuettes, les merveilleuses sculptures du moyen- 
âge ; qu'elles laissent les plus beaux monuments de 
l’art chrétien aux mains d’un architecte plein de su- 
perbe et d’outrecuidance, lequel traitant de pair à 
compagnon les œuvres les plus justement révérées de 
l'art ogival, s’en va mutilant, réédifiant à sa fantaisie : 
pose un clocheton , obstrue un ceintre; puis radoube 
un chapiteau, applique un dais, détruit une console, 
compose des moulures, intronise des types , imagine 
des figures , depuis les plus exigües jusqu'aux plus 
colossales dimensions, et tout cela sans arrêt comme 
sans contrôle , et de par l'omnipotence qu’il s'arroge en 
vertu de la haute opinion qu'il a de son talentet de son 
impeccabilité ! Plaignez-vous , oh ! joignez-vous à nous 
pour vous plaindre de tous ces déplorables abus contre 
lesquels une docte et chaleureuse plume a déjà si 
noblement pris parti! Mais au nom du ciel , au nom de 
l'art n’allez pas provoquer contre les sacrés débris 
échappés à l’aveugle fureur du dix-huitième siècle une 
nouvelle et dernière invasion des barbares. — Assez 
de vandalisme comme cela ! 

Et puis, si Cest au nom du moyen-âge et de l'art 


— 271 — 


catholique, que vous sollicitez la proscription de la 
peinture moderne, si ces images n'offrent à vos yeux 
effarouchés que des réminiscences impures de lart 
payen , comment se fait-il quau nom d’autres idées 
sans doute , mais Loujours en vertu de la question dart, 
on en vienne à dépouiller nos temples de leurs anti- 
ques tapisseries, lesquelles, de l'aveu de tout le monde, 
sont aujourd'hui les seuls tableaux empreints de les- 
prit religieux du moyen-âge, les seuls qui donnent 
une idée de la naïveté des croyances , de la foi vive et 
poétique de nos pères ? 

Ici s'élève un grave et nouveau débat entre nous et 
certains professeurs d'esthétique. Qu'on nous permette 
donc une courte digression. 


Nous ne tenons point à imprimer, après une infinité 
d’autres , que, de temps immémorial, les tapisseries 
ont été chez les peuples civilisés de véritables. objets de 
luxe et que les tissus de laine et de soie des Phrygiens 
jouissaient d’une grande célébrité, bien avant Fère 
chrétienne. Nous ne ferons pas la moindre recherche 
pour établir que les Grecs suspendaient dans leurs 
temples les tapisseries peintes et historiées que fabri- 
quait Pergame, et que les Romains au temps même de 
leur prospérité plaçaient ces produits de l'art phry- 
gien , opus phrygium acu pictum , au premier rang des 
œuvres d'art et de haute curiosité. 

Pour justifier leur présence dans nos églises, nous 
nous bornerons à rappeler la multitude d'ornements 
de ce genre répandus dans les basiliques de Rome, 
pendant les premiers siècles de l'ère chrétienne : le 
nombre en est prodigieux , au rapport d'Auastase 


— 278 — 


le bibliothécaire, qui nous apprend non-seulement les 
sujets et broderies de quelques unes de ces pièces, 
mais encore l'usage auquel on les destinait. 

Dès les premiers temps du christianisme à Reims 
nous voyons les tapisseries historiées décorer les parois 
des saints lieux. Grégoire de Tours, dans son récit de 
la cérémonie du baptême de Clovis, nous montre les rues 
de notre cité ombragées par des toiles peintes et ses 
églises ornées des plus riches tentures : telis depictis ad- 
umbrantur plateæ, ecclesiæ cortinis albentibus adornan- 
tur; et je ne pense pas qu’il soit difficile d'établir que 
depuis saint Remi, l'usage d’orner ainsi la métropole 
de Reims, s’est de siècle en siècle, et sans interrup- 
tion, continué jusqu’à nous. — Flodoard nous parle 
des riches tapis que Hincmar donna à son église : et 
parmi les nombreux présents que fit à la cathédrale 
l'archevêque Hérivée, notre chroniqueur se garde bien 
d’omettre les tapisseries: « Ce prélat, dit l’annaliste, 
enrichit l’église de Reims de vases précieux... il éleva 
au milieu du chœur un autel en l'honneur de la sainte 
Trinité, il Pentoura de tables revêtues d'argent, il 
couvrit d’or la grande croix, lorna magnifiquement de 
pierreries et de saintes reliques ; décora la nef princi- 
pale d’un grand nombre de tapisseries de soie. » 

Maintenant nous faut-il suivre la longue série des 
rois, des princes et des prélats dont les libéralités en- 
richirent l'église de Reims? On sait que de temps im- 
mémorial les rois à leur sacre faisaient de riches pré- 
sents à la cathédrale, et qu'ils laissaient habituelle- 
ment à la fabrique tous les tapis qui avaient servi 
à la décoration du temple pendant l’auguste cérémo- 
nie. Quant aux archevêques, Cétait une obligation 
qu’ils contractaient à leur avènement d'offrir à l'église 


— 219 — 


quelque somptueux hommage, et il arrivait fréquem- 
ment, surlout au temps de la grande renommée des 
tentures de Flandre, que cet hommage consistait en 
tapisseries historiées et à personnages. Et qu'on ne 
croie pas que ces toiles ou tapisseries fussent simple- 
ment des tapis de pied ou des tentures pour dossiè- 
res et banquettes ! Il y en avait pour cet usage, sans 
doute, mais C'étaient les moindres par le travail et la 
matière. Outre les tentures d’apparat pour les jours 
de grande solennité, pour les processions extérieures, 
il y en avait pour ornement habituel de l'édifice. 
A défaut des fresques qui manquaient en bien des en- 
droits, les tapisseries historiées étaient la seule pein- 
ture dont fussent décorés les bas-côtés, la nef et tous 
les vides qu’offraient le transcept, les chapelles cir- 
culaires et les parois des murs de clôture. Regnault 
de Chartres, qui sacra Charles VIF, est signalé dans 
l'histoire de Reims comme ayant enrichi son église 
de magnifiques tentures; c’est de lui, si Pon en 
croit la tradition, que la cathédrale avait recu cette 
belle tapisserie « où estoit représenté le roy Charles 
VII allant faire son entrée en la ville de Reims pour y 
estre sacré, à la conduite de la pucelle d'Orléans, 
en 1429; » tapisserie dont, grâce aux soins de 
messieurs les fabriciens, il existait encore un fragment 
en 1817, lequel a depuis disparu, sans que personne 
puisse ou veuille dire ce qu'il est devenu. — Celte ta- 
pisserie, qui retraçait l’un des plus beaux faits de l'his- 
toire nationale, méritait cependant quelque respect ! 
Par son testament, en date du 1% mai 1457, Jac- 
ques Juvénal des Ursins lègue, entre autres objets 
précieux à sa cathédrale, six belles tapisseries pour 
la décoration du chœur. Ltem, eidem ecclesiæ Remensis 


— 280 — 


lego sex magna tapeta mea quæ sunt de armis ecclesiæ 
prœfalæ et meis, ut tendantur in choro præfatæ ecclesiæ 
diebus festinis, et volo adhoc capitulum illa recipiat, et 
se obliget ita facere. Il faisait ensuite un legs de tapis 
de moindre valeur pour couvrir les bancs des cha- 
noines : [tem, pariter eidem lego ecclesiæ remensis 
quatuor banqueria facta ad arma prædicta. « Et ont 
les exécuteurs iestamentaires, « dit un acte joint au 
testament, » estimé les dits tapis et banquiers la 
somme de six cents escus d’or. » 

Robert de Lenoncourt , le même qui donna à l’église 
Saint-Remi la bel'e tapisserie de dix pièces qu’a pu- 
bliée M. Achille Jubinal, offrit à Notre-Dame une 
autre tapisserie de douze pièces , représentant l’histoire 
de la Vierge, pour orner le chœur et les bas-côtés 
des nefs. « La charité de monsieur de Reims n’estoit 
oisive envers son église, dit en parlant de ce prélat un 
historien du xvz:° siècle ; il donna en 1530 une très- 
belle tapisserie pour entourer le chœur, afin d'en 
honorer Dieu , en laquelle est représentée la vie de la 
Vierge. » 

Charies, cardinal de Lorraine, à qui la ville de 
Reims est redevable de tant de fondations utiles, 
de si précieux tableaux et de si beaux manuscrits , en- 
richit son église de la somptueuse tapisserie de six 
pièces représentant l'Histoire du fort roy Clovis. « Mon- 
sieur de Reims , dit le mème historien que nous venons 
de citer , estant de retour , donna à l’église, le 2 dé- 
cembre 1573, six grands tapis : et està remarquer que 
jamais il ne retournait à Reims qu’il ne rapportât des 
dons pour son espouse. » 

Le cardinal de Guise, qui fut tué aux états de 
Blois, peut-être le plus riche prélat de France, aimait 


— 281 — 


à parer la cathédrale de nombreuses et magnifiques 
tapisseries qui toutes sortaient des meilleures manu- 
factures du temps. Outre sept pièces de Beauvais , que 
nous ne saurions renseigner autrement , faute de notes 
précises, et dont aux grandes solennités il ornait la 
nef, le cardinal possédait encore pour les besoins de son 
église « sept pièces de tapisserie à personnages où se 
voyaient les histoires de Jacob ; six pièces où se voyait 
l'histoire de David et de Goliath, et huit pièces, aussi 
à personnages, où se voyait l’histoire de Delbora. » 

Henri de Lorraine, ce prélat dont on a dit qu'il ne 
faudrait pas ajouter beaucoup d’inventions à son his- 
toire pour la faire ressembler à un roman, et qui 
occupa si peu sérieusement le siége de Reims, avait 
négligé de payer à son église le droit de joyeux avène- 
ment dont nous avons parlé plus haut. Mis en demeure 
par son chapitre, il s’acquitta par le don de douze gran- 
des pièces de tapisserie et quatorze autres petites « pour 
tendre dans le chœur ès lieux nécessaires et pour l’or- 
nement d’icelui. » — Ce sont les tapisseries signées Pe- 
persack, si vivement critiquées par M. Vitet, et qui ne 
méritent pas à nos yeux tout le mépris queleur a mon- 
tré le docte et spirituel archéologue. 

D’autres dons, faits à cette époque ou depuis, aug- 
mentèrent la précieuse collection de l'église métropo- 
litaine de Reims. Le chapitre lui-même pourvoyait à 
ses besoins en ce genre. Nous voyons notamment un 
traité fait par devant notaires, à la date du 17 jan- 
vier 1625, par lequel un sieur Lombard, marchand 
tapissier en la ville d'Aubusson , diocèse de Limoges , 
s’oblige à faire et fournir au chapitre , dans le délai de 
six mois , « quatre pièces de tapisseries de Paris, se- 
mées de fleurs delis jaunes : la première, à la figure de 


ER — 


l Assomption de Notre-Dame ; la deuxième , à la figure 
de la Vierge , qui tiendra notre Seigneur sur son bras; 
la troisième , à la figure de saint Nicaise; et la qua- 
trième, plus grande, à la figure de Monsieur saint Remy.» 

L’estime que faisait le chapitre des tapisseries de 
l'église métropolitaine se prouve encore par le soin 
qu’il mettait à leur entretien et conservation. Il était 
de l'emploi des coûtres (custodes) de leur faire prendre 
Vair au moins quatre fois l’an ; de les battre, épous- 
seter, nettoyer avec toute l'attention possible; de si- 
gnaler les pièces qui demandaient à être reprises, ren- 
traitées, doublées ou rafraïchies ; et les frais que pou- 
vait entraîner cette restauration n’ar:êtaient jamais 
le conseil de fabrique. Nous en avons la preuve dans 
un autre marché, du 29 avril 1650, par lequel MM. 
du chapitre s’obligent à payer à Gilles Gadret et à Guy 
de Lanoy, la somme de 3,500 livres tournois, pour 
la simple restauration des six grandes pièces de tapis- 
serie de haute lisse, représentant les Baptème, mariage 
et querres de Clovis. 


Et puisque cet historique des tapisseries de Notre- 
Dame de Reims est entamé, veut-on avant de repren- 
dre notre plaidoyer , nous permettre de le continuer 
jusqu’à nos jours? Il n’est pas sans intérêt de connaî- 
tre le sort de ces antiques monuments pendant les 
mauvais jours de la fin du siècle dernier. 


On a beaucoup parlé du vandalisme révolutionnaire; 
mais on n’a rien exagéré. Il serait difficile de s’ima- 
giner l’effroyable pêle-mêle où périrent tant de chefs- 


— 283 — 


d'œuvre divers! — Des membres de la Commune, 
ceints de l'écharpe tricolore, forçaient, au nom de la 
loi, la porte des lieux saints : puis, sans autre forma- 
lité, procédaient à l'inventaire des matières d’or, 
d'argent, et des pierres précieuses, lesquelles mises, 
séance tenante, sous la main de la nation, étaient im- 
médiatement dirigées vers Paris. Quant aux objets 
que le métal ne signalait pas à la rapacité des agents, 
ils étaient brisés, lacérés, foulés aux pieds, comme 
vains hochets de la superstition, ou tout simplement 
abandonnés à la justice du peuple, redevenu libre. 
Puis arrivaient les hommes du fisc, avec mission de 
poursuivre la vente des édifices nationaux ; puis ceux 
de la bande noire qui, sans relâche, abattaient, démolis- 
saient, même avant l'enlèvement du mobilier, dédai- 
gné par la nation et laissé à la discrétion des autori- 
tés communales. Les sculptures, les boiseries, les 
peintures et les tapisseries, intactes jusque-là, étaient 
alors précipitées au milieu des décombres, et y res- 
taient ensevelies jusqu’au moment où quelque rare an- 
tiquaire , venant à profiter du gaspillage général, sau- 
vait pour son propre compte quelque saint et précieux 
débris. Peut-être a-t-on oublié ce qui se passa à Reims 
au sujet de la cathédrale. 


En peu de mots nous en dirons l’histoire. 


Trois ardents patriotes, grands croquemitaines de fa- 
natisme et fort habiles industriels, avaient soumis- 
sionné et sollicité, moyennant quelques chiflons appe- 
lés assignats, le privilége de démolir le chef-d'œuvre 


— 281 — 


de Libergier. La pétilion, chaude de patriotisme, et 
appuyée d’une honnête prisée, avait près des admi- 
nistrateurs les plus grandes chances de succès, et 
durant quelques jours fut réellement mise en ques- 
tion l'existence du plus beau monument de la chré- 
tienté. Un ami des arts, un prêtre jureur peut-être, 
que déguisait suffisamment la casaque du Sans-culotte, 
fit la motion de convertir la ci-devant église Notre- 
Dame en Temple de la Raison, et d’y établir le siége 
de la société populaire. Cet avis prévalut, et comme 
si l’on eût à craindre les méprises du bon sens public, 
on se hâta de gratter les jolies sculptures de l’histoire 
de la Vierge qui décoraient le fronton de la porte prin- 
cipale, et l’on écrivit à la place en lettres ridicule- 
ment colossales ces mots significatifs : 


TEMPLE DE LA RAISON. 


LE PEUPLE FRANÇAIS RECONNAIT L'ÊTRE SUPRÊME 


ET L'IMMORTALITÉ DE L’AME. 


L’arrière-chœur, choisi pour le siége des réunions 
des Jacobins, vit élever des clôtures de charpente et 
de maconnerie, et la chaire évangélique devint la tri- 
bune des frères et amis. C’est alors que furent d’une 
grande ressource les tapisseries délaissées ; on en cou- 
vrit les dalles froides du nouveau club, et l’on en ta- 
pissa les récentes clôtures afin de garantir des impres- 
sions de l'air les Cassius-Brutus , les Caïus-Gracchus, 
les Mutius-Scævola, et autres farouches montagnards. 
On devine avec quel respect furent alors traitées les 
belles tentures de Robert de Lenoncourt et du cardi- 


— 285 — 


nal de Lorraine! Je vous assure qu'il s’y faisait bon 
marché des scènes du Mystère de la Conception et de 
l'Histoire du fort roy Clovis! — Et de tout ceci ne fai- 
sons point un reproche exclusif à lautorité! la plu- 
part du temps, débordée par le torrent des mauvaises 
passions, elle se trouvait désarmée, sans pouvoir com- 
me sans énergie, contre les exigences brutales et dé- 
vastatrices de la tourbe patriotique. 

Heureusement pour l’art et pour la société, le tri- 
omphe des grossiers instincts n’eut pas de durée. Le 
rapport de Grégoire à la Convention, sur le vanda- 
lisme, y mit un frein salutaire. Daus le rapide tableau 
que traçait l’orateur des démolitions impies, des rui- 
nes, des débris dont on jonchait le sol de l’ancienne 
France, se trouvaient quelques mots sur les dévasta- 
tions commises à Reims, la ville du sacre et de la sainte 
Ampoule. L'ex-évèque de Blois eùt pu jeter un cri 
d'indignation à l'aspect des spoliations impies com- 
mises au nom de la tolérance et de la liberté; il eût 
pu surtout déplorer le sort des monuments du culte, 
de ces majestueuses basiliques, déjà livrées au marteau 
des démolisseurs ou vouées à d’infâmes conciliabules, 
à d’ignobles trafics; l'abbé Grégoire s’en tint à des 
expressions de regret contre certaines peccadilles de 
mauvais goût du sans-culottisme, « A Reims, dit-il, 
on a mutilé un tombeau d’un beau travail, et préci- 
pité d’une hauteur de vingt pieds un tableau de Tha- 
dée Zuecharo : le cadre a été brisé; et la toile dégra- 
dée a été trouvée dernièrement sur les marches d’un 
escalier. » 


Ce peu de mots proférés à la tribune de la Conven- 
tion fit une impression profonde chez les administra- 


— 286 — 


teurs du district de Reims, qui ne manquèrent pas de 
chercher à se disculper. 

Ce qu'il y a de certain c’est que cette dénonciation 
partie de si haut fut très-favorable aux objets d'art 
échappés à la dévastation. Par une heureuse coïnci- 
dence, un arrêt du proconsul Albert venait de pronon- 
cer à Reims la fermeture des sociétés populaires : c’é- 
tait le moment pour l'autorité municipale de remettre 
la main sur les tapisseries. Pour avoir une idée de ce 
qui se passait alors, il faut lire la correspondance 
qu’entretint alors avec les membres de la commune, 
le préposé à la garde du musée, dont la création ve- 
nait d’avoir lieu. 

C’est, et nous le pouvons dire aujourd’hui, au zèle 
infatigable du conservateur du musée (feu l'abbé Ber- 
geat), que fut due la conservation des tableaux, des 
objets d'art, et surtout des belles tentures que possè- 
dent encore aujourd’hui les églises de Reims. Trans- 
férées dans une des salles de l’'Hôtel-de-Ville, ces der- 
nières y furent quelque temps soigneusement roulées 
en attendant qu'il plût à l'administration d’octroyer 
un local favorable à leur exposition. L’exiguité de la 
chapelle de l'hôpital de Sainte-Marthe , convertie en 
musée, ne permettait pas l’exhibition de tous les ta- 
bleaux et objets d’art provenant de cinquante églises 
ou chapelles que possédait Reims au moment de la ré- 
volution. Les tapisseries notamment , au nombre de 
plus de cent cinquante, étaient un grand embarras. On 
profita de la première honnête occasion pour s’en dé- 
faire. — Elle ne tarda pas à se présenter. 

Après les ineptes dévastalions du sans-culottisme, 
et les fêtes païennes en l'honneur de la Raison, l'anti- 
que métropole eut encore à subir les chants des secta- 


— 287 — 


teurs de la Nature, les hymnes à l’Etre-Suprême, et les 
fades homélies des théophilanthropes. Ces démonstra- 
tions, non moins niaises qu'impies , ne prouvaient 
qu'une chose: la nécessité d’un culte. Une ville aussi 
profondément catholique que l'était Reims ne pouvait 
se trainer longtemps à la remorque des sophistes 
brouillons que le caprice ou la folie du jour érigeait en 
thaumaturges. Après tant d’aberrations, elle revint à 
la foi antique. Des pétitions couvertes de plusieurs 
milliers de signatures sollicitaient le rétablissement du 
culte catholique; force fut d’aviser à la restauration des 
édifices religieux échappés au marteau des démolis- 
seurs. Il en restait quatre que l’on rouvrit aux fidè- 
les. C’est alors que le Musée, riche des dépouilles des 
cinquante basiliques de Reims, devint à son tour la 
proie d’un nouveau genre de vandales. Dans la fer- 
veur de la réaction, il suffisait de se dire catholique et 
paroissien de telle église, pour obtenir de l'agent mu- 
nicipal, ex-patriote en passe de devenir marguillier, 
les tableaux, les reliquaires, les ornements au choix. 
Ainsi disparurent sans retour des objets de la plus 
haute curiosité. Forcé dans ses attributions, le conser- 
vateur ne songea plus qu’à systématiser la ruine du 
Musée, à régulariser le mode dont se ferait le dépouil- 
lement du dépôt dont il avait la garde. Sur sa proposi- 
tion, on créa des commissions pour l'examen des de- 
mandes, et lon soumit à des manières de formalités 
les restitutions ou dons volontaires qu'on était, en tout 
état de cause, décidé à faire aux solliciteurs catholi- 
ques : en quelques jours furent vidées les salles et dé- 
peudances du Musée. Nous avons plus d’un témoignage 
écrit de ces libéralités municipales. Il suffira de dire 
que de cette façon revinrent aux églises, défectueuses 


— 288 — 


et endommagées, il est vrai, les antiques tapisseries 
dont nous nous occupons. 


Voilà le récit sommaire des faits qui concernent les 
tapisseries de la ville de Reims, jusqu’au moment de la 
réouverture des églises. Nous allons jeter un coup d’œil 
sur ce qu’elles sont devenues depuis cette époque. 


Il ne faut pas attendre de la société rémoise, au 
commencement du xix° siècle, une protection bien 
éclairée pour ces sortes de monuments. Une fois re- 
mis en possession , débarrassés du contrôle du conser- 
vateur, les préposés à la garde du mobilier des églises 
ne se crurent pas tenus à de grands ménagements pour 
des tissus flétris depuis longtemps du nom de gothi- 
ques. On en appliqua quelques-uns aux murs des nefs 
latérales , mais la plus grande partie servit, comme 
chez les frères et amis de la société populaire, à dou- 
bler les portes en manière de paravents, et à joncher 
le pavé pour l'assainissement du chœur et du sanc- 
tuaire. D’un tel état de chose qui pouvait se plaindre ? 
Le clergé, les bedeaux, les marguilliers y trou- 
vaient leur compte : les amis des arts seuls eussent 
pu réclamer ; mais sous l'empire, et même durant les 
premières années de la restauration , où se trouvaient 
les amis des arts ? Notre ville en comptait fort peu. 


Toutefois, on l’a vu : Reims avait eu dans M. Ber- 
geat son Alexandre Lenoir. Un autre citoyen, non 
moins épris que M. Bergeat de l'amour de son pays, 


— 289 — 


M. Posillon-Piérard (1), prit en main les intérêts des 
amateurs de l'archéologie. Sans autre guide que son 
propre goût, dépourvu de toute espèce d’encourage- 
ment, M. Povillon se livra à la recherche de toutes les 
anciennes tapisseries que pouvait posséder la ville de 
Reims, et dès 1817 entreprit l’énumération, l’histoire 
et la description de ces antiques tableaux. Nous ne 
dirons pas que M. Povillon ait toujours apprécié à 
sa juste valeur chacune de ces toiles; qu'il en ait 
complètement expliqué les sujets, distingué les styles, 
fixé la date et l’origine. Travaillant de son propre mou- 
vement, à une époque où l'archéologie nationale était 
si peu stimulée ; où les artistes , les antiquaires eux- 
mêmes aflectaient le plus profond mépris pour tout ce 
qui sentait le gothique, M. Povillon ne pouvait ap- 
porter dans l'examen auquel il se livrait la maturité de 
goût, la saine critique , el les connaissances spéciales 
qu'il est aujourd’hui si facile d'acquérir. On n’en doit 
pas moins de reconnaissance à l’homme studieux et 
ami de son pays qui sut faire entrer dans le cercle de ses 
modestes et silencieuses études des monuments dé- 
daignés de tous, foulés aux pieds, exposés à toutes les 
dégradations , et pour ainsi dire condamnés à pourrir à 
l'humidité corrosive des murs ou dans l'éternelle pous- 
sière des galetas. 

Mais les travaux de M. Povillon, restés manuscrits 
el sans prôneurs, ne pouvaient exercer une grande in- 
fluence sur le sort des tapisseries de Reims. D'ailleurs, 
à des hommes parfaitement étrangers aux questions 
d'art, il eut fallu, avant tout, inspirer l'estime de l'ar- 


(1) Auteur d'une description imprimée de la Cathédrale , et d'un 
grand nombre d'ouvrages inédits. 


19 


— 999 — 


chéologie : il eut fallu surtout vaincre la répugnance 
d'honnêtes marguilliers à faire la moindre dépense 
pour de vieilles tentures passées de mode, et dont ils 
ne pouvaient soupçonner l'exécution gothique capable 
de flatter jamais le goût de personne! Le seul avantage 
aw’eurent donc les notices de M. Povillon, avantage 
assez gravd il est vrai, fut de faire connaître d’une 
manière précise le nombre des tapisseries que possé- 
dait chaque dépôt, la dimension et le sujet de chacune 
d'elles. Ces notions une fois acquises, le temps pouvait 
arriver d'en tirer parti. 

Un instant on dut croire à leur prochaine réhabili- 
tation. M. Vitet, inspecteur-général des monuments 
“historiques de France, se trouvant à Reims en 1830, 
s'était fait montrer tout ce que la ville du sacre pou- 
vail avoir conservé de curieux et d’antique. TI avait 
vu les tapisseries de Notre-Dame et de Saint-Remi, 
les toiles peintes de l’'Hôtel-Dieu, et il avait pu con- 
naître l'estime qu’on faisait chez nous des plus beaux 
monuments de ce genre. Ce fut M. Vitet qui le pre- 
mier découvrit, dans la loge d’un sonneur de cloches, 
au haut de la tour du nord de la cathédrale, un frag- 
ment tout déchiré d’une des tapisseries de Clovis! « A 
mon grand chagrin, dit-il dans son rapport à M. le 
ministre de l’intérieur, je me suis convaincu que si 
ces tapisseries et ces toiles restaient encore quelques 
années dans les lieux humides et malpropres où on les 
entasse, il n’y en aurait bientôt plus de vestiges. Heu- 
reusement, M. le sous-préfet de Reims wa promis 
qu’il ferait tous ses eflorts pour obtenir des desser- 
vants de Saint-Remi et de ceux de la cathédrale , 
aussi bien que des religieuses de l'hôpital, que le dé- 
pôt en fut fait à l'Hôtel-de-Ville : là, on les roulera sur 


— 291 — 


des stores, de manière à pouvoir les étaler et les re- 
plier à volonté et sans trop de fatigue. Si ce pro- 
jet se réalise, « ajoute M. Vitet», la ville de Reims 
qui aujourd’hui n’a pas de musée se retrouvera tout- 
à-coup en possession d’une des plus riches et plus 
précieuses galeries qu’il y ait dans nos départements. 
Si comme je l'espère, M. le Ministre, vous approuvez 
ce plan, je vous prierai de vouloir bien recommander 
à M. le sous-préfet de Reims de persister dans les dis- 
positions où je Pai laissé, et d'engager M. le maire de 
la ville à faciliter de son côté l'exécution d’un projet 
dont ses administrés n’ont que des avantages à atten- 
dre. » 

Il faut désespérer de l’art dans une ville où de pa- 
reilles idées ne trouvent aucun accueil. Ce n’était ce- 
pendant pas la difficulté d'exécution qui pouvait em- 
pêcher la création de ce musée. IL s'agissait simple- 
ment pour l'autorité de réclamer ces tapisseries, qui 
étaient sa propriété : propriété dont elle ne s’était des- 
saisie qu’à titre de dépôt, et sous la promesse d’une 
scrupuleuse conservation; et la rentrée en possession 
était d'autant plus facile que personne à Saint-Remi, 
à l'Hôtel-Dieu, à Notre-Dame, ne se souciait plus de 
ce genre d'ornement, qui, par son volume et sa dété- 
rioration, était un véritable embarras. Les choses n’en 
restèrent pas moins dans le même état, et le rapport 
de M. l'inspecteur des monuments historiques n'eut 
d'autre effet que de mettre à jour le peu d'influence 
qu’exerce dans les affaires administratives d’une ville 
l'intervention officieuse du gouvernement. 

Depuis cette époque, des artistes, des gens de let- 
tre, des hommes de goût s’employèrent pour réveiller 
l'attention de l'autorité sur ces monuments, antique 


— 292 — 


honneur de la cité. Et bien des fois, il faut le dire, 
M. le Maire actuel, qui se distingue par un goût 
éclairé des beaux-arts et un penchant naturel à fécon- 
der les idées généreuses, essaya d'intervenir et de 
trancher la question ; mais des obstacles imprévus, le 
manque de local et de concours, enchaînèrent ses bon- 
nes dispositions. — C’est alors que voyant l’incurable 
insouciance du pays, des archéologues distingués, 
étrangers à la localité, concurent la pensée de sauver 
au moins le souvenir de nos tissus, en reproduisant par 
la lithographie ou la gravure ceux qui, déjà à demi 
ruinés, pouvaient flatter le plus la curiosité publique. 
Ainsi M. Du Sommerard songea à faire entrer dans son 
grand ouvrage : Les Arts au moyen-âge , la tapisserie 
de l'Histoire du fort roy Clovis; M. Durupt, jeune ar- 
tiste de grand espoir, que la mort a trop tôt mois- 
sonné, se mit à esquisser pour un éditeur de Paris les 
Miracles de la sainte Vierge, tandis que M. Achille 
Jubinal se hâtait de faire graver, pour sa splendide 
publication des Anciennes Tapisseries , la suite si re- 
marquable de la Vie de saint Remy. C'est également à 
cette époque que l’un des plus savants antiquaires de 
France, l'honorable M. de Monmerqué, nous conseil- 
lait, comme une entreprise destinée à un grand succès, 
la publication à part des toiles peintes de l'Hôtel- 
Dieu. 

Instruit de toutes ces dispositions, et persuadé qu'il 
fallait chercher l’ensemble dans une entreprise de cette 
nature, et que d’ailleurs s’il y avait quelque honneur 
à livrer au monde artistique la reproduction de ce pré- 
cieux musée, la ville de Reims, qui possède un re- 
venu de plus de 400,000 francs, pouvait en assumer 
tout le soin, M. le Maire chargea l’auteur de cette no- 


LL + 


— 293 — 


tice de lui faire un rapport sur les divers dépôts de ta- 
pisseries de la ville, et de lui présenter un plan de pu- 
blication, avec devis des dépenses nécessaires. M. le 
maire voulait soumettre le tout au conseil, et obtenir 
les fonds nécessaires à l’entreprise. 

Le rapport fait et présenté fut soumis au conseil 
municipal: nous ne signalerons pas ce que pouvaient 
avoir de défectueux Pévaluation des dépenses, et 
d’exagéré l'hypothèse des bénéfices ; nous dirons seu- 
lement que, sans vouloir préjuger la question, le con- 
seil, dans sa séance du 10 février 1836, ajourna la 
proposition jusqu’à présentation d’un projet plus com- 
plet. 

La fin de non recevoir qui repoussait la libérale 
pensée de M. le maire ne devait pas fermer les yeux 
sur les mesures conservatrices que l’auteur du rap- 
port sollicitait en faveur des tapisseries. Des représen- 
tations itératives furent faites aux personnes chargées 
spécialement de leur entretien. On va voir quelle fut , 
pour celles de la cathédrale notamment, l'effet de cette 
puissante sollicitude. 

On se plaignait de la détérioration de quelques-uns 
de ces tissus, et notamment de leur mauvaise dispo- 
sition dans l’église. Fatigué de ces perpétuelles do- 
léances, le conseil de fabrique jugea le moment venu 
de signaler son autorité par une démonstration signi- 
ficative. Dans les premiers jours du printemps de 1840 
les quarante-quatre tentures qui décoraient les murs 
des nefs collatérales furent subitement décrochées, et 
disparurent avec la magique instantanéité d’une déco: 
ration de théâtre. 

Grand fut l’ébahissement publie! On se demanda le 
motif de cette énorme résolution. Difficilement on ima 


— 99: — 


ginait qu’un conseil de fabrique eût suffisante autorité 
pour confisquer au profit d'intérêts inconnus une pro- 
‘priété publique de cette importance? Les personnes 
religieuses réclamaient contre l'enlèvement subreptice 
de ces tableaux de la Vie du Christ et de la sainte Vierge, 
les seules images de piété qui pussent convenablement 
remplir le vide immense des parois latérales. De leur 
côté, les amis des arts gémissaient et difficilement con- 
tenaient leur impatiente humeur. Il fallait des explica- 
tions. Quelques gens bien intentionnés propageaient le 
bruit qu’enfin édifié sur la valeur réelle de ces anti- 
ques produits de la fabrique rémoise, le conseil des 
marguilliers avait pris le parti de les soumettre à une 
salutaire et complète restauration. On allait même 
jusqu’à préciser la somme votée pour cette louable en- 
treprise, et l’on ajoutait que, dans quelques mois, à la 
grande édification des fidèles et jubilation des archéo- 
logues, ces précieux tissus, splendides hommages de 
la piété d’illustres prélats, reparaîtraient éclatants de 
fraîcheur et de coloris. Ces espérances v:laient bien 
un peu d'attente. — On attendit. 

Cependant l'horrible vide produit dans l'édifice par 
la disparition des tapisseries, soulevait de jour en jour 
de plus grandes clameurs. Le conseil de fabrique sen- 
tit la nécessité d’une justification. Le 28 mai, parut 
dans un des journaux de la localité l’article que l’on va 
lire : 

« Les murs latéraux de la cathédrale viennent d'ètre débarrassés 
des tapisseries qui les couvraient, et qui interrompaient d'une ma- 
nière désagréable les lignes architecturales, sous prétexte de présen- 
rer à l'œil de fort mauvaises copies de bons tableaux de l’ancienne 


école italienne. C'est donc preuve de bon goùt que d'avoir fait dis- 
paraitre ces tentures décolorées, dont le seul mérite est d'avoir été 


(1) Il est bien entendu qu’il ne s'agit ici que d'intérêts artistiques. 


— 295 — 

fabriquées à Reims et à Charleville sous le cardinal de Lorraine. Deux 
cependant méritent d'être distinguées ; ce sont celles, beaucoup plus 
précieuses, qui représentent la bataille de Tolbiac, et que des détails 
d'armes et d'habillements du moyen-âge rendent fort intéressantes. 
Au moment où l'on s'occupe de former un musée, ce serait une excel- 
lente idée que dechercher à acquérir pour les y placer, ces deux ta- 
pisseries inutiles désormais: Sous un autre rapport, la cathédrale a 
beaucoup gagné aussi : nous voulons parler des propriétés acousti- 
ques du monument, qui, parfaitement caleulées par les architectes, 
souffraient considérablement de l'immense absorption de son , causée 
par ces tentures. Maintenant ces sons roulent librement dans l'édifice, 
s'y corroborent sans se répercuter, pourvu toutefois qu'ils ne soient 
pas émis avec trop de précipitation et que les chants soient graves, 
comme il convient pour des exercices religieux faits dans un vaste lo- 
cal. il faut espérer que cette réforme complément indispensable de la 
première s'opérera, et que le quoniam mercenarii sunt ne percera 
plus dans la précipitation avec laquelle on semble souvent vouloir 
se débarrasser des chants sacrés. » 

Vous le voyez, ici se décèle l’omnipotence ignorée 
du conseil des marguilliers. L'article, il est vrai, ne 
désigne pas ces messieurs comme auteurs de la me- 
sure; mais à cet égard, pas le plus petit doute. Ainsi, 
nulle appréhension, sede vacante (1), d’une juridiction 
supérieure, non plus que d’un appel à lopinion pu- 
blique. Toutes les questions soulevées par les archéo- 
logues se trouvent résolues d'un seul coup. Il n’est 
plus besoin de savoir d’où viennent ces tapisseries, ce 
qu’elles sont, ce qu’elles valent, ni ce que l’on pour- 
rait faire pour leur restauration : on les supprime, on 
les met au galetas; ce sont de vieilles tentures déco- 
lorées, inutiles désormais ; seulement on croit à pro- 
pos de flatter quelques goûts excentriques : le goût de 
certains architectes, qui dans une église gothique ne 
veulent que le nu de la pierre; le goût des amis des 


(1) L'enlèvement des tapisseries de la cathédrale eut lieu quelques 
semaines avant l’arrivée de monseigneur Thomas Gousset. 


— 296 — 
arts, dont de mauvaises copies de bons tableaux de- 
vaient attrister les yeux; le goût enfin du maître de 
chapelle et du sERPENT, dont les plus heureuses modu- 
lations se trouvaient absorbées par ces épais tissus de 
laine. Voilà bien des gens satisfaits. Qui donc se ré- 
crierait ? — Nous, peut-être! mais qu'importe? 

Cet article badin et sérieux est évidemment de deux 
mains. Le début, qui semble la boutade d’un arché- 
ologue, est bien plutôt la facétie d’un homme d'esprit 
qui donne des plaisanteries pour des raisons. 

Les tapisseries n’interrompaient aucune ligne archi- 
tecturale : appendues de droite et de gauche le long 
des murs latéraux, au-dessous des fenêtres, elles ne 
pouvaient masquer la moindre moulure. Ce n’étaient 
point de mauvaises copies de l’école italienne, car on 
appelle ancienne école italienne que les produits de la 
peinture antérieure aux Médicis. Or, ce ne sont pas des 
tapisseries, dont les plus anciennes sont de 1530, qui 
peuvent être réputées telles. Tous ces tissus sont des ou- 
vrages de la Renaissance, et n’ont d’ailieurs aucune ana- 
logie avec les types italiens; ce sont des dessins fla- 
mands, bourguignons ou français, rien de moins, rien 
de plus. On nous dit que c’est une preuve de bon goût 
que d’avoir fait disparaître ces tentures décolorées : oui, 
comme serait” la disparition des toiles du Tintoret ou 
de Thaddée Zuccharo; mais alors comment nommeriez- 
vous l'acte qui soumettrait les unes et les autres à une 
intelligente et habile restauration? Puis, où a-t-on vu 
que nos tapisseries aient été fabriquées à Charleville ? 
Le tapissier Pepersack demeurait bien en cette ville, 
quand en 4640, Henri de Lorraine le fit venir à Reims 
pour y exécuter la vie de Jésus-Christ; mais aucune des 
tentures de la cathédrale, pas même celles que donna 


+ 


— 297 — 


le cardinal de Lorraine, ne fut exécutée à Charleville, 
attendu que la fondation de cette ville ne date que de 
1606, et que l’illustre Archevêque était mort dès lan- 
née 1574. Nous pourrions pousser plus loin la critique 
de la première partie de cet article, si, bien évidem- 
ment pour nous, l’auteur que nous réfulons m'avait 
voulu s’y jouer de ses lecteurs : — chose très-licite 
dans un journal, comme chacun sait. 

Nous serons moins à laise avec l'argument auxi- 
liaire de la seconde partie, qui nous semble, à nous, 
beaucoup plus spécieux, et l’œuvre d’un artiste, à la 
vérilé beaucoup trop excentrique. 

Toutefcis, nous ne discuterons pas longtemps la 
question de savoir si les tentures qui tapissaient les 
collatéraux de la cathédrale étaient de nature à amoin- 
drir la vibration des sons de lorchestre ou la réson- 
nance des chants du lutrin. I pourrait être trop facile 
d’exciper contre nous de l'opinion du Grand-chantre ou 
de l'autorité du Serpent, qui tous deux ne manqueraicnt 
pas de nous dire qu’ils ont comparé l’état acoustique 
de la cathédrale, et que depuis l'enlèvement des tapis- 
series les sons de leur réciproque instrument roulent 
bien plus librement dans l'édifice , et s’y corroborent 
enfin sans la moindre répercussion. Nous préférons 
avouer tout d’abord qu'il y a peu de matières plus ab- 
sorbantes des sons que les tissus de laine et de coton, 
et nous nous empressons de reconnaître qu'une église 
simplement tendue de noir perd beaucoup de sa sono- 
rilé. Qu'on nous dispense donc de l'intervention de 
tiers, fût-ce des plus habiles physiciens de l’époque. 

Mais est-il jamais venu dans l’idée de quelqu'un, 
pour la plus grandeglorification du lutrin, de renoncer à 
tendre de noir les églises au jour des funérailles et des 


— 298 — 


commémorations ? Et dans les cérémonies d'apparat, 
où l’église tient à honneur de déployer sa magnificence, 
à la messe du sacre, au mariage du souverain, au 
baptème du prince héréditaire, a-t-elle jamais cessé 
d'exposer ses plus somptueux tapis, et s’est-on jamais 
arrêté devant les scrupules ou les exigences d’un 
maître de chapelle ? 

Nous voudrions bien que l’on fût moins exclusif, et 
que la passion du contre-point, non plus que celle 
des lignes droites, n’entraînàt personne au-delà du 
raisonnable. La musique véritablement religieuse est à 
coup sûr une excellente chose : les protestants, qui 
reprochent les images aux catholiques comme une 
vaine superstition , ont cru pouvoir se la réserver. Ce- 
pendant ainsi que la ‘peinture et la sculpture , la mu- 
sique n’est qu'un moyen de parler aux sens. Mais la 
piété n’est pas moins éveillée par la reproduction des 
scènes édifiantes de la vie des martyrs , que par l’exé- 
cution musicale des plus savantes compositions. Ce 
sont des moyens d’action qui loin de s’exclure vont 
au même but, et nous ne serions pas mieux venu à 
demander la suppression de la musique dans les églises, 
sous prétexte qu’elle distrait les esprits de la contem- 
plation des images, que l’on peut l'être à solliciter l’é- 
loignement des produits de la peinture, par la raison 
qu’ils nuisent à l’effet de l’acoustique ou des lignes 
architecturales. Le raisonnable ici , c’est de ménager 
tous les intérêts. 

Au lieu de chercher à se supplanter les uns les 
autres, nous voudrions que les artistes revinssent à cet 
esprit d'association qui les inspirait si heureusement au 
moyen-âge : etsi ce que l’on dit de la commune origine 
et de la fraternité des arts est vrai, ne semble-t-il pas 


— 299 — 


que ce doive être surtout quand il s’agit de la décora- 
tion du temple. C’est du moins bien ainsi que lenten- 
daient les premiers chrétiens , chez qui les arts étaient 
avant tout tributaires des églises. Sous les immenses 
arceaux des basiliques venaient s’agglomérer les chefs- 
d'œuvre de tous les pays : chaque siècle , chaque cu- 
vrier célèbre tenait à honneur d’y laisser l'expression 
de son génie. La sculpture, la peinture, l’orfévrerie, la 
ciselure , la menuiserie, s’ingéniaient à reproduire 
sous les formes les plus diverses les pieux sujets que 
le catholicisme recommande à la méditation des fidèles. 
Les églises en un mot étaient les seuls musées natio- 
naux : et la peinture entre tous les arts y tenait le pre- 
mier rang. 

Maiutenant est-il besoin de nous résumer? Nous 
nous sommes plaints avee MM. de Montalembert, 
Hugo, Didron, du mauvais goût qui préside aux pré- 
tendues restaurations des édifices religieux : nous 
avons demandé que les travaux qui s’y exécutent, fus- 
sent soumis au contrôle, à la surveillance d'hommes spé- 
ciaux, et que les plus beaux monuments de l'art ne 
fussent plus livrés à la direction d’un unique architec- 
te qui, si habile qu’on le veuille bien dire , n'offre pas 
toujours les garanties requises pour un si grand œuvre. 
— Nous avons gémi des actes de vandalisme commis 
dans les temples aux diverses époques de notre his- 
loire : nous avons déploré la perte d’une multitude de 
chefs-d'œuvre pendant le vandalisme révolutionnaire et 
nous ayons indiqué comment de cette ère funeste, date 
sinon le mépris pour les produits des arts, au moins la 
fatale insouciance de leur conservation. Nous avons dit 
l’état de détérioration et d'abandon dans lequel généra- 
lement on laisse périr les plus précieux tableaux, et 


— 300 — 


nous avons regretté que des hommes éminemment ca- 
tholiques et distingués favorisassent ce nouveau van- 
dalisme par des susceplibilités honorables sans doute, 
mais trop exagérées, eu égard au temps où nous vi- 
vons. Puis nous avons parlé d’autres exigences non 
moins désastreuses , formulées par quelques hommes 
spéciaux, et des outrageants dédains prodigués à leur 
instigation aux antiques et vénérables tissus de Flan- 
dre, de Beauvais et de Reims.— Que nous reste-t-il à 
ajouter ? Quelques mots peut-être : un appel à la haute 
intervention du pieux et savant prélat aux mains de 
qui sont confiées les destinées de l'Église de Reims. Si 
nous n’osous le formuler, nous prendrons du moins’la 
liberté de rappeler à l'appui de nos vœux un précédent 
sublime et digne d’être cité pour exemple, même au 
vertueux successeur de saint Remi. 

Le pape saint Grégoire ayant appris que Sérénus , 
évêque de Marseille, avait fait Ôler les images qui 
étaient peintes dans son église, le reprit fortement, et 
lui dit que ces tableaux avaient pour objet d'instruire 
et de faire penser à ce qu’il faut croire et à ce qu'on 
doit honorer : la peinture, ajoute ce saint pontife, est 
le livre des ignorants, et vous vous garderez de la re- 
pousser de votre église. 

« Aliud est picturam adorare, aliud per picturæ 
historiam quid sit adorandum addiscere; nam quod le- 
gentibus scriptura hoc idiotis præstat piclura cernen- 
tibus.... Et in locis venerabilibus sanctorum depingi 
historias, non sine ratione vetustas admisit (1). » 


(1) Sancti Gregorii Papæ vita et opera omnia 1705. Part. 4. Pag. 98. 


* L'Académie, en publiant cette intéressante discussion, n'a 
entendu prendre la responsabilité ni des idées ni des expressions, 
souvent un peu vives, des auteurs. 


SUITE DE LA DISCUSSION. 


(Séance du 18 Novembre 1842). 


LECTURE DE M. L. FANART. 


Messieurs, 


Dans votre dernière séance , un de nos confrères, 
que distinguent également une profonde érudition et 
une diction aussi facile que spirituelle, vous a lu une 
fort intéressante préface où il fait l’historique des ta- 
pisseries de la cathédrale de Reims en écrivain élégant, 
en homme versé dans l'archéologie : il ne pouvait en 
être autrement , et cela n’a surpris personne. Mais ce 
qui devait naturellement causer quelque étonnement , 
Cétait de voir la fin du travail du savant académicien 
tourner au plaidoyer, et l’auteur conclure finalement 
à ce que les tentures qui avaient si heureusement 
disparu de la cathédrale, y fussent réintégrées et fus- 
sent appendues de nouveau aux murs latéraux de cet 
édifice. Je dois l’avouer, Messieurs , cette proposition 
inattendue m’a paru tellement exhorbitante que je m'ai 
pas cru devoir la laisser sans réponse. Si une pareille 
restauration devait avoir lieu, ce qu’à Dieu ne plaise ! 


— 302 — 


au moins il ne sera pas dit qu'aucune voix ne s’est 
élevée , qu'aucune protestalion n’a été formulée contre 
un pareil acte de vandalisme. Nous verrons tout à 
l'heure si cetle expression est exagérée. 

Je viens donc, Messieurs, soutenir la proposition 
diamétralement opposée à celle qu'a avancée mon hono- 
rable ami, et je me propose de développer devant vous 
les raisons qui m’engagent à combattre son opinion. 


Sans doute, vous n’aurez pas à m’entendre le même 
plaisir, le même intérêt que vous avez éprouvés à suivre 
les développements dans lesquels notre collègue est 
entré; mais fort de votre justice, j'ai la confiance qu’a- 
près avoir entendu l'attaque avec faveur , vous écou- 
terez la défense non sans quelque bienveillance; fort 
des grands intérêts dont je me constitue l'avocat, c’est 
presqu’un droit que j'exerce, en réclamant d’une socié- 
té, qui s'occupe d’art, une religieuse et scrupuleuse 
attention, un jugement fondé sur les véritables princi- 
pes artistiques et basé sur l'esthétique la plus ration- 
nelle. 

Comme notre docte confrère me semble doué d’une 
singulière faculté d'interprétation, etqu'il a vu je ne 
sais combien de gens dans un article de journal de 
quelques lignes où personne n’est nommé ni indiqué, 
je crois devoir préalablement déclarer ici, en guise de 
précaution oratoire , que je ne suis ni le mandataire 
de la fabrique , ni la caution de l'artiste excentrique 
qui a écrit l’article, ni le fondé de pouvoir du grand 
chantre, ni le truchement du sERPENT. Tout ce monde 
défendra sa cause comme il l’entendra, quant à moi, 
je parle en mon propre et privé nom , je ne prends en 


— 303 — 


main les intérêts de personne, mais ceux de l’art au- 
près desquels les questions individuelles me paraissent 
fort minces et d’une valeur très-minime. 

Ensuite, Messieurs , il est un aveu que je dois faire 
avant d’entamer le débat : c’est que je ne me suis livré 
en fait de tapisseries à aucune étude historique, à nulle 
recherche d'érudition ; j'aime mieux le dire ainsi fran- 
chement et ingénument que de voir plus tard établir 
cela à grand renfort de savants et pénibles commen- 
taires. Au lieu de préparer, comme la dit Boileau, de 
douloureuses tortures aux Saumaises à venir, je les 
leur épargnerai : il faut bien aussi avoir quelque fois 
pitié des savants, et ménager le tempsdes doctes fure- 
teurs de paperasses. 

Ainsi done, tandis qu'un autre aurait peut-être es- 
sayé d'élever science contre science, d'opposer à des 
citations d’autres citations, à des textes concluants 
d’autres textes non moins décisifs; tandis qu'un autre 
aurait dégainé l’arme redoutable de l'érudition , arme 
souvent à deux tranchants, comme chacun sait, argu- 
ment utrinque feriens , j'ai préféré mwen tenir aux cita- 
tions rapportées par le savant bibliothécaire, et pren- 
dre toutes ses assertions pour parole d’évangile. Cela 
fait mon compte de toute manière : d’abord cette com- 
binaison favorise singulièrement ma paresse, et je suis 
en ce point un peu de l'avis du chanoine Evrard : 


Moi, dit-il, qu’à mon âge écolier tout nouveau, 
Vaille pour un lutrin me troubler le cerveau. 

O le plaisant conseil! non , non, songeons à vivre. 
Va maigrir si tu veux et sécher sur un livre, 
Pour moi, je lis la Bible autant que l'Alcoran ; 

Je sais ce qu’un fermier nous doit rendre par an ; 


— 304 — 


Sur quelle vigne à Reims nous avons hypothèque. 
Vingt muids rangés chez moi font ma bibliothèque. 
En plaçant un pupitre on croit nous rabaisser : 
Mon bras seul sans latin saura le renverser. 


Ensuite, pour peu qu’on y mette de bonne volonté 
et de persistance de part et d'autre, toute discussion 
de texte est à peu près interminable, et Dieu sait si la 
guerre qui pourrait s’allumer en cette circonstance se- 
rait moins longue que celle de Troie ! 

Enfin, et c’est là ma raison principale , comme 
nous sommes parfaitement d'accord, l’auteur de la 
préface et moi, sur une foule de choses, sur l'antiquité 
de l'usage des tapisseries , par exemple ; sur l’époque 
de leur confection, sur l'intérêt qu’elles présentent 
et l'utilité au point de vue artistique de leur exhi- 
bition; comme nous ne différons en réalité qu’en un 
seul point : savoir si on doit ou non les rélablir dans 
l'église, je ne vois pas pourquoi je me livrerais à une 
guerre d’escarmouche, pourquoi j'irais me perdre dans 
un dédale sans issue , tandis que mon dessein est d’at- 
taquer la question de haut et de grand , non pas à la 
manière de la mouche qui vient s’embarrasser dans les 
fils habilement tendus de l'araignée, mais à l'instar de 
la guêpe, qui les rompt et passe au travers. 

Mais, me dira-t-on, comment se fait-il que n’ayant 
fait aucune recherche historique ou esthétique sur les 
tapisseries, vous n’hésiliez pas cependant à parler de 
cette matière qui est étrangère à vos études et à vos 
travaux? Je pourrais sans doute en réponse à cette 
objection , me jeter à corps perdu dans le paradoxe , et 
soutenir comme bien d’autres, qu’on est d'autant plus 
apte à parler d’une chose qu’on la connait moins ; que 


— 305 — 

débarrassé des tradilions historiques, des discussions 
d'école et des considérations techniques, l'esprit est 
bien plus indépendant, bien plus libre dans son allure 
et dans son jugement; qu’il est beaucoup mieux prépa- 
ré à apprécier les œuvres d’art pour ce qu’elles valent 
où au besoin à improviser de nouvelles théories. Mais 
j'ai affaire à un rude adversaire , qui serait bien capa- 
ble de me répondre qwune semblable argumentation 
appartient de droit aux journaux où il est très licite de 
se jouer de ses lecteurs, mais ne saurait ĉtre produite 
devant une docte assemblée comme la vôlre; voici done 
une réponse plus sérieuse : lorsqu'un homme s'occupe 
d'un art spécial quelconque, il est, par cela même, 
en état de prendre part à toutes les discussions géné- 
rales qui ont les autres arts pour objel; raisonner autre- 
ment, ce serait dire que les arts ne procèdent pas tous 
des mêmes principes généraux , n’ont pas les mêmes 
idées radicales pour point de départ; ou bien encore r 
ce serail soutenir que certains arts n’ont rien de com- 
mun avec d’autres : deux choses également absurdes. 
Ensuite , lorsqu'il arrive, étje vous prie de remarquer 
que c'est ici l'espèce , lorsqu'il arrive , dis-je, qu'aux 
questions générales d'art que doittraiter cet homme, se 
joignent des considérations puisées dans l’art qu'il 
cultive spécialement, il n’en est que plus aple à les 
présenter avec quelque avantage, à les discuter avec 
quelque fruit. 

Mon dessein est de négliger certaines questions de 
détail, pour ne m'occuper que de considérations d’un 
ordre plus élevé; ainsi je ne me mettrai pas du tout en 
frais, pour établir que la vie de J.C. et de la Vierge 
sont plutôt des copies de tableaux italiens, que des ty- 
pes originaires de la Flandre ou de la Bourgogne. 


20 


— 306 — 


C’estune querelle qu'il faut laisser les archéologues vi- 
der entre eux. 

Je ne chercherai pas d'avantage à élucider la question 
de savoir : si les tapisseries de Daniel Pepersack ont ou 
wont pas été faites à Reims ct à Charleville. M. Povil- 
lon dit dans sa description de ia cathédrale, p. 167, 
que sous l’archevèque Louis de Lorraine, il y avait à 
Reims une manufacture de tapisseries dont les direc- 
teurs étaient de société avec une autre établie à Char- 
leville, d’où il semblerait naturel de conclure que les 
tentures en question étant une commande importante, 
ont bien pu occuper les ouvriers des deux villes. C’est 
du reste ce que dit positivement M. Géruzet, tome H, 
p. 379, et le journaliste dont se plaint notre confrère, 
n’a peut-être eu d’autre tort que de copier mot pour 
mot cet auteur. 

Je n’insisterai pas non plus sur unesingulière préoc- 
cupation de l’auteur de la préface, qui, entrainé par 
l’ardeur qui le domine et par le désir de prouver que 
les tapisseries on! élé fabriquées à Reims, semble ou- 
blier qu’il y a cu plusieurs archevêques cardinaux qui 
ont appartenu à la maison de Lorraine. Qu’ainsi que la 
avancé le docte écrivain, la ville de Charleville ait été 
fondée en 1606, c’est un fait que je wai nulle envie de 
contester, et qui, à vrai dire, me semble passablement 
étranger à la question; que le cardinal Charles de Lor- 
raine soit mort dès 1574, etn’aitpu par conséquent 
appeler Daniel Pepersack en 1640, cela me paraît fort 
vraisemblable; mais il n’y a rien là dedans qui prouve 
que les tapisseries maient été fabriquées à Reims et à 
Charleville sous un cardinal de la maison de Lorrain”; 
car, précisément de 1629 à 14641, le siège de Reims 
était occupé par un prince de l'Église, appartenant à 


— 307 — 


cette célèbre maison, — du moins à ce que disent les 
historiens. 

Mais encore un coup, il faut laisser toutes ces dis- 
cussions aux gens du métier, cette guerre de brous- 
sailles n’est pas mon fait. 

Il faut les laisser faire, et ce ne sera certes pas moi, 
chétif et incompétent, quioserai mettre un poids dans 
la docte balance dont un des bassins porte les archéo- 
logues, et Pautre les aulaïophiles. 

J’aborde done la principale discussion. 

Des deux questions que je me propose de soumettre 
à votre jugement, Messieurs, l’une est absolue, l’autre 
relative. 


« Est-il convenable de placer des tapisseries d’une 
manière permanente dans une église de style ogival? » 
Telle est la première proposition que j’examinerai. 


« EL quand bien même cette exhibition eût été ra- 
tionnelle dans les temps antérieurs, le serait-elle au- 
jourd’hui? » 

Voilà la seconde. 


On doit avoir le courage de son opinion, et dût m'’é- 
tre appliquée l’effroyable dénomination de petrophile, 
chose dont au reste je suis homme à ne m'inquiéter que 
médiocrement, je pense qu'il n’y a de place dans les 
églises romano-byzantines et daus celles du style ogival 
pi pour des tableaux, ni pour des tapisseries. 

Mon opinion était bien faite, bien arrêtée à cet égard, 
et j'étais fort disposé à la défendre quand bien même 
j eusse été seul de mon avis, lorsque j'ai appris par la 
savante préface de notre confrère, que je n'avais pas à 
craindre d’être isolé dans un semblable combat, et qu'un 


— 308 — 


grand nombre d’archéologues distingués étaient arrivés 
par des considérations propres à leur art, au même 
résultat auquel j'avais été condait par une déduction 
logique des principes élémentaires de l'esthétique gé- 
nérale. La préface nous ditaussi qu'un livre très-re- 
marquable soutient et développe la même doctrine. 
J'avoue que ce renfort inattendu iwa singulièrement 
enhardi, m'a tout-à-fait affermi dans ma manière de voir. 

ll suffit de chercher un moment la pensée des ar- 
tistes de génie, qui ont élevé les grands monuments du 
douzième et du treizième siècle, pour être frappé de 
l'évidence de la proposition que je viens d’énoncer. En- 
trons dans la cathédrale de Reims, par exemple; faut-il 
long-temps pour nous apercevoir que tout dans celte ad- 
mirable basilique s’élance vers les nues ? La riche orne- 
mentation du haut de l’église qui représente le ciel, les 
curieux arabesques des chapiteaux, les tores et les ba- 
guettes des archivoltes, l'élégance et la disposition des 
colonnettes de la galerie supérieure, lespeintures et les 
images répandues à profusion sur les verrières, les me- 
neaux hardis et capricieux qui se jouent daos les fenê- 
tres, les nombreuses nervures qui vont se rejoindre aux 
clefs de voûtes , tout concourt à ce but, tout proclame 
cette tendance. Le bas del'édifice, Cest la terre qui ne 
mérite pas vos regards; aussi l'artiste s’est-il bien gardé 
de les attirer par une ornementation hors de propos et 
a laissé nus le soubassement qui règne dans tout l'inté- 
rieur de l'église, les murs latéraux, ainsi que les piedes- 
taux et les fûts des colonnes. Elevé entre la voûte et le 
pavé, entre le ciel et la terre, un seul objet orné attire 
l'attention : c’est l'autel. C’est en effet le seul point par 
où la divinité et l'humanité se touchent, par où le ciel 
et la terre se donnent la main. 


— 309 — 

Telle est évidemment la pensée mystérieuse qui a 
présidé à l'érection de celte vaste basilique. C’est un 
élan sublime de l'amour divin, digne de ces siècles de 
foi, c’est un magnifique commentaire du desiderium ha- 
bens dissolvi et esse cum Christo de Saint-Paul (1); une 
splendide paraphrase du respicite et levate capita ves- 
tra : quoniam appropinquat redemptio vestra (2) de 
évangile; et du sursùm corda de la liturgie. 

Voulez-vous une preuve surabondante de cette inten- 
tion mystique? voyez, c’est seulement lorsque l'effet 
qu'il a voulu est produit, c’est alors que vous allez sor- 
tir du temple et que vous tournez le dos à l'autel, que 
l'architecte s’est départi du système de sobriélé d’orne- 
mentation des parties basses qu'il s’est imposé et qu’il 
a si religieusement observé dans tout le reste de l’édi- 
fice. Ok! alors les ornements et les statues descendent 
jusqu’au soubassement, presque jasqu'au pavé ! Deux 
roses magnifiques, de nombreuses niches ogivales, des 
myriades destatues de saints, des caissons ornés de rin- 
ceaux, des draperies relevées avec goût, forment un 
magnifique ensemble et couvrent le mur intérieur du 
portail. Cela, du reste, se conçoit parfaitement, car la 
pensée qui devait frapper le chrétien à son entrée dans le 
temple, et lui indiquer en abrégé la tendance de tout le 
culte, n’est pas celle qui doit lui être présentée lors- 
qu'il en sort sanctifié et digne d’être admis dans la com- 
pagnie des saints. 

Si, dans cette dernière circonstance, la grande pensée 
symbolique dont j'ai parlé n'avait plus d'application, 
elle n’en avait pas davantage dans le prolongement des 
nefs latérales autour du chœur, et dans les chapelles du 


(1) Ad Philippenses , 1, 23.—(2) Luc, xx1, 28. 


— 310 — 


rond-point, dispositions imaginées à l’époque de tran- 
sition du syle byzantin au style ogival, Geci explique 
pourquoi les murs de clôture du chœur étaient ornés le 
long des deambulatoria, de bas-reliefs représentant des 
scènes empruntées à l’histoire sainte ou à l'évangile , 
et distribuées souvent en compartiments par des pilas- 
tres chargés d’arabesques. Ceci explique encore pour- 
quoi les chapelles de labside avaient une ornementa- 
tion toute différente de celle du reste de l’intérieur de 
Péglise, et pourquoi leurs parois étaient couvertes de 
peintures. Rien dans tout cela ne venait contredire la 
peusée principale, le grand effet moral dont Parchi- 
tecte avait voulu frapper le fidèle, à son entrée dans le 
temple. 

Dans toute œuvre d'art, réellement digne de ce nom, 
ce n’est pas l'exécution matérielle qu’il faut chercher 
en premier lieu, mais bien la pensée morale, Pour cela, 
il faut se reporter à l’époque où vivait l'artiste, il faut 
se pénétrer des idées qui étaient en circulation de son 
temps. Or, Messieurs, si l’on veut bien se souvenir que 
les architectes du moyen àge étaient des moines ou du 
moins avaient recu l'instruction qu’ils possédaient dans 
le cloître, si lon veut se rappeler les sermons ascéli- 
ques du douzième et du treizième sièele, on se convain- 
cra que l'explication que je présente de la basilique ogi- 
vale, explication qui seule rend réellement compte de 
toutes ses disposilions intérieures et extérieures, est 
parfaitement en harmonie avec les idées mystiques do- 
minantes à cette époque. 

Voyez du reste, comme tout se tient dans cette archi- 
tecture vraiment chrélienne. Le fidèle s'avance vers 
le temple, le jugement dernier figuré sur le tympan du 
portail, le pèsement des âmes, les peines des damnés, 


— 311 — 

tout cela lui rappelle les fautes qu’il a commises, la né- 
cessité d’en implorer le pardon; il va franchir le seuil, 
mais ici se présente le pilier symbolique qui partage 
en deux portions le chemin du sanctuaire. Osera-t-il 
prendre le chemin de droite réservé aux justes? Passera- 
t-il honteusement par celui de gauche destiné aux pé- 
cheurs? quelle lecon terrible et significative, avant d’a- 
voir franchi le seuil de l'église! Enfin il pénètre dans la 
basilique: le ciel est ouvert, il y porte les yeux, se pros- 
terne dans la poussière, proteste de son repentir; pen- 
dant ce temps, l'autel s’est illuminé, la victime de salut 
et de propitialion a été offerte, le chrétien s’en retourne 
justifié, comblé de bénédictions, rempli d'espérance et 
de joie intérieure; les saints descendent au-devant de 
lui pour le recevoir, il est désormais digne d’être comme 
eux, citoyen de la Jérusalem Céleste. Notre confrère 
avait raison de le dire, les images, les symboles sont le 
livre des ignoranis, des illétrés, quelque fois aussi, 
ajouterai-je, des savants et des érudits; seulement il 
faut mettre les images à leur place, etlessymboles où ils 
doivent être. 

Je ne crois pas devoir insister plus long-temps sur 
l'évidence de cette intention architecturale. La nudité 
des murs latéraux est dans la basilique ogivale aussi 
essentielle que l'ornementation des parties élevées, 
l’une est le complément, la réponse de l’autre. Après 
cela, que l’on ait méconnu plus ou moins souvent et à 
des époques plus ou moins éloignées, la pensée symboli- 
que de l'artiste ; que l’on se soit avisé d’appendre aux 
murs des représentations bonnes ou mauvaises, chré- 
tiennes ou payennes, spiritualistes ou entachées de 
matérialisme, c’est un fait historique qui est fort bien 
établi, et qui prouve qu'on n’a pas craint parfois d'y 


— 312 — 
introduire des superfétations qui en oblitéraient le sens, 
en rendaient la signification inintelligible, la disposition 
mystique méconnaissable. 

Pour entrer dans la pensée qui a présidé au monu- 
ment, il faut donc bien se garder de couvrir d'aucune 
toile peinte, d'aucune tapisserie la nudité des murs la- 
téraux. A un autre point de vue moins élevé, il est 
vrai, mais qui a aussi son importance, ces frutescences 
hibrides ont encore de graves inconvénients, je veux 
parler de la perspective qu’elles obstruent , et dans la- 
quelle elles font une espèce d'accroc désagréable, lors- 
qu’elles ne cachent que les parties planes des murs, ce 
qui arrive rarement; je veux signaler les détails im- 
portants d'architecture qu’elles cachent ou dénaturent, 
et c’est le cas le plus communs. 

Appliquors ceci aux tapisseries rémoises. 

Puisqu'on voulait à toute force faire un contre- 
sens ridicule, et placer dans un édifice qui n’était 
pas destiné à en recevoir, une quarantaine de pièces 
de tenture, peut-être la place qu'on leur avait assi- 
gnée était-elle encore, après tout, la moins mauvaise, 
et celle où elles pouvaient le moins obstruer les ma- 
gnificences architecturales de la basilique. EL cepen- 
dant, au point de vue purement architectonique et 
tout-à-fait matériel, quel désordre n’apportaient elles 
pas déjà dans les lignes de la perspective? Un bon 
quart de la hauteur des fenêtres des nefs latérales avait 
disparu sous cestissus ; ce qui, à la place de leurs pro- 
portions sveltes et élancées , leur donnait une allure 
lourde et épatée discordante avec le reste de Pédi- 
fice. Un cordon ou assemblage de moulures qui règne 
dans toute la basilique et qui sépare parfaitement le 
rez-de-chaussée du premier étage, disparaissait d'un 


— 313 — 


côté, reparaissait de lautre, le tout sans rime ni raison, 
et sans qu’il fût possible d’en deviner la destination. 
Enfin les piliers engagés dans le mur latéral qui ren- 
dent moins crue la nudité de celle paroi, et répondent 
symétriquement aux piliers de la nef principale, et le 
soubassement dont la saillie règne dans tout le pourtour 
de l'édifice , tout cela était parfaitement nivelé par ces 
malencontreuses tentures, et semblait une surface plane. 

Qu'un maçon vienne proposer d’enlever le soubas- 
sement, de tailler les piliers engagés du mur latéral, 
et de faire de toute cette partie de l'édifice un plan uni 
comme une place, les archéologues crieraient bien haut 
et bien fort, et certesils auraient raison. Eh bien: 
tel était l’effet des tapisseries dans le lieu où elles 
pouvaient être placées avec le moins de désavantage ! 

Je n’accuserai pas assurément notre collègue de 
donner des facélies pour des raisons, je dirai seulement 
qu'il n'avait pas ses souvenirs bien présents, lorsqu'il a 
dit que les tapisseries n’interrompaient aucune ligne 
architecturale, et qu'appendues de droite et de gauche 
lelong des murs latéraux, au dessous des fenêtres, 
elles ne pouvaient masquer la moindre moulure. H 
serait peu courtois de ma part d'attaquer une sem- 
blable assertion : c’est une erreur matérielle que 
chacun peut vérifier, car les entailles destinées à rece- 
voir les bouts des tringles qui supportaient les tapis- 
series, existeut encore sur les piliers engagés des murs 
latéraux. 

Telles sont, Messieurs, les considérations qui m'ont 
suggéré les notions générales communes à tous les 
artistes. Comme les autres arts, l'architecture esli 
soumise aux grandes lois qui régissent toutes les pro- 
ductions poétiques de l'intelligence ; sans cela, elle ne 


— 314 — 
serait qu'un métier et ne mériterait pas qu'on s'en 
occupât. C’est pour cette raison que j'en ai abordé les 
principes fondamentaux avec une certaine confiance. 

Il n’en serait pas de même des détails dont il fau- 
drait faire une longue étude pour chercher l'esprit et 
suivre la filiation : j'entrevois bien qu'à l’aide de 
cette science je corroborerais puissamment la pro- 
position que j'ai avancée, mais je crois ce que j'ai dit 
bien suffisant, et il est plus sage, à mon avis, de ne 
point aborder une matière dont les élémens me sont 
étrangers. 

J'abandonne done, Messieurs, l'archéologie monu- 

mentale pour entrer dans un ordre d'idées qui m'est 
plus familier. Ce que je vais dire, doit, si je ne m’abuse, 
exciter quelque intérêt dans une académie, car il s’a- 
git d’une science entièrement néuve et inculle, dont 
je pose ici la première pierre, et dont personne ne s’est 
encore sérieusement occupé, bien qu’elle soit d’une 
utilité évidente : je veux parler de l'archéologie acous- 
tique. 
- Un temple est un lieu destiné à adorer la divinité, 
à écouter l'instruction du prêtre. Or, chez tous les 
peuples et dans tous les cultes, l'adoration et la pri- 
ère se sont formulées par le chant , l'instruction sacer- 
dotale, par le discours. Done, favoriser l'audition par 
tous les moyens possibles, offrir aux ondulations 
sonores les lignes les plus favorables à leur propaga- 
tion , tel a dû être , à toutes les époques de civilisation 
avancée , le but constant des architectes qui ont élevé 
des constructions religieuses. 

Dans un édifice quelconque, destiné au chant et à 
la parole, trois défauts sont particulièrement à redou- 
ter : la déperdition , l'absorption et la répercussion des 


— 315 — 


ondes sonores. Quel que soit celui de ces inconvénients 
qui domine dans un tel édifice , il n’est plus que très- 
imparfaitement propre à sa destination , il manque 
aux conditions les plus essentielles que l’on est en 
droit d’exiger de lui. 

Dire comment les artistes d'Athènes, de Byzance 
et de Rome étaient parvenus à trouver les règles acous- 
tiques qui doivent présider à l'érection des grands mo- 
numents; déterminer s'ils les avaient rencontrées par 
suite de lätonnements multipliés , par l'étude de quel- 
ques phénomènes naturels comme lécho, lantre des 
Trophonius ou l'oreille de Denys, ou bien par appli- 
cation d’une théorie préalable, cela serait difficile. La 
dernière hypothèse me semblerait toutefois la plus 
probable , car la théorie existait et étail même fort 
avancée à une époque déjà très- ancienne. Plusieurs 
passages d’Aristote et surtout le chapitre huit du 
deuxième livre de l’âme, où il enseigne d’une ma- 
nière fort remarquable les lois de la propagation da 
son , le témoignent de facon à lever toute espèce de 
doute à cet égard. 

Quoi qu’il en soit, les architectes de l'antiquité 
avaient non-seulement construit des temples qui ne 
laissaient rien à désirer sous le rapport acoustique, 
mais encore des théâtres qui, placés dans des condi- 
tions bien plus défavorables, puisqu'ils étaient à ciel 
ouvert et quelquefois abrités par des tissus, n’en 
étaient pas moins si parfaitement calculés que, 80,000 
spectateurs placés à l'aise pouvaient y entendre la voix 
de l'acteur. 

Ces belles traditions , ces secrets précieux s’élaient 
transmis d'âge en âge, et les architectes chrétiens en 
avaient hérité des artistes de l'antiquité, Rien pest 


— 316 — 


plus rare que de voir un édifice du moyen-àge ne pas 
être dans les conditions acoustiques les plus favorables 
et les mieux raisonnées. 

Certes, Messieurs, cette partie intéressante et jus- 
qu’alors inexplorée de l’ancienne maçonnerie vaudrait 
déjà bien la peine qu’on s’y arrêtàt quelque peu, 
qu’on y fit quelque attention, peut-être même qu’on 
y sacrifiàt quelque chose et qu’on se gardàt bien de 
tout ce qui pourrait ou l’effacer , ou même lui nuire. 
Que sera-ce donc lorsque je vous aurai dit qu’à 
l'heure qu'il est, ce grand art de la construction acous- 
tique est perdu complétement et qu’on ne peut guère 
espérer en ressaisir le fil que par une étude patiente et 
attentive des monuments du moyen-àge, où il est ve- 
nu en quelque sorte rendre le dernier soupir. Ce ne 
sont pas seulement de vastes édifices comme le Pan- 
théon, la Bourse ou Notre-Dame-de-Lorette, qui chez 
nous sont entachés des défauts que j'ai signalés, mais 
nous ne savons plus construire même une chapelle, 
une salle d’assemblée, un théâtre qui réunissent, sous 
ce rapport, les conditions désirables. Lorsqu'on réussit, 
c’est par hasard , lorsqu'on ne réussit pas, et c’est le 
cas le plus ordinaire, ce n’est que par des tàätonnements 
et des remaniements sans fin que l’on parvient à cor- 
riger les vices de la construction , quand toutefois on y 
parvient. 

Comme ces idées peuvent être nouvelles pour certai- 
nes personnes et comme leur esprit pourrait conserver 
quelques doutes , j'invoquerai à l'appui de ce que je 
viens d'avancer l’autorité du plus savant des acousli- 
ciens modernes, du grand expérimentateur Chladni : 
« Il serait très-utile, dit ce physicien, de savoir tou- 
« jours la meilleure manière de construire des salles , 


— 317 — 
« pour que le son puisse être entendu partout distinc- 
tement, sans sacrifier quelques autres qualités ou 
conventionnelles , ou nécessaires pour d’autres buts. 
« Dans la plupart des salles où lon y a réussi, CELA 
« PARAÎT ÊTRE PLUTÔT UN EFFET DU HASARD QUE CELUI 
« D'UNE THÉORIE EXACTE. (Die acustik., parag. 207). 

A part toutes ses autres magnificences , la cathédrale 
de Reims est un des édifices dont les lignes sonores 
sont le mieux entendues. Gette basilique est même cal- 
culée à cet égard avec une si extrême précision que 
vide, elle est un peu retentissante, et remplie, elle de- 
vient parfaite en raison de la qualité absorbante 
qu’exercent sur le son les vêtements. Elle vibre dans 
toute son étendue comme un instrument à cordes, 
nulle part il n’y a ni déperdition de son, ni écho; les 
ondulations sonores ne s’y repercutent en aucun lieu, 
mais s’y propagent en se renforçant; les sons grèles y 
prennent du corps, les sons aigus s’y adoucissent, 
tout y acquiert un fini, un fondu qui, pour celui qui 
étudie avec soin cet admirable monument , en font une 
véritable merveille d’acouslique. 

Et, Messieurs, ce serait à une aussi belle et aussi 
rare disposition qu’il s'agirait de toucher ; ce serait ce 
précieux et magnifique reste d’un art perdu et oublié 
qu’il serait question de cacher aux artistes pour les em- 
pêcher d’en saisir le secret ; ce serait ces lignes admi- 
rables combinées avec tant de soin par Robert de 
Coucy , qu'on voudrait obstruer? Non, je ne puis le 
penser, cela ne serait digne ni de notre siècle où l'on 
recherche avec soin les débris du passé, ni du prélat 
savant el éclairé dont la splendide basilique est au- 
jourd’hui le siége épiscopal. 

Mais les tapisseries produiront-elles réellement cet 


- 
= 


a 
2 


— 318 — 


effet désastreux? Si quelqu'un me faisait sérieusement 
cette question je le renverrais à mon honorable contra- 
dicteur , lequel lui expliquerait comme quoi il n’y a 
guère de matières plus absorbantes des sons que les 
tissus de laine et de coton (1). Seulement je dirai en 
passant qu’il est à regretter que notre collègue soit 
resté en si beau chemin et m'ait pas fait suivre sa pro- 
position de ses conséquences naturelles. Il est évident 
en effet que s’il est peu de matières plus absorbantes 
des sons que les tissus de laine et de coton , en appen- 
dre dans tout le pourtour d’une église, c’est la rendre 
beaucoup moins propre à sa destination, c'est dé- 
truire toutes les combinaisons de l'architecte. 

Donc, c’est évidemment un contre-sens que d’exhi- 
ber, d'une manière permanente, des tapisseries dans 
une église du style ogival : telle devait-être la conclu- 
sion logique et inévitable du principe admis par le 
savant académicien ; toutefois, il s’est bien gardé de la 
consigner dans son écrit, car ce n’est pas là qu'il vou- 
lait en venir. 

Puisque notre collègue paraît éprouver une cer- 
taine aversion pour les acousticiens et les physiciens 
qui ont traité cette matière ex professo , j'en appellerai 
à vos souvenirs, Messieurs, est-il quelqu'un dans 
une ville comme la nôtre , où l’industrie lainière est si 
répandue , qui wait eu mainte fois l’occasion d’obser- 
ver que des salles très-sonores converties en magasin 
de laines ou de pièces d'étoffe , devenaient subitement 
sourdes et sans aucun retentissement ? Faut-il de pro- 
fondes études sur acoustique, pour savoir qu’un ban- 
deau placé sur les oreilles, que du coton introduit dans 


(1) Page xxx1. 


— 319 — 


le tuyau auditif, absorbent une grande partie des sons 
qui viennent frapper l’organe ? Et d’ailleurs, qu’est-il 
besoin de raisonnements et de comparaisons ! N’avons- 
nous pas , pour l’objet qui nous occupe, la meilleure 
de toutes les démonstrations : Pexpérience ? N’avons 
nous pas observé tous une immense différence entre 
l’état de la cathédrale telle que l'a eoncue l'architecte , 
et la maladie aphonique dont elle était frappée sous 
Pinfluence des ornements superflus et hétérogènes dont 
on voudrait l’affubler de nouveau ? 

Que depuis le quatorzième siècle il y ait eu de nom- 
breux exemples de tapisseries appendues dans les 
églises, cela n’a rien de surprenant, et je dirais presque 
qu'il ne pouvait en être autrement, En effet, Messieurs, 
c’est à partir de cette époque que toutes les grandes 
idées symboliques commencent à être nécligées et 
iocomprises, et que le mysticisme et les sllasions as- 
céliques des monuments tombent peu-à-peu dans l'ou- 
bli. Au quatorzième siècle, on fait disparaître les murs 
latéraux, dont la nudité était une si haute lecon, en 
ouvrant des chapelles dans tout le pourtour de l’égli- 
se; au quinzième et au seizième, l’ogive et les voûtes 
qui s’élançaient si ardemment vers le ciel, à l'époque 
précédente, se surbaissent et tendent vers la terre ; et, 
de peur sans doute que celte tendance ne soit pas 
assez remarquée, les clefs de voûtes sont sculptées 
et retombent en espèce de pendentif ou de cul-de-lam- 
pe, de manière à ce que les édifices paraissent moins 
élevés qu'il ne le sont réellement. 

Enfin le nu des murailles et des colonnes qui déplaît 
si fort à notre confrère, disparaît sous des ornements de 
toute espèce; les piliers sont entièrement entourés de 
moulures prismatiques et de guirlandes ; les murs la- 


— 320 — 


léraux, lorsqu'ils ne sont pas percés de chapelles, sont 
ornés d’arcades trilobées, souvent à plusieurs étages. 
En un mot, l’art ogival est en pleine décadence et pré- 
pare les voies à ce complet bouleversement de toutes les 
idées d’art que l’on a nommé renaissance. 

Qu'on ait méconnu alors la pensée poétique et reli- 
gieuse des grands édifices des deux premières époques 
du style ogival, je le conçois; que ceux qui possédaient 
quelqu’une de ces basiliques n’en aient plus compris le 
sens mystérieux, et qu'ils aient voulu remédier à des 
imperfections imaginaires par des correctifs déplora- 
bles, cela est plus affligeant qu’étonnant; mais de ce 
qu'une faute est ancienne elle n’en est pas plus véné- 
rable : une absurdité a beau vieillir, elle ne devient pas 
pour cela une vérité. 

Enfin, Messieurs, comme il s’agit ici d’une discus- 
sion où la bonne foi est complète de part et d'aulre , je 
ne ferai aucune difficulté d’avouer que les défauts 
acoustiques provenant de l’absorption des ondes sono- 
res, étaient à tout prendre moins intolérables et moins 
sensibles dans les temps anciens que de nos jours; 
qu’ainsi il devient moins étonnant qu’on m'ait tenu que 
peu de compte, au quatorzième et au quinzième siècles, 
d’inconvéanients acoustiques dont aujourd’hui nous ne 
pourrions que difficilement supporter les conséquences. 


Ainsi done, quand bien mème on auraiteu jadis toutes 
les raisons du monde de garnir les murs d’une église 
de tapisseries , il serait indispensable aujourd’hui de 
renoncer à ce mode d’ornementation.—Telle est la se- 
conde question que je m'étais proposé de développer : 
mais je crains déjà d’avoir abusé de la patience de l’as- 
semblée : je n’en dirai que peu de mots. 


— 321 — 


Comme je l’ai remarqué plus haut , Messieurs , l’a- 
doration et la prière se sont formulées par le chant 
dans tous les temps, dans tous les lieux, chez tous les 
peuples, sous toutes les formes religieuses. Plus que 
tout autre culte, le christianisme devait adopter cette 
pratique universelle : il n’y manqua pas. Le chant était 
chez les chrétiens non-seulement l'expression des, gran- 
des et poétiques idées qu’inspire la religion, non-seu- 
lement une mesure d'ordre qui réunissait la parole de 
tous en une seule et immense parole, mais aussi un ad- 
mirable symbole qui rendait sensible l'union des cœurs, 
la charité évangélique, la communauté de la foi. Le 
chant religieux du peuple dont il est impossible d’as- 
signer l’origine, tant il est naturel et conforme à la 
raison, s'était donc transmis d’âge en âge, depuis les 
époques les plus reculées jusqu'au christianisme ; et 
celui-ci s’en était emparé pour en faire une magnifi- 
que synthèse , lorsqu’arriva celte funeste époque de la 
renaissance qui devait fausser toutes les idées artisti- 
ques , qui devait substituer la forme à l’idée, le maté- 
rialisme à l'esprit, l’art payen à l’art chrétien. 

L'esprit d'innovation et de réforme qui travaillait 
alors la société se faisait jour souvent de Ja manière la 
plus imprévue, prenait parfois les formes les plus 
bizarres : nous allons en voir un singulier exemple. 
Le roi François I‘ qui affectionnait particulièrement 
les voix basses, s'avisa de peupler sa chapelle de gros 
Picards descendant à toutes les profondeurs que peut 
atteindre la voix humaine. Il aimait singulièrement en- 
tendre ces grosses voix escalader péniblement l’échelle 
vocale, arrivées au sommet beugler à tout rompre, puis 
descendre dans les régions les plus caverneuses, et 
marmotter, in limo profundi, un inintelligible galima- 


21 


= a — 


tias. C'était peu religieux, mais c'était un caprice 
royal qu’on pouvait passer chez lui aa Roi Chevalier : 
il était d'assez bonne maison pour cela. Cependant, 
grâce au servum pecus des courtisans et des imita- 
teurs, ce caprice, qui n’était rien dans l’origine, devait 
avoir en France les résultats les plus funestes pour le 
chant religieux. Les évêques et les abbés de cour ne 
purent se dispenser de trouver admirable cette royale 
billevésée et, pour prouver combien ils la prisaient, ils 
s’empressèrent de doter leurs cathédrales de chœurs 
recrutés parmi les voix de taureaux {aurinæ voces , 
comme on les appelait alors. De proche en proche ce 
fut à qui aurait les taureaux les mieux conditionnés : 
les mugissements étaient à l'enchère; bientôt les cathé- 
drales de toutes les villes de l’est et du nord de la 
France retentirent des beuglements des Picards et des 
Allemands. En vérité, si la plaisanterie était admise 
en matière aussi grave, on pourrait dire que le chris- 
tianisme était retourné alors à son berceau : à l'étable 
de Bethléem. 

Les conséquences d’une pareille folie étaient inévi- 
tables : le chant ecclésiastique que saint Ambroise et 
saint Grégoire s'étaient ingéniés à ordonner de telle 
sorte qu’il fût accessible à tous, chanté qu’il était dé- 
sormais par des voix tout exceptionnelles et qui sont 
en immense minorité dans la race humaine, fut aban- 
donné par le peuple qui ne pouvait plus suivre le chœur, 
et devint le privilége exclusif des quatre ou cinq tau- 
reaux que pouvait stipendier la cathédrale ou l’abbaye. 
Contre toute raison et à l’encontre des règles ecclésias- 
tiques , le clergé et le peuple ne chantèrent plus qu’in 
petto les louanges du Très-Haut, et le chant populaire 
vint expirer devant une courtisanerie aussi grotesque 
que coupable. 


OS D ST 


es — 


Ce n’est là toutefois qu’une partie du mal: au dix- 
septième siècle, la fièvre des réformes avait gagné les 
évêques eux-mêmes; ils ne craignirent point de por- 
ter la main sur la liturgie, et de la réformer chacun à sa 
guise et à sa fantaisie. Dire ce que ces réformes im- 
prudentes causèrent de ravages dans le chant ecclé- 
siastique, serait une longue affaire, et je veux abréger. 
Je ferai seulement observer que ce fut le dernier coup 
porté au chant populaire. Pour de nouveaux textes, il 
fallut inventer de nouveaux chants, et Dieu sait toutes 
les monstruosités qui virent le jour à cette occasion. 
Jusqu’alors, les mélodies sacrées avaient été aussi le 
livre de l’ignorant , elles soutenaient sa mémoire et lui 
rappelaient les textes saints par une sorte d’opération 
mnémonique analogue à celle du rhythm: faisant re- 
trouver les vers: 


Numeros memini, si verba tenerem ! 


a dit le poète. Mais à compter de cette époque , les 
chants nouveaux et inconnus désorientèrent complète- 
ment les fidèles, et ils durent même renoncer à leur 
chant in pelto. Une langue inconnue des mélodies qui 
wavaient pour elles ni le grandiose du caractère, ni les 
souvenirs des anciennes, Cen était trop : le peuple 
cessa complètement de prendre part à la liturgie. Sla- 
bat populus spectans , dit l'évangile, c’est l’histoire du 
peuple chrétien de nos jours, gràce à la renaissance et 
à Francois I. 

Aujourd’hui, Messieurs , et votre institution en est 
une preuve vivante, on cherche à retrouver les bonnes 
traditions en fait d’architecture, de peinture, de sta- 
tuaire; il faut espérer que la musique aura son tour. 


= =. 


Le clergé actuel moins tourmenté dans sa vie inté- 
rieure que celui qu’a si cruellement balloté la tempête 
révolutionnaire , fait des études profondes et seconde 
puissamment ce mouvement; il veut, comme aux jours 
anciens, que la religion donne la main à la science. Il 
est impossible qu’il tarde longtemps à comprendre que 
la musique n’est pas un vain assemblage de sons et que 
« toute musique n’est pas bonne pour louer Dieu dans 
le sanctuaire, » comme l’a dit un grand moraliste. Il 
y a donc lieu d'espérer que nos pays, disgrâciés par la 
renaissance, reverront quelque jour la lumière, et que 
nous sortirons de l’ornière fangeuse où nous sommes 
arrêtés depuis trois siècles. Mais pour cette salutaire 
réforme, il faut du temps: retrouver le plain-chant avec 
son harmonie, reconstituer ses traditions aujourd’hui 
perdues, enseigner ces graves et sévères mélodies aux 
jeunes générations, et leur faire prendre part aux chants 
religieux, tout cela n’est pas l'affaire d’un jour et n'est 
pas exempt de difficultés. Il y a done beaucoup de 
chances pour que nous en soyons encore réduits long- 
temps aux agréables voix de taureaux, c’est-à-dire, à 
cinq ou six voix au lieu des dix mille qui retentissaient 
dans le temple, avant le caprice de Francois I‘. 

Maintenant, est-ce bien en présence d’une exécution 
aussi piteuse du plain-chant qu’il serait convenable et 
prudent de diminuer la puissance sonore d’une ba- 
silique? Vous ne le pensez pas sans doute, et je mai 
pas besoin de vous dire qu'avant de songer à installer 
de nouveau des étoufloirs comme les tapisseries dans la 
cathédrale de Reims, il serait à propos de lui restituer 
au moins le chant populaire qui seul pourrait en atté- 
auer quelque peu le funeste effet. 

Notre confrère nous a dit que dans eertaines occa- 


e a o ——————————————— 


— 325 — 

sions, aux funérailles des princes , au mariage et au 
sacre des rois, on ne manquait pas de couvrir les mu- 
railles, de joncher le pavé de force tapis et tentures. 
Ceci est très vrai, mais nos orchestres modernes, nos 
orgues aux sons si puissants, et même les taureaux 
doués des plus larges poitrines, échouent complète- 
ment dans ces circonstances ou du moins ne sont plus 
que l’ombre d'eux-mêmes : le sacre de Charles X et les 
funérailles de Napoléon sont là pour le prouver. Le 
plain-chant seul avec son allure grave et mystérieuse, 
exécuté par de nombreuses voix hautes, accompagné 
par l'orgue, les contrebasses et les voix graves, peut 
jusqu’à un certain point lutter sans trop de désavan- 
tage contre les terribles qualités absorbantes de la 
laine et du coton; l'expérience faite récemment aux 
funérailles du duc d'Orléans ne laisse point de doute 
à ce sujet. | 

Je crois avoir démontré, Messieurs, que soit au point 
de vue de la pensée religieuse qui a guidé l'architecte, 
soit sous le rapport purement architectonique, les ta- 
pisseries sont un contre-sens. Abordant ensuite l'ar- 
chéologie musicale, jai essayé de faire voir combien 
est important et précieux le peu qui nous reste de la 
science acoustique de l'antiquité. Jai attiré votre at- 
tention sur la perfection des lignes sonores de notre 
cathédrale et j'ai signalé toutes les qualités de cet édi- 
fice que feraient disparaître immanquablement les ten- 
tures que l’on propose d’y replacer ; envisageant enfin 
la question sous une autre face, j'ai démontré que dans 
l’état actuel du chant ecclésiastique , C'était moins que 
jamais le moment opportun de diminuer la sonorité 
des édifices religieux. 

J'ai fait passer ainsi sous vos yeux toutes les pièces 


TR > 


du procès, j'ai porté autant qu’il est en moi la lumière 
dans cette difficile discussion, puisse-je avoir été assez 
heureux pour vous faire partager ma conviclion! 

Que les tapisseries soient conservées avec soin , ré- 
parées selon leur style, qu’elles ornent les sacristies , 
les salles capitulaires et même qu’on les appende si on 
veut dans l’église lors des processions solennelles , rien 
de mieux. Mais il y a entre ces tentures et la cathé- 
drale répulsion complète, je pense lavoir démontré. Or 
entre l’œuvre de Robert de Coucy et celle de Daniel 
Pepersack, le choix ne saurait être long. 

L’écrit que je réfute aurait pu donner lieu à quel- 
ques autres observations, mais j'ai déjà dépassé de 
beaucoup les bornes que je m'étais imposées, je termi- 
nerai par une simple réflexion. 

Grâce à l'administration, au clergé , aux académies, 
aux sociétés savantes, la France est couverte à l'heure 
qu’il est de savants archéologues , organisés entr’'eux, 
qui reconstituent le passé et conservent à Pavenir nos 
vieux souvenirs et nos vieux arts. L’archéologie est 
enseignée dans les grandes écoles, les livres qui en con- 
tiennent les principes et les résultats sont édités à 
grands frais par le gouvernement et vont porter dans 
les localités les plus éloignées du centre intellectuel les 
découvertes intéressantes, les hypothèses ingénieuses 
dues aux maîtres de la science. Je suis loin de me 
plaindre d’un pareil état de choses, mais je ne puis 
m'empêcher de remarquer qu’il n’existe rien de sem- 
blable pour l'archéologie musicale. Perdus, disséminés 
sur le sol du pays, sans aucun lien qui les rattache, 
aucune correspondance qui les unisse , les cinq ou 
six hommes qui cultivent en France cel art deshérité 
ne peuvent opposer dans leur isolement que de bien 


— 327 — 


faibles efforts à des innovations subversives ou à d'ir- 
réparables destructions. Aussi, Messieurs, je ne me 
suis pas fait illusion, et dans la lutte que j'ai essayé de 
soutenir, je ne me suis pas flatté de l'emporter. J'ai 
contre moi le nombre et le talent, c’est trop de moitié. 
Si je succombe, au moins ceux qui plus tard s'occupe- 
ront d'archéologie musicale n'auront pas à m'accuser 
d’être resté muet et de n’avoir pas énergiquement pro- 
testé dans une semblable circonstance. Il me restera la 
satisfaction d’avoir rempli un devoir, la conscience 
d’avoir payé une dette sacrée. 


SUITE ET FIN DE LA DISCUSSION. 


LECTURE DE M. HERBÉ. 


(Séance du 2 décembre 1842.) 


—_—_ M 


Messieurs, ' 


Je ne viens pas défendre la cause des tapisseries , 
nous vivrons tous assez. longtemps j'espère pour les 
voir replacer ; je désire seulement rétablir quelques 
faits dans leur propre vérité. 

Dans notre dernière réunion, on a posé en principe, 
que la volonté fixe des architectes du moyen-àge était 
de forcer les chrétiens à lever continuellement la tête 
vers le ciel pour élever leur âme; et de sacrifier à cette 
idée toute la décoration inférieure des églises. Sans 
doute dans les édifices dits gothiques , les hauts piliers, 
les voûtes élevées, les colonnettes, les clochetons et les 
tours immenses, sont comme on l’a dit, le symbole de 
la pensée religieuse, et autant de doigts qui montrent 
le ciel. Cette idée fut commune à tous les peupies ; 
Ovide ne disait-il pas en parlant de la divinité et 
cœlum tueri jussit: les obélisques des Egyptiens, les 
flèches des pagodes de l’Inde, les minarets des Tures 


— 329 — 

et les dômes de la Russie avaient le même but, ainsi 
que nos édifices non gothiques ; car il était impossible 
de passer sur le quai du Louvre, sans porter les yeux 
au ciel, lorsque la grande croix d’or de Sainte-Gene- 
viève, embrasée par les derniers rayons du soleil, bril- 
lait à une telle hauteur qu’une imagination exaltée 
aurait pu y voir une croix céleste. 

D’après le même principe on a dit que les architectes 
multipliaient les ornements vers la voûte, afin de for- 
cer les fidèles à diriger leurs regards et par conséquent 
leur pensée vers le ciel. C’est une erreur ou plutôt un 
raisonnement spécieux qui tombe devant la moindre 
objection; car on ne peut pas dire à des hommes, qu’en 
levant la tête vers des objets insignifiants ils élèveront 
leur âme : or je dis que dans nos églises les fenêtres 
les plus hautes et les merveilleuses rosaces sont des 
objets insignifiants pour la pensée religieuse, puisqu'on 
ne peut distinguer les sujets qui s’y trouvent représen- 
tés. La simple pierre d’un tombeau sur laquelle on 
lira, en baissant la tête, mon Dieu ayez pitié de moi, 
devra émouvoir l'âme et élever la pensée bien plus que 
les bigarrures éblouissantes des verres coloriés que l’on 
regarde près de la voûte. Si tel eût été le but de 
nos architectes, ils auraient été surpassés bien victo- 
rieusement par larchitecte payen qui construisit le 
Panthéon de Rome. Cet édifice n’est éclairé que par 
une vaste ouverture située au sommet de la coupole. 
A peine avez-vous franchi le seuil du temple que vous 
levez forcément la tête ; là ce n’est point une voûte éle- 
vée à quelques pieds de hauteur et barbouillée de jaune 
et de bleu, ce ne sont point des grillages garnis de ver- 
res blancs ou coloriés qui frappent vos regards; c’est 
la voute éthérée, c’est le cie} lui-même qui s'offre à 


— 330 — 

vous sans obstacles. Tout l'édifice semble triste et som- 
bre et disparaît à vos yeux; une seule chose vous oc- 
cupe Cest le ciel, toujours le ciel, dont les rayons de 
lumière, en plongeant dans le temple, frappent sur 
tous les assistants et semblent un regard de la divi- 
nité qui pénètre jusqu’au fond des cœurs. J'ai même 
la conviction que plus d’un Italien coupable est sorti 
en tremblant de cette enceinte sacrée, sans oser porter 
ses regards vers la voûte, dans la crainte d’y rencon- 
trer la face de Dieu. Aussi la pensée de nos grands 
architectes avait si peu pour but de fixer constamment 
l’atiention vers les hauteurs, qu’ils y plaçaient les ob- 
jets les moins importants. Ainsi, nous voyons au bas 
des portails, ou des martyrs ou des vertus person- 
nifiées; vers le haut, la foule insignifiante des grands 
de la terre : à l’intérieur, les voûtes aussi élevées que 
possible, parfois peintes en bleu et semées d’éloiles 
d’or, parfois couvertes de mosaïques, semblaient s’é- 
lever encore au milieu de la fumée d’une multitude de 
cierges et de la vapeur de l’encens, et se perdaient 
pour ainsi dire aux yeux qui, s’abaissant vers les par- 
ties inférieures, y trouvaient d’utiles enseignements. 

Faut-il donc vouloir prouver par de brillants sophis- 
mes que la nudité des murs était dans le goût et dans 
l'esprit des architectes du moyen-âge, quand on sait 
qu'ils l'avaient en horreur. Oui, Messieurs, telle était 
l'horreur qu’ils avaient pour cette nudité, que la voûte, 
les fenêtres, les murailles, tout jusqu'au pavé même 
était couvert de peintures, de dorures, de ta- 
pisseries et de mosaïques ; dans cet enthousiasme de 
décoration, on peignait au treizième siècle même les 
statues de marbre et il est incontestablement prouvé 
que les voussures des portails étaient peintes et dorées. 


— 331 — 


Or, Messieurs, rétablissez un moment dans votre pensée 
la voûte avec ses peintures , toutes les fenêtres avec 
leurs vitraux, le pavé avec sa mosaïque et le portail 
avec sa profusion de dorures , et laissez le reste dans 
l’état actuel ; oserez-vous dire alors que la pensée du 
grand architecte est complète, et n’aurait-il pas agi avec 
aussi peu de sens que celui qui amasserait les mer- 
veilles de lart dans une anti-chambre, pour laisser à 
nu les murs du salon. Tel est pourtant le système 
que prônent aujourd'hui les Pétrophiles. Toutes ces 
grandes parlies de murs élaient masquées par des 
fresques, des toiles peintes , des tapisseries ou des ta- 
bleaux à la colle, peints sur de grands panneaux de 
bois ou sur des chassis garnis de toile. Si lon réfléchit 
à la fragilité de ces peintures, aux causes nombreuses de 
dégradation , telles que les offices nocturnes, les fêtes 
des diacres, la manie des illuminations , les guerres, le 
pillage, et les sacres surtout; on comprendra facilement 
en quel état déplorable elles se trouvaient quand la fu- 
reur du badigeonnage vint les expulser de nos temples. 
Jamais, excepté de nos jours, personne mosa pré- 
tendre que le temple de la divinité dût être moins 
orné non-seulement que le palais du roi, mais encore 
qu'une simple maison bourgeoise. Pourquoi prodiguer 
das nos églises modernes les productions les plus fas- 
tueuses de la nature et des arts, si la nudité la plus 
rigoureuse convient seule à nos vieilles cathédrales ? 
Avons-nous done deux cultes et deux divinités? Per- 
sonne n'ignore que depuis le temple du Soleil en Perse, 
jusqu’à l’église de la Madeleine à Paris, l'usage de 
peindre ces édifices n’a presque jamais été interrompu. 
Les Egyptiens , les Grecs, les Romains peignaient l'in- 
térieur de leurs temples , et souvent mème l'extérieur. 


— 332 — 

Nos ayeux conservèrent cette habitude; au septième 
siècle, des évêques d'Allemagne peignaient eux-mêmes 
les voûtes et les murs de leurs églises, et on ne dira 
pas qu’ils les badigeonnaient , puisque la chronique 
ajoute limate, et qu’en même temps ils fondaient des 
écoles de peinture dans leurs couvents : au dixième, 
des empereurs d'Allemagne faisaient venir des peintres 
d'Italie; un religieux de Mortier-en-Der était demandé 
pour restaurer les anciennes peintures de l’église de 
Châlons : au douzième, Roger, moine de Reims, excel- 
iait dans la peinture à la colle et dans celle des vitraux. 
Partout enfin les religieux s’adonnaient avec zèle à 
l'étude de la peinture, de l’orfèvrerie et de la mosaïque 
pour orner leurs églises, objets de tous leurs soins, 
de toutes leurs affections ; car beaucoup de sculptures 
sont faites avec amour : et l’on vient nous apprendre 
aujourd’hui qu’il ne prenaient tant de peine que pour 
laisser à nu dans l’intérieur, les parties les plus visi- 
bles de l'édifice. 

On a parlé bien haut du jugement dernier placé au- 
dessus de la porte d’entrée, du pilier allégorique qui 
sépare les élus des damnés ; on a dit : un homme tour- 
menté par ses remords se présente ; passera-t-il à 
droite du côté des damnés, osera-t-il passer à gauche ? 
Eh bien! si l'église eût été telle qu’elle est aujourd’hui, 
ilne serait passé ni à droite ni à gauche, il aurait pu 
entrer par une des quatre portes qui n’ont pas de juge- 
ment dernier, et il n'aurait rien trouvé qui renouvelât 
ses craintes, puisqu'il n'aurait vu à l’intérieur que des 
pierres aussi froides et aussi dures que son cœur: mais 
il wen était pas ainsi , car il rencontrait à chaque pas 
les tableaux des Saintes Écritures ou de la Vie des 
Saints, qui lui rappelaient les mystères et la morale de 


— 333 — 

la religion. Notre église ne possède plus les lapisseries, 
qui représentaient la vie de Jésus-Christ, elles ont 
été retirées par les pétrophiles qui lui disputent en- 
core le peu de tableaux qui restent : qu'ils les retirent 
donc, afin que l’on reconnaisse plus tôt leur utilité et 
que l’on rende aux temples leur antique splendeur. 
A la vérité, ces tableaux accrochés au hasard pour- 
raient être mieux placés, ils attestent beaucoup d’in- 
souciance , puisque ceux qui furent faits les derniers 
ne Sont pas assortis au style du monument; mais sem- 
blables à des lés de riche tenture placés dans un palais, 
ils font moins désirer leur expulsion que l'achèvement 
de la décoration. D'ailleurs les objets d'art exposés 
dans un temple, outre leur utilité d'ornement et d'ins- 
truction ne sont-ils pas un hommage rendu au créateur 
en reconnaissance du bienfait de tant d'intelligence ? 

Puisque la sonorité est maintenant le motif avoué de 
l'expulsion des tapisseries, je prendrai la liberté de 
relever une petite erreur qui se rapporte à la musique. 
On a dit que François Į% avait fait rechercher pour sa 
chapelle les plus fortes basses-tailles que je ne flétrirai 
pas du nom de taureaux, et que cette innovation s’é- 
tant répandue dans toutes les églises avait fait cesser 
les chants du peuple : c'est une erreur et j'en atteste 
toutes les petites églises de province et celles des cam- 
pagnes, où il se trouve cependant des chantres à fortes 
voix, mais où il n’y a pas de musique. Oui, Messieurs, 
Cest la musique seule qui a fait cesser dans nos tem- 
plesles chants du peuple, parce que ne retrouvant plus 
ses airs simples et habituels, et ne pouvant pas sui- 
vre les modulations variées de la musique, il fut bien 
forcé de se taire pour éviter la cacophonie, Mais un 
reproche aussi grave el aussi juste que l'on doit adres- 


, 


— 334 — 
ser à la musique, c’est d’avoir avili nos églises en les 
assimilant à des salles de concert; c’est d’y avoir attiré 
une foule de curieux, qui , la canne dans une mainet le 
lorgnon dans Pautre, viennent s’y promener avec im- 
pudence et scandalisent les personnes vraiment pieuses. 
Assurément la grande musique peut attirer des ama- 
teurs aux offices, mais elle ne fera pas de chrétiens. 
Puisque c’est pour elle que lon a retiré les tapisse- 
ries, je dirai que bien des personnes ont pu regretter 
qu’elles ne fussent plus là pour adoucir parfois le dés- 
accord des intruments et des chanteurs , et si, comme 
on l’a dit, nous devons entendre encore longtemps les 
voix de taureaux, c'était une raison pour ne pas nous 
priver de leur présence bienfaisante. Sans doute leur 
bannissement est prononcé sans retour, puisque l’on 
suffit à tout maintenant par la majesté des grandes 
lignes. Cependant les architectes du moyen-âge étaient 
loin d'y attacher autant d'importance que nous; car 
ils les barriolaient de mille manières, les couvrant de 
rosaces, de trèfles, de zigzags, d'oiseaux et de feuilla- 
ges, en les peignant de couleurs souvent discordantes 
qui s’harmoniaient à une petite distance , allégissaient 
les piliers, augmentaient la perspective aérienne et 
doublaient. limmensité de l’édifice. Souvent les piliers 
éclairés par la lumière pour ainsi dire prismatique des 
fenêtres , changeaient de couleur et disparaissaient en 
partie sous les nuances brillantes et vaporeuses des 
vitraux, parfois ils se mariaient avec un charme indi- 
cible aux feux étincelants des verrières , aux peintu- 
res, aux tentures brodées, aux rideaux de soie, aux 
bannières suspendues cà et là dans le temple, dont les 
couleurs vives et les dorures éclatantes reflétant de 
loin en loin les lueurs mystérieuses d’une lumière affai- 


RS 


— 335 — 


blie, changeante et colorée , offraient aux regards tout 
l'effet d’une fascination féerique et ravissante. Puis 
aux offices, une multitude de cierges et de lampes cha- 
toyantes répandaient une teinte de feu dans l'enceinte 
obscure du sanctuaire, qui se remplissait de Podeur 
des parfums et retentissait bientôt du chant grave 
des prêtres parés de leurs riches vêtements. Ensuite, 
on voyait apparaître au loin près de l'autel et comme 
dans un nuage formé d’encens, un vénérable pontife à 
la barbe longue, aux cheveux blancs , qui, environné 
de son clergé éblouissant d’or et de pierreries , venait 
célébrer les saints mystères : et tandis que les vapeurs 
odorantes ne permettaient plus de l’apercevoir que 
comme une sainte apparition, les sons de l’orgue 
amortis par les tentures de l'édifice, venaient douce- 
ment résonner aux oreilles du peuple silencieux, comme 
une musique aérienne et céleste. Cel ensemble magique 
et enchanteur faisait sur le chrétien une impression pro- 
fonde qu’il ne pouvait retrouver nulle part, qui lui 
faisait aimer son église dont il ne sortait jamais sans re- 
grets, et où il se retrouvait toujours avec plaisir. Que 
nous est-il resté de tant de merveilles ? la froideur et la 
sécheresse de la pierre , la bruyante musique d’un pe- 
tit théâtre , et des églises éclairées et décorées comme 
nos balles et nos marchés couverts. 

C’est une étrange maladie, que je craindrais de 
qualifier, que celle qui pousse quelques hommes 
à demander le dépouillement de nos églises, quand 
tout le monde depuis le riche bourgeois qui, fùt-il 
pétrophile , orne son appartement de tableaux , jus- 
qu'au malheureux ouvrier qui attache des images à 
ses murailles, tout le monde manifeste l'aversion que 
leur nudité inspire. Pour moi , un mur de pierre est 


— 336 — 


l'image de la dureté, de la captivité et de la mort : 
ce n’est qu'un cercueil ou un cachot : à sa vue mon 
cœur se serre, mon imagination se glace et son as- 
pect repoussant m’attriste et m'éloigne. Et c’est pour 
nos églises dont le but est d'attirer et d'instruire, que 
l’on réclame ce triste privilége! Faut-il donc tant de 
choses pour remplir un de ces grands panneaux ? Pla- 
cez-y une copie du petit tableau de Salario représen- 
tant la Vierge allaitant son fils; elle le couvrira tout en- 
tier. Ily a tant d'amour et de bonheur dans ces têtes divi- 
nes, que personne ne pourra s'empêcher de les regarder 
pour ne voir bientôt plus qu’elles; aucune femme n’y 
portera les yeux sans apprendre à chérir ses devoirs dé- 
licieux, en sentant augmenter son amour maternel. 
Placez-y une seule statue , celle de saint Nicaise, tout 
est changé; à sa vue, le souvenir d’une action subli- 
me remplit la pensée, le cœur s'anime, l’imagiuation 
s’exalte; on croit voir le saint prélat s'efforcer de ras- 
sembler son peuple, s’en emparer comme de ses en- 
fants; on entend le cliquetis des armes, les cris des 
Barbares; on voit ce père généreux se précipiter à leur 
rencontre, les repousser avec courage et périr, en dé- 
fendant la plus sainte des causes, celle de l'innocence, 
de la faiblesse et du malheur. C’est alors que la pensée 
remonte vers Dieu et qu’on sent le besoin de croire à 
l'immortalité. 

Sans être belles, nos tapisseries représentaient la 
Vierge et la vie de Jésus-Christ, et chacune d’elles nous 
rappelait que lui aussi est mort pour la cause de Phu- 
manité. Ah! Messieurs, contre de pareilles considéra- 
tions, le prolongement d’un cordon de pierre ou un peu 
plus de sonorité me paraissent de bien pauvres raisons. 


NUMISMATIQUE. 


Ro? TERY) f iér TAFT 


À 


NUMISMATIQUE ET ARCHÉOLOGIE. 


NOTICE 


SUR QUELQUES DÉCOUVERTES D’OBJETS D'ANTIQUITÉ 


ET 
DE MÉDAILLES ROMAINES, 


Faites à Reims et dans le pays Rémois , de 1820 à 1840 (1). 
Par M, LOUIS-LUCAS. 


L'Académie de Reims est constituée 
dans le but de travailler au développe- 
ment des sciences, des arts et belles- 
lettres, et surtout de recueillir et de 
publier les matériaux qui peuvent ser- 
vir à l’histoire du pays. 

(Statuts de l’ Académie de Reims, art, 1.) 


Messieurs, 


De D, p1 ve a ex reste. 


Soumis au texte même de vos statuts, je vous ap- 
porte, commeune faible marque de ma reconnaissance, 
un extrait des documents que je possède sur l’histoire 


numismatique de Reims. 


(1) Extrait du discours de réception de M. Louis-Lucas, séance du 
3 Février 1843. 


— 340 — 


Une notice raisonnée des monnaies et antiquités 
trouvées à Reims et dans le pays Rémois, pendant 
20 ans, serait trop longue, aujourd’hui, Messieurs, si 
je voulais me livrer à tous les détails que comporte un 
aussi intéressant sujet. 

Tel n’est pas mon but, du moins quant à présent. 

Indiquer succinctement les découvertes qui sont ar- 
rivées à la connaissance de mon père, de 4820 à 1840; 
donner en quelque sorte la table des matières del’ouvra- 
ge qu'il ma laissé à faire sur son médailler et sa riche 
collection d’antiquités Remo-Romaines ; rendre hom- 
mage à sa mémoire vénérée, en le montrant toujours 
assidu à compléter autant qu’il était en lui, un cabinet 
qu’il savait rendre public, voilà le seul plan que j'aie 
maintenant formé, me réservant de l'agrandir plus 
tard, et de donner à chacun des articles que je vais 
mentionner, la page dont il est digne. 

Je le sais, Messieurs, l’Académie a déjà écouté avec 
plaisir un travail semblable de l’un de ses honora- 
bles membres. M. Duquenelle vous a donné un récit 
plein d'intérêt sur les découvertes faites depuis deux 
ans; mais, comme l’auteur a commencé son récit à une 
époque à laquelle j'ai l'intention de finir le mien, ce 
sera presque compléter son ouvrage, et ce sera d’ail- 
leurs lui fournir à lui-même, pour son plan d'histoire 
des monnaies et antiquités Gallo-Romaines, des ren- 
seignements inédits, puisque seul, pendant près de 20 
ans, mon père a eu l’idée, je dirais presquele courage 
de composer une collection à laquelle ses nombreux 
élèves sont encore loin d’atteindre. 

Sous l'impression saisissante de la vie des grands 
hommes de Plutarque, qu’il venait de lire dans la tra- 
duction primitive d’Amyot, en 1820, M. Lucas ap- 


NU — 


prend qu’à Lappion, dans l'arrondissement de Laon, 
on vient de découvrir des monnaies romaines. 

Le désir, l'espoir de contempler les traits de quel- 
ques uns des grands hommes dont il venait de lire les 
hauts faits, fit naître en lui un goût qu’il ne perdit 
qu'avec la vie. Il partit et rapporta un vase de terre 
trouvé en pleins champs, contenant environ huit mille 
petits bronzes saucés, d’une bonne conservation en 
général, et quelques pièces de billon ou bas argent. 
28 têtes impériales différentes, à partir de Gallien 
jusqu'aux Maximiens, et plus de trois cents revers va- 
riés, vinrent le consoler de sa déception. 

En effet, Messieurs, Amyot ne lui avait donné la vie 
d'aucun des hommes qu’il pouvait voir, du moins en 
effigie; mais, possesseur déjà, et d’un seul coup de 
filet, comme il se plaisait à le dire, de 28 empereurs, 
et de 300 pages de leur histoire, il ne pouvait plus 
s'arrêter en aussi beau chemin, et la découverte de 
Lappion fut pour lui le prélude d’une trouvaille beau- 
coup plus importante. 

En 1821, le 3 Décembre, à Trigny, à trois lieues 
de Reims, dans un champ lieudit la Voie-du-Trésor, 
à peu de distance de la Vesle et du village de Mui- 
zon, un coup de pioche vint rendre le jour à un 
grand vase de cuivre, d’un beau vernis antique, 
mais d’une forme assez commune. Il contenait plus de 
quatorze mille pièces romaines, toutes en argent, à 
différents titres, suivant les différentes époques aux- 
quelles elles appartenaient. Dans moitié seulement 
de ce trésor, on a reconnu quarante-huit têtes impé- 
riales différentes dont quelques unes fort rares, telles 
que les Gordien d'Afrique père et fils, les Manlia 
Scantilla, les Cornelia Supera, les Aquilia, les Orbia- 


Er YE 


na, les Maxime premier, les Pertinax, les Pescen- 
nius Niger, etc. ete. Ces pièces remontaient dans le 
haut empire jusqu'à Commode, et descendaient jus- 
qu’à Gallien ; elles offraient une variété de 500 re- 
vers environ ; les Gallien étaient moins nombreux que 
les autres têtes. 

La seconde moitié de ces pièces est devenue frau- 
duleusement, à l’époque du dernier sacre, la propriété 
d’un Anglais pour la majeure partie ; le surplus ap- 
partenait à M. Firmin-Clicquot de Reims. 

Je conserve précieusement le vase sur le couvercle 
duquel se trouve une inscription malheureusement 
indéchiffrée et peut-être indéchiffrable. 

Je me propose d'offrir à l'Académie, dans une 
prochaine lecture, un travail spécial sur cette décou- 
verte, sur les différents systèmes d'interprétation aux- 
quels elle a donné lieu, et d’y joindre avec le des- 
sein du vase un catalogue raisonné par tête et par 
revers, des monnaies qui la composaient. 

Aujourd’hui, Messieurs, après des siècles de révo- 
lutions, un sapin planté par le possesseur du champ, 
pour perpétuer le souvenir de l’origine providentielle 
de sa fortune, élève majestueusement sa tête sur la 
tombe de ces héros antiques ; comme si le villageois, 
sous sa rude écorce, avait percu l'inspiration qui 
dictait au chantre de Paul et Virginie, ses admirables 
pages sur la sombre beauté des arbres funéraires, 
dans les Harmonies de la nature. 

Le plan que je me suis tracé pour aujourd’hui, Mes- 
sieurs, ne comportant pas de développements, je n’ai à 
vous signaler que très-sommairement les découvertes 
faites dans nos parages, de 1822 à 1829. Ces années, 
quoique fertiles, n’ont rien amené de fort important; 


— 343 — 

mais si, près de nous, à Folembray, à Mareuil-sur-Ay, 
à Stenay, à Reims, à Damery, des pièces isolées de 
bronze, d'argent et d’or venaient seulement consoler 
l'ouvrier de l’äpreté de ses travaux, sans ranimer beau- 
coup le zèle et l’émulation des collecteurs, un autre 
pays, mieux favorisé que nous, étonnait l'Europe en- 
tière par la richesse de ses trésors. Les fouilles de Fa- 
mars seront longtemps encore, Messieurs, l’objet de la 
convoitise et de l'admiration des antiquaires. 

Malgré monextrême réserve sur les détails, je vous 
signalerai à Mareuil, en 1826 , la réunion dans un 
même vase de pièces à l'effigie des empereurs depuis 
Posthume jusquà Magnence ; de pièces à l’effigie des 
villes de Rome et de Constantinople , et de la petite 
pièce rémoise a trois têles, sur laquelle on lit pour 
toute légende Remo. 

Il semble, Messieurs, qu’à l’éruption du volcan 
qui remua le monde en 1830 , la poussière de la Rome 
des Césars se soit encore émue. Aucune année ne fut 
pour nous plus riche , plus variée dans les découvertes 
qu’elle nous fit faire ; et ici l’histoire numismatique de 
Reims reprend tout son intérêt. 

Dans le clos de l’ancien château féodal de Damery , 
on trouva dans cette même année, une première fois , 
4000 petits bronzes d’une belle conservation, mais 
presque tous de Constant et de Constance IT; une se- 
conde fois, 4000 pièces de billon de l’époque de Sep- 
time Sévère à Posthume ; une troisième fois, 500 autres 
des mêmes époques, lorsqu’enfin, à côté de ces richesses 
de bon aloi, le destin par une de ces bizarreries dont 
il a seul la clef, vint signaler l'existence d’une fabrica- 
tion de fausse monnaie. Singulier hazard, qui vient 
en quelque sorte justifier le présent par le passé, et 


se. SE = 


montrer dans l’homme de tous les temps une insatiable 
cupidité (1). 


Je ne puis mieux faire, Messieurs, que de vous citer 


sur cette découverte, dont M. Hyver, ancien substi- 
tut à Reims, aujourd’hui procureur du roi à Orléans, 


a 


rendu un compte détaillé dans la revue numisma- 


tique (2), je ne puis, dis-je, mieux faire que de vous 
transcrire les notes que mon père a prises à cet égard. 


« En 1830, dans le pare de Damery, on décou- 
vrit plusieurs objets d’antiquité, quelques vases, 
des ustensiles, toutes les traces d’un atelier de 
monnaie; ciseaux, pinces, crochels, débris d’un 
fourneau : une grille en fer d’un mêtre carré, qui 
défendait l'entrée de la fenêtre de cet atelier, un 
grand nombre de moules en terre cuite réunis, et 
encore occupés par les pièces coulées et garnies de 
leurs bavures. Ces moules étaient rangés dans un 
ordre qui ne permet pas de douter qu’ils maient 
été remplis sur la place même. Jai recueilli la 
grille, tous les ustensiles , une trentaine de moules 
et quelques unes des pièces moulées, qui portent 
les empreintes de Caracalla, de Philippe et de Pos- 
thume. On maura pas eu le temps d'extraire ces 
pièces des moules, et de les finir, (ajoute Panno- 
tateur), avant de fuir ces lieux dans un moment de 
trouble , de confusion, de poursuites peut être. » 

Consolante pensée, Messieurs, qui repose l'esprit 


affligé de l’honnête homme, en lui montrant la justice 
brandissant son glaive au-dessus de la tête des mé- 
chants de tous les âges. 


(i) Voir la note ci-après, pag, 347. 
(2) L'article de M. Hyver a été reproduit dans la Chronique de 


Champagne, tom. 11. 


— 345 — 


Dans le même temps, à Reims, dans les fondations 
d’une maison de la rue des Telliers, on découvrait 
des constructions Romaines à 25 pieds de profon- 
deur. On en retirait, entr'autres choses, un petit bœuf 
en bronze massif de 28 lignes de longueur ; il fait au- 
jourď’hui partie de ma collection. 

Toujours en 1830, une trouvaille des plus impor- 
tantes se fit dans le cimetière du Nord, à Reims. Plus 
de 200 pièces d’or de la plus belle conservation et de 
la plus grande rareté, devinrent, après leur exhuma- 
tion, la propriété de M. Firmin-Clicquot. Je vous 
citerai des Pertinax et un Albin, et tout le monde 
connait la rareté de cette pièce qui manque aujour- 
dhui au cabinet du roi, depuis la fatale catastrophe 
de 1835. 

Je ne veux pas fatiguer votre attention, Messieurs, 
du récit des découvertes faites en 1832, à Reims; je 
mentionnerai seulement, dans le jardin de M. Lelarge, 
près le cimetière, un vase de terre noire fort commune, 
contenant plus de 150 pièces d’or à l’effigie des Néron, 
des Othon, des Vitellius, des Vespasien, des Titus, 
des Domitien, des Trajan, des Adrien, des Ælius , des 
Antonin, des Faustine, des Galba, des Marc-Aurèle, des 
Lucius Verus ; près du vase une fiole de verre et des 
chainelles de cuivre. 

A Chenay, des pièces de Dioclétien à Maxime, au 
revers de Genio Populi Romani, avec une tête de Cy- 
bèle en terre cuite, et un Ecce Homo en cuivre doré de 
la plus belle conservation, du modelé le plus parfait. 

Je ne vous parlerai pas de Cormicy , de Cumières , 
de Tours-sur-Marne, d'Évergnicourt et de beaucoup 
d’autres lieux. Je m’arrête encore un instant à de nou- 
velles fouilles faites à Reims, dont je n'aurais peut- 


EE pen 


être pas dù quitter le sol, tant il est riche, et je vous 
signale , Messieurs, trois aigles Romaines exhumées à 
l'Esplanade Cérès , sur le terrain de M. Baron-Gigot ; 
une figurine Romaine, entièrement calcinée, trouvée 
dans le jardin de M. Contet-Muiron; une Victoire 
ailée , à la couronne tendue , aux vêtements des mieux 
fouillés , pour me servir de l'expression d’un antiquaire 
distingué, M. Vionnois, trouvée au Mont-d’Arène; des 
pièces de grand et de moyen bronze et d’argent; des 
figurines, des vases , une patère en cuivre, une mo- 
saique Romaine ; une borne milliaire, trouvée sur le 
terrain de notre honorable confrère M. Houzeau ; un 
médaillon d'Antonin, en bronze, de la plus grande 
beauté et d’une incontestable rareté ; un autre de Ves- 
pasien, en argent, trouvés dans l’ancien aqueduc de la 
Suippe à Reims; des tombeaux en plâtre, couverts 
d'inscriptions , trouvés à la fois sur le sommet de la 
montagne Sainte-Geneviève, et dans le terrain qui a 
servi à l'agrandissement de l’ancien cimetière du nord; 
des fibules , des agrafes de cuivre, d'argent et d’or, 
des anneaux, des colliers, des bracelets; dans le terrain 
de M. Croutelle , rue Libergier , des cuillères à larmes, 
des lacrymatoires en verre, des lampes, des vases et 
des monnaies romaines ; dans l’ancien Jardin des plau- 
tes, une svbille égyptienne, un Amour digne d'Her- 
culanum et de Pompéi. 

J'abuserais trop longtemps de votre bienveillante 
attention , Messieurs, si je voulais vous donner , même 
en aperçu, la nomenclature des objets qu'a recueillis 
mon père, et des lieux où ils Pont été : des creusets , 
des haches, des vases en verre, des inscriptions, des 
trépieds , des masques de théâtre, des statuettes, des 
urues cinéraires , des débris de chars et d’autels, des 


— 347 — 


lampes sépulchrales, des stylets, des armes, des ins- 
truments de supplice, des objets de toilette viennent 
aider le scrutateur des temps antiques de notre cité, 
à en préciser l’histoire. 

Vous le voyez, Messieurs, ici , je ne me suis occupé 
que d’une époque; je n’ai nullement abordé les graves 
questions que peuvent faire naître toutes ces recherches, 
je ne me suis étendu sur aucune d'elles, et cependant 
que de faits importants à préciser ! que d’études à 
faire ou à compléter ! que de controverses à établir ! que 
delumières ne peuvent jaillir de toutes ces découvertes, 
que de points obscurs ne peuvent elles pas éclairer ! 


NOTE. 

Après avoir étudié avec toute l'attention qu’elles méritent, les 
réflexions savantes et pleines d'intérêt qu’on va lire, je crois 
devoir maintenir, contrairement à l'opinion de M. Duquerelle, 
ce que j'ai dit sur l'atelier de faux monnoyeurs découvert à 
Damery. 

Il est certain pour moi que M. Duquenelle s’est trompé sur 
la position de Bibé. Damery ne s’est pas élevé, comme il le 
suppose, à la place de cette ville antique. 

Il suffit pour se convaincre de cette verité, de consulter : 

1° Ledictionnaire de Géographie ancienne de Mentelle , fai- 
sant partie de l'Encyclopédie méthodique, tome premier, page 
321, Bibé-Chailly. | 

2° Le dictionnaire universel abrégé de Géographie an- 
cienne comparée, de Dufau et Guadet, tome premier, page 
209 , Bibé-Chailly. 

D'après ces autorités, Bibé serait aujourd’hui dans le dé- 
partement de Seine et Marne, et sur la rive gauche de lą 
Marne. 


— 348 — 


3 La carte de la Gaule par Danville. Bibé y est placé à 
l’extréme frontière des territoires dés Remi, des Suessionnes 
et des Catalauni. C’est à peu près la position de Saint-Martin 
d’Ablois, et c’est, comme Saint-Martin , sur la rive gauche de 
la rivière de Marne, et à méme distance. 

4° L'Atlas universel de Géographie ancienne et moderne 
de A. Brué. Carte générale des Gaules. Bibé, placé au sud- 
ouest de Durocortorum (Reims), rive gauche de la Marne, 
49° dégré de latitude boréale. 

Ainsi, que Bibé soit du département de la Marne ou du dé- 
partement de Seine-et-Marne, que Bibé ait fait place aujour- 
d’hui à Saint - Martin d’Ablois, comme je le crois, ou à 
Chaï!ly, ce qui me parait peu vraisemblable, il est certain, 
d’après tous les auteurs, que Bibé était sur la rive gauche 
de la Marne; Damery est sur la rive droite. Bibé était au 
moins à une distance de la Marne, qu’on peut évaluer à 
deux de nos lieues anciennes, à vol d'oiseau, Damery est baigné 
par les eaux de la Marne. — Qu'on me cite enfin un seul 
empereur qui depuis Caracalla ait été élu, couronné, ou porté 
sur le pavoi à Bibé , et qui ait dù faire à Bibé largesse au peu- 
ple et aux soldats. 

Je pense que l'opinion des premiers possesseurs des débris 
de l’importante découverte de Damery, est la seule vraie, et 
qu'éloignés, sur le lieu où vit aujourd’hui Damery, de toute 
habitation, des malfaiteurs s’y étaient réunis, pour fabriquer 
de la fausse monnaie. 


LOUIS-LUCAS. 


QUELQUES RÉFLEXIONS 


L'ATELIER MONÉTAIRE DE DAMERY 


Par M. Duquencile. 


Messieurs , 


Dans la séance du 3 de ce mois, M. Louis-Lucas a lu 
à l'Académie une notice curieuse sur plusieurs enfouis- 
sements monétaires qui ont contribué à former la riche 
collection qu'il a le bonheur de posséder ; les détails 
qu'il nous a fait connaitre sont donnés avec une pré- 
cision et une exactitude dignes d’éloges : je ne partage 
cependant pas son avis quand il est arrivé à parler de 
la trouvaille faite à Damery , d’une grande quantité 
de médailles, moules en terre, ustensiles qui dürent 
servir à un atelier monétaire , et qui, selon l’auteur de 


— 350 — 


la notice , vinrent signaler l'existence d’une fabrication 
de fausse monnaie. Cette attribution à des faussaires 
de l'atelier de Damery est dùe aux premiers posses- 
seurs de la trouvaille, et leur opinion a été adoptée 
par bien des amateurs ; comme elle n’était appuyée 
d'aucune preuve, je ne l’ai jamais partagée, et depuis 
quelque temps j'avais l’idée de la combattre , lorsque la 
notice de M. Lucas est venue m'en fournir l’occasion. 


La fabrication de la fausse monnaie ne peut consister 
que dans l’altération du métal et dans l’abaissement 
du titre légal des monnaies, tout en leur conservant 
leur forme et leur aspect. 

Eh bien! parmi toutes les médailles trouvées à Da- 
mery, il n’y en a pas une qui soit d’un titre inférieur 
aux médailles de ces époques trouvées dans des en- 
droits différents : j'en ai essayé plusieurs, et la compa- 
raison ne m'a fourni qu’une différence trop faible pour 
admettre l’idée de fausse monnaie; si depuis le règne 
de Septime Sévère jusqu’à celui de Posthume on ren- 
contrait des médailles d’argent fin, comme sous les 
premiers empereurs Romains, on serait autorisé à 
regarder comme fausses, toutes les pièces qui présen- 
teraient des différences dans la composition métallique ; 
mais il n’en existe pas, et à cette époque, dans tous 
les pays soumis à la domination Romaine, les monnaies 
d'argent ont reçu comme alliage une plus grande quan- 
tité de cuivre, et on ne voit plus que des pièces dites 
de billon, ou bas argent; sous Gallien et Posthume , le 
titre est tombé si bas, qu’à peine on peut les distinguer 
des médailles de cuivre. 

Ce n’est done pas à la cupidité des faussaires qu’il 
faut attribuer le mauvais titre des médailles trouvées 
à Damery , puisqu'il est impossible de leur en com- 


= 


— 351 — 


parer qui soient de bon aloi. L’altération qu’on y re- 
marque est le fait seul des empereurs, qui souvent peu 
riches, étaient cependant obligés de faire largesse aux 
soldats qui les élevaient à l'empire ; alors, pour rem- 
plir avec économie cette indispensable formalité, ils 
altérèrent le titre des monnaies. Cette altération alla 
progressivement , au point qu’à l’époque des tyrans on 
ne voit plus que des petits bronzes blanchis à l'argent 
et que les antiquaires ont nommés bronze saucé. Ces 
pièces, dés leur apparition, étaient destinées sans au- 
cun doute à remplacer les monnaies d'argent dont elles 
avaient l’aspect. 


Une circonstance extraordinaire et qui a pu faire 
naître l’idée de faussaires, c’est la réunion de plusieurs 
têtes parmi les moules et les médailles; voici comment 
je me l'explique : 

À des époques différentes le règne des empereurs était 
éphémère , souvent leur élection était le résultat ou 
d’une révolte ou bien de la mort accidentelle et presque 
toujours violente de leur prédécesseur. Les soldats 
qui venaient d'élever à l'empire un de leurs généraux, 
devaient recevoir le prix de ces élections , etn’auraient 
pas attendu patiemment que l’on eût frappé des mon- 
naies à l'effigie du nouvel empereur ; il eut fallu quel- 
que fois plus que la durée d’un règne pour graver des 
coins ; on devait se hâter de satisfaire leur cupidité : 
alors on fabriquait des moules en terre avec les mé- 
dailles desempereurs précédents, eton livrait le produit 
de ce coulage au peuple qui ne se montrait pas difficile 
sur les empreintes et la bonne confection des monnaies, 
pourvu qu’elles eussent la même valeur. Une fois ces 
distributions faites , l'empereur faisait frapper à son 


— 392 — 
effigie les petits bronzes que l'on rencontre en si 
grande quantité, et qui, sous quelques règnes, ne pré- 
sentent que des dessins grossiers et des légendes in- 
déchiffrables. 

Cette considération me donne le droit de placer 
après Posthume et sous le règne d’un des trente tyrans 
la fondation de cet atelier monétaire. 

Dans un compte-rendu inséré à la revue numisma- 
tique, M. Hiver qui a été témoin et possesseur de cette 
découverte de médailles , conclut qu’elles ont été fa- 
briquées sous le règne de Constance, attendu que dans 
un endroit voisin, on a découvert une grande quantité 
de petits bronzes à l'effigie de ce prince, et dans un 
état de conservation qui indiquait qu’ils n'avaient pas 
été mis en circulation. 

En examinant les petits bronzes, on reconnait qu’ils 
ont été fabriqués au marteau ou coin de cette époque: 
ils sont très-minces , exempts de bavures ; leur relief, 
quoique peu saillant, n’a pas cette rondeur que l’on 
reproche aux médailles coulées ; si ces pièces sortent 
de l'atelier de Damery , on aurait dù trouver des lin- 
gots de cuivre, des coins qui auraient servi à leur 
fabrication , ou bien des moules, si on veut qu’elles 
aient été coulées ; mais les fouilles n’ont rien fait dé- 
couvrir à ce sujet, et on est obligé de regretter lab- 
sence complète de débris qui eussent confirmé lo- 
pinion émise; les objets de ce genre auraient pu se con- 
server comme les médailles ; il n’ont donc pas été 
fabriqués à Damery , et puis ce n’est pas précisément 
dans le même lieu que les petits bronzes ont été dé- 
couverts : c’est contenus dans un vase, dans un en- 
droit voisin, au milieu de débris de constructions très- 
vasles. 


— 353 — 

Ur ces constructions faisaient partie de l’ancienne 
ville de Bibé , sur les ruines de laquelle pose Dame- 
ry (1). C'était une cité importante, et dans ces temps 
de dévastations , il est possible qu’elle eût à subir plus 
d’une fois les tristes conséquences de la guerre : delà 
pour moi la pensée, que les différents objets découverts 
par des fouilles ont pu être enfouis à des époques éloi- 
gnées les unes des autres , surtout quand je vois sur 
les petits bronzes dont il s’agit, les marques de la 
monnaie de Lyon et de Trèves : pourquoi ne voudrait- 
on pas admettre qu’elles sortissent des ateliers qu'ils 
indiquent. 

Les empereurs Constant et Constance ont fait frap- 
per à leur effigie des monnaies d’argent fin; ils ont 
cherché à marquer leur passage à l'empire , en consa- 
crant sur leurs médailles le bonheur, la gloire et les 
victoires du peuple romain, (car ce sont les légendes qui 
se rencontrent le plus ordinairement) ; leur puissance 
était grande à cette époque, comment admettre qu’ils 
aient eu la volonté de couler des médailles à leffigie 
d’empereurs oubliés depuis long temps? Cette suppo- 
sition ne me paraît pas vraisemblable. En résumé, je 
pense que l'atelier monétaire de Damery n’a pas élé 
un atelier de faussaires, parce que cette industrie ne 
leur eût pas procuré de bénéfice, qu'il ne s’y fabri- 
quait quedes pièces dites de billon, qu’il date de l’époque 
des trente tyrans, et qu'enfin les bronzes trouvés dans 
celte contrée étant d’une époque éloignée n’ont été 
enfouis dans les ruines que par suite de la destruction 


(1) Il est aujourd'hui de toute évidence que les ruines sur les- 
quelles Damery est bâti, sont celles de Bibé. (Revue numismatique 
1837, page 172). 


” 


29 


— 354 — 


de la ville de Bibé, longtemps après l'abandon de l'a- 
telier monétaire. 

Je n’ai pas la prétention d’imposer à tous mes con- 
victions , car dans une discussion si fertile en conjec- 
tures , elles peuvent être des erreurs, qu’une étude plus 
approfondie pourra démontrer ; mais si ce point d'his- 
toire vient à être éclairci d’une manière irrévocable, 
j'aurai du moins la satisfaction d’avoir provoqué ces 
éclaircissements. 


LITTÉRATURE. 


Le premier comte de Galin-Dyck. 


NOUVELLE INÉDITE 


D'HOFFMANN 


Traduite de l'Allemand, 
Par M. E.-J. FAILLY, 


Membre correspondant. 


AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR. 


ll ya quinze ans que me trouvant à Francfort chez 
M. Winkler, un des amis intimes d'Hoffmann, je lui 
demandai un autographe du célèbre auteur des Contes 
Fantastiques. Il n’avait conservé aucune de ses lettres; 
mais il me montra et me lut une Légende historique 
qu’ Hoffmann lui avait dédiée, et lui avait remise écrite 
de sa propre main. Il lui en coûtait de se dessaisir de 
ce précieux manuscrit: mais me rappelant que M. Win- 
kler avait été pendant dix ans officier dans les armées 


— 358 — 
françaises, je lui offris en échange une lettre écrite et 
signée par l’empereur Napoléon , et je devins ainsi 
possesseur de la nouvelle d’ Hoffmann. 
C’est la traduction de cette nouvelle que je publie 
aujourd’hui, sous les auspices dell Académie de Reims. 


FAILLY. 


Cambrai, le 18 avril 1842. 


— 359 — 


Dédicace 


A mon excellent et ancien ami M. Winkler, mari de ma bonne cousine 
Stéphanie de Lauter. 


E. Tu. W. HOFFMANN. 
{8 juillet 1820. 


AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR. 


La nouvelle que le lecteur a sous les yeux est tirée 
d’une ballade qu'on chante encore aujourd’hui aux 
veillées des bords du Rhin. Elle y est connue sous le 
nom de Der TEUFEL von Sazm-Dycx. (Le diable de 
Salm-Dyck). Comme les vieilles chansons allemandes, 
elle a un grand nombre de stances, de couplets. Celle-ci 
n’en a pas moins de cent-huit. Elle conduit le comte 
Ernest chez les Hongrois, et le ramène au château de 
Dyck, après mille circonstances des plus bizarres. J'ai 
pensé que je devais supprimer des évènements trop 
multipliés et par trop uniformes. Le merveilleux, le 
fantastique, pour intéresser le lecteur, ne doivent pas 
long temps le fatiguer. 

Le comte Ernest, dans ma nouvelle, n’est aux prises 
avec le diable que pendant vingt-quatre heures; et les- 
prit se repose facilement entre les deux épreuves qui 
sont séparées l’une de lautre par la seconde apparition 
d'Anna, Dans la ballade, au contraire, le comte Ernest 
lutte avec Satan depuis le jour où Pfiffimann est venu à 
Bude Jui apporterles dernières volontés d'Albert. Cette 


— 360 — 

lutte m'a semblé trop longue. Anna se montre assez peu 
dans la légende : elle n’y intéresse que médiocrement. 
J'ai pensé qu’il était possible de la rendre plus intéres- 
sante tout en ne la montrant qu'avec la réserve adoptée 
par mon original. Jai cru devoir conserver littérale- 
ment plusieurs couplets de l’interminable ballade (1) : 
ce sont ceux qu'elle fait dire, dans la forêt, par Anna et 
par ses compagnes. 

Enfin, dans la vieille légende, tout parait sacrifié 
pour faire briller le diable qui finit pourtant par suc- 
comber. L’arrangement de ma nouvelle ne lui fait pas 
plus d’honneur qu'il n’en mérite : j'y montre aussi plus 
nettement que c’est à la croix que mon héros doit une 
victoire tant disputée. Le comte Ernest et sa gentille 
Anna devaient dominer la scène sans contrarier la tra- 
dition, que j'ai respectée dans sa fin ; mais que j’ai mo- 
difiée seulement dans les moyens qui la préparent. 

Il y a, je le reconnais, dans notre ancien langage, de 
certaines grâces naïves qu'on ne saurait reproduire 
dans la langue de Goëthe : mais le lecteur avouera que 
celte nouvelle langue lui offre de grandes compensations. 
C'est donc à lui de juger si j'ai réussi à l’amuser par 
un récit suffisamment animé et digne de son intérêt, 
Je me recommande à son indulgence accoutumée. 


Francfort, le 18 juillet 1820. 


(1) L'Allemagne possède un grand nombre de ces vieilles et lon- 
gues ballades, soit historiques soit religieuses. Ce sont des poèmes 
chantés. La mémoire ne suffit pas pour les retenir. Un Jeune homme 
chante les couplets le livre à la main, et les ritournelles sont répétées, 
après chaque stance, par tous les assistants à la veillée. Une seule 
chanson suffit ainsi à l’amusement de toule une soirée d'hiver. 

(Note de l'auteur.) 


ni nent 


LE PREMIER COMTE DE SALM-DYCK , 


LÉGENDE DU XV° SIÈCLE. 


Au commencement d'octobre de lPannée 1485, la 
veille de la fête de saint Lumier , le comte Ernest 
de Salm prit possession du riche domaine prin- 
cier qui venait de lui écheoir par la mort du comte 
“Albert , son frère aîné. Ernest avait trente ans . Il y 
avait dix ans qu'il guerroyait vaillamment contre les 
Hongrois qui l'avaient gardé longtemps au fond de leur 
royaume. Sa rançon avail épuisé la petite fortune que 
lui avait laissée son père; et la mort inattendue de 
son frère aîné venait meltre le jeune comte en posses- 
sion d’une fortune et d’un pouvoir bien au-dessus de 
ses espérances. Son frère, en le faisant son légataire 
universel, lui imposait deux obligations faciles à rem 
plir: la première, c'était d'arriver au château suivi seu- 
lement d’un valet de chambre et d’un chien; la se- 
conde était de rester vingt-quatre heures seul, et d’ou- 


— 362 — 

vrir, sans témoins, un petit coffre de fer, dont la clef 
lui serait remise par ie chapelain , et qui renfermait 
le trésor le plus précieux qu’il pût lui léguer. Le 
comte Ernest arriva au manoir de ses pères le 2 octo- 
bre, suivi de son valet de confiance Pfiffmann, le 
même qu'il savait avoir recu le dernier soupir du comte 
Albert, et précédé de Dyck, son docile épagneul. 

Après qu'Ernest eut passé le pont-levis, un major- 
dome lui présenta un lourd trousseau de clefs, et le 
chapelain lui remit un petit paquet cacheté contenant 
la clef du coffre qu’il devait ouvrir secrètement. Ce de- 
voir rempli, les nombreux domestiques s’agenouillèrent 
silencieusement devant le nouveau maître; le chapelain 
et l'intendant vinrent aussi baiser avec respect la main 
de leur seigneur qui se retira seul , dans la chambre, 
où son frère avait rendu son âme à Dieu. C'était là que 
se trouvait le legs mystérieux. 

Le comte Ernest avait de l’intrépidité; il était aguerri 
contre les plus grands dangers : cependant il ne pou- 
vait se défendre d’une certaine émotion en se trouvant 
seul, près du lit où son frère était mort ; et surtout en 
se souvenant, qu’à sa dernière heure, ce bon frère s’oc- 
cupait encore à le rendre heureux. Il fit allumer un 
grand feu dans la chambre et, après avoir soupé en 
compagnie de son épagneul, il se décida à ouvrir la 
petite casselte qui lui fut présentée par son valet de 
chambre. Celui-ci voyant l'émotion de son maître , lui 
dit : — Monseigneur , elle est bien légère; elle ne doit 
pas contenir de richesses. Si vous w'en croyez , vous 
la jeterez au feu , et vous éviterez peut-être par là de 
grands malheurs. 

Le comte Ernest se détermina à suivre le conseil de 
son valet; mais en la lançant dans le brasier, il atteignit 


— 363 — 
son épagneul qui fut ainsi poussé vers la flamme, ce 
qui empêcha le petit coffre d’y aller lui-même. 

— Ma foi! se dit le comte, je vois bien que je dois 
obéir à mon frère. 

Il caressa son chien, congédia son valet, ramassa 
la cassette, et se mit en devoir d’y introduire la clef. 
L’épagneul appuya sa belle tête sur les genoux de son 
maître, et semblait le suivre des yeux quand il ouvrit la 
précieuse boîte. Elle contenait un petit reliquaire en or 
émaillé présentant un E etun N entrelacés ; il s’y trou- 
vait aussi un parchemin roulé sur lequel étaient écrits 
ces mols : « Cher Ernest, ma mort n’a pas été naturelle. 
Tune pourrais la venger quand tu aurais tout le pouvoir 
de l’empereur Frédéric, Évite les embûches que l'esprit 
malin ne cessera de te susciter; tu ne pourras le vaincre 
que le jour de la Saint-Lumier ; tous les autres jours 
de l’année tu devras céder à sa puissance. Porte cons- 
tamment sur toi le reliquaire qui accompagne ce par- 
chemin ; avec lui tu seras toujours fort ; mais, quelque 
chose que tu fasses , tu ne seras débarrassé de ton 
ennemi , que lorsque tu auras vu un petit oiseau crever 
l’œil à un vieil épervier borgne et boiteux; et quand 
tu auras, en outre, pris toi-même le nom de ton chien. 
Si tu triomphes, tu bâtiras dans le château une cha- 
pelle à saint Lumier , pour y déposer le sacré reli- 
quaire qui, jusque là, ne doit point te quitter. Donne 
ton cœur et La main à la jeune fille sur le voile de la- 
quelle se reposera le petit oiseau vainqueur de l’éper- 
vier. Adieu, cher Ernest ! je meurs avec l'espoir que, 
changeant bientôt de nom , tu épuiseras aussi la mau- 
vaise fortune de notre maison. Songe à l’ancienne devise 
de notre bannière : jamais en arrière. » 

Comte ALBERT DE SALM. 


— 3064 — 

La lecture de ce billet jetait Ernest dans un grand 
trouble. —Quoi, se dit-il, je croyais trouver ici la for- 
tune , la puissance, le repos; et la succession de mon 
frère ne me promet que malheurs et combats! Le comte 
Albert passait pour le plus heureux des hommes ; qui 
peut lavoir abreuvé de chagrins? qui peut avoir 
sitôt abrégé ses jours ?.... 

Ernest avait fait une longue route, et s'était fatigué 
pour arriver le jour des Saints-Anges au château de Salm. 
Il s’endormit devant le grand feu qui pétillait dans 
Pàtre. Son chien se mit aussi à dormir entre ses jambes. 

Il y avait à peu près une heure que le comte Ernest 
sommeillait, quand tout-à-coup il se réveille en sursaut,et 
que voit-il ? son chien fidèle est dressé sur ses pattes de 
derrière, et semble le couvrir de son corps. Laporte de 
appartement est ent’rouverte ; il croit pourtant l'avoir 
fermée. Est-ce l’importunité de son chien qui la ré- 
veillé ? le comte le pensa , et le chassant brusquement 
de sa chambre, il eut bien soin d’en refermer la porte. 
Mais en revenant s’asseoir dans son fauteuil , il s’a- 
perçoit que quatre boutons manquent à son pourpoint : 
ils ont été coupés ; il y porte immédiatement la main, 
et renfonce le reliquaire que son frère lui avait re- 
commandé de ne jamais abondonner. En vain le comte 
essaya de se rendormir; les aboiements de son chien 
ne le lui permirent pas. Ils durèrent jusqu’au moment 
où minuit sonna à l’horloge du château. Alors des 
rugissements effroyables se firent entendre de tous les 
points. Le comte appelle Pfiffmann, qui demande à 
passer la nuit dans la chambre de son maître. Rassuré 
par la présence de son valet, le comte se remet à 
dormir ; mais l’épagneul , relégué à la porte de lap- 
partement, ne cesse de pousser des cris plaintifs, et 


— 305 — 

il fait tant, de ses pattes et de ses dents, qu’enfin elle 
cède. Le courageux animal ne fait qu'un bond de la 
porte au fauteuil du comte. Déjà Pfiffmann lui avait 
assujéti un mouchoir sur la bouche, et il allait le dé- 
pouiller de son pourpoint. Le comte Ernest, dont le 
sommeil était très profond , se trouvait comme sous le 
poids d’un cauchemar : sa respiration était difficile ; 
il ne faisait aucun mouvement. Le chien s’élance sur 
Pfiffmann , le terrasse et lui fait à la figure une bles- 
sure qui lui emporte l'œil droit. Ernest se réveille, 
voit la lutte entre son chien et son valet; il dénoue avec 
peine le mouchoir qui lui fermait la bouche et, se 
trouvant presque desbabillé de son pourpoint , il com- 
prend que son valet est un traître, et que son chien 
fidèle a pris sa défense contre ce misérable. Il Lire son 
épée et poursuit son valet , sans pouvoir l’alteindre , 
jusque dans la cour du château. Mais au moment cù 
il y pénètre , des nuées de chauves-souris et d'oiseaux 
de proie se précipitent sur lui et le blessent au visage 
de leurs morsures et de leurs griffes. L’épagneul ac- 
court pour défendre le comte ; mais il disparaît bientôt 
accablé par le nombre de ses ennemis. Ernest l'ap- 
pelle en vain à son secours ; au lieu des aboiements du 
chien, si fidèle à répondre à la voix de son maitre , 
il n'entend plus que le cri d’un petit oiseau blane qui 
lui semble répéter : Dyek ! Dyck ! 

Une lumière fuligineuse éclairait la vieille cour de 
l'antique manoir de Salm. Le comte aperçoit distincte- 
ment un grand épervier noir à qui paraissait obéir la 
multitude des oiseaux qui se ruent sur sa personne. Il 
court droit à lui, et d’un coup d'épée , lui abat une 
de ses serres. L’épervier pousse un cri aigu qui fait 
disparaître la foule des oiseaux de nuit; il reste seul en 


— 366 — 


face du comte dont le visage et les bras sont meurtris 
de blessures. Un petit oiseau, semblable à ceux qu’on 
nomme Pachstelze, et qu’on rencontre souvent sur les 
grèves du Rhin, vient alors se reposer sur l’épaule du 
comte , et par le cri de : Dyck! Dyck ! semble défier 
l'épervier, et encourager Ernest à recommencer le com- 
bat. Celui-ci ressaisit son épée et se précipite sur lé- 
pervier : l'oiseau noir recule et le comte s'aperçoit que- 
son ennemi est borgne. Cette poursuite le conduit à tra- 
vers des halliers impénétrables. Après les avoir franchis, 
il tombe dans une fondrière que des milliers de vers 
luisants illuminent de leurs crêtes phosphoriques. Le 
comte, en courant dans les broussailles,met en lambeaux 
ses habits; sa poitrine déchirée est à nu; il a perdu le 
reliquaire de saint Lumier; et aussitôt l'épervier pousse 
une sorte de ricanement qui semble présager au comte 
sa défaite. Ernest se sent un moment découragé ; mais 
le petit oiseau , poursuivi par une volée de chouettes , 
descend précipitamment dans la fondrière , et aux cris 
de : Dyck! Dyck ! lui rapporte le reliquaire qu’il tient 
dans ses pattes. Ce talisman redonne du courage au 
comte Ernest. Il veut se jeter sur son ennemi qui se 
met à crier : Pfiff! Pfff! et qui s'envole, laissant le 
comte tout meurtri et dans une affreuse obscurité. 


Il était depuis une heure retenu dans cette fosse pro- 
fonde , quand il se sent enveloppé par une longue csu- 
leuvre dont la tête semble flairer , l’une après l'autre, 
toutes les parties de son corps. Il fait des efforts ex- 
traordinaires pour s’en débarrasser; mais le reptile 
V'étreint de plus en plus de ses anneaux tortueux. Il 
va succomber à ses douleurs, quand il entend la Ber- 
geronnette s’abattre sur sa tête en répétant son cri de : 


— 307 — 


Dyck! Dyck ! Il ouvre les yeux, et voit avec surprise 
ce petit oiseau piquer de son bec pointu le nez de la 
hideuse couleuvre qui lui parait avoir perdu l’œil droit, 
et qui sort aussitôt de la fondrière en sifflant le cri : 
PARA! Pfiff ! 

Le jour commençait à poindre. Le comte parvient à 
se tirer de la fosse où l'épervier l'avait entrainé. Guidé 
par le petit oiseau qni voltigeait devant lui, il retourne 
au château. Il y répare ses forces et prend de nouveaux 
vêtements. Il appelle encore à grands cris son bel 
épagneul ; mais il avait disparu pour toujours... Ernest 
donne des regrets à ce compagnon fidèle, dit une prière 
à saint Lumier , prend un léger repas, et se jette 
sur son lit, après avoir attaché solidement son pré- 
cieux reliquaire sur sa poitrine. 

Son frère Albert lui apparait en songe pour l’encou- 
rager à supporter de nouvelles épreuves, plus dures que 
celles qu’il venait de subir; il lui recommande encore de 
ne jamais , quelque fut le mal dont il serait menacé, 
faire un seul pas en arrière. 

Ernest se réveille seulement à l'heure à laquelle finis- 
sait dans la chapelle l'office de saint Lumier. L’ombre 
commençait à descendre dans les cours du château. Il 
entend avec bonheur des cantiques chantés par les 
voix harmonieuses des jeunes filles qui sortaient de la 
chapelle. Elles s'arrêtent un instant devant les fenê- 
tres ouvertes de la chambre du comte ; et l’une d’elles, 
en fléchissant le genou , termine les chants par une 
prière à la sainte Vierge, pour le bonheur de leur nou- 
veau souverain. Cette jeune fille était voilée, de sorte 
que le comte ne put apercevoir ses traits; mais il garda 
le souvenir de la douce voix qu'il venait d’entendre. 
Il pensa au testament de son frère , et désira confusé- 


— 368 — 


ment que son pelit oiseau descendit quelque jour sut 
la tête de la jeune inconnue. 

A peine les chants avaient cessé que le comte voulut 
fermer la porte de son apparlement ; mais avant qu’il 
y fut parvenu, l'épervier borgne se précipita dans la 
chambre en poussant son redoutable cri: Ptiff! Pfiff! 
[l se plaça sur le dossier du lii, et de sa patte, à la- 
quelle la veille le comte avait coupé plusieurs griffes , 
il le menacait et le défiait à un nouveau combat. Ernest 
lance aussitôt à l’épervier un tison enflammé qui le 
fait fuir en boitant par le grand escalier du château. 
Ernest sentait bien que sa destinée était attachée à la 
destruction de cette vilaine bête; il la poursuit dans 
les cours, dans les jardins , dans le pare, et enfin, il 
entre dans un bois de sapins croissant sur les roches 
escarpées qui bordent un marais dont les eaux vont se 
perdre dans le Rhin. C’était là que l’attendaient les 
oiseaux de proie qui l'avaient attaqué la veille. Leur 
nombre est si grand , ils se serrent de si près, que 
le comte ne peut pas faire usage de son épée. Tous 
cherchent à déchirer son visage et sa poitrine ; et, tan- 
dis qu’ils le blessent, le harcellent et le fatiguent de 
leurs cris et de leurs morsures , Pépervier vient furti- 


vement (1) tenter d'ouvrir ses habits. Mais Ernest 
avait placé la croix de son épée sur son cœur ; de 


sorte que l'épervier n’osa déplacer ce signe sacré de 
notre rédemption pour s'emparer du saint reliquaire. 


(1) Le manuscrit d'Hoffmann porte... Auf einer Pfote hüpfend.... 
{en sautillant sur une patte. ] Il aurait peut-être fallu traduire par 
Ja locution française : à cloche-pied , qui n’a pas d'équivalent dans la 
langue allemande. J'ai cru devoir supprimer ici ces quatre mots ; ef, 
avec d'autant plus de raison , que l'idée qu'ils expriment se trouve 
déjà deux fois répétée dans le cours de ce petit ouvrage. [ Note du 
traducteur. | 


— 369 — 


À ce moment , le comte entendit la douce voix de 
cette jeune fille , que naguère il avait vue prier pour 
lui. Elle était venue avec ses amies faire une station 
près d’une large pierre en vénération dans la contrée. 
On croyait qu’à cette place saint Lumier avait jadis 
prêché la foi chrétienne aux populations Allemandes 
des bords du Rhin, quand Charlemagne prit la déter- 
mination de les convertir et de les soumettre. 


La jeune fille disait de sa voix pure et sonore : 


Grand saint , patron de nos campagnes, 
Contre Satan protège nous toujours ; 
La pauvre Anna réclame ton secours 

Pour elle et ses jeunes compagnes. 


Ma mère a prédit en mourant, 

Que si je gardais l'innocence , 

Je partagerais la puissance 

D’un noble comte, au cœur vaillant. 


CHOEUR. 
Grand saint, patron de nos campagnes, 
Contre Satan protège nous toujours ; 
La pauvre Anna réclame lon secours 
Pour elle et ses jeunes compagnes. 


J'ai vingt ans, et jusqu’à ce jour 
Aux doux propos fermant l'oreille , 
Dans un saint repos je sommeille , 
Et je ne connais pas Pamour. 


CHOEUR. 

Grand saint , patron de nos campagnes, 
Contre Satan protège nous toujours ; 
La pauvre Anna réclame ton secours 


Pour elle et ses jeunes compagnes. 


— 310 — 


Mais je sens qu'il faut maintenant 
Un protecteur à ma jeunesse ; 
Ma mère , accomplis ta promesse ; 


Qu'il vienne, car mon cœur l'attend. 


CHOEUR. 


Grand saint , patron de nos campagnes , 
Contre Satan protège nous toujours ; 
La pauvre Anna réclame ton secours 

Pour elle et ses jeunes compagnes. 


Après avoir chanté la dernière ritournelle , les jeunes 
filles reprirent ensemble le chemin de leurs demeures, 
et le comte resta sous le charme de la voix angélique 
d'Anna... Absorbé dans mille réflexions, il se de- 
mandait si l'espérance ne lui était pas'permise, et pres- 
sant sur son Cœur larelique de saint Lumier, il invoquait 
sa protection, plus encore pour qu’il lui rendit Anna 
favorable, que pour qu’il abrégeàt ses cruels travaux. 
Cent fois ilfut tenté de suivre le groupe des jeunes 
chanteuses , et d’aller se jeter aux genoux de celle qui 
paraissait les conduire ; mais il se souvenait de la der- 
nière recommandation de son:frère : ne recule jamais ! 
recommandation qui était, d’ailleurs, en harmonie avec 
son caractère ferme et courageux jusqu'à la témérité. 
Il devait bientôt être mis à une épreuve plus terrible 
que celle de la dernière nuit. 


=g — 


IL. 


Au chant des jeunes filles en prières , l’épervier et 
les oiseaux de nuit s'étaient précipitamment enfuis. 
Mais à peine le chœur eut-il cessé , que l’oiseau borgne 
et boiteux reparut, annoncé par son affreux sifflement. 
Il fit signe au comte de le suivre, et s’envola à la clarté 
d’une lumière incertaine. Ernest en le poursuivant 
traversa des eaux croupissantes et fétides qui le con- 
duisirent à une île dont tous les arbres étaient enflam- 
més et pétillaient comme un brasier infernal. Le sinistre 
oiseau s’élança au milieu des flammes en sifflant; et 
le comte, armé de son épée, le suivit de si près qu’il 
l'atteignit à l’une de ses ailes, et quelques plumes 
tombèrent dans le brasier. Mais une de ces plumes 
vint s'attacher au pourpoint du comte et l’enflamma 
tont aussitôt. C'en était fait du saint reliquaire, lorsque 
Ernest pour le sauver le place rapidement dans sa 
bouche. L’épervier ne peut contenir sa rage ; il pousse 
de nouveau son cri de guerre , el se lançant avec im- 
pétuosité à la figure de son ennemi, il le renverse, 
après lui avoir cruellement déchiré les lèvres. Le comte 
se relève bientôt, et saisissant de ses mains vigoureuses 
une des ailes du terrible oiseau, qu’il espère pouvoir 
étouffer , il est entraîné par une force surnaturelle au 
bord d’un précipice d’où s'échappe une épaisse fumée, 
L’épervier fait mille tentatives pour l’entraiîner dans 
cet abîme ; mais le comte se montre assez fort pour 
ne pas céder. Immobile près du gouffre incandesçant, 


— 312 — 
il entend aussitôt mille voix s'écrier : — Íl a re- 
culé! Il est vaincu ! Il est à nous! — A l'instant 
même arrive à son oreille le cri de la petite Bachstelze; 
et il aperçoit qu’elle lui fait signe de se précipiter à 
son exemple : — Non, je mai pas reculé! — s'écrie 
Ernest, et il s’élance aussitôt dans le cratère. Il tombe 
sur des cendres brülantes qui tourbillonnent autour de 
son corps. Bientôt se présente devant lui un chevalier 
noir , armé de toutes pièces , qui le presse l'épée à la 
main. Le comte n'avait pas d’armure, et ses vêlements 
étaient en lambeaux ; mais heureux de trouver un 
digne adversaire , il commence contre l'homme armé 
un combat à outrance, où celui-ci d’abord a tout l’a- 
vantage. Aucun des coups d'Ernest ne peut entamer 
l’'armure de son ennemi qui lui a déjà fait dix bles- 
sures. Enfin, désespérant de pouvoir l’atteindre avec 
le tranchant de son épée, il en saisit la lame de ses 
mains puissantes, et dans l'espoir de l’assommer , il 
assène la lourde croix de son arme sur la visière baissée 
du casque de son adversaire. Le chevalier est aussitôt 
renversé; et comme le comte se baissait pour achever 
sa victoire , il ne voit à ses pieds que l'oiseau de l'enfer ; 
la tête mutilée par le terrible coup qui l’a terrassé, il 
cherche encore à effrayer Ernest de son cri rauque et 
sauvage. Mais la petite Bergeronnette voltigeait près de 
son ami ; elle semblait, par son cri répété , le presser 
d’exterminer l'épervier. Voyant qu’à l’aide de son œil 
ensanglanté celui-ci essaye de se diriger en rampant 
vers une crevasse voisine, elle se jette au devant de 
lui, et s’élançant sur la tête de l’oiseau de proie, d’un 
coup de bec elle lui crêve le seul œil qui lui permit de 
voir la lumière. Le comte écrase l'épervier qui se débat 
encore sous les pieds de son vainqueur; mais enfin il 


— 313 — 


est poussé mort dans le trou où il voulait se réfugier 
vivant. A peine l'horrible oiseau y eut-il été jeté, que 
des flammes de souffre en sortirent , et que mille voix 
invisibles répétèrent en hurlant : damné! damné! Le 
gouffre, l'île, le marais, la forêt disparaissent ; et le 
comle, accompagné de sa fidèle Bergeronnette, se 
trouve soudain à la porte de son château. Minuit sonnait 
quand il y entra. Le majordome et le chapelain l'y recu- 
rent. Tous trois passèrent le reste de la nuit en prières 
et en actions de grâce. Le lendemain au point du jour, 
le comte accompagné de tous les officiers de sa maison, 
porte sur un coussin de drap d’or, le reliquaire de 
saint Lumier à l’église voisine d’un couvent de Fran- 
ciscains. Il y fait le vœu solennel de consacrer bientôt 
à ce saint protecteur une riche chapelle dans l'enceinte 
de son château. Rentré dans la cour d'honneur, il y 
trouve les habitants de la contrée, ses vassaux, qui 
lui offrent avec empressement leurs hommages ; les 
jeunes filles, en lui présentant des fleurs et des cou- 
ronnes , chantèrent des chœurs que dominait la voix 
harmonieuse d'Anna, dont le visage était toujours 
couvert d’un long voile. A ce moment la petite Bachs- 
telze vint se poser sur la tête d’Anna, et après avoir 
agité ses ailes argentées , et fait entendre pour la der- 
nière fois son petit eri : Dyck! Dyck ! elle prit son vol 
vers le ciel. Ernest la suivit long-temps des yeux, et 
la vit enfin disparaître dans l’espace, comme un dia- 
mant éclatant se perdrait dans une mer de saphir. Elle 
ne reparut plus. Le comte, depuis ce jour , ajouta le 
cri du petit oiseau à son nom de famille, (on se souvient 
que ce nom avait été celui de son chien fidèle :) et, 
depuis lors , cette branche de lillustre maison de Salm 
n'a plus été connue que sous le nom de Salm-Dyck. 


— 914 — 


Ernest, reposé de ses incroyables travaux, sentit 
qu'il manquait quelque chose à son bonheur. Le sou- 
venir d'Anna revenait sans cesse à son esprit; il rem- 
plissait son cœur; C'était bien épouse que lui dési- 
gnaient les dernières volontés de son frère; mais cette 
union était-elle digne de son illustre naissance ? Il fit 
appeler son chapelain, et lui demanda quelle était 
cette Anna qui marchait la première entre les jeunes 
filles de la contrée. Le prêtre lui répondit : 

Monseigneur, il y a bientôt vingt ans qu'une riche 
litière s'arrêta devant la maison de la veuve sans en- 
fants d’un des officiers du comte Albert. On descendit 
de la litière une petite fille entourée de langes somp- 
tueux. Cette enfant fut confiée à la bonne veuve à qui une 
femme âgée remit en outre une lourde escarcelle pleine 
d’or, et un écrin scellé de deux cachets. « Elevez cette 
« enfant, lui dit la vieille femme; elle est baptisée sous 
« le nom d'Anna; ne négligez aucune dépense pour 
« son éducation : si cette bourse ne suffit pas je vous 
« en ferai tenir une nouvelle. L’écrin ne devra s'ou- 
« vrir qu'après le mariage d'Anna : elle y trouvera 
« dévoilé le secret de sa naissance, et ce qu’il contient 
« de plus sera sa dot. Tel est Pordre de sa mère. » 
La veuve Lennig a élevé la petite Anna comme s'il 
se fût agi de sa propre fille ; et jamais soins ne furent 
récompensés d’autent de bonheur. Anna est d’une 
bonté, d’une douceur dont les Anges eux-mêmes se- 
raient jaloux; les pauvres la bénissent , le peuple la 
chérit, les grands re jurent que par elle; ses amies 
l'ont nommée la première d’entre elles; et c’est sans 
vanité pour Anna, comme sans jalousie pour ses jeu- 
nes compagnes, quelle occupe la place d'honneur dans 
toutes nos cérémonies. — J'ignore si la veuve Lennig 


— 375 — 


connaît le secret de la naissance d'Anna. Seulement 
elle nous a dit, qu’il y a quatre années, la vieille femme 
qui la lui a confiée est venue lui remettre, pour la 
dernière fois, une grosse bourse de florins d'or, et lui 
annoncer que la mère d'Anna venait de mourir. Ellé 
apportait à la fille les bénédictions de sa mère avec l'as- 
surance qu’elle deviendrait l'épouse d’un grand sei- 
gneur, si elle continuait à pratiquer la vertu. Anna 
donna d’abondantes larmes à sa mère inconnue. Depuis 
ce moment elle n’a jamais paru en public sans être 
voilée. J’ai dit à Monseigneur tout ce que je sais de la 
jeune Anna. Dans le pays, on ajoute à son nom celui 
de sa mère adoptive; et c’est pour cette veuve une 
grande récompense, un grand honneur que d’avoir 
donné son nom à un enfant aussi parfait. 

Le récit du chapelain jeta le comte Ernest dans une 
douce et indicible émotion. Le jour, la nuit, il ne pen- 
sail qu’à cette jeune fille qu’il n’avait pourtant pas en- 
core vue. Enfin il fit annoncer à la veuve Lennig qu’il 
se présenterait chez elle. Il espérait y voir celle dont 
le souvenir l'assiégeait sans cesse. La bonne veuve fut 
touchée de l'honneur que lui faisait son souverain. A 
son entrée dans la modeste demeure, la veuve Lennig 
et sa fille d'adoption fléchirent toutes deux le genou : 
elles devaient cette marque de respect à leur seigneur. 
Le comte parla des services rendus à sa famille par le 
brave Lennig, mort en sauvant la bannière des comtes 
de Salm. Il assura que de-pareils souvenirs ne se per- 
daient jamais et que, dans la bonne comme dans la 
mauvaise fortune, il serait toujours pour la veuve d’un 
tel serviteur un maître reconnaissant et affectionné. H 
lui parla ensuite d'Anna, du mystère qui entourait sa 
naissance, mystère qu'il serait bienheureux d'éclaircir. 


— 316 — 


IL demanda à voir les deux cachets de écrin qui con- 
tenait la dot d'Anna. La veuve Lennig voulut que sa 
fille le présentàt elle-même au comte. Elle le remit en 
tremblant aux mains d'Ernest qui peut pas de peine 
à reconnaître le sceau de sa famille, et celui de la mai- 
son souveraine de Neuss. 

Eloigné depuis bien des années des bords du Rhin, 
tout entier aux expéditions qu'il avait dirigées contre 
les Hongrois, Ernest ignorait tous les évènements qui 

s'étaient passés dans les petites cours voisines de la 
sienne. Cependant aidé par les souvenirs du vieux 
majordome et du bon chapelain , il put constater que 
la belle-sœur de l'électeur de Munster était morte pré- 
cisément depuis quatre ans. Cette noble dame était la 
fille ainée du comte de Neuss, à laquelle son frère le 
comte Albert s'était fiancé, il y avait un peu plus 
de vingt ans. Quelques rivalités entre les deux mai- 
sons avaient fait rompre une alliance déja scellée, di- 
sait-on, par un mariage secret; et l'heureux et fier 
comte de Neuss, ignorant cette dernière circonstance, 
s'était empressé de profiter de cette rupture inespérée 
pour placer sa fille aînée prés du trône électoral de 
Munster. Claire ne cédait qu’à la contrainte en épou- 
sant le frère du prince-évèque. Les chagrins et les re- 
grets altérèrent bientôt la santé de la triste comtesse ; 
et elle expira de langueur à trente-six ans, regrettant 
le bonheur qu’elle avait rêvé et qu’elle s FU promis 
avec le mari de son choix, et dont l'ambition d’un 
père l’avait séparée pour toujours. Albert ayant per- 
du tout espoir d’être heureux eu ce monde, et renon- 
cant à toute autre union, maudissait son existence; 
on prétendait même dans le pays qu’en un jour de 


` 


désespoir il s'était donné à Salan, lui et toute sa fa- 


— 311 — 

mille. C'était de ce jour, on s’en ressouvenait, que le 
valet Pfiffmann était entré à son service. Ce misérable 
faisait le malheur des vassaux de son maître, qu’une 
confiance illimitée avait trop longtemps aveuglé. Ce 
fut aussi depuis ce moment qu’une vague croyance 
s’était répandue que le diable avait un suppôt dans la 
contrée, et que cet échappé de l'enfer guettait toutes 
les occasions d'attirer à lui les jeunes filles qui ne se 
placaient pas sous le patronage de saint Lumier. 

— La comtesse Claire, au moment de mourir, envoya 
secrètement au comte Albert le reliquaire d’or et le bel 
épagneul dont le comte Ernest devait si tôt hériter. 
Elle ordonnait au comte d’unir leur fille à son jeune 
frère, et s'était mise sous la protection spéciale de 
saint Lumier, qui Pavait instruite par un songe de la 
destinée future de sa fille, et des recommandations à 
laisser après elle au comte Albert. Par l'intercession de 
ce saint patron, le comte de Salm était mort en chré- 
tien; mais les exactions de son valet lui étaient restées 
toujours cachées. Avant de rendre le dernier soupir , 
Albert avait encore eu le temps d’écrire un billet à son 
jeune frère, et de le confier au chapelain qui devait 
le remettre fidèlement à son futur seigneur. Pfffmann 
eut la rage dans le cœur en voyant Albert mourir chré- 
tiennement. C'était la relique de saint Lumier qui 
avait opéré ce prodige , et ce précieux talisman pour- 
rait seul empêcher le comte Ernest d’être à lui. De là 
les embüches tendues à son nouveau maître pour par- 
venir à len déposséder. 

Ces diverses circonstances , tous ces souvenirs réunis 
furent autant de traits de lumière pour le comte Ernest, 
Il wy avait plus pour lui l'ombre d’un doute : Anna 
était la fille de son frère et de la comtesse Claire de Neuss; 


— 318 — 


il lui fit offrir son cœur et son nom, et ce fut avec bon- 
heur qu’Anna vit s’accomplir la prédiction de sa noble 
mère, Le pape Innocent leva les obstacles que la pa- 
renté opposait à cet heureux mariage. Les compagnes 
d'Anna étaient heureuses d’avoir une amie dans leur 
souveraine ; elles assistèrent à minuit , à la cérémonie 
qui devait unir les deux époux ; et l’on a raconté qu’au 
moment où le chapelain bénissait l'union de ses maî- 
tres , on aperçut près d’eux une figure angélique qui 
souriait à leur bonheur, et qui remonta dans le ciel , 
sur un nuage d'azur, quand les paroles sacrées eurent 
été prononcées par le prêtre. En entrant au château , 
la comtesse Anna leva le voile qui cachait ses longs 
cheveux d’ébène, et s'inclinant devant son heureux 
époux , lui remit sa dot. Le comte fut encore plus 
ébloui de la beauté ravissante de sa femme que des 
magnifiques diamants que contenait l’écrio : il y lut, 
signé de Claire et d'Albert, un acte par lequel ils 
reconnaissaient Anna pour leur fille. Ernest, au comble 
de la joie, lui renouvela le serment de faire son bon- 
heur ; et jamais promesse ne fut tenue plus fidèlement. 
La bonne Lennig finit ses jours près de sa fille adop- 
tive qui l’aima toujours comme sa mère. 

Quand les jeunes filles eurent reconduit leur heu- 
reuse maîtresse au château , elles redirent, sous le bal- 
con de la chambre nupliale, la ritournelle de la ro- 
mance chantée par Anna dans la forêt. 

La voix de leur amie ne s’unissait plus à leurs 
voix ; mais avant qu’elles ne s’éloignassent, la com- 
tesse voulut leur dire un adieu qui leur exprimât 
toute sa félicité. Elle s'avança sur le balcon, et y chanta 
ce dernier couplet pour terminer la romance dont le 
comte , naguère, s'était montré si charmé : 


— 319 — 


Pour moi quel avenir flatteur ! 
Je connais enfin ma famille ; 
Oh! ma mère, bénis ta tille , 
Car elle a trouvé le bonheur. 


Après ces paroles prononcées d’une voix tendre et 
mélodieuse, Anna tourna ses beaux yeux bleus vers 
Ernest qui la pressa sur son cœur... Les lumières de 
la chambre nuptiale s'éteignirent, et dans le silence de 
la nuit on n’entendit plus que les voix lointaines et 
expirantes des jeunes filles qui s’en relournaient en 
chantant le chœur qu’elles avaient dit avec Anna près 
de la chaire (1) de saint Lumier. 


(1) IL est à remarquer que nos ancêtres avaient une vénération toute 
particulière pour les monuments près desquels on les avait initiés au 
culte de l'évangile. Ainsi la chaire de saint Rigobert, évêque de Reims 
au 7° siècle; celle de saint Arnould, évèque de Metz, élaient religieu- 
sement conservées dans les deux villes où ces évèques avaient propagé 
ou affermi la foi catholique. Dans des temps moins éloignés, deux 
chaires, dans lesquelles saint Bernard avait prèché la 2° croisade en 
Champagne, étaient conservées dans la cathédrale de Reims et dans 
une plaine des environs de Chälons-sur-Marne. Mais elles ont disparu 
au moment de la tourmente de 1793. Ces chaires avaient été primi- 
tivement de grosses pierres sur lesquelles étaient montés les premiers 
missionnaires chrétiens, afin de pouvoir se faire entendre d'une assem- 
blée nombreuse. Sculptées et ornées dans la suite, par honneur pour 
Ja mémoire des saints personnages qui les avaient occupées, elles ont 
depuis été placées dans nos temples. 

Il existe en Suisse, à quelques lieues de Basle, un ermitage célèbre 
connu sous le nom de Marie de la Pierre (der Maria vom Steine). 
C'est une portion de rocher du haut duquel on raconte qu'un des pre- 
miers apôtres du christianisme dans l’'Helvétie avait catéchisé les ha- 
bitants de cette contrée. 


D — 


Les monolithes de grande dimension paraissent, d’ailleurs, avoir 
été de tout temps en possession de frapper l'imagination des peuples ; 
et plusieurs ont été, même avant l'établissement du christianisme, 
l'objet de leur respect religieux; témoins les sphinx et les obélisques 
de la vieille Egypte, les idoles de Balbec, de l'Inde; témoins aussi 
ces pierres druidiques qui, sous différents noms, servaient sans doute 
de tribunes aux prêtres de Teutatès, en même temps qu'elles lui ser- 
vaient d’autels. Dans l'antique Étrurie, Saturne était adoré sous la 
représentation d’une grosse pierre informe; et les enfants de Mahomet, 
agenouillés sur la grande pierre de la mosquée de la Mecque, y invo- 
quent encore aujourd'hui leur saint prophête. (Note du traducteur.) 


CRITIQUE LITTÉRAIRE. 


= 


RAPPORT 


SUR LES TRAVAUX 


DE LA 


SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES 


Par M. l'Abbé NANQUETRE. 


( Séance du 19 Mai 1842.) 


——— 0 — 


Quoique l’Académie de Reims soit bien jeune encore, 
elle peut déjà se considérer , sinon comme la mère , au 
moins comme l’aînée d’une autre société que son but 
littéraire, autant que le nom de la plupart de ses fonda- 
teurs, mettent en rapport de famille avec la nôtre. 
La Société des Bibliophiles de Reims a été fondée le 
8 août 1841, et cette création, comme celle de l’ Aca- 
démie, est un indice de la tendance des esprits vers les 
études littéraires et historiques. Nous devons donc ap- 
plaudir sans réserve à cette société naissante : dans 
la sphère restreinte qu’elle s’est tracée , elle contri- 


— 382 — 


buera certainement à réveiller le goût des lettres ; sous 
la direction des talents déjà müris et éprouvés qu’elle 
renferme dans son sein, elle fournira à des talents plus 
jeunes l’occasion de se produire, et deviendra comme 
une pépinière où l’Académie pourra se recruter. 

La Société des Bibliophiles est formée dans le but de 
faire imprimer des ouvrages inédits ou devenus très- 
rares. Ce but semblera peut-être un peu frivole à 
ceux qui pensent que , dans les travaux de l'esprit, on 
doit avant tout se proposer une fin utile et applicable 
aux besoins moraux ou matériels ; quelques autres que 
les bibliophiles appelleraient volontiers les puritains 
de la littérature , les accuseront peut-être aussi de ne 
rechercher, de n’aimer, de ne goûler dans leurs 
livres que ce qui est purement accessoire, comme 
le mérite typographique ou le charme de la rareté, 
sans s'inquiéter le moins du monde de leur valeur in- 
trinsèque ; mais quand ces reproches seraient fondés, 
nous devons reconnaître que les bibliophiles seraient 
peu disposés à s’en émouvoir, sil est vrai que le 
bibliophile vraiment digne de ce nom, le bibliophile 
pur sang , le bibliophile tel que le comprend et le dé- 
crit le spirituel Charles Nodier , ne lit pas même les 
livres auxquels il a voué un culte, qu'il n’en connaît 
que le titre et la couverture, la date et le nom de 
imprimeur. Les bibliophiles vous répondront qu'ils 
n'aiment pas plus le puritanisme dans la littérature que 
dans la théologie , qu’ils ne sont pas et ne veulent pas 
être de l’école utilitaire, mot qu'ils wont jamais ren- 
contré dans aucun de leurs vieux livres. Ce que vous 
appelez une manie, ils l’appellent une noble passion, 
la passion de certaines natures privilégiées que le pro- 
fane vulgaire peut bien ne pas comprendre, mais que 


ET 


— 383 — 


la morale la plus sévère est obligée de proclamer in- 
nocente : pour eux, rechercher les vieux livres, c’est 
un besoin irrésistible et plein de charmes ; les décou- 
vrir, les posséder, c’est le suprême bonheur; et loin de 
leur reprocher cette jouissance, nous devons remercier 
les bibliophiles de Reims de cherclier à propager le 
goût qui les domine, et à inilier quelques profanes 
aux délices intimes qu’ils y trouvent. C’est une pensée 
qui n’est pas sans mérite dans ce siècle d’égoïsme qui 
semble avoir adopté la maxime : Chacun pour soi. 
Au reste, hâtons-nous de reconnaître que les biblio- 
philes de Reims ne se bornent pas à ce plaisir contem- 
platif, et méritent de trouver grâce, même aux yeux 
de l’école utilitaire, par le choix de leurs publications. 
Tous les volumes publiés jusqu’à ce jour par la Société, 
se rapportent à l’histoire, particulièrement à l’histoire 
du pays de Reims, et nous ne pouvons que la féliciter 
de cette direction qu'elle donne à ses travaux. La So- 
ciété des Bibliophiles n’a encore que neuf mois d’exis- 
tence, et déjà elle a publié sept volumes, quatre édités 
par M. P. Tarbé, deux par M. L. Paris, un par 
M. Louis-Lucas. Depuis quelque temps, la Société pa- 
raît avoir ralenti le cours de ses publications; faut-il en 
attribuer la cause à la désertion de plusieurs des mem- 
bres fondateurs? il ne nous appartient pas de l’exa- 
miner ici; nous aurons encore moins la pensée de les 
blâmer de cette désertion, puisqu'elle n’a eu pour mo- 
tif, à ce que l’on assure, que le désir de consacrer plus 
de temps et de zèle aux travaux académiques. Nous 
pensons seulement que les bibliophiles regretteront 
que des hommes littéraires et scientifiques comme 
MM. Fleury, Landouzy, etc. etc., soient sortis de la 
société, sans apporter d’autre tribut que celui de leur 


— 384 — 
cotisation, M. Paris s’est mis à labri d’un tel reproche ; 
me permettra-til d'examiner tout-à-l’heure s’il n’en 
aurait pas encouru quelque autre ? 

Les quatre volumes publiés par M. P. Tarbé sont 
4° Discours de ce qu'a fait en France le héraut d Angle- 
terre, et de la réponse que lui a faite le roi le T Juin 1557; 
2 Le noble etgentiljeu de l’arbalète à Reims; 3° Louis XI 
et la sainte ampoule; 4° l'Histoire chronologique , patho- 
logique, politique, économique, artistique , soporifique et 
melliflue du très-noble, très-excellent eltrès-vertueux pain- 
d'épices de Reims. La première et la troisième brochure 
sont des réimpressions que le savant éditeur fait pré- 
céder d’une préface et suivre de notes souvent plus in- 
téressantes encore que le corps de l’ouvrage. Dans les 
notices historiques qui accompagnent les publications 
de la Société, on voit toujours dominer l'esprit et les 
prédilections du bibliophile; on raconte avec bonheur 
toutes les circonstances qui peuvent rendre ces publi- 
cations chères à un véritable amateur; mais souvent 
aussi on y trouve de hautes considérations historiques, 
d’un intérêt plus élevé et plus général. Il faut lire dans 
la préface du premier opuscule une belle et généreuse 
appréciation de la conduite de la France dans sa lutte 
contre l'Anglais; c’est une introduction qui prépare 
merveilleusement à tout ce qu’il y a de beau, d’élevé, 
de chevaleresque dans la réponse du roi à la décla- 
ration de guerre qu’on vient lui faire au nom de la 
reine d'Angleterre. Dans Louis XI et la sainteampoule, 
les considérations historiques attestent non seulement 
une science profonde, mais encore la sage réserve, la 
mesure avec laquelle l’auteur aborde des questions 
délicates ; ce qui toutefois ne nous a pas converti à 
son opinion sur la Pragmatique Sanction, opinion où 


— 385 — 


Pon peut remarquer que l'esprit parlementaire n’est 
pas tout-à-fait morl avec les parlements. 

Le noble et gentil jeu de l'arbalète n'avait jamais été 
imprimé; M. Tarbé l’a extrait des manuscrits du cha- 
noine Lacourt ; cette publication offre un grand inté- 
rêt pour la cité rémoise ; on y trouve, par ordre de 
date, de nombreuses réceptions de chevaliers; on y 
lit les noms d’un grand nombre de familles, nobles 
et bourgeoises, qui existent encore, tels que Maillefer, 
Moët, Colbert, Desrodets, Legoix, Auger etc., etc.; on 
y voit qu'un archevêque de Reims, Juvénal des Ursins, 
n'avait pas dédaigné le titre de chevalier de l’arbalète. 
Indépendamment de cet intérêt local, les statuts de la 
compagnie ne sont pas sans une certaine importance 
pour l'historien et le publiciste, à raison des détails 
de mœurs qu’on y trouve. La religion, le patriotisme, 
l'honneur et la douce fraternité en ont dicté les prin- 
cipaux articles : nous adoptons donc complètement la 
réflexion par laquelle l'éditeur termine son introduc- 
tion : « les arbalétriers de Reims ont péri, et c’est un 
« malheur, car toutes les institutions qui lient Phom- 
« me à l’homme, qui échauflent dans son cœur les 
« croyances pieuses, et raniment en lui la religion de 
« la patrie et Pamour du bien, ne devraient finir 
t qu'avec le monde. » 

Le dernier opuscule, dont M. Tarbé n’est pas seu- 
lement lédileur, mais l’auteur, c’est l Histoire chrono- 
logique, pathologique, politique, économique, artistique, 
soporifique et melliflue du très-noble, très-excellent et très- 
vertueux pain-d’épices de Reims. Quoique ce titre pro- 
metle beaucoup, l’auteur tient tout ce qu'il promet; c’est 
une histoire consciencieuse du pain-d’épices de Reims, 
une physiologie complète qu'il ne faut pas confondre 


29 


—- 386 — 


avec ces physiologies creuses et trop souvent njaises 
qui déshonorent la littérature actuelle. M. Tarbé a com- 
pris son œuvre et l'a exécutée en véritable bénédic- 
tin; il y a dans ce petit livre un parfum de bon goût 
et d'érudition choisie qui en rend la lecture aussi ap- 
pétissante que la pâtisserie qu’on y célèbre. Sous le 
rapport chronologique, l'historien du pain-d’épices a 
la modestie d’avouer qu'on ne l’a pas encore trouvé 
à l’état fossile entre les dents d’un crocodile ou les 
côtes d’un mastodonte, et par conséquent il ne remonte 
pas au-delà du déluge; mais à partir de cet époque, 
il recueille tous les souvenirs historiques et classiques 
qui se rattachent au mélange du miel et de la farine ; 
il nous le montre offert sur l'autel des Dieux, servi au 
festin des grands et même sur la table du pauvre, 
chanté par Homère, Horace et Martial, célébré par 
Athénée et le docte Pline. Puis M. Tarbé suit l’his- 
toire de son cher pain-d’épices à travers les obscuri- 
tés du moyen-âge, et c’est quand Reims a conquis le 
droit d’y ajouter son nom , quand le pain-d’épices est 
devenu une des gloires rémoises , c’est alors que Pau- 
teur décrit avee amour toutes les variétés de cette pà- 
tisserie succulente, qu'il célèbre sa puissance patho- 
logique, soporifique et melliflue, qu’il montre sa haute 
influence politique dans les réceptions prineières, qu’il 
indique même à lart une source d’inspiralions nou- 
velles en appliquant le bonhomme de pain-d’épices à 
nos petits grands hommes. Il y a sur tout cela des 
choses charmantes, mais jaime mieux vous renvoyer 
à l'ouvrage. 

M. Paris a publié deux opascules : 1° Une émeule 
en 1649 ; 2: Les mémoires du chanoine Maucroix. C’est 
aussi dans les manuscrits de Lacourt, véritable tré- 


ON — 


sor d’érudition et de renseignements historiques, que 
M. Paris a puisé la mazarinade rémoise dont il est 
l'éditeur. On y voit que ceux de Reims avaient pris 
parti pour le parlement contre la cour et le Mazarin ; 
_ils entretenaient des correspondances qui les infor- 
maieut de tous les mouvements de Paris. Or, le mar- 
quis de la Vieuville, lieutenant du roi, à qui ce com- 
merce de lettres était suspect, ordonna qu’on lui ap- 
portàt les valises des courriers et des messagers, pour 
que les lettres fussent ouvertes en sa présence. Ce 
fut le prétexte et le signal de lémeute qui éclata 
au Bourg-de-Vesle, dans la maison occupée aujour- 
d'hui par Me Ve Leroy-Myon; l’histoire contempo- 
raine atteste que les traditions de l’'émeule ne sont pas 
encore perdues dans ce quartier ; je ne raconterai pas 
que, dans celle de 1649, les émeutiers n’ont d’abord 
affaire qu’à quelques hommes d’armes, qu’ils écrasent 
par le nombre et accablent généreusement à coups de 
pierre, et que c’est seulement quand lardeur de l'in- 
surreclion commence à se ralentir, que la garde bour- 
geoise se présente avec une force imposante ; on m’ac- 
cuserait peut-être de faire de l’histoire contemporaine, 
et de manquer de respect envers une précieuse insti- 
tution dont plusieurs de mes confrères ont le bonheur 
d’être membres. 

La mazarinade est précédée d’une introduction où 
l'on retrouve la verve, l'esprit, l’érudition et toutes les 
qualités littéraires que l’auteur nous a accoutumés 
à aimer et à admirer dans ses œuvres. Toutelois 
je dois dire que l’idée fondamentale de cette intro- 
duction me semble quelque peu hardie, voire même 
irrévérentieuse. M. Paris s'attache à désabuser ceux 
qui ont encore la candeur de croire à la fidélité pro- 


— 388 — 


verbiale de la ville du sacre. Il nous assure que nalle 
ville du royaume n’a porté d’aussi fréquentes atteintes 
à la loi constitutive de l’état ; et il n’est pas douteux, 
ajoute-t-il, que si Reims eut été en possession de dis- 
poser du sort de la France, l’ordre de successibilité 
au trône, en moins de trois siècles, courait risque d’ê- 
tre quatre à cinq fois interrompu, et ce, toujours au 
profit de l'étranger. Puis armé de la science d’un éru- 
dil consommé, il nous montre en 1418 Reims adhérant 
aux propositions du duc de Bourgogne, qui tendent 
à faire reconnaître en sa personne les droits de pré- 
somptif héritier de la couronne, dont la ville déciare 
à jamais dépouillé Charles, dauphin, fils de France. 
Quatre ans plus tard, après la mort violente de l'am- 
bitieux Bourguignon et celle de l infortuné Charles VE, 
les Rémois, à l’instigation d’Isabeau de Bavière, mère 
vindicative et dénaturée, se livrent à l'Angleterre, et 
proclament roi de France Henri VI, faible enfant, âgé 
de moins d’un an, auquel ils reconnnaissent pour tu- 
teur, avec le titre de régent du royaume, un Anglais, 
le duc de Bedfort. En 1461, éclate l’émeute célèbre 
sous le nom de Micmaque de Reims. Durant les trou- 
bles de la ligue, Reims déclare le trône vacant, et à 
l’époque de la Fronde, le même esprit d'insurrection 
faillit coûter la vie au marquis de la Vieuville, lieute- 
navt du roi. Tels sont, indépendamment de l’histoire 
contemporaine dont M. Paris veut bien ne pas se pré. 
valoir en faveur de sa thèse, tels sont les fails accu- 
mulés pour réconcilier antique et bonne ville de Reims 
avec ces ardents patriotes qui ne rêvent qu’affranchis- 
sement et progrès. 

Comme notre patriotisme est un peu moins turbu- 
lent, nous avouons que nous avons été quelque peu élour- 


ee 


— 989 — 

di de ces citations, et médiocremeat satisfait de la si 
gnification que leur donne notre savant confrère. Nous 
allions discuter cesfaits, et essayer de les présenter sous 
un aspect moins révolutionnaire, lorsque nous avons 
lu, à la dernière page du volume, sous le titre de 
Postface, ces paroles qui nous dispensent de toute polé- 
mique : « Il est bien entendu, et nous ne voulons point 
« tromper ici nos lecteurs, que la proposition princi- 
« pale de notre discours préliminaire est une simple 
« affaire de paradoxe. Il nous a paru piquant à nous 
« qui professons pour la ville de Reims l'attachement 
le plus filial, et qui faisons de létude de son his- 
« toire l'occupation et le délassement de notre vie, de 
« soutenir l'opinion la plus erronée, la plus contraire 
« aux idées reçues, quoique certainement la plus spé- 
« cieuse par les documents qui Pétayent.v Nous avouons 
que nous avons été d’abord scandalisé de ces paroles 
qui nous prouvaient que nous avions été victime d’une 
mystification : mais après y avoir mürement réfléchi, 
nous avons pensé que tout ceci n’est qu’un jeu d’esprit 
par lequel l’auteur a voulu nous donner une idée de 
la littérature de la Fronde, époque où l’on mêlait la 
plaisanterie aux choses les plus sérieuses, où le coad- 
juteur se consolait de la journée des Barricades en lap- 
pelant la première aux Corinthiens, et où l'esprit faisait 
-pardonner tant de folies. 

La seconde publication de M. L. Paris contient les 
mémoires du chanoine Maucroix sur les difficultés 
qui s’élevèrent entre le cardinal Barberin et le cha- 
pitre de sa cathédrale : indépendamment de l’inté- 
ret historique qu’ofirent ces détails pour fixer les sou- 
venirs d’usages anciens , la sévérité de ces discussions 
est tempérée par des épisodes attachants. M. L. Paris 


2 


— 390 — 


a été irès-sobre de réflexions et de notes dans cette 
seconde publication; il se borne à quelques détails 
historiques et littéraires sur le chanoine Maucroix, V'a- 
mi de La Fontaine, de Racine et de Boileau ; peut- 
être eut-ce été le lieu d'apprécier la nature des rela- 
tions entre l'ordinaire et les anciens chapitres ; M. Pa- 
ris n’en dit pas un mot ; nous regrelterions davantage 
son silence, si nous n’avions pas craint qu’il meut cé- 
dé à la tentation de donner à un nouveau paradoxe 
historique l'autorité de sa science et de son talent. 

Les publications dont nous avons à rendre compte 
se terminent par l Entree du roi notre sire en la ville et 
cité de Paris. Ge sont de vieilles rimes où un poète du 
temps raconte le retour du roi Charles VIII à Paris, 
le 8 Juillet 1484. Cet opuscule se rapporte moins 
directement que les publications précédentes à lhis- 
toire locale; mais en revanche , l'éditeur M. Louis- 
Lucas donne, dans une introduction de 25 pages, ure 
ample description de l'entrée du roi à Reims; il nous 
fait suivre la marche triomphale du prince, et repro- 
duit les harangues en prose et les inscriptions en vers 
par lesquelles nos pères exprimaient leur naïf enthou- 
siasme. 

En résumé, les publications de la Société ont un mé- 
rite réel et incontestable sous le rapport historique et 
littéraire, et nous ne sommes nullement étonné qu’elles 
obtiennent un succès qui suffit à couvrir les dépenses 
de l’entreprise. Nous en félicitons tout à la fois les 
Bibliophiles et notre bonne ville de Reims qui s’asso- 
cie avec tant d'intelligence au mouvement littéraire 
qui reporte les esprits vers étude du passé et les tra- 
ditions classiques. Ce succès de l’œuvre est un motif 
de plus pour regretter que la société ait inséré dans 


cag: — 


ses statuts un article qui ne permet qu'à un petit nom- 
bre d’heureux privilégiés de posséder ses publications. 
Cet article ne doit pas, ce me semble, trouver grâce 
devant une Académie qui se propose pour but de pro- 
pager et de populariser le goût des sciences, des arts 
et belles-lettres. 


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HISTOIRE 


DE LA CITÉ, VILLE ET UNIVERSITÉ 
DE REIMS, 
MÉTROPOLITAINE DE LA GAULE BELGIQUE , 


Par dom Guil. MARLOT. 


MANUSCRIT INÉDIT, 


Publié aux frais et par les soins de l'Académie de Reims. 


NOTE 
SUR CETTE PUBLICATION 


Par M. L. PARIS. 


M 9 Q mmi——— 


On sait assez les étranges exclusions formulées de 
nos jours contre les travaux historiques des siècles 
précédents, et quelle dépense s’est faite de spirituels 
sophismes et d’ingénieux paradoxes pour prouver que 
la masse des faits dont se composent nos annales, nous 
est arrivée à l’état de chaos, et qu'à nous seulement 
était réservée la haute et sainte mission d'écrire lhis- 
toire. 

Partie de ce principe, la science moderne s’est éver- 
tuée à battre en brèche les historiens antérieurs à no- 


394 — 


tre époque. Elle a remis en question tout le passé, elle 
a déclaré suspects de préjugés, de fraude ou de pas- 
sions étroites les récits sur la foi desquels avaient vécu 
nos ancêtres. Elle a répudié l’histoire écrite pour d’au- 
tres siècles, bien que cette histoire fût en harmonie et, 
pour ainsi dire, en rapport de ressemblance avec eux : 
— et les grands traväux, naguère en recommandation, 
sont un instant tombés, comme si leur base naturelle, 
la vérité, était venue à leur manquer. 


Une légère réaction s'opère toutefois en faveur des 
anciens. Quelques bons esprits, suffisamment doués 
d'imagination et de talent pour produire, selon le pro- 
gramme de l’école moderne, en reviennent aux vieilles 
traditions. Des travaux sérieux sont par eux entre- 
pris, et sous leur direction on se remet partout aux 
études fortes et patientes. On reconnaît peu à peu que, 
même au point de vue philosophique, c’est encore la 
meilleure manière d’étudier et de faire l'histoire, — si 
tant est que l’histoire soit à refaire. 

Les comités historiques, la Société de l'Histoire de 
France, l’Institut même, donnent le signal et l'exemple 
de publications qui tendent à réhabiliter les anciennes 
doctrines en matière d'enseignement historique. 


C'est au moment où ces grandes compositions s'éla- 
borent, où lon accueille avec ardeur tout ce qui ali- 
mente le goût de l'antiquité, où lon se passionne pour 
tout ce qui a le vernis du passé, que l'Académie de 
Reims a voulu signaler ses débuts par un travail qui 
lui conciliät les Symbatlites des amis de l’archéologie. 

în publiant P Histoire de la cité, ville et université de 


— 395 — 
Reims, de dom Marlot, histoire écrite en francais ct 
restée inédite, l'Académie a cru servir les intérêts de 
l’histoire nationale, non moins que la passion des nom- 
breux amis dela ville de Reims, dont ce livre reproduit 
les curieuses annales. 


Le monde savant connaît assez l’ouvrage de dom 
Marlot intitulé : Metropolis remensis Historia, 2 volumes 
in-folio, dont les exemplaires, aujourd'hui fort rares 
dans le commerce, sont d’ailleurs à la portée d’un assez 
petit nombre de lecteurs. Il paraît certain que l’auteur, 
bénédictin dela congrégation de Saint-Maur, avait d’a- 
bord composé son Histoire en francais, et qu’il ne se 
mit à la traduire et à la publier en latin que sur les re- 
présentations de ses doctes confrères, dont l'amour-pro- 
pre littéraire ne s’arrangeait pas d’une publication en 
langue vulgaire. 


Quoi qu’il ea soit de cette assertion, que l’on trouve 
consignée dans plusieurs écrits du dernier siècle, le 
texte francais que possède la Bibliothèque de Reims 
est bien autrement intéressant, comme histoire, que le 
texte latin. La narration y est plus abondante , plus 
suivie et plus prolongée : ia traduction latine s'arrête 
à 1605, et l'original francais va jusqu’en 1663; on y 
trouve bon nombre de matières dont l'absence est com- 
plète dans l’histoire latine, et sur tous les objets qui 
servent de texte à celle-ci, l’histoire française offre des 
différences et des améliorations si notables, qu’elle 
forme un ouvrage à part et tout-à-fait nouveau. 

C'est cette histoire depuis long-temps souhaitée du 
public, dont l'Académie de Reims entreprend la dis- 
pendieuse publication. 


— 396 — 

Le pays de Reims, à part les écrits de Marlot, n'a 
pas, comme la plupart des villes de France, son cours 
complet d'histoire : car il n’est guère permis de donner 
ce nom à l'esquisse, estimable à divers titres sans doute, 
mais par trop superficielle, qu'a publiée Auquetil : 
non plus qu'aux nombreux opuscules que quelques-uns 
de ses monuments ou certains points de ses annales ont 
pu faire naître. Et cependant quelle cité offre un plus 
vaste champ aux études de l'historien, de lantiquaire 
et du philosophe ? | 


La première partie de Marlot est d’abord la para- 
phrase de l’histoire de Flodoard, le seul ouvrage qui jette 
quelques lumières sur les antiquités ecclésiastiques de 
la province, mais qui, comme ébauche, avait besoin 
d’être retouchée en plusieurs points. Cette partie de 
Phistoire de Marlot se distingue toutefois de Flodoard 
par le soin que met l’auteur à débrouiller le chaos des 
origines de la ville de Reims; et dès le commencement, 
plusieurs de ses chapitres sont autant de précieuses 
dissertations qui lui appartiennent en propre. Ainsi, 
l’état du pays avant la conquête des Gaules, les alliances 
des Rémois avec les Romains, et tout ce qui précède, 
à Reims, l'établissement du christianisme, devient 
chez lui l’objet de savantes recherches, A mesure qu’il 
s'éloigne des temps primitifs de notre histoire, et dès 
qu’il n’est plus circonserit dans les rares témoignages 
que lui offrent Flodoard et les chroniqueurs des pre- 
miers siècles, son livre prend de l'ampleur et de la 
vie. Les cartulaires ecclésiastiques servent à l’auteur 
pour l’histoire cléricale ; les archives de l'Hôtel de Ville 
pour l’histoire municipale, tandis que les biblio- 
thèques publiques achèvent de lédifier sur les difé- 


-A 


— 397 — 
rents points de l’histoire général qui rentrent dans sorti 
cadre. 


Marlot étudie scrupuleusement chaque époque dont 
il s'occupe; il interroge les échos, il suit leurs traces ; 
il recompose pièce à pièce, et pour ainsi dire, sur 
place, et avec ses débris authentiques toute la société 
rémoise au moyen-âge. Il exhume les chroniques et les 
mémoires , il déchiflre les vieux manuscrits , il remue 
tout ce qui porte le caractère ou la date du temps ; et 
à travers beaucoup de poussière et d’obscurité, il ar- 
rive à compléter la tâche difficile qu’il s’est imposée.— 
On trouve dans son livre, et suivant l’ordre des temps, 
ła succession de l’épiscopat, continuée jusqu’au dix- 
septième siècle inclusivement, avec la biographie des 
hommes qui, sous chacun des prélats, se sont distin- 
gués dans les sciences et les lettres. — Puis la fon- 
dation des abbayes de la ville et du diocèse ; l’'établisse- 
ment des hôpitaux, des corporations. On y voit naître 
et grandir la bourgeoisie , la part qu’elle prit aux af- 
faires, depuis l’affranchissement de la commune et le 
rétablissement de l’échevinage , puis ses luttes inces- 
santes avec l'Église et le pouvoir féodal; les conciles , 
dont quatre furent présidés par des papes , et les sy- 
nodes provinciaux : — le tout étayé de nombre de 
chartes , bulles et diplômes. 


L'histoire de la cité, ville et université de Reims n’est 
cependant pas si restreinte qu’elle ne puisse intéresser 
vivement un grand nombre de personnes étrangères à 
la cité.—Pour comprendre par quels points nombreux 
elle se rattache à l’histoire générale , il suffira de dire 
que l’église de Reims a donné à la chrétienté quatre sou- 


— 998 — 


verains pontifes : Sylvestre H, qui en avait été arche- 
vêque sous le nom de Gerbert; Urbain I, chanoine sous 
celui de Odon de Châtillon ; Adrien IV, archidiacre 
sous le nom de Nicolas ; et Adrien V, également archi- 
diacre et chancelier, sous celui d’Ottobon : — qu’elle a 
vu douze princes assis sur son siége, dont deux fils de 
France et quatre princes du sang royal : — que treize 
de ses prélats et quinze de ses chanoines furent honorés 
de la pourpre ; et que beaucoup d’entre eux, officiers 
de la couronne , ou chargés d’ambassades et de hautes 
missions diplomatiques, rendirent à l'État les plus émi- 
nents services. 


D'un autre côté, les relations hostiles ou amicales 
des archevêques de Reims avec les grands vassaux de 
la couronne et les barons du voisinage, fournissent à 
l’auteur l’occasion d’intéressantes notices sur les 
grandes familles de la province. Les comtes de Cham- 
pagne, de Rethel et de Grandpré; les sires de Châ- 
tillon, de Roucy, les comtes de Vertus et autres puis- 
sants seigneurs, y ont leur généalogie. La translation 
du siége apostolique de Rome à Avignon, les brouille- 
ries des conciles de Constance et de Bâle; l'amende 
honorable de Jean de Varenne, le champion de Panti- 
pape Clément; — les révélations de la blanchisseuse 
Ermine, ct autres particularités singulières, jettent une 
grande variété sur le récit des faits ecclésiastiques : — 
tandis que la bataille de Bouvines et la part glorieuse 
qu'y prirent les Rémois ; les croisades et l'élan géné- 
reux dont elles furent l’origine, sont autant de faits de 
l’histoire générale qui fournissent à Marlot des pages 
curieuses, et dans lesquelles l'historien est souvent à la 
hauteur de son sujet. 


nn — 


399 — 


Viennent ensuite, dès le quinzième siècle, des rela- 
tions directes du chef de l’état avec les magistrats ci- 
vils de la cité. — Une correspondance royale, active 
et volumineuse, et dont les originaux sont encore à 
l'Hôtel de Ville , atteste Pimportance politique de la 
ville de Reims à cette époque. — Les guerres prolon- 
gées contre les Anglais, et la sainte mission de l'héroïne 
de Vaucouleurs; — les troubles suscités par le protes- 
tantisme, et les discordes civiles nées de la ligue, sont 
des faits nationaux auxquels se mêlèrent trop active- 
ment parfois nos remuants ancêtres. — Le rôle qu'ils 
y jouèrent est consigné dans les archives municipales, 
que Marlot a consciencieusement étudiées. — Il n’en 
exagère ni dissimule la portée. 


Cependant, il faut le dire, malgré l’étendue de son 
livre et les immenses détails qu'il embrasse, le lecteur 
exigeant trouvera de fréquentes lacunes dans Marlot. 
— Bien que l’auteur ne néglige aucune date histori- 
que sur l'époque des constructions de chacun des édi- 
fices religieux , civils et militaires de la ville, l'ami 
des arts pourra lui reprocher l'absence de toute notion 
sur les peintres-imagers, les sculpteurs, les architectes 
et lous ces brillants artistes qui, par le nombre et l'ex- 
cellence des monuments dont ils Pavaient remplie, 
avaient fait de Reims, au moyen-âge, une ville que 
les étrangers n’hésitaient pas à surnommer la Nouvelle- 
Rome. 


Puis dans ce tableau de faits appartenant à un passé 
que sa trop grande dissemblance avec le présent ex- 
pose à l'oubli, Marlot, tout occupé de la puissance tem- 
porelle de l'Église, s'étend peu sur les créations in- 


— 400 — 


dustrielles, l'origine, la marche et les développements 
du commerce. Marlot franchit souvent les limites de 
sa maison pour embrasser l’ensemble des faits qui 
rentrent dans le cadre de ses vues, toutes à l'honneur 
de son pays ; — mais écrivain du cloître, il ne présage 
un glorieux avenir pour sa patrie que dans la perpé- 
tuité des institutions cléricales, — étrangères, il faut 
l'avouer, au renouvellement social qui caractérise lé- 
poque à laquelle nous appartenons, et dont le mou- 
vement progressif de l’industrie peut en grande partie 
revendiquer l'honneur. 


Nous ajouterons encore, et sans doute au grand 
blâme de Marlot, qu’il ne faut pas s’attendre à trou- 
ver dans son livre, malgré l'intérêt historique qui y 
domine, de pelits récits tout faits pour le Magasin pit- 
toresque, le Bijou-Keepsake, ou le feuilleton du journal : 
inestimables recueils dont la littérature palpitante 
d'intérêt et d'actualité, sera, nous n’en doulons guère, 
l’immortel honneur de notre siècle! — Dom Marlot 
n’a point prévu les tendances littéraires et les pré- 
tentions toutes légitimes des liseurs de notre époque : 
il est même douteux qu'avec son caractère et ses goûls, 
il se fût jamais prêlé aux exigences auxquelles heu- 
reusement suffisent les écrivains qui, de nos jours, 
tiennent bureau de beau style et de science prime- 
sautière. — Mais à ces graves reproches la réponse 
est facile. Marlot est de son siècle, et son histoire 
se ressent des idées de son siècle : elle est en harmo- 
nie, en concordance avec ces idées. — Son livre a la 
forme sévère d’un ouvrage méthodique; lérudition 
S'y fait jour à chaque page, — car l'érudition était 
dans le goût de ses lecteurs. — Quant au style, nous 


— 


— 401 — 


ne le défendrons pas contre les sarcasmes des phraséo- 
logues brillants de nos jours ; il est cé qu'il peut, 
sous la plume d’un moine du dix-septième siècle. 

Malgré les imperfections de l'œuvre, le travail de 
Marlot est sans contredit ce qni a jamais été composé 
de plus complet et de plus satisfaisant sur Phistoire 
d’une grande cité. C’est une source immense où cha- 
cun pourra toujours utilement recourir, ne fût-ce 
qu’à titre de consultation. Marlot est pour les amis 
de l’histoire et des institutions de leur pays, ce que 
sont pour les jeunes débutants au barreau ces anciens 
avocats, dont la tête a conservé toutes les vieilles tradi- 
tions judiciaires. 


L'Académie de Reims s’est proposé la publication 
de l’œuvre de dom Guillaume Marlot, de l'Histoire 
de la cité, ville et université de Reims, telle que lau- 
teur l'avait d’abord composée en francais, et sur un 
plan qu'il a singulièrement rétréci dans son histoire 
latine. — Déterminée à ce travail par des sollicita- 
tions réitérées et sous la haute et libérale inspiration 
du savant prélat qui la préside, l'Académie ne veut 
rien omettre de ce qui lui sera possible pour con- 
duire l’œuvre à sa perfection. — Mais l’Académie sent 
tout le poids de cette vaste entreprise; déjà sûre de 
l'appui du gouvernement, de la sympathie de tous les 
corps savants, elle a besoin encore d’un favorable ac- 
cueil du public, car rien de grand et de vraiment utile 
ne se fait sans l’aide du public. 


OEuvre essentiellement patriotique et tout entière à 
l'honneur du pays, nous sollicitons, pour la publication 
du Marlot, le concours de tous les vrais Rémois, jaloux 

26 


— 402 — 


des souvenirs de leur patrie ; nous appelons les sym- 
pathies des amis des études historiques et de tous 
ceux qui, à l'avance, n'ont pas pris le parti de renier 
la gloire et de repousser tout souvenir de l’ancienne 
France. 


BIOGRAPHIE. 


NOTICE 
SUR LINGUET 


Par P-A. DÉRODÉ, son neveu. 


Parmi les hommes honorables que notre cité se 
glorifie d’avoir vu naître, permettez moi, Messieurs, de 
vous entretenir quelques instants d’un membre de ma 
famille, de M. Linguet, si connu par les succès qu’il ob- 
tint au Barreau, et dans la carrière des lettres. 

Plus d’une fois déjà, j'ai eu la volonté de me livrer à 
une analyse raisonnée des principaux ouvrages de Lin - 
guet, toujours j'ai trouvé la tâche au-dessus de mes 
forces, Peut-être essairai - je un jour. En attendant j'ai 
pensé qu’il y aurait utilité à rappeler à vos souvenirs 
quelques époques saillantes de la vie d’un rémois, qui 
occupe, et occupera toujours un rang distingué parmi 
les écrivains du XVIII" siècle. 


Simon-Nicolas-Henry Linguet est né à Reims, le 
14 juillet 1736; Son père, fils d'un cultivateur de 
Senüc (Ardeñnes), avait fait de fort bonnes études à Pa- 
ris} au collége de Beauvais, où il remplit ensuite les 


— 00 — 


fonctions de sous-principal, et de professeur d'huma- 
nités. Exilé à la suite des tracasseries du jansénisme, 
par lettre de cachet du 17 septembre 1731, il se retira 
à Reims, s’y maria, et devint greffier en chef de l'Élec- 
tion. Tout en remplissant les modestes fonctions de sa 
place, il ne négligea pas la culture des lettres. Il avait 
été intimement lié avec l'abbé Vertot , et une tradition 
de famille voulait que le dernier volume de l’histoire de 
Malte, celui qui en contient les annales, fût en entier 
l'ouvrage de sa plume. Il mourut beaucoup trop tòt 
pour le bonheur de sa famille, laissant cinq enfants 
dont l’aîné, celui dont nous nous occupons en ce mo- 
ment, avaità peine dix ans. 

« Né sans fortune, a dit lui-même Linguet, je suis 
» loin d’en rougir : fils d’un homme estimé, persécuté, 
» que j'ai eu le malheur de perdre dans le plus bas- 
» âge, il ne m'a guère laissé que son nom et sa desli- 
» née; il aurait pu dans ses derniers moments me dire 
» comme Enée : 


Disce, puer, virtutem ex me verum que laborem, 


» Engagéje ne sais comment dans les folies du jan- 
» sénisme, témoin je ne sais pas plus comment d’un 
» soi-disant miracle du bienheureux diacre, il fut mar- 
» tyr du despotisme exileur, comme son fils l'a été plus 
» tard du despotisme rayeur: il perdit en conséquenee 
» sa place de professeur à l'Université de Paris, revint 
» à Reims, s’y maria. .... C’est ainsi queje suis né sous 
» les auspices d’une lettre de cachet. » 

Linguet fit ses études à Paris, dans le même collége 
de Beauvais où son père avait été professeur; il s’y 


— 407 — 


distingua d’une manière brillante et vraiment extraor- 
dinaire, en remportant en 1751, à l’âge de 15 ans, les 
trois premiers grands prix de l'Université. 

Lorsqu'il eut terminé ses études, les succès qu’il y 
avait obtenus fixèrent sur lui l'attention d’un prince étran- 
ger, du duc de Deux-Ponts, qui l'emmena en Pologne, 
avec le titre de secrétaire particulier. Les motifs qui 
empêchèrent Linguel de rester long temps avec ce pre- 
mier protecteur nous sont inconnus. Nous le voyons 
seulement un peu plus tard, s'attacher au prince de 
Beauveau, et le suivre lors de la guerre du Portugal, 
en qualité d’aide-de-camp, chargé de la parlie mathé- 
matique du génie. Un séjour de deux ans qu'il fit en 
Espagne, le mit à même d'apprendre la langue natio- 
nale, assez à fond pour pouvoir un peu plus tard pu- 
blier une fort bonne traduction du théàtre espagnol, 
el nous faire connaître les chefs-d’œuvre des Lopez de 
Vega, des Calderonne. 


L'indépendance de caractère de Linguet, son amour 
pour les lettres lui rendaient peu agréables les fonc- 
tions abstraites qu'il avait commencées, aussi ne tar- 
da-t-il pas à y renoncer : il quitta le prince, revint en 
France, et se livra tout entier aux études qui avaient 
tant d’attraits pour lui. Déjà ilavait publié un opuscule 
très-agréablement écrit, en prose mélangée de vers, 
et intitulé Voyage au Jardin du Roi , ouvrage extrême- 
ment rare aujourd’hui, et qui annonce les heureuses 
dispositions de son auteur. Mais le véritable début de 
Linguet dans la carrière littéraire ne date que de 1761, 
époque où, à l’âge de 25 ans, il publia son histoire du 
siècle d'Alexandre. 

Cet ouvrage fit une véritable sensation par les idées 


— 108 — 


neuves qu'il renferme, par une censure judicieuse et 
hardie d'anciennes opinions accréditées par les noms 
de Bossuet, de Rollin et autres écrivains de haute re- 
nommée. 

Ce n’est pas seulement l’histoire du conquérant, du 
héros que Linguet se propose d'écrire: c’est sous un 
point de vue tout-à-fait nouveau qu’il veut le faire en- 
visager; il regarde le siècle d'Alexandre comme l’épo- 
que la plus intéressante de l’histoire de Pesprit humain, 
il examine ce qu’étaicnt les nations qui occupaient la 
scène du monde, avant qu'Alexandre ne vînt envahir. 
Il entre dans des détails assez étendus sur les gouver- 
nements, les mœurs, les usages, les lois, les impôts, le 
commerce, la littérature, la religion et la philosophie 
des divers peuples avant et après Alexandre; enfin il 
trace à grands traits la situation du monde à l'époque 
où vivait l’homme extraordinaire dont il écrit sommai- 
rement l’histoire. Il est impossible de renfermer plus 
d’érudition, de véritables connaissances, dans un ca- 
dre aussi resserré, où la diction est toujours relevée 
par la magie d’un style aussi pur que constamment 
correct. 


Linguet publia ensuite divers ouvrages également 
remarquables, jusqu’en 1764, époque où il se décida 
à embrasser la profession d'avocat, et à entrer au Bar- 
reau. Il nous apprend lui-même les motifs qui ont dé- 
terminé sa résolution. « F’ai vu de bonne heure, (dit-il), 
» que ce m'était pas dans ma famille que je devais at- 
» tendre la fortune. Je crois que je m’en serais passé 
» tout comme de la célébrité, si la volonté impérieuse 
» d’une aïeule, ne m'avait, après des tentatives assez 
» faibles de ma part dans plus d’une carrière, ne nv'a- 


SA 


A 


= 1409 — 


» vait, dis-je, poussé vers une, où l’on peut espérer 
» voir l’aisance accompagner la gloire, et en être le 
» fruit.» 


Ce fut donc déterminé par les instances de son aïcule 
que Linguet vint prendre à Reims le grade de li- 
cencié en droit, et fut ensuite inscrit sur le tableau 
des avocats au parlement de Paris. 

Parler ici des succès qu’il y obtint, des causes im- 
portantes dont il fut chargé, et dans lesquelles ıl dé- 
ploya un si beau talent oratoire ; signaler les circons- 
tances extraordinaires qui donnèrent naissance aux 
démélés qu’il eut ensuite avec l’ordre des avocats , et 
qui se terminèr2nt par sa radiation du tableau, serait 
devancer le dessein que j’ai manifesté, de me livrer 
plus tard à une analyse raisonnée de ses nombreux 
ouvrages. À mesure que j'entrerai dans cet examen, 
les diflérentes phases de sa vie trouveront mieux 
leur place, elles présenteront plus d'intérêt, qu’en 
les agglomérant sèchement aujourd’hui , sans pouvoir 
développer en même temps les causes qui en ont 
rendu le cours si orageux. 

Je crois donc devoir me restreindre à réunir, à con- 
signer les circonstances malheureuses qui ont amené 
la catastrophe qui a terminé sa vie dans toute la ma- 
turité de son talent. 

En s’éloignant du Bareau , Linguet avait repris la 
rédaction d’un journal politique et littéraire, dont il 
s'était déjà précédemment occupé. Quelques censures 
un peu vives de plusieurs actes du gouvernement , lui 
suscitèrent des ennemis puissants parmi les ministres de 
Louis XVI. M. de Vergennes principalement, ministre 
des aflairesétrangères, ne pouvait lui pardonner de ne 


— #0 — 


le désigner qne sous le nom de ministre étranger aux 
affaires. 

Linguet craignant pour sa sùreté personnelle , se re- 
tira en Angleterre. Ce fut là qu’il commenca la publi- 
cationde ses annales politiques et littéraires, si connues 
dans le temps, si estimées aujourd’hui, et qui lui as- 
signèrent le premier rang parmi les publicites de 
l’époque. 

En 4778 et 79, appelé par des intérêts particuliers, 
il revint diflérentes fois en France, sans y être aucu- 
nement inquiété pendant le séjour qu’il y fit. IL n’en fut 
pas de même en 1780; momentanément de retour à 
Paris, el traversant le faubourg Saint-Antoine pour se 
rendre à la campagne où il devait diner, il fut arrêté en 
plein jour, et déposé à la Bastille, où il séjourna pendant 
20 mois, sans que pendant cette longue détention il pùt 
obtenir le moindre éclaireissement sur les causes de sa 
captivité, comme aussi il ne lui en fut donné aucun, 
lors de sa mise en liberté au mois de mai 1782, en lui 
annonçant simplement qu'il devait s'éloigner de qua- 
ranle lieues de Paris. 

Ce fut alors qu’il vint habiter Bruxelles, où la pro- 
tection spéciale de l’empereur Joseph TI lui assurait un 
asile aussi sûr qu’agréable, Il y continua ses annales, 
jusqu’à l’époque où la révolution de 89 vint changer 
en France la face du gouvernement. {l crut voir s'ouvrir 
une carrière plus propice à ses talents littéraires, à son 
génie observateur, et il céda au désir de revenir à Paris. 

Linguet continua ses annales , et ajouta encore à la 
haute réputation dont il jouissait, par la sagesse des 
vues qu’il y développa, et par l'esprit de modération 
qui dirigeait sa plume. La solidité de son jugement le 
préserva de cet engouement qui dans les premiers mo- 


= SU = 


ments d’eflervescence, séduisit, égara les meilleures 
têtes. 

Ennemi juré du despotisme , dont il avait eu tant 
à se plaindre, il désirait vivement la réforme des abus, 
mais il eut le courage de s’élever contre la précipitation 
avec laquelle les assemblées constituantes et législa- 
latives sapaient jusque dans ses fondements le grand 
édifice social, ouvrage du temps et de l'expérience de 
nos pères, sans songer à remplacer par de sages ins- 
titutions, l’ancien ordre des choses que lon boulever- 
sait si violemment. Le premier des écrivains de cette 
époque, Linguet signala tous les maux qu'un système 
aussi vicieux devait déverser sur la France. 


Avant même que la tourmente révolutionnaire ne se 
déployàät dans toute sa force, Linguet avait eu la prudence 
de déposer son burin , et de renoncer à toute discussion 
politique : retiré dans une très-jolie propriété qu'il 
avait acquise à Marne près Ville-d’Avray, il ne s’y 
occupait plus que de travaux littéraires et agricoles. 

Devenu maire de sa commune, il s’opposa aux vio- 
lences des anarchistes de son canton, avec une énergie, 
avec une fermeté qui altira sur lui l’animadversion 
des chefs du parti, et réveilla la haine de quelques 
anciens ennemis. Dénoncé au club des Jacobins , au 
comité de salut public, comme partisan des aristo- 
crates , il fut arrêté comme suspect et conduit à la 
Conciergerie. 


Une maladie grave dont Linguet fut atteint peu de 
jours après son entrée dans cet horrible séjour, semblait 
être un bienfait de la providence : il aurait pu lui de- 
voir la conservation de ses jours. En effet, il fut transféré 


— 112 — 


dans une maison de santé du faubourg Saint-Antoine, 
qui avait été convertie en maison d’ arrêt. 

Les évènements se succédaient avec une telle rapidité 
que n’étant plus sous les yeux des bourreaux , Linguet 
en fut bientôt complètement oublié. Il eut certainement 
échappé à leur fureur, si à peine revenu à la santé, 
l'impétuosité de son caractère ne l’eût poussé à des dé- 
marches qui devaient décider sa perte. 

La haine innée en lui contre tout ce qui était despo- 
tisme, le révoltait contre la détention arbitraire dont il 
était objet: une des vexations qu'il ne pouvait suppor- 
ter était la conduite du commissaire de sa section, 
qui s'était approprié l’usage de ses chevaux, de sa voi- 
ture, de ses domestiques , et lui faisait payer bien 
exactement chaque semaine, la nourriture des uns et 
le salaire des autres. Fort de sa conscience, ne pouvant 
croire que la justice n’existät plus en France que de 
nom, il voulut , malgré les instances de ses amis, les 
supplications de sa famille, présenter à la Convention 
une requête dans laquelle, tout en se plaignant amère- 
ment de la détention illégale qu’on lui faisait subir, il 
demandait des juges devant lesquels il pût connaître, 
confondre ses accusateurs , et démontrer son inno- 
cence. 


La hardiesse, l'énergie de sa pétition réveillèrent la 
haine assoupie. Peu de jours après il fut réintégré à la 
Conciergerie, traduit devant le tribunal de sang, et 
condamné avec soixante-douze autres victimes, con- 
vaincu, dit l'arrêt inique , d'intelligence avec les prêtres 
réfractaires et la famille des Bourbons. 

Le 9 messidor an IT, Linguet fut conduit au sup- 
plice : il marcha vers l'échafaud avec cette tranquillité, 


— 413 — 


celle fermeté, compagnes inséparables de l'inno- 
cence, Dans le trajet, il cherchait à soutenir par ses dis- 
cours le courage de ses compagnons d'infortune, et, 
privé comme eux à cette terrible époque des consola- 
tions de la religion, il récitait à haute voix des passages 
de Senèque sur le mépris de la mort. 

Un des principaux motifs de la condamnation, qui 
ne fut consignée dans l'arrêt que sous les mots vagues 
d'intelligence avec les Bourbons, fait trop d’honneur à 
la mémoire de Linguct pour que je ne m’empresse pas 
de le rétablir ici. 


Lorsque l’infortuné Louis XVI fut mis en état d’accu- 
sation, Linguet sollicita vivement l'honneur d’être mis 
au nombre de ses défenseurs. Dans une lettre qu'il 
adressa au malheureux monarque, il développait le 
plan qu’il se proposait de suivre dans sa défense. Ses 
offres ne furent pas acceptées, parce que déjà le roi 
avait fait choix de deux jurisconsultes célèbres, de 
Malesherbes et Tronchet. Cette lettre retrouvée dans les 
papiers du prince ne pouvait trouver grâce aux yeux 
des tyrans qui décimaient la malheureuse France, et la 
compassion manifestée pour de grandes infortunes était 
auprès d’eux un crime impardonnable. 

Linguet périt à 56 ans, et par conséquent dans toute 
la maturité de son talent. Sa mort n’a précédé que d'un 
mois, jour pour jour, la chûte du féroce Robespierre. 
S'il eut pu survivre à celte mémorable époque, on peut 
présumer quelle brillante carrière se fût ouverte pour 
lui, sous la protection du grand homme qui vint cicatri- 
ser les plaies de la France, et réunir autour de lui tous 
lestalents assez heureux pour avoir échappé à la faulx 
révolutionnaire. 


— A — 


Linguet a dù laisser des manuscrits précieux qui 
n'auront certainement pas été perdus pour tout le 
monde. Pai parfois remarqué dans les ouvrages d’un 
critique ct feuilletoniste célébre sous lempire, des 
morceaux qui avaient pour moi des airs de famille avec 
lesécrits de Linguet, et sur l’origine desquels je ne crois 
pas me tromper : nous avions d’ailleurs la certitude 
qu'il s’occupait depuis longtemps d’une histoire com- 
plète de la France, histoire que ses études particu- 
lières le mettaient plus que personne à même de bien 
écrire. 

Lorsqu’après la chûte du gouvernement révolution- 
res les biens des condamnés politiques furent rendus à 
leur famille, nous sollicitâämes la remise des papiers 
qu'avait pu laisser notre infortuné parent : il nous fut 
répondu qu'il n'en existait plus aucune trace, que sa 
bibliothèque entière, ainsi que tous les papiers, ou ma- 
nuscrils qui s'étaient trouvés dans son cabinet, avaient 
été transportés en masse à l'École Militaire, et em- 
ployés à faire des cartouches !!! 


Linguet était d’une taille moyenne, assez maigre, 
d’une constitution frêle en apparence, mais robuste au 
fond; rien de bien saillant dans ses traits, mais dans la 
chaleur du débit ou de la discussion, son œil étince- 
lait, sa physionomie s’animait, tous les sentiments que 
l’orateur exprimait venaient s’y peindre avec une mo- 
bilité qui ajoutait beaucoup au charme de son débit. 
Son organe élait peu étendu, mais clair et sonore, 
et il artieulait avec une telle netteté, qu'à l'extrémité 
même de la grande chambre du Parlement, on ne per- 
dait pas un mot de ses plaidoyers. 

Il avait la repartie extrêmement vive et piquante!: 


fins —- 


il savait avec à-propos distribuer l'éloge et profiter 
des circonstances favorables à sa cause. Dans une des 
premières affaires dont la défense lui fat confiée, il 
avait pour partie adverse M. Gerbier, dont la répu- 
tation était colossale au palais. Il s'agissait d’un grand 
seigneur qui, à la suite d’une difficulté d'intérêts surve- 
nue entre lui et un particulier, s’élait dans la chaleur 
de la discussion oublié au point de le pousser assez 
violemment pour le faire rouler en bas d’un escalier; il en 
était résulté une luxation du bras tellement grave qu’il 
avait fallu en venir à l’amputation de la partie frac- 
turée. Delà plainte et procès à la Tournelle. 

Gerbier avait défendu le puissant personnage avec 
un talent vraiment extraordinaire et digne d’une meil- 
leure cause. Linguet, dans sa réplique, dit que tel était 
l'effet produit par l'éloquence de son confrère, que le 
pauvre fermier lui-même; quoique partie lesée, n’eût 
pu s'empêcher de joindre ses applaudissements à 
ceux de l'auditoire, si la brutalité du client de lillus- 
tre avocat n’eût privé à jamais celui du modeste dé- 
butant, dela possibilité de donner ce signe d’appro- 
bation. 

Cet éloge délicat, qui faisait ressortir en même temps 
toute la gravité du délit, fit une telle impression sur la 
cour, qu’elle alla de suite aux opinions, el prononca 
une condamnation sévère contre le grand seigneur; 
bien entendu que la condamnation ne fut que pécuniaire, 
ce qui était déjà beaucoup pour l’époque, où cette 
scène se passait. 

Dans une circonstance où Linguet ne devait pas être 
disposé à la plaisanterie, il lui échappa une repartie pi- 
quante, qui prouve toute la vivacité de son esprit. Ce 
fut le lendemain de son entrée à la Bastille. Le porte- 


= AG: — 


clefs introduisit dès le matin dans sa chambre un 
homme long et maigre, qui s’approchant avec maintes 
salutations, lui dit qu’il venait lui offrir ses services. — 
Qui êtes vous donc? demande Linguet. — Le barbier 
de la Bastille, pour vous servir, répond le nouvel arri- 
vanl. — Le barbier de la Bastille, s'écrie vivement Lin- 
guel! Eh mon ami que ne commenciez-vous par la ra- 
ser! — ll ne prévoyait guère que huit ans à peine 
après, la main puissante du peuple se chargerait de cet 
office. 

Linguet était doué d’une mémoire prodigieuse, et il 
lavait bien cultivée, car je lui ai entendu dire que 
pendant plus de douze ans, il avait constammant tra- 
vaillé au moins douze heures par jour. Il composait 
avec une facilité extraordinaire. Sa main, quoique très- 
exercée, ne pouvait suffire à rendre la rapidité de ses 
idées, aussi ne traçait-il souvent qu'une portion des 
lettres nécessaires à la construction des mots, ce qui 
rendait son écriture très-difficile à lire, parce qu’il fal- 
lait constamment suppléer à ce qui manquait. 

En hiver comme en été, Linguet se levait de quatre 
à cinq heures du matin, et travaillait habituellement 
jusqu’à pareille heure du soir, ne prenant dans ce 
long intervalle que quelques tasses de thé. 

Tel fut Linguet. Ses ennemis l'ont représenté comme 
un homme d’une susceptibilité, d’une exigence extraor- 
dinaires, d’un caractère bouillant, impérieux, très-iras- 
cible. J'ai vécu assez longtemps avec lui pour le 
bien connaître, et je puis affirmer qu'il était dans son 
intérieur d’un commerce doux , facile et agréable. Il a 
éprouvé tant d’injustices, qu’il est bien excusable, si 
parfois ilen a pris et témoigné de l'humeur : comme 
il sentait très-vivement, il ripostait de même. 


— 47 — 


On ne peut disconvenir que les tracasseries dont il 
fut souvent l'objet et la victime, n’aient influé d’une 
manière très-prononcée sur sa gloire littéraire ; il a été 
forcé de donner à des discussions polémiques, sans au- 
cun intérêt pour la génération actuelle, un temps pré- 
cieux, ct des talents qui eussent été mieux employés à 
la composition d'ouvrages de littérature et d’histoire 
plus dignes de lui et de la postérité. 


Quoiqu'il en soit, si une plume plus exercée que la 
mienne voulait prendre la tâche de l’envisager comme 
historien, comme orateur, comme publiciste, comme 
littérateur, comme critique, elle trouverait ample ma- 
tière à faire son éloge, et il lui serait facile de prouver 
que Linguet fût un des bons écrivains du dernier 
siècle, et un orateur distingué dont le nom sera tou- 
jours un titre d'honneur pour la ville qui l’a vu naître. 


Les principaux ouvrages de Linguet sont : l Histoire 
du siècle d Alexandre ; l'Histoire des révolutions Romai- 
nes, faisant suite aux trois volumes de l'abbé Vertot ; 
l'Histoire impartiale des Jésuites; La Théorie des lois ci- 
viles; Des Canaux navigables en France; Essai sur le 
Monachisme, et enfin les Annales littéraires formant à 
elles seules vingt volumes grand in-8. 

On a aussi de lui une infinité de mémoires et plai- 
doyers, dont les plus saillants sont ceux pour le comte de 
Morangies, la comtesse de Béthune, le duc d Aiguillon, 
etc., etc. On voit que le nombre de ses productions est 
assez volumineux, et qu'il est fâcheux que l’on mait 
pas encore songé à donner une édition de ses œuvres 
choisies. Ce serait, je crois, faire une chose utile à 
l’histoire, à la littérature, au barreau et à la librairie, 


27 


— 418 — 


Dans les Annales civiles, politiques et littéraire», 
on trouve une foule de faits curieux, de réflexions ju- 
dicieuses qui donnent la clef d’une infinité d’évène- 
ments,dont il prévoit les résultats avec une sagacilé qui 
lui fait le plus grand honneur. Ses annales seront tou- 
jours consultées avec fruit, par tous ceux qui voudront 
écrire l’histoire des temps modernes. 


ESSAI 


HISTORIQUE, CRITIQUE ET LITTÉRAIRE 


SUR LA VIE ET LES OUVRAGES 


DE 


JEAN GOULIN, 
MÉDECIN, NÉ A REIMS, 


Par M. le Docteur PHILIPPE. 


a 


Messieurs , 


C’est surtout aux sociétés littéraires qu’est confiée 
l’honorable mission de faire paraître au grand jour les 
travaux des hommes qui se sont rendus éminents à 
quelque titre que ce soit ; c’est un devoir pour elles de 
dérouler le tableau de leur laborieuse carrière , et de 
rendre à leur mémoire un pieux et solennel hommage : 
aussi, Messieurs , je crois avoir interprêté fidéiement 
les sentiments de l’Académie de Reims, et avoir con- 
quis les sympathies , en esquissant la vie de l’un des 
hommes les plus savants qui aient eu notre cité pour 
berceau. 

Toute ma crainte, aujourd’hui, est de ne pouvoir 


— 420 — 
faire ressortir au gré des désirs et des justes exigences 
de cette Société, d'immenses et importantes œuvres, 
et de rester bien au-dessous de mon sujet. 

En général, on ne prend pas un grand intérêt à 
l’histoire d’un homme, quelque célèbre qu'il soit, 
lorsqu'il n’a joué aucun rôle sur la scène du monde ; 
mais pourtant, lorsque cet homme a fait preuve dans 
ses nombreux ouvrages, de la plus vaste et de la plus 
prodigieuse érudition , lorsqu'il s’est distingué avec un 
succès à peu près égal dans presque tous les genres de 
littérature, alors toute inquiétude doit cesser, on peut 
espérer de lui conquérir les suffrages , et ce n’est pas 
une témérité de compter pour lui sur l'admiration et 
la reconnaissance publique. 

Teiles sont les considérations qui mont déterminé. 
La route qu’il me faut parcourir , pour arriver à mon 
but, est longue et semée de difficultés : plus d’une 
fois, avant de my engager, j'ai senti mon courage 
défaillir. Ebloui par l'éclat de cette fête Académique , 
j'aurais renoncé à l’insigne, mais périlleux honneur de 
parler devant des juges aussi éclairés, si en parcou- 
rant cette enceinte, mes regards r’avaient rencontré 
des auditeurs pleins d’indulgence et sensibles à l'attrait 
de la science. 

Dans la rue des Telliers, vis-à-vis le portail de 
l'Eglise Saint-Pierre, une maison de chétive ap- 
parence renfermait au commencement da dernier 
siècle , une famille malheureuse qui vivait avec peine 
du produit d’un travail peu lucratif. C’est là que 
naquit le 10 février 1728, Jean Goulin, cet homme 
dont le nom n’est peut-être pas même connu de vous, 
et avec lequel je viens aujourd’hui vous faire faire 
connaissance. Son père, pauvre tailleur d’habits, le 


SAR E 


laissa orphelin alors qu'il était à peine entré dans la vie. 
Sa mère appréciant toute l'étendue de la perte qu’elle 
venait de faire, ne trouva plus d’autre consolation au 
monde que dans son fils dont elle fut elle-même le pre- 
mier maître. Femme d’origine obscure, mais d’une 
trempe d’esprit peu commune , elle consacra tous ses 
moments à l'instruction de cet enfant ; elle lui faisait 
répéter des lecons de grammaire tous les jours avant la 
prière du soir; elle allait quêtant partout des livres 
d'histoire et de morale dont elle lui lisait les plus beaux 
passages; enfin, par une sollicitude de tous les instants, 
elle parvint à éveiller dans son jeune élève cette pas- 
sion pour la lecture et cette avide curiosité de savoir 
qui , comme le dit lui-même Goulin dans ses mémoires, 
ont fait le principal ressort de sa vie, 


On se plait à rechercher dans le premier âge des 
hommes qui se sont rendus célèbres, les premiers traits 
de génie qui les révèlent à leurs contemporains ; à cet 
égard, l’enfance de Goulin fut toute négative ; elle ne 
laissa pas échapper de ces éclairs qui sont comme le 
présage d’un brillant avenir et que l'avenir ne dément 
que trop souvent ; seulement, il se fit remarquer par 
une aptitude précoce aux travaux de l'esprit et par une 
application opiniâtre qui porta plus d’une fois at- 
teinte à sa constitution frèle et maladive. Avec ces dis- 
positions, Goulin entra dans une école où il apprit 
bientôt tout ce qu’on pouvait y apprendre : provision 
bien légère sans doute, mais plus que suffisante pour 
lui qu’une fortune contraire semblait condamner à 
passer ses jours dans l’humble atelier de son père; 
mais un génie bienfaiteur veillait sur cet enfant. Soit 
dessein, soit hasard, un homme qui cacha toujours 


LE E 


ses bienfaits sous un voile que la reconnaissance n’a 
pu pénétrer, vit Goulin, et le voir c'était l'aimer. Il 
démêla sous des dehors simples et négligés, sous un 
air grave et réfléchi quelle était la vigueur et la sa- 
gacité de son esprit ; il le regarda comme son enfant, 
le fit entrer au collége, et pour mettre le comble à tant 
de félicités, il lui donna des maîtres particuliers. Bénis 
soient les hommes qui tendent les mains au mérite 
naissant, et aplanissent devant lui les difficultés que lui 
suscitent trop souvent la misère et le dénuement ! Dans 
une situation si heureuse , Goulin ne négligea rien de 
ce qui pouvait l’honorer aux yeux de son bienfaiteur : 
tous les ans il venait déposer aux pieds de sa mère les 
palmes qu’il avait cueillies dans ses luttes littéraires , 
et ces premiers succès présageaient les victoires écla- 
tantes qu'il remporta plus tard dans les joùtes Aca- 
démiques. 

Guidé par son étoile, et cédant à la voix d’un secret 
instinct, Goulin fit ses adieux au collége de Reims et 
se rendit à Paris où de nouveaux triomphes Vatten- 
daient; il entra au collège de Navarre, d’où sont sorties 
tant de lumières et de vertus. L'abbé Batteux, si 
connu dans la république des lettres, et qui était alors 
professeur d’éloquence dans cette institution, remarqua 
ce jeune homme au caractère rêveur et méditatif, à 
qui les langues anciennes étaient déjà familières ; il 
se plut à développer en lui les premiers germes du 
talent et du goût , et ce qui est une condition nécessaire 
de tous les succès durables , il inspira au jeune Goulin 
la passion des études austères. 


Animé par ce grand modèle, ce studieux enfant 
passait ses nuits à traduire Horace , à lire Térence et 


— 423 — 


Quintilien, et l'aube matinale l’a surpris plus d’une 
fois méditant les doctrines métaphysiques des philoso- 
phes anciens. 

Ainsi le tableau du premier âge qui, dans les hommes 
vulgaires , ne présente qu'un tissu de faiblesses, révèle 
dans Goulin les premiers indices d’une âme fortement 
trempée. Mais bientôt arriva l’époque difficile où il 
fallut se décider pour une profession : Goulin devait 
être d’autant plus embarrassé dans son choix, que la 
variété de ses connaissances et la solidité de son esprit 
le rendaient à peu près propre à toutes celles qui exi- 
gent des lettres. Pourtant le souvenir de ses années de 
collége l’invitait à se consacrer au culte des Muses 
dont l'amour ne s'éteint jamais dans le cœur de celui 
qui l’a une fois senti ; mais sa mère , modèle accompli 
de la piéte la plus pure , sa mère qui regardait à juste 
litre l’état ecclésiastique comme un sanctuaire où les 
vertus morales se conservent et se perfectionnent, dé- 
sira qu'il entrât dans les ordres; il avait une autre 
vocation. ` 

Les jeures gens ont en général plus de résolution 
que les hommes mûrs; ils ignorent l’art de légitimer 
par de faux arguments et un langage sophistique , une 
démarche oblique que la conscience réprouve et dé- 
savoue. 


« Un homme de quarante ans, dit Goulin, aurait 
» signé la bulle unigenitus, pour se conserver une 
» place; je ne l'aurais pas signée pour conserver mes 
» jours , parce qu’en la signant j'aurais agi contre mon 
» honneur et ma conscience.» Goulin ne consentit done 
pas à entrer dans les ordres. 

Tout intéresse dans la vie d’un homme célèbre, mais 


= Ni — 


on y recherche surtout avec avidité tout ce qui peut 
jeter quelque jour sur la marche de ses travaux ; on 
voudrait le suivre dans tous les détours par où il a 
passé pour fonder sa renommée ; on voudrait démêler 
jusque dans ses premiers pas quelque chose de la 
tournure de son esprit et du caractère de ses pensées. 


La vie de Goulin présente un de ces exemples trop 
rares peut-être pour l'intérêt des lettres, mais au 
moins trop rarement recueillis pour être oflerts à la 
curiosité publique , du mérite luttant sans cesse contre 
l'adversité , puisant de nouvelles forces dans les obs- 
tacles même qui s'opposent à son développement, et 
recueillant pour prix de ses efforts l'avantage de devoir 
à lui seul les succès auxquels il parvint ; c’est un encou- 
ragement précieux à offrir surtout aux jeunes gens qui 
se vouent au culte des sciences graves et austères , et 
qui s'engagent dans cette route douce et facile en ap- 
parence, sans songer aux épines qu’ils rencontreront 
dans leur chemin. 

La mort avait enlevé à Goulin son bienfaiteur ve 
mère qui avait eu à supporter des charges nombreuses 
et qui était convaincue que le talent peut suffire à tout, 
laissa à son fils le soin de chercher une carrière qui 
fût conforme à ses goûts. 


Un ami chez lequel il goûtait depuis plusieurs mois 
les douceurs d’une franche et cordiale hospitalité, Pen- 
tretint de la dignité et de la profession d’avocat ; cette 
proposition sourit à Goulin , mais la nécessité des dé- 
penses énormes auxquelles il était hors d’état de pour- 
voir, et la perspective d’une carrière où il faut long 
temps semer avant de pouvoir recueillir, le déterminè- 


— 425 — 


rent à renoncer à une profession qu’on lui avait fait 
envisager sous un aspect trop séduisant. 

Pourtant, on essaya de l'initier dans le barreau, en 
le plaçant chez un de ces officiers publics qu’on appe- 
lait procureurs, et il entra chez un des principaux 
coryphées du parti janséniste où l’on enseignait les 
ruses et les subtilités de la chicane. 

Voilà donc un jeune homme qui avait été l'honneur 
du collége de Navarre, qui savait par cœur Homère, 
Virgile, Horace et Cicéron, qui avait déjà donné de 
riches traductions d’une foule d’auteurs grecs et latins, 
dont l'esprit était meublé de toutes les richesses clas- 
siques, engagé dans le tortueux dédale des procédures , 
rabaissé au niveau des expéditionnaires, et occupé à 
transcrire des exploits et des sentences. Il sentit bien- 
tôt que cette carrière ne pouvait lui convenir, et il la 
quitta pour suivre celle de l’enseignement. 


Fier d’un élève qui avail été si éminent dans ses 
classes, l'abbé Batteux le pourvut d’une place de pré- 
cepteur qu’il conserva pendant plusieurs mois, parla- 
geant son temps entre les pénibles devoirs de sa pro- 
fession et la méditation des auteurs anciens dont il fai- 
sait sa passion exclusive. Comme il connaissait mieux 
que personne le prix du temps, il trouvait encore des 
moments pour travailler avec un homme de lettres dis- 
tingué de cette époque, à un ouvrage important et de 
longue haleine , qui, malheureusement, n’a pu voir le 
jour, faute d'argent pour le livrer à l'impression. Ce- 
pendant , indigné de ce que la famille où il étoit nap- 
préciait pas le bonheur d’avoir un instituteur probe et 
moral, profondément blessé du peu d’estime qu’on 
accordait au précepteur qui était assimilé, pour ainsi 


— 426 — 
dire, aux valets de la maison, Goulin secoua le joug 
intolérable qui pesait sur lui et alla reprendre, dans sa 
mansarde, ses habitudes d'indépendance. 

Il passa ainsi plus d’une année; il supportait avec 
la plus stoïque constance les privations les plus 
dures, ou plutôt il les oubliait facilement : car tout ce 
que d’autres auraient jugé nécessaire lui paraissait à 
peine désirable. On ne peut lire sans attendrissement 
les détails qu’il donne de sa misère, quand il eut quitté 
la maison de son élève; on ne peut retenir ses larmes 
quand on le voit aux prises avec la faim, et quand pour 
faire taire la voix impérieuse de ce premier besoin de 
la nature , on le suit courant de bibliothèque en biblio- 
thèque, se livrant avec un acharnement et une persé- 
vérance dont l’histoire des sciences n'offre peut-être 
aucun exemple, à des recherches historiques et littérai- 
res qui devaient être le fondement de ses grands tra- 
vaux, œuvres précieuses qui dorment ignorées au mi- 
lieu de nos rares manuserits, et dont je regrette de ne 
pouvoir vous donner aujourd’hui lanalyse. On doit 
savoir gré à ceux qui mettent une partie de leur gloire 
à augmenter celle des autres, soit en traduisant des ou- 
vrages inaccessibles au vulgaire, soit en réunissant des 
mémoires dout la collection intéresse les progrès des 
sciences ou des lettres, ou encore en faisant revivre des 
noms éteints ou des gloires oubliées. Ce genre de tra- 
vail n’est pas le seul auquel Goulin se soit livré, mais 
il est l’un de ceux auquels il s’est adonné par prédi- 
lection. Comme il savait lire dans leur langue origi- 
nale les auteurs hébreux, arabes, grecs , latins, il a en- 
trepris une foule de traductions , révisé des textes mal 
interprêtés, moins dans l’espoir de tirer de ce labeur 
aucun profit, ce qui lui eùt été facile et légitime, mais 


— 427 — 


dans la seule vue de perfectionner son instruction et 
d'agrandir le champ de ses connaissances. 

Riche des trésors de l'antiquité, Goulin alla se pré 
senter avec son bagage littéraire à son oncle alors bé- 
nédictin à Saint-Denis. Peu soucieux d’une renommée 
précoce qui le signalait à l'attention du monde savant, 
il sollicita de son parent l'agrément d'entrer dans cet 
ordre religieux dont l’érudition est devenue proverbiale., 
Son oncle, malgré les instances suppliantes de l'abbé 
Batteux, et pour des motifs qui sont toujours restés 
inconnus, lai refusa son assentiment et priva cette sa- 
vante société d’un homme qui n’eûl pas manqué d’être 
lun de ses plus infatigables collaborateurs. Goulin sa- 
crilia ses goûts à son devoir; il obéit. 

Cependant sa santé que les privations de toute es- 
pèce et que ses brülantes nuits d’études avaient déjà 
sensiblement altérée, se délabra tellement qu’il fut con- 
traint de revenir à Reims, pour puiser au milieu des 
joies de la famille, les forces que lui avait enlevées la 
vie nécessiteuse de Paris. 


Il resta deux mois près de sa mère. 


Mais bientôt une inquiétude qu'il ne pouvait maî- 
triser el qui n’est que l'instinct du génie, le faisait gé- 
mir sur les moments précieux qu’il passait dans linac- 
tion, et le portait malgré lui vers une situation qu'il 
cherchait sans la connaître : une ardeur fiévreuse le 
poussait vers Paris dont le séjour était pour lui un be- 
soin irrésistible. 

Paris était à cette époque, comme aujourd’hui , la 
ville du monde la plus spirituelle et la plus polie; elle 
avait ses artistes, ses poètes, ses écrivains, ses philo- 


— 428 — 
sophes ; elle avait ses théâtres, ses académies , ses 
combats et ses couronnes littéraires. 

Dans un séjour si plein de charmes et quelque vive 
impression qu’en ressentit Goulin , que lui importaient 
et les prodiges des arts, etles merveilles du luxe, et cette 
élégance de manière à laquelle répondait si peu la sim- 
plicité des ‘siennes? il ne vivait dans Paris que pour 
étudier. 

On conçoit que dans cette brillante cité où mille 
portes sont ouvertes à lamour du savoir et où l'ins- 
truction est aussi diversifiée que les talents, on concoit, 
dis-je, que Goulin ne tarda pas à découvrir qu’elle 
était la nature du sien. Conduit, soit par le hasard, 
soil par une espèce de divination, à d’éloquentes le- 
cons de médecine, sur le champ son choix est fait et 
son parti pris; d’auditeur il devient disciple, et, seul, 
sans appui, sans recommandation comme sans res- 
sources, il va se réfugier dans l'Hôtel-Dieu de Paris, 
pour y aborder l'étude épineuse de l’art de guérir. 
C’est en vain que l'abbé Batteux qui le destinait aux 
ordres le détourna de son projet et voulut l’ arrêter sur 
le seuil du temple d’Esculape : sa résolution fut in- 
flexible. 


Paris s’honorait alors, malgré la faiblesse et lim- 
perfection de l’enseignement public, d’un petit nombre 
de professeurs dont le savoir et l’éloquence donnaient 
à anatomie, à la médecine et à la chirurgie un éclat 
que ces sciences n’avaient nulle part à un égal degré. 
On voyait briller parmi eux l’illustre successeur de 
Winslow, Ferrein, aux cours duquel la jeunesse stu- 
dieuse se pressait tous les jours ; Vicq-d’Azir, dont le 
génie profond et les immortels travaux préparaient la 


HA — 


grande réforme opérée plus tard par Cuvier dans l’a- 
natomie comparée, et tant d’autres encore dont les noms 
rappellent de grandes découvertes. Tous prodiguèrent 
à Goulin les témoignages de leur bienveillance et le 
guidèrent dans les premiers pas qu’il fit dans la car- 
rière. Elève assidu des plus illustres médecins de lé- 
poque dans l'intimité desquels il vivait, il cullivait 
avec un succès égal toutes les parties de la médecine, à 
l'étude de laquelle il ne consacrait pas moins de huit 
heures par jour. 

Ces grands modèles et ce puissant patronage allu- 
mérent Fe Goulin la plus vive ardeur; averti par 

son instinct que dans ce concours d'efforts intellectuels 
qui agitaient Paris, les siens le conduiraient à d’utiles 
découvertes , il devint non-seulement un émule de ses 
maîtres, mais encore un guide fait pour les conduire 
à son tour dans la recherche de la vérité. 

Dès ce moment done, livré sans partage à sa science 
de prédilection , il donna à ses études une direction 
fixe, car la constance imperturbable de ses vues a tou- 
jours été le trait distinctif de son caractère. 

Cependant le terme des études médicales était ar- 
rivé et le temps des actes probatoires approchait. Mais 
le complet dénuement où se trouvait Goulin lempêcha 
d'entrer en licence dans la faculté de Paris. Il passa sa 
thèse dans une autre faculté, et une main généreuse 
vint et paya pour lui l’hermine doctorale. 


Maintenant Goulin va-t-il par les ressources que lui 
assurera son honorable profession, travailler à mettre 
un terme aux anxiélés de sa longue misère ? 

Il avait goûté bien des charmes dans les études mé- 
dicales, et l'éclat des théories lavait séduit.Quel attrait 


Eu: de 


en chet, dans cette science qui embrasse tout l’homme, 
son organisation, ses facultés, les merveilles de son in- 
telligence , les altérations que lui impriment tous les 
agents de la nature, les habitudes qu’il se fait, les pas- 
sions qu’il se crée, les institutions et les lois qu’il se 
donne! 

Mais lorsqu’à ces sublimités idéales succèdent les 
tristes réalités de ce monde, celles surtout que la mé- 
decine aspire à changer, c’est-à-dire les maladies et les 
souffrances, leur cortège ordinaire ; lorsqu'il s’agit de 
transformer la science en art et de lui faire tenir tout 
ce qu’elle a promis, quel embarras , que de tàtonne- 
ments, que de poignantes déceptions ! que la science 
tient mal sa parole et qu’elle fait rapidement passer de 
la confiance au désespoir! Ces sombres réflexions ef- 
frayèrent Goulin; il renonça à la pratique de la mé- 
decine, et bien qu'une place de médecin près d’un 
comte Palatin lui eut été offerte avec de grands avan- 
tages, il préféra la vie studieuse et alla se renfermer 
avec ses livres comme avec des divinités domestiques 
auxquelles il avait voué un culte religieux. 


C’est à cette époque qu’il faut faire remonter le ma- 
riage de Goulin. En 1766 , il s’allia à une famille ho- 
norable qui l'avait comblé de bienfaits; il épousa la 
fille cadette de Päris, célèbre opticien dont il a publié 
l'éloge dans le journal encyclopédique du mois de 
juillet 1767. 

Deux enfants étaient nés de cette union ; il les perdit 
peu d'années après leur naissance. Goulin devait être 
encore frappé d’un plus rude coup, quand ik vit des- 
cendre dans la tombe sa femme , jeune personne d’un 
esprit distingué et dont les charmes étaient rehaussés 


— 431 — 


par l'éclat des plus rares vertus. Le temps qui use 
tout ne put tarir ses larmes. Dans ces grandes infortu- 
nes de la vie, Goulin ne trouva d’autre consolation que 
l'étude et la retraite; il fit ses adieux au monde et se 
retira à Mennecy-Villeray, bieu décidé à y passer le 
reste de ses jours; c’est alors qu’il imagina un nou- 
veau genre de travail, celui d'apprendre l’ Arabe, afin 
de lire dans l'original les auteurs qui ont écrit dans 
cette langue, Avicenne surtout, dont la version latine 
est inintelligible et ne peut guères aider à comprendre 
le texte. 

Rentré à Paris en pluviôse an 3, par suite de cir- 
constances qu’il serait trop long de rappeler , ilapprit 
que le comité d'instruction publique l'avait porté sur 
le registre des gratifications, comme étant un des 
savants qui avaient fixé les regards de la Convention. 
La malveillance vint se jeter à la traverse; l'ignorance 
qui est toujours envieuse et qui n'aime pas à louer 
plusieurs talents dans la même personne, l'accusa d’a- 
voir donné trop de temps à la théorie et aux sciences 
accessoires , comme si la médecine était une science 
sans principe, et comme si C'était un devoir de les 
ignorer ou un crime de les apprendre. De coupables 
manœuvres dont on sait si bien se servir, quand on veut 
égarer les esprits faibles, produisirent tout l’eflet que 
leurs auteurs devaient en attendre ; on biffa le nom de 
Goulin. 


Deux mois plus tard, lors de la création des écoles 
de médecine , Goulin fut proposé pour être bibliothé- 
caire de celle de Paris. Certes, il eût apporté dans cet 
emploi les connaissances bibliographiques les plus 
étendues et le plus profond savoir; la calomnie lui 


— 432 — 


ferma encore une fois le passage : de telles injustices 
doivent-elles étonner ceux qui sont accoutumés au 
spectacle des choses humaines? 

Pourtant la fatalité devait bientôt se lasser de le 
poursuivre ; on lui offrit, comme compensation de ces 
deux dénis de justice, une place d’employé dans le 
dépôtliltéraire national de la rue Saint-Antoine. Goulin 
fut très-gracieusement aceueilli par Ameilhon qui était 
conservateur de ce dépôt, et ne tarda pas à donner des 
preuves de l'immensité de son savoir et de son ardeur 
incomparable dans les recherches historiques; en deux 
décades , il avait fait plus de quinze cents inscriptions 
d'ouvrages grecs et latins. 

Toutefois, trop resserré dans l’étroite atmosphère de 
celte place , son génie n'aurait pu prendre tout son 
essor ; il fallait à Goulin un théâtre plus large pour ré- 
pandre tous les trésors d’érudition amassés par ses 
rudes labeurs. 

La Providence lui vint bientôt en aide; en messidor 
del’an 4, il fut élevé à la chaire de professeur d’his- 
toire de la médecine, à l’école de Paris. 


Goulin comptait treize lustres quand il aborda la 
carrière si difficile de l’enseignement, mais chez lui les 
années, au lieu d’affaiblir les ressorts de l'esprit, 
semblaient, au contraire, en ranimer l'activité: la foule 
se pressait tous les jours autour de sa chaire, et ce qui 
sars doule était bien fait pour relever à ses propres 
yeux le prix de ses leçons, c’est que les médecins les 
plus célèbres de cette époque les honoraïent de leur 
présence, et venaient se mêler à la jeunesse studieuse 
des écoles; et ce trait de déférence, ou plutôt, cet 
hommage rendu au savoir ajoulait encore à la juste 


€ — 433 — 
admiration qu’il inspirait et acheva de mettre à sa cé- 
lébrité le sceau de approbation publique. 

On allait écouter ce vieillard dont le teint håve et la 
physionomie souffrante attestaient les ravages consomp- 
tifs des brûlantes nuits d’études. Muet d'étonnement, 
son immense auditoire recueillait avec avidité les do- 
cumenls inconnus que le savant professeur rapportait 
de ses laborieuses pérégrinations. Avec quel charme 
on le voyait percer les voiles ténébreux des premiers 
âges pour remonter aux sources cachées de la méde- 
cine; avec quel intérêt on l’entendait discuter les doc- 
trines médicales de l'antiquité la plus reculée! ! 

C’est ainsi que pendant quatre ans les cours de 
Goulin brillèrent du plus vif éclat. On y apprenait, je 
ne dis pas les détails de la science médicale, (tous les 
livres les donnent), mais l’histoire et surtout l’histoire 
philosophique de cette science qu’il n’était donné qu’à 
lui seul de présenter 


Goulin ne se faisait pas seulement remarquer par 
son incomparabie érudition, ses lecons réalisaient en- 
core tout ce que l'imagination peut concevoir de plus 
brillant et de plus solide ; justesse , élégance, enchat- 
nement dans la méthode. Son regard inspiré pénétrait 
la foule attachée à ses paroles; il savait distinguer dans 
les rangs les plus éloignés l'esprit difficile qui doutait 
encore, l'esprit lent qui ne comprenait pas: il redou- 
blait pour eux d'arguments et d'images, il variait ses 
expressions jusqu'à ce qu’il eût rencontré celles qui 
pouvaient les frapper, et ne quittait une matière que 
quand il voyait tout le monde également convaincu. Si 
sa parole était quelquefois en lutte avec la pensée, 

28 


— 434 — 


c'était pour sortir de cette lutte, énergique, pas- 
sionnée, courant à travers son auditoire qu’elle péné- 
trait d’une sympathie vive et profonde. 

Tel était Goulin, alors que du haut de sa chaire il 
planait comme un aigle sur les vastes champs de la 
médecine. 

On concoit qu’une aussi haute renommée devait ou“ 
vrir à Goulin les portes de toutes les sociétés savantes de 
son temps : aussi toutes les académies se disputèrent- 
elles l'honneur de le recevoir dans leur sein; il était 
membre des anciennes académies de La Rochelle, d’ An- 
gers, de Nismes, de Lyon, de Villefranche, de Caën, 
de Toulouse, de la société de Hesse-Hambourg, dont 
il était, à Paris, le secrétaire général, de la société mé- 
dicale d'émulation. 


Maintenant, qu'était Goulin dans le commerce de 
la vie, dans ses relalions avec le monde? Qu'était-il 
avec lui-même? Quels ouvrages a-t-il laissés? Trop 
supérieur aux autres pour faire sentir ses avantages, 
il était naturel et simple; mais on le trouvait aigre 
dans la discussion, ardent à l’attaque, tranchant dans 
la dispute, obstiné dans l'assertion ; ıl était tellement 
insaisissable dans sa gymnastique pleine de souplesse, 
qu’à l’aide de reparties piquantes, brusques, inatten- 
dues, il savait toujours échapper aux plus fausses po- 
sitions et se donner tout l'avantage. 

Quoique peu expansif, il suffisait de presser la dé- 
tente au point sensible, pour le faire sortir de son ca- 
ractère ordinairement empreint d’une sombre mélan- 
colie; alors l'esprit éprouvait une véritable jouissance 
à suivre sa parole infatigable qui se promenait capri- 
cieusement à travers tous les sujets imaginables, semant 


— 435 — 


sur son chemin la science, les apereus littéraires les 
plus originaux, les vues politiques les plus profondes, 
les anecdotes les plus piquantes, les plaisanteries le 
plus délicatement assaisonnées, etc, ete. 

Ainsi, après avoir parlé d’un passage obscur et mal 
interprété d'Hyppocrate, savamment commenté par lui, 
il passait tout-à-coup aux détails les plus curieux sur 
la stérilité de Catherine de Médicis guérie par l’illus- 
tre Fernel; après avoir établi de la manière la plus 
claire la généalogie de Platon et des autres philosophes 
de la Grèce, il venait se jeter brusquement sur quel- 
que ridicule de la veille; il abandonnait une savante dis- 
serlation sur Plutarque ou Tite-Live, pour vous par- 
ler malicieusement d’une aventure scandaleuse du 
jour : poètes ambitieux, philosophes ténébreux, femmes 
savantes, rien ne lui échappait; les réputations équi- 
voques ne trouvaient pas grâce devant lui, et malheur 
à qui tombait sous la main de ce Rivarol Rémois, car 
il ne ménageait personne, et sans être précisément 
meurtrières ses, saillies faisaient de bien cuisantes bles- 
sures. 


Si on veut rechercher l'explication de ce caractère 
inquiet et tourmenté, on le trouvera non dans un vice 
de cœur, mais dans un principe qui était bon en lui- 
même. Battu par les orages de la vie et ayant été 
constamment en lutte avec la misère depuis le ber- 
ceau jusqu'à la tombe, Goulin, dans son humeur cha- 
grine, s’indignait de l'injustice des hommes jusque 
dans la distribution de la renommée et des récom- 
penses qu’elle attire; il s’insurgeait lorsqu'il voyait 
le nouvel initié nrendre la place du savant labo- 
rieux et les brigues insolentes l'emporter sur le vrai 


1436. — 

mérite. D'ailleurs, d’une droiture inflexible et du dé- 
sintéressement le plus parfait, il ne comprenait pas 
l'envie et toutes les basses passions de ceux qui mont 
qu’elles à défaut de mérite, et si elles se montraient à 
lui, il les méprisait. Jamais homme ne fut plus fidèle à 
l'amitié : il demeura constamment lié jusqu’à sa mort 
avec des hommes qui tenaient le premier rang dans les 
sciences et les belles-lettres; tous rendaient justice à 
ses immenses connaissances dans la littérature, et, pleu- 
rant sa destinée malheureuse, rivalisaient d'efforts en 
tous genres pour en adoucir l'amertume. 

Sa complexion triste et nébuleuse le portait à re- 
pousser les louanges, mais par un retour de cet amour 
propre dont la chair de l’homme est comme pétrie, il 
écoutait par fois les éloges avec un véritable bonheur ; 
mais il les recevait moins comme un vain encens que 
comme un baume bienfaisant qui endormait l’aiguillon 
de sa misère. 


J'ai tracé ie portrait de Goulin, quelques ombres 
pourtant viennent se former sur ce tableau, et peut- 
être en aurais-je détourné vos regards, si je ne mé- 
tais fait un devoir de dire toute la vérité. A une épo- 
que sinistre, alors que les passions les unes genéreu- 
ses mais déréglées, les autres haineuses et implacables 
tourmentaient le corps politique, Goulin avait invoqué 
des mesures violentes et des innovations précipitées ; 
des pensées de révolte avaient agité son esprit inquiet, 
et il avait oublié qu’en France la liberté est insépara- 
ble de la royauté; que ces deux divinités protectrices 
Pune de l'autre, n’ont parmi nous qu’un temple et 
qu'un autel, et que leurs adorateurs doivent les con- 
fondre dans les mêmes hommages et le même culte. 


— 437 — 


Cependant, que cette erreur de Goulin ne donne pas 
le change sur son vrai caractère; son àme, il est vrai, 
était consumée de je ne sais quelle fièvre de perfection 
idéale dont le type est introuvable, mais on ne trouve 
rien dans cet écart dont on ait à rougir pour sa mé- 
moire. Toutefois, une obsession si constante et si vive 
que j'appellerais presque une hypochondrie politique, 
fit ressentir à ses organes les plus fâcheuses secousses; 
une affection d’une nature dangereuse se fixa dans le 
cerveau; la nutrition devint bientôt languissante ; des 
douleurs vives détruisirent le repos et le sommeil. 
Goulin cherchait toujours dans élude une consolation, 
mais bientôt les sources de la vie se tarissant par tant 
de causes à la fois, il s’éteignit dans un état soporeux 
le {1 floréal an VII, à l’âge de 7{ ans. 


Telle a été la vie de Goulin. J’en ai puisé les détails 
dans six volumes in-folio où il consignait jour par jour 
et presque à chaque heure tout ce qu'il avait fait et 
presque tout ce qu'il avait pensé; habitude qui ne 
saurait appartenir qu'à un homme qui s’éludie sans 
cesse, et qui ne perd jamais de vue l'intention et l'es- 
poir d’un perfectionnement moral. 


J'ai emprunté aussi à Sue, bibliothécaire et profes- 
seur de l'Ecole de médecine de Paris des documents 
qui, bien qu’incomplets et très-souvent inexacts, m'ont 
été d’un grand secours. 

Mais c’est le hasard qui m'a le mieux servi ; un mé- 
decin de Paris, dépositaire d’une foule d'œuvres ma- 
nuscrites laissées par lillustre Chaussier, a trouvé, en 
les compulsant, de précieux renseignements sur Goulin, 
et me les a adressés comme pouvant servir à l’histoire 


— 438 — 


d’une des plus hautes illustrations littéraires qui aient 
honoré la ville de Reims. 


Les ouvrages laissés par Goulin forment une collec- 
tion de 29 volumes in-folio. 

La partie la plus importante de ces travaux est, sans 
nul doute, celle qui est restée manuscrite. 


POÉSIES. 


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Ru aaay e] cit 4 

A pfe Si y ¥ i du jf QUE Fo is fes. 
n AN ; te pars. Det Y pa ju 4 4 
yi eg var dr Fi 

T. Wasiy à QT LE Rp 
RME TE Pen FU 
| Be A ai ii jepi mr” 


MPR LS 
; phase pe rie, 
N M re 


VOYAGE 


AUTOUR DE MON CABINET, 


PAR M. WAGNER-DELAMOITE,. 


Un auteur renommé, galant, parfumé d’ambre, 
En touriste élégant a parcouru sa chambre ; 

Plus modeste que lui, dans l’espace d’un jour, 
Moi, de mon cabinet je veux faire le tour. 

Je commence, et d’abord j'aperçois dans la glace 
Les rides dont le temps a sillonné ma face ; 

Je gémis en voyant le ravage des ans, 

Etle caduc hiver remplacer mon printemps. 

Que sont-ils devenus ces moments pleins d'ivresse, 
Où brillant de santé, de vigueur, de jeunesse, 
Jouissant du présent, dédaignant Pavenir, 
Chaque instant se trouvait marqué par le plaisir ? 
Ballotté par les flots d'une mer inconstante , 

Je riais du danger, j'étais sans épouvante ; 

Pilote insouciant, sur le fleuve du temps, 

À bord d’un frèle esquif, je bravais tous les vents. 
Imprudent nautonnier, sans boussole, sans voile, 
Pour guide je n'avais qu’une bien faible étoile, 
Et mollement bercé dans mon léger bateau, 

Je regardais le ciel et laissais couler l’eau. 
Aujourd’hui que la triste et froide expérience 
Dissipe le brouillard de mon imprévoyance, 


— 442 — 


Je sais qu'il vient un jour, où notre esprit plus mùr 
Nous fait voir que le ciel n’est pas toujours d'azur. 
Le chagrin nous étreint de sa serre cruelle; 

Le monde nous trahit; notre santé chancelle ; 
Mais il nous reste encor le consolant espoir, 
Quand le matin finit, de jouir d’un beau soir. 

Le bonheur est partout pour qui le sait comprendre; 
Il est d’abord au cœur d’une mère bien tendre, 
Quand son enfant chéri l’entourant de ses bras, 

La couve du regard et suit partout ses pas : 

Il luit encore aux yeux du respectable père 

Qui, souvent indulgent, et quelquefois sévère, 

Du fils qu’il a guidé voit les succès brillants, 

Et ses jeunes lauriers orner ses cheveux blancs. 
Au sein de nos palais, au toit de l’indigence, 

Il se montre parfois, mais notre conscience 

Nous le donne toujours quand on a fait le bien 
Et qu'on trouve en son cœur les vertus du chrétien. 
L'heure au timbre argentin frappe sur ma pendule ; 
Elle marche toujours et jamais ne recule; 

Nous suivons même loi : c’est l'arrêt du destin; 
Allons donc! sans compter la longueur du chemin. 
J'avance de deux pas et je vois deux gravures 
Retracant d’un anglais les célèbres peintures (1). 
L'une me représente un rigide intendant 

Qui, la plume à la main, compulse lentement 

Des nombreux tenanciers la stricte redevance, 

Et suppute longtemps pour leur donner quittance. 
Les fermiers rassemblés, en attendant leur tour, 
Paraissent ennuyés d’un aussi long séjour : 

L'un tousse, l’autre baille, et type britannique, 
Deux autres dans un coin , parlent de politique. 


(1) Les deux tableaux dont on fait jci la description sont dus au 
pinceau du célèbre Wilkie, peintre anglais, et connus sous les noms 
de Rent-Day et Distraining for-Rent. 


in 


Celui-ci, sur ses doigts compte et recompte encor; 
On voit qu'avec regretil a donné son or. 

Celui-là , beau vieillard à la taille voûtée, 
Demande à l’intendant une note acquittée. 

Une jeune fermière avec ses deux enfants, 
Pensive, réfléchit aux divers accidents 

Qui peuvent entraver sa paisible existence, 

Et son cœur maternel en gémit par avance, 
Tandis que son mari réclame de’Milord 

Un à-compte versé qu’on lui conteste encor. 

Plus loin, près d’une table abondamment servie, 
Trois gloutons affamés jouissent de la vie ; 

Tous ont la bouche pleine, et leur gosier trop sec 
Engloutit à la fois et porter et bifstaeck. 

Dans le second tableau, contraste déplorable ! 

Le malheureux fermier allait se mettre à table, 
Quand soudain un recors à lair rébarbatif, 

Armé de son exploit, vient au nom du shérif 
Saisir le mobilier d’une famille entière 

Qu’un bail trop onéreux réduit à la misère. 
Ministre rigoureux de l'inflexible loi, 

Rien ne le touche; il voit sans trouble, sans émoi, 
Le désordre effrayant qu’amène sa présence : 

Sur ses traits endurcis se peint l'indifférence : 
Des voisins ameutés l’imprudente clameur 

A seule le pouvoir d'allumer sa fureur. 

Le père consterné , dans sa douleur amère, 
D’une larme ne peut humecter sa paupière; 

Le coup qui l’a frappé l’étonne, le confond, 

Et ses doigts contractés se crispent sur son front. 
Au coin de son foyer, la mère évanouie 

Sent tarir en son cœur les sources de la vie; 
Autour d'elle empressés, ses pauvres serviteurs 
Lui prodiguent leurs soins , les yeux mouillés de pleurs, 
Et sa fille, à l’aspect d’un malheur qu’elle ignore, 
Semble dire: maman , va, je te reste encore ! 


— 444 — 


Un jeune et faible enfant au sourire innocent , 
Regarde tout le monde avec étonnement. 

Le scribe de l'huissier, d’une plume tranquille 
Inscrit tous les effets de l’honnête famille ; 

Son œil inquisiteur voit tout: rouet, fuseau , 

Les langes de l’enfant et jusqu’à son berceau. 

Je détourne les yeux d’une scène affligeante ; 

Il faut d’autres sujets à mon humeur changeante. 
Voyageur curieux, amateur des beaux arts, 

Sur un fronton sculpté j'arrête mes regards. 

Les divers instrumens de la géométrie, | 
La règle, le compas ornent la boiserie. 

J’admire le travail de l’habile sculpteur, 

Mais il aurait pour moi beaucoup plus de valeur, 
Si, dans les attributs que je viens de décrire, 

Il avait d'Apollon représenté la lyre. 

La lyre, dira-t-on, mon cher, y pensez-vous ? 
Apollon! c’est bien vieux, ce temps est loin de nous! 
Je vois plus d’un savant dire, en hochant la tête, 
Dans un siècle penseur qu'est-ce donc qu’un poète? 
Un poète est un aigle au vol audacieux, 

Qui, d’un sublime essor s'élève jusqu'aux cieux; 
Par ses vers immortels il annoblit l’histoire ; 

Il prélude aux combats, il mène à la victoire; 

Ses cantiques sacrés résonnent au saint lieu ; 

Son langage est celui qu’il faut parler à Dien. 

Qu'on le nomme Virgile, ou Corneille, ou Racine, 

Horace, Fénélon, Le Tasse où Lamartine, 4 
Ces hommes généreux, à la puissante voix, 

Sont lhonneur de leur siècle et la gloire des rois. 

J’oubliais qu’au milieu du morceau de sculpture 

L’artiste{avait du monde imité la figure. 

Le monde ! à ce penser quel triste souvenir ! 

Criminel au début comment doit-il finir? 

Sur le globe, un seul nom rempli de poésie 

Vient s’offrir à mes yeux, et ce nom, c’est l'Asie : 


— 445 — 


Sol sacré qui, pour moi, commence à Béthléem, 
Et qui finit aux lieux où fut Jérusalem. 

Qu'on vante d'Israël la renommée antique , 

Ses succès , ses revers, sa constance héroïque, 
Ses pontifes, ses rois; je ne vois qu'un berceau, 
Une vierge divine, un glorieux tombeau. 

Où va donc m’emporter ma verve téméraire ! 
Mon voyage est tracé; j’ai mon itinéraire; 

Je ne peux m'écarter ; si je fais quelques pas, 

Je me trouve bien loin de mes petits états, 
J'arrive cependant à ma bibliothèque, 

De l'esprit des anciens précieuse hypothèque. 
Dans mes livres chéris je cherche un sûr appui 
Contre bien des douleurs , contre le sombre ennui. 
Si des hommes je veux sonder le caractère, 

J'ai pour guide certain Montaigne et Labruyère. 
Je médite toujours et Senèque et Platon ; 

J'aime le vieux Rollin, je lis souvent Buffon ; 
Politique, morale, on vous effleure à peine: 

Je trouve tout cela dans le bon Lafontaine; 

Ses tableaux si naifs offrent à mon esprit 

Le résumé profond de tout ce qu’on écrit. 
Parfois, si du chagrin le poison délétère 

Vient attrister mes sens, vite j'ouvre Molière; 
Son Bourgeois-Gentilhomme excite ma gaité, 

Et je ris de bon cœur de sa naïveté. 

J'entends plus d’un censeur, exerçant sa critique , 
Me blämer d'oublier l'école romantique : 

Il faut bien l'avouer, je suis coupable, hélas! 

Je connais sa doctrine et je ne la suis pas. 
J'honore les talents de la moderne école 5 

Mais je n’approuve pas son brillant protocole ; 
J'aime mieux un ruisseau coulant parmi les fleurs 
Que d’un torrent fougueux les flots dévastateurs. 
D’ Aristote oubliant les sévères maximes : 

On n’attache de prix qu'à la beauté des rimes; 


— 446 — 


Assemblage inoui de crimes monstrueux, 

Le drame échevelé montre ses traits hideux ; 

Et des auteurs fameux, chers à notre mémoire, 

Le progrès dédaigneux vient contester la gloire; 
Pour moi, sans dédaigner le système nouveau, 
J'admire encor Racine et je tiens à Boileau. 

Continuons ma course ; entre chaque fenêtre, 

Sur le panneau boisé se trouve un barométre : 

J'aime à le consulter ; il m'annonce souvent 

Du beau temps quand il pleut, s’il fait beau, pluie ou vent. 
De l’oracle trompeur la marche rétrograde, 

M'a fait plus d'une fois manquer ma promenade; 

C’est ainsi, qu’au printems, l'aurore au teint vermeil 
Nous promet un beau jour qui finit sans soleil. 

Je me retrouve enfin près de ma cheminée ; 

C’est mon point de départ; ma tâche est terminée. 
Puisse votre indulgence acceuillir le labeur 

D'un Poète, oh! non pas, mais d’un pauvre rimeur. 


LA PREMIÈRE COMMUNION 


D'UNE JEUNE FILLE , 


PAR M. WAGNER=DELAMOTTE. 


2 009 —— 


Après avoir du Ciel imploré l'assistance, 

La jeune fille en paix se livre au doux sommeil; 
Les songes gracieux qui bercent l'innocence 

Ne quittent son chevet qu’au moment du réveil. 

Son œil s'ouvre, et déjà ses premières pensées , - 
Sont, pour le Tout-puissant , un hommage d'amour; 
Elle s’accuse encor de ses fautes passées , 

Et par le repentir en prévient le retour. 

Près de ses bons parents, timide, elle s’avance ; 

J'ai pu vous affliger, dit-elle avec douleur, 

Mais que ce jour, pour moi, soit un jour de clémence, 
Je veux à l'avenir vous donner le bonheur. 

Le ciel a pardonné; fais comme lui, ma mère! 

Je t'apporte un cœur pur, soumis et repentant; 

J'ai bien prié pour toi; j'ai prié pour mon père ; 
Priez aussi pour moi , bénissez votre enfant ! 

Les yeux noyés de pleurs, la mère de famille 

De la Vierge divine invoque le secours : 

Reine des Cieux, dit elle, oh ! protège ma fille ! 
Donne-lui tes vertus et veille sur ses jours ! 

Mais déjà le temps fuit, l’horison se colore , 

Le soleil apparaît brillant et radieux ; 

Les autels sont parés , et la cloche sonore 


— 448 — 


Fait retentir les airs d’un bruit majestueux. 

Le front calme et serein de la vierge pudique 

Se couvre d’un long voile éclatant de blancheur ; 
Elle tient à la main, suivant l'usage antique, 

Un cierge, emblème heureux d’une ardente ferveur. 
Pour arriver au temple elle marche en silence ; 
Elle entre; et son regard se tourne vers le ciel. 
Exalté par la foi , par la reconnaissance , 

Son esprit s'agrandit: elle voit l'Éternel. 
L'Éternel! son nom seul indique sa puissance ; 
Il sait encourager, récompenser, punir ; 

Le monde est dans sa main; son pouvoir est immense ; 
Il est tout: le passé , le présent, l'avenir ; 

Par un sublime effet de sa bonté suprême, 
Ineffable mystère, holocauste immortel , 

Une seconde fois il s’immole lui-même , 

A la voix du pontife il descend sur l'autel. 

Un nuage d’encens couvrele sanctuaire : 

La jeune fille attend le moment solennel ; 

Dans une douce extase, elle craint, elle espère, 
Quand le pieux pasteur d’un accent paternel 

Lui dit: ô mon enfant! bientôt avec ivresse 
Vous allez recevoir votre divin sauveur; 

Mais, pour le mériter, la sublime sagesse 

Yous commande d’abord la crainte du Seigneur: 
Honorez vos parents ; pratiquez la prière; 
Fuyez toujours le mal; craignez la vanité; 
Respectez le malheur; soulagez la misère ; 
Aimez votre prochain: voilà la charité. 

A la loi du devoir soyez toujours fidèle; 
Renouvelez les vœux faits pour vous en naissant ; 
Le prêtre vous absout, l’église vous appelle ; 

Je ne vous retiens plus, allez, Dieu vous attend. 
D'un pas modeste et lent la jeune néophyte 

Au céleste banquet s'achemine en tremblant ; 
Sitôt qu'elle a franchi la dernière limite, 


Me. pe 


Elle tombe à genoux et s'incline en priant. 

Le ministre sacré lui présente l'hostie ! . . . 
D'un plaisir inconnu son cœur est agité, 

Car Dieu lui donne alors une nouvelle vie 

Et le gage certain de l’immortalité. 

Le bonheur qu’elle goûte est pur et sans mélange; 
Dans son âme résonne un luth harmonieux, 

Il ne lui manque plus que les ailes d’un ange, 
Pour quitter cette terre et voler vers les Cieux. 


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FABLES, 


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FABLES 


PAR M. GALIS. 


LES SAINTS ET LES HÉROS. 


Un enfant parcourait la carte de la terre; 
Pourquoi donc, disait-il, mon père, 
Vois-je tant de cités, villages et hameaux, 
Portant le nom des saints, pendant qu’il n’en est guère 
Qui portent le nom des héros? 
La gloire des derniers pourtant remplit le monde. 
Et le père lui répondit : 
C’est que la religion fonde 
Tandis que le glaive détruit. 


—— —— 


LE COLOSSE DE RHODES. 


Dans Rhodes où jadis Pallas fut adorée 
Pour la première fois, 
Un colosse immense autrefois 
Du port, dit-on, gardait l’entrée. 
Dressant au haut des airs chaque nuit ses flambeaux , 
Il surveillait les flots de la mer azurée. 
Entre ses jambes, les vaisseaux 
Les plus larges et les plus hauts, 
Passaient à pleines voiles, . 


— 454 — 


Et son front dans les cieux se couronnant d'étoiles, 
Des Dieux semblait braver les coups. 
Le peuple cependant qui sans cesse est jaloux 
De tout ce qui s'élève, 
Se dressant du bas de la grève, 
L’examinait avec mépris : 
Le peuple ! il fallait bien qu'il en rit à tout prix. 
L'un se moquait de sa tournure, 
Un autre critiquait de sa vaste stature 
Les immenses proportions ; 
Celui-ci déclamait sur l’étrange nature 
Des matériaux de sa structure, 
Celui-là le jugeant dans ses dimensions 
Et de la perspective ignorant la mesure, 
Trou vait le chef un peu petit ; 
Chaque artiste en faisait une caricature. 
Mais pendant tout ce contredit, 
Voilà qu’un jour, par aventure, 
Cybèle se lassa de porter ce fardeau. 
Conjurant les éelairs, le feu, les vents et l’eau, 
Elle unit les efforts de la nature ertière, 
Puis ébranle la masse et la renverse à terre; 
L'univers retentit de cette chûte altière, 
Le sol sentit craquer ses vastes ossements, 
Et Pluton crut encor que des Dieux la colère 
Venait de son empire ouvrir les fondements. 
Quand le colosse alors fut gisant sur le sable, 
Le peuple, engeance variable, 
Courut le mesurer. Enfin, sorti d'erreur, 
De sa longue injustice il fut inconsolable , 
L'admira, mais trop tard et plaignit son malheur. 


L'homme, depuis, n’a point changé de caractère ; 
Il est tel roi, tel empereur 

Dout le peuple aveuglé ne connut la grandeur 

Que lorsque le destin leut renversé par terre. 


— 455 — 


L'ENFANT ET LE CHIEN. 


Azor, quel bonheur est le tien! 

Toi, tu ne vas pas à l’école, 

Disait un enfant à son chien; 

Azor le lèche et le console, 

Et l'enfant poursuit l’entretien: 
Veux-tu jouer nous deux? courons!... mais ce lien 
Pourquoi te retient-il? — Si l’on m'avait dans l’âge 
Comme toi, dit Azor, à l’école envoyé, 
Je ne languirais pas de la sorte lié. 
Mais je suis ignorant, hélas! et l'esclavage 

De l’ignorance est le fils premier né. 


Pour un chien, il n'avait pas trop mal raisonné. 


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APPENDICE 
AU MÉMOIRE DE M. RONDOT 


SUR 


LA GÉOLOGIE DU PAYS DE REIMS. 


(Voir page 209.) 


COUPE PRISE A LA SABLIÈRE DE RILLY 


(Septembre 1843). 


1. Limon rouge-brun, arénacé ou argileux, dans lequel 
sont engagés des fragments et blocs de silex-meulières, les 
uns poreux sans fossiles, les autres compactes avec limnées. 

2. Sable ferrugineux avec quelques débris de meulières et 
de grès rubigineux, alternant parfois avec des veinules de 
marne verdâtre. 

Cette assise ne présente qu'en bien peu de pointsl'horizon- 
talité ordinaire; la discordance de stratification est due à 
des failles et à des bosselures de la marne sous-jacente. Celle- 
ci offre aussi des dépressions (cavées) souvent profondes, 
comblées par le limon arénacé détritique. 

3. Marne blanchätre, engageant vers sa limite supérieure 
de rares blocs de meulières compactes. Nous y avons trouvé 
un fragment de conchifere que nous rapportons à la Cy- 
rena cuneiformis, Férussac. 

4. Argile plastique jaune-brunåtre. 

id. brune. 


EL 


30 


20 


MB — 


Avec petits nids d'une farine minérale blanche, fine, insi- 
pide et quelques pisolithes de fer hydroxidé. 

5. Lits arénacés, — glaucomeux, — jaune-rouille, — jau- 
nâtres. 

6. Marne calcaire blanchâtre, ayant à sa partie supérieure 
des galets calcaires anguleux; à l'inférieure, finement vei- 
nulée de marne jaune. 

7. Argile plastique brunâtre. 

8. Marne siliceuse grise, compacte, durcissant à l'air; — 
souillée par places d'une teinte ocreuse, — empâtant des 
espèces de chailles, nodules calcaréo-siliceux gris-noirätres , 
d'une grande dureté, — percée de plusieurs tubulures de 
marne ocreuse,—sillonnée parfois de crevasses horizontales, 
étroites, remplies de glaise brune. 

M. Arnould nous avait signalé dans cette marne la pré- 
sence de coquilles, sans en indiquer la nature ni les espèces : 
nous y avons recueilli des échantillons intacts de Physa gi- 
gantea, de Paludina aspersa, d'Helix Drouetii. Ces fossiles 
sont très-rares ; leur test est siliceux, noir ou roussätre, lui- 
sant, très-dur; l'intérieur est ou un spath radié, ou le calcaire 
siliceux ferruginé des nodules. 

9. Calcaire jaune tufacé lacustre (travertin ancien), tantôt 
en blocs engagés dans la marne précédente, tantôt en assises 
massives alternant avec des lits de cette même marne. On 
remarque dans les interstices des blocs du banc supérieur, 
un limon argileux brun, déposé peut-être par les eaux qui 
ont traversé les glaises supérieures. 

Les espèces caractéristiques sont la Physa gigantea, la 
Paludina aspersa, la Clausilia exarata et l'Helix hemis- 
phærica: leur nature minérale est variable; certains indivi- 
dus sont à l’état de moules siliceux ; la plupart ont leur test 
spathifié et l'intérieur est ou un limon calcaire, ou de la 
chaux carbonatée fibro-radiée. 

10. Sable gris. 

11. Sable jaune ferrugineux. 

12. Sable carminé manganésique. 

13. Sable blanc pur, à grains quartzeux fins, peu micacé ; 
on y trouve des concrétions tubulaires et tubiformes de grès 
blanc peu cohérent. 

14. A la partie inférieure, le sable blanc alterne avec des 
sables jaunes, et devient de plus en plus gris, en même temps 
que ceux-ci acquièrent plus de puissance. Il présente une 


o 50 
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1 90 
0 35 
3 » 
1 30 
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— 459 — 


succession continue de linéoles de particules blanehes, que 
nous présumons être des foraminiferes. { 20 
A Sermiers (entre Monchenot et Chamery), on trouve 
sous le sable blanc exploité un autre sable noirâtre et rempli 
de soufre, au dire des ouvriers. 
15. Grès rouge ocreux avec galets siliceux avellanaires 
et ovoïdes, la plupart jaune-bruns ou noirâtres (noyaux 
noirs, esquilles translucides), plusieurs blonds, recouverts de 
cacholong grossier blanc. Ce grès est sans doute le chalin 
des ouvriers. 
Nous y avons observé des délinéaments rouge-bruns, des- 
sinant les contours que nous rapportons à des genres de 
conchifères marins et quelques empreintes indéterminables. sen 
16. Craie. 


Ce sable blanc quartzeux de Rilly a été ancienne- 
ment exploité au pied de la côte de Monchenot, à la 
base des collines isolées qui s'élèvent entre la route 
d'Épernay et Villers-Allerand. Il y est surmonté de 
sables gris alternant avec des bancs de grès arénacé, 
dans lequel nous avons recueilli des empreintes et des 
moules de feuilles , de Lucina contorta , Lk., Pectuncu- 
lus terebratularis, Lk., Cardium semigranulesum, Lk., 
Cucullæa, Natica, Buccinum, ete. — C’est l'analogue 
du grès de la Herelle près Breteuil (Oise), caractérisé 
par les fossiles d’Abbecourt et de Bracheux , peut-être 
aussi du grès dur à stalactites bacilliformes de Muizon. 

Nous rapportons tous ces grès au premier étage des 
sables inférieurs tertiaires. (Classification de M. Mel- 
ville). 


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ACADÉMIE DE REIMS. 


— 


PROGRAMME 


DES CONCOURS 


OUVERTS POUR L'ANNÉE 1844. 


a Hmmm 


Histoire. - Archéologie. 


« Quel était l’état de l’ancienne Durocorr 
« des Rémois avant et pendant la domina- 
« tion romaine, jusqu'au règne de Clovis 
« exclusivement? » 


L'auteur devra envisager la question sous les divers 
points de vue qui suivent : 

Il discutera 

L'origine des Rémois, l’état topographique de leur 


— 462 — 


cité, son étendue, ses dépendances; les principaux 
monuments dont l'histoire ou la tradition ont pu con- 
server le souvenir, ses aqueducs et ses grandes voies 
de communication. 

Il entrera dans quelques détails 

Sur les mœurs des habitants, qui peuvent en partie 
se présumer par les fréquentes exhumations de mon- 
males, médailles, meubles, ustensiles et autres objets 
d'usage commun. — ll donnera l’idée de leur gouver- 
nement et de leurs institutions religieuses, judiciaires, 
civiles et militaires. 

Il recherchera les motifs qui ont porté les Rémois 
à se détacher de la ligue gauloise pour s'allier et se 
soumettre aux Romains. — Il discutera les moyens de 
défense qu’ils pouvaient opposer aux étrangers, le rang 
qu’ils occupaient dans la confédération gauloise. — 
Leurs possessions, leurs alliances et la part qu'ils 
ont eue à la réunion finale des Gaules à l'empire 
romain. 


Économie Industrielle. 


« Quels pourraient être les moyens d’évi- 
«ter les inconvénients de la concurrence 
« sans nuire à la liberté du commerce? » 


Les candidats devront donner un aperçu de ce qu’é- 
tait le commerce autrefois, le représenter tel qu'il est 


— 463 — 


aujourd’hui, et indiquer les moyens qui leur sembleront 
les plus efficaces pour régulariser la concurrence et 
éviter les effets désastreux dont elle est la source. 


Agriculture. 


« Rechercher l’état du sol forestier de la 
« Champagne au moment de l'invasion ro- 
« maine. — Examiner l’influence successive 
« du déboisement des crêtes, indiquer les 
« changements atmosphériques qui en ont 
« été la suite, et dire quelles modifications 
« le sol arable a pu éprouver. » 


Les prix consistant en une médaille d’or de la valeur 
de 200 francs, pour chacune des deux premières ques- 
tions, el en une médaille d'argent pour la troisième, seront 
décernés dans la séance publique de l'Académie du 15 
Avril au 15 mai 1844. 

Les auteurs, ne devant point se faire connaitre , ins- 
criront leur nom et leur adresse dans une note cachetee , 
sur laquelle sera répétée l'épigraphe de leur manuscrit. 


Les mémoires devront étre adressés (franco) à M. le 
docteur LANDouzY , secrétaire de l’Académie, avant le 
3janvier 1844, terme de rigu eur. 


2 En 


L'Académie distribuant en outre des médailles d’en- 
couragement aux auteurs des travaux qu elle juge 
digues de récompense, les personnes qui croiraient 
avoir droit à cette distinction, enverront leurs titres 
au secrétariat, avant le 15 Mars 1844. 


Le Président de l’Académie, 
BONNEVILLE. 


Le Secrétaire de l’Académie, 
H. LANDOUZY. 


CATALOGUE 


DES 


OUVRAGES IMPRIMÉS ADRESSÉS 


À L'ACADÉMIE DE REIMS 


Pencant l’année 1849-1843. 


1° OUVRAGES ADRESSÉS PAR LEURS AUTEURS; 


Arraro. Des concrétions sanguines. 

Becin-DeLauax. Du Traité d’Andelot; brochure. 
Paris, 1843. 

Berriar Sr-Prix (Ch.) Des circonstances atténuantes 
en matière de coutumaces; brach. Tours, 1842. 

BonxEviLLE. De la Récidive en matière criminelle; 
in-8 premier volume. 

—De FInfluence de la Magistrature; broch. in-8. 

—De la Liberté, de l'Instruction, du Travail et de la 
Morale comme bases du bonheur public; bro- 
chure in-8. 

— Compte-rendu de l'administration de la justice ci- 
vile, criminelle et commerciale; broch. in-8. 
—Du sentiment du devoir chez les magistrats; bro- 

chure in-8. 


PMR 

BonneviLLe (Frédéric). Traité des Monnaies d'or et 
d’argent en usage chez tous les peuples connus; 
grand in-. richement relié et doré sur tranche. 

Bourgoun. Recueil de fables; in-42. Paris, 1842. 

CHAPEDOYE. Mémoire sur les laines, les bestiaux et 
l'engrais des terres calcaires. 

CHARPENTIER. Grammaire. 

Le comte DE CHEviGNÉ. La Chasse et la Pêche, suivies 
de poésies diverses. 

—De l'Éducation. 

Cricouor. Les sept Psaumes de la Pénitence traduits en 
français; broch. dédiée à l’Académie de Reims. 

Cousin. Cours d'Histoire. 

Daconer. Mémoires sur différents points d'Histoire 
paturelle. 

Danrox. Cours d'histoire de la Philosophie morale au 
18° siècle. 

De Mazière. Diverses brochures relatives à son inven- 
tion du paracasse. 

De Mowrey . Assurance sur la vie, moyen de fonder le 
bien-être individuel sur l'épargne collective. 

Déroné-Géruzez. Mémoires sur Reims; { vol. in-8. 

Des Eraxes. Notes sur quelques plantes observées 
dans le département de l'Aube. 

—Mémoire sur les bois employés dans les charpentes 
des anciens édifices. 

Dessain-PERIN. D’Alvaire, comédie en 5 actes et 
en vers.£Reims,#1841. 

Drover. Homélie de St.-Bazile sur la famine, traduc- 
tion nouvelle. 

—Hécube, tragédie d'Euripide, traduite en vers fran- 
çais. 

Duneme. Recueil de chansons, Douai, 4834. 


— 467 — 


Du Mèce. Conjectures sur un bas-relief de lPéglise 
St.-Nazaire à Carcassonne. 

Francoeur. Sur le calendrier des Mahométans. 

GoBarp. Création de la propriété intellectuelle; broch. 
Bruxelles, 1843. 

GONZALLES. Poésies diverses. Reims, 18/2. 

Gossix. Les avantages de la réunion territoriale. 
Proverbes. 

—Manuel élémentaire d'agriculture à l’usage des écoles 
primaires des départements de la Meuse, de la 
Meurthe, de la Moselle et des Ardennes. 

—Manuel élémentaire d'agriculture à l’usage des écoles 
primaires des départements de la Mayenne, d’Ille- 
et-Vilaine, des Côtes-du-Nord, du Finistère, du 
Morbihan et de la Loire-Inférieure. 

Gousser (Thomas), archevêque de Reims. Les Actes de 
la province ecclésiastique de Reims. 18/43. 
Harpouin-MicHerin. Observations sur une nouvelle 
organisation à donner à la Cour des comptes. 
Harpy. Compte-rendu des travaux de la Société ana- 

tomique. 

—Essai sur les concrétions sanguines qui se forment 
pendant la vie dans le cœur et les gros vaisseaux. 

Héserr. Nouveau manuel du garde champêtre ; broch. 
Epernay, 1841. 

Huserr. Géographie historique du département des 
Ardennes. 

Jorisois. La Diablerie de Chaumont. 

—Les Chroniques de l'évêché de Langres. 

H. Lanpouzy. Mémoire sur un cas d’hermaphrodisme 
masculin observé à l'Hôtel-Dieu de Paris, en 1836. 
In-8° avec une planche gravée. 

—Communications anormales entre les cavités du 
cœur, Paris, 1838. 


— 1068 — 

— Observation de paralysie du mouvement et du senti- 
ment de la face, produite par une lésion de la cin- 
quième et de la septième paire. Paris, 1838. 

—Traité du varicocèle et en particulier de la cure radi- 
cale de celle affection. (Ouvrage traduit en Anglais 
et en Allemand), 1838. In-8” avec une planche 
gravée. 

—Essai sur la grippe observée à l'Hôtel-Dieu de Paris, 
pendant les mois de janvier et de février 1837. 

—Mémoire sur une corne humaine développée à la 
face. 1835. In-8°. 

—Analyse des thèses soutenues au concours pour la 
chaire d'hygiène, en 1838. 

—Des hallucinations et des aberrations de perception 
et de sensibilité. 1837, In-8°. 

—Mémoire sur la pneumonie épidémique qui a régné 
en même temps que la grippe, pendant l’année 
1837. (Ouvrage couronné par la Faculté de méde- 
cine de Paris, au concours de 1839. Premier prix.) 

—Histoire de l'épidémie desuette miliaire qui a régné 
dans le département de Seine-et-Marne, pendant 
les mois de mai et juin 1839. 

—De l'hémiplégie faciale chez les enfants nouveau- 
nés. In-8°. 1839. 

—Essai sur la doctrine des revaccinations. In-8°.180. 

—Mémoire sur les procédés acoustiques de l auscultation 
et sur un nouveau mode de stéthoscopie applica- 
ble aux études cliniques. 1841. 

—Lettres sur lestrabisme etle bégaiement. In 8°. 1841. 

—Mémoire sur l'épidémie de typhus qui a régné dans 
les prisons de Reims en 1839 et 1840. (Couronné 
par la Faculté de médecine de Paris, au concours 
de 1841. Premier prix.) 


— 469 — 


Le comte pe Lapeveze. Recherches sur l'Histoire de 
France depuis le temps des Mérovingiens jusqu’à 
nos jours. 2 vol. in- 8°. 

Loisson px GUINAUMONT. Les Veillées instructives. 

— Quelques réflexions sur les Doctrines du jour. 

—Réflexions sur la question : quel serait le mode 
d'éducation le plus en harmonie avec nos mœurs 
actuelles et nos institutions ? 

—Nouveaux entretiens religieux et philosophiques. 

— Dialogue sur l’immutabilité des Doctrines religieuses. 

Louis. Recherches anatomiques, pathologiques et thé- 
rapeutiques sur la maladie connue sous le nom de 
fièvre typhoïde. 

—Essais sur différents points de pathologie et d’a- 
nathomie pathologique. 

Louis-Lucas. L'entrée du roy nostre sire en la ville et 
cité de Paris, le 8 juillet 1484. 

M. ze Maire pe Rems. Catalogue des imprimés de 
la ville de Reims. Tom. 4%. Reims, 18/43. 

Maro (Charles). L’apothéose de Molière, poème. Paris, 
1843. 

Marguse. Essai sur les nécrophages de France et prin- 
cipalement du nord. 

Marmau. Eloge historique de Merlin. Paris, 18/2. 

Maupassanr. Influence de la morale sur l’agriculture 
et de l’agriculture sur la morale. 

Maurin (Léonce). De l'influence du christianisme sur 
Pesprit de famille. broch. Nismes, 1843. 

MonxorT-pes-ANGLes. Traité de rhétorique. 

Nicor. Compte-rendu des travaux de PAcadénie 
royale du Gard. Broch. Nismes, 183, 

Ozanneaux. Les Romains. 

—Jeanne-d’'Are (poème). 


— #10 — 


Ozeray. Coup-d’æil sur les archives de l'ancien cha- 
pitre de la cathédrale de Chartres. 

—Histoire de l’ancien duché de Bouillon. 

—Histoire générale, civile et religieuse de la cité des 
Carnutes et du pays Chartrain, vulgairement ap- 
pelé la Beauce. 

— Coup-d’œil sur les critiques verbales et écrites de 
cette histoire. 

—Recherches sur Buddon ou Bouddon. 

L. Paris. Collections de documents inédits sur lhis- 
toire de France. 

—Mémoires du chanoine Maucroix, chanoine et séné- 
chal de l’église de Reims. 

—Une émeute en 1649. — Mazarinade. 

—La chronique de Rains. 

L. Paris. et Lesertaas. Toiles Peintes et Tapisseries 
de la ville de Reims, avec planches coloriées. 

P. Paris. Nouvelles recherches sur le véritable auteur 
du songe du Vergier. 

Parris pu Breuk. Eloge de Louis XVII, roi de 
France. 

Pgexor. Notice sur le vieux Paris. 

Perrier {E.)Notice biographique sur M. Théodore Prin. 

PHILIPPE. Essai historique sur Caqué, ancien chirurgien 
de l'Hôtel-Dieu de Reims. Broch. Reims, 1842. 

POVILLON-PIERRARD. Dissertation sur les anciennes sé- 
pultures Romaines , Gauloises et Rémoises , décou- 
vertes hors de l’ancienne cité de Reims, depuis 
le 16° siècle jusqu’à nos jours. 

— Description de la cathédrale de Reims. 

PréGnox. Évidence du christianisme. 

Prix. Notice sur M. L. A. Gobet. 

Remy. Notice sur le rétablissement des anciennes fon- 


— M1 — 


taines de Châtillon-sur-Marne. Reims, 1843. 

CHARLES Sainre-l'or. Le Livre des Peuples et des 
Rois; 2 vol. in-18. 

—Théologie à l'usage des gens du monde; 4 vol. in-18. 
Reims, 1843. 

SARAVESSE. Essai sur la fabrication des eaux minérales 
gazeuses. 

SAUZET. Rapport sur les divers procédés employés pour 
la destruction de la pyrale de la vigne. Lyon, 1843. 

De Suxau. Tableaux synoptiques des difficultés de la 
langue Allemande. 

— Cours complet de langue et de littérature Allemandes. 
4 vol. in-8°. Paris, 1842. Ouvrage dédié à l Aca- 
démie de Reims. 

—Dictionnaire étymologique des racines Allemandes. 
À vol. in 8°. Paris, 1840. 

Tarsé. Lois et règlements à l'usage de la Cour de cas- 
sation. 

` — Nouveau manuel complet des poids et mesures , des 
monnaies , du calcul décimal et de la vérification. 

— Nouveau petit manuel classique des poidset mesures, 
pour l’enseignement élémentaire autorisé pour les 
écoles primaires. 

—Nouveau manuel des poids et des mesures à l'usage 
des agents forestiers , garde-ventes, garde-ports , 
propriétaires et marchands de bois, charpentiers 
et constructeurs. 

—Nouveau petit manuel des poids et mesures à l'usage 
des ouvriers et des écoles. 

P. Tangé. Travailet salaire. 4 vol. in-8°. Reims, 18/2. 

—Examen critique et analytique de diverses chartes 
des x, x1, xt et xmH° siècles relatives à la Tou- 
raine. 


— 412 — 

—Miniatures d’une bible du xiv° siècle, et fac-simile 
du texte. 

—- Histoire chronologique, pathologique, politique, éco- 
nomique, soporifique et melliflue du très-noble , 
très-excellent et très-vertueux pain-d’épices de 
Reims. 

—Le noble et gentil jeu de l’arbaleste à Reims. 

—Les sépultures de l’église Saint-Remi de Reims. 

—Louis XI et la Sainte-Ampoule. 

—Discours de ce qu’à faict en France le Héraut d’An- 
gleterre , et de la responce que lui a faicte le roy. 

—Le purgatoire de saint Patrice, légende du x siècle, 
publiée d’après un manuscrit de la bibliothèque 
de Reims. 

—Jnventaire après le décès de Richard Picque, arche- 
vesque de Reims en 1489. 

— Les Lépreux à Reims au xve siècle. 

Turck. Mode d’action des eaux minéro-thermales. 

—Essai sur le cancer. 


2° OUVRAGES ADRESSÉS PAR LES ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS 
CORRESPONDANTES. 


Actes de l’Académie royale des sciences , belles lettres 
et arts de Bordeaux. 

Annales de la Société d’agriculture et d'industrie du 
département d’Ille-et-Vilaine. 

Annales de la Société d'agriculture, des sciences , 
d’arts et de belles-lettres du département d’Indre- 
et-Loire. 

Annales de la Société économique d’agriculture, com- 
merce, arts et manufactures du département des 
Landes. 


Bulletins des séances, compte-rendu mensuel de la 
Société royale et centrale d’agriculture. 

Bulletins de la Société d’agriculture du département 
du Cher. 

Bulletins de la Société d’agriculture , sciences et 
belles-lettres de Rochefort. 

Bulletins trimestriels de la Société des sciences , 
belles-lettres et arts du Var. 

Congrès scientifique de France. 

Compte-rendu des travaux de la Société d'agriculture, 
sciences et belles-lettres de Macon. 

Ephémérides de la Société d'agriculture du départe- 
ment de l'Indre. 

Extrait des travaux de la Société centrale d’agricul- 
ture du département de la Seine-Inférieure. 

Journal des travaux de la Société de statistique du 
département des Deux-Sèvres. 

Mémoires de la Société royale d’agriculture et arts 
de Seine-et-Oise. 

Mémoires de la Société centrale d'agriculture. 

Mémoires de la Société d’agriculture , sciences et 
arts du département de l'Aube. 

Mémoires de l'Académie royale du Gard. 

Mémoires de l’Académie royale de Metz. 

Mémoires de la Société royale d'agriculture et de 
commerce de Caen. 

Mémoires de la Société de statistique du départe- 
ment des Deux-Sèvres. 

Mémoires de la Société d'agriculture , sciences et arts 
de Calais. 

Mémoires de la Société académique de la ville de 
Saint-Quentin. 

Mémoires de la Société d’horticulture du département 
de Seine-et-Oise. 


— 41h — 


Mémoires de la Société archéologique du midi de la 
France. 

Mémoires et analyses des travaux de la Société d’agri- 
culture, commerce, sciences et arts de la ville de 
Mende (Lozère) 1844-1842. 

Notice historique et descriptive sur Pont-le-Voy. 

Nouveaux mémoires de la Société des sciences, agricul- 
ture et arts du département du Bas-Rhin. 

Précis analytiques des travaux de l’Académie des 
sciences, lettres et arts de Rouen. 

Publications de la Société d’agriculture , sciences et 
arts de Meaux. 

Rapports à la Société d'agriculture, sciences et belles- 
lettres de Macon. 

Rapport sur les travaux de la Société royale et centrale 
d'agriculture. 

Rapport à la Société d’émulation des Vosges. 

Rapports sur les travaux de l’Académie de Pont-le- 
Voy. 

Rapport sur les travaux de la Société impériale d’éco- 
nomie rurale de Moscow. 

Recueils de la Société libre d'agriculture, sciences , 
arts et belles-lettres du département de l'Eure. 

Séance publique de la Société d'agriculture, com- 
merce, sciences et arts du département de la 
Marne (1843). 

Travaux de la Société philharmonique du Calvados. 

— _ Société racinienne de La Ferté-Milon. 

= — Société des bibliophiles de Reims. 


Journaux. 


L'Ardennais , journal politique et littéraire. 
Le Journal de Reims, idem. 


LISTE 


DES SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES. 


Académie d'Aix. 
— des sciences d'Amiens. 
— d'Arras. 
— des sciences et arts de Bezançon. 
— des sciences et lettres de Blois. 
— royale de Bordeaux. 
— des sciences de Caen. 
— des sciences de Clermont-Ferrand. 
— royale du Gard. 
—- des sciences de Lyon. 
— de Mâcon. 
— des sciences de Metz. 
— de Pont-le-Voy. 
— royale de Rouen. 
— de Toulouse. 
— des jeux floraux de Toulouse. 
-— de Vaucluse. 
Société d’émulation ď’' Abbeville. 
— médico-scientifique de l'ile de Corse, à 
Ajaccio. 
— d'agriculture d'Angers. 


— 416 — 
Société vétérinaire du Calvados et de la Manche, à 
Bayeux, 
— agriculture et sciences de Boulogne. 
— royale d’émulation de l'Ain, à Bourg. 
— agriculture de Bourges. 
— des antiquaires de Normandie, à Caen. 
— d'agriculture et de commerce de Caen. 
— agriculture, sciences et arts de Chälons. 
— agriculture de Châteauroux. 
— agriculture de Chaumont. 
— royale, académique de Cherbourg. 
— agriculture de Digne. 
— des sciences du Var, à Draguignan. 
—  d’émulation d'Epinal. 
— d'agriculture d'Evreux. 
— académique des sciences de Falaise. 
— agriculture de Grenoble. 
— Havraise. 
— émulation de Lons-le-Saulnier. 
—  d’agriculture;et sciences du Mans.” 
— agriculture, sciences et arts de Meaux. 
— agriculture, sciences et arts de Mende. 
— agriculture et sciences de Moulins. 
— agriculture et sciences de Montauban. 
— d'agriculture et sciences de Mont-de-Marsan. 
— royale des sciences, lettres et arts de Nancy. 
— royale académique de Nantes. 
—  d’émulationide Nantua. 
—  d’agriculture’et sciences de Niort. 
— royale d’horticulture de Paris. 
— royale et centrale d’agriculture de Paris. 
— libre des beaux-arts de Paris. 
— _ philomathique de Perpignan. 


A — 
d'encouragement pour l'industrie nationale de 
Paris. 
des antiquaires de l'Ouest, à Poitiers. 
d'agriculture de Poitiers. 
d'agriculture, sciences et lettres de Rochefort. 
d'agriculture de Rennes. 
des lettres, sciences et arts de l'Aveyron, à 
Rhodez. 
centrale d'agriculture de Rouen. 
industrielle de Saint-Etienne. 
des antiquaires de la Morinie, à Saint-Omer. 
des sciences du Bas-Rhin, à Strasbourg. 
des sciences de Toulon. 
des antiquaires du midi, à Toulouse. 
d'agriculture de Tours. 
d'agriculture de Troyes. 
de siatistique des arts utiles de Valence. 
d'agriculture et arts de Versailles. 


LISTE 


DES MEMBRES COMPOSANT 
L'ACADÉMIE DE REIMS 


au 1°" octobre 1843. 


Président d'honneur. 


Monseigneur Gousser O *#, archevêque de Reims. 


Membres d'honneur. 


M. VILLEMAIN G. %, membre de l’Académie Fran- 
caise, ministre de l’Instruction publique. 
Ni 


BUREAU 


` Pour l'année 1843-1844. 


MM. BONNEVILLE, président. 


QUERRY, vice-président. 
H. Lanpovzy, secrétaire. 
CONTANT, vice-secrétaire. 


SAUBINET, trésorier. 


— 480 — 


Membres titulaires fondateurs. 


Monseigneur Gousser O. #, archevêque de Reims. 
MM. Déroné-GÉruzEz #%, membre du conseil géné-- 


néral de la Marne. 

Le Vicomte RuinartT DE BRIMONT #*, ancien 
maire et député de Reims. 

SAUBINET , membre de la Société d'agriculture, 
sciences et arts du département de la Marne. 

H. RoBILLARD , juge d'instruction. 

BANDEVILLE, aumônier du collége royal, cha- 
noine honoraire. 

Hergé, peintre. 

Boucné, bâtonaier de l’ordre des avocats. 

L. Paris, bibliothécaire de la ville de Reims, 
membre du comité historique. 

L. Fanart, membre du comité d'Instruction 
primaire. 

NanQuertE, curé de Saint-Maurice, chanoine 
honoraire. 

BRUNETTE , architecte de la ville. 

Ta. ConrANT, notaire, licencié en droit. 

H. Lanpouzyx, membre correspondant de l'Aca- 
démie royale de médecine. 


Membres titulaires elus. 


MM. De Berry, membre de la Société d'agriculture, 


sciences et arts du département de la Marne. 
(23 Déc. 1841.) 


MM. 


MM. 


— 481 — 


Wacanen, ancien négociant. (23 Décembre18#1.) 

Bara, curé de Notre-Dame, vicaire-général ho- 
noraire. (id.) 

Houzeau-MuiroN *# , manufacturier de produits 
chimiques, député de Reims. (id.) 

A. BONNEVILLE, procureur du roi. (id.) 

Piiripps, membre correspondant de l'Académie 
royale de médecine. (30 Décembre 18/1.) 

Querry, vicaire-général. (14 Janvier 1842.) 

Huperr, homme de lettres. 

GARCET, agrégé des sciences, professeur de ma- 
thématiques spéciales au collége royal. (2 mars 
1842.) 

E. Déñoné, avocat. (13 Mai 1842.) 

Goger, licencié en droit. (id.) 

MAILLEFER - COQUEBERT, ancien négociant. 
(17 Juin 1842. 

Leconte, pharmacien en chef de l'Hôtel-Dieu. 
(30 Décembre 1812.) 

SUTAINE , négociant, membre de la Société des 

amis des arts. (27 Janvier 1843.) 

Taegé DE SaiNt-Hanpouix, ingénieur des ‘ponts 

et chaussées. (id.) 


Membres résidants: 


Maeuarr, chef de la division des beaux-arts à la 
mairie. (14 Janvier 18/2.) 

GEOFFROY DE VILLENEUVE, propriétaire, mem- 
bre du Conseil d'arrondissement de Soissons. 
(4 Mars 1842.) 

DeQuENELLE, pharmacien, (id.) 

31 


— 482 — 


MM. Monnor- pes - ANGLES, professeur au collége 
royal, officier de l'Université. (20 Mai 1842. 
Louis-Lucas, notaire. (30 Décembre 1842.) 
SoiLLx, proviseur du collége royal, officier su- 
périeur de l'Université. (27 Janvier 18#3.) 
GonEL, avocat. (26 Mai 1843.) 
Garas, notaire, licencié en droit. (id.) 


Membres honoraires. 


MM. P. TarBÉ, substitut du procureur du roi à 

Versailles, ancien membre titulaire. 

DE GourGas *#, inspecteur de l’Académie de 
Lyon, ancien membre titulaire. 

H. Fceuey, rédacteur en chef de l’Ardennais, 
ancien membre titulaire. 

BerIn, professeur d'histoire au collége de 
Douay, ancien membre résidant. 


Conseil d'administration. 


MM. Les membres du bureau. 
Mgr. L’ARCHEVÈQUE. 
L. Paris. 
DE BELLY. 


Membres correspondants. 


MM. Avserr, curé de Saint-Remy, à Reims. 
Anor DE MAIZIERES, professeur de réthorique, à 
Versailles. 


— 483 — 


MM. Annaurr, peintre, à Troyes, inspecteur des mo- 
numents historiques. 
BALLIN, archiviste de l’Académie royale de Rouen. 
Barty *#, ancien président de l’Académie royale 
de médecine , à Villeneuve- le-Roy (Yonne). 
Bargey, membre du Conseil d'arrondissement, à 


Fismes. 

BARTHELEMY (Anatole), homme de lettres, à 
Paris. 

BERGER DE XIVREY #, membre de l’Institut, à 
Paris. 


Bonsour (Casimir), homme de lettres, à Paris, 
bibliothécaire de Sainte-Geneviève. 

Bonxevize (Frédéric) *# , ancien essayeur de la 
Banque de France. 

BouLLOCRE #, avocat général à la Cour royale de 
Paris. 

BourGgois-Tuierry, membre du Conseil général, 
à Suippes: 

De Bussières #, officier supérieur du génie en 
retraite, député de Reims, à Paris. 

CARRETTE #, Capitaine du génie, à Alger. 

CARRETTE, avocat aux Conseils du roi et à la Cour 
de cassation, à Paris. 

CARTERET, avocat à la Cour royale, à Paris. 

Cayx #, inspecteur de l'Université, bibliothécaire 
de l Arsenal , député, à Paris. 

CuaIx-D'EST-ANGE %4, bâtonnier de l’ordre des 
avocats à la Cour royale de Paris, ancien député 
de Reims. 

CHARPENTIER, instituteur primaire supérieur , à 
Reims. 

Cricouor, homme de lettres, à Reims. 


MORE ES 


MM. Caavery #%, conseiller à la Cour royale de Paris, 
membre du Conseil général de la Marne. 

CorrEssox, ancien inspecteur de l’enregistre- 
ment, juge suppléant, à Reims. 

CoRRÉARD DE BREBANT, juge , à Troyes. 

Daaoxer, docteur en médecine , à Châlons. 

Danton #, chef du secrétariat au ministère de 
l Instruction publique, à Paris. 

DAvDEVILLE , président de la Société académique, 
à Saint-Quentin. 

DELAFOSssE, professeur à la Faculté des sciences , 
à Paris. 

De Lorsson #, ancien député de la Marne, à 
Pierry (Marne). 

DE Mazière , ancien professeur de l'Université, 
à Reims. 

Le comte De MELLET, propriétaire, à Chaïtrait 
(Marne). : 

De MoNTMERQUÉ %4 , conseiller à la Cour royale, à 
Paris. 

De Royer, substitut du procureur du roi, à 
Paris. 

De SAUVILLE, conseiller de préfecture, à Mé- 
zières. 

L. Desrousseaux DE MEDRANO , ancien membre 
du Conseil supérieur des manufactures et du 
commerce, conseiller général des Ardennes, à 
Charleville. 

Dessaix-PERIN , propriétaire à Cumières (Marne). 

Diprox, inspecteur des monuments historiques, 
à Paris. 

Drouer, ancien professeur de l'Université, à 
Reims. 


— 485 — 


MM. DusarLe, juge au tribunal de la Seine, membre 
du Conseil général de Seine-et-Marne, à Paris. 
Donme, docteur en médecine, à Douai. 
Dupary (Jules), substitut près le tribunal civil de 
la Seine, à Paris. 
Éuie pe Sainre-Manie , à Vitry-le-Français. 
Esrrayer CABASSOLE, chanoine à Châälons-sur- 
Marne. 
ETIENNE (Gallois), bibliothécaire de la Chambre 
des Pairs , à Paris. 
FarLLy, inspecteur des Douanes , à Cambrai. 
Fourier, curé, à Rethel (Ardennes). 
GaARINET X, conseiller de Préfecture, à Chàlons- 
sur-Marne. 
GAUTHIER #, architecte, membre de l'Institut, à 
Paris. 
- E. Geruzer %4, professeur à la Sorbonne, à 
Paris. 
Gossin, agriculteur à la Tour-Audry (Ardennes). 
Harpy #, médecin des hôpitaux , à Paris. 
Le baron HÉMART #, propriétaire , à Ay. 
Hiver X , procureur du roi, à Orléans. 
Huserr, professeur de philosophie, à Charleville. 
HusiGNox, juge d'instruction , à Vouziers. 
Husson x3 , membre de l'Académie royale de mé- 
decine , à Paris. 
ù. JoriBois , professeur au collége , à Rethel. 
Jorré, bibliothécaire, à Chàlons-sur-Marne. 
Jourpaix, homme de lettres, à Paris. 
JupinaL (Achille) #, professeur à la faculté des 
lettres , à Montpellier. 
Le comte de LADEVEZE , homme de lettres, à Or- 
bais. 


A — 


MM. Le comte de LAMBERTYE, propriétaire à Chaltrait 

(Marne). 

Lair, conseiller de Préfecture, secrétaire de l Aca- 
démie, à Caen. 

LEBERTHAIS, dessinateur, à Paris. 

Lesourpais, chimiste, à Nogent-le-Rotrou. 

LEJEUNE , professeur au collége royal de Reims. 

LELEU D Anne membre Si Conseil général de 
la Marne , à Aubilly (Marne). 

LELIÈVRE , ancien censeur de l'Université, à Ste- 


nay. 
LÉVESQUE DE PouiLLy #, au château d’Arcy- 
Ponsart. 


Li£narD, peintre, à Chàlons-sur-Marne. 

Louis #, médecin en chef des épidémies du dé- 
partement de la Seine , à Paris. 

A. MarmEu, avocat à la Cour royale de Paris. 

V. MaREusE, avocat à la Cour royale d'Amiens. 

MaupassanT, professeur de philosophie au col- 
lége de Chälons-sur-Marne. 

MicneziN Haroun # , membre de la Société 
géologique de France, conseiller-maître à la 
Cour des comptes, à Paris. 

Morior, docteur en médecine , à Fismes. 

Murceacn, professeur de littérature Allemande, 
à Reims. 

Nisard % , député, chef de division au ministère 
de l'Instruction publique, à Paris. 

OZANNEAU #, inspecteur général de l'Université, 
à Paris. 

OzErAY, archiviste-paléographe , à Bouillon (Bel- 
gique). 

H. Paris, licencié en droit, à Épernay. 


S 


MM. Paris, notaire, à Épernay. 

P. Paris #, membre de l’Institut > à Paris, 

PATRIS pu BREUIL , homme de lettres , à Troyes. 

PAUFFIN , chef de division au ministère de la Jus- 
tice , à Paris. 

PERIN , peintre, à Paris. 

PERNOT, membre de la Société archéologique de 
la Marne, à Paris. 

Perrier (Eugène), secrétaire de la Société da- 
griculture , commerce, sciences et arts, à Chà- 


lons. 
POLONCEAU *, ancie ur de l'Université, : 
AU *, ancien recteur de piversile , à 
Paris. 


Poxsiner, juge-suppléant, à Sainte-Menehould. 

Poucer, chef d'institution, à Senlis. 

POVILLON-PiérARD, homme de lettres, à Reims. 

PRÉGNON, curé à Torcy (Ardennes). 

Prix, docteur en médecine, à Chälons-sur-Marne, 

RAULIN, maître des requêtes au Conseil d'état, à 
Paris. 

Ronpor, négociant, à Reims. 

Royer-CoLLaRD x, professeur à l'École de droit, 
à Paris. 

SAUVAGE, ingénieur des mines, à Mézières. 

SEURRE, docteur en médecine, à Suippes. 

De Suckau, professeur de littérature Allemande 
au collége royal de Saint-Louis, à Paris. 

Tirman, docteur en médecine, à Mézières. 

Tmerrgion (Jules), propriétaire à Nanteuil (Ar- 
dennes). 

TrancHanT, président du Tribunal civil Ta 
Vouziers. 

VALLET DE VIRIVILLE, archiviste-paléographe , 
Paris. 


p- 


LIRE = 


MM.V arın, doyen de la Faculté des lettres, à Rennes. 
ViiLarp (aîné), avocat, à Rethel. 
Vimer, curé à Monthermé (Ardennes), 
VIOLETTE , homme de lettres, à Mary-sur-Marne. 
Weiss # , bibliothécaire, à Besancon. 


Membres decedes. 


MM. le lieutenant général baron HuLor (G 4), membre 
correspondani à Charleville. 
LoriQuET, ancien principal du collége d'Épernay. 
Bernace, professeur de réthorique , à Dijon. 
DE FELCOURT #, sous-préfet de Vitry-le-Francçais. 
»'HerB£s, homme de lettres , à Ay. 


— 489 — 


EXTRAIT DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR. 


ARTICLE PREMIER. 

L'Académie se réunit le 1” el le 3° vendredi de 
chaque mois, à 7 heures du soir, sauf le cas de convo- 
cation extraordinaire. 

Elle clot ses séances le 3° vendredi du mois d'août 
et fait sa rentrée le 1° vendredi de novembre. 


ART. VI. 


Quoique les séances ordinaires ne soient pas publi- 
ques , les étrangers peuvent y assister pourvu qu'ils 
soient présentés par deux membres. 


EXTRAIT DES STATUTS ORGANIQUES. 
ART. XXI. 


Les membres correspondants s'engagent à commu- 
niquer à l’Académie leurs ouvrages et le fruit de leurs 
recherches ; si lun d’eux laisse écouler trois années 
sans exécuter cette clause, il sera censé renoncer à sou 
titre, et son nom pourra être rayé du tableau. 


REIMS. — L. JACQUET, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE. 


TABLE DES MATIÈRES, 


Lettre à M. le ministre de l’Instruction publique , pour 
solliciter la création de l’Académie de Reims, 


ArrèTé de M.le ministre de l’Instruction publique portant 
autorisation et constitution définitive de l’Académie 
de Reims et approbation de ses statuts, 

Extrait du procès-verbal de la première séance. — 
Élection des membres du bureau, 


Srarurs de l’Académie de Reims, 

Extrait du règlement d'organisation intérieure, 

Séance PUBLIQUE annuelle du jeudi 4 mai 1843, 

Ordre du jour de cette séance, 

Discours de Monseigneur l’archevèéque de Reims, pré- 
sident annuel, 

ComPre-rEenpu des travaux de l’Académie pendant l'an- 
née 1842-1843 , par M. Zandouzy, secrétaire, 

Rarrorrs sur les concours ouverts pour l’année 1843, 

PROGRAMME des questions proposées : 
Économie politique, 
Histoire, 
Agriculture, 

Extrait du rapport sur le concours d'économie politi- 
que, par M. Bonneville, 

Rapport de la commission d'examen des mémoires sur 
la question historique, par M. Nanquette, 


Rapport sur la question de l'économie agricole, par M. 
Maillefer- Coquebert, 


Cr 


— 492 -— 


Extrait du procès-verbal de la séance publique du 4 mai 
1843, — Récompenses accordées : 
Premier concours : Economic politique, 
Deuxième concours : Histoire, = 
Troisième concours : Agriculture, 
Médailles d'encouragement pour objets divers, 


SCIENCES MORALES. 


Économie politique. — Notion de la richesse, par 
M. Charles Sainte-Foi, 

Législation.— De la répression des plaideurs de mau- 
vaise foi, par M. Bonneville, 


SCIENCES PHYSIQUES. 
AGRICULTURE. 


Extrait de la notice sur la culture des terres calcaires, 
par M. le vicomte Ruinart de Brimont, 

Du mode d’assolement le plus favorable aux terrains 
calcaires du département de la Marne, par MM. 
Laurent et Taillet, 


BOTANIQUE. 


Notice sur les champignons trouvés aux environs de 
Reims, avec indication des espèces comestibles ou 
vénéneuses, par M. Saubinet ainé, 


GÉOLOGIE. 


Rapport sur la statistique minéralogique et géologique 
du département des Ardennes, de MM. Sauvage et 
Buvignier, par M. Querry, 

Étude géologique du pays de Reims. — Rapport de M. 

Nathalis Rondot, membre correspondant, commissaire 
de l'Académie, 


gr 
92 
Ibid. 


93 


97 


117 


203 


= 9 a 


PIIYSIQUE-MATHÉMATIQUE, 


Rapport de la commission chargée d'examiner le mé- 
moire de M. de Maizière, membre correspondant, sur 
la pondérabilité du calorique, par M. Turbé de Saint- 
Hardouin, 


ARCHÉOLOGIE. 


Des anciennes tapisseries et toiles peintes de la cathé- 
drale de Reims.— Discussion sur les avantages et les 
inconvénients d'appliquer ces sortes de tableaux à la 
décoration intérieure des églises chrétiennes, par 
MM. L. Paris,-L. Fanart et Herbé, 

Lecture de M. Paris (séance du 4 novembre 1842), 

Suite de la discussion. Lecture de M. L. Fanart (séance 
du 18 novembre 1842), 

Suite et fin de la discussion. Lecture de M. Herbé (séance 
du 2 décembre 1842), 


NUMISMATIQUE. 

Numismatique et archéologie.—Norice sur quelques dé- 
couvertes d'objets d’antiquité et de médailles ro- 
maines faites à Reims et dans le pays rémois, de 
1820 à 1840, par M. Louis-Lucas, 

Quelques réflexions sur l'atelier monétaire de Damery, 
par M. Duquenelle, 


LITTÉRATURE. 


LE PREMIER COMTE De Sarm-Dycr. Nouvelle inédite 
d'Hoffman, traduite par M. Failly, 

Critique littéraire. Rapport sur les travaux de la 
Société des Bibliophiles de Reims, par M. Nanquette, 

Histoire de la cité, ville et université de Reims, par 
dom Guil. Marlot; manuserit inédit publié aux frais 
et par les soins de l’Académie de Reims.—NoTe sur 
cette publication, par M. L. Paris, 


257 


357 


581 


393 


— 494 = 


BIOGRAPHIE. 


Notice sur Linguet, par M. Dérodé- Géruzeż, 

Essai historique, critique et littéraire sur la vie et les 
ouvrages de Jean Goulin, médecin né à Reims, par 
le docteur Philippe; 


POÉSIE. 


Voyage autour de mon cabinet, par M. Wagner- 
Delamotte, 
La première communion d’une jeune fille, par le même, 


FABLES par M. Galis, 
Les Saints et les Héros, 
Le Colosse de Rhodes, 
L'Enfant et le Chien, 


ArrenDice au mémoire de M. Rondot sur la géologie 
du pays de Reims, 


Concours ouverts pour l’année 1844 ; programme des 
questions proposées : 
Histoire et Archéologie, 
Économie industrielle, 
Agriculture, 
Ouvrages imprimés adressés à l’Académie par leurs 
auteurs, 
—par les Académies et Sociétés correspondantes, 
Académies et Sociétés correspondantes, 
Membres composant l’Académie de Reims, 
Extrait du règlement intérieur et des statuts de l’A- 
cadémie, ; 
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ANNALES 


L'ACADÉMIE DE REIMS 


SECOND VOLUME. 


1843 - 18/4 


L. JACQUET, IMPRIMEUR ET LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE, 
BRISSART-BINET, LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE. 


MDCCCXLIV 


ANNALES 


DE 


L'ACADÉMIE DE REIMS. 


—— 


1843—1844. 


ANNALES 


DE 


L'ACADÉMIE DE REIMS 


Second volume. 


1843-1844. 


L. JACQUET, IMPRIMEUR ET LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE. 


MDCCCXLIV 


ANNALES 


DE 


L'ACADÉMIE DÉ REIMS. 


EXTRAIT DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR. 


ARTICLE PREMIER. 


L'Académie se réunit le premier et le troisième ven- 
dredi de chaque mois, à 7 heures du soir, sauf le cas 
de convocation extraordinaire. 

Elle clot ses séances le troisième vendredi du mois 
d'août, et fait sa rentrée le premier vendredi de no- 
vembre. 


Art. VI. 


Quoique les séances ordinaires ne soient pas publi- 
ques , les étrangers peuvent y assister, pourvu qu’ils 
soient présentés par deux membres. 


EXTRAIT DES STATUTS ORGANIQUES. 


ART XXI. 


Les membres correspondants s’engagent à commu- 
niquer à l’Académie leurs ouvrages et le fruit de leurs 
recherches ; si l’un d’eux laisse écouler trois années 
sans exécuter cette clause, il sera censé renoncer à son 
titre , et son nom pourra être rayé du lableau. 


SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE # 


pu 25 mat 1844. 


Présidence de M. BONNEVILLE. 


La séance est ouverte à 4 heure, dans la galerie 
historique du palais archi-épiscopal. 

MM. Bourpox, Sous-Préfet de l'arrondissement , 
M. LECONTRE , Président du tribunal de commerce , 
M. CARTERET, Adjoint, faisant fonctions de Maire, et 
M. le comte de CHÉviGNÉ , Colonel de la garde natio- 
nale , occupent des siéges d'honneur à droite et à gau- 
che du bureau. 


Sont présents : 

MONSEIGNEUR L'ARCHEVÈQUE , MM. le vicomte DE 
BRIMONT , SAUBINET , ROBILLARD, BANDEVILLE, BOUCHÉ 
DE SORBON, L. PARIS, L. FANART, NANQUETTE , 
BRUNETTE , TH. CONTANT , H. LANDOUZY, DE BELLY, 
WAGNER, BARA, PHILLIPPE, QUERRY, GARCET , 
E. DÉRODÉ, GOBET, LECONTE, M. SUTAINE, TARBÉ 
DE ST-HARDOTIN, MAQUART, CARTERET, GEOFFROY 
DE VILLENEUVE , DUQUENELLE, MONNOT DES ANGLES, 
membres titulaires. 


MM. LOUIS-LUCAS, SOILLY, GONEL, CLICQUOT, COUR- 
MEAUX, GUILLEMIN, PINON, BERGOUGNIOUX , AUBRIOT ; 
associés résidants. 


ES ES 


MA. DERODÉ-GÉRUZEZ, HERBÉ, MAILLE-LEBLANC , DE 
SAVIGNY, membres honoraires. 


% é 

MM. E.ARNOULD, AUBERT, BARBEY, BOURDONNE, CHAR- 
PENTIER, COLLESSON, comte de LADEVÈZE, DE LOISSON, 
DE MAIZIÈRE, DE MILLY, DUCHÈNE, GROSJEAN, LEJEUNE» 
MENNESSON, MOPINOT, MULBACH , POVILLON-PIERRARD , 
ROUSSEAU, membres correspondants. 


“= =— 


ORDRE DU JOUR. 


Discours d'ouverture, par M. BONNEVILLE , prési- 


dent. 
Compte-rendu des travaux de l'Académie, par 


M. Lanpouzy, secrétaire. 
RAPPORT DE L'ANNÉE 1843 - 18/1. 
Sur les concours, par M. GOBET. 
LECTURES 
De MM. Fanart, Nécessité d'introduire l'histoire de 
l'art dans les études musicales. 
Le comte de LADEvÈzE, Invasion de la Champagne par 
Charles-Quint , en 1544. 
Gauis, Lucas et son âne ;—Pérette et sa boite [fables] (1). 
WaGner , Mes loisirs (vers). 
Proclamation des médailles d'encouragement. 
Distribution de livrets de la caisse d’épargnes. 
Programme des concours ouverts pour l’année 1845. 


(1) M. Robillard a bien voulu donner lecture des fables de M. Galis, 
qui, par suite d'indisposition, n'a pu assister à la séance. 


té 


DISCOURS 


DE M. BONNEVILLE, 


President annuel. 


Patriotisme et science ! 
MESSIEURS , 


Il y a une année, à pareil jour, une affluence nom- 
breuse se pressait dans cette enceinte , pour assister à 
la première de nos séances solennelles. Peut-être eùt- 
il été téméraire alors d’oser nous féliciter de ce con- 
cours et de cet empressement du public; car, si la plu- 
part venaient à nous par bienveillance, quelques-uns 
aussi cédaient à cet attrait malin de curiosité qui s’at- 
tache à toutes les choses nouvelles. 

Mais aujourd’hui, Messieurs, que notre but, que nos 
travaux ont pu être appréciés par une épreuve de deux 
années ; aujourd'hui, que les railleries impuissantes 
ont dù se taire devant l’imposant suffrage de l'opinion, 
il ne nous est plus permis de nous méprendre au vrai 
sentiment qui anime cette réunion de toutes les nota- 
bilités de la cité. Ce sentiment, que je ne crains plus 


RE 


d'interpréter , et dont nous pouvons enfin nous enor- 
gueillir , c’est la sympathie généreuse , Cest éclatant 
appui que les esprits éclairés , que les cœurs honnêtes 
ne refusent jamais à toute institution sérieuse et utile. 

Déjà, Messieurs, le savant prélat , sous le patronage 
duquel s’est instituée Académie , vous a entretenus 
des heureux effets de l'esprit d'association. Je viens, en 
quelque sorte, continuer cette thèse; et, me plaçant 
sous l'écho protecteur de son éminente parole, j'es- 
saierai de vous présenter quelques considérations sur 
l'importance du rôle désormais réservé à l'Académie 
de Reims. 

Il est, pour les sociétés comme pour les individus , 
une vie matérielle et végétative , — une vie intellec- 
tuelle et morale. L'industrie , le commerce , l'agrieul- 
ture assurent aux populations la satisfaction des be- 
soins physiques. Lesbelles-lettres, les arts, les sciences 
satisfont à cet irrésistible besoin de penser qui relève 
et ennoblit l'existence de l'homme. 

C’est assez dire qu’il n’y a, pour les sociétés, de 
prospérité durable et complète que lorsque le mouve- 
ment des idées y suit d’un pas égal le mouvement de 
la richesse matérielle, Dès que l’un de ces deux mou- 
vements se ralentit, l'équilibre est rompu ; il y a ma- 
laise social ; le peuple commence à incliner vers la mi- 
sère ou vers l'ignorance. 

Notre vieille cité rémoise a eu plusieurs fois à subir 
l'alternative de ces situations anormales. Avant de 
compter parmi les villes riches et industrielles, elle fut, 
à diverses époques, une ville savante et artistique. — 
Reims avait des écoles célèbres, des cours publics de 
droit canon , de philosophie, de belles-lettres ; elle 
composait des livres; elle élevait à la religion lune des 


EG = 


plus admirables basiliques du monde chrétien : elle 
prêtait à Rome ses savants évêques , pour en faire des 
souverains pontifes ; alors que son agriculture était 
presque nulle ; son commerce, sans débouchés; son in- 
dustrie, bornée à la fabrication de quelques tissus à 
l'usage des gens de guerre et du menu peuple. 

Oserai-je le dire , même devant l’Académie ? Cétait 
là une situation illogique , une véritable inversion du 
cours régulier des choses; car , s’il faut pourvoir aux 
besoins intellectuels des populations , il faut aussi , et 
avant tout, leur assurer du travail et du pain... d’où je 
conclus que nos pères ont fait preuve jadis de raison et 
de patriotisme, lorsque , répondant aux offres géné- 
reuses d'un illustre bienfaiteur , on les vit préférer , à 
un établissement universitaire , une simple manufac- 
ture … 

Mais aujourd’hui, Messieurs, que , grâce à cette en- 
tente sage et persistante du premier besoin des popula- 
tions, Reims a su semer lor et la fertilité sur son sol 
alcaire ; aujourd'hui, qu’elle s’est placée au premier 
rang des villes manufacturières et commercçantes, le 
moment était venu d'y raviver le mouvement intellec- 
tuel, quelque peu endormi sous les légitimes préoccu- 
pations de l'industrie. — Reims, l’ancienne métropole 
de la Gaule Belgique, Reims, la ville aux grands sou- 
venirs religieux , littéraires et politiques; Reims qui , 
dans tous les temps, a tenu une place si brillante dans 
notre histoire ; Reims enfin, le berceau de cette in- 
struction primaire qui depuis s’est répandue, comme 
un réseau de lumières, sur toute la surface du pays ; 
Reims ne pouvait rester plus longtemps déshéritée 
du bienfait d’une association scientifique. 

C'est, Messieurs, ce que le bon sens publie a compris 


— 10 — 


C'est ce que le gouvernement a voulu faire, en éta- 
blissant à Reims une institution qui püt rallier à elle 
tous les hommes d’étude et de savoir ; concentrer en 
un seul foyer les rayons divergés de la science, et, par- 
là, concourir efficacement à ce prosélytisme intellec- 
tuel qui doit être le premier devoir des époques de 
paix et de prospérité nationales. 

J'ai dit à dessein une institution, parce qu'ici je veux 
faire entière abstraction des hommes qui la composent. 
J'oublie les apôtres, pour ne signaler au respect et aux 
sympathies que l’apostolat en lui même. — Mais pour- 
tant, Messieurs, cette humilité que j'accepte volontiers 
pour nous, je ne puis, ni ne dois l'accepter pour nos 
successeurs. Qui donc oserait prétendre que la ville 
qui a donné au monde savant les Hinemar, les Gerbert, 
les Libergier, les Sorbon, les Gerson, les Ruinart , 
les Mabillon, les Delassalle, et tant d’autres illus- 
trations dans les sciences, les arts et les lettres , que 
la ville qui songe à élever des statues à des enfants 
tels que le grand Colbert et le brave Drouet, ne puisse 
pas, à un jour donné, réunir dans son sein un certain 
nombre de capacités dignes de siéger dans un corps 
savant ?.… 

D'ailleurs, Messieurs, quelque modestes que l’on se 
piaise à supposer les sociétés académiques des dépar- 
tements, leur mérite, à mes yeux , c’est qu’elles sont , 
dans leur humble sphère, la réduction de cette grande 
association de science universelle , de cet {nstitut qui, 
depuis quarante ans , maintient la France à la tête des 
nations civilisées... Ne sont-elles pas, en effet, les an- 
neaux conducteurs par lesquels l'électricité intellec- 
tuelle se communique du sommet aux extrémités ?.… 
Ne sont-elles pas les mille ruisseaux qui vont porter, 


sur tous les points du territoire , les eaux fertilisantes 
de la science ?.… 

Or, je le demande, de ce que le ruisseau est petit ; 
de ce qu'il serpente caché sous les hautes herbes de la 
prairie, l’eau qui y court en est-elle ou moins vive, ou 
moins pure, ou moins salutaire? 

Ayons done foi, Messieurs, dans l'influence et dans 
les efforts des académies de province, alors surtout 
que, comme celle de Reims , elles se sont créé des de- 
voirs spéciaux pour l’accomplissement desquels elles 
n’ont à craindre ni rivalité, ni impuissance. 

« Recueillir et publier tout ce qui tient à Phistoire de 
« Reims ; propager autour d'elle le goût des arts, des 
« sciences et des belles-lettres 7» telle est la double et 
patriotique mission à laquelle s’est vouée l'Académie. 

L'étude de notre histoire locale, outre ses nombreux 
avantages , outre qu’elle peut seule éclairer et rectifier 
l'histoire générale du pays , est surtout profitable , en 
ce qu'elle contribue à entretenir Pun des plus doux sen- 
timents du cœur humain, le patriotisme de localité; non 
pas cet esprit de rivalité égoïste et hostile qui jadis fai- 
sait de chaque portion du territoire un état distinct ; 
mais cet amour pieux du pays natal, extension géné- 
reuse de l'esprit de famille qui, sans briser sa grande 
unité nationale, devient, entre les citoyens d’une même 
cité, un lien de fraternité , un élément de force et d'u- 
nion, un mobile puissant d’émulation, par conséquent, 
une source de bonheur et de prospérité pour tous. 

A l’époque où chacune de nos provinces françaises 
avait pour ainsi dire ses lois, ses usages, sa langue, son 
costume, sa nationalité propres, le patriotisme local dut 
être nécessairement exagéré à l’excès.—Mais notre cen- 
tralisation moderne ne s'est pas bornée à détruire ce 


AS TE 


qu'il y avait de trop exclusif, de trop étroit dans cette 
honorable passion du pays natal. Elle tend chaque jour 
à l’anéantir; que dis-je ? à y substituer la passion con- 
traire. Aujourd'hui, Messieurs, je ne sais quelle dispo- 
sition envieuse et jalouse, quel esprit chagrin de déni- 
grement s'attache parmi nous à poursuivre, à rabaisser 
les hommes et les choses de la localité. Il semble que 
nous ne devions plus avoir d’admiration que pour ce 
qui naît et se produit loin de nous; si bien , qu’à force 
de tout déprécier, de tout amoindrir ainsi, nous finirons 
peut-être par avoir presque regret, presque honte 
d’être de notre pays! 

C’est là, Messieurs, une tendance impie et déplo- 
rable !... chaque localité a, comme chaque famille, des 
souvenirs, des gloires, des intérêts à elle, qu’elle doit 
conserver et défendre; qu’il ne lui est jamais permis 
d'abandonner , parce qu'ils sont l'héritage inaliénable 
des générations passées, la richesse du présent, le pa- 
trimoine sacré de la génération qui nous suit... Ainsi , 
soit qu’une ville entière se lève tout émue et fasse en- 
tendre au pays sa voix pour faire respecter ses intérêts 
matériels méconnus; soit que, reconnaissante, elle con- 
fie au marbre et au bronze les traits de ses antiques 
bienfaiteurs ; soit qu’elle décore de leurs noms vénérés 
ses monuments et ses voies publiques; soit enfin, qu’a- 
nimée d’un juste orgueil, elle se presse, en habits de 
deuil, au convoi d’un grand citoyen, par tous ces actes 
elle s’honore également, parce qu’elle accomplit un 
pieux devoir de patriotisme local. 

L'Académie de Reims , Messieurs, a mis au premier 
rang de ses obligations celle de raviver ce patriotisme 
rémois par la recherche et la glorification de tout ce 
gui, dans les évènements , dans les édifices , dans les 


LU — 


mœurs, dans les hommes enfin, a jadis rendu si nota- 
ble le pays de Reims. 

La publication de l’histoire francaise inédite du sa- 
vant Dom Marlot, est le premier hommage rendu par 
elle à ce culte des anciens souvenirs locaux. Elle conti- 
nuera, soit par elle-même (1), soit par les eflortsisolés 
de ses membres (2) , une série de publications, qui 
toutes auront pour objet l’étude approfondie de lhis- 
toire du pays de Reims. 

Puisse-t-elle , Messieurs, en rappelant ce qu'ont 
fait, ce qu'ont été nos pères; en retracant leurs vertus, 
leurs dévouements, leurs sacrifices, leur puissance , 
rendre à chacun de nous lamour et le respect d’une 
cité qui a élé et qui sera toujours grande entre toutes 
les autres, par le cœur et l'intelligence ! 

Patriotisme et science : avec ces deux leviers, rien 
n’est impossible aux populations. Reims, Messieurs , 
si riche aujourd’hui des merveilles de son industrie, 


(1) L'Académie se propose d'éditer successivement une traduction 
de l’histoire de l'église de Reims, par le savant Flodoard; — les œuvres 
inédites de Gerbert, ancien archevèque de Reims, ete. 

(2) Les membres de l'Académie s’efforceront de suivre dans leurs 
travaux particuliers l'heureuse impulsion donnée par la compagnie. 
Plusieurs ont déjà fait ou préparent des publications précieuses pour 
l'histoire générale du pays de Reims. De ce nombre sont : Les toiles 
peintes el tapisseries de la ville de Reims , avec planches coloriées , 
par MM. L. Paris et Leberthais, grand in-4°, Reims, 1843 ; les Trésors 
des églises de Reims, par MM. Tarbé et Maquart, grand in-4°, Reims, 
1844; Durocort, ou Reims sous les Romains, manuscrit du chanoine 
Lacourt, publié et annoté par M. L. Paris, in-39, Reims, 1844; les 
Actes de la province ecclésiastique de Reims, recueillis et publiés sous 
la direction de Mgr Gousset, 4 vol. in4°, Reims, 1844; l'Histoire poli- 
tique, religicuse, lilléraire et artistique de loutes les paroisses du 
Diocèse, par le même ; la Dissertation sur les anciennes sépultures 
romaines, gauloises et rémoises, par M. Povillon-Pierrard, etc... 


ta = 

n’a qu'à le vouloir pour reconquérir, parmi les cités 
savantes, la place naturelle qui lui est due. — Malheu- 
reusement, la science a, comme les croyances religieu- 
ses, ses indifférents , ses incrédules , ses adversaires, 

Croirait-on qu'au moment où je parle, il est encore 
des hommes de bonne foi qui prétendent que la culture 
des lettres, des sciences ou des arts , est incompatible 
avec l'exercice des professions sérieuses. On ne sau- 
rait être, disent-ils , bon notaire, avocat ou médecin 
distingué, véritable industriel, qu’à la condition de 
rester toujours et exclusivement occupé des choses du 
notariat, du barreau, de la médecine , de l’industrie. 
— Sans doute, Messieurs, l’homme qui aurait l'esprit 
assez fortement trempé pour consacrer sans relâche sa 
vie à l'étude exclusive de sa profession, pourrait y ob- 
tenir une certaine supériorité spéciale ; mais Pesprit 
de l’homme a besoin, pour entretenir le libre jeu de ses 
ressorts , de délassement et de repos. Or, quel repos 
plus digne , quel délassement plus fructueux que des 
occupations nouvelles ?... 

Ne craignons pas de le dire, Messieurs , ce qui seul 
est incompatible avec l'exercice sérieux, honorable de 
toute espèce de profession , c’est l'ignorance, c’est la 
paresse, c’est l'inutile dissipation du temps précieux 
dont la vie est faite. Mais les distractions intellec- 
tuelles: mais étude des lettres . des sciences et des 
arts ; mais les méditations théoriques et spéculatives, 
loin de nuire à l'exercice des professions sérieuses , ne 
font que les relever et les rendre plus profitables au 
pays. « Ce n’est qu’en unissant ainsi, écrivait naguère 
«un savant académicien, ce n’est qu’en unissant les 
« travaux de la théorie à ceux de la pratique , l'étude 
« de la philosophie et de l’histoire à celle da droit, que 


« les magistrats honorent leurs charges, et qu'ils ac- 
« quièrent des titres réels à la considération publique 
« et à la faveur du gouvernement. » 

Ce que disait là de la magistrature Pillustre pro- 
cureur-général de la cour de cassation , peut et doit 
s'appliquer à toutes les professions. La variété des tra- 
vaux sera toujours le plus honorable des délassements, 
car c’est par l'étude, c’est par le travail que les hommes 
acquièrent , aujourd’hui plus que jamais, la véritable 
supériorité sociale | 

Mais à quoi bon , Messieurs, discuter une thèse que 
chaque jour l'expérience vient si hautement démentir ? 
Combien ne voyons-nous pas dhommes que la voix 
publique se plaît à citer pour modèles d’exactitude et 
de perfection dans leur état, et qui pourtant, à force 
de multiplier le temps par l’activité, savent donner en- 
core de précieux loisirs à la culture des sciences et des 
lettres ? 

Ces exigences sacrées du devoir et de la profession 
ne sauraient done ni ralentir nos propres travaux, ni 
faire obstacle au concours que nous attendons de tous 
les amis de la science. Que tous viennent à nous avec 
confiance et sécurité; car, pour nous, la science, c’est 
émanation de l’éternelle sagesse ; Cest la lumière fé- 
conde vers laquelle humanité doit incessamment mar- 
cher; en un mot, c’est la verité en tout... 

Ce n’est pas à dire que l’Académie ait l'ambitieuse 
prétention de tout savoir ; mais , à l'exemple des asso- 
ciations qui ont le courage, je dirai presque lPaudace 
généreuse de se vouer au saint apostolat de la science, 
elle veut encourager tout ce qui lui paraïtra BON, VRAI, 
BEAU, UTILE ; elle veut féconder de ses efforts, appuyer 
de ses éloges tout ce qui, dans les sciences , les arts , 


les belles-lettres , tendra à rehausser et à améliorer 
l'existence morale, physique et intellectuelle de 
l’homme. 

C’est dans cette voie large et libérale qwa jusqu'ici 
marché l'Académie de Reims. Au milieu du mouve- 
ment tumultueux et absorbant d’une grande ville , elle 
a élevé une tribune d’où elle a signalé à l'attention tout 
ce qui lui a semblé mériter intérêt et publicité. Inven- 
tions scientifiques ou industrielles , œuvres littéraires , 
recherches historiques , travaux de numismatique et 
d'archéologie, perfectionnements dans les arts, pensées 
philantropiques, elle a tout accueilli, tout soutenu, tout 
encouragé. Tant il est vrai qu’elle a déjà réussi à im- 
primer à Reims un mouvement, ou, si Pon veut , une 
sorte d'agitation intellectuelle très-remarquable , et 
qui est le symptôme d’une véritable recrudescence lit- 
téraire et scientifique. 

Du reste , vous allez pouvoir apprécier , Messieurs , 
la mesure de ce résultat, par le compte-rendu que va 
nous soumettre notre honorable et laborieux secré- 
taire. 

Pour moi, je ne crains pas de le proclamer, une in- 
stitution qui, en moins de trois années , a pu produire 
cette salutaire impulsion , est, dès-h-présent, un bien- 
fait ; sera pour lavenir une gloire pour le pays de 
Reims ! 

Remarquez, Messieurs, qu’en osant exprimer ici 
cette opinion, je ne fais que résumer les mille témoi- 
gnages de concours et de protection qui nous ont été 
accordés de toutes parts. 

Le roi, les ministres, les conseils de département et 
d'arrondissement, les fonctionnaires et les divers corps 
constitués se sont eflorcés de nous prodiguer les mar- 


SAR | 


ques les plus flatteuses d'appui et de sympathie (1). - 
Il y a plus, on a fait à l'Académie (eu égard sans doute 
à l'antique renom de la cité de Reims) un honneur au- 
quel elle n’avait pas d’abord osé prétendre. On ne s’est 
pas borné à suivre avec un intérêt marqué ses séances: 
mais les hommes le plus haut placés par les fonctions, 
par le caractère, par l'intelligence ; des hommes dont 
se glorifient le ministère (2), le parlement (3), l’insti- 
tut , le conseil d'état (4), la magistrature supé- 
rieure (5), n’ont pas dédaigné le lien de confraternité 
et de collaboration qui les unit désormais à l'Académie 
de Reims. 

Si je rappelle ces faits, Messieurs , ce n’est pas pour 
que nous en tirions vanité ; c’est pour que nous ayons 
foi en nous-mêmes; c’est pour que nous ayons confiance 
dans le résultat de nos efforts ; c’est surtout pour que, 
enhardis par le succès, nous puissions nous livrer, avec 


(1) S. M. a daigné souscrire, pour ses bibliothèques particulières , 
à l'Histoire de Reims de Dom Marlot, ouvrage inédit, publié aux 
frais et par les soins de l’Académie. M. le ministre dé l'instruction 
publique a également souscrit pour 25 exemplaires à cette importante 
publication. — Le conseil-général de la Marne a, sur la proposition 
du conseil d'arrondissement, voté en faveur de l’Académie une sub- 
vention de 700 fr., etc. 

(2) MM. Villemain, ministre de l'instruction publique, Martin 
(du Nord), garde-des-sceaux, Cunin-Gridaine, ministre de l'agri- 
culture et du commerce, ont accepté avec un bienveillant empresse- 
ment le titre de membres d'honneur de l'Académie. 

(3) MM. Houzeau-Muiron, député, membre titulaire; De Bussières, 
Nisard , Cayx, députés, membres correspondants. 

(4) P. Paris, Gauthier, Berger de Xivrey, de l'Institut, Raulin. 
maitre des requêtes, membres correspondants. 

(5) De Mont-Merqué et Chaubry, conseillers à la cour royale de 
Paris; Boulloche, avocat-général à la même cour; Dufaur-Monfort , 
drocureur-général à Nismes. 


La NA EC 


plus d’ardeur que jamais, à notre utile mission de pro- 
sélytisme scientifique. 

Peut-être qu'un jour , à cette mission purement in- 
tellectuelle viendra se joindre une autre attribution 
plus précieuse encore. 

Peut-être quelque cœur généreux voudra-t-ii con- 
fier à l’Académie de Reims la noble prérogative dont 
jouit à cette heure l’Académie française, prérogative la 
plus sainte et la plus glorieuse de toutes, puisqu'elle 
est une sorte de reflet terrestre du pouvoir de Dieu. 

Il serait beau , Messieurs, de voir l’Académie ré- 
moise récompenser à la fois les œuvres de l'intelli- 
gence et celles de la vertu ! 

Alors ces réunions publiques auraient une portée 
vraiment salutaire et patriotique! L'esprit n'aurait pas 
été seulement éveillé par les merveilles de la pensée ; 
le cœur s’ouvrirait aux douces émotions que fait naître 
le récit des bonnes actions ! 

Alors l'Académie pourrait doublement s’enorgueil- 
lir de sa création , car elle aurait enfin associé, dans la 
distribution de ses couronnes, deux choses qui ne de- 
vraient jamais être séparées, le talent et la vertu ! 


En terminant, Messieurs, je ne saurais trop vous re- 
mercier de l’insigne honneur que vous m'avez fait en 
me conférant la présidence de vos travaux. 

Cet honneur, que je ne méritais à aucun titre , je ne 
lai accepté que pour vous donner une preuve de ma 
gratitude et de mon respect. 

Heureux si, grâce au concours efficace que m'ont 
prêté le bureau et le conseil d'administration, j'ai pu ne 
pas trop faillir à mes devoirs, et conserver intacts les 
intérêts, les droits et la dignité de la compagnie ! 


COMPTE-RENDU 


DES 


TRAVAUX DE L'ACADÉMIE 
PENDANT L'ANNÉE 1843-1844, 


Par M. LANDOUZY, Secrétaire. 


Messieurs, 


Si, dès le premier compte-rendu de nos travaux , 
J'ai été forcé de réclamer votre indulgence pour une 
œuvre nécessairement uniforme et aride , à plus forte 
raison dois-je le faire aujourd'hui, que le zèle toujours 
croissant de l'Académie a encore augmenté les difficul- 
tés de ma tâche. 

Le but de ces rapports annuels est moins, vous le 
savez , d’examiner dans tous ses détails chacune des 
communications faites à la compagnie , que d’en indi- 
quer l’idée principale ; si nous vous en présentons l’a- 
nalyse, c’est pour que vous fassiez vous-mêmes la syn- 
thèse, et que, de tous ces documents réunis, vous jugiez 


m — 


si l’Académie est fidèle à l'esprit de sa fondation et à 
ses statuts organiques, c’est-à-dire, si elle travaille avec 
fruit au développement des sciences, des arts et des 
belles-lettres, si elle recueille avec zèle les matériaux 
qui peuvent servir à l'histoire du pays. 

Déjà, vous connaissez en partie ce que nous avons 
fait ; l'Académie savait trop bien son siècle pour pen- 
ser qu'aucune institution pùt vivre utilement dans 
l'ombre et la retraite; et, quoique les abus de la pu- 
blicité fussent chose trop patente chaque jour pour 
qu'elle pt les ignorer, elle n’a point voulu que labus 
fit exclure usage. A l'exemple des premières sociétés 
savantes du royaume dont le sanctuaire, autrefois im- 
pénétrable, est devenu publie aujourd’hui, elle a vou- 
lu que l'asile de ses travaux fùt accessible à chacun , 
quelles que fussent les dispositions de son esprit, cu- 
rieux, sévère, bienveillant ou envieux. 

« Mon cher Euthyphron , dit Socrate , au premier 
« dialogue de Platon , être un peu moqué n’est peut- 
« être pas une grande affaire ; car , après tout, à ce 
«qu'il me semble, les Athéniens s’embarrassent assez 
« peu qu’un homme soit habile, pourvu qu'il renferme 
« son savoir en lui-même ; mais, dès qu'il s’avise d’en 
«faire part aux autres, alors ils se meltent tout de 
« bon en colère, ou par envie, comme tu dis, ou par 
« quelque autre raison (1). » 


L'Académie n’a pas pensé qu'il pût en être à Reims, 
en 1840, comme à Athènes il y a 22 siècles ; elle n’a 
jamais admis, dans sa naïve philosophie, qu'aucun Ré- 
mois d'aujourd'hui pütse mettre en colère, Oououyreu, 
comme un Athénien d'autrefois, parce que quelques 


(1) Œuvres de Platon, par M. V. Cousin , tom. 1°", pag. 13. 


ET dE 
académiciens, réunis par le goût commun des sciences, 
se feraient part modestement de leurs modestes es- 
sais; aussi, ne demandant aucun éloge, ne redoutant 
aucun blâme, l'Académie continuera sa vie publique et 
exlérieure, persuadée en définitive qu'à tous égards , 
et pour les assemblées comme pour les individus , la 
critique est plus utile que la louange, 

La publication d’une partie de nos travaux , consé- 
quence de la publicité de nos séances , vous ayant ini- 
liés à nos études les plus importantes ; je devrai done 
passer rapidement sur certains points déjà connus. 

Ainsi, ne parlerai-je ni du recueil des Actes de la 
province de Reims, par notre savant archevêque, ni 
de l'Histoire des arts en France par les monuments 
de M. Herbé, ni des Trésors de nos églises, par 
MM. Tarbé et Maquart, ni même des premières livrai- 
sons de Dom Marlot , annotées par MM. Nanquette , 
Monnot des Angles, Bandeville et Gobet. 


Parmi les plus zélés explorateurs des temps anciens 
de la Champagne, doit se placer d’abord M. L. Paris, 
qui nous a donné, avec les manuscrits de Lacourt, des 
notes dont, malheureusement pour le savant chanoine. 
l'intérêt fera peut-être trop oublier le texte. 

Dans cette charmante édition , qui semble sortie des 
presses d'Elzevir (1), l'orthographe du mot Reims se 
trouve irrévocablement résolue par la proscription de 
la lettre h, introduite dans Reims au temps de la Re- 
naissance, 

Fidèle aux vraies traditions historiques, l'Académie 
avait , dès son origine, adopté, pour toutes ses publi- 


(1) A Reims, chez L. Jacquet, imprimeur de l'Académie, 


om de 


cations, la véritable orthographe émanée des plus an- 
ciens monuments, convaincue que, malgré la lettre de 
sa devise , servare el augere, elle devait ici conserver 
sans augmenter. 

Notre collègue nous a donné, en outre, une notice 
sur l’église dé St-Trézain d'Avenay. C’est à l’anathême 
fulminé par S. Trézain , le patron d’Avenay , contre 
les habitants d’'Ay, que M. Paris attribue leur chute 
dans le schisme de la huguenoterie; c’est aux divisions 
intestines créées par cet anathème entre les gens d’Ay, 
les messieurs de Mareuil et les... d’Avenay(je passe sous 
silence, par respect pour l’assemblée, l’épithète don- 
née par la légende aux habitants d’Avenay), c’est , 
dis-je, à ces divisions, que l’auteur rapporte ce re- 
frain, qu’on entend encore chanter tous les jours dans 
le canton , et qui donne une idée de la poésie locale à 
cette époque : 

Parpaillot d'Ay, 

T'es bien misérable ; 

T'as quitté ton Di 

Pour servir le diable ! 

Tu n'auras ni chien ni chat 
Pour te chanter Libera , 


Et tu mourras man-chrétien , 
Toi qu'a maudit saint Trézain 


Vers que je n’aurais osé reproduire ici, pas plus que 
le dicton populaire rappelé tout-à-l'heure, si la section 
d'histoire ne m'avait assuré que ces dernières expres - 
sions, d’un état qui n’est plus, sont indispensables à 
l'intégrité des souvenirs du pays. 

Nous avons recu de M. Povillon-Pierrard des ob- 
servations pleines d’intérêt, en réponse au mémoire de 
M. Dessain, sur l'achèvement de la cathédrale; des 
recherches précieuses sur la statistique historique 


=— 23 — 


des paroisses du diocèse ; et enfin deux mémoires sur 
les églises Saint-Jacques et Saint-André de Reims: 

De M. Louis-Lucas, le catalogue général et par- 
ticulier dressé par M. Lucas-Dessain, de toutes les 
médailles romaines trouvées à Lapion en 4820 , et à 
Trigny en 1821. 

De M. Duquenelle, un rapport sur deux médailles 
gauloises en or, trouvées à Cambrai par M. Failly, 
membre correspondant , et le catalogue raisonné de 
1,960 médailles romaines, en argent et billon, trouvées 
à Reims en Novembre 1843, et dont l’enfouissement 
datait de l'an 226 de l'ère chrétienne. 

De M. Ponsinet, membre correspondant à la Ferté- 
Aleps, plusieurs fragments historiques sur Claude de 
Liége , président aux traites foraines de Ste-Mene- 
hould; sur le chàteau de Grandpré, lun des plus an- 
ciens monuments ce notre province de Champagne ; 
sur l'église St-Médard de Grandpré, qui remonte au 
xir siècle, celte époque de transition où l’art chrétien 
s’emparait de l’ogive et s’essayait, jusque dans les plus 
humbles villages, à ces chefs-d’œuvre édifiés par des 
mains inconnues. 

Enfin, comme l’œuvre la plus importante, sans con- 
tredit, par la haute impulsion qu’elle donnera et qu’elle 
a déjà donnée à l'archéologie, il faut rappeler l’'instruc- 
tion adressée par Mgr lArchevèque à tous les curés 
de l'arrondissement de Reims et du département des 
Ardennes. Excitées en même temps par le précepte et 
par l’exemple, ces nouvelles études, outre qu’elles se- 
ront, pour les pasteurs des campagnes , un sujet des 
plus instructifs délassements , protègeront beaucoup 
d'anciens chefs-d’œuvre contre les dégradations ame- 
nées par l’incurie, contre les réparations infligées par 


PES e 


l'ignorance, et remettront en lumière une foule de do- 
cuments inédits, de chartes précieuses, de titres au- 
thentiques qui pourront servir utilement l’histoire lo- 
cale, et, par suite, Fhistoire générale du pays. 

Déjà, ces conseils partis de si haut ont porté leurs 
fruits, et l'Académie a entendu récemment, de M. Nan- 
quette , la monographie complète de l’église abbatiale 
de St-Nicaise, construite au plus beau temps du style 
ogival , sous la direction des deux plus grands maîtres 
du Moyen-Age, Hues Libergier et Robert de Coucy. 

Contrairement à ses devanciers, qui négligèrent tou- 
jours les merveilles architecturales de l’élégante basi- 
lique pour se consacrer tout entiers à l'explication du 
célèbre pilier tremblant, l’auteur fait prompte justice 
de tous ces paradoxes à l’aide desquels on proclamait 
comme miraculeux un phénomène dont pouvait rendre 
compte la statique la plus élémentaire , et avec ce ju- 
gement si droit qui peut rendre physicien même un 
archéologue, il confirme l'opinion déjà émise par Plu- 
che, que la grosse cloche, en vertu de son poids et de 
sa position vicieuse, imprimait aux tours un mouve- 
ment qui se transmettait surtout au pilier tremblant , 
parce qu’il était moins solidement fixé que les autres 
à la masse de l'édifice. 

Il est bon de remarquer, d’après l’auteur , qu'an- 
ciennement le premier pilier était en possession du 
mouvement qui a illustré le troisième ; que le second 
l’a eu à son tour, et que le troisième, enfin, a succédé 
aux deux autres. Le manuscrit cité par M. Nanquette 
ajoute qu'on fit cesser le tremblement du premier et 
du second pilier en les consolidant et en les reliant for- 
tement à la voûte ; le sieur Fleury, maître couvreur, 
empêcha également le troisième de trembler ; mais au 


passage de Louis XV, comme on voulait lui donner 
ie spectacle du pilier tremblant, le sieur Fleury, qui 
l'avait fixé, en recut de vives réprimandes et fut obligé 
de le désceller et de lui rendre la liberté de trembler. 

Cette monographie devant faire partie des Annales, 
je me garderai bien d’en diminuer l'intérêt en en par- 
lant davantage; j'ajouterai seulement qu’en entendant 
l’archéologue passionné, on croyait voir se redresser 
cet élégant portique et ces flèches aériennes qui dé- 
fiaient la métropole; on s’indignait avec lui de ce van- 
dalisme contre lequel la municipalité rémoise a protesté 
vainement; on s’associait enfin au vœu par lequel il 
termine son œuvre, en demandant la résurrection de ce 
monument, l’une des gloires de Reims, l’une des mer- 
veilles de Part chrétien. 


L'époque la plus obscure de l’histoire de la Cham- 
pagne est celle où elle était administrée par ses dues. 
M. E. Gallois, par de savantes et consciencieuses re- 
cherches présentées à l’Académie , a réuni tout ce que 
les sources originales pouvaient donner de renseigne- 
ments sur cette question controversée. Trompé néan- 
moins par des documents incomplets, il avait méconnu 
ou rejeté plusieurs ducs. Le rapporteur, M. Bande- 
ville, prouve par des témoignages contemporains l’exi- 
stence du duc Vimar, ou plutôt Vaimar, contestée par 
M. Gallois, qui avait cherché ce personnage à une épo- 
que fausse. M. Bandeville rétablit aussi le duc Ar- 
nould, dont M. Gallois n'avait fait aucune mention, et 
relevant, avec cette science qu'on lui connaît, certaines 
erreurs de M. Beraud , auteur de l Histoire des comtes 
de Champagne, il démontre comment elles ont causé 
une partie des inexactitudes de M. Gallois. 


ER 2 


L'Académie a reçu en outre, de M. Bandeville, une 
dissertation profonde sur l'établissement du christia- 
nisme à Reims. 

L'auteur combat surtout, dans ce travail, Fopinion 
née au vin siècle, que l’église de Reims remontait au 
temps des apôtres, et à l’aide des plus anciens témoi- 
gnages, il élablit que la mission de nos premiers évè- 
ques a eu lieu seulement vers la fin du 111° siècle. 

Au nombre des travaux historiques viennent se pla- 
cer encore le projet de M. Pinon , sur l'érection d'une 
statue à notre concitoyen Colbert, cette gloire , Pune 
des plus pures du grand siècle. 

Nous devons mentionner aussi, les biographies de 
De Perthes et de Germain, par M. Max-Sutaine ; car 
de l'histoire particulière de chacun des artistes conci 
toyens, dérive sans contredit l’histoire générale des 
arts dans la cité. H est toutefois un danger auquel suc- 
combent la plupart des biographes et qui, il faut la- 
vouer, enlève presque toute valeur à leurs travaux, 
C’est cette incontestable tendance à élever outre me- 
sure les hommes dont ils veulent sauver le souvenir, et 
à faire de toutes pièces, après la mort, des génies qui 
furent souvent de très-humbles talents pendant leur 
vie. Hâtons-nous de le dire, les études biographiques 
de notre collègue ont toujours paru complètement à 
labri de ce reproche, particulièrement pour Germain , 
dont les œuvres avaient souvent été louées avec une 
exagération qui rendait beaucoup plus difficile la tàche 
du critique. 


Les vers se disent et ne s’analysent pas, malheureu- 
sement pour l’assemblée ; aussi suis-je réduit à vous 


ER A 


énumérer sèchement comme l'an dernier, les titres seuls 
de nos poésies. 

Nous rappellerons d’abord une pièce dont l'Académie 
n’a pas voulu prendre le sujet au sérieux, c'est-à-dire, 
les adieux d’un septuagénaire à ses muses, par M. Po- 
villon-Piérard , à qui la poésie latine est aussi fami- 
lière que la versification française ; 

Les conseils à une jeune fille, par M. A. Mathieu , 
de Paris; 

Le mouton fabuliste , par M. Gobet ; 

Les chants du soir, par M. Pauffin , membre corres- 
pondant à qui Académie a voulu prouver toute sa sym- 
pathie en lui décernant aujourd’hui une médaille d’ar- 
gent. Je devrais donner à l'appui decette marque d'in 
térêt , le rapport de la commission sur les poésies de 
M. Chéry Pauffin : je préfère lire simplement une let- 
tre adressée, il y a quelques jours, au poëte par M. Vic 
tor Hugo, qu’on soupconnera moins de partialité. 

« Je lis vos beaux vers, Monsieur, moi que le deuil 
accable et rend muet, et en échange des nobles stro- 
phes que vous m’adressez, je serais tenté de vous en- 
voyer ce vers que j'écrivais autrefois : 


« Après avoir chanté, j'écoute et je contemple. 


«C’est votre tour maintenant ; vous êtes de la géné- 
ration autour de laquelle rayonnent la vie et lavenir. 
Allez, Monsieur, répandez la saine poésie, semez les 
nobles idées ; expliquez la nature et l’homme par Dieu ; 
expliquez Dieu par l'homme et par la nature : c’est là 
aujourd’hui la mission des poëtes; jamais elle ne fut 
plus grande ; jamais elle ne fut plus utile. 

« Vous avez un beau talent; ayez une belle desti- 


née ! 


«7 Mai 1844. Vicror HUGO. » 


= = 


Je citerai encore l’épitre à l'Académie par M. Ernest 
Arnould ; 

Une ode tirée du cantique de Moïse, et une autre 
sur le jugement dernier, par M. Monnot des Angles ; 

De M. Clicquot, Le Vœu du poëte; les stances au 
comte d’Erlon; plusieurs odes traduites d'Horace, et 
la Neige et les Enfants: 

De M. Galis, la Taupe au congrès des animaux, les 
Grenouilles voisines , Anon etle Loup, les Souhaits 
du renard , Lucas et son âne, la Femme et la Boite ; 

De M. Wagner, la Rose et le Pavot , les deux Epis, 
le Cochon et la Fourmi, la Pie et le Hibou, l'Eau bé- 
nite, lOmelette au lard et la culotte de peau. 


La savante Académie des Arcades recoit les femmes 
au nombre de ses membres, mais, je me hâte de le dire, 
pour la poésie seule; l'Académie de Reims , tout en 
pensant comme les Arcadiens de Rome, que le culte 
des Muses est peut-être le seul genre littéraire propre 
à la femme , qui veut conserver intactes téutes les qua- 
lités spéciales à sa nature, n'aura jamais Pimprudent 
orgueil d'attirer dans son sein les Muses en personne ; 
mais elle accueillera toujours avec reconnaissance leurs 
inspirations, et dans son vif désir de les encourager, 
elle décerne aujourd’hui à mademoiselle Sophie Mané- 
glier une médaille d'argent, pour les vers qu'elle lui a 
soumis, en attendant que grâce à quelque nouvelle 
Clémence Isaure, nous puissions , comme l'Académie 
des jeux floraux, offrir chaque année aux poëtes pré- 
férés l’églantine d’or ou le souci d'argent. 


Comme transition naturelle de la poésie à la prose, 


mew 


Éd = 


nous rappellerons une Esquisse au pastel de M. Robil- 
lard, dans laquelle se trouve dessiné avec un fini dé- 
licieux , ce monde à part qui s'était formé dans la der- 
nière moitié du règne de Louis XIV, sous l'influence 
de madame de Maintenon particulièrement, et dont 
quelques vestiges brillants se voyaient encore en 1825, 
chez la vicomtesse de Nielles, «la femme de Paris qui 
savait le mieux tenir un salon. » L'auteur avoue qu'il lui 
arrive de regretter parfois ces élégantes traditions du 
passé, comme tout ce qui a eu son éclat véritable, son 
harmonie passagère. 

Nous avons entendu encore de M. Robillard quelques 
reflexions à propos du roman moderne , avec cette épi- 
graphe espagnole : Papel por cigaritos, Papier pour ci- 
garres. Prenant le roman au berceau pour le suivre 
jusqu’à la décrépitude, si Pon peut ainsi dire, M. Ro- 
billard préfère à toute cette littérature désordonnée les 
anciens fabliaux de nos pères et jusqu'aux contes de 
notre enfance , Peau-d’âne ou la Barbe-Bleue. On ne 
peut analyser, du reste, les œuvres dont l’espritet Pex- 
pression font le principal mérite, aussi me borné-je à 
souhaiter que nos romanciers modernes demandent 
souvent à l’auteur de nouveau papier pour cigarres , 
surtout s'ils pouvaient s'inspirer du style et du bon 
gout des cigaritos. 

M. Robillard nous a aussi donné la Suite d'un voyage 
en basse Normandie, commencé l'an dernier. L'auteur, 
comme vous savez, n'est, à proprement parler, qu'un 
flaneur qui voyage uniquement pour voyager , empor- 
tant avec lui cette douce mélancolie que Montaigne a 
grand raison d'appeler friande. Eselave soumis des 
objets qui l'affectent, il leur appartient et les réfléchit 
tour-à-tour de manière à les peindre ; regardant tous 


un e 


les points de vue, écoutant tous es causeurs, souvent 
artiste, toujours philosophe, il essaie de tous les 
bancs, se repose en tout lieu, et, bien que le récit flâne 
alors comme le voyageur, on se prend à regretter qu'il 
ne flàne pas plus longtemps. 

Dans un genre différent, Mi. Paris nous a lu l’ Aulo- 
graphomanie, tableau physiologique dans lequel se 
trouve esquissée chaque espèce de collectionneurs mo- 
nomanes, el particulièrement l’autographophile. 

Ce n’est pas le moins du monde, selon M. Paris , le 
texte d’un manuscrit qui touche l'amateur d’auto- 
graphes, c’est la forme des mots. Par de simples vir- 
gules, il devine, à coup-sür, le caractère, la profession, 
l’âge, le sexe et même la figure des gens. Le style est 
l’homme , a dit Buffon ; l’autographile va plus loin , et 
ne craint pas de dire: le style c’est l'écriture. « Et en 
«effet, ajoute M. Paris, l'écriture de Louis XIV était 
« grandiose, noble et ferme comme son caractère ; 
« celle de Fénélon , toujours posée, toujours régulière, 
«toujours sereine comme son àme ; celle de Bossuet, 
«rapide et tumultueuse comme un torrent; Jean- 
« Jacques,qu'on croit passionné, n’était qu’un sophiste, 
«un homme étudié, ses lignes semblent faites à la mé- 
« canique ; quelle différence avec Mirabeau, ce talent 
« d'inspiration, de fougue et d’emportements! son 
«écriture est brisée, précipitée; ne remarque-t-on 
«pas dans l'écriture maigre , léchée , aigue de Robes- 
«pierre, toute l’âpreté et la perfidie de son caractère ? 
« voyez au contraire celle de Danton, large , brutale, 
«incohérente et boueuse comme sa vie; doutez-vous 
« que dans celle-ci, rapide, anguleuse et pleine d’a- 
« bréviations hachées, on ne reconnaisse facilement 
«Fimpatience et la fougue de l’écolier de Brienne? 


rs 


J'ai examiné avec soin ce manuscrit de M. Paris, 
dans l'intention de vérifier l’infaillibilité de sa doc- 
trine, et, effectivement, jy ai découvert les signes qu'il 
donne comme appartenant exclusivement à l'écriture 
du bibliothécaire, du numismate, j'allais dire de lau- 
tographophile. 

Nous devons classer aussi dans la section des belles 
lettres , les études esthétiques , encore présentes au 
souvenir de tous, que M. Courmaux a consacrées à un 
tableau important de M. Destouches, peintre rémo:s 
déjà célèbre , et un compte-rendu par le même auteur 
du i®™ volume de nos Annales, précédé de considéra- 
tions sur le rôle des académies de province et sur la 
part d'initiative qu’elles sont appelées à prendre dans 
le mouvement intellectuel du siècle, 

Les remarquables rapports de M. Macquart sur les 
travaux de l'académie du Gard, et sur l'Histoire des 
monuments du vieux Paris, par M. Pernot ; de M. Go- 
bet, sur les Fables de M. Bourgain, de Sedan, et sur le 
projet d'inscription funéraire demandée à l'Académie 
par l'autorité municipale, pour perpétuer le souvenir 
du dévouement de M. le docteur Chabaud , pendant 
le typhus épidémique de 1839 et 1840 ; de M. Geof- 
froy de Villeneuve, sur la première série des Annales 
scientifiques du département de l'Eure ; de M. Paris, 
sur les deux premiers volumes de l'Histoire de France 
de M. le comte de Ladevèze : de M. Robillard, sur les 
Mémoires de la Société de Calais : ceux de M. Monnot 
des Angles : le premier, sur les Annales de la société 
de l'Aube; le second, sur un Exposé de la composition 
littéraire, présenté à l'Académie par M. Gouniot, et 
dans lequel le rapporteur signale des qualités propres 
à faire oublier les ouvrages antérieurs au traité dont 


er E 


il donne l'analyse ; enfin, de M. Contant , sur les ou- 
vrages consacrés par M. Charpentier à l’instruction de 
la jeunesse. 

Dire que les ouvrages dont il est question dans le 
rapport ont été couronnés deux fois par la société 
d'encouragement pour l'instruction primaire : dire que 
M. Jouffroy, dans ses conclusions , touchant le ma- 
nuscrit de M. Charpentier relatif aux écoles normales, 
exprime hautement le désir de voir ce travail livré à 
la publicité, c’est rendre assurément toute analyse et 
tout éloge superflus. 


Les beaux-arts se confondent presque avec les belles- 
lettres, aussi rappellerai-je immédiatement l’autel du 
Saint-Laict, l’un des anciens chefs-d’œuvres de la 
cathédrale de Reims, gravé par M. Leberthais, à la 
demande de M. Paris ; 

Les jetons de présence de l’Académie, dont nous de- 
vons le dessin à MM. Macquart et Sutaine , et la gra- 
vure à M. Pingret, notre correspondant ; 

Une vue de Reims, prise du rempart Dieu-Lu- 
mière, et exécutée au lavis lithographique ; un dessin 
représentant le portail de Saint-Nicaise, et un autre 
les médailles nécessaires au texte de dom Marlot, par 
M. Maquart. 

M. Boudié, de Reims, dont le talent est justement 
apprécié depuis longtemps, a été chargé de lexécu- 
tion sur pierre de cette deuxième planche. 


Dans les sciences morales et politiques, l'Académie 
a entendu 


— 33 — 

De M. Bonneville plusieurs fragments d’un ouvrage, 
trop loué par tous les organes sérieux de la jurispru- 
dence pour qu’il me soit permis d’en parler, sur le 
système de pénalité de l’ancienne législation francaise 
et européenne à l'égard des récidivistes ; 

De M. le comte de Mellet, un mémoire sur les régé- 
nérations sociales ; 

De M. Carville de Champrond , deux projets sur les 
apprentissages des professions publiques et sur lor- 
ganisation des banques ; 

De M. Levesque de Pouilly, un mémoire sur le com- 
merce des Indes orientales, que l’auteur a pu étudier 
sous tous ses points de vue , comme attaché à la ma- 
rine de la compagnie des Indes; 

De M. Houzeau le programme des questions à adres- 
ser à M. Rondot , notre regrettable confrère , pendant 
son voyage en Chine, et spécialement sur les procédés 
de filage, de tissage et de teinture: sur les conditions 
du travail, sur la corrélation entre le salaire et les dé- 
penses ordinaires de la vie; sur le forage des puits 
artésiens, ete ; 

De M. de Belly, un rapport très-peu favorable à 
l’auteur, sur la statistique générale du département de 
la Marne, et en particulier sur Particle Reims, écrit il 
y a un mois à peine, et qu’on croirait daté d’un siècle, 
tant on a tenu peu de compte du développement pro- 
gressif de notre cité ; 

De M. E. Gonel, plusieurs lectures pleines d’un in- 
térêt actuel, sur la législation charitable et sur les 
moyens de réprimer la mendicité. 

Après un historique complet des dépôts de mendi- 
cité, de leur origine, de leur décadence et de toutes 
ces influences politiques qui réagissent jusque sur les 


re 


mendiants, l’auteur termine par l'examen d’un projet 
de dépôt de mendicité pour deux départements voisins, 
suivant le régime de communauté prescrit pour les 
maisons d’aliénés. Sans vouloir considérer les choses 
dans leur application administrative, la compagnie a 
dů voir néanmoins avec une juste satisfaction, ces doc- 
trines exposées par l’auteur, parfaitement d'accord 
avec celles de la Mairie de Reims, à qui lon devra 
bientôt un établissement depuis longtemps désiré, et 
qui rentre évidemment dans le système de contrainte 
auquel M. Gonel donnait la préférence dans ce travail. 


Bien que l'Académie de Reims n'ait point écrit 
comme celle d'Athènes, au dessus de ses portes 
nul wentre ici, S'il west géomètre (et vous savez que la 
géométrie résumait à cette époque presque toutes les 
sciences exactes), la section des sciences nous a fourni 
comme l'année dernière un grand nombre de précieux 
travaux. 

C'est qu'il est facile, en effet, de trouver dans 
les sciences mathématiques et dans les sciences natu- 
relles des points spéciaux à élucider, des régions com- 
plètes à explorer; c’est que, particulièrement en phy- 
sique, en chimie, en médecine, en histoire naturelle , 
tout expérimentateur patient , tout observateur atten- 
tif, peuvent être certains, s'ils mesurent toutefois , 
comme Horace, la matière à leurs forces , de donner, 
pour chaque question longuement méditée, sinon une 
solution complète, au moins des éléments qui aideront 
beaucoup à la résoudre. 

Par quoy, a dit Montaigne, que je citerais plus 
souvent encore, si l’on ne devait craindre Pabus des 


qu 
— J9) — 


meilleures choses : Par quoy, ne soyons si simples et 
si paresseux , de nous reposer et endormir sur le labeur 
des anciens, comme s'ils avoient lout sceu ou tout dit y 
sans rien laisser à excogiter, el à dire à ceux qui vien- 
droient après eux. 

En tête des investigateurs les plus zélés, on pourrait 
dire, à son honneur, les plus passionnés, il faut placer 
M. de Maizières, dont M. Tarbé de Saint-Harduin 
vous a fait connaître l'an dernier le genre particulier 
d'esprit, et qui cherche à résoudre toutes les ques- 
tions les plus ardues à l’aide des seuls calculs mathé- 
matiques. 

Parmi les nombreux travaux qu'il a soumis cette 
année à l’Académie, je citerai surtout : 1° un mémoire 
sur les vents alizés dans lequel, notre collègue re- 
jetant la cause attribuée au vent d'est équatorial, la 
rapporte à l'impulsion du fluide solaire sur la masse 
d’air qui enveloppe le globe terrestre, et parvient à 
déduire des calculs basés sur cette hypothèse, que Pa- 
tome de lumière est le trillionième de l'atome d'air; 
2° un mémoire sur la cause unique des vents irrégu- 
liers généraux , attribuée par l’auteur au contre-cou- 
rant supérieur qui entraine de l'équateur vers le nord- 
ouest dans notre hémisphère, des masses énormes de 
bulles d'air et d’eau, saturées de calorique, élevées 
de la zône torride par la puissance de la vaporisation; 
3 un travail sur deux ouragans observés en un siècle 
sur la côte nord-est des États-Unis. Chaque fois, quoi- 
que le vent soufflàt du nord-est , la tempête régnant 
sur une côte de 300 lieues, a commencé au sud et a cou- 
ru vers le nord avec une vitesse de 40 lieues à l'heure. 

Notre collègue réfute l'ancienne explication , fondée 
sur une grande raréfaction opérée sur le golfe du Mé- 


xique. Pour que cette explication , la seule admise jus- 
qu'ici dans la science, fùt vraie, il faudrait, d’après 
M. de Maïzière, que la colonne barométrique, qui ne 
baisse, dans nos plus grandes tempêtes, que de 5 cen- 
timètres sur 76, eùt cette fois baissé de plus de 50 
centimètres. . . . ! I faudrait de plus que, sur chacune 
des 32 aires de vent, à lentour de l'horizon du golfe, 
il eût régné chaque fois une tempête aussi effroya- 
ble que celle observée sur la côte nord-est des États- 
Unis ! !! 

L'auteur explique le phénomène par un immense et 
unique torrent aérien , d’un lit de plusieurs centaines 
de myriamètres de longueur, existant d'abord en une 
haute région, dans le plan nord-est du Mexique, son 
axe étant dirigé vers le golfe, sous un grand angle 
comme 50° ; mais le fleuve se condensant, par suite des 
résistances opposées à son mouvement rapide, le lit 
tout entier du torrent tombe, en vertu de la gravité, 
d'un mouvement accéléré, les points successifs de la 
chute, parcourent rapidement la ligne nord-est en 
montant du sud au nord ; età chaque nouveau contact 
du torrent sur la terre, il exerce ses ravages dans une 
sphère circonscrite autour de ce centre. 

4° Des rapports pleins d'intérêt sur les bulletins de 
la société d’'horticulture de Seine-et-Oise ; sur les meil- 
leurs procédés propres à détruire les insectes nuisibles 
à la vigne, eten particulier sur l'échaudage des ceps , 
sur le flambage des échalas proposé par nos collègues 
M. Raclet de Romanèche et M. le docteur Dagonet de 
Chälons. 

5° Enfin, de nombreux documents fournis à la com- 
mission chargée de l'examen du brise-bouteille inven- 
té par M. Rousseau. D’après des expériences et des 


=x e 


Shi — 


arguments qui lui sont propres, M. de Maizière établit 
qu'on associerait avec le plus grand avantage le brise- 
bouteille à son paracasse. 

« En employant isolément le brise-boutcille, dit 
M. de Maizière, les faits et le raisonnement s'accordent 
pour prouver qu'après une première dépense d’au 
moins 2 centimes par bouteille, on ne parviendra qu’à 
réduire entre 12 et 6 pour 100 la casse, durant l’épo- 
que critique de la fermentation, c’est-à-dire, qu'on fera 
dépenser au producteur 8 à 14 centimes par bouteille. 

« Tandis qu'en associant le casseur au paracasse et 
à mon compas d'épaisseur, on fera précéder le tirage 
d'un choix de bouteilles d’une force garantie, sans qu'il 
en ait coûté rien en définitive au producteur. 

« Nulle bouteille ne cassera durant le travail de la 
mousse, parce que le paracasse protége le verre , fut- 
il mince comme le papier, et alors même que la fer- 
mentation la plus furieuse aurait porté à 80 pour 100 
la casse du pareil vin, conduit selon la routine. 

«A Ja sortie du paracasse, le verre rentrant dans 
lair libre, nulle bouteille ne cassera en vertu du choix 
judicieux préalable. 

« Enfin, il wen coûtera au producteur que les 2 cen- 
times un quart, pour la valeur et la pose du para- 
casse. » 

Je devrais m'étendre davantage sur les œuvres de 
notre savant confrère, mais il serait à craindre que ses 
déductions si complexes ne pussent être appréciées 
à une simple analyse. J'ajouterai seulement, comme le 
fait le plus remarquable dans les travaux qui nous 
occupent , leur connexité et leur enchaïnement réci- 
proque. « Tout se lie, vous a dit dernièrement M. Gar- 
« cet, dans les travaux de M. de Maizière, et la solu- 


3 
» 


sn Ti 


« tion qu’il vous présente aujourd’hui est toujours l'ap- 
« plication des idées dont il vous a entretenus hier. 
« Pour lui, la théorie des ondulations de la lumière 
«n’est qu'une aberration d’un esprit distingué ; pour 
« lui, la lumière et la chaleur sont un seul et même 
« corps matériel, pesant , soumis aux lois de l’attrac- 
«tion , et doué de la vitesse de 77,000 lieues par se- 
« conde. Il a fait et imprimé d'immenses calculs pour 
«démontrer que le poids d’un atome de calorique 
« n’est pas la trillionième partie du poids d’un atome 
« d'air, et que cependant la grandeur de sa vitesse 
«suffit pour compenser amplement dans les chocs la 
«ténuité de sa masse. Aussi est-ce au choc de la lu- 
« mière du soleil levant contre Pair, qu'il attribue l'é- 
«lément est du vent alisé des tropiques; aussi nie-t-il 
« l’existence de la force répulsive du calorique , et 
« veut-il expliquer la constitution intime des corps par 
«la seule attraction newtonienne. » 

L'Académie partage à l’égard des travaux de M. de 
Maizière l’opinion de son rapporteur ; elle connaissait 
trop, pour formuler un jugement irrévocable, les vi- 
cissitudes de toutes les doctrines, même de celles qui 
paraissent dériver le plus directement des sciences 
exactes. 

La compagnie a été plus explicite à l'égard du pla- 
nisphère soumis à son examen par M. Chemin, pour 
calculer la distance de deux points quelconques du 
globe, ne pouvant servir que pour le cas où deux 
lieux seraient sur le même méridien, ou sur le même 
parallèle. 

L'Académie, tout en appréciant les talents de Pau- 
teur, s’est vue forcée, sur le rapport de M. Garcet, 
de refuser son approbation à ce travail. 


Gi) — 


Nous avons recu de M. Garcet un autre rapport au 
sujet du mémoire de M. Dérodé-Géruzez sur les dan- 
gers que présentent les chemins de fer en temps d’o- 
rage : et quoique la commission ait pensé, comme 
M. Dérodé, que le vide mathématique produit derrière 
les wagons par la vitesse des convois dût faciliter 
l'explosion de la foudre, néanmoins elle n’a pas cru 
qu'il pùt en résulter de dangers imminents pour les 
voyageurs, car le fluide électrique suivrait de préfé- 
rence les ferrements et les rails, qui feraient ainsi fone- 
tions de paratonnerre. 

Enfin, le compte-rendu des séances de l'Académie 
des sciences (partie mathématique) pendant le premier 
trimestre de 1843. 

Dans ce rapport que , comme tous les hommes d’un 
savoir vrai et profond , il sait rendre intéressant pour 
tous, poëtes, théologiens ou jurisconsultes, M. Garcet 
a principalement insisté sur les travaux mathémati- 
ques de l’ancien archevêque de Reims, Gerbert, in- 
venteur de horloge à balancier , auteur du Traité sur 
les nombres , et dont la science était telle , qu'à Rome, 
comme à Reims, elle le faisait passer pour sorcier, 
alors même qu'elle l'avait fait élire souverain pontife. 


Au premier rang de nos travaux en histoire natu- 
relle doit se placer le mémoire de M. Saubinet sur les 
mousses et les fougères des environs de Reims. L'au- 
teur a mentionné particulièrement, parmi les mousses, 
sous le point de vue de l'élégance, le didymodum pur- 
pureum, le lypnum splendens, proliferum, et le funa- 
ria hygrometica, qui, par sa sensibilité aux variations 
atmosphériques , pourrait servir d'hygromètre au 


"+ 


bûcheron. Sous le point de vue de l'utilité, le po- 
lytrichum , très-abondant dans tous nos bois, et qui 
pourrait être, comme dans les Ardennes, employé 
avec avantage faire des brosses. 

Parmi les fougères, la pleris aquilina , que l’auteur 
recommande pour la conservation des fruits et des 
raisins ; l’asplenium , le polypodium, ladianthum , 
très-communs aux environs de Reims , et qu’on em- 
ploie utilement en médecine. 

il serait superflu de signaler les services que peu- 
vent rendre à la science et à l’industrie ces mono- 
graphies spéciales qui nous indiquent le lieu précis où 
se trouve chaque plante, les caractères qui la distin- 
guent, et l'usage auquel elle est propre. 

Nous avons vu souvent nos botanistes, MM. Saubi- 
net, de Belly, Lecomte , revenir le soir, après avoir 
marché tout le jour , ayant cherché, quelquefois en 
vain, une fougère, un champignon, un lichen dont ils 
soupconnaient l'existence sur quelque lisière isolée 
d’un bois, et à la recherche desquels ils promettaient 
bien de retourner le lendemain. Et, quand on pense 
que c’est seulement en plein hiver qu'il est possible 
de bien étudier les plantes cryptogames, on ne sait 
vraiment lequel on doit le plus admirer des mer- 
veilles de la botanique ou du zèle des botanistes. 

En histoire naturelle didactique, nous mentionne- 
rons les lecons élémentaires à l'usage des gens du 
monde, que M. Grosjean, de Fismes, Pun de nos plus 
studieux correspondants , a soumis à l'examen de 
l'Académie. 

Dans un rapport qui vous initie presque à tout Pou- 
vrage, M. de Belly vous a fait apprécier avec quelle 
lucidité l’auteur a su mettre à la portée des esprits les 


à M$ = 


moins scientifiques , non-seulement la classification 
des plantes, mais l'étude de leurs fonctions , le jeu de 
leurs organes, et la notion de leurs principaux usages. 

Malgré les éloges bien mérités que le rapporteur 
donne à M. Grosjean , il est quelques points spéciaux 
sur lesquels il cesse d’être d'accord avec lui, et parti- 
culièrement sur les fonctions du bourgeon, sur les ra- 
cines pivotantes, sur la définition de lovule. Nous nous 
garderons bien de nous mêler ici à ces questions de 
physiologie végétale, et, d’ailleurs, Fempressement 
avec lequel sont communiqués tous les rapports per- 
met que ces divergences se vident toujours facilement 
au profit de la science, entre l’auteur et le rapporteur. 


En geologie, l'Académie a recu de M. Rondot une 
série de fossiles caractéristiques , des argiles à li- 
gnites des environs de Rilly, et des marnes inférieures 
au gypse de Ludes ; — une argile fluvio-marine, su- 
périeure aux sables de Beauchamps, découverte à Her- 
monville par M. de St-Marceaux ; une mâchoire en- 
tière d'ours fossile (ursus spelœus de Blumenbach) de 
la caverne du Vaucluse ; — enfin, un squelette fossile 
trouvé dans des alluvions anciennes à Isse, près Con- 
dé-sur-Marne, et qui offrait tant d'intérêt pour la 
paléontologie , que les professeurs du muséum de 
Paris en ont sollicité avec instance une partie pour 
leur collection. Ce squelette provenait du bos primi- 
genius, que Cuvier croit la souche de nos bœufs 
domestiques. —— De M. Querry, un rapport sur la 
géologie du département des Ardennes, par MM. Sau- 
vages et Buvignier;—de M. Bazin, un mémoire sur le 
hanc coquillier de Cuisse-Lamotte, près Compiègne 
(Oise), et une collection de coquilles fossiles de l'Oise, 


=. 5 tn 


classées et cataloguées par M. Aubriot , et que l’Aca- 
démie a offertes au musée de Reims. 

En économie agricole, vous avez entendu la lecture 
d’un mémoire important sur la race chevaline dans 
l'arrondissement, par M. Demilly, aujourd'hui membre 
correspondant. 

De M. Geoffroy, une note sur les considérations à 
l’aide desquelles pourrait être déterminée la nature 
de notre sol forestier au moment de l’invasion romaine, 
et sur l’époque et l'influence du déboisement des crètes 
de la Champagne. 

De M. le vicomte de Brimont, deux rapports : le 
premier, sur les principales industries agricoles du 
département, et sur lopportunité d'éclairer cette 
question en la soumettant au concours ; le deuxième , 
sur un travail adressé pour le concours de 18%% par 
M. Auger, cultivateur à Courcy , dont les heureux ef- 
forts en faveur de l’agriculture ont paru à la commis- 
sion dignes d'encouragement. Suivant les conclusions 
de l'honorable rapporteur , et pour prouver surtout 
qu’elle n’attache pas moins d’intérèt à la culture de la 
terre qu'à la culture des lettres, la compagnie a voté 
une médaille d'argent en faveur de M. Auger. 

En chimie, je signalerai les considérations présen- 
tées récemment par M. Bergouhnioux , sur les chan- 
gements qui s’opèrent dans les liquides combinés à des 
gaz, lorsqu'ils traversent des tubes capillaires. Cette 
observation a d'autant plus d'importance et d’actua- 
lité, que, dans plusieurs méthodes proposées aujour- 
dhui, le vin de Champagne traverse , à l’aide d’une 
compression énergique, des tubes d’un étroit diamètre, 
et que, dans ce trajet, la combinaison d’acide carbo- 
nique pourrait être détruite en partie. 


EE MR. 


Une note de M. Urban, médecin à Isle, sur les dif- 
ficultés que rencontre la chimie expérimentale dans 
la fusion des substances réfractaires, et sur un nouvel 
appareil qu'il appelle forge portative , et qu'il pro- 
pose de substituer en même temps à la lampe d’é- 
mailleur, au fourneau de Misteherlicht et aux forges 
d'ateliers privés. Un creuset de Hesse, contenant 100 
grammes de métal de cloche, a été soumis par la com- 
mission au feu de cette forge, et, en moins d’un quart 
d'heure, la fusion a été complète ; celle de l'argent 
monnayé n'a pas duré cinq minutes : expériences suf- 
fisantes pour montrer toute l'intensité de la chaleur 
obtenue. 

Malgré quelques critiques de détail, malgré quel- 
ques remarques sur certaines modifications à intro- 
duire dans la forme du foyer, pour le rendre encore 
plus actif, la commission n’a pas hésité à recomman- 
der cette invention à la compagnie, et, conformément 
aux conclusions du rapporteur, M. Duquenelle , une 
médaille de bronze a été accordée à M. Urban , à titre 
d'encouragement. 

En zoologie, M. V. Mareuse, membre correspondant, 
nous à envoyé , outre une monographie complète sur 
les serricornes, un essai sur les nécrophages de 
France , insectes de la tribu des coléoptères , c'est-à- 
dire des plus intelligents : vraie famille de croque- 
morts et de fossoyeurs , suivant l'expression du rap- 
porteur, M. Fanart, et dont les fonctions consistent à 
ronger ou à enterrer les cadavres des petits animaux, 
dans le but providentiel de prévenir des émanations 
nuisibles , et d'entretenir constamment la pureté de 
Pair. On jugera de la promptitude avec laquelle pro- 
cèdent les nécrophores par une expérience catégo- 


<= y 


rique : enfermés sous une cloche de verre , on les vit 
enterrer, dans l’espace de trente jours, quatre gre- 
nouilles , deux sauterelles , les entrailles d’un poisson 
et deux poumons de bœuf. C’est à peu-près , ajoute le 
rapporteur, comme si quatre hommes enterraient, dans 
le même espace de temps, deux ou trois baleines , et 
encore, n’est -ce pas assez dire , car l’homme diminue 
son travail au moyen des instruments qu’il emploie. 

Du reste, l'instinct des nécrophages est tei , qu'un 
naturaliste voulant faire dessécher une grenouille, et 
l'ayant placée au sommet d’un bâton planté en terre , 
afin d'éviter qu’ils ne vinssent l'enlever, ces insectes 
creusèrent sous le bâton, et, après l'avoir fait tomber, 
l'ensevelirent, ainsi que la grenouille. 


Dans les sciences médicales , Académie a recu de 
M. le docteur Mopinot, de Fismes, membre correspon- 
dant, la relation d’un cas d’hydrophobie déclaré après 
une période d’incubation de sept mois : observation 
très-importante, sinon unique, dans les annales de la 
science , par le fait de la guérison du chien qui avait 
inoculé la rage. 

De M. Lesure fils, d’Attigny , un mémoire sur l'é- 
pidémie de scarlatine qui a régné dans la commune 
de Saulces-Champenoises (Ardennes), en 1840. Une 
circonstance digne d'être méditée par les économistes 
a été signalée par le rapporteur de ce travail, c'est-à- 
dire, la modification du tempérament consécutive au 
changement de profession. En effet, dit M. Lesure, 
la commune, autrefois exclusivement agricole et assez 
pauvre, est devenue, depuis une quinzaine d'années , 
en partie industrielle. Les habitants, employant à pei- 


-U 


gner et à tisser la laine tous les moments que ne ré- 
clame pas l’agriculture, ont acquis plus d'aisance ; 
mais, depuis cette époque , la santé générale est im- 
comparablement moins bonne, la constitution moins 
robuste et plus sensible que par le passé aux in- 
fluences morbifiques. D’auteur attribue cette révolu- 
tion fàcheuse , qui, malheureusement, tend à se ré- 
pandre, au changement d’habitudes, à l'encombrement 
des étables transformées en ateliers, et aux émana- 
tions du charbon nécessaire au peignage. 

L'Académie a recu aussi, de MM. Mozer et Lan- 
douzy, un fait de morve aiguë communiquée du che- 
val à Phomme par morsure , fait doublement intéres - 
sant (4), et parce qu'il signale plusieurs phénomènes 
inobservés jusqu'alors (2), et parce qu'il constitue le 
premier cas de diagnostic bien précis de cette affection 
dans notre département, où , sans nul doute, elle se 
manifeste comme dans les autres contrées depuis long- 
temps, mais où elle était confondue avec des maladies 
analogues. Déjà lattention, éveillée par cet accident, en 
a rencontré de nouveaux, et M. Phillippe nous a com- 
muniqué tout récemment, sur le même sujet, une ob- 


Académie royale de médecine. 
(1) Monsieur et très-honoré confrère, 

L'Académie a recu, avec le plus vif intérêt, votre lettre sur un cas 
de transmission de la morve du cheval à l'homme. Elle attend les dé- 
tails que vous lui annoncez, pour se faire rendre compte d'un fait qui 
lui parait plus complet et plus décisif que tous ceux dont elle a recu 
jusqu'ici communication. 

Agréez , etc., le secrétaire perpétuel, PARISET. 

(2) Parmi les causes, l’inoculation par morsure; parmi les 
symptômes, l’opacilé de la cornée ; parmi les lésions nécroscopi- 
ques, les ulcérations intestinales. 


a HE 4 


servation complète, qui sera insérée dans nos Annales. 

Enfin, l’Académie a entendu, de M. Phillippe, un 
travail dont elle espère bientôt la suite , en faveur de 
la localisation des facultés cérébrales : doctrine que 
M. Landouzy avait combattue dans une précédente 
séance, en rendant compte des observations faites sur 
la tête du dernier condamné. 


Dans les sciences appliquées , Pune des questions 
qui ait le plus occupé la compagnie est, sans contredit, 
celle de la vinification. 

Frappé des énormes désastres produits Pan dernier 
par la casse, et de l'insuffisance des moyens qu’on y 
opposait, M. Werlé conçut l’idée d’un appareil ingé- 
nieux, propre à permettre l'issue du gaz beaucoup 
plus promptement que l’acupuncteur imaginé par 
M. le docteur Rousseau. 

L'Académie , consultée sur cette invention, dut 
procéder avec toute la réserve qu’imposaient la gra- 
vité et les difficultés de la question ; aussi, ajournant 
l'examen de la méthode et jugeant uniquement le 
procédé, elle n’a pas hésité à donner , parmi tous les 
appareils, la préférence à l’acupuneteur mécanique de 
M. Werlé. 

Statuant depuis, non plus seulement sur les instru- 
ments , mais sur l'opération elle-même et sur ses ré- 
sultats définitifs, la commission a déclaré, par lor- 
gane de M. Sutaine, que toutes les données fournies 
par l'observation la plus attentive ne permettent pas 
de regarder lacupuneture comme un moyen propre à 
être utilement opposé à la casse. 

Est-ce à dire que les acupuncteurs doivent suivre 


ET Le 


les destins de l’acupuncture ? non, sans doute; et, dans 
le cas où l'expérience viendrait rendre plus absolue 
encore l'opinion de l'Académie sur l'insuffisance du 
piquage , l'appareil de M. Werlé n’en resterait pas 
moins dans la science industrielle, comme instrument 
de laboratoire indispensable aux expériences entre- 
prises de toutes parts pour éclairer la manutention 
des vins. Déjà l’acupuneteur mécanique, muni d'un 
manomètre el de la soupape proposée par M. Maillet 
fils, a servi à apprécier instantanément la pression 
intérieure dans les bouteilles de tirages différents ; 
déjà il a été appliqué, comme moyen de perfectionne- 
ment, à la machine à remplir de M. le docteur Rous- 
seau ; par ces considérations , l'Académie décerne à 
M. Werlé une médaille d'argent. 

Dans le même rapport, M. Max. Sutaine a rendu 
compte d’une machine destinée à boucher les bou- 
teilles de vin de Champagne, construite par M. Leroy, 
et à laquelle ce mécanicien a fait subir des perfec- 
tionnements tels, qu’en l'absence du brevet, ils ont été 
aussitôt imités de toutes parts. A défaut d’autres 
preuves, ce dernier fait aurait déjà une incontestable 
valeur, mais les commissaires ont vérifié par eux- 
mêmes le mérite comparatif des différentes machines 
en usage aujourd'hui, et, selon leur vœu, une médaille 
d'encouragement a été accordée à M. Leroy. 

On connaît déjà les heureuses tentatives de M. Rous- 
seau d’Epernay, pour imprimer à la vinification une 
marche plus précise, plus scientifique, et qui puisse, 
en substituant les lumières de l'observation à Pempi- 
risme de la routine, mettre le commerce à l'abri de ces 
chances désastreuses dont beaucoup seront toujours 
au-dessus de toutes les prévisions humaines , mais 


ME 


dont quelques-unes , sans contredit, peuvent être con- 
jurées par les efforts de la science industrielle. 

Les deux machines, l’une à essayer, l’autre à doser 
et à remplir, que M. Rousseau a soumises cette année 
à l’Académie , ont été l’objet d’un examen approfondi 
et de nombreuses expériences dont M. Tarbé de Saint- 
Hardouin a fait connaître le résultat. Les rapports 
de notre savant confrère devant faire partie de la pro- 
chaine publication , je n’essaierai point de les ana- 
lyser. Je rappellerai seulement les expériences inté- 
ressantes faites par la commission au moyen du compas 
d'épaisseur de M. de Maïzière , et du brise-bouteille 
de M. Rousseau, afin de contrôler l’un par l’autre ces 
deux appareils, et de chercher la relation existante 
entre l'épaisseur du verre et la résistance des parois. 
J’ajouterai enfin, avec M. de Saint-Hardouin, que lef- 
froi causé par les complications apparentes des ma- 
chines cesserait bien vite, si l’on se donnait la peine 
d'en étudier et den comprendre le mécanisme. 

En résumé , M. Rousseau, par ses différentes in- 
ventions, a bien mérité de la science et de l'industrie, 
et l’Académie, qui l'avait déjà élu membre correspon- 
dant, est heureuse de lui donner une nouvelle preuve 
de sympathie en lui offrant une médaille d'argent. 


Tel est, Messieurs, le compte-rendu, bien long quoi- 
que très-abrégé de nos travaux depuis lan dernier. 
Jl est un point que j'aurais voulu signaler particulière- 
ment, mais qui se refuse à toute analyse, c’est ce 
bienfait émané du principe même de Passociation , et 
que comprennent facilement tous ceux qui vivent par- 
fois de la vie scientifique; c’est cet échange réciproque 


= 108— 


de connaissances variées, cette émulation sans jalousie, 
cette indulgence mutuelle, ces discussions souvent 
instructives, parfois très-vives et toujours sans ai- 
greur, ce partage confraternel , seule application 
possible, sans doute, de la loi agraire, qui met en 
commun nos biens intellectuels; c’est cette liberté 
complète de notre république où les premières di- 
gnités ne peuvent durer plus d’un an, où tombent, 
pendant les heures académiques , toutes les barrières 
de la hiérarchie, où enfin, grâce à une bien louable 
et bien rare modestie, nous voyons un archevêque 
présidé, à son tour, par son grand-vicaire, faire 
revivre parmi nous ces temps de l’âge littéraire, 
où les rois et les papes s’honoraient de l’amitié des 
peintres et des poëtes, et devenaient les plus fidèles 
émules, les plus dévoués consodales des savants et 
des artistes. 

Parmi les travaux que j'avais à signaler, j'ai dù me 
borner exelusivement à ceux qui nous ont été présentés 
manuscrits, et encore ai-je pu en oublier plusieurs. 
Le catalogue des ouvrages imprimés offerts à la com- 
pagnie devrait également, comme dans lesautres acadé- 
mies,trouver place ici,mais j'ai déjà trop abusé de votre 
attention. Vous ne rendrez pas , du reste, Messieurs, 
l'institution solidaire des fautes de son interprête, et 
tout en ne pouvant, sur des données aussi succinetes et 
aussi incomplètes, porter un jugement catégorique , 
vous resterez convaincus que si les occasions de tra- 
vail ne manquent pas à l'Académie , elle ne manque 
pas aux occasions. 

Et d’ailleurs, les sympathies qui l'avaientencouragée 
jusqu'alors ont été plus nombreuses encore et plus 
puissantes cette année; ainsi, tandis que le ministre de 


p 


l'instruction publique souscrivait, pour les principales 
bibliothèques du royaume, à notre édition de Dom Mar- 
lot, le garde des-sceaux nous adressait les collections 
si précieuses du Journal des savants ; l'Académie des 
sciences nous donnait ses comptes-rendus hebdoma- 
daires; l'Académie des sciences morales et politiques, 
ses rapports mensuels. 

Ainsi, nous voyions le sous-préfet de l’arrondisse- 
ment s’arracher aux plus sérieuses occupations, pour 
assister à la plupart de nos séances ; ainsi, enfin, à 
l'exemple de toutes les grandes cités, l'administration 
municipale soumettait à notre examen les questions 
spécialement scientifiques , littéraires ou artistiques 
qu'elle était appelée à résoudre. 

Ces hauts témoignages d’une puissante sollicitude 
pour la science et pour une institution qui en fait son 
seul mobile et son seul but, ne resteront pas stériles ; 
ils augmenteront nécessairement encore le zèle de PA- 
cadémie et le bien qu’elle doit faire, et la rendront de 
plus en plus digne de l’appui qui lui est prêté de toute 
part. 


+ 


pue 


RAPPORT 


SUR LES CONCOURS 


OUVERTS POUR L'ANNÉE 1844. 


PROGRAMME 


DES QUESTIONS PROPOSÉES. 


Hesse — 


HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE. 


« Quel était l’état de l’ancienne Durocorr des Ré- 
« mois avant et pendant la domination romaine, jus- 


« qu’au règne de Clovis exclusivement? » 


L'auteur devra envisager la question sous les divers 
points de vue qui suivent : 

I discutera 

L'origine des Rémois, l’état topographique de leur 
cité, son étendue, ses dépendances; les principaux 
monuments dont l'histoire ou la tradition ont pu con- 
server le souvenir , ses aqueducs et ses grandes voies 
de communication. 

Jl entrera dans quelques détails 

Sur les mœurs des habitants, qui peuvent en partie 
se présumer par les fréquentes exhumations de mon- 
naies, médailles, meubles, ustensiles et autres objets 
d'usage commun. — l donnera l’idée de leur gouver- 
nement et de leurs institutions religieuses, judiciaires, 
civiles et militaires. 

Il recherchera les motifs qui ont porté les Rémois 
à se détacher de la ligue gauloise pour s’allier et se 
soumettre aux Romains. — Il discutera les moyens de 
défense qu’ils pouvaient opposer aux étrangers, le rang 
qu'ils occupaient dans la confédération gauloise. — 


Le 


t 


— DU — 


Leurs possessions, leurs alliances, et la part qu'ils 
ont eue à la réunion finale des Gaules à l'empire 
romain. 


ÉCONOMIE INDUSTRIELLE. 


« Quels pourraient être les moyens d'éviter les 
« inconvénients de la concurrence sans nuire à la li- 
« berté du commerce ? » 


Les candidats devront donner un aperçu de ce qué- 
tait le commerce autrefois, le représenter tel qu'il est 
aujourd’hui, etindiquer les moyens qui leur sembleront 
les plus efficaces pour régulariser la concurrence et 
éviter les effets désastreux dont elle est la source. 


AGRICULTURE. 


« Rechercher l’état du sol forestier de la Champagne 
« au moment de l'invasion romaine. — Examiner l'in- 
« fluence successive du déboisement des crêtes , in- 
« diquer les changements atmosphériques qui en ont 
« été la suite, et dire quelles modifications le sol 
« arable a pu éprouver. » 


Les prix, consistant en une médaille d’or, de la va- 
leur de 200 francs, pour chacune des deux premières 
questions, et en une médaille d'argent pour la troi- 
sième, seront décernés dans la séance publique de 
l'Académie du 15 avril au 15 mai 1844. 

Les auteurs, ne devant pas se faire connaître, in- 
scriront leur nom et leur adresse dans une note ca- 
chetée , sur laquelle sera répétée l’épigraphe de leur 
manuscrit. 


BE oE 

Les mémoires devront être adressés (franco) à M. le 
docteur Lanpovzy, secrétaire de l’Académie, avant le 
3 janvier 1844, terme de rigueur. 

L'Académie distribuant en outre des médailles d’en- 
couragement aux auteurs des travaux qu'elle juge 
dignes de récompense , les personnes qui croiraient 
avoir droit à cette distinction, enverront leurs titres 
au secrétariat, avant le 15 mars 1844. 


Le Président de l'Académie , 


BONNEVILLE. 


Le Secrétaire de l’Académie , 
H. LANDOUZY. 


RAPPORT 


LES TROIS CONCOURS 
OUVERTS EN 1843. 


(M. Goset Rapporteur.) 


MESSIEURS, 


L'Académie m'a décerné, avec une bienveillance 
dont je me plais à lui témoigner toute ma gratitude, 
l'honneur périlleux de rendre compte du résultat des 
trois concours ouverts par elle dans sa séance publi- 
que de l’année dernière. 

La loi du plus sévère laconisme n'est imposée : per- 
meltez-donc que, sans préambule, jentre tout d’abord 
en matière. 


La première question est ainsi posée : 


«Rechercher l'état du sol forestier de la Champa- 
« gne, au moment de l'invasion romaine. — Exami- 


« ner l'influence successive du déboisement des crêtes, 
«indiquer les changements atmosphériques qui en 
«ont été la suite, et dire quelles modifications le sol 
« arable a pu éprouver. » 


Aucun travail n’a été présenté sur ce sujet. 
L'Académie a décidé qu'il serait ajourné. 

Voici les raisons qui ont motivé sa détermination : 
La question se divise en deux parties distinctes ; 
nous ne dissimulons pas que, à raison de l'absence de 
documents contemporains de l’époque de Jules-César, 
la première partie, purement historique, est difficile à 

résoudre. 


Mais la seconde, plus importante au point de vue 
de l'utilité, est d'autant plus facile à traiter que depuis 
40 ans elle recoit journellement une solution pratique 
dans tout le département de la Marne, et particuliè- 
rement dans l'arrondissement de Reims, et qu’il suffi- 

rait, pour atteindre le but proposé par l’ Académie , de 
signaler, dans quelques pages écrites d’un style popu- 
laire, les nobles exemples de MM. Ruinart de Bri- 
mont, de Pinteville de Cernon, Loisson de Guinau- 
mont, l'abbé Gallois, Saint-Denis frères, Charpentier- 
Courtin, et de tant d’autres honorables agriculteurs, 
dont les travaux persévérants ont reconquis au sol 
forestier de la Champagne, de vastes terrains qui pa- 
raissaient condamnés à une éternelle stérilité. 


Le second sujet mis au concours a été proposé dans 
les termes suivants : 


« Quels pourraient être les moyens d'éviter les in- 


— Me 


«convénients de la concurrence sans nuire à la liberté 
«du commerce ? » 


Cette question , qui replonge dans le creuset de la 
critique l’axiôme absolu laissez faire, proclamé par 
les économistes du dernier siècle, consacré par las- 
semblée constituante, défendu par les publicistes de 
l’école libérale, qui a choisi pour chef lillustre Jean- 
Baptiste Say , vivement attaqué de nos jours par des 
hommes haut placés, soit dans la théorie , soit dans la 
pratique des sciences industrielles , provoque, à juste 
raison , les méditations des hommes d’état de l'Europe 
entière. 

L'Académie reconnaît que la réunion des matériaux 
statistiques et des documents spéculatifs nécessaires 
à la discussion du problème, exige un temps plus con- 
sidérable que ce terme assigné par elle au concours. 

Elle ne s'étonne donc pas de n’avoir recu, sur cette 
importante question, qu’un seul mémoire dont la com- 
position se ressent de la précipitation avec laquelle 
l’auteur a dù travailler. 


La première et la plus considérable partie de son 
mémoire, modestement intitulé Essai, est consacrée à 
des réflexions générales sur une multitude d'objets 
qui ne se rattachent au sujet que de loin et très-indi- 
rectement. 

Cette espèce d’avant-propos accuse de la part de 
l'auteur une vaste lecture, une mémoire largement 
approvisionnée , et malheureusement un peu trop de 
prétention à régenter les puissances de la terre. Ainsi, 
si la reine de la Grande-Bretagne voulait suivre ses 
conseils, rien ne serait plus facile que de résoudre pa- 


cm. OR ci 


cifiquement les graves difficultés religieuses, sociales 
et politiques qui divisent les trois parties du royaume 
uni. — Ainsi, à l'imitation des grands historiens de 
la Grèce et de Rome, l’auteur place dans la bouche des 
chefs de l’armée francaise en Algérie, une hars ngue 
pathétique dont le but est de convier l’émir Abd-el-Ka- 
der et ses partisans aux bénéfices de la paix, de la con- 
corde et de la civilisation européenne.— Ainsi encore, 
il propose aux électeurs francais une méthode infail- 
lible pour n’appeler à la chambre plébéienne, que des 
représentants patriotes, incorruptibles, et inaccessibles 
à toute passion. 


La deuxième partie quiforme le corps de l'ouvrage 
semblait devoir être réservée spécialement à l'examen 
de la question ; mais l’auteur, pressé par le temps, do- 
miné par là surabondance des matériaux, et entraîné 
dans les hautes régions des sciences spéculatives, ne se 
rappelle son sujet que pour trancher brusquement la 
difficulté par des conclusions dogmatiques qu'il ne 
daigne pas motiver. ` 

L'Académie, regrettant de ne pouvoir décerner au- 
cune marque de distinction à cette œuvre conscien- 
cieusement entreprise par un homme de bien, mais 
trop légèrement méditée et trop précipitamment exé- 
cutée , s’est déterminée à ajourner la question, persua- 
dée que les travaux récents des chefs de la science 
économique, tels que MM. Blanqui, Wolowski, Michel 
Chevalier, Jobart de Bruxelles, et autres fourniront 
bientôt aux concurrents futurs les éléments nécessai- 
res pour une solution convenable. 


La troisième question mise au concours était ainsi 
concue : 


— 59 — 


« Quel était l’état de l’ancienne Durocort des Ré- 
» mois avant et pendant la domination romaine, jus- 
» qu'au règne de Clovis exclusivement ? » 


L'Académie n’a recu jusqu'à présent aucun travail 
sur ce sujet historique , et elle le maintient au concours 
pour l’année prochaine. 

Le programme dans lequel elle énumérait les points 
de vue divers sous lesquels la question devait être en- 
visagée, nécessite un grand nombre de recherches 
qu'il était difficile de compléter dans le délai déter- 
miné. 

Elle sait d’ailleurs que plusieurs bons esprits ont 
déja recueilli sur ce sujet des matériaux qu'ils se dis- 
posent à mettre en ordre. 

lls profiteront de la curieuse publication due à notre 
honorable confrère, M. Paris, du manuscrit de Jean 
Lacourt , ayant pour titre Durocort , Ou les Remois sous 
les Romains, et surtout des notes précieuses dont le 
savant éditeur à enrichi l’œuvre du laborieux cha- 
noine. 

Qu'il me soit permis ici de féliciter M. Paris du cou- 
rage, si rare parmi les commentateurs , avec lequel il 
réfute les raisons pusillanimes que Lacourt énumère 
pour justifier l'alliance injustifiable des anciens Ré- 
mois ayec les dominateurs Romains , et leur désertion 
parricide dela cause nationale. 

Je devais à M. Paris cet hommage publie, ne fùt- ce 
que pour le purger de l'accusation témérairement for- 
mulée contre lui par quelques esprits chagrins, d'avoir 
violé les lois de la piété filiale en condamnant l'erreur 
fatale de nos pères. 

L'histoire, sous peine de trahir sa mission morale. 


ex Qi ya 


doit dire le mal comme le bien, célébrer les actions 
glorieuses pour en propager l'imitation , et condamner 
les fautes pour en prévenir le retour. 

Que nos concurrents futurs marchent dans les voies 
tracées par M. Paris ; qu’ils puisent aux sources dont 
il leur a facilité l'accès : et l'Académie aura l’année 
prochaine la satisfaction de couronner des œuvres in- 
téressantes pour l’histoire générale, plus intéressante 
encore pour l’histoire particulière de notre chère pa- 
trie rémoise. 


Pai rempli, Messieurs, bien insuffisamment sans 
doute , la tâche qui ma été départie, et je cesserais 
de parler si l’on ne m’eût accessoirement chargé de 
vous entretenir d’un objet qui, bien qu'étranger aux 
trois concours dont je vous ai exposé le résultat, mé- 
rite toute votre bienveillante attention. 

Vous venez d'entendre les paroles généreuses par 
lesquelles M. le président a terminé son allocution. 
Vous avez applaudi, comme nous, aux sentiments qui 
l'ont inspiré. Oui, sans doute, il est bien de récompen- 
ser les travaux de l'esprit; mais il est mieux encore 
de couronner les œuvres du cœur : la satisfaction est 
complète quand les deux éléments étant réunis , il est 
possible de rendre simultanément hommage au talent 
et à la vertu. 

Les vœux noblement exprimés par notre digne chef, 
commencent dès aujourd'hui à se réaliser. 

Vous vous rappelez que le lauréat du concours ou- 
vert l'an dernier sur les caisses d’épargnes, a mani- 
festé le désir que la valeur de la médaille qui lui a été 
décernée, fût employé à l'acquisition de livrets d’épar- 


om 


= 0 — 


gnes au profit de quelques enfants d'ouvriers fréquen- 
tant les écoles primaires de la ville. 

Ce désir est accompli : huit enfants désignés par 
M. le maire de Reims se partageront le bienfait du 
lauréat que nous sommes heureux de saluer aujour- 
dhui du nom de confrère, et témoigneront ainsi des 
sollicitudes sympathiques de l’Académie pour tout ce 
qui est beau, tout ce qui est bon, tout ce qui est utile 
à l'humanité. 


.— 548 — 


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ÉCONOMIE POLITIQUE. 


NOTES HISTORIQUES 


LE COMMERCE DES INDES ORIENTALES 


par M. LÉVESQUE DE POUILLY. 


On trouve dans les plus anciens ouvrages qui nous 
sont parvenus, et dans les livres des écrivains sacrés, 
des renseignements qui nous prouvent que les produc- 
tions de l'Orient étaient, ily a plus de trois mille ans, 
recherchées des nations éloignées (1)! Quelle était la 
voie de communication, quel était le peuple qui les 
leur faisait parvenir ? Le commerce de ces temps nous 
est inconnu. L'histoire ne nous a transmis qu'un vague 
et incertain souvenir des expéditions de Sésostris et de 
Sémiramis dans les Indes, et ne nous a laissé aucun 
détail sur ces conquêtes réelles ou fabuleuses. 

Les premières relations commerciales des Phéni- 
ciens nous sont mieux connues. Ils étaient les maîtres 


(1) Genèse xxxvir. 


ER E 


de quelques ports sur le golfe Arabique. Les habitants 
des bords de l'Euphrate leur portaient avec des cha- 
meaux les productions de l'Inde. Les Phéniciens furent 
le premier peuple qui dut une puissance réelle à son 
commerce. Les nations voisines virent avec envie les 
richesses de Tyr et de Sidon. Les Juifs voulurent pren- 
dre part au commerce du golfe Arabique. Ils s’empa- 
rèrent des ports d’Elath et d’Asiongaber dans la terre 
d'Edom (sur la mer Rouge), et sous les règnes de 
David et de Salomon , ils rapportèrent de Tarsis et 
Ophir ces marchandises dont quelques écrivains 
nous ont fait une description peut-être exagérée. 

La situation de ces deux ports, où se rendaient les 
flottes de Salomon, était toujours restée inconnue ; 
M. d’Anville et le voyageur Bruce (1) les placent dans 
le royaume de Sofala , sur la côte sud-est de l'Afrique. 
Mais ces voyages maritimes des Juifs n’eurent lieu que 
pendant le cours de quelques années ; et les Phéniciens 
entretinrent toujours des rapports commerciaux avec 
les habitants des rives de l'Euphrate, jusqu'au temps 
où Alexandre, irrité de la longue et étonante résistance 
que Tyr avait opposée à toutes ses forces, eut détruit 
cette ville, et jeté les fondements d'Alexandrie qui, 
pendant dix-huit cents ans fut le principal entrepôt du 
commerce des Indes. 

Les relations des officiers d'Alexandre , Ptolémée , 
Aristobule et Néarque, depuis copiées par tous les 
historiens, nous ont donné les premières connaissances 
que nous ayons sur l’Inde et ses habitants. Depuis plus 
de deux mille ans, les Indiens ont toujours conservé le 
même culte, les mêmes lois, les mêmes coutumes , le 


(1) Liv. vu, chap. 1v. 


— 00 — 


mème genre d'industrie. Ils sont encore divisés en cas- 
tes qui ne se mêlent jamais. Chacune de ces castes a 
toujours conservé l'usage du même genre d'aliments : 
leur habillement même n’a pas varié. Le Védam pres- 
crit à la veuve d’un bramine de se jeter dans les flam- 
mes du bûcher de son mari, cet usage atroce rapporté 
dans les relations des officiers d'Alexandre, n’est pas 
entièrement aboli ; et malgré toute la surveillance des 
Anglais, ilest encore quelques victimes du fanatisme 
qui se résignent à cette mort cruelle, et se soumettent 
en secret à la loi de Brama. 

Si la civilisation a eu son berceau dans l'Inde , elle 
y est restée bien stationnaire. Cette immobilité provient 
de la division des Indiens en castes, et des rapports 
de cette division avec les dogmes religieux. 

L'expédition d’ Alétandren! établit point de rapports 
permanents entre l'Europe et l'Asie, et, peu de temps 
après sa mort, la partie septentrionale de PIndostan, 
qu'il avait réunie à ses états sous le nom de royaume 
de Bactriane (1), fut enlevée par des hordes de Huns 
et de Tartares à ses successeurs. Depuis cette époque, 
aucune puissance européenne ne se montra dans ces 
contrées jusqu’au temps où la brillante valeur des Por- 
tugais vint asservir tous les habitants des rivages de 
l'Océan Indien. 

Alexandrie devint opulente sous le règne de Ptolé- 
mée, fils de Lagus. C’est ce prince qui fit élever le fa- 
nal de lile de Pharos (2). Ptolémée Philadelphe, son 
fils , fut aussi le fondateur de Bérénice sur le golfe Ara- 
line, De cette ville les marchandises étaient portées 
par terre jusqu'à Copte, où elles étaient embarquées 


(1) Strabon, liv. 1x, pag. 779; M. de Guignes, Mémoires de litté- 
rature, pag. 17.—(2) Strabon, lib, xvir, pag. 1140. 


M S 


sur un canal depuis longtemps abandonné , mais dont 


on reconnaît encore l'emplacement sur les bords du 


Nil (4). 

C’est le commerce qui éleva les Égyptiens à un dé- 
gré de richesse et de splendeur qui n’avait encore eu 
rien de comparable, surtout lorsqu’après la destruc- 
tion de Carthage ét de Corinthe , ils devinrent les seuls 
navigateurs de la Méditerranée, et lorsque lusage 
qu'avaient les Romains de partager les dépouilles des 
peuples vaineus eut après leurs nombreuses conquêtes 
altéré les mœurs de l’ancienne république et répandu 
dans Rome un goût effréné pour tous les objets du luxe 
de l'Asie. 

On sait quelles furent les prodigalités de la vo- 
luptueuse Cléopâtre ; et lorsqu’à la mort de cette der- 
nière princesse du sang des Ptolémées, l'Égypte fut 
réunie à l'empire romain, suivant le témoignage de 
Pline (2), les richesses d'Alexandrie, transportées dans 
Rome, y firent doubler le prix des terres, des denrées 
et des marchandises. 

On voit dans un ouvrage sur la navigation de la 
mer Erythrée, attribué à Arrien , que les pierres pré- 
cieuses , l’encens , les vernis, les épices , Pambre, li- 
voire, l'ébène, l’écaille, les élégants ouvrages de coton, 
et plus encore la soie, et surtout les aromates dont il 
se faisait une grande consommation sur les bûchers 
funèbres des morts, étaient les principaux objets du 
commerce de l'Orient. Dans les jours de son opulence, 
Rome recherchait avec avidité toutes les productions 
de l’Inde. 

Jules César fit présent à Servilie, mère de Brutus, 

(1) M. D'Anville, Mémoires sur l'Egypte, pag. 21. — (2) Plinii, 
Historia naturalis, liv. vi, ch. 17. 


= du © 


 


Eh OT 2 


d’une perle qui lui avait coûté une somme correspon- 
dante à celle de onze cent soixante-deux mille livres 
tournois (1). Jusqu’à la fin du m° siècle les Romains 
donnaient une livre d’or pour une livre de soie. 

Dans les temps les plus anciens dont nous ayons con- 
naissance, il y eut quelque communication entre la Pa- 
lestine et la Chaldée. Mais il paraît que ce ne fut que 
sous le règne de Salomon que le commerce établit des 
rapports constants entre les habitants de ces contrées. 
Ce prince fit bâtir au milieu du désert, dans une por- 
tion de terrain fertile, mais de peu d'étendue , une 
ville à laqueile il donna le nom de Tadmor (2), qui fut 
depuis désignée par les Grecs sous celui de Palmyre. 
L'établissement decette colonie ouvrit un passage aux 
productions de l'Inde. Les habitants de Palmyre les 
transportaient avec des chameaux sur les côtes de la 
Méditerranée. 

Rien ne peut donner une plus haute idée de la puis- 
sance d’un peuple commerçant. Malgré tous les obsta- 
cles que lui opposait la nature, une ville opulente s’é- 
lève au milieu des déserts. La plus grande partie de 
l’Asie-Mineure est soumise à ses armes victorieuses , 
et elle repousse tous les efforts des Romains deux cents 
ans encore après que tous les peuples de son voisinage 
ont subi le joug de ces maîtres du monde (3). 

Quelle autre source que le commerce des Indes au- 
rait pu verser dans Palmyre les immenses richesses 
que possédaient ses habitants, sous les règnes d’Odenat 
et de Zénobie, et dont la réalité est attestée par la 
magnificence de ses ruines , par les restes encore exis- 


(4) Robertson, l'Inde ancienne. —(2) UT. Rois, 1x, 18.—(3) Appien» 
de Bello civili, lib. 1v; Procope, lib. 11. 


— 08 


tants des plus beaux monuments que l'industrie hu- 
maine ait jamais élevés. Appuyées sur les bases de 
quelques-unes des colonnes de Palmyre, de chétives 
cabanes de pauvres Arabes présentent aujourd’hui le 
spectacle de la misère, sous les portiques mêmes de ces 
palais qui furent jadis le séjour du luxe et des arts. 

Depuis la destruction de Palmyre par Aurélien, il 
n'existe presque plus de commmerce entre les habitants 
de la Syrie et les provinces situées sur les bords de 
l'Euphrate.Quelquefois cependant descaravannes, pas- 
sant par Alep, se rendent à Bassora, C’est la route que 
suivent les courriers anglais qui fontle voyage des 
Indes par terre. 

Strabon nous apprend (1) qu'il existait de son temps 
encore une autre voie par laquelle les marchandises 
de l'Orient parvenaient en Europe ; elles étaient trans- 
portées par des chameaux sur les bords de l'Oxus, 
dont elles suivaient le cours jusqu’à la mer Caspienne, 
de là elles arrivaient par terre et par les rivières na- 
vigables au Pont-Euxin. Plus tard Constantinople, 
par sa position, devint naturellement l’entrepôt de 
cette branche de commerce ; elle contribua longtemps 
à soutenir la puissance des empereurs d'Orient, qui 
en vendirent le privilége aux Génois. Ce privilége fit 
la richesse de Gènes jusqu’au temps où Constanti- 
nople fut soumise à la domination des Tures. 

Le fanatisme fougueux des Arabes et les conquêtes 
de ces premiers sectateurs de Mahomet, qui donnèrent 
de nouvelles mœurs à une grande partie des habitants 
de l'Afrique et de l'Asie, amenèrent aussi des chan- 
gements dans le commerce des Indes. 

L’'Alcoran ayant prescrit à tous les fidèles musul- 


(1) Lib. x11, pag. 776. 


Ep es 


mans de faire, une fois dans leur vie, le voyage de la 
Mecque, pour y rendre hommage au prophète, et y 
faire l'acquisition du linceul dans lequel ils doivent 
être ensevelis , {ous les ans de nombreuses troupes de 
croyants partent des rivages de l'Atlantique et des 
extrémités de l'Asie pour visiter les lieux saints. Des 
spéculations de commerce s’allient toujours à cet acte 
de dévotion. Il est aussi des caravanes qui , sans au- 
cun sentiment religieux, mais seulement guidées par 
des motifs d'intérêt , dirigent leurs pas vers l'Arabie. 


L'Inde depuis le seizième siècle. 


Les Vénitiens qui avaient d’abord entretenu des rap- 
ports avec Alexandrie, finirent par obtenir des soudans 
d'Egypte un traité de commerce avantageux, et long- 
temps ils portèrent dans toute l'Europe et surtout aux 
villes anséatiques les productions de l'Orient. Mais à 
son tour, la puissance vénitienne fut anéantie, quand 
les Portugais, bravant tous les dangers, eurent pénétré 
dans les mers de l'Inde, et lorsque les Espagnols eu- 
rent découvert un nouveau monde, Dès-lors toutes les 
relations furent changées : le commerce recut une nou- 
velle impulsion , établit de nouveaux rapports entre 
les peuples les plus éloignés , répandit parmi eux les 
lumières et détruisit quelques-uns de leurs préjugés. 
Ces évènements eurent la plus grande influence sur les 
sciences, les arts, les mœurs, les usages et l’industrie 
de presque tous les habitants de la terre. 

En 1488, lorsque l'intrépide Vasco de Gama eut 
passé le cap de Bonnc-Espérance , il continua sa route 
vers l'Orient, alla débarquer dans les états du Zamorin 


> 


— 10 — 


de Calieut, et rapporta en Europe les productions de 
la côte occidentale de l'Inde. 

Emmanuel,qui régnait alors en Portugal, sut profiter 
de l'enthousiasme de ses sujets : il choisit pour les com- 
mander des hommes distingués par leurs vertus el par 
leurs talents. Le désir d'acquérir des richesses, celui 
de propager la foi chrétienne, la jalousie que leur inspi- 
raient les nouvelles découvertes des Espagnols dans 
l'Amérique, et le récit des brillants succès de Vasco de 
Gama et d’Alvarez Cabral enflammèrent les Portugais 
d’une nouvelle ardeur. Hs partirent tous en foule à la 
voix d’Albuquerque qui les appelait à la gloire et à la 
fortune. Bientôt la côte de Malabar fut conquise, les 
couleurs portugaises prirent la place du croissant sur 
les remparts des villes arabes, les flottes du soudan 
d'Egypte furent battues dans la mer Rouge ; depuis 
le cap de Bonne-Espérance jusque dans les mers de 
la Chine, nul vaisseau n’osa se montrer sans un passe- 
port du gouverneur de Goa , et cent-cinquante princes 
de l'Orient devinrent tributaires du roi de Portugal. 

Albuquerque fut humain, désintéressé ; ses succes- 
seurs furent cruels , avides de richesses. Lorsque le 
Portugal eut été réuni à l'Espagne , sous le règne de 
Philippe IT, les gouverneurs de Goa refusèrent de re- 
connaître la puissance espagnole ; ils se rendirent in- 
dépendants par leurs brigandages, par leurs cruautés, 
par l'établissement du tribunal de Pinquisition , par 
tous les excès auxquels ils se livrèrent. Les Portugais 
étaient en horreur aux peuples de l'Asie, lorsque la - 
miral Warwick, le fondateur de la puissance des Hol- 
landais dans l'Inde, vint leur arracher l'empire des 
mers de l'Orient. Cependant les Hollandais n’ont eu 
que peu d'établissements dans la presqu'île en-decà 


wA 


du Gange. Ils réunirent presque toutes leurs forces 
dans les iles de Java et de Ceylan. 

Sous le règne de Philippe le Hardi, fils de saint 
Louis, les marchands italiens apportaient en France 
quelques-unes des riches productions de l'Orient. Le 
commerce alors était avili. Ce préjugé des barbares du 
Nord, vainqueurs de l'Europe, s'était perpétué avec le 
gouvernement féodal.Cependant, déjà dans les guerres 
de Ja Palestine, les usages des orientaux avaient eu 
quelque attrait pour les croisés. La France ne pouvait 
donner en échange que Fexcédent des produits de son 
sol, faible ressource , comparée à toutes celles que 
peuvent fournir les produits de l'industrie. Les plus 
simples éléments du commerce étaient encore si in- 
connus qu'on fixait le prix des denrées. 

Dans le seixième siècle, les armées francaises avant 
passé les Alpes, furent éblouies de la magnificeace de 
Gènes et de Venise. Les manufactures se perfection- 
nérent, la cour voluptueuse de Francois E* rechercha 
tous les objets d’un luxe séduisant, et enfin, avec Ca- 
therine de Médicis ,-tous les arts de Vitalie vinrent se 
fixer en France. 

Ce ne fut cependant que sous le ministère de Colbert 
que le commerce commenca à prendre quelque essor. 
Ce ministre, dont un Français ne peut prononcer le 
nom sans éprouver un sentiment de reconnaissance , 
créa en 166% une Compagnie des Indes orientales. En 
1720 , elle avait eu assez de succès pour prêter au 
gouvernement quarante millions. Surate, située au 
nord de la côte de Malabar, fut pendant quelques an- 
nées le port où se rendaient les vaisseaux de la Com- 
pagnie; elle acheta du nabab du Carnate, en 1674, la 
petite bourgade de Pondichéry. 


Fe. ES 

Quelques Francais, abandonnant Madagascar, où ils 
avaient voulu former un établissement qui servit de 
relàche aux vaisseaux qui passaient dans les mers de 
l'Inde, se retirèrent en 1720 dans les îles jusqu'alors 
désertes de France et de Bourbon. En 1735, M. de la 
Bourdonnaie y conduisit quelques habitants, et fut le 
véritable fondateur de ces colonies. 

Sous la direction de Dupleix, on vit également s’é- 
lever le commerce et la population de Chandernagor 
et de Pondichéry. Dans la guerre de 1743, le généreux 
la Bourdonnaie équipa à ses frais une escadre composée 
d’un vaisseau de soixante canons et de cinq navires 
marchands armés en guerre. Il battit les Anglais sur 
la côte de Coromandel, et leur enleva Madras. 

Le souba du Dekan gouvernait, pour l’empereur du 
Mogol, tous les pays situés depuis le cap Comorin jus- 
qu'aux frontières du Bengale. Les nababs et les rajahs 
de la partie méridionale de l'Inde lui étaient soumis. 
Le nabab est un prince de race mahométane, et le 
rajah est de race indienne. Mais tous ces gouverneurs 
s'étaient rendus presqu'indépendants et le souba ne 
faisait passer au trésor impérial qu’une faible partie des 
tributs que lui rendaient les nababs. Dupleix forma le 
projet hardi de nommer un souba qui fût intéressé à 
soutenir la puissance des Français. 

Chargé de l'exécution de cette entreprise qui pa- 
raissait téméraire, M. de Bussy surmonta tous les ob- 
stacles; il battit les Anglais, repoussa les Indiens, et 
conduisit triomphant dans Aurengabad, sa capitale, le 
nouveau souba, qu'il plaçait sur le trône. Ce prince, 
reçut à genoux, des mains du général francais, le fir- 
man de l’empereur du Mogol, qui le mettait en pos- 
session du Dekan , formalité qui fut jugée nécessaire 


= O  — 


pour lui attirer le respect des peuples qu'il devait 
gouverner. Pour prix de tous les services que venaient 
de lui rendre les Français , le souba leur céda une 
grande étendue de pays sur les côtes de Coromandel 
et d'Orixa. 

La puissance française y paraissait solidement éta- 
blie, lorsque M. Dupleix fut rappelé et remplacé par 
M. de Lally. Mais en1761, les Anglais devenus les maî- 
tres de la mer, s’emparèrent de Chandernagor ; ils 
prirent aussi Pondichéry qu'ils réduisirent en cendres. 
Les Français revenus en Europe, désespérés de la 
perte de leur fortune, élevérent tous la voix contre 
M. de Lally , et il périt sur un échafaud, victime des 
revers que nous avions éprouvés. Cependant Pondi- 
chéry se releva de ses ruines et le commerce français 
y avait repris quelque activité, lorsqu'en 1780, les An- 
glais fuyant devant l’armée victorieuse du sultan de 
Mysore, notre allié, lui abandonnaient la partie méri- 
dionale des Indes. 

Ces officiers de notre marine qui, sous les ordres de 
l'amiral Suffren, avaient relevé l'honneur du pavillon 
français dans les mers de l'Asie, et qui avaient arraché 
l'Amérique au joug de l'Angleterre, victimes de nos 
discordes civiles, ont péri sur les rochers de Qui- 
beron et sur les champs de bataille de la Vendée. 
Lorsque, dans les mouvements convulsifs dont la 
France fut agitée, la Convention nationale , avec une 
énergie dont les annales du monde n'offrent pas 
d'exemple, mettait à mort ses ennemis ou les soumet- 
tait à ses volontés, et dispersait les armées des rois 
de l'Europe, le ministre Pitt s'écriait dans le parlement 
d'Angleterre : Je félicite d'avance mon pays des hautes 
destinées auxquelles la révolution de France vient de 


ns P 


l'appeler. prévoyait dès -lors que la marine anglaise 
n'aurait plus d'ennemis à combattre. 

En 1802, il restait encore dans Pondichéry quel- 
ques familles européennes et quinze mille Indiens qui 
en furent enlevés pour être transportés dans Madras. 


La Compagnie anglaise des Indes orientales. 


La marine des Anglais n’a commencé à devenir 
importante que sur ja fin du seizième siècle. Tant que 
durèrent les guerres sanglantes des maisons de Lan - 
castre et d’Yorck , il wy eut aucune industrie en An- 
gleterre. Les villes anséatiques exportaient ses blés 
et son étain, et lui rapportaient ses laines que les villes 
de Flandre avaient mises en œuvre. Mais à peine mon- 
tée sur le trône, Elisabeth sut encourager tous les arts. 
Sous son règne, des vaisseaux sortent de tous les ports 
d'Angleterre ; amiral Drack combat les Espagnols , 
les poursuit dans toutes les mers, et revient chargé de 
leurs dépouilles, après avoir fait le tour du monde. 

Cette reine créa en 1600 une Compagnie des Indes 
orientales , qui, dès les premières années de son éta- 
blissement, fit un grand commerce d’épiceries. Mais , 
sous le règne du malheureux Charles I~, elle perdit 
la plus grande partie de ses possessions. En 1689, 
lorsque Guillaume de Nassau fut monté sur le trône, 
une autre société de négociants obtint la permission 
de naviguer dans les mers de l'Inde ; il y eut deux 
Compagnies. Elles se nuisirent réciproquement dans 
les marchés de l'Asie, et leurs vaisseaux finirent par 
se livrer des combats, jusqu’en 1702,'qu’elles réunirent 
leurs fonds. Un nouveau privilége exclusif fut alors 
accordé à celte Compagnie qui existe encore aujour- 


es 


d'hui, et qui parvint à un degré de fortune et de 
puissance dont l'histoire n'offre pas d'exemple. 

Bencoolen, située dans l'ile de Sumatra, favorable 
au commerce de la Chine par sa position près du dé- 
troit des îles de la Sonde, fut un des premiers établis- 
sements de la Compagnie. Il a été cédé en 1829 aux 
Hollandais, qui ont abandonné en contre-échange leurs 
comptoirs dans l’Indostan; et pour remplacer Bencoo- 
len, les Anglais viennent de faire, en 1840, un nouvel 
établissement à l'extrémité de la presqu'île de Malaca, 
à Singapor, point de relâche pour les navigateurs qui 
vont dans les mers de la Chine, aux Philippines et dans 
la mer du Sud. 

La sùreté du port de Bombay décida également les 
Anglais à se fixer dans cette ville, qui est à présent 
l’entrepôt de tout leur commerce sur la côte de Ma- 
labar. 

Madras est devenu le marché général de toutes les 
toiles de la côte de Coromandel ; mais c’est à Caleutta 
qu'est le principal établissement de la Compagnie. 
Cette ville n'existait pas en 1720 ; depuis la conquête 
du Bengale on vil successivement s’accroitre sa popu- 
lation et ses immenses richesses, et elle renferme à 
présent dans ses murs sept cent mille habitants. 

On regarde Tamerlan comme le fondateur de la 
puissance Mogole. Ce ne fut cependant que son sixième 
descendant, Baber, qui soumit ayec ses Tartares toutes 
les provinces septentrionales de lindostan ; il aban- 
donna Samarkande et choisit Delhy pour la capitale 
de ses états. La partie méridionale des Indes ne fut 
même soumise à cet empire qu'en 1660 , sous le règne 
d'Aurengzeb. On a longtemps vanié le luxe et ia ma- 
guificence des fastueux empereurs du Mogol; mais, 


=R e 

en 1739, les Persans , sous la conduite de Shah-Nadir, 
plus connu des Francais sous le nom de Thamas Kouli- 
Khan , entrèrent vainqueurs dans Delhy, et s’empa- 
rèrent de tous ses trésors. Le faible monarque, qui 
n'avait pas pu combattre les persans, ne sut pas 
maintenir son autorité sur les gouverneurs des pro- 
vinces. Ce fut sous son règne que les soubas, les 
nababs et les rajahs commencèrent à devenir indépen- 
dants, et le successeur de Tamerlan est aujourd'hui 
réduit à la possession de terroir de Delhy. 

En 1756 , un des principaux officiers du Bengale, 
poursuivi par les ordres du souba , vint chercher un 
asile chez les Anglais ; le refus qu'ils firent de le livrer 
amena la guerre; elle fut heureuse pour le prince 
indien souverain du Bengale :ils’empara de Calcutta, 
en fit massacrer la garnison. Le général Clive et la- 
miral Watson revinrent avec l'espoir de reprendre 
Calcutta. Le souba fut trahi par les Indiens révoltés 
de ses injustices et de ses cruautés. Les habitants du 
Bengale regardèrent les Anglais comme leurs libéra- 
teurs, et les riches pays, arrosés par le Gange , leur 
furent soumis. 

Clive ternit sa victoire en faisant étrangler le souba 
qu'il venait de détrôner. Les trésors de ce gouverneur, 
cédés à Pempereur du Mogol, le décidèrent à signer un 
acte formel par lequel il abandonna à la Compagnie la 
souveraineté du Bengale et du royaume de Bénarès. 

Une société de marchands de Londres devint souve- 
raine d’un pays peuplé de douze millions d'habitants, 
et son commerce ne fut plus alors qu’un des moyens 
secondaires de sa puissance. Un acte du parlement lui 
garantit toutes ses propriétés dans l'Inde. Elle ne prit 
d'autre engagement que celui de payer tous les ans neuf 


mu 2 


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millions au gouvernement ; et la cour des directeurs 
conserva la nomination de tous les emplois civils et 
militaires dans tous les pays situés au-delà du cap de 
Bonne-Espérance. Elle confia le droit de faire la paix 
et la guerre au conseil suprême de Calcutta. Ce fut 
aussi dans cette ville que furent placés les tribunaux 
supérieurs , le gouverneur général et tous les princi- 
paux agents de la Compagnie. Le commerce intérieur 
se fait à Daca, situé au centre des manufactures , et 
presque toutes les forces militaires sont à Bénarès. 

Bénarès est la ville sacrée des Indous, qui donnent 
trois mille ans d’antiquité à ses temples et à son obser- 
vatoire. Des milliers de pèlerins y viennent constam- 
ment de tous les pays soumis au culte de Brama, pour 
se purifier dans les eaux du Gange. 

Ces paisibles facteurs, qui n'avaient jusqu'alors 
exercé leur industrie que dans des travaux utiles à la 
société, devinrent des conquérants injustes. Après des 
combats et des négociations que la force militaire et la 
puissance de l'or firent toujours tourner à leur avan- 
tage, ils imposèrent, en 1767, des tributs sur le Car- 
nate et le royaume d’Arcot, et se firent céder en toute 
propriété, par le souba du Dekan , toutes les provin- 
ces situées sur la côte d'Orixa. 

L’usurpateur de la couronne de Mysore, Hyder Aly, 
qui s'était fait proclamer , en 1760, sultan des états 
dont il était le régent pendant la minorité du jeune 
prince de l’ancienne dynastie, a été l'ennemi le plus 
redoutable des Anglais. Le royaume de Mysore , situé 
dans la partie méridionale des Indes et dans l'intérieur 
des terres, n'avait point eu jusqu'alors à combattre les 
Européens. Encouragé par ses succès contre les Ma- 
raltes et tous les peuples voisins, Hyder Aly alla atta- 


— Ni — 


quer les Anglais sur la côte de Coromandel. H leur fit 
une longue et sanglante guerre, pendant le cours de la 
quelle il remporta presque toujours sur eux des avan- 
tages. Tippoo-Saheb, son fils, hérita de sa valeur et de 
sa haine contre les Anglais. Cependant en 1792, vaincu 
par lord Cornwalis, il fut obligé de céder à la Com- 
pagnie une parlie de ses états. Mais irrité de ses revers 
il forma le projet de réunir contre ses ennemis tous les 
peuples de l'Inde. 

Les Marattes sont la nation la plus belliqueuse de 
ces contrées ; ils habitent les pays qui s'étendent de- 
puis le royaume de Mysore jusqu'aux portes de Delhy. 
Leurs armées nombreuses et aguerries auraient dù 
réunir à leur empire la plus grande partie des Indes ; 
mais la forme de leur gouvernement a mis jusqu'à pré- 
sent un obstacle invincible à leurs succès. Divisés en 
un grand nombre de tribus, dont chacune a son chef, 
ils reconnaissent il est vrai la supériorité de Pun d’eux, 
auquel ils donnent le nom de peichva , et dont la rési- 
dence est dans la ville de Poonah. Mais jaloux de leur 
indépendance, ils n’ont donné à ce chef presqu’aucune 
autorité; et lorsque Scindiah, leur peichva, par les con- 
seils d’un émigré français, le chevalier du Dresnay eut 
amélioré son artillerie , et qu'également instruit par 
cet étranger dans Part datiaquer et de défendre les 
places , ce prince eut remporté des ayantages sur ses 
rivaux, tous les chefs Marattes, ses plus fidèles alliés, 
craignant qu'il n’usurpàt un pouvoir absolu , réunirent 
leurs forces à celles d'Holkar le plus redoutable de ses 
concurrents. 

Cependant les querelles et les divisions de ces di- 
verses tribus cessèrent ; les promesses que les émis- 
saires de Tippoo-Saheb firent en son nom, l'or qu'ils 


du = 


cn 98 


répandirent triomphèrent de tous les obstacles. Il se 
forma une confédération générale des Marattes contre 
les Anglais. 

Au nord de Delhy sont des hordes de Tartares ma- 
hométans, les Afghans, les Patanes, les Abdallas : ils 
n'entretiennent aucune relation avec l'Indostan. Ce- 
pendant Tippoo-Saheb sut engager le plus puissant de 
leurs chefs, Zemaun Shah, à prendre part à la guerre 
qu'il allait entreprendre. Mais l'infatigable activité 
du gouverneur du Bengale, lord Mornington, aujour- 
d'hui désigné sous le nom de marquis de Wellesley, 
frère du duc de Wellington, trouva les moyens de 
détruire tous les projets du sultan de Mysore. Il envoya 
le colonel Pohlman dans la vilie de Poonah. Cet officier 
autorisé à disposer des trésors de la Compagnie, eut 
l'adresse de faire renouveler les anciennes divisions 
des chefs Marattes, et leurs guerres interminables re- 
commencèrent. 

Sur les frontières du Thibet est une nation connue 
sous le nom de Sciks. Ils ne veulent pas reconnaître 
dans Mahomet envoyé de Dieu, et ont les mahométans 
en horreur. Le lord Morniggton sut profiter de ce 
sentiment de haine que leur inspire une différence de 
religion, pour les armer contre les troupes de Zemaun 
Shah. Les commencements de la guerre furent heureux 
pour les Tartares mahométans, et ils allaient envahir 
le royaume de Bénarès, lorsque les Seiks remportèrent 
sur eux une victoire complète à la fin de l'année 1799, 
sur les bords de la rivière de Beiah, connue des anciens 
sous le nom d'Hyphasis, et qui fut également le terme 
de la marche d'Alexandre. Les Seiks , vainqueurs , 
reprirent Lahore, et poursuivirent leurs ennemis 
dispersés jusque dans les montagnes du Candahar, 


EE 9 

Lahore a été la capitale des états de Porus,vaineu par 
Alexandre, et la capitale des états de Rundjet-Sing , 
mort en 18#1, dont l’armée, organisée par le général 
Allard, aurait pu, dit-on, braver les efforts de la puis- 
sance anglaise. Mais Shere-Sing, fils de Rundjet-Sing, 
loin de combattre les Anglais dans la campagne qu'ils 
viennent de faire contre les Afghans, a conclu avec eux 
un traité; et quelques voyageurs assurent même qu'il 
a vendu ses états au gouvernement britannique pour 
une pension de cinq millions. 

En 1798, le général Chapuy s'était rendu près de 
Tippoo-Saheb avec deux cents Français, d’après la de- 
mande que ce prince en avait faite au commandant des 
îles de France et de Bourbon. Des ambassadeurs fu- 
rent en même temps envoyés par le sultan de Mysore 
vers le directoire exécutif avec de riches présents.Mais 
le vaisseau sur lequel ils étaient embarqués fut pris 
par une frégate anglaise près de Madagascar. 

Les forces deTippoo-Saheb montaient à cent-soixante 
mille hommes, celles de la Compagnie à cent mille 
Cypaies et vingt mille Européens. Une armée, sous les 
ordres du lieutenant-général Harris, partit de Madras 
à la fin de l’année 1798.Le nizaon ou souba du Dekan, 
fidèle allié des Anglais, leur donna un corps de trente 
mille auxiliaires. Cette armée eut à souffrir des mar - 
ches pénibles ; elle ne pouvait éviter les pluies abon- 
dantes qui tombent successivement sur lun ou Fautre 
côté de la chaîne des montagnes qui, s'étendant du 
nord au midi , sépare en deux parties l'Indostan. Ce 
fut la continuité de ces pluies, qui, suivant le rapport 
de tous les historiens , avait fini par lasser la con- 
stance des soldats d'Alexandre et mettre un terme à 
ses triomphes. 


Gi 


Tippoo-Saheb fut vaincu dans plusieurs combats 
sanglants. Ses efforts , sa valeur ne purent arrêter la 
marche victorieuse de ses ennemis. Obligé de fuir , il 
alla s'enfermer dans la capitale de ses états avec les 
débris de son armée. Le général Harris arriva peu de 
temps après lui, le 5 avril, près de Seringapatnam, et 
trouva campée sous les murs de cette ville une autre 
armée anglaise commandée par le général Stuart. 

Cette armée, composée de toutes les troupes qui 
étaient stationnées à Bombay et sur la côte de Malabar, 
était partie de Cananor en même temps que l’armée 
formée sur la côte de Coromandel sortait de Madras ; 
et après avoir mis en fuite les troupes de Tippoo-Saheb, 
commandées par Doondeah, le général Stuart s'était 
rendu le # avril dans la plaine de Seringapatnam. 

En apprenant la défaite entière des armées du sultan 
de Mysore, plusieurs nababs et rajahs vinrent réunir 
leurs forces à celles de ses ennemis. Le siége fut 
commencé et suivi avec ardeur. Le 4 mai 1799, les 
généraux anglais promettent à leur armée, au nom de 
la cour des directeurs, vingt-quatre millions; et dans 
la journée mème, Seringapatnam est emporté d’as- 
saut. 

Lorsque Tippoo-Saheb vit flotter sur ses remparts le 
drapeau des Anglais, il alla chercher la mort parmi les 
bataillons ennemis. On eut peine à retrouver le corps 
de ce prince sous la foule des morts dont il était cou- 
vert. Tous les officiers anglais, réunis sous les ordres 
du général Stuart, furent obligés de combattre leurs 
soldats qui voulaient enfoncer les portes du palais ; 
et ce ne fut qu'en abandonnant la ville au pillage, 
qu'ils purent sauver le sérail et les trésors de Tippoo- 
Saheb. 


= H 


_ 


Le général Chapuy fut pris avec six officiers fran- 
cais, et ramené en Angleterre, en 1801, à bord de la 
frégate le Triton. 

On voit aujourd'hui, dans le musée oriental de Lon- 
dres, une partie des ornements du sérail et un grand 
nombre de livres sanscrits trouvés dans Seringapat- 
` nam, parmi lesquels on remarque l’histoire ancienne 
et jusqu'à présent inconnue des peuples de PAsie. 

Les actionnaires de la Compagnie, qui avaient espéré 
recevoir encore d'autres richesses, firent aux généraux 
anglais le reproche de n'avoir pas agi avec une fidélité 
scrupuleuse, lorsqu'ils déclarèrent n'avoir trouvé dans 
le trésor du sultan que les vingt-quatre millions qu'ils 
distribuerent à leur armée. 

Fidèles au principe qu'ils ont adopté de paraître ne 
gouverner que sous le nom d’un prince indien , les 
Anglais remplirent la formalité de placer sur le trône 
un enfant âgé de sept ans, Kirhenrai-Weddiar, du 
sang des anciens rois de Mysore, et dont l'aïeul avait 
élé détrôné par Hyder Aly. 

Après la conquête du royaume de Mysore, on comp- 
tait vingt-six millions d'habitants dans les pays soumis 
à la Compagnie, et les impôts qu’elle levait sur ses 
sujets montaient à deux cent soixante millions, sans 
compter les tributs que lui payaient les nababs et les 
rajahs , et qui sont toujours consacrés à entretenir des 
guerres entre ces princes. 

Cependant l'insatiable avidité de ces marchands 
n'était pas encore satisfaite de tant de richesses et de 
puissance. Vainqueurs des Marattes, ils s’emparèrent 
des pays situés entre Surate et Sattara; ils détrônèrent 
successivement les nababs et les rajahs de Népaul, de 
Betwall, de Kootak, de Jeypour, de Rohilcand, de Me- 


= fs = 


derabad ; et toute la péninsule formée par l'océan fn- 
dien , le Gange et l'Indus, peuplée de cent-cinquante 
millions d'habitants, fut soumise à la domination bri- 
tannique. 

La Compagnie n’a réellement que cent-douze millions 
de sujets, mais elle recoit des tributs de tous les prin- 
ces qui gouvernent le reste de la péninsule indienne. 

Cependant elle crut n'avoir pas encore assez de vas- 
saux, et voulut porter son empire au-delà de lPIndos- 
tan. En 1824, après plusieurs combats dans lesquels 
les Anglais,sous les ordres du général Campbeil, furent 
toujours vainqueurs, l'empereur des Birmans, souve- 
rain de la péninsule orientale qui renferme les royau- 
mes d’Ava,de Siam et de Pégu, s'engagea à leur payer 
un tribut, et leur abandonna le district de Tanasserim, 
sur le golfe de Bengale, au sud d’Ava. 


Tributs payes par les princes indiens. 


Le nizam d'Hyderabad, . . s . . aiiim . 10,000,000 
Tera d Oude- tas nana era ete 6:000 000 
Le rajah de Neypour a tease o ae cer ae a 32000000 
PéSullan de MYSOIE. Aea E A E S300000 
Lö rajal de Saltara; AUP HINER A IS 2213500000 
Le rajah de Baroda ,.... . . set eh 25000000 
Les Seiks de la rive gauche du Suede de Se = 3.000 DO 
Travancore et Cochin, . . . + + + + 1,000,000 
Les nombreux princes du R: Abot + + R ATG, 0005000 
Boundéscound I Le PIITAN p VOAN goio 
Scindiah, .,eintums 294 daok qnmrepitl4;000;008 


——— 


51,500,000 


Gouvernement et administration. 


Le gouvernement anglais aurait depuis longtemps 
supprimé la Compagnie, et se serait emparé de Padmi- 
nistration de tous les établissements fondés dans linde 


ee 


et dans l'Asie, si le parti de l'opposition n'y avait con- 
stamment mis obstacle. Cependant le gouvernement 
britannique a fini par obtenir plusieurs actes du par- 
lement , qui ont successivement diminué les attribu- 
tions et les prérogatives de la cour des directeurs et 
du conseil de Calcutta, et ne leur ont définitivement 
laissé presque aucun pouvoir. Après de longues hésita- 
tions, la forme du gouvernement et l'administration 
furent ainsi modifiées : 

La cour des directeurs, composée de vingt-quatre 
actionnaires, conserve la nomination des emplois subal- 
ternes, et a le droit de présenter trois candidats pour 
les emplois supérieurs ; elle ne peut exercer de pou- 
voir que sous la direction de la chambre du contrôle. 

Cette chambre du contrôle, ministère spécial, est 
composée d’un ministre du roi, président, du chan- 
celier de l’échiquier , du ministre des affaires étran- 
gères, et de six commissaires pris parmi les membres 
du gouvernement. 

Le pouvoir du gouverneur général est presque absolu; 
il a le droit de faire la paix et la guerre, de faire gràce; 
il nomme les agents diplomatiques; il peut tirer autant 
de lettres de change qu'il le juge convenable, sur la 
Compagnie, qui est obligée de les accepter. 

Un acte du parlement de 1835, a enlevé à la Com- 
pagnie le monopole du commerce avec l'Inde. Ce com- 
merce est libre pour tout sujet anglais. 

La valeur des magasins de la Compagnie, thé, sucre, 
indigo, café, etc., a été fixée à 529 millions. 

On en a consacré 225 à l'amortissement des dettes 
de la Compagnie ; 50 à l'amortissement des actions, et 
250 à des améliorations sur le sol indien ; aux ports, 
fortifications, routes, ete. 


85 — 


Il y a six mille actions de cinquante mille francs cha- 
cune. Elles n'étaient dans l’origine que de vingt-cinq 
mille francs ; mais, produisant dix pour cent d'intérêt, 
elles ont doublé de valeur, et un acte du parlement en 
a fixé le remboursement à cinquante mille francs. 

Ainsi finit la puissance de cette Compagnie, dont 
les armées avaient subjugué lIndostan , et que ses es- 
cadres avaient rendue souveraine des mers de l’Asie ; 
et c’est avec un capital de cent cinquante millions, 
qu’elle est parvenue dans le cours de cinquante ans, à 
fonder et à soumettre à ses lois un pays peuplé de plus 
de cent millions d'habitants. Créée en 1702, la Com- 
pagnie n’était qu’une société commercante ; elle fut 
souveraine du Bengale en 1756, et de toutes les Indes 
orientales en 1806. Elle dut une grande partie de ses 
triomphes à l’état de misère et d’anarchie des nations 
indiennes , et à leurs guerres sans cesse renaissantes. 

Aucun prince ne peut régner dans l’Indostan, au- 
cune autorité ne peut y être exercée sans avoir obtenu 
un firman de l’empereur du Mogol. En lui abandon- 
nant une partie des trésors du prince détrôné, le vain- 
queur entre en possession de ses états. C’est ainsi que 
la Compagnie a recu l'investiture du Bengale, du 
royaume de Bénarès, de tous ses domaines; et la fidèle 
vassale du Grand-Mogol, la reine Victoria paieencore 
à présent une pension annuelle de quatre millions à 
son seigneur suzerain, le successeur de Tamerlan. 

La différence de religion a toujours entretenu entre 
les Mahométans etles Indiens un sentiment de haine 
qui les a empêchés de se réunir pour combattre la do- 
mination anglaise. 

La division des castes est un dogme religieux con- 
sacré par le Védam, Les quatre principales classes se 

6 


ne = O 


subdivisent en un grand nombre de corporations ; cha- 
que métier forme, pour ainsi dire, une caste séparée. 
Cet ardent amour de l'égalité, qui dans d’autres pays 
a quelquefois rompu tous les liens nécessaires au main- 
tien de l’ordre social, est inconnu aux Indiens. Les 
Anglais ont établi parmi eux le jury. On a formé des 
listes pour chaque caste ; un Indien n'aurait pas con- 
fiance dans l'impartialité dun jury d’une autre caste 
que la sienne, et toutes jouissent de l'égalité devant 
la loi. Cette institution a contribué à attacher les clas- 
ses inférieures au gouvernement. 

Mais ce n’est pas la reconnaissance des parias pour 
l'Angleterre qui a fait sa puissance, et lui a donné 
l'empire de l’Indostan : c’est la politique adresse avec 
laqueile elle a su armer les princes indiens les uns 
contre les autres, comme elle a su opposer en Europe 
Louis XVII à Napoléon, dom Miguel à dom Pédro, 
Espartero à la reine Christine. 

Le but de la triste et désastreuse expédition que les 
Anglais viennenent de faire dans le Kaboul, était de 
renverser Dost Mohammed, roi des Afghans, ami des 
Russes, pour placer sur son trône un prince dévoué à 
leurs intérêts. Ackbar Kan qui commande les Afghans 
dans le Kaboul , est le fils de Dost Mohammed. 

D'après les rapports faits au parlement, les impôts 
levés par la Compagnie ont produit de 1818 à 1829, an- 
nuellement, déduction faite des frais de 
perception . . . ...+ +. + +  465,000,000 
Les dépenses se sont élevé ées à . . . 440,000,000 


reste . . 25,000,000 


Dans le cours de ces dix années, la Compagnie a 
perdu dans les relations commerciales de l'Indostan 


— OÙ — 
avec J'Angleterre, annuellement cinq millions, et en 
a gagné vingt-cinq dans son commerce avec la Chine. 
Reste en bénéfice vingt millions. 

Les vingt millions du bénéfice du commerce et les 
vingt-cinq millions du bénéfice des impôts ont été 
employés à payer toutes les dépenses de la Compagnie 
en Angleterre, ses immenses magasins, ses nombreux 
employés, les retraites , l'intérêt des actions, Parme- 
ment et l'équipement de ses armées, qui sont tous tirés 
d'Europe. 

ll est évident, d’après les comptes rendus au parle- 
ment par les directeurs des douanes , que la posses- 
sion de l'Indostan, dont les productions et le com- 
merce firent toujours la richesse des peuples qui pu- 
rent s’en emparer, n'offre plus aujourd’hui les mêmes 
avantages. Les inventions miraculeuses d’Arkwright 
et de Watt ont paralysé l'industrie des Indous. Les 
colons travaillés de Manchester et de Lancastre sont 
à présent transportés à Madras et à Daca, au centre 
même des manufactures du Bengale. 

Pour donner de louvrage à des milliers d’Indiens 
réduits à la mendicité, le gouvernement anglais cher- 
che à propager la culture de la canne à sucre, du café, 
de l’indigo, mais pour que ces cultures donnent des bé- 
néfices réels en Asie, il faut que l'esclavage soit aboli 
dans toute l'Amérique. 

Les comptes rendus par la cour des directeurs et les 
tableaux des recettes des douanes prouvent qu'il ne 
reste rien au gouvernement ni à la Compagnie du pro- 
duit des impôts de l'Inde, et de ses relations com- 
merciales avec la métropole, Il y a cependant des bé- 
néfices considérables faits par un grand nombre de 
particuliers. 


— 
La solde des officiers en congé. . . . .  3,000,000 
Le fret payé dans les ports anglais. . .  3,000,000 
Pensions civiles et militaires payées en An- 

gleterresranss.nt deis ik er state 200000 
Du des papi és de la Compagnie à 

Londres. pi Ah ose ent dasoa ama aa i000 
Équippement et armement des armées ache- 

tés en Angleterre. . . . . . . . . . . 12,000,000 
Intérêt des actions. . . . . . . . . . . 15,000,000 
Intérêt des économies qu'ont rapportées 

les employés civils et militaires. . . 37,000,000 


Total. SA e à "19000 UD 
Et de plus, les bénéfices du commerce avec l’Inde et la 
Chine, portés à vingt millions dans les comptes rendus 
au parlement. 

L'article des trente-sept millions, représentant lin- 
térêt des capitaux qui ont été économisés par les em- 
ployés civils et militaires, peut au premier abord pa- 
raître exagéré ; mais le paiement de tous les emplois 
de l'Inde est si élevé, que tous ceux qui en sont revêtus 
en rapportent en Europe la plus grande partie. 

Dans chacune des quatre présidences,à Agra, Bom- 
bay, Madras et Calcutta, il y a un tribunal, une cour 
d'appel, dont chaque juge recoit le traitement annuel 
de deux-cent mille frances, un juge de second rang cent- 
cinquante mille, la plus faible rétribution d’un employé 
civil est de douze mille francs. Il y en a de trente-six , 
de soixante-quinze, de cent mille francs et plus. 

Malgré les services qu’ils ont rendus à leur pays, la 
mémoire de Clive, d'Hastings, et de plusieurs autres 
agents de la compagnie, reste à jamais flétrie par le 
scandale de ces immenses fortunes, dont ils n'ont pas 


LD E 


pu justifier l'origine. Ce sont toutes ces valeurs, bien 
ou mal acquises, mais toujours rapportées en An- 
gleterre, qui font parler avec exagération des riches- 
ses du Bengale. 

L'armée de l'Inde est composée de vingt-cinq mille 
Anglais et de cent soixante-quinze mille Indiens, indé- 
pendamment des troupes que les princes tributaires 
doivent mettre au service de la Compagnie. L'armée 
des Cypaies n’est pas soumise aux punitions corporel- 
les sévèrement infligées dans les troupes anglaises. Les 
officiers des régiments de Cypaies sont des Anglais 
sortant de deux écoles spéciales, situées près de Lon- 
dres, Hailesbury et Addiscourts , et les Indiens aux- 
quels on donne le nom d'officiers, ne sont réellement 
que des sergents. 

Il ne faut pas croire que la puissance des Anglais 
s’écroulerait avec la perte de leurs possessions dans 
les Indes orientales. On ne s’est pas apercu qu’ils 
aient été affaiblis par la perte de toutes les provinces 
des Etats-Unis. Eblouis par tous les prestiges de la 
gloire militaire, entrés en vainqueurs dans presque 
toutes les capitales de l'Europe, les compagnons d’ar- 
mes de Napoléon ayant le sentiment de toute leur 
force et de leur valeur, confiants dans la fortune de 
César, pensaient qu’il ne leur serait pas impossible 
d'aller détruire la puissance anglaise dans les Indes: 
ils croyaient pouvoir surmonter tous les obstacles, bri- 
ser toutes les résistances. Mais quand même, poursui- 
vant son vol audacieux, l'aigle des Français aurait été 
planer sur les remparts de Bénarès, eût-il été pos- 
sible d'attaquer les Anglais sans marine, et de les 
combattre sur une étendue immense de quaire mille 
lieues de côtes, depuis le cap de Bonne-Espérance, 


MT ee 


jusque daus les mers de la Chine, et dans toutes les 
îles qui leur sont soumises, depuis le cap Comorin jus- 
que dans la mer du Sud ? 

La vente des toiles de Coromandel et de cent diffé- 
rentes espèces de tissus de coton ont produit des bé- 
néfices immenses au commerce anglais ; mais tous ces 
objets, aujourd'hui fabriqués en Europe, y sont à un 
prix moins élevé qu'au Bengale. On voit, par les rap- 
ports faits par les directeurs des douanes au parlement 
que le commerce des Indes occidentales est devenu 
bien plus considérable que celui de toutes les produc- 
tions de toute l Asie; et que c’est de l'Europe même que 
sort la plus grande partie des marchandises importées 
en Angleterre. L’immense étendue de ses colonies, son 
commerce illimité et ses deux cent quarante-mille ma- 
telots, sont les véritables causes de sa puissance. 

ll est évident que la facilité des transports augmente 
la valeur etla quantité des produits du sol et de lin- 
dustrie ; qu’elle fait baisser le prix des productions 
étrangères ; qu’elle assure une plus douce existence à 
tous ceux qui sont employés par le propriétaire et le 
fabricant, ce qui comprend presque toute la population ; 
qu’elle augmente en même temps les revenus de l’état, 
par la recette des douanes et des droits établis sur tous 
les genres de consommation , et qu’elle est la véritable 
cause de la prospérité publique. Il ne peut y avoir 
d'activité dans le commerce sans une marine mar- 
chande, et la marine marchande ne peut exister que 
sous la protection d’une marine militaire. 

L'Espagne a eu à sa disposition les mines du Mexi- 
que et du Pérou: l'Espagne est pauvre. Les compa- 
gnons de Cortez et de Pizarre, vainqueurs de PAméri- 
que, ont méprisé le travail,en ont dédaigné les produits. 


Ils croyaient leurs trésors inépuisables, et tous ces tré- 
sors ne leur ont servi qu’à payer l’industrie des nations 
étrangères. Il est à remarquer que la fabrique de Reims 
a dû en partie sa prospérité à cette indolence des 
Espagnols, qui n'avaient pas su mettre en œuvre ces 
belles laines que la nature a accordées à leurs trou- 
peaux. 

Depuis le règne d'Elisabeth, qui a encouragé la 
marine , l'Angleterre a constamment vu s’accroître sa 
puissance et ses richesses. Ses colonies font à présent 
la sixième partie du globe. De deux milliards cinq cent 
millions de marchandises qui sont tous les ans appor- 
tées dans ses ports,la moitié est exportée, l’autre moitié 
reste à ses habitants, et devient le prix de leur indus- 
trie. Ses escadres vont soumettre à ses volontés le Da- 
nemarck, la Hollande, l'Espagne, le Portugal, l'Inde et 
la Chine, et portant chez des peuples sauvages quel- 
ques-uns des bienfaits de la civilisation, vont dans lO- 
céanie créer un nouveau monde. 

Celui qui avoit su arracher la France à toutes les 
horreurs de l'anarchie, et qu’une suite continuelle de 
victoires avait rendu le protecteur et le chef suprême 
du continent européen, en changeait à son gré les gou- 
vernements et les dynasties. Cependant l'Angleterre, 
défendue par ses escadres, bravait impunément la puis- 
sance de Napoléon, qui conduisait toujours et partout 
ses armées triomphantes, sur les bords du Tage, du 
Niemen ou du Danube. La destruction de ses vaisseaux 
à Aboukir, à Naples, à Trafalgar, à Lisbonne, à Cadix, 
lui a fait perdre l'Espagne, a préparé sa chûte. Sans 
marine, il n’est pas de commerce, il n’est pas de puis- 
sance. 

L'Inde exposée aux attaques des Birmans, aux révol- 


Ep: -T e 


tes des Marattes et des Seiks, et dans un avenir indé- 
terminé, à une invasion russe; la plaie du paupérisme; 
la question inextricable de l'Irlande; la dette énorme 
de l'Angleterre, dont l'intérêt monte à six cent quatre- 
vingt-quatorze millions, et limmense étendue de ses 
conquêtes, sont des causes d’une décadence vraisem- 
blable. Mais il est plus que vraisemblable, il est certain 
que le maintien de la paix et l'établissement de la co- 
lonie d'Alger sont favorables à notre marine, et que les 
Etats-Unis voient aussi s’augmenter tous les ans leurs 
relations commerciales et le nombre de leurs matelots. 

Si le partage des dépouilles de l'empire Ottoman, 
si la possession des isthmes de Suez et de Panama, ou 
quelque autre grand intérêt commercial vient troubler 
la paix du monde, rappelons-nous avec confiance qu’à 
la fin de la guerre de l’indépendance américaine, la 


France et les États-Unis ont dicté les conditions de la 
paix. 


SCIENCES 


MATHÉMATIQUES ET PHYSIQUES. 


pags ` 


BOTANIQUE. 


NOTICE 


SUR LES 


MOUSSESET LES FOUGÈRES 


Des environs de Reims, 


Par AJ. SAUBINET ainé, 


Lue à l'Académie dans la séance du 21 Juillet 1844. 


(EXTRAIT.) 


MESSIEURS, 


AAU Les mousses forment une charmante famille, 
dont plusieurs espèces n’ont pas plus de 3 à 4 mil- 
limètres de hauteur, et dont quelques autres attei- 
gnent jusqu'à 30 à 40 centimètres. 

La couleur de leur feuillage varie du vert clair au 
vert foncé, et même parmi celles qui habitent les ma- 
rais, on en distingue dont la couleur d’un vert très- 
blanchâtre les fait découvrir de fort loin. Elles appar- 
tiennent particulièrement au genre Sphagnum. 

L'œil superficiel du simple promeneur n’apercoit 


a DOTE 


que des feuilles dans ces beaux et épais tapis de mousse 
qui flattent agréablement ses regards et linvitent au 
repos ; mais l’œil plus exercé du botaniste y découvre 
un végétal complet muni de tout ce qui est nécessaire 
à sa conservation et à sa reproduction. Il voit, quand 
la plante a acquis un certain développement, s'élever 
à côté de la feuille une petite tige très-ferme, nommée 
pédicelle, ou la tige elle-même se prolonger en pédi- 
celle terminé par une capsule, ou urne, traversée elle- 
même par un axe filiforme nommé columelle. Cette 
urne renferme les séminules ou très-petites graines qui 
sont en nombre prodigieux. 

Le péristome, ou bord de Purne, est souvent entouré 
d’un anneau élastique, ou bordé d’un rang de cils ou de 
dents, ou de deux rangs de dents. 

L’urne est terminée par un opercule ou couvercle 
de forme très-variable, tantôt obtus et sans pointes 
dessus, comme dans le Gymnostomum pyriforme; tan- 
tôt long conique à pointe très-allongée, comme dans le 
Dicranum scoparium ; ou à pointe grosse et courte, 
comme dans le Grimmia pulvinata. 

Cet opercule, qui tombe à la maturité, est recouvert 
d’une petite coiffe cuculliforme, toujours caduque, ou 
d’une coiffe longue et velue, entièrement semblable à 
un éteignoir, comme dans l Eucalypta vulgaris. 


.....Je ne vous fatiguerai pas, Messieurs, par l’énu- 
mération des noms scientifiques des 75 mousses trou- 
vées aux environs de Reims, et pour la nomenclature 
desquelles j'ai suivi Duby, en son Botanicon Gallicum. 

Je ne vous signalerai pas d'espèces rares, parce que, 
en cryptogamie, il est reconnu qu’il n’y a pas de plan- 
tes véritablement affectées à une localité spéciale. 


c o 


Toutes se trouvent partout , dans les bois, les en- 
droits sablonneux , les lieux humides, sur le bord des 
ruisseaux, sur les collines, comme sur les montagnes. 

J’appellerai seulement votre attention sur quelques 
espèces particulières, recommandables par leur forme 
ou leur utilité, et je vous citerai : 


Le Didymodon purpureum et le Didymodon palli- 
dum, dont les longs pédicelles, pourpres ou d’un jaune 
pâle, font de loin le plus joli effet. 

Les Hypnum splendens et proliferum, dont le feuil- 
lage est très-remarquable par son élégance et sa dé- 
licatesse. 

L’ Hypnum cupressiforme, dont les feuilles, finement 
découpées comme celles du cyprès, forment dans nos 
bois des gazons d’une immense étendue. 

Enfin, le Funaria hygrometrica, qui par sa sensibilité 
aux variations atmosphériques, pourrait servir de ba- 
romètre au bücheron. L’humidité tend ses longs pédi- 
celles , et la sécheresse, au contraire , les tord et les 
roule sur eux-mêmes. 


Sous le rapport de l'utilité, je vous signalerai le 
Polytrichum commune, qui est très-abondant dans tous 
les bois de l'arrondissement de Reims. Cette belle 
mousse, dont le pédoncule est solitaire, rougeàtre, et 
atteint 8 à 12 centimètres de hauteur, est employée 
dans les Ardennes à faire des brosses. On l'y recueille 
avec soin. Je ne sache pas que dans nos environs on 
en fasse cet usage, ni même qu'on récolte cette 
mousse. 

La mousse s'emploie utilement pour la conservation 
et l'emballage des fruits, des greffes et même des 


Eye 


fleurs ; et ces magnifiques bouquets qu’on envoie de 
Paris à plus de cent lieues, pour faire l'ornement des 
bals, doivent à la mousse dans laquelle ils sont embal- 
lés la conservation de leur fraîcheur et de l’élégance 
de leur forme. 

Tous les petits oiseaux, dont le chant fait le charme 
de nos bois, tapissent leurs nids de mousse ; et l’écu- 
reuil, qu’on aime à voir sautiller d’un arbre à un autre, 
en construit sa demeure habituelle. 

L'indigent trouve dans la mousse séchée et conve- 
nablement préparée un matelas économique , et le 
riche lui-même, dans ses jardins somptueux, en garnit 
ces grottes artificielles et ces bancs qui lui offrent un 
lieu de repos et un abri contre les ardeurs de l'été. 
Tant il est vrai qu'il n’est pas de plante, quelque vile 
qu’elle nous paraisse, qui mait son degré d'utilité. 


J'aurai peu de détails à donner sur les fougères. 

Il vous est sans doute arrivé, Messieurs, en vous 
promenant au printemps dans les bois, d’avoir les 
yeux frappés par une tige herbacée ou ligneuse , cou- 
verte d’écailles roussâtres, membraneuses, terminée en 
crosse roulée sur elle-même. Cette forme extraordi- 
naire excite naturellement la curiosité d’un promeneur. 
C'est, Messieurs, le commencement d’une fougère qui, 
peu à peu en déroulant sa crosse, montre aux yeux 
étonnés une feuille ailée dont la face inférieure est mar- 
quée de taches régulières et saillantes d’un jaune doré. 
On les prendrait , au premier abord , pour le résultat 
de l'humidité, ou pour le produit de la piqûre de quel- 
que insecte; mais ces taches ne sont rien moins que 
des capsules dépositaires des moyens de reproduction 
de la plante. Elles sont réunies en petites masses , 


499 — 


presque toujours protégées par une membrane nom- 
mée induse (indusium), pourvue d’un anneau élas- 
tique qui se rompt à la maturité des graines. 

La forme des fougères est agréable et variée. 

On les trouve semblables à une feuille très-simple, 
grande et linéaire, dans le Scolopendrium officinale ; 

A un épi, dans le Blechnum spicans ; 

A une espèce de grappe rameuse, dans le Botry- 
chium lunaria ; 

Enfin, à un petit arbre, dans la Pteris aquilina, qui, 
dans nos environs, atteint plus d’un mètre et demi de 
hauteur. Il a mérité le nom d’aquilina, parce que, en 
coupant la racine, la disposition des fibres représente 
grossièrement un aigle à deux têtes. 


Sous le rapport de l'utilité, je vous rappellerai l'em- 
ploi qu’on fait des fougères pour former des lits aux 
enfants rachitiques, et rétablir ainsi leur santé et leurs 
forces. On emploie plus particulièrement pour cet 
usage les Pteris aquilina et Polysticum filix mas, 
deux fougères fort communes dans tous nos bois. 


A Paris, on fait une consommation énorme de fou- 
gères, et les jardiniers en afferment la récolte dans les 
bois. Ils emploient particulièrement la Pteris aquilina 
pour conserver et emballer leurs fruits et leurs raisins. 
Je ne sache pas que dans nos environs on en fasse 
semblable usage. 

L’incinération des fougères procure beaucoup de po- 
tasse, aussi en brûle t-on une grande quantité dans 
nos campagnes , pour en recueillir les cendres qui se 
vendent avantageusement dans les verreries. 

De là cette dénomination de verres de fougères , 


MO — 


donnée à ces cristaux légers et fragiles dans lesquels 
nous aimons à voir pétiller le produit de nos vignes. 


Je ne crois pas inutile d'indiquer ici le nom des 
fougères trouvées aux environs de Reims, et que le 
docteur Mérat signale comme employées utilement en 
médecine. Ce sont : 

Pourles maladiesde vessie, l’ Asplenium trichomanes; 

Pour les crachements de sang, le Scolopendrium offi- 
cinale ; 

Pour le rachitisme, la Pteris aquilina, le Polysti- 
chum filix mas ; 

Comme purgatif, le Polypodium vulgare ; 

Comme pectoral , l'Adianthum nigrum ; 

Comme vulnéraire, Ophioglossum vulgatum le Bo- 
trychium lunaria. 


Vous parlerai-je aussi , Messieurs , de la place que 
les fougères tiennent dans le langage des fleurs ; oui, 
car ce langage, mieux que l'écriture, se prête à toutes 
les illusions d’une imagination vive et brillante, et il 
est vieux comme le monde. 

La capillaire est le symbole de la discrétion , et la 
fougère, sans acception d’espèce, celui de la sincérité. 


En terminant, Messieurs , je vous dirai que c’est en 
hiver, quand il n’y a plus d’apparence de végétation, 
dans celte saison si dure pour tous, que le naturaliste 
peut étudier avec le plus de fruit la eryptogamie, et 
qu'il trouve le plus d'occasions de reconnaître et d’ad- 
mirer ces mille phénomènes de la végétation, qui nous 
montrent le doigt de Dieu partout, et beaucoup mieux 
que ne pourraient le faire tous les raisonnements de 
la philosophie. 


— 101 — 
NOMS 


Des espèces de mousses trouvées aux environs de Reims, 


Classées suivant Dugy, en son Bolanicon Gallicum. 


Polytrichum juniperinum. Mai, garenne d'Ecueil. 

P. — piliferum. Avril, garenne d’'Ecueil. 

P. — commune. Avril, juin, Trépail, et dans tous nos 
bois. 

P. — subrotundum. Octobre, Mont-Saint-Martin, près 
Fismes. 

P. — undulatum. Avril, octobre, Champigny et Lou- 

vois. 

Bartramia pomiforis. Mars, Merfy. 

Funaria hygrometrica. Avril, Bouzy, garenne d’'Ecueil. 

Bryum androgynum. Novembre, Louvois. 

B. — palustre. Avril, marais de Chenay. 


B. — roseum. Novembre, Vertuel. 
IB. — hornum. Novembre, Vertuel. 
B. — rostratum. Avril, marais de Chenay. 


B. — cuspidatum. Novembre, Louvois. 
B. -— punctatum. Septembre, Vandeuil. 
B. — pyriforme. Septembre, Vandeuil. 
B. — argenteum. Octobre, remparts de Reims. 
B. — capillare. Novembre, Bouzy. 

B. — cespitium. Mars, Merfy. 

B. — ventricosum. Avril , Chenay. 

B. — carneum. Septembre, Vandeuil. 
B. — nutans. Avril, Chenay. 

Neckera viticulosa. Mars, Louvois. 

N. — curtipendula. Avril, Bouzy. 


— 102 — 


Fontinalis antipyretica. Juin, sur toute la Vesle. 

Hypnum trichomanoides. Avril, Merfy. 

H. — riparium. Décembre, Reims. 

H. — purum. Avril, Chenay. 

H. — serpens. Avril, Muire. 

H. — sericeum. Avril, Louvois. 

H. — lutescens. Avril, Louvois. 

H. — splendens. Avril, Louvois. 

H. — proliferum. Avril, Bouzy. 

H. — abietinum. Avril, Chenay. 

H. — prelongum. Avril, Merfy. 

H. — rutabulum. Mars, promenades de Reims. 

H. — rusciforme. Octobre, Vandeuil. 

H. — cuspidatum. Avril, Chenay. 

H. — cordifolium. Avril, Merfy. 

H. — filicinum. Octobre, Vandeuil. 

H. — aduncum (variété). 

H. — revolvens. Avril, Merfy. 

H. — aduncum (variété) js 

H. — lycopodioides. Octobre, Vandeuil. 

H. — cupressiforme. Mars, Bouzy et Reims, au Bois - 
d'Amour. 

H. — molluscum. Avril, Chenay. 

Tortula enervis. Octobre, Vandeuil. 

T. — muralis. Octobre, remparts de Reims. 

T. — ruralis. Mars, remparts de Reims. 

T. — subulata. Avril, Bouzy et Jonchery. 

T. — unguiculata. Avril, Vertuel et Chenay. 

Didymodon purpureum. Mai, Champigny et Bouzy. 

D. — pallidum. Mai, ruines de Bullon. 

Dicranum glaucum. Mai, ruines de Bullon. 

D. — undulatum. Avril, Merfy. 

D. — scoparium. Novembre, Bouzy. 


— 103 — 

Dicranum scoparium (variété). 

D. — majus. Avril, marais de Merfy. 

D. — heteromallum. Avril, Champigny. 
Weissia controversa. Avril, Merfy. 
Thesanomitrion flexuosum. Avril, Vertuel. 
Encalypta vulgaris. Octobre, Vertuel. 

1. — streptocarpa. Octobre, Vandeuil. 
Trichostomum canescens. Avril, Merfy. 

T. — lanuginosum. Octobre, Vertuel. 
Grimmia pulvinata. Mars, remparts de Reims et par- 

tout. 

G. — apocarpa. Mars, Crilly, à la Perte. 
Orthotrichum cupulatum. Mars, Bouzy. 

O. — anomalum. Mars, Bouzy. 

O. — affine. Octobre, Vandeuil. 

O. — diaphanum. Avril, promenades de Reims. 
O. — striatum. Avril, promenades de Reims. 
O. — fastigiatum. Novembre, Vandeuil. 

O. — crispum. Novembre, Bouzy. 
Anictangium ciliatum. Septembre, Trépail. 
Gymnostomum microstomum. Mai, Vertuel. 

G. — ovatum. Octobre, Bouzy. 

G. — pyriforme. Mai, Chenay. 

Sphagnum obtusifolium. Juillet, Chaumuzy. 


NOMS 
Des espèces de fougères trouvées aux environs de Reims , 
Classées suivant Dugy, en son Botanicon Gallicum. 
Ophioglossum vulgatum. Août, Livry. 
Botrychium lunaria. Juin, Chenay. 


Polypodium vulgare. Mars, Ludes et dans tous les bois. 
Polystichum dilatatum. Octobre, Ourges. 


— 104 — 


Polystichum filix mas. Août, Ludes et dans tous les 
bois. 

P. — (variété) abbreviatum. Octobre, Bouzy. 

Athyrium filix femina. Juir, Saint-Imoges. 

Aspleniumadianthum nigrum. Avril, garenne d’Ecueil. 

A. — rula muraria. Août, Ville-en-Fardenois. 

A. — trichomanes. Octobre, Bouzy. 

Scolopendrium officinale. Octobre, Bouzy. 

Blechnum spicans. Décembre, Vertuel. 

Pieris aquilina. Septembre, Louvois, Bouzy, Monche- 
not et dans tous les bois. 


ns 


MÉDECINE. 


oote 


HYDROPHOBIE 


Après une période d'incubation de T mois; 


OBSERVATION 
lue à l'Académie, dans sa séance du 22 Mars 1844, 


Par M. le docteur MOPINOT, de Fismes, 


Membre correspondant. 


a 
(EXTRAIT.) 


Malgré les faits nombreux d’hydrophobie que con- 
tient l’histoire de la médecine, j'ai cru cependant de- 
voir transmettre à l’Académie l’observation suivante, 
et pour payer le tribut que mwimposent les statuts, 
et pour consigner dans les annales un fait qui me pa- 
rail être jusqu'alors sans exemple dans la science. 

Le 5 mars 1840, vers minuit, je fus mandé en toute 
hâte à Arcy-le-Ponsart, pour y visiter un malade dont 
l'affection donnait les plus sérieuses inquiétudes. Che- 
min faisant, j’appris que Bellier, c'était le nom du ma- 
lade, était alité depuis deux jours seulement. M. Remi, 
officier de santé à Lagery, qui l'avait vu seulement la 
veille, lui avait pratiqué deux saignées, dans l'espoir 
de diminuer la violence d'accidents nerveux dont il ne 


— 106 — 


pouvait encore déterminer la nature. Mon guide ajouta 
que, depuis quelques heures, Bellier n’avalait les bois- 
sons qu'avec la plus grande difficulté. 

Tels furent les seuls renseignements que je pus ob- 
tenir jusqu'à mon arrivée auprès du malade, que j'a- 
bordai sans aucune idée préconcue. 

Mon entrée fit sur Bellier une impression qui m'effraya 
tout d’abord. Sa figure fut contractée par des mouve- 
ments convulsifs, ses yeux devinrent étincelants et ha- 
gards, les muscles de la poitrine et des membres agités 
si violemment, que deux hommes avaient peine à le 
contenir. 

Cette scène ne dura qu'un instant, et fit place à un 
calme presque complet, pendant lequel Bellier m'a- 
dressa quelques paroles de remerciement sur la dé- 
marche que je faisais à une heure aussi avancée de la 
nuit. 

Questionné sur le siége de ses douleurs, le malade 
porta les mains à sa gorge, en disant que, sije ne trou- 
vais aucun moyen d'empêcher laconstriction qu’iléprou- 
vait dans cette région, il étranglerait, c’est l'expression. 

Frappé d’une pareille réponse, je me souvins que ce 
symptôme était l'un des plus constants de la rage, et 
l’idée d’une aussi terrible affection me vint à Pesprit, 
presque malgré moi. 

Sur mon invitation, on présenta à Bellier un verre 
de tisane qu'il saisit avec avidité; mais à l'instant où 
il l'approchait de ses lèvres, un mouvement spasmo- 
dique fit jaillir au loin une partie du liquide. 

Malgré l'évidence d’un pareil phénomène, j'avais 
encore besoin d’une nouvelle épreuve pour arrêter ma 
conviction. Une glace de petite dimension se trouvait 
accrochée à l'extrémité de la chambre ; je l'approchai 


— 107 — 


de la figure de Bellier sans l'en prévenir, et au même 
instant il entra dans un accès convulsif, qui dura plus 
longtemps encore que celui dont j'avais été témoin 
quelques minutes auparavant. Plus de doute, j'avais 
affaire à un cas d’hydrophobie : il s'agissait de remon- 
ter à la cause. 

Après avoir attendu que le malade se fùt remis uun 
peu de ses derniers paroxysmes, je lui demandai s’il 
n'avait pas été mordu ; à peine avais-je terminé ma 
phrase,qu’un nouvel accès se manifesta, semblable aux 
précédents; mais le calme revint bientôt, et permit au 
malade de me raconter ce qui suit : 

Dans le courant du mois d’août 1839, Bellier, alors 
maître charretier chez M. Laplanche, cultivateur à 
Arey-Séverin, fut réveillé, ainsi que ses camarades, 
vers deux heures du matin, par les aboiements d’une 
chienne qui déjà plusieurs fois avait troublé leur som- 
meil. Elle appartenait à M. Cauchemetz, cultivateur 
dans une ferme voisine, et se trouvait attirée chez 
M. Laplanche par un chien qui d'habitude couchait 
près de l'écurie. Plusieurs fois les domestiques s'étaient 
promis de châtier vigoureusement le visiteur nocturne 
qui venait si souvent troubler leur repos. Bellier, plus 
audacieux que les autres, fut le premier à quitter son 
lit. Armé d’un bâton, il se précipita sur l'animal, qui, 
de son côté, montra une résistance à laquelle il était 
loin de s'attendre. Au moment où ilse disposait à la 
frapper de nouveau, la chienne latteignit au poignet et 
lui fit une morsure assez profonde dans la paume de la 
main, vers l’éminence thénar (Fexamen de la cicatrice 
ne m'offrit rien de remarquable, elle était linéaire, et 
pouvait avoir {rois centimètres de long ; elle était in- 
dolore et légèrement violacée). Les domestiques arri- 


— 108 — 


vèrent presque aussitôt pour faire cesser cette lutte, 
qui devait avoir plus tard des résultats si funestes. 

La blessure fut pansée, comme on a l’habitude de le 
faire dans certains villages, avec l’eau de boule de 
Nancy ; la cicatrisation ne fut complète qu'après trois 
semaines. Une parfaite sécurité ne cessa de régner 
dans la ferme, la chienne élait connue, ses fréquentes 
visites s’expliquaient facilement ; rien, ni dans sa con- 
duite, ni dans ses allures, ne pouvait donner le moin- 
dre soupçon. Les mois de septembre, octobre, novem- 
bre et décembre se passèrent donc sans le plus petit 
évènement , l’époque du rut s'était écoulée, et la 
chienne n'avait plus reparu. 

Ce ne fut qu'à la fin de décembre qu'il s'opéra chez 
Bellier un changement qu’il ne pouvait s'expliquer lui- 
même. Son caractère devint sombre et taciturne; il 
fuyait la société de ses camarades, sans trop savoir 
pourquoi ; son sommeil était agité par des rêves péni- 
bles et sinistres; tout lirritait; lattachement qu'il 
portait à sa femme et à ses enfants diminuait de jour en 
jour ; les questions qu’on pouvait lui faire sur un tel 
changement dans sa conduite, le fatiguaient et restaient 
toujours sans réponse. Il remplissait d’ailleurs ses de- 
voirs à la ferme, mais ce n’était plus ni la même ardeur, 
ni le même zèle, ni surtout le même caractère. 

Enfin, dans les derniers jours de février, Bellier fut 
poursuivi par des idées de suicide qui revenaient sans 
cesse. Envoyé à Fismes, le 1“ mars, pour y chercher 
des cendres sulfureuses, vingt fois pendant son voyage, 
me répéta-t-il, la pensée lui vint de mettre un terme 
à ses maux, en se jetant la tête sous les roues de sa 
voiture. Une voix intérieure semblait lui crier qu'une 
position plus affreuse encore lui était réservée. 


— 109 — 


Tel fut le récit de Bellier. Sa femme et les assistants 
me confirmèrent en tous points ce qu'il venait de me 
raconter. La clarté et la précision de son langage me 
prouvèrent qu'il n'avait oublié aucune des circonstan- 
ces de la scène du mois d'août. Je voulus savoir si 
pendant les six mois qui s'étaient écoulés, limage du 
chien s'était quelquefois présentée à son esprit; si, 
au milieu de son sommeil, il n'avait pas été obsédé 
par le souvenir de sa blessure; jamais, m'assura-t-il. 

Quand parfois il lui arrivait, dans les premiers 
temps, de penser à la chienne qui lavait mordu, ce 
n'était jamais avec un senliment d'inquiétude. Enfin 
il paraissait très-surpris que j'insistasse sur ces cir- 
constances passées,qui, d’après lui, ne pouvaient avoir 
aucune espèce de rapport avec son état actuel, et il 
m’assura que je devais chercher ailleurs les causes de 
sa maladie. 

En quelques heures les accidents augmentèrent 
d'une manière effrayante. Les convulsions se renou- 
velaient à de courts intervalles. Un prêtre fut demandé, 
Bellier l’accueillit avec reconnaissance, il recut les se- 
cours de la religion que son état permit de lui adminis- 
trer. 

Bientôt le mal fut à son comble, le délire s'empara du 
moribond, qui vomissait des imprécations et cherchait 
à se jeter sur tous les objets environnants. A défaut de 
-amisole de force, on l’entoura de liens dont il parvint 
à se débarrasser ; cet état d’exaltation précéda de 
quelques heures seulement l'agonie. Bellier mourut 
enfin après avoir offert le tableau le plus complet de 
la rage. 

Maintenant, Messieurs, il importe de savoir ce qu'est 
devenue la chienne en quittant la ferme d'Arey-Séve- 


— 110 — 


rin. Les parents de Bellier et ses amis, qui, sans lui 
faire part de leurs craintes, avaient pris immédiate- 
ment des renseignements précis sur l’état de l'animal, 
apprirent du propriétaire lui-même que jamais cette 
chienne n'avait paru suspecte, qu’elle était en très- 
bonne santé, et que le blessé pouvait être en parfaite 
sécurité sur les suites de sa morsure. Il en donna la 
preuve en la conservant dans sa cour jusqu’au mois 
de mars suivant, époque à laquelle il jugea à propos de 
s’en défaire, en raison d’une maladie de peau, survenue 
sans motif appréciable. 

Des considérations du plus haut intérêt se rattachent 
à cette observation. D'abord on a rarement noté une 
période d’incubation aussi longue ; mais le fait le plus 
remarquable est sans contredit la guérison, ou du moins 
la guérison apparente du chien. Il est peut-être sans 
analogue dans la science.M.le docteur Landouzy et moi 
nous sommes livrés aux recherches les plus actives 
pour reconnaître si cette circonstance avait été notée, 
et nulle part nous ne l'avons vu mentionnée. 

Malgré la rareté du fait, il faut admettre cependant 
que l'animal a guéri de l’hydrophobie dont il était at- 
teint au mois d'août, sans quoi l'invasion de cette 
maladie chez Bellier serait inexplicable, et de toute né- 
cessité le chien n’a pu la transmettre sans être affecté 
lui-même. 

Voudra-t-on faire ici la part de l'imagination? Dans 
ces derniers temps , Messieurs, on en a fait justice. 
C’est déjà beaucoup, e'est déjà trop pour l'espèce hu- 
maine, qu'une maladie semblable lui soit transmissible 
sans que l'imagination à elle seule puisse en favoriser 
le développement. Aux espèces canis et félis seules est 
réservé le triste privilége de l'hydrophobie spontanée. 


— i — 


Dans certaines affections graves on a noté, il est 
vrai, des accidents rabiformes qui ont pu, pour un in- 
stant, en imposer aux assistants trop créduies. L'ima- 
gination a pu quelquefois engendrer cette tristesse qui 
mène à l'hypocondrie ; mais ce cortége de symptômes 
si caractéristiques, mais l’hydrophobie avec tous les 
signes spécifiques qui l'accompagnent , il n’en existe 
pas d'exemple. 

À défaut de ces raisons, je rappellerai que, pendant 
les quatre mois qui ont suivi la morsure , Bellier n’a 
pas cessé d’être le même au physique et au moral ; 
qu'en outre, à son lit de mort, alors que la terreur 
aurait pu augmenter ses craintes plutôt que les dimi- 
nuer, il m'assurait qu'il avait toujours été sans la 
moindre inquiétude sur les suites de sa blessure , que 
Fanimal lui était trop connu pour que l’idée d’une 
pareille maladie lui vint jamais à Pesprit. 

Ainsi donc,Bellier est mort d'hydrophobie confirmée, 
affection qui lui a été communiquée par la chienne 
qui l’a mordu au mois d'août et chez laquelle le virus 
s’est développé sans doute sous l'influence de læstus 
veneris. 

Sans contredit, l’inoculation du virus rabique pris 
chez ce malade et transmis à un chien eût rendu l’ob- 
servation plus complète, mais des difficultés qu'il n’a 
pas été en mon pouvoir de surmonter, malgré tous 
mes eflorts, ont rendu cette expérience impossible. 


En résumé, le malade a été mordu une seule fois, par 
un seul chien qu'il voyait tous les jours, et qu'il ne pou- 
vait confondre avec aucun autre. Tous les caractères de 
la ragese sont manifestés chez lui, précédés par les 
symptômes qui les devancent ordinairement, soit que 


— 112 — 


la période d’ineubation soit longue, soit qu’elle ait peu 
de durée. 

Le chien a continué à présenter lous les signes ap- 
parents de santé, lorsque, onze mois après l'accident, 
on s’en défait à cause d’une maladie de peau. 

Loin de moi l’idée de tirer d’un fait unique aucune 
conclusion générale ; j'ai cru seulement devoir le si- 
gnaler à l'attention des observateurs ; car, dans le cas 
où il se répéterait avec des circonstances analogues , 
peut-être pourrait-on constater dans la rage canine plu- 
sieurs périodes, comme on les constate dans d’autres 
affections virulentes. 

Cette éruption cutanée, en effet, sur laquelle je n’ai 
pu avoir des renseignements assez précis pour qu'il 
me soit permis d’invoquer sa nature particulière , cette 
éruption ne serait-elle autre que la modification chro- 
nique d’un type aigu ? 

Les maladies spéciales aux animaux ont-elles été 
étudiées jusqu'ici d’une manière assez complète pour 
qu’on sache le dernier mot sur tous leurs caractères, 
sur toutes leurs variétés possibles? 

La rage humaine a été l’objet de méditations sérieu- 
ses; mais la rage canine a-t-elle été suivie dans toutes 
ses phases, avec cette exactitude qui ne laisse rien de 
vague et d’inconnu ? 

Quelles sont les expériences , où sont les observa- 
tions qui démontrent que la rage est nécessairement 
mortelle ? 

Si le virus rabique inoeulé chez l'homme reste quel- 
quefois plusieurs mois, plusieurs années même, sans 
donner lieu à aucun accident appréciable, ne se pour- 
ait-il pas qu’il restàt latent chez le chien, tout en 
élant inoculable pendant une certaine période ? 


s 


— 113 — 

Le virus rabique, enfin, ne peut-il cesser momenta - 
nément de manifester sa présence dans la race canine 
par des symptômes aigus, pour se reproduire plus 
tard sous d’autres formes? comme on voit ie virus sy- 
philitique, déposé localement, donner lieu après de 
longues années à des lésions qui envahissent la peau, 
le larynx, les muqueuses, les os, enfin les organes les 
plus profonds? comme le virus morveux qui donne 
lieu tantôt à une mort rapide , tantôt à toutes les alté- 
rations connues sous le nom de farcin chronique. 

Cette opinion , je le répète , n’est qu'une pure hy- 
pothèse; mais elle est tout aussi spécieuse, ce me 
semble, que celle de l’incurabilité nécessaire de la 
rage, ou de sa transformation en un type chronique. 
Si je l'avance ici d’ailleurs, c’est pour réfuter d’a- 
vance le mot impossible, et pour engager surtout les 
pathologistes à des expériences sur un point qui me 
paraît mal connu dans l’état actuel de la science vété- 
rinaire. 

Ce fait vient encore, du reste, à l’appui de ce que les 
auteurs ont noté depuis longtemps , c’est-à-dire, que 
l'époque du rut favorise le développement de la rage, 
et que, pendant cette période, il est dangereux de mal- 
traiter les chiens. Non pas que je veuille avancer qu'a- 
lors les morsures sont constamment graves , mais 
toujours est-il qu’il existe à ce moment un état d'éré- 
thisme nerveux tout particulier, qui doit nous engager 
à ménager l'animal. 

.....Parmiles mesures de police qu'on a proposées 
depuis bien longtemps comme propres à prévenir, au- 
tant que possible, les accidents de la rage, mesures 
qui intéressent à un si haut degré l'hygiène publique , 
les meilleures seraient, sans contredit, de lever sur tous 


— 114 — 


les chiens , excepté sur celui de l’aveugle et du berger, 
un impôt d'autant plus fort que ces animaux sont moins 
utiles, et de faire abattre en tout temps ceux qui sont 
trouvés sans maître. Espérons que bientôt les méde- 
cins distingués qui représentent le corps médical à la 
chambre des députés, soumettront cette question à la 
sollicitude du gouvernement, qui en comprendra 
toute l'importance 


MORVE AIGUE 


Transmtse du Cheval à P Homme par morsure ; 


OBSERVATION 
lue à l'Académie de Reims, dans sa séance du 49 Janvier 4844, 
Par M. le Docteur LANDOUZY, 


6 6——— 
(EXTRAIT. ) 


Bien que tous les travaux particuliers qui ont pré- 
cédé et suivi les savantes discussions de l’Académie 
royale de médecine aient presque entièrement résolu 
la plupart des questions pathologiques relatives à la 
morve, je crois devoir faire part à la compagnie , au 
nom de M. Moser et au mien, d’un cas récent qui, 
sous le rapport du mode d’inoculation , du début des 
accidents ét des lésions nécroscopiques n’a point en- 
core , je crois, son analogue dans la science. 


Voici les faits : 
Un vigneron de Verzy (Marne), le nommé Beuzart, 


— 116 — 


àgé de 5 ans, d’un tempérament sanguin, d’une con- 
stitution robuste, d’une bonne santé habituelle, soi- 
gnait depuis plusieurs mois , avec la plus grande as- 
siduité, un cheval morveux qu’il avait acheté au mois 
de juillet, et qui avait déja communiqué la morve à un 
âne placé dans la même écurie. 

Le mardi 19 décembre, il ouvrait, suivant sa cou- 
tume, au moyen d'une corde, la bouche du cheval pour 
lui faire prendre plus facilement un breuvage ordonné 
par le vétérinaire, quand, tout à coup, la corde ayant 
glissé, il en résulta entre la tête de l’homme et celle 
du cheval un choc tel qu’une des dents de la mâchoire 
supérieure de l'animal fit une plaie profonde à la joue 
de ce malheureux vigneron. 

La peau fut déchirée dans l’espace de 3 centimètres 
environ, il y eut une hémorrhagie assez considérable 
qui s'arrêta spontanément. La plaie, préalablement 
lavée avec de l’eau salée, fut recouverte de fleurs de 
lys imbibées d’eau-de-vie (procédé usuel dans les cam- 
pagnes), et le malade, sans s’en inquiéter davantage, 
selivra à ses travaux habituels et passa une très-bonne 
nuit. 


Le lendemain, après avoir bèché sa vigne une grande 
partie de la journée, il fut pris dans l'après-midi d’un 
malaise général et de frissons répétés qui, cependant, 
ne l’empêchèrent pas de continuer son travail jusqu’au 
soir. 

Rentré chez lui, et en proie à une fièvre déjà vio- 
lente , il soupa néanmoins comme d'ordinaire avec sa 
famille, et se coucha aussitôt en accusant des frissons 
dans le dos et dans les épaules. 

Beuzart passa toute la nuit dans une agitation ex- 


— 117 — 


trème, se plaignant de grands maux de tête, de dou- 
leurs dans toutes les parties du corps, et particulière- 
ment vers le siége de la blessure. 

Sa famille, qui lavait vu plein de courage dans 
toutes les circonstances, et notamment dans plusieurs 
maladies graves, ne pouvait concevoir labattement 
subit où il était plongé; c’est alors, c’est-à-dire 48 
heures environ après l'accident , que M. Moser est ap- 
pelé à visiter le malade. 

Une plaie contuse et déchirée , de 4 centimètres en- 
viron détendue, existe à la région malaire gauche , 
et jusqu’à l'os de la pommette qu’on sent à nu avec un 
stylet. 

Toute la face est le siége d’une rougeur érysipéla- 
teuse. Les environs de la plaie offrent une teinte bla- 
farde et sont couverts de nombreuses phlyctènes. Bien- 
tôt une prostration extrème, des douleurs sourdes 
dans les membres, un empâätement considérable à la 
hanche gauche, dés ecchymoses et des pustules sur 
toute la surface du corps, une grande dyspnée, et 
enfin un écoulement sanieux par les narines se mani- 
festent , et M. Moser peut constater tous les caractères 
de la morve aiguë. 


Appelé en consultation le 1° janvier 1843, je n’eus 
qu’à confirmer en tous points ce diagnostic ; parmi 
les phénomènes les plus remarquables , nous notàmes 
particulièrement l'abondance de l'écoulement nasal, 
la confluence des pustules sur la poitrine et l'abdomen, 
l'intensité de la dyspnée, l'obscurité du son thoracique 
et du murmure respiratoire, la difficulté de la déglu- 
tition , et enfin l’opacité des deux cornées. 

Le 1° janvier 1844, à 3 heures après-midi, veille de 

8 


—1181— 


Ja mort du malade, nous inoculämes à un âne âgé de 
14 ans, très-sain et très-vigoureux, la matière pro- 
venant de l’abcès qui venait d’être ouvert à la malléole, 
et celle qui avait été recueillie dans les fosses nasales. 
L'inoculation fut faite par plusieurs piqûres profondes 
aux régions spapulo-humérales. 

Dès le deuxième jour de l’inoculation, on remarquait 
un abattement etune faiblesse manifestes, de l’anorexie, 
un gonflement énorme des parties sur lesquelles s'était 
faite l’inoculation. 

Bientôt on put constater les signes les plus caracté- 
ristiques de la morve aiguë, jetage très-abondant d’une 
couleur jaunàtre, gonflement des ganglions de l’auge, 
dyspnée progressive. 

Chaque jour l'animal fut visité et ausculté au moins 
une fois. Nous ne connaissions pas assez le type nor- 
mal de la respiration chez l'âne pour noter les altéra- 
tions de caractère du murmure respiratoire, mais nous 
avons pu facilement tenir compte des altérations d'in- 
tensité, et, sous ce rapport, la respiration nous parut 
diminuée à chaque exploration. 

L'odeur fétide exhalée par l'animal était telle, que 
bien qu'il fùt placé en plein air, entre deux meules de 
foin, le palfrenier qui le soignait était forcé de changer 
de vêtements à chaque pansement. 

Mort spontanée le 7 janvier , c’est-à-dire , 7 jours 
après l’inoculation. 


Comme lésions nécroscopiques principales chez 
l'âne nous mentionnerons l’épaisissement de la mem- 
brane pituitaire, l’éruption pustuleuse confluente des 
fosses nasales, l'existence d'innombrables taches ec- 
chymotiques d'un rouge vif sur les cornets et jusque 


— 119 — 
dans les points les plus reculés des sinus frontaux et 
maxillaires. 

Ces cavités contenaient un mucus abondant, jaunà- 
tre, strié de sang. 

Les deux poumons étaient criblés jusqu'au centre 
du parenchyme, de noyaux en suppuration tellement 
semblables à ceux signalés chez le malade de Verzy, 
que les internes de l'Hôtel-Dieu, qui avaient fait avec 
nous l'autopsie, remarquèrent immédiatement cette 
analogie complète. 

Le volume de ces noyaux variait entre celui d’un 
pois et celui d'une noisette. Le tissu pulmonaire qui 
entourait chacun des lobules était crépitant et parais- 
sait sain. 

Nous ajouterons enfin que M. Demilly, vétérinaire 
de l'arrondissement et praticien des plus distingués , 
qui partageait, au sujet de la morve,les idées de l’école 
d’Alfort, et qui avait, avant l’autopsie, manifesté fran- 
chement tous ses doutes sur le résultat des recherches 
auxquelles nous allions nous livrer, demeura complè- 
tement convaincu de la spécificité de toutes ces lésions, 
et n’hésita pas à les regarder comme appartenant à la 
morve la mieux caractérisée. 


Réflexions. 


Parmi les remarques auxquelles peut donner lieu 
celle observation, nous noterons d’abord le mode par- 
ticulier de contagion et l'invasion si brusque de tous les 
signes de la maladie. 

Le cheval qui a communiqué la morve à Beuzard 
ayant été abattu et enterré aussitôt après l'accident, et 
n'ayant pu, par conséquent, être examiné par les 


TD — 


hommes de Part, nous devons commencer par établir 
nettement les conditions dans lesquelles il se trouvait, 

Ce cheval, âgé de 8 ans, fut acheté en juillet 1843 ; 
peu de jours après, Beuzart s'aperçut que l'animal 
jetait par les deux naseaux, mais surtout par le naseau 
droit. 

Des boutons nombreux sur le corps et sur les mem- 
bres, un engorgement prononcé des ganglions de lauge, 
enfin un écoulement nasal puriforme furent constatés 
par le vétérinaire, et le cheval fut déclaré morveux. 

Peu de temps après Parrivée du cheval, un âne de 
quatre ans, bien portant, et qui babitait la même 
écurie, fut pris subitement , à la fin de novembre, de 
tous les symptômes de la morve aiguë, à laquelle il 
succomba en quinze jours ; le gonflement de la pitui- 
taire était tel chez ce baudet, que les voisins entendaient 
le sifflement produit par l'embarras de la respiration. 

Beuzart soignait seul son âne et son cheval, mais 
sa san!é était restée bonne jusqu’au jour de l’accident. 
L’intégrité de la santé auparavant , les troubles si ca- 
ractéristiques qui Pont suivi immédiatement , ne lais- 
sent donc pas le moindre doute sur son origine. 


La contagion une fois établie, doit-on admettre que 
la seule application des dents, des lèvres, des sécré- 
tions salivaires, elc., ait pu la produire? L’attribuera- 
t-on au contraire à l’imprégnation de la plaie par le 
mucus nasal au moment du choc? Ces deux hypothèses 
sont également admissibles , sans contredit; mais les 
nombreux faits d’inoculation inscrits dans la science ne 
permettent pas de douter que tous les tissus et tous les 
liquides d’un animal morveux puissent communiquer 
la morve, et nous ne voyons aucune raison pour rejeter 


— 121 — 


l’inoculation directe par la dent qui a perforé la joue. 

Si maintenant nous rapprochons cette observation de 
celles quiont déjà été publiées, nous verrons qu’il existe 
bien entre toutes une complète analogie , mais qu’elles 
diffèrent assez, cependant, sur plusieurs points nécros- 
copiques pour qu’on puisse encore regarder comme 
définitive l’histoire anatomo-pathologique de cette af- 
fection. 

Ainsi, on remarquera, pour le cas dont nous venons 
de donner la description, ure opacité considérable des 
cornées , que nous n'avons vue indiquée nulle part, et 
qui, du reste, ne peut être attribuée à un effet cadavé- 
rique, car nous l’avions étudiée avec soin pendant 
la vie. 

L'inflammation , l’ulcération de la conjonctive, le 
chémosis ont été notés plusieurs fois dans les autres 
cas, et cette opacité de la cornée n’est qu’un degré plus 
élevé sans doute de ces lésions qui, sauf les ulcérations, 
existaient aussi chez notre malade. 

Mais le point le plus important que nous ayons à 
signaler à l’attention des observateurs, pour les autop- 
sies futures, c’est l’état du tube intestinal. 

Jusqu'ici, en effet, l’injection des vaisseaux , les al- 
térations de couleur ou de consistance de la muqueuse 
digestive ont élé seules constatées parmi les lésions 
anatomiques de la morve ; or, nous avons rencontré 
dans le cæcum, au milieu d’une éruption assez abon- 
dante de grains miliaires, des ulcérations tellement 
prononcées, que la membrane séreuse seule se trouvait 
épargnée, et que nous faisions remarquer aux élèves 
combien elles étaient voisines de la perforation com- 
plète. 

Quant à cette éruption de grains blanchâtres qui 


— 122 — 


remontaient au-delà du cœcum de chaque côté , sans 
doute elle appartenait au développement des follicules 
isolés de Brunner. 

Loin de nous l’idée de conclure à une relation de cause 
à effet entre la morve, affection ulcéreuse et éruptive, si 
l’on peut ainsi dire,et l’ulcération et l’éruption intestina- 
les; car nous n’ignorons pas que ces ulcérations du cœ- 
cum se manifestent dans toutes les formes de la do- 
thiénenterie, dans la phthysie, dans la dysenterie; que 
l'éruption des cryptes solitaires se rencontre, et dans 
les affections précédentes, et dans le choléra asiatique, 
la suette-miliaire, la scarlatine, la péritonite puerpérale; 
mais nous ferons remarquer seulement , comme un fait 
parliculier de la plus haute importance, l'absence com- 
plète de développement des plaques elliptiques, coïn- 
cidant ici avec l’ulcération et l’éruption cæcales. 


Considérations sur les moyens de prévenir la Morve 
dans la race chevaline. 


En présence de ces accidents , beaucoup plus fré- 
quents qu'on ne pense, mais rarement signalés , en 
raison sans doute de leur analogie extérieure avec 
d’autres maladies, on ne peut trouver superflues quel- 
ques considérations sur les mesures hygiéniques qu’il 
serait important de prendre pour conjurer le retour de 
la contagion. 

La manière la plus large et la plus logique d'envisager 
ła question , consiste à chercher les moyens de prévenir 
les effets de la morve chez l’homme, en en détruisant la 
cause dans la race chevaline. Mais c’est une habitude de 
notre vanité de commencer toujours par les moyens les 
plus complexes, comme si l'art, qui doit être l'imitation 


— 123 — 


de la nature, ne devait pas toujours procéder par les 
voies les plus simples, qui sont celles de la vérité. 

Nous cherchons à grand’peine les moyens de guérir 
le mal avant de songer aux moyens beaucoup plus fa- 
ciles de le prévenir, et l'hygiène, qui , sans contredit, 
dans des temps plus éclairés, constituera seule presque 
toute la médecine , est tellement négligée maintenant, 
qu’on trouve difficilement , non pas un bon ouvrage, 
mais seulement quelques documents précis sur cette 
première de toutes les sciences humaines, puisque c’est 
la science de la santé. 

Ainsi j'ai été frappé, en lisant tout récemment les 
ouvrages de médecine vétérinaire, des vains efforts 
qu’on fait encore pour guérir la morve, quand on 
possède aujourd’hui le secret presque infaillible de la 
prévenir. 

Il résulte en effet du rapport communiqué en 1840 à 
l'académie des sciences par le ministre de la guerre 
que l'encombrement des écuries est la principale, sinon 
l'unique cause de la maladie. 

« La commission, dit le ministre, chargée de pré- 
« senter le projet d’une écurie modèle, et d'indiquer 
« les conditions que devait réunir une écurie pour que 
«les chevaux y fussent dans la meilleure situation 
« physique, a proposé d’espacer et de barrer les che- 
« vaux à 4" 50, de les placer sur deux rangs dans une 
«écurie de 13% de largeur sur 6" de hauteur. Ces 
« dimensions sont à peu près celles qui ont été adop- 
« tées dans les établissements militaires des puissances 
« voisines, qui ont vu ainsi la morve disparaître entiè- 
« rement de leurs régiments, » 

Or, pourquoi, dès que la contagion est reconnue 
positivement pour la race chevaline, pour la race hu- 


— 124 — 


maine et pour plusieurs espèces animales ordinairement 
libres, ne pas faire de cette question une question de 
santé publique, et ne pas forcer les propriétaires à dis- 
poser leurs écuries de telle sorte qu'elles ne puissent 
devenir des foyers de contagion pour les animaux et 
pour les hommes qui en approchent ? 

Non seulement ces mesures hygiéniques, bien obser- 
vées , auraient pour résultat de faire disparaître la 
morve dans nos fermes, comme elles l'ont fait disparaître 
entièrement , j'insiste sur ce mot, chez les puissances 
voisines , mais elles amélioreraient promptement la 
race chevaline, en la mettant dans les meilleures con- 
ditions de santé possible ; et l’on peut s’étonner à bon 
droit de voir le gouvernement , qui fait de si grands 
frais pour les remontes et pour les haras, omettre l’une 
des principales bases de tout progrès, en négligeant de 
faire participer les cultivateurs aux conseils qu’il recoit 
des corps savants, et dont il fait, d’une manière si utile, 
l'application à Parmée. 

Je sais qu’on pourra dire : Pourquoi tant de sollici- 
iude pour l'espèce chevaline , quand on en a si peu 
pour l'espèce humaine? pourquoi vouloir que les chevaux 
et les ânes respirent tout à l'aise une atmosphère pure 
et suffisante, quand on voit, entassées dans des chau- 
mières ou dans des greniers sans air, sans lumière, 
des familles entières, qui s’étiolent et propagent parmi 
les générations futures la serofule , le rachitisme ou la 
phthisie ? 

Pourquoi exiger, par un règlement d'administration 
publique, 50 mètres cubes d’air pour les chevaux, quand 
nous voyons les enfants des salles d’asile ne pas avoir 
à respirer la cinquième partie de l'air qui leur serait 
indispensable. 


— 125 — 


Mais, outre que cette sollicitude pour les chevaux 
s'exerce surtout en ce qui touche la santé humaine, 
nous ne voyons pas pourquoi, sachant quelle est la 
somme d’air sans laquelle l'intégrité de la santé ne peut 
se maintenir, on n’exigerait pas que cette première 
condition de toute salubrité publique ou privée se 
trouvât remplie de par la loi. On a bien pu empêcher 
légalement les habitants des campagne de couvrir leurs 
maisons en Chaume, afin d'éviter la propagation de 
l'incendie , pourquoi ne les obligerait-on pas à avoir 
des habitations salubres, au moins quant à l'air et à la 
lumière, afin d'éviter la propagation da typhus et de la 
phthisie, bien autrement cruels que le feu? Et, s’il 
fallait d’autres considérations que des considérations 
d'amélioration physique absolue pour être autorisé à 
de semblables mesures, on ne manquerait pas de les 
trouver dans la fréquence du typhus contagieux , con- 
fondu chaque jour avec la fièvre typhoïde (1). 

Cette question incidente est trop grave , du reste, 
pour que jy insiste accessoirement, et je restreins à la 
ace chevaline les observations que je veux présenter 
aujourd’hui, me proposant de revenir bientôt sur l’hy- 


(1) Peut-on s'étonner que l'autorité omette d'éclairer le peuple sur 
ces premières condilions, aussi essentielles que le pain, quand elle 
néglige de se faire éclairer elle-même, par les corps savants ou par les 
hommes spéciaux, sur les meilleures dispositions hygiéniques à donner 
aux asiles qu'elle offre à toutes les misères ? 

L'administration municipale de Reims vient de donner cependant 
un exemple salutaire, en demandant aux médecins des rapports pé- 
riodiques sur la salubrité des écoles communales ; mais c’est avant de 
construire les établissements qu'il importerait surtout de consulter, et, 
sous ce rapport , on doit regretter de ne pas voir exécuter en province 
l'arrêté ministériel qui interdit au conseil des hôpitaux de Paris toute 
construction non approuvée préalablement par la commission des 
médecins. 


es i ae 
giène des habitations et sur les règlements spéciaux qui 
pourraient l'améliorer , si l'Académie y attache quel- 
que intérêt. | 

Il ressort donc de ce que nous avons dit plus haut 
sur la disposition des écuries, qu’en les mettant dans 
de meilleures conditions, on détruirait entièrement la 
morve , puisqu'elle a été ainsi détruite dans les pays 
voisins, ou elle sévissait comme chez nous. 

Or, qu'on jette les yeux sur le tableau suivant, dans 
lequel sont indiqués les résultats du cubage des douze 
principales écuries de Reims, et l'on verra combien 
nous sommes loin des conditions de salubrité prescrites 
au ministre de la guerre, et l’on comprendra comment, 
selon les paroles textuelles d’un savant professeur 
d’Alfort : La morve étend chaque jour ses ravages sur 
l'espèce chevaline , dans une progression réellement ef- 
frayante (1). 

L’écurie n° 1 donne p. chaque cheval 39 m. c. d'air (2). 


2 — 27 
3 — 22 
4 — 22 
5 — 21 
6 — 20 
7 — 15 
8 — 13 
9 —- 12 
10 — 11 
41 — 11 
12 -— 5 


(1) H. Bouley, de la Morve sous forme chronique ; février 1843. 

(2) On comprend la réserve qui m’empèche de donner le nom des 
propriétaires, dont celte indiscrétion scientifique pourrait compro- 
mettre l'industrie; mais les noms correspondants aux numéros sont 
inscrits sur le tableau déposé aux archives de l'Académie. 


— 127 — 


Dans l'écurie n° 3, l’une des plus salubres de Reims 
par son excellente tenue (c’est celle de la poste aux 
chevaux ), les chevaux n’ont donc pas même moitié de 
la somme d'air reconnue indispensable à la respiration 
normale. Ils n’en auraient pas le quart dans la plupart 
des autres , si l’on tenait compte du volume du cheval 
lui-même, du défaut d’aérage , de la présence d’un, 
deux, quelquefois trois palefreniers qui couchent près 
des chevaux, etc., etc.; enfin, dans l'écurie n° 12, l’une 
des plus malsaines, ils n’en ont pas le dixième, c'est- 
à-dire le tiers à peine de ce qu’il faudrait à un chien 
de moyenne taille. Aussi, dans cette écurie, trois 
chevaux sur sept ont succombé à la morve en un seul 
hiver. 

Dans l'écurie n°6, 11 chevaux sur 12 ont été abattus 
comme morveux en moins d’une année. 

Dans l’écurie n° 2, qui donne à chaque cheval une 
somme d'air supérieure aux dix premières , il y a eu 
constamment des chevaux morveux. 

Il yena eu fréquemment dans les écuries n° 2, 4, 5, 
6; il n’y en a eu qu’un seul depuis trois ans dans l’écurie 
n° 3; enfin, le propriétaire de l'écurie n° 1 (M. Mail- 
fait), qui se rapproche le plus des conditions exigées 
par l’expérience, assure que, depuis plus de 40 ans, il 
ne s’est pas manifesté un seul cas de morve parmi ses 
chevaux. 

On voit qu’il serait impossible d'établir , par les 
chiffres de ce tableau, une relation exacte entre l’insuf- 
fisance de l'air et la fréquence de la morve, puisque le 
n° 6, qui donne 15 fois plus d'air à chaque cheval que 
le n° 12, perd onze chevaux, sur douze, tandis que le 
n° 12 n’en perd que trois sur sept. Mais qu’en dehors 
de l'origine spontanée de la maladie, on tienne compte 


— 128 — 


de la contagion, de l'infection, de l'obscurité (1), du 
défaut d’aérage et de mille autres circonstances dont il 
est impossible de méconnaître l'influence, mais dont il 
est impossible aussi de constater la valeur en chiffres, 
on comprendra comment le n° 2, par exemple, peut 
être considéré comme des plus insalubres , quoique 
des mieux protégés sous le rapport absolu du volume 
d'air. 

En résumé, la moyenne générale de l'air fourni aux 
chevaux dans les douze principales écuries de Reims, 
est de 19 mètres cubes environ au lieu de 50 : aussi, 
n’est-il qu’une seule de ces écuries, et c’est la plus vaste, 
dans laquelle la morve mait point pénétré. 

Une circonstance bien propre à démontrer la né- 
cessité d'instructions pratiques, si ce n’est de règles 
administratives sur hygiène chevaline , c’est le soin 
avec lequel tout est renouvelé à grands frais dans la 
plupart des écuries qui ont logé des animaux morveux: 
les murs sont blanchis à neuf, tout est lavé, gratté, 
passé au chlorure, depuis le ratelier jusqu'aux plus 
simples objets de pansage; tout est changé , tout est 
modifié; tout, excepté la cause génitrice. Je me trompe, 
elle est quelquefois rendue plus puissante encore. Ainsi, 
je visitais ce matin même un cultivateur (indiqué au 
n° 9 du tableau précédent), qui , après des pertes con- 
sidérables, changea trois fois ses écuries en en diminuant 
chaque fois les dimensions de sorte qu'après d'immenses 


(1) Le rapport au ministre de la guerre ne fait, je crois, aucune 
mention de la lumière, ce qui me parait une lacune manifeste. On sait, 
en effet, de quelle manière le scorbut se produit dans les appartements 
les plus salubres d’ailleurs , dès que la lumière n'y pénètre pas; or, 
les éléments qui sont indispensables à l'homme, doivent l'être aussi, 
dans certaines limites, aux animaux dont la conformation se rappro- 
chele plus de la sienne, 


— 129 — 


sacrifices, ses chances de perte sont aujourd’hui plus 
grandes qu’elles ne l'étaient avant ses premiers efforts 
pour détruire la morve. 

De pareilles erreurs, aussi fatales à la fortune privée 
qu'à la salubrité publique, seraient-elles done si diffi- 
ciles à prévenir ? 

Nul doute que les droits de l'administration ne soient 
en rapport avec ses devoirs ; or, les lois appelant 
spécialement l'attention des magistrats municipaux sur 
la salubrité publique, on! dû leur donner le pouvoir 
d'arrêter toutes les mesures propres à la maintenir, et 
je ne vois pas en quoi la défense de mettre dans une 
écurie plus de chevaux qu’elle ne doit en contenir serait 
plus tyrannique que la défense d’établir dans sa propre 
maison une industrie réputée insalubre , ou que mille 
autres mesures qui entravent avec tant de raison la 
liberté de nuire, 

De pareilles réformes, si simples et si utiles qu’elles 
soient à ceux même qui les subiraient, ne s’obtiennent 
pas facilement, j'en conviens. A défaut de la cause ,il 
faut done s'attaquer aux effets ; car , malgré tous les 
efforts de la science , la morve sévira trop longtemps 
encore pour qu'on puisse se dispenser de prévenir dé- 
sormais de trop graves infractions à la salubrité et à la 
sécurité publiques. 

Je sais que l'arrêt de 1784, ordonnant la declaration, 
la visite, la marque, la sequestration , l'occision des che- 
vaux morveux et l'enfouissement de leurs cadavres dans 
la terre, s'opposerait de la manière la plus efficace à 
tout danger, s’il élait exécuté dans toute sa rigueur ; 
mais les commentateurs de la jurisprudence vétérinaire 
laissent à l'expertise un champ si vaste, que les articles 
les plus rigoureux ont fini par tomber en désuétude ; 


— 130 — 


et, quand les auteurs du traité de police sanitaire le 
plus moderne mettent en doute à chaque page la con- 
tagion de la morve aiguë à l’homme, et de la morve 
chronique au cheval, peut-on condamner lhésitation, 
l’indulgence et la longanimité parfois funeste des mé- 
decins vétérinaires même les plus distingués , appelés 
chaque jour à statuer sur un arrêt que condamnent 
les plus grands maîtres de leur science ? 

Je n’ignore pas que le code pénal punit de peines très- 
sévères les infractions à ce règlement ; mais n’est-on 
pas en droit de demander des arrêtés particuliers pour 
remédier à l'impuissance de la loi , quand on voit aux 
portes de Reims, par exemple, une cour ouverte à tous 
venants, dans laquelle des chevaux morveux sont équar- 
ris sans surveillance, à l’insu de toute autorité, et livrés 
en pâture à des chiens qui peuvent s’inoculer le mal 
et le transmettre aux hommes et aux autres animaux ? 

Sans aucun doute, les faits légalifs sont incompara- 
blement plus nombreux ici que les faits affirmatifs , et 
ces trois chiens que je mets en état de suspicion pour 
avoir mangé sous mes yeux un àne morveux, je les ai 
vus encore aujourd’hui parfaitement sains ; mais s'ils 
ont échappé à l'inoculation hier, ils peuvent ne pas y 
échapper demain. 

Sans aucun doute, la règle générale, c’est que les 
chiens de Reims mangent impunément , comme ceux 
de Paris et de Montfaucon, les chevaux morveux; lex- 
ception, c’est qu’ils s’inoculent la morve et l’inoculent 
à l’homme ou à d’autres animaux ; mais, dès que la 
science a prévu le cas, personne ne doit avoir à crain- 
dre de constituer par sa mort une nouvelle exception 
à la règle générale. Or, les observations de MM. Rayer, 
Breschet, Rossi, Hamont, etc. , demontrent de la ma- 


— 131 — 


nière la plus catégorique la transmission de la morve 
au lion, au chier, au chevreau et au mouton. 

Loin de moi l’idée de demander Pentière exécution 
de l'arrêt de 1784, et d'interdire, par exemple , lem- 
ploi des débris cadavériques. Non que je regarde , 
comme M. Delafond, auteur du dernier traité de police 
sanitaire, les manipulations faites sur ces débris comme 
n'exposant les hommes à aucun accident ; l'expérience a 
prouvé très-souvent le contraire ; mais de simples pré- 
cautions suffisent pour conjurer le danger; et, livré à 
des gens qui en font leur unique occupalion, ce mélier 
n’expose pas plus que cent autres dont on ne parle pas. 

Je ne pense pas non plus que la chair des animaux 
morveux puisse être impunément donnée pour nourri- 
ture à des animaux libres ; mais, donnée à des animaux 
captifs, et chez lesquels expérience a prouvé l'inno- 
cuilé de la morve, tout danger disparaît. 

Je livrerais donc à l'industrie , qui en tire un très- 
grand parti, les débris des animaux morveux, mais 
l'abattage et l’équarrissage auraient lieu dansun enclos 
spécial établi à 500 mètres au nord de la ville, et sous 
certaines conditions de surveillance fixées par l'auto- 
rilé. 

On comprendra la nécessité de pareilles mesures , 
quand on saura qu’à Reims (comme dans beaucoup 
d’autres villes sans doute), le premier venu, homme ou 
femme, peut dépecer les chevaux morveux, et exposer 
sa vie par son inaplitude ou son ignorance du danger. 
Ainsi, m'étant rendu, il y a quinze jours, à la fabrique 
de noir animal pour y examiner les poumons d’un che- 
val morveux, j'arrivais avec le directeur de l’établisse- 
ment , M. Velly, pendant qu’en l'absence de l'équar- 
risscur habituel, un ouvrier étranger à ce mélier, et 


— 132 — 


blessé récemment à la main droite, s'occupait à panser 
une plaie qu’il venait de se faire à la main gauche, en 
aiguisant l'instrument d’équarrissage. Il fallut toute 
mon insistance , et surtout la défense formelle de 
M. Velly, pour empêcher cet homme de plonger ses 
deux mains blessées dans des Lissus imprégnés d’un vi- 
rus mortel. 

« La morve aiguë, dit M. Bouley (loco citato) , est 
une maladie contagieuse : contagieuse par le produit de 
la sécrétion nasale , contagieuse par l'air expire , conta- 
gieuse par le sang, contagieuse par tous les tissus du ca- 
davre. Après la fièvre d’incubation , lorsque s'opère Pe- 
ruption virulente, l'animal infecté sue , pour ainsi dire, 
le virus par tous ses pores. » 

Comment donc expliquer , en présence de ces décla- 
rations si catégoriques, le laisser-aller des auteurs de 
la jurisprudence vétérinaire ? 

On concoit , du reste , jusqu’à un certain point , la 
témérité de M. Delafond, car son livre remonte à une 
époque où la question de la contagion, quoique résolue 
de la manière la plus affirmative, l'était trop nouvelle- 
ment encore pour converlir tous les incrédules de Pé- 
cole d’Alfort ; mais, depuis qu’on a vu la morve se 
transmettre, non plus seulement du cheval à l'homme, 
mais de Phomme à l’homme, c’est-à-dire du malade au 
médecin ; depuis qu'un malheureux élève de l'hôpital 
Necker a succombé à tous les accidents de la morve la 
mieux caractérisée, après avoir soigné un palefrenier 
morveux et assisté comme aide à son autopsie, on ne 
saurait trop exagérer les précautions. Sous ce rapport, 
nous n’hésitons pas à regarder le traité de police sani- 
taire de M. Delafond comme un ouvrage dangereux en- 
tre les mains des hommes trop éloignés du centre, pour 


— 133 — 
pouvoir souvent contrôler les livres par les documents 
scientifiques. 

J’accorde done qu’on ne relire pas à l’industrie des 
produits utiles. J’accorde qu’on nourrisse de ces débris 
des pores captifs, et que même, dans une année de trop 
grande disette, on livre à la consommation, comme on 
le fit en 93 à St-Germain et à Vincennes, la chair, préa- 
lablement cuite, des chevaux morveux , la cuisson dé- 
composant toute espèce de virus; mais qu’on laisse ou- 
verte sur la grande route une cour où chacun peut en- 
trer sans savoir qu'il s'expose à l'infection, à la conta- 
gion et à l'inoculation d’un poison mortel ; mais qu’on 
laisse circuler librement des chiens , qui peuvent aller 
flairer et lécher quiconque, homme ou cheval, en ve- 
nant de plonger leur museau dans des plaies virulentes, 
c'est ce qu’on a peine à concevoir, quand on sait qu'en 
moins de trois ans (de 1837 à 1840), il est mort, dans 
Paris seul, 26 personnes de la morve. 

Quant à des diflérences à établir selon l’état aigu ou 
chronique de la morve, on ne pourrait les admettre 
sans entretenir la plus fatale sécurité. H existe main- 
tenant de nombreux et irrécusables exemples de farcin 
communiqué du cheval à l'homme et de l’homme au 
cheval. M. le docteur Mopinot, de Fismes, en signalait 
encore, il y a quelques jours, un nouveau cas des plus 
remarquables ; et si l'identité des deux aflections, si 
leur passage réciproque de lélat aigu à Pelat chroni- 
que, et de l’état chronique à l'état aigu permettent d’é- 
tablir certaines distinctions scientifiques, elles ne per- 
mettent d'établir sans témérité aucune distinction 
légale. 

En résumé , et d’après les considéralions qui précè- 
dent, nous proposerions à l'Académie de discuter le 

9 


— 134 — 


projet de règlement suivant, dans le cas où l'autorité , 
qui a déjà tant fait pour la salubrité de Reims , vien- 
drait à consulter la compagnie sur cette nouvelle ques- 
tion, l’une des plus importantes de l'hygiène publique : 

1. Toute écurie destinée à loger d’une marière per- 
manente des chevaux employés aux services publies ne 
devra contenir que le nombre de chevaux fixé d’après 
les dimensions de l'écurie, à raison de 50 mètres cubes 
d'air, et de 1 mètre 12 d’espacement par cheval. 

2. Tout propriétaire ou détenteur d'animaux mor- 
veux est tenu d’en faire immédiatement la déclaration 
à l'autorité, et d'isoler Panimal réputé morveux avant 
Ja visite même du médecin-vélérinaire, qui, du reste, 
devra avoir lieu dans le plus bref délai. 

3. Si l'animal est reconnu morveux incurable par le 
vétérinaire , et si le propriétaire consent à le sacrifier 
sans aulre formalité, l'abattage se fera dans le clos d’é- 
quarrissage public, en présence du vétérinaire ou de 
tout autre préposé de l’aëministration, qui en dresse- 
ront procès verbal. 

4. « Sile propriétaire ne consent pas à l’abattage, il 
« nommera un vétérinaire bréveté des écoles pour visi- 
« ter contradictoirement l'animal : en cas de dissidence, 
« l'administration nommera un tiers expert, suivant le 
«rapport de qui il sera statué. » (Règlement de la pré- 
fecture de police, art. 9.) 

5. Aucun animal ne pourra être équarri ou abattu , 
dans un établissement privé, sans autorisation. 

6. Les débris cadavériques des animaux morveux ne 
pourront être livrés à l’industrie sans autorisation. 

7. Nul ne pourra exercer le métier d’équarrisseur 
sans permission préalable. 

8. «Il est défendu à qui que ce soit de coucher ou 


— 135 — 

« de faire coucher des palefreniers dans les écuries où 
«il se trouverait des chevaux seulement suspectés de 
« morve. Il est défendu même de coucher ou de faire 
« coucher des palefreniers dans les écuries servant d’in- 
firmeries de chevaux, et même dans tout locai ser- 
« vant à loger des animaux malades, de quelque espèce 
«qu'ils soient. » (Prefect. de police, art. 1%.) 

9. De fréquentes visites seront faites , par un méde- 
cin vetérinaire désigné, chez les propriétaires de che- 
vaux, afin d'assurer l'exécution des mesures prescrites 
par le règlement. 


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OBSERVATION 


CAS DE MORVE AIGUE CHEZ D'HOMME, 


par M. le docteur PHILLIPPE. 


——D G 


(EXTRAIT. ) 


Depuis quelques années, le développement de la 
morve farcineuse aiguë chez l'homme a éveillé latten- 
tion des médecins des principales contrées du conti- 
nent, et plusieurs travaux d’un haut intérêt ont été 
publiés depuis peu sur cette affection redoutable. 

Naguère encore l’Académie royale de médecine re- 
tentissait de savantes discussions soulevées à l’occasion 
de cette fatale maladie , qui jusqu'alors était restée en 
dehors des cadres de la nosologie humaine, et qui avait 
semblé longtemps être le triste et exclusif apanage des 
animaux qui appartiennent à la classe des solipèdes. 


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Les débats élevés au sein de cet illustre aréopage, 
el auxquels ont pris part les plus grandes célébrités 
médicales de notre époque , ont établi authentiquement 
que la morve pouvait passer des animaux à l’homme. 

Aussi, la possibilité de la transmission de celte ma- 
ladie du cheval à l’homme, par infection ou par inocu- 
lation, n’est plus aujourd’hui mise en question par les 
hommes de l'art. 

Mais, ce qu’on doit regretter, c'est qu’on n'ait pas 
assez fait pour répandre cette triste vérité, C’est qu'on 
ait négligé de la faire passer du cercle étroit des socié- 
tés scientifiques dans le domaine public, afin qu’elle 
puisse semer dans les masses l’etfroi qu'elle doit juste- 
ment inspirer. 

Le cas dont on va lire l’histoire , ajouté à ceux qui 
ont déjà été publiés sur le même sujet, portera néces- 
sairement dans les esprits les plus sceptiques cette con- 
viction, que les chevaux morveux peuvent communi- 
quer à l’homme la formidable affection dont ils sont al- 
teints. 

Je saisis avec empressement loccasion qui vient de 
m’être offerte dans le service de chirurgie de l'Hôtel- 
Dieu, pour dérouler la longue série de preuves que 
j'ai accumulées à l'appui de mon assertion. 

Je dis avec intention queje profite de cette occasion, 
car il m'importe de ne rien négliger pour faire préva- 
loir une opinion qui est une certitude à mes yeux, un 
enseignement pour la pathologie humaine et comparée, 
et une garantie pour la santé des hommes qui, dans 
les travaux de l’agriculture ou autrement, vivent en 
commerce permanent avec l'espèce chevaline. 

De plus, c’est un devoir que j’accomplis auprès de 
l'autorité à laquelle est confiée la mission de faire ob- 


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server avec une inflexible rigueur les règlements qui 
ont la santé publique pour objet. 

Certes, Padministration chargée de la police sanitaire 
n'avait pas besoin de cet avertissement, et je me hâte 
de reconnaître que sa vigilance n’a jamais fait défaut 
dans les graves questions qui intéressent l'hygiène des 
populations. 

Mais cet avertissement pourra la faire encore redou- 
bler de zèle pour prévenir de nouveaux malheurs , et 
pour conjurer des catastrophes semblables à celle dont 
je suis aujourd’hui l'historien. 

Mon silence eût été d'autant plus coupable, que tous 
les infortunés jusqu'ici connus qui ont contracté la 
morve aiguë, ont payé de leur vie le défaut de mesures 
prophylactiques convenables. 

Peu s’en est fallu que la maladie dont on va lire l’his- 
toire ne passàt inaperçue ct ne fût entièrement perdue 
pour la science. 

La forme obscure qu’elle avait revêtue à son début, 
les difficultés séméiotiques derrièrelesquelleselle se re- 
tranchait en avaient suspendu le diagnostic pendant les 
premiers jours. 

J'inclinais vers un jugement erroné, et j'allais peut- 
être m’engager dans une fausse route, j'en fais l'aveu 
sincère ; cependant, comme en interrogeant mes sou- 
venirs ct mes notes cliniques, je ne trouvai rien qui eût 
un air de famille avec Paflection que j'observais ; 
comme en jetant un coup-d'œil rétrospectit sur le pa- 
uorama des maladies nombreuses el variées dont j'a- 
vais été témoin depuis quatorze ans, dans le service 
de chirurgie et dans la consultation publique , où foison- 
pent tant de cas pathologiques divers , je ne remarquai 
rien qui pùt être assimilé au tableau qui étonnuit mes 


2: AD. 


regards, je me lins sur mes gardes, et commençai à 
concevoir des doutes sérieux. 

Pressé de questions par les élèves de l’école de mé- 
decine, je m'abstenais de formuler mon opinion, et 
remettais au lendemain le soin de poser mon dia- 
gnostic. 

Bref, ma perplexité était à son comble, quand sou- 
dain un symptôme caractéristique, celui qui a imposé 
son nom àla maladie, le jetage par les narines enfin, 
vint éclairer ce ténébreux dédale, et confirmer mes 
premiers soupeons. | 


EXPOSITION DU FAIT. 


Le 9 avril 1844, dans l'après-midi, on recut à l'H6- 
tel-Dieu, et on coucha au n° 20 de la salle Saint-Jean, 
le nommé Radière (Jean-Nicolas), âgé de 24 ans, pale- 
frenier, au service d’un cultivateur de Talma, village 
situé près de Grandpré (Ardennes). 

Ce malade portait, au pied droit, deux ulcérations, 
l’une au-dessus de la malléole externe , lautre au-des- 
sous de la malléole interne ; elles étaient rondes, du 
diamètre d’un centime; le fond en étail grisätre, grenu, 
les bords en étaient décoilés el bordés d’un cercle li- 
vide ; un empâtement œdémateux régnait dans le pied, 
notamment autour de l'articulation tibio-tarsienne. 

Radière ne put donner de renseignements précis sur 
la cause de cette affection ; il parlait vaguement d’une 
entorse qu’il faisait remonter à une époque assez éloi- 
gnée, se plaignait d’une douleur acérée dans tous les 
membres, d'un accablement général et d'une prostra- 
lion des forces telle qu'il chaneclait et trébuchait à 


| 
P 
K 
L 


— l 4A — 


chaque pas. On lisait sur son visage une expression 
profondément accusée de souffrance et de fatigue. Il 
avait le pouls précipité et enfoncé, la respiration était 
anxieuse et entrecoupée. 

La nuit suivante se passa dans cet état. 

Le 10, à ma visite du matin, l'abattement ne parais- 
sait pas plus considérable ; il y avait eu de l’insomnie ; 
le malade laissait échapper quelques soupirs plaintifs ; 
le pouls, toujours déprimé, donnait 104 pulsations, et 
les inspirations étaient de 28 par minute. 

L’auscultation laissait entendre un peu de râle mu- 
queux en arrière et en bas de chaque côté de la poitrine. 

Du reste, l'intelligence était saine. 

Sur l’aile gauche dunez existait une pustule remplie 
d’un liquide roussâtre; cette pustule était environnée 
d'une rougeur livide diffuse qui allait s’éteindre vers 
le milieu de la joue. Ne soupconnant pas la grave mala- 
die que j'avais à combattre, j'ouvris cette pustule et la 
fis penser avec du quinquina soutenu par de la charpie 
mouillée d’eau chlorurée. 

Quant aux ulcérations du pied, dont il m'était im- 
possible de fixer le caractère et la nature, elles furent 
recouvertes de plumasseaux de styrax et de compresses 
trempées dans une décoction de quinquina. 

Radière fut mis à usage d’une potion tonique et 
d'une limonade vineuse. 

Bien que ce malheureux n’offrit encore aucun écou- 
lement par les narines, qu’on ne rencontràt pas d’au- 
tres pustules que celle que je viens de signaler , bien 
que je n’eusse aucun renseignement exact sur les cir- 
constances antécédentes , pourtant Pétat fébrile d’ap- 
parence grave , l'oppression des forces et l'anxiété qui 
agitait Radière me firent soupconrer l'affection redou- 


NE te 


table qu'on a décrite récemment sous le nom de morve 
aiguë chez Phomme. 

Mes prévisions devaient bientôt se réaliser. 

Le 11, une pustule d'apparence mamelonnée, verru- 
queuse , d’un aspect sale, se manifesta sur la région 
malaire gauche ; son diamètre n’excédail pas celui d’un 
noyau de prune; une tuméfaction considérable de la 
joue l’accompagnait; la peau présentait une teinte lé- 
gèrement rosée ; la moitié gauche du front était œdé- 
matiée, les téguments de cette région avaient une teinte 
plombée ; les paupières étaient infiltrées , bleuätres et 
fermaient complètement l'œil, 

A côté de la pustule phlycténoïde de l'aile gauche du 
nez, on remarquait deux boutons tuberculeux , sans 
analogues dans les maladies éruptives; leur surface étail 
inégale, bosselée, d’une couleur brune; l'un d’eux, déjà 
ulcéré, laissait sourdre une petite quantité de sanie 
purulente. 

L'état général du malade avait empiré ; l'oppression 
des forces était plus considérable, l'abattement s'était 
transformé en cette espèce de somnolence avant-cou- 
reur du coma, l'amaigrissement faisait des progrès, et 
la peau du corps présentait un aspect terreux, terne, 
cadavérique. 

La prescription de la veille est continuée ; on ajoute 
quelques cuillerées de vin de Bordeaux. 

Le 42, la pustule de la région malaire aflectait un 
aspect gangréneux , ainsi que celle de Paile gauche du 
nez en graude partie détruite par le sphacèle; la rou- 
geur livide du front , et locclusion de l'œil gauche qui 
laissait échapper une sanie jaunâtre el visqueuse, don- 
naient à la face un aspect hideux. 

Une troisième pustule apparut à droite, vers la ra- 


-a 


LOUER 


cine du nez; elle avait le diamètre d’une pièce de vingt- 
cinq centimes, s'accompagnait d’une tuméfaction éry- 
sipélateuse de la paupière inférieure de l'œil du même 
côté, que le malade ne pouvait qu’entr’ouvrir à peine , 
et d’où s’échappait un liquide d’un aspect semblable à 
celui des ophthalmies purulentes des nouveaux-nés. 

Le même jour, un relief du volume d’une grosse 
aveline se dessina sous la peau de la partie moyenne et 
externe de la jambe gauche; les ulcérations du pied 
droit versaient un liquide semblable à celui des abcès 
froids. 

La peau est chaude, sèche; le pouls bat 118 fois, il 
est très-dépressible ; il y a 35 inspirations par minute, 
elles sont accompagnées d’un bruit assez sonore qui 
vibre dans les anfractuosités nasales. 

Du reste, on peut tirer facilement encore le malade 
de la somnolence dans laquelle il est plongé; ses ré- 
ponses attestent qu’il conserve toute son intelligence ; 
la langue est un peu rouge et granulcuse à sa pointe; 
l'auscultation n'offre rien de notable dans les poumons 
et le cœur, les urines sont assez abondantes, la soif est 
modérée , la sensibilité au froid est très-prononcée ; 
elle se trahit par ua frisson convulsif, aussitôt qu'on 
agile les couvertures du lit. 

Le 13, l'amaigrissement est effrayant. Deux abcès 
existent au mollet droit. 

Une ecchymose noirâtre se montre au côté interne 
et inférieur de l'avant-bras gauche, dans la région qui 
correspond à la tête du cubitus; sa dimension est celle 
d'ane pièce de vingt sous. 

Une pustule d’une largeur moitié moindre, grise, à 
surface aréolaire,occupe la portion de la lèvre supérieure 
qui avoisine la commissure droite de la bouche. 


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Une autre pustule de même diamètre apparaît à la 
région cervicale postérieure ; la narine droite laisse 
suinter un liquide tantôt jaune , tantôt sanguinolent, 
dont on augmente la quantilé en pressant légèrement 
l’aile nasale de ce côté; la lèvre supérieure est horrible- 
ment tuméfiée et se relève vers l'ouverture antérieure 
des narines; le côté gauche du nez est frappé de gan- 
grène, ainsi qu'une partie de la paupière inférieure de 
l'œil de ce côté. Les glandes sous-maxillaires sont tu- 
méfiées et douloureuses au toucher (glandage). 

Dans la soirée, un tubercule pustuleux, d’un aspect 
chagriné, se manifesta à la partie moyenne de la lèvre 
inférieure, sur les limites qui séparent la peau de la 
muqueuse; il offrait le diamètre d’un gros pois et pré- 
sentait une teiate noire. 

La prostration des forces est très-grande; la face est 
bouffie et vultueuse; on peut encore tirer de la som- 
nolence le malade, qui répond parfois avec justesse aux 
questions; ses gémissements attestent un malaise pro- 
fond etune vive anxiété; la langue est humide; la déglu- 
tition devient plus difficile; le pouls est mou et s'efface 
sous le doigt; les inspirations sont plus fréquentes; une 
selle diarrhéique a lieu dans la journée; les douleurs 
des membres sont déchirantes, surtout dans les régions 
articulaires. 

Le 14, le pouls ne consiste plus qu’en oscillations à 
peine perceptibles; un ràle muqueux se fait entendre 
du côté droit de la poitrine. — Vin de Kina, sina- 
pismes. 

Le 15, le jelage a augmenté; le flux nasal est formé 
par un liquide d’un jaune rougeûtre sale, plus abondant 
à droite qu’à gauche, et qui va se perdre, en contour- 
nant les commissures labiales, et après s’être divisé en 


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plusieurs bras, sous la mâchoire inférieure, et dans le 
voisinage du menton. 

L'empâtement d’un rouge livide qui occupe le front, 
les paupières et le nez, a fait des progrès effrayants; les 
traits du visage ont quelque chose de monstrueux et ne 
conservent presque plus rien de la forme humaine; une 
pustule plus petite que celles que j'ai décrites plus haut, 
surgit du côté droit et vers la région moyenne du nez; 
elle est ombiliquée, d’une teinte noirâtre à son centre; 
sa surface est desséchée , et sa circonférence présente 
un aspect purulent, 

Le soir même le liquide provenant du flux nasal 
du malade fut inoculé dans la narine droite d’un âne 
jeune et plein de santé; le pus des pustules fut dé- 
posé dans la narine gauche, au flanc droit et sur le 
ventre ; un tampon de charpie imprégnée de la sanie 
qui s’écoulait des pustules, fut introduit dans les fosses 
nasales de l'animal et y fut retenu à l’aide de quelques 
points de suture. 

Cette opération fut pratiquée en présence de Mes- 
sieurs Gobet et Maquart, tous deux membres de PA- 
cadémie , des élèves de l’école de médecine, et des 
élèves internes de l'Hôtel-Dieu. 

Je dirai plus bas les résultats de cette inoculation. 

A dix heures du soir, Radière cessa de répondre aux 
questions qu’on lui adressait; la déglutition était deve- 
nue convulsive; il avalait avec la plus grande peine 
quelques cuillerées d’une potion tonique que je lui avais 
prescrite le matin : il n'avait pas rendu d’urines depuis 
18 heures ; il avait eu quatre selles diarrhéiques dans 
la journée ; une sueur poisseuse baignait tout le corps; 
des plaintes sourdes et inarticulées se faisaient enten- 
dre à de courts intervalles; le pouls, ou, pour mieux 


BALE — 


dire, les ondulations à peine sensibles de l'artère s'é- 
levaient à 135; la respiration était courte, précipitée ; 
il y avait #3 inspirations par minute. — On sentait 
quelques soubresauts dans les tendons des muscles de 
Pavant- bras. 

Le 16, à la visite du matin, aucun symplôme nor - 
veau ne s'était manifesté ; cependant il était facile de 
voir que le malade s’acheminait à grands pas vers la 
mort; trois garde-robes d’une fétidité repoussante 
avaient eu lieu dans la nuit; le linge du malade était 
imbibé de quelques gouttes d'urine; la respiration était 
haletante, suspirieuse et plaintive, le pouls n’était plus 
perceptible; le malade, inondé d’une sueur abondante 
et visqueuse, ne pouvait être éveillé du coma dans 
lequel il était tombé; les soubresauts des tendons élaient 
plus tumultueux que la veille; la peau était d'un jaune 
terne. 

A quatre heures du soir il avait succombé , après 
une pénible agonie. 


Autopsie (40 heures après la mort). 

L'ouverture du corps , en raison de l'importance des 
recherches auxquelles je devais me livrer, a duré cinq 
heures. Tous les viscères, tous les appareils organiques, 
tous les tissus ont été interrogés avec la plus religieuse 
attention. 

Voici les désordres que j'ai rencontrés : 

Face. — Les pustules se présentèrent sous deux as- 
pects distinets : les unes étaient entières; la plupart 
étaient ulcérées ; d’autres étaient gangrenées. 

Les pustules entières étaient ou remplies d’une sanie 
purulente, ou mamelonnées , et aréolaires ; dans l'un et 
l’autre cas, le scalpel enlevait, en les râclant, une ma- 


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tière jaunätre qui n’était rien autre qu’une infiltration 
purulente des lames les plus superficielles de la peau. 

L'infiltration puralente des couches dermiques était 
portée au plus haut degré dans les pustules ulcérées. 

Les pustules gangreneuses , dépouillées de la couche 
noirâtre qui les recouvrait , laissaient voir les orifices 
du derme plus dilatés que dans l’état normal et occu- 
pés par le pus infiltré ; puis dans le voisinage, et dans 
le tissu cellulaire sous-tégumentaire, on découvrait des 
abcès multiples, isolés, circonscrits, analogues sous plus 
d'un rapport aux abcès métastatiques , aux dépôts 
qu’on remarque dans lintoxication purulente qui suc- 
cède aux opérations de la chirurgie. 

Ainsi, outre l’infiltration purulente sous-pustuleuse, 
j'ai trouvé deux abcès bien distincts et parfaitement 
isolés dans Pépaisseur de la lèvre supérieure; trois du 
volume d’un très-gros pois dans les graisses ef les mus- 
cles de la joue gauche; un dans l'épaisseur de la pau- 
piére inférieure gauche , presque entièrement détruite 
par la gangrène ; cinq dans les tissus de la joue droite : 
ceux-ci élaient d’un volume plus petit que les précé- 
dents, et se trouvaient agglomérés dans le voisinage du 
- nez; la caroncule lacrymale de Pœil gauche était con- 
vertie en une matière pultacée ; du pus en nature s’é- 
chappait de orifice des glandes de Meïbomius : l'aile 
gauche du nez avait disparu sous les ravages destruc- 
teurs de la gangrène; le lobule recelait une grosse 
goutte de pus. 

Extrémités. — L'ecchymose, de la largeur d’un dé- 
cime, placée à la parlie interne et inférieure de Pavant- 
bras, était constituée par un sang grumeleux en partie 
décomposé et renfermant quelques goultelettes d’un 
liquide blanchâtre semblable à da pus. 


E be — 


Le tissu cellulaire et les muscles des deux membres 
supérieurs n'étaient le siége d’aucune lésion patholo- 
gique; mais les articulations des os qui entrent dans la 
composition de ces membres étaient abreuvées d’un 
liquide d’un jaune serin foncé ; au reste, cette disposi- 
tion se reproduisait dans les autres cavités articulaires 
du squelette , qui ont été toutes ouvertes, et dans tous 
les liquides de l’économie. 

Je n’y reviendrai donc point, afin d'éviter des redites 
fastidieuses. 

Les ulcérations situées aux malléoles interne et ex- 
terne du pied droit n'avaient entamé que la peau et les 
tissus sous-jacents ; elles n'avaient aucune communica- 
tion avec les articulations du pied, dont les éléments 
constitutifs élaient dans un état parfait d’intégrité. 

Deux abcès du volume d’une aveline ordinaire étaient 
placés dans la jambe droite : le premier formait un re- 
lief sous la peau qui recouvre le muscle jumeau interne; 
le second était placé entre le plan superficiel et le plan 
profond des muscles de ce membre. 

La jambe gauche était le siége de trois collections 
purulentes d’un petit volume. Deux soulevaient la peau 
qui recouvre le muscle jumeau externe ; le troisième 
était cantonné dans l'épaisseur du jumeau interne ; le 
pus dont il était formé était mêlé à du sang à l’état de 
déliquescence. On remarquait à la partie supérieure et 
interne de la cuisse droite une ecchymose de la largeur 
d’une pièce de cinq francs ; le tissu cellulaire sous-té- 
gumentaire où elle siégeait n’offrait plus trace d’organi- 
sation. 

La cuisse gauche présentait dans le contour de son 
extrémité supérieure, trois ecchymoses ayant le même 
aspect. 


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— 149 — 


Système lymphatique. — Les désordres du système 
lymphetique m'ont paru concorder avec léruption pus- 
tuleuse dela face et les abcès multiples des membres. 

Ainsi , le chapelet des ganglions sous-maxillaires 
de chaque côté était infecté, considérablement hyper- 
trophié, mais sans ramollissement morbide, et sans 
suppuration. 

Les ganglions axillaires du côté gauche étaient tu- 
méfiés et hypérémiés. Les glandes lymphatiques du 
pli de laine , surtout celles qui côtoient la veine sa- 
phène , présentaient du côté gauche une augmentation 
de volume et une injection remarquable. 

Celles qui avoisinent le pharynx étaient seulement 
injectées, sans gonflement. 


Système sanguin. — Les veines des membres et du 
tronc, examinées avec le soin le plus minutieux, n’ont 
laissé voir aucune altération pathologique , à l’excep- 
tion de la veine saphène interne droite, qui présentait 
une ecchymose de deux centimètres d'étendue, ainsi 
que la veine tibiale postérieure du côté gauche. 

Le sinus longitudinal supérieur de la dure-mère était 
affecté de la même manière, et renfermait un caillot 
fibrineux adhérent par une de ses extrémités ; les autres 
sinus de la dure-mère étaient sains ainsi que les veines 
des cellules du diploé ; les veines des autres cavités 
splanchniques renfermaient un sang fluide abondant, 
et n'offraient, du reste, rien de remarquable dans leurs 
parois. L'arbre artériel était sain; ouvert dans toutes 
ses ramifications et ses divisions les plus déliées, il n’a 
rien fourni à l’observation. 


Système ceérebro-rachidien. — Les vaisseaux de la 


10 


— 150 — 


pie-mère élaient distendus par du sang noir; la sub- 
stance du cerveau était molle, friable, sans consistance, 
et laissait suinter, à la coupe , une quantité innombra- 
ble de gouttelettes de sang noir très-liquide , surtout 
dans hémisphère droit, les corps striés et la corne 
d’Ammon du côté gauche. Le cervelet avait plus de 
densité que le cerveau ; coupé par tranches, il laissait 
transsuder de nombreuses gouttes de sang. Les ventri- 
cules étaient distendus par une sérosité ayant la même 
couleur que le liquide des articulations. 

Le canal rachidien était rempli d’un liquide sembla- 
ble; la tige vertébrale était diffluente dans une petite 
étendue, un peu au-dessous du pont de Varole; le 
reste deia moelle était sain ; les racines antérieures et 
postérieures des nerfs qui s’en échappent n’ont rien pré- 
senté qui méritât d’être noté. 


Fosses nasales. — Voies aériennes. — C’est dans cet 
appareil que j'ai rencontré les altérations les plus 
graves, les désordres les plus caractéristiques. 

Les pustules de la membrane pituitaire ne formaient 
pas un relief très-prononcé, sans doute à cause de 
l'affaissement de l’épithélium, dû à la dessication du li- 
quide qui le soulevait pendant la vie. 

Le plancher de la fosse nasale droite était tapissé 
d’un détritus rougeâtre pultacé , reposant immédiate- 
ment sur les os. 

Le cornet inférieur était le siége d’une vive injection ; 
une infiltration purulente avait détaché la muqueuse 
dans son tiers moyen, et se trouvait en contact avec la 
substance osseuse. 

Le cornet moyen était couvert de quatre pustules 
lenticulaires. 


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Une pustale ulcérée, ronde, à surface grisätre, 
se faisait remarquer dans le voisinage de l’orifice de la 
trompe d’Eustache. 

Dans les sinus ethmoïdaux antérieurs et dans les 
sinus frontaux, la membrane piluitaire, d’une teinte li- 
vide, était parsemée de points purulents au nombre de 
six, placés sous l’épithélium. 

Le cornet supérieur, les sinus spénoïdaux et ethmoï- 
daux postérieurs étaient dans létat normal. 

Le sinus maxilliaire supérieur élait plein d’un liquide 
épais, gluant, d’une couleur jaune serin; la muqueuse 
rouge, et ramollie sur la paroi externe, supportait deux 
ulcérations à fond grisâtre. 


Fosse nasale gauche. — La pituitaire qui tapisse les 
anfractuosités de cette cavité était convertie en une 
bouillie sero-sanguinolente ; sur plusieurs points les os 
élaient à nu; l’organisation normale avait fait place à 
un ramollissement pultacé dans lequel on rencontrait 
cà et là quelques vestiges de pus jaunâtre. 

Le sinus maxillaire de ce côté renfermait un mucus 
moins abondant que dans le sinus maxillaire droit, 
mais ce liquide avait la même couleur ; deux ecchymo- 
ses sous-musqueuses se faisaient remarquer à sa paroi 
interne 

Le voile du palais était détruit dans la moitié de sa 
hauteur par une érosion ulcéreuse à bords taillés à pie. 

La muqueuse palatine présentait une vaste ulcération 
dont le fond, composé d’un détritus noirâtre, reposait 
immédiatement sur les os; les bords de cette ulcéra- 
tion étaient irrégulièrement festonnés. 

L'amygdale droite hypertrophiée renfermait deux 
abcès parfaitement distincts et limités. 


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L'amygdale gauche, plus tuméfiée que la droite, en 
recelait trois parfaitement circonscrits. 

Trois ulcérations à fond terne et grisâtre se lais- 
saient voir à la paroi postérieure du pharynx. 

Un abcès du volume d’une grosse aveline était logé 
dans le tissu cellulaire post-pharyngien. 

Trois pustules miliaires suppurées se remarquaient 
sur l’épiglotte, et deux sur chaque corde vocale. 

La trachée et les bronches étaient fortement injectées 
et remplies d’une spume sanguinolente. 


Poitrine. — Les plèvres renfermaient environ un li- 
tre d’une sérosité de couleur jaune serin. 

Les deux poumons étaient lâchement unis aux plè- 

vres costales, par quelques adhérences cellulaires faciles 

à détruire. 

Leur tissu était le siége d’une pneumonie hypostati- 
que à la partie postérieure. 

Treize abcès se faisaient remarquer sur le lobe supé- 
rieur du poumon gauche; ils bosselaient la plèvre sous 
laquelle ils étaient immédiatement placés. 

Les uns contenaient un pus parfaitement lié et ho- 
mogène; d’autres élaient formés par une substance 
demi-conerète, analogue en apparence à la substance 
des tubercules au début de leur ramollissement. 

Quatre d’entre eux étaient entourés d’un cercle ec- 
chymolique. 

Le parenchyme de ce poumon recelait en outre deux 
ecchymoses, deux dépôts hémorrhagiques, au centre 
desquels on apercevait du pus en nature. 

Le volume de ces nombreuses collections purulentes 
n'excédait pas celui d’un très-gros pois. 

Le poumon droit renfermait neuf abcès, dont quatre 


— 153 — 


élaient placés dansle lobe supérieur, et formaient un re- 
lief du volume d’une petite aveline ; les cinq autres 
étaient renfermés dans le parenchyme du lobe inférieur; 
ils étaient entourés d’un cercle ecchymotique, et mex- 
cédaient pas le volume d’un noyau de cerise. 

Le péricarde ne contenait qu'une petile quantité de 
sérosité de couleur jaune serin. 

Le cœur était dans un élat normal pour la consis- 
tance et le volume; une large tache ecchymotiqne occu- 
pait la partie moyenne du ventricule droit ; les cavités 
gauches de cet organe étaient vides; celles du côté 
droit renfermaient du sang à demi-concret. 


Appareil digestif. — L’estomac était d'un petit vo- 
lume et comme recroquevillé; deux ecchymoses de la 
largeur d’un centime se faisaient remarquer sous la 
muqueuse de la partie moyenne de la grande courbure. 

Les intestins grêles étaient constellés d’ecchymoses 
ponctuées placées sous la séreuse péritonéale. 

Pai rencontré trois très-pelites collections purulentes 
dans l’épaisseur des membranes du gros intestin. 

Le foie était sain. 

La rate était friable; son parenchyme, imbibé de 
sang noir, se réduisait en bouillie sous la plus légère 
pression. 


Appareil urinaire. — Le rein gauche présentait une 
large extravasation sanguine qui se trahissait par une 
tache bleuâtre située sur sa face antérieure. 

La vessie contenait de l'urine dont la teinte était 
semblable à celle que j'ai remarquée dans tous les li- 
quides de l’économie. 


— 154 — 


Tels sont les ravages que cette affreuse maladie a im- 
primés sur son passage. 

L'importance de l’étiologie dans la question de la 
morve, les doutes qui subsistent encore à ce sujet dans 
quelques esprits, m'ont fait un devoir de rechercher 
avec le plus grand soin les causes qui pouvaient avoir 
fait naître l'affection à laquelle Radière a succombé. 

Des hommes éminents ont agité la question de savoir 
si l'homme, placé dans les mêmes conditions que les 
chevaux, pouvait contracter spontanément la morve, 
indépendamment de la contagion. 

Mais jusqu'ici, comme cette maladie n’a sévi que 
sur des individus qui se trouvaient en relalion avec 
des chevaux morveux, cette question doit être laissée 
de côté; car dans un sujet aussi grave, on ne peult ar- 
gumenter en dehors des faits. 

Il faut donc se contenter d'étudier et de constater 
l'influence des autres conditions qui concourent au dé- 
veloppement de la morve, de concert avec le virus 
morveux. 


Récapitulons en peu de mots les causes du dévelop- 
pement spontané de la morve chez le cheval, toutes ad- 
mises par presque tous les hippiâtres; ce sont : 

4° L’entassement des animaux dans les écuries ; 

X L'aération incomplète, l'obscurité, l'humidité du 
local ; 

3° Les marches et les travaux exagérés ; 

4° Une nourriture insuffisante ou malsaine ; 

5° Les opérations pratiquées sur les animaux. 

On ne peut faire l'application de ces causes à Ra- 
dière, et aucune d’elles n’a pu concourir à développer 
chez lui la maladie dont il a été victime. 


— 155 — 

M. de Boullenois, aussitôt qu'il eut connaissance de 
la mort malheureuse de Radière, se rendit en toute 
hâte au village de Talma, près de Grandpré, pour re- 
cueillir des renseignements sur létat sanitaire des écu- 
ries de M. Labbé, cultivateur, chez lequel Radière 
avait servi en qualité de palefrenier; là, il apprit que 
M. Labbé ne laissait pénétrer personne chez lui, qu’il 
avait perdu plusieurs chevaux vers la fin de l’année de 
1843, et qu’il séquestrait soigneusement ceux qui lui 
restaient. 

Sur la prière que je lui en adressai, et afin de ren- 
dre plus précises les instructions dont j’avais besoin, 
M. de Boullenois demanda un rapport à M Guille- 
mard, à Grandpré. Cet habile vétérinaire me fit par- 
venir les détails suivants : 

Le 8 de ce mois (mai 1844), M. Guillemard visita 
les écuries de M. Labbé : cinq chevaux y étaient ren- 
fermés; il constata sur l’un d'eux le 7etage par les 
deux narines d’un liquide verdätre, abondant, un en- 
gorgement prononcé des glandes lympathiques de 
lauge, et des ulcérations multipliées de la muqueuse 
qui tapisse les fosses nasales. 

Deux ans auparavant, M. Guillemard avait déjà 
donné des soins à ce cheval, sans que le traitement ra- 
tionnel auquel il le soumit alors eût procuré la plus lé- 
gère amélioration dans son état. Pressé de questions 
auxquelles il refusait d’abord de répondre, et voulant 
se meltre à Pabri de tout soupçon, M. Labbé, comme 
tous ceux qui ont des torts à se reprocher, commenca 
par se jeter dans une série de dénégalions au milieu 
desquelles il était difficile de démêler la vérité; puis 
enfin il confessa à M. Guillemard, qui lui adressait de 
vives et de sévères interpellations, qu'il avail acheté, 


HE — 


au prix de trente frances, deux mois avant que le che- 
val dont il est question devint malade, une jument 
qui avait le jetage et qui était glandee , et qu'une au- 
tre jument, qui n'avait pas tardé aussi à contracter la 
même affection, avait été abattue dans le courant de 
l'hiver dernier. 

M. Labbé a done possédé trois chevaux atteints de 
morve chronique. 

C’est au milicu de ces fàcheuses conditions que Ra- 
dière entra au service de M. Labbé. 

C'était un jeune homme d’une santé florissante, so- 
bre et de mœurs très-pures. 

Maintenant il faut laisser parler M. Dater, médecin 
à Senuc, dont le savoir et l’expérience ne peuvent être 
mis en doute. Ce praticien distingué avait donné des 
soins, vers la fin de février dernier, à Radière, alors 
atteint d’une entorse du pied droit, puis il avait cessé 
de le voir jusqu’au 28 mars suivant, époque à laquelle 
des phénomènes morbides inquiétants se déclarèrent et 
marchèrent dans l’ordre suivant : 

Une pustule s'était ouverte près de la malléole ex- 
terne du pied droit; il s’en écoulait un liquide lactes- 
cent; il y avait de la fièvre avec paroxysme le soir. 

Quelques jours plus tard, il survint une céphalalgie 
contusive et accablante et une légère surdité; il y avait 
de la lenteur dans les réponses; les mouvements des 
membres ne pouvaient s’exécuter qu'avec des douleurs 
atroces. 

Le 4 avril, une ulcération nouvelle se déclara dans 
le voisinage de la malléole interne; elle laissait sour- 
dre une sérosité baveuse d’un aspect grisàtre ; un lé- 
ger érysipèle commençait alors à teindre d’un rose clair 
Paile gauche du nez; au centre de cet érysipèle on 


— 197 — 
voyait poindre une petite tumeur pustuleuse. La fièvre 
continuait et l'abattement était extrême. 

C'est dans cet état que Radière vint implorer les se- 
cours de l’art à l'Hôtel-Dieu de Reims, où il mourut 
après un séjour d’une semaine. 

Ainsi, il résulte du rapport de M. Guillemard la certi- 
tude que M. Labbé, le maître de Radière, avait des 
chevaux morveux ; il est avéré, en outre, que celui-ci 
a donné des soins à ces animaux, et qu’il a habité l'écu- 
rie où ils étaient renferimés. 

De plus, la note de mon honorable collègue M. Duter 
ne laisse aucun doute. Une maladie fébrile générale, 
accompagnée de douleurs simulant le rhumatisme, se 
déclare chez Radière dans les premiers jours d'avril ; 
insolite et obscure dans son début, elle vient se trahir 
à Reims, pendant la vie, par un écoulement putrila- 
gineux des narines, par des bulles gangréneuses à la 
peau qui ne peuvent être confondues avec celles de la 
pustule maligne, par une éruption particulière, spéci- 
fique, qui ne peut être assimilée, par ses caractères 
physiques, ni à celles de la variole et de la varicelle, ni 
aux pustules de l’ecthima, ni aux tubercules suppu- 
rants de l’yaws, ni à aucun autre exanthème connu. 
Cette maladie, après avoir poussé, à travers des orages 
cffrayants, sa victime au tombeau, vient attester, qu’elle 
a empoisonné toul l'organisme, en laissant des em- 
preintes mortelles dans tous les systèmes, el lout cela 
après avoir suivi une marche qui n'appartient qu'à elle, 
el qu'on chercherait en va n dans les tableaux nosolo- 
giques. 

Quelle était done cette maladie dont la physionomie 
sinistre avait effrayé à si juste titre M. le docteur Du- 
ter et tenu son diagnostic en échec ? 


— 158 — 


Cette maladie était la morve. 

Ce que l’on connaît des désordres anatomiques que 
l'investigation cadavérique a constatés chez Radière, 
suffirait pour confirmer cette assertion. 


Cependant , pour achever de convaincre les esprits 
les plus prévenus , je veux faire parler un fait contre 
lequel tous les raisonnements viendront inévitablement 
se briser , et produire une preuve qui mettra la vérité 
dans tout son jour. 

Comment a agi le pus puisé dans les narines et les 
pustules de Radière, et déposé sur Pâne par inocu- 
lation ? 

Ce pus a engendré la morve. 

Ainsi, un liquide provenant d’une maladie mortelle 
survenue chez un homme qui avait vécu avec des 
chevaux malades, ce liquide, dis-je, a déterminé la 
morve. 

Cette expérience, du reste, n’est pas nouvelle ; elle 
a été répétée plusieurs fois par des hommes qui ont 
fait de la question qui nous occupe l’objet de leurs 
méditations. 

Le 15 avril, l'inoculalion a été faite à la marge de 
chaque ouverture nasale, au moyen de la lancette char- 
gée de pus. Ces premières inoculations furent sous- 
épidermiques ; de plus, au flane droit jai déposé du 
pus sur une petite plaie résultant du grattage de l'épi- 
derme. 

L'animal fut ensuite confié à un équarrisseur qui lui 
donna des soins pendant le reste de son existence. 

Le 18, je remarquai près de la narine droite une tu- 
méfaction dure et peu douloureuse; elle allait se termi- 
ner près du cartilage de la même narine; lauge du 


— 159 — 


même côté présentait déjà un léger empatement. L'état 
général de l'animal n'avait pas changé. 

Le 19, je constatai l'existence d’une pustule de la 
largeur d’une pièce de vingt cinq centimes, située sur 
la marge de Vaile externe droite du nez; en comprimant 
celle-ci, il s’échappait une sanie ichoreuse jaunätre. De 
cette pustule partait une corde farcineuse, noueuse, 
grosse comme un fort tuyau de plume, qui se rendait, 
en longeant la lèvre supérieure, et après avoir con- 
tourné la commissure, au ganglion engorgé de lauge. 

Le 20, l'appétit diminue; on remarque un jetage par 
la narine gauche; le poil de l'animal se dresse el se 
ternit; le ventre est tendu ; la tête est basse; les con- 
Jonctives s’injectent ; les paupières se couvrent d’une 
chassie jaune et gluante. 

Le 21, il s’écoulait de Ja narine droite une sérosilé 
couleur de rouille ; l'animal ne mangeait pas ; il restait 
couché et agité de tremblements généraux ; le pouls 
était accéléré et la respiration précipitée. 

Le 22, le jetage est très-abondont ; il charrie à droite 
des stries sanguinolentes ; les yeux sont larmoyants et 
injectés ; les battements artériels sont tumultueux , pe- 
tits et confus ; l'animal se soutient à peine ; il boit en- 
core un peu d’eau blanche; les poils s’arrachent à la 
moindre traction ; la respiration est très-accélérée ; il y 
a trois selles diarrhéiques dans la journée. 

Le 23, le jetage des deux narines est sangainolent et 
trace des siilons ulcéreux sur la marge nasale; lani- 
mal est tout-à-fait abattu ; le facies est grippé ; les ex- 
trémités se refroidissent, la respiration est très-labo= 
rieuse ; animal se couche pour ne plus se relever, et 
meurt dans d’horribles convulsions. 

L’autopsie en’fut faite trente heures aprèsla mort, en 


— 160 — 


présence de M. le docteur Hannequin, médecin de 
l'Hôtel-Dieu, de M. Demilly, vétérinaire et médecin des 
épizooties de l'arrondissement, et des élèves de l’école 
de médecine. 

Disons d’abord que la plupart des altérations con - 
statées sur cet âne étaient, par leur siége et leur nature, 
semblables à celles qui se remarquent sur les solipèdes 
qui succombent à la morve aiguë, développée sponta- 
nément ou par inoculation, d'animal à animal. Néan- 
moins, comme la maladie qui a donné la mort à l’âne 
est le résultat de l’inoculation ; comme elle appartient 
à l’histoire, encore à faire, des affections provoquées par 
l'inoculation de liquides purulents et septiques, je vais 
décrire avec soin les désordres que j’ai rencontrés, afin 
qu'on puisse apprécier l’analogie frappante qu’elles 
présentent, avec celles que nous avons constatées chez 
l'infortuné Radière. 


Téte. — Quatre pustules à surface mamelonnée, en 
partie ulcérées, à fond grisàtre, sale, étaient situées 
sur la parlie moyenne de la lèvre inférieure. 

Il y avait idendité absolue entre cette lésion et les 
nombreuses pustules observées chez Radière. 

Le tissu fibro-cartilagineux de l’cuverture des fosses 
nasales était dur, épais, comme lardacé. 6 

La joue droite était le siége d’une vaste infiltration 
sanguine qui baignait le tissu cellulaire et tout le sys- 
tème musculaire de cette région. 

La joue gauche laissait voir les mêmes désordres , 
mais à un degré moins prononcé. 

La narine droite présentait une multitude d’éie- 
vures, faisant à peine saillie au-dessus de la mu- 
queuse ; elles étaient isolées sur certains points, agmi- 


— 161 — 


nées sur d’autres, et avaient une teinte d’un blanc mat. 

Quelques-unes de ces élevures étaient ulcérées à leur 
surface et laissaient voir le tissu muqueux imbibé de 
matière purulente. 

Celles qui étaient intactes après avoir été incisées 
avec précaution, permettaient de reconnaître qu’elles 
consistaient dans une infiltration purulente, dans de vé- 
ritables abcès placés sous lépithélium. 

Ces altérations pathologiques se remarquaient sur 
toutes les régions de la fosse nasale de ce côté, mais 
elles étaient plus nombreuses sur la cloison que partout 
ailleurs. 

La même disposition régnait dans la narine droite , 
seulement les ulcérations s’y faisaient voir dans une 
proportion plus grande qu’à droite. 

Les ganglions sous- maxillaires étaient énormé- 
ment hypertrophiés et parsemés d’ecchymoses. 

Le larynx et la trachée-artère n’offraient aucune 
lésion. Le pharynx était tapissé de pustules purulentes 
miliaires. 

Les poumons étaient farcis d’une énorme quantité 
de dépôts purulents qui simulaient par leur nombre les 
phthisies miliaires les mieux caractérisées ; ces collec- 
tions n'étaient pas placées seulement à la périphérie, le 
parenchyme lui-même en était pénétré ; quelques-unes 
d’entre elles étaient entourées d’une auréole rouge ou 
cernées d’une zône ecchymotique ; leur grosseur ne dé- 
passait pas le volume d’un pois; les unes étaient rem- 
plies d’un pus liquide, homogène, louable; les autres, 
et c'était le plus grand nombre, se composaient d’une 
malière albumino-fibrineuse concrète. 

C'est cette disposition et cette fausse ressemblance 
avec le tubereule qui a si longtemps induit les vétéri- 


— 162 — 
naires en erreur et qui les a conduits à confondre avec 
cette production pathologique une sécrétion morbide 
qui en est tout-à-fait distincte, qui n’en a ni le 
caractère physique ni la composilion chimique. 

Il n’est pas nécessaire d’invoquer les lumières de la 
chimie médicale pour obtenir à cet égard des éclaircis- 
sements que dans l’état actuel de la science elle ne peut 
fournir; chacun sait que le sang des solipèdes (âne, 
mulet, cheval) donne, dans les conditions normales de 
la santé, une couenne appelée caillot blanc par les hip- 
piâtres. Cette singularité ne peut-elle pas expliquer les 
modifications qu’on trouve dans les maladies qui , 
comme la morve aiguë, se caractérisent par des con- 
gestions purulentes? Il n’est pas déraisonnable de le 
penser. 

La cavité thoracique était remplie d’une grande 
quantité de sérosité sanguinolente. 


Bas-ventre. — La rate était convertie en une boue 
sanguinolente. 

Le foie était infiltré de sang, et présentait çà et là 
quelques ecchymoses sur sa surface convexe. 

Plusieurs plaques gangréneuses se dessinaient sur le 
tube intestinal. Le rectum en portail une qui n'avait 
pas moins de six pouces de longueur. 


Cerveau. — Les veines qui rampent à la surface de 
cet organe, les sinus cérébraux et la substance encépha- 
lique élaient gorgé; d’une énorme quantité de sang 
noir. 


Système vasculaire. — Les veines étaient remplies 
d'un sang noir et fluide; les artères n’offraient rien 
de remarquable. 


— 163 — 


Membres.—On n’a pas trouvé de pus dans les tissus 
cellulaire et musculaire ; toutes les articulations de 
l'exception de celle de la hanche du côté droit , étaient 
remplies d’un liquide jaune serin comme chez Radière. 

Tels sont les faits les plus saillants de cette observa- 
tion ; ils confirment pleinement ceux qui ont déjà été 
publiés sur le même sujet, et mettent hors de doute 
l'existence de la morve chez l'homme, et sa contagion , 
en passant du cheval à l’homme; ils viennent porter la 
conviction de la possibilité de cette transmission mor- 
telle parmi ceux mêmes qui, peu confiants dans l'expé- 
rience des autres , croiraient devoir attendre de nou- 
veaux faits avant de se prononcer sur un sujet aussi 
grave. 

Ils démontrent la métamorphose , la transformation 
de la morve chronique en morve aiguë, qui a lieu par 
sa transmission à l’homme,et lèvent les doutes qui pour- 
raient encore exister à cet égard. 

Ils établissent, de manière à faire taire toutes les 
objections, la spécificité du virus morveux par la nature, 
la physionomie et le siége des désordres constatés sur 
lecadavre de l’homme contaminé et sur celui de l'animal 
inoculé, et l'identité de la morve des solipèdes avec 
celle de Phomme, par la similitude des lésions nécro- 
scupiques. 

Enfin, ils attestent que la morve est une maladie 
totius substantiæ, une infection générale due à un agent 
toxique, à un poison morbide. 

En effet, ce n’est pas seulement une lésion des fosses 
nasales. 

Sans doute les fosses nasales sont bien le point sur 
lequel la maladie porte ses principales empreintes, son 
cachet pathognomonique, mais ce n’est pas dans cette 


— 164 — 

lésion spécifique que réside sa léthalité. La mort qu’elle 
traîne toujours à sa suite, trouve son explication dans 
dans une viciation profonde et mystérieuse du sang, 
les abcès multiples qu’elle fait germer avec une dé- 
solante prodigalité dans les viscères et dont elle em- 
poisonne les sources de la vie, dans la purulence et la 
désorganisation gangréaeuse des organes les plus im- 
portants de l’économie, dont les fonctions succombent 
après une lutte de courte durée, qui se trahit, pendant 
la vie, par des phénomènes d’une gravité effrayante. 

Tel est le tableau d’une maladie qui augmentera 
infailliblement le nombre de ses victimes , si on ne 
s'applique pas avec une active vigilance à détruire les 
causes sous l'empire desquelles elle se développe, et 
si on laisse dormir dans l'oubli les règlements de police 
sanitaire dont Pinexéeution peut être si funeste pour 
ceux qui sont en communication de tous les instants 
avec des animaux malades. 


BALISTIQUE 


RÉFLEXIONS 


sur un nouveau mode de charger les armes rayées, découvert par Delrigne , 
ancien officier d'infanterie, 


par M. le baron HÉMART, ancien oficier 
d'état-major. 


(ŒXTRAIT.) 


..... Il y a 20 ans environ, lorsqu'on entendit par- 
ler pour la première fois, dans le monde militaire, des 
inveutions de M. Delvigne, on les prit pour des rêves. 
Qui aurait cru, en effet, que l’on pût forcer la balle dans 
une carabine rayée, avec une baguette ordinaire, sans 
employer plus d'efforts et de temps qu’on n’en met à 
bourrer la cartouche dans un fusil ordinaire, et que 
celte balle aussi facilement forcée acquerrait cepen- 
dant plus de justesse et de portée que celle des cara- 
biniers tyroliens ou suisses, chargée péniblement à 
coups de maillet, Il était bien plus difficile encore de 
croire qu’ainsi qu'il le prétendait, Delvigne ferait sau- 

ii 


— 166 — 


ter, à la grande portée de son arme, un Caisson d’artil- 
lerie chaque fois qu’il le toucherait, quand, au lieu de 
se servir de la balle ordinaire, il chargerait avec une 
de ses balles-obus. 

Des expériences successives confirmèrent cepen- 
dant chaque fois ce que Delvigne avait avancé. Cette 
dernière invention pouvait avoir des conséquences im- 
menses, qui ajouteraient en cas de guerre désastreuse, 
à l'indépendance des nations. Î est telle circonstance, 
en effet, où quelques tireurs résolus suffiront pour ar- 
rêter court une armée victorieuse dans sa marche en- 
vahissante : dans les pays de montagnes et de rochers, 
dans les contrées boisées ou coupées par des ravins, au 
passage des ponts, dans les lieux favorables à de pe- 
tites embuscades qu’un simple buisson peut couvrir, 
il suffirait d’une décharge heureuse d’armes chargées 
de balles-obus, pour faire sauter le parc de différents 
corps et même le grand parc de l’armée ennemie. Ainsi 
pourrait changer tout-à-coup le sort d’une malheureuse 
campagne. 

Le moyen d’assurer la direction des balles d’une 
manière surprenante fut découvert, il y a plusieurs 
siècles ; mais les inconvénients inséparables de son 
emploi ne permirent pas de l'appliquer aux armes de 
l'infanterie de ligne. Il consiste à pratiquer dans le 
canon un certain nombre de rayures en spirale, et à 
charger Parme avec une balle d’un diamètre plus fort 
que le calibre, laquelle doit, par conséquent, être in- 
troduite de force. Cette balle qui se trouve moulée dans 
les rayures, suit l’inclinaison de la spirale et recoit 
ainsi un mouvement de rotation perpendiculaire à l'axe 
du canon; ce mouvement paralyse toutes les causes de 
déviation dans le sens latéral ; la balle, conservant dans 


— 167 — 


toute sa course la rotation qui lui est imprimée, suit 
invariablement la direction qu’elle a recue, sauf Pin- 
fluence que le vent peut exercer sur elle, Mais à côté 
de l'avantage résultant de la justesse du tir des armes 
rayées, se présenta l'inconvénient inévitable de la len- 
teur de la charge, inconvénient résultant de la néces- 
sité de forcer la balle à coups de maillet. Néanmoins 
la justesse du tir était si supérieure que les différents 
états de l'Europe, à l'exception de la France, de PEs- 
pagne, des principautés Italiennes, de Gènes et de Ve- 
nise, adoptérent la carabine rayée pour des corps de 
tirailleurs. La compagnie des Indes anglaises entretient 
depuis long temps un corps de carabiniers très-bien 
esercés, et ces hommes présentent, dans les circon- 
stances où ils agissent, une force bien supérieure à celle 
de l'infanterie armée de fusils. L’économie qui en ré- 
sulte est donc évidente. 

La Suisse est le pays où depuis longtemps cette arme 
est le mieux fabriquée; c’est aussi en Suisse que l’on s’en 
sert avec le plus d'avantage. Le système de guerre de 
l'Empire était tel, que quelques milliers de carabiniers 
n'auraient pas pu avoir une grande influence dans les 
opérations militaires ; quelques essais faits à cette épo- 
que et sans discernement n’eurent pas de suite : cepen- 
dant, en 1822, le général d'artillerie baron Evain remit 
au duc de Bellune, alors ministre de la guerre, des or- 
dres et des notes de Napoléon au nombre de 1500, par- 
mi lesquels figurait un ordre de faire armer de cara- 
bines rayées quatre sous-officiers par compagnie d'in- 
fanterie ; on avait commencé à mettre cet ordre à 
exécution après la bataille d Eylau. Ne comprenant pas 
pourquoi, après la guerre, on n’avait pas songé, dans 
la nouvelle organisation de l’armée, à suivre exemple 


— 168 — 


de presque toutes les puissances de l’Europe, Delvigne 
s’occupa d’abord de rechercher la cause de cet oubli, et 
après avoir acquis la conviction que la difficulté de 
charger larme était l'obstacle à vaincre, il parvint en 
1826 à trouver le moyen d’y remédier. Ce moyen con- 
siste à forcer au fond du canon, sur une chambre frai- 
sée, convenablement évidée à son orifice, et par le sim- 
ple choc de la baguette, une balle introduite librement 
par la bouche , en sorte qu’on peut maintenant charger 
une arme rayée aussi facilement qu’un fusil. 

Entre autres épreuves qui eurent lieu au camp de 
Saint-Omer, en 1828, on fit tirer Delvigne en concur- 
rence avec un voltigeur du 61° régiment de ligne, qui 
passait pour très-habile, et auquel on remit un paquet 
de 15 cartouches. A un signal donné ils commencèrent 
à tirer ensemble, et pendant que le voltigeur tirait ses 
15 cartouches , Delvigne tira 21 coups de carabine et 
amorcçait le 22°. 

Delvigne se décida plus tard à faire connaître un 
avantage attaché à l'emploi de sa carabine, qu’il avait 
tenu secret jusqu'alors. Cet avantage consistait dans la 
facilité de remplacer les balles ordinaires par des balles 
incendiaires , capables de faire sauter un caisson d'ar- 
tillerie à une très-grande distance. Quelques modifica- 
tions dans la baguette, et la certitude de savoir préci- 
sément quel était le point de la balle qui touchait d’a- 
bord le but sur lequel on tirait, entrèrent dans les 
éléments de cette nouvelle invention. Les balles consis- 
taient en un globe de cuivre rempli de poudre et re- 
vêtu de plomb, armé à l’extrémité antérieure d'une 
capsule qui fait explosion en dedans, au moyen du choc 
d’une tête en fer fixée par une pointe à Pextrémité op- 
posée. La baguette étant évidée forcait la balle sans 


— 169 — 


toucher la capsule. Des épreuves heureuses eurent lieu; 
et enfin l'expédition d'Alger se préparant , le général 
Lahitte , commandant l'artillerie , présida à une expé- 
rience dans laquelle il fit sauter lui-même à la distance 
de 400 mètres, un cube de bois d’une puissance consi- 
dérable, avec une balle-obusenacier. Le général deman- 
da alors que Delvigne fùt attaché à l'expédition avec un 
détachement de cent hommes armés de fusils de rem- 
part, construits d’après le système del’inventeur adapté 
aux balles incendiaires. A l'attaque du fort l'Empereur, 
celte petite troupe choisie parmi les plus habiles fut 
chargée de tirer sur les batteries algériennes , pour in- 
quiéler les topgis. On voyait parfaitement au milieu 
d’une épaisse fumée, les balles-obus éclater contre les 
joues des embräsures ; on entendait même leur explo- 
sion, ce qui fit donner par les tireurs, au nouveau fusil 
de rempart, le nom de fusil à ré; étition. 

Comparons maintenant les deux systèmes d’arme- 
ment , l’ancien et le nouveau. 

La plus grande portée efficace du fusil ordinaire, 
contre des hommes isolés , est de 250 mètres; à cette 
distance, terme moyen, sur cent coups, cinq portent 
dans la cibie : larme de Delvigne , au contraire , en 
met 80 sur cent; la où le fusil de munition ne conserve 
plus aucune justesse , la carabine de Delvigne porte 
encore la balle avec une précision étonnante. 

Ainsi, on le voit, avec larme ordinaire de l’infan- 
terie, sur un terrain uni , le soldat étant calmeet sous 
la surveillance de ses chefs , il faut 20 coups de fusil 
pour toucher un homme. Mais que l’on suppose le sol- 
dat devant lennemi, agité vivement par le combat et 
dans un terrain accidenté, lon pourra facilement croire 
que pour tuer un homme, il faut des centaines de coups 


de fusil : c’est ce que le maréchal de Saxe appelle dans 
ses Mémoires la trerie de l'infanterie. A la séance de la 
chambre des députés du 28 juin 1839, M. Arago et 
quelques autres députés qui prirent part à la discus- 
sion où l’on s'occupa de Delvigne et de son système , 
exprimèrent l'opinion que , terme moyen, il y avait 
2,000 coups de fusil tirés par homme tué. On concevra 
dès-lors, comment on a été quelquefois obligé de dou- 
bler et même de tripler l’approvisionnement des car- 
touches pour l'infanterie , calculé pour une campagne, 
à raison de 200 par homme. L’approvisionnement sim- 
ple de cent mille hommes d'infanterie est de25 millions 
de cartouches, pesant ensemble 700,000 kilogrammes, 
charge de 1200 voitures ou caissons : supposons qu’on 
double ou qu’on triple cet approvisionnement , on ar- 
rive au nombre effrayant de 3,600 caissons ; Cest bien 
alors que , comme les Romains , on peut appeler les 
bagages impedimenta, et cependant les leurs étaient 
bien peu de chose en comparaison. 

L’arme de Delvigne tirant 15 à 16 fois plus juste que 
le fusil ordinaire, permet de réduire ce nombre énorme 
de voitures à deux ou trois cents au plus pour un ap- 
provisionnement de cent mille hommes. Quand le sys- 
tème aura été appliqué aux bouches à feu de Partil- 
lerie, ce sera quelque chose de bien plus avantageux 
encore sous ce rapport. 

Je viens de donner une idée des deux parties du 
système de Delvigne, qui ont soulevéde vives objections 
de la part de ses adversaires; il me reste à exposer sa 
découverte la plus récente, celle dont les résultats, en 
dépassant tout ce qu’on pouvait imaginer, lui ont con- 
cilié les suffrages des hommes de guerre les plus haut 
placés , et des personnages les plus augustes. 


— 171 — 

Depuis longtemps on avait essayé de lancer avec des 
armes de gros et de petit calibre, rayées et non rayées, 
des projectiles allongés de différentes formes. Le but 
principal qu’on se proposait d'atteindre, par leur em- 
ploi, était d'obtenir plus de justesse de portée et plus 
de pénétration, en diminuant la résistance de Fair, 
en proportion de la réduction de leur diamètre com- 
paré à celui des projectiles sphériques de même poids. 
Les différents essais qui furent tentés meurent pas de 
résultats satisfaisants, parce qu'à une distance assez 
courte du point de tir, ces projectiles éprouvaient dans 
leur trajet des mouvements de rotation irréguliers, qui 
donnaient lieu à des dévialions très-considérables. 

En 1828 et 1829, Delvigne avait déjà trouvé le 
moyen de remédier complètement à ces déviations , et 
les balles-obus dont j'ai déjà parlé, lesquelles ont une 
forme eylindro-conique, prouvèrent la réalité de sa dé- 
couverte. Ainsi leur justesse fut constatée aux expé- 
riences faites à Vincennes, comme supérieure à celle 
des balles sphériques , dans la proportion de 22 à 
16 (1). 

Le problème était donc résolu pour la justesse du 
tir, quand un chef d’escadron d'artillerie, officier d’or- 
donnance de Sa Majesté, M. Thierry , fut chargé, en 
1838, de présider à la confection de 14,000 carabines, 
système Delvigne, destinées aux chasseurs d'Orléans. 


(1) La Russie a payé l'étude d’un système particulier, et autre que 
celui de Delvigne, par la perte du général d'artillerie Bontems ; il fut 
tué par l'explosion d'un caisson dont il s'approcha après avoir tiré 
dessus une balle-obus de son système ; cette balle avait pénétré sans 
mettre sur-le-champ le feu à la poudre contenue dans le caisson ; au 
moment où il en examinait la cause sans pouvoir la découvrir, la balle 
prit feu et le caisson aussi. 


— 172 — 


Malheureusement M. Thierry modifia les idées de 
Delvigne dans la construction de Parme et dans celle 
de la balle; par suite on eut des résultats fort inférieurs 
à ceux auxquels le ministre avait droit de prétendre. 
On eut encore de bonnes armes, bien supérieures à ce 
qui existait dans l’armée , mais fort inférieures à 
celles qu’on eût pu avoir, si Delvigne fùt resté chargé 
de leur confection. Le diamètre d’un projectile sphé- 
rique étant fixé relativement à celui du calibre de 
l'arme, sa forme est une et invariable comme son 
poids. Dans les calculs sur la portée et la justesse du 
tir de ce projectile, on n’a done à avoir égard principa- 
lement qu'aux variations dans la charge, dans l'angle 
du tir, dans la longueur du canon, dans l'homogénéité 
du métal du projectile, et à la position de son centre de 
gravité; mais dès que la forme est sensiblement allongée, 
alors s'élève une foule de questions nouvelles , suivant 
les nombreuses variations que l’on peut adopter, et qui 
influent sur la résistance de l'air, sur le poids du pro- 
jectile, sur sa portée et sur sa force de pénétration. Pour 
s’en faire une idée, que l’on s’imagine les effets . diffé- 
rents d’une flèche, le plus ancien des projectiles cylin- 
dro-coniques , et d’une boule de bois d’un même poids 
lancée par la même arbalète : l’ancien projectile du 
sauvage percera son ennemi à une distance décuple de 
celle à laquelle la boule, cet unique projectile, de la 
science moderne de l'artillerie, ne causera qu’une bien 
faible contusion. Que d'innombrables modifications et 
de calculs différents, suivant qu’un poids donné sera 
projeté en boule ou en cylindre dont le diamètre dimi- 
nuera en proportion de l’allongement, jusqu’à l’état de 
la flèche la mieux effilée ! 

Quel ne serait pas l'effet d’un javelot de fer, du poids 


ss"! 


— 173 — 


de 40 kilogrammes, qui pourrait être lancé au moyen 
du nouveau système , non pas par un Canon du poids 
de la fameuse pièce de 80, mais simplement du poids 
de la pièce de 48, forée au calibre de 6 ? A quelle dis- 
tance n’irait pas ce javelot, si on lui communiquait le 
mouvement de rotation que l’hélice en plumes donne 
au projectile du sauvage, ou la rayure en spirale à la 
moderne balle de plomb? Mais revenons à quelque 
chose de moins gigantesque. 

Le principe fondamental de la justesse étant le mou- 
vement de rotation communiqué par la rayure, la pre- 
mière règle à observer dans la construction des armes 
rayées, est de proportionner la résistance et l’adhé- 
rence de la balle dans les rayures qui la font tourner à 
l'effort de la charge de poudre. 

La résistance au mouvement de translation directe 
qui résulte de cette adhérence, varie suivant l’incli- 
naison de l'hélice, le nombre et la forme des rayures, 
la masse de plomb qui s’y trouve engagée, et suivant Pen- 
erassement du canon. Avec la balle sphérique, qw’elle 
soit forcée et enfoncée par la bouche à coups de mail- 
let, ou bien qu’elle soit introduite librement et forcée 
sur une chambre par laplatissement , comme dans le 
système Delvigne, on ne peut obtenir dans la pratique 
de l’arme de guerre, qu’une zône rayée ayant au maxi- 
mum trois ou quatre millimètres de largeur. Or il est 
reconnu que, quelque soit le degré de résistance de la 
balle, obtenu par ces différentes combinaisons, il est un 
degré de vitesse initiale correspondant, qui ne lui per- 
met plus de suivre les rayures et les lui fait franchir, 
sans qu'elle puisse recevoir le mouvement de rotation 
duquel dépend la justesse du tir. Il est à remarquer 
que le maximum de vitesse initiale qu’il est possible 


— 174 — 


d'obtenir, en conservant la condition essentielle du 
mouvement de rotation, est sensiblement inférieur à ce- 
lui que recoit la balle du fusil de munition. 

Qui ne comprendra maintenant que si, au lieu d’une 
balle sphérique qui ne peut être saisie par la rayure 
que sur une zône de trois ou quatre millimètres, on 
force dans le canon un projectile de forme cylindrique, 
ayant une surface quadruple, par exemple, la rési- 
stance à l'effort de la poudre est alors considérablement 
augmentée, et peut fairechanger toutes les combinaisons 
et tous les calculs relatifs à la balle sphérique ? On peut 
alors augmenter la vitesse de la balle cylindrique sans 
risquer qu’elle franchisse la rayure. Différentes com- 
binaisons se présentent, relatives au recul, au poids 
de l'arme, au poids de la balle et à la quantité de pou- 
dre correspondante. On pourrait en indiquer plusieurs, 
qui toutes demandent une suite d'expériences bien faites 
pour être appréciées convenablement. Il y a, au sur- 
plus, une considération importante qu’il faut signaler; 
c’est que, pour que l’hélice de la rayure puisse com- 
muniquer au projectile, quel qu’il soit, le mouvement de 
rotation nécessaire, il faut non seulement que la zône 
rayée l'oblige à suivre la rayure dans laquelle il est 
engagé, mais encore qu’elle l'empêche de faire un mou- 
vement transversal sur lui-même, quien changeant son 
axe de rotation primitif pour lui en substituer un au- 
tre, diminuerait ou altèrerait son mouvement de rota- 
tion dans lair. Cet effet, qui a lieu assez fréquemment, 
lorsqu'un défaut dans la rayure ou une accumulation 
de crasse présente un obstacle au projectile sur un 
point quelconque de la rayure, ne peut se produire 
avec une balle cylindrique adhérente à la paroi du ca- 
non, dont la large surface rend tout mouvement de côté 
impossible. 


— 175 — 


Le frottement contre les parois du canon étant plus 
considérable, il faut une impulsion plus forte, une spi- 
rale plus allongée pour la rayure, et, par suite, le plus 
de vitesse initiale possible, en se servant d’une quan- 
tité de poudre suffisante : de là la plus grande portée 
du projectile cylindrique. Cependant tout n'était pas 
encore fait; il fallait aussi que son centre de gravité 
fût situé à sa partie antérieure, comme dans la flèche; 
car s’il était au centre de figure, la balle irait souvent 
droit, mais son grand axe s’inclinant toujours dans le 
plan de la trajectoire, la résistance de lair s’accroi- 
trait de manière à faire perdre l’avantage de la portée 
qu'il s’agit d'assurer; et s’il était à la partie postérieure, 
la balle ferait bientôt la culbute et deviendrait folle ou 
sans direction sûre. Pour porter le centre de gravité 
en avant, il faut donc évider le projectile cylindrique 
postérieurement : l'expérience a montré que la forme 
cylindro-conique avait des avantages incontestables 
sur la forme cylindro-sphérique, comme fendant mieux 
l'air; de plus l’évidement fait à la partie postérieure 
permet à la poudre de s’y loger, et en outre de dilater 
cette partie et de contribuer à fixer le plomb dans les 
rayures. Dans certains cas, cette dilatation serait pres- 
que suffisante pour forcer la balle el assurer le mou- 
vement de rotation. Enfin, pour éviter un trop grand 
frottement sur la surface du projectile cylindro-coni- 
que , Delvigne évide cette surface ; mais, tandis que 
par cette opération il augmente le vent pour le corps 
du projectile, il réserve aux deux extrémités de la 
partie cylindrique deux anneaux ou bagues circulaires 
d’un diamètre presque égal à celui du calibre. Ces deux 
cercles réservés entrent juste dans le canon, assurent la 
position de laxe du projectile, que le choc de la ba- 


— 176 — 


guette vient alors forcer parfaitement, mème en cas 
d’encrassement. La capacité et la forme du vide ré- 
servé dans la partie postérieure de la balle est aussi un 
objet de haute importance et qu’il a fallu étudier long- 
temps avant d'arriver à une certitude. On conçoit que 
la baguette doit aussi être évidée. 

Le problème résolu déjà pour la justesse, l'était done 
aussi pour la portée : avec une arme du poids de trois 
kilogrammes et de quarante centigrammes de canon , 
Delvigne a obtenu des résultats inouis jusqu’à présent. 
Au mois d'août 1843, un procès-verbal, signé de plu- 
sieurs officiers supérieurs et autres, a attesté qu’au 
polygone de Vincennes , à 1,000 mètres de distance, 
celte arme avait porté dans la cible 9 balles sur 22. Les 
coups portaient encore à 100 mètres plus loin. L'écart 
horizontal avec la balle cylindrique, à 600 mètres, n’a 
jamais été en moyenne que de 4 mètre 62 cent., tandis 
que la balle sphérique a donné une moyenne de 3 mè- 
tres 34 cent. La balle cylindro-conique pèse 25 gram., 
la chambre contient 6 gram. de poudre, les rayures 
sont au nombre de 8 et font une hélice d'environ 175 de 
tour. 

Deux années auparavant, au mois d'août 181, 
Liége avait été le point de réunion de plusieurs officiers 
qui désiraient faire des épreuves comparatives des 
meilleures armes connues. Delvigne en fit partie avec 
un lieutenant-colonel d'artillerie russe, un capitaine de 
la garde russe, deux lieutenants de tirailleurs russes, 
deux lieutenants-colonels et un lieutenant d'artillerie 
belges. Les expériences durèrent deux mois; on y con- 
sacrait de fréquentes séances de 6 heures; les armes 
étaient tirées par des officiers très-bons Lireurs. Le 
procès-verbal des épreuves, signé de tous les officiers, 


| 


— 177 — 

établit l'avantage des balles cylindre-coniques d’une 
manière incontestable ainsi que la supériorité des armes 
de Delvigne. La justesse de sa carabine fut précisément 
le double de celle de la nouvelle carabine anglaise, à la 
distance de 500 mètres ; au-dessus de cette distance, 
les autres armes ne portaient plus , tandis que Parme 
française criblait encore la cible. Les officiers russes 
recurent des marques de satisfaction de leur gouverne- 
ment, il en fut de mème des officiers belges, pour avoir 
concouru à ces expériences qui furent véritablement 
très-bien faites. 

Il ya à Paris un clab de carabiniers parmi lesquels 
on compte des personnages d’une haute distinction; les 
armes de Delvigne sont tous les joursle sujet d’épreuves 
et de comparaisons concurremment faites avec des ar- 
mes étrangères : elles sont restées jusqu’à présent su- 
périeures à tout ce qui a été présenté. C’est là qu’on a 
beaucoup étudié les effets de son pistolet portant à 
600 mètres (1). 

MAT. Arago et Séguier, membres d’une commission 
qui doit faire un rapport sur diverses communications 
de M. Delvigne, rendent compte des expériences dont 
ils ont été témoins au polygone de Vincennes. 

« Les épreuves ont été faites avec un fusil rayé, de 
« moins d’un mètre de long, à balle forcée, et différant, 
« par plusieurs particularités qui seront décrites plus 
«tard, de la première arme de M. Delvigne. La balle, 
« conique en avant, pesait notablement plus que celle 
« du fusil de munition. La charge n’était que de qua- 
«tre grammes deux centigr. de poudre ; M. Delvigne 


(1) Extrait des comptes -rendus hebdomadaires des séances de 
l'Académie des sciences , séance du 22 avril 1844. 


— 178 — 


tirait à la manière ordinaire, la crosse appuyée sur 
« Pépaule. La mire se composant de trois panneaux 
«carrés ayant chacun deux mètres de côté et placés 
«en contact sur une même ligne horizontale, à 500 
« mètres de la mire, 14 balles sur 45 ont frappé les 
« panneaux ; 44 balles sur {5 auraient atteint trois fan- 
« tassins placés de front. 

« Les balles mettaient deux secondes six tierces à 
« parcourir les 500 mètres. En arrivant au but, dix 
« balles sur quatorze ont traversé trois planches de 
« de deux centimètres d'épaisseur , placées les unes 
« derrière les autres, à des intervalles de 2 décimètres : 
« à 709 mètres de la mire, deux balles sur neuf ont at- 
« teint le rond noir du panneau central; trois ont frappé 
« ce même panneau, mais en dehors du rond noir; deux 
« autres balles ont frappé le panneau de droite. Le tra- 
« jet s’eflectuait en quatre secondes deux tierces. A 900 
« mètres de la mire, M. Delvigne a tiré trois coups : 
« deux balles ont frappé les panneaux; elles employaient 
« six secondes à franchir l'intervalle. » 


RAPPORT 


LES MACHINES A ESSAYER ET A REMPLIR LES BOUTEILLEN, 


Présentées par M. le docteur ROUSSEAU , 


Membre correspondant, 


Lu à la séance du 17 novembre 1843 par M. TARBÉ de ST-HARDOUN. 


OGC 


Messieurs, 


Nous venons au nom de la commission chargée des 
études sur la vinification, vous rendre compte de deux 
machines présentées par M. le docteur Rousseau R'E- 
pernay, notre correspondant, 

L'une de ces machines a fonctionné devant vous , 
Cest celle à essayer les bouteilles; mais comme elle 
soulève des questions très-importantes, nous commen- 
cerons par examiner l’autre, qui est destinée à faire le 
dosage et le remplissage des vins mousseux. 

La manière dont se font aujourd’hui ces opérations, 
a paru, à M. Rousseau, présenter deux inconvénients 
principaux : 


— 180 — 


j° La régularité du dosage dépend tout-à-fait de 
l’ouvrier qui l’exécute , et elle ne peut être constante ; 

2° Le remplissage se faisant à l'air libre, il en résulte 
une perte notable de gaz et une grande difficulté pour 
remplir les recouleuses. 

M. Rousseau a cherché à éviter ces défauts ; vous 
jugerez s’il a réussi. 

Son appareil se compose de deux corps de pompe 
placés verticalement et contenant l’un du vin et l'autre 
de la liqueur ; la tige du dernier est graduée en divi- 
sions qui correspondent à la capacité d’un centilitre 
dans le corps de pompe, ce qui permet de régler à 
volonté et avec la plus grande exactitude la dose de 
liqueur à introduire dans chaque bouteille. 

Une fois la valeur de cette dose fixée , le mouvement 
du piston s'arrête de lui-même , à l'instant convenable 
pour chaque bouteille, par l'effet d’un mécanisme in- 
génieux , ct l'erreur n’est pas possible. 

Voici d’ailleurs le détail et l’ordre de l'opération : 

La partie inférieure du corps de pompe commu- 
nique avec des réservoirs de liquides, et on les rem- 
plit en soulevant les pistons à l'aide d’engrenages à 
crémaillère, mus par des manivelles. 

On ferme ensuite la communication des réservoirs 
aux corps de pompe; on place la bouteille dégorgée 
sur un support élastique , et elle est saisie au-dessous 
de la bague par une pince dont les branches à ressort 
se rapprochent et la pressent en même temps qu’elles 
la soulèvent vers un obturateur conique qui pénètre 
dans son col. 

Ce mouvement s'effectue par la simple rotation 
d’une manivelle. 

L'obturateur est percé de trois tuyaux qui abou- 


= 481 — 


lisseut aux deux pompes el à une soupape destinée à 
donner issue au gaz excédant dans le cas où la pres- 
sion deviendrait trop forte et risquerait de briser les 
houteilles. 

On établit successivement à laide de robinets la 
communication entre les corps de pompe et la bou- 
teille, et les liquides s’y introduisent par Peffet des 
poids qui sont suspendus aux pistons; la pression qui 
a lieu dans la bouteille résulte de ces poids et de ceux 
qui chargent la soupape. On voit donc qu’on peut la 
régler à volonté et d’une manière sûre. 

Le mode d'application des bouteilles est fort ingé- 
nieux, et appartient à M. Rousseau ; nous le retrouve- 
rons dans son autre machine. 

Celle-ci est d’une manœuvre simple, et à cet égard 
elle a recu la sanction de l'expérience, car elle fonc- 
tionne déjà à Reims , à Avize et à Epernay. 

On peut seulement regretter que l'inventeur pait 
pas remplacé par un autre mécanisme les robinets 
qu'il faut ouvrir et fermer à chaque opération. 

Au reste, ce perfectionnement est si simple que, si 
M. Rousseau négligeait de s’en occuper , il pourrait 
bien être devancé par un ouvrier de nos caves, qui 
ferait pour cette machine ce que fit, il y a plus d’un 
siècle, pour les machines atmosphériques, un enfant 
dont l Angleterre a gardé le nom. 

Cet enfant ( Humphry Potter) était chargé de tour- 
ner les robinels qui, dans les lourdes machines de 
Newcommem , doivent successivement, à chaque mou- 
vement du piston, mettre le cylindre en communica- 
tion avec la chaudière et Pair extérieur. 

Ennuyé de cette occupation ménotone, et désireux 
d'aller jouer avec ses camarades, il attacha aux ba- 


12 


— 182 — 


lanciers des ficelles qui tournaient les robinets à Pin- 
stant convenable, et cette invention ingénieuse suggéra 
à l'ingénieur Beighton, en 1718, l’idée d’une tringle 
verticale mobile avec le balancier , qui est encore em- 
ployée dans les grandes machines à ouvrir et à fermer 
les soupapes, et qui a servi de point de départ aux 
perfectionnements successifs apportés à cette partie 
des machines à vapeur. 

Mais laissons cette digression, et arrivons à l’appré- 
cialion définitive de la machine. 

Pour le dosage des bouteilles , elle donne un avan- 
tage bien tranché à cause de la régularité de l’opéra- 
tion; mais elle ne réalise pas une économie de 
main-d'œuvre : car nous avons vérifié, et M. Rousseau 
lui-même nous a déciaré, qu’elle ne marchait pas plus 
vite qu’un atelier ordinaire de dégorgeurs ; il est vrai 
que sa manœuvre exige aujourd’hui deux hommes, et 
que l’on pourrait probablement en supprimer un 
après quelques perfectionnements de mécanisme. 

Mais c’est surtout pour le remplissage des recou- 
leuses que cette machine présente sur les procédés or- 
dinaires une immense supériorité, et M. Rousseau 
nous a affirmé qu'un négociant de l'arrondissement 
d'Epernay avait pu la payer au bout de quelques mois, 
au moyen du bénéfice qu’elle lui avait procuré dans 
cette opération. 

Ceux de nos collègues à qui la manutention des vins 
est familière pourront mieux que nous vérifier celte 
assertion ; mais chacun en comprendra la vraisem- 
blance, en se rappelant que la perte, lors du remplis- 
sage des recouleuses, est aujourd'hui moyennement 
de 5 %,, et que, dans l’appareil de M. Rousseau, ce rem- 
plissage se fait sans aucune perte et sous une pression 
que l’on peut régler à volonté. 


— 183 — 


Comme cette machine est destinée à être mise entre 
les mains des ouvriers, M. Rousseau a donné aux 
pièces qui la composent des proportions un peu fortes 
el peut-être même exagérées; mais il n’en résulte 
qu’un très-petit inconvénient, et les chances d'accidents 
en sont considérablement diminuées. 

En résumé, la commission n’hésile pas à donner 
son approbation complète à la machine de M. Rous- 
seau, et à la recommander à l'attention des producteurs 
et des commerçants en vins de la Champagne. 

Elle les engage à ne pas se laisser effrayer par sa 
complication apparente, car celte complication dis- 
paraît à mesure qu'on étudie et qu’on comprend le 
mécanisme. 

Passons maintenant à la seconde machine de M. 
Rousseau; et d’abord nous nous permettons de criti- 
quer le nom de brise-bouteilles qu’il lui a donné et 
qui n’exprime pas son objet. 

En effet, comme nous le verrons plus tard, son 
principal et son meilleur mode d'application doit être 
d'essayer les bouteilles sans les briser, et si on ne 
voulait rigoureusement qu'un brise-bouteilles, on en 
trouverait facilement de plus simples et de plus expé- 
ditifs. 

L'idée mère d’une machine à essayer les bouteilles 
n’appartient pas à M. Rousseau; celle de M. Colar- 
deau est depuis longtemps connue, et nous allons la 
comparer à celle qui nous est soumise, 

Elle se compose d’une pompe aspirante et foulante, 
dont le piston mis en mouvement au moyen d’un 
levier , chasse l’eau qu'il contient, d’une part dans la 
bouteille à essayer, et d’autre part dans un mano- 
mètre èl sous une soupape. 


— 184 — 


La force des bouteilles est indiquée par la hauteur 
à laquelle le mercure s’est élevé dans le manomètlre, 
ou par le poids qui charge la soupape, suivant la ma- 
nière dont l'expérience est conduite. 

M. Rousseau trouve à cette machine plusieurs in- 
convénients graves : 

1° I faut beaucoup de temps pour fixer à la ma- 
chine les bouteilles à essayer ; souvent elles sont mal 
bouchées, quoiqu’on exerce au-dessous de la bague 
une pression assez forte pour en briser un grand 
nombre. 

2 L'action de la main sur le levier détermine une 
secousse qui peut casser les bouteilles sous une pres- 
sion moins forte que celle qu’elles eussent supportée, 
si cetle aclion eût élé mieux ménagée. 

3° Les indications du manomètre sont fugitives et 
ne peuvent être vérifiées en cas de distractions ou de 
désaccord des observateurs. 

Cet instrument est sujet à se déranger, fragile, et 
ne peut être confié à des ouvriers. 

4° M. Rousseau trouve plusieurs causes d’erreurs 
dans les indications des soupapes : ce sont surtout 
l'incertitude dans la mesure de la surface réellement 
soumise à la pression intérieure , et la possibilité que 
les soupapes ont de se soulever obliquement. 

Mais ces défauts peuvent être évités par une construc- 
tion ralionuelle des soupapes, et, sans entrer à ce sujet 
dans des détails qui fatigueraient lAcadéinie , nous 
donnons pour exemple le modèle iadiqué par la com- 
mission centrale des machines à vapeur , à la suite de 
l'instruction du 22 mai 1843. 

L'appareil de M. Rousseau se compose, comme celui 
de M. Colardeau, d’une pompe aspirante et foulante 


— 185 — 
qui chasse l’eau dans la bouteille à essayer ; mais nous 
allons faire ressortir les principales différences qui l'en 
distinguent. 

1° Le mode d'application des bouteilles est le même 
que dans la machine à remplir, et mérite les mêmes 
éloges. Les bouteilles sont fixées rapidement à la ma- 
chine, et bouchées très-exactement, quelles que soient 
les défectuosités de l'ouverture du col. 

Une communication de mouvement dont l'idée est 
heureuse, permet de relever le piston et d’opérer l'aspi- 
ration de l’eau par la même rotation de la manivelle 
qui dégage les bouteilles dont l'essai est terminé. 

2° Comme dans la machine à vapeur, la pression est 
opérée par un poids agissant sur le piston ct que lon 
règle à volonté : elle se communique à la bouteille par 
un tuyau qui traverse Pobturateur, et qui est fermé d’un 
robinet. 

Un autre tuyau placé dans lobturateur aboutit à 
une soupape cylindrique chargée par un levier ; le dia- 
mètre de la soupape et la longueur du levier ont été 
calculés par M. Rousseau, de manière à ce que chaque 
poids de 200 kilogrammes représentät exactement la 
pression d’une atmosphère sur la soupape , de sorte 
que , lorsqu'elle se soulève, on connaît facilement la 
pression que la bouteille a supportée. 

Ici, M. Rousseau a remarqué que sa soupape pré- 
sentait un grand nombre de frottements variables qui 
devaient altérer ses indications , et il a cherché à re- 
connaître la pression , indépendamment de toutes cau- 
ses d'erreurs. 

Voici le moyen qu’il emploie : 

Une romaine ordinaire, suspendue verticalement au- 
dessus de la soupape, sert à soulever le piston après 


= 06 

chaque expérience, de la même manière que l'eau vient 
de le soulever , en reproduisant tous les frottements ; le 
poids indiqué par la romaine représente donc exacte- 
ment l’eflort que la bouteille a supporté. 

Ce procédé, malgré ou plutôt à cause même de sa 
simplicité, indique chez l'inventeur la connaissance des 
véritables principes de la mécanique , el mérite à tous 
les titres l'approbation de l'Académie. 

Les indications qu’il donne ne sont pas fugilives, et 
peuvent être reproduiles plusieurs fois. 

Le poids qui charge le piston de la pompe doit être 
calculé, pour chaque expérience, de manière à donuer 
une pression qui ne soit qu'un peu supérieure à celle 
qui résulle des poids qui chargent la soupape. 

S'il en était autrement, lorsqu'on ouvre le robinet, la 
pression se communiquerait brusquement , et pourrait 
soulever la soupape et briser la bouteille, sans que lon 
sût positivement quel aurait été l'effort supporté. 

Les dispositions adoptées par M. Rousseau permet- 
tent d’ailleurs de faire ces modifications d’une ma- 
nière rapide. 

Il résulte de ce que nous avons dit, qu’au moyen de 
l'appareil de M. Rousseau on peut mesurer facilement 
et exactement la résistance des bouteilles ; il reste à ap- 
précier ses applications à l’industrie. 

M. Rousseau propose d’abord, pour déterminer cha- 
que année le choix à faire entre les différentes verre- 
ries , de prendre dans chacune un même nombre très- 
restreint de bouteilles , et de les soumettre à des pres- 
sions graduées jusqu’à la fracture. 

Il ne nous a pas exposé la règle générale àsuivre pour 
établir cette préférence au moyen des résultats obte- 
nus, el Pun des membres de la commission , qui ap- 


— 187 — 


porte, dans l'élude de toutes les questions scientifiques, 
un zèle et une chaleur que l’on peut proposer pour mo- 
dèles aux jeunes membres de la compagnie, M. de Mai- 
zière , dis-je, car déjà vous l’avez nommé , a vivement 
contesté l'application de cette méthode. 

Il a objecté le cas où la somme des résistances des 
bouteilies cassées serait la même dans les deux groupes 
comparés. 

M. Rousseau a répoudu qu’il choisiraitalorsle groupe 
qui aurait donné le moindre nombre de bouteilles au- 
dessous d’une résistance moyenne, 12 atmosphères , 
par exemple. 

M. de Maizière , au contraire , a dit qu'il préférait 
l'autre groupe, par la raison qu'ayant donné plus de 
bouteilles faibles que Pautre, il devait en rester moins 
dans le lot correspondant. 

Cet argument est vicieux, car il suppose que les deux 
lots offrent le mème nombre de bouteilles faibles , au- 
quel cas il serait inutile de chercher à les comparer. 

Cependant, nous croyons que les critiques de M. de 
Maizière sont en partie fondées , et nous préférons le 
mode qu'il indique, c’est-à-dire l'essai d'un certain nom- 
bre de bouteilles à une pression moyenne de 40 à 45 
almosphères. 

Ce procédé présente aussi une cause d'incertitude , 
c'est l'ignorance où l’on est de la pression qui a cassé 
les bouteilles , et qui a pu être fort différente dans les 
deux lots, quoique le nombre des bouteilles cassées ait 
été le même. 

Nous croyons donc qu'aucun des deux moyens indi- 
qués n’est à l’abri de la critique, et que la machine ne 
peut être employée utilement de cette manière, qu'au- 
tant qu'il existerait entre les produits des différentes 
verreries des inégalités considérables. 


SE 


Toutes les fois que ces inégalités seront faibles, les 
indications seront incertaines. 

Mais il existe un autre mode d'emploi beaucoup plus 
important, c’est celui aui consisterail à essayer préala- 
blement sous une même pression toules les bouteilles 
destinées aux vins mousseux, de manière à éliminer à 
l'avance les plus faibles qui casseraient forcément au 
tirage. 

On peut essayer ainsi 400 bouteilles ( suivant M. 
Rousseau ) par heure, avec une seule machine, ce qui 
ne ferait revenir qu’a deux francs la dépense pour mille 
bouteilles, en y comprenant même l'intérêt du prix de 
l'appareil, qui est de 500 francs. 

En faisant cet essai aux verreries, on économiserait 
les frais du double transport des bouteilles faibles et du 
verre cassé. 

Il reste à résoudre deux grandes questions : 

1° A quelle pression conviendra-t-il d'essayer les 
bouteilles ? 

2° Quel sera le prix des bouteilles essayées ? 

Ici nous devons déclarer que les indications de 
M. Rousseau sont très-vagues ; il suppose d’abord que 
l’on cassera 6 °}, des bouteilles, et calcule l'augmentation 
du prix qui en résultera pour les sutres; mais il mex- 
plique pas pourquoi il s’est arrêté à cette proportion. 

Plus tard il dit qu’il faudrait déterminer la pression 
d'essai par tàtonnements. 

La première fois, on s’arrangerait pour briser une 
quantité de bouteilles un peu moindre que celie qui 
casse habituellement, et on rectifierait cette fixation 
chaque année d’après le résultat, de manière à n'avoir 
plus de casse , sans avoir sacrifié inutilement un trop 
grand nombre de bouteilles vides. 


n Le 


Cette méthode de tàätonnements nous paraît tout-à- 
fait inapplicable à cause des énormes différences qui 
se manifestent souvent dans la casse de deux années 
consécalives ; ainsi, si on éliminait du tirage de l’année 
prochaine un nombre de bouteilles égal à celui qui a 
‘assé cette année, on en rebuterait très-probablement 
beaucoup trop; il faut nécessairement baser sa déter- 
mination sur des considérations plus solides. 

M. de Maizière, qui a étudié avec beaucoup de soin 
la machine de M. Rousseau, a bien voulu nous commu- 
niquer son travail, et nous y trouvons sur la question 
qui nous occupe des renseignements plus précis. Il ad- 
met que la tension finale dans une bouteille de vin 
mousseux esl de deux atmosphères ; pour que les bou- 
teilles résistent à cette pression qui s'exerce d’une ma- 
nière continue, il faut, d’après les principes de la rési- 
stance des matériaux analogues, qu’elles soient capables 
de supporter instantanément une tension quadruple , 
c’est-à-dire égale à huit atmosphères. 

Or M. de Maizière d’après ses expériences suppose 
que moyennement sur cent bouteilles, six seulement, 
sont brisées par une semblable épreuve (nous retrou- 
vons ici par hasard la proportion indiquée par M. Rous- 
seau) : le prix des bouteilles étant de 24 franes à la 
verrerie, et de 28 en Champagne , ce dernier prix 
(après avoir cassé les six plus faibles) serait augmenté 
de 1,44, soit 4 centime 172 par bouteille conservée. 

Il y aurait à ajouter la dépense de Pessai qui est 
de 0,20 pour cent bouteilles et à en déduire la valeur 
du verre cassé. 

L'augmentation du prix des bouteilles serait donc 
insignifiante ; mais l'essai à huit atmosphères que nous 
venons d'indiquer, tout en diminuant la casse de toutes 


== TR — 

les bouteilles brisées à la verrerie, n’en préserverait pas 
d’une manière complète, d’abord, parce qu’il peut arri- 
ver que la tension finale dépasse deux atmosphères, et 
surtout parce.que, pendant la fermentation, la tension 
peut s'élever momentanément bien au-delà de quatre 
fois la tension finale. 

Si l’on poussait la pression d’épreuve à douze at- 
mosphères pour plus de sécurité, M. de Maizière an- 
nonce qu'on casserait 30 bouteilles sur cent, et le prix 
des autres serait augmenté de 10 centimes. 

ici M. de Maizière rappelle que son paracasse ne 
coûte que deux centimes {74 par bouteille, mais en 
même temps il indique un moyen de réduire la dépense 
d'essai ; nous allons vous le faire connaître. 

Notre infaligable collègue a imaginé an compas avec 
lequel il mesure facilement l'épaisseur des bouteilles à 
l'épaule, qui en est la partie la plus mince. 

Des expériences faites par lui sur un grand nombre 
de bouteilles et de l'étude des lois de la résistance du 
verre, il a déduit la relation qui existe entre la moindre 
épaisseur d’une bouteille et sa résistance. 

Cette relation est simple , le nombre d’atmosphères 
qui représente la résistance de la bouteille dans le vide, 
est égal à cinq fois son épaisseur exprimée en milli- 
mètres. 

La commission a éprouvé un vif désir de vérifier 
elle-même un résultat aussi remarquable ; le temps lui 
a manqué jusqu’à ce jour, mais MM. de Maizière et 
Rousseau ont promis de se prêter à cette expérience 
qui intéresse la science autant que l'industrie. 

Admettons aujourd’hui ce résultat comme exact , et 
cherchons ses conséquences : M. de Maizière mesure- 
rait l’épaisseur des bouteilles avant de les soumettre à 


— 192 — 


l’essayeur ; il rebuterait toutes celles qui seraient d'a- 
près ses calculs trop minces pour ia pression fixée , et 
les sauverait d’une casse inévitable : ces bouteilles se- 
raient vendues pour vins rouges. 

On soumettrait les autres à lPessayeur pour briser 
celles qui présentent des défauts de recuit, et dont le 
nombre est supposé assez restreint. 

On mettrait ensuite les bouteilles dans le paracasse, 
et on éviterait ainsi toute perte pour une dépense totale 
de 0,05 cent. par bouteille. 

Telle est, Messieurs, la perspective séduisante que 
M. de Maizière offre aux commerçants en vins; nous dé- 
sirons qu’elle puisse se réaliser, mais il y a tant de dis- 
tance entre la conception d’une idée , quelque logique 
qu’elle soit, et son application à l’industrie, que nous 
ne pouvons préjuger le moment où ce vœu pourra 
s’accomplir. 

Après avoir exposé ces idées, s’il nous était permis 
de les juger, nous dirions que M. de Maizière n’accorde 
pas une attention suffisante à la composition chimique 
des vins, composition qui varie chaque année, et qui 
nous semble avoir sur la casse une influence aussi 
grande que la marche de la température ou la diffé- 
rence des verreries. 

M. de Maizière a parfaitement étudié le traitement 
des vins dans ce qui a rapport à la physique. 

M. Rousseau y a appliqué avec bonheur des connais- 
sances mécaniques fort étendues ; mais tous deux, 
préoccupés uniquement de la science qui leur est fami- 
lière, ont négligé d’y joindre l'étude de la chimie. 

L'application de cette science au traitement des vins 
mousseux n’a encore été faite, à notre connaissance , 
que dans le mémoire de M. François, qui contient des 


— 192 — 
idées fort bonnes, mais qui aurait besoin d’être refait. 

Nous souhaitons que cette tâche soit promptement 
remplie; alors seulement il sera possible d'indiquer 
pour le traitement des vins une théorie complète. 

Pour terminer notre examen de la machine à essayer 
les bouteilles, il ne nous reste plus qu’à résumer notre 
opinion sur ses deux modes d'emploi. 

1° Dans l'essai d’un petit nombre de bouteilles à 
différentes pressions, cette machine ne va pas plus vite 
que celle de M. Colardeau, mais elle présente sur elle 
de nombreux avantages, relativement à l'exactitude 
des résultats et à la facilité de opération ; au reste, 
ce mode d’emploi nous paraît presque exclusivement 
scientifique. 

2 Dans l'essai de toutes les bouteilles à une même 
pression, il faut ajouter, aux avantages dont nous ve- 
nons de parler, une rapidité dont celle de M. Colardeau 
n’approche pas; on peut même dire que c’est seule- 
ment avec la machine de M. Rousseau que lessai de 
toutes les bouteilles peut être réalisé. 

Il est seulement à regretter que M. Rousseau m'ait 
pas indiqué d’une manière plus précise les règles de ce 
mode d'emploi, qui peut avoir un grand avenir in- 
dustriel. 

En résumé , la commission dont nous sommes lor- 
gane, propose à l’Académie les conclusions suivantes : 

1° Les deux machines de M. Rousseau se distinguent 
par de très-ingénieuses dispositions, et remplissent bien 
le but que l'inventeur s'était proposé. 

2° Ces deux machines peuvent recevoir immédiate- 
ment dans l'industrie des vins des applications éminem- 
ment utiles. 


— 193 — 


Appendice au Rapport sur les machines de M. Rousseau. 


Dans le rapport lu le {7 novembre dernier sur ies 
machines de M. Rousseau , nous disions que la com- 
mission avait projeté de vérifier, au moyen d’expé- 
riences directes , les calculs de M. de Maizière sur la 
résistance des bouteilles. 

Ces expériences ont été faites lundi dernier, 27 no- 
vembre, et nous nous empressons d’eu faire connaître 
le résultat. 

M. de Maizière avait à l'avance mesuré les épais- 
seurs à l'épaule d'un certain nombre de bouteilles et 
demi-bouteilles fournies par notre collègue M. Sutaine; 
il avait calculé, au moyen de ces mesures, la résistance 
théorique de chacune d'elles, et lavait inscrite sur un 
morceau de papier caché sous leur base. 

Le chiffre de cette résistance dans le vide (en atmo- 
sphères) serait égal, pour les bouteilles , à quatre fois 
l'épaisseur donnée en millimètres ; pour les demi-bou- 
teilles, il serait égal à près de six fois et quart l’épais- 
seur. 

M. de Maizière avait indiqué deux causes qui de- 
vaient principalement altérer exactitude des résultats, 
surtout dans une expérience restreinte ; ces deux cau- 
ses, qui agissent en sens contraire , sont d'une part, 
la difficulté de trouver la moindre épaisseur du verre, 
et d’autre part, l'inégalité du recuit. Aidés de M. Rous- 
seau, nous avons soumis à l’essayeur treize bouteilles 
et huit demi-bouteilles , en augmentant graduellement 
la pression jusqu’à la rupture. 

La résistance finale était chaque fois mesurée au 
moyen d’une romaine dont nous avons vérifié les indi- 
cations. 


— 194 — 
Le tableau ci-après résume les expériences que nous 
avons faites. 


1. Boutalles. L. Demi-boutalles. 


1 


zls 52 zj» B Ee vE ia 
[LS 5 8 | S [LS 3 
ns memes. | me nes — mme SERRE 
cn C 21,50|0,69 1 17,»»|0,70 
2| 16 11,50|1,39 2 19,»»|0,71 
31 16 21,50[0,74! E 22,50|0,67 
HER 26,50|0,64 |4 29,»»|0,57 
5| 18,50| 16,50|1,12 5 31,»»[0,58 
6| 20 16,50|1,21 6 32,50[0,60 
7| 20 21,50 [0,93 |7 23,»»|0,65 
8| 20 22, »» [0,91] 18 | 15,»»| 99,»»|0,52 
3,»» [0,87] E RER EEA Pr EE 

alor Lorsolo os! THB 124651203,» [0,61 (moyen. 
11] 22 24,»» [0,99 
12|. 22 17,50|1,31| 
13| 27 14,»» 11,93! 

Totaux]131255,501257,50/0,99! Rapport moyen. 
JR Re ER 


Le nombre des bouteilles essayées a été de treize ; 
pour sept d’entre elles, le rapport dela résistance eflec- 
tive à la résistance théorique a été comprisentre 0 ",87 
et 1,20; mais pour les six autres, ce rapport a varié de- 
puis 0,69 jusqu’à 1,93, c’est-à-dire que la résistance 
effective a été tantôt le double, tantôt les deux tiers de 
la résistance annoncée. 

Ces anomalies sont très-considérables, et semblent 
détruire tout l'intérêt des expériences ; mais il n’en est 
pas tout-à-fait ainsi : la dernière ligne du tableau si- 
gnale un résultat curieux, c’est que la somme des ré- 
sistances effectives se trouve égale à la somme des résis- 
tances calculées, ou, en d’autres termes, que les valeurs 
moyennes de ces deux colonnes sont précisément égales. 

Ce résultat peut être attribué au hasard , à cause du 
petit nombre de nos expériences ; mais il pourrait aussi 


— 195 — 
s'expliquer, en admettant que les deux causes d'erreurs 
que M. de Maizière avait annoncées à l'avance, et qui 
doivent influer sur les résultats en sens contraire , se 
sont précisément balancées. 

Pour trancher cette question , il faudrait recommen- 
cer des expériences semblables, mais beaucoup plus 
nombreuses ; cela nous sera maintenant d'autant plus 
facile, que nous sommes familiarisés avec la marche de 
l'instrument. 

Le tableau relatif aux demi-bouteilles présente des 
résultats différents, mais également curieux. 

Ici, le rapport des résistances effectives aux ré- 
sistances annoncées par M. de Maizière est à-peu-près 
constant, mais il diffère beaucoup de l'unité. 

Ses limites sont 0,52 et 0,71; sa moyenne , 0,61 ; il 
suit delà que, dans les huit demi-bonteilles essayées 
par nous , la résistance s’est trouvée proportionnelle à 
l'épaisseur du verre, mais que la formule de M. de Mai- 
zière donne des chiffres trop faibles dans le rapport de 
60 à 100 ; cela prouve en d’autres termes , que, dans 
les demi-bouteilles , la diminution du volume écarte 
presque complètement les défauts de recuit, et donne au 
verre à épaisseur égale une augmentation de résistance 
que M. de Maizière n’a pas évaluée assez haut. 

Ce fait est vérifié dans la pratique , car il est de no- 
toriété publique que les demi-bouteilles cassent beau- 
Coup moins que les bouteilles , toutes circonstances 
égales. 

Quoique nos expériences ne soient pas aussi Con- 
cluantes que nous l'aurions désiré , nous avons pensé 
qu'elles méritaient d’être exposées à l’Académie, parce 
qu’elles ouvrent la voie à une série de recherches cu- 
rieuses inexplorées jusqu’à ce jour, et que la machine de 
M. Rousseau facilite singulièrement. 


— 196 — 

ll est done à désirer que, dans l'intérêt de la science, 
cette machine ne quitte pas notre ville, et qu’un de nos 
concitoyens achète celle que M. Rousseau tient depuis 
plusieurs mois à la disposition de l'Académie. 


Reims , le 30 novembre 1843. 


Nores. 1° Depuis la rédaction du rapport qui précède, M. Rous- 
seau a fait une heureuse application de l'acupuncteur de M. Werlé, 
en le substituant à l'obturateur de sa machine à remplir. 

Deux robinets placés entre l’acupuncteur et la machine permettent 
de laisser échapper le gaz de la bouteille, et d'y introduire du vin, de 
sorte que l'on peut ainsi remplir les bouteilles recouleuses à travers 
le bouchon lui-même, et sans aucune perte de vin. M. Rousseau pré- 
sente ce procédé comme beaucoup plus avantageux et plus expéditif 
que celui que donnait la disposition primitive de sa machine. 

Nous partageons son opinion à cet égard, et nous pensons que celte 
nouvelle communication de notre ingénieux confrère justifierait en- 
cure (s'il en était besoin) l'approbation que l’Académie a donnée à ses 
précédents travaux, ainsi qu'à l'acupuncteur de M. Werlé. 

Reims, le 20 mai 1844. 


2° M. de Maizières a demandé qu'il fût exprimé dans le rapport, 
que malgré les critiques qu'il a faites de quelques-uns des principes 
mis en avant par M. Rousseau, il rendait pleine et entière justice 
aux dispositions ingénieuses de ses machines et au mérite d'invention 
qu’elles signalent chez leur auteur. 

Adoptant «x fond toutes les idées du rapport, M. de Maizière s’est 
pleinement associé aux conclusions de la Commission dont il faisait 


partie. 
Reims, le 22 novembre 1843. 


RAPPORT 


DE LA COMMISSION CHARGÉE DE L'EXAMEN 


DE 


DIVERS PROCÉDÉS RELATIFS A LA VINIFICATION. 


Commissaires : MM. pe BELLY, CONTANT, LANDOUZY, 
Leconre, Garcer, TsRBé pe SAINT-Har- 
DOUIN, DE MAIZIERE. -+ 


(M. SUTAINE, rapporteur). 


MESSIEURS , 


La commission chargée par vous de l'examen de 
divers procédés et appareils relatifs à la manutention 
des vins de Champagne a bien voulu me confier lhon- 
neur de vous communiquer le résultat de son travail et 
de ses observations. 

Ce rapport peut être divisé en deux parties bien dis- 
tinctes : la première consacrée à la casse produite par 
l'excès de fermentation, et aux moyens de la prévenir 
et Qen arrêter les progrès; la seconde réservée à 

13 


— 198 — 
l'examen des machines soumises à l'approbation de 
l'Académie. Nous avons adopté celte division pour 
donner plus de précision à notre travail. 


PREMIÈRE PARTIE. 


De Pacupuncture, de la casse, et des moyens. de la 
prévenir et d'en arrêter les progrès. 


Une question de haute importance, celle de lacupunc- 
ture appliquée aux vins mousseux, a dù fixer tout d’abord 
l'attention de votre commission, Un savant rapport de 
notre honorable secrétaire, M. le docteur Landouzy, lu 
devant vous le 7 juillet dernier, vous donnait une des- 
cription fort-exacte des divers acupuncteurs en usage, 
notamment de celui inventé ou plutôt perfectionné par 
M. Werlé, et qu’une commission spéciale avait exa- 
miné précédemment. 

Je vous épargnerai donc, Messieurs, de nouvelles 
explications descriptives, me bornant à vous rendre 
compte des effets et des résultats de l’opération qui 
faisait l’objet de l'enquête dont vous nous aviez char- 
gés. 

En terminant son rapport, M. Landouzy vous disait 
que la commission, se renfermant dans les limites d’une 
prudente réserve, s'était prononcée uniquement sur le 
mérite des divers instruments de piquage , el avait 
ajourné son opinion sur acupuncture elle-même. Le 
temps a marché depuis, Messieurs, les faits se sont dé- 
veloppés, expérience est venue éclairer la question, et 
nous croyons pouvoir compléter Pintéressant travail de 
notre collègue, en jugeant aujourd’hui même le procédé 
du piquage. 

Lors de la réunion qui eut lieu chez M. Werlé, nous 


— 199 — 


nous permimes d'exprimer quelques doutes sur Peffi- 
cacité de Pacupuneture ; ces doutes se sont depuis 
changés en certitude, et votre commission , en effet, 
a reconnu que les résultats obtenus par le piquage étaient 
loin de répondre-aux espérances qu'il avait pa d’abord 
faire concevoir. 

Tout le monde comprendra la discrétion que nous 
devons apporter dans la divalgation des renseignements 
reçus de divers négociants qui ont eu cette année re- 
cours à l’acupuncture : nous ne parlerons done avec 
quelques détails que des expériences faites par nous- 
mêmes. 

Nos premiers essais furent exécutés sur une petite 
partie de 2,000 bouteilles , avec le trocard de M. le 
docteur Rousseau, d'Epernay; l'opération n'ayant nul- 
lement diminué la casse, nous fîmes piquer une seconde 
fois les mêmes bouteilles, en suivant les prescriptions 
que l'inventeur avait eu l’obligeance de nous donner 
lui-même, ©est-à-dire, en laissant le gaz acide carbo- 
nique s'échapper à plusieurs reprises par l’alène creuse 
du piquoir. Cette deuxième opération n’obtint pas un 
succès plus heureux que la première, et la casse conti- 
nua à sévir sans que sa violence fût en rien affaiblie. 

Sans doute, M. Roasseau prétendra que nous n'avons 
pas encore perdu assez de gaz , que le vin contenait 
encore trop de parties sucrées, et qu'il fallaiten con- 
séquence renouveler l'opération. Mais des cuvées ont 
été piquées deux fois, et M. Rousseau lui-mème a re- 
connu qu'après un second piquage, le vin n'avait plus 
toujours une mousse convenable. L’espérance et les 
calculs du spéculateur seraient done, dans ee cas, doun- 
blement. déçus, la première fois, en n’arrêtant pas la 
casse , et la seconde fois , en faisant perdre au vin sa 


— 200 — 


mousse. Nous ajouterons encore que des cuvées im- 
portantes opérées cette année avec lacupuncteur de 
M. Rousseau ont dù être ensuite remises en cercle, 
pour couper court à la casse que le piquage m'avait 
nullement diminuée. 

Nous n’ignorons pas qu'au moyen de calculs plus ou 
moins approximatifs des degrés de sucre et d’acide 
carbonique contenus dans le vin, on arriverait peut-être 
à l'indication d’une méthode à l’aide de laquelle on 
pourrait déterminer la quantité de gaz qu’il faudrait 
laisser échapper; mais qui ne sait aussi combien 
la plupart de ces théories si précises , si exactes en 
apparence, deviennent vagues et incertaines dans lap- 
plication. Heureux encore quand cette application 
n’aggrave pas le mal au lieu d’y remédier. 

Au surplus, M. Rousseau, qui a d’autres litres plus 
sérieux à la reconnaissance du commerce, peut facile- 
ment passer condamnation sur ses acupuncteurs. Ses 
deux machines à remplir et à essayer les bouteilles 
peuvent, nous le croyons, rendre de bons et réels servi- 
ces, et suffisent pour assigner à leur auteur une place 
honorable parmi les hommes utiles. 

Une autre partie de 1,000 bouteilles a subi deux pi- 
quages, le premier avec l’acupuneteur de M. Rousseau, 
le second par le procédé de M. Werlé. Les membres 
de la commission ont examiné cette partie, et ont pu 
voir les ravages qu'y avait exercés la casse. 

Là ne se sont pas encore bornés nos essais. Quelques 
centaines de bouteilles-ont été piquées et łaissées en- 
suile, pendant plusieurs heures, debout. Les bouchons, 
en assez grand nombre, dont la plaie ne s'était pas re- 
fermée immédiatement , donnèrent passage au gaz et 
au vin. Cette perte de gaz dura plus ou moins long- 


— 201 — 


temps, suivant la plus ou moins grade lésion du bou- 
chon ; et toutes ces bouteilles ayant été ouvertes quel- 
ques heures après , il se trouva qu'un grand nombre 
avaient perdu la plus forte partie de leur mousse. 

Ce moyen, employé par quelques négociants, a pu sans 
doute diminuer un peu Pintensité de la casse , mais il 
offre deux inconvénients très-graves. Il détermine 
d’abord, nous le croyons, une très-grande inégalité 
dans la mousse, et ensuite il prépare pour l'avenir de 
sérieuses difficultés dans le travail du vin. Le dépôt 
des bouteilles ainsi mises debout s'attache à la paroi 
inférieure, et forme une lentille dont adhérence peut 
être plus tard un obstacle à la limpidité du liquide. Il 
faut donc, ou laisser subsister cette lentille, ou secouer 
énergiquement la bouteille, en la rangeant de nouveau 
en tas, pour la détacher. Or, dans ce dernier cas , la 
secousse que l’on fait subir au vin provoquera une 
nouvelle casse parmi les bouteilles dont les bouchons 
n'auront pas laissé filer le gaz, et dont la plaie se sera 
subitement refermée. 

Nous devons ajouter encore que les 1,200 bouteilles 
piquées avec lacupuncteur de M. Werlé ont été rele- 
vées douze jours après Popération, et qu'au bout de ce 
laps de temps, bien court cependant, un coulage consi- 
dérable fut constaté. On trouva 110 bouteilles plus ou 
moins vides, et ce résultat doit inspirer des craintes 
sérieuses pour l'avenir des vins piqués de cetle ma- 
nière. 

Tel est, Messieurs, le résumé sommaire des observa- 
tions et des expériences que nous avons faites nous- 
mêmes. Les renseignements qu'ont bien voulu nous 
transmettre plusieurs chefs de maisons sur les résultats 
de Pacupuneture coincident parfaitement avec nos pros 


— 202 — 
pres essais, et sont venus fortifier encore notre convic- 
tion personnelle. 

Cette conviction , Messieurs, votre commission la 
partagée. Elle n’a pas hésité à reconnaître unanimement 
que le piquage, à moins qu’il ne reçoive de nombreux et 
sérieux perfectionnements, est un remède presque entiè- 
rement négatif contre la casse, et doit, sous le rapport 
du coulage et du dépôt, amener de déplorables consé- 
quences. Nous n’avons donc pas balancé à rejeter 
ce procédé dans la classe de ces demi-mesures dont 
Pemploi ne peut que faire perdre un temps précieux 
dans un moment de crise, sans donner aucun résultat 
satisfaisant. 

Au surplus, le raisonnement vient ici à l'appui de 
Pexpérience. La quantité de gaz dégagée par la piqůre 
du bouchon est si faible, relativement à celle qui est 
renfermée dans la bouteille, que le remède est totalement 
illusoire. Pour arriver à des chiffres aussi exacts que 
possible, nous avons dû recourir au savoir de collègues 
bien plus compétents que nous en fait d’apprécialions 
chimiques ou mathématiques. Qu'il nous soit permis, 
avant de passer outre, de témoigner ici notre reconnais- 
sance pour les bons conseils qui nous ont été donnés, 
et qui sont venus en aide à notre inexpérience. 

Au moyen d’un appareil simple et ingénieux, on à 
pu extraire et recueillir tout le gaz contenu dans une 
bouteille de vin, et on a trouvé que cette année, au 
mois de juillet, c’est-à-dire au moment de sa plus grande 
effervescence , le vin de 1842 en bouteilles renfermait 
une quantité de gaz équivalente à six ou sept fois son 
volume, de sorte qu’une bouteille contenait ainsi cinq 
à six litres d'acide carbonique. Maintenant, un coup 
de Pacupuncteur dégage, il est vrai, à peu près tout le 


Lo 


gaz contenu dans la chambre, C'est-à-dire dans l'espace 
compris entre le vin etle bouchon. Or il a été calculé 
que la chambre étant d’une dimension ordinaire, c’est- 
à-dire de 6 à 8 centimètres cubes environ , un coup 
d’acupuncteur pouvait dégager ainsi 10 à 12 centilitres 
de gaz, c’est-à-dire un cinquantième seulement du gaz 
comprimé dans la bouteille, et ce 1/50° est immédiate- 
ment remplacé par le gaz emprisonné dans le vin. 
D’autres calculs bornent même à un soixante-douzième 
seulement la quantité de gaz extraite de cette ma- 
nière (1). 

L’insignifiance de ces résultats suffit déjà, vous le 
voyez, Messieurs, pour constater l'impuissance de l'acu- 
puncture ; maintenant il reste à signaler le péril de l'o- 
pération. Tous ceux qui connaissent le travail du vin 
de Champagne savent, par expérience, combien il est 
dangereux d’agiter, de tourmenter (en langage usuel) 
les bouteilles au moment du plus grand développe- 
ment de la mousse. Le dépôt ou précipité, qui s'était 
fixé sur la‘ paroi inférieure, se trouve ainsi rejeté dans 
le vin, où sa présence, en provoquant une fermenta- 
tion plus active, peut donner lieu à de graves désor- 
dres. 

Or, tel est le rôle que joue l’acupuneture ; eile tour- 
mente le vin au moment où l’on doit le plus respecter 
son repos, et la minime quantité de gaz qu'elle dé- 
gage est largement compensée par la recrudescence de 
fermentation qu’elle occasionne. De là les résultats 
que nous avons signalés. 

Toutefois, Messieurs, en condamnant l'opération , 
nous n'avons pas hésité à reconnaître tout ce que 


(1) Le calcul et une expérience directe sur la cuve à mercure ont 
donné 6 à 8 centimetres cubes de gaz. 


— 204 — 

l'invention avait d’ingénieux , tout ce qu'avait d’ho- 
norable l’empressement avec lequel M. Werlé mit à 
la disposition de ses confrères un moyen qu'il avait pu 
croire efficace contre le danger qui les menacait alors. 
M. Werlé a voulu partager avec tous le bénéfice du 
perfectionnement qu'il avait apporté au procédé de 
M. Rousseau, et, sans contredit, cet acte de libéra- 
lisme industriel ne saurait être trop hautement pro- 
clamé. 

Vous nous aviez encore , Messieurs , confié une im- 
portante mission , celle d'indiquer les moyens d’arrè- 
ter les désastres d’une casse excessive, dans le cas où 
l’acupuncture n’atteindrait pas ce but. Quelques com- 
merçants ont essayé cette année de déboucher les 
bouteilles, de les vider à peu près au cinquième, et de 
les remplir ensuite. Cette opération a donné des ré- 
sultats satisfaisants ; mais elle a l’inconvénient d’être 
assez longue et d’occasionner des frais considérables. 
D’autres ont remis leur vin en fûts, ct l'ont tiré de nou- 
veau et immédiatement en bouteilles. Ces moyens 
sont violents sans doute, mais du moins ils sont effi- 
caces, remédient énergiquement au mal, et sont, dans 
tous les cas, préférables à une casse de 35, 40, 50 pour 
cent , et plus. L'opération de la remise en cercle est 
très-rapide , el nous n’hésitons pas à conseiller lem- 
ploi de ce moyen aux spéculateurs dont une casse pré- 
maturée et exagérée menace de compromettre la for- 
tune. Ceux qui lont appelée à leur aide cette année 
s’en félicitent sous tous les rapports. Toutefois, pour 
obtenir un succès complet, l'opération doit être faite 
en temps utile, c’est-à-dire jusque vers le 20 juillet 
au plus tard. Nous considérons aussi qu'il est de la 
plus grande importance de peser le vin avec le gleuco- 


œnomètre, avant de le remettre ea bouteilles, afin de 
s'assurer de la quantité de sucre qu’il contient encore. 

A ce propos, et comme moyen préventif, votre com- 
mission croit devoir recommander à tous les négociants 
en vin de Champagne un opuscule, très-connu du 
reste, de M. Francois, ancien pharmacien à Châlons- 
sur-Marne, et qui a pour titre : Traité sur le travail 
des vins blancs mousseux. 

Ce livre , tout en laissant encore beaucoup à désirer, 
renferme cependant d'excellentes notions sur la vinifi- 
cation en général, et particulièrement sur la quantité 
de parties sucrées que doit contenir le vin pour obtenir 
une mousse parfaite. Sa théorie du ferment est incom- 
plète sans doute ; elle nous démontre bien qu'un vin 
renfermant trop ou pas assez de cette substance ne 
moussera pas ou moussera peu, mais elle ne nous 
donne pas les moyens de reconnaître dans quelle pro- 
portion elle se trouve dans le liquide. Néanmoins , nous 
le répétons , l'ouvrage de M. François est un grand pas 
fait vers la science, et le commerce peut tirer un im- 
portant profit des leçons qu’il renferme. 

Malgré les études sérieuses d'hommes consciencieux, 
les mystères de la fermentation sont, à ce qu'il parait, 
bien peu connus encore; la nature procède par des 
moyens qui ont jusqu'ici échappé à l'analyse ; et ce- 
pendant , Messieurs, il y aurait là de belles questions 
à résoudre. C’est une mine riche dont quelques filons 
seulement sont découverts, mais que la science finira 
sans doute par éclairer. Nous connaissons la manière 
de peser le vin et le degré de sucre qu'il doit contenir : 
que la science nous apprenne maintenant à opérer de 
même sur le ferment ; qu’elle nous enseigne les moyens 
de combiner dans des proportions exactes cette sub- 


M 


stance avec le sucre qu’elle doit transformer en acide 
carbonique , et les tirages de vins mousseux , de va- 
riables et incertains qu'ils sont encore, deviendront 
simples , à peu près positifs, et seront, en grande par- 
tie du moins, dégagés des chances nombreuses qui 
menacent l’industrie et le commerce. 

Il existe encore un moyen bien simple de prévenir, 
sinon totalement, du moins en partie les effets de la 
casse : ce moyen, dont nous parlerons tout-à-Pheure 
avec quelques développements, c’est l'essai préalable 
des bouteilles dans les verreries, et le rejet de toutes 
celles qui ne supporteraient pas une pression donnée. 

Puisqu’il est question de la casse et des procédés 
qui doivent délivrer les caves de ce fléau destructeur, 
nous ne pouvons passer sous silence l'appareil ingé- 
nieux sur lequel votre attention a déjà été appelée, 
mais dont l'expérience n’a pas encore consacré l’effi- 
cacité : nous voulons parler du paracasse de M. de 
Muizière , destiné peut-être à jouer un rôle important, 
quand il aura subi les modifications propres à le rendre 
d’an emploi usuel. 


DEUXIÈME PARTIE. 


Examen des divers appareils propres à la manutention 
des vins mousseux. 


Voire commission , Messieurs , avait à examiner en 
outre divers appareils dont la destination s'applique 
d’une manière plas ou moins directe au travail des 
vins mousseux. 

M. le docteur Rousseau d'Epernay, dont Pesprit in 


— 907 — 


ventif à déjà créé plusieurs machines propres à sim- 
plifier ou à régulariser la manutention , nous démon- 
trait ses deux procédés pour remplir les vins et pour 
essayer la force des bouteilles. M. Tarbé de Saint- 
Hardouin vous a lu dernièrement sur ces deux appareils 
un rapport savant et détaillé dont nous adoptons en- 
lièrement les conclusions. Qu'il nous soit permis de 
joindre notre suffrage à celui de l'honorable rappor- 
teur, et d'exprimer l'espoir que M. Rousseau augmen- 
tera bientôt encore le nombre de ses inventions et de 
ses perfectionnements. 

Nous pensons avec MM. de Maizière et Rousseau 
que Pessai préalable des bouteilles est de la plus haute 
importance pour le commerce. Il deviendra indis- 
pensable que toutes les bouteilles destinées aux vins 
mousseux soient éprouvées dans les verreries, et que 
celles-là seulement qui auraient résisté à la pression 
d’un certain nombre d’atmosphères soient livrées à la 
consommation. Ce sera, tout le monde le comprend, 
un moyen assuré d'éviter déja une grande partie de la 
casse , puisque les bouteilles reconnues ies plus faibles 
auront été rejetées d'avance. Il est bien entendu tou- 
tefois que , dans cette épreuve, on ne devra pas porter 
à un chiffre trop élevé le nombre d’atmosphères ; car 
en exagérant la pression, on pourrait déplacer cer- 
taines molécules du verre et diminuer ainsi la force de 
résistance de la bouteille. 

M. de Maizière, qui se livre aussi à d’intéressantes 
études sur la fabrication des vins, a imaginé un com- 
pas d'épaisseur avec lequel il mesure les bouteilles à 
leur endroit ordinairement le plus faible, c’est-à-dire 
à l’épaulement. Calculant la force de résistance d’après 
l'épaisseur du verre, M. de Maizière espère arriver 


— 208 — 


à des équations approximatives , et déterminer ainsi la 
pression momentanée et indéfinie que pourra supporter 
chaque bouteille. Nous avons assisté le 27 novembre 
1843 à une expérience très-intéressante , dont le but 
était de contrôler la théorie de M. de Maizière à l’aide 
de l'appareil de M. Rousseau; nous devons le dire, 
certaines différences assez notables ont été constatées, et 
la pratique n’a pas toujours été d’accord avec Les chif- 
fres; mais M. de Maizière paraît avoir trouvé depuis 
de nouvelles formules plus précises et qui lui permet- 
tront sans doute de rectifier sa théorie. 

Le procédé de M. de Maizière, au surplus, a cela de 
très-avantageux qu’on peut à son aide essayer les bou- 
teilles sans les briser. De cette manière les plus faibles, 
celles qui, selon l'inventeur, succomberaient à une pres- 
sion de 5 à 6 atmosphères, sont mises immédiatement 
aux rebuts, sans subir l’épreuve radicale de la machine 
de M. Rousseau qui les cassersit. On n’essaierait plus 
avec ce dernier appareil que les bouteilles indiquées 
par la théorie comme étant plus résistantes, et dont on 
devrait alors vérifier la force. On comprend de quelle 
utilité serait le compas d'épaisseur, puisqu'il réduirait 
ainsi de beaucoup le nombre des bouteilles brisées 
aux verreries, et par conséquent le prix de revient des 
bonnes bouteilles. Au reste, M. de Maizière sem- 
ble lui-même reconnaître comme nous qu'on pourra 
bien, avec son compas , approcher plus ou moins de 
la vérité, mais qu’on n’y atteindra jamais complète- 
ment. Les imperfections involontaires qui se rencon- 
irent souvent dans la composition du verre, les iné- 
galités du recuit, les défectuosités du soufflage, mille 
autres circonstances que nos instruments ne peuvent 
apprécier , déjoueront sans doute longtemps encore 


= a — 


les calculs les plus profonds. Toutefois les avantages 
que vous venons de signaler plus haut sont importants 
déjà, et lon ne peut que s’applaudir sincèrement de voir 
ainsi des hommes sérieux appliquer leur intelligence 
aux perfectionnements d’une industrie qui laisse tant à 
désirer encore. 

En même temps que M. Rousseau nous présentait 
sa machine à remplir et à doser, M. Rainet soumet- 
tait également à notre examen un appareil inventé par 
lui, el destiné aux mêmes fonctions. Voici la descrip- 
tion succincte de ce procédé: 

Un vase en cuivre élamé ou argenté, et garni d’un 
couverele, recoit la liqueur qui, s'échappant par un ro- 
binet, va remplir un tube en cristal indiquant la dose 
dont on veut se servir. Ce tube est gradué, et la cham- 
bre qui renferme la dose peut être diminuée ou aug- 
mentée à volonté au moyen d'un piston mobile garni 
de buffle et qui ferme hermétiquement ; un conduit en 
cuivre argenté met ce tube en communication avec la 
bouteille qu’on veut doser. Pour recevoir la liqueur, 
la bouteille placée sur aa pied à ressort vient s’appli- 
quer hermétiquement au bec en forme conique de ce 
même conduit qui a deux issues : l’une donnant pas- 
sage à la dose, lautre communiquant par un tuyau à 
un réservoir d'où tombe le vin qui doit achever de rem- 
plir la bouteille. 

Si le vin avait une forte mousse, le gaz, en cherchant 
à s'échapper par le robinet de la liqueur, pourrait 
nuire à la prompte introduction de la dose dans la bou- 
teille. M. Ruinet, pour obvier à cet inconvénient, a mis 
la bouteille en rapport avec au tube étroit qui va se 
perdre dans la partie supérieure du réservoir dont nous 
venons de parler. Ce tuyau, garni d’une soupape, sert 


= 


à l’échappemert du gaz; si la mousse vient à monter, 
la fermeture de la soupape, en interceptant l'air, Ja 
fait descendre , et permet ainsi de remplir convenable- 
ment la bouteille. 

Le réservoir, dans lequel va se perdre le gaz qu'on 
a dù laisser échapper, est garni, pour empêcher toute 
évaporation, d’un couvercle fermant à vis. On voit 
done que pendant l'opération le vin wa aucun contact 
avec lair extérieur, et ne peut en conséquence rien 
perdre de son bouquet. Les vases ou réservoirs de Pap- 
pareil étant parfaitement bouchés empêchent Vintro- 
duction dans le liquide de tout corps étranger qui 
pourrait nuire à sa limpidité. 

Cet appareil ingénieux et élégant est peu compliqué 
et facile à manœuvrer; cependant il pourrait, à ce 
qu'il nous semble, être rendu d’un usage plus commode 
encore par une combinaison plus simple de la soupape 
qui sert à l’échappement du gaz, et du robinet qui laisse 
tomber le vin dans la bouteille; le jeu de ces deux piè- 
ces, qui sont appelées à fonctionner simultanément, nous 
a paru un peu gêné, et devoir nuire à la promptitude 
de Popération. Au surplus, ceci est affaire d'habitude, 
et l’ouvrier chargé du travail surmontera sans doute 
aisément celte difficulté. 

La machine de M. Ruinet offre sur le dosage à la 
main, tel qu'il est pratiqué maintenant, un avantage 
réel qu’il importe de constater : c’est une grande préci- 
sion dans la quantité de liqueur à introduire dans la 
bouteille; mais, d’un autre côté, le dosage à la main 
semble l'emporter un peu en promptitude. Dans l'ap- 
pareil de M. Ruinet, la liqueur, qu'aucune force n’en- 
traine, ne se précipite pas assez rapidement dans la 
bouteille, et, sous ce rapport, nous croyons devoir don- 


— ñi — 


ner la préférence à la machine de M. Rousseau. Dans 
cette dernière la liqueur et le vin qui sert à remplir, 
chassés avec énergie par des pompes foulantes, s’in- 
troduisent dans la bouteille sans perte de gaz, sans 
altération possible de la mousse. Si M. Ruinct peut 
obtenir des résultats analogues, et le talent d'inven- 
tion dont il a fait preuve nous en donne Pespoir, dès 
lors il aura perfectionné beaucoup son appareil, qui, 
tel qu’il est, vaut mieux déjà, sous plusieurs rapports, 
que le procédé manuel. 

Tout en donnant la préférence à la machine de 
M. Rousseau, votre commission, Messieurs , a cepen- 
dant apprécié les efforts ingénieux de M. Ruinet. Elle 
a pensé que son appareil, dun prix assez peu élevé 
d’ailleurs, pourrait, avec les modifications que nous ve- 
nons d'indiquer, rendre des services au commerce (1). 

Après l’appareil dont nous venons de vous entrele- 
nir , la commission dut examiner encore la machine à 
boucher les vins mousseux de M. Leroy, mécanicien à 
Reims. 

Pour bien comprendre le service que M. Leroy a ren- 
du au commerce, il est indispensable , Messieurs , de 
faire rétrograder nos souvenirs el de nous reporter à 
quelques années en arrière. De toutes les séries d'opé- 
rations que traverse le vin mousseux avant d’être livré 
à la consommation, le bouchage, cette partie si impor- 
tante du travail, est, sans contredit , celle qui a reçu le 


(1) M. L. M. Canneaux, négociant en vins à Reims, vient aussi de 
faire exécuter une machine de son invention, dont la destination est 
la même que celle des appareils de M. Rousseau et Ruinet. Celte ma- 
chine assez simple et peu volumineuse, nous a paru fonctionner avec 
précision, et nous croyons pouvoir la considérer comme une amélio- 
ration. Note du rapporteur. 


— 212 — 

plus d’'heureuses améliorations. Le temps n’est pas en- 
core bien loin de nous où les tonneliers ne connaissaient, 
pour déprimer le bouchon et le forcer d'entrer dans la 
bouteille , d'autre moyen que de le serrer entre leurs 
dents, moyen nuisible à la santé de quelques-uns, et, 
dans tous les cas, fort peu énergique et peu conve- 
nable. On imagina alors d’adapter aux blocs à boucher 
des pinces ou mächelières en fer qui se manœuvraient 
avec une pédale, et à l’aide desquelles on assouplissait, 
en la serrant, l'extrémité du bouchon. Ces blocs, dont 
se servent encore quelques maisons, surtout pour bou- 
cher les vins rouges, parurent bientôt insuffisants. Les 
bouchons de moyenne grosseur, les seuls qu’on pût em- 
ployer avec cet appareil, ne garantissant pas du cou- 
lage, on sentit la nécessité de recourir à des engins plus 
puissants, et qui permissent l'emploi de bouchons plus 
forts. 

Ce fut alors vers l’année 1827 qu’on importa à Reims 
une machine à boucher venant de la Bourgogne. La 
principale pièce de cet appareil consistait en un tube 
en fer de forme légèrement conique, placé verticale- 
ment, et dont la partie supérieure, qui était en même 
temps la plus large, recevait le bouchon. Un boulon 
chassé par un levier faisait glisser le bouchon jusques 
dans l’embouchure de la bouteille appliquée contre lo- 
rifice inférieur du cône. A l’aide de ce procédé, les bou- 
chons, se trouvant soumis à une pression considérable, 
pouvaient être employés de toutes grosseurs. 

M. Fauveau , mécanicien à Reims, perfectionna le 
premier cette machine. Au levier il substitua un vo- 
lant et un système d’engrenages qui rendirent le jeu 
plus facile. 

Plus tard, M. Coquillard, de Châlons-sur-Marne, di- 


— 213 — 
visant en deux pièces la partie inférieure du tube co- 
nique, permit à ce tube de s'ouvrir au moyen d’un res- 
sort à échappement , quand la bouteille était bouchée. 
Au moyen de cet écartement , le bouchon se dégageait 
plus facilement de son étreinte, c'était encore un pro- 
grès. 

Enfin, MM. Hanriot et Gillot, de Nuits, remplacerent 
le levier et le volant par un maillet, et simplifiérent en- 
core le précédent appareil. Les premières machines de 
ces messieurs parurent à Reims vers la fin de 1836, ct 
furent accueillies avec faveur. Malheureusement elles 
étaient bien imparfaites encore , leur peu de solidité 
nécessilait de fréquentes réparations , et les services 
qu’elles rendaient ne répondirent pas aux espérances 
qu’elles avaient fait concevoir. 

M. Leroy étudia alors avec soin l'appareil de MM. Han- 
riot et Gillot, en découvrit les défauts, et, ce qui valait 
mieux encore , trouva les moyens d'y porter remède. 
Dans la machine de ces messieurs, l'ouvrier était obligé 
de manœuvrer avec la main le boulon qui enfonce le 
bouchon et le tiroir qui ouvre le bec inférieur du tube 
conique. M. Leroy, lui, relève ce boulon au moyen d’une 
pédale qui agit en même temps sur le ressort du tiroir, 
et rend ainsi à l’ouvrier la liberté de ses mains. Quand 
la bouteille est bouchée , un coup de maillet appliqué 
sar une gâchette suffit pour soulever le coin en fer qui 
s'oppose à l’écartement du bec du cône. Par un ingé- 
nieux concours de pièces de son invention, M. Leroy a 
rendu à cet appareil la précision et la solidité qui lui 
manquaient; aussi ses machines à boucher , dont l’une 
a fonctionné devant vous , ont-elles été adoptées par le 
commerce de préférence à toutes les autres; ce sont à 
à peu près les seules en usage maintenant. 


— ol = 


M. Leroy, Messieurs, a désiré que l'Académie sanc- 
tionnât par son approbation les nombreux perfectionne - 
ments apportés par lui aux appareils à boucher les vins 
mousseux. Convainene de la supériorité de ses machines 
et des services réels qu’elles rendent au commerce, vo- 
tre commission n’a pas hésité à vous demander cette 
sanction, et a recommandé d’une manière toute particu- 
lière M. Leroy à la commission chargée de la distribu- 
tion des médailies d'encouragement. 

En décernant cette récompense, vous rendrez double- 
ment justice. Un ancien ouvrier de M. Leroy , établi 
depuis quelque temps à Châlons-sur-Marae , construit 
dans cette ville des appareils à boucher, d’après le pro- 
cédé de son ancien maître. Une machine, exposée par lui 
et calquée sur celle de notre compatriote , lui a valu 
deraièrement unre meniion honorable de la société d’a- 
griculture, sciences et arts de Châlons, qui ne connais- 
sait pas M. Leroy , et a ainsi récompensé un homme 
qui n'avait rien inventé, rien perfectionné. Rendons à 
chacun ce qui lui appartient, Messieurs, c’est le moyen 
d'encourager les travailleurs et de stimuler les intelli- 
gences. 

Il est temps , Messieurs, de résumer ce rapport déjà 
trop long ; les matières que nous avions à traiter exi- 
geaient un certain développement, et, malgré son éten- 
due, nous sentons combien il laisse à désirer encore. 
La carrière reste ouverte aux adeptes de la science ; ils 
ont un vaste champ à défricher , car la manutention si 
importante des vins mousseux est loin d’avoir atteint 
son dernier degré de perfection. 

Voici , Messieurs , les conclusions que nous avons 
l'honneur de vous proposer au nom de la commission : 

4 L’acupuncture , pratiquée avec les instruments 


— 215 — 

connus jusqu’à ce jour, a été reconnue impuissante con- 
tre la casse, et nuisible à la bonne condition du vin; 

2° La commission reconnait que lessai préalable des 
bouteilles dans les verreries est de la plus haute impor 
tance ; 

3° Elle recommande d’une manière toute spéciale , 
à la commission des récompenses annuelles, M. Leroy, 
pour sa machine à boucher. 


Fo ve “ve or! ; 

Cr es ja Peu ; t re 
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DAMON ES a ST 


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1 


BEAUX-ARTS. — MUSIQUE. 


DISCOURS 


SUR LA NÉCESSITÉ D'ÉTUDIER LA MUSIQUE DANS SON 
HISTOIRE , 


Par M, FANART. 


Qui evitat discere incidet in mala. 
Prov. xvI1, 16. 


MESSIEURS , 


Pour peu que l’on examine attentivement la situa- 
tion des beaux-arts à notre époque, on est frappé de 
l'état d'infériorité relative dans lequel se trouve la mu- 
sique. 

Partout, dans le monde civilisé, une nouvelle et gé- 
néreuse impulsion porte aujourd’hui les lettrés à recher- 
cher le beau avec ardeur, sans acception d’école ni de 
systême , quelle que soit la forme qu’il ait revêtue ou 
la baunière qu'il ait adoptée. Partout la littérature et 
les arts mettent à profit les loisirs d’une longue paix 
pour restaurer leur passé, pour saluer avec amour les 
vieux écrivains, les vieux artistes, les vieux monuments 
qui gisaient délaissés sous la poussière des siècles. 

Seule, entre toutes les productions de l'intelligence, 


— 218 — 


la musique semble étrangère à ce mouvement des es- 
prits, ou, s’il existe dans son sein, il y est presque à 
l’état latent, et reste à peu près imperceptible. Cet art 
‘semble frappé de torpeur et de léthargie ; sans foi dans 
son passé, sans espérance dans son avenir, il demeure 
immobile , il étreint fortement le présent, qui est tout 
pour lui, et regarde ceux, en petit nombre, qui cher- 
chent à réhabiliter ses gloires antiques, avec unc insou- 
ciance qui confine à l'indifférence de l’Arabe contem- 
plant un savant occupé à déchiffrer les hiéroglyphes 
des vieux monuments du désert. 

D'ou vient cet étrange phénomène? quelles causes 
assigner à celte bizarre contradiction ? comment expli- 
quer cette immobilité au milieu du mouvement qui 
se manifeste dans les autres arts? Comment enfin sor- 
tir de cette inconcevable situation ? 

C’est ce que je me suis proposé d'examiner briève- 
ment, et en élaguant, autant que possible, la sécheresse 
inhérente aux discussions esthétiques et à la métaphy- 
sique de l’art. Si je ne me trompe, la musique est 
trop répandue de nos jours dans toutes les classes de 
la société, pour qu’une semblable question r’excite 
pas quelque intérêt. 

Un fait qu’il importe de constater dès le début de 
cette discussion, c’est que si ce grand paralytique, 
qu’on appelle l’art musical, semble frappé d’une in- 
curable inertie, il n'a pas la mème excuse que son 
confrère de l'Evangile, et ne peut point dire comme 
lui : Hominem non habeo. Aux noms célèbres que lhis- 
toire et l’archéologie citent avec orgueil ; aux Guizot, 
aux Thierry , aux Caumont, aux Montalembert, aux 
Mérimé, aux Didron, la musique peut opposer sans 
désavantage ses Fétis, ses Kieswetter, ses d’Ortigue, 


= 5 — 


ses Danjou, ses Coussemaker, dont les remarquables 
el savantes investigations ont remis en lumière lant 
d'œuvres oubliées, ont ravivé avec éclat tant de noms 
effacés ou obscurcis, ont résolu tant de questions ré- 
putées insolubles. 

Voilà done déjà un point hors de doute, c’est que si 
l’immense majorité des musiciens reste stationnaire, et 
refuse d'entrer dans la voie qui seule peut affranchir 
leur art des lisières du préjugé, et lui faire faire de 
véritables et solides progrès, ce ne sont point les hau- 
tes intelligences, capables de lui imprimer le mouve- 
ment, qui font défaut; ce ne sont point les chefs ex- 
périmentés qui manquent pour les guider dans cette 
carrière de rénovation et de liberté. Non, le mal n’est 
point en haut, mais en bas : il n’est point daus les som- 
milés, mais dans les masses. Aussi, que voyons-nous 
dans la plupart des écrits sur la musique, sinon les 
idées les plus étroites, les plus rétrécies, les plus inco- 
hérentes sur la nature et la destination de l'art; les 
théories les plus bizarres, les plus irrationnelles, les 
plus contradictoires qui se soient jamais produites, et 
la tendance la plus singulière à la perpétuelle glorifi- 
cation du présent? Ennemis acharnés du passé et de 
Pavenir, les musiciens craignent par-dessus tout ce 
qui pourrait les troubler dans leur immobile contem- 
plation d'œuvres, qui wont souvent, hélas! pour tout 
mérite que l’insignifiante consécration de la mode, et 
les suffrages très-flatteurs peut-être, mais assurément 
fort peu concluants, fort peu définitifs d’une foule inin- 
telligente, destituée de tout instinct du beau, de tout 
sentiment véritablement artistique. Íl est facile de dé- 
duire les fatals et inévitables résultats d’une aussi in- 
croyable esthétique. Ce n'est qu'après de longs com- 


— 220 — 

bats qui épuisent en pure perte des forces qu’il pour- 
rait employer si ulilement au profit de Part, qu'un 
homme de génie comme Monteverde, Gluck ou Beetho- 
ven, peut faire accepter ses œuvres, si elles ont l'audace 
de s'éloigner quelque peu des habitudes des musiciens. 
Moins heureux encore, celui qui, à l'exemple de Choron, 
essaierait de rendre leur lustre et leur éclat aux gran- 
des conceptions des temps anciens, n'aurait guère 
d’autre perspective, de son vivant du moins, que 
la plus vive opposition, et ne pourrait espérer, en re- 
tour de ses labeurs et de ses sacrifices, que l'indifférence, 
si ce nest la haine et les sarcäsmes de ceux qui ont 
le plus d'intérêt réel à de semblables tentatives. 

C’est en présence de ces fâcheuses tendances, de cette 
regrettable disposition des musiciens à juger, non d’a- 
près les lois constitutives du beau, mais d’après les ha- 
bitudes qu’ils ont contractées , qu’un eritique à vues 
élevées, mais sévère dans ses expressions, s'écriait na- 
guëres : « Hors de la routine point de salut : voilà le 
principe chéri des musiciens qui placent , en général , 
l’orthodoxie dans des opinions incomplètes , dans des 
préjugés d'habitude (1 ).» 

Certes, je comprends qu’on exalte, qu’on gloriñe les 
œuvres remarquables qui ont été produites à une épo- 
que récente , et j’applaudis de toutes mes forces à un 
tel sentiment ; mais qu’on fasse de ces œuvres une sorte 
de type invariable, une manière d’étalon qui soit décla- 
ré à tout jamais la mesure rigoureuse du beau, le mo- 
dèle unique et absolu de toute œuvre d'art, c’est une 
prétention que nul homme , doué d’un jugement sain, 
be saurait admettre. Quoi donc ! uu chef-d'œuvre fait- 


(1) M. Bourges, Gazetle musicale, 1843, pag. 219. 


— 221 — 


il inévitablement oublier ses aînés? Virgile a-t-il détrôné 
Homère ? Corneille et Racine ont-ils fait rentrer dans 
le néant Sophocle et Euripide ? Est-ce que , depuis le 
Parthénon, l'architecture de l'Inde et celle de PEgypte 
ont cessé d’être comptées au nombre des plus merveil- 
leuses créations de l'esprit humain ? Pourquoi serions- 
nous donc plus exclusifs en musique que dans les autres 
arts? Penserail-on , par hasard , que le génie contem- 
porain ne peut briller qu'à condition de condamner à 
l'oubli le génie passé , et d'étouffer dans son germe le 
génie futur ? 

Je comprends encore qu’il y ait dans les arts des 
querelles animées, Un homme qui met au jour une pen 
sée offrant peu de points de contact avec les idées en 
circulation doit s'attendre à une vive opposition , jus- 
qu’à ce qu’une fusion se soit établie entre celle pensée, 
si elle est juste , et ce qu'il y a de vrai dans les idées 
qui lont précédée. Dans le monde moral comme dans 
le monde physique , dans la politique comme dans le 
domaine de l’art, c’est une loi générale que deux prin- 
cipes soient sans cesse en présence , qu'il faut concilier 
et mettre en équilibre. Le bien et le mal, la raison et la 
foi, l’ordre et la liberté, la résistance et le mouvement , 
que sont-ils autre chose , sinon l'expression diverse de 
deux forces qui se balancent sans cesse, et qui causent 
d'énormes perturbations, lorsque Pune d'elles vient mo- 
mentanément à prévaloir et à prédominer. Je concçois 
donc le sentiment de répulsion qui accueille toute pen- 
sée de restauration ou d'innovation dans une forme 
quelconque de la pensée humaine ; c’est une loi de la 
nature contre laquelle on réclamerait en vain, et Fon- 
tenelle l’a dit avec autant d'esprit que de sens : « Une 
idée nouvelle est un coin qu'on ne peut faire entrer que 


par le gros bout. » Mais ce qui me passe, c’est que, 
chez les musiciens, cette opposition soil toujours à peu 
près générale et universelle; c’est qu’elle tourne, d'or- 
dinaire, à Pentêtement le plus obstiné, se refuse à tous 
les raisonnements, à lévidence même, et ne prenne 
fin, pour la plupart du temps, qu'avec la génération 
qui a vu naître la discussion. 

Voila le mal dans toute son étendue, la plaie dans 
toute sa profondeur : essayons d’en chercher l’origine 
et d’en indiquer le remède. 

Sans doute, les causes qui ont amené cet affligeant 
état de choses sont nombreuses, mais toutes peuvent se 
réduire à celle-ci, savoir : absence de notions posi- 
tives, chez la plupart des musiciens , sur la véritable 
théorie de leur art. Or, cette théorie lear échappera 
toujours, tant qu’ils r’étudieront pas Phistoire de la mu- 
sique, qui seule peut rectifier leur jugement, ouvrir 
une vaste carrière à leur génie, leur donner la clef des 
préceples qu’ils professent sans en comprendre la si- 
gnification réelle, substituer, en un mot, dans leur es- 
prit, des vues philosophiques larges et élevées à cette 
mesquine et aveugle pratique à laquelle ils ont donné 
le nom honnête d'instinct musical, pratique qui est leur 
seule boussole, à laquelle ils attribuent une chimérique 
infaillibilité, et qui, le plus souvent , les trompe et les 
égare. 

L'omission funeste de l’histoire, dans le programme 
de l'enseignement, de la musique, est tout le secret de 
l'infériorité actuelle de cet arl el du désastreux maté- 
rialisme auque! il se laisse de plus en plus entrainer. 
Dans toutes les autres branches des connaissances hu- 
maines, on a compris que la seule manière de former 
le goût et le jugement des adeptes est de meltre sous 


> me = 


leurs yeux les meilleurs modèles de tous les temps et 
de toutes les écoles ; on a senti la nécessité de leur four- 
nir en abondance des points de comparaison qui leur 
permissent de juger en connaissance de cause ce qui 
vient à se produire ; on a voulu leur montrer la dédue- 
tion logique des faits, des idées, des découvertes, des 
révolutions qui ont amené successivement un art ou une 
science de son état primitif à sa force actuelle. Le phi- 
losophe, le théologien, le juriste, le poëte, le sculpteur, 
le peintre, le mathématicien, le chimiste , tous con- 
naissent et étudient sans cesse l’histoire et les monu- 
ments de la science qu’ils professent ; tous puisent sans 
interruption de grands enseignements à celte source 
intarissable que Cicéron appelle avec tant de justesse 
la lumière de la vérité, la vie de la mémoire , la règle 
dela vie (1). Le musicien seul fait une exception incon- 
cevable et irrationnelle à cette méthode générale et uni- 
verselle. Íl s’en tient à la pratique de Part actuel, il 
s'arrête au fétichisme obstiné de la forme consacrée , et 
se renferme de gaité de cœur dans un cercle étroit au- 
delà duquel il n’y a rien pour lui que le néant et Pex- 
lravagance. Aussi parlez-lui , non pas de ces composi- 
teurs anciens qu’il faut étudier longlemps pour bien 
comprendre, mais simplement de ceux qui, apparte- 
sant à une époque peu éloignée de nous, n’exigent au- 
cun travail préalable ; demandez lai quelle cst son opi- 
nion sur les œuvres de Schütz, de Handel, de Bach, de 
Keiser, de Lulli, de Campra, de Rameau, de Fresco- 
baldi, de Scarlatti, de Durante, de Pergolèse, il ne pourra 
vous répondre, car si d'aventure il a parfois entendu 
prononcer le nom de ces maîtres, il ne connait rien de 


(1) Deoralore, lib. 11. 


Re 
leurs ouvrages : ils sont pour lui comme non avenus. 

Eh bien! je le dis avec l'illustre favori de Théodoric, 
je le déclare avec le savant Boëce : celui qui se borne 
à pratiquer la musique par le ministère des doigts ou 
du larynx, et qui n’en possède pas la théorie ration- 
nelle et spéculative, celui-là, dis-je, n’est pas digne 
du nom de musicien : il peut avoir une grande habileté 
mécanique, mais ce west assurément pas un artiste. 

Je vais essayer de faire apprécier les immenses avan- 
tages qui résulteraient pour l’art et pour les artistes, je 
ne dirai pas d’une étude approfondie, mais d’une con- 
naissance même légère et superficielle de l’histoire de 
la musique. 

Et d’abord j'appellerai votre attention sur un point 
qui est peut-être le plus important de tous , sur Pen- 
seignement de l’art musical. 

«Il pest personne, a dit M. Fétis , il n’est per- 
sonne qui, voulant se livrer à Pétude de la musique, 
ne soit frappé d’abord de l’imperfection des ouvrages 
élémentaires et des méthodes qu’on emploie pour len- 
seigner. Rien n’y fait voir l’origine des faits qui sont en 
général présentés d’une manière empirique. La cause de 
l’imperfection de ces méthodes et de ces livres réside 
dans l’ignorauce où sont la plupart des musiciens sur 
Phistoire de leur art et sur les transformations qu’il a 
subies pour arriver à l’état où il est aujourd’hui. Il 
est donc nécessaire d’avoir recours aux études histo- 
riques pour connaître comment la science actuelle de 
la musique s’est formée, et pour en refaire d’une ma- 
nière rationnelle les éléments et le langage (1). » 


(1) Cours de philosophie musicale et d'histoire de la musique, 
n° leçon, Revue musicale, année 1832, pag., 309. 


— 9295 — 


Au fond , ces plaintes sur la regrettable insouciance 
des musiciens en ce qui concerne la théorie de leur 
art ne sont pas nouvelles : il y a plus d’un siècle que 
Rameau adressait de vifs reproches aux artistes de son 
temps sur leur aveugle attachement à une routinière 
pratique , attachement qui, les rendant impropres, se- 
lon lui, à se rendre compte des faits, les mettait dans 
l'impossibilité de se défaire d’une multitude de préju - 
gés, et de communiquer leurs connaissances par len- 
seignement , s'ils parvenaient à en acquérir quelques- 
unes (1). Non moins sévère, Framery écrivait , en 1793, 
à Suremain-Missery : « Votre article Mesure me parait 
parfaitement bien fait. Vous y donnez une nouvelle 
preuve de ce que j'ai cherché à faire voir dans plu- 
sieurs autres articles, que les musiciens ne savent pas 
la musique, et que les professeurs d'un art quelconque, 
et notamment de celui-là, ne le savent pas mon- 
trer (2). » 

Je n’ajouterai rien à ces témoignages qu’il me serait 
facile de multiplier : ce qui précède suffit pour montrer 


(1)Siles musiciens modernes (c’est-à-dire depuis Zarlino,) s'étoient 
appliquez, comme ont fait les anciens, à rendre raison de ce qu'ils 
pratiquent, ils auroient fait cesser bien des préjugez qui ne sont pas à 
leur avantage, et cela les auroit même fait revenir de ceux dont ils 
sont encore remplis, et dont ils ont beaucoup de peine à se défaire : 
l'expérience (la pratique) leur est donc trop favorable, elle les séduit , 
en quelque manière, puisqu'elle est cause du peu de soin qu'ils pren- 
nent de s'instruire à fond sur les beautez qu’elle leur fait découvrir 
chaque jour; leurs connoissances ne sont propres qu'à eux seuls, ils 
n'ont pas le don de les communiquer ; et comme ils ne s’en appercoi- 
vent point, ils sont souvent plus étonnez de ce qu'on ne les entend 
pas, que de ce qu’ils ne se font point entendre. Traité de l'harmonie 
réduite à ses principes naturels. Paris, 1722. Préface. 

(2) SuREMaAIN-MisserY. Théorie acoustico-musicale, pag. 309. 


Er 


pourquoi le professeur présente d'ordinaire tous les 
points de la théorie comme autant d’articles de foi 
qu’il faut accepter sans discussion; pourquoi , à son 
tour, l'élève prend nécessairement en aversion cette sé- 
rie de principes que rien ne justifie, que rien mex- 
plique, sur lesquels il n'est pas permis de faire la 
moindre objection, et pourquoi enfin , au bout de dix 
années, le disciple n’en sait pas plus sur ces matières 
qu’à l'issue de la première leçon. L'histoire , en ex- 
pliquaut chaque fait, en donnant l’origine et la raison 
de chaque signe et de chaque règle, peut seule re- 
mettre tout à sa place, abréger le temps des études et 
rendre intéressants , attrayants même, des travaux si 
rebutants et si stériles. 

Bien que ce tableau, malheureusement trop fidèle, 
de l’enseignement élementaire ne soit pas des plus flat- 
teurs , ce n’est rien encore en comparaison de celui qui 
me reste à dérouler en abordant l’enseignement trans- 
cendant. Ici la confusion est à son comble , la tour de 
Babel est en permanence, et il faut une certaine dose 
de bon sens et de perspicacité pour ne pas se perdre 
au milieu de ce dédale inextricable de propositions op- 
posées, sous ce feu croisé d’assertions contradictoires. 

Certes, pour quiconque s’est rendu l’histoire de la 
musique un peu familière, l'étude de l'harmonie est 
facile et peu compliquée. Cette forme de l’art est le 
résultat de la tonalité, et l’enchaînement des faits 
harmoniques est la conséquence naturelle des révolu- 
tions tonales. Mais cette manière simple d’envisager 
la science exige des connaissances historiques qui 
échappent à la plupart des faiseurs de systèmes. Aussi 
faut-il voir le mal infini qu'ils se donnent pour trouver 
à la science un point d'appui en dehors de l’art, et ar- 


— 21; 


river le plus souvent ainsi à des résultats dont le moin- 
dre inconvénient est de se trouver en opposition avec 
la pratique de la musique. Rameau (1), Bethisy (2), 
d’Alembert (5), trouvent le fondement de la science 
musicale dans le phénomène de la résonnance des 
harmoniques de certains corps sonores qui font en- 
tendre l’octave, la quinte el la tierce; ils échaffaudent 
tout leur système sur la supposition que ces inter- 
valles, et ces intervalles seuls, sont produits par la 
vibration de tous les corps sonores , ce qui est faux, el 
suffil, par conséquent, pour mettre au néant des con- 
ceptions élablies sur des bases aussi fragiles. Selon 
Euler (4), le principe du plaisir que peuvent causer 
les intervalles harmoniques réside dans la simplicité 
des rapports numériques qui les représentent. Plus ces 
rapports se compliquent, moins Pesprit les perçoit fa- 
cilement, et par conséquent moins les intervalles sont 
consonnants. Celte théorie, séduisante au premier 
aperçu, trébuche malheureusement dès les premiers 
pas. La quarte est déclarée plus consonnante que la 
tierce majeure, la seconde est mise au même rang que 
la sixte el la tierce mineure, puis, à partir de là, Pil- 
lustre géomètre marche d'erreurs en erreurs, de con- 
tradictions en contradictions. Tandis que Rameau fait 
engendrer les harmoniques par le son fondamental, 


(1) Nouveau système de musique théorique, ete. Paris, 1726. Géné- 
ration harmonique. Paris, 1737. 

(2) Exposition de la théorie et de la pratique de la musique sui- 
vant les nouvelles découvertes. Paris, 1754 et 1764. 

(3) Eléments de la musique théorique et pratique, ete. Paris , 1752 
et 1762. Lyon, 1779. 

(4) Tentamen noveæ theorie musicæ ex certissimis harmonie prin- 
cipiis dilucidè expositæ. Pétersbourg, 1729. 


— 228 — 


Tartini ({) veut au contraire que celui-ci soit produit 
par les harmoniques, et n’arrive qu’à travers mille 
obseurités, à poser quelques règles pratiques tout-à- 
fait arbitraires, et qui n’ont qu’une liaison fort hypo- 
thétique avec le principe géaérateur de sa théorie. 
Levens (2) et Baillère (3) proposent de lever toute dif- 
ficulté en donnant huit notes à notre gamme, qui n’en a 
que sept; mais par-là même ils sortent des conditions 
essentielles de la tonalité, et détruisent ce qu’ils pré- 
tendent expliquer. Sorge (4), et plus tard M. de Mo- 
migny (5), veulent une gamme qui commence par la 
dominante, ce qui n’est pas moins absurde. Vogler (6) 
établit que tous les accords peuvent se faire indistinc- 
tement sur chacun des degrés de Péchelle chromatique, 
ce qui équivaut à la négation de toute tonalité. M. Dé- 
rode (7) n’admet que l'accord parfait majeur, regarde 
Paccord parfait mineur comme un accord dissonnant 
incomplet, et nie le mode mineur. Reicha (8) et ses sec- 
tateurs, MM. Barbereau (9) et Colet (10), reculent d’un 


(1) Trattato di musica secondo la vera scienza dell’ armonia. Pa- 
doue, 1754. 

(2) Abrégé des règles de l'harmonie pour apprendre la composi- 
tion, etc. Bordeaux, 1743. 

(3) Recherches sur la théorie de la musique. Paris 1769. 

(4) Vorgemach der musikalischen Composition. Lobenstein , 1745. 

(5) Cours complet d'harmonie et de composilion, d'après une 
théorie neuve et générale de la musique. Paris 1806. 

(6) Tonwissenschaft und Tonsetzkunts. Manheim. 1776. 

(7) Introduction‘'à l'étude de l'harmonie, ou exposition d'une nou- 
velle théorie de cette science. Paris, 1828. 

(8) Cours de composition musicale, ou traité complet et raisonné 
d'harmonie pratique. 

(9) Traité théorique et pratique de composition musicale. Paris, 
1844. 

(10) Panharmonie musicale, ou cours complet de composition 
théorique et pratique. 


— 229 — F 

siècle et, méconnaissant les lois de succession établies 
depuis Sorge, introduisent de nouveau dans la science 
une confusion qui remet tout en question. Enfin, de 
guerre lasse sans doute, et en désespoir de cause, 
Godefroi de Weber (1) nie la théorie, professe le 
scepticisme le plus absolu , et se résoud à enseigner les 
accords et leur emploi par la méthode empirique, sans 
démontrer les lois de leur enchaïînement, sans recher- 
cher leur origine. 

Qu'on veuille bien le remarquer, je wai cité qu'un 
petit nombre de théoriciens : à côté de ceux-ci se 
groupent une quantité fort considérable d’autres écri- 
vains dont les systèmes s’éloignent plus ou moins de 
Ceux que j'ai indiqués, et augmentent d’une manière 
effrayante cette énorme confusion. Maintenant , mettez 
un élève au milieu de cet océan de contradictions ; et 
dites ce qu'il saura lorsqu'il aura dévoré toutes ces 
absurdités, s’il en a jamais le courage? Je ie dis, 
parce que j'en ai l’expérience : avec un traité d’har- 
monie bien fait, il est facile d'apprendre cette science; 
avec deux, cela est déjà fort difficile ; avec trois, c’est 
impossible. Pourquoi donc tous ces systèmes qui ren- 
dent la science si refrognée et si ridicule ? L'harmonie, 
je le répète, est tout entière dans l’histoire de l’art. Pour 
qui possède préalablement la connaissance des faits his- 
toriques , cetle science n’exige pas plus de contention 
d'esprit que la première proposition de la géométrie : 
Il n’y a que deux lignes : la ligne droiteet la ligne courbe. 

Depuis trois siècles, la musique a changé de direction 
et s’est faite exclusivement dramatique. Par cela même, 
elle s’est soumise au jugement des masses, et, pour ac- 


(1) Versuch einer geordneten Theorie der Tonsetzkunst sum selbst 
unterrich. Mayence, 1817, 1824, 1830 ct 1832. 
12 


— 230 — 


quérir leurs suffrages elle n’est que trop souvent des- 
cendue de son piédestal. Au lieu de chercher à pro- 
duire de profondes émotious, elle s’est bornée, pour la 
plupart du temps, à exciter le plaisir des sens, et a 
pris ainsi le moyen pour le but. Pour les arlistes eux- 
mêmes, la musique n’est plus guères qu’un amusement 
frivole, un passe-temps agréable, un divertissement 
innocent. De là un sensualisme dégradant qui est la 
plaie de Part; de là ce funeste penchant à considérer 
la musique comme une aflaire de mode , et les produc- 
tions de cet art comme essentiellement éphémères. De 
là le peu de confiance du génie dans sa force et sa su- 
périorité, de là cette tendance qu'on remarque en lui à 
éparpiller sa sève dans des ouvrages écrits avec rapi? 
ditéet sans réflexion , et à se mettre à la suite de la 
foule, au lieu de se placer à la tête de son siècle el de 
le dominer de toute sa hauteur. De là enfin cette disette 
de plus en plus sensible d’æuvres consciencieuses, re- 
marquables et originales, et ce débordement de produc- 
tions légères, jolies, il est vrai, d’un style brillant, cou- 
vertes de paillettes et de clinquant, mais vides d’inspira- 
tions, destituées d'avenir, qui se trainent terre-à-terre 
dans les routes battues, n’ont d'autre mérite que d’être 
filles de la mode et de la fantaisie, qui sont, en un mot, à 
la musique, ce qu’une statuette est à VA pollon du Belvé- 
dère, un roman à Télémaque, un tableau de genre au ju- 
gement dernier, une chansonnette à un poëme épique. 

L'étude de l’histoire de la musique aurait seule assez 
de puissance pour faire contrepoids à celte funeste in- 
fluence qui menace d’envahir tout le domaine de Fart. 
En voyant quelle haute idée les penseurs de tous les 
temps ont eue de l’action de l’art musical sur les mœurs 
et la civilisation, ceux qui le cultivent comprendraient 


— 231 — 


bientôt qu'il n'est pas destiné à chatouiller les sens, 
mais à adoucir le cœur, à calmer les passions, à ren- 
dre le courage à l'homme au milieu des misères qui 
l’obsèdent, à meltre un beaume salutaire sur toutes les 
douleurs de l'humanité (1). Croit-on que ces considéra- 
tions et d’autres, que je regrette de ne pouvoir dévelop- 
per ici, ne relèveraient pas puissamment la musique 
dans l'esprit des initiés , et même dans celui des pro- 
fanes, et ne finiraient pas par lui rendre infailliblement 
le rang et l'éclat qu'eile a perdus? Croit-on que le jeune 
compositeur, qui sent bouillonner dans son imagination 
des idées neuves et hardies, les refoulerait encore dans 
son âme avec désespoir, lorsqu'il verrait les concep- 
tions du génie arriver victorieusement à la gloire et à 
immortalité, quand bien même les contemporains les 
ont méconnues? Alors la musique marcherait légale 
de la poésie et de ia littérature, ce qui doit être; alors 
on pourrait appliquer aux musiciens ce que Labruyère 
dit si excellemment des littérateurs : « Celui qui n’a 
égard en écrivant qu'au goût de son siècle, songe plus 
à sa personne qu'à ses écrits : il faut toujours tendre : 
la perfection ; et alors celte justice qui nous est quel- 
quefois refusée par nos contemporains, la postérité sait 
nous la rendre (2). 

Enfin, il est une grave et intéressante question que 
je dois mentionner. Longtemps calomnié , longtemps 
regardé comme le produit d’une époque barbare , 
comme l'essai informe d’une civilisation à l’état d’en- 


(1) Accedit musica cætcris non inferior, quæ brutas bestias cicurat, 
memoriam firmat, dura lenit, animos excitat, iram sedat , seditiones 
sopit, tristitiamque pellit. Hugo Grotius. Dedic. Mart. Capelle , 
pag. 18. 

2) LiBRUYÈRE. Des ouvrages de l'esprit, chap. 1. 


S DS = 


fance, l’art chrétien s’est tout-à-coup relevé dans ces 
derniers temps, et grâce aux travaux de quelques 
hommes d’élite, on peut espérer qu’il sortira bientôt 
de ses ruines , aussi pur, aussi brillant que jamais. Il 
devient de plus en plus clair et évident pour tout es- 
prit judicieux et attentif qu'une faute énorme a été 
commise au xvI° siècle, en intronisant le culte sacrilége 
de la forme daus une religion où elle n’est et ne peut 
être admise que comme le symbole de l’idée. On a com- 
pris que ce n’est point là de l’art, mais du désordre; car 
l'art n'existe qu’a condition d’être à sa place. 


Descriptas servare vices, operumque colores, 
Cur ego , si nequeo, ignoroque, poeta salutor ? 


Cette salutaire rénovation de l’art chrétien peut être 
considérée comme accomplie dans les esprits supé- 
rieurs, et commence même à passer dans les faits. La 
musique ne pouvait demeurer en arrière et rester igno- 
minieusement étrangère à cette grande et heureuse 
impulsion. Déjà des écrivains dont le nom seul est 
une autorité dans. l’art, se sont mis à la tête du mou- 
vement et le propagent avec ardeur ; déjà des tenta- 
tives ont été faites sur plusieurs points pour ramener 
dans Eglise les saines traditions tombées em désué- 
tude; mais, il faut le dire, ces efforts n’ont point en- 
core obtenu le succès qu’ils méritent. La répugnance 
que manifestent en général les musiciens pour tout ce 
qui sort de leur pratique habituelle, la funeste habi- 
tude que le sensualisme leur a faite de tout mesurer 
au plaisir qu'ils éprouvent et non à émotion qu'ils 
ressentent, l'habitude non moins déplorable qu’ils ont 
contractée de tout juger au premier aperçu et de dé- 
clarer ridicule ou pitoyable ce qu'ils ne comprennent 


— 233 — 

pas immédiatement , enfin le profond dédain qu'ils té- 
moignent pour tout ce qui a été fait dans leur art 
avant notre époque, toutes ces choses sont des ob- 
stacles sérieux dont il faut tenir compte, et qui, s’il 
ne leur est pas donné d’empècher une aussi désirable 
révolution , peuvent au moins la rendre longue et la- 
borieuse. 

Ces obstacles , il appartient encore à l’histoire seule 
de les aplanir, en enseignant aux artistes les véritables 
conditions de la musique chrétienne et la part qui 
peut être faite à l'invention , sans attenter en rien aux 
droits imperscriptibles de la tradition. Ainsi, Part 
musical sortirait de cette confusion des genres, contre 
laquelle réclament avec tant de raison tous les bons 
esprits; il aurait sa forme religieuse comme il a sa 
forme dramatique; il aurait deux sources distinctes 
d'émotions : ce serait là un perfectionnement réel , un 
véritable progrès. 

Ce mot de progrès mamène naturellement à dire un 
mot, en terminant, de la seule objection quelque peu 
spécieuse que font les musiciens lorsqu'on leur propose 
d’exhumer les chefs-d’œuvre de leur art. A quoi bon, 
disent-ils, remettre en lumière les produits oubliés 
d’un art au berceau? La musique est arrivée de nos 
jours à sa perfection, pourquoi la faire rétrograder 
aux temps où elle bégayait ses premiers accents ? 

Un semblable argument ne soutient pas l'examen. 
D'abord personne ne propose de revenir aux premiers 
essais de la musique, mais bien de remettre en lu- 
mière les chefs-d’œuvre produits à une époque de per- 
fection. Ce sophisme des musiciens vient de ce qu'ils 
se font une fausse idée de ce qu’on doit appeler per- 
fection et progrès en matière artistique. Ils ont com- 


paré les progrès de leur art aux progrès des sciences : 
ils ont cru à la perfectibilité indéfinie de la musique, 
comme on peut croire à la perfectibilité indéfinie des 
mathématiques, et c’est là une erreur capitale : il 
n’y a pas d’analogie entre ces choses. 

Dès qu’un art est arrivé chez un peuple civilisé à 
produire les émotions les plas vives, selon l’idée sociale 
qu’il formule, d’après le type qu’il doit reproduire , il 
a atteint la perfection. On peut, il est vrai , introduire 
dans cet art certains changements de détail , faire sortir 
cerlaines conséquences du principe qui le domine ; il y 
a alors transformation, mais non progrès; l’art se modi- 
fie, mais il reste stationnaire; car son principe est de- 
meuré intact, les émotions qu’il produit n’ont varié ni 
dans leur intensité ni dans leur nature, les formes 
secondaires seules ont subi quelques modifications. 

Pour qu'il y ait réellement progrès , il faut, ou que 
Part s’enrichisse de formes nouvelles, sans abandon- 
ner les anciennes, ou qu’il produise des émotions 
neuves, inconnues jusqu'alors , plus profondes , plus 
vraies , plus appropriées au but qu’il se propose d’at- 
teindre. Ainsi, prétendre que l’art soit glorifié sous 
toutes ses faces, vouloir qu'il recoive toutes ses appli- 
cations, qu'il éveille toutes les émotions qu’il peut 
produire, qu’il fasse vibrer tour-à-tour toutes les 
cordes du cœur humain, c'est se montrer éminem- 
ment progressif. Par contre, n’accepter et ne com- 
prendre lart que sous un seul aspect, lui interdire 
toute autre forme que la forme actuelle, anéantir tous 
les genres en les mêlant, en les confondant, au lieu 
de chercher à leur conserver précieusement leur ca- 
ractère propre et normal, suivre, en un mot, exemple 
du peintre de l’ Art Poétique qui, parce qu'il sait peindre 


— 235 — 

un cyprès, veut absolument en placer un au beau 
milieu d’une représentation de naufrage , ce n’est rien 
faire autre chose que combattre tout progrès véri- 
table et se poser en vrai Procuste de l’art. Les musi- 
ciens ne sont donc pas plus fondés à renier saint Gré- 
goire et saint Jean Damascène , Charlemagne et le roi 
Robert, saint Germain et Alcuin, saint Bernard et 
Léon IX, Okeghem et Palestrina, sous prétexte des 
prétendus progrès de leur art, que les peintres ou les 
poëles ne le seraient à envoyer Homère , Phidias , Vir- 
gile, le Dante et nos vieux imagiers du moyen-âge 
aux Invalides , en vertu des changements de forme in- 
troduits dans la versification ou dans les arts de re- 
présentation. Les premiers ont autant de droits à notre 
respect et à notre admiralion que les seconds, car 
assurément la musique des uns n’est pas inférieure 
aux vers, à la peinture et à la sculpture des autres. 

Du reste, si cette singulière propension des musi- 
ciens à exalter outre mesure et exclusivement l’art de 
leur époque a un mérite quelconque, ce n’est certes 
pas celui de la nouveauté. Horace se moquait déjà 
assez agréablement, de son temps, de cette courte 
vue de l'esprit. « Nous avons atteint le comble de la 
perfection; nous l’emportons sur les Grecs dans la 
peinture, dans la musique et dans la lutte, » était 
pour le malin épicurien un langage qui équivalait à 
dire que le noyau de lolive et la coquille de la noix 
sont choses tendres et succulentes (1). Au XV° siècle, 


(ae ae Non est quod multa loquamur 
Nil intra est oleam, nil extra est in nuce duri. 
Venimus ad summum fortunæ; pingimus atque 
Psallimus, et Juctamur Achivis doctiùs unctis. 


Horatius. 11 lib. epis, 1, 


— #26 — 


Tinctoris , écrivain didactique fort remarquable , disait 
sérieusement que toute la musique composée a vant l’é- 
poque où il vivait ne valait pas la peine qu’on en par- 
làt, mais que celle qu'on écrivait de son temps était 
digne d’être entendue, non seulement par les héros, 
mais par les dieux immortels en personne (1). A Pap- 
parition de Lully , de Rameau, de Gluck, de Mozart, 
de Rossini, de Beethoven , de Meyerbeer, on a répété 
à satiété celte billevisée. Un auteur du siècle dernier 
a même avancé l’opinion que la musique n’a commencé 
qu'avec Lully (2). A laquelle de toutes ces ridicules asser- 
tions faut-il donner la préférence? Est-ce donc avec de 
l'enthousiasme qu’on fait de l’esthétique? Alors tout 
est beau, tout est laid, selon le caprice de chacun, 
suivant les passions et la mode du jour. Alors ne di- 
sons plus que les arts sont marqués au front du sceau 
de l’immortalilé, mais disons que ce sont des jouets 
d'enfant qui font aujourd’hui notre bonheur et que 
nous briserons demain en morceaux! 

Soyons done moins exclusifs; reconnaissons haute- 
ment qu’à notre époque un art qui n’aurait pas de 
passé ne peut avoir d'avenir ; entourons d’une auréole 
glorieuse les noms illustres des maîtres de tous les 
temps et ouvrons ainsi un vaste espoir d'immortalité 


(1) Neque quod satis admirari neqaeo quippiam compositum nisi 
citra annos quadraginta extat quod auditu dignum ab eruditis exis- 
timetur. Hàc verò tempestate ut præteream innumeros concentores 
venustissimè pronunciantes , nescio an virtute cujusdam cœlestis in- 
fluxüs, an vehementià assiduæ exercitationis, infiniti florent compo- 
sitores. .. . . Quorum omnium virům ferè opera tantam suavi- 
tatem redolent, ut, meà quidem sententià, non modo hominibus, he- 
roibusque, verüm etiam Diis immortalibus dignissima censenda sunt. 
Tixcroris. Manuscrit Fayole. 

(2) LABORDE. Essai sur la musique, tom. 1, pag. 57. 


— 237 — 


aux talents que l’avenir nous réserve ; ayons des idées 
plus relevées d’un art qui met si intimement l’homme 
en communication avec l'idéal et l'infini, et donne ac- 
cès dans le monde intellectuel aux plus grossiers es- 
prits ; étudions la musique à toutes les époques de son 
histoire, à toutes les phases des révolutions qu’elle a 
subies, rendons-noxs compte de sa destination et de 
son objet, habituons-nous à considérer la pensée comme 
le principal, la forme comme l'accessoire , faisons-nous 
ainsi une noble et large esthétique , et alors la théorie 
des sons maura plus pour nous d’obsecurités ni d'ano- 
malies ; alors nous ne jugerons plus avec une précipi- 
tation regrettable ce qui s'éloigne des procédés habi- 
tuels ; alors nous ne serons plus tentés de condamner 
de prime-abord toute production dont nous n’aurons 
pas immédiatement l'intelligence, et nous appren- 
drons à demander à l’art moins des jouissances maté- 
rielles ou des sensations agréables, qu’une profonde 
impression morale. 

Ne l’oublions pas, c'est peut-être à notre siècle qu’il 
est réservé de résoudre une grande question, savoir : 
si l’une des plus belles formes de la pensée se perdra 
définitivement dans les fondrières du matérialisme , ou 
bien si, se relevant de toute sa hauteur et ceignant de 
nouveau le diadème , la musique inserira sur son dra- 
peau cette maxime sine quå non, de tout art : le style 
varie, mais l'esprit subsiste ; la forme change, mais le 
génie et la beauté sont éternels et impérissables. 


iiaei, srioveobon | ainiouc-raniiat-dséisieisg el 

ctfrabiir sheni logos optlieneldongirdéésa 
no bié piado baei apoq aniani eaaa 
ipsam rai eaout eh taga atoe zasilat 
aidmibh ongien iip ay etinlergta anitat 
gagahan ak peatas naga atola ipeinn 
anale: ama: dah okoia ntnbh broder M 
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Muse sou an akj ansaitaan ativo akàn 
TARDI ENA emilio ea merdin hetim noigenqen 
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ARCHÉOLOGIE. 


MONOGRAPHIE DE SAINT-NICAISE, 


par M. l'abbé NANQUETTE. 


Depuis quelques années, les monuments historiques 
sont singulièrement en faveur, et, grâce à la toute- 
puissance de l'opinion , leur conservation est à peu près 
assurée. Jl s’est formé entre l'Eglise et l'Etat, entre 
les sociétés savantes et tous ceux qui s'occupent d'art 
et d'histoire une espèce de sainte-alliance qui rendra 
désormais impossible le retour du vandalisme. Mais, 
pour compléter ce mouvement conservateur, il fau- 
drait, en veillant avec un respect religieux sur tous 
ceux de nos monuments qui sont encore debout, ré- 
tablir , au moins sur le papier, ceux qui ont déjà dis- 
paru ; et, sous ce rapport, il y aurail beaucoup à faire 
pour notre ville de Reims. Elle devait à son antiquité 
et à son importance une foule de monuments religieux, 
civils et militaires, dont beaucoup ne sont plus au- 
jourd'hui que des souveairs ; et ce serait un long tra- 
vail que l’histoire et la description de ses églises et 
de ses couvents, de ses portes, de ses tours et de ses 
chäteaux, de ses hôtels et de ses maisons sculptées. 

De tous ces monuments, le plus regrettable et le 
plus regretté, c’est, sans contredit, l'église abbatiale 


02 


de Saint-Nicaise, dont nous entreprenons la descrip- 
tion et l’histoire. Nous aurions voulu donner un tra- 
vail complet et qui ne laissàt rien à désirer, mais les 
sources et les matériaux manquent. Sous le rapport 
descriptif, nous n'avons pu consulter que la vue du 
portail gravée dans Marlot , et une autre beaucoup plus 
correcte el mieux exécutée, gravée par Nicolas Deson. 
Nous devons aussi à lobligeance de M. Brunette un 
plan très-exact et relevé sur place, qu'il a eu le bon- 
heur de sauver de l'oubli et de la destruction. Ce plan, 
fait et coté avec soin par Lefèvre , maître des ouvrages 
de la ville de Reims , dans la seconde moitié du dix- 
huitième siècle, fut découvert par M. Brunette chez 
un épicier, pelit-fils ou petit-neveu de Lefèvre. Au 
moment de cette découverte , notre habile et zélé con- 
frère eut une de ces jouissances qui font époque dans 
la vie d’un archéologue : le plan, plié en deux, por- 
tait pour étiquette ces mots : Papiers relatifs à Saint- 
Nicaise ; et il y avait lieu d'espérer qu’on y trouverait 
de quoi rétablir entièrement l’élégante basilique... 
Malheureusement , il n’y avait de conservé que le plan 
qui servait d’enveloppe à la liasse; le reste avait été 
profané, et avait probablement servi à détailler les 
denrées coloniales. Les historiens qui ont laissé quel- 
ques détails descriptifs sur Saint-Nicaise , ne l'ont fait 
que d’une manière bien incomplète; la plupart con- 
sacrent de longues pages au fameux pilier tremblant , 
et se contentent de quelques mots sur les richesses et 
les merveilles architecturales du monument; remar- 
quons toutefois que ce n’est qu’au dix-huitième siècle 
que les historiens de Saint-Nicaise parlent du pilier 
tremblant; il n’en est pas dit un mot dans Marlot, ni 
même dans la Gallia christiana. Sous le rapport his- 


— 211 — 


torique, les sources où nous avons puisé pour notre 
travail sont les manuscrits de Dallier et de Bidet, le 
Marlot français , la notice de dom Philibert Leauté, 
insérée dans l Almanach de Reims de 1772, et surtout 
le manuscrit de dom Chastelain et une histoire anonyme 
de Pabbaye de Saint-Nicaise , conservés à la biblio- 
thèque de la viile; nous avons aussi emprunté à M. 
Povillon quelques renseignements sur la démolition de 
Saint-Nicaise ; enfin, nous avons eu recours aux ar- 
ticles publiés par MM. H. Fleury et L. Paris dans le 
Reims pittoresque et la Chronique de Champagne. 

L'église de Saint-Nicaise fut construite à la plus 
belle époque du style ogival, de 1229 à 1311, sous la 
direction de deux des plus grands maîtres du moyen- 
âge, Hues Libergier et Robert de Coucy ; elle offrait 
dans sa noble simplicité un pur et beau modèle d’élé- 
gance , de hardiesse et de légèreté; plus sobre d’or- 
nements et moins riche de détails que Notre-Dame de 
Reims , moins uniforme dans son plan et moins gran- 
diose dans ses dimensions , elle avait dans ses formes 
quelque chose de plus délicat et de plus gracieux. 

Ce qu'il y avait de plus remarquable dans l’église 
Saint-Nicaise, c'était le portail : à la base, sept ar- 
cades ornaient la facade : « Celle du milieu, dit Mar- 
lot, est soustenue de deux grandes colonnes de marbre 
gris , et toute la face du portail de cinquante autres 
petites colonnes qui lui servent d'enrichissement. » 
Chacune de ces arcades était surmontée d’un fronton 
marqué d’un double trèfle, ceint d’une ogive et en- 
cadré dans un triangle effilé que couronnaient d’élé- 
gantes figurines. De chaque côté des arcades, à la 
naissance des combles, s’élevaient, au nombre de 
huit, de légers clochetons qui les séparaient avec une 


— 949 — 


gràce et une délicatesse infinie. De ces sept arcades, 
quatre n’étaient que des ouvertures simulées ; une fe- 
nêtre y élait figurée avec tous ses ornements sculptés 
dans la pierre; les trois autres étaient percées de 
portes correspondant à la nef du milieu et aux deux 
nefs latérales; des ornements délicats enrichissaient 
le pourtour et les voussures , et d’élégantes sculptures 
en décoraient les tympans. Selon l'usage introduit au 
treizième siècle et continué jusqu’à la Renaissance, 
louverture de la porte principale, plus large et plus 
élevée que les autres , était partagée par un pilier qui 
figurait aux hommes les deux voies de la justice et du 
vice qu’ils avaient à choisir; et, pour rendre ce sym- 
bolisme plus sensible, l'architecte de Saint-Nicaise 
avait représenté le jugement dernier sur le tympan, 
le paradis à droite et l’enfer à gauche; de part et 
d'autre, sur le côté le plus rapproché des arcades la- 
térales, étaient groupées les figures des douze Apôtres, 
et sur le pilier qui partageait louverture était une sta- 
tue colossale de saint Nicaise portant sa tête dans ses 
mains. Au-dessus des deux portes latérales était re- 
présenté à droite le martyre de saint Nicaise et de 
sainte Eutrope sa sœur, qui tendent le cou au chef 
vandale suivi de ses soldats, et à gauche le martyre 
de saint Agricole et de saint Vital, patrons primilifs 
de cette église. Toutes ces statues avaient le caractère 
qu’on remarque généralement dans les œuvres du trei- 
zième siècle : verve et expression de foi dans la con- 
ception, grâce et gravité dans l'exécution. Le ma- 
nuscrit de dom Chastelain, après la description des 
sculptures du portail, ajoute : « II paroît aussi que le 
toul a été peint autrefois, et que les figures ort été 
dorées. » 


y a 


Derrière les trois arcades du milicu, à vingt pieds 
au-dessus du sol, s'élevait sur toute la largeur de la 
nef un immense vitrail : c’étaient deux grandes ver- 
rières accouplées, encadrées chacune dans leur ogive, 
et formant deux lancettes geminées surmontées d’un 
quatre-feuilles. Au-dessus s'ouvrait une large et ma- 
gnifique rosace , resplendissant, a dit un poëte, comme 
Pæœil du Très-Haut au front de son église. Cette ro- 
sace, qui dut primilivement être construite dans Île 
style du treizième siècle comme tout le portail, n’a pas 
le caractère de ce style dans les différentes vues qui 
ont été gravées. Cela tient aux vicissitudes de la ro- 
sace qui tomba deux fois, d’abord le 8 décembre 1540, 
puis le 10 décembre 1711. « La rose de la nef, dit 
dom Marlot, qui estoit le principal ornement de l’église 
de Saint-Nicaise, fut abattue par l'orage, le 8 dé- 
cembre 1540, comme il se voit en un manuscrit du 
temps, et fut tellement brisée par sa chute qu’il n’en 
demeura pas un demy-pied entier ; cette chate rompit 
les orgues et brisa tout le pavé... Ce fut Claude de 
Guise, deuxiesme abbé commendataire, qui restablit 
cette rose, où paroissent les armes de Lorraine sur les 
vitres. » Celte restauration eut lieu en 1567, et la 
nouvelle rosace n’est plus seulement, comme celle 
du treizième siècle, formée d’ogives trilobées ; mais 
ce sont des meneaux qui se compliquent et s’évident 
en véritable dentelle. On y reconnaît encore le cercle, 
comme la courbe génératrice de toutes les ramifications ; 
mais loutes les courbes s’allongent en cœur, et se ter- 
minent en pointes qui ressemblent à une flamme : tel 
fut le style appliqué à la rosace, restaurée par Claude 
de Guise avec tout le luxe et le riche épanouissement 
du système flamboyant, comme on peut le voir dans 


+ E 


la gravure de N. Deson et celle de Marlot. Cette rosace 
eut le même sort que la première, et fut abattue, le 
10 décembre 1711 par un coup de vent qui fit tomber 
aussi la flèche de Saint-Jacques , qui était la plus belle 
de tout le pays, dit Dallier , et qu’on répara en dôme 
telle qu’on la voit aujourd’hui. La rosace de Saint-Ni- 
caise fut rétablie en 1717 par les frères Gentillastre, 
aux frais de messieurs de la Sainte-Chapelle, à laquelle 
la mense abbatiale avait été réunie en 16/43 : c’est cette 
rosace ainsi restaurée qui est gravée dans le plan de 
Legendre. Elle est moins riche et moins compliquée 
que la précédente : ce n’est qu'une imitation assez 
malheureuse du style flamboyant. 

Des deux côtés de la rosace se dressaient les tours ; 
encore massives el compactes à cette hauteur , elles ne 
dissimulaient le nu des murailles que par deux larges 
baies en ogive, ayant les mêmes formes, Jes mêmes or- 
nements que les fenêtres. Ces ouvertures , appuyées 
sur une balustrade délicatement ouvragée, percaient à 
jour les deux tours, et laissaient apercevoir les arcades 
lointaines jetées aux flancs de l'édifice; puis elles se 
refermaient sous des frontons ornés de trèfle et de fleu- 
rons crucifères , et la rosace se coiffait gracieusement 
d’un dernier triangle , sur lequel le ciseau de l'artiste 
avait semé une profusion de trèfles et de fleurons. 

A partir de cette ligne, les tours s’élancent avec une 
légèreté aérienne; toutes les baies s’allongent , les col- 
lonnes s’amincissent et se multiplient, les flèches sont 
percées à Jour, et il semble que, dans un moment d’o- 
rage, on va les voir se balancer dans les airs, comme 
ces arbres séculaires dont la tempête secoue la couronne 
sans en ébranler la base. VoicicommentM. Varin, dans 
un article peut-être un peu léger pour le fond comme 


— A 


pour la forme (1), décrit cette merveille de hardiesse 
et de légèreté : «On eût dit quela matière avait senti 
« qu'il fallait s’alléger, s’amoindrir , s’épurer pour 
« s'élancer vers le ciel. Elle se faisait joyau, bijou, den- 
« telle, vapeur. C'était d’abord une galerie miraculeuse 
« qui courait d’une tour à lautre , et qui se posait sur 
« le plus haut sommet de l'édifice , comme un bandeau 
« brodé sur le front d’une vierge qui se consacre. C’é- 
« taient ensuite des clochetons flanquant à l'infini les 
« derniers frontous ; et par-delà ces frontons, les tours 
« qui s’élançaient de nouveau dans les airs , non pas 
« en masse et compactes, mais jaillissant en longues 
« colonnettes à perte de vue , semblables aux tuyaux 
« d’un orgue, ou à des jets d’eau qui monteraient sans 
« cesse, et qu’une gelée d'hiver aurait faits de cristal ; 
« et celte cage des tours n’enfermait que de l'air, et Pon 
«ne voyait rien de plus quelles fuseaux extérieurs mon- 
« tant droit dans le ciel qui scintillait au travers; puis 
« les fuseaux se rapprochaient enfin , et Cétait alors 
« le elocher percé lui-même à jour, qui commençait 
«à s’effiler, puis s'en allait mourir en aiguille , s’élan- 
« çant de plus en plus, semblable à une âme qui as- 
« pire; et aprèsil n’y avait plus que le ciel. » A cette 
description si vive et si poétique , nous sommes tout 
honteux d'ajouter quelques détails prosaïques pour 
apprendre au lecteur , que la forme des flèches qui 
couronnaient les deux tours , était octogone , qu'aux 
quatre angles s’élevaient de gracieux clochetons, qu’en- 
fin la hauteur totale du portail était de 251 pieds et 
qu'on y arrivait par 330 degrés. 

Le portail méridional était sur le même plan que 

(1) Reims pittoresque , 4° livraison. Le pilier branlant de Saint-Ni- 


caise , ou un Champenois plus fin que le diable. 
16 


— "Dpt 


celui que nous venons de décrire ; il offrait à sa base 
trois arcades, et celle du milieu était partagée, comme 
au grand portail, par une colonne sur laquelle s'élevait 
la statue de la Vierge portant l'enfant Jésus ; les deux 
autres arcades n'étaient que des ouvertures simulées 
et ornées de trèfles et de fleurons; nous y trouvons en- 
core, comme au porlail occidental, de légers clochetons 
à jour, qui séparent les arcades ; derrière celle-ci s’é- 
levaient deux larges verrières surmontées d’une rosace; 
mais le fronton triangulaire qui la couronnait était ina- 
chevé , et ce n’était seul qu’une charpente recouverte 
d’ardoises. Le portail septentrional, qui s’ouvrait ser 
le cloître, était encore plus incomplet; la rose n’était 
que commencée ; les deux verrières sur lesquelles elle 
s'élevait élaient imparfaites et bouchées ; sur le milien 
de la croisée se dressait une élégante flèche, qu’on ap- 
pelait le clocher de plomb, à cause du métal qui le cou- 
vrait. 

Comme dans toutes les églises de la même époque, 
lesnefs et l’absideétaient soutenues par des contreforts 
et arcs-boutants , qui projetaient leurs arcades aé- 
riennes entre les fenêtres supérieures et inférieures ; on 
retrouvait dans cette partie la même légèreté et la 
même hardiesse que dans le reste de Pédifice , mais 
aussi la même simplicité, une grande sobriété dans 
l’ornementation ; les contreforts n'étaient pas , comme 
à Notre-Dame, percés de niches , surmontés de clo- 
chetons, ni couronnés par une galerie. 

C'était au côté méridional , le troisième à partir du 
portail, que se trouvait le fameux pilier tremblant, qui 
a tant piqué la curiosité, et inspiré tant de disserta- 
tions qui n’ont pas toujours fait honneur à la physique 
de leurs auteurs, et qui ont peut-être nui à l’histoire 


2 947 — 


archéologique du monument. Nous avons déjà dit que 
Marlot ne parlait point de cette merveille de Saint-Ni- 
caise : « Il n’y a que cent-trente ans , dil Pauteur de 
l'Histoire anonyme de Pabbaye , que l’on s’est aperçu 
de la vacillation de ce pilier. « M. Povillon-Pierrard qui 
citece manuscrit, lui assigne la date de 1776 , ce qui 
porterait à l’an 1646, l'époque où l’on a observé cette 
singularité, et pourtant Marlot écrivait en 1647. 

Quoi qu’il en soit, ce pilier a été honoré de nom- 
breuses dissertations et d’illustres visites : on cite au 
nombre de ses visiteurs le prétendant Jacques TT en 
1712; le prince électoral en 1713; le czar Pierre 1° en 
1717; Louis XV en 1744; l’empereur Joseph IF en 
1777, et Louis XVI à l’époque de son sacre. Ce phéno- 
mène a été décrit et expliqué, avec plus ou moins de 
succès , par Lecat, Pluche, Buchos, dom Gomeau, dom 
Ph. Leauté , M. Povillon-Pierrard et autres savants. 
Notre travail étant purement archéologique, il pentre 
pas dans notre intention d'essayer après tant d’autres 
une dissertation physique ; nous dirons seulemeni que 
de tout ce que nous avons lu à ce sujet, nous avons 
conclu que la grosse cloche, à raison de son poids et de 
sa position, imprimait à tout l'édifice et principalement 
aux {ours un mouvement assez prononcé ; que ce mou- 
vement élait beaucoup plus sensible dans le pilier 
tremblant , parce qu’il était moins solidement fixé que 
les autres à la masse de l'édifice : « Il est bon d'observer, 
dit dom Philibert Leauté, qu'anciennement le premier 
pilier élait en possession de ce mouvement, que le se- 
cond l’a eu à son tour, et que le troisième a succédé 
enfin à tous les deux. « Le manuscrit que nous avons 
déjà cité ajoute qu'on fit cesser le tremblement du pre- 
mier et du second pilier, en ies consolidant et en les 


— 248 — 


reliant fortement à la voûte ; le sieur Fleury, maître 
couvreur, empêcha également le troisième de trembler ; 
mais au passage de Louis XV à Reims, comme on vou- 
lait lui donner le spectacle du pilier tremblant, le sieur 
Fleury, qui l'avait fixé , en recut des réprimandes de la 
part de plusieurs seigneurs, et fut obligé d’aller , par 
le moyen d’une corde à nœuds, le desceller et lui ren- 
dre la liberté de trembler ou vaciller à son aise. 

Après avoir admiré l'extérieur de Saint-Nicaise, péné- 
trons dans son intérieur où de nouvelles merveillesnous 
attendent , et où nous trouverons toujours le grandiose 
uni avec l'élégance et la hardiesse. « On monte à lé- 
glise par sept degrés, dit Marlot, laquelle a de longueur 
305 pieds, de largeur en la croisée 130, et de hauteur, 
depuis le pavé jusqu’à la voûte, 95. » Le plan de l'archi- 
tecte Lefèvre nous en a conservé les dimensions et les 
proportions exactes, 28colonnesenrichies de chapiteaux 
en soutenaiert les voûtes, « et sur les quatre gros piliers 
de la croisée, ajoute Marlot, est une voûte à cinq elefs 
dont l’entreprise est grandement estimée par les mais- 
tres. » Au-dessus des colonnes regnait une élégante ga- 
lerie qui se prolongeait tout autour de la nef et du rond- 
point. Douze grandes verrières supérieures et autant 
d’inférieures éclairaient la nef principale et les colla- 
téraux. Nous avons vainement cherché la description de 
ces verrières ; Marlot se borne à décrire celles des cha- 
pelles de l’abside ; voici tout ce qu’il dit des autres : 
« Quant aux vitres qui achèvent la beauté de celte 
somptueuse église , elles sont tellement exquises qu’il 
est difficile d’en rencontrer de plus belles dans toute 
la France; » et dans un autre endroit où il rapporte 
que le révérendissime archevèque Henri de Braine , 
posa la première pierre de Saint-Nicaise , la seconde 


— 249 — 

fète de Pâques 1229, il ajoute : «Henry de Braine, pour 
mémoire de cette action , est dépeint en habit d’arche- 
vesque, en une vitre du premier ordre au-dessus des 
galeries de la nef. » Il est probable qu'avant la des- 
truction de l’église, quelque restaurateur vandale aura, 
comme à la cathédrale, remplacé tous ces vitraux his- 
toriés par de beaux verres blancs, auxquels le goût de 
l’époque ne pouvait rien reprocher : c’est du moins ce 
qu’on peut conjecturer de ces mots de dom Philibert 
Leauté : « Tous les vitraux étoient autrefois peints dans 
le goût du temps , et représentoient des mystères , des 
vies de saints, el ceux qui en faisoient présent. » Nous 
avons une preuve de cette restauration dans le récit de 
M. Povillon-Pierrard, qui du reste, s’en déclare Pad- 
mirateur , en disant au sujet des verrières de Saint-Ni- 
caise : « Leurs cristaux étaient de couleur naturelle, ce 
qui donnait un très-beau jour, et ajoutait au merveil- 
leux que présentait la construction de Pédifice. » 

Le chœur n’a pas toujours été en l’état où lont vu 
ceux d’entre nous qui ont connu l’église Saint-Nicaise 
encore debout. Il était autrefois séparé de la nef par un 
jubé (1) que dom Philibert Leauté appelle un vilain ju- 
bé gothique ; le sanctuaire était enrichi d’un pavé en 
mosaïque représentant l’histoire du vieux Testament, 
depuis Noé jusqu’à Daniel. «Cette histoire, dit Marlot, 
est gravée sur des pierres en forme de lozanges , dont 
les traits sont remplis de plomb pour les rendre visi- 
bles à la veue; au fond du sanctuaire estoit l'autel sur- 


(1) Ce jubé avait été élevé en 1507 par Jean Wilmet, abbé de Saint- 
Nicaise, natif de Rethel. Cet abbé, dit dom Chastelain , fit faire le 
jubé et quantité de beaux ouvrages; il n'eut point de plus grand plai- 
sir que celui d'enrichir son église et le trésor de croix, de reliquaires , 
de vases sacrés, de livres d'épitres et d'évangiles. 


— 250 — 


monté d’un retable et surchargé de chasses et de chan- 
deliers.» —Mais, vers le milieu du xvin’ siècle, une fièvre 
de restauration travaillait les esprits à Reims. Au nom 
de Part , on déclarait le style ogival de fort mauvais 
goût ; au nom des lumières , on faisait la guerre aux 
reliques dont l'authenticité n’était pas très-bien établie, 
el, sous ce rapport , le puritanisme janséniste prêtait 
an appui fraternel à l'hostilité encyclopédique. — Alors 
florissait à Reims un homme dont la mémoire doit être 
chère aux Rémois à plus d’un titre , et dont nous vou- 
drions pouvoir louer toutes les œuvres artistiques , 
comme nous en louons l'intention. C'était l'abbé Godi- 
not, que la reconnaissance publique proclame avec 
raison le bienfaiteur de son pays, mais qu'il nous est 
bien permis de critiquer au point de vue de l’art ; et 
nous le ferons d’autant plus librement, que nos critiques 
s'adressent bien moins à l’homme lui-même qu’à lé- 
poque où il a vécu; Cétait en effet pour la plus grande 
gloire de l’art qu’il fallait ramener à la pureté classi- 
que, et du culte religieux qu’il fallait dégager de toute 
pratique superstilieuse, que l’abbé Godinot saccageait 
la chapelle du Saint-Laiet pour remplacer cette déli- 
cieuse merveille du xv° siècle par l'autel à la Louis XV 
que nous y voyons encore; en même temps, le jabé, le 
pavé en mosaïque, le labyrinthe, le grand-autel, le tré- 
sor tombaient sous le marteau démolisseur, et les vi- 
traux historiés des collatéraux et de l’abside étaient 
remplacés par des verres blanes qui n’offensaient plus 
le bon goût des chanoines, et leur donnaient assez de 
jour pour économiser quelques bouts de chandelles. — 
Enfin, les confrères du vandale chanoine , enflammés 
d’un beau zèle à son exemple, restauraient à leurs frais 
toutes les chapelles de l'abside , et substituaient à la 


> 


-Aat — 


pierre sculptée et vivifiée par les artistes chrétiens du 
moyen-âge de froides colonnes de marbre et des autels 
à baldaquin. — Tout cela se faisait aux grands applau- 
dissements de tous les hommes de goût de l’époque, 
sans en excepter les membres de la petite académie 
qui se réunissait chez M. de la Salle; et il est vraiment 
fort heureux que personne ne se soit trouvé assez riche 
pour restaurer la cathédrale elle-même , car elle aurait 
couru grand risque d'être démoïie au nom du bon goût, 
pour être remplacée par ua temple grec avec des co- 
lonnes régulières et des proportions classiques. 

Or, il y avait en ce temps-là, à Saint-Nicaise, un re- 
ligieux que les lauriers du chanoine Godinot empê- 
chaient de dormir : Célait dom Matthieu Hubert.Plein 
d’admiration pour les embellissements dont on enri- 
chissait la cathédrale, il rêvait pour son église abbatiale 
et préparait de loin les mêines restaurations. — Durant 
l'espace de quinze ans qu’il exerça les fonctions de pro- 
cureur et de receveur de la mense abbatiale , il fit des 
économies qui lui permirent d'employer , aux restau- 
rations qu'il accomplit pendant les six années qu’il fut 
prieur, des sommes considérables, 92,800 livres, sans 
compter 159,000 livres pour la maison conventuelle. 

Tous ces travaux furent exécutés dans l'espace de 5 
ans, de 4760 à 1764 ; le jubé et les clôtures du chœur 
furent remplacés par des grilles qui coûtèrent 22,600 
livres ; les principales étaient l’ouvrage d’un sieur Mas- 
son, serrurier à Reims; l'autel, situé jusqu'alors au 
fond du sanctuaire , fut placé au milieu de la croisée ; 
il fut exécuté par Dropsi, marbrier à Paris, pour la 
somme de 6,000 livres ; les chandeliers et ornements 
de l'autel, dus au sieur Caffieri, académicien, coùtèrent 
8,200 livres. Par suite du déplacement de l'autel , les 


— 252 — 


stalles ou formes des religieux , au nombre de 72 , fu- 
rent portées au fond du chœur , avec une ouverture 
pratiquée dans le milieu et décorée d’une grille pour 
laisser à découvert la chapelle du Chevet. Ces stalles, 
exécutées, pour la menuiserie, par Gaudri, et, pour 
les ornements en sculpture, par Desmon, de Laon, coù- 
tèrent 23,000 livres, en y comprenant les deux tam- 
bours des portes. Enfin , le pavé en mosaïque fut rem- 
placé par un pavé en marbre de quatre couleurs , re- 
présentant des cubes en tout sens; ce pavé fut exécuté 
et posé par le sieur Thomas, marbrier à Beaumont en 
Hainaut, et coûta 5,400 livres. Le reste de la somme 
fut probablement consacré aux verrières. 

Telles étaient les principales restaurations dues au 
prieur dom Mathieu Hubert, et, s’il est permis de les 
critiquer au point de vue de l’art et de les regretter au 
nom de l’histoire et de la religion , il y aurait pourtant 
un peu d’ingratitude peut-être à les lui reprocher trop 
amèrement. Il est probable que , si le chœur fût resté 
dans son état primitif, rien de ce qui l’ornait, n'aurait 
pu trouver grâce devant le vandalisme beaucoup plus 
aveugle et surlout p'us féroce de la révolution, et le 
pavé en mosaïque de Saint-Nicaise aurait servi, Comme 
celui de Saint-Remi , à empierrer un chemin vicinal. 
Mais, grâce sans doute au goût classique qui présida 
aux travaux de dom Matthieu Hubert, on put en sau- 
ver quelque chose ; le pavé de Saint-Nicaise orne main- 
tenant le sanctuaire de Notre-Dame ; son autel a rem- 
placé celui du cardinal , et les tambours de ses portes 
sont aux deux issues latérales du grand portail. 

C’est à partir du chœur de Saint-Nicaise qu'on re- 
marquait dans le style et ornementation une légère 
différence qui indiquait que l'église n’avail pas élé faite 


— 253 — 


d’un seul jet. « À quelques différences près, dit dom Phi- 
libert Leauté, mais qui n’échappent pas à un œil observa- 
teur, on peut dire que c’est le même dessin et le même 
goût, même délicatesse, égale hardiesse et sobriété 
dans les ornements. » — « La diversité qui se remar- 
que en l’architecture , dit aussi Marlot , monstre assez 
que l'invention part de deux divers ouvriers, dont le 
dernier mourut en 1311 : cette diversité se reconnoist 
aux galeries et aux vitrages du chœur, qui sont plus 
délicats que ceux de la nef.» — En effet, Saint-Nicaise, 
qui appartenait au xii siècle pour le portail et la nef, 
appartenait , pour le chœur et l’abside , à l'époque qui 
a servi de transition du style ogival pur au style fleuri 
et rayonnant du xy? siècle; et l’église, dans cette der- 
nière partie, offrait des modifications gracieuses qui 
ajoutaient à sa beauté sans nuire à son caractère de 
grandeur et de gravité. Comme dans toutes les églises 
du quatorzième siècle , la chapelle terminale dédiée à 
la sainte Vierge avait bien plus d’élendue que les au- 
tres. — Les chapelles de l'abside étaient au nombre de 
cing, dans l’ordre suivant : à gauche , Notre-Dame de 
Coucy et Saint-André; au chevet la chapelle de la Verde 
ou de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle; enfin, à droite, 
celle de Saint-Remi et celle de Sainte-Eutrope (1). 
C'était dans ces chapelles que se trouvaient les ver- 
rières dont Marlot nous a laissé la description : « Ces 
verrières estoient des présents de rois , princes et sei- 
gneurs qui alloient par dévotion à Reims, dit Marlot , 


(1) La chapelle de N. D. de Coucy portait primitivement le nom de 
Saint-Gervais; depuis, son nom de N. D. de Coucy fut changé en celui 
de N. D. de Liesse. La chapelle de Saint-Remi fut aussi dédiée à 
Saint-Quentin , et enfin celle de Sainte-Eutrope eut auss? pour pa- 
trons Saint-Nicolas et Saint-Benoit. 


— 254 — 
pour rendre leurs vœux au tombeau de ce grand mar- 
tyr, et qui ornèrent à l’envi son église de vitres très- 
rares, où se voient non seulement les armes , mais en- 
core le nom et la famille de ceux qui les ont données. » 

Dans la chapelle de Notre-Dame de Coucy se trou- 
vail le vitrail donné par Jeanne de Navarre , femme de 
Philippe le Bel. — Cette princesse élail représentée te- 
nant à ja main la vitre qu’elle offre à Saint-Nicaise; près 
gelle était son fils, Louis le Hutin, vêtu d’une robe 
violette parsemée de fleurs de lys d’or sans nombre ; 
la bordure de la vitre était enrichie des armes de France 
ct de Navarre. — On voyait, daus la mème chapelle, 
une autre verrière où Marlot croit reconnaître les ar- 
mes de Châtillon unies à celles de Coucy et de Luxem- 
bourg. — Cette chapelle portait le nom de Notre-Dame 
de Coucy , parce qu’elle avait é!é ornée par Enguer- 
rand de Coucy, comte de Soissons, qui fonda une messe 
en cette chapelle en 1338, moyennant 50 livres de rente, 
et dont les armes élaient peintes à la voûte et sur les 
piliers. La maison de Coucy avait pour cri de guerre : 
Sainte-Marie ou Notre-Dame de Coucy. — 

Une vitre, donnée en 1300 par Philippele Bel, ornait 
la chapelle de Saint-André. Le monarque était repré- 
senté assis sur un trône dans le trèfle du haut de la vi- 
tre, et au-dessous était sa femme, Jeanne de Navarre, 
tenant dans ses bras Robert, le plus jeune de leurs fils; 
puis venaient leurs autres enfants, Louisle Hutin, Phi- 
lippe, Charles, Blanche, Margucrite, et Isabeïle ma- 
riée au roi d'Angleterre. — Sur la bordure étaient les 
armes de France, de Navarre et des comtés de Cham- 
pagne et de Perche. — La mème chapelle était ornée 
d’une autre verrière portant les armes de France et 
d'Espagne écartelées ; elle avait été donnée par Marie 


— 255 — 
d’Espagne, femme de Charles de Valois, comte d'A- 
lencon et frère de Philippe de Valois, roi de France. 

A la chapelle de Saint-Remi, on voyait la vitre don- 
née par Gaucher de Châtillon , représentant le comte 
ct la comtesse Isabeau de Dreux, sa femme, avec les 
armes de Châtillon et de Dreux , et une autre due à la 
libéralité de Thibaut, comte de Bar : le comte était re- 
présenté dans le trèfle du haut à cheval et armé, l’épée 
nue à la main ; d’un côté de la vitre étaient écrits en 
lettres d’or ces mots : La comtesse de Bar ; de l’autre 
étaient les noms des enfants issus de leur mariage, Hen- 
ry, Jean, Charles, Regnauld, Thibaut, Evrard, Pierre, 
Renée, Marguerite et Isabeau de Bar; tout autour, sur 
la bordure, étaient les armes de Châtillon et de Bar. 

Enfin, à la chapelle de Sainte-Eutrope était la ver- 
rière donnée par Marie de Brabant, seconde femme de 
Philippe-le-Hardi. La reine y était représentée à ge- 
noux, tenant la vitre qu’elle offrait à Saint-Nicaise; près 
d'elle était son fils Louis, comte d'Evreux, Marguerite, 
mariée au roi d'Angleterre , et Blanche. La robe de la 
reine et toute la bordure étaient aux armes de France 
ct de Brabant, portant des fleurs de lys sans nombre 
pour France, et de sable au lion d’or pour Brabant. 

Cette chapelle de Sainte-Eutrope était un lieu de pè- 
lerinage assez célèbre pour les enfants malades; « On 
les pesoit, dit Marlot, en une balance suspendue à la 
fermeture de la chapeile; on mettoit Penfant d’un costé 
ct l’image de la sainte de l'autre, pendant que le sa- 
cristain récitoil l’antienne et l’oraison de la vierge et 
martyre sainte Eutrope : ce qui s’est pratiqué jusqu’à 
nostre temps.» Un monument adossé à l’un des piliers 
de la croisée attestait la haute antiquité de ce pèleri- 
nage : C'était la statue de Jean, duc de Normandie, of- 


— 256 — 


ferte par son père Philippe de Valois, pour obtenir sa 
guérison d’une maladie dangereuse. Cette statue était 
en argent massif ; mais les religieux , voulant achever 
la basilique, obtinrent du roi Philippe de la remplacer 
par une autre statue en bois argenté, qui fut adossée 
au même pilier, et qui y demeura jusqu’en 1760, épo- 
que où l’on posa les grilles de fer. 

Les autres objets d’art qu’on admirait encore à Saint- 
Nicaise étaient le tombeau de Jovin, qui est mainte- 
nant à la cathédrale, ie tombeau de Saint-Nicaise et les 
reliquaires dont on peut voir la description dans Mar- 
lot et dans les Trésors des églises de Reims. 

Quelques mots sur l’histoire de la basilique complè- 
teront notre monographie. Ce fut la sixième année du 
règne de Saint-Louis , 18 ans après qu’on avait com- 
mencé la cathédrale, que la première pierre de Saint- 
Nicaise fut posée par Henri de Braine, le mardi de Pà- 
ques 1229. « Simon de Lions, 16° abbé de Saint-Nicaise, 
avoit, dit Marlot , un fond de son épargne pour com- 
mencer.» Le premier architecte fut Hues Libergier, qui 
construisit la nef, le portail et les deux tours; il tra- 
vailla à l'édifice jusqu’à 1263 , époque de sa mort. Il 
fut enterré près du grand portail, sous une tombe blan- 
che, qui le représente tenant d’une main une église et 
de l’autre sa règle, avec cette inscription en lettres go- 
thiques : «++ Ci. git. maistre. Hues. Libergiers. qui. 
comensa. ceste. église. an. lan. M.CC.XX.I.X. le. 
mardi. de. Paques. et. trespassa. lan. dIncaraation. 
M-CC-L.X.11. le. samedi. après. Paques. Pour. Deu. 
priez. por. lui. » Cette pierre a heureusement échappé 
à la dévastalion de Saint-Nicaise ; elle fut pendant 
longtemps placée dans la grande nef de la cathédrale , 
en face de la chaire; mais depuis 1836, sur les récla- 


— 257 — 


mations de M. L. Paris, qui craignait que les carac- 
tères de l'inscription et les traits de la figure ne fus- 
sent bientôt altérés , le conseil de fabrique lui donna 
un emplacement plus convenable, et la fit poser à len- 
trée d’une chapelle isolée, après lavoir fait restaurer, 
c’est-à-dire , couler du plomb dans les caractères où il 
en manquait. On peut encore voir ce monument devant 
la chapelle de Saint-Jean-Baptiste; la fabrique y a fait 
ajouter cette inscription : «Cette pierre se trouvait au- 
trefois dans l’église de l’abbaye de Saint-Nicaise, et re- 
couvrait la sépulture de Hues Libergier , qui l'avait 
fondée en 1229. Elle fut transférée ici en 1799, lors 
de la démolition de ce chef-d'œuvre d'architecture. » 
Cette inscription n’est peut-être pas d’un style irrépro- 
chable, puisqu’elle fait un fondateur de l'église de ce- 
lui qui mea était que Parchitecte. Mais, quoi qu’il en 
soit du mérite littéraire de cette inscription, elle aura 
du moins l'avantage de rendre désormais impossible 
toute mystification semblable à celle qui eut lieu quel- 
que temps avant qu’elle ne fùt posée. Un voyageur 
nommé Nadicès de Laborde, passant à Reims et consa- 
crant à des recherches archéologiques les loisirs forcés 
que lai laissait la station de la diligence, avait déchiffré 
les caractères gothiques de linscription, et, de retour 
à Paris, il fit imprimer dans le journal le Temps qu'il 
venait de découvrir le noin et la profession de l'archi- 
tecte de Notre-Dame , rom jusqu'alors ignoré par les 
Rémois, et qu'ils ne soupconnaient même pas, quoiqu'il 
fût écrit et gravé en toutes lettres sur les dalles de leur 
magnifique cathédrale. M. L. Paris se chargea de ven- 
gerl honneur rémois, et de montrer au candide archéo- 
logue qu'on n'avait jamais ignoré à Reims le nom de 
Hues Libergier, et qu'on y savait, de plus, qu'il avait 


— 258 — 


bâti Saint-Nicaise et non Notre-Dame , et qu'il avait 
exercé la profession d'architecte , et non celle de ber- 
ger. 

Après la mort de Libergier, les travaux furent con- 
ünués sous la direction d’un autre architecte non moins 
habile : c'était Robert de Coucy, qui avait travaillé à 
Notre-Dame, et qui mit le comble à sa gloire en ache- 
vant Saint-Nicaise. Il construisit le chœur, le rond-point 
avec les chapelles et la tour du clocher. Il fut inhumé 
dans le cloître de Saint-Denis de Reims, sous une tombe 
où il était représenté avee un compas à la main et ces 
mots pour épitaphe : « Ci.-git. Robert. de. Couci. mais- 
tre. de. Notre. Dame. et. de Saint. Nicaise. qui. tres- 
passa. lan. M.CCC.X.1.»— «Certes, ajoute Marlot, l’his- 
toire leur devoit cette reconnoissance, pour n’avoir rien 
épargné de ce que l’art pouvoit contribuer pour ren- 
dre cette église assortie de toutes ses beautés. » Et il 
n'est personne qui ne s’associe au sentiment exprimé 
par le docte prieur; mais si ce sentiment a protégé la 
tombe de Libergier même aux plus mauvais jours de 
la révolution, nous devons regretter qu’il pait pas suffi 
à sauver de la destruction la tombe de Robert de Coucy, 
qui disparut du cloître de Saint-Denis en 1719, « alors- 
que le prieur, dit Dallier, fit abattre le jubé et élever 
l'autel baldachin de cette église. » — Et cela est d’au- 
tant plus rezreltable, que l’inseription de cette tombe 
aurait pu éclaircir une difficulté au sujet de l'architecte 
ou des architectes de la cathédrale. Si ce Robert de 
Coucy, mort en 4311, fut le seul architecte de Notre- 
Dame commencée juste un siècle auparavant, il s’en- 
suivrait qu'il aurait vécu au moins 120 ans, ce qui est 
peu probable. — Il est vrai que Bidet écrit dans ses 
mémoires que des chanoines réguliers de Saint-Denis 


— 259 — 


qui ont vu ôter l’épitaphe, assuraient que l’inscription 
désignait le père et le fils qui avaient le même nom, et 
qu’elle portait ces mots : Ci gisent; mais cela est peu 
vraisemblable : car alors comment concilier ces mots : 
ci gisent, avec ceux qui suivent : gui trépassa, etc. 

Voici, d’après le manuscrit de D. Chastelain, quel- 
ques chiffres qui pourront servir à évaluer la dépense : 
» Depuis l'an 1231 jusqu’à lan 1282 (excepté dix an- 
nées dont on n’a point trouvé de mémoires) les reli- 
gieux de Saint-Nicaise ont dépensé, pour la construc- 
tion de leur église, la somme de 50,9#1 liv. six sols 
parisis, ou 63,676 liv. 12 sols six deniers tournois, 
ce qui fait de la monnoye d'aujourd'hui (1777) la 
somme de 1,298,055 liv. 17 sols six deniers, De là 
on peut juger ce qu’a pu coûter tout ce qu’on a fait 
à cetle église depuis cette année 1282 jusqu’en 1531. 
En 1289 , ajoute D. Chastelain , l’abbaye devoit 4565 
liv. de rente annuelle. » 

Comme on le pense bien, l'épargne du trésor claus- 
tral ne pouvait suffir à toutes ces dépenses. Des quê- 
tes eurent d’abord lieu dans tout le diocèse de Reims, 
et les religieux, dit Marlot, eurent recours aux lar- 
gesses des princes et seigneurs qui avoient dévotion à 
Saint-Nicaise.—Cette ressource épuisée, cAnnocent IV, 
dit encore Marlot, octroya en 1246 des indulgences à 
tous ceux qui fourniroient charilablement quelques au- 
mosnes pour ayder à la perfection de cette église, et 
rescrivit mesme aux évesques d'Amiens, de Tournay et 
de Téroucnne, les exhortant de permettre qu’on fit la 
queste dans leur diocèse suivant la coustume. » Cette 
quête se faisait par deux religieux qui réunissaient les 
populalions autour d’un char où reposaient les reliques 
du saint et les bulles apostoliques, et les exhortaient à 


— 260 — 


contribuer par leurs aumônes à l'achèvement de l’œu- 
vre. 

En 1297, labbé et les religieux de Saint-Thierry 
permettent de prendre dans les carrières de leur ab- 
baye entre Trigny et Hermonville toutes les pierres 
nécessaires à la construction de Saint-Nicaise. 

En 1323, l'archevêque de Reims, Robert de Cour- 
tenay, lègue trois de ses meilleurs chevaux et plusieurs 
voitures à Saint Nicaise pour la continuation des tra- 
vaux. 

En 1328, Guy, évêque de Cambrai, permet qu’on 
continue la quête dans son diocèse pour le même objet. 

En 1346, une charte de Philippe de-Valois autorise 
le monastère à vendre pour les besoins de l’église la 
slatue d’argent que ce prince avait offerte à Saint-Ni- 
caise en ex volo. 

« Depuis le mort de Robert de Coucy jusqu’au dé- 
cès du dernier abbé régulier , dit D. Chastelain, c’est- 
à-dire pendant 222 ans, la pluspart des abbés ont 
tenté toules les voyes de meitre cetle église dans sa 
dernière perfection; il y en eut un, par exemple, qui 
obtint pour cela du souverain pontife la permission 
de réduire à soixante le nombre des religieux qui 
existoient de son temps, et qui étoit par conséquent 
beaucoup plus considérable, tant dans l'abbaye que 
dans les prieurés qui en dépendoient. » 

Enfin, en 1531, sous le dernier abbé régulier Jac- 
ques Joffrin, l'archevêque Robert de Lenoncourt au- 
torisoit une dernière quête dans le diocèse pour ache- 
ver quelques parties de l'édifice non encore terminées. 
« Cet abbé, dit encore D. Chastelain, ne se contenta 
pas de faire faire quantité de riches ornements pour 
Je service divin, de faire voûter et décorer la grande 


=t 


chapelle de la vierge qui sert de sacristie , et embellir 
celle de Notre-Dame de Liesse, il fit encore achever le 
côté méridional de la croisée de l’église à exception de 
la voûte, et pour faire connoître à tout le monde que 
les richesses qui avoient été laissées par son prédéces- 
seur étoient tombées en bonnes mains, il fit venir des 
matériaux suffisants pour finir le côté septentrional de 
la même croisée; mais la mort l’enleva trop tôt au 
grand regret de toute la ville de Reims , et surtout des 
religieux qui eurent bientôt la douleur de voir perdre, 
enlever et dissiper par le premier abbé commen- 
dataire , tout ce que ce ernier abbé régulier avoit 
amassé par une sage économie pour ia perfection de 
l'église. » 

Sous les abbés commendataires, les seuls travaux 
dont l’histoire ait conservé le souvenir , sont ceux que 
nous avons déja mentionnés : le rétabiissement de la 
rosace par Claude de Guise, et pilas tard par mes- 
sieurs de la Sainte-Chapeille, et les restaurations da 
prieur dom Mathieu Hubert. 

En 1790, l’église et le monastère de Saint-Nicaise 
furent, comme toutes les propriétés ecclésiastiques , 
déclarés biens nationaux , et, dans la nouvelle circon- 
scription des paroisses, Saint-Nicaise ne fut pas dé- 
signé parmi les églises destinées à servir au culte ; s’il 
faut en croire une tradition contemporaine, l'erreur 
d’un jeune architecte (1) ne fut pas étrangère à cette 
mesure. Consulté par le dernier prieur , il aurait, dans 
la persuasion fausse que les voûtes étaient en craie, 
fait un devis de réparation dont le chiffre s'élevait à 


(1) M. Serrurier, dont au reste toutes les œuvres, comme archi- 
tecte de la ville de Reims, sont dignes de ce commencement; on a dit 
de lui qu'il était l'ennemi plutôt que l'architecte des églises, 


17 


— 262 — 


près d’un million. — Nous sommes heureux de consta- 
ter, à honneur de la municipalité rémoise, qu'il ne 
tint pas à elle que l'œuvre de Libergier ne fût conser- 
vée. Voici les termes du rapport qu’elle adressait au 
gouvernement en lui désignant les édifices qu'il fallait 
ériger en églises paroissiales : « La seconde église né- 
« cessaire au culte est celle de Saint-Nicaise. Ce monu- 
« ment, moins vaste et moins pompeux que l’église 
« dite cathédrale, n’en est que plus élégant en archi- 
« tecture. La délicatesse de sa structure, la coupe lé- 
« gère et brillante du vaisseau , le font regarder par les 
« artistes comme une merveille dans le genre gothique. 
« L'église est très-bonne et ne pèche en ce moment que 
« par sa toiture facile à réparer : sa position, Pem- 
« bellissement qu’elle procure à la ville de Reims, sa 
« réputation répandue par toute l'Europe, demandent 
« hautement sa conservation.» — Malheureusement, 
cet avis ne prévalut pas : Saint-Nicaise servit d’abord 
de magasin de fourrages, puis fut vendu, à vilprix, 
au général-brasseur, Santerre, représenté par le ci- 
toyen Defienne. Une des clauses de Pacte de vente 
portait que le tombeau de Jovin serait conservé et 
transféré dans un emplacement convenable sous Pin- 
spection de l’ingénieur du département ; ce nefut qu’en 
1800 qu’il fut placé à la cathédrale. — Le grand-au- 
tel, le pavé du chœur et du sanctuaire et les tambours 
des portes furent achetés par la fabrique de Notre- 
Dame; l'orgue fut brisé, et l'étain vendu à la livre 
ainsi que les grilles; les stalles et les boiseries du 
chœur ont été vendues également, et il n’en reste 
plus que sept médaillons en bois sculpté, qui ser- 
vaient de dossier aux stalles , et qui ont été donnés à 
Saint-Maurice par un revendeur de la paroisse. — Le 


PPT S VE 


— 263 — 


trésor , les candélabres et autres ornements en métal 
précieux furent enlevés, en vertu du décret de 1791, 
et fondus, selon l'expression de M. Povillon-Pierrard, 
dans le creuset national. — Le tombeau de saint Ni- 
caise a été démoli. 

Cependant l’œuvre de la destruction se poursuivait 
lentement, et la municipalité rémoise ne cessait de 
faire de louables efforts pour sauver le monument. — 
Le 3 ventôse de l’an vu de la République, elle obtenait 
du département un arrêté qui défendait à Padjudica- 
taire de démolir la ci-devant église, avant la décision 
à intervenir sur les observations du ministre de l’inté- 
rieur ; et comme cet arrêté n’était pas exécuté , elle fai- 
sait constater, par un procès-verbal daté du 27 ther- 
midor an vi, que déjà l’une des flèches était dégarnie 
de son plomb, que le pavé et les vitres étaient enlevés, 
et qu'on découvrait une des petites nefs. Mais , malgré 
les regrets de toute la population rémoise, malgré les 
énergiques réclamations du conseil municipal, lacte 
du vandalisme fut consommé, et cela à une époque où 
les passions révolutionnaires devaient être calmées. Le 
chef-d'œuvre de Libergier fut exploité comme une car- 
rière, et aujourd’hui il n’en reste pas pierre sur pierre. 

Cette magnifique église, tant admirée jadis , et au- 
jourd’hui si regrettée , se relèvera-t-elle de ses ruines? 
Il est permis de ne pas en désespérer : les travaux qui 
se poursuivent depuis si longtemps à Saint-Remi, et 
qui vont rendre à cette intéressante basilique sa pureté 
originale et sa splendeur primitive, indiquent qu'à 
Reims on comprend Part chrétien. Le conseil muni- 
cipal a largement contribué à ces travaux , et le jeune 
et intelligent architecte (1) quiles a dirigés promet 


(1) M. Brunette, architecte de la ville‘de Reims. 


— 264 — 
une carrière qui sera digne de ce glorieux début. 

Il faut en ce moment une église paroissiale au fau- 
bourg Cérès; la reconstruction en est arrêtée en prin- 
cipe; déjà le conseil municipal a autorisé l'acquisition 
d’un terrain destiné à cette reconstruction. Si nos ren- 
seignements sont exacts, l'autorité supérieure n'aurait 
refusé de sanctionner cette délibération du conseil mu- 
nicipal que parce que les plans et devis n’étaient pas 
joints aux pièces, et on assure en outre que le conseil 
des bâtiments est décidé à refuser son autorisation à 
tout plan d’église qui serait conçu dans un style grec 
ou romain, el qu'ainsi ce style païen serait à jamais 
enterré avec les somptueuses folies de la Madelaine et 
de Notre-Dame-de-Lorette. 

Nous aurons donc pour la paroisse de Saint-André 
une église en style chrétien, et non un de ces édifices 
bâtards, sans caractère religieux, sans destination 
forcée, et dont on peut aussi bien faire un bazar ou 
une salle de spectacle qu’une église. On s’effraie à tort 
des difficultés et des dépenses qu’entraïînerait une con- 
struclion en style ogival. Sans parler de ce qui se fait 
en Allemagne et en Angleterre, on construit actuelle- 
ment en France treize églises gothiques, et des hommes 
compétents, non seulement affirment, mais prouvent 
que l’exécution n’en est ni plus difficile ni plus coû- 
teuse qu’en style grec ou romain. 

Mais si l’on peut faire aujourd’hui du gothique, il 
est bon de remarquer qu’on se borne à copier les mo- 
dèles du moyen-àge ; c’est ainsi qu'à Notre-Dame de 
Bon-Secours, auprès de Rouen , on vient de reproduire 
exactement, mais sur des dimensions plus grandes, 
la délicieuse chapelle de Parchevêché de Reims. Il en 
est de même ailleurs; et vraiment, dans l’état où se 


>r e 


trouve aujourd'hui la science archéologique, quand 
nous avons à peine retrouvé le sens du symbolisme 
chrétien, et que tant de traditions, populaires au 
moyen-âge, sont encore pour nous comme des hyéro- 
glyphes , il est fort heureux que nos architectes mo- 
dernes ne donnent pas carrière à leur imagination pour 
produire du neuf. Attendons que l'archéologie chré- 
tienne soit plus approfondie, et que la foi vienne, 
comme au moyen-àge, féconder la science et inspirer 
le génie de nos artistes, et alors ils pourront nous don- 
ner des œuvres originales. Mais jusqu'alors contentons- 
nous de voir reproduire les modèles des siècles chré- 
tiens. 

Or, puisqu'il faut copier , nous avons à Reims un 
modèle tout trouvé qui mérite à tous égards la préfé- 
rence : c’est Saint-Nicaise. Un tel projet ne manquerait 
pas d’exciter partout de vives sympathies, et d’être 
encouragé par le budget et par les dons particuliers. 
N'oublions pas que l'architecture de Saint-Nicaise était 
simple et d'exécution facile; il n’y avait d'ornements 
et de sculptures qu’au portail. Ne pourrait-on pas , en 
ajournant la décoration du portail à des temps meil- 
leurs, reproduire l’église abbatiale sur des dimensions 
plus petites, mais dans le même plan et les mêmes pro- 
portions ? Ainsi l’on rendrait à l’art chrétien l’une de 
ses merveilles, et à la ville de Reims lune de ses gloires. 


DESSIN. 


——— 


NOTICE SUR DEUX PORTES SCULPTÉES DU SEIZIÈME SIECLE 


DÉCOUVERTES EN 1843 
par M. MAQUART, 


Les nombreuses restaurations que depuis plusieurs 
années on a fait exécuter dansles édifices gothiques, ont 
prouvé aux archéologues et aux amis de Part l'intérêt 
que nos gouvernants apportent à la conservation de ces 
mêmes édifices. Aussi la science de Parchéologie est-elle 
devenue, pour tousles hommes instruits, une source d’é- 
tudes et d'agréables méditations. L'histoire des monu- 
ments se rattache si étroitement à celle des peuples , 
qu'elle en devient le complémentindispensable. Delà dé- 
coulent les investigationset lesrecherches patientes qui 
font de archéologue une âme à émotion , facileà se pas- 
sionner pour les découvertes arlistiques ; constamment 
à la recherche de curiosités ignorées du vulgaire, fai- 
sant sa joie de la découverte d’un fragment sculpté, 
d’une médaille,d’un rien, pour ainsi dire, parce qu'il y 
puise toujours des applications historiques , et que le 


— 267 — 


champ des interprétations lui est ouvert. El doit toutes 
ces jouissances à la science acquise, à un discernement 
raisonné, qui lui permettent d’évaluer le mérite artis- 
tique d’une œuvre d'art , quelle qu’elle soil ; de recon- 
naitre le style et l’époque à laquelle elle appartient , de 
préciser d’une manière exacte son âge et son origine, 
d'indiquer la pensée qui l’a conçue, la maia qui l’a exé- 
cutée , enfin de faire revivre en même temps , et dans 
un même jour, Phomme , son génie, son œuvre et son 
époque. 

On doit souvent au hasard la découverte de monu- 
ments précieux pour lart; c’est aussi au hasard que 
Pon doit celle dont il va être ques‘ion. Il y a peu de 
temps qu’au pied du Chéteau-d’'eau, un bâtiment connu 
sous le nom de la Foulerie a été rasé pour une destina- 
tion nouvelle; dans ce bâtiment , composé de diverses 
pièces séparées entre elles par des pans de fût, se 
trouvait une cloison lattée et recouverte d’un enduit de 
piätre et de terre, qui contenait et cachait une de ces 
raretés, bonheur de l’archéologue; le moment était ve- 
pu de renverser cette cloison, et l'ouvrier , rencontrant 
une résistance et une solidité peu ordinaires, sarma de 
la pioche et mit à jour deux forts panneaux de bois de 
chacun 3 mètres de hauteur, sur 4 mètre 30 cent. de 
largeur. Le treiliage serré que formait le lattis, laissait 
à peine apercevoir quelques saillies symétriques, indices 
de sculpture , et le macon limousin , de sa nature peu 
connaisseur en fait d’antiquité, renversa les lourds 
panneaux et porta plus loin sa pioche et sa pelle. 

Heureusement pour l'art, un œil vigilant veillait, 
qui, au premier aspect des panneaux couchés sur le 
sol, reconnut deux ventaux couverts de sculpture. Le 
mailre qui venait de découvrir une richesse inconnue, 


— 268 — 


fit enlever avec soin le lattis, ct bientôt il put voir, non 
sans amertume, deux sculptures du xvi° siècle repré- 
sentant l’Annonciation, dont les figures étaient muti- 
lées par la hache , qui avait fait sauter les parties sail- 
lantes, afin d’y clouer avec plus de facilité la latte fra- 
gile qui les recouvrait. Le bois une fois mis à nu , on 
put remarquer les ravages que l’humidité avait faits à 
la surface des reliefs et dans les parties fouillées, et 
aussi ceux causés par les cloux chassés en pleine sculp- 
ture. 

En déplorant létat dans lequel se trouvaient 
les deux portes, larchitecte ( 1) comprit qu’elles 
avaient Irop d'importance pour les abandonner à une 
entière destruction , et qu’il y aurait possibilité de les 
restaurer en les confiant à une main exercée et habile. 
Il ne se dissimulait pas que ce travail, long, minutieux 
et difficile, pourrait exiger du temps ct beaucoup d’ar- 
gent, et par cela même forcer à renoncer à l'espoir 
d’une belle et complète restauration. Une circonstance 
favorable est venue se présenter, et maintenant un 
sculpteur est à l’œuvre (2) : c’est un de ces talents ex- 
périmentés que la République une et indivisible sur- 
prit un jour tenant la gouge à la main, et festonnant 
quelque rocaille de bois pour une châsse de saint ; un 
de ces hommes à prétentions modestes , d'autant plus 
rares aujourd’hui parmi les sculpteurs, que la branche 
ingrale de l’art, la sculpture en bois , est peu cultivée. 
Par ses soins, les portes retrouveront leur premier as- 
pect, la pâte ne viendra pas y remplacer le bois , tout 


(1) M. Brunette architecte de la ville, membre de l’Académie de 
Reims. 

(2) M. Bandeville, père de M. l'abbé Bandeville. Cet artiste a sculpté 
les ornements en bois, qui décorent le petit orgue de Saint-Remi. 


— 269 — 
sera Consciencieusement restauré et complété, et , sous 
peu, les curieux pourront voir comment nos pères com- 
prenaient la sculpture pour l'ornement des lieux saints. 
Le sujet , ainsi qu’il a été dit plus haut, représente 
l Annonciation. Sur Je panneau droit du spectateur est 
la vierge Marie, dont la candeur est visible par la pose 
de la tête; elle tient d’une main un livre de prières, et 
exprime del'autre sa surprise glorieuse. A ses picds est 
un vase de fleurs; ce n’est pas iciune particularité; on re- 
trouve cetornement, comme un emblème depureté, dans 
les miniatures des vieux missels qui représentent lAn- 
nonciation. Sur le second panneau , l'ange Gabriel flé- 
chissant le genou , adresse à la Vierge les gracieuses 
paroles: Ave, Maria , grati plena , et lui présente le 
lys, symbole d’une chasteté pure. 

On ne peut rien savoir de précis sur lorigine de ces 
deux portes ; le style de la composition et les orne- 
ments dont est orné le sujet annoncent une œuvre du 
commencement du xvi° siècle : faudrait-il conclure de 
là qu’elle n’a pu appartenir qu'à un édifice du même 
temps? Il y aurait erreur de le croire , car nos églises 
ont subi, comme presque tousles monuments religieux, 
des additions et des changements de style suivant les 
époques sous lesquelles ils ont été faits. On ne se rap- 
pelle pas avoir vu ces ventaux dans aucune des églises 
qui existaient encore en 1793. On aime à rapporter à 
l’église Saint-Nicaise tout ce qui reste à Reims de beau 
et d’origine douteuse; rien n’appuie celte opinion 
quant aux portes dont s’agit. H est même permis d’en 
admettre une plus probable. Lorsque l'abbé Godinot , 
de généreuse mémoire , fil établir les fontaines publi- 
ques dont il avait doté la ville de Reims , on construi - 
sit la tour carrée et étagée, dile le Château-d'Eau , à 


— 270 — 


l’est de la ville, et aussi les bâtiments voisins ; on sait 
que, par les ordres du riche chanoine, des œuvres go- 
thiques ont été détruites pour satisfaire, non son goût, 
mais celui de son époque ; et, quand on voit combien 
peu le gothique était alors goûté, on peut , sans scru- 
pule, supposer que les portes dont nous nous occupons 
ont dû être remplacces par d’autres plus modernes , et 
qu'en cela elles ont été , comme d’autres œuvres pré- 
cieuses , bannies des temples , parce qu’elles n'étaient 
plus dans le goût d'alors. 

Quel que soit, du reste, l'arrêt vandale qui les avait 
condamnées à l'oubli et à la destruction, les portes ont 
survécu pour renaître, et, grâce au soin de notre épo- 
que pour la conservation des monuments de tous les 
âges , l’archéclogue saluera bientôt du fond de son âme 
le jour où, relevées et brillantes de fraîcheur , elles of- 
friront aux regards toute la délicatesse d’un travail fini 
et précieux , en même temps qu’elles donneront une 
idée des suaves et élégantes compositions des maîtres 
de l’art gothique flamboyant. Ce curieux travail attend 
sa future destination ; il devra servir de fermeture à 
l’entrée de la nouvelle sacristie de l’église Saint-Remi; 
dans cette église, qui vient de revêtir une blanche tu- 
nique , les portes sauvées seront un bel et digne orne- 


ment. 
J.-J. M. 


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HISTOIRE. 


: AMOTAIR à 


ES 


SAINT TRESAIN D’AVENAY 


par M. L. PARIS, Bibliothécaire. 


MISTOIRE DE SON ÉGLISE. 


— C6 0—— 


Où n’est pas encore bien d'accord aujourd'hui sur 
les raisous qui ont fait donner à la première capitale du 
monde le nom de Rome. De plus grandes incertitudes 
entourent le berceau de notre superbe Paris, et l’on en 
est encore à savoir si Darocort n’est pas l’une ces pre- 
mières cités qu'aient fondées les enfants de Sem, Cham 
et Japhet. On pourra donc pardonner à Avenay les 
nuages qui environnent son origine : elle se perd dans 
la nuit des temps. Aussi, loin de suivre la marche de 
certains de nos chroniqueurs qui firent voyager le frère 
de Romulus en Champagne pour y fonder notre ville 
de Reims, je mets le fondateur de mon modeste village 
au nombre des dieux inconnus auxquels les Romains 
avaient élevé un temple. 

Saint Trésain d’Avenay était contemporain de saint 
Remi, Vapôtre des Francais, etvivait par consé- 
quent du cinquième au sixième siècle. Flodoard se 


— 216 — 


borne à dire delui qu’il était frère de saint Gibrien, de 
saint Hélain, et que venus d'Hihernie (Ecosse), en 
pèlerinage au pays de saint Sixte et de saint Memie, 
ils s’éteblirent tous deux et quatre autres de leurs 
frères, saint Véran, saint Atran, saint Germain et 
saint Petran, chacun en divers endroits sur les côtes 
de la rivière de Marne. 

La légende de saint Trésain, publiée à diverses re- 
prises et insérée dans la collection des Bollandistes, nous 
donne sur le patron d’Avenay les notions suivantes : 

Tiésain, après avoir distribué ce qu’il possédait aux 
pauvres nécessiteux, réduit lui-même par suite defson 
indigence à la condition servile, se fit porcher, meneur 
de bestiaux. — Il gardait les pourceaux en la plaine de 
Mutigny, village situé sur le sommet de la montagne qui 
domine Ay, Mareuil et Avenay. Un jour, les vignerons 
d'Ay, avertis que saint Remi se trouvait en un vil- 
lage voisin, à Ville-en-Selve , s’en vinrent le trouver 
et aceusèrent l’ Écossais d’un grand crime. Il avail né- 
gligé la surveillance de son troupeau, et à plusieurs re- 
prises, ses pourceaux avaient dévasté les vignes de la 
côte, ce qui causait un notable préjudice à la commu- 
nauté d’'Ay. 

Sommé de comparaître, le pauvre pâtre se justifia 
facilement près de son évêque. Il avoua humbiement 
qu’idiot et peu savant, et désireux qu’il était de s'in- 
struire , il luiétait arrivé de perdre de vue son bercail 
aux He du service divin, car alors il allait à la porte 
de l'église écouter et recueillir la parole du prêtre et 
l’enseignement sacré. — Saint Remi connut la sim- 
plicité de cœur de Trésain, il agréa ses excuses et con- 
gédia ses accusateurs. — Puis le pauvre pâtre ayant 
grandi en vertu el en doctrine, Génebaud, évêque de 


— 277 — 


Laon, dont il était favorablement connu, le recommanda 
lui-même à saint Remi, qui le pourvut des ordres et 
lui confia la cure de Mareuil, dent l'église, dès ce temps 
était dédiée à saint Hilaire, évèque de Poitiers; puis il y 
ajouta pour succursale l’église de Mutigny, dédiée à 
saint Martin de Tours. 

La légende ajoute à ces notions quelques détails qui 
ne sont pas sans intérêt pour l’histoire locale. « Après 
avoir reçu l’absolution du crime dont l’avoient ac- 
cusé les propriétaires d’Ay, Trésain , ramassant son 
troupeau, et le reconduisant aux maisons de ceux 
à qui il appartenoit, s'arrêta en un lieu, qui ce- 
jourd'hui encore, est appelé le mont Saint-Trésain ; 
et regardant les maisons de ses dénonciateurs , il dit : 
Vous qui m'avez méchamment accusé auprès du 
grand prêtre de Dieu, après trente ans, ne profiterez 
jamais en biens séculiers et temporels. — Dieu 
done, ajoute le livre, voulant monstrer au peuple 
qu'il a exaucé l’oraison de son serviteur , il l’a accom- 
pli en cet endroit : car encore jusqu’à cejourd’hui, 
après que ces accusateurs envieux ont passé trente 
ans, le plus souvent tombent en grande nécessité, 
indigence et povreté. » 

Les traditions populaires témoignent que l’anathème 
vengeur recut longtemps sou eflet, et de cette opinion 
date vraisemblablement l’animosité naguère prover- 
biale des gens d’Ay contre ceux d’Avenay, qui n’ont 
pas craint de faire Trésain leur patron. — Il est certain 
que la prospérité commerciale du pays d’Ay ne re- 
monte pas à une époque bien reculée. Depuis long- 
temps le pétillant mousseux jaillit à flots des fertiles 
mamelles dont Ay s’énorgueillit, mais l'industrie qui 
fait son opulence actuelle n’a pris son immense déve- 

18 


— 218 — 


loppement que depuis peu. Avant la Révolution certains 
produits des vignobles voisins soutenaient avantageu- 
sement la concurrence : les vendangeoirs du sei- 
gneur de Mareuil, de Pabbesse d’Avenay, étaient 
tout aussi renommés que les meilleurs d’Ay. Comme 
dans toutes les localités rapprochées et dont limpor- 
tance sociale est balancée, des procès, des contesta- 
tions perpétuaient de race en race des sentiments de 
jalousie et de haine entre les habitants de ces trois lo- 
calités. Ces haines se manifestaient en toute occasion, 
à l’époque du carnaval, aux rogations, aux vendanges et 
surtout aux fêtes patronales. Aux provocations, aux 
lazzis injurieux , succédaient les luttes que parfois la 
maréchaussée pouvait seule comprimer. Des dictons 
populaires résumaient celte haine : Ay était le pays des 
vignerons enrichis ; — Mareuil avee son sol fertile, son 
site agréable et ses traditions aristocratiques, celui des 
personnes comme il faut ; —A venay perdu dans la vallée, 
et longtemps inabordable à cause de ses mauvais che- 
mins, reslait la demeure des paysans. Une façon de 
parler proverbiale, mise à la mode sans doute par les 
habitants de Mareuil, élablissait ainsi la démarcation 
des trois localités : on disait généralement : « Les gens 
d’Ay, les messieurs de Mareuil, et les paysans d'Ave- 
nay.» Mais les rancunes des gens d’Ay avaient pour 
ces derniers modifié le dicton de la facon la plus inju- 
rieuse; et tout en passant condamnation sur le titre que 
leur imposait la voix publique, ils le modifiaient ainsi : 
« Les gens d’Ay, les messieurs de Mareuil et les culs 
« crottés d’Avenay. » 


Voilà le dicton populaire dans toute son ontrageaute 
crudilé pour les habitants d’Avenay. Il ne faut pas que 


= S 


ces dernières expressions d’un état de société qui n’est 
plus, se perdent tout-à-fait : elles marquent Jes dis- 
tinclions sociales qui, à la longue, s'établissent dans 
l'esprit des peuples. 

Comme nous l'avons dit, ces divisions instinctives 
remountaient haut dars l’histoire : le souvenir de saint 
Trésain y était certainement pour quelque chose. Ay 
ne pouvait s'affranchir de l’anathème que le saint per- 
sonnage avait fulminé contre ses habitants : c’est à cette 
circonstance, suivant la croyance populaire, qu’il faut 
attribuer la chute d’Ay dans le schisme de la hagueno- 
terie. — Car, bien qu'au xvi° siècle, les trois plus 
grauds princes de la catholicité Léon X, François Ie 
et Charles-Quint, tinssent, dit-on, à orgueil de 
posséder un bout de vigne à Ay, ce pays fut Pun des 
rares endroits de la Champagne où l’hérésie de Calvin 
fit quelques prosélytes. Le mépris des gens d’Ay pour 
la foi antique parut aux habitants d’Avenay une nou- 
velle conséquence de la maiédietion de saint Trésain, 
aussi la haine populaire s’exhala-t-elle de nouveau.Nous 
en ayons la preuve dans cette vieille chanson, qui porte 
l'empreinte d’une profonde aversion des habitants d’A- 
venay contre ceux d’Ay : 


Parpaillot d' Ay 

T'es bien misérable 

T'as quitté ton Di 

Pour servir le diable ! 
Tu n'auras ni chien ni chat 
Pour te chanter libera, 
Et tu mourras mau-chrétien 
Toi qu'a maudit saint Trésain. 


La révocation de l'édit de Nantes porta un coup 
mortel à la huguenoterie d’Ay : le prêche fut fermé, 


— 280 — 


démoli au nom des commissaires-députés de Reims, 
ainsi qu'il se lit aux archives de l'archevêché. Depuis 
ce temps , Ay, rentré dans le giron de PEglise, a ex- 
pié la peine qu'avait prononcée contre lui monsieur 
saint Trésain d’Avenay : c’est du moins ce qu'il faut 
supposer quand on considère la prospérité actuelle et 
toujours croissante de ses heureux habitants. 


Revenons à la légende; car il est nécessaire que 
nous disions quelques mots de la vie de saint Trésain 
et des miracles qui lui sont attribués. On y trouve l'ex- 
plication de la popularité de saint Trésain et la pre- 
mière origine d’un célèbre pèlerinage dont nous aurons 
à parler plus loin. La légende raconte qu’un «habitant 
de Mareuil , nouvellement reconcilié avec l'Eglise, of- 
frit à Trésain, en reconnoissance de ses charitables 
avis et pour avoir droit à ses prières, un sien pré; 
qu'après sollicitations réitérées , le saint prêtre accepta 
ledit pré pour subvenir à la nourriture de l'âne , mo- 
deste monture sur laquelle d'ordinaire le pieux Trésain 
faisoit le trajet de son église à celle de Mutigny: le- 
quel pré, assis au finage el terroir d’Ay pour la ré- 
vérence du benoist saint, est encore à présent appelé 
le pré Saint-Trésain. 

« Avint un jour que saint Trésain, après avoir dit 
matines et célébré la messe en l’église de Saint-Mar- 
tin de Mutigny, se retournant à Mareuil, se trouvant 
pris de fatigue , et avant d’être au bas de la montagne, 
piqua son bâton en terre , se coucha sur le bord du che- 
min et s’endormit. À son réveil, Trézain voulut re- 
prendre son soutien, mais à la place d’un bäton de 
bois sec qu’il avoit planté dans cet aride terrain , il vit 
un arbuste verdoyant et feuillu au pied duquel jaillis- 


— JO — 

soit une source d’eau limpide, qui déjà prenoit son 
cours à travers champs. Trésain goûta cette merveil- 
leuse eau, et la trouva si bienfaisante, que se pro- 
sternant aussitôt, il remercia le Seigneur et le supplia 
de permettre que jamais cette source ne put servir à 
aucun mauvais usage : si bien que depuis ce temps nul 
aliment dérobé ne peut cuire dans son eau. «On rap- 
porte même qu’une femme du pays ayant voulu fort 
inconsidérément blanchir son linge dans cette fontaine 
sacrée, l’eau prit aussitôt une couleur de sang : » et de 
nos jours encore, ajoute le légendaire, les malades 
qui ont fièvres tierces et quartes, en buvant de ladite 
fontaine, recoivent guérison et santé. » 


La vie de saint Trésain est encore signalée par de 
nombreux actes de charité et de verlus chrétiennes. 
Voyant sa fin prochaine. il demanda près de son lit 
les prêtres et ministres des lieux circonvoisins, se con- 
fessa humblement , reçut les derniers sacrements , et 
s’endormit dans le Seigneur. Quand l'âme sortit du 
corps, une suave odeur remplit l'appartement el prouva 
l’accueil que le ciel faisait au bienheureux. 

« Après que l'âme du benoist sainct eut monté ès- 
cieux, les prestres et ministres de l’église qui avoient 
assisté à son trépassement, commencèrent à délibérer 
de la sépulture du corps mort. Lesquels ayant proposé 
de l’ensepvelir à Mareuil, en l’église Saint-Hilaire, en 
laquelle saint Trésain avoit longtemps ministré, vou- 
lans lever le corps ne le purent jamais mouvoir et ne 
profitèrent de rien. Après délibérèrent le faire trans- 
porter en Hautvillers, où fut depuis un monastère ; en 
quoy fut vaine leur entreprise comme devant. Mais 
après une plus sage délibération, Dieu à ce les inspi- 


— 182 — 

rant, fut arrèté que ledit corps seroit mis sur un cha- 
riot auquel seroient attelées deux vaches , par lesquelles 
seroit conduit au lieu de la sépulture, selon ce qui estoit 
ordonné et disposé de Dieu... Or, il y avoit prochain 
de là un lieu appelé Avenay, où quand les vaches 
jointes au chariot furent arrivées avec le corps de saint 
Trésain, demeurèrent immobiles ne pouvant aucune- 
ment marcher plus outre. Ce que voyant les prestres, 
ils ont connu que la volonté de Dieu estoit que le 
prestre duquel âme avec grande joie estoit montée au 
ciel, fut-là ensepveli et inhumé. » 

Telle est la légende de saint Trésain d’Avenay. — De 
nombreux prodiges, des guérisons miraculeuses signa- 
lèrent le tombeau du saint confesseur à la piété des 
fidèles : ce qui sans doute détermioa les habitants du 
village à édifier une église sur l'emplacement même où 
reposaient ses précieux restes, laquelle église fut mise 
sous l’invocalion de saint Trésain. 

Nous l'avons dit, Flodoard n'entre pas dans tous les 
détails que nous venons de reproduire; mais au senti- 
ment de Bolland, Flodoard avait emprunté ce qu’il en 
dit d’une ancienne chronique antérieure au x° siècle et 
qui se conservail encore du temps des Bollandistes, 
dans le monastère de Saint-Remi. — La légende de 
saint Trésain fut publiée, je crois, pour la première 
fois par Loyse de Lininge d’Apremont, abbesse d’A - 
venay, en l'année 1557. C’est un des plus jolis volumes 
sortis des presses de Nicolas Bacquenois, le premier 
imprimeur de la ville de Reims (1). 


(1) Ila pour titre: Légendes des benoils saints, saint Gumbert, 
sainte Berthe et saint Trésain,---les corps desquels reposent au vé- 
nérable monastère d’Avenay.--- A Rheims, par N. Bacquenois, 1557» 
in-8° de 174 p. Notre éditeur publiait la même année : Officium sanc- 


— 283 — 


Quoi qu'il en soit, il est bien certain que le patro- 
nage de saint Trésain, frère de saint Gibrien (si célé- 
bre dans le légendaire de Saint-Remi), était acquis à 
la communauté d’Avenay, avant la fondation en ce 
pays du monastère de Sainte-Berthe, qui n’eut lieu que 
vers la fin du vn? siècle, sous le pontificat de saint 
Réol, archevêque de Reims, neuvième successeur de 
saint Remi, sous lequel vivait saint Trézain. De quoi 
il résulte implicitement que ce ne fut point l’établisse- 
ment de Sainte-Berthe en ces contrées qui décida Pé- 
rection du bourg d’Avenay, — et que ce ne fut point 
non plus par suite d’une concession abbatiale que la 
communauté d’Avenay obtint le droit de construire 
l'église paroissiale de Saint-Trésain, — puisque celle- 
ci préexistait. 

Nous ferons à ce propos une observation. Il est fré- 
quemment arrivé dans les villes et villages où se trou- 
vait une ancienne congrégation monastique, que les 
habitants n’eussent point d'église paroissiale autre que 
l'église abbatiale, — dans laquelle les religieux réser- 
vaient une chapelle où une nef suivant l'importance 
de la communauté. Puis, quand celle-ci. croissant en 
nombre ne pouvait plus tenir dans l'enceinte que Ini 
abandonnait l’abbé, elle sollicitait et obtenait le droit 
d'ériger, en un autre endroit du pays, une église ex- 
clusivement paroissiale. Cet octroi ne s’obtenait pas 
facilement : car une pareille scission enlevait de grands 


torum Tresani, Gumberti et sanctæ Berthæ, nunc jàm su inte- 
grilati restitutum : alq ; his typis quàm diligentissimè fieri potuit, 
curá etexpensis reverendæ ac nobilis Ludovicæ de Linange, Aveniaci 
monasterii abbalissæ excusum. — Rhemis Excudebat N. Bacnesius, 
1557, in-8° de 194 pages. — Ces deux ouvrages, aujourd'hui cxcessi- 
vement rares, doivent se trouver réunis. 


— 28% — 


revenus et une juridiction importante à l'abbaye : 
L'abbé et ses religieux restaient bien curés titulaires ou 
primitifs : mais comme ils ne pouvaient avoir charge 
d’âmes ni sortir de leur maison, ils étaient obligés 
de nommer un desservant ou vicaire perpétuel qui 
percevait les fruits , le casuel , et n’était plus tenu 
envers l’abbaye que de l’acquittement d’un ‘droit. 
— Cette position respective des religieux et des ha- 
bitants donnait lieu à de fréquents et intermina- 
bles procès. — Nous avons de ce que nous disons ici 
un exemple bien frappant dans ce qui s’est passé à 
Rethel. Longtemps les habitants de la ville haute 
n'eurent point d'église. Le prieuré qui dépendait de 
l’abbaye de Saint-Remi de Reims en possédait une fort 
belle, grande, à trois nefs et richement dotée.— Long- 
temps la communauté des habitants s'était contentée 
pour toute place à l’église des moines, d’un pauvre 
petit autel adossé à Pun des piliers du bas de l'église. 
Un desservant à la nomination du prieur suffisait à 
celte chapelle mise sous l'invocation de saint Nicolas. 
—Plus tard, les religieux prenant en considération lac- 
croissement de la population, permirent aux habitants 
de transporler leur autel dans la chapelle principale 
d’une des nefs latérales. Le peuple prit possession du 
terrain concédé. — Cependant la population de la ville 
haute se multipliait au poiat que bientôt la nef concé- 
dée fut insuffisante. On voulut le partage par portion 
égale, ou plutôt la jouissance entière de l'église du 
prieuré, seulement à des heures distinctes qui per- 
missent le service à part du prieuré de Notre-Dame 
et de la paroisse Saint-Nicolas. La communauté s'ap- 
puyait dans ses prétentions sur ce qu’elle était de moi- 
tié dans les dépenses de réparation. — Alors procès 


— 285 — 

sur proces : le prieuré transigea et permit l'adjonction 
d'une nouvelle nef aux trois qu'avait déjà Péglise Notre- 
Dame. — Cette nef anormale construite, les difficultés 
de voisinage et de commensalité wen continuèrent pas 
moins. Les pauvres moines finirent par succomber. 
— Saint-Nicolas Pemporta sur Notre-Dame. Vingt ans 
avant l’époque de la Révolution, les habitants avaient 
oblenu un arrêt qui déclarait déchus les moines de 
Saint-Remi de leurs prétentions sur l'église de la ville 
haute, et qui mettait la totalité de l'édifice à la dispo- 
sition des fidèles communiants. — C’est ainsi que cette 
église, si remarquable à plus d’un titre, a changé non 
seulement de destination, mais aussi de propriétaires 
et d’invocation. Elle n’est plus connue aujourd’hui que 
sous le nom d'église paroissiale de St-Nicolas de Rethel. 

Mais de semblables démêlés ne pouvaient naître que 
dans un pays occupé par des moines. Dans les loca- 
lités où se trouvaient des monastères de filles, — les 
habitants n'avaient point accès dans l’église abbatiale, 
du moins à dater de la clôture. L'abbesse, comme dame 
du lieu, autorisait ou fondait elle-même une église pa- 
roissiale, et le vicaire ou desservant nommé par elle 
était pris parmi les prêtres ou chanoines bénéficiaires 
du couvent. — Dans les lieux où l’église paroissiale 
était de fondation antérieure à celle du couvent, Yab- 
besse ne jouissait pas moins des mêmes priviléges, 
quand sa maison était de fondation royale. Elle exer- 
çait alors tous les droits de seigneurie. C’est sans doute 
à l'exercice de ces droits qu'il faul attribuer la trans- 
lation que fil l'abbesse des reliques de saint Trésain 
en l’église de son monastère, et leur réunion à celles de 
sainte Berthe et de saint Gombert que conservaient en 
grande vénération les religieuses de Saint-Pierre d'Ave- 


— 286 — 


nay. Celte translation qui violait certainement les droits 
acquis des paroissiens, a bescin d’être expliquée. 

On a vu dans la légende que nous venons de repro- 
duire en partie, comment les eaux de la source de Saint- 
Trésain avaient la propriété de guérir les fièvres et 
toutes sortes de maladies : toutefois les guérisons n’a- 
vaient lieu que par l'invocation du saint patron d’Ave- 
pay, — ce qui valut bientôt à l’église paroissiale un 
glorieux et productif pèlerinage. — Le monastère en 
fut inquiet. Le eaux de la fontaine de Sainte-Berthe 
jouissaient du même priviléce ; elles avaient même une 
célébrité plus grande et mieux établie. Elles ne gué- 
rissaient pas seulement les fièvres, mais aussi les mala- 
dies les plus graves et les plus désospérées : elles 
étaient notamment un remède souverain contre la folie. 
Quoi qu’il en soit, et quelle que püût être l'opposition de 
la communauté des habitants, — la réunion des reli- 
ques de saint Trésain à celles de sainte Berthe et de 
saint Gombert s’exécuta en vertu du pouvoir seigneu- 
rial de l'abbesse; et le patron désormais ne put opé- 
rer aucun miracle dont sainte Berthe et saint Gom- 
bert ne pussent également revendiquer l'honneur. 


Histoire de l’église. 


On connaît l’époque de la fondation des églises mo- 
nastiques, et l’on a conservé l’histoire des circonstances 
qui se rapportent à leurs commencements, à leur re- 
construction, aux diverses phases de leur existence. 
On sail avec quel soin les archives se conservaient 
dans les congrégations religieuses. Presque tous les car- 
iulaires de ces établissements ont survécu au désastre 
révolutionnaire, et à l'aide des parchemins recueillis 


= SU — 


dans les chefs-lieux de districts, on peut refaire l'histoire 
des édifices monastiques de l’ancienne France. H n’en 
est pas de même des églises paroissiales de nos vil- 
lages. Les titres des communes, laissés à incurie des 
municipaux ou des sacristains du temps, ne sont point 
parvenus jusques à nous, et l’on n’a plus que la tra- 
dition qui puisse quelque peu renseigner sur les pre- 
miers temps des églises et des monuments communaux. 

Aussi n’avons-nous rien de positif sur la première 
église de Saint-Frésain d'Avenay. T est certain, nous 
l'avons dit, qu’elle existait lorsque Berthe vint fonder 
au Val-d’or le monastère de filles dont elle fut la pre- 
mière abbesse ; — et les plus anciens titres du cartu- 
laire abbatial mentionnaient fréquemment le serviceque 
devaient à la paroisse les prêtres nommés par la dame 
abbesse. 

On croit avoir des notions plus satisfaisantes sur Pé- 
glise actuelle, dont l'érection est attribuée à Pun des 
comtes de Champagne. Il résulte en effet, d’une charte 
de lan 1103, insérée au cartulaire de l’abbaye, que 
Hugues, tombé sous le fer assassin d’un de ses domes; 
tiques, s'étant vu abandonner de tous les médecins , 
qui jugeaient ses blessures incurables, et ayant oui par- 
ler des guérisons miraculeuses opérées par l’interces- 
sion de sainte Berthe, de saint Gombert et de saint 
résain, se fit transporter au bourg d'Avenay, où, par 
les mérites et la vertu des saints patrons, il ne tarda 
pas à recouvrer une parfaite santé. Hugues , en recon- 
naissance de cette guérison , fit à l’abbaye de Sainte- 
Berthe plusieurs donations dignes d’un grand prince, 
et réédifia l'église paroissiale de Saint-Frésain, que les 
comtes de Champagne, ses successeurs , se plarent à 
entretenir libéralement. 


re = 


Mais le premier titre ayant date certaine, et qui men- 
tionne en termes formels l’église de Saint-Trésain , est 
une bulle du pape Eugène III donnée l'an 1147, par 
laquelle le Saint Père déclare prendre en la protection 
de saint Pierre et la sienne Pabbaye dudit Saint-Pierre 
d’Avenay, ordonnant que «tous les biens et possessions 
d'icelle présents pour lors et à venir, tant terres, bois, 
rivières, pasturages qu'autres, soient et demeurent in- 
vinciblement à ladite abbaye, savoir : la ville d’ Avenay, 
où ladite abbaye est située; l'église Saint-Trésain de la- 
dite ville et la chapelle Notre-Dame... Et de plus con- 
firme aux dames de ladite abbaye leurs coutumes rai- 
sonnables, leur donnant pouvoir d’élireet pourvoir aux 
cures des églises dont elles sont patrones , des prêtres 
idoines et capables par elles présentés à l’évêque dio- 
césain. » 

Le second litre est de 121% ; — il est d’une grande 
importance pour le service dù par l’abbesse à la pa- 
roisse. C’est une charte d’Albéric , archevêque de 
Reims, qui maintient à six le nombre des chanoines de 
l’abbaye, qui statue qu’à l'avenir l'administration de la 
curedeléglise paroissiale appartiendra, non point à cha - 
cun d’eux par ancienneté, comme précédemment, mais à 
l’un des six seulement, à l'exclusion des autres, sauf la 
répartition en*proportlions équitables des fruits et re- 
venus de ladite cure, précédemment la chose de tous. 
« Il est d'ancienne coutume, porte cette charte, que les 
six chanoines d’Avenay soient curés en même temps de 
la paroisse dudit lieu , et que tous les ans chacun soit 
nommé à son tour auxdites fonctions : mais, comme il 
arrive à ce sujet plusieurs inconvénients qui mettent en 
grand danger ladite église et le salut des âmes qui 
sont confiées auxdits chanoines , nous , désirant pour- 


— 080 — 


voir au bien de ladite église et au salut desdites âmes, 
après avoir pris Pavis des personnes sages et éclairées, 
avons cru devoir apporter un changement à cette cou- 
tume : du consentement done de la très-révérende fille 
en Jésus-Christ, l'abbesse d’Avenay, du couvent et des 
chanoines dudit lieu , nous avons confié la conduite de 
ladite église paroissiale à Robert, l’un desdits cha- 
noines, qui sera tenu de ladministrer et d'en remplir 
toutes les fonctions. » 

Un troisième titre, intéressant encore pour l’église, 
est une lettre du roi Philippe donnée lan 1272, le 18 
du mois de juillet, scellée du grand scel en cire verte 
et lacs de soie, par laquelle «ilest donné permission à 
Gilles d’'Avenay de fonder une chapelle en l'honneur de 
Notre-Dame et de tous les Saints, en l’église paroissiale 
dudit Avenay , avec dot de 29 arpents de prés, situés 
aux terroirs d'Esparnay et d'A y (longuement désignés 
en la charte), le tout pouvant valoir environ 30 liv. t 
en faveur du chapellain de ladite chapelle, avec amor- 
tissement du roi Philippe, comme appert par son sein 
apposé en ladite charte. » 

Il ne s’agit point ici de la construction , ni même de 
l’époque de la consécration de la chapelle Notre-Dame, 
qui existait déjà dans l’église dès le moment de la con- 
sécralion de Pédifice , mais tout simplement de la do- 
tation de cette chapelle , qui est restée jusqu’à ce jour 
sous l’invocation de Notre-Dame. 

Les autres titres que nous avons sous les yeux sont 
tous postérieurs à cette dernière date : ils traitent notam- 
ment des attributions des chanoines de l'abbaye, comme 
curés de St-Trésain; des dons, legs et fondations au pro- 
fit de Péglise ; puis ce sont des devis et pièces comp- 
tables pour les réparations faites à diverses époques ; 


— 600 — 


des renseignements sur les réunions et assemblées en 
temps de troubles ou de guerres civiles dans l'enceinte 
de l'église; des actes relatifs aux miracles opérés dans 
la chapelle de Sainte-Ante, par lintercession et les 
mérites du bienheureux Gérard Rousse, chanoine (jan- 
séniste) et caré de l’église paroissiale, mort, au dire des 
appelants, en odeur de sainteté, le 9 mai 1727. 


État actuel. 

L'église de Saint-Trésain d’Avenay, telle qu’elre est 
aujourd’hui, mérite à plus d’un titre d’être signalée à 
la sollicitude du gouvernement ; importance de son 
vaisseau, hors des proportions ordinaires des églises de 
campagne, suffirait seule pour attirer l'attention. 

Les premiers travaux de construction de Pédifice ac- 
tuel semblent dater du x° siècle , bien que plusieurs 
parties soient d’une époque postérieure ; il résulte de 
ce premier examen qu’en aceeptant Hugues, comte de 
de Champagne, comme fondateur de l’église parois- 
siale , il ne resterait rien de bien apparent de la con- 
struction qu’il avait fait exécuter. 


Léglise actuelle est à trois nefs voùtées de trois tra- 
vées, dont le style un peu lourd nous semble dater de 
la première moitié du xt siècle. Il paraît cependant 
que les piliers, au moins par les bases et partie des cha- 
piteaux , ont été refaits au xvi° siècle. Les nervures des 
voûtes el des fenêtres ont été également retouchées, 
mais les ares-doubleaux sont de la construction primi- 
live. = 

Sur les chapiteaux des latéraux se voient de larges 
feuilles de chêne, de vigne, de chardon , avec glands 
et grappes entremêlés de petits génies qui luttent, 


— 29 — 
s’entrelacent, d'oiseaux qui becquetent des raisins et 
d'animaux fantastiques. 

Le grand chevet est carré; il a deux travées en pro- 
fondeur, la première fort large, la seconde plus étroite. 
Au-dessus des arcades de ces travées règne une petite 
galerie, à arcades trilobées , quatre pour la première 
travée , deux pour la seconde. A Pest trois fenêtres 
égales, au-dessus desquelles la galerie tribolée continue 
et a quatre arcades. Au-dessus de ces arcades de l’est 
se voit l'amortissement d’une ogive à rameaux flam- 
boyants. C’est la seule partie du sanctuaire qui nous 
semble appartenir au xv° siècle. 

Le chœur est plus bas que le sanctuaire de deux de- 
grés; il n’y a plus de grille qui l'en sépare, et rien 
n’annonce qu'il y eut autrefois un jubé : cependant 
sa forme a pu subir quelques modifications. Du côté 
de la nef et des transeps, le chœur se termine par des 
bancs fermés réservés aux hommes. 

La nef principale est large et occupée par les bancs 
des femmes ; sous la clef de la première travée se voit 
le médaillon d’ua personnage à figure quelque peu gro- 
tesque, quoique la tradition veuille y reconnaître le 
portrait d’un des comtes de Champagne, bienfaiteurs 
de Péglise. Il est barbu , avec des oreilles pointues, 
un chignon élevé, le nez et le menton proéminents et le 
front bas. Quatre pelits génies supportent ce médaillon. 
Les autres clefs de voûte n'offrent rien de particulier. 

Les collatéraux des bas côtés se prolongent au-delà 
de la croisée et se terminent à la naissance de Pabside, 
ou plutòt forment eux-mêmes deux absides secondaires 
où sont érigées deux chapelles dédiées , l’une à sainte 
Anne et l'autre à Notre-Dame. 

Les transeps sont larges, mais peu profonds, et de 


992 — 


forme carrée. Les nervures du chalcidique sont égale- 
ment du xui° siècle, ainsi que, les intrados des archi- 
voltes. Le croisillon du nord est du xvr? siècle; celui 
du sud , du commencement du xin’. Il est décoré d’une 
arcalure non ogivale, mais trilobée, ce qui est quel- 
que peu plus ancien. Quant aux arches qui débordent 
des chevets latéraux dans le grand chevet, elles sont du 
x primitif, à intrados d’archivoltes. 

L’ornementation intérieure est toute dans le goût du 
xvi siècle : un autel à la romaine, en forme de tom- 
beau, avec un rétable appliqué à la muraille et mas- 
quant la fenêtre centrale du chevet, le rétable s’élevant 
en ceintre trilobé, flanqué de colonnes cannelées , do- 
rées , d'ordre corinthien , accompagné de deux gros 
chérubins nus, festonnés de guirlandes , le tout sur- 
monté d’un Christ ressuscitant. Le tableau du rétable 
représente l Assomption de la Vierge. Selon le devis des 
restaurations de 4768 , ce tableau devait figurer saint 
Trésain confesseur ; ce qui serait d'autant plus raison- 
nable, que l’une des deux chapelles latérales est aujour- 
d’hui sous l'invocation de la Vierge, et que la place de 
celle Assomption serait mieux dans celte chappelle , 
même qu’au maître-autel. 

Le sanctuaire, jusqu'aux stalles, est lambrissé dans 
le goùt du xvin? siècle, et ce lambris masque les lignes 
architecturales; il est surmonté de frontons et de pina- 
cles en grenades de fort mauvais goût. Toute cette dé- 
coration serait à modifier. — 1] faudrait isoler l'autel, 
enlever les lambris, d’ailleurs vermoulus , ouvrir les 
croisées condamnées , et surlout avoir des vitraux 
peints, car la lumière est excessive. 

Les deux chapelles sont également ornées dansle sys- 
tème du xvm siècle. Celle de Saint Joseph se rappro- 


— 293 — 


che du style du maître-autel ; la chapelle de la Vierge 
s’est enrichie de colonnes en marbre, d’un énorme bal- 
daquin, et de trois stalues de grandeur naturelle, lune 
figurant la Vierge, la seconde sainte Berthe , et la troi- 
sième saint Gombert, son époux; le tout provenant de 
l'église abbatiale réédifiée au xvin® siècle. Les grilles 
d'appui fermant les deux chapelles wexistent plus. 

Il n’y a point de jubé, mais à la dernière travée de 
la nef principale, vers la croisée, sur une poutre en 
traverse, est posé, au-dessus des fidèles, un grand 
Christ du xvi° siècle d’un assez bon style. La poutre 
élait ornée d’armoiries qui ont disparu. 

La chaire , dans la nef du côté du nord, est en chêne 
sculpté, avec un dais surmonté de l'ange du jugement 
dernier. L’orgue provient de Pabbaye, bien que l'église 
en possédàt un avant la Révolution. Des bancs destinés 
aux femmes occupent les trois nefs. Le bénitier, placé 
sous l’orgue, à droite en entrant, est une cuve ovale en 
granit rougeñtre, sur pied de marbre noir, le tout d’une 
belle exécution. C’est un hommage à Pabbaye de M. de 
Sallabery, seigneur de Mareuil, qui, au xvin' siècle, 
y avait une fille religieuse. 

L'église est en outre décorée de plusieurs tableaux 
parmi lesquels nous citerons : 4° celui qui décore le 
plein de la croisée de droite ; il représente sainte Berthe 
traçant le lit de la Livre, ruisseau dont elle acheta les 
eaux des moines de St-Basle; elle est accompagnée d'une 
religieuse, toutes deux jeunes et gracieuses : elle arrive 
au monastère traïnant la quenouilie miraculeuse. Ce 
tableau vient du monastère dout il donne une vue. 

2° Un tableau daté de 1601, représentant un Zece 
homo avec un encadrement de six des principales scè 
nes de la passion et les instruments du supplice. 


19 


— 294 — 


3° Une adoration des bergers, où l’on voit une figure 
qui semble être le portrait de Henri IV. 

4° Contre Yorgue, une flagellation de 1607 : la tête 
du Christ est noire, auréolée. — Ces tableaux et d’au- 
tres encore sont loin d’être sans mérite. Ils proviennent 
de l’abbaye ainsi que les deux reliquaires pittoresques 
(œuvre des religieuses) qui décorent l'autel de la Vierge. 

Il n’y a que des fragments insignifiants de vitraux 
peints, des statuettes en pierre, en bois, dont quelques- 
unes des xvi° et xvi? siècles sont assez remarquables : 
des chässes modernes, œuvre d'artisans du village, 
contenant les reliques de sainte Berthe, de saint 
Gombert, de saint Trésain, de sainte Ursule et des 
onze milles vierges. — Quatre bannières,"dont deux 
surtout fort riches, hommage récent d’un généreux pa- 
roissien. — Pierres tumulaires sans importance, celle 
du chanoine Rousse ayant été brisée. 

L'église extérieure, quant au portail surtout, est 
digne d'attention. Le portail se terminant en pignon, 
est flanqué de quatre pilastres ou contreforts ; les deux 
principaux se projelant jusqu'au couronnement et se 
terminant par une retraite en larmier. — Ces contre- 
forts offrent des ressauts ou consoles avec dais. Les 
statues qui les ornaient, manquent depuis l'époque de la 
Révolution. Le fronton de l’arcade est surbaissé : la 
voussure ornée d’un double feston de pampres, feuil- 
lages et guirlandes où se jouent des figurines fantasti- 
ques. Les flammes lancéolées du panneau sont fort en- 
dommagées. En somme, le portail comptait sept statues 
de demi-graudeur ; toutes sont à restituer, car les deux 
qui figurent sur les deux consoles superposées du tru- 
meau sont modernes, en plâtre, et de mauvais goût. 

Certaines bonnes gens du pays tiennent de tradition 


— 295 — 

que la statue la plus élevée, celle qui décorait le fronton 
du pignon, offrait l'image de Lucifer dans une attitude 
indécente. — L’une des gargouilles du latéral de droite 
offre encore un animal aculé, qu'une singularité du 
mème genre signale : peut-être est-ce là origine de 
l'opinion en question. D’autres disent savoir qu’au 
fronton figurait un saint Michel triomphant. Il paraît 
plus naturel d'y meitre l’image de saint Trésain, con- 
fesseur , patron de la paroisse. 

La tour du clocher, placée sur la croisée latérale de 
gauche, n'offre rien à signaler, si ce n’est que la partie 
iuféricure jusqu'aux voûtes paraît de la première con- 
struction. 

Le chevet de droite, donnant sur l’ancien cimetière, 
offre estérieurement, iacrustée dans le mur, une pierre 
tumulaire sculptée en rond de bosse, représentant une 
descente de croix, bon style, du xvie siècle. Cette pierre 
mutiléeseraità restaurer el àrentrer dans l’église aujour- 
d'hui que le cimetière se trouve transféré hors du pays. 


L'église paroissiale de Saint-Trésain d’Avenay a été 
le théâtre de plusieurs évènements notables. C’est sous 
ses voûtes que se conclut, au mois de mars 1593, la 
trève dite des Morssons entre les catholiques de la Ligue 
et les partisans de Henri IV du pays de Reims et de 
Châlons. Les fourrageurs irquiétaient les cullivateurs 
et les vignerons de ia Marne et de la montagne. Les 
chefs convinrent de s’aboucher et de s'entendre à ce 
sujet pour assurer ia sécurité des propriétaires et fa- 
ciliter la récolte. La ville de Reims y eut ses députés, 
et les Conclusions du conseil de cette époque relatent à 
plusieurs reprises les conférences d’Avenay. H existe 
à la bibliothèque royale un manuscrit ayant pour titre : 


a" 096) = 


« Articles accordés entre les députés du conseil des 
villes de Reims et Châlons, et les nommés d’entre le 
clergé, la noblesse et le tiers-état assemblés au bourg 
d’'Avenay en 1695. » Ces articles sont cités entre les 
pièces du n° 3301 du catal. de Leblanc. 

Parmi les curés d’Avenay qui jetèrent quelque lustre 
sur l’église de Saint-Trésain, il faut citer Michel Champe- 
nois, qui passa de l’églised’Avenay à la cure et doyenneté 
d’Ay.Sa haute érudition, ses vertus chrélienneseLune for- 
tune considérable lui acquirent de son vivant une haute 
position dans l'estime de tous. Il a laissé plusieurs fon- 
datiohs pieuses tant en l’église d’Avenay qu’en celle 
d’Ay, et les amateurs de beaux livres se disputent 
encore de nos jours les incunables revêtus de sa signa- 
ture qui faisaient l'honneur de sa riche collection. —La 
bibliothèque de Reims possède de cet honnête curé un 
livre qui ferait envie aux musées royaux : c’est le livre 
des Saintes pérégrinations de Jérusalem, par Bernard 
Breydenback, éd. de Lyon, 1489, avec toutes les cartes 
et planches qui font de ce volume l’un des plus précieux 
connus de la bibliographie ancienne. 

Un autre chanoine, curé de l’église d’Avenay, a laissé 
un nom dans les lettres, bien que son article ne se trouve 
dans aucune biographie classique. C’est le pieux et mo- 
deste Blanchard, auteur d’un livre devenu populaire et 
digue du haut rang qu’il a conquis, comme ouvrage d’é- 
ducation, ÉCOLE DES MOEURS, ou reflexions morales 
et historiques sur les maximes de la sagesse. La qua- 
trième édition, imprimée à Lyon, chez Bruyres frères, 
1787, en 3 vol. in-12, est la plus complète et la plus 
estimée. Elle contient en forme de supplément un ex- 
cellent mémoire sur la mendicité, qui concourat au prix 
de l'académie de Chàlons-sur-Marne, et qui valut Pac- 


— 397 — 


cessit à son auteur, L'abbé Blanchard était de Tourte- 
ron, près de Rethel, où il est allé finir ses jours, après 
les évènements de la Révolution. 

Il faut aussi dire quelques mots du chanoine Rousse, 
dont la mort fit tant de bruit en son temps. Gérard 
Rousse, comme Blanchard, était Ardennais, né à Hau- 
teville, entre Rethel et Château-Porcien. Ii avait fait ses 
études au collége de Reims. Plus tard, entré au sémi- 
naire, il fut fait prêtre par l'archevêque Maurice Le 
Tellier, Nommé à la cure de Sivry, à quatre lieues de 
Reims, il quitta cette cure au bout de quatre à cinq 
ans, et fut pourvu d’un canonicat à Avenay. Il était 
doux, modeste, charitable, fort humble, attaché à ses 
devoirs et d’une régularité de mœurs exemplaire. 

Dans la grande question de jansénisme, M. Rousse 
avait refusé de recevoir la fameuse bulle Unigenitus , 
ce qui lui avait attiré quelques ennemis. Lors de sa 
dernière maladie, on mit en question si l'Église lui don- 
nerait ses dernières consolations, — malgré la per- 
mission de M. l'archevêque J. de Rohan, qui, sur l'avis 
de son conseil écrivit « que, bien que le sieur Rousse 
fut appelant et censé rebelle à l'Église , n'étant point 
dénoncé comme hérétique, il y avait lieu de lui donner 
les sacrements, s’il déclarait mourir dans la foi de PÉ- 
glise catholique, apostolique et romaine. » — Sur le 
refus du curé Vincent, M. Rousse fut administré de la 
main de M. Robert, l’un de ses confrères, chanoine 
d’Avenay. Il mourut le 9 mai 1727. — Par disposition 
testamentaire, le chanoine Rousse avait demandé à être 
inhumé dans l’église de Mareuil, dans la crainte que le 
curé Vincent, par suite de ses principes, ne le privât de 
sépulture. Mais celui-ci consentit à l’inhumation dans 
le pays, et offrit même d’enterrer le corps dans la cha- 


— 298 — 


pelle de Sainte-Anne. « Le sieur curé d’Avenay, dit le 
mémoire que nous suivons, en faisant inhumer le corps 
de M. Rousse en cette chapelle, se prêtait, sans lesavoir, 
aux desseins de la Providence. Dieu avait choisi cet en- 
droit pour manifester sa toute-puissance et la sainteté 
de son serviteur, en opérant par ses prières, et sur son 
tombeau un grand nombre de miraculeuses guérisons » 

En effet, le zèle janséniste s’entretint d’une façon 
merveilleuse sur la pierre du chanoine Rousse, qui meut 
rien à envier à la pierre du bienheureux Paris (1). 
Les pèlerinages, les guérisons se multiplièrent à l’envi, 
des certificats émanés de personnes honorables, des 
actes passés devant notaire, altestèrent l'authenticité 
des miracles, et les journaux, les écrits périodiques du 
temps furent pleins des mérites et de la gloire du bien- 
heureux Rousse; il eut son culte dans l’église d’Ave- 
nay : Cétait un entrainement, un encombrement de 
fidèles et de pèlerins qui finit par inquiéter l'autorité. 
Saint Rousse eut son culte, et voici l’une des nombreuses 
prières qui se récitaient sur son tombeau : on la trouve 
dans la neuvaine imprimée en 1779. 

« Domine Jesu Christe, qui, duobus super terram 
« consentientibus, certam de omni re quamcumque 
« petierint à patre tuo qui in cæœlis est, impetrationem 
« promisisti : servorum tuorum Russi et Parisii sus- 
« cipe prostratas in jejuniis, gemitibus et lacrymis de- 
« precationes, quibus iram tuam à populo tuo avertere 
« vehementer desideraverunt : qui vivis et regnas cum 
« Deo Patre... » 

Mais cette gloire ne fut point sans mélange : les 


1) Le bienheureux diacre Paris était mort depuis quelques jours 
seulement, le {° mai 1729. 


— 299 — 


molinistes se donnèrent tautesles peines du monde pour 
obscurcir lauréole de saint Rousse. Ils attaquèrent, 
contredirent et tournèrent en ridicule les miracles d’A- 
venay. Ils allèrent jusqu’à répandre des bruits outra- 
geants pour la mémoire du bienheureux, et semèrent les 
pamphlets les plusirritants. Voici entre autres quelques 
couplets d’une chanson qui courut dans Reims et qui 
blessa profondément les néophytes : 


LES MIRACLES D'AVENAY. 
Complainte chantée à Reims sur l'air de : Et allons, ma tourlourette. 


Louison. 
Cato, le charmant voyage, 
Jamais on ne fut si gay! 
Vive le pèlerinage ! 
Vive le Saint d'Avenay ! 
Et allons, ma tourlourette, etc. 


CATO. 
Vraiment la chose est jolie 
D’Avenay vous revenez! 
On y va pour la folie 
Est-ce que vous en tenez? 
Et allons, ma tourlourette, ete. 


Louisox. 
Un saint de fraiche mémoire 
Y repose, non en paix. 
D'un voyage pour sa gloire 
Qui pourrait plaindre les frais! 
Et allons, ma tourlourette, etc. 
CATO. 
Quoi! Rousse le fanatique 
Est au rang de vos patrons, 
On vous croira fanatique 
Gar les petites maisons! 
Et allons, ma tourlourette, etc. 


LOUISON. 
Je me moque de l'Église 


— 300 — 


Et du Pape et des Prélats, 
Reims est un lieu de franchise 
La foudre n’y tombe pas. 

Et allons, ma tourlourctle, etc. 


Cette chanson a trente couplets. Toutefois, loin de 
nuire au pèlerinage, elle ne fit que réchauffer le zèle 
des croyants, et les choses en vinrent au point que 
l'autorité ecclésiastique procéda à l’encontre de la cha- 
pelle Sainte-Anne d’Avenay, comme on avait procédé 
à Paris à l’encontre du cimetière Saint-Médard. « Nous 
avons appris avec une extrême douleur (dit le mande- 
ment archiépiscopal du 29 août 1727) que plusieurs 
personnes de l’un et de Pautre sexe, animées d’un zèle 
indiscret…, s’ingèrent depuis un certain temps de faire 
dans la chapelle de Sainte-Anne de l’église paroissiale 
d’Avenay, sur la tombe du feu sieur Gérard Rousse, 
prêtre, vivant chanoine dudit Avenay, réputé appelant 
et réappelant de la constitution Unigenitus, des pèleri- 
nages et des neuvaines à l’occasion de prétendus mira- 
cles dont on voudrait honorer sa mémoire... Considé- 
rant... que ces observances sont réprouvées par les 
conciles, qu’elles tendent à établir un culte public indù, 
faux, superstitieux et contraire aux règles de l'Eglise. 
A ces causes, nous avons interdit et interdisons les sus- 
dits pèlerinages et neuvaines, sous peine d'interdiction 
de ladite chapelle, d’excommunication majeure, ete. » 


Ce mandement resta impuissant, et les miracles se 
continuaient comme devant et avec un mépris aflecté 
des molinistes et du mandement, Il fallut recourir aux 
grands moyens : la chapelle fut mise en interdit, et la 
force publique, sous figure de la maréchaussée, fut di- 
rigée sur Avenay pour défendre l'entrée de l'église; 


— 301 — 


et ce ne fut pas sans bruit, sans rumeur populaire que 
l'autorité parvint à faire prévaloir l'interdiction. En- 
fin, après maint horion, force resta à la loi, et comme 
à la porte du cimetière Saint-Médard, l’on put écrire 
au fronton de l’église d’Avenay : 

De par la loi, défense à Dieu 

D’opérer miracle en ce lieu. 

Depuis cette époque désastreuse pour les fidèles et 
ceux de la petite église, la chapelle de Saint-Anne a 
perdu tout son lustre. La pierre tumulaire a été arrachée 
il ne reste d’autre souvenir de cette ère miraculeuse 
que le tronc dans lequel se versaient les offrandes des 
pèlerins, et bien que l'autel ait subi les purifications 
voulues, et de nos jours encore celle de M. le curé Tru- 
bert, on n’a pas souvenir de messe ou d’office chantés 
à cette chapelle, sur laquelle semble peser encore les 
foudres de l'interdiction archiépiscopale. 

Lors du dépouillement des églises et de labolition 
du culte, Péglise de Saint-Trésain d’Avenay subit tou- 
tes les dégradations voulues par la loi: Voici entre au- 
tres documents un procès-verbal qui en dit assez : 

« Extrait des registres des déliberations de la commune 
d’Avenay, du 9 frimaire an 2 de la République une et 
indivisible. 

« La municipalité assemblée au lieu ordinaire de 
ses séances. — Íl a été observé qu'il reste à l’église de 
la paroisse différentes pièces d’argenterie et de cuivre 
qui avoient été réservées en attendant qu’il en soit fa- 
briqué de fer blanc; mais au moyen de la démission du 
citoyen Leprest, curé de ladite commune, en date du- 
dit jour, ces argenteries ne sont d'aucune utilité, en 
conséquence il a été délibéré que le tout serait ce jour- 
d'hui transporté au district pour le joindre aux autres 


— 302 — 
argentleries et cuivre qui y ont été transportés en date 
du premier frimaire du présent. 

« Lesquels argenterie et cuivre da présent envoi con- 
sistent, savoir : 

« En un calice avec sa patène, — un soleil, — une 
custode, — les vases aux saintes huiles, — une 
lampe, — deux croix en cuivre argenté, — une autre 
moyenne croix en cuivre, — six grands chandeliers 
en cuivre argenté, — avec deux pelits, — huit au- 
tres moyens chandeliers en cuivre, — deux bénitiers 
en cuivre, — un petit Saint-Trésain, — un pied-d’es- 
tal, — et les girouettes provenant de la ci-devant ab- 
baye. 

« Lesquels objets désignés sont envoyés au district 
sous la conduite du citoyen Pierre Maigret, officier mu- 
nicipal de laditecommune, qui en rapportera décharge. 
— Fait et délibéré en la maison commune le neuf fri- 
maire, 2° année de la République une et indivisible. Si- 
gné sur le registre : Maigret, Hébert, Jesson, Mea, 
Polin, officiers municipaux; J.-N. Jacta, Jacta, Guim- 
bert, notables, et Maigret, secrétaire. Ensuite est écrit : 
J'ai recu les effets ci-dessus, savoir ceux en cuivre pe- 
sant 164 livres, et ceux en argent huit marcs sept onces. 
À Epernay, le 9 frimaire, l'an 2 de la République. Signé 
Dovay, et en marge : Ensemble kuit tableaux de diffé- 
rentes grandeurs dont quatre ont été crevés par la voi- 
ture, — pouvant peser cent vingt livres. Signé Douay.» 

A cette pièce est jointe cette autre antérieure de 
quelques jours : 

« J'ai recu du citoyen Pierre Maigret, officier muni- 
cipal, et Jean Vailly, notable de la commune d’Avenay, 
des ustensiles de cuivre provenant de leur église, du 
poids de 80 livres. J'ai aussi recu des dénommés ci- 


— 303 — 


dessus, en un encensoir, deux buirettes, deux calices 
et leurs plateaux, un plat, et des débris d’une châsse, 
le tout d’argent, — le poids de 444 marcs — 6 onces 3 
gros. — Et ce avec invitation de se conformer à P'ar- 
rêté des représentants du peuple qui ordonne de rendre 
tous les ustensiles d’or, d'argent et de cuivre dans le 
plus bref délai. A Epernay, le 2 frimaire, lan 2 de la 
République. Signé Douay. » 

Et maintenant que nous savons que toutes ces dila- 
pidalions, tous ces scandales ont été exécutés au nom 
du gouvernement, qui en a profité, n’est-il pas logique 
et juste que le gouvernement, qui comprend le besoin 
pour la société des idées religieuses, ne fut-ce qu’à 
titre de restitution et de réparation, prenne à sa charge 
une parlie des restaurations que nécessite l’état de dé- 
librement et de pénurie de nos églises ? 


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RAPPORT 


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LES DUCS DE CHAMPAGNE, 
de M. Etienne GALLOIS, 


Par M. l'abbé BANDEVILELE, 


Parmi toutes les provinces de France , il en est peu 
de plus historiques que la Champagne : foyer sacré d’où 
jaillit l'étincelle évangélique qui éclaira la nation des 
Francs ; séjour de plusieurs des rois descendants de Clo- 
vis ou de Charlemagne, et par-là même rendez-vous fré- 
quentdes cours plénières, des champsde Mars ou de Mai, 
des assemblées nationales ; arène sanglante des meur- 
triers débats des Mérovingiens , la terre champenoise , 
sous les deux premières dynasties, est comme le théâtre 
des principaux évènements dela monarchie française , 
et son histoire se lie intimement à celle du royaume en- 
tier. À cetle époque, il est vrai, nos annales offrent peu 
de noms brillants, point de personnages ceints d’une 
auréole de gloire, comme ceux qui plus tard, parés du 
titre de comtes , marcheront de pair avec les rois ; 
mais en revanche , le pays, moins éclipsé, paraît da- 
vantage ; el les quelques noms qui se laissent entrevoir 
dans l'obscurité, doivent au mystérieux nuage qui les 


— 306 — 


enveloppe , d’exciter plus d'intérêt, en piquant plus 
vivement la curicsité. 

Car, vous le savez, Messieurs, en histoire comme en 
bien d’autres sciences, ce qui plaît, ce qui flatte le plus, 
ce n’est pas le grandiose , un nom glorieux, un fait 
éclatant, un trait héroïque : c’est ce qu’il y a de moins 
connu ; et l'historiographe se met, au milieu des di- 
plômes et des parchemins , à la poursuite d’un nom 
rare, avec autant de zèle et de persévérance que lher- 
boriste dans les bais et les montagnes à la recherche 
d’une plante, le géologue dans les entrailles de la terre 
à la découverte d’une pierre ou d’un fossile : et le plai- 
sir, le battement de cœur que sent l’un à la vue d’une 
herbe , d’une fleur, d’une feuille de forme nouvelle , 
l’autre à l'aspect d’un débris antédiluvien, l’annaliste 
l’éprouve à la lecture d'un nom, d’un fait que personne 
n'avait soupconné, ou du moins remarqué avant lui. 
Ne soyons donc point étonnés si l’histoire des temps 
mérovingiens, et surlout celle de la Champagne à cette 
époque, a été si souvent exploitée comme une mine de 
riche espérance. 

Cependant , si cette partie de l’histoire a son côté 
intéressant, à cause des ténébres qui la couvrent, elle 
a aussi, par le même molif, son côté difficile et pénible. 
Là, presque toujours , il faut marcher sans lumière, 
au milieu des incertitudes : ce sont des textes à compa- 
rer, des contradictions à concilier, des invraisemblances 
à apprécier, des anachronismes à rétablir ; c’est toute 
une série de faits qu’il faut deviner et bâtir sur une 
charte, un nom : et cette charte , il faut la déterrer 
dans la poussière. le cahos des archives ; ce nom, il 
faut le découvrir dans le dédale de cent chroniques en- 
fouies elles-mêmes dans les pages innombrables d’une 


= g0 — 
multitude d’in-folio. Et quand , pour écrire une seule 
ligne, un auteur s’est appliqué pendant des jours en- 
tiers à chercher, compulser , déchiffrer, comparer, le 
résultat de ses longues et laborieuses investigations , 
c’est le plus souventun peut-étre. 


L’opuscule qui nous a été présenté par notre con- 
frère, M. Etienne Gallois, est un travail de ce genre. 
Ce n’est pas l’histoire de la Champagne sous la pre- 
mière dynastie de nos rois (ce cadre eût été plus fa- 
cile à remplir , puisque comme je Vai dit, il eût ren- 
fermé l’histoire de la monarchie elle-même), ce sont 
des recherches sur ces grands officiers qui , sous le 
titre de dues, administraient le pays, au nom du roi 
qui régnait, et sous l'influence du maire, qui gouver- 
nait. Avouons-le pourtant , le chemin avait été frayé : 
Pithou , Baugier, et plus récemment M. Béraud, dans 
une Histoire des comtes de Champagne, et notre sa- 
vant confrère M. Fleury, dans un des premiers numé- 
ros de la Chronique de Champagne , avaient reconnu 
les lieux, les noms et les faits explorés par M. Gallois. 
Mais les premiers, en rétrécissant leur vadre, n'avaient 
fait qu'esquisser le tableau que celui-ci voulait dessi- 
ner plus largement ; et d’ailleurs plusieurs d’entre eux 
n'avaient pas su se garantir d'erreurs assez graves. 
Toutefois ils ont pu être pour l'auteur le fil d'Ariane 
qui empêchait de s'égarer dans le labyrinthe qu’il 
avait à parcourir. 

M. E. Gallois écrit avec conscience, et, ce qui est 
un mérite assez rare par le temps qui court, il a lu tous 
les auteurs qu'il cite, et il en cile un grand nombre. 
Les histoires de Grégoire de Tours, d’Aimoin, de Flo- 
doard; les poëmes de Fortunat; les chroniques de 


— 308 — 


Frédégaire, d'Herman Contract, de Sigebert, d’Adon ; 
celles de Saint-Denis, du monastère de Massay, de 
Fontenelle, de Limoges, de Fleury; les annales de Metz, 
de Saint-Nazaire; l'histoire de Dupleix ; les antiquités 
de Fauchet ; enfin les ouvrages modernes qui pouvaient 
lui offrir quelques renseignements, ont été tour-à tour 
consultés par notre laborieux confrère. 


Parmi les huit ducs dont il indique les noms, trois 
seulement lui ont paru certains : c’est 1° Loup ou Lu- 
pus, premier duc de Champagne , sous le règne de Si- 
gebert, roi d’Austrasie , et de son fils Childebert H ; 
2° Winthrio ou Quinthrio, sous le même Childebert et 
ses fils Thierry et Théodebert ; 3° Drogon ou Dreux, 
fils de Pépin d'Héristal, sous l'administration de son 
père, et pendant le règne de Childebert IE. Les autres 
ne sont présentés qu'avec doute ; et l’auteur les admet 
ou les exclut, en faisant à chacun la part de probabilités 
qui militent pour ou centre lui. 

Cet ouvrage, je ne saurais trop le redire, est un écrit 
consciencieux ; et même, si quelques légères inexacti- 
tudes ont pu s’y glisser, on doit les imputer aux scru- 
pules de l'écrivain, qui n’a voulu admettre que ce qu’il 
a vu par lui-même aux sources originales. Jai parlé 
d'inexactitudes ; il est juste que je signale celles que 
j'ai cru remarquer. M. E. Gallois, qui aime avant 
tout la vérité, ne verra sans doute dans mes observa- 
lions que le désir de concourir avec lui à léclaircis- 
sement d’un des points les plus intéressants, mais les 
plus obscurs de notre histoire. 

Je lis à la page 39 : « L'auteur des Memoires histo- 
« riques de Champagne fait mention d’un certain Wi- 
«mar qui aurait été aussi due de cette province à la 


— 309 — 


« même époque (589). Nous n'avons trouvé aucune 
« trace de son existence dans Grégoire de Tours , Ai- 
moin, Frodoard et les autres chroniqueurs. Nous imi- 
terons P. Pithou, qui garde à son égard le même si- 
lence qu’à l'égard d’Amalon, et, n'étant appuyé sur 
« aucune autorité, nous ne lui donnerons point le titre 
« de duc de Champagne. » Ne semblerait-il pas , d’a- 
près ce passage, que Baugier est coupable d’avoir usur- 
pé le duché de Champagne au profit de ce Wimar , et 
que c’est un personnage de son invention ? Mais la 
faute ne pèse pas sur lui seul, car M. Béraud , qui s’ac- 
corde presque en tout avec notre confrère , même pour 
exclure Wimar , fait le même reproche à Flodoard ; 
M. Béraud assure, dans son Histoire des comtes de Cham- 
pagne , que Flodoard fait du personnage en question le 
cinquième duc de Champagne. Moins heureux que 
M. Béraud , j'ai feuilleté scrupuleusement tout Flo- 
doard, sans y découvrir une seule fois le nom de Wi- 
mar; mais, plus heureux que M. Gallois, j'ai trouvé de 
nombreuses traces de son existence dans plusieurs his- 
toriens, des annalistes, et même des auteurs originaux : 
non pas à l’époque de la mort d’Amalon, vers 589, mais 
près d’un siècle plus tard, vers 670. Je ne citerai pas 
les Annales bénédictines de Mabillon, les Annales ecclé- 
siastiques de Lecointe (1), l’histoire latine de D. Mar- 
lot (2), les Histoires ecclésiastiques de Fleury , de Bé- 
rault-Bercastel , de Longueval, les Vies des Pères de 
Godescard (3) ni beaucoup d’autres qui ont fait men- 
tion du duc Wimar ou Waimer , en latin Wimarus, 
Waimerus ou Waymeres : M. Béraud dirait de ces au- 


a 


a 
A 


A 
A 


(1) Ad an. 670. 
(2) Tom. 2, p. 226. 
(3) Vie de saint Léger, au 2 octobre. 
20 


— 310 — 


teurs ce qu'il dit de Flodoard : Comment ajouter foi à 
tels et tels, qui n'étaient pas de ce temps-là? M. Béraud 
veut des contemporains : nous pouvons heureusement Jui 
en donner. Ce sont les auteurs de la Vie desaint Léger (1): 
l'un, moine anonyme de Saint-Symphorien d’Autun, 
écrivit par ordre d’Ermenaire, successeur de saint Lé- 
ger : il avait été témoin oculaire de la plupart des évè- 
nements qu’il rapporte ; Pautre, nommé Ursin ou Ur- 
sinus, abrégea l’éerit du premier, à la prière d’Ansoald, 
évêque de Poitiers. Ces deux écrivains sont cités avec 
confiance par tous les auteurs. Or , dans leur ouvrage, 
Wimar, ou plutôt Waimer, occupe une large place, et 
joue un grand, mais triste rôle. Le moine d’Autun, par- 
lant de ceux qui vinrent pour s'emparer de saint Lé- 
ger , dit : Jnter cœteros dux quidam erat Campanie , 
Waimerus nomine, qui ad hoc malum perpetrandum à 
finibus Austri venerat. « Il y avait entre autres un cer- 
« tain Waimer, duc de Champagne, qui était venu des 
«confins de lAustrasie pour commettre ce crime. » 
Suivant ces auteurs, Waimer, qui doit être placé après 
Winthrio, s'était fait l’auxiliaire d’Ebroin dans ses per- 
sécutions contre saint Léger. Il vint mettre le siége de- 
vant Aulun , se saisit de la personne de l’évêque, lui 
fit crever les yeux, et se chargea de le tenir sous bonne 
garde ; mais, touché des vertus de son prisonnier, il le 
traila avec moins de cruauté que ne le désirait le fa- 
rouche Ebroin; toutefois, en récompense de ses crimi- 
nels services, il reçut l'évêché de Troyes. D’après Ma- 
billon (2), saint Léger, qu’il visitait à Montier-en-Der, 
l'aurait amené à des sentiments de pénitence , et saint 

(1) Voyez A. Duchesne, tom. I; D. Bouquet, tom. IT; les Bollan- 


distes, au 2 octob. 
(2) Annal. ord. S. Ben. 


— 311 — 

Berchaire , abbé de ce monastère , l’aurait conduit en 
pèlerinage à Jérusalem, pour lui faire expier ses fautes. 
Selon les autres écrivains, Ebroin les lui fit expier plus 
sévèrement : après lavoir dépouillé de son évêché , il 
le fit pendre. Ces détails, à mon avis, demandaient 
mieux qu'ug paragraphe un peu trop sceptique : aussi 
je les recommande à M. E. Gallois, pour une seconde 
édition. 

A la page 62, notre honorable confrère dit que Hu- 
gues, fils de Drogon, due de Champagne, « fut en mê- 
me temps archevêque de Reims, évêque de Paris et de 
Bayeux. » Ce n’est pas le siége de Reims, mais celui 
de Rouen , qui fut occupé par saint Hugues. Reims 
avait alors pour archevêque saint Rigobert. Il est vrai 
qu'il fut expulsé par Charles Martel ; mais ce prince 
livra son siége, non pas à saint Hugues , qui sûrement 
ne Peût pas accepté , mais à un nommé Milon , qui de- 
meura ainsi intrus jusqu’après la mort du pasteur lé- 
gitime. 

Et puisque j'ai nommé Drogon, qu'il me soit permis 
d’eén dire un mot à l’auteur de l'Histoire des comtes de 
Champagne. M. Béraud prétend que Fauchet, dans ses 
Chroniques (lisez dans ses Antiquités gauloises), fait Dro- 
gon sixième duc de Champagne , en 593, c’est-à-dire , 
pendant la vie de Lupus, premier duc, avant qu’on ne 
pût penser aux ducs Jean, Amalon, Winthrioet autres; 
puis il s'écrie : « Comment ajouter foi à Fauchet , qui 
« donne la Champagne à Drogon à une époque où Lu- 
«pus était à peine mort Pete.» Tout un grand paragra- 
phe pour relever cet anachronisme. M. Béraud, je vous 
en prie, un peu moins de sévérité pour ce pauvre Fau- 
chet : car, qui peul se flatter de n’avoir jamais besoin 
d'indulgence ? Et d’abord, ce n’est pas lui tout seul qui 


— 312 — 

donne la Champagne à Drogon , tous les chroniqueurs 
disent, à peu près dans les mêmes termes : Drocus ou 
Drogo ducatum Campaniæ accepit. Pour lPerreur de 
date (593 pour 693), quand on aurait mis un 5 à la 
place d’un 6, perd-on toute confiance pour si peu? 
C’est un faux qui ne fait de tort à personne, pas même 
à l’auteur : le typographe pourrait bien avoir ce pé- 
ché-là sur la conscience. J'ai voulu vérifier par moi- 
même la bévue qui a valu cette sévère lecon : or, voici 
ce que j'ai lu : « Childebert donc , frère de Clovis , 
« homme digne de renom (a dit un autheur de Gesta 
« Francorum) tint ce royaume après son frère, environ 
« Fan six cent nonante-trois, sous lequel Dreux (ou Dro- 
« gon), fils de Pépin, fut pourveu du duché de Cham- 
« paigne.» Six cent nonante-trois en toutes lettres. 
Adieu la leçon et le reproche, ce n’est plus Fauchet qui 
a commis l’anachronisme, ce n’est pas même le typo- 
graphe : mais M. Béraud avait sans doute une mau- 
vaise édition. Revenons à M. Gallois, que nous n’au- 
rions pas dû quitter. 

Il est dit à la page 64 de son opuscule , en parlant 
de Hugues , archevêque de Rouen : « Ce protégé de 
« Charles Martel ne peut être regardé avec certitude 
« comme le même personnage que le fils anonyme de 
« Drogon, dont il est question dans deux courtes chro- 
« niques. » Et plus bas : « Aucune chronique ne dit 
« que les fils de Drogon aient succédé au duché de leur 
« père. » Aussi l’auteur ne nomme pas même Arnoul 
comme duc de Champagne. Je ne sais si, dans la pre- 
mière phrase, notre confrère a voulu contester à saint 
Hugues la qualité de fils de Drogon ; mais la chronique 
de Fontenelle, Orderic Vital, les Bollandistes, Mabillon 
et Bulteau pourraient lui donner sur ce point toute la 


— 313 — 


cerlitude désirable. Pour moi, je me contente de citer 
une charte qui éclaireit à la fois les deux doutes de 
M. Gallois, et qui prouve en même temps que saint Hu- 
gues est fils de Drogon , et qu'Arnoul a possédé le du- 
ché de son père. Cette pièce, qui est de 715, est un 
acte par lequel Hugues et Arnoul donnent à l’église des 
Saints-Apôtres, à Metz, le village de Vigy, sous la con- 
dition de prières pour le repos de l'âme de leur père 
Drogon. Après le préambule d'usage, il est dit... Zdeò 
nos in nomine Dei, Hugo sacerdos, et germanus meus il- 
luster vir Arnulfus dux. Dùm contigit ut genitor noster 
illuster vir Drogo, quondàm......, ete. Et les signatures 
sont : Hugo, ac si peccator, sacerdos, et Arnulfus dux (1). 
Ainsi, Drogon est père de Hugues , alors primicier de 
Metz, et d’ Arnoul, qui porte le nom de duc. Plusieurs 
auteurs n'hésitent pas à reconnaître ce dernier comme 
duc de Champagne; et, en effet , il est assez naturel de 
penser, comme le remarque très-justement M. Gallois 
lui-même, en parlant de Grimoald, que Drogon, n'ayant 
élé investi que du duché de Champagne, il ne doit pas 
être ici questiond'un autre duché, et qu'Arnoul doit 
avoir succédé, sinon immédiatement à son père, du 
moins à Grimoald, son oncle. F est vrai que l'existence 
de ce due, dont on ne connait que l emprisonnement en 
723, est fort peu importante; mais l'exactitude histori- 
que ne permet pas de le passer entièrement sous si- 
lence. Il est vrai encore que sa qualité de duc de Cham- 
pagne n’est qu’une conjecture ; mais cette conjecture 
est un peu plus fondée que celles qui ont engagé le docte 
écrivain à accorder une mention à Théodoald, voire 
même à Jean et à Amalon. 


(1) Mabillon. An. ord.S. Ben. tom. I, p.44. Bollandistes, au 9 avril. 


— 314 — 


En résumé, quelques additions, une légère rectifica- 
tion, c’est tout ce que nous proposons à M. Gallois pour 
une nouvelle édition; mais nous lui demanderons en 
outre de vouloir bien considérer comme une promesse 
le titre qu’il a donné à son ouvrage : Mémoire pour ser- 
vir d'introduction à l'histoire de la Champagne. Cette 
histoire, traitée avec le talent consciencieux qui se fait 
remarquer dans l'introduction, ne peut manquer d'ex- 
citer le plus vif intérêt. 


INSCRIPTIONS. 


RAPPORT DE M. GOBET 


Sur l'inscriplion du monument érigé par la ville de Reims 
à la mémoire du docteur Chabaud. 


Lettre de M. le Maire de Reims à M. le président de l'Académie. 


Reims, ce 25 octobre 1843. 


MONSIEUR LE PRÉSIDENT, 


Par délibération du 48 mai 1840, approuvée par lau- 
torité supérieure, le conseil municipal de la ville de 
Reims a décidé qu’il serait posé, dans un endroit appa- 
rent de la chapelle de l'Hôtel-Dieu de cette ville , une 
pierre en marbre, avec une inscription, pour consacrer 
le souvenir de M. le docteur Chabaud et des autres 
personnes attachées au service des malades, qui ont 
succombé lors de l'épidémie de fièvre typhoïde de 1839- 
1840. 

Connaissant l’obligeance avec laquelle Messieurs les 


— 316 — 


membres de l’Académie veulent bien s'occuper des tra- 
vaux de cette nature, je n'hésite pas, Monsieur le Pré- 
sident, à faire encore dans celte circonstance un appel 
à leurs lumières , et à solliciter leur concours pour la 
rédaction d’une inscription qui puisse remplir l'objet 
que s’est proposé ie conseil. Je prie en conséquence 
l’Académie de vouloir bien en disposer le projet. Je ne 
doute pas qu’elle ne s’empresse d'aider l’administra- 
tion municipale à payer une dette de reconnaissance en- 
vers l’un de nos plus honorables concitoyens , victime 
de son dévouement pour les malades. 

Veuillez agréer, Monsieur le Président , l’assurance 
de ma considération la plus distinguée. 


Le Maire , 
De ST-MARCEAUx. 


— 317 — 


Extrait du rapport fait par M. Gobet sur L'objet de la lettre qui précède. 


Messieurs , 


C’est nn devoir à la fois triste et doux pour les peu- 
ples comme pour les magistrats de perpétuer par des 
monuments durables le souvenir des morts glorieuses 
et utiles à l'humanité ; aussi vous êtes-vous empressés 
de rendre hommage à la noble pensée qu'a conçue l'ad- 
ministration municipale de consacrer, par une inscrip- 
tion gravée sur le marbre, la mémoire de M. le docteur 
Chabaud et des autres personnes attachées au service 
des malades, qui ont succombé lors de l’épidémie ty- 
phoïde de 1839-1840. 

Vous applaudirez également à l'heureuse idée qui a 
dirigé l'autorité sur le choix du local où sera élevé ce 
modeste monument. C’est à l'Hôtel-Dieu , c’est-à-dire 
sur le champ de bataille où ces héros de humanité ont 
succombé ; c’est dans la chapelle même de cet hôtel, 
c’est-à-dire dans le lieu saint où les dévouements s’in- 
spiren!, où les vertus s’épurent, que le marbre funé- 
raire doit être posé. 

Sous l'influence de ces réflexions, ou pour mieux 
dire de ces sentiments , la commission que vous avez 
chargée de la composition de lépigraphe commémora- 
tive s’est livrée à son travail. 

Trois projets lui ont élé présentés. 

Deux sont rédigés en latin , le troisième en francais. 


— 318 — 

Laquelle des deux langues mérite la préférence ? 
Telle est la question préliminaire que nous nous som- 
mes posée. 

Trois des membres de la commission , sur quatre 
présents à la séance, se sont tout d’abord prononcés en 
faveur de l’idiôme national. 

Le membre dissident , après une discussion appro- 
fondie, a fini par se réunir à l’opinion de ses confrères. 

Nous devons compte à l’Académie des motifs qui ont 
déterminé notre vote unanime. 

Sans doute , la langue latine se prête plus facilement 
que la langue francaise au style lapidaire , parce que 
sa concision lui permet d'exprimer plus d'idées en 
moins de mots. Ce n’est donc pas sans raison que tous 
les peuples de l’Europe ont fait et font encore usage du 
latin pour les exergues et les légendes de leurs mé- 
dailles. Le champ rétréci d’une médaille exige impé- 
rieusement le plus sévère laconisme. D'ailleurs, les œu- 
vres numismatiques s'adressent moins aux masses po- 
pulaires qu’au monde littéraire et scientifique. 

Il en est autrement des monuments publics, dont 
l'objet est de présenter les belles actions à l’admiration 
et à limitation de tous. Pour que ces monuments rem- 
plissent l’objet de leur destination, les inscriptions 
qu'ils portent doivent frapper l'esprit et émouvoir le 
cœur de tous. Pour atteindre ce but, il est de nécessité 
que ces inscriptions s'expriment en langue vulgaire. 

A ce propos, permettez-moi de vous citer un fait dont 
j'ai été témoin. 

Au mois de mars dernier, je visitais l’ancienne cathé- 
drale d'Amsterdam, appelée aujourd’hui Neeuwe Kerk. 
J'avais remarqué, dansle latéral droit, une urnefunéraire 
dont le socle portait une courte épigraphe en langue hol- 


— 319 — 


landaise. Le nom Van-Speik y ressortait en gros carac- 
tères. Vous savez que ce nom est celui du jeune lieute- 
nant de vaisseaü qui, commandant , en février 1831, 
un frêle bâtiment dans les eaux d'Anvers, assailli par 
une troupe de Belges insurgés dix fois supérieure en 
nombre à son équipage, mit le feu aux poudres, fit sau- 
ter le navire, et mérita ainsi le glorieux surnom de Bis- 
son hollandais. 

Je regrettais de ne pouvoir comprendre la phrase 
consacrée au souvenir de ce fait mémorable, lorsque en- 
trèrent dans ce temple trente ou quarante enfants de 
dix à douze ans, élèves de la marine hollandaise , gui- 
dés par un de leurs supérieurs. Ils s’approchèrent du 
cénotaphe, et lurent l'inscription funèbre. Soudain, les 
yeux bleus de la troupe enfantine se gonflèrent de lar- 
mes qui ne jaillirent pas. Par un mouvement spon- 
tané , électrique, toutes ces têtes blondes s’élevèrent 
pieusement vers le ciel, comme pour jurer à Dieu 
et à la patrie de suivre l'exemple de leur immortel con- 
citoyen. 

Le chef eut l’obligeance de n’expliquer les mots qui 
produisaient sur ses élèves une impression si profon- 
dément religieuse; et je compris que l'effet eùt été man- 
qué, si, au lieu de la langue hollandaise , l’épitaphe 
avait parlé la langue latine. 

Vous me pardonnerez , Messieurs , cette digression , 
qui n’est pas étrangère à notre sujet. Pour nous aussi, 
il s’agit de signaler des dévouements populaires à la 
reconnaissance pofulaire: la langue nationale, vivante, 
intelligible à tous, nous parait, en cette circonstance, 
préférable à la langue étrangère et morte dont la con- 
naissance est l'apanage exclusif d’un petit nombre d'a- 
deptes. 


— 320 — 
— À la suite du rapport de M. Gobet , l'Académie a 
arrêté le projet suivant d’inscriplion qui a été adopté 
par la mairie. 


A LA MEMOIRE 


DE 


JEAN-REMI-ISIDORE CHABAUD, 
MÉDECIN DE L'HÔTEL-DIEU; 


F 


CLAUDE-MARIE ANTOINE COUTIER , 
AUMÔNIER ; 


ji 


AUGUSTE-EDOUARD BASILE GUYOT, 
PHARMACIEN ; 


t 


.. 


l 


CATHERINE- SOPHIE LA BOVE, 
ET ANGÉLIQUE-SOPHIE ASSY , 
RELIGIEUSES HOSPITALIÈRES: 


i 
TOUS 
VICTIMES DE LEUR DÉVOUEMENT 
DURANT L'ÉPIDÉMIE 
DE L'uiver 1839 a 1840. 


PRIEZ DIEU. 


POÉSIES. 


3 
i 


MES LOISIRS, 


Par H. WAGNER-DELAMONTAEE. 


L'astre de mes beaux jours a voilé sa splendeur ! 
Lorsque l’âge a glacé notre bouillante ardeur, 
Quand la triste vieillesse au désolant cortège, 
Sur nos fronts dégarnis a fait tomber la neige, 
Notre corps affaibli, redoutant la douleur, 
Végète doucement dans sa molle langueur ; 

Le plaisir inconstant nous devient infidèle ; 
L'esprit , ce feu divin, n’est plus qu’une étincelle : 
Que nous reste-t-il donc pour charmer l’avenir ? 
L'amour de la famille et le doux souvenir. 

Au déclin de mes ans, je vois avec ivresse 
Folâtrer près de moi la riante jeunesse ; 

Je souris à ses jeux, et je me plais encor 

À voir mon jeune enfant prendre un joyeux essor. 
Allez , beau papillon que le caprice guide, 

De vos ailes pressez le mouvement rapide, 

Volez de fleur en fleur, jouissez du printemps, 
Savourez le bonheur et profitez du temps! 

Vous n'aurez que trop tôt les chagrins de la vie. 
La gaîté, don du ciel, peut vous être ravie, 

Il faut la conserver : c’est le lot d'un cœur pur , 


Et le soleil brillant d’un firmament d'azur. 


— 324 — 
Avec elle on est fort, on brave la tempête, 
Et le vent du malheur glisse sur votre tête. 
Sur vous si quelquefois un mauvais jour a lui, 
Vous le supporterez, mais évitez l'ennui. 
Cet ennemi cruel, je me fais une étude 
De le vaincre toujours, et, dans ma solitude, 
Je connais le secret de fixer mes désirs, 
Eu sachant occuper mes frivoles loisirs. 
La lecture a pour moi toujours de nouveaux charmes ; 
En ranimant le cœur elle sèche les larmes , 
Elle amuse , elle instruit, et ce doux passe-temps 
Adoucit de l’hiver les rigoureux moments. 
Parfois je me surprends à forger quelques rimes : 
Je voudrais imiter nos modèles sublimes, 
Mais j'ai beau faire , hélas! timide passereau , 
Je vois le vol de l'aigle et . .. je reste moineau. 
Assis à mon bureau, d’une rime rebelle 
Je cherche le pendant , lorsqu'un ami fidèle 
Me propose, en riant de mon accueil distrait, 
De laisser là mes vers et de faire un piquet. 
J'accepte, et le hasard m'offre une heureuse chance : 
Je lui donne un marqué. Le second coup commence : 
J'ai l'espoir d'obtenir un succès bien complet, 
Mais le sort m’abandonne , et l'écart d’un valet 
Me fait soudain manquer une quinte majeure ; 
L'adversaire en profite, et, pendant plus d’une heure , 
Par des coups répétés de pic et de repic 
Il me vient mordre au cœur à l'instar d’un aspic. 
Je ne sais où j'en suis; ma triste contenance 
Trahit à ses regards ma secrète souffrance. 


Il triomphe : j’enrage et n'ose dire un mot, 


— 325 — 
Ecrasé que je suis sous le poids d’un capot. 
Quelquefois au piquet un autre jeu succède, 
Jeu savant que jadis inventa Palamède. 
Deux rois sont en présence : on voit leurs alentours 
Gardés par des soldats , protégés par des tours. 
Les reines auprès d'eux , compagnes attentives , 
Veillent sur leurs dangers, sentinelles actives. 
Mais le combat s'engage , et chaque cavalier 
D'un saut capricieux bondit sur Péchiquier ; 
Les pions , alignés sur une seule file, 
S’ébranlent à leur tour en colonne mobile À 
Et les fous, profitant des passages ouverts, 
S'élancent dans les camps qu'ils tronvent découverts. 
Après bien des assauts, victime de son zèle ; 
La reine , en succombant, voit tomber avec elle 
Cavaliers, fous et tours. Quelques pions épars 
N'offrent à l'ennemi que de faibles remparts ; 
Ils succombent aussi. Présageant sa défaite, 
Le roi de case en case opère sa retraite. 
Privé de serviteurs, il périt sans éclat ; 
Cerné de toutes parts , il est échec et mat. 
Ceci s'adresse à vous, puissances de la terre! 
Vous aimez le pouvoir, vous respirez la guerre; 
La foule autour de vous n’est qu'un écho flatteur ; 
Il ne vous manque rien, si ce n'est le bonheur. 
Au sein de vos palais , malgré le bruit des armes, 
On entend vos soupirs, on connaît vos alarmes. 
En vain vos courtisans vous dressent des autels : 
Vous tombez comme nous, car vous êtes mortels. 
Oh! combien je préfère à tout votre entourage 


La paix dont je jouis dans mon humble ménage ! 
21 


— 326 — 
Choyé par l'amitié, sans crainte , sans souci, 
Jamais par le chagrin mon front n’est obscurci. 
Au coin de mon foyer , ma compagne chérie 
Ravive à chaque instant la douce causerie; 
Séparés d’un enfant, espoir de nos vieux jours, 
Nous le suivons de loin, nous en parlons toujours. 
Notre sollicitude en tous lieux l'accompagne, 
Et nous faisons pour lui des châteaux en Espagne. 


Mais l’Aquilon se tait, le gazon reverdit, 

La terre se réveille et le printemps sourit. 
Lorsque le vent du nord a fait place à la brise, 
Quand d’un regard brillant le ciel nous favorise, 
Dès que le rossignol module ses accents, 

La ville est importune ; il faut aller aux champs. 
Moment délicieux ! la coquette nature 

Nous montre ses attraits et sa belle parure. 
Ornement des bosquets , le cytise élégant 

Méle ses grappes d’or au lilas odorant. 

De mille et mille fleurs la terre est émaillée. 

La jacinthe , l'œillet , le lis , la giroflée 

De leur odeur suave embaument les jardins. 
Près d’elles on entend bourdonner les essaims ; 
Et la rose, entr'ouvrant sa corolle vermeille , 
Offre son frais bouton aux baisers de l'abeille. 
Pauvres filles de lair ! le destin rigoureux 

Ne vous donne qu’un jour pour enchanter nos yeux. 
Mais il est d’autres fleurs dont la robe inodore 
Attire nos regards et sait nous plaire encore ; 
Modestes, on les voit sur le bord des ruisseaux , 


Au milieu des forêts, au penchant des coteaux. 


— 327 — 
Au sein des prés fleuris , la marguerite pâle , 
A la jaune étamine , au pur et blanc pétale, 
A celui qui l’effeuille indique constamment 
Qu'on laime un peu , beaucoup ou passionnément ; 
Et le myosotis doit adoucir l'absence 
D'un ami qui s'éloigne, et dont la prévoyance 
Nous donne à son départ, pour gage de sa foi, 
Cet emblème chéri, Souvenez-vous de moi. 
Qu'il est doux le repos qu’on goûte à la campagne ! 
Quel aspect ravissant présente la montagne, 
Avec ses bois touffus, panaches verdoyants 
Ondulés par la brise, agités par les vents ! 
Que j'aime à m'arrêter au bord d’une fontaine , 
A marcher lentement où le hasard m'entraine , 
A m’égarer au loin sans suivre les chemins, 
A respirer le baume émané des sapins ! 
Dans mes sens dilatés je sens courir la vie, 
Et s'élever au ciel mon âme épanouie. 


Le temps s'écoule vite alors qu'on est heureux. 


Il manque cependant quelque chose à mes vœux ; 
Sur lavenir je porte encor mes espérances, 

Et je soupire après le moment des vacances. 

Il vient enfin ce temps d’heureuse liberté , 

De plaisir, de bonheur et de franche gaîté : 

Les enfants, délivrés d’un bien long esclavage , 
Se livrent sans contrainte à leur humeur volage ; 
Ils aiment à courir à l’ombre des vergers, 
Cueillant l'abricot mûr , secouant les pruniers , 
Savourant le nectar de la pêche embaumée , 


Se disputant entre eux la poire parfumée ; 


— 328 — 


Et sous les pampres verts on voit leurs petits doigts 
Détacher lestement la grappe de leur choix. 

La cloche nous rappelle, on se presse, on arrive. 
Quand on rentre au salon, un aimable convive 
S’envient au même instant surprendre ses amis , 
En leur donnant un jour depuis longtemps promis. 
Le repas est servi, la gaîté l’assaisonne ; 

On parle un peu de tout, on discute , on raisonne ; 
Sans médire on plaisante, et le rire joyeux 


Accueille un calembourg avec le vin mousseux. 


Mais ces moments trop courts, marqués par la folie , 
Font place bien souvent à la mélancolie. 

Je pense en soupirant à mes plaisirs passés ; 

Je termine à regret des jours bien commences ; 
Le monde m’apparaît comme une ombre frivole ; 
L’éternité! ce mot me soutient, me console, 

Car je sais que bientôt il me faudra finir. 

A ceux qui ne sont plus je donne un souvenir , 
Et j'espère , qu’au temps prédit dans l'Evangile, 
Abandonnant aux vents ma poussière d'argile, 
En présence de Dieu , dans un monde meilleur , 


Je reverrai tous ceux que regrette mon cœur. 


LES DEUX ÉPIS. 


Par le même 


FABLE. 


L'orgueil en tous pays arbore sa bannière ; 

Il descend du palais jusque dans la chaumière; 
Son souffle empoisonné dessèche notre cœur, 
Ternit nos qualités et détruit le bonheur. 

Je voudrais corriger un défaut si blämable, 


Ou du moins le flétrir. Ecoutez cette fable. 


Un vaste champ de blé, espoir du laboureur , 

Attendait chaque jour la faux du moissonneur. 

Ses épis inclinés se penchaient vers la terre. 

Un seul, au milieu d'eux , levait sa téte altière. 

Tout fier de son maintien, superbe, dédaigneux , 

Il regarde en pitié ses compagnons poudreux : 

« Voyez donc, leur dit-il, l'énorme différence 

» De votre port au mien : vers le ciel je m'élance, 

» Tandis que , sur le sol abaissant votre front ` 

» Vous êtes tous courbés. » L’un d’entre eux lui répond : 
« Sois plus humble , mon cher , et surtout moins stupide ; 


» Ton corps est élégant, oui, mais ta tête est vide. » 


— 330 — 
Comprenez bien ceci, jeune fat ignorant ! 
Vous discutez sur tout , vous faites l'important ; 
Vous tranchez du savant avec un ton fort leste : 


Soyez moins arrogant, le mérite est modeste. 


MOIEMER o 


par M. P. GALIS. 


A 


Aux antiques débris la muse doit un culte; 
Pour l’âme du poëte ils ont un charme occulte, 
Et lui parlent, le soir, des choses d'autrefois. 
Que ne puis-je, accoudé sur un fåt de colonne, 
Des ruines d’Argos, des champs de Babylone, 


Comme Byron, ouir la voix. 
Yi ; 


Faible oiseau, si j'avais des ailes, 
Suivant le vol des hirondelles 
Jusqu’aux rivages d'Orient, 

J'irais, j'irais chercher les traces éternelles 


Que sous leur ciel d’azur laissa Chäteaubriand. 


(1) Moiémer, ou Moémer, ancien nom du Mont-Aimé. 


de 
J'irais cueillir la giroflée 
Qui pend ct fleurit , désolée, 
Aux murs antiques de Sion, 
Et j'étendrais joyeux ma tente déroulée 


Sur les bords du Scamandre où n’est plus Ilion. 


Mais telle n’est ma destinée ! 
Comme, au pied de l'arbre enchaînée, 
La chèvre broutant quelques fleurs, 
J'agite mes liens, et, mal disciplinée, 
Ma muse autour de moi cueille des fruits trompeurs. 


CPS 


Oh! tu ne m'es pas moins chérie, 
Noble Champagne, ma patrie, 
Si ton ciel est moins azuré ; 
Ton nom vaut bien celui de la Grèce flétrie, 


Il n’est pas moins célèbre, il fut moins célébré, 


Rome, Athènes, Troie et Palmyre 

Aucuns regrets n'aura ma lyre 

Pour vos vieux murs, vos nobles bords, 
Si la blanche Champagne au zèle qui m'inspire 


Ouvre du sol natal les précieux trésors. 


— 333 — 


Que Colchos verse donc sa campagne fatale 

Avec de noirs taureaux qui respirent les feux; 

Qu'il sème encor parmi ses vallons fabuleux 
Les dents de l’hydre infernale. 

Déjà voici germer les débris du dragon! 

Les guérets effrayés de lances se hérissent; 

Au souffle du zéphyr les armes retentissent ; 


La discorde et l’horreur sont leur seule moisson. 


La Champagne, plus calme, à nos regards étale 
Les pampres verdoyants que lui donna Probus, 
Et les fruits rougissants qu'apporta Lucullus 

De la rive orientale. 
Ses mouts n’attendent pas que Dieu donne un signal 
Pour lancer à leurs pieds la terrible avalanche, 
Mais on y voit l'agneau qui suit la brebis blanche 


Se suspendre au sommet du rocher matinal. 


Doux champs auxquels sourit la puissance divine, 
Qui n’ont jamais couvé ni serpents, ni poisons; 
Mais ont produit, au lieu des fabuleux dragons, 

Les Jeanne d'Arc, les Eponine, 
Goujon et Bouchardon, morts qui n'ont pu mourir, 
Libergier, roi des arts, le simple Lafontaine, 
Et toi, noble Colbert, dont la main souveraine 


A cueilli le présent et semé l'avenir. 


— 004 — 
Et cependant, hélas! si l’on fouille ces plages, 
On y rencontre aussi les ruines des âges, 
Des lieux non moins fameux que ceux de Marathon. 
Ces lieux, plus éloquents que les rhéteurs d'Athènes , 
Sont pleins d'enseignements : ce sont des Démosthènes 


Qui n’ont jamais changé de ton. 


A l’heure où de la nuit on sent fraîchir l’haleine, 
Où l’ombre des rameaux s’allonge dans la plaine 
Et la lune au lever argente l'horizon, 

Où, sous l’aile déjà la tête repliée, 

L'oiseau muet s'endort, et la mouche éveillée 


Bourdonne sous le vert gazon ; 


Avançons lentement à travers ces bruyères!.. 
Voyez-vous miroiter de tremblantes lumières 
Sur les lacs étoilés qui baignent Colligny (1). 
Et près d'eux Moiémer dresser jusqu'aux nuages 
Son front que les destins, les souvenirs, les âges, 


De leur passage ont rembruni. 


(1) Colligny, village assis au pied du Mont-Aimé, à la source de 
marais de St-Gond. On y trouve des lacs considérables, 


— 335 — 
Mont, désert à présent! l'oiseau seul des ténèbres 
Trouble sa solitude avec des cris funèbres 
Auxquels le vent répond par des gémissements. 
L'on croit ouïr autour des roches désolées , 
Les ombres des héros de leur tombe exilées, 


Redemander leurs monuments. 


D'où t'est devenu ton nom, glorieuse montagne ? 
Est-ee de ce félon (1) qui, traître à Charlemagne, 
Perdit sur tes sommets honteusement le jour ? 

Ou bien, est-ce plutôt (car telle est la croyance 
En laquelle mon cœur reste avec confiance) 


D'un simple souvenir damour? 


Qu'importe? on n’entend plus traîner sous les tournelles 
Les pas égaux et sourds des lentes sentinelles ; 

L’écho n’éveille plus la nuit à leurs accents. 

Les crénaux ont croulé ; de la cité superbe 

La fourmi vigilante éparpille sous l'herbe 


Les débris qu'épargnait le temps. 


(1) Une ancienne chronique dit que Moiémer on Moémer fut au- 
trefois la maison du fameux Ganelon. L'auteur pense dans un autre 
endroit que cette montagne tire son nom du comte Maimer, dont le 
fils, convaincu d’avoir conspiré contre Charlemagne, fut pendu au 
haut de cette colline (extrait des notes de la Chronique de Rains, 
L. Paris, p. 186). 


= 556 = 
De dix siècles entiers c'est là que gît l’histoire! 
Mortels, venez peser tout ce que vaut la gloire. 
Ce crâne hors de terre est celui d’un héros! 
C'était un dac puissant de race noble et fière, 
Le vent a dispersé sa gloire et sa poussière 
Et le ver dédaigne ses os. 


Mais dans ces lieux déserts ta muse habite encore, 

Et ton nom retentit de la nuit à l'aurore, 

Chantre mélodieux des plus nobles amours!.. (1) 

Une reine y sourit à ton chaste délire... (2) 

Vers l’immortalité que nous donne la lyre 
T'entraïinaient alors d'heureux jours. 


Ta couronne de comte, au hasard sur ta tête, 
Pour ta gloire a moins fait que celle du poëte. 
L'art du poëte seul rend un nom immortel. 
Plusieurs fois le malheur qui sacre le génie 
T'a menacé, mais Blanche, à tes destins unie, 


Détourna la coupe de fiel. 


Par toi, combien des nuits cette même courrière , 
O Thibault! fut bénie, alors que sa lumière 
Guidait tes pas émus au rendez-vous d’amour ! 
Blanche, ici t’attendait! doux espoir! noble joie ! 
Au long banquet des nuits brillaient l'or et la soie! 


Les chants résonnaient jusqu’au jour ! 


(1) Thibaut le chansonnier, comte de Champagne. 
(2) Blanche, mère de saint Louis. 


= = 

Mais tu m'as point toujours oui des chants de fête, 
Moićmer, et souvent aux cris de la tempête 

Tes flancs épouvantés ont tressailli d'horreur. 

Voici que dans tes murs tremblants au bruit des armes 
Un saint évêque (1) accourt avec son peuple en larmes 


Fuyant le torrent en fureur. 


Deux générations, l’ancienne et la nouvelle, 

Te prennent pour témoin de leur lutte cruelle. 

C'est Rome d'un côté, c’est de l’autre Attila ! 

Il roulait, ce fléau , comme l’eau des abîmes, 

Mais Jéhova se lève, il compte les victimes, 
Et dit : tu t'arrèteras là! 


Entendez-vous les cris de guerre 

En cent langages différents? 

Voyez-vous se presser les rangs 

Et sous leur poids trembler Ja terre! 
L'écho répète au loin les clameurs des guerriers; 
De leur blanche sueur la poitrine trempée, 

Se croisent les fougueux coursiers, 

Et le cliquetis de l'épée 


Retentit sur les boucliers. 


(1) Saint Alpin, en 450, voulant soustraire les Châlonnais aux armes 
d’Attila, les conduisit à Moiémer. 


— 338 — 


Courez, vils instruments qu'un despote dévoue 
A ses rêves d’ambition; 

De son char triomphant courez traîner la roue 

Dans des sentiers couverts de désolation ; 

La gloire, vain fantôme , en riant vous égare, 

Vous croyez qu’à vos noms l'avenir se prépare, 

Tandis que votre chef seul moissonne , insensés ! 

Les lauriers qu'ont nourris vos membres dispersés. 

Votre sort, quand l’œil fier et la main aguerrie 

Vous affrontez l'horreur de la destruction, 

Est d’engraisser de sang une plaine flétrie 


Dont il veut conquérir la domination. 


Maïs, que dis-je ! pourquoi distraire 

Ce prétendu héros, cet heureux mercenaire 
D’une si douce illusion ? .. 

N'est-ce pas, après tout, l'Eternel qui gouverne 
L'univers à sa volonté? 

Tout sert à ses projets, le guerrier subalterne 
Comme le héros redouté; 

Sous les évènements sa main puissante enchaîne, 
Et dans le ceurs du temps entraîne 
La misérable humanité; 
A chacun il trace sa route, 

Et malheur à celui qui s'égare ou qui doute! 


Il est dans la nuit rejeté. . . 


Les guerriers sont tombés comme le grain sur l'aire, 
La victoire a rendu sa pâture ordinaire, 

La gloire antique, à l'aigle unie au lys des Francs. 
Rome en eux se ranime : ainsi dans nn breuvage 

Un vieux héros blessé rallumant son courage 


Soulève encor ses yeux mourants. 


Déjà son fier vainqueur dans leur flamme ternie 
Epiait le moment d’une lente agonie, 
S’applaudissant tout bas du coup qu'il a porté; 
Le clairon retentit! à ce signal d’alarmes, 
L’agonisant se lève et ressaisit ses armes... 


Son vainqueur fuit épouvanté. 


Oh! que cette vigueur bientôt sera tarie ! 
Bientôt des nations la Niobé flétrie 

Verra tomber près d'elle, hélas ! tous ses enfants! 
Toi, tu vis, Moiémer, le colosse descendre 

De son char de victoire et les peuples l'étendre 


Sur ses boucliers triomphants, 


— 310 — 
Ton sort fut d'assister aux grands faits de l'histoire : 
Un jour, de la Finlande aux bords de la mer Noire 
Les peuples conjurés à tes pieds reviendront. 
J'entends des bruits plus grands que la chute de Rome, 
D'un côté l'univers et de l’autre un seul homme 


Plus tard devant toi lutteront. 


La France a vu souiller sa robe martiale. 

Trois souverains couverts de la pourpre royale (1) 
Sur tes sommets flétris étalent leur orgueil. 

Le czar, cet artisan de la guerre inhumaine, 

Fait, comme avec des fils, manœuvrer dans la plaine 


Ses lourds baskirs qu’il suit de l'œil. 


Barbares, conjurés des quatre points du monde, 

Ils effraient, hélas! de leur visage immonde 

Ces lieux qui de mille ans ne les avaient pas vus!... 
Et leurs maîtres altiers réunissant leurs tailles, 
Essayaient d'égaler le géant des batailles. 


Rois, vos efforts sont superflus ! 


Le géant ne doit rien au sang de sa famille; 
Aiglon, sur un rocher il brise sa coquille ; 

Il affronte l'orage , il se rit du hasard; 

Son aile bat les vents, joue avec les tonnerres. .. 
Rois, de ce Sésostris c'était à qui naguères 


D'entre vous trainerait le char. 


(1) Les empereurs de Russie et d'Autriche et le roi de Prusse, 


— 341 — 
Les Brutus, les Caton, les César, les Camille (1) 
L’attendaient triomphant dans l'éternelle ville, 
Et lui des vieux Romains dédaigna le respect. 
Trente siècles Pont vu du haut des Pyramides ; 
Les Pharaons obscurs, dans leurs tombeaux humides , 


Se sont levés à son aspect. 


Mais suiyrons-nous les pas de cet autre Cambise ? 
Il s'avance, il parait, et la terre est conquise! ... 
Il appelle la lei : la loi sort du cahos! 

La baguette à la main, aux portes de l’église, 
Fréderic s’est ployé sous le pape , à Venise... (2) 


Mais lui?...mon Dieu, pardon pour le héros! 


Oh ! pourquoi réveiller des souvenirs de gloire? 
Nous avons vu cet aigle, enfant de la victoire, 
Ronger de sa prison la chaîne et les barreaux; 
Dieu, qui l'avait créé sur une Île sauvage, 

Le rejeta brisé sur le sombre rivage 


D’une ile où mugissaient les eaux. 


Ile obscure autrefois, maintenant glorieuse! 
Le nom de ce héros, comète radieuse , 


Plane sur les hauteurs de ses rocs ennoblis! 


(1) Camille, vainqueur des Gaulois commandés par Brennus, vers 
398 avant Jésus-Christ, 

(2) Lors du traité de paix entre le pape Alexandre LIT et Frédéric 
Barberousse, ce dernier, oubliant sa dignité et se dépouillant du man- 
teau impérial, prit une baguelte à la main et oMcia commè porte- 
verge, en précédant le pontife à l'autel, à léglise Saint-Marc de 


Venise, en juillet 1177. 


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Li: SW + 
Les flottes d'Orient, traversant ces parages, 
De loin, à l’avenir, salüront ses rivages, 


De leurs pavillons aux longs plis. 


Peut-être que, semblable à celle de Pompée, 
La colonne de bronze, un jour hélas! frappée, 
Tombera solitaire en ses vallons déserts. 
Mais l’île de rochers couronnant l’Altantique, 
Comme un buste éternel de ce héros antique, 


Bravera les temps et les mers. 


Le Très-Haut avait fait cette tombe à sa taille !... 
Toi, géant, si tu vois la France qui travaille 

A ten dresser un autre, oh ! ris de ses efforts. 
Que t’importe à présent sa stérile espérance ? 
Qu'importe aux trois enfants de l’ingrate Florence 


Qu’un sol étranger ait leurs corps (1)? 


Car il peut maintenant juger combien sont vaines 
Les pompes d’ici-bas et les grandeurs humaines, 
Cet homme audacieux qui de tout se moqua. 
Pourtant son chapeau seul gagnerait des batailles 
Bien plus que Duguesclin après ses funérailles (2) 


Et que le tambour de Ziska (5). 


(1) Le Dante, l’Arioste et Pétrarque ont été tous trois exilés de la 
république de Florence. 


(2) Châteauneuf de Randon, en 1580, ne voulut rendre ses clefs 
que sur la tombe de Duguesclin. 

(5) Jean Trocznau , dit Ziska ou le borgne , général Hussite, mort 
en 1425, qui ordonna de faire un tambour de sa peau. 


Ce tertre fut le trône où s’assit l’autocrate, 

Lorsque se dandinant (x) dans la pourpre écarlate, 

Il regarda passer ses grands serfs alignés. 

Oh!ezar, ces lieux ont vu des guerriers non moins braves, 
Mais qui ne portaient pas des poitrines esclaves, 


Ni des fronts vils et dédaignés. 


C’est ici que jadis la basilique sainte 

Déployait la longueur de son immense enceinte, 

Ses tours semblaient deux bras priant Dieu constamment; 
Sous le vaste portail et debout sur les marches, 
Sentinelles de Dieu , les anciens patriarches 


Gardaient le pieux monument. 


Le marbre présentait, au-dessus du portique, 

Et la crèche, et l'enfant, et la vierge mystique ; 
Plus haut Jésus en croix sauvant humanité! 

Et l’art méla d’un Dieu le puissant caractère 

A la douleur de l’homme : on voit mourir la pierre 


Et vivre la Divinité! 


(1) Cette allure était ordinaire à l’empereur de Russie. 


= ME — 
Sous les arceaux brunis cent colonnes sublimes 
Dressaient légèrement leurs solennelles cimes ; 
La feuille à leurs sommets semblait frémir aux vents; 
Des vitraux éclatants les émaux magnifiques 
Répandaient sous les nefs leurs lumières magiques 


Dont les reflets étaient mouvants. 


Quel grand jour se prépare...(1)? A peine en sa carrière 
L’aurore a secoué ses gerbes de lumière 

Que dans les saints clochers l’airain est ébranlé ; 

Sur le sommet des tours retentit la trompette, 

Et l'écho des vallons à l’écho la répète ; 


Un peuple immense est rassemblé! 


Quels sont ces hauts barons? ces ducs avec leurs pages 
Qui portent la bannière aux illustres images ? 

Les coursiers sous leur poids marchent impatients.. . 
Où vont à leurs côtés ces dames éelatantes ?..… 

Les cimiers, les écus, les écharpes flottantes, 


Tout ruisselle en flots chatoyants. 


(1) Louis le Bègue, en 878, assembla les états à Moiémer, et s’y fit 


proclamer roi, 


T 
C’est ta fière jeunesse , 6 mon pays, c'est elle 
Qui voit avec orgueil la branche maternelle 
De son arbre héraldique ennoblir les rameaux (1); 
Ce sont de Fontenay les veuves désolées , 
Qui gémissent encor , de leur long deuil voilées, 


Sur des trépas en vain trop beaux ! 


Vous, ne rougissez pas d'une union nouvelle ! 

Cette race qui croît égalera bien celle 

Qui du Sorin (2) tremblant ensanglanta les bords. 
Que n’ont-ils combattu pour des causes meilleures ! 
Mais l'honneur vit encor dans lenrs vieilles demeures l... 


Paix aux veuves et gloire aux morts! 


Déjà du temple saint la porte immense s'ouvre, 
Et dans les longues nefs l'œil étonné découvre 
Un peuple bruissant qui palpite d'émoi ; 
L'édifice est rempli du pavé jusqu’au faite! 
Enfin Louis paraît! c'est un grand jour de fête! 


L’écho redit : Vive le roi! 


Sur l’autel se déploie un évangile antique : 

En diverses couleurs de sa lettre gothique 
L'or, largent et l'émail rehaussent la beauté. 
Du milieu de ses pairs bientôt Louis s'élance; 
Il tend la main : au loin règne un yaste silence; 


Le serment royal est prété! 


(1) Les coutumes de Meaux, Chaumont, Châlons établirent lenno- 
blissement par les femmes; la Champagne prétendait à ce privilége, 
parce qu’en 842, à la bataille de Fontenay entre Lothaire et Charles 
le Chauve, toute la noblesse avait été détruite. 

(2) Petite rivière près de Fontenay. 


— 346 — 
Oh! prince, espérais-tu mettre un pied sur le trône ? 
Longtemps le sort douteux suspendit la couronne (1) 
Dont le cercle trop large à ton front w’allait pas !. .. 
Imprudent , qui suivis un sentier téméraire! 
Ton père avait rendu le fief héréditaire (2), 
Et toi, tu le multiplias ! 


Sous tes pas c’est ainsi que tu creusais l'abîme 
Où ta race bientôt devait crouler victime !... 
Mais n’anticipons pas sur l’histoire des temps; 
Si demain l'huile, à Reims, consacrera sa tête (3), 
Aujourd’hui Moiémer voit les jeux de la fête 

Avec ses reflets éclatants. 


Voici que dans la vaste plaine 
L’arène s'ouvre déjà pleine ; 
Et les gants sont jetés pour défis aux guerriers ! 
Sur les gradins nombreux du vaste amphithéâtre 
Applaudit la foule idolåtre.. . 


Plus d’un cœur bat à l'espoir des lauriers. 


Ici sont accourus en foule 
Ces barons dont l’orgueil déroule 
Les écharpes de soie et leurs fiers étendards ; 
Et ces femmes surtout, à la légère œillade, 
Mais qui savent d’un cœur malade 


Guérir les soins causés par leurs regards. 


(1) Ge ne fut pas sans difficulté que Louis II obtint de succéder à 
son père, etc. V. Anquetil. 

(2) Quelques historiens prétendent que Charles le Ghauve est le 
premier qui ail établi l’hérédité des bénéfices. Le traité d’Andelot, 
de 587, paraît contredire cette opinion. 

(3) Louis le Bègne fut sacré à Reims en 878. 


— 347 — 
Écoutez sonner la trompette! 
Leur blanc panache sur la téte, 
Leur lance en main, aux pieds leurs longs éperons d’or, 
Vingt chevaliers, couverts des couleurs de leurs belles, 
Sur leurs coursiers fiers et fidèles , 


En s’inclinant, prennent soudain l'essor. 


S'ils luttent avec assurance, 
Ils recevront, douce espérance! 
Des preux l’assentiment, de leur dame un souris! 
Récompense bien chère aux fils de la victoire! 
Héros et rois, dans votre gloire, 


Obtenez-vous jamais un plus doux prix? 


Mais la scène a changé : j'entends des cris funèbres, 
Des cris de désespoir qui troublent les ténèbres. 

Où courent ces seigneurs, ces moines, ces prélats ? 

Je reconnais Geoffroy (1), je vois Henri de Braine (2) 
Et du roi navarrais la face souveraine! 


Pourquoi ce peuple et ces soldats ? 


(1) Evèque de Chàlons. 
(2) Archevêque de Reims. 


= — 
Oh! la face d’un roi ne fait-elle pas grâce ? 
A qui sont destinés ces bûchers qu’on amasse? 
Pourquoi ces glaives nus, ces torches, ces bourreaux ? 
Où traîne-t-on ainsi ces malheureux Bulgares (1)? 
Pour eux ces appareils! ciel! arrêtez, barbares! .. . 


Déjà le feu ronge leurs os! 


Hélas! Henri de Braine, au jugement suprême, 
Deux cents voix contre toi vomiront l’anathéme! 
Combien d'œuvres faut-il pour racheter le sang ? 
Peut-être qu’en montrant sa vaste basilique , 
Saint Nicaise, pour toi d'une vaine supplique 


Conjurera le Tout-puissant (2). 


KR 


Oh! sera-t-il permis aux accents de la lyre 

De juger ces forfaits qu’engendre un saint délire? 
L'homme a cru venger Dieu par d’horribles trépas. 
Dieu n’a besoin de lui pour venger ses injures : 
Qu'il vive, le coupable, en ses routes impures, 


Si Dieu ne le rappelle pas. 


(1) En 1259, Henri de Braine fit brûler, au Mont-Aimé, en présence 
du roi de Navarre, de 17 évêques et de 100,000 spectateurs, 183 Bul- 
gares convaincus d’hérésie. 

(2) Henri de Braine posa la première pierre de l’église Saint- 
Nicaise à Reims, en 1220. 


— 949 — 
Mais quand du repentir Dieu donne au misérable 
Le temps qu'il a fixé, Phomme est inexorable ! 
Au nom de la justice il prend le glaive en main, 
S'arroge un droit qui tient à la divine essence 
Et renvoie au Très-Haut celui que sa puissance 


Ne devait frapper que demain. 


Voyez pourtant combien l’Etre suprême oublie! 
Aujourd’hui cette place est de fleurs embellie ; 
La marguerite y croit parmi le vert gazon; 
Là, souvent l’interroge au matin la bergère, 
Sur le pasteur aimé que la guerre étrangère 


Entraina loin de ce vallon. 


Couvrous d’un voile obscur l’époque sanguinaire (1} 
Où le crime en tes murs a dépose son aire; 

Les peuples tont jugée, imprudente cité! 

La peine au pied tardif se hâte, elle dévore, 

Parmi des flots de sang, les débris fiers encore 


De ta superbe iniquité. 


Reims a déjà dressé ses machines de guerre : 
Malheur! malheur à toi, tour superbe naguère, 


Qui de Vaile du temps semblais braver les coups; 


(1) Moiïémer joua un grand ròle dans les guerres du xv° siècle, 
et finit par devenir un repaire de brigands qui infestaient la Cham- 
pagne. Troyes, Châlons et Reims l’attaquérent et la détruisirent em 
1446. 


— 350 — 


Tu seras dispersée au vent de la tempête; 
Ton ennemi vainqueur appuira sur ta tête 


Un pied dédaigneux et jaloux. 


Et des guerriers couverts de leurs cottes de mailles, 
Qui, sortant hardiment de tes hautes murailles, 

La croix rouge à l’épaule, avec tous leurs vassaux, 
Vouaient les biens du monde à la cause divine, 
Fiers de vaincre ou mourir aux champs de Palestine, 


Rien ne sauvera les tombeaux. 


Théâtre malheureux des discordes civiles , 
Combien vit-on ainsi de passions mobiles 
S’agiter à tes pieds et bouillir dans ton sein! 
Combien de fois le sang a rougi tes murailles! 
Combien de fois enfin sur ton front des batailles 


A plané le sombre destin ! 


Mais on ne trouve plus pierre aujourd’hui sur pierre; 
L'herbe verdoie aux lieux où, dans sa rage altière, 
Mars semait des héros les ossements jaunis ; 

A la place où brillaient les hauts palais de Blanche, 
Le pâtre insouciant conduit la brebis blanche, 


Et les colombes font leurs nids. 


ACADÉMIE DE REIMS. 


PROGRAMME 


DES CONCOURS 


OUVERTS POUR L'ANNÉE 1845. 


Sistoire. — Archéologie. 


« Quel était l’état de l’ancienne Durocorr des 
« Rémois, avant et pendant la domination ro- 
« maine, jusqu'au règne de Clovis exclusive- 


« ment? » 


L'auteur devra envisager la question sous les divers 
points de vue qui suivent : 

Il discutera 

L'origine des Rémois, l’état topographique de leur 
cité, son étendue, ses dépendances; les principaux mo- 
numents dont l’histoire ou la tradition ont pu conserver 
le souvenir, ses aqueducs et ses grandes voies de com- 
munication. 


— 352 — 

Il entrera dans quelques détails 

Sur les mœurs des habitants, qui peuvent en partie 
se présumer par les fréquentes exhumations de mon- 
paies, méduilles, meubles, ustensiles et autres objets 
d'usage commun. — Il donnera l’idée de leur gouver- 
nement et de leurs inslitulions religieuses, judiciaires, 
civiles et militaires. 

Il recherchera les motifs qui ont porté les Rémois 
à se détacher de la ligue gauloise pour s'allier et se 
soumeltre aux Romains. — Il discutera les moyens de 
défense qu’ils pouvaient opposer aux étrangers, le rang 
qu'ils occupaient dans la confédération gauloise. — 
Leurs possessions, leurs alliances et la part qu’ils ont 
eue à la réunion finale des Gaules à l'empire romain. 


ÉCONOMIE POLITIQUE. 


La ville de Reims, qui fut le berceau de Colbert, n'a point 
encore payé le tribut de reconnaissance et d'admiration qu'elle 
doit à l’une des plus pures illustrations du grand siècle. Il appar- 
tient à l’Académie de remettre en lumière les immenses services 
rendus par Colbert à la patrie. Déjà la compagnie s’est associée 
au vœu formulé dans son sein pour l'érection prochaine à Reims 
de la statue du grand ministre; elle croit hâter l'accomplissement 
de ce projet en mettant au concours , pour l'année 1845 , la ques- 
tion suivante : 


« Quelle a été l'influence de Colbert sur son 
« siècle? » 


Les concurrents auront successivement à examiner 
l'administration de Colbert sous le rapport des finan- 
ces, du commerce et de Pindustrie, de la marine 
et de l’agriculture ; des sciences , des lettres et des 
arts. 

Ils diront les réformes de Colbert dans le mode de 
perception de l'impôt, l'accroissement progressif du 


— 353 — 
revenu de Pétat. Les établissements d'utilité publique 
dus à son génie. Le développement de la marine et du 
négoce. La protection qu'il accorda aux sciences, aux 
lettres et aux arts , et les monuments qui témoignent 
de celte protection. 


ÉCONOMIE AGRICOLE. 
( Prix fondé par un ancien cultivateur. ) 


« Quelle est la nature exacte des différentes 
« terres arables de l'arrondissement de Reims ?— 
« Quelle est la quantité de fumier à y mettre par 
« hectare? — Comment convient-il de employer? 
Est-il plus utile de fumer les terres de cet ar- 
« rondissement tous les trois ans que tous les 
« neuf ou dix ans? — Doit-on employer le fumier 
« avant ou après que la fermentation putride a 


« produit ses effets? » 


Les prix consistant en une medaille d’or de la valeur 
de 200 francs, pour chacune des deux premières ques- 
tions, et en une médaille d'argent de première classe 
pour la troisième question, seront décernés dans la séance 
publique de l'Académie du 15 avril au 15 mai 1845. 


Les auteurs, ne devant point se faire connaitre, in- 
scriront leur nom et leur adresse dans une note cachetee, 
sur laquelle sera répétée l'épigraphe de leur manuscrit. 


Les mémoires devront étre adressés (franco) à M. le 
docteur Lanpovzy, secrétaire de l Académie, avant le 
15 mars 1845, terme de rigueur. 


L'Académie distribuant en outre des médailles d'en- 


— 354 — 


couragemeut aux auteurs des travaux qu'elle juge 
dignes de récompense, les personnes qui croiraient 
avoir droit à cette distinclion, en verront leurs titres au 
secrétariat, avant le 45 mars 1845. 


Le Président de l Académie, 
THOMAS, ARCHEVÊQUE DE REIMS. 


Le Secrétaire de Académie, 


H. LANDOUZY. 


EXTRAIT 
DU RAPPORT DE M. LE SOUS-PRÉFET DE REIMS 


AU CONSEIL D'ARRONDISSEMENT 


dans la première partie de sa Session de 1S44, 


Séance du 23 juillet. 


Messieurs, 


L'Académie de Reims, à laquelle vous avez donné, 
année dernière, un témoignage d'intérêt, continue 
avec un zèle honorable sa mission scientifique et litté- 
raire. 

Outre les travaux particuliers de la compagnie en 
littérature, en archéologie (1), en histoire naturelle (2) 


(19 
(1) Saint-Nicaise, par M. Nanquette. 
Eglises de Reims, par M. Povillon. 
Programme d'archéologie, par Mgr. l'arche êque de Reims. 
Saint-Trézain d'Avenay, par M. Paris. 
Sainte-Menehould, par M. Ponsinet. 
(2) Champignons, mousses, fougères de l'arrondissement, par 
M. Saubinet. 
Collections géologiques données au musée de Ja ville, 


— 356 — 


en hygiène publique (1), travaux presque tous relatifs à 
l'arrondissement ou au département, je rappellerai lé- 
dition francaise de Dom Marlot, l’un des monuments 
les plus précieux, non seulement pour tout ce qui for- 
mait autrefois le pays de Reims, mais pour l’histoire 
nationale tout entière. 

Du reste, hâtons-nous de le dire, l'Académie de 
Reims est loin de concentrer son activité dans les œu- 
vres purement spéculatives. Elle étudie, au contraire, 
sérieusement les grandes industries du département, 
et déjà elle a résolu, après des expériences mulli- 
pliées, plusieurs questions importantes relatives à la 
manutention des vins (2). 

Sur six médailles d'encouragement qu’elle a décer- 
nées à sa dernière séance publique, cinq l'ont été pour 
des travaux concernant les intérêts matériels, à savoir : 
trois pour la vinification, une pour l’économie agricole, 
une pour les arts mécaniques. 

Cette année encore, sur trois questions mises au con- 
cours, ilen est une pour l’économie politique et l’autre 
pour l’économie agricole. 

L'Académie a pensé, en outre, qu’elle avait la mis- 
sion de concourir, dans la mesure de sa sphère, àla- 
mélioration morale et matérielle des classes indus- 
trieuses. Aussi, l’année dernière, a-t-elle décerné sa 
première récompense à un ouvrage utile sur les caisses 
d’épargnes. 


(1) Première constation de la morve humaine dans le département 
dela Marne, par MM. Moser, Landouzy et Phillippe. — Hygiène des 
grandes écuries de Reims, par M. Landouzy.— Rage, par M. Mopinot 
de Fismes. 

(2) Influence de l’acupuncture des bouchons sur la casse. — Meil- 
leurs procédés pour diminuer la casse. — Rapports sur diverses ma- 
chines propres à la manutention. 


— 357 — 


L'Académie, on le voit, a véritablement compris le 
but de sa fondation. 

Un seul obstacle pourrait paralyser ses efforts, ce 
serail le défaut de ressources suffisantes pour faire face 
aux dépenses qu’elle s’est créées. 

En ne reculant pas devant les frais considérables de 
la publication de Dom Marlot, elle a eu foi dans cette 
protection efficace accordée aujourd’hui aux œuvres 
utiles. Car elle ne pouvait compter sur les souscrip- 
tions particulières, toujours peu nombreuses quand il 
s’agit d'ouvrages d’une aussi longue haleine, ni sur ses 
propres ressources ; les cotisations individuelles de ses 
membres, quoique très-élevées, suffisant à peine aux 
dépenses nécessitées par l’organisation de ses séances, 
par ses publications périodiques, par ses prix et ses 
médailles d'encouragement, etc... 

Déjà le roi et le gouvernement ont témoigné toute 
leur sympathie pour cette publication, Pune des plus 
importantes de l’époque. Nous demandons au dépar- 
tement de la Marne, si intéressé à voir conserver les 
anciens documents de son histoire, d'augmenter, s'il 
est possible, l’encouragement bienveillant qu’il a ac- 
cordé, lan dernier, à ce travail. 

Nous recommandons, Messieurs, cette demande à 
votre sollicitude éclairée, pour les intérêts intellectuels 
du pays, si intimement liés, vous le savez, à ses inté- 
rêts matériels. 

Je dépose sur le bureau le budget de PAcadémie. 


Pour extrait conforme, 
Le Sous Prefet de Reims, 
BOURDON. 


— 358 — 


Extrait du registre des délibérations du Conseil d'arron- 
dissement de Reims. 


Etaient présents : MM. Barbey, Pasté, Edouard- 
Henriot, Maille-Leblanc, baron Hémart, Promsy, 
Godinot. 


SÉANCE DU 23 JUILLET 1844. 

Le Conseil d'arrondissement appelle l'attention et 
toute la sollicitude du Conseil général sur les importants 
travaux déjà accomplis par l'Académie de Reims; il 
pense que c’est un devoir pour le département de sou- 
tenir un corps qui a déjà rendu et qui est appelé à 
rendre tant de services. Aussi il demande au Conseil 
général de donner à l’Académie de Reims une marque de 
sympathie, en lui accordant une allocation aussi large 
que possible. 

Pour extrait conforme, 


Le Sous-Prefet de Reims, 
BOURDON. 


CATALOGUE 


DES 


OUVRAGES IMPRIMÉS ADRESSÉS 


À L’'ACADÉMIE DE REIMS 


Pendant l'année 1843-44. 


1° OUVRAGES ADRESSÉS PAR LEURS AUTEURS. 
BaLLix. Essai sur les caisses d’épargnes. 
— — historique sur les monts-de-piété, et sur 

celui de Rouen en particulier. 

BERRIAT SAINT-PRIX. Coup-d’œil sur les progrès de la 
législation en France. 

— Conclusions sur une demandeen nullité de mariage 
pour défaut de liberté dans le consentement. 

— Des officiers de police judiciaire, ordinaires et ex- 
ceptionnels. 

Brownix@z. Défense de l’histoire des Huguenots. 

Cuarpexrier. Des moyens d'améliorer et de généra- 
liser l'éducation des jeunes filles. 

CHARPENTIER et Homo. Principes d’arithmétique à 
l'usage des écoles communales. 

Da coner. Recherches stalistiques sur l’aliénation men- 
tale dans le département de la Marne. 

Duraur-Monrrorr. Discours. 


— 360 — 


DUQUENELLE. Catalogue des médailles romaines, argent 
et billon, trouvées à Reims. 

Baron »'Homugres. Mémoire sur la formation d’un ca- 
binet d’amateur. 

GonzALLes. Poëmes, satires et poésies diverses, 1843. 

Gounior. Nouvel exposé de la composition littéraire. 

Jorgos. Notice sur Laurent Guyart. 

g= — sur Edme Bouchardon. 

De Laugerrye. Rapports faits à la Société d'agricul- 
ture, sciences et arts du département de la Marne. 

Sophie MANÉGLIER. Poésies chrétiennes. 

Muzcer. Notice sur divers gisements de matières pyri- 
teuses exploités pour l'amendement des terres et 
pour la fabrication de l'alun et de la couperose. 

Mourrer. Saint-Domingue devant l'Europe. 

L. Paris. Evangéliaire slave. 

— Histoire de Russie. 
—  Durocort, ou les Rémois sous les Romains, 
par feu J. Lacourt. 

PascazLer. Notice biographique sur M. Bailly de Mar- 
licux. 

PAayan-Dumourix.Considérations sur l’organisation po- 
litique, administrative et judiciaire du royaume. 

E. Perrier. Mémoires présentés à la Société d’agri- 
culture, sciences et arts de la Marne. 

Perror. Vers intitulés : Pendant la messe des morts. 

PoLcoxceau. Itinéraire descriptif el instructif de l'Italie. 

Prix. De l'utilité morale des caisses d’épargnes. 

— Rapports sur les mémoires adressés à la Société 
de Chälons. 

— Notice sur quelques volcans de l'Italie méridionale. 

Sauvage et BuviGnier. Statistique minéralogique et 
géologique du département des Ardennes. 


— J01 — 


29 OUVRAGES ADRESSES -PAR LES ACADÉMIES ET SOCIETES 
CORRESPONDANTES. 

Actes de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts 
de Besancon. 

Actes de l’Académie royale des sciences, belles-lettres 
et arts de Bordeaux. 

Annales de la Société d'agriculture et d'industrie du 
département d’Ille-et-Vilaine. 

Annales de la Société d’agriculture, des sciences, 
d'arts et de belles-lettres du dép. d’Indre-et-Loire. 

Annales de la Société économique d'agriculture, com- 
merce, arts et manufactures du dép. des Landes. 

Annales de la Société d’émulation du dép. des Vosges. 

Anvales agricoles du département de l'Aisne. 

Annuaire de l'arrondissement de Falaise. 

Ardennais, journal politique et littéraire. 

Bulletin de la Société de statistique des arts utiles et des 
sciences naturelles du département de la Drôme. 

Bulletins des séances, compte-rendu mensuel de la 
Société royale et centrale d'agriculture. 

Balletins de la Société d'agriculture du département 
du Cher. 

Bulletins de la Société d'agriculture, sciences et belles- 
lettres de Rochefort. 

Balletins trimestriels de la Société des sciences, belles- 
lettres el arts du Var. 

Congrès scientifique de France. 

Compte-rendu des travaux de la Société d'agriculture, 
sciences et belles-lettres de Màcon. 

Comptes-rendus hebdomadaires de l'Académie des 
sciences de l'Institut de France. 

Ephémérides de la Société d'agriculture du départe- 
ment de l'Indre. 


= $60 — 


Exposé des travaux de la Société des sciences médicales 
da département de la Moselle. 

Extrait des travaux de la Société centrale d’ agricul- 
ture du département de la Seine-Inférieure, 

Extrait des mémoires de la société philomathique de 
Verdun. 

Histoire et mémoires de l’Académie royale des sciences, 
inscriptions et belles-lettres de Toulouse. 

Journal des travaux de la Société de stalistique du dé- 
partement des Deux-Sèvres. 

= Journal de l'Aveyron. 

Mémoires de la Société royale d'agriculture et arts de 
Seine-et-Oise. 

Mémoires de la Société centrale d'agriculture. 

Mémoires de la Société d'agriculture, sciences et arts 
du département de l Aube. 

Mémoires de l’Académie royale du Gard. 

Mémoires de l’Académie royale de Metz. 

Mémoires de la Société royale d'agriculture et de com- 
merce de Caen. 

Mémoires de la Société de statistique du département 
des Deux-Sèvres. 

Mémoires de la Société d'agriculture, sciences et arts 
de Calais. 

Mémoires de la Société académique de la ville de Saint- 
Quentin. 

Mémoires de la Société d’horticulture du département 
de Seine-et-Oise. 

Mémoires de la Société archéologique du midi de la 
France. 

Mémoires et analyses des travaux de la Société d'agii- 
culture, commerce, sciences et arts de la ville de 
Mende (Lozère) 1842-1843 


— 363 — 

Mémoires de la Société royale des sciences, lettres et arts 
de Nancy. 

Notice historique et descriptive sur Pont-le-Voy. 
Nouveaux mémoires de la Société des sciences, agri- 
culture et arts du département du Bas-Rhin. 
Précis analytiques des travaux de l’Académie des 

sciences, lettres et arts de Rouen. 

Procès-verbal des délibérations du Conseil général du 
département de la Marne. 

Publications de la Société d'agriculture, sciences et arts 
de Meaux. 

Rapports à la Société d'agriculture, sciences et belles- 
lettres de Màcon. 

Rapports sur les travaux de la Société royale et centrale 
d'agriculture. 

Rapport à la Société ďd’émulation des Vosges. 

Rapports sur les travaux de l'Académie de Pont-le- 
Voy. 

Rapport sur les travaux de la Société impériale d’éco- 
nomie rurale de Moscow. 

Rapportslus à la Société académique, agricole, indus- 
trielle et d’instraction de l'arrondissement de 
Falaise. 

Recueils de la Société libre dagricullure, sciences, arts 
et belles-lettres du département de l'Eure. 

Séance publique de la Société d'agriculture, commerce, 
sciences et arts du département de la Marne (184%). 

Séances et travaux de l’Académie des sciences morales 
et politiques. 

Travaux de la Société philharmonique du Calvados. 

— — Société racinienne de La Ferté-Milon. 

— — Société des bibliophiles de Reims. 


LISTE 


DES SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES. 


Académie d'Aix. 
— des sciences d'Amiens. 
— d'Arras. 
— des sciences et arts de Besançon. 
—— des sciences et lettres de Blois. 
— royale de Bordeaux. 
— des sciences de Caen. 
— des sciences de Clermont-Ferrand. 
— royale du Gard. 
— des sciences de Lyon. 
—- de Mâcon. 
— des sciences de Metz. 
— de Pont-le-Voy. 
— royale de Rouen. 
= de Toulouse. 
— des jeux floraux de Toulouse. 
— de Vauclase. 
Société d’émulation d'Abbeville. 
— médico-scientifique de Pile de Corse, à 
Ajaccio. 
— d'agriculture d'Angers. 


— 305 — 


Société vétérinaire du Calvados et de la Manche, à 


Bayeux. 
— agriculture et sciences de Boulogne. 
— royale d’émulatioa de PAin, à Bourg. 
— d'agriculture de Bourges. 


— des antiquaires de Normandie, à Caen. 
— dagriculture et du commerce de Caen. 
— agriculture, sciences et arts de Chàlons. 
— d'agriculture de Châteauroux. 

— d'agriculture de Chaumont. 

— royale, académique de Cherbourg. 

— d'agriculture de Digne. 

— des sciences du Var, à Draguignan. 

— d’émulation d'Epinal. 

— d'agriculture d'Evreux. 

— académique des sciences de Falaise. 

— agriculture de Grenoble. 

— Havraise. 

—- d'émulation de Lons-le-Saulnier. 

—— d'agriculture et sciences du Mans. 

— d'agriculture, sciences et arts de Meaux. 
— d'agriculture, sciences et arts de Mende. 
— d'agriculture et sciences de Moulins. 

— d'agriculture et sciences de Montauban. 


-—- d'agriculture el sciences de Mont-de-Marsan. 
— royale des sciences, lettres et arts de Nancy. 


— royale académique de Nantes. 

—- d’émulation de Nantua. 

— Q'agriculture et sciences de Niort. 

— royale d'horticulture de Paris. 

= royale et centrale d'agriculture de Paris. 
— libre des beaux-arts de Paris. 

— philomathique de Perpignan. 


— 366 — 


Société d'encouragement pour l'industrie nationale 


ASS 


de Paris. 
des antiquaires de l’ouest, à Poitiers. 
d'agriculture de Poitiers. 
d'agriculture, sciences et lettres de Rochefort. 
d'agriculture de Rennes. 
des lettres, sciences et arts de l'Aveyron, à 
Rhodez. 
centrale d'agriculture de Rouen. 
industrielle de Saint-Etienne. 
des antiquaires de la Morinie, à Saint-Omer. 
des sciences du Bas-Rhin, à Strasbourg. 
des sciences de Toulon. 
des antiquaires du midi, à Toulouse. 
d'agriculture de Tours. 
d'agriculture de Troyes. 
de statistique des arts utiles de Valence. 
d’agriculture et arts de Versailles. 


LISTE 
DES MEMBRES COMPOSANT 
L'ACADÉMIE DE REIMS 


au 1° septembre 1844. 
tadh INSA M aahei 
BUREAU 


pour l’année 1844-1845. 


Mgr. L'ARCHEVÈQUE, président. 


MM. ROBILLARD, vice-président. 
Lanpouzy, secrétaire. 
CONTANT, secrétaire-adjoint. 
SAUBINET, trésorier. 


Membres d'honneur. 


MM. Vicemaix G. X, membre de l'Académie française, 
ministre de lInstraction publique. 
CuNIN-GRIDAINE *;, ministre du Commerce. 
Martın pu Norb X, ministre de la Justice et des 
Cultes. 


— 368 — 


Membres titulaires. 


Mgr. GousserO. #, archevêque de Reims. 
MM. Le Vicomre DE Brimonr #, ancien maire et dé- 
peté de Reims. 

SAUBINET, membre de la Société d'agriculture, 
sciences et arts du département de la Marne. 

RogiLLARD, juge d’instruction. 

BANDEVILLE, aumônier du collége royai, cha- 
noine honoraire. 

Boucn£é, bâtonnier de l’ordre des avocats, juge- 
suppléant au tribunal civil. 

L. Paris, bibliothécaire de la ville, membre du 
Comité historique. 

FANART, membre du Comité communal d'in- 
struction primaire. 

NANQUETTE , curé de Saint-Maurice , chanoine 
honoraire. 

BRUNEITE , architecte de la ville. 

ConTANT, licencié en droit, membre du Comité 
communal d'instruction. 

Laxpouzy , membre correspondant de lAcadé- 
mie royale de médecine. 

DE BELLY , membre de la Société d'agriculture, 
sciences et arts du département de la Marne. 
(23 déc. 1841.) 

WAGNER, ancien négociant. (id.) 

HouzEau #, manufacturier de produits chimi- 
miques , député de Reims. (id.) 

BONNEVILLE , procureur du roi. (id.) 

PHILLIPPE , membre correspondant de PAcadé- 
mie royale de médecine. (30 déc. 1841.) 

Querry, vicaire-générai. (1% janvier 1842.) 


FONDATEURS. 


MM. 


MM. 


— 369 — 

Garcer, agrégé des sciences, professeur de ma- 
thématiques spéciales au collége royal. (2 mars 
1842.) 

E. DéropĘ , avocat. (13 mai 1842.) 

Goger, licencié en droit, membre du Comité 
communal d'instruction primaire. (id.) 

Lecomre , pharmacien en chef de lPHôtel- 
Dieu. (30 décembre 1812.) 

M. SuraixE , négociant, membre de la Société 
des amis des arts. (27 janvier 1843.) 

Targé De Sr-HarpouIN , ingénieur des ponts- 
et-chaussées. (id.) 

Maouarr, chef de la division des beaux-arts à la 
mairie. (14 janvier 1842.) 

CARTERET, maire-adjoint de la ville. (14 nov. 
1843.) 

GEOFFROY DE VILLENEUVE , membre du Conseil 
d'arrondissement de Soissons. (4 mars 1842.) 

DUQUENELLE, pharmacien, membre du Comité 
archéologique. (id.) 

Moxxor-DEs-ANGLES, professeur au collége 
royal , officier de l'Université. (20 mai 1842.) 


Associes résidants. 


Lovis-Lucas, notaire, membre du Comité ar- 
chéologique. (30 décembre 1842.) 

SoiLLY, proviseur du collége royal. (27 janvier 
1843.) 

GoneL. avocat. (26 mai 1843.) 

Gais , licencié en droit. (id.) 

Cricouor, propriétaire. (1# nov. 1843.) 

Courmeaux, bibliothécaire-adijoint de la ville. 
(10 mai 1844.) 


— 370 — 


MM. Gremin, professeur d'histoire au collége 
royal, (10 mai 1844.) 
Pixon, propriétaire. (id.) 
AUBRIOT, membre de la Commission administra- 
tive du collége royal. (id.) 
Conseil d'administration. 
MM. Les membres du bureau, 
De BELLY. 
BONNEVILLE. 
TARBÉ DE Sr-Harpoux. 


Membres honoraires. 


MM. P. TargÉ, substitut du procureur du roi, à Ver- 
sailles, ancien membre titulaire. 
De GourGas #, inspecteur de l’Académie de Lyon; 
ancien membre titulaire. 
H. FLeury, rédacteur en chef de l’Ardennais, à 


Sedan, ancien membre titulaire. 
Berin, professeur d'histoire au collége royal de 


Douai, ancien associé résidant. 
Mayzce-LEBLANC, ancien membre titulaire à Reims. 
G. SaviGwy, directeur de l’école de médecine de 

Reims, ancien membre titulaire. 
MaïrLEFER-COQUEBERT, ancien membre titulaire, 

à Reims. 

DÉRODÉ-GÉRUZEZ, ancien membre titulaire, mem- 
bre du Conseil général de la Marne, à Reims. 
Herré, peintre, ancien membre titulaire, à Reims. 


Membres correspondants. 


M. Anor pe Marzières , professeur de rhétorique , 
à Versailles. 


— 311 — 


MM. ArNauLT, peintre , inspecteur des monuments 
historiques , à Troyes (Aube). 
ARNOULD, avocat, à Reims. 
ATBERT, curé de Saint-Remi , à Reims. 
BALLIN, archiviste de l'Académie royale de 
Rouen. 
: Barry #, ancien président de l’Académie royale 
de médecine , à Villeneuve-le-Roy (Yonne). 
BarBey, membre du Conseil d'arrondissement, 
à Fismes (Marne). 
BarTnéLEmy (Anatole), homme de lettres TA 
Paris. 
Bazix , propriétaire, au Ménil-Saint-Firmin , 
(Oise). 
BERGER DE X1VREY # , membre de l'Institut , 
à Paris. 
BERRIAT DE Saint-Prix , procureur du roi JAE 
Pontoise. 
Bonsour (Casimir), homme de lettres , biblio- 
thécaire de Ste-Geneviève, à Paris. 
BONNEVILLE (Frédéric) #, ancien essayeur de 
la Banque de France, à Paris. 
BouLLocuE # , avocat général à la Cour royale , 
à Paris. 
BournonNé, directeur de l'école primaire su- 
périeure , à Reims. 
BOURGAIN , homme de lettres , à Sedan. 
BourGeois-Taterry, membre du Conscil géné- 
ral, à Suippes. 
BUVIGNIER, président de la Société philomathique 
de Verdun (Meuse). 
CARRETTE père, officier supérieur du génie, 
à Paris. 


— 314 — 
MM. CARRETTE #, secrétaire de la Commission scien- 
tifique d'Algérie. 

CARRETTE, avocal aux conseils du roi et à la 
Cour de cassation, à Paris. 

CARTERET , avocat aux conseils du roi et à la 
Cour royale, à Paris. 

Cayx X, inspecteur de l'Université , bibliothé- 
caire de l’Arsenal, député , à Paris. 

Cuaix p'Esr-ANGE # , bätonnier de l’ordre des 
avocats à la Cour royale , ancien député de 
Reims, à Paris. 

CHARPENTIER , instituteur primaire à Reims. 

Cnaurrey *#, conseiller à la Cour royaie de 
Paris, membre du Conseil général de la 
Marne , à Paris. 

COLLESSON , ancien inspeeleur de lenregistre- 
ment, juge-suppléant , à Reims. 

CorrÉART DE BRÉBANT, juge, à Troyes (Aube). 

De Bussières X, officier supérieur du génie 
en retraite, député de Reims, à Paris. 

De Caumoxr, directeur de l'Association nor- 
mande , à Caen. 

DAGoxer , docteur en médecine , à Chälons-sur- 
Marre. 

Danron X% , chef du secrétariat au ministère de 
l'Instruction publique, à Paris. 

DAUBANEL , docteur en médecine , à Fère-en- 
Tardenois. 

DAUDEVILLE , président de la Société académi- 
que, à Saint-Quentin. 

De JonciÈères, homme de lettres, à Strasbourg. 

De Larosse , professeur à la Faculté des scien- 
ces de Paris. 


— 313 — 
MM. De Loissox , homme de lettres , ancien député 
de la Marne , à Pierry. 
De Mazières , ancien professeur de l’'Univer- 
sité, à Reims. 
De Manores, procureur du roi, à Vitry-le- 
Francois. 
Le comte DE MELLET, propriétaire , à Chaltrait 
(Marne). 
Demirry, artiste vétérinaire, à Reims. 
De MoxrMERQUÉ # , conseiller à la cour royale 


de Paris. 

De Royer, substitut du procureur du roi, à 
Paris. 

DE SAUVILLE, conseiller de préfecture , à Mé- 
zières. 


L. Desrousseaux DE MEDRANO, ancien mem- 
bre du conseil supérieur des manufactures, 
conseiller général des Ardennes, à Char- 
leville. = 

Dessaix-PErRiN, propriétaire, à Cumières. 

Diprox , inspecteur des monuments historiques, 


à Paris. 
Droter , ancien professeur de l’Université , à 
Reims. 


DUBARLE, juge au tribunal de la Seine, membre 
du Conseil général de Seine-et-Marne, à 
Paris. 

DucnesxE, numismate, à Reims. 

Donëm, docteur en médecine , à Douai. 

Durary (Jules), substitut près le tribunal civil 
de la Seine, à Paris. 

Doeuis , ingénieur en chef des ponts-et-chaus- 
sées , à Châlons (Marne). 

24 


— 314 — 


MM. Doran , architecte , à Paris. 

Duremere, membre de la Société géologique de 
France, à Pierry (Marne). 

Erie DE SAINTE- Marie, à Vitry-le-Francois 
(Marne). 

ESTRAYER-CABASSOLE , chanoine, à Chàlons-sur- 
Marne. 

ETIENNE (Gallois), bibliothécaire de la Chambre 
des pairs, à Paris. 

Faccy, inspecteur des douanes , à Cambrai. 

FovcaeR fils aîné, propriétaire , à Mareuil-sur- 
AY. 

Fournier , curé de Rethel. 

Gariner # , conseiller de préfecture, à Chälons- 
sur-Marne. 

Gaurnrer # , architecte, correspondant de 
l'Institut, à Paris. 

Gaxor, membre de la Société d'agriculture de 
Troyes (Aube). 

E. GÉRUZEZ X , professeur à la Sorbonne, à 
Paris. 

Goninor , juge de paix , à Chàtillon (Marne). 

Gosser, architecte, à Reims. 

Gossin , agriculteur à la Tour-Audry, canton de 
Buzancy (Ardennes). 

GROSJEAN , pharmacien , à Fismes, 

Harpy X, médecin des hôpitaux , à Paris. 

Le baron Héwarr # , propriétaire , à Ay. 

HenrioT-DELAMOTTE, membre de la Chambre 
de commerce, à Reims. 

Husert , professeur de philosophie, à Charle- 
ville. 

HosiGxo , juge d'instruction , à Vouziers. 


— 315 — 


MM. Hussox #, membre de l’Académie royale de 

médecine , à Paris. 

Hyver # , procureur du roi, à Orléans. 

Jarry DE Mancy *#, professeur à l’école royale 
des beaux-arts, à Paris. 

E. Jorimois , professeur au collége de Sedan 
(Ardennes). 

Joppé , bibliothécaire, à Chàlons-sur-Marne. 

Jourdan ( Sainte-Foi), homme de lettres, à 
Paris. 

JusiNa (Achille) #, professeur à la Faculté 
des lettres , à Montpellier. 

Le comte de LADEVEZE , homme de lettres , à 
Orbais (Marne). 

Lair , conseiller de préfecture, secrétaire de 
l'Académie de Caen. 

Le comte DE LAMBERTYE, propriétaire, à Ghal- 
trait (Marne). 

C. LEBERTHAIS, dessinateur, à Paris. 

Lesourpais, chimiste, à Nogent-le -Rotrou 
(Aube). 

Lerrun , directeur de l’école des arts et métiers, 
à Chälons-sur-Marne. 

LEJEUNE, professeur au collége royal de Reims. 

Leceu »’Augn"y, membre du Conseil général de 
la Marne, à Aubilly (Marne). 

LELIÈVRE, ancien censeur du collége royal de 
Reims, à Fumay (Ardennes). 

Lesure fils , docteur en médecine , à Attigny. 

LÉVESQUE DE PoviLLY #, au château d’Arcy- 
Ponsart (Aisne). 

Louis #, médecin en chef des épidémies de la 
Seine , à Paris. 


— 376 — 


MM. Liéxan»s, peintre , à Châlons-sur-Marne. 
MaïLLerer |Corribert) , propriétaire , à Paris. 
Macer, secrétaire du bureau de bienfaisance, 


à Reims, 
V. Marauze, avocat à la Cour royale d'Amiens, 
à Paris. 


Mariner, ingénieur en chef du canal latéral à la 
Marne , à Châlons (Marne). 

Marmieu, avocat à la Cour royale de Paris. 

Mavpassanr, professeur de philosophie au col- 
lége de Châlons-sur-Marne. 

Mennesson | Mahomet), docteur en droit, à 
Reims. 

Micaecin-[Tarpoun # , président de la Société 
géologique de France, conseiller-maître à la 
Cour des comptes , à Paris. 

Monrrcrr, procureur-général , à Nismes. 

Mopinor , docteur en médecine, à Fismes ' 
(Marne). 

Moser , juge de paix, à Verzy. 

Muzieacu, professeur de littérature allemande, 
à Reims. 

Nico , secrétaire perpétuel de l'Académie du 
Gard , à Nismes. 

Nisard #, député, chef de division au ministère 
de l'Instruction publique, à Paris. 

Niror , membre du Conseil général, à Ay 
(Marne). 

OZANNEAU %, inspecteur général de l'Université, 
à Paris. 

Ozeray , archiviste paléographe, à Bouillon 
(Belgique). 

Paris, notaire, à Epernay. 


— 311 — 


MM. H. Paris , homme de lettres, à Epernay. 

P. Paris #, membre de l'Institut, à Paris. 

Parris pu BreuiL, homme de lettres, à Troyes. 

Paurrin (Chéri), rédacteur à la Chancellerie, à 
Paris. 

PÉrix (Alphonse), peintre, à Paris. 

PErvor, membre de la Société archéologique 
de la Marne, à Paris. 

E. PERRIER , secrétaire de la Société d’agricul- 
ture , commerce, sciences et arts, à Châlons 


(Marne). 
Perron , professeur à la Faculté des lettres de 
Besancon. 


PINGRET , graveur , à Paris. 

Porssox , sous-préfet , à Douai. 

Poroxceau # , ancien recteur de l'Université , 
à Paris. 

Poxsixer, juge de paix, à La Ferté-Aleps 
(Seine-et-Oise). 

Pourer, chef d'institution, à Senlis. 

PoviLon-Prérarp, homme de lettres, à Reims. 

PréGnon , curé à Torcy (Ardennes). 

Prix, docteur en médecine , à Châlons-sur- 
Marne. 

RACLET , propriétaire à Roanne (Loire). 

RaAuLIN , maître des requêtes au Conseil d'état, 
à Paris. 

Rowpor, attaché à l’ambassade de France , 
à Pékin (Chine). 

Rousseau , docteur en médecine, à Epernay 
(Marne). 

Royer-CoLLarD %, professeur à la Faculté de 
droit , à Paris. 


=" "6 — 


MM. Sarre , docteur en médecine , à Chàlons-sur- 

Marne. 

SAUVAGE , ingénieur des mines , à Mézières. 

Say (Horace), à Paris. 

De Sucxau , professeur de littérature allemande 
au collége royal de Saint-Louis, à Paris. 

Sury (l'abbé), curé à Loivre (Marne). 

SYLVESTRE , professeur de calligraphie, à Paris. 

TuierriON (Jules), propriétaire à Nanteuil 
(Ardennes). 

TIRMA , docteur en médecine, à Mézières. 

TRANCHART , président du tribunal civil, à 
Vouziers (Ardennes). 

VALLET DE VIRIVILLE, archiviste-paléographe, 
à Paris. 

VARN , bibliothécaire de l’Arsenal , à Paris. 

VATIER , ingénieur ordinaire du canal latéral à 
la Marne , à Châlons (Marne). 

VianciN , membre de l’Académie de Besancon 
(Doubs). 

VILLARD, avocat à Rethel (Ardennes). 

Vizuer, curé à Monthermé (Ardennes). 

ViLLEFROY, homme de lettres , à Soissons. 

VIOLETTE , homme de lettres, à Mary-sur-Marne 
(Seine-et-Marne). 

Weiss # , bibliothécaire, à Besançon (Doubs). 

Wy (James), membre de la Société géologique 

de France, à Epernay (Marne). 


TABLE DES MATIÈRES. 


Pages 
SÉANCE PUBLIQUE annuelle du 23 mai 1844, 5 
Ordre du jour de cette séance, 6 
Discours de M. Bonneville, président annuel, 7 
Courrg-RENDu des travaux de l’Académie pendant l'an- 

née 1843-1844, par M. Landouzy, secrétaire, 19 
Rapport sur les concours ouverts pour l’année 1844, 5r 
PROGRAMME des questions proposées : 

Histoire. — Archéologie, 52 

Economic industrielle, 53 

Agriculture, Ibid. 
Rapport sur les trois concours, par M. Gobet, 55 


ECONOMIE POLITIQUE. 


Notes historiques sur le commerce des Indes orientales 
par M. Lévesque de Pouilly, membre correspondant, 63 


SCIENCES MATHÉMATIQUES ET PHYSIQUES. 


BOTANIQUE. 


Notice sur les mousses et les fougères des environs de 
Reims, par M. Saubinet aîné, 95 


MÉDECINE. 


Observation sur un cas d’hydrophobie après une période 
d’incubation de 7 mois, par M. Mopinot, membre cor- 
respondant , 105 

Observation sur un cas de morve aiguë transmise du 
cheval à Phomme par morsure, par M. Zandouzy, 115 


— 380 — 


Observation sur un cas de morve humaine, par M. le 
docteur Phillippe, 


BALISTIQUE. 


Réflexions sur un nouveau mode de charger les armes 
rayées, découvert par Delvigne, ancien officier d’infan- 
terie, par M. le baron Hémart, membre correspondant 


VINIFICATION. 

Rapport sur les machines à essayer et remplir les bouteil- 
les, présentées par M. Rousseau, membre correspon- 
dant, lu à l’Académie par M. Tarbé de Saint- Hardouin, 

Rapport sur divers procédés relatifs à la vinification par 

M. M. Sutaine, 


BEAUX-ARTS. 
MUSIQUE. 


Discours sur la nécessité d'étudier la musique dans son 
histoire par M. Fanart, 


ARCHÉOLOGIE. 


Monographie de l’église de Saint-Nicaise, par M. l’abbé 
Nanquette, 

Notice sur deux portes sculptées du scizième siècle, dé- 
couvertes en 1843, par M. Maquart, 


HISTOIRE. 


Saint Trésain d’Avenay (Histoire de son église ) par 
M. L. Paris, 

Rapport sur les Ducs de Champagne, de M. Etienne Gal- 
lois, par M. l'abbé Bandeville, 


INSCRIPTIONS. 


Rapport sur l'inscription du monument érigé par la ville 
de Reims, à la mémoire du docteur Chabaud, 


165 


179 


197 


21 


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239 


266 


275 


305 


319 


o | HUE 


Lettre de M. le maire de Reims à M. le président de lA- 
cadémie, 
Extrait du rapport de M. Gobet, 


POÉSIES. 


Mes loisirs, par M. Wagner- Delamotte, 
Les deux épis, par le même, 
= Moïémer, par M. P. Galis, 


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Concours ouverts pour l’année 1845 ; programme des 
i questions proposées, 
Histoire. — Archéologie, 
Economie politique, 
Economie agricole, 


Extrait du rapport du Sous-Préfet de Reims au Conseil 
= =- d'arrondissement, 
Ouvrages imprimés adressés à l’Académie par leurs au- 
teurs, 
— par les académies et les sociétés correspondantes, 
Académies et sociétés correspondantes, 
Membres composant l’Académie, 


Reims. L. JACQUET, Imprimeur de l'Académie. 


315 


317 


323 
329 
331 


351 


Ibid. 


352 
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HISTOIRE 
de la Ville, Cité et Universite 


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Métropolitaine de Ia Gaule Belgique, 


PAR DOM Guit. MARLOT, 
$ MANUSCRIT INÉDIT 


Publié aux frais et par les soins de l'Académie de Reims. 


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IL PARAIT UNE LIVRAISON TOUS LES TROIS MOIS. 


Les quatre premières livraisons formant le 1° vol. sont en vente. 


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L'ouvrage se paie à raison de 15 centimes la feuille. 


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ON SOUSCRIT : 


à L. JAcQuET, lib.-imprimeur de l’Académie, 
A Reims, chez i Brıssart-Bıner , libraire de l’Académie. 


A Paris, chez TECHENER, place du Louvre, 12. 


SÉANCES ET TRAVAUX 
DE L'ACADÈMIE DE REIMS, 


Paraissant par livraison, après chaque séance, et devant former 
par an 2 vol. in-8°. | 
LES QUATRE PREMIÈRES LIVRAISONS ONT PARU. 
Prix de la Souscription : 42 francs, & 45 francs par la poste. 


REIMS, L. JACQUET, ÉDITEUR. 


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