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ANNALES
SX LA
PROPAGATION DE LA FOI
POUR LA PROVINCE DE QUEBEC
FÊVBlEB 1877.
- . • •
PREMIER NUMÉRO.
DES PRESSES A VAPEUR DE J. A. PLINGUET^
39, RUE ST. JEAN-BAPTISTE.
1877
• • • • •
• • • •
• • • • •
Permis d'imprimer,
•4- Edouarb Ch. Bv. de HontréaL
AUX ASSOCIÉS DE LA PROPAGATION DE LA POI
DANS LE DIOCÈSE DE QUEBEC.
Mgr. SiQNAï disait, dans une Lellre Pastorale en date du
28 Désemhre 183G: ^^Dans la vue de répondre au plus tôt
^^ aux heureuses dispositions que font paraître ces infortu-^
*' nés (les peuples sauvages du Nord, ainsi que ceux qui
'' font en'^ore partie du diocèse de Québec); et désirant^
^'' pour remplir les devoirs de notre charge, envoyer de zélé»
^^ missionnaires au milieu d'eux pour leur annoncer les
^' vérités de la religion ; voulant en outre pourvoir aux
^' besoins pressants de plusieurs autres missions devenues
^^ nécessaires en divers lieux dépendant de notre juri*
'< diction ; nous nous sommes adressé à N. S. P. le Pape
'^ Grégoire XVI, pour obtenir la permission d'établir dang.
** ce diorèse la Société de la Propagation de la Foi telle
'^ qu'elle est établie en France depuis 1822, et avec tous les-
^' privilèges qui y sont attachés. Sa Sainteté a bien voulu
-^répondre à nos désirs, et nous avons la satisfactiou.de
" vous informer qu'en vertu d'un Bref Apostolique, daté de
'' Rome le 28 février de la présente année, nous sommes
'^ autorisé à établir la dite Association de la Propagation de
-^ la Foi pour les fins &us-mentionnées.
'^ Cette Association que nous proposons et que nous
'^ recommandons aujourd'hui au zèle de notre clergé, à sa
'^ piéié, ainsi qu'à celle des fidèles de notre diocèse, a donc
^' pour objet d'étendre ei de propager la foi catholique,
^( d'^iairer de ses divines lumières les peuples éloignés
'' dont nous venons de parler i comme aussi d'établir des
^' missions au milieu d'un grand nombre de catholiques
" privés des secours de la religion et incapables, à cause de*
'^ leur pauvreté, de subvenir à l'entretien des prédicateurs
<< de l'évangile. Les moyens qu'elle propose à ses associés,
'^ pour atteindre le but de son institution, sont des œuvres
<< de piété et de charité, dont voici le détail:
'Ma Chaque associé doit dire tous les jours un Pater et
^< un Ave Maria^ hyec cette courte invocation: Saint François*
" Xavier^ priez pournous. Il suffit de diriger, une fois pour
<^ toutes, l'intention du Pater et de VAve de la prière da
^^ matin du de celle du soir.
'' 2o. Chaque associé doit donner çn aumône un 90u par
^' semaine.
'-^ Les avautages et les privilèges attachés à cette Asso-
*' dation par les Souverains Ponti^s sont :
*' lo. Une indulgence plénière le jour de l'Invention de la
*' Ste. Croix, le 3 mai, ce jour étant l'anniversaire de l'ins-
<^ titution de l'Association.
" 2o. Une seconde indulgence plénière le jour de la fête de
*• St. François-Xavier, patron de l'Association, 3 décembre.
*' 3o. Une troisième indulgence plénière une fois chaque
^^ mois. Le jour de cette indulgence est au choix de cha-
** que associé.
*^ Pour gagner ces indulgences, il faut réciter régulière-
'< ment les prières dont nous venons de parler, et, le jour
^* où Fon doit gagner l'indulgence, se confesser (cette con-
*' fession peut se faire la veille) communier, visiter l'église
" de sa paroisse et y prier à l'intention du Souverain Pon-
** tife.
*' Ou peut en outre gagner une indulgence de 100 jour^
*•' chaque fois qu'étant au moins contrit de cœur, on récite
^' les prières de l'Association, ou que l'on fait soit Pau-
^' mône prescrite, soit toute autre aumône en faveur des
'' missions, ou que l'on fait quelque autre œuvre de pitié
^' ou de charité Toutes ces indulgences, plénières et par*
^^ tielles, sont applicables aux âmes du purgatoire.
" Nous vous exhortons, Nos Très Ghers Frères, à favo-
'^ riser une œuvre si précieuse. Quant à la légère con-
** tribu lion qui y est attachée, c'est le denier de la veuve de
*^ Tévangile demandé à chacun de vous ; mais ce denier
^' réuni à plusieurs autres pourra contribuer à faire porter
*• la foi chez ceux qui ne l'ont pas encore reçue, ou à la per-
<^ péluer parmi ceux qui manquent de moyens pour la sou-
'^ tenir et la conserver ".
Comme on le voit, la Société de la Propagation de la Foi
existe régulièrement, dans le diocèse dé Québec, depuis le
28|Dëcembre 1836. Dans le cours de l'année 1841, Mgr.
Signai, à la demande des membres du Comité de Régie de
TÀBsociation à Québec, fit des démarches auprès du Pré.
eident général de TOËuvre en France, M. de Jessé, pour
obtenir Taffiliation à celle de France de la Société de la Pro-
pagation de la Foi telle qu'elle était établie à Québec ; cette
affiliation fut aussitôt accordée, à condition que TÂssociatioa
de Québec continuerait à favoriser autant que possible les
missions sauvages et autres de l'Amérique Britannique. La
plus grande partie des recettes se trouvait de la sorte à, la
disposition du Comité de Régie de Québec, qui employait
cet argent au soutien des missions du diocèse.
Quelques difficultés s'étant élevées, en 1845, entre les
conseils centraux de France et le Comité de Régie à Québec,
ce ne fut que le 20 Décembre 1850 qu'on en vint à des
arrangements définitifs, ^affiliation de la Société de Québec
à celle de France fut maintenue à condition que notre
Comité de Régie paierait tous les ans $600,00 à TEvêque
d'Ottawa pour la mission sauvage d'Abbittibbi, $480,00 à
TEvéque de St. Boniface et $940,00 au conseil central de
Lyon pour Texpédition des Annales. Le reste des recettes
était à la disposition du Comité de Québec. A peu près
depuis cette époque le Comité de Québec a de plus alloué,
chaque année, $600,00 à la mission des Naskapis et des
sauvages de la Baie d'Hudson, 8400,00 pour la mission des
Tètes de Boule, sur le haut, du St. Maurice, 8200,00 pour les
Annales anglaises, etc. Tous les ans, le Comité de Québec a
fait rapport de ses recettes et de ses œuvres aux conseils
• centraux de France.
Les choses en étaient là, lorsque, dans les derniers jours
de juin 1876 Mgr. TArchevôque de Québec reçut une lettre
de M. de Verdiôre, Président général de TCEuvre de la
Propagation de la Foi en France, informant Sa Grandeur
que, pour plusieurs raisons, il no lui était plus possible de
continuer à la Société de Québec le privilège de Taffiliation
à celle de Fran^, à moins que le diocèse de Québec ne
consentit à laisser toutes ses recettes à la disposition des
conseils centraux de France, et à ne rien recevoir à
r avenir.
Après avoir consulté MM. les curés du diocèse, réunis en
retraite à la fin du mois d'août, Mgr. TArchevôque résolut de
mettre les choses sur Tancien pied. Â cet effet il convoqua^
le 14 Sept. 1876, une assemblée extraordinaire du Comité
de Régie, qui eut lieu au salon de TArchevêché, sous la
présidence de Son Excellence le Lieutenant Gouverneur
Caron. Voici ce qu'on lit au procès-verbal de cette asseni*
blée: '^ Mgr. l'Archevêque étant venu pour prendre part
aux délibérations du Comité, expose lui-même qu'il a reçu
une lettre du Président général de l'Association de la Pro-
pagation de la Foi en France, par laquelle ou annonce que
les conseils centraux de Paris et de Lyon en sont venus à
décider qu'à l'avenir, c'est i dire après la présente année, le
diocèse de Québec devra disparaître du compte des dé-
^nses et qu'il ne figurera plus que dans le compte des
recettes. En d'autres termes, d'après la teneur de cette
lettre officielle, le Comité de Québec devra remettre toutes
ses recettes aux mains des conseils de France, sans pouvoir
s'attendre à aucune allocation pour ses propres besoins. —
Mgn l'Archevêque fait remarquer que le diocè*se de Québec
ne peut absolument pas se passer des ressources que lui
fournit la Propagation de la Foi, et que le plus sûr parti
que nous ayons à prendre c'est de rompre, à regret sans
doute, l'union qui a existé depuis tant d'années entre
l'Œuvre de la Propagation de la Foi régulièrement et
canoniquement établie dans le diocèse de Québec, et la
Société telle qu'elle existe en France.
Les membres du comité de Québec, tout en déplorant
sincèrement cette extrême nécessité, déclarent alors d'un^
commun accord que, vu les besoins immenses où se trouve
le diocèse de Québec pour le soutien des nombreuses et
pauvres missions qui en font partie, et pour venir en aide
à des œuvres locales où la Propagation de la Foi est direc-
tement intéressée, ils ne peuvent accepter la proposition
faite par M. de Verdière, Président de l'Œuvre en France;
qu'en conséquence l'Association de la Propagation de la
Foi dans le diocèse de Québec s'en tiendra désormais,
domme autrefois, aux privilèges à elle accordés par l'In-
duit de Grégoire XVI en date du 28 février 1836, et qu'elle
gardera toutes ses recettes pour en disposer selon les besoins
du diocèse."
Nous nous trouvons, de cette manière, à ne plus avoir
droit aux Annales publiées à Lyon. Mais, pour obvier à
cel inconvénient, il a été réglé que, trois fois par année, le
15 février, le 15 juin et le 15 octobre, il sera publié à Mont-
réal, des Annales canadiennes qui renfermeront des matiè-
res ayant spécialement rapport aux œuvres accomplies par
la Propagation de la Foi en Canada et dans l'Amérique du
Nord, et contenant en outre des informations sur les tra-
vaux apostoliques des missionnaires dans toutes les parties
de l'univers. Ces Annales seront également distribuées
aux Associés des diocèses de Montréal où l'CEuvre de la
Propagation de la Foi est organisée depuis plusieurs années
comme elle le sera désormais chez nous, ainsi qu'aux
Associés des diocèses des Trois-Rivières et de St. Hyacin-
the, où Ton va suivre* notre exemple, en se serrant de la
Société de France.
Depuis Ja publication du dernier «^ Rapport des Missions,'
en Mai 1874, le Comité de Régie à Québec a eu à déplorer
la mon de deux de ses membres: A. B. Sirois, Ecuyer
Notaire, qui fatsatt partie du Comité depuis le 22 Décembre
1862; et Son Excellence le Lieutenant Gouverneur Caron
qui fut l'un des foHdateuis de l'Œuvre à Québec et qui
était Président du Comité depuis le 16 Décembre 1855:
Nous les recommandons tous deux aux ferventes prières
des Associés. L'Hon. M. Chauveau a été choisi en rem-
placement ae M. Sirois, et Alexandre Lemoine, Ecuyer en
remplacement de Son Excellence M. Caron. Errol Boyd
Lindsay, Ecuyer, le dernier survivant des fondateurs de
rCEuvredô la Propagation de la Foi à Québec, a été élu
Président, et Vital Têtu, Ecuyer, Vice- Président. Le Comité
de Régie à Québec est donc, à l'heure qu'il est, composé
comme suit: ; ^
5?taS^t^T? J^INDSA\ ; Ecr , Président.
■ VITAL TÊTU, Ecr., Vice-Président.
■ CYRIt.LE DELAGRAVE, Ecr., Secrétaire
L'ABPE NAP. LALIBERm f^JnJr
MGR. G. F. GAZE AU, . ^'"»"«-
G. M. MUIR, Ecr., ... ,■....."-
L'HON. THOS. McGREEVY
L'HON. P. GARNEAU,
L'HON. P. CHAUVEAU,
ALEXANDRE LEMOINE, Ecr
COMPTES-RENDUS.
DIOCÈSE DE QUÉBEC.
Etat des recettes de t'Œuvre de la Propagation de la Foi^ dans:
le diocèse de Québec^ pour l'année 1874.
CàSème année.)
Ville de Québec.
BasUique $371 20
50
Archevêché.
Grand Séminaire
Petit Séminaire..
Hôtel-Dieu
Daines Ursulin^s,
Hôpital-Général 36
Sœurs de la Charité
8œar8 du Bon Pasteur . • • • 5
16
16
26
24
36
00
60
00
85
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Porté $ 522 15
Rapporté
Ecole-Normale
St. Patrick
Faubourg St. Jean . . .
St. Roch
St. Sauveur
Soldau
Asile des Aliénés. ....
Collège de Ste. Anne.
$ 522 15
Ut 00<
276 00
, 759 00
215 30
22 00
8 00
14 50
Porté ...f 1957 95
Campagne.
Rapporté ,
Adrien, St. d'Ireland . .
Agapit St.
Agathe Ste - ...
Agnès Ste
AlbanSl
Alexandre St •
Alexis St
Alphonse St
AmbroiseSt. .,.
Anastasie Ste
Ancienne Lorette N.D.de V
André St
Ange Gardien
Anges SS. de la Beauce. . «
Anne Sle. de Beaupré. . • . •
Anne Ste. de la Pocatière. .
Anne Ste. du Saguenay . . ,
Anne Ste. du Portneuf. . • ,
Anselme St.. . • •
Anse St. Jean.
$ 1957 95
60 65
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23 00
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156 15
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Antoine St
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Augustin St ,
BaitoSt. Paul
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Beaumont St. Etienne de..
Beauport N .D.de(à compte)
Bergeronnes Ste. Zoé des».
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Berthier N.D.de
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Buckland N. D. de
Galixte St de Somerset. . ,
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Cap St. Ignace • ••
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38 00
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126 00
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Lévis N. D. de
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Louis S. de Mélabetcbouan
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15 00
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69 35
148 00
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47 50
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125 90
21 00
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320 00
84 00
5 25
26 30
1 00
59 40
6 50
18 00
97 20
1 00
Porté $ 7103 60
(l) Ste. Foyea donné $48.50 en 1871, $52.60 en 1872 et $50.00 en
1873. Le nom de cette paroisse avait été oublié dans les rapports pré
cédents.
10
Rapporté $ 7103
Narcisse St 15
Nicolas St 116
N. D. du Lac St. Jean 3
M. D. de Laterrière 5
N. D. du Portage 4
N.D. de Lourdes de Méganlic
N.D. delà Hiv. Batiscan..
OnésimeSt 1
PacômeSt 12
PamphileSt
Paschal St 181
Patrice Bt. de Beaurivage .
Paul St. de Mille-Vaches. . 2
Paul St.- de Moutminy .... 7
Perpétue Ste 1
Petite Riv. S. Frs.-Xav.de la 1 8
Pétronilie Ste.Isle d'Orl.. . . 32
Philémon Si. de Mailloux..
Philippe de Néri St 35
Pierre St. Isle d'Orléans. . .
Pierre St. Riv. du Sud ....
Pointe-aux-Trembles St.
Frs. de Sales de la
PorlneufN. D. de
150
42
72
51
60
00
15
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00
00
00
00
00
65
50
40
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00
65
00
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Porté $ 7852 95
Rapporté $ 7852 95
PrimeSt 1 00
Raphaël St 37 10
RiymondSt 57 00
Riv. du Loup S. Pat. de la . 37 45
Riv. Quelle N. D. de la . . . i 9 50
Roch Si. des Âulnets 80 00
Romuald St 50 OO
Sébastien^t 1 00
SévérinSt *... 10 00
Siilery St. Colomb de 29 30
Siméon St. du Port au Persil 15 00
Sophie Ste. d^Ialifax ..... 12 30
Stoneham St. Edmond de. 3 65
Sylveste St 16 75
Tadousac Ste. Croix de. . . 3 00
Télesphore St
Tewkesbury S. Jacques de
Thetford 8. C. de Marie de
Thomas St.de Montmagny. 132 00
Tite St. des Caps 25 00
UbaldeSt ; 8 00
Urbain St 30 00
Val-Cartier St. Gabriel de. 30 50
ValierSt 97 00
Victor St. de Tring 2 00
Montant de la recette des paroisses $8550 50
Dons et intérêts 201 30
Total de la recette de 1874 $8751 80
Etat des sommes allouées par le Conseil de la Propagation de
la Foi à Québec^ pour Vannée commençant au irr Octobre .
1874 et finissant au \er Octobre 1875.
Annales de Lyon : $ 980 40
Missions du Lac Abbitibbi et des Chantiers 600 00
Diocôee de St. BoDiface 480 00
Missions du St. Maurice 400 00
Missions des Naskapis 600 OO
Transport des Annales et Annales anglaises.. '. 200 Oi)
Ornements, vases sacrés, pierres d'autels, etc 1000 00
Grosse-Isle (Quarantaine) ....•• 2<'0 00
Aide au Petit Séminaire de Chicoutimi 250 00
Pour 65 Appendices au Rituel 130 00
Pour livres de controverse en anglais 90 50
Presbytère de Stoneham lOO 00
Chapelle de N. D. de Lourdes de Méganctic 100 00
Chapelle d'Invemess 100 0(i
Chapelle de St. Pierre Baptiste 100 00
Chapelle du S. C. de Marie 100 00
Porté Ç 5430 90
Il
Rapporté % 5430 90
^:hapelle de Sle. Justine 100 00
Chapelle de St. Damien de Bucktand 50 00
<^hap<^llede St. Malgloire 100 00
Chapelle de St. Philémon de Mailloux 50 00
llhapellede Su EleuUière 150 CO
Chapelle delà Hivlère aux Canards - 50 00
Chapelle de Ste. Anne do la Rivière Portneuf. 100 00
<^:hapelle de la Hivière Ste. Murguerite 50 00
i :hapelle de St. Cyriac de Kinoprami 40 00
Chapelle de St. Félicien 100 00
Presbytère des S. S. Anges de la Beauce 50 00
Missionnaire de St. Ubade, eic 100 00
" de Valcariier, Gosford, etc 80 00
'' de Stoneham, St Adolphe, etc 100 00
de Laval, etc 30 00
.le 8t. Tite des Caps 100 00
•* de 81. Casaien, par Petite-Rivière 30 00
'* de St. Siméon, etc 60 00
de Tadoussac, etc. , 140 00
" des Escoumains 50 00
de St. Paul de Mille Vaches, etc 60 00
♦» de l'Anse St. Jean 120 00
de St. Fuigence et des chantiers 200 00
de St. Gèdéon, par St. Jérôme 40 00
de Si. Prime, etc ; .' 160 00
II
de Ste Anastasie ' 100 00
d'Inverness 100 00
<(
deSt. Sévérin 50 00
de Sébastien , ^... 120 00
*• deSt. Cômede Kennébeo 100 00
" de Ste. Justine 100 OÙ
deSl. Magloire 100 00
dèSt. Dumien, parBuckland., 50 00
de St. Paul de Montminy, etc 100 00
" de Ste. Perpétue 120 00
de SI. Eleuihère ' 175 00
ii
•*
Montant alloué...'. $8705 90
JRésumé :
Total de la recette de 1871 $8751 80
En caisse de l'an dernier 5 157 50
Total • S13909 30
Montant alloué pour Î87J 8705 90
Reste en caisse $5203 40
NAP. LALIBERTÉ, Ptre.,
Trésorier.
12
Eiat des recettes de V Œuvre de la Propagation de la Foi^ dans
le diocièse de Québec^ pour l'année 1875.
.. . (S^ème année.)
Ville de Québec.
Basilique $ 328 90
Arclievèché 10 00
Grand Séminaire 15 00
Petit Séminaire 33 90
Hôtel-Dieu 12 00
Dame» Ursulines 38 25
Hôpital-Général , 32 30
Sœurs de la- Charité 4 00
Sœurs du Bon Pasteur .... 5 00
Porté $ 470 35
Rapporté
Eoole-Normale
St. Patrick
Faubourg St. Jean. .
St. Roch
8t. Sauveur , . ,
Soldats
A.»ile des Aliénés . . . .
Collège de Ste. Anne,
\ 479 35
6 00
100 00
340 50
708 OO
244 60
16 00
7 00
15 00
Porté $1916 45
Campagne.
Rapporté $1916 45
Adrien St. d'Ireland
AgapitSt... 45 00
Agathe Ste. 66 00
AgnèsSte.; 17 10
AlbanSt..; 42 00
Alexandre St 18 00
AlexisSt 4 00
-Alphonse St 2 00
AmbroiseSt 71 00
AnastasieSte 135
Ancienne Lorette.N.D. de r 100 00
AndréSt ; 23 60
AngeGardlen 57 00
Anges S9. de la Beauce . . .
Anne Ste. de Beaupré S2 45
Anne 8te. de la Pocatière. 29 50
Anne Ste. du Saguenay • . . 1 55
Anselme St 120 00
Anse St. Jean 2 40
Antoine St 70 00
Antonin bt 14 50
AppoUinaire St 39 00
Armagh St. C^jétan d\ . . . 3 00
Auberl St 9 00
Augustin St 296 65
Baie St. Paul 57 00
BasileSt 33 00
Beaumont St. Etienne de. 67 10
Beauport N. D. de 96 00
Bergeronnes Ste. Zoë des.
Bernard St . 40 00
Porté $ 3324 65
Rapporté $ 3324 65
Berthier N. D. de 12 50
Broughlon S. C de Jésus de 10 00
Braughton St. Pierre de.. 43 00
Buckland N. D. de 8 25
Calixle St. de Somerset... 137 00
Cap Santé Ste. Famille du 42 65
Gap St. Ignace 160 00
Casimir St 48 00
Cassien St. des Caps. .....
Catherine Ste 23 00
CharlesSt 170 00
CharIesbourgSt.Ch8.de.. 65 75
Chdteau-Richer N. Û. du..
Chicouttmi St. Prs.-X. de. 55 00
Claire Ste 50 00
Côme St. de Kennébec...
Cranbourne St. Odilon de.
Croix Ste 34 00
GyrilleSt
Cyriac St. de Kinogami . . .
Damien St. de Buckland • • •
David St. de l'aube-Riv... .
DenisSl 40 00
Deschambault St. Jos. de. 85 00
Dominique S. de Jonquières
Dunstan St. du Lac Beau.
Bboulements N. D. des.. .
ËcureuilsSt. Jean-Bap. des 7 00
Edouard St. de Lotbinière 34 00
Edouard St. de Frampton. 10 30
Porté f 4360 10
13
Rapporté $ 4360 10
Slealhère St. de Pohéné-
gamook
BIzéarSt 27 00
JBmmélieSte.deLotbinière 26 50
BphremSt. de Trlng 4 10
JSscoumains, St. Marcellin
des \ U 85
^tienne St. de Laazoo .... 4 00
Eugène St
Evarirte St. de Forsyth ... i2 25
Famille, Sle 32 35
Félicien St
Félix St. du Gap Rouge. . . 9 00
Ferdinand St. d'Halifax . . .
Ferréol,St 11 10
Fidèle St
Firmin St. de la Rivière-
aux^Ganards
Flavien, St 33 30
FoyeSte 42 60
François St. de Beauce. . . 8 80
Franco s St. Isle d'Orléans 28 90
François St. Rivière du Sud 34 60
KrôdéricSt 25 50
FulgenceSt 2 80
Gédéon St. de Grand mont
GeorgesSt 5 10
GermaineSte 2 00
GerraisSt... 56 00
GillesSt ■.... 8 ÔO
Grondines St. Charles des, 60 00
Grosse-Isle St. Luc de la. . 4 00
Hébertville N. D. d' 19 00
Hélène Ste 17 00
Hénédine Ste 15 00
HenriSt 84 00
HilarionSt 7 Oo
HonoréSt 10 00
Invemess St. Athanase d'. 10 Oo
IiénéeSt 9 75
Isidore St 63 75
Isle-aux-GoudresS.Ls. der 76 40
Isle-aux-OruesSt.Ant. deP 61 85
laletN. D. der 135 00
Jean Chrisostôme St. . » . • . 125 00
Jean Deschaillons St 57 55
Jean St. Isle d^Orléans. . . 295 00
Jean Si. PortnJoly 80 00
Jeanne Ste. de Neuville. . . 47 00
Jérôme St , 7 00
JoachimSt.... 45 35
Joseph St. de Beauce 53 00
Joseph St. de Lévis 150 00
Porté $ 6211 50
Rapporté.. $ 6211 50
Julie Ste. de Somerset. ... 30 85
Justine Ste 6 00
Kamouraska St. Louis. ... 50 OO
Lambert St 54 3S
Lambton St. Vital de 8 50
Laurent St 178 00
Laval Ste. Brigitte de
Lazare St. 41 50
Leeds St. Jacques de. ... •
Léon St. de Standon
Lévis N. D.'de 357 00
Lolbinière St. Louis de. . . 55 00
Louis St. de Métabetchouan 1 50
Louise Ste 28 lo
MagloîreSt
MalachieSt 4 00
MalBaieSt. Etienne delà. 46 OO
Marguerite Ste 10 50
Marie Ste. de la Beauce... 20 50
MichelSt..: 84 00
Mont-Càrmel N. D. du . . . •
Narcisse St.-. 9 00
Nicolas St 77 OO
N. D. du Lac St. Jean. . .. 2 50
N. D. de Laterrière 3 50
N. D. du Portage 6 00
N. D. de Lourdes Megan tic
N. D. de la Rivière Batiscan
Onésime St.s
PacômeSl 10 00
Pamphile St
Paschal Si 135 OO
Patrice St. deBeaurivage.
Paul St. de Mille Vaches. 5 OO
Paul St. de Montminy . ...
Perpétue Ste 3 00
Petite Riv. «^i. Frs. X. dp la 11 00
Pétronille Ste. Isle d 0. 1 . . 30 00
Philémon St. de Mailloux.
Philippe de Néri St 1 9 00
Pierre St. Isle d'Orléans.. 168 OO
Pierre St. Rivière du sud . . 26 50
Pointe-BU.x-Trcmbles St.
Frs: de Sales de la lOO 00
Portneuf N. D. de 40 00»
Prime Si
Raphaël St 25 00
Raymond St 50 75
Riv. du Loup St. Pat. de la 43 40
Rivierre Quelle N. D. de la 20 00
Hoch St. des Aulnets 47 20
Romuald SI 22 50
Sébastien St
Porté $ 8047 65
14
Rapporté $ 8047 65
SéverinSt 12 40
Sillery St. Colomb de 26 50
SiméonSt.du Port au Persil 12 00
Sophie Ste. cf 'Halifax 10 05
Stoneham St. EËimondde. 4 00
Sylvestre St 16 00
Tadoussac Bt. Croix de...
Thetford S.C. de Marie de
Porté $ 8128 60
Rapporté $ 8128 60
Thomas St. deMontmagny 157 25
TiLe St. des Caps 13 00
TélesphoreSt
Tewkesbury St. Jacques de
UbaldeSt 5 00
Urbain St 27 60
Vai*Gartier St. Gabriel de.
ValierSt 81 35
Tictor St. de Tring 3 00
Montant de la recette des paroisses .$841,5 80
Dons et intérêts 247 55
Total de la recette de 1875 $8663 35
Etat des sommes allouées par le Conseil de la Propagation de
la Foi à Québec^ pour l'année commençant le \er Octobre
1875 et finissant le \cr Octobre 1876.
Annales de.Lyon $ 980 40
Missions du Lac Abbitibbi et des Chantiers 600 00
Diocèse de St. Boniface 480 00
Missions du St. Mauriee 400 00
Missions desNaskapis ..,......• 600 00
Transport des Annales, et Annales anglaises 200 00
Ornements, vases sacrés» pierres d'autels, etc • 1000 00
Grosse-Isle.ÇQuarantaine) 200 00
Pour le " Rapport des Missions de 1776 * 260 00
Presbytère du S. C. de Jésus ', - 60 00
•' du 8. C. de Marie 100 00
" des S. S. Anges de la Beauce 50 00
Chapelle de Ip Rivière aux Rats, Dioc. des 3 Riv 150 00
" deN. D. Lourdes de Méganlic 100 00
*' dlnvemess \06 00
^' deLeeds 40 00
" de S. Adrien d'Ireland 100 00
*' de S. Damien de Buckland 100 00
*' de S. Philémon de Mailloux 100 00
'* de Sie. Justine 100 00
" eeSt. Magloire 100 00
'* ' de N. D. de la Rivière Batiscan 100 00
* *' deSloneham ., 25 00
" de St. Adolphe 40 00
<* de St. Firmin de la Riv. aux Canards 100 00
" de St. Joseph de l'Isled'Alma 100 00
Missionnaire de St. Ubaide, etc < 100 00
" de Valcartier, Gosford, etc 80 00
" de Stoneham, etc 80 00
»' deLival, etc 80 Of
Missionnaire de Sl Tite dos Caps n 50 00
•• de St. Cassien, par Pitite-Rivière 25 00
Porté $ 6600 40
15
Rapporté $ 6G00 40
3llssioiuiaire de St. Siméon etc 60 OO
'« de Tadoussac 140 00
" des Escoumains et de Ste. Zoé 80 00
" de 8t. Paul de Mille Vaches, etc ^ 100 00
-' de TAnse St. Jean ......^ 120 00
•' de St. Fulgence et des Chantiers 200 00
•' de St. Gédéon, par St. Jérôme 25 OO
« de St. Prime etc 160 00
« de N. D. de Lourdes, par Ste. Julie; , 25 00
" de Ste. Anastasie 80 Oa
" d'Inverness. etc 80 OO
" des S. S. Anges, de laBeauce 100 OO
** de St. Sébastien 120" 00
«<. deSi. Côme 100 00
« de Ste. Justine 120 00
" de St. Magloire 120 00
de St. Damien, parBnckland.... 25 00
de St. Paul de Montminy, etc 120 00
" de Ste Perpétue, etc ; 120 OO
" de St. Bleuthère 200 OO
Offrande à Mgr. Racine pour *« la Patrie " .•. 100 OO
Pour UD autel portatif 60 0&
Pour" Paroissiens notés " 95 00
Montât alloué $8950 40
'Résumé *
Total de la recette de 1875 $8663 3>
En caisse de Tan dernier $5203 40
ToUl $138GG 75
Montant alloué $8950 40
Reste en caisse $4910 35
NAP. LALIBERTÉ, Ptre., Trésorier.
Etat des recettes de VŒuvre de la Propagation de la Foi^ dans
le diocèse de Québec^ pour Vannée 187G.
(\^ème année,)
Ville de Québec.
Basilique $ 395 00 [ Rapporté $ oW 30
- ' * "^ ' *f^ >^i^ Ecole-Normale
Si. Patrick 89 ."jO
Faubourg St. Jean V^Q 15
8t. Roch G20 00
St.Sauveur 292 ::c>
Soldats 9 UO
Asile des Aliénés » 10 00
Collège de Ste. Anne 13 80
Archevêché 10 00
Grand Séminaire 1 4 00
Petit Séminaire 24 00
Hôtel-Dieu 26 00
Dames Ursulines 37 50
HôpiUl-Général 35 00
Soeurs de la Chanté. . . . • •
doeurs du Bon Pasteur. . • •
Porté $ 541 50
Perte..,. $19iG 15
16
Campagnes.
Rapporté $1926 15
Aérien St. d'ireland
Agapit St..; 50 00
AgatheSte 56 00
. Af^DèsSte 13 00
AlbanSl 33 00
Alexandre St 14 00
Alexis St 4 00
Alplionse St
ArabroiseSt 77 00
AnastasieSte Il 90
Ancienne Lorette N.D.de r 94 00
AndréSt 27 10
Ange Gardien 52 80
Anges SS. de la Beauce. . .
Anne St. de Beaupré 54 ÛO
Anne Ste. de la Pocatière. . 84 00
Anne Ste du Saguenay. ... 2 50
AnselmeSl 128 00
Anse St. J(. an 1 50
Antoine St 53 60
AtitoniriSt 7 50
Apollinaire St 31 00
Armagh St.' Càjetan d* . . . .
AubertSt 5 00
Augustin St 235 00
BaieSt.Paul 57 OO
BasileSt 27 00
Beau mont St. Etienne de. 64 15
Beauport N.D. de 531 00
Bi^rgeronnes Ste. Zoé des.
BernardSt 31 00
Berthier N. D. de
Broughton S. C.deJ. de.. 9 80
Broughton St. Pierre de.. 21 00
Buckland N. D. de 7(0
<:aUxte St. de Somerset. . . 103 00
Oap Santé Ste Famille du. 35 40
-Cap St. I|;nace 115 00
Casimir St 37 00
Cassien St. des Caps. .....
Catherine Ste
Charles Si 102 60
Charlesbourp S. Charles de 75 25
Château-RichfT N.D. du..
ChicoutimiS.Frs.-Xav.de. 45 00
Claire Ste 39 00
Côme St. de Kennebec. ... 4 50
Cranbourne St. Udiloa de.
Cfoir Ste 34 10
Cyrille St 8 00
Cyriac St. de Kinogimi...
Damicn St. de Buckland..
. ..-•»♦...
Porté ..$ 4307 85
Rapporté $ 4307 85
David St. de TAube-Biv. .
DenisSt 38 00
Deschambault StJos. de . 70 00
Dominique Stde Jonquières
DunstanStdu LacBeaup.
Eboulements N.D. des.... 5 06
Ecureuils St. J.-3apt. des.
Edouard St. de Lotbinière. 30 00
Edouard St. de Frampton. 10 00
Ëleuthère St. de Poënega-
mouck «,
EUéarSt 27 00
EmméUeStedeLotbiniore. 22 75
Ephrem St. de Tring
Escountains S. Marcellin
des 12 00
Etienne St. de Lauzon .... 4 00
Eugène St
Evariste St. de Forsyth . . .
Famille Ste 44 15
Félicien St
Félix St. du Cap-Rouge... 9 70
Ferdinand St. d'Halifax.. 18 00
FerréolSt
Fidèle St
Firmin St. de la Rivière
aux Canards
Flavien St
PoyeSte 50 00
François St. de Beauce. . . 6 00
François St. Isie d'Orléans 24 65
François St. Riv. du Sud.. 23 40
Frédéric St 22 70
Fulgence St
Gédéon St. de Grand mont.
Georges 81 4 00
Germaine Ste 2 00
GervaisSl 71 00
Gilles St
Grondines St. Charles des. 52 00
Grosse-Ile St. Luc de la . . 4 00
Hébertville N.D. d' 29 00
Hélène Ste 29 25
H^^nédioe Ste 18 00
Henri St 70 00
HilarionSt 2 99
Honoré St. de Shenley. ... 8 65
Inverness St. Athanase d'. 10 Oo
IrénéeSl 9 00
IsidoreSl 53 00
Isle-aux Coudres S. Ls.de V 63 00
Porté $ 5150 95
17
Rapporté $ 5150 05
Tsle-aux-Grues S. Ant. de V 58 05
IsletN.D.del' 133 50
Jean-Chry SOS tome St 40 00
Jean Deschaillons St . ■ . . . 58 OO
Jean St. Isle d'()^^éaIiS. . . 200 00
Jean St. Poi t Joly 48 «0
Jeanne Ste de Newville... i5 50
Jérôme Si 12 00
Joachim St 39 00
Jo8ephSt.de Beauce 46 75
Joseph St. de Lévis 98 OO
Julie Ste. de Somerset. . . .
Justine Sle
Kamoiirasta St. Louis de.
Lambert St
Lambton St. Vital de
Laurent St
Laval Ste. Brigitte de....
Lazare St
Leeds St. Jacqnes de
Léon 8l. de Slandon
L'»vis N.D. de
Lotbinière St. Louis de. . .
Louis S. de Mêtabetchouan
Louise Ste r
MahchieSt
Halbaie S. Etienne de hi. .
Marguerite Ste
Marie Ste. de Beauce
Michel 8t
Mont Carmel N. D . du . . . .
Malgloire St
Narcisse St
NicolMSt
N.D, du Lac St.Jean
N.D. de Lalerrière
"S. D. du Portage
N. D. de Lourdes Méganlic
J^.D. delà Hiv. Bastiscan . .
Onésime St
1
50
40
6
!28
12
4f
37(1
48
75
00
00
00
40
00
15
80
50
50
j 00
54
S7
4
00
0 OO
5 75
25
30
18
67
2
00
50
00
Rapporté $ 6912 65-
Pacôme St îî 00
PamphlleSt
PaschalSt \\9 90
Patrice St. de Beaurivage.
Paul St. de Mille-Vaches.,
Paul St. de Montminv. . . .
Perpétue Ste ", 2 00
Petite Riv. S. P.-Xav.dela î6 «S
Pélronille Ste. Isle d'Orl . . 36 00
Philémon St. de Mailloux.
Philippe de Néri St 20 00
Pierre St. Isle d'Orléans. . 170 00
Pierre St. Hiv. du Sud. . .. 30 90
Poi nte-aux-Trém blés St.
Prs. de Sales de la. 8^ 00
Portneuf N.D. de 37 00
Prime St..; 2 50
Raphaël St. . ,.• 21 fO
' Raymond St ' 45 30
I Riv. du Loup S. Pat. de la . . 39 65
' HWwre Quelle N.D. delà.. 16 60
! Hoch St. des Aulnets 53 50
Homuald St 40 00
I Sébastien Si
S'H'erin St 9 90
Sillery St. Colomb de 24 00
Siméôn S. du Port au Persil
Sophie Ste d'Halifax 8 30
Stoneham St. Edmond de..
Sylvestre ^t ' 52 95
Tadoussac Ste. Croix de.
Thetford S. C. de Marie de.
Thomas St. deMontmagny
Tite S. des Caps
Télesphore St.
Te^\»ke8bury S. Jacques de.
Ubalde St
Urbain St
Valcartier St. Gabriel de. .
ValierSt
3 00
149 00
8 00
5 00
18 00
83
3
\ ictor St. de Tring
Port/' $ 0)1-2 (55
Montant de la recette des paroisses $8050
Dons et intérêts 297
Montant non employé l'an dernier 260
45
00
05
50
00
Total de la recolle de 1876 $8607 55
£fat des* sommes allouées par le Conseil de la Proparjatimi de
la Foi à Qu'Jbec^ pour l'année commençant le \er Octobre
\S1^ et finissant le ïer Octobre 1877.
Pour la publication des Annales en français et en anglais 450 00
Hissions dn St. Maurice .*. 400 00
Porté $ 850 OS
18
Rapporté $ 850 00
Missions des Naskapis 600 00
Diocèse de St. Boniface 480 00
Ornements, vases sacrés, pierres d*autels, etc 700 00
Grosse-Isle (quarantaine) , 100 00
Offrande à Mgr. Racine pour "La Pairie" 100 00
Pour achat de livres • 20 00
Pour achat d'une terre à St. Paul de Mille Vaches *. . . 100 00
Pour achat d'une terre aux Grandes Coudées (St. Georges). ... 150 00
Pour faire défricher la terre d© St. Bleulhère 60 00
Montant mis à la disposition de Mgr. l'Archevêque 1200 00
Chapelle de N. D. de la Rivière Batiscan 100 00
Chapelle de St. Adolphe 20 00
'* des Sept Crans 100 0<)
'* de St. Cassien des Caps Î5 QO
" de St. Firmin de la Rivière aux Canards r>0 00
" deSt.Prime 50 Oo
'< de N. D. de Lourdes de Mégantic 100 00
'* dlnverness 100 Ou
'« et Presbytère du S. C. de Jésus 100 00
et Presbytère du 8. C. de Marie 100 00
de St. Damien deBuckland 50 00
Missionnaire de St. Ulbade, etc 100 00
" de Valcartier, etc.... 120 00
** de Stoneham, etc .•.., 120 00
" deLaval 100 00
" de St. Cassien, par Petite-Hi vière 25 00
" de la St. Trinité de Sales, par Ste. Agnès 25 00
" de St. Simôon, etc 75 00
<' de Tadoussac 200 00
'« des Escoumains, etc 75 00
" de St. Paul de Mille Vaches, elc 100 00
" de l'Anse St. Jean 150 00
" de St. Fulgence et des Chantiers 200 00
" de St. Gédéon, par Si Jérôme 25 00
« de St. Prime, elc 1 60 0<)
«' de N. D. de Lourdes, par Sle. Julie 25 00
" de Ste. Anaslasie 75 Ot>
" d'Inverness, etc 1 20 0<>
" du S. C. de Jésus, ^tc lô Oit
** de St. Sébastien 75 00
" de Ste Justine 200 00
" des S. S. Anges de la Beauce 75 0';
" dé St. Côme de Kennôbec 75 On
de St. Damien. par Buckland 25 Oo
de Si. Paul de Montminy, etc 120 Ou
" deSt. Magloire 120 (n)
" de Ste. Perpétue • 2(M) Oi..
'* de St. Eleuthère 200 Oo
Montant alloué $8015 Où
Total de la recelte de 1870 $8007 55
En caisse de Tan dernier , 4916 35
Bésumé :
Total $13523 90
Montant alloué _8015 00
Montant en caisse $ 5508 90
NAP. LALIBERTÉ) Pire., Teèsorier.
I
DIOCESE DE MONTREAL.
3étail des aumônes transmises par les Eglises et Csmmunautés
de la ville de Montréal.
St. Pierre J 539 00
Notre-Dame 433 40
LaCalhédrale 349 55
Inté-ôtdulegsde fea M. O. Berthelet 240 00
St. Jacques 161 00
Ecoles des Frères 125 00"
Intérêt du legs de feu Dame Alfred Larocque 120 00
Hôtel-Dieu 35 00
Ecole du Plateau 30 00
Coteau St. Louis 29 30
Conslitut Beaudry 24 10
Succession McKay , 24 00
Grand Séminaire ' 19 00
St. Patrice 14 72
Couvent d'Hochelaga 12 50
l^^alivifé d'Hochelaga 3 25
Asile Nazareth 2 60
$2162 42
Détail des aumjnes transmises par les Paroisses et Commis
nautcs de la Campagne.
L'Assomption $ 168 04
Ste. Rose 153 50
Boucherville 117 98
Berlhier 104 00
Ste. Elizabelh 101 00
St.Barthélemi 9.j 00
Varennes 94 90
UPrairie 90 00
.St. Rémi 85 60
3Iascouche 85 IÎ9
Sle.Auue des Plaines 81 '20
Terrebonne 80 05
Si. Cyprien 77 70
St. Ls. de Gonzague. 65 46
Porté.
.?140^
88
Rapporté
St. Jac. de TAchigan
St. Lin
Ljngueuii
Ile Dupas
Ste. Geneviève
St. Placide
St. Esprit
St. Alexis
St. Roch de l'Achig.
Lanoraie
SteTérèse
Pointe-Claire
Sault-au-Récollet... .
1400 88
64 50
04 18
62 50
62 00
56 00
55 25
53 00
. 52 26
51 80
50 00
50 00
46 93
45 40
Porté 82114 70
20
Rapporté «2tl4
Lavaltrie 43
Coll. de rAssomption 42
St Thomas 41
Su Hubert 40
Contrecœur.... 40
Couvent de Lachine. 40
St Bruno 38
Lachine 38
Joliette 37
St- J. rEvangéliste... 32
Lachenaie 31
St Etienne de Beau-
harnais. 30
Pointe-aux-Trembles 27
St Cuthbert ' 25
St Âmbroise 24
St Martin 24
Sl.Sulpice 22
L'Epiphanie 21
Repentigny 20
St Michel de la Pir
geonnière 20
St Valentin... 20
Un inconnu 20
Ile Perrot 20
St Sauveur 19
St. Eustache.
St Augustin
Ste. Anne du Bout
de l'Ile
St. François de Sales
18
17
15
14
70
95
25
00
92
00
00
30
20
00
00
81
00
00
OU
75
00
00
00
10
00
00
00
00
25
00
00
OU
ou
Rapporté
Rivière des Prairies
St Timoihée
St Jac. le Mineur....
LacoUe
Les Cèdres
St. Clet
St Paul l'Ermite
Ste. Just. de Newton
Ste. Marthe
Ste. Julie
St Martin
Ste. Julienne
St Calixte
St Edouard
St Janvier
Ste. Monique
St. Constant
St Urbain
St Stanislas
Ste. Agnès
Sherrington
St. Norbert
Ste. Dorothée •
Ste. Adèle
Ste- Agathe
St Jean de Matha....
St Jérôme
Ste. Béatrix
St Damien
St H. des Tanneries
Sacré-Cœur de Mont-
réal
$2897 n
13 75
13 40
13 23
13 0%
13 00
12 00
12 00
11 7S
10 3S
10 00
10 00
.a 64
8 00
8 00
8 00
7 70
7 50
7 00
5 00
5 0o
4 00
3 9f>
^ •»
40
00
00
62
1 ir>
0 95
0 55
3
3
3
3
1
0 50
Porté $2897 23
Total pour la campagne
Total pour la ville
3120 43
2162 4^
$ 5282 85
Balance de 1875 702 83
Intérêts 155 OU
Grand total (pour les besoins de 1877). ...S 6140
68
21
Paroisses et Eglises qui n'ont pas transmis leur montanW
B. Alphonse .
St. André d'Argenteuil
St. Anicet
St. Antoine Abbé
St. Benoit
Ste. Brîgide de Montréal
Ste. Cécile
St. Clément de Beaubarnaie
8t< Colomban
8t Côme
Ste. Emélie
Cônrersion de St. Paul de
Joliette
St. Félix de Valois
St. Frs. d'Assise de la Longue
Pointe
Sault St. Louis
Verchères
St. Oabriel de Brandon
Si Henri des Tanneries
St. Hermas
St. Hyppolite
Coteau du Lac
St. Isidore
St. Jeau Cbrysostôme
€hateauguay
Chambly
St. Joseph de Huntingdon
St. Joseph de Montréal
St. Laurent
St. Liguori
Se. Luc
jSte. Anne de Montréal
Annonciation du Lac des^
Deux Montagnes
Rigaud
Lacadie
Lac Masson
Ormstown
Ste. Mélanie d'Aillebout
St. Michel de ManUwa
Vaudreuil
Notre-Dame de Giâces
Rawdon
Hinchinbroofee
St. Joseph du Lac
St. Philippe
Ste. Philomène
St. Polycarpe
Ile Bizard
St. Régis
Hemmingford
Ste. Scbolastique
Sie. Sophie
St. Théodore de Chertsey
St. Vincent de Paul (Ile Jé-
sus
St. Vincent de Montréal
St. Zotique
Le Gésu
N. D. de Bonsecours
Hospice St. Joseph-
St. Gabriel de Montréal.
90
Aumônes reparties entre les diverses Missions du Diocèse
durant Vannée 1876 de sur les fonds de* 1915,
Payé aux Missionnaires du Diocèse $ 800 00
A la Mission du Sault St. Louis 200 00
Au Curé de St. Gôme et à l'église 250 00
" ^' Ste. Emélie 240 00
*' " St. André... 100 00
" " Ste. Anaôtasie 200 00
" St.Callixte 100 00
*' '' SL Hyppolite et à l'église 500 00
'' '' St. Daniien et à l'église..; 300 00
^' " Ste. Sophie 100 00
" " Rawdon 100 00
A Mgr. de Sherbrook pour Piopolis 200 00
Au Curé de St. Douât et pour l'église.. 370 00
. '' '' Hinchinbrooke et pour l'église 213 00
'' '' Ste. Julienue 100 00
«' " St. Michel des Saints 100 00
" " A son prédécesseur 86 66
" '' St. Malachie d'Ormstown et à la Mis-
sion du St. Sacrement 171 00
*' ^' Ste. Lucie 50 00
. ^^ " Ste. Marguerite 170 00
*' " St. Alphonse 100 00
" " St. Théodore de Chertsey 100 00
«' " Ste. Agnès » 100 00
Pour impression des Annales et Circulaires 268 0%
Réparation de vases sacrés 3 00
Aux Sœurs Grises pour la Rivière McKenzie 100 00
Œuvres des Tabernacles 150 00
Pour pierres sacrées 10 00
Frais de voyages 16 00
St. Colomban 100 00
Ste.Béatrix 100 00
Total e5397 66
DIOCESE DE ST. HYACINTHE.
I
Recettes de la Propagation de la Foi pour 1876.
Sorel
St. Antoine • ...
Bi DeiùB
St. Hyacinthe
St. Aimé
St. Sébastien
Belœil
SUnbridge
St. Alexandre
8t. Ours
St. Grégoire
Ste. Rosalie.
St. Oésaire.
St. Jean-Baptiste. . . .
St. Simon
St. Marc
Ste. Ifarie
St. Dominique
N. D. St. Hvacinthe
St. Hugues
St. Judes
%
180 00
123 00
116 00
105 87
100 00
84 00
63 00
63 00
60 50
60 00
55 00
50 17
42 60
42 00
37 00
37 77
35 00
34 41
33 00
32 00
26 00
Porté $1329 07
Rvf^OPté $1329 OT
St. Charles 25 00
Roxton 25 00
St.Pie 24 00
Richqjieu 24 00
Milton W 2.1
St. Athanase 20 2.>
8t. Barnabe
La Présentation
St. Marcel....
St. Mathias
St. Louis
St. Hilaire
St.Roch
St. Paul
St. Georges
Ste. Victoire
Ste. Hélène
Ste. Angèle..'
St. Valérien
St. Franrois-Xavier , . . .
18 7[
18 m
17 ta
17 OO
16 W
12 00
11 00
9 6r>
^ 50
9 00
5 2r>
3 IC
3 00
1 00
Total ....$1619 97
NoTB.— Oans une Circulaire adressée à son Clergé, en date du 23
Janvier dernier, Monseigneur de St. Hyacinthe donne les raisons pour
lesquelles les appropriations de TOËuvre n'ont pu encore être effectur^c^,
et prometd'en donner le détail au rapport de 1877.
MISSION MONTAGNAISE DU LAC ST. JEAN.
Tous les ans, en Juin, une cinquantaine de familles,
Appartenant à la Tribu montagnaise, se réunissent à la
Pointe Bleue, sur les bords du Lac St. Jean. Ces sauvages
possèdent, en cet endroit, une réserve de terres sur les-
quelles Un certain nombre d'entre eux ont commencé des
défrichements. Mais on sait que le sauvage aime avant
tout la vie des bois. Lorsque le temps de la îouùe, du
4îaribou ou du castor est arrivé, ou bien qu'ij.y a une
l)onne coQche de neige partout dans les forêts, pour pou-
voir faire avec avantage de longues courses à la raquette,
tous les raffinements de la civilisation moderne réunis
ensemble ne sauraient retenir le Montagnàîs dans son
^vigwam, encore moins à la maison. Aussi ne faut-il pas
«'étonner si l'agriculture ne fait pas de grands progrès sur
la réserve de la Pointe-Bleue. Néanmoins il y a eu des
résultats obtenus. Le Missionnaire, puissamment secondé
par M. Eucher Otis, a réussi jusqu'à un certain point à
faire comprendre à ces enfants des bois que le caribou
s'éloigne beaucoup, que la chasse devient tous les ans
moins abondante, qu'il faut un peu penser à l'avenir, et
<que pour cela ils doivent défricher leurs excellentes terres. *
La mission avait précédemment lieu aupostedeMétabet-
chouan, dans un site magnifique. Mais le terrain' sur
lequel se trouvait la chapelle n'appartenait point aux Mon
tagnais. Ils demandèrent donc à Mgr. l'Archevêque de
Québec la permission de transporter et de reconstruire
leur chapelle sur leur réserve de la Pointe-Bleuè. Cette
permission ayant été accordée, le transport de quatre
lieues environ se fit sur la glace du lac dans le cours de •
rhiver 1874-75. Aujourd'hui cette chapelle, petite mais
fort jolie, est à peu près complètement reconstruite et
terminée, le tout au moyen des secours de la Propagation
tie la Foi.
Le Rév. Père Durocher, de vénérable mémoire, a fait
tous les étés, pendant un grand nombre d'années, la mis-
r£ion du lac St. Jean. Rempli du zèle le plus éclairé, jouis-
25
sant de la réputation cfun saint, parlant parfaitement la^
langue montaguaise, il avait sur ces sauvages le plus grande
ascendant. Avec quels transports de joie on le voyait
arriver, cet ange de la prière I avec quel respect on lui
baisait les mains et on lui demandait sa bénédiction î De
son côté le bon Père était ravi de se revoir au milieu de
ses chars Montagnais. On peut dire que, pendant les 3 ou
4 semaines de la mission, il vivait de leur vie, prêchant,
catéchisant, tonnant contre les désordres dont il avait en-
tendu parler, excitant ce pauvre peuple à la pratique de
toutes les vertus.
Après la mission de Juillet 1875, le Rév. Père Durocher
écrivait ce qui suit à Mgr. T Archevêque de Québec :
'' St. Sauveur, 25 Juillet 1875.
'* Monseigneur,
*^ J'arrive du Lac St. Jean. Je m'empresse de dire a
Votre Grandeur que la mission a été abondante, malgré-
les pauvres ressources de l'ouvrier. Je crois devoir spé-
cialement m'arrêter, dans ces quelques notes, aux faits
uivaats :
'» Jubilé.
.'^ Muni d'amples pouvoirs, comme missionnaire des sau-<
Vages, j'ai pris sur moi de remplacer les 15 visites du jubiler
par une procession générale faite à l'église paroissiale de
Notre-Dame du Lac St. Jean, distance de cinq milles en-
viron. Ceux d'entre nos Montagnais qui ne purent faire
ce pèlerinage eurent d'autres exercices à accomplir en
rafport avec leur âge ou leur santé.
^^Nous choisîmes le jour de la fête de Notre-Dame du
Mont Garmel pour notre procession. Le temps était su*
perbe. En tête marcliaient les filles de la Tribu : quatre
d'entre elles, vêtues de blanc, portaient, à tour de rôle, une
jolie bannière sur laquelle se trouvent représentés d'un
tôté le Sacré Cœur de Jésus, et de Tautre Notre-Dame de
Pitié. Toutes ces jeunes filles avaient la tête couronnée
ou plutôt couvertes de roses des bois ; elles franchissaient
l'espace d'un pied ferme. Puis venaient les femmes, placées
sur deux lignes, le chapelet à la main. A leur suite mar^
26
chaientles enfants des deux sexes, portaot-cLes étendards
et des oriflammes et ayant de grosses boucles de ruban sur
les épaules. Ils étaient immédiatement suivis des hommes
mariés; parmi eux se distinguait notre grand chantre qui
récitait à haute voix le chapelet auquel tous répondaient
avec la plus admirable piété. Enfin le corps des zouaves
xnontagnais, composé des jeunes gens de la Tribu, Tespoir
de Tavenir, fermait la mirche. Avec quelle naïveté, ou
plutôt avec quelle puissance réelle ils avaient au bras une
pesante armure, ou portaient les lourdes hampes d^un
drapeau tricolore et d'un drapeau anglais ! Leurs Képis oa
casquettes de circonstancee, aux couleurs variées, et sur*
montés d'une haute touffe de rubans, eussent fait envie
aux vrais zouaves canadiens! — Mais ces chers enfants
avaient surtout en vue de plaire au bon Dieu, et j'ai tout
lieu de croire que (a bonne volonté dont ils ont fait preuve
leur aura mérité ses meilleurs bénédictions.
Chemin faisant, chose étonnante, nos bannières et nos
drapeaux, ]oin de jeter l'épouvante parmi les pauvres ani.
maux qui se trouvaient sur la route, semblaient attirer leur
attention. Un troupeau de brebis, frappées de ce spectacle
nouveau, au lieu de prendre la fuite, accoururent en toute
hâte, avec leurs jeunes agneaux, pour nous voir passer de
plus près. On eût dit qu'elles désiraient saluer l'étendard
du Pasteur des pasteurs, et rappeler en môme temps à
notre souverain l'Agneau de Dieu venu pour effacer les
péchés du monde. Notre marche se fil avec tout le re-
cueillement ordinaire aux sauvages dans les cérémonies
religieuses. Nous récitâmes le chapelet et nous chantâmes
des hymnes et des cantiques, alternativement, durant toutes
les deux heures que dura la première partie de notre pelé-
rinage. Il était sept heures du matin lorsque nous arri-
vâmes à l'église de N. D. du I^ac. Nous entrâmes avec
respect dans le lieu saint. 11 avait revêtu ses habits de fêle.
M. le curé Delâge avait eu la pensée, pleine de générosité
et de délicaiesse, d'offrir uo splendide pain bénit- Je ce-
lébrai la sainte messe, pendant laquelle nos pèlerins exé-
entèrent leurs plus beaux cantiques, et j'eus l'insigne con-
^olatiou de distribuer le pain des forts à une cinquantaine
27
de personaer. Tous étaient dans la joie; la grâce de Dieu
inondait leurs âmes. Après la messe^ réunis à Tombre des
arbres qui bordent le grand lac en cet endroit, assis sur le
gazon, ils prirent un bien modeste repas, dont le pain bénit
ftt la plus grande partie des, frais. Les agapes des temps
apostoliques n'étaient pas plus édiliantes. Mes souave^i.
avant le départ, firent une solennelle décharge d'artillerie
en rhonnenr de M. le curé Delâge. Nous nous remimes
en marche dans le même ordre qu'en venant, chantant des
cantiques et récitant le chapelet. La population de N. D.
du Lac a paru très édifiée de notre balle procession. Tout
lemoude était aux portes ; plusieurs fois môme on nous fbt
l'honneur de décharger des armes à feu pour nous saluer à
notre passage. Mais ce qui m'a surtout réjoui, Monseigneur,
en cette belle circonstance, ça été ^la foi et la piété franche
de mes Montagnais. Je ne saurait vous dire avec quelle
ferveur ih ont demandé à Dieu de bénir leur race qui
s'éteint, d'éloigner d'eux tout danger, de leur accorder
chasse abondante, de protéger la Sainte Eglise CathoUque
et de nous conserver longtemps encore notre grand chef
de la Prière, Timmorlel Pie IX.
Ecole.
^ Vous n'ignorez pas, Monseigneur, que l'esprit des ténè-
bres cherche, par tous les moyens possibles, à pénétrer
partout, et qu'il a môme essayé de semer Terreur parmi
mes chers Montagnais. Il s'est servi du ministère du Sieur
Côté, ministre suisse établi à Chicoutimi, Ce Monsieur,
pour mieux parvenir i pervertir les sauvages, et pour se
procurer un secours puissant dans l'œuvre qu'il avait en
vue, réussit à gagner le jeune Pierre Pekatés, âgé de 13 ans,
et il l'emmena, l'an dernier, à Técole protestante anglaise
de Chicoutimi. J'appris que Pierre était remonté, cette
année, à la Pointe Bleue, que le pauvre enfant ne faisait
plus le signe de notre rédemption, qu'il disait à tous ceux
qui consentaient à l'entendre qu'il est* inutile de se con-
fesser au prêtre, que pour lui il se confessait à Dieu, et
qu'ils devaient faire de même. J'intéYrogeai l'enfant qui
m'avoua les faits, je fis alors venir son père que je ne con^
28
»
^[laiasais pas encore, ne Payant jamais rencontré. Il m'av<Hia
«qu'il était catholique, mais qu'il n'avait point pratiqué sa
ireligion, que sa femme avait vécu et ôtatt morte en bonne
4^at]ioliqUie, e) qu'il regrettait de voir son enfant tombé aux
mains du ministre protestant Je vis 4e nouveau le pauvre
Pierre Pekatét. Ma première entrevue avec lui lui avait
iàlt une sérieuse tmpresslon, je lui rappelai les principales
wérités de notre sainte religion, je lui montrai Tobligation
où il était d'obéir à son père et de suivre les bons conseils
que lui donna sa mère sur son lit de mort, et que s'il con-
tinuait à suivre la mauvaise voie où il était entré, il allait
certaioemeo^t tomber daus les abîmes de l'aufer. Le pau-
Tre . leàfan t m!a fait quelques promesses.' J'espère avec la
gr&ee de Dieu, que le ministre Qôté n'en fera pas un malti^
vd'èeole qui pervertirait en peu de temps la nation moû.
tagnaise.
Une bonae école, tenue par Madame Otis, est en pleine
^péfatlou sur la réserve. Cette école est aux frais du gou-
vernement fédéral. Madame Otis, réunissant tontes les
qualités d'une sage iustitution, rpûd des services inappré-
ciables, surtout parmi Ips jeunes filles sauvages. Plusieurs
d'entre elles, bien qu'elles n'aillent à la classe que depuis
quelques mois, lisent passablemeùt dans le* jfMvoirs du Chré-'
êien. Tous ces cbers enfants apprennent dans cette école à
oinnaîtne le bon Dieu, à l'aimer et à le servir. Fasse le Ciel
^que le ministre Côté ne parvienne jaimais à arraobar nne
seule iM^ébict à mon petit troupeau !
Population^ etc.
Qaeiques Àbénaquis, Hurons et même Canadiens se trou-
vent mêlés à la tribu montagnaise dc| Lac St Jean. Cette
année 43 familles montagnaise s proprement dites, ont
.assisté à la mission, formant en tout 183 personnes. Il y a
eu, dans le cours de Tannée; 10 baptêmes, 21 sépultures et
'S mariages. Un de nos plus vigoureux chasseurs est mort,
pendant l'hiver, de faim et de fatigue. Il s'était avancé au-
de-Ià de la hauteur^des terres, à une trop grande distance
^es autres sauvages. La pauvre femme, qui l'avait suivi
dans ses court^es, a conservé assez de forces pour se rendre
Î9
à une loge moiitagnaise et y annoncer la triste fin de som
pauvre mari. Elle ressemblait à un cadavre ambulant.
Veuillez, Monseigneur, bénir les Montagnais du Lac St^
Jean et leur humble missionnaire.
Flav. Durocher, 0. W. L
Le vénérable Père Durocher, quoique portant encore
lestement ses 53 années de sacerdoce— 11 est décédé en
Décembre après quelques jours seulement 4e maladie— ne
se sexitit pas capable d'entreprendre la mission du Lac St.
Jean à la fin de juin 1876. Ce soin fut confié au Rév. Père
Arnaud, depuis un quart de siècle missionnaire à Betb-
siamits et dans les Postes du Roi, sur la côte rlu Labrador.
Le bon Père écrivit, à cette oocasion, Tiatéressante leitl^
que voici à M. Laliberté, aumônier de rArcbevôché:
Mii^sion Montagnaise du Lac St. Jean, 7 juillet, 1876.
Bien cher Monsieur,
Pour vous prouver ma bonne volonté, et 1*» désir que j'ai
d'être agréable aux nombreux associés de la Propagation
de la Foi, je vous adresse le présent rapport que j'ai écrit
à la hâte dans le cours de ma mission. Vous trouverez
peut-être ces lignes bien incohérentes; mais ce nVst que
^ansde courts moments libres que j*^ puis pren ire la plume,
et, juste au milieu d'une phrase ou d'un mot, je la quitte
fùtir répondre aux demandes qui me sont faites, ou pour
vaquer au saint ministère. Adidu alors à Tinspi ration.
Dans un temps de mission nojs ne nous appartenons point;
iHaut être entièrement à la disposition de ceux qui récla
ment nos services. Nous n'avons réellement à nous que la
Cuit, et cependant, dujant ces heures bien cojartes, des
myriades de maringouins se chargent d'occuper tous nos
instants.
Vous connaissez déjà le Lçc St. Jean. Aussi je ne vous
en ferai pas la description, car mes paro!es, ajouteraient
iien peu à co que vous en savez déjà ei ne saurai^^nt hâter
d'une minute les voies de communications que tous les
colons du pays désirent avec lani d'ardeur.* A d'autres
plumes plus habiles que la mienne de chanter les eaux lim-
30
pides du beau lac, d'où le soleil semble sortir chaque ntatin ;
«es rives verdoyantes où tant de jeunes laboureurs tra-
vaillent à qui mieux mieux, et où paissent des troupeaux
déjà nombreux ; et ce sol exceptionnellement fertile, cou -
vcjiBa ce moment des plus belles végétations, je voudrais
avoir cent bouches et répéter partout que c'est le plus beau
pays de la Province de Québec, le plus riche ^nbois et le
plus fertile. Je ne crains pas de dir^ que c'est aussi le plus
tempéré; en voici la raison. La chaine des montagnes qui
l'entourent et qui s'élèvent' au loin à une grande hauteur,
en ' amphitéâtre, le mettent à Tabri des grands vents du
nord. De plus la vaste nappe d'eau du lac se réchauffe
facilement, conserve longtemps sa chaleur bienfaisante et,
à son tour, tempère l'atmosphère. Voilà pourquoi, au Lac
St. Jean, les semences ei les récoltes se font en ménie t'^mps
que dans le district de Montréal. Si un chemin de fer
venait à s'ouvrir, je suis persuadé que ce pdvs deviendrai;
VEldorado du Canada. Les alentours du lac se changeraient
en jardin, et* partout régnerait la plus heureuse aisance.
Mais revenons à nos chers Montagnais. Il n'y a pas vin(t
ans, ils étaient encore les paisibles possesseurs de ces cour
trées fortunées. Les eaux du lac leur fournissaient en abon-
dance le brochet, le Wananish, le doré et la truite, et ditns
la forêt ils avaient l'orignal, le caribou, l'ours, la loutre et
le lièvre ; c'était là leur pain quotidien. Mais, que le»
temps sont changés depuis lors! Ils ont vu leurs forêts
séculaires tomber sous la hache du colon, les arbres à
l'ombre desquels ils dressaient leurs tentes devenir la proie
des flammes. C'est en vain, mes chera enfants des bois, que
vous chercheriez les grands ormes et les sapins aux bran-
ches desquels vos mères ont autrefois suspendu vos ber*
ceaux ; vous ne grimperez plus jusqu'à leurs scimes ; à leurs
places se bercent de rickes moissons ; là où étaient vos cam^
pements, là où vivaient en paix l'élan et le caribou, la
charrue a sillonné le sol et l'agriculture a partout fait de
grands progrès.
Nos Montagnais se sont retirés peu à peu devant la civi-
lisation. Depuis longtemps ils ont quitté Ghicoutimi, ou
xiieux Shektimic (eau profonde) comme écrivaient autre-
31
fois les missionnaires, po.ir aller se fixer sur les bo^ds du
Lac 8t. Jean. Ici encore ils ont eu plusieurs hégyre», à la
grande Décharge, à Kushpigan, à Métapetshuar., et enfin à
la Pointe Bleup, où ils sont acculé», Dieu seul sait pour
combien de temps. Ils y ont, comme vous le savez, trans-
porté leur petite chapelle de Métapetshuan. Leur joie fut
à son comble lor^u'ils virent de nouuea'i briller sur la
maison de Dieu le joli clocher qu'ils avaient trainé avec
tant de peine, l'espace de quatre lieues, sur la glace du lac,
et qu'ils entendirent, deux fois par jour, leur cloche à la
voix argentine les appeler à la prière. Leur chapelle est
pour eiw ce qu'était l'arche pour le peuple d'Israël ; les
chasseurs dressent leurs tentes aux alentours, et a^sez près
poar que les malades et les infirmes puissent suivre les
chants et les prières qui s'y font. Elle est construite sur
une belle élévation, d'où elle domine, les eaux du grand
lac. Elle n'est pas encore terminée, mais d'après ce que
vous m'en avez dit, elle le sera bientôt, grâce aux secours
accordés par la Propagation de la Foi. Continuez, rher
Monsieur, à prendre tout Tintôrêl possible pour la chère
Mission montagnaise. du Lac St. Jean ; elle est si ancienne,
si bonne, et en même temps si pauvre!
J'ai constaté un grand et heureux changement parmi
les Montagnais, depuis la mission que j'y ai faite lors d'une
visite pastorale de feu Mgr. Baillargeon. Le Père Durocher
a opéré parmi eux des prodiges comme partout où il passe-
Le missionnaire qui lui succédera trouvera la besogne bien
facile ; il n'aura qu'à suivre le chemin battu.
TouB nos sauvages savent lire et écrire dans leur langue,
et on bon nombre savent pareillement lire et écrire en
français. Ils sont sobres et honnêtes; le vol est inconnu
parmi eux, ils sont zélés à se faire instruire, édifiants à
Téglise, on peut même dire pieux. Les protestants, toute,
fois, continuent à faire des efforts inouis pour les pervertir
Ces derniers ont beau leur mettre devani les yeux l'exemple
de leurs frères dn Lac des Deux-Montagnes, les nôtres res^,
tent fermes. *' Si nos frères ont cru à ta pirole, ils ne sont
pas fins. — ^Tu nous parles de la prière et tu ne'pries pasi —
Tu te moques de la croiK de Jésus et de ceux qui la portent.
32
et lu dis; c'est moi qui enseigne vrai. — Tu as perdu Tespiût.
— Ce n'est pas notre père, le grand Priant, qui t'a envoyé
vers nous. — Va^t-en. " C'est ainsi qu'iis répondent au Sieur
Côté et consorts. Cependant ces gens là font du mal au
milieu des Canadiens. Ils ont réussi à entraîner plusieurs
jeunes gens à leur suite^ qu'ils ont ensuite placés dan^ leur
prétendu séminaire de la Pointe aux- Trembles, près de Mont-
réal. Le Père Durocher vous a dit, l'an dernier, tous les ef-
forts qu'il a faits pour arracher de leurs mains un jeune Mon-?
tagnais de Mjst-Assini; il avait l'espoir d'avoir réussi. Mai^,
malheureusement, le pauvre père du jeune Paul Pékatés a
été trop faible eu présence des belles promesses du ministre
Côté, et l'enfant a repris la route de l'école protestante.^
C'est un malheur qu'on ne saurait trop déplorer, car il
peut avoir de bien funestes conséquences pour la foi de no&
bons Montagnais.
Les animaux sauvages et le gibier de toute espèce s'é-
loignent tous les ans et diminuent petit à petit. Nos Moo-
tagnais en soufiTient beaucoup, ils sont en général irès
pauvres. Presque chaque année, la chasse faisant défaut)
quelque famille périt de faim au milieu des grands bois.
Ajoutez à cela la rigueur des lois, que certains Nemrods
préparent en comités, et qu'ils font ensuite sanctionner par
les chambres ; je ne puis trouver que ces Messieurs aient
bonne grâce, tout en fumant leur liavaime et eu dégustant
le sherry^ de vanter leurs chasses impossibles et de légis-
later au détriment des pauvres enfants du sol. C'est ainsi
qu'au Lac St. Jean un sauvage mourant de faim, sera pour-
suivi pour avoir tué un caribou en temps prohibé, et on
exécutera contre lui la loi dans toute sa rigueur. Cette
conduite de la civilisation contre le pauvre sauvage est^
passez-moi le mot, plus que de la sauvagerie.
Il y a quelques années des Montagnais sauvèrent la vie
à un garde-peche qui avait voulu se donner l'agrément
d'une lointaine partie de chasse. Les provisions épuisées,
le pauvre homme s'était égaré dans la sombre forêt. Des
Montagnais le trouvèrent à demi-morti Ils lui prodiguent
toutes sortes d<f soins, le mettent sur la bonne route et ne
le quittent que lorsqu'il est hors de danger. A quelque
33.
temps délaces môoies s^uvagesy ^ouraat ^e |aim«Aen-
dirent leurs filets dans une rivière et ils y prirent quelques
saumous. Crime dolède-majestél lis fareni' pdursuivis
par noire gardë-pdche san^ cœor oomme sans mémoire
quîy pour ao,lda de l'amende, s'empara de leurs filets. Et
pourquoi aussi ces pauvres Hontagnais se mêlaient-ils
4'avoir faim?
Xes exercices de ma mission touchent i leur fin. Ils
ont été suivis, avec piété et assiduité, par une quarantaine
de familles. Il y a eu quatre mariages, six premières
communions, et un seul baptême. Les autres enfants,
nés dans le cours de Tannée, avaient été baptisés par M. le
^curé Delâge avant mon arrivée. Ce qui m'a toujours beau-
coup édifié, c'est la belle habitude que les parents ont de
conduire leurs petits enfants à la chapelle, pour leurap*
prendre leurs prières et le catéchisme. Chaque matin,
dès l'aurore, de mon humble gîte situé dans le haut de la
sacristie, j'entendais comme un murmure dans l'égUse.
En s'approchant on pouvait saisir ce que disaient ces voix
enfantines qui, de tous les points de la chapelle, répétaient
à l'envi : "Jésus, Mali Joseph, uitshiinan, shueliminan."
Oh ! que leurs bons Anges devaient avoir de plaisir à porter
tontes ces naïves invocations au pied du trône de Dieu I
. Un sauvage vient de me dire : *' Père, à qui écris-tu ? "
^^ A la robe noire que notre Père le grand Priant a choisi
pour distribuer ses aumônes, et je lui parle justement de
vous autres et de votre chapelle : je lui dis que vous êtes
pauvres et qu'elle l'est davantage." — " Oh ! reprit il, cette
robe noire doit avoir le cœur bien bon, puisqu'.elle habite
avec le Grand Priant; certainement qu'elle aura pitié de '
nous. Dis-lui : robe noire, supplie notre Père le Grand
Priant de bénir ses enfants des bois, afin qne Dieu les pro-
tège dans leurs chasses, et qu'il ne leur arrive point d'ac*
cident sur les rivières et sur les lacs. Dis-lui que nous
n'avons pas oublié' ses paroles et que nous tâchons de suivre
les bons conseils qu'il nous a donnés. Dis-lui aussi que
notre plus grand contentement sera de voir notre maison
de prière terminée."
2
34
J^espère, cher MoDsieur,.que vous serez leur interprète-
auprès de Monseigneur rArchevéqu^, et que vous sollici-
terez poW nous tous une paternelle bénédiction.
, Croyez-CDoi bien aôectuçusemeat
,. Votre humble frère eu Marie Immaculée, .
Chs. ARNAUD, O.Mi.
'- ij
u-
.♦ •-.■ ■ • .'
I I
. • • • n .' » • . '
. ORÉGpN, .
ri
Réserve du grand Rond. , . ....
Les loueurs das- annules d6 Propagàlioii'de 1a JF'oi de
Montréal, n^oa^sans doute pas oublié è^u'eiï 1874 quatre
Sœurs des S&* Nom» d« Jésos et Marie partaient pour aller
fonder, uoe missîonf en'Orégon dans une réserve Indienne
dite du lirand Rond': Les aninaies dû mois Je Novembre
1874 rendirent oomptê de leur réception dans cette Réserve
et dans une lettre d- une de ces Sœurs donnai éhcrhistori-
que de^ d^buiset faisaient un tableau navrant de leur pau-
vreté.
Aujourd'hui nbod réproduisons au siijôt de cette miission
une lettre d'une iaiitré' sotfrce, lettre bien propre à faire res-
sortir tout le bien qu^opërentuos religieuses missioonairçs
au milieu de» tribus san'vages ; c'est lé Général Boward '
de Tarmé des Etat&-Unis, protestant qui écrit à un journal
protestant de Cbigago. '
9
* t « * •
^ . : A FA^vance de Chieagé : \
Sur les anciennes certes de Géographie, la Réserve dite- .
"Grand Rond" ét^it un petit carré rouge dans le Nord- .
Ouest de l'Orégoq, non loin de la mer.. Elle est située .
trent(?-cinq milles à Toùest de Salem, juste au sud du Fort-.
Yamhill, où notre distingué Lieutenant-Général Sberidan
résidait avant quQ le titre de Général lui fût ajouté à celui de
'* Lieutenant ". '
Lundi matin Tarent des léserves Indiennes (on le nomme
dans le pays, ** Browh le manchot, " ) arriva à Salem, près
de l'hôtel Wamekata a!vec une forte et solide voiture à deux .
sièges, tirée par deux bons chevaux. Le Major Wm. H.
Boyle; Inspecteur des Secours Indiens^ et le soussigné
prirent places. . ., :
Noue traversâmes la ville de Dallas, ejt tournâmes
sur nne hauteur près de Sberidan. L'étendue dee champs
de blé mè surprit. Nos cbevavx fatigués eurent à gravir
désr côtes et arrivèrent enfin au Fort YamhiU après-
«a péûible voyage. En arrivant au sommet de la
36
côie et en regardant devant ,nou8 quel magnifique spec-
tacle s'ofFrit à nos regaVds ! Une splendide ^vue pano-
ramique d'une va,llée entourée d'une ceinture de col-
lines comme un grand lac aux vagues gonflées, mais
ces vagues n|9 sgnt que l98 ^<i4ulations de U prairie.
C'est là la Réserve qu'on ^pp^lle '' Grand Bond ^'.' Quelles
sont ces niais.ons tout le iopg 4e la y^iléitf «et dont plusieurs
sont évidemment neuves? Mr»? Brown me dit qu'elles
appartiennent tputes aux ladjonçj .De» fermai leur ont
élé accordées, et ell^s progressant T'diÂf'Of&ent. Mon^cèBUr
fut rempli.de joie i^iay^.de 4;es. tnaoes. évidentes delà
civilisation, même 1^ où o^-p'Ai^itiqiiâiea pauvres Indiens
avaient été si souvent pillés et destitués des moyens de pro-
grès que le gouvernement A?.^riayAilaceordés.:jnéme là'où
leurs femmes avaient ë^ yioléiss,. #t,oii iOiiateMeur édu-
cation avait été détruite ! ,|^ y ^^it encore de«lx milles et
demi à ïaire çQjar s^tteindre les ))t4iBkeê, deil'aganoe. L'an*
cien chemin âv^it é^ cççverti ea fril^B^iét^ie nouveau
n'était pas encore aplani ni clôturé. .
Le docteur de l'agence nous conduisit à travers les champs
et les marais, jusqu'à la maison de Pagéhl, Mr. P. B. Sin-
nott, qui est un Irlandaii>» Jl nQW9 souhaita unif e)ia-
leureuse bienvenue à sa niaison. Nqtre ^rriv^e^ s\ih\%e
aurait po troubler n'importe qui, si elle ,n'a.v34t. pas él4
annoncée. Mais un pavillon arborée sur l'édifice et qi^ vjéri*
table ''** Brigadier salute"tir^ par une petite p^èoe ^'ar-
tillerie, étirent bientôt fait voir aux Indîen.s qu'up..*' 'jÇyçie "
était arrivé. En regardant au Nord de la maison de la
demeure de Mr. Sinnptt, vous verrez une b^Ue qo/^s^f action
toute neuve^ située à une ceptainé de yerg^^.. G^estia nou-
velle maison d'école poûvârit accommoder une oei^t^iae
d'élèves. Un peu erl deçà, je remar(j|uài une ^Aciemie Qons*
truction, surmontée d'iin çlocliei' et d'une çroi^j: c'ftai^l^,
l'Eglise Catholique. À ^mïa gauche, était 'M'asile ',' où leis
<^ Sœurs " (elles sont quatre en tout), prenaient coin di^s
jeunes ûlles Indienneë. Deux âes ^œurs enseigjueht^ et
deuï' P'^ônnent sôFù de l'Asile. Après uç bon souper c^aud
et u» enlretîeni le soir, afvéc Mme. Sinn(5tt, nous étionspréjà
maniï'*màiin à faire de nou^ell^ observations. Nous.aôconî:«
37
pagoâmes l'agent à plusieurs maisoos Jodieùnes; elle$
aràient en général, deux grandes chambres et une cuisine,
les chambres à coucher, contenaat chacun un lit bien fait,
étaient très propres. Je remarquai dans une chambre où
il y avait un bébé, un curieux petit berceau, aussi large que
long, et contenant une couverture de coton. Les habits
dans la maison étaient très bien tenus ; les murs de la salle
d'attente étaient couverts de gravures prises dans les jour-
naux illustrés. Presque tous les pères de. famille possé-
daient une voiture, une charrue et des chevaux.
Nous revînmes avant dix heures de Tavant-midi, pour
visiter l'école. Dans la première chambre étaient les deux
Sœurs, ainsi que toutes les jeunes filles rangées de droite à
gauche par ordre de hauteur, la plus âgée pouvait avoir 15
ans, et la plus jeune, de 4 à 3 ans. Elles étaient aiissi pro-
pres que toutes les petites filles en général^, elles portaientde
bons vêtement». A la demande d'une des Sœurs, je leur
fis des questions sur Tépellation, la lecture et la géo*
graphie. Elles me répondirent en bon Anglais et lurent
très bien.
Les garçons, qui demeurent chez eux, n*ont pas les
manières posées des jeunes filles et ne sont pas si bien
tenus* mais ja m'aperçus qu'ils parlaient et lisaient autoi
bien. Le chant de. bienvenue, exécuté par les garçons' et
les filles ensemble, me ps^rut un peu triste ; c'était, conlme
toujours chez les enfants Indiens, une espèce de gémisse-
ment plaintif. Dieu veuille qu'il ne leur présage pas uile
pénible vie !
Puissent-ils tous être sauvés, et sauvés de manière à pou<
voir participer à notre saint. ,
Le Père Croquet, un prêtre Belge, était là. II a une phy-
sionomie franche et chrétienne ; tout le monde l'aime. Je
ne crois pas qu'il trace la môme ligne que nous entre les
convertis et les non-convertis. J'essayai à apprendre de
lui si plusieurs des Indiens âgés avaient trouvé le Sauveur.
n me répondit que plusieurs d'entre eux étaient attentifs
et sincères dans leur conduite. Nous allâmes ensuite visiter
l'agence. Ici, les Indiens voulurent que je leur parlasse.
Je le ils, tout en exprimant ma satisfaction pour l'école, les
38
•
fermes, et les marques évidentes de progrès des diverses
•tribus as<eml>(éè9^ -en 'Ce lieii. Les Indiens 'me^épondirent
chacun à lear tour. Les plus J^\îiies*pàrlaient ^on '^ynglais,
tnaifi.dc peurd^- ne pas être compris parles h'ômiries, ils
parlèrent tous, le'GbiBook ou "Jargon", com^é ils rap-
pellent et me le firent interpréter. La polygamie à presque
dispalru cbei eux. Rien ne lèis offense autant que les eîTorts .
^que oertains hommes blancs font pour leur enlever leurs
-f-emmes* .'Ils me remercièrent tant et plus pour ma visite
etmtis discours, Des hommes blancs du voisinage leur
avaient dit qu'ils ne valaient pas mieux que lés Indiens
barbares; '* Vous pouvez en juger'*, dirent-ils, ** noiis nous
vêlons comme vous, nous avons une école et une église,
nous avons des habitations et d^^s terres, des bêtes de
somme et des charrues; nous ne sommes plus des Indiens
barbares ".
A midi, nous dîmes adieu à tous ces braves gens, pie sen-
tant vivement porté à dire et faire tout ce qui serait en "mon
pouvoir en faveur de Tâdministration quf civilisé les restes
de.tribn£ Indiennes qui habitent ces contrées.
Une visite à cette Réserve vous représente les faits meniez
— faits^ïui se rapportent au passé ténébreux où l'honnêteté,
la chasteté et l'humanité étaient les qualités d'un bien petit
nonibi:>è — ^faits qui se rapportent au présent où Téglisç,
récote, le monlin à scie, le défrichement des terres et un
honnête ensêîgnerhftnt ont réussi à rendre un peuple indus-
trieux et indépendant. C'est le fruit d'un enseignement
Catholique, fidèle et persévérant ; que nos frères, et sœurs
protestants ne restent pas en arrière de ces bons et fidèles
serviteurs du Seigneur.
0. 0» HOWARP.
; ; ' » ' 'i J .. Li ■ » ".*
/» ■' ... i : « I . i . '• ...
■ ' ■ "projets D'ÉVANGÉLISÀTION
DE LA PAT*AG0NIB
La Pâtagome est une imm*9nse région, située à Textré-
mité de l'Amérique méridionale et c^omprenant tout le
territoire au sud de la République Argentine el^du Chili.
Si Ton a](5ute à ae territoire, outre les pampas qui s'éten-
dent au nord presque jnsque à l'équateur et qui servent
encore tle repaire aux sauvages, les îles nombreuses épar-
pillées sur les eûtes, on figura une contrée dont la superficie
égale peut-être celle de FEurope. Le nombre des Pata-
gens est iuconnu ; mais il est sans doute beaucoap plus*
élevé que les géographes ne le su|>posent. On doit les
compter pcftr millioos. Ils sont complèrtement sauvages,
sans lois, sans gouvernement..
Jusqu'à ce jour, malgré des efforts réitérés, la voix du
missionnairq n'a pas retenti, dans cette partie du monde*
Toutes les tentatives ont échoué . devant la férocité des
naturels.
Le moment de. ia miséricorde divine semble cepeadant
éire arrivé pour eur,. puisque un nouvel essai d'évangéli"
sation n'a pas été reconnu inutile. Les moyens employés
jusqu'à ce jour n'avaient abouti qu'à faire, extermiaer les
missionnaires ; on devait donc en rechercher d'autres. Un
projet, approuvé par le Saint-Père, : propose d'ouvrir des
écoles, des refuges, des orphelinats sur les frontières de la
Patagonie, et d'arriver, par l'éducation des enfants pata«
goos, à la conversion du peuple tout entier.
Nous pouvons déjà constater les résultats pratiques de
€6 plan dans les écoles, où qi^elques indigènes devenus
chrétiens demandent instamment à être renvoyés, comme
missionnaires, auprès de leurs compatriotes encore sauva-
ges. C'est précisément le but que les Religieux S^lésiens
avaient en vue lorsqu'ils fondèrent une maison à Buenos-
Àyres et une autre à San-Nicolas. Dans ce dernier établis-*
ssment, distant de 60 milles des tribus patagonnes, plus de
cent enfants reçoivent une éducation chrétienne. Le plus
40
grand nombre d'entre eux appartiennent à des famille»^
entièrement sauvages. Il est question d*oumr un nouvel
établissement dans la ville de Doloiès, un autre Ji Carmen,
Tllle de la République Argentine, à remboucbûre du Rio
Negro, sur les limites de la Patagonie, D'antres maisons
et d'autres asiles son> projetés dans la ville de La Concep-
tion, siège du diocèse le plus méridional de la Républiquja
du ChJili, et à Valdivia, ville très-rapprochée des sauyage^
de.la Patagonie.
Pendaoit que Ton étudiait la fondation d'un nouvel
établissement, trois projets furent présentés simultané*
ment* •
Mgr Frédéric Aneyroa, archevêque de Buenos-Ayres,
otEcit, par une lettre datée du ter juillet 1876, à la Congré-
gation des Salésiens, sur les confins de la Patagonie, la
paroisse la plus reculée de son immense diocèse* Une
fois en possession de ce poste avancé sur le territoire des
tribus, ces Religieux élèveraient un hôpital, pour recueillir
les;en{ants que les Patagons laissent mourir de faim^et
poar donner l'hospitalité aux marchands, llspournalsnt
aussi) par leurs bons offices, se concilier l'affection de»
indigènes qui vont de temps en temps y échanger leurs
marchandises contre des produits européens. Ainsi établis
suc les limites de la Patagonie, les missionnaires péné^
treraient plus aisément dans l'intérieur du pays.
Mgr Aneyros a l'intention de confier aux Saiésiens la
charge des Patagons Molu-chez, Puel-chez et Che che^hestt
qui sont réunis sur les bords 4u Rio Negro, depuis le i>
de latituge australe jusqu'à l'Atlantique.
Le deuxième projet présente aussi de grandes espéran-
ces. '^Depuis ma dernière lettre, écrit M. Gagliero à M.
Bosco, fondateur de la Congrégation des Saiésiens de
Turin, j'ai négligé Buenos-Ayres pour porter toute mon
attention sur la Patagonie. Une lettre da M. Antonio
Oneto, commissaire de G illenos de Chubret (colonie située
au 41» de latitude sur Uii.afa.uent de l'Atlantique), m'invite
à aller avec d'autres missionnaires chez les P^itagonsUrli-
chez et Therol-chez* Facel et Cinquecian, casiques de ces
deux tribus, recevront les missionnaires trèsrcordialement,
41
l6S écouteront avec respect et pourroiront à tous leur»-
besoins. En outre, M. Oneto nous fait espérer que, lors-
que ces tribus seront devenue^ amies, la Patagonie tout en*
ttère nous sera ouverte.'*
Un troÊstème projet est également présenté. Le gouver-
neur de la Répnbliqoe Argentine a l'intention de fonder
mae colonie à Santa Groz, site excellent i l'embouchure
d*UBe rivière qui se jette dans l'Atlantique, très-près da
50^ parallèle, c'est-à-dire un peu au nord du détroit de
Magellan. Il a l'intention d'en confier la direction e^u%
Religieux Salésiens. Les nombreux touristes, qui visitent
le port, le déclarent très-propre à l'établissement d'une
colonie. Le froid y est souvent rigoureux, mais ne l'est
pas assez pour le rendre inhabitable ; en somme, le climat
parait favorable à la constitution des Européens. Le gou-
verneur se montre disposé à soutenir les missionnaires et
led Patagons Quiene-ohèz et Plima-chez confiés à leur»-
soins. Avec un petit nombre de- missionnaires établis à-
Santa Crnz^ il ne sera pas difBcrlede pénétrer dans rinté*-
rieur, et, en peu d'atifiées, d'explorer toutes les parties de
la Patagonie.
M.CiagHero termine ainsi sa lettre: ^^ Tous ces Indiens
sont faciles à gagner, mais naturellement portés à la dé-
ianee.' Sous l'influence de ce sentiment ils sont sans pitié
pour leor» ennemis. Que chacun néanmoins se prépare
pour la Patagonie: que ceux qui sont choisis pour cette
œuvre s'arment de patience, d'application, de prudence et
de courage. En outre, il faut beaucoup de précaution dans
les rapports avec les Indiens, sinon le travail de plusieurs
années est détruit en un jour. Le missionnaire qui les en-
gagerait à se soumettre au gouvernement de Buenos-Ayre»
serait mis à mo**t impitoyablement.''
En attendant la mise à exécution de ces projets, douze
missionnaires sont partis pour Montevideo et Buenos-Ayres»
Là, ils seront divisés par groupes, puis envoyée à. San ta-
Cruz ou chez les Hurli.chez et les Thérel-cbez^
î ■':.«*
• CHINE. •
« t
Nous reproduisons^ d'apcès les leltres^. les plue réoênies
des mission naires et clans leur ordre ehroD0logique,\ le
Tésuoié des nouvelles de la perséc-utio^ qui conimo^ tou-
jours à s'exercer en Chine ; pa verra par les documents
qui suivent que rEglise a toujours à combattre, qxie Teafer
€St toujours animé de la même, rage contre les propagateurs
de Tévaugile, et que la croix, avant de prendre possession
d'un peuple, a besoin d'être arrosée par le sang.
L Su-tchuen occidental. — '' ly'aunée dernière, dit Mgr.
Pinchon, je vous ai parlé de troublées survenus à Ghoaea-
kiufou. Deux mandarins s'étant mis à la tête des meneurs,
près de mille bandits s'étaient soulevé» contre las chrétiens
et avaient juré de les. exterminer tpus. Ceux-ci s'étaient
cachés ou avaient pris la fuite. Deux,, étant tombés aux
mains dles révoltés, avaient été mis à mort. A ChoueD-kia-
fou^ une maison, nous servant d'oratoire- et de pharmacie,
avait été entièrement détruite. Le prêtre indigène, curé
de la ville, arrêté lorsqu'il s'échappait, avait été garrotté,
accablé de coups, abrei^vé d'outrages, puis, enfermé daqs
une pagode, sans aliments, durant trois jours et trois nuits.
On consentit enfin à le xelâcher, mais à la conditian qu'il
excommunierait tous les chrétiens de la ville. On lui don*
siait le cboix, entre cette excommunication et la mort, en
lui mettant le canon. d'un pistolet dans la bouche. Ce
prêtre, vieillard septuagénaire, a recouvré la. liberté ; mais
itant de mauvais traitements lui ont un peutroublé la raison.
^^ Les promesses que l'on m'avait faites me donnaient l'es-
poir que l'on rétablirait l'ordre, que l'on jugerait et puni-
rait les coupables, et que notre oratoire pourrait enûn se
relever de ses ruines. Je m'étais trompé. Au mois de
janvier 1876, le gouverneur de Su-tcbuen a été changé^ et
son successeur est l'ennemi juré des Européens, par con-
séquent des chrétiens. Ce changement a déjà eu et a
encore tous les jours des conséquences désastreuses pour
la mission. A Chouen-kiu-fou, notre oratoire n'a pas été
rebâti, les coupab'es n'ont pas été arrêtés; et la position
43
est i^estèe. telle qnellç,. paalgré,.ao3,,AÇprt5 réitérés .pp.ur.
obtenir une solution. accep(.^l>le^^j Les .baadiis, protégés pai:
l'inertie des fonctionnaires çt,.Qjnhai:dis par Ti^ipupité, se
multiplient et menacent de tout anéantir.
'^ Vers la fin dç rannéç dernière, Jçrs deg exam-ens publics
dans la petite ville de lun clxpu-chien, les bacheliers,, au
nombre de sept à huit cents, se ruèrent sur Toratoire que
nous venions de bâtir, le pillèrent, et, aidés de la. populace,
le démolirent et en emportèrent tous les matériaux. L'in-
nocence des chrétiens a été reconnue, n)erae par le sous-
préfet de la ville dans son rapport au gouverneur, et ce-
pendant nous n'avons pu obtenir aucune satisfaction...
*' Le 20 juillet dernier, la populace coalisée des trois sous-
préfectures de Lôui-kianglxién, de lujn-tchong-hien et de,
Long-tchoun-hien prit les armes,et, dr^'vpeauxen tète, enve^-
hit les chrétientés les plus florissantes d^ Loui-kiang-hien.
Les révoltés se jetèrent sur les chrétiens, pillèrent, puis dé-
molirent ou brûlèrent leurs maisons, blessè^^çnt. un grand
nombre de néophytes et réservèrent les plus ngtablea pour
les égorger avec des raffineme.nls de cruauté. On attacha les
victimes su r une grande crpix de bois, et on les coupa en mor-
ceaux, comme ferait un boucher sur son étal, Ainsifurent
massacrées quatorze personnes, parmi lesquelles un enfant
de deux ans et un autre de cinq. Ces pauvres petits n'étaient
pas encore baptisés; mais, enfants de néophytes, ils ont
été tués en haine de la religion. Les bandits ensevelirent
d'abord dans une fosse commune tous les cadavre*» mutilés,
et, quelques jours plus tard, les exhumèrent pour les livrer
aux flaïnmes. Les cendres en furent jetées au fleuve ou
dispersées dans les champs. Ils agissaient ainsi, afin qu'on
ne pût leur montrer ces cadavres, comme des témoins irré-
cusables de leur crime.
" Les scélérats ont occupé militairement le pays jusqu'à
<e jour. Ils vont de localité en localité, blessant, tuani les
chrétiens qu'ils rencontrent. Un néophyte, nommé Loù,
saisi par eux, a été garrotté et enterré vivant. Jugez de
la terreur qu'une telle sauvagerie a répandue dans tout le
pays. Plus de la moitié de nos chrétiens de Loui-kiang-
hien ont apostasie, pour sauver leurs maisons, leur fortune
44
00 leur vie ; quelquéd-âns austfi; de^^nus Judas dans Té-
preuve, se pont tournés contre nous et nous causent le
plus grand mal: C'est une désolation générale.
*^ Le nombre r!es morts déjà connus est de quatorie, mais
on pense qu'il y en a davantage. Actuellement, il nous
est Impossible de faire une enquête et de connaître les
détails.
'^ Dans cette dernière' et si triste affaire, nos mandarins
ont donné des ordres bons en apparence, mais tout à fait
inefficaces. Ils n*ont pas un nombre de satellites et de
soldats suffisant poui' les opposer à cinq ou six mille pil-
lards. El puis, en réalité, ce sont les mandarins eux-mômes
qui ont favorisé ces soulèvements populaires. Depuis plus
de quatre mois, tous ces désordres existent dans une mis>
sion voisine de la mienne, et nos mandarins, grands et
petits, ont catégoriquement refusé tout secours, tout ordre,
tout édit, capables de réprimer les troubles. De plus, on
fait librement circuler des placards séditieux, appelant le
peuple au massacré des Européens et des chrétiens. Nos
mandarins connaissent Texistence de ces libelles. Maintes
fois, je les ai priés de prendre des mesures pour empêcher
ces infâmes publications ; ils n'en ont rien fait. Plusieurs,
fonctionnaires, sinon tous, favorisent secrètement la circu-
lation de ces écrits indignes."
Un de ces placards séditieux, dont parle Mgr. Pinchon, et
où le nom même du prélat se trouve perQdement mêlé, a été
reçu en Europe, Nous croyons devoir donner la traduction
de cette pièce qui paraît être de date assez récente. Elle est
d'un style très-concis, quoique très-obscur et révèle une in-
dignation violemment concentrée. C'est une excitation
publique au massacre des chrétiens, des missionnaires et
des Européens.
RECOMMANDATION
d'un grand chef militaire pour la deslructîon des crimes
commis par les barbares.
« 0 honte ! 6 douleur ! notre dynastie impériale est vendue par les
Tartares. Le fait le plus mémorable de .a vie de Ky-Chan 3St d'avoir
43
^en^ii les douanes. C'est ainsi ({oe, dans les temps ancfims, T«naB<^k
i<'8st rendu célèbre dans la postérité, en vendant rEmpire. De noa joufs,
le prince de Kong, pins rusé que les anciens traîtres, a su vendre m^me
la vie de Tempereur Tong Tché.
" L'empereur actuel étant très^jeune et d'une santé délicat^ U fa*it
veiller, examiner avec la plus grande vigilance pour que da nouveaux
malheurs ne nou> atteignent pas.
" Demeurant à Péking, Je vois clairement ce qui se passe. Vous,
bommes de la cour, docteurs et hauts fonctionnaires, vous, les oolonpes
de ce puissant Empire, offrez-lui la fid^^lité de votre dévouement et ne
détournez pas la tête pour vous mettre au service de ses en^eniis.
-Qnand nous permettrions volontairement à l'Esprit des richesses d'in *
troduire les D.trbares dans l'Empire et que nous vendrions nos propres
eorps pour les conss'^rer h leur service, n'allez pas penser qu'il en sera
de cette révolution comme des anciennes ; sachez bien qu'Âne fois foe
Tordre du Ciel et de la Terre sera bouleversé, il ne reviendra plus dan
son état antique.
S3uvent, dans nos cDuvorsationA, nous parlons des malheurs que l'em .
)>ereur Ghe«ll3uang attira sur la Chine ; il en est parlé dans nos anciens
livres. On gémit sur le massacre ordonné par Houaag-Tsao, qui r^nt
sur ses pas après s'être contenté de tuer 800 hommes. Mais c'est le genre
humain que Ton V6ut détruire c jtte fois, p'est .la nature bamaitts que
Ton veut pervertir. Quoi donc! oatte religion que les Barbares vienneu^
prêcher ne les autorise t-elle pas à se saisir des filles et des femmes cen-
fermées dans de gran<h appartements durant la nuit? Ces Barbaros
ce mmetleat beaucoup d'antres crimes horribles ; quand on les voit on les
entend on ne trouve pas de paroles pour les exprimer. XiOS Barbares ont
pfêparé secrètement dos poisons très-dangereux qui se répandent comme
les racines des herbes pernicieuses ; il faut un grand travail ensuite
pour les arracher.
A ^intérieur, les B irbares Jouissent de la proteotion du princa de
Kéing; k l'extérieur, ils ont pour eux la bienveillance de tous les «men-
dartns soit militaires soit lettrés. C) qui est bien plus étonnant, c'^st
^e'Ie gouverneur Où (1) reçoit avec respect l'évéque Hong (2) ; d'où il
résAille qu'une telle familiarité rend les Barbares beaucoup plus auda.
oieux.pour mûre an penp'e. Si quelqu'un ose seulement ;prononcer le
nom de leur religion, aussitôt Us s'emportent et pcétendedt qu'on l'a
blasphémée; blon vite ils accuaent devani lestmandtnoSf et Is paowe
peuple perd ainsi son temps dans ces longs procès eK y perdaufsi toute
sa fortune. Non contents de cala, les Barbares disent que les lettrés et le
peuple ignorant les vexant et leur causent da grands dommages. Us
éevlenuem plas insolents à t»use de Pimpunlté/
1 9^ étMîU l'apnée dsralC n < 1S75)., f(^;f ver^ai^^ d)» fflttibuan.
X mi. ^fn^hon, ^véqne d^'I^ôUmoalami' vioMre apqfto|itQe> do âa-toboeB.eosl*
46
Maintenant donb, après mûr examen, nous avons reconnu que Igs
«Barbares d'Ettroné sont de vrais rel)elles qui amoncellent secrètement
d^ r-argen* et 'des vivres, q'dl côiialruisent. dbs machines semblnbles à
des hommes , ils conduisent si bien leur jeu qut) Iç préteur Où, comme
un lioiàme ivre, cet accablé dé sompieil. Si nous ne prenons iramédiate-
merifiin parti llèôis'ï^, sôus peu de temps les ch'-êtiens s.e lèveront comme
une grande armée de rebelles. ' ,
Heureiisètnent à l'heure qu'ilesl, au Sûlchuen, sur 1,000 hibilants, il
y a 900 hommes honnêtes. Si nous savons prendre ijotre temps et nouj
réunir aussi promplément, nous pourrons massacrer tous les chrétiens ;
il n*en restera pas un seul dans le Su-tchue'n, Si les mandarins veulent
■ les défendra, massacrons les niandarins eux-^mômes. Nourrir et conserve''
chôz soi un ennemi dangereux pour l'avenir, ainsi qu'il a été dit par les
anciens sages, c'est conserver du poison dans ses.coffie»; si on n&
détruit celui dont il est question, les habitants du Su-tchuen, devenus
misérables, exprimeront en vain leur repentir.
Vous, qui êtes des hommes forts, faites donc entendre ces chpses &
haute VOIX, frappez des coups terribles et anéantissez les plantes sau^
vages dont il a été parlé pins haut.
Moi, qni écris ces lignes, je tais mon nom dé .f(imille, mais je fais con*
'naître mon surnom ; ce surnom est Sue, et j'habite Tcheôu. Le mal qui
vient d'éclore parmi nous est elfrtynble et cependant encore " timide ;
^U6ls que soient les dangers auxquels je doive m'exposer, je désire être
-à la tête du mouvement et m'avancer le premier pour réprimer le« grands
^J^onblès que je prévois. Vous tous, en conséquence, îiommes de consejl
et d'intelligence, fartes société alin que nous nous olTrions. généreusement
pour rendre à l'Empire son ancienne splendeur et qu'il persévère durant
de longs siècles dans Sa glorieuse immobilité.
' ■
'* Il est incontestable, ajoute un correspondant, 'que la
haine que nous porte un certain parti politique dans Vém-
pire est à son paroxysme. Ce ne sont plus des tejctes et.dei
raisonnements philosophiques gu*oa nous oppose, c'est le
fer et le feu qu'on fait briller à no^ r^egards. D'ua autre
côté) il est remarquable qu-un ^racd nombre de hauts fonc-
tionnaires chinois ne paraissent pas s'associer aux idées dé
ceux qui notis menacent, puisqu^OTï leâ menace eux-mômes
et qu'il est dit que,^Mls ne nous, exterminent pj^is, la ven-
geance dn peuple tombera sur lé gouvernement.
^' Pour peu que ropposition ai]|x E/urppéefis se fortifie à
Péking, les missions, celles du Su-tchuen en particiriier,
seront en très^grand péril. Vous ave% parlé déjà sans doute
de ce qui vient de se passer &'Tch6ng-king. La conclusion
47
évidente des faits est que les mandarins sont complices des
meortriers. On peut âisémentee figurer- que des kfiche»
semblables à celle que je vous envoie, répanduefs à pit^fusion
dans tout un vaste pay?s, produiront oujpeuvent prodnii-e
un immense soulèvement contre nous, surtout quand i) y
a conuiveucede l/9utorité. On nous anoonce de divers côtés
que, dans presque toutes les provinces, les lettrés se mettent
en campagne, avec cette différence que, en beaucoup d'en,
droits, on nous combat par les calomnies et de grossier»
raisonnements, tân()is que, dans. le Sotcliuen, c'est avec la
torche et le poignard qu'on nous poui^hasse."
M. Riraet, provîcairê du Sutchuen occidental, écrivait,.
le 1er septembre 1876 :
^' A la réception d'une dépâche du tsong-Iy^ya-dien témoin
gnaot qu9 Mgr Pinchon avait eu neoours à Pékin g sad»
préveuir la commission chargée^ à Tchen-tou, de traiteriez
affaires des chrétiens, le chef de cette commission a faic
grand tapage, a maudit févéque et le P. Nièn, et a menàeé
tous les chrétiens, d'un prochain massacre."
Le même missionnaire écrite à la date du 12 septembre ;
" Mgr, Pinchon a reçu, de M: de. Roquette, secrétaire
de la légation française à Péking, une lettre accompagnée
de la réponse du tsongily-ya-men, qui. enjoint aux autorité»
du Su-tchuen de traitep nos procès. De là, grande colère
du propréleur et du kin (chef de la commission). Ce der-
nier ayant Invité Mgr Pinchon à se rendre au sein de la
commission, Ta assuré que nos affaires seraient instruites,.
mais qu'il fallait du temps, vu les dispositions du peuple
qu'une répression trop précipitée pousserait à la révolte.
Voici les conditions imposées. : lo l'évoque ne pourra
aider les chrétiens à faire parvenir leurs plaintes au iK>a«
voir central ; 2o l'évêque aura la faculté d'écrire àlacom-*
mission, mais pas aux mandarins ; la commission ne ré*
pondra point à l'évêque ; elle traitera Içs affaires, si elle
les troure justes, sinon, non. Nous voilà donc réduits 3^
l'état où BOUS étions avant les traités."
48
M. Coupât, migfliooaairejaa Sta^tchaee oodidenêalyécril)
Ji la 4ate 4tt 8 t^pleœbre :
^' DapB la Bou^'prèfoetare de Liutchottih^hien, te n'est
plus la perdèeatiofl des temps passés, b'est l'isxtermWiéÛon :
17 ou 18 stations soat anéanties ; les 7 ou % qui restèât le
•eroQt dans quelc^ues jours. O mon Dieu ! ijuaud aurez-
vous pitié de nous T Déjà prèsde 400 niaisons sout^UHilées
et notre oratoire de Ja ville n*a plus pierre sur pierre.
^^ C'est à. la mort du mandapin de Lin-ciioui <iué la per-
sécution s'est déclarée. J^allai trouver le iuand*arin in-
^rimaire. . Après m'avoir écouté, il me dit que je;devais
partir et partir sans retard. Je me rends à Kanky^tchahg,
pour demander conseil à mes deux confrères voisins ; puis,
.je me mets en toute .pour Lio^^houi. A moitié -obemin,
j'apprends que l'oratoire est démoli et que leé maisons des
ehréiiens sont détruites. Le 5 septembre, la ville avait
•été eAvakie par plusieurs milliers de gens armés, ot^ vers
^UfStre heures du b^\t^ l'attaquede l'oratoire et d<s maisons
avait commencé. Pairmi les as^illànts, il y: a, dit^a,
quatre cents, hpmmes de K^iang-pee (Su-tcbueu oriental) ;
' ils répètent qu'ails ont ordre de leur mandarin, de l'empe-
reur même, d'exterminer tous lès chrétiens : aussi se van-
tent ils de faire partout ee qu^ib onl fait à Lin-ehoui.
^^ Nous avons actuellement, à KaU-ky-tcbang, près de
deux cents fugitifs^ et nous ne tarderons pas à en avoir de
«ixàseptoents."
Mgr Pinchon écrivait |i Mgr Desflèches, le 11 septembre :
^' Après les désastres de ]Liin>choui-hien, soct survenus de
noBveaux désastres à Loui-kiang-bien où^ le 22 jjiuUet, on
^vait mis en croix et massaeré quatorze chrétiens. Oa
m^apporte la triste nouvelle que, le 7 septembre^Ies brigands
de lun hin.miao, appelés dans la ville de Loui-kia^ng, y çni
'détruit notre oratoire et toutes les maisons des chrétiens.
Le mandarin n'a rien, empêché."
A la date du 15 septembre, Mgr Pinchon écrivait .oQcere
à. Mgr Desflèches :
^ Sqè ennemis inondent la province de lettres incendiai-
jres, convoquent les milices à une réunion générale pour
49
massacrer,. assure^tfOn/ les èhréiiens et lea Européens
josqu'au dermer.
^^ Je Tousai aniumcé la dèstmctlon dés oratdrë'S de Loui-
IdABg et de^Iiin;-ch6tii-faien, ain6i que 4e^ ôiaison» des chré^
tiefQs de Ces deux districts: Que de désastres ! Les dhré'-
^tianà sont ponrsnivis comme dés bétes fauves ; on leur
demande la vie ou Tapostasie ; au^un d'eux ne peut plus^
retourner ctfêz lui. Que faire de tout se monde si mal--
heureux ?"
M. Coupât écrit, le 24 septemibre :
^' A Lin choui, on met en pratique le manuel Ky-kinlou
(manuel indiquant la manière d'en finir a¥ec les cbrétiens
et les Européens)» Dans chaque /oàn'(compagtiie dé la
garde nationale) est établi un hiou (tribunal) chargé de
rechercher tous les chrétiens sans exception. L'apo4asie
ou la mort, rexpropriâCion des biehs im^meobles, la spolia^
tion totale ; tel est* le soft qui leur est réservé.
**' Les mandarins ne veulent pas que nous retenions dans
nos maisons les chi^étiéns fugitifis, sous prétexte que cela
enflamme de êolèl*ei nos ennemis. On m'aceoée de réunir
des bataillons pour la révolte, parce quo je recueille les^
chrétiëne sans asile.^'
IL SU'tehuen orientaL^-On écrit du Sutchuen oriental,
-le 8 septembre 1878: J
*^ La permanence de la persécution de Kian gpee tient
en suspens les bons matidarins qui n'osent, par crainte du
tao-tai, se déclarer en notre faveur, et excite le .peuple,
Hiéme les milices- rurales, à préparer de nouvelles atta-
ques contre nos chrétieus. Si le tao-tai et le mandarin de
ICiaag-pee. na. sont point procliaineii^ent ehangés, nous ne
tpoarrons éviter dlmineases désastres. D'ailleurs, étant
les principaux coupables. et aocusés, ils ne peuvent être nos
juges,. et ils le seront pourtant s'ils ne partent'd'ici! On a
^anèté des ten-hoa-kiano (dign«itaires dé la franc-maçonnerie
chinoise). Ilsontiait des révélations qui établissent que
les isia-lien-kiao (frttncB^maçons^^sont lespromoteursde ce
fioalÀvement généiaL " •'
11 Prévost, olissionnaire au Su-^tchuen oriental, écrit de
Tchong-kin, le 1 3 septembre :
3
50
*^ Il n'e^t plus guère permis de douter que, si le gouTeroe-
ment chinois n'a pas décrété officiellement la persécution,
il iroit du moins de bon ceil la dévastation de nos cfaré-
iîenlés. Au point oii les choses en sont arrivées, il est évi-
dent que missionnaires et chrétiens reçoivent les coups
que les Chinois n'osent décharger sur les Européens. Beau-
coup de Chinois sont massacrés parce que, étant chrétiens,
ils ont de la sympathie pour les étrangers ; on veut se
•débarrasser d'abord de ceux qu'on représente au peuple
comme les émissaires et les auxiliaires des Européens. "
Mgr. Desflëcbes écrit de Tshong-kio, le ip septembre, i
li. Vinçot, àChaog hai ;
'' Hier, on est venu de Kiang-pee enlever ici deux chré-
tiens. Voici le procédé. Un chrétien, dont la maison a
été pillée et brftlée, porte plainte ; les mandarins ne bou-
gent pas. Les pillards accusent alors le chrétien d'un crime
imaginaire. Aussitôt on le recherche, on le mène au man-
darin qui fait étaler devant lui les instruments de supplice.
Le chrétien déconcerté perd la tète et signe un billet où il
reconnaît avoir faussement porté plainte et n'avoir été ni
pillé ni poursuivi, "
IIL Kiang-sou. — ^Le R. P. Royer écrit, le 6 septembre
1876:
^^ C'est dans ma barque, en face des ruines encore fu-
mantes de notre église et de notre maison de 6neu-ko-tsen
(préfecture de Tchangtchéou-fou)« que je vous écris ces
lignes.
^* Hier, 5 septembre, de une heure à six heures de l'aprèe-
midi, pins de mille homems ont envahi notre kom-sou. Ils
revenaient du bourg 4o Koue-tsen, où ils avaient assisté à
une procession faite dans le but de chasser les diablei
oppresseurs et de découvrir les coupeurs de queues. ArriTés
devant le kohi-sou, ils y entrent et se mettent à faire des
recherches, derrière l'autel, sous les tables et les planchers.
— Us trouvent des rameaux ornés de petits anges de papier :
^ — Voilà, disent-ils, les hommes de papier, les coupeurs
de queues." Ils remarquent l'image de Notre-Seigneur
dans les stations du chemin de la croix. L'un d'eux. pré-
tend que c'est un diable opprssseur. Aussitôt ils brisent les
51
tableaux «t 8*éerient qu*il faut brûler l'église. Le.maitr»
d'école, qui en est le gardien, -ayant touIu les arrêter, le
chef de la bande le saisit, l'étend par terre et Taccable de
coups. Pendant que Téglisebrûle, notre chrétien parvient
à s'enfuir. A six heures du soir, tout était consumé.
" Le lendemain, le mandarin arrive. J'allai le recevoir aU'
lieu du débarquement et je le conduisis moi-même sur le
théâtre dé l'incendie. '^ — Je veux terminer promptemeni
cette affaire, me dit-il, de façon à rebâtir le plus tôt possible
TOtre église et votre maison, et à empêcher le peuple de se
porter à d'autres excès." Il envoya vingt soldats pour
protéger Téglise de Cbe-li-pà et publia une proclamation
pour calmer le peuple.
^< A Y-ching, nos chrétiens ne peuvent, depuis vingt jours
faire aucun commerce ; ils sont obligés de se cacher, parce
qu'on les traque commes des bêtes fauves. Ton te» les bar
ques chrétiennes lancent, dit-on, des hommes de papier et
des diables nocturnes, et on les arrête. Celles de Y-ching
et de Li-yang se sont retirées à Che-li-pa. A peine arrivé
le 6 septembre, j'ai dû faire aux chrétiens de ces barques^
xine aumône de vingt-trois piastres pour leur fournir du
riz. "
Le IL P. Pouplard écrit de Ou-si (préfecture de Tchang-
tchéou-fou), le 19 septembre:
Le 7 septembre, deux chrétiens, qui s'étaient un peu
éloignés pour pêcher, ont été pris par les païens, suspendus
en l'air avec des pievres aux pieds et affreusement mal-
traités. C'est grâce aux sapèques déboursées à lemps^
qu'ils n'ont pas été tués sur place.
Lo-siësang vient enfin de sortir de prison. Il nous est
arrivé, le 16 septembre, après un mois de captivité.
A Y*ching, un enfant.de douze ans ayant déclaré, à
force de caresses et de. menaces, que ses parents et lui lan.
çaient des hommes de papier, on les a immédiatement jetés
en prison et mis à la torture.
* J^écris aujourd'hui au préfet de Tchang-tchéou, pour le
prier d'élargir un jeune pêcheur r incarcéré pour quelques
anges de papier trouvés dans sa barque. Presque tous les
jours, on lui fait subir d'odieux et interminables interro.
gatoires.
52
De B. P. Ferrand écrit de Zô-sé (préfecture de Song.
kiang-fou), le 22 septembre :
'' J'ai reçu, le 17 septembre, une lettre du mandarin de
Tsing-pou-hien qui m'annonce qu'il avait rendu un juge-
ment en faveur d'une barque chrétienne arrêtée à Sa-dang,
et qu'il allait publier une proclamation. Ce n'est pas trop
tôt, car il règne dans la sous-préfecture de Tsing-pou une
confusion universelle. Toutes les barques, qu'elles appar-
tiennent à des chrétiens ou à des païens, à des pécheurs^ à
des commerçant^ ou à des voyageurs, sont arrêtées,
fouillées, parfois pillées et endommagées. N'importe qui
s'arroge le drojt de les visiter. Aussi nos pêcheurs ne
savent-ils plus où aller pour faire leur commerce. Dans
les bourgs, comme dans les campagnes, on traque les chré-
tiens.
" Le 1^ septembre, le mandarin de Tsing-ppu a publié sa
proclamation, mais à un trop petit nombre d'exemplaires.
Cette proclamation est générale; elle ne renferme qu'un
article en faveur des chrétiens et des pêcheurs, avec cette
restriction que, si, parmi ces derniers, on trouve des cou-
pables, ils devront être amenés à son tribunal. Elle se
termine par une formule superstitieuse dont le mandarin
vante l'efRcacilé contre les sorcelleries. Cette formule se
distribuait gratuitement, il y a quelques jours, au tribunal
de Song-kiang-fou.
"A Kayding, la confusion est encore plus grande qu'à
Tsing-pou. Beaucoup de barques du Kong-po ont été
arrêtées et brûlées.; les gens qui les montaient ont été
battus et ont disparu. Un homme n'oserait pas s'aven-
turer seul sur les routes.
IV. JV^aM-/iot>.— Le R. P. Le Cornée écrit de Ou hon
(préfecture de Ning-ko-fou), le 11 septembi^e :
"Rien n'est encore fait à Ning-ko-fou pour réparer les
désastres qui viennent de s'accomplir ou pour prévenir
des éventualités du même genre. La proclamation de-
mandée au vice-roi par le ministre de France n'a été*
vue en aucun endroit du Ning-ko-fou.
" Le général Fang-tong-lin est à Ngan-king où il a fait
et reçu des visites. II a, dit-on. ce qu'il faut pour nous
5Î
^ccQser, et 11 saura pousser sa cause, <^ar i\ est fortoaitat-
protégé. Rien 116 prouve dooe qu'il ne rëlrie&drapas. Bn^
•outre) tousses hommes restent iKieflrPing* •- -
^' Tchao-ta-jen, son bras droit, dirige encore ées soldait^
et ceux-ci, toujou^-s disposés, à la révolte, foat> cauie
commune avec les gens d'Ho-kiu. L'opinion! générale»
est que Fang-tong-lin est monté en gj^ade* Sto départ
n'a produit jusqu'ici aucun effet favorable à notre cause.
Ainsi, pendant qu'on nous relègue à Ou-hou, Fang-tonglSn
nous attaque à Ngen-kiag où il est l'ami. du premtièr secré^
taire du gouverneur, et Hokin nous attaque à^Nan-king>
auprès du vice-roi, A Ou-hon, notre toa-'tai continue à
être ou à se dire malade.
^^ Les délégués Tcheou.et Ouang, après: un voyage inutile
à Ning-ko-fou, se reposent à Ngau-king. Fong*-kin-8an, le
troisième délégué du gouverneur du Ngan-hoei, à passé
ici, le 8 septembre; il se dit malade et va se reposer à
Ngan-king. Que faire en présence d'une pareille inertie*
et d'une malveillance aussi évidente?
'^ Nos chrétiens, entendant dire qu'on va les massacrer à
la 8e lune (18 septembre — 17 octobre), ne voyant aucune
proclamation qui les protège, et surtout sachant qu'on ne
pnnit pas leurs ennemis, craignent de rester indéfiniment
Jl la merci de ceux qui veulent les molester; ils perdent
courage. Les bons vendent à bas prix leurs terres et leurs
maisons et s'en retournent au Hou-pé; les autres se con*
firment dans leur apostasie* Le commissaire chargé de la
police des voleurs au Suentchen bien, disait à quelques
païens de Siao-hou- Isen : *' — Faites donc apostasier ces
vieux chrétiens qui tiennent encore. Lorsque tous auront
apostasie, les diables d'Europe n'auront plus besoin de
venir. " Si le système actuel d'inaction continue encore
deux mois, il est bien à craindre que la parole de ce com-
missaire ne se réalise. "
Le R. P* Seckinger écrit de Ngan-king, le Id septembre:
^^ Les portes du Ning-ko-fou nous étant fermées, je suis
parti pour Ngan-king afin d'aviser aux moyens de mettre
£ii i un statu qua qui dure depuis deux mois. Les réponse*
4e8 mandarins aux questions catégoriques que je leur
54
posées tie sont que d^ faux-Iuyaats. Us Touâraieot laisser
toute la resprasabilité au vice-roi et ie iretirer complètement
ou n'agir qu'après que la cause d'Ho kin sera terminée à*
Nâng-ing. *'
V. Àïûw^man.— Nous donnerons maintenant, d'après la
correspondance des missionnaires, le récit détaillé des évé-
nements de Ning-ko-fou, dont nous venons de faire le récit
sommaire :
La persécution qui vient d'éclater dans la préfecture de
Ning-ko était préparée depuis plusieurs mois par un homme
dont les dispositions hostiles sont bien connues de tous.
Nous voulons parler du général Fang ou Fang-long-lin.
Lettré et mandarin militaire, il trouva dans l'impunité
qui accueillit ses premiers exploits, un encouragement Sl
satisfaire sa haine contrôle christianisme. Aûn de par-
venir plus sûrement à son but, il entreprit des prédications,
expliqua les instructions de l'empereur Kaug-hi, surtout
celle qui a rapport aux sectes perverses, parmi lesquelles
la religion catholique, et étanlit le Chen-jen-hiao ou la
religion du saint homme (Confucius) pour l'opposer au
Tienrtehotk-hiao^ religion du Maître du Ciel. 11 fit alors
écrire des pancartes sur lesquelles on lisait l'inscription
traditionnelle: Tien'Ti'Kiun-Che-Tsin : Giel-Terre-Empereur-
Maîtres-Parents; et il y ajouta les quatres caractères:
Dhevr-jen-chen-ouei eu siège de l'esprit du saint homme. Ces
pancartes furent distribuées par ses affldés. Il inscrivit
sur un registre le nombre de ses adeptes, et leur promit
aide et protection, les menaçant de sa colère, s'ils osaient
embrasser le christianisme. Le tong-ze Ho-Kiu, émigré
du Ho-nan, fut un des propagateurs les plus ardents de la
religion nouvelle. On le rencontrait toujours à la suite
du mandarin de Kien ping, quand celui-ci expliquait, à
l'exemple de Fang ton-Un, les instructions de Eang-hi, et
il avait le talent de faire croire au peuple que le chen-jen-
kiao émanait du gouvernement.
Sur Qes entrefaites, des bruits étranges circulaient à
Tchen-ki^ng, à Nanking:, à Ou-hou et dans les villages de^
bord:? du Yaiig^tse-kiang. Les queues des Chinois y étaient
coupées, disait on, d'une manière mystérieuse par des
55 '
boxnmes de pai^er^ hauts seulemeot dd qvfelqùds centi-
mètres, et qne Toa apercerriiit daas les afrs.^ Ces rùmetin^
pénétrèrent au pays de Ning-ko-fou ; les erinemls- dn nom'
•chrétien les exploitèrent d'une manière {^rftde et dirent
bien haut que les missionnaires pouvaient, àletirgré, faire
tomber les queues. Il leur suffisait, affirmait^on^ de lanoer
-en Tair un morceau de papier en soufflant dessus : aussitôt
une queue tombait, et la victime de ce sortilège n'avait
plue que trois jours à vivre* Les entants, pour échapper à
ce malheur, portaient^ attaché à la queue, tin «papier sur
lequel étaient écrits des caractères superstitieux ; les hom-
ones la tenaient courageusement à la main, ou Tenroulaient
sous leur coiffure. Ces bruits absurdes répandus partout,
et ces niaiseries étalées au grand jour excitèrent parmi le
peuple une agitation insolite et une recrudescence de haine
contre les missionnaires et les chrétiens. Fang-tonlin et
les siens trouvèrent, dans ces dispositions de la multitude,'
une chance de plus pour le succès des desseins qu'ils
méditaient et que nous allons raconter.
Les RR. PP. Bies etChen-eul, mîsdionnaires de la Com-
pagnie de Jésus, et le P. François Xavier Ouang, prêtre
séculier, après avoir pris quelques jours de vacances à
2i-ka-wei et à Chang-hai, s'embarquèrent, le S juilielt 1876,
sur un vapeur du Yan-tse-kiang pour se rendre à Ning-ko-
fou. Il 7 arrivèrent le 9, vers cinq heures du soir, et, à
onze heures, les PP.' Bies et Chen-eui entraient dans le
kèm-sou do bourg de Sen.kia-pou. Des catéchumènes de
Ooang'kin-chan s'y étaient réfugtés pour échapper aux
poursuites de Feng-tong-lin, qui en voulait à leur vie.
Le lendemain 10 juillet, les deux Pères se rendirent à
Ghoué-toag. Ce même jour, le P. Ouaog, arrivé dans la
-chrétienté de Pi-kia-kiao, envoyait sa carte et une lettre au
mandarin de Kien-ping, pour le prier de rendre justice à
4oa catéchiste Pé-hooé-tsin, arrêté trois jours auparavant,
«ur la route de Séma-kai, par une bande de Ho-nan-jen
^hommes du Ho*nan). Il avait été maltraité et conduit à
Oio-txe-pou, où se trouvait Faog-tong-lin, qui l'avait ren*
T0)7â^^iLm«ilQ4^<?in':âQvKiw ping. iLa P;Ot|iApg se dirigea
Qq^ji^ei/fyei;?) LjShi^çu.' iiie.{13:|itiUeV ii ébrmt.aur PP»
Q^ -i^qi^iB^ftP^ Minh ei<4l^ennéulyréiîn:îsàClhoiaé*tong,
que Ho-^a ^t^le»^ sieûiiiftTaiaotijiii ré publiquement de faii»
délai lin np^i5tyr,î. ; . '^ '
l4ejeadi,:1(3 juillet^ le P. ûuangt A'ielvaifc pa's eneore cbm-
n^noô .sa riae^ae^ que l'admîmatralteuc Ouang-tdieû-ia
accourut; fmff .lui dide de- VenfUir proakpieliient, parce
qu'u^e b^ade de mallaiteucd se dtrigéatt'sur le kom-soa.
Le Père eopgça ioutrd'abDiâ à faciliter révteion des jeunes-
filles <(ui^:àQus:la :âireetiQQ de layeuv^ Song^ étudiaient
dd^s up^ écolQ séparée de régli«e» par deux oaurs et un
ja^dio.. lUI^ais le Jfomsou, icerajé i>ar'huit cents homme»
a^nBôs 4^: f'^il^ ^^ d^ couteaux, n'offrait aucune issue pos-
sible ; et. ces forcenés ren^^^biveat immédiadiemeiat. Le ?•
. Ouang fut j^aisâ près,: de. Téoelie qu'il aivait v^^uiu sauver.
Ho-Hiu. «'avança v^rs .lui.. ;,
^^ — Ppurquai tout pel appajreil 1 \m dit le Père. * Situ
as quelque cbose à me i deinao^or j je &uis prêt à te rendre
justice. , ,
'^ Mets-toi à genoux et demande-moi grâce de la vie,
répondit Ho-kin teiik Jieivant son sabrei
.>^rnMa,yie(esi^<0«kii^ les mains.de Dieu; si je la perds
pour sa cause; je monterai au ciel, où je désire que tu me
8,utV6s:Un jour .M Je ne suis ici que pour sauver moâ âme
el)i$ell0s:d6 mc^s frères. Sidomc tu veux me frapper, frappe^
<(. .^P(i.bi^n, enlèvi^ tes habits.
" -rrtïe ç.e less etuJèverAi pas. " . ' *
{je p. Qu^ng aivait à peine prononcé ces paroles qu'on
lui, /^rraçJplA^a.r€lt]>eY sa chemise et «es souliers. . Refait un
dernier* vétqmeiiit:.
^^ -rrAltçi rd;^lever. cela,' dit Ho kiu^ qui voulait joindre
PjgnQPnniQ:^ 1a QÇViauté.
.'f --J[e'l.'e^^èfv^^ai.en(>o^?e;moiIW. quel le reste. " - -
!^Èto-jkiï^UûiW49it alwp:lA ftête^.et le. frappa 'd'Un coup de
S2^)>r^ j^>'pieiu , ^if(agô« : Une iargd bieiidilre, s'étendant du
fp^ni à r.prpîUJ? di^itq, Vinonde de'saog. Un second <ooap
l^|iÙ^jçi^.^4ijiô\Ai.g«(uobe. et! l'étetLd par terre : '^' — Jésus,
«^|i,yeij-HïVQïrî>jp'^W«t:te P.. Ouang. Ce i'ut sa: deraière
67
pflirole. liesJBorceâés luli0'»ié'fè«eât alOré-tesëiil'Vfitëitiéàil
quji.racQiivraiitflon-ewpsletiMQglaiité.. Le trtyi^tôiïië fils d^
So*kia lai oiwrift^ila^anbre ei'lui krikthA^^ Iès-'€fnl«<aille^
Les q^oaites mcpibr^s' lurent séparés dàf'tpon^î, ët'&o-ld'ril
emporta^ dit on^ la tâte di la'Vic^ma;<Iéé reMèâ Xtrreat
l>rûiéë sur IftilieutHi^ihei. •' ■ .i-. c-
Le P. Oiiang était à'-peins tombé sous le fer des assassiti^^
que Yang-ch&'chQ^ l'un' de ses eatéohîstes, était -^aussi
ajrrété. Un coup de sabieen pleine poilrîde le renversa,
eo £ace de Téglise. Le zèle de ce jeune homme, et le
-eucQës qu'il, avait obtenu en prêchant TËvangile, le dési*'
puaient naturellement à la haine de Bo-kiu. Yaiig^che-
-cho fut ensuite brûlé sous les yeux de sa mëre^
Les filles de l'école et leur maîtresse furent' partagées
entre les che& de celte barbare expédition. L'église fut
entâërement pillée, puis en partie abattue. L^écote devint
presque totalement la proie. des flammes. Avant L'incendie^
fié-kiu trouva, dans une. caisse, quelques angee en papier
découpé, que les chrétiens ont coutume d'attactier à des
.branches de sapin ou de palmier, le jour du dimanche des
Rameaux. Il emporta la caisse, y serra une queue, en-
levée sans doute à Tune de ses victimes ; puis il répandit
le bruit qu'il avait trouvé, chez le missionnaire, ces ter*
ribles hommes de papier, qui causaient tant de désastres.
l»a queue déposée dans la caisse était la preuve- la plus
.convaincante de la culpabilité du P. Ouang.
Le jour même où s'accomplissaient ces événements^ des
courciers partirent en toute hâte de Lo-tsen pour les an-
noncer aux Pères réuni» à Ghoué-toog, et pour les prévenir
>d.e l'arrivée prochaine des hommes de Hokin. Les mis-
sionnaires prirent alors des mesures de sûreté : les élèves
furent renvoyées dans leurs familles, et les maîtresses
dirigées vers une autre chrétienté. Le P. Chen-eul pria
le maire et les notables d'empêcher au moins toute attaqu®
de la part des gens du bourg.
Bn même temps, le P. André partait à cheval pour Ning-
ko-fou avec deux catéchistes. Ils arrivèrent à minuit;
icnaiSyles portes étant ferhiées, ils ne purent entrer qu'au
^ointdu jour. Les démarches du Père auprès des man
58
dariqs .n^olHinreDi qu'ua médiocre succès. Le soufr-préfer
refufa de le reeeToir*. ,h$ préfet lai accorda une entrevue^,
et, liout, en refusant de croire aux sinistrée rameurs qui
•eircul^ietnt partou^^ promit d'eniroyer quelques soldats pour*
protéger Gboué^tong. Au lieu de lancer une proclamatioa'
6t de recourir i des moyens énergiques pour arrêter la*
marche des malfaiteurs, il resta dans une inertie complète
et laissa se prépaiTer et s'accomplir d'irréparables désastres.
Les missionnaires et les chrétiens, ainsi abandonnési.
durent pourvoir à leur propre sûreté. Hommes, femmes
et enfants s'enfuirent dans les montagnes, emportant ce
qu'ils possédaient de plus précieux. Le P. Chen-eul, caché,,
le jour, dans les chrétientés voisines de Ghoué-tong, -en-
tendait les confessions, ranimait les couragss ; et, la nuit,
se mettait en marche pour aller offrir à d'autres chrétiens
le secours de son ministère. Le P. Bies partit pour Kouang-
te-tcheou, où il arriva le 16 juillet. Pendant qu'il tra-
versait la ville, les insultes et les menaces ne lui furent pas
épargnées. Le 18, des attroupements se formèrent dans
les rues et menacèrent d'envahir sa demeure. Averti à
ternes, le mandarin donna des ordres sévères pour em-
pêcher l'émeute, et porta la peine de mort contre qui-
conque se rendrait coupable de délit envers le mis-
i@ionnaire, dont il fit garder la maison par quatre satellites.
Le P. André avait, en quittant Ning ko*fou, repris la
route de son district de Ho-li ki. Dès ce moment, les trois
missionnaires n'eurent plus entre eux aucune commu^
nication.
Les tètes des PP. Gheneul et André avaient été mises à
prix; les chemins et les sentiers des montagnes étaient soi-
gneusen^ent surveillés, car on espérait saisir les deux Pères
^'ils essayaient de fuir, ou connaitre leur retraite en con-
traignant les chrétiens à la révéler.
Le P. Ghen-leang était parti, le 14 jnillet, de Choué^tong
pour Ou-hou. Là, il prit place sur un bateau à vapeur, et,,
le 17^' il apportait à Chang-hai les nouvelles«du massacre
de Lo-tsen, ^ Le lendemain, le P; LeCornec, ministre de la
section, et le P. Li, missionnaire au district septentrional
de Nir.g Vo-hien, s'embarquaient à Cbang-h^i pour se reo-
59
^re à Ning-ko*fOu. Arrivéa i Tchen-kiâng, . iU allàrent
'trouver le P. Seckinger, à qui le R. P. Foucaalt, supérieiûr
^néral :âe la mission, remettait tous ses pouvoirs pour
traiter avec les moadariDs du Yang-ou-kiu^ (tribunal chargé
des ajlaires européeùriea), à Ngaa-king. Lèâl^ les trois
JPères se trouvaient à Ou-hou. Le P. Le Goraec y resta pour
- essayer de renouer des cûmmunicatioDs airec.les chrétiens
de sa section. Le P. Seckinger et le P. Li se rendirent à
Ngan-king.
Cependant TcBuvre de destruction avait été poursuivie
avec une persévérance que l'inertie des mandarins était
bien propre à encourager. Fang-tonglin fit afficher par
tout une proclamation invitant les chrétiens à renoncer,
s'ifs tenaient à conserver la vie, à la religion qu'ils avaient
embrassée. Effrayés du danger, bon nombre de catéchu-
mènes et de néophytes eurent la faibl^se de céder.
Ho-kiu s'était présenté, le 14 juillet, chee le sous-préfet
de Ki en- ping, et lui avait déclaré que, la veille, il avait tué
le P. Ouang : '^ — ^Tu m'as mis une vilaine affaire sur les
bras. " répondit f roidemeut le sous-préfei. Encouragé par
cette parole, qui lui assurait une impunité au moins mo-
mentanée, Ho-kiu pilla et incendia ce même jour le kom-sou
de Ta>sen-tsen. Le gardien Ou-sien-cheng^ vieillard de
soizante-quetorze ans, y fut mis à mort. Ce fervent chré*
tien avait déjà, dans son propre pays, généreusement con-
fessé la foi. Originaire du Ho-nan, il avait quitté cette
province depuis quelques années^ pour se mettre au service
des missionnaires du Ngan-hoeL ^ Presque en même temps
-que Ou-slen-cheng, Pô houé-tsin, un des catéchistes du P.
Ouang, fut saisi sur la route par les hommes de Ho-kiu et
subit le même sort.
Nang-lang-tsen fut pillé le 15 juillet ; six familles eurent
leurs maisons dévaUsées, et les chrétiens se dispersèrent;
Le 16, les gens de Kaifong-tseu démolirent le kom-sou ; le
chrétien Tchan-kouang-tche et sa femme furent blesséa
mortellement. Dans la sous-préfecture de Kien-ping, la
plupart des routes étaient alors interceptées, et l'on arrêtait
toutes les personnes sur lesquelles on trouvait des médailles
. ou des chapelets.
60
' UàiiniUièr.dôHo-nan-jéii prirent les artnes^ei menacèrent
ée se révolter, ù lesimaadariDs cherchatent à régler les
affaires des ofaréUens. . Ho-kiu disait hautement: ^^ — Ma
Clause est claire, ma tète tombera ; mais, avant de mourir,
je brûlerai Chèué-tODg' et je tuerai te P. Seckisger. " De
NiDg-^ko-fou aux rires du Kiang, des hommes étaient postés
sur toutes les routes, pour saisir le Père, s-il essayait d'en-
trer dans le pays. Du 15 au 23 juillet, quarante églises,
résidences ou écoles furent brûlées ou démolies, et le
nombre connu des personnes tués s'élevait à huit.
Restait Ghoué4ong. C'était la résidence centrale des
missionnaires, le dépôt général du matériel de la section
de Ning-ko-fou. Le 24 juillet, Ghoué-tong fut rasé ; les
fondements des maisons, du collège et même du mur d'en-
elos disparurent complètement. Sacristie, chapelles, biblio-
thèque, lingerie, mobilier, tout fut pillé; et 2,500 piastres,
^ue le P. Chen-eul avait enfouies, furent découvertes et
volées. Un oreiller, garni de crins, fut déchiré; ce crin
provenait, disait-on, des queues coupées par les agents des.
missionnaires. Un enfant, mis à mort par un malfaiteur,.
avait étédéposé dans une de leurs chambres, et cbarun de
dire que cet enfant était une victime destinée à leur four-
nir des médecines et des sortilèges. Au coin du jardin se
trouvait le cercueil du P. Fémiani. Quelques bandits le
brisèrent, dépouillèrent de ses vêtements le cadavre encore
parfaitement conservé et lui tranchèrent la tête. Les restes
de ce vénéré Père furent en partie mangés par les chiens*^
Huit jours après cette hor/ible profanation, un domestique
ae glissa furtivement dans le jardin et recouvrit de' terre les
derniers ossements qui gisaient sur le sol.
. Après avoir démoli ou brûlé les -églises, les malfaiteurs
répandirent le bruit que les chrétiens du Ning-ko-fou
^talent entrés en pleine révolte. Ces calomnies furent
favorablement accueillies jusqu'à Nanking. Les perses
cuteurs se tournèrent alors contre les chrétiens qui re*
fuyaient d'accepter la pancarte du cben-jen-kjao, pillèrent
leurs maisons, enlevèrent leurs femmes et leurs filles pour
les vendre. Beaucoup de familles se retiraient dans les
montagnes ; quelques chrétiens^ à travers paille obstacles^.
61
parvenaient â gagner les rireB du Kiang et allaient à Ou
iiou demander asile an P. Le Cornée.
Cependant des négociations étaient entamées à Ngan-
king. Informé exactement de ce qui se passait au Ning*
ko-fou, le P. Seckinger eut, le 23 et le 24 juillet, des en-
trevues avec Cben-la-jen, président du tribunal des affaires
européennes. Le 26, un délégué nommé Ouang, parti de
Ngao-king, passait à Ou-hou et se rendait à Kien-ping,
pour prendre des informations sur le meurtre du P. Ouang
et sur l'incendie des églises. Uo deuxième délégué, Tcheou,
envoyé le 28 juillet à Ning-ko-fou, échoUa devant l'obsli-
Bation de Fang-tong-lin. Un troisième délégué, Fong-kin-
san, chargé de rechercher et de ramener à Ouhou les PP.
C!nen-eul, Bies et André, put seul s'acquitter de la mission
qui lui était conûée. Il a délivré le P. André, caché depuis
quinze jours sur la montagne de Nang-fou, dans le grenier
d'une cabane où la mort allait bientôt l'atteindre. Le P.
André est arrivé à Chang-hai la veille de l'Assomption
dans un état complet d'épuisemt^nL Le P. Chea-eul avait
déjà quitté le Niug-^ko-fou ; grâce à un dégaisement, il a pu
échapper à ses ennemis, et, après avoir couru de grands
dangers et souffert de rudes privations, était arrivé à Zi-ka-
weî, le 31 juillet. Le P. Bies est le seul missionnaire
actuellement retenu sur le théâtre de la persécution. Il se
trouve encore au tribunal de Kouang-té-tchéou où le man-
darin lui a donné asile le 27 juillet.
Une lettre du R. P. Le Cornée, écrite de Ou-hou, donne
une idée exacte de Taction des persécuteurs, de la conduite
des mandarins et de la situation des missionnaires et des
chrétiens au Ngan-hoei. Nous en citons les passages sui-
yants : •
Les belles promesses du vice-roi et du tao-tai ne se réa-
lisent pas ; on continue de tous côtés à vexer impunément
les chrétiens.
A Biu-tsen, à Ghoué-tong et ailleurs, ils errent en grand
nombre sur les montagnes, sans vêtements, sans nourriture,
ne pouvant môme pas revenir récolter le riz et se préparer
une faible ressource pour Tannée prochaine.
62
fl
Deux fois des délégués sont allés mesurer les ruines de
nos maisons et évaluer les pertes. Ils n'ont point reçu les
plaintes de nos chrétiens, n'ont pas adressé un mot de
blftme aux persécuteurs, et, après leur départ, les vexations
ont recommencé.
Dans la plupart des localités, ce sont les conseillers et les
maires qui forcent les chrétiens à apostasier, en affirmant
•que l'ordre de nous exterminer est venu des mandarins.
Le tao-tai, chargé par le gouverneur du Ngan-hoei de
pacifier le pays, n'a publié qu'une proclamation fort timide,
où il prie le peuple et les chrétiens de se tenir tranquilles,
mais où il n'a pas uq mot de blâme pour les faits accomplis.
Après avoir séjourné à Kien-ping sans aucun résultat,^!
s'est rendu à Ningko-foo ; là, il assiste impassible à l'a
gonie de nos chrétiens.
Les 1,500 soldats envoyés de Nan-king par le vice-roî
sont à la porte de Ning-ko-fou et construisent un rempart
en terre, au sommet d'une colline, pour y établir leur
camp. Ils n'ont pas saisi, depuis six jours, un seul des bri-
gands dont le pays est rempli, et qu'ils avaient, diton, offi-
•ciellement mission de combattre. Ils s'occupent fort peu
de ce qu'on fait contre les chrétiens ; et, jusqu'à présent, je
n'ai pas appris que le tao-tai, ni Ou ta-jen, général de ces
troupes, aient rendu justice à une seule famille chrétienne
pillée, ou aient protégé une seule famille menacée du pil-
lage.
Les mandarins locaux disent aux chrétiens qui leur pré-
sentent dps suppliques : " — Allez trouver vos Pères. " Le
fiuen-tchen-hien Ouang disait même à Tchen-tsien-kuo,
chrétien de Choué-tong: " — Pourquoi es-tu chrétien?'*
Et comme celui-ci répondait qu'il l'était déjà au Houpé, le
mandarin ajouta: " — Tu es donc un vieux chef de religion f
Tu n'en es que plus coupable." Le délégué Foiig, allant
chercher le P. André au Ningko-hien, demandait au man-
darin du lieu pourquoi il ne faisait pas arrêter les démo-
lisseurs de nos kom-sou et ceux qui nous poursuivaient.
'^ — Parce que telle est la consigne, répondit celui-ci.
^^ — Alors, pourquoi saisir Ou-kin4ao et Hia-fei pong, les
ravisseurs de la vierge Ghen?
63
** — Parce qu'ils sont venus eux-mômes se présentera
mon tribunal. "
Le P. fiies priait Ooen-han, mandarin de Kouang4e<
IchëoUy d'empêcher le pillage des maisons de nos chrétiens*
te — L'essentiel, répondit le mandarin, c'est de proléger la
Tille; les petites affaires s'arrangeront plus tard. " Et il ne
.fit rien. Il serait pourtant bien facile d'arrètei ces dé-
sordres dans la plus grande partie du Ning-kofou et du
Kouang-te tchéou. Qu'on saisisse quelques vauriens ; qu'on
les punisse selon les lois, et, avant huit jours, la paix sera
Tétablie.
Les mandarins tiennent beaucoup à ce que nous ne lé-
l#nrnions pas dans le paya. Aussitôt qu'on a su à Ngan-
king mon arrivée à Ou^hou, le foulai a fait promettre au
P. Seckinger que je n'irais pas à Ning-ko fou avant d'en
avoir reçu l'invitation du tao-tai^ On assurait en même
temps au P. Seckinger qu'il pourrait aller au Ning-ko-fou
quelques jours après le tao-tai. Or, celui-ci est parti depuis
près de vingt jours, et il n'y a encore eu, pour le P. Sec-
kinger, aucune invitation.
On laisse les partisans de Fang-tong-lin forger des armes
à leur gré. Kieu-sien-cheng a vu, au village de Ta-iuen
trois fournaux qui fonctionnaient contlauellement pour la
fabrication de coutelas et de fusils.
H6-kiu est parti dernièrement pour Nan-king avec le
sous-préfet Fang et une dizaine de gens de son par^i ; il va
plaider sa cause auprès du vice-roi. C'est Fang-tong-lin
qui lui a conseillé d'aller à Nanking plutôt qu'à Ngan-
king« Au commencement de cette année, Fang-ton-Iin a
lui-même fait trois ou quatre fois le voyage de Nan-king.
On a renfermé deux petites filles de l'école de Lo-tsen
dans le camp de Fang-tong-lin, et deux au tribunal du sous-
préfet. Les' autres sont toujours sous les verrous^ et l'on
veut leur arracher, par l'intimidation, des aveux qui pais-
sent justifier le massacre de Lo-tsen. Ho-kiu et les siens
ont amassé des caisses de queues coupées et d'hommes de
papier, pour les présenter aux mandarins comme un témoi-
gnage précieux contre nous. Puis on a remis et on remet
sncore aux mandarins, des mémoires calomnieux. Du der-
64
nier' «taire d6 yiiUgd ati tao^lai de Ning-ka-fou, tons lea
fonctionnaires agissent comme s'ils avaieiit ordre de ne
ri^ faire pour protéger les chrétiens- et de laisser tdut
faire pour les exterminer.
Le P. Chen-leaûg e^t encore à Ou-hou, vu l'impossibilité
de regagner son district et surtout d'y rester. Les
néophytes craindraient de se compromettre en recevant et
en cachant un Père, dont la retraite serait bien vite décou-
verte. D'un autre côlé, que faire pour nos chrétiens quand
les mandarins s'obstinent à les persécuter?
Si terrible que soit la persécution, nous espérons, cepen-
dant, rentrer dans nos chrétientés désolées. L'insuccès des
démarches d'Ho-kiu à Nan-king semble légitimer nos es-
pérances. Le 16 août, on lisait, à la porte du palais du
vice-roi, l'affiche suivante :
Moi, Chen, vice-roi des deux Kiang, je porte mon jugement sur le mé-
moire que toi, lîo-kiu, immigré dans la sous-préfeclure de Kien-ping,
m'as présenté.
Si les chrétiens de cette contrée se sont rendus coupables, tu aurais
dû les accuser devant les mandarins locaux, et laisser h ceuz^i le soin
de traiter ces affaires. De quel droit t'es-tu mis à la tête d'une bande
d'individus pour incendier une église, tuer deux hommes et brûler leurs
cadavres ? De plus, comme si ces crimes ne te suffisaient pas, tu es
sorti de ton pays avec ta bande, et tu as incendié les églises des sous-
préfectures de Hien-tchen et de Ning-ho. Ta as agi ainsi avec une
témérité audacieuse et an mépris de toutes les lois.
J'ordopne en conséquence que Ho-Kiu soit mis sons la garde du kiang-
ning-fou, et que le grand-juge et le tao-tai saisissent immédiatement les
autres accusateurs Ho-ta-tié, Ya-in-long et Hou-iun-tin, qu'ils recher-
chent la vérité, et qu'ils me remettent ensuite leur jugement, afin que la
sentence qu'ils porteront soit exécutée. Je remets à ces juges les mémoi-
res que Hu-Kiu, Yu-in-long et Hou-iun-tin m'ont présentés. Ces mémol«>
xes me seront rendus.
Je porte sur le mémoire de Yn-in-long, immigré dans la souB-prôiec-
iure de Kien-ping, le môme jugement que sur celui deH(t-Kiu.
Je porte sur le mémoire de Hou-iun-tin, immigré dans la sous-préfec-
ture de Kien-ping, le môme jugement que sur celui de Ho-Kiu.
Le 27 de la 6e lune.
Le R. P. Bies écrit de Kouang-te^tchéou, le 23 août 1876 :
Hier, le délégué Fong est arrivé ici pour me reconduire
à Chang-hai. Oe serait une bonne occasion de revoir nos
65
Pères, et je désirerais ea profiter ; néanmoins, dans les
circonstances actuelles, je crois ga'il n^ Xaut ; pas encore
^6der. J'ai donc refusé les offres du délégué ; lé mandarin
» mis tout en (BUyre poux se débarrës^r deinoi : nials^ si
je pars, on accablera encore tuos clrréitièns de Texations,« ^
nos dernières espérances seorent Montât anéanties.' Tant-
que je suis ici, le oouandarin a des précautions à prendre, et
il n'ose persécuter ouvert^ment, car, à diaqueinst^mt, jo
puis réclamer. Je veux donc répondre au mandarin que
je ne partirai pas, que j'ai peur d'être assassiné en route,
tant qu'on n'aura pas arrêté les mauvais maires et conseil-
lers.
Avant-hier, je me suis rendu jusqu'à notre maison ; dans
les rues, personne n'a murmuré un seal mot ; j'ai dit en*
suite an nandarin que, s'il craint pour moi, il peut me
faire accompagner dans mes sorties par deux soldats. Je
Toulais lui faire comprendre que je ne resterai pas ici com-
me prisonnier ; aussi n'a-t-on pas insisté pour empêcher
mes communications avec les chrétiens. Le même jour,
deux hommes à cheval sont entrés dans notre maison ; ils
se sont donnés pour des délégués du vice-roi, chargés de
prendre des informations ; ils ont proféré des malédictions,
-ont demanda qui nous avait vendu ce terrain, et combien
de diables d'Europe il y avait encore là. J'ai fait immé-
diatement avertir le mandarin d'arrêter ces individus ; il
n'en a rien fait, et ces hommes sont encore à l'auberRe*
Peut-être sont-ils envoyés par Fang-tong-Iin ou par Ho
Jdn.
LE PROTESTANTISME EN CHINE
Ia dernier rapport du Tieariat apostolique du Kiang-Dan,
imprimé i Chang-hai au mois de juillet 1876, contient
d'instructifs renseignements sur l'état des missions protes-
tantes en Chine, et en particulier dans la prorince du:
Kiang-nan. Nous les reproduisons.
I
' Il y a plus de soixante ans que les premiers ministres
protestants sont venus prêcher leurs doctrines au peuple
chinois. Ceux qui leur ont succédé ont établi des stations
évangéliques dans la plupart des provinces de Tempire ; et
le Kian-nan, grâce à ses ports nombreux, est %n champ
naturellement ouvert à leurs prédications.
Voici les noms des Sociétés protestantes qui envoient des
missionnaires en Chine, et les dates des premiers envois:
1 London missionary Society 1807
2 Netherlands missionary Society 1827
3 American Board of Commissioners for Fereign
Missions 1830
4 American baptist Board of Foreign Missions, ne w
slyled American baptist missionary Union.. 1834
. 5 Board of Foreign Missions of the protestant épis-
copal Cburch in Ihe United-States 1835
6 Church of England missionary Society 1837
7 Board of Foreign Missions of the presbyterian
Church in the United States) 1838
8 General Baptist Missionary (England) 184&
9 Evangelical missionary Society in Base! 1847
10 Rhenish missionary Society 1847
11 Board of Foreign Missions of the Southern bap-
tist Convention in the United States 1847
12 Seventh day baptist missionary Society (Uaited-
States 1847
13 American methodist episcopal missionary So-
ciety 1847
67
14 Poreign Mission Board of the presbylerian
Church in England 1847
15 MissioDary Society of the methodist episcopal
Church in the Southern States of America.. 1848
16 Hissionary Society at Lund, in Sweden 1849
17 Cassel missionary Society.. ..;; 1850
18 Berlin missionary Society.. 1851
19 Wesleyan missionary Society (England) 1852
20 Chinese evangelizalion Society (England) 1853
21 Netherlands chinese evangelization Society 1855
22 Board of Foreign Missions of the Dutch reformed
Church in the United States 1858
23 Mission Union for ihe evangelization of China
in Pomerania 1868
24 English baptist Missionary Society 1860
25 New connection methodist missionary Society
in England.^ ^ .^ 1860
26 French protestant missionary Society at Paris... 1860
27 American United presbyterian Mission 1860
28 Chinese Inland evangelization Society 1862
29 Society for the propagation of the Gospel in
Iroreign Parts 1862
30 United methodist free Church missionary So-
ciety in England 1864
31 Missionary Board of the United presbyterian
Church of Scotland , 1865
De ces 31 Sociétés, 11 appartiennent aux Etats-Unis; 11
à l'Angleterre ; 4 à l'Allemagne ; 2 aux Pays-Bas : 1 à la
Suisse ; 1 à la Suède, et 1 à la France.
Devx autres Sociétés dites The National Bible Society of
Scotland et The Womari's Union Mission ont également des
agents en Chine.
De 1807 à 1867, 338 missionnaires européens ou améri-
cains ont été envoyés'en Chine par les 31 Sociétés ci-dessus
toeniionnées.
Le nombre des prédicants indigènes pendant ces soixante
années ne nous est qu'Imparfaitement connu ; toutefois,' la
jtatistique suivante, publiée par le ministre Miles Justus
68
KnowltOB, membre de VAmericaTh bapUst Missionary Union,
nous donne des chiffres qu'il est utile de faire connaître.
1853 1863 1864 1868
8«' Stations (dans les ports et à
l'intérieur du pays) 26 108 130 306
Prédicateurs indigènes • 59 141 107 365
Chrétiens indigènes 351 1,974 2,607 5,743
Cette année même, le ministre Joh» W. Davis a publié
une statistique du nombre des missionnaires protestant»
en Chine en 1875, statistique que le Chinese Recorder and
missionary Journal a imprimée dans son cinquième volume.
Nous la reproduisons ici :
Stations principales. , 41
Missionnaires ordonnés 189
— médecins • 10
— chargés des presses 3
— laïcs • 24
Femmes..,. 210
Hommes 226
436
Cette dernière statistique laisse dans l'oubli deux chiffre»
qu'il serait important de connaître. On se demande^ en
efflst, quel est actuellement le nombre des chrétiens protes-
tants indigènes et celui des prédicants américains, euro*
péens et chinois.
II
Nous n'avons point à parler ici de l'action du protestan-
tisme dans les diverses contrées de la Chine ; nous nous
bornerons à signaler son apparition au Kiang-nan, à faire
connaître ses travaux et les résultats qu'il a obtenus.
- Le traité de Nan-king, conclu le 20 août 1842 entre l'Aa*
.gieterre et le gouvernement chinois, mit fin à la guerre de
Topium et ouvrit au commerce européen quatre nouveaux
ports, parmi lesquels on comptait celui de Chang hai. L'aor*
née suivante, au mois de décembre, le Rév. Walter-Henry
Medburst et M. Lockhart abordaient dans cette ville, en
même temps que le consul de Sa Majesté Britannique ; il&
69
appartenaient tous deux à la. Société de la Mission de Lon-
dres. Depuis leur-arrivée jusqu'au départ de U. Medhurst
pour l'Angleterre, le 10 septembre 1856, dix autresSociétés
ehoisirent Ghang hai pour lé centre de leurs opérations
éyangéliques, et y envoyèrent 67 missionilaires.
Les prédications dans les temples ou autres bâtiments
loués pour cette fin, la distribution de la Bible et de traités
religieux, la formation d'écoles pour Téducation des enfants,
étaient alors et sont encore aujourd'hui les moyens em-
ployés par les ministres pour la propagation du protestan-
tisme.
En 1843, avant l'arrivée des membres de la Mission de
Londres, la révision des traductions chinoises de l'Ancien
et du Nouveau-Testament fut résolue dans une conférence
tenue à Hong-kong ; et une commission de cinq délégués,
nommés par les ministres des différentes stations, fut char-
gée de ce travail. Les délégués tinrent leur première ses-
sion à Chang-hai, pendant l'été de 1847 sous la présidence
du Rév. W. — .Medhurst ; et, à la fin de juillet 1850, la révi-
sion du Nouveau-Testament était achevée ; celle de l'Ancien^
Testament, fut terminée au printemps de 1853.
Cette même année, les églises d'Angleterre offrirent un
million de Bibles à la nation chinoise. Les presses de
Cbang-hdi, surtout celles de la Société biblique, furent
constamment occupées, durant trois ans, à les imprimer.
Un nouveau système de colportage fut bientôt organisé :
Bibles et traités se répandirent plus rapidement et plus au
loin.
' Chang-hai compte un personnel de 26 membres ainsi
répartis :
Missionnaires ordonnés •• 10
Directeurs d'imprimerie 1
Missionnaires laïcs •••••••• 4
Femmes Il
Total • 25
Depuis le 23 mai 1875, Chang-hai est devenu siège épis-
cepal^ et le Rév. William Ârmstrong Russel, évéque du
Nord de la Chine, a élevé le temple de la Trinité au rang
70
de cathédrale. Ce temple appartient au gouvernement et
à la «dmmurïauté anglaise de Chang-hai.
Un autre temple, connu sous le nom à,' Union Chapelj ti
été élevé aux frais de la mission de Londres. L' American
Mission of th4 protestant ^iscopai Church U. S. A. en possède
un, au ({uartier américain de Hong-ken, sous le titre de
^'Church of our Savions.
Le dimanche 13 septembre 1874,1e ministre Lambuth,
de la Missionnary Society of the Methodist Episcopale Church
in the Southern States America^ a ouvert sur la concessioa
française un temple où 120 personnes peuvent aisément
trouver place, dit le rédacteur du Chinese Recorder.
Dans Tenceinte de la ville murée, le protestantisme a
élevé sept ou huit temples ; mais tout document nous fait
ici défaut, et nous ne saurions dire à quelle secte ils appar-
tiennent
En dehors de la porte de TOuest, sur le bord de la route
française qui conduit à Zi-ka-wei, se trouve la Soulh-Gate
Chapel ; elle relève du Board of Forengn Missiom of the
Presbyterian Church in the United States,
Les protestants possèdent actuellement à Chang-hai deux
écoles primaires et deux hôpitaux.
Jusqu'ici, ils n'ont point adopté le journalisme quotidien
comme moyen de propagande. Cependant V American Pres-
byterian Mission publie en chinois une revue hebdomadaire
intitulée Oyun-ko-kong-pao (nouvelles générales des dix mille
royaumes),, avec ce sous-titre : Chinese Globe Magazine
devoted to the extension ofknowledge relating to the geogrophy^*
history^ civilisation^ politic^ religion^ science^ art^ industry,
and gênerai progress of Western countries. Les questions re-
ligieuses y occupaient autrefois une plus large place qu'au-
jourd'hui.
Outre cette revue, il en existe une aulre, qui parait tous
les deux mois^ en anglais, sous le titre de The Chinese Re*
corder and Missionnary Journal. Les travaux d'histoire et
de linguistique, les recherches bibliques, les récits de
voyage, une chronique religieuse, un compte-rendu de pu-
blications nouvelle» en forment la matière la plus ordinai-
re ; et ses rédacteurs, comme ceux du Ouan-ko-kong-paùj
.n'ont point pour but de combattre le catholicisme.
71
Telles sont les œuvres des ministres protestants à Ghang-
liai.
Section db Sou-tchéou.— L'immcan Presbyterian Church
North et VÀfneriean Preskyterian Church South entretienne
chacune deux ministres à Sou4ckéou ; V American Southern
MethodUt Church et la London Mission y sont représentées
par des prédicants indigènes.
Kouen-së possède une station et un prédicant chinois.
SscTiON DE SoNG-KUNG. — On ne rencontre dans cette sec-
tion ancun ministre américain ou européen ; toutefois le
Îrotestantisme y a établi quatre stations à Song-kiang,
Ta-zang, à Kang-wè et à Néziang ; chacune d'elles a son
prédicant. Celle de Né-zianç a été inaugurée, le 16 mai
1876, par le ministre Lambuth.
Sections de né-wei et de Hai-mbn. — Le protestantisme
n'a pas de stations dans ces deux sections.
Section de Nan-king. — ^Une résidence habitée par un
ministre européen a été fondée dans celte ville par la China
Island Mission. De plus, VAmerican Presbyterian Church,
dans son assemblée annuelle, tenue à Ning-po au mois de
janvier 1876^ a permis aux ministres Whiting et Leaman d'y
établir une nouvelle station. Le 1er septembre suivant, le
Rév. Leaman y a loué une maison, où; un mois plus tard,
son confère est venu le rejoindre.
La China Inland Mission a établi depuis longtemps une
station à Yang-tchéou et la confie actuellement à la garde-
d'un prédicant indigène. C'est à elle aussi qu'appartien-
nent les deux maisons de Tchen-kiaog. Dans Tune^le
ministre Mac-Carthy dirige des écoles ; l'autre est babitée
par un Chinois, Tai-tchéou et Tsia-kiang ont deux prédi-
cants.
Ning-ko-fou et Tai-piog-fou ont chacune un prédicant
qui relève de la China Inlànd Mission.
Ou-hou, Ta-tong, Ngan-king, Tsin-yang et Tché-tchéou
sont autant de postes occupés par la même Société. Ngan-
king a deux ministres européens ; dans les autres villes, on
ne rencontre que des prédicants indigènes.
Les ministres de cette Société, dirigée par M. Taylor, ont
revêtu le costume chinois, comme les missionnaires ca-
tholiques.
Tels sont les renseignenients, bien incomplets sans doute,
que nous pouvons donner sur l'état actuel du protestantisme
dans le vicariat du Kiang-nan. Les statistiques ne donnent
pas le chiffre des Chinois convertis ; cependant nous avons
de sérieuses raisons de croire qu'ils ne sont pas nombreux.
• ' ' . • ' If'"
. - .'1/ - .. ■ •;.' f .. ■ . <■■. , -, k- • '
AU VATICAN. * •'■ '
' I 4 < . •, . • .
* *< * ,1 *
Datant les fÔlès de N<Jël, le Valicâii rappellait là Grècheïe
•Bethléem ; de toutes parts, ïes chrêtljBns fiidfeles y. venaient
rendre hommage à celui qui est le Vicaire de rÈnfantrDieu
sur I^ terre. : les pripces de TEglise et les princes de la
terre; les représentants des nations^ les grands et les petits,
les riches elles pauvres, tontes les condifWns et tous les
âges se rendaient auprès du Saint Père ; ils lui exprimaient
leur déivouement, ils en recevaient les conseils les plus
appropriés aux difficultés des circonçtances. C'est un spec-
tacle qiii ne frappe plus, parce qu'il devient ordinaire ; mais
nous demandons à quelle majesté déchue sont rendus des
hommages aussi universels, nous demandons quel est le
souverain dépossédé, quel est même le souverain, au milieu
de Téclat des victoires et de la puissance, qui est l'objet
d'un pareil concours, de tant de sacrifices, d'une si inébran
lable fidélité. L'Eglise catholique seule offre cet étonnant
spectacle : ce n'est certes pas un signe de décrépitude et de
mort, c'est un puissant motif d^'espérance. Ce n'est pas la
défaite, c'est l'épreuve, et l'on sait que c'est après les plms
cruelles épreuves que l'Eglise brille d'an plus vif é«lat et
remporte les plus glorieux triomphes : Merses profundoj
pylchrior evenît.
Le 6 Janvier, jour de l'Epiphanie, le pèlerinage italien a
été reçu en audience solennelle par le Saint-Père. Nous
donnons ci-après le texte de l'Adresse à Pie IX par M. le
commandeur Aquaderni et la réponse du Pape
Voici l'Adresse:
" Très-Saint Père,
^' Au commencement de la nouvelle année, nous voici
réunis autour de vous, comme des ûls aimants et dévoués
Îui se serrent autour de leur Père adoré et dans les jours
e joie et dans les, jours de tribulation.
^* £n effet, tandis que nous sommes heureux de vous
contempler ici présent, nous sentons notre cœur profondé-
ment blessé en songeant aux liens qai vous enchaînent et
^avec vous l'Eglise de Jésus Christ^ et en considérant, pour
• comble de tristesse et d'humiliation, que ces chaînes vous
78
fucent imposée? p^r led ^naiossaorilégea de fib égar^ de^
noire palne. •
^^ C'est pourquoi lea îïéMx diviaQ s'appefiaotissetH tem'
blejgiieAt sur la jxuklbeureuae Italie et la qoAîa; de rEtecqel
ne su^peadra pas Ia vigueur de sa justice^ puisque, hélas r
l'esprit impie (le.laRév(>lu.ii<HiBieQacerEgli«eâeiioa?eUe3*
persécuticoa et de nouvelles calamités, i
'< Non-seulement l'Italie, mais TfÎQDepe et Je monde
entier, sont en prMe à rieqaiet prea8eati<9ent de terribles
et inéTilables catastrophes. De toutes^ parts on demande la
lumière, et les ténèbres .s'épaisaiâseet plus obscures et
pus sinistres; on demande Tordre, et la négation de
toute autorité se. lance avec plus, .dr'aufiace pour. é>raa^r'
et démolir 1^ beses sociales : on veut JiaciirvilisatioQy et on
la dénature et englpn^t sous Tonde furieuse de^ exigences
païennes de ce siècle corrompjuet impie. .
'^ Que reste-il dono dé9ormais à rhumanité,,s4Uon d'im-
plorer de Dieu les miséricordes qu'il.ap^omiçes^uxftrdeas-
tçe supplications des cœurs coatrita etb^umiUés ? Que^lui
reste-t-il^ sinon d'implorer du Réidemptear éternelle qu'il
ait pitié de nous et de notre patrie, qu'il, vienne au becour-
de la barque de Pierre battue par les' plus furieuses tempê-
tes, et qu'avec sa toute-puissance il mejLte iin au désorae,
aux injustices, aux persécutions, aux luttes fratricides qui
troublent et idéehirent.la société ?
^^ Voiià pourquoi qous avons prisleb3Virdon despèlerins
et nous somme& accourus à 1^ ton;be. des. saints Apôtres ;
et maintenant nous nous réunissons au pied du trône de
Pierre vivant en vou^, Très-Saint Père, en voys, Vicaire
de ce Verbe divin, qui est l'auteur et le cpos^rvateur pro-
videntiel du genre humain.
^^ Sur la to^ibe dç saint Pierre, nous avons imploré de
Dieu la liberté et Ja paix de l'Eglise catholique, l'ordre et
la paix dans notre/ patrie et dans le monde tOMt entier. Et
ici, à. vos pieds, 1res Saint Père, nous sotncnes venus ren-
dre un nouveau témoignage à votre suprôme autorisé, à
Tautoritô du Pontife et du Père universel; vous rendre à
TOUS et par vous un nouvel hommage de soumission,, aux
droits de Dieu, confiant ainsi qu'il daignera enfiu exa^icer
nos voeux ardents et faire reÛeurir sur la içrre le règne
uni verst^l de Jésus-Christ dans la plénitude de ses miséri'*,
cordes.
Très-3aint Père, daigne* :unir vo|ç painles prières .à nos-
snpp icaUunç, daignez nous.adrçsj^er votr-e parole de vérité
et./ie.viej Accot;de& à: là catt^oU€[ue:It,aliri une nouvelle
bénédictiQU qui tombe sur les..çour£kgeux afl,i)jqu ils persér
vëreat; sur les tremblants afiA.^'U'il^, se Xçrjiûent et ne;
74"
-càdent point aa découragement qui finit par s'emparer
^'eux; sur les abattus, afin qu'ils recommencent à espérer
et à oômbaUre en suivant fidèlement cette voie que, comme
vous avez toujours^ fait, vous daignerei traeer encore à vos
enfants dans les présentes âétt*ess6s, pour que tous dans la
concorde, Tunion et la persévérance^ nous puissions opérer
quelque bien pour la très^sainte cause derEglise et pour
le salut de notre patrie."
Le Pape, oui avait écouté cette lecture avec attention, en
approuvant les pensées du geste et du regard, s*est levé et a
répondu par cette improvisation :
^^ Je m'associe pleinement à tout ce qu'a dit le président
nie eette assemblée qui m'est si chère. Mes paroles seront
un écho des siennes; mais elles auront ceci de plus que
le sceau du Vicaire de Jésus-Christ leur donnera le dou-
ble avantage de vous tenir sans cesse éloignés du dange-
reux sentier de notre siècle et d'ouvrir davantage vos cœurs
il la confiance en Dieu.
<' Hélas 1 il est bien vrai : l'Italie se trouve réduite en
l'état où elle vient d'être dépeinte. Les événements rapides
qui, dans ces derniers temps, se sont succédé dans la
Péninsule ont produit l'union des Etats qui, séparés autre-
fois, n'en formaient pas moins cette belle partie de l'Eu-
rope.
*'*' Oui, ces Etats sont unis à cette heure politiquement;
mais ils étaient unis déjà, et le lien qui faisait un tout de.
l'Italie était le doux lien de la foi et de la religion de Jésus-
<3irist.
^' On a eu la pensée (pensée horrible et scélérate) de bri-
Hser ce doux lien, et on a enserré l'Italie dans les lacets
-d'une politique ténébreuse.
^^ Le lien sacré qui unissait alors l'Italie était fortifié
par le riche patrimoine de l'Eglise, qui partout encoura-
:geait les arts, alimentait les pauvres, pourvoyait à lA dignité
du culte, à la difi'usion de la fei, au soutien de l'éduca-
tion chrétienne.
^^ Aujourd'hui, le clergé étant appauvri, les moines bien-
faisants chassés de leurs monastères, les pauvres frappent
-vainement aux portes : ils ne trouvent plus les pieux nien-
faiteurs qui leur donnaient du pain s'ils avaient faim, des
vêtements s'ils étaient nus. Au contraire, ils entendent
des voix qui leur répondent avec les paroles déjà condam-
nées par l'apôtre samt Jacques: CaUfacimini et saturaminù
^^ Or, l'union présente a-t-elle développé le commerce T
Il est certain qu'au temps où les Etats de la péninsule
étaient unis par le lien de la foi, le commerce n'était pas
plongé dans le marasme qui excite à cette heure notre corn*
passion, à cause des désastres qu'il a subis. *
75
^* Je n'entre pas dans les détails: vous vivez au milieu
du monde, vous le connaissez ; seulement j'ajoute qu'à
Borne les commerçants viennent me dire qu'ils manquent
de pain.
^^ Peut-être les propriétaires * ont-ils gagné au chan-
Sement? Ahl interrogez-les I Dans Tancienne union, ceux
u second ordre, et même les plus petits, se suffisaient.
Ont-ils cru que les nouveaux maitres réaliseraient la pro-
messe de diminuer les impôts? Ces impots se sont accrus
au point qu'on ne peut plus les payer et que les proprié-
taires, en majorité, voient leurs patrimomes saisis en tout
ou en partie par le fisc : fléau que déplorent publiquement
en d'âpres discours certains individus appartenant au soi-
disant Corps législatif.
" De telle sorte que les malheureux propriétaires, dé-
pouillés de leur ancienne fortune, se trouvent dans rim-
{>ossibilité de placer leurs fils et d'entretenir honnêtement
eur famille.
" Je ne poursuis pas Ténumération de ces maux, il y en
aurait beaucoup à joindre à ceux que j'indique. Je dis
simplement que les clameurs des peuples souffrants s'é-
lèvent de toute part, que les gens de bien gémissent sur la
situation, en constatant l'impossibilité de marcher plus
longtemps dans ce malheureux che/nin.
*^ Quelles remarques fait-on hors de l'Ilalie? Ceux qui la
gouvernent ne les ignorent pas. Quant à nous, qui avons
sous les yeux ce lugubre spectacle, avertissons-les qu'ils
aient à retirer leurs pas de la pente qui descend à Pabime.
^' Et cela fait, tournons-nous vers Dieu et prions-le de
soulager nos malheurs d'un regard de sa miséricorde, et
d'arrêter le châtiment que nos fautes ont mérité.
^^ Nous devons en même temps, au commencement de
celte année, ouvrir notre cœur à la confiance, avec l'espoir
que cette confiance ne sera pas trompée.
" Sans doute les apparences sont contraires, mais il faut
se garder de prendre les apparences pour des faits accom-
plis.
^^ Hélas ! quelques hommes (se disant catholiques) vou-
draient que l'Eglise se rapprochât de l'Etat et regardât
comme déCnitive et irrévocable la juridiction usurpée de la
souveraineté temporelle.
" Quant à moi, je me souviens de mes serments, et avec
l'aide dn Dieu, je les remplirai sans prêter l'oreille à cer-
tains argumf'Uts suggérés par la fantaisie et par l'orgueil à
des têtes exaltées.
'' Je respecte ces serments faits à Dieu, et je «conseille à
tous ceux qui veulent prêter serment d'accomplir certaines-
76
lois en partie contraires à Dieu, de s^abstenir d'uA acte qai,
étant ainsi seul et isolé, est blâmable.
" Pour vous, mes très chers, n'ayez point de rapporlg
avec les esprits qui cèdent à la fantaisie, à Porgueu, et
non à la réflexion. Mais, unis et compactes, continuez de
combattre, par tous les^moyens légaux, afin de repousser
sans cesse les attaques contre l'Eglise et contre la société.
'' Que si un enfant sans défense, là, dans la grotte de
Bethléem, gémissant et pleurant, un enfant privé de toute
marque de grandeur et de force, a pu frapper d'épouvante
Hérode, jeter le trouble à la cour, et agiter la ville entière
de Jérusalem, pourquoi n'aurions-nous pas confiance en
Lui ? Bien qu'Enfant, Dieu n'est-il pas toujours le Tout-
Puissant, ne peut-il pas lever son bras, secourir l'Eglise et
disperser ses ennemis ?
'' Ah 1 oui, supplions cet enfant de nous donner un nou-
veau témoignage de sa puissance, et, en attendant, de lever
son bras aimant pour nous bénir et pour rejeter les enne-
mis de son Eglise- Supplions sa souveraine bonté d'être
toujours notre confort et notre refuge. Supplions-le de nous
mettre au cœur la promptitude et la fidélité à le suivre,
afin que, comme nous avons la croix sur la poitrine nous
la portions aussi dans le cœur.
" Et maintenant je vous bénis dans vos personnes, dans
vos familles, dans tous vos biens, à seule fin que régnent
parmi vous la paix, la concorde, l'union, le seul désir de
vous consacrer absolument au service de Dieu^ et chacun,
en ce qui le concerne, au remède des maux qui affligent là
société.
'' Partez donc de Rome bénis de Dieu, bénis de son
vicaire, bénis dans le temps et à l'heure de la mort, pour
-^que vous soyez dignes de le bénir éternellement."
Bcnedictio Deù
BEAUX EXEMPLES.
I
I Nous lisons dans la, iSemaine religieuse d^ Angers, le récit
suivant publié par M. Tabbé Sécher :
*' Il y a quelques semaines, je venais d'entrer aa secré-
tariat de révôché, à une heure où je n'y vais que très-rare-
ment^ lorsque la Providence y conduisit un étranger qui
avait précisément besoin de me parler. Sou aspect tout
d'abord me frappa. II tenait à la main un gros bâton de
houx tout poudreux ; à sçs épaules était suspendu un sac
grossier ; il avait une barbe inculte et une mise plus que
négligée ; sans Tair de modeste assurance qtie je remar-
quais en lui, je n'aurais pu hésiter un seul instant à croire
que j'avais devant moi un mendiant. Incertain sur le but
de sa visite, je ne savais quelles paroles lui adresser. Il
s'aperçut sans doute de mon embarras, et se hâta de me
dire qu'il ne venait pas me demander l'aumône, mais qu'il
espérait que je voudrais bien cependant lui rendre un ser-
vice. L'ayant invité à s'expliquer, il le fit en des termes que
je vais m'efforcer de reproduire le plus fidèlement possible
" — Ce n'est pas ici le lieu, me dit-il, de vous raconter en
détail ma longue et triste histoire ; mais vous auriez peine
à comprendre le motif qui m'amène, si je ne soulevais un
peu le voile qui cache mon passé. Ma vie n'a été qu'une
longue suite d'épreuves. Je n'ai pas le droit de m'en
plaindre, car, hélas ! je suis un grand pécheur, et je n'ai
que trop mérité les tribulations que j'ai partout rencontrées
sur ma route. Pour vous donner une idée du mal que j'ai
fait, songez que, jusqu'à dix-sept ans, je n'avais entendu
parler de Dieu que pour le blasphémer, et je n'en parlais
r moi-même que pour le maudire. Mes pauvres parents
étaient trop peu religieux pour avoir le moindre souci de
mon ftme ; j'avais i peine dix ans, qu'ils me jettèrent dans
une maBufacture où régnaient tous les vices. Je fus
bientôt dépravé et je devins corrupteur à mon tour, com-.
muniquant à d'autres la contagion dont j'étais atteint, et
tommettanl le crime sans aucun remords. A dix-sept ans,
j'eus le bonheur de rencontrer un prêtre charitable, à qui
78
je découvris l'état de mon âme ; il en eut pitié, m'instruisit
et me fit faire ma première communion. C'est de là que
date ma conversion. A cette époque également, Dieu vou-
lant sans doute oie fortifier d'avance contre une tentation
terrible qui allait commencer pour moi et qui dure encore,
m'inspira la pensée d'accepter d'avance toutesiessovffrao-
ces de cette vie en expiation de mes fautes. Ce fut là mon
salut. Sans cette lumière, je ne sais si parfois je n'aurais
pas succombé sous le poids de mes infortunes. Je n'ai pas
eu un moment de répit : partout des revers, partout des
déceptions, aucun projet ne m'a réussi, toutes mes entre-
prises ont échoué. La main vengeresse de Dieu me pou^
suit sans relâche et me frappe en tout lieu. Sans parents,
sans amis, sans position, je cnerche partout un lieu de repos
et ne le trouve nulle part. Et cependant, je dois le recon-
naître, au milieu de tant d'adversités, le boa Dieu ne m'a
jamais complètement abandonné ; même quand il me châ-
tiait le plus rudement, il m'a toujours procuré le moyen
de gagner, par le travail, le pain de chaque jour et les vête-
ments nécessaires. Il a fait plus, il a permis que je pusse
prélever sur mes gages quelque argent, et c'est cet argent
que je viens vous prier d'accepter pour le faire passer à nos
missionnaires. Âh I ils s'imposent bien plus ae sacrifices
pour gagner les âmes à Jésus-Christ que ne m'en oot coûté
ces économies. Et pourtant, je dois le dire, ces épargnes
sont le fruit de dures et longues privations ; je m'en trouve
bien dédommagé par la joie que je ressens de contribuer à
cette sainte œuvre."
<< En achevant ces derniers mots, prononcés avec une
émotion qui avait gagné les témoins de cette scèae, l'étran-
ger tira de sa poche un mouchoir, le développa et y pritua
vieux chiffon de papier qui contenait la somme de 247
f r. 20 c.
** A cette vue, mille pensées traversèrent mon esprit.
Mais, partagé entre l'étonnement, l'admiration et le respect
pour ce pauvre inconnu, j'étais dans l'impuissance de lui
faire aucune question ; je me bornai à lui demander s'il
ne gardait point quelque argent pour lui-môme.
*' — Oh 1 me répondit-il. j'ai si peu de besoins que le peu
qui ipe reste suffira amplement a les satisfaire, et je tiens
si peu à toutes les richesses de la terre que si la Providence
me donnait plein d'or cet appartement, je ne serais pas
tenté un seul instant, avec la grâce de Dieu, d'en réserver
là moindre partie pour moi-môme. Puis, je compte bien
sur la Providence pour trouver une occupation qui me
permette, comme par le passé, de gagner ma vie. Moa
métier est celui de berger. Pendant de longues annéeà, je*
79
l'ai exercé aux eavirone de Lyon, mon paya natal ; depnis
quelque temps je n'y trouvais plus d'emploi ; voilà pour*
quoi j'ai quitté mon pays ; et en ce moment, je me rends à
pied en Bretagne ou j'espère trouver un bon maître qui
Toudra bien me confier la garde de son troupeau. Priez
Dieu de me faire la grâce de rencontrer sur ma route
qiielqn'une de ces religieuses familles^ que l'on dit encore
SI nombreuses dans ce pays, auprès de laquelle je puisse
tranquillement terminer ma vie. '^
^^ Avant de s'éloigner, il me dit :
^' — Nul n'a besoin de savoir mon nom ; l'acte que je
Tiens de faire n'est d'ailleurs que l'accomplissement d'un
devoir^ un moyen de racheter mes péchés. Mais si, par la
publicité donnée à l'aumône d'un piuvre comme moi, vous
K usiez intéresser quelques uns des riches de cette ville à
Euvre de la Propagation de la Foi, je ne veux pas m'op-
poser à ce qui vous semblera propre à accroître les res^
sources de cette Œuvre. "
Dans un des derniers numéros de V Aquitaine^ journal de
Bordeaux, M. l'abbé Castaing raconte le trait suivant, tout
aussi édifiant et tout aussi propre à stimuler le zèle des
associés de l'Œuvre de la Propagation de la Foi :
^< J'entendis frapper à ma porte. J'ouvris.
<< C'était une vieille domestique qui m'apportait le mon-
tant de sa souscription à l'Œuvre de la Propagation de la
Fol
^^ J'admirai Theureuse physionomie de la pauvre femme,
son visage modeste dont, la vieillesse n'avait pas encore
altéré les traits, son regard calme et doux qui exprimait
une «graBde joie intérieure ; j'admirai même son costume
pauvre, usé, à peu près correct toutefois, mais dont la com-
position un peu extraordinaire attestait que, depuis long-
temps, elle s'était élevée fort au-dessus des préjugés de la
mode.
" — Voilà, M. l'abbé, me dit-elle, tout ce que j'ai pu re-
cueillir."
^^ Je dépliai le papier qu'elle venait de déposer sur mon
])nreau. Ce papier contenait 35 francs ; s'était plus que la
cotisation de dix personnes. Je la félicitai.
^^ Et comme j'iascrivais sur le registre de l'Œuvre le nom
do la bonne femme et la somme versée par elle, je remar-
quai que, l'année dernière, à la même date, elle m'avait
apporté 36 francs.
*^ — ^Nos actions ont baissé, lui dis-je en souriant ; vous
me donnez un franc de moins que ra.n dernier.
80
'<— 4]')e6t Trai, M. Tabbé, cela Tient de ce auè j'ai péidul
OQito année plusieurs de mes amies^ et, malgré todsïnes
efforts^ je n'ai pu recueillir davantage* Mais -cette petite
perte sera compensée avantageusement, je crois, pfir Hin^
offrande particulière que je suis chargée de vous remettre."^
Et elle me. tendit on pli cacheté.
*'< — D*oii celavient-ilr demandais-je.
^' — Je ne puis vous répondre, M* l^abbé. N'iïisisteK pas-i
on exige le plus profond secret."
Je décachetai le pli lentement, en me demandant quelle
pouvait être la raison de ce mystère. Je trouvai, sous Ten-
veloppe, éOO francs en billets de banque.
^' — Ma bonne, dis-je alors à la zélatrice, je ne puis ao
cepter une pareille somme sans savoir d'où elle provient»
iia personne qui vous a confié ce secret peut bien le confier
à un prôlre.
«t — Non, cVst impossible*
" — En ce cas, je suis obligé de refuser l'argent que vous
m'apportez."
La tristesse couvrit subitement comme un voile le vi-
sage de la pauvre femme ; elle leva vers moi des yeux
suppliants.
" — Je vous en conjure, M. l'abbé, acceptez.
" — Vous jouez bien mal votre rôle, ma pauvre fille,
m'écriai je. C'est .donc bieu vous qui donnez ces 400
francs ?"
Elle hésita un instant: il fallait mentir ou avouer sa
bonne action. Or,' évidemment, cette femme n'avait jamais
menti, et elle teïiait à son secret. Elle baissa les yeux et
ne répondit rien. .
'< — Ne craignez pas, repris-je. Je garderai fidèlement
votre secret. Mais, dites-moi, pouvez-vous faire un tel
sacrifice ? Cet argent ne vous fera-t-il jamais défaut? "
Elle me dit alors ses petits secrets. Malgré sa jeunesse^
de cœur et sa naïve franchise, elle comptait soixanté^dix*
huit ans. Dépuis l'âge de quatorze ans, elle était dome&*
tique. Aujourd'hui l'heure du repos a sonné. Elle s'est
" retirée." Mais elle loge à un quatrième étage pour pou?*
voir donner aux missionnaires les petites rentes qu'elle a
gagnées à ia sueur de son front.
...J'accompagnai respectueusement la bonne femme, qui
ma dit encore en me quittant :
''—Vous garderez roon secret, n'est-ce pas, M. l'abbôï
" — Oui, certainemedt.
" — Et vous prierejï pour moi? Je vais paraître bientôt
devant le bon Dieu ; pilez pour que je n^ ariive pas les
mains vides de mérites."
I
k5
A.3srisrjft.XjBs
FOUB !•▲ PBOVINCB DB QUEBEC
DEUXIÈME NUMÉRO, JUIN 1877.
^ o:L^i^.â.x:Ee^s:.
PA6B8.
LB R. P. REBOUL, O. M. I 83
ST. GBORGBS. TERRBNEUVE 91
NORD-OUJBST - *^3
MISSION DES SBPT-CKANS 109
ABUAUAM WIKASKOKISÉYIN 115
MISSION DE STB. CROIX DE TAD0U8SAC 120
NOUVEAU-BRUNSWICK .., 129
CHINE - *^*
PROCESSION DU SAINT-SACRBMENT AU MILIEU DES
MUSULMANS - ^^'^
DES
MONTBEAJL j
A VAPEUR DE J, A PLINflUBT,
39, RUE ST. JEAN-BAPTUTK.
1877*
l^
?/<■
ANNALES
DB LA
PROPAGATION DE LA FOI
POUR LA PROVINCE DE QUEBEC
JUIN 1877.
DEUXIÈME NUMÉRO.
DES PRESSES A VAPEUR DE J. A. PLÏNGUEIV
39, nUE ST. JEAX-IÎA.PTISTE.
1877
Permis d'imprimer,
-)- Edouard Gh. Ev. de MoûtréaL
LE R. P. REBOUL 0. M. I.
Le Révérend Père Reboul, 0. M. L, est mort ; ea lui le
Canada a perdu un apôtre, la Congrégation des Oblats de
Harie Immaculée une de ses gloires, les voyageurs des chan-
tiers leur meilleur ami, leur dévoué missionnaire depuis
Tingt-cinq ans.
Le R. P. Reboul ne fut pas un honune ordinaire ; son
àme ardente, son cœur d'apôtre servis par une belle intel-
ligence avaient fait de lui plus qu'un bon prêtre et qu'un
bon missionnaire : c'était un saint
La nouvelle de sa mort a plongé la population catholi-
que d'Ottawa et de Hull dont il était comme le fondateur
dans une consternation profonde ; sa Congrégation ne sait
comment elle pourra remplir le vide immense que cette
mort vient de créer daus son sein.
Nous ne pouvons faire moins que de donner ici quelques
lignes sur la vie de ce grand Missionnaire, pt sur les cir-
constances qui ont accompagné sa mort.
NOTICE BIOGRAPHIQUE.
I
Le R. P. Reboul est né dans le diocèse de Vivier?,
département de TArdôche, France, d'une famille riche
et honorable. 11 a fait ses études classiques au petit
séminaire du Bourg St. Andéol, petite ville située sur les
liords du Rhône. Ses connaissances variéesetsûreb mon-
traient qu'il avait dû être un brillant élève. S'il avait eu
dans la suite de sa vie le temps de se livrer à l'étade, il
aurait pu devenir un savant de premier ordre. Se desti-
nant à l'état ecclésiastique, il est entré au grand Séminai-
re de Viviers pour commencer son cours de théologie»
Mais il fallait a une âme ardente et généreuse comme la
sienne un vaste champ. Aussi bientôt il demandait et
obtenait son admission dans la congrégation des Oblats
Marie Immaculée. Après avoir fait son noviciat à Nolr(>^
Dame de l'Osier, diocèse de Grenoble, et avoir terminé ses
études théologîques, il recevait l'ordre de la priîtrise di^s
84
mains de Monseigneur de Mazenod, évèque de Marseille,
fondateur et supérieur général dd la Congrégation des
Oblats. C'était au commencement de Tannée 1852. Peu
de temps après son ordination, le R. P. Reboul fut envoyé
daos la missiofn du Canada. Le district d'Ottawa a eu les
préinices de 6<m ministère ; c'est à cette époque que Mon-
seigneur Guigue fondait ce nouveau diocèse. Or, Mgr.
avait, dans la personne du Père Reboul, un intrépide apôtre
qu'il envoyait tantôt dans une mission et tantôt dans une
autre, selon les besoins des âmes.
Pendant deux étés le R. P. Reboul a accompagné le mis-
sionnaire qui faisait la mission des Sauvages de la Baie
d'Hudson.
Pendant les mômes années, en hiver, il faisait ses pre-
mières armes à la mission des chantiers sous la conduite
des RR. PP. Brunet et Bourassa. Quel est le voyageur
depuis 25 ans qui n'a pas connu le Père Reboul et que le
Père Reboul n'a pas connu ? Le bon Père était dans sa
vingt-cinquième campagne quand la mort est venue le
frapper comme un vaillant soldat sur le champ de bataille.
Hors le temps de la mission, la ville d'Ottawa était le
théâtre de son zèle ; que de fois on le vit parcourir les
nombreuses maisons de pension, pour voir comment se
conduisaient les voyageurs, leur faire des recommanda-
tions et, au temps de retraite, les pousser devant lui dans
les rues, comme un troupeau de dociles agneau:^, pour
assister au sermon de la cathédrale. Au moindre bruit
qu'il entendait il s'élançait de l'évêché et se jetait au mi-
lieu des disputes et batailles pour les arrêter. C'était re-
connu que sa présence dans ces occasions était plus efficace
pour le rétablissement de l'ordre qu'une nombreuse police.
On savait aussi qu'il avait un bras capable de séparer les
plus terribles combattants. Dans certaines difficultés de
nationalités et de religion, il a épargné à la ville d'Ottawa,
par l'ascendant de sa parole, de grandes scènes de désordre.
Dans les incendies il était toujours le premier rendu sur le
lien du sinistre; il donnait très à propos des ordres qui
ordinairement étaient bien suivis et il payait bravement
de sa personne.
85
II n'avait pas reçu de la nature un organe bien sonore,
mais par son style poli, correct, sa doctrine bien fournie
d'écriture sainte et des traits historiques, il se faisait écou-
ter avec intérêt. Son confessionnal à la cathédrale, par la
confiance que son assiduité au poste et sa miséricordieuse
charité inspiraient à tout le monde, était une image de la
grande Pénitencerie à Rome.
Mais déjà la ville d'Ottawa ne suffisait pas à son zèle.
Dès Tannée 1854, il commençait à évangéliser les quelques
familles établies sur la rive nord de la rivière près des
Chaudières. On peut dire que le nom de HuU et le nom
du P. Reboui sont encore inséparables. Si maintenant
cette jeune cité peut subir une honorable comparaison avec
d'autres villes plus anciennes, elle lui doit une grande partie
de son accroissement et de sa prospérité. Nul autre prêtre
de la communauté n'aurait été capable de décider le supé-
rieur à prendre la charge d'énormes dettes pour doter Uull
d'établissements comme ceux qu'on y admire aujourd'hui.
On ne pouvait rien refuser à cette persévérance qui semblait
devenir plus vive, plus acharnée selon qu'elle était plus re-
butée. D'ailleurs on lui reconnaissait le talent de faire
faire des travaux importants avec des frais relativement
minimes. Le P. Reboui aimait HuU autant qu'un cœur
bien né peut. aimer la patrie qui l'a vu naître. Sans respect
humain comme sans timidité, il parlait et il agissait.
Parfois il y avait une grande sévérité de paroles, mais en
action, c'était l'homme le plus compatissant et le plus
miséricordieux. Ceux qui l'ont connu peuvent dire que
àï jamais une goutte de fiel est entrée dans son cœur elle
en est sortie aussitôt.
Les anglais protestants, avec qui il a eu de fréquents
rapports, lui ont toujours témoigné une grande estime et
on pourrait dire de l'amitié, à cause de sa politesse, de sa
loyauté et de son amour pour le progrès du pays. Ils
doivent le regretter sincèrement.
Ce bon Père avait une santé incomparable : il semblait
devoir parcourir une longue et heureuse carrière, mais il
lie ménageait pas assez cette santé. L'automne dernier il
a enduré beaucoup de froid en surveillant les travaux de
86
la grande et belle maison d'école qui sera le dernier monu-
ment de son activité et de son zèle. Dès la veille de Noel^
il sentait un violent mal de tôle ; cependant le départ de la
mission des chantiers approchait et, se trouvant mieux, il
voulut partir pour les bois, accompagné du R. P. Amiot.
Le mal de tète semblait s'être dissipé au grand air des
forêts et des lacs.
SA MORT ET LA TRANSLATION DE SES RESTES.
Il
Le R. P. Reboul était parti d'Ottawa le 11 janvier eiï
compagnie du R. P. Amiot, afiui de visiter pour la 25ème
fois ses chers chantiers dispersés au coin de la forêt et sta-
tionnés pour la longue saison de l'hiver dans les nombreux
chantiers qui leur servent de modeste résidence. Cette
mission qui devait être sa dernière, fut témoin de son zèle
et de son énergie accoutumée dans cette sorte d'ouvrage oii.
tous n'auraient pas pu réussir, mais pour lequel Dieu avait
départi au vaillant apôtre des qualités exceptionnelles
afin d'entrainer tous ces jeunes gens dont il était le père de-
puis si longtemps et afin de les amener tous à l'accomplisse
ment de leurs devoirs religieux, au point que sur 45 chan-
tiers visités par lui cet hiver, un seul homme lui a résisté.
Aussi la mission des chantiers fait-elle en lui une perle irré-
parable. Le R. P. Reboul achevait son 39me chantier sur la
Madawasca quand la maladie qui Fa emporté si tôt, a com.
mencé à ruiner ou à détruire en peu de jours la santé la plus
forte et la plus robuste que l'on connût.
De violents maux de tête accompagnés d'une grande-
prostration mentale l'assaillirent sans le décourager et sans
l'arrêter dans la mission qu'il voulait achever à tout prix-
Tout souflrant qu'il était, il franchit les mauvais chemins
qui séparaient la Madawasca de la Bonne Chère, visita deux
chantiers sur cette rivière, d'où il se rendit sur la Petawa-
we, où il fut voir encore deux chantiers qui furent les der-
niers. Arrivé aux chantiers de Thistle, Caswel et Francis-
co, situé sur le creek Harriuey qui se décharge dans le lac
de Cèdres, notre cher défunt tomba dans un état alarmant
0i ne fut pas capable de faire la mission. Son compagnon^.
87
lie P. Amiat, le remplaça. C'était un mardi soir, le 27 février.
«-Comme on le voyait si malade, si faible, si souffrant, on
le força à discontinuer sa chère mission et comme il n'y
avait que 35 milles du chantier à Matawan où les RR. PP^
Oblats ont une résidence et une église, il fut décidé qu'on
l'y transporterait. Le mercredi au matin, 28 février, le R.
P. Reboul laissait son dernier chantier, et après une jour-
née des plus rudes à cause des mauvais chemins, il arrivait
^le soir à 5^ heures à Matawan où il fut accueilli à bras ou»
verts par les RR. PP. Poitras et Nédelec. Vite le docteur
Paré de Matawan fut appelé, et ayant constaté que la ma-
ladie était très grave, puisque c'était un ramollissement du
cerveau, il ordonna de télégraphier immédiatement aux
docteurs Desloge et Dickson de Pembroke pour avoir avec
^ux une consultation médicale qui ne devait pas avoir lieu
et que la mort devait prévenir. En effet, le jeudi 1er mars,
la maladie ne faisait qu'empirer ; on crut à propos de s'oc-
cuper de rame et du grand voyage du pauvre malade :
un des pères qui entouraient son lit de douleurs lui don-
na les derniers sacrements. Le Bon Dieu, qui veillait sur
son bon serviteur, lui avait conservé, jusques-là, une con-
naissance qui lui était encore nécessaire, mais que le cher
malade perdit aussitôt après pour ne plus la recouvrer. H
passa le restant du jeudi dans un état léthargique, et dans
la nuit du jeudi au vendredi vers minuit, un des plus an-
ciens et des plus zélés prêtres du diocèse d'Ottawa rendait
à Dieu sa belle âme chargée de bonnes œuvres et de méri-
tes, entre les bras de trois de ses frères en religion, qui ne
l'ont pas abandonné jusqu'au moment suprême et dont les
noms méritent d'être mentionnés ici. Ce sont les RR. PP»
Poitras, Nedelec et Amyot, le dernier compagnon d'armes
et le dernier témoin de cette vie sacerdotale si belle et si
bien remplie. Le R. P. Reboul s'est éteint doucement
avec sa croix, son scapulaire sur la poitrine, et son chape-
let à ses côtés. C'est ici le cas de répéter avec le royal
Prophète : BienheurerMX ceux qui meurent dans le Seigneur.
Aussitôt que le R. P. Reboul eut rendu le dernier sou*
pir, on le revêtit de la soutane et on l'exposa dans le salon
.du presbytère où Hou'e la population du petit village da
[
88
Matawan est venue successivement s'agenouiller, prier et
se retremper à la source des bons exemples laissés par ce
bon prêtre qui n'était plus. Le mardi matin, un service
- funèbre solennel était chanté dans l'église de Matawaix
pour le repos de son âme, et à 10 heures précises le corps
' était dirigé vers Pembroke, recevant sur tout le parcours
des 100 milles qui séparent Pembroke de Matawao, des
témoignages d'estime, de sympathie et de regrets. Le corps
n'arriva à Pembroke que le lendemain dimanche vers 8
hrs. du soir. Toute la paroisse de cette jeune et int^-
ressante cité avec son digne curé en tête et M. le docteur
Faure, attendait avec impatience l'arrivée de ces restes pré-
cieux. Un Libéra fut chanté aussitôt dan» l'église et le-
lendemain lundi 5 mars, toute la population se pressait
en foule pour assister à un service funèbre, où M. le curé
de Pembroke fit en français et en anglais l'éloge du regret-
té défunt. Après le service, le corps. laissait Pembroke
pour HuU, où les chars arrivèrent à 1.20 p. m. Toutes
les sociétés et le clergé de Hull s'étaient rendus à l'avance
à la station du Fiat où s'était rendue également une
foule immense de citoyens de toutes les classes et de
tous les quartiers d'Ottawa et de Hull. A 1.20 le sifflet
des chars se fait entendre et quelques instants après,
les restes mortels du K. P. Reboul étaient descendus et dé-
posés non pas dans un chariot funèbre, mais bien plutôt
dans un char de triomphe qui s'avançait magestueusement
à travers les rangs pressés d'une foule immense et recueil-
lie, que précédait la bande de Hull, dont les airs funèbres-
habilement exécutés, ajoutaient considérablement de l'é-
clat et.de la pompe à cette longue procession funéraire ; on
s'arrêta devant l'église du Fiat, où le corps fut momenta-
nément déposé et où M. Francœur le curé du Fiat chanta
un Libella solennel, après quoi la procession forma ses ran^^s.
la musique se fit de nouveau entendre, le corps fut repla-
cé sur le char triomphal escorté par une compagnie de vol-
tigeurs et par les diverses sociétés de Hull portant dans leurs
mains les drapeaux où étaieîit inscrits les noms des diver-
ses places et missions où le R. P. Reboul avait exercé son
2èle el son ministère snccrdotal.
89
A mesure que la procession avançait, la foule grossissait
et montait jusque sur le toit des maisons pour mieux con-
templer une dernière fois les dépouilles mortelles de celui
à qui HuU doit tout ce qui fait actuellement sa gloire et son
orgueil, la magnifique église dont les cloches pleurent un
trépas si prématuré, son vaste presbytère» et cette superbe
école, cette dernière imposante œuvre du regretté défunt
dont les mains ont remué chaque pierre, et où grâce à son zè-
le infatigable, de longue's générations d'enfants iront puiser
une éducation solide, une éducation religieuse, chrétienne
qui en fera plus tard la gloire, l'espoir de la religion et
de la patrie.
Vers 2J p. n^ le cortège funèbre envahissait l'église de
Notre Dame de Grâce à HuU, un Libéra y était solennelle-
ment chanté ; puis les portes de l'église ayant été momen-
tanément fermées, on transporta le corps dans la sacristie
où uue chapelle ardente avait été préparée. Là le cercueil
fut ouvert en présehce d'un petit nombre de personnes ; on
craignait de ne pouvoir plus reconnaître les traits du re-
gretté défunt, on croyait que la maladie, que la mort, que
les difficultés d'une longue route eussent à jamais défiguré
celui qu'on eût tant désiré contempler une dernière fois.
Mais quelle ne fut pas la surprise de tous quand, le cercueil
ayant été ouvert, on trouva le corps parfaitement conservé
dans l'état d'une personne doucement endormie. On se
hâta de le revêtir de ses habits sacerdotaux, de Tamict, de
Taube, du cordon, du manipule, de l'étole, de la chasuble,
de la barrette ; on lui plaça sa croix dans les mains; on le
releva dans son cercueil, de manière à ce que tout le mon-
de pût bien le voir etle contempler une dernière fois. Ou
ouvrit alors les portes du sanctuaire, où aussitôt la foule
se précipita pour contempler et pour prier. Depuis cette
heure jusqu'à l'inhumation, le cercueil fut entouré de cen-
taines de fidèles. C'est le 7 Marâ qu'eurent lieu les obsè-
ques du B. P. Reboul : si on excepte les funérailles de
Mgr. Guignes qui furent si imposantes il y a deux ans, à
Ottawais, jamais les population de ce pays n'avait rien
vu d'aussi solennel et d'aussi touchant.
A 9| heures, les cloches faisaient entendre les glas funë-
90
bres, et on voyait les rues de HuU remplies d'une foule de-
peuple qui en dépit d'un vent glacial soufflant avec violen-
ce, accourait vers l'église. Le sanctuaire, la voûte, les
fenêtres de Téglise, tout était orné pour la triste circons-
tance, avec beaucoup de goût. La levée du corps. a été
faite par le R. P. Antoine, Provincial des Oblats.
Le corps a été déposé sur un catafalque élevé au milieu
du sanctuaire et environné de nombreuses lumières.
' Un chœur nombreux et puissant a exécuté dignement les -
chants de la liturgie sacrée. Après la messe Monseigneur
Duhamel Evêque d'Ottawa, est monté en chaire pour pro-
noncer l'oraison funèbre, qui a été regardée par tout le
inonde comme un chef d'œuvre d'éloquence.* Un assistant
disait que jamais dans sa vie il n'avait été témoin d'une
pareille explosion de sanglots, et d'un pareil déluge de
larmes.
Le corps du R. P. Reboul a été inhunié dans la chapelle
du Sacré Cœur de Jésus, en sorte que les fidèles pourront
facilement venir déposer une larme et offrir une prière sur
la tombe de ce-lui qui fut leur ami, leur bienfaiteur et leur
apôtre.
Parmi les laïques placés sur des sièges réservés, étaient les
membres du conseil municipal, une partie des membres du
baran de Hull, les commisaires des écoles catholiques de
Hull, dont le R. P. Reboul était le président, le Révérend
Johnson, chapelain du Sénat et recteur de l'église Anglicane
de Hull, D. Simon Délude, président des sociétés St. Joseph,,
et St. Pierre, dont le R. P. Reboul était le chapelain, les doc-
teurs Beau din,Perras,Cook: les Sénateurs Dumouchelet
Girard ; Ch. Wrigh Marston, Bélanger, Champagne, etc. etc.^
Monsieur Eddy, a fait arrêter toutes ses manufacture»
tant pour permettre aux conducteurs et ouvriers d'assister
aux funérailles du R. P, Reboul, que par respect pour sa
mémoire.
Toutes les communautés religieuses d'Ottawa et de Hull
s^étaient fait un devoir d'assister en nombre aux funérailles
du R. P. Reboul.
Requiescat in pace.
St. Georges, Terreneuve, 10 février 1878-
Au Conseil Central de l'Association de la Propagation de la Foi
Messibuas,
Je vous ai fait connaître, il y a à peu près deux ans, le»
-commencements et les progrès de notre sainte religion dans
cette partie de la Préfecture Apostolique, confiée à mes
soins, et comprise entre les bornes de la Baie St. Georges
et la Vallée Codroy.
Dans ce rapport, j'ai montré comment, il y a à peu près
90 ans, le catholicisme y a été implanté par une seule far-
mille de Canadiens-français ; comment, malgré qu'ils aient
été laissés sans les secours des ministres de la religion,
sauf en quelques occasions extrêmement rares, ils sont
restés attachés à la foi de leurs ancêtres ; et comment aussi,
par l'arrivée de nouveaux membres, quelques-uns de Fran-
ce, d'autres de différentes parties du Cap-Breton, de la
Nouvelle-Ecosse, principalement d'origine Acadienne-fran-
çaise, et tout récemment des Montagnes d'Ecosse, ils ee
sont accrus jusqu'au nombre de 3,000.
Le territoire de la Baie St. Georges et de la Vallée Cod-
roy est situé entre le 47o 36 minutes et 48^ 47 minutes,
latitude nord, et entre le 58o 11 minutes et 59<> 35 minutes
longitude ouest.
Ce territoire est, par conséquent, de plus de 80 milles du
nord au sud, et environ 50 milles de l'est à l'ouest, compre-
nant un territoire qui, au point de vue des ressources na-
turelles, surtout des minéraux (1), est inférieur à peu de
places, si toutefois de l'Atlantique aux Montagnes Bocheu-
ses il s'en trouve qui le surpasse. A cela ajoutez un climat
très salubre et un sol fertile (2) outre les pêcheries si con-
(1) Les minéraux de ce district sont principalement: le charbcm» le
.fer, le cuivre, le plomb, l'argent, le nickel, et d'inépuisables couches de
pierre à chaux et à pldtre.
(2) Nous ne sommes nullement exposés aux froids rigoureux du Gi*
nada en hiver, puisque le thermomètre descend rarement à zéro. Nous
ne souffrons pas non plus de chaleurs excessives eo été, encore moins
sommes-nous incommodés par les brumes et les brouillards si fMqnents
•sur les bords de T^eéan Atlantique.
92
nues, et vous pourrez couclure combien important ce dis^
trict deviendra quand une fois Téirange mésintelligence
entre la France et l'Angleterre touchant les droits de pêche,
sera réglée, ce qui arrivera probablement bientôt
Ce dernier district possède déjà, pour les fins du minis-
tère pastoral, 6 églises et chapelles. Douze écoles sont
nécessaires pour le présent.
Je veux vous entretenir dans cette lettre de deux autres
localités à peine mentionnées dans mon deruier rapport,
savoir : la Baie des Iles et la Bonne-Baie.
Ces deux baies sont situées comme suit : la première se
trouve placée entre le 48o 52 minutes et 49» 14 minutes,
latitude nord, et entre le 57o 38 minutes et 58^ 24 minutes
longitude ouest, étant environ à 60 milles au nord de la
baie St. Georges. La baie des Iles consiste en un bassin
carré, d*à peu près 200 milles en superficie, rempli d'un
grand nombre d'îles, d'où les Français lui ont donné le
nom de Baie des Iles. Cette partie du pays, avec toutes
ses îles, est peu habitée, à cause du sol raboteux qui l'en-
toure (1) et de l'immense profondeur de l'eau qui est de 80
à 140 brasses. De ce bassin s'étendent trois larges bras, péné-
trant au loin dans l'intérieur et dans des directions différen-
tes. Le principal est le Humber-Sound, long de 18 à 20 milles,
et ayant au moins deux milles de largeur. Ce spleudide
estuaire formerait un havre capable de contenir la plus
grande flotte du monde ; mais comme sa profondeur est à
peu près celle de la baie, il est difficile d'y jeter l'ancrej si
ce n'est près du rivage. Cette baie si profonde, avec ses
bras considérables, semble avoir été formée par la nature
pour une fin bien importante. Les grands bancs de harengs
qui se pressent autour de la côte du Labrador dans les
mois d'automne» comme l'on sait, semblent, par une sage
disposition de la Providence, prendre leurs quartiers d'hiver
dans ces profondes, mais paisibles eaux. De là se pratique
(l) Quelques-ODS des caps, étant rextrémité des rangées de montagnes
qui se terminent dans cette baie» sont de 1,400 à 2,000 pieds de hauteur,
s'élevant presque perpendiculairement de la surface de Teau, ce qui
rend le paysage avoisinant tellement pittoresque qu'on n*en rencontre de
semblables que dans les hautes latitudes septentrionales:
93
Ici un mode de pêche inconnu, je pense, dans toute autre-
partie du monde.
PÊCHE A TRAVERS LA GLACE.
Quand l'hiver commence, et que cette baie est toute
glaoée, ce qui arrive généralement au mois de janvier, les
pêcheurs entreprennent la pêche d'hiver- Voici comment
ils procèdent : Plusieurs ouvertures de deux pieds carrés
à peu près, sont faites dans la glace en droite ligne, une
perche d'environ vingt pieds de longueur est attachée au
hont du filet, la perche ainsi attachée est enfoncée dans la
première ouverture et dirigée vers la suivante, puis vers la
troisième et ainsi de suite jusqu'à la dernière qui corres-
pond à la longueur du filet. Un bout de la corde est
attaché à la dernière ouverture, l'autre restajat attaché à
la première ; entre celles-ci le filet se trouve suspendu et
enfoncé à une distance quelconque dans Tipimense pro-
fondeur où l'on suppose que le poisson s'est retiré, et laissé
ainsi ime nuit entière ; le lendemain, le filet est retiré par
une des ouvertures ; ce qui vaut la peine d'être vu. Quel-
quefois le filet est aussi gros qu'un tierçon par la quantité
de poissons pris de cette manière ; le pauvre poisson est
secaué du filet et laissé à se débattre sur la glace, pendant
qu'on le met en barils ou dans des bottes pour être trans-
porté ensuite, au moyen de traîneaux, dans les dépôts-où
on le sale de diverses manières.
La quantité de poisson prise dane ces baies est énorme.
Le poisson entre quelquefois dans la baie vers la fin d'oc-
tobre, à cette époque on le prend de la manière ordinaire^
c'est-à-dire, au moyen de filets et de seines.
Les vaisseaux de pêche et de commerce viennent de
difTérents ports de la Nouvelle Angleterre, du Nouveau-
f runswick; de la Nouvelle Ecosse et de l'Ile du Prince-
Edouard. Quelques-uns pour pêcher eux-mêmes, mais le
plus grand nombre achètent leur cargaison des habitants
de la place, leur donnant en échange toutes sortes de pro-
visioi» de bouche et de marchandises sèches. Les pécheurs
préfèrent en règle générale ce trafic au paiement en ai-
gent, car ils se procurent plus facilement ainsi leurs provi-
sions d'hiver.
94
Gomme il n'y a point d'officier du gouvernement pour
X)rendre connaissance de ces exportations^ il n'est pas facile
de donner ici un compte exact de la quantité de poisson
ainsi exportée, je ne crois pas me tromper en l'évaluant à
une moyenne de 40 à 50,000 barils par année.
L'année dernière, j'ai chargé quelques personnes de mar-
quer ce qui a été expédié d'une autre baie, beaucoup plus
petite, située à 30 milles au Nord de la Baie dés Iles, savoir,
Bonne-Baie, et je trouve que depuis la première apparition
des pécheurs en octobre jusqu'à décembre, les exportations
furent de 50,000 barils, et on continua à le prendre en
aussi grande quantité jusqu'au mois de mai ; de décembre
à avril, il va sans dire, on le prend à travers la glace.
Nos gens ici prennent absolument tout ce qu'il leur en
faut. Nos marchands en ont autant que leurs magasins
peuvent en contenir, leurs hangards et caves étant complè-
tement remplis, et cependant nous ne sommes encore qu'au
milieu de l'hiver. Heureusement que deux vaisseaux ap-
partenant à la maison de commerce de A. & M. Pétrie, de
Sligo, en Irlande, ont été retenus ici cet hiver par les vents
contraires ; ils donneront de la place pour pouvoir emma-
gasiner quelques 4,000 barils de poisson qui autrement
auraient été laissés dans l'eau, ou, s'ils eussent été pris,
auraient été perdus.
Cette maison de commerce possède quatre navires em-
ployés, chaque été, au commercede poisson et de bois. On
compte qu'il y aura au moins 20,000 barils de hareng ex-
pédiés à la première navigation, outre de grandes quantités
de bois carré et scié. Il est fort à regretter qu'il n'y ait point
de moyens de communication avec ces baies dans la saison
de l'hiver. Le havre de La-Poile, ouvert à la navigation
pendant tout l'hiver, n*est qu'à 80 ou 90 milles de cette
baie. Avec de bons chemins, des centaines dô barils pourw
raient être envoyés tous les jours à ce port, d'où ils pour-
raient atteindre en moins d'un jour le terminus Est du
<5hemin de fer de la Nouvelle-Ecosse, White-Haven, ou
tout autre port choisi. On pourrait les transporter sur les
marchés de New-York, Boston, de Québec et de Montréal,
dans l'espace de 40 à 50 heures, en un mot, dans toutes les
95
Tilles importantes des Etats Unis, de l'Est et du Centre, et
du Canada.
Quel avantage pour ces grandes cités d'avoir à leur portée
un aliment si délicieux parfaitement frais 1 le hareng si'
apprécié du Labrador. Que ce poisson aurait de valeur
sur un tel marché, tandis que maintenant il ne se vend
quelquefois qu'une livre de thé ou de tabac le baril.
La pêche, généralement parlant, est une occupation bien
précaire au moins pour le pécheur, car il est exposé au
caprice du poisson qui semble, par un instinct de conser-
vation, fuir pour quelque temps les endroits où on le prend
en très-grande quantité, pour y revenir ensuite, quand il
croit avoir détourné l'attention du pêcheur.
A cette règle générale, il semble y avoir une exception
par rapport à la pêche au hareng dans cette Baie des Iles,
Terreneuve ; en voici la raison qui semble bien claire.
Aussi longtemps que ces immenses bancs de harengs fré>
queuteront les côtes du Labrador, il n'y a point de doute
que la quantité en sera abondante dans cette baie, que la
nature semble avoir destinée à être leur quartier d'hiver
Sur à peu près 300 milles de la côte ouest de Terreneuve,
oa ne rencontre que ces trois baies, savoir : Bonne-Baie^
Baie des Isles et Port-au-Port-Baie. Le golfe ne semble pas
donner à ce poisson la protection dont il a besoin contre
les orages et tempêtes d'automne particuliers à cet endroit ;
de là la nécessité pour le poisson de se réfugier dans les
eaux tranquilles de la Baie des Iles ; de là aussi le fait re-
marquable que, pendant que les autres lieux de pêches sont
abandonnés et ensuite fréquentés, de nouveau par le
poisson, cette baie n'en manque jamais. Que cette baie est
pendant l'hiver le lieu de rendez-vous du hareng du
Labrador, en voici la preuve bien claire. Il ne se montre
jamais ici qu'après de gros orages du nord-est, et alors, oa
le voit dans le golfe remonter la côte par bancs.
CONDITION RELIGIEUSE.
Ayant parlé longuement de l'état physique et industriel
de la Préfecture Apostolique de Terre-Neuve, je dois main-
tenant vous dire quelques mots sur la condition de la reli-
gion dans cette même Préfecture.
96
La première tige du catholicisme dans cette contrée, fut
plantée par un membre de la première famille catholiqpie
de la Baie St. Georges qui est venu ici, il y a une trentaine
d'années.
Ce n'était en réalité qu'une seule personne, une femme
qui se maria à un Anglais dont elle procura l'entrée dan»
la vraie Eglise avec la nombreuse famille qu'ils élevèrent,
dès que cette localité fut visitée par un prêtre ayant juris-
diction directe. (1)
11 y a, à peu près 12 ou 15 années, quelques autres familles
suivirent bientôt ; quelques jeunes aventuriers de la Nou-
velle-Ecosse se joignirent à eux, ils se marièrent dans des
familles anglaises, mais aussitôt que le premier prôtre
visita cette place, ces femmes furent reçues dans l'Eglise
catholique, leurs mariages furent bénis, et leurs enfants
baptisés.
La Baie des Iles fut visitée pour la première fois en '
1863 par un missionnaire, ce fut le Très-Révérend Alexis
Bellanger. Il était depuis quelques années curé de la Baie
St. George, mais comme il n'y avait presque aucun moyen
de communication entre ces deux places, que le voyage était
long, ennuyeux, et que ses occupations étaient très nom-
breuses dans sa mission, il ne put y retourner qu'en 1 868. Il
est étonnant de voir combien ce missionnaire a dû travailler
à la dernière visit3 surtout, en consultant le registre de
paroisse qu'il a laissé dans cet endroit ; mais c'était la der-
nière moisson que Dieu demandait de ce bon et âdèle ser-
viteur. La fatigue et la misère endurées dans cette course
pastorale épuisèrent tellement ses forces, qu'il ne survécut
que quelques jours après son retour à sa résidence ordi-
naire.
Le Révérend A. Bellanger fut très-bien reçu par ces pan*
vres gens, suivant leurs moyens, spécialement par un M.
Petipas, marchand de cet endroit, qui lui donna l'hospi-
talité dans sa propre maison, tandis qu'il mettait à sa dis-
(I) Je fais cette distinctiouj parce que en piusieurs occasions cett»
baie fui visitée par les Chapelains de la flotte Française. Cette pau^rre
femme ne manqua pas de profiter de leurs visites pour faire baptiser
ses enfants.
97
position le magasin y attenant pour servir de chapelle ;
mais, dans quelques autres parties de cette baie, il fut obligé
parfois de loger dans nne petite cabane à poisson sur le
rivage ; il y passa plusieurs jours, le pauvre peuple accou-
rant de difTérenls endroits pour le voir. 11 était si épuisé
par le travail qu'on dit l'avoir souvent vu obligé de dis-
continuer les cérémonies du baptême à quelques enfants,
pour aller s'étendre sur son humble grabat, jusqu'à ce
qu'il recouvrît assez de force pour pouvoir reprendre son
saint ministère.
Tel était l'état de ce pauvre missionnaire lorsqu'il dut
entreprendre le voyage de retour à sa résidence, distance
de cent milles, renfermé dans la misérable cabine d'une
vieille goélette employée au commerce du poisson.
C'est ainsi que cet énergique missionnaire sacrifia sa vie
en travaillant à la Vigne de son Divin Maître. Il ne vécut
encore que quatre ou cinq jours après son retour. Il y a
tout lieu d'espérer qu'il jouit maintenant de la récompense
que de si grands sacrifices lui ont méritée. On ne peut
attribuer à la mauvaise volonté de ces pauvres gens la
misère que le Révérend Alexis Bellanger eut à endurer, car
ils firent de leur mieux, mais les moyens leur manquaient
alors pour pouvoir lui procurer les soins que Pétat de sa
santé demandait.
Après la mort de ce missionnaire dévoué, ses pauvres
paroissiens ne crurent pas convenable d'enterrer eux-mêmes
ses restes mortels, et, comme il n'y avait aucune possibilité
de se procurer un prêtre, le plus rapproché se trouvant à
quelques centaines de milles, ils prirent la résolution de
lôs transporter à Québec, son diocèse natal, à 600 milles de
distance ; pour cela, ils frétèrent un vaisseau, et quatre
d'entre eux s'offrirent pour accompagner jusqu'à Québec
les refites vénérés de cet homme de Dieu. Il fut inhumé
dans la magnifique église de St. Roch des Aulnets, en bas
de Québeb, sa paraisse natale.
Sa Grandeur Mgr. MuUock, Evâque de St. Jean, ayant
appris cette nouvelle, se rendit aussitôt auprès de l'Evôqae
d^Ariotiat, afin de demander un missionnaire qui pût le
remplacer, mais n'en ayant pu obtenir, il monta à Québec
98
t
OÙ il n'eut pas plus de succès, TArchevôque de Québec
n'ayant aucun prêtre disponible à envoyer dans ces mis^
siens lointaines.
Comme il s'en retournait bien découragé, le bon Evêque
reçut à Halifax une requête des catholiques délaissés de la
Baie St. George, le plus grand nombre desquels était venu
du diocèse d'Ârichat, demandant à TEvêque MuUock de
supplier PEvôque McKinnan d'Arichat de leur envoyer
un prêtre. Cette requête était écrite dans les termes
les plus touchants, et exprimait vivement la désolation de
toute cette partie de Terreneuve laissée sans pasteur. Le-
compatissant Evêque McKinnan en fut si ému qu'il l'en-
voya à celui qui écrit ces lignes, alors curé de Port Mul-
grave, dans le détroit de Canso, tout en lui demandant s'il
aurait assez de courage et de désintéressement pour se
charger de cette mission lointaine, l'espace de neuf mois.
La saison était avancée, c'était à la fin d'octobre, mais la
Providence qui conduit tout, fit qu'un vaisseau se préparait
à l'heure même à aller chercher une charge de poissoa
dans cette partie de Terreneuve. De sorte que cinq jours
après qu'on eût fait cette proposition, le missionnaire était
à bord du vaisseau et en route pour le nouveau théâtre de
ses futurs travaux. Ceux qui avaient présenté la requête
n'eurent pas la consolation d'avoir le prêtre résidant au
milieu d'eux, car ma lettre de mission reçue de l'Evêque
le destinait à un endroit de 100 milles plus éloignés.
Comme si la Providence eût voulu encourager ce projet^
le vaisseau arriva deux jours après avoir quitté le port,
ayant parcouru 300 milles dans le court espace de quarante
heures, avec une vitesse presque égale à celle d'un bateau
à vapeur.
Qhelle impression la vue d'un pays si montagneux et
raboteux ne fit-elle point sur l'esprit de ce nouveau mission-
naire, ce Humbér étant une vallée placée entre deux chaî-
nes de Montagnes, s'élevant jusques aux nues ; la première-
impression, qui dura plusieurs jours, e^ quelque chose de
semblable à ce qu'on éprouve lorsqu'on est enfermé dans-
un cachot. Mais le brouhaixa et le mouvement de la saisoa
des travaux, par dessus tout, le travail considérable qull
99
-avait à faire pour le salut de ces âmes racheiées par le
Sang Précieux du Sauveur, lui fit bientôt oublier son iso-
lement, et, Dieu en soit béni, il en a toujours été de même
depuis.
Quoique arrivé à la Baie des Iles le 2 novembre, il ne
put néanmoins se rendre à la Baie St. Georges, ancien domi-
cile du Révérend A. Bellangër, et qui devait être le lieu de
sa résidence, que vers le 14 décembre. Ce n'était pas chose
facile que d'entreprendre un tel voyage, surtout dans la
saison si rigoureuse de décembre. Il rencontra sur son
chemin des postes qui n'avaient encore jamais été foulé
par les pieds du, missionnaire.
Inutile de m'étendre davantage sur les travaux, les priva-
tions et les innombrables dangers bravés par ce missionnaire
chaque année, lorsqu'il est obligé soit de venir ou d'aller
entre les deux plus importantes stations de la Préfecture. Il
a certainement échappé d'une manière providentielle à bien
des périls, mais plus spécialement quand, le 25 novembre
1872, il laissa la Baie des Iles pour se rendre à St. Georges sur
un vaisseau Américain. La môme nuit ils furent assaillis
par une violente tempête, le vaisseau surchargé d'une car-
gaison de poisson, faillit être submergé par les vagues qui
passèrent et repassèrent sur le pont et firent couler une
grt^nde quantité d'eau dans la cabine où le pauvre mission-
naire demeura seul sans que personne pût l'approcher
•d'assez près pour lui donner un verre d'eau douce, depuis
lundi soir jusqu'à mercredi midi, alors que la tempête
s'apaisa un peu. Le jour suivant, le missionnaire, étant le
seul qui connftt bien les différents ports qu'il fallait visiter,
prit en main le commandement du vaisseau, et le pilota
jusqu'au Port-au-Port, la seule place qu'il put trouver pour
metti^ pied à terré et de là regagner ses missions.
Le vaisseau demeura dans ce port jusqu'au lendemain.
On s'occupa de réparer le gouvernail qui avait été brisé le
premier soir de la tempête et à se remettre des fatigues du
voyage. Le temps libre se passa agréablement en propos
joyeux et en excursions. Lorsque l'heure du départ sonna,
chacun fit ses adieux au missionnaire qui se trouvait encore
à trente milles de sa résidence et on se mit en route ; mais
100
00 croit généralement que ces pauvres gens périrent tous
dans une tempête qui s'éleva cette nuit-là même, car il»
n'ont jamais été revus depuis ! ! I
Tels sont les dangers auxquels est exposé le miesionnaire
dans ces vastes régions où il n'y a ni cheminsi ni sentiers,
et où, pour se rendre aux différents établissements, il lui
faut se servir des vaisseaux qu'il trouve par hasard d'une
place à l'autre.
Je dois maintenant vous parler des résultats obtenus par
les missionnaires dans cette partie de la vigne du Seigneur
qui est confiée à leurs soins.
Cette Baie des Iles contient en ce moment environ sept
mille catholiques, fidèles et constants dans leur foi. Parmi
eux plusieurs ont abjuré le protestantisme pour se faire,
catholiques, et sont, comme toujours, des plus fervents.
Deux belles églises ont été construites, une d'elles, lors*
qu'elle sera complètement terminée, ne sera pas surpassée,
en ce qui regarde l'architecture, par aucun édifice des
colonies environnantes. Uutre cela, trois ou quatre mai-
sons sont en construction* pour servir d'écoles paroissiales.
BONNE BAIE.
•
Une autre baie située à environ 60 milles nord de celle-
ci, possède une beUe chapelle qui sera bientôt terminée.
D'après le recensement de 1868, les catholiques de cette
baie étaient au nombre de 6. Je fis ma première visite ea
cet endroit en Mai 1872, quatre ans plus tard. Et pendant
ce laps de temps le nombre des catholiques s'était élevé à
environ 136 âmes ou plus de trente familles. Depuis cette
époque, ils ont été visités assez régulièrement, quelquefois
même deux ou trois fois par année ; ce qui les a encoura-
gés à construire la jolie chapelle ci-dessus mentionnée.
Il ne faut pas oublier que le missionnaire catholique n'a
pas toujours le moyen de se procurer une embarcation pour
faire la visite pastorale des différents ports et baies qui se trou-
vent le long de cette immense région, et bien des fois^ mal-
gré son zèle, il se trouve obligé de différer des visites tou-
• ; jours bien importantes pour le bien spirituel des âmes. J'ai
pu néanmoins, grâce à une faveur du Gouvernement, me
• •
101
procurer, cette année, un paquebot et me rendre jusqu*à
Bonne Baie. Ce fut un véritable bonheur pour les habitants
de cet endroit qui se sont toujours fait remarquer parleur
esprit de foi et de piété.
J'arrivai là vers quatre heures P. M. le 20 Mai 1872 ;
mais je ne pus faire que bien peu de chose ce jour-là ;
l'ezcès de fatigues m'empêcha de me mettre à Tœuvre. Le
navire devait partir de bonne heure le jour suivant, mais
le capitaine eut la bonté de me promettre qu'il m'attendrait
jusqu'à ce que la besogne fût terminée. Je me mis à
l'œuvre de grand matin et la moisson fut grande. La plu-
part se confessèrent ; je baptisai un grand nombre d'en-
fants et bénis plusieurs mariages. Qu'il suilise de dire que
le conducteur du navire était à bout de patience, et les
fatigues du missionnaire telles qu'elles ne lui furent pas
faciles à oublier. Mais la consolation de pouvoir faire le bien
à ces pauvres âmes rachetées par le sang de Jésus Christ, et
de travailler ainsi à la gloire de Dieu dans un endroit où la
parole de Dieu n'avait pas encore été entendue, l'emportait
encQre sur les fatigues, et je me sentais heureux.
Cette Bonne Baie est située à 20 milles nord de la princi-
pale résidence du missionnaire, il y a encore maintenant
quelques-uns de nos catholiques, pauvres pécheurs, disper-
sés ça et là tout le long de la côte dans la direction du
Labrador. Le territoire de la préfecture s'étend encore à
130 milles plus au Nord ; Mais les travaux immenses entre-
pris dans les différents postes dont j'ai déjà parlé, le défaut
de communication et le manque de ressource m'avaient
empêché jusqu'ici de les visiter et ce n'est que l'année der-
nière, que j'ai pu envoyer un missionnaire, le Rév. Père
Guillaume, porter les consolations spirituelles à ces pauvres
délaissés.
Je vous parlerai, dans une prochaine lettre, des obstacles
nombreux que rencontre le missionnaire destiné à travail-
ler dans cette partie de la vigne du Seigneur. En atten-
dant je recommande mes pauvres missions à la bienveil-
lance de l'œuvre de la Propagation de la Foi, et j'ose comp-
ter sur une allocation qui me permettra de visiter, cette
année, encore un plus grand nombre de postes que l'année
102
dernière. Ici la moisson est grande, mais les ouvriers sont
rares, et les ressources nécessaires pour seconder le zèle
de ceux qui se sont dévoués aux missions fout souvent
défaut. La providence se servira de vous pour nous venir
•en aide.
J*ai l'honneur d'être,
Messieurs,
Votre obéissant serviteur,
Thomas Sears,
Préfet Apostolique^
NORD-OUEST.
HOPITAL GÉNÉRAL DE LA PROVIDENCE,
Rivière MacKenzie, 6 Décembre 187C.
A la très Révérende Mère Dupuis,
Supérieure Générale, Montréal.
Ma Très-Honorée et Bonne Mère,
L'époque tant désirée de l'arrivée du courrier vient de
nouveau réjouir le cœur de vos pauvres enfants du lointain
MacKenzie. Il est si doux de s'entretenir avec une Mère
Bien-aimée, de lui parler de ses œuvres, de ses pauvres
sauvages, de ses chers enfants, de lui rendre compte du
passé et de lui conûer ses espérances pour l'avenir I II
est si consolant de pouvoir lui répéter : ma Mère. Malgré la
peine que nous ressentons de la séparation, malgré les pri-
vations et les sacrifices qui accompagnent nécessairement
la vie missionnaire en pays sauvage, nous sommes contentes
et heureuses, et si le sacrifice était à refaire nous le ferions
de nouveau avec joie et bonheur, sachant maintenant par
expérience le bien qu'il y a à faire. Connaissant aussi
combien notre Bonne Mère nous plaint parfois, nous som-
mes heureuses de lui dire que nous nous trouvons bien
mieux sous tous les rapports que les premières années.
Ainsi, ma Très-Honorée Mère, ne soyez plus inquiète de
nous, nous vivons, nous sommes heureuses, que désirer de
plus Nous sommes vraiment à la Providence.
Ma dernière lettre était datée du mois de Juin, c'est donc
de cette date que je reprendrai le récit de tout ce qui peut
vous intéresser. Je le sais et c'est ce qui m'encourage à
TOUS transmettre toutes nos petites nouvelles : chaque petit
détail, insignifiant pour tout autre, vous plait et vous inté-
resse.
A la fin de Juin donc, les barges nous sont arrivées
du Fort Simpson (c'est le grand et l'unique événement du
pays). Elles nous amenèrent de la visite, entr'autres, celk
de la Dame de l'Evêque anglican de nos parages. Madame
Bûwpass. Elle est venue nous voir trois fois pendant son
séjour ici. Elle a adopté tout dernièrement l'enfant d'un^
104
des engages protestants de la Compagnie, dont la femme
est morte quelques semaines après la naissance de cette
enfant. Elle en prend un soin tout à fait maternel; si
nous n'étions pas ici, ce ne serait pas seulement des enfants
protestants qu'elle aurait, mais bien tous ceux de nos pau-
vres sauvages catholiques. Oh ! oui, heureuses, mille fois
heureuses sommes- nous, d'avoir été choisies pour une si
belle œuvre ! Mais, hélas ! les ressources nous manquent,
et malgré le grand désir que nous aurions de recevoir et
de secourir un grand nombre de ces chers enfants, il faut
nécessairement se restreindre. Oh ! si on savait, en Ca-
nada, combien nous pourrions faire de bien avec un peu
plus de ressources, je ne doute nullement que les âmes
généreuses qui y habitent ne s'empressassent de venir à
notre secours. Nous n'oublions pas ce qui a déjà été fait
pour cette mission, certes non, le souvenir en est encore
trop présent à nos cœurs. Reconnaissance donc, éternelle
reconnaissance aux personnes charitables qui se sont si
bien montrées. Dieu leur réserve une récompense digne
de leur générosité ; mais les besoins croissent chaque an-
née et nos ressources ne suffisent plus. Oh ! que volontiers
j'irars tendre la main en faveur de nos malheureux orphe-
lins ! lorsque nous sommes continuellement témoins des
efforts que font nos frères séparés pour attirer à leur parti
nos pauvres Indiens, il y a de quoi exciter le zèle le moins
fervent. Dans ce moment-ci leurs maîtres d'école se mul-
tiplient et s'étendent partout. S'ils ne réussissent pas tou-
jours à leur faire embrasser le protestantisme, trop souvent
ils parviennent à les éloigner du missionnaire et à les pré-
venir contre lui. Le nombre de prêtres est encore trop
petit pour les besoins toujours croissants de cet immense
Vicariat Veuillez donc, ma Très-Honorée Mère, prier et
faire prier à cette intention, car ici plus que partout ailleurs,
pouvons-nous répéter après notre Divin Maître : La mois-
son est grande^ mais U y a peu d'ouvriers. Prions donc^
afin que l'erreui ne triomphe pas, et que nous ayons la
consolation de secourir un plus grand nombre de mal-
heureux.
Nos missionnaires sont à la hauteur de la taché et ils
105
sont admirables de dévouement et de zèle. Le huit sep-
tembre dernier, nous en eûmes une preuve irrécusable, le
R. P. Lecorre prononçait ses vœux solennels et faisait son
Oblation. Ce jeune missionnaire qui est venu de France
' avec Monseigneur Clut en 1870, a montré un courage digne
de tout éloge. Il a accompagné Sa Grandeur à Alaska en
1872 et y a fait un assez long séjour à plusieurs centaines
de lieues de tout confrère, (des affaires importantes avaient
obligé notre digne Evoque à revenir dans son Vicariat.)
Dans cette immense solitude; que de sacrifices n'a t-il
pas faits I que de privations n'a t-il pas endurées !
Et quand sa tâche est terminée, il ne craint pas de
traverser l'Atlantique une seconde fois ei va demander^
%à sa Bretagne bien-aimée, des secours pour nos pauvres
missions. Là, il ne trouve pas seulement des aumônes
abondantes ; mais, de dignes émules de son héroïque dé-
vouement et de sa généreuse abnégation s'empressent de
profiter de si beaux exemples, et il est revenu vers son pays
d'adoption suivi d'un nombreux renfort. Le 8 Septembre,
une nouvelle gloire venait illustrer une carrière si géné-
reusement commencée. Jaloux, lui aussi, du titre si beau,
du nom si doux d'Ohlat de Marie Immaculée, il s'est en-
rôlé sous la bannière de cette Reine des Vierges et des
Apôtres : De si beaux exemples ont porté des fruits. Un
des vénérables missionnaires qui Tout accompagné à son
retour de France (prêtre depuis vingt ans) a aussi com-
mencé sou Noviciat au commencement d'Octobre. Un
autre (frère convers) a fait ses premiers vœux le jour de
la Toussaint. Ces derniers sont d'un secours inappréciable
aux missionnaires ; car pour diminuer les dépenses qui
sont toujours trop fortes, (ce qui se conçoit dans un pays^
où il faut tout importer) tous, Evéque et prêtres se livrent
à toutes sortes de travaux.
Le 7 Septembre, nous eûmes le plaisir de voir arriver le
R. P. Petitot; nous fClmes heureuses de le voir jouissant
d'une parfaite santé et ne soupirant qu'après sa belle
mission de Good Hope où ses chers Sauvages l'attendent
impatiemment. C'est ce même jour, ma Très-Honorée
Mère, que nous eûmes la consolation de recevoir les lettre?
106
du Canada. Jugez de Dotre joie en lisant tous les détails
si intéressants que nos chères Sœurs Secrétaires nous com-
muniquent si fidèlement : que ces bonnes Sœurs agréent nos
sincères remerciements, et qu'elles soient bien convaincues
qu^elles nous font passer de bien doux instants en parcou-
rant ces pages si pleines d'intérêt.
Notre bonne Marie Domîtille nous arrivait en mèaie
temps d'Atbabaska ; quant aux autres filles, elles ont dû
passer l'hiver au Lac à La Biche. Le R. P. Grouard doit
aussi y séjourner une année. Nous avons appris avec une
joie bien sensible la détermination qu'a prise Monseigneur
Farraud d'abandonner le chemin qu'il se proposait de faire
tracer pour le transport de nos effets. Sa Grandeur est
maintenant décidée à revenir dans son Vicariat* Nouf
l'attendons au mois d'Août. Voilà sept ans qu'Elle nous
a dit adieu.
Entr'autres nouvelles que les lettres nous apportèrent,
celle de la visite que vous avez laite, ma Très-Honorée
Mère, à nos chères Sœurs de St. Bouiface, nous causa une
extrême joie. Tout en prenant une lar^/e part au bonheur
de ces bien-aimées Sœurs de St. Boniface, nous ne pûmes
nous défendre d'un petit sentimeut d'envie (qu'elles nous
pardonneront facilement) Quand, nous sommes-nous dit,
quand aurons-nous une semblable consolation ? Nous
fûmes aussi heureuses d'apprendre, que votre santé si dé-
licate, ma Très-Honorée Mère, s'était améliorée ; nous en
avons rendu de vives actions de grâces au Seigneur et
nous l'avons prié de nouveau de nous conserver de longues
années encore notre bien-aimée Mère Générale.
Le 20 Septembre, voilà que tous, évoque, prêtres et frères
étaient transformés en cultivateurs, et exerçaient sinon
leur zèle, du moins, leurs forces, en arrachant les patates.
Nous en eûmes onze cents barils, et si grosses que plusieurs
pesaient plus d'une livre. Si nous étions plus rapprockées
des pays civilisés nous aurions été tentées d'en envoyer à
l'exhibition. Les pluies continuelles qu'il a fait tout l'été
ont contribué sans doute à cette grosseur extraordinaire.
Malheureusement notre Orge et notre blé n'ont pu mûrir,
aussi la galette sera-t-elle plus rare que jamais. Mais je
107
le répète, nous sommes à la Providance et nous avons
remarqué avec reconnaissance plus d'une fois que le Sei-
gneur 56 plait à faire naître des ressources inattendues,
chaque fois qu'il nous semblait que nous allions manquer
de quelque c hose. Aussi pouvons-nous dans l'élan de notre
gratitude répéter après notre Vénérée Fondatrice : Tou-
jours à la veiile de manquer de touty nous ne manquons
jamais^ du moinSf du nécessaire! Et que désirer de plus
nous qui avons fait vœu de ne jamais avoir de superflu.
Nous avons actuellement 27 enfants, dont 19 filles et 8
garçons. Parmi ce nombre, il y a orphelins et pension-
naires. Ces enfants sont tous internes. La plus jeune de
nos orphelines est une charmante enfant de 4 ans, pleine
d'esprit et d'intelligence. A son arrivée ici, le 21 Janvier
1876, elle ne parlait que le montagnais; aujourd'hui, et
cela depuis plusieurs mois, elle s'exprime facilement en
français.
Au commenc9ment d'Octobre, notre bonne Mère fit les
changements suivants. Ma Sr. Brunelle, ci-devant à la
salle des Orphelines, s'en allait à la cuisine, détrôner ma
Sr Daigle. Les adieux de cette dernière n'eurent rien de
bien attendrissant. Au contraire, toute son affection se
déploie maintenant à l'égard de ses petits garçons en qui
elle trouve toutes sortes de perfections. Ma Sœur Michon
préside toujours les deux moulins à la communauté et
trouve que sa dignité de présidente lui suffît pour em-
ployer scrupuleusement son temps. Ma Sr Ward prenait
la place de ma Sr Brunelle. Notre Bonne Mère, toujours
zélée, toujours dévouée, trouve son bonheur à prendre
toujours le -plus pesant fardeau pour elle et cherche tou
jours à soulager ses Sœurs. Quelle Bonne Mère nous
avons le bonheui déposséder! Puissions-nous profiter de
si beaux exemples de dévouement. Cette chère Mère est
assez bien, en général notre santé est excellente, bien meil-
leure qu'elle ne Tétait en Canada.
Le grand 'air que nous respirons continuellement y con
tribus sans doute. Notre bonne Mère et nos chères Sœurs
sont heureuses de s'unir à moi pour vous présenter l'hom-
mage de notre respect et de notre vive affeclion, ma Très-
108
Honorée Mère. Nos bonnes Sœurs assistantes et toutes
nos chères Sœurs voudront bien aussi agréer nos saluts
affectueux et l'assurance de notre amour fraternel.
T Adieu, ma bonne Mère, et au revoir dans la Patrie.
Croyez-moi j comme toujours,
Votre afiectionnée enfant en Notre Seigneur.
Sr. Ward.
MlSélON DES SEPT-CRANS.
RAPPORT
Présenté au Bureau de la Propagation de la Foi sur la mis-
sion et l'école établies aux Sept-CranSy Municipalité de
Ste. Anne de Beaupré.
Ste. Anne de Beaupré, 21 Novembre 1876
Révd. M. Napoléon Laliberté, Ptre.,
Aumônier de TArchevêché de Québec.
Monsieur l'Aumônier,
C'est aveô plaisir que je viens vous tracer quelques lignes
sur ce qui s'est fait aux Sept-Crans, depuis à peu près un
an. Il y avait trois mois que Sa Grandeur Mgr, TArche-
vôque m'avait chargé de la Cure de Ste. Anne de Beaupré,
lorsque j'allai, pour la première fois, visiter ce pauvre en-
droit. Les Sept-Crans sont trois petites concessions appe-
lées, l'une "St. Jacques," l'autre, "St. Etienne" et la
troisième *' St. Pierre," en arrière de la profondeur d'une
lieue et demie que mesurent les terres du premier rang de
la paroisse de Ste. Anne, Seigneurie de Beaupré. Là je
comptai 38 familles, la plupart pauvres, renfermant 116
communiants et 80 non-communiants, parmi lesquels se
trouvent plusieurs vieillards et infirmes. Mais ce qui me
frappa davantage, ce fut d'y voir des enfants de douze
quinze et dix-huit ans complètement ignorants des vérités
de notre sainte religion, et par conséquent n'ayant pas
^encore fait leur première communion. Ces enfants, ces
infirmes, ces vieillards et ces pauvres qui n'ont pas de
vêtements, me disai-je, ne peuvent donc jamais venir à nos
^offices les dimanches et jours de fête, ni entendre les ins-
tructions, ni fréquenter les sacrements. En effet, pour se
«rendre à l'église, la plupart ont deux lieues et demie à
parcourir par des chemins affreux, puis pour revenir chez
eux, il leur faut remonter une partie des Laurentides si
élevées en cet endroit. Laissés à eux-mêmes, ils n'ont
jamais même pu songer a la possibilité d'avoir une école
110
dans leur localité pour y faire instruire leurs enfants»
Touché de compassion sur le sort de ces familles à plaindre
sous tous les rappojts, je résolus de leur veriir en aide, en
essayant de trouver les moyens de bâtir, dans la concession
du centre appelée "St. Etienne," une chapelle-éeole^ où, ea
leur procurant l'immense avantage d'une bonne école, je
pourrais aller dire la sainte Messe une fois par mois sur
semaine, y catéchiser les enfants et confesser les vieillards
et les pauvres qui ne peuvent descendre à l'église. Je sou-
mis ce projet à Mgr. l'Archevêque, qui l'approuva dans une
lettre en date du 16 Décembre mil huit cent soixante*
quinze, dont voici un extrait :
" Je connais de réputation votre concessien des Sept-
** Crans. J'approuve de tout cœur la projet que vous avez
" formé d'y aller une fois par mois sur semaine, faire une
*' petite mission, pour confesser et catéchiser ces pauvres
" gens. Quant à la faire ériger en municipalité scolaire
" séparée, et obtenir une aide du gouvernement, c'est chose
** facile. Vous n'avez qu'à dresser une requête au Ministre
" de l'Instruction Publique, faites la signer par vos commis-
" saires d'école et par l'Inspecteur du district scolaire, don-
" nez le nombre exact des enfants en âge de fréquenter les
*' écoles et exposez le grand état de misère où se trouvent
*' ces pauvres gens. Je vous autorise, par les présentes, à
*^ dire ou faire dire la messe dans une maison privée de la
*' dite concession."
(Signé) t E. A. Arch. de Québec."
Encouiagé par cette bonne lettre, je me mis immédiate-
ment à l'œuvre et suivis la marche tracée par Monseigneur.
Je dressai une requête à l'Honorable Ministre de l'Instruc-
tion Publique, pour demander l'érection des Sepl-Crans en.
municipalité scolaire séparée de celle de la paroisse Ste«
Anne : ce qui fut accordé par un ordre en conseil, en date
du 28 janvier 1876. Une demande d'allocation comme mu-
nicipalité pauvre fut aussi bien accueillie du Départemei\t
Tout allait à merveille de ce côté, mais je ne savais pas
encore ce que pourraient faire les intéressés. Cependant
je fais un appel à leur générosité un dimanche au prône.
111
et les invite à une assemblée après la messe. Un certain
nombre s'y présentent. Il s'agit de construire une maison
suffisamment spacieuse pour servir de chapelle de mission
ei en môme temps de maison d'école. Je ne leur demande
que leur travail et les matériaux nécessaires à Tédiflce, et
qu'ils peuvent fournir eux-mêmes. Trois syndics sont
nommés, les devis sont faits ; syndics et contribuables ré-
pondent à l'appel avec une entente admirable, et un mois
après tout le bois nécessaire était rendu sur place : c'est-à
dire sur un emplacement qu'un brave homme de la con-
cession St. Etienne, nommé Sieur Olivier Gravel, avait
accordé gratuitement à ma demande. Gomme c'était en
hiver, je ne pus juger si ce lieu était propre à une telle
construction. Malheureusement, au printemps, après la
fonte des neiges, je m'aperçus que cet endroit était d'un
accès difficile, et de plus que le terrain était humide et peu
solide. Le voisin Sieur Paul Paré, voyant mon embarras»
m'offrit sur sa terre un autre bel emplacement, à quelques
perches seulement du premier, qui réunissait tous les avan-
tages. Je l'acceptai avec empressement et reconnaissance.
Mais l'argent pour construire, où le trouver? Il n'y
avait pas dix piastres en espèces dans les Sept-Crans
Mieux que personne, M. l'Aumônier, vous connaissez la-
source première des moyens pécuniaires qui nous sont
-venus. C'est par votre entremisa que le Consoil de la Pro-
pagation de la Foi nous a accordé la belle somme de $100»
Le Département de l'Instruction Publique y ajouta 835,
les Messieurs du Séminaire de Québec $30. Plusieurs gé-
néreux paroissiens de Ste. Anne me vinrent aussi en aide :
un d'entre eux me donna ?5, un autre me fournit tout le
clou nécessaire à la bâtisse, puis l'Archevêché nous fit
cadeau des châ!5sis et des portes de son ancienne bibliothè-
que. Avec ces secours ménagés par la Providence, qui
prend soin du pauvre et du misérable, la mapson fut com-
mencée au mois de juillet de cette année.
Dès le premier de ce mois, selon la permission donnée
par Mgr l'Archevêque, j'allai dire la messe dans la maison
duSieur Olivier Gravel. Toute la population y assistait,
"hommes, femmes et enfants. Plusieurs d'en tre eux enten-
112
daient la messe pour la première fois de leur vie: c^était
un spectacle vraiment attendrissant: un Dieu Sauveur des-
cendait pour la première fois sur un autel bien pauvre
dans ce pays de montagnes, et c'était le môme Dieu gui
habite nos temples magnifiques, nos riches cathédrales, le
môme Dieu qui règne dans la splendeur des cieux. Je
donnai une instruction bien familière sur ce sujet même :
il y avait des larmes abondantes de joie et dé bonheur.
C'était là la première récompense du zèle, de l'entente et
des sacrifices de ces pauvres gens ; elle fut vivement sentie
et hautement appréciée.
Un autre sujet de joie d'autant plus grande qu'elle était
moins prévue et moins attendue, ce fut la visite de Mgr
rArcheveque aux Sept-Çrans. Selon sa pieuse habitude
depuis de longues années. Sa Grandeur qui a tant fait pour
encourager la dévotion envers Ste. Anne, aujourd'hui pa-
<. tronne de la Province Ecclésiastique de Québec, était en
pèlerinage au vénéré Sanctuaire, le Dimanche dans l'octave
de la fête. Non content d'avoir, ce jour-là, donné le ser-
mon à la messe paroissiale, confessé avec nous les pèlerins
pendant plusieurs heures, fait la procession de la Sainte
ReUque à vêpres, Monseigneur voulut couronner sa journée
déjà si bien remplie par une ascension des montagnes jus-
qu'aux Sept-Crans. Les habitantsl du ieu prévenus de
cette honorable visite, s'empressèrent de monter chez
eux immédiatement après l'office, et de là se rendirent
en foule à leur chapelle. De son côté. Monseigneur
quittait le presbytère de Ste. Anne en petite charrette,
seule voiture possible dans ces chemins, sans suite comme
un simple missionnaire. Deux heures et demie de marche
le conduisirent au terme de son voyage. Là Monsei
gneur adresse une parole d'encouragement à ces braves
gens, fous du bonheur d'une si belle visite, bénit la foule
prosternée à ses pieds et revient, écrasé de fatigue, mais
heureux du bouheur de ses enfants. Le souvenir de cet
événement qui fera époque dans la vie des gens des Sept
Crans, ne s'effacera jamais de leur mémoire. Plus tard les
enfants et les petits-enfants de ceux qui en ont été les
témoins diront que le premier Evêque qui foula de ses-
413
pieds le sol des Sept-Crans, fut Sa Grandeur Mgr. Elzéar
Alexandre TaschereaUj Archevêque de Québec.
La chapeUe-écûie était alors seulement levée et le solage
fait. Je donnai à Tentreprise le parachèvement de l'ex-
térieur et de l'intérieur, ce dernier divisé comme suit :
l'édiûce compte 40 sur 25 pieds ; le centre de la maison, 22
sur 25, servira à la classe, et aussi de nef pour la chapelle
au jour des missions. A droite, en entrant, 10 sur 25 pieds
sont destinés au logement de la maîtresse d'école, et à
gauche, 8 sur 25 sont distribués en trois parties égales de
huit pieds guarrés ; l'appartement du milieu est fermé
d'une porte double largeur: là est l'autel: c'est le sanc-
tuaire de la chapelle ; d'un côté est la sacristie, de l'autre
une petite chambre pour le prêtre.
En outre de l'avantage d'une école et d'une chapelle
pour cette mission, rien de plus commode que cette maison.
Si, à la tombée du jour, on vient des Sepl-Crans quérir le
prêtre à Ste. Anne pour aller porter secours à un malade,
c'est un voyage de toute la nuit pour aller et revenir, avec
mille peines et dangers^ surtout dans les saisons du prin
temps, de l'automne et de l'hiver. Puis, si le malade est
en danger de mort, et que l'on n'ait pas donné au prêtre
tous les renseignements nécessaires sur son état, c'est un
deuxième voyage des plus pénibles à entreprendre pour
porter le Saint- Via tique. Maintenant aucun de ces incon.
vénients. Nous n'avons qu'à apporter calice, vin et hostie
avec nous ; si le malade peut et doit recevoir le Saint-
Viatique, la messe se dira à notre chapelle, sans que nous
revenions à l'église chercher les sain tes espèces, et le malade
n'eût-il pas besoin du Saint- Viatique, le prêtre sera heu-
eux de trouver aux Sept-Crans un chez lui qui l'exemple
vde revenir la nuit.
C'est le premier de Septembre qu'eut lieu la bénédiction
de la nouvelle chapelle et que la sainte messe y fut dite
pour la première fois. Cinq semaines plMs^tard une insti-
tutrice était engagée pour la nouvelle école : c'est une Dlle.
Sylvain, de Ste. Anne, élève du Couvent de cette paroisse,
. ayant diplôme d'école modèle du Bureau de Québec, qui
• eut le zèle et le courage de prendre la direction de cette
2
114
classe. La maison était prête à sa destination et, dès le-
premier jour, au-delà de 30 enfants se présentèrent à l'école.
Le 7 Novembre courant, j'ai donné la première mission
en forme : prière et instruction le soir, puis confession.
Xe lendemain grand' messe, à laquelle j'eus le bonheur de'
distribuer la sainte communion à 46 personnes. Cette grand'^
messe a été chantée pour témoigner de la reconnaissance
des habitants des Sept-Crans envers Mgr l'Archevêque en
particulier, bienfaiteur de l'école, et envers tous les bien-
faiteurs de la mission. Après la messe, je visitai la classe,
qui comptait 37 élèves, et ce nombre augmentera encore
prochainement. Je fus étonné de voir la bonne tenue de
ces pauvres petits enfants, et je dois dire à leur louange
qu'ils semblent, par leur application et leur respect pour
l'institutrice, comprendre, malgré leur jeune âge, l'immense
avantage dont ils jouissent aujourd'hui de préférence à
leurs devanciers.
De tout ce qui précède, il est facile de conclure que la
chapelle-école, telle qu'étabHe, était absolument nécessaire
aux Sept-Crans. La mission y produira ses fruits, grâce à
la protection et à l'encouragement qu'elle a reçus et qu'elle
recevra encore, je l'espère, du Bureau de l'Œuvre de la
Propagation de la Foi. L'école ne fera pas moins de bien,,
si leTDépartement de l'Instruction Publique lui continue la
faveur qu'il lui a donnée avec tant de générosité.
En terminant ce long rapport, je ne puis que remercier
tous les cœurs généreux qui nous sont venus en aide dans
cette entreprise, petite en apparence, mais en réalité im-
portante. L'établissement de cette chapelle école ouvre
pour cette localité une ère d'encouragement et de bonheur
spirituel et même teanporel. Nous pouvons même dire
que nous y avons déjà cueilli des fruits précieux de salut,
et le bon Dieu ne fait que commencer son œuvre. Les
parents et les enfants apprendront, les uns à l'école^ les
autres à la mission, à s'acquitter dignement de leui*s de-
voirs de chrétiens et de citoyens. Aussi ces pauvres gens
n'ont qu'un cœur et qu'une âme pour redire leur conten-
tement et leur reconnaissance envers leurs bienfaiteurs.
Agréez, M. l'Aumônier, l'assurance de mon sincère atta-
chement, et croyez-moi bien
Votre tout dévoué confrère,
ANT. GAUVREAU, Ftrk.-
ABRAHAM WIKASKOKISEYIN.
II y a quelques semaines, les feuilles publiques anan-
çaient la mort accidentelle d^Abraham Wikaskokiséyin
(herbe odoriférante^ le chef de la tribu des Cris, dans la
▼allée de la Saskatchewan, territoire du Nord-Ouest* Un
véritable ami de cette tribu, désolé par la perte de son
chef, BOUS fournit quelques détails sur les principaux inci-
dents de la vie de Wikaskokiséyin, que nous publions avec
le plus grand plaisir.
Les ancêtres de ce chef appartenaient à une peuplade
appelée les Corbeaux (Kâkiwâtjénak,) vivant aux environs du
Missouri. La guerre qui existait alors entre cette tribu et
celle des Cris occasionna l'enlèvement d'une jeune femme
qui fut amenée au milieu des Gris, et y donna naissance ù
un lils qu'on nomma plus tard Wikaskokiséyin. Devenu
jeune homme, et ayant été adopté par les Cris comme ap-
partenant à la tribu, il prit part à leurs guerres et aventu-
res. Son caractère aimable et conciliant, et surtout sa bra-
voure, rélevèrent bientôt au-dessus de ses compagnons. Il
était d'une petite taille^ et on commença à le nommer Apist-
chi'KoimciSy le petit-chef. Chez les sauvages des prairies, le
désintéressement, la libéralité et la prodigalité sont des
qualités qui placent bientôt quelqu'uîi au nombre ies grands.
Notre jeune homme revenait bien des fois ''.e ses courses
dangereuses avec des bandes de chevaux enlevés à l'enne-
mi, et des chevelures pendaient à sa ceinture. Arrivé dans
son camp, il distribuait toutes ces dépouilles à la foule
qui l'acclamait, et ne gardait rien pour lui. Nombre de
fois il sauva ses compagnons de dangers imminents par sa
hardiesse et son audace remarquables.
Devenu giund hommc^ il se maria, et c'est d'alors que da-
te véritablement le choix.qu'on fit de lui comme chef de la
tribu des Cris. Il commença de suite à se faire remarquer
par sa patience, et la constance qu'il déploya pour engager
sa nation à vivre en paix avec les tribus voisines.
Depuis longtemps, il manifestait ses sympathies et son
attachement pour les blancs, en plaidant leur cause dans
les grand}; conseils. A l'arrivée des missionnaires au milieu
116
de ses gens, il se montra bon, généreux et hospitalier en
vers eux, mais il ^ tarda longtemps à inscrire son nom
sur la liste des catéchumènes, tout en encourageant les
siens à se Mre chrétiens. On ne pouvait s'expliquer sod
retard de prendre pour lui ce qu'il trouvait si bon pour les
autres^
Il eslimait et aimait beaucoup le Révd. Père Lacombe, le
premier prêtre avec lequel il avait fait connaissance et
amitié» Le père lui parlait souvent de religion, mais
Wikaskokiseyin soutenait toujours que le temps n'était pas
arrivé pour lui. Une circonstance providentielle déter-
mina son changement. Un jour, son gendre s'était frac-
turé la main par l'explosion de son fusil. Le jeune homme,
de désespoir, s'était enlevé toute la main en se coupant le
poignet avec son couteau. Il s'était fait lier le bras avec
du nerf pour arrêter le sang. Quelques jours après cet
accident, le missionnaire arrive dans ce camp. Wikaskoki-
seyin s'empresse d'aller le saluer et lui demande de soigner
son gendre. Le cas était bien grave, et le pauvre Père, en
voyant cette plaie hideuse, ce bras gonflé, et une partie
4es chaires déjà en putréfaction, unit par dire au chef qu'il
I egrettait, mais qu'il ne pouvait rien faire pour son gendre,
vu que cette affreuse blessure requérait un bien meilleur
médecin.
*'*' Homme de la prairie, dit Wikaskokiseyin, soigne-le
quand même, et je me mettrai de la Prière^ quoique tu ne
le guérisses pas,"
Le prêtre forcé par les instances de son ami qui avait
tant de confiance en lui, entreprit tout de même de soigner
le Jeune homme. Avec son rasoir, il détacha les chairs
«.yâtées, appliqua tous les jours des onguents, et tous les
Jours lavait la plaie, après en avoir détaché le pus. Avec
Taide du Grand Maître de la vie, au bout de vingt-cinq
jours de soins, le jeune homme était guén. Il n'en fallut
pas davantage pour convaincre le chef et toute sa nom-
breuse parenté, qui suivirent son exemple.
Pendant que Wikaskokiseyin était catéchumène et qu'il
se préparait à recevoir le baptâme,un incident digne d'être
rappelé pour l'honneur de ce grand chef eut lieu en pré*
117
sence du missionnaire. C'était dans le mois de février^
dans les grandes plaines du Nord-Ouest, au milieu d'un
camp assez nombreux. Après la prière du soir, plusieurs
des principaux étaient restés pour causer avec le mission-
naire en fumant le calumet. Wikaskokiséyin était là
comme toujours, le plus proche de la robe noire. Tout à
coup, un sauvage, en habits de voyage, tout couvert de
frimas, ses raquettes sous le braiB, entre, remet au Père un
paquet, et s'accroupit auprès du feu. C'était un courrier
de la mission de Saint- Albert (cinq nuits de distance), et
qui apportait la malle du missionnaire, qui, depuis bien
des mois, n'avait pas eu de nouvelles des pays civilisés.
En ouvrant le paquet, le missionnaire reconnaît les lettres
de son évèque, de ses amis et de ses parents. 11 fait si bon
de recevoir des lettres quand on est bien loin des siens!
Tous les yeux étaient tournés sur lui et on cherchait à
deviner sur sa figure les nouvelles qu'on attendait avec
tant d'anxiété. Le Père avait déployé un grand papier et
le parcourait en silence, mais ses émotions le trahissaient.
C'en est fait le chef ne peut plus se contenir, et interpelle
le Père en lui disant :
'* Voyons, un peu pour nous. Dis-nous ce que dit ce
papier, puisque tu parais si touché.
— Ah 1 dit le missionnaire, ce papier renferme les paroles
du pape, le chef de tous les priants. Il s'adresse à tous les
chefs de la. prière et leur dit de se rendre auprès de lui^
pour tenir un grand conseil pour l'intérôt de la' religion."
C'était l'Encyclique que le Pape adressait à tous les évo-
ques pour les inviter au concile dû Vatican. Wikasko-
kiséyin se lève et demande le nom du Pape* Le Père lui
dit: " Pie /J.'"— " Mon Père, répète donc encore une fois."'
Le Père de répéter Pie IX une seconde fois. Alors tout
transporté, il dit au missionnaire. ^'£st-ce qu'il nous est
permis, à nous, si misérables, de prononcer ce nom ?" —
^'Ohl oui, mes enfants, dit le Père^ puisque vous êtes de
sa famille." Il fait le signe de la crois;, et aveola plus
grande émotion, il dit : ^' Pie /J/:— Dites tous comme moi,
dit-il à ses compagnons, cela nous portera chance." £n-
atiite il demande au Père le papier et la place où était im>
118
primé le nom de Pie IX, et le baise avec amour en l'arro-
sant de ses larmes. Il n'en faut pas davantage pour dé-
montrer le bon cœur et l'intelligence de Wikaskokiséyin.
L'été suivant, il se trouvait, avec sa tribu, aux prises ayec
la terrible maladie, la petite vérole, qui a décimé les pau-
vres sauvages pendant plusieurs mois. Plus de 3,000, in-
dividus parmi lés tribus de la Saskatchewan, ont été vicU-
mes de ce cruel fléau. Wikaskokisévin se montra à la
hauteur de sa position, au milieu de la consternation géné-
rale. Il venait de recevoir le baptême et de faire les grandes
promesses du mariage. Il consolait, il encourageait, et il
était presque toujours, avec le prêtre, auprès des morte ou
des mourants. Il invitait les mieux portants à Paider pour
enterrer les morts. Comme le prêtre, il consolait ceux
<iu'il ne pouvait secourir. Des scènes bien touchantes et
bien navrantes se sont passées alors et ne sont connues que
du pauvre missionnaire, le témoin attendri d'une nation
frappée par un fi:rand malheur.
L'été dernier, le lieutenant-gouverneur de Manitoba se
rendait sur les bords de la Saskatchewan, aûn de faire un
traite avec la tribu des Cris. Quelques-uns étaient mal
disposés et ne voulaient pas entendre parler de traité. Mais
Wikaskokiséyin, dans une harangue sage et persuasive, fit
'Comprendre aux siens que c'était leur intérêt de bien s'en-
tendre avec les blancs. Il les persuada et le traité fut
conclu. Devant toute l'assemblée, il demanda au Gou-
verneur des missionnaires catholiques. Le représentant
de la Reine l'embrassa, lui remit un habit de chef et un
beau pistolet. Wikaskokiséjin s'était- acquis l'amitié et
l'admiration de tout le monde. Hélas ! il ne devait pas
jouir longtemps de ces marques de distinction. Quelques
mois après, ce même pistolet lui donnait la mort. Pendant
une réunion dans sa loge, on examinait cette arme, qu^'on
remuait en tous sens, sans précaution. Tout à coup une
détonation se fait entendre, et le chef des Cris est frappé
mortellement^ à la grande désolation de tous.
C'est ainsi que quelque temps après, les journaux du pays
annonçaient cette mort tragique :
'* Nous apprenons avec un grand regret la nouvelle de
119
t
la mort d'Âbrâbam Wikaakokiséyiû (herbe odoriférante),
tué accidentellement par la décharge d'un pistolet. Ce
iBauvage remarquable était depuis longtemps le chef de la
tribu des Cris des Prairies, dans le Nord-Ouest."
" Depuis plusieurs années, il avait, ainsi que sa parenté^
.embrassé le christianisme par les soins du R. P. LâiCombe,
qui l'avait baptisé et marié. Les missionnaires ont toujours
trouvé en lui un appui, un aide et un fidèle ami dans leurs
travaux apostoliques. Il s'est toujours montré le protecteur
des blancs, et plus d'une fois il a prouvé la sincérité de ses
bonnes dispositions envers eux, par des conseils conciliants
et sa sagesse dans les assemblées de sa tribu. Il était aimé
de tous, et môme les tribus ennemies ne pouvaient s'empô-
-cher de rendre hommage à son mérite, en publiant ses
vues pacifiques et son honnêteté dans les traités. Il s'était
acquis sa position par son désintéressement, sa douceur et
sa charité envers ceux qui soufiTraient.
** Le lieutenant-gouverneur Morris, en annonçant sa
mort au Rév P. Lacombe, a dit que ce chef lui avait été
d'un grand secours, l'été dernier, au fort Pitt, lors du traité
que son Honneur a conclu avec les Cris, et qu'il le regret-
tait sibcërement.
'^ Il y a une dizaine d'années, Abraham Wikaskokiséyin
avait accompagné le Père Lacombe à Saint-Boniface, où,
dans la cathédrale, il avait reçu le sacrement de confir-
mation des mains de Sa Grandeur Mgr. l'Archevêque.
'' Les missionnaires perdeut en lui un bon ami, les sau-
vages du Nord-Ouest un chef intelligent, et les blancs un
^ppote€teur dans leurs rapports avec les indigènes."
MISSION DE Ste. CROIX DE TAD0US8AC.
8 Février 1876;
A Sa Grdce Mgr. P Archevêque de Québec.
Monseigneur,
Je suis heureux d'être arrivé au moment de pouvoir en-
tretenir Votre Grandeur, des missions qu*elle a confiées à
mes soins l'automne dernier. Je commencerai par vous
parler de Tadoussac, qui est, comme le sait Votre Gran-
deur, le lieu principal de ma résidence.
Le township "Tadoussac" est borné à TEst par les
Petites Bergeronnes, à l'Ouest par le township Albert qui
dépend de la mission de Tadoussac. La population qui se
composait de 70 familles en l'année 1870 n'a augmenté,
depuis cinq ans, .que dans les proportions suivantes: En
Janvier 1870, il y avait à Tadoussac 70 familles, 235 en-
fants, 192 communions, en tout 385 âmes. En 1876 j'ai
fait, dans ma visite du premier de l'an, un nouveau recen-
sement de mes ouailles, et j'y ai trouvé 75 familles«217
enfants, 241 communiants, en tout 458 âmes. Comme
Votre Grandeur pourra le constater par le tableau suivant,,
le nombre d'enfants est moins grand cette annéa qu'il ne
rélait en 1870:
Familles. Enfants. Communions. Ames.
Janvier 1875... 75 217 241 458
Janvier 1870... 70 235 192 385
Augmentation. 5 49 73
Cette augmentation, sans être rapide, donnerait néan-
moins beaucoup d'espoir pour la formation d'une nouvelle
paroisse en arrière de Tadoussac, dans le township Albert ;
mais on ne s'occupe pas assez de la culture malheureuse-
ment, et c'est le moyen d'être toujours pauvre. On aime
mieux vivoter, se contenter de peu, plutôt que d'abandon-
ner les côtes arides de Tadoussac: On préfère accompagner
les étrangers qui affluent ici pendant la belle saison, dans
leurs partis de chasse ou de pêche ; hélas ! c'est un moyea^
121
d*être toujours esclaves des autres et de ne pas exploiter les
bonnes terres qn'on a prises dans la concession et plus loin
SUT le chemin qui conduit à la mission de la Rivière Ste.
Marguerite.
Cependant plusieurs semblent ouvrir les yeux et finissent
par comprendre que le défrichement de ces bonnes terres
leur serait plus profitable et leur rapporterait plus que le
peu d'argent qu'ils gagnent dans leurs excursions avec les
étrangers. Puissent-ils le comprendre définitivement et
honorer un peu plus la culture I Ce serait le seul moyen
d'éloigner, de plusieurs familles, cet état de médiocrité ou
plutôt de pauvreté dans lequel elles vivent. Quatre familles
courageuses sont allées se fixer au milieu du lownship Al-
bert, à trois lieues d'ici, pour commencer à ouvrir les bel-
les et bonnes terres qui s'y trouvent : espérons que l'exem-
ple de leur courage en attirera d'autres !
L'ancienne et respectable chapelle de Tadoussac, bâtie
en 1747 par le père Goquart, Jésuite, n'est plus assez spa-
cieuse pour la population. Il suffit de connaître les di-
mensions de ce modeste temple, pour se* persuader de
l'exiguité du local, les voici : longueur, 30 pieds ; largeur,
20 pieds avec rond-point y compris: le chœur n'a que 10
pieds de long.
Pendant l'hiver, les Tadousaciens s'y logent encore, tout
en y étant bien à la gône ; mais pendant l'été la chapelle
est tout-à-fait insuffisante: il y a un plus grand nombre de
personnes qui entendent la messe en dehors et jusque dans
la rue, qu'il y en a qui l'entendent à l'intérieur, et Votre
Grandeur comprend la difficulté qu'il y a pour le prêtre
d'être entendu de ces personnes, comme aussi là difficulté
pour le Connétable de faire observer l'ordre et le silence au
plus grand nombre dont la plupart sont des jeunes gens
toujours si portés à se dissiper dès qu'ils ne sont plus sous
les yeux de leurs parents ou d'un gardien.
11 paraît certain, que l'an prochain, M. David Price et
Cie. feront construire des moulins à vapeur tout près de
rAnse-à-l'Eau, pour le sciage du bois. Ces moulins don-
neront de l'emploi à 200 ou 300 hommes; alors. Monsei-
gneur, Votre Grandeur peut facilement jwger.combien nous*
122
serons à rétrolt dans notre petite chapelle. C'est donc le
moment urgent de commencei* à construire une demeure
plus vaste à Notre Seigneur Jésus Christ et nous n'atten-
dons que l'ordre de Votre Grandeur pour nous mettre à
l'œuvre ; puis nous espérons que l'œuvre de la Propagation
de la Foi nous viendra en aide pour cette construction ; car,
Monseigneur, comme Votre Grandeur le sali bien, les ha-
bitants de Tadoussac sont trop pauvres pour soutenir seuls
tous les frais que devra nécessiter une telle entreprise.
Secourus par la Propagation de la Foi, avec le peu que
la mission possède et aussi avec la bonne volonté de plu-
sieurs contribuables de la place, je crois que nous élève-
rions, en peu de temps, ce petit temple. Nous comptons
aussi sur la libéralité des MM. David et William Price, qui,
toujours dans ces occasions, se montrent fort généreux ;
ils pourront nous, donner la plus grande partie du bois
nécessaire. Puis ensuite, j'espère que les touristes qui
séjournent et passent en grand nombre, par Tadoussac,
pendant la belle saison et qui ne manquent jamais de venir
visiter notre chapelle, cette ancienne relique des temps
passés, se convaincront facilement de la nécessité de notre
entreprise et qu'ils nous aideront par leurs largesses.
Son Excellence, Lord DulFerin, qui a ici une demeure
princière où il vient avec son honorable famille passer la
belle saison, ne manquera pas non plus, nous en sommes
sûrs, de nous offrir un don généreux ; car il sui&t de con-
naître l'intérêt que Lord Dufferin met à conserver les anti-
quités de la vieille capitale du Canada, et de toute la pro-
vince, pour croire aussi qu'il ne refusera pas de nous aider
à embellir le lieu où il possède une résidence, ce vieux
Tadoussac si célèbre dans l'histoire de notre pays.
A tout amateur d'antiquités, voici une note qui ne man-
quera pas d'intérêt, elle est tirée du journal du père
Coquart, jésuite. J'ouvre ce journal et je cite :
'' Le 21 Mars 1747, Blanchard est parti pour aller écarrir
^' la nouvelle Eglise à Tadoussac, selon l'engagement par
'< écrit que j'ai avec luju Le 16 Mai j'ai béni la place de la
'^^ nouvelle Eglise et coigné la première cheville. Monsieur
-^^Hocguart, intendant de la Nouvelle- l'rance, a accordé
123
'^ toutes les planches, madriers, bardeaux et tous les clous
^* nécessaires pour la bâtisse et je me suis engagé pour moi
^^ et mes successeurs à dire pour lui la messe tandis que
^^ l'Eglise subsistera pour reconnaître sa libéralité. Le 21
'' Mars 1748 je fus à Québec et j'obtins encore de Monsieur
*' rintendant, 300 liv. pour ma nouvelle église de Tadous-
'* sac* L'automne 1749 Monsieur Bigot, intendant, m'ac-
^* corda 200 liv. pour mon Eglise de Tadoussac, qui fut
" couverte et fermée cette année.
" Enfin à la St. Jean, de l'an 1750 la dite Eglise fut par-
^ faitement achevée et fut estimée à 3000 liv. par Monsieur
^ Guillemin, Conseiller au conseil de Québec et commis-
"saire du Roi à Monsieur Hary, nouveau fermier des
" postes du 1er octobre dernier."
Voilà ce que disait le père Coq'uart au sujet de l'église
qne nous possédons encore, quoique depuis ce temps elle
ait subi quelques réparations. C'est donc une vieille reli-
que que nous aimerons à conserver, tout en élevant à ses
côtés une autre chapelle plus considérable. Les renseigne-
ments du père Coquart s'accordent très bien avec Tinscrlp-
tion trouvée il y a quelques années, sous le plancher de la
dite chapelle. C'est une plaque en plomb, sur laquelle sont
les lettres suivantes :
" L'an 1747 le 16 Mai Monsieur Coignet, fermier des
" Postes ; F. Doré, commis — Michel Lavoye fesant l'Eglise
" — Le père Coquart, Jésuite, m'a placée."
Tadoussac possède une bomie maison d'Ecole, fréquentée
par cinquante enfanta cette année. Il est malheureux qu'il
n'y ai t qu'une seule école ici ; si les ressources des habitants
le permettaient, une autre école serait d'une grande utilité,
w En effet la maison d'école se trouvant dans le village même
de Tadoussac, un bon nombre d'enfants résidant dans le
bas de la paroisse ou dans la concession se trouvent trop
éloignés pour y pouvoir venir.
La piété est assez remarquable dans ce poste. La pla*
part de mes ouailles savent se mettre à l'abri des dangers qui
résultent da contact avec cette population nomade qui nous
arrive chaque printemps. Cependant, il faut l'avouer avec
peine, il y a eu encore l'été dernier quelques défaillances
124
suFtout en ce qui regarde les boissons enivrantes ; tel qur
serait sobre s'il n'avait pas la malheureuse occasion, noie*
souvent sa raison dans le vin apporté ici par les étrangers.
Les victimes de ce genre son peu nombreuses, Dieu merci,
mais un grand nombre d^autres, quoique n'étant ^as ivro-
gnes de profession, ont un goût prononcé pour les liqueurs
alcooliques. L'on dirait que plusieurs Tadousaciens ont
hérité des dispositions de leurs devanciers indigènes à
Tadoussac, en ce qui regarde les boissons fortes. La croix
de tempérance n'y est tenue en honneur que par quelques
familles. Espérons que plus tard d'autres viendront se
ranger sous ce signe sacré et protecteur 1 Je dirai même
à Votre Grandeur que trois familles dont la parenté engen-
dre peut-ôtre la parité dans les inclinations, font des efforts
inouïs pour obtenir une* licence et détailler de ces malheu-
reuses boissons. J'espère que ces efforts viendront se briser
contre la volonté de nos quatre braves conseillers munici-
paux et que, comme l'an dernier, le coup d'essai manquera.
Une licence accordée serait un grand malheur ! les gens
de Tadoussac, qui sont pauvres pour \A plupart, n'ont que
faire de ces tristes demeures, où irait s'engouffï^er l'ar-
gent si rare et si nécessaire pour procurer le pain à leurs
familles.
Les exercices du Jubilé, qui ont eu lieu en décembre
dernier, ont été bien suivis par mes paroissiens et le soir à
7 heures il j avait foule. Pour la commodité des journaliers
et des personnes de métiers^j'avais renvoyé jusqu'à cette
heure le sermon, qui était précédé de la prière et suivi de
la bénédiction du très-Saint Sacrement. Tous se sontap*
proches du tribunal dd la pénitence et de la sainte table, à.
l'exception de quelques négligents dont le nombre n^excë-
dait pas 7 ou 8. Après Dieu le mérite en revient i mes
confrères voisins, qui ont bieù voulu prêcher dans cette
circonstance, et être les instruments choisis de Dieu pour
lui réconcilier les pauvres pécheurs. En sommé, si le
pauvre missionnaire a plus de sacrifices à faire, s'il a à
passer la plus grande partie de scn temps dans l'isolemeni,
éloigné de ses confrères qu'il ne voit qu'après de longs io^
tervalles, en revanche, le bon Dieu sait lui ménager de?
125
temps en temps beaucoup de consolalion et de joies s^iasi»
blés au cœur.
MISSION DE ST. FIRMIN DE LA RIVIÈRE AUX CANARDS.
La mission de la Rivière aux Canards et gui a saint Fir-
min pour patron, est desservie par le missionnaire de
Tadoussac d'une manière assez régulière. Il n'y a que les
forts -vents du Nord-ouçst qui soufflent si souvent ici, et
les glaces dont le Saguenay est souvent couvert qui appor-
tent quelques retards dans les époques déterminées pour la
mission. Depuis Tautomne dernier, les gens de St. Firmin
ont la messe un dimanche sur six et une autre messe sur
semaine pendant Tinterval ; faveur qu'ils doivent à votre
bienveillance, Monseigneur, et dont ils n'oublieront jamais
le bienfait. Chaque jour, ou les entend témoigner leur re*
connaissance envers Votre Grandeur d'abord, puis envers
celui qui va, au nom de Dieu et par votre autorité, leurpor*
ter les secours de noire sainte religion. II leur fallait la mes-
se quelquefois le dimanche pour ne pas leur laisser oublier
que ce jour est consacré à Dieu d'une manière toute spéciale
et pour les amener à bien l'observer. On comprend facile-
ment qu'étant continuellement privé de la messe le diman-
che, et se trouvant presque toujours dans l'impossibilité de
l'entendre à raison de la traverse du Saguenay qui est le
plus souvent dangereux, on finit par ne considérer ce jour
que comme un jour ordinaire. Il le fallait encore afin de
ne pas permettre aux hérétiques d'insinuer à ces pauvres
jeunes gens le poison de l'erreur ; car c'est surtout le
dimanche que ces apostats éhontés s'efïorcent de faire des
prosélytes, profitant du jour où les gens sont désœuvrés
et réunis ensemble au foyer domestique. Les gens de cette
mission paraissent heureux de pouivoir se réunir de temps
à autres le dimanche autour du missionnaire, et je vous
assure, Monseigneur, que j'en profite pour leur faire voir
Terreur et la mauvaise foi des pasteurs bibliques, et pour
leur rappeler les vérités immuables de notre sainte religion.
Deux chefs de famille que l'erreur avait atteints assez
facilement à canse de leur ignorance, sont rej^enus à des
-sentiments plus religieux ; l'un d'eux s'est même approché
126
du tribunal de la pénitence et Tautre donne les meilleures
espérances de retour : depuis quelque temps ils sont tous
deux très- réguliers à assister à la messe à chaque mission
que je donne à St. Finnin.
Votre Grandeur sait, sans douce, que Tan dernier un habi-
tant de la Rivière aux Canards, trompé et perverti par les
émissaires de Satan, a apostasie et s'est ainsi jeté, tôte bais-
sée, dans le précipice de Terreur... Reviendra-t-il à la foî
catholique ? Dieu seul le sait... Les conjectures nous por-
tent à croire qu'il mourra dans son apostasie avec sa pauvre
famille qu'il a associée à son malheur. Pauvre âme, paa-
vre famille ! ! !
En somme, quoiqu'il y ait encore trois à quatre indiffé-
rents qui ne donnent pas signe de vie, tous les autres nous
ont donné les plus grandes consolations dans les différentes
missions que nous leur avons données; ils assistent aux
instructious ainsi qu'à la sainte messe avec une assiduité
peu ordinaire.
C'est surtout à l'occasion du Jubilé qu'ils ont montré^
leur foi et leur piété. Quatre prêtres que nous étions,
nous avons été tous vraiment édifiés et touchés de
voir leur empressement a profiter de la grâce, et nous
en sommes sûrs, la grâce n'a pas passé en vain, puisque la
belle résolution qui a couronné les exercices du Jubilé a
été celle de s'enrôler sous la bannière de la Croix en renon-
çant librement et généreusement aux boissons enivrantes.
Plus de trente personnes, jeunes gens et chefs de famille
ont pris la croix de tempérance !
La mission de St. Firmin ne progresse pas, mais elle ne
diminue pas non plus. Elle ne renferme, comme en 1874^
qu'une trentaine de familles. D'après le recensement que
j'ai fait, celte année, dans ma visite, j'ai trouvé que le nom-
bre positif des communiants est de 112, celui des non-com
muniants, en y comprenant les protestants, est de 79 — en
tout 191 âmes.
Une chapelle de 40 x 25 pieds est levée et close; mais
elle n'est pas encore en état de recevoir son petit peuple
pour les s^jnts mystères. J'espère que ce printemps les
travaux se continueront activement et que nous y ferons
127
les offices dès Tautomne. Je prends ici occasioa de remer-
cier rœnvre delà Propagation de la Foi, des secours qu'ellp
nous a accordés pour bâtir cette chapelle devenue si néces-
saire dans les temps mauvais où Thérésie tentait à se pro-
pager ; car par ce moyen le culte divin sera relevé à leurs
yeux et à leur esprit, et rhérésie tentera moins à y marcher
tète levée.
Une bonne école fonctionne à St. Firmin; 20 enfants la
fréquentent assez régulièrement.
MISSION DE STE. MARGUERITE.
La mission de la Rivière Ste. Marguerite située à 6 lieues
de Tadoussac sur la rive droite du Saguenay en remontant,
renferme une population de 120 âmes, dont 62 commu-
niants et 58 non-communiants. Dans ce chiffre se trouvent
comprises les familles qui résident à une demi-lieuc plus
haut aux '^Islets rouges, " dans le voisinage desquels sont
construits les moulins à scies de MM. Louis et Joseph llar-
vey. Comme les gens de ces moulins ont beaucoup de
difficulté à se rendre à la chapelle de Ste. Marguerite, le
missionnaire se transporte chez eux et donnent la mission
dans la maison de M. Louis Harvey qui la voit de bonne
grâce se transformer en chapelle pour un moment, aûn de
permettre aux employés de ses chantiers et de ses moulins
de remplir leurs devoirs religieux et surtout d'assister k la
sainte messe.
La chapelle de StP. Marguerite estassez spacieuse pour la
population; elle a 30 x 24. L'extérieur n'est pas encore
achevé, il le sera ( o printemps ainsi que la petite sacristie
qui a été annexée ù cette chapelle et qui n'est pas cucoro
logeable.
Il y a une maison d'école à Ste. Marguerite mais mal-
heureusement, elle ne fonctionne pas cette année ; cela
vient surtout de ce qu'aucune institutrice n'aime beaucoup
aller s'isoler ainsi, loin de l'église et du prêtre. Pourtant
ce serait un avantage bien précieux pour ces pauvres gens
d*avoir au milieu d'eux une bonne école. Car ils sont
ignorants, et privés d'une école leurs enfants ne seront
guère plus instruits. Le missionnaire ne peut aller bien
128
souvent leur porter Viiistructioa eX les secours de la reli-
gloQ vu la distance qui les sépare de Tadoussac et Tétat
impraticable des chemins.
Là comme dans les autres endroits où le missionnaire
n'apparaît qu'à de rares intervalles, on pourrait souhaiter
plus de perfection dans l'accomplissement des devoirs reli-
gieux. Il y a une plaie difficile à guérir : ce sont les blas-
phèmes et les mauvaises paroles. Si le prêtre est assez
heureux pour renverser cette batterie du démon, ce sera
un grand point de gagné.
Le désœuvrement du dimanche a bien aussi ses incon-
vénients; mais il faut espérer qu'ils suivront mes conseils
et qu'ils s'assembleront tous les dimanches dans leur cha-
pelle pour y faire une lecture de piété, dire le chapelet el *
faire le chemin de la Croix. En effet ils ont maintenant un
assez joli chemin de Croix que j'ai béni daas le mois de
janvier selon la permission que m'en avait accordée Votre
Grandeyu.
Je vous -demande pardon, Monsei/îneur, de vous avoir
ennuyé aussi longuement par ces différents rapports et je
sollicite humblement de Votre Grandeur, qu'elle daigne
me bénir d'une manière toute spéciale ainsi que le petit
troupeau confié à mes soins.
J'ai rhonneur d'être avec respect,
Monseigneur,
De Votro Grandeur,
Le très humble et très dévoué fils,
F. E. T. Casault, Pire.
Miss.
NOUVEAU-BRU NSW ICK.
LÉPROSERIE DE TllACADIE.
Les religieuses de THôteLDieu de Montréal ont entre
pris, il y a neuf ans, une œuvre admirable de dévouement
et d'héroïsme, une œuvre capable à elle seule de faire
aimer et respecter une religion qui enfante de tels prodiges
de charité et d'abnégation, nous voulons parler du soin
des Lépreux à Tracadie dont elles se sont chargées en
Septembre 1868.
Cette mission importante des Sœurs de THôtel-Dieu de
Montréal est peu connue ; nos Annales en ont à peine parlé,
les journaux n^'ont fait, dans le temps, qu'annoncer le
départ des Sœurs ; néanmoins une de nos bonnes plumes
canadiennes et catholiques, M. E. Lef. deBellefenille, traça
de belles pages sous le titre *' Les Lépreux de Tracadie/'
dans la Revue Canadienne (Août 1870), mais ces pages
pleines d'intérêt ne furent lues que par les lettrés, les
seuls, à peu près, qui s'abonnent aux grandes Revues. Le
travail de M. de Bellefeuille étant très propre à faire con
naître et apprécier l'œuvre de nos dévouée» religieuses,
donnant de plus des renseignements précieux sur l'histoire
proprement dite de cette colonie infortunée, nous ne pou-
vons rien faire de mieux que de le reproduire ici en grande
partie ; les Associée de la Propagation de la Foi y trouve-
ront leur profit sous plus d'un rapport, et surtout ils y admi-
reront le dévouement sans borne, l'héroisme sublime de
nos religieuses qui eurent le courage chrétien d'aller se
faire les amies, les sœurs de ces êtres délaissés de tous et
croupissant dans la plus profonde misère depuis plus de
cent-cinquante ans.
Nous laissons la parole à l'écrivain de la Revue :
^* Il y a longtemps qa'on le dit, le Bas-Canada est Tins
trament dont se sert la Providence de Dieu pour évangé
User la terre de l'Amérique, instruire les iguorants, recourir
les pauvres, soigner les malades, élôver les enfants dans le
bon chemin, sur la face de cet immense continent. Au>
130
Chili, au Bi*ésil, au Pérou, dans TOrégon, à la Rivière-
Rouge, à Terreneuve, jusque dans les immenses steppes
glacées de PÂmérique russe et de la Baie d'Hudson, le
Canada envoie des-évêques, des prêtres, des missionnaires,
des religieux, des religieuses, exercer toutes les œuvres de
la charité chrétienne, et faire connaître partout les descen-
dants des héros et des inartys qui ont jadis fondé cette
colonie de la Nouvelle-France. Même aujourd'hui, notre
pays ne cesse de vérifier la remarque que je viens de faire;
par là, il continue l'entreprise commencée par Jacques-
Cartier et ses compagnons, continuée par Champlain et
Mgr. de Laval ; entreprise qui consiste à porter la lumière
de la vraie foi aux infidèles et à tous ceux qui en sont
privés, et qui a déterminé rétablissement de ce pays. Bien
aveugle serait celui qui ne verrait pas dans ce rôle impor-
tant que remplit le Canada avec une mystérieuse constance
depuis bientôt trois siècles, la main de la Providence qui
a permis que d'autres nations en Amérique devinssent
plus grandes par la richesse, plus puissantes par la poli-
tique, plus influentes par le commerce, plus fortes par les
travaux matériels; mais qui n'a pas voulu qu'aucune con-
tribuât davantage à l'œuvre religieuse, à Tœuvre catho-
lique, que le plus petit de tous les peuples, le peuple du
Canada 1
" Ces réflexions me sont inspirées par la lecture de plu-
sieurs lettres et autres documents, dont quelques-uns sont
inédits, qui donnent les détails les plus navrants sur une
classe d'infortunés qui existe et souffre à nos portes, dans
la province du Nouveau-Brunswick, sans autre espoir de
cesser de souffrir qu'en cessant d'exister. Je veux parler
•des Lépreux de Tracadie. Les plus malheureux de tous
les hommes, non seulement ils n'ont pas l'espoir de la
fruérison pour les soutenir à traîner leur misérable vie;
mais ils n'ont pas môme la consolation, généralement,
d'inspirer des sentiments de pitié à leurs, semblables : c'est
un sentiment d'horreur qu'ils répandent autour d'eux. Ce
ne sont pas des regards de compassion qui se reposent sur
leurs traits défigurés et monstrueux, sur leur plaies béan-
U's ; ce sont des regards de terreur et de dégoût. Eh bien,
131
ces malheureux n'oat pas échappé à la charité des reli-
gieuses canadieunes ; car il y a deux ans, (t) môtel-Dieu
de Montréal envoyait à Tracadie six de ses membres, qui
B'étaient volontairement sacrifiés et dévoués pour le reste
de leurs jours, aux soins des Lépreux. Le gouvernement
protestant du Nouveau-Brunswick, pour lequel ces inîor-
tunés étaient depuis longtemps un embarras, a confié avec
joie à ces vénérables religieuses, la garde du Lazaret et le
traitement des malades, rendant par là un bel hommage
aux ordres religieux de TEglise catholique. De fait, il était
grandement temps que ce secours arrivât, car, comme on
le verra plus tard, tous reconnaissent qu'avant la venue
des sœurs, les Lépreux ne rerurent guère les soins qu'exige
leur état."
^* Les premiers établissements sur la Rivière Miramichi,
Nouveau-Brunswick, furent faits bientôt après le traité
d'Utrecht, en 1713, par des sujets ds la France, principale-
ment des Basques, des Bretons et des Normands. Sous
l'administration du Cardinal Fleury, de puissantes mesures
furent mises en œuvre afin d'encourager et faire avancf^r
ces établissements, qui, en j)eu de temps, progressèrent si
bien qu'un Monsieur Pierre Beaubair fut envoyé de France
comme Intendant, afin d'en diriger les affaires au nom de
la France. II bAtit une petite ville à !a pointe de terre qui
porte son nom jusqu'à présent, à l'embouchure de la bran-
che nord-ouest de la rivière Miramichi. L'isle en face,
connue aujourd'hui sous le nom de i'Isle Beaubair, était
fortement défendue ; et il est dit par des vieillards que
dans ce fort, il y avait une fonderie à canon, et des bou-
tiques pour les finir, ainsi que des manufactures de muni-
tions de guerre.
" Durant l'été de 1737, les établissements sur la rivière
(t) Les révérendes sœurs partirent de Montréal le 12 septembre 1868
et arrivèrent à Tracadie le 20 du même mois. Voici les noms de ces
femmes dévouées :
S(Bur Page, supérieure ; sœur Quesnel, assistante ; sœur Yiger dite St.
Jean de Goto; sœur Brault; soeur Clémence, converse; sœur Luména,
toniTière. Depuis cette date, la sœur Page est revenue en Canada; les
sœurs Sicotte et Reid sont parties pour Tracadie le 12 juin 1869.
132 •
TiJiraniichi eurent beaiicoup à souffrir de la guerre entré
la France et l'Angleterre, qui intetceptaît leur trafic de
poisson et de fourrures. L'hiver suivant, ils forent réduits
à une grande extrémité par la famine gui fit périr angraad
ùombre d'habitants.
" Deux transports cbareés de provisions, d'étoffes et d'ha
billements leur fqrent envoyés de France en 1758, maïs
tous deux furent capturés par les vaisseaux de la flotte
anglaise alors employée à la prise de la ville de Louisbourg.
*' Pendant que ces premiers colons souffraient les plus
grandes privations un vaisseau français appelé U Indienne,
de Morlaix, fit naufrage à l'embouchure de Miramichi,
près du goulet de la Baie des Vents, nommée aujourd'hui
par erreur " Baie du vin." La tradition raconte que ce
vaisseau, avant de venir en Amérique, avait fait le trafic
dans le Jjevant et que quelques ballots de vieilles hardes
qui avalent été mises à bord à Smyrne, furent poussés au
rivage après 2e naufrage, et que ces habillements furent
recueillis et portés par des habitants de Miramichi. Quoi-
qu'il en soit, il est certain qu'il sortit de ce vaisseau une
affreuse maladie qui s'abattit sur les malheureux Âcadiens
déjà décimés par la famine dans les établissements de
Miramichi. Cette peste s'abattit avec la plus grande sévé-
rité sur la ville de Beaubair, et l'une de ses premières
victimes fut M. de Beaubair lui-même. La maladie con-
jointement avec la famine, n'enleva pas moins de huit
cents babitanls,assure-t on, qui furent enterrés à la Pointe-
Beaubair.
" Les survivants abandonnèrent Miramichi et s'enfuirent,
quelques-uns à l'Ile Saint- Jean, maintenant l'Ile du Prince-
Edouard, et le plus grand nombre se fixa le long de la
côte ouest du golfe St. Laurent, où ils formèrent de nou-
veaux établissements tels que Niguaweck, Tracadie et
Poêkmouche ; ils contribuèrent aussi à ragrandissement
de la paroisse de Caraquet (1).
<' Pendant bien longtemps, c'est-à-dire pendant plus de
quatre-vingts ans, quoique Ton sût que la lèpre existât dans
(t) Tous ces renseignements n'ont été communiqués par M. Tabbé
(iauvreau.
133
«ces établissemeats éloignés, cependMt elle n'attira que fort
peu ratte^tioQ publique, quau^, en 1817, le cas d'une femme
nommée Ursule Landry, qui eo mourut, la fit remarquer.
'^ Une relation écrite par une des religieuses de THÔtel**
Dieu et que Ton a bien voulu me communiquer, attribue
une origine quelque peu différente à ce iléau. ^' D'après
la tradition, dit l'auteur, la maladie surnommée ^' Maladie
do Tracadie," fut importée en 1758, dans le Nouveau-
Brunswick, par un bâtiment venant du Levant, pour le
trafic de la poche. Le bâtiment ayant touché terre tard
dans l'automne, l'équipage fut obligé de se disperser dans *
4ifrérents endroits, nommément à Caraquet. Malheureuse-
ment, cet équipage était atteint d'une maladie que personne
ne soupçonnait. Les gens du pays ayant donné l'hospi-
talité à ces navigateurs, plusieurs femmes s'employèrent à
laver leurs hardes et prirent ainsi la maladie sans s'en
douter ; laquelle se transmettant depuis de l'un à l'autre,
et sans doute de père en fils, prit à la longue un caractère
particulier."
Son Excellence l'Hon. Arthur Hamillon Gordon, lieu-
tenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick en 1862, a assi-
gné une origine analogue au terrible fléau, dans une inté-
ressante l)rochuré qu'il a intitulée : WUderness Joumeys in
NeW'BrunstDick in 1862-3.
Voici ce qu'il en dit :
" Il existe une tradition obscure et incertaine, d'après
laquelle un navire français s'échoua, il y a environ quatre-
vingts ou cent ans, sur les côtes du comté de Gloucester ou
de Northuraberland, et que, parmi les hommes de l'équi-
page qui échappèrent au naufrage, étaient des matelots
venant de Marseille, qui avaient attrapé dans le Levant la
véritable lèpre de l'Orient, VElcphantiasis Grœcorumy Quoi-
qu'il en soit, il n'y a aucun doute que, depuis bien des
années passées, une partie de la population française de ces
comtés a été affligée de cette terrible maladie, ou d'une
affection qui lui ressemble beaucoup, peut-être de cette
forme particulière de lèpre que l'on rencontre sur les côtes
de la Norvège 1 "
134
^^ Il est difficile de se persuader, dit de son côté M. Gau-
Treau, curé de Tracadie et chapelain du Lazaret depuis dix-
huit aus, dans une lettre en date du 30 novembre 1859 (1)^
il est difficile de se persuader que cette maladie ait pris^
son origine dans cet endroit même où elle règne.
" La position géographique de la mission de Tracadie, en
face eC sur le bord de la mer, entrecoupée de rivières dans
lesquelles la montée de Peau de la mer se fait sentir jusqu'à
8 ou 9 milles de leurs embouchures ; le terrain en partie
sablonneux et en partie légèrement argileux, ne renfer-
mant aucun marais infect, et, par conséquent, Tabsence
absolue de tout miasme nuisible, tout cela, il me semble,
doit justifier Topinion que j'ai toujours entretenue et à
laquelle je tiens encore, que le virus de cette peste n'a pas
pris naissance dans Tendroit, mais a dû être originaire-
ment apporté ici par quelqu 'et ranger soit navigateur ou
voyageur par terre. Ce voyageur ou passant, quelqu'il soit,
aurait pris logement dans l'endroit, aurait bû dans les vais-
seaux à boire d'une famille hospitalière, il y aurait eu son
linge lavé, il aurait couché dans un des lits de la maison, il
aurait laissé sa salive empestée (je devrais dire son venin)
sur les parois du vaisseau à boire, ou ayant sur ses mem*
bres des ulcères en état de suppuration, il aurait empoi-
sonné la couche qui lui aurait été. cédée par charité* Après
son départ, quelqu'un de la famille aurait bu dans le vais-
seau qui aurait servi à ce passant, ou aurait couché sous
les mômes couvertures, et ce misérable, après avoir été
l'objet sacré de la belle hospitalité française, aurait trans-
mis ainsi le virus de son mal à ses hôtes, et aurait fait
d'eux et de leurs descendants ce que ces lépreux sont ac-
tuellement, des objets repoussants de dégoût et de frayeur,
€t de Tracadie un lieu frappé au coin de l'anathôme public.'»
La tradition rapportée par ces écrivains doit donner la
vérité sur l'origine du terrible fléau. Ils ne s'accordent
pas, il est vrai, sur la manière dont la maladie a été ap
portée. Il semble difficile, en effet, de croire que des eauses^
locales aient fait naître dans cette partie du pays une ma-
(I) Publiée dans le journal de Montréal U Ordre,
135
ladie aussi extraordinaire. Il est malheureusement bien
d'autres endroits que Tracadie et Miramichi où les habi-
tants sont pauvres et malpropres, mal nourris et pechaurs^
et qui vivent dans un atmosphère humide; cependant, c'est
à Tracadie seulement ou aux environs que Ton rencontre
aujourd'hui la lèpre. Au Labrador, à Terre-Neuve, les
habitants se nourrissent tout autant de poisson, vivent dans
des conditions climatériques semblables, n'observent pas
davantage les prescriptions hygiépiques, et pourtant la
maladie de Tracadie ne les décime pas.
Quoiqu'il en soit de l'origine de ce terrible fléau, il est
certain qu'il règne aujojurd'hui à Tracadie, et qu'il y règne
déjà depuis un grand nombre d'années. Depuis le moment
de son introduction dans le pays, la maladie, dit la relation
-que j'ai déjà citée, fit sourdement son chemin jusqu'en
1817, qu'elle fut reconnue parles ravages qu'elle faisait,
«t chacun commença dès lors à se tenir en garde contre
elle. Mais ce ne fut qu'en 1844 que les autorités s'en pré-
occupèrent. Une commission médicale fut nommée ; elle
fit part de ses investigations au gouvernement,^ et dans
l'année précitée un acte de la législature provinciale, passé
et renouvelé avec quelques modifications en 1850, autorisa
le Lieutenant-Gouverneur de la Province à établir un co-
mité de santé. Ce comité local duement approuvé établit
^'abord un Lazaret dans l'Ile de Sheldrake, position isolée,
^u milieu de la rivière de Miramichi, à environ 18 milles
au-dessus de Chalham.
'-Quelqu'un était-il trouvé atteint de la maladie, con-
tinue l'écrivain que je viens de citer, il lui fallait, de gré
ou de force, s'arracher à sa famille; l'époux était enlevé à
^on épouse, la mère à ses enfants, les enfanis à leurs pa-
^*enls, quelqu'ils fussent, aussitôt qu'on reconnaissait en
■e\ix les symptômes de la lèpre. On les forçait de dire adieu
à tout ce qui leur était cher pour aller se confiner dans
cette prison. Il est arrivé plusieurs fois que certains lé-
preux refusant de se rendre au Lazaret, on les y traînait
avec des cordes, comme des animaux, car personne n»
voulait mettre la main sur eux, et môme on les frappait à
^0Qp8 de bâton jusqu'à ce qu'ils entrassent.
136
^^ Mais les choses ne pouTaient demeurer longtemps en
cet état, puisque les lépreux, excités par la souffrance,.
l'euDui et le désir de jouir de leur« liberté, s'échappaient
pour retourner dans leur famille.
" On songea donc à améliorer leur sort. Pour cet effêt^
en 1847, on transféra le Lazaret dans la position qu'il oc-
cupe aujourd'hui, à un demi-mille de l'église paroissiale de
Tracadie, où un assez vaste terrain a été acheté par le gou-
vernement et entouré d'une clôture de pieux de cèdres de
vingt pieds de haut, garni de clous aûn d'empêcher les
pauvres lépreux de s'échapper. Les ^fenêtres du Lazaret
furent garnies de grosses barres, de fer, ce qui donna un
assez triste aspect à ce séjour de douleur. Ces barres
de fer demeurèrent ainsi aux fenêtres jusqu'à en 1869^
que les lépreux, choqués de la ressemblance que cela leur
donnait avec les prisonniers d'état, en firent tomber une
partie. 'A notre arrivée nous fimes ôter le reste, car main-
tenant ils sont tous de bonne volonté."
Ainsi que je Tai dit plus haut, c'est dans llautomne de
1868 que des religieuses de l'Hôtel- Dieu de Montréal pri-
rent possession du Lazaret de Tracadie. Depuis plusieurs
années déjà, on éprouvait vivement le besoin de réorga-
niser celte institution et de la mettre sous les soins et sou»
la direction des sœurs hospitalières. J'ai sous les yeux une
lettre de Mgr. James Rogers, évêque de Chatham, dans
laquelle Sa Grandeur rend compte au Conseil Central de
la Propagation de la Foi, à Paris, des démarches qu'elle
avait faites jusqu'à la date du 4 décembre 1866 pour par-
venir à opérer la transformation qu'ElIe désirait dans le
Lazaret.
^^ Depuis ma première visite à cette maison, dit Mgr.
Rogers, j'ai toujours pensé qu'il serait bien désirable qu'on
pût y établir des sœurs hospitalières, pour s'y livrer aux
travaux de la charité en soutenant et en soignant ces pau-
vres souffrants, dont le nombre, dans le cours de mes
visites, a varié d'environ 20 à 30, nombre actuel. Mais^
alors, la considération de plus grands et de plus preAsants
besoins réclamant mon attention, et mes ressourças étant
iusufiBsantes non seulement pour le soulagement des souf-
137
frances physiques, mais aussi peut-être pour le salut de
certaines âmes, cette considération, dis-je, m'obligeait d'a-
journer mes projets en faveur des lépreux jusqu'à ce que
mon diocèse naissant pût satisfaire aux besoins religieux
de ses habitants par une augmentation du nombre des
prêtres, l'érection d'églises ou chapelles là où il n'en exis-
tait pas et où le besoin s'en faisait sentir, et la création
d'institutions pour l'éducation chrétienne de la jeunesse.
Un autre obstacle à l'exécution Immédiate de mon dessein,
fut le manque d'approbation et de concours nécessaires du
gouvernement, l'absence de logement convenable pour re-
cevoir les sœurs, et l'incertitude sur le point de savoir sî
l'élément protestant, qui domine dans notre gouvernement
et notre législature, voudrait nous donner l'argent, ou
même nous permettre de prendre les dispositions néces-
saires pour que les sœurs viennent et dirigent l'hôpital.
Le printemps dernier, j'ai fait une pétition au gouverne*
ment, mais les agitations et les perturbations politiques qui
changent souvent le personnel, l'ont empêché jusqu'à pré-
sent de prendre une décision à cet égard. Voilà pourquoi
le digne curé de Tracadie, M. Gauvreau, continue à être le
«eul ange administrant les consolations de la religion à
cette portion de son troupeau, cruellement affligée " (1).
Les démarches faites depuis par Mgr. Rogers semblent
avoir été plus heureuses ; il a obtenu de Mgr. Bourget le
secours des religieuses de l'Hôtel Dieu de Montréal, et le
gouvernement paraît avoir vu d'un bon œil cette réorga-
nisation du Lazaret, qui a produit en peu de temps les
meilleurs efTets chez les infortunés lépreux.
M. Tabbé Gauvreau fait une triste peinture de l'état dans
lequel vivaient ceux-ci avant l'arrivée des Sœurs Hospi ta-
rliëre. Voici les détails navrants que je lis dans une lettre
.du digne chapelain adressée à la Révérende Mère Supé-
rieure de THôtel-Dieu de Montréal, en date du 28 avril 1869 :
'' Je ne me sens pas capable, écrit le vénérable prêtre, de
décrire l'état de misère inouï de nos pauvres lépreux avant
(1) Correspondance adressée par Monseigneur Rogers» évêque de Gha-
'Iham, au Ck>nseil Central delà Propagation de la Foi, à Paris, concernant
VéUiX du diocèse. P. 14.
138
l'arrivée des sœurs. Je ne puis que dire que depuis leur
transport de Tlsle aux Becs-scies (Shelclrake), à Pentrée de
la rivière Miramichi, ce n'était pour eux que malpropreté à
faire bondir le cœur, discorde, insubordination envers les
autorités bienveillantes du gouvernement, divisions et
querelles continuelles entre eux, révoltes contre le chape-
lain ; la loi du plus violent était en pleine force, et souvent
l'oreille était blessée par des jurements et d'horribles blas-
phèmes ; en un mot, l'hôpital était devenu comme une
caverne de voleurs et de bandits. Oh I ma chère mère
Supérieure, combien j'ai gémi et versé de larmes, depuis
1859, sur le sort de ces Times malheureuses que le démon
tenait enchainées par toute sorte de crimes, excepté le
meurtre, pendant que tout le reste se commettait. Cepen-
dant, plus ils étaient méchants malgré mes remontrances,
plus je redoublais d'instances et de prières auprès du Dieu
de miséricorde dans toutes les messes que je célébrai pen-
dant dix-sept ans, afin qu'il en eût pitié et qu'il sauvât ces
âmes que Jésus-Christ n'avait certainement pas mises de
côté en mourant sur le calvaire.
** Dans le môme temps le bureau de santé n'épargnait
rien pour les rendre heureux : nourriture abondante, loge-
ment confortable, bons vêlements et môme beaucoup de
petits soins et de médicaments qui leur étaient prodigués
avec toute la charité possible. Malgré tout cela, ces êtres
humains aux cœurs ulcérés comme et plus que leurs corps
étaient insensibles à tout ; ils étaint indomptables, par-
ce que le démon régnait en maître dans l'hôpital. Quelques-
uns de ces malheureux ne voulaient pas se résigner à mou-
rir, malgré les exhortations réitérées du chapelain ; et
même après la réception des derniers sacrements et l'indul-
gence plénière à l'article de la mort, ils tenaient encore à
la vie en dernier lieu.
" De ce nombre il en fut un qui avait été averti par le
médecin d'envoyer quérir le prêtre le plus tôt possible.
Ses amis et parents s'empressèrent de l'engager à se pré-
parer à bien mourir. " Laissez-moi tranquille, dit-il, je
sçiis ce que j'ai à faire." Vers neuf heures du soir, il prie
plusieurs de ses compagnons d'infortune de ne pas se cou-
139
■cher et de veiller avec lui, s'imagiuant pouvoir renvoyer
.la mort qui le pressait. '^ Jouons aux cartes ensemble/
leur demaude-til, mais la partie à peine commencée, les
cartes ^lui échappent des mains ; l'infortuné se précipite à
son lit ; on appelle au secours, on court à lui, il était mort."
Depuis l'arrivée des Religieuses de THôtel-Dieu, tout
semble avoir changé d'aspect. '' Sans entrer dans un détail
particulier de tout ce que nos chères et bien-aimées sœurs
ont fait pour réformer cette misérable habitation, je dois,
dit M. Gauvreau, me contenter de vou^dire que nous n'y
voyons plus que la propreté la plus recherchée, la régula-
rité la plus admirable, la charité la plus parfaite ; tout se
fait avec ponctualité de la part des sœurs et des malades ;
tout va régulièrement ; tout est en ordre dans le cloître, si
bien que ces pauvres gens qui, auparavant, se plaisaient
dans la malpropreté et le désordre, sont émerveillés main-
tenant de ne voir partout que propreté, ordre et décence. Ce
qui contribue beaucoup à les tenir dans la soumission, et
à les faire s'observer eux-mêmes, c'est l'humble habit des
sœurs, leur modestie, leur réserve, leur austère vertu, leur
silence, leur recueillement, leurs soins et leurs attentions
les plus tendres auprès de tous les malades, mais surtout
auprès de ceux qui sont alités."
On conçoit après ce double tableau avec quelle joie les
malheureux lépreux de Tracadie ont vu arriver les religieu-
ses qui venaient leur consacrer leur existence ; on comprend
l'affection et le respect qui les animent à l'égard de ces
saintes femmes.
" L'enceinte extérieure du Lazaret, dit le gouverneur
Gordon dans ses WUderness Jowmeys, consiste en un champ
de verdure de trois ou quatre arpents en superficie. Dans
ces limites on permet maintenant aux lépreux d'aller et
venir à volonté. Jusqu'à dernièrement, toutefois, ils étaient
confinés dans les bornes bien plus étroites d'une enceinte
semblable, siluée au centre de la plus grande, et contenant
les bâtisses de l'hôpital même.
^^ C'est daos ces lugubres frontières que j'entrai, accom-
pagné de l'évéque catholique romain de Ghatham, du se-
140
crétaire du Bureau de santé, rlu médecin résidant, et àvs
prêtre catholique du village, qui est aussi le chapelain de-
l'hôpital.
" En dedans de Tenceinte intérieure, il y a plusieurs
petites constructions en bois, séparées les unes des autres,
comprenant la cuisine, lingerie, etc., de rétablissement ;
l'un de ces bâtiments récemment achevé, contient un bain,
ce qui ajoutera beaucoup au bien-être des infortunés ha-
bitants. L'hôpital lui-même est une bâtisse qui contient
deux grandes salles, Tune consacrée aux hommes et l'autre
affectée aux femmes. Au centre de chaque salle, il y a
un poêle, une table, avec des bancs et des chaises, tandis
que les lits des malades sont rangés le long des murs. Ces
salles sont suffisamment éclairées et sont bien ventilées, et
au moment de ma visite élaienl parfaitement nettes et
propres. Au fond de ces salles il y a une petite chapelle
disposée de telle sorte qu'une fenêtre oblique, traversant
le mur de chaque côté de la cloison qui divise les deux
salles, permet aux patients dé l'un et l'autre sexe d'entendre
la messe sans se rencontrer. Au travers des mêmes ou-
vertures, ils peuvent se confesser, et recevoir la sainte com-
munion."
Depuis l'arrivée des sœurs on a fait de légers changements
dans l'aménagement intérieur du Lazaret. La chapelle
maintenant se trouve au bout des salles avec une arcade
vitrée, permettant aux lépreux d'entendre la messe eu même
temps que les Religieuses, qui se mettent de l'autre côté
vis-à-vis. Les hommes occupent dans l'hôpital deux salles
de 25 pieds carrés et deux salles de même dimension dans
les mansardes sont réservées aux femmes. De plus, le
terrain du Lazaret a été agrandi.
Je reprends la relation que j'ai déjà citée. '^ Avant de
donner, dit l'auteur, les caractères de cette terrible ma-
ladie, je réponds à une question que, sans doute, vous ne
manquerez pas de me faire, savoir: Gomment cette ma-
ladie s'est-elle propagée ? Nul ne le sait. !<> Elle ne semble
pas être héréditaire, puisque dans une famille, le père ou la
mère en est atteint et les enfants ne le sont pas; dans-
d'autres, les parents sont sains et les enfants sont lépreux-
141
Témoin ce gui arriva en 1856 ou 1857. Une femme nommée*
Domitilde Brideau, épouse de François Robichaud, était
tellement couverte de la lèpre depuis plusieurs années, que
son corps n'était pour ainsi dire qu'un amas de pourriture-
Elle devint mère d'une Ûlle, qu'elle nourrit elle-même, et
mourut peu de temps après dans ThôpitaL Cependant
l'enfant était nette, et n'avait aucuns symptômes de la ma-
ladie ; elle demeura jusqu'à Tàge de trois ans dans l'hôpitaV
d'où elle fut alors renvoyée.. L'enfant grandit avec une
santé parfaite ; aujourd'hui elle est mariée, et tous ses en-
fants sont très-bien. Grand nombre d'exemples semblables
pourraient être cités, mais il faut se borner. 2^ Cette m i-
ladie est elle contagieuse ? 11 n'y en a pas d'apparence,
puisque dans une famille le mari en est atteint et la femme
ne l'est pas ; ou bien, la femme l'a et le mari ne l'a pas. IL
y a maintenant à Tracadie un nommé François Robichaud^
lequel a eu trois femmes; les deux premières sont mortes
de la lèpre, et la troisième est maintenant à l'hôpital; lui^
cependant, jouit d'une sautô parfaite. Dans une même
famille un ou deui enfants ont la lèpre et les autres sont
nets. Une femme employée au service des lépreux de-
meura huit ans dans l'hôpital, mangeant et buvant avec
eux, et elle n'a pas contracté la maladie. Nous l'avons
vue plusieurs fois, elle est parfaitement nette. La lavan-
dière actuellement employée dans l'hôpital, demeure en-
tièrement avec eux, depuis deux ans ; c'est une veuve dont
le mari est mort de la lèpre ; elle en a eu soin pendant
trois ans que dura sa maladie et elle est saine. 11 est arrivé
en différentes occasions que certaines personnes soupçon-
nées d'avoir cette maladie furent forcées d'entrer dans
l'hôpital et y passèrent plusieurs années, après lesquelles
étant reconnues pour ne l'avoir pas, furent congédiées sans
qu'on n'aitjamais depuis remarqué en elles aucuns symp-
tômes de lèpre.
• ^^ Tous les lépreux qui sont maintenant dans l'hôpital
s'accordent pourtant à dire qu'elle se communique, puisque
bon nombre d'entre eux disent Tavoir prise soit en cou-
chant avec quelqu'un qui en était atteint, soit en mangeant
et en buvant avec eux. De là, donc, il faudrait conclure
que Dieu la donne à qui il veut.
142
••'Je ï^uis fortemeat persuadé que cette maladie, outre
Torigine qu'on lui attribue, est causée par le genre de vie
auquel s'adonnent les habitants de Tracadie : presque tous
sont pêcheurs ou navigateurs, leur principale nourriture
est le poisson, surtout le hareng, les patates et les navets.
Je puis assurer en toute vérité qu'il n'y a pas dix familles
dans Tracadie qui mangent du pain, car la pauvreté y est
extrême."
*
Entrons maintenant au Lazaret et examinons ensemble
les tristes victimes qu'il contient. Suivons d'abord le gou-
verneur Gordon ; nous reviendrons ensuite prendre notre
bonne religieuse avec laquelle nons pourrons faire plus
d'observations et des études plus sérieuses.
" Au moment de ma visite, dit Son Excellence, il y avait
vingttrois malades au Lazaret, treize hommes et dix
femmes ; tous étaient Franrais, catholiques, appartenant
aux familles de la plus basse classo. Ils étaient de tout âge,
et parvenus à différentes périodes de la maladie. Un vieil
lard, dont les traits étaient telleoient défigurés qu'ils n'a-
vaient presque plus rien d'humain, et qui paraissait réduit
à la dernière enfance, put à peine être tiré de son apathie
suffisamment pour recevoir la bénédiction de l'Eveque, que
tous les autres imploraient avidement en se jetant à genoux.
Mais il y avait aussi des jeunes gens, dont les bras parais-
saient aussi vigoureux, et les facultés de travailler et de
jouir aussi intactes, qu'ils avaient jamais éié ; et, spectacle
le pl'js triste de tous, il y avaient des jeune enfants con-
damnés à passer dans cet affreux séjour une vie de souf-
france s:ins espoir.
" J'ai été surtout touchiS par la vue des trois pauvres
petis garrons âgés de quinze à onze ans. A un observateur
non prévenu d'avance, ils auraieiit paru comme tous les
autres enfants de leur âge ; leurs yeux étaient brillants et
passablement i'itelligents ; mais les symptômes fatals qui
avaient suffi pour les faire séparer du monde extérieur se
voyaient sur leurs personnes, et ils étaient enfermés pour
toujours dans les murs du Lazaret.
" L'on éprouve un sentiment semblable, quoique peut-
143
être moins vif, à la vue de tous les plus jeunes malades. Il
y a quelque chose d'effrayant dans la pensée que, depuis le*
moment de son arrivée jusqu'à celui de sa mort, intervalle
pendant lequel il peut s'écouler de longues années, ua
homme, doué deâ capacités, des passions et des désirs des
autres hommes, est condamné à passer de la jeunesse ù
rage mur, de Tâge mûr jusqu'à la vieillesse, sans autpr^
société que celle de ses compagnons de souffrance, sans.
aucun travail, aucun amusement, aucune ressource ; sans
autre distraction que l'arrivée d'une nouvelle victime;
sans autre occupation que de contempler ses tristes compa-
gnons mourant lentement l'un après l'autre autour de lui.
*' Un petit nombre des malades savaient lire, et ceux qui
le pouvaient n'avaient pas de livres. Il semblait n'y avoir
aucune organisation pour leur fournir quelqu'occupation,
soit corporelle, soit intellectuelle, et dans de telles circons
tances je n'ai pas été surpris d'apprendre que, dans les der-
niers dégrés de la maladie, l'esprit s'affaiblit généralement
'* La majorité des patients ne m'a pas paru ressentir de
souffrances bien vives, et Ton m'a informé que l'un des ca-
ractères de la maladie est l'insensibilité à la douleur. On m'a
montré un individu dont la main et le bras s'étaient posés
par hazard sur un poêle rouge de chaleur et qui ne s'en
aperçut que lorsque la forte odeur de chair grillée attira
son attention sur son membre brûlé, qui était gravement,
blessé."
Depuis l'époque de la visite du gouverneur Gordon, le^
sort des lépreux a été considérablement amélioré. Les
sœurs enseignent à lire aux plus jeunes et s'efforcent de les
occuper autant que possible à des ouvrages de menuiserie
et de cordonnerie.
Les observations du gouverneur Gordon, quoique faites
pendant une courte et rapide visite au Lazaret, sont justes ;
mais elles ne sont pas complètes. Ce sont les remarques
d'un touriste qui raconte ce qui l'a le plus frappé. Ecou-
tons maintenant les témoignages des personnes qui ont
vécu parmi les lépreux. M. l'abbé Gauvreau est le cha-
pelain du Lazaret depuis dix-huit ans ; il a suivi avec un
zèle éclairé les progrès de la maladie chez près 100 indivi-
144
•dus ; il en a observé tous les symptômes ; il en a calculé
la marche lente mais fatale ; il a assisté à la mort horrible
d'un grand nombre de lépreux, et il raconte avec horreur,
tout en s'humiltant sous la main de Dieu qui frappe quel-
quefois avec tant de sévérité, les choses épouvantables
qu'il a vues. Personne n'est donc plus compétent ijue lui,
à décrire d'une manière exacte, complète, impartiable et
juste les phases caractéristiques de la terrible maladie.
Prêtons l'oreille à son enseignement ; nous reviendrons
ensuite interroger la religieuse infirmière qui nous donnera
le résultat de ses observations.
'' Sans vouloir vous imposer mon opinion, je ne puis
cependant chasser de mon esprit la pensée que, en dehors
de la volonté divine, ce fléau qui semble être la maladie
particulière de l'homme déchu de son innocence primitive,
est un poison extrêmement subtil, s'insinuant à la dérobée
dans le corps humain, soit par transmission ou par contact,
soit par innoculation directe ou accidentelle, ou même
peut-être par une cohabitation prolongée.
^' Mais quoiqu'il en soit de ces suppositions, quand une
fois la maladie s'est introduite .dans un nouveau sujets
son action est si insidieuse et si latente, que pendant plu-
sieurs années, disons pendant deux, quatre, ou plus, l'in-
fortuné Naaman ou Giezi, dont elle a pris possession, ne
s'aperçoit d'aucun changement, soit dans ses habitudes
constitutionnelles ou dans ses besoins. Le sommeil lui est
tout aussi rafraîchissant, la digestion aussi^acile, et la res-
piration aussi libre qu'auparavant: en un mot, tous les or-
ganes vitaux fonctionnent bien, et les membres continuent
à jouir de toute leur vigueur, de toute leur énergie.
*' Mais malheur à lui ! et puisse Dieu venir à son secours I
c'est un Jépreux, et le terrible virus de la lèpre est en lui ;
et, comme s'il tendait une embuscade, il n'attend que le
moment de se développer. Le fléau est là, comme un ser-
pent vetiimeux engourdi, qui le mordra infailliblement
lorsqu'une fois il sera réveillé,
^' A cette période de la maladie, la peau ne tarde pas à
perdre son apparence naturelle et saine ; la fraîcheur et le
brillant du teint disparaissent, et sont remplacés par une
145
blancheur morbide, matte, depuis les pieds jusqu'à la tête-
dette blancheur paraît comme si Taffreuse maladie avait
pris possession des membranes muqueuses, et déplacé le
iluide nécessaire d ses fonctions.
'^ Sans savoir si la lèpre de TOrient a jamais offert
d'autres symptômes extérieurs, il est certain que, dans ce
-que j'appellerai son premier degré, la maladie de Tracadie
prend toutes les apparences de la lèpre des anciens ; je veux
dire, cette fausse blancheur de la peau. Au second degré,
la peau devient légèrement jaunâtre ; puis dans la troisième
-et dernière période, elle devient d'un rouge foncé, violet
ou prend même quelquefois une teinte verdâtre. La maladie
est alors pleinement confirmée
^^ De fait, la population de Tracadie, aussi bien que moi-
même, nous sommes tellement familiarisés avec ce symp-
tôme précurseur de la lèpre, que sur la seule apparence de
la fausse blancheur de la peau, nous constatons immédia
tement la présence de la maladie, et nous nous trompons
bien rarement. Il n'y a eu ici qu'un seul cas de décès
(celui de Cyrille Austin) dans ce premier degré, que j'ap-
pelle le premier et peut-être le plus fatal. Tous les autres
«cas ont passé par les autres dégrés, le second ou le troi-
sième, avant d'arriver à la mort Et quelqu'étrange que
cela puisse paraître, il a été remarqué par les lépreux eux-
mêmes que le traitement du docteur LaBillois avait une
meilleure chance de succès à l'origine de la troisième pé-
riode que pendant la seconde
^' Examinons maintenant les progrès de la maladie, et
suivons-la pas à pas, si c'est possible.
" La pitoyable victime commence par éprouver une
fièvre qui la dévore et la fait trembler de tous ses membrs,
une raideur et une faiblesse dans toutes ses articulations,
nne pesanteur sur la poitrine comme causée par un vif
chagrin, une abondance de sang au cerveau, une fatigue,
un assoupissement, un ennui, et d'autres sensations ex-
trêmement désagréables que les lépreux avancés m'ont fait
<;onnaitre, mais qui maintenant échappent à mon souvenir.
'' Le système nerveux tout entier est alors frappé d'une
insensibilité absolument complète, de telle sorte qu'un in-
146
strument aigu comme un aiguille, ou une lame de couteau,
enfoncé dans les parties charnues, ou même à travers les
tendons ou les cartilages du malheureux lépreux, ne lui
fait éprouver aucune sensation douloureuss, et ne l'affecte
en aucune manière.
"Bien plus, le lépreux, avec le plus grand calme du
monde, pourrait placer son bras ou sa jambe dans un bû-
cher ardent de bois et de goudron, jusqu'à ce que le mem-
bre tout entier et même les os fussent consumés, et cepen-
dant il n'éprouverait rien de douloureux du tout, absolu-
ment lien, et il pourrait, dans cet état, s'endormir aussi
paisiblement que s'il était couché sur un bon lit."
M. Gauvreau, dans une autre de ses lettres, cite un ex-
emple de cette insensibilité extraordinaire des lépreux :
" Un de ces aflligés qui eff't mort du Lazaret, et à qui j'eus
le bonheur d'administrer les derniers sacrements, s'endor-
mit auprès d'un feu ardent, et pendant son sommeil, il
étendit une de ses mains dans le brasier en flamme. L'ac-
tivité du feu n'interrompit nullement son assoupissements
L'odeur forte des chairs brûlées attira l'attention d'un de
ses compagnons d'infortune, qui le retira du feu et lui
sauva la vie."
La Relation de l'Hôtel-Dieu cite un trait semblable :
*' Depuis notre arrivée à Tracadie, écrit la religieuse, deux
malades de Thôpital se sont brûlés les mains assez considé-
rablement et ne s'en sont aperçus que quand les plaies
furent fermées; je les ai pensés moi-même; le premier
surtout était tellement brûlé que ses plaies durèrent près
d'un mois."
Au Sujet de cette insensibilité M. Gauvreau remarque
qu'elle n'a qu'un temps, dont, dit il, je ne suis pas en état
de préciser la durée. "J'ai remarqué dans les malades
maintenant sous traitement, ajoute la religieuse, que cet
état d'insensibilité complète n'existe pas chez tous, et seu-
lement en quelques endroits de leur corps; chez quelques-
uns ce sont leurs jambes, chez d'autres ce sont les mains,
ou d'autres parties. Mais tout se plaignent d'un certain
j engourdissement qui ressemble à la paralysie."
• " Peu à peu, cependant, continue M. Gauvreau, la fausse
• •
147
blancheur de la peau disparaît pour faire place à des taches
plus ou moins grandes d'une légère couleur jauue ; cas
taches, dans certains cas, sont ^eu étendues, par exemple,
de la dimension d'une pièce d'une piastre. Quand elles
sont de cette grandeur, elles apparaissent d'abord disposées
symétriquement et à des endroits qui correspondent exac-
tement entre eux, soit sur les bras, sur les épaules, ou sur
les membres, mais plus souvent sur la poitrine. Ces taches
sont d'abord plus ou moins éloignées les unes des autres;
mais à mesure que le venin du mal fait son chemin à tra-
vers les parties vitales du lépreux, elles deviennent con-
tiguûes l'une à l'autre, et quand elles sont toutes unies
ensemble elles finissent par convertir tout le corps du ma-
lade en une masse de corruption. Viennent ensuite l'en-
ilure de tous les membres, le gonflement de toutes les
parties du corps, de la fête aux pieds, et quand ce gonfle-
ment et ces enflures sont arrivées à la tension extrême, la
peau crève pour faire jour à des ulcères baveux, dégoûtants
et repoussants au suprême degré. La peau par tout 1*^
corps devient tendue, et se couvre d*un suintement de
couleur luisante semblable à un vernis. La peau et la
chair entre le pouce et l'index se retirent; les extrémités
des doigts, des pieds et des mains deviennent aussi très-
petites, et quelquefois ils se détachent des articulations et
tombent sans que le malade s'en aperçoive et sans causer de
douleur.
" La partie la plus noble de cet être créé à Tiniage de
Dieu, la figure, n'est pas plus épargnée par la lèpre que
toute autre partie du corps. Le visage est ordinairement
beaucoup enflé et considérablement gonflé. Le menton,
les joues, et les oreilles sont couverts de tubercules durs
et roux delà grosseur d'un gros pois; les yeux à demi
sortis de leurs orbites, sont couverts d'une espèce de ca-
taracte qui produit quelquefois une cécité complète. C'est
le cas actuel d'un de ces infortunés. La peau du front de-
vient aussi enflée, très-épaisse ; elle prend une couleur de
plomb, qui, dans certains cas, se répand sur toute la flgure ;
tandis que dans d'autres, elle tourne au rouge ; cela pour-
rait ôtre attribué à la difl%rence des tempéraments, san-
148
guins, bilieux ou lymphatiques. Sur cette figure, où ron
admirait auparavaut les charmes de la beauté, les traita
sont mainteuant devenus ^e profonds sillons^ les lèvre»
forment deux gros ulcères baveux, la lèvre supérieur»
considérablement enflée et relevée vers la base du nez qui
a disparu, tandis que la lèvre inférieure pend sur le menton
lustié par la tension de la peau." Peut-on imaginer un
plus horrible spectacle ?
^' Dans quelques cas, les lèvres sont pincées et retrécies
comme Toriflce d'une bourse plissée par des cordons. Cette
difformité est la plus regrettable de toutes puisqu'elle prive
ceux qui en sont frappés de la sainte communion qu^ils
désirent avec tant d'ardeur.
'" La lèpre, je veux toujours dire celle deTracadie, achève
ses ravages à l'intérieur du malade. Elle s'empare enfin
du larynx et de toutes les ramifications bronchiales ; elle
les obstrue et les remplit tellement de tubercules que le
malheureux patient ne peut plus trouver de repos dans,
aucune position imaginable, sa respiration devient un sif-
flement aigu, et elle est si pénible qu'il s'attend à étouffer
à chaque instant; il préférerait ôtre étranglé avec une
corde- J'ai moi-même assisté, dit M. Gauvreau, aux der-
niers efforts de quelques-uns de ces hommes, les plus af-
fligés de tous les mortels; et je n'aimerais pas à voir ce
spectacle encore une fois. Dispensez-moi de vous donner
un récit détaillé de leur mort ; car, si je l'entreprenais, le
courage me ferait défaut, et je vous assure que plusieurs
d'entre vous s'évanouiraient devant ce spectacle. Conten-
tez-vous de vous imaginer voir le lépreux mourant faire
des sauts rapides, des contorsions horribles, courir à la
porte pour avoir un peu d'air, et revenir se jeter sur son
grabat; entendez ses fureurs involontaires, ses lamenta*
lions à briser le cœur le plus dur, ses cris, ses pleurs et ses
sanglots, et s'exclamant mille fois: ^^0 mon Dieu, ayez
pitié de moi ! ayez pitié de moi ! "
^^ Enfin, il arrive au moment suprême de sa longue mort.
Il meurt épuisé et étouffé. Tout est fini maintenant pour
lui, et un autre Lazare s'envole dans le sein d'Abraham."
*
CL
149
Après le livide tableau que Ton vient de lire de rhorrible
maladie, une question se présente tout naturellement à
Fesprit, et Ton se demande si ce mal est tel que la science
mëdicate ne puisse rien faire pour le combattre ? *^ Chacun
en jugera comme il voudra," dit la relation de la sœur in-
firmière des lépreux ; je vous communiquerai simplement
ce que j'ai appris sur ce sujet.
"En 1849 et 1850, le Dr. LaBillois, célèbre médecin fran-
çais, demeurant à Dalhousie, traita les lépreux pendant
seize mois, et prétendit en avoir guéri dix suivant le rap-
port qu'il en fit lui môme. "T. Goulheau, Chs. Comeau,
" T. Brideau, A. Benoit, L. Sonier, Ed. Vienneau, Mme.
" A. Sonier, AI. Sonier, Mme. Ferguson, Mélina Lavoie.
*' The enlire of the above cases are now quite well, and
Ihe treatment I adopted \vas entirely for syphilitic di-
sease, thus eslablishiug without any doubt the trulh of
tbe nature of Ihe disease." (Extract from LaBillois*
Report, febr. l-2th 1850).
•* Cependant on voit dans le rapport du secrétaire du
Bureau de santé, l'Honorable James Davison, que tous les
malades susmentionnés revinrent à l'hôpital après quelque
temps et y moururent à l'exception de trois dont deux mou-
rurent dans leurs propres maisons ; le troisième vit encore
et voici ce qu'en dit le Dr. Gordon, de Bathurst : "The
** disease is making slow progress, but is still going on to
" a fatal termination."
Le Dr. Nicolson entreprit îe traitement des lépreux en
l'année 1860 ou 1801, et au moyens de bains à la vapeur,
et d'un traitement qu'il n'a pas fait connaître, parvint à
leur procurer un grand soulagement ; plusieurs se voyaient
sur le point de guérir,,quand malheureusement ce médecin
abandonna ses patients, à leur grand regret, et mourut
trois ans après. Le mal reprit le dessus et depuis lors
aucun n'a éprouvé de mieux.
"A notre *arrivée à Tracadie, dit la Religieuse, nous
trouvâmes vingt malades dans l'hôpital et depuis nous en
avons admis trois. Ces bonnes gens fermement persuadés
que les sœurs allaient les guérir, demandèrent des remèdes
et ne furent satisfaits que quand nous leur en eûmes donnés*
150
" D'abord j'en ai choisi trois, qui n'avaient jamais pris de
remèdes, les seuls chez qui il y eut conlraction des ex-
trémités. Le premier, âgé de 22 ans, est à Thôpital depuis
quatre ans, et n'avait pour tout mal que la contraction ei
l'insensibilité des extrémités et une enflure a un pied. Le
second, âgé de quinze ans, est à riiûpital depuis deux ans ; il
n'avait que la contraction des mains et une enflure au gros
doigt du pied gauche ; cet enfant est très-délicat et éprou-
vait de temps en temps des douleurs dans Testomac. Le
troisième est âgé de onze ans, malade depuis deux ans ; il
n'éprouvait que la contraction des mains et des taches sur
tout le corps, quelques-unes rougeâtres, les autres blanches
comme de la farine, avec insensibilité sur toutes ces taches,
*' J'ai donné à ces trois malades les remèdes de M.
Fowle (l), à la dose prescrite. Le premier et le second
n'éprouvent d'aulre changement depuis qu'ils prennent ce
remède qu'une certaine vigueur qu'ils n'avaient pas au-
paravant. Quant au troisième, la sensibilité des muscles
est revenue, mais les taches sont les mêmes. Ceci parait
extraordinaire, car tous disent qu'ils n'ont jamais vu une
partie insensible revenir à sa sensibilité naturelle.
'* J'ai donné le même remède à un autre, âgé de vingt-
deux ans, malade depuis huit ans; c'était à notre arrivée
un des plus malades ayant le nez tombé, les lèvres d'une
grosseur démesurée, les mains enflées et ressemblant plus à
des pattes d'ours qu'à des mains d'hommes ; de plus saliva-
tion abondante et impossiblité d'avaler. Depuis qu'il prend
le susdit remède, la silivation est arrêtée, il avale facile-
ment, il a pu communier le 23 janvier, ce qu'il n'avait pas
pu faire depuis quatre ans; ses lèvres sont maintenant à
leur grosseur naturelle, il éprouve une vigueur telle qu'il
n'en a pas ressentie depuis plusieurs années. Mais il éprouve
des douleurs plus fortes qu'avant dans les jambes et de
temps en temps dans les bras.
"J'ai encore donné le Fowle's cure à tous ceux des ma-
lades qui n'avaient jamais pris des remèdes et tous trouvent
(1) Fowle' s Humor Curty remède américain patenté, qui a été procuré
aux religieuses de THôtel-DIeu de Montréal , par M» Gray, pharmacieo.
Ce M. Powle, inventeur de cette préparation nouvelle, rédicje à Boston.'
151
on petit mieux ; dans les uns la couleur de la peau est plus-
naturelle, dans les autres Tenflure de la figure ou des mains
est diminuée. Ce remède, tout en leur causant certaines
douleurs dans les membres, paraît leur donner une force,
une vigueur qu'ils n'avaient pas; et tous se trouvent mieux
de la bouche et de la gorge. Car, &oit dit en passant, cette
maladie a beaucup de ressemblance avec la syphilis. Aussi
ont-ils tous la gorge, la langue et tout Tintérieur de la
bouche ulcéré ; tous ont la voix tellement éteinte qu'on a
peine à les entendre parler; ils toussent beaucoup et cra-
chent presque continuellement.
"Quelque temps après notre arrivée, il se présenta un-
lépreux, malaJe depuis six ans, demandant à être admis
dans l'hôpital. Il fut reçu. Ce pauvre homme était couvert
de plaies et toutes les nuits il éprouvait une transpiration
abondante et froide. Après quelques jours ^e repos, je lui
donnai la liqueur arsenicale^ de cinq gouttes à la prise. Il
continua depuis la môme chose. La transpiration a dis-
paru, toutes ses plaies sont guéries, ù l'exception d'une
au pied; ses lèvres sont encore un peu malades; mais il
est fort et vigoureux, les taches rougeâtres qu'il avait sur
les jambes disparaissent peu à peu,
"Deux autres, aussi nouvellement entiés à Thupital, ont
pris la liseur arsenicale^ et ils se trouvent soulagés.
** Soupçonnant toujours que l'origine de cette maladie
remontait à une autre source, et surtout d'après le senti-
ment du Dr. LaBillois, j'ai donné le bi-cJUorure de mercure^ à
la dose d'un trente-deuxième de grain, à celui qui me paraît
le plus mauvais cas ; je n'ai encore pu en voir les effets, car
il n'y a pas assez longtemps qu'il en prend.
^'Les changements ne sont pas sensibles, mais ils sont
certains. Du reste, nous attendons de Dieu seul le succès
que nous espérons."
* *
Je manque de statistiques sur le nombre de victimes que
la lèpre a faites à Tracadie et aux environs. Je trouve ce-
pendant dans une lettre de M. Gauvreau en date du 30
novembre 1859, que 60 personnes étaient tombées victimes
du fléau, dans les quinze années précédant cette époque ;^
152
et que 25 autres malheureux de tout âge et de tout sexe
étaient alors au Lazaret, s'attendanl d'un jour à l'autre, à
se réunir aux pauvres infortunés qui les avaient précédé»
dans la tombe. En 1862, le gouverneur Gordon dit avoir
vu 23 malades à l'hôpital, et les sœurs de THôtel Dieu eu
ont trouvé vingt à leur arrivée à Tracadie et en ont depuis
admis trois. La fille aincc de la mort ne semble donc pas
abandonner son empire sar cette malheureuse localité*
Encore, si la maladie pouvait y borner ses ravages : après
l'avoir localisé dans ce lieu unique, peut être que de bons
soins, un traitement régulier, suivi et conforme aux pré-
ceptes avancés de l'an, une grande prudence, des précau-
tions incessantes et une hygiène plus intelligente parvien-
drait à faire disparaître ce fléau de la terre d'Amérique.
C'est là où doivent se borner les efforts des Religieuses et
de ceux qui le^ assistent- Espérons qu'ils réussiront, car
nous y sommes intéressés. La chose est loin d'être cer-
taine, cependant, comme le fait voir M. l'abbé Gauvreau.
" Un, ou deux, ou trois de ces infortunés, dit-il, se sen-
tent atteints de ce mal, et ne pouvant se familiariser avec
la pensée d'être écroués dans le Lazaret, ils font complot
de sortir de cet endroit. Ils s'embarquent à Miramichi à
bord du steamer pour débarquer à la Rivière-du-Loup, à
Kamouraska, ou peut-être à Québec, ou à Montréal. H
n'ont aucun ulcère visible, ni aucuns symptômes extérieurs
qui puissent donner lieu au moindre soupçon. Ils s'en
prévalent, et une fois à terre, ils s'engagent pour un ou
deux mois dans différentes maisons. Ils taisent leur mal,
n'en disent mot, pas même au médecin du lieu. Us man-
gent avec la famille de leurs maîtres et, malgré toutes leurs
précautions, ils transmettent leurs mal à leurs maîtres, ou
à leurs enfants, et quand ils ont lieu de soup<;onner qu'ils
commencent à devenir suspects, ils se retirent de cette
maison, et vont chercher fortune dans une paroisse plus
éloignée, ou même dans une des villes du Canada.
^< Le cas est arrivé à ma connaissance, continue M. Gau-
vreau. Un jeune homme sous l'influence de ce mal, ne
pouvant se soumettre aux règlements restrictifs du Lazareti
abandonna son endroit natal et se rendit à Boston, où il
153
s'engagea à bord d'un Mtimeot allant en puche, dans Tes-
pérance que les médicameuts dont il fit provision avant
d'aller à bord, et l'air salubre de la mer, Ini procureraient
quelque palliatif au mal qui le dévorait. Mais non ; il lui
fallut revenir et entrer dans Thôpital à Boston, où il fut
traité avec tous les soins possibles par des' médecins du
Collège Médical de Cambridge, et malgré tous les efforts
de ces messieurs, il y est mort, loin de ses parents et de
ses amis, au milieu des étrangers. Avant d'être admis
dans rbôpital n'aurait-il pas transmis à ses compagnons de
bord, ou aux autres malades, le virus vénéneux de la lèpre.'
Espérons cependant que le traitement régulier qui sera
maintenant donné aux lépreux parviendra d'abord à loca-
liser la maladie à l'endroit où elle existe aujourd'hui, et
réussira enfin à faire disparaître de la terre d'Amérique cet
horrible f éau. Ce sera une victoire dont tout l'honneur
appartiendra à des religieuses canadiennes, et la population
affligée de Tracadie, de môme que celle de tout le pays,
leur en devra une éternelle reconnaissance.
Après un exemple semblable de charité et de dévoue-
ment, laissons crier ces esprits étroits qui déprécient nos
institutions monastiques. Plaignons-les, car la lumière
leur manque, et ils n'ont pas encore commencé à com-
prendre ce que l'Eglise a de plus beau après l'amour de
Dieu, savoir l'amour du prochain.
E. Lef. de Bellefeuille.
CHINE.
Kiang-sL — Nous avons parlé, dans notre deraier numéro,
des ''queues coupées" et du rôle important qu^elles oot
joué dans les massacres du Ning-ko-fou. Mgr Bray, de
la Congrégation de Saint-Lazare, vicaire apostolique du
>Kiang-si, écrivait à ce propos de Kieou-kiang, le 10 dé-
cembre 1876 :
''Nous venons de passer quelques mois au milieu de
grandes angoisses : " Une maiu invisible, disait-on, coupe
*' la queue à beaucoup de Chinois, et cette opération les
" condamne à une mort prochaine." De là, des menées
sinistres contre les chrétiens, sur qui Ton voulait rejeter
Todieux de ces vols ; de là, des processions diaboliques
pour conjurer les esprits malfaisants. On ne craignit pas
d'afficher sur les murs de Ou-tcheng que, le 15 de la 8e
lune, la foule se ruerait sur notre église et la livrerait aux
flammes. Des menaces plus terribles encore furent faites
contre nos établissements de Fou tcheou ; on lira même un
coup de fusil à travers la fenêtre de la chambre de M.
Anot, qui, heureusement, ne fut pas atteint. Nous devons
cependant reconnaître que les mandarins, en cette circons-
tance, se sont généralement montrés bienveillants à notre
égard. Le Préfet de Foutcheou nous a énergiquement dé-
fendus contre la populace ; et, sans son intervention, il est
à peu près certain que nos deux établissements auraieuX
été détruits ou incendiés
" De plus, à ma deniande, le tao-tai de Kieou-kiang a
obtenu du gouverneur du Kiang-si qu'il donnât Tordre
d'adresser une proclamation à toute la province, par la-
quelle les chrétiens seraient justifiés des calomnies dont on
les chargeait. Je vous transmets la traduction du placard
qui a été affiché à Chouitcheou-fou. Il est, comme vous
le verrez, conçu en très- bons termes."
Proclamation du sous-préfet de Kao-ngan en faveur des cht^èlims
calomniés.
Moi, Kao, devant Otre promu à un mandarinat de deuxième ordre,
tnandarin do troisième ordre k Tai^ko, chargé d'affaires à Kao-ngan»
135
Après avoir ou mon nom i»réscnté dix fois à l'empereur, çt avoir obtenu
le cinquième degré des dignités, je fais la présente proclamation.
Le 30e jour de la 7e lune do la présente année, j'ai reçu et lu avec
respect une lettre du préfet de Wang, qui en avait pareillement rerir
une du nié-^ai Tcheou, lequel en avait lu une du tao-tai de Kieou-
Viang conçue en ces termes :
" Le lOo jour do la 7e lune, Mgr Bray, chef de la religion du maître
du Ciel au Kiang->i, a reru du bourg de Ou-tcheng un écrit non signe
et publié dans l'endroil, dans lequel écrit on calomnie les chrétiens et
on les accuse d'être superstitieux et rebelles, comme aussi de *• couper
les queues." 11 est à craindre que, en répandant de tels bruits et dr
telles faussetés, on ne i>rovoque des troubles, etc.''
C'est pourquoi j'ai reçu des supérieurs cités plus haut l'ordre d'ex
aminer attentivement qupls bommcs sèment de pareils bruits, et de faire
une proclamation pour c'mi>écher qu'ils ne se répandent davantage.
Aussi, considérant que les chrétiens, loin d'être superstitieux, pra-
tiquent une religion qui est sainte et qui est propagée avec honneu»*
dans tous les royaumes du monde ; considérant que le traité franco-
chinois Tautorise dans tout notre empire, et que, depuis longtemps, l.i
paix a été conclue entre les doux royaumes, moyennant dos condition>
qniontétô observées do part ot d'autre, comment pourrait-on souffrii
que des sots et dos insensés; répandent des bruils capables de jeter le
trouble partout i C«: serait une chose odieuse et doteslable de le per-
mettre. ♦
En conséquence. j'a\erlis tou^ coux qui sont soumis à ma juridiction.
soldats et autres queU qu'ils soient, d'avoir & chercher et à saisir ces
gens qui •* coupent le.s queues, " hommes rebelles et endiablés qui n'ont
rien de commun avoe los chrétiens. Et qu'on ne s'y méprenne pas :
il n'est pas permis ici do soup<'onner les chrétiens ni de concevoir de In
haine contre eux, à cause des " queues coupées."
Môme si quelqu'un, soumis à ma juridiction, ose, pour cacher sa
méchanceté et ses idées superstitieuses, se déclarer faussement membre
de l'Eglise chi'étienne, et qu'il soit saisi et convaincu de son hypo-
crisie, il sera puni pluî- sévèremont selon la gravité de sa malice, afin
que, par ce moyen, on o^nsorve la paix entre le simple peuple et les
chrétiens.
Telle est la proclamation que je fais ; que cliacun la comprenne bien
et se conforme à tout ce qu'elle contient.
Elle sera affichée à la porte du midi et à celle du nord.
Fait et publié le 3e jour de la 8e lime de l'empereur (20 septembre
1876).
SU'tchuen orientaL — Dans une lettre, daté»» de Kien-kiang^
2 janvier 1877, M. Pons, de la Société des Missions-Etran-
gères de Paris, donne quelques détails complémentaire»
156
sur les naassacres qui. Tannée dernière, ont désolé le Su-
tchuen oriental,, et annonce la fin de la persécution.
^' De Kiang-pée, où elle avait pris naissance, la perse-
•cution s'étendit dans les districts voisins. Un immense
département, celui du Fou-tcbéou, a été le théâtre d'atro-
cités épouvantables. L'église, achevée depuis deux mois,
n'est aujourd'hui qu'un monceau de ruines. Les chrétiens,
chassés de leurs maisons livrées aux flammes, ont aban-
donné leurs champs et se sont réfugiés dans les contrées en-
vironnantes. Un grand nombre d'entre eux sont à Tehong-
kin, auprès de Mgr Desflèches, qui tâche de les secourir
proportionnellement à ses modiques ressources. On peut
aisément s'imaginer la misère de ces milliers de chrétiens,
sans moyens d'existence et sans amis, loin de leurs maisons
brûlées et de leurs champs dévastés. Dans mon récent
voyage à Pen choui, j'ai vu deux prêtres chinois, origi-
naires du pays de Fou-tchéou. Leurs familles sont dis-
persées, leurs maisons détruites. L'un d'eux ne sait pas
encore où se sont réfugiés ses frères et ses sœurs.
" Les mandarins, effrayés de tant d'excès, ont enfin donné
dej ordres sévères pour arrêter les déprédations et les mas-
sacres. Le courrier qui m'arrive annonce que la tranquil-
lité renaît de partout. Après dix mois de troubles, il est
temps que la paix nous soit rendue,"
PROCESSION DU SAINT-SACREMENT AU MILIEU
DBS MUSULMANS.
.INFLUBNGJB DB LA DIVINE EUGHAllISTIfi CONTRE LE CHOLÉRA»
LETTRE DU P. PORTELLI AU P. DUCAT, S. J.
Dikfaïa, le 25 janvier 1876.
]loN Révérend Père,
Le P. Sacconi, à son retour du Beyrouth, m'a dit que
vous désiriez avoir le récit de la procession qui a eu lieu
^u mois d'août dernier, dans un village des environs de
Homs, dont le nom m'échappe en ce moment. Sur ce fait
extraordinaire, voici ce que m'ont raconté des personnes
•dignes de foi :
Pendant que le choléra sévissait à Damas, durant les
mois de juin et de juillet de l'année dernière, les chrétiens
épouvantés des progrès du fléau, abandonnèrent la ville et
se réfugièrent en foule dans le Mont Liban. Zahlé, que vous
connaissez, ouvrit ses portes aux fuyards qui s'y rendirent
en grand nombre. Tous les jours de nouvelles caravanes de
Damasquins arrivaient à Zahlé. Parmi les derniers venus,
quelques-uns apportèrent avec eux le choléra et ne tardè-
rent pas à succomber au mal au milieu de Zahlé môme. Mgr.
Ambroise Abdo, évoque grec catholique de Zahlé, voyant
le danger, voulut imiter ses prédécesseurs, qui dans des
circonstances pareilles, obtinrent de Dieu que la ville fût
délivrée de celte épidémie en portant en procession le Très-
Saint Sacrement et les statues de la Sainte-Vierge e.t de
saint Joseph. Au jour indiqué par Monseigneur, tous les
habitants de Zahlé se rendirent à la Cathédrale, un cierge
à la main gauche et le chapelet à la main droite. Lorsque
Pévôque parut sur le seuil de Téglise, tout le monde se
prosterna le front dans la poussière, devant le Très-Saint
Sacrement porté par Sa Grandeur. Le clergé chantait deg
hymnes et le peuple récitait le chapelet. On fit ainsi le
tour de la ville.
■
Le bon Dieu permit que ces jours-là se trouvât à Zahlé
un riche musulman, chef d'un village des environs de
158
Homs. Cet homme a donc pu être témoin de ce spectacle-
de piété chrétienne : il a pu voir de ses propres yeux cette
foi vive que nos bons Libanais conservent encore. Il a pa
remarquer plusieurs de ses amis, aussi puissants et plus ri-
ches que lui, marcher avec la foule des pauvres, sans aucu-
ne distinction ; il a pu entendre des milliers de voix deman-
dant à Notre-Seigneur pardon et miséricorde, avec une
confiance illimitée. Enfin toute cette manifestation si tou-
chante ne manqua pas de produire en lui quelque heureuse
impression. Mais en bon musulraan'qu'il était, il crut de-
voir se moquer de tout ce. qui avait fait l'objet de son admi-
ration. En apprenant que le choléra avait éclaté dans
quelques villages de la plaine de Baalbek, aux environs de
Zahlé, il se hâta de terminer ses affaires et de partir pour
son village qu'il regardait comme inaccessible à Tinvasion
du terrible fléau, à cause d% sa position solitaire dans l'im-
mense plaine de Homs. A son arrivée, tous les musul-
mans de l'endroit, suivant l'usage du pays, se firent un
devoir de le visiter et de lui demander des nouvelles de son
voyage. La matière ne lui manquait pas : la foie et la piété
de nos braves Zahléotes lui fournirent de quoi égayer ses
coreligionnaires. Mais cette gaieté ne dura pas longtemps.
Dix jours après, le lloau apparaît menaçant, et fait même
plusieurs victimes parmi les musulmans. Les quelques fa-
milles chrétiennes qui habitaient ce même village prennent
la fuite, à l'exception d'un vieillard qui ne pouvant pas sup-
porter les fatigues du voyage demeura dans sa maison avec
quelques membre^ do sa famille. Notre chef naguère si
railleur, maintenant effrayé des ravages du choléra, se rap-
pela la procession do Zahlé; d'ailleurs des lettres de ses
amis lui apprennent qu*à Zahlé tout le monde se porte bien,
tandis que dans son village le mal sévit chaque jour davan-
tage. Le musulman n'hésite plus; il court chez le curé
grec-catholique, qui était resté fidèle à son poste à cause du
vieillard chrétien et. de sa famille. Il.lui décrit l'admirable
processio!) dont il avait eu le bonheur d'être témoin
à Zahlé. En même temps il tire de sa poche des lettres der-
nièrement arrivées : '^Voilà, ajoute-il, la grâce signalée que
•' les Zihléoles ont obtenue de votre Christ. Ils ont étéentiè-
159
** rement délivrés du fléau. Nous pouvons donc obtenir les
*' mêmes résultats.'* Le brave curé, étonné d'un pareil lan-
gSLge dans la bouche d'un musulman lui répond : ^' Mais,
mon cher Monsieur, vous ne faites pas attention à une cho-
se: Zahié est un village entièrement chrétien, où l'on peut
exercer en toute liberté le culte catholique avec le respect
et la piété convenables, tandis que dans un village tout
musulman comme celui-ci, je ne pourrais pas p iraltre dans
les ruée, portant le Très-Saint Sacrement, sans exposer
Notre-Seigneur Jésus-Christ aux outrages de vos co-réligion
naires, et par conséquent sans attirer sur nous ses justes
châtiments." — Le musulman prenant alors un air sérieux:
*'Quant à cela, dit-il, je m'en charge ; je suis chef des mu-
sulmans, je vous donne ma parole que pendant tout le temps
de la procession pas un ne bougera et ne soufflera mol,
soyez-en sûr." Le bon curé avait obtenu déjà quelque chose,
mais cela ne lui suffisait pas. — "Je crois, Monsieur, répondit-
il, tout ce que vous me dites; cependant pour que Notre-
Seigneur nous accorde la grâce désirée, ce n'est pas assez de
ne point l'outrager ; il faut aussi faire quelque chos^i en son
honneur : " Dites, M. le Curé, reprit le musulman, que faut-
il que nous fassions?" " D'abord toutes les rues par où pas-
sera la procession doivent être bien balayées et nettoyées;
ensuite le jour de la procession tous les musulmans se ren-
dront devant la porte de mon église, tenaîjt à la main un
cierge qu'ils allumeront pour accompagner le Très Saint
Sacrement. Enfin, il faut qu'ils aient tons la foi que Notre-
Seigneur Jésus-Chiist peut et veut bien nous délivrer du
choléra. Si vous promettez ces trois choses, la procession
aura lieu." — Le chef enchanté lui répondit : ''Tout ce que
vous demandez sera accompli à la lettre ; dans deux jours,
après votre m?sse, vous verrez tous les musulmams à la
pone de votre église pour assister à la procession." — En
effet, le lendemain dès le matin, hommes, femmes, enfanta
sortirent de leurs maisons qui avec des balais, qui avec des
pelles, qui avec des corbeilles, se mirent tous à l'œuvre; le
soir toutes les rues du village étaient parfaitement propres.
Le deuxième jour tout le monde était réuni devant l'église :
*on alluma les cierges, et lorsque le curé parut portant le
160
Saint-Sacrement, tous les musulmans se mirent en marche^
le chef derrière eux. Après lui venait le curé accompa^iifr t
de quelques membres de la famille catholique qui élaiÉ.
restée dans le village. La procession traversa les princi|H^
les rues, puis elle sortit et fit le tour du village. Lorsqa*iiâe
rentra pour se rendre à l'église, elle passa dans une rué ofr
se trouvait la maison du Khatib (prêtre musulman.) Celui-d
se place devant sa porte, et au moment où la processioa
défilait, il murmure quelques paroles de reproche. Le chef
les entend et dit à ses musulmans : — '* Ne faites pas atten-
tion à ce qu'il dit ; celui-là n'a pas la foi, et Jésus-Christ ne
le délivrera pas du choléra. " — La procession continuant
sa marche, arrive à l'église ; le curé bénit tout le village
avec le Très-Saint Sacrement, et chacun se retira î^lein d'es-
pérances. Le reste de cette journée s'écoule sans aucun dé*
ces. Vers le coucher du soleil, le Khatib est atteint par le
fléau et il expire quelques instants avant minuit. Le second
jour point de nouvelle victime ; les malades eux-mêmes se
lèvent ; au bout de quatre ou cinq jours, tout le monde se
porte bien, le village "était sauvé. Voilà le fait que le curé
même du village a raconté au curé de Zahlé, son frère, de
qui je le tiens moi-même. Je sais que quelques savants de >
l'Europe attribueront ce phénomène à la propreté qu'on a
mise dans les rues, ou à d'autres causes naturelles. Les-
musulmans y ont reconnu la puissance de Jésus-Christ»
Mais vous me direz peut-être : et ces mômes musulmans
n'ont-ils pas alors embrassé la religion catholique ? 11 n'y a,
je crois, qu'une seule réponse à faire à votre question : âans<
les desseins de la divine providence l'heure de la conver*
sion des musulmans n'a pas encore sonné.
Je suis, en union de vos Saints Sacrifices,
Votre serviteur en Jésus-Christ.
PORTELLI, s. j.
'à
y
I
ANNALES
DB LA
PROPAGATION DE LA FOI
POUR LA PROVINCE DE QUEBEC
OCTOBBB -1877.
(NOUVELLE SERIE)
TROISIÈME NUMÉRO.
DES PRESSES A VAPEUR DE J. A. PLINGUET,
39, RUE ST. JEAN-BAPTISTB.
1877
Permis d'imprimer,
4- Edouard Ch. Ev. de Montréal
LES LÉPREUX DE TRACADIE. N. B.
pi nous semble que la ieltre suivante complète ce que nous avons
dît dans notre dernier numéro sur la léprosie de Tracadie, et nous som-
mes persuadé qu'elle sera lue avec intérêt et plaisir ; M. Poirier, auteur
de la lettre que nous donnons aujourd'hui, corrobore M. de Bellefeuille
sur les points qui touchent à Thistoire et donne des détails comme un
témoin dt visu peut seul en donner. C'est du Moniteur Acadien du 7.
juin dernier, que nous extrayons cette lettre ; ces renseignements
sont donc tout à fait récents.]
(extrait d'un voyage en AGADIE, par MR. PASCAL POIRIER.)
Le jour était prêt de tomber quand j'arrivai à Tracadie.
Je donnai congé à mon guide, et me présentai seul au pres-
bytère. Je ne connaissais pas personnellement M. le curé
X.; mais le succès d*un sermon prêché par lui devant une
réunion anglaise où se trouvait un de mes amis, était venu
josqn'à mes oreilles. 11 me tardait de me présenter a uu
compatriote aussi distingué.
Monsieur X. était absent.
Sans l'attendre, je me hAtai d'aller visiter les aleniours
d'une institution unique dans la Confédération — le Lazaret.
Plusieurs lecteurs, à l'étranger et même en Acadie, me
demanderont quel est ce lazaret de Tracadie ? L'histoire en
est bien triste, pénible à raconter. La lèpre sérit es cet
endroit; et le lazaret, comme le nom l'indique, est rhos-
pice où sont renfermés les lépreux.
Bien des commentaires ont été faits au sujet des lépreux
de Tracadie, et la plupart avec une ignorance remarqua-
ble des faits et des circonstances. Par exemple, une con-
clusion tirée par plusieurs touristes anglais qui se sont
mêlés d'écrire à ce sujet, est d'affirmer que la lèpre existe
à l'état dormant chez tous les Acadiens, par suite d'ancien-
ne corruption du sang, que c'est chez eux une maladie en-
démique.
Les faits vont rétablir la vérité.
La première apparition de ce terrible fléau a été signalée
en 1816, à Chatham, à quarante milles environ de Tracadie ;
164
et c'est une femtre anglaise, Madame Gardiner, qui en était
atteinte. Jamais aucun symptôme de ce mal n'avait été
observé auparavant en Acadie, ni pendant le domination
française, ni après ; et aujourd'hui encore, il est aussi incon-
nu, inouï, dans les autres parties des Provinces Maritimes
que dans la Chambre des Représentants à Ottawa. Ce n'est
qu'en 1821, que la lèpre s'est déclarée pour la première foî«
à Tracadie, parmi la population française: une autre fem-
me. Madame Benoit^ en était la victime.
Comment la lèpre a-t-elle origine à Chatham, puis à Tra-
cadie? C'est la question, c'est le mystère; mystère sotte-
ment expliqua par le premier touriste anglais auquel est
venu l'idée qu'elle devait exister à l'état latent chez tous
les Acadiens. La maladie est>elle spontanée ? A-t-elle été
importée de l'étranger, comme elle l'a été en Espagne par
les Maures et en France par les Croisés, au dire de certains
savants savamment réfutés par d'autres? Mystère encore.
Les habitants de Chatham disent que l'équipage d'un cer-
tain navire norvégien leur a laissé ce funeste présent.
Chatham, en effet, exporte beaucoup de bois en Europe sur
des navires norvégiens ; et tout le monde sait que la lèpre
sévit en plusieurs endroits de la Norvège.
Quoiqu'il en soit, le ûéau a maintenant pris racine dans
notre province, et fasse le ciel qu'il ne se projjage pas. Ac-
tuellement il ne franchit pas les limites de Tracadie et de
la partie la plus rapprochée de Poqueraouclie, paroisse voi-
sine. L'on observe en outre, fait consolant, que le nombre
des victimes n'augmente pas depuis que les bonnes Reli-
gieuses de l'Hôtel-Dieu de Montréal sont allées prendre
soin des malades, mais qu'il tend, au contraire, à diminuer.
Autrefois, à partir de 1844, les malades étaient relégués
à rile-aux Becs-Stie (Slieldrake Island), sur la rivière Mira-
michi, à six ou sept milles de Chatham. Ou les entassait
pele-môle dans une chétive bicoque, cadeau du gouverne-
ment, où ils étaient réduits, la plupart du" temps, à prendre
soin d'eux-mêmes. L'or ne pouvait payer les services d'au-
cun engagé ; à peine si un parent osait aller leur prodi-
guer de temps à autre les soins les plus urgents, tant la
crainte du mal frappait les esprits.
165
Ce que Tor, le dieu puissant, la parenté, le lien fort, n'ont
pas fait, la Beligion l'est venue faire, avec des femmes
pour ministres.
Les Dames de THôtel-Dieu arrivèrent à Tracadie le 4
octobre 1868, Le Révd. M. Gauvreau, mort il y a quelques
années en odeur de sainteté, avait obtenu du gouverne-
ment que le soin des lépreux leur serait confié. Aujour-
d'hui, grâce à leur dévouement, si le mal n'en est pas
4noins demeuré affreux, incurable, au moins les malades
sont-ils Tobjet constant de l'attention la plus empressée, de
la sollicitude la plus tendre.
Je visitai le Lazaret en compagnie de M. le Curé. J'a-
vouerai que je ne pus maîtr.'ser un certain sentiment de
crainte, en entrant dans ce lieu, d'où, comme dans l'enfer
du Dante, aucun condamné ne sort. Déjà, la veille, dans
ma promenade autour de l'hospice, j'avais conversé avec
quelques-uns des malades occupés à respirer la fraîcheur
du soir dans leur jardin. Je m'étais fait raconter l'histoire
de plusieurs d'entre eux, leur condition présente, leurs
souffrances, leurs espérances. L'air de consternation que
je leur avais vu, cette sombre résignation qui serait du
désespoir si elle n'était un long martyre, avaient assombri
mes pensées, bouleversé mon âme.
Les Religieuses nous accueillirent avec beaucoup de
grâce. Elles me permirent môme de visiter les apparte-
ments des malades. Il n'y a que deux appartements, l'un
pour les femmes, l'autre pour les hommes. A notre entrée,
ils se levèrent, s'attendaut peut-être, les infortunés, que
nous leur apportions des consolations, que sais je ? peut-être
le remède que personne ne leur apporte, et qu'ils ne trouve-
ront qu'au delà du tombeau. Quelles consolations donner
à ceux qui ne doivent jamais jouir de la société des autres
hommes, qui sont un objet de terreur pour les autres et de
dégoût pour eux-mêmes? Je ne leur apportais qu'une âme
chargée de pensées lugubres ; et je me disais : quel mal
onl-ils fait pour mériter le châtiment qui les frappe '/ Pour-
quoi sont-ils ici plutôt que d'autres?
Il y en avait vingt-et-un, tant hommes que femmes et
enfants. Les uns ne me paraissaient guère mutilés ; mais
166
•
d'autres avaient le visage, les mains, les pieds horriblement
grossis ; d^autres avaient perdu leurs doigts, gui étaient
tombés aux jointures sans laisser de cicatrice, comme un
fruit trop mur se détache de la branche. Tous avaient
cette couleur terne, cette chair'morte, incolore, ou plutôt pa-
reille au cuir de Télôphant, ainsi que le nom de la maladie
l'indique.
La lèpre^ en effet, n'est pas proprement le nom de leur
maladie, c'est Véléphantiasis.
La lèpre proprement dite a été subjuguée par la science
moderne.
L'éléphantiasis dont sont frappés les malades deTracadie
est la lèpre orientale, la même apparemment dont il est fait
mention dans Moïse et les écrivains hébreux, celle qu'a
décrite Aretée de Cappadoce. C'est le mal incurable, mys-
térieux, que la science humaine n'a jamais sondé, et qu'un
miracle seul a guéri.
La lèpre si répandue en Europe au Moyen-Age, qu'en
France seulement, sous le règne de Louis VIII, on a compté-
2,000 léproseries ou lazarets, n'était pas toujours l'éléphan-
tiasis. Plusieurs savants prétendent même que ce n'était
autre chose que la syphilis; d'autres pensent que c'était
cette sorte de lèpre que les grecs nommaient leuke^ mal
blanc.
Sans nous arrêter aux disputes des savants, auxquelles,
pour ma part, je n'entends rien, comment s'expliquer la
nature de la lèpre dont il s'agit, la plus ancienne des mala-
dies dont l'histoire fasse mention, la moins expliquée, celle
que les hommes ont le plus en horreur ? Est-elle conta-
gieuse ? Les Sœurs de l'Hôtel-Dieu qui prennent soin des
malades depuis sept ans, non plus que les femmes qui
lavent leur linge, ne l'ont jamais prise. Une rumeur cir-
cule, cependant, qu'un médecin attaché au lasaret s'aperçu
un jour qu'il en était atteint, et de désespoir ait fin à so
existence. *
Est-elle héréditaire ?
Dans les familles le mal frappe indistinctement le père
la mère, les enfants ou quelques-uns d'entre eur, et épar
gne les autres. L'on a vu un homme, marié en seconde]
167
noces, dont les deux femmes sont allées mourir au lazaret^
vivre de longues aunées et n'en être jamais atteint. Voici
qui est plus surprenant encore : une femme a donné le
jour à un enfant pendant qu'elle était au lazaret, où elle
est morte ensuite, et Penfant maintenant est grand et n'a
aucun symptôme de la lèpre.
Qui éclaircira ce mystère ?
Ici, comme dans la plupart des effets dont les causes sont
demeurées inconnues, un brin de superstition est venu se
fourvoyer : ce qui n'a, dans aucun temps, contribué à amé-
liorer le sort de ces malheureux. Aux yeux du peuple, un
lépreux a presque toujours été un homme frappé de la
malédiction du ciel.
Les législateurs, au contraire, tout en s'entourant des
mesures les plus sévères pour empocher la propagation du
mial, ont presque toujours laissé le soin des lépreux aux
ministres de la religion, semblant montrer par là le cas
religieux qu'ils en faisaient. Moïse ordonne à l'homme
suspect de la lèpre de se montrer au prêtre. S'il est déclaré
impur, on lui assigne sa demeure hors du camp. Sa maison
est démolie, et ses bardes et meubles sont brûlés.
Au Moyen- Age, celui qui était convaincu atteint de la lèpre
était recouvert d'un linceul ; on chantait pour lui la messe
des morts et le libéra, puis on le conduisait au cimetière.
Le prôtre prenant une pelletée de terre, la lui posait trois
fois sur la tète en lui disant : Souviens-toi qufi lu es mort au
monde, et pour ce^ aye patience en toi. " Il lui était défendu
alors, dit un auteur que je transcris, de s'approcher de
personne, de ne rien toucher de ce qu'il marchandait, de
se tenir au dessous du vent lorsqu'il parlait à quelqu^un^
de sonner sa tourterelle, ou cliquette, quand il demandait
l'aumôme, de ne pas sortir de sa borde ou tanière sans être
vêtu de la housse, de ne boire à aucune fontaine ni ruis-
seau, si ce n'est dans le réservoir d'eau qui se trouvait
devant sa borde, de ne pas sortir du lieu de son domicile
sans un congé du curé ou de l'officier."
Ces cérémonies si lugubres étaient bien de nature à frap-
per profondément le peuple qui en était témoin ; d où
l'horreur que le nom seul de lépreux inspirait.
168
Certains peuples sont allés encore plas loin. Us voulaient
{ceux-là n'étaient pas positivement des républicains) que le
roi qui en était frappé fie^ baignât dans le sang de ses sujets
pour se guérir.
Au rapport de Josephe, au contraire, chez quelques con^
trées orientales, les lépreux étaient Tobjet de la vénération
universelle, d'honneurs extraordinaires* : on leur donnait
les premières dignités civiles et militaires.
Plutarque nous apprend qu'Artaxerce aimait passionné-
ment son épouse Atorsa, dont le corps était couvert d'une
lèpre blanche — celle que les Grecs appelaient leuke.
Le gouvernement du Nouveau-Brunswick ne témoigne
pas aux lépreux de Tracadie, les mêmes égards que témoi-
gnaient à leurs lépreux les gouvernements dont parle
Josephe. Après les avoir laissés périr de misère pendant de
longues années sur Tlle aux Becs-Scie, il les a, il est vrai^
installés dans le lazaret où ils sont aujourd'hui. Mais ce
lazaret n'est pa^ ce qu'il devrait être ; les malades n'y sont
guère plus à l'abri des intempéries des saisons qu'ils ne le
seraient dans une grange confortable. La pluie, quand
elle est poussée par les vents du nord et du nord-est, pénè-
tre le toit, et tombe abondamment sur leurs lits de douleur ;
et pendant les rigueurs de l'hiver, les soins et la sollicitude
des bonnes Religeuses ne peuvent pas toujours les préser^
ver du froid qui, joint à l'humidité de l'automne, leur est
souvent fatal. Parce qu'ils sont condamnés à vivre isolés^
séparés de toute société; parce que leur mal est sans
remède, cela ne doit pas leur enlever leurs droits à la sym-
pathie de leurs semblables. Le gouvernement en les
dotant d'un hospice confortable, tel que le réclame leur
malheureux état, ferait un acte de philantropie applaudi
par toute la province. La subvention môme de 800 pias-
tres accordée aux Religieuses pour leur propre entretien
l'achat des remèdes, etc, n'est pas suffisante. L'on ne de'
vrait pas y regarder de si près, il me semble, lorsqu'il s'agit
de tempérer des souffrances déjà grandes et surtout si Ion-
gués.
Ceux d'entre vous à qui il est arrivé de visiter nos grands
pénitenciers, ont peut-être été étonnés d'y entendre parler
169
de délivrance prochaine, faire des rêves brillants, ceux que
la justice a condamnés à une réclusion perpétuelle. Mon
éionnement fut plus grand encore en entendant les mômes
paroles, les mômes projets d'avenir et de bonheur, sortir
de la bouche de ceux que la science et les hommes ont
également condamnés. Mais ces moments-là sont courts ;
ce sont des éclairs passagers, des images fugitives, suivis
aussitôt d'un afTreux retour, de la sombre et inflexible
réalité.
En entrant dans leur salle,la Supérieure leur avait an-
noncé que je leur apportais des nouvelles du Docteur Ta-
ché. A ce nom je vis leurs yeux se dilater, leurs lèvres *
sourire, comme à l'annonce d'une délivrance prochaine.
Le Docteur Taché, en effet, a passé plusieurs étés avec eux
à étudier leur maladie, dans le but de faire un traité sur
la lèpre, qu'il est prôt, me dit-on, à mettre sous presse. La
«cience attend l'œuvre du savant docteur, mais non pas
avec la môme avidité que ces malheureux attendent son
retour au milieu d'eux. De ses bontés pour eux il leur
^st resté l'idée qu'un beau matin il arrivera, leur apportant
le remède qui doit les guérir de la lèpre.
0 espérance! me disaîs-je en moi-même, tu es une bien
puissante consolatrice, puisque tes rayons pénètrent jusque
dans ces hospices où règne le désespoir ; puisque tu fais
épanouir des cœurs condamnés à mourir.
Je laissai Tracadie l'âme grosse de réflexions sombres.
 peine si je trouvai quelqu'observation à faire sur les
lieux; à peine si j'observai la magnifique église en pierre
de taille, longue de 120 pieds et large de 56, en voie de
construction, et qui, parachevée, sera l'une des plus belles
églises en pierre des Provinces Maritimes.
Tracadie est un village agréablement situé sur le bord de
la mer, avec trois cent quatre-vingt-six familles toutes Âca-
diennes, sauf 4 familles anglaises et irlandaises. L'on y
arrive par la diligence de Chatham ou de Bathurst, au tra*
/vers de chemins qui ne sont pas les plus beaux du monde*
NOTICE BIOGRAPHIQUE
SUR LE
Très Révérend Alexis Mailloux^ Vicaire-Général, décédé à Pile
aux Coudres le 4 août 1877.
Certa bonnm certamen fidel : appréhende
vltam œtemam In qua vocatos es» etconfes-
8a8 bonam eonfesBionem coram multifi tes-
tibos.
^ Combattez le Sâlnt combat de la foi : rem-
portez le prix de la vie étemelle à laquelle
vous avez été appelé, ayant si glorieusement
confessé la fol devant un grand nombre de
témoins.
I Tlm.VI.12.
Ces paroles de TApôtre St. Paul semblent être le résumé
parfait de la vie et des travaux de ce vétéran du sanctuaire
qui vient de s'endormir doucement dans la paix du Sei-
gneur, à rage de soixante- seize ans et six mois, après plus
de cinquante-deux années de prêtrise consacrées tout en-
tières à l'exercice du saint ministère et du salut des âmes.
Homme laborieux, patriote dévoué, prédicateur éloquent,
missionnaire infatigable, prêtre sans tache, tel fut le Révé-
rend Messire Alexis Mailloux, dont l'Eglise de Québec enre-
gistre aujourd'hui la perle et dentelle conservera toujours
le plus précieux souvenir.
M. Mailloux naquit à TUe aux Coudres, le 9 janvier 1801,
et il a conservé jusqu'à sa mort un véritable culte pour
cette paroisse où il avait vu le jour et où il devait rendre le
dernier soupir. La Providence de Dieu qui le destinait à
devenir une des gloires du sacerdoce en notre pays, permit
qu'il fut rencontré un jour dans Tlle môme par un des di-
recteurs du Séminaire de Québec, le regretté M. Jérôme
Demers. Ce prêtre distingué, avec ce coup d'œil sûr qui
le caractérisait et peut-être aussi comme inspiré de l'esprit
d'en haut, s'attacha cet enfant. Le séminaire lui fut ou-
vert, et quelques années plus tard, le 28 mai 1825, après un
cours d'études classiques et tbéologiques aussi brillant que
171
solide, M. Mailloux recevait ronction sacerdotale dels mains
de feu Monseigneur J. O. Plessis, d'illustre mémoire.
Ecolier modèle, lévite déjà consommé dans la piété et
-dans la vertu, aurait- il pu ne pas devenir un prêtre selon le
coeur de Dieu? Il le fat en effet, et Monseigneur Plessis,
pour première preuve de l'affection et de la confiance qu'il
mettait en lui, le fit aussitôt chapelain de cette paroisse
naissante de St. Roch de Québec que ce prélat aimait si
particulièrement. Quatre ans plus tard, en récompense de
son zèle, on l'attacha plus étroitement encore à son poste
et il devint premier curé de St. Roch. Il conserva ce titre
jusqu'en 1833, époque à laquelle il supplia l'autorité ecclé-
siastique de lui laisser exercer le saint ministère dans une
paroisse de la campagne. La Rivière du Loup lui échut
en partage. Il s'y était établi depuis à peine un an, lors-
•qu'on réclama ses services pour la direction du collège
Ste. Anne Lapocatière. Inutile de dire qu'il se donna tout
entier à cette œuvre qui demande tant de discernement, de
prudence et de dévouement. A la mort de M. Painchaud
qui eut lieu le 8 février 1838, il accepta la cure de Ste»
Anne, tout en demeurant attaché au collège, au soutien
duquel il consacrait presque tous ses revenus ecclésiasti-
ques avec cette charité qui ne s'est jamais démentie un seul
instant. C'est pour reconnaître tant de bons offices qu'au
mois de juin de la môme année. Monseigneur Signay le
nomma Vicaiie-Général, honneur qu'il méritait à tant de
titres. Pendant dix ans, M. Mailloux se voua corps et âme
à la desserte de cette immense paroisse, sans jamais oublier
l'œuvre du collège dont il espérait tant de bien pour le
pays.
Depuis longtemps/ cependant, ce saint prêtre mûrissait
dans son esprit et réchauffait dans son cœur un projet aussi
plein de patriotisme que de religion et l'heure semblait
venue où il allait pouvoir la mettre à exécution. L'ivro-
gnerie faisait de terribles ravages dans tout le Canada, et
«lie avait alors ce caractère particulier qu'on semblait ne
la considérer ni comme une honte ni comme un péché
bien grave. Pour combattre ce désordre affreux, Monsieur
le 6raûd-Vi Caire Mailloux se fit exclusivement V Apôtre de
172
la Tempérance^ et bien que le mal eût jeté déjà des racines
profondes, après quelques années de travaux, ce zélé mis-
sionnaire avait changé la face du pays. On le vit donc
pendant longtemps, armé de Tétendard de la croix, par-
courir les unes après les autres les paroisses des villes et
des campagnes et y établir cette société admirable de tem-
pérance dont la sainte rigueur était bien nécessaire au ca-
ractère du peuple canadien et qui demanderait peut-être
de nos jours encore un apôtre pour la raviver au milieu de
nous.
Les générations qui ont été témoins de cette première
croisade, se rappellent encore combien ce prêtre vénéré
mettait d'ardeur dans Taccomplissement de son œuvre. Sa
parole forte et onctueuse à la fois ne connaissait pas d'obs-
tacle, et si quelquefois en lui le prédicateur paraissait aus-
tère, le confesseur rachetait cette sévérité apparente par la
plus miséricordieuse douceur. Que d'âmes lui devront leur
salut éternel 1
Après des semaines et des mois de travaux incessants,
,de veilles et de fatigues, Tapùtre des retraites et de la tem-
pérance s'accordait comme à regret quelques jours de re-
pos. TI avait choisi pour demeure la maison de son ami
le plus intime, le Révérend Messire Pierre Villeneuve, alors
curé de St. Charles. Là, jouissant pour ainsi dire de la vie
de famille, s' occupant do quelques travaux manuels, con-
sacrant ses loisirs à la culture de la musique religieuse et
à quelques autres amusements favoris, il trouvait encore
l'occasion de satisfaire son zèle en aidant son confrère
bienaimé dans tous les soins du ministère et surtout dans
la prédication et dans la direction des âmes.
C'est à peu près vers cette époque qu'il présenta aux
associés de la Tempérance son opuscule intitulé: "La
Croix " qui se conserve avec respect dans beaucoup de
nos familles canadiennes. Il publia aussi vers le même
temps " Le Manuel des Parents Ckrétiens,'' œuvre remplie de
conseils salutaires pour le bien spirituel et temporel de ce
peuple qu'il aimait si tendrement et qu'il voulait enchaîaer
à jamais sous le joug de la foi et de la vertu.
Non content de se montrer patriote dans ses travaux*
173
apostoliques et dans ses écrits, il voulut encore encourager
par ses exemples l'œuvre de la colonisation, et on le vit un
jour, à la tôle d'une nombreuse cohorte de défricheurs,
aller travailler pendant plusieurs semaines à l'avancement
de ce township qui porte son nom et où sont établis main-
tenant des cultivateurs à Taise qui lui sont redevables
d'une large part de leur prospérité. Oo rapporte que pen-
dant cette expédition si ardue, après de pénibles journées,
il passait encore une partie de ses nuits en oraison, vou-
lant, disait-il, prier à la place de ses chers compagnons
qu'il voyait accablés de fatigues et qui plus que lui avaient
besoin de repos.
M. Maiiloux menait depuis huit longues années cette vie
laborieuse, lorsqu'un pénible incident vint encore une fois
modifier son genre d'apostolat.
Le 31 août 1856, le Révèrent M. Pierre Villeneuve mou-
rait à l'HôteiDieu de Québec, emportant dans sa tombe le
regret et l'amour de la paroisse de St. Charles toute entière.
Monsieur le Grand Vicaire Maiiloux pleura ce tendre ami
avec lequel il avait coulé des jours si heureux, et, comme
pour faire diversion à sa douleur, il s'offrit pour la mission
des Illinois que de tristes circonstances avaient rendue
nécessaire. Et qui mieux que lui pouvait arrêter ce schis-
me naissant ? En face d'un prêtre apostat et infidèle, ne
fallait-il pas un prôtre véritablement digne de son nom, un
prêtre inviolablement attaché à la doctrine de l'Eglise et
ponant sur son front le triple cachet de la mortification^
de Tobéissance et de la pureté sacerdotale ?
Cette mission des Illinois fut féconde en fruits de salut, et
quand, en 1862, il laissa cette terre qu'avait voulu ravager
l'ennemi, il put emporter dans son cœur ta certitude d'avoir
remis pour toujours dans le droit chemin grand nombre de
familles qui s'étaient laissées entraîner presqu'invincible-
ment dans les sentiers de l'erreur.
De retour en Canada, il se donna avec une nouvelle
ardeur à l'œuvre des retraites. Pendant un an, il interrom-
pit ce travail pour se charger de la paroisse de Bonaven-
ttire, dans le district de Gaspé ; mais le ciel content de ses
nobles efforts voulait qu'il termina ses jours dans des oc-
174
cupatlons plus par&ibles et plus proportionnées à son âge,
ainsi qu'à sa santé qui allait s'altérant de jour en jour.
Depuis cette époque jusqu'à sa mort, il fut successive-
ment l'hôte d'amis de son choix qu'il mentionne et remer>
cie tout particulièrement de leur charité dans son testament.
Du mois de mars 1866 au mois de juin 1870, il accepta
l'hospitalité du Révérend M. Martineau, curé de St. Charles,
qui le traita toujours avec une déférence toute filiale.
En retour de toutes ces prévenances respectueuses, moa-
sieur le Grand Vicaire Mailloux lui rendait tous les services
dont il avait besoin, et c'est grâce à lui et môme sur ses
instances que monsieur le curé de St. Charles put faire en
1870, année du concile du Vatican, son voyage en Europe
et son pèlerinage à la Ville Eternelle.
Depuis 1870 jusqu'à sa mort, M. Mailloux vécut à St.
Henri de Lauzon auprès de ses deux autres amis de
cœur, M. le Curé Grenier et le Révérend M. T. B. Côté qui
n'ont cessé de lui prodiguer jusqu'à Ja fin les marques du
plus sincère attachement.
Pendant ces dix dernières années de sa vie, M. Mailloux
ne resta pas inactif. De temps en temps encore, autant que
ses forces le lui permettaient, il donnait quelques retraites,
avec moins de vigueur peut-être qu'autrefois, mais avec
des résultats non moins précieux. C'est aussi pendant ce
laps de temps qu'il élabora à force d'étude et de veilles,
ses ouvrages si bien connus sur La Tempérance^ sur Le
Luxe^ et tout récemment encore un volume intitulé* Le PetU
Arsenal, C'est un livre de controverse élémentaire destiné
à la classe peu instruite et qui a reçu l'approbation des
Evéques de la Province.
Monsieur Mailloux a laissé de plus un résumé inédit de
l'Histoire de l'Eglise ainsi qu'une foule de notes précieuses
et de documents qui peuvent servir à notre histoire en par-
ticulier. Son testament lègue au séminaire de Québec tous
ses manuscrits comme un gage de reconnaissance et d'af-
fection pour cette maison envers laquelle il se trouve, dit*i],
redevable de tant de bienfaits.
Cs qu'il faut rechercher avant tout dans la série des oa-
vrages de M. Mailloux, ce ne sont pas sans doute les déli-
175
<:at€sses d'uD style brillant et châtié ; un travail trop rapi-
de lui faisait négliger ces justes exigences de Tart ; mais si
on oublie un instant ces quelques défauts, on sera éton-
né, en lisant ses œuvres, de voir les rect)^rches qu'elles ont
dû exiger et l'érudition dont elles témoignent. La science
qai semble 7 prédominer, c'est la connaissance approfondie
des Saintes Ecritures et des Pères de l'Eglise ; mais à cha-
que page aussi se révèlent, sous une doctrine quelque peu
sévère, un jugement généralement sûr et une chaleur
d^âme qui portent la conviction dans les esprits et la per-
suasion dans tous les cœurs.
Jusqu'ici nous avons admiré l'athlète du Seigneur com.
liattant les bons combats de la foi et la confessant par ses
OBUvres admirables devant une multitude de témoins: Certa
bùnum certamen fidei : confessus bonam confessiênem eoram
muUis Ustibus. Il nous reste à le contempler maintenant
au moment où il va cueillir le prix de ses travaux et rece-
voir la couronne de gloire qui lui est destinée : Appréhende
vitam œtemam in quâ vocatus es.
Pendant son séjour à St. Henri de Lauzon, M. le Grand
Vicaire Mailloux s'occupait activement du saint ministère.
Le Tribunal de la Pénitence et la prédication de la parole
de Dieu attiraient particulièrement son attention.
Au mois de mai de cette année 1877, pour accomplir un
vœu qu'il avait fait, il prêcha trente sermons sur la Ste.
Vierge. Ces sermons furent les derniers de sa vie. Cet
effort d'amour pour glorifier la Reine des deux lui démon-
tra combien ses forces s'en allaient rapidement, et dans
Tallocution du dernier jour, comme par un instinct pro-
phétique, il laissa comprendre aux fidèles et à ses confrères
chéris que désormais sa voix cesserait d« se faire entendre.
il ne disait que trop vrai. Pourtant il continua encore de
se rendre au confessionnal et de célébrer la sainte messe,
mais plus d'une fois il fut pris de défaillances, et un jour
en particulier^ (c'était pendant le Triduum de la Bonne
Sainte Anne), il demeura assez longtemps évanoui dans le
jardhi du presbytère où personne ne l'avait aperçu.
Le 31 juillet, il quittait St. Henri pour se rendre à Tlsle
176
aux Coudres, pressé, disait-il, par le besoin de repos^ et
voulant resfirer encore une fois l'air natal. Dans Tétat de
faiblesse où il se trouvait, on peut affirmer que la Provi-
dence seule Ta soutenu et conduit jusqu'à cet endroit où.
il devait terminer sa carrière. Deux ans auparavant, lors-
qu'il célébrait à l'Isle aux Coudres même sa cinquantième
année de prêtrise^par une fête de famille qui restera à jamais
-célèbre dans l'Isle toute entière, il avait déclaré publique-
ment à ses co-paroissiens qu'il viendrait mourir au milien
d'eux. Il tenait sa parole : encore quelque jours et ses vmax
allaient ôtre exaucés. Le quatre du présent mois, (Août) jour
de l'ouverture des Quarantes Heures dans l'église parois-
siale, M. le Grand-Vicaire se leva dès l'aurore et commença
la Sainte-Messe, mais après la consécration, il fut atteint
d'une nouvelle défaillance. Sentant que c'était la demiëre
il se communia lui>môme avec cette piété qu'on admirait
en lui ; il prit également le calice du sang précieux ; puis,
après ce viatique sacré, il se rendit en toute hâte à la sacris-
tie où M. le curé de l'Isle aux Coudres lui prodigua ses
soins empressés et le reconduisit au presbytère.
Les forces lui revinrent cependant partiellement, et dans le
cours de la journée, il put voir quelques vieux amis de la
paroisse et converser avec eux. Mais sur les quatre heures
et demie de l'après-midi, se sentant plus mal, il appela. On
lui prépara aussitôt en toute diligence une potion cordiale
pour le reconforter, mais lorsque quelques minutes après
on se rendit auprès de lui pour la lui présenter, on le trou-
va immobile et doucement étendu sur son lit. II venait
de rendre le dernier soupir, sans autre effort que celui d'an
voyageur qui, au terme d'une longue course s'endort d'un
paisible sommeil* Son bréviaire était encore dans sa main
et témoignait hautement que son dernier acte avait été un
acte de religion, sa dernière parole une élévation de son
coeur vers Dieu.
M. Tabbé Demers, vicaire de la Baie St. Paul, se trouvait
en ce moment au presbytère. Espérant qu'un reste de via
pouvait peut-être errer encore sous ces membres glacés, il
prononça les paroles de l'absolution et fit l'onction générale
pour les mourants, mais 11 constata bientôt que c'en était
fait et pour toujours.
177
Une mort subite laisse toujours dans Tâme de pénibles
émotions ; mais en considérant les traits si paisibles de cet
ami de Dieu, on se consolait au souvenir de cette parole
4& la Sagesse : *' Quand môme le juste mourrait d'une mort
précipitée, il se trouvera dans le repos; " Juslus^ si morte
prxoccupatus fuerit in rex frigerîo erit. Ah î s'il était quel-
qu'un sur la terre qui pût se passer des derniers secours
que l'Eglise réserve à ses enfants, n'était-ce pas celui qui le
matin même s'était nourri du pain des forts ; n'était-ce pas
ce vaillant soldat du Christ qui depuis longtemps avait
vaincu la puissance du démon at qui n'attendait plus que
la couronne incorruptible promise par le Prince des Pas-
teurs?
La nouvelle de la mort de M. Mailloux tomba partout
comme un coup de foudre et se propagea avec la rapidité
de réclair. En un instant tous les paroissiens en furent
informés, et le soir même le télégraphe annonçait que le
•Seigneur venait d'appeler à lui son bon et fidèle serviteur.
Pendant que les Anges du ciel se réjouissaient du triom-
phe de ce saint apôtre de la Croix, ses amis de la terre le
pleuraient et lui préparaient des funérailles dignes de lui.
Elles furent célébrées le huit août dans l'église de l'Ile aux
Goudres, au milieu d'un concours immense de fidèles et en
présence d'un grand nombre de membres du clergé. Mon-
seigneur l'Archevêque de Québec, voulant témoigner de sa
vénération pour l'illustre défunt, présida lui-même à cette
lugubre cérémonie, et avant de confier à la terre la pré-
cieuse dépouille, il prononça sur la tombe l'éloge funèbre
de ce prêtre distingué dont le nom béni sera à jamais la
gloire du sanctuaire.
Apres un demi-siècle de travaux incessants dont le théâ-
tre s'étend des limites de rillicois aux côtes lointaines de
la Gaspésie, après tant de privations, de peines et de fati-
gues, qu'il repose en paix 1 Qu'il dorme le sommeil des
saints dans cette église où il a prié à tous les âges de sa vie,
auprès de cet autel où tant de fois il célébra les saints mys-
tères et où il est venu à son dernier jour^déposer cette riche
moisson de mérites dont il reçoit maintenant la juste
récompense !
178
Quelque bien approprié cependant que soit le lieu de ea
sépulture ce n'était pas là celui qu'il avait désiré. Ce qu'il
voulait, ce qu'il avait demandé instamment dans Texpres-
sion écrite de ses dernières volontés, c'était d'être déposé
dans le cimetière de la paroisse où il mourrait, au pied
môme de la grande croix qui protège ce séjour de la mort^
en souvenir de la Société de la Croix qu'il avait établie.
Reposer à l'ombre de cet arbre de vie, en attendant le
jour du jugement, tel était son vœu suprême. Et pouvait-
il réclamer un monument plus glorieux cet homme de la
croix, cet apôtre dont la vie prêcha jamais autre chose que
Jésus et Jésus crucifié. Ce saint prêtre voulait encore en
agissant ainsi, rester plus présent à l'esprit des fidèles el
leur recommander même après sa mort la fidélité aux
leçons de vertus qu'il leur avait prêchées. Mais si l'au-
torité ecclésiastique n'a pas cru devoir obtempérer à ses
désirs, si on a préféré mettre dans le sanctuaire celui qui
fut une colonne dans la maison de Dieu, celui qui sera à
jamais le modèle de la sainteté sacerdotale, le peuple
canadien n'en conservera pas moins, malgré cela, le souve-
nir de cet homme si dévoué à la religion et à la patrie et
qui ne connut d'autre joie ici-bas que celle de s'oublier lui-
même pour se donner tout entier à l'amour et au service
de ses frères.
Dans une des dispositions de son testament, après maintes
recommandations toutes dictées par l'humilité la plus pro-
fonde, M. le Grand Vicaire Mailloux a demandé qu'on ne
lui fit aucun éloge sur les feuilles publiques. Nous avons
dû enfreindre ses ordres.
Puisse-t-il du haut du ciel nous pardonner notre pieuse
désobéissance 1 Puisse surtout cette humble notice con-
tribuer quelque peu à conserver plus longtemps parmi
nous le souvenir de ce saint Prêtre qui fut toujours sL
agréableà Dieu et si vénérable aux yeux des hommes !
NORD-OUEST.
VICARIAT APOSTOLIQUE d'aTHABASKA-MAGKENZIE.
Les Associés de la Propagation de la Foi liront sans doute
avec un grand intérêt les pages qui suivent. On y verra
une foule de détails originaux, instructifs, et surtout fort
édifiants, sur le climat et les productions de ces lointaines
contrées, sur la manière de vivre et la touchante piété de
leurs habitants.
Journal d'un Missionnaire,
Mission de la Providence, 2 juillet 1876-
2 juillet, Dimanche. — En attendant que les berges d'au-
tomne, à leur retour du Fort- Simpson, remontent nos
lettres à Athabaska et de là à la Rivière-Rouge, qui est
maintenant la porte des vieux pays à cause du chemin de
fer qui doit y aboutir, je vais encore suivre ma méthode
accoutumée et vous écrire chaque dimanche. C'est ce que
je tâcherai de faire tant que je vivrai, et ainsi la dernière
page de mon journal sera, pour vous, mon dernier diman-
che passé sur celte terre. Quand sera-ce ? Je ne le souhaite
pas tout de suite ; car je sens le besoin de réparer par une
vie d'obéissance, de pauvreté et de mortification, mes an-
nées de jeunesse immortifiée. C'est pourquoi la vie reli-
gieuse, celle d'Oblat de Marie Immaculée surtout, m'ins-
pire de Pâtirait et de la confiance, associée qu'elle va être
avec la vie de missionnaire. Oh ! j'espère que Dieu, qui
est si miséricordieux, me tiendra compte du grand sacrifice
que je fais de me priver de votre douce intimité. Parfois,
je vous assure, je suis obligé de prendre mon cœur à deux
mains pour ne pas voler vers vous I
Les berges sont arrivées hier au nombre de neuf, ayant
à leur tâte M. Hardisty, chef de district pour la traite des
fourrures. Je m'attendais à voir arriver en même temps
deux de mes caisses qui avaient pris le chemin de Good-
flope l'automne dernier. C'est là tout ce qui me reste après
•l'incendie dont vous avez entendu parler avant moi-même.
180
Mais le bon P. Séguin, qui est toujours supérieur de 1»
mission de Good-Hope, m'écrit: "Que me parlez-vous de
renvoyer vos caisses à la Providence ? Elles vous attendent
ici, et il vous faudra venir me les chercher. Nos évoques
TOUS ont promis pour ici, et je vous attends avec anxiété.
Vous ne désirez pas plus revoir vos caisses que je ne désire
de vous revoir moi-même..." Et me voilà 1 Irai-je à Good-
Hope ? C'est peu probable. Eh bien 1 ce va être une occa-
sion d'exercer mon vœu de pauvreté. — Monseigneur est
parti lundi pour la Rivière-au-Foin, en canot d'écorce, avec
le F. Renault et deux Indiens : il va donner la mission aux
sauvages esclaves de ce poste, qui sont minés déjà par les
absurdités et calomnies d'un vilain maître d'école protes-
tant apposté là tout exprès pour cette fin. Presque tous les
sauvages de cette mission-ci sont également rendus ; mais
s'il y en a deux cents en tout, il n'y en a pas cinquante de
bons pour la prière. C'est une misère que de les avoir par
petites bandes à la chapelle. On voit bien que le protes-
tantisme a passé aussi par là ; il sème l'indilTérence, quand
il ne peut faire autre chose. Un sauvage ne raisonne
guère, et, quand on le prend par l'intérêt matériel, bien
souvent il ne raisonne plus. — Mais je crois m'apercevoir
que j'écris du passé qui voyage déjà pour vous rejoindre.
Aussi je vais attendre à l'autre semaine.
9 juUlet.—Tous les sauvages sont repartis pour le bois,
c'est-à-dire pour la chasse et la pêche ; beaucoup d'entre
eux ne m'ont guère donné de consolation. Je pensais que
c'était simplement indifférence, mais je viens d'apprendre
que c'est plutôt crainte .superstitieuse; voici comment: un
vilain sauvage, nommé Le Borgne, de ce qu'il Test, leur
faisait accroire que s'ils venaient prier à la chapelle, ils ne
tarderaient pas à mourir; mais que si, au contraire, ils
s'assemblaient dans sa loge, et lui touchaient la main, ils
se débarrasseraient par là du mauvais sort que le Père
avait pu jeter sur eux. Les pauvres sauvages qui ne sont
que de grands enfants vicieux (on ne saurait s'expliquer
leurs idées autrement), l'ont cru et craint à la fois; et
Toilà ce qui explique leur absence totale ou partielle des
exercices de la mission. Mais le bon Dieu aura pitié d'euXf
181
je l'espère, car on peut dire d'eux, en une certaine mesure,
€6 que Jésus-Christ dit des Juifs*. ^' pardonnez-leur, ils ne
savent ce qu'ils font." — J'ai été voir une vieille femme qu'on
disait près de mourir, et je l'ai administrée, bien que je ne
pusse savoir si elle était bien malade. Je n'ai jamais vu rien
de plus ratatiné, de plus vieux : un vrai consommé d'an-
nées ! Pour le sûr, il ne lui faudra pas un violent efTort ; ou
plutôt il n'est besoin que d'une petite brise pour faire tomber
ce fruit plus que mûr de l'arbre de l'existence humaine.
Dans le môme camp où j'ai vu la vieille, j'ai confessé les
femmes dans leurs loges. Madame Bonpass, la femme de
l'évoque protestant, nous a honorés de sa visite et est venue
diner avec nous. C'est moi qui ai été chargé de la servir
et de l'entretenir à table, et j'espère m'en être tiré à mon
honneur. Cette dame a été à Rome et a reçu, toute protes-
tante qu'elle est, la bénédiction du Saint-Père. Elle est
âgée et... pas jolio^ tant s'en faut; mais elle a bonne façon,
possède de l'esprit, du talent môme, surtout en musique.
Si elle pouvait aller charmer la société des pays civilisés, et
entraîner son vilain évoque qui nous fait tant de mal, je la
verrais de meilleur œil encore, car je ne la verrais pas du
tout.
16 juillet. — Mgr Clut nous est arrivé mardi dernier en
berge, de retour de sa mission à la Rivière-au-Foin : cette
place-là aussi est ravagée par le protestantisme qui intro-
duit, comme cela doit être, la liberté du mal parmi les sau-
vages. Ainsi, Monseigneur y a rencontré deux mauvais
Indiens dont l'un entretient deux femmes, et l'autre trois.
11 n'y a pas eu moyen de les convertir. De pareils fruits
sont dignes-de l'arbre protestant. — Cette semaine a été une
semaine de pluie ; ce dont nos patates, notre orge et nos
menus légumes sont loin de se fdcher. Il faut voir comme
tout cela profite à vue d'œil, ils savent que la saison est
courte, aussi poussent ils à la course \ Nos rets (nous en
avons 8 à l'eau] prennent assez de poisson pour défrayer
notre entretien.
D'ailleurs nous sommes riches en viande sèche, et nous
avons même encore de la viande fraîche d'hiver dans la
glacière. — Imaginez-vous qu'un lynx s'est avisé de chercher
182
refuge dans les lieux d'aisance : je l'ai tiré là à bout por-
tant ; mais on ne l'a pas mangé à cause des circonstances
et des lieux.
23 juillet. — ^Tous nos catholiques du Fort ont communié
aujourd'hui. C'est moi qui chante toujours la Grand'messe,
excepté les dimanches ou fêtes de Ire classe, où Monsei-
gneur officie pontiflcalement. Il soufle un vent du Sud
aujourd'hui, qui brûle. Quel étrange climat I II y a quel-
ques jours, il y avait gelée blanche et rebords de glace : au-
jourd'hui, c'est la chaleur des tropiques. Nous voilà au
plus fort des moustiques! Nos pauvres animaux n'ont
garde de se fourvoyer dans le bois. Ils préfèrent les quel-
ques brins d'herbe desséchée des alentours de la mission
aux touffes luxuriantes des bords de la rivière, attendu que
ces touffes et l'ombre des bois sont des repaires de marin-
gouins. Le soir, nous sommes obligés de leur faire de la
boucane, pour leur procurer un peu de repos dans la nuit;
vous les voyez venir instinctivement fourrer leurs têtes
dans la fumée et éternuer de plaisir. Nous avons beau
attacher au cou de nos chiens de gros billots pouf les em-
pocher de courir après les animaux, ils n'en sont que plus
loups. Ils viennent de maltraiter deux génisses du fort à
tel point que l'une d'elles va certainement succomber des
suites de ses blessures. Ils sont affamés les pauvres chiens I
On ne peut leur donner un peu à manger que tous les trois
ou quatre jours. Bientôt on en tuera deux pour faire de
l'huile et nous régaler
6 août. — Décidément nous aurons un été pluvieux: aussi
la végétation de nos patates est magnifique ; avec un peu
de chaleur par là-dessus, nous pouvons compter snr une
belle récolte. — La pomme de terre, yoilà le pain de nos
orphelins, car, sans cela, il nous serait impossible de les
entretenir. Nous allons demander au gouvernement Cana-
dien la subvention de 300 piastres qu'il promet à toute
nouvelle école établie sur le territoire de la Rivière-
Rouge ou adjacente, et comptant trente élèves. Nous
réalisons ce nombre en y comprenant notre petit idiot,
Joseph, et deux autres infirmes qui apprennent, non pas à
lire, mais à éprouver la douceur et le dévouement de nos
i83
Sœurs de charité. — Dernièrement le père de Pune de nos
orphelines, Elmire, ûlle d'une douzaine d'années, la plus
avancée de l'école, sachant lire et écrire en anglais et en
français, compter et calculer jusqu'aux fractions inclusive-
ment, venait la réclamer pour l'emmener dans le bois»
Mais on la lui a refusée net, pour une bonne raison : c'est
qu'il l'avait abandonnée, pauvre enfant de deux ans, sans
vêtements, pour mourir de faim et de froid. Par consé-
quent, il pouvait la regarder comme morte, et aujourd'hui,
on n'ira pas l'exposer à subir le même sort. Son âme,
d'ailleurs, courrait des dangers plus grands encore. Aussi
les Sœurs la gardent-elle.
13 Août. — Nous avons une de nos orphelines qui se pré-
pare à gagner la céleste patrie, la petite Angélique, âgée de
7 ans ; malgré ses souffrances, on lui voit toujours le sou-
rire aux lèvres, et quand je lui demande si elle est contente
d'aller prendre sa place parmi les anges, elle me répond
" oui " avec un air si candide qu'elle semble déjà appartenir
au Ciel. Oh ! qu'elle me fait envie ! que je serais heureux
d'échanger mon sort avec le sien ! Encore quelques jours,
quelques semaines tout au plus, et elle verra son Dieu dans
la ravissante clarté d'une éternité bienheureuse ! Et nous,
qui irons l'accompagner à sa tombe, nous aurons encore à
traîner la chaîne de notre exil, dans ces tristes régions,
peut-être bien des années. N'importe ! Bénie soit la sainte
volonté de Dieu ! La croix de Jésus est lourde, mais c'est
un doux fardeau quand la foi remplit et anime le cœur. Le
père d'Angélique, sauvage Couteau-Jaune, qui a emmené
ses trois enfants ici et travaille pour nous jusqu'à l'automne,
est admirable de piété et de résignatign. Jamais il ne
manque la messe le matin et communie avec ferveur tous
les quinze jours. L'autre jour, Monseigneur lui disait :
^' Eh bien ! Goulet, le bon Dieu te demande ta fille ; il faut
te résigner à la perdre." Voici quelle fut sa réponse :
^' Le bon Dieu m'avait donné une bonne femme ; je l'ai
perdue et je l'ai pleurée beaucoup. Maintenant j'aimais
tous mes enfants doublement, parce que seuls ils me res-
taient pour me consoler : si le bon Dieu les veut, il fera ce
qu'il voudra ; je suis prêt, malgré ma peine I " Quelle ré-
.t
184
signation ! Voilà ce qu'opère la foi dans les Ames, dans les
âmes même des pauvres sauvages.
20 Août. — L'arrivée d'une escadre de vaisseaux de haut
bord chargée de " gros bonnets " et de choses infiniment
précieuses ne ferait pas plus de sensation dans un port de
France, que l'arrivée ici des bateaux ou berges de la Cie
d'Hudson ne nous préoccupe et nous fait palpiter d'attente.
C'est que ces petites embarcations apportent au pauvre
missionnaire bien des choses précieuses aussi pour lui :
d'abord les chères correspondances de ceux qu'il a quittés
pour obéir à Dieu, mais qu'il ne lui est pas défendu d'aimer
toujours ; les nouvelles des frères oblats et de leurs travaux
dans les vieux pays ; enfin, et par-dessus tout, pardonnez-
moi ce matérialisme, le nécessaire de la vie, c'est-à-dire les
quelques provisions ou marchandises destinées à nous les
procurer. D'après cela, jugez si la vue d'une voile au haut
du Rapide, ou le bruit des rames, n'est pas capable de nous
faire tressaillir malgré nous. Aussi chaque matin et chaque
soir, notre premier coup d'œil en sortant de la maison,
notre dernier regard en y rentrant pour la nuit, est d'inter-
j'Oger le lointain du fleuve ! C'est l'époque maintenant où
la première brigade de berges, c'est-à-dire les trois ou quatre
premiers arrivants, a coutume de paraître. — En attendant,
on sarcle les patates, auxquelles se mêlent, mais en domina-
teurs superbes et despotes, des choux gras, espèce de plante
parasite que j'ai seulement vue ici et qui se mjiltîplie à
l'excès, pour peu qu'on lui accorde d'indulgence. — Si les
berges nous préoccupent un peu, une autre pensée autre-
ment sérieuse remplit mon âme : c'est celle de mon oblatioa
qui va avoir lieu dans une quinzaine de jours 1 — Dans une
quinzaine, je serai oblat de Marie Immaculée ! Quelle
gloire et quel bonheur 1 II me semble qu'à partir de ce
joui, mon salut est en de bonnes mains.
27 Août, — La première brigade, composée de deux berges
seulement, est arrivée mercredi ; mais à notre grand désap-
pointement, ni butin, c^est-à-dire marchandises, ni lettres
des vieux pays avec ces premiers arrivants. Nous savons
seulement que les Pères Grouard et Petitot n'ont pu obte-
nir passage par le Lac Vert, ma route de l'année dernière,
185
et qu'ils ont été obligés de prendre le chemin du Lac
Labiche ; avec eux sont l'abbé Jolys et un autre frère
oblat, rien encore que tonsuré et venant aussi du Canada
où l'avait laissé Mgr Faraud l'année dernière. Du lac
Labiche, nos voyageurs doivent se rendre en grands canots
d'écorce jusqu'au fort Montperlé ou Mac Murray, pour y
prendre passage dans les berges de retour du Portage.
Ainsi, malgré tout, nous les attendons par la deuxième
brigade ou la troisième au plus tard. — J'ai déjà composé
un chant de réception, à la demande des Sœurs, pour être
chanté à l'arrivée du P. Grouard, le supérieur si digne de
cette mission. J'attends de pied ferme le P. Petitot, pour
l'obliger (autrement il est si humble qu'il ne l'oserait pas) à
exhiber devant ses frères fiers et joyeux, son ruban violet
d'officier d'académie, sa grande et belle médaille de géogra-
phie, ses titres, par ailleurs, ù n'en plus finir. Je vais le
faire tressaillir d'aise* en le trémoussant un peu : ne lui
dois>je pas une revanche, pour m'avoir dérobé mon petit
verre de je ne sais quoi de bon, lors du sacre de Mgr Jolivet,
et cela, tout à côté des Cardinaux et Évoques en face des-
quel on avait disposé nos barbes, pour faire fond du
tableau, c'est-à-dire le lointain du Pôle î — Combien j'aime
à me rappeler les bons et beaux jours de mon séjour si court
en France ! Ces souvenirs ne se délogeront pas si vite et
exigeront encore et longtemps plus d'un instant de mes
loisirs.
3 Septembre, — Je suis en retraite depuis hier pour me
préparer à prononcer mes vœux perpétuels. Mes bien-aimés^
je pense à vous tous en abordant ces derniers jours de ma
liberté de volonté. J'aurais pu choisir de passer de beaux
jours dans votre intimité, de goûter et de vous faire parta-
ger quelques douceurs de la vie... J'aurais pu !... Dieu le
▼eut autrement, en m'appelant à m'engager plus avant dans
le chemin des sacrifices ! Que son saint amour m'y guide !
C'est tout ce que je lui demande en retour ; je me trompe :
je lui demande aussi de reporter sur ma chère famille une
partie de la récompense qu'il a promise à cette abnégation,
dès cette terre, s'il le juge à propos. — Me voici donc con.
fine dans ma chambrette, comme étranger au petit monde
•186
•qui IL 'entoure. Personne pour me parler, que Dieu, que
mon Jésus : désormais il sera seul mon partage, car '^ à lui
seul j'ai donné mon cœur !"
10 Septembre 1876. — Alléluia ! je puis baiser avec amour
ma croix d'oblat; je puis dire à Marie : ''Je suis à tous
pour la vie, je ne m'appartiens plus." C'est vendredi matin,
vers trois heures, qu'a eu lieu cette belle et touchante céré-
monie de mon oblation. La veille encore, à midi, je pen-
sais qu'il n'y aurait d'autres Pères à y assister, que Mgr
Clut qui devait recevoir mes vœux ; mais, par bonheur» la
deuxième brigade nous a am^né, le soir, les RR. PP. Pe-
titot et de Kangué. J'en étais si heureux ! Gomme les
berges devaient repartir le lendemain, de bon matin, on a *
dû avancer la cérémonie de deux heures, afin que les Pères
pussent y assister. Voici comment tout s'est passé. A
trois heures, j'entrais à la chapelle qui avait été ornée par
les Sœurs comme aux plus beaux jours de fête, et je m'a-
genouillais au milieu, en face d'une petite table où repo-
saient la formule d'oblation, le livre des Règles, la croix
d'oblat et le scapulaire de Tordre. Mgr avait revêtu ses
ornements pontificaux, assisté des Pères Petitot et de Kan-
gué. On commença par le chant du Vent Creator; puis
Monseigneur, prenant la parole, s'inspira des souvenirs in-
times du passé, disant qu'il m'aimait déjà comme le ûdèle
compagnon de ses courses et de- ses fatigues, mais qu'il
allait pouvoir me chérir comme un frère en religion. Il
passa en irevue, d'une façon touchante, les différents épi-
sodes de nos voyagefi, entre autres l'expédition d'Alaska;
puis il ajouta qu'il n'avait pas besoin d'appuyer sur le dé-
vouement et le zèle qu'exige la carrière d'oblat: le passé
en était déjà un garant. — Ce qui me touchait dansées
quelques paroles de Monseigneur, ce n'étaient pas les lou-
anges accordées à mon courage et à mon passé de mission-
naire: ohl je sais que je buis loin de les mériter devant
Dieu ; mais c'est que »".es paroles venaient du cœur^et res-
piraient tant de bonté, que les larmes m'en venaient aux
yeux, malgré la bonne contenance que je voulais garder. —
Vint le moment de prononcer ûies vœux ; voici le texte de
la formule : f Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-
187
Esprit, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, en présence
de la Très-Sainte Trinité, de la bienheureuse Vierge Marie,
de tous les Anges, de tous les Saints, de tous mes Frères
ici réunis, et devant vous. Monseigneur Isidore Clut, évo-
que d'Erindel, moi Auguste-Louis-Marie Lecorre, promets à
Dieu et fais vœu de pauvreté, de chasteté et d'obéissance
pour toute ma vie. Je jure et fais pareillement vœu de persé-
vérer jusqu'à ma mort dans le saint Institut et la société
des missionnaires oblats de la très-sainte et Immaculée
Vierge Marie. Ainsi Dieu me soit en aide! Ainsi soit-il. —
Ensuite Monseigneur a béni ma croix et mon scapulaire
d'oblat qui, avec le livret des Règles, étaient réunis dans
un plateau et entourés d'une couronne de fleurs blanches.
Ces trois objets bénits m'ayant été'donnés, i^ me suis ha-
billé pour dire la sainte messe, durant laquelle on a chanté
divers morceaux bien touchants, surtout le cantique d'o-
blation: "Je renonce à la terre, etc.," avec le refrain:
Holocauste sublime. — Au moment de communier, j'ai re
nouvelé mes voeux tacitement. — La cérémonie s'est ter-
minée par le Te Deum et j'ai été recevoir l'accolade frater-
nelle de Monseigneur, des Pères et des Frères auxquels je
suis uni pour la vie, et, je l'espère, pour l'éternité. Ah ! si
la réception du sous-diaconat est une cérémonie si tou-
chante et si capable d'émouvoir le monde, il me semble
qu'une oblation, qu'une profession religieuse où l'on s'im-
mole totalement, Test encore bien davantage. Je bénis le
bon Dieu de m'avoir appelé là, et vous tous, je vous prie
en grâce de m'aider de vos ardentes prières, afin que je
sois digne d'une vocation si belle. — Inutile de vous parler
du repas qui suivit : on fêta ce beau jour du mieux qu'on
put, c'est tout dire ; il n'y eut ni vin, ni même de cidre,
mais cela n'empêcha pas une franche gaieté de régner
parmi les convives ! Les Pères Petitot et de Kangué repar-
tirent immédiatement après le déjeûner, l'un pour son cher
Oood-Hope, l'autre pour la mission Saint-Raphaël au fort
des Liards, où se trouve actuellement le P. Ladet, l'un de
mes compagnons de 1870. Quant au P. Séguin et au F
Karney, ils sont toujours où va aller les rejoindre et les
surprendre le P.^^Petitot. — Dans le courant de la journée,
188
J'ai été bénir les Sœuri et les enfants de Técole, et j'ai reçu
à mon tour mon obédience pour la mission Saint-Joseph,
dans mon ancienne et fortunée île d'Orignal. C'est là que
j'ai fait mes premières armes comme missionnaire ; c'est là
que je retourne travailler cette fois comme oblat. Ainsi,
je vais me rapprocher de vous d'une soixantaine de lieues f
Vive Marie Immaculée ! Quand vous recevrez ce journal,
remerciez-la tous avec moi du bonheur qu'elle m'accorde
d'être son oblat.
il Septembre. — Enfin la troisième et dernière brigade,
celle de M. Gaudet, commis de Good-Hope, est arrivée et
nous a amené le bon M. Doussal et le P. Lecointe, tonsuré,
avec des nouvelles du lac Labiche. Que je vous dise tout
de suite que Mgr Clut devra passer l'hiver à la Providence,
le P. Grouard au lac Labiche, à cause de sa santé, et que
l'abbc Jolys est resté tenir compagnie à mes autres compa-
gnons de voyage, les abbés ou plutôt les RR. PP. Le Serrée
et Dupire, et les FF. Milsens, Lorfeuvre et Thouminet.
Mais l'année prochaine nous reverrons quelques uns d'entre
eux ; car Mgr Faraud va venir se fixer à Athabaska, et par
conséquent tout son personnel quittera le lac Labiche. J'ai
oublié de vous dire, la semaine dernière, que le jour où
je faisais mon oblation, les FF. Milsens, Thouminet et Lor-
feuvre faisaient en même temps leur oblation d'un an-
Une petite prière pour leur persévérance : c'est le premier
pas, mais cène sera pas le dernier, j'ose l'espérer. Mgr
Faraud est enchanté de leur courage et de leur conduite
exemplaire et édifiante Quant à M. le Doussal, il vient
aussi commencer son noviciat : il a bien profité depuis qu'il
est dans le Nord; avec ses joues quasi-pleines et sa barbe
de chèvre, vous auriez peine peut-être à le reconnaître.
C'est toujours la môme physionomie de saint prêtre, quand
même. Quel bon religieux va sortir de cette année de
noviciat! Lo P. Lecointe a passé un an au Canada; il a
prononcé ses vœux perpétuels au lac Labiche, au mois
d'août dernier; mais il ne peut être ordonné prêtre quoi-
qu'il en ait l'âge, avant qu'on ait reru son Exeat délivré par
l'évoque du diocèse auquel il appartenait. C'est un excel-
lent musicien, et il brûle du désir de se mettre à l'étude
189
•
<les langues sauvages. — Je ne partirai pour la mission de
'Saint-Joseph qu'au retour de la berge du lac des Esclaves,
descendue par la troisième brigade, jusqu'au fort Simpson,
c'est-à-dire dans une douzaine de jours à peu près. Je vais
donc jouir encore, pendant ce temps, de la conversation de
mon aimable vicaire de Plouhinec.
24 Septembre. — Depuis mardi on récolte les patates : tout
le monde est à la besogne. J'ai omis de vous dire que
l'orge a été coupée la semaine dernière, et que Ton compte
sur environ 100 barils, c'est-à-dire 50 minots. Monseigneur,
le F. Scheers et môme, de temps à autre, les Sœurs y ont
mis la main. Pour moi, je me serais peut-être coupé les
jarrets, et je me suis tenu tranquille. J'ai aidé seulement
à retourner et à faire les paquets. Une chose curieuse et
lamentable ! Toute une myriade de mulots vivait à l'abri
de cette moisson et aux dépens d'icelle! Impossible de
compter les victimes de carnage que nous avons fait, victi-
mes qui étaient, au fur et à mesure, honorablement ense
velies dans l'abdomen de nos chiens. L'un d'eux, en moins
de dix minutes, en a engouffré plus de quarante ! Je regret-
tais qu'on ne les eût pas réservés pour les faire cuire et en
recueillir de la graisse, car c'étaient de vraies pelottes de
gras î — M le Doussal et le F. Lecointe n'en peuvent plus
au travail des pommes de terre, ils ne s'attendaient pas tout
à fait à cette fête en débarquant ! D'ailleurs, à part le dos qui
se plaint hautement, le cœur prend le dessus et se réjouit
franchement. Jamais on n'a vu de si belles patates à la
Providence ! J'en ai pesé deux séparément : l'une atteignait
le poids d'une livre, et l'autre en approchait ; jugez de la
grosseur. On compte recueillir au moins 1,000 barils,
c'est-à-dire 500 minots. C'est moi (quelle gloire ! ! I ) qui ai
déposé ou surveillé pour déposer les grenoches qui ont don-
né ces géants, ces Titans ! — La pauvre Angélique a attendu
M. Le Doussal pour s'envoler au ciel et avoir sa petite
dépouille conduite par lui au cimetière.
\er Octobre, — La récolte des pommes de terré s'est termi-
née jeudi : on a atteint le chifTre de 505 minots; ainsi, on
ne mourra pas de faim à la Providence, cette année. Mais
aussi, il faut compter qu'il y a près de 50 bouches à feu
190
pour loger ces boulets, en comptant tout, engagés et orphe-
lins. Nous donnons, outre la ration de viande et de pois-
son, c'est-à dire 8 Uvres par jour, nous donnons, dis-je, un
} baril de patates par semaine à chacun de nos quatre en-
gagés.— Le F. Le Comte et M. le Doussal se reposent un
peu maintenant, car réellement ils étaient fatigués. Quant
à Mgr dut, il est infatigable ! Me voici sur le point, à la
veille même de quitter la Providence. La berge du lac
des Esclaves est arrivée ce malin du fort Simpson et s'aprête
à continuer sa route dès demain matin. Mes bagages sont
prêts : le tout n'est pas bien lourd ; seulement j'emporte à
Saint-Joseph un harmonium qu'ont bien voulu me céder
les Sœurs: ce sera une grande nouveauté pour là-bas; et
puis, un bel enfant Jésus, don également de la mère La-
pointe. C'est cette bonne mère qui a préparé mon petit
trousseau, et elle y a apporté ce dévouement et cette pré-
voyance que rien n'égale ici, dans le Nord. Aussi je lui
suis mille fois reconnaissant. J'ai prêché à l'office du soir
et ai fait mes adieux à tout le monde, en m'inspirant de
cette douce parole, si chère à tout oblat, que Jésus laissa
tomber, comme son testament et son dernier gage de ten-
dresse, du haut de sa croix: "Mon fils, voilà ta mère.''
C'est à Marie que j'ai voulu confier, en partant, toutes ces
âmes si chères que je me suis appliqué à nourrir de la pa-
role de Dieu, pendant l'année que je viens de passer ici. —
Il fait un gros vent d'arrière, trop fort pour la voile; si de-
main, il 80 modère un peu, nous allons faire un bon bout
de rivière.
8 Octobre. — (Rivière au bœuf.) Nous voici dc(;racf^5 à la
Rivière au bœuf par un vent nord-est qui est presque debout
pour nous et sç^ulève d'énormes vagues. Nous sommes
partis de la Providence lundi, vers neuf heures du matin.
Monseigneur,^leSj Pères et les Frères sont venus m'accom-
pagner jusqu'au bateau. Tous les petits enfants de l'école
m'ont donné un petit souvenir en témoignage de recon^
naissance. Les Sœurs m'ont confié le petit Johny Trindell,
d'une douzaine d'années, leur meilleur élève et le plus
docile, pour l'initier aux travaux du pays, en faire un gar-
çon d'avenir, et surlout un bon soutien des Missions un jour
191
à venir. — Le vent d'abord assez fort, est tombé tout d'un
coup et s'est tourné ensuite contre nous, de sorte qu'après
un parcours de 10 milles, nous avons dû mettre à terre sur
une pointe de saules toute vaseuse. La berge du fortRaë,
^ui nous suivait de près, est venu relâcher au même
endroit : le ministre protestant, résidant au fort Raê, M.
Reives, ainsi que La Flett et ses enfants (La Flett, de
sinistre mémoire lors de notre voyage au fort Mac-Pherson),
s'y trouvaient ; mais leur présence ne m'a pas importuné
du tout. Dans notre berge, j'avais pour compagnons de
voyage M. Round et sa femme, allant prendre charge du
fort de la Rivière au Foin. Ces derniers furent très-
aimables à mon égard. Nous ne sommes repartis que le
mercredi, vers dix heurs, à la rame, après avoir tapissé
notre campement des plumes des canards et des faisans
qu'on y avait tués.
A deux heures de là, la berge du fort Raê se séparait de
nous pour se diriger au nord, tandis que nous continuions
à gagner les îles Desmarets, au sud-est. Une bonne brise
enflait notre voile et nous comptions, ce soir-là, aller camper
sur le Grand-Lac, lorsqu'une bourrasque faillit nous sur-
prendre et nous faire chavirer. Nous n'eûmes que le temps
d'abattre la voile et de nous laisser pousser parle vent en
furie vers une île, où nous espérions trouver un abri contre
la tempête. En effets nous abordâmes une rive de galets et
ce soir-là nous campâmes sous de grandes épinettes, sur le
sol le plus inégal et raboteux que l'on se puisse imaginer.
Alexis Baulieu, le pilote de la berge, nous aidait à mater
la tente, nous préparait à manger et couchait à mes côtés :
c'est* un bon catholique et l'un des Mélis qui ont le plus de
cœur à l'égard de leurs missionnaires. Chaque soir, je
faisais réciter à haute voix les prières aux sauvages et Métis
de notre berge. Une particularité que j'eus lieu de remar-
quer encore une fois de plus dans cette traversée, c'est que
nos sauvages sont les plus imprévoyantes créatures qui
soient dans le monde. Ainsi, tant qu'ils ont des vivres
devant eux, ils ne cessent de manger. Après avoir fait
bouillir une chaudière pleine de viande sèche, ils allument
la pipe, se prélassent un peu et recommencent le festin. Et
192
puis, ils gaspillent les provisions, jetant à tort et à travers
des lambeaux de viande sèche, bien maigre, il est vrai, et
par conséquent bien dure et peu appétissante, mais qui
pourraient devenir des morceaux de choix en temps de
disette. N'importe, pas de leodemain peureux ! Lies nôtres
semblaient adopter cette façon d*agir avec la meilleure
grâce du monde : aus^i la berge s'allégeait de vivres d'une
manière alarmante. — Le lendemain, au matin, on repartit
à la voile, et, vers le lever du soleil, on arrivait aux îles
Desmarets où nous rencontrâmes un des chef de tribu du
fort de la Rivière au Foin. 11 y avait beaucoup de poisson
et de gibier, disait-il, mais ni rôts, ni munitions pour faire
chasse ou pêche. Nous ne pûmes nous rendre jusqu'à son
camp, car l'eau est trop basse dans ces parages; mais je
demandai s'il y avait des malades ou des enfants à visiter,
et Ton me répondit que non. Les sauvagesses du camp
nous apportèrent de pleins casseaux de graijaes appelées
Âttocas, petites graines rouges, semblables aux graines de
l'aubépine ; elles reçurent en retour quelques poignées de
thé. — Nous voici maintenant sur le Grand-Lac : d'un côtô^
la terre se dessinant sur une lisière d'épinettes qui va se
perdre dans le mirage du lointain ; de l'autre, l'eau à pertd^
de vue. Le vent fraîchit de plus en plus ; la berge com-
mence à danser, et M. et Mme Round, à ressentir violem-
ment les atteintes du mal de lac. Moi-même, je suis loin
d'être dans mon assiette. Heureusement pour moi, la
violence du vent oblige encore une fois de relâcher à un
petit îlot en forme de croissant, dont la concavité offre à la
berge un port calme et assuré. Le froid devient vif; mais
le bois de grève abonde, et de gros brasiers pétillent devant
nos tentes. — Le lendemain, 6, temps calme ; on rame vers
la fameuse pointe de roches, fameuse, dis-je, par les
épreuves que nous y avons subies en 1870, par la prise des
glaces qui faillit nous y arrêter tout de bon et la perte de
deux beaux Angoras trouvés noyés, le matin, au bout d'une
rame ; puis, en 1871, à notre passage en hiver, avec Mgr Glut
et le F. Boisramé,.par là grave indisposition de ce dernier,
etc. Mais la voilà derrière nous, et le cap est mis sur U
Rivière au Foin, moitié de notre traversée...
193
Après quatre bonnes heures de rame, nous en-
trons dans la Rivière au Foin. Je salue de cœur, en pas*
sant, la tombe de notre regretté Frère Iland, qui s'est noyé
dan£.un canot d'écorce en visitant ses rôts, puis la pauvre
cabane délabrée qu'habita autrefois le P. Gascon, et nous
arrivons au fort. Le vieux Morn est là sur la edte, sa chi-
que sempiternelle à la bouobe ; c'est le pêcheur du fort.
Son fils aloé s'est donné au prétendu Evoque Anglican
Bompass qui l'a fait maître d'école, c'est à-dire, pour ce
pays, un trois -quarts de ministre. Or, ce fameux ûls
Morn, qui a dit les plus grossières calomnies imaginables
contre les prêtres catholiques, voulait convertii son vieux
père au protestantisme : '* Mon fils, dit le bonhomme,
quand ma barbe redeviendra noire comme tes cbeveux, je
t^écouterai." Cest dans sa maison que j'ai voulu passer la
nuit, malgré les offres obligeantes que me faisait le cou
veau commis d'accepter chez lui l'hospitalité. Seulement
j'ai accepté le souper et le déjeûner le lendemain. Avant
de nous coucher, j'ai invité les gens catholiques du fort à
se confesser, attendu qu'ils ne verraient pas de Père d'ici
longtemps. Tous l'ont fait et, à la messe que j'ai dite le len-
demain sur une mauvaise petite table de la maison, tous
ont communié. Samedi, nous reprenions le lac, laissant
deux familles à la Rivière au Foin, et ne comptant plus
que dix personnes dans la berge, toutes du fort Résolution,
en face de la mission Saint-Joseph. Vers midi, nous attei-
gnions la Rivière aux Bouleaux où nous dinâmes. Nos
repas se composaient invariablement de viande sèche et de
patates bouillies: mais la viande que j'avais prise à la Pro-
vidence, touchait déjà à sa fin. Le soir, nous campions à
la pointe La Presse (non pas la presse du journalisme, mais
la presse à pression pour les fourrures). Ce soir-là. Honoré,.
un bon petit métis qui a travaillé assez longtemps pour le
P. Gascon, tuait un aigle à tête blanche qui pouvait me-
surer un mètre et demi d'envergure : nos gens firent festin
de sa chair. Déjà leur imprévoyance leur valait de dures
privationsT Ils avaient compté recevoir un supplément de
vivres à la Rivière au Foin, mais le fort était presque tota-
lement dépourvu de viande ; de sorte qu'ils n'avaient plus
2
194
à 66 mettre sous la dent que quriques débris de viande et
les quelques mauves qu'ils pouvaient abattre ou poissons
qu'ils pouvaient prendre, dans des places comme celles-ci.
Aussi, tout passait au feu ; et les boyaux à peine roussis un
peu, étaient avalés. De grand matin, le dimanche, je dis
la sainte Me&se dans la tente, à laquelle tous assistèrent
bien recueillis. Puis, âous allâmes, à la rame, camper à
la Rivière au Bœuf, d'où nous ne repartirons peut-être pas
tout de suite, car le vent N.-E. s'élève du large, et c'est un
vent contraire et persistant. Nous venons de réciter en-
semble le chapelet, à côté de ma tente, et de chanter VAve
MarU Stella en montagnais. Mes vivres sont épuisées, mais
Alexis viendra à mon aide.
15 Octobre. — J'ai le bonheur de vous écrire de ma cham-
brette d'autrefois, de cette douce petite cellule où j'aimais
tant à me reposer les premiers jours qui suivirent mon arri-
vée en février 1871, à cette maison. J'étais alors si fatigué
de mes six premiers jours de marche à la raquette et des cinq
premières nuits passées dans la neige ! Nous sommes ar-
rivés ici hier, au kver du soleil. Ainsi nous avons mis
douze longs jours à faire un trajet qui s'effectue le plus
souvent en 4 ou 5 jours. Aussi nos hommes avaient les
dents bien longues en arrivant ici : il y avait déjà près de
trois jours qu'ils n'avaient rien à manger. Nous avons été
éprouvés tout le temps par des vents contraires, et, à une
journée d'ici, nous avons failli être pris par la glace, sur
une île qui n'offrait d'autre ressource que de mourir de
faim. Car cette île est au large, et si la glace eût persisté,
il eût été impossible de mouvoir la berge. 11 eût donc
fallu attendre la prise totale du lac par la glace, pour pou-
voir atteindre la terre ferme; mais, d'ici là. sans vivres,
qu'eussions-nous pu faire ? On avait lue quelques perdrix,
les seules Jiabitantes de cet îlot du large. Alexis avait
épuisé à son tour le peu de viande pilée* qui lui restait; je
devais emporter 4 ou 5 livres de riz à Saint Joseph : il a
fallu le manger ; c'était ma dernière ressource, et il n'en
restait plus que pour un minime repas, car nous^ ne man-
gions pas ration entière, bien entendu. Enfin le calme
«'est fait,'et nous a permis d'atteindre le but tant désiré. Bo
195
arrivant, j'ai fait distribuer xin plein plat de patates à cha-
cun des hommes de la berge. £h bien ! ces pauvres gênas
qui ont eu le ma}heur d'être si imprévoyants, comme je
vous le disais la semaine dernière, sont admirables de t^-
tience et de courage, quand le jeûoe vient les éprouver.
Vous les voyez maigrir et pâlir ; ib souffrent des torturas
de la faim, et ils ne se plaignent guère ou bien doucement.
Donc, en Tabsence du P. Gascon qui est allé à la mission
Saint Isidore, au fort Smith et ne reviendra probablement
qu'au mois de février, j'ai été accueilli par le bon F. Renault,
de Rennes, qui venait de visiter ses rets. J'ai trouvé une
famille installée, la famille de Pierre Baulieu, un des fils
du bonhomme Baulieu dont je vous ai souvent parlé ;
installée, dis-je, dans une petite maison appartenant et atte-*
nant à la mission, de sorte que nous ne serons pas tout à
fait des ermites dans notre Ile Orignal. Cette famille se
compose du père, de la mère et de six enfants, dont deux
garçons assez grands aident déjà leur père à la chasse des
fourrures et des vivres- Ce sont de bons catholiques, de
sorte qu'ils pourront mieux profiter de la présence d'un
Père. J'ai chanté lagrand'-messe en m'accompagnant de
l'harmonium pour le Kyrie^ le Gloria et le Credo^ au grand
ébahissement de mon petit monde venu au complet du Fort.
(Le fort est situé dans la baie, à environ 2 milles en droite
ligne, 3 milles en suivant le circuit de la baie). Mon petit
Johny est heureux d'avoir aussi un petit coin de la cham-
brette '^ qui sera son logis." Il se sent grandir de toute la
dimension des 4 pieds de son chez soi. — ... Je ne saurais
terminer cette feuille de semaine sans vous prier de joindre
votre voix à la mienne pour remercier le bon saint Joseph
de m'avoir fait aborder sain et sauf à cette mission dont il
est le gardien et le protecteur.
22 Octobre, — L'Ile Orignal, ainsi nommée de l'Elan qui
la peuplait autrefois, n'est séparée de la terre ferme qop
par un petit détroit peu profond. Elle est toute rocailleu-
se ; les pierres à chaux y abondent. C'est un terrain sec,
recouvert d'arbustes à graines de différentes espèces: le
framboisier et le groseiller sauvage y abondent. En fait
d'arbres, il y a plus de trembles que d'épinettes ; quelques
196
I)ouleaux^ mais bien grêles viennent s'y mêler. Llle est
entourée d'une ceinture de bois de grève qai suffirait à dé*
frayer toutes les cheminées du département du Morbihax>
dans le plus rude et le plus long des hivers. Nous avons
trois énormes tas de ce bois entassés auprès de la maison.
Il y a de ces souches qui mesurent plus de 10 mètres de
longueur jusqu'à un mètre d'épaisseuc au milieu. Tous
ces bois viennent de la débâcle des glaces sur le fleuve, et,
une fois flottant sur le lac, ils vont aborder où les poussent
le vent et la vague.
La mission Saint-Joseph est au bord du lac, dans une
anse, et compte trois petits édifices : la maison des Pères à
laquelle atteint la chapelle, la cuisine ou appartement de
décharge en même temps qu'atelier de menuiserie, le han-
gar où se mettent les ustensiles, les traîneaux et tout le
poisson sec ou gelé, une petite cabane qui servait autrefois
de demeure aux engagés de la mission, et une glacière»
Le tout, comme ailleurs, bien entendu, est en bois, cimenté
par du mortier et recouvert d'écorce. Dans la maison
d'habitation, il y a neuf appartements, mais, à vrai dire, il
n'y en a que trois d'une dimension raisonnable. Les six
autres font place à un lit et à une table à manger, et c'est
tout. Les trois chambres proprement dites servent !<> de
chapelle, 2« de salle commune, 3» de cuisine. Un poêle en
tôle à ia chapelle, un autre en fonte dans la salle com-
mune, et une cheminée dans la cuisine, chassent suffisam
ment le froid le plus rigoureux. Puis, nous avons au-des-
sus un grenier, où sont cachées nos richesses, c'est-à-dire
le peu de marchandises que nous échangeons pour des
vivres^ ou des vêtements en peau, ou des salaires de voya-
ges; et, au-dessous, une cave où sont entassées dans la
paille nos 90 et quelques barils de patates. — Dois-je aussi
compter dans notre inventaire la petite cabane aux chiens
avec cinq chiens de traine et ma Sauterelhy l'émule de
Birbitte, le digne successeur de Breton^ qui ne laisse pas le
gibier se perdre dans l'eau ou dans les marais? — Domi-
nant toutes ces constructions chétives dont la principale, la
maison des Pères et la chapelle, a failli s'écraser d'un coup
de vent du nord, et penche encore assez pour avoir mérité
197
-quatre béquilles en forme d'étangons; dominant tout ce
petit domaine, œuvre en partie de la main des Pères, s'é-
lève au bout de deux madriers emboîtant une cloche d'une
4izaine de livres, le signe de notre Rédemption, attestant
•et, en vérité plus que partout ailleurs, dans le nord, que
.notre Divin Sauveur a pris possession du lac et de ses
habitants. Aussi celui-là ne refuse pas au missionnaire
Jes quelques milliers de poissons dont il a besoin pour
passer son hiver, et les habitants sont de bons catholiques
^ui, par leur ferveur et leur bonne conduite, témoignent
assez que la parole de Dieu, au lac des Esclaves, est tombée
sur une bonne terre
29 Octobre. — Mes ouailles ont été obligées de faire
aujourd'hui tout le tour de la baie pour venir à la Mission.
Lia glace est partie au large, par un gros coup de vent du
nord. Il n'y a guère d'heure fixe pour la grand'-messe :
tantôt elle est à neuf heures, tantôt à dix heures au plus
tard; c'est suivant l'heure où mon monde arrive du Fort
Voici comment se passent les offlcesu La grand'messe .est
précédée du chant montagnais du cantique connu : Esprit-
Saint, descendez en nous. Après le cantique, une instruction
ou catéchisme en montagnais ; puis la grand'-messe où
l'on ne chante, en fait de chant de chœur, que le Ayrie, le
Gioria^ le Credo et les différents répons de la messe. Des
<îanliqQes montagnais remplacent VAgnus Dei et le Sanctus,
La messe est suivie de prières en n^ontagnais. — En atten-
dant l'office de l'après-midi, on mange un morceau. Il faut
▼oir tous nos priants accroupis dans la salle commune, par
groupes de familles, et déchiquetant quelques morceaux
de viande sèche I Sur le poêle, six à sept chaudières à thé
se disputent une petite place. Les bonnes mamans parsè-
ment aussi la salle de débris de mousse ou lichen sauvage,
dont elles font provision pour emmailloter leurs petits
•enfants. Aussi le balai, après chaque jour de dimanche, a
une sérieuse corvée à subir. Quand on a satisfait aux exi-
f^ences de l'appétit, on se remet à prier le bon Dieu de tout
-cœur. Le F. Renault va sonner la cloche au dehors pour
ramener les égarés ; puis, quelques minutes après, la clo-
chette de la chapelle invite tout le monde à y entrer. Les
198
hommes se rangent d'un côté, les femmes de l'autro ; je
récite le Notre Père à haute voix au pied.de Tautel, tout le
monde 7 répond ; puis je vais m'asseoir à l'harmonium
pour chanter un cantique, le plus souvent à Marie. Le
cantique termirié, je proche environ une demi-heure sur un
thème* suivi, tel que les Commandements de Dieu. Puis
vient la récitation du Chapelet que remplace, une fois
chaqne mois, le Chemin de la Croix. Enfin, c'est le Salut
du Saint-Sacremeiit avec les prières chantées de TArchicon-
fréfrie. Tous nos catholiques chantent à pleins poumons,
mais non ^ans écorcher les mots latins. Enfin, la journée
du Seigneur se termine par la prière du soir en commun ;
et '* mes enfants", comme nous les appelons toujours dans
nos instructions, s'en retournent, le cœur joyeux, à leur
Fort, sans s'arrêter, comme beaucotp de nos hons Bretons,
à dissiper dans des jeux ou des excès tout le fruit des dévo-
tions du jour. — C'est mon petit Johny qui fait toujours les
fonctions d'acolyte. Tous les matins, il se lève comme
nous à cinq heures, dit sa prière, balaie la salie commune
et ma chambrette, puis vient à la chapelle attendre la fin de
notre méditation et répondre la messe qui la suit. Le matin,
je lui fais traduire alternativement de l'anglais en français
et vice versa ; le soir, il s'exerce au calcul ; il est arrivé
aux règles de trois. En guise de recréation, je le mène
avec moi, l'espace d'une heure, chasser les perdrix ; depuis
notre arrivée ici, j'en ai déjà tué cinquante. Aussi, cela
nous donne un bon supplément de vivres, et mes pauvres
dents, qui vont s'ébréchant et disparaissant de plus en plus^
n'en sont pas fâchées, car la viande sèche les met à une
rude épreuve, je vous assure. — Cette semaine a été emplo-
yée par le F. Renault, dans les intervalles de la poche, à
rebousiller la maison en dehors et en dedans : il y a déployé
tous les talents d'un vrai franc maçon. — Dois je vous signa-
ler la naissance de onze petits chiens dont trois sont déjà
morts gelés 1 Ce n'est guère intéressant pour vous; mais,
pour nous, il s'y rattache de gros intérôts : chacun de ces
petits nouveau-nés, vendu à la Compagnie ou aux Sauvages,
au bout de dix jours, c'est 5 plus. Un plw^ c'est la valeur
de 2 fr., c'est six livres de graisse ou deux plats côtés d'Ori-
199
•
gnal ; c'est donc toute une source de richesses dans notre
pauvreté, car nous nous procurons par là quelques livres p
et puis ces pauvres bêtes sont nos coursiers d'hiver sur la
neige. Sans exxi, il nous serait impossible de nous rendre
d'un poste à un autre. — Pierre Beaulieu est allé à la chasse
deux jours et nous a rapporté un flanc d'élan qu'il a tué.
Adieu; préparons-nous à la céleste fête de la Toussaint:
" Sursutn corda ! "
5 Noveinbre. — Que je vous dise tout de suite que c'est
mercredi dernier que les RR. PP. Le Serrer; et Dupire ont
dû faire leur oblation perpétuelle au^Lac Labiche, et le F.
Olivier Carour, prononcer ses vœux d'un an à la Provi-
dence. Ça a dû être un bien beau jour pour eux, si j'en juge
par la joie qui a inondé mon âme le jour de mon oblation.
Oh ! puissioDS-nous tous, après nous être consacrés à Dieu
tout entiers-) marcher sur les traces de ces Saints dont nous
contemt>lons aujourd'hui le triomphe au ciel. Pour un
moment de sacrifice» quel poids de gloire ils ont obtenu!
Ah! ces grands apdtres, ces glorieux missionnaires, ces
martyrs de la gloire de Dieu et du salut des âmes, ils doi-
vent prier sans doute aujourd'hui pour nous, les pauvres
perdus du Nord ! — J'ai paré TauteL du mieux que j'ai pu
pour la fête, et j'ai mis l'Jiarmonium à contribution pour
des accords insolites. Tout mon petit troupeau a commu-
nié : cela fait une vingtaine de communions. Il n'y a ici,
jusqu'à Noël désormais, que les quatre à cinq familles des
engagés du Fort. Tous les Sauvages sont dispersés dans
les bois aux environs. — On tue toujours, en guise de re-
création, quelques perdrix blanches dans l'Ile. — J'allais
oublier de vous dire que le matin de la Toussaint, nous
avons renouvelé, le Frère et moi^ nos vœux en présence du
Ôaint-Sacremonl. (Le F. Renault a pronencé ses vœux per
pétuels, il y a deux ans.) De plus, ce jour-là, j'ai fait faire
sa première communion à un jeune garron de King Beau-
lien, l'ainé des fils du vieux patriarche Beaulieu. — Le
froid revient à la charge ces jours-ci et est parfois très-
intense; la glace couvre toute la surface du lac, aussi loin
que la vue s'étende. Pierre Beaulieu, qui est allé faire un
tour de chasse, a tué un gros ours noir dans sa tanière : il
lui a fallu tirer cinq coups pour s'en rendre maître.
200
12 Novembre. — Rien de saillant à noter cette semaine.
J'ai envoyé le Frère prendre au Fort la potasse qne nous
avions donnée à faire à la femme d'Alexis Beaulieu, notre
laveuse. Cette potasse est notre savon : de la cendre de
tremble, de la graisse et du sel, et, avec cela, nous avons
de quoi nous blanchir toute l'année. — Nous domptons de
temps à autre nos jeunes chiens à la traîne, afin qu*îla
soient capables de faire un premier voyage en décembre;
et pour les dompter, il faut plus d'un coup de fouet sur
l'oreille. Jeudi, il a fait un temps épouvantable : une pou-
drerie de neige si éjtaisse et si glacée, qu'il était impossible
d'y faire face plus de cinq minutes. Des tas de neige de
plus de six pieds se sont déjà faits autour de la maison;
mais ce que le vent du nord amoncelle, demain le vent da
sud le reprendra pour le transporter ailleurs. La neige,
dans ces pays, réalise en quelque sorte le mouvement per-
pétuel.— Aujourd'hui encore, il n'est guère facile devoir
à dix pas devant soi, à cause des tourbillons de neige sur
le lac. Aussi, j'ai admiré le courage de nos catholiques
d'affronter un temps pareil pour venir, de l'espace d'une
lieue, à la messe. Chaque arrivant a le visage d'un rouge-
-écre visse, mais bientôt la chaleur a ramené les couleurs
naturelles. Nous avons bien ri, le Frère et moi, en voyant
l'équipage d'une pauvre vieille Sauvagesse qui reste au
Fort. Aussitôt les offices terminés, la vieille s'installe ou
plutôt s'accroupit sur deux planchettes mal jointes qui lui
servent de traîneau ; elle s'arme d'un bâton, puis, poussant
le cri de guerre " Marche," elle accompagne cette injonc-
tion d'un vigoureux coup sur la maigre échine du chien
de derilère. Elle a trois chiens à son morceau de traîne ;
mais les trois, passés à la cuisson, ne donneraient pas une
cuillerée de graisse. Les noms valent mieux que les bêtes
•elles-mêmes : l'un d'eux s'appelle ^^ Drap-fin,'' et c'est ce
Drap-fin que le bâton se charge d'épousseter de temps i
autre 1 N'importe, il faut que cela marche, criant, boitant,
grinçant sur la neige. Dans la semaine, les trois coursiers
n'auront peut être pas recueilli un bon repas, tout compté;
cela n'empêche qu'ils charrieront leur vieille encore ici, ei
encore, jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus.
A. Lecoras, O. m. L
ILE A LA CROSSE.
EXTRAIT d'uN£ LQTTRE DU BÉVJâRENO PÈRE LÉGEARO
au r. p. martinet.
Mon Révérend et bien cher Père,
Yoici quelques renseignements sur les missions que nous
desservons. Ce sont les missions du lac Froid, celle du lac
'Canot, celle du portage la Loche et enfin celle de Tlle à la
Crosse. Précédemment, nous étions également chargés de
celle du lac Vert, mais depuis que le P. Moulin y réside
nous n'avons plus à nous en occuper.
lo Mission de Saint-Raphaël^ (lac Froid). — Je laisse la
parole au R. P. Legoff, qui vous dira mieux que moi l'état
-de cette mission, ce qu'il y a fait et ce qu'il y reste à faire.
Voici ce qu'il m'écrit : ^' Que vous dirai-je de la mission du
lac Froid ? vous savez bien ce qu'il en est et ce que j'y ai
fait. C'était bien triste, autrefois, que ce lac Froid 1 et
môme encore aujourd'hui, après trois missions que j'y
ai données, il s'en faut que tout y soit en odeur de sainteté.
^^ Il y avait une dizaine d'années que ces pauvres gens, à
part trois ou quatre, ne fréquentaient presque plus aucune
émission. Et comme durant ce temps aucun Missionnaire
a'alla voir ce qu'ils faisaient ainsi cachés au fond d^^s bois,
Jl en résulta qu'ils tombèrent peu à peu, faute d'instruction,
dans une ignorance et une indifférence bien grandes. La
cause de cette triste défection était venue du décourage-
ment où les avait jetés la conduite honteuse de celui qu'ils
regardaient jusque-là comme leur chef. Ce pauvre malheu-
4reux, ayant renvoyé sa légitime épouse, s'était attaché i la
veuve de son frère et s'obstinait, malgré toutes les prières
•et toutes les remontrances, à vivre en concubinage avec
elle. C'était quelque peu décourageant, en effet, qu'un tel
homme ; d'autant plus que les autres, voyant leur chef
excommunié, se regardaient, par le fait, comme plus ou
moins excommuniés eux-mêmes.
^' Dès que Tobéissance me plaça à Pile à la Crosse, ma
-pensée se tourna vers ces pauvres gens. Mais que faire ?
'202
je ne faisais que bégayer le montagnais. Les aller attaquer
dans cette condition, c'était m'ezposer à un échec certain ;
j*ai donc attendu trois ans. Ce n'est qu'au bout de ce temps
que j'ai trouvé la hardiesse et la confiance nécessaires pour
entreprendre cette pénible et difficile mission. La chose
pressait d'autant plus que je voyais arriver le moment où
les jeunes gens de cette triste place, tous issus de frères et
sœurs, tous cousins germains par conséquent, s'uniraient
entre eux par des mariages incestueux. Il importait d'em-
pêcher cela ; ce n'était pas facile^ car la plupart de ces
jeunes gens avaient l'âge de se marier et, du reste, tenaient
à le faire le plus tôt possible. Comment faire alors T
personne ici parmi nos Montagnais n'était jaloux de donner
ses enfants à des gens si mal famés. Oh I j'étais bien
inquiet, lorsque il y a trois ans, j'entrepris pour la premiè-
re fois de franchir les 40 à 50 lieues qui nous séparent du
lac Froid I J'avais confiance en Dieu, mais aussi j'appré
hendais beaucoup la fureur du diable. Je vous avouerai
même qne ma confiance devenait parfois bien faible en
face de ces appréhensions. Durant mon voyage qui fut de
quatre jours pour arriver au premier village, l'esprit nuit
et jour préoccupé de cette affaire, je cherchai et imaginai
bien des expédients dont le meilleur en définitive ne me
rassurait guère. Enfin, le dernier jour, comme je traînais
péniblement mes raquettes à la suite de mes quatre jeunes
gens, la pensée me vint de m'adresser à Tarchange sain t
Raphaël. Je songeai à ce qu'il fit pour Sara, à ce qu'il fit
pour le vieux Tobie, et comme tous les pauvres sauvages
que j'allais visiter se trouvaient à la fois dans le cas de
Tobie et dans celui de Sara, je le priai, de mon mieux,
d'opérer en leur faveur cette double merveille qui délivra
Sara et guérit Tobie; d'abord en éloignant d'eux te démon
qui les ensorcelait, puis en leur appliquant le remède néces-
saire pour guérir leurs yeux aveuglés par Tignorance et la
superstition, et leurs cc&urs souillés et endurcis. En même
temps je mettais ce pays et ses habitants sous sa protec-
tion, et lui promettais, pour le cas où une mission serait
bâtie au lac Froid, de faire en sorte qu'elle lui fût dédiée.
^^ Cette première visite eut pour résultat, d'abord de leur
203
prouver que, loin de les mépriser, je les aimais, ce gui est
beaucoup; ensuite, de leur faire voir que j'entendais le»
tirer dé cetétat de dégradation et de déconsidération dans
lequel ils vivaient; puis enfin, après des débats qui durè-
rent au moins quatre- heures, de séparer le malheureux
concubinaire cause de tout le mal, de le séparer, dis-je, de
cette femme, qui, comme je vous Tai dit, n'était autre que
la veuve de son frère. En môme temps, après les avoir
tous confessés, j'obtins d'eux la promesse qu'ils songeraient
désormais sérieusement au salut de leurs âmes ; Ton
m'assura aussi que les mariages incestueux que je craignais^
n'auraient pas lieu.
" L'année suivante, je leur renouvelai ma visite. MaiSy
hélas'! le malheureux concubinaire n'avait pu* résister à sa
passion, et était retourné à son vomissement. Pour comble
de malheur, redoutant d'avance l'effet d'une entrevtie avec
moi, qui ne suis pourtant pas bien terrible, il avait pris la
fuite avec sa concubine, se proposant de ne revenir chez
lui que lorsqu'il pourrait présumer que je serais parti et
que la rencontre tant redoutée par lui n'aurait pas lieu.
Heureusement pour moi et aussi pour lui, il calcula mal
et arriva chez lui tandis que j'y étais encore. Il était tout
honteux d'avoir manqué à sa parole, et en môme temps
tellement dominé par sa passion, qu'il paraissait difficile
de le détacher de cette malheureuse, qui ne valait pas
mieux que lui. Il s'en sépara pourtant et promit d'être
plus ferme à l'avenir. Hélas ! il retomba encore malgré
toutes ses promesses, et ce n'est qu'à la troisième visite que
je leur ai faite cette année que j'ai enfin réussi à les sépa-
rer définitivemeet.
"J'ai fait là quatre mariages bien assortis, lesquels, selon
toutes les prévisions humaines, nous donnent les meilleu-
res garanties pour l'avenir. Il y reste encore plusieurs
jeunes gens à marier, mais le plus difficile est fait et j'espère
que si l'on peut sanctifier encore quelques alliances dans ces
familles dégénérées, on les tirera définitivement de l'état
de dégradation dans lequel elles sont tombées. Je n'ai pas
la liste de toutes ces familles, je ne puis donc évaluer
le nombre des personnes qui se trouvent au lac Froid.
204
que d'une manière approximative. Le nombre me parait
4tre entre de quatre-vingts à cent."
II y a aussi, au lac Froid, quelques familles crises encore
infidèles. Comme elles ne viennent jamais par ici, j'ignore
leur nombre. Il est probable qu'elles ont dû voir des
Missionnaires sachant le cris, soit au fort Pitt, soit au lac
Labiche où elles peuvent se rendre sans difficulté. Pour
plus de sûreté, cependant, le R. P. Lsgoff étudie actuelle
ment le cris, afin de pouvoir instruire un peu ces pauvres
gens quand il ira visiter ses Montagnais le printemps pro-
chain.
2o. Mission de la bienheureuse Marguerite-Marie (lac Canot).
Cette petite mission est la plus favorisée de toutes celles dont
nous nous occupons, en dehors de l'Ile à la Crosse. Depuis
l'ai^tomne de 1875, elle a eu l'avantage d'être visitée plu-
sieurs fois. Le R. P. Moulin y 'est venu, du lac Vert, passer
une semaine en janvier dernier. Le R. P. Chapelliere y est
resté depuis le 4 avril jusqu'au 10 juin, et depuis le 28
août jusqu'au 23 septembre ; ce qui n'a pas empêché ces
bons sauvages de venir, au printemps et à l'automne, sui-
vre les exercices de la mission que nous donnons réguliè-
rement, à celte époque, à tous les sauvages réunis. Souvent
aussi nous les voyons dans le courant de l'été lorsqu'ils vien-
nent au fort de la compagnie de la baie d'Hudson, cher-
cher ce dont ils ont besoin. Il est bien rare qu'ils ne se
confessent pas en passant ici. Pauvres sauvages ! ils ont
bien leurs défauts, il s'en faut qu'ils soient parfaits, mais
il faut leur rendre le témoignage qu'ils sont bien dociles,
bien obéissants, remplis de bonne volonté et qu'on peut en
faire tout ce que l'on veut. Une chose qui me fait grand
plaisir, c'est qu'ils commencent à avoir une grande dévotion
au Sacré Cœur. Tous en ont déjà des images que nous
leur avons faites et qu'ils gardent bien précieusement. Tous
également, ou presque tous, portent le scapulaire du Sacré-
Cœur. Pour les récompenser, Dieu leur a fait une faveur
«dont jouissent bien peu de sauvages dans ce pays. Tout le
temps que le Père est là, Notre-Seigneur réside au milieu
d'eux dans la petite chapelle qu'ils ont bâtie. C'est la pre-
mière fois 'Cette année, qu'avec l'autorisation de Monsei-
205
goeur on y a conservé la sainte réserve ; ce qui, certaine-
ment, sera pour eux la source de bien des grâces.
Un autre avantage qu'ont les Cris du lac Canot, c'est leur
petite école. Les fruits qu'elle a produits sont déjà bien
consolants, Au printemps dernier, quand ils vinrent pour
la grande mission, le R; P. Chapellière, qui arrivait avec
eux, me dit que bon nombre d'enfants, garçons ou filles,
connaissaient leur catéchisme par cœur d'un bout à l'autre.
Je n'osais trop y croire; pour m'en assurer, jlnterrogeai
moi-même les enfants, un peu sur toutes sortes de sujets,
je leur demandai plusieurs explications et je pus me con
vaincre que ce qu'on m'avait dit était bien vrai. C'est la
première fois, je pense, que nous voyons dans nos missions
des enfants sauvages parfaitement instruits du catéchisme.
Personne même n'aurait songé à entreprendre cette tiche
bien difficile ; notre petite maîtresse d'école, avec sa bonne
Tolonté, sa persévérance et aussi le secours du bon Dieu,
en est venue à bout. C'est un grand travail de moins pour
nous. Daigne le Seigneur continuer à répandre ses grâces
sur cette petite mission et lui faire porter des fruits de salut
encore plus abondants. C'est ce que leur obtiendra, j'en
suis sûr, leur patronne, la B. Marguerite-Marie, toujours
puissante sur le cœur adorable de notre doux Sauveur.
3o Mission de la Visitation (Portage la Loche). — C'est le
R. P. Lbgofp qui en est chargé. Voici quelques notes qu'il
m'a communiquées sur cette mission : ^^ Depuis mon arri-
▼ée à l'Ile à la Crosse, en 1870, j'ai déjà visité huit fois ce
poste ; j'aurais là-dessus bien des choses à raconter ; mal- «
heureusement, c'est le temps pour les raconter qui me
manque. Vous voudrez donc bien vous contenter celte foi&
de quelques lignes.
^^ Cette mission compte deux cent trente et quelques saii
yages, parmi lesquels il y a soixante-dix ou soixante-douze
communiants. Cette mission était bien négligée autrefois,.
nos Pères se trouvant assez souvent dans l'impossibilité de-
l'aller visiter. Depuis que je suis ici, je la visite réguliè-
rement tons les ans, et môme l'année dernière j'y ai fait
deux apparitions, l'une en été, l'autre en hiver. Oela ne
leB satisfait pas encore, et depuis longtemps ils ne cessent
206
^6 demander à car et à cri que Moaseigaeur veuille bien
établir uq Mlssioanaire au milieu d'eux. Môme pour dé-
moatrer à Sa Grandeur combien ce Missionnaire serait
bien au milieu d'eux et combien il pourrait compter sur
leur dévouement, ils ont préparé depuis deux ou trois ans
tout le bois nécessaire à la construction d'une église. Tout
cela forme un beau tas, je vous l'assure, et c'est du beau
l)oi5 1 Mais par malheur le tas reste là et l'église est encore
dans les futurs contingents. Ils la bâtiront, disent-ils, oh. 1
mais, avec de l'empressement tout plein, quand leur cher
missionnaire tant désiré sera arrivé. Ils ne veulent la bâtir
qu'à cette condition, prétendant que par ce parti pris ils
vont certainement obliger Monseigneur à se dépêcher de
leur envoyer le Missionnaire tant désiré. Gomment ne se
4épôcherait-il pas? Le bois de construction est à terre et
il va se gâter si le Missionnaire n'arrive pas vite. Finesses
de Montagnais !
^^ Ces pauvres sauvages, quoique visités à de si rares in-
tervalles, ne laissent pas notre ministère sans consolation.
Je vous avoue franchement que je les trouve bien changés
depuis la première fois que je les vis. Ils sont plus dé>
grossis, plus instruits, plus attachés à leur religion et à leur
Missionnaire. Tous pourtant ne .répondent pas également
à nos soins et ne montrent pas la même bonne volonté. Ici,
comme partput, il j a le mélange d^s bons et des mauvais.
Les mauvais et les tièdes forment à mon avis le gros tiers :
les autres sont convenables et ne me donnent guère que de
Ja satisfaction." ^
Il est donc vrai, comme vous pouvez en juger par cette
lettre du R. P. Legofjs, les sauvages du Portage la Loche
nous donnent, pour la plupart, de la satisfaction et il y au-
rait là de quoi faire une belle misbion. ^Mais cette paresse
qu'ils montrent pour bâtir une chapelle et une maison pour
le Missionnaire qui va les visiter me fait de la. peine, d'au-
tant plus que presque tous se sont construit de jolies petites
maisons et qu'ils sont, on peut le dire, les sauvages en gé-
néral les plus riches et les mieu^ établis du pays. Au lac
Canot, six pauvres Cris ont à eux seuls bâti la chapelle et
un appartement contigu à la chapelle pour leur Mission-
207
oaire ; et eux, depuis trois ans que Tftffaire est lancée, n'ont
pu élever une chapelle alors que tout la bois de construc-
tion était rendu sur place. Pauvre» gens ! ils manquent
d'entente entre eux, ils sont un peu jaloux les uns des
autres ; impossible de mettre quelqu'un à la tête de cette
entreprise sans mécontenter les autres. Voilà en grande
partie la cause de ce retard. Sans s'en douif r probable-
nient,ils se font grand tort, car ils ne prennent pas le moyen
d'obtenir qu'un Père aille résider au milieu d'eux.
i9 Mission de Saint-Jean-Baptiste (Ile à la Grosse.) — l» Nod
travaux pour la desserte de notre église sont toujours les
mêmes. Je n'en parlerai donc pas aujourd'hui ; je me conten-
terai de vous dire que nous sommes bien contents de notre
petite population. Ces pauvres gens, la plupart métis, ont
bien aussi leurs défauts, mais ils nous écoutent quand nous
les instruisons ; les sacrements sont bien fréquentés, et les
offîces suivis fidèlement. Ce qui nous donne meilleur es-
poir encoi*e pour l'avenir, c'est qu'il n'y a pas une maison
à l'île à la Crosse où il n'y ait une image du Sacré Cœur.
Ce divin cœur, j'en suis sûr, ne manquera pas de leur ac-
corder les bénédictions que lui-même a promises à tous
ceux qui l'honoreront
En fait de travaux extraordinaires, nous avons eu le
Jubilé de 1875 ; nous l'avons fait du 12 au 26 décembre.
Pendant cette quinzaine, il y avait tous les soirs bénédic-
tion du très-saint Sacrement Ym les circonstances dans
lesquelles se trouvait notre petite population, nous n'avons
pas jugé à propos de faire aucun autre exercice public.
Nous étions un peu embarrassés au commencement pour
mettre en train ce jubilé ; le succès a dépassé nos espéran-
ces. Nos chrétiens nous ont surpris par leur ûdélité à as-
sister tous les jours aux exercices et à faire les stations
commandées ; deux à la grande église, deux à la chapelle
de^ sseurs. J'espère que le bon Dieu les aura 'récompensés
de leur bonne volonté.
Un mot maintenant des deux grandes missions que nous
donnons annuellement au printemps et à l'automne. De-
puis quelques années, la mission d^automne perd beaucoup
de son importance ; elle n'est plus suivie comme. autrefois»
208
Ea 1875, elle a été presque nulle ; pour les Cris il n'y en. a
pas eu ; pour les Montagnais presque pas. Quelles soat les*
causes de ce changem^t? Les voici: autrefois les berges
de la Compagnie qui partaient chaque printemps pour aller
. à York Factory sur la baie d'Hudson chercher les mar-
chandises pour la traite avec les sauvages, étaient de retour
^' ordinairement dans la dernière moitié de septembre. L*ar-
rivée des berges était un événement pour le pays. Les
sauvages se rassemblaient tous alors, pour prendre, comme
ils disent, "leurs avances," c'est-à-dire pour recevoir de la
Compagnie ce dont ils avaient ^ besoin pour leur hiver en
fait de vêtements ou de munitions de chasse. On profitait
de leur présence pour leur donner les exercices de la mis-
sion pendant douze ou quinze jours, après quoi chacun
partait de son côté pour se rendre aux places choisies pour
l'hivernement. Actuellement les choses ont bien changé.
Toutes les marchandises venant d'Angleterre par la rivière
Rouge et le lac Vert, les berges ne vont plus à la mer, et
elles arrivent ici à différentes époques de Tété, ce voyage
du lac Vert ne durant ordinairement qu'une semaine, aller
et retour. Les sauvBges, assurés de trouver toujours ce
dont ils ont besoin, prennent leur temps. En outre, la
plupart d'entre eux ayant maintenant des maisons et des
champs de patate, ne peuvent rester ici longtemps l'au-
tomne, car c'est le moment de ramasser les patates et d^ar>
ranger les maisons pour l'hiver. Ajoutez à tout cela que
le mois d'octobre est l'époque de l'année où l'on prend le
poisson blanc avec le plus d'abondance. Qu'arrive-til T
C'est que quelques-uns ne viennent point, ou bien ils arri-
vent les uns après les autres, ou bien ils ne restent que
quelques jours. Impossible, dans de pareilles conditions^
de leur donner une mission en règle. Ils se contentent
donc de se confesser une fois ou deux, de communier quand
ils sont du nombre des communiants et ils partent ensuite.
Quant aux pauvres enfants et à tous ceux qui ont besoin
d'instruction, on ne peut guère s'en occuper, car il faut
passer tout le temps au confessionnal. Je ne sais si je mt
trompe, mais je crois qu'il nous sera difficile de donner à
cette mission de l'automne l'importance qu'elle avait pré-
cédemment.
209
En reyancbe, celle du printemps devient de plus en plus
. consolante. L'année dernière, en 1875, lors du passage de
Monseigneur pour sa visite pastorale, elle fut magnifique ;
cette année, grftce à la nouvelle impulsion donnée par cette
visite, elle a été plus belle encore. Jamais, je crois, il n'y
avait eu une mission semblable ; notre église était littérale-
ment trop petite pour contenir tout notre monde. Pendant
la semaine, cela allait passablement encore, parce que les
exercices se donnaient pour les Montagnais à la grande
église, et pour les Cris, qui sont bien moins nombreux, à la
chapelle deS sœurs ; mais les dimanches, pour les offices,.
tous ne pouvaient entrer. La plus belle de toutes les céré-
monies a été la grande procession du Saint Sacrement que
nous avons faite le jour de la Fôte-Dieu. 11 y avait au
moins sis ans qu'elle n'avait pas eu lieu, pour des raisons
qu'il serait trop long de rapporter ici. Ce jour-là, pour
donner à tous la facilité d'assister à la sainte messe, nous^
multipliâmes les offices. Le] matin, à six heures, il y eut
messe avec cantiques et sermons en montagnais ; la plupart
des sauvages appartenant à cette nation communièrent à
cette messe. A huit heures et demie, messe encore avec
cantiques et sermon en cris; enin à dix beures et demie,
messe solennelle devant le Saint-Sacrement exposé.
Dans la soirée eut lieu la procession du Saint-Sacrement.
Dès la veille, les sauvages, sous la direction du R. P. Gha-
PBLLiiius, avaient planté de distance en distance, de chaque
côté du parcours que devait suivre la procession, de petits
arbres coupés dins le bois; trois arcs de triomphe avaient
été dressés ; enfin le reposoir avait été élevé sur un mon-
liculOy à 700 ou 800 mètres de la mission. De cette éléva-
tion le coup d'œil était magnifique: à droite notre beau
lac, à nos pieds le camp des sauvages avec ses tentes et ses
loges en grand nombre, un peu plus loin la mission, puis
au fond de ia s :ouo, au dolà dj i\ b ilo sur bs b jrds d3 la-
quelle s'eicve njtrc établissemeut, le fort Jj la i ompagnie
de la baie dlln ison.
A trois heures, la procession sortait ds TégUse ; tout le
monde, hommes, femmes et enfants, marchaient en rang.
A un étranger, les costumes auraient paru bien bariolés^
3
210
bien peu dignes peut-être de paraître dans une grande pro-
cession ; nos sauvages n*y pensaient guère ; le bon Diea
non plus, j'en suis convaincu, n'en voulait aucunement à
ces pauvres enfants des bois. Au milieu des rangs, se dé-
ployaient quatre belles bannières confectionées aille à la
■Grosse : celle de S^in^ Jean- Baptiste, patron de la mission ;
celle de Saint Joseph ; ceile de la Sainte-Vierge et celle du
Sacré Cœur, la plus belle de toutes. Le R. P. CifAPBLBriRS,
aidé du F. Nemoz, dirigeait la procession; le R. P. Lbgoff
faisait chanter ses Montagnais. Quant au R. P. LâoBAHD,
dont la santé était un peu meilleure, il présidaif la proces-
sion et avait le bonheur de porter le Saint-Sacrements
Quatre hommes choisis parmi les plus anciens, deux méfifl,
un Montagnais et un Cris, soutenaient le dais ; quatre
autres, des plus anciens également, tenaient les cordons.
La procession se déroula en suivant le chemin qui lui avait
été préparé le long du lac et au milieu du camp des saa*
vages. Favorisée par un temps magnifique, elle fut des
plus belles. Mais il y eut un moment surtout où malgré
moi les larmes s'échappèrent de mes yeux. Après la béné-
diction donnée du monticule, sur lequel était dressé le
reposoir, il fallut réorganiser la procession ; cela fut ua
peu long; pendant tout ce temps là, j'étais tourné vers Je
peuple, tenant Notre-Seigneur dans mes mains; devant
moi se déroulait le panorama dont je vous ai parlé plus
haut. A mes pieds se tenait la foule des hommes qui atten-
daient leur tour pour partir; moitié à genoux, moitié assis
par terre, ils étaient là, chantant de tout leur cœur les
louanges de Notre-Seigneur. Gomme le divin Maître de-
vait, ce me sjBmble, être heureux de ce triomphe ! Comme
son Cœur adorable qui a tant aimé les petits et les pauvres
devait être satisfait de voir agenouillés à ses pieds avec
tout l'abandon filial ces pauvres enfants des bois ! Il y a
seulement trente ans, la place où se déroulait en ce mo-
ment la procession n'était qu'un bois épais; au lieu da
chant dçs cantiques, on n'y entendait que le bruit du tam*
bour et les chants superstitieux des sauvages! Que Dieu
soit mille fois béni de ce changement ! Qu'il soit aussi mille
fois béni d'avoir bien voulu se servir de notre chère Congre-
211
galion pour le faire connaître et aimer de ces pauvres sau-
vages! Nos Pères qui ont travaillé à défricher cette partie
de la vigne du Seigneur n'ont pas perdu leur temps ; les
fruits que nous recueillons maintenant sont bien conso-
lants.
Quand nous arrivâmes à l'église, elle était déjà remplie,
et bon nombre de personnes durent rester dehors pour
assister à la bénédiction du Saint-Sacrement qui termina la
cêrépionie.
Vous devez le comprendre, cette mission nous a donné
bien des joips. La plus grande partie du travail retombait*
sur le R. P. tEGOFF, qui est chargé des Montagnais. Comme .
ils sont très-nombreux, c'est à peine s'ils lui laissaient le
temps de prendre ses repas et le sommeil nécessaire pour
réparer ces forces épuisées. Quelques jours après, ils par-
taient tous, fortifiés par la réception des sacrements, affer-
mis dans leurs bonnes résolutions et attachés plus que
jamais à leur religion et à ceux qui sont venus la leur
enseigner.
Depuis deux ou trois ans surtout, nous avons encore
deux petites missions supplémentaires à Noël et à Pâques.
Pour ces deux fôtes, nous voyons arriver bon nombre de
sauvages qui souvent viennent d'assez loin pour faire leurs
dévotions. C'est un surcroit de travail pour nous, mais
ce travail est bien consolant La fête de Noël surtout se
célèbre avec i)ne grande solennité: il est vrai de dire que
nous jouissons d'nn privilège que nous envieraient beaucoup
de grandes églises de France, c'est qu'après minuit on
donne la bénédiction papale avec indulgence plénière.
Mgr. Grandin, ayant obtenu du Souverain Pontife la per-
mission de la donner trois fois par an et de communiquer
ce pouvoir comme il l'entendrait, a accordé au Supérieur
de là mission la faculté de la donner en son nom une fois
chaque année ; et c'est le jour de Noël que nous avons
choisi pour cela.
Vous trouverez peut-être extraordinaire que je ne fasse
mention d'aucune conversion d'adultes, soit parmi les héré-
tiques, soit parmi les infidèles qui doivent se trouver dans
la mission de l'Ile à la Crosse. En fait de protestants, il y
212
«n a seulement une vingtaine ici, au fort, hommes, femmes
ou enfants. Ce soot tous des gens engagés au service de la
Compagnie de la baie d*Hudson, ordinairement pour deux
ou trois ans, et qui le plus souvent s'en retournent, leur en-
gagement fini. Avec eux il n'y a pas grand'chose à faire»
De temps en temps cependant, mais bien rarement, nous
recevons quelques abjurations. Au printemps dernier,
j'ai eu la consolation de recevoir celle d'une femme mé-
tisse anglaise, mariée depuis quelques années à un de
nos métis canadien-français. Depuis longtemps, elle, était
• sollicité par la grâce, mais elle résistait ; elle avait peur, elle
craignait ses co religion naires ; il a presque fallu un mi-
racle pour la soumettre ; enfin le bon Dieu a eu le dessus ;
elle est venue d'elle-même et je n'ai eu qu'à l'instruire. On
lui a bien fait un peu de misères dans les commencements ;
maintenant on la laisse à peu près tranquille. Quelques
jours après son abjuration et son baptême, elle avait le
bonheur de faire sa prenûère communion le jour de Pâques.
Que Dieu est bon pour les cœurs simples ! Depuis sa con-
version, cette pauvre femme a reçu, on peut le dire, le don
de prière ; on dirait qu'elle ne peut se rassassier de prier ;
la confession et la communion sont un besoin pour elle.
Puisse-telle persévérer toujours dans ces heureuses dis-
positions ! Je l'espère, car elle aime bien le Sacré Cœur et
la Sainte Vierge.
Quant aux infidèles, on peut dire qu'il n'y en a plus
parmi les sauvages du district de l'Ile à la Crosse qui ap-
partiennent à cette mission. Voici, d'ailleurs, ce que Mgr.
Grandin a consigné lui-même dans notre registre des actes
de baptême, mariages, etc., etc., lors de la plantation de
la croix qui clôtura la mission du printemps 1875:
'^Le ÎO juin 1875, nous soussigné, avons clôturé la
mission des sauvages qui fréquentent la mission de Saint-
Jean- Baptiste de rile à la Grosse par la bénédiction sa
lennelle et l'érection d'une belle croix en bois, longue de
35 pieds, sur le coteau qui s'élève à quelques arpents au
sud de la mission. Il y a dix-sept ans, nous élevions une
croix à la même place et nous sommes heureux de cons-
tater aujourd'hui que depuis ce temps notre sainte religion
213
a fait dans le pays des progrès que vraiment on n'aurait
pas oser espérer alors. On peut dire aujourd'lxui que tous
les sauvages sont chrétiens et catholiques et généralement
bons chrétiens et bons catholiques. Que Dieu en soit à
jamais béni I "
Cela ne veut pas dire cependant qu'il n'y ait rien de
défectueux parmi nos sauvages et que tout marche à mer-
veille. Non, malheureusement; un certain nombre d'entre
•eux ont besoin d'être suivis de près et rappelés souvent i
Tordre. Parmi les Montagnais surtout, qoi restent loin de
la mission et qui connaissent bien imparfaitement encore
notre sainte religion, de grands désordres se produisent
parfois : il a fallu même, il n'y a pas bien longtemps encore,
-en excommunier quelques-uns ; mais, Dieu merci, ces faits
deviennent de plus en plus rares, et maintenant surtout
•que la mission est consacrée au Sacré Cœur, cela ira mieux
•encore, nous l'espérons.
Ecole de Notre-Dame du Sacré-Cœur. — Comme vous le savez
déjà, c'est le nom que porte maintenant notre école. Cette
CBuvre, à laquelle nous attachons beaucoup d'importance,
va toujours en se développant. Pendant l'année scolaire
1875-1876, nous avons eu jusqu'à trente>deux et trente -
^rqis enfants, tous pensionnaires, y compris nos orphelins.
Nous ne recevons pas d'externes. Je suis heureux ^e dire
qu'ils nous ont donné plus de consolations qu'ils ne l'a-
vaient fait les années précédentes. Mais il faut avoir vécu
dans le pays pour comprendre ce que sont nos écoles, pour
connaître la patience nécessaire à nos bonnes sœurs pour
instruire des enfants qui n'ont aucun goût pour l'étude,
qui ont honte, pour ainsi dire, de bien faire, et dont le seul
désir est de quitter l'école le plus tôt possible.
Les parents cependant semblent mieux comprendre la
nécessité de l'éducation et le service que nous leur rendons
en instruisant leurs enfants ; quant à ces derniers, ils n'en •
sont pas encore là. Ce n'est donc qu'à force de travail et
de fatigue qu'on peut arriver à leur faire apprendre quel-
que chose. Quand ils paraissent dans les examens publics,
oeux qui les voient, ceux qui les entendent ne se doutent
guère de ce qu'il a fallu de patience et d'efforts pour ar*
214
river à ces résultats. Les sauvages se montrent mainte-
• nant plus empressés à nous confier leurs enfants ; actuelle-
ment nous en avons quinze, réunis aux orphelins, c'est à-
dire nourris et entretenus aux frais de la mission. Si nous
l'avions voulu, nous en aurions bien davantage, car nous
en avons refusé un certain nombre, mais c'est tout ce que
DOS ressources peuvent nous permettre pour le moment.
Ce qui donne surtout de la réputation à notre école, ce
sont les examens publics que de temps en temçs nous fai-
sons subir à nos enfants. L'été dernier, TofiBcier en charge
du district de l'Ile à la Crosse devant quitter le fort pour
être nommé à un grade supérieur, c'est- à-dire à l'inspection
de tous les districts du Nord, nous avons voulu faire un
grand examen en son honneur pour le remercier de s'être
montré toujours le bienfaiteur de nos missions. C'est le
20 juin qu'a eu lieu cet examen. L'assistance était très-
nombreuse et se composait surtout des métis et des sau-
vages arrivés pour la mission. Le R. P. Supérieur, pendant
la séance, avait à sa droite M. l'inspecteur et le nouvel of-
ficier en charge du district, et à sa gauche les dames de
ces deux messieurs avec leurs enfants. Pendant quatre
heures que dura l'examen, l'intérêt ne cessa d'aller crois-
sant. Les matières de l'examen, moitié en français, moitié
en anglais, étaient entremêlées de chansons dans les deux
langues. La partie française par laquelle on commença se
termina par une petite pièce admirablement interprétée et
qui intéressa vivement les assistants. La partie anglaise,
qui vint ensuite, se termina également par une pièce an-
glaise en l'honneur du héros de la fête. Au dire de tout le
monde, cet examen a été le plus beau de tous ceux qui ont
eu lieu à l'Ile à la Crosse. Ce qu'il y a de certain, c'est
qu'il a été le plus complet, car c'était la première fois qu'il
comprenait le français et l'aYiglais réunis. Vint ensuite la
• distribution des prix ; après quoi, pour clore la séance,
nous chantâmes selon l'usage anglais le God save the Queen,
Dieu conserve la Reine... Les résultats de cet examen se font
déjà sentir : à la rentrée de l'automne, nous avons eu plus
de quarante pensionnaires, sans compter ceux que nous
avons refuses.
215
Je ne puis terminer ces quelques notes sur notre école
«ans vous faire part d'une faveur bien précieuse qu'elle a
reçue au mois de janvier 1875. Nos enfants venaient de
finir leurs lettres de bonne année : tout d'un coup, une
petite fille s'écrie au milieu de ses petites compagnes : ^^ Si
nous écrivions à notre Saint- Père le Pape pour lui dire
combien nous l'aimons! — Oui, fut ]a réponse générale,
écrivons-lui." Les maîtresses me demandèrent ce que j'en
pensais.* '* Qu'elles écrivent, leur dis-je, nous enverrons la
lettre à Monseigneur ; il en fera ce qu'il voudra." Elles se
ipirent immédiatement à l'œuvre, et celle qui avait la plus
belle main écrivit à genoux, par respect pour notre Saint-
Père» La lettre fut envoyée à Monseigneur. Il approuva
ridée de nos enfants, fit écrire une seconde lettre par ceux
de Saint-Albert, et les expédia toutes deux à Rome au car-
dinal préfet de la Propagande. Am mois de février dernier,
nous recevions une lettre de Monseigneur, dans laquelle il
nous disait : ^' A propos des petits enfants, j'ai à vous an-
noncer une nouvelle qui vous fera plaisir. Vous vous sou-
venez de la lettre que vos élèves écrivirent il y a un an au
Souverain Pontife j les enfs^nts de Saint-Albert lui écri-
virent de leur côté et j'envoyai le tout à S. Em. le cardinal
préfet de la Propagande. * Il y a quelques semaines, je
recevais de S. Em. le cardinal Franchi la lettre des enfants
de Saint-Albert, au bas de laquelle le Pape avait écrit de sa
main: ^^Que le Seigneur vous bénisse et vous dirige dans
toutes vos voies," avec sa signature et la date. La lettre
de vos enfants est restée entre les mains dn Saint-Père.
Comme cette bénédiction est pour les enfants de Tile à la
Crosse, aussi bien que pour ceux de Saint- Albert, je tacherai
de vous envoyer un souvenir de cette bénédiction.
Son Eminence m'écrivait en même temps: " Pour ce qui
^^ est des lettres si aimables envoyées par les enfants qui
^' fréquentent les écoles catholiques de Saint-Albert et de
''l'île à la Crosse, je les ai présentées à Sa Sainteté dans
*^ l'audience qu'il m'a accordée le 11 de ce mois. Il les a
^^ reçues avec bonté, et a de grand cœur envoyé sa béné-
^^ diction apostolique à ces mômes enfairts, ainsi qu'aux
'^ Sœurs qui en ont soin, et vous trouverez sous ce pli l'aa-
-" tographe de cette bénédiction apostolique."
216
Comme souvenir de cette bénédiction, Monseigneur nou»
a envoyé un beau portrait du Saint-Père, au bas du-
<piel se trouvent les paroles qu'il a bien voulu nous adresser,
ainsi que sa signature. Ces^un autographe de Sa Sainteté,
que Sa Grandeur a découpé d'une autre piôce, et collé sur
cette image. Cette bénédiction, venue de si haut, sera un
encouragement pour nous, et aussi un gage de succès pour
cette œuvre si importante.
50 Quelques mots en unissant sur le temporel' de la
mission : Notre position tend à s'améliorer tous les jours.
Pour les constructions nous sommes bien maintenant. Les
Sœurs sont assez grandement logées, et nous, nous sommes
au lapge. Quant aux dégâts commis les années précéden-
tes par les inondations, ils sont tous à peu près réparés. On
peut donc dire en général que la mission est sur un boa
pied : après les travaux que nous nous proposons de faire
l'été prochain, elle aura presque été remise à neuf. Cette
aqnée nous avons entrepris de réparer notre église et de
recouvrir d'une nouvelle couche de neinture tout Tex-
térieur qui est lambrissé avec des planches: c'était un
tra^vail nécessaire, qui aurait déjà dû être fait depuis long-
temps, carie bois commençait é^ se détériorer sensiblement.
Nous avons ouvert pour cela une petite souscription ; je
ne m'attendais qu'à une somme peu considérable,
cependant suffisante pour ce que nous voulions faire : grâce
à Dieu, nos espérances ont été dépassées. Non-seulement
nos catholiques, mais encore les officiers protestants de la
Compagnie nous ont donné largement, puis les sauvages
se sont mis de la partie, ce que jamais encore ils n'avaient
fait, de telle sorte que nous avons déjà recueilli trois fois
plus que je n'espérais. Une fois ces réparations et ces
travaux finis, notre petite église sera réellement belle. Je
ne puis m'empêcher de faire ici mention de deux objets
bien précieux dont elle a été enrichie depuis deux ans.
Le premier est un tableau de moyenne grandeur, qui nous
a été envoyé paï la Visitation d'Autun ; il représente Notre-
Seîgncur apparaissant à la bienheureuse Marguerîte-Marie
etlui découvrant son divin cœur. Ce tableau a été bénit
par Mgr. GRANom, et placé dans notre église le 4 juin f875y.
217
jour auquel Sa Grandeur consacra lui-même notre mission
au Sacré-Cœur. L'autre, plus précieux encore, Icar c'est
une véritable relique, est venu de la Visitation de Paray-
le-Monial. C'est la première lampe qui a été mise dans la
première chapelle dédiée au Sacré-Cœur, et construite dans
le jardin de la Visitation, du vivant même de la B. Mar-
guerite-Marie. Comme vous le [voyez, nous sommes vrai-
ment privilégiés.' Puissions-nous en retour contribuer
un peu à faire connaître et aimer le Sacré-Cœur et son
humble servante.
Quant à la vie, pour me servir de l'expression employée
ici, elle n'est pas toujours des meilleures. Sous ce rapport,
la mission de l'Ile à la Crosse est une des plus pauvres du
Vicariat. En 1875, nos récoltes ont été bonne pour l'orge
et les patates, mais non pour le blé. Il nous a fallu passer
presque tout l'hiver sans avoir une bouchée de viande
fraîche, n'ayant pour toute provision qu'environ 250 livres
de mauvaise farine de froment et 100 livres de farine d'orge ;
tout cela, pour seize personnes (je ne parle ici que des Pères,
Frères, Sœurs, et personnes de service, car pour nos enfants
nous ne leur en donnons jamais), ce qui ne faisait pas même
1 livre par jour à partager entre seize personnes pour trois
repas. Si nous avions encore eu de la viande sèche et du
pemikan à discrétion, cela aurait été assez bien, mais hélas!
la viande sèche, nous n'en avions pas. Quant au pemikan,
il nous fallait avoir recours à l'obligeance de l'ofi&cier en
charge du district, du bourgeois, comme on l'appelle, afin
d'en avoir le strict nécessaire pour nos travaux. Nous
nous sommes bien procuré quelques lièvres de temps en
temps, mais ces lièvres du Nord sont une bien pauvre nour-
riture, et celui qui n'a rien que cela fait triste chère.
Heureusement que les patates ne nous manquent point, et
que nous avions de l'orge pour faire de la soupe, et du pois-
son frais suffisampient. Nous sommes tous les enfants de
la providence, mais ici, je crois, plus que partout ailleurs.
Notre pain quotidien, c'est le poisson, et ce pain quotidien,
il faut aller le chercher tous les jours, hiver comme été,
*ét6 comme hiver, il faut aller, dis-je, le chercher dans le
(lac. Malheuieusement il se fait désirer quelquefois, il
218
n'aime pas toujours, paraît-il, à se faire prendre dans le&
rets. Dieu merci, nous n'en avons cependant jamais manqué ;
il esc vrai que nous le payons assez cher, surtout quand il
est rare. Depuis quelques années, afin d'en avoir davan-
tage et de pouvoir nourrir tour notre petit monde,
nous mettons dans nos intérêts les âmes du purgatoire.
L'hiver dernier, il nous' fallait jusqu'à 250 livres de poisson
par jour sans compter les mauvais pour les chiens.
L'été dernier, le bon Dieu nous a pris en pitié en nous
envoyant du poisson, comme jamais nous n'en aviotis pris:
cet automne, nos récoltes de patates et d'orge ont été plus
belles encore que l'année dernière. Qu'il en soit mille fois
bénie I
Après tout cela, vous comprendrez que, pour entretenir
cette mission, nous devons dépenser annuellement une
somme assez considérable. Nos dépenses actuellement
s'élèvent au moins à 12000 francs par an. Pour tout revenu,
nous avons nos messes, quelques petites rétributions pour
l'école, et quelques dons faits à l'enfant Jésus dans le temps
de Noël, c'est-à-dire environ 2000 francs, ce qui laisse une
balance de 10 000 francs à payer par la caisse vicariale.
Nous quêtons bien de côté et d'autres, parfois nous rece-
vons d'assez bonnes petites sommes, mais ce n'est rien
auprès de ce dont nous aurions besoin.
• Daignez, mon révérend et bien-aimé Père, agréer ce
rapport un peu trop long, peut-être sur notre chère mis-
sion de l'Ile à la Crosse. Veuillez prier et faire prier pour
nous, a&n que nous puissions continuer et augmenter,
s'il est possible, le bien produit par nos devanciers.
Ne m'oubliez pas surtout au saint autel, et croyez-moi
toujours, aujourd'hui comme autrefois^
• Votre enfant en N.-S. et M. I.,
P. Légeard, 0. A(. i^
MISSION DE ST. LÉON DE STANDON.
Lettre adressée par M. Eainville^ Missionnaire^ à M. V Aumônier
de VÂrchevéehé de Québec.
Ste. Germaine, Lac Etchemin,
25 mars 1876.
Monsieur l'Aumônier,
C'est avec un vif plaisir que je saisis l'occasion de vous
transmettre quelques nouveaux renseignements sur ma
mission de St. Léon de Standon. Cette mission ne Test
plus que de nom, puisqu'elle est maintenant érigée en pa-
roisse canonique et civile, et qu'elle renferme une popula-
tion de plus de 1,000 âmes, dont 580 communiants. Aussi,
je vous- assure que les habitants de St. Léon font valoir
plus que jamais leurs titres à obtenir ce qui, depuis plu-
sieurs années, est l'objet de leurs légitimes désirs : un curé
résidant. On y compte avec la plus grande certitude pour
l'automne prochain.
La nouvelle paroisse possède une chapelle fort conve-
nable, avec une bonne sacristie, et le presbytère que je
viens de faire construire, est complètement fini à l'exté-
rieur, et la partie intérieure est déjà bien avancée.
Vous me permettrez sans doute, M. l'Aumônier, de vous
faire connaître, en quelques mots, combien le bon Dieu a
répandu de grâces sur ma mission pendant la retraite so-
lennelle que le Ré v. P. Sache y a prèchée tout dernièrement.
C'était la première, et rien ne fut épargné nour en rendre
les cérémonies et les exercices aussi solennels et imposants
que possible. Des personnes habiles et bienveillantes avaient
Îrodigué les décorations dans l'humble temple, et le bon
)ieu y mit aussi sa puissante main en nous accordant un
temps superbe, malgré la mauvaise époque de la saison.
Si le ministère sacerdotal dans une mission a assez sou-
vent ses jours pénibles, il a aussi ses instants de bonheur
et de profonde consolation. Jamais, depuis que je suis
prêtre, je n'ai remarqué autant d'entrain et de constante
bonne volonté pour assister à des exercices religieux. Tout
le monde y venait, hommes, femmes et enfants, même des
parties les plus éloignées de la paroisse. Avec quel esprit
de foi l'on recueillait chacune des paroles du vénérable
Îirédicateur I Personne n'a résisté a la grâce; tous ont
avé leur conscience dans le St. Tribunal, et tous se sont
nourris du Pain des forts.
220
f
A la clôture de la retraite le R. P. Sache fit la distribua
tion solennelle des croix de Tempérance. A plusieurs re>
prises le Rév. Père, dans le cours de ses instructions, s'était
élevé avec véhémence contre les innombrables dangers et
les ravages de l'ivrognerie. Ce fut donc une grande joie
pour lui de voir tous les pères de famille et un bon nombre
de jeunes gens venir recevoir de ses mains Pétendard de
notre Rédemption, comme un signe de leurs généreuses
résolutions et un gage assuré de leur persévérance. Puis,
la distribution des croix Unie, tou^ le monde se rangea en
procession, et Ton se mit en marche vers le cimetière. Là,
dans ce champ des morts, le Père Sache adressa à son au-
ditoire si bien disposé les paroles les plus touchantes et
qui produisirent la plus profonde impression. La proces-
sion se remit en marche, rentra dans la chapelle, et le Te
Deum d'actions de grâces fut chanté par tous avec de vrais
transports de reconnaissance. Dieu merci, la SociéXé de la
Croix continue à produire ici les plus heureux résultats.
Je me rappelle, M. TAumônier, que dans ma dernière
lettre, parlant d'une conversion opérée dans la mission de
Standon, je vous disais que le jeune converti d'alors expri-
mait l'espoir de voir bientôt un de ses frères partager son
bonheur. Ce beau désir est accompli ; le frère est mainte-
nant dans le sein de l'Eglise catholique.
Depuis lors j'ai eu la consolation de recevoir deux autres
abjurations, dont l'une était celle d'une mère de famille
appartenant à la secte presbytérienne. Se sentant grave-
ment malade, elle me fit appeler en toute hâte. Je fus
alors témoin de l'une de ces merveilles de la grâce divine
qui impressionne vivement et laisse dans l'âme les plus
suaves souvenirs. Cette pauvre mère, qui avait toujours
su remplir parfaitement ses devoirs, bien qu'en dehors de
la vraie Religion, se convertit sincèrement et mourut dans
les sentiments de la plus parfaite résignation à la sainte
volonté de Dieu.
Puissent les lumières de la Foi pénétrer dans toutes les
familles de ma mission qui vivent encore dans les ténèbres
du Protestantisme !
Recevez, M. l'Aumônier, etc.,
J. A. Rainville, Ptre.,
Curé de Ste. 6ermainei
RAPPORT SUR LA MISSIOxN DE L'ANSE ST. JEAN
ADRESSÉ A Mgr L'ARCHEVÊQUE DE QUÉBEC.
Monseigneur,
Pour me conformer aux désirs exprimés par Votre Gran-
deur, j'ai l'honneur de lui ofErir l'humble rapport qui suit,
sar la mission confiée à mes soins.
Si vous ne le saviez déjà, Monseigneur, je vous dirais,
en commençant, que nous sommes ici presque complète-
ment enveloppés de gigantesques montagnes et que le mis-
sionnaire de l'Anse St. Jean est condamné à une pénible
solitude. Les onze lieues qui nous séparent de la Grande
Baie d'un côté, et les neuf lieues qui nous séparent de Ta-
doussac de l'autre, m'obligent à faire un voyage à la fois
périlleux et dispendieux pour rencontrer un confrère.
A cette première croix, le missionnaire de l'Anse St.
Jean doit ajouter celle d'avoir presque continuellement
sous les yeux le spectacle de la plus grande pauvreté. Oui,
qu'ils sont pauvres, Monseigneur, les habitants de l'Anse
St Jean et du poste du Petit Saguenay ! Un bon nombre
manquent souvent du nécessaire, même de pain ! Ils ont né-
gligé la culture de la terre pour aller travailler dans les
chantiers, et le commerce languissant de ces dernières
aimées les a jetés dans une misère extrême, augmentée
par l'éloignement et le défaut de communications. Que la
volonté du Seigneur soit faite et qu'il fasse partager aux
brebis et au pasteur son calice d'amertume, pourvu que
tous en fassent leur profit pour la vie éternelle.
Mes paroissiens sont admirables de patience au milieu
des tribulations ; ils se distinguent aussi par leur respect
et leur confiance envers le missionnaire, qui est obligé de
prendre l'initiative en toutes choses. La paix qui règne
parmi eux est digne de remarque ; ils ne forment ^ qu'un
cœur et qu'une âme," comme les premiers chrétiens :
** IMtiittdinis autem credentium erat cor unum et anima una''
Peuple tranquille, s'il en fut jamais, sobre et de bonnes
mœurs. Béni soit le Dieii bon, qui répand, par cette cou-
222
duiie aimable, la consolation dans Tâme de son ministre et
lui fait oublier les ennuis de Texil.
Malgré les bonnes qualités énumérées ci-dessus, malgré
Tabsence de ces désordres marquants qui sont une source
de scandale dans une paroisse, mes ouailles ont bien aussi
quelques défauts.
C'est d'abord la négligence à payer les dettes ; et c'est
ensuite chez quelques-uns quelque chose qui ressemble à
la malhonnêteté. Si Ton fait la gaucherie de vendre à
crédit, on a toutes les peines imaginables à se faire payer^
ou plutôt, on n'y peut réussir dans certains cas. Par bon-
heur, j'ai été instruit de cette misère peu de temps après
mon arrivée dans la mission, et pendant le cours de l'année,
j'ai cru que la prudence me faisait un devoir de ne rien
vendre à crédit des effets de la Fabrique, et d'exiger sans
retard le paiement des bancs, en faisant vendre immédia-
tement ceux qui ne seraient pas payés au tetnps âxé. Six
ont dû changer de possesseur. Il reste des vieilles dettes
qui ne se paient pas : dettes envers l'église, envers les âmes
du purgatoire, dettes pour les écoles. La pauvreté est une
des causes de cet état de choses, mais la négligence et le
manque de conduite ont aussi leur part.
L'avenir s'annonce sous des couleurs plus encouragean>
tes, pour ce qui concerne les écoles. La cotisation a été
établie pendant l'année et je suis à peu près certain que les
écoles pourront fonctionner régulièrement. Il y avait plus
d'une année que la mission en [était privée ; j'ai cru devoir
y suppléer en enseignant le catéchisme aux enfants les plus
vieux et les plus arriérés.
Dans le temps pascal, j'ai visité deux chantiers, à la de-
mande de M. le grand-vicaire Racine.
Le Rév. M. Casault, de Tadoussac, est venu une fois à
l'occasion des quarante-heures, visiter le solitaire de l'Anse
S. Jean, qui lui-même a laissé trois fois dans le cours de
l'année sa solitude inaccessible.
L'établissement àê la cotisation pour les écoles, la répara-
lion de la clôture du cimetière qui menaçait ruine, et la
<;on8truction d'un solage à la chapelle qui s'enfonçait de
plus en plus dans le sol et qui, maintenant, repose sur une
223
base solide, sont les trois principales choses qui ont signalé
le passage de Tannée qui vient de s'écouler. Pour le solage
de la chapelle, j'ai fait une corvée, et Ton a répondu à
rappel avec une bonne volonté admirable. On se propose
de faire la même ehose au presbytère Tannée prochaine, si
Votre Grandeur le permet. Il est en gran(l danger de
8*écrouler, à cause de ses fondations chancelantes. Il 7
aurait d'autres réparations à faire, mais la pauvreté de mes
^ns les rend quasi-impossibles.
A mon avis, la mission de l'Anse S. Jean restera long-
temps dans le statu quo et elle se dépeuplera peut-être, si la
misère devient trop grande. Trois familles sont parties
cette année : deux pour la Baie de Mille Vaches et une
pour les Eboulements.
Ma mission compte 610 âmes dont 345 communiants et
265 non communiants.
J'ai fait cette année 30 baptêmes, 12 sépultures et 3
mariages.
En terminant, je prie Votre Grandeur de vouloir bien me
donner les avis nécessaires pour m'aider à corriger ce qu'il
y a de repréhensible parmi les gens de ma mission, et de
Y'ouloir bien me bénir ainsi que mon peuple.
Veuillez recevoir, Monseigneur, les sentiments de vénéra-
tion avec lesquels je suis,
De Votre Grandeur,
l'obéissant serviteur,
Paul Dubé, Ptrk.
RAPPORT PRÉSENTÉ A Mgr. B. A. TASCHEREAU, ARCHBVB-
QUE DE QUÉBEC, SUR LA MISSION DE NOTRE-DAME DBS
ANGES DE LA RIVIÈRE BATISGAN, POUR L'ANNÉE 1876.
SI. Ubalde, le 18 août 1876.
Monseigneur,
J'ai rhonneur de présenter à Votre Grandeur, dans le
rapport suivant, l'état de la Mission de Notre-Dame des
Anges de la Rivière Batiscan, que vous avez bien voulu
confier à mes soins. J'ai la douce espérance que ces quel-
ques lignes vous seront agréables, vu le grand intérêt que
Votre Grandeur porte au développement des nouvelle»
paroisses dans l'archidiocèse.
La Mission de Notre-Dame des Anges est à 3} lieues en-
viron de la chapelle de St. Ubalde. Elle renferme 30
familles résidentes qui donnent 126 âmes, dont 86 commu-
niants. Cet établissement n'est commencé que depuis 4
ans. Il est vrai qu'avant 1872 quelques colons y avaient
pris des lots et y avaient fait quelques défrichements, mais
personne n'y résidait encore. Ce fut le Révérend Messire
N. Bellenger, curé de Deschambault, qui fit ouvrir le pre-
mier lot. 11 le fit habiter par deux de ses frères, hommes
actifs et intelligents qui surent employer leurs ressources
à l'avancement de leurs propriétés et de la colonie en gé-
néral. Ces Messieurs ont maintenant au-delà de 100 acres
de terre en état d'excellente culture.
Us ont bâti, sur leur terre, une très- belle maison qui a»
jusqu'ici, servi de chapelle temporaire.
En outre, ils ont construit, sur la Rivière Batiscan, un
moulin à scie considérable, qui donne aux colons l'avantage
de se bâtir facilement. Près de leur moulin à scie ils ont
construit un bon moulin à farine qui sera bientôt en acti-
vité, et qui rendra les plus grands services à la nouvelle
colonie.
Le gouvernement, de son côté, active beaucoup la colo-
nisation, en faisant ouvrir des chemins à peu près partout
où le besoin s'en fait sentir.
225
A part ces eucouragements donnés par le gouvernement
et les Messieurs Bellenger, il y a eu une providence toute
spéciale pour cette Mission, dans Taide provenant des so-
ciétés de colonisation de Québec-Centre et du comté de
Portneuf, qui, depuis plusieurs années, versent leurs re-
Tenus dans notre établissement avec la plus grande libéra-
lité. Mille remerciments aux patriotiques directeurs de
ces bienfaisantes sociétés, qui ont si puissamment aidé les
colons de Notre- Dame des Anges dans leurs pénibles tra-
vaux. Gertainei^ent sans l'assistance de ces sociétés géné-
reuses, il aurait été tout-à-fait impossible de pousser avec
vigueur l'avancement de cette colonie.
La corporation archiépiscopale possède, au centre de la
mission, une belle terre de 4 acres de front sur 25 acres de
profondeur.
Sur cette terre vient d'être érigée une magnifique cha-
pelle en bois, de 56 pieds de longueur sur 40 de largeur et
22 de hauteur pour le carré, avec un bon solage en pierre.
Cet automne je ferai l'office dans cette chapelle, et l'année
prochaîne elle sera terminée à l'extérieur avec un joli
clocher.
IjO coût de cette chapelle est de $1,400.00. Cette somme
est assurée, d'abord, par un octroi de $200.00 que Votre
Grandeur a bien voulu faire accorder sur les fonds de la
Propagation de la Foi, et le reste par la générosité de quel-
ques âmes charitables. La Sainte Vierge, en l'honneur de
laquelle cet humble temple a été élevé, saura les récom-
penser au centuple pou/ les sacrifices qu'elles se sont im-
posés en faisant ces dons si précieux pour cette nouvelle
paroisse qui promet beaucoup.
Le site de cette chapelle est très beau. De l'éminence
sur laquelle elle est construite, elle domine au loin la Ri-
vière Batiscan, ainsi que le pont superbe qui traverse cette
rivière au-dessus d'une chute majestueuse, qui forme un
large bassin, après avoir précipité ces bruyantes eaux d'une
hauteur de plus de 50 pieds.
Toutes les cinq semaines je vais faire l'office dans cette
mission, et j'ai le bonheur de dire à Votre Grandeur que les
JTamilles qui la composent sont toutes bonnes et chrétien-
226
Des. Chaque fois que je me rends au milieu d'elles pour
faire les exercices religieux, je suis heureux de constater
que les colons assistent aux offices et aux instructions avec
la plus grande assiduité, et qu'ils approchent des sacre-
ments très fréquemment et avec piété. J'espère qu'à côté
de la chapelle s'élèvera bientôt un presbytère avec des dé^
pendances convenables; cardans peu d'années les côlons
de Notre Dame des Anges auront, sans doute, le moyen
d'avoir un prêtre résidant au milieu d'eux. La chq^e sera
assez facile si la mission prospère par la suite comme elle
l'a fait depuis ses commencen\ents ; et cette prospérité n'est
pas douteuse puisque cette mission renferme un sol fertile
avec une population religieuse et laborieuse.
Les colons, tout en défrichant leuis terres, ne négligent
pas celle qui sera à l'usage du prêtre qui résidera plus tard
en cet endroit ; ils ont déjà mis en état de culture plus de
douze arpents. Dans quelques années cette terre donnera
un revenu passable au futur curé qui, j'en suis certain,
sera heureux au milieu de cette bonne population de Notre-
Dame des Anges.
•J'ai l'honneur d'être,
Monseigneur,
De Votre Grandeur,
Le très-humble et
très-respectueux serviteur,
G.'Chav. de la Chevrotière,
Missionnaire.
RAPPORT SUR LA MISSION DE ST. ELEUTHERE DE
POHÉNÉGAMOOK, POUR L'ANNÉE 1876.
St. Eleuthère, 15 Septembre 1876.
Monsieur l'Aumônier,
La mission de St. Eleuthère de Pohénégamook n'offre
rien de bien remarquable cette année. Cette mission,
malgré les généreux efforts qui ont été faits depuis ses
commoncements, n'avance quo très-lentement, ce qui est
dû, je pense, avant tout à la pauvreté des colons qui sont
montés ici les premiers. Quand on est forcé de lutter
contre les besoins de chaque jour, cela indique bien peu de
ressources pour faire face aux dépenses Qu'exige le défri-
chement d'une terre nouvelle ; et c'est malheureusement
le cas pour à peu près tous les pauvres habitants de St.
Eleuthère.
Les jeunes gens des paroisses voisines manquent aussi
d'ambition pour se faire un établissement convenable, et
les parents n'encouragent pas assez leurs enfants à se ûxer \
ils aiment mieux s'exposer à les voir partir pour les Etats-
Unis, ou s'engager dans les chantiers ou pour la naviga-
tion. La vie du défricheur, pour celui qui a de la santé et
de bons bras, est pourtant enviable sous tous les rapports.
Elle est pénible, il est vrai, mais elle est pleine d'encourage-
ment pour le présent et d'espérance pour l'avenir. Si on la
compare aux autres voies dans lesquelles s'engagent la
plupart de nos jeunes gens, elle est sans contredit la plus
sûre, la plus à l'abri des dangers, pour le corps et pour
l'âme, enfin la plus méritoire et celle qui est plus selon
l'ordre de la Providence. Espérons que la main bienfai-
sante qui conduit toutes choses guérira cette triste fièvre
des voyages, détournera les jeunes gens de ces lieux où ils
vont chercher leur ruine spirituelle d'abord, et le plus sou-
-vent aussi leur ruine matérielle, en perdant leur santé et
le goût du travail de la terre.
Je dois vous faire constater, cependant, que la plaie des
voyages tend un peu à disparaître. Depuis l'année derniè-
re, une dizaine de familles sont venues s'établir ici, et il
n'y eh a que deux ou trois qui soient parties depuis la
même époque, encore je crois que c'est pour revenir avant
peu. Si nous ajoutons qu'il n'y a pas eu un seul décès à
-enregistrer cette année contre plusieurs naissances, il faudra
•oonclure à une augmentation assez sensible dans la popula-
tion.
228
Quoique le temps n'ait pas été aussi favorable au défri-
chement que Tan dernier, vu la fréquence des pluies ce
printemps et une partie de Tété, ^ui ont empêché le feu de
faire son œuvre, néanmoins plusieurs ont avancé considé-
rablement leurs terres pour l'année prochaine parce qu'ils
ont pu faire brûler, à la un d'août, une partie considérable
de leurs abattis.
Les grains ont partout bonne a4>parence et la récolte sera
aussi abondante pour le moins que l'année dernière. En
gomme, personne n'a à se plaindre ; bien au contraire tons
doivent bénir la Providence qui fait pleuvoir sur les justes
et les injustes, comme elle fait lever son soleil sur les bons
et sur les mauvais.
Quant à ce qui rejj^arde spécialement la terre de la cha-
pelle, les travaux n'ont pas été poussés avec toute la vi-
gueur désirable, 'néanmoins l'argent qui a été consacré â
ces travaux ne sera pas perdu; ceux qui n'ont pas encore
rempli leurs engagements promettent de le faire plus lard,
et ils le feront; mais il faut bien leur donner le temps de
lécolter comme il a fallu qu'ils prissent celui de semer.
Toujours est-il que j'ai pu faire semer une douzaine de
minots de grains ; et l'on en sèmera le double, si les tra-
vaux commencés ou à faire, sont unis au printemps pro-
chain.
Quoique le bien qui se fait au spirituel ne se constate pas
aussi facilement qui celui qui regarde la terre, cependant
la présence du prêtre ici est loin d'être inutile. Ce que je
remarque de plus consolant c'est l'assiduité à la messe du
dimanche, et Tabsence complète de tout désordre au moins
apparent. Peu à peu les gens prendront plus àcœitrla
grande affaire de leur salut, à mesure que les préoccupa-
tions pour la vie de chaque jour s'affaibliront, et l'on finira
par s'affectionner ici comme ailleurs aux œuvres de piété
qui sont la source de tant de bénédictions.
Je termine en remerciant cordialement les membres de
la Propagation de la Foi, des sacrifices qui ont déjà été
faits pour la chapelle et pour moi en particulier, ainsi qu'en
demandant avec le secours des prières de toute la Société
la continuation de la même généreuse assistance.
Votre très- humble et très-obéissant serviteur,
Ed. Roy, Ptrb. Mis.
MISSION DES SS. ANGES, COMTÉ DE BEAUCE.
Lettre adressée par le nouveau missionnaire au Rév, M^
Lalibertc^ aumônier de V Archevêché de Québec.
Saints Anges de la Beauce, 25 Nov. 1876.
Monsieur l'Aumonier,
Je m'acquitte enfin de la promesse que je vous ai faite
plusieurs fols de vous envoyer quelques notes sur la mission
qui m'a été confiée, il y a plus d'un an.
La mission des Saints Anges se trouve en arrière de
Sainte Marie et de Saint Joseph de la Beauce, et touche au
Nord et à l'Est au Township Frampton.
La chapelle occupe un des plus beaux sites que l'on
puisse trouver. De la hauteur oii elle est bâtie, la vue
s'étend à une très grande distance au Sud et à l'Ouest. 'Nous
découvrons au loin les églises et habitations de Saint Victor
de Tring, de Saint Frédéric, de Saint Sévérin et de Saint
Elzéar. Cette chapelle fut construite en 1872, sous la sur-
veillance du Révérend Ls. An t. Martel, curé de Saint
Joseph, qui desservait alors la mission. Elle a soixante
pieds de longueur sur trente-cinq de largeur. Il y a aussi
une petite sacristie de vingt-cinq pieds sur vingt.
Mes paroissiens n'oublieront pas de sitôt le dévouement
et la charité que le Rév. M. Martel a montrés dans l'établis-
sement de leur mission. C'est vraiment à lui qu'ils sont
en grande partie redevables des avantages qu'ils possèdent
maintenant.
En fait d'ornements et autres objets nécessaires au culte?
nous sommes assez bien pourvus grâce à la Propagation de
la Foi et aux dons généreux de certaines peisonnes chari-
tables de la mission et des paroisses voisines.
Le presbytère a trente-cinq pieds de longueur sur trente
de largeur, avec une cuisine de vingt sur vingt. C'est un
bon logement quant aux dimensions, mais nous y avons, le
premier hiver, souffert du froid. Avec la permission de
Monseigneur l'Archevêque, j'ai fait exécuter quelques répa-
rations qui l'ont rendu très confortable, et les revenus de
230
la mission quoique bien faibles, nous ont néanmoins permis
de faire face à ces dépenses.
D'après le recensement que j'ai fait en janvier dernier, il
Y a dans la mission 128 familles (cinq irlandaises), formant
une population de 836 âmes, dont 492 communiants. Cette
population est pleine de zèle et de bonne volonté : elle n'a
reculé devant aucun sacrifice pour se procurer le bonheur
d'avoir un prêtre au milieu d'elle. Aussi, très-grandes sont
les consolations du missionnaire au milieu d'un peuple si
dévoué aux intérêts de la Religion et si fidèle à ses devoirs.
J'ai l'honneur d'être,
Monsieur l'aumônier,
Votre très-humble serviteur.
D. Lemieux, Ptrr
LETTRES DE CONSTANTINOPLE.
La lulte gigantesque engagée entre la Russie et la Tur-
quie attire Tattention du monde entier; mais ce à quoi on
ne pense que très peu, c'est le sort réservé aux populations
catholiques des pays envahis par les deux armées ennemies ;
les catholiques ne sont les amis ni des Musulmans Turcs,
ni des schismatiques Russes, et malgré la neutralité dans-
laquelle ils ont voulu demeurer, les catholiques sont moles-
tés, pillés, massacrés par l'une ou l'autre des deux armées.
On ne peut se faire une idée exacte des maux qu'ont eus
et qu'ont encore à endurer ces pauvres populations catholi-
ques qui habitent les pays servant de champ de bataille aux.
deux nations ennemies.
Nous croyons donc intéresser nos lecteurs en leur pro-
curant les nouvelles fournies par les missionnaires de ces
pays.
Nous donnons des extraits de lettres de diverses dates,
■même du commencement des hostilités, aûn de mettre le
lecteur au courant des différentes phases de cette guerre
désastreuse.
LA GUEBRE SAINTE
On écrit de Gonstantinople, à la date du 4 mai 1877 :
" La guerre a éclaté. L'obstination de la Porte à repous-
ser la médiation de l'Europe et les réformes les plus élé-
mentaires vient de la jeter en présence de son ennemi sé-
culaire.
^* Les armées russes ont envahi déjà le territoire ottonoan,
et elles s'avancent sur Erzeroum. En Roumanie, elles se
concentrent entre Galatz. Ibrall et Ismaïl. Les nouvelles
de l'Arménie ne doivent pas être favorables aux Turcs,
malgré les bulletins of&ciels publiés par le ministère de la
guerre. D'après certains bruits qui circulent depuis quel-
ques jours, Erzeroum et Kars seraient investis, et l'armée
de Ahmed-Moukhtar pacha aurait subi un échec. On n'a
pas oublié que c'est ce même Ahmed-Moukhtar pacha, au*
232
trefois gouverneur d'Erzeroum, qui fit prendre d'assaut^
par ses soldats, Téglise catholique arménienne d'Erzeroum,
tandis qu'il gardait prisonnier, dans son konak, Mgr Mel-
chisédéchian.
" Un avis officiel, publié hier, suspend la loi de la presse
qui tombe ainsi sous le pouvoir discrétionnaire du gouver»
nement. On parle de la proclamation prochaine de Pétat
de siège à Gonstantinople, et Ton redoute avec raison
l'excès et les abus que les fonctionnaires militaires mulul-
mans commettront sous prétexte de loi martiale. D^autres
part, la cherté des vivres augmente de jour en jour. Un
iradé impérial défend au ministère des finances de rien
payer à qui que ce soit et d'affecter tous les revenus de
PEtat aux besoins de la guerre. Tous les musulmans de
Gonstantinople ont fait des achats d'armes, et il n'est pas
de famille musulmane qui ne possède quelques fusils sys-
tème Henry-Martins et quelques revolvers.
" Hier, le Yakîl, journal turc, a publié, sous le ti (re de " In-
vitation à la guerre sainte," un appel chaleureux aux mu-
sulmans. Dans les rues, afin d'enrôler des volontaires, on
a planté des drapeaux ottomans sur lesquels on lit des ver-
sets du Coran. Au parlement turc, à une séance tenue à
huis clos, les députés musulmans ont qualifié de " guerre
sainte " la guerre qui vient d'éclater. Quelques députés
chrétiens ayant fait observer que cette qualification porte-
rait ombrage aux chrétiens, sujets du sultan, et produirait
une fâcheuse impression sur l'Europe, la majorité a main-
tenu la qualification donnée à la guerre présente, et les
députés chrétiens qui avaient cru devoir faire des observa-
tions durent se taiie, mtimidés par le ton menaçant de la
Chambre. P'ailleurs, ceux qui connaissent à fond le jeu
de la Porte donnent le nom de comédie aux séances de ce
prétendu parlement. Le président impose au besoin sa vo-
lonté à la majorité. Dernièrement, on a décidé de rayer
du langage parlementaire les mots exotiques de " budget,
commission, octroi, etc." employés oflîciellement depuis
un demi-siècle par la Sublime Porte. C'est par l'épuration
dulangage que la Chambre a voulu commencer les réfor-
•mes.
233
" Quant au Sénat, il n'a pas encore donné signe de vie y
jusqu'ici aucune séance publique. Le sultan vient d'y
nommer un nouveau membre israélite, le docteur Castro-
bey. Il y a ainsi deux sénateurs israélites, un grégorien,
trois grecs, un bulgare, un néo schismalique arménien, et
pas un catholique.
"Damad Mahmoud pacha, beau-frère du sultan, qui dirige
actuellement les affaires de l'Etat, déploie en toute circons-
tance son hostilité contre les catholiques. Afin d'écarter
Tadoption de toute mesure qui pourrait leur être favorable,
il a placé dans le cabinet, en qualité de ministre du com-
merce, son ami Tchamith Ohannes effendi, un des princi-
paux néo-schismatiques. Il devrait se rappeler que tous
les ministres turcs qui se sont signalés dans la persécution
ont eu une triste fin.
'* Les journaux turcs de Constantinople donnent comme
terminée la défaite des Mirdites, population catholique de
TAlbanie, dont j'ai dernièrement entretenu les lecteurs du
Bulletin. Priak Doda, le chef de la Mirdite, se serait enfui
devant l'armée turque qui avait pénétré jusqu'au cœur de
la montagne, dévastant les habitations. L'église rencontrée
sur la route a été profanée ; les vases sacrés ont été empor-
tés, la croix a été insultée.
" On a destitué Yaver pacha, directeur général des télé-
graphes et dés postes. C'était, parmi les fonctionnaires chré-
tiens, presque le seul Arménien catholique. Il appartient
à la noble famille Tinghir, et sa femme est la fille de M.
David Glavany, le doyen de la colonie française de Cons-
tantinople, renommé pour sa piété et ses qualités éminentes.
Taver pacha a été remplacé par un musulman. Damad
Mahmoud pacha a voulu par là frapper l'élément catholi-
que. C'est Yaver pacha ^ui avait organisé les télégraphes
ottomans."
On écrit de Constantinople, le S juillet 1877 :
U
' ^ Le Danube est franchi par l'armée ru&se. Le premier
eflét de «étte invasion a été le massacre des habitants bol-
234
gares d'ua village voisin de Kustenjé, dans la Dobroudja»
Ce sont les Gircassiens, aidés par les bacbi-bouzouks, qui
ont commis ces atrocités ; deux cents personnes à peine
ont pu écbapper au carnage.
" Des nouvelles désolantes arrivent de l'Arménie. La
province de Van, en particulier, est actuellement le théâtre
de forfaits inouïs. Les Arméniens, leurs familles, leurs
monastères et leurs églises sont soumis à des horreurs
sans exemple dans Thistoire. Il n'est pas possible de livrer
à la publicité le récit détaillé des attentats que les Kurdes,
les Circassiens et les bachi-bouzouks eommettent dans cette
chrétienté. Un journal arménien de Constantin ople, le
Manzoumei-efldar^ ayant publié une minime partie de ces
horreurs, a été immédiatement supprimé ; et son rédacteur
en chef, traduit devant le conseil de guerre, aurait été déjà
envoyé en exil, si les influences et l'argent ne lui étaient
venus en aide. Les habitants chrétiens de Bayazid ont été
tous massacrés. Le patriarche des Arméniens grégoriens
voulait se présenter au sultan pour porter plainte ; on ne
le lui a pas permis. Aucun des coupables n'a été puni.
Les Turcs prennent un plaisir particulier à accomphr leurs
turpitudes dans les églises, sur les autels même. Les sacri-
lèges les plus révoltants y sont accomplis avec une sauva-
gerie incroyable. PJus les Russes avancent, plus la crain-
te des massacres augmente.
'* Pour atténuer l'impression fâcheuse de ces crimes, la
Porte publie sans cesse des récits de cruautés commises
par les Russes dans le Concase. Quand elles seraient vraies,
elles ne justifient pas le gouvernement turc qui a encoura-
gé tous les excès, en les laissant impunis et en récompen-
sant même leurs auteurs. Safvet-pacha, ministre des affai-
res étrangères, pressé par la plupart des ambassades, a
donné à entendre que le gouvernement est impuissant à
réprimer ces brigandages. Triste aveu et présage trop
certain de désastres à venir. Les musulmans ont été telle-
ment fanatisés que, pour eux, c'est la guerre d'extermina-
tion des chrétiens.
Il y a déjà assez longtemps les manœuvres odieuses
furent employées par la Porte pour abattre la
235
Mirdite. Dernièrement on a amené ici quelques prison-
niers mirdites ; parmi eux se trouvent le fils du capitaine
Marco et Taumônier du prince, M. Tabbé Primo Dochi,
ïlève du collège de la Propagande, à Rome, à peine âgé
Le vingt-huit à trente ans. Tous ont été écroués aux pri-
sons du ministère de la police, à Stamboul. Des démar-
ches ont été faites pour délivrer au moins Pabbé Dochi.
On a eu recours à plusieurs influences. Mgr Azarian,
Ticaire général de S. B. Mgr fiassoun, a parlé au grand-
Yizir et à Safvet pacha ; il s'est même porté garant pour le
-prêtre incarcéré. Safvet pacha, suivant son habitude, s'est
montré disposé à relâcher le prisonnier ^^ en considération
de la conduite correcte des catholiques de la Bosnie et de
l'Herzégovine." Mais jusqu'ici ses bonnes dispositions n'ont
eu aucun résultat. L'abbé Dochi languit dans les prisons
de Mehterhané, et Ton sait ce que sont les prisons turques.
Djeved pacha, ministre de l'intérieur, qui a parcouru toute
l'Albanie et qui connaît aussi la valeur de la Mirdite, s'op-
pose, dit-on, à l'élargissement de M. Dochi. Il voudrait dé
truire la Mirdite et la musulmaniser.
" Quant au Monténégro, les Tures le représentent déjà
comme anéanti, et la presse ottomane propose pour vali
(gouverneur général) de cette principauté vaincue l'un des
généraux musulmans qui l'ont envahie. Maiâ les nouvelles
les plus sûres montrent que la victoire des armées turques
au Monl^enegro n'est pas encore complète.
IIL
*' Les nouvelles des diocèses d'Artvin, d'Erzeroum, de
Trèbizonde et de Karpouth, exposés aux horreurs de la
guerre, sont désolantes. Les missionnaires arméniens
catholiques, pleins de zèle et de dévouement, ne cessent
d'inspirer du courage aux populations. Les hordes sau-
Tages auxquelles ces pays sont livrés n'épargnent que ceux
qui embrassent l'islamisme.
'' Les édits firmans, ordres émané.s de la Porte, et les
télégrammes, expédiés par les généraux des armées turques,
parlent de l'exaltation de l'islamisme et de l'aide du Pro-
phète pour le triomphe des armées. Le sultant lui-même,.
236
dans tous ses télégâmmes aux généraux, insiste particuliè-
rement sur la confiance qu'ils doivent placer en Mahomet,
pour faire triompher l'islamisme. Ainsi, le caractère de la
guerre se dessine de plus en plus nettement, et les craintes
de massacres se multiplient en proportion.
^^ Dans toute l'étendue du théâtre de la guerre en Asie,
c'est rÉglise arménienne qui aura le plus à souffrir. Mgr
Melchirédedinam, l'intrépide évêque d'Erzeroum, réside au
cœur de l'Arménie, sur le haut plateau de cette région deve-
nu le point de mire de l'expédition russe. En effet, les trois
colonnes de l'armée russe d'Asie convergent vers Erzeroum.
Quel sort est réservé à cet éminent prélat? Après lui avoir
pris tous ses revenus, les autorités locales ne cessent de lui
demander des secours pour l'armée turque. Les commissa-
riats de l'amée emportent, sans rien payer, le blé, la farine
et toute sorte de vivres que les villageois arméniens conser-
vaient pour eux-mêmes.
*^ Malgré toutes ces calamités, le jubilé épiscopal du Saint-
Père a été célébré, à Gonstantinople, comme dans toutes
les églises arméniennes de l'intérieur, avec un éclat extra-
ordinaire. Tous les archevêques et évoques suffragants ont
fait Ure d'excellentes lettres pastorales ; des prières ont été
récitées, et des lettres collectives ont été adressées au Saint-
Père.
'' Le présent de Mgr. Hassoun au Pape a été très-gracieu-
sement agréé. Sa Sainteté a plus d'une fois loué la beauté
de cet objet qui consiste en une tabatière en or, faite à l'hô
tel de la Monnaie de Gonstantinople, ornée de miniatures
^i enrichie de diamants. La tabatière et sa boîte étaient
renfermées dans un sac en satin brodé d'or par les Sœurs
arméniennes de l'Immaculée Conception. Cette broderie,
d'une i: liesse lorA ---p-' 'n et d'un éclat meî'Vi : /;:!':. por-
tait l'inscription dédicaloire de la comniu:îau'i> avrir' venue
catholique. Le Saint-Père a daigné exprimer sa satisfac-
tion à M. l'abbé Ferahîan, procureur de Mgr. Hassoun à
Rome, en lui disant : " — Merci à Mgr. Hassonn pour son
magnifique présent."
" On voit que plus les souffrances et les tribulations d$
l'Église armémienne augmentent, plus sa foi se rafferoiit
237
>et son dévouement à la chaire de saint Pierre éclate.
Otte petite Église, assaillie par toute sorte de persécutions,
d'attaques, de calamités et de désastres, au milieu des infi-
dèles, des hérétiques et des schismatiques vieux ou nou-
veaux, demeure toujours inébranlable.
Oq écrit ae Constantinople, le 8 août 1877 :
IV
" Les nouvelles qui nous arrivent des provinces exposées
aux horreurs de la guerre, soit en Houmélie et en Bulgarie,
soit en Arménie, sont de plus en plus désolantes.
^' En Arménie, dès que l'armée russse eut commencé son
mouvement de retraite, les hordes des Gircassiéns, des
Kurdes et des bachi-bouzoucks envahirent les pays évacués
et traitèrent les habitants chrétiens en véritables rebelles,
les accusant d'avoir fait bon accueil aux troupes russes.
Dans le district de Pasin et d'Atachgherd (province d'Er-
zeroum), la plupart des villages arméniens ne présentent
plus qu'un monceau de ruines. A Artvin, siège d'uu évo-
que arménien catholique, les bachi-bouzoucks ont plus
d'une fois tenté d'envahir l'église pour se ruer sur les
femmes. Ils ont maltraité un des vicaires qui leur avait
fait des remontrances. On a été obligé de fermer l'église
et d'interrompre le culte public. A Ardanoudj, le sous-
gouverneur, aussitôt après la retraite des Russes, a fait
appeler le curé, l'a soufQeté et l'a jeté en prison, sous pré^
texte que, à l'entrée des Russes, il s'était présenté à leur
commandant. Aussi 3,000 familles arméniennes des dis-
tricts de Paein et d'Atachgherd, pour ne pas être massa
crées par les Kurdes et les Circassiens, ont-elles suivi dans
sa retraite l'armée du général Der Goughasof.
Quant à la Roumélie et à la Bulgarie, ces deux provinces
ne sont, pour ainsi dire, qu'un vaste champ de carnage.
L'élément turc et l'élément bulgare y sont aux prises avec
un tel acharnement, qu'ils semblent menacés l'un et l'autre
d'une destruction totale.
La guerre actuelle prend de plus en plus le caractère
d'une guerre purement religieuse. Deux cents cheiks.
238
gardiens du tombeau du prophète, ont apporté dernière-
ment un drapeau que le gouvernement a fait exposer dans
la mosquée de Suleï-maniyé, à Stamboul. Un avis officiel^
publié dans les journaux turcs, dit que tout musulman, qui
a souci du salut de son âme et de Texaltation de l'isla-
misme, doit se rendre sous ce drapeau, y prier, et donner
son nom comme volontaire. Depuis que la guerre a pris
des proportions graves, des avis émanés du cheik-ul-islun
(département du culte islamique) invitent les populations
musulmanes à assister aux prières qui, chaque jour, se font
dans une mosquée différente. Ces prières sont suivies de
discours guerriers où Ton explique les versets du Coran
relatifs au ghaza (guerre sainte). A Stamboul, à Péra, à
Galata et dans tout le Bosphore, pour enrôler des volon-
taires, on promène, au son du tambour et du gouma (sorte
de fifre), des drapeaux sur lesquels sout inscrits des versets
du Coran.
Un article d'une grande importance, inspiré sans doute
par la S. Porte, a paru dans le journal turc le Vakit^ organe
des Osmanlis. Il dit que le gouvernement ottoman n'a
qu'un tort, c'est de professer la religion islamique. Il dit
que la guerre actuelle n'est ni russo turque, ni turco-slave,
mais qu'elle est exclusivement islamico-chrétienne. Pour
s'opposer au panchristianisme, il faut constituer le panisla-
misme. Le Yahit fait donc appel aux populations musul-
manes du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie, de l'Egypte,
de la Perse, de l'Asie centrale et des Injes.
Il est certain toutefois que la haine des Turcs se dirige
principalement et immédiatement contre les Bulgares. Cha-
que jour, des centaines de ces malheureux, amenés par le
chemin de fer comme espions et rebelles, sont mis à mort.
En Roumélie et en Bulgarie, les représailles sont formi>
dables.
Ces horreurs ont fini par causer dans la capitale une cer-
taine appréhension. On craint le pillage, l'incendie et
môme le massacre. Les Circassiens, les zeïbecks (volon-
taires), les bachi-bouzouks sont tout disposés à ces forfaits
par la perspective d'un opulent pillage. Un grand nom-
bre de familles ont quitté Coustantinople et se sont ren-
239
dues en Grèce ou en Italie ; les autres, pour s'éloigner le
plus possible des quartiers musulmans, se sont portées dans
les îles des Princes. On est peu armé et l'inquiétude est
générale. Les optimistes eux-mêmes croient que les hor-
des de Circassiens, de zeïbeks et de bachi-bouzouks, dont
un certain nombre se trouvent toujours ici, peuvent en
une nuit [mettre le feu dans plusieurs faubourgs chréti-
ens de la capitale et du Bosphore, où la plup irt des mai-
sons sont en bois. L'incendie, allumé sur plusieurs points
•et attisé par un vent violent, jetterait la confusion, et le
-sauve-qui-peut serait suivi de pillage et de massacres. Les
esprits sont tellement surexcités que le plus léger prétexte
peut provoquer d'effroyables catastrophes. Les commu
nautés chrétiennes fourniraient volontiers leur part à la
formation d'une gendarmerie mixte assez forte pour pro-
téger la capitale contre toute émeute intérieure. Mais le
gouvernement ne s'y est pas encore décidé.
" Les Turcs sont résolus à continuer la guerre à ou-
trance ; ils ne veulent céder devant aucune épreuve ni
accepter aucune médiation ; l'entrainement est généraL
Le gouvernement a appelé sous les drapeaux le troisième
ban des moustafises. De tous côlés de nombreux soldats
arrivent sans murmurer ; des corps de volontaires se for-
ment aussi en grand nombre. Un article de fond, publié
avant- hier dans le Vakit^ rejette toute idée de conciliation.
Il déclare que l'islam vaincra ou combattra jusqu'à la mort
du dernier croyant.
La chute de Safvet pacha, ministre des affaires étran-
gères, peut avoir de fâcheuses conséquences pour l'Eglise
arménienne. Sans être complètement juste envers les ca-
tholiques, Safvet pacha comprenait au moins que le gou-
vernement turc avait intérêt à les protéger. Ainsi, il a
montré, surtout ces deux dernières années, une certaine
bienveillance pour les catholiques en général et pour les
catholiques arméniens en particulier. Il a sensiblement
soulagé leurs souffrances et réparé quelques injustices
^rtielles. S'il n'a pas rendu justice entière, s'il n'a pas
240
sapprimé le kupélianisme, il rattribuait à certaines protec-
tions dont cette secte jouirait encore. Ses déclaratioas
étaient très-nettes, ses promesses très-séduisantes, mais se»
actes n'ont pas répondu à l'attente des catholiques. Néan-
moins les catholiques, et en particulier les Arméniens,,
regretteront beaucoup cet homme d'Etat
Nous avons déjà dit un mot au sujet des troubles
qui avaient éclaté dans la Mirdite, et nous avons dit
que, parmi les prisonniers envoyés à Gonstantinople, se
trouvait un jeune prêtre, l'abbé Primo Dochi, aumônier
du prince Bib-Derda de la Mirdite. Derviche Pacha, Ten-
nemi acharné des Mirdites, l'auteur et le provqcateur des
troubles qu'il quali&a d'insurrection dans le but d'envahir
la montagne, a fait parvenir au gouvernement un rapport
très-défavorable à M. Primo Dochi écroué avec ses cinq
compatriotes dans les prisons de Stamboul. Il était bien
difficile de délivrer ce prêtre, surtout sous le régime de la
loi martiale. Safvet pacha, cédant aux prières qu'on lui avait
adressées et désirant faire quelque chose d'agréable aux
catholiques, a fait élargir M. Primo Dochi sous la condition
qu'il se rendrait à Rome, aân que sa présence à Constan-
tinople ou en Albanie ne pût servir de prétexte à ses enne-
mis. Sur un billet de Safvet pacha, le ministre de la police
a donc remis le prisonnier à Mgr. Azarian qui, le lende-
main même, l'a fait embarquer pour Rome.
NOTE ÉDITORIALE.
La notice biographique de feu M. A. Mailloux, que nous-
donnons plus haut, est extraite du journal ^^ Le Canadien'^
bv
1 :-.?i
c>
A.3srisrA.XjEs
DB ZiA
JPOXTB IiA TROVINCB DS QUEBEC
(NOnVJBSIiliSS SERIE.)
QUATRIÈME NUMÉRO, FÉVRIER 1878.
1
PAG M.
COMPTES-RExVDUS DE L'ŒUVRK POUR L'ANN^K 1877:
I Québec 3
II Montréal 7
ni Trois-Uiviôres 10
IV St. riyacinthe 12
DIOCÈSE DE MONTREAL— Mission de M^intawa 13
ISLE DE VANCOUVER 16
COLOMBIE ANGLAISE '21
DIOCÈSE DE ST. ALBERT.— (Norl-Gaest) ^26
CHINE ^^
OTÈANIE nistoire d'une Colùiiio (chrétienne 55
HISTOIRE DE PIE IX, SA VIK ET SA MORT 65
MOKTIlEAl, :
DES PRESSES A VAPEUR DE J. A. PLINGUET,
39, RUE ST. JEAN-BAPTISTE.
1878
t
ANNALES
* DS UL
PROPAGATION DE LA FOI
POUR LA PROVINCE DE QUEBEC
FÉVBIEB 187a
(NOUVELLE SERIE>
QUATRIÈME NUMÉEQ.
JdOJfTIiEJiL :
DES PRESSES A VAPEUR DE J. A. PLINGUET^
89, KVE ST. JSAIf-BAFTISn. ,
1878
J
Permis d'imprimer,
-|- Edouaed Gh. Sv. de Montréal
COMPTES-EENDUS.
DIOCÈSE DE QUÉBEC.
"Elai des recettes de FŒuvre de la Propagation de la Foi^ dam
le diocèse de Québec^ pour Vannée 1877.
(kVeme année.)
ViLLB DK Québec.
302 00
10 00
9 00
15 00
27 75
37 00
34 15
6 00
5 00
447 90
Basilique $
Archevêché . . . • ,
Grand Séminaire. •
Petit Séminaire
Hôtel-Dieu
Bames Ursulines
HôpiUl-Général
ScBurs de la Charité
Sœurs du Bon Pasteur. . • .
Porté $
Rapporté $
AgapitSt
Agathe Ste
Agnès Ste
Alban St
Alexandre St
Alexis St
Alphonse St
Ambroise St
Anastasie Ste
Ancienne- Lorette
André St
Ange-Gardien ..••
Anges Sj3. delaBeauce.,
Anne Ste. de Beaupré . • • •
Anne Ste. de Lapooatière.
Anne Ste. du Saguenay...
Anselme St. ••• •
Anse St. Jean
Antoine St
Antonin St
Porté S 2609 30
Rapporté % 447 9a
St. Patrick 74 00
Faubourg St. Jean 317 20
St. Roch 616 00
St. Sauveur 335 00
Soldats 5 15
Asile des Aliénés •.. 10 00
Collège de Ste. Anne. • • • . 8 00
Porté $ 1813 25:
Campagnes.
1813 25
30 00
44 50
13 00
28 15
19 00
5 20
5 00
76 00
78 00
22 30
169 50
54 50
120 00
68 00
3 00
56 00
3 70
Rapporté $
Apollinaire St
Aubert St
Augustin St
BdieSt. Paul
Basile St
Beaumont
Beauport ••.:....
Bernard St .•••.
Berthier •
Broughton •
Cajétan St. d'Armagh....
Calixte St. de Somerset. . .
Cap-Santé
Gap St. Ignace..
Casimir St •
Catherine Ste
Charles St
Charlesbourg •
ChAteau-Ricber.
Cbicoutimi . . • • •
Porté $ 3909 95-
2609 30
20 40
7 00'
221 50^
27 00
54 35
471 00
30 50
15 OO
20 00
97 10
94 30
24 oa
95 00
64 50
7 06
52 00
.t
Rapporté $
Glaire Ste
GômeSt
Croix Sle
Cyrille 8t
David St. deTAube-Riv...
Denis 8t
Deschambault
Dominique St
Eboulements . . • •
Ecureuils
Bdouard St. de Prampton.
âdouard St. de Lotbinlère.
Eleuthère St
ElzéarSt
Emmélie Ste
Ephrem St • • • •
EscoumaiDS
Etienne St. de Lauzon....
Evariste 8t
Famille Ste
Félix St. du Cap-Rouge..*
Ferdinand Si ^ « •
Ferréol St
Fidèle St ^*».
Flavien St
FoyeSte
François St. de la Beauce.
François St. Isle d'Orléans.
François, St. Riv. du Sud.
1?rédéric St
Fulgence St
Georges S.«.««« ••.•••■••
Germaine Ste. et St I^on.
(rervais St
ailles St
Grondines
Hébert ville
Hélène Ste
HénédineSto
Henri St
HilarionSt
Honoré St. ...•
iQverness
Irénée St . . • • •
Isidore St
Isle-aux-Goudres.. .......
Isle-aur-Grues
Islet et St Eugène
Jean-Chrysostôme St...««
Jean St. Deschaillons
Jean St Isle d'Orléans.. .
JeanSt Port-Joly
Jeanne Ste....
3909 95
79 90
5 00
19 00
30 00
44 00
8 00
27 00
53 00
22 00
60 00
12 00
3 00
32 00
il 80
4 00
30 00
47 40
6 25
32 65-
43 70
56 00
49 00
37 10
16 75
10 60
67 40
9 00
7 00
51 50
69 30
43 30
140 00
23 00
58 90
200 00
43 00
45 15
Ropporté «9
Jérôme St . ,
Joachim St
Joseph St. do la Beauce..
Joseph St de Lévis
Julie Bte
Justine Ste
Kamouraska •
Lambert St
Laurent St
Laval ...•..•. ••••
Lazare St
Lotbmière
Louis St. de Métab •
Louise Ste •
Magloire St
Malachie St, ..*•••• •
Malbaie •
Marguerite Ste. • • • •
Marie Ste
Michel St
Mont-Carmel
Narcisse St.
Nicolas St
N. D. deBuckland
N. D. du Lac St Jean. ...
N. D. de Laterrière
N.D. de Lévis
N. D. du PorUge
OnésimeSt
Pac6me St « . •
Paschal St •
Patrice St deBeaurivage.
Paul St. de Mille-Vaches.
Paul St. de Montminy ....
Peqpétue Ste
Petite-Rivière
Pétroniire Ste
PhillippeSt deNéri
Pierre St. Isle d'Orléans..
Pierre St. Riv. du Sud ....
Pointe-aux-Trembles
Portneuf . . • • • • • •
Prime St
Raphaël Bt '.
Raymond St
Rivière-du-Loup
Rivière-Ouelle
Roch St.des Aulaets.....
Romuald St
Sacré Cœur de Jésïïs. . . . .
Sébastieh St ','
SévérinSt;
Sillery.:
5407 fô
14 oa
42 OQ
55 05
100 00
31 36
200
50 00
29 OO
108 00
6 00
32 80
43 OO
5 OO
3 OO
45 00
6 00
il 60
44 40
400
46 50
3 20
15 75
353 00
10 00
74 00
Porté % 5407 65
4 15
36 00
15 00
121 00
30 OO
81 40
38 OO
22 OO
43 00
26 30
It 65
45 20
29 00
14 OO
13 00
2J 00
Porté $ 7098 OO
Bapporté $ 7098 00
"Simèon Bt
Sophie Ste 9 40
StoDeham..,
BylTeatreet. 33 3d
Tadoussac • 5 00
Thomas Bt.... 117 60
Tite Bt
Rapporté $ 7263 ib
Ubalde Bt ••
Urbain Bt 10 09
Valcartier 2 00
ValierSt 64 15
VictorSt 7 00
ViUlSt. deL.afi9J)ton..«*
Porté $ 7263 45
Montant de la recette des paroisses. $7346 60
Dons et intérêts 344 50
Total de la recette de 1877 $7691
Etat des sommes allouées par le Conseil de la Propagation de
la FoiTà Québec^ pour Vannée commençant le \er Octobre
1877 et finissant le ier Octobre 1878
An Conseil de Lyon eq France (arrérages) $ 980 CO
Montant mis à la disposition de Mgr. TArcheTÔque. • • • 1200 00
Pour la publication des Annales. ... • 450 00
Pour vases sacrés, ornements^ pierres d'autels, etc.. ^. • 800 00
Missions du Bt. Haurice •• 400 OO
Missions des Naskapis, Baie d'âudson 600 OO
Mission (le la Qrosse-Isle (Quarantaine). ••,.., 50 00
CUiapelle de Oosford 100 OO
<< des Sept Crans... 100 00
" de St. Cassien des Caps ^.. 100 OO
•< deBt. Joseph, Isie d'Alma 100 00
" deSt. Prime 100 OO
'* deSt. Adrien d*Ireland 100 OO
" deK. D. de Lourdes de MégaaUc 100 OO
" d'Invemees 75 OO
Povr une terre a B. Samuel du Lac Drôle t 25 OO
Pour une terre à Invemess.... • 100 OO
Presbytère du 6. G. de Jésus 50 OO
Presbytère du S. G. de Marie 50 00
Miasioiuiaire de Bt. Ulbade, etc 80 00
" de Valcartier 120 00
" deStoneham *. 100 00
" de Laval 100 00
" de St. Cassien 25 OO
" de la Ste. Trinité de Baies 25 00
" de8t.8iméon, etc 75 00
^* de Tadoussac, etc 200 00
de St. Paul de Mille-Vaches 100 00
" de l'Anse Bt. Jean 150 00
" de St. Fuîgence, etc 200 00
de'Bt. Gédéon 25 00
'* de;;st. Joseph d' Aima 25 00
-" deSt.Prime 150 00
PoryjJ .• % 6855 00
Rapporté $ 6855 W
Jfissionnairô de St. Plôfre-Baptiste 25 oa
deN.D. de Lourdes. 25 Oa
" deSt. Adrien 25 00
«< deSte.Anastasie..... 100 00
dlnvértiess 120 00
« deSte. Justine 180 00
de Bt. Malachie 50 00
'' des SS. Anges 50 00
" deSt. Damien 25 00
" de Bt. Paul de Montminy, etc 120 00
dé St. Magloire. . ; 120 00
« deSte. Perpétue, etc 2O0 00
« de St. Eleulhère 200 00
AMgr Racine, pour "la Patrie" 100 00
Montant aUoué 98195 00
«
RÉSUMÉ :
Total de la recette de 1877 97691 10
Bn caisse de Tan dernier 95508^
^ Total .' 913200 W
Montant alloué pour 1877-78 8195 00
Reste en caisse. ••••. .\ 95005 00
NAP. LALIBERTÉ, Ptre., Triiorier.
29 Décembre î 877.
•s
Recettes entrées après la clôture des comptes,
Bt. Paschal (balance) *9 36 35
8t. Edouard de Prampton 4 75
8t. Cyrille 4 OO
8t Ubalde 4 OO
8te. Anastasie • 2 OO
6t, Frédéric 19 OO
8t. Basile :... 25 OO
8t. Sylvestre (balance)... • 4 30
Invemess *. ••• .. 6 OO
8t. Ferdinand , 10 OQ
8t. Flavien 18 00
St. Ferréol 8 00
N.D. du Portage 9 00
Cap-Santé 35 29
iSte. Perpétue , ♦ 2 00
9187 60
DIOCÉBE DE MONTRÉAL.
^AT DB8 RBCETTB6 BT DÉPENSES DURANT L'ANNÉB 1877.
Argent en mains au 31 décembre 1876, pour faire face aiur
dépenses de \671 $6140 68.
Dépenses.
€te. Maguerite....
St Donat •
St Michel des SS....
StCallixte
Ormstown
St. Anastasie
St Hyppolite
Ste. Sophie
St. Côme
St Damieo
Ste« Emélie
Œuvre des Taberna-
cles
Hinchinhrooke
RawdoD
âte. Julienne
240 00
560 00
300 QO
75 00
100 00
335 00
400 00
170 00
350 00
230 00
400 00
165 00
200 00
IQO 00
75 00
Porté... $3700 OÔ
Rapporté $3700 OO
Ste. Béatrice 100 00
Sœurs de Madawaska 160 00
00
00
Piopohs 200
Chertsey 200
Dundee 100 00
St Colomban 150 00
B. Alphonse 100 Otf
Oblats 800 00
Caughnowaga 200 OO
Ste. Lucie 10 OO
transport de livres. 8 87
Frais de transport.. 9 7S
Annales 323 3S
Reliquaire 4 25
Pierres sacrées 11 OO
$60^7 22
Avoir A $6140 6ft
Dépenses 6077 ?2
Balance $ 63 4^
8
RSGBTTES DURXNT L 'ANNÉE 1877.
ruie.
N.D. de Montréal $ 435 90
St. Pierre 310 23
N.-D. de Grâce, 1876 et 1877 186 00
Cathédrale • 132 50
St. Jacques 99 25
Hôpital Gténéral 40 99
HôtelDieii 37 30
Coteau St. Louis 30 27
Collège de Montréal 25 00^
Grand Séminaire 16 60
Aveugles de Nazareth .' « 2 60
Sacré-Cœur 1 50
Legs de M. Goujon. N.-D. de Grâces 200 00
Intérêt du legs de feu M. O Berthelot., 240 00-
** " " Dame A. LaRocque 120 00*
" " " M. McKay 24 Ofr
^ *' '' " M. Beaudry 8 10»
•1,910 15
Campagnes.
L'Epiphanie, 1876 et
1877 ....$
L' Assom ption
Ste. Rose
Verchères
Boucherville
St. Roch
Ile iVipas
St. Isidore
Terre bonne
St. Henri de Mat-
couche •
Berlhier
6t. Rémi
..•.•• ■•..•..••
Longusail
Laprairie
St. Alexis.....
St. Lin
Ste.Anne des Plaines
178 50
162 67
130 85
121 56
118 38t
103 50
90 00
89 00
76 50
73 00
72 53
69 00
66 70
66 20
64 38
63 00
64 00
Rapporté $1609 77
Lachenaier(l) 55 32^
St Louis Gonzague.. 52 55
Lavaltrie 45 67
St. Barthélemi 43 00
Ste. Elisabeth 43 00
SkCyprian 41 64
St. Joseph de Lanor.. 4t 00
Sault-au-RécoUet ....
Contrecœur
St Bruno
Lachine
Joliette
Jos. Leduc, legs Ga..
bureau 33 3&
St. Thomas.
St. Paul de Joliette..
GoII.de l'Assomption
38 02
36 00
84.00
34 00
33 75
31 SO
31 00
30 00
St. Esprit., 28 00
Porté «1609 77 Porté
(1) T comprit la legs da D»Ue Ifnnro, $35.
«2260 58
9
Rapporté $2260 58
BeauharnoiB 27 62
St. Michel 25 05
St. Etienne 25 00
SUSulpice 24 00
St.Clet 21 50
Repentigny 20 39
Coteau du Lac 20 00
St. Eustache 17 10
St.Timothée 16 50
Longue-Pointe 15 15
Chambly 14 25
St. Ambroise 13 35
Rivière-des-Prairies 13 10
St. Jacques Mineur.. 12 83
St. Zotique 12 50
St. Urbain 12 00
Ste. Thérèse 12 00
St. Paul l'Ermite 11 00
St.Laurent 11 00
St. Hubert 11 00
Couv. de Longueuil. 10 50
Porté $2606 42
Rapporté $2606 4?
Ste. Julie " 10 tfO
Ste. Mélanie 10 00
Ghateauguay 10 00
Ste. Julienne 9 97
St. Calixte 9 26
St. Sauveur 8 00
lies Cèdres 7 00
St. Constant 6 50
Ste. Adèle 6 20
Ste. Marguerite ^ 5 90
St. Télesphore 5 63
Chertsey 5 00
St. Félix de Valois... 5 00
Ste. Scholastique 4 OO
Ste. Dorothée 3 50
StMalachie 3 00
îleBizard 3 00
Ste. Béatrice 3 00
Ste. Agathe 1 09
St. Damien 0 90
Pointe Claire 0 44
$2723 80
RÉCAPITDLATION.
Recettes de la ville $1910 15
" des campagnes 2723 80
Intérêts 103 30
Balance du dernier exercice 63 46
Porté en trop à l'allocation d'Ormslown en 1876... 71 00
Si caisse au 31 Dec. 1877 pour les besoins de 1878...$4871 71
DIOCÈSE DES TROIS-RIVIÈRES.
Reeettes de la Propagation de la Foi pour l'année 1877.
8te. Monique $ 245 OOl
Troi3-Rivières 170 57
Xa Baie du Febvre 1 39 00
Hhière^u-Loup 1 23 08
fil. Christophe 92 85'
fit. Léon 85 00
Yamachiche 83 50
Nicolet 80 45
8te. Anne de Lapérade. . , 75 QO
fit. Grégoire 72 00
'St. Thomas «......- 57l6
fit. Guillaume 57 00
Champlain • 55 25
Warwick 49 00
Ste. Gertrude 45 00
Bécancourt ••••. 37 65
St. Justin 37 50
8t. Maurice 33 60
St. Zéphirin 33 00
Centilly 32 26
Batiscan 32 00
St. Stanislas 32 00
Ste. Angèle 31 51
St. Pierre les Becquets., . 29 50
St. François du Lac 29 00
St.l>rosper 29 «0
fit Norbert 26 90
fit. Cyrille 24 25
fit. Michel 24 00
fit. Barnabe 24 00
Durham 23 37
St. Bona venture 20 45
St. Boniface 17 70
Stanfold 14 00
St. Didace 12 00
St. Narcisse tl 87
fit. Sévère 11 40
Porté $ 1995 82
Rapporté $
St. Léonard...
Mont Carmel
Séminaire de Nicolet
Ste. Hélène
St. Etienne
St. Pie
Tingwick ,
St. Théodore
St.Yalère
Ste. Sophie :
Orummond ville
Ste. Victoire
St. André o..
St. Louis de Blandford.. . .
Maskinnongé. • •
St. David
Pointe du Lac. . •
Ste. Ursule
St. Paul
St. Célestin
Ste. Geneviève
Cap de la Madeleine
St. Tite
St. Luc
Ste. Flore
St. Elle
St. Paulin
St. Alexis
Ste. Glothide
Kingsey
St. Brigitte
Ste. Perpétue
St. Fulgence «
St. Jean
St. Wenceslas ..••••••••
1996 8?
10 0»
9 70
9 36
8 00
7 53
7 25
6 25
5 05
5 00
4 75
1 40
1 30
1 00
0 86
$2074 2r
11
Appropriation des recettes de 1877.
^. Mgr. rEvèqne de Sherbrooke $400 00
Mission de Tlsle à la Crosse, aa Nord, Ouest • ;. 100 00
Mission du St Maurice, pour chapelle ««^. 60 00
Chapelle des Abénaquis, St. Thomas 100 00
Au Curé de Ste. Victoire d'Arthabaska 100 00
" *' Ste. Eulalie 100 00
*• " St. Jean de Wickham 100 00
" St. Elle 100 00
" " St. Louis de Biandford 80 00
" «' St. Paul de Chester 80 00
'« St. Alexis 80 00
" St. Albert i... 80 00
"■ Ste. Clothide 80 00
" '« Ste. Sophie de Léonard , 50 00
" *• Ste. Angèle de Laval 25 00
A la mission de Kingsay Falls 25 00
" • ** derislet 25 00
A M. Yervais, ancien missionnaire 20 00
Annales de la Propagation de la Foi. 125 00
Impressions du diocèse r 125 00
Voyages « 75 OO
Divers : pierres d'autels, effets pour missions, escompte, etc., etc. 1 38 22
$2068 22
Balance en Caisse 6 06
$2074 27
DIOCÈSE DB ST. HYACINTHE.
Recettes de la Propagation de la Foi pour 1877.
fit. Antoine , $ 135 00
8t. Denis 120 00
Sorel 100 00
Bt. Hyacinthe 9i 50
fit. Aimé 82 00
Belœil 78 00
St. Césaire 77 00
St. Ours 70 00
St. Sébastien 65 50
Ste. Marie 64 00
8t . Jean-Baptiste 50 00
St. Grégoire... , 47 00
fite. Bosalio 45 00
N. D. de St. Hyacinthe.. 43 00
St. Alexandre 41 22
St. Simon 37 00
St. Dominique. « 35 65
St. Roch 35 50
Stanbridge 35 20
St. Marc 31 45
St. Hugues , 28 60
St. Pie 28 14
St. Athanase 27 00
N. D. du Richelieu 26 00
St. Robert... 24 40
Rapporté $1418 1^
24 00
22 Oa
21 25
20 00
18 25
Porté $1418 16
St. Mathias
St. Charles
St. HUaire
Roxton....
St. Marcel.
St. Théodore^ , 18 00
St. Damase - 17 40
St. Jude 17 00
Milton 16 50
Laprésentation 14 14
St. Georges 13 50
St. Barnabe . . ,
Ste. Madeleine.
Upton
St. Joaohim...
St. Paul......
Ste. Bridgide^.
Granby
Ste. Hélène...
Dunham .......
Adamsville..,.
Ste. Victoire...
St. Valérien. . . .
Ste. Angèle...
l
13 00
12 15
10 00
8 00
7 92
6 83
5 35
5 10
5 00
4 75
4 50
4 00
3 77
Total $1710 57
Dépenses.
Annales.... ;.. $ 55 25
Impressions 97 50
Visite pastorale • ••.••• 11 50
Objets de Culte 80 45
Bglises des Missions • 200 09
An Diocèse de Sherbrooke..,. 1241 50'
ToUl $168^20
J, A. GRAYEL, T. O. Jke.
DIOCESE DE MONTREAL.
Saint Mighbl des Saints^ Mantawa, It janTier 1878.
A Monsieur Edmond Moreau, Ghan. Directeur de la Pro>
pagation de la Foi, Evéché de Montréal.
I
Monsieur,
J'ai reçu votre lettre (circulaire) du 15 décembre dernier.
Elle ne m'a été délivrée qu'au commencement de janvier-
Nous avons la malle une seule fois la semaine, et il fau t
que les lettres soient à Joliette le undi, autrement elles
restent là jusqu'au lundi suivant. Ceci vous explique le
retard de la vôtre. Le postillon ne restant ici que quelques
heures, il m'a été impossible de répondre à vos différentes
questions par le retour de la malle.
Je vous remercie beaucoup d'avoir mis à exécution le
nouveau mode d'administration des deniers de TCEuvre de
la Propagation de la Foi. Vous m'en aviez parlé, l'an der"
nier, lorsque je suis allé à votre bureau vous faire connaître
le dénûment presque complet où j'ai trouvé la maison qui
sert de presbytère et de chapelle à Saint Michel des Saints.
Il est certain que par ces résolutions de votre "^Conseil,
les plus pauvres missions seront les plus aidées et les sub-
aides de la Propagation de la Foi rencontreront leur véri-
table but.
Et je suis heureux d'avoir l'occasion de vous rappeler que
Saint Michel des Saints est la seule mission du diocèse qui
mérite de porter ce nom, au moins pour un vrai missionnaire.
Le missionnaire, ici, a à parcourir une étendue de plus de 7
lieues pour visiter Saint Michel des Saints et Saint Zénon^
Il y a de plus la Tribu des Têies de Boule qui se trouve à 17
lieues en arrière de Saint Michel des Saints. Je suis le seul
nissionnaire qui puisse les rencontrer en hiver pour le
temps de Pâques. Cette distance de 17 lieues se parcourt
ea voiture et à la raquette. Voici maintenant les réponses
à Tos difiSêrentes questions :
Fremièremeni. — Le seul revenu de la chapplle est la lo-
14
cation des bancs. J'ai pu retirer $1 7.25 durant cette année ;
peut-être en louerai-je quelques autres dans le cours de
l'année. Je donne pourtant à mes gens la facilité de me
payer en argent ou en effets, je prends même de la gomme
d'épinette rouge.
Secondement. — Les revenus du missionnaire I« par dime ;
cette année j'ai retiré : 350 bottes de mil, 150 bottes de
foin bleu réputé un peu meilleur que la paille, If minot
de blé, 24 de pois, 12 d'orge, 46 d'avoine, 37 de mélange,
2J de sarrasin, 4J de seigle, 1^ de lentilles, enfin 79 mi-
nots de patates. Les indiens chasseurs m'ont donné en
pelleterie environ 8 dollars. Mais remarquez bien que de
toute cette dime, je n'ai pu vendre pour de l'argent que 18
minots de mélange et 6 minots de pois. Tout le reste
3, été prêté en grande partie aux pauvres pour les se-
mailles du printemps. Il m'était impossible de l'envoyer
au marché de Joliette qui se trouve à 21 lieues de chez
nous. Vous comprenez de suite que ma dime se trouve
bien réduite en valeur réelle.
II« Mon casuel a été : 2 mariages $4.00 ; 1 service $2.50 ;
2 petits entendements $1.00; 2 grandes messes $5.l00 — en
total $12.50.
III« En aumônes, par effets, $4.00 de la part des colons.'
Troisièmement*'^ Je me suis endetté en faveur de la mis-
-sion pour la somme de $128.75 pour achat de ciboire, mis-
sel, vin, cierges, hosties, d'un poêle et son tuyau, et pour
quelques petites réparations nécessaires à la décence du
•culte divin.
Quatrièmement. — N'ayant pas encore de chantiers cette
année, il est certain que la mission ne donnera à peu près
que la moitié de ce qu'il faut pour le soutien du prêtre et
les frais du culte. 8i les chantiers reprennent l'an pro-
chain comme tous l'espèrent, et si la colonie augmente
comme cette année, la mission fournira assez pour le sou-*
tien du prêtre, à condition toutefois qu'il soi Ir sobre et frugal.
D'après ce compte-rendu vous comprenez sans peine que je
dois nécessairement compter pour l'année qui commence,
sur d'aussi abondants secours que ceux que vous m'avez
* 15
accordes Tan passé. Autrement je me verrais forcé, pour
payer mes dattes, de vendre Tameiiblement convenable que
j'ai acheté et de laisser une jolie petite colonie composée de
70 familles au miliea«*desquelles je serais si heureux de
passer ma vie.
Vous me permettrez de vous faire remarquer que les
jpaiements delà subvention par part égale, tous les trois
mois, est grandement préjudiciable à la mission de Saint
Michel des Saints qui se trouve éloignée de 63 milles de
Joliette où nous sommes obligés d'acheter nos provisions.
L'hiver est la meilleure saison pour le transport à bon
marché. En toute autre saison il y a certainement de 50 à
75 cents de plus par cent livres à payer que dans l'hiver»
J'espère que connaissant mes raisons vous vaudrez bien
faire une exception pour moi, et que vous m'enverrez le
plus tôt possible la plus haute somme que vous pourrez
afin de me permettre de monter le presbytère d'une ma-
nière convenable. Je vous l'ai déjà dit, mon prédécesseur,
en laissant Saint Michel des Saints, avait tout vendu : pail-
lasse, table, chaises, jusqu'au tuyau de presbytère et de la
chapelle ; il m'a fallu m'endetter considérablement pour
m'installer. Je préférerais de beaucoup retourner vi-
caire à 60 ou 80 dollars que de rester ici en tenant maison'
aune distance si éloignée des centres; dans les 11 lieues
qui me séparent de Sainte Emmélie, il n'y a que des mon-
tagnes et des savanes;
A l'heure qu'il est, nous avons un froid de saison, comme
on dit, et bien peu de neige, de sorte qu'il est difficile de
descendre avec des charges ; j'ai dit descendre, car remar-
quez que Mantawa se trouve à 2,000 pieds plus bas que le
sommet des Laurentidês.
Je termine en vous suppliant de me protéger auprès de
▼os Conseillers qui, sans doute, sont loin de connaître les
véritables renseignements que j'ai cm nécessaire de vous
donner dans l'intérêt de ma chère mission.
Je demeure par avance
Votre reconnaissant serviteur,
/ Ghs. LaRosb, Ptre ,
Missionnaire.
ISLE DE VANCOUVER. #
J. M. J. A?
Lettre d'une Sœur de Ste. Anne à la Révérende Mère
Supérieure des Sœurs de Ste. Anne à Lachine, prèé
Montréal.
Couvent de Ste. Anne,
Nanaïmo, Col. Brit., 11 Sep. 1877.
A Notre Révérende Mère Supérieure Générale,
et à toutes nos chères Sœurs de Lachine.
Bien-Aiméb Mère et chères Sœurs,
J'ai' le cœur tellement rempli de bons sentiments pour
vous, que je ne puis me garder, malgré mes occupations
qui s'accumulent tous les jours, de venir vous donner
quelques signes de cette amitié que je vous conserve tou-
jours entière au fond de notre petite Mission de Nanaïmo.
Nous voici encore revenues, ma compagne et moi, à notre
* i>esogne des mois de Mai et Juin derniers, avec le môme
'COurage, et je dirais, avec plus de joie ; car nous avions
senti, pendant ce court temps de deux mois, combien Diea
était peu connu, peu aimé, parmi nos pauvres catholiques .
Aussi sommes-nous déjà à l'œuvre, et parmi nos 35 élèves,
nous comptons avec bonheur 14 petites filles Catholiques,
d'est là la partie chérie du troupeau. Aidées de la puis>
«ante énergie du R. Père Lammens, nous espérons faire,
de ces chères enfants, de ferventes chrétiennes I*9ous en
attendons encore plusieurs, et si cela^ continue, nous
devrons bientôt bâtir notre nouveau Couvent.
Gomme vous voyez. Révérende et chère Mère, nous
sommes asses encouragées n'était encore qu'au début
-d'une année scolaire. Nous avons à notre école les filles du
Maire, aussi celles du Ministre Anglican. Nous faisons
tout en notre pouvoir pour bien faire notre devoir à lear
égard ; mais, ma Mère, je tremble souvent de gâter tout. Je
17
^aisde temps en temps aux^pieds de Notre-Beigaeur, m*em-
parer de vos bonnes prières et de celles de ,nos chères
-ScBûrs, pour que tout réussisse. J'espère fp^e Ton ne me
blâmera pas de ce larcin;
Pendant notre vacance, qui a été si belle, au dire de
toutes nos chères Sœurs de Victoria et des Missions, on me
pria de vous adresser le journal commun. Je le fis une
fois, bien mal, mais je me proposais de réparer cette lacune,
en vous écrivant plus intéressantes les feuilles du mois
d'Août, lorsque, notre retraite à peine terminée, je reçus
l'ordre de partir pour Nanaîmo, avec mes compagnes.
Nous eûmes nos obédiences le Dimanche soir, et le mardi
(28 Août) était le jour fixé pour les départs. Il fallut donc
nous hâter dans nos préparatifs. J'avais si grand nombre
de paquets et de boîtes à préparer que je faillis en perdre
la tête. Grâces à notre chère Sr. M. Vfr^nie, qui est tou-
jours si bonne pour moi, et aussi à notre active dépositaire,
ma Sr. M. Zenon, tout fut fini poui^le temps voulu.
On s'amusa beaucoup à notre sujet; ma 6r. M. Emmanuel
^'informait auprès de ma Sr. M. Eléonore si nous allions'
ouvrir .un Store à Nanaîmo ; j'en fis tant qu'on a dû
se réjouir à Victoria de mon départ Je mendiais cons-
tamment pour notre Mission, et comme l'enfant qui visite
le toit paternel, j'avais envie de tout.
Ma Sr. Vicaire montre une prédilection très grande pour
- Nanaîmo, et vraiment je suis confuse de toutes ses bon-
tés. Si vous, chère Mère et bonnes Sœurs, pouviez visiter
notre Mission, vous seriez mal édifiées, j'ai raison de le
«croire, de nous voir si bien pourvues; mais vous seriez tou-
chées des soins que la Providence prend de ses ^pauvres.
Oh 1 qu'elle est douce, cette Providence !
Notre santé est bonne. Nous ne sommes pas très fortes>
ni l'une ni l'autre ; mais nous allons assez facilen^QUt au
i)0ut de la journée, sans- trop de fatigue le soir. Notre petite
maison ne renferme, il est vrai, que trois p^r^onna^es, notre
bonne Emily Winnard et nous ; mais c'est le nombre qu'il
y avait dans la famille bénie de Nazareth, et cette pensée
nous anime souvent à suivre ces divins modèles : Jésus,
3(arie, Josepli.
18
Nons arrivâmes seules* à ootre mission ; le Br, Père
Lemmens était alors en retraite à Victoria et ne devait
nous rejoindtë que le 4 Septembre. Il nous en coûtait un
peu de revenir seules, sans Prêtre, par conséquent sans
Messe pour huit jours ; mais pour relever notre cOurage,
le bon Dieu a daigné nous envoyer une grande conso-
lation. Nous étions arrivées depuis quelques heures seule*
ment, et à la veille de prendre Teicellente soupe dont une
bonne dame catholique voulait nous régaler, quand un
sauvage, le chef des Komosk, se présente et nous dit z
" Mon fils, jeune homme d'une vingtaine d'années, vient
d'être écrasé par ces énormes boîtes qui contiennent le
charbon au sortir des puits. 11 vit encore et demande le
Prêtre. Il n'est pas baptisé." J'irai, lui répondis-je. " Oh !
i)ui^ viens vite^ reprend le chef, car je suis bien malheu-
reux I "
Il était six heures et demie P. M., nous partîmes, ma Sr.
M. Eléonore et moi, accompagnées de notre guide qui mar-
chait en toute hâte. 4l était sept heures quand nous ar-
rivâmes dans la cabane du chef. Le pauvre malade était
tout brisé ; mais il parlait très bien et avait sa pleine con-
naissance. Il désirait le baptême avec ardeur. Après lui
avoir expliqué les principaux mystères de la foi et fait faire
quelques actes en chinook, je lui mis une chandelle à la
main et le baptisai. Oh 1 ma mère, je n'oublierai jamais la
belle figure qu'il avait, quabd l'eau qui devait laver sou
âme eût coulé sur soufrent Qu'il était donc heureux,
ce pauvre sauvage I.. ..'.«.. .Après l'avoir -encouragé, ainsi
que tous les sauvages qui se trouvaient là, nous partime»
précédées encore d'un guide. De retour au couvent, je
cherchai un crucifix que j'envoyai au nouveau baptisé,
afin qu'il le baisât au plus fort de ses souffrances. J'appris
plus tard qu'il avait été fidèle à ma recommandation. Le
lendemain à cinq heures et demie P. M., nous retournâmes
le voir, car nous n'avions pas reçu dé ses nouvelles. Nous-
trouvâmes nombre d'Indiens- en dehors duf camp qui joa-
glaient. J'appris de suite que notre jeune homme était
mort à sept heures dans la matinée. Oh ! comme j'avais le
cœur joyeux. Je ne savais comment prouver ma recon*
19
naissances Notre Seigneur pour la grâce insigne qu'il
m'avait faite de baptiser un pauvre Indien. Ohl disais-je,
je quitterais vingt fois mon pays et je passerais quatorze
ans encore en mission pour le remercier d'une telle faveur
et en obtenir encore une semblable. .J'avais le cœur à
bie^ dormir ce soir-là, je vous assure, ma bonne Mère.
Mais aussi, j*atfrribuais la meilleure partie de cette grande
grâtîe à^uelques bonnes âmes qui prient pour les inflàèles,
•et je prie ce pauvre sauvage, qui est au ciel, de se souvenir
de nous toutes.
Une semaine, c'était bien long sans communion. Aussi,
quand le bateau du quatre nous fit entendre son sifflet,
notre cœur battait bien fort. Notre Révérend Curé frap-
pa bientôt à notre porte. J'étais là pour lui dire qu'jl
était bien chez /ui, et je crois que je ne l'avais jamais vu si
joyeux. Il 'mangea avec appétit le diner que nous lui
avions prépara d'un grand cœur. Nous avions fait un
grand ménage dans sa petite maison, et il paraissait heu-
reux d'être de retour. Le lendemain nous eûmes la sainte
messe et nous pûmes de nouveau n&us réconforter à la
table du pain des anges. Ah ! que cette communion fit du
i>ien à nos âmes !
Le Rév. Père Lemmens, grâces à Dieu, prend du mieux ;
il est plus fort et a maintenant la permission de preiber.
Une belle église de 82 pieds de long et de 30 de large,
s'élève, par ses soins, à côté de nous ; elle sera terminée
jpour Noël. Peintures, autels, etc., on n'a rien oublié
dans les spécifications — jusqu'à des anges adorateurs...
J'ai hâte d'y pouvoir faire les parures : comme nous n'au-
rons plu alors de chapelle au couvent, ce sera là notre
-bijou.
J'ai reçu avant hier au soir un grand ru^ de la valeur
de $15, pour le marche-pied de notre autel. Le jeune
catholique qui nous en a fait don, mérite bien qu'on prie
pour lui en retour. Je vais bientôt commencer à faire
4es fleurs artificielles pour le nouvel autel.
Le jour de l'arrivée du Rév. Père Lemmens, révérende
' et bonne Mère, je fus grandement réjouie par la réception
de la bonne lettre que vous nous faisiez adresser par ma
20
Sr. M.-Joseph du S. G., à la date du 4 août Elle nous ar-
rivait à temps, car j'allais presque croire que bous étions
trop loin pour entendre parler de notre chère Mère. J'at-
tends avec impatience celle que vous me promettez tous-
mâme, ma bonne Mère.
Je me recommande instamment à toutes nos chères
âœurs pour m'assurer le secours de leurs prières.
Veuillez, ma chère et révérende Mère, m' accoler un
mémento dans les vôtres. Vous connaissez mes besoins.
Vous n'êtes pas oubliée par vos ûUes de Nanaîmo.
Avec ma campagne, je salue toutes nos chères Sœurs
de la communauté, et me dis
Votre fille reconnaissante en Notre-Seigneur,
Sr. Marïe de la Croix, Miss^
COLOMBIE ANGLAISE.
J. il/ 3. A.
Lettre d'une autre Sœur de Ste. Anne à la même.
Mission St. Joseph,
Williams Lake, 21 octobre 1877.
A notre Révérende Mère Supérieure,
Lachine.
Ma bien bonne Mare,
Je vois avec peine que je n'ai pas été fidèle à la promesse
que je vous faisais dans ma lettre du mois d'août: celle de
TOUS écrire pendant notre voyage. J'étais bien ignorante
alors, je n'avais nulle idée de l'ouvrage qui nous attendait
dans le parcours que nous venons de faire. Les quelques
lignes que nous avons tracées et cela, à la dérobée , nous
les avons dirigées vers notre chère petite Sr. Marie-Octavi^
que nous avions laissée seule avec nos douze petites orphe-
lines. Nous sentitffts malgré notre fatigue, le besoin de
lui donner cette consolation ; et n'est-ce pas, ma bonne
lière, elle lui était bien due?
Avant d'entrer dans aucun détail je veux, nia bonne
Hère, vous offrir nos sincères remerciments pour le beau
et intéressant journal que vous nous avez fait écrire par
notre chère Sr. Marie-Joseph du Sacré Cknur. Cette bonne
Sœur sait bien ce qui peut faire plaisir aux pauvres mis-
sionnaires des montagnes ; — le bon Dieu, sans nul doute,
1a récompensera de sa douce charité.
Maintenant, ma Révérende Mère, je vais vous raconter
tout ce qui s'est passé dans notre long voyage au Gariboo ;
course entreprise dans le but de quêter pour le soutien de
notre hunibie institution. Ce voyage que je redoutais
tant, nous le commençâmes lundi, 20 août, jour consacr4^
à notre bonne Mère Ste. Anne, et le huitième écoulé depuis*
notre belle retraite.
22
Notre équipage consistait dans une bonne petite voiture
bleue à quatre roues et deux sièges : ma Sr. Marie-Joachim
et moi, nous occupions celui de derrière, et notre bon et
révérend guide, le Père McGuckin, celui de devant. Notre
caresse était traîné par deux bons chevaux rouges. Nous
n'avions pas oublié la chapelle, le panier de provisions, les
vêtements chauds, les couvertes, les parapluies, etc., etc.
Partis vers les huit heures du matin, nous arrivâmes à
Soda Greek vers les 6 heures p. m. Mme Dunlevy nous
attendait impatiemment. Nous profitâmes de sa bonce
hospitalité, sans avoir aucunement à nous plaindre de la
fatigue ; notre voiture nous avait si doucement portés et
les chemins étaient si beaux ! Tout le long du jour, notre
saint conducteur nous avait bien amusées et édifiées en
même temps, par les intéressants récits de sa vie de mis*
âionnaire et autres; plusieurs fois, nous avions récité le
chapelet ; nous avions fait notre lecture spirituelle, enfin,
c'était la vie régulière en charrette. Le lendemain nous
quittions Soda Creek après avoir collecté cinquante pias-
tres. Nous atteignîmes ce jour-là le Fort Alexandrie. Nous
Sjissâmes la nuit chez les parents d'un des élèves du collège
•de Williams Lake.
Mercredi, nous arrivâmes à Quesnellc^elle petite place
5ur la rivière Fraser ; nous y restâmes jusqu'au vendredi*
La pluie noos incommoda un peu, mais tout de même, nous
fîmes heureusement notre collection qui s'éleva à près de
deux cents piastres. Nous logions.dans le plus bel hôtel de
l'endroit ; nous y étions servies avec toutes sortes de préve-
nances, et quand viut l'heure de régler les comptes, l'hô-
tellier, non seulement ne voulut rien recevoir, mais même
nous donna dix piasres. Nous le remerciâmes, bèaissaol
Dieu de la bonne Providence qui nous avait accompagnées
jusqu'ici.
Au même moment, nous fîmes la rencontre d'un célèbre
mineur, M. James Ford, celui qui avait accompagné^ il y a
deux ans, les Révérendes Sœurs de la Providence dans
leurs quêtes au Gariboo. Le Révérend Père McGuckin le
persuada de remonter avec nous : ce quUl accepta à notre
grande satisfaction. Nous nous remîmes en route pour
23
Stanley lightening Creek:- M. Rosé, espagnol camolique, nous-
reçut avec une grande joie. Sa dame nous réserva une
vaste chambre où chaque matin nous eûmes le bonheur
d'avoir la sainte messe et de recevoir la sainte communion.
Combien ces grâces nous vinrent à propos ! Il nous répu-
gnait tant de tendre la main à une colonie protestante et
très-fanatique I et pourtant les ofiTrandes s'élevèrent à deux
cents piastres. Daigne Dieu les convertir, pour prix de
leur charité.
Le mardi midi, nous partîmes pour Barkerville, Cariboo
proprement dit, distant de Stanley d'à-pen-près 14 milles.
Mais, ma bonne Mère, si la distance est peu^. considérable,
la différence qui existe entre les gens est bien grande. Ar-
rivées là le mardi soir, nous n'en sommes reparti que le
dimanche. Je ne pufs vous dire assez, ma bonne Mère?
combien poli a été l'accueil de ces bonnes gens ; tous nous
ont assistés avec une générosité remarquable, et en nous
remettant leur oiTrande, ils nous exprimaient le regret de
ne pouvoir donner davantage : ils se ressentent, eux aussi,
de la crise. Dans nos longues courses, que de fois j'ai
pensé à vous, ma bonne Mère, et à toutes nos chères Sœurs I
Que vous eussiez aimé à voir travailler les mineurs ! Ils-
sont en effet très-intéressants, et puis, ils sont si polis, si
contents de 4ious voir. Nous en avons donc vu de ces
pauvres hommes, subissant à la lettre Tarrét divin porté
contre Adam pécheur I
Que de réflexions je pourrais insérer ici... mais, je les-
tais, elles seraient par trop-longues. Cependant, tna Révé-
rende Mère, je ne puism'empécherde vous dire que ma Sr.
Ifarie-Joachim et moi, nous avons beaucoup aimé Bar-
kerville, et que si jamais nous établissons un couvent là^
nous vous offrons toutes deux à l'avance nos humbles ser-
vices.
Je suis beureuse de vous dire, ma trës-bonorée Mère,
que, à Barkerville comme au poste précédent, nous avons
entendu la sainte messe chaque matin, avec toutefois cette
différence, que le Révérend Père McGuckin la célébra
dans la belle petite église que lui-même a bâtie pendant les
vingtcinq années qu^il passa à évangéliser les pauvres
24
mineurs. Oh! ma bien chère Mère, jamais je n'oublierai
la première messe que j*ai entendue là. Nous étions si
loin des nôtres !... Mais encore une fois^ nous avions Notre
Seigneur avec nous, et nous goûtions avec une suavité ex-
ceptionnelle ces si consolantes paroles échappées de son
cœur divin et miséricordieux : ^' Mes délices sont d'être
avec les enfants des hommes." Notre bon Père McGuckin
fut lui aussi vivement ému pendant le saint sacrifice. H
se rappelait sans doute de si précieux souvenirs.
Le temps du départ arrivé, nous prîmes congé de nos
bons amist leur souhaitant courage et succès. Ces braves
gens firent les plus vives instances au Révérend Père, pour
sinon le garder au milieu d'eux, du moins l'engager à les
aller visiter cet hiver. Nous nous éloignâmes, la recon-
naissance dans le cœur pour ces ân^es généreuses qui nous
avaient donné si libéralement du prix de leurs sueurs.
Vous voudrez bien, ma Révérende Mère, prier et faire
prier pour toutes les personnes qui ont ouvert leurs bourses
en faveur de vos deux pauvres filles. Nous unirons nos
prières aux vôtres et nous apprendrons à nos petites filles
la prière de la reconnaissance envers Dieu.
Notre voyage qui avait été si heureux en allant le fat
également en reyenant. Nou# stationnâmes quelque peu
aux différents villages que nous avions visités, puis, lundi
soir, 10 septembre, nous arrivions à notre humble et chère
demeure où nous étions si impatiemment attendues, heu-
reuses d'avoir fait si facilement un si long trajet, et recon-
naissantes envers le bon Père McGuckin pour ses mille
bontés et ses charitables soins. Après les premiers épanche-
ments de la plus cordiale bienvenue, nous entrâmes dans
notre pauvre petite chapelle, et là, prosternées aux pieds
de Jésus, nous lui offrîmes nos hommages avec le succès
de notre quête. Nous lui dîmes que ces onze cents pias-
tres seraient employées à l'entretien de nos petites orphe-
lines et à payer les dettes considérables que nous avons dû
contracter pour notre établissement icL Je me propose de
vous envoyer sous peu un inventaire de notre mobilier et
de nos provisions, vous y verrez en détail tout notre trésor;
«en attendant, ma Révérende Mère, ne soyez pas trop in-
• 25
quiète de nous et que nos bonnes Sœurs ne s'apitoyent pa»
trop sur notre sort : nous sommes très-bien partagées ; nous
n'avons jamais manqué du nécessaire, et ce dernier nous^ '
Favons abondamment, grâc9 à la prévoyance sans exemple
au Révérend Père McGuckin.
Avant de terminer, ma Révérende Mère, je veux vous
annoixcer que nous avons sous nos soins 23 pensionnaires,
dont un bon nombre d'orphelines. Toutes ces chères en-
fants répondent parfaitement aux soins que nous leur don-
nons et profitent on ne peut mieux des instructions qui
leur sont faites, soit aux catéchismes, soit ailleurs. C'est
déjà pour nous, pauvres missionnaires, une récompense
Men précieuse. Puisse t-elle nous être continuée et nous^
être, dans notre exil volontaire, le gage de celle que nous
attendons dans le ciel.
Maintenant, ma bonne Mère, je vous prie d'excuser la
longueur de ma lettre. Je me recommande, ainsi que mes
chères compagnes, à vos ferventes prières et i celles de la
communauté, et je prîe nos bons Anges, de vous porter
avec DOS hommages respectueux le tribut .de notre inalté-
rable reconnaissance.
Je demeure en Notre Seigneur,
Votre fille respectueuse et soumise,
Sr. MARIB-GLiMENT.
DIOCÈSE DE ST. ALBERT (NORD-OUEST.)
Le Rév. P. Bonald, s'étant mia en route pour St. Albert,
au mois de Mars 1875^ éprouva de longs retards, et faillit
périr dans le trajet. ^ Trouvant un jour une* bonne occasion,
il écrivit sur ses genoux la lettre suivante au Rév. P.
Lacombe :
, En route pour St. Albert, 18 Avrill875.
3ion bien cher Père,
Je vous recommande tout particulièrement ce bravé
métis anglais qui est le porteur de mes lettres. Je suis en
route pQur St. Albert depuis le 8 Mars. * Quand je partis
de la missinn des Pieds-Noirs, sur la rivière des Arcs, je
^croyais, ayant avec moi un guide tel qu'Alexis Cardinal,
arriver à St. Albert pouç Pâqu«s. Mais, rendus à la
rivière la Biche, ne pouvant plus retrouver le chemifa que
le ministre protestant avait suivi deux mois auparavant,
Alexis prit un chemin de traioe à chiens, et nous eûmes tant
de neige et tant de fatigues pour continuer notre route que
nous mîmes deux semaines à faire un^trajet de deux jours.
Alexis, malgré sa grande capacité de chasseur, ne pouvait
plus fournir à manger, car il n'avait plus de poudre. Épui-
sé, il ne me restait plus assez de forces pour aller plus loin.
Mon excellent guide partit donc seul pour aller au fort le
plus près demander du secours et un peu de viande sèche-
Jl fit cette fois, en une demijouinée, un trajet que Ton met
ordinairement deux jours à accomplir. La divine «Provi-
dence voulait conserver encore quelque temps un mis-
sionnaire indigne ; il est impossible pour moi de ne pas ad-
mirer en cette circonstance sa touchante intervention.
Alexis revint joyeux, et nous pûmes nous rendre ensemble
au fort dont je viens de vous parler. Nous y séjournâmes
une semaine entière, pour attendre la fonte des neiges.
Vendredi dernier, plusieurs jours après nous être remis en
route, nous fûmes arrêtés par une rivière roulant des eaux
27
faneuses. Il commeaçait à faire chaud, et le cadavre de ce-
cher Leuis Dazé, que nous amenions au grand Lac entrait
en putréfaction. Je ne suis, comme vous le savez, mon
Révérend Père, que depuis huit mois dans ces pénibles mis-
sions, et je vous assure que sans la grâce du Divin Maître,
mon courage aurait peut-être failli. Comme j'étais malade
et triste î un regard vers le trône des bontés infinies de
Dieu me ranima. Nous pûmes enfin, avec mille dangiBrs,
traverser la rivière, et à peine étions-nous sur l'autre rive,
que nous entendîmes un coup de feu. Je pousse aussitôt
un grand cri, et voilà qu'un sauvage se précipite vers nous.
C'était notre salut. Il monte sur un de nos chevaux et il
nous conduit à sa loge, non loin du fort de la montagne^
sur la route du fort Edmunston. Que je trouvai donc déli-
cieux le repas que le beau-père de notre sauvage, un vieux
Saoteux, nous offrit de si grand cœur î Nous étions encore
chez notre hôte lorsqu'arrivèrent quatre charettes conduites
par des métis qui allaient au Lac du Bœuf. Il y avait en^
core, près de cet endroit, un large bras de rivière à tra.
verser. Nous décidâmes, Alexis et moi, de profiter du
cageux que les métis devaient préparer pour franchir la ri-
vière, quoique ce fut un dimanche matin. C'est de l'autre-
côté de cette rivière que j'ai heureusement fait la rencontre
de ce métis anglais, qui nous a donné de la farine et du
sucre, et qui s'en va directement la Rivière-Rouge. Je
lui confie mes lettres et celles du bon Père ScoUen. J'ai
appris que Mgr de St. Albert partait incessamment pour
le lac Carillon, et que je dois l'y suivre. C'est donc là que
vous voudrez bien m'écrire J'espère être, dans deux jours,
au terme de mon voyage.
Mille saints affectueux aux Rév. Pères de St. Boniface-
Veuillez vous souvenir de moi tous les j^urs au saint
autel. Pour moi je vous promets de faire de même ; mais,
depuis le 8 Mars je n'ai eu le bonheur de célébrer les SS.
Mystères qu'une seule fois, le jour de Pâques.
Votre humble frère en J. C. et Marie Im.,
BONALD, O. M. I*.
28
Xettre du R. p. Fourmond, au R. P. Lacombe.
Nothe-Dahb des Victoires,
Lac la Biche, 20 Août 1875 .
Bien cher frâre et ami,
J'ai reçu ici votre lettre avec un bien sensible plaisir.
Soyez assuré que nous aussi, nous Be vous oublions pas ;
des Oblats de Marie, des missionnaires de St. Albert, unis
dans les saints cœurs de Jésus et de Marie, pourraient-ils
jamais s'oublier I — A Dieu ne plaise; pour ce qui me
regarde, je vous donne part à toutes mes prières, comme je
souhaite avoir part aux vôtres. Ce que j'admire, entre autres
choses chez vous, c'est cette invincible espérance de nous
revoir un jour et de travailler encore avec nous au salut
des pauvres et des délaissés enfants des bois, ou de la
prairie. Que cette espérance se soutienne toujours ; elle
n'est pas moins chère à nos cœnrs qu'au vôtre ; bientôt
T[)eut-être nous pourrons répéter avec reconnaissance ces pa-
roles du prophète royal : Le Seigneur a exaucé le désir des
pauvres, desiderium pctuperum exaudivit Dominus,
^'ai enfin fini cet hiver de copier vos excellents sermons
cris à l'exception de ceux qui traitent des commandements
de l'Eglise ; je n'ai pu me procurer ces derniers. Ce travail
a été un peu rude, mais j'ai lieu de croire qu'il n'a pas été
sans fruit. Le Révèrent Père Rémas, le grand phénix cri
depuis votre départ, aurait préféré que j'eusse composé moi-
même mes sermons, sans doute pour avoir le plaisir dé les
corriger, mais j'ai mieux a^mé me familiariser avec vos
tournures si bien crisées et m'appro prier en quelque sorte
vos sermons si poétiques, pensant que ce serait beaucoup
plus avantageux pour moi. ' Comme le disait un bon Père
Jésuite nous prêchant jadis une retraite ecclésiastique, dans
les rivières les gros poissons mangent les petits ; parmi
nous c'est le contraire qui doit avoir lieu : ce sont les petits
poissons qui doivent manger les gros. En conséquence,
ne soyez pas surpris si moi, petit i>oisson, je coniinue de
vous dévorer, gros poisson cris. Pour vous en consoler, je
vous offre de nouveau ma bien sincère reconnaissance
29
^ur toutes les peines que vous vous êtes données afin
-de nous Tenir en aide dans cette rude et épineuse tâche
d'apprendre le cri.
Votre échelle catholique m'est d'un plus grand secours
poar enseigner les ignorants que votre catéchisme en images
dont la plupart des sujets ne sont pas, je crois, à la portée de
mes élèves. Quant à vos autres ouvrages : dictionnaire,
grammaire, évangile, je n'ai pu encore me les procurer.
Mon ministère s'est borné à évangéliser les environs du
fort où j'allais d'ordinaire dire la sainte messe le dimanche,
partant chaque samedi en traine à chien. Monsieur Trell,
le gendre de Monsieur Mackaye, m'a toujours re çu avec la
plus grande bonté. Que le bon Dieu l'en récompense au
centuple ! J'avais pour église et en môme temps pour pres-
bytère la maison de Monsieur Pombrun, située à une portée
de carabine du port. J'y ai passé toute la semaine de
Pâques pour préparer la première communion. Neuf per-
sonnes, dont cinq enfants, deux jeunes gens et deux femmes,
ont eu le bonheur de recevoir leur Dieu pour la première
fois. L'une de ces femmes avait été élevée dans la religion
' protestante, mais touchée de la grâce, elle est entrée dans
le bercail du divin Maître et elle a édifié tout le monde par
sa piété. L'autre était une vieille grand' mère qui m'a
.répondu quand je lui ai demandé son âge : ^^ Père^ je pense
bien que j'ai cent ans, car il y a longtemps que je ne compte
plus mes années." Je n'avais pas encore rencontré dans le
pays autant de bonne volonté pour s'instruire et pour se
préparer à la première communion. Aussi Notre Seigneur
l'a-t-il bien récompensée réelle était si remplie de la grâce, si
heureuse de posséder Jésus dans la sainte Eucharistie,
qu'elle aurait voulu mourir là où elle avait communié ; et
il semble que le Sauveur des hommes devait répéter cette
parole qu'il avait prononcée jadis : Non inverti tantam /idem
in Israël^ je n'ai pas rencontréjjune si grande foi en Israël.
Vous savez déjà, je pense, la mort terrible de notre cher
Louis Dazé, mort de faim et de froid au milieu de la prai-
rie, sur les bords de la rivière des Erres. Cette triste nou-
velle nous a tous frappés au cœur comme la mort d'un ami
et d'un Père. Que le Seigneur le récompense de son dé-
30
▼ouemeni à toute épreuve et en particulier des service»
qu'il m'a rendus dans mon voyage à Notre-Dame de la
Paix, en lui donnant le repos éternel, promis à celui qui a
travaillé et qui a souffert pour le mériter. C'est une grande
perte pour la mission, mais, je n'en doute pas, c'est déjà
une nouvelle joie pour le ciel.
Une nouvelle obédience m'est arrivée ici comme une
l>ombe : je pars avec les charrettes de Carlton pour aller
rejoindre le bon Père André à la mission de St. Laurent.
Que le Seigneur Jésus et Marie Immaculée en soient glo-
rifiés en cela comme en tout le reste, et qu'ils vous bénis-
sent autant que je le désire, en attendant que nous nous
revoyions en cette vie ou dans l'autre selon leur bon plaisir.
Votre tout affectionné frère en J. M. J.,
FOURHOND, O. M. L
31 *
1.KTTR1 DB MGRi Grandin hux Prêtres-missionnaîres et aux
Frères convers du diocèse de St. Albert.
St. Albert, 20 J^ioembre 1 875.
Mes Révérends et bien chers Pères et Frères,
Une maladie avec laquelle je suis arrivé ici l'automne
dernier, après m'avoir beaucoup fait souffrir, me laisse
^nfin en repos maintenant ; mais elle m'a quitté trop tard
pour que je puisse m'acquitter entièrement de mon courrier
^'hîver, d'autanf qu'il me faut prendre des précautions et
me ménager. Craignant de ne pouvoir écrire à chacun
-d'entre vous comme je le désirerais, et devant dire à plu-
sieurs les mômes choses, pour diminuer le travail, ou plutôt
pour suffire à tout, je me servirai enc(îre d'une circulaire.
Depuis mon retour jusqu'à présent, je n'ai pas été seule-
ment inutile pour mes, missions* dont je n'ai pu absohîm«nt
m'occuper, mais j'ai été vraiment bien embarrassant pour
St. Albert On ne me l'a jamais fait sentir assurément.
• Tout le monde, dans les deux communautés, ne savait que
faire pour me soulager et pour m'étre agréable ; on priait,
on veillait et malgré tout je souffrais toujours, j'avais la
faiblesse de me plaindre et de troubler le sommeil de ceux
4]ui étaient un peu rapprochés de moi.
Le 19 Septembre, fête de N.-D. dès Sept Douleurs, jedevais
ordonner le F. Grandin diacre et le F. Fafard sous-diacre.
L'ordination était annoncée, tout était préparé, la veille
nous espérions encore; et îl fallut pourtant y renoncer ; je
né pus le faire que le 21 Septembre et sans folennité. Le
21 Novembre, jour de la solennité de St. Albert, je devais
ordonner le F. Grandin prêtre et le F. Fafard diacre. Cette
fois le désappointement fut moins complet, parce que long-
temps d'avance on avait pii prévoir que l'ordination ne
serait pas possible, dépendant le 19 Novembre, pour la
troisième fois, un abcès m'a crevé dans l'oreille et a coulé
si abondamment que j'en étais fatigué; malgré cela l'en-
llure qui paraissait à l'extérieur ne diminuait pas, et les
souffrances élaient toujours très-violentes. Le 24 uhe Sœur
" 32
•
ouvrit la tumeur Jormée derrière Toreille ; Técoulement
fut eocore plus abondant par cette ouverture que par l'o-
reille, et cette fois je fus soulagé, je pus dormir la nuit.
Jlai pu dire la sainte messe le dimanche 27, et Pal toujours
dite depuis. Emln j'Osai entreprendre l'ordination le 30,
et j'ai fait celle du P. Fafard comme prêtre le jour de l'Im-
maculée Conception. Tout cela m'a bien fatigué ; je suis
môme retombé plusieurs fois depuis. Chaque foie que l'é-
coulemeat cessait, les souffrances reprenaient et le sommeil
disparaissait complètement. Je crois pouvoir dire que
depuis le 14 du courant, je sais guéri ; il ne me reste plus
que la faibleese qui diminue pourtant tou% les jours. Mais
l'oreille droite n'entend plus et la gauche est bien paces-
seuse. C'est la première fois que ma sauté ne me permet
pas de faire face à mes obligations. Je devais, cet automne,
accompagner le R. P. ScoUen et visiter les tribus de l'Ouest ;
il m'a fallu j renoncer malgré l'importance de cette visite.
J'^ eu la douleur de voir partir ce cher Père seul avec un
enfant Pied- Noir. La saison le pressant, il dut se. mettre en
route avant que nos marchandises fussent arrivées. La
neige et les froids l'ont pris dans le voyage ; il fut obligé de
faire seul à peu près tout l'ouvrage des campements, sans
compter les accidents aux voitures, toujours nombreux dans
ces sortes de courses, et qu'il lui fallait réparer. 11 a re-
trouvé, à la rivière des Arcs, le bon Père Doucet et le pauvre
Alexis, tellement troublé aujourd'hui, que loin de rendre
service il est devenu un embarras considérable. Ils ont dû
le laisser à la maison qu'il avait construite autrefois, et eux
deux se sont rendus à l'embouchure de la rivière du Coude
dans la ri vie i^ des Arcs.
Le 1<^ Novembre ils y étaient en loge et ils devaient cons-
truire une maison pour y passer l'hiver. Déjà la neige
couvrait la terre, et les pauvres Pères n*avaient point d'ar-
gent} point de provisions d'avance et point d^autres ser-
viteurs que cet enfant dont je vous ai parlé. Vous voyez,
chers Pères et Frères, que si vous souffrez de la pauvreté,
vous n'êtes pas les seuls. Je suis pour ma part désolé de
n'avoir pu les visiter ; j'aurais au moins partagé leurs mi
sères. Si je le puis ce printemps, je ne manquerai pas
33
<l'aller à leiir secours. Mais ce n'est pas tout, les Père»
Dupin et Bourgine sont au petit Lac des Esclaves; ils
m'attendent ce printemps, et ne me verroat point, bien
entendu. Cependant eux aussi ont bien leur^ misères ; ris
sont nombreux en cet endroit; leurs chrétiens sont de
petits chrétiens qui comprennent d'autant moins qu'ils ont
plus besoin de prêtre. La vie de ces pauvres ouailles est
loin d'être édifiante ; il n'en peut être autrement puis-
qu'elles ont presque toujours vécu loin du missionnaire.
IjCs consolations qu'éprouvent ces chers Pères sont donc bien
minces, si tant est qu'ils en aient d'autres que de souffrir pour
le bon Dieu. Ajoutons à cela que l'un d'eux est sérieuse-
sement malade et Tautre loin d'être fort; ils ont avec eux
un certain Ladred venu avec moi comme postulant conver3
l*a manière dont il s'est conduit ne me permet guère de
douter qu'il eût d'autre intention en quittant la France-
que de s'exempter du service militaire en se faisant une
position ailleurs. Je l'oblige à travailler pour remplir son
engagement J il le fait â contre-cœur le moins qu'il peut
Ce n'est pas avec un tel sujet que ces pauvres Pères auront
de l'agrément.
Ici nous sommes passablement nombreux. Outre le Rév.
Père Lestanc, Supérieur et spécialement chargé de la direc-
tion spirituelle de la population, le Rév. Père Bianchet est
chargé de l'économat, en môme temps que de la desserte
d'Edmonton et de Jasper, dans les Montagnes Rocheuses.
Il a visité ce poste cet automne. Le jeune Père Grandin
est chargé du collège et enseigne le latin à trois petits gar-
rons. Le Père Fafard a dû partir quelques jours seule-
ment après son ordination pour aller au secours de nos
nombreux métis du lac du Bœuf. Après que ceux d'ici
auront terminé leur jubilé, ce qui aura lieu à Noël, le Père
Lestanc ira le rejoindre et passer au moins quelques se-
maines avec lui. Nous avons de plus les Pères Sarumet et
Tpuze, novices, le Frère Paquet, scolastique, oblât d'un
an. En fait do Frères convers nous avons le bon vieux
Frère Lalican toujours plein de bonne volonté, sans avoir
trop de santé ; il court toujours, dispute souvent, c'est
l'homme d'ordre et d'économie par excellence, et mal-
2
34
heureusement ce n'est pas la qualité de tout le monde^
Le Frère Â. Lambert, oblat à vie depuis la Toussaint^,
est chargé des étables pi a au moins 80 animaux à soigner,
sans compter les nouveaux nés qui viennent de temps
6n temps. Le vieux Frçre Leriche est toujours à la forge ;
sans lui nous ne pourrions plus ni faire de feu ni manger
de soupe ; il a toujours quelques tuyaux à ajuster ou de»
chaudières à refoncer. Le fait est que si nous ne Tavions
point nous serions en peine pour faire faire ces ouvrages
dans le pays où la main d'œuvre se fait payer si cher. Le
cher Frère a monté en grade cette année, puisqu'il a ordi-
nairement sous son autorité le cher Frère Gaillard, novice^
qui lui aussi a du goût et de l'aptitude pour frapper sur Ten^
clûme. Malheureusement il faut souvent le tirer de sa
boutique. Dès que quelqu'un manque pour les charriages^
c'est au Frère Gaillard qu'on a recours, he bon Frère Pi-
quet avec le Frère Letourneux, le premier oblat de 5 ans^
le second oblat d'un an, travaillent de leur mieux à nous
procurer le bois de chauffage. Le métier est dur pour eux,
pour le cher Frère Piquet surtout, qui n'est nullement fait
à ce genre d'ouvrage, l'autre n'a pas forte santé ; enûn
la bonne volonté, le courage et le dévoûment fout ce
que les forces ne pourraient faire. Le Frère Boon, autre
oblat d'un an, était ici notre fac totum ; il était devenu bon
fermier, un peu ouvrier, ce qui tic l'empêchait pas d'être
excellent chasseur. Mais le voilà bien pris d'une maladie-
non pas dangereuse, et cependant bien pénible, puisqu^on
ne pourra jamais le guérir parfaitement: c'est l'inflamma-
tion des amygdales. Pour peu qu'il se mouille ou qu'il ait
froid, le mal augmente à tel point que pendant quelque
temps j'aui^ais eu peur pour sa vie, si la Sœur infirmière
De Tja'avait rassuré. Il avait la gorge tellement bouchée
qu'il ne pouvait ni manger ni parler ; à peine pouvait-il
respirer. Aujourd'hui la guérison est aussi complète
qu'elle peut l'être, mais il a toujours la gorge plus ou moins-
prise. On a donc dû le mettre à la menuiserie, non pa&
sous la direction du Père Bowes, mais bien du Frère Van*
tighem, novice belge que j'ai eu la chance de recevoir cette
année. Grâces à ses conaaissances comme ouvrier et à $a
35
tonne volonté comme religieux, si le bon Dieu npus le
conserve, c^est une véritable acquisition pour nos missions.
Le Frère Boon ne pouvant plus travailler dehors, nous
avons engagé mi jeune métis pour cbarroyer les foins.
Ceux d'entre vous qui connaissez révêché de St. Albert,
^ous vous demandez peut-ôtre comment nous pouvons nous
loger tons? Les cellules sont doublées, à l'exception de
celle du P. Supérieur et de la mienne, et quand le P.
Vegreville s'en vient du Lac Ste. Anne, le P. Supérieur est
bien obligé de lui donner Thospilalité. Lorsque ma
maladie augmenta, on jugea que je ne pourrais pas con-
tinuer 4^ocquper ma chambre, les allées et venues de tout
le monde, le bruit des portes, etc., ne permettaient pas de
réparer pendant le jour le sommeil que je manquais pendant
la nuit; on me prépara un appartement dans la petite maison
t)ù étaient les serviteurs autrefois. Elle servait alors à rece-
voir les, malades qu'on nous amène de temps en temps et
iju'on ne peut refuser. Elle était justement vacante depuis
mon arrivée, par la mort d'un jeune sauvage.qu'on avait d&
y recueillir, et par le départ d'un estropié qu'on y avait
guérL J'étais à peine installé dans mon nouveau logis^
avec le F. Grandin pour compagnon et infirmier, qu'on
nous amena du fort, un pauvrQ Anglais, employé au service
du gouvernement ; il avait un pied gelé, pas de chez lui,
pas de parents, pas d'amis : il fallut bien le recevoir, et
comme il n'y avait pas d'autre place que la chambre épis>
copale, c'est là en effet qu'on l'installa. Je ne saurais vous
dire tous les voyages que les pauvres Sœurs font de chez
elles chez npus, pour soigner tous ces infirmes. Pour ne
pas m'exposer à un coup de vent, on m'apporte mes repas
dans ma chambre. Le pauvre gelé n'est que pourriture ;
tous les orteils sont tombés^ et je ne sais s'il en sera quitte
pour cela. Sans doute nous serons dédommagés des trou-
bles que ce malade nous occasionne, mais il faut autre
chose que de l'argent pour supporter l'infection que ce
pauvre misérable répand dans toute la maison : c'est à n'y
pas croire. Oh I chers Pères et Frères, prenez bien garde de
ne p^s vous exposer à de semblables accidents ; ils seraient
d'autant plus déplorables que plusieurs d'entre vous ne
36
seriez pas à portée de profiter de la charité et de la science
de nos bonnes Sœurs.
Je crois, chers Pères et Frères, tous avoir donné à peu
pr^s toutes les nouvelles locales que je puis supposer inté-
ressantes pour voils. Mais avant de finir, je dois apprendre
à ceux d'entre vous qui Tignorez, au moins à ceux du Lac
Caribou, la mort tragique du pauvre F. Alexis. Il se ren-
dait d'Attabaskawr au Lac Labiche. Les provisions lui ayant
manqué, Louis Tlroquois son compagnon Ta tué et mangé /
ses 08 mutilés et calcinés sont au Lac Labiche. Sans doute
Louis riroquois est mort aussi. J'oubliais encore de vous-
parler du Jubilé. Nous faisons une espèce de mission-
pour y préparer nos chrétiens qui sont vraiment pleins de
bonne volonté pour se rendre aux exercices deux fois le
jour. Je ne signale pas de retour parmi nos métis; géné-
ralement bons chrétiens ; mais nous avons la consolation
d'en obtenir quelques-uns parmi les étrangers ; et de plu»
tous ont été préparés par les instructions que, pendant deux
semaines, nous leur donnons dedx fois le jour. Beaucoup
reviennent sur leurs confessions passées et grâce à Dieu, j'es-
père qu'à St. Albert le jubilé produira de grands fruits de
salut. J'ai appris, par une nouvelle lettre venue de la Pro-
pagande, que le St. Père accordait pour les pays de mission
l'année 1876 tonte entière. Ainsi, si pour cause de voyage»
ou autrement, vos fidèles n'avaient pu profiter de cette
grâce cette année, on pourra les en faire profiter Tannée
prochaine. Puisque je vous parle de Rome, cela me fait
penser à une chose qui pourra encore vous faire plaisir. Il
y a un an les petits enfants de l'Ile à la Grosse eurent la
naïve et heureuse pensée d'écrire au St. Père. Je trouvai*
leur lettre si charmante que je ne balançai pas à l'envoyer
au cardinal Préfet de la Propagande, avec une autre lettre*
des enfants de St. Albert. Je demandais en même temps a
son Eminence de prier le St. Père de nous bénir tous et de
l'assurer de notre dévoûment et de notre vénération.
Dernièrement la lettre des enfants de St. Albert nous est:
revenue avec ces paroles écrites de la main du Pape :
Benedicat vos Deus et dirigat gressus vestros in semitis suis. —
Plus P. P. IX. Cette lettre était accompagnée d'une autre
37
du Gardi^nal Préfet où Son Emmence m 'assurait de Testime
et de raffectdOQ que Sa Sainteté daigne nou» porter.
Vous donnant du fond de mon cœur roa plus affectueuse
bénédiction; je demeure, mes chers Pères et Frères,
Votre tout dévoué en N. S.,
f Vital J. Ev. db St. Albert;.
38
Lettre AORESséE au R. P. A. Lacombs par le R. P. A-
Gasté, O. m. L, missionnaire au Lac Caribou, Terri-
toire de la Baie d'Hudson.
Mission St. Pierre du Lac Caribou, 27 Juin 1876.
Mon révérend et cher Père Lacombe,
Je ne puis remettre la main sur votre bonne lettre de
Tété dernier, que j'ai reçue dans Tautomne ; j*aurais vou-
lu la relire pour y répondre plus à propos. Je vous en re-
mercie néanmoins bien sincèrement, ainsi que de l'envoi
de votre dictionnaire et de votre sermonaire Cris que vous
avez eu la bonté de me faire. Je n'ai pas encore pu, jus-
qu'à présent, m'occuper des Cris, ayant été obligé de faire
l'apprentissage de la varlope et du rabot, puis d'entre-
prendre deux voyages pour la visite des malades. Mais
notre Père Bonald est heureux de posséder vos deux ou-
vrages. Ils lui sont d'un bien grand secours pour se for-
mer à la pratique de la langue crise et travailler à Pins»
truction des familles crises ou métis qui peuplent le fort
qui nous avoisine. Ne pouvant encore se hasarder à prê-
cher en public, il se sert de votre sermonaire pour leur lire
un, et parfois deux sermons par dimanche.
Je vous serais bien reconnaissant si vous pouviez nous
envoyer une bonne quantité de livres cris, tant livres de
prières qu'évangiles. Voilà bien trois ou quatre ans que
je réclame les premiers sans pouvoir en recevoir. Ici,
comme dans tous les postes d'en bas, tels que Lac Chetek,
Fort Cumberland, Grand-Rapide, on nous demande par-
tout des livres. Comme il est pénible de ne pouvoir en dis-
tribuer à tout ce monde, quand on voit les ministres pro-
testants répandre les leurs à profusion !
Par ce môme courrier, j'écris à Sa Grandeur Mon-
seigneur Taché, pour lui demander avec iustance qu'Elle
vous envoie cet été faire une visite dans les trois postes ci-
dessus mentionnés. J'espère que Sa Grandeur ne me re-
fusera pas cette faveur, et cela en vue de la gloire de Dieu
et du salut des âmes. En effet, Mgr. Grandin voudrait
qu'on s'établît dans ces trois places. Déjà même, Sa Grau-
39
deur devait eovoyer cet hiver un jeune Père au Fort Gum-
berland pour en prendre possession. Dans chacun de cet
postes, il y a un petit noyau de catholiques qu'il est urgent
de soigner plus que par le passé, si nous ne voulons pa»
les voir croupir daos Tignorance ou se protestaotiser à la
longue, du moins pour ce qui est des enfants. Au
Grand Rapide et au Lac Chétek, il y a ^e plus une agglomé-
ration de sauvages qui ne sont point encore fixés sur le
choix de leur religion. Quelques-uns sont baptisés par
nous, 1 d'autres par les ministres protestants. Dans ces
deux postes, on nous sollicite de nous y établir ; mais les
ministres qui le savent redoublent leurs visites. Au Grand-
Rapide, on nous pressait fort. Tannée dernière, de nous
fixer là; mais nous n'avons pu le faire encore. Malheu-
reusement, je crois qu'à la fin de l'été dernier, les sauvages
de cette place ont consenti à recevoir un ministre ou
maître d'école Wesléyen qui devait leur être envoyé dans
le couis de l'hiver.
Au fort Gumberland, les sauvages prient déjà avec le
ministre; mais si Tun de nous, possédant bien leur langue,
y résidait^ bien vite un bon nombre d'entre eux se join-
draient à nous. Déjà quelques-uns nous ont assurés qu'ils
prieraient avec nous, si nous étions là ; et leur exemple se-
rait bientôt suivi par plusieurs sauvages du Pas. Par
malheur, Monseigneur Grandin n'a pas de Père disponible
et connaissant suffisamment la langue crise pour espérer
porter un bon coup en arrivant.
Pour vous, mon très-révérend Père, vous seriez précisé-
ment l'homme qu'il faudrait ^pour opérer le bien dans ces
trois postes. Une visite que vous feriez dans chacun d'eux,
au printemps, suffirait, je pense, pour amener un bon ré-
sultat. La permission de Mgr Taché accordée, vous pou-
ves vous rendre en xanot au lac Ghetek, où réside notre
bon Antoine Morin. Il suffit de trois jours au plus pour
faire le trajet ; mais si la chose présentait trop de difficultés,
TOUS pourriez vous en tenir à la visite du Fort Gumber-
land eVdu Grand Rapide. Le Père Bonald doit vous écrire
dans le même sens. Ge faisant, mon bien cher Père, vou&
aurez grandement contribué à la gloire de* Dieu, au salut
40
des âmes, rendu à Monseigneur Grandin et à nous un im-
mense service dont nous vous garderons une éternelle re-
connaissance.
Nous avons eu la consolation, au commencement de
Tété dernier, de recevoir la visite de Mgr Grandin. Il nous
est arrivé le 10 juillet au soir, et n'a pu demeurer que huit
jours avec nous. De chez nous, il e^t descendu au lac
Chetek et an Fort Cumberland. Partout où Sa Grandeur
est passée, Elle a produit un excellent effet, et cette der-
rière visite chez nous parait avoir raffermi les bonnes dis-
positions que nos sauvages montraient depuis Tannée der-
nière.
Les traiteurs ont fait leur apparition dans nos parages.
Je «rains que ce ne soit pa^s trop à l'avantage spirituel de
nos pauvres Montagnards. Priez donc bien, mon cher
Père, pour que mes craintes ne se réalisent point, et pour
que le bon Dieu, qui tient les cœurs de tous en ses mains,
les incline de plus en plus, malgré ces obstacles apparents,
vers la pratique ferme et solide de ses saints commande-
ments.
Puisse cette missive vous trouver en bonne santé ! Nous
vous souhaitons,^ quoiqu'un peu tard, une année bien pros-
père à tous égards.
Vôtre très-respectueux, tout affectionné et tout dévoué
frère en J.-C. et M. I.
M. J. E. A. Gasté,
Prêtre-Missionnaire, 0. M. I.
.j
CHINE.
Nous croyons devoir mettre sous les yeux des associés
de la Propagation de la Foi les belles pages qui suivent.
Oq 7 verra que la Chine persécute toujours les mission-
naires et les chrétiens, dont la foi; le zële et rentier dévoue-
ment sont admirables.
-^
8U-TGHCBN OrciDBirrAL.
M. Bompas écrivait, de Ydn-chân, le 2 juin 1875, à M.
Voisin, directeur au Séminaire des Missions-Etrangères de
'^En Europe, les sociétés secrètes ont entre les mains la
presse qui, en pénétrant jusque dans les bourgades les plus
inconnues, répand par tout l'impie té avec la haine dû Christ
et de ses prôtres. En Chine, les Tsin-liên-kiao ont su lui
assigner le même office et lui font jouer le même rôle.
Dans toutes les villes, circulent des brochures contre la
religion chrétienne et les Européens. A tous les coins de
rues, on affiche d'immondes placards. Quelques manda-
rins ont fait déchirer ces libelles et publier un décret par le-
quel ils menacent des peines les plus sévères ceux qui ose-
raient les mettre au jour. D'autres, et ce sont les plus
nombreux, voient avec indifférence ces infamies affichées
à leur porte ; ils connaissent les trames ourdies contre
nous, et, au lieu 4e nous défendre et de nous rendre jus-
tice, ils semblent plutôt prêter la main i nos calomniateurs.
La persécution^ locale jusqu'à ce jour, tend à devenir géné-
rale. Jamais, peut-ôtre, les injures, les menaces et les calom-
nies, n'ont été plus nombreuses que depuis Farrivée de M.
de Roquette. C'est uo appel à la révolte, un déû jeté i la
face des nations européennes qui viennent faire le com-
merce dans les ports du Céleste Empire.
^'Un des placards, maintenant affichés dans tout le
Tchouanpê (Su-tchuen septentrional), est écrit comme
' ~ 42
venant de trois grands mandarins. Les gens lettrés savent
bien qu'il n'émane point de ('i^utorité ; mais, c'est aux
ignorants, à la populace que nos ennemis s'adressent.
Dernièrement, ayant appris gu'on avait afficbé u]i placard
à Hoûy-long-tchâng, villag9 situé à trois lieuçs de Yûa-
chân, j'ordonnai à un médecin chrétien nommé Lô.fty de
le déchirer. Le samedi, 22 mai^ jour de marché, mon
brave néophyte s'empressa de m'bbéir ; mais aussitôt un
forgeron, taillé en hercule, le saisit à la gorge.
'• — De quel droit viens-tu lacérer ce décret porté par
^^ trois des plus grands mandarins de l'empire ?
" — Cette affiche, répond Loûy, san^ perdre son sang-
^' froid, n'est point un décret porté par les mandarins,
'' comme tu lé dis : c'est un iofâiné liheUe sorti dô la presse
*^ des Tsin-lién-kiao. H outrage le Dieu que j^adore, il io-
^^ jurie nos prêtres et fait appel à la haine contre les chrè-
*'^ tiens ; mon devoir est de le faire disparaître.
<i — Ah I tu es ûa bàtaM de ces Européens, un suivant
^*àvi Péh-sé-to (P'ôn estmdntubm chinnis), ce chef de re«
^' belles ; tu es iin chrétien, nous allons te mener avec ton
'' Yè sou (Jésu8>."
^' Et le scélérat de terrasser Loûy et de le fouler aux
pieds. Aussitôt la populace, ameutée par deux maires de
l'endroit et un certain nombve de bornes, se précipite sur
la victime. Oelui-ci lui donne un soufflet, eelui-là des coups
•de pieds, un autre des coups de poings ; qui lui arrache
, les cheveux, qui lui craché au visage et le couvre d'or-*
dures ; d'autres^ lui brfttent les sourcils et lui pincent la
peau avec des tenailles.
^' Il sera\t trop long d'ônumérer toutes les tortures in-
fligés à notre pauvre néophyte; au boiit de quelques mi-
nutés, son corps n'était plus qp'noe plaie^ Les nom$ de
Jésus, Marie, Joseph, qu'ail répétait sans cesse au milieu de
ses souffrances, avait excité jusqu'au paroxisnie la colère
de ces forcenés. On allait le jeter à Teab, lorsque les deux
maires, instigateurs de oe forfait, craignant que la chose
n'eût pour eux un mauvais rémiltat) erdodnërent à la foule
de se retirer.
^ — Arrêtez, fe'écrièrent-ils, nous sommes assez vengés.
43
** Laissez la vie à Louy-slèn-sîn ; mais que, désormais, if
" ne revienne plus à Hoûy-Iong-lchânç faire le commerce,.
" car, pour lui, c'est la mort.*'
**Un chrétien, qui se trouvait là par hasard, et plusieurs
païens compatissants recueillirent le malheureux médecin
et le firent transporter ici, à l'oratoire. Dieu merci ! au-
cune de ses blessures ne parait mortelle ; aussi j'espère que
nous l'aurons bientôt rendu à la santé.
**J'ai porté une accusation au tribunal du mandarin de
Yûn-chàn ; la réponse a été assez bonne, mais quel sera le
jugement?"
Le 27 jnin 1875^ M. Eugène Cotlin écrivait de Tchang-où-
kien, à son frère, curé de Rossillon {diocèse de Belley) :
"D^pufe Pâques, là persécution ne s'est pas ralentie, et
mes néophytes, sur un espace de dix lieues de long et trois
à quatre de large, sont soumis à toutes sortes de vexations.
L'avenir est sombré; la guerre menace d'éclater entre la
Chine et l'Angleterre et la Russie. Lés Chinois, ignorants
et moutonniers, lie manquent pas d'en réjeter la cause sur
les missionnaires et les chrétiens. On publie, au son du
tam-tam, des placards remplis d'injures et appelant le
peuple au massacre des chrétiens. On traduit ces placards
à ceux qui ne savent pas lire ; on les commente, et on s'ex-
cite mutuellement à la haine des étrangers et des chrétiens,
leurs disciples. L'année dernière, ceux-ci étaient chassés
des marchés et rançonnnés suivant leur fortune ; cette
année les plus petites chaumières ne sont pas à l'abri du pil-
lage; les biens d'un bon nombre de familles sont occupés
par les bandits, au vu et au su des autorités qui encoura-
gent ce qu'elles devraient défendre et réprimer. Parmi
les milliers de néophytes qui ne savent encore presque rien
de la doctrine, combien y aura-t-il d'infldëles ? Je ne puis
plus rien pour les soutenir. Je Vois venir l'heure où il me
sera impossible de sortir ouvertement. Il faudra recourir
au système du secret, ne plus voyager qu'à la faveur des
ténèbres et ne plus prier à haute voix. Les vingt et quel-
ques réfugiés que je nourrissais depuis deux mois sont par-
tis peut tenter les moyens de rejoindre leurs familles dis-
persées et se préparer à l'émigration. La tempête gronde
44
■
fortement partout; oéanmoios, mon district est le seul où,
celte année, l'on en soit venu aux voies de fait Dans cer-
taines localités, les chrétiens se préparent à se défendre."
'^ Nous traversons des temps bien malheureux, écrivait
de son côté, le 21 Novembre 1875, M. Dunaud; on peut dire
que la province du Su-tchuen est devenue un nid de bri-
gands.
"Autour de nous, ces jours-ci, on a dévalisé plus de cin-
quante familles ; les brigands sont à une lieue du collège*
Alarme universelle, Mgr. PincboPi actuellemenl; en visite
pastorale à une demi-heure de notre maison, est consterna.
Il est inquiet pour notre nouveau séminaire, car nous
sommes un peu isolés. Nous n'ignorons pas, d'ailleurs,
que nous sommes désignés à la cupidité des brigands.
Hier, sur le conseil de Monseigneur, j'ai retiré le très-saint
Sacrement, et mis en sûreté nos objets précieux. Le gé-
néral en chef de la garde nationale, un excellent chrétien^
nous est tout dévoué ; il est notre procureur. Au premier
signe, il accourra ; mais les Chinois font des coups hor-
ribles en moins de rien. Les mandarins sont complices,
car ils ont soin de tout ignorer.
^'J'oubliais de vous dire que Moù-pin était à feu et à
sang depuis plus de six mois. Jusqu'à présent, on n'a pas
touché à notre maison, grâce à notre confrère, M. Této,
que l'on craint comme *' diable occidental."
Six mois plus tard, le 20 mai 487.6, Mgr. Pinchon, vicaire
apostolique du Su-tchuen occidental, écrivait:
" A lun-chan bien, petite ^ous-pr^fecture située dans les
montagnes, nous avions érigé un assez bel oratoire. Il
n'était pas achevé que, subitement, deux ou trois mille
païens, ayant à leur tête quelques lettrés, se portèrent sur
notre maison, la pillèrent complètement e.t la démolirent.
M. Bompas, missionnaire de Inn-chau-hien, pQur échapper
à la fureur de ces sauvages, se jeta dans la rue par une
porte de derrière. Il ne. put sauver que les habits dont il
était vêtu. Nos pertes indépendamment de la somme dépen-
sée pour la construction de l'or.atoire, ont été fort grandes.
Les vases sacrés, les ornements, sacerdotaux, tQus.le^ eSets
et les livres de M. Bompas ont été emportés, brûlés ou dé-
45
'truits. Cet acte de vandalisme s'est exécuté en plein midi.
zLi6s chrétiens de lunchan-hien sont peu nombreux,
pauvres, timides, et ils vivent eu bons rapports avec les
païens du voisinage. De Taveu des mandarins, tous les
torts sont du côté des païens; Qéanmoins, aucune justice
ne nous a été rendue. On dirait qu'il y a, contre la reli-
gion chrétienne, une conjuration générale qui prend son
• origine dans les prétoires. Ce qui nous le prouve, c'est le
déni de justice, c'est l'audace croissante des païens, ce sent-
ies placards les plus infimes qu'on affiche partout."
Le 16 août 1876, le môme prélat nous écrivait :
"L'année dernière, je vous ai parlé de troubles survenu»
à Chouen-kin-fou Les promesses que l'on m'avait faites
me donnaient l'espoir que l'on rétablirait l'ordre, que l'oa
jugerait et punirait les coupables, et que notre oratoire
pourrait enûn se relever de ses ruines. Je m'étais trompé.
Au mois de janvier 1876, le gouverneur du Su-tchuen a été
changé, et son successeur est l'ennemi juré des Européens,
par conséquent des chrétiens. Ce changement a déjà eu
• et a encore tous les jours des conséquences désastreuses
pour la mission. A Chouen-kin-fou, notre oratpire n'a pas
été rebâti,, les coupables n'ont pas été arrêtés ; et la posi-
tion est restée telle quelle, malgré nos efforts réitérés pour
obtenir une solution acceptable. Les bandits, protégés par
l'inertie des fonctionnaires et enhardis, par l'impunité^ se
multiplient et menacent de tout anéantir.
" Vers la fin de l'année dernière, lors des examens pu-
blics dans la petite ville de lun-chan-hien, les bacheliers,
au nombre de sept à huit cents, se ruèrent sur l'oratoire
que nous venions.de bâtir, le pillèrent, et, aidé de la po-
pulace, le démolirent et en emportèrent tous les matériaux.
L'innocence, des chrétiens a été reconnue, même par le
-sous-préfet de la ville dans son rapport au gouverneur^ et
cependant nous n'avons pu obtenir aucune satisfaction.
'' Le 20 juillet dernier, la populace coalisée des trois sous-
préfectures de Loui-kiang-hien, de Iuin*tchong-hien et de
Long-tchoQg-hien prit les armes, et, drapeaux en tète, en-
vahit les chrétientés les plus florissantes de Loui-kiang-hien.
Les révoltés se jetèrent sur les chrétiens, pillèrent, puis
46
démolirent ou brûlèrent leurs maisons, blessèrent un grand"
liombre de néophytes et réservèrent les plus notables pour-
les égorger avec des raffinements de cruauté. On attacha
les vidtimes sur une grande croix de bois, et on les coupa
en morceaux, comme ferait un boucher sur son étal.
Ainsi furent massacrées quatorze personnes, parmi les-
quelles un enfant de deux ans et un autre de cinq. Ces
pauvres petits n'étaient pas encore baptisés; mais, enfants
de néophytes, ils ont été tués en haine de la religion. Les
handits ensevelirent d'abord dans une fosse commune tous^
les cadavres mutilés, et. quelques jours plus tard, les exhu-
mèrent pour les livrer aux flammes. Les cendres ^n
furent jetées au fleuve ou dispersées dans les champs. Ils-
agissaient ainsi^ afin qu'on ne pût leur montrer ces ca-
davres, comme des témoins irrécusables de leur crime.
" Les scélérats ont occupé militairement le- pays jusqu'à
ce jour. Ils vont de localité en localité, blessant, tuant les
chrétiens qu'ils rencontrent. Un néophyte, nommé Loù,^
saisi par eux, a été garrotté et enterré vivant. Jugez de la
terreur qu'une telle sauvagerie a répandue dans tout le
pays. Plus de la moitié de nos chrétiens de Loui-kiang-
hien ont apostasie, pour sauver leurs maisons, leur fortune
ou leur vie ; quelques-uns aussi, devenus Judas dans l'é--
preuve, se sont tournés contre nous et nous causent le plus
grand mal. C'est une désolation générale.
^'Le nombre des morts déjà connus est* de quatorze,,
mais on pense quMl y en a davantage. Actuellement, il.
nous est impossible de faire une enquête et de connaître^
les détails.
^' Dans cette dernière et si triste affaire, nos mandarins
ont donné des ordres bons en apparence, mais tout à fait
inefS^caces. Ils n'ont pas un nombre de satellites et de-
soldats suf&sant pour les opposer à cinq ou six mille
pillards. Et pois, en réalité, ce sont tes mandarins eux>
mêmes qui ont favorisé ces soulèvements populaires-
Depuis plus de quatre mois, tous ces désordres existent
dans une mission voisine de la mienne, et nos mandarins,,
granis et petits, ont catégoriquement refusé tout secoc^^
tout ordre, tout édît, capables de réprimer les troubles. DeT
47
^lus, on fait librement circuler des placards séditieux,
appelant le pauple au massaore des Européens et des chré-
tiens. Nos mandarins connaissent Texistence de ces
libelles. Maintes fois, je les, ai priés de prendre des ibesures
pour empêcher ces infâmes publications ; ils n'en ont rien
.fait. Plusieurs fonctionnaires, sinon tous, favorisent secrè
tement la circulation de ces écrits indignes."
M. Coupât écrivait, le 8 septembre 1876 :
^^ Dans la sous-préfecture de Lin-choui-hien, ce n*est
plus la persécution des temps passés, c'est l'extermination :
17 ou 18 stations sont anéanties ; les 7 ou 8 qui restent le
fieront dans quelques jours. 0 mon Dieu ! quand aurez-
vous pitié de nous ? Déjà près de 400 maisons sont brûlées
et notre oratoire de la ville n'a plus pierre sur pierre.
'^ C'est à la mort du mandarin de Lin-cboui que la perse
cution s'est déclarée. J'allai trouver le mandarin intéri-
maire. Apès m'avoir écouté, il me dit que je devais partir
et partir sans retard. Je me rends à Kan-ky-tchang, pour
demander conseil à mes deux confrères voisins ; puis, je
me mets en route pour^Lin-choui. A moitié chemin,
j'apprends que Toratoire est démoli et que les maisons des
chrétiens sont détruites. Le 5 septembre, la ville avait été
envahie par plusieurs milliers de gens armés, et, vers quatre
heures du soir, l'attaque de l'oratoire et des maisons avait
commencé. Parmi les assaillants, il y a, dit-on, quatre
cents hommes de Eiang-pee (Su-tchuen oriental) ; ils
répètent qu'ils ont ordre de leur mandarin, de l'empereur
môme, d'exterminer tous les chrétiens ; aussi se vantent-
ils de faire partout ce qu'ils ont fait à Lin-choui.
<^ Nous avons actuellement, à Kan-ky-tchang, près de
deux cents fugitifs, et nous ne tarderons pas à en avoir de
six à sept cents."
Le 11 septembre, Mgr Pinchon écrivait à Mgr Desflèches ^
^' On m'apporte la triste nouvelle que, le 7 septembre,
les brigands de lun-hinmiao, appelés dans la ville de Loui-
kiang, y ont détruit notre oratoire et toutes les maisons des
chrétiens. Le mandarin n'a rien empêchée"
A la date du 15 septembre, Mgr Pinchon écrivait encore
' il Mgr. Desflèches :
48-
" Nos ennemis inondent la province de lettres incen-
diaires, convoquent les milices à une réunion générale pour
massacrer, assure-t-on, les chrétiens et les Européens pTS-
qu'au dernier.
"Je vous ai annoncé la deslruction des. oratoires de
Loui-kiang et de Lin-cboui-hien, ainsi que des maisons des
chrétiens de ces deux districts. Que de désastres 1 Les-
chrétiens sont poursuivis comme des bétes fauves ; on leur
demande la vie ou l'apostasie ; aucun d'eux ne peut plus-
relourner chez lui. Que faire de tout ce monde si mal-
heureux ? " .
M. Coupât écrit, le 24 septembre :
" A Lin-chôui, on met en pratique le manuel Kyldn-low
(manuel indiquant la manière d'en finir avec les chrétiens
et lés Européens). Dans chaque toan (compagnie de la
garde nationale) est étahli un kiou (tribunal) chargé de
rechercher tous les chrétiens sans exception. L'apostasie
ou la mort, l'expropriation des biens immeubles,. la spolia-
tion totale : tel est le sort qui leur est. réservé.
*' Les mandarins.ne veulent pas que nous retenions dans
nos maisons les chrétiens fugitifs sous prétexte que cela
enflamme de colère nos ennemis. On m'accuse de léunir
des bataillons pour la révolte, parce que je recueille les-
chrétiens sans asile/'
Les dernières nouvelles reçues du Su-tchuen occidental
sont d'une grande gravité. M. Voisin nous conimunique
nne letije de Mgr.. Pinchon, écrite le 8 octobre 1876. Nous-
y trouvons les informations suivantes :
" La persécution ravage moa vicarint dans la partie qui
avoisine la iniçsion de Mgr Desflëches. Nos désastres sont
horribles et nos dépenses au-dessus de nos forces.' Nous
avons pliis 1,000 personnes à nourrir. De 3^0 à 40 personnes
ont été déjà massacrées. Le npmbre des blessés eçt incal-
culable. Toutes les maisons des chrétiens sont pillées,
puis brûlées. Nos persécutés ne peuvent même pas retour-
ner vers les ruines de leurs maison^, car. on les poursuit
avec le couteau et on les tue. .
" Comme, dans plusieurs provinces, les païens se soulè-
Tent en masse contre les chrétiens et lès mettent à mort,»
49
00 serait porté à croire qu'il y a une conjuration générale
eontre le catholicisîme.' Veuillez beaucoup prier four
nous."
II.
SU-ÏCHtEN ORIENTAL.
r
t
* ■
M. Leuoir, de la Société des Missions-Etrangères de Pari&,
écrivait la lettre suivante de Tcliong-king, le 15 décembre
1875 :
" Vous connaissez Theureuse issue du long. procès occa-
sionné par le nneurlre de MM. Hue et Michel Tay. Grâce
àreffîcace intervention de la légation de France 4 Pékinget
au voyage de MM. de Roquette etdeBezaure au Su-tchuen,
justice nous a ^té rendue. Bien que cette satisfaction, en
partie au moins, n'existe, encore que sur le papier, cela est
déjà beaucoup en Qilue. Jusqu'à ce jour, en toute cette
afbire, il n'a pas été répandu d'autre sang que le sang de
nos deux martyrs. Pour les nombreux accusés, tous gra-
vement coupables, un seul malheureux, non accusé par
nous, a été condamné à être étranglé. Quand aura lieu
l'exécution ? Probablement jamais ; et, nous n'y perdrons
guère en influence, car tout le monde sait que c'est un
homme acheté.
" Ce qui, aux yeux des populations, fait noire succès,
c'est d'avoir pu faire déclarer : !<> que le mandarin de
Kouy-ku hin est uou seulement responsable, mais direc-
tement et giavement coupable, et, comme tel, passible de *
l'exil perpétuel, et ne doit qu'à l'intervention de Mgr
Desflèches l'adoucissement de sa peine ; 2^ que deux-
notables globules^ complices du mandarin de Kouy-ku-
hin, ont mérité la mort et ne doivent la vie qu'à la prière
du vicaire apostolique j. . 3*^ enfln que ces deux décisions
seraient portées à ^ contiaissance dû public.
" En France, un tel jugement semblerait de peu d'im-
portance. En Chine, si les promesses de réparations d'in-
justices dans le passé et de garanties pour l'avenir soii fidë-
lement observées, comme les mandarins s'y sont tous
50
•engagea par serment 6t par écrit, ce jugement a une grande
valeur. Mais, ici, promettre et tenir sont deux choses biea
différentes ; et, de fait, après six mois d^attente, aucun des
articles n'a encore été mis à exécution. Nos mandarins,
même à globule rouge, se laissent facilement aller au men-
songe et à la fourberie ; ce sont, pour eux, des moyens
naturels et légitimes s'ils les mènent à bonne fin. En voici
quelques exemples.
*' M. de Roquettes avait consenti à ce que, pour les nom-
breux assassins accusés, deux seulement, des six non
accusés par les missionnaires, mais donnés pour les vrais
coupables (1), fussent condamnés à mort et eussent la tête
tranchée. A force d'instances, les mandarins obtinrent
qu'un seul serait décapité et que l'autre gérait étranglé, lis
eurent l'audace, alors, de désigner comme devant être
décapité le nommé Tchen-tson-fa, qu'ils savaient mort
depuis longtemps; et le^ vice-roi, qui le savait aussi bien
qu'eux, s'abaissa jusqu'à couvrir de son approbation ce joli
tour de diplomatie chinoise et à prier, avec la plus exquise
politesse, M. de Roquette, d'y joindre sa signature. --M. de
Roquette, s'élant aperçu plus tard de cette insigne four-
berie, en fut justement irrité. Il çoHsentit cependant, à la
prière de Mgr Desflèches, à ce que, selon la légalité chinoise
pour certains coupables, le ^' défunt " Tchen-lson-fa eût la
tête tranchée, sans qu'il fût nécessaire de condamner à
-mort un autre malheureux.
'^ Un journal anglais de Chang-hai faisait dernièrement
remarquer que, au Chan-tong, les autorités chinoises vou-
laient faire condamner à mort un Anglais pour avoir tué
un Chinois, et que, quelque temps après, ce Chinois fut
rencontré vivant et en très bonne santé. Croyez-vous que
nos mandarins rougissent de tels actes ? Détrompez-vous.
La Chine est par excellence le pays des fourberies.
** Ici, au Su-tchuen, dans îé pays de Yeoii yang, pour se
disculper d'avoir fait massacrer, danfe l'église même, M.
Rigaud et plusieurs dizaines de chrétiens, nos mandarins
{l) Ces six, accusés seulement par les mandarins, sont le? six mal*
Jieureux achetés, parmi lesquels se trouvent Sié-kia-fun et Tch6n-t50D-/s«
51
eurent bientôt à leur service des expédients de leur inven-
tion. Ils firent des chrétiens les persécuteurs, et des païens
les persécutés. On dressa une liste '' exacte '* de tous les
cadavres des gens du '^ bon peuple '* massacrés par les
chrétiens. Il y avait des vieillards, des femmes, de&
enfants^ en tout deux cent soixante cadavres examinés un
à un par les mandarins, qui, de plus, avaient compté le
nombre et le genre de blessures de chaque victime. La
relation ajoutait, en note, que, ^^ outre ce nombre connu,
il y avait un nombre inconnu de victimes dont on n'avait
pu découvrir les traces." Cette pièce, revêtue du sceau du
sous-préfet, du sceau du préfet, du sceau du viceroi, fut
envoyée à Péking. Le tsong ly-ya-niien, fort de cette trou-
vaille, en fit la base de son fameux mémorandum de 1871
qu'il s'empressa d'envoyer aux légations de France, d'An-
gleterre, de Russie, d'Amérique, etc., d'où il passa à toutes
les cours d'Europe et fit bientôt le tour du globe. Dé là,
indignation générale contre les missionnaires et leurs
néophytes, réclamations de certains journaux contre le
gouvernement français qui protégeait de tels hommes.
Mgr Desflèches était alors en France. Il prolesta immé-
diatenient, et s'engagea à fournir,dès son retour en Ghine^
toutes les preuves nécessaires pour démontrer, jusqu'à
l'évidence, la fausseté des faits allégués par le gouverne-
ment chinois (1).
" Sa Grandeur porta elle-même son mémoire à Péking,
M. de Geofroy, alors ministre de France en Chine, voulut,
avant de le présenter à l'empereur, s'assurer, par un agent
de son gouvernement, de la vérité des faits contenus dans
le mémoire, et il délégua M. Blancheton, consul de France
à Han-kéou, pour aller les examiner «ur les lieux mômes.
Le rapport de M. Blancheton confirma entièrement le mé-
moire du vicaire apostolique. Or, d'après ce mémoire, il
(l) Devant MH. Thîers et de Rémusat, qui chargèrent M. de Geofroy
de faire pan-enir les réclamations du prélat jusqu'à Temperenr de^a
Chine. Malgré ces hautes recommandations, malgré les ai&rmâtions
d'un consul de France sur la vérité des fiilts allégnés, le mémoire de
Kgr Desflèches est encore dans les cartons de la légation de France à
Péking.
52
consiste que : l^\(ies deux cent soixante personnes massa-
crées par les chrétiens en 1869, plusieurs n'ont jamais ex-
isté; 2o quelques-unes étaient, à cette date, mortes et en.
terrées depuis dix et .vingt ans'; 3« le plus grand nombre,'
une centaine environ, vivent encore... Croyez à l'histoire
chinoise ! Des malheureux ont été condamnés, qui à l'exil,
qui à la mort, pour avoir tué tout ce monde." Parmi les
chrétiens condamnés se trouve un de nos prêtres indigènes,
leur curé.
" Ce jugement était inique,, odieux, ridicule. Nos grands
madarins eurent cependant l'habileté de le faire approuver
par M. de Rochechouart, qui voulut que M. Mihières,
supérieur de la mission du Kouang-si, alors de passage
à Han-kéou, le signAt, au nom de la mission du Su-
tchuen oriental. Il n'est pas nécessaire d'ajouter que
M. le chargé d'affaires en France, indignement trompé par
im globule rouge, ne croyait approuver et faire signer que
la convention conclue pour le meurtre de M. Rigaud et
l'incendie de notre église, et non pas la condamnation de
nos chrétiens. Lorsque M. Mihières sut que les mandarins
avaient eu la fourberie de ne faire qu'un tout et de la con-
vention et du jugement contre les chrétiens, jugement tenu
caché, il s'empressa de protester et de retirer sa signature
par une lettre envoyée à Péking, mais qui est restée '' lettre
morte." .
" Toutefois, nous ne sommes pas sans espérer que la
vérité se fera jour et qu'enfin justice nous sera rendue."
Le 8 avril .1876, un soulèvement a eu lieu contre les
chrétiens, à Kiang^pêe, faubourg de Tchong-king. Voici
les détails que nous trouvons dans une lettre écrite le 24
juin, par M. Pons, delà Société dés Missions-Etrangères :
"La ville de Tchong-king-fou, chef-lieu de {préfecture,
est traversée par une petite rivière qui débouche dans le
grand fleuve, à une extrémité de la ville. Le côté le plus
populeux est appelé Tchong-king, et c'est là que réside Mgr
Desflèches ; l'autre est nommé Kiaog-pée, et il est gouverné
par un mandarin inférieur.
" C'est à Kiang.pée que la persécution sévit en ce mo-
ment, sous les yeux de Mgr Desflèches, impuissant à calmer
53
la tempôte, à cause du mauvais Touloir et de la haine sata-
nique des mandajeiaa. Plus de 300 maisons de chrétiens
ont été pillées et livrées aux flammes ; plus de 50 chrétiens
ont été massacrés. Sur les routes et à rentrée de la ville,
des hommes, postéi^.èn faction, interrogent et fouillent les
passants. Ceux qui sont reconnus pour des chrétiens sont
aussitôt massacrés et leurs corps précipités dans la rivière.
^' Les chrétiens qui ont pu fuir se sont réfugiés auprès de
"Mgr Desfièches. Ces malheureux, sans asile, sans pain,
-privés de leurs parents ou de leurs enfants, présentaient un
spectacle indescriptible. Mgr Desflèches en entretient à
ses frais une centaine. D^autres ont été répartis entre les
meilleures familles chrétiennes de Tchongking qui par-
tagent avec eux le riz quotidien. . Mais plus de mille chré-
tiens sont sans asile, sans foyer, sans récolte prochaine.
" Toute la mission a été ébranlée par cette tempête. Au
milieu des troubles et des dangers, Mgr Desflèches est d'une
fermeté tout apostoliquf^. C'est lui qui console, encourage
•et afTermit nos pauvres chrétiens. Dernièrement, le plan
était arrêté de frapper le vicçtire apostolique et les chrétiens
de Tchong-king. Par une assistance divine, la conjuration
a été déjouée. Dieu nous accorde enfin la paix et la tran-
quillité. Le principal instigateur de la persécution, saisi
d'un trouble indéfinissable, vient de pendre, dans sa maison,
sa femme et ses enfants; et, après avoir jeté leurs cadavres
dans le fleuve, il s'est pçndu lui-même. Dans un village,
•où beaucoup de chrétiens ont été poursuivis et massacrés,
plus de quarante païens se sont- précipités dans le fleuve.
Presque partout où a sévi la persécution, les païens disent
qu'ils voient des légions. d'hommes habillés de blanc, tenant
des glaives en main et poursuivant les ennemis des chré-
tiens."
'^ La permanence de la persécution de Kiangpée, nous
écrivait-on le 8 septembre, tient ^n suspens les bons man-
darins qui n'osent, par crainte du tao-tai, se déclarer en
notre faveur, et excite le peuple, môme les milices rurales,
à préparer de nouvelles attaques contre nos chrétiens. Si
le tao-tai et le mandarin de Kiang-péc ne sont point pro-
«chainement changés, nous ne pourrons éviter d'immenses
54
désastres. D'ailleurs, étaat les principaux coiijmbles et ac-
cusés, ils ne peuvent être nos juges, et ils le seront pourtant
s'ils ne partent d'ici. On a arrêté des ten-hoa-kiao (digni-
taires de la franc maçonnerie chinoise). Ils ont fait des-
révélations qui établissent que les tsin*lien-kiao (franc^s-
maçons) sont les promoteurs de ce soulèvement gtoéral/*
Le 13 septembre, M. Provost écrivait de Tchong-king :
" Il n'est plus guère permis de douter que, si le gouverne-
ment chinois n'a pas décrété officîeilemeat la persécution, il
voit dû moins de bon œil la dévastation de nos chrétientés^
Au point où les choses en sont arrivées, il est évident que
missionnaires et chrétiens reçoivent les coups que les Chinois
n'osent décharger sur les Européens. Beaucoup dç Chinois-
sont massacrés parce que, étant chrétiens, ils ont de lar
sympathie pour les étrangers ; on veut se débarrasser d'a-
bord de ceux qu'on représente au peuple comme les émis-
saires et les auxiliaires des Européens."
Nos dernières nouvelles sont du 29 septembre 1876. A
cette date, Mgr Desflèches écrivait :
" Hier, on est venu à Kiang-pée enlever ici deux chré-
tiens. Voici le procédé. Un chrétien, dont la maison a
été pillée et brûlée, porte plainte ; les manîdarins ne bou-
gent pas. Les pillards accusent alors le chrétien d^un
crime imaginaire. Aussitôt on le recherche, on le mène
au mandarin qui fait étaler devant Utiles instruments de
supplice. Le chrétien déconcerté perd là tète et signe un
billet où il reconnaît avoir faussement porté plainte et
n'avoir été ni pillé ni poursuivi."
LA NOUVELLE NURSIB.
m^TOinn D'CNB GOLOKIB BâKâl>I€TIHfi DANS L'aD9TRAUB'
OC<ÎÎDENTALfi
* »
—1846-1877 —
CHAPITRE PREMIER
Vocation des RR. PP. Serra et Salvado à Taposlolat des Australiens. —
Audience de Grégoire XVI. — Départ et voyage des missionnaires.
Les grands vtnts de Paulomne n'emportent an loin les
démences des plantes des vallons ou les graines des arbres
des forêts ç[ue pour reproduire en d'autres- lieux une nou-
velle Yégétation. On peut dire que parfois aussi la Provi-
dence se sert du vent de la persécution pour porter dans
des contrées lointaines la précieuse semence de l'Évangile.
■C'est à l'ouragan politique, qui bouleversa l'Espagne en
i 835, tfue les sauvages de l'Australie occidentale sont i-edeva-
Wes de la connaissance de la religion chrétienne et des
avantages de la civilisation.'
Deux moines Bénédictins de l'insigne abbaye de S int-
^lartin 8e Composlelle, en Galice, les PP. José Serra
et Rosendo Salvado, chassés, jeunes encore, de leur cloître
par les libéraux espagnols, se réfugièrent en Italie. Accueil-
lis avec tttie affection toute fraternelle par les Religieux
de la grande abbaye de la Trinité de La Gava, dans le ro-
yaume de Naples, ils passèrent quelques années paisibles
dans ce monastère. Mais ils étaient, à l'insu Tun de
l'autre, poursuivis par la même pensée, qui avait jadis
poudsé à la conquête des ftme» tant d'apôtres sortis du
«cloître bénédictin. Puisque la révolution triomphante sem-
Wàit letir iilterdîre, pour de longes années encore, l'accès
ée leur patrie et le retour dans ces murs bénis qui avaient
abrité^ leur jeunesse monastique, ils voulaient se consicrer
aux laissiions dans les plus lointains pays du globe.
56
Mais laissons parler le P. Salvado, qui a tracé avec une-
grande simplicité, et non sans charme, dans ses Mémoires
sur V Australie^ les émouvantes péripéties de sa vocation à
Tapostolat.
*'^ Noiifr avions l'an et l'autre depuis longtemps, dit-il, la
pensée de nous consac^^r aux missions les plus abandon-
nées de la terre ; mais un vif sentiment de reconnaisan.
ce nous retenait dans T^^bbaye de La Gava. Les Religieux
de cet illustre monastère nous avaient accueillis avec tant
de bonté, lorsque nous étions arrivés pauvres et fugitifs de
l'Espagne, ils nous avaient prodigué les marques d'une af-
fection si fraternelle, que la pensée de les quitter, après
plusieurs années de vie commune, nous semblait un acte
d'ingratitude. Cependant l'appel d'Ea-haut se faisait en-
tendre toujours plus vivement à nos cœurs, qui sduETraient
l>eaucoup de cette lutte inté.rieuxe eotre des devoirs et de&
sentiments si opposés. Enfin, la grâce divine triompha et
nous fit comprendre que toute considération humaine de-
vait s'effacer devant la volonté du ciel.
'^ Jusqu'à ce moment, nous ne nous étions point ouvert
l'un à l'autre sur nps aspirations secrètes à la vie d'apôtre '^
nous n'en parlions que d'une manière générale. Le 1(
Juillet 1844, en revenant de notre promenade qi^o.tidienne
dans les bois touffus qui entourept La Gava, mon com-
pagnon D. José Serra, d'un corps chétif, mais d'une
âme ardente et d*un esprit élevé, me dit tous à coup:
'< — Cette vie de missionnaire, dont nous parlons sou-
^^ vent, a quelque chose de grand, de généreux qui me trans-
^' porte; il me semble que c^eetla plu^s^ parfaite des m.uvres
^< de charité, mais..." Je l'interrompis, pensant qup. les
fatigues et les dangers de cette vie d'apôtre l'eçipôchait de-
m'inviter à la partager avec lui, et je lui déclarai, que les-
mission^ étaient au^si toute l'ambition de mon cœur. —
^^ Dieu soit béni 1 me dit-il avec joifi. . Si vous avez ce cou^
rage, je suis voire compagnon, à la vie^ à la mort"'
Je m'attendais à cette réppnae, et elle me remplit de c<m'
solalion. Je lui ouvris entièxameal mon ;^e, et lui apj^ris
que, .deflpuis longtemps, je pensais à me consacrer à
l'évangéUsation des païens ou des sauvages et que déjà
^
57
3'avats fait quelques démarchea dans ce sens. Noua nous
entretînmes longtemps, et, en nous séparant, noire dernière
parole fu t celle-ci : ^' — Recommandons à Notre*S^igneur,
^^ & la Madone et à saint Benoit ce grand dessein."
'^ La nuit suivante, le somaieil ne put clore nos pau-
pières; nous ne pensions qu'aux missions étrangères, à
leurs difficultés, à leurs dangers* mais aussi à leurs cé-
lestes consolations. Le lendemain, nous étions réunis de
nouveau, après l'office divin, nous nous sentîmes encore
plus raffermis dans notre résolution, et^ ageuouillés dans
régUse de Tabbayevnoùs unies à Dieu la promesse^de nous
-consacrer jusqu'à ta mort au sahit des infidèles en fondant
parmi eux un monastère de notre Ordre, si nous en ob-
tenions la permission de uns supérieurs. Il fut résolu que
nous manifesterions secrètement d'abord nos désirs à la
S. C. de la Propagande pour savoir si notre offre serait ac-
ceptée. Ayant obtenu du Rni« abbé de La Gava la permis-
sion de faire un pèlerinage aux tombeaux des saints
Apôtres, BOUS dl'Sposdmes toutes choses pour le départ.
^'Le 26 décembre 1844, l'aube blanchissait à peine le
•sommet des montagnes au milieu desquelles est placé le
monastère de la Sainte-Trinité, que déjà, couverts de nos
-manteaux, nous étions à- genoux devant un tableau de
Notre-Dame du Secours, que j'avais apporté d'Espagne.
Après lui avoir recommandé avec beaucoup de larmes et
de prières notre hardi projet, nous allumâmes deux torches
de cire deiant la Madone et nous sortîmes, le cœur très-
ému, de ce monastère qui nous avait si doucement abrités^
pendant les années de notre exil. A peine en rente pour
Nocera, notre petite voiture fut précipitée dans un
i*avin. C'était sans douté une première attaque de l'esprit
des ténèbres, qui devait dans la suite nous tendre tant de
pièges. Grâce à nos saints anges, l'accident n'eut pas
-diantre suite qu'ini assez long retard, et^ la veille du pre-
mier jouir" de l'âu 184$, noQs arriviona à Rome."
Nott deux môinée pèlerine, sans perdre de temps, se pré-
-sentenià la Propagande dès le lendemain du jour de leur
arrivée à.Rome ; ils y rencontrent Ia iecfétaire de la Con-
grégation, Mgr Br^nelli, auquel ils êonmétlént en toute
simplicité leur projet.
58
'^ — Dans quelle mission, leur denuada-til, youlez^vaus^
travailler au salut des âmes ?.
" — Nous serons heureux, Monseigneur, d'évangéliser
les païens et les sauvages dans n'importe quelle partie du
monde où l'on voudra bien nous envoyer.
'^ — Il est possible que la Propagande vous destine à la
mission de TAustralie orientale où se trouvent déjà des-
Religieux anglais de votre Ordre et où il y a beaucoup de
saavages à convertir.
'^ — Dans une matière de cette importamce, ajoute le P.
Salvado^ nous ne voulions pas avoir de volonté propre ;:
aussi nous reçûmes les paroles du secrétaire de la Propa*
gande comme un oracle venu du ciel, et nous nous con-
sidérâmes dès lors comme missionnaires de l'Australie."
Mgr. Brunelli les avait adressés au Rév. Brady, qui
n'était pas encore revêtu de la dignité épiscopale et qui fut
très-heureux de recevoir pour sa mission deux ouvriers
aussi dévoués, car il pensait bien les amener à Perth, si la
colonie de Swan-River était distraite de l'autorité de l'Ar-
chevêque de Sydney* La Bcopàgaitâe, ayant pris Içs in-
formations ordinaires sur le$ deux moines espagnols, reçut
les meilleurs renaeignementA et con&rma la destination
déjà indiquée par Mgr Brunelli. Us pensaient euxsGOiêmes
que leur sort était euiièren^eut décidé et ils écrivirent à
l'abbé de La Gava, leur supérieur immédiat, pour obtenir
la permission d'échanger la vie ducloitre contre la vie de
mission jusqu'à la fondation d'un nouveau monastère et
pour recevoir sa bénédiction paternelle. En attendant sa
réponse, ils voulurent faire le pèlerinage de la grotte de
Subiaco,où 8t. Benoit avait mené la vie érémi tique./' Nous
y arrivâmes, dit le P» Salvador le 21 janvier 1M5. U me
serait impossible d'exprimer tes $enti[meQts de respect et
d'amoor ûlialè qu'excita dans nos cours la vu^ de ce lieu
vénérable. Dans cette caverne, uon^ dision&oousi vrai
berceau de l'ûrdrabéuédictiny aleugjtemps vécu ce grand
patriarche des. moines de l'Ocoîdept que l'oi^ peut appeler
le restaurateur de -la civilisatio»^ e^ Europe par sesQuIant^
etPapôtte des plus grandes nations 4b rJBJuitipe- AVfsi,.
en ofErant l'auguste sacrifiée d^ns cette sainte grot^tei jooub^
59
«68 derniers enfants, qui allions porter son nom et sa règle
4an8 un nourean monde, nous le suppliâmes de nous cou-
vrir de sa puissante protection, afin que nos travaux ser*
vissent à la dilatation de la ifoi chrétienne à laquelle il
avait consacré sa vie tout entière/'
Leur dévotion filiale satisfaite, les PP. Serra et Salvado
retournèrent à tlome. Une épreuve les 7 attendait. Le
Rme P. Candido, abbé de La Gava, leur faisait répondre
qu'il ne pouvait accorder son consentement à leur départ
pour les missions. Il craignait que le projet des deux
moines espagnols ne fût que le résultat d'une ardeur ir-
réfléchie ou peut^-ètre un regret de la patrie absente qui
leur rendait pénible leur séjour dans un monastère d'Italie»
Les deux Religieux se résignaient déjà, malgré leur pro-
fonde douleur, à rentrer à La Gava ; mais Mgr Brunelli, in-
formé par eux de cet événement inattendu, leur rendit cou-
rage, et, au nom dii Saint-Père, leur défendit de sortir de
Rome avant que toute l'affaire n'eût été entièrement éclair-
<:ie. Après avoir parlé au cardinal-préfet et pris les ordres
du Souverain Poûtife, il fit écrire à- l'abbé de La Gava
<iu'il n'existait aucune raison sérieuse qui pût empêcher
les PP. Serra et Salvado de se consacrer à la mission d'Aus-
tralie. Peu de jours après, le Rme P. Gandldo leur écri-
vait qu'il avait voulu seulement 8*assurer de la réalité de
leur Tocation ; il leur donnait donc de tout cœur son con-
•sentemeut aveô sa bénédiction et priait le Seigneur de
rendre très fructueux leur lointain apostolat.
Sur ces entrefaites, le Ré\% Brady recevait Tonction
-épiscopale (18 mai), et obtenait que les moines espagnols
fussent attachés à son diocèse de Perth. Le 5 juin 1845,
le nouvel évéque les conduisit, avec ses missionnaires, à
l'audieoee du Saint-Père. Grégoire XVI fit aux futurs
apôtres de PAustralie occidentale une courte et vive ex-
hortation ; il donna un crucifix d'argent à Mgr Brady, et
une médaille du même métal à chacun des missionnaires ;
elle portail d'un côté son effigie, et de l'autre la figure de
Noire-Seigtteùr ordonnant aux apôtres d'aller prêcher
l'Évangile dans tout l'univers. Il les bénit ensuite pater-
nellement à mesure qu'ils venaient baiser ses pieds sacrés.
60
Mais, lorsqu'il vit agenoailléa. devaat lui les deux moines-
espagnols, se fiOUTenaat que, lui aussi, était enfant de saint
Benoit par saint Romuald^il posa sesjxiaîns sur leur téteV
en disant: ^^ — B appelez-y o^s, mes fils, que vous appar-
tenez à la grande famille de notre glorieux patriarche, saint
Benoit, votre père et le mien. Vous allez entrer dans la
voie parcourue par d'illustres apôtres, qui étaient nos
frères. Ils ont converti à la foi chrétienne une grande
partie des peuples de TËurope^ils leur ont procuré les bien-
faits de la civilisation, et, par leurs prédications, par leurs-
travaux, ces populations barbares ont été transformées en
nations policées. Allez donc, faites honneur au saint
habit que vous portez, et que le ciel bénisse votre zèle et
rende votre apostolat fructueux 1 "
Deux jours après cette audience, les PP. Serra et Sal-
vado, ayant pris congé des moines de Saint-Paul hors des
murs, qui les avaient comblés de témoignages d'affection,
des cardinaux et des prélats, qui avaient secondé leur des-
sein» partaient de Rome pour la France avec Mgr Brady
et toute sa troupe de missionnaires. A Lyon, ils furent
accueillis avec une grande charité par les PP. Maristes
qui évangélisaient déjà plusieurs îles de TOcéanle. L'évê-
que de Fertb expqsa au Conseil central de TGËuvre de la
Propagation de la foi les besoins de son diocèse naiss^mt.
A Paris, les PP. Serra et Salvado visitèrent la colonie
des Bénédictins de Solesmes qui venait de s'établir dans
cette capitale. ^' Nous fûmes reçus comme des frères, par
le pieux et docte abbé Dom Prosper Guéranger, restaura
teur de l'Ordre bénédictin en France, et par ses Religieux,,
raconte M. Salvado. Pendant notre séjour à Paris» nous
allions souvent les voir, et le 11 juillet, Mgr Brady fut in-
vité par le vénérable abbé à officier pontiftoaleinent dans la
modeste chapelle^du nouveau prieuré de Saint-G«rmain (IV
<4) Ce monastère» dont le R. P. Jean^Baptiste f^tra (aujoord'hai car-
dinal et bibliothécaire de la sainte Bgli9e romaine) était prieor, ne put
subsister longtemps à cause du défaut de ressources et aussi, il faut le
dire, par suite de la guerre sourde que lui faisaient les Gallicans de
Paris.
pour la fête de la translation en France des ossements sa-
crés de notre glorieux patriarche saint Benoît. Plusieurs de
ces Religieux désiraient se dévouer avec nous à Tapostolat
des sauvages australiens ; mais le R™^ Dom Guéranger, qui
portait cependant un grand intérêt à notre entreprise, ne
put, à cause du petit nombre des membres de sa congréga^
tion naissante, nous accorder que le jeune Frère Léandre. "
De Paris, les missionnaires se rendirent à Londres et à
Dublin pour trouver des ressources et accroître leur nombre.
Enfin, le 17 septembre 1845, le départ eut lieu au port de
Gravesend, sur la Tamise (1). La frégate Tlsabeîta empor-
tait en Australie, arec Mgr Brady, une vingtaine de mis-
sinnaires, dont sept prêtres, onze ecclë$iastiques, moines
ou catéchistes et deux Frères convers ; presque tous étaient
de nationalité différente : onze Irlandais, quatre Français,
deux Espagnols, un Anglais, un Romain et un Tyrolien ;
sans compter six Religieuses irlandaises de l'Ordre de la
Merci.
Nous ne raconterons pas en détail le voydge des futurs
apôtres de l'Australie occidentale, qui mirent près de quatre
Hiois à faire une travesée que les paquebots anglais accom-
plissent aujourd'hui en u^e quarantaine de jours. Sauf
(I) Voici les noms des missionnaires qui partirent d'Angleterre pour
l'Australie le 17 septembre 1845:
Mgr rév(^que Jean taADT, Irlandais.
B: J^^sli-VADO, \ BtoMIcUns, ùpagnols.
D. Axigelo GoNFAUONiftBi, BénécUdUn, Tyrolien.
Sept prt très. ^ M. . . .T lUteçA^ux, J ^^ ,^ m«l*>n du Saint-Cœur
M.mÏ^Wh«i, $ de Marte. Français.
^ M. Pierre Powkl, Jrlandala.
Un sow-diacre. . ..Denis Tgtixu Bénédictin, Anglais.
Un novice Fr. LftAKnRK. novice Bénédictin, Françal».
Unlatqae.. Nicolas Caporbi<u *' ** Romain.
Jean O'Reilly
Nicolas HoGAK,
Jean Gobman,
Tlmothée Don AVAW, J irlandais.
Jean Faoan, *^
Gulllaaœe Fowijni,
I Martin BrriiXB,
[Térenee Famclly.
« • 1 *««^- S Théodore Onox, } de la malfon du Sapre-Cœur
Deux laïques (Vincent... S de Marte, Français.
fMartaFBATinE ,^^ 1
Six rdUgléiul«»»' 1 et nne novice, krates 4© f *^ au»»*, w
l rordrede la Merci. i
Hnlt catéchistes
éiudlants.
quelques acçidents^inévitables dans une si longue uaviga-
tion^ ils n'eurent qu'à remercier la Providence de les avoir
protégés jasqu'^au terme de leur course.
Enûn, le 7 janvier 1846, le matelot de la vigie placé dans
les huniers cria: " Terre! terre ! " — '' A ces mots, dit
le P. Salvado, notre cœur bondit d'allégresse, et nous fix-
âmes nos regards avides sur le point de Thorizou qu'on
Tenait de signaler. Après quelques moments d'attente, l'Aus-
tralie apparut à nos yeux. JNous nous souvenions encore
de l'aspect désolé des rivages sablonneux et dénudés de
l'Afrique qne nous avions contournée par le cap de Bonne-
Espérance ; aussiy en apercevant la côte de l'Australie occi*
dentale couverte d'une riante verdure et de roches pittores-
ques» nous éprouvions une grande joie, qui augmentait à
mesure que notre vaisseau s'avançait. Nous dûmes nous
arrêter dans la baie de Freemàntle, parce que le jour était
trop avancé pour le débarquement, et nous nous jetâmes
une dernière fois sur nos couchettes en remerciant Dieu
de nous avoir amenés si heureusement au but de tous nos
<lésir8."
Le lendemain, à la pointe du jour, Mgr Brady et tous les
missionnaires étaient sur le pont, prêts à débarquer.
L'évoque, ayant remercié le capitaine et l'équipage dô
Vlsabella de tous leurs soins obligeants durant la traversée,
descendit avec nous dans deux grandes barques qui s'éloi-
gnèrent rapidement du navire, pendant que les matelots
poussaient en notre honneur trois formidables hourras.
Nous chantions tous ensemble les litanies de la sainte
Vierge jusqu'au moment où nos pieds touchèrent le sol
australien. Nous jetant alors à genoux sur cette terre que
nous venions évangéliser, nous chanti1:mes le Te Deunu, en
présence des Européens et des Australiens descendus au
rivage pour nous recevoir.
"Pour moi, raconte le P. Salvado, je désirais surtout
entrer en relation avec les indigènes. Abordant les deux
premiers que je rencontrais, et qui cachaient leur nudité
sous une mauvaise couverture, je tâchais de lier conversa-
tion par signes avec ces pauvres Australiens, assez hideux
à voir, mais dont les regards étaient doux et presque
63
timides. ^^ Maragna^ mara^naj' me dirent-ils à plusieurs-
reprises. Me tournant vers un habitant de la côte qui
nous conduisait, je lui demandais ce que signifiait cette
parole : *' — A manger, à manger, me répondit-il, car les
sauvages de cette contrée ont toujours faim." Aussitôt je
coupai en deux morceaux un des pains apportés du navire
et leur donnai. Pendant qu'ils le dévoraient, je me disais :
'^ Fasse le ciel que ces enfants des bois soient bientôt aussi
affamés de la nourriture spirituelle que nous leur appor-
tons I " Et je notai le mot mara^a avec sa signification,
pour commencer un vocabulaire portatif à notre usage."
L'évêque de Perth et ses missionnaires employèrent la
journée à visiter le port de Freemantle et les environs,
tandis que Ton préparait les barques qui devaient les con-
duire à Perlh par la rivière des Cygnes. Ils étaient tous
surpris du spectacle que leur offrait la nature australienne.^
Les arbres, les plantes, les animaux ont des formes et des
propriétés presque inconnues en Europe ; mais ce qui at-
tirait le plus leur attention, c'étaient les sauvags qui erraient
dans les rues de la jeune cité comme des chiens maigres,,
toujours en quête de quelque nourriture. Us n'étaient
d'ailleurs pas beaucoup mieux traités que ces animaux par
les colons européens, dont la fréquentation n'avait eu jus-
qu'alors d'autre résultat que de faire conaitre à ces enfants
de la nature les vices de nos sociétés modernes.
Le 9 janvier, les missionnaires s'embarquaient sur la Swan-
River, pour la ville de Perth. Us chantaient des psaumes,
des cantiques ou des litanies, et les indigènes, qui apparais-
saient de emps à autres, derrière les majestueux eucalyp-
tus et les élégants acajous, semblaient tout étonnés de ce»
accords religieux, dont ils ne comprenaient pas encore le
sens. ''Nous admirions, dit le P. Salvado, ces rives gra-
cieuses de la rivière des Cygnes, domt les bords sont garnis
d'une puissante végétation et dont le cours sinueux offrait
à chaque instant à nos regards émerveillés un nouveau
point de vue. Sur les bancs de sable se montraient une-
foule d'oiseaux aquatiques, et parmi eux, de graves péli-
cans, qui demeuraient immobiles à notre approche, sans»
même nous regarder, tant ils étaient attentifs à suivre dan»
64
les eaux, les mouvements des poissons dont ils font leur
Jiourriture. Nous pensions rencontrer les cygnes noirs
d'Australie, qui ont donné leur nom au ileure ; mais ces
oiseaux, -d'humeur beaucoup plus farouche, se sont éloi-
gnés de cea bords trop fréquentés et ne se voient que dans
la partie supérieure du cours de l'Avon."
Après trois heurs et demie d'une navigation fortpaisi-
l)le, l'évéquea de Perth et ses auxilliaires arrivèrent en
vue de la capitale de l'Australie occidentale et furent ac-
cueillis par les cris de joie de tous les catholiques et même
des protestants réunis en grand nombre sur le quai de dé-
barquement. Les PP. Serra et Salvado descendirent les
premiers. Aussitôt la procession se forma, le P. Salvado
entonna le Te Deum de sa forte et belle voix, et l'on se diri-
gea vers l'église catholique qui n'avait pas encore sa toitu-
re. Mgr Brady dit l'oraison d'actions de grâces et donna
à la foule la bénédiction épiscopale. •
(A suivre:]
i ..
HISTOIRE
DE PIE IX,
SA VIE ET SA MORT.
PREMIERE PARTIE.
NOTICE BIOCRAPHIQDB DB PIE IZ, JUSQd'a SON ÉLECTION AIT
SOVTSRAIN PONTIFICAT.
I.
Le plus sombre et le plus triste événement de Tépoque
actuelle, était apporté, le 7 du présent mois, (Février) par
l68 dépêches télégraphiques de Kome.
Le grand et bien-aimé Pontife de l'Eglise, Notre Très-
Saint Père le Pape, Pie IX, est mort.
Cette nouvelle a plongé le monde catholique dans le
deuil et la douleur.
Pie IX a été la grande figu^ du 19e siècle, Thistoire le
désignera plus tara par le titre de grand.
Le règne de Pie IX est un des plus longs et des plus rem-
plis de rhisioire de la papauté ; sa carrière, une des plus
admirables que nous pêsente Thistoire du monde — admi-
rable par la gloire qu'il a jetée sur TEglise — admirable par
la fermeté, le courage qu'ila déployés au milieu des persé-
cutions et des violences dont ses ennemis Font accablé —
admirable par les grands exemples et les leçons de justice,
de droit, de sainteté qu'il a donnés au mbnde — admirable
par la conquête qu'il ut des cœurs de tous les catholiques
et de tant d'autres. Autant il fut grand, autant il fut aimé.
C'est pourquoi jamais deuil aussi général, jamais douleur
plus profonde.
3
66
II
Depuis saint Pierre, le ter Pontife, institué par Jésus-
Christ, pour être son représentant sur la terre, deux cent
«oiiance-denx Papes se sont assis sur le premier de tous
les trônes du monde.-^'est le 16 juin 1846 que Pie IX a
été appelé à succéder au grand apAtre.
Pie IX est né le 13 mai 1792, dans une petite ville des
Etats-Romains, à Sioigaglia, de la noble famille des comtes
Hastaï.
Dès son enfance, on admira en lui une vive intelligence
et une aptitude merveilleuse pour les choses saintes. Après
avoir commencé Tétude des lettres sous les yeux de ses pa-
rents, il fut mis, à Tàge de douze ans, au collège de Volter-
ra, en Toscane. Il y demeura six ans en qualité de pen-
sionnaire. Pendant ces six années, il se fit remarquer par
une application constante au travail, une grande sûreté
d'esprit, une finesse de bon sens au:dessus de son âge, une
piété douce et éclairée. — C'est ce qu'attestent les auteurs
qui ont écrit les premières années de la vie de notre au-
guste Pontife. Ces auteurs ajoutent aue les anciens con-
disciples du jeune Mastaï ont conservé te souvenir des heu-
reuses qus^ités dont il était doué, et des exemples de vejtu
qu'il leur avait donnés.
En 1810, il vint à Rome pour y terminer ses études La
bienfaisante influence de la Ville sainte développa toutes
les excellentes dispositions de son cœur. On le vit se li-
vrer avec ardeur aux œuvres de charité, et surtout au sou-
lagement des jeunes orphelins, recueilis à Thospice de Ta-
ta Giovanni {{),
Cependant le moment approchait où d'après le cours or-
dinaire des choses, il devait songer à son aveuir. Depuis
longtemps il avait la pensée de se consacrer à Dieu ; mais
sa Scinté, chancelante alorsf semblait lui interdire l'entrée
du sanctuaire. En véritable chrétien, il s^efforça d'attirer
sur lui les lumières d'en haut, et multiplia dam ce but ses
prières et ses bonnes œuvres. Puis, pour mettre un terme à
son indécision, il alla trouver le Pape Pie VU, qui lui portait
un intérêt paternel et auquel l'unissait des liens de parenté.
Après avoir écouté tout ce que le jeune Mastaï Ferrettilui
racontait de ses projets et de ses craintes, Pie VII l'encou-
ragea à s'offrir à Dieu pour travailler à la gloire et au dé-
veloppement de l'Ëglise; et, avec une autorité quasi pro-
phétique, il Tassnra que sa santé s'affermirait. Le jeune
(l) L'hospice de Tala Giovanni est une espèce de maison de refuge
l'>liiîë il recueillir ei à ohner cliréliennement dp jeurrrs orphelins.
67
Mastat reçut ces paroles comme venant du ciel. Plein de
reconnaissance il entreprît 1^ pèlerinage de Notre-Dame de
Lorette. Là de nouvelles lumière lui étaient réservées ; il
revint de Lorette entièrement décidé à entrer dans les or-
dres, et commença ses études de théologie.
Pendant trois ans, il «nivit le cours de TAcadémie ecclé-
siastique^ et Ton raconte que le célèbre théoloprien Gra-
ziosî, son professur, s'écria un jour, ému de sa charité, de
sa doaceur et de sa piété, que Viabbé Mastài avait le cceur
d'un Pape. C'est qu'en effet, les nouvelles occupations de
rabbé'Mastaï ne diminuèrent point ses bonnes œuvres. Il
continuait avec plus de zèle que jamais ses visites et ses se-
cours aux orphelins de Tata-Giovanni.
III
Ce fut dans l'église de cet hospice qu'il célébra sa pre-
mière mes8e,le 11 avril 1819 : *' Ce sanctuaire, dit M. de St.
Hermel, était plus beau pour lui que toutes les basiliques ;
c^était la basilique des indigents."
Jusque-là, l'abbé Mastaï n'avait été pour les pauvres en-
fanta de Tata-Giovanni qu'un pieux et charitable conseiller.
Dès qu'il eût été ordonné prêtre, il prit la direction de
l'hospice, et devint le père de tous les jeunes orphelins et
le guide de leur conscience. La providence voulait que
cette Maison, où il avait donné tant de pieuses leçons de
vertu lorsqu'il était encore jeune homme, et où il avait
Tépandu les premières grâces de sa vocation ecclésiastique,
recueillit aussi les premiers fruits de son sacerdoce. Celui
qu'elle destinait à un si sublime ministère devait faire son
apprentissage au milieu des enfants et des pauvres.
L'abbé Mastaï ne resta que quatre ans environ chargé de
la direction de l'hospice de Tata Giovanni, Il la quitta du-
rant l'été de 1823, pour suivre, dans le Nouveau-Monde, en
qualité d'auditeur, Mgr. Musî, envoyé comme vicaire apos-
tolique au Chili. Ce n'était pas sans y avoir mûrement
réfléchi, que le Pape Pie Yll enlevait Tabbé Mastaï à ses
chers orphelin?, pour l'adjoindre au vicaire apostolique.
— L'objet de celte mission dans le Nouveau^Monde était
des plus délicats, et Pie VII avait discerné dans le jeune ab-
bé toutes les qualités capables de faire réussir une telle né-
gociation(tL
(t) Il s'agissait de rt^gier d'un commun accord, au nom du Sainte
Siège, avoc les autorités républicaines (récemoient émancipées, du Chi-
li, du Pérou et du Mexique, etc.), les droits et les devoirs du clergé, sa
situation temporelle et spirituelle dans les constitutions nouvelles sorties
de ce grand mouvement d'indépendance qui avait ravi à l'Espagne ta
moitié d'un monde.
68
La conduite de Tabbé Masiaï fit vair qjue le Pape ne s'é-
tait point trompé dana l'appréeiatiou qu^ll faisait de lui.
Bn Taia dea difficultés aufl9i ioatteDduBa- que multipliées
vinrent-elles paralyser rheureose issue qu'on avait espé-
rée : le jeune auditeur signala^ en toute rencontre, oetle
pénétration d'esprit dont il avait donné les premiers indi»
ces au collège de Volterra ; et, co^summenf , on le vit join*
dre à cette assurance de boa sens, qui était natureUe en lui»
un courte et une fermeté inébraalable& Ausm quand»
après deux années d'absence, les envoyés- du SainV>Père,
épuisés par ce voyage^ qui ne fut (Qu'une longue épreuve de
patience, de privations et de vexations aans nombre, durent
reprendre le chemin de Rome, le nom de Tabbé Hastaï lea
y avait précédés.
IV
Pie VII venait de mourir ; mfûs la réputation du jeune
auditeur, les services qu'il venait de rendre dan» la miation
du Chili, ne purent échapper à Léon XII, successeur du
défunt Pape. Il reçut avec bonté le cojûa.pagnon de Mgr
Muzi ; et, pour lui témoigner sa reconnaissaoce et sa haute
estime, il l'admit aux honneurs de la prélature, et le nomma
chanoine de l'église Santa-Marioriii'YiarLata: ce fut lèpre-
mier pas de l'abbé Mastaï dans les dignités.
Le nouveau chanoine continua à Rome la vie qu'il avait
menée dans les Missions du Nouveau-Monde. Prêcher,
confesser, revoir sa famille bien-aimée des orphelins de
Tata-Giovanniy telles étaient ses occupations de tous les ins-
tants. Aussi, tandis que les hommes d'Etat le plaçaient
déjà dans cette classe d'esprits supérieurs qui savent corn-
prendre et conduire les affaires, la peuple voyait en lui un
prêtre rempli de vertus et de charité, entièrement dévoué
à son ministère.
Peu de temps après, le chanoine Mastaï fut nommé pré-
sident de la commission directrice de l'hospice de Saint-
Michel à Ripa-Grande, Cet hospice est un des plus vastes
établissements de charité que possède le nmnde (1). On a
dit avec raison que son administration demande les qualités
d'un homme d'Etat. Le eouv^r du séjour de l'abbé Mastaï
à Tata-Giovanni^ les services importants qu'il y avait rendus,
l'activité douce, la vigilance assidue, l'esprit d'ordre qu'il y
avait déployés, motivèrent le choix du Souverain Pontife ;
(1) La longueur totale lieTbospice Saint-Micliol est de 375 vtTg^s, sa
la-geur de 90 et son circuit de 950. Ce vaste hA liment occupe toute la
lo.igueur du quai de Ripa-Grande (le port maritîmp de la viJ.'e de Rome.)
69
-et, cette fois eocorei Léon XII put se conyaincre qu'il ne
e^était point trompé. £a moins de deux ans, lliospice
Saint-BlicheL dont le budget était en déficit à l'arrivée de
Tabbé Mastai, avait retrouvé toute sa prospérité sous sa
Jouissante et sage impulsion.
Le 21 mai 1827. rarcbevèché de Spolète, ville natale de
Léon XII, étant devenu vacant, le Pape ne crut pas pou-
voir donner à sa pairie de témoignage pins certain de sa
sollicitude pour eîle^ qu'en nommant Tabbé Mastaï à ce
poste élevé.
Ce n'est pas ici le lieo de nous étendre sur les actes du
nouvel arcnevéq ne. Contentons^nous dé dire, avec un de
ses historiens, que la ville de Spolète se souviendra éter-
nellement de son épiscopat, et que sa présence sembla at-
tirer sur elle, pendant les cinq années pleines d'orages au'il
y traversa, '< une sorte de protection visible et une béné-
diction céleste."
Monseigneur Mastaï occupa le siège de Spolète jusqu'en:
183^. Le 17 décembre de cette année, Grégoire XVI, suc-
cesseur de Léon XII et de Pie VllI, le transféra à révêchè
d*Imola, poste en apparence moins considérable que celui
de Spolète, mais, en réalité, d'une importance plus grande,
et qui, au milieu des agitations auxquelles la province était
alors en proie, d«nnandait un homme de choix et d'un ca-
ractère aussi ferme que sage, aussi conciliant que pieux.
MgrMastàï remplit les espérances de Grégoire XVI: tout
le monde savait en Italie combien Tévôque d'imola était
vénéré et aimé dans son diocèse.
Tant de vertus et une si sage administration appelaient
*Mgr Mastaï au Cardinalat. Réservé in petto dans le consis-
toire du 23 décembre 1839, il fut proclamé le 14 décembre
1840, et reçut le titre de saint Pierre et saint Marcelin.
Le nouveau Cardinal dut venir à Rome pour recevoir le
chapeau ; mais il ne fit qu'y paraître : il retourna bientôt à
son troupeau qu'il croyait ne devoir jamais quitter, et au-
quRl il se dévoua avec plus de zèle encore. Mais Dieu en
avait disposé autrement ; il destinait Mgr Mastaï à succéder
à Grégoire XVI. On dit que le peuple romain avait comme
un pressentiment de cette élévation future. Lorsqu'un de-
voir impérieux appelait le pieux éveque dans la capitale de
la chrétienté, on entendait ces paroles du milieu de la foule :
4^oilà le' futur Pape ! Dieu nous le donnera !
Dieu l'a donné effectivement à TËglise !
70
DEUXIÈ>fE PARTIE.
RÉuiT DE l'Élection de pie ix; le tC juin 1346'.
C'était pour obéir à Tuii des plus impérieux devoirs de sa
haute dignité, que Le cardinal Mastaï avait du quitter Imola,
dès qu'il avait appris la mort de Grégoire XVI. . ,
Il était entré dans Rome sans U moindre prétention daos
le cœur. Malgré lee marques de sympathie qu'il avait
reçues sur son passage et renthousiasme qui Tavait par-
tout accueilli, il ne paraissait pas marne soupçonner qu'il
pût être question de lui pour succéder au Pape défunt
Un voyageur français écrivait quelq^es jours après le
Conclave : ^' Les fenêtres de mon appartement se trouvaient^
situées visa vis de la maison où le cardinal évêque d'Imola,
Tenait de descendre, sans que je m'en fusse douté. Un
matin, j'aperçus, dans une des pièces, un p^rsoDnagj^ in-
connu: la soutane rouge qu'il portait me révéla tout aus-
sitôt que c'était un cardinal. Je m'iufprmai de son nom^
et j'appris que c'était le cardinal Mastaï Ferretti. Au peu
d'éclat qui l'entourait, j'étais loin de pepserque ce pût être '
notre Pape futur, il préludait cependant par l'humilité et
le silence au choix de Dieu. Béni soit le Ciel de nou»
ravoir donné !"
L'entrée du cardinal au Conclave fut tout aussi modeste
que son arrivée à Rome. Autour de lui rayonnait, comme
une auréole, la renommée de ses. vertus ; mais il semblail
vouloir se soustraire à tous les regards.
Aimé du peuple, qui n'avait pas oublié les première»
années de son ministère, et qui savait combien on le ché-
rissait à Imola, il était presque inconnu dans les salons de
Rome et dans les chancelleries. Plusieurs membres mémo
du Sacré-Collégc (qui, d'ailleurs, honoraient le nom de
Mastaï sur sa réputation populaire), le connaissaient à peine ;
et sans doute ils eussent été étonnés si on leur eût dit que
c'était l'élu de Dieu, qu'ils devaient eux-mêmes proclamer
deux jours apj es.
Parmi les personnages sur lesquels était fixée l'attention
publique et qui semblaient devoir se disputer les suiffiages,
le cardinal Lambruschini occupait le premier rang.
Le cardinal Lambruschini avait été le confident et le
71
ministre intime de G]*égoire XVI. Pendant dix-huit ans^
il avait pour ainsi dire régné avec le vieux Pontife, qui
semblait se décharger sur lui des fatigues et des soucis du
pouvoir. Suivant les calculs de la politique il devait être
élu ; mais que peuvent toutes les combinaisons de la diplo-
matie devant les décrets du ciel 7
Ce fut le soir du 14 juin 1846, que les cardinaux réunis
au Quirinal, au nombre de cinquante, virent se fermer sur
eux les portes du Conclave.
Le lendemain, à neuf heures, après la messe du Saint-
Esprit, le premier scrutin s^ouvrit.
La majorité canonique devait être de trente-quatre voix.
Au dépouillement, le nom de Lambruscbini sortit quinze
fois de Turoe : treize suffrages portaient le nom de Mastaî*
Les autres voix s'étaient perdues.
Dieu commençait à se montrer.
Quel prodige (\) de voir Thomme d'Etat du dernier règne,
" le prélat le çlus influent du Sacré-Collége, le tout puis-
" sant de la veille et du jour, accueilli par une minorité de
" suffrages telle, qu'elle ne s'élevait pas à la moitié du
" chiffre canoniquement nécessaire ! "
N'étaitce pas un autre prodige de voir le plus humble,
le plus modeste des cardinaux, recherché et poursuivi jus-
que dans l'ombre même de sa modestie par treize suffrages
«on contestés?
Quelle inspiration surhumaine allait donc éclairer et
diriger un scrutin qui débutait ainsi contre toutes les pré-
visions humaines et les conjectures les plus habiles ?
L'imprévu commençait. — Et, on le sait, " dans les chose»
de ce monde, il arrive que bien souvent c'est la j»art le
DIED 1 "
Le scrutin du soir fut un nouveau triomphe pour le car-
dinal Mastaî; il avait gagné quatre voix; et le cardinal
Lambruscbini en avait perdu deux.
Au troisième tour de scrutin, qui eut lieu le 16, à neuf
lieures, le nom de Lambruscbini n'avait été proclamé que
onze fois : Mastaî avait obtenu vingt-sept suffrages. Ainsi
la candidature de l'archevêqueévêque d'Imola se recrutait
et s'augmentait, à chaque tour de scrutin, de tous les suf-
fi'ages qui désertaient le concurrent que patronait la diplo
matie. «
Par une de ces coïncidences que £)ieu seul sait amener
au moment marqué, le cardinal Mastaî venait d'être dési-
gné par le sort, pour être lui-même un des trois scrutateur»
chargés de dépouiller le scrutin et de proclamer les vote».
(I) M. DE Saint-IIernkl, Vie de Pie IX.
72
II
Pendant que le nom de Mastaï allait à,e plus en plus>
slUuHiinaot, ^^ rimpatience la plus inquiète régnait dan»
^^ Rome. C'était Tanxiéié des classes éclairées çii'un nom
'* allait rassurer ou consterner. C'était la curiosité savante
*^ et raffinée du corps diplomatique se préparant à deviner
^Mes influences du règne futur etàaresser des plans de
^' campagne. C'était aussi la curiosité de la foule, attendant
" son premier pasteur et son souverain (1)."
Deux jours de suite, la grande procession du clergé
romain s'était rendue de Téglise des Saints-Apôtres au
Klais Quirinal, adressant aux auditeurs de Rote^ solennel-
nent rangés dans la chapelle, la fameuse question :
Habemus-ne Pontificem ?
Deux fois, la procession s'en était retournée en chantant
le Yeni Creator, et témoignant ainsi que le Conclave avait
encore besoin du secours et des lumières de TEsprit-Saint.
Pour \SL troisième fois, la multitude assemblée sur le
Monte- Cavahj venait de voir s'échapper une légère colonne
de fumée au-dessus de la chapelle Pauline, annonçant que
le scrutin était nul, et que la volonté secrète de Dieu ne
8*était point encore manifestée.
L'impatience publique croissait d'heure en heure. Je ne
sais quel vague pressentiment avait saisi tous les esprits ;.
on sentait que le dénoûment approchait.
" Le scrutin de ce soir sera le dernier," avaient murmu-
ré quelques voix, et la foule avait accueilli avec empresse-
ment cette espérance.
Elle ne se trompait pas : à trois heures, s'ouvrit le
quatrième scrutin. L'émotion la phis grande régnait dans^
le Conclave. L'action de Dieu se rendait de plus en plu&
sensible. Chacun des membres du Sacré-CoUége compre-
nait qu'il allait proclamer sou élu.
De même que les précédentes, la séctnce commença par
le chant du Yeni Creator : puis les cardinaux écrivirent
leur vote et le déposèrent dans l'urne du scrutin
En ce moment, le silence de Taugiiste assemblée, déjà si
solennel, devint plus solennel encore. Tour à tour, les
yeux se portaient sur le calice dépositaire des secrets de
Dieu, et sur Mastai.'
Il était debout, à la table du dépouillement, où le sort
l'avait désigné pour la journée. A ses côtés se tenaient les
deux autres scrutateurs : — l'un avait pour fonction de lui
(l) M. de Saint-Hbrmel, Vie de Pie IX,
73
^résenleF les suffrages qu'il devait proclamer; Tautre était
chargé de les vérifier après lui et de les inscrire.
Une pâleur causée par Témolion était répandue sur se»
traits. Le résultat de Tépreuve du matin avait effrayé sa
modestie ; et, bien qu'il eût passé en prières tout le temps
qui s'était écoulé entre les deux scrutins, son âme n'avait
pu calmer la profonde appréhension dentelle était dominée*
On eût dit une victime a qui Dieu allait imposer un fardeau
d'honneur et de responsabilité auquel elle voudrait se
soustraire. La nécessité même de proclamer son nom
augmentait son effroi : cependant il fallait obéir.
Le nom de Mastaï était sur le premier bulletin ; il était
sur le second, sur le troisième — Le scrutateur dut dix sept
fois de suite le proclamer sans interruption. Sa main pou-
vait à peine soutenir les papiers qui lui étaient présentés.
Sa voix était tremblante. Quand, sur le dix-huitième billet,
il aper<;ut encore son nom, ses yeux se voilèrent, la parole
expira sur ses lèvres.
Après un moment de silence, un torrent de larmes
s'échappa de ses yeux ; il supplia l'assemblée de le prendre
en pitié, et de remettre à un autre le soin de lire le reste
des votes.
Mastai oubliait qu'un scrutin interrompu eût annulé
l'élection : le Sacré-Collége s*en souvint.
'* Reposez- vous un moment, lui cria-t-on de toutes parts;
oalmez votre émotion : nous attendrons "
En même temps, plusieurs cardinaux quittèrent leurs
«iéges ; ils s'empressaient autour de lui, et le faisaient
asseoir.
Pour Mastaï, toujours silencieux et trembrant, il n'enten-
dait rien, ne vovait rien, et les larmes continuaient à couler
de ses yeux. L'épreuve avait été trop forte : il y avait
succombé.
Cependant, après quelques moments de repos, il revint à
lui : une force nouvelle semblait lui avoir été rendue. U
se releva et rejoignit le bureau soutenu par deux de ses
collègues. Le dépouillement s'acheva lentement ; au
dernier bulletin Mastaï avait lu son nom trente-six fois I
L'élection était faite par les suffrages, elle fut ratifiée par
l'acclamation. D'un commun élan tous les cardinaux se
levèrent et l'on entendit retentir sous les voûtes de la
chapelle Pauline le nom de Mastaï. Tous ensemble le pro-
clamaient, aussi bien ceux qui l'avaient inscrit sur leurs
bulletins que ceux qui jusque-là lui avaient refusé leur
voix. Attendris par tout ce qu'ils avaient vu de modestie,
de sensibilité, d'oubli de sa propre grandeur dans l'élu de
leurs confrères, ces derniers voulaient s'associer à une
74
élection si sainte, et y donner leur assentiment par un acte
solennel et authentiaue.
Telle fut l'issue ae cette dernière réunion du Conclave^
qui avait donné à Rome un souverain, au monde catholique
un pasteur et un père.
m
Abordons le lécit des faits qui signalèrent les premières
heures du pontificat de Pie IX.
Pendant que tous les cardinaux, acclamaienc réleclion
du cardinal Mastaï, le nouveau Pape s'était jeté au pied de
Tautel. Là, perdu daus^une silencieuse adoration, il deman*
doit à Dieu de le soutenir contre les défaillances de son
cœur et les troubles de sa liaison bouleversée à la vue d'un
honneur si terrible et si grand.
Cependant la sonnette du cardinal doyen avait annoncé
aux prélats assemblés aux portes de la chapelle que le Pape
était nommé. Déjà les maîtres des cérémonies étaient
entrés avec le secrétaire du Sacré-CoUége ; on allait com-
mencer les formalit/^s prescrites pour l'acceptation que doit
faire publiquement l'élu.
Mastai restait toujours au pied de l'autel, abimé et anéanti
dans sa prière : le sous-doyen cardinal Maccbi s'avança
vers lui escorté des maîtres desxérémonies et des princi-
paux cardinaux, et lui adres^ la question solennelle :
Àcceptas-ne electionem de te factam iii Summum Pontificem f
A cette demande, Mastaï se releva, et, fortifié par la
prière, il déclara qu'il acceptait (1).
Aussitôt, tous les baldaquins placés an-dessus des cardi-
naux S'abattirent, selon l'antique cérémonial, pour ne
laisser suspendu que celui du nouveau Pape. Seul désor-
mais, il devait être honoré des marques du Souverain-
Pontificat.
A la seconde question qui fut adressée au nouveau pape :
Quel nom voulez-vous prendre ? il annonça qu'il désirait em-
prunter son nom à Pie VU, son glorieux prédécesseur au
siège d'imola. Les deux actes de l'acceptation et de la
nomination furent immédiatement dressés par le notaire
du Saint-Siège apostolique, Mgr de Ligne. Aussitôt après.
Pie IX fut revêtu des insignes de sa nouvelle dignité ; le
(1) Nous avons suivi dans cette narration la pliinart des historiens de
Pie iX. — D'après quelques récits de l'élection du Pontife, lorsqu'on lui
présenta la question solennelle d'acceptation, il aurait demandé quelque
temps do réflexion, et ce ne serait que deux heuros après le scrutin au*ii
aurait donné son assentiment.
75
^^ardiiial Riario Sforza, carmerlingue de la saiole Église
romaine, lui mit au doigt Tanneau du Pôcheur, et la pre-
niière adùralion des cardinaux con^mença.
Il était neuf beures et demie du soir,- lorsque toutes ces
cérémonies furent terminées
A dix heures, Pie IX se retira dans sa cellule : le silence
et la prière, après toutes les émotions qui avaient partagé
cette longue et sainte journée, lui rendirent une paix et un
<*alme parfaits.
Avant de prendre son repos, il lit une légère collation
•avec son aumônier, et écrivit a ses trois frères, à Sinigaglia,
pour leur annoncer son élection.
" Il a plu à Dieu, qui exalte et qui humilie, leur disait-il, de m*élever
" de mon insignifiance à la dignité la plus sublime de la terre : que aa
'* volonté soit faite ! Je sens toute l'immensité de ce fardeau et toate
" la faiblesse de mes moyens. Faites prier et priez, vous aussi, pour
** moi-
** Si la ville voulait faire quelque démonstration publique à cette
<' occasion, je vous prie, car Je le désire, de faire en sorte que la totalité
''de la somme soit appliquée aux oeuvres que le gonfalonier [U maire)
" et les ansiani (adjoints), jugeront utiles.
'* Quant à vous-mêmes, mes chers frères, je vous embrasse de tout
'' mon cœur en Jésus-Christ. Ne vous enorgueillissez pas ; mais prenez
" plutôt en pitié votre A^ère, qui vous donne sa bénédiction apostolique/'
Adirirable lettre ! elle peint Thumilité de Pie IX, sa foi
profonde, son abnégation. Songez qu'il était minuit moins
"un quart lorsque le nouveau Pontife écrivait à ses frères,
et que quelques heures à peine nous séparent des grands
événements qu'on vient de lire.
La nuit du Saint Père fut paisible: dès le matin, il célé-
bra la sainte messe comme à son ordinaire. — ^Tous ceux
qui l'ont vu à l'autel savent avec quel recueillement et
quelle piété il offre le saint sacrifice : ce recueillement et
cette piété étaient plus intimes encore le lendemain de ce
jour si plein d'émotions, au matin d'une journée qui devait
les renouveler toutes.
Sur les neuf heures, devait avoir lieu la présentation du
nouveau Pontife au peuple.
IV
Avant de la raconter, détournons un moment nos pen-
sées du Conclave, qui nous a occupés jusqu'ici, et disons ce
qui s'était passé dans la ville.
Depuis la veille au soir, Rome toute entière était dans la
plus grande agitation. La multitude qui couvrait le Jfon^^
Cavallo^ pendant que les cardinaux procédaient au dernier
76
scrutlDj avait bien compris, en ne vovant pas paraître la
mystérieuse fumée, que le Pape était llu.
Dès cinq heures, la nouvelle s'en était répandue dans
tous les quartiers ; à chaque moment, de nouveaux flots de
peuple venaient grossir la foule, déjà si nombreuse. Cha-
cun espérait assister, ce soir-là même, à la présentation du
Pontife et recevoir sa première bénédiction. — ^Mais, quel
était cet élu, oe nouveau père, ce nouvçau prince ?
Mille bruits divers circulaient dans les groupes; tous
roulaient savoir quel serait le dernier mot de Pénigme.
Les espérances, on le sait, furent déçues. La longueur de
la dernière séancee du scrutin, les formalités qu'on avait
dû remplir, la suite des cérémonies de la première adora-
iian^ les intervalles de silence et de délibération laisées au
nouveau Pape, selon quelques écrivains, avant son accepta-
tion: tout cela ne permit pas de présenter immédiatement
Pie IX à ses sujets. D'ailleurs aucune mesure n'avait été
prise ; rien n'était prêt pour une si prompte élection : il eût
été même difficile, à cette heure, de se procurer les ouvriers^
3ui devaient abattre le mur élevé, deux jours auparavant,
evant la Loggia du palais sur laquelle les nouveaux Papes
doivent être présentés.
Quels que fussent Timpatience du peuple, et le désir des
cardinaux de satisfaire cette impatience légitime, il fallut
remettre au lendemain la solennelle cérémonie.
Durant la nuit, les faux. bruits, qui avaient pris naissance
au Ma7itc C^i;aZ/o, s'accréditèrent dans la: ville. Le nom de
Mgr Gizzi, l'un des cardinaux. les plus aimés, était partout
répété, et partout ce nom érait accepté avec joie. Par un
secret de la Providence, on oubliait celui de MastaL Au
matin, les conjectures avaient pris un tel caractère d'auto-
rité, que Ton finissait par tenir pour certaine l'élection de
Mgr. Gizzi.
Dès la pointe du jour, la grande place du Monte Cavallo
était envahie.' C'est à peine si la procession du clergé
romain, qui, celte fois, vint prendre place eu face du Quiri-
nal, en chantant l'hymne de reconnaissance, le Te Demij
avait pu se frayer un passage.
L'impatience croissait de moment en moment.
Enfin, neuf heures sonnèrent: c'était le signal donné.
Les maçons se mirent à l'œuvre ; et, bientôt les derniers
obstacles furent enlevés. La bonne nouvelle, captive jus-
que-là sous le secret du Conclave, allait être manifestée.
Le cardinal camerlingue s'avança sur le balcon, et vint
Tannoncer en ces termes :
*' Je vous annonce une grande joie. Nous avons pour
** Pape l'Eminentissime et Révérendissime Seigneur Jean-
77
/^ Marie Mastaï Ferretti, jusqu'ici cardinal de la sainte
'^ Eglise romaine : il a pris le nom de Pie IX."
La sympathie publique s'était tellement portée, depuis la
veille au soir, sur la nomination pupp^^ée de Mgr Gizzi,.
qu'à la proclamation du choix réel du Sacré-ColIége, il y
eut dans la foule, étonnée du nom inattendu qu'on lui an-
nonçait, un moment de désappointement;
Mais quand, après tous les cardinaux, qui se présentèrent
tour à tour sur le balcon, on vit apparaître le Souverain-
Pontife, les yeux baignés de larmes, dans l'émotion la plus
sainte : quand on lui eut vu lever les mains au ciel dans
une sorte d'extase, pour bénir le monde et son peuple, et
que Ton eut entendu sa voix si douce et si paternelle, cha-
cun se rappela combien le cardinal Mastaï était aimé, de
quel respect il était entouré, comment autrefois on pronos-
tiquait son élévation future ; et, l'enthousiasme succédant
tout à coup au silence> les applaudissements éclatèrent
comme une tempête, et toutes les voix s'élevèrent dans les
airs, répétant comme d'un commun accord : Viva Pio nono !
Du Monte Cavaîlo l'enthousiasme et les applaudissements
se répandirent dans la ville. Le nom de Mastaï et de Pie
IX volait dans toutes les bouches : chacun s'empressait de
l'associer aux plus doux souvenirs de sa vie.
Les nombreux ouvriers qui avaient vu autrefois l'abbé
Mastaï â l'œuvre, soit à la Tata-Giovanni, soit à l'hospice
Saint-Michel, se plaisaient à répéter mille traits naïfs de sa
jeunesse sacerdotale. Ils disaient qu'il était bon, qu'il était
sensible ; que les malbeureux trouvaient accès auprès de
lui ; que chaque douleur, accueillie par lui, s'en retournait
consolée ; qu'il avait été le père de toute une génération
d'orphelins.
** De leur côté, les habitants de Spolète et d'Imola, qui
se trouvaient à Rome, racontaient à l'envi cette sainte lé-
gende du Prélat, arrêtant d'un seul mot deux régiments
autrichiens, désarmant d'un regard cinq mille rebelles,
sauvant les coupables en jetant au feu la liste de proscrip-
tion, calmant les passions émues, et réalisant en bienfaits
chacune de ses pensées (1)."
Tous ces récits, multipliés par l'affection, mais non ex-
agérés, exaltaient les cœurs, enivraient les imaginations :
Rome toute entière était dans les transports du bonheur et
de la joie. Il semblait que l'on n'efit pas assez de voix
pour célébrer les louanges du vénéré Pie IX.
Heureux Pontife I qui, après avoir été élevé à la suprême
dignité du monde, par un concours de circonstances si pro-
(i) M. DB Saint-Hbriiel, Vie de Pie IX.
78
Tidentiel et si divin, voyait les premières heures de sou rè-
gne signalées par de telles sympathies et consacrées par de
semblables marques d'amour 1 .
Poniife plus heureux encore de ë'ètre' rendu djgne.de fi-
:xer les regards du ciel par aës vertus, et d'avoir mérité que
les bonnes œuvres de ses premières années fussent pour
lui, en ce moment, un titre à la reconnaissance de tous, et
que sa jeunesse sanctifiée devint comme un présage fortuné
de son Pontiûcat !
La seconde et la troisième adorations m succédèrent le
jour même à la chapelle Sixtineetà Saint-Pierre. Toutes
deux furent entoiirées d'une pompe et d'un enthousiasme
que Ton ne saurait exprimer. Le peuple, dans le désir de
voir son nouveau Souverain, se pressait sur le passage du
Saint- Père : partout c'était des élans de joie, des témoigna-
g-es de respect et d'amour.
Quatre jours après, le 21 de juin, eut lieu la belle céré>
monle du couronnement- Quand, pour la première fois,
le front ceint de la tiare. Pie IX donna sa bénédiction sol-
ennelle du haut de la loggia de Saint- Pierre, " l'émotion
*' était générale ; le cœur du peuple monta vers le Pontife
*' en un immense applaudissement : c'était comme undéli-
'* re d'amour filial." "
Le soir, il y eut grande réception au palais pontifical ; tous
Jes monuments publics furent illuminés ; les palais des car-
dinaux,, des ambassadeurs et des magistrats romains, riva-
lisaient de splendeur et de clartés; l'immense coupole de
Saint- Pierre était tout en feu. " La joie était partout : tou-
" tes les âmes ét<^i«nt à l'allégresse, à la confiance, au bon-
*' heur."
TROISIÈME PA.RTIE.
RÉSUMÉ DES PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS DU PONTIFICAT OS PIB IX.
Dr^puis les dates mémorables du IG et du 21 juin 1846,
trente-deux années se sont écoulées.
Tout l'univers catholique sait combien le saint Pontife
s'est montré, en toute occasion, digne du rang auguste où
79
la Providence l'a appelé. Toul Tunivers catholique sait de
môme comment Dieu a marqué le règne de Pie IX ^r
d^importants événements; comment U a départi tour à
tour à ce grand Pape des ovations et des honneurs presque
sans antécédents, aussi bien que des amertumes et des
douleurs qui ressemblent à celles du Calvaire.
Au reste, si vous voulez vous remémorer en quelques
lignes toutes les merveilles de la vie de notre bien-aimé
Pontife, et la mystérieuse action de la Providence à son
égard, parcourez les pages qui suivent : vous y trouverez
en résumé tout le pontificat de Pie IX.
LES TRBNTE - DEUX ANNÉES DU PONTIFICAT DE PIE IX.
C'est à la source la plus authentique, à la collection des
Aeta Fii Noni qu*ont été puisés les documents rassemblés
ici. Ils ont été recueillis par le courageux directeur de
VUnita eattolicfi de Turin; il les a pubKés en de\ix articles
le 16 et le 21 juin 1875, avec cette devise :
LAUOBNT SUM OPERA EJUS !
Dans la traduction que nous donnons de VUnita^ nous
avons cru devoir ajouter au texte de nombreuses explica-
tions supplémentaires qui en faciliteront Tintelligence.
1846. l'année de l'élection.
Par la volonté mystérieuse de la Providence, le Conclave,
commencé le 14 juin au soir, s'accorde deux jours après
dans un choix unanime, et appelle au suprême pontificat
le cardinal Jean-Marie Mastaï Ferretti, qui prend le nom
de Pie IX. — Le nouveau Pape inaugure son règne par une
amnistie des détenus politiques : elle est publiée le 16 juil-
let, un mois après son élection. — Peu après il établit
un sénat et une assemblée consultative composée de dé-
putés de^ provinces. Ces mesures sont accueillies avec
enthousiasme. — Le 27 juillet. Pie IX se plait à faire remar-
?[uer l'action providentielle de son élection, la première
ois qu'il adresse la parole en présence du Sacré Collège
(allocution consistoriale). Le 9 novembre, il notifie à tout
réptscopat et au monde catholique son exaltation au trftne
pontificat par l'Eneyclique: QuiplurKms. — Dans cette même
lettre, il amrme sa mission de docteur universel et de pas-
teur des pasteurs, en dévoilant les erreurs modernes et
80
I
confirmant les constitutions de ses prédécesseurs contre
les sectes maçonniques ; il y excite égalenrent l'Episcopat à
défendre TEglise avec plus d'emptessement otie jamais, et
à lui donner de bons prêtres. — Pfeu après, le 20 novembre,
il promulgue un Jubilé universel, pour attirer sur le peuple
chrétien le secours de Dieu. Le saint Pontife n'ignore pas
combien le génie du mal travaille sourdement, pour la
destruction de la Société, dat^s tous leb pays du moâde, et
spécialement en Italie.
1847. l'année des applaudissements.
L'année 1847 est marquée par de continuelles acclama-
tions à Pie IX. Tout Tunivers en retentit ; mais le saint-
Pontife, peu soucieux de cesfélicitation8{l), s'applique tout
entier au gouvernement de l'Eglise. — Le 25 mars, il de-
mande des secours et des prières pour la malheureuse
Irlande (Encycl. Pj-œdecessorts). — Peu après, il coninlète
l'administration pontificale par la création d'un conseil des
ministres, et notifie cette utile innovation aux cardinaux,
le il juin. (Alloc. Cumveluti.) — Le 17 juin, les ordres reli-
gieux reçoivent de lui une Encyclique dans laquelle il
les excite à l'observance de leurs règles. (Encyc. Ubiprimum).
Le même jour, cette Encyclique, adressée*^ aux généraux
d'ordre, est communiquée à Tépiscofat — Le 23 juillet^ il
rétablit à Jérusalem l'antique juridiction du Patriarche
latin. Le 4 octobre, il annonce cette sage mesure aux car-
dinaux et fait le vœu que tous les fidèles se distinguent par
une sincère obéissance aux puissances temporelles dans ce
qui est du ressort de ces puissances. (Alloc. consister.) —
Le 17 décembre, dans une semblable occasion, il réfute les
calomnies déjà lancées contre lui, déplore les hostilités de la
Suisse contre le catholicisme, et la guerre dite du flunder-
bund, et exhorte les évoques à défendre l'Eglise. (Âiloc.
consist)
1848. l'année de la trahison.
m
Les applaudissements continuent durant l'année 1848:
la ruse et l'hypocrisie les inspirent à plusieurs. Pie IX ne
se laisse pas plus séduire que Pannée précédente à ces
(l) Un jour qu'en présence de Pie IX, on parlait de Tallégresse
avec laquelle le peuple exaltait ses bienfaits : " Plaise à Dieu, dit le
saint-Pontife, que ces joies soient réelles ! Elles pourraient peut-être hïén
nous présager que la tiare sera bientôt changée on couronne d'épines."
Hélas ! cette triste prévision ne devait pas tai^er U se i^ûliser.
81
louanges hypocrites. — Le 6 janvier, il exhorte les scfaisma-
tiques d'Orient à revenir à l'unité. (LetL In suprema.)r^
Le 29 avril, il proteste de ses sentiments bienveillants -pour
TAutpiche et refuse de lui faire la guerre. (AUoc). — ^Le 2
juin, il pourvoit à la censure des livres dans les Etats pon-
tificaux et signale ceux que l'Index a récemment prohibés.
(Lett.^ — Le 3 juillet, il expose aux cardinaux le triste état
du catholicisme en Russie, et leur annonce ce qu'il vient
de faire pour Taméliorer (AUoc. consist.) : ce même jour,
par sa lettre Universalisa il crée en Russie les circonscrip-
tions des diocèses. — Le 11 septembre, en consistoire, il con-
firme Tautorité du patriarche chaldéen de Babylone, pleu-
re la mort de Mgr. AÔre, archevêque de Paris, (Allocut.
consist.) et fait célébrer pour lui un service funèbre dans
la basilique Libérienne. — Cependant les ferments de sédi-
tion vont chaque jour se développant dans la Ville sainte ;
les troubles de la France ne les ont que trop favorisés. Au
commencement de novembre l'insurrection éclate. Le 15^
le comte de Rossi, premier ministre de Pie IX est poignar-
dé, et le Quirinal où le Pape s'est retiré est investi. — Le 24,
Pie XI se voit forcé de quitter Rome devant la révolution
trîoiliphante et de partir en exil : Il est accueilli par le roi
de Naples.
1849. l'année de l'exil.
Retiré à Gaëte, la première pensée de Pie IX est pour la
sainte mère de Dieu. Le 11 févrirer, il demande à tons les
évêques de lui faire connaître quel est le caractère de la
croyance à la Conception Immaculée de Marie dans les di-
vers diocèses de la catholicité. (Lelt. Encyc.) — Le 20 avril,
il signale au monde les menées de la révolution à Rome, et
l'inutilité de l'appel du chef de l'Eglise auprès des princes,
et remercie le peuple catholique des secours qu'on lui a de
toutes parts adressés sous le nom de Denier de Saint-Pierre.
(AUoct. consist :.Çut 6 wî tant is que. )^L% 8 décembre, prôvory-
aut la guerre acharnée qu'on prépare à l'Eglise en Italie,
il engage lés évêques à résister avec courage aux assauts
de l'enfer. ( Encycl. NoscUis.)
1850. l'année du retour a rome.
Le règne de la Révolution à Rome avait duré neuf mois
(15 nov. 1848.— 2 juillet 1849). Dès le 25 avril 1849. les
armées catholiques, à la tête desquelles se distinguait l'ar-
mée française, commandée par le général Oudinot, étaient
82
Tenues faire le siège de la ville sainte. Rome était délivrée
k 2 juillet. Pie IX y. entra triomphalement le 12 avril
1S50. Le 20 mai dans une allocution coasistoriale, il re-
mercie les princes qui Tont secouru, et déplore les pre-
mières agressions du Piémont contre TEglise, notamment
la condamnation de Mgr Franzoni, archevêque de Turin.
Le 29 septembre, il rétablit la hiérarchie en Angleterre.
(Bulle apost.) — Le 1er novembre il se plaint de nouveau
da gouvernement piémontai?, et l'accuse de violer les con
cordats. (Alloc. consisi.) — Le 19 novembre, poursuivant
TcBuvre commencée en Angleterre, il y institue des cha-
pitres canoniaux. (Lettre apost.)
1851. L*ANNÉE DES CONCORDATS.
Un Français, résidant à Lima, Paul Vigil, ose attaquer
dans un écrit ^4es prétentions de la curie romaine ;*' le 10
juin, Pie IX condamne cet écrit. — Le 22 août, il condamne
également le docteur Nuyiz, professeur à TUniversité de
Turin, accusé de fausser dans son enseignement le droit
canon.lLt-tt. apost.) — Le 5 septembre, il annonce avec joie
aux cardinanx qu'li vient de conclure un concordat impor-
tant avec TEspagne. (Ail. consist.) (1). — Peu après, il pu-
blie le t«xte de ce concordat. (Lett. apost. Ad vicarium xter*
ni pontificis. ) — Le 21 novembre, il promulgue un second Ju-
bilé dans ie but de multiplier les prières et les bonnes œu-
vres pour sauver TEglise. (Encyc)
1832. l'année DBS SAINTS CONSEILS.
Désireux de maintenir dans Tépiscopat le spectacle édi-
fiant pour tout l'univers de la plus parfaite union, Pie IX
adresse successivement les conseils de sa paternité aux
évêques d'Irlande (Encyc. du 25 mars) et à ceux d'Espagne
C17mai)pirmi lesquels la concorde semblait un moment
troublée. — Le 27 septembre, il signale les agissements de la
franc-maçonnerie de la Nouvelle-Bretagne contre la sain-
teté du mariage et la liberté de l'Eglise. (Ali. consist.) —
Le 1er octobre, il béatifie Jean Grande et Paul de la Croix,
et déclare que le monde chrétien doit apprendre de i'ex-
(l) Bien aue Pie IX ait conclu durant son pontifical beaucoup d'au-
tres concordats avec des puissances catholique*, l'importance de celui
qui fut signé avec l'Espagne en 1851 a fait donner à cette année le titre-
d'année des concordats.
83
-emple de ces saints personnages^ comment il faut savoir
lutter et combattre pour le Seigneur. ' (Lettre apost.)
1853. l'année des belles institutions.
I.e 4 mars, Pie IX rétablit la hiérarchie épiscopale en
Hollande (Lelt. apost.)— Le 7, il signe un concordat avec la
république de Costa-Rica et le notifle en consistoire. — Le
!2ly dans nue lettre encyclique, il loue les évêques de
France pour leur dévouement à l'Eglise et les invite à pro-
léger Ips écrivains catholiques qui ont le courage de pren-
dre la défense du Saint-Siège et de ses enseignements.
(Encycl. Inter mnlUpliees) (l).— Le 28 juillet, il fonde à Rome
un nouveau séminaire auquel il donne son nom, le sémi-
naire Pie. (Lelt. apost) — Le 1er septembre, il crée un col-
lège à Sinigaglia, sa ville natale. (Lett. apost.) — Le 3 oc-
tobre, il publie uu admirable règlement pour les études
dans le séminaire romain, dit de Saint-Apollinaire. (Lett.
apost.) — Ce même mois et les suivants, il établit deux nou-
veaux sièges du rite catholique grec, fait un concordat
avec la république dp Guatimala, et déplore en consistoire
les outrages faits à TËglise en Suisse et dans le Piémont.
1854. l'année de l'immaculée- conception.
En vue et comme préparation & la déflnition du dogme
de la Conception Immaculée de Marie, Pie IX accorde on
troisième Jubilé. (Encyc. du 1er août.) — Le lerdécembre,
il annonce aux cardinaux qu'il se propose de décréter pro-
chainement le dogme de rimmaculée-Conception. — Le 8
du même mois, en présence de tout le Sacré-Collége, d'une
grande partie des évéques du monde catholique et d'un
nombre considérable de prêtres et de fidèles accourus i
-Rome, il promulgue ce dogme par la bulle Ineffabilis.-^he
•lendemain, il déclare que le 8 décembre restera le pins
beau jour de sa vie et annonce que la définition touchant
l'Immaculée Conception de Marie sera le grand et puissant
antidote des erreurs contemporaines. (AUoc. Swgulari qua-
1855. l'annéI? de la révolte piémontaise.
Depuie quatre ans, Pie IX souffrait avec une admirable
patience les outrages du Gouvernement piémonlais. Le
(!) CeUe Lettre encyclique parut au moment où le journal V Univers
venait d'être condamné par Mgr Sibour, areliev6quc de Paris. — La c(k
Incidence n*échappa à personne.
84
qu'il a fait pour y
Probe
connue
àTEgli , ,
ostensiblement. Pie IX fait entendre à ce sujet de pater-
nels gémissements dans le consistoire du 26 juillet.— Un
heureux concordat conclu avec Tempereur d'Autriche vient
le consoler. Le Pape en fait part aux cardinaux le 3 no-
vembre. — Cette année 1855 a été aussi marquée par une
intervention toute particulière de la très-sainte Vierge sur
le Saint-Pontife. Un grave accident pouvait compromet-
tre ses jours, le 12 avril. Il a été providentiellement sau-
vé.
1856 l'année du chaos européen et ï}\} congrès de paris
Au milieu des complications qu'entraîne pour TEglise le
Congrès de Paris, Pie IX accédant à la demande d'un
grand nombre d'évéques français, étend à TËglise univer-
telle la fête dû Sacré-Cœur (Décret du 23 août.) Cest dans
la protection du Sacré-Cœur de Jésus que le saint Pontife
cherche consolation et espérance contre la politique de
Napoléon III en France et de Cavour en Piémont, et con-
tre les tentatives des impies dans le duché de Bade, au Me-
xique, dans les républiques de l'Amérique méridionale 6t
en Suisse. (AU. consist. du 15 décembre.)
1857. l'année DU voyage' TRIOMPHAL.
Dans le but de répondre à Taccusation mensongère et
hypocrite des politiques qui prétendent que Pie IX est dé-
testé de ses sujets, le pieux Pontife se décide à parcourir
ses Etats. Son voyage est un long triomphe qui dure
du 4 mars au 5 septembre. — Le 25 septembre, il raconte
aux cardinaux l'accueil enthousiaste qu'il a reçu de ses
Îeuples et des souverains voisins. (Alloc. Cum priwwm.)
amais l'Italie n'avait eu et elle n'aura jamais un plébiscite
aussi sincère et aussi décisif.
1858. L'ANNiE DES SAGES AVERTISSEMENTS.
La Révolution vaincue en 1849 n'a pas perdu couraee»
Pie IX prévoit qu'elle pénétrera avec Garibaldi en Sicile,
et de là dans les Etats Pontificaux. Le 20 janvier, dans
! 85
une lettre encyclique, il annonce les malheurs qu'il appré-
lieade et donne aux évêques de Sicile et à Pépiscopat tout
entier de précieuses admonitions. ( Encyc. €um mipei\) —
Heureux le roi de Naples, s'il eût sn alors profiter des aver-
tissements du Saint-Père !
1859. l'année de l'annexion piémontaise et du denier
de saint-pierre.
Tandis que la. guerre se prépare entre la France et T Au-
triche, et que parait en France ( 4 février ) la brochure cé-
lèlM-e intitulée : Napoléon III ei l Italie^ brocliure qui propose
de séculariser les Etats pontificaux, Pie IX inaugure Tan-
née par une admii*able lettre à l'empereur Alexandre II de
» Russie, en faveur des cathoUques opprimés (31 janvier). —
Dès que la guerre éclate, dans une nouvelle encyclique du
27 avril, il demande partout des prières pour la paix du
xncœde — ^Un mois après, le 12 juin, un soulèvement favorisé
par le Piémont, éclate à Bologne (l), et immédiatement
l'insurrection s'étend à Ravenue et à Pérouse, et Victor-
Emmanuel se fait décerner la dictature des Légations et de
laRomagne. En apprenant cette nouvelle, Pie IX adresse
à tout l'univers (18 juin) une encyclique dans laquelle il
proteste contre tout ce qui s'est passé et déclare qu'il est
prêt à tout souffrir plutôt ôue de faillir à son devoir. —
Deux jours après, il renouvelle les mêmes protestations de-
vant le Sacré-Collége. — Cependant^ l'insurrection s'accen-
tue de plus en plus; bientôt toute l'Emilie est en feu, et le
6 septembre, l'annexion de cette province aussi bien que
des Romagues au Piémont est 'solennellement décrétée.
Pie IX, dans une allocution consistoriale du 26 septembre,
proteste de nouveau contre les attentats du Piémont et ré-
sume tous ses griefs contre ce gouvernement, cause de tant
de maux* — L'univers catholique répond à la voix et aux
SLaintes de Pie IX par des témoignages de dévouement et
'amour et en renouvelant des temps anciens V Œuvre du
Denier de Saint-Pierre.
1860. l'année des excommunications et db castelfidardo.
1859 s'était terminé au milieu de l'agitation produite par
la brochure le Pape et le Congrès. Cette brochure qui était
(1)£ia veille, les Autrichiens qni occupaient cette ville, menacés par
rarmée française, avaient dû Tévacuer. C'était l'heure propice pour
les révolutionnaires.
6ti
un véritable hommage rendu à la révolution^ selon Taveu
•d'un diplûiiiale anglais, allait achev^er de faire perdre
Pape plus de la moitié de ses domaia^es et empêcher la
union d'un nouveau congrès européen, attendu depuis
l)lusieurs mois. Pie IX, dès le ier janvier 1860, stigmatise
cette brochure dans la réponse qu'il adresse aux félicita-
tions d'heureuse année que lui offre le général de Gayon,
commandant de l'armée française; le saint Pontife ne
craint pas d'appeler cette brochure " un monument insigne
d'hypocrisie et im tissu ignoble de contradictions.'* — Le 8
janvier^ Pie IX, dans une lettre adressée à l'empereur de«
Français, rejette avec indignation la proposition que ce
souverain avait osé lui faire de renoncer à ses droits sur
les provinces envahies. — ^Quelques jours après, le 19 jan-
vier. Pie IX notifie au monde catholique la proposition im-
périale et la réponse qu'il a cru devoir y faire. (Encyc,
NuUis certe vet'bis,) — La lettre du Pape est publiée en
France, le 29 janvier, par le journal r//;uuerx qui est sup-
primé le même jour, sons de spécieux prétextes d'ordre
public. — Le 14 février, Pie IX repousse une propositioa
analogue à celle de Napoléon III qui lui a été faite par
Victor- Emmanuel. (Lett. apos.)
Le 26 mars, Tœuvre de la Révolution se poursuivant
dans las Etats pontificaux, malgré les avertissements de
Pie IX, le saint Pontife lance contre les envahisseurs et
tous leurs complices, la célèbre bulle d'excommunication :
Cum CathoUca Ecclesia (1).— Le 2 avril nouvelle lettre de
Pie IX à Victor-Emmanuel, après le prétendu suffrage uni-
versel qui a consommé la spoliation des Romagnes ; le
Pontife y renouvelle ses justes protestations, et laisse sur
la conscience du prince toutes les conséquences de l'usur-
pation. Cependant de jeunes catholiques accourent de
toutes parts pour défendre le Saint-Siège et lui conserver
les Marches et l'Ombrie qu'on menace d'envahir. Le gé-
néral Lamoricière est placé à la tôte de l'armée pontificale ;
le 8 avril il adresse une proclamation dont- l'heureux effet
est de grossir considérablement les rangs des défenseurs de
la Papauté. — Au mois de mai, la révolution reprend le
cours de ses entreprises, soutenue par Victor- Emmanuel et
Garibaldi.— Invasion de la Sicile. Pie IX raconte les nou-
(t) Plusieurs d*^ ceux qui plaisantèrent alors de rexcoramunication
du viaillard du Vatican, en expient peut-être aujouix)*hui les dures con-
séquences. Si tel ou tel en plaisante encore, ce sera pour peu do
temps : l'heure de la justice de Dieu viendra. Quoi qu'il en aoil, l9
Parlement qui siège au Monte Cltono est vraiment la Chambre dos
excommuniés. Tel est le titre sous lequel la désignait, il y a peu de
mois, un d<^pulé italien.
87
▼eaux attentats du Piémont dans le consistoire du 13 juillet.-
(Alloc. consist.) — Le 29, oubliant ses propres malheurs, il
écrit aux évoques de Syrie persécutés, pour les encourager.
Le 1 1 septembre, invasion des Marches et de TOmbrie. L'ar-
mée pontificale est odieusement massacrée à Castelfidardo
près de Lorette, le 18 septembre. — Le général de Pimodan
est mortellement blessé sur le champ de bataille. Lamo-
ricière traverse les lignes de Tennemi et arrive à Ancône,-
dernier retranchement de l'armée pontificale. Après une
admirable défense de dix jours de bombardement, la place
est obligée de se rendre le 29. — Douleur de Pie IX en ap-
prenant ces tristes nouvelles. La veille de la capitulation
qui désarmait ses derniers soldats dans les Marches et livrait
cette province aussi bien que TOmbrie au roi du Piémont,
Pie IX, dans unq allocution consistoriale, avait de nou-
veau protesté contre l'invasion et en avait appelé à toutes
les puissances catholiques. La voix du Pontife ne devait
pas être écoulée par les souverains ; mais on vit de toutes
parts, les évéques des deux mondes protester, avec Pie IX,
contre la spoliation de ses Etats, et les accroissements
admirables que prit VŒuvre du Denier de Saint-Pierre vinrent
aussi consoler le saint Pontife.
18CI. l'année du royaume d'italik.
C'était le but avoué de la Révolution de faire de Tltalie
un seul royaume. En conséquence, le comte de Cavour
fait déclarer, le 26 février, par le Sénat, et le 4 mars, par
la chambre des députés, Victor Emmanuel, roi d'Italie. La
reconnaissance du nouveau royaume par la France et les
puissances viennent consolider l'œuvre. Pie IX voit ainsi
se multiplier ses épreuves. Sa force d*âme n'en est pas
abattue. — ^Le 30 septembre, dans la célèbre encyclique :
Meminit unusqmsque^ il raconte Torigine sacrilège du nou-
veau royaume^ et termine ce triste récit en avouant que
Dieu daigne consoler son cœur de Pontife par Tunion ad-
mirable de tout l'épiscopat, par la piété des peuples, par la
fidélité des Romains et par des marques sensibles de sa
miséricorde, notamment dans la conversion des Bulgares
séparés depuis longtemps, par le schisme, de TEglise catho-
lique (1). — Ou reste Pie IX déclarait en cette circonstance
qu'aucune puissance ne pouvait Tempècher de conserver
son indépendance et de pourvoir aux intérêts de l'Eglise.
Les faits l'ont démontré. Au milieu. des tristesses delà
)!) L'œurre de cptte conversion avait eu son prélude le 30 décembre
1860.
88
présente année, Pie IX, dès les premiers maig^, réglait le
culte catholique dans le Danemarck, sacrait Tévèque des
Bulgares et créait un nouveau siège épiscopal à Goa. (LeU«
apost. Suprema auctoritas,) — Le 6 juin il manifestait à ré-
voque de Varsovie son amour pour la Pologne. Peu après,
il organisait le service religieux de la république d'Haïti et
« créait un archevêché à Port-an-Prince. Enfin, le 23 dé-
cembre, il annonçait aux cardinaux qu'il préparait la cano-
nisation des martyrs japonais. (Alloc. Inter plurima.)
18&2. l'année des martyrs japonais.
La canonisation des martyrs japonais est signalée ajuste
titre comme le grand fait religieux de cette année. Elle
eut lieu le 6 juin. Les allocutions du 7 avril : Si semper^ et
du 22 mai : Quant o studio^ en avaient fait pressentir la
grande pensée. Pie IX la résume dans la saisissante allo-
cution du 6 juin : Mirabile quoddam. En présence de la
persécution dont TEglise est victime eu tant de lieux, la
canonisation de ces héros martyrs et du saint pénitent
Michel De sanctis doit apprendre à tous, comment il faut
savoir souffrir pour rEglise et pour la vérité. — Le 9 juin,
Pie IX entretient de nouveau les nombreux Évôçues aceou-
rus de toutes parts ; dans une éloquente homélie prononcée
dans la Basilique vaticane, il les exhorte à combattre par
la parole, par les écrits, par tous les moyens en leur pou-
voir, les erreurs dominantes. (AH. Exultatur nostrum.) —
Le 11 décembre, il avertit rArchevôque de Munich de
rhérésie qui menace d'infecter TAllemagne (lett. Gravissi-
mas mfer).^Dans le môme temps il écrit à Tépiçcopat
portugais pour lui recommander le zèle et la vigilance.
1863. l'année de la Pologne.
Avec un courage, qui excite l'admiration de ses ennemis
eux-mêmes, Pie IX soutient seul la Pologne persécutée
contre le Czar. Dans le consistoire du 19 mars, il raconte
les malheurs de ce pays (ail. Omnibus notum,) — ^Le 22 avril,
il écrit au Czar lui-niême, une lettre en italien, en faveur
de la Pologne (lett. Non dove meravigliare). — Quelques
semaines après, il célèbre le troisième centenaire du Con-
cile de Trente, et adresse, à cette occasion, deux lettres à
l'Évêque de Trente, le 1er et le 15 juin. — Le 10 août, il con-
damne, dans une encyclique, les catholiques libéravû). — ^Le
22 décembre, il écrit de nouveau à l'Archevêque de Munich^
89
au sujet de renseiguement de plusieurs docteurs de Bavière^
et démasque les erreurs de Dœllinger, T orgueilleux père
des vieux catholiques^ en AUemage.
180 4. l'année du syllabus.
Continuant la lutte commencée contre Terreur, Pie IX
écrit le 14 juillet à l'Archevêque de Fribourg en Bris^au,
pour le féliciter de son attitude héroïque. — Le 30, il écrit de
nouveau aux Evoques de Pologne pour les encourager et
flétrir de nouveau la persécution russe contre TEglise. — Le
18 août, nouvelle lettre dans laquelle il complimente TEpis-
copat bavarois de sa noble fermeté — Le 19 du môme mois,
il béatifie Marguerite-Marie Alacoque, la fervente propaga-
trice de la dévotion au Sacré-Cœur. — ^Après la triste con-
vention du 15 septembre, qui, sous prétexte de maintenir
l'indépendance du Pape, devait livrer ses Etats à la merci
du Piémont, Pie IX prononce cette mémorable parole :
** Je plains la France. . .mais Dieu saura défendre son Eglise.'^
Le saint Pontife termine cette année, en publiant son
immortelle Encycliciue Quanta cura et le Syllabus des evreurs
contemporaines. Le 8 décembre, dixième anniversaire de
la promulgation du dogme de l'Immaculée-Conception est
choisi à dessein par le pieux Pontife pour la publication
de ces deux documents d'une si capitale importance.
1865. l'année des francs- maçons.
Bien que, dès son avènement. Pie IX eut condamné cette
secte dangereuse, voyant ses continuels et désastreux
progrès, le saint Pontife renouvelle contre elle en 1865
toutes les anciennes condamnations. En effet après avoir
successivement pourvu aux besoins de l'Eglise, notamment
à la Plata (5 mars), au Pérou (17 mars), en Orient (27 mars),
aux îles Phillippiiies (27 mai), par son allocution consisto-
riale Multiplices inter du 25 septembre, il signala au monde
les perfides agissements des sociétés maçonniques et con-
jure les fidèles de s'en préserver.
1866. l'année de sadowa.
La Révolution s'efforce d'affaiblir les puissances catholi-
ques, de les détruire même ; elle s'unit aux protestants de
tous les pays pour combattre partout l'Eglise : Pie IX
90
redouble d'ardeur pour soutenir la lutte. Par sa lettre
-apostolique Gravissimum supremiy il fonde à perpétuité dans
la compagnie de Jésus un collège d'écrivains chargés de
défendre la religion et le Saint-Siège. — Dans le conèistoiie
du 22 juin, il crée neuf nouveaux cardinaux. — Le 25 juillet,
il reconnaît Alger comme métropole et érige les deux siège»
d'Oran et de Constantine (lett. apost. Catholicœ Ecclesiœ), —
Les mois suivants, il confirme Télection du patriarche des
Syriens d'Antioche.
1867. l'année du centenaire de saint-pierrb.
En cette année, Pie IX est inondé de joies extraordinai-
res, que Dieu lui accorde pour soutenir de nouvelles luttes.
Tous les évoques du monde accourent à Rome pour le dix-
huitième centenaire du martyre de saint-Pierre. Pie IX
les réunit en consistoire, le 26 juin. Par son allocution :
Singulari quidem^ il leur manifeste le bonheur qu'il
éprouve à les voir ainsi unis au Siège apostolique. La
fête triomphante du prince des apôtres a lieu le 29. Pie
IX y canonise les martyrs de Gorcum et plusieurs
autres saints. A Toccasion de cette solennité, et en
réponse à rallocution apostolique du 26, les évoques sous-
-cnvent une Adresse, où ils protestent de leur fidélité au
Pape et proclament la nécessité du pouvoir temporel. Le
30, Pie IX répond par Tallocution Perjucunda et annonce
un concile œcuménique. Ce même jour, il érige en archi-
confrérie l'Association des chaînes de saint Pierre — Dans
le consistoire du 20 septembre, il gérait sur la spoliation
' 4es couvents en Italie. (AU. Universus cath-olicus orbis)—
Le 17 octobre, il notifie avec douleur l'entrée de Garibaldi
dans les Etats pontificaux, et dévoile la ruse et les machi-
nations perfides de ces nouveaux envahisseurs et de tous
les ennemis de l'Eglise. La persécution de la Pologne
obtient aussi en cette circonstance un nouveau- blâme.
^All. Levate.) Le 4 novembre. Pie I\ apprend l'heureuse
issue do la bataille de Mentana (livrée la veille) ; le terri-
toire pontifical venait d'ùtre délivré des bandes révolution-
naires. Le Souverain-Pontife donne des larmes aux jeunes
héros qui ont succombé dans la lutte.
1868. i/aNNÉEDE préparation au concile et DIÉPART DES
premiers zouaves CANADIENS.
Dans son désir d'augmenter ses conseillers et de pourvoir
91
■
à tout rensemble du gouvernement de TEglise, Pie IX
nomme de nouveaux cardinaux au consistoire du ISimars.-
— Le 22 juin, il consulte le Sacré-GoUége sur plusieurs
Îiiestions relatives au futur concile. (A|[l^ Notuàh vobis.) —
e 29 juin, il donne publication des Lettres apostoliques
^emi Pattiy^ par lesquelles il indique la Concile pour le
8 décembre 4869.
C'est en cette année 1868, que le Canada manifeste d'une
manière si éclatante son amour pour Pie IX, en lui en-
voyant un premier détachement de jeunes volontaires ; le
18 février 1868, jour du départ, de Montréal, des tSO pre
miers soldats pontificaux est un jour à jamais mémorable
dans notre histpire. Le Canada envoya en tout, à Rome,
500 de ses enfants pour la défense du pouvoir temporel.
1860. L' ANNÉE DV CONCILE DU VATICAN*
I
Les premiers mois de cette année sont marqués par la^
célébration des noces d'or de Pie IX (la cinquantaine de
son sacerdoce), et par l'ouverture d'nii Jubilé universel
Un décret apostolique du 26 mars, commençant par ces
mots : Quod in maxlmîSy publie ce Jubilé destiné à attirer
les grâces du Ciel sur le Concile. Le 4 septembre, Pie
IX refuse rentrée du Concile aux schismatiques qfui préten-
daient s'arroger ce droit (Lett. apost.) ; toutefois, par une
nouvelle lettre, du 30 octobre, il les invite à discuter avec
des théologiens qu'il désignera. — Le 27 novembre, il publie
un très sage règlement à l'usage des Père du Concile. (Lett*
apost. Multipliées inter.) — Le 2 décembre il inaugure les Con-
grégations du Concile par une admirable allocution ; ce
même jour, il fait paraître la Constitution apostolique Cum
Romanis par laquelle il pourvoit à l'élection de son succes-
seur, si la mort venait à le frapper lui-même pendant la ré-
union des évoques : enfin, le 8 décembre, il ouvrQ dans la
Basilique de Saint-Pierre le saint Concile,' par Tallocution :
Quod votis omnibus.
1870. l'annék de la brkchk de la porta-pia.
dogmatique Dei plius sur Dieu, sur la foi, sur la raison, sur
la révélation. — Le 18 juillet, il promulgue une seconde
92
•
'Constitiiiiom Pater œternus^ sur la primauté de Pierre, la
Êei^tuité da Saint-Siège et rinfaillibiliié pootificala
[ais ce même jour^ éclatait la guerre entre la Fraqce et la
Pruflsa — Le 211 septembre^ par suite du retrait des troupes
fraaçaigee, Rame est envahie par l'armée piémontaise : âk
Y pénètre par la PortarPia- — Le 1er noyemfarey Pie I a no-
tifie au monde catholique cette sacrilège invasion. Il ter-
mine son lugubre récit par une solennelle protestation et
par la promesse non moins solennelle de ne jamais pactiser
avec l'envahisseur. L'histoire peut dire s'il a manqué à sa
parole.
»
1871. l'axnée des garanties.
Les envahisseurs veulent donner au Pape des prétendus
gages de sécurité, en lui offrant ce qu'ils appellent des
Garanties, Pie IX les refuse noblement par sa Lettre apos-
tolique Scclesia Dei^ adressée, le 2 mars, au cardinal-vicaire,
Son Em. Patrizzi. — Depuis ce mcfment, par de continneis
discours et par tous ses actes il ne cesse de combattre la ré-
volution.— Le 4 juin, il remercie Dieu, qui daigne lui
accorder les longues années de saint Pierre. (Encyd,
Bénéficia Dei.)-;^Le 7 juillet, il proclame saint Joseph, pro-
lecteur de l'Église. — Daos une nouvelle Encyclique du
ô août, il voit dans l'unité du monde catholique le gage dn
triomphe futur. — Le 8 août, il refuse un trône d'or que la
piété des catholiques se prqpose de lui offrir et le titre de
grand qu'elle veut lui décerner. — Le 27 octobre, il pourvoit
aux nombreux sièges épiscopaux vacants en Italie.
1872. l'année uk la (.iehiik aux codve>ts.
La confection des lois oppressives pour les couvents
signale les progrès de la révolution dans la ville sainte
durant Tannée 1872 ; en même temps la servitude dans
laquelle la révolution préteiul tenir Pie IX, prend chaque
jour un caractère plus manifeste. Le saint Pontife domine la
situation et déjoue toutes les ruses de ses ennemis. — Le 16
juin, par une lettre adressée au cardinal Antoneli, il se
iléclare prisonnier du gouvernement italien, mais prêta
mourir plutôt que dje céder à des exigences ou à des con-
cessions incompatibles avec les devoirs que lui impose la
<4iarge du souverain pontificat. — Le 23 décembre, en pré-
sence du Sacré-CoUége, il condamne la conduite desspâia-
93
teura des biens de TEglise et les excommunie ; il affirme
de nouveau que pour lui il s^abandonoe à la justice de Dieu
et compte sur sa miséricorde. (AU. Justus et misericors.)
1873. l'année de la persécution universelle.
A l'imitation du gouvernement italien, plusieurs çoa-
vernements se- mettent à. persécuter ouvertement l'Eglise :
celto persécution est en partie le triste résultat des sourdes
menées de la maçonnerie ; de son côté, le catholicisme
libéral s'efforce de semer la division contre Rome. Pie IX,
pour opposer au mal un remède efficace par ses lettre»
apostoliques Dum insectatiimeâ du 10 février, encourage
partout lès sociétés ou associations sincèrement catholi-
ques : notamment celles de la France, de l'Allemagne, de
la Belgique et de Fllalie reçoivent ses félicitations. — Allant
plus loin, le 29 mai, il renouvelle la condamnation des
iranps-maçons par sa lettre Qttanquam dolores adressée à
révoque d'Olinda, au Brésil. — ^En même temps, il démasque
et condamne le catholicisme libéral dans des lettres de
félicitation adressées à plusieur sociétés catholiques, notam-
ment à celle de Saint-Ambroise, de Milan, (Lett. Fer tristis-
sima)^ et à celles d'Orléans et de Belgique. — Enfin, le 21
novembre, il publie TEcycliaue Et si liicttwsa^ par laquelle
il dénonce au monde catholique ce que souffre TEglisef à
Rome, en Italie, en Suisse et en Prusse.
1874. l'année des alliaeces iepies.
Soulevée par les sectes, l'Autriche semble se préparer a
persécuter l'Eglise comme la Prusse. En pilot attentif et
vigilant, Pie IX, pour contrebalancer ces malignes influen-
ces, adresse le 7 mars à l'épiscopat autrichien Tencyclique
Vix dum a nohis. — Le 13 mai, dans une nouvelle encyclique
adressée à l'épiscopat ru thène, il recommande le maintien
de la véritable liturgie que les schismatiques russes veu-
lent corromqre. (Encyc. Omnem sollicitudincm:)^\o\dint le
mal s'étendre de plus en plus, dans le Consistoire du 21 dé-
cembre, il déplore Taveuglement des gouvernements qui
partout s'unissent aux ennemis de TEglise. Il cite le mal-
heureux exemple de l'Allemagne, de la Suisse, des divers
Etats du nord et du sud de l'Amérique, et signale en parti-
culier la persécution de la Turquie contre les Arménien»-
îAUoc. Conspicientes.) — Le 24 décembre, il convie les peuple»
94
à la pénitence et publie le grand Jubilé que ramène chaque*
période de vingt-cinq ans.
1875. l'année les bernjèbes conspirations.
A la persécution vient s'ajouter la conspiration hypocri-
te. On fait des calculs impies sur TéventuaUté de la mort
du Pape ; les divers gouvernements cherchent à s'entendre
pour entraver, le cas échéant, la liberté du futur conclave.
Fie IX dédaigne ces sacrilèges conbinaisons de ses enne-
mis. Tout entier aux douleurs de ses enfants, il écrit aux.
évoques d'Allemagne prisonniers.(Lettr. ap, Quod nunquam)
puis au clergé et aux ndëles de Suisse (Lett. aq. du 23 mars)
pour consoler et encourager les uns et les autres. — Dans le
même jour, avec une sainte indépendance, il se plaint de-
Tant le Sacré-Collège de l'excès de l'intolérance de ses enne-
mis : Ils vont jusqu'à prétendre empêcher en Italie la pu-
blication des discours pontificaux et veulent lui enlever
ainsi la liberté de ses actes et de sa parole. — Mais
pendant que les gouvernements s'éloignent du Vicai-
re de Jésus-Christ^ les peuples accourent à sea pieds pour
fêter les anniversaires de sa naissance et de son couronne-
' ment, et puiser auprès de lui la force dont ils ont besoin.
Pie IX ne cesse d'accueillir avec sa bonté ordinaire les
nombreux pèlerins ; il les invite tous à mettre leur appui
dans le sacré Cœur de Jésus, à se consacrer à lui. Il les-
bénit avec paternité, et fortifiance en l'assistance que Dieu
a promise à l'Eglise : l'épreuve ne servira qu'à la purifiier.
à la faire resplendir de plus d'éclat. Tel est le résumé des.
nombreuses et éloquentes allocutions que les visiteurs de
Pie IX ont le bonheur d'entendre.
187Q. l'année des PÉLÉRINAGEi>.
Pendant que la révolution règne au Quirinal, que les
gouvernements font la guerre à lEglise, des milliers et des
milliers de fidèles viennent de toutes les parties du monde
protester de leur dévouement au Saint-Siègei Les offrandes
abondent, les vœux pour Pie IX sont universels. Et
quelle est l'attitude de tous ces pèlerins ? C'est l'attitude
même des Saints. On sent, en les voyant, qu'ils sont pous-
sés par le vent de la foi, qu'un même zèle les anime, qu'un
même amour filial déborde de leurs cœurs. Là, plus de
distinctions humaines, les princes coudoient les négocianîs,
les industriels, les paysans, les ouvriers, les mendiants î
95
-oui, les mendiants eux-mêmes veulent baiser les pieds de
Tauguste captif.
Ces grandes manifestations des sentiments de la catholi*
cité, montrent aux puissances que les fidèles protestent con*
tre la situation qu'elles ont faite ou laissé faire au Souve-
rain-Pontife et que sur cette question ils ne transigeront
iamais. Un des plus haut placés parmi les ennemis de
rEglise a avoué dans un discours puolic ^^ Que la durée de
la persécution n'a pas brisé le courage des fidèles". 11
ignore donc que le propre de la persécution est de ranimer
la foi I
1877. l'année des noces d'or.
Le 21 mai, Pie IX célèbre ses noces d'or ou le cinquan-
tièmiB anniversaire de son élévation à l'épiscopat. Le Pape
reçoit des députations de tous les diocèses de France, da
Canada, de la Belgique, de l'Allemagne et du monde en-
tier, qui viennent, par leur présence, protester contre le»
oppressions auxquelles l'Ec^lise est en butte dans la personne
de son Souveram Pontife, de la part du gouvernement
usurpateur de Victor-Emmanuel et autres.
1878. SA MORT.
Le 7 février au soir, le télégraphe jetait par tous les points
du monde, la lugubre nouvelle de fa mort de notre grand,
illustre et bien-aimé Pontife dans les termes suivants :
Rome^ 7 F(:\:rier 1878.
'• Le Pape était bien hier. Il a pu faire quelques^pas
"' dans sa chambre. On croit que cet exercice lui a nut
'' dommage, car sa plaie à la jambe s'est feiTnée, et immé-
" diatement la douleur est montée à la tt'te."
'' Ce matin, à quatres l'agonie a commencé. Les cardi-
" njiuz se sont réunis d'abord dans la chambre voisine,
'^ avec les dignitaires de la Cour Papale ; mais aux dernière
'' moments de l'auguste Pontife, tous les cardinaux étaient
^^ autour de son lit. Le Cardinal Panebianco lui a adminis-
-'^ Iré les derniers sacrements. Pie IX a dit à ses méde-
'* cins : *' la mort l'emporte cette fois."
96
'* Il a coD serve toute sa connaissance jusqu'à son de
^* soupir. Avant de mourir, il a dit aux cardinaux ; . . »
il -Pv.^tArrA^ l'TT^Ko/^ /«^lA ;>o{ font nim&tx ^* |
Protégez l'Eglise que j'ai tant aimée."
*' Il est mort à cinq heures p.m." ' / ■
Euge strve bone et fidelis, intra in gaii4ium Domini tvil
\
• • '
?^;}
ANNALES
]>■ I^
PROPAGATION DE LA FOI
POUR LA PROVINCE DE QUEBEC
JUIN 1878-
(NOUVELLE SERIE)
t
CINQUIÈME NUMÉRO. *
DES PRESSES A VAPEUR DE PLINGUET 6c FILS»
22, RinC ST. GABRIEL.
1878
Permis d'imprimer,
-f Edouard Gh. Ey. delipotréaL
\
\
il :H'3o
NOTES HISTORIQUES SUR LA MISSION DE L'ANSE
ST. JEAN.
Anse St. Jean, 2 avril 1878.
IL H. TÊTU, Ptre ,
Aumônier de T Archevêché de Québec.
Monsieur PAumônier,
Pour me conformer à votre désir, je vais donner aux
lecteurs des Annales de la Propagation de la Foi quelques
renseignements sur rétablissement et le développement de
la mission de l'Anse St. Jean, renseignements que j'extrais
pour la plupart des notes qu'a laissées le Rév. M. Otis, l'un
de mes prédécesseurs.
Ce fut dans l'été 1838 que les premiers colons débarquè-
rent à l'Anse St. Jean. Ils étaient envoyés par une société
formée de 21 citoyens de la Malbaie à la tète desquels se
trouvait Sieur Alexis Tremblay (Picoté).
Noms des associés.
1. Alexis Tremblay (Picoté). 12. Louis Villeneuve.
2. Louis Tremblay (Picoté). 13. Basile Villeneuve.
3. Joseph Tremblay (Picoté). 14. Ignace Murray.
4. Alexis SiMARD. 15. David Blackborn.
5. Thomas SiMARD. 16. George Tremblay.
6.| Ignace Couturier. 17. Jérôme Tremblay.
7. Joseph Lapointe. 18. François Maltais.
8. Benjamin Gaudreault. 19. Michel Gagné.
9. Joseph Harvey. 20. Pierre Bouoreau.
10. Louis Desgagné. 21. Jean Harvey.
11. Louis BouLiANE.
Le but que se proposaient ces âmes généreuses, c'était
d'ouvrir un nouveau champ à la colonisation et de pouvoir
un jour y placer convenablement leurs enfants. Mais pour
100
atteindre ce bat, il y avait deux obstacles considérables i
lever : il fallait !<> composer avec la puissante société an-
glaise, appelée de ïa Bade* cPltudson^ qui, étant en posses-
sion de tout le territoire 'du Sagnenay, ne voulait pas &e
désister de ses droits, à moins qu'on ne lui payât la somme
de mille buit cents louis (£1,800). Alors, elle permettait
seulement aux colons de couper le pin, Tépinette qui se
trouvaient dans ses limites, sans cependant consentir an
plus petit défrichement.
2o Le second obstacle était le dénûment absolu où se
trouvait la société Malbaie. Quoique composée de citoyens
à Taise, néanmoins la position respective de chacun d*eax
était loin de leur permettre de fonder un capital suffisant
pour rencontrer les exigences des associés de la Baie d'Hud-
son.
En présence de ces difficultés, les associés décidèrent
que, pour parvenir à rencontrer la somme que la compa-
gnie reclamait, ils devaient avoir des chantiers, sans se
préoccuper pour le moment de la colonisation. D'ailleurs,
le bail qui donnait tous ces privilèges à la compagnie an-
glaise devait expirer en peu d'années, et alors, tout obstacle
étant vaincu, il serait facile à la société Malbaie d'atteindre
son but primitif.
Au printemps donc de l'année 1838, les eaux du Sague>
nay virent la première goëlettjs, portant les braves qui de
valent combattre pour leur cojaquête. ilais, malheuren-
sement, elle ne put atteindre que les sept îles, près de Ta-
doussac, à raison des glacer qui couvraient la rivière. On
y débairqua un certain nombre d'hompies pour y cons-
truire un moulin à scie et y passer l'été.
La goélette remonta de là jusqu'à TAnse-au- Cheval (vis*
à- vis Ste. Marguerite), où l'on débarqua une seconde troupe,
avec instruction d'y construire un moulin et y couper du
bois. Le reste de Téquip.^ge continua sa route jusqu'à
l'Anse St. Jean.
,. L'établissenjent de ce§ trois postes jusque-là ignorés, de-
vant avoir chacun son moulin et des hommes à.gages pour
y amener lé bois propre aux' madriers, était la tâche que
s'était iiûpoëée la société pout- Tannée 1838.*
loi
Tôtre ces jennes gens stationnés m iriilieti dés neige*
Tondatilès da prihtënïps n*araieht aucutt afiri. Mais si les
privations et lés fatigues furent grandes^ ônA peut asàuiier
'que leur courage le fut davantage.
Les moulina Se firent avec les écluses, à bras d'hommes ;
celui de l'Anse St. Jeati jput scier assez de madriers^
durant la saison d'été, pour être en état dé pouvoir chiarger
un navire dans le mois d'octobre. Cette charge vendue
suifit seule à compléter les $1,800 dus à la compagnie de la
Baie d'Hodon.
La société de la Malbaié s'acquit par là de la renommée
et assura son crédit.
Le Saguenay fut dès lors considéré comme une terre
promise. Aussi, tout le surcroit de population qui encom-
brait les vieilles paroisses de la côte Nord, tomba-t-il
comme sous le coup d'une baguette magique en entendant
les récits merveilleux des jeunes gens qui revenaient de
ces lointains climats.
Le Saguenay était une rivière sans fond comme sans
mouillage possible (hors celui de l'Anse St. Jean et de
l'Anse St. Etienne.) • Fût-on près du port, où Ton voulait
•aller, le vent favorable cessant, il fallait rebrousser chemin,
et se hâter d'atteindre l'un de ces havres. Ils avaient vu la
Soûle PEternité (Trinité) montagne se perdant danà les
nues. Plus haut, les terres étaient d'une étendue immense,
<l'une qualité supérieure ; une vallée sans horizon s'éten>
dait depuis la grande Baie jusqu'au Lac Si. Jean. C'était
\\ que croissait la vigne plantée par les Pères Jésuites et
les autres fruits des climats chauds. — Enfin quede belles
-choses n'avait-on pas à dire sur ces parages enchantés !
Dès l'autônine de la môme année 1838, 8 familles étaient
montées s'établir à la Baie des Ha, Ha.
Les chantiers de l'Anse St. Jeail continuèrent, sous la
direction dû même chef, avec plus ou moins àe succès
jusqu'en 18i5. Alors, les associés résolurent, d'un commun
accord, de vendre tous les établissements appartenant à la
.Sociéjtê. Ce fut la maison W. Price et Cie., qui en devint
Tâcquéreur. '"
Les pointes étaient ouvertes, tous' les obstacles levée : le
102
lienlait était immense pour la population déjà fixée am
Saguenay à cette époque, ainsi que pour çeiu q^ii devaient.
y venir plus tard. Aussi, les héi:i tiers de tant de sacrifices
doivent ils une souveraine reconnaissance à ces 21 citoyens
généraux de la Malbaie qui leur préparèrent ainsi l'avenir^
A. partir de 1845, l'Anse St. Jean fut abandonnée comme
point central, la maison Price lui ayant substitué la Grande
Baie, et cinq familles seulement continuèrent à demeurer
au premier poste. Une couple de familles vinrent se join-
dre aux anciennes dans le cours des années suivantes.
Ces familles restèrent ainsi isolées jusque vers Tannée
1856, sans que leur nombre s'augmentât d'une manière
notable. A cette époque s'établit un courant assez considé-
rable d'émigration venant des Eboulements : alors, les forêts
disparaissent comme par enchantement et se transforment
en campagnes fertiles.
Pendant ces dix-huit premières années, l'Anse St. Jean
fut visitée par un grand nombre de missionnaires résidant
à la Grande Baie et dont voici les noms :
Les Rév. PP. Oblats Duroclier, Babel, Fiset, Bourassa,
Garant, Arnaud, Lalaze, Honorât, et M. Durocher, frère du.
Rév. Père du même nom.
' En 1839, le Rév. M. B. B. Decoigne, curé de la Baie St.
Paul, et le Rév. M.Léveque, curé de la Malbaie, donnèrent
la mission.
Les Rév. Pères Oblats s'étant retirés de la Grande Baie
en 1851, le Rév. M. Charles Pouliot les remplaça dans la
mission de l'Anse St. Jean jusqu'en 1854, Vint alors le
Rév. M. T. Gill, puis le Rév. M. T. Otis en 1856, pour laisser
le soin de la même mission au Rév. M. T. À. Mai'tel en 1858.
Ce fut vers la fm de 1861, que Mgr C. F. Baillargeon
nomma un missionnaire résidant à l'Anse St. Jean, dans la
personne du Rév. M. T. Otis, curé de St. Alphonse. Ses
successeurs furent les Rév. M. Sauvageau en 1866, Girard
en 1867, et enfin dans l'automne de 1875, le missionnaire
actuel.
Faire de longs voyages pour visiter leurs ouailles, ris-
quer leur vie au milieu des tempêtes qui sévissept quelques
fois, violemment sur la rivière Saguenay, éprouver des-
103
Têtards à bord des goélettes ou des chaloupes, ainsi qne
'des contre- temps de toutes sortes, telle dut êtfe la couditioa
>des premiers missionnaires. Mener une vie de solitaire,
passer plusieurs mois de suite sans voir leurs confrères,
-supporter beaucoup d'ennui et voyager quelquefois aa
milieu des dangers, tel fut le partage des missionnaires
Tésidants. A propos des tempêtes du Saguenay, je me rap.
.pelle le fait assez original d'un voyageur, qui après ôtre
parti le matin de l'endroit appelé descente des femmes^ fut
surpris par la tempête, rebroussa chemin sans s'en aperce-
voir au milieu des tourbillons de vent et de neige et ar-
xiva le soir, bien étonné, à l'endroit qu'il avait laissé le
matin.
Jusqu'en 1857, la mission se donnait dans une maisoa
particulière. Alors les habitants commencèrent à cons-
truire une petite chapelle, dans le voisinage de la Rivière
St. Jean et à peu de distance du Saguenay. Le comble seu-:
lement y avait été mis, qu'une tempête arriva qui fit table
rase; alors on abandonna le projet pour le moment
Quelque temps après, ^L T. Otis, curé de St. Alphonse^
vint leur.. donner la mission ; et les citoyens se trouvant
trop à la gêne dans une maison privée pour l'exercice de
ieurs devoirs religieux, se réunirent dans la pensée qu'il
fallait relever, ou mieux construire à neuf les murs du
temple renversé. Le missionnaire leur conseilla de choi-
sir une autre place, vu que celle indiquée plus haut offrait
à la Rivière St. Jean une proie facile à dévorer, et que pro-*
bablement plus tard, le terrain continuant d'ébouler, né-
«cessiterait des charges pesantes aux contribuables.
Le conseil fut sur l'heure adopté, et aussitôt. Ton se mit
à l'œuvre. Tous les matériaux de la chapelle écrasée fu-
rent transportés sur un plateau élevé, à une distance d'en-
viron 20 arpents du Saguenay. C'est là qu'on construisit
la chapelle actuelle.
Les habitants, peU nombreux, élevèrent eux seuls, sans
aide aucune, une chapelle de 46 pieds sur 36. Oii né pou-
vait cërtaiiiement manifester plus de bonne volonté.
''La chapelle est terminée, hAtons-nous de construire Id
jpresbytère-et le prêtre résidant ne tardera pas: ^ (Test cé
m
que l'on iit^Oj effet, t.es trois AvrU;186Q, 3>f gç. G. F. Bail«
largeQK) ordonnait' iCettQ, Qoii^tructioQ., Lqs citoyens, mal-^
gré leoir jn^ig^w^e, , fie jmirept résjolu^eijt $- Itouvre., M-
Martel, alora l^uf .ipie^pï^naire, coï^djuiçiit ïe^ affaires. avec
nue ajGtlvité et uç/iaèlexiqi furent .covj?pUJ?4^ de, siiccès..
Tout. marcha si bien et sa yite^ que âani^4'ajkUoiune<18|Sl, la
t>l^tisse,. contre Tatteôte de Mon^igneiur.de T^oa, se trouva,
eutièrement tern>inée.
Aiidsi, le 2 septembre 18Q1 le Rév. M. Otis était>il
Homtué premier curé de l'Anse St Jean, Voifci compient le
dévoué missionnaire raconte son. arrivée dans sa. nouvelle-
paroisse : 1
" Parti de S. Alphonse le 24 septembre 1861, je n'a"rrivai
"à l'Anse St. Jean que le 28 dans là nuit, véîlte de la fôte
^ St. Michel. Je descendis en chaloupe, p^r un coup de
" vent des plug violents. Plus d'une Ibis, hotis craignîmes
*^ d'être submergés. ' Je n'avais avec moi qu'une partie de
*• mes bagages, l'autre était dang un grand bateau qui fai-
" sait voile en môme temps. Mais la tempête était si forte
" qu'elle épouvanta les matelots et jusqu'au capitaine ; de
" sorte que le bateau prit terre au Tableau et y ppssa le
*' Dimanche, 29.
" Mon arrivée au nouveau presbytère n'était pas des
** plus attrayanJtes. . C'était là forêt tout autour. La forêt»
*' il est vrai, reaverséepar le feu ; mais le feu avait respec-
** té se3 débris. * De sorte qu'il fallut se frayer ua passage
*' quelconque à travers le bois et les.énorpies souches pour
*' y arriver Le3 deux uniques bâtisses étaient la cha-
" pelle construite ^n lÔ57et.le presbytère, TJout le reste
** était à faire : sacristie, étabïe, grange, etc. 'Mais, je dois
** confesser, à la louante des colons d'alors, que je trpuvai
" dans leur zèle un dédommagement de l'embarras où je
"me trouvais^ car [aujpremter novembre, grange, étable
*' et autres dépendances étaient debou^i
. " Mft piremièire ipe^^ 8qlçnflpl],e copime, prôtije résidant
«fut (^efcr^le.§:;_pctp^rS,'..fôtaduLSt^^R^^ ;Ça8eul
^< hfiipupe, dançi Ift . iJ^acertsa^yaU la» réjjcft^, rauoiM?^: ci^
« ni suivant» Les ohç^es. aLLèi^e^t ainsi jusqjûi'àiNoèL
105
**■ La messe de minuit et chi'jotir de Noël fut des jllus ^o-
"*• lennelles : Quatre servants en's^irplis, un Aicenëwr, huit
-*' chantres qui faisaient leur flôBsiWe aux aïleîuia,Tiû'harnio-
'*' nium accompagnant les voix de douze jeunes filles. — ^Les
^* aticiens colons privés depuis 18 ans de ces solennités si
*' belleset si touchantes ]ie pouvaient retenir des larmes de
** joie en voyant ces choses qui leurs rappelaient les dod-
*' ces émotions éprouvées autrefois au pays natal. C'était
** les Juifs Vendus à leur chère Jérusalem après les ennuis
*' de l'exil : " El facta est lœtitin in populo^ magna valde / "
On ne sait qui admirer davantage, du pasteur qui se mul-
tiplie pour prérider à tous les travaux d'organisation ou des
paroissiens qui secondent un si beau zèle. Trois mois se
sont à peine écoulés que déjà la création est complète. S'il
nous était donné de considérer le courageux missionnaire
à l'œuvre pendant les 5 ans qu'il desservit l'Anse Bt. Jean,
nous le verrions Se dévouer corps et âme, pour Pavance-
ment spirituel et temporel de -ses chères ouailles. Coloni-
sation, éducation de l'enfance, accroissement de la piété au
milieu de son peuple, rien n'est négligé. Il se fait tout &
tous : il instruit, il encourage, il console, il prie, il travaille
sans cesse et la joie semble sa compagne habituelle dans sa
solitude bien-aimée. Que ne peut-il y demeurer encore
des années et des années ! Mais, bientôt, épuisé par le tra-
vail, sa santé ne peut résister plus longtemps â l'ardeur de
son zèle et bien â regret il confie à un autre un champ si
bien cultivé.
La première visite épiscopale eut lieu en Tannée 1863.
Monseigneur Charles François Baillargeon, accompagné
des Rév. Pérès Beaudry et Lecours, arriva à l'Anse St.
Jean le 27 juillet à ÎO} heures du soir* La jôle de la popu-
lation fut grande le 28 au matin lorsqu'elle appAt l'arrivée
de Sa Grâce. Monseigneur voulut dans ravant-midi Visiter
ïa place. Il ftit accompagné dans son voyage parla cava-
leriejusqu'à 4 milles. Là s'arrêtait le chemin praticable.
Les exercices de la visite commencèrent' dans Paprès-
midi. L^ lendemain, 56 personnes eurent le bônhefur de
-recevoir la confirmation. Monseigneur partit de l'Anèe^St.
Jeaii pour Tadoussac le 29 à midi, en chaloupe. Sa Ûrâce
106
éprouva du vent contraire, des orages, et ne put arriver St
Tadoussac que dans la nuit*
- L'année 1865 fut célèbre par la disette de fourrage. Cette
disette était générale. Tous les grains en réserve pour les-
semences furent dépensés ; ce fut par ce moyen que l'on
put sauver les animaux. Il fallut ensuite faire venir le$
grains de semence de la Malbaie.
Le commencement de Tannée 1866 fut surtout remar-
^able par rémigration. Un certain nombre de familles
n'ayant pas semé, se voyaient sans espoir d'échapper à la
misère. Dans cette extrémité, on prit des informations de
tous côtés. L'un trouva ici des avantages, l'autre voyait
là de l'or et du pain. Enfin, il fut décidé que le premier
soleil de mars serait l'infaillible témoin du décampage^
Vingt familles partirent dans le cours des deux années
1865 et 1866.
Le successeur du Rév. M. T. Otis dut laisser au bout
4l'un an pour cause de s^nté. Il réunissait à un haut degré
toutes les qualités du vrai missionnaire et du solitaire.
Ses paroissiens n'avaient pas tardé à s'en apercevoir et
leurs i*egrets le suivirent à son départ.
Le nouveau curé demeura 8 ans à l'Anse St. Jean. Les
travaux accomplis furent nombreux : la chapelle et le pres-
bytère subirent une agréable transformation, des maisons
d'écoles se construisirent et de grands fruits furent pro-
duits dans les âmes. En présence de ces 8 longues années-
de solitude, nous sommes ravis d'admiration et en même
ftemps,' une pensée de frayeur se dresse devant nous de
manière que nous nous demandons avec anxiété : '^ Si l'on
f* exige de nous un pareil sacrifice, où trouverons-nous
^ donc un courage et des forces pour Taccomplir ? "
En 1868 eut lieu la deuxième visite épiscopale dans la-
•quelle 74 personnes reçurent 1^ confirmation.
. Enfin, vers le milieu de juillet 1874, Sa Grâce, Mgr E. A^
Taschereau, arrivait à l'Anse St. Jean et le Saint-Esprit
descendait sur 82 personnes.
On dit que Sa Grâce n'arriva à l'Anse St. Jean qu'après*
jan grand retard, à une heure avancée de la nuit. De
grands préparatifs de réception avaient été faits la veille^
107
•et la populatioa était restée longtemps dans Tattente. . Le
lendemain, la pluie tombait par toi?rent9, mais elle ne put
empêcher les braves parois&iens de F Anse Sk Jean de pro-
fiter des grâces si abondantes attachées à la visite de lemr
vénérable Archevêque.
Paul Dubé, Ptre.
Nous croyoj^s devoir ajouter à ces notes historiques le
rapport suivant que le Révérend M. Dubé a envoyé à Mon-
seigneur l'Archevêque au mois de mars dernier, et qui
complète les renseignements déjà donnés sur la mission de
l'Anse St. Jean.
«
Anse St. Jean, 2B mars 1878.
A Sa Grâce Mgr E. A. Tasghereau,
Archevêque de Québec.
Moîiseigneurj
L'intérêt que vous portez à l'œuvre des missions, me fait
-croire que vous aurez pour agréables quelques renseigne-
ments sur l'Anse St. Jean, le Petit Sagnenay et le Tableau,
qui composent ma desserte.
ANSE ST. JEAN.
L'Anse St. Jean, comme Votre Grâce le sait, est le lieu
de ma résidence. Déjà, dans un premier rapport, ie vous
ai fait connaître la physionomie du peuple qui l'habite, et
qu'on peut bien appeler un bon^ petit et solitaire peuple^
j^our me servir des expressions que Votre Grâce a daigne
employer dans une lettre qu'elle m'a fait l'honneur de m'é-
>crire. La bonté, c'est bien le trait le plus saillant de cette
Shvsionomie qui porte aussi un cachet spécial de candeur,
'obéissance, oè respect à l'autorité.
Les premiers colons de l'Anse St. Jean y débarquèrent
«n 1838.
Depuis lors, beaucoup de missionnaires animés du zèle
Je plus généreux pour la gloire de Dieu et le salut des
AmeSj m*ont précédé dans la culture de ce champ isolé' de
la vigne du Seigneur; ils y ont déposé une semence, qui.
.108
jpar leurs soins, leurs sacrifices et leurs sueurs, a pris pk*
teur^ux acçrôisseniént et qui est devenue une plante tna-
gnifique doét je a^aiiju'à recueillir les fruits. -Honneur à
-ces messagèrâ tle ']a. bonne nouvelle. i\ j'at euvij^on dix-
.Jbuit ans seulensQUl qu'\in prêtre réside.ii l'anse St., Jean»
Quelles souffrances n'ont pas dû endurer ces pauvres soli-
taires, si loin de tout secours religieux I En effet, le curé le
plus proche se trolivait à une douzaine de lieues.
Si "Votre Grâce me permet quelques détails, je lui dirai
la concorde qui continue de régner entre mes paroissiens
et qui attire sur eux une abondance de bénédictions, car,
l)ieu regarde toujours avec amour celte belle paix et ne
-laisse pas de récompenser; dès cette vie, les sociétés et le»
familier qui lui donnent rhospitalité. La foi» la confiance
en Dieu sont ici bien grandes ; elles se manifestent sou-
vent par des signes non équivoques. Un danger nous
menace-t-il, une maladie vient telle s'asseoir au foyer, aus-
Bitôt, les regards s'élèvent vers le Tout-Puissant, vers Ste»
Anne, etc., et le secours du prêtre estreclamé. '* A défaut du
médecin des corps, disent-ils, nous recourons au médecin
spirituel et c'est bien le meilleur." Je m'aperçois avec
bonbeur que la récompense ne se fait pas attendre, parce
qu'ordinairement, les dangers sont éloignés, les maladies-
guéries.
Le Dimancbe est respecté, ol serve; l'assistance aux offi-
ces régulière autant que possible ; les catéchismes, qui se
-font pendant. toute l'année, suivis par un bon nombre ; les
sacreipfnts fréquentés assez s.oyven.t. Auic .principales
fêtes, il y a concours, ainsi que dans les mois de St. Joseph^
de Marie, de Ste. Anne, etc. Mais c'est à l'occasion des
Quarante-heures surtout que l'empressement est le plus^
général. L'humble chapelle revêt alors ses ornements de
fête et la piété des fidèles relève spécialement l'éclat; de la
solennité. Grande foule à la prière du soir. A propos des
Quarante-iietires, je prends la liberté de solliciter une épo-
que plus favorable. En hiver, il eet difficile d'avoir le se-
cours des confrères voisins. Cette année, j'étais seul et
(|uoique la population ne soit pas considérable, c'est ton-
jours un peu fatiguant.^ Dans mon humble opinion, l'été
nous conviendrait mieuï', d^autant plus que n'otis avons
maintenant un quai qui pertiiettra au vaj^éur d^ venir dans
notre port. dès le printemps prochain.
En résumé, lés devoirs religieux s'accomplif sent bien ;,
en pçurrait cependant exiger plus de perfection, de la part
de quelques familles.
La tempérance peut regretter seulem^t quelques rares
accidents que le temps fera disparaître, espérons-le : aucua
, 109
Tejodeur de boisson n 'a. pi;L prendre racine .dans notre -soi
eanemi de semblables plantes^
Les' réunions,. les danser ^'ont p^s beaucoup de vogue
ici et Tannée pré^ent^e jAérite, ui;e mention bonorable aous
ce rapport.
Je faisais remarquer, dans mes premières notes, quelque
négligence dans le paiement des dettes, notable améliora-
tion^ maintenant. D'aiUeurs, il e.$t bien, entendu qu'il ne
s'agissait, dans les dites notes, que d'un certain nombre ;
encore, faut-il ajouter que c'était plutôt l'impossibilité que
la négli^^ence et la mauvaise volonté qui empêchait de sa-
tisfaire a ces diverses obligations. Ici, comme dans les
autres paroisses, un bon tiombre font bonoeur à leurs
affaires.
Deux écoles fonctionnent régulièrement sous le régime
protecteur de la cotisation. C'est un bonheur pour nos
pauvres enfants qui pourront s'instruire un peu et surtout,
bien apprendre leur catéchisme.
Sous le rapport matériel, lé progrès est sensible. La
gône a disparu pour faire place à une aisance passable. Si
l'on donnait moins d'attention à l'exploitation des t)oiSy
pour se livrer au défrichement et à la culture de la terre,
ce serait un acheminement vers le bien-être. On en voit
une preuve vivante, daps un certain nombre de braves cul-
tiva tenrs, qui ont devancé, depuis longues années, leurs
co^paroissiens dans la voie delà fortune et qui pourraient
paraître sans rougir, à côté des riches habitants de nos
grandes paroisses.
Le prinremps dernier, on à effectué le transport et la ré-
paration d'une maison, qui sert actuellement de demeure
au bedeau et de salle poblique. La bonne vplonté de mes
ouailles a encore brillé dans cçtte circonstance.
En un mot, je suis bien content de la conduite dé mes
Ïaroissiens que l'éloignement protège contre les influences
élétères qui pourraient venir de l'extérieur.
PETIT SAGUENAT. '
Ce poste est à trois lieues et demie environ de l'Anse St.
Jean. Il se compose de 7 ou 8 familles qui ressemblent en
tous points à celles de l'Anse St. Jean. Aussi, me contenterai-
J'e de dire à Votre Grâce que je visite ce petit troupeau trois
bis dans l'année. Alors^ la maison de M. H. Tremblay se
transforme en chapelle temporaire et tous ceux qui le peu-
vent, s'approchent des sacrements. Ma lettre de mission
m'obligerait d'y aller quatre fols, mais ordinairement les
Quarante-heures amènent ces bons cultivateurs à notre
110
chapelle et m'exemptent un voyage. Au reste, quand les
-communications sont plus faciles, ils se donnent la peine
d'apparaître de temps en temps à nos offices.
Il n'y a dans cet endroit aucune organisation régulière
pour une école, mais cette année, une institutrice non di-
λlômêe se dévoue, moyennant une légère rétribution, à
'instruction des petits enfants.
Le Petit Saguenay prendrait un peu plus de développe-
ment, s'il pouvait communiquer. par terre avec l'Anse Si.
Jean. Nous avons fait une requête pour faire terminer un
chemin déjà commencé, et si l'on pouvait réussir, ce serait
un grand avantage pour ces pauvres colons, isolés comme
ils le sont, sans autre chemin que la rivière Saguenay.
TABLEAU.
^ Le Tableau est sur les con&ns de mon immense mais peu
populeuse paroisse, à peu près à mi-chemin entre l'Aiise
St. Jean et la Giaode-Baie, sur la rive opposée du Saçue-
nay. Je ne visite qu'au temps pascal ces brebis lointaines
qui forment en tout 4 ou 5 familles, encore presque toutes
ces familles n'y passent-elles aue l'hiver pour le chantier,
si je ne me trompe. U y a là un moulin à scie qui doit
occuper un peu de monde pendant l'été et il serait peut-être
bon de faire au moins une visite à part le temps des Pâ-
ques.
C'est toujours avec la plus grande cordialité, que je suis
reçu par ces solitaires qui voient si rarement le prêtre. Je
leur donne quelques mots d'instruction, je les confesse
ainsi que les enfants, les communie et les abandonne aux
soins de la Providence.
En terminant, je vous prie, Monseigneur, de recevoir le»
sentiments de vénération avec lesquels je suis
De Votre Grâce
le très-humble et très-respectueux serviteur,
Paul Dubé, pire.
MISSION DES NASKÀPIS.
Lettre du Révérend Père Laçasse^ 0. M, L
St Sauveur, 1er Avril 1878.
Révérend M. H. Têtu, Ptré.,
Aumônier de TArchevôché de Québec,
Monsieur l'Aumônier,
Comme nos missions ne vivent que par les secours de
la Propagation de la Foi, il est bien juste que je fasse con-
naître aux lecteurs de vos Annales que Dieu s'est plu à bé-
nir leur générosité. Excusez le retard apporté à l'envoi d»
ces quelques notes promises depuis longtemps. Mais
l'homme propose et Dieu dispose : j'avais tenu un journal
des dîx-huit longs mois passés au milieu des tribus infidè-
les ; nn naufrage est venu l'engloutir. La mer rend ses
Tictimes, dit-on ; oui, mais les manuscrits exceptés. Sans
autre préambule, je commence de suite, car je vois que le
temps ne me permettra même pas de finir ce rapport
Les Sauvages que les Révérends Pères Oblats de Beth-
siamites ont à visiter, habitent un littoral de plus de neuf
cents lieues, si on y comprend le pays des Esquimaux qui
ont aussi été les objets de leur zèle et au milieu des-
quels ils ont l'espoir d'établir une résidence. Les Monta-
goals habitent le littoral du golfe depuis Bethsiamites,
distant de soixante-et-dix lieues de Québec, jusqu'au Dé-
troit de Belle-Isle. Us sont disséminés par petites bourga-
des, vivent dans l'été à l'embouchure de certaines petites
rivières qu'ils remontent pendant l'automne. Us hiver-
nent dans les bois, y font la chasse et reviennent au prin-
temps vendre leurs pelleteries et se munir de provisions.
Pendant leur séjour à la mer, ils font leur mission là où
le prêtre va les attendre et se hâtent de retourner dans
leurs bois. Comme ces Sauvages sont cathoUques depuis
longtemps et qu'ils n'ont rien qui les distinguent de la
classe des Sauvages connus de vos lecteurs, je me hflte do
112
vous introduire au milieu de mes chers Naskapis, autre
tribu qui vit dabfi rinfétièur- dès^teii^res^' Quelques-uns
d'entre eux qui vivaient à la hauteur des terres des Sept-
Iles et de MingftUy viennent xTO^intenaat faire. leur mission
à ces postes respectifs. Mais il y a des Naskapis qui vivent
autour des-grànds lacs et le long des rivières qui donnent
leurs eaux au détroit d'Hudson. ^ Qeçont ces Naskapis que
je viens vous préseinter aujourd'hui. Comme ils ae peuvent
ni ne veulent venir ici, il vous reste, M. TAumônier, Tobli-
gation de faire route avec moi. Dites Adieu à Qa^c que
vous courez grand risque de ne plus revoir, et à bord d'une
gôëleite, faites route pdu^ St. Augustin, poste distant de
trois cents lieues. Vous êtes à hord du capitaine Narcisse
Biais de Berthîer. Ne ôraignez rien. Le chapelet et la
prière commune de chaque joùi* sont votre sauve garde.
Le capitaine, que tous les missionnaires de la côte connais^
«ent, sera plein d'égards pour vous; il vous donnera même
son lit, en dépit de* vos^récrîminations, et permettra à ses
bi'aves matelots de rire à gorge ^ déployée quand, sonë Tîn-
flUencé d*u mal de mér,''T0ti^ irez jeter à l'océan impitoya-
ble, l'écume de vôtre cdUTrôux. Pauvre mal de mer I Qu'il
est acharné à tourmenter ses victimiss ! Après cinq ans de
cotirses continuelles, il n'est pas encore satirfait de moi et
il crie toujours : encore, feEtcore 1 Et moi, penché sur le
bastingage, de lui répondre î en voici !
Mais hâtotis-nbus dé passer à un sujet plus gai, car rien
qu"^au souvenir de la mer, més'yeux s*embrouilleht, je ne
distingue plus les lignés de mon. papier, et mnn cœur fne
su'ppKé d'attendre aii îrioiis Id.iébàcie, avant de prendre
passage à bord 4'àn bâteâtt, î^us sommes donc à St. Au-
guUin : nous alloùs faire la mission aux pauvres Monta-
gnàis db cfet^endroit, et, de Hl] eh cotnpa^rtie dé deux gifides,
traverser "une la^ngaé dè'tét^e 4e 80 lieues pour tomber
dans le'fohd' de là Bkfe des Esquimaux, qui mêle ses eaux
il celles de rAtlaiitîque; L^ RéV. Pèfes Arnaud et Babel
ont souvent visité cette mlsfsion. Voyez ces ^âu Vires Nas-
ka{)is accourir en foulé" fihi riva^.' Si les hailldns 'qui
les confi^tii vousinvîteù^^péuàles appfrocfier, -qile leur
timide sourire et les poîghéfes dé liiaîn quils vous donnent
113
VOUS déténtoraent à les presser strr votre coerirf n'en pàilsôz,
pas un seul, car ils soht jalour âe cette iz^rgûe d'âûrîtië '-
dé la Robe noire^ et ils regardent, comme tinfe récomjiènBe
de leur bonne conduite, la faveur de presser là' main dû'
prêtre du Graiàd Manîto. Vous avez devant vous de bons
enfants, bien disposés à la piété, mais encore ignorants et
superstitieux. Ils ont abandonné, sauf une exception ou
deux, la jonglerie, qui reridait leur âme coupable* de péchés
niortels, mais ils ont encore une foule de craintes, de Re-
marques, d'observances qui font comprendre aux missioîtt-
naires pourquoi il y a encore des superstitions en Canada
après tant de siècles de civilisation. Que x;eux et celles
qui veulent jeter la pierre à nos Sauvages, se rappellent
que j'ai une compatriote qui s'est couchée la tête sur un
miroir, après avoir mangé une galette salée pour connaître
sa destinée. En faisant la mission en cet endroit, je suis
certain que vos larmes vont coaler plus d'Une fois, mais ee
seront des larmes de joie et dé bonheur ; car de nombrèa
ses -consolations vous attendent. Votre première occupar
tion devra être de montrer à lire à ces pauvres sauvais
pour qu'ils puissent s'instruire eux-mêmes. Le catéchisme
occupera presqae tout votre temps. Vous aurez à répondre
à biea des questions qui exciteront votre sourire plus d'une '
fois :
— Père, au ciel on n'a jamais faim î*
— Non, mon enfant, jamais*
— Combien mange-Uon de fois par jour ?
— Au ciel, mes enfants bien-aimés, on ne mange pas.
Stupéfaction générale I Un Sauvage, ne pas mager I
Et encore : — Mes enfants, il n'y a qu'un Dieu, mais trois
personnes en Dieu : le Père, le Fils, le Saint-Esprit; qui ne
foht qu'un seul et môme Dieu. Eh bien î mon Jean-Marie,
dépuis une heure que je vous explique cela, peux-tu ré-
pondre à ma question ? — Ohl oui, ï^ère, j'ai la tête, molle
comme la cervelle d^un caribou. — Chez nos sauvages tête
molle est l'opposé de tête dure.
— Combien donc y a-t-il de Dieu î •'
— 11 y a trois personnes en Dieu, qui ne font qu'un seul
Dieu ; trois et un font quatre, ce qui fait qu'il y a quatre '
114
Dieux, et la Sainte Viarge Marie gui se tient à côté du baiB
Dieu et qui lui dit que les aauyagessout ses enfants. " Après^
une pause, de s'écrier d'une manière inspirée : — ^^ Oh I j'ai
oublié le Fil» de Dieu qui s'est fait homme, et qu'où baptise^
un enfant pour laver son âme, et qu'il faut bien se tenir à
la n^esse, " L'eniant se tait, il se fait un silence ; les yeux
se Jtournent vers lui* Le père, la fierté dans le regard^
l'émotion dans la voix, dit en souriant : — '^ C'est mon fils»
celui-là ; il est fin partout ; il a tué trois caribous dans une
journée, l'hiver dernier. Ils étaient gras, pas, mon fils ?
— '^ Bien, bien, mon fils I nous parlerons de cela après le
catéchisme. " Puis on fait une autre question, puis on a.
une autre réponse.
Quelquesfois vous vous plaisez à admirer leur exîrème^
naïveté. Ils vous adressent des questions qui vous font
monter le vieil homme à la figure. Jugez-en par la scène^
suivante:. Je venais de chanter la messe, si toutefois ou
peut appeler chant le cri qui sort de mon gosier. C'est
affreux à entendre. Le sourire avec lequel mes amis ac-
compagnent la lecture de ces mots, peut vous prouver que
ceux qui m'ont entendu une fois, ne peuvent en perdre 1&
soFutenir. En musique, comme en tout, les extrêmes se
touchent, et le Canada a ses deux Albani. Je sors de la
chapelle la tête basse. Les Sauvages m'entourent :
—Le Père Arnaud, celui qui a ta voix claire^ comme-
rappellent les Sauvages — chante bien, n'est-ce pas, père ?
— Oui, mes enfants, très-bien.
■ — Il est bien plus fin que toi, n'est-ce pas ?
— Oh ! oui, d'un bout — (Vous savez que les Sauvages-
n'ont pas d'autre adjectif pour exprimer les qualités de
l'homme : " que le mot fin " il est fin ou il n'est pas fin).
J'avais à peine exprimé le signé afiirmatif, qu'une voix vic-
torieuse s'écria :--rJe le savais bien moi, qu'il n'était pas si
fin que le Père Arnaud ; je vais aller chercher ma femme
qui ne voulait pas me croire et tu vas me le dire devant elle.
Ce qui fut dit, fut fait.| Une seule consolation vous reste :
l^t qu'ils disent à ceux qui veulent les entendre que voué.
parSftlssez les aimer beaucoup.
115
Mais le cœur serré, il faut se séparer de ces chars néophy>
tes, et vous aventurer encore plus de 300 lieues plus loib. Il
y a des Sauvages à l'intérieur des terres ; ils ont une âme et
personne ne pense à eux. Il faut aller les voir, se rendre Chez
«uz jusqu'au Détroit d'Hudson. Uu seul sauvage de la Baie
^es Esquimaux connait ce chemin long et difficile : c'est
notre cher Watshikatt, notre bon sacristain, qui relève de
^maladie, et est infirme d'une main. Je le fais venir à la
chapelle et lui parle sérieusement en ces termes: '^ Frère
'Watshikatt, toi seul connais le chemin des Naskapis. Je
veux y aller pour sauver des âmes à Dieu ; pour remercier
Dieu de la grâce qu'il t'a faite, il me semble que tu accep-
teras ma proposition avec plaisir : tu vas être mon pilote.
Je te ménagerai, porterai ton fardeau et Dieu sera avec
nous, qu'importe le reste ? " Watshikatt se recueillit, et moi,
je priais. " Père, je suis vieux, infirme, mais je vais y aller,
parce que je Yeux faire plaisir à Dieu, car aucun commis ou
marchand ne me déterminerait à y aller." Je lui sautai au
cou, l'embrassai avec tendresse, et on se mit de suite à
chercher un troisième compagnon. Il fallut déployer beau-
coup dé diplomatie* Enfin l'un accepte. Bon nom n'est
pas embaumant, mais que voulez-vous ? l'on prend ce qui
nous vient : mon premier guide Walshikatt veut dire :
•" l'homme crochu," mon second est *' l'homme qui pue;'*
ses compatriotes l'ont ainsi désigné et je crois que pour
quelqu'un qui Ta approché seulement à vingt pieds de dis-
tance, il est difficile de le nommer autrement. Là tradi-
tion dit qu'il se lava une fois, il avait 8 ans alors, la fois
qu'il versa au milieu d'un lac. D'ailleurs il y a un arôme
qui s'échappe de tous ses pores, de la tète aux pieds et dont
il ne saurait se défendre. Il est le meilleur homme du
inonde, lent dans ses mouvements, mais â'une force grena-
chienne qui l'ont rendu influent dans sa tribu.
Il est 8 heures du matin, la glace des lacs a passé hier,
^ juillet, il est temps de partir. Faisons un court inventaire :
Un canot de deux brasses et une coudée, un bon fusil, de
la poudre, du plomb, dés balles, une rets de quelques
brasses, des hameçons, une hache, une chaudière, un cou-
teau croche, ma chapelle portative, des images^ des chape-
lets, et nos trois intéressantes personnes, munies chaotine
.116
d*uo aviroQ. Ja bénislep «auvages agenouillés devant moi
et.l6 signal du départ est djonoé, ^^ En flotte, s'écrie l'homme
du gouvernail ; Père, resta coi au fond, tu sais que notre
canot esi versant." ^^ Mai$, mon enfant, qua^d mes jambes
seront fatiguées,, engourdies, je pourrai change^, de place ? '^
^^Tii: feras comme nous autres, père; tu attehdras qu'on
débarque.*' Et quelquefois, vous attendez quatre et cinq
heures» vous vous den^andez alors si le calme du canot
n'est p^ pis que le roulis de la mer. Pauvre nature
humaine ! c'est son sor.t de ne jamais ôtre contente ici-
ha3» D'ailleurs, comme me dit mon guide bien souvent :
^ U faut bien quelque chose de croche pour faire passer le
temps droit" Les premiers jours, vous mangez les quel-
ques livres de farine que vous aviez apportées ; puis
Tiennent les portages et comme le canot et le bagage pèsent^
il faut xenoncer à apporter des provisions pour le voyage»
Mes deux guides me disent qu*on en trouvera, et qu'ils
préfèrent être deux, jours sans roanger que d'apporter un
ÎHscuit de trop. La rivière que vous ijnontez est la rivière
Naskapise ; comme elle est trop rapide pour pouvoir la sui-
vre jusqu'au bout, vous la lassez pour suivre une chaîne de
lacs qui vous conduiront jusqu'à la hauteur des terres»
Avani^d'y parvenir, vous aurez 57 portages à faire le collier
au front et la charge sur le dos. Cinq de ces portages vous
prennent plus de 4 heures de, marche. Permettez-moi de vous-
mettre en conijiaiiçs^nee avec le portage que les Sauvages
appellent ^^Bo8su";son souvenir m'est si vivace surtout
dans les jambes que je ne puis résister au plaisir de vous en
parler. U y a huit jour^ que nous avons laissé la mer, et^
chaque jour, nous nous élevons toujours de quelques cen-
taines de pieds. Nous arrivoiuB aux montagnes du Loupma-
rin, dont la cime est toujours couverte de neige. Une bar-
rière de roches vient intercepter la rivière qui, ne pouvant
arrêter son cours, dovient furieuse en cet endroit. L'enten-
dec^vouB se.heur^r contre ces imposantes murailles de pier-
rç, s'y faire un jour ^^ venir tomber d'une hauteur d^une
cinquantaine fie pieds, en une imm^^s^ nappe blanche, dans
le bassin où 9e tra\ive votre petit canot tremblani 7 U ne
^ut se frayer un passage à travers l'imposant rideau blanc
qu€| vous contemplez et qui apporte i votre œil étonnfr
toutes, les couleurs de raroea-ciel. JOétoumez le regard;:
Toyez à gauche cette montagne do^t la. paisible ma|e$té
contraste avec la turbulente grandeur de la rivière qui est
à sa base. Le sommet est loin, la pente est raide, et les lils
ixiégaijix des rochers, , rendus, gliissauts par la pluie qui
appesantit votre bagage, vous promettent plus d'un baiser
fraternel, sans que ces rigides messieurs veulent se charger
de faire la moitié du chemin. Cette condition vous donne
des doutes sur la sincérité de leur amitié et L'expérience
vous montrera que leurs caresses ne sont pas douces.
Prenez un bon diner aux poissons frais ; qu'importe le sel,
quand Tappétit y est? Il faut des forces pour gravir le
portage Bossu. Le guide qui porte le canot, a jugé prudent
d'ôter ses souliers. Les doigts des pieds sont libres et
adhèrent mieux aux crevasses des rochers. Pour mpi,
je résolus de garder ma chaussure quoique le sauvage
m^avertit de mon imprudence. " Après tout. Père, il vaut
mieux se déchirer les pieds que de se casser la tùte."
On commence Tascension; les genoux, les mains, les
dents qui saisissent les branches, la crosse du fusil, voire
même les pieds, tout est utilisé. Plus vous montez, plus
▼eus admirez la perpendicularité de la côte. Vous faites
halte ; et puis vous reprenez courage. Vous montez, vous
descendez, vous remontez, vous redescende?. Vous donnez
un nouveau coup, coup fatal I La bande du collier casse ;
chapelle, chapelets, fusil, hache, chaudière, tout part. Lei
missionnaire, veut tout retenir par un mouvement instinctif
et trop- prompt pour lui être imputable ; son bras le sert
mal; il perd l'équilibre, et en vertu de la loi de gravitatipn,
il parcourt promptement et en sautillant.,, de roche en
roche, un chemin qu'il croyait plus long. Inutile, M. Tau-
mônier, de dire à vos intelligents lecteurs, que ce n'est plus
en montant qu'il va. Un sapin se trouve sur son passage ;
di^pelle^ fusil et missionnaire y trouvent refuge, à 1^
gr^ode surprise de ce dernier qui ne sait cominent et pour*
quoi il est là. Il tient d'une main son chapeau, et de l'autre
une partie d'une des jambes de son pantalon qui se plaint
par de grands déchirements de la violence qu'pn lui a
fajte. Et puis pas un, blinde mal N'est ce pas quececL
donne conflapce au mi^siqnnaire ? Marie Immaci|lée-
118
garde bien ceux qu'elle garde, se dit-il, quaad arrivé
•au sommet de la montagne, il peut adresser ses remerde-
ments à sa bonne, si bonne Mère.
Pour vous reposer, vous jouissez d'un des plus beaur
•coups d'œil du monde : d'un côté, la mer et ses banquises,
la mer avec ses baies, ses lies, ses rochers et ses récifs, bt
mer dont l'orgueil des flots vient se briser sur un petit grain
de sable qui se rit de la pesanteur et du bruit de ses va-
gues. De l'autre côté, des pics, des vallées, des lacs, des
rivières, des chaînes de montagnes dont les capricieuses
formes vous étonnent encore plus que leur imposante gran*
deur.
« Il m'a été donné, M. l'aumônier, de célébrer la sainte
Messe sur un rocher élevé, dont la cinae couverte de neiges
dominait tous les lieux d'alentour. Quel souvenir dans la
vie d'un prêtre ! ! J'oserais dire que toutes les splendeurs
de nos belles cathédrales ne peuvent impressionner l'âme si
fortement que les décorations faites par la main de Dieu
même pour l'autel du missionnaire dont l'église n'a d'autres
murs que les quatre points cardinaux et dont la voûte est
celle des cieux. La nature a fait silence autour de nous ; le
bruit du commerce ne se fait pas entendre dans ces régions ;
rien ne vous parle de l'homme, et tout vous parle de Dieu.
'^ Le doigt de Dieu est ici." L'idée de la présence de Dieu
vous pénètre tellement, qu'instinctivement vous trembles.
Quand vous préparez votre autel, vous avez peine à croire
que le peu de boue animée qui s'agite au milieu de toutes
ces merveilles va bientôt produire celui qui en est l'auteor.
Les paroles sont prononcées et les anges envient votre sort,
tremblent autour de vous. Que le psaume Benedicite coole
facilement du cœur à l'issue de la messe ! Benedidte sol et
tuna..^ Benedicite omnis imber et ros... Benedicite frigus.^
Benedicite glacies et nives... montes et coUes^ maria etflumina.:
cmnes bestix^ etc., etc., et toutes ces choses sont sous vos
yeux, et chantent si haut les louanges de Dieu, qu'elles vous
rappelleraient l'hymne de la reconnaissance, si par malheur
vous l'aviez oublié.
Voir Naples et mourir, dit le voyageur extasié des beautés
de cette ville : dire la messe une fois sur le point le plus
•élevé de la hauteur des terres et mourir! dit le mission*
119
naire, dont les yeux se remplissent de larmes rien qu'au
flouvenir des inénarrables joies que le bon Dieu sème sur
sa route. Mais je vois que je m'arrête à des souvenirs
personnels. C'est de l'égoïsme, je le sais, mais à chacun
ses faiblesses et celle du missionnaire est de raconter aux
autres ses jouissaooes. Continuons notre voyage.
La fatigue commence à se faire sentir, le sommeil des
nuits est troublé, l'aviron pèse au bras, et cependant les
Naskapis ne sont pas encore atteints. Mes deux guides me
regardent souvent et me disent que je suis malade. Je me
trouve encore heureux d'apprendre d'eux ma maladie.
Nous avons apporté une livre et demie de thé, c'est le
temps d'en faire usage. Comme il n'y a qu'une chaudière,
ne soyez pas surpris si notre cuisinier s'avise de faire
l)ouillir poisson et thé ensemble. Pourquoi ne pas essayer ?
Ecoutez son raisonnement : C'est l'eau bouillante qui cuit
le poisson et c'est l'eau bouillante qui infuse le thé ; or, le
poisson est une bonne chose, le thé est une bonne chose et
Vezu est une bonne chose, et comme trois bonnes choses
ne peuvent faire une mauvaise chose, il s'en suit qu'il faut
tout manger ce qu'il y a dans la chaudière ; voilà la con-
clusion où en arrive mon logicien de cuisinier. Les Sauvages
aiment beaucoup le thé. Quelquefois dans la nuit, mes
guides se levaient, prenaient en cachette une poignée de thé
et buvaient à mon intention. Un fait inouï dans les anna-
les des missions prit place alors. Vous n'êtes pas sans
savoir, M. l'Âumonier, que le missionnaire n'est presque
jamais seul et que ses habits donnent l'hospitalité à bien d'au-
tres locataires. Mille pardons de vous parler de ces petits in-
sectes qui ont pour mission de vous accompagner jusqu'au
• pôle Nord. Leur nombre est légion. Le missionnaire pro-
nonce leur nom sans plus de scrupule et de frémissement
qu'il n'en ressent lorsqu'il écrase leurs petits êtres sous l'on-
gle de son pouce. Mais on me dit que le nom de cet insecte
ne peut trouver place que sur des lèvres sauvages, et que la
ciyilisation permet tout au plus d'en remplacer le nom par
trois petits points. £h bien^ mettez un point pour remplacer
le Py un au lieu de Vo et le troisième à la place de Yu. De
cette manièi'e^ vos nerveux lecteurs pourront peut-être en
supporter la lecture sans traiter d'incongru le missionnaire-
120
qui ose parler de ce petit' dégoûtant i'ni^ècte. Je votis assare
•cependant^ que si' le misâibatiaire ' ûë frétait pas ea prontiii-
çaùt son nom, îl frétnit *6t)uteht lori^ù'il est brûlé jolïr et
ntiit parle fëii de son aiguillon. Revêtions au'fatît: Mes
Sauvages ronflaient depuis le coucher du soleil. Le mis-
sionnaire voulait dorniir, mais le ôocâbat était trop violent
ce soir-là. Dès qu*il avait tué lin ennemi, il avait toujours
la douleur d'en voir deux venir à son énterremeut II mît
la chaudière au-dessus du feu, et voulant remporter une
victoire définitive, il plaça sa chemise dans cette chaudière
dont Teau bouillante fit en peu de temps de nombreoses
victimes. Le moyen réussissait trop bien pour perdre cette
eau. La chemise en est retirée avec précaution. Le feu est
attisé. Bientôt Teau bouillera de nouveau, se dit le mis-
sionnaire, et l'autre partie de mon vêtement aura le même
sort que ma chemise ; puis il se retire en attendant sous sa
tente. Il s'y endort. Que Ton dort bien après une brillante
victoire ! Mon guide se réveille, voit la chaudière dont
l'eau bout, pousse son compagnon et lui souffle à Toreille:
Buvons du thé; une poignée est aussitôt jetée dans la chau-
dière et mes dieux Sauvages de boire et de ne s'arrêter que
faute de liquide, puis ils se couchent tranquillemenL
Quelques instants après, je fis uû bond hors de ma tente :
je venais de me réveiller et de penser à ma chaudière. Je
la vis placée à coté dil feu. Elle contenait des feuilles de
thé, toutes parsemées de taches blanches. Il y en avait
de^ centaines. Je réveillai mes hommes, qui. me dirent
"avoir bu du thé dans la nuit. Je 'leur répondis que je
croyais qu'ils avaient bu du bouillon, et pour preuve, je
leur montrai le contenu de la chaudière. Mon Watshikatt
l'examine, rit aux éclats, et montrant à VHo^nie qui pue*
la carcasse de centaines d'insectes qu'on appelle pous dans
les missions sauvages et trois petits points dans le monde
civilisé, il ajbdleV" Si je meurs aujourd'hui ça ne sera ton-
Jours pas' de la jaunisse."
Mais continuons notre voyage et hâtons-nous d'arriveï'â
l'etidroit que leô Sauvages appellent la grande traverse»
Tous les Naôkapis sont là qui pèchent le poison et atlen-
'dent le caribou. ' Ils aperçoivent votre caâot, et pendant
qu'ils accourent au rivage en s'écriant " des étrangers, des
121
étrangers," étudiez leur physionomie. Le Naskapis est un*
grand homme habillé -dei-peaos de.earibou. II paraît ro-
buste et ses longues jambes vous disent que le caribou est
mal'à l'aise lofequ'ilestàsapouraruiXe. Les tcaits de son^
visage annoncent de la dopcevir et beaucoup d'ouverture.
Son teint est couleur de cuivre, recouvert d'un enduit
de graisse de caribou qui, en vertu de la prescription, ré-
clama des droits imprescriptibles de séjour sur cette peau
qui ignore encore l'existence du savon. Ses beaux cheveux
noirs pendent sur ses épaules. On n'y voit pas de frisures,
niais en revanche, ces cheveux sont orné^ de petites perles
blanche^^ qui au besoin, se rougissent couleur sang. Veuijlçz
cependant ne vous en procurer, ni pour or, ni pôiir* argent,
car vous paieriez pour YQtvB ivoç^graride démangeaison.
Abordez le rivage et écqutez' Ifts" plaintes d'un jongleur,
qui'ne veut pas de Thomme au visage pâle. Vous discutez
vos droits et tous les sauvages vous. entourent. Xe bon
Dieu vous réserve en ce moment une grande consolation..
Une femme de la tribu vous appelle pour guérir Sa flUe.qui
est mourante, vous courez à la cabane indiquée, et là, V'ous
avez juste le temps d'instruire, une heure durant^ une
pauvre fille de 16 à 17 ans, et de lui conférer le saint Bap-
tême, quelques instants avant sa mort: Vous restez avec
eux, ils vous sont bien soumis après que vous ayez donné
quelques bonnes talocl^es au.jonglpur. Vous vivez àe leur
vie, votre corps accoutiiixié ne fait plus le rebelle, et d'ail-
leurs les consolations spirituelles qui vous attendent vous
dédommageront de vos fatigues. Quel spectacle que de
voir une nation infidèle aux genoux d'un prêtre et lui dire
que tous les membres de, cette tribu veulent Técouter et le
suivre jusqu'au cîeL
Je regretta d'être obligé de m'arrôter ici, M. FAiimônîery
mais le temps presse et ce soir je dois faire voile pour la
Baie des Esquimaux, qui reçoit les eaux de quatre gîrandes
rivières. Né serait-ce pas,' par hasard, les quati^e fleuves-
fln pa^'adis terrestre ? J^y cottrs.
ft'iézpour moi; quand mes occupations me le'^ permet-
tront, je vous promets une plus longue lettré. ■'.
Tout jpopr Jésus, par, Marie . Immaculée. "
Zach. Laoasse, 0. M". T., Ptre*
L. J. C* ET M. J.
Lettre du Rév, Père. Mareoux^ Missionnaire de la RiTiëra
Rouge.
Au Rév» P. Boisramé^
St. Alexandre, le 7 janvier 1878.
Révérend et bieriraimé Père^
Déjà plus de trois mois se sont écoulés depuis le joor
où le R. P. Antoine recevait les vœux du Père Van Laar et
les miens. Ce jour-là même mon compagnon d^oblatioa
partait pour les États-Unis ; il devait prendre part à la mis-
sion de Syracuse que les Pères Oblats de Lowell commen-
çaient le dimanche suivant. Ce ne fut que le lendemain,
après avoir célébré la messe de communauté, que je quittai
le berceau de mon enfance religieuse, le cher noviciat de
N. D. des Anges. Bien des fois depuis je me suis rappelé
la promesse que je vous fis alors de vous donner de mes
nouvelles. C'est pour accomplir cette promesse que j'in-
terromps aujourd'hui, pendant quelques instants mon étude
de la langue sauteuse et que je viens vous parler de mon
voyage et de la mission qui m'est échue en partage dans
cette vaste région de Manitoba. Puissent ces lignes vous
redire également les sentiments de la vive reconnaissance
que je vous conserverai toute ma vie pour les soins que
vous m'a vez prodigués pendant l'année de pion noviciat !
Vous savez^ mon révérend Père, que^ comme je devais
sauter jusque chez les Sauteux,le Rév. P, Provincial m^avait
gracieusement accordé la permission d'aller dire adieu i
ma. famille et ^ jnes anciennes connaissances du diocèse de
St Hyacinthe, et d'accepter les offrandes qui pourraient
m'étre faites pour mes pauvres misçions. Ces offrandes, vft
surtout les temps difficiles que uojïs trayerçons, furent gé-
néreuses* Que ne puis-je dire de nouveau à cjii^çun de mes
bienfaiteurs ma vive , et sincère, gratitude? Non, je ne les
oublierai jamais. ,
Le joui; de moii départ de Montréal fut flx§ au 16 Octobre
123
et, pendant qu'on y fêtait la St. Edouard, je m'en allais
rapidement vers le Nord-Ouest sous la conduite des Anges-
Gardiens que m'avait trouvés la Providence. 11 ne faut
plus deux grands mois, comme au Rév. P. Aubert et au
Frère Taché, pour faire le trajet de Montréal à St. Boniface^
Le dixième jour après notre départ nous avions heureuse-
ment parcouru cette distance. En foulant pour la première
fois le sol de ma patrie àdoptive, j'entonnai l'hymne de la
reconnaissance ; je voyais mes espérances réalisées et mes
plus vifs désirs exaucés ; je remerciai également, du fond
de mon cœur, tous ceux qui m'avaient aidé à suivre ma vo-
cation et surmonter les obstacles qu'elle avait rencontrés.
Il me tardait de me jeter aux pieds de Celui qui, désormais,,
allait me tenir la place de Dieu, comme Supérieur ecclési-
astique et religieux. Sa Grâce Monseigneur Taché me fit
Taccueil le plus empressé et le plus cordial. Elle s'enqùij
immédiate ment de l'état dans lequel j'avais laissé le Novi-
ciat de Lachine et la maison de St. Pierre de Montréal:
et immédiatement je me trouvai dé nouveau au sein de la
famille ; tous les nôtres de l'Archevêché, du Collège et de
Winnipeg me forsèrent par leurs bontés et leurs prévenan-
ces fraternelles de redire : " Oh ! qu'il est bon et agréable
pour des frèresd'habiter ensemble I "
Yous le savez, mon révérend Père, je n'avais pas exercé
le saint ministère depuis mon départ de St. Pie ; l'année de
mon noviciat avait Pté exclusivement consacrée à la sanctifi-
cation de mon âme suivant les sages prescriptions de
Rome. Mais l'heure du travail et du combat ne tarda pas
à sonner, quoique je ne fusse pas encore arrivé au terme
fle mon voyage. Une fois installé à l'Archevêché, je me mis
i préparer quelques instructions pour donner les exercices
d'une retraite, à l'occasion de la fête de la Toussaint, dans
la paroisse de St. Norbert. Cette paroisse est à douze milles
de St. fioniface, elle compte environ mille âmes. La plu-
part des habitants sont des métis, les autres sont des blancs.
Je passai un peu plus d'une semame au milieu de cette
bonne population.
De ifetour de ma petite expédition apostolique, j'allai me
mettre sous la direction du Rév. P. Lacombe à Ste. Marie
i24
de Winnipeg ; c'est lui qui .dey?dt m'initier à l'étude de
ïa^ langue sauteuse. Mais cette étude fut interrompue, vers
la fip du mois de Novembre, par liiie nouvelle obédience»
Tous savez que. l'infatigable coxnpâgoon de Mgr. Guigue,
Tancien administrateur du diocèse d'Ottawa, pendant la va^
cance du siège, eh uu mot leRév. P. Dandurand, celui que
notre Vénéré Fondateur appelait : " mon cber premier-né
du Canada, " est chargé de la paroisse de St. Charles. Non-
seulement j'eus l'avantage de faire sa connaissance, mais
je fus chargé de le remplacer pendant la grande retraite an-
nuelle que tous lesOblats firent à Winnipeg, retraite qui se
termina le beau jour de notre fôte patronale, le jour de
rimmrculée Conception. St. Charles, est ditron, le plus
beau site du Manitoba ; je n'ai pas de peine à le croire. Le
terrain y est élevé et fertile, le bois y abonde ; la rivière
Assiniboine y roulé ses ondes limpides à quelques pas de
l'église ; bref, il y a là tout ce que les peintres demandent
pour un beau paysage.. N'y aurait- il pas là également
tout ce qu'il. faut pour un aoviciat? Quoiqu'il en soit, je
n'oublierai pas les quelques jours que j'ai passés à St. Char-
les«
Mais je n'étais pas encore au milieu de mes chers San-
teux, je ne devais pas tarder d'y être. En effet je quittai St.
Boniface le 13 décembre, et quatre jours plus tard j'arrivai
à St. Alexandre. Tout ce traje se fit sur la glace qui pai^
fois menaçait de s'entrouvrir sous nos pas, mais l'Archange
Raphaël nous accompagnait, il ne nous arriva aucun mat-
heur grave. Mgr. Taché vint me rejoindre à mi-chemin;
nous n'étions que lui et moi dans sa voiture ; il m'en nom-
ma le cocher; mais, comme vous allez le voir, c'était nn
cocher improvisé. Nous traversions le grand portage de
la Loche et, depuis près d'une heure, les choses allaient si
bien que Monseigneur se prit à nié faire des complimente
sur mon savoir-faire. Hélas ] m0a étoile ne tarda pas à pâ-
lir. Car, quelques miuutes s'étaient à peine écoulées C[ae
notre voiture venant à se heurter contre uoo grosse pierre»
nous tombons, Monseigneur et moi, à la renverse. Nous en
fiimes quittes pour xm peu de pepr, nous n'avions pas la
moindre b'essure. '' Vous êtes tombé, Monseigneur, dis-je
f25
i Sa Grâce ; vous voyez comme je suîb aûrôit !" et ce disant
je ne pns m'empécher de rire. — " Ah l c'est comme cela que
TOUS rle2 de moi, répartîft agréablement Monteigoeur
Voyez comme ce petit Père dévient tout d'an coup ïho-
<jueur î Vous ave* pris trop à cœur les éloges qiïe je voos ai
donnés, vous étiez trop fier, et vouft voilà puni." ** CTe»!
vrai, Monseigneur, répliquaî-je, mais ce qui est fait, est^ait,
vous n'avez qu'à retracter les louanges dont vous m*ai-
vez comblé ; " et gaîment noua continuâmes notre route.
Vers neuf heures du soir nous campâmes dans ce même
portage de la Loche qui a pins de neuf milles. Je fin
l'office de maître d'hôtel et préparai une place pour Mon-
seigneur. Le repas fut frugal, nous eûtnes du pain et du
beurre et du beurre et du pain. Nos Mission nnires Oblats.
de l'extréme-Nord n'en ont cependant souvent pas autakit
L'appétit d'ailleurs est le meilleur des assaisonnements. Je •
ne pus, dans cette circonstance, m'empécher d'admirer Tha-
milité de l'Archevêque missionnaire, et je le voyais tel que
je l'avais vu dans les *' Vingt années de mission."
Nos agapes finies, nous nous remimes en route pour ne
plus nous arrêter qu'au fort Alexandre. Nous y arrivâmect
A quatre heures du matin bien fatigués, mais aussi bien
contenté d'arriver ainsi sans encombre au terme de notre
voyage. Puissent toutes mes pérégrinations futures être
aussi heureuses !
Le fort Alexandre ! Nous vous le rappelez, mon Révé-
rend Père, c'est de là que le R. P. Allard vous écrivait
pour vous exprimer le désir qu'il avait de m'y posséder j
c'est vers ce but que me portaient mes propres désirs ; c'est
ici que le bon Dieu a inspiré à me& supérieurs de m'envoy-
er« quoique je fusse disposé à aller occuper tout autre poste:
que son saint nom en soit à jamais béni !
Vous devinez facilement le bonhteur que j'éprouvai en me
jetant dahs les bras du R. P. Allard ; nous ne nbus^ étione
jamais vus, mais nous étions frères nous étions oblatsj
noti9 allions vivre ensemble, il allait être mon ^éupérienr,
j'àBaiiï être son sujet' et* son ooadjuletir ; je sentis aiora^ la
vérité des |>ài:\)le& de 'l^Esprit Saiât: ^^ il vaut miotix être
éeMsx enseoible qu'un seul, car' ils. tirent de Pavantage de
126
•
lear aociôté." Que vous dire de notre maison religieuse r
c'est une pauvre masure que Monseigneur Taché a honorée
da titre de ^^ petite étahle de Bethléem.'* Le toit est fait
de terre calcaire pétrie avec du foin de prairie ; nous nous^
7 trouvons plus ou mojins à l'abri du froid. Voulez-vous
conHaitre un peu son ameublement : quelques blanches
fixées au mur et soutenues par deux poteaux, voilà mon.
lit, une autre planche clouée à la cloison, voilà mon cabinet.
de toilette: ma valise, voilà mon fauteuil; uue petite
boite me sert de siège à table. Puisque je pronnonce le
mot table, que mangeons-nous ? que buvons-nous ? De la.
galette, du pain qu'on appelle vulgairement gras-cuit en
Canada ; parfois du lièvre et du ris sauvage, tels sont nos
mets les plus délicieux; de Teau froide, tel est notre thé
de tous les jours. Je ne pense pas qu'il y ait dans toute ces
choses, excellentes d'ailleurs, rien d^ contraire à notre vœu^
de pauvreté.
Lçi maison du Seigneur, hélas I ressemble beaucoup trop
à celle des missionnaires. L'autel néanmoins est assez
convenable pour un pays de mission sauvage ; le fond est
tapissé et quelques sculptures bien communes en forment
lu principale décoration. Nous avons des ornements (sacrés
qui suffisent à la rigueur pour le présent, mais il nous
manque des habits du chœur, un encensoir et bien d'autres
choses encore. Nous espérons que la divine Providence
viendra à notre secoui*s, et que quelques âmes charitables
en Canada voudront contribuer à l'euvre de l'evangélisa-
tion de nos cl^ers Sauteux.
Ils sont, sous le rapport matériel, encore plus pauvres
que leurs missionnaires. Ils ne vivent que de poisson et
de patates ; il n'y a dans leurs misérable huttes ni lit, ni
chaise, ni table ; la terre remplace tous ces objets d'un luxe
inutile pour eux, ils y étendent un peu de paille pour y
dormir* Un poêle, une chaudière, une hache, un goblet
rempli 4'huUe de poisson dans laquelle s'imbiba une
mèclie, quelques tasses .et quelques souscoupes, voilà à
peu près leur batterie de cuisine. Sous le rapport moral,
ils sont paresseux pour la plupart; malpropres, fort sus
ceptibles, optniAtresi et partant, difficiles à conduire. Mais^
la grâce de Dieu est toute-puîssante ;'elie nous aidera^ nous
en avons la douce confiance, à corriger ces pauvres Indiens
et à en faire des chrétiens selon le cœur de Dieu
La bonne œuvre d'ailleurs est déjà commencée. Je pns
m'en convaincre dès le lendemain de notre arrivée, qui
était un dimanche. Ce jour-là Monseigneur administra lé
sacrement de confirmation à une quarantaine de sauvages
tant adultes qu'enfants. Ce fut une grande fête pour ce
pauvre peuple de voir et de posséder son premier Pasteur :
cette faveur n'avait pu lui être acordée depuis dix ans, épo-
que à laquelle le R. P. Lestang, premier missionnaire du
Fort Alexandre, résidait ici. Je fus touché moi-même èa
voyant plusieurs de ces pauvres sauvages verser des larmes
de joie et de reconnaissance. Plusieurs n'avaient jamais
vu leur Evêque, et tous savaient les fatigues qu'il s'était
imposées pour les visiter.
Nous voudrions construire une autre chapelle et en lever
la charpente cette année, car la maison d'école qui sert de
chapelle est insufiisante pour nos métis et nos sauvages.
Nous avons pour maître d'école un français, excellent
<;atholique. C'est lui qui remplit également les fonctions
de chantre.
Le R. P. Allard et moi chantons la Messe et les Vêpres
le dimanche à tour de rôle. Tçus les dimanches je. prâche
en français. Vous m'aviez recommandé, mon Révérend
Père, de me mettre sans retard et courageusement à l'étude
de la langue des sauvages. J'ai suivi votre conseil. Di-
ipanche prochain je leur lirai ma première instruction en
sauteux. J'ai hâte de bien savoir et de bien parler cette
langue pour pouvoir travailler plus efficacement au salut
des âmes. Je suis occupé à copier la grammaire sauteuse
-de Monseigneur Baraga, car le R. P. Lacombe en a besoin
pour corriger les épreuves qu'on lui envoie de Montréal.
Nous ne pouvons pas, à notre regret, consacrer à l'étude
et au ministère proprement dit tout le temps que nous vou*
d rions. Il faut prendre soin de la chapelle et de la maison,
bûcher le bois de chauffage, parfois le charroyer, faire de
la terre neuve i cette nécessité de pourvoir aux besoins les
plus pressants de la vie, sans nous déplaire, arrête un peu
r<B|ivre /le I9 n^iasipq. Mais^npus ptoi^s .l^erçons de la douce-
egpéKapce quç.plq^ieurç.^e npsPères et Frères du Noviciat
viendront bienjtôt pput-$tre npus prêter main forte et parta-
geir nps labeur^, Oui^ qu'ils vieanept, ils seront les bien-
Yemus, et j'ps© re^érer^ ils seront aussi be^ureux. Car pour
mqi, moa Révérend Père, je me trouve aux anges dans la
pos^p çie missionnaire des sauvages que je convoitais depuis
ailongtemps. Oui, la vip que nous tneiiLoas ici a ses douceurs,
au milieu des fatigues et des privations qu'elle nos impose ;
c'eS|t une vie qui. consiste à ohereber Dieu ^our Dieu.
Gagner des âmes à J. G. voilà notre unique ambition, notre
seule jo^e. Vous pouvez dire à mes anciennes connaissan-
ces auxquelles vous pourriez parler de moi que, grâces â
Dieu^^età Marie Immaculée, je suis mieux que jamais au
physique et au, moral. Veuillez néanmois ajouter une fa-
veur aux faveurs passées, celle de prier et de faire prier
pour p9pi> afin qi^e je me montre de moins enmpins indigne
de 'la .vocation, à laquelle le Seigneur a daigné m'appeler.
Mes salutations les plus respectueuses et les plus cordiales i
tous nos Pères et à tous mes Frères scolastiques et convers.
Daignez vous-même agréer, avec mes souhaits de bonne
et sainte [aunée, les sentiments de la vive reconnaissance
avec lesquels je suis heureux de me dire,
Mon Révérend etbien-aiméPère, tout à vous
Votre très-humble frère en J. C. et M. L
. J. S. Marcoui, 0, M. L
« t
NORD-OUEST.— ATHABA8KA.
Couvent des Saints Anges,
Âtbabaska, 11 juillet 1R77.
nvde. Sr. Charlebois, As8te.
Ma Très-Chère et Bien-aimée Sœur^
Connaissant vos vives sympathies pour nos missieiur
4u Nord et tout Tintérêt que vous leur portez, j'entre-
prends aujourd'hui de vous adresser une petite notice qui
vous donnera une idée succincte de nos travaux dans le
jardin que le Bon Dieu nous a appelées à défricher sur
cette terre du Nord si stérile et si glacée.
Je n'essaierai point, ma bien chère Sœur, de vous narrer
toutes les péripéties de notre fondation. Les œuvres du
bon Dieu ne surgissent, d'ordinaire, qu'au milieu d'enlra^
-ves et de soucis de toutes sortes ; elles prennent naissance
au pied de la Croix. Laissons donc au passé les épreuves
et les misères qui ont servi de base à l'édifice moral et
religieux auquel nous sommes si heureuses de travailler
selon la petite mesure de nos forces.
Avant de vous parler du contenu de notre établissement
je veux tout d'abord, ma bien chère Sœur, vous donner
une idée du contenant. La maison qui nous sert de rési-
dence a déjà eu plusieurs destinations. Elle servit, en
premier lieu, de Chapelle aux premiers Missionnaires
Oblats, venus dans le pays ; puis ensuite de hangar ; et
pendant trois années consécutives les RR. Pères y avaient
fixé leur séjour jusqu'à la nouvelle définitive de notre arri>
vée à Athabaska. Dès lors les RR. Pères nous cédèrent
leur place pour aller s'établir eux-mêmes dans une vieille
bâtisse servant d'entrepôt, mais qu'ils avaient rendue ha-
bitable en cas d'éventualité. Donc la susdite maison ea
est à sa quatrième et probablement dernière période.
C'est la plus ancienne bâtisse de la Mission. Avant notre
130
arrivée, elle mesurait 36 pieds de long sur 24 pieds da^
large. Elle fut ensuite allongée de 20 pieds, ce qui lui
donne une longueur totale de 56 pieds. Le rez-de-chaussée
est seul habitable, à part le grenier de la partie neuve qui
sert de dortoir. Notre maison se compose de huit pièces
comme suit : Cuisine, deux réfectoires, salle de commu-
nauté, oratoire, parloir, salle des petits garçons, qui sert
en même temps pour la classe, salle des petites filles, puis
enfin le dortoir ci-dessus mentionné. Comme vous le
voyez, ma bien chère Sœur, nous sommes bien à Tétroit *
et encore si ces appartements étaient de grandeur passable^
mais hélas I ce ne sont que de petits recoins à peine éclai-
rés par un châssis de neuf vitres. Pour ne citer qu'un
exemple, je particulariserai la salle des petites filles qui
mesure 12 pieds sur 10 pieds. Cette seule citation donnera
une idée plus ou moins vague du reste.
Ma bien chère Sœur, comme nous venons de nous en-
tretenir de l'habitation, parlons maintenant de ses habi-
tants. Pour le moment nous comptons 20 enfants, dont 8
garçons et 12 filles, tant m<3tis que sauvages. Sur ce nom-
hre, cinq sont orphelins. Il est probable que le chiffre
s'élèvera à la trentaine quand vous recevrez cette lettre^
car nous recevons des demandes de tous côtés. Tous ces
enfants sont lavés, raccommodés et en partie habillés par
nous; n'étant que trois, nous ne pouvons suffire à la beso-
gne, malgré toute notre activité. Les enfants confiés à nos
«oins nous donnent, Dieu merci, bien des consolations.
Malgré les petits défauts inhérents a leur nature plus ou
moins sauvage, nous voyons avec joie que nos labeurs ne
sont pas dépensés à pure perte. Leur cœur aubsi bien que
leur esprit sont très susceptibles de culture ; j'ajouterai
même que sous ce rapport ils laissent peu à désirer. Les
enfants de ces contrées sont généralement fort intelligents..
La plupart de ceux qui sont sous nos soins ont appris la
lecture et l'écriture en peu de temps ; il en est môme par-
mi eux qui ont beaucoup d'aptitude pour le calcul. Les
officiers de la compagnie que nous invitons d'ordinaire à
assister aux examens scolaires de nos enfants, sont émer-
veillés des rapides progrès des élèves, et avouent ingénu-
131
onent que notre école surpasse de beaucoup celle tenue
par le Magister Protestant. Ce que nous croyons sans
peine : car un travail inspiré et excité par l'amour de Par*
^ent, ne vaudra jamais celui qui est inspiré et alimenté
par l'amour de Dieu. Or, nous nous faisons gloire de n'a-
iroir d'autre mobile et intérêt, que le bien de ces chères
petites âmes que le bon Dieu nous a confiées, pour diriger
leur cœur et leur esprit vers Lui.
Pour bien comprendre l'immense bienfait d'une école
religieuse dans ces tristes contrées où pendant des siècles
entiers le démon a régné en souverain, il suffit de jeter
un coup d'œil sur la condition matérielle et morale dans
laquelle gît l'enfance chez ces pauvres Indiens. Nous n'a-
vons plus, il est vrai, à déplorer ces épouvantables scènes
de barbarie ou l'abandon d'enfants et de vieillards inutiles
-sur les grèves. Les Missionnaires en apportant le flambeau
-de TEvangile au milieu de ces populations dégradées et
livrées à l'empire du démon, ont fait cesser ces abomina-
tions. Mais il n'est pas moins vrai de dire que de grandél
misères existent, tant sous le rapport matériel que moral^
parce que la pénurie des moyens du côté de la famille et
l'éducation font complètement défaut. Voyez ce pauvre
petit être à demi-vètu, que l'on appelle sauvage : il pleure
•dès le premier jour de son existence, car déjà il souffre ; il
souffre du manque de soins qu'une mère indigente et éle-
vée comme lui ne saurait lui donner, malgré tout l'amour
«qu'elle lui porte. Il souffre du froid, car il doit vivre soos
un ciel d'airain, ses petits pieds, dès qu'ils pourront le por-
ter, ne fouleront qu'un sol glacé et couvert d'une neige
-épaisse ; il n'aura d'autre abri que les arbres de la forêt,
d'autre subsistance que la chasse aventureuse des animaux
sauvages, heureux encore si sa frêle nature ne succombe
pas sous le poids de tant de misères» Le froid et la faim,
tels sont les fléaux qui, trop souvent, emportent le vieillard
et l'enfant. L'Hiver qui vient de s'écouler en a vu périr
un bon nombre.
A l'extrémité nord de notre Grand Lac (Lac Athabaska)
d7 personnes dont onze enfants et six vieillards sont mor-
tes de froid et de faim. Ces pauvres infortunés espéraient
ia2
à force de marche glaner le fort le plus voisla et saurer
ainsi leur vie ; mais hélas ! 1 l'enfaut et le yieiUard, étant
naturellement faibles^ s'affaissaient le long du chemin,
épuisés sur la glace des lacs et ne se relevaient plus. Leurs-
parents euz-mômes n'avaient plus la force de leur tendr»
la main, ils sont morts cm ils sont tombés. Ijes adolescents-
seuls ont survécu et ont échappé à une mort terrible en
atteignant le fort où ils reçurent les premiers soins. Ces
pauvres malheureux faisaient pitié à voir ; les uns avaient
les pieds et les mains gelés, d'autres la figure, etc., etc.^
tous plus ou moins souffrants. Pauvres Sauvages 1 que
leur existence est dure et pitoyable.
Cependant, ma bien chère Sœur, ce n'est pas encore de
ce côté que se trouve le plus affligeant du tableau. L'ex-
périence si précoce de la souffrance, l'instinct inné d'entre-
tenir une vie qui tient à si peu de chose, hâte chez l'enfant
répoque ordinaire du développement de la raison. C'est
dans cet âge tendre et délicat où la consciaoce s'éveille, où
^œil de l'âine s'ouvre aux premières révélations du vice et
de la vertu, que la mère devrait comprendre le rôle si im-
portant qu'il est de son devoir de remplir à l'égard de ce
petit être, qui entre ses mains maternelles peut rester ange
ou devenir démon. Mais hélas î trop souvent des spectacles
ÏÀ&Q. déplorables viendj*ont se présenter sous son limpide
et innocent regard. La colère, la brutalité, les vices les
plus avilissants se montreront à lui, et cela sous les traits-
de ceux-là même que. son cœur lui presci:it d'aimer et de-
respecter ; il ne comprend pas encore, n^4is il s'habitue ;
rame n'est pas souillée, mais la pudeur, cette gardienne
de l'innocence, perd sa délicatesse native. En face de ce
tableau que nous avons sous les yeux, nous comprenons
la grave importance de notre œuvre, la régénération de ce
pauvre peuple par r^ducation soignée de l'esprit et du
cœur de l'enfant, à l'âge où il est plus apte à recevoir la
douce et salutaire impression de l'exemple et de la vertu.
Oh! puissions-nous être toujours dignes de notre sublima
vocation» et en remplir fidèlement les saintes obliga^ous I
Que la Divine Mère des Missionnaire» nous assiste de scm
puissant secours et nous protège contre les embûches da
133
malin esprit. —Nous espéroos que ee petit grain de séneyè
que nous cultivons avec amour, deviendra, plus tard, un
^and arbre ; le temps et la patience, et surtout la divine
rosée de la grâce, obtenue par les ferventes prières de ceux
et de celles qui s'intéressent au salut de ces pauvres âmes^
produiront ces merveilleux effets.
Voici maintenant, ma bien chère Sœur, les difficultés,
qui, en partie, entravent notre œuvr&: le local de notre
maison est insuffisant pour le nombre d'enfants que nous
sommes à même de recevoir : et ensuite pour les œuvres
de charité qui ont rapport aux soins des infirmes et des
Tieillards. Notre cœur saigue lorsque nous sommes obli-
gées de refuser ces pauvres gens qui fonc tant pitié; ei qui
entre nos mains recevraient les soins qu'exige leur état.
Parfois, comme compensation, nous faisons quelques visites
à ces pauvres indiens malades lorsque la proximité de leurs
loges nous permet de nous rendre près d'eux. Si nous
avions assez de moyens pour entreprendre une bâtisse assez
spacieuse pour nos différentes œuvres, le bien ne pourrait
qu'y gagner ; mais la pénurie des ressources nous arrête.
Un autre obstacle à l'agrandissement de notre œuvre,
c'est le manque de vêtements pour couvrir nos chers
orphelins ; ils nous arrivent ordinairement plus couverts
de vermine que d'habits. Les RR. Pères nous viennent
en aide sous ce rapport, il est vrai, mais c'est aux dépens
de la traite des vivres ; le peu de denrées qu'ils possèdent
est consacré à notre subsistance. Puisque j'ai prononcé le
mot denrée, je me permettrai d'étaler sous vos yeux les
succulentes richesses de notre table et celles de nos orphe-
lins qui est à peu près la même.
Nos vivres se composent en premier lieu de viande
fraîche, d'orignal et de caribou, que les serviteurs de la
Mission, et souvent les Révérends Pères eux-mêmes, quel-
quefois les Evêques, vont quérir avec des traînes à chiens,
à des distances qui paraîtraient incroyables dans nos pays
civilisés. Notre nourriture se compose, en second lieu,
de poisson : c'est l'article le plus abondant. Sacs cette
ressource, nous ne pourrions nourrir nos enfants, qui,
comme je l'ai dit, sont tous pensionnaires. Mais que de-
134
peines la mission doit s^imposer pour retirer de dessous la
glace les huit mille poissons gui nous alimentent pendant
rhîver.
Cette pêche se fait à neuf milles au large du lac, qui,
comme vous le savez, est une yéritable mer. Que de
voyages à faire pour charroyer ces poissons au moyen des
véhicules que vous connaissez, et cela sous une température
qui descend parfois à 40° Réaumur.
Inutile d'ajouter que les Missionnaires tentent l'impos-
sible pour améliorer notre position, subvenir à notre
alimentation et à celle de nos orphelins. Leur zèle est
admirable pour favoriser notre œuvre, dont, eux aussi,
attendent du bien. Us souffrent comme nous des obstacles
qui Fentraveut, obstacles que nous avons espoir de voir
disparaître avec le temps. Leur dévouement à notre égard
est, pour ainsi dire, sans bornes et nous remplit de con-
fusion à chaque instant. Ainsi, ma bien chère Sœur,
comme vous pouvez en juger par ce petit aperçu, notre
<Buvre gagnerait beaucoup par l'acquisition des ressources
qui nous font complètement défaut.
Il nous faudrait :
1o Une bâtisse plus spacieuse ;
2o. Des vêtements pour nos enfants ;
3o. Une pharmacie tant soit peu complète pour les in-
firmes ;
40. Une foule d'articles pour l'école, etc., etc. En ré-
sumé c'est de l'argent qu'il nous faudrait. Que nous
serions heureuses, si nous possédions un petit fond sur
lequel nous nous appuyerions pour subvenir aux besoins les
plus pressants. Mon imagination ne fait q'ie rêver à cela
jour et nuit ; et mon esprit, que de projets ne forme-t-il pas
à ce sujet. Mais, hélas ! s'accompliront-ils un jour ? Oui,
oui, j^en ai la douce conviction ; car il y a trop d'âmes
généreuses dans notre cher Canada, qui s'estiment infini-
ment heureuses de contribuer à l'extension de notre sainte
Religion. Oui, nous aurons donc un jour le bonheur de
compter sur des secours pécuniaires ; et nous aurons, par
là même, la consolation de faire plus de bien. Que le Dieu
de toute charité daigne toucher les cœurs de ceux qui s'in-
135
téressent à l'enfance. S'ils comprenaient le service qu'ils^
rendraient aux âmes et à eux-mêmes, en plaçant leur super-
flu à la Banque du Bon Dieu, le cent pour cent leur
reviendrait de droit ; car Dieu Ta promis et sa banque ne
fera pas banqueroute.
Voilà, ma bien chère Sœur, les quelques petits détails
que je désirais vous donner depuis longtemps. Puissent-
ils vous intéresser, et toucher les cœurs sensibles et charita-
Mes auxquels il pourra être donné de lire ces lignes incom-
plètes.
Adieu, ma bien chère Sœur, c'est dans le cœur de notre
tout aimable Jésus que je ne me souscris avec bonheur,
Votre toute afTectionnée Sœur,
Soeur St. Michel des Saints.
MISSION DE NOTRE-DAME DE LOURDES DE
MÉGANnC.
Au Rév. M. H. TÊTU, Ptre.,
Aumônier de rArchevêché, Québec.
Mon cher Monsieur,
C'est de grand cœur que je me rends au désir de votre
prédécesseur, le Révérend M. N. Laliberté, qui m'a prié de
faire un rapport général sur la Mission de Notre-Dame de
Louides de Mégantic. La reconnaissance m'oblige à ne
pas demeurer sourd à ce désir. M. Laliberté s'est montré
si zélé et si généreux envers cette pauvre mission que je
n'bésite pas à déclarer que si elle jouit aujourd'hui de Ta-
van tage d'avoir une jolie petite chapelle, c'est grâce à lui*
Je suis heureux de le reconnaître publiquement, et de loi
en témoigner toute ma reconmaissance.
C'est le 28 juillet 1873 que je visitai pour la première
fois la mission de l'Augmentation de Somerset. Mon pré
décesseur, le Rév. M. L. T. Bernard, avait desservi cette
mission pendant un an. Auparavant, n'ayant aucun che-
min pour communiquer avec Ste. Julie de Somerset, les
colons s'adressaient pour leurs besoins religieux aux curés
de St. Eusèbe de Stanfold et de St Louis de Biandford.
Les premiers colons arrivés à l'Augmentation sont déjàan-
ciens : les premiers résidents datent de 25 à 30 ans. Le défri*
cbement s'est opéré lentement, et il est encore peu avancé
du côté de l'ouest. Plusieurs causes ont produit ce retard.
La première c'est le manque de chemins : pendant les pre-
mières années les colons n'avaient pas d'autre sortie que le
chemin qui conduit à Biandford. Ce n*est que depuis Tété
de 1873 que le chemin qui les met en communication avec
Sie. Julie a été complété par les municipalités de St Calixte
de Somerset et de Ste. Julie de Somerset. Dans le cours
de janvier dernier, ils ont présenté une requête au gouver-
nement demandant une aide pour faire une route entre
137
PiessisYille et la rivière Bécancour. La distance n'est que
de 7 nulles. Ce chemin complété diminuerait de 14 miiles
la distance qu'ils parcourent aujourd'hui pour communi-
quer avec 8t. Galixte dont ils dépendent pour les fins muni*
cipales et scolaires.
La seconde cause de retard pour le défrichement a été
le commerce du bois. Ce commerce amenait l'argent dans
la localité, et rendait la vie du colon plus facile. Il pré-
férait ce genre de travail à la culture parce qu'il paraissait
mieux le payer. Mais aujourd'hui le bois est disparu, ei
les terres ne sont pas préparées à la culture : voilà ce qui
explique le malaise d'un bon nombre. Aujourd'hui on le
comprend mieux que jamais, et on commence à avoir plus
foi en l'agriculture. En 1876 dix-sept lots, de 4 acres sur
25^ ont été pris sur les terrains du gouvernement par les
jeunes gens de la mission et des paroisses environnantes.
Dans quelques années, lorsque les communications avec
Somerset seront plus faciles, les lots situés au sud de la
xivière Bécancour, dans Son^erset et Stanfold, se vendront
au profit de la mission. Quoiqu'on en dise, il y a assuré-
ment à Lourdes de bons terrains; j'ai vu là de magnifiques
champs de grains et de belles prairies. Lorsque les deux
côtés de la rivière seront également habités, et qu'une
certaine aisance aura fait place à la pauvreté. Lourdes sera
une jolie paroisse.
Jusqu'au mois de décembre dernier, les exercices de la
mission se sont donnés dans la maison d'école. Cette mai-
son, sise sur le 12^ lot du 3» rang, mesure 22 pieds sur 20. Ce
local était assurément insuffisant, et tout le monde sentait
l'urgente nécessité de construire une chapelle. Déjà une
requête avait été préparée par le Rév. M. L. T. Bernard. Je
m'occupai aussitôt de mettre ce projet à exécution. La i equê-
te fut signée par tous les intéressés et présentée à Mgr l'Ar-
chevêque de Québec le 23 juillet 1873. Le Rév. M. N-
Laliberté, aumônier de l'Archevêché, fut délégué pour
Yénûer les allégations de la requête, fixer la place et déter-
miner les dimensions principales d'une chapelle en bois.
Le 18 septembre 1873, M. Laliberté se transporta sur les
lieuxi et choisit pour construire la chapelle un joli coteau»
138
auprès de la rivière Bécancour, sur le 23« lot du 3« rang.
d'est là que se sont donnés en premier lieu les exercices
de la mission, chez M. Joseph Langevin, qui a fait don de
ce terrain à la corporation archiépiscopale. M. George
Nadeau, voisin de M. Langevîn, fit aussitôt un don analogue.
Le Décret de TArchevôque de Québec en date du 28 avril
1874 plaça la mission sous l'invocation de l'Immaculée-
<îonception de la Sainte Vierge, et elle est désignée et
connue maintenant sous le nom de Notre Dame de Lourdes
de Mégantic. Monseigneur l'Archevêque approuva le choir
4u 23e lot sur le 3e rang pour la construction d'une cha*
pelle en bois sur un solage en pierre, de 50 pieds de lon-
gueur, 36 en largeur, et 15 au-dessus des lambourdes.
La mission de Lourdes comprend une étendue de terri-
toire d'environ 6 milles de front sur environ 6 milles de
profondeur. Plusieurs lots de la paroisse de St. Ëustache
de Stanfold ont été accordés par Sa Grandeur Mgr. Laflè-
che, Evoque des Trois- Rivières, le 9 octobre 1874, pour être
annexés à la mission de N. D. de Lourdes. Cette cession
d'une partie du diocèse des Trois- Rivières à l'archidiocèse
de Québec fut approuvée et confirmée par Notre Très
Saint Père le Pape Pie IX le 27 août 1874.
Ce choix ne plut pas à quelques-uns; ils préféraient le
12e ou lie lot, comme représentant mieux le centre de la
population. Ils présentèrent leurs objections à l'Archevê-
que qui maintint le premier choix.
Cette petite population qui avait si grand besoin d'union
pour porter le fardeau de la construction se trouvait malheu-
reusement divisée. Cependant les plus zélés se mirent à l'œu-
vre et suivirent l6« conseils du missionnaire. Ils coupèrent et
transportèrent sur. place pendant l'hiver tout le bois de
charpente. Dans sa visite pastorale, en juillet 1875, Mgr.
FArchevèque se rendit à Lourdes pour administrer la con-
firmation. Sa Grandeur encouragea ceux qui avaient mon-
tré jusque-là de la bonne volonté, recommanda l'union,
leur en fit voir tous les avantages, et déclara que rien ne
serait changé quant au site choisi pour la construction de
la future chapelle.
Les choses en restèrent là jusqu'à l'automne de 1876. A
139
cette époque je leur parlai de nouveau de la nécessité de
Mtir. Pendant Thiver de 1877, profitant de la libéralité
des MM. Hall qui donnaient tout le bois nécessaire pour
madriers et planches, ils transportèrent au moulin la quan-
tité de billots requise. Dans le cours de février le marché
fut conclu avec Touvrier entrepreneur, M. Orner Gagné, de
Ste. Julie de Somerset Les travaux ont commencé le 1er
juillet 1877, et ont été terminés heureusement vers la mi-
novembre. Le zèle et la persévérance de la grande majo-
rité des paroissiens en cette circonstance ont été admira.-
bles.
La bénédiction de la chapelle a eu lieu le 11 décembre.
Yoci le compte-rendu qu'a fait de cette cérémonie un ami
de l'œuvre, dans le " Courrier du Canada •' du 19 décem-
iHre dernier :
N.-D. DE LOURDES DK MÉGANTIC.
Sur les bords de la rivière Bécancour, dans la partie nord-
ouest du comté de Mégantic qui touche au comté de Lot-
binière, — on a longtemps appelé cet endroit^' Augmentation
de Somerset, " — s'élève maintenant, au centre d'une qua-
rantaine d'habitations, une fort jolie chapelle, dédiée à N.
D. de Lourdes. Cette chapelle, susceptible d'agrandisse-
ment, lorsque Lourdes sera devenue plus considérable, me-
sure 52 pieds sur 36. Elle est solide et élégante à la fois, et
le clocher qui la surmonte est presque magnifique. Il a .
été payé par la paroisse de St. Calixte de Somerset. Il briUe
au loin, mais il est encore muet ; qui sait si, un jour ou
l'autre, la cloche qu'il est tout prêt à recevoir ne lui sera
pas offerte par quelque personne généreuse, dévouée et re-
connaissante envers N.-D. de Lourdes.
Le Rév. M. Dubé, curé de Ste. Julie, qui dessert la mis-
sion de Lourdes, tenait à ce que les travaux de la nouvelle
construction fussent terminés à temps, pour que la bénédic-
tion de cet humble temple du Seigneur eût lieu pendant
l'octave de l'Immaculée-Gonception. Ce légitime désir fut
accompli, et^ mardi de la semaine dernière, le 11 du cou-
rant,— date que les colons de Lourdes n'oublieront jamais
140
— M. Laliberté, armônier de TArchevêché, assisté de M. le
<îuré de Ste. Julie, et du Rév. M. Julien, curé de St. Lobîb
de Brandford, bénissait solennellement la nonrelle chapel-
le, en présence de tous les habitants de Tendroit. Avec
'quel pieux enaipresseinent ces braves gens vinrent, malgré
le déplorable état des chemins, prendre part à cette fôte
pleine de joie et d'espérance pour eur I On chanta «ne
grand'messe, pour laquelle le chœur de Ste. Julie avait
prêté ses meilleures voix. Les chants solennels -de TEglîse
retentissaient pour la première fois en ces lieux. M. Dubé
officia, et M. Laliberté donna l'instruction de circonstance,
ayant pris pour texte ces paroles de la Genèse : " C'est ici
la maison de Dieu et la porte du ciel." Il fut écouté avec
le plus religieux recueillement. L'émotion fut surtont
bien vive dans l'humble auditoire lorsque, à la fin de son
instruction, M. Laliberté félicita la nouvelle mission d'avoir
pour patronne et protectrice puissante la Vierge Immacu-
lée invoquée sous le beau titre de N. D. de Lourdes, et
qu'il fit part des impressions douces et profondes qu'il éproa-
va auprès de la merveilleuse grotte de Lourdes lors de son
récent voyage en France, ainsi que des prodiges sans nom-
"bre qui s y opèrent.
N.-D. de Lourdes de Mégàntic est une très-pauvre mis-
sion. La chapelle n'a été construite qu'avec les secours de
l'Œuvre de la Propagation de la Foi, quelques dons parti-
culiers, et la bonne volonté des colons. Elle est à peine
pourvue des choses les plus rigoureusement nécessaires
au culte et elle est considérablement endettée. Que les âmes
qui aiment N.-D. de Lourdes aient donc, dans leurs charités,
un petit souvenir tout spécial pour la pauvre chapelle î Bien
des fois la Mère Immaculée de notre divin Sauveur a répan-
du parmi nous des faveurs abondantes et précieuses ; nn
moyen bien agréable et très-facile de lui en témoigner notre
reconnaissance serait de déposer aux pieds de la Vierge de
Lourdes de Mégàntic une obole donnée de bon cœur. M.
le curé de Ste. Julie et M. Laliberté de l'Archevêché, rece-
vront avec la plus sincère gratitude les offrandes, quelques
minimes qu'elles soient, qui leur seront confiées pour le
paavre sanctuaire. Puisse cet appel éire entendu d'an
141
.^rand nombre ! La charité n'appauvrit pas ; elle nous amft-
nera des joars meillemrs. — ( Communiqité.)
Dans le cours de janvier dernier j'ai demandé à chaque
habitant un billot de pin pour faire une voûta dès l'année
prochaine. Il va sans dire que cette voûte sera bien sim-
pie, bien unie. Nous n'avons pas en vue le luxe des orne-
ments, nous voulons seulement nous protéger contre le
froid- J'ai demandé aussi tous les matériaux nécessaires
pour enclore le terrain de la Corporation Archiépiscopale
«t le cimetière marqué par le Bév. M. Laliberté. J'es-
père que les colons se montreront aussi zélés que par le
passé.
Plusieurs personnes se sont montrées généreuses envers
la petite chapelle de Lourdes. M. Antoine Côté a fait doa
de l'autel dont on se servait à la maison d'école, et d'un
iset de chandeliers.
M. David Ouellet, architecte de Québec, a donné un set
4e chandeliers en bois avec souches.
M. François Fortier, de Ste. Julie, un porte-corps.
M. Edouard Demers, de Ste. Julie, 3 chandeliers en bois,
un bénitier et un pupitre pour missel.
Tous. les marchands de Ste. Julie ont fourni quelque
chose, pour lingerie et devant-d'autels. Certains articles
•ont été aussi donnés par M. J. Saroie, J. B. Doyon et P»
Lehoux.
Le Rév. M. Laliberté a donné un drap mortuaire, une
aube, deux surplis, quelques amicts, purificatoires et
manutuges, 4 porte-fleurs, st bouquets.
Sepuis le 19 décembre dernier voici les dons qui ont ét6
laits :
M. Joseph Gagné, père, Ste. Julie $2.00
Un ami, Ottawa 2.00
Dme. L. G. Rousseau, Ste. Monique 1.25
M. Jos. Nantel, Calumet, Mich 7.80
Un paroissien de l'AngeGardien 0.66
M. Louis Poulin, épicier, Québec 10.00
Melle. Adèle Couillard, Lowell, Mass. 10.00
Xes élèves de Jésus-Marie, Sillery 2.40
142
- Les Religieuses de Jésus-Marie, Sillery, ont donné des
linges sacrés et les Religieuses du Bon Pasteur, Hospice.
S. Charles, des pots à fleurs.
Voilà un bon encouragement, et tout porte à croire que-
If. D. de Lourdes nous attirera encore plusieurs aumônes^
D'après le dernier recensement, en 1877, la populatioa
de Lourdes était comme suit : 3L familles — 1^3 âmes — 131
communiants. — C'est un chiffre peu élevé, mais lorsque les-
17 nouveaux lots seront bâtiâ, ce sera une augmentation^
On peut espérer que ces nouveaux colons trouveront des*
imitateurs.
Lourdes a une école élémentaire fréquentée par une
vingtaine d'enfants. Cette école est sous le contrôle des
commissaires de St. Calixte de Somerset ; tout ce que je
puis en dire, c'est que j'ai trouvé, l'année dernière, les
enfants de la première communion très bien préparés.
Voilà, mon cher Monsieur, les informations que j'ai à vous^
donner sur N. D. de Lourdes. T'espère qu'elles intéresse-
Tont les âmes charitables et qu'elles les porteront à aider le&
colons à terminer leur modeste chapelle et à favoriser de
tout leur pouvoir l'accroissement de cette mission qui
donne déjà de si belles espérances.
J'ai l'honneur d'être
Votre humble serviteur,
P. P. DuBÉ, Ptre.
Ste. Julie de Somerset,
15 Février, 1878.
fRAVAGES MEURTRIERS ET FRUITS DE VIE DE LA
FAMINE INDIENNE.
(Messager du Sacré Cœur.)
La foi et la raison s'accordent à nous démontrer qu'en
permettant le mal, Dieu ne peut avoir en vue que le bien ;
mais il n'est pas toujours facile de suivre les voies mystéri-
euses par lesquelles la divine sagesse fait coopérer à ses mi-
séricordieux desseins les désordres les plus criminels et
les iléauz les plus meurtriers. Nous le verrons un jour, et
ce ne sera pas un des moindres sujets de notre admiration
pendant l'éternité.
Mais voici, du moins, un de ces fléaux dom la fécondité
en fruits de vie éternelle est, déjà, aussi manifeste que- la
rigueur avec laquelle il a répandu, sur des contrées immen-
ses, la dévastation et la mort .
Les ravages de la famine indienne ont été épouvantables,
et les douleurs qu'elle a causées dé&ent toute description ;
mais combien d'âmes elle a envoyées au ciel, qui, sans elle»
se seraient infailliblement perdues 1 En hâtant le moment
^ù elles auraient dû, tôt ou tard, quitter leurs corps, elle
leur a ouvert le chemin du ciel, dans lequel une violente
secousse pouvait seule les pousser. Et puis, combien de
mérites ce fléau a procurés aux âmes charitables qui, pour
les soulager, ont fait les plus beaux sacrifices !
Nos lecteurs nous sauront gré de mettre en évidence ces
deux genres de fruits, par la citation de quelques extraits de
lettres.
On écrivait d'Aurillac, à la date du 7 décembre :
" Mon révérend Père, je vous envoie, sous ce pli, 200 fr.
en billets de banque^ pour les malheureux affamés de l'Inde*
C'est bien peu de chose, mais les gouttes d'eau forment
l'Océan. Il y a quatre jours, j'allai, un soir, chez Mme'*'*^ :
^' N'avez-vous pas à écrire à Toulouse? me dit-elle, j'ai là
^' 50 fr., qui m'ont été donnés par une pauvre " menotte *•,
•*' presque misérable. J'y joindrai mon obole. Ce sera un
144
**' don bien minime, mais la misère est si grande ici, que j&
*^ n'ose quêter pour eux. Cependant, nous aurions pu faire^
^ quelque chose. " Je vous avoue que cette pensée me-
saisit comme un reproche bien mérité. J'avais lu de tristes^
détails sur l'état de ces pauvres populations, mais leur
▼enir pratiquement en aide, ne m'était pas venu à Pidée»-
JTacceptai donc de vous envoyer les 65 fr. qu'elle me remit^
me promettant d'arrondir la somme, en puisant une petite
pièce dans ma bourse et dans celles de quelques amies du
Sacré Cœur. Le lendemain matin,:je me mis donc brave-
ment en mesure de faire plusieurs visites intéressées ; je
mettais tout ce qu'on me donnait, sans compter, dans une
poche vide ; le soir j'avais 80 fr. à ajouter aux 65 reçus ;
alors, mon ambition a grandi un peu, et j'ai conti-
nué hier et avant-hier. Personne ne m'a refusé ; on me
donne peu, mais on me donne. J'ai tout à l'heure 225
fr., peut-être aurai-je un peu plus ce soir ; je vous en-
Terrai tout. C'est toujours au nom du Sacré-Cœur que j'ai
demandé et reçu, citant l'exemple généreux de la bonne
menotte, à qui revient la gloire de l'initiative. Sa générosité
n'a pas été égalée, mais enûn l'exemple a porté ses fruits i
on ne croirait jamais combien il y a de ces pauvres ûlles qui^
sans hésiter, font, pour une œuvre qui les touche, le^sacri-
fice des petites économies de toute une vie. J'en ai trouvé
nne qui, en me remettant une petite somme, me disait : ^^ Ce
^^ sont toutes mes épargnes, je les gardais pour me fair&
^^ enterrer et faire un peu prier après moi. On m'enterrera
^' bien toujours, d'une manière ou d'une autre, et le boii
^^ Dixu sait bien que c'est pour lui que je sacrifie les prières
*^ qu'on pourrait faire x>our moi. Je compte sur sa miséri*
** corde ; tenez, prenez tout, je vous le donne de bon cœur. '*
Ah ! si de tels sentiments se trouvaient chez certaines per-
sonnes à qui Dieu a donné tous les biens de ce monde,
quels résultats n'obtiendrait-on pas. "
Le même courrier nous apportait la lettre suivante :
" Mon cher Père, j'ai lu, tlans votre excellent Messager^.
le triste état oii se trouvent ces malheureux aSamésin*
diens; cela ni'a navré le cœur.
^^ Je regrette beaucoup que ma position sociale ne me^
145
permette pas de faire ce que je voudrais. N'étant que sim-
ple ouvrier, par conséquent ne gagnant ma vie qu'au jour
le jour, je ne puis faire que peu.
** Vous trouverez, mon bon Père, dans ce pli, un fran$ en
timbres-poste, dont vous disposerez en renvoyant là où
^ous jugerez le besoin le plus urgent.
*' Si je pouvais, par cette petite aumône, contribuer à pro-
curer la gloire de Dieu et pouvoir lui gagner quelques
âmes, je me trouverais bien heureux. ''
Combien d'autres traits de générosité les anges ont enre-
^trés, dans cette circonstance, sur le livre de vie I Vivi-
fiée par l'influence divine de la charité, l'aumône catholi-
que ne s'est pas bornée, comme les secours officiels, à
soulager momentanément quelques souffrances corporelles:
elle a porté des fruits éternels et vraiment divins, comme
on pourra s'en convaincre par la lettre suivante, que nous
avons reçue du révérend Père Barbier, supérieur de la
lion du Maduré :
Mon révérend Père,
^* Je ne veux pas tarder plus longtemps à remercier, par
▼otre entremise, les généreux bienfaiteurs dont vous avez
stimulé la charité et qui, par votre intermédiaire, nous ont
fait parvenir leurs aumônes. Le service qu'ils nous ont ren-
du est de ceux que Uieu seul peut récompenser, parce que
lui seul peut les apprécier dignement.
'* On comprendra difficilement la cruelle position des
missionnaires du Maduré, pendant les premiers mois de la
jEamine. Un de nos Pères m'écrivait: ^' En ce moment, toute
*' une bande d'affamés est à ma porte. Nus, ou couverts de
^ sales lambeaux de toile, tout décharnés, ils me prient de
^ oe pas les renvoyer et de leur donnei de quoi ne pas mou-
<< rir de faim. Plusieurs n'ont rien mangé depuis trois ou
'< quatre jours. Les païens me promettent de recevoir le
*' baptême et de gagner tous leurs villages à notre sainte
'^ religion. Mais il ne me reste plus un sou ni un grain de
" riz. Le cœur brisé, j'ai dû renvoyer tous ces malheureux,
*^ avec la certitude qu'ils allaient expirer sur les routes et
** dans les champs, et avec la douleur de ne pouvoir accep-
146
^\ ter les païens qui voalaient se donner à nous. Quand
*' j'ai vu partir ces pauvres affamés, qui étaient restés plus
'^' de douze heures étendus devant ma porte, je me suis
" retiré en pleurant, et je n'ai plus eu le courage de sortir
" que lorsqu'on m'appelait pour aller auprès des mourants."
La douloureuse position de ce Père, au milieu des scènes
navrantes de la famine, a été celle, jusqu'ici, de tous nos
autres Pères missionnaires. Aussi, grande a été leur joie à
la nouvelle que vous aviez fait un appel à la charité des
catholiques de France et que vous nous envoyiez des se-
cours.
" Depuis que nous avons reçu vos premières aumônes,
tout a changé de face dans la mission. Les missionnaires
qui étaient condamnés à rester dans leurs résidences, par-
courent maintenant leurs chrétientés, pour consoler et
distribuer des secours* Les chrétiens nous bénissent, et
les païens, témoins du dévouement et de la charité de nos
Pères, viennent à nous. Un grand mouvement de conver-
sion a déjà commencé.
" Le missionnaire de Punicaël, qui a déjà converti plu«
de 600 païens ou protestants, est en ce moment occupé, lai
et tous ses gens, à instruire et à baptiser les nouveaux caté-
chumènes, qui demandent, en grand nombre, à embrasser
notre sainte religion.
'S Nos bienfaiteurs sont heureux d'apprendre ce que nous
avons pu faire pour les orphelins, avec le secours de leurs
aumônes. Nos Pères ont baptisé environ dix mille enfants
païens. Â cette heure,, la plupart sont au ciel, et prient
pour ceux qui ont aidé à leur procurer la grâce du baptême.
Nous avons recueilli, selon la mesure de nos ressources,
ceux que la mort a épargnés. A Trichinopoly, nous entre-
tenons 80 enfants païens dans l'orphelinat des garçons, 92
dans l'orphelinat des filles et 165 dans des fainilles chréti-
ennes. Au Marava nous avons 98 orphelins dans l'orphelU
nat de Dindigul, et environ 350 dans les familles chrétien-
nes. Dans le district du sud, nous entretenons dans le
grand orphelinat d'Adeikalabouaram environ 400 person-
nes et 150 orphelins païens ; de plus, 300 orphelins dans
les familles chrétiennes.
147
^ ^^ Je ne puis dire ici mille détails qui intéresseraient et
rendraient heureux nos bienfaiteurs. Au ciel, ils verront
tout le bien qu'ils ont fait, et toutes les âmes qu'ils ont sau-
'vées par leurs aumônes. Mgr Canoz témoigne toute sa re-
connaissance à Mgr l'Archevêque de Toulouse, à Mgr l'E-
voque de Bayonne et à Mgr TEvêque de Viviers. On ap-
prendra avec plaisir, en Angleterre et aux Indes, que les
^vaques de France ont imité les évèques d'Irlande, qui ont
envoyé de grandes sommes au vicaire apostolique de Ma-
dras.
*' Tous nous remercions de leur généreuse charité les
RR. PP. de la Chartreuse de la Bastide-Saint-Pierre et de la
Chartreuse de Mougères, les élèves du collège Sainte-M&rie
de Toulouse, les souscripteurs de la collecte de Bade et
tous nos autres bienfaiteurs et bienfaitrices, dont les noms
devraient être cités ici et que nous sommes obligés de taire.
" La famine est-elle finie ? Non, et il faut encore long-
temps pour ç[ue nos chrétiens trouvent leur nourriture or-
dinaire, supposé*même que les prochaines récoltes réussis-
sent A Dindigul, le P. Saint-Cyr, ne pouvant aller par-
tout lui-même, envoya son catéchiste dans un village tout
païen, situé au pied des montagnes de Siroumaley. Quand
le catéchiste parut, une îoule d'affamés se précipita vers
lai comme vers un sauveur. Mais la nuit était venue, la
distribution des secours dut être remise au lendemain. Le
matin, quand le catéchiste commença à distribuer ses au-
mônes, tous les pauvres affamés qui étaient venus la veille
ne reparurent pas. Dans cette seule nuit, sept étaient
morts dans les tortures de la faim, et plusieurs autres ne
pouvaient plus se traîner. Par ce fait, on peut comprendre
les ravages que fait encore la famine dans notre mission
et les scènes navrantes de souffrances et de mort que nos^
missionnaires ont encore sous les yeux. Aussi, si vous pou-
yez nous envoyer de nouvelles aumônes, croyez qu'elles
nous serviront à sauver la vie à bien des malheureux, et à
ouvrir le ciel à bien des âmes...
^' Le P. Guchen nous annonce aussi de nombreuses con-
Tersions. Dans son vaste pahgou de Sattancoulam, il a
fondé, avec les païens et les protestants convertis, de non-
148
Telles chrétientés, qui suffiraient à elles seules pour occii->
per un missionnaire. En ce moment, des villages entiers
«^ébranlent, et lui donnent les plus consolantes espérances.
'^ Le P. Trincal est également bien consolé des souffran-
ces qu'il a endurées pendant la famine. C'est lui qui a
converti et baptisé de sa main les 3,000 chrétiens qui com-
posent son pangou de Virondoupatty. Aussi, ces pauTre»
Indiens le regardent comme leur père, et, dans cette fami-
ne, tous recourent à lui comme à leur unique soutien. Il a
tout donné ; et, quand toutes ses ressources ont été épuisées,
il a vu ses pauvres chrétiens livrés à toutes les tortures de la
faim etdécimés par la mort. Il nous écrivait: "Toute la Jour-
" née, je suis auprès des mourants; et, comme personne ne
" veut ensevelir les cadavres, tous mes gens sont occupés à
^^ creuser des fosses." La première lettre qui lui annonçait
les secours venus de France, lui fut remise en présence des
catéchistes et des chrétiens. En lisant la bonne nouvelle, de
grosses larmes remplirent ses yeux : " Çère^ lui dîrenl
*' les chrétiens, qu'avez- vous, quelle nouvelle T — Mes enfaaCs,
*' remerciez Dieu ; de France, on vous envoie des secours :
'^ vous êtes sauvés." Maintenant, tout a changé d'aspect
dans le pangou de Virondoupatty. Le Père a recueilli les
enfants que la mort a laissés orphelins, donné à ses chré-
tiens une misérable nourriture qui les empêchera au moins
de mourir de faim, et gagné, par son dévouement et son
zèle, un grand nombre de païens. En quelques semaines,
il en a converti et baptisé plus de 2Ô0; et, eh ce moment,
lui et ses gens sont occupés à instruire, et à préparer au bap-
tême les nombreux catéchumènes qui désirent sincèrement
vivre et mourir dans notre sainte religion.
^^ Depuis que les aumônes venues de France ont permis
à nos Pères missionnaires de parcourir leurs chrétientés et
exercer leur zèle, le mouvement de conversion s'est déclaré,
même dans les endroits où nous avions le moins d'espé^
rance. Le P. Pouget écrit de Tuticorin : ^^ Les deux villa-
■*'' ges païens de Velayoudâpuram et de Velapadou sont
•^^ convertis au catholicisme. Je trouve dans ces chrétiens
-'^ les meilleures garanties de persévérance. Us sont riches
-^ en terres, ils se relèveront assez vite de la misère à la*
149
'*' quelle ils sont réduits en ce moment La famine les a
^' décimés. Des familles entières ont été anéanties et pres-
^' que tous les enfants ont disparu."
Un peu plus tard, le même Père nous donnait de nou-
veaux détails également consolants.
'^ Votre bonne lettre du 18 novembre nous annonce de
nouveaux secours. Nous sommes infiniment reconnais-
sants envers tous nos bienfaiteurs. Leurs aumônes vont
sauver la vie à bien des chrétiens, et nous aider à conver-
tir un grand nombre de païens.
*' Le P. Pouget m'écrit : " Tuticorin, 3 décembre.— Il y a
-^^ quelque temps, nous avions baptisé 7 païens adultes, 5 en-
^' fants de nouveaux convertis, 17 enfants de païens, que des
^^ familles catholiques ont adoptés, un grand nombre d'en*
^^ fani s païens moribonds. Hier, après la messe, le Père Mikel
^' a donné le baptême à 74 païens de Velayoudapuram. An-
■*' jourd'hui, fôte de saint François Xavier, huit autres ont
^^ reçu le baptême. Pendant la semaine, beaucoup d'autres
^^ catéchumènes, qui n'ont pu venir ici pour cause de ma-
^^ ladie, seront baptisés dans leur village. A Velapadou on
'^ instruit en ce moment sept familles de Sanards. Nous
^^ pourrions faire cent fois plus, si nos travaux et nos res*
^^ sources nous le permettaient. Nos nouveaux convertis de
'*''' Velayoudapuram vont abandonner leur village et le re-
^' construire sur le bord de la route. Nous donnerons au
^^ nouveau village un nom chrétien. Nous allons pons*-
'^ truire une hutte en terre, et couverte en feuilles, pour
*^ servir de chapelle à nos néophytes. Nous n'avons, pour
^^ orner cette chapelle, ni image, ni statue^ pas môme un
^< crucifix. Aidez-nous à obtenir quelque chose."
'' Je reçois une autre lettre du P. Verdier, en voici nn
^ssage : " Panlamcottah, 4 décembre 1877. — Le P. Day*
'^^ riam, qui a baptisé ici une vingtaine de païens, vient de
'' partir pour aller porter des secours et instruire des païens
'^ qui nous demandent. Les chemins sont affreux ; j'ai
**' donné au Père 10 chrétiens qui, au besoin, poossseront
^^ la charrette et la feront sortir des boues. Près de Van*
*^ danour, village chrétien, le Père trouvera un village
-<* païen de 53 familles. Ces braves gens m'ont tous fait
160
^ demander le baptême. Hais la famine a fait de terribles
^^ ravages dans leur village. Arriverons-nous à temps ? je
^^rignore. ATouest d'Antipatti, grand nombre de païens
^^ nous demandent ; mais nos Père ont dix fois trop de' tra-
^^ vail ailleurs et je n'ai plus personne à envoyer. Quand
^^ nous enverra-ton de nouveaux ouvriers de France ? Tout
'^ l'argent que nous avons reçu est déjà distribué. De grâce^
^^ n'abandonnez pas nos chrétiens et nos néophytes, en-
^ voyez-nous encore quelque chose. "
" Le P. Darrieutort nous annonce, de son côté, que le P^
Laporte vient de baptiser dans son pangou de Ramnad uae
centaine de païens.
*' Le P. Trincal m'écrit de Padupatty, à la date du 3 dé-
cembre:
'^ L'argent que vous m'avez envoyé ne m'a pas enrichi
^^ matériellement, car j'ai déjà tout distribué et j'ai les-
^ mains vides ; mais je me suis considérablement enrichi en
^^ catéchumènes. Depuis le 1er novembre, j'en ai baptisé
*^ 549. Ce matin même, j'ai pu offrir 51 nouveaux chré-
*' tiens à saint François Xavier. Je nourris tous ces caté-
*' chumènes pendant huit jours, et le jour de leur baptême
** je leur donne une toile pour se couvrir : car ils arrivent
*^ tout nus ou couverts de dégoûtants haillons. Je dépense
^* en moyenne 4 francs pour chaque catéchumène. Vous
'^ voyez que le salut d'une âme s'obtient, ici, à meilleur
" marché que dans d'autres contrées, où l'on est contraint
^ de dépenser au moins 10 fr. par catéchumène. Ne sera-
^^ ce pas une bien douce consolation pour la personne qui a
** envoyé 1,000 fr. destinés à faire de nouveaux chrétiens^ de
" savoir qu'avec ces 1,000 fr. j'ai pu baptiser 250 païens L
" Mais, je vous en prie, envoyez-moi sans retard de nou-
** veaux secours. Si l'argent ne me fait pas défaut, au
" premier de Tan j'aurai baptisé peut-être plus de t,00ft
" païens. "
" Avec la lettre du Père Trincal, en arrive une du F».
Labarthère, qui annonce 300 nouveaux baptêmes d^enfants
païens. Le Père en avait déjà baptisé plus de 200 le mois^
dernier.
* ^^ Messis quidem muUa. Oui, la moisson est grande, et le^
151
iiombre d'ouvriers est bien petit pour la recueillir. No«
Pères donneront avec joie leur santé et leur vie, s'il le
faut; mais avec tout leur dévouement, ils ne sauraient
^ créer les ressources qui leur sont nécessaires pour poursuivre
leurs œuvres de charité et de conversions. Vous noua
avez envoyé beaucoup, et cependant ces milliers de francs
que nous avons reçus de France, sont pour nos milliers d'af-
famés ce qu'étaient les cinq pains pour la foule qui avait
suivi notre divin Maître au désert. Il faudrait que Notre-
Seigneur vînt au milieu de nous et multipliât entre nos
mains le peu que nous possédons, pour donner à manger à
nos pauvres afiPamés et les arracher à la mort. Peut-être
Notre-Seigneur veut-il se servir de vous pour faire le mira-
cle de la multiplication. Veuillez continuer à faire con-
naître aux catholiques de France les cruelles souffrances
"de nos pauvres Indiens, toujours en proie aux horreurs de
la famine et que la mort continue à décimer dans toute la
mission du Maduré. "
Cette lettre était déjà sous presse, lorsque le R. P. Blan-
chard, Provincial de la Compagnie de Jésus, à Toulouse,
a reçu du môme Père l'annonce d'un second fléau, non
moins terrible que la famine, qui vient de s'abattre sur la
malheureuse population du Maduré, et qui sollicite avec
la même urgence la charité des chrétiens.
" Mon révérend Père Provincial ; j'ai reçu votre bonne let-
tre du 22 novembre, dans laquelle vous nous annoncez une
nouvelle aumône de 3,000 fr. Nous vous sommes tous re
connaissants de l'appel que vous avez bien voulu faire à la
charité de nos Pères et des satholiques, en faveur de nos
chrétiens réduits aux horreurs delà plus affreuse famine.-
Vous nous promettez de vous occuper encore à nous procu-
rer de nouveaux secours ; nous vous en remercions infini-
ment, mon révérend Père, car nous aurons besoin long-
temps encore qu'on envoie de quoi secourir nos pauvres
affamés. Les journaux ont dit qu'au mois de mars la famine
serait à peu près finie, si les récoltes réussissaient. Alors
même que les récoltes eussent été bonnes, nos Pères qui
*8ont répandus parmi les Indiens, dans les campagnes, e^
«connaissent mieux que personne leur véritable étal»
152
pensent que noa cbrétleos auraient eu encore i soufixir un»
année entière. Mais^^voici que de nouveaux désastres suc-
cèdent aux ravages de la famine. La famine de rinondation
Ta succéder à la famine de la sécheresse, si Dijbu n'a pitié de
mouB.Depuis deux mois 8urtout,des pluies torrentielles n*ont
cessé de tomber dans toute notre mission.Au commencement
de novembre, le P.Verdier avait quitté Palamcottah pour ve-
nir à Trichinipoly ; mais arrivé à Dindigul, il trouva le
chemin de fer emporté par les eaux et dut attendre là plus
de quinze jours. A son retour à Pallamcottah, il m'écri-
Tait: ^' Dans mon voyage de Trichinipoly à Pallamcottab,
^^ j'ai trouvé partout la campagne inondée. C'est un nou-
^^ veau désastre qui commence. Les moissons, notre seule
^* espérance pour sauver nos chrétiens de la mort et voir
^' se terminer leurs cruelles épreuves, sont couvertes par
^ les eaux. Depuis Dindigul surtout jusqu'à Palamcottah
''je n'ai vu que des champs couverts par l'eau, ou des ré-
^^ coites en mauvais état et compromises par la trop grande
'* abondance des pluies." Depuis cette lettre du P. Verdier
le mal est allé en croissant. — Le P. Maget m'écrit de Fi*
sherpattnam, en date du 10 décembre: '^ A mon retour de
*' Sarougany, je pris le chemin de Manamaduré, espérant
*' pouvoir arriver par là, à travers les eaux, à Edeientour ;
^^ mais je trouvai le fleuve tellement débordé que je dus re-
^^ brousser chemin jusqu'à Sheiagungah. J'allai tenter le
^^ passage du côté de Périacottay ; impossible encore d'aller
*^ en avant. Je suis donc revenu, hier, à Manamaduré, je
*^ ne dis pas à travers quelles difficultés* Ici il n'y a pas
^^ de barques ; il fallait cependant traverser le fleuve. Je
'* mîe décidai à monter sur une espèce d'embarcation fabri-
^ quée, pour la circonstance, par les Indiens ; et, grâce
^^ à mon bon Ange, j'arrivai à l'autre rive. Là, nouvelle
^^ épreuve ; point de gîte pour la nuit. Vendredi soir, le
^^ fleuve a renversé ses digues et emporté soixante-six habi*
^ tations. La poste, la bangalow et notre église ont été en*
^ tièrement détruites. 11 a fallu me mettre en route et
^' gagner Fisherpattnam, distant de deux milles. Les route»
^ sont impraticables ; il m'a fallu marcher à pied, ^K^ortéda
*^ quelques chrétiens, qui portaient mon bagage, Quelle-
153
*'' épreuve nouvelle Dieu nous envoie! Que vont devenir
^* nos chrétiens ? De grâce, envoyez-moi tout ce que vous
^' pourrez, afin que je pui^e au moins secourir les plus
^^ abandonnés. " — ^Le P. Darrieutort nous donne aussi de
bien tristes nouvelles sur le Marava : '' De mémoire d'hom-
** xne,on n'a vu ici pareille inondation. La rivière est arri-
** vée à une hauteur qu'elle n'avait pas encore atteinte. Elle
^' n'a pas rompu ses digues, mais elle passe par-dessus et se
^^ déverse dans notre grand étang. Si les digues sont em-
*^ portées, alors tout est perdu. La grande rue Sarougany
^* est comme une rivière. Notre église aurait été envahie
'^ sans une petite digue que nous avons construite. Je tra-
^' vaille jour et nuit avec mes gens, pour empêcher notre
^^ étang de briser ses digues. Au milieu de tous ces mal -
"heurs, Dieu nous coasole par de nouvelles conversions •
'^ J'ai déjà distribué à nos Pères tout l'argent envoyé pour
^* nos catéchumènes. Ils ont baptisé bon nombre de païens
^' adultes, et Je P. Laporte espère atteindre le nombre de
^* deux cents. "
^^ Le district du Sud est aussi éprouvé que le Marava»
^* J'arrive de Rassanguittanabouran, m'écrit le P. Faseuille^
^' le 9 décembre ; je trouve Vadakencoulan dans la désola-
^' tiOD. Quels désastres 1 Les pluies torrentielles ont tout
*' ravagé : arbres déracinés et emportés, rivières débordées,
^' étangs crevés et dévastant tout, habitations renversées.
'* De nombreuses épaves ont été emportées par les eaux, et
" j*ai trouvé tout le village en contestations pour savoir à
^^ qui appartenaient les objets apportés par les torrents.
^^ J'ai réussi à les mettre d'accord. IjOs protestants font
'' d'incroyables largesses à leurs adeptes. Que ne pouvons-
^'nous faire de même pour nos chrétiens, qui n'ont que
^* nous pour les secourir au milieu de leurs nouveaux mal-
** heurs ! " Trois jours après avoir reçu cette lettre, le P.
Verdier m'annonçait de nouveaux désastres causés dans son
district par les inondations. ^^ Palamcottah, 12 décembre.^-*-
^' Notre grand orphelinat d'Adei Kalâbouram, où nous avons
*^ environ six cents personnes, nage dans les eaux. Le fleuve
^^ a débordé en trois endroits, d'ici à la mer. Que de ruines I
^' Le grand étang de Kadambacouiam, qùi«^ de six à sept
154
"^^ milles de circoaférence, a brisé ses digues, et ses eaux, qu^
*^ devaient donner les nouvelles pécoltes, ont ravagé tonte la
^' campagne. La route qui conduit à Adei-Kalabouram a été^
** emportée depuis Alvarlinnevelly jusqu'à Trichendore, en
'^ sorte qu'il nous sera impossible de nous rendre à Torphe-
*' linat jusqu'à ce qu'on ait refait la route. Les conversions
*' continuent dans le district. Il y a quelques jours, j'ai vu
*' à Tuticorin nos quatre-vingt-quatorze néophytes pollers.
" Ils portent la simplicité et la joie sur leurs ûgures. Tous
^^ sont venus me demander la bénédiction. D'autres famil*
*' les de leur parenté et d'un village voisin leur deman-
" dent aussi à être baptisées. Aujourd'hui, je reçois du P.
" Dayriam ces quelques mots : " Je suis encore à Vanda-
^' nam, oerné par les eaux. Quinze familles de Poadou-
** patty sont déjà catéchumènes. Tous les jours il m'arrive
^^ quatre ou cinq personnes demandant le baptême. Une
^^ famille de Setty est aussi au nombre des catéchumènes.
^' Le chef, brave homme et assez instruit, m'a promis de
*' m'envoyer tous ses proches parents. Malgré l'inondation,
^' je resterai au poste tant qu'il y aura des catéchumènes.
*' La nuit dernière, tous les étangs ont emporté leurs digues.
•* Autour de ma chambre, il y a de l'eau jusqu'au genou.
^^ Plusieurs maisons se sont écroulées, et des personnes ont
" péri. Tous les Indiens sont dans l'épouvante."
^^ Les districts du Marava et du Sud ne sont pas les seuls
ravagés par les inondations ; le district de Trichinopoly a
aussi sa large part à la nouvelle épreuve qui frappe notre
mission. Le P. Boyer vient de nous écrire que, dans son
pangou de Manargoudy, le fleuve a rompu ses digues et
emporté plusieurs villages entiers. La famine avait laissé
au moins aux pauvres indiens leurs maisons et leurs terres
desséchées; le nouveau fléau a renversé leurs pauvres
habitations, emporté leurs moissons et ravagé les champSt
qui demanderont de grands travaux pour être de nouveau
aptes à la culture. J'en étais là de ma lettre, quand nous
est arrivé le journal The Madras Mail, Les désastres sont
plus grands encore que nous l'avions cru. ^^ La plaie est
^^ devenue plus. for te, depuis xnardi dernier ; elle ne cesse
'^ pas encore et tombe avec une impitoyable furie, pUUesi
155
^' fihry. En ce moment, dans le Sud, les rivières et les
^^ fleuves ont débondé et inondé toutes les tampagnes. Les
^^ étangs ont rompu leurs digues et portent partout la dé-
^^ vastation. Toutes les moissons ont péri... Des villages
^' antiers se sont écroulés et ont disparu sous les eaux. Le
^' nombre de maisons renversées est incalculable : o^ for
^' native houses destroyed^ theit number i$ légion. "
^^ Tous nos pauvres chrétiens se réfugient auprès de
leurs missionnaires, leur unique soutien, au milieu de tous
les fléaux qui fondent à la fois sur eux. Nos Pères s'adres-
sent à nous, pour obtenir de quoi donner aux malheureux
qui les assiègent un morceau de toile, pour couvrir leur
nudité, et un peu de riz, pour les empêcher de mourir de
faim. Je ne puis, mon révérend Père, que faire parve-
nir jusqu'à vous les demandes de nos missionnaires. Nous
n^aurons guère à donner à nos chrétiens que les secours
que nous recevrons d'Europe. Nos bienfaiteurs, tout en se-
courant les corps, contribueront largement au salut des âmes
au Maduré. Je ne parlerai pas aujourd'hui du bien et des
nombreuses conversions que font nos Pères. J'en ai parlé
dans mes deux lettres précédentes. Le mouvement de con-
versions continue, et on baptise grand nombre d'enfants
païens. Cette semaine, le P. Labarthère m'écrivait : '^ Je
^^ continue à parcourir mes villages affamés. J'en ai déjà
^' visités vingt-huit, et j'ai baptisé jusqu'à ce moment denz
^' mille vingt-quatre enfants païens. Presque tous sont déjà
*^ au ciel, où ils prient pour la mission et nos bienfaiteurs
^^ d'Europe... " Quel bon placement pour les fonds de la
charité !
" Je vous exprime de nouveau, mon révérend Père Pro-
vincial, au nom de tous nos Pères, toute notre reconnais-
sance pour le dévouement et la charité que vous montrez à
notre mission éprouvée par tant de fléaux. Je me recom-
anande à vos prières et saints sacrifices.
«^ Pe votre Révérence, l'humble serviteur en Jésus-Christ^
" L, Barbier, S* J. "
156
Les lettres suivantes continuent i nous montrer, sous ce-
double aspect, le cruel fléau qui ravage les Indes :
Trichinopoly, 17 janvier 1878.
" Mon révérend et bien cher Père Ratniëre, P. C — Je vous-
remercie, au nom de Monseigneur et de nos Pères, de tout
ce que vous avez fait pour notre mission, au milieu de nos
grandes épreuves. Nous espérions toucher au terme de
nos malheurs, et voilà que de nouveaux désastres viennent
de frapper nos pauvres chrétiens. Je ne vous redirai pas,
dans cette lettre, toutes les scènes de désolation que vous ont
racontées nos Pères du Marava et du Sud. L'inondation a
consommé l'œuvre de la famine. Il restait encore à nos
Indiens leurs maisons et leurs champs desséchés. Mainte*
nant ils n'ont même plus de demeure pour s'abriter, plus
de champ à ensemencer. Les rivières ont été ravinées et
ensablées. La saison des pluies est finie, et les étangs qui^
dans le Sud, ont tous rompu leurs digues, sont vides . de
• sorte que, pendant la brillante saison d'été, nos Indiens du
Sud vont se trouver sans eau et, par conséquent, ' sans
récolte.
^^ La désolation est grande partout, mais çurtout à Tada*
kencoulam. Là, une première inondation avait déjà fait
de grands ravages ; mais une seconde, plus terrible encore,
n'a rien laissé. Nous avions envoyé une part des secours
que nous avions reçus de France aux Pères Faseuille et
Delphech, qui étaient à Vadakencoulam. Nos Pères ont
tout donné, et quand il ne leur est plus rien resté, leurs
pauvres chrétiens sont allé demander des secours aux
protestants, qui avaient reçu des Anglais de larges somni^s
à distribuer. On leur a répondu : " Quittez vos prêtres^
*^ faites- vous protestants, et nous vous donnerons de quoi
*' rebâtir vos maisons et nourrir vos familles. " Nos chré-
tiens sont revenus trouver les Pères et leur ont dit la répon-
se des protestants. Maintenant, ils attendent que leurs
prêtres viennent à leur secours, ils ne peuvent rien espérer
d'ailleurs.
" A Vadakencoulam, le choléra est venu s'ajouter à tous
les autres fléaux. Nos missionnaires ont des remèdes qui
157
ordinairement, sauvent bien des cholériques; mais cette
fois tout a été inutile. 'Il semble que ce choléra soit un
châtiment de Dieu. Dans Vadakencoulam, la populatioxi
est divisée en deux camps, malheureusement souvent en
guerre ; d'un côté, les hautes castes, Vellages et Mondélis ;
de l'autre, Iqs basses castes, Sanards et Parias. Le fléau
s'est attaqué seulement aux hautes castes. La première
maison, où a été appelé le P. Faseuille pour donner les der-
niers sacrements, renfermait quatre cholériques. C'était
quatre frères: le soir, ces quatre jeunes gens étaient em-
portés au cimetière. En quinze jours, sur 650 Vellages ou
Mondélisqui se trouvaient dans le village, 105 étaient empor-
tés par le fléau. Les Sanards et les Parias, qui étaient plus
de 1300, n'ont pas eu un seul mort. Nos Vellages et Mondé-
lis ont compris que c'était un châtiment, et qu'il fallait re-
courir à Dieu. Ils ont montré uue charité et un courage
admirables. Une qninzaine d'entrj eux, pendant quatorze
jours, ont été occupés à creuser des fosses et à porter des
cadavres. Ils ne recevaient aucun salaire et ils oubliaient
tout pour accomplir cet acte de dévouement. L'un d'eux
avait sa fille malade du choléra : il va trouver le P. Fa-
seuille, à une heure après-midi, pour lui rendre compte
des morts et des enterrements. Le Père lui demande :
*' Comment va ton enfant ? — Je n'en sais rien, Père; je
** suis sorti ce matin, après déjeuner, et, depuis ce matin,
** j'ai travaillé à porter les cadavres (1). " A la charité, nos
Vellages ont joint l'humiliation. Us ont fait spontanément
un acte qui semble héroïque à ceux qui connaissent l'or-
gueil des castes dans ce pays- Ils ont promené, dans les
rues du village, la statue de «aint Sébastien, en se servant
du sapram déjà employé par les Sanards. Us ont eu, ensui-
te, ridée de faire une cérémonie d'expiation, et en ont
demandé la permission au Père, Les principaux chefs, une
(t) Noire-Seigneur a béni la charité de cet homme ; sa fille est guérie
disciples des Pères ont 'donné les premiers l'exemple du dévoue-
ment. Eux aussi sont morts victimes du fléau, et aussi de la charité.
Le vide s'est fkît auioiir des Pères, et, un jour, ils se sont trouvés san»
UD seul discâpie pour les aider et les servir.
158
couronne d'épines sur la tête, ont lu un acte d'amende ho-
norable, pour les principaux péchés commis danslô village*
Eoûn, tOHS se sont confessés et ont fait la sainte communioD.
Le Père a fait un appel au Cœur de Notre-Seigneur en fa-
veur de ses pauvres chrétiens. II a fait mettre sur toates
les portes une petite image du sacré Cœur. A partir de ce
jour, le fléau a diminué, et, trois jours après, il n'^^^^t
plus un seul cholérique dans Vadakencoulam.
'^ Pendant de longs mois encore,, nous aurons besoin des
secours que nos bienfaiteurs nous envoient de France. Les
protestant», qui distribuent l'argent à pleines mains, solli-
citent nos pauvres chrétiens affamés; des familles, des viL
lages entiers de païens s'offrent à nous et donnent des garan-
ties de persévérance, si nous pouvons les secourir ; partout
nos chrétiens sont encore dans le plus grand dénùment.
Aussi, tous nos Père missionnaires ne cessent de nous de-
mander des secours. Ici, au Maduré, les aumônes que
. vous nous envoyez produisent un double fruit: elles sau-
vent la vie à nos pauves affamés et ouvrent le ciel à des
milliers de païens* Cette semaine encore, 135 païens adul-
tes ont été baptisés. Dans toute la mission, des prières ont
été ordonnées pour tous nos bienfaiteurs.
^^ Veuillez me recommander quelquefois au CkBur de
Notre-Seigneur et à sa miséricordieuse Mère. Merci pour
tout ce que vous avez fait pour nous.
^' Je suis, etc. L. Barbiïr, S. J. "
^^ J'allais expédier le courrier d'Europe, quand j'ai reçu
la lettre suivante du P. Pouget. Je vous l'envoie teUe
quelle. Aujourd'hui encore, le P. Larmey m'écrit que le
mouvement de conversions s'accroît de plus en plus dans
son pangou. Si les ressources ne nous manquent pas, nous
pouvons fonder de nouvelles et belles chrétientés. Il serait
bien triste de laisser passer cette occasion, qui ne se pré-
sentera probablement jamais plus. On m'annonce que k '■
P. Faseuille est guéri. Le P. Delpech reprend des forces.
Mais nous avons plusieurs Pères fatigués, à cause de l'excës
du travail. L. B. "
159
" Palamcottah, le 16 janvier 1878.
** Mon révérend Pèrô, — ^je viens d'écrire à Monseigneur
pour demander des fonds. Si nous voulons entretenir et
augmenter le mouvement qui se manifeste vers le catholi-
cisme, dans le district de Palamcottah, il faut des ressources
abondantes. Inutile de se le dissimuler. Mais ces sacrifi-
ces pécuniaires seraient compensés par une ample mois-
son d'âmes, autant que je puis en juger.
** La misère nous arhène actuellement de nombreuses po-
pulations qui jamais n'auraient renoncé au paganisme sans
ôtre attirées vers nous par l'aumône de la charité. Ne croy-
ez pas, pourtant, que ces conversions, paraissant fondées
sur l'intérêt, n'aient pas de sûres garanties de stabilité. Je
suis, au contraire, d'avis que l'assistance que nous donnons
nous attachera les cœurs de ceux qui en ressentent les
douces influences. Il n'y a aucun déshonneur pour notre
religion à secourir les infortunes. Nous n'achetons pas les
âmes, à la façon des protestants. Tout en évitant cet écueil,.
je crois que la gloire de Dieu demande que nous profitions
des circonstances actuelles pour faire un bien durable, qui
se perpétuera de génération en génération.
" A Tuticorin, le P. Miquel a baptisé 2Î0 païens depuis
le 2 décembre dernier. Nous avons actuellement 160 ca-
téchumènes qui se préparent au baptême, et un grand
nombre qui sollicitent la môme faveur.
" Les néophytes qui ont été baptisés appartiennent prin-
cipalement à trois villages: 150 Paliers à Velayoudapuram,
18 Maravers à Mélamarudur, 152 Sanards à Vépelodei et
dans le voisinage.
" Vous serez content d'apprendre quelque chose sur leurs
dispositions, et les espérances qu'ils nous donnent de leur
persévérance.
" Les Paliers de Valayoudapuram nous présentèrent un
mouton, le jour du premier de l'an. Nous leur répon-
dîmes que nous le laissions à leur usage ; ils s'en montrè-
rent presque mécontents, et nous prièrent d'accepter ce pe-
tit gage de reconnaissance, pour les services que nous leur
avions rendus. Le dimanche, ils viennent assidûment à la
160
tnesse à Tuticoria. Le jour du Pouguel, cérémonie païenne^
les païens voisins étaient venus faire les apprêts de leurs cé-
rémonies près de nos paliers. Ils voulaient les vexer, en leur
mettant sous les yeux les réjouissances de la religion qu'ils
ont abandonnée. Non-seulement aucun néophyte ne voulat
participer à ces superstitions païennes, mais ils réussirent 1
•éloigner leurs anciens compagnons d*idolâtrie, eu protestant
•qu'ils avaient renoncé à toutes ces superstitions, pour ne sui-
vre désormais que le culte catholique. Bien des fois, je lésai
entendus faire la même protestation en ma présence. Lundi
dernier, jour de mon départ, le P. Miquel était allé dire la
messe chez eux pour la première fois. IL apporta une clo-
che, un christ et une statue de saint François Xavier, leur
patron. Il devait installer ces objets dans un misérable
pandel, que nous avons fait construire. Cet événement
était trop remarquable pour qu'il se passât sans solennitéL
Eux-mêmes avaient voulu faire les frais de la fête, et s'é-
taient imposé un Vari qui montait à 2 roupies et i. Celait
assez pour les pétards et la fanfare. Un nombre asses
considérable de Paravers accompagna le Père dans son ex-
cursion. Nos Paravers ont servi de panains à ces non-
veaux chrétiens, et s'intéressent beaucoup à eux. Ces liens
d'union ne peuvent avoir que de bons résultats. L'im-
pression par cette petite cérémonie sera excellente. Elle
attirera, probablement, de nouvelles conversions dans les
environs. Déjà quelques individus inscrits par les protes-
tants parlent de venir à nous.
" Un village de 130 personnes, aux portes de Tuticorin, se-
ra baptisé avant quinze jours. Dans plusieurs autres en-
droits, on manifeste des désirs. Mais encore une fois, là
(juestion des fonds est, ici, une question de vie ou de mort
pour tout ce mouvement.— Je suis, etc.
" G. POUGET, S. J. "
LA NOUVELLE NURSIE.
HISTOIRE D'uNK COLONIE BÉNÉDICTINE DANS L'ArSTRALIB
OCCIDENTALE
—1846-1877 —
(Suite.)
CHAPITRE DEUXIÈME.
«
Insuccès des premières missions. — Les PP. Serra et Salrado au
milieu des bois. — Leurs épreuves.
Lorsque les missionnaires se furent un peu remis des
fatigues du voyage, Mgr Brady les réunit en conseil pour
avoir leur avis sur le meilleur moyen d'évangéliser les Aus-
traliens. Après une longue discussion, il fut convenu qu'il
y aurait trois centres de mission : !<> la mission du nord, con-
fiée à M. Gonfalonieri, avec deux catéchistes irlandais ; 2^
la mission du sud, confiée à MM. Thébeaux et Tiersé, avec
deux catéchistes frangais ; 3<> la mission du centre, confiée
aux PP. Serra et Salvado, avec deux catéchistes anglais et
le F. Léandre dé Solesmes.
L'évoque de Perth demanda au gouverneur de la colonie
des terres pour établir ses missionnaires. Vingt acres
furent accordées en toute propriété à chacune des missions.
Le dimanche 25 janvier, fête de la Conversion de saint
Paul, Mgr. Brady, à l'issue de la grand'messe, adressa une
allocution à ces prêtres et à ces catéchistes de nations si
diverses qui allaient chercher, dans les bois de l'Australie,
les pauvres sauvages pour les amener à la lumière de
l'Évangile. Après ce discours, le pontife donna sa bénédic-
tion aux missionnaires agenouillés, et les embrassa tous
paternellement Cette cérémonie émut tellement trois pro-
testants, mêlés par curiosité à la foule des catholiques,
qu'ils se convertirent et devinrent ainsi les prémices de cet
apostolat
La mission du sud quitta Perth au commei^cement de
3
162
février. Elle se dirigea à pied vers la ville d'Albany, où
elle n'arriva qu'à la an de mars. Les prêtres et les caté-
chistes qui en faisaient partie se mirent aussitôt à la re-
cherche des sauvages et souffrirent beaucoup dans leurs
courses à travers les bois. Ayant épuisé leurs provisions,
ils vécurent quelque temps encore de pommes de terre oa
des galettes que les marins de la côte leur donnaient par
charité. Après quelques mois d'une existence très-précai-
re, ils obtinrent la permission de s'embarquer pour Tile
Maurice, qui manquait d'ouvriers évangéliques et qui
offrait un ministère moins difficile et plus consolant. Nous
avons p^rlé déjà de l'issue malheureuse de la mission diri-
gée sur le nord de l'Australie, à Port-Vittoria. Une troi-
sième mission que Mgr Brady envoya à Guildfort, à neuf
milles seulement de Perth, ne réussit pas mieux que les
deux autres, et le prêtre Powel, qui en avait la direction^
désespérant du succès, se rendit dans Tlnde, où 11 fut admis
parmi les missionnaires de Calcutta.
Il semblait que la Providence réservait l'apostolat des
Australiens aux moines espagnols. Mgr Brady découragé
n'osait permettre aux PP. Serra et Salvado de partir pour
leur mission, lorsqu'un des colons catholiques de Swan-
River, le capitaine irlandais Jean Scully, lui apprit que.,
non loin de ses possessions, se trouvaient des terres fertiles
et qu'un grand nombre de sauvages vivaient dans les bois
d'alentour. A cette nouvelle, les deux Bénédictins suppliè-
rent l'évêque de Perth de les laisser partir avec leurs caté-
chistes. *' Le 16 février 1846, raconte le P. Salvado, ayant
pris notre léger bagage sur les épaules, le crucifix sur la
poitrine, et le bâton à la main, nous nous rendîmes à l'église
-où Mgr Brady nous attendait. Toute la colonie informée
de notre départ, remplissait l'humble cathédrale de Perth ;
car les protestants comme les catholiques voulaient nous
faire leurs adieux, que beaucoup pensaient devoir être
éternels. L'évêque nous fit une exhortation qui émut tous
les assistants. Ayant reçu sa bénédiction et le baiser de
paix, nous quittâmes Perth, accompagnés jusqu'à plus d'an
mille par notre premier pasteur et une grande partie de la
population. La lune éclairait d'une lumière douce notre
163
chemin, et derrière nous suivaient deux chariots où
étaient entassés nos petites provisions, qnelques vêtements
de rechange, des outils de cultivateurs et un autel portatif.*'
La première étape fut assez pénible. La contrée que
traversaient les missionnaires, étant fort sablonneuse, ren-
dait la marche difficile. Vers deux heures après minuit, le
P, Serra, chef de la caravane, jugea à propos de faire
arrêter tout son monde, sauf les conducteurs des chariots
qui continuèrent leur route pour arriver plus tôt à la
ferme d'un Irlandais nommé Moore. Les missionnaires et
leurs deux compagnoiis s'étendirent sur la terre nue, au-
dessous d'un arbre gigantesque (Eucalyptus robusta)^ qui
semblait, par l'épaisseur de son tronc et la largeur de ses^
Lranches, dater du déluge, et bientôt un profond sommeil
vint réparer leurs forces. Ils ne s'éveillèrent qu'à la pointe
du jour. Ils se mirent de nouveau en chemin dans l'épaisse-
forêt qui couvrait presque tout le pays. Arrivés à une
clairière où commençaient trois sentiers, ils ne savaient
lequel suivre, lorsqu'un sauvage, tenant d'une main sa
longue lance et de l'autre un tison enflammé, parut à leurs
yeux. Ils lui crièrent : *' Moore, Moore." L'Australien
les corayrit, leur indiqua de la main un des sentiers et se
mit à marcher devant eux de ce pas rapide et élastique
propre aux enfants des bois. Après avoir traversé une
forêt composée d'arbres inconnus en Europe, araucanias,
banksias, xanthoréas, zamias, eucalyptus, etc., ils arrivè-
rent chez M, Moore. Ce fut sous ce toit hospitalier que les
PP. Serra et Salvado célébrèrent pour la dernière fois le
saint sacrifice dans une maison couverte ; ils ne devaient
plus, jusqu'à leur installation dans la colonie monastique,
offrir l'auguste victime que sous la voûte du ciel.
En quittant M. Moore, la petite troupe de missionnaires
fit l'asoension d'une montagne escarpée, une des dernières
ramifications de la chaîne des monts Darling. Après un
trajet de trente milles, ils traversèrent le fleuve Avon, dont
le lit se trouvait alors presque entièrement à sec, etarrivè*
rent, le 21 février, à l'habitation du capitaine Scully, le
colon le plus éloigné de Perth, dont il est distant de pris
de 68 milles. C'était la dernière halte avant d'entrer dans
164
les solitudes boisées de Tiatérieur ; les missionnaires y
demeurèrent trois jours pour faire reposer leurs boeufs.
Le capitaine leur donna de très-utiles renseignements sur
la contrée qu'ils allaient traverser.
A l'aide de la boussole, les missionnaires se dirigèrent
vers le nord où se trouvait, d'après le rapport de quelques
sauvages, une terre fertile appelée par eux Baggi-baggi.
Ils rencontrèrent d'abord un pays montueux, mais couvert
d'une riche végétation ; vinrent ensuite des plaines presque
entièrement sablonneuses, où l'on ne rencontrait que des
eucalyptus de différentes espèces, la rluylsia fîorida et beau-
coup de plantes vénéneuses. En approchant de Baggi-
baggi, ils virent des terres qui leur parurent meilleures, et,
dans les Vittoria Plains, ils furent émerveillés de la beauté
des arbres et de la force de la végétation. Mais une soif
brûlante, augmentée par la chaleur de la saison, ne leur
permit pas d'admirer longtemps le paysage. La source
qu'ils espéraient trouver à Baggi-baggi était presque dessé-
chée. Les bœufs coururent d'eux-mêmes s'y désaltérer, et
il fallut les écarter avec l'aiguillon pour boire un peu d'eau
saumâtre et pleine de boue, qui provoquait les vomisse-
ments. Un sauvage, que le capitaine ScuUy avait adjoint
à la petite caravane, assura qu'il se trouvait de l'eau à peu
de distance. L^ P. Salvado et le F. Léandre l'y suivirent ;
mais, là encore " le soleil avait tout bu ", comme disent les
Australiens. L'indigène frappa du pied avec indignation
et fit signe qu'il allait chercher une autre sourte. A la fin,
ils découvrirent une profonde cavité où l'eau des pluies,
protégée par de grands arbres, s'était conservée fraîche et
pure. Ils étanchèrent leur soif ; puis, ayant rempli deux
grandes gourdes du précieux liquide, ils se hâtèrent de
rejoindre leurs compagnons, en poussant de temps à autre
1(3 cri aigu Cai ! Cui ! dont les sauvages se servent pour an-
noncer de loin une heureuse découverte. A la tombée de
la nuit, les missionnaires se trouvaient tous réunis auprès
dé ce petit étang, et l'on fit au sauvage une large part du
souper commun, qu'il absorba en silence et avec une mer-
veilleuse rapidité-
Le lendemain, les PP. Serra et Salvado furent soumis à
i0S
iine éj^euve qui aurait triocaphé de caractères moins
fortement trempés et de cœura moins dévoués au salut des
âmes. Les conducteurs des chariots, fort peu soucieux de
partager la vie pleine de privations et de périls des mission*
naires, déclarèrent qu'ils n'iraient pas plus loin. Malgré
toutes les promesses qu'on put leur faire, malgré toutes les
supplications qu'on put leur adresser, ils déposèrent fleg-
matiquement le contenu des chariots sous un eucalyptus
«en se disposant à retourner à Perth, sans s'inquiéter du sort
réservé aux deux Bénédictins et à leurs catéchistes. Cepen-
dant, comme c'était le premier dimanche du Carême, ils
voulurent assister, à la messe célébrée en plein air par le
P. Serra et • à celle du P. Salvado. Un des chars servit
d'autel. Aussitôt après, ils prirent la roate de la capitale
du Swan-River, et le sauvage retourna dans ses bois. " Ce
départ ne put nous décourager, dit le P. Salvado, car nous
avions mis toute notre assurance en celui-là même que
nous venions d'offrir pour la première fois dans les soli-
tudes boisées de l'Australie comme victime de propitiatioa
pour ces pauvres sauvages dont nous voulions être les
apôtres. "
Restés seuls, avec- le F. Lôandre et le catéchiste irlan-
dais, les PP. Serra et Salvado résolurent de construire, en
ce lieu même, une cabane de branchages. Ils se mirent
aussitôt à la besogne, et, vers le soir, ce fragile abri était
<léjà recouvert de feuillage. Dans l'ardeur du travail, les
missionnaires n'avaient pas aperçu une troupe de sauvages,
armés de longues lances, qui les regardaient de loin et qui
bientôt s'approchèrent du petit étang auprès duquel s'élevait
la cabane. Ces Australiens étaient anthropophages, et ils
examinaient les nouveaux venus avec une attention qui ne
semblait pas du tout rassurante. Les deux missionnaires
et leurs compagnons ne s'en émurent pas autrement Leur
besogne achevée, ils allumèrent un grand feu, comme les
sauvages venaient de le faire, et se mirent à chanter les
compiles à deux chœurs avec les pauses et les inclinations
qui se pratiquaient dans leur monastère. Ils récitèrent
ensuite le chapelet à genoux, et, après un léger repas de
galettes cuites sous la cendre, de riz à l'eau et thé, ils s'en-
166
dormirent paisiblement, sous la protection de leurs anges-
gardiens.
Le lendemain, à là pointe du jour, les PP. Serra et
Salvado dressèrent un autel champêtre et offrirent l'auguste
Yiclâme pour les sauvages qui suivai^t des yeux lears^
moindres mouvements, et qui partire * après le lever du
soleil. Le soir, les sauvages revinrent en plus grand nom*
bre et se placèrent à trente pas à peine de la cabane des
missionnaires. '^ Nous fîmes, lacon^ le P. Salvado, nos-
exercices de piété comme à l'ordinaire ; mais, la nuit^
notre sommeil fut souvent interrompu par la pensée de ces
incommodes voisins, qui pouvaient d'un moment à l'autre
céder à la tentation de nous tuer pour nous manger." Le
matin arrivé, les missionnaires, après la messe, prenaient
leur maigre repas lorsqu'ils virent les sauvages s'avancer^
en foule vers eux tenant, chacun dans les mains, cinq ou
six javelines qu'ils appellent des guichls. Les moines^
s'avancèrent à leur rencontre avec un visage riant et leur
offrirent la nourriture qu'ils avaient préparée pour eux-
mêmes et des morceaux de sucre. Les sauvages brandi-
rent leurs armes, pendant que les femmes et les enfan ts
s'enfuyaient en poussant des cris aigus.
" Nous avancions toujours, continue le P. Salvado, en
leur faisant signe de baisser leurs lances, qui allaient nous
percer, si Dieu ne les avait retenus, et en leur offrant nos
galettes de farine et notre sucre dont nous mangions nous-
mêmes pour les inviter à y goûter à leur tour. Quelques
Australiens déposèrent leurs javelines, et prirent le sucre ;
mais, après l'avoir porté à leurs lèvres, ils le rejetèrent
parce que cette saveur si douce les surprenait. Nous en
jnlmes dans notre bouche une seconde fois pour les i;assu-
rer. Ils se décidèrent à i^ianger les morceaux que nous
leur présentions, les trouvèrent bons et invitèrent les autres
à les imiter. £n quelques minutes, tout ce que nous
avions de galettes et de sucre fut dévoré, et ils s'en dispu-
taient entre eux les moindres bribes. Ce fut ainsi que, par
la grâce de Dieu et la protection de sa très sainte Mère, de
pauvres missionnaires isolés et sans armes purent, en quel-
ques moments, dompter ces anthropophages et se faire
d'eux des amis."
167
En effet les Australiens s'approchèrent de la cabane im-
provisée, examinèrent curieusement les instruments de
'travail et aidèrent les missionnaires à établir cette fragile
demeure sur des bases plus solides. On mangea, on dormit
ensemble, et la plus franche intimité régna bientôt entre les
natifs et les missionnaiies. Mais la faim ne tarda pas à
obliger les indigènes à se mettre en chasse ; car les proTi-
sions de la mission avaient promptement disparu devant
l'appétit de ces sauvages, les plus grands mangeurs du
mondé. On entra dans les bois, 'et les missionnaires par*
tagèrent dès lors tous les travaux et toutes les fatigues de
ceux qu'ils voulaient évangéliser. Souvent même ils por-
taient, califourchon sur leurs épaules, les petits enfants, et
ceux-ci les aimaient déjà autant que leurs propres parents»
tll'était une fête quand on débusquait un kangourou ou nu
opossum (espèce de seiigue); mais souvent on ne trouvait
pour les repas que des racines, des baies sauvages, des
lézards ou des vers de terre. Tout en cheminant dans les
bois, les missionnaires cherchaient à parler de Dieu et de
la religion chrétienne a leurs nouveaux amis ; malhen^
reusementy ne connaissant pas encore leur idiome, ils de-
vaient à chaque mot qu'ils entendaient le noter avec sa
signification, afin d'arriver à former peu à peu le vocabu-
laire australien commencé au débarquement.
L'ignorance du langage, la pénurie de la nourriture n'é-
taient pas les seules difficultés à vaincre dans cette vie ab-
solument nomade. La réfiexion d'un soleil ardent sur la
blancheur du sable causa bientôt aux missionnaires de
cruelles ophtalmies. La privation de l'eau, dans un pays
presque uniquement arrosé par les pluies êquinoxiales, les
exposa plus d'une fois à mourir de soif. Aussi la santé des
missionnaires se trouvait-elle déjà fortement éprouvée^ Le
Vé Salvado, qui était le moins malade, pensa qu'un peu de
bouillon ferait grand bien à ses confrères, et il partit un
Jour en chasse pour tuer un kangourou. H marcha long,
temps sans en rencontrer un seul. Découragé, il revenait
assez tristement, lorsqu^un vol énorme de perroquets blancs,
appelés kakatoès, vint s'abattre dans les bois qu'il traver-
.«ait Lançant alors avec vigueur son bâton ferré au milleo
168
de ces oiseaux, il en fit tomber deux des plus gros. Les
perroquets, qui étaient bien cinq à six miRe, se jetèrent
aussitôt sur lui avec fureur, et il ne put éviter d'être blessé
par leurs becs et par leurs serres qu'en exécutant avec son
bâton un rapide moulinet, et en courant d'arbre eu arbre,
jusqu'à ce qu'il se fût mis hors des atteintes de ses enne-
mis emplumés. Le bouillon qu'il &t avec la chair des
deux perroquets était délicieux et soulagea beaucoup ses
confrères. Il lui fut faeile de s'approvisionner de ce gibier ;
car ces oiseaux et des milliers d'autres venaient se désalté-
rer dans le petit étang voisin de la cabane des mission
Bâires.
L'on approchait de la fête de Pâques. Le F. Léandre,
voulant offrir pour ce grand jour un régal à ses deux Pères,
se lança, dès le matin du 11 avril, le samedi saint, à la
poursuite d'un kangourou. Quoique jeune, fort et plein
d'ardeur, il ne put l'atteindre, et l'agile animal, par ses
bonds et ses énormes enjambées, eut bientôt disparu dans
les bois.. Le F. Léandre s'égara. A la tombée de la nuit,
les deux missionnaires et le F. Gorman, ne le voyant pas
revenir^ furent dans des craintes mortelles. Ils parcouru-
rent les bois voisins en poussant de grands cris, et allumè-
rent des feux sur tous les monticules, mais l'écho seul leur
répondit, ou le sifflement moqueur de quelque kakatoès ré<
Yoillé par la lueur de la flamme. Le jour de Pâques se
passa fort tristement pour nos missionnaires, qui chantèrent
cependant avec courage la g rand'messe et les vêpres et fixent
à la Madone maintes prières pour retrouver leur jeune com*
pagnoD. Le lendemain, lorsque déjà ils pleuraient sa
perte^le F. Léandre arriva, accompagné de quelques sau-
vages.
Nous ne pouvons raconter en détail toutes les épreuves
et les souffrances des nouveaux missionnaires. Eux-mêmes
s'aperçurent, au bout de deux mois, que les fatigues de
cette vie des bois épuisaient leurs forces, sans grand résul-
tat pour la mission. Le P. Sàlvado s'offrii alors pour re-
tourner à Perth et en rapporter .'dès provisions qui leur
permettraient de reprendre quelque vigueur et de vivre
plus longtemps avec les sauvages, déjà devenus leurs amis.
169
^^ Je partis, nous dit-il, arec un naturel du pays, nommé
Bigliagoro, qui consentit à m^ servir de guide. Gomme
ses congénères, il n'avait en fait de vêtement qu'une cor*
delette en peau de kangourou pour retenir ses cheveux, et
je dus l'affubler d'une large pièce d'étoffe de laine. Dans
la route, qui fut longue, nous mangions ce que nous trou-
vions, c'est-à-dire le plus souvent des lézards ou des vers
de terre. Bibiiagoro me laissait toujours la meilleure part
de sa chasse : mais souvent mon estomac se révoltait Au
bout de quelques jours cependant, je pus le digérer, et je
dois même dire qu'un lézard grillé, ou un cuissot d'opos-
sum cuits sous la cendre dans une enveloppe de feuilles
vertes ne sont pas des mets trop désagréables surtout
quand on se trouve à jeun depuis le matin.
'* A la Duii tombanie, après la récitation de rofïice divin
et de mes prières, je m'endormais paisiblement sur l'herbe
et toujours la joie dans le cœur ; car je me sentais d'une
manière toute particulière sous la garde de la Providence»
Quant à mon guide, il continuait son repas qui ne devait
£nir, suivant la coutume de ces hommes voraces, qu'après
la disparition complète du gibier dont il était devenu le
maître. De temps à autre, il me réveillait et m'offrait ua
morceau de chair d^à tout mâché et me disait : ^^ Guaba^
guaba, nunda^ nalgOj'' c'est à-dire: "Prenez, prenez, ceci
est. fort bon." J'avais beau lui dire que je le croyais sur
jparole ; il fallait accepter et avaler ce qu'il cioyaît une vé-
ritable friandise."
CHAPITRE III
One soirée musicale à Perih. •— Retour du P. Salvado à la mission. —
Vie des missiomiaires avec les sauvages. — Fondation du monas--
1ère de la Nouvelle-Nursie. •
Arrivé à Perth, le P. Salvado fit connaître V Mgr Bradj^
la détresse des missionnaires. L'éveque en fut émn jus-
qu'aux larmes 5 malheureusement ses modiques ressources-
étaîent à peu près épuisées. Aussi voulait-il rappeler le P-
Serra et ses compagnons. Mais le P. Salvado Jui déclara,
avec une respectueuse fermeté, qu'ils subiraient les derniè-
res extrémités plutôt que d'abandonner l'œuvre commen-
cée. Alors Mgr Brady promit de recommander en chaire
la mission australienne, et le P. Salvado se disposa à faire
une quête à domicile. Mais les catholiques étaient en pe-
tit nombre et peu favorisés des dons de la fortune ; le pro-
duit des quôtes et du sermon fut très-minime.
Il vint en pensée au P. Salvado de donner une soirée-
musicale. Très habile pianiste et connu pour tel en Espa.
gne et en Italie, il savait que l'annonce d'un concert serait"
bien accueillie des protestants. Mgr Brady approuva cette
idée, et toute la ville de Perth, sans distinction de religion^
s'y associa avec un élan remarquable. Sir Clarke, le gou-
verneur, accorda gracieusement la salle du tribunal ; le
lithographe, quoique méthodis'e, voulut imprimer gratui-
tement le programme et les cartes d'invitation. Le minis-
tre anglican lui-même prêta, sans qu'on les lui demandât^
fes tapisseries de son temple, et son sacris*ain se chargea
de l'illumination. Enfin un juif, appelé Samson, promit
d'établir le contrôle à la porte et de maintenir l'ordre dan»
la salle.
Le P. Salvado emprunta un piano aux Religieuses de la
Merci, et, le 21 mai, il se présenta à la nombreuse assem-
blée réunie dans la salle du tribunal transformée en salle
de concert. Il avait gardé son habit bénédictin. '^ Mais^
nous racontaitil lui-même, dans quel état me trouvai-je,
après trois mois de séjour dans les bois de l'Australie? La.
tunique, tout en lambeaux, me descendait à peine aux gé—
171
HOUX ; mes bas, que j'avais essayé de raccommoder avec
des fils ou des ficelles de toutes les couleurs, présentaient
les plus étranges bigarrures ; quant aux souliers, ils étaient
percés en plusieurs endroits et laissaient à découvert les
"doigts des pieds. Ajoutez à cela une grande barbe inculte,
la figure d'un charbonnier et les mains d'un forgeron.
J'étais un objet digne à la fois de compassion et de risée.
Cependant des applaudissements universels m'accueillirent
et me donnèrent nn peu de courage."
Durant trois heures, le P. Salvado tint son auditoire sous
le charme de ses brillantes improvisations. Les habitants
de Perth montrèrent leur satisfaction en faisant une col-
lecte dont le produit, joint au prix des places, forma une
assez jolie somme. Mais rien ne toucha plus le cœur du
P. Salvado que la charité d'une brave Irlandaise. Voyant,
à l'issue du concert, le missionnaire si pauvrement chaus-
sé, elle lui donna sur le champ ses propres souliers, qui
étaient larges et solides, et elle s'en retourna gaiement à sa
demeure les pieds nus.
Le produit de la soirée musicale permit au P. Salvado
de faire les empiètes nécessaires à la mission : provisions
de bouche, vêtements, semences, instruments aratoires, etc.
Le tout fut placé sur un chariot traîné par deux bœufs, que
suivaient deux chèvres et leurs chevreaux ; et le mission-
xiaire partit fort joyeux. Mais la saison des pluies était ar-
rivée, car on se trouvait au mois de juillet, qui correspond
dans cet hémisphère à notre mois de janrier. Après avoir
été mouillé tout le jour, le P. Salvado ne pouvait reposer,
la nuit, que sur son char, tant le so! était détrempé; et toutes
les demi-heures, pour empocher ses bœufs, qu'il laissait
paître à l'aventure, de trop s'écarter, il devait descendre à
terre et se mettre parfois dans l'eau jusqu'aux genoux. Le
'ciel lui réservait une autre épreuve. Les traces du pre-
mier passage formaient seules la route à suivre. Dès le
deuxième jour du voyagé, l'eau couvrant une partie de la
plaine qu'il traversait, il ne put les retrouver et se perdit
complètement ^^Ce fut un terrible moment, dit le mis-
sionnaire. La pensée de me trouver sans guide dans cette
Taste solitude et par un temps pareil troubla mon esprit,
■^t je ne sarais que faire. Je me jetai à genoux, et, les
mains et les youx levés aa ciel, ja demaadai à Dieu de venir
à mon aide : Deus in adjutorium w%eum inttndc^ Domiike^ ad
ndjuvandum me festina. Cette caurte prière me doaaa da
cœur, et, prenant mes bœufs par les cornes, je leur fis faire
▼olte face et revins sur mes pas. Après une marche de
quelqaes milles, je retrouvais les marques de notre premier
passage et je pus continuer ma route avec sécurité.'*
La pluie avait cessé ; mais le sol inondé en grande par-
tie, les torrents, les étangs grossis par les orages fréquents
de cette saison obligèrent plus d'une fois l'intrépide mis-
sionnaire à se dépouiller de presque tous ses vêtements
-pour les traverser à gué ou à la nage. Parfois le courant
était si rapide, qu'il devait s'accrocher aux arbres de la rive
pour n'ôtre pas emporté.
L'aventure la plus fâcheuse de ce pénible retour lui ar-
riva au passage d'une plaine marécageuse où le char s'ea
fonça jusqu'aux essieux et les bœufs jusqu'au poitrail. Les
pauvres animaux ne purent se dégager malgré tous leurs
efforts, et quoique le P. Salvado les eût dételés, '* Je crus>
dit-il, que, dans une pareille extrémité, il fallait employer
les moyens les plus énergiques. «Te plaçai donc au dessous
de la croupe de ces animaax un fagot de feuilles sèches et
de petits bois et j'y mis le feu. Les bœufs, sentant la
jDamme atteindre leurs poils et leur chair firent des efforts
désespérés et parvinrent enfin à sortir du bourbier. Mais
ils étaient furieux et poussaient d'affreux mugissements;
aussi je crus, prudent de passer la nuit suc un arbre^ afin
de me soustraire à leur trop juste ressentiment Le lende-
main, le temps s'était mis au beau, et mes pauvres bœufs^
qui se léchaient -encore les flancs pour guérir leur brûlure^
semblaient apaisés. Ils refusèrent toutefois si obstinément
de se laisser atteler, que je dus laisser le char enfoncé
-dans la vase, où il demeura jusqu'au printemps. Je char-
geai sur. le dos des bœufs une partie des provisions et des
instruments aratoires, et, prenant moi-môme sur la tôte la
cage des poules, sur le dos le sac qui contenait un chat,
destiné à faire la guerre aux souris qui dévoraient jusqu'à.
nos vôtementS) jo tenais (an laisse un gros chien et l'unique
ohèvre qui m» restait avec son chevreau. Ce fut dans
cet équipage que je m'acheminai lentement vers la missioa*..
m
J'y trouTai mes compagnons dans la tristesse. Dieu venait
de les éprouver vivement par la mort du catéchiste irlan-
dais, le Fr. Gorman."
Cette douloureuse circonstance engagea les deux Béné-
dictins à quitter un lieu qui ne leur rappelait plus que de
pénibles souvenirs et dont l'aridité d'ailleurs se prêtait mal
à l'agriculture. Ayant choisi un autre site qui paraissait
favorable au labour, ils construisirent promptement,
avec l'aide de quelques sauvages, une nouvelle case, et,
dès le mois d'août 1846, ils se mirent à cultiver le sol aus-
tralien. Le P. Serra conduisait les bœufs et le P. Salvado,
plus vigoureux que son compagnon, tenait les manchons
de la charrue. C'était un travail assez pénible sur un ter-
rain vierge encore de toute culture et parsemé de brous-
sailles. Leur labeur opiniâtre fut récompensé. Au mois
de septembre, ils avaient labouré et ensemencé deux
champs de blé, planté 900 pieds de vigne, 600 arbres frui-
tiers, semé 3,000 noyaux d'olive et piqué une grande varié-
té de légumes. Déjà ils voyaient verdoyer leurs semences,
au grand étonnement des indigènesi et ils pouvaient espé-
rer, grâce à la douceur du climat et à la fertilité du terroir,
une prompte et abondante moisson.
Tout leur temps n'était pas occupé aux travaux agricoles.
lis étudiaient la langue, les coutumes et les croyances
des sauvages, a&n de pouvoir leur faire connaître la reli-
gion chrétienne, afin de pacifier leurs querelles toujours
fréquentes et de les secourir dans leurs maladies. Pour
prévenir des disputes qui finissaient toujours par des com-
bats sanglants, les missionnaires avaient exigé que toutes
les armes des sauvages, qui vivaient auprès d'eux, fussent
déposées dans leur cabane. Si des indigènes étrangers à
la missioH venaient troubler la bonne harmonie, les femmes
des sauvages à demi-civilisés prévenaient les Pères en
toute hâte. Us se rendaient aussitôt sur le lieu du combat,
et presque toujours leur seule présence l'arrôtaU:. Parfois
cependant les sauvages étaient si animés les uns contre les
autres, qu'ils ne voulaient pas se séparer. Il fallait alors
qoe les deux moineis, le crucifix à la main, se jetassent au
milieu des combatti^nts^ au risque de recevoir «n coup de
lance ou d'avoir la tète écrasée par leur terrible bomerang.
174
*' 0 Dieu de miséricorde, s'écrie le P. Salvado, c'est bien
TOUS seul qui rendiez ces bommes, si barbares et si intré-
pides même devant les soldats de l'Angleterre, doux et pa-
tients envers nous, au point de se laisser arracher par deux
moines sans armes leur guichis^ et de se séparer à notre
voix."
Le combat fini, les missionnaires prenaient les blessés
sur leurs épaules, les portaient dans la cabane, et ban-
daient leurs plaies sanglantes, après les avoir lavées et
adoucies, comme le bon Samaritain, par un peu d'haile et
de via. Presque toujours la guérison suivait ce traitement »
En voici des exemples :
Les PP. Serra et Salvado étaient à réciter l'office de ma-
tines, à l'aube du jour, lorsqu'uoe femme sauvage accourut,
tout en larmes, disant que son fils venait d'être percé d'un
coup de lance et qu'il se mourait dans le bois voisin. Les
missionnaires s'y rendirent promptement, prirent le jeune
homme dans leurs bras et l'apportèrent dans la cabane
La blessure, dans l'aine, était fort grave. Le P. Serra rap-
procha les chairs, cousit la peau avec un fil de soie, et le
P. Salvado oignit la plaie avec de l'huile d'olive. On fit
prendre au malade un purgatif et ensuite une tasse de th6«
Sa mère et les autres femmes, croyant qu'il allait mourir,
le pleuraient suivant leur usage avec force lamentations.
Le lendemain, le blessé allait déjà mieux. On lui donnait
seulement du thé trois fois par jour, et une petite soupe au.
riz, vers midi. Au bout d'une semaine, le jeune sauvage
était guéri et retournait dans les bois. Mais il se souvint
de ses charitables médecins, et les suivit plus tard en Ea-
rope, pour entrer dans l'Ordre de Saint-Benoit.
Une autre fois, c'était un chef australien nommé Duer-
gan, qui arrivait à la cabane de la mission, porté à caUfour^
chon par sa propre femme. Il était atteint d'une maladie
de poitrine, déjà très-avancée. Soumis au même régime
que le jeune sauvage durant trente jours, il se trouva par-
faitement guéri. Dans sa joie naïve, il disait aux Pères :
** — Vous m'avez-enievé mon mal ; eh bien ! tout ce qui est
à moi est à tous ; ma femme est votre femme, mes enfants
sont vos enfants, mes armes sont vos armes, ma chasse es
votre chasse."
175
Nous ne pouvons douter, comme l'avouaient eux-mêmes
les PP. Serra et Salvado^ que la Providence ne vint en aide
à leur médecine improvisée et ne donnât une efficacité par-
ticulière à dps remèdes aussi simples que Thuile, le thé et
la soupe au riz. Le résultat de ces guérisons fut très-fa vo*
rable à Tévangélisation des sauvages qui regardaient déjà
les missionnaires comme des êtres surhumains et les écou-
taient toujours très-volontiers parler de religion. Il surgi-
cependant une grave difficulté. Les Australiens disaient
aux missionnaires : ^^ Nous voulons croire au Dieu Jésus ;
mais donnez-nous d'abord à manger, car nous avons grand
faim, et, si nous n'allons pas à la chasse, nous mourrons
ainsi que nos femmes et nos enfants." Les PP. Serra et
Salvado avaient essayé de les suivre dans leurs chasses ; ils
ne tardèrent pas à reconnaître que c'était s'imposer des fa-
tigues inutiles. Outre les difficultés de cette vie nomade,
qui ne permettait que rarement l'échange de quelques pa>
rôles sur la religion, il aurait fallu que les missionnaires
eussent leur nourriture assurée ; car l'Australie n'est pas
un pays giboyeux comme l'Amérique. Au reste, l'ôvangé-
lisation monastique, qui a changé la face de l'Europe du
Yr> au ix^ sièck, n'a jamais procédé de cette manière. Les
Augustin de Cantorbéry, les Willibrod d'Utrecht, les Boni-
face de Mayence, les Anschaire, les Adalbert, les Othon et
tous les grands moines-apÔtres commençaient par fonder
un monastère, un centre d'action religieuse et civilisatrice,
d'où ils rayonnaient dans tous les pays d'alentour. Les
PP. Serra et Salvado résolurent de suivre ces exemples de
leurs ancêtres. La nécessité, d'ailleurs, allait les y con-
traindre: leurs provisions se trouvaient de nouveau épui-
sées, et leurs vêtements mêmes tombaient en lambeaux.
^^ Notre tunique et notre scapulaire, écrit le P. Salvado, dé-
chirés en cent endroits, descendaient à peine à la ceinture.
Le vêtement que les Anglais appellent ^^ indispensable "
était en si mauvais état que nous avions dû le raccommo-
der avec des morceaux de peau de kangourou. Les sou-
liers étaient usés depuis longtemps, et, pour ne pas nous
mettre les pieds en sang dans ce pays de ronces et de brous-
sailles, nous avions confectionné, tant bien que mal, des
flemelles de bois que nous recouvrions avec de la peau de
17«
I
kangourou, dont les nerfs nous servaient de lanières ponr
les attacher comme le cothurne des anciens. Quant à nos
chapeaux, ils n'avaient plus de forme. Nos chemises, qui
étaient en laine et que nous portions depuis trois mois,
avaient seules résisté à cet anéantissement presque total de
notre garde robe. Toutefois, notre santé ne souffrit jamais
de tant de privations. La Providence veillait sur nous."
Cependant les deux moines bénédictins s'étaient rendus
à Perth pour consulter leur évoque. Mgr. Brady approuva
leur pensée de fonder un établissement agricole qui servi*
rait de centre à la mission. Une allocation de 5,000 fr., qui
leur fut attribuée par les Conseils de la Propagation de la
Foi, vint fort à propos leur permettre de commencer cette
fondation. Mais, à leur retour (20 décembre 1846), ils trou-
vèrent leur petite plantation entièrement ravagée par un
troupeau de chevaux sauvages, qui avaient piétiné les
champs ensemencés et renversé la cabane des mission-
naires. En même temps le magistrat du district leur
fit signifier que ce terrain était réservé comme pâturage el
qu'ils eussent à l'abandonner. Ainsi, après tant de fatigues
et de travaux, les pauvres moines n'avaient pas même la
satisfaction de récolter ce qu'ils avaient semé à la sueur de
leuf froDl.
Ils ne se découragèrent point. Ayant obtenu du gouver
nement colonial la concession de quarante acres de terre
auprès de la rivière Moore, dans le lieu appelé Vittoria-
Plains, ils y commencèrent, le 2 janvier 1847, la construc-
tion d'une cabane. C*était leur troisième essai de coloni-
sation. Se mettant courageusement à l'œuvre, ils arrachè-
rent les eucalyptus séculaires et les nombreux accaoias qui
couvraitnt les rives de la Moore, et ils eurent bientôt pré-
paré trentre-quatre acres de terrain pour le labour. L'au-
omiie avançait ; car on se trouvait au mois de mars qui,
en Australie, correspond à notre mois de septembre. Aidés
par plusieurs colons irlandais et français de Perth, les mis*
sionnaires purent construire une case plus spacieuse et
une étable pour les bestiaux. Au mois de février, Tasped
d«s rives de la Moore avait entièrement changé. On
aurait pu ss croire auprès d'une ferme d'Europe ; tout
était ea moavement Les eolons de Perth construisaient de
177
longs pans de muraille^ les sauvages abattaient de grands
^arbres, pendant que les moines c<onduisaient la charrue et
<[ue des enfants du pays surveillaient le troupeau.
Ce fut le 1er mars 1857, jour anniversaire de l'arrivée des
Bénédictins dans les solitudes de l'Australie occidentale,
-que les PP. Serra et Salvado posèrent la première pierre
<le leur futur monastère. Ils y mirent une médaille du
glorieux saint Benoit et résolurent de l'appeler la Nouvelle
iMursie, en souvenir de la petite ville de l'Italie centrale où
naquit le patriarche des moines d'Occident. L'église devait
être dédiée à la Très-Sainte Trinité et à l'Imaculée-Concep-
tion. Après cinquante jours d'un travail continu, l'édifice
claustral fut terminé pour le gros oeuvre en briques et en
bois. Il mesurait 40 pieds de long, 16 de large et 14 de
haut. Les maçons, charpentiers et serruriers, qui avaient
prêté leur concours avec tant de générosité à la mission
bénédictine, retournèrent à Perth, et, le 26 avril, les deux
moines purent dormir dans leur petit monastère quoiqu'il
ne fût encore couvert qu'à moitié. Leur joie était grande.
^ Nous pensions, disait le P. Salvado, être rentrés dans
notre belle abbaye de Saint-Martin de Compostelle."
Durant toute la construction, il s'était produit un fait
assez remarquable et qui semble peu éloigné du miracle*
Un habitant de Perth avait donné an P. Salvado un chien
que l'on disait excellent pour lâchasse des kangourous;
«n réalité il n'en avait pas pris un seul, pendant les deux
premiers essais de colonisation. Les ouvriers furent à
peine arrivés, qu'on le vit partir tous les matins pour la
chasse, e^, le soir, il revenait avec le sauvage qui le suivait
€t qui portait un kangourou pesant cinquante livres et plos*
Ljes dix-sept personnes qui étaient alors à la mission se trou-
vaient ainsi abondamment fournies de viande fraîche;
Lorsque le nombre des ouvriers commença à diminua,
Pompée, c'était le nom du chien, ne prit que des kangou-
rous de moindre grandeur et dont le poids était toujours
f roportionné au nombre des convives. Enfin, lorsque la
construction €ut terminée, te pauvre bête perdit un œil et
n'alla plu^ à la chasae; Nous dirons donc, comme le P. âid-
T#do: '^ Qui ne voit ici une attention aimable de la Pro--
Tidence pour les ouvriers de la vigne du Seigneur ? "
CHAPITRE IV
Progrès de la mission. — Mœurs et croyances des sauvages.
Un synode à la Nouvelie-Nursie.
Les AustralieDs admiraient les constructions du monas-
tère, car ils ne connaissaient auparavant que leurs huttes-
de feuillage. Ils venaient en grand nombre le visiter et
plusieurs d'entre eux se fixaient déjà auprès des mission-
naires. Le P. Serra dut aller à Perth demander la con-
cession d'un nouveau terrain. Le gouverneur par inlérim,
sir Irwin, accorda, gratuitement et à perpétuité, à la co-
lonie monastique de la Nouvelle-Nursie, trente acres de
terre cultivables, à côté de la concession primitive, et de
plus l'usage de mille acres de prairie pour l'élevage du
bétail acheté aux colons anglais. Ces troupeaux, qui
devaient rendre tant de services aux moines espagnols,,
furent conduits par quelques fermiers, qui après leur avoir
fait traverser le Swan-River, les remirent au P. Salvado*
et à ses travailleurs indigènes.
Au mois de juillet 1847, les PP. Serra et Salvado, aidés par
les sauvages, avaient déjà ensemencé trente-quatre acres
et les indigènes, qui arrivaient chaqne jour d«» l'intérieur
saisis d'admiration à la vue de la moisson qui grandissait,
offraient à l'envi leurs services aux Bénédictins labou-
reurs.
L'intimité qui commençait à s'établir permit aux deux
missionnaires de s'informer assez sûrement des croyance
Teligieuses des indigènes.
• ** Pour obtenir quelques explications sur ce point, mal-
gré toute la réserve des sauvages, raconte le P. Salvado,
je fus obligé d'user de ruse. Un soir, après avoir admis
à nôtre frugal repas des indigènes qui paraissaient jouir de
la considération générale, je leur dis :
** — Moi, tel que vous me voyez, je ne suis pas seul,
comme vous croyez ; mais je suis deux en un. "
^^ Cette déclaration fut accueillie par un rir^ général.
** — Riez tant que vous voudrez; je vous le répète, je*
*• suis deux en un; d'abord, ce grand corps que vous-
179
"^^ TOjez, et là, dans rintérieur, un autre petit âtr» que Yons
*^ ne voyez pas. Le premier finit par mourir, et on le dé-
^^ posé dans la terre ; mais le second ne meurt pas, il s'é»
'^^ loigne quand le corps vient à mourir.
(« — Oui, oui I répondirent les sauvages, nous aussi nous
'^' sommes deux, et le plus petit des deux habite dans notre
-*' poitrine.
*' — Celui-là, comment l'appelez- vous ?
** — Cacùu
" — Et où va-t-il après la mort ?
^^ — Il se sauve dans des bois, répondirent les uns.
" — Il va sur la mer, afBirmërent d'autres.
'^ Quelques-uns ne savaient pas ce qu'il devenait J'arrêtai
là mes interrogations ; mais, dans la suite, je pus obtenir
des détails plus circonstanciés de deux Australiens qui
«'étaient faits mes an^is. Voici ce qu'ils m'apprirent. Lors-
qu'un indigène vient d'expirer, son âme demeure sur les
branches des arbres qui environnent la case et chante d'un
ton lamentable comme un oiseau blessé, jusqu'à ce qu'elle
soit recueillie par un passant. Dès que Ton apprend qu'une
âme voltige ainsi de branche en branche, plusieurs sauva-
ges viennent à la file, courbés en deux, frappant deux petits
morceaux de bois l'un contre l'autre et disant à demi-voix :
*^ Pst...pst... pst..." L'âme quelquefois demeure sur l'arbre
sans répondre à l'invitation ; le plus souvent elle entre dans
la bouche du premier de la file, sort par l'autre extrémité*
entre dans la bouche du suivant, en sort de la même façon,
€t ainsi de suite jusqu'au dernier où elle reste définitive*
ment. Je n'ai pas voulu omettre cette singulière croyan-
ce, parce que, malgré son étrangeté, elle montre la foi des
sauvages australiens à l'immortalité de l'âme et à sa trans-
migration dans d'autres corps. "
Au mois d'août, les Bénédictins de la Nouvelle-Nursie
^eurent la joie de recevoir dans leur monastère naissant
Mgr Brady. L'évèque de Perth fut émerveillé des progrès
de la mission et du travail accompli dans l'espace de hui^
mois. Il constata-surtout avec une grande joie l'amélioration
morale et civile des sauvages, qui, encore anthopophagea
j'année d'auparavant, se livraient aujourd'hui paisiblement
180
aux soins de Taigriaulture. Peu après le départ de Mgr
Brady, le P. Salvado se readit à Perth ponr acheter des se-
-menées. Il emmenait avec lui, dans son char à bœufs, une
petite sauvage orpheline du nom de Cuchina, qui s'était ré-
fugiée à la mission, parce qu'elle n'avait rien à manger.
Au passage de l'Àvon, le missionnaire engagea ses bœufs
dans le gué ; mais les grandes pluies qui étaient tombées
depuis quelques jours avaient gonflé ce cours d'eau, et le P.
Serra vit son char aller à la dérive. Il se hâta de dételer
les hœufs, se jeta lui-même à la nage avec la petite sauvage
sur son dos et parvint à gagner le bord. Il avait encore à
faire deux journées de marche. Eufin, Il ariiva à Perth,
portant sur ses épaules, comme le bon Pasteur, la petite
krebis arrachée par sa charité à une mort certaine ou à la
barbarie. Mgr Brady accueillit paternellement la jeune
Cuchina et la confia aux Religieuses de la Merci, qui la
préparèrent au baptême, Cette cérémonie eut lieu solen-
nellement en présence de tous les catholiques et de bon
nombre de protestants. On donna à la petite Cuchina, alors
âgée de six à sept ans, les noms de Marie Christine, et elle
fut ainsi comme les prémices de l'apostolat bénédictin en
Australie.
Au retour du P. Salvado à la Nouvelle-Nursie, à la fin
de novembre, on commença la moisson. Les sauvages in»
▼ités à y prendre part surent bientôt manier la faucille aus-
si adroitement que les Pères. Comme ou se trouvait dans
les jours les plus chauds de l'été australien, les PP. Serra et
"^Salvado mettaient à profit le repos du milieu du jour pour
enseigner les vérités du salut aux indigènes, qui écoutaient
Tolontiersces instructions. L'un d'eux ayant reçu une bles-
sure mortelle à la chasse, les missionnaires le trouvèrent
assez instruit pour le baptiser et lui ouvrir la porte du cieL
Un événement merveilleux devait marquer cette premiè-
re moisson de la colonie monastique. Un jour, assis à
l'ombre d^un vieil eucalyptus, les deux missionnaires s'en-
tretenaient de religion avec leurs travailleurs, lorsqu'ils
entendirent de grands cris et virent arriver une femme
sauvage, les cheveux^pars, qui fuyait la poursuite d'un io-
digène. Celui-ci allait l'atteindre de sa lûnguç lance. Les.
FP. Serra et Salvado se précipitèrent à sa rencontre et par-
vinrent à contenir ce furieux, qui voulait tuer sa feoime
pour je ne sais quelle offense. La malheureuse s'était ré-
fugiée dans le monastère dont la porte se referma sur elle
au môme instant. Le mari, voyant sa vengeance lui
échapper, s'éloigna en proférant les plus horribles menaces
lie lendemain, au moment du départ pour la moisson, des
tourbillons de fumée et de flammes s'élevèrent dans les
hautes herbes d'une plaine voisine, et, poussées par le vent,
s'avançaient vers la mission. Éperdus, les missionnaires
et leurs fidèles sauvages s'élancent au devant du feu pour
couper les buissons et les broussailles qui pouvaient le com-
muniquer aux champs de blé. Mais le fléau dévastateur
l'emporte sur tous leurs efforts, et, les cheveux et la barbe
à moitié brûlés, ils voient avec désolation le fruit de tAUt
de travaux menacé de périr en un instant Dans cette ex-
trémité, le P. Salvado court à la pauvre chapelle de la mis-
sion, prend sur l'autel un tableau représentant la Madone
et Iej)orte à l'endroit le plus menacé, l'opposant aux
flammes comme un bouclier protecteur. Le vent, jusqu'a-
lors très* violent, change tout à coup de direction et pousse
l'incendie sur un bois voisin sans toucher aux champs
de blé. Les sauvages, qui tenaient encore leur faucille à
la main, ne pouvaient en croire leut's yeux. Us regar-
daient la. sainte image avec admiration : ^' Cette femme
blanche est bien puissante 1 C'est elle qui l'a fait, oui, elle
l'a fait. Nous, nous n'en ferions pas autant. " On sut,
quelques jours après, que l'incendie avait été allumé par
le sauvage dont la femme était réfugiée à la mission»
Hais, lorsqu'il eut connaissance du prodige, ce sauvage
en fut si frappé, qu'il vint demander pardon de son crime
aux Bénédictins ; et depuis, Munanga, c'était le nom du
coupable, fut un de leurs plus utiles auxiliaires.
Se voyant entourés d'une troupe nombreuse de sauvages,
les missionnaires résolurent de profiter de la belle saison
pour ouvrir une route directe de la Nouvelle-Nursie à la
Tille de Perth. Le P. Salvado se chargea de l'exécuter,
ficoutons-ie nous raconter comment il s'y prit.
''Ayant fait provision de farine, de sucre et de thé, je-
182
'partis avec quatorze sauvages munis de leurs instruments
de travail. Je disposai mes travailleurs de la manière 8oi>
vante : deux étaient chargés d'aller à la chasse des kas-
gourous pour nous fournir de la viande fraîche ; quatre
partaient en avant pour frayer le sentier et abattre les
arbres ; et hui) se reposaient près du char des provisions.
"Quand les six premiers étaient fatigués, ils venaient se re-
poser auprès du char, et six autres les remplaçaient Ea
trois jours, la route fut tracée, de la Nouvelle-Nursie à la
première station des colons de Perth, sur une longueur de
40 milles (10 lieues). J'avais dirigé mes sauvages avec
l'expérience que m'avaient donnée mes fréquents voyages
à Perth, et l'ingénieur de la colonie fit classer plus tard ce
chemin parmi les routes du pays, comme étant la plus
courte et la plus commode que Ton pût établir. Désormais,
au lieu d'une semaine entière, il ne fallut que trois oa
quatre jours pour se rendre à Perth.
" Durant ce travail, j'eus l'occasion d'observer quelques
coutumes des Australiens. Le matin du deuxième jour,
nous rencontrâmes une troupe de sauvages qui nous étaient
entièrement inconnus. Seul un de mes travailleurs les
connaissait un peu. Ce fut lui qui aborda le chef et lui
expliqua qui nous étions et ce que nous faisions en ce lieu.
Aussitôt grand échange de civilités. Le chef s'approcha
du principal de mes sauvages et l'embrassa affectueusement
^n le tenant cinq ou six minutes dans ses bras. Il en fit
autant à tous les autres. Ces embrassades terminées, le
chef des sauvages étrangers dit aux miens d'un air digne
et respectueux : " — Mon feu est votre feu ; moi et mes
" parents, nous demeurons ici : mais, vous, allez, venez,
^' restez ici ou partez, vous êtes ici les maîtres ; car nous
^* sommes devenus grands amis." Puis, ils s'assirent pour
goûter à nos provisions, quoiqu'ils eussent déjà mangé un
kangourou ; car l'estomac de l'Australien, souvent con.
damné au jeûne, est toujours d'une merveilleuse élasticité.
** Dans cette môme rencontre, un de mes sauvages, ayant
• vu arriver la veuve d'un de ses amis, la pril aussitôt pour
femme, bien qu'il en eut déjà quatre. Comme je lui eu
•demandais la raison: " — C'est, me dit-il, pour qu'elle ne
183
^ soit pas sans protection ; c'est mon devoir, puisque l'ai-
^^inais beaucoup son mari/' De fait, les Âustraliensr
qui n'ont ordinairement qu'une femme ou deux, peurent
se trouver, par suite de la mort d'un ami ou d'un parent^
en posséder jusqu'à six ou sept. Elles font partie de l'hé-
ritage comme un meuble ou une arme de chasse."
Une œuvre, beaucoup plus importante que le tracé d'une
route, était inaugurée dans le monastère de la Nouvelle-
Nursie, le 8 décembre, fête de l'Immaculée Conception, de
cette année 1847. Nous voulons parler de l'ouverture
d'une école pour les petits sauvages. De ce jour date la
rénovation religieuse et civile des Australiens ; car l'édu-
cation d'un peuple barbare ne peut commencer sérieuse-
ment que par l'enfance. Donc, le 8 décembre, trois jeunes
sauvages furent admis, avec le ronsentement de leur fa-
mille, à partager la vie des moines bénédictins et ne tar-
dèrent pas à recevoir le baptême. Pour fêter cet heureux
érénement, les PP. Serra et Salvado firent aux sauvages
une distribution de soupe, et, grâce à l'abondante récolte
de l'année, ils purent désormais la continuer chaque jour.
Dès qu'on connut ces largesses quotidiennes, il y eut grand
empressement à profiler du nalgo ou de la moragna^ c'est-
à-dire de la bonne soupe ; et les missionnaires trouvaient
ainsi deg auditeurs toujours attentifs à leurs instructions
religieuses. Plusieurs même consentaient à vivre sur la
mission, en y travaillant dans la mesure de leurs forces..
Cétait déjà une transformation de la vie nomade en une
existence à demi civilisée ; et, quand on voyait les petits
Australiens servir avec grande attention la messe, et mêler
leur voix naturellement musicale aux chants des moines,
eux qui fuyaient quelques mois auparavant les Européens
comme des animaux féroces, l'on pouvait croire que PAus-
tralie occidentale allait sortir enfin des ombres de la mort
où elle était assise depuis tant de siècles.
Les missionnaires ne tardèrent pas à prendre une mesure
qui fut un nouveau progrès dans la voie de la civilisation..
Les sauvages se couvrent, i'hiver, de peaux de kangourous ;
mais, l'été, hommes, femmes et enfants vont et viennent
dans l'état de pure nature, sans y voir de mal. Les PP.
184
Serra et Salvado décidèrent que quiconque se présenterait
à la mission, pour avoir une portion de soupe ou pour tra«
vailler, devrait être couvert du manteau de kangourou»
^' Mais, écrit le P. Salvado, nous leur dîmes seulement que
c'était une politesse à notre égard, afin dç ne pas leur ap-
prendre ce qu'ils semblaient ignorer. En effet, je me sais
trouvé des centaines de fois obligé de passer la nuit avec
des familles de sauvages, en plein air dans les bois, comme
dans leurs huttes de branchages, et jamais je n'ai vu parmi
eux la moindre action déshonnête."
Nous avons maintenant à raconter un événement qui
devait accroître encore les heureux résultats déjà obtenus
par les missionnaires. Il s'agit du premier synode da
diocèse de Perth, que Mgr Brady voulut tenir à la Nou-
velle Nursie. Le 13 janvier 1848, le vénérable prélat as-
sisté de son vicaire général, le R. P. Joostens, et des PP-
Serra et Salvado avec quelques catéchistes à peine engagés
dans les ordres, ouvrit, selon les rites accoutumés, la pieuse
assemblée qui dura trois jours. Dans les deux premières
réunions, on s'occupa des affaires du diocèse ; les trois. sui-
vantes furent consacrées à la mission bénédictine. On
déclara que la règle de saint Benoît, qui partage la vie des
moines entre la prière et le travail et qui fait bientôt du
monastère une véritable cité, était parfaitement appropriée
à l'essai d'évangèlisation et de civilisation de la race aus-
tralienne que l'on tentait depuis un an. Les missionnaires
furent ensuite autorisés à faire l'acquisition d'un plus vaste
terrain qui permettrait de donner de l'extension à la mis-
sion bénédictine et qui l'isolerait des terres à pâturage,
exploitées par les Européens, toujours trop enclins à per-
vertir les sauvages ou à les persécuter. Le P. Serra devait
partir pour l'Europe, afin de réunir la somme d'argent né-
cessaire à cette acquisition et de soumettre à la Propa-
gande quelques questions touchant la conduite à tenir avec
les sauvages danjs certains cas particuliers.
A la suite du synode^ le P. Salvado put acquérir 2,560
acres de terres labourables et de pâturages à raison d*une
demi-livre sterling par acre, ce qui devait l'obliger à payer
au gouvernement de la colenie la somme de 32,000 £^,
186
mais à des époques éloignées. Cette acquisition le rendait
maître de 1,280 hectares formant une superficie de douze
lâloniëtre& Le P. Serra s'embarqua aussitôt au port de
Fremantle avec le jeune sauvage Upumera, guéri par les
missionnaires et baptisé sous le nom de Benoît. Le P. Sal*
Tado retourna à la Nouvelle-Nursie avec un nouveau mis-
sionnaire, le P. Fowler, et deux catéchistes.
CHAPITRE V
Apprentisage de la vie agricole. — Sort de la femme. sauvage-
Anthropophagie.
De retour à la Nouvelle-Nursie ver« Tépoque des semail-
les, le P. Salvado assigna une portion de terrain à chacun
des sauvages qui l'avaient aidé depuis rétablissement de la
mission. C'était les arracher d'une manière définitive aux
hasards et aux dangers de la vie nomade. Flattés de se voir
presque propriétaires, les sauvages se mirent à l'œuvre
avec ardeur, et bientôt leurs lopins de terre furent défrichés
et ensemencés.
Le P. Salvado, encouragé par ce premier succès, résolut
de leur donner quelques sous poiir prix de leur travaiL
En même temps, il fallut leur faire comprendre que, avec
cet argent mis en réserve, ils pouvaient se procurer des
objets d'utilité ou d'agrément : une poule, une brebis, un
porc ou même une vache et un cheval. L'idée leur parut
excellente ; mais ils prièrent le P* Salvado de garder cet
argent en dépôt. Le missionnaire se procura une caisse i
comp irtiments, et l'on y mettait, chaque samedi, la paie
des sauvages devenus cultivateurs. C'était plaisir de voir
ce jour-là leur joie enfantine, quand ils supputaient, avec
l'aide d'un catéchiste, combien il leur faudrait attendre de
semaines pour acheter un beau coq ou un porc gras. Eux
qui, l'année d'auparavant, plaisantaient les missionnaires
quand ils les voyaient labourer la terre ou déraciner les
arbres, ne pensaient plus à leur bois ni à la chasse du kan-
gourou ; ils faisaient déjà des rêves de propriétaire.
Un autre résultat de cet apprentissage de la propriété
fut de rapprocher les Australiens des Européens par des
rapports de commerce qui les plaçaient sur le pied de Vég^
lité civile. Avant l'arrivée des Bénédictins, les indigènes
étaient traités par les colons anglais, nous l'avons dit, ua
peu moins bien que des bétes de somme. Aucun d'eux
n'osait se hasarder hors des bois. Les PP. Serra et Salvado
en avaient déjà amené plusieurs à Perth et avaient su les
faire respecter. Dès lors, les Australiens ne craignirent
187
plus d^eatrer en relation avec les Anglais. Quand un-
indigène 'avait réuni une somme suffisante, il allaita Pertti
avec un billet du missionnaire, pour se procurer, chez tel
ou tel marchand, une belle chemise, de solides pantalons,
un grand chapeau, etc. A son retour à la mission, ainsi
vêtu à l'européenne, il excitait l'admiration de ses compa-
triotes, qui se promettaient de travailler courageusement,.
pour lui devenir semblable.
A propos de ce billet donné par le missionnaire aQn
d'empêcher les mauvais plaisants d'abuser de la simplicité
du sauvage, nous devons parler du respect presque supers-
titieux que les Australiens ont pour les lettres qu'ils appel-
lent des " papiers parlants ". En voici un exemple. Un
des bergers européens, employés par la mission, avait
trouvé une nichée de bandicoots^ jolis petits animaux assez
semblables à des rats mais sans queue. Il les envoya au
P. Salvado par un sauvage avec un billet. En route, l'Aus-
tralien laissa s'échapper une de ces petites bêtes. Le mis-
sionnaire reçut le présent, et, ayant lu le billet, dit au
sauvage : " — Mais, on me parle de quatre petits bandi-
coots, et je n'en vois que trois ; qu'est devenu le qua-
trième ?" A ces mots, le sauvage ouvrit de-grands yeux,,
une bouche plus grande encore, et regarda les assistants
d'un air stupéfait. '^ — Je le vois, reprit en souriant le P.
Salvado, lu as laissé échapper le quatrième." Ces paroles
mirent au comble la consternation de l'indigène ; il ne
pouvait s'expliquer comment le Père savait une chose qui
s'était passée dans les bois et loin de tout regard humain.
Aussi, les sauvages ne trouvaient-ils pas de meilleure
excuse quand on les accusait injustement, que de dire :
** — Prenez le livre ou la lettre qui parle, et vous verrez.
que j'ai raison."
L'ascendant que le P. Salvado exerçait sur les sauvages
allait donc toujours croissant. On lui croyait des connais-
sances universelles, surtout dans l'art de guérir les malades.
Nous avons vu qu'il avait opéré déjà des cures inespérées.
Mais, lorsque ces pauvres gens luidemandaient la guérisoa
de cruelles maladies, contractées par leur commerce avec
des Européens corrompus, il était obligé d'avouer son im-
188
puissance à les soulager. Cependant, la compassion que
ces maux lui inspiraient, le portèrent à demandTer à nn
médecin de Perth, de ses amis, quelques remèdes énergi-
ques, et il put ainsi rendre la santé à plusieurs Australiens
qui fréquentaient la mission. Le plus souvent, la guérîsoD
de rame suivait celle du corps, et les malades, qui voyaient
disparaître leurs ulcères, devenaient bientôt de fervents
néophytes. Un sauvage, dont le corps était- couvert de
plaies, arriva un jour à la Nouvelle-Nursie, porté par ses
quatre femmes. Le P. Salvado le soigna durant deux
semaines, et la guérison fut complète. Ne se possé-
dant pas de joie, le sauvage sautait, dansait, hurlait ses
chants de guerre ; enfin, pour témoigner à son charitable
médecin toute sa reconnaissance, il lui dit: " — Père,
soyez sur que, lorsque vous mourrez, j'en aurai tant de
peine, que je tuerai, non pas seulement un homme de la
tribu ennemie, mais jusqu'à six chasseurs de kangourous,
pour montrer à tout le monde Taffection que je vous porte."
Il fallut que le missionnaire modérât ces élans de gratitude
et fit promettre à l'Australien de remplacer les victimes
humaines par des bêtes sauvages.
Le P. Salvado profita des bonnes dispositions des indigè-
nes pour mettre en culture une plus grande étendue de
terre et pour augmenter les -constructions de la colonie
monastique, afin que, au retour d'Europe du P. Serra, il y
eût assez de logement pour les nouveaux missionnaires
attendus avec lui.
En ce temps-là même, les Bénédictins de la Congrégation
d'Angleterre, qui formaient une grande partie du clergé de
l'Australie orientale, ayant appris les longues souffrances
de leurs frères espagnols dans le diocèse de Perth, pensè-
rent à venir à leur secours. Mgr Polding, archevêque de
Sydney, leur fit écrire par le moine de Solesmes qui était
venu ' partager les travaux des fils de saint Augustin de
Gantorbéry, que l'accueil le plus fraternel les attendait
dans la capitale de l'Australie, s'ils ne pouvaient con*
tinuer leur apostolat parmi les sauvages. Le P. Salvado
fut très-touchô de cette marq;ue d'affectueux intérêt, nuds
il répondit que rien au monde, si ce n'est la mort, ne pour»
180
rail les séparer de leurs chars Australiens, maintenant
surtout que la moisson commençait à blanchir.
A Tappui de cette déclaration, le P. Salvado profita de
la bienveillance du nouveau gouverneur de l'Australie
occidentale, sir Fitz Gérald, pour obtenir Tiiidigéna' anglais.
" Je pensais, comme l'Apôtre, écrit le P. Salvado, qu'il
fallait me faire tout à tous ; sauvage avec les sauvages»
anglais avec les Anglais, afin de les gagner plus facilement
à Jésus-Christ." Reconnu sujet britanique le 24 août 1848,
le missionnaire put, en cette qualité, défendre devant le
juge anglais un prisonnier australien dont il connaissait
l'innocence, el le faire mettre en liberté. Le sauvage' avait
été impliqué dans un vol de brebis fait à des bergers
européens, ce qui était le péché mignon des iniigènes
toujours pressés par la faim. " Mais, remarque le P.
Salvado, il n'arrivait jamais que les maraudeurs fissent des
razzias sur les troupeaux de la mission. Loin de là, si uue
de nos brebis ou quelques agneaux venaient à s égarer ea
revenant des pâturages, nous étions assurés de voir, le
lendemain, des sauvages nous les rapporter sur leurs
épaules." L'acquittement de l'indigène, dû à la plaidoierie
du missionnaire, fit grand bruit. Les naturels du pays
comprirent qu'ils avaient trouvé un protecteur, et ils
Taimèrent surtout, lorsque le prisonnier lil^ré eut repro-
duit devant eux, avec le rare talent d'imitation que possè-
dent les Australiens, les gestes et jusqu'aux intonations de
voix de son avocat improvisé.
A son retour de Perth, le P. Salvado trouva les trou-
peaux fort augmentés par la naissance des agneaux et une
superbe moisson. '' Je me souviens, dit-il, que, me trou-
vant au milieu des blés, les épis dépassaient ma tète. Sur
ua seul pied, j'ai compté trente-neuf tiges, ayant chacune
un épi de cinq pouces de longueur. Bénédiction du ciel 1
Une moisson si abondante nous mettait désormais à l'abri
de la famine. Nous ne serions plus obligés d'abandonner
les travaux agricoles par défaut de forces, et de chercher,
pour nous sustenter, des racines, de la gomme des arbres,
des couleuvres, des serpents ou des vers de terre." Cette
année, le blé fut coupé rapidement ; les sauvages étaient
•devenus d'habiles moissonneurs.
190
Après la moisson des champs de la mission, chaque
Australien ût celle de son propre champ. Ils en portèrent
le produit sur la grande place du monastère. Le P. Salvada
leur fit alors ce petit discours :
** — Mes enfants, chacun de vous a maintenant sa pro-
vision de blé. Vous en ferez deux parts : la première
servira à votre nourriture et aux semailles de Tannée ;
la seconde sera portée à Perth sur les chariots de la
mission, pour y être vendus à votre profit. Vous m'ap-
porterez l'argent, qui servira à vous acheter des vôtementSy
des ustensiles de ménage, des animaux domestiques, des
instruments d'agriculture, etc. Mais il vous est défendu de
revenJre ces objets ou de tuer vos animaux sans ma per-
mission, parce qu'on pourrait vous tromper dans la vente,
et parce qu'il faut laisser se multiplier vos brebis, vos porcs
et vos poules. £tes-vous contents I
« — Très-bien ! Très bien 1 s'écrièrent-ils ; vous avez
parfaitement parlé."
Ils ne songeaient plus à leurs chasses interminables à la
poursuite du kangourou ou de l'émou (autruche) ; ils pen-
saient déjà à se bâtir de petites cabanes à proximité de leurs
champs, et de former ainsi tout un village autour de la
Nouvelle-Nursie. C'était aussi le rêve des moines espagnols ;
mais ils devaient traverser encore bien des épreuves avant
qu'il fût accomplL
Heureux de voir la nourriture des missionnaires et des
sauvages de la mission assurée pour une année, le P.
Salvado s'occupait de la construction d'une petite église en
l)oi8, distincte des bâtiments de la ferme monastique. U
attendait avec impatience le retour du P. Serra, lorsqu'il
reçut de Perth la nouvelle que ce Religieux avait été élu,
le 9 juillet 1847, évoque de Port>Vittoria, à la demande de
Mgr Polding, devenu archevêque de Sydney. *^ En recevant
de Mgr Brady l'avis de cette élection, je sentis touites mes
forces m'abandonner, s'écrie le P. Salvado, et toutes mes
espérances s'évanouir. Mgr Serra était perdu pour la
mission bénédictine ; car la nouvelle ville de Port-Vittoria
se trouvait à plus de 600 lieues au nord de la Nouvelle
Nursie, et l'on ne pouvait y arriver que par mer. Le nou-
191
Teau prélat y conduirait Daturellement les mlssioanaires
recruLés ea Europe, et se servirait d'une partie des res-
sources rassemblées dans son long voyage, pour les besoins
de son nouveau diocèse, presque aussi pauvre que notre
Biission. Durant quarante jours, ces tristes réflexions me
firent cruellement soufirir. Eafin, la grâce triompha des
Tévoltes de la nature ; je me dis que l'œuvre de Diea
n'avait pas besoin de moyens humains, et que la divine
Providence, venue si souvent et si manifestement au
secours de la mission bénédictine, saurait encore la sauver
de ce danger. Je m'humiliais donc devant Dieu, et plein
de confiance dans le secours de la Trinité sainte, dont notre
monastère portait le glorieux titre, je résolus de continuer
ToBuvre de la colonisation catholique qui commençait à
réussir."
Le missionnaire communiqua l'ardeur de son zèle à ses
deux catéchistts. Ils eurent d'ailleurs tant d'occupations
agricoles dans cette saison de l'année, qu'il ne leur restait
plus de temps pour songer à leurs propres misères. Ce fut
d'abord le lavage des toisons de brebis et d'agneaux, qui
s'accomplit immédiatement après la tonte. Il fallait, pour
cette rude opération, passer dans l'eau une grande partie
du jour, afin de purger ces laines de toutes les immondices
que les troupeaux ramassent dans les bois et les pâturages.
Un mois et demi s'écoula dans ces pénibles travaux, ce qui
ue paraîtra pas un temps trop long, si l'on songe qne les
troupeaux du monastère montaient déjà au chiffre impor-
tant de 1,800 tètes de bétail. Les pâturages de la mission
ne purent suffire. Le P. Salvado confia son embarras i
l'excellent sauvage nommé Bigliagoro, qu'il avait instruit,
baptisé, et conduit plusieurs fois à Perth. Bigliagoro con-
naissait tous les environs ; il ne tarda pas à trouver des
prairies assez grandes pour nourrir les brebis et les
agneaux. On partit, et les troupeaux furent parqués dans
d'excellentes conditions. Mais le sort de ceux qui les con*
duisaient était moins heureux, parce que l'on était en
décembre, époque de la plus grande chaleur en Australie,
et tous les cours d'eau se trouvaient à sec.
^< Nous avions du thé, du sucre et de la farine, écrit le F
192
Salvado, mais pas une goutte d^eau. Je fis partir Biglij
et les autres sauvages dans différentes directions, et jep2
moi-même de mon côté, afin d'avoir plus de chance de
couvrir quelque source ou des réservoirs de l'eau des plt
Après plusieurs heures de marche, je revins sans ai
rencontré le plus mince filet d'eau et accablé de fatigui
Aussi; éprouvai-je une véritable satisfaction en voyant
marmite de thé qui bouillait sur un grand feu de sandi
bois assez commun dans ces parages, et une cerl
quantité de galettes de farine qui cuisaient sous la cendj
Après un repas modeste, mais que la nécessité nous fit troi
Ter délicieux, je m'arrangeai pour dormir, lorsqu'il me vîi
à la pensée de demander à Bigliagoro comment il avait
trouver de l'eau. Mon sauvage ouvrit sa grande bouche
me montra son double râtelier, ce qui était sa manière
rixe. Soupçonnant quelque mystère, j'insistai.
" — Nous avons été longtemps sans trouver de l'eat
^^ répondit-il ; el il nous a fallu faire la pâte avec noi
** salive. Enfin, dans un creux de rocher, nous avons
" contré un petit réservoir d'eau de pluie ; mais elle et
*' si mal placée, que nous avons dû l'aspirer dans m
^^ bouches et la verser ensuite dans la marmite.
*' — Malheureux l il fallait me dire cela plus tôt.
«< _ Oh, non 1 repartit paisiblement Bigliagoro ; le Pëi
^ est si délicat, qu'il n'aurait pas voulu dîner."
^^ Il n'y avait rien à répondre. Je me résignai, en ch(
•* chant à m'endormir."
{A suivre,]
\ 1
/
ANNALES
PROPAGATION DE LA FOI
POUR LA PROVINCE DE QUEBEC
OCTOBBE 1878.
(NOUVELLE SERIE)
1 1
4 ■ «
SIXIÈME NUMÉBO.
DES PRESSES^ VAPEUR DE PLINGUET & FILS^
22, HVX ST. fiABRISL.
1878
Permis d'imprioier,
^ Edouabd Gh. Et. de Montréal
djM/y.
ŒUVRE DU BUREAU INDIEN CATHOLIQUE DE
WASHINGTON.
LETTRE DU REV. L. N. St. ONGE.
Glbnsfalls, l«r mai, 1878.
A Sa Grandeur Mgr A* M. Blanchet, Evèque de Nesqualy*
MONSlM^NEUR,
Voici en peu de mots Thistorigue de rétablissement du
Bureau Catholique Indien, de cette institution toute provi-
dentielle, et du bien qui en résulte pour nos Misssions In-
diennes.
Je donnerai d'abord la lettre de Mgr PArcheTéque I. R.
Bailey, créant le Bureau Catholique et donnant les raisons
de son établissement.
** Archidiocèse de Baltimore,
'' Baltimore, 2 janvier, 1874.
^^ Les Évéques catholiques dés Etats-Unis qui ont des mis-
^^ sions indiennes dans les limites de leurs diocèses, com-
^^ prennent qu'ils sont les victimes de grandes injustices
'' de la part du gouvernement américain pour ce qui concer-
^* ne leurs missions indiennes, surtout à cause des informa-
^^ lions fausses et partiales envoyées au Département qui
** est chargé des affaires de ce genre.
*^ Incapables de venir à Washington, eux-mêmes, pour
^' démentir ces fausse^, représentations et pour opposer les
^^ projets des personnes égoïstes et intéressées, qui sont
^^ constamment à l'œuvre, à la capitale, les Evoques m'on
^c demandé avec instance de choisir et appointer quelqu'un
^' demeurant à Washington avec lequel ils pourraient com-
^^ muniquer librement et avec toute confiance, et qu'ils
^ pourraient mettre en état de représenter, devant le dépar-
<( tement, toutes les choses sous leur jour véritable.
*^ Pour acquiescer à leurs demandes et agir suivant leurs
^' vues, j'ai appointé le général Charles Evnng, de Wash^^
196
^^ ingcon, pour agir comme leur Commissaire en temps et
<' lieo. Le génôrfti Ewing' a 4éjà fait beaucoup en faveur
^' des Missions Indiennes Gâtholi^Uiefe ; et il est sous tous
^' les rapports capable de remplir les devoirs qui lui sont
^' imposés.
'^ Comme les Évèqnee missionnaires n'ont parles moyens
^' de payer les dépenses de la commission, quelques mem-
^* bres de VUnUm-Catholique de New-York et d'autres villes,
^ ont généreusement ' offert une somme annuelle dan? ce
^< but, et je recommande de tout mon cœur à la^veur et à
'< la charité du public le commissaire et la bonne œuvre
^' dans laquelle il est engagé.
" f J. ROSKVBLT BaILEY,
^^ Arch. de Baltimore.
'' Bien que je sois dans la pénurie moi-même, ayant dé-
'' pensé en charités plusieurs centaines de dollars durant
^' les fêtes, je vous envoie un chèque de deux cenis dollan.
" f J., Archevêque de Baltimore."
La lettre précédente créant le Bureau et lui donnant des
recours, ayant été publiée, le Cardinal Archevêque de
New-York, les Archevêques de Philadelphie, de Boston, de
<3incinnati, de St. Louis, de San Francisco, d'Oregon City,
ainsi que plus de trente Evêques donnèrent leur approba-
tion, et envoyèrent des sommes d'argent pour subvenir
aux dépenses du Bureau.
Ils approuvèrent aussi l'établissement d'une Association
de secours, branche du Bureau Catholique^ dont le but est
.de collecter autant de secours quejpossible pour soutenir
ce Bureau, et assister les nombr^ses Missions qui ne
reçoivent pas d'aide du gouvernement ou qui sont en de-
hors des Réserves Sauvages. .
Pour donner une idée plus iStendue de ce Bureau, de ce
-qu'il a déjà réussi à accomplir, et de ce qu'il y a encore &
faire, si les moyens nécessaires lui s^ont fournis, je me per-
mettrai, Monseigneur, d'attirer votive attention sur les faita
suivants:
Toutes les difficultés reneontrées parles Missionnaires,
toutes les réelamations des Evêquès auprès du gouverne-
197
ment, sont mises enlre les mains, du Bureau qui est accré-
dité à la capitale cooifî&a représeatant TEglise catholique.
11 faut dire en passant que le gpuvernement américain n*a
pas pour ligne de conduite de persécuter l'Eglise caiboli-
que. Ce sont les officiers de tout grade qui sont les cou-
pables et qui pervertissent les intentions du gouvernemeoi ;
•et il y a lieu de croire que si PEglise avait été proprement
représentée à Washington, avant la création du Bureau,
ioTs de Idi' division des Agences Indiennes parle gouverne-
ment, nous n'aurions peut-être pas à regretter aujourd'hui
les pertes irréparables que nous avons faites.
L'œuvre du Bureau Catholique est de travailler à rega-
gner autant que possible ce que nous avons perdu» et de
forcer le gouvernement de nous rendre justice.
Etant continuellement sur les lieux^ pouvant présenter
les réclamations des Evoques sous le jour et de la manière
les plus favorables, le Bureau par son activité, sa conuais-
aance des moyens à prendre pour réussir, est parvenu à
accomplir ce que les réclamations et les protestations de
tous les Evéques réunis n'eussent jamais commencé à ac-
complir.
Les souscriptions volontaires des Evoques et de quelques
Sociétés Catholiques, ne suffisaient plus aux nombreu^s
demandes et applications faites à ce Bureau, ni à défrayer
les dépenses de voyage des Missionnaires envoyés chez les
Indiens ; ni à secourir les Missions qui ne sont pas subven-
tionnées parle gouvernement ; alors les Evéques ont encou-
ragé l'établissement d'une Association sur le principe de la
Propagation de la Foi, afin de subvenir à ces pressants be-
soins.
Cette Société est une branche du Bureau. Elle n'est
qu'à sa troisième année d'existence, et déjà elle a des raml-
ûcations dans plus de quarante diocèses, et promet de de-
venir un moyen puissant de propager la foi chez nos In-
diens des Etats-Unis. Les membres payent deux contins par
8em«ai)^e. {4es fonds sont envoyés à Washington et appli-
qués par le Bureau, là où les besoins l'exigent davantage.
Voici maintenant ce que le Bureau a accompli pour 1%
église :
198
lo. n a collecté 120,000 souscrites par les fidèles depuis
le temps si limité deson établissement.
2o.' Le Bureau a forcé le gouvernement de remettre à'
FEglise trois des Réserves ïndiecnes qui lui avaient été en-
levées injustement
3o. Le Bureau en a sauvé une quatrième que nous avions
toujours possédée, mais qui, il y a quelque temps seule-
meut, était sur le point de tomber entre les mains des pro-
testants.
4o. Nous n'avions en 1870 que liuit écoles catholiques, le
Bureau en a porté le nombre à 28.
5o. Le Bureau a fait augmenter les appropriations du
gouvernement pendant ce temps limité, de $9,000 à $20,000-
par an.
6o. Le Bureau a amené la création de trois missions^
nouvelles parmi les Siour ; lesquelles donnent déjà l'assu-
rance d'un magnifique succès.
7o. Le Bureau a fourni à Mgr. Seghers, de Tlsle Vancou-
ver, les moyens de visiter le nouveau territoire d'Alaska,
pays des Esquimaitw; et il espère faire obtenir à cet Évoque
des secours du gouvernement américain pour établir des
écoles et des missions permanentes en ce pays si abandon-
né jusqu'ici.
8» Depuis fes cinq années d'existence le Bureau a àér
pensé annuellement $1,750 pour son soutien et son œuvre,
mais il a su obtenir du gouvernement par une diligence
infatigable la somme étonnante de $102,000; ce qui, ajouté
aux souscriptions des pieux fidèles, forme le magnifique
total de $122,000 pour les Missions Indiennes.
9^ Depuis le commencement de son existence le Bureau
n'a ceseé de faire des efforts pour obtenir une pleine et
entière liberté d'action pour les Missionnaires, afin qu'ils
puissent exercer le saint ministère sans restriction, sur
toutes les Réserves, même celles assignées aux protestants.
Un projet de loi à cet effet a déjà été soumis au Congrès
avec toutes les chances de succès.
\(y» Enfin le Bureau ne cesse de harceler le gouverne-
ment pour le faire continuer dé restituer à la Ste. Ëglise ce^
qu'il lui a si injustement artaché.
199
Je termine en faisant le souhait que tput bon catholique
4oit faire du fond du cœur : Succès au Bureau Catholique
'de Washington ! Puisse-t-il exister tant qu'il y aura un
Indien à convertir et une mission pauvre à assister.
Je demeure, Monseigneur,
De Votre Grandeur,
Le très-humble et obéissant serviteur,
L. N. St. Onob, Ptre*
DAKOTA' ET MtNNÏSOt A.
• : M .ij. ..,'•--. : • ' ; .... n ■
■.. *. '' .1'' I. »! :' ' • > f !■ 1 • .. . î
LETTRE DU TRÉS-RÉyËRË;^D P. BROUILLET, V. G.
» ' ! f ' •:
Les Sœurs Grises de Montréal^} -ihcr inipù^kinte mission chez les:
SUhw^' résidant au Lac aii Diable^ ÈHhnesota^ Etats-Unis.
i /l. r.- » :• ^ .f .Ki
Washington, 1er décembre 1877.
Bien chers amis, *
Sur la demande du conseil de notre Bureau des Mis-
sions Indiennes Gattioliques, à Washington, D. G., je sui»
allé visiter plusieurs de nos Missions sauvages, dans la
Nord-Ouest, surtout les Sioux, les Ghippewas, les Ménomé-
Bis, etc., et bien que, à mon âge, cette longue course de
plusieurs mois ait* été un peu dure et laborieuse, elle a
valu néanmoins au conseil de notre Bureau, les informa^
lions les plus utiles et les plus encourageantes.
D'abord, ayant désiré passer par le Séminaire ou abbaye
de St. Meinrad, diocèse de Yincennes, Indiana, je trouvai
là le très révérend abbé Martin, supérieur de plusieurs Mo-
nastères Bénédictins, qui venait d'arriver de Standing Rock,.
(Territoire de Dakota) cefftf è de nos missions chez les Sioux.
Ce digne abbé me donna à l'avance beaucoup d'informa-
tions et de nouvelles intéressantes sur l'état déjà prospère de
ces nouvelles missions.
Je dois dire ici que cet homme rempli do zèle et de l'es-
prit apostolique, veut bien avec le secours de ses Pères Re*
ligieux de St. Benoit remplis du même esprit de charité,
se charger de la conversion des Sioux qui forment une popu-
lation de quarante mille âmes, dispersés sur les territoires
de.Nébraska, Wyomiog, Dakota et le nord de Minnesota.
Ces bons Pères Bénédictins, avec leur sainte devise Ora •
et labora, prière et travail, et aussi avec leurs nombreux et
habiles Frères co-adjuteurs, sont les missionaires les plus-
capables d'évangeliser et adoucir cette nombreuse et im-
portante nation. Ils ont civilisé l'Europe et pourront de
môme civiliser les nombreuses tribus Sioux, si quelqu'un»
201
•en est capable comme nous n'en devons. pas douter. L'ob-
jet de ces bons Pèrçs est^.to^ten leur enseignant la fol^
•et la religioû) de les former; au travail et à la culture du
:soI; à élever des. troupeaux et à pourvoir eux-mêmes à
tous les besoins de la vie.
LES CHIPPfiWAS ET mINOMÉNIS.
Les missions sauvages du Nord-Ouest les plus rappro-
chées de nous, sont les Ghippewas et les Ménoménis au
nombre d'environ 26,000, dont 12,000 chrétiens et 8,00»
encore payens, dispersés dans les états de Michigan, Wis-
cousin et Minnesota.
Je m'arrêtai dans plusieurs endroits de ces différents
Etats, afin de recueillir les informations les plus exactes
sur l'état et le nombre des différentes missions sauvages ;
•et c'est avec peiûe que j'ai pu constater que cinq Prêtres
senlement et deux écoles sont au service et toute la provi-
sion religieuse et industrielle de ces pauvres peuples de la
forêt ; et cela dans le voisinage, ou même au milieu de
nombreuses et florissantes populations blanches et catholi-
^es de ces trois états. Oh! que Dieu veuille dans un
futur prochain accorder aux uns une charité plus grande,
•et aux autres des secours plus abondants pour leur conrer-
'Sionet leur salut
LA MISSION DE WmTE EARTH, AD NORD-OUEST DU MINNESOTA.
En arrivant à St. Paul, Minnesota, je m'informai d'une
manière toute spécial^ de la grande difficulté qui existait
à White Earth entre notre missionnaire et Tagent métho-
4i«te épiscnpalien, à la fia de laquelle difficulté notre mis-
sippnc^ire fut chassé par le • surintendant Kamble sous une
«escorte mili^ire. .
La mission de ^White Earth est, une des trente missions^
•enlevées à l'Eglise Catholique par le gouvernement, en
1870) pour, être donnéiQ à l'Evêque protestât Whippl^, de
laxeligionépiscopaiienne. i^/ i
Néanmoins^ le Prêtre avait pu^ exercer le saint ministère
4Msez paisiblement au milieu de ses Sauvages jusqu'en 1874.
202
A cette époque un nouvel agent, le major Stowe, y fut en-
voyé par le gouvernement; lequel agent coomiença un
règne de persécution contre lé prêtre et les sauvages catho-
liques, employant en môme temps toute son influence et de
l'argent, pour gagner les Sauvages à la religion protestante^
Le Prêtre alors, comme il était de son devoir, déncmça un&
semblable conduite comme illégale, afin d'avertir et de
protéger son peuple contre une telle influence et le danger
de perdre leur foi. il ne gôna jamais l'agent dans son ad-
ministratlon des affaires temporelles ; mais il le fit toujours^
quand l'agent se servait de sa position officielle pour ga-
gner les sauvages catholiques à son église, employant pour
cette fin les écoles et les argents accordés chaque année,
par le gouvernement, à tous les Indiens indistinctement
pour leur bien temporel, et non pour pervertir les âmes.
En mars dernier, l'agent porta auprès du gouvernement
4es accusations contre le prêtre et demanda qu'il fût ex*
puisé de la place. Mais presqu'en même temps notre Bu-
reau, indien de Washington présenta au gouvernement de
nombreuses charges contre l'agent, et en faveur du prêtre
et des sauvages catholiques, demandant une enquête légale^
ei que, si les nombreux griefs contre l'agent étaient prouvés,
il fût alors renvoyé. Après quelque délai l'enquête fut ac-
cordée. Deux commissaires furent nommés ; l'un de ceux-
ci pour la première fois depuis l'établissement de notre Bu-
reau Catholique Indien, fut choisi par nous. Les commis-
saires étaient l'honorable Lyon de New- York, du départe-
ment indien, et l'hon. H. Rice, ex-sénateur, de St Paul^
Minnesota, tous deux protestants ; l'un d'eux (le Sénateur
Bice) faisant partie du conseil de l'Evêque Episcopalien-
"Whipple. Les* séances de la commission furent tenues à
"White Earth même, et tous les témoignages de plaintes et
d^accusations furent reçus publiquement pendant douze
jours ou contre l'agent ou contre le prêtre *dans toxtt ce quf
concernait la difficulté, et les intérêts de la Réserve Sauva-
ge.
Uenqnêie fut faite avec un grand intérêt de part et d'au^
tre. Les sauvages commencèrent i^ar présentéi* une requête
demandant le renvoi de l'agent. Us dirent à la commis-
203
sion: ^^ Nous avons tenu conseil ensemble, et avons décida
*^ que le Major Stowe doit s'eo aller» et si le gouvesiement
^' ne l'envoie pas, nous l'enverrons naus-mônies." Un chef
protestant et ami de l'agent Stovsre et de l'évêque Whipple
gui avait ordonné son fils diacre, parla ainsi à la commis-
sion : ^^ Il faut que l'agent Scowe s'en aille ; je n'ai pas à
^' me plaindre de lui personnellement car il m*a fait bien
^^ des faveurs ; mais je dois considérer l'intérêt de tous Ie&
^'Sauvages; et comme agent il a été injuste envers un
^' grand nombre, et a négligé leur bien-être, il faut qu'il
*^ s'en aille."
En plusieurs occasions les Sauvages avaient fait des mog
naces de violence ; et quelques jours seulement avant l'en-
quête les jeunes gens avaient décidé de tuer les animaux
et de brûler les bâtisses de l'agence ; ce qui devait être le
signal d'une révolte générale des Sauvages; mais ilsea
furent empêchées par quelques amis qui les assurèrent que
justice allait bientôt leur être rendue.
Les témoignages de l'enquête justifièrent le prêti^e de
toutes les charges portées contre lui et démontrèrent que
l'agent était coupable de bigoterie, de préférences injustes
sous le rapport religieux, et d'abus illégal de son office
pour gagner les Indiens à son Kglise.
Le 18 juillet, l'enquête fut clûse, et le rapport en fut pré-
senté ail gouvernement. Plusieurs des abus de l'agence
y étaient signalés; on y exprimiait le regret d'f voir depuis
plusieurs années passées une mal-administration générale,
une dépense folle de plusieurs centaines de mille dollars de
l'argent des Indiens, pour lequel argetit on ne voyait à peine
aucune amélioration sur la Réserve ; et enfin on y recoox
mandait le renvoi immédiat de l'agent Stowe comme en-
-tièrement incapable de. remplir les devoirs de sa position.
Alors on s'attendait de part et d'autre que, sur une re*
commandation aussi expresse, et en considération des me-
naces et du mécontentement des Sauvages, une action im*
.médiate serait prise à ce sujet, afin de remédier aux injus»
ticeset de satisfaire aux justes demandes des Indiens. Mais,
xhose incroyable, aucune nouvelle n'arrivait sur les lieux;
.alors lettre sur lettre, télégramme sur télégramme furent
204
expédiés au Département des Indiens à Washington, de-
mandant une réponse itûinédiate sur le rapport des Com-
missaires, et faisant connaître les dangers que créait iia
pareil délai. Mais, chose étrange I après une vaine attente -
de plus de cinq mois de la part du public, Tagent Stowe est*
eucore à l'agence et le prêtre en a été éloigné par la force ;
et bien qu'il ait été clairement prouvé que le rapport de l'ins-
pecteur Kemble, sur lequel le prêtre îui ohasséde l'agence^
étàit'faux, on le continue cependauieii office.
L£8^ SOEURS GKISB8 A LA HlSBlOlfr iMT LAC AU DIABLE.
1^ Je visitai ensuite notre belle mission des Sioux du Lar
au Diable, où nos bonnes Sœurs Grises de Montréal ont
établi, il y a trois ans, une maison qui est déjà ai florissante.
La nation des Sioux, qui s'appellent aussi les Dakotas,
compte environ 40,000 â^mes. Elle figurait autrefois comme
l'un des plus beaux peuples sauvages du continent. Nicolet,
qui visitait les différentes tribus sauvs^ges de l'Amérique
du l^ord, dii qu'ils étaient supérieurs à tous les autres peu-
jples de la forêt, qu'il avait jamais vus. Ils étaient aussi
les amis des blancs. Les officiers de la compagnie de pel-
leterie du Nord-Ouest rendent aussi ce témoignage de la
constante amitié des Sioux pour l^s blanc3. Us disent ^ue
c'est l'orgueil des Sipux dé se vanter dans leur grand
conseil de ne s'être jamais teint les mains du sang de-
l'homnie bUnc. Ils occupaient la plus grande p^tie du
territoire qui s'étend depuis le Mi^sissipi aux Montagnes Ro-
cheuses et des Possessions anglaises aux lloûtes du Kansas.
Ils vivaient. de chasse. Le poisson de Jeurs laos et rivières^
les troupeau? de chevreuils, d'pri^naiix, de buff'alos, dans
les forêts et j^ralries, le riz et les fruits sauvages, faisaient
de leur pays un vrai paradis pour les Sauvages.
' La religion des Sioux admettait plusieurs dieux. Ils
croyaient que les mondes visible et invisible étaient peuplés
ïl'ôires spirituels ou mystérieux gui travaillaient continuel-
lement au bonheur ou au malheur de la famille humaine.
Ces esprit^, Qomme Us le croyaient,, nabjtéut partout et en
toutes' . choses, eten conséquence presque toutes .choses»
devenaient un obji^tdecuUei Dans une paême fête les Sioux.
906
faît^eat des danses religieuses en hommagie au soleil, à la
lune el étendaient les bras et les mains devant une pierre
peinte. lis avaient le dieu du nord, le dieu du sud, le dieu
des bois et le dieu de la prairie, le dieu de l'air et le dieu
dee eaux. Ils étaient en toutes choses ce que dît St. Paul
des Athéniens, remplis de superstitions et enclins à offrir
des sacrifices plus fréquemment aux mauvais génies qu'au
Grand Esprit.
Peu d'années d'expérience nons ont déjà montré ce que
peut faire l'Eglise parmi les Indiens, en harmonie avec le
gouvern^ement et aidée par lui.
lia mission du lac au Diable avec une population do
1,100 âmes fut assignée à l'Eglise il y a quatre ans. La
première école y fut établie par les Swurs Grises de Mont*
Téal dans l'automne de 1874, ayant pour chapelain, le jeune
Bère^ plein de zèle apostolique, Louis Bonin, aussi de
Ifontréal.
Il y a six ans passés ces Indiens étaient tout & fait à l'é-
tat sauvée ; ils ne connaissaient aucunement le travail et
ae voiraient môme pas en entendre parler. Ils étaient
(^pQsés à l'école et i l'instruction de leurs enfants. La
mâmjs ttuit que les âmurs et le Chapelain arrivèrent, ces
farouches Indiens tinrent un conseil secret dans lequel ils
protestèrent ce qu'ils appelaient une conspiration pour les
priver de ^ur liberté et de leur religion ; et ils résolurent
4e €oniba.ttre ou de s'oj^oser de toutes leurs for^qes à cet
empjièteinent.sur leurs droits.
C'est pourquoi, pendaipt deux ans, ce fut avec la plu»
grande répugnance que quelques-uns d'entre eux oonsen*
tirent à coUifler leurp eufaats.aux Soeurs^ou encore à laisser
baptiser leurs epfaots mourants.
, aujourd'hui tout ^st ctiapgé, ils d/ésirent l'inatr action
po^ leuEs enfante etpour eux-mêmes. Ils me prièrent de
lei^r o))tenir 4bs b&Usses plus, grandea, où leurs garçons
plu# âgétf jkjUissentt apprendre & travailler à quelque métier
^i^auftsi ^iCwltiTdr laiteire.. Us amènent maintenant leuirs
^antaàrécple deeSqeurs at les laissent même des .années
ef&tières ;$ai»aa|iUQUi|e .inquiétude. Ils viatuient AJ'égliiBe^
appqrAe^l .A'^eiuirp^êiiies leurs enfants au baptême et plu-
sieurs des parents sont en même temps baptisés.
206
C'est ainsi que ces Sauvages qui, il y a six ans, ne vou-
laient pas même entendre parler de travail, sont mainte-
nant presque tous fermiers. Sur 265 familles, 243 ont de8
fermes ou des jardins depuis uq jusqu'à dix et vingt ar-
pents en culture. 175 familles se sont bâti eux-mêmes de
bonnes et solides maisons en pièces de bois écarries ; et ils
«avent déjà faire tout Touvrage sur leurs terres, labourage^
semailles, cerclage, rechaussage, clôture, etc., et cela même
avec soin et bon goût. J'ai vu sur leurs terres des clôtures
qui peuvent être comparées avec avantage aux clôtures
faites par les blancs dans les nouvelles colonies. Déjà, ils
récoltent les patates, le blé-dinde, les oignons, les navets et
autres jardinages par centaines de boisseaux ; ils font assez
de foin et d'avoine pour hiverner chevaux, vaches et autres
bestiaux; de sorte que nous avons Tespoir que dans peu
d'années ces Sauvages sauront se supporter eux-mêmes et
être indépendants. Le grand secret de leur rapide amélio-
ration est dû au dévouement et Thabiletô de leur agent) le
major McLaughlin, et au système suivi en cette agence de
payer les Sauvages pour toutes leurs améliorations, aveo
l'argent qui leur revient chaque année du gouvernement^
et par des contrats de cession de leur immense terrain.
«
LA MISSION DZ STAin}ING ROCK.
Enfin je visitai en dernier lieu une autre belle mission
des Sioux à Standing-Rock, laqfueHô compte eiiviron 2,400
âmes et est située sur la rivière Missouri dans le Territoi-
re de Dakota. Ici l'agriculture n'est paè aussi avancée
qu'au lac au Diable parce que les Sauvages n'ont pas eu les
mêmes avantages, ayant eu à voyager d'une place à nue
autre, et à faire la guerre -même avec les troupes du goa-
vernement jusqu'en 1876 Ils montrent cependant un grand
désir pour le travail et demandent des animaux et des ins-
truments pour Pagriculture. L'été dernier ils ont pu récol-
ter 8,000 minots de blé- dinde, S,000 minots de ^tates ei
800 minots d'autres jardinages. Ils ont déjà une maison
d'école, mais ils désirent en avoir plus d'une et de plus
grandes ; et je n'ai nul doute que si le plan pour les écoles
avec une ferme-modèle, soumis par notre Bureau au dé-
207
partement des Indiens, est accepté, des centaines d'enfants
pourront alors fi-éguenter chaque année ces écoles indus-
trielles.
Les Sauvages Siouz .de. Standing Rock montrent une
plus grande disposition à se faire d'abord chrétiens que
ceux du Lac au Diable, parce que ceux ci ont connu autre-
fois le Père De Smet, et loi ont entendu conter plusieurs des
merveilles du Grand Esprit. Et bien que ce grand patriar-
che des missions sauvages de l'ouest n'ait pas eu le temps,
ai l'occasion d'en faire des chrétiens, ceux-ci néanmoins
ae rappellent d'avoir vu et entendu la Grande Robe noire,
le Père De Smet.
Deux Pares Bénédictins et deux Frères coadjuteurs ont
maintenant la charge de la mission et des écoles de Stan-
ding Rock. D'autres Pères avec quelques Frères Bénédic-
tins sont partis dernièrement du Séminaire de St. Meinrad,
Indiana, afin d'établir une ferme-modèle et aggrandir les
écoles à Standing Rock. Les Sœurs de la Charité doi-
vent aller prochainement prendre charge d'une école in-
dustrielle et d'un pensionnât pour les filles : les bâtisses né-
cessaires étant justement à s'achever. Les bois de construc-
tion tirés des forêts sont ici bien inférieurs à ceux du
Iac au Diable. Les immenses prairies du Dakota semblent
mieux adaptées à l'élevage des troupeaux qu'à la culture
du sol. L'herbe et le foin sauvage y croissent en abon-
dance, tandis que les moissons sont très exposées à être dé-
truites par de fréquents orages de grêle et de pluies torren-
tielles, et quelquefois aussi par le fléau des sauterelles.
Toutefois le climat y est très salubre et les voyageurs, les
sauvages et les missionnaires y jouissent du bonheur pai-
sible de la campagne et surtout d'une excellente santé.
Je suis avec toute gratitude et respect,
Votre très humble Serviteur,
J. B. BaouiLUtT, V. G.
208
AGENCE DE SPOTTBD TAIL,
14 janvier 1878.
Au Très Rétéreud Fèré BroùUUt, V.Ù.
Très Révjêrbnd et ghbr Monsieur,
J'arrivais hier de l'agence de Red Qoud eu, en présence
de l'agent, des officiers et du ministre épiscopalien, M. Ro-
binson, j'ai tenu un conseil avec les chefs indiens, le 6 jaa-
vier. Leurs dispositions sont les xnônxes que celles des In-
diens des Réserves de Wolf Point, de Red Glond, de Devii^s
Lake, de Standing Rock et de Spotted TaiL J'apprends
aussi que les Sioux des autres Réserves, le long de la Rivfe-
re Missouri, sont tout aussi désireux d'avoir des Préires et
des Instituteurs catholiques. Mais malheureusement nous
n'avons ni les hommes ni les moyens de pourvoir aux be-
soins des Indiens qui sont déjà sous nos soins ; et tandis
qu'il y a poar nous le plus brillant espoij* de la part des In-
diens, notre côté ne- présente qu'un aspect sombre poux les
Indiens.
Je vais maintenant retourner à mon monastère deSiint*
Meinrad parce qu'ici les Missionnaires seront regus avec
joie à n'importe quelle agence, et aussitôt qiie je pourrai les
envoyer. Je retourne pour la raison encore que je puis pour
le présent faire plus de bien ailleurs, parce que nous n'a»
vous pas encore ici, à l'agence de Spotted Taii, les apparle-
ments convenables pour le service divin, ni pour les écoles.
. J'ai hâte de recevoir de vos nouvelles, ainsi que les nou-
veaux rapports du Gouveruement touchant nos Missions
Indiennes. Je vous remercie baanooup pour l'important
Dictionnaire en langue Slouse que vous avez acheté pour
nous du Smithsonian InstUute i Washington, (prix $20).
Si vous pouviez en avoir deux copies, envoyez-en une à St.
Meinrad et Vautre à Standing Rock.
Rien chier Père, pardonnez-moi, s'il vous plaît, mon im-
portunité, et acceptez l'expression de la reconnaissance tou-
jours vive de
Votre serviteur dévoué,
L'abbé Martin.
2(»
LETTRÉ DE LA RÉVÉÏlE^fDE SŒUR CLAPIN,
Supétieure dm CoiitVfent deà Sœurs Grises,
LAd AU DÏABCÈ, MINt^SÔTA, E.-U.
Mission de N.-!)- des Sept-DouleurSj
1epjuinl878.
Au Très-Révéîiend Directeur de l'Œuvre, à Washington.
Titàs-RévÉHRND Pare,
C'est un "devoir et un plaisir pour nous &e trouver l'oc-
-casion de vous donner quelques nouvelles de notre chère
- et belle mission des Sioux sur le Lao au Diable.
Votre bonne visite de l'automne dernier nous a laissées
tellement remplies de bons souvenirs !...nous désirons bien
ardemment que vous la renouvelliez cette année encore.
Notre Saint Evéque, Mgr Seidenbush, de Tordre de Saint
Benoit, nous enlevait, îl y a déjà près de 15 jours, notre
dévoué chapelain, le Rév. Père Ls, Bonin, en l'appelant
chez les blancs, à l'église 6t. Joseph, près de Pembina, sur
les lignes de Manitoba. Que les bénédictions de Dieu le
suivent et le récompensent pour tout ce qu'il a fait pour
nous et pour notre chère mission des Sioux depuis plus de
ttois ans. Deux Pères Bénédictins doivent venir prochai-
nement le remplacer, et se charger de l'école industrielle
de nos grands garçons Sioux.
Vous comprenez néanmoins que c'est déjà un certain
sacrifice pour nous que de rester plusieurs semaines sans
la Siainte Messe^ ni lé Saint Ministère du Prêtre au milieu
^ de nos farouches IndSeiis^ C'est donc avec grande hâte
que nous attendons l'arrivée des Révérends Pères. •
Nous avons aussi plusieurs .enfiaats déjà préparés pour la
première communion, et. ils ont bien hâte de voir arriver
cet heureux jour.
Nous sommes heureuses encore de pouvoir constater
pour cette année aussi un nouveau progrès chez nos en-
.fants sauvages dans l'application aux différentes matières
de l'école, et à leurs devoirs tle chrétiens, comme aussi dans
Jleur bonne volonté à apprendre la langue anglaise ; ce qui
210
est une condition expresse de la part du gouyemement
américain.
Votre jeune protégé* le petit Jéàn-Baplisté, est toujours
avec nous ; il est d'un caractère doux et gentil. Nous avons
parmi nos chères élèves une jeune flUe Sioux, gui est des-
tinée à épouser prochainement un jeune Indien de sa na-
tion ; lequel n'a encore de chrétien que le baptême. Néan-
moins sa conduite est donnée comme exemplaire ; et Pagent
des Indiens, M. McLaughlin, approuve ce mariage. La
cérémonie se fera solennelledient à Péglise. Ce bon ex-
emple, nous en avons la confiance, sera suivi par bien
d'autres. Cette jeune fille est une de nos premières élèves f
elle a été avec nous depuis environ trois ans, et nous pou-
vons assurer qu'elle est une excellente chrétienne, et
qu'elle fera une bonne femme de ménage.
Un mot maintenant de notre nouvel hôpital que le gou-
vernement vient de nous faire bâtir pour nos Sauvages. H
a 40 pieds de longueur sur 50 de profondeur, et a deux
étages» Le tout' est en bonnes» pièces de bois équarriesei
la couverture en bardeaux. L'agent nous offre d'occuper
le second étage pour nos Instructions religieuses, et même
notre chapelle ; mais il ne peut rien faire pour aider à finir
cet appartement qui n'a que les quatre mursi et le toit
Vous savez combien nos moyens sont limités ; c'est pour-
quoi nous nous adressons à votre Institution de charité,,
afin que dans la distribution de vos aumônes aux différen-
tes missions sauvages, vous n'oubliiez pas nos chers Sioux
de la mission des Sept-Douleurs.
Quant à moi et à ines chères compagnes, nous ne man-
querons de prier, et da faire prier nos chères élèves pour
votre prospérité et le plein succès de voU'e sainte œuvre.
Je demeure.
En toute gratitude et t<espect,
Votre très-humblé servante,
Soeur Clapin^
j .
' l
211
^iTTiNG ByLL, Rsd.Cloud, e^, at dpuze autres chefs Sioux^
à Washingt4mt demandant la Robe nmVe.
Tout le monde se rappelle la y isî te de ces célèbres chefs
Sioujt au Président Hayes, l'été deràjer. Ils viennent le vî-
sitei, afin d'en obtenir diverses faveurs, mais surtout pour
lui demander la Robe Noire, JPas un d'eux n'est baptisé,
ni môme catéjchumène : mais tous désirent l'être. Leur
• ' ' »
haute estime et leur grande confiance pour la Robe Noire
^t la Sœur de charité, a induit en erreur plusieurs jojir-
naux américains qui affirmèrent alors que tous ces grands
chefs Sioux, Sitting Bull même, Red Cloud, Spotted Tail
(Tigre) et les autres étaient déjà catholiques, simplement
parce qu'ils demandaient le Prêtre catholique.
Sitting Bull, au milieu d'un grand conseil de plus de cent
chefs et en présence des commissaires du gouvernement,
-disait : '^ Officiers du gouvernement, nous vous demandons
maintenant une seule chose ; c'est que vous nous envoyiez
le missionnaire, mais, remarquez bien, le missionnaire un
comme le père De Smet, la Robe Noire ; car ces missionnai-
res deiLx^ homme et femme, comme vous en avez, nous n'en
-voulons pas." Sitting Bull cependant est un Indien Sioux pur
-sang, qui n'a jamais été baptisé, et qui ne sait ni l'anglais,
Tii le français, comme cela a été faussement rapporté, par
différents journaux protestants (1).
C'est la conviction des Missionnaires aujourd'hui encore
an milieu des In^âens, qua^si la Robe Noire avait été alors
accordée à la nombreuse nation des Sioux, (qui compte 40,-
OOO âmes), la guerre désastreuse de 1876 eût été évitée : ce
qui aurait encore épargné au gouvernement les immenses
frais de deux millions de dollars, et surtout sauvé tant de
.précieuses vies de nos braves soldats et officiers.
Mais inutile maintenant de rappeler des faits si malheu-
reusement accomplis.
Depuis cette malheureuse politique de 1870, ^^ The Indian
Pejace Policy'^ du Président Grant, le gouvernement n'a
(1) Un de nos missionnaires distingués, Tabbé ICartin, 0. S. B. est allô
'Visiter le camp de Sitting BuU Tété dernier.
212
cessé d'inonder les pays sauvages de l'ouest de ministres^
j^otestants qu'il paie et enroie comme commissaires, ins-
pecteurs, surintendants, agents et gouverneurs des pauvres
Sauvages qui deviennent forcément les victimes de ces cen«
taines de ministres protestants devenus tout à coup spécula-
teur-missionnaires. The government pays well^ et c'est là
le secret du zèle si soudain de cette nouvelle espèce de mis-
sionnaires, qui trop souvent finissent par reclamer le se-
cours de l'armée pour venir convertir leurs Indiens au bout
de la bayonnette et du fusil.
Mais les Sauvages en général ont beaucoup trop de bon
sens pour se laisser ainsi tromper sans réclamation ; ils
réclament et réclameront toujours, comme étant de leur
choix, le ministère tout de paix et de charité de la Robe
Noire.
J. M, Missionnaire Indien^
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h: '!
ORÉGON.
LETTRE DU RÉVÉREND PERE CHIROUBE, 0. M. I.^
AfÂX Membres du Con^tU du Bureau Catholique Indien de
Washington^ D. C.
BiteN CHERS Messieurs,
J'arrivais d'une longue et laborieuse mi^ion chez les
Lnmmi et l^s SwinoQiiab, quand je ?encoiUrai dix jeunee
sajuvages envoyés de Port Madison après xuoi pour porter
recours à la femme de leur Grand Çbef, q\\i était très- ma-
lade et demandait l'assistance du prêtre avant de mourir.
Tout fatigué que j'étais, je me rends néi^imoins à leur de-
mande, et nous embarquons dans les canots à Tulalip vers
S heures du soir. La baie était calme et magnifique ; et
les jeunes gens fireut si bien leur devoir qu'à deux heure»
après minuit nous étions arrivés au terme désiré de notre
Yoyage. Le chef, dans son affliction, se tenait sur le rivage
et me reconnut de loin. lime conduisit de suite auprès
de son épouse agonisante, mais la joie de voir la Robe
Noire auprès d'elle lui rendit ses forces; elle put faire
bien sa confession et recevoir le sacrement des mourants^
qui donne le soulagement à l'âme et au corps : il s'opéra
aur le champ un effet merveilleux, car elle dormit d'un
profond sommeil tout le reste de la nuit, et fut même
rendue sous peu de jours k^ses occupations ordinaires.
Ces bons sauvages me voyant au milieu d'eux vinrent
me demander de leur donner une petite mission, que je
commençai de suite, le même jour. Je baptisai trois adultes
et neuf enfants dont le plus jeune est déjà allé augmenter
l'heureuse troupe des anges dans le ciel. Plus de vingt
personnes reçurent leur divin Sauveur dans le sacrement
de son amour. Trois ont fait leur première communion y
et cinq autres se préparent à mériter la même faveur.
Ces sauvages ont adopté un code de lois, ils élisent leurs
officiers, collectent parmi eux la taxe pour leurs écoles, ont
bâti eux-mêmes pour cet objet une maison spacieuse et con-
214
fortable. Hier les livres, les ardoises, etc., étaient achetés;
aujourd'hui Técole est ouverte avec le joli nombre de 24
enfants. Chaque exercice commence par la prière et le
chant joyeux d'un pieux cantique. Les élèves les plus dis-
tingués sont souvent envoyés à notre école-modèle de Ta-
lalip, les garçons chez nos Pères, les filles chez les Sœurs de
la Providence, où aucun soin n'est épargné pour rendre
ces enfants intelligents, laborieux et utiles à leur nation»
Déjà dans quelques-unes de nos missions ce sont nos an-
ciens élèves de l'école-modèle de Tulalip, qui enseignent
avec succès les écoles primaires à leur propre nation.
J'aurais encore beaucoup de choses d'un grand intérêt à
vous raconter, mais je remets de le faire jusqu'après mon
retour à Tulalip.
Votre respectueux et obéissant serviteur,
£. G. ÇmROja&E» 0* L
MONTAGNES ROCHEUSES.
LETTRE D'UNE SŒUR DE LA. PROVIDENCE SUR
LA FÊTE-DIEU.
mSSlON DE COLTII.LB, MONTAGMBS ROCHEUSES,
24 juin 1877.
A la Bévde. Mère Caron^ de Montréal^
Très- CHÈRE et RCtse Hère,
La Fête-Dieu est une époque si remarquable et si solen-
nelle chez tous n^s Sauvages des Montagnes Rocheuses^
que je suis certaine de vous être agréable et de vous bien
intéresser en vous racontant la manière toute édifiante
avec laquelle nos chers Indiens ont su célébrer cette divine
fête encore cette année.
Quinze jours avant la fête ils commencent à arriver^
Tenant des plus grandes distances, c'est-à-dire, trois à quatre
cents milles et par caravanes de deux à trois cents à la fois;,
ils plantent leurs tentes tout autour de l'église et de la
mission.
Les jeunes et les vieux, les infirmes, aveugles et boiteux^
tous veulent être à ternes i^our le Grand joiir de$ Fleurs ;
c'est ainsi que, dans leur language primitif, ils appellent
cette belle fête. L'entente, l'amitié la plus franche règne
parmi toutes ces différentes tribus. A l'arrivée de chaque
caravane, les Sauvages de la place s'assemblent à la porte
de l'église, se rangent avec ordre, le drapeau blanc en tête^
comme signe de paix et de joie ; forment de longues lignes^
et au signal donné, font retentir joyeusement tous les
échos de ' leurs montagnes par les décharges répétées
de lourd armes à feu. C'est le salut de bienvenue et d'a-
mitié donné à toutes les tribus arrivantes. On pousse en.
suite ,d'éclat£(atâ cris de joie, et l'on se donne des poignées
de mains. De suite des places convenables sont choisies,
pour planter les tentes; et de gras pâturages sont pQerts^
pour les bêtes de somme ou chevaux de voyage qui en ont
216
un grand besoin, car la plupart sont .trèg-ixiaigres, après
4'au8si longues et pénibles courses.
Cependant ces préliminaii^» achevés, on s^occupe bientôt
de la grande idée qui a^présidé à tous leurs desseins, et a fait
surmonter toutes les difficultés ainsi que toutes les fatigues
de voyage: c'est qu'on est venu, avant tout, auprès de la
Robe Noire y faire une petite retraite et ses Pâques. Aussi
se met-on à Tœuvre gaiment et de bon cœur. Quelques jours
avant la grande fête, la retraite est annoncée et tous se ren-
dent avec enthousiasme aux exercices de la prière et des
inslructions. Nos deux zélés missisxinaires, lesRevds. Pères
Jésuites, ont récolté cette année, comme par le passé, une
abondante moisson.
C'est ainsi que pendant tout le temps de la retraite on les
a vus à l'œuvre dès la pointe du jour jusqu'au soir et sou-
vent à une heure très avancée dans la nuit, entendant les
<^onfessions et instruisant les enfants.
Mais aussi quel ne fut pas le triomphe et la. joie com-
mune, lorsqu'au matin de la fête Ton vit et compta plus
de sept cents dé ces bons enfants de la forêt s'approcher de
la table sainte en procession recueillie, et s'y nourrir du
pain divin de la communion. Comme il faisait bon alors
de voir la piété, la foi vive, le bonheur même briller dans
la démarche et sur toutes les figurés de ces bons sauvages I
et ces beaux sentiments de leur cœur se manifestaient en-
core d'une maùière plus touchante par les nombreux canti-
ques et refrains d'amour et de joie qui sont souvent accom-
pagnés de larmes d'attendrissement.
Une aussi délicieuse fête ne se /termine pas sans un cou-
ronnement. Après une prompte et légère collation, tous
Tsont dé retour et occupent leur place à la grand'messe et i
la procession du S. 8. Sacrement La messe est pieusement
chantée en plein chant par les Indiens eux-mêmes, et nos
élèves qui sont leurs enfants. Les préparatifs de lîa proces-
sion ont ^ous été faits avec entrain la veijlle. . Les chemins
sont bordés dÎB hautes et nombreuses balises;. If s reposoirs
dressés de verdure çt ornés de fleurs saunages, indiquent
«les diiTérentes stations ou la procession s'arrêtera.
Toute la vallée de Colville est dans de joyeux transports ; *
217
•
les citoyens blancs des alentours sont tous présents ; lagar-
-msoQ mffltatfe eHe-mômiÉl, bien que composée pour la plu-
'part de protestants, é'est pourvue d'une permission spédialér
^t se regarde comme pritilégiée de pouvoir faire garde
d'honneur à notre Procession du 8. S. Sacrement. "
L'église ne peut contenir qu'une faibte partie de la foule^
mais ceux au-dehors, comme* ceux ân-dâdaha, obserrent im
silence et, j^ iiçspecti. rel^gieuxiiitçua, peuvent lE^atendre et
suivre les ^eux cantiques et les saintes cérémonies. Les
moments solennels de l'Ëlévation et de la Communion sont
signalés et salués par des décharges de mousquetterie. Les
intervalles sont bien remplis par Tharmonie des voix douces-
et sympathiques des Sauvages et de nos élèves. •
La messe terminée, le signal est donné et la procession
est en marche;' une bannière dé la Slê. Vierge passe en
tête des jeunes filles et des femmes qui la suivent à double
rang, ensuite sur deux lignes i^âlemént écartées s^âv'an-
centles hommes des différentes tribus avep letirs bannières
spéciales, et dans un ordre parfait. Puis' lâ'Gàrde d'Hon-
neur, le'Clei'gé avec des ciergçs à la maro, les erifântsdje
chœ^ur portant, les uns, des ençensoires fumants, lés autres
jetaht des fleiirs abphdarîtes sur le. passage, et formant
l'escorte immédiate qui précède et entoure le cortëgq sacr$..
De chaque coté sont les élèves et les Soeurs qui prennent
part au chant pieux des hyihnes et cantiques. A la suite
so^t les autres enfants des différentes^ tribus. L'a marche
est fermée par un groupe d'étrangeif^ pj^otestants et autres,
qui cheminent aussi avec silence et respect, témoignant
d'une façon non équivoque, de leur sincère admiration
pour ces deux mille et quelques cents enfants du désert
œa(rchant avec pompe et mâijesté sur un parcdtirs de plus
d'bil mine, faisant retentir les aih et les' collines de la mé-
lodie de leurs pieux Tefrain^. Le dais est aussi porté tour
i tour par les plus anciens ehefs : ce qui 0st'régar4éj)ai*
eux, et à juste titre, comme le plus grand honneur^ €rest
ainsi que cette pieuse multitude, àj^rës. avoir si xtéh^tyid^e-
ffiétit cii^uïé pëndàht d'aussi heureux moments àu't^r de
nos collipes, enchantées, a'termtnë sa ms^rcho majestueuse
au sein de'l^glise d^oil' ell^e i§tait partie; et lâ,'apr^s upe
218
derniëTB bénédlctioa de notre Seigaeur sur les familles,
les moissons, la chasse et la pêche, tout le monde édifié
Vest dispersé pour n'oublier cependant jamais le souvenir
heureux de la Procession du Grand Jour des Fleurs*
Je demeure,
Très RéTde Mère,
Votre très humble fiUè et serrante en Jésus-Christ,
SasuR Marib ***.
MISBION DES COEURS D'ALEINES.
sous LES IVÉVDS. PiaiCS JiSUITESi
On se rappelle que la belle mission des Cœurs d'Aleines
^stune des premières Missions fondées par le Vénérable
Père De Smet^ de sainte mémoire. Elle existe depuis près
de quarante ans, et a toujours donné beaucoup de consola-
tion à ses Missionnaires. Les extraits de quelques lettres
de SelUs, son grand chef actuel, font bien voir à quel degré
Tesprit chrétien continue de se manifester chez cette excel-
lente tribu sauvage*
Lettre du Grand Chef Sbltis au Col. Watkins, inspecteur
du OouvernemenL
Cher Monsieur,
J'ai reçu votre lettre datée 25 août, Lewiston, Idaho, de-
mandant & moi et à mon peuple de nous faire citoyens
américains ; et voici ma réponse : à un grand conseil de la
nation, que nous avons eu le 16 août, nous avons beaucoup
parlé sur cet important sujet. Et si je pensais que mou
peuple fût déjà mûr, où prêt à profiter d'une pareille mesu-
re, je fer As tout en mon pouvoir pour les amènera cette fia.
Mais je suis convaincu que maintenant cette, mesure nous
mènerait à une ruine complète.
Si tous les blancs étaient honnêtes comneils le devraient;
n'y eût il pas parmi eux des hommes injustes et ambiti-
219
eux, cela pourrait aller ; mais tous savez mieux que moi
qtie tel n'est pas le cas.
Après de loo^s efforts, nous. Chefs, avons réussi, il n'y
a que quelqiies années, à bannir du milieu de nous les^^
mauvaises mœurs, les jeux intéressés (gambling). et l'ivro-
gnerie. Maintenant si nos jeunes gens devenaient libres, ou
étaient soustraits à notre surveillance, ils seraient tentés
et débauchés par les mauvais blancs, et se livreraient bien-
tôt à la débauche,, deviendraient noéchants et. nous donne-
raient alors beaucoup de misère et de trouble. Non, le
temps n'e^t pas encore arrivé : nous ne savons pas lire, et
nous ne parlons pas l'anglais. Nous ne connaissons paa
les lois, ni les coutumes des blancs : non, le temps n'est pas
encore arrivé.
Mais ce dont nous avons besoin maintenan^^ serait :
i^ Le titre des terres dd notre mission, ou de cette petite^
portion de terre qui nous reste de tout ce que nous^ possé-
dions autrefois pour notre chasse, nos récoltes de fruits et
de racines, pour le paccage de nos chevaux. Ce que nous-
possédions autrefois, nous l^bandoanerions de bon cœur
aux blancs, si seulement nous pouvions être sûrs de ce
qui nous reste, afin que par ce moyen mon peuple fût en-
couragé à l'industrie et au travail.
Peut-être que vous croyez que c'est beaucoup de terre^
que nous vous demandons ; mais ceux qui l'ont parcourue,
savent que ce n'est presque des rochers et des savanes,.
et qu'une très-petite partie est propre à la culture et aux
pâturages.
2o Nous avons besoin d'école ; et nous avons fait un ar-
rangement avec les Sœurs de la Providence pour venir en>
seigner nos enfants ; nous faisons tout en notre pouvoir
pour nous préparer à les recevoir, mais nous craignons
])eaucoup de n'avoir pas mâme le stricte nécesiafre.
Nous ne demandons rien pour nous-mêmes individuelle-
ment, ni pour nos habits, ni pour notre nourriture ; nous
avons l'habitude de nous pourvoir de ces choses ; mais ce^
que nous désirerions serait un peu d'argent pour terminer-
noire maison d'école, et pour soutenir un peu nos Reli-
220
gieiises'gui prendront soin de nok enfants pendant toute
Tannée, (t)
3^ Nous dema^âônir la liberté de^potivoir acheter des mu-
ûitidns et de? fttëils pont la ôhasse; car le {^résident, de-
puis ces deux années de guerre avec les liidiensf ennemis,
a défendu aux Mancâ de vendre de l'ammnnltion aux
r
Sauvages sans distinction. Nous comprenons les motifs du
Prêi^ident ; mais de cette façon, il punit ses amis bien plus
que ses ennemie; car ceux-ci étant trop paresseux poar cnfl-
tiver la «erre, ont tdut le temps qùUl faut pour courir et
traverser lès lignes du côté des Anglais, où ils achètent ce
qulléf veulent, arme^ et munitions. Pour nous qui prenons
soin de nos terres et de nos animaux, nous ne pouvons pas
les abandonner ainsi pour aller courir cà et là.
Néanmoins nos fermes ne sont pas encore tellement avan-
cées que D0U6 puissions en tirer toute notre vie sans le se-
cours de la chasse. G*est pourquoi^ nous prions encore le
gouvernement de vouloir bien autoriser quelque agent^ ou
moi-même qui snischef^ à vendre à mon peuple les maoi-
tiens strictement nécessaires polir la chasse.
Anuré Bbltis,
Chef des Cœurs d'Aleifiee.
Lettre du Col. Watkins à Seltis.
LswiSTON, J. T. 30 août.
Cher ami,
Le soussigné se fait un devoir et un plaisir àd rendre té>
moignage à la loyauté des Coeurs d'Aleines; et en particuUec
à leur grand chef Seltis^ pendant tous les troubles de la
guerre avec les Ne^ercés.
Quand ies habitants blancs de la Rivière an Pin avalent
tous quitté leurs habitations par la crainte, des sauvsges en-
nemis, alors toi, Seltîa, tu les rassuras, en leur promettant
l'amitié et la.protection ^e tes Cœurs d'Aleine^ ; tu envoyas
(l) La Communauté de la. Providence vient d'envpyer trois Sœurs
pour s'établir au milieu des Cœurs d'Aleines.— N. E.
221
môme de tes gens pour gi^^er^ ei preodre soin de leurs pro-
priétés jusqu'à leur retour.
L'influence de Seltis est grande parmi les saurages du
Kord, elle a été d'un grand secours pour maintenir les bons
rapports et la paix entre les blancs et les sauvages.
(Signé) Col. G. C. Wathins
Inspecteur des Indiens.
M. G WiL&imoN,
aide de camp du Oen. Howard.
Xettiie des Gitoykns de la Rivièrb au Pin, aux Rxvds. PArss
Jésuites et aux GoeuRs d' Alswes.
19 juin 1877.
MsssiEuna,
Nous, 8ûu0sigfié$, cultivateurs de la Rivière au Pin et
•ded enrirMs, désirons vous exprimer notre extrême recon-
naissance pour votre noble conduite, toute pleine de bonté
envers nous pendant tous les taroubles de la présente guerre
des Ne»-Percé8«
Si nous avons quitté nos fermes et nos maisons pendant
^pielque temps, ce n'était pas par rapport à vous, mais bien
par la crainte des sauvages ennemis ; car nous étions aasu*
rés de votre amitié et protection qui ne nous a pas manqué.
Aussi en retour pour votve bonté à notre égard, nous ve-
nons vous assiM;er en pétitionnant te gouvernement, de vous
accorder un bon titre à vos terres pour que vous puissiez y
vivre d'une manière sûre> paisible et tranquille. Car naus
voulons faire tout en notre pouvoir pour vous obtenir cette
paixet ce bonheur, dont on vous menaice dépuis longtemps
^'ètre privés. •
(Signé), . N. Mi Moray,
Th. a. Morat,
H. E. YouNG,
Et cent antres. aAimiteurs.
f *
TERRITOIRE INDIEN.
#
Lettre de Joôeph Panénopabha, Gï^and Chef des Osages-
territoire indien, au Rév. Père Shoemacker, S. J.
Bien cher et Révérend Père,
J'ai reçu votre lettre hier soir ; et c'a été une grande joie
pour moi d'apprendre que mes enfants sont en bonne santé,,
et encore pourvus de tout ce qui leur est nécessaire pour
leur école.
J'espère qu'ils apprendront- bien à lire et à écrire, et aussi-
à parler l'anglais correctement. J'espère, ave.c la grâce de
Dieu, de les trouver aussi bien portants, lorsque j'irai les
voir l'an prochain.
Dites à mes enfants ainsi qu'aux autres enfants des usa-
ges que c'est la plus belle chance qii'lLs puiasent avoir d'ap-
prendre à lire et à écrire et de recevoir ujae bonne éduca-
tion, afin que plus tard aotre nation puisse se fier sur eux
pour gouverner et régler nos propres affaij^es.
Mon peuple partira bientôt pour la chasse au buffalOy
mais je ne pourrai pas y aller moi*même. .
Je désire encore que mes eafants soient, surveillés de
près afin qu'ils n'aient pas la tentation de déserter de l'é-
cole. J'ai hâte d'aller les voir en janvier prochain.
Aussi longtemps que j'occuperai l'office de gouverneur de
mon peuple, je travaillerai à a voit .ici une mission catho-
lique et d'en faire partir les qwikers que le gouvernement
nous a imposés, afin que nos enfants soient instruits au
milieu de nous.
La majorité de nos sauvages, viennent de me ré-élire
'^ comme gouverneur pour quatre ans.
Je demeure avec la plus haute estime et respect,
Votre très-humble et obéissant serviteur,
Jos. Panénopasha^
Gouverneur des Osages,
Pour le territoire indien.
223
LETTRE DE REMERGIEMEJ^TS AU^ MEMBRES DE
L'OEUVRE PAR LE PÈRE MALO.
Bien Grers irr Charitables Amis,
Je suis autorisé par le Bureau Catholique Indien de
IJVashington D. C^ d'offrir à tous, et à chacua^des membres
et amis de l'œuvre des missions sauvages des Etats-Unis,
les remerciements sincères et la profonde gratitude des
membres de ce Bureau pour l'assistance et les dons géné-
reux que votre grande charité vous a porté à faire pour
iévangeliser lés pauvres indiens pendant l'année dernière.
Aussi est-ce avec bonheur que nous vous offrons ces vives
actions de grâces au nom de cent mille Sauvages catholi-
ques de ce pays, au nom de nos cent cinquante Mission-
naires Prêtres et Sœurs de Charité, dispersés dans tout le
'Nord-Ouest et les Montagnes Rocheuses. Nous ^désirons
ajouter encore une expression spéciale de reconnaissance
pour ces nobles et héroïques Dames, anges de Charité, sécu-
lières et religieuses, qui n'ont épargné ni temps ni sacrifices
pour travailler à l'organisation de cette sainte Œuvre, ont
favorisé son extension et reçu des membres, les généreuses
offrandes.
Enfin ne pouvons-nous pas signaler et promettre à tous
les bienfaiteurs, comme source d^ coQsolation présente et
d^encouragement futur, les prières angéliques, les chants
de reconnaissance des milliers de jeunes âmes qui, souvent
immédiatement après la grâce ineffable du saint Baptême,
sont allés, jouir de la félicité céleste. Et ne pouvon^nous
de même donner l'assurance des prières ardentes des Mis-
sionnaires et de leurs cent mille pieuses et reconn^iissantes
ouailles, les Indiens Catholiques.
C'est avec la profonde et heureuse conviction que le
Seigneur miséricordieux ne manquera pas de bénir au
centuple c^te sainte (xluyre et son peuple charitable,; que
je demeure, .d^ns les sacrés cœurs de Jésus et de Marie^
, , Votre trèsrhumble.eti
Reconnaissant serviteac,
J. P. MALO,
Missionnaire.
I
Ce n'est pas seulement^ ^bjq s TIo^^ gue, depuis un aa^ lar
famine ^ étendu 0e9 ravages. Il (allait que les Missions de
la Chine établies et maintenues avec tant d^e difficultés, et de
sacrifices eussent aussi à âubir cette tiBrrîblô épreuve. Mgr.
^Volôpteri, Vicaire Apoôtpl^ue d\i Honan, écrivait, le 12
TTanviér 1878, à Mgr Marin oni, supérieur ïu Séqiînaîre des
"Missions Etrangères de Milan :' .
*' Depuis le mols.de Septembre djernîer,'nos cbrétiens ont
été. forcés de vendre jusqu'à leurs meubles les plus indi»-
^(eii^ables pour se procurer des grains. Us se sont nourris
auQSi dfi feuilles, d^arbres, vendues même à un prix élevé.
X'hiver venu et les feuilles tombées^ Técorce des arbres fut
employée coipme aliment ; mêlée avec d'autres substances,
elle composait une . sorte de pâtée amère, plus propre à
couper ^ la faim qu'à là satisfaire. Cette .dernière ressource
leur ayant fait défaut, nos cbrétiens allèrent, où :1s purent, ,
chercher à, manger. Des familles sont venues et viennent
encore, des extrémités de la proyiçce, implorer notre assis-
tance, disant qu'elles mourront si nous né pouvons rien
pour ^lles.
** Dans leur extrême détresse, les païens yeriden)t leurs filleji
et même leurs femmes ;; il se trpiive d^infftmes spéculateurs
qui les achèténticî contre un peu 3e grain, les emmènent
dans d^aptres provinces où la famine n^a pa|s péhé^trê, et les
•revendent avec tiû béûéficë énorme. ' , : \ .
*| Nulle langue ne ^aurait dire lés horréui^s de là situation
pi^séntè.' Le prix du menu grain' va chaque jour augmen-
tant. On ne peut presque pins passer sur les routes ; elles
sont infestées de bandes d'hoînmés désespiàré$ qui cherchent
leur «ubsistance dans le crime. L'jjio^ible fléau avance^
'comme rineendie pouisé par iiii vent yiolent, répandant
partô^xt la terreur et la moirt. Cette fs^nine (iêtrilit, sans
exagération, pins de vies' ^ue là terrible guefre qui exerce
actuellement ses itarviHsieS'ien Ëâtope/ Au nord de Yan-
nan-fou, la j^eoté da XUi«d^ eM jénchée de milliers de
morts et de mPUf aiUs. Dans les villages populeux, c'est
è25
à peiûe si le tiers de la population survit Dans beaucoup
de maisons, des familles entières sont mortes et gisent
sans sépulture. Nombre de villages n*ont plus d'habitants*
Ceux gui ne sont pas morts se sont enfuis vers les villes ou
dans d^autres provinces.
^* Je n*ai pas encore dit la chose la plus horrible. Il serait
impossible d'y croire, si nous n'en étions pas les témoins^
oculaires. On voit souvent les parents se nourrir du corps
de leurs enfants aussitôt qu'ils sont morts, et des enfants
dévorer la chair encore palpitante de leurs parents. Nos
messagers chrétiens et mon serviteur, à son dernier retour
de Si-ngan-fou, s'efTrayaient à la pensée de manger chez
les indigènes Inns; ils craignaient qu'on ne leur offrit de
la chair humaine; car ils avaient vu souvent découper,
cuire et manger des cadavres. Chaque matin, de nom-
breuses charrettes font le tour de la grande ville de Si-ngan-
fou afin de ramasser dans les rues et les ruelles, les corps
de ceux qui sont morts de faim ou de froid, depuis vingt-
quatre heures.
*' Les mandarins de la ville de Nan-yang-fou distribuent
chaque jour, grâce aux libéralités du gouvernementi un
plat de mi'tang (millet qui a bouilli dans l'eau) à plus de-
5,000 affamés, et chaque jour, en moyenne, une douzaine
de ces malheureux tombent morts là même où ils prennent
oe pauvre repas. Quelque chose de semblable se passe dans
chacun des 96 chefs-lieux de district de cette province.
Partout, sur les routes et dans les champs, on voit des ca-
davres ; il y en a jusque sous les murs de notre demeure.
" La nuit du 17 décembre, j'ai sauvé moi-môme une pauvre
jeune fille de treize ans tombée d'inanition dans le voisi-
nage de notre résidence. Les soins qui lui furent donnés
durant toute la tiuit, parvinrent à la ranimer, et mainte.
Haut, après quelques semaines d'un bon traitement, ses
membres amaigris peuvent à peine supporter son misérable
corps.
" Pour achever l'œuvre de destruction, une neige abon-
dante, accompagnée de vents très-froids, est tombée les
deux derniers jours ; elle a fait, aux environs, parmi les
personnes déjà affaiblies par la faim, au moins un millier
2
S36
de, victimes. . Beaucoup,. daQ9 lauj désiespoir, seisont sui-
cidées. On les a trouvées pendues aux branches des arbres
ou aux portes. 4e Içurs maisons.
^^ Notre résidence est comme un navire de sauvetage an
milieu d'une mer pleine de naufragé^. Chaque jour, une
foule de 5U0 à 600 personnes ^e presse à notre porte, et de-
mande un peu d'argent pour éviter la mort. Ne pouvant
donner àtoptes, nous devons régie (Xien ter la répartition de
nos aumônes. Les demandes qu'on nous adresse tn lèvent
chaque jour quelques piculs de grains de notre provision.
Nqus avons, en outre,, plus de cent familles chrétiennes en-
tièrement à notre charge et qui le seront encore plusieurs
mois si nous voulons les sauver.. D'autres Missionnaires
du Vicariat sont dans la même position. L'allocation de
l'Œuvre de la Propagation de la Foi pour, cette aonée est
déjà presque dépensée. Qui nous fournira les fonds néces-
saires à nos besoins et à ceux des milliers de personnes
dont la vie dépeud de ce que nous pourrons leur donner?
Le Dieu des miséricordes inspirera à quelques âmes géné-
reuses de venir à^ notre aide et de sauver du désespoir et de
la mort un si grand nombre de créatures.''
Mgr Volonteri écrivait encore, le 10 février 1878, à Mgr
Marinoni :
^' Le missionnaire, chargé des orphelinats, m'annonce que
les enfants survivants spnt au nombra de 600; et Ton ea
recueille de nouveaux tous les jours.
" J'ai commencé aujourd'hui à emprunter de l'argent, ex-
pédient auquel, dans ces six dernières années, je n'avais
jamais dû recourir. Mais que faire? La désolation est
extrême. Nous sommes toujours en alerte; il y a, de tous
côtés, des attaques et des incendies. Les soldats des man-
darins font coûtinuellement des tournées pour arrêter les
"voleurs. Beaucoup de paisaii f lé vivaient autrefois de
leur travail et qui étaient hoanêles, se sont jeiés dans la
voie du crime pour ne pas mourir de faim. Que Dieu
veuille bien abréger cette dure épreuve et nous accorder
un peu de pluie ! Gela nous donnerait l'espoir de voir, àa
printemps prochain, diminuer l(^s horreurs d'un si grand
fléau." ' ' \' * ^
227
Dieu dont les desseinç sont impénétrables n'a pas yonhr
exaucer de suite les vœux de son zéfé missionnaire, et faire
tôml)er enfin cette pluie tant iJéslrée ; car le 7 mars,
M. Anelïî, Inissionnaire aussi en Chlôe, écrivait à son frère r
" Les victimes delà famine tombeiit 'chaque jour par ihil-
liers. Il n'a pas plu depuis ouze mois. I.l;Ious faisons des
triduum, des neuvaines et des processions. Sllne. pleu^
pas bientôt, I4 récolte de Tannée est entièrement perdue ;
que ferons-nous? ; " ' ''
** Dans les rues, dans les maisons,. sur les places, partout
Ton voit des cadavres dTioiiimes, de femmes èl i3*enfa*nts:
Plusieurs cas de mort par inanition font frémir 5 les cada-
vres, à peine tefroidis, sont dépouillés par les affamés J on
voit des enfants à moitié dévorés par les chiens,. de petits
ehfaiits cherchant le sein sur lé cadavre de leur pierej'des
pères de famillç qui se pendent de désespoir, de^'iiçenB qui
mangent les 'cadavres trouvés sur les routes. Plusieurs
jeunes garçons ont été saisis par les affamés et dévorée vi-
vants. Des mères ont fait cuire leurs propres enfants.
" Le gOuyernement chinois distribue des secours aux mal-
heureux. Dans cette seule ville, il nourrît chaque' jour
13,000 personnes ; mais qu'est-ce que cela?
** La famine a pour conséquence le brigandage. Beaucoup
de Chinois, poussés par la misère ou par la perversité, trou-
vent, dans la consternation générale et dans l'alfaiblisse-
ment delà force publique, une nouvelle audace et une nou-
velle assurance d'impunité. Nous qui résidons hors de la
ville dans un village mal défendu, nous ne dormons plus
tranquilles. Presque toutes les nuits, à deux, trois et quatre
milles de notre résidence, nous voyons des incendies allu-
més parles brigands qui veulent ainsi profiter de l'épou-
vante et du trouble.
**Dans cette extrême désolation, notru vénérable Vicaire
Apostolique travaille au-dessus de ses forces, et il ferait bien
plus s'il en avait les moyens. Non s recueillons tous les
jours les enfants par dizaines, et beaucoup d'entre eux
meurent après avoir reçu le baptême et la confirmation.
Nous en avons encore un millier de vivants ; leur entretien
nous co^te 500 ligatures (2,000 francs) par mois. Eu égard.
39&
à Jftos faibifis rçssouccejB, e'çj^t aa çhiflDra effrayant^ I^es graws
aont à4e«i pru fabutoux^ |dgr VQlpnteri 4iaaU dèraière-
TQealxiife 70 taêls j(9aTirûa 500 fra^qa) 0,9 auffisaieiiit pas &
la dèpepse. de. chaque jauf » » Si des secours extraordîaakes
ne n(m^ «arrivent pas, noua ne. pourrons pl^s continuer."
Le Et P. Anastbase,; Di^^sUmoaire frapciscain au Chausi-
éçriV le 1S mai tSTt^^ m^- P. Mari'e (de Brçst)^ procureur
des missions fraucipcaines i Paris :
^^Mgr'.Louis Moccagatta, vicaire apostolique du Chan-si, en
raison de l'extrême misère où se trouvait la clirétieuté de
Ke-leao-kou, me pria de m'; rendare pour administrer les
derniers sacremants aui: affamés, mourants et pour distri^
buer le peu d'aumônes que la mission avait à sa disposi-
tion.
1^ " Je m'empressai de me transporter à Ke-leao-kou ; j'y fus
reçu par les chrétiens comme un envoyé du ciel. Ne pou-
vant, hélas 1 les soulager tous^ j'écrivis à Mgr Moccagatta
de venir, avec de fortes aumônes et le plus promptement
possible, en aide à son troupeau désolé, décimé et près de
périr tout entier. Il me répondit par l'envoi de cinq sacs
de grain, et par la promesse de m'adresser prochaioeaient
d'autres secours.
'( Vous n'ignorez point les causes de cette famine. Les ré-
coltes de 1875 et de 1 876 furent, pour ainsi dire nulles par
suite de la sécheresse. En 1877 et cette année» la pluie n'est
pas venue. Aussi, le fléau étend partout ses ravages, et des
familles, autrefois dans l'opulence, sont réduites à un tel dé-
nûment que, se voyaat inévitablement condamnées à mou-
rir de faim, elles abrègent leurs souffrances p^r le poison.
Dès Tautomne dernier, grand nombre de personnes allaient
çà et là cueillir des herbes et des feuilles vertes et sèches
pour s'en nourrir. La misère engendrait de graves désor-
dres ; la population était agitée, et des bandes de 30, 50, 70
personnes se réunissaient pour assassiner et voler à main
armée. Le gouvernement chercha à réprimer ces excès,
et il crut pouvoir en prévenir le retour en promettant des
«ecours de la part de l'Empereur. On commença donc à
distribuer chaque jour une écuelle de bouillie, nourriture
plus propre à prolonger Tagonie qu'à satisfaire l'appétit de
229
-ces malheureux, et le peuple cessa rtomentaûément de vo-
ler et de tder. Hais loin d^arrèter le développement dtr'
-Héau, ces secoirrs insùffisams tie firent qu^en augmenter
IMtateniité, en attirant sur certains points, de toutes les par-
tie» de la province, une fbule énorme d^atbmés. Gomiiie
il oe leur restait rien à leâr distribuer, ils moururent de
^roid et de faim.
'^Cet état lamentable a encore empiré. Tous ceux qui
avaient pu, Jusqu'à présent, soutenir leur existence an
moyen d'écorces d'arbres, de feuilles de millet ou de paille,
mélangées d-une certaine terre blanche appelée kentzthtxu^
^e laissent aller è l'abattement et au désespoir; ils tom-
bent comme des mouches sur ce sol désolé où n'apparaît
plus un seul brin de verdure.
*'*' Auparavant, les cadavres étaient enterrés par des mains
<hari tables ; aujourd'hui, petit est le nombre de ceux qui
reçoivent une poignée de terre : païens et chrétiens, n'ayant
pas de quoi se nourrir et se sentant mourir de faim, enlè-
vent les intestins des cadavres et se repaissent de leur chair
a peine refroidie.
*' Il y a deux mois ces faits monstrueux étaient rares, et
<exai qui s'en rendaient coupables étaient punis avec la der-
nière rigueur. Aujourd'hui, ces malheureux n'ont plus
honte de se jeter sur les morts pour les dévorer ; sous l'ai-
guillon de la faim, ils sont devenus tellement cruels, que,
il 'ils ne trouvent de cadavres, ils tuent sans j>itié leurs sem-
blables. J'ai vu de mes propres yeux, aux portes de la
ville, des ossements humains dépouillés de leurs chairs,
des cadavres mutilés d'hommes et de femmes. Le dernier
^tait encore tiède ; il venait d'être immolé sous les yeux
4'un païen de qui je tiens le fait, par trois inconnus qui
avaient emporté les jambes et les parties charnues.
^< Ces cas d'anthropophagie deviennent tous les jours plus
nombreux, et ce n'est pas seulement ici qu'on les peut signa-
ler, mais aussi dans toutes les parties de cette immense
province, comme l^tttestent les relations envoyées à
Mgr Moccagatta par les prêtres européens et chinois. Dans
lies auberges, on tue les voyageurs pour les manger et pour
.faire de leur dépouille mortelle, convertie en objet d'ali-
4aientation, le plus horrible des trafics.
*^Tou8 le$ bourgs, tous les villages sont dépeuplés; om
ii'eiitend plus retentir le j07eu;![ éçlt^t des phansoDs, partout
règne un silence sépulcral. Des pays, où Toa comptait'
300^ 500 et 1000 familles, p'pnt p^us que 6, 20 et 40 person-
nes au plus. C'est un £ait guepeuyent affî]:ciier comme moi'
tous les prêtres de ce yicariat. Le. nqmbre de ceux qui gi-
sent sans sépulture dans leurs maisons est ifimombrablB.
ils y sont morts dans les tourments de la faim, ou, n'ayant
pas le courage de supporter jusqu'au bout leurs tortures, ils-
ont demandé au poison un sommeil éternel. On n'entend plus
une plainte, on ne voit pas une larm^ couler, lorsqu'une
mère perd son enfant, uao épouse son époux, les en&nts-
leurs parents. J'ai connu une païenne qui mangea son ma-
ri, soii ûls et deux de ses ûlles, morts. . de faim^ et qui,,
n'ayant plus rieo à manger, succomba à son tour. Un jeu-
ne homme tua son grand-père, puis son père.
" Près de KeJeao kou, se trouve UP: village appelé Xao^
thaun. Je m'y rendis dernièrement pour baptiser quelques
familles catéchumènes. Il ne restait qu'uae jeune fiUe de
trente ans, autrefois riche, maintenant réduira à la misè>
re, qui me raconta que, to\iS) à l'exception d'un vieillard et
et d'une femm3 surpris par la mort^ avaient été baptisés
avant de mourir par unmédçciu phrétien,'et que les païens
avaient enlevé ensuite. leurs cadavres.
" Une lettre, envoyée hier à Mgr Moccagatta par un de nos-
confrères, annonce que, dans les ^istrict^s de Hun-tun et de
Tchanmon, les païens s'enlretuent ; notre courrier, qui de-
yait se rendre auprès de sa sieur, eiji a été dissuadé par ses
amis qui craignaient de le;.yp^f tomber entre les mains des
anthropophages. . ■ : ■> ,
'^ Ici la famine est au comble et plus terrible. que dans les-
autres provinces., I^e gràin,,gui se vendait autrefois 300 sa-
pèques, en. vaut aujourd'hui 5,000, et bien heureux qui peut
s'en procurer è^ ce prix. Le . fléau sévit avec beaucoup plus
de rigueur que dans l'Inde, qù les nombreux moyeus de
transport, les routes et les canaux permettent d'envoyer ra-
pidement les secours, tandis que la province du Chan-si est
hérissée de montagnes et n'a pas de rivières navigables ; les*
bêtes de somme, qui fourraient .tr^pçporter des vivres, ont
231
^utes été tuées l'aoaée dernière, lie peu de grains qui
nous vieat de la Mongolie est trausporté à dos de chameaux
^r des caravanes tartares*
'<La plupart de nos prêtres ont veadu jusqu'à leurs vète-
.meats pour secourir les malheureux, Mgr Moccagatta et
son coadjuteur, Mgr Grassi, ainsi que nous tous, nous
«nous sommes astreints à ne mauger que du millet et un
*peu de farine de seigle préparée en bouillie. Nous avons
fait, jusqu'à présent, tout ce que nous avons pu; mais, si
Dieu n'a pas pitié de nous, presque tous les chrétiens mour-
ront Déjà, le nonibre. des païens et des chrétiens morts
dans celte province dépasse 7 millions.
^- Voilà l'état actuel du Ghansi, province de 30 millions
•d'âmes, qui, si la pluie n'arrive pas, ne sera plus bientôt
4]u'un vaste désert."
I4 Osurvatore romano a publié, au mois de juin dernier,
l'article suivant, dont nous empruntons la traduction à la
.Liberté de Fribourg :
• "Depuis que sont parvenues en Europe les premières nou-
velles qu'une borible disette tourmentait quelques provin-
ces dans les Indes orientales, spécialement de la Présidence
de Madras, la S. Congrégation de la Propagande s'est em-
^pressée d'expédier aux vicaires apostoliques de ces contrée»
une subvention extraordinaire qui, distribuée par les maioA
des missionnaires, bien qu'elle ne fût qu'nne goutte d'eau
sur un vaste désert, devait pourtant porter quelque con-
solation aux victimes de ce fléau morteL Cette subven-
tion fut aussi répétée plus tard, moyennant le concours de
quelques pieux bienfaiteurs qui voulurent prendre part à
une œnvre de si grande charité. Notre journal a déjà donné
•le détail des sommes envoyées, 25,000 fr. la preïnîère fois et,
30,000 la seconde, et les secours fournis ont produit le fruit
qu'on en attendait, spécialement par la conversion de beao-
•cOnp de païens à la religion catholique •
^ Mais, si la famine a commencé depuis le mois de sep tein-
bre de l'année dernièro à diminuer d'intensité, ses triâtes
^effets, outre la grande mortalité^ ont été nombreux et sonleDr-
232
^core très-sensibles; à tel pQint que, pour les pauvres mission-
naires, s'est accru extraordinairement le nombre d'orphe-
lins, de veuves, de vieillards qui, entrés dans le bercail de
rÉgiîse catholique, demandent journellement le pain pour
Tivre. Une communauté de religieuses a recueilli plus de
6,000 enfants et se prive presque du nécessaire pour les ali-
menter.
*' Ce qui est plus douloureux, c'est que le fléau est passé des
Indes dans quelques régions de la Chine, même avec une
augmentation de violence et sur un terrain bien plus vaste,,
de manière que plus de soixante millions d'habitants ont eu
à en souffrir, lies relations qui arrivent à la Propagande,,
de la part des vicaires apostoliques et des missionnaires, sont
les plus émouvantes et les plus déchirantes, car elles donnen t
connaissance de scènes horribles de victimes humaines,
spécialement d'enfants qui sont la pâture d'affreux affamés,,
môme de leurs propres parents. D'autre part, des troupes
de squelettes, plutôt que de figure» humaines, se pressent
en foule et environnent, jour et nuit, les habitations des vi-
caires apostoliques en demandant quelque aliment, parce
qu'ils n'ont plus ni herbe à paître dans les champs, ni
feuilles et écorces d'abres à ronger dans les bois.
^^ Il est bien naturel que les malheureux païens abandon-
nés de tous demandent à être admis au baptême, mais sur-
tout que la sollicitude des missionnaires veuille assister les fa-
milles des fidèles. Mais le missionnaire est lui aussi dépourvu
de ressources, et, s'il n'a pas pour les siens, comment peut-il
donner aux étrangers? Les convertis sont nombreux et
ils ont quelque subside journalier pour vivre ; mais il y en
aurait bien plus, si le missionnaire pouvait les alimenter
touf^ et, en attendant, les instruire et s'assurer de leur sin-
cérité et de leur constance dans la foi. Il faudrait ensuite
continuer à les secourir de peur que, laissés à eux-mômesy
ils ne retournent à l'idolâtrie et ne meurent dans un déso-
lant abandon. Gomment donc pout voir à tant de besoins T
'' La S. Congrégation de la. Propagande, profondément
émud de ce misérable état des vicariats chinois, a, noooks-
tant la gravité de^la gêne où elle se trouve actuellement,
-recueilli ses forces et profité n^me des ressources proba-
233
'J3les, et, ferme et confiante dans sa mission, elle a envoyé^
il y«a dn peu plus d'un mois, 50,000 fi*. * aux ncaires B:p08^
«toliques de ces régions. Pour le même motif, une somme
•de 21,000 fr. a été, il y a peu de lemps^ expédiée par la Pro-
pagande à Mgr Touvier, vicaire apostolique de l'Âbyssinie*
O'est donc, en moins de huit mois, près de 106,000 fr« qae
la 3. Congrégation a employés au soulagement de tant de
jnalheiireux souffrant de la faim aux Indes et en Chine,
-sans cesser pour cela et sans retarder un instant de peur-
'Tûir, comme elle fait journellement, aux besoins oordinairee
-des missions qu'elle entretient dans tout Tunivers.
^' Voilà à quoi servent et comment s'emploient les rentes
des biens laissés par de pieux bienfaiteurs à la S. Congréga-
tion de la Propagande."
iC
"VICARIAT APOSTOriQUE DE L'AFRIQUE CENTRALE:.
APERÇU HiraORlOOB BT ÉTAT A-GTOSL. .
m
Avant de repartir pour sa lointaine missioD^ Mgr Corn—
'boni, récemment nommé évèque de Glaudiopolis in partie
hus et vicaire apôstôïiofoê de l'Afrique centrale^ a adressé^
atixGonseiUcentraurde rCEuvrede la Propagation de la
Foi une notice historique sur Pimmense vicariat qu'il. ad-
ministrait depuis cinq ans, en qualité da prôvicaire. Nous»
en commençons la publication.
^^ Lorsque le monde chrétien, à la voix de rëfier&elle sa-
gesse, sortit des profondes ténèbres où l'ancienne loi le te-
nait enveloppé, la prodigieuse puissance qui le fit surgir
de ce goulTre obscur fut l'auguste étendard de la Croix^
Les œuvres de Dieu doivent toujours naître au pied du
Calvaire. La croix, les contradictions, la souffrance, sont
le signe ordinaire de la sainteté d'une œuvre ; et c'est par-
cette voie semée de ronces et d'épines que les œuvres dO'
Dieu se développent, prospèrent et atteignent leur perfec-
tion et leur triomphe. Pour accomplir la grande œuvre
de la rédemption du monde, l'Homme-Dieu a passé par
cette voie ; la Vierge immaculée l'a parcourue, et, après
avoir été la Reine des martyrs, elle est devenue la Reine
de la terrre et da ciel. Cette même voie a été suivie par
les Ordres religieux et par toutes les in<)tilutions de l'Eglise
de Jésus-Christ, qui ont répandu sur le monde entier le tré-
sor de leurs vertus héroïques et de leurs bienfaits. Par
cette voie ont passé les martyrs et tous les saints ; et l'on
peut dire que la grandeur de leur sainteté est proportionnée
à la grandeur de leurs souffrances. Enfin, c'est sur cette
voie royale que marchent toujours l'Église et la papauté,.
^ de saint Pierre à Pie IX. Cette vivante image de Jésus-
Christ, son fondateur, cette reine de toutes les œuvres de
la toute-puissance et de Tamour de Dieu, ce chef-d'œuvre
de sa droite, ce magistère très- haut de ses éternels dea^
ceins, cette arche mystique du pacte éternel, ce grand
navire mystérieux, qui, durant dix-neuf siècles, a traversa
235
-sain et feauf les mers bouleversées par la fureur deé pui&-
rsances infernales, traversera majestueusement tous les
-siècles et touchera au port de réternité, aussi intacte que
lorsqu'elle est sortie du sein de Dieu. '
" 11 devait en être de même de l'œuvre de la rédemption
"de la Nigrîtie, qui a pour objet spécial l'apostolat de l'Afri-
tjue centrale. Cette grande entreprise devait suivre la même
^oie de douleur tracée à toutes les œuvres filles de TÉglise
de Jésus-Christ. Aussi, les contradictions qu'elle a rencon-
trées à sa naissance, les obstacles q^i'elle a surmontés dans
son développement sont-ils la preuve là plus éclatante et )a
-plus sûre de la sainteté de son but et la garantie de son
•avenir.
" Grâce aux très sages dispositions du Saint-Siège, l'œuvre
de la rédemption de la Nigritie est sur lé point d*entrer
dans une période nouvelle et de prendre une direction plus
îorte. L'histoire détaillée de cette œuvre n'est pas encore
assez connue en Italie, en France et dans les autres nations
t^atholiques, où la charité est si vivante et si admirable. Il
ne déplaira donc pas à nos bienfaiteurs que je retrace rapi-
dement l'histoire de mon apostolat de l'Afrique centrale et
que je donne une idée de l'œuvre pour la rédemption de la
Nigritie, destinée à diriger et à alimenter cet apostolat.
'Fondation du vicariat. — Etendue, limites, populations. — Historique da
vicariat.
^^ Le vicariat apostolique de l'Afrique centrale a été éri-
j;é par un bref de Grégoire XVI, en date du 3 avril 1846.
'^ Ses limites sont : au nord, le vicariat .apostoUque.de
l'Egypte et la préfecture apostolique de Tripoli ; 4 l'est^
la mer Rouge sur les côtes de la Nubie, et les vicariats
apostoliques de TAbyssinie et des Gallas ; au sud, la r^gioa
des montagnes de la Lune, que les géographes modernes
placent entre les lO^ et 12» de latitude australe ; à l'ouest»
le vicariat des Deux-Guinées et la préfecture du Sahara.
-'' Ce vioariata donc une superûcie plus graade que celle
236
de l'Europe enlière. Il embrasse toutes lei poesessionB âv
Khédive d'Egypte dans le Soudan, possessiona qai occupent
un espace cinq fois aussi vaste que la^France. Il comprend
ed outre quelques royaumes sounis i des princes, sectateurs-
de Tislamisme. Mais la paitie la plus étendue renferme
des tribus arabes nomades et musulmanes, d'ionombraldes-
tribus de nations sauvages et fétichistes, et plusieurs états-
indépendants, ennemis du Coran ou Ignorant son existence,
n'ayant aucune idée du christianisme et dominés par des
superstitions qui leur tiennent lieu de religion.
^' La population du vicariat était évaluée à 90 million»
d'âmes par mon prédécesseur, le P. Ignace Enoblecher.
Après des études sérieuses, des recherches très-exactes, et
en prenant pour base les calculs approximatifs de la statis*
tique de Washington, je crois pouvoir assurer qu'elle at-
teint le chime de 100 miUions d'infidèles. D'où il résulte
que le vicariat apostolique de l'Afrique centrale est le plus
vaste et le plus peuplé du monde.
*^ On peut partager son histoire en trois périodes. La
première embrasse quinze années : elle comprend la fonda-
tion de la mission par le P. Ryllo, de la Compagnie de Jésus,
qui mourut à Khartoum en juin 1848, puis l'administration
du P. Ignace Knoblecher, mort en avril 1858, et celle de
Mgr Kirchner, qui céda, en 1861, le 'vicariat à l'Ordre de
Saint-François. Pendant la deuxième période, de i86l à
1872, le vicariat fut administré par les Mineurs Observan>
tins, sous la direction du R. P. Reinthaller et des vicaires
apostoliques de l'Egypte. La troisième période offre le ta-
bleau du vicariat sous mon administration depuis 1872^
époque à laquelle il a été confié à l'Institut des Missions
pour la Nigritie, fondé, en tSS't, sous les auspices de Mgr
de Canossa, évèque de Vérone, aujourd'hui cardinal.
^^ Dans la première période, quatre stations furent éta-
blies: une à Khartoum (Nubie supérieure), Capitale des
possessions égyptiennes au Soudan, située sur le fleuve
Bleu entre le 15o et le 16o de latidude nord, une autre à
Gondokoro, sur le fleuve Blanc, dails la tribu des Bari^
idutre le 4» et le 5o de latitude nord ; une troisième à Sainte-
Croix, dans le tribu de Kich, sur le fleuve Blanc, entre le-
237
&> et le 7o de latitude nord; la derqiëre à Scellai, près du
tropique du Cancer, eu face des lies de Filé (Nubie infé-
Heure). ï^lus de quarante inissionnairës européens travail-
lèrent dans cette mission de 1846 à 1861. Le plus grand
nombre d'entre eux étaient Autrichiens et appartenaient
au diocèse de Laybach et aux diocèses du Tyrol ; il y avait
aussi trois Bavarois, quelques Pères de la Compagnie de
Jésus, et sept prêlres de Tlnstitut MazKa de Vérone. Pres-
que tous succombèrent, victimes de leur charité, aux fati-
gues et à rin&alubrité du climat.
'' Bans la deuxième période, les ôtations de Gondokoro,
de Sainte-Croix, et plus tard celle de Scellai, furent aban-
données. L'action des missionnaires se concentra sur
Ehartoum, principale station, où le provicairt>, Mgr Kno-
blecher, avait acheté une maison et un grand jardin. Près
de cinquante Franciscains, la plupart Frères convers, y pas-
sèrent deux années. Vingt deux Religieux ayant succom-
bé, lets autres, affaiblis par les fatigues et les maladie?, se
retirèrent en Egypte ou en Europe. Il ne resta que trois
ou quatre Pères ou Frères pour prendre soin des catholiques
de IChartoum. Jusqu'alors le vicariat de l'Afrique centrale
avait été soutenu au moyen d'aumônes recueillies dans
l'empire austro-hongrois par le comité de la Société de Ma-
rie.
^* Dans la troisième période, fut créée la mission du Kor-
dofan. On fonda, à El-Obeïd, la, capitale, un établissement
pour les missionnaires et un institut pour les Sœurs. A
deux journées de celte ville, à Malbes, où Ton trouve de
l'eau en quantité suffisante, on prépara Tinstallation d'une
colonie auxiliaire, en élevant des maisons et en acquérant
des terrains pour loger les familles d^nègtes convertis.
Avec le temps, on espérait former ainsi des villages entière-
ment chrétiens qui se seraient peu à peu développés. On ou-
vrit également une missim dans le Gebel Noubas, au sud-
ouest du Kordofan, afin de se ménager un point d'appui
et des moyeni de oomimunication pour fatué pénétrer ht foi
pamii les ' idôl&tres du eentre du vicariat On fonda i
Khartoum le gratid établisèement des Religieuses do Saint-
Joseph de l'Apparition de Marseille, comprenant une école^
238
tin orphelinat e,t les œuvres qui s'y rattachent On. inau-
gura la piission. de Berber placée dans le site .le plus agréa-
ble, sur" lés riees du Nil, prèg.d^ 18» de. iatitudft nord, aa
point de réunjoii des. caravanes àp. fehartouni, de TÉgypte,
par le désert de fCorosco. èl de feoûakinï, sur la mer Rouge.
Touç .ce?. établissements sout pourvus de. missionnaires
habitués au clinoat par leujr séjour dans. les deux Instituts
du Caire chargés de préparer les ;missionnaires pour TAfri-
que centrale. Depuis :1872,. des .prêtres .dé l'Institut des
Missions de la Nigritie, de Véroqe,^ quelques P.ères Camil-
liensj et dea Sœurs de Saint-Joseph dé rApparition ont été
employés dans le vicariat. Durant cinq aimées, . aucun
prêtre missionnaire européen n'a çuccombé aux rigueurs du
climat.; tous .ont joui de la meilleure santé, malgré les fati-
gues, les longs voyages ë.t les privations qu'ils devaient
s'imposer. Seules, quelques Religieuses sopt mortes; mais,
avant de se dévouer à cette laborieuse miission, elles souf-
fraient déjà des suites de fatigues anciennes.,
'' Cet aperçu sommaire montre qne le vicariat de TAfrî-
que centrale a suivi, à ses débuts, la roiite des épreuves, des
luttes et du sacrifice que la Providence assigne ordinaire-
ment à toutes, les œuvrer saintes. , .
II
LUnstitut Mazza.-* ApprbbaUoa par. Pie IX du projet de rédemption de
la Nigritie. — ^Vqyages en Europe de M. Coiuboni.T^AUocatioii doa-
oée par la Sqciét^ de Golof^Qe.-r-Prolection do Mgr de Gaaossa. —
Fondation des In&tiluts de Vérone.
. "Je dois ici raconter brièveoiônt rorigine de l'œuvre
pour la rédemption' de la Nigritie, fondée aous.^^s auspices
de Mgr Tô^êquô de Véroae. .
" Au nombre des ciaq premiers mi33iounaires envoyés
en 1846 daoe rTAfrique «centrale, sQUa la: direction du P.
Ryllo^ se trouvait lé P. Ange Vinco, originaire du village
de Cerro. Oe prêtre appartenait à Vinstii^t fondé à Véro-
ne par le P. Nicolas. Mazza, où j'ai moirméme reçu* l'édu-
cation sacerdotale et dont j'ai fait partie pendant vingt-
239
quatre ans (1843-1867). A la mort du P. Ryllo, le P. Ange^
Vinco, étant revenu en Europe recueillir dés aumôdes et
recruter des missionnaires, passa denr mois à l'institut de
Vérone. Le tableau qu'il fli de l'état déplorable des peuples
de la Nigritie intérieure émut si vivement le P. Mazza,que
celui-ci résolut d*envoyei' dans l'Afrique centrale des Reli-
gieux de son institut qui montreraient des dispositions pour
ce ministère.
" Au mois de janvier 1849, élève de philosophie et âgé de
dix-sept ans, je jurai aux pieds de mon vénéré supérieur^
le P. Mazza, de consacrer toute ma vie à l'apostolat de l'A-
frique centrale. J'abandonnai alors le projet que trois an*
auparavant la lecture de l'histoire des martyrs du Japon,
par saint Alphonse de Liguori, m'avait inspiré de me vouer
à la lointaine et périlleuse mission du Japon. Dès lors, je-
ne m'occupai plus que de me préparer à cette sainte entre-
prise. En 1857; je fus envoyé par le P. Mazza à Khartoum
et aux stations du fleuve Blanc avère le P. Beltrame et
d'aulres prêtres. Là, je pasèai par de rudes épreuves, et je
fus fréquemment atteint par les fièvres meurtrières de l*é
quateur qui me mirent plusieurs fois au bord du tombeau»
Dans rintérvalle, je pus étudier la langue des Denka, le ca-
ractère et les coutumes des nombreuses tribus de la Nigri-
tie intérieure. A mon retour en Europe, lorsque j'eus rem-
pli, par ordre de mon supérieur, une importante mission
aux Indes orientales et sur lescôtts orientale» de l'Afrique,
le vicariat était passé aux mains dés RR. PP. Franciscains.
" Le 18 septembre 1864, après avoir assisté, à Saint-Pierre
de Rome, aux solennités de la béatification de M irguerite-
Harië Alacoque, mon projet pour la régénération de l^Afri-
que mè revint à l'esprit.. Je le présentai au Souverain
Pontife Pie IX, qui l'approuva, et à la S. Congrégation de
la Propagande. Mon projet- fut imprimé en diflféreiïtes
langues et eut' plusieurs édftions. ; Le but était d'assurer la
stabilité et la perpétùîfé' de^'inissions de la Nigritie cen-
trale, en élevant en Europe deux Instituts qui leur iotHli'ùi- '
ralentie personnel de missionnaires et de religieuses né-^'
cessaires, et en fotidant. sur les côtés "d'Afrique, dans nn
lieu silubre, tieux établissements où les missionnaires et
2,40.
les Sœurs sa pré gareraient, a^u çlin^at de rjAiri^ue centra-
le et aux faUgues de l'apostola^* . ■ , . ,* ;
*' Mais j'étaig §aw ajpsp^H çl dépourvu de. tOH3 moyens pé-
<:iiaiaires. . Muni de V^pprobatiou .de-mes supérieurs et d&
celle du cardinal Barnabp, préfet de ,W Propagande, je par-
courus, durant trois années, ritalie, la France, PE^pagne,
l'Angleterre, VAllenwigne et d'autres contrées, exerçant le
ministère sacerdotal, visitant et étudiant les œuvres pour Ie3
missions étrangères, ai bien organkées ep, France et ea Ir-
lande, cherchant des lumières, des protections et des aumô-
nes et faisant connaître l'import^ince de mon entreprise à
ceux qui pouvaijent m*aider. J'étais puissamment soutenu
par le cardinal Barnabe, par d'illustres et éminents person-
nages, et surtout par les encouragements de Notre Salntr
Père le Pape Pie IX, qui ^n'avait dit en septembre 1861:
" Labora skut honui mUes CkrUti pro Africa, " Malgré les
obstacles que je rencontrais et les di£B.cultés qu^ je prévo-
yais en Europe et en Afrique^ j'eus toujours conûance dans
le cœur de Jésus qui a souffert aussi pou^ la inalheureuse
Nigritie, et je ne perdis jamais l'espoir de réussir dans ma
difficile entreprise.
/^ En 1865, la Société de Cologne pour le rachat et l'en-
tretien des noirs examina sérieusement mon projet et ea
comprit la grande importance et le but pratique. Elle fut
la première à assurer la réalisation de mon œuvre en m'aU
louant à perpétuité, par un titre approuvé de la chancelle-
rie épiscopale, une somme annuelle de 5.000 francs, pour
soutenir le premier iastitut que je fonderais sur les côtes
d'Afrique. Cette allocation m'ouvrit les sources de la cha-
rité universelle, des Société^ de bienfaisance d'Europe, et
en particulier de celle qui e&i la reiofe de tputes, 4^ rCÉu-
vre admirable de la Propagation de la Foi.
'< Ce fut seulement en 1867 que la Providence me doojoa,
pour asseoir solidement l'édiflcp dont j'avais conçu le plan»
un véritable point d'appui clans l'illi^tre marquis Louis de
Ganossa, évâq^e de . Vérone, honoré aujourd'hui de la
pourpre romaine^ glorieux dépendant de la célèbre com-
tesse Jiiathilde de Ganoasa et neveu de la Vénérable mar-
quise. Madeleine d^ Cauossa, foadatrice deç Pilles canos-
m
-siemies d^:la Ghftrit^, qui g^ra biwt&t, ^ous TQ^pérona, 6I6«>
vée sur les aut^ls^ Ce prince, de TÉgUse, n'étant eiicelre
que simple prêtre, avait yu plusiews fois une trouve d&
Jeunes orphelines africaines que le P. NicoIas^OItvieri, de
Oénes, lui avait présentées pour c^btenir deis aumônes* '
Ému 4e compassion, il engagea le R Mazza> son ami^ à les
recueillir à Vérone dans son institut de femmes, £^n de
les instruire dans la foi» Plpstard, ces négi^esses, de retour
dans Leur patrie, pourraient enseigner la religion, sous la*
direction des missionnaires. Mgr de Ganossa avait suggéré
au P. Mazza de les élever da.ns des établissements placés*
sur les côtes même de TAfrique, car Texpérience démon-'
trait que les nègres, transportés en Europe étaient eiposés
à y perdre la vie. Peut-être le P. Maxza aurait*il mis ce
projet à exécution si la mort ne Tavalt pas enlevé.
^^ Aussi, après de mûres réflexions, connaissant le zèle
ardent dont Mgr Tévêque de Vérone était enflammé pour le
«alut des âmes les plus abandonnées, je m'adressai à ce pré>
lat, de qui j'avais Thonneur d'être connu depuis 1849. Je
lui exposai mon projet et je le suppliai de prendre cette OBu-
Yre sous sa protection, et d'en accepter la présidence. Je
l'assurai que, jusqu'à la mort, je serais son bras droit ou
plutôt que toutes les charges de l'entreprise pèseraient sur
moi, que je pourvoirais à toutes les nécessités pécuniaires
et matérielles, et que je ne lui demandais que sa très-noble
«t très-puissante recommandation. Mgr de Ganossa, animé
d'un esprit vraiment apostolique, accepta d'être le protec
leur et le président de l'OËuvre entière. 11 ne se laissa ef-
frayer ni par les malheurs du temps, ni par mon insufB-
sance et ma pauvreté, ni par les difficultés de l'entreprise ;
il était soutenu et fortifié par le Pape Pie IX, par le préfet
-de la Propagande, par un grand nombre d 'évoques av«c
lesquels lui et moi nous nous étions rencontrés à Rome»
^ux fêtes du dix-huitième centenaire du martyre de saiqt
Pierre,
'^ En 1867, je pus ouvrir â Vérone, sous le^ auspices du
prélat, un premier institut pour les missionnaires, et un se-*
<;oQd pour les religieuses auxquelles je donnai, en 1872, le
nom de Pieuses Mères de la Nigritie* Afin de soutenir^
Î42
au moins en partie, cîe second institut, on lui affilia, sons Ift
présidence de Févôque^ assisté d'un coAseîl d'ecclèsiastiques^
et de laïques, FAssociation du Bôn-Pasleur, enrichie d'in^
dulgences plénières par Sa Sainteté. J'avais déjà, suivant
l'avis du cardinal Barnabe, quitté l'excellent institut Mazza
peiir me consacrer librement et entièrement à TOEuvre de-
là Nigritie.
•'Je plaçai à la tète de la maison des missioanaires le
regretté Dr. Alexandre de Bosco. Il possédait les qualités
éminentes que demandait cette charge, et il avait été mon^
compagnon dans l'Afrique centrale, où son nom est encorô"
béni. L'institut des Religieuses de Vérone, ayant, par suite
du malheur des temps, passé par beaucoup d'épreuves, ne
put se reformer qu'en 1872. Aussi, pour commencer dans
l'Afrique centrale les oeuvres des religieuses en même
temps que les œuvres des missionnaires^ je choisis,^ après
avoir visité un grand nombre de congrégations exk
Italie et en France, la Congrégation dés Sœors de Saint-
Joseph de l'Apparition de Marseille. 'Cet institut est le
premier qui se soit établi en Orient depuis les Croisades ;
il a été approuvé par le Saint*Siëge et il est répandu dans-
l'Europe, dans l'Asie, xSanis l'Afrique et dans TOcéanie.
J'avais à peine exposé mes projets à la Supérieure générale^.
la Révérende Mère Emilie JuUen, ancienne missionnaire^
en Afrique et en Orient, qu'elle consentit à me seconder.
m
Départ poar TEgypto de M. Comboni et d'une premiôre troupe da mis-
sionnaires.— Fondation des Instituts du Caire. — Départ de la pre-
mière caravane pour le Kordofan.
«
'* Après avoir organisé en Europe rOEuvre poui^ la ré-
demption de la Nigritie, je m'occupai de' la irailsplanter
Bur les côtes de l'Afrique.
^^ J'étuliai soigneusement les divers points qui pouvaient
8è prêter àl'exécution de mon grand dessein, et le lieu que
je jugeai le plus favorable fut la capitale de^ l'Egypte. Lar
tempëratéTedé Caire, teîiant la moyenne entre la tempéra-
ture de l'Ebrope et celle des ré^^ions embrasées du centre
de l'Afrique, convient parfaitement pour acclimater le».
,243
-missionnaires eoTopéens qui se destinent à l'Afrique ceffr
jlraJLç^ D'autre part, ,çette ville est ep . libre pommunicf tl09
aviecles possessions égyptienne» du Boudan^iqui occuponi
june s\ir£aice immense du .vicariat, d^.r^friqji^e centrale.
Avec i'approbatipn. de la Gqngrigation de la Propags^nd^
Qt le conseetefnent.de S.:flxp.,MgrLouks Qiurcia^ Minç^^
Observantin, vioairQ apostolique de l'ÉgjpXe, je partis do
Marseille, en nove^lbre 1867. Je €ondaisai& une petite
troupe composée de trois mission^oaires^ trois religieuse^ dt
Saint-Josep]^ de rApparitlon et seize négresses élevées d^n»
divers établissements d'Europe et principalement à ^i<>^^'*
iutMazza^ Fortifié par la bénédiction du Souverain Ponti-
fe et par celle de l'évêque de Vérone, je m'epabarquai à
Marseille sur un vapeur des Messageries impériales où le
gouvernement français m'avait acoprdé le passage gratuit
pour vingt-quatre personnes dq Rome à Marseille et de
Marseille à Alexandrie. J'arrivai au Caire la veille de la
fôle de rimmaculée-Conception, et j'ouvris, sous les auspi-
ces de Mgr Giurcia, au Vieux-Caire, près de la grotte où la
tradition rapporte que la sainte famille passa la plus grande
partie des sept années de son exil en Egypte, deux établis-
sements, l'un pour les nègres, dont je pris la direction,
Tautre pour les négresses, qui fut confié à la Sœur fierthor
Ion, de Lyon. ^.
^^ Je n0 saurais passer sous silence la puissante prot.^c-
lion, la sagesse expérimentée de Mgr Ciurcia, qui, indigné
des perfides insinuations des adversaires des œuvres de
Qieu.) soutint, dès le principe, mes deux instituts contre les
'tempêtes qui menaçaient de les anéantir. Je rappellerai
également la charité, l'expérience et le zèle persévéïrant du
R. P. Pierre de Taggia, de l'Ordre de Saint-Frapçois,
supérieur et curé du Vieux-Caire. Ce Religieux, qui
avait soutenu, durant plus de trente-cinq aonées, dans des
temps malheureux et difiB.ciles9 le plus pénible ministère
des missions de Syrie et d'Égyte, fut pour nos Instituts
un vrai père et un bienfaiteur insigne. Je ne veux pas
non plus oublier l'accueil, la protection et la charité du
Directeur des Frères des Écoles chrétiennes, mon ami, la
Fr. Sdephonse, et de sa communauté. Nous fûmes honor
Tés des bontés et de Tamitié de Mgr Agapit Beciaî, évéque
344
^ Cariopoiis th partîbus et Ticaîrer apostolique des CJopbtes^
Wnsl que dn Vénéré P. Veiiceôlas, du couvent de Terre-
fiefaiite, qtri, depuis 1853, s'est montré sigénéireux pour tous
ies missionnaires de l'Afrique centrale, et qui continae à
ï'épandre s^s îarg'esses sur ses nouveaux établissements de
noirs. Les PP. Bonaventure des Cardite, Fabien de Red-
da, Samuel de Uagade, Joseph de San-Remo, Venaace et
beaucoup d'autres Pères Franbiscains d'Alexandrie, du
Caire, de Suez et de la Haute-Egypte, nous ont également
témoigné, en toute occasion, leur charité et leur bienreil-
lance.
" J'eus pour compagnons dans mon voyage en Egypte
deux Pères Camilliens, les PP. Stanislas Carcereri et Jo-
seph Franceschini, qui, après la suppression des Ordres re-
ligieux en Italie, avaient obtenu de la Congrégation des
Évoques et Réguliers, par un rescrit du 5 juillet 1867, 1»
permission de s'associer pour cinq ans à toon œuvre. Les
intérêts de ma mission m'ayant rappelé deux fois en Euro-
pe, je confiai, durant mon absence, la direction des établis*
semants du Caire au P. Carcereri, qui adressa plusieurs
excellents rapports à nos bienfaiteurs d'Europe.
" En 1870, je présentai au Concile œcuménique du Vati-
can le postulatum pour les nègres de l'Afrique centrale qui
fut signé par un grand nombre d'évéques des cinq parties^
du monde. Après avoir été approuvé par la Congrégation
chargée d'examiner les propositions des Pères du concile,.
ce postulatum fut, le 18 juillet, jour de la définition de l'in-
faillibilité pontiflale, soumis à la signature du Saint-Père^
par Mgr Franchi, secrétaire de la dite Congrégation, au-
jourd'hui préfet de la Propagande.
'^ Le développement et la pros]^érité des Instituts d'E-
gypte me décidèrent à transporter dans l'intérieur de VA-
frique quelques sujets d'élite. La première période de l'exis-
tence du vicariat avait montré que les nègres du fleuve
Blanc avaient été corrompus par les fréquentes visites des^
négociants musulmans et des chrétiens orientaux et égyp-
tiens. Quelques Européens^ e( surtout lés Giallabas et les
traficants de chair humaine, leor avaient apporté les vices
les plus affreux. D'autre part, le gouvernement égyptien^
par ses expéditions militâireiEi de soldats musulmans, s'était
çojnqi^B le mo^opple Au, commutée i^ PiToire et avait con-
fMérftUpmeot étendu la. traitA den oàgres jusqu'à i déGisier
les populatiom qui .hatâteot .à l'esl et à ronefll du fleuve.
Je jugeai qu'il était.préfôrMblâ d-èfndier les routes de L'in-
tôrieuri c'est-à-dire d'étaUiî vtûe mission entre le fleuve
Blanc et le Niger^ sur les territoires des jroyaumes et-deB^
tribus, territoixes plus salubres, p^rce.qu'ils sont plus élevés
qœ les io^m^nses marais du. fleuve ^anc qui s'éte&deat.de
Kbartoum: aux tribus des Bari Un autîe motif me domaait
à choisir pour base de notre action apostolique les paya de
Tintérieur, à l'ouest du fleuve Blanc, où jamais l'Évangile-
B'avait été prêché, h^ vicariat éteit alors cpaflé aux
Franciscains. De Khartoum, qui était leur nésidence, ces
Religieux pouvaient étendre leuracttott sur le fleuve Blanc
et sur le fleuve Bleu, et ils devaient facilement consentir
à me laisser occuper, i l'intérieur du côiS de l'ouest, quel-
ques pays que te missionnaire n'avait jamais visités et oA
j'établirais les prêtres de l'Institut .de Vérone et les Sœurs
de Saint-Joseph de l'Apparition. En outre, il me parut que
ces régions de l'iu térieur étaient plus à l'abri de la corruption
qu'apportent avec eux le9 Gi^llabasetles soldats musulmaos.
^' Je fis prendre des informations sur le royaume de
Kordôfan, doo^t je çoqnaissais l'histoire, soit daos les temps
^térieurs à l'occupation égyptienne, sous le gouvemeipent
des sultans issus de l'empire du Darfour, soit depuis l'oo*
çupation, faite en 1822, par le cruel Defterdar au nom du
|;rand M^hémed- Ali, vice-roi d'Egypte. Je savais qu'aucun
missionnaire catholique n'avait pénétré au Kordofan, et que
£f-pbeid, sa capitale très-peuplée, était le cei^tre du com-
jxierce des esclaves, qui y aflluaient de cent tribus sauvages
de l'intérieur et des vastes empires du Darfour, ^\x Waday,
de Baghermi) de Bournou, pays compris dans ie;S limites
de mon vicariat. Je. me décidai donc, à fonder, dans la ca-
pitale du Kordofan, une mission, qui ^^^^t être le centre^
le point d'appulyOt le point de départ pour étendçe graduel-
lement notj^ :&otîon ^ur les pays et les tribus de la partie
^ntrale du vici^riat, 4^ nième que Itbartoum est. vraiment
le centre et le point de dép£^rt pour répandre la foi dans les
immenses pays et parmi les tribus qui constituent ^partie-
orientale et méridionale du vicariat.
â46
' ^^ Encouragé par lldxeellëfir'firs)^)^!^ '^ue jè^'crus trouver
^àez'Iô P; Carcèi<eri«t:>c)ie^ lâés trilBsteonàiréë de l^ïndtitat
d'Égj^pte', déjà iiaI)itttôBau2('>cbalëiiihs'd^rAffiqué, je réso-
lûa dé tenter i'eipioraCîôhdù^tKordof^a,' et j€i désignai le P.
GardereH et un missionaaire de' rihBtttut de Vérone, en lea
faisant accom:pa^nér par deuï Ftèpe» coni^ers da même las-
-titnt, les FF. Doniiniqtafe Polinari fet Piértè Bërtolî. Mais le
P. 'Clan:ereri ayant beaucoup: Insistô pour* etiimener soa
frère en religion;kl P. 'Fraûte^chmi/au 'liôU du mission-
naire de rinstitiit de Vérone, j'y» consentis.
"**' Les quatre explorateurs étaieat'manis de rargenl né-
>ce8saire pour le Voyage el de subsistances ^our deux an-
nées, j'ordonnai au' P. Càrcereti de prendre laTonte du dé-
sert de KofosGo et de Khartonm, de pénétrér^au KordoiaD,
après avoir examiné les pûints''principaui, de axer sa rési-
dence à El-Obèïd, d'y étudier la' population, les coutumes,
le climat et le gouvernement du pays ; puis de m'adresser
>le rapport détaillé et d'atteudre les décisions que j^aurais
Teçues à ce sujet'dé la Propagande. ''
^^ Ils partirent du Caire le 26 octobre 1871'. L'exploration
fut achevée en peu de temps, et le P. Gârcereri m'envoya
un rapport qui fut publié dans leé Missions catholiques. De
plus, le même missionnaire m'ayant Appris qu'il y avait
à El-Obeïd une maison en terré et en sable, que Ton pon-
dait acheter à ufi prix relativement modéré, je m'occupcii
^e lui faire envoyer du Caire la somme nécessaire pour
l'acquisitioa de cette maison, et lui ordonnai de s'y instal-
ler et d'y rester jusqu'à nouvel ordre.
" Pendant ce temps, je recueillais en Autriche, en Hon-
grie, en Allemagne, en Russie et en Poloçne, des aumône»
pour les Instituts de Vérone et du Caire. Muni des ins-
tructions de Mgr révoque dj3' Vérone, je partis pOur Rome
afin de soumettre toute mon œuvré à l'examen et à la sanc-
tion de la suprême autorité de l'Église.
^^•Ici je ne saurais oublier leiîoii géûéreux^fle 26,000 francs
^e LL MM. Apostolîqués rempèrëur FèrÔinand !« et l'im-
pératrice Marié- Anne, qui nous permît d*acquérîr, pouïr
1*In8lltut de Vérone, une tùaisoù contiguô JÊHi séminaire di-
océsain. ' » . .
247
JV
Arrivée à Reme de 21. Ooiiilyoaî.--I/Xiidtittit de Vérone chargé des mi»--
, aioDS de l'Afrique qeotraie et M. Oombonl DiMnmé provicaire,— Dé-
part de H. Comboni et de sa dei^zièipe caravane pour le Kordofon.'-r
Arrivée à kbartpum.^-Mort de deux Religijd^ses.-*Arrivéè à El-
Obeïd.— Projet d'évangéli&ation chez «les Kquhas.
** J'arrivai à Rome le 7 février 1872. Je fus accueilli avec
une extrême iienveillance à la Propagande et par S. S. Pie
IX, Je rendis compte de mon œuvre au cardinal Barnabo,
qui m^ordonna de rédiger un rapport général, résumant
l'histoire et la situation du vicariat depuis sa création en
janvier 1856.
" Mon rapport imprimé fut distribué à chacun des cardi-
naux; et, le 21 mai 1872, la Congrégation générale delà
Propagande» réunie au Vatican^ prit les deux décisions sui-
vantes : ^ ' '
^^ 1^ Après la renoaqiation des missionnaires Franciscains,.
le vicariat apostolique, de l'Afrique centrale sera confié au
nouvel Institut de Vérone pour les missions, de la Nigritie.
^\ 3o L'^dministratioA de ce vicariat ser^ confiée à M.
Comboni, qui portera le titre de provicaire apostolique.
^^Ces décisions ayant. été présentées au Souverain Poo-
tifs par S, Exe Mgr Jean Siméom, a^jourd'Jtiui cardinal,
secrétaire d'IStat» alors secrétaire â/^ la iPropagande, Sa
Sainteté daigna les sanctionner le 26 mai et en Ordonner
l'exécutioQ. Le mois suivant, la Propagande me transmet-
tait le bref pontiLfi.ca), qui confiait tout le vicariat. de. l'AXri-
qoe centrale- à riastital afrioaixi de Vérone^ ainsi que le dé-
cret 4^ ma nomination comme provioaire apostolique.
>< Ayant tout teorminô ft Home, je partît pour Vienne avec
dojQci PieHadrian, indig^i^adjô la NuUe supérieure etprôtro
de l'Ordre bénédictin de la primitive observance de Subiar*
ca J'allats rpme^iJîqr .6. M. . A. FrsnçoiehJoaeiph l«r^ em-
pereur d'Autriche^ fk^gliste protecteur des missioas de l'Ai-
frique.cen:tral9.,,i^i|irince- 190. reçut arocboiité et m« com^
l]fla de feivdttxs,. •. : : f :[ ,
^' Je reyiat.à Vérone, .et, après avoil* reçu laI>ênéJiciioD
î4a
4e Mgr de Canossa, je me rea^s à Trîeste, où je m'embar-
quai pour Alexandrie avec une troupe de missionnaires»
Nous arrivâmes au Caira le 20 septemî)!» tô72. J'envoyai
aussitôt quetcfues prêtres daûs le viearlat, je noinmai provi-
soirement le P-. Carcereri mon vicaire général et lui ordon-
nai de prendre, en nion tiôm, possession de la station de
Khartoum, que les PP. Franciscains allaient abandonner»
et de louer une maison pour 7 établir les Sfipurs et. les io^
titutrices négresses queje conduirais du Grand Caire an
Soudan.
*' Le 26 janvier 1873, je partis du Caire, à la tête de trente
personnes, missionnaires^ Religieuses, Frères coadjuteurs et
institutrices négresses. Nous remontâmes le Nil sur deux
dahhabiah (barques), puis nous traversâmes, sur soixante-
et-quinze chameaux, les sables brûlants du grand désert
d'Âtmour. Nous arrivâmes à Kbartoum après quatre-
vingt-dix-neuf jours d'un heureux voyage. Nous fûmes
reçus en grande fête par le consul d'Autriche, par le pacha
gouverneur général du Soudan, par la population chréti-
enne et musulmane et enfin par le chef des muphtis, qui
me récita très-correctement, en langue arabe, un hymne
dans le style des Psaumes. J'installai mes missionnaims
et les Frères dans le grand établissement élevé par le P.
Knoblecher; les Rejigieuses et les institutrioes furent
logées dans la mai^n louée, jusqu'à ce qu'il me fût pet^
mis d'acquérir où de biLtir un établissement exclusivement
consacré à elles.
^^ L'Afrique centrale n'avait eneorer jamais vu de Reli
rgieases. Les premières qui se vouaient à cet apostotat
appartenaient à la Congrégation des Sœurs de SainUJosepà
-de l'Apparition, de Marseille, et étaient briginaires d'Asia^
Elles étaient au nombre, de trois. Deux d'entré elles son t
déjà mortes, So&ur Joséphine Tabrani et Sœur ' Madoleiiio
Garacassian.
'^ Sœur Joséphine Tabraui, née à Tibériadè, de parents
grecs catholiques, et élevée à Jérusalem,' avait fait ses vceox
simples dans l'Institut des Scsufs de Saii^ Joseph de l'Ap-
parition. Elle fut chargée de l'instruction des fllles à
Jaffo, à Baida, puis à Delr-et K^mar. Bile consacra sa jeti-
nesse et ses forces à secourir nuit et jour les mnombrablas
«49
éÉPpbelikw 4m. chrétiens Ti<;times de» mé»sacres dé t860 en
Syrie et à assister les cholériques, sons la direction de l'ad-
mirable Mè^ Bmilienne Natibonet, actuellement supérieu-
re provinciale des Religieuses de l'Afrique centrale. Très-
<élée pour le salut des âmes, fiœur Joséphine était une mè-
re pour les paui^res négresses do Caire. Elle remonta le
Nil, traversa les déserts brûlants de la Nubie et consuma
sa vie dans le laborieux apostolat de l'Afrique centrale.
Modèle deS'plas héroïqures vertus, elle était estimée des
peuples et admirée des gouverneurs musulmans, à qui elle
paxlail sans cesse avec liberté et franchise, ponr la dé-
fense des droits de l'humanité qu'ils foulaient aux pieds.
Première supérieure de l'Afrique ceniraJe, elle mourut, le
i6 avril 1874, à l'âge de trente4rois ans, pleine de mérites,
pieu rée par tous, et honorée de magnifiques funérailles.
^^ Sœur Madeleine Garacassiau, née à Ërzeroum, capitale
de l'Arménie,, prononça ses vœux simples à Rome, en 1867,
dans le même Institut des Sœurs de Saint- Joseph âe l'Ap-
parition. Elle fit des voyages très-périlleux, et consacra
ea jeunesse à la conversion des nègres de l'Egypte et aux
missions de Khartoum, du Kordofan, et du Gehel Nouba.
Elle parlait bien l'arménien, le turc, l'arabe, le français et
l'italien. Après neuf années d'abnégation et de sacrifi^ces^
elle mourut à El-Obeïd, à Tâge de vingt-sept ans, le 7 août
1876. •
^^ Je passai un mois dans la capitale des possessions égyp
tiennes du Soudan à organiser, avec mes compagnons, la
mission de Khartoum. J'y laissai comme supérieur le
P. Carcereri, en lui donnant pour assistant le chanoine dom
Pascal Fiore, de Corato (diocèse de Trani), membre de l'Ins-
titut de Vérone. Je partis de Khartoum sur le vapeur du
gouvernement que 8. Exe. Ismaêl Ayoub pacha, gouver-
neur générai du Soudan, avait mis entièrement à ma dis-
position. Après une navigation de 127 milles sur le ileuve
Blanc, j'abordai à TouraelKhadra. Je traversai en neuf
jours, avec vingt-cinq chameaux, les forêts de l'Hassanieh
•t du Koràofah, et j'arrivai heureusement à El-Obeîd le 19
juin 1fr73. Nous fùsies reçus avec une grande joie par les
habitants, mais surtout par le pacha. Celui ci, à ma côasi-
déra;ion peut-être, avait suspendu quelques jonrs aupara-
vaut le marché public d'esclarae qui, jn^u'^orsi s'était
tenu sur les placQS de la capitale:
^^ J'avais ameaé de.' Khartoom ma parente Faustiae
Stampais, Qée à J^aderno, 'sar le lac de Qarde (diocèse de
Brescia). Depuis quatre Ms^«Ue était attachée à notre las-
^tut d'Egypte, ell^ coûnaissaa suffisamment la langue ara-
be et s'était appliquée a^ec .dé^^ouemeut à Tédueation des
négresses au Vieux^Caire. Je lui avais adjoint deux insti-
tutrices négresses. En attendant de pouvoir acheter pour
elles unô grande maison, je les logeai dans une partie de la
maison des missionnaires. Sœur Faustine dirigea l'œuvre
jusqu'à l'arrivée j à El-Obe!d, des Sœurs de SainU Joseph de
l'Apparition, au mois de févriet 1874. Ainsi, en trës-pen
de temps, j'avais réussi, avec le concours dé mes excellenls
confrères^ à fonder les deux! établissements du Kordofjm.
Au mois de janvier 1849, j'avais remarqué à Vérone un
jeune nègre catholique, Bakhit Gaenda, au service de la fa-
mille des comtes Miniscalchi. Originaire de la tribu des
Gebel Noubas, il était connu dans plusieurs villes d'Italie, à
Paris, à Vienne, et aussi à la Propagande. Pendant les an>
nées que je fus lié d'amitié avec lui, j'admirai sa piété, sa
foi, sa fermeté de caractère, ses qualités cultivées par d'ex-
cellents maîtres, et je conçus une haute idée de ses compa-
triotes. Je lui répétai souvent que je ne serais heureux
qu'après avoir porté Ans son paya lafoi de Jésus-Chrisk
Les premières années de mon apostolat, ce projet était ir-
réalisable. Mais, lorsque j'arrivai au Kordofan et que j'en-
tendis parler chaque jour du pays des Noubas, de la fidéli-
té des esclaves originaires de ce pays; lorsque je vis Pem-
pressement du gouvernement égyptien à recruter des sol-
dats parmi les troupes d'esclaves Noubas qui arrivent fré
quemment à ElObeïd, où chaque Nouba était vendu de 50
à 100 francs plus cher qu'un esclave d'autres tribus, je réso
lus de porter à ce peuple les lumières de l'Évanrgile. Je pris
des renseignements, et je me mis en rapport avec l'un des
chefs de la police du divan du Kordofan, cophte schismati-
que, nommé Mâximos, qui avait parmi ses femmes une pa-
rente du grand chef des Noubas. La Providence ne tarda
pas à me ménager une occasion favorable."
^ '
. DÉPART 0£a.S(liËUBSllIS&iûNNAIRE&;: u
t . s '
Montréal nevoeue !itffaiA*en.^oyar;de. ses Rdligicratesy ctir*
dîSBiienl8'p6thl»de l'ÂtBéariqae ; oea jqursidemâeateéDcope^ïâ
GamdiBiiaxitd d6ila Prdrôdsnee^ tiraift «de «Mxsem deulx es*
saisila'piMjr Ses •diri^e^i tyecs: lès . Montagnes > rRoéheuses : . IHsnr
à: Missoiria . (ni \ déjà -iioe ré^ulëaee : axiste^depuis ) quelques
années, et l'autre chesila; triba des GœMrslcRAUinè^qqi^esi
minoUFeau cliainp pbuir laable«de aéafiœnrs. ' ^' .
Les ^' Gceacs . d'Aleine " ireGlamaient : depuis. longleiBip&'
left seeçurs . et ^esl :6|0ins> des. SçBors de la. Pftxridence qu'ils-
a!«alenA connues dans l^l)^s diYecses missions ; (ieasauvages
montrejiilde tfèS'i))elles. dispositions et danitent à espérer.que
TcBuvreâis réya#]géIisa>tioQ,$era:facil0châ^eo?L: < m
JUi.Commiin^uié de la PiroviiôkMçeaorU jdevôinsHmposêpr'
ni); [«ouyeau .sacriQç^. enifondatH unenùisskin au milieu
d'eoK« '• ■ . - ■■
La Communauté des Sœurs de Ste^Anneu vient aBssi^d'eu
▼oyer quatre de jse^ membres pour aller renfinrcer. leurs
maisons de Jlsle de VancoUiVer. ...
Aujourd'hui, pas moins deideux cent cinquante Religieuses-
de Montréfil, 9on.t di^rsées dads les pays de cmission, tant
dans les Sta^s-Uaip que sur le î^]rritoâ!e anglais.
La Omfnunauté des Smurs Grises asû maisons à la Ri.yière
Rouge d An t tra.î^ pour Jep sauvages.; irois à Tlle à la Crosse
. dont deux pour les sauvages ; trois àiia Rivière McKenzie,
tontes trois chez les sauvages; une chez. les Sioux du Lac
au diable, Dakota^-en tout 13 missions.
La Communauté de la Providence compte sept maisons en
Orégon et quatre aux Montagnes Rocheuses dont cinq pour
les sauvages — H missions.
Les Soeurs de Ste. Anne ont fondé quatre maisons dans la
Colombie Anglaise et quatre autres dans Tlle de Vancouver ;
quatre de ces maisons existent exclusivement pour les sau*
yages — 8 missions.
Les Sœurs des SS. NN, de Jésus et Marie ont deux missions
en Californie et neuf en Orégon, dont deux consacrées à
l'éducation des sauvages — 11 missions.
252
Quoi d'éloqueat comme ces chiffres pour prouver les
bienfaitsr t^tidMà pkt- nûi eétaiimuttàutts f Peuit^ta être
•assez aveugle pour se demander, après cela, à quoi servent
ces cofomuiuitiift de feinmes m D^Àndmntnr ?
Il'eaeetéeJMs BaHgiieuses'Copâme.'dàBbS'PrètireÉi: lÂBa
suacîtB dear vecationa ahJBZ' te» tefakaw cbmine c&èzi tes lum*
meà pour les besoiasrâe révragélisalion^ etiifru»d0vras être
ftars^que ces miisHlanaires, Retigieusee an PiAtves, soient
tiréâjpfT la Ptovidence du milieu de nous.
Si un- pays jneroàntilie se glorifie d^ graad nombre de
cemptotra qu'il âtabUtdânsrBéeeolôhies, SX un gouvernement
s'enorgueillit des conquêtes f u'il itcoomplit pat la diploma*-
iie ou par les airntes, à combien plus forte raisofi doit
s'honorer une nation catholique de répandre par le monde
la civilisatiouy de planta le Qambeau de la fot sûr différants
points du globe et de conquérir des peuples à Jésus Christ.
Si la vraie grandeur n'existait pas dans l'évangélisation
et la civilisation des tribus et hordes privées de ces bien-
faits, ou ezidteràit«elle donc ?
Puis, quelle sécurité plus grande pour notre propre foi T
un peuple, un diocèse, qui fait tant pour ^ter la foi ailleurs,
doit être rassuré sur le maintien de la sienne propre.
Oui, soyons-en certains, les sacrifices que noos faisons,
soit en argent, soit en Religieuses, sloit en Prêtres, nous rap*
porteront béeéfice à nous-mêmes; et cela, non seulement
sous le rapport religieux, mais encore pour notre avantage
temporel et tout matériel.
Depuis que le Christianisfme oet né^ les peuples qui ont
été les plus grands sont ceux !qui ont le plus fiait pour la
ptK>pagation de la foi.
LA NOÛVELLE-NtJRSIE.
■■-■'"■. ; /
HISTOIRE D'uNB COLONIE BIÎNfotCtlNE DAKS L'aUSTRÂLIB
OCelBSH^rALB
—1846-1877(1) —
PREMIÈRE PARTIE
MISSION BÉNéDIGTINE DE LA NOUVBLLB-NURSIE
CHAPITRE V
Apprentissage dé la vie agricole — Sort de la femme sauvage.
Anthropophagie.
(Suite.)
Ayant pourvu à la subsistance défi troupeaux durant plus
d*un molS) et c'était la grande affaire du moment, car ils
formaient une des hases alimentaires les plus précieuses de
la mission, le P. Salvado reprit ses travaux apostoliques et
agricoles à la Nouvelle-Nursie.
Le soir même de son arrivée, tandis qu'il récitait son*
bréviaire, devant la porte de la nouvelle ctnapelie dont an
venait de terminer la toiture, il entendit un grand tumulte
du côtô des sauvages. Le bruit des coups se mêlait à celui
des vodlérations. H courut et vit une dizaine de femmes
qui se battaient et se donnaient de grands coups de longs
bâtons appelés t^an^. S'étant jeté entre elles pour les sépa-
rer, le missionnaire. ne put leiiar faire ^nlendre raison, tant
ellos étaient animées. Il fallut que, comme un bou père
obligé de corriger ses enfants, il prit une baguette pour
frotter les épaules dés plus récalcitrantes. Le combat ces*
sa, mais non sans^ Lusser des blessures, qui avaient couvert
de sang leur pdau noire et luisante. Quant aux maris de ces
femmes, ils fumaient tranquillement auprès d^un grand £m>
et riaient des bons coupa qpe se donnaient leurs cono peignes.
(1) Voir les ^nml^ de février et de juin den^ier^ .
c
254
" — Gomment I s'écria. le P. Salvado. vos femmes se bat-
tent à mort, et vous restez là, tranquilles'; Vous riez même,
au lieu de chercher, à iBEf. s&pai'er.
** — Oh ! répondirent-^p, qui pjeut s'occuper des querel-
les des femmes ?
*' — Vous, qui êtes leiirô maris.
** — Nous ? Cela nous est J^iea îndifiFérent.
" — Mais enfin, si JL'uce .d'eU^s venait à succomber?
" — Eh bien, pour une qui serait morte, il en resterait
mille."
Le missionnaire vit qu'il fallait encore quelques années
de vie chrétienne et civilisée pour apprendre à ces enfants
des bois les égards dus à leurs femmes. Il s'occupa, pour
le moment, de panser les blessures, dont quelques-unes
avaient de la gravité ; il s'ocicgpa surtout de ramener la
paix et la concorde dans ces cœurs sauvages. '^ Pauvres-
Demmes, remarque , le P.> Salvado, si .vous êtes quelque
chpae dans les sociétés myodarnes, vous le devez à l'Évangile-
de Jésus-Christ. Parmi Ids sauvagasy vous êtes réduites
au dernier degré de l'abjection. . Au moment de voire
naissance, votre vie tient à bien i peu de chose. Vous êtes
condamnées à mourir^si votre ;mère a 4rop: souffert en
¥Qus mettant au jour, si vous êtes mal conformées, ou seu*
lement si vous êtes la troisième fille de la famille. Daas
TQtxe enfance, dans votre jeunesse, vous pouvez devenir»
en. cas de famine,. la proie de vos propres parents, et enfin,
arrivées à l'âge adulte^ votis vous Ixouvez la bète de sonome,.
la chose de voire mari, qui peut vous tuer ou • vous laisser
mourir sans encourir le moindre reproche. O femjnes
d'Europe, vous, qui jouissez du don is>estimable de la foi
catholique, et de tous les avantages^ fui raccompagnent^
souvenez- vous*/ de vos pauvres sœurs de l'Australie ; et,ti
Yous: le pouvez, que.vosaumôaeé aident les missionnaires
à ' les tirer de leur dégradation phyaique.et morale en lea
sendant chrétiennes et civilisées comme vous."
. Le P. Salvado vient de nous dire que, dans le temps de
grande famine, les Australiens se mangeaient entre enx^
aans préjudice des repas d'anthropophages, qu'ils faisaient
235
toujours après leurs combats. Voici un fait personnel que
lui raconta son fidèle Bigliagoro,
" — Nous étions en hiver, et il avait plu durant six jours.
TJn froid très-vif succéda h la pluie, et il nous fut impossi-
l)le de trouver, en chassant, quelque chose à manger. Nous
éiioQs quatre familles réunies, que la faim rendait fu-
rieuses. Alors un des anciens prit son daioack (bâton durci
au feu), et, s'approchsint trMtreusement de; ma sœur aînée,
il lui en donna un coup terrible çur la tète. Ma soeur tom-
ba à demi-morte. Aussitôt on se jeta sur elle et on retendit,
encore toute palpitante, sur un grand feu. Les chairs
étaient à peine rôties, que déjà on la dévorait à belles dents.
J'eus aussi ma part ; et quoique le sang qui coulait sur mes
lèvres et dans mes maios fut celui de ma propre sœur, je
n'y pensais pas, car j'étais bien jeune, et puis la faim me
pressait. Cependant, si j'avais compris alors le grand crime
que je commettais,, et si j'avais été plus grand, j'aurais dé-
fendu ma sœur au péril de ma vie. Il est yrai que son
malheur serait tombé sur une autre jeune fille, orpheline
comme elle, et assez grasse pour contenter notre voracité."
Le P. Salvado demanda à Bigliagoro s'il n'avait pas éprou-
vé de l'horreur à maoger la chair de l'un de ses semblables,
de sa propre sœur.
" — Oh non! répondit naïvement Bigliagoro. La chair
humaine bouillie n'est pas très-bonne ; mais rôtie devant
un feu clair, c'est un morceau délicieux. "
Un autre sauvage, qui avait mangé sa nièce dans une
o^^casion à peu près seniblable, s'excusait ainsi auprès du
missionnaire : " — Nous étions au milieu des bois, et, de-
puis deux jours nous n'avions mangé que quelques lézards;
pas un kangourou, pas un émou dans toute la contrée que
nous avions parcourue, et il fallait encore deux journées
de marche pour arriver au campement. J'étais seul avec
ma nièce, et la pauvre enfant tombait de fatigue à chaque
pas. Après l'avoir portée quelque temps, je me dis qu'il fal-
lait mieux la tuer que de la laisser souffrir; ensuite, je la
mangeai pour me donner des forces et achever ma route.
Gela valait mieux pour moi et pour elle que de la laisser
pourrir dans un trou. N'en auriez- vous pas fait autant à
ma place î "
256
C'étaient pourtant ces anthropophages qui mangeaient
ainsi leurs parent», qui dévoraient môme les membres de-
leurs morts, après trois jours de sépulture, et qui fuyaient
les Européens comme des bêtes sauvages, c^étaient eux que
nos moines bénédictins avaient habitués en si peu de temps
à mener une vie presque civilisée. Non seulement ils se^
prêtaient à tous les travaux agricoles qu'on leur deman-
dait, mais ils venaient offrir avec empressement leurs-
enfants aut missionnaires, et ceux qui n'avaient pas encore
-reçu le baptême assistaient avec un grand respect au sacri-
fice de la messe et à Tofflce divin, qu'ils appelaient dans le
commencement le jalaru des moines, c'est-à-dire la danse-
des Pères espagnols.
Les femmes australiennes elles-mêmes sentirent la né-
cessité de faire quelques progrès dans la civilisation. Elles
étaient déjà très-ôdèles à l'obligation imposée par le P. Sal-
vado de ne ^e présenter à la mission que' Couvertes de leur»
manteaux de peaux de kangourous. Mais ce lourd vête-
ment, qu'elles appelaient le boca^ les gênait singulièrement
dans le travail, car ces pauvres sauvagesses avaient plus
d'ardeur que leur maris pour toutes les occupations des
champs. Elles demandèrent donc au missionnaire de leur
donner des chemises. Le P. Salvado avait rapporté de Perth
une grande pièce de toile de coton. '^ Je me mis alors,,
nous dit-il, à tailler des chemises, Dieu sait comme ; et^
après avoir montré aux femmes sauvajt:es la manière de
s'y prendre, chacune d'elles se mit à coudre sa chemise. J'é-
prouvais, je l'avoue, une grande consolation de les voir
tout le jour occupées à cette besogne, ainsi que de graves
matrones. Mais il y avait vraiment de quoi rire en regardant
ces coutures, façonnées par des mains inexpérimentées:
les unes étaient serrées, les autres larges et toutes fort peu.
régulières. Néanmoins ces pauvres femmes ayant revêtu
leurs chemises,'se trouvèrent si bien dans cet accoutrement^
qu'elles battaient des mains et dansaient de joie. Les maris
eux-mêmes parurent très-fiers de la nouvelle parure de
leurs noires épouses."
CHAPITRE VI
Toyage.en Europe da P. Salvado. — Mgr. Serra nommé coadjuteur de
Mgr. Brady. — Le P. Salvado nommé évoque de Port-VicUwria.
Une lettre de Mgr Brady vint arracher le P. Salvado à
«es occupations agricoles et à ses travaux apostoliques.
L'évêque de Perth avait résolu d'envoyer en Europe ce Ite-
ligieux qu'il avait nommé son vicaire-général, afin d'y re-
prendre l'œuvre des quêtes que Mgr Serra avait dû aban-
donner pour se consacrer à son nouveau diocèse de PorU
Victoria.
Le P. Salvado obéit, mais non sans regret. Il craignait
que profitant de son absence, l'homme ennemi ne semât la
zizanie dans le champ qu'il avait eu tant de peine à défri-
cher. Son esprit de foi triompha encore de cette épreuye.
Il partit vers la fin de décembre 1848, laissant la garde delà
Nouvelle-Nursie à ses deux catéchistes et conduisant lui-
même le charriot de la mission chargé des laines de la der-
nière tonte des brebis. Deux enfants sauvages, élevés de-
puis quelque temps au monastère, voulurent le suivre,
et le missionnaire crut pouvoir céder à leurs supplications,
après avoir obtenu le consentement de leurs parents.
Mgr Brady baptisa, le 6 janvier, les deux enfants Gonaci
et Piriméra, qui reçurent les noms de François-Xavier et
Jean-Baptiste, et qui eurent pour parrain et marraine le
chevalier Madden, secrétaice de la colonie, et sa pieuse
femme. Rien n'égalait l'étonnement des jeunes Austra-
liens dans les rues de Perth. Ayant vu une barque, ils la
prirent pour un grand poisson, que l'on conduisait par la
corde du gouvernail comme un cheval par la bride ; mais
ils ne comprenaient pas que cette bride fût placée à la
queue et non à la tète. Le grand navire VEmperor ofChina^
qui devait les transporter en Europe, leur parut être le
grand*père de la petite barque. Leur enthousiasme ne con-
nut plus de bornes lorsqu'ils entendirent la musique mill-
taire. Ils pensaient d'abord que l'instrument et l'homme ne
faisaient qu'un et ils amusèrent beaucoup les habitants de
Perth el les matelots du navire imitant, avec une étonnante
3
258
précision tous les mouvements des musiciens. Ainsi tombait
ce préjugé des Européens, qui refusaient toute intelligence
à la race australienne.
Le 8 janvier 1849, trois ans après son arrivée en Austra-
lie, le P. Salvado partit de la baie de Fremantle, pour l*Eu-^
rope, en compagnie de l'excellent chevalier, Madden et de
sa famille. A Cape-towu, il apprit du vicaire apostolique^
Mgr GrifRlh,que Mgr Serra avait reçu la consécration épis-
copale le 15 août 1848. Le P. Salvado aborda, le 27 avril,
dans le port de Swansea (Angleterre).
Une heureuse nouvelle Ty attendait, Mgr Serra lui faisait
savoir par lettre qu'il avait effectué le premier paiement
pour racqnisition des terres et des pâturages de la Nouvel-
le-Nursie. Aussi, le P. Salvado prit-il la résolution d'aller
à Paris et à Lyon pour exposer, aux deux Conseils centraux
de la Propagation de la Foi l'état de la mission bénédictine
et obtenir de nouveaux secours. Il se rendit à Londres
par le chemin de fer. Lesdeui jeunes Australiens, émer-
veillés de la rapidité des locomotives, disaient au mission-
naire : *' — Père, vous devriez bien apporter un peu de ce feu
en Australie, afin de faire aller plus vite les chariots à bcBufs^
qui vont si lentement de Perth à la Nouvelle-Nursie. "
Le chevalier Madden présenta le P. Salvado aux gran-
des familles de Londres. Il le présenta aussi à la Société
royale de (Géographie. Le fondateur de la Nouvelle Nursia
y vint avec ses jeunes sauvages. Pour répondre à l'opinion
eipriméepar plusieurs membres que les Australiens étaient
incapables de culture intellectuelle et de civilisation, il n'eut
qu'à raconter l'histoire de la mission bénédictine et à mon-
trer les jeunes Gonaci et Diriméra, dont les réponses émer-
veillèrent la savante assemblée.
Au mois de juin 1849, le P. Salvado se trouva, à Paris, au
milieu de l'émeute qui se termina d'une manière siridicule
par la fuite de Ledru-Kollin à travers un vasistas. Nous
ne pouvons résister au désir de reproduire les réflexions de
l'un des deux petits sauvages, à la vue des troupes qui pour*
suivaient les insurgés républicains.
*' — Père, demandait Diriméra, où vont ces soldats avec
leurs fusils et ces cavaliers avec leurs canons ?
289
^^ — Ils yoDt combattre les méchants que ta as vus passer
•tou t à l'heure et gai poussaient des cris séditieux. ' .
" — Mais eux aussi oat des fusils, repritle jeune eauiuige»
*' -^ C'est Trai ; maisilsi sont moins nombreux, et les
soldats lés chasseront *
^^ — Père, reprit Diriméra après un moment desilence,
pourquoi n'allés- yoob pas, entré les soldats et les insultés,
•prendre leurs armes «et. les enfermer dans cetto grande
maison, afin qu'ils ne se battent plus ? Nous vous âidecoos
Jtous les deux.
i( — C'est que ce pays n'est pas le mien, et que je ne cptt-
jiais pas les combattants.
i( — Cela n'y fait rien. Vous n'êtes: pas né non plus
«n Australie; tous ne connaissiez pas les sanvages; et
-cependant, quand ils allaient se battre, vous vous précipi-
tiez au milieu d'eux ; vous arrachiei de leurs mains les
^uichis, vous les enfermiez dans la maison de la mission,
et tout était bientôt fini. "
^^ Je ne sus que répondre à celte réflexion, raconte le
P. Salvado. Je ne voulais pas avouer à cet enfant des bois
iju'il était souvent plus facile démettre la paix parmi de
véritables sauvages, que de rétablir la concorde parmi ceux
qui se vantent d'être arrivés à une grande civilisation."
Notre missionnaire fit à Paris une rencontre plus agréa»
ble. Q avait conduit ses enfants au jardin des Tuileries.
Une dame, d'un âge avancé et d'un extérieur distingué, re-
marquant leurs figures noirâtres et leur vivacité, s'appro-
cha petir leur parler. Mais eux, ne connaissant pas encore
le français, coururent au P. Salvado, qui lisait sur un banc :
Ac — Père, loi dirent-ils, il y a une femme qui veut nous
dire quelque chose ; mais elle ne sait point parler ; venez,
•et voyez si vous pourrez: l'entendre." La dame inconnue
fit au missionnaire plusieurs questions sur les jeunes san-
vages et offrit de s'employer pour eux. Le P. Salvado lui
demanda où l'on ponrrait se procurer des habits convena-
bles à leui^âge. " — Venez avec moi à la Belle Jardimère^'^
répondit-elle. C'était un magasin d'habits confeotioniié^^
fort achalandé à cette époque. Conaci et Diriméra y fo-
Tent habillés des ^ieds à la tète. Lorsque lôur protecteur
SBO
Toultii. payer la dép€Sise,' on lui dit qw le dômestiiguer de 1»
dame avait tout soldé. Ému de reconuaièsaiLce, le P. Sa!-
▼ado Toulut savoir le nom de cette .gônéreuse bienfaitrice ;
mais elie lui répondit seulement : ^' -^ Priez peut moi. '*
Et elle disparut. '^ C'est là, ajoute le P^fiaivado, de la véri-
table charité évangélique et française.''
Avant de quitter Paris, le missionnaire remit au Conseil
central de la Propagation de la Foi un court mémoire sur
rétat de sa mission monastique. Il en fit autant i Lyon.
Cette démarche lui valut quelques secours en argent. A
Lyon, le jeune Dirîméra^ tomba assez gravement malade,
et le P. Salvado comprit qu'il lui fallait le climat de l'Italie.
Il alla aussitôt à Marseille s'embarquer pour Ci vita-Vecchia.
Dans cette ville, il apprit l'entrée ds l'armée française à
Rome que les bandits cosmopolites de Garibaldi avaient te>
nu trop longtemps sous le régime delà terreur, et se rendità-
Gaëte où se trouvait la coût pontificale. Après avoir pré-
senté au cardinal Fransoni, préfet de la Propagande, son
ra|)port sur la Nouvelle-Nursie, et les deux jeunes Austra-
liens, qui en étaient, on peut le dire^ le meilleur commen-
taire, le P. Balvado les conduisit au monastère de La Cava,
où il avait, comme nous l'avons vu, séjourné plusieurs an-
nées avec Mgr Serra. L'accueil fraternel qu'il y avait reçu
des moines de la Congrégation du Mont-Cassin le dédom-
magea amplement des fatigues de ce long voyage, et il eut
la satisfaction de voir la santé du jeune Diriméra se réta-
blir prompteraent sous l'influence du climat napolitain i
peu près semblable à celui de l'Australie occidentale.
Le cardinal Fransoni avait reçu de Mgr Brady un mé-
moire détaillé sur l'état du diocèse de Perth, et sur la
mission bénédictine. L'évêqne terminait son rapport par
la demande d'un coadjuteur. La Propagande jugea que
Mgr Serra, qui avait montré tant de zèle dans l'Australie
occidentale et qui avait su recueillir tant d'aumônes en
Europe pour la Nouvelle- ^luraie, devait être ce ooaijuteun
Il fut donc déchargé de l'Eglise naissante de Porlr Victoria
et nommé, le 25 juillet 1849, évoque de Daulia inpartibuSy.
avec la future succession de Tévôché de Perth. ^^ Cette
décision, écrit le P. Salvado, me combla de joie, puisqu'elle
261
assurait Texistence de notre lointain monastère, et je béni»
Taugnste Trinité et la Vierge immaculée qui lui avaient
assuré une si puissante protection."
Quelques jours après, le P. Salvado obtint, par Tinter-
médiaire de l'infant don Sébastien, qui résidait alors à
Gaête, une audience du Souverain Pontife. Il désirait
Tivement que le Saint-Père donnât lui-même Phabit béné-
ilictin à ses jeunes sauvages, selon Tusage des antiques
monastères qui considéraient les enfants élevés danj^ leur
sein comme des membres de la famille monastique. In-
troduit auprès de l'auguste Pie IX, le fondateur de la
Nouvelle-Nursie se prosterna & ses pieds qu'il baisa et qu'il
fit baiser aux jeunes Australiens. Il remercia ensuite le
Souverain Pontife de la grande faveur accordée au diocèse
de Perth et à la mission bénédictine par la nomination de
Mgr Serra, et il exposa en peu de mots les heureux résul-
tats obtenus à la Nouvelle-Nursie. Pie IX répondit que la
mission bénédictine de TAustralie occidentale lui était très-
chère et qu'il la bénissait du fond du cœur. Puis, remar-
quant les jeunes Australiens :
^' — Que portent ces enfants sur leurs bras? demanda Sa
Sainteté.
« — Très-saint Père, ce sont des habits monastiques ; et,
comme ces petits sauvages deviendront, je Tespèru, les
premiers Bénédictins de l'Australie et de la cinquième
partie du monde, je supplie humblement Votre Sainteté de
vouloir bien le leur donner de vos mains sacrées.
" — Nous le ferons très-volontiers."
Et le Pape, prenant l'habit que lui offrait le jeune Conaci,
l'en revêtit, le bénit et demanda quel était son nom de
baptême.
'' — Jean-Baptiste, dit le missionnaire.
" — Eh bien, désormais il s'appellera Jean-Marie," dit
Pie IX, qui lui imposait ainsi son propre nom.
Ayant revêtu le petit Diriméra de la tunique et du sca-
pulaire bénédictins, il lui conserva son nom de François-
Xavier, en ajoutant :
" — L'Australie a besoin d'un second François-Xavier;
que le Seigneur bénisse cet enfant des bois et le rende
semblable à ce grand saint ! "
262
Pie IX donna ensuite au P. Salvado et aux jeunes Aos-
Iraliens un crucifix d'argent avec ua chapelet et les con-
gédia affectueusement après une dernière bénédiction-
A peine le missionnaire étaiuil rentré dans sa demeure,
qu'un aide-de-camp du roi dô Nâples, Ferdinand II, alors
^n résidence à Gaëte auprès du Souverain-Pontife, vint
ravertir que Sa Majesté désirait voir les deux Australiens.
Ce prince questionna I)eaucoup le P. Salvado sur la mission
bénédictine. Pendant la conversation, Diriméra, voyant
les salles et les escaliers pleins d'officiers et de gardes aux
costumes éclatants, dit au missionnaire: " — Le roi est le
père de tous ces soldats? — Mais oui — Ohl alors, il doit
être un homme bien vaillant** Ferdinand voulut savoir
ce ^ue disait le jeune sauvage ; il sourit de sa réflexion
ingénue. Conaci, voyant la reine se rafraîchir à Taide
d'un grand éventail, le lui prit doucement des mains et
s'en servit lui-même avec grâce. La princesse, charmée
de la gentillesse du petit sauvage, lui donna l'éventail et
en ôt apporter un autre pour son compagnon. Le roi leur
remit une médaille d'or à l'effigie de la mère de Dieu et
s'engagea à pourvoir à leur entretien dans le monastère de
La Gava.
le 5 août, les deux Australiens entrèrent à l'alumnat de
<^e monastère. Rassuré sur leur sort, le P. Salvado ne
s'occupa plus que du recrutement des missionnaires pour
la Nouvelle-Nursie. Il obtint de l'ambassadeur d'Espagne
auprès du St, Siège, S. Exe. Martinez de la Rosa, le pas-
sage gratuit sur un navire de guerre espagnoL II était
encore à Salerne et eè disposait à partir pour Barcelone,
lorsqu'un couriier du cardinal Fransoni lui apporta l'ordre
de se rendre à Naples pour affaire très-urgente. Ai rivé
dans cette ville le P. Salvado apprit que Sa Sainteté venait
de l'élire évêque de Port- Victoria. Mais l'humble moine
déclara avec énergie que cette charge était au-dessus de
^es forces, et il repartit pour visiter diverses villes où l'at-
tendaient plusieurs sujets destinés aux missions australien-
nes. Une nouvelle missive du cardinal-préfrt l'obligea à
retourner à Naples. Le Souverain Pontife avait déjà fait
expédifer la bulle d'institution au nouvel évêque de Port-
263
Victoria. Les supplications du P. Salvado, pour écarter
cet honneur furent ioutiks. On ne voulut môme pas
l'écouter lorsqu'il proposa d'autres sujets beaucoup plus
dignes, à son sens, de cette dignité, et le 15 août 1849, il
reçut l'onction épiscopale des mains du cardinal Fransoni,
assisté de Mgr Montefoite, évèque de Sidonia, et de Mgr
Vighî, évêque de Lyslres.
Le nouvel évêque ne voulut point partir pour l'Espagne
sans faire^n dernier adieu à ses chers Australiens. II se
rendit donc au monastère de La Gava et demanda au? jeunes
sauvages s'ils se trouvaient bien dans ce monastère.
" Oh I beaucoup mieux qu'à la mission^ répondirent-ils.
" — Je pars demain ; voulez- vous revenir avec moi dans
votre pays ?
" — Non, non.
^' — Et pourquoi t
" — Parce que nous n'avons pas encore assez étudié. Si
nous retournions maintenant en Australie, nos parents et
nos amis nous demanderaient si nous comprenons les pa-
piers qni parlent (les lettrfts), si nous savons en faire (écrire),
si nous savons figurer des chevaux et des arbres (dessiner),
jouer des doigts (faire de la musique), et beaucoup d'au-
tres choses semblables. En voyant que nous ne savons
rien faire de tout cela, ils diraient que nous sommes en-
core comme eux desjunar (enfants des bois). Il vaut donc
bien mieux que vous partiez tout seuL Pendant ce temps,
nous étudierons beaucoup et nous apprendrons même à
dire la messe. Alors nous vous enverrons un papier qui
parle et vous viendrez nous chercher jusqu'au bord de
l'eau avec la maison qui marche (le bateau) ; nous pren-
drons chacun un cheval et nous irons dans les bois chercher
tous les petits sauvages pour les mener à l'école de la mis>
gion."
Un événement tragique, qui renfermait aussi une grande
leçon, précéda le départ de l'évoque de Port-Victoria. Parmi
les missionnaires qui avaient consenti à le suivre en Aus-
tralie, se trouvait un jeune ecclésiastique dont la mère
refusait obstinément tout consentement à son départ. Elle
yint même trouver le prélat et l'assura, en versant beau*
264
coup de larmes, que son enfant périrait en mer pendant nu
si long voyage. Mgr Salyado n'insista point. La mère
emmena son fils, dont le courage faiblit dans cette occa-
sion. Mais, le lendemain, quelle ne fut pas la stupétacli<m
ou plutôt Teffroi général, lorsque l'on apprit que ce jeune
ecclésiastique était mort^ la nuit même, dans la demenre
de ses parents et à côté de la chambre de sa malheureuse
mère, doublement inconsolable ! C'était à la lettre, Tap-
piication de la parole évangélique : ^^ Gelai qui aime son
père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne d'entrer i
mon service '* (1).
(1) Matlh., XXXVII, 38.
CHAPITRE VU
Mgr Salvado en Espagne.— Suppression de Port-Victoria.— Retour de
Mgr Salvado à la Nouvelle-Nursie.— Tableau de la colonie.
L6 18 août 1849, Mgr Salvado s'embarqua pour Barce-
lone, à bord du brick le Lépante, après avoir reçu, à Gaête,
de S. S. Pie IX, les témoignages de la plus paternelle affec*
tien, et des pouvoirs spéciaux dont plusieurs étaient indis-
pensables à un évêque placé datis des régions aussi loin-
taines, n était accompagné de sept missionnaires napoli-
tains.
Le nouvel évêque fut accueilli avec enthousiasme dans
8a patrie, qu'il avait quittée il y avait onze ans. A Madrid,
à Tarragone, i Valence, à Saint Jacques de Gompostelle où
il s'était consacré à Dieu dans la vie monastique, k Séville,
à Cadix, à Xérez, partout on le fêta, on lui offrit des se-
cours en argent ou en nature.
Hais ce fut à Barcelone qu'on lui montra le plus de dé-
vouement. Tous les ecclésiastiques et les catéchistes, que
Mgr Serra avait enrôlés pour la mission, s'y trouvèrent ras-
semblés au nombre de trente-neuf. Le 28 aott, Mgr Sal-
vado officia pontificalement dans l'église de Notre-Dame-de-
la-Mer. Cétait le premier Religieux que l'on voyait porter
ostensiblement l'habit de son Ordre depuis les dernières
guerres civiles. Mgr Salvado était assisté du Rme. P.
Isidore Blanch, dernier général de la Ciongrégation béné-
dictine de Valladolid, et du vicaire capitulaire Dom Phi-
lippe Bertran y Ros, qui, à l'Evangile, prononça un très-
beau discours. Après l'Offertoire, l'évéque donna l'habit
bénédictin à vingt-huit missionnaires. La messe terminée.
Ton commença le chant des litanies des Saints, et la proces-
sion se dirigea vers le port où devait avoir lieu l'embarque-
ment La marche était ouverte par des hallebardiers à
cheval, suivis d'un Religieux qui portait un magnifique
étendard offert à Mgr Salvado par la confrérie du Saint»
Cœur de Marie. Venaient ensuite les membres de la con-
frérie de N.-D. de VAmor hermosOj les missionnaires béné-
dictins, puis Mgr Salvado, revêtu de la coule monastique à
266
grandes manches, avec la croix pectorale et la crosse. Une
immense m altitude, cou tenue à grande peine par les hal-
bardiers, encombrait les rues, et les dévots Espagnols se
pressaient autour de Tévêque j^ur baiser ses mains ou ses
YÔtements et recevoir sa bénédiction. Les larmes étaient
dans tous les yeuj[, et l'on chantait le Salve Regina avec les
transports d'eothoasiasme que les cités catholiques du midi
de l'Europe connaissedt seules encore de nos jours. Ar*
rivé sur le poni du paquebot le BaUary Mgr Salvado se re-
tourna v«rs la foule agenouiUéB dans un .profond lâlenoe^
et de sa voix tonnante donna la bénédiction pontificale à
tout ce bon peuple de Barcelone.
Huit jours de navigation conduisirent Tévôque mission-
naire à Cadi^, où 11 fut reçu très-fraternellement par Mgr
Moreno, comme lui, enfant de. saint BenoU, et depuis car-
dinal-archevêque da Tolède. Mais une joie plus grande,
accompagnée d'une singulière épjpaoye, lui était réservée
dans cette ville. Il y revit son pieux confrère, Mgr Serra,
qui lui apprit la dispersion t^otale des colons établis depuis
peu d'années dans la nouvelle cité de Port Victoria. Le
gouvernement anglais, ayant constaté que le territoire de
cette ville était insalubre, et que les 4aJQg6i'3 de la naviga-
tion dans le détroit de Torrès rendaient le commerce diffi-
cile, avait décidé, aeec cette promptitude de . résolution qui
le caractérise, la dispersion de la colonie. Mgr Salvado se
trouvait donc un pasteur sans ouaillçi ; il n'avait plus
qu'un titre sans auoupe réalité et que l'on ne pouvait pas
même ranger parmi les évôcbés in partihus infidelium.
C'était pour le zélé prélat une position très-embarrassante*
Le ministère espagnol le rendit enicore plus diffîoile en dé-
clarant qu'il ne. pouvait accorder le passage gratuit sur les
vaisseaux de l'Etat qu'au coadjuteur de Per.th et aux mis-
sionnaires de la Nouvelle Nuxsie. Si Mgr Salvado restait
en Europe,, on pouvait l'accuser de) renoncer trop facile-
ment à la tâche que le Saint Siège Ii^i avait imposée \, s^il
partait pour son diocèse où ilna devaitt trouver qu'un terri-
toire inhabité ^t upo: ville abandpanée<, il s'exposait i per-
dre tous les fruits de son apostolateti dépenser saqa but les
ressources de la mission bénéâictine» .Au milieu de ces
267
perplexités, il partit pour Rome, tandis que Mgr Serra, plus
heureux, s'embarquait pour l'Australie^ le 6 octobre 1849,
sur la frégate de guerre la Ferrolana^ commandée par le
capitaine Quesada. 11 emmenait quarante missionnaires,
parmi lesquels sept honorés du sacerdoce. La plupart
étaient espagnols ou napolitains.
Le 29 décembre, après une traversée de quatre vingt-
cinq jours, la Ferrolana entra dans la baie de Premantle, et
MgrBrady venait, plein d'allégresse, recevoir sur le rivage
son coadjuteur et les missionnaires bénédictins. On eût
dît St. Augustin de Cantorbéry abordant dans la Grande-
Bretagne, au VF siècle, avec les quarante moines que saint
Grégoire-le-Grand envoyait à la conquête pacifique des
Anglo-saxons. L'évêque de Perth ne manqua pas de rap-
peler ce glorieux souvenir dans un discours adressé aux
colons catholiques de Swan-River, après l'office pontifical
présidé par Mgr Serra.
Dès le mois de janvier 1850, ce prélat et ses frères en
saint Benoit se dirigèrent ver^ la Nouvelle-Nursie par le
chemin que Mgr Salvado avait tracé. Ils ne tardèrent pas
à rencontrer les sauvages de la mission, qui venaient au
devant d'eux, portant des rameaux verts à la main et chan-
tant des prières Ces sauvages s'empressaient surtout au-
près de Mgr Serra, hiî baisaient les mains et les habits.
*< — Cbiara (1) est revenu ! s'écriaient-ils, Chiara est reve-
nu 1" En peu de jours, le coadjuteur de Perth, profitant
des heureuses dispositions prises par Mgr Salvado pour Té-
vangèlisation des Australiens et pour les progrès de l'agri-
culture» donna, f^râce à son nombreux .personnel, une vive
impulsion à la colonie, .qui fit-de rapides progrè?, admirés
même des protestants.
Pendadt ce temps, l'évêque de Port-Victoria se trouvait
à Rome, triste, mais non découragé. Il employa ses loisirs,
forcé» à la compqsition de ses intéressaints Memorie storiche^
qui eurent beaucoup de succès et furent traduits en anglais
et en français. Nous nous en sommes servis jusqu'icL
- (I) C'était le nom australiefei de Mgr Serra ; car les sauvages de cette
contrée, n'ayant pas la lettre 8 dans leur alphabet, la remplacent par le
cA.
268
Pour achever ce que nous ayons à dire sur la colonie
monastique de TÂustralie occidentale^ nous nous aiderons
d'un travail (1) dû. à la plume de D. Yenanzio Garrido,
prieur de la Nouvelle-Nursie et présenté au parlement de
TAustralie occidentale ; nous nous servirons aussi des ou*
rieux détails que Mgr Salvado voulut bien nous communi-
quer lui-môme, pendant les deux séjours qu'il fit au mo-
nastère d^ Sainte-Magdeleine de Marseille, en 1867, et
après le concile du Vatican.
Ce fut seulement en 1853 que Tévôque de Port- Victoria
retourna en Australie. Durant les années qu'il dut passer
en Europe, il se fit comme le procureur-général de sa
chère mission australienne. Il parcourut l'Italie et l'Es-
pagne afin de trouver des ressources et des sujets pour la
Nouvelle-Nursie ; il surveilla l'éducation des jeunes clercs
destinés à cette mission et des petits sauvages qui, à l'ex-
emple de Gooaci et de Diriméra, vinrent dans l'abbaye de
La Gava et à Subiaco se former à la vie monastique ; enfin
il fit imprimer ses Memorie storiche et publia plusieurs rap-
ports pour éclairer la Propagande sur les différentes néces-
sités de la mission bénédictine.
La santé, jadis assez robuste, de Mgr Serra, s'étant afibi-
blie et ne lui permettant pas de continuer la vie démission-
naire, à la Nouvelle-Nursie, et de coadjuteur de Mgr
Brady, à Perth, il demanda que Mgr Salvado vint l'aider
dans ses travaux apostoliques! C'était le plus vif désir de
révoque de Port-Victoria. Aussi prit-il passage sur le pre-
mier navire qui partait de l'Angleterre pour l'Australie.
Son arrivée sauva, on peut le dire, la colonie de la Nou-
velle-Nursie, que les sauvages avaient i peu près désertée,
depuis que Mgr Serra, retenu à Perth par les devoirs de sa
«charge, n'y faisait que de rares apparitions (2). Les mis-
(t) Information respeeting the habits atêd customs of ihe aborlgenal
inhabitanis of Western AusiraUa. — Perih, Richard Pether, G^verameni
printer, 1871.
{1) Nous ne parlons pas, à cause de son existence éphémère d*«i
•essai de fondation monastique à 4 mUies de Perth et que Mgr Sena
avait appelé le Nauveau-Subioeo,
26d
tskuinaires amenés par MgrSalvado eurent bientôt, sons mq
tablle et forte direction, remédié à tous les abus qui s'é-
taient glissés dans la mission. L'on construisit une cha-
pelle plus grande, trois corps de bâtiments en briques pour
loger les moines et les néophytes et un grand atelier pour
tous les métiers. En peu de mois, cinquante acres de terre
furent labourées et ensemencées. L'on entoura de palis-
sades en bois les champs de la mission, et l'on créa de nou-
velles routes. Les troupeaux mieux soignés se multipliè-
rent et les sauvages reprirent en grand nombre le chemin
du monastère.
Le bien produit dans les âmes fut autrement important.
Des néophytes toujours plus nombreux se pressaient aux
instructions du vénérable prélat et de ses Religieux. Plu-
sieurs sauvages offrirent leurs enfants aux missionnaires^
•rétablirent la petite école, dont Coaaci et Diriméra avaient
été les prémices. Enfin quelques mariages conclus entre
des indigènes baptisés à la mission donnèrent l'espoir de
^oir s'élever une génération toute chrétienne*
Au mois de novembre 1853, Mgr Serra, dont la santé s'al-
térait de plus en plus, fut obligé de retourner définitive-
ment en Europe. Mgr Salvado dut le remplacer à Perth,
auprès de l'évéque Brady ; mais son âme vaillante et soa
corps de fer lui permirent de cumuler sans trop de fatigues
les fonctions de coadjuteur et celles de chef de la mission
jbénédictine. En 1854, il fit construire un bâtiment de
pierre à deux étages, avec un vaste grenier pouvant conte-
nir 2,000 boisseaux de grains, ce qui suffisait à peine à la
nourriture du personel de la colonie monastique.
Mais les grands progrès de la mission datent surtout de
l'année 1857. A cette époque l'évéque de Port- Victoria
comprit que, malgré toute son activité, le nombre des catho-
liques augmentant dans la ville de Perth, et celui des néo*
jphytes dans les terres de la NouveUe-Norsie, il ne pouvait
xemplir tous tes devoirs des charges qiri l'attachaient à cm
-deux centres religieux. Il pria Mgr Brady de demander à
Rome un autre coadjuteur»
ïout entier désormais à la direction de la colonie béné-
dicline, il put j réaliser d'importantes améliorations. Une
270
église, de 102 pieds anglais de long et de 20 pieds de large--
avec transept, fut cpnstraite. Ses. murs soot eu pierre et
la voûte est en acajou. )M>is. assez commun dans l'Australie
occidentale. Le monastère, destiné à servir d'habitation
claustrale e^nx Bénédictins-missionnaires, s'éleva non loin
de la maison de Diei). Il a 120 pieds de long^ sur 20 de
large, avec une galerie de 8 pieds de largeur, au premier
étage. Aiq.uelque distance du monastère, l'on construisit
deux maisons de 100 pieds de longueur, l'une pour les
garçons, l'autre pour les petites ailles que leurs parent»
sauvages confiaient à la mission.
. Nous pe parlons p^s des nombreuses cabanes occupée»
par les indigènes, des ateliers, des greniers et de^ écuries,
qui forment, tout autour de l'église et du monastère, une
ceinture d'habitations très-animées. . De plus, 300 acres de
terre furent préparées dès l'année 1850, et 200 étaient mises
en, culture. La récolte fut de 3,000 boisseaux de blé, sans
compter 15 tonnes de vin, une tonne de tabac et 200 gallons^
de vin. Rappelons enfin les jardins potagers et les vergers,,
qui fournissent abondaminent la coloAÎe de légumes et de
fruits-. . ...
Bs^^yons^ maintenant, de décrire l'a^ect.que présente^
la Noovelle-Nursie.
Au milieu du vaste domaine cultivé parles Bénédictins
di^ns.le^ Victoria Plâ;ins, et qui est encore entouré des^
grands bois, qui les couvraient erntièremeat.i.ly a vingt ans
à peine, s'élève l'église dont le. style italien ne manque pas
d'élégance.' A- peu de distance, dans la ^partie inférieure
du coteau se dresse lemonastère^qui esteu même temps^
une fçrme-école. A gauche^e [l'église, espacées par de
petits jardin.et'S bien entretenusi, se voient plpsieqrs cabanes^
recouyertef^ de feuilles d'eucalfptùs en guise de chaume,
où le^ indigènes baptiséâ habite^H ;avec leur fan^Ue. Ôur
la hauteur, l^'on a construit les. ateliers des «Xorgerpuset des
menuisiers, assez lom pour qoe le .brioit des -marteau s et
des soies ne[ vienne pas troioblpr' le^ Religieux pendant
Tofiice divin. Plus bas, près de la jroute qui Idnge le vaste
enclos f de :la!NoviVeUenNursie,:roa .aperçoit Ifhopital de la
colonie pu sont reçus Ijidistioctemeni les. indigènes et les^
271
-coIoDs européens, les ]j)a\iyre9 et le^ voyageurs
Se l'autre côté de la' route est l'hôtellerie. Li
malades.
ék encore,
•comme jadis au MonlrCasain, et aiiijourd'h.ui à Soleames,
"^^es visiteurs ne manquent jamais/* selon la parole de St.
Benâit dans a& règlo. A* la droite àqt monastère leis Béné-
dictins ont cénfitiroit leurs granges, l^mrs moulins, leurs
<»UierB, lesurs écuries et leurs étables. Dans la plaine, de
grandes et fortes palissades, formées de troncs d'arbi^es,
feriaent les difiëremts parcs pour les grands bestiaux, pour
les brebis et pour les chevaux. Enfin .tout au haut de la
charmaote' c<)Uin(e où s'étayent ces bfttiments de formes et
det destinations si;diverses,.l'oadiartdngue, àitravers les aca-
jous et les< eucalyptus, un petit ermitage dédié à la Reine
^u Ciel, et dont Jje léger. campanile surinonté d^une croix
-domine toute. la oontrée. <
"j •■'1
«
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I '
I '
il
CHAPITM Vin
Tid des Australiens à la Nimvelle-Nursîe. — Témoignage des protestantSL
Dès Tauroie, la population entière de la NoQveUe^Nur-
fàt ae met en mouvement. Tandis que lee Pères^ revétos^
de leur coule noire, vont gravement, deux ideuz, célébrer
la louange divine, les colons sortent de leurs maisonnettes^
et, après une prière commune à l'église, se répandent dans-
les champs de la mission pour y travailler. L'office termi*
né, les Religieux vont les rejoindre, il n'^st pas rare
de voir de grands saavages à la figure basanée gui-
dant l'attelage d'une charrue, dont un moine à longue bar-
be tient les manchons d'une main adroite et vigoureuse.
Pendant ce temps-là, les enfants se rendent aux écoles du
monastère. Les jeunes gens conduisent les chevaux pour
les charrois, mènent les vaches, les chèvres et les brebis
aux pâturages, jusqu'à l'heure où le repas préparé par les-
ménagères rappelle les travailleurs à la maison.
Nous venons de parler d'écoles. Il y a maintenant plus
de cinquante enfants, garçons et filles, élevés à la Nouvelle-
Nursie, dans deux bâtiments séparés, où ils reçoivent, des
moines missionnaires, l'instruction religieuse et classique.
On leur enseigne la lecture, l'écriture, le calcul et l'histoire
sainte. Voici le règlement de leur journée.
Ils se lèvent avec le soleil, au son de la cloche du monas-
tère. Les Bénédictins, ayant reconnu que, pour former
l'homme tout entier, il faut unir la vie de famille à la vie
de la cité, laissent les enfants australiens passer la nuit dans
les cabanes de leurs parents. Aussitôt habillés, ils se rendent
par groupes à l'église où les membres de leur famille ne
tardent pas à les suivre. Après la sainte messe et chant
du psaume Laudate Dominvm omnes gentesj on les conduit
dans leurs réfectoires respectifs pour le déjeuner. Vient
ensuite une demi- heure de jeux et de récréation. Après le
travail, %m est proportionné à leur âge, les uns vont aider
les bergers à conduire les troupeaux au pâturage, les autres
«^occupent dans le jardinet de leurs parents, plusieurs s'ex-
ercent aux différents métiers de cordonnier, de tisseur dfr
273
laine, de serrurier^ de menuisier, etc. Les petites fille»
aident leurs mères et leurs grandes sœurs dans le ménage ;
ou bien, sous la surreiUance d'une matronne, elles appren-
nent à coudre, à filer, à faire la cuisine, etc. A onze
heures, le travail cesse pour les enfants qui se rendent
dans les classes. A midi, dîner, où les mâmes plats simples
et abondants, qui ont été servis aux moines, leur sont pré-
sentés. Après le repas, récréation, toujours fort joyeuse
et turbulente, visite aux parents pendant laquelle les enfants
peuvent se voir et se connaître» De deux à quatrs heures
en hiver, et de trois à cinq en été, classes, suivies du travail
manuel jusqu'à la chute du jour, mais interrompu par le
lunch ou goûter. Le souper et la récréation du soir ont lieu
en famille. Après le souper, prière générale à l'église, et
coucher à huit heures en hiver, et à neuf heures en été.
Nous avons oublié de mentionner l'école des adultes qui
se tient du coucher du soleil à l'heure du sooper.
Voilà la douce, pieuse et salutaire existence que mènent
les Australiens christianisés de la Nouvelle-Nursîe. Elle
prépare à la colonie anglaise de Perth un peuple fort et la*
borieux, si le gouvernement de l'Australie occidentale per«
met aux moines espagnols, comme il l'a fait jusqu'à ce jour,
de continuer l'éducation chrétienne et sociale de ces sau-
vages, réputés jusqu'alors les derniers des hommes.
On voit souvent rôder autour de la colonie monastique
quelques indigènes venus de l'intérieur des bois et qui ex-
aminent avec le plus vif intérêt un spectacles! nouveau
pour eux. Leurs parents, leurs amis vont les voir, appel*
lent quelques Religieux, et presque toujours ces sauvages,
venus seulement pour satisfaire leur curiosité, sentent le
désir de vivre comme leurs compatriotes civilisés et cèdent
sans effort à cette douce influence de la vie chrétienne et
monastique. ^^ Il est presque inoui, nous disait Mgr Salvado,
dans son dernier vorage en France, que les Australiens^
qui ont consenti de plein gré à vivre parmi nous, désirent
s'éloigner de la Nouvello*Nursie. Le monastère est venu
leur seconde patrie."
Quant aux sentiments religieux des sauvages baptisés, ils
sont des plus consolants. Citons une parole qu'un indigè-»
274
ne très^près de sa fla adressait au vénérable étèque. C^était
un grand et fort jeune homme, qni venait de recevoir le sa-
crement ile la rôgénératioB, lors^in'une chute des plus gra-
ves mit sa vie en danger. Sur le point d'expirer :
^' — Père, dit-il i Mgr Salvado, qui l'assistait, je suis bien
<îoatent de inourir. -
'' — Et pourquoi, mou fils ?
^' — Parce que je ne pourrai plus offenser, comme au*
trefois, le grand Dieu du ciel."
Ces beaux sentiments paraîtront d^autant plus admira-
bles, que Ton sait dans quel état de profonde dégradation
se trouvaient les Australiens avant l'arrivée des moines es-
pagnols. Mgr Salvado possède une sérié de photographies
de ses chers Australiens, prises sur nature, et dont ]a seule
vue résume en quelque sorte toos les labeurs et tous les
succès de son rude apostolat.
On voit d'abord un sauvage et sa femme dans leur état
primitif de pure nature; et certes, à Taspect de ces hideu-
ses figures, de ces membres forts mais disproportionnés, et
surtout delà férocité de la face, plusieurs de nos savants
modernes croiraient avoir trouvé un argument décisif en
faveur de la plaisante théorie qui veut donner à l'homme
une origine simienne.
Mais l'évéque^missionnaire vous présente aussitôt une
autre photographie. Ce sont encore les mêmes sauvages.
Cette fois une large couverture couvre à moitié leur nudité ;
leurs cheveux, déjà, ne sont plus en désordre, et, sur leur
physionomie un peu adoucie', se peint u<el étonnement naîf^
une certaine timidité.-
La troisième photographie nous les représente presque
habillés à l'européenne, ayant en mrain des outils de tiavail
et la figure épanouid par un véritable sourire de satisfaction,
sans doute à la pensée de ne plus se voir aussi laids que
l'orang-outang ou la chimpanzé, lenrs prétendus ancêtres.
Enfin les photographies suivantes, au nombre de trois oo
quatre, accusent de plus le travail simoltané de la religion
et de la civilisation. Le sauvage d'Australie arrite mente
à porter avec aisance et avec une certaine dignité les vête-
ments de matelot ou d'ouvrier anglais^ et sa femme, sous
275
ses habits sipiples et décents, ^ pris up air de modestie et
aurtout de bonlieur satisfaîti que Ton ^'explique facilement
en voyant à ses côtés sa fille déjà grande et ressem-
blant, aoz jeunes pensionnaires élevée» en Europe parnoa
Sœurs de Charité.
Mgr Salvadoj^donne le nom de Thomme sauvage et de sa
femme tirés ainsi, avec tant, d^autres de leurs compatriotes^
de la misérable existence de nomades et d'anthropophages.
C'est notre vieille connaissance Bigliagoro, qui est encore
maintenant l'un: des meilleurs sujets du village. monastique.
Car la Isouvelle-Nursie est déjà une petite cité ; et, un jour
peut-être, elle deviendra un grand centre de population,
comme beaucoup de nos villes d'Occident qui ont commen-
cé par un monastère.
Nous avons dit que les sauvages australiens, habitués à
la vie de chasse dans les bois immenses de leur pays, ne
pouvaient être assujétis, après leur baptême, à un travail
trop continu ni à une vie trop sédentaire. La sollicitude pa-
ternelle du fondateur de la Nouvelle-Nursie a su y pourvoir-
*' De temps à autre, nous disait- il, j'envoie les nouveaux
convertis et les jeunes, gens de la mission passer une semai-
ue ou deux dans les bois, sans autres provisions qu'un peu
de farine dans un sac. Xls ^doivent se procurer le reste de
leur nourriture par la chasse, e^ coucher sur la terre dans
de petites huttes, construites de leurs propres mains avec
des branchages. J'obtiens, par ces petjtes excursions, deux
excelleqts résultats: je fortifie leur tempérament, qu'une
vie trop renfermée saurait, pqur cette premièrei^ génération
promptement épuisée, et je leur fais comprendre, par le con-
traste, tous les avantages de la vie de famij.le que l'on no^ae
à la Nouvelle-Nursie." < .
Mais il y a aussi des expéditions forcées qui ne leur sont
p^s moins utiles. Da^ns les ç[\pis de grandes, chaleurs, il
lautp^fpis a^e^ cl^^rcher assez^loin 4es paturSjges pour la
subsistance des brebis. On choisit alors dans )es bergerie^
DU. troupeau de brebis .bien vigoureuses, que l'on envoie en
avant et que l'on confie à deux m.oines, assistés d^ qijielques
sauvages de}a nxission, qu^ les accompagpent avep leurs fa-
milles, leurs chevaux, leurs bœufs et quelques chiçus de
276
forte race. Toute la troupe part, marchant à petites journées,
et couchantsouslateDte. On finit par arriver aux pâturages
dont Tusage est cédé assez f aciletneut par le gouTernement
de Perth. Le long de la route, on se nourrit du lait des bre-
bis et des petites provisions que Ton a pu apporter ; parfois
on tnange un agneau. Dès que le troupeau d'avant^garde
est sur la concession, les sauvages se dispersent dans les
bois et rapportent des troncs d^arbres et des branches à lar-
ges feuilles pour construire les cabanes du campement, les
clôtures devant seivir de bercail, la bergerie des brebis
pleines, enfin tout ce qui est nécessaire pour une installation
de quelques mois. Peu après, arriveat en longues files les
grands troupeaux de la mission , mais tout est préparé
pour les recevoir et les parquer, et pour que les bergers et
leurs familles puissent passer le temps de l'estivage sans
trop de fatigues. On le voit, c'est le mode primitif de vivre
et de voyager employé, il y a près de quatre mille ans, par
les patriarches Abraham, Isaac et Jacob, dans les plaines
du pays de Chanaan.
Ce mélange de la vie nomade, pastorale et agricole, main-
tient très-heureusement la santé générale des Australiens
de la mission, les habitue doucement aux mœurs des pays
civilisés et surtout resserre les liens qui les unissent aux
moines espagnols et n'en forment qu'une grande famille.
Pour les attacher plus sûrement au sol qu'ils cultivent,
Mgr Salvado a l'intention de les déclarer propriétaires, de-
vant la loi anglaise, de la portion de terrain qui entoure
leurs cabanes ; mais il nous avouait que l'heure n'en était
pas encore venue, tant cette idée de fixer pour toujours sa
demeure en un même lieu parait étrange à ces enfants des
forêts, dont la vie se passait à chasser les bêtes fauves sur
toute la surface de leur terre natale. Il faudra peut-être
attendre la seconde génération. Déjà cependant le chef de
la colonie monastique les a déclarés propriétaires des mai-
sonnettes qu'ils habitent. Cette possession, qui les flatte,
les amènera peu à peu à la pensée de devenir propriétaires
du sol et véritablement citoyens de l'Australie. L'art des
transitions est nécessaire, même dans les missions établies
à nos antipodes.
277
Les s accès croissants de la colonie monastique excite»-
rent d'abord la jalousie des colons protestants^ et nous
avons vu que les ôieyeurs de bestiaux européens cherchaient
-à détourner les sauvages de se rendre à la> mission bénédic-
tine et suscitaient aux moines espagnols toutes sortes d'em-
barras. Mais le gouverneur de Perth ne partageait ni ces
mesquines préventions, ni cette basse envie. Les visiteurs
devenaient plus fréquents à la Nouvelle-Nursie, et tous
admiraient franchement les heureux résultats de la coloni-
sation catholique. Un ministre protestant écrivait à son
évêque : ^^ Ce que j'ai vu dans la mission esjygnole de Perth
m'a rappelé les premiers temps de TEglise." Miss Florence
'Nigthingale, si connue par son dévouement pour les bles-
sés pendant la guerre de Crimée, publiait à Londres, les
lignes suivantes, après son voyage d'Australie : " La néces-
lûté de faire pénétrer graduellement les habitudes des pays
civilisés chez les races sauvages de ce nouveau monde, au
moyen de l'éducation, ne me parait avoir été connue
nulle part, excepté dans le monastère bénédictin de la
Nouvelle-Nursie."
L'évèque anglican de Perth, comprenant que les succès
de la colonisatisn monastique étaient un cruel reproche
^our l'indifférence de ses coreligionnaires dans la question
de la civilisation des Australiens, s'efforg^ par des conféren-
'oes publiques, d'engager les colons anglais à contribuer à
la fondation d'une nouvelle mission protestante pour les
sauvages de son diocèse. Mais^ pi les habitants de Perth, ni
les colons. ne voulurent lui prêter l'oreille; et, comme il
revenait à la charge, on lui répondit par la voie des jour-
naux de la manière suivante: ^' C'est notre conviction
profonde que les missions anglaises pour les sauvages, tant
dans l'Australie occidentale qu'autre part, ont échoué parce
que l'objet principal des fondateurs était de Caire de ces.
Australiens des hommes élégants et instruits. Nous croy*
«ons que, si les missionnaires de la Nouvelle-Nursie ont
Jbeaucoup mieux réussi, c'est uniquement parce que, sans
négliger le développement de l'intelligence chez les sauva-
.ges, ils ont surtout cherché à corriger leurs moeurs d'après
Jes préceptes du Christ et à réunir l'éducation morale à l'é-
278
ducatîon physique, de manière à faire de TAustralien un
homme laborieux et utile à la société. (1) "
Une autre feuille protestante disait: ** La prédicatioa
seule ne servira de rien pour la civilisation des sauvages
de l'Australie. La première chose à faire est de les rendre-
probes, laborieux et industrieux. Ce travail est plus difS-
cile que d'en faire seulement des chrétiens de nom. Jus-
qu'à présent, l'unique et véritable réussite a été obtenue par
la colonie catholique de Victoria-Plains. Dans cette mis-
sion des moines espagnols, les indigènes sont dressés très-
heureusement au travail et en connaissent les avantages (2).'^
Le môme journal s'exprimait ainsi, dans un autre numéro :
*' Les succès obtenus par les Bénédictins de la Nouvelle-
Nursîe nous indique clairement Punique méthode de la-
quelle on peut attendre quelque heureux résultat. Mais
la difficulté, ajoutait naïvement le joui^naliste anglais, sera
toujours pour les protestants, de pouvoir établir et mainte-
nir une* institution analogue avec nos habitudes de confort
et surtout de trouver un pareil nombre d'hommes pleins
d'abnégation d'eux-mêmes, patients, persévérants et eRtià-
rement dévoués à cette œuvre de civilisation."
Enûn un rédacteur protestant de Petth^s Qaz^tte^ ayant as-
sisté, dans une visité à la Nouvelle-'Nursie, au mariage de
deux indigènes, écrivit ses impressions en ces termes:
*^ J'ai vu, dans la colonie des moines espagnols, une céré-
monie, qui aurait intéressé ^vivement tous mes lecteurs,
désireux comme moi de voir se relever la race'^australienne.
C'était le mariage d'un jeune sauvage avec une fille des
bois. Il m^a fallu le témoignage des respectables prêtres
romains de Victoria Plains pour croire que ce jeune couple,
qui porte il est vrai- tous lés caractères de sa nationalité^
avait, dans son enfance, 'vécu dans les forêts à l'état ada-
miqne (qu'on me passe cette expression). .La fiancée entra
danâ l'église de la mission, toute habillée de blanc, ce qni
faisait ressortir sa péan brune et sed che>vèux noit^. Le
fatur époux étaît^ lui' aussi, vêtu très-obnvenablemeat.
.it .
(1) Tht fnquirvr ùfHew-PtrlK 15 novembèrl86^. '
p) Penh: s Gazette and Weneni-AuèraHà's Times) 17 novembre I8W.
279
Après le mariage, il y eut un déjeuner, et cinquante sauva-
.^es y prirent part, à c6té ctes nquveaux époux ; je dois dire
que leur tenue n'aurait pas fait déshonneur à une réunion
de ooions earôpéeûs. Après le repas, je domnai de bon
cœur une poignée de main à ee couple intéressant-; ils me
firent visiter leur cottage. Towt y était en ordre et r^Ue-
ment très-confortable. J'en ^ûs .mon compliment au Reli-
gieujçqui m'accompagnait, en lui disant que beaucoup de
blancs, à Perth et à Sydney, seraient heureux d'être logés et
fournis de tous les objets nécessairesàla vie comme ce jeuiié
ménage australien (1)."
Ces protestants qui louaient, avec une loyauté qui les ho-
nore, les succès obtenus par les moines missionnaires, ne
voyaient cependant que le côté matériel de la colonisation
catholique. Ils connaissaient à peine le mobile élevé qui
portait ces Religieux, dont la vie aurait pu se passer si dou-
oement dans leur patrie, à venir jusqu'aux antipodes se con-
sacrer tout entiers à la -régénération de pauvres sauvages,
regardés jusqu'alors comme les rebuis de l'humanité. Mais
ces moines avaient une autre tâche à remplir et peut-être
plus difficile; c'était de soutenir valeureusement le dra-
peau de l'Eglise catholique, en présence des sectes protes-
tantes qui pullulent en Australie, comme dans toutes les
colonies anglaises. Mgr Salvado, aussi bon théologien que
missionnaire dévoué et habile administrateur. Tarait com-
pris de bonne heure. Aussi, dès que la vie de ses moines et
de ses c'hers Australiens fut à peu près assurée par "- le la-
bourage et le pâturage, " comme s'exprimait le grand tniniti-
tre Bully, il voulnt avoir une bibliothèque à la Nouveile-
Nursie et appliqua à Tachât des livrés, nécessaires peur
l'instruction de ses Religieux et pour les besoins de la con-
troverse aveC'les héréti^ues^ toutes les intentions de oiésees
.des prêtres de sa communauté*
^(1) Perih^i Gazetiô, Il novembre 1866.
) •
CHAPITRE IX
Lettre de Mgr Salvado fliir Tétat âetuel de la oolome Mnédictine.— Mgr-
Salvadû nomué abbé Jiuliius et vioaire apostolique de la Nouvelle»
Nursie.
La lettre qui suit de S. 6. Mgr Salvado montrera, mieux
que toutes nos paroles, la position difficile, faite aux Béné-
dictins, entre les sauvages anthropophages et les Anglais
protestants, c'est-à-dire entre rex|rême barbarie et l'extrême
civilisation.
Australie oodtentale. Monastère
de la Nouvelle-Nursie, ce 16 mai 1876.
" Très-cher Père dom Théophile,
^* Je viens de recevoir, par mon agent de Londres, votre
aimable lettre du 6 février 1874 ; elle a été pour moi ua
véritable régal ; puisqu'elle m'annonce l'aorrivêe, par le-
premier paquebot, de la Patrologie latine. Merci de vous
être occupé de cette affaire avec tant de soin.
'^ Mon intention est de former peu à peu une bibliothè-
que dans ces déserts de l'Australie : une communauté-
monastique sans livres, est conmie un bataillon sans armes^
Nous avons déjà quelques bons ouvrages, parmi lesquels
la Bible polyglotte, les Biblia^ regia^ magna et maxima^ saint
Thomas, les BoUandistes, les Àcta sanctorum de l'Ordre de
Saint Benoit, la Patrologie grecque, la Bibliothèque de Fer-
rari, le Dictionnaire de théologie de Bergier, les ArmaUs de
la PropogaHon de la Faij qus qous devons à votre R. P.
Prieur, etc.; et nous aurons bientôt la Patrologie latine.
^^ Mais, en vérité, dans la position où nous sommes ici,,
obligés de défricher nos bois et; de labourer pour avoir du
pain, de garder les brebis, les vaches et les chevaux pour*
nous procurer quelques ressources, de faire des briques et
des charpentes pour ne pas coucher, comme autrefois, en.
plein air, n'est-il pas ridicule que nous prétendions nous oc-
cuper aussi de Polyglotte et de Patrologie î Ridicule ou non^
Yoilà le fait ; et, au Ueu de m'en repentir, je suis déterminé-
281
-à augmenter le plus, qua je pourrai notre petite bibliothè-
que ; car rhomme ne vit pas seulement de pain.
'' Vous allez peut-être rire de tout cela, vous qui avez à
TOtre disposition la belle bibliothèque de Solesmes, et, à
Paris et ailleurs, les plus grandes bibliothèques du monde.
Hais nous, au fond de nos bois, à quelle bibliothèque pou-
vons-nous recourir? Vous direz sans doute que, vivant au
miheu des sauvages, il ne parait pas probable que nous
^yons de graves questions à examiner ou des cas embarras-
sants à résoudre. Cependant, il n'y a pas bien longtemps,
si nous n'avions pas eu en main la Somme de saint Tho-
mas, nous n'aurions pas su nous tirer d'une difficulté rela-
tive à un baptôme d'adulte. D'ailleurs, nous nous irouvons
en contact avec bien des gens qui ne sont pas catholiques,
et dont on ne connaît même pas la religion. Pour
ces sortes de personnes, toutes les croyances sont bonnes,
sauf la croyance catholique, à laquelle ils font tous la guerre,
6t parfois leurs objections et leurs accusations ne sont pas
si faciles à réfuter. Il y a peu de mois, un journaliste protes-
tant citait, en faveur de ses fausses opinions, les paroles
d'un saint Père. Nous avons fini par trouver cette cita-
tion dans la Patrologie grecque ; mais le journaliste l'a-
vait falsifiée dans un sens favorable à l'hérésie. Comment
aurions-nous pu faire cette vérification si nous n'avions pas
eu de Patrologie ? Mais j'ai tort de tant insister pour vous
prouver la nécessité d'une bibliothèque, même dans les
bois de l'Australie. Vous êtes moine bénédictin; vous
devez donc penser comme moi sur ce point.
^ Le même courrier qui vous portera cette lettre, vous
fera parvenir deux, publications anglaises. La première
concerne la colonie monastique ; La seconde, les naturel^
du pays; toutes deux ont été imprimées par l'ordre et
aux frais du gouvernement coloniaL Dans la première,
vous pourrez avoir mne idée d|^ la composition géologique
du sol que nous habitons : dans la seconde, vous trouverez
de nombreux détails sur les coutumes des sauvages austra^
liens. Cette dernière publication commence par une relation
que j'ai faite pour réfuter ce que les agents du gouverne,
ment avaient écrit sur les indigènes, qu'ils calomniaient à
i82
plaisir et qu'ils assimilaient presque à des singes. Je ne
croyais pas que le gouTerneur de Perth la ferait imprimer»
Suit un abrégé historique de notre mission, dû à la plume
de mon Prieur, dom Venance Garrido, que nous avons eu
le malheur de perdre le 12 octobre 187Ô. Eitfln tous verrez
plus loin une sorte d'arbre généalogique des principales fa-
milles de nos sauvages, que j*ai dressé afin de savoir
quelles personnes peuvent s'unir en mariage, sans violer
les lois de l'Église et leurs propres coutumes nationales.
On y a joint un exposé des usages des aborigènes recueillis
par l'interprète du gouvernement colonial.
" En ce moment, nous construisons plusieurs maisonnet-
tes destinées à quelques futurs ménages de sauvages, qui
n'attendent, pour se marier, que l'achèvement de leurs habi-
tations. C'est ainsi que nous procédons. Nous aUons len-
tement, mais aussi plus sûrement (1).
^^ Dimanche prochain, nous baptiserons srz jeunes filles
australiennes. Je vous dirai en peu de mots comment
elles se trouvent ici.
^^ Depuis longtemps elles désiraient venir à la mission ;
mais la grande distance qui les séparait de nous (près de 2(X>
milles) les arrêtait, non qu'elles n'eussent pas le courage de
faire la route à pied, mais, devant traverser les montagnes
et des forêts occupés par des sauvages barbares et anthropo^
phages, elles craignaient d'être tuées et mangées, ce qui, di-
saient-elles naïvement, leur aurait fait manquer entière-
ment le but qu'elles se proposaient.
^' La Providence vint à leur aide. Elle leur inspira la pen-
sée de s'adresser au prêtre catholique le plus voisin du
campement de leur famille. Gelui-cij ayant de ma part
carte blanche pour avancer tout Targent nécessaire dans
des cas semblables, paya leur voyage dans une barque, car
ces jnunes filles sauvages habitaient non loin d'un port de
mer, et bientôt elles furent rendues à Perth. Le gouver-
neur, sir Weld, fut aussitôt averti par le commandant du
(1) Une cinquantaine de ces petites maisons sont disséminées autour
du monastère de la Nouvelle-Nursie et forment déjà comme une petit»
cité.
283
fQTi d'où elles étaient parties. Cet officier, protestant fana-
tique, affirmait qu'on les avait enlevées malgré leur volon-
té, malgré la réaistaxice dç leurs paxents et de leurs amis.
Le gouverneur les fit arrêter ^t m'écrivit pour que je pusse
^examiner l'afiairo. ( Heureusement, je me trouvais à Perth.
Je me rendis auprès de ces Australiennes* Je les trouvai si
déterminées à me suivre à la Nouvelle-Nursie, que je pro-
posai hardiment au gouverneur de faire décider le cas par
l'attorney ou procureur, général de la colonie anglaise. On
y consentit. Ce magistrat interrogea lui-môme ces pau-
vres filles, et fut très-étonné de voir qu'il n'avait pas '^ une
goutte de vérité " dans le rapport du commandant. Il me dit
aussitôt que je pouvais les emmener à la colonie de Victoria
Plains et qu'il en prenait toute la responsabilité.
" Vous voyez, mon cher Père, par ce fait, contre quelles
difficultés nous devons combattre pour faire avancer notre
CEuvre. Certainement nous avons fait peu de choses à la
Nouvelle-Nursie; cependant, si vous me demandez dans
quelle partie de l'Australie on a fait davantage ou même au-
tant que chez nous^ la vérité m'oblige de répondre : nulle
part. Je dirai plus: lorsque les protestants viennent nous
visiter, ils admirent beaucoup les progrès de nos sauvages ;
leurs journaux eux-mômes nous prodiguent des éloges, tout
en ajoutant qu'il est bien fâcheux que cette colonie soit ca-
tholique. Aussi croyez bien que, malgré leurs beaux senti-
ments, nombre d^entre eux chanteraient un Te Deum^ si
-elle venait à périr, ce dont Dipu nous garde !
'^ Dans les derniers mois de l'an passé, nous avons ache-
vé la construction d'une maison pour la station télégraphi-
que qui nous relie avec Perth, et, par la continuation du
fil électrique, avec toute l'Australie occidentale, en atten-
dant que, Perth étant reUé ,4^ la môme manière à Sydney,
la métropole de ce continent, no^s soyons en communica-
tion directe avec l'Europe* Mais voici un fait qui me parait
plus remarquable. Une jeune AustraUenne qui, il y a peu
d'années, courait dans les bois avec son père et sa mère,
anthropophages comme elle, fut reçue à la mission. On
l'instruisit, on la baptisa, on lui donna une éducation plus
soignée qu'à ses compagnes, parce qu'elle était plus intelli-
♦t
284
gente, on la maria, et maintenant elle est la directrice d<^
notre bureau de poste télégraphique. Le gouremement de
la colonie anglaise lui donne, arec le logement, 750 franc»
par an. Tous les journaux protestants de l'Australie ont ra-
conté cet événement avec de grands éloges poar la mission
où Ellen Cuper, c'est le nom de la jeune sauvage, a été éle-
vée. Son premier télégramme a été un remerciement adressé
au gouverneur, sir Weld,qui l'avait nommée à cet emploL
^' En vérité, jen'aurais jamais cru voircelaenranaée 1874.
lorsque j'arrivais, il y a vingt-huit ans, dans ces bois déserts
n'ayant plus de chaussures, presque sans vêtements ; sans
abri, sans provisions ; réduit à faire ma nourriture des cou-
leuvres, des lézards, des vers de terre ; au milieu de sauva-
ges féroces, qui ne se seraient fait aucun scrupule de me
tuer pour me manger, si la Providence n'avait protégé mes
jours. Quel chemin parcouru dans ce quart de siècle f
Dieu soit béni de tout 1 car tout lui est dû, et, après lui, à
notre bienheureux Père saint Benoit.
^^ J'ai commencé cette longue lettre le 16 mai et je la fi-
nirai le 13 juin, parce que j'ai manqué le dernier paquebot
de Perth. Nous sommes, en ce moment, entièrement oc-
cupés aux travaux des champs. En labourant chaque jour
avec quatorze ou quinze arados (charrue»), on parvient k
défricher, en une semaine, un bon morceau de terrain.
Les charrues sont en fer, et, quoiqu'elles aient chacune
deux roues, elles sont assez pesantes. Néanmoins, deux
forts chevaux, élevés pour ce travail, les tirent facilement.
Cinquante chevaux consomment chaque jour, il est vrai^
pas mal de fourrage et d'avoine ; mais ils les gagnent bien»
En même temps que nous labourons, nos brebis, dont les
troupeaux sont gardés par trente-deux bergers indigènes^
nous donnent beaucoup d'agneaux. Nous en avons grand
besoin J car ce sont là toutes nos ressources pour faire vi-
vre tant de monde autour de nous. Nous nous occupons
ausii à construire une troisième partie de notre monastère.
Peu à peu nous arriverons à le compléter. V6us le voyex^
nous ne manquons pas de besogne. A peine un travail
est-il terminé, qu'il en faut commencer un autre.
*' Nous avons vu dernièrement arriver des mineurs qui
285
viennent examiner la contrée pour savoir si Ton y trouve
de l'or. Ils ont creusé plusieurs puits, à une douzaine de
milles de la Nouvelle-Nursîe, vers Test, et ils ont trouvé'
quelques échantillons de ce métal, mais, jusqu'à présent,
en quantité à peine suffisante pour couvrir la dépense. Ils
sont allés plus loin, avec l'intention de revenir, espérant
trouver de nos côtés de beaux ûlons, s'ils peuvent décou-
▼tir la veine aurifère. La nouvelle de cette découverte m'a
Tivement affligé craignant, non sans raison, que noire co-
lonie monastique n'en souffre beaucoup. Dès qu'on ap-
prendrait que le précieux métal se rencontre dans notre
▼oisinage, tous nos alentours seraient bientôt remplis de
milliers de mineurs, parmi lesquels abondent les gens sans
aveu et les bandits. Mais si l'or ne se trouve qu'à une as
sez grande distance de notre monaslère, j'en serai bien aise
pour le gouvernement colonial.
^' Je termine cette trop longue lettre en vous souhaitant
toutes les prospérités de la terre et du ciel, et en me disant
cordialement,
*^ Votre frère affectionné en Notre -Seigoeur et saint
Benoit,
" •}• ROSENDO SaLVADO,
*• Évéque de Port-Victoria et abbé de la Nouvelle-Nursie. "
Mous nous sommes laissés entraîner un peu loin de notre
récit par cette lettre et par les détails que nous avons re-
cueillis sur la colonie monastique de Victoria-Plains.
De 1857 à 1865, Mgr Salvado continua ses travaux aposto-
liques et donna une extension considérable à son monastère.
n n'allait que rarement à Perth ; mais, toutes les fois que
sa présence était réclamée par l'administrateur aposto-
lique de ce diocèse, nommé depuis la démission de Mgr
Brady, il se rendait à ses désirs et donnait le sacrement de
la confirmation dans la capitale de l'Australie occidentale.
Il pensait donc vivre et mourir au milieu de sa nombreu-
se famille, lorsqu'il apprit d'Europe qu'on voulait l'élever
sur le siège épiscopalde Perth. Son zèle ardent pour la con-
version des indigènes, sa haute capacité administrative, la
grande influence qu'il s'était acquise dans les conseils su-
^^
286
pérâurs de ]a colonie anglaise, tout le déaigaait pour reoi-
plir ce poste important Mais il lui aurait fallu quitter pour
toujours la Nouvelle-Nursie, laisser à des maias sans doute
moins expérimentées une œuvre qui lui devait tout son
accroissement. Mgr Salvado prit un grand parti. Il ré-
solut d'aller à Rome pour plaider lui-même la cause de
la mission confiée à ses soins, et pour sup;^lier, disait-il
dans son humilité, le Trës-Saint-Père de ne pas charger les
épaules d'un pauvre évèqoe des sauvages d'un fardeau
qu'elles ne pourraient porter. Il exposa à son Em. le car-
dinal Barnabo, alors préfet de la Propagande, les résultats
déjà obtenus à la Nouvelle-Nu rsie et ses plans pour l'avenir,
dans un remarquable mémoire, qui fut admiré des consul-
teurs de cette Congrégation, et il eut la consolation de voir
ses vœux exaucés.
Le 12 mars 1867, le jour de la fête de saint Grégoire-le-
Grand, lui aussi l'apôtre monastique d'un grand peuple, le
pape Pie IX donna une buUe qui érigeait le monastère de
la Nouvelle-Nursie en Abbaye nuUius dioeeesis et en Préfec-
ture apostolique, comprenant un espace de seize milles car-
rés autour de la colonie bénédictine, dont Sa Sainteté for-
mait un véritable diocèse, distinct de celui de Perth, quoi-
qu'il s'y trouve enclavé. Mgr Salvado était nommé, par la
même bulle. Abbé perpétuel et Préfet apostolique de la
Nouvelle- Niirsie, cette dignité et cette charge devant» après
lui, passer à ses successeurs. C'était le digne couronnement
du long et pénible apostolat de Mgr Salvado ; ce sera, nous
l'espérons, la plus sûre garantie des accroissements réser-
vées aux missions monastiques de l'Australie.
Le Souverain Pontife voulut que l'ancien Bénédictin de
Saint-Martin de Compostelle assistât aux fêtes dn dix-neavi-
4 ème centenaire du martyre de saint Pierre, pour y représen-
-ter, avec Mgr Polding, archevêque bénédictin de Sydney, les
Églises du continent océanien. Après ces glorieuses soleo
nités, Mgr Salvado vint en France et obtint des Conseils de
la Propagation de la Foi quelques secours pour sa loinaine
mission. De là, il se rendit en Espagne, où la reine Isa-
belle II lui fit l'accueil le plus sympathique. Sa pensée était
d'établir, non loin de Madrid, un monastère de son Ordre»
i
287
qui devait être en mâme temps un aéminairef un collège et
une ferme-école pour les jeunes Espagnols désireux de se-
consacrer, sous le froc bénédictin, à Tévangélisation des
sauvages de TAustralie. On dit même que la reine voulait
lui céder, dans ce but, une portion de Timmense palais de
TEscurial, qui n'est aujourd'hui qu'un désert de pierre. Les
projets de Tévêque-missionnaire furent trës-goûtésdugéné-
reux peuple espagnol, et le journal, le Pansamiento^ expri-
ma en ces termes le sentiment public de la nation : ^^ On
annonce que Mgr Salvado, évêque de Port- Victoria, en
Australie, après vingt années de travaux apostoliques dans
ce nouveau continent, est venu en Espagne avec la pensée
d'établir un monastère-coIlége bénédictin pour les missions
d'outre-mer. Cetre maison servira aussi, nous assure-t-on,
de ferme-école, aûn que, comme aux temps primitifs de
leur Ordre, les moines puissent unir le travail à la prière,
se former eux-mômes et former ensuite leurs néophytes
aux utiles labeurs de l'agriculture. Le gouvernement de
Sa Majesté la Reine (que Dieu garde !) favorise ce dessein
que tout Espagnol, digne de ce nom, approuvera et qui se-
ra d'un si heureux exemple pour les populations de nos
campagnes (1). " Le Moniteur Universel^ journal of&ciel de
l'Empire français, s'associa lui-même, dans son numéro du
31 mars 1868, à ces éloges, et donna les plus grands encou-
ragements à l'œuvre chrétienne et civilisatrice du fonda-
teur de la NouveJle-Nursie. Mais, on le sait, la révolution
renversa peu de temps après le trône de la reine Isabelle, et le
projet de Mgr Salvado ne put s'exécuter. Néanmoins l'évo-
que profita de son séjour dans sa catholique patrie pour re-
cruter un bon nombre de jeunes Espagnols tout dévoués à
son œuvre.
Il était à Rome, à l'époque du Concile du Vatican, ce
vaillant évêque des Australiens, toujours plein de force et
d'ardeur, quoiqu'il eût alors, depuis quelques années, dé-
passé la cinquantaine (2). On pense bien que dans cette so-
lennelle assemblée où sa science théologique et sa piétô
(t) Le journal îe Monde, du 5 mars 1868
(2) Mgr Salvado est né à Tuy, en Galice, le 1er mars 1814.
288
furent remaïquées, il ae trouva toujours parmi les dôfen*
seurs les plus convaincus et les plus écoutés de rinfaiUibilt
té du Vicaire de Jésus-Christ. Avant de repartir poar lo"
Nonveau-Monde, il fit connaître au bureau central de la Pro-*
pagation de la Foi, l'état prospère de sa colonie monastique
et de son abbaye, où vivent maintenant 72 moines, tons Es»
pagnols. '^ Mais, disait-il, nous sommes toujours et poar
longtemps encore les enfants de la Providence, parce que, à
mesure que nos ressources augmentent, nous admettons tut
plus grand nombre de sauvages à partager notre vie. Ler
indigènes de cette première génération ne peuvent pas en*
core se suffire ; il faut que nous les aidions en beaucoup de
manières. Qu'il survienne une longue sécheresse ou des
pluies prolongées, une épizootie sur les bestiaux ou une ^pi>
demie chez les sauvages, comme en 1860 : voilà toutes noft
réserves épuisées et nous nous trouvons réduits presque à la
mendicité. Lorsque la seconde génération de nos Âustrar
liens sera arrivée à l'âge d'homme, elle pourra se passer d«
notre secours, parce qu'elle aura eu, dès l'enfance, l'habita*
de du travail, de l'ordre et de l'économie comme chez les
bons agriculteurs de l'Europe, Nous-mêmes, dans quelques
années, nous aurons terminé nos constr^ictions, qui absor-
bent tout ce qui n'a pas été dépensé pour l'entretien journa-
lier de plus de trois cents personnes. Nous ne serons plus ré-
duits alors à tendre la main à nos frères de l'Ancien Monde,
et nous pourrons vivre de notre f)ropre vie, toujours, 11 est
vrai,.à la sueur de notre front, mais enfin, avec nos ressoui^
ces personnelles. "
FIN DE LA PREMIÈRB PARTIE.
f
ANNALES
DBXA
PROPAGATION DE LA FOI
l
f
POUR LA PROVINCE DE QUEBEC
I
FËVBIEB 1879.
«NOUVELLE SEBIE)
SEPTIÈME NUMÉRO.
J£OJT^IiE:fiL f
DES PRESSES A VAPEUR DE PUNGUET & FILS,
22, RUB ST. GABRIEL.
1879
Permis d'imprimer,
4^ E0OUARD Ch. Et. de MontréaL
COMPTES-RENDUa
DIOCÈSE DE QUÉBEC.
Etat des Recettes de f Œuvre de la Propagation de la Foi^ dans
le Diocèse de Québec^ pour Vannée 1878
(Le signe * indique que la contribution ou une partie d'icelle, a été
envoyée après la fermeture des comptes. On la trouvera indiquée à la
suite de ce compte-rendu.)
(Vl'eme 'année.)
VILLE DE QUÉBEC.
Rasilique et N. O. de la
Garde •$ 311 52
Arehevôché • 10 00
Grand Séminaire. ••••.••• 16 05
Petit Séminaire 29 90
flotel-Dieu 27 75
Dames Ursulines. .••••••• 39 00
Hôpital Général 34 81
Sœurs de la Charité 8 50
Sœurs du Bon Pasteur " ..
Porté .....$ 479 53
Raporté $ 479 53
St. Patrice
St. Laurent du Hdvre.... 49 00
Faubourg St. Jean 273 80
St. Roch .... 593 75
St. Sauveiu* 332 69
Soldats , 2 00
Ecole Normale.... •••••• ' 4 05
Asilo des Aliénés 10 00
Porté $ 1742 82
CAMPAGNES.
Rapporté ..••••$
Agapit St
Agathe Ste
Alban.St
Alexandre St......
Ambroise Bt •
Anastasie Ste ••.
Ancienne Lorette .;••••••
André St
Auge-Gardien •
Anges SS. de la Beauce...
Anne Ste. do Beaupré . . « •
Anne Ste. de Lapocatière..
Anselme St
Antoine St
Antonin St • ...•
Apollinaire St
Aubert St
1742 82
10 00
32 00
35 00
15 50
69 25
2 00
112 85
19 70
60 60
41 36
100 00
60 00
49 25
21 25
14 00
5 50
Porté $ 2391 08
Rapporté %
Augustin St
Basile St
Beaumont ,••• ••••
Beauport •
Bernard St
Berthier ,..•••
Cajétan St. d' Armagh . . • .
Galixte St de Somerset . .
Cap-Santé • . . .
Gap S>t Ignace
Casimir St..,. •
Catiierhio Ste
Charles St
Oharlesbourg
Ghateau-Richer
Glaire Ste
5 2391 08
213 73
49 83
350 00
25 15
11 00
5 15'
71 00
33 05
73 30
26 80
78 00
54 00
4 55
40 00
■
\
Porté % 3426 64
Rapporté $3426 64
Collège de Ste. Anne...*. 11 00
Côme 8t ...•• 3 18
Croix 8te ;. 24 20
Couvent de Jésus-Marie. • • 5 00
Cyrille 8f
David 8t. de r Aube Riyiè«>
re (voir Lévis)
Denis St 22 50
Deschambault *
Ecureuils ••••^ C 12
Edouard fit. de Frampton. 9 00
Edouard St. de Lotbinière. 30 00
Eleuthère 8t 2 00
Elzéar St 19 00
Bmmélie Ste 22 00
Ephrem 8t 8 00
'Etienne St 2 00
Eugène St .'....•• 4 00
Evariste St. ( 1877) 6 00
Famille Ste 35 15
Félix St. du Gap-Rouge... 12 18
Ferdinand St 10 25
FerréolSt 5 00
FlavienSt 12 00
FoyeSte.»
François St. de Beauce... 6 60
François St. I. 0 27 30
François St. R. d. S 42 25
Frédéric St 15 42
ÇeorgesSt. (2ans) 40 00
Germaine Ste. et St. Léon. 5 65
GervaisSt *. 49 37
Gilles St
Grondines '.. 46 75
Hélène Ste 15 08
Hénédine Ste • 9 00
Henri St ' 61 82
Honoré St 5 65
Inverness '.••••••••
Isi'lore St 40 60
lie aux Grues 32 10
Islet 98 00
Jean-Chrysostôme St 33 95
Jean St. Deschaillons. ... 44 57
JeanSt. I. 0 %.... 221 80
Jean St. Port Joly 66 90
Jeanne Sle 42 50
JoachimSt 40 15
Joseph St. de Beauce 41 45
Joseph St. de Lévis 82 50
JulieSte 17 QO
Justine Ste...« •••••• ••••
Kamouraska • • 45 00
Porté.. ,..,.. ...$4805 73
Rapport »480S 73
Laiiibe]|t8t •••.«. 24 55
Lambton. ••••.••. .••....
Laurent 8t... 110 00
Ijaval
Lazarê'8t.'.\V.V.V..V.!!!! 32 50
Léon 8t. (Voir ite. Ger-
maine)
Lévis et 8t. David 229 40
Lotbinière 40 00
Louise Ste • 6 00
MagloireSt
MalachieSt 7 27
Marguerite Ste 4 7^
Marie Ste 14 61
Michel Si 83 00
Mont Garmel
Narcisse St 21 00
Nicolas St 43 50
N. D. du Portage. 7 00
Onésime St. «
Pacôme St • 10 00
Paschaim 92 50
Patrice St. de Beaarivage.
Paul St. de Montmény . . . . 1 90
Perpétue Ste 2 00
Pétronille Ste 25 00
Philippe St. de Néri 17 10
Pierre Baptiste St 0 75
Pierre St. de Bioughton... 12 75
Pierre St. L 0 121 40
Pierre St. R. d. S 24 10
Pointe aux Trembles.. • • •• 57 95
Portneuf...' 34 00
Raphaël St 18 3T
RaymondSt 32 12
Rivière du Loup 36 36
Rivière Quelle 18 45
Roch St. des Aulnets 43 20
Romuald St.....
S.G. de Jésus de Brougfatou 8 66
Sébastien St
SévérinSt 6 75
Sillery 24 76
Sophie Ste 9 15
Stoneham 150
Sylvestre St 31 15
Thomas St 118 10
Tite St 0 80
UbaldeSt
Valcartîer , 2 95
Valier St 53 80
Victor St. ' 3 35
$6237 57
DIOCÈSB DE CHICOUTIMI.
Chicoutimi ..•.•......•$ 65 00
Agnès Ste •••••• 10 00
Alexis St
Alphonse 8t... ••
Anne Ste. du Saguenay * .
Anse St. Jean....*».***.
Baie St. Paul (2 ans).....
Dominique St. .••.*•*•••.
Eboulements ....••••.•••
Escoumains •• •••*••
Fidèle St.
Fall^ence St ••
Hébertville
Hilarion St ....•*•
1 18
78 20
12 00
13 50
17 75
19 85
1 00
Porté $218 48
Rapporté $ 218 48
IrénéeSt •••*•• 2 5t
IleauxGoudres 63 50
Jérôme 8t* ,
Louis S. deliétabetchouan
M«lbaie 44 00
N. D. du Lac St. Jean* • * • 2 00
N. D. de Laterrière 13 35
Paul St. de ICtild-Yaches..
Petite Rivière * 7 86
PrimeSt •
Siméon St * • » «
Tadoussac * •••••
Urbain St
$ 351 69
Montant de la recette des pa>oisses du Diocèse de Québec. . ..$ 6237 57
il (* tt u u II II r!hi>nii4imî Qi;i tt<ï
Ghicoutimi. 351 69
$6589 26
Intérêts sur fonds placés et dons **.-. 585 58
Arrérages tels que marqués dans le oompte-rend« de Tannée
dernière • ••.••••.••*• 187 60
Total de la recette de 1878 • $ 7362 44
Etat des sommes aUcyuées par le Conseil de la Propagation de
la Foi à QuéheCy pour Vannée commençant le \er Octobre
1878 et fi^nissant le \er Octobre 1879.
Montant mis à la disposition de Mgr. TArchevèque. * •• $ 1060 00
Annales françaises et anglaises 450 00
Pour vases sacrés, ornements, etc •*..• 509 64
Missions du Saint Maurice •••.*• • 400 09
Hissions des Naskapis • •«• 600 00
Missions des Montagnais...... • 55 00
Missions de rile à la Grosse ••.*.* 100 00
Montant mis à la disposition de Mgr. de Ghicoutimi , 1275 00
A Mgr. de Sherbrooke pour "la Patrie*'*..; 100 00
Ghapelle de St. Adrien..... 100 00
« de St. Eleuthère..^ 40 00
'< d'Invemesse ..*• •...••..... 7200
<< de N. D. de Lourdes..* 170 80
'' de Si Pomphile 100 00'
" St. Pierre-BapUste 100 00
Pour défrichements à S. Samuel. •• 100 00
Pour une terre à Invemess • •••••.•• *..••**..••• 100 00
Pour mission de Yalcartier •••• .*••, 50 00
Porté $5382 44
Happorté • $538^ 44
Missionnaire de St. Adrien par' 8. Ferdinand 25 OQ
" deSte. Anastasie ,.,. 100 00
•« deSL Côme 50 00
" deSt Eleuthère ,.. ,. 200 00
" d'InTemess ,,,, 150 00
'* de Ste. J.ustine 180 00
<' du Lac Beauport par Laval ...••••• 50 00
" de Laval. 150 M
" de8t.Léonde Btandon 50 00
'* de Leedsparlnverness ..•••.*...• 25 00
deSt Magloire ...•-•.•.. 120 00
de St. Marcel par St. Cyrille .....Z..... 50 00
" de St. Martin par SL Georges ,.,... 50 00
" de N. D. de Lourdes par Sle. Julie. 25 00
" de St. Paul de Montminy 120 00
" de Ste. Perpétue lOO 00
-*• de St. Philémon par St. Paul 25 00
" de St. Pierre-Baptiste par Inverness. 25 00
" de St. Stanislas par Petite Rivière 25 00
« de Stoneham / ^... 160 00
** de Tewkesbury par Valcartier. 50 60
" de St. Ubalde .., 100 00
" de Valcartier 150 00
Montant alloué... ,.. $ 7362 44
RÉSUMÉ :
Total de la recette de 1878 , $ 7362 44
En caisse de Tan dernier 5005 00
Total Çi2367 44
Montant alloué pour 1878-79 7362 44
. Reste en caisse , § 5005 00
II. TETU, Pire., Âum6nia\
Québec, 28 décembre 1878,
Recettes entrées après la clôture des comptes.
Aaile du Bon Pasteur...../ ,»., ..,.......$ 8 00
Ste. Anne du Saguenay... , '2 OO
St. Prime... , , 2 00
Ste. Foye *,.. ,. 43 90
Deschambault ..,•• 54 00
Tadoussao*.... , .^,. 4 oo
Sillery (balance) , ..,*.. ••• .•.^.. 4 00
St. Cyrille , '///.* 5 00
St. Jérôme ..••..•...# ..,.,,• 4 00
Petite Rivière....,,, ,,,,,,,. , , .i.,.!.! !.!! 14 00
9 140 00
DIOCÈSE DE MONTREAL.
ÉTAT DES nSCSTTSS ET DéPENSXS DURANT L' ANNÉE 1878.
Argent on mains au 81 Décembre 1877, poorfidre faoe
dépenses de 1878 $4871 71.
Payé
Aux Sœurs de la Pro-
vidence
Aux Sœurs Grises....
A Mgr.de Sherbrooke
Au Miss, de Piopolis.
Ste.Anastasie.
St. Donat
St. Hippolyte..
SteBéatrix
St. Daxnien....
Pour pierres sacrées
Au Miss, du B. Alph.
Ste Emmélie..
St Gome
Ste Agnès de
Dundee
St Galixte
Impressions des An-
nales et circulaires
et frais d'expédition
il
u
1(
u
(4
C(
$12 50
53 40
150 00
50 00
300 00
150 00
350 00
100 00
150 00
11 00
100 00
250 00
150 00
75 00
50 00
362 20
Porté. $2314 10
Rapporté $2314 10
A rCEuvre des .Ta-
bemacles
110 00
Aux Oblats
800 00
Au Miss, de Gaugh-
nauwaga.
200 00
'< St Michel des
Saints
250 00
** Ste Marguerite
125 00
" St Colomban..
150 00
" St Théodore
de Cheitsey..
200 00
** d'Ormstowm..
100 00
" d'Hinchin-
brooke
150 00
^' Ste Julienne...
50 00
'' Rawdon
100 00
" Ste Sophie
30 00
A Madawaska
50 00
Au Miss, de Ste Lucie
54 OO
14683 10
Avoir 14871 71
Dépenses , 4683 10
Balance I 188 61
8
RKCHTTKS DURANT VkHNÉZ 1878.
.. rau. . ■ .
Notre-Dame .,..-. .....$ 584 OS
St. Pierre ; 410 00
Cathédrale 180 00
Legs de Mr. Desautels A 200 00
Legs de Mde. LaRocque. 120 00
N.-D. de Grâce 50 00
Hôtel- Dieu..: • 35 76
LegsBeaudry 24 10
LegsMcKay 24 00
Asile Nazareth 3 12
Eglise St. Joseph 2 14
J1633 17
L'Assomption ,...$
St. Jacques de TA-
chigan
Ste. Geneviève
St. Rémi
St. Henri Mascooche
Epiphanie
Laprairie
Terrebonne;
Ste. Anne des Plaines
Boucherville
St. Constant
He Dupas
St. Louis de Gonz...
Varennes
St. Alexis
Lachenaie
Lanoraie ;.
Longueuil
St. Lin
St. Isidore
Berthier... ..».
Pointe-aux-Trembles
Campagnes.
160 10
128 75
109 00
86 42
84 67
82 50
80 79
71 70
68 00
67 50
61 90
61 00
60 00
57 60
55 50
42 80
45 00
42 89
42 75
42 15
40 76
3&63
Porté $1530 41
Rapporté
$1530 4t
Sau 1 t-au-Récollet. . . .
. 38 34
Sœurs de Ste. Anne.
36 00
St. Paul de Joliette.
. 34 00
Lachine
. 33 50
Lavaltrie '.
. 33 15
Coll. l'Assomption..
. 32 90
St. Barthélemi
31 00
St. PaulFErmite....
. 31 00
Ste. Elizabeth
30 00
St. Martin
. 30 00
Joliette
. 28 09
St. Valentin:
. 25 00
St. Esprit
25 00
St. Etienne
25 00
Contrecœur
. 22 00
Sl Laurent
. 21 75
Couv. d'Hochelaga..
21 00
St. Thomas
. 21 00
St. Ambroise
. 20 33
St. Placide
20 00
St Michel
19 63
St.SuIpice
. 18 00
Porté
12127 la
Rapporté $21S7 10
Ste. Martine 15 75
St- Hubert 15 75
Cbambly 15 50
St, Frs. de Sales 14 00
Ck>teau du Lac St.
Ignace • 14 00
St. Jacques le Min... 14 00
Paroisse inconnue... 14 00
St. Cuthbert 14 00
St. Calixte 12 67
IlePerrot 12 50
St. Thimotnée 1 2 25
Ste. Justine 12 00
St. Béatrix 11 50
Ste^ Monique 11 45
Lachenaie 11 10
St. Eustache 11 00
St. Clet 10 90
Porté .$2349 47
Rapporté $2349 47
Vaudreuil 9 45
Sém. Ste. Thérèse... 8 00
St. Urbain 8 00
St. Hermas 7 50
St. Basile 7 40
St. Zotique 7 00
Les Cèdres 6 00
Ghateauguay. 6 00
St. Jérôme 5 50
Ste. Philomèue 5 45
Ste. Mélanie d'Aillé-
boust 5 00
St. Félix 5 00
St. Janvier 4 34
Ste. Julienne 4 32
Ste. Dorothée 4 00
St. Théodore de •
Chertaey 2 63
Total $2444 06
RÉCAPITULATION.
Recettes de la ville •-. $1633 17
<< des campagnes 2444 06
Intérêts 85 46
Balance du dernier exercice 188 61
En Caisse au 31 Dec. 1878 pour les besoins de 1879...$4351 30
Montréal, 30 Décembre 1878, .
Edic. Morbau, Chan
DIOCÈSE DES TROIS-RIVIÈRES.
Liste des recettes de la Propagation de la Foi dans le diocèse
des TroiS'Rivières durant P année 1878.
Ste. Monique ' $243 00
Trois-Hivières 170 00
La Baie du Febrre 145 00
St Zéphirin 27 37
" don d'un particuliet. lOO 00
La Rivière du Loup 12« 69
Maikinongé (1877) 100 00
(1878) 100 00
St.Léon 80 00
Nicoict 76 50
8t. Grégoire 65 90
Ste. Anne de la Pérade. . . 65 00
Ghamplain 55 50
St. Thomas .,•• 52 00
Gentilly.; 51 58
St. Médard de Warwick . . 46 23
Yama chiche ••••.•• 4365
Ste. Gertrude 40 00
St. Justin 37 65
St. Angèle 35 75
St. Guillaume 32 25
Bécancourt 30 85
St.Maurice. 29 35
Batiséan , 27 26
St. Pierre de Durham .... 25 35
St. Pierre les Becquets... 22 60
St. François du Lac 22 00
fit. Barnabe 21 22
St.Prosper ; 21 00
St. Norbert 20 00
St. David (1877) 17 50
« (1878) 17 50
Ste. Geneviève (1877) 17 40
(1878) 17 40
Ste. Perpétue (1877) : 17*00
(1878) 17 00
Ste. Sophie 16 00
Ste. Ursule (1877) 15 24
« (1878) 15 23
St. Boniface...,. 15 20-
St l^ichel 15 00
Porté $2078 39
Rapporté
St. Cyrille
St. Narcisse. •••••••...
..$2078 39
.. 13 50
11 89
St. Etienne ••••••
11 50
Mont-Garmel , • •
19 14
Stanfold
10 00
St. Bonaventure
Pointe du Lac (1877)....
" (1878)...
BteMiéléne
9 16
7 98
7 98
6 50
Séminaire de Nicolet....
St. Sévère •...
5 65
4 65
St. Léonard ..••••...••.
4 05
Tingwick ••
4 00
Ste. Brégitte (1877)
(1878)
St. Célestin (1877)
** (1878)
Drummond ville; •
Ste. Victoire. •••
4 00
4 07
2 50
2 75
1 40
l 25
St. Pie
1 00
St. Stanislas...,
00 00
St. Christophe
St. Valère
.. 00 00
00 00
Kinorsev «•«.•••• .••
00 00
St. Germain
.. 00 00
Cap de la Madeleine ....
St. Wenceslas
.. OO 00
00 00
St. Fulffence
00 00
St. Elie
00 00
8t.Tite
00 00
SUDidace... ,.
00 00
St. Albert
00 00
Ste. Clothilde
.. 00 00
St. Paulin
00 00
St. Paul
00 00
St. Luc ••••.....
00 00
St. Jean de Wickham.. .
Ste. Eulalie
.. 00 00
00 00
St. Alexis •..••••
OO 00
St. Louis de Blandford.... 00 00
Total $2202 3S
11
Appropriation des recettes de la Propagation de la Fri de
1878 pour 1*79.
A. Mgr. Racine • $ 400 00
** Ornements et effets de mission, etc . • ••• 200 00
« Impressions et voyages ^••.« 200 06
** Annales de la Propagation de la Foi ••.•• 150 00
<< Mgr. Taché 100 00
« Chapelle des Âbénakis 100 60
" Mission de 8t. Eugène 100 00
<< 8t. Jeande Wickham.... • 95 00
<< St. Paul de Chester 95 OO
<' St. Albert de Warwick 95 00
'• 8te. Glothide 95 00
'< St. EliedeCaxton ..«. • 80 00
«^ St. Louis de Blandford 80 00
** Ste. Eulalie 80 00
** Secours de charité ,..••••• • ••• 80 00
" Mission de Kingsay Falls 50 00
** Ste. Sophie de Léonard ' , 40 00
" St. Valère 40 00
" Ste. Perpétue ;.... ..:.. ' 34 00
" Ste. Angèie 30 00
'< Ste. Victoire 25 00
** St. Winceslas. # 25 00
«• St. Alexis 25 00
" Religieuses de Ménissota • •.•• 10 00
« Escompte sur argent américain • ••••••••.« 1 40
$2230 40
Balance de Tannée précédente. ; $ 5 05
Recettes de Tannée 1878 2250 56
Recette totale $2255 61.
Appropriation pour 1879 '. 2230 40
Balance en Caisse. •«•••••• •«.«••$ 25 21
•
DIOCÈSE DE ST. HYACINTHE.
Recettes de la Propagation de la Foi pour 18TO.
St. Antoine $ 125 00
St. Denis 108 60
Belœil 100 00
St. Césaire 70 92
Sorel 68 00
St. Hyacinthe 56 05
SuAimé 54 00
St. Jean-Baptis.te 45 00
Ste. Rosalie 44 60
St. Alexandre. ,. 44 13
St, Ours 40 50
St.Grégoire 38 OO
St. Marc. 30 40
St. Simon 28 75
St. Hugues 25 65
St, Athanase..««, 25 00
St. Pie 24 81
St. Dominique 23 37
St. Théodore , 21 50
St. Sébastien 20 00
Hoxton 20 00
Laprésentation • 15 50
Milton 15 00
Porté... .......Ï1044 78
Rapporté «....
St. Hilaire
Stanbridge ••.••
St. Barnabe
St. Mathias •
St. Charles. •••.«
St. MarceL
St. Roch
St. Judes ••••..
St. Georges ..•..,
St. Damase
St. Louis •••
Upton ,
St. Joachim
Ste. Victoire
N. D. Richelieu
Dunham. ,%
St. Valérien
Ste. Angèle......
St. Paul
Adamsville. •••••«.•••.
Ste. Hélène
Ste. Madeleine
• •
$1044 7»
19 20
14 oa
14 00
13 50
12 00
11 50
10 80
10 50
10 OO
9 65
9 26
9 00
600
6 OO
5 00
2 50
2 b%
2 35
2 14
2 00
1 80
l 25
Total $ 1219 73
Dépenses.
Annales • 9 Tt 30
Mandements et Circulaires -• .••..••••• 184 25
Objets de Culte. • ». 49 50
Visite Pastorale 28 60
Voyages an Concile .'... 24 15
ATEvèque de Sherbrooke 860 93
Total
$ 1219 73.
I. A. GRAVEL, V. G.
13
Recettes de FCEuvre de SU François de SaleSy 1878.
8t. Hyacinthe $68 05
Séminaire....:.... 15 00 83 05
St, Césaire 65 41
8to. Marie 58 00
8t. Pie 53 32
• li' Ange Gardien 50 00
Belœil 47 00
Sorel 32 00
•Collège 9 00 41 00
St. Damase « 37 63
8t, Aimé 37 00
St. Judes 33 50
St. Sébastien ; 33 00
St. Denis i 32 50
St. Antoine 31 50
Bt. Hugues .*..,..,... 29 56
Ste. Rosalie 28 25
St.Simon -28 00
St. Damien........ 26 00
iiaprésentation 21 05
St.Hilaire 18 80
N. D. Richelieu 17 00
Ste. Victoire 16- 70
St. Mathias 16 35
St. Ours 16 20
St. Alexandre 14 10
St. Georges 13 00
Porté $847 92
Rapport...... •••••$
8t. Charles. .•• ,•••
St. Dominique
St. Marcel
Parnham
8t. Marc.... ••••••.,.....
Stanbrîdge
Rozton...., ••
Milton
Ste. Hélène
St. Grégoire. ••
St. Roch....
St. Paul./
Acton
Upton
S^. Ignace ....••
Ste. Angèle
Ste. Pudentienne
St. Valérien
St. Jean-Baptiste. . .
Knowlton..
Swetsburgh
St. Liboire.... ....
Granby
St. Athanase •
Dunham •• 4*.
St. Joachim...... .
r* • . ■ • .
847 92
M 00
13 00
12 92
12 00
11 00
10 00
30 00
10 00
8 60
7
7
7
50
20
00
6 75
6 65
6 23
6 10
00
50
00
75
to
60
00
00
50
10
6
5
4
4
3
3
2
1
1
Total .^1032 42
Dépenses.
Mandement d'érection
Livres, feuilles d*aggrégation, etc.
Vases sacrés ,
Aux Missionnaires..
Aux Eglises pauvres .•••••...•».
$33 60
58 00
42 00
592 00
306 82
Total,
$1032 42
I. A. GRAVEL," V. G.
MISSION DES NASKAPK.
Lettre du Rév. Père Laçasse, 0. M. L
St. Sauveur, Novembre, t878.
Rev. M. H. TÉTU, Ptre.,
Aumônier de TAichevêché de Québec.
M. TAUMÔNIER,
Je n'ose moi-même aller vous présenter ce rapport Ma
conscience me dit que j'ai trop retardé et elle accepte d'a-
vance tous les reproches que vous lui ferez. Dans ma let-
tre précédente, j'avais laissé vos lecteurs en présence de
mes chers Naskapis. C'est le temps maintenant de les étu-
dier au milieu de leurs forets.
Un mot de la géographie des lieax : La partie des Naska-
pis qui habitent la forêt Notsimiolno, vivent de l'autre côté
de la hauteur des terres qui divise la vallée de la Baie des
Esquimaux de celle du Détroit d'Hudson. Le canot d'écorce
dans l'été, la raquette dans l'hiver, sont les deux seuls
moyens de communication pour parvenir à leur lointaine
patrie. L'épinette noire et le sapin sont les deux seules es-
pèces d'arbres qui poussent sur leurs terrains de chasse.
Les arbres n'arrivent pas à une croissance de plus de huit à
neuf pouces de diamètre. Quand ils veulent avoir de l'é-
corce de bouleau pour leur canot, ils sont obligés de venir
de ce côté-ci de la hauteur des terres, le long de la rivière
Mestshibo. Leur canot leur coûte cher ; aussi ils en ont
soin comme de la prunelle dB leur œil. Le terrain qu'ils ha-
bitent est entrecoupé de vastes étendues d'eaù. Nulle «
part dans le monde, les lacs sont aussi nombreux que dans
l'intérieur du Labrador, il y en a qui, par leurs grandeurs,
sont de véritables mers intérieures. Les lacs de dix,
quinze lieues de longueur ne sont pas rares. Le grand lac
Michigamao, ou Michigan, est à perte de vue. La près-
"A
\
15
sion du vent produit un phénomène, semblable à la marée,
ce qui est une cause de savantes discussions parmi les Sau-
vages.— Vois-tu, père, me disait un jour un guide, ce rocher
a plus de 10 pieds au-dessus du niveau des eaux? Eh ! bien,
il est quelquefois couvert par la marée du lac.
— Pourquoi cela, mon cher guide ?
— Voici : il y en a qui pensent que le vent, surtout celui
d'automne, plus entêté que tous les autres, ne veut pas s'ar
rêter, avant que le lac ne consente à déplacer ses eaux. Quel*
qnesfois il y a grand combat, le lac regimbe, le vent tient
bon et finit par triompher. Chose étrange ! dès que le lac
a consenti à déplacer ses eaux, le vent modère aussitôt et
s'en retourne se reposer dans le grand nord. Il y jeu a d'au-
tres qui pensent que cessent les poissons si gros et si nom-
breux du lac, qui, effrayés par le bruit du vent, s'enfuient
devant lui ; mais, ajouta- t-il, en me regardant d'un œil
scrutateur, j'opine jpour le vent.
— Tu as raison, mon guide ; mais dis-moi, quels poissons
trouves-tu dans ces lacs?
— Une grande variété de poissons se nourrissent dans
ces lacs. Le saumon des lacs, (touradis), la truite noire, ou
truite des lacs, dont quelques-unes pèsent plus de 20 livres,
le brochet dans les lacs peu profonds, la carpe partout,
dans tous les petits cours d'eau est le fameux poisson blanc,
le pain des Naskapis, quand le caribou manque.
— Gomment prenez- vous ce poisson ?
— Quelquefois à la rets faite de babiches de peaux de cari-
bou, à mailles proportionnées à la grosseur du poisson qu'on
veut prendre. Maintenant on va chercher aux comptoirs
du fil et des hameçons, ce qui ménage nos peaux de cari-
bou. On tend ces rets même en hiver sous la glàce des
lacs. Chaque matin, on va déglacer les deux extrémités de
la corde, qui soutient notre rôts tendue, on la retire,
prend le poisson, qui s'y trouve et la renvoie, au moyen de
pesées au fond du lac où se tient le poisson pendant l'hiver.
Vous voyez, ML l'Aumônier, que la Divine Providence
n'abandonne pas ses enfants. Là o^ il n'y a pas de terre
arable. Elle a mis la pêche et la c|iasse, comcne moyen de
subsistance à ceux qui habitent ces terrains incultes.
16
Les lacs quelque nombreux qu'ils soient, l'étaient en-
core plus à une époque antérieure. II y a de grands maré-
cages qui paraissent être des lacs desséchés ; on peut encore
suivre la décharge et on y passe maintenant à pied sec, mais
les roches polies que vous foulez aux pieds vous montrent
que Peau les a lavées pendant des siècles. J'ai suivi moi-
même le lit desséché d'une grande rivière, pendant plu-
sieurs jours. II n'y* avait pas à se méprendre. Cette rivi-
ère détournait les montagnes en s'élevant graduellement.
II y avait eu des chûtes, des rapides, des inégalités de pro-
fondeur d'eau. Le lit était des cailloux aplatis ou plaiôt
mes par le courant. Les terres qui avoisinent le pôle Nord
s'élèvent-elles, comme le prétendent certains géologîstes T
La terre, cette sphère aplatie aux deux pôles, rapproche-
t-elle encore ces deux extrémités en vertu de la condensa-
tion qui s'opère encore de nos jours à son centre? En at-
tendant que Jules Verne nous le dise,^ou8 ne ferons que
constater ce qui frappe nos sens qui vous disent qu'il y eut
un grand cataclisme dans cette terre du Labrador. Voyez ces
montagnes entr'ouvertes, ces- roches tordues comme sous
l'effort d'une main puissante, ces déboulis qui au milieu
d'une chaîne de montagnes, vous apportent un mamelon de
terre glaise, qui est tout surpris de se trouver entre des mu-
raillçs de rochers épais de plus 30 lieues. Pendant que le
petit sapin croît dans la fissure d'un rocher granitique,
pourquoi cette complète aridité de notre féconde terre-
glaise ? Mystère I L'histoire d'ailleurs ne nous dit-elle pas
que les Norwégiens, pendant qu'ils habitaient la '' Terre
verte" le Groenland, avaient des établissements sur le La-
brador ? qui n'était pas alors une Sibérie.
Mais je vois que je me suis laissé entraîner loin de mes
Naskapis, qui s'occupent encore moins de ce qui est arrivé
que de ce qui arrivera. Ils habitent leur terre telle qu'elle
est, se chauffent au soleil quand il parait, et se battent les
mains quand il fait froid. Chez eux rien que la pratique,
point de théories ennuyeuses comme celle que vous venez
d'entendre. Que ne les ai-je imités ?
Dans ces lacs desséchés dont je viens de vous parler,
dans ces marécages couverts de moussô, habite le caribou
17
qui vient y trouver sa nourriture. "Le caribou est la prin-
cipale nourriture du Nasks^pis. II aime aussi la perdrix
blanche. Quand il a faim, il mange tout ce qu'il trouve, re-
nard blanc, jaune et noir, loutre, marte 'et môme le loupi
Les Naskapis ont maintenant des fusils pour tuer le caribou
et des pièges pour prendre les animaux à fourrures précieu-
ses. Autrefois avec leurs flèches et leurs lacets, ils appro-
(Hiaient plus facilement les anitnaux sauvages non effrayés
.et vivaient mieux qu'aujourd'hui. Les armes à feu ne sont
qu'au profit dii traiteur.
Le Naskapis (mot sauvage qui veut dire : je me tiens
droit debout) est un homme de haute taille, vêtu de peaux
de caribou, menant une vie errante. ' Il habite sous des
tentes de peaux de cari)»ou. Q«Kint à ces croyances religi-
euses, le Naskapis sait qu'il existe un c^rand Esprit et que
celui ci a un antagoniste, l'esprit du mal qu'il redoute plus
que le Grand Esprit. J'ai trouvé chez eux la tradition du
déluge, de Jonas et sa baleine et d'Hélie enlevé au ciel.
Le tout est «entremêlé de fables, mais il est facile à l'esprit
observateur de suivre le récit biblique au milieu de toutes
leurs fictions. Voici l'histoire du déluge telle que rappor-
tée par un des leurs. *' Ecoute de tes deux oreilles, me dit-il,
et tu verras que le Sauvage connaît des choses que l'homme
qui va dans les canots de bois^ ignore " ; il se recueillit, puis
commença :
— Le Grand Esprit avait un fils qui était né de sa tôte.
Oh I qu'il était beau, ce fils 1 ! Le carcajou, cet animal vi-
cieux, ce compagnon de mauvais esprit, commença à faire
sa ronde sur la terre, car le génie du mal qui le pousse, lui
a dit de ne jamais s'arrêter. Il se moqua du Fils du Grand
Esprit, il passa par tous les endroits habités et persuada à
tous les êtres de la terre qu'il devait rire du beau fils du
Grand Esprit, du fils sorti de sa tète. Le castor seul refusa
d'écouter le Carcajou. Tu sais, ajouta-t-il, que le castor est
fin, plus fin que tous les autres animaux. Ceux-ci ne sont
fins que dans la tête, mais le castor est aussi fin dans la queue
que la tète. De sa queue, il arrête l'eau des lacs, en cons-
truisant des écluses. Or il faut avoir de l'esprit pour arrêter
l'eau d'un lac ; donc le castor est fin dans la queue. «
18
— Très-bien^ cher ami, mais j'attends toujours Thistoire
du déluge ?
— Tiens I je suis à te la raconter l'histoire du déluge. Je
continue : Donc le castor est fin dans la queue* Un jour
le carcajou, dans une course qu'il faisait pour aller persua»
der le huard qu'il devait se révolter contre le fils du Grand
Esprit, passa sur une chaussée de castor. Celui-ci qui se
tenait au fond de l'eau, agita le pieux sur lequel se tenait
le carcajou, et le précipita dans l'eau. Celui-ci, faillit se
noyer, regagna le rivage avec peine et jura une haine im-
placable au castor qu'il poursuivit pendant trois lunes. Le
c.astor effrayé, n'osait venir à sa cabane et ne se montrait
jamais sur le rivage. Un jour, il laissa le lac, et s'aventura
dans un petit ruisseau, décharge du lac, sur les bords du-
quel il voulait manger des branches. L'esprit malin en
avait averti le carcajou, qui se cacha sous une grosse roche
et fit le mort. Le castor s'avançait silencieusement, en imi-
tant le bourdonnement du maringoin. Le carcajou le sai-
sit par le cou et Tétreignant de ses griffes, lui dit: Je vais te
déchirer de la tôte aux pieds, sans cependant te briser les
os. Il lui déchira les artères et le saag du castor coula en
abondance. Le St. Esprit changea ce sang en vermillon.
Oui, mon père, ce fut le sang du premier castor qui fit le
vermilloQ. Tu as vu, n'est-ce pas, la montagne du vermillon
et le ruisseau du castor égorgé ?
— Oui, mon cher, je les ai vus, mais je ne vois pas encore
venir le déluge.
— Tiens, le déluge 1 C'est ce que je te raconte, le déluge.
Donc ce fat le sang du premier castor qui fit le vermillon.
Le carcajou alla trouver le huard et lui dit : Rions de Mesh,
de celui qui est né de la tête du Grand Esprit. Le huard
répondit : Carcajou grimaceux, viens te promener au fond
du lac, et il plongea. Le carcajou furieux répondit : Huard,
toi qui as le cou long, comme un ruisseau tortueux, et la
queue comme un épinette, je te rognerai la queue. Le malin
esprit assembla les oiseaux dans uif grand lac II leur dit
des paroles de paix, puis se fermant les yeux, le$ exhorta de
faire comme lui pour se recueillir plus profondément. Les
oiseaux se fermèrent les yeux. L'esprit malin souflla, un
19
nuage se forma devant 1& soleil et les ténèbres couvrirent la
terre. Le carcajou sortit de sa cachette et commença à cou-
per des ses dents affilées le cou des oiseaux. Le liuard grâce
à son long cou s'était caché la tôte sous l'aile d'un autre
oiseau, puis il entr'ouvrit un œil, donna l'alarme en s'écri-
ant: Amoun! AmounH (1) et les oiseaux de s'enfuir. Le
carcajou désappointé lança dans sa furie, une pierre au
huard. Il atteignit sa belle queue qui tomba et depuis ce
temps le huard est resté la queue courte. Eh ! bien, père,
qu'en dis tu de tout cela T
— Je dis qu'il est vrai que le huard a le cou long et la
quexre courte, mais le déluge ?
— ^Tieiis ; le voilà encore sur le déluge ! Mais c'est ce que
je te raconte, le déluge. Depuis ce temps donc le huard est
resté la queue courte. Le carcajou parcourut toute la terre
et gagna tous les êtres animés à rire avec lui du bel Esprit.
Il riait en faisant la grimace. 11^ était laid comme la mon-
tagne du loup marin qui a la tète plus grosse que les pieds.
Le génie du mal était sur la plus haute montagne et riait
lui aussi en faisant la grimace. Le Grand Esprit se fâcha
et dit : Vous ne. rirez pas de mon Fils. Il alla se placer sur
une montagne qui domine la mer, convoqua les baleines et
leur dit de jouer dans l'onde puante. Elles obéirent à la
voix du Tout-Puissant en même temps que les cieux s'ouvri
rent. Toute l'eaù de la mer et l'eau du ciel se répandit sur
la terre. Tout le monde se noya et le carcajou ne faisait
plus la grimace. Le huard n'avait pas le cou assez long
pour prendre le poisson au fond de;> lacs et mourut en cri-
ant: carcajou, tu es mort avant moi. Il y avait un Naska-
pis qui était vieux et rempli de sagesse. Le Grand Esprit
l'avait visité pendant son sommeil. U avait vu le carcajou
qui faisait du mal et évita sa présence. Pour tromper cet
animal méchant, pendant l'hiver, il mettait ses raquettes sens
devant derrière. Il construisit un cageux et fit des avirons.
. Il peintura son cageux avec le vermillon, le sang du premier,
castor, ce fut ce qui le sauva et le castor fut vengé du carca*
jouqui alors, comme je te l'ai dit, ne flsâsait plusli^gri*
{[) Je ne connais pas la Bignillcation de ce mot.
20
mace. Six personnes prirent place sur le cageux. Elles
passèrent prés d'une montagne déjà couverte d'eau. L'Es-
prit malin qui était sur le sommet, était dans Peau jusqu'au
cou. Il ne riait plus, il était si laid qu'il en était blanc ; il de*
manda passage à bord du cageux. Il tendit ses deux bras
Tors le soleil levant en confessant qu'il méritait la mort^
mais disant qu'il ne voulait pas mourir étouffé. Le Grand
Esprit lui dit : embarque, mais à la condition que tu te met-
tras près du gouvernail, le dos tourné aux passagers et que
tu ne regarderas pas en arrière. La lune se levait et se cou-
cbait et le cageux flottait sur les eaux. Enfin il vint à proxi-
mité d'une terre et de loin,4es passagers virent une piste
d'oiseaux sur le rivage. Le Grand Esprit dit : Le malin ne
me voit pas, je vais le percer de mon instrument tranchant.
Le malin répondit : Je ne te vois pas, mais je t'entends, je
saurai maintenant me passer de toi, je puis nager au riva-
ge. Il s'élança dans les eaux, il arriva le premier à terre
dont il pri^ possession, c'est pourquoi il y a plus de mal que
de bien depuis le déluge.
Mon narrateur s'arrêta ici, me regardant d'un œil inter-
rogateur. Je restai coi. Il rompit le premier le silence.
Toi, as-tu un déluge à raconter. Je lui racontai mon dé-
luge. Il écoutait de tous les pores de son corps. Je lui
parlai aussi de Jonas et de la baleine. — Pas une baleine,' dit-
il, une truite. Oui, c'était une truite aux nageoires rou-
ges. Il y a un jongleur qui en a vu les débris sur une
haute montagne. Sais- tu pourquoi la truite est venu se
jeter sur le rivage ? C'est la faim qui la torturait Tché-
kapesh (le Jonas Naskapis) mangeait tout ce que la truite
avalait, vu qu'il était dans son estomac. La truite voulut le
vomir à la mer, mais Tchékapesh lui dit : pas si bote, je ne
sortirai pas. Alors la truite vint le jeter au rivage. La
mer était à çon baissant, la truite ne put repartir et mourut
en disant: Mes belles nageoires rouges m'ont causé la
mort. Mon narrfiteur ajouta: — ^il y eut autrefois un Sau-
' Tage qui fit encore des choses plus extraordinaires que
celles que je viens de raconter ; ' Croiras-tu qu'il y eut un
Naskapis, autrefois, qui laissa la terre pour habiter une
étoile ou, selon quelques-uns, le soleil. Ce Sauvage xi*
21
▼ait seul et courait les bois eu disant : Laissez-^noi seul,
que la femme s'éloigne, je veux vivre seul. Puis le Grand
Esprit voyant son âme triste lui dit : Tu n'es pas fait pour
habiter la terre, tu yeux être seul, je vais te donner à toi
seul un royaume entier. Va dans un pays lointain et
construis-toi une flèche du bois le plus dur, d'épinette rouge.
Le solitaire fit.ce que l'Esprit lui avait dit. Il prit sa flèche,
la tira dans les airs en disant: Par la vertu du bâton du
jongleur, je désire m'élever dans les airs, puis il disparut.
Cet homme puissant avait une sœur qui pleurait parce que
son frère ne paraissait pas Taimer. Elle\it la flèche qui
s*éleva dans les air set s'écria : frère, où vas-tu? Le frère
répondit: je reviendrai quand d'autres générations auront
grandi, puis s'élevant toujours, il passa près de la lune, et
il jeta son ombre. Ce n'est pas lui que tu vois dans la lune.
Ce n'est que son ombre ; il dût arriver au soleil, car alors le
soleil s'éteint et il y eut une éclipse, nuis de temps à autre,
il visite son domaine et fait éteindre les feux sur son passa-
ge. Depuis qu'il est dans le soleil, le climat du Labrador
est changé. Il fait plus froid qu'autrefois, il y tombe plus
de neige pour permettre au Naskapis de rejoindre le carri-
bou. Cet homme nous aime, et quand il reviendra, il re-
trouvera encore des Naskapis sur la terre.
— Mon cher narrateur, tu me parles^e tes grands hommes,
mais tu ne me dis pas s'il y a toujours eu des Naskapis sur
la terre ?
— ^Je vais te répondre : écoute bien. Le Grand Esprit créa
leJNaskapis quand il créa les autres hommes : comme tu
sais, quatre espèces d'hommes. Le Grand Esprit créa FEs-
quimaux de sa tète. Tu sais que l'Esquimaux passe deux
et trois jours sans parler, il jongle alors parce qu'il est créé
de la tète du Grand Esprit, la tête siège de la pensée. Il créa
aussi le Sauvage guerrier (1) Celui-ci fut fait des bras du
Grand Esprit. C'est avec les bras qu'on attaque un ennemi.
C'est pourquoi le sauvage du Sud veut toujours battre les
autres. Le Grand Esprit créa l'homme au visage pâle, de
{{) Le narrateur fait ici allusion à Tlroquois qui a fait des descentes-
Jusque dans le Labrador.
22
ses ongles. C'est pourquoi celui-ci veut toujours voler ce
qui appartient aux Sauvages. Bs vont partout pour s'em
parer des terres du monde entier. Ils fabriquent de l'eau
de feu pour rendre fous ceux qu'ils veulent voler. Ils se
croient fins tandis qu'ils ne sont que coquins. Le Grand
Esprit créa ensuite ilno^ Thomme par excellence, Thonime
des hommes, le Naskapis enfin. Il le créa de son cœur,
son gros cœur, c'est pourquoi le Sauvage a un sang si
noble, si généreux. Le Naskapis poursuit le caribou toute
la journée sans ressentir de fatigue parce que son cœur lui
fournit un sang riche qui l'anime ; le Naskapis supporte la
faim huit longues journées, parce son cœur lui dit : tant
que j'aurai une goutte de sang, tu ne mourras pas. Le
Sauvage vit dans les bois où il trouve sa nourriture aussi
bien qu'autour des lacs dont il pèche les poissons, parce
qu'il a de l'énergie dans le cœur. Le Sauvage parcourt la
terre, s'arrête au fond d'une vallée, ou campe sur le som-
met d'une montagne et partout où il foule la terre il s'é-
crie : je suis chez moi ici I Qu'il est puissant, le Sauvage I
s'écria mon narrateur enthousiasmé. Qu'il est puissant,
père ! ''Uséam, meste pokotro."
Je vois, M. l'Aumônier, que je ne m'arrêterais pas, si je
vous racontais '^ laram/ian," le conte du genre humain et de
tous les animaux désobéis, tel que rapporté par les jon-
gleurs lors de leurs festins. Us parlent ordinairement un#
journée et une nuit sans s'arrêter. Je ne puis cependant
passer sous silence cette partie du conte qui a trait à l'in-
nocence primitive de l'homme. .Ecoutez encore le jon-
gleur:
Autrefois l'homme était beau comme la patte de devant
d'un caribou. Il n'avait pas froid, il n'avait pas chaud. Il
n'avait pas besoin de peau de caribou pour se vêtir. Tous
les animaux de la terre habitaient avec l'homme leurs '
maître. Le caribou, n'avait point peur de l'homme parce
que l'homme n'avait point de peau de caribou pour se vêtir.
Les caribous et tous les autres animaux parlaient sauvage*
Le caribou a encore conservé un mot de notre langue :
enh, enh, eah ; oui, oui. Quand on le surprend, c'est ce
qu'il nous dit, voulant nous faire comprendre qu'il set
,23
rami des sauvages. Le cariboa et rhomme Yivaient donc
dans la même cabane en grande intimité. L'homme disait
au cariboa : n'aie pas peur de moi et le caribou disait : Tu
es beau, je n'ai pas peur de toi. Le caribou s'endormit une
fois à l'ombre d'une épinette rouge. Quand il s'éveilla,
l'homme mangeait. Le caribou eut peur et se sauva.
L'homme lui cria : ce n'est pas toi que je mange, reviens
habiter avec moi. Celui-là lui répondit : tes yeux sont
malins et je saiâ que tu veux me tuer, je m'en vais dans les
forêts ; je te permets de me tuer quand tu seras assez fin
pour me rejoindre à la course ; tu tueras mon corps, mais
mon âme repassera dans le corps d'un autre caribou
façonné par Vombre qui plane ' au-dessus des forêts et qui
veille sur la destinée de la nation des caribous. Depuis ce
temps le caribou séparé du commerce de l'homme, ne parle
plus sauvage^ mais il le comprend encore ainsi que Tours
qui comprend le sauvage mieux que toi, père.
— L'ours comprend le sauvage î mais, cher ami, comment
cela se peut-il, vu qu'il vit seul ? Comprend-il aussi le
français ? — Père, je vais te convaincre que l'ours comprend
le sauvage. Quant au français, il ne saurait le comprendre,
car le français n'est pas la langue des chasseurs et l'ours ne
comprend que le chasseur.
— Quand dans le printemps, le Sauvage a faim et qu'il
voit un ours courir dans les bois, pour le faire venir à lui,
il n'a*qu'a lui dire : Frère ours, je t'aime à la folie, je n'ai
aucune mauvaise intention à ton égard, viens vers moi, je
vais te donner du tabac et une pipe qui n'a jamais servi.
L'ours répond par un signe de tête et s'approche à portée
du fusil. Si tu ne veux pas le tuer, ou s'il s'avance vers toi
d'un air menaçant, hâte-toi de lui dire : Je te déteste, ours
à poils rudes et grossiers, que tu es laid. Aussitôt il se dé-
tourne la face et s'enfuit pour aller se cacher dans une cre-
vasse de rocher. Crois-tu que s'il ne comprenait pas le sau
vage, il ferait de telles choses 7
H fallut employer bien des arguments pour dissuader
mon sauvage de croire à une telle folie. La Providence un
jour vint à mon secours et apporta un argument irréfuta-
ble« Permettez-moi, M. l'Aumônier, de rapporter en pas*
24
sant cette petite anecdote d'un de mes voyages. Mes guides
venaient de me parler de la finesse de Tours, de sa contiais-
sance de la langue sauvage et le reste. Je riais aux éclats.
— Attends un peu, Père ; si on peut en voir un, on te con-
vaincra promptement ae la vérité de notre assertion.
O joie î un ours se présente à vue. Il descend la côte qui
conduit à la rivière. Il veut voir sa belle image dans le
crystal limpide des eaux et faire un bout de toilette. Mes
sauvages se mettant le doigt sur la bouche, m'imposent le
silence le plus complet. Les fusils s'apprêtent pendant qu'on
s'avance sans faire le moindre bruit. Je pris ma voix de di-
manche pour la circonstance et m'écriai : ''frère ours, je
t'aime à la folie, je n'ai pas de mauvaises intentions à ton
égard, viens ici, je vais te donner du tabac et une
pipe qui n'a jamais servi, de plus des pommes, des oranges,
de la mêlasse," — et l'ours de se sauver — " des patates, du
vinaigre, du poivre rouge," — çt l'ours de courir plus fort
Mes Sauvages tirèrent et blessèrent l'ours qui tomba, mais
se releva aussitôt et disparut ; mes guides le poursuivirent
inutilement et revinrent en boudant. Quand on fut en ca-
not, ils voulurent avoir une explication. Il m'était facile
de la leur donner. Je n'ai point voulu l'envoyer, leur dis-
je, je voulais savoir s'il comprenait le safivage, je lui ai of-
fert du tabac, du....
— Mais, interrompit vivement l'un d'eux,si tu t'étais ^rrêté
là, il serait venu aussitôt; mais, dis donc, je t'en supplie,
quelles salopries tu lui as données ensuite î crois-tu, en
bonne vérité, qu'il y ait un ours capable de manger la
moitié des saletés que tu lui as offertes sans étouffer ? Il y
en avait assez pour faire mourir tous les ours du Labrador-
— Mais tous les mets que je lui ai présentés sont délicieux
au palais des blancs.
— Oui, mais l'ours est plus fin que les blancs, ^ère, et ne
mange pas de toutes ces salopries-là. Je vous demande un
peut faire manger... comment appelles-tu cela T
— De la patate î
—Oui, de la beutate^ yoiv si .un ours va manger de ce
qu'il n'a jamais vu, ah 1 il pouvait bien sauter ! Tout ce que
je peux, te dire, père, c'est qu'il court encore et qu'on n'est
25
pas prêt de le voir. Après une pause, — ouï, il doit en faire
des saults ; pauvre ours \ je le plains. Pois à toutes les cinq
minutes, j'étais sûr d'entendre mon Sauvage s'exclamer en
soupirant : non, mais dire qu'un ours va manger de la
beutate ! Ga, ça me passe.
Je vois que je me laisse entraîner à des digressions qui
n'ont peut-être pas pour vous, l'intérêt que j'y attache. Que
voulez-vous, mes Sauvages m'ont gâté et j'aime tout ce qui
les regarde*. Je me hâte de vous parler des consolation»
qui attendent le missionnaire à son arrivée au milieu de la
nation Naskapis.
D'abord, comme je vous l'ai dit déjà, Dieu m'avait réser-
vé le bonheur, à mon arrivée, de pouvoir baptiser une
mourante que j'eus le temps d'instruire l'espace d'environ
une heure. Cette consolation paie les fatigues du voyage
Toute la nation, à l'exception d'un jongleur, demandait à
grands cris le baptême.
Je dressai ma tente au milieu des leurs et commentai
à les instruire. C'est un travail de 20 heures par jour et
cela pour des semaines entières. On varie les exercices
plusieurs fois dans la journée. L'enseignement de l'alpha-
bet, du catéchisme, des prières, du chant, de l'administra-
tion du baptême, puis quelques sermons sur les grandes
vérités, nous font paraitre le temps bien court. Il faut
beaucoup de patience pour instruire ces Sauvages dont l'in-
telligence ne s'élève pas du premier bond aux choses spiri*
tuelles. Aller leur parler de sacrement, de la grâce de
Dieu, dans le langage de nos chaires canadiennes serait
perdre son temps. Il faut user de périphrases. Le mis-
sionnaire qui travaille au milieu des nations infidèles a
besoin, — ^le croiriez-vous î — d'une science dogmatique plu»
qu'ordinaire et plus grande que celle qui, bien souvent,
serait suffisante devant un auditoire déjà instruit des
vérités de notre sainte religion. Il lui faut créer des mots
d'un genre nouveau et bien se garder de ne pas dépasser
les limites de l'orthodoxie. Son langage doit être précis,
et s'il veut rester dans les généralités, il fera mieux de ne
pas parler. Dès que vos Sauvages sont suffisamment ins-
truits et qu'ils ont fait leur preuve, vous les admettez au
26
Saint baptême. Les Naskapis étaient presque tous polyga-
mes. A ma voix, ils se bout mis en règle avec PEglise ca-
tholique, quant à leur mariage ; un seul catéchumène est
depuis retourné à son vomissement Lors de mon premier
séjour au milieu d'eux, j'eus le bonheur de faire cent vingt-
et un baptêmes. Ils me promirent d'être bons catholiques et
je sais qu'ils tiendront parole. Us ne veulent plus aban-
* donner au milieu des bois leurs père et mère, qe plus faire
la jonglerie et ne plus étouffer les personnes qui tombent
dans le délire, comme c'était la coutume au milieux d'eux.
Je dois dire qu'ils sont encore affolés par de vaines craintes
superstitieuses qui finiront par disparaître. Ils sont atta-
chés à la robe noire, pleurent lors de son départ. Ah, si
nous pouvions nous établir au milieu d'eux pour mieux les
instruire ! car ils sont encore bien ignorants. Mais Dieu a
ses vues, et j'adore ses desseins impénétrables.
En attendant que je reparte ce printemps, dans l'espoir
de les voir, je les recommande à vos bonnes prières. Je
vous remercie de l'accueil favorable que vous faites toujours
à mes demandes. J'ai sollicité dans quelques paroisses la
générosité de mes compatriotes. Je suis heureux de vous
dire qu'on m'a reçu partout k mains ouvertes. Que lafoi
est encore grande dans notre Canada 1 J'ai été flatté d'ap-
prendre de quelques vénérables prêtres que, dans la se-
maine qui a suivi mon instruction dans leurs paroisses,
un grand nombre sonc venus payer leur contribution à
l'Œuvre de la Propagation de la Foi. C'est en entendant
exposer les besoins de nos chers Sauvages, que nos zélateurs
comprennent l'importance' et le mérite de leur obole.
Je ne puis me résoudre à vous dire adieu. Au revoir
donc quand mes occupations me le permettront.
Zach. Laçasse, O.M. I.
NORD-OUEST.
1 *
Hôpital-Général de la Providence^ Tiîv. MacKenzie^
25 Juin, 1878.
Ma Trj>s Honorée Mers,
^ Mes Bien G^ierbs Sûëurs ;
•
Quoiqu'il n'y ait que très peu d# temps que j'aie eu la
satisfaction de vous écrire tous les détails intéressants et
autres de notre petite -mission, les occasions de le faire sont
trop rares pour que je ne profite pas avec bonheur de celle
qui se présente aujourd'hui pour me procurer de nouveau le
plaisir que j'éprouve à venir m'entretenir avec une Mère
vénérée et des Sœurs tant aimées. Notre petit journal
quotidien est d'une monotonie désespérante ; aussi, vais-je
le laisser de côté sans cérémonie; et ne consultant que mes
souvenirs, et plus encore mon cœur, je laisserai courir ma
plume sans m'astreindre à suivre l'ordre chronologique.
La bouche parle de l'abondance du cœur ; il doit en
être ainsi de la plume, n'est-ce pas ? £h bien I de ce
temps-ci et depuis longtemps nous attendons avec anxiété
et impatience le mois d^Août qui doit nous apporter des
lettres, et peut-être du renfort dans la personne de notre
chère Sœur Massé que nous attendons toujours, et vais-
je continuer ? peut-être une visitatrice ; pourquoi ne pas
espérer un tel bonheur ? l'espérance est si douce au cœur
de l'exilé.
Voilà autant de sujets de conversation qui nous occupent
dans les courts instants où nous nous réunissons dans notre
petite Communauté, et où nous trouvons ordinairement
notre lionne Mère et ma Sr. Michon occupées, à cette sai-
son, à préparer et à emballer les effets des Pères des différen-
tes missions. C'est vous dire, ma Très-Honorée Mère, que
l'ouvrage ne manque pas. Ainsi on ne manque pas de ren-
contrer ma Sœur Brunelle au jardin-, objet de tous ses soins^
28
ou encore dans sa dépense si propre, écrémant da lait, pour
pouvoir remplir un petit baril de beurre. A la poste de la
dépense, nous trouvons, à coup sûr, un petit icliot, objet prin-
cipal des attentions maternelles de cette chère Sœur. Il est
âgé de 11 ans, mais il faut lui rendre tous les services qu'exi-
gerait un enfant de deux. Malgré tout, ma Sœur Brunelle
le trouve fin, opinion qu'elle voudrait faire partager à tout
le monde ; souvent, pour ne pas contrister cette chère Sœur,
nous unissons par lui accorder qu'il est bien fin pour un
fou, ce qui ne la satisfait qu*à demi.
Nous étions au jardin, il y a quelques instants, je n'aurais
pas dû en sortir sans vous parier de nos champs. Toutes
les semences étaient terminées vers la mi-Mai, grâce au
temps favorable dont la Providence nous a favoiisées.
C'est la première année que nous avons pu finir avant
le mois de Juin. Depuis ce temps, nous avons eu de la
pluie plusieurs fois, de sorte que nous espérons avoir de
bonnes récoltes : l'orge et les patates sont déjà très belles^ et
le blé très beau. De ce dernier,' nous n'avons pu semer que
2 barils, mais nous nous contentons facilement de la galette
d'orge que nous trouvons excellente, tant il est vrai quei'on
s'accoutume à tout. Hier pour nous faire fêter la St. Jean-
Baptiste en bonnes Canadiennes, on nous a servi à chacune,
un tout petit pain blanc que nous. avons mangé avec de la
crème. C'est autant de moins ^ de 6ei^rre dans le baril de
ina Sr. Brunelle. îsotre petit jardin a vraiment bonne
mine avec tses carrés de légumes bordés de fleurs et de
fraisiers qui promettent une récolte abondante; il y a des
choux, des oignons, des carottes, des choux- fleurs; des radis
et des naVets. Nos érables, que les enfants appellent des
sucriers, «ont vraiment charmants à voir. 11 ne faut pas
que j'oublie les groseilliers, qui ne sont pas à dédaigner et
les framboisiers, qui déjà tout en fleurs me disent, qu'eux
aussi, veulent avoir une mention.
Pendant les semences, nos gros chiens Esquimaux,
indispensables pendant l'hiver pour les voyages, ont tué un
de nos plus beaux veaux : c'est une grande perte pour la
mission, vu le petit nombre d'animaux que nous avons.
Notre petite Eglise avance lentement, vu qu'il n'y a qu'un
29
seul ouvrier pour aider au frère qui y travaille, et que ce der-
nier est souvent obligé d^interrompre ses travaux de menui-
serie pour labourer, etc., etc. Le-petit clocher est terminé de-
puis quelques jours ; le cimetière avecsa belle grande croix
où se trouve insérée une belle petite statue de N. D. du Sacré-
Cœur, tout cela est maintenant si joli, que nous nous croi-
rions facilement en pays civilisé. Le petit plan de la
mission que vous avez dû recevoir cet été, ma Trës-Honorée .
Mère, dira mieux que ma plume les progrès de cette
mission, où, en 1862, pas un seul arbre n'était encore abattu.
Monseigneur Faraud, absent depuis le mois de Janvier
1870, et que nous attendons l'été prochain, sera bien agréa-
blement surpris des travaux accomplis pendant sa longue
absence.
Nous avons fait notre retraite dans la semaine de Pâques*
Le prédicateur, (le R. P. Lecorre), nous a fait chaque
jour deux belles instructions, toutes pratiques. La nôtre
terminée, notre bonne Mère, qui se réserva toute la besogne
pendant ces huit jours, ût la sienne à son tour. Nous finis-
sions nôtre retraite pour l'ouverture du beau mois de Marie,
aux exercices duquel toute notre petite populatioq se rend
avec la même fidélité qu'à la messe le dimanche. Il me
semble que notre Mère Immaculée doit agréer avec plaisir
les hommages si simples et si sincères de ces pauvres En-
fants des Bois qui l'appellent dans leur naïf langage: la
Pnre Marie.
Les Sauvages qui se rendent à ce poste pour traiter leurs
pelleteries, sont encore généralement peu instruits et assez
indifférents. La présence des ministres protestants au mi-
lieu d'eux leUr est funeste ; non pas*que ces derniers fassent
de véritables conversions, mais ils réussissent trop souvent
par leurs calomnies à les éloigner du Prêtre et à faire naître
parmi eux une apathie et une iidifférence difficiles à
vaincre. Le nombre de missioimaires est toujours trop
petit pour suffire à visiter les différents postes ou camps où
demeurent ces tribus nomades et par conséquent plusieurs
restent exposés aux attaques* des ministres de l'erreur.
Ainsi, dernièrement Monûeur Reeves, qui n'est encore que
diacre de l'Eglise Anglicane, se rendait au^Lac la Trinité,
30
OÙ se trouve une nombreuse peuplade, qui n'a Jamais été
visitée par aucun. Daissîbnpair&. catholique. Je ne sais trop
CQ qu'il y a fait, pais après deux moi^ de séjour au milieu
d'eux, il en revenait il y a quinze jour?, accônipagné de
tous ces Sauvages qui emportaient leurs fourrures au fort.
Le lendemain, àinianche de là Sainte Trinité,, tous ont
assisté à sa prêche, et pas un n'a paru 4 la chapelle. Le
^undi, monsieur le Diacre reprenait le chemin du Fort
Simpson pour revoir sa dame «et ses enfants. Espérons
qu'il les trouvera si charmants qu'il ne les laissera pas de
sitôt. Depuis son départ, plusieurs de ces pauvres Sauvage»
sont venus trouver le ilissionnaire catholique pour se faire
instruire. Veuillez donc, Ma Très-Honorée Mère, prier et
faire prier notre chère Communauté pour nos cher»
Sauvages, afin d'éloigner d'eux à jamais Terreur, et de
vaincre cette indifférence qui caractérise ces pauvre*
esclaves de la matière.
Permettez-moi maintenant, d'extraire quelques lignes
d'une lettre du R. P. Lecomte, que nous avons reçue der-
nièrement :
** La mission de St. Joseph est pour moi un véritabler
" paradis terrestre, nos Sauvages aiment. tant notre sainte
'' religion et ont tant de respect pour celui qui leur distri-
" bue le pain de la parole divine qu'on ne peut pas ne pas
" se plaire au milieu d'eux, La veille de l'Ascension, je
'^ rentrais au logis après un voyage aufond du lac (des
" Esclaves). J'y ai vu une cinquantaine de Sauvages et tous
'' sans exception ont été pour moi un sujet de la plus grande
" édificationi Ces pauvres Indiens ne sont pas instruits, mais
*' on sent qu'ils sont sincèrement catholiques et que leurs
" cœurs .brûlent de l'amour de Dieu. J'ai passé 7 jours
<^ dans ce camp ; ensuite .je mo buis rendu ^ la Rivière au
'^ Rocher ; le voyage a bien été un peu pénible, mais les
" consolations que j'avais éprouvées pendant mon court sé-
'^ jour au fond du Lac, me firent vite oublier toutes les
'* fatigues d'un si long«voyage. Arrivé au camp le diman-
'' che de la Quasimodo, j'y ai donné la mission qui a duré
" un mois. Dans les commencements, j'avais un peu de
" difficulté à m'expliquer, mais à force de parler, je suis
" arrivé au point de conver-ser avec «eux aussi facilement
" que je parle le français. Pour cela, il m'a fallu beaucoup
<' de travail. Ma bonne Mère Marie Immaculée s'est aussi
^' mise de la partie, je n'en doute nullement. J'ai vu une
31
'' centaine de Sauvages dans ce dernier camp. Oh ! qu41
^' fait bon au milieu de ces bonnes &mes ! '*
Nous avons actuellement 28 enfants, 18 filles et 10 gar-
çons. •
L'arrivée prochaine des berges nous en amènera plusieurs
autres. Nous en avons de Tftge de 18 ans jusqu'à 4 et de
toutes* les tribus, métisses-canadiennes, crises, loucheuses,
couteaux-jaunes, plats-côtés-de-chien, peaux-de-liëvres, es-
claves, montagnais, sauteux, gens de la montagne, etc.
Les santés sont ordinairement assez bonnes. Notre
bonne Mère n'est cependant pas aussi bien que nous dési-
rerions la voir. Elle ne digère pas bien. Nous espérons
que Vous, ma Très-Honorée Mère, jouissez d'une santé
à pouvoir remplir toutes vos importantes occupations*
C'est du moins ce que nous demandons^ chaque jour pour
vous au» Sacré-Cœur.
Nos Sœurs sont heureuses de s'unir à moi pour vous pré-
senter, Ma Très-Honorée Mère, l'hommage de notre res-
pect et de notre invariable gratitude, et à nos bonnes Sœurs
Assistantes, ainsi qu'à toutes nos chères Sœurs nos saints
respectueux*
Adieu, ma Très-Honorée Mère, et mes bien chères Sœurs,
en attendant le plaisir de vous lire bientôt, je demeure avec
la plus respectueuse affection.
Votre affectionnée petite Sœur,
Soeur Ward.
— »
Les extraits suivants d'une lettre de Sœur St. Michel
des Saints à sa Supérieure Générale^ de l'Hôpital Général de
Montréal, nous aideront à nous faire comprendre l'immen-
sité des sacrifices au prix desquels sont achetées les âmes,
dans ces parages de l'extrême Nord.
CouvEiVT DES Saints Anges,
Athabaska, 7 Juillet 1878.
TRis HONORiÈB MÂRB,
Le 10 de Février, Sa Grandeur Monseigneur Clut nous
écrivait de la Rivière ati Sel, mission Voisine de la nôtre,
as
que la disette commentait èk deveair sérieuse. Oa ne se
nourrissait que .de carpes sèches, maigres et à moitié
gâtées ; et encore, ajoutait Sa Grandeur, on n'en a pas à
satiété tant s'en faut. . Sur l'invitation de Monseigneur, le
révérend P. Husson, arrivé Ae sa mission du Vermillon le
dimauche après Noël, allait rejoindre Sa (îrandenr. Tons
deux nous revenaient le 21.
Le 25 avait lieu Texamen scolaire de' nos enfants. Mon-
seigneur voulut bien nous faire l'honneur de présider cette
modeste séance. U était accompagné des Révérends PP.
Laity, Hussod, Pascal, Le Doussal, et des bons frères Skers
et Régnier. Nous craignions que l'arrivée du grand
express empêchât M, MacFarlone, bourgeois en chef du
district d'Athabaska, d'assister & cette petite fête. Nous
fûmes agréablement surprises, à l'heure indiquée, de le voir
prendre place à côté de Sa Grandeur. Pou»* vous.prouver
que le mot de fête n'est point exagéré dans* cette circons-
tance, j'ajouterai que les pavillons dn fort furent hissés
dès le matin ; et tous les employés de la compagnie eurent
carte blanche pour la journée. La plupart en profitèrent
pour venir grossir le nombre des curieux. Le lendemain,
on donna grand congé aux enfants ; ceux dont les parents
demeuraient dans le voisinage allèrent passer la journée
avec eux ; les autres, ainsi que nos orphelins, firent festin ici :
rababou, taureau, viande i^che et pelée, poisson sec et#-iz
firent tour à tour leur régal.
Et nous, qui venions d'apprendre l'élection de Notre
Très Honorée Mère, nous était-il possible de passer cet évé-
nement sous silence ? Certes non. Tout en conservant à
notre vénérée Mère Dupuis le respectueux et cordial atta-
chement, auquel lui donne droit les cinq années si bien
remplies de sa charge, nous bénissons Dieu de lui avoir
choisi une si digne remplaçante. Tout le monde sembla
prendre part à notre joie ; on hissa les pavillons, et toute
la journée des salves de réjouissance se firent entendre.' A
la cuisine, on apprêta des mets qui portaient les noms de
fricot, de ragoût, de pouding ; pour le tout nous n'avions
pas une once de beurré à dépenser. Une petite fiole
d'Essence de Citron fit, seule, le luxe de la journée. Dans
33
raprès-midi, Monseigneur, accompagné du révérend P. Lai-
ty, Bupérieur de la miseion, nous fit uûe longue visite. La
conversation roula longtemps sur le cher Mont 8ainte-Croii,
auquel la circonstance donnait encore un nouvel intérêt.
Ler 24 mars, notre digne EvèqUe nous quittait pour la
'Rivière au Sel ; le même jour, le révérend P. Husson re-
prenait la route du Vermillon. Au moment du départ ce
bon Père apprenait la mort d'un de ses paroissiens, octogé-
naire, qui dans Tespace de quarante ans, ne s'était confessé
qu'une fois, il y a une dizaine d'années. Avant de laisser
sa mission, le Père l'avait pressé de mettre ordre i ses afTal-
res spirituelles, lui représentant surtout son grand âge.
— Quand vous reviendrez, *j'y songerai, avait répondu le
malheureux. — ^Mais, lui objectait le missionnaire, mon ab-
sence devant durer trois mois, qui vous assure que la mort
ne vous surj^rendra pas pendant ce temps. — C'est égal, répon-
dait cet homme endurci, j'aime autant me risquer. Il voulut
tenter Dieu, mais Dieu se rit des impies. Le pauvre miséra-
ble s'est tué sans le vouloir, en prenant une dose trop forte
de laudanum. Les gens le croyant endormi n'en firent au-
cun cas le premier jour ; le lendemain voyant qu'il ne faisait
aucun mouvement, ils le découvrirent, mais, ô surprise il
était mort. Les paroles de la divine Ecriture avaient leur
accomplissement : "Vous mourrez dans votre péché." Deux
ou trois jours auparavant, le commis de ce même fort, pro-
testant, allait pareillement rendre compte à Dieu d'une vie
scandaleuse.
Le jeune a été vraiment sérieux tout l'hiver. Point
d'orignal, point de caribous, pomt da lièvres ; et au prin-
temps point de gibier. Pendant quatre à cinq semaines,
on dut se nourrir de rats et de castors quand on en pouvait
avoir. Dans quelques forts, on fut obligé de tuer les ani-
maux domestiques.. On sacrifia d'abord les chevaux et les
bœufs, puis les chiens. Monseigneur nous disait qu'en
quittant la Rivière au Sel, le commis de .ce poste n'avait
antre chose à lai donner qu'un morceau de cheval et un
^liien. On a vu des familles entières de Sauvages, sur le
|K>int de périr d'inanition, prendre le chemin du fort dont
2
34
ils étaient souvent très éloignés dans l'espérance d'être
secourus ; mais les hiarches forcées qulls étaient obligés
de faire, jointes à Tépuisement de longs jeûnes, faisaient
qu'ils s'afLaissaient sur la route où ils seraient morts sans
de prompts secours. Des faits que nous avons été à même
de constater »vous feront mieux comprendre la détresse de
nos pauvres habitants des bois.
Un jour, c'était une jeune femme qui venait à la course^
demander une traîne à chien pour son mari et son petit
enfant qui ne pouvait plus marcher. Une autre fois, c'é-
tait toute une brigade de Sauvages surprise par le jeûne :
• n'ayant plus la force de se traîner, ils dépêchèrent le plus
robuste d'entre eux pour demander du secours. Le jeune*
homme arriva à la mission dans un état de faiblesse et de
maigreur à faire pitié. Ses yeux enfoncés dans leur orbite
étaient étincelants et hagards. Il nous dit qu'il avait laissé
ses parents à une journée de marche pour venir quérir des
vivres.' Il y avait vingt jours que la brigade jeûnait,
n'ayant pour assouvir sa faim que de la peau da loge. On
servit de suite à manger au pauvre alïamé, mais la faiblesse
de son estomac ne lui permit pas de satisfaire son appétit.
Une heure après, il redemanda de la nourriture. Le Révé-
rend P. Laity écrivit quelques mots au bourgeois, qui ex-
pédia aussitôt une traîne chargée de vivres. Le moindre
retard pouvait amener la mort de plusieurs, car, ajoutait le
jeune homme, un grand nombre n'avaient plus la force de
se mouvoir. A ces traits je pourrais en ajouter bien d'autres
de la même nature si je ne craignais pas d'être trop longue.
Ohl ma Très Honorée Mère et bien chères Sœurs, vos
cœurs sont sans doute attendris au récit des souffrances de
nos semblables, mais combien plus pénible c'est d'en être
témoin sans pouvoir les soulager. Jamais de mômoîre^
d'homme,1disent les anciens, on n'a vu de disette si générale-
Le jour de Pâques, deux dor nos pnfaiits et douze sauva-
ges avaient le bonheur de s'approcher pour la première
fois de la table e.ucharislique ; soit ignorance ou idiotisme^
un de ces derniers avait mangé un poisson avant de se
rendre à l'église. On apprit la chose, ma s malheureuse-
ment, il était trop tard. Puisse notre bon Jésus n'avoir
35
point été offensé de cette irrévérence, plu^ excusable il noua
semble que d'autres moins considérables, chez des hom-
mes qui jouissent^ de tous les bienfaits de Téducation reli*
gieuse.
Nous avons actuellement vingt enfants, dont douze flUea
et huit garçons. Nous ne pouvons guère augmenter ce
chiffre vu la disette dee vivres, Texiguité de notre local et
enfin le petit.nombre de bras pour suffire à la besogne. Ici
me reviennent les paroles de Notre-Seigneur : '^ La mois-
son est grande, mais il y a peu d'auvriera,"
. Le 3 mai, nous déployâmes toute la solennité qui nous
fut possible dans la fôte de la Sainte-Croix. Il y eut expo-
sition de la précieuse relique toute la journée et vers le '
soir ^alut du Saint-Sacrement. La belle fête du Sacré-
Cœur fut aussi chômée le mieux possible; nous eûmes Tin-
signe faveur d*avoir le Saint Sacrement expgsé toute la jour-
née. Une instruction sur le sujet du jour, suivie de la
bénédiction, termina cette heureuse fôte. Ai-je besoin de
vous dire, Très Honorée Mère et bien chères Sœurs, qu'en
ces jours solennAs, qui sont les principales fêtes de l'Ins-
titut, nos cœurs se transportent aisément au milieu de vous ;
mais en nous fournissant l'occasion de méditer sur le prix
immense réservé aux amantes] de la Croix, et sur l'isole-
ment du divin Cœur de Jésus au saint tabernacle, notre
courage grandit, et l'exil que nousi nous sommes volontai-
rement imposé devient plus doux.
Le premier dimanche de juin était le jour désigné pour
la Confirmation et la Communion générale des Sauvages,
dont la mission durait depuis près de trois semaines.^ Ils
s'approchèrent de la sainte table aujnombre décent soixante.
L'église était si remplie qu'ils ne] pouvaient circuler que
très-difficilement. Pour rendre la cérémonie plus impo-
sante, Sa Grandeur Monseigneur officia pontificalement.
Llignorance des Sauvages cependant faillit troubler un peu
la gravité des cérémonies. Encore peu instruits de nos
Saints Mystères, plusieurs de nos néophytes n'en ayant été
que rarement témoins, ils ne pensaient pas qu'il fallût ou-
vrir la bouche pour recevoir la Sainte Communion. Mon-
seigneurdut s'arrêter à plusie^irs reprises pour le leur faira
36
observer, et joiadre même le geste à la parole. C'est un fait
inouï dans nos pays catholiques, mais ici, on doit s'at-
sendre à tout de rignorance des indigènes.
Est-ce un fait véritable ou p.ne vaine rumeur? mais il pa-
raîtrait d'après les bruits qui circulent, que le bienveillant
Monsieur MacFarlone se propose de nous faire bâtir, fai-
sant commencer Téquarrissage dès cet hiver,; sans trop y
ajouter foi, je n'en serais cependant pas surprise. Quel dom>
mage qu'un gentilhomme si bon, si charitable, soit protes-
tant. Il m'est venu à l'idée de le recommander à vos prières
et à celles de nos pauvres, ainsi que sa famille composée
d'un fils et de trois demoiselles. . Il me semble que c'est
le seul moyen de reconnaître dignement les bontés de ces
•généreux bienfaiteurs.
Grâce à leur générosi]i!§, nous avons aujourd'hui ce que
nous appelons (^ans ce pays uile petite chapelle. La voûte
ou plutôt le plafond est tapissé en coton rouge parsemé d'é-
toiles dites d'argent. Une belle frange fait l'ornement d'une
corniche. Puis avec de vieux morceaux de tapisserie de la
même couleur, trempée dans l'eau, nous avons barbouillé
le plancher. N'est-ce pas que vous n'auriez jamais imaginé
un pareil genre de peinture î
PELEÏllNAGB AUX SAINTS-LIEUX (1) .
m
Mon révérend et bien chex Père — Je viensd'accooiDlir un
nouveau pèlerinage à Jérusalem, pour y donnçr.la retraite
pastorale ; et je sais trop combien le souvenir des Saints.
Lieux vous est cher pour que jediffère de vouy en entretenir
encore une fois, peut-être la dernière- J'ai éprouvé une vé-
ritable joie de tout ce que j'ai vu ; car la sainte Eglise est
en progrès et les Œuvres catholiques solidement et vaillam-
ment soutenues, avec la bénédiction du Seigneur
Je ne vous parle-rai que des principales parmi ces Œuvres.
Le Patriarcat latin . rétabli, il y a trente ans, avec quatre
mille catholiques, en compte aujourd'hui dix ; et ses mis-
sions prospèrent, malgré les difficultés sans cesse renais-
santes qui entravent le bien sur cette terre désolée. Les
RR. PP. de Saint-François ont, sur plusieurs points, amé_
lioré, par de nouvelles constructions, leurs sanctuaires,
leurs hospices et leurs couvents ; ils ont aussi ouvert une
petite école apostolique. Le R. P. Marie Ratisbonne pour-
suit; avec toute l'activité de son zèle, deux grandes cons-
tructions, l'une, à Saint-Jean-du-Désert pour les orphelines,
l'autre, près des remparts de Jérusalem, pour un vaste éta-
blissement d'arts et métiers. La grande maison des Sœurs
de Sibn, à l'Ëccè-Homo, est achevée ; et aux œuvres que ce&
saintes filles y avaient déjà établies, elles ont. ajouté cette
année un petit pensionnat qui étendra le grand bien qu'elles
font à la classe plus élevée de la société. M. l'abbé Pom Bel-
loni continue, avec un zèle admirable, les constructions de
son orphelinat pour les garçons ; le nombre de ses brphe- .
lins est plus que doublé, depuis que je ne l'avais visité ; et
cet habile administrateur a su donner à son œuvre une vi-
gueur qui en assure l'avenir pour le spirituel et le tempo*
rel.
Les Sœurs de Saint Joseph-de-rApparîtion tiennent à Je*
rusalem l'hôpital catholique, où chaque jour affluent de
pauvres malades, pour Les consultations et les remèdes, qui
(1) Tiré du Messager du Sacré OoBur du mois de Décembre, 1878,
• 38
leur sont donnés gratuitement. Elles ont, en outre, des
écolesi des congrégations et des orphelines. Les principale^
missions de ce patriarcat ont aussi une maison de ces sain-
tes filles, qui exercent dans ces localités les mêmes œuvres
de charité. Le Moudir (sous-préfet) de Ramleh, quoique nui-
fiulman, m'a fait le plus grand éloge de ces religieuses chré-
tiennes. '' Eltes font un grand bien, me disait-il ; je leur ai
fourni des pierres pour bâtir leur maison, et j'ai dit âa
consul de France : *' Soyez tranquille, c'est moi qui protège
'^ les religieuses." Aussi s'e£force-t-il de remplir leur ôcole
de toutes les petites musulmanes des environs. Malheur à
qui leur dirait une parole offensante 1 Quel exemple pour
votre France, prétendue libérale, où semblent avoir émigré
l'ancienne intolérance et .la sauvage barbarie des Arabes
et des Turcs contre les religieux et les religieuses 1 Mais
notre Moudir n'est pus seulement le protecteur des institu-
trices, il maintient Tordre et la justice ; et, ce qui est admi-
rable en Turquie, jamais il n'accepte aucun présent de ses
administrés ; dans ses tournées, il tient même à ce vivre
que des provisions qu'il porte avec lui. A cet exposé d'admi-
nistration, qui ressemble quelque peu à celui des premiers
kalifes, je ne puis m'empècher de répondre : " Si tous les
administrateurs de la Turquie te ressemblaient, elle serait
florissante." Mais le bon Moudir ne voit point les choses en
beau. " Les affaires, me disait-il, vont plus mal que jamais ;,
tout est ruiné , il s'est formé un,e race d'hommes qui ne
vont plus ni à la mosquée ni à l'église. La seigneurie (dje-
naback) ?erra une guerre universelle, et les affaires, ne se
rétabliront plus ; mais la fin du monde arrivera ; car les dé-
.mons sont sortis de l'enfer et les hommes se laissent gou-
verner par eux. " Nous voilà entraînés bien loin par noire
Moudir ; mais, peut-être, prendrez-vous quelque intérêt^
mon cher Père, à connaître les idées qui fermentent dans
les imaginations arabes durant cette crise.
Les chers Frères des Ecoles chrétiennes ont aus^i élevé
une belle maison à côté du Patriarcat latin ; et ils l'achè-
vent, pour commencer sans retard Jeurs classes, ouvertes à
tous les enfants de Jérusalem. J'ai rencontré à Jaffa les
maîtres qui arrivaient^ de France; et sans doute, aujour-
39
d'hai, tous sont à l'œuvre, i la grande joie des habitants de
la cité sainte, qui savent mieuz apprécier que les radicaux
de l'Europe ces incomparables instituteurs du peuple. J'ai
encore eu le bonheur de rencontrer, à Jaffa, les Pères des
Missions africaines que Mgr Layigerie envoie prendre pos-
session du Sanctuaire dQ Sainte*Ânne à Jérusalem, avec
Tassentiment du gouvernement français. J'ai pu dire
la messe, le jour môme de la Nativité, dans la crypte de ce
sanctuaire, où une tradition place la naissance de la sainte
Vierge. L'église des croisades a été restaurée avec un goût
parfait ; mais elle n'est pas encore ornée, les constructions
pour l'habitation ne sont point achevées, et la dédicace ne
s'en fera que lorsque tout sera terminé. Pour le moment
elle n'est point ouverte au public. Ce sanctuaire est desti-
tiné à devenir une maison de hautes études scripturaires.
On ne pouvait donner à ce saint lieu une destination plus
belle et plus utile. Puisse la sainte Ecriture recevoir de ce
nouveau foyer, plaîé sur les terres bibliqufs, de nouvelle»
clartés pour le triomphe de l'Eglise et le salut des âmes !.
Mais ce qui est plus adorable encore, aux yeux de la foi,
c'est l'hôpital qui va s'élever près des murs de Jérusalem.
Un-généreux chrétien de Lyon, jeune homme de 25 ans,
flls unique, creusait les fondations de cet édifice pen-
dant que j'étais dans la ville sainte, et consacrait, à l'élever
et à le doter, ses talents distingués d'architecte et de sa
grande fortune. Quelles âmes sait se choisir la Providence f
Une pieuse personne, âgée et infirme, est venue établir, de
son côté, un ouvroir, pour recueillir les enfants que leurs
parents laissent, courir dans les rues de Jérusalem. Ygilà
comment l'Eglise catholique se manifeste au lieu où est
mort Jésus-Christ, son divin chef; et je n'ai pas tout dit.
C'est au point que le digne consul de France, M. Patiimonio,
m'a assuré qu'il avait reçu des plaintes des communions ri-
vales sur ces progrès si éclatants. Mais la réponse était fa-
cile : ^' Rivalisez avec les catholiques de zèle et dévoue-
ment. " Les Grecs ôchisniatiques surtout, qui dominaient
à Jérusalem, ont été gravement éprouvés par les derniers
événements. Au lieu de triompher par la victoire des
Russes, ils ont vu leurs ressources^tarir, et ont été obligea
40
de fermer leur séminaîTe de Sainte-Cfoix et leur hôpital de
Jérusalem, et de cesser de' fournir les allocations à leurs
curés. Les Juifs, cependant, sont en progrès à Jérusalem ;
comme ailleurs, leurs spéculations iiabiles les rendent
maîtres des finances ; tout l'argent qui arrive à Jérusalem
passe par leurs mains; et on les accusait, à mon passage,
d'accaparer tout les blés, pour commander ensuite sur le
marché.
J'aurais dû peut-être vous parler, en premier lieu, de ,
deux autres établissements d'un autre genre, mais de la
plus haute importance pour Jérusalem. Ce sont deux mo<
nastères de Carmélites, qui s'achèvent, l'un sur le mont des
Oliviers, au Sanctuaire du Fater^ avec les ressources que
Saint Joseph y envoie cbaque semaine ; l'autre à Bethléem,
où il a été fondé d'une manière toute merveilleuse. La sœur
Marie-de-Jésus-Cruciflé, qui en est la principale fondatrice,
est morte en odeur de sainteté, le 26 août dernier, pendant
mon séjour à jfrusalem. Elle était âgée de trente-trois ans
seulement ; c'était une simple sœur converse, née de parents
Grecs- catholiques, à Abellin, village situé près de Saint-
Jean-d'Acre. Elle savait à peine lire et écrire ; mais Dieu
s'était plu à la combler de ses grâces les plus extraordinai-
res ; et elle a pu, par sa sainte influence, faire réussir
cette intreprise qui paraissait impossible. Les stigmates,
les extases, les élévations de terre, les visions, les prophé-
ties, les lumières célestes sur les matières les plus difficiles,
etc., étaient, dit-on, sa vie de chaque jour. Ces merveilles,
inouïes en Orient depuis des siècles, avaient fixé tous les re-
gards sur elle ; et ses funérailles ont attiré un grand con-
cours des personnages les plus distingués de Jérusalem.
On raconte que, dans son enfance, elle avait été prise et
emmenée à Alexandrie par les Musulmans, qui ne pouvant
la séduire, lui coupèrent la gorge et la laissèrent pour
morte. Heureusement, la blessure n'était pas mortelle; elle
fut recueillie par ta charité et conduite par la Providence
au Carmel de Pau, où son cœur vient d'être envoyé. Le
plan qu'elle a donné pour le Carmel de Bethléem ne res-
semble en rien aux autres : c'est une grande tour, Turris
Davidica^ qui s'élève eïk face de Bethléem, sur une colline
41
OÙ, suivant 'la tradition, David oonduisait son troupeau.
De loin, cette tour, au milieu de la clôture du monastère,
la fait assez bien ressembler à une forteresse de Marie, mais
encore inachevée.
Je m'abstiens de vous donner d'autres détails intéressants
sur ce sanctuaire, pour vous entretenir, en terminant, d'un
sujet bien différent.
Vous connaissez par l'histoire les évêques Scénites et les
chrétiens Sarrasins des premiers siècles; j'ai été heureux
de retrouver leurs traces en conversant^ à Jérusalem, avec
un missionnaire qui vit sous la tente des Arabes. L'histoire
ecclésiastique a conservé peu de détails sur ces évoques
'' habitant sous la tente : " on rencontre les indices d'un
évoque scénite pour la tribu de Moawiah, sous la dépen-
dance du patriarcat d'Alexandrie ; un autre évoque scénite
suivait les tribus de la Palmyrène, sous la dépendance de la
primatie de Damas ; enfin, lîn autre évêque vivait avec les
tribus des bords de l'Euphrate, rattachées à la province de
POsrhoêne. Les autres tribus de l'Arabie romaine, qui s'é-
taient soumises et acceptaient des empereurs de Bysance
la nomination de leurs philarquesy avaient aussi embrassé
le christianisme, sans avoir toutefois, paraît-il, d'évôques
particuliers. A la conquête arabe, ces tribus émigrèrent
ou apostasièrent.
Cependant, Dom Paolo, missionnaire du patriarcat latin,
a rencontré une tribu qui vit sous la tente, dans la contrée
qui est à l'orient de la mer Morte. Elle a conservé quelques
vestiges de christianisme par suite de sa dépendance du
Karak, le Mont-Royal des Croisés, l'ancienne Petra ou Sella,
Plusieurs familles passent une partie de l'année sous la tente
et le reste dans leurs maisons du village. Cependant, il y
a toujours une centaine de tentes dressées, pour suivre les
troupeaux et faire les moissons ou les semailles dans les
lieux écartés. Il y a quelques années, Mgr le Patriarche
de Jérusalem ouvrit une missioa au Karak, et une grande
partie des Grecs schismasiques qui l'habitaient rentra dans
le sein de l'Eglise ; ce mouvement religieux se propagea
jusque sous \es tentes. Mais ces Bédouins convertis étaient
dans la plus profonde ignorance de la religion. Jamais les
42
prêtres grecs ne s'étaient résignés à habiter avec eux bous
la tente ; et la religion de ces pauvres abandonnéîs se rédui-
sait à faire baptiser leurs enfants, et à observer quelques
jeûnes avec la rigueur primitive. Ils ignoraient même
Jésus-Christ, qu'ils croyaient être un de leurs scheiks, et la
sainte Vierge, qu'ils disaient être une 4ame chrétienne. Ils
ne conservaient ni fêtes ni prières, ne savaient parler que
par malédictions et" imprécations affreuses, et se faisaient
entre eux des guerres féroces, jusqu^à couper en petits mor*
ceaux leurs ennemis. Les vengeances atroces se transmet-
taient aussi de génération en génération, suivant la cou-
tume arabe.
A la vue du triste état de ces demi-sauvages, le cœur du
missionniire s'émut, et laissant son confrère dans le village
avec des sédentaires, Dom Paolo s'est dévoué à habiter sous
la tente. Il s'y est même si bien habitué, que revenu derniè-
rement pour la retraite, il attribuait une fièvre violente qui
l'avait saisi à ce qu'il était obligé de vivre " sous une tente
de pierre," privé de l'air libre du désert. Sa tente S3 dé^
ploie au milieu du campement en plusieurs compartiments
séparés. Il y a la cliapelle avec son clocher, l'école et le
presbytère. Le changement n'a pas tardé à paraître dans la
tribu nomade. Les hommes et les femmes ont appris les
principaux mystères de la foi ; ils accourent matin et soir^
même ceux qui sont restés schismatiques, aux prières, à Tins-
truction et à la messe. Le soir, ils remplissent, suivant l'usa-
ge arabe, le divan du missionnaire, pour s'entretenir avec lui
jusque bien avant dans la nuit Mais ces natures incultes et
habituées aux vices du désert, laissent beaucoup à désirer ;
l'espérance se trouve dans la nouvelle génération, qui mani«
feste les meilleures dispositions pour la piété, et môme pour
l'étude. Je ne citerai qu'un trait des mœurs des adultes, pour
vous faire comprendre comment il sont encore dominés par
les instincts de leur race pillarde. Pour dépouiller leur mis*
sionnaire, ils emploient la '' lance de la prière," ou plutôt
de rimportuaité, et ils emportent ainsi tout ce qu'il possède*
L'un a remarqué qu'il a deux paires de souliers : il vienten
demander une, et après le refus, il n'est que plus ardent à
redemander; matin et soir, il se met à genoux à la porte
43
de la tente : la Khouri (6 Curé), répète-t-il, tes souliers, je
t'en prie. " Enfin, pour se délivrer, le missionnaire doit
donner ses souliers. Un autre a remarqué son manteau ;
la même histoire recommence, et il faut le donner. Â plus
forte raison, si Ton sait qu'il a quelques provisions de riz,
de légume, de vin, les scheiks arrivent les uns après les
autres, et il faut tout donner. Le missionnaire de la tente
est ainsi obligé de se contenter de la nourriture bédouine,^
qui consiste invariablement en lait et en viande, avec du
pain cuit sur une plaque de fer.
Cette tribu chrétienne monte, pendant Tété, vers les mon-
tagnes #e Moab, à mesure que les ardeurs du sftieil dessè-
chent les pâturages dans la plaine et sur les collines. Du-
rant les trois mois d^hiver, elle redescend sur les bords de
la mer Morte, où elle retrouve la température et la verdure
du printemps, sans que la neige puisse jamais l'inquiéter
Lorsque que le scheik donne Tordre du départ, pour aller
chercher un autre campement, le missionnaire lui aussi
plie sa tente. Il descend son clocher, roule son église, replie
son presbytère, empaqueté son école ; et le tout est emballé
sur le dos d'un chameau, qui va s'agenouiller au lieu dési-
gné et y dépose son fardeau facile à reprendre. En une heure,
tout est ensuite relevé ; et l'église, le clocher, l'école conti
nuentà fonctionner comme auparavant. Telle était sans
doute la vie des évéques scénites.
Je me recommande à vos saints sacrifices et aux prières
de «tous nos chers Associés de l'Apostolat, et je suis, ( te...,
P. Maktin, s. J.
Directeur' supérieur de PÂposloîal de la Prière en Syrie.
AFRIQUE.
VICARIAT APOSTOLIOUB DE l' AFRIQUE GENTR^LB .
ABBRÇU HISTORIQUE FT ÉTAT ACTUEL.
(ANlTAIiSS DB IiTON)
Suite et fin(\).
m
V.
Saïd agha, chef nouba. — Visite du cogiour Cacoun, grand chef des
NMubas,% la mission d'Bl-Obëid.— V,oyage du R. P. Ca#3reri aa
Djebel-Noubas.
*' Un des chefs noubas de Delea, nommé Saïd agha,
étant venu à El-Obeïd, l'officier Maximos me le présenta le
matin du 16 juillet 1873, fête de Notre-Dame du Carmel,
au moment où nous sortions de l'exercice de la Garde
d'honneur du Sacré-Cœur. Cet exercice, qui consiste en
une heure d'adoration devant le saint Sacrement et que j'ai
institué dans nos chapelles d'Egypte et du vicariat, se pra-
tique tous les mercredis de Tannée pour obtenir du Sacré-
Cœur de Jésus la conversion de la Nigritie. Je reçus Je
chef nouba avec beaucoup de déférence ; je lui fis visiter
nos ateliers d'arts et métiers et la petite école des enfants
nègres ; je lui montrai le maître-autel, la statue de la
Vierge, etc. Remarquant la satisfaction de Saïd agha,
j'exprimai mon désir de connaître le grand chef des Nou-
bas et je laissai entrevoir que je n'étais pas éloigné d'aller
fonder une mission chez les Noubas eux-mêmes. Saïd agha
resta frappé des merveilles qu'il disait avoir vues dans
notre maison d'El-Obeïd, et/ de retour chez lui, il en parla
tant que le grand chef, le cogiour Cacoun, se décida à venir
nous voir.
^' En effet, deux mois après le départ de Saïd agha, le
grand chef des Noubas entrait dans notre maison d'El-
Obeïd avec une suite de vingt personnes. C'était le matin
du 24 septembre, fête de Notre-Dame de la Merci, au mo-
ment où nous sortions de l'église après l'heure d'adoration
(1) Voir la livraison d'Octobre dernier.
' 4S
pour la caûversion de la NigmUa. Le cogiour Oacoua pasea
la journée chez moi avec sa suite. Je lui exposai me&
projets et lui fis visiter mon établissement II voulait
voir tous les outils : boyaux, pioches, iparteaux, rabots^
scies, hacheS) pelle de fer, clous, etc. Il admira surtout
les ateliers d'arts et métiers et le sou de rbarmouium.
Quand il voyait mes pieds appuyer sur les soufflets et mes
doigts sur le clavier et qu'il entendait des accords, lui et
les siens, fortement émus, témoignaient leur joie en disant :
^^ Agiaib (merveille) I tu sais tout, tu fais des prodiges."
Le cogiour^ s'étant approché pour jouer de l'harmonium et
n'entendant sortir aucun son, s'écria :
«< _Tu es fils de Dieu. D'un simple morceau de bois
*' tu tires des voix plus belles, plus harmonieuses que celles
^' des oiseaux et des hommes. Quand je raconterai à mes
'• Noubas les merveilles que j'ai vues et entendues, ils ne
'' me croiront pas."
" Lorsque je le conduisis à rétablissement des Religieu-
ses et que je lui montrai la Sœur Faustine, l'institutrice
noire Domililla Bakhita, élevée à Vérone, et une des né-
gresses noubas sachant coudre, tricoter et réciter ses priè-
res, il fut transporté d'étonnement et me dit :
" — Il n'y a pas de mortel plus grand et plus brave que
'' toi."
^' Je lui répondis que, en Europe, des milliers de person-
nes étaient encore plus gavantes que moi, qu'elles pensaient
aux nègres et qu'elles m'avaient donné beaucoup d'argent
pour aller leur enseigner tout ce que savent les blancs,
qui sont chrétiens et qui vénèrent, dans un grand-prôtre
sage, glorieux et bon, le chef de tous les chrétiens et le vi-
caire de Dieu (ouakU Allah) auprès de tous les hommes.
. J'ajoutais :
^^ — Ce chef de tous les chrétiens et de tous les prêtres, ce
'^ ouakil de Dieu, est celui qui vous aime le mieux ; pour
'^ vous faire du bien temporel et éternel, il m'a envoyé
^' avec mes compagnons dans vos pays, parce qu'il désiite
'^' que vous connaissiez la vérité et que vous soyez heu:
'" reux à jamais,"
46
*
it_ Ag^aib ! répliquèrenMls tous. Ce grand cogipur (prê-
tre) pense à nous et de si loin 1 "
(< — Nous sommes des ignorants, ajouta le chef, nous ne-
" savons rien ; nous sommes lés bêtes {nahhna bahhaim)^.
" Apprends-nous ce que nous devons faire; viens toi-même
^^ dans nos pays^ et enseigne-nous tout cela. Je pique ma
" vache et mon chameau ; je les pousse à droite, et ils vont
^'•à droite. Je pousse mon cheval et ma chèvre à' gauche,
^^ et ils vont à gauche. J'ordonne à mon esclave de con-
*' duire les bœufs, à mes femmes esclaves d'aller puiser de
" Teau, et ils le font. Indique-nous la voie que nous devons.
" tenir, et nous t'obéirons comme tes esclaves et tes servi-
" teurs. Tu nous feras connaître ce que tu voudras. Nous,
'' nos femmes, nos û\s^ nos serviteurs, nos esclaves, nos
*' bœufs, nos vaches, nos chèvres, nos moutons, nos terres^
" nos maisons, nos denrées, et jusqu'aux feuilles de nos
^^ arbres, tout sera à ton service ; nous serons tes fils, tes
*' serviteurs, tes esclaves, tu seras notre père et le maître
" de tous."
" Les quatre jours suivants, il revint visiter la mission.
Le dernier jour il me dit:
ic — Lorsque je vins à El-Obeïd, les musulmans me dirent.
" plusieurs fois que les chrétiens sont des perfides, des scé-
*' lérats, des bahhaïm (bêtes), et des khanazir (pourceaux) ;
" qu'ils mangent le cœur, le foie et la cervelle des fils d'A.
'^ dam ; mais je n'ai jamais jugé ainsi, ils prétendaient que
^' les musulmans sont meilleurs que .les chrétiens; mais je
*' vois maintenant que les chrétiens sont meilleurs que les
" musulmans et que toutes]les races d'hommes. 11 n'y a
^' pas au monde de personnes aussi excellentes, aussi sages
^' que toi et tes compagnons ; et nous voulons faire ce
** que vous nous commanderez. Vous êtes les enfants du
'* cielelide Dieu."
" Je lui promis de faire, aussitôt après les pluies, une vi-
site aux Noubas, d'explorer soigneusement le pays et d'y
fonder probablement une mission. Le cogiour s'en alla
enchanté de ma. promesse.
" Dès le mois de juillet, j'avais informé les missionnaires*
47
de Khartoum de ce qui s'était passé à El-Obeïd et de la pro-
t>abilité d'une exploration chez les Noubas. Le P. Carcereri
demanda instamment de m'accompagner, et il s'offrit de ten-
ter lui-même Texploration, consentant volontiers à retar-
der le voyage qu'il se proposait de faire en Europe pour
«'entendre avec son T.-R. P. Général. Je l'invitai à venir à
El-Obeïd.
*' Le P. Carcereri arriva les premiers jours d'octobre au
Kordofan. Je me décidai à lui laisser accomplir ce voyage
avec le P. Franceschini et lui adjoignis un homme coura-
geux et expérimenté, M. Auguste Wisnewski, du. diocèse
d'Ermeland (Prusse), qui, depuis plus de vingt ans, était
attaché à la mission de l'Afrique centrale. J'obtins du pa-
cha l'offîcier de police Maximes et un khabir (guide) qui,de-
valent accompagner les missionnaires.
^^ Ceux-ci, munis de provisions pour deux mois, parti-
rent d'El-Obeid le 15 octobre 1873. L'exploration fut beau-
coup plus courte que je ne l'avais calculé. Le P. Carce-
reri n'alla que jusqu'à Delen, premier village des Noubas,
et 7 passa moins de deux jours. Il revint toutefois après
avoir conféré avec Cacoun. Ce chef lui montra, du haut
d'une montagne, tous ses villages au pied des collines envi-
ronnantes, et le missionnaire put en dresser une carte géo-
graphique. De retour à El-Obeid le 28 octobre, il me con-
firma tout ce que les visites de Sald agha et de Cacoun
m'avaient fait espérer, et je lui ordonnai de me préparer
un rapport sur soa exploration.
VI •
Accident de Mgr Comboni. — Arrivée à Khartoum de Religieuses et de
missionnaires. — Traité avec les Religieux do 8aint-CamiIle de Loi-
lis. — La Propagande approuve la fondation d'une mission au 6e-
Jbel-Noubas. — Arrivée à Khartoum d'une nouvelle caravane et de
la Soeur Ëmilienne Naubonet. — Inslallation des Gamilliens à Ber-
ber. — Départ de Mgr Comboni pour le Gebel-Noubas.
•
" La mission du Kordofan étant organisée, je partis, le
17 novembre, avec le P. Carcereri, M- Wisnewki et le tr.
Dominigi:^ Polinari, pour la résidence de Khartoum. Le
24 novembre, J3 tombai de chameau et me cassai -le bras
gauche. Après un repos de trente heures, je dus, le bras
48
lié de bandelettes imbibées d'eau et suspendu au cou, re-
monter sur mon chameau. Nous arriv&mes en quatre jour-
nées à Ondourman, localité située en face du confluent du
fleuve Blanc et du fleuve Bleu. Un bateau à vapeur, que
m'envoya le pacha gouverneur général, me transporta à
Khartoum, où/je reçus les soins de médecins et de chirur-
giens arabes. Je portai mon bras en écharpe plus de trois
mois, et il me fut impossible, durant cet interval, de dor-
mir môme une demi-heure et dire la messe.
" Le P. Carcerek était déjà parti pour l'Europe, lorsque,
le 11 décembre, quatre Sœurs de Saint-Joseph arrivèrent à
Khartoum, accompagnées de M. Jean Losi, prêtre de Tin-
stitut de Vérone, et de quelques laïques. Elles trouvèrent
lea autres Religieuses dans une maison louée par les héri-
tiers dé M. . André de Bono, appelé Latlf effëndL Cette mai-
son était trop petite, et d'ailleurs les propriétaires la récla-
maient pour y installer M. Rosset, vice-consul prussien.
Je bâtis donc, au moyen des aumônes des bienfaiteurs d'Eu-
rope, notamment de LL. MM. AA. l'empereur Ferdinand \^^
et l'impératrice Marie-Anne d'Autriche, et l'archiduc
d'Autriche-Este, François V, duc de Modène, une maison
de 112 mètres de longueur. J'y installai les Sœurs de Saint-
Joâeph.
" Le 24 aot\t 1874, le P. Carcèreri passait, à Rome, en
mon nom, avec le T. R. P. Guardi, général des Religieux
de Saint-Camille de Lellis, une convention valable pour
cinq années. Il y était stipulé que les Camilliens, tout en
restant soumis au provicaire apostolique de l'Afrique cen-
trale, en ce qui concerne la juridiction et le soin des âmes,
auraient à Berber une station fondée et entretenue à mes
frais. Cette station serait chargée du soin des fidèles dis-
persés dans les trois grandes provinces de Souakim, sur
la mer Rouge, de Taka, près des frontières septentrionales
de l'Abyssinie et de l'ancien royaume de Dongola, à l'ouest
du Nil, dans la Nubie supérieure. Après une expérience
de cinq années, une'nouvell^ convention devait régler dé-
finitivement cette affaire, au plus grand avantage de l'apos-
tolat de la Nigritie.
«' Dana la réunion générale du 14 août 1874 au Vatican, la
49
Congrégation de la Propagande s'était occupée du vicariat
. de l'Afrique centrale. Les cardinaux, ayant examiné le ié-
yeloppement de la mission jusqu'à cette époque, prirent des
conclusions que Son Em. le cardinal Franchi daigna m'en-
voyer, à la date du 29 août de la même année. Dans ce do-
cument, la Propagande me donnait des instructions pour
la direction de ce difficile vicariat, et m'indiquiaiit notam-
ment la conduite à tenir en face des horreurs de la traite
des nègres. Le cardinal Franchi m'ordonnait de fonder la
mission des GebeUNoubas, et terminait sa lettre en m'en-
gageant, au nom des cardinaux ses collègues, à poursuivre
mon entreprise, sans me laisser rebuter par les obstacles,
et à compter sur le secours de Dieu, qui ne me manquerait
point.
<^ Aussitôt que j'eus reçu à Khartoum l'ordre de la
Propagande d'établir la mission des Gebel-Noubas, j'en-
voyai au Kordofan une petite caravane pqur commencer
l'œuvre, et j'ordonnai au supérieur d'El-Obeïd, le P.
Salvator Mauro, de Barletta, membre de l'Institut de
Vérone, de tout préparer pour cette nouvelle expédition.
'^ Le texte de la convention passée entre les RR. PP.
CamilUens et moim'étant parvenu, j'allai à Berber et j'ache-
tai, sur les bords du Nil, dans une position salubré et agréa-
ble, une des plus belles et des plus commodes maisons de
la ville. J'y installai le P. Franceschini, avec un Frère
convers de mon Institut.
^' Le 6 février 1875, arriva à Khartoum une caravane di-
rigée par le P. Garcereri et composée de seize personnes,
missionnaires de mon Institut, PP. Gamiiliens et Religieu-
ses. Elle avait pris la voie du Wady Halfa et de Dongola et
accompli, en 103 journées, le trajet du Caire à Khartoum.
J'envoyai aussitôt au Kordofan deux prêtres et quelques
Frères. L'expédition pour le Gebel-Noubas se mit en route
sous la conduite de M. Louis Bonomi ; elle arriva à desti-
nation au mois de mars, M. Bononi célébra la première
messe qui eût jamais été célébrée dans la vaste et populeuse
tribu des Gebel-Noubas. Il prépara au pied de la monta-
gne voisine de la résidence du chef, dans des maisons
ruinées et entourées d'une clôture d'arbres et de bois, une
chapelle et une habitation provisoires.
50
. '^ Au mois d'avril 1875, la Rèv. Mère Emilienne Naubo-
iiet, accompagaée d'une jeune Sœur arabe, arriva à Khar-.
toum par la route de la mer Rouge et le désert de Souakim.
La Mère Emilienne, originaire de Pau, venait prendre la
direction de rétablissement des Sœurs de Saint-Joseph de
TApparition, à Khartoum, avec juridiction sur toutes les
maisons et les Religieuses de sa Congrégation dans FAfnqae
centrale.
** Cette Religieuse est une des premières qui se soient
établies en , Orient depuis les Croisades. Elle a été neuf
ans supérieure à Chypre et plus de vingt en Syrie, oii elie
a fondé les maisons de Saïda, de Deïr-el-Quamar et de
Beyrouth, Pendant^ les massacres de 1860, elle recueillit
dans son établissement, bâti sur les murs de l'ancienne Si-
don, des centaines d'orphelins de chrétiens tombés sous le
fer des Druses. Après trente années de travaux en Orient,
cette femme a4mirable passa la mer, remonta le Nil, fran-
chit le désert et pénétra dans TAfrique centrale, qui est au-
jourd'hui le théâtre de son inépuisable charité.
" Les Camilliens installés à Berber avec le P. Carcereri
pour supérieur et la missiion de Khartoum -confiée au R. P.
Pascal Fiore, je partis avec un certain nombre de Mis-
sionnaires et deux Sœurs sur un vapeur du gouverne-
ment, pour visiter les missions du Kordofan et des Gebel-
NoubaSs Trente* chameaux nous transportèrent à El-Obeïd,
où nous arrivâmes le 15 août. J'administrai le baptême à
quinze udultes, et le sacrement de confirmation à plusieurs
chrétiens. Le 15 septembre 1875, quelques ^Missionnaires,
deux Sœurs et moi, nous partîmes avec douze chameaux
dans la direction des Gebel-Noubas.
'' Après cinq journées de marche, nous rencontrâmes, au
milieu de la forôt de Singiokae, un cavalifer arabe de la
race des Omour. Je lui donnai une vieille cow^^ (pièce de
soie dont on se couvre la tête), et le chargeai d'aller
avertir le grand chef des Noubas et les missionnaires de
ma prochaine arrivée. Dans l'espoir d'un plus fort pour-
boire, il épcronna son cheval et courut à Delen.
51
VII
I
Le cogiour Cacoun. — Arrivée de Mgr Comboniàla station de Delen. —
Description du pays ; mœurs des habitants. — ^Dialectes des Noubas
et des peuples de T Afrique centrale,
" Le soir du 21 septembre 1875, je fus extrêmement sur-
pris de trouver, à une demi-journée de la station de Delen,
le grand chef des Noubas, suivi de 50 Noubas armés de
fusils et de lances. A peine m'eut-il vu qu'il descendit de
cheval, s'approcha de mon chameau, me baisa la main, me
salua plusieurs fois profondément et me dit en bon arabe,
dialecte^du Kerdofan :
" — Dieu t'a envoyé au milieu de nous ; et voici que
^' nous tous, nos petits enfants, nos femmes, nos petites
'^ filles, nos bœufs, nos vaches, nos brebis, nos chèvres, nos
*« maisons, nos terres, tout est à ta disposition. Tu es notre
*' père et nous sommes tes enfants ; nous ferons tout ce
'' que tu nous commanderas et nous serons lieureux.
" — Je suis]venu, répondis-je, pour être votre père. En
^^ apprenant ce que les missionnaires et les Religieuses «
" vous enseigneront, vous vous montrerez d'excellents fils,
*' et TOUS serez heureux sur cette terre et dans le ciel."
'•^ Je fis agenouiller le chameau et, aidé par le cogiour
Cacoun, je descendis à terre.
^' C'était une nuit douce, brillamment éclairée par la
lune et par des myriades d'étoiles, Nous étendîmes nos
matelas, et, le souper ayant été servi à terre, sur un tapis,
nous mangeâmes joyeusement et nous bûmes de l'eau
apportée par les Noubas. Nous bivouaquâmes en compa-
gnie de ces bons sauvages, auprès des feux qu'ils avaient
allumés pour éloigner les bêtes féroces et pour nous ré-
chauffer.
'- Ayant donné au grand chef Cacoun une couverture de
laine de la valeur de cinq francs, je lui demandai, le lende-
main, s'il avait bien dormi. Il me répondit tout joyeux :
<^ — Comment ne dormirait-on pas bien sous la garde de
^* Dieu avec cette belle couverture que tu m'as donnée hier
^^ soir ? Je vais la mettre sur mon cheval et elle me servira
*' dans ma résidence."
52
'^ Je montai sur son cheval. A midi, nous entrions dans
la zariba (clôture) de la mission, au milieu des détonations
de fusils et des cris de joie des chefs et du peuple. Noas
fûmes regus par M. LouisBonomi, supérieur de la mission
et par ses compagnons. Plusieurs Gnoumas vinrent me
visiter.
" Les Gnoumas, peuple féroce, sont de haute taille ; Ub
ne portent aucun vêtement. Us mas^crent les musulmans
et les Giallabas qui viennent ici pour les enlever et les
Tendre comme esclaves. La visite de beaucoup d'autres
Noubas des montagnes voisines me donna de Tespoir pour
l'évangélisation de ce pays, où d'ailleurs l'islamisme est
détesté. Mais une multitude de superstitions, de rites, de
cérémonies, de* croyances extravagantes, sous rinfluence
d'un esprit appelé Ocourou, régnent dans ces contrées.
" Le pays de Delen est habité par plus de 50,000 âmes.
Il est compris entre le 11» et le 12© de latitude nord et entre
le 26o et le 28^ de longitude est (méridien de Paris). Il est
le point, d'appui, le lieu de communication et comme la
première étape de notre excursion apostolique parmi les
peuples de la grande famill^ des Noubas, qui s'étend par
delà les montagnes au sud-ouest. De Delen on arrive, en
deux journées, aux points les plus éloignés du demi>cercle
formé par ces montagnes. Les localités les plus habitées,
comme jSnouma, Sobein, Golfan, Carco, Fonda, ne sont
qu'à une distance qui varie entre quatre et dix heures de
chemin.
*' Lorsque nous serons certains que la terre peut, avec le
secours de la culture et des pluies ordinaires, fournir en
partie à l'entretien de la mission, des chrétientés seront
fondées sur les points importants de ces montagnes.
" La mission de Delen ne sera qu'à cinq ou six jour-
nées d'El-Obeïd. Les habitants ont un bon caractère et
d'excellentes qualités ; ils sont dans des conditions sociales
bien supérieures à celles des indigènes des anciennes sta-
tions de Sainte-Croix et de Gondokoro sur le fleuve Blanc.
Les Noubas ont des demeures fixes et sont très-attachés à
leur pays, à leurs maisons, à leurs montagnes. Peu labo-
rieux, ils se contentent de cultiver la portion de terrain qui
53
» ■
leur fournit la nourriture pour une ûQuée. ^ Cette indolen-
ce est eitcusable. S'ils cultivaient J)eauco.up de terrains &t
recueillaient d^abondantes^ récoltes^ les Arabes Gabara vien*
draient les piller. Les Noubas ont de la réflexion, du juge-
ment et de la prévoyance. L'union et l'amitié régnent en-
tre eux. Quand un Nouba est offensé par un étranger,
tous ses compatriotes prennent sa défense et le vengent
d'après la loi du talion. Il n'y a chez eux presque jamais
de disputes ni de querelles; ils sont soumis à leurs chefs et
mènent une vie toute patriarcale. Le grand chef, le cogiour
Gacoun, pontife et roi, maître absolu des corps et des âmes,
gouverne paciflquçment et sagement tout son peuple. On
a recours à lui, on s'en remet à son jugement, et on subit
sans se plaindre la peine qu'il prononce. Le cogiour ne
prend, il est vrai, aucune décision importante sans l'avis
des vieillards réunis en conseil. Les Noubas, coura-
geux et guerriers, s'emparèrent plusieurs fois des armes
et des munitions des Giallabas. Ils sont ainsi devenus re>
doudables à leurs ennemis. Ils nous demandèrent de la
poudre et des balles ; car ils n'ont plus de poudre, et ils
n'ont pour balles que les petits cailloux dont leurs monta-
gnes sont semées.
^*' La langue des Noubas se divise en plusieurs dialectes
sans rapport avec la langue arabe. En six mois de séjour,
M. Louis Bonomi avait appris des indigènes un jcertain
nombre de mots noubas. Avec l'aide de M. Louis Bonomi
et du grand chef qui possédait assez bien l'arabe du
Kordofan, je me mis à l'étude de la langue des Noubas.
^< Une des plus grandes difficultés pour le missionnaire
de l'Afrique centrale, c'est la multitude des langues. Il y
en a plus de cent, presque toutes monosyllabiques et d'ori-
gine sémitique. Ces langues sont très pauvres et se bornent
à exprimep les idées trës^limitées des peuples primitifs.
En outre, la langue arabe se divise en plusieurs dialectes
africains, que l'on parle dans les possessions égyptiennes
des nations musulmanes du vicariat. • Or, ces langues afri-
caines sont tout à fait inconnues des savants Européens,
parce qu'il n'y a ni dictionnaire, ni grammaire, ni livre ^
pour les étudier. Elles n'ont pas d'écriture. Les mots lire
54
écrire, compter, éoéler, etc« n'existent pas. Tandis que I»
missionnaire, destfné aux Indes, à la Perse, à la Mongolie,
& TAmérique, à la Chine ou à TÂustralie, peut apprendre,
dans les séminaires d'Europe^ à Taide de dictionnaires et
de grammaires, la langue de ces pavs, le missionnaire de
rAirique centrale doit apprendre les idiomes des tnbus
Îu'il veut évangéliser, dans le pays même et de la bouche
e quelque indigène qui, ancien esclave des musulmans,
aura retenu un peu d'arabe. 11 doit composer son diction-
naire, découvrir les lois gramaiticales, et, ce qui est ex-
cessivement difficile, donner des noms aux idées abstraites.
" C'est une rude épreuve, dont j'ai fait l'expérience en
1858 et en 1859, époque où je me trouvai dans la tribu de
Kick, entre le 6» et le 7» latitude nord, sur le fleuve Blanc,
en compagnie du supérieur de la station de Sainte-Croix,
le P. Joseph Lanz, originaire du Tyrol allemand, des PP^
Jean Beltramme et Ange Melotto et de deux élèves de la mis-
sion. Nous composâmes le premier vocabulaire, la pre-
mière grammaire et le premier catéchisme qui aient été
faits dans la langue des Denka, Avaat'jious, le P. Barthé-
lémy Mesgan, du diocèse de Laybach, fondateur de la mis-
sion de Sainte-Croix, avait essayé de recueillir un certain
nombre de mots. Son manuscrit, que j'ai étudié, était en
la possession du P. Lanz;
*' Je confiai tous nos manuscrits à un Religieux de l'Or-
dre de Saint-Augustin, le R. P. Mitterrutzner, professeur,
chanoine régulier de Saint-Jean de Latran, directeur du
séminaire diocésain de Brixen, secrétaire de Mgr. Fessier,
évêque de Saint-Hippolyte, au concile du Vatican. Ce Re-
ligieux, membre intelligent et actif du comité delà Société
de Marie, philologue distingué, possède plusieurs langues
étrangères. Aidé de deux nègres denka et bari, il composa
avec soin et fit imprimer à Brixen, à partir de 1864, en al.
lemand et en bari-denka, avec des explications en iaiin et
en italien, un dictionnaire, une grammaire, quelques psau-
mes et les évangiles pour les dimanches et les fôies de l'an-
née. Le R. P. Mitterrutzner, non content de nous avoir
ainsi facilité l'exercice de l'apostolat, nous procura encore
d'abondantes aumônes recueillies dans le Tyrol et dans
la Bavière ; il nous donna aussi d'excellents mission-
naires, comme les PP. Gozner, Uberbacher, Lanz et beau-
coup d'autres. Plus tard, le P. Beltramme fit imprimer en
italien uue bonne grammaire de la langue denka, et il
publie maintenant le dictionnaire denka-italien aux frais de
la Société géographique italienne. Ces deux ouvrages
serviront à la science et particulièrement à la mission du
fleuve Blanc.
"Pour toutes ces langues de l'Afrique centrale, qui ne
_i
55
Ïiossëdent aucune sorte d'écriture, j'ai adopté les caractères
atins, comme M. I^Iitterrtitzner et d'autres philologues.
Quant à la prononciation, pour en faire connaître lès rap-
portu avec la prononciation latine, je me suis servi en
partie du système de transcription imaginé par Lepsius et
du système proposé à l'Institut vénitien par le comte
François Miniscaichi-Errizo, savant polyglotte de Vérone.
En ce qui regarde la terminologie de l'Eglise catholique,
pour exprimer, dans les langues africaines, les sacrements
^t les principaux mystèrea de la Religion, comme le
baptême, l'eucharistie, la pénitence, la transubstantiation,
la messe, j'ai adopté les mots latins eux-mêmes. Nous en
donnons l'explication dans chaque idiome.
VIII
Fièvres et troubles; abandon du poste de Délen. — EK?part de la cara-
vane.— Haltes à Singiokae et à Dlrch. — Retour à El-Obéid.
" Au mois d'octobre 1875, tous les missionnaires de Dé-
len, la Sœur Germaine Âssouad, d'Alep, les nègres et les
négresses au service de la mission tombèrent malade?. Je
fus moi-même attaqué d'une forte fièvre. Préoccupé de
ma responsabilité à l'égard des deux Congrégations qui
m'avaient conûé des missionnaires, je résolus de nous
transporter temporairement à Singiokae, pays à quatorze
heures de Délen. Mais il était impossible de nous y rendre
à pied, et, dans tout le pays, il n'y avait que quatre ou cinq
cnameaux, ânes ou chevaux.
" Sur ces entrefaites, le mudir, gouverneur général du
Kordofan, m'envoya de Birch, ville à trois journées de Dé-
len, une dépêche où il me disait que, ne pouvant nous pro-
téger contre une tribu de Bagaras nomades, il me priait
d'abandonner momentanément la station de Délen. Il
m'envoyait une vingtaine de chameaux pour nous transpor-
ter, nous et nos provisions. Le porteur de la dépêche ra-
conta à la supérieure. Sœur Assouad, que le gouverneur
avait, à Birch et dans les environs, plus de 1,000 soldats
avec quatre canons et qu'il avait l'intention d'attaquer les
villages du chef Cacoun, parce que celui-ci n'avait pas en-
core payé le tribut ordinaire. Je fis appeler le chef nouba
et je l'exhortai à payer le tribut comme les autres années.
Il me déclara que c'était impossible pour le moment, et me
pria de supplier le gouverneur d'attendre jusqu'à la récolte*
suivante, époque où il paierait tout. J'envoyai aussitôt au
gouverneur un courrier spécial avec une lettre.
*^ Cet incident, joint aux maladies dont nous étions affli-
gés, rendait notre position très-dangereuse. Je réunis en
56
conseil les quatre missionaaires, MM. Bonomi, Martini, et
ies PP. Chiarelli et FranceschiBi. Leur avis fut qu'il fallait
abandonner le poste et n'y revenir qu'après avoir recouvré
la santé ; c'était l'unique moyen de sauver la mis^ion-
" Je soupçonnais que le gouverneur, en m'envoyant sa
dépêche, avat eu, entre autreâ desseins, celui de faire
ajourner la fondation de la mission des Noubas, afin de pra^
tiqner plus librement la traite des nègres. Je çavaisque le
chef des Bagaras avait déclaré au mudir que, depuis notre
installation chez les Noubas, il n'avait pas pu voler assec
d'esclaves pour lui payer Timpôt annuel. Mais la nécessité
de sauver la vie de mes missionnaires ne me permettait pas
de rester davantage. Je me décidai donc à partir. Je lais-
sai la station avec le mobilier au chef Gacoun.
" Le 30 octobre, dès quatre heures du matin^ ori commen
ça à charger les chameaux. Le pacha m'avait envoyé un
janissaire pour m'accompagner. A sept heures et quart,
nous étions en route. La forêt où nous devions passer qua-
torze heures, étajt peuplée de lions et d'autres bêtes féroces.
" Une heure n'était pas écoulée que le P. Franceschini,
accablé par la fièvre, s'arrêta. Après une demi-heure de
repos, il put remonter sur son chameau. On se remit ea
route ; mais, au bout d'une heure, il ne, put aller plus loin.
Nous le conduisîmes chancelant sous un arbre, et noua
cherchâmes à le soulager par des applications d'eau fraî-
che. Cependant la fièvre augmentait toujours. L'eau de
nos deux zanzemieh (petites outres de peaux de chèvres)
commençait à manquer. Les provisions et les bagages se
trouvaient sur les premiers chameaux; j'envoyai en hâte
deux chameliers ramener les chameaux porteurs des ma-
telas, de l'eau et des ustensiles de cuisine.
'* A deux heures de l'après-midi, les chameaux n'étaient
pas encore arrivés ; nous n'avions pas une .goutte d'eau,
pas une bouchée dé nourriture. Brûlés par la soif, nous
étions tous jpouchés sur nos couvertures. Retourner en
arrière aurait été une imprudence. Le P. Franceschini
ayant un peu moins de fièvre et ses forces étant revenues,
je lui proposai de nous remettre en route. Il y consentit
et nous repartîmes. Après quatre heures de chemin, nous
aperçûmes au loin une marre d'eau fangeuse et noire.
Nous en approchâmes, et, bien que cette eau fût dégoûtante
et infecte, nous nous y désaltérâmes avec grand plaisir.
'' C'était le soir ; on entendait rugir les lions. Nous mar-
châmes encore deux heures entre des arbres tiOufTus et
épineux. Voyant la difficulté et les périls de cette marche
dans la nuit obscure, entendant les rugissements du lioa
de plus en plus répétés, nous nous arrêtâmes. Je fis allu-
mei; autour de nous des feux pour éloigner les bâtes féro-
57
ces. Nous étendîmes à terre les coarertures que nous
avions sur le kahouia du chameau. La faim et la soif nous
tourmentaient. Le janissaire arait cinq ou six onces de
Tlande crue d'un mouton tué trois jours auparavant, et
l'avais huit onces de viande salée, achetée à Khartoum.
r^'ayant pas de marmite, nous mimes les deux morceaux
dans la doka (ustensile de fer à suspension nour cuire et
préparer le doura ou pain des Arabes du Souaan), nous les
exposâmes au feu quelques minutes, et nous nous les parta-
geâmes.
" A l'aube, bien que engourdis par le froid de la nuit et
par la fatigue, épuisés par la faim et par la soif, nous nous *
remimes en route. Après huit heures de marche, nous
retrouvâmes à Singiokae, sous les cabanes des sauvages,
tous nos compagnons arrivés avant nous. Nous nous y
reposâmes quelques jours.
^* Il n'y avait presque personne dans ce village ; les habi-
tants s'étaient enfuis avec leurs familles et leurs troupeaux
aûn de se dérober à l'armée du gouverneur. Pour nourrir
les soldats, celui-ci prenait les bestiaux et les provisions sans
payer d'indemnité, et il estimait à bas prix leurs esclaves.
Ne' trouvant ni viande, ni beurre, ni vivres d'aucune sorte,
je me décidai à poursuivre notre route jusqu'à Birch, où se
trouvait le gouverneur du Kordofan.
*' Depuis longtemps ce fonctionnaire veut assujettir ces
peuples. 11 leur a imposé un tribut annuel, payable en
argent, en nature, en bestiaux ou en esclaves. Dès le com-
mencement, toutes les tribus s'y sont refusées, et, chaque
année, pour recouvrer la taxe, le gouverneur doit envoyer .
des ofliciers supérieurs avec de nombreux soldats. Ceux ci
perçoivent les impôts à coups de bâton et de cravache ; en
outre, ils s'emparent des troupeaux, enlèvent les femmes,
les enfants, les esclaves, tout ca qui leur tombe sous la
main et massacrent les récalcitrants. Aussi, les gens ds
Singiokae, appréTnant l'approche du gouverneur avec 1,000
soldats, avaient envoyé le cheîk payer le tribut et s'étaient
enfuis vers l'intérieur.
" Le lendemain de notre départ, nous apprîmes que la
station de Birch était presque déserte pour le même motif
que Singiokae et que le gouverneur était parti pour les
montagnes de Tegala, après avoir laissé à ma disposition
une escorte de quelques soldats. Oomme les fièvres inter-*
mittentes afD.igeaient toujours les missionnaires et les
Sœurs, je résolus de conduire tous mes compagnons à
El-Obeld-
*^ Dix-huit jours après notre sortie du pays des Noybas,
nous arrivions briséi de fatigues à El-Obeîd. Nous y ren-
contrâmes le docteur Pfund, médecin et naturaliste attaché
5»
à rexpédition du vice-roi d'Egypte, dirigée par rAméricain.
GoUton, célèbre dans la guerre de sécession.
*' Ea arrjvaot à El-Obeïd, je trouvai des dépêches impor-
tantes qui me forçaient de me rendre à Kharloum et dans
l'Egypte, Je me concertai avec le gouverneur et je pré-
parai tout pour que M. Bonomi put, deux mois plus tard^
retourner à la mission des Gebel-Noubas. Je partis d'El-
Obeïd avec quelques compagnons. Nous traversâmes les
épaisses forêts d'arbres; résineux, et, à Toura-el-Kadra, nous
primes passage,"" avec le général Colston, sur un vapeur du
gouvernement, qui nous transporta à Kbartoum, capitale
> des pos6e:?sions égyptiennes du Soudan.
IX
Importance des stations de Khartoum et d'El-Obéid. — La traite des
noirs et le colonel Gordon. — Départ de Mgr Gomboni d'Bl-Obéid ;
visite à Berber et à Souakin ; arrivée au Gaire. — Don d'un terrain
par le khédive. — ^Arrivée à Rome de Mgr Comboni.
''' Le vicariat de l'Afrique centrale jouit de la protectioa
de S, M. apostolique François Joseph 1er, empereur d'Au-
triche, représenté à Khartonm par un consul. La missioa
est en bons rapports avec le gouverneur, qui lui accorde^
entre autres privilèges, l'exemption des impots.
" Aussitôt en possession du vicariat, je m'appliquai à
consolider nos deux principales stations de Khartoum et
d'El-Obéid. La station de Khartoum est la base d'opéra-
tions et le centre de communications pour porter la foi et
la civilisation dans tous les royaumes et les tribus de la.
partie orientale du vicariat et dans les tribus limitrophes de
l'Abyssinie et des Gallas et sur le fleuve Blanc, jusqu'au
delà de l'équateur et des sources du Nil. Li station d'El-
Obéid est aussi le point d'appui et le centre de communi-
cations pour évangéliser les vastes royaumes et les tribus
qui foraient la partie centrale et occideataU du vicariat.
" L'opposition des missionnaires à la traite des noirs leur
crée de graves embarras de la part du gouvernement.
Heureusement le khédive a nommé gouverneur général
de toutes les possessions égyptiennes au Soudan, avec le
grade de férick pacha, le colonel anglais Gordon qui s'est
distingué en Chine dans la guerre contre les rebelles.
Il est partisan de l'abolition de Pesclavage. Doué d'un
excellent jugement, d'un courage et d'une fernieté in-
domptables, cet officier portera, j'en suis certain, un coup
mortel à la traite. Cependant, on a tout lieu de craindre
qu'il ne soit pas secondé par les populations du Soudan,
par tes marchands arabes et par les gouverneurs musul-
mans, qui tirent un proût considérable de la traite. Pour-
59
catholique pourra seule Beconder efficacement le gouver-
neur anglais dans son entreprise.
^^ Le 19 décembre 1875, après avoir baptisé solennellement
quelques adultes, je Quittai El-Obeïd. Accompagné de mon
secrétaire, M. Paul Rossi, et d*autrefs personnes, je visitai
la station de Berber. Puis, montés sur dix chameaux,
nous entrâmes dans le désert et traversâmes les chaînes de
montagnes qui font partie du syQtènïe éthiopien et qui sé-
parent le Nil de la mer Rouge. Nous y admirâmes des fo-
jêls..pétrifiées et des pierres de granit et d'albâtre oriental.
Après quatorze jours de marche, nous arrivâmes à Souakim,
sur la mer Rouge, où je célébrai la messe, la première,
peut être, depuis treize siècles, qui ait été célébrée, selon le
rite catholique, sur ces plages riantes de la Nubie. Je visi-
tai les chrétiens de tous les rites, et je m'embarquai sur un
i)ateau à vapeur du gouvernement égyptien qui, en quatre
jours, me transporta à Suez où noQS fûmes très-bien ac*
cueillis par les RR. PP. Mineurs Réformés. Deux jours
après, nous arrivions sains et «aufs au Grand-Caire.
^^ Ici, je ne dois point passer sous silence un bienfait in-
signe de M. le commandeur Geschini, agent diplomatique
et consul général d'Autriche près du khédive. M. Ceschini
représenta si bien au souveram de l'Egypte la nécessité de
deux établissements au Caire pour acclimater les mission-
nalres et les Sœurs destinés à l'apostolat de l'Afrique cen-
trale, que le khédive m'accorda gratuitement dans le quar.
tier Ismaelieh, un terrain qui valait 43,000 fr. J'ai fait cons-
truire sur cet emplacement, l'un des plus magnifiques de
la capitale, deux établissements à deux étages, et j'espère
que la générosité des bienfaiteurs d'Europe m'aidera à les
achever. Depuis le mois de juillet 1876, les missionnaires
-de l'Institut de Vérone et les Religieuses de Saint- Joseph de
l'Apparition y sont installés. Depuis 1867, ils résidaient au
Vieux-Caire, dans des maisons louées.
" Ayant reçu du cardinal Franchi, préfet de la Propa-
gande, l'invitation de me rendre à Rome, je quittai l'Egypte
et j'arrivai à Rome en avril 1876.
^^ Pendant mon absence, les missionnaires de l'Afrique
centrale convertirent plusieurs païens. Un de mes projets
était d'élever, loin des musulmans, avec qui ils couraient
risque de perdre la foi, les nègres et les négresses conver-
ties. Se conformant à ma pensée, Les missionnaires ou-
vrirent, dans la plaine des Malbes, qui est pourvue d'eau
et de terrains propres i la culture, une colonie de néophytes
instruits dans les établissements du Kordofan. La colonie
60
•
de Malbes offre aussi le moyen d'enseigner aux néophytes
Tagriculture et divers métiers, et elle Bert^ en outre, de
maison de repos aux malades de la miission du Kordofan.
Cette colonie croîtra et deviendra peu à peu, sous la direo
tion des missionnaires et des religienses, une .ville tonte
peuplée d'indigèues catholiques. On fera la même chose
pour Khartoum, en créant la colonie de Géref. et ainsi pour
toutes les missions du vicariat, où domine Tislamisme.
X •
CONCLUSION
'' Il est temps de terminer ce simple aperçu historique.
Ainsi que je Tai dit au début, Papostolat de l'Afrique cen-
trale est une œuvre née au pied du Calvaire, qui porte Tem-
preinte et le sceau adorable de la croix ; c'est donc une
œuvre vraiment divine. Le Sauveur du monde opère ses
merveilleuses conquêtes sur les âmes par la force de la croix.
Après avoir détruit Tidolâtrie et renversé les temples païens,
la croix a vaincu les puissances de l'abîme, et elle est deve-
nue, selon la parole de saint Léon, non plus l'autel d'un
seul temple, mais l'autel du monde. De l'humble montagne
du Golgotha, la croix a reïftpli l'univers ; elle est adorée
dans les temples, vénérée dans les palais ; invoquée sur
les drapeaux des armées et sur les pavillons des navires;
elle honore le front des monarques et la poitrine des hé-
ros ; elle est partout, sur la terre, sur la mer et dans le cieL
'* Née et ayant grandi au milieu des ronces et des épines,
l'œuvre de la rédemption de la Nigritie donne une idée de
son prodigieux développement et de son avenir prospère.
La croix est la force qui changera l'Afrique centrale en une
terre de bénédiction et de salut. S^ cent millions d'infi-
dèles seront conquis à la vraie foi, non par une force qui
déracine les cèdres du Liban et fait trembler les déserts de
Cadès, qui heurte et ruine les armées, met en déroute et
disperse comme de la peussière les nations et les empires;
mais par une force puissante et douce, qui régénère et des-
cend comme une rosée céleste au plus intime de l'àme ;
par cette force divine, dont le Nazaréen, de l'infâme gibet^
où il était élevé de terre, une main étendue vers l'Orient,
unit, en les embrassant d'un regard, toutes les parties da
tnonde, et fait entrer tous les élus dans son Eglise ; par cette
force qui, des mains transpercées du nouveau Samson^ fit
crouler les colonnes du temple abominable où, depuis tant
de siècles, Satan accueillait les adorateurs du monde, et qnl
a élevé sur ses ruines l'adorable étendard de la croix, en
attirant à lui toutes choses : Si exalteUus fuero à terra^ omnia
traham ad me ips^um, ( Joan. xiï, 32. ) "
MISSIONS DE L'AFRIQUE ÉQUATORIALK
Daos ces derniers temps, rattentlon des savants et des-
commerçants a été attirée vers TAfrique Centrale, vers ce
pays inexploré jusqu'à ces années dernières et qu'on croyait
inabordable tant i cause du climat qu'à cause des mœurs
de ses habitants.
Les voyages de Livingstone, die Gameron, de Stanley ont
jeté un peu de lumière sur ce poiût du monde ; la Belgique
a organisé, avec le concoars des principaux gouvernements
européens, une expédition dite intematiotiale dans le but
d'explorer ces contrées au profit de la science, et des hom-
mes du conimerce en font autant dans des vues de négoce.
L'Eglise ne pouvait se laisser devancer ni par la science,
ni par l'intérêt; on a vu, dans notre dernier numéro
(Octobe 1878) l'historique des travaux entrepris par Mgr«
Comboni au sud de TEgypte, mais dont le champ de juri-
dietion ne s'étend guère plus loin qu'au 15me degré latitu-
de nord ; aujourd'hui il s'agit de la fondation d'une Mis-
sion à l'Equateur même, vers ce point de l'Afrique où l'on
avait pensé qu'aucun européen ne pouvait pénétrer vu son
ciel de feu, son air embrasé, ses sables brûlants et ses habi-
tans si barbares.
C'est Pie IK qui en a eu la première idée, c'est Léon XHI
qui l'exécute.
Rieu dans notre siècle ne surpassera en hardiesse et en
dévouement l'entreprise de cette mission dans l'Afrique-
éguatoriale.
Ce sont les Missionnaires d'Alger qui ont été chargés par
l'Eglise de cette gigantesque entreprise.
C'est aux annales des Missionnaires d'Alger : Œuvre de^
SL Àugmtm et de Ste. Monique^ que nous empruntons les
lettres, récits, etc, si pleins d'intérêt que nous allons lire
sur l'inauguration d« eette œuvre importante.
Dans une Circulaire à son clergé Mgr l'Evêque d'Alger
annonçait la nouvelle en ces termes :
" Messieurs et chers Collaborateurs,
" Comme je vous le disais dans ma Circulaire du 3 octo-
bre dernier, les œuvres de la Mission fondée parmi nous, il
62
•
y a dix années, Tet à rétabluiément desquelles vous avez
concouru avec tant de dévouement, se développant chaque
jour, et réclament^ de ma part, plus d'application et de
soins.
^^ Elles m'obligent, tn ce moment, à m'éloigner tempo-
rairement de vous, afin de m'occuper plus efficacement de
Missions nouvelles que le Saint Siège a daigné me confier.
" Par un premier rescrit de Sa Sainteté le pape Pie rX,
de glorieuse mémoire, et par un antre 'de notre Saint-Père
le pape Léon Xin, je viens d'être spécialement chargé de
pourvoir i la création, par la société des Missionnaires
d'Alger, dans l'Afrique éqnatoriale, de deux Missions consi-
dérables destinées à être érigées en vicariats apostoliques,
l'une sur le lac Tanganika, avec Kabébé pour annexe, et
l'autre sur les lacs Victoria et AlbertNyanza. Vous savez
tout l'intérêt qui s'attache à ces vastes régions. Explorées
d'abord par des voyageurs anglais, allemands et américains,
elles'sont ouvertes aujourd'hui, et une association puissante,
fondée à Bruxelles sous la présidence de S. iL le roi des
Belges, a entrepris de les conquérir à la science et à la ci-
vilisation par les efforts combinés de tous les peuples chrë^
tiens.
** 11 appartenait au Saint-Siège de couronner etde vivifier
tous ces efforts en leur assurant les bénédictions du ciel et
le concours dévoué, non plus de soldats isolés, comme ceux
qui ont marché jusqu'à ce jour à la conquête de l'Afrique
éqnatoriale, mais encore de véritables légions d'apôtres qui
y fixeront leurs demeures et se consacreront à la transfor-
mation de ces pauvres peuples encore plongés dans les té-
nèbres d'une barbarie sanglante.
" Certes, jamais entreprise ne fut plus digne du secours
de Dieu et ne mérita davantage les sympathies des cœurs
catholiques ; car, en portant les lumières de la foi parmi
les nègres idolâtres, elle aura pour résultat de guérir la
plaie affreuse qui pèse sur toute une race infortunée, celle
de Tesclavage.
^^ Il n'est pas, il est vrai, de mission en ce moment plus
difficile et plus périlleuse- Un climat de feu, l'ignorance
où Ton est encore des conditions d'une société presque sau-
63
▼âge, les maladies, l'éloignemeat, créeront à chaque par
de^ dangers nouveaux devant les premiers missionnaires,
comme ils les ont créés devant les hardis explorateurs Ga-
meron, Livingstone, Stanler, qui les ont précédés. Mais la
grice et la protection de Dieu ne leur manqueront pas, je
l'espère^ et c'est pour vous prier de les solliciter en leur
faveur, que je m'adresse à vous en ce moment.
'^ Onze d'entre eux se préparent à partir par l'un des
prochains courriers de Zanzibar, pour leur lointaine desti.
nation. Moi- même je me rends en Europe, pour régler
les affaires de ces nouvelles missions, et surtout leur àssu
rer des ressources qui, comme vous le comprendrez aisé-
ment, doivent être considérables."
Lt départ des Missionnaires d"* Afrique d^ Alger pour V Afrique
équatoriàle.
C'est le 25 mars, jour de l'Annonciation, que les pre-
miers apôtres de la Société des Misbionnaires d'Afrique
d'Alger sont partis de Marseille pour la nouveHe Mission
que le Saiat-Siége leur a confiée dans l'Afrique équatoriàle.
Que ce jour soit d'heureux augure pour ces envoyés de
Dieu, qui vont appeler à la résurrection, à la vie, ces pau-
vres âmes assises à l'ombre de la mort !
Ces ambitieux d'une gloire qui n'est pas humaine ont
écrit à Pierre dans la personne de Pie IX et de Léon Xm,
ils sont allés s'agenouiller i leurs pieds. '' Donnez-nous,
leur ont-ils dit, une partie, un lambeau des royaumes qui
sont plongés dans les ténèbres, nous voulons y porter la lu-
mière, qui seule éclaire les vrais enfants de Dieu. Nous
sommes prêts à endurer la soif, la faim, les supplices et ce
que BOUS avons déjà rencontré : la dérision. Là bas des
millions d'âmes dorment un funeste sommeil, elles atteo:
dent le signal du réveil pour se ranger autour de la croix.
Ces âmes sont à Jésus-Chrisr, nous voulons les lui rendre."
Dociles à la voix du Maître, ils sont partis, heureux et
contents, ils ont donné à Dieu leur terre natale, leurs affec-
tions, leurs espérances, lour vie, leur tombe ; et comme on
l'a dit quelque part : ^^ ils ont pris une croix au pied de la-
quelle leur mère ne sera pas, ils vont mourir dans les épine»
G4
d'une terre aride qui ne fleurira qu'après avoir dévoré
leurs ossements."
Après une longue préparation dans le silence et la re-
traite, ils ont pris le chemin de leur mission. Arrivés à
Zanzibar, ils vont pénétrer dans les antres de la barbarie,
vivre sous un ciel de feu, au milieu de peuplades sauvages
et comme le disait naguère leur vénérable Père, Mgr. TAr-
cbevêque d'Alger ; " Le pays que vous allez évangéliser
est, on le 9ait, le dernier asile des barbaries sans nom, de
Tabrutissement en apparence incurable, de l'anthropopha.
gie, du plus infâme esclavage."
£n songeant aux cruels tourments qui attendent ces veil.
lants missionnaires, nous nous rappelons cette scène émou-
vante due à la plume d'un éminent catholique, persuadé
qu'elle se renouvellera pour plusieurs des a^pôtres de l'A-
frique équatoriale.
Un missionnaire envoyé par son évoque dans un can.
ton éloigné, pour étudier si l'on y pouvait établir un prêtre,
arriva au t^rme de sa course sans argen]. et sans moyen de
revenir. De son dernier dollar, il avait acheté un flacon
de vin, aûn de pouvoir dire la messe, ressource suprême et
unique pour résister aux tortures de l'abandon.
£n ce lieu vivaient des hommes, des Européens, et
parmi eux des Français. Ils les avaient salués dans la lan-
gue de la patrie, et ces hommes, parce qu'il était prêtre, ne
lui avaient pis répondu. Il s'établit sous un arbre, et il vé-
cut des semaines entières, sans pain, de racines inconnues
qu'il essayait à tout risque
Un jour, il vit venir à lui un jeune homme grand et
beau, qui lui dit pour première parole : en grâce avcz-vous
à manger ? C'était un prêtre envoyé à sa recherche par l'é-
veque. 11 était mourant de fatigue et de faim... Il se cou-
clia par terre, implorant un peu de nourriture. L'autre
lui présenta les racines dont il se nourrissait lui-môme.
L'affamé n'y put toucher, et son hôte désolé entrevit dès
ce moment que l'infortuné mourrait de faim. Ce dernier
coup l'accabla
Les deux missionnaires, étendus sous le soleil brûlant,
pévorés de fièvre, se dirent: Nous mourrons ici. Que l'un
65.
dé naus fasse effort fit célàhre.sii6!(jbernièreme8iie £ il com-
mpBiera TaotreHat iwua.laéiiico&BtBibab • Ha- tûèreat an
■oort^poùr dire la rnssiei ::iie'80Tt ébhiit au pfenlier- arrivé.
Uv offrit le saint •8acri&oe>poui: son frëremourant, «tpoar
lui-anème gui comptait SBis^iDOttrir, et eette Téritabl^ messe
des morts dura près de trois heures: Enfin l&smortbond
put donner la sainte, hostie ài^agonisant. . Le martyr regar-
dait avec tendresse son frère marlyr défaillant an pied de
Tautel ; et celui-ci, admirait l'âme aogéiiqne de ce jeune
prêtre qui tombait si tranquille au lébut d.e la carrière. La
messe dite, le célébrantse^coucha auprès de son compagnon
et ils attendirent la mort, elle ne tarda pas. Dans ianuit
le 'jeune prêtre expirait. Son dernier soupir efUeura les
lèvres de son frère, qui ne put. qu'avec effort étendre la
main sur la tôte en signe de dernière bénédiction et de der-
nier adieu." C'est à ce prix que le bon Dieu fait des saints»
Voilà le sort qui attend plusieurs d'entre vous, Apôtres
de l'Afrique équatoriale ; Vous savez tous cela, et vous ne
refusez pas le calice: bien plus, vous avec réclamé l'hon-
neur de franchir ce seuil martel.
Une mort obscure sera sans doute le prix de vos héroï-
ques sacrifices, mais au livre de vie, tout sera iuscrit.
Les hommes incapables de comprendre votre sublime
mission^ dans l'aveuglement de leur pensée, répondront à
vos généreux efforts par le sourire de la pitié.
Hais qu'importe la désapprobation des hommes quand
on a l'approbation de Dieu. Pauvres insensés du siècle,
ouvrez donc les yeux et voyez les martyrs tomber autdur
de vous.
Ce n'est point de vous, âmes d'élite, que le Saint-Esprit
a dit : " Oculos suos stutiurunt dedinare in Urram'' Vos
regards sont toujours fixés vers le ciel, votre mère ne re-
cueillera pas votre dernier soupir, vous mourrez seuls,
sous le, regard de Dieu. Le sacrifice dans ce qu'il a de plus^
sublime, voilà la couronne que vous portez au front, en
attendant que le glaive du bourreau vous en donne ime
plus précieuse : la couronne du martyr;
Mères chrétiennes, vos enfants partent pour ne revetiir
sans doute jamais ; si ces lignes tombent sous vos yeux^^
3
66
loin dé vous attrister, qu'eUet tous comUent de joie* Ces
ÛIb que vous avec donnés à Dieu ne vous aemblent^ils pas
des saints? Quand le dernier aura combattu le bon comp
bat, quand le glaive du bourreau ou la misère n'en cou»
naîtra plus, d'autxes se lèveront, ils tomberont à leur tour,
et il y en aura toujours...
Voici maintenant quelques lettres des Missionnaires
d'Alger en route pour l'Afrique équatoriale ; les premières
SiHU écrites d'Aden, i la sortie de la mer Rouge, où ils ont
4ù faire un séjour forcé de qiiinze jours ; les autres sont
adressées de Zanzibar, au moment où ils se disposaient à
quitter la côte pour pénétrer dans l'intérieur de l'Afrique.
*' Aden, le 10 mai:i878.
^^ Grâce à vos bonnes prières et i celles des saintes âmes
qui s'intéressent à nous» notre voyage se fait fort heureuse*
ment. Depuis le mercredi saint, ce^ jour des derniers
adieux, les^choses ont marché rapidement: nous avons vu
disparaître tour à tour la Maison-Carrée, Notre-Dame
d'Afrique, l'Algérie, puis la France, puis la vieille Europe.
Dès que nous fûmes sortis de la Méditerranée, aucun de
nous n'eut plus même Tombre du mal de mer. Tous les
jours nous disions deux ou trois messes dans notre cabine,
chacun célébrait à son tour, les autres faisaient la sainte
communion.
^' On ne comprend bien le bonheur de monter chaque
jour au saint autel que lorsqu!on en est privé. Cette pri
vation sera l'une de nos plus grandes épreuves, durant
notre loug voyage.
^' Nous avons mis presque deux jours pour passer le canal
de Suez. Les vaisseaux y vont très-lentement et ne peu
vent se croiser qu'en certains endroits. Qumd on arrive
en gare, si un bateau est signalé, on attend qu'il arrive ; on
pard ainsi beaucoup de temps.
'' Dés que le soleil a disparu, on jette l'ancre et on ne se
remet en marche que lorsqu'il reparaît à l'horizon. Sans
cette précaution, on serait à peu près sûr d'échouer sur le
sable qui borde le goulet qu'il faut suivre.
** A Suez, j'ai été fort supris de voir les Arabes, revêtus
67
ûe gandouras blancheâ, blettes et noires, taillées absolu-
ment comme les nôtres, les manches étroites et longues et
un collet.
*' Durant les trois derniers jours que nous avons pass.és
sur la mer Rouge, la chaleur a été accablaurte. Il était im-
possible, pendant la nuit, de se livrer au sommeil, surtout
dans les cabines qui sont cependant bien aérées.
'^ Nous sommes arrivés à Aden dimanche matin. A peine
le YanhrTsé avait-il jeté l'ancre dans la rade, que des barques
de toutes les couleurs et de toutes* les formes l'entourèrent.
Nous entrâmes dans l'une d'elles avec nos valises, et sept
ou huit rameurs poussèrent Fembarcation vers la côte éloi--
gnée de plus d'un kilomètre. Gomme ils voyaient que
nous étions des nouveaux-venus, à qui on pouvait facile-
ment jouer quelque tour, ils passèrent tranquillement de-
Tant le débarcadaire. Us nous conduisireut dans une sorte
de baie où le bateau ne tarda pas à toucher le sable
Nous étions à plus de quatrd kilomètres du rivage : c'était
là, disaient-ils, qu'il fallait descendre, une troupe d'autres
nègres entourait en même temps la barque, et chacun se
disputait l'honneur de porter sur ses épaules les passagers
et les baggages. Vous pensez bien qu'ils n'étaient pas pous-
sés par des motifs d'amour pur, et que notre pauvre bourse
aurait bien à payer cher cette entrée triomphale. 11 fallut
toute l'éloquence et le regard terrible du P. Lourdel pour
déterminer nos bateliers à reprendre les rames et les autres
nègres à nous laisser. Le P. Pascal dut proAter des épau-
les luisantes d'un de nos futurs paroissiens, pour aller au
devant d'uù bon père Capucin, qui nous attendait sûr le ri-
vage.
** Enfin nous touchons la terre. Quel affreux pays que
cet Aden, vrai soupirail de l'Enfer par l'aspect et la cha-
leur I et pourtant sommes-nous obligés d'y passer deux se-
maines. Pas un arbre, pas un brin de verdure, des sables^
des.rochers calcinés et un soleil de feu qui oblige à rester
calfeutré dans les maisons une bonne partie de la journée»
Pour ne pas mourir de soif, on est obligé de distiller l'eau
de la mer qui coûte alors presque aussi cher que le vin : la
nourriture tant des hommes que des chevaux vient toute des
69
iX)]itrées voiçiaes. U 7 en a qui préte&dent que le Paradii
terrestre était ici ou du moins dans les environs^et que c*est
de TËden qu'Aden a tiré son nom. Je ne sais si cette opi-
nion est bien fondée, mais le fait est que ceux qui la pa-
tronnent doivent avouer, sMIs ont jamais vu Aden, que le
pays a bien changé depuis.
^^ Ajoutez à cela que les vivres y sont hors de prix. Heu-
reusement les bons Pères Capucins ont mis à notre disposi-
tion la maison et la chapelle qu'ils ont non loin du port.
Gomme Aden est à une certaine distance de la mer, les An-
glais ont fait bâtir sur le rivage bon nombre de maisons
qui sont occupées par des Européens et qui, si elles étaient
groupées, formeraient une petite ville.
<' C'est là Steamer-Point : nous sommes installés dans une
maison où les Apglais pourraient trouver que le confortable
laisse à désirer, mais où nous vivons au moins à peu de
frais. Nous avons un bon soldat irlandais à notre service
et un arabe qui nous fait la cuisine tant bien que mal. Quoi
qu'il en soit, chacun mange avec bon appétit, et la galtè et
l'entrain président à tous nod .repas.
** Nous avons vu ces jours derniers le fameux Charlie
de Zanzibar, dont parlent le voyageur anglais Cameron et
l'Américain Stanley. H se rend en France pour voir trois
de ses sœurs qu'il n'a pas vues depuis trente ans. Après le
sulian, il est, dit-il, le personnage le plus important de la
ville. C'est un homme d'une soixantaine d'années environ^
il aurait pu nous rendre de grands services à Zanzibar, car
il a l'air très-bon et très-serviable (1).
(I) Voici le por,tait qu'en trace Cameron dans le récit de son voyage à
travers l'Afrique : «• Charlie est un Français, un original qu'il faut con-
naître pour l'apprécier à sa juste valeur. De chef de cuisine au consulat
britannique, il est devenu l'un des notables de la ville. Tous les vaisseaux
de la marine anglaise qui arrivent dans le port, sont approvisionnés par
Charlie de viande, de boeuf et de pain frais, et le seul établissement qui,
dans l'île, approche d'un hôtel, lai appartient. On trouve chez lui des
collections d'objets de toute espèce, de toute nature. U ne sait ni lire,
ni écrire, n'a qu'une idée vague de ce qu'il possède, et se contente de
1
69
** Je termine en vous priant de ne pas nous oublier au
Saint Sacrifice. Ne nous ménagez pas vos bonnes prières.
Je vois tous les jours plus clairement combien Tesprit de
foi est nécessaire au missionnaire. Il -faut qu'il ne consi-
dère les choses que selon les lumières de la foi, et que son
plus grand désir soit de trouver des occasions de souffrir
pour Dieu. 'L'absence de la croix devrait être pour nous un
malheur véritable. Aimons donc la croix, soyons passion-
nés pour la croix. Quel bonheur qcye Notre.Seigneur nous
. juge dignes à.e soufErir quelque chose pour lui 1 "
Une autre lettre que les Missionnaires ont envoyée par le
même courrier, mais éci^ite quelques jours plus tard, nous
apprend que les croix tant désirées n'ont pas tardé à se pré*
-senter.
Steame^Point, 17 mai 1878.
" Décidément le bon Dieu bénit notre mission^ et nous
on avons la marque visible dans les premières épreuves
qnll nous envoie. La peinture qu'on avait faite du climat
d'Âden pendant notre traversée n'était pas de nature à nous
rassurer au sujet de notre séjour dans cette ville, j'ai voulu
attendre le dernier jour de la quinzaine que nous avons été
obligés d'y passer pour vous faire connaître l'effet qu'aurait
produit sur nous la chaleur accablante de cette contrée
aride et désolée. Nous étions tous en bonne santé en arri-
vant ici, mais nous n'avons pas tardé à nous apercevoir
qu'il n'y avait rien d'exagéré dans ce qu'on nous avait dit.
'^ Malgré toutes les précautions que nous avons prises,
pour nous préserver de la fièvre et des insolations, trois
Pères sont tombés malades quelques jours après notre ar-
rivée. Ce sont les Pères Livinhac, Delaunay et Barbot.
Ce dernier est à peu près remis, mais les dedx autres Pères
dire aux chalands : " Fouillez dans mes magasins ; si vous rencontrez ce
qui vous mangue, payez-le oe qufe (a vaudra.''
Il n'a pÀs appris Tanglais» a oublié une partie du français, et fait des
deux langues un patois amu^nt.
Inutile de dire que ses aiïaires sont en désordre ; néanmoins il pros-
père ; sans doute en raison de sa nature généreuse. Je crois que peu
de gens auraient le coui^'ge de le tromper.
70
BOnl encore bien faible», et s'iU n'étaient pas plas forts à
notre arrivée à Zanzibar, il leur sérail impossible de se
mettre en marche pour l'ialérieur. Vejaillez prier et faire
prier le bon Dieu de ne le pas permettre, et de nous accor-
der à tous la santé et les forces nécessaires pour pouvoir
faire son œuvre
'^ Les bons Pères Capucins sont venus hier d'Aden, dis-
tant d'environ 10 kilomètres, pour nous inviter à dîner. Ils
voulaient, en notre honneur, faire faire. une petite fête à
leurs enfants. Nos malades et les diverses courses que
nous sommes obligés de faire pour préparer notre embar-
quement ne nous ont pas permis d'accepter cette gracieuse
invitation, dont nous leur garderons uile sincère reconnais*
sance.
" Si le bon Dieu nous éprouve, il nous réserve aus?i des
t^onsolationsl Bon nombre de Portugais, ainsi que les sol-
dats de la garnison, presque tous Irlandais, se sont confes-
sés et ont fait la sainte communion dans notre chapalle»
" Hier soir, le bateau anglais de Zanzibar est arrivé ; il
nous apportait une lettre du P. Charmetant et du P. De-
niaud. Ils nous annoncent que tout va bien. Ils sont arri-
vés à Zanzibar le 30 avril et ont été accueillis avec une très-
grande charité par les Pères du Saint-Esprit, et en particu-
lier par le R. P. Horner.
" Le P. Charmetant. avant d'arriver à Aden, s'était fait
une entorse, et le P. Deniaud, pendant le voyage, a eu huit
jours de fièvre, mais la fièvre a disparuet ils s'occupent
activenient de préparer la caravane. Depuis qu'ils sont à
Zanzibar, l'eau est tombée en abondance ; ils sont arrivés
en pleine Masika (saison des pluies), contrairement h nos
calculs et à ce^iui arrive ordinairement, ils nous disent que
ces pluies extraordinaires ont changé les conditions clima-
tériques, et que nous arriverons au bon moment
^^ Nous quittons donc Steamer-Point sans regret, et pleins
de confiance en la divine providence, nous nous disposons
à entreprendre notre dernière étape pour Zanzibar."
Quinze jours plus tard, arrrivait en France le courrier de
Zanzibar apportant de bonnes nouvelles qui tendent à prou-
■
^
71
▼er que nos missionnaires ne comptent pas en vain sur la
protection dn ciel.
Zanzibar, le 31 mai 1878.
*' Dieu soit béni I nous Tenons de terminer la dernière
partie de notre Toyage sur mer, et nous son^nes enfin à
Zanzibar. Les RR. PP. Livinhac et Delaonay que nous
avions été obligés de faire embarquer avant le lever du so*
leil, à cause de la fièvre, se sont un peu remis sur le bateau,
particulièrement le P. Delaunay, qui est arrivé ici en
pleine santé. Le P. Livinhac, quoique bien moins fatigué
qu'à son départ d*Aden, n'est pas encore en état de se met-
tre immédiatement en route, mais nous pensons que queL-
ques jours de repos suffiront pour le remettre complète-
ment
^^ Le R. P. Horner et tous les religieux de la Congréga-
tion nous ont fait le plus sympathique accueil. Nous lo»
geons chez eux et leur tablé est la nôtre. Les PP. Charme-
tant et Deniaod ont fait merveille dans le peu de temps
qu'ils ont passé à Zanzibar ou à Bagamoyo.
^* Au rapport du R. P. Horner et de toutes les personnes
compétentes, il n'était pas possible de mieux faire en si peu
de temps. Aidés de bon renseignements fournis par les
Pères du Saint-Esprit, ils ont pu dans Tespace d'un mois or-
ganiser notre caravane. Les porteurs, au nombre de près
de trois cents, sont trouvés, les ballots sont prêts*; la saison
des pluies vient de finir, de sorte que dans une dizaine de
jours nous pourrons nous mettre en route. Arrivés les
derniers, nous devancerons de beaucoup les autres explora-
teurs et missionnaires.
^< Nous allons donc compléter nos achats, mettre en
ballots les bagages que. nous avons apportés d'Alger, et puis
nous abandonnant entre les mains de la Providence, nous
irons, aidés de la grâce, porter son saint nom à ces psuples
plongés depuis longtemps dans les ténèbres les plus épais
ses de la barbarie et de la mort
^^ Fasse le ciel que nous soyons tous de bons et saints
missionnaires 1
n
/' Veuillez^ mon bieo.çhj^r Père, nou^i recqxflI^f^lder aux
prières de nos confrères et les assurer qi^'il^ si,i^ont part à
nos peines et*à nos sacrifices.
" Noua espérons déployer nos deux bannières du Sacré-
Cœur,. précieuses ofl{randç3 des CarnaéH^s dj3 la cité Bu-
geaud, 1^ Lndemain^de la Pentecôte; leS^cré-Gœur sera
donc notre guide jusqu'aux lacsiViqtçrin et Albert-Nyanza^
jusqu'au Tanganyka et à Kab^bé, te^^m^s de nos missions
respectives.
• - 'a PASCAL,
*'. P. inissionnaire."
Le R. P. LivinhaC) quoique malade, écrit de l'hôpital de
Zanzibar au T..R. P* Deguerry, supérieur général :
" Zanzibar, le 31 mai 1878.
^' Malgré la faiblesse que m'a ^laissée la fièvre dont fai
été atteint à Aden, je veux vouç éeiire quelques mats, ayant
de m'enfoncer dans les profondeurs de TAfrique^ équato-
riale.. Le bon Dieu nous assiste de la manière la plus ma-
nifeste, et l'organisation rapide de notre caravane par les
Pèreâ Charmetant et Deniaud est un véritable miracle.
Les Belges, qui sont ici depuis le mois de décembre, n'ont
pas encore assez de porteurs... Des Anglais, venus avec le
P. Charmetant, n'en ont qu'une trentaine. Ils ne compren-
nent pas comment notre confrère a pu aller si vite en be-
sogne. " Ht in curribxis et hi in equi$^ nos autem in nomine
Dei nostri speravimus.' Celte intervention manifeste de
Dieu redouble notre confiance et notre courage
Faites faire des prières d'action de grâce tout en continuant
de faire prier pour demander les secours dont nous avons
besoin. Toutes les santés sont bonnes. Les Pères du
Saint-Esprit nous traitent comme leurs propres confrères.
Notre reconnaissance sera éternelle pour les membres de
cette Congrégation. Ce sont des hommes admirables ani*
mes d'un esprit vraiment apostolique.
" C'est de l'hôpital de Zanzibar que je vous écris. Le
P. Horner a voulu m'y faire entrer, me disant que les
soins des bonnes religieuses qui desserrent l'hôpital m»
rétabliraieiit plus promptement.
73
«
*' Vous m'excuserez si je ne vous écris pas plus longue-
ment, ma main trembleV je ïie sais trop pourquoi..., il me
semble cependant que je suis déjà fort, et si la caravane se
mettait en marche ce soir, je me garderais bien de rester
en arrière.
- " "Mon très-révérend et bien cher Père, nous lâcherons
de vous donner de nos nouvelles le plus souvent possible,
mais nos lettres seront bien exposées à s'égarer
'* Priez pour nous, s'il vous plaît,, nous penserons sou-
vent à vous et serons toujours vos enfants dévoués.
" Je vous prie d'agréer l'hommage du profond respect
et de l'affection filiale avec lesquels je suis,
" Mon très-révérend Père, Votre enfant tout dévoué,
*' Léon Livinhac,
'^ P. Miss."
Knfin le R. P. Charmetant donne les détails pleins d'in-
térêt qui suivent à Mgr l'archevêque d'Alger, dans deux
lettres adressées à ce vénérable Prélat :
Zanzibar, le 16 mai, 1878.
" Monseigneur et très-vénéré Père,
" Un navire français va quitter Zanzibar, j'en profite d'an-
tant plus volontiers pour vous écrire que la malle ne part
d'ici que dans quinze jours, et que j'ai de bonnes nouvelles
à annoncer à Votre Grandeur.
*'*■ Ma dernière lettre vous disait nos angoisses au sujet
des porteurs, chaque homme, en effet, ne consent jamais à
porter plus de 35 kilogrammes pour sa charge : il faut donc
troîB hommes pour un quintal 1 Or, comme tout calcul fait,
tant pour un voyage de six mois au moins, que pour nourrir
dix Pères pendant un an, il faut au moins cent quintaux
(non compris les outils, provisions, etc.), d'étoffes, verrote-
ries, sel, perles et mille autres objets d'échange ayant
seuls une valeur dan» ces différents pays, c'est donc au
moins trois cents porteurs qu'il me fallait trouver, puisque
ici tout portage se fait à dos d'hommes. Or, depuis long-
itemps, par suite de Tabolltion de la traite, il n'en venait
j^lus de l'intérieur. Eh outre, les Anglais, Allemands et
74
Belges avaient accepté tout ce gui se troure encore épaiB à
Zanzibar, soit pour leurs travaux de route, soit pour le voy-
age dans l'intérieur, et cela à des prix exagérés. Aussi,.
tous ici, tant laïques que religieux, nous faisaient entrevoir
qu'il nous faudrait attendre au moins trois ou quatre mois^
peut-ôtre davantage, pour recruter ce qui nous serait même
strictement nécessaire pour partir, quitte à faire suivre le
reste plus tard à l'aide de porteurs que nous enverrions de
l'intérieur. Cette perspective me tourmentait, car ici, (contre
toutes mes prévisions), la vie et le logement sont excessive»
ment chers. Aucun indigène ne consent à louer sa maison
pour moins d'un an, ne dût-on l'habiteT que huit jours ; et
ces loyers sont toujours très-chers. Jusque-là, je n'ai rien
pu trouver à moins de cinq cents francs* Pour la nourriture
et les faux frais, il faut au moins cinq francs par jour et
par tête, ce serait donc pour nous tous environ soixante
francs par jour, soit quinze cents francs par mois.
" Dans notre détresse, nous avons confié, le P. Deniaud
et moi, cette embarrassante affaire de porteurs et d'un séjour
prolongé ici, à Saint-Joseph, en le priant de nous tirer de
peine. Il l'a fait cette semaine de la manière la plus
imprévue et la plus admirable.
" Ne trouvant rien à Zanzibar que nous avions battu et
fait battre dans tous les, sens, nous nous rendîmes à
Bagamoyo d'où partent les caravanes, afin de poursuivre
là nos recherches. A peine étions-nous arrivés dans le
magnifique établissement que les Pères du Saint-Esprit
possèdent sur ce point de la côte, qu'on vient leur annoncer
que de nombreuses caravanes arrivaient de l'Ounyamouési,
amenées par des Arabes, avec de l'ivoire en quantité consi-
dérable. Or, depuis quatre mois, aucune caravane n'était
venue. Je me rendis aussitôt, avec une lettre que m'avait
donnée le sultan, chez le gouverneur de Bagamoyo ; et le
môme jour, par l'intermédiaire d'un Arabe, riche et influent
que m'ont fait connaître les Pères du Saint-Esprit à qui il
est tout dévoué, je pus arrêter, séance tenante, la plupart
des porteurs ou pagazis qui nous seront nécessaires^ au prix
de cent francs l'un (non compris la nourriture qui est &
notre charge), pour toute la durée du voyage de Bagamoyo-
75
i rOunyamouési leur pays, quand même il faudrait quatre
ou cinq mois pour arriver à ce point qui est à peu près à
moitié de la route des grands lacs. C'est à cet endroit
même que les deux Missions devront se séparer pour aller,
l'une à Ujiji, Tautre au Nyanza. On trouve toujours à
engager là de nouveaux porteurs, d'ailleurs nous y trou-
verons M. Philippe Broyon et Mirambo, sur la protection
desquels nous pouvons maintenant compter. Selon vos
instructions, ce sont deux indigènes riches et influents du
pays que nous avons choisis pour traiter raffaire de la
caravane, sous leur responsabilité: L'un est un Arabe et il
dépend du sultan, l'autre est un Hindi et, comme tel, est
sujet anglais. Il dépend donc entièrement du consul d'An-
gleterre, M. Kirk, pour lequel M. Playfair nous a remis
une lettre et qui a promis son concours en toutes choses,
car il aime beaucoup la Mission catholique des Pères de
Zanzibar. Il nous a offert de lui-même de nous remettre
une lettre de recommandation pour Mirambo, le plus puis-
sant chef noir de l'intérieur, et qui occupe le territoire
situé entre rOunyamouési, le Tanganyka et le lac Victoria»
Ce chef vient d'écrire ces jours-ci à M. Kirk, en lui envoyant
dix défenses d'éléphant, tandis qu'il n'en a envoyé que six
au sultan de Zanzibar, montrant par là qu'il mettait l'al-
liance des Européens et surtout de l'Angleterre au-dessus
de celle des Arabes, avec lesquels il a soutenu une guerre
acharnée pendant plusieurs années.
" Depuis que les pagazis sont trouvés, je suis absorbé par
les acquisitions nécessaires à nos Pères, tant pour ce long
voyage que pour leurs besoins une fois sur le lieu de leur
mission. De ce côté encore, la Divine Providence nous a par
ticulièrement aidés. J'ai vu et questionné à Bagamoyo les
Arabes arrivant de l'intérieur avec leurs caravanes d'ivoire.
Us m'ont donné les renseignements les plus précieux sur
les différentes qualités et quantités d'étofies, de perles et
autres articles nécessaires tant sur la route que dans les
. régions des lacs où nos Pères doivent résider; et c'est d'après
ces indications que je règle mes achats avec le concours
extrêmement bienveillant et éclairé de M. Grefifulhe, l'a-
gent de la maison de Marseille qui nous a ouvert son cré*
76
dit ; M, Greffulhe, ici, et M. Philippe Broyon, dans l'inlfr-
rieur, vont nous être bien précieux par la connaissance
spéciale qu'a le premier des affaires de ce pays et par l*in-
iluence que possède le second dans l'intérieur où il est allé
résider afin de diriger des expéditions commerciales. Le
Père Horner nous assure que l'un et l'autre sont dignes de
toute confiance pour lav-procure. Jusque-là tout semble
donc aller providentiellement quant à la caravane ; les
Pères du Saint-Esprit en paraissent vraiment surpris, car
ils ont vu les difficultés des expéditions qui ont précédé la
nôtre. Il n'y a qu'un seul point qui pourrait tout compro-
mettre ; ce sont les finances. Depuis que je vois de près
.les choses, je suis effrayé, je l'avoue, de la dépense que va
nécessiter l'organisation d'une première expédition de ce
genre, et de tout ce qu'il faut porter non-seulement pour
que nos Pères aient de quoi vivre et s'installer une pre-
mière année dans l'intérieur de cette Afrique équatoriale,
mais encore : 1® pour leur nourriture et celle de plus de
quatre cents hommes (tant porteurs que gens armés) qui
sont absolument à notre charge tout le temps que durera
ce long voyage ; 2^ pour le paiement de tous les membres
de cette caravane, paiement qui, cnmme tout le reste, n'a
lieu qu'en marchandises et une fois arrivés, sans quoi la
plupart déserteraient ; S» pour le droit dé passage de vil-
lage à village, de tribu à tribu, sorte de douane arbitraire
et exorbitante, dont les Anglais ont encore élevé le taux
par leurs prodigalités. 11 y a môme sur la route un cer-
tain nombre de grands chefs qu'on ne peut se rendre favo-
rables qu'en leur faisant des cadeaux princiers. Ils pré-
fèrent surtout ce qu'on appelle ici le manteau royal, sorte
de large douillette en soie ou alpaga avec broderies de soie-
coloriée, et brandebourgs d'or et d'argent. Il y en a de-
puis cinquante francs jusqu'à cinq cents francs. J'en ai
fait faire douze, dont six de qualité ordinaire, pour les dif-
férents chefs voisins des deux stations du Tanganyka et
des Nyanza, car si les Pères, dès le principe, parviennent à
se rendre. favorables les différents chefs qui les entourent,
tout est gagné et leur situation est faite dans le pays. Outre
ces roitelets, nos Pères vont avoir affaire à deux chefs puis-
77
sants et intelligents entre tous, dont rinilaence est très-
étendue : c'est Mirambo dont j'ai déjà parlé et Mtésa, ce
roi descendant d'anciens chrétiens Abyssiniens, qui est le
BOurerain de l'Ouganda et du territoire qui sépare les deux
Myanza. Gomme il faut absolument les gagner, j'ai pensé
envoyer à chacun un présent digne d'eux, je fais faire pour
l'un et pour l'autre uu superbe. manteau royal très-riche
mais très-cher.
'^ Tout cela va nécessiter des dépenses considérables et
cependant rigoureusement nécessaires, comme Votre Gran-
deur peut en juger. Je doute que la somme de quatre
cent mille francs puisse sufBre. Il est donc possible que
je sois obligé de dépasser cette somme. — Je ne le ferai que
si je constate une absolue nécessité^ car je suis bien: sûr que
l'intention de Votre Grandeur est que nous ne compromet-
tions pas une telle œuvre par d'imprudentes économies : je
crois qu'il vaut mieux faire toute chose comme il faut, la
première fois, plus tard, on verra ; ce sera à bien meilleur
compte.
*' M. Greffulhe m'a déjà assuré de lui-même que si le
crédit actuel ne suffisait pas, il nous ferait toutes les avan-
ces dont nous aurions besoin. Je vous serais donc recon-
ifaissant, Monseigneur, d'écrire le plus tôt possible à M. Ra-
l)aud, que si toutefois mes traites sur M. Combes dépassent
les chiffres prévus, il veuille bien les accecter quand môme.
n'y aurait aussi à prévenir M. Combes. Tputefois, je le
répète, je ferai tout mon possible pour ne pas dépasser cette
somme.
^^ J'ai appris, avec reconnaissance, par vos télégrammes,
que l'Œuvre de la propagation de la foi répondait avec em-
pressement à la demande du Saint-Si^e, pour la fondation
de ces missions nouvelles ; je ne doute pas qu'il en soit de
même de la Sainte-Enfance, et nous aurons ainsi de quoi
satisfaire à nos obligations: sans eela c'est la ruine.
^^ Depuis quelques jours la masika est cessé, le soleil a
reparu dans toute sa majesté équatoriale. Plus nous nous
rapprochons du solstice de juin, plus la température s'a-
doucit. C'est donc le bon moment de se mettre en route^
d'autant plus qiie, selon les Araibes venus de l'intérieur»
.78
Teau sera en abondance le long an chemin à cause des der-
nières pluies, ce qui n'a pas toujours lieu. Je pense que ioat
sera prêt pour que les Pères puissent partir dès qu'ils se se-
ront un peu reposés et que les colis qu'ils apportent d'Eu-
rope seront emballés. Nous les attendons le 30 mai. Le
moment présent est donc celui de notre grosse besogne.
" Votre enfant affectionné,
F. Charmetant^
" Prêtre miss."
" Zanzibar, ce 30 mai 1878.
" Monseigneur -et Très-Vénéré Père,
^' Je ne veux pas laisser repartir le courrier d'Europe
sans vous dire combien, grâce sans doute aux nombreuses
prières qui, de toute part, s'élèvent pour nous, notre Missiou
de l'Afrique équatoriale est visiblement assistée de Dieu. —
Maintenant que tout est fini et que je considère ce qui vient
d'être fait en moins d'un mois, ici, à Zanzibar et à Bagamo-
70, cù nous avons conduit toutes les provisions d'échange et
de roule, et où nous avons réuni les trois cents porteurs qui
seront nécessaires à une semblable caravane, maintenanl|
dis-je, que je considère tout cela aujourd'hui, je m%
demande comment, sans un miracle d'en haut, tout cela a
pu se faire ainsi sans difficultés, sans entraves, en aussi peu
de temps et avec un succès aussi complet 7 J'avoue que
pendant ce mois de dur labeur et de préoccupations
écrasantes, nous avons senti, le Père Deniaud et moi, l'as-
sistance de Dieu, au milieu des mille et mille préparatifs
que nécessite l'organisation d'une caravane devant suffire à
un voyage de huit mois au moins pour des missionnaires
qui, en outre, doivent s'installer dans deux stations diffé-
rentes ety attendre peut-être un an avant d'être ravitaillés ;
tout cela dans un pays où aucune monnaie n'a cours, à Tex-
ception d'étoffes ou autres objets d'échange, qu'on esi rigou-
reusement obligé déporter avec soi.-^Aussi n'avons-noas
pas hésité à y aller assez largement pour cette première ex-
pédition, qu'il importe de ne pas compromettre par d'intem*
pestives économies. C^s provisions d'échange, jointes aux
79
provisions de routa et d'installation et aux colis particu
liera qu'apportent les Pères, s'élèveront au moins à cent
quintaux métriques tout compris, pour les dix Pères et leurs
deux stations. — Il faut trois porteurs pour un quintal, c'est
donc, au moins, trois cents pagazis que j'ai 4û trouver sur
la côte d'Afrique, en face de Zanzibar, et par un bonheur
inespéré, ils sont aujourd'hui tous réunis & Bagamoyo, au-
près des Pères du Saint-Esprit, et attendent notre départ,
qui pourrait avoir lieu demain, si les Pères n'avaient be-
soin de se rétablir des fatigues de leur rude voyage sur
mer. Nous pensons quitter S^nzibar dans huit jours, et
Bagamoyo, le lundi de la Pentecôte, sous les auspices du
Saint-Esprit, qui conduisait les apôtres.
^< Une telle promptitude a stupéfié tout le monde ici. Le
consul de France nous disait encore hier au Père Deniaud
et à moi : " Vous avex réalisé une chose inouïe à Zanzibar,
c'est l'organisation d'une caravane pour dix hommes en 3
semaines, tandis que tous les explorateurs ont mis, jusque-
là, quatre ou cinq semaines pour préparer l'expédition qui
devait les conduire eux seuls ! " Il ajouta: ^^ Depuis plu-
sieurs mois déjà, nous avons ici, à Zanzibar, cinq expédi-
tions qui se préparent. Trois protestantes, une allemande
pour la science, et une belge pour l'exploration. Toutes se-
raient prêtes à. partir si elles avaient des pagazis (porteurs).
Ils. n'en trouvent point, quand vous.avfez les trois cents
dont vous avez besoin !" Nous les payons cent francs l'un
pour les trois ou quatre premiers mois de voyage jusqu'à
Tabora dans FOunyanyembe, noB^ compris la nourriture
que nous devons leur procurer en route. C'est donc notre
caravane, la dernière venue, qui s'ébranlera la première
comme le Saint-Siège le désirait et comme nous en avions
pris l'engagement vis-à-vis de luil Dieu le veut ainsi, en
faveur de la vérité et de ses apôtres ! A côté de tout cela il
y a eu l'épreuve. J'ai eu, entre autres misères, pendant 4
jours une fièvre ardente àBagamoyadans le moment môme
où nous faisions mettre nos marchandises en petits ballots
par nos porteurs. J'ai pu cependant, entre les accès, me
faire porter sur les lieux où travaliaient nos pagazis, pour
aider le Père Deniaud, en inscrivant tout ce qui entrait
80
-dans chaque ballot Novs tenions teint à ce que tootffti
achevé pour i'anrivée de nos Pères 1 Je fais mettre en ce me»
ment en petits ballots tout ce quHls ont apporté. Commd
ces casques, ces habits ûorês et ces plumets vont produire
de Teifet; mais que de dépenses I certainement quatre cent
Inille francs ne suilîront pas.
" Je pense pouvoir mettre moi-même nos confrères eiï
route : mais, hélas 1 il faudra m'àrréter comme Moïse à la
Sainte-Montagne, lés voir marcher vers la Terre-Promise
avec la Ibannière blanche à croix blene qn*ils ont apportée
d'Alger ; puis je devrai reprendre seul ce chemin d'Europe
-où je n'arriverai que dans la première quinzaine d'août, car
la prochaine malle ne quitte Zanzibar que le 30 juin.
" Votre enfant dévoué en Notre-Seigneur,
" Chabmetant,
" Prêtre Missionnaire.
" P. 5. — Le Père Livinhac nous est arrivé très-fatigné
depuis Aden. Le repos lui fera du bieu. Le Père Horner
nous rend de très-grand services. Ils a voulu nous avoir
chez lui : nous vivons en communauté à part et nous pay
ons toutes nos dépenses.^'
Mgr Lavigerie, eirchevôque d'Alger, écrivait le 20 oc-
tobre 1878 ; à la maison des Missionnaires d'Alger à Paris.
''. Je voulais d'abord attendre le courrier de Zanzibar, qui
doit arriver à Alger vers la fin de ce mois, pour vous don
ner des nouvelles plus récentes et plus complètes des deux
compagnies de Missionnaires d'Alger parties, il y a deux
mois, pour se rendre aux grands lacs de l'Afrique équato-
riale.
" Je préfère, toute réflexion faite, vous communiquer les
nouvelles que nous avons déjà reçues, afin de vous donner
plus tôt ce témoignage de notre reconnaissance.
^* Nos missionnaires étaient déjà arrivés, à l'époque de
leurs dernières lettres & Mpouapoua, qui est à moitié che-
min du lieu où ils doivent se séparer^ pour aller créer deux
missions distinctes L'une de ces missions doit, comme
81
TOUS le saves, formée un pirenki^r Vreârîàt dont le ciëiatre
sera entre les lacs Victoria et Albert-Nyànsa, et l'autre ini
second vicariat aaiielàdU Ijsic'Tanganika.
(^ Je me borj;ie à voua' communiquer les détails qui regar-
dent le voyage de nos missionnaires. Je laisse de côlé ce
qui a trait à Torganisation 3ê leur caravane. Ces derniers
détails ressembleraient à tous ceux qui ont déjà été publiés
en Europe par les précédents explorateurs. Qu'il me suffise
de vous dire qu'il ne leur a pas fallu moins' de. quatre cent
cinquante nègres pour les accompagner et porter les objets
nécessaires aux échanges dans Tmtérieur, ainsi que ceux qui
serviront à leurs nouveaux établissements.
^' C'est au commencement du mois de juin que les Pères
d'Alger ont quitté la côte pour pénétrer dans l'intérieur de
l'Afrique. Depuis ce temps, les nouvelles que nous avons
xeçues d'eux, à plusieurs reprises, sont bonnes, grâces ^à
Dieu. Tandis que la caravane des explorateurs belges su-
bissait un échec qui paraissait devoir prendre d'abord les
proportions d'un désastre, nos missionnaires franchissaient
heureusement les premiers obstacles, sous la visible protec*
lion de Notre-Seigneur. Espérons qu'elle les suivra jus-
qu'au bout de leur grande et périlleuse entreprise et que
PÉglise catholique aura la première l'honneur et la joie de
prendre possession avec eux de tant de contrées encore in-
iconnues.
^^ En attendant le journal de voyage que nos frères
doivent nous envoyer tous lea trois mois, je vous commu-
nique, sous ce pli, quelques extraits de leurs lettres adres-
sées, soit à leurs confrères, spit à moi«méme.
'^ J'espère que ces premiers renseignements intéresseront
vos pieux associés et les exciteront à unir leurs prières aux
nôtres pour assurer le succès d'une si importante entrepri.
se.
^^ A leurs prières quelques-uns d'entre eux voudront, sans
doute, joindre aussi leurs aumônes ; car, Je ne le vous cache
pas, mon grand spuci est de'poomroijr aux frais d'une expé -
^ition aussi coûteuse et de ne pas laisser mes pauvres en*
iants exposés à maaquer de tout. .
*^ La fondation de missions semj^lsbles sort de toutes lea
• 82
proportioas ordinaires et exige des dépenies auxquelles une
ŒuYre seule ne saurait suffire.
" f Charlbs,
" Archevêque d'Alger. "
JOURNAL d'un missionnaire. — LB DÉPART,
Aujourd'hui, 16 juin, jour cher à toutes les âmes qui
aiment le Sacré-Cœur, et fête de la Sainte-Trinité, est le der-
nier jour que nos missionnaires vont passer avec des Eu-
ropéens : demain, ils vont traverser le Kingani, et s*avan*
cer seuls avec leurs noirs compagnons de route vers les tri-
bus de l'inférieur.
Le soir, je me rends au camp de Ghambâ pour faire la
distribution des munitions à Tescopte armée, et donner les
dernières instructions, afln que dès le matin la caravane
s'ébranle et se mette en mcarche vers la prejtnière étape, au-
delà du fleuve. J'envoie aussi le capitaine de la troupe
pour traiter le passage de ce fleuve. A l'aide d'énormes
pirogues taillées dans un tronc d'arbre par des nègres, qui
se sont réservé ainsi le monopole du passage, on arrive sur
la rive opposée du fleuve.
Je reviens à Bagamoyo, harassé de fatigue, après avoir
assigné à chaque missionnaire la place qu'il devra occuper
pencTant la marche de la caravane.
Pour la bonne surveillance d'une caravane aussi consi
dérable, on décida que deux misssionnaires, le P« Promeau
et le F. Amans, seraient à ravant-garde,-les PP. Deniaud
et Delaunay surveilleraient le centre de la colonne ; et enfin
les deux supérieurs de mission les PP. Livinhac et Pascal
fermeraient la marche avec Jes autres Pérès. Ce serait Té-
tat-major.
Dès le matin, vers six heures, je quitte la Mission de Ba-
gamoyo avec le Père Baur et le Frère Osear qui ont bien
voulu m'accompagner. Said Màkran, FArabe si dévoué, a
désiré voyager avec nous*
Chaque missionnaire a pris ses longues bottes de voyage^
car au-delà de Chambft, pour arriver au Ktûgani, il y a bien
83 .
des marais à traverser. J'aimais à les voir dans leur ac-
<}Outrement de voyage, le fusil sur Tépaule, la gourde au
côté, coiffés de leurs larges chapeaux de liège et montés
sur un âne, la seule bote domestique qui résiste un peu à
la terrible mouche venimduse, la tsétsé corum. Je n'avais,
pas de bottes, oo me fit prendre à«Bagamoyo une paire de
guêtres bien précieuses, celles de riUustre Livingstone, il
s'en servait quand la mort est venue le surprendre dans ses
excursions africaines. Tout ce qui lui appartenait avait été
religieusement apporté à la côte par ses deux fidèles 'servi-
teurs, les nègres Souzi et Ghouma, en môme temps que son
corps. Chose inexplicable, tous ces objets furent mis à l'en-,
can.
Les Pères ont acheté ses quôtres et le matelas sur lequel
il est mort. Il était en caoutchouc et divisé en trois parties.
La Maison-Française a acheté sa légendaire casquette : elle
se trouve à Marseille chez M. Rabaud.
Notre petite caravane cheminait paisiblement depuis quel-
que temps le long des étroits sentiers qui serpentent à travers
les champs de cannes à sucre, de manioc et de sorgho qui
entourent Bagamoyo.
Nos ânes, portant un bât pour la première fois de leur
vie, grâce à l'industrie du Père Barbot, s'avançaient mélan-
coliquement à la suite les uns des autres, tandis que leurs
cavaliers animaient la route de leurs joyeux propos, comme
des soldats en marché vers la frontière ennemie. Tout à
coup les éclats de joie redoublèrent^ le meilleur cavalier, le
Père Delaunay venait d'être jeté à terre par sa méchante
monture, avec armes et bagages: Le bât, encore, neuf, n'a-
vait pas été suffisamment sanglé ; et le rusé animal sentant
sa charge pencher à droite, donna uneadroite secousse de ce
côté et renversa son cavalier. On le rechargea et on con-
tinua la route. Au bout de dix minutes, nouvel accident
et nouvelle halte, encore le Père Delaunay par terre, mais
cette fois du côté opposé à la première fois.
Nous arrivâmes enfin sànd autre encombre au camp de
Ghambà que nous trouvâmes en déménagement pour se
rendre à la halte suivante^ selon les instructions que j^étais
venu donner la veille. Dés le matin, deux cents pagazis^
.84
ayant à leur tète le Père Dromeau et le Frère Amans
avaient pris la route du fleuve. Douze soldats de l'escorte
conduisant neuf ftnea porteurs des provisions les accompa-
gnaient.
Nous arrivâmes au camp vers neuf heures, il offrait ua
coup d'œil intéressant et animé: tout le monde semblait
prêt à partir : les ballots étaient dressés près d'un arbre,
sur leurs supports réunis en forme d'éperon, et attendant les
épaules des porteurs. I^es caisses sont -ficelées à chaque bout
des bâtons qui doivent aider à les porter ; des pagazis sont
assis par dessus et semblent attendre le signal du départ :
quelques-uns groupés en cercle, achèvent de prendre leur
frugal repas composé de racines de manioc cuites sous la
cendre et de grains de sorgho piles.
Un plus gr^nd nombre accroupis autour du foyer en
plein vent, qui a fait cuir leurs aUments, fument leurs
narguillés formés d'une calebasse au long col, servant de
tuyau, et d'un fourneau en forme de grosse pipe fixé à nn
roseau que Ton plonge dans la calebasse où se trouve l'eau
à travers laquelle passe la fumée.
Au milie^u de cette noire troupe d'hommes nus, les mis-
sionnaires plient leurs tentes, fixent leurs lits enroulés,
clouent des caisses ; et, par-dessus tout ce monde, le dra-
peau du Sacré-Cœur flotte au vent, c'est là notre signe de
ralliement. Tout cela donne un spectacle grandiose et peu
nsité, le Père Baur v*eut le prendre en photographie ; mais
l'ensemble original et le mouvement ne peuvent être re-
produits. La photographie demeurera bien au-dessous de
la réalité.
A notre arrivée, je fais partir encore une cinquantaine
de pagazis dans la direction du fleuve. Il m^est impossible
de faire partir les autres : leurs Kirangozis (chefs de groupe)
n'ont pas encore reçu leur Djoho du morceau d'étoffe rouge
dont ils se servent comme d'un manteau et quelquefois de
coiffure, en le roulant comme un turban autour de la tête.
Ils tiennent à cette manque de distinction et ne veulent pas
partir avant de l'avoir reçue. *I1 faut envoyer immédiate-
ment un exprès au Hindi à Bagamoyo. C'est vers deux
liôures que l'étofife arrive.. La distribiition faite, le camp*
85
se lève et tout ce monde se met en marche derrière la ban-
nière du Sacré-Cœur, le précieux drapeau est confié au
principal Kirangozi. Nos porteurs me demandent comme*,
dernière faveur de passer encore la nuit là, promettant de
partir le lendemain aux premières lueurs du jour. Je m'y
oppose, persuadé que les deux tiers retourneraient à Baga-
moyo pour y passer cette dernière nuit.
Les Pères Deniaud et Delaunay partent avec eux, ainsi
que le Frère Oscar. , Mais une centaine seulement sont là
pour partir. Les autres malgré notre défense et la vigi-
lance de quelques soldats de notre escorte ont trouvé le
moyen de reprendre le chemin de la ville. Nous nous dé-
cidons donc à passer la nuit là pour les attendre, et en re-
vanche leur imposer demain double marche.
Dans raprès-midi le lieutenant Wau)ier, un des trois
membres de l'expédition belge, nous arrive au camp avec
des habits trempés d'eau et de boue. L'explorateur était
allé au Kingani afin de jouir du coup d'œil, et de la ma-
nière qa'il fallait s'organiser pour faire passer sa carUvane
quand le moment du départ arriverait. L'expérience a
toujours été la meilleure des leçons. En revenant son
âne la jeté, dans les marais. Il se restaure un peu et re-
prend Ta route de Bagamoyo avec le Père Baur qui fait ses
adieux à mes confrères.
Les retardataires arrivent, le soir les uns après les autres,
•les derniers arrivent pendant la nuit. La dernière soirée
que j'ai passée avec. mes confrères laissera dans mon souve-
nir des traces bien profondes. Nous avons préparé nous-
mêmes notre souper, en creusant dans la terre un foyer à
la façon des Wouirya-Sfouêzi; par^dessus est la marmite
où cuit le riz ; à la flamme qui s'échappe tout autour nous
faisons rôtir une poule embrochée à une baguette fixée en
terre ; sous la cendre du brasier cuisent nos racines de ma-
nioc, ce sera désormais là le fond de la nourriture des mis-
sionnairôs. Le pain, ils n'en goûteront plus et pour vin
ils auront l'eau des fleuves, et quand celui-ci fera défaut :
l'eau fangeuse des fondrières.
Ce repas fut pris en plein air. La soLrée était délicieuse ;
dans l'enceinte du camp, nos pagazis, séparàs par groupes^.
• 86
autour de leurs feux, fumaient leurs narguillés rustiques,
en devisant avec ces éclats de voix propres à de pauvres
sauvages, tandis qu'à demi couchés ils étalaient leurs mem-
bres nus à la flamme de leurs foyers, dont les reflets tantôt
rouges, tantôt blafards, donnaient à ces corps de démon
une forme étrange et fantastique. Le bruit de leurs con-
versations cessa peu à peu avec les lueurs de leur feu. Ils
s'endormaient à terre sur leurs peaux de bœuf, ou sur leurs
pagnes déroulés, le seul morceau d'étofFe qu'ils portent au-
tour de leur ceinture en guise de vêtement.
Nous contemplions ce sï^ectacle nouveau pour nous, mais
qui pour les Pères partant allait devenir celui de chaque
soir; et nous prolongeâmes bien avant dans la nuit les
douces causeries du dernier entretien que nous avions en-
semble.
Il est recommandé à l'Européen de ne jamais s'exposer à
coucher à la belle étoile (ce que nous faisions si facilement
en Algérie), s'il veut éviter, dans ces contrées extrômemenl
humides, les plus sérieux accidents. Nous allâmes donc
prendre notre sommeil dans uae hutte de nègre en torchis
et recouverte en feuilles de cocotier.
Mardi, 18 juin.
Le lendemain nous trouvons à notre réveil la plupart de
nos retardataires prêts à partir. Nous levâmes le camp
vers six heures, après avoir pris un peu de café fait à la
bâte. Il restait encore cinq ballots sans porteurs, ces der-
niers n'étaient pas encore arrivés de Bagamoyo.
Nous laissons un soldat de confiance pour les attendre
et les accompagner pour nous rejoindre. Nous nous met-
tions en route quand un exprès, envoyé par le Père Baur,
me remit quelques lettres d'Europe qu'un courrier extraor-
dinaire avait apportées d'Aden à Zanzibar. La lecture de
ces lettres inattendues me fit du bien.
Notre marche vers le fleuve s'engage d^abord à travers
des champs de hauts maniocs, de moutama (sorgho sucré),
et de rizières à perte de vue. A une demi-heure du camp,
nous descendons une espèce de rampe qui sépare la mrima
du^bassin du fleuve, et du haut de laquelle la vue s'étend
«7
sur d'immenses marais qui ont; plus d'une liede de lar-
geur.
A vue d'œil, c'est une grande prairie, aux herbes hautes
de trois à quatre pieds, où les hippopotames viennent cha-
que ndit en toute sécurité prendre leur pâture, car les nè-
gres Jeurabandonnentcomplëtem0nt cette immense et riche
plaine, que quelques travaux d'assainissement, drainages
et canaux transformeraient en un sol éminemment propre
à la culture du riz et de la canne à sucre.
Derrière ces hautes herbes, notre œil ne découvrait pas
les fondrières boueuses, à travers lesquelles nous allions
nous engager.
Le R. P. Liviuhac écrit le 26 juin 1878 :
Nous n'avons pas encore quitté les terres basses, qui, de
rOcéan, s'étendent aux montagnes de TOussigoua. C'est
vous dire que nous sommes encore dans la région des
fièvres. Aussi cette importune visiteuse nous poursuit-elle
avec acharnement. Nous avançons quand n[iême, mais len-
tement; car outre la fièvre, nous avons affaire à des com-
pagnons de route qui ignorent toute espèce de discipline, et
qui ne font du chemin que ce qu'ils veulent.
Ces pauvres sauvages ont failli même, tout récemment,
faire la guerre entre eux ; et, sans notre intervention éner-
gique, qui a fini par être écoutée, je ne sais ce qui serait
arrivé.
Le conflit éclata entre les a$karis (1) et nos pahazis (2)..
Ces derniers sont tous de l'Ounyaraouëzi, dans l'intérieur,
tandis que les askaris viennent de la côte ou de Zanzibar
L'origine de la dispute tenait à bien peu de chose. C'était
un simple bouchon de bouteille, perdu par un soldat et
trouvé par un Ounyamouëzi qui aurait voulu en faire sa
propriété. Ces têtes de nègres se montent vite. Les deux
camps étaient déjà formés, les Qèches dans les arcs, les
lances levées, les fusils prêts à partir et le feu était mis aux
palissades et broussailles qui fermaieiit le camp. Heu-
(i). Gens de l'escorte ariQiôe.
(2). Lofi porteurs.
es
reusement nous avbns^vl te'Cem^ de â^as interposer, et la
paix a pu se rétablir. Mais nous serons probablememobli*
gés dé renvoyer <jùelqtiôB'brOuillôli9. •
Jusqu'à ce jour nous achetions et faisions distribuer
nous-mêmes le poelw (nourri tuîl^e) de û'os 450 hommes. Au-
jourd'hui, ils préfèrent ëû recevoir le prix et se la procu-
rer eux-mêmes. Ce sont dé vrais enfante*
Le môme missionnaire écrit le 4 juillet :
Notre caravane chemins, tout doucement à travers les fo-
rêts et les jungles de l'Afrique équatoriale. Nous voilà en
marche depuis dix-huit jours, et nous sommes à peine à
quarante lieues de la. côte. Ce qui nous console, c'est que
les quelques voyageurs qui nous ont précédés marchaient
encore plus lentement que nous sur cette route jusque-là si
peu fréquentée.
Nous avons tous été atteints de la fièvre dans l'Oukouéré ;
et ce n'est qu'à force de vomitifs et de quinine que nous
nous en sommes débarrassés. Nous sommes maintenant
dans un pays montagneux; nous espérons que l'air pur
nous remettra complètement.
Nous ne souffrons pas trop du soleil de Péquateur, qui, i
cette époque de l'année, est tolérable dans l'hémisphère aus-
tral : une moyenne de 30^ centigrades, à l'ombre. La nuit
dernière, nous n'avions sous la tente que 13o. Aussi faut-il
voir comme nos pagazis couvent leurs feux, rangés en cercle
autour de chaque foyer.
Je ne vous parle pas aujourd'hui de notre nouveau genre
de vie, ni de toutes les misères que nous avons à souffrir
dans ces pays sauvages. Je m'explique que beaucoup de
voyageurs européens aient fini par se décourager. Pour
nous, au contraire, c'est une consolation de souffrir pour le
bon Maître et poux les âmes qu'il a rachetées ; et tous nous
supportons gaiment les difficultés et les privations. Donc,
à la garde de Dieu, qui nous fait éprouver la vérité delà
parole de saint ï^aul : '' Je surabonde de joie au milieu des
tribulations. "
Quand pourrons^nous avoir de vos chères nouvelles?
Nous voilà séparés, et pour longtemps, de tout ce qui est
89
ciyili^é. C'a^t bi^];i Talontier? qu^ npissaoua passcTrions des
SQl^tioQs avec le mpDâ9'|y(di(ique,i8i.il0Uft?pautlonscoTres«
ppjadre avec nos s¥ipéri#u|(s.9t.no0>GOD£rère8*
- Le R. P. Deâiâiid écriî, W^ juUîet, dès Tyôrds de l'Ou-
geiingeri (Oussigoua) : ^ ■ ' .
Nous sommes en route depuis vingt-trois jours. Pendant
ôe temps, nous avons tous été visitée par la fièvre, chacun
à notre tour. Depuis que nous sommes dans TOussigoua,
Pair des montages nous a rendu la vie. ' Nôtre caravane,
composée de 450 hommes- va assez bien. Notiâ n'avons pas
eu, jusqu'à présent, toutes les misère* des Stanley, des Ca-
meron, etc., dont les pagarzis - désertaient chaque jour,,
souvent en emportant les nlarchandises cfni leur étaient
confiées. Noos n'en avons eu qu'un seul qui ait essayé do
s'enfuir. C'est un des soldats improvijsés de notre escorte
armée. Il emportait avec lui ses armef , qui toutes nous ap-
partiennent, une pièce de méricani([)^ et plusieurs pièces
d'étoifes de couleur qu'il avait volées aut autres soldats.
Dès que sa disparition fut remarquée, deux askarîs par-
tirent à sa recherche. Ils le rencontrërant: dans un village
où nous avions passé précédemment et dont le chef l'avait
fait arrêter et lier pour nous le reconduire. On Ta amené
au camp ; il y a subi un vrai conseil de guerre, à la suite
duquel ses anciens compagnons lui administrèrent une rude
bastonnade, puis on lui montra le chemin de Bagamoyo»
après lui avoir repris ses armes et Tétofftî volée.
Jusqu'à ce joiir, aucune des tribus nègres que nous avons
traversées n'a inquiété notre route. Une seule fois on a vou-
lu nous faire payer le hougo (2). C'est à Simbaraouéni,
ville de 5,000 habitants, capitale de l'Oussigoiia. Il parait
que la puissance de cette fameuse capitale est bien dimi
nuée. Sur notre réponse que le voua songou (le blanc) no
donnait pas le tribut à ceux qui, d'après la coutume établie,
ne lui apportaient pas de la nourriture en échange, le
représentant de la reine est allô chercner une méchante
(1). Cotonnade d'Amérique.
(2) Sorte de tribut ou droit de passage que certaines villos réclament
aux caravanes.
90
<:hèvre, que nous avons reluftte. Cependant nous n^étioss
campés qu*à un mille où deux de la rille ; et nous sommes
restés là deux jours aûu de faire des vivres pour la caravar
ne. C'est probablement la vue de ces dix hommes blancs
^t des armes de nos compagnons, qui a effrayé les indigè-
nes.
Ce malin nous avons, pour la seconde fois et sans trop de
difficultés, traversé TOugeringeri, un affluent du KingauL
Il avait à peine deux pieds d'eau sur une largeur de 20
mètres. Les bords, qui ont près de 4 mètres d'escarpement
abrut, n'offraient des difficultés que pour les ânes ; mais
nous les poussions dans Teau, et ils trouvaient bien le
moyen de sortir de l'autre bord.
Après-demain nous entrerons dans la plaine de la Makata,
qui, à la saison des pluies, devient un impraticable marais.
Certains voyageurs européens, Cameron surtout, y ont beau-
coup souffert* On dit que maintenant il n'y a aucune dif-
ficulté : La saison actuelle est certainement la meilleure
pour voyager. Depuis notre départ de Bagamoyo, nous
n'avons pas eu une demi-heure de pluie.
Le R. P. Livinhac écrit, le 16 juillet, de Ronga Oussa-
gara): ^ .
Voilà déjà un mois que notre caravane est en route. Le
temps m'a paru bien court, malgré les petites ntiisères
inhérentes à un pareil voyage. Et cependant nous n'avons
jusqu'ici qu'à remercier le bon Dieu. Nous rencontrons
encore moins de difficaltés que les explorateurs dont nous
vons lu les écrits. Nous désirerions parfois que nos
pagnzis fissent des étapes un peu moins courtes ; ils ne
marchent jamais plus de six heures par jour, et s'arrêtent
souvent après trois et quatre heures : ces braves gens ont
leur routine. Arrivés au campement qu'ils ont choisi, il
est absolument impossible de leur faire faire un pas de
plus.
Quant au détail de nos journées, c'eat à peu près la vie
de nos communautés ; sauf que le matin nous ne pouvons
dire que la prière en commun. Pour l'oraison, nous som-
mes obligés de la faire en route. Ce n'est pas qu3 nous
91
restions trop longtemps au liL Dès quatre heures et demie,
nous sommes sur pied pour plier les tentes et lever le camp ;
dé manière que, aux premières lueurs du jour qui com-
mence ^ci vers six heures en toute saison, la caravane
puisse^ s'ébranler, afin d*dtre au premier campement avant
les ardeurs de midi.
La sainte messe, hélas ! nous ne pouvons la célébrer que
bien rarement. C'est là notre plus grande priyation. Pour
comble de, malheur, la chaleur a fait ouvrir les quelques
petits barils de vio que nous avions apportés de la Maison-
Carrée ; (l) presque tout a coulé. Il ne nous en reste que
quelques litres, que nous avons pu sauver en le recueillant
dans les bouteilles que nous avions sous la main. Veuillez
donc nous en envoyer le plus tôt possible. (2) Pour éviter
tout accident, ne vous servez plus de*barils. Mettez le vin
dans des bouteilles en métal que vous placerez dans des
caisses très-portatives, et cependant assez solides pour voya-
ger jusqu'aux grands lacs, sur le dos de nègres fort peu
soigneux.
J'ai le plaisir de vous* apprendre que cette vie nomade ne
me fatigue pas du tout ; je me porte mieux qu'à la Maison-
Carrée ; et même, pour le quart d'heure, je suis un des plus
forts de la bande. Cependant j'ai id payer mon tribut à
l'Afrique équatoriale. Comme tous mes confrères, j'ai eu
plusieurs accès de fièvre ; mais l'ipéca et la quinine en
viennent à bout. Nous voyageons ordinairement à ânes,
car la tsétsé (3) ne les a pas encore décimés. Ces montures
nous rendent les plus grands services, surtout quand nous
avons la fièvre. Sans elles, il nous serait impossible de
( l) Yillago d'Algérie où se trouve la maison-mère des Missionnaires
d'Alger.
(2) A la première nourello de cet accident, le R. P. Homer, l'excellent
supérieur de la mission de Zanguebar, leur a envoyé une provision de
vin du Gap.
(3) Mouche dont la piqûre venimeuse est mortelle pour la plupart des
animaux domestiques. Elle n'existe que dans certainos régions du cen-
tre de l'Afrique.
92
faire l'élape. U est vrai que de temps 6ii temps nos ânes
trouvent moyen de nous jouer quelques tours. Dernièie*
ment le mien, plus têtu encore que son maître, s'est ren-
versé sur moi, au milieu d^me flaque d'eau boueuse.
Nous n'avons pas encore fait connaissance avec les bètes
féroces, qui, d'après ce qu'ont écrit les explorateurs, *sani-
Weraient pulluler dans l'intérieur de l'Afrique. Lions, élé-
phants, rhinocéros, se tienaent prudemment à l'écart, se
réservant sans doute pour plus tard.
Nous avons traversé, il y a quelques jours, la fameuse
rivière de Makata, qui va se jeter dans l'Ouami, après avoir
séparé TOussigoua. Bien que nous ne soyons pas dans U
saison des pluies, elle a, en ce moment, au moins de trois
à quatre mètres de profondeur. Pour passer d'une rive à
l'autre, nous n'avons* pas trouvé d'autre pont que quelqru^
arbres renversés et réunis, par de simples lianes. Nos ^
^azis mirent tout un jour pour traverser, avec leurs far-
deaux, de si vacillantes passerelles. Mes confrères et moi
nous dûmes le franchir à quatre pattes, non sans péril.
Et nos pauvres ânes, quelle peine ils nous donnèrent 1 II
fallait les jeter dans la rivière en les faisant rouler, le long
d'un talus, presque à pic, de deux à trois mètres de haut
Puis, au moyen d'une longue corde attacliée à leur cou, on
les tirait vers l'autre bord. Lorpqu'ils étaient arrivés là,
nous les hissions à force de bras. Nous en avons vingt ; il
nous fallut près de cinq heures pour les passer tous.
A part ces désagréments, l'Afrique équatoriale est un
pays remarquablement beau. Aujourd'hui nous campons
dans une plaine splendide, très-cultivée, et d'une fertilité
vraiment incroyable, au pied de hautes montagnes qui me
rappellent celles de notre Rouergue. Le moutama (sorgho
sucré), le manioc, les bananes, la canne à sucre abondent ;
il y a beaucoup de poules et de chèvres. Malheureusement
les Anglais ont passé par là, il n'y a pas longtemps. Selon
leur coutume, ces braves gens ont payé sans marchander;
aussi, malgré l'abondance du pays, nous n'avons pu nous
procurer une seule poule, tant on voulait nous les vendre
cher. Nous ne voulions pas sanctionner, pour l'avenir, de
.tels précédents.
93
Cette dernière expédition anglaise a fait un vrai tour de
force. Elle a pu amener jasque-là, après de longs mois
d'une marche pénible, de gros chariots ; mais la fatigue,
aidée de la tsétsé, a détroit le troupeau de bœufs employé à
cette besogne. Il a fallu abandonner là les véhicules ; et
nous avons été tout étonnés de rencontrer ces magnifiques
produits de la civilisation, dans un pays si primitif et si
sauvage.
Le R. P. Pascal écrit, le 18 juillet, à Mgr. Lavigerie :
Nous n'avons qu'à remercier le bon Dieu de la manière
dont tout a marché jusqu'ici. Nous avons eu, sans doute,
des épreuves, et nous en avons tous les jours ; mais peut-il
en être autrement et devons-nous nous attendre à autre
chose ? C'est l'œuvre de Dieu que nous' allons entreprendre,
chez un peuple jusqu'à présent délaissé; il' est évident
qu'une œuvre de cette nature ne peut se faire que lentement
et au milieu des plus grandes épreuves.
Tous les Pères ont eu à souffrir du climat, et actuellement
encore quatre ou cinq sont un peu malades. Tout cela.
Monseigneur, est loin de nous décourager, et Votre Gran-
deur peut croire que nouç n'en poursuivons pas notre route
avec moins de courage et de gaieté. Les Pères qui sont
malades sont soignés aussi bien que possible par ceux qui
sont bien portants; et, si ceux-ci tombent malades, à leur
tour, comme cela nous arrive ordinairement, ils sont soi-
gnés avec le même empressement et la même charité par
les autres jque le'bon Dieu a déjà rendus à la santé. Les
choses étant ainsi, nous ne pouvons que nous estimer heu^
reux et bénir le Seigneur des petites épreuves personnelles
qu'il nous envoie.
Je ne dis rien à Votre Grandeur des incidents qui nous
sont arrivés jusqu'ici, de .la beauté des pays que nous avens
traversés, des difficultés occasionnées par les mauvais che*
mius, des dispositions des indigènes ; tout cela sera relaté
dans les deux journaux qui vous seront envoyés tous les
trois mois.
Je crois devoir vous dire. Monseigneur, que, au fur et à
mesure que nous approchons de notre mission, nous sen-
94
tons croJtre notre amour pour elle. Nous ne sarons pas
si les peuples, qui, habitent sur le; bords des grands lacs,
sont aussi bons que les Ounyamouêzi ; mais nos porteur»
sont ordinairement si gais, d'un Tisage si ouvert, et ils pa-
raissent avoir une si grande confiance en nous que, si nous
étions établis au milieu d'eux, nous aurions, semble-t-il, en
peu de temps de bons chrétiens. Quoi qu'il en soit, Monsei-
gneur, nous marchons pleins de confiance en Dieu^ et nous
espérons qu'il mettra, dans les cœurs des peuples que nous
allons évangéliser, les dispositions nécessaires pour em-
brasser notre sainte religion.
Le même jour, le R. P. Pascal écrivait au R. P. Deguerry^
de Toupa (Oussagara) :
Grâces à Dieu, tout va maintenant- pour le mieux. Nos
pagazis, heureux de s'en retourner chez eux, semblent se
hâter davantage, à mesure qu'ils approchent de rOunyan-
yeoihé, leur pays. Ils ne nous feront donc pas faire de
trop longs séjours en route : et, dans un mois et demi, je
pense, à moins de contre-temps imprévu, nous seroQs dans
rOunyamouëzi, chez Mirambo, le principal chef de cette
contrée, homme actif, intelligent et très-dévoué aux Euro-
péens. ,
Bien que le pays que nous traversons actuellement soit
plus sain que la Mrima (1), la fièvre cependant continue
encore à nous visiter quelque peu. Il est bien rare que, au
moment des repas, nous soyons à table tous ensemble. Mais
ces épreuves sont loin de nous abattre. Nous continuons
notre route avec la môme gaieté et le même courage qu'au
départ.
Nous demandons à Dieu que toutes ces misères profitent
aux âmes, vers lesqlielles nous sommes envoyés. De votre
côté, veuillez prier pour nous. Dites aussi à nos frères da
noviciat et du soolasticat que nous comptons beaucoup
sur la ferveur de leurs prières. Veuillez leur recommander
chaudement cette œuvre, qui est la leur comme la nôtre.
(i), Nom indigène donné aux terres de la région maritiâie.
9S
Le R P. Livinhae ècriti le 27 juillet, de Hpouapoua, en
lace de l'Ougogo : '
n y a déjà plus de quarante jours que nous sommes en '
route ; et nous Toili enfin à Mpouapoua, à moitié chemin
de Tabora, dans l'Ounyanyembé, où nous devons changer
de pagazis, et où notre caravane se divisera, une moitié
pour prendre, au nord, la route des lacs Nyacza, qui se
trouvent sous Féquateur, l'autre pour continuer à Touest,
jusqu'au Tanganika.
Notre caravane ne marche pas trop mal maintenant Les
askaris surtout font un peu mieux leur devoir, depuis que
nous avons pris le parti de renvoyer sept ou huit brouillons,
qai montaient la tète aux autres. Le meilleur moyen de
venir à bout de ces pauvres gens, c'est de montrer une
grande fermeté. Quant aux déserteurs, si fréquents chez
nos devanciers, il n'y en a plus eu depuis celui de Simba-
mouéni.
Nous avons visité les ministres anglais, établis ici ; ils
nous ont bien regus. Le pays, depuis quelques jours, ne
nous parait pas aussi beau que le dit Stanley.
Les vivres sont chers à Mpouapoua, par suite sans doute
4e la présence des Anglais. Généralement tout a augmenté,
dans les pays où circulent le iplMBles voua songou (les blancs.)
Adieu, et priez pour nous.
Le môme jour, le R. P. Livinhac écrivait à Mgr Tarche-
vôque d'Alger :
Nous voilà arrivés à moitié chemin de rOunyamouézî,
ou plutôt de Tabora, centre important de ce royaume, où
nous changerons de porteurs, et où nous nous séparerons
pour prendre le chemin de nos missions respectives. Nous
devons rendre au Sacré-Cœur de Jésus et à la bonne Mère
de grandes actions de grâces, pour la protection qu'ils nous
ont accordée jusqu'ici. jQu'ils daignent nous la continuer !
Le plus difficile reste à faire. Nous allons entrer dans le
fameux Ougogo,pays des tributs exorbitants ; puis viendra
rOunyamouëzi, patrie de nos porteurs, et où, d'après tout
ce qu'on nous dit, les désertions ne manqueront probable-
ment pas. H faudra ensuite réorganiser les caravanes, et
\
1. ^. *
«6
^'€iD£^or t|in3de|.s99(ier$,:]siQa ioèoiOB oonnas (jue^^eor que
nous suivons maintenant. Nous ferons : de. iXiofere i niiecaY
nous confiant en la divine Bp^t^.
Le P. Pascal va, beaucoup pieux, ^çs pins fatigués en
ce moment sont lès. pp.. j>eiaunay e^t, bropipa;Ux et le
P. Amans. . .
. Là .-^'arrêtent les mcnLvelleSi SHes sont airivéeë à Alger par le dernier
courrier de Zauzibar et p^^liées d^iiB, H d^rni^r Numéro de VCSuore dt
8t, Augustin et de St. Monique.
Une note communiquée aux Journaux par la Société de géographie de
Marseille, annonce que Tabb'é Debaize est arrivé à Hpouapoua, lo ier
septembre, en retard de plus d*un mois sur les missionnaires d'Alger.
Quant à ceux-ci, ils étaient à dix-sept Jours de marche de Ourambo, soit
à quatre-vingts jours de murche de la côte.
. ** Les missionnaires d'Alger ont été reuoontrés â dix^^ept jours de
marche de Ourambo, par une çai^avane arabe arrivée à la côte ; ils avaient
déjà franchi TOugogo, cette contrée mal famée» mais non sans grandes
dépenses de marchandises, et il leur en restait malheureusement très-
peu."
A la réception de ces nouvelles, Mgr !*arcîievôque d'Aller s'est em-
pressé d'écrire à Zanzibar, pour faire ravitailler d'urgence la caravan»
de ses missionnaires. '.
>
I
w
PROPAGATION 01 LA FOI
ANNALES
DE LA*
mnœm n u
POUR LA PROVINOE DE QUEBEC
ajint 1678
(nouvelle: SERIE)
HUITIÈME NUMÉRO
MONTRÉAL :
«
^lE. iI>IMP£m££I£ CANADIENNE, 28, SUHM3T. GABRIEL
1879
•
Permis d'Imprimer,
Edouard Cil^ Ey. de Montréal
^UW^.
^
^
SC'^i
<
MISSIONS DES MONTAGNES ROCHEUSES.
lettre de la soeur icarib - wilfrid (soeur de la
proyidenge) a sa famille.
Missoula, 23 Octobrt 1878.
Bien cl^ers parents,
La présente est pour Tacquit de ma conscience ; je vous
avais promis un rapport de mon voyage, je vtens aujourd'hui,
tant bien que mal, essayer de vous esquisser toutes les péripé-
tieis de notre longue course dg Montréal à Missoula; me
voyant en face de la tâche, je regrette presque de m'y être
engagée, et je m!aperçois, un peu tard, qu'un récit de voyage
n'est pas chose aussi facile à faire que je pensais.
Maisenân, comme disait ce cher défunt*oncle B..., puisque
le vin est tiré, il faut le bgire.
A la mode des orateurs qui, en commençant, font connaî-
tre par quelques mots ce qui se?a la matière de leur discours,
je vous dirai, en deux mots, que notre voyage a été fatigant
et pénible en môme temps qu'heureux et providentiel ; le bon
DiQU, en maintes circonstances, nous a manifesté sa protec
kion et son secours : qu'il en soit loué et béni !
C'était le 3 septembre dernier, au soir, que nous quittions
Montréal, Âh I comme ce moment du départ a été pénible pour
mon pauvre cœur I C'est alors que j'ai senti combien je vous
aimais, que j'ai mesuré toute l'étendue de mon sacrifice 1
Le dernier coup de siiQet de la locomotive qui allait nous em-
porter mes compagnes et moi me fit penser au glaive qui
transperça Tâmo de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs ; j'invo-
quai cette bonne Mère qui sembla me dire à l'oreille du cœur :
Tu retrouveras en Dieu ce que tu sacrifie pour Dieu."
Nous étions déjà loin que je croyais encore vous voir tous
— 100 —
à la gare, aux fenêtres de notre voiture. Je ne Jormis point
cette première nuit, je la passai en esprit avec vous tous,
chers parents.
Le 4 septembre, jo]flr sèçabile et triste ; nous traversons le
Haut-Canada en longeant le lac Ontario psh* une pluie abon-
dante ; est-ce par sympathie pour nous que le ciel était som-
bre et pleurait ? Aux heures accoutumées des repas, nous
faisons assaut dans nos sacs si bien garnis ; l'abondance et le
choix judicieux des ' provisions fournies par les Sœurs de
notre communauté avant notre départ, nous font voir que
ce sont des cœurs amis qui ont présidé à ce petit enunagasi-
nage*.
Mais ce premier jour, mon cœur est encore si gonflé, qu'il
remplit ma jjbitrine, et ne laisse pas place pour la nourriture ;
je ne mange presque pas.
A dix heures dû soir, juste vingt-quatre heures après notre
départ, nous étions à Détroit.
Ah 1 je m'en souviendrai de Détroit ! Car ici, grande ins-
pection des bagages par la douane ; si tout le monde s'ac-
quittait de ses devoirs respectifs comme le font les officiers
de la douane américaine, les confessions seraient moins lon-
gues, et tout irait mieux, je pense, dans le monde. Tout de
môme, c'est ennuyeux de voir ces*employés sans précaution,
enfoncer la main dans tous les coins et recoins de nos malles
etisacs de voyage, tout bouleverser, tout chiffonner, el ne
recevoir en fin de compte pour dédommagement que le mot :
allright!
Après un retard de près d'une heure causé par l'inspection
des bagages qui étaient très considérables, nous nous remet-
tons en route, mais cette fois. sur le sol américain. Adieu I
beau Canada 1 Aurons-nous jamais le bonheur de te revoir ?
Dieu seul le sait.
Sur le territoire des Etats-Unis, je dors un peu mieux : bon
signe.
Le 5 au matin, lîous rentrons dans Chicago. " Une demi-
heure pour déjeûner," nous dit-on dans un anglais timbi* à
la yankee. Deux de notre groupe se détachent pour aller au
restaurant de la gare ; les garçons, faisant le service, pensent
avoir affaire à des dames qui ont le gousset bient garni, aussi
► —101 —
se présentent-ils avec l'air le plus obséquieux et le plus aima-
ble ; mais en nous voyant sortir Qotre théière de dessous notro
manteau et nous entendant leur demander la chanté d'une
pinte d'eau bouillante, leu^ figure s'allonge, le tableau
cljange ; toutefois on.se tie^t dans les bornes de la politesse.
Nous prenons notre déjeuner, comme nous avons pris nos
autres repas depuis notre départ, c'est4-dire, sur nos sièges
de voyage. Par ce procédé, nous nous dérangeons moins ;
une gazette, en guise de naj^^ est étendue sur nos genoux ;
chacun tire de son panier ce qu'elle croil devoir rencontrer
le goût de ses compagnes, le service de ferblanc est dressé sur
cette table formée par nos genoux,, et ainsi, servies, noiis
n'ayons pas besoin de moutaide pour aiguiser l'appétit .
Le quart^L'heure de Rabelais pour nous, c'est iorsqu'après
avoir remercié le bon Dieu, il nous faut laver la vaisselle ;
nous n'avions pas, avant ce jour, trouvé le secret défaire
cette besogne sans eau ; c'est un morceau de papier qui rem*
place tout ce dont on se sert dans un ipénage bien monté pour
le lavage de la vaisselle. Orâce aux lunettes de L'inlagina*
tion^ nous nous figurons que c'est net . N'est-ce pas que 1«
▼oyages rendent industrieux ?
De Chicago, nous longeons pendant un certain temps le
lac Michigan, et nous nous rendons à Burlington, étal de
rUUnois.
De Burlington, nous filons sur Omaha; les stations que
nous rencontrons avant d'arriver i cette grande ville nous
fournissent des voyageurs en si grand nombre que les sièges
ne peuvent recevoir tous les passagers ; la plupart sont des
voyageurs californiens, qui ne paient pas de mine, tant s'en
faut ; ils ressemblent plus i des bandits qu'à toute autre chose.
Comme nous étions à peu près les seules femmes, et que
notre costume de religieuses fait rarement apparition dans
ces parages, nous étions le .point de mire de nos agréables
compagnons de voyage; l'un d'eux, rempli d'intérêt pour
nous, je suppose,nous deanandaoùnous allions. — ^^ A Omaha,"
lui fut-il répondu.— ^^ C'est Men loin, répliqua-t il y je suppose
que vos maris vont venir à votre rencoatre." Il ne parut pas
comprendre pourquoi noua lui répondîmes par le sourire.
Omaha, ville importante *ét qui prend de l'extension tous
— 102 — <
les jours avec une rapidité toute américaine, est dans Tétai
de Nébraska^ a'U faut en juger par le broiihaha qui règne
dans la gare, Tactivité est grande dans cette ville. Nous avons
failli perdre la tète au milieu dji trouble, de la confusion qne
nous rencontrons. Si notre )>ou ^ange ne nous eut a$sîstéat|
nous n^aurions certainement pas pu nous (^n tirer.
Nous avions ici à renouveler nos billets de passage, ceax
achetés à Montréal n^étant valides que pour jusqu'à Omaha.
U nous fallait aussi manger, puisque nous n'avions rien pris
depuis Burlington, etsurtout nous sentions un besoin extrême
àe faire un peu de toilette, clestJHlire, de nous laver ; noua
étions si sales I si sales I que nous nous faisions peur les unes
aux autres. Je vous avouerai, chers parents, que ce qui m*a
le plus fatiguée durant notre long voyage, ce fut de sentir la
crasse prendre domicile sur mes membres ; je n'aurais pas
cru les gens malpropres si vertueux, il leur faut un grand
amour de la mortification pour vivre dans cet état
Nous ne souffrions plus de Tabsence de lits pour notre
sommeil ; car dans la seconde nuit de notre voyage, ueus
avions (découvert un^ procédé qa| nous permettait de nous
reposer relativement bien. Voici le ménage que nous faisions
tous les soirs, après avoir fait de notre mieux notre prière du
soir : nous enlevions les coussins dç nos sièges et les fixions
en travers, un bout sur im siège et l'autre bout sur le siège de
vis-à-vis ; ainsi, nous avions la base fondamentale d'un lit,
c'est-à-dire le matelas ; ensuite nous ajus^ions nos porte-man
teaux en guise de traversins et d'oreillers ; puis nous ôuvriODS
nos chÂles qui nous servaient de couvertures. Àjoutex à cela
l'idée que nous avions que TArchange Raphaël, l'ange des
voyageurs, veillait sur nous, et vous comprendrez qu'il noas
devenait facile de nous endormir et de nous reposer.
D'Omaha, nous dirigeant toujours vers l'Ouest, nous ire*
versons tout l'état de Nébraska, tout le territoire de Wyo^
ming, et nous rentrons dans rutah,pays des mormons, pour
toucher Ogden, ville située près du Lac Salé. Vous dire las
montagnes, les gorges, les précipices, les tunnels, les pools,
etc., que nous traversons d'Omaha à Ogden, est chose impôt-
sible. La variété des différents panoramas que nous reocoô-
trons est indescriptible ;. après un cri de frayeur arraché par
— 103 —
la vue d'un précipice, s^échappait un éclat d'admiration à la
vue d'un rocher qui sraiblait porter sa tète jusqu'aux cieux;
après nous être crues suivie chemin des abîmes éternels,
nous étions tout-à^oup éblouies et réjouies par la vue du so-
leil qui semblait plus beau que' belui qui éclaire les mortels.
Ah ! c'est que nous étions 4an8 lafameuse chaîne des Monta
gnes Rocheuses qui, trarersànt rAmérique Septentrionale
dans toute sa longueur, semble en être l'épine dorsale.
^ Cest i travers ces grands tableaux de la nature que nous
passons le dimanche ; ne pouvant assister à la sainte messe,
nous faisons de notre mieux pouf sanctifier le jour du Sei-
gneur ; pour cela nous invitons les rochers, les vallons, les
arbres^ les oiseaux, les rîvières, les lacs à louer le Seigneur
avec nous. Ah ! la nature est un beau livre de méditation
pour ceux qui y savent lire ?
Cest vers sept heures, dimanche soir, le &, que nous ren-
Irons dans Ogden. Gomme 1^ trains ne partent que le len-
demain matin, nous prenons le chemin d'un hôtel, pour y
passer la nuit Je ne vous dirai pas le bien-être que je trou*
val dans le bain et dans le lit de cet hôtel ; car je craindrais
de vous scandaliser par ma sensualité. Pourtant je ne doute
pas que le bon Dieu lie fût n^ement ofFensé de nous voir
nous abandonner au repos aprèjs cinq longs jours et cinq lon-
gues nuits ininterrompus passés sur nos sièges de voitures
de chemin de fer, et qu'il nous pardonna l'appétit avec
lequel on fit honneur au repas chaud et bien prépaaré qui
nous fut servi à notre arrivée à l'hôtel.
Le lendemain matin, nous nous levons toutes restaurées et
remises : nous avons le temps de nous acquitter de nos exer*
cices spirituels et de déjeûner. A neuf, heures et demie,
nous remontons danls les chars pour nous rendre à Oneida.
• €Se poste est le terminus du chemin de fer ; nous y arrivons
le soir à sept heures, après avoir traversé un pay»de sabla
et de marais.
Nous avons donc fini de rouler ràr les lisses de fer et d'être
traînées avec la vitesse du vent par la vapeur ! Demain, nous
prendrons des voitures tirées par des chevaux. H nous
semble que nous aurons maintenant moins à souffrir, et
c'est avec joie que nous abandonnons la béu à feu.
— 104 —
A Oneida, nous rencontrôDs, à notre grande satisfaction, un
homme envoyé par nos scèurs de Missôula* Cet homme, je
ne l'ai jamais vu, mais comme il ^st ici nous attendant avec
des voitures et devant nous conduire directement chez nos
sœurs, il est déjà mon ami, il a toute ma conflanoe. C'est le
premier que nous rencontrons depuis notre départ de Mont-
réal, qui pense et s'intéres^ à noufl. Ces milliers de gens
q^e nous avons vus sur notre* route, montant dans notre
train à une station, descendant à une ^ autre pour faire place
à des neuveaut venus, nous inspiraient tous plils ou moins
de la défiance ; mais celui-ci est des nôtres^ nous lui parlons
en toute confiance, sa vue nous fait du bien.
H nous faut coucher à Oneida. N'allez pas vous figurer
que nous sommes ici dans une ville ; ' il n'y a ni rues ni mai-
sons proprement dites. Cet endroit n^a un nom que parce
qu'il est le terminus du chemin de fer. ^ Une cabane, cepen-
dant, qui porte le titre prétentieux d'hôtel, nous reçoit : nous
^'y sommes pas tout à fait à Tabri, néanmoins, nous nous j
trouvons bien, et nous donnons tout aussi bien que sous les
lambris dorés, tant nous sommés heui^euses de n'avoir plus
à remonter dans les chars.
' Le 10 mars, nous f&isoAs nos préparatifs de départ, il nous
faut du temps, car nos bagages sont considérables ;. puis la
routé que nous avons à parcourir est longue, puisque nous
en avons pour une vingtaine de jours.
Deux voitures sont à nôtre service : deux grandes voitures
à quatre roues, recouvertes d'tmè toile, ton t^à^ait semblables
à celles dont se servent leë marchands de légumes venant au
marché ; l'une tirée par quatre chevaux est destinée au
bagage, l'autre qai n'a que deux chevaux est pour nous sept.
. Un em'barras se présentait : un ^ulliûmine pour conduire
les deux veibures ; encore ici la- Providende vient à notre
secours. • Un homme que nous avions i peine remarqué et
qui était descendu avec nous à Oneida, s'introduit à nous
coihmè allant à Montana et nous oïïxé ses services. Comme
son air nous va!, nous nous abandonnons à loi pour la con-
duite et le soin de notre voiture; ça faisait sdn affaire et
aussi là nôtre. Donc, M. Frank prenez les guides.
Vers midi, nous partons ; si, par l'imagination,
vous êtes
^105 —
capables de nous apercevoir entassées, dans cette longue voi-
ture cheminant à travers ces pays prefsqne. entièrement dé-
serts, n'allez pas nous prendre pour des Bohémiennes. Il est
vrai qu'il y a bien à s'y tromper, mais, c'est pourtant bien
BOUS, Sœurs de la Providence, qui allons au cœur des Mon-
tagnes Rocheuses, faire , du bjen à ces pauvres Sauvages, les
instruire, les aider à aller au del.
A sept heures p. m., première .étape ; un petit cours d'eau
BOUS dit que c'est ici qv('il faut camper.
Bêlas I pourquoi fauVil avoir pejdu les psages, coutumes et
masiières .de vivre des. patriarcihes ! Pçiur eux, coucher, à la
belle étoile /C'était une habitude; ils dressaient leur tenle, et le
lendemain la roulaient, pour ^eontinu^ leur course, tout aussi
prestement que. nous, dressoni^ nof^ li^ dans nos dortoirs.
Pour nous, enfants d'une civilisation prétendue plus avan-
cée, c'est une grav^affaire de préparer le campen^ent pour
la nuit. Aussi il laut aîvo^uer que la,science du génie mili-
taire n'a pas présidé à no? préparatifs de Voyage ; nous étions
sept, et nous n'avions qvfvue: petite tente ne pouvant abriter
que trois personnes. Il fallut doi^ç en. venir à des expédients :
les toiles qui irecouyr^nt nos voitures sont enlevées, et à l'aide
de quelques bÂtonsnous nous en faisons des tentes. Pendant
que les hommes^ . après avoir dételé et nojs. les chevaux en
sûreté pour la nuit, font le feu, quelques-unes, meilleures
cuisinières, qu'architectes, préparent le souper. Jamais repas
ne fut pris de meilleur appétit ; c'était .notre cuisine, et nous
étions seules, délivivéea.des regards impprjtuns de tous ces
compagnons de chemin de fçr qui, nous regardant comme
des curiosités, nous fixaient de leurs d^ux. yeux avec le sans-
gêne si bien connu du Yankee.
Après le souper, npu? faisons, en commun nos prières ; on
prie bien sous là voûte du ciel, Dieu sexnble être plus près de
BOUS*
En passant sous nos -lentes pour y dormir, nous pensons à
la Sainte.Famille:fuyant en Egypte, et nous qous demandons
si les membres de la Trinité sainte de la terre, jouissaient
d'autant d'aise que nous : nous avions une toile pour nou»
protéger contre le serein, de bons 6ti/7aio£ pour nous garantir
contre Thumidité du sol, et d'épaisses couvertes pour nous
— 106 —
prémunir contre le froid. Vraiment nous ne pouvions pas
ne pas être satisfaites ; seuls les talons de bottines dans nos
sacs qui nous servent d'oreillers, nous rappellent qu'il n^ m
pas de rose sans épine. '
Le lendemain, nous sommes tout aussi matinales que A la
cloche eut été là pour donner l'éveil ; la prière se fait, le dfr-
jeûner se prend, le camp est levé, les bagages remis dans les
voitures, et à sept heures, nous sommes en route.
Notre trajet n'a rien d^agréable : le pays que nous traYST--
sons est désert, le chemin n'est pas beau, il nous faut presque
toujours n'aller qu'au pas de nos chevaux.' Malgré cela la
gaieté est dans notre voiture ; comme nous nous croyons, m
les circonstances, en dehors de la règle, nous nous permettons
des dissipations qui font oublier les atteintes de la fatigue et
qui empêchent l'ennui de s'établir au milieu de nous.
«Vers midi, rencontrant une source d'eau, nous faisons
halte pour diner et laisser prendre un repos à nos chevaux.
L'après-midi ressemble à la matinée, rien ne vient briser la
monotonie de notre pérégrination à travers monts et vaux;
tantôt nous avons à escalader une montagne, tantôt ntn»
avons à traverser une plaine de sable léger. La végétation
est insignifiante ; la solitude semble être la reine de ces pay^
Nous lui disputons son empire, en passant, par nos cantiques
et nos hymnes.
Le soir, ayant exécuté nos travaux de campement, nous
tînmes conseil sur la manière la plus commode de passer la
nuit ; nous pensions pouvoir faire mieux que la nuit pràoé-
dente. Il fut en conséquence décidé que nous couchexions
toutes les sept dans notre voiture. Malheureusement nous
n'avions pas mesuré, au préalable^' la sur{ia(5è de la dite
voiture et il arriva qu'elle se trouva trop petite pour nous
contenir ; mais, la chose Constatée, il était trop tard pour
nous mettre en frais de dresser une tente, et bon gré mal
gré, il fallut nous entasser dans les fiancs de notre véhicula
Nous étions tellement pressées que nous ne pouvions nous
remuer; aussi l'engourdissement noiis força de bonne benre^
le matin, à sortir de ce pressoir. Ce dernier exercice ne fut
pas encore chose facile : ma sœur l'EnfantJésus qui, la pre^
mière, voulut se lever, vit qu'elle ne pourrait sortir de là
— 107 —
sans marcher svr le corps de ses sœurs. Ma voisine, se pr£-î
parant à exécuter le môme mouvement, youkdt empcKrtêr
mon bras droit, le prenant pour son bi^as gauche que Tén-
gourdissement avait paralysé : Inref il fui résolu que nous
nous lèverions toutes d^un bloc* Au signal '^ leve^vous/' û(m^
né par ma sœur TEnfaniJésus, noue nous redressons touteu
Une fois sur ses jambes, ehaoune reconnaît sa iôte et ses
membres.
Promeàse fut prise que jamais à Favenir nous ne couche^
rions toutes les sept dans notre voiture.
Je vous ennuierais, chers parents, en essayant de vous
donner, jour par jour, les détails de ce long voyage.
D'ailleurs, les jours se suivaient et se ressemblaient à peu
de chose prë&
Je ne vous tairai pourtant pas la peur qu'on éprouva^ pen-
dant quelques jours, du voisinage des loups ; nous avons passa
à travers des forêts infestées par ces féroces animaux ; mais
ne yous effrayez pas, aucune n'a été croquée. Nous enatons
été quittes .pour nos frayeurs et quelques nuits d'insomnie.
Après une de ces nuits où griffes et dents de loups avaient
semblé devoir à tout instant nous déohp'er et broyer, on
entendit nos deux hommes, plus à bonne heure que de oou«
tume, converser ensemble avec agitation.
)u'est-ce? s'écrie l'une de nous.
S'est un hibou, répond Frank.
— Où est-il ? où est-il ? réplique pia sœur, qui a compris
loup au lieu de hibou.
•^Dans un arbre.
— Oh I Alors hâtons-nous, de nous habiller, dit ma sœur à
ses compagnes, et allons nous réfugier dans la voiture avant
qu'il ne descende.
— Ce n'est aucunement dangereux, dit Frdnk ; d'ailleurs^
il est partL
—Par où est-il passé donc ?
—Parbleu, en l'air; il a pris son voL
Ce n'est qu'alors que ma sœur comprit qu'elle était victime
d'une erreur. Inutile de vous dire que plus d'une fois, après
cette aventure, nous avons demandé à notre sœur comment
les loups faisaient leuis nids dans les arbres, et quelle était
* ^
i\
— 10$ —
Penvergure de leurs ailes, ^f Ma Sœur, avez- vous vu les
aîtes du loup." . ,
Un autre jour nous faisons rencQQitre 4e sauvageç, qui ne
sont. guère plus rassurapats quelles loups \ c!ètait au moment où
nous nous préparions à déjeûiier ; nous leur o£&ons, pour nous
les rendre.bienveiUants, à partager ûotreirei^s. U ne fut pas
nécessaire de répéter l'invitatioil ; ils se jettent à belles dents
sur toutes les provisions sorties pour le déjeûner, et en un
insrtant ils ont tout euglouti. Ils étaient de la tribu des
Yellowtonea ; rien de plus sauvage que ces sauvages.
Un ijQycident qui survint un. autre jour, fut la rencontre de
soldats américains^ chargés par leur^ouvernement, de veiller
à la sûreté des routes publii]ues àjtravers les montagnes.
Cette rencontre, et surtout l'objet de leur mission, nous fai-
saient comprendre gue les 'loups, n'étaient peut-être pas les
bêtes les plus dangereuses de. ces parages.
Après 12 jours de marché, nous atteignons Deer .Lodge,
poste connu des voyageurs et indiqué sur les cartes géogra-
phiques. Ici il y aunemdÂ9on pour nous donner riiospitalité,
et pour le^ autres nuits qui nous 'restent encore à passer
en voyage, avant d'arriver au terme de notre course, nous
Aurons la chance de rencontrer presque toujours des
habitations où noi^s pourrpnii loger. Ici, à Deer Lodge,
nous perdons notre cocher Frank, qui doit prendre une
autre direction que nous, poUfr. aller à Helena. , Frank ét^it
deveQu pppr npus UU; anii*; nçujs nous séparons de lui
avec peine et nous lui donnons rendÇiZ-vous au ciel, après
notre mort. " Rappelez-vous de moi dans vos prières, nous
dit-il, pour que je ne manque pas au rendez-vous. "
A partir de ce jour, force nous futde conduir-eoious-mômes
notre voiture ; nous y mettons toutes la main. Grâce à la
bonne Tolonté. des chevaux qui n'avaient pas besoin d^ètre
conduits, le voyage se termina sans encombre ni accident
pénible.
Notre dernière étape fut dans. le bois où nous passâmes la
d^^^è^e nuit de notre exode* Nous nous levons plus matin
qu'à l'ordinaire, et nous sommes plus gaies que jamais ; car
dans quelques heures nous serons à Missoula, dans les bras
de nos sœurs, aux pieds du tabernacle enfermant notre divia
— 109 —
ami de PEuchariBUe, — daas quelques h&oreB notre long et
pénible voyage sera à son terme* U était bien tempSvPPi&-
que nous étions au vinjgtième jour de notre course depuis
Oneida.
. U était entre dix'-et onze beures, lorsque nous découvrons
Jdissoula. En apercevant ce village, où nous allons rencon-
trer une maison des sœurs de la Providence, nous éprouvons
quelque chose des sentiments exprimés^ par les pèlerins du
moyen-âge, lorsqu'ils découvraient au loin les murs de Jéru-
salem, et des pèlerins de noCre siècle lorsque, le ddme de
Saint^Pierre leur dit qu'ils arrivent à Rome.
Vous ne sauriez croire, chérs parents, combien furent vi-
ves et violentes les impressions que je ressenti» en arrivant à
ce lieu destiné à être 'le théâtre da mon dévouement à mon
Dieu. En apercevant les toits modestes 4e la petite cité de
Missoula, je renouvelai à Notre Seigneur la promesse de le
servir et de le faire aimer de mon mieux dans cette partie de
sa. vigne où la sainte obéissante m'avait envoyée. *
Nour demandons à notre Sœur lijlarie de l'Enfant Jésus, de
nous désigner où est notre maison ; elle s'y ref usç, voulant
laisser à notre cœiur de la discerner entre les autres habitar
tiens. Gomme nous ne nous accordions pas, nous
laissons les chevaux suivre leur instinct, et ceux-ci nous con-
duisirent à une maison très convenable, un peu en dehors
de l'enceinte de la petite ville, et sise au pied de la montagne.
Quoiqu'on ne nous attendit pas si tôt, des orphelines étaient
à la barrière de l'enclos qui entoure le couvent ; elles recon-
naissent bien vite nos voitures et elles échappent le cri:
" Nos Sœurs de Montréal 1 " Leur voix est entendue, et ausstôt
on voit sortir du couvent nos chères sœxirs, qui viennent au
devant de nous en courant et en frappant des mains.
Notre joie et notre bonheur, à toutes, ne pouvaient s'expri-
mer par les paroles, les larmes et les sanglots étaient les seuls
interprètes de nos cœurs.
En rentrant dans notre maison, je demandai le chemin de
la chapelle ; il y avait si longtemps que nous n'avions pu
faire visite au Saint-Sacrement, parler au divin habitant de
nos tabernacles I
. Mon cœur débordait : je remerciai le bon Jésu^ pour l'as-
— 110 —
distance dont il nous avait protégées durant notre iong^
Toyage ; je le priai d'accepter le sacrifice que je lui faisais
de tout moi-même pour trayailler à sa gloiiftcation ; je lui
recommandai ceux qui pensaient à moi en Canada, et qui
étaient peut-être en ces mêmes instants inquiets sur moa
Mrt ; puis, toute réconfortée, je vais à mes compagnes et faire
connaissance plus ample avec celles en compagnie desquelles
je devais vivre désormais.
Avant longtemps, chers parents, je vous écrirai de noa>
veau, pour vous donner des détails sur mon nouveau genre
de vie, sur mes occupations, etc., etc. En atttendant, priez
bien fort pour votre enfant, qui sent plus que jamais le besoin
qu'elle a du secours d'en haut
Je vous embrasse tous, dans toute refiTusion de mon cœur.
Votre enfant qui vous^aime et qui ne cessera jamais de
vous aimer dans le cœur de Jésus.
SoBUH Marib-Wilfrib.
•
nssioNS m us sadtages têtes de soee
LiTTRB DU Rév^rbnd Pârb Préyost O. m. I.
▲u RÉvtf RBMD PiRB PiAN, 0. 11 L, Supérieur de la maison
de Témiskaming.
Kakébougan, 1er août, 1878.
• • •
Révérend et bien-aiiné Père,
Je me fais un devoir de me rendre au désir que vous
m'avez exprimé dans votre dernière lettre. Que ne puis-je par
là vous consoler un peu au milieu de vos peines ! Hélas 1 Je
n'ose Tespérer ; le tableau que j'ai à tous mettre sous les
yeux est plus propre à augmenter vos angoisses qu'à les sou-
lager. Depuis deux ans que je parcours les missions du Saint
•Maurice, je n'ai eu à m'occuper que de bâtisses et répara-
tions de chapelles; tour i tour j'ai rempli les rôles d'archi-
tecte, de bûcheron et de charpentier. Nul sacrifice ne m'a
coûté et je me suis rappelé que j'étais envoyé pour travailler
à la gloire de Dieu et à l'établissement du culte qui lui est
dû. Si quelquefois j'ai suspendu mon travail, c'est que mes
forces étaient à bout ; heureux si je puis mourir de fatigue
au service de mon divin Maître I Voici, mon Révérend Père,
en quel état j'ai laissé ces missions.
Grand Lac. — J^ chapelle menace ruine ; les pièces à demi
pouries ne veulent plus tenilr en place et le toit qui n'a jamais
été à l'épreuve de 1^ pluie, menace de s'effondrer. Quant à
la voûte et à ses décorations, elles sont encore à l'état de pro-
jet, et si les choses restent dans ce déplorable état encore un an
ou deux, nous nous verrons .forcés de retourner sur nos pas
et de dire la Sainte Messe sous la tente. Alors, adieu la mis-
sion pour le plus grand nombre des sauvages. Pour moi, je
ne puis seul préparer le boiâ nécessaire pour une chapelle
— 112— ^
capable de contenir 400 personnes. — Mais les sauv^£:es T me
direz- vous. — Les sauvages! vous les connaissez ; le travail
leur répugne et ce q^u'ils ne. font pas ppur leur ventre ils le
feront encore inolop pour leur religion ; chez, eux, le ventre
passe en première ligne. Ce qu'il j[ious faut faire, c'est d'ob-
tenir des secours et de nous.assurer un ou deux ouvriers
capables de conduire ceux d'entre les sauvages qui voudront
bien travailler, moyennant nourriture, vêtement et aussi ui
pea d'argent Par ce moyen seul, nous pourrons être sûrs
d'avoir au Grand Lac une chapelle et de ppuvoir y rassem-
bler ceux que la divine Providence a bien voulu nous confier.
Kakbbongan. — Chapelle inachevée. Encore un mois de
travail et nous pourrons dire que c'est la plus belle église de
nos missions. Mais durera-t-elle longtemps ! Je ne le pense
pas. Pâtie par les indiens eux-mêmes, elle n'a pas la solidité
voulue; les fondations laissent à désirer et le bois employé
n'est pas de première qualité. Pour le moment, nous sommes
bien ici, grâce aut sauvages et à des personnes charitables
qui ont bien voulu me faire . parvenir quelques, secours.
Puisse Dieu les en récompenser !
MoNTucHiN. — La chapelle qui n'est pas encore terminée est
trop petite et ce qui est phis fâcheux, elle est sur le point de
tomber. J'ai fait tout en mon pouvoir pour la consolider :
renouvellement de fondations, pose de poiitres, de pièces
transversales etc.,. mais tout cela ne pourra servir qu'à retar^
der notre malheur ; l>ientôt nous fierons san? lieu de prière.
Alors que deviendra notre mission, la plus florissante, la plus
religieuse ? Oh 1 Révérend et bien-aimé Père, il faut préve-
nir les suites qu'entraînerait la chute de notre pauvre petite
chapelle. Que faut-il faire ? — limiter les premiers missioo-
naires, nos zélés prédécesseurs, recourir à l'çduvre de la Pro-
pagation de la Foi, et les secours une fois obtenus, faire mon-
ter des ouvriers et bâtir en neuf. Sans cela, hous pourrons
-faire des plans^ mais pas davantage.
Restent ejicore Mbkiskak et Wassonipi. — Dans ces postes,
nous n'avons pas de chapelle ; la mission se fait dans la mai-
son* de la Compagnie* Les sauvages en petit nombre, peuvent
s'y loger commodément. Donc, pas de nécessité urgente de
bâ(ir dans ces petits postes.
— 113 —
Voilà, bien-aimé Père, l'état dans lequel se trouvent les
chapelles de la mission du Saint Maurice. Voyez si vous
ne pourriez pas faire quelque chose pour le rendre plus
prospère. D'ici à mon retour, je vais prier Dieu qu'ibvous
bénisse ainsi que tous ceux qui nous viendront en aide.
Je demeure,
Mon Révérend Père,
Votre enfant dévoué en J. M. J.
M. Prévost, Ptre, 0. M. L
Lettre du Révérend Père J. P. Guégbn, 0. M. I.
AU Révérend Père Pian, 0. M. L Supérieur de la maison
de Témiskaming.
Témiskaming, 10 septembre 1878.
Mon Révérend et bien-cher Père,
C'est avec plaisir que je vous envoie encore cette année
mon rapport sur les missions que nous faisons chez les Têtes
de Boule. Vous savez, mon Révérend Père, que les Têtes de
Boule se trouvent disséminés entre^les divers postes de Ki-
kendate et Wemontaching sur le Saint Maurice, ainsi qu'au
Grand Lac et à La Barrière.
Le missionnaire du Saint Maurice a encore à évangéliser
les savages de Wassv^anipi et de Mékiskan situés sur le ter-
ritoire de la Baie d'Hudson et qui sont tous plus ou moins
alliés aux sauvages du Saint Maurice. Entre Témiskaming
et le Grand Lac se trouvent les indiens delà Kipawe qui sont
eux aussi parmi les ouailles confiées à nos soins. Autrefois
nous allions de Témiskaming au Grand Lac en six jours ;
depuis quelques années, il nous faut huit jours pour faire ce
voyage et la raison en est que les sauvages de la Kipawe ont
deux points de réunion : Hunter's Lodge et Grassy Lake. La
première place se trouve sur le lac Kipawe môme. C'est là
— 114 —
que se trouvé le poste de la Compagnie de la Baie d'Hudson^
où tous les indiens avaient autrefois coutume de se réunir
pour la vente des pelleteries. Depuis quatre ou cinq ans, plu-
sieurs d'entre eux ont commencé à cultiver la terre et se sont
établis à environ quarante mille plus haut sur un lac connu
sous le nom de Grassy Lake à peu près à vingt milles du Lac
du Moine. Quand ils en ont le moyen, tous ces sauvages se
réunissent encore à Hunter's Lodge ; mais le plus souvent ils
ne peuvent se procurer des provisions au Fort de la Compa-
gnie, faute de pelleteries à donner en échange, et ils sont obli-
ges de rester là où ils peuvent se procurer de la nourriture.
Alors le missionnaire doit; faire un détour pour aller les visi-
ter, autrement ils n'auraient point de mission. Ce qui fait la
consolation du prêtre qui va les visiter, c'est la joie qu'ils
manifestent à son arrivée au milieu d'eux, la docilité*à écou
ter ses instructions et la piété véritable dont plusieurs s'efEor-
cent de donner des preuves.
Cette année, parti de Témiskaming le 17 mai, en compa-
gnie du Révérend Père Prévost, je passai deux jours à Hun-
ter's Lodge où nous ne trouvâmes que la moitié des sauvages,
les autres essayant de faire des semences à Grassy Lake. Les
premiers que nous eûmes le bonheur de rencontrer s'empres-
sèrent de se confesser et de recevoir la Sainte Communion.
Ces pauvres enfants des bois deviennent de plus en plus mi-
sérables tous les ans et cela par la faute des blancs qui rava-
gent leurs terres de chasse, déboisent leurs forêts, et détrui-
sent même le gibier, unique source d'existence pour ces
pauvres gens.
X Ce printemps, en passant au Fort de la Kjpawe, nous avons
trouvé quatre cages ou radeaux de bois carrés. Liutile de
vous dire, mon Révérend Père, avec quelle joie les voyageurs
ont interrompu leurs rudes travaux pour venir assister à la
prière et à la sainte messe. Nous avons eu le bonheur de
passer un dimanche avec ces pauvres voyageurs qui ont par-
tagé avec les sauvages la faveur d'adorer le Divin Enfant de
Bethléem dans un réduit aussi misérable que la pauvre
é table qui le vit naître. Depuis longtemps nous soupirons
après le moment où il nous sera donné d'avoir aussi une
chapelle à la Bjpawe. Les quatre murs sont levés, c'est vous
\
— 115 —
dii'e que les travaux en sont où vous les avez laissés Pété der-
nier. Hélas ! quand en verrons-nous la fin T II faudrait avoir
des provisions pour les ouvriers et de l'argent pour acheter
les provisions et ces deux choses indispensables sont bien
difficiles à trouver. Espérons que la divine Providence béni-
ra nos travaux et saura nous procurer les ressources dont
nous avons besoin.
Mais je vois que je m'arrête trop longtems sur ces détails ;
visitons les Indiens de Grassy Lake en saluant encore quel-
ques voyageurs qui descendent du haut de la rivière Eapaw^e,
et rendons-nous au plus vite au Grand Lac. Nous aurions
voulu y rester deux à trois semaines pour y travailler à la
vigne du Seigneur, mais nous fûmes obligés de partir au bout
de huit jours pour nous rendre à Wasswanipi vers le dix de
juin, avant le départ des sauvages pour la Baie d'Hudson.
Au Grand Lac nous trouvâmes 200 paroissiens qui nous atten-
daient avec impatience. Tous avaient hâte de se réconcilier
avec le bon Dieu ; mais la plupart étaient surtout affamés de
sa divine parole. Pour la plus grande partie, ils sont encore
très-ignorants, aussi faut-il se préparer non-seulement à rom-
pre le pain de la parole de Dieu mais encore à le mâcher
pour ainsi dire, pour le mettre à la portée de ces pauvres
enfants de la foret, qui se montrent tous les ans de plus en
plus désireux d'apprendre le chemin du ciel. •
De toutes nos missions du Saint Maurice, celle du Grand
Lac est la plus difficile, parce que c'est là que l'on trouve le
plus d'ignorance et aussi parce qu'on y a plus de misère à
rejoindre les ignorants. Autrefois les sauvages n'arrivaient
au poste de la Compagnie que dans les premiers jours de juin,
aussi plusieurs d'entre eux ne pouvaient-ils assister à la mis-
sion. Depuis 4 à 5 ans, ils arrivent très-souvent à la première
navigation et comme ils ne restent pas bien longtemps, ils
sont souvent à la veille de partir à l'arrivée du missionnaire.
Quel sujet de douleur alors pour le cœur de ce dernier qui a
fait tout en son pouvoir pour trouver ses brebis et qui les
voit s'éloigner de lui au moment où il s'apprête à leur mani-
fester tant d'amour, à leur donner tant de preuves de dévoue-
ment, et à leur être si utile !
Les Sauvages du Grand Lac peuvent se diviser en deux
— 116 —
classes bien distinctes : les sauvages des froatiëres et les sau-
vages de rintérieur. Les premiers chassent le long de TOtla-
wa et sur le haut de la rivière du Moine, de la rivière Noire
et du Coulonge. Ceux-là sont généralement assez instruits
des choses de la religion et se font un devoir d'assister assi-
dûment à la mission ; aussi donnentrils assez de satisfaction
au missionnaire. Autrefois les blancs venaient détruire tous
les fruits de salut opérés dans leui^ âmes, mais actuellement
la boisson a disparu de ces parages pour faire place au calme
et à un état de choses relativement bon.
Les sauvages de Tintérieur sont ceux gui chassent sur des
rivières tributaires de la Baie d'Hudson. C'est à peine s'ils
conunencent à s'apprivoiser. Pendant longtemps ils s'éloi-
gnaient du missionnaire comme les bêtes fauves devant le
chasseur qui les poursuit ; aussi les commis de la Compagnie
de la Baie d'Hudson avaient-ils coutume de les désigner sous
le nom de Wild IndianSy tant ils les trouvaient farouches. Il
y a à peine 15 ans que le missionnaire a réussi à baptiser les
principaux d'entre eux ; encore ont-ils été ensuite cinq ou six
ans sans revoir la Robe noire. Rien de surprenant s'ils sont
demeurés dans l'ignorance la plus profonde. Ajoutez à cela
les jongleries et toutes les superstitions sauvages, sans comp-
ter le vice de la poligamie, et vous aurez une idée des diffi-
cultés qift rencontre le missionnaire dans ce poste du Grand
Lac. Deux des plus vieux indiens ne sont pas encore baptisés
et ils ont presque toujours eu deux ou trois femmes ; cepen-
dant ils font baptiser leurs enfants. Cette année j'ai été hien
indigné contre la femme d'un de ces vieux.
Depuis quelques années, ce vieux Pasaan que vous con-
naissez bien, était malade et avait des velléités de se faire
baptiser. Vous avez entendu parler de sa maladie ; il dit que
lorsque son mal le prend, il veut se jeter siu* ses semblables
pour les manger en véritable anthropophage. Un jour que
je me trouvais avec lui, il me demanda si je n'avais pas peur
de lui. Lui ayant répondu que non et lui ayant dit en même
'temps que j'aimerais à le préparer à aller voir le Grand Es-
•prit, il me répondit qu'il était coûtent de ma visite et qu'il
voulait apprendre à prier et recevoir le baptême. Ce prinr
temps, il paraissait assez bien disposé et il m'avait promis de
— in-
né garder plus qu'une femme. Je me préparais à régénérer
ce hon vieillard, lorsqu'une de ses femmes, celle qu'il veut
garder, lui défendit de se faire baptiser, le menaçant de
l'abandonner et de le laisser mourir seul dans le bois. Et
cette malheureuse est une chrétienne I J'eus beau faire des
menaces pour ramener cette mégère i de meilleurs senti-
ments, j'eus beau lui représenter qu'elle serait responsable de
la perte de cet homme, s'il venait à mourir avant d'ôtre bap-
tisé, inutile ; le diable gagna encore la partie. Le mauvais
esprit paraît tenir aussi bien serré dans ses griffes un autre
vieux sauvage de ce quartier. Les plus grands désordres
régnent dans sa famille, et il ne fait rien pour les réprimer ;
lui-même au contraire donne les exemples les plus dépravés
et Dieu sait si la grâce pourra un jour trouver le chemin da
son pauvre cœur. Vous voyez, mon Révérend Père, que tout
n'est pas rose dans nos missions et que les associés de la Pro-
pagation de la Foi ne manqueront pas d'occasions pour exer-
cer leur zèle et leur charité envers ces pauvres enfants du bon
Dieu.
Mais laissons un instant le Grand Lac et hâtons-nous d'al-
ler à Wasswanipi ; trois cents milles nous séparent encore de
ce poste et les canots sont à la veille d'en partir pour descen-
dre à Rupert's house dans la Baie d'Hudson. Nous avions
trois bons nageurs, mais le temps ne nous fut pas favorable
et nous eûmes deux jours de neige le 4 et le 5 de juin, ce qui
fut cause que notre voyage dura douze jours au lieu de neuf.
Dieu permit que nous fûmes consolés de nos fatigues en
voyant les bonnes dispositions de nos sauvages qui nous atten-
daient et qui voulaient prier, bien qu'ils fussent presque à
jeun depuis plusieurs jours. Le printemps étant venu plus
tôt que d'habitude, ils avaient interrompu leur chasse bien à
bonne heure et s'étaient rendus au poste quelques jours avant
le moment fixé pour la mission. Ils eurent bien vite épuisé
les provisions de viande qu'ils avaient apportées de leur
chasse ; an Fort ils ne purent rien se procurer car il n'y avait
de fleur que ce qu'il fallait pour descendre les pelleteries à
la Baie d'Hudson ; de plus la pêche était à peu près nulle ce
printemps ; de sorte que ces pauvres malheureux étaient dans
le plus complet dénûment à l'arrivé du missionnaire ; et pour-
— 118 —
tant, tous voulaient prier, se confesser et recevoir le vùuique
pour le voyage de la Baie d'Hudson, la nourriture céleste qui
devait les fortifier contre les dangers de toutes sortes gu*ils
allaient courir jusqu'au retour du missionnaire, l'année sui-
vante. Ici tous sont baptisés, mais hélas ! tous ne sont pas
catholiques. Nous touchons au diocèse protestant de la Baie
d'Hudson. Vous savez qu'il y a un évoque protestant à Mûose^
et au moins quatre ministres qui attaquent nos missions de
tous les côtés. Ce poste de Wasswanipi est visité par jdu-
sieurs sauvages protestants de Rupert's house qui rivalisent
de fanatisme pendant que la Robe noire s'efTorce d'éclairer
ces pauvres aveugles. Au moment où les catholiques se
réunissent dans une sorte de petite chapelle qui leur a été
arrangée par le commis du poste, M. Angus McLeod, les pro-
testants s'assemblent dans une maison particulière pour prier
et chanter à tue-tète. Jamais nos catholiques n'assistent à
leurs réunions et même quand ils descendent au printemps à
Rupert's house après la mission, il est rare que l'on entende
dire que quelqu'un d'entre eux ait fréquenté le temple pro-
testant, quoiqu'il y ait toujours un ou deux Révérends occu-
pés à les tenter pendant leur séjour dans ce poste. Ajoute* à
•cela, que depuis 3 ans, un de ces messieurs prend la peine de
venir jusqu'à Wasswanipi en revenant de Mestasini chaque
automne. Il faut que la miséricorde de Dieu ait protégé nos
sauvages d'une manière toute spéciale pour qu'ils aient tenu
bon jusqu'ici.
Cette année j'ai consenti quoiqu'à regret à 3 mariages
mixtes dans ces missions ; je vous prie de les recommander
aux associés de la Propagation de la Foi afin que les parties
catholiques ne défaillent point, mais qu'elles soient un sujet
d'édification et de conversion pour ceux qui ne sont pas des
nôtres.
Le 17 juin, nous quittâmes Wasswanipi, espérant nous
rendre à Mékiskan en cinq jours, mais le voyage dura huit
jours. L'un de nos trois hommes tomba malade le matin du
troisième jour, et le midi de la môme journée, un autre se
coupait le pied avec un couteau en voulant débarquer du
canot à la tête d'un rapide, Nous n'avions pas autre chose à
faire que de nous résigner à supporter patiemment ce double
— 119 —
malheur et à bénir la divine Providence qui nous l'eiiVoyait
pour nous éprouver et qui ne nous abandonna pas dans
notre détresse. Nous arrivâmes lentement mais sûrement
à Mékiskan où nous nous attendions à faire une nou-
velle mission. Mais nouveau contretemps, pas un seul sau-
vage ne s'y trouvait î Ce poste est si mal approvisionné que
les indiens, plutôt que de mourir de faim, s'étaient dispersés
dans les postes circonvoisins, à Kikandate, Wemontaching,
à La Barrière et au Grand Lac. Mais ce qui nous embarrassait
le plus, c'est que nous n'avions pas de guide sûr pour nous
rendre au Saint Maurice. Voulant ménager nos provisions,
nous ne prîmes cette fois que deux hommes dont l'un avait
été autrefois avec le missionnaire ; mais comme il y avait
plus de 20 ans qir'il n'avait pas fait ce voyage, nous nous ren-
dîmes au bout de six jours à Kikandate vers le 29 de juin.
Nous y restâmes à peine deux jours ; mais la grâce du Sei-
gneur nous y avait précédés et nous n'eûmes qu'à cueillir le
fruit qu'elle avait fait mûrir. Madame Spence, femme du
commis de ce poste, baptisée sous condition, il y a 13 ans, par
le Révérend Père Lebret, mais redevenue protestante pour
ne pas déplaire à son mari, demanda à rentrer dans le giron
de la sainte Eglise Catholique. Ce fut le Père Prévost, mon
compagnon de voyage, qui eut le bonheur d'entendre sa con-
fession, de recevoir son abjuration et de la faire communier
pour la première fois au milieu de tous les sauvages réunis
dans la maison du chef de Kikendate. Cette pauvre femme
doit cette grande grâce à la puissante intervention de la
Sainte Vierge. S'étant trouvée malade l'hiver dernier et ayant
déjà perdu deux enfants l'année précédente, elle recourut
cette fois à Celle que l'on n'invoque jamais en vain, et elle
promit à la Sainte Vierge de se faire catholique si elleétait dé-
livrée heureusement, et de donner àson enfant le nom de Marie.
A peine eut-elle reçu la grâce qu'elle avait demandée qu'elle
se hâta de remplir sa promesse et de devenir une bonne mère
catholique. Pour l'aider dans l'éducation de sesenfants, nous
amenâmes avec nous les deux plus âgés James et John Spence,
et nous les avons placés à l'orphelinat des Sœurs Grises
d'Ottav^a ; ils fréquenteront les écoles des Frères et se prépa-
reront à faire leur première communion l'été prochain.
— 120 —
Le 2 juillet, nous arrivions à Wemontaching où tous les
sauvages du Saint Maurice se réunissent dans l'ancienne
chapelle du Révérend Père Bourassa, Comme elle commence
à menacer ruine, le Révérend Père Prévost avait été chargé
de voir ce qu'il y aurait à faire, soit pour la réparer, soit
pour en hâtir une autre en cas de besoin. Il a dû, mon Révé-
rend Père, vous donner un compte-rendu de ses observations
et de ses décisions^ Pour ma part, chargé du spirituel de la
mission, je dois avouer à ma grande confusion que mes en-
fants du Saint Maurice ne me. donnèrent pas beaucoup de
consolations cette année. Cependant il ne faudrait pas être
trop sévère à leur égard. Si les blancs n'étaient pas là pour
porter le scandale, il n'y aurait pas tant de vices à déplorer
et si les traiteurs de pelleteries pensaient qu'il y a un Dieu
pour eux aussi bien que pour les sauvages, ils ne s'expose-
raient pas à se damner par leur mauvaise conduite et à dam-
ner les sauvages par leur maudite boisson. C'est là l'abomi-
nation de la désolation. A Wemontaching plusieurs m'a-
vouèrent que les désordres avaient été immenses cette année
et qu'il faudrait remonter loin dans le passé pour en trouver
d'équivalents, alors qu'ils livraient toute leur chasse pour
quelques gallons de boissons enivrantes. Il est vrai qu'à notre
arrivée, il n'y avait personne en train^ mais c'était parcequ'il
n'y avait plus de boisson. Tous firent leur mission et paru-
rent assez repentants ; mais ce qu'il y a de plus désolant, mon
Révérend Père, c'est que l'on veut encore monter de la bois-
son parmi ces malheureux sauvages. Ah î pourquoi quel-
qu'un ne prendrait-il pas leur cause en main etjUe ferait-il
pas tout en son pouvoir pour arrêter ce dangereux commerce
en mettant en vigueur tant de lois passées tous les ans à ce
sujet. Ah 1 mon Révérend Père, intercédez pour nous afin
qu'un magistrat compétent soit nommé pour ce territoire du
Saint Maurice, car il nous est impossible de faire le bien, au
milieu de .ces chers enfants si à notre arrivée parmi eux nous
y trouvons établi le hideux démon de l'ivrognerie.
Le 16 juillet je quittais avec peine ces;ipâuvres sauvages
qui avaient été jusque là ma joie et ma consolation. Je crai-
gnais de voir cette place appeléa par un missionnaire le para-
dis do- nos missions, changée en enfer par l'usage des bois-
— 121 —
sons enivrantes. Puisse le bon Dieu avoir pitié de nous et
détourner le fléau destructeur I Nous nous acheminâmes
tristement vers notre nouveau rendez-vous, c'est-à-dire vers
La Barrière connue depuis longtemps dans les annales des
missions surtout par les rapports du Révérend Père Laverlo-
chère Pendant près de 15 ans, il n'y eut pas démission à La
Barrière ; les sauvages avaient réussi à se bâtir une petite cha-
pelle à Kakîpongang où se trouvait le poste de la compagnie et
c'était là qu'ils se réunissaient. Mais ce poste ayant été brûlé,
il y a cinq ans, et la Compagnie ayant fixé ses comptoirs à
La Barrière, les sauvages furent aussi obligés de renoncer à
leur chapelle de Kakipongang, car ils ne pouvaient plus se
procurer de provisions en cet endrolL Ds se sont mis de nou-
veau à l'œuvre et ils sont à la veille de posséder une nou-
velle chapelle. Mais pour la terminer, il faudra bien du temps
si l'on ne vient en aide aux pauvres ouvriers qui l'ont entre-
prise et^ui n'ont par eux-mêmes aucune ressource. Nous ne
mimes pas moins de treize jours pour nous rendre à La Bar-
rière ; le vent contraire et la pluie nous causèrent bien des
fatigues. Nos dépenses augmentent considérablement et nous
aurons de la chance si nous échappons a la banqueroute
cette année. A notre arrivée, le Père Prévost s'occupa du ma-
tériel de la mission en travaillant à la réparation de la cha-
pelle, tandis que moi je m'efforçais de réparer le temple spi-
rituel. Ici comme au Saint Maurice, il y eût à constater de
nombreux dégâts depuis la dernière mission ; ce qui nous
console, c'est que l'on n'a pas l'intention d'apporter de nouveau
de liqueurs enivrantes. De tous les sauvages que nous visi-
tons, je dois le dire à leur louange, les sauvages de La Bar-
rière sont ceux qui montrent le plus d'activité, de zèle et de
persévérance, soit pour apprendre leur religion, soit pour
procurer à Dieu le culte qui lui est dû. J'espère que la divine
Providence récompensera leur bonne volonté et bénira leurs
efTorts pour le bien. Cette année ils se sont distingués comme à
l'ordinaire, et je ne serais pas surpris si l'on disait un jour de La
Barrière ce que l'on disait autrefois de Wemontaching : c'est
ici le paradis de nos missions, parce qu'ici au moins le mis-
sionnaiie trouve moyen de se réjouir après les tribulations
qu'il a éprouvées dans les autres missions.
— 122 —
Le 7 août, nous disions adieu à nos sauvages de La Barrière
et le 9 nous revoyions avec plaisir ceux du Grand Lac. Le 12
du même mois, le Révérend Père Prévost s'embarqua avec
M. Whitnay, commis du Grand Lac, pour se rendre à Ténus-
kaming. Pour moi, je restai jusqu'au 15. J'eus le bonlieur
de rencontrer presque tous nos sauvages des frontières et
quelques-uns de l'intérieur, de les confesser et de leur don-
ner la sainte communion, le jour de la fête de l'Âssomptioa
de la Sainte Vierge. Je me dirigeai alors vers la Kipawe pour
fournir aux indiens du lieu l'occasion de faire quelques
jours de mission. Après avoir visité une douzaine de familles
de blancs entre le Grand Lac et la Kipawe, je fus assez heu-
reux pour trouver tous mes sauvages réunis à Hunter's Lodge
ainsi nommé du nom de céÙii qm le premier établit ce poste
à la Kipawe, M. Hunter.
Pendant huit jours, je n'eus qu'à me louer de la bonne
volonté qu'ils apportèrent à écouter la parole divine et â sui-
vre les conseils que je crus devoir leur donner ; ils se mon-
trèrent aussi pleins de zèle pour l'instruction religieuse de
leurs enfants et firent tout en leur pouvoir pour leur faciliter
l'assistance au catéchisme.
Ils n'oublièrent pas la nouvelle chapelle à construire et
pendant que les uns étaient à se confesser, les autres travail-
laient à préparer les matériaux nécessaires au temple du Sei-
gneur, Hélas I Ils ne pourront pas travailler bien longtemps,
car ils n'ont pas les moyens de se procurer les provisions que
nécessiterait un ouvrage de longue durée ; aussi faudra-t-il
remettre à un autre printemps ce travail commencé depuis
trois ans. Je dis au revoir, et non adieu, à mes chères ouailles,
bien disposé à aller encore les visiter et à les aider à cons-
truire leur petite chapelle. Puisse le bon Dieu bénir encoie
ce dessein !
Le 2 septembre, je quittais la Kipawe, et le lendemain, je
rentrais à Témiskaming, après une absence de trois mois et
demi
Voici le nombre des baptêmes et des mariages dans ces
diverses missions :
A la Kipawe, 6 baptêmes.
Au Grand Lac, 11 baptêmes et 3 mariages.
— 123 —
A Wasswanipi, 9 baptêmes et 4 mariages.
A Mékiskan, 1 baptême.
A Kikendate, 1 baptême et 1 mariage.
A Wemontaching, 7 baptêmes et 1 mariage.
A La Barrière, 7 baptêmes et 2 mariages*
Total, 42 baptêmes et 11 mariages.
Plusieurs sont sous rimpressiou que les sauvages condui-
aent leurs missionnaires d'un poste à un autre pour l'amour
du bon Dieu. Ceux qui ont déjà fait ces missions du Saint
Maurice ou accompagné les missionnaires, savent bien qu'il
faut payer les sauvages et les nourrir ; ce qui n'est pas une
petite affaire, si l'on songe qu'on est obligé de payer la fleur
dix piastres la poche et le lard soixante piastres le quart, et
encore dans certains postes, on ne peut s'en procurer ni pour
or ni pour argent. Aussi fautril s'approvisionner d'avance et
se procurer des canots pour transporter les vivres. Ordinai-
rement il en faut une couple pour le voyage sans compter
ceux qu'il faut avoir aussi lorsqu'on veut congédier les sau-
vages qui vous ont amenés d'un poste à un autre, ce qui ar-
rive assez fréquemment. Le missionnaire a généralement
besoin de trois hommes pour l'accompagner.
Cette année nous avons eu 58 jours de voyage ; les gages
des hommes ont été de 9159.00 ; les provisions pour eux et
pour les missionnaires, 874 livres de fleur, $87.40 et 2 quarts
de lard, $120.00 ; de plus $60.00 pour des canots. Total de ces
dépenses, $420.00.
Les recettes se sont à peine élevées à $40.00.
Et vous n'avez dans ce tableau, mon Révérend Père, qu'une
partie des dépenses que nous avons à faire ; ajoutez-y les
$70.00 que vous avez payées pour objets de piété, tels que
chapelets, croix, médailles, images, livres, etc., ajoute* encore
ce qu'il a fallu payer pour les chapelles portatives, les orne-
ments, les linges, habits et chaussures des missionnaires, et
vous en viendrez à la même conclusion que nous ; que les
dépenses faites dans ces missions du Saint Maurice sont très-
considérables et que nous avons besoin de faire appel à la
charité des associés de la Propagation de la Foi. Ah I s'ils
pouvaient entendre nos cris de détresse, s'ils voyaient comme
nous la misère de ces pauvres sauvages que nous évangéU-
— 124 —
sons, s'ils entraient dans ces pauvres chapelles dénuées de
tout et qui menacent de tomber sur la tête des fidèles gui y
sont assemblés^ comme leurs cœurs seraient touchés de com-
passion 1 comme leurs âmes seraient embrasées de charité !
Ah 1 puissent-ils trouver les moyens de nous venir en aide,
pour que le règne de Jésus-Christ s'établisse de plus en plus
dans nos missions et que le nom du Seigneur soit béni par
les enfants des bois. En attendant que la divine Providence
nous accorde de meilleurs jours, je vous prie, mon Révérend
Père, de bénir nos missions et le pauvre missionnaire qui est
heureux d*etre en Jésus et Marie Immaculée,
Votre cher frère,
m
J. P. GUÉGEN, 0. M L
LA GASPESIE
AVANT 1800.
La Gaspésie, cette contrée pittoresque, décrite par la plume
agréable de M. Pabbé Ferland, dans les Soirées Canadiennes
de 1861, et dans le Foyer Canadien^ sous forme de récit de
voyages, fait aujourd'hui partie du diocèse de Rimouski.
Cette notice a pour objet de faire connaître succinctement
ces missions depuis la conquête.
M. Rameau, parlant des années qui suivirent la domination
française, fait la peinture suivante de la Gaspésie (1).
" Ce pays n'était guère connu que comme une côte favo-
rable à la pêche, et c'est à peine si quelques pêcheurs séden-
taires s'étaient fixés sur ces plages.
^' Ces pêcheurs isolés, ces courageux colons, aidés seulement
de quelques émigrants venus de temps en temps des comtés
de rislet, de Montmorency et de Québec, s'étaient soutenus,
développés et leur nombreuse postérité s'était propagée ea
colonies nouvelles sur les seigneuries encore désertes de ces
rivages délaissés.
^^ D'autre part, quelques-unes des familles acadiennes, si
cruellement chassées et poursuivies, étaient venues chercher
asile dans un lieu alors inhabité et ignoré, la Baie des Char-
leurs, où elles ont été la souche de la population française
du comté de Bonaventure. "
M. Ferland, écrivant, en 1861, /e journal d'un voyage sur
les côtes de la Gaspésie^ remarquait que '^ la Gaspésie de 1861
aurait peine à se reconnaître dans la description de la Gas-
pésie de 1836 "(2).
Le contraste est plus frappant encore lorsque l'on compare
l'état de la religion dans cette contrée en 1760 avec la pros-
périté dont elle jouit en 1879.
Un mémoire de l'évêque de Québec, du 30 octobre, 1759,
(1) Acadiens et Canadiens,
(2) Soirées Canadiennes, 1861.
— 126 —
BOUS apprend sans en préciser le nombre, que les Acadiens
étaient principalement au Gap Sable, où un missionnaire, M.
Desenclaye, les consolait et les soutenait contre les persécu-
tions ; sur la Grande-Riyière à la côte de TEst où ils étaient
plus paisibles et même plus aisés, capables de résister aux
incursions, et demandant un missionnaire qu'ils offraient d&
défrayer par eux-mêmes ; et enfin dispersés en divers lieux,
vivant misérablement dans les contrées les plus sauvages.
Les pauvres malheureux étaient souvent obligés de se
cacher dans les bois de peur des ennemis.
La position des missionnaires était des plus délicates-
Tantôt le ministre écrivait à Mgr de Pontbriand pour lui
représenter que, surtout dans les circonstances présentes, il
était important que les missionnaires de l'Acadie se condui-
sissent de façon à pouvoir se maintenir dans leurs missions.
'^ Vous devez leur recommander, disait-il, de ne rien faire
qui puisse donner à ces officiers anglais des prétextes de les
leur faire abandonner " (1). Tantôt, lorsque les Français
avaient abandonné l'Acadie, le ministre aurait voulu que les
missionnaires prissent fait et cause contre les vainqueurs
dont ils levaient tant à craindre (2). H avouait que, si les
Français*6taient en état de se soutenir et de défendre la po-
pulation, les missionnaires les encourageaient dans la fidélité
au Roi.
C'est dans cette pénible position que passèrent bien des
années, MM. Maillard, La Goudalée, Laboret, Leloutre, De-
senclave, Ghevreux et de Miniac. Celui-ci avait le titre de
Grand- Vicaire, et excitait particulièrement les soupçons du
ministre, qui l'accusait de ^^ cacher mieux que les autres ses
démarches, mais d^agir encore plus efficacement pour faire
échouer l'entreprise."
En un mot on aurait voulu se servir des prêtres comme
d'instruments pour les besoins du moment, quitte à les
abandonner à toute la fureur des ennemis.
Cependant lorsque, grâce à leur discrétion, ils avaient*été
laissés à la direction de leur petit peuple par les Anglais, le
(1) H. de Monrépas, 17 avril, v. 44.
(2) Le même, 12 mai, v. 45.
• — 127 —
ministre du roi de France admettait qu'ils avaient agi
sagement, et annonçait qu'il ^^ serait pris des mesures pour
leur faire payer à l'ordinaire leurs pensions." (1)
M. Maillard, dont M. de Mourepas s'était plaint amèrement,
ne trouva pas grâce devant les envahisseurs. Ils le ren-
voyèrent directement de Boston en France avec d'autres
prisonniers. Mais le brave missionnaire, qui n'était pas
découragé, prit ses mesures pour retourner à son poste
au moment favorable. (1746)
M. Maillard.
Ce respectable prêtre dont la vie irrépréhensible, le zèle et
les travaux ont fait tant d'honneur aux missions étrangères,
auxquelles il appartenait, était l'objet de la confiance et delà
vénération des Acadiens et des Mickmacks. Pendant 30 ans
il fut dévoué à leur salut parcourut toutes les missions
répandues dans ce qu'on appelle aujourd'hui les missions de
la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick et fit du bien
partoJt. Miramichi et Labrador étaient les deux endroits où
se réunissaient principalement les Mickmacks de toutes ces
contrées. Il allait tous les ans d'un de ces villages à l'autre,
mais faisait sa principale résidence auprès de ceux du dernier.
Il a étudié leur langue à fonds, a écrit toutes leurs prières
et leurs cantiques, leur a donné des hyéroglyphes, leur a
appris à les entendre, à les transcrire, a réduit la langue à
des principes réguliers et (ce qui doit faire trembler de jeunes
missionnaires) il a déclaré à la fin d'un de ses derniers livres
qu'il avait souvent été à tâtons avec eux, faute d'avoir assez
approfondi leur langue ou d'avoir sufBsamment connu leur
caractère.
Après la réduction du Canada, les Mickmacks, partageant
avec les Canadiens et les Acadiens le dépit qu'ils avaient
d'être passés sous la domination anglaise, mais moins modé-
rés et moins éclairés que ces deux peuples, crurent pouvoir
se dédommager de leur subjection en travaillant à la destruc-
tion des Anglais. Sur ce principe ceux de la Nouvelle
(1) M. de Mourepas Ik Mgr de Pontbriand, U mais 1746.
— 128 — •
Ecosse, commencèrent à faire main basse sur eux partout où
ils pouvaient les surprendre. Les citoyens d'Halifax ne
pouvaient à peine sortir de la ville sans tomber dans
quelque embuscade. Ces meurtres étaient devenus si fré-
quents que le gouvernement songea à prendre de fortes
mesures pour résister à ces attaques ou pour les prévenir.
Mais comment atteindre des Sauvages qui, aussitôt après leur
coup donné, gagnaient le bois à toutes jambes ? Au lieu
d'entreprendre inutilement de repousser la force, le gouver-
nement s'arrêta à un avis plus sage. Ce fut d'attirer 11.
Maillard, de le bien traiter et de faire usage de son influence
sur les Mickmacks pour prévenir la continuation de ce
désordre. La chose fut exécutée. Ce missionnaire fut invité
à fixer sa résidence à Halifax : le gouvernement lui ac-
corda une pension de £200 sterling. A une époque où
l'aversion du gouvernement anglais pour la religion catholi-
que n'avait pas de bornes, M. Maillard eut une église dans
cette capitale. Les sauvages l'y suivirent, et il ne fut plus
question des meurtres qui la désolaient auparavant. Les
Acadiens même devenus odieux à ce gouvernemeni et dJA-
perses comme on le verra ci- après, eurent la liberté de Vj
suivre et d'exercer sous sa protection leur culte dans
cette ville, et cela tant qu'il vécut.
M. MaUlard jouissait à Halifax de la plus grande considé-
ration. Après quelques années de séjour, il tomba dange-
reusement malade. Un ministre angUcain vint obligeam-
ment lui offrir ses services pour le disposer à la mort. H loi
fit une réponse digne d'un prêtre catholique, et mourut sans
sacrements, mais plein de confiance dans la bonté de Dieu
qu'il avait fidèlement servi, ne laissant que son cadavre aux
protestants qui lui firent des obsèques magnifiques. C'était
vers l'an 1768, M. Bailly lui succéda dans la desserte des Mic-
macki : après lui vint M. Bourg.
Si les Acadiens ignoraient les lettres humaines, ils étaient
en revanche instruits dans les voies de Dieu et très-attachés
à leur religion, grâce à la vigilance de leurs vertueux mis-
sionnaires pour lesquels ils étaient remplis de respect et
d'obéissance. Leurs descendants ont conservé les noms et
la mémoire de MM. Maillard, Monac, Dosque, Leloutre, De-
' — 129 —
senclave, etc., qui étaient non-seulement les pasteurs, mais
on peut dire les pères, les magistrats et les princes de ce
peuple sur lequel il avaient l'influence la plus complète " (1).
Le. seul missionnaire qu'il y eût à l'Isle Royale, à Louis-
bourg, était M. Maillard, Grand-Vicaire de cette colonie, en
môme temps missionnaire de l'Isle Royale.
Après la prise de Louisbourg, il se retira avec ses sauvages
et quelques h^abitants dans l'intérieur des terres au nord de
l'Acadie, et ensuite à Halifax avec 235 familles dont il pre-
nait soin, sans perdre de vue ces sauvages retirés dans l'inté-
rieur des terres et qui n'allaient à Halifax que par députations
pour leiirs traites.
Toutes les autres parties de l'Isle Royale étaient desservies
(en 1760) par les Récollets de la province de Bretagne.
Extrait d'un tableau sommaire des missionnaires séculiers de
Plsle Royale, de l'Isle St. Jean^ de VAcadie et de la rivière St.
Jean*
En 1745, M. Maillard fut pris par les Anglais et renvoyé
directement de Boston en France avec d'autres prisonniers.
Tl a laissé un livre de prières dans la langue mickmaque;
intitulé euchologue ; la note placée au commencement mérite
d'être reproduite ici :
'^ Tout ce qui est contenu dans cet euohologue a été travaillé
avec un soin extrême, tout y est nouveau ; m'étant vu obligé
de traduire et composer ce tout avec beaucoup d'autres ou-
vrages qui ea dépendent, comme s'il n'y avait jamais encore
eu rien de fait en ce genre pour cette nation, vu que ce que
l'on avait ci-devant appris était non-seulement insufQsant,
mais encore si misérablement rendu en leur langue qu'il
n'était pas possible d'en supporter le récit sans en rire ou en
pleurer. Le peu d'écrits que j'ai trouvés des missionnaires
qui m'ont précédé n'était plus du tout intelligible quand ceux
de nos sauvages, qui disaient leâ bien savoir par cœur,
venaient à en faire la répétition.
J'ai ici un collègue dans ces missions qui est M. Manach
(1) Extrait du journal de la miaBion de Mgr Pleesis dans le golfe Saint-
Laorentj en 1815,
— 130 —
prêtre (1) comme moi des missions étrangères, fort en état
de m'aider."
Il est utile de rapprocher de cette note celle écrite de la
main de M. Jos. Bélanger prêtre, à la fin de VEuchologite.
'' Ce tahier est l'ouvrage précieux du Vénérable M. Maillard
Missionnaire à Tlsle du Gap Breton. Ce très-digne apôtre de
la nation Mickmaque mourut à Halifax après une longue car-
rière remplie de talents et de vertus. Justement regretté de
tout le monde et honoré même après sa mort des services du
gouvernement gui pourvut à sa pompe funèbre d'une ma-
nière généreuse et distinguée ; sa mémoire est en vénération
parmi tous ceux qui Pont connu. Pretiosa in conspectu Do-
mini mors sanctorum ejus.
Ses écrits sont ce qu'it y a de plus pur et de plus énergique
dans la langue Mickmaque : on doit sans crainte les respecter
et les considérer comme ayant été dictés àee saint prêtre par
celui qui est l'auteur de toutes les langues et qui veut être
honoré d'un culte public par toutes les nations de l'univers.
Heureux les missionnaires qui le prendront pour leur mo-
dèle, non seulement dans l'étude d'une langue si dif[Icile, et
si difTérente de la logique des autres langues, mais encore
pour sa piété et sa ferveur et son zèle infatigable pour le
salut des âmes.
Priez pour lui et demandez à Dieu des ouvriers qui Itû
ressemblent. Orate Dominum messis messis quidem miâlta.
Garleton 23 septembre 1816. J. M. R
Les missionnaires n'auront pas lieu de se repentir d'avoir
été prudMits, càt le nouveau ministre Rouillé écrivait, ea
1 749, à Mgr de Popjbriand :
^^ Par rapport aux missionnaires de l'Âcadie, les mesures
que le gouvernement britannique prend à l'égard de cette
colonie doivent faire craindre qu'on laissera ceux destinés
aux anciens habitants moins tranquilles que par le passé, et
vous ne sauriez trop leur recommander de se conduire avec
circonspection dans leur ministère."
(1) Ce M. Manach ayait soin des Mîckmaos anciennemet appelés ^ I!»
JSaie Verte, qui étaient liés à la mission de PAoadie Française, il fnt ren-
voyé en France an mois d'avril 1760 par le gouvernement anglais.
— 131 —
Enfin en 1750, le même ministre écrivait encore au digne
prélat :
" Par les dernières nouvelles que j'ai reçues de l'Ile
Royale, il paraît que le gouvernement anglais de TAcadie ne
s'opposait plus à l'exercice des fonctions des missionnaires
de cette colonie ; mais c'est à eux de se conduire de façon à
ne point donner prise sur leur conduite et vous ne sauriez
trop les y exhorter."
Telle était la position des ministres de la religion, exposés
à chaque instant à voir les maîtres du pays chassés par ceux
gui cherchaient l'occasion de reprendre possession.
Après la dispersion des Acadiens en 1755, il y avait dans
la Baie des Chaleurs une population de 1200 âmes.
En 1766, la Baie des Chaleurs était desservie par le Père
Bonaventure : ce Récollet faisait sa résidence ordinaire à
Bonaventure. Le 28 de septembre, il rendit compte de la
manière suivante de la l'état de ses missions à l'Evêque de
Québec :
" MONSIBGNEUR, *
Je vous, écris .par un sauvage nommé François Condo pour
vous informer de la sitiflttion des missions qu'on m'a confiées
tant des français que des sauvages. Tous ont montré leur zèle
pour soutenir la religion et le prouvent encore tous les jours,
malgré tous les obstacles qu'ils ont eu à vaincre ; et j'espère
qu'eux, leurs enfants et tous leurs descendants seront fidèles
à en observer les préceptes. Je commence à être sur l'âge
très-infirme et presque incapable de les desservir comme il
conviendrait J'ai bien encore des raquettes, mais je n'ai
plus de jambes pour aller secourir les malades à sept ou huit
lieues."
Le Père de la Brosse, Jean-Baptiste, qui visita les missions
de L'Acadie en 1771 et 1773, était un homme d'une grande
énergie ; c'est un des Jésuites dont le souvenir est resté le
plus vivace partout où il a exercé le ministère. On le trouve
faisant les missions de la côte du Nord j^ndant de longues
années.
On n'a conservé de lui qu'une seule lettre sur l'Acadie {
nous la donnons ici toute entière :
t ,
— 132 —
" Le Révérend Père La Brosse, S. J , à Mgr. Briand, Evêque
de Québec.
De la mission de St. Bonaventure, à la Baye des Chaleurs,
28 décembre, 1771.
Monseigneur,
Grâce à Dieu et à la bénédiction de Votre Grandeur, je me
suis rendu ici sans aucune indisposition, même le mal de
mer, à quoy j'ay été sujet en canot d'écorce. Je n'ay eu au-
cun retardement que celuy que m'a caitsé un vent contraire
de sept jours, qui me retenant à RimoHski, m'a mis à portée
d'y faire faire les jaques à tous ceux qui ont voulu les faire.
Dp là, je suis heureusement arrivé en quatre jours à St. Bo-
naventure où j'ay fixé mon hivemement, parce que ce poste
plus peuplé que les autres, est au centre de ceux de la Baye
des Chaleurs, qui sort de la Province de Québec. Avant de
me mettre en hivemement, quoique la saison fût avancée
j'ay fait quelques excursions jusqu'à Ristigouche, chez les
sauvages Mickmaks; leur rivière sépaVant les deux provinces^
leur ancienne église et leur village se trouvent sur la pro-
vince d'Halifax. Ils se sont établis <tu côté de celle de Qué-
bec, afin que les prêtres qui viendraient de là, pussent leur
procurer les secours spirituels. J'y ay j^assé la fête de la
Toussaint, et quelques-uns qui entendaient l'Abénakis on le
François s'y sont confessés dans ces langues^ et les autres
par interprètes. J'y ay béni leur nouvelle église, et comme
l'ancienne peut encore servir, je leur ay dit de ne la poiat
démoli^ et d'entretenir la clôture des cimetières, pour qu'ils
puissent avoir du secours des deux côtés en cas qu'il vînt
quelque prêtre du gouvernement d'Halifax, qui peut-être
n'aurait pas la permission de passer dans celui-cL
J'y ay trouvé icy un peuple docile et zélé pour les instruc-
tions ; outre la messe et le catéchisme de tous les matins, ils
m'ont encore demandé de leur faire la prière tous les soirs,
avec un mot d'instruction, où ils assistent en foule, et qui
les dispose peu à peu à gagner l'indulgence du Jubilé*, que
ie suis résolu de faire gagner. Dieu aidant, les premières
semaines de Carême, tant à ceux d'icy qu'à ceux des postes
— 133 —
voisins que j'en ay prévenus de vive voix et par écrit. M.
Bourdage, témoin oculaire et désintéressé qui remettra cette
lettre à V. G. lui pourra rendre de tous les Acadiens qu'il a
vus dans ces quartiers un témoignage capable de luy donner
de la consolation.
QuelquQ temps après mon arrivée, il est venu icy des gens
des différents postes du gouvernement voisin à qui j'ai pro-
curé selon mon pouvoir les secours du salut, mais sans aller
chez eux.
Nous renouvelons nos vœux auprès de Dieu pour la con-
servation de V. G. et moy en particulier je luy demande la
bénédiction pour moy et la portion du troupeau qu'elle a
bien voulu me confier et j'ai l'honneur d'ôtre avec un pro-
fond respect et une vive reconnaissance pour vos bontés,
Monseigneur,
De Votre Grandeur
Le très-humble et très-obéissant serviteur,
J. B. DE LA Brosse, J.
Ce fut le Père La Brosse qui lit bâtir la première chapelle
de Garleton, alors Tracadièche. M. Bourg la fit allonger,
acheta le terrain nécessaire pour les bâtisses et le cimetière,
et en fit don à la mission.
L9 16 juillet 1734, M. Gravé, Vicairo Général de Québec
écrivait à M. Bourg, V, G. et missionnaire à Tracadiècha,
pour l'informer que les Anglais catholiques d'Halifax de-
mandaient à l'Evoque de Québec un prêtre avec les plus
grandes instances. Ils s'étaient d'abord adressés à l'Evêque
catholique de Londres qui leur avait naturellement répondu
qu'Halifax n'était pas dans son district. M. Bourg recevait
donc l'injonction de se transporter à Halifax, d'examiner les
choses par lui-môme et de lui en rendre compte. Y avait-il
beaucoup de catholiques dans la ville ou aux environs dans
la Nouvelle-Ecosse ? Y bâtirait-on avec liberté une église et
une maison presbytérale ? Quels moyens avait-on de faire
subsister un prêtre et autres choses semblables?
Le désir de l'Evêque était que M. Bourg y fit sa résidence;
M. LeRoux lui succéderait à la Baie des Chaleurs jusqu'à
nouvel ordre.
_ 134 —
On prévoyait qu'Halifax deviendrait un des premiers
postes, et les catholiques y avaient obtenu du parlement en
faveur de la religion catholique, des avantages que bien
d'autres n'auraient seulement pas osé demander. M. Bourg
savait parfaitement la langue anglaise, était le Vicaire Géné-
ral de l'Evêque de Québec et avait toute sa confiance. H
était chargé de dire à ces catholiques que l'Evêque ne les
oubliait pas, qu'il était très-content du zèle qu'ils avaient
pour leur religion ; qu'il avait en vue leurs intérêts spirituels
et qu'il travaillerait de tout son pouvoir à les secourir.
M. Bourg, Joseph Mathurin, a été pendant près de 20 ans^
missionnaire de l'Acadie,
. C'était un Acadien que Mgr Briand 'avait ordonné en 1772 ;
il fut fait Grand Vicaire pour l'Acadie en 1781, et résida
quelques mois en cette qualité à Halifax en 1784.
Le 11 février 1785, il écrivait une lettre très-intéressante à
M. Gravé, Vicaire Général et Supérieur du Séminaire de
Québec ; en voici un extrait :
" Monsieur,
" J'eus l'honneur d'écrire à Mgr l'Evêque étant à Halifax
dans le courant de l'été dernier, que je me conformais au
désir de Sa Grandeur, qui était que je résidasse à Halifax ; M.
Le Ropx devait résider en la Baie des Chaleurs, et moi
j'étais sur mon départ d'Halifax pour chercher mes effets en
la Baie, et retourner au plus tôt.
* J'ignore si cette lettre est parvenue à Sa Grandeur et c'est
ce qui m'oblige de vous écrire la présente. Le trajet d'Halifax
à la Baie m'a pris trois semaines, et, dans une tempête qui
dura trois jours sans discontinuer, tout l'équipage fut décon-
certé excepté le capitaine, je fus obligé de servir de matelot
pour me sauver la vie, et à mon arrivée je tombai malade,
tant j'avais essuyé de fatigue et de froid. Cette indisposition
m'a retenu dans la Baie; si Dieu me conserve, j'espère me
transporter à Halifax ce printemps pour y faire ma résidence
jusqu'à nouvel ordre de mon Evêque.
Quant à M. Le Roux, qui est un très-digne prêtre, il est
maintenant d'un âge si avancé qu'il lui est impossible de
pouvoir desservir tous les endroits éloignés et même les
— 135 —
moins éloignés durant l'iiiver. Ainsi je crois qu'il serait à
propos, si Sa Grandeur Tavait pour agréable, qne M. Le Roux
vint résider où je suis, gui est maintenant l'endroit le plus
considérable de la Baie, puisqu'il y a 78 habitants. Neuf
lieues plus haut est la maison de Ristigouche qu'il pourrait
encore desservir, ainsi que les endroits nommés Pégeguit et
Garaquet, où il peut y avoir en tout 40 habitants. Le second
endroit le plus considérable est Bonaventure, douze lieues
plus bas que Tracadie et toujours du côté nord où il y a
environ 60 habitants. Quatre lieues plus bas est un endroit
appelé Paspéblac où il peut y avoir 25 habitants, ensuite le
Port Daniel, Pasbeau, la Grande Rivière et Percé. Du côté
du sud de l'ouverture de la Baie, se trouve Miramichi où il
peut y avoir 20 familles et quantité de sauvages ; plus loin
Cocagne et Memramcouk, où réside maintenant M. Le Roux,
parce qu'il y a 100 habitants au moins.
Ne serait il pas possible de placer un jeune prêtre à Bona-
venture pour y résider dans le cours de l'hiver ? L'été
il parcourrait les différents endroits que j'ai nommés.
M. Le Roux pourrait le suppléer pour les malades pendant
son absence.
Je suis persuadé que votre zèle apostolique vous excitera à
faire tout ce qui dépendra de vous pour favoriser cet arran-
gement
Je présente mes très-humbles respects à Sa Grandeur, et
prie le Seigneur pour sa conservation.
Je suis, cher Supérieur et Vicaire Général avec estime et
considération,
Votre très>humble et très-obéissant,
Joseph M. Bourg, Ptre., Miss.
A Tracadie (aujourd'hui Carleton), le 1 1 février 1 785.
A. M. Gravé, Vicaire-Général, Québec.
En 1786, M. Bourg s'occupa de faire bâtir une nouvelle
église pour tous les établissements depuis Cascapédiac jusqu'à
la Nouvelle. Ce qui engagea les habitants à l'entreprendre,
ce fut l'activité que prit alors le commerce. Mais M. Bourg
— 136 —
ayant transporté sa résidence à Bonaventure, les Àcadiensde
Tracadièche ûrent instance auprès de TEvêque de Qaébec
pour obtenir un prêtre résidant : ce qui leur fut bientôt
accordé.
Les sauvages Mickmacs de Ristigoucbe, au départ de M.
Bourg, se trouvèrent confiés au missionnaire de Garaqaet,
qui est à 24 lieues. La lettre que les chefs présentèrent à
^ l'Evêque à cette occasion respire de beaux sentiments et mon-
tre rattachement qu^ils avaient pour le prêtre qui cessait de
les desservir. " Permettez à vos soumis enfant, dLisaient-ils,
de représenter à Votre Grandeur la tristesse que nous avons
ressentie lorsque notre bon pasteur nous a annoncé ga'il
n'était plus notre père. Cette nouvelle nous contriste telle-
ment qu'elle nous fait prendre la liberté de la supplication
suivante.
" Monseigneur, si par un effet de votre bonté vous vouliez
nous accorder M. Bourg ou M. Girouard résidant parmi nous,
neus serions tous contents et satisfaits ; mais nous priver de
notre ancien pasteur dont nous sommes très-satisfaits el qui
entend notre langue, qui réside à 9 lieues de notre village da
môme côté, cela nous fait une telle peine que les termes nous
manquent pour l'exprimer."
M. Girouard qui était l'assistant de M. Bourg depuis quel-
que temps fut chargé de Ristigouche, de Nipissigui, de Gara-
quet et de Miramichi. Sa résidence fut fixée à Caraquet
comme le poste le plus important.
Quant aux sauvages de Madawaska, ils furent visi|(§s par
le curé de l'Ile Verte, qui était alors M. Leclair.
En 1791, l'église de Bonaventure brûla avec tout ce qu'elle
contenait par la négligence d'un servant qui laissa tomber
des charbons sur le plancher de la sacristie ; mais les coura-
geux fidèles en recommencèrent immédiatement une nou-
velle, qui fut terminée en peu de temps.
En 1791, M. Bourg fit la visite de tous les postes et en ren-
dit compte à son retour à Percé :
^' Monseigneur,
'' J'informe Votre Grandeur que, grâce au Seigneur, joois-
saut toujours d'une parfaite santé, j'ai fini de parcourir nord
— 137 —
et sud toutes mes missious, de sorte qu'en trois ou quatre
jours je partirai de Percé, où je suis depuis quelque temps,
pour retourner à la Baie et faire une mission à Caraqu et. J'y
«uis allé ce printemps, mais ces pauvres gens ne pouvaient
avoir recours à moi dans le cours de l'hiver. J'ai reçu les
saintes huiles pour lesquelles je vous remercie et le mand e-
ment à l'égard de la suppression de quelques fêtes. J'ai lu ce
mandement en chaque lieu et m'y conformerai ainsi que
tous les habitants.
" On ne voit que misère en la Baie cette année, attendu que
la pêche du saumon et la chasse ont presque entièrement
manqué ; la pêche à la morue est fort médiocre, mais la
récolte a été assez bonne. C'est un malheur qu'on ne soit pas
plus porté à cultiver avec soin. Quelques habitants de ma
paroisse recueillent déjà depuis quelques années plus qu'ils
ne dépensent.
"J'espère que cet exemple inspirera aux autres qui vivent
très-mal dan^ le cours de l'hiver, le désir de les imiter.
Je suis, etc.,
Joseph M, Bourg, Ptre.
" Vers la fin du siècle dernier, dit M. Ferland, (I) M. Gi-
rouard fut chargé de desservir le littoral de la Baie des Cha-
leurs et le district de Gaspé tout entier; plusieurs années
auparavant, M. Bourg avait à visiter plus de 400 lieues de
côtes, dans la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick et le
danada. Aujourd'hui que les missions ont été divisées, le
pasteur peut veiller plus aisément sur son troupeaux et l'in-
struction religieuse se répand dans toutes les parties du pays.
Nous avons ici l'occasion d'observer tout le bien moral qui
résulte de la piésence du missionnaire au milieu de ses
ouailles."
En 1791, nous trouvons à Bonaventure M. Bourg, qui
avait remplacé le Père Bonaventure. Il était presque tou-
jours ambulant, et commençait ses missions de bon printemps
pour les continuer durant tout l'été. C'est à cette date que
(1) Journal d'un voyage sur les cotes de la Qaspésie.
— 138 —
commença rétablissement de Richibouctou, fonné de quel>
ques familles de Bonaventure et de Memramcouk.
M. Bourg cessa alors d'être chargé du territoire situé au
de là de Miramichi. Tout le reste de TAcadie fut confié i
un M. Jones, prêtre irlandais, que Mgr Desgly nomma (le 20
octobre 1797) supérieur des missions de la Nouvelle-Ecosse-
L'évêque de Québec adressa à cette occasion une lettre
pastorale aux " catholiques Irlandais, Ecossais, Acadiens et
autres établis à Halifax, Gap Breton, De St. Jean, Shelburn,
Antigonish, Digby, Memrancouk, Cap Sable, Baie Sainte-
Marie, Miramichi, Améraque, et généralement à toutes les
parties de la Nouvelle-Ecosse. "
Il y avait un paragraphe concernant le chef de la mission :
" Je dis aux catholiques d'Halifax : révérez M. Jones, c'est
un homme de grand mérite et auquel vous avez des obliga-
tions infinies; suivez ponctuellement ses conseils, surtout
pour votre conduite extérieure. Vous ne recevrez pour
missionnaires anglais que ceux qui vous seroQt donnés par
M. Jones, supérieur des missions de la Nouvelle-Ecosse, au
par M. Phellan, dont la science et la vertu doivent vous être
connues, puisque vous avez l'avantage d'être desservis par
ses soins."
Mgr Hubert, successeur de Mgr Desgly, conserva sa con-
fiance à Mr Jones.
Cet excellent prêtre était venu en 1785, avec des lettres de
l'archevêque de Dublin, tes évoques de Cork et de Derry, et
de son supérieur. Mgr Butler, de Cork, l'offrait à Tévêcpie de
Québec pour le service des Irlandais d'Halifax avec de grands
éloges. Il demeura jusqu'en 1800 et retourna en Angleterre
avec le prince Edouard. Un acte qui l'honore beaucoup, c'est
la fondation qu'il fit, en 1792, en faveur de ses missions du
montant de $5,200, déposées dans une banque.
En 1796, Mgr Hubert étant allé faire une visite de TAcadie
eut occasion d'apprécier personnellement son mérite ; il
trouva qu'il s'était assuré les bonnes grâces du prince
Edouard, qui commandait les troupes anglaises dans la Nou-
velle-Ecosse.
Quant à la Baie des Chaleurs, Mgr Hubert put voir de ses
yeux, combien elle souffrait au spirituel. En 1704, Mr.
— 139 —
Bourg n'était plus en état de remplir les fonctions de mis-
sionnaire ; révêque de Québec le -nomma curé de St. Laurent,
en nie de Montréal, afin qu'il pût s'y reposer un peu de son
laborieux ministère ; mais il ne fit que languir et mourut
trois ans après à l'âge dd 53 ans seulement.
On a souvent entendu parler du Lieutenant Gouverneur
de Gaspé comme d'un être légendaire qui n'avait jamais fait
d'autre acte que de retirer le salaire attaché à une sinécure.
On trouve pourtant des lettres de ce personnage qui se rap-
portent à la fin du siècle ; il ne sera pas sans intérêt de re-
produire au moins la première :
Aux habitants de la Rivière à l'Anguille,
J'ai reçu votre requête par les mains du Rév. Mr. Bourg,
au sujet des inquiétudes que les sauvages nommés Caplans
vous occasionnent. Je leur fais dire par leur missionnaire
que si à l'avenir ils ne se comportent point comme- de bons
sujets, ils se feront faire des affaires, et j'attends de votr^
part une conduite honnête et tranquille envers eux. Vous
avortons plus de lumière qu'ils n'en ont : il faut donc leur
montrer un bon exemple."
Percé llème Août 1785.
François LbMaistbe,
Lieutenant-Gouverneur.
A la même date, le Lieutenant Gouverneur de Gaspé au-
torisait Jacques Gangnon à agir comme chef des sauvages
domiciliés à Ristigouche, ordonnant à ceux-ci de lui obéir,
jusqu'à ce que le bon plaisir de Son Excellence le Capitaine
Général et Gouverneur en Chef fût connu. *
Le missionnaire qui succéda à M. Bourg dans le soin de
Bonaventure et de ses dépendances fut M. Louis Joseph
Desjardins, prêtre français,, ordonné dans son pays et venu
en Canada à l'époque de la révolution (1794).
Lorsque Mgr Hubert eut fait la visite ^e l'Acadie, M. Des-
jardins lui écrivit une lettre qui peint son caractère; en
voici im extrait :
— 140 —
Monseigneur,
Si Dieu a exaucé nos prières et nos vœux. Votre Grandeur
sera heureusement arrivée au terme de sa mission : nous
espérons que vous en avez bien supporté les fatigues jusqu'au
bout, et que vous exécuterez Tan prochain votre projet de
visiter le reste de TAcadie. Si vous avez la bonté de relâcher
sur nos côtes vous mettrez, le comble à nos désirs.
Votre présence et vos instructions pastorales, Monseigneur,
ont produit partout les plus grands e£fets. C'est une consolation
pour vos missionnaires d'avoir à cultiver un champ qae
vous avez si bien défriché. Nous tâcherons de suivre en tout
vos désirs et vos exemples ; et nous n'oublierons jamais la
bonté paternelle avec laquelle vous nous avez traités pendant
cette mission. C'est un surcroit de bienfaits qui vous assureat
dans nos cœurs une éternelle reconnaissance."
L'Evêque avait réglé que, vu l'incendie de l'église de
Bonaventure, M. Desjardins résiderait à Tracadièche. M.
Plessis, alors curé de Québec, envoya de nombreux objets
nécessaires au culte dont la mission était dépourvue. M.
Desjardins accueillit cet envoi par une lettre charmante;
nous faisons un extrait de celle-ci et de plusieurs autres.
Tracadiès, 15 février 1796.
" Monsieur et cher curé, — J'ai reçu avec une satisfactioa
bien vive vos aimables lettres du 22 octobre et du 6 novem-
bre ; ce sont pour moi de nouveaux témoignages d'une amitié
à laquelle j'ajoute infiniment de prix. Conservez-la mo£^ je
vous prie, ainsi qu'une petite part dans vos prières.
Les précieuses reliques, tous vos bouquets, votre orne-
ment vert avec ^es dalmatiques, nous sont parvenus à bon
port II vous plaît appeler tout cela des vieilleries ; nous les
prisons comme nos plus beaux ornements et ne nous en
parons qu'aux jours de grande fét«. Nous savons d^aillears
estimer l'intention donantis et cela ajoute encore du mérite
aux dons.
Il fallait voir la surprise, l'admiration de nos habitants et
surtout des sauvages à la messe de çiinuit, quand nous avoos^
déployé ces richesses î De leur vie, dirent-ils, ils n'avaient
— 141 —
jamais rien vu de si beau ! Eu effet il faut coaveair que
notre cortège était pompeux, et l'autel fort bien illuminé
Vous avez beau sourire, mon cner curé, vous n'avez toujours
point eu dans votre cathédrale une messe de minuit si bril-
lante i diacre et sous-diacre, cérémoniaire, thuriféraire, aco-
lytes, rien n'y manquait, pas même la gravité du célébrant.
Cependant au itûlieu de l'of&ce, un fougueux ouragan, qui a
^ait craquer tous les membres de notre église, a troublé un
peu notre sérénité.
Si vous avez encore, mon cher curé, de pareilles vieilleries
de rebut, nous vous en demandons la préférence ; cela vous
fera peut-être lamenter notre pauvreté ; mais c'en sera le
remède. Les gradins et la custode de la Ste Famille seront
reçus avec la plus vive reconnaissance, surtout quand ils
auront un peu passé par les mains de nos chères filles.
Quand vous ferez quelque suppression dans votre église, de
grâce songez à nous. Nous avons maintenant quatre chapelles
en construction ; il nous faudra bien du butin pour les déco-
rer tant soit peu.
Permettez-moi de faire une demande, que vous voudrez
bien référer à M. Marchetan, curé de St. Antoine, pour le
Suaire qu'il a fait, et que vous avez enseveli dans quelque
coin poudreux de votre sacristie.
En mémoire de vous, nous sèmerons avec grand soin les
beaux épis de blé-d'inde, ainsi que les lentilles et les fèves
qui nous viennent, je ne sais de quelle main. Venez-en
manger votre part cet été avec Monseigneur. Vous allez
voir, en parcourant mes domaines, s'il est possible à votre
misérable serviteur de les desservir convenablement; non,
c'est impossible, à moins que le prélat ne me donne un
nouveau collègue de ce côté. J'ai exposé succinctement à
Mgr la nécessité d'être deux prêtres ici : vous le sentirez
vous-même, j'espère. Je sais qu'il y a bien d'autres besoins
dans cet immense diocèse, mais, de bonne foi, en avez-
vous de plus urgent? Je n'insisterai point en parlant
dans ma propre cause ; je vous la donne à défendre. Mais,.
observez que Percé seul, avec l'Ile Bonaventure, la Pointe
SL Pierre, Gaspé et la Grande Rivière, serait bien capable
d'occuper un prêtre toute l'année. Je crois que ces endroits
— 142 —
pourraient aussi le faire vivre, si ou doublait la dlme,
ainsi que de justice, à raison d'une desserte plus fréquente.
Percé a besoin d'une résidence un peu loqgue du missioa-
naire. Bonaventure et Paspébiac occuperaient enrore un
homme de travail et le soutiendraient, je crois, en augmen-
tant un peu les honoraires. Tracadie et Ristigouche sont
assez, n'en doutez pas, pour un homme qui Veut bien faire
son devoir : car qui trop embrasse, mal étreint. Ainsi, vons
voyez, moucher curé, qu'au lieu d'un il nous faudrait bien
deux bons collaborateurs. Pesez tout cela en présence du
prélat et de Dieu.
Le petit frère de Caraquet (1) a pris son vol et me laisse on
peu chagrin ; son arrivée m'avait comblé de consolation.
Pardonnez mes longueurs et veuillez me croire ainsi qae
vous le dites fort bien, sans cérémonie et sans réserve,
Votre très humble serviteur et ami,
L. J.Desjardins, Ptre Mtss.
M. DBSJARBINS A M. PLBSSIS
Percé, 8 septembre 1796.
*' Monsieur et curé.
J'arrive du bout du monde, au moins du terme de ma
mission, de la Rivière au Renard. J'ai fait beaucoup de
chemin : j'ai pris un aperçu des lieux, des gens, et de ce que
l'on peut y faire par la suite avec un peu plus de loisir que
je n'en avais à y rester. J'ai été quinze jours dans cette
excursion ; il faudrait y passer deux mois. La chose est
impossible à moins qu'on ne me donne un confrère pour
veiller au centre de la mission, tandis que je courrais au loin.
M. de la Vaivre, je crois, serait bien propre à cet emploi et je
serai très-conteut si vous pouviez m'en faire le cadeau à la
Saint-Michel.
Le cher Castanet n'est pas oisif de son côté, comme bien
{1) M. Desjardins désignait sons ces termes affectaeiu: M. Castanet»
missionnaire de Caraqaet, qui était vena le visiter à Traoadièche.
— 143 — I
VOUS pensez. Je lui ai fait faire près de 50 lieues pour me
rencontrer, et il ne m'a point trouvé au rendez-vous. Jugez
de son impatience et de la mienne ; mais le devoir m'appelait
ailleurs et il a fallu tout lui sacrifier. J'espère aller le joindre
chez les sauvages de Miramichi, où il compte cabaner cet
hiver. Franchement nous faisons plus de cas de ces pauvres
chrétiens que de bien d'autres. Moi, je suis très-content des
miens, et je me fixerais volontiers à Ristigouche avec eux si
c'était possible."
15 septembre 1797.
"Notre cathédrale avance et si, pour le coup, elle n'^st pas
tout à fait à l'abri du feu, j'espère au moins qu'elle sera à
l'abri des fougueux aquilons. Nous n'avons rien épargné
pour la rendre solide, élégante même suivtot nos moyens.
Nous éperons que vous ne nous oubUerez pas dans vos
réformes d'ornements. "Tel brille au second rang qui
s'écUpse au premier." Nous vous ferons honneur, et nous
tiendrons compte de toutes vos vieilleries. Si vous pouviez
y joindre un missel ! n'importe la date et le format. Oserai-
je vous prier de me céder un de vos Rituels Anglais ; vous
ne sauriez croire le nombre d'Irlandais qui se trouve sur les
côtes : je souhaiterais avoir quelques livres à leur mettre
entre les mains pour les retirer de l'oisiveté le dimanche.
Tâchez de me procurer des Imitations^ ou la Vie dévote^ le
catéchisme de Douay^ le manuel^ etc. "
Il est temps de voir les nouvelles mesures que l'Evèque de
Québec avait prises pour subdiviser la Gaspésie et soulager
un peu les missionnaires qui s'y trouvaient déjà. On trouve
ce détail dans d'autres lettres de M. Desjardins à Mgr Hubert.
"^Monseigneur,
J'ai reçu par M. Delavaivre votre gracieuse réponse du 18
octobre dernier, et j'ai fait passer à Caraquet les dépêches de
Votre Grandeur pour M. Castanet. Les démarches et les
sacrifices que vous voulez bien faire pour notre mission,
nous pénètrent de la plus vive reconnaissance ; vous ajoutez
particulièrement à la mienne par le double cadeau d'un
» —144— ,
excellent confrère et d'un superbe patron, qui me deviennent
doublement cbers, en les recevant de votre main.
L'arrivée de M. Delavaivre a causé dans toute la baie une
révolution de joie ; elle a été extrême à Bonaventure, et ma.
satisfaction a été complète en voyant que votre choix rem-
plissait tous mes désirs. J'espère que ceux de notre nouveau
confrère seront aussi satisfaits, et qu'il trouvera ici les con-
solations qu'il cherche dans le ministère ; il ne tiendra pas
à moi de lui adoucir les peines qui en sont inséparables.
Je ne dois pas vous laisser ignorer qu'il se livre avec
beaucoup de zèle et de fruits à Péducatiou de la jeunesse ; et
qu'il est comblé de bénédictions par ce bon peuple avide
d'instruction : agréez-en, après Dieu, notre gratitude com-
mune.
Tout le monde se flatte de votre visite cette année, et nous
faisons particulièrement des vœux pour qu'il plaise à Dieu
vous accorder la continuation d'une santé qui nous est si
chère.
'' J'ai l'honneur, etc.,
L. J. Desjardins M. P.
Carie ton dit Tracadièche,
10 janvier 1797.
Carleton, 13 Mai 1797.
" Monseigneur,
Quand je vous ai écrit cet hiver par la voie de Madawaska,
je me proposais de vous donner quelques détails relatids à la
côte du Nord : le temps ne me l'a pas permis.
J'ai eu le plaisir de me réunir dernièrement à mes
deux confrères à Paspébiac et Bonaventure, où nous avons
conféré des dispositions nouvelles que nécessitait l'arrivée de
M. Delavaivre. Il a bien voulu se charger de Bonaventure,
Paspébiac et Port Daniel : sa santé ne lui permet par d'écon-
ter son zèle et d'étendre plus loin sa mission. M-Gastanet me
remet Nipissiguet entre les mains, attendu la grandeur de sa
mission. Il est juste qu'il profite du bienfait dont vous avet
— 145 —
comblé la Baie. Ristigouche, Percé et les environs me res-
tent à desservir.
M. Gastanet jouit d'une excellente santé, malgré les fatigues
inséparables de ses voyages d'hiver ; il conserve toujours
l'aimable caractère gue vous lui connaisses.
Notre église de Tracadiès est en grande réparation et doit
être incessamment refaite à neuf. Un coup de vent furieux
a emporté une partie du toiL J'ai fait défaire le reste, et
nous attendons le constructeur des églises de Ristigouche et
de Bonaventure pour élever la nôtre sur le môme plan ;
mais nos moyens sont faibles, et l'incertitude pour la pêche
prochaine nous donne bien quelques inquiétudes. Si Diem
nous conserve le zèle et bon accord que j'admire dans le plus
grand nombre des habitants, j'espère voir la fin de cette
grande entreprise. L'espérance de voir cet édifice béni de vos
mains, Monseigneur, est un grand encouragement pour nous.
J'ai l'honneur, etc.,
L. J. Desjardins P. M.
BL de la Vaivre de son côté i%ndait compte à Mgr Hubert
des dispositions de son peuple de Bonaventure.
^ MOMSBIGNEUR,
Les habitants de Bonaventure ont vu avec sensibilité l'in-
térêt que Votre Grandeur veut bien prendre à leur salut
A peine eurent-ils appris que Charlemagne m'amenait que
ce fut pour toute la paroisse une réjoui^ance générale.
Chacun voulut se mettre sous les armes : les ordres étaient
déjà donnés lorsque je trompais leur attente. Je mis pied à
terre à Paspébiac le jour des Morts et, sans prendre aucune
connaissance de l'endroit, j'arrivai nuit close chez le premier
liabitant de Bonaventure. Après des surprises et des honnê-
tetés de plusieurs maisons je fus conduit par Benjamin
Bourdage, à l'hospitalité de M. Desjardins qui l'avait quitté
huit jours auparavant Les braves hôtes me reçurent avec
tous les témqignages d'amitié et de respect que peuvent
— re-
faire des gens piefux à des ministres du Seigneur; ilss*em-
pressèrent de me donner une lettre que M. Desjardins, plein
de confiance en la bonté de son êvêque, avait laissée pour moi.
Après avoir passé deux jours dans cette paroisse sans
pouvoir y dire la messe faute de vases sacrés, je partis le
troisième avec un nommé Gauthier pour Tracadîèche. Ce
dit capitaine, qui avait oublié sa boussole, fut échouer dans
l'obscurité de la nuit à Cascapédiac. Le calme m'obligea de
quitter le bâtiment ; je pris un cheval et arrivai heurense-
ment le samedi, 6 novembre à Tracadièche, où M. Desjardins
m'accuellit avec tous les témoignages de la joie et de Tamitië
la plus sincère. Sa gaieté et son enjouement me firent passer
agréablement quatre jours. Il vint lui-même m'installer le
14 à Bonaventure. Depuis ce temps je me vois chargé d*ane
paroisse de 237 âmes et de 126 communiants. Ils m^ont
donné jusqu'à ce moment beaucoup de consolation ; ils me
semblent surtout affamés de la parole de Dieu. Le Seigneur
veut bien favoriser leurs bons désirs en me permettant de
leur dire tous les dimanches et fêtes ce que je trouve de plus
convenable à leurs besoins."
M. de la Vaivre ajoutait le 28 mai :
" Votre Grandeur apprendra avec plaisir que notre église
va se finir cette semaine, et sera bénite le jour de la Pente-
côte."
M. Castanet, missionnaire de Caraquet, et Français comme
MM. Desjardins et de la Vaivre, ne fut que trois ans dans le
ministère ; il monta à Québec pour se faire soigner. D s'étei-
gnit à l'hôpital général le 26 août 1798, et y fut inhumé. Ce
détail explique les premières paroles de M. Desjardins à Mgr
Plessis, que Mgr Denant avait choisi pour son eoadjuteur en
1797, et nommé son Vicaire Général : il lui en écrivît deuj
fois.
Percé, 17 septembre 1798.
" M. LE COADJUTEUR,
J'ai reçu votre consolante lettre du 19 juillet dernier an
retour de mon voyage dû sud. Vous connaissez, j 'imagine,
l'étendue et les besoins de cette mission ; ils croissent surtout
par la perte réelle que nous venons de faire. La mort du
— 147 —
cher M. Castanet ne justifie que trop vos présages et nos
craintes ; c'est un grand deuil pour Caraquet et pour toute la
Baie. On ne peut être plus chéri, ni plus universellement
regretté. Je vous laisse à penser combien ce sacrifice m'est
pénible et nous cause d'embarras.
La Baie, je vous assure, ne m'offre plus que tristesse j M.
Delavaivre est aux invalides et je n'en vaux guère mieux.
Quand jugerez-vous à propos de nous relever de garde. Vous
nous faites espérer un prêtre pour Caraquet : quand vien-
dra-Uil ? "
Carleton, 20 février 1799.
*' Monsieur le coadjuteur,
Qu'il m'est doux et consolant de vous entendre parler de
notre pauvre Castanet ; et que j'envie son heureux sort !
Votre bon suffrage m'est un présage rassurant pour lui, mais
très-effrayant pour moi ; car je suis loin de lui ressembler, et
de mériter tout ce que vous me dites d'obligeant. .
L'arrivée de M. Jbyer nous a fort' agréablement surpris;
il justifie à tous égards le jugement favorable que vous en
avez porté. Nous nous accordons à le croire digne d'occuper
son poste, si recommandable par les vertus du cher défunt,
puisse-t-il en faire revivre les rares qualités 1 C'est un sujet
d'édification et de réforme pour M. Delavaivre et pour moi.
Nous craignons uniquement pour M. Joyer que ses forces ne
répondent pas tout-à-fait à son zèle, et aux besoins de sa pé-
nible mission ; mais nous le croyons autant prudent qu'é-
clairé, et l'exemple fatal de son prédécesseur lui servira sans
doute de leçon pour ménager ses forces.
Notre église enrichie de vos dons, commence à prendre
une assez bonne tournure Nos maîtres chantres se sont fort
bien parés de vos chappes."
L. J. Dbsjardins, Ptre.
M. Desjerdins monta à Québec dans l'intérêt de ses mis-
sions; à son retour dans laGaspésie, il écrivit une charmante
lettre à M. Plessis : elle était datée de la Pointe St Pierre le
6 octobre 1799.
— 148 —
*' Monsieur le Coadjutedr,
Vos sages conseils m'ont un peu rassuré, et vos bonnes
prières beaucoup protégé dans mon heureux retour. Trois
jours passés à Tlle aux Grues, et quatre pour nous rendre
ici, voilà l'histoire de notre voyage qui n'offre rien d'intéres-
sant que la joie de Téquipage, et la sensibilité du capitaine
surtout lorsqu'on parlait de vous, sujet trop agréable poixr
ne pas y revenir à plusieurs fois.
Je m© félicite plus que jamais d'avoir repris le chemin de
ma Baie, et il me semble que c'est un plaisir assez partagé
par mes bonnes âmes ; puisseé-je répondre à leur espoir et
au vôtre I J'ai besoin de toute votre indulgence et de vos
prières; je les réclame avec instance. La bonté très-affec-
tueuse avec laquelle vous avez bien voulu me recevoir chez
vous et m'y mettre si à mon aise, me pénètre de la plus
vive reconnaissance.
Vous croirez aisément qu'il m'en a un peu coûté de quitter
Québec, un frère et, j'ose dire, des Pères ; des amis tels que
ceux que j'ai trouvés en vous et M. Gravé, méritaient bien
quelques regrets. J'ai accepté cette mission de votre main
avec une nouvelle joie ; je vais me mettre en hivernement à
Carleton. Je me propose de revenir de grand printemps pour
passer ensuite Tété à Ristigouche, y cultiver un peu mes.
sauvages 6é des pa/a^i. Vils peuvent en avoir à planter.
L. J. Dbsjardins, Ptre, Miss.
On a pu voir que la santé de M. Desjardins commençait à
souffrir de ses fatigues et de ses courses continuelles. Mgr.
Denaut, qui était devenu Evêque de Québec le rappela (1800)
et le plaça à la cathédrale, auprès de Mgr. Plessis qui conti-
nuait à remplir la charge de curé, tout en étant Evêque
Coadjuteur. Le prélat avait une estime particulière pour les
prêtres français qui avaient émigré pour ne pas prêter ser-
ment à là constitution civile du clergé. En quittant la France,
M. Desjardins avait renoncé à un cononicat dans la cathé-
drale de Bayeux.
En devenant Evoque titulaire, Mgr Plessis nomma M.
Desjardins, curé d'office de la cathédrale, et peu de temps
— 149 —
après Chapelain de THôtel-Dieu de Québec. Mais l'ancien
missionnaire de la Gaspésie, continua à s'occuper de ses
chères missions, dont il s'était constitué le procureur et le
pourvoyeur bienfaisant Connaissant leur pauvreté et leur
dénuement, il ne manquait jamais de mettre à bord des
bateaux pêcheurs qui retournaient après avoir vendu
leur cargaison, des objets de toutes sortes pour les églises,
du linge, des ornements et jusqu^à des tableaux, dont plusieurs
avaient quelque valeur au point de vue de l'art C'est dans
l'exercice de cette charité qu'il passa les nombreuses années
de son séjour à Québec. Arrivé à l'âge de 80 ans, il parlait
encore avec bonheur du ministère qu'il avait exercé au
milieu des plus abandonnés. Aujourd'hui ceux qui ont
connu ce saint prêtre ne peuvent sans attendrissement visiter
le lieu de son repos, dans l'église l'Hôtel-Dieu.
Voici en quels termes parlait de ce vénérable vieillard, M.
Doucet, missiondaire de Percé :
" Le Vénérable M. Desjardins ne cesse de penser à nous :
il nous écrit souvent II nous envoie de petits présents pour
nous encourager : il me dit qu'il quête pour nous le spirituel
et le temporel. Je souhaite ardemment que Dieu conserve
ses jours ; car certainement nous perdrons beaucoup en le
perdant" (20 déc. 1845)
" L'économe de nos missions (M. Desjardins) se montre
jaloux de partager avec Votre Grandeur le bonheur de pro-
curer la gloire de Dieu en embellissant ses temples : le môme
bâtiment, qui a apporté vos effets, a aussi reçu à mon
adresse une caisse préparée par ses soins et remplie de diffé-
rents articles pour nos missions. C'est un grand encourage-
ment pour moi dans la tâche de réparer les chapelles et de
les munir convenablement de tout ce qui concerne le culte."
(24 août 1846)
Nous avons rapporté une lettre de M. Delavaivre et avons
vu l'éloge que M. Desjardius faisait en 1797 de son confrère;
nous allons nous édiûer maintenant par la lecture de deux
autres lettres de cet homme de Dieu. Avec quel respect, dans
la première, il accueille la décision de son Evêque touchant
4in abus qu'il lui avait signalé !
— 150 —
Bonaveature, 19 juillet 1800.
" MOMSIEUR, (1)
Votre lettre du 28 mai dernier m'a frappé d'admiralioD
sur l'indulgence de notre tendre mère, la sainte Eglise.
Enfant du tonnerre, (2) j'aurais cru nécessaire d'employer
des armes plus puissantes, vu que les fulminations que nous
leur annonçons dans les temps prescrits deviennent pour
quelques uns des sujets de raillerie qui scandalisent les
faibles, et leur portent souvent des coups funestes. J'aurai
l'honneur de suivre vos conseils} plaise au Seigneur d'y ré-
pandre ses bénédictions I
Delavaivre, Ptre.
Les soins de ce digne missionnaire furent sans doute ré-
compensés ; car M. Painchaud son successeur parlait en 1806
de toutes ^' les consolations que lui avaient données ce bon
peuple." " La docilité, le respect et l'obéissance de cette
chrétienté m'a assez touché pour informer Votre Grandeur
qu'elle est digne de vos regards paternels."
M. Delavaivre se réjouissait d'avoir auprès de lui à Cara-
quet, de l'autre côté de la Baie, un confrère, français comme
lui, M. Joyer, dont il faisait l'éloge en écrivant à M. Plessis :
son style était enjoué :
Paspébiac, 13 mai 1799.
Monseigneur,
Les furieux Aquilons rentrent dans leurs antres, les doux
zéphirs leur succèdent, déjà les glaces de notre Baie laissent
un passage libre à la navigation. J'ai eu l'honneur de rece-
voir votre dernière du 30 octobre par M. Joyer.
La huitaine qu'il a passé chez moi avec le cher M. Des-
plantes nous a donné l'idée la plus avantageuse de lui. Une
humilité profonde, une solide piété, jointes'à de grandes con-
naissances et lumières de notre état relèveront le courage des
(1) M. Plessis coadjufeur nommé et non consacré.
{2) 11 B*appelait Jean.
— 151 —
paroissiens du cher défunt (1). On ne pouvait pas lui trouver
un plus digne successeur. Plusieurs lettres que nous avons
de lui annoncent qu'il est aussi content de ses habitants
qu'eux sont contents de lui. Des malades éloignés qui ont
requis son ministère lui ont donné l'occasion d*éprouver dans
la plus rude saison les difficultés de sa mission : il les a sur-
montées avec courage, et le voilà maintenant parti pour en
connaître toute retendue."
(1) H. Castanet, J.- Bte Marie, décédé le 26 août 1796.
CAPTIVITÉ ET DÉLIVEANOB (1)
DE MGR RIDEL
de la Société des MiflaionB-Etrangèies» évêque de Philippopolifl et Ticaîre
apostolique de la Corée.
OmniBergo qui oonfitebitor nto i
hominibns, oonfltebor et «rgo
Patre meo qui in oœlis est.
(Matth., X, 3S.)
Depuis les tragiques événements dont la Corée fut le
théâtre en 1866, et qui procurèrent la palme du martyre à
deux évoques et à sept missionnaires français, tous memJbanes
de la Société des Missions-Etrangères de Paria, et à des mil-
liers de chrétiens indigènes, le silence s'était fait sur cetbe
lointaine mission. Mais l'Eglise, qui n'abandonne jamais
ses enfants, ne demeurait pas insensible à leurs malheurs et
inattentive à leurs besoins. Dans une lettre admirable adresr
sée aux chrétiens persécutés en Corée, le grand'pontife,dont
l'Eglise porte encore le deuil, après avoir pleuré sur les maux
qui les frappaient, et exalté le courage des martyrs, promet-
tait de venir en aide à ses enfants persécutés : ^^ Pour nous,
disait-il, bien qu'éloignés, nous vous accompagnerons en
esprit au combat, et, par nos prières incessantes, nous vous
procurerons le plus grand secours que nous permettra notre
faiblesse. Et de peur que, privés plus longtemps de pasteur,
vous ne soyez comme des brebis dispersées, exposés à un plus
grave péril, nous aurons soin, le plus tôt possible, de rempla-
cer celui qui a déjà reçu la splendide récompense due i ses
travaux, par un homme qui ait le même zèle et la même
énergie." Et, quelques temps après. Pie IX confiait à un des
rares survivants de la persécution de 1866, à Mgr Ridel, l'hé-
CL) Emprunté aux " Missions Catholignes."
— 153 —
Tîtage sanglant des Imbert, des Verneux et des Daveluy,
rappelait à continuer leurs travaux, à prendre part à leurs
combats et, au besoin, à verser comme eux son sang pour
Jôsu8>Ghrist.
Après avoir reçu Tonction qui donne la force et proclamé
avec répiscopat cotholique, en 1870, l'infaillibilité de Pierre
et de ses successeurs, le nouvel évâquepritde nouveau le
chemin de la Corée et se disposa à remplir sa difficile mais
glorieuse mission. Il fallut, hélas ! plusieurs années pour
franchir les barrières qui lui fermaient Taccès de sa patrie
d'adoption. Ce fut seulement après avoir couru bien des
dangers, renouvelé plusieurs fois des tentatives toujours in-
fructueuses, que Mgr Ridel put enfin mettre de nouveau le
pied sur ce sol inhospitalier et prendre possession de cette
terre promise où l'attendaient de rudes combats et de cruelles
-souffrances.
Les vœux de Pie IX étaient remplis : le bon pasteur qu'il
avait promis, dont il avait encouragé et béni la périlleuse
«entreprise, (1) était enfin au milieu de son bien-aimé troupeau;
il avait, pour le seconder dans les rudes travaux de son pé-
rilleux apostolat, quatre missionnaires pleins d'ardeur et de
dévouement. Dès le premier jour, Mgr Ridel se mit à l'œuvre.
A l'annonce de sa venue, les chrétiens partout dispersés re-
prirent bientôt courage. A voir leur empressement à recevoir
les sacrements, à contempler la ferveur de leur zèle, on eût
dit qu'une aurore de paix et de prospérité s'était levée sur
l'Eglise de Corée. Le joiir et la nuit ne suffisaient plus à sa-
tisfaire le désir qu'avaient les néophytes de voir, d'entendre
ceux que Dieu leur avait envoyés pour consoler leurs dou-
leurs, guérir leurs blessures et leur apprendre à bien vivre
et à bien mourir.
(1) Avant de faire nue nonveUe tentative poar entrer en Corée. Mgr
Ridel avait fait nart an Souverain Pontife de son généreux dessein et
l'avait prié de daigner bénir son entreprise. £n réponse, le cardinal
Franchi, alors préfet de la Propagande, écrivait à M. le supérieur du
séminaire des Missions-Etrangères : " Dans Vaudienoe du 10 de ce mois
(janvier 1875), j'ai en soin de transmettre à Sa Sainteté ce que Votre Ré-
vérence écrivait touchant le dessein de Mgr Ridel et de ses missionnai-
res, d'entrer de nouveau en Corée. Sa Sainteté a ffrandement admiré le
zèle et le courage de ces hommes apostoliques. Elle a promis de les re-
commander au Seigneur, et du fond du cœur eUe leur accorde une béné-
diction spéciale."
— 154 —
Rien cependant n'était cliangé à la situation d'autrefois,
les dangers étaient toujours les mêmes ; c'étaient toujours
les mômes édits de proscription, toujours la même haine
contre le christianisme, toujours les mêmes bourreaux prêts
à verser le sang des martyrs. Aussi, à son arrivée dans sa
mission, Mgr Ridel écrivait : ^^ Nous sommes véritablement
bien entre les mains du bon Dieu. Au milieu de miUe dan-
gers, sans force, sans protection, à chaque instant nous
pouvons nous attendre à être arrêtés, à voir surgir ime nou-
velle persécution ; et cependant^ jusqu'ici, par un prodige de
miséricorde de la divine Providence, tout est en paix, tout va
bien, nous n'avons eu aucun accident" Hélas I cette tran-
quillité devait être de courte durée. Dieu, dont les desseins
sont impénétrables, réservait de nouvelles épreuves à cette
infortunée mission.
Au mois de janvier 1878, les courriers de Mgr Ridel furent
arrêtés sur la frontière chinoise, et les lettres dont ils étaient
porteurs, révélèrent au gouvernement coréen la présence,
dans le royaume, de l'évêque et des quatre missionnaires, et
occasionnèrent l'arrestation de Sa Grandeur et une nouvelle
persécution contre les chrétiens.
Délivré contre toute attente, grâce à l'intervention du gou-
vernement chinois, Mgr Ridel a écrit, à son retour en Chine,
la relation de sa captivité. S'adressant à sa famille et pouvant
ainsi s'exprimer librement, Sa Grandeur entre dans les détails
les plus intimes et révèle, avec un abandon plein de charmes,
les sentiments qui ^remplissaient son âme d'apôtre Nous
avons pensé que ce récit était de nature à édifier, et, dans les
temps pénibles que nous traversons, à ranimer le courage de
ceux qui le lironL
Cette coDsidération, nous en avons la confiance, imposera
silence à la modestie du vénérable auteur de cette relation,
et le disposera à nous pardonner la publicité que nons
donnons à son écrit. Il aura d'ailleurs acquis un droit nou-
veau à notre sympathie et à nos prières en faveur de sa glo-
rieuse et infortunée mission.
— 155 —
Séminaire des missions étrangères, le 6 janvier,
fête de TËpiphanie, 1879.
Relation de la captivité et de la délivrance de Mgr Ridel.
Bien chers amis, (1)
Vous désirez, j'en suis persuadé, connaître la suite des
événements qui se sont passés en Corée et qui oiiit été la cause
de mon retour forcé eu Chine. Pour vous procurer cette sa-
tisfaction, je m'efforce de rappeler mes souvenirs ; n'ayant
pu prendre aucune note et fatigué comme je le suis, je sens
que ma narration aura bien des lacunes. Qu'y faire ? J'espère
du moins que, en lisant ces lignes, vous pourrez admirer la
conduite de la divine Providence, et bénir le bon Dieu qui
s'est plu à répandre sur moi des grâces si abondantes.
J'étais rentré depuis quelques mois seulement en Corée ;
tout y était calme et tranquille. Vivant dans l'ombre, nous
faisions, mes confrères et moi, notre œuvre en silence. Ces
messieurs parcouraient le pays, visitant les chrétiens qui
s'empressaient en grand nombre de venir les trouver pour
participer au bienfait des sacrements. Je venais d'établir un
collège où nous avions déjà quelques élèves; le 26, j'avais
conclu un marché pour une maison où je me proposais d'or-
ganiser une imprimerie; le chrétien qui devait en êtreichargé
s*y fixa aussitôt, et, dans quelques jours, tout allait fonction-
ner. J'avais plusieurs fois administré les sacrements à quelques
chrétiens de la capitale, et j'attendais que les fêtes du premier
de l'an coréen fussent passées, pour donner une seconde fois
les sacrements à tous les chrétiens de Séoul. Nous attendions
aussi notre courrier de la frontière, qui devait nous apporter
des nouvelles d'Europe ; mais le courrier n'arrivait pas. Nous
eûmes quelquefois des inquiétudes à ce sujet; cependaot les
chrétiens que je consultai étaient d'avis que, vu la facilité
(1) Cette lettre eet adrefisée an frère et aux parents de Mgr Bidel.
~ 156 —
de passer la frontière à cette époque, il était impossible qae
le courrier fût arrêté.
Telle était notre position, lorsque le 28 janvier, vers dix
heures du matin, mon vieux maître de maison, Jean Tehoi
que vous connaissez, entra dans ma chambre. Sa figure était
décomposée. J'étais habitué aux terreurs de nos chrétiens ;
mais, ce jour-là, je lui trouvai un air de tristesse qui annon-
çait quelque chose de plus grave que de coutume.
" — Qu'y a-t-il? lui dis-je. Sont-ce encore de mauvaises
nouvelles ? "
Après un long soupir, il me répondit :
" — ^Les courriers ont été arrêtés à la frontière; on lésa
appliqués à une horrible torture, et ils ont été forcés de tout
déclarer. La nouvelle en est arrivée hier ; aussitôt le roi a
fait venir les satellites, et a donné lui-même Tordre d'arrêter
l'évêque et tous les pères. Les traîtres de 1866, Paul Hpi et
Tchoi, ont été requis pour rechercher les chrétiens. Les
satellites doivent venir ici aujourd'hui, et c'est l'un d'eux gui
a tout raconté à une chrétienne sa parente ; celle-ci s'est em-
pressée d'envoyer son fils en donner avis.
" — Eh bien, voici le moment d'être vraiment chré.tien;
tout cela arrive par la volonté de Dieu, il n'y a nullement
de notre faute. Nous allons être pris. Comptons sur le
secours de Dieu, qui ne nous fera pas défaut, et disposons-
nous à mourir pour sa gloire ; c'est le chemin le plus direct
pour aller au Ciel.
"—Oh ! je n'ai pas peur de mourir, moi qui suis si vieux;
mais l'évoque qui ne fait que d'arriver, mais les chrétiens
qui n'ont pas encore pu recevoir les sacrements ! .Quel
coup I c'est la fin de la religion en Corée."
Aussitôt j'écrivis une lettre commune pour MM. Blans et
Daguette, dont le courrier était encore à la capitale. le
m'empressai de prendre tous les papiers coréens, lettres, etc.,
qui auraient pu donner des indications compromettantes, et
je les fis mettre au feu. Je retirai aussi le peu d^or et d'argent
qui restait à la maison, et je confiai le tout à mon imprimeoTy
homme dévoué qui était accouru promptement pour m'offrir
un refuge dans la nouvelle maison ignorée de tous. Cette
dernière proposition fut longtemps débattue; enfin il fat
j
— 157 —
décidé que je fuirais. L'exécution de ce projet étant impossi-
ble pendant le jour, on devait attendre la nuit. Â mon entrée
en Corée, je ne m'étais fait aucune illusion, et chaque jour
je me disposais à mourir. Aussi, par une grâce spéciale de
Dieu, je ne fus pas effrayé de cette nouvelle. C'était une bien
grande faveur : j'allais être déchargé du fardeau qui m'avait
été imposé dapuis plusieurs années ; j'allais avoir le bonheur
de confesser Notre-Seigneur et de mourir pour sa gloire ;
c'était mon passe-port pour le Ciel et la bienheureuse éter-
nité. J'étais prêt et dispos, calme et sans trouble ; je m'aban-
donnai entièrement au bon plaisir de Dieu et je priai pour
mes chers missionnaires et nos pauvres chrétiens.
n
Vers quatre heures on vint m'avertir que les agents des
satellites gardaient les deux extrémités de la rue. Il était im-
possible de fuir. Quelques instants après, un grand bruit se
fait : j'entends les portes qui s'ouvrent, les fenêtres qui sont
brisées, et les pas d'un grand nombre d'hommes. La maison
était envahie.
En un instant, ils ont pénétré dans la chambre où je me
tiens debout. Je veux leur adresser la parole ; mais, à peine'
m'ont-ils seconnu, que cinq d'entre eux se précipitent sur
moi et me saisissent par les cheveux, la barbe et les deux
bras, en criant, hurlant pour se donner du courage ; puis,
sans me laisser le temps de prendre mes souliers, ils me font
traverser la cour et m'entraînent dans une autre chambre où
je vois toutes les personnes de ma maison également capti-
ves. Il y avait plus de vingt satellites, tout joyeux de leur
capture, et, avec eux, des femmes qui les aidaient et rete-
naient les femmes de la maison. Tjyang, l'un des chefs, se
présente et m'adresse la parole ; sur son ordre, on me laisse
un peu plus de liberté, et l'on me retient seulement par les
manches de l'habit ; puis, il me fait conduire dans ma
chambre.
Là, il me dit qu'ils ont reçu l'ordre du gouvernement de
m'arrêter ; il ajoute :
" — On sait qu'il y a quatre autres Européens, et j'espère
— 158 —
en que vous allez leur écrire pour leur donner Tordre de
venir se présenter d'eux-mêmes.
" — Que savez-vous s'il y a des Pères ?
" — Oh ! nous le savons bien."
Là-dessus, il se met à gourmander le» satellites qui 01e
maltraitent.
" — ^L'évêque va venir avec nous," dit-il. Puis, se tournant
vers moi : "—Je sais que vous vous servez d'un livre pour
réciter des prières ; confiez-le moi, je vais m'en charger, al
je vous le remettraiJLorsque nous serons arrivés."
J'étais étonné de l'entendre parler ainsi, et je lui demandai
comment il savait tout cela.
" — Oh ! dit-il, c'est moi qui ai arrêté Mgr Bemeux et Mgr
Daveluy ; je les ai bien connus, et les autres Pères aussi.'*
Ensuite il me demanda si j'avais des montres.
" — Oui, j'en ai trois.
" — Vous avez aussi du vin de raisin. Oh 1 c'est bien bon le
vin de raisin, ce sera pour nous."
Je lui montrai mes caisses.
'* — C'est bien, dit-il, on va prendre soin de tout cela.'*
Pendant ce temps, je tâchais de me recueillir &i pensant à
la prise de Notre-Seigneur au jardin 4^s Oliviers. Je me
sentais heureux de marcher sur les traces de notre divin
Maître ; j'étais content d'être prisonnier de Jésus-Christ ;
mais j'éprouvais une bien grande douleur en pensant à mes
chers missionnaires et à mes pauvres chrétiens. Les jours
précédents, pour me préparer à la fête de saint François,
j'avais fait mes méditations sur la douceur et la fermeté de
ce grand saint ; je résolus de faire mes efforts pour rimiter.
Le bruit continuait dans ma maison ; les satellites et surtout
leurs employés criaient, riaient, plaisantaient, bouleversaient
ton ; quelques-uns m'injuriaient, malgré les remontrances de
leur chef. Enfin celui-ci vint m'avertir qu'il était temps de
partir. Deux employés me saisissent, et je sors accompagné
d'uae troupe de satellites ; mon vieux Coréen, dans la même
position que moi, venait par derrière, ainsi qu'un jeune
homme qui se trouvait à la maison, au moment de Farrestft-
tion.
Les voisins, qui avaient entendu le vacarme, étaient k
— 159 —
leurs portes pour nous voir passer ; mais, dès que nous fumes
sortis du quartier, personne ne faisait attention à nous ; il
était déjà nuit Je pus voir à mon aise les rues de la capitale,
je n'avais pas besoin de me cacher ; c'était la première fois
que je les traversais sans crainte d'être reconnu. Je vis les
habitants qui fourmillaient à cette heure; les marchands
ambulants qui criaient ; les enfants qui Couraient, chan-
taient s'amusaient; les femmes qui, couvertes de longs
voiles aux vives couleurs,cîrculaient en silence. Je vis des
cortèges de grands nobles ; ils étaient précédés de valets qui
couraient en poussant de grands cris pour avertir le peuple
de faire place. Je vis aussi de pauvres petits enfants abandon-
nés qui, assis au milieu de la rue, transis de froid, cherchaient
à exciter par leurs cris la pitié des passants.
La capitale offrait vraiment une physionomie étrange.
Tous ces habits de mille couleurs, toutes les lanternes
(chacun portant la sienne) qui vont, viennent, se croisent,
donnent aux rues un aspect singulier. Je pus remarquer tout
cela, malgré la pression de mes deux geôliers qui me tenaient
étroitement serré et me secouaient d'une belle façon. Mais
mon esprit était principalement occupé du malheur de ce
pauvre peuple, qui ne connadt pas Dieu. J'étais venu pour
répandre la lumière de la foi, pour lui enseigner le chemin
du ciel, et je me voyais arrêté dès le début. Du moins je
m'offris généreusement à Notre-Seigueur aûnjde mourir pour
le salut de ce peuple.
Sur le parcours, les satellites sont empressés ;• ils se par-
lent à voix basse, vont et viennent; c'est une vraie confusion,
on arrive à la porte du tribunal de droite, on allume deux
grandes lanternes ; deux rangs de soldats se forment, on me
fait avancer au milieu d'eux.
J'aperçois le vieux Jean qui est à ma droite ; nous
sommes en plein air ; devent nous, une porte à coulisse en
papier s'ouvre, et nous apercevons le grand juge ou préfet
de police assis sur une natté dans son appartement. L'inter-
rogatoire commence. Connaissant la susceptibilité des
Coréens pour tout ce qui est de l'étiquette, j'avais résolu
d'employer toujours dans mes réponses la forme polie du
langage entre égaux ; aussi, dès le début, je dis à mou juge :
— 160 —
^^ — Mon intention est de vous parler selon les règles d«
langage; mais, comme je suis peu expert en la langue
coréenne, il m'échappera quelques expressions incorrectes ;
je vous prie de n'y pas faire attention."
Les assistants me regardent ébahis et le juge me demande :
" — Comment t'appelles-tu î
" —Je m'appelle Ni.
" — Ton prénom ?
" — Pok Myeng-y . (ce qui veut dire FélixClair).
" — Depuis quand es-tu venu ? '
" — Je suis venu à la ?« lune.
** — Par quelle route
^^ — Par Tchang-san (cap le plus à l'ouest de la côte de
Corée).
" — Pourquoi es-tu venu?
" — Pour prêcher la religion catholique, et enseigner aux
hommes à se bien conduire.
^^ En as-tu instruit beaucoup 7
^^ — Arrivé depuis si peu de temps, je n'ai pas eu le loisir
d'instruire beaucoup de personnes.
" — Quels sont ceux qui t'ont amené ?
^^ — Comme la réponse à cette question pourrait causer du
dommage à plusieurs personnes, c'est pour moi un devoir de
n'y pas répondre,
«< — Où sont ceux que ta as ininitiés i ta religion ?
^^ — Je connais peu le pays, j'ignore où habitent ceux que
j'ai pu voir ; de plus, par le môme motif que j'exposais tout
à l'heure, vous comprenez que je ne puis donner le nom
d'aucun des Coréens qui ont eu des rapports avec moL
« _ Es-tu Père î
" — Oui, et de plus je suis évoque.
" — Ah î c'est sans doute le Père Ni d'autrefois, qui,
s'étant échappé, est devenu l'évêque Ni ?
" — Vous avez dit vrai.
" — Eh bien î ajoute-t-it qu'on l'emmène et qu'on le traite
bien.''
Jean répondit aussi à quelques questions. D'abord il s'était
mis dans une posture humble devant le juge ; lorsque celui-
ci lui dit de se lever, il hésitait ; mais le juge l'invita de
— IGl —
nouveau avec bonté. Deux gardes me tenaient très-serré ;
le juge leur donna Tordre de me lâcher, disant :
" — Avec cet homme-il n'y a rien à craindre."
C'est la seule fois que je vis ce juge ; il paraissait bon, affa-
ble. Jean qui eut l'occasion de le voir encore deux fois, était
enchanté de lui. Sans doute il était trop bon, il nous était
peut-être favorable ; aussi, quelques jours après, fut-il desti-
tué.
On m'emmène au corps de garde. Là, au lieu de me laisser
reposer, on m'accable d'une foule de questions ; j'y réponds
aussi bien que possible. En&n peu à peu tous se retirent,
deux satellites seulement restent pour me garder; vers
minuit, ils me poussent \m petit morceau de bois carré qui
doit me servir d'oreiller, je fais ma prière et je m'endors. Le
lendemain, je ne pus faire mon oraison que par moroeaux.
car, à chaque instant, on m'adressait la parole. Je réeitai,
aussi mon office ; j'avais mon bréviaire qu'on m'avait remis ;
on me le laissa jusqu'au 16 mars. Au commenceotent, 'À
m'était difficile de le réciter, mais bientôt tout le monde sut
que, quand je lisais ce livre, il était inutile de m'adresser la
parole.
La veille j'avais voulu consulter ny montre i je m'aperçus
qu'elle avait disparu. J'en fis l'observation au chef de police
en lui disant : '^ — Lorsque je sortis de chez moi, j'avais une
montre ; elle n'est plus dans mon peitit sac. Je l'aurai perdue
en route, peut-être qu'elle sera retrouvée. " Il s'étonna
d'abord, mais je l'entendis très-bien dire ensuite : '^ — Quel
homme juste 1 On lui a volé sa montre, et, pour n'accuser
personne, il dit qu'il l'a perduç." Je me souvins, en effet,
que l'homme, qui me tenait pendant la route, se crampon-
nait à ce petit sac, sous prétexte de plus d^ facilité pour me
tenir ; je ne pensais pas alors qu'il avait Tintention de me
voler. Le matin, je m'aperçus que mon petit peigne européep
avait aussi disparu, mon canif également ; tout avait suivi le
même chemin. Mon anneau pastoral heureusement me res.
tait; le voleur ne l'avait pas sans doute palpé, je résolus de
le bien cacher.
Le soir on me fait passer dans une autre chambre plus
basse et l'on me met aux ceps. Ces entraves se composent de
5
» — 162 —
deux pièces de bois superposées, longues d'environ 4 mètres
et larges de 0 m. 15. A la pièce inférieure se trouvent des
échancrures, dans lesquelles on place les pieds à la hanteor
de la cheville ; on abaisse ensuite la partie supérieure qui se
meut au moyen d'une chai-nièrè, placée à l'une des extréaii>
tés, tandis que, à l'autre, elle se ferme au moyen d'un
cadenas. Cet instrument s'appelle tchak-ko. On se contenta
de me prendre un seul pied. Lorsqu'on me présenta Tinstra-
ment, on fut obligé de me donner une leçon. Les deux
satellites avaient presque honte de me mettre dans cette
position. Pour adoucir un peu la chose, ils me dirent : " —
Cest une coutume id, quand, pour la première fois, on reçoit
un hôte, on lui fait passer le pied dans cet instrument. " Je
pus me coucher sur le dos, et, avec un peu d'adresse, me
mettre aussi sur le côté. Fatigué que j'étais de cette nouvelle
vie, je dormis quelques heures. Ce qui me gênait le plus,
c'étaient deux individus couverts de haillons, qiu, couchés
peu loin de moi, se remuaient dans la paille, poussaient des
soupirs, et cherchaient à se débarrasser de la vennîne qui
les dévorait. J'apprig pins tard que c'étaient des mendiante,
employés dans la police secrète.
J'ignorais ce qui pouvait arriver ; en tout cas, je n'avais
pas d'illusions à me faire : le sort de mes prédécesseurs me
dirait assez celui qui m'était réservé. Le 31 janvier, j'enten-
dis quelques mots d'une conversation secrète : on parlait
d'exécution pour le lendemain. Le jour, il m'était difficile de
me recueillir ; mais, la nuit, étant plus tranquille, je Ja
passai à me préparer, persuadé que ma dernière heure avait
sonné. Voici une note que je trouve sur mon ordo^ au l**"
février: "Récité l'office jusqu'à none; dans quelques ins-
tants, je vais probablement mourir, je suis tout à Dieu. Vive
Jésus ! dans quelques instants, je vais être au Ciel ! " D me
semble que j'étais bien préparé, et tout disposé à mourftr.
Pour employer le temps qui me restait, je chantai le Laudate...
et VAve maris Stella^ et j'attendis. Les soldats firent ce jour-
là, dans la cour, un exercice extraordinaire en poussant des
cris féroces... Tout me confirmait dans l'idée que j'avais... Y
a-t-il eu une exécution ? Je ne l'ai jamais su.
Le lendemain, c'était le premier jour de l'an chinois. Ozi
— 163 —
me conduisit dans une chambre haute, et je fis, comme tout
le monde, échange de politesses. La nuit, on ne me mit pas
aux ceps ; peut-être n'était-ce là qu'une infraction que les
satellites s'étaient permise, car, deux jours après, Tordre vint
de me mettre de nouveau aux entraves. Les deux satellites
qui me gardaient étaient sans doute de mes amis ; j'en
entendis un en effet qui disait : " — Est-il possible qu'on le
traite ainsi ! C'est un homme honnête juste comme on
n'en trouve pas en Corée ; c'est un vrai F6 qui est venu de
nouveau sur la terre." Le lendemain, les satellites présentè-
rent des observations au grand juge. " — C'est pitié, lui dirent-
ils, de mettre cet homme-là aux entraves." Le juge répondit :
^'-— Je pense comme vous, je le prends moi aussi en pitié ;
mais l'ordre est donné, je ne puis le révoquer."
Sur ces entrefaites, voilà que je suis pris d'un gros rhume ;
la nuit, en effet, je souffrais du froid. On courut chez le juge
qui dit : " — Oh ! c'est grave, s'il est malade, ne le mettez plus
aux ceps; je me charge de lui, soignez-le bien." Puis il
m'envoie im grand paravent pour m'abriter; on me donna
aussi deux tasses de tisane. J'étais touché de toutes ces pré-
venances, et-je ne savais qu'en penser. Le chef des satellites
me donna môme douze sapèques, à[|peu près trois sous, pour
acheter un peu de bois, aûnde chauffer la chambre ; lorsque
je voulus les rendre, les satellites s'y refusèrent et payèrent
eux-mêmes le chauffage. L'un me donna cinq sapèques pour
acheter du tabac, un autre un petit peigne. Déjà j'étais deve-
nu l'ami de tous ; ils ne tarissaient pas quand ils faisaient
mon éloge : '^ — Comme il est doux, simple, poli, affable,
juste !" Et les anciens disaient : " — L'évêque Berneux, Da-
veluy et les autres Pères, que bous avons vus, étaient tous
ainsi ; ces Européens sont vraiment vertueux ; ce n'est pas
comme nous, Coréens. Au lieu de le mettre à mort, on ferait
bien mieux de le renvoyer dans son pays."
Le 5 février, il se fit un grand bruit dans le prétoire ; on
ne voulut ni me laisser voir, ni me dire ce dont il s'agissait.
Je compris bientôt que c'étaient des prisonniers qu'on ame-
nait ; j'entendis môme des soupirs ; c'étaient comme (|es voix
d'enfants qui gémissaient. La pensée que ce pouvait être des
chrétiens me vint naturellement, et le lendemain je n'euâ
— 164 —
jlus de doute, lorsque j'entendis le juge crier assez haut :
<' — As-tu étudié près de l'Européen ? " On arrêtait donc
toujours les chrétiens. Combien étaient-ils ? Qui étaientrils ?
Plus tard, j'appris qu'on avait arrêté une jeune femme de
dix-huit ans, mariée depuis dix jours ; c'était la fille d'un
noble coréen, Léon Ni, chrétien^fervent qui a été très \itile
aux Pères ; je l'ai eu moi-même pour servant en 1861 ; der-
nièrement il était maître de maison de M. Deguette. Son fils
aîné. Jean Ni, accompagnait le même Père. La jeune femme
fut prise avec son mari ; après le jugement, ils furent mis en
prison avec les chrétiens et les voleurs. Vers le 20 février,
on arrêta d'autres chrétiens ; ils étaient en tout une vingtai-
ne dans la prison de droite, prison affreuse, étroite et si
remplie, que les détenus étaient les uns sur les autres, les
pieds toujours pris dans les entraves ; les femmes habitaient
une petite chambre eontiguë et n'étaient pas au!x ceps. Mais^
j'aurai bientôt occasion de parler des prisons et de leur régi-
me ; parlons un peu des satellites avec lesquels j'ai vécu
pendant près de deux mois.
ni
Il y a deux tribunaux, le tribunal de droite et celui de
gauche ; chaque tribunal compte a peu près 52 satellites. Au-
dessous des satellites, qui tous ont reçu une certaine
éducation, sont des soldats, puis des employés subalternes
qui les accompagnent dans les expéditions ; enfin des bour-
reaux, hommes de la dernière classe, à la figure de monstres,
au regard faux ; ce sont ordirement d'anciens voleurs libérés.
Les satellites sont habillés de diverses façons ; suivant les
expéditions qu'ils ont à faire, et pour n'être pas reconnus, ils
changent souvent d'habits. Ils ont des chefs qu'on appelle
tchyevjrtji dont le grade correspond à celui de sergent, et qui
portent des anneaux en jade ; le tong-tji ou lieutenant porte
des anneaux en or. Tous sont sous les ordres du préfet de
police, qui a un pouvoir absolu pour les causes ordinaires.
Il est difficile de reconnaître les pokio ou satellites; msàf^
les gens habitués ne s'y trompent guère. Pour se faire re-
connaître, en cas de besoin, ils ont toujours sur eux une
— 165 —
plaque en bois, demi-circulaire, appelée ktongpou^ sur
laquelle sorit inscrits des caractères et un cachet ; ils la por-
tent suspendue à la ceinture du pantalon, par une courroie
en peau de cerf. Leur autorité est très grande ; personne
n'oseraitleur résister, excepté les nobles qui les méprisent
et quelquefois les font maltraiter ; mais alors même ils trou-
vent toujours moyen de se ^nger sur le peuple, et malheur
à ceux qui en dei telles circonstances, tombent entre leurs
mains. Ils sont surtout à craindre quand ils ont une ven-
geance personnelle à exercer, ou qu'ils veulent s'emparer des
biens de quelques gens riches ; ils savent toujours se tirer
d'affaire, et, à défaut de raisons, ils emploient la torture et
tourmentent leurs victimes sans règles ni mesure.
Au commencement du mois dé janvier 1878, ou en dâcem-
1877, un satellite voulut enlever à un homme du peuple une
de ses femmes. Dans ce but, il se réunit à d'autres, et tous
ensemble ils accusent cet homme de vol, l'arrêtent, le jettent
en prison, et, pour lui faire avouer ses prétendus vols, le
soumettent à une horrible question. Mais on avait beau le
frapper, il protestait toujours de son innocence; cela ne
faisait qu'augmenter la rage des satellites, qui le réduisirent
à un état voisin de la mort. Sur ces entrefaites, les gens de
son village, qui le connaissaient pour un honnête homme,
vont protester au tribunal. Peu à peu on découvre que l'ac-
cusation est entièrement fausse, et le préfet ordonne de le
relâcher ; mais le pauvre homme ressemble plus à un cada-
vre écorché qu'à un homme vivant; les côtes sont à nu, la
barbe, les cils, les sourcils sont brûlés, les paupières atta-
quées^ les pieds foulés, les genoux écrasés, les cuisses et le
ventre brûlés, enilés, etc.Les satellites, craignant qu'il ne
meure (car eux-mêmes seraient responsables), se mettent à
le soigner ; je n'ai pas su s'il était revenu à la vie.
Quand les chrétiens sont entre les mains de ces barbares,
l'on peut s'imaginer à quels supplices ils sont réservés. Dans
cette persécution, le préfet de police ne les avait pas tout à
fait abandonnés à la discrétion des satellites ; il avait lui-
même, paraît-il, indiqué les supplices qu'on pourrait leur
appliquer, pour les forcer à faire des révélations et à aposta-
sier : c'étaient la torsion des jambes et des bras, et la sus-
— 166 —
pension. J'ai pu entendre quelquefois les soupirs et les cris
de ces pauvres torturés, qui soufEraient pour Notre-Seigncur
Jésus-Christ Hélas ! je partageais bien leurs soufErances ;
mais, ce qui me faisait mal c'était d'entendre les ricanements,
les éclats de rire des satellites et des bourreaux assistant à ce
spectacle.
Je ne voudrais cependant p^ dire que tous fussent mé-
chants et barbares ; j'aime même à croire qu'il y a des excep-
tions assez nombreuses, et, pour ce qui me regarde, les
satellites de droite ne m'ont généralement pas maltaité ;
quelques-uns môme prenaient ma défense et me protégeaient
contre ceux qui m'injuriaient Ils aimaient à causer et me
faisaient une foule de questions ; il m'a fallu plus de cent fois
leur parler des royaumes d'Europes, de la France, leur dire
son étendue, sa distance, etc., expliquer les quatre saisons,
les phases de la lune, les éclipses de soleil, de lune..., les
bateaux à vapeur, les chemins de fer. J'ai pu même leur
exposer la doctrine chrétienne. Ils ne croient pas à l'exis-
tence de Dieu, mais ils admirent les dix commandements, et
bien souvent j'ai entendu de la bouche de ces hommes l'éloge
des chrétiens. " — Ce sont des gens doux, paisibles, disaitent-
ils ; ils ne volent pas, ils ne disent pas de mensonges, ne
parlent pas mal du prochain, ne frappent personne, etc."
Quelle différence avec eux, qui volent quand ils peuvent,
mentent presque toujours, à tel point qu'on ne sait que croire
de leurs paroles ; j'ai été si souvent trompé, que, à la fin, je
n'ajoutais plus aucune foi à ce qu'ils me disaient Le men-
songe est une spécialité du satellite ; mais ce qui est commun
à tous les Coréens, ce sont* les paroles obscènes, les histoires
et les discours scandaleux ; ils parlent entre eux souvent par
gestes. Au commencement je ne comprenais pas; mais,
lorsqu'ils m'eurent expliqué ce que cela signifiait, je leur
exprimai tout mon mécontentement avec indignation ; bientôt
ils prirent des précautions, et quand il se présentait quelqne
nouveau venu tenant des propos licencieux, ils s'empressait
de lui dire : " — Ne parle pas de cela, car il n'aime pas à
entendre ces choses."*
Les questions les plus ordinaires, qui sont du reste des
questions de politesse, et auxquelles j'ai été obligé de répon-
— 167 —
dre des milUiers de fois, sont celles-ci : " — Comment vous
appelez-vous ? Quel âge avez-vous ? De quel pays êtes-vous ?
Avez-vous des parents ? Avez-vous des enfants? Avez-vous
des frères? '* Et, pour rendre la politesse, il me fallait, de
mon côté, faire les mêmes interrogations. Mais ils ajou-
taiet : "—Quand etes-vous venu? Avec qui ? Comment?...
Questions indiscrètes auxquelles je déclarais n'être pas oblige
de répondre. Tout le temps que j'ai vécu au milieu d'eux,
ils n'ont cessé de me questionner sur tontes sortes de choses ;
quelques-uns le faisait avec assez d'intelligence et écoutaient
volontiers les réponses. On est venu u-n jour me demander
sérieusement si je ne pourrais pas renvoyer les Japonais, qui
devaient venir au printemps. On m'a demandé aussi si je ne
pourrais pas leur faire un bateau à vapeur.
Pendant toutes ces conversations, je n'avais pas l'air d'un
prisonnier, et cependant j'étais bien en prison ; impossible à
moi de sortit* : deux gardiens me surveillaient nuit et jour.
On parlait, dès le début, de me renvoyer dans mon pays ;
un chef vint même me dire :
" — Si l'on te renvoyait dans ton pays, où faudrait-il te
conduire ?
" Conduisez-moi où vous voudrez ; vous savez bien que je
ne désire qu'une chose, c'est qu'on me permette de rester en
Corée, pour y enseigner la doctrine chrétienne.
" — Si l'on te renvoie, tu ne partiras donc pas ?
" — Si l'on me renvoie de force, je serai bien obligé d'aller
où Ton me conduira.
*^ — Mais où te conduire ? Si l'on te mettait en Chine, com-
ment ferais-tu ? "
Je n'avais pas encore parlé démon passeport chinois, parce
que je le jugeais inutile pour la Corée ; je trouvais le moment
favorable de le montrer.
" — Si vous me renvoyez en Chine*, je serai peu embar-
rassé, parce que j'ai un passeport qui xr\fi permet d'aller par
tout le pays du Leao-tong.
" — Fais-le voir."
Je le lui présentai ; il le lut sans avoir l'air d'y faire atten-
tion et me le rendit.
** — C'est inutile pour ici.
— 168 —
^' — Je le sais ; roilà pounjuoi je n'en ai pas parlé ; maïs
en Chine, avec ce passeport je puis obtenir la protection des
mandarins, "
Le lendemain, on vint, de la part du grand juge, me de-
mander mon passeport, pièce qui fit un peu sensation ; on
m'en parla même dans un interrogatoire, et enfin on ooldia
de me le rendre.
Comme je Tai dit plus haut, quelques jours après mon
arrestatioB, les deux juges, celui de droite et celui de gauche
furent remplacés par d'autres. J'eus une fois l'occasion de
voir celui de droite, appelé Kim. H me manda à son tribu-
nal au milieu de la nuit. Gomme précédemment, il était dans
nn appartement, dont on ouvrit la porte ; pour moi, je me
tenais debout dehors avec quelques satellites. L'interroga-
toire fut insignifiant, et je pense qu'il ne m'avait appelé que
pour me connaître et se procurer le plaisir de me voir. Entre
autres choses, il me demanda :
*' — Où sa«t les autres Pères ?
" — Je l'ignore depuis quinze jours ; ils ont dû apprendre
mon arrestation, ils se seront cachés, et personne ne peut
connaître le lieu de leur refuge.
" — C'est une parole juste, dit le juge ; il ne peut savoir
où ils sont présentement... Mais où étaient-ils alors ? Où de-
meuraient-ils ?
^^ — Je ne puis répondre à <îette question. Quand bien
*même j'y répondrais, vous ne trouveriez pas plus facilement
les Pères que vous cherchez ; ils ont fui, et personne ne con-
nait leur retraite ; de plus, je dénoncerais inutilement des
personnes innocentes, et je leur causerais un vrai dommage ;
ce que je ne puis ni ne veux faire-
" — Que désire-tu qu'on fasse de toi î
^^ — Je ne sais ce que le gouvernement décidera ; mais,
puisque vous me faites cette question, je désire que le gou-
vernement me permette de rester en Corée, de m 'établir à la
capitale et de prêcher la doctrine. Vous en connaissez assez
pour savoir qu'elle n'est pas mauvaise, qu'elle enseigne i
faire le bien. Ceux qui la pratiquent sont des gens paisibles,
honnêtes, de bons citoyens; le gouvernement ne pourrait
donc qu'avoir avantage à nous accorder cette permission.
" — Et si on te renvovait ?
— 169 —
('f' — Je ne demande pas à partir, au contraire, et, si on me
le permet, je resterai dans le pays jusqu'à la mort. Je me
chargerai encore de recueillir, de nourrir et d'élever les or-
phelins et les enfants abandonnés, qui sont si nombreux.
*' -;- Où prendrais-tu de l'argent ?
'^ — Des enfants de France m'en donneraient
" — Ils sont donc bien riches ?
^^ — Pas très-riches ; mais ils sont généreux, charitables, et
ils aiment les enfants de la Corée.
** — Pourquoi te frottes-tu les mains ainsi ?
" — Sorti .d'une chambre chaude, au milieu de la nuit, f ai
froid.
" — Tu as froid ! Qu'on l'emmène, et qu'on le traite bien.'*
Puis il remit pour moi au chef des satellites une petite
boîte de gêteaux de Chine.
Que pensait, que faisait lé gouvernement ? C'était à n'y
rien comprendre, sinon que, dans le Conseil, il y avait à mon
sujet une grande hésitation. J'ai entendu un jeune homme,
qui disait :
" — Hier soir, il y a eu une dispute terrible à la préfec-
ture de police j deux ministres se parlaient avec colère, et
sont restés jusqu'à minuit sans pouvoir se mettre d'accord.
^' — A propos de quoi ? lui demanda-t-on.
" — A propos de l'Européen."
Et ces scènes arrivaient fréquemment, paraît-il. Les uns
voulaient me renvoyer en Chine ; les autres voulaient me
mettre à mort. Un scribe me dit un jour : " — On a envoyé
en Chine pour consulter le gouvernement à votre sujet, et ce
qu'il ordonnera de faire, on le fera." D'autres disaient:
" — Quand les autres Pères seront arrivés, on décidera.
Vous feriez bien de les appeler et de leur donner l'ordre de
venir."
J'étais toujours avec les satellites. Or ceux-ci, au nombre
de huit, dix, et quelquefois d'une vingtaine, allaient venaient,
se succédaient, passant leur temps à rire, à jouer, à vociférer,
à se disputer, depuis six ou sept heures du matin, jusqu'au
milieu de la nuit. Ce n'était pas le moindre de mes tour-
ments. On ne cessait de m'adresser la parole, et je trouvais
à peine le tÀnps de faire un peu de méditation ; j'y suppléais
— 170 —
pendant la nuit. Quelle difficulté pour réciter mon bréviaire
au milieu de ce tapage 1 DifEêrentes caisses, saisies dans ma
maison, avaient été apportées au corps de garde des satel-
lites ; beaucoup d'objets avaient disparu lors du pillage *,
mais, même en ce lieu, chaque fois que le chef ouvrait ces
caisses, les satellites présents emportaient ce qui leur conve-
nait ; ils venaient me demander ce qu^était tel ou tel objet, à
quoi servait telle ou telle chose. Un jour, un satellite m'ap-
porta une petite croix, et me demanda si c'était de l'or ; je
reconnus le croisillon de ma croix pectorale, qui contenait
des reliques. Il l'avait brisé. Le tout aura été brûlé, fondu,
car je n'ai plus revu cette croix qui était en argent doré.
D'autres satellites m'apportèrent un morceau de savon, me
demandant ce que c'était Je résolus de les amuser, et je
réussis assez bien, car, leur ayant montré la manière de faire
des bulles, tous se mirent à l'œuvre, à qui mieux mieux,
môme les manderins qui soufflaient avec force dans un tuyau
de papier pour gonfler les bulles. Ils amenèrent leurs amis
du dehors pour voir cette merveille, et je crois que tous
eussent voulu avoir du savon à leur disposition ; un grand
nombre m'en demandèrent biBn inutilement, puisque je
n'avais rien. Un satellite me dit :
** — Est ce bon à manger, le savon ?
" — Non, cela ne se mange pas, et môme cela pourrait
rendre malade.
" — Mon petit garçon, qui a dix ans, et à qui j'en avais
donné un morceau, crut que c'était un gâteau ; il en a mangé
et il a été très-malade."
Je profitai de la circonstance pour les avertir que, dans
mes caisses, il y avait quelques remèdes européens, gui
étaient excellents, quand on savait s'en servir, mais qui, em-
ployés sans discernement, pouvaient donner la mort
" — Oui, me disaient-ils, mais le vin de raisin, comme
c'est bon ! Nous le connaissons bien. — Comme c'est fort î
ajoutait un autre, j'en ai bu quelques verres, et je me suis
enivré d'une belle manière, tellement que je ne me suis
réveillé que le lendemain," De fait, ils avaient bu tout le vin
de messe de la mission.
Pendant tout ce temps, je n'étais pas maltraité. Le matin
— 171 —
et le soir, on me donnait du riz, et, au milieu du jour, une
espèce de bouillie. Seulement il m'était impossible de chan-
ger d'habits, et la vermine me dévordit ; je ne pouvais qu'à
grand'peine obtenir de temps à autre un peu d'eau pour me
laver les mains et la figure ; et, quand on voulait bien m'en
donner, c'était dans le vase dont les satellites se servaient
pour se laver les pieds.
On vint me dire un jour ; " — Le grand juge a appris que
TOUS saviez dessiner ; il vous demande de lui faire le portrait
d'un Coréen, d'un Chinois et d'un Européen. J'hésitais
d*abord, car je ue sais pas dessiner ; mais surtout je craignais
un piège. On insista, et je me mis à l'œuvre. Le Coréen
passa facilement, le Chinois aussi ; pour l'Européen, je l'ha-
billai un peu à ma fantaisie, et j'envoyai mon travail au
grand juge, qui me fit remercier en disant que j'étais très-
habile. En suite de quoi, tous voulaient avoir des desseins
qiie je dus refuser afin de conserver ma réputation.
C'est alors que j'entendis pour la première fois parler des
jeux qui suivent les fêtes du premier de l'an chinois en Corée.
Ces jeux durent un mois, et ils consistent en de vrais com-
bats. Deux armées, composées de deux ou trois cents hommes
portant de gros bâtons de deux pieds de long, sont en pré-
sence. A un signal donné, elles se précipitent avec fureur
l'une sur l'autre ; les coups de bâtons pleuvent à droite et à
gauche, jusqu'à ce que l'un des partis soit obligé de céder et
de s'enfuir. On conçoit aisément ce qu'il en résulte de con-
tusions, de mâchoires et d'épaules démises, de têtes, de jam-
bes, de bras cassés ; souvent la mort même s'ensuit Ces
combats de gladiateurs sont, pour les habitants de la capi-
tale, un des plus beaux sp^tacles. Comme je faisais remar-
quer aux satellites la cruauté de ces luttes, ils me répon-
dirent : " — Oh ! il n'y a que les Coréens pour avoir ce cou-
rage, pour supporter de tels coups, et braver ainsi la mort. "
Une fois, l'acharnement avait été tel, que le gouvernement
se crut obligé de défendre ce jeu ; mais, deux jours après, il
recommençait dans un autre quartier, toujours en dehors
des portes de la capitale. ^^ — Si les Européens assistaient à ces
jeux, comme ils auraient une haute idée des Coréens! me
disaient-ils encore, il n'y a pas de peuples comme nous."
— 172 —
J'eus plusieurs fois l'occasioa de connaître la manière doni
on corrige les soldats. Parmi ceux qui étaient employés au
corps de garde, il y ayait quelques braves gens, remplissant
bien leurs devoirs ; mais il y en avait d'autres toujours
rebelles à la discipline. Denx ou trois ne manquaient pas de
s'enivrer toutes les fois qu'ils pouvaient le faire. L'un d'eui^
homme grand, fort, solide, passait peu de jours sans rentrer
ivre et incapable de faire son -service. On le laissait dormir,
après l'avoir mis aux entraves, puis, le lendemain, le chef le
faisait venir et le condamnait à recevoir trois, cinq ou dix
«oups de planche. On m'a invité plusieurs fois à. voir ceMe
exécution; mais je refusais en plaignant le pauvre patient, ce
qui faisait rire les satellites. Quoique je n'aie rien vu^ j'ai
cependant tout entendu. Qn éludait le patient sur une natte,
en présence de ses camarades ; le chef lui faisait une admo-
nition, et un homme, armé d'une planche longue de huit
pieds, s'approchait. Au commandement du chef, il frappait
le coupable qui, à chaque coup, ne manquait pas de crier ;
mais, pour étouffer ses cris, deux autres soldats chantaient
sur des tons différents. Les coups se succédaient, à des inter-
valles assez rapprochés, pendant lesquels le chef faisait
encore une petite admonition qui devenait de plus en plus
sévère. A chaque coup, les deux soldats chantaient, et le
patient criait plus fort U y a manière de donner les coups ;
aussi les soldats entre eux savent s'épargner, et bien souvent
cette bantonnade n'est qu'une comédie; mais j'en ai vu qui,
ayant reçu dix coups de planche, avaient la peau enlevée et
les cuisses profondément labourées ; ils perdaient connais-
sance, et il leur fallait un mois pour se remettre.
La religion de tous ces employés de préfecture, conmie
celle des nobles et des fonctionnaires, c'est le culte de Gonfo-
cius. Ils honorent Gonfucius, le respectent, le louent, l'ad-
mirent, lui font des sacrifices. Ils sont ûers de ce culte et
accusent les Chinois d'indifférence à l'égard du philosophe.
Plusieurs fois ils m'ont dit : " — Nous avons une doctrine, la
doctrine de Gonfucius : nous n'avons pas besoin d'en avoir
une autre, nous n'en voulons pas d'autre. " Entrer directe-
ment en discussion était inutile, et n'eût fait que les irriter.
Plusieurs fois cependant, je leur ai fait voir que la doctrine
— 173 —
de Gonfucius n'était pas complète, que les sacrifices qu'ils
font aux ancêtres ne sont souvent qu'une comédie, etc.;
mais tout cela avec beaucoup de précautions, car les Coréens
sont très-susceptibles sur cet article. Pour les convertir, il
faut d'abord leur expliquer la doalrine chrétienne, leur en
faire voir la beauté, les preuves, etc., mais attaquer de front
leurs doctrines ne ferait que les humilier sans résultats. Puis
j'ajoutais :
" — Vous dites que vous avez une doctrine, mais le peuple
n^en a pas ; les lettrés honorent Gonfucius, les bonzes hono>
rent Fô, mais le peuple, quelle doctrine suit*il ?
" — G'est vrai, le peuple n'a pas de doctrine.
" — Eh bien, qu'on nous laisse donc enseigner au peuple la
religion chrétienne ; vous savez qu'elle est bonne et que de
grands lettrés coréens l'ont pratiquée.
^^ — Oh! oui, c'étaient de grands savants que tel et tel..."
Déjà deux fois, au commencement de février et vers le 1 0
-mars, on avait signalé des navires européens sur la côte. La
population était en émoi, se tenait sur ses gardes ; on en
signala encore en avril et en mai, et chaque fois cette nou-
velle excitait une grande rumeur. Le 12 mars, un chef de
satellites arriva avec toute une troupe ; j'appris qu'il revenait
d'une expédition dans le Sud, sans doute ponr rechercher les
missionnaires. Il confirma la présence des navires sur les
côtes. U ramenait trois chrétiens, mais n'avait pas pu trouver
les Pères, ce qui le rendait très-mécontent. U s'excusait en
Aisant qu'il était impossible de pénétrer dans les campagnes
infestées de brigands et que les satellites du pays n'osaient
s'y aventurer. G'est sans doute ce mécontentement qui s'est
déversé sur moi, car, trois jours après, eut lieu le grand in-
terrogatoire. Jusqu'alors j'avais été épargné, et Ton ne me
traitait pas trop mal.
IV •
Le 16 mars au matin, je remarquai une certaine agitation
que je ne pouvais comprendre. J'étais alors renfermé dans
une petite chambre dout la porte donnait sur la cour ; par
cette porte entr'ouverte, je vis qu'on apportait une chaise, et
le chef vint aussitôt me dire :
— 174 —
^* — Evoque, monte là-dedans.
'' — Pour aller où ?
< " — Tu le sauras bientôt ; monte vite. "
Je voulus prendre mon bréviaire :
" — Ce n'est pas nécessaire, dit-il ; laisse- le ici, je m*ea
charge. "
Je m'assieds dans la chaise. Deux porteurs la soulèvent
et deux satellites l'accompagnent ; l'un deux, en passant la
porte, laisse échapper cette exclamation : " — Pauvre mal-
heureux ! Si du moins on l'avait renvoyé dans son pays ! "
Pendant le trajet^ je me demandais où Ton me conduisait
Du reste, j'étais prêt à tout, et je m'abandonnais avec
confiance à la Providence, ne désirant faire que la sainte
volonté de Dieu. Nous arrivâmes devant un grand bâtiment,
et la chaise s'arrêta. La porte était ouverte, et tout le monde
entrait ; mais, comme prisonnier, je ne pouvais }>asser par
là, je devais entrer par une petite porte réservée pour les cri-
minels. Nous voilà dans une vaste cour qui conduit au
tribunal. On me dépose dans une petite chambre qui se
trouve à côté. À peine les satellites eurent-ils échangé
entre eux quelques paroles, que je compris tout ; je me trou-
vais transporté au tribunal de gauche. Mais, pour quel
motif ? Ordinairement quand on change de tribunal, c'est
que le procès doit être fait plus rapidement et prendre une
autre tournure. Il y avait longtemps qu'on avait l'air de ne
pas s'occuper de moi, et je désirais qu'on prit une détermi-
nation.
Beaucoup d'employés des Iribunanx vinrent me voir; j'en
connaissais quelques-uns que j'avais vus au tribunal de
droite. Inutile de leur adresser des questions ; ils auraient
répondu d'une manière évasive, ou bien m'auraient menti
Le mieux était de les écouter parler entre eux. Bientôt j'eus
appris qu'il s'agissait d'un jugement que je devais subir
devant les deux juges criminels de droite et de gauche, réunis
à cet effet, et qui allaient enfin prononcer une sentence. Je
priai Notre-Seigneur de me soutenir et de mettre dans ma
bouche des paroles de sagesse afin de répondre suivant son
esprit et pour le bien de cette pauvre mission.
Allait-on me permettre de rester T Allait-on me renvoyer
— 175 —
en chine. Âllait-on me mettre à mort ? Cette dernière hypo-
thèse me paraissait la plus probable, et je pouvais espérer
que, après quelques jours de souffrances, je serais enfin
débarrassé des peines de celte vie, pour posséder le bonheur
de voir Dieu toute Téternité ! Les grâces de Notre-Seigneur
ne manquent pas dans ces circonstances. Appuyé sur ce
secours, je me sentais fort ; et je me remis tout entier entre
les mains de Dieu. Autour de moi les satellites parlaient,
criaient, riaient et fumaient. Après une longue attente, on
vint avertir que les juges me demandaient.
Aussitôt je me lève, et les satellites s'empressent de m'em-
mener dans la cour oft ils me remettent à un bourreau, qui
tenait à la main une corde rouge. Cette corde sert à lier les
grands criminels, les voleurs, les assassins. Elle peut avoir
deux brasses de Jong ; à Tune des extrémités, est un orne-
ment de cuivre en forme de tète de dragon ; une douzaine
de boules ou anneaux du même métal sont enfilés dans la
corde. Le bourreau me prit assez doucement et se mit en
devoir de m'attacher ; il me passa la corde par-dessus
les épaules en la croisant sur la poitrine, l'attacha par
derrière et retint en main l'extrémité qui simulait la queue
du dragon. On me fait avancer vers l'endroit où doit avoir
lieu le jugement. Le peuple n'était pas admis, mais il y
avait beaucoup de soldats de la garnison et du palais venus
en curieux et des employés du gouvernement. Nous mar-
chons entre dpux haies formées par les employés subalternes
de la préfecture de police ; il y en a une trentaine à droite et
autant à gauche ; ils ont des pantalons blancs et des vestes
noires ou bleu foncé ; ils sont tous armés d'énormes bâtons
rouges, de la grosseur d'un bras et longs de huit pieds. Ce
sont les bourreaux. On me fait arrêter sur une espèce
de paillasson, qu'on avait jeté au milieu de la cour.
£n avant et de chaque côté, sont les chefs des satellites ;
les scribes, placés au milieu des satellites, se disposent à
écrire. Au fond, à dix pas de moi, se trouve la chambre où
les deux juges de droite et de gauche sont assis sur des
nattes ; des coussins en soie leur servent d'appuis. Ils sont
en grand uniforme : bonnehs ou mitres en crin avec des
volauts pendant de chaque côté, grands habits de soie bleue
— 176 —
retenus par une ceinture richement ornée d'écaillés de tortue
ou de pierres précieuses. Celui de droite s'appelle Kim. Je
l'avais déjà vu ; il a une figure ronde, réjouie et parait avoir
de quarante à cinquante ans. Celui de gauche, Ni-kyeng-ha,
le juge de Mgr Bern«uz et de nos autres confrères, célèbre
par ses nombreuses exécutions en 1866, montre soixante ans ;
il a des yeux de tigre qui indiquent le mépris et la cruauté ;
il n'écoute aucune supplication, aucun conseil, et veut tout
décider par lui-même. Les juges sont assis, tous les assistants
se tiennent debout, prêts à exécuter les ordres de leurs chefs,
ou plutôt du chef, le juge de gauche ; car lui seul prend la
parole, lui seul donne des ordres ; le juge de droite ne
semble être que son aide.
Après avoir jeté un coup d'œil sur cet entourage, je me
tins debout. Les satellites me crièrent : .
" — Mets-toi à genoux."
Je restai debout
" — ^Metstoi à genoux, à genoux, à genoux "
Môme immobilité. Le juge regardait tout ce tapage.
" — Assieds-toi à ton aise, me dit-iL
Aussitôt satellites et bourreaux me disent avec une figure
souriante, comme si l'ordre était venu d'eux.
" — ^Assieds- toi, assieds-toi.
Je m'assis sur la paille, en croisant les jambes suivant la
coutume coréenne, et l'interrogatoire commença :
" — Quel est ton nom î ^
" — Je m'appelle Ni-Pok-Myeng-i."
En coréen Pok veut dire félicité, bonheur ou heureux,
Myeng-i veut dire clarté ou clair ; c'est la traduction de mes
deux noms de baptême Félix-Clair ; Ri, ou ce qui revient au
même. Ni, est la première syllable de mon nom de famille
" — Quel âge as-tu ?
^' — J'ai quarante neuf ans.
" — ^De quelle année es-tu ?
" —De l'année Kyeng-in (1830)."
Ils se mettent à compter et disent :
^^ — Oui, c'est bien cela, quarante-aeuf ans. Quand es-tu
venu en Corée ?
" —Je suis venu à la 7me lune ?
— 177 —
i( — Quels sons les autres missionnaires qui sont en Corée ?
" — ^H y en a quatre."
On les connaissait, et bien ^souvent on m*avait parlé d'eux
en les nommant
" —Où sonUils T
'^ — ^Depuis deux mois que je suis en prison, sans nouvelles
d'eux, puis-je savoir où ils se trouvent ?
" —Avec qui es-tu venu ?
^' — Si je vous donnais ces indications, plusieurs personnes
pourraient en souffrir. Je ne puis donc dire ni comment, ni
avec qui je suis venu.
" — Quel est ton yays ?
" — Poul-lan-sya.
" — Ecris cela."
On me fait passer du papier et un pinceau et j'écris Poul-
lan-sya en coréen. Le juge regarde et dit :
" — Ecris-le aussi en ta langue."
J'écrivis France. Alors je sentis comme un nuage me passer
sur le cœur ; pauvre pays I pauvre France ! et cependant
j'éprouvai un sentiment de fierté.
^^ — As- tu une dignité dans ton pays?
" — Je n'ai pas de dignité, je n'exerce aucune fonction.
(( — ^Lorsque tu retourneras dans ton pays, ton gouverne-
ment te donnera-t-il de grands emplois, une haute dignité ?
" — Lorsque je suis venu en Corée, c'était pour y vivre et y
mourir ; j'avais l'intention d'y rester jusqu'à la mort Quand
bien même je lentrerais dans mon pays, je n'aurais* aucun
emploi.
" — On m'a fait voir ton passe-port De qui l'as-tu obtenu?
^^ — Je l'ai obtenu de la cour de Pékin qui en donne à tous
les missionnaires, afin qu'ils puissent circuler sans être arrê-
^és ni inquiétés.
(c — Quel est le cachet qui est dessus ?
^^ — Je pense que c'est le cachet du gouvernement chinois ?
" — ^Est-ce Je cachet du tribunal des Rites ou d'un autre ?
'^ — Je ne puis répondre, ne le connaissant pas.
^^ — ^Est-ce toi qui l'as demandé au gouvernement chinois ?
" — Non, c'est le ministre de France résidant à Pékin qui
l'a demandé pour moi.
6
— 178-^
" — Comment s*appelle-t-il, ce ministre ?
" — n s'appelle Louis de Geofroy.
" — Comment dis-tu ?
" — Louis de Geofroy."
Alors tous les assistants, prêtant Toreille, essaient de répé-
ter, et j'entendis les plus habiles gui disaient, en pinçant les
lèvres, avec force grimaces: "Nui te So-poa." Je répétai
encore en appuyant sur chaque syllabe. Le juge essaya inu-
tilement une fois d'articuler ce mot ; il y aurait perdu sa
dignité en insistant Mais les autres voulant à toute force le
prononcer, il me fallut le répéter plusieurs fois avec le même
succès. Je ne pouvais m'empêcher de rire, et je leur expli-
quai que ce nom, étant français, a des sons différents de la
langue coréenne.
" — Mais toi, tu prononces bien, les mots de la langue
coréenne.
" — D'abord, je ne les prononce pas bien, puisque quelque
fois vous avez de la peine à me comprendre^ ensuite, il m'&
fallu beaucoup d'étude et d'exercice ; dans les commence-
ments, il y avait des mots que je ne pouvais pas prononcer.'*
Après cette interruption^ le juge reprit :
" — Pourquoi, étant sorti une première fois, es-tu revenu ?
^' — Le bateUer voguant sur la mer et surpris par une tem-
pête, va se mettre à l'abri ^ann quelque port, puis, la tour-
mente passée, il se remet en mer; ainsi j'ai fait."
Le juge se mit à sourire en disant à demi-voix :
" — Oh ! ce n'est pas la même chose. Qu'es-tu venu faire T
" — Prêcher une belle doctrine.
" — Quelle doctrine ?
" — La religion catholique qui enseigne àhonorer le Maître
du Ciel, Dieu.
" — Qu'est-ce qu Dieu ?
" — C'est le créateur dti ciel et de . là terre, c'est lui qni a
créé le premier homme d'où nous sommes tous descendus ;
tout homme doit honorer ses parents, à plus forte raison
doit-on honorer Dieu, le père de tous les honunes; c'est
encore lui qui gouverne l'univers et qui est le maître de
tout.
" —Qui a jamais vu Dieu ?
— 179 —
" — Dieu a parlé aux homnes ; c'est Dieu lui-nftme qui a
donné les dix commandements que tous les hommes doivent
observer. En outre, les preuves de l'existence de Diem soiït
partout, et nos livres chrétiens que vous avez pu voir en
donnent beaucoup.
" — Qu'est-ce qu'a de bon cette doctrine?
^^ —Elle apprend à aimer Dieu par-dessus tout, et tous les
hommes comme soi-même; elle apprend à faire le bien, à
éviter le mal, à régler ses mœurs, à supporter patiemment
les maux de cette vie, avec Tespéranee d'un bonheur éto^nel
après la mort.
♦' — Lorsque tu mourras, où iras-tu î
" — Chaque homme, après la mort, va devant Dieu et subit
un jugement sur le bien ou le mal qu'il a fait pendant sa vie ;
les bons vont au ciel, les méchants vont en enfer.
" — Mais toi, où iras-tu ?
" — Personne ne peut répondre de soi.
" —Mais enfin, où espères- tu aller ?
" — J'espère, avec la miséricorde de Dieu., obtenir te ciel.
'* — Ne crains-tu pas de mourir ?
" — ^Tout homme craint la mort.
** — ^Mais, actuellement, si l'on te mettait à mort, n'aurais-
tu pas peur ?
■ " — Je n'ai peur que d'une chose, c'est du péché ; si, ac-
tuellement, ici, vous me mettec à mort pour la cause de
Dieu, je n'ai nullement peur.
" — Et alors, où iras-tu ?
" — Au ciel, en présence de DLeu.
" — Combien de temps ?
*« —Toute l'éternité.
" — ^Mais les corps vont en terre T
" — Oui, les corps vont en terre où ib pourrissent ; mais
rame ne meurt pas, et de plus, un jour les corps ressuscite-
ront tous, et iront, unis à l'âme, dans le lieu où celle^i éjtait
avant la résurrection, et cela pour toujours.'*
Pendant cette dernière rêp#nse, le juge fit uoe grimace et
eut un so<jrire de pitié.
« —C'est asse^, dit-il avec mépris ; qu'on remmène."
(à êonimuer).
MGR. D'OLINDA
ET LA FRANC-MAÇONNERIE AU BRÉSIL.
La mort prématurée de Mgr. Vital Gonzalvez d'Oliveira, a
rMnené les esprits sur la question religieuse au Brésil et sur
la lutte vaillamment soutenue depuis huit ans par les apdtres
de la foi contre la franc-maçonnerie, si puissante dans ce
pays. Aussi avons-nous juger à propos d'exposer succincte-
ment les phases diverses de ce conflit grave, d'après des ren-
reignements puisés à des sources sûres.
Le réveil de la f rang-maçonnerie au Brésil date de 1872.
Elle était parvenue, sous le manteau de la religion, à s^intro-
duiVe dans les séminaires, chapitres, couvents et confréries
religieuses. Elle avait l'air de dormir, mais elle n'attendait
qu'un incident favorable pour jeter son masque et attaquer
publiquement ce qu'elle avait toujoui-s combattu dans le
mystère.
Cet incident se produisit au mois de mai 1872. Les loges
maçonniques, ayant célébré une grande fête enl'honiieurdft
leur grand maître, M. le vicomte de Rio-Branco, alors prési-
dent du conseil des ministres, pour le complimenter am sujet
de la loi sur l'esclavage, un malheureux prêtre^ l'abbé
Almeida Martins, y prononça un discours déplorable, à la
suite duquel, et après avoir épuisé inutilement tous les
moyens de persuasion, l'évêque de Rio-Janeiro fut obligé de
le suspendre pour arrêter le scandale. Sur ce, les loges et le
chef du gouvernement se réunirent en grande séance, êpou>
sèrent la cause du prêtre interdit et prirent la résolution d'at-
taquer Fépiscopat dans la presse et d'inviter tous les francs-
maçons du Brésil à prendre part à la bataille contre l'Eglise.
Toutes les loges répondirent avec, empressement i cet
appel ; on envoya partout des circulaires, engageant les so-
ciétés secrètes à la lutte contre le catholicisme. On ouvrit
— 181 —
des souscriptions. M. Saldanha Marinho alla même rendre
visite à Tabbé Almeida, en sa qualité der Grand-Orient du
second cercle, lui témoigna ses sympathies et l'informa qu'il
n'y avait point de divergences dans la façon d'apprécier la
question, celle-ci étant une onde immtnse qui se soulevaic
contre PiUtramontanisme.
La presse, ce levier si puissant pour le mal, servît à mer-
veille les desseins infernaux des francs-maçons. Les maurais
journaux prirent naturellement la défense des apostate ;
d'autres feuilles furent créées, qui se posèrent ouvertement
en organes de la franc-maçonnerie (1).
Cette presse-là niait les mystères de la religion, faisait
litière de tous les dogmes, attaquait avec violence la divinité
de Jésus-Christ, la très Sainte-Trinité, l'eucharistie, la virgi-
nité de Marie, l'enfer, la grâce et l'infaillibilité du Pontife.
Les cardinaux, Igs évoques et les prêtres étaient conspués
de la façon la plus infâme; la papauté y était présentée
comme un Oéau.
Tout ce débordement d'injures avait lieu avant que les
évoques eussent parlé et seulement à la suite de l'interdiction
de l'abbé Almeida.
On ajoutait, d'ailleurs, la raillerie à l'outrage, en f^iûsant
célébrer des messes (!) " pour se fortifier contre les colère des
ultramontains et braver l'opposition de l'évoque."
C'était un " ultimatum (sic) lancé par la franc maçonnerie
de Rio-Janeiro à Mgr. Lacerda."
Malgré la défense de ce prélat, une messe fut célébrée, et
même les francs-maçons y assistèrent revêtus de leurs insi-
gnes. Le prêtre célébrant ne fut point suspendu.
Cette modération de l'évêque semble avoir malheureuse-
ment encouragé la haine de ces forcenés, car les provoca-
tions les plus cruelles à l'adresse de Mgr. Lacerda ne firent
que redoubler depuis ce temps-là. Un des grands maîtres se
fit élire président de la confrérie de la paroisse où se trouve
révôché, défiant solennellement l'évêque de l'en faire sortir.
Ce triste personnage s'est même permis d'accuser de mol-
li) Entre antres la FamUia wnivêrêal et la Ferâade, à Pemambuco, le
PéUoano, à Para : la Fratemidade, à Ceara ; la Lua, à Rio Grande do Norte ;
le Labartm, à Alagoas, et le Maçon à Bio Grande do Sud.
— 182 —
lesse le prélat, et d« le railler grossièrement à prop(^ des
confréries de la cour, qui continuaient d'être coinpodée& ea
grande partie de francs-maçons, et de n'être point interdites,
et dont pas un seul membre n'avait abjuré à la fin del'anBèe
accordé» par Pie IX pour s'amender.
C'œt dans ces circonstances que Mgr. Vital Gonialvex
d'Olievera monta sur le siège de Pemambuco, au mcâs de
mai 1872. Chose étrange : à peine sacré, sans avoir rien fait,
et avant même d'être arrivé dans son diocèse, il fut signalé
par la secte comme un homme dangereux ! Les deux jour-
naux maçonniques la FamUia universal et la Verdcuie parais-
saient presque aussitôt daub son diocèse. Un mois plus tard
une loge annonça une messe solennelle pour le jour de
SaintnPierre, en commémoration de l'anniversaire de sa fon-
dation.
Le jeune et courageux évêque que la Providence paraisBaît
avoir choisi pour cette lutte, ordonna alors très secrètement
à son clergé de n'ofdcier dans aucune cérémonie maçonni-
que. C'était son pr^[nier acte ; la messe ne fut point dite. La
frauG-maçonnerie essaya d'en faire dire d'autres, mala tou-
jours vainement.
Pendant cinq moi&, on n'entendit qu'un concert d'avaoies,
d'injures et de blasphèmes contre Mgr Vital, dont la douceur
était, il faut le rappeler, blâmée dans une certaine mesure
d'un autre côté.
L'évêque fut néanmoins obligé d'ordonner au mois de no-
vembre des prières publiques, pour faire réparation à la
Sainte Vierge des insultes que la Verdade venait de lui jeter
en attaquant sa virginité. Ces actes d'amende honorable
mirent le comble à la fureur de la f ranc-mafonnerie. Elle se
vengea, en publiwt les noms de plusieurs membres du cler-
gé affiliés à la franc-maçonnerie et en nommant le rédacteur
fran^maçon qui vomissait à la Vtrdadt toutes ces injores
sacrilèges, M. Ayres Oama, président de la confrérie la SoU-
dade.
Les mêmes provocations avaient lieu en même temps a
Para, àCearaet dans d'autres villes. La franc-maçonnerie
semblait mettre les évoques dans la terrible alternative de
faire leur devoir en entamant la lutte avec toutes ses sont
— 193 —
fraQcee, ou de trahir leur mission en se soumettant à la
secte.
Oa Vimagine pas le cynisme de ces sectaiifes. Voici quel-
ques lignes de la sommatioa que la Fratemidade adressait à
l'évêque de Ceara, après lui avoir dénoncé beaucoup de
membres des confréries appartenant aux loges :
•
Monseigaear le Toit blea, les oonfréries sont presque exelosl^ement
confiées aux francs-Maçons. Comment donc Sa Grandeur peat-elle con-
verser avec ces excommnnlés-là, comment peat-elle vivre avec eux,
comment peat-elle lee supporter dans le sanetoaize f
Allons, Monseigneur, un coup d'Ëtat» une mesure de salut, expulsez
ces excommuniés du sein des confréries. Comment pourront-ils continuer
à diriger les confréries» dont le but unique est la splendeur du culte f
Ah Monseigneur ! Vous faibliasee- -le courage vous manque au moment
euprâme. Le gouvernement ... un procès . ..une prison. . . une forteresse • - -
Ce sont des fautâmes qui assaillent Timagination de notre doux évoque !
Si dure que fût sa situation, Mgr d'Olinda ne pouvait
trahir son devoir. S'il avait pu gémir en silence avant la
publication officielle des francs-maçons, faute de preuves, et
alors qu'il en connaissait un grand nombre parmi les faux
fidèles, révoque mis en demeure de remplir sou devoir, ne
pouvait s'empôcher de chasser les loups qui s'étaient cachés
dans le bercail.
Le temps de parler était venu pour lui. C'était une ques-
tion de vie ou de mort pour TEglise du Brésil. Mgr Vital a
toujours été persuadé que ^ Fepiscopat .restait ferme à son
poste, la lutte serait tenace, sans doute, mais qu'on parvien-
drait à sauver la foi au Brésil et à arrêter les progrès de l'im-
piété ; tandis que si, au contraire, on faiblissait, si Ton con-
tinuait de suivre le système de tout céder, pro hono pacis^
tout y serait irrémisciblement perdu, et le catholicisme y
périrait par décomposition lente, sans espoir d'aucune réac-
tion catholique, à cause du trarvail incessant que font les
protestants dans le pays.
On ne saurait, certes accuser Mgr d'Olinda de n'avoir pas
épuisé tous les moyens que conseille la charité avant de^
frapper énergiquement les confréries. Il appela chez lui, en
secret, chacun des prêtres francs-maçons, et les exhorta si
tendrement et si paternellement, que Sa Grandeur réussit, la
— 184 —
grâce du Seigneur aidant, à faire abjurer publiquement leurs
erreurs à tous,^sauf deux récalcitrants, qui furent interdiCs.
L'évoque reçut l'abjuration de plusieurs laïques et procura^
par tous les moyens possibles, la conversion de bien d'autres
ou leur démission des confréries.
Un grand nombre cependant ayant persisté, et les mesures
particulières n'aboutissant plus à rien, l'évêque fut contraint
d'agir of^cieîlement. Par une circulaire datée du 28 décembre
1872, il pria les'curés d'exhorter les confréries à faire abju-
rer les membres francs-maçons ou à les éliminer. Deux con-
fréries obéirent à l'ordre du prélat, les autres répondirent
par des plaisanteries^ou par des insultes.
L'évoque ne se découragea pas pourtant, et il leur enroya
une admonition^charitable où il rappelait les peines canoni-
ques. Cette admonition ne reçut qu'une réponse encore plus
grossière. Enfin un dernier avertissement, également inutile,
amena la suspension des confréries, auxquelles il fut inter-
dit de comparaître dans les offices divins comme associations
religieuses, de porter des habits religieux et de recevoir de
nouveaux membres. L'évoque déclarait, pour prévenir des
complications avec le gouvernement, que la suspension
n'avait de valeur qu'au point de vue religieux et spirituel.
Il est à remarquer qu'aucune confrérie ne fut suspendue
qu'après l'insuccès des trois exhortations de l'évoque. Exhor-
tations, mandements, prières, imprimés gratuits, rien de ce
qui pouvait ouvrir les yeux des égarés ne fut négligé par
l'évoque. La chose arriva au point qu'un préfet {président
de province), M. Pereira de Lucena, écrivit à l'évêque en
l'invitant d'ordonner aux prêtres de ne poin parler contre la
franc-maçonnerie. L'évêque jugea convenable de ne pas ré-
pondre à cette injonction.
Le Pape approuva la conduite de l'évêque par sa mémo-
rable lettre Quamquam dohres^ répondant à celle où Mgr.
d'Olinda avait demandé des lumières et des pouvoirs spé-
ciaux pour agir contre les confréries du tiers-ordre et du
"Carmel, qui prétendaient jouir de certains privilèges accor-
dés par le Saint-Siège. Sa Sainteté levait pendant une année
seulement la réserve des excommunications encourues par
les francs-maçons, et donnait pouvoir à l'évêque d'agir avec
toute la rigueur des lois canoniques.
— 185 —
•
Pendant ce temps, Mgr. de Para avait agi de la mêtiie ma-
nière, et les autres évêques avaient écrit à Mgr. Vital en
adhérant entièrement à ses actes Dans certains diocèses, la
franc-maçonnerie était censée ne pas exister aux yeux de
révéque, les francs-maçons ne s'y étant jamais dévoilés,
conmie à Pernambuco et Para, n y avait d'autres diocèses
enfin où l'arrogance des sociétés allait forcer les prélats à
agir énergiguement, lorsque l'envoi de la célèbre et fatale
mission Penedo à Rome les arrêta dans cette voie.
On ne saurait nier, sans faire preuve d'une mauvaise foi
insigne, la complicité du gouvernement avec la franc-ma-
çonnerie dans toute cette inique campagne contre l'Eglise.
n est vrai qu'un même homme, ainsi que bous l'avons déjà
dit, était à la fois le chef du ministère et le chef des loges.
L'empereur, de son côté, ne voulait pas rester en arrière, si
nous en croyions le Correio Paulistafw^ qui assurait qu'en
appelant répiscopat à rendre compte de ses actes, Sa Majesté
voulait montrer que son voyage en Europe n'avait pas été
inutile.
C'est grâce à cette haute protection que les confréries sup-
primées, suivant le conseil qui leur avait été donné par le
ministre, M. Correa de Oliveira, adressèrent un recours qui
violait les lois de l'empire et les lois canoniques, et dont le
résultat, aprss une information faite par trois conseillers
d'Etat, tous trois francs-maçons, fur l'ordre du 12 juin 1873.
Au nom de l'empereur, cet ordre-sommait l'évêque de lever
la suspension des confréries et l'interdiction des chapelles,
parce que la franc-maçonnerie était une société de bienfai-
sance et était autorisée par l'Etat Le conseil d'Etat y soute-
nait l'exéquatur et l'appel comme d'abus, comme étant un
droit de la couronne.
La réponse de Mgr. Vital est digne d'un grand évêque :
^' Si Sa Majesté l'empereur ma demande mes facultés, le
service de mon humble personne, ma vie même, je mets tout
à sa disposition, j'abandonnerai tout, n'ayant aucun attache-
ment à rien de tout cela; mais quant au sacré dépôt qui m'a
été confié, et qui aqpartient à Dieu et à soq Eglise, je ne puis,
je ne dois pas le céder, et je ne le céderai jamais."
Et plus loin : "... Dans les matières spirituelles ou reli-
— 186 —
gieuses, permettez-moi de le dire franchement, monsieur le
ministre, je ne reconnais sur la terre aucune autre autorité
que le Vicaire de Jôsus-Clhrist, et, dans les cas pcôvus, Sa
Grandeur Tarchevêque métropolitain (1)."
L'interdit fut enfin levé par l'empereur, et les confréifes
se livrèrent à cette occasion à' une orgie de scandales et de
fôtes, où la religion fut bafouée, les prélats insultés et les
autels profanés. Sans la protection du gouvernement^ il est
permis de croire que les malfaiteurs n'auraient pas envahi d
pillé Téglise de la coq^ipagnie de Jésus, brisés les statues de
la Sainte Vierge et des saints, frappés les pères jésuites et
poignardé un pauvre religieux, ni enfin cherché à incendié
les ateliers typographiques de VUnido. La police avait pour
ainsi dire escorté les vandales !
Le gouvernement, qui avait intenté à Tévèqae d^Olinda,
pour avoir publié la lettre Quamquamdolores^ un procèsqu'il
avait fallu abandonner, attendu que tous les autres évâqiBS
avaient aussi publié ce document, lui intenta un autre procès
de désobéissance aux lois du pays. Il fit jeter révêqueen
prison le 2 janvier 1874, pendant que le baron de Penedose
rendait à Rome chargé d'une mission du gouvernement
auprès du Saint Siège.
La persécution avait naturellement ravivé la foi au Bréal
Les évêques étaient devenus plus vigilants, les prêtres avaient
amélioré leurs mœurs, les fidèles rivalisaient de zèle dam
Taccomplissement de leurs devoirs. Des associations pieuses
se fondaient, des cérémonies religieuses avaient lieu partout,
des pèlermages s'organisaient pour la première fois, on cm-
mençait partout à sentir le besoin du Pape, et surtout à
Taimer. Malheureusement, les bruits qui couraient surhs
résultats obtenus à Rome par le baron Penedo encoura-
geaient d'un autre côté les francs^maçons, qui devenaient de
jour en jour plus arrogants.
Mgr Vital avait reçu en prison une lettre du cardinal se-
crétaire d'Etat, datée du 18 décembre 1873, que Mgr Vitaloe
jugea point à propos de livrer à la publicité.
Ce fait contribua sans doute à*donner de la consistanos
- (2) Réponse du 6 jaillet aa ministre de Vempîre.
— 187 —
aux bruits que faisait courir la secte. Elle criait que l'ultra-
montanismo reculait houteusement, qu'il venait d'être con-
damné par la curie romaine, que Pie IX avait réprouvé la
conduite des évoque brésiliens hostiles au gouvernement,
que le catholicisme tombait en ruines, que Rome transigeait,
et autres insanités qui, pour être absurdes, n'en produisaieii^
pas moins un effet déplorable. Prenant prétexte de ces bruits,
on conspuait le gouvernement de l'Eglise, on tournait en
ridicule les prélats, et on leur offrait ironiquement un abri
dans le temple maçonnique.
Tout cela produisit un grand ébranlement dans tout le
Brésil, et quelques évoques qui allaient suivre la voie ou-
verte par ceux d'Olinda et de Para, s'abstinrent de toute
action. H y eut des fidèles, découragés, qui quittèrent les
sociétés catholiques ; bref, la foi, encore faible et chante-
lante d'un grand nombre de fidèles privés d'une instruction
religieuse suifisante, en reçut un coup formidable.
C'est alors que parurent les mémorables lettres du souve-
rain Pontife Pie IX aux évoques d'Olinda et de Para, dans
lesquelles Sa Sainteté approuvait tous leurs actes et les ex-
hortait à ne point faiblir devant la persécution de la franc-
maçonnerie. La joie des catholiques en fut aussi vive que le
dépit des loges maçonniques, et le mouvement religieux
reprit son essor encare une fois.
Le jeune évoque d'OUnda personnifiait un principe et un
système tout entier qu'il fallait écraser, au dire de la NaçaOy
organe du ministère. L'Etat (nous dirions peut-être mieux la
franc-maçennerie) n'aspirait à rien moins qu'à l'asservisse-
ment de l'Eglise.
Avant d'être écroué, Mgr Vital avait refusé de se défendre,
lorsque le tribunal suprême lui avait notifié l'accusation qui
pesait contre Sa Grandeur. .11 se contenta d'opposer ces sim-
ples mots : Jésus auiem lacebcU ! Enflji, il répondit par le
silence aux questions du tribunal, composé en majorité de
francs-maçons, et qui, d'après les lois de l'Eglise et celles du
pays, était incompétent pour le juger.
L'évêque fut condamné à quatre ans de travaux forcés,
que Tempereur commua en quatre ans de prison simple dans *
une forteresse de Rio-Janeiro. Pareille condamnation fut
— 188 —
prononcée pour les mêmes faits contre l'évêque de Para^
qui fut aussi enfermé dans une autre forteresse. Les admi-
nistrateurs des detiix diocèses ayant été sommés par le gou-
vernement d'avoir à lever les interdits, ils s'y refusèrent
courageusement comme leurs évêgues, et furent en consé-
quence condamnés aux travaux forcés.
Le gouvernement, au dire des personnes les plus respecta-
bles, ne visait à rien moins qu'à implanter le schisme, à pro>
lestantiser le pays, à diviser les forces catholiques. Sur ces
entrefaites, des troubles éclatèrent dans les provinces du
Nord de l'empire, irritées par le poids écrasant des impôts et
par le mécontentement produit par les lois sur la conscrip-
tion militaire. Ces événements, absolument étrangers à la
question religieuse, furent exploités par le gouvernement
pour attaquer le clergé, arrêter les PP. jésuites, les déporter
sans aucune forme de procès, et commettre une foule d'abus
contre des laïques innocents qui ne rougissaient point de
s'avouer catholiques et de défendre les droits de l'Eglise.
Enfin, la chute du ministère Rio-Branco, survenue ie 22
juin 1875, et son remplacement par le cabinet du duc de
Gaxias vint mettre fin à ce violent état de choses. Le 17
septembre de la même année, NN. SS. d'Olinda et de Para,
et les administrateur de leuBS diocèses furent mis en liberté,
sans aucune condition, à la grande satisfaction de tous les
catholiques brésiliens.
Par ce bref aperçu de la question religieuse au Brésil, on
voit d'abord que la franc-maçonnerie y a pris des allures
I)articulièrement hypocrites adaptées aux mœurs religieuses
du pays, et qu'elle a violemment attaqué les dogmes et
les vérités religieuses, ainsi que' les princes de l'Eglise
chargés de les enseigner. Les évêques, de leur côté, n'ont
fait que se défendre et remplir leur sainte mission avec
charité, avec prudence, mais au^i avec fermeté. Le minis-
tère, qui s'est engagé dans cette lutte inique de la force
contre le droit, est tombé sous le poids des difiicultés et de
l'impopularité, tandis que les dewx courageux prélats qui^
en se sacrifiant, avaient frayé la voie du devoir difficile, obte-
naient l'admiration et la reconnaissance de toute la catholi-
cité, et contribuaient à consolider par leur bon exem|)Ie le
sentiment religieux dans leur patrie.
— 189 —
Nous ne croyons point être inexact en affirmant qu'une
des choses qui ont les plus affligé le saint et regrettable érô-
que d*01inda, et qui probablement ont le plus avancé sa
mort, c'est l'ingratitude dont Pie IX a été l'objet de la part
des confréries.
Les circonstances ayant changé, Sa Sainteté daigna, à la
suite de la mise en liberté des évêques, lever les interdits
prononcés contre les confréries et les chapelles.
^Les catholiques n'y virent qu'un acte nouveau d^ la clé-
mence inépuisable du grand Pontife, accordée à la condition
que ces associaticms resteraient fidèles au but religieux pour
lequel elles avaient été crées.
Les francs-maçons, par contre, entonnèrent des chants de
triomphe, crièrent par-dessus les toits que les jésuites étaient
tombés foudroyés par la main du chef de la chrétienté, que
Rome cédait, que la victoire restait complète et éclatante à
la franc-maçonnerie, que les francs-maçons étaient autorisés
par le Pape à gouverner les confréries, et qu'on n'avait qu'à
résister aux évoques et à se tenir ferme contre Rome, pour
obtenir de nouvelles conquêtes sur l'intolérance. Et, de fait,
les confréries regorgèrent de francs-maçons, qui continuè-
rent à se croire victorieux, à dominer dans les églises et à
contrarier les curés dans l'exercice de leurs fonctions sacer-
dotales. On alla môme jusqu'à insinuer dans les feuilles de
la secte que cette victoire avait été achetée à Rome à prix
d'argent!...
Les prélats gémissaient tout bas de cet état de choses, et
souffraient de ne pas pouvoir faire prévaloir la véritable in-
terprétation de l'acte de clémence du Saint-Siège. Ds voyaient
par contre monter le flot da l'impiété et s'accroître l'arro-
gance et la doniination des loges maçonniques. Le scandale
en était au point que les Vén. - • se faisaient élire président
des confréries et mettaient au défi les évêques de les faire
révoquer. C'étaient eux qui fixaient les cérémonies reUgieu-
ses dans les paroisses, choisissaient les prêtres qui y][venaient
officier ou prêcher., acquittaient les frais et même détour-
naient les fonds provenant des legs pour des dépenses étran-
gères au but des confréries. Le curé ne pouvait ni célébrer
les-^offlces, ni même administrer les sacrements sans la per-
— 190 —
mission des présidents, qui gardaient la clef du tabernacle,
celle du baptistère et les ornements.
Aujourd'hui môme, toujours à cause de cette odieuse mys-
tification d'après laquelle la franc-maçonnerie ne serait pas
ennemie du catholicisme, on voit des francs-maçons avérés
servir de parrains dans les baptêmes et dans les confirma-
tions, assister aux enterrements avec leurs insignes et faire
célébrer des messes pour commémorer la fondation de quel-
que loge.
C'est pour remédier à cette fâcheuse situation que Sa Sain-
teté daigna adresser aux évêques du Brésil l'Encyclique datée
du 29 avril 1876. La gloire d'avoir obtenu ce mémorable
document, qui causa une si heureuse impression parmi les
catholiques du Brésil, revient tout entière au vénérable
évêque d'Olinda. Le Saint-Père y rappelait sa lettre à l'évê-
que du 29 mai 1873, où il était dit qu'" usant de douceur et
de clémence envers les membres de la secte maçonnique, qui
pourraient être trompés et dans l'illusion," il avait suspendu
pour un temps convenable la réserve des censures qu'ils
avaient encourues, " afin, disait textuellement l'Encyclique,
qu'ils puissent user de notre bienveillance, pour détester
leurs erreurs et pour se retirer des associations condam-
nables auxquelles ils avaient été affiliés."
Sa Sainteté rappelait aussitôt, que ce laps de temps passé,
lesdîteâ confréries devaient être supprimés afin de les réta-
blir conformément au motif de leur fondation. Le Saint-Père
faisait également allusion à la lettre encyclique du ler no-
vembre 1873 adressée aux évêques du monde catholique,
rappelant que les constitutions pontificales édictées contre les
sociétés perverses atteignaient également celles de TEurope,
celles de l'Amérique et celles du monde entier.
Le bruit que la condamnation apostolique ne s'appliquait
pas à la société maçonnique existant au Brésil avait affligé
vivement le Saint-Père, qui rappelait en outre une lettre que
Sa Sainteté avait écrite à l'empereur du Brésil le 7 février
1875 (1), où le Saint-Père promettait de lever les interdits dès
(1) La TévâatîoB de l'evistence de cette lettre Moâwait ime gnnde
potion aa BrésiL Cette lettre avait été écrite par le Pape alon que lea
deax âvéqnee étaient en prison.
— 191 —
que les évoques d'Olinda et de Para seraient sortis de prison^
et à la condition que les membres maçons des confréries
seraient préalablement éloignés des charges qu'ils y occu-
paient
Cependant, les moyens de clémence étant épuisés, et afin
qu'-en une matière si grave il ne pût rester aucun doute, le
Saint-Père déclarait à nouveau et afiftnnait ^que les sociétés
maçonniques, aussi bien celles qui sont au Brésil que celles
de partout ailleurs, et dont un grand nombre, de bonne ou
de mauvaise foi, disent qu'elles n'ont d'autre but que l'utilité
sociale, le progrès et la bienfaisance mutuelle, sont atteintes
et proscrites par les constitutions et condamnations aposto-
liques. Ceux qui avaient inscrit leur nom sur les registres de
ces sectes étaient soumis ipso facto à l'excommunication ma-
jeure réservée au souverain Pontife.
Du reste, Sa Sainteté reconnaissait qu'il était nécessaire de
réformer les statuts des confréries et déclarait avoir déjà
donné des ordres au cardinal secrétaire pour traiter avec le
gouvernement impérial.
On voit que ce document remarquable envisageait la ques-
tion avec toute la franchise et toute l'énergie que comportait
la situation. Aussi fut-il partout accueilli avec bonheur
parmi les catholiques.
On se heurta malheureusement contre le mauvais vouloir
du pouvoir civil, toujours disposé en faveur des confréries et
des francs-maçons. Les évoques exilés, rentes dans loiirs
^diocèses, eurent à endurer toute sortes d'oppositions et d'hu-
miliations.
Cependant la réforme des confréries allait ôtre traitée
directement entre le gouvernement brésilien et le Saint-
Siège, qui envoya à Rio-Janeiro Mgr Roncetti, archevêque
de Seleucie, en qualité d'internonce apostolique auprès de la
cour de Dom Pedro.
Alors seulement Tévêque d'Olinda, estimant inutile son
séjour à Rome, rentra au BrésiLau mois d'octobre 1876, où
il fut accueilli par les fidèles avec un enthousiasme indes-
criptible, n reprit la conduite de son diocèse de la manière
la plus prudente. Malgré cela, le gouvernement ne voulut
pas entrer en rapport avec lui, ni le considérer comme
-t92-
évoque. Tout traitement lui fut refusé; les prêtres qu'il
nommait aux différents postes ne recevaient aucun secours ;
des oppositions personnelles surgissaient de tous côtés. La
position devint intenable.
C'est alors que le vénérable évoque, après avoir épuisé toos
moyens et toute patience, se décida enûn à retourner en
Europe, pour régler cette afiaire directement avec Pie IX,
offrant sa démission, s'il était nécessaire, pour la sauvegarde
des principes. C'est alors aussi qu'en quittant sa patrie, il
annonça à ceux qui l'accompagnaient qu'il n'avait plus l'es-
poir de la revoir.
Tant de souffrances avaient profondément ébranlé sa santé.
Le climat de Rome n'étant pas favorable à sa santé, on lui
recommanda le séjour à Paris. Sa Grandeur revint alors i la
maison des capucins de la rue de la santé. La mort de Pie
IX était, d'ailleurs, venue interrompre ces pourparlers.
Enfin, le 4 juillet, le saint prélat suivait de près le grand
Pontife, et allait recevoir parmi les bienheureux la couronne
que ses grandes vertus et ses grandes souffrances pour la foi
lui avaient méritée.
S'il a eu dans ses derniers jours l'amertume de voir dans
sa patile ia franc-maçonnerie encouragée par un gouverne-
ment hostile, l'impiété triomphante, la mauvaise presse pour-
suivant son œuvre anti-chrétienne, il a pu se réjouir dans le
Seigneur d'avoir combattu le bon combat, d'avoir obéi à
Dieu plutôt qu'aux nommes, et d'avoir le premier frayé, dans
sa patrie en butte aux ennemis de la religion, la voie d'une
résistance également héroiqne aux envahissements des mas-
ses révolutionnaires organisées eu sociétés secrètes, et aux
empiétements de César dans le domaine de l'Eglise, dont il
était un des plus jeunes et des plus courageux prélats.
1^15-' ANNALES
.as
A5
DE LA
POUR LA PROVINCE DE QUEBEC
(NOUVELLE SERIE)
NEUVIÈME NUMÉRO, OCTOBRE 1B79
PAGES.
ORIENT. — Captivité et délivrance de Mgr Ridel, de la Société do^
Missions Etrangères, évèque do Phiiippopolis et vicaire apostoli-
que de la Corée i suite et fini 195
AFRIQUE ORIENTALE.—Lettre du P. Horner, de la Congrégation
du Saint-Esprit et du Sainl^Cœur de Marie, Vice-Préfet Aposlo-
li([ue du Zanguebar 226
LA GASPÈSIE, de 1800 à. 18G7 (suite et lin) 237
NORD.OUEST.— Lettre de la Sœur Senay. Sœur de la Charité, à la
Sœur Gharlebois, Assistante 266
ORÉGON. — Etat de l'Eglise catholique, quarante ans après son éta-
blissement, sur la Côte du Pacifique 279
Es([uisse sur rÉtablissement des Missions catholiques parmi les tri-
bus indiennes du Nord-Ouest. — Succès des catholiques, insuccès
des protestants à civiliser les Sauvages. — Précieuse contribution
historique 281
Statistiques des Diocèses et Vicariats apostoliques de la Province
ecclésiastujue d'Oregon City en 1878 286
—• — » »
MONTRÉAL :
CIE. D'IMPRIMERIE CANADIENNE. 38, RUE ST. GABRIEL.
1879
ANNALES
DE LA
POUR LA PROVINCE DE QUEBEC
OCTOBRE 1878
<NOUTELLE SERIE)
NEUVIÈME NUMERO.
MONTRÉAL :
CIE. D'IMFBIllEBIE CANADIENNE, !», BUE ST. GABBIEL
1879
/t^l
Captivité et Délivrance de Mgr Ridel
de lA Société dae MiaBions-Etrangères, évftqve de Fhilippopolis
et Tioaire f4^o6toliq.iie de la Corée.
IV
Je m'étais éloigné de quelques pas, lorsqu'on me rappelle.
Le juge ordonne de retrousser les manches de mon habit
jusqu'au coude, et les deux juges, examinant mes bras, se
mettent à sourire. Je pense qu'ils désiraient seulement voir
la couleur de mes bras, oupeutrôtre voir si j'avais une grande
force. Enfin on m'emmène, on me délie en enlevant la corde
rouge, et on me conduit au corps de garde, où les sateUites
viennent m'entourer. Les deux juges restèrent en délibéra-
tion jusque bien avant dans la nuit. Leurs suivants encom-
braient toutes les chambres ; impossible de trouver un endroit
pour me reposer, et cependant je me sentais pris de sommeil.
Je pus enfin allonger un peu les pieds dans l'endroit où
j'étais; et, malgré le bruit et les cris, je m'endormis profon-
dément, la tête appuyée contre la muraille.
Quel devait être le résultat de la délibération ? Il était
difficile de le prévoir. J'étais étonné de l'interrogatoire qu'on
venait de me faire subir ; avec tout l'appareil extérieur qu'on
avait déployé, je m'étais attendu à quelque chose de plus
«évère ; je craignais certaines questions scabreuses ; on ne
me parla même pas de l'expédition française de 1866.
Je pensais que peut-être j'apprendrais bientôt le résultat de
la délibération, et la sentence qu'on prononcerait. Vain
espoir; je sus seulement plus tard que le gouvernement
était dans un grand embarras à mon sujet. Les uns, comme
précédemment, voulaient me mettre à mort ; mais le roi et
un autre parti hésitaient ; on a même assuré que l'apparition
fréquente des navires européens sur la côte leur faisait peur,
ils ne pouvaient se décider à me condamner à mort. Les
— 196 —
autres disaient : ^ — (Test un homme jufte, il ne nou» a
jamaEls trompés, il n'^ pas fait de mal. Ce serait beaucoup
mieux de \é renvoyer dans son pays; iiou» a'aurions pas
alors à craindre la guerre ; mais, comme ce sont les chré-
tiens gui vont les chercher, il faudrait, pour les empêcher de
venir, mettre tous les chrétiens à mort*'' Le grand juge Ni-
kyeng-ha n'approuvait pas cette mesure. On dit qu'il déclara
qu'il était impossible de penser à détruire par la persécution
le christianisme jusqu'à la racine. — '^ Les chrétiens sont si
nombreux, aurait-il dit, et tellement répandus, qu'il en res-
tera toujours ; c'est donc bien inutile de recommencer à le&
mettre à mort. " Le régent ne voulait pas s'occuper de mon.
affaire. Ses anciens amis, qui se rappelaient les exécutions do
1866, étant [aller le trouver pour l'exciter contre nous, il*
répondit :
" — Cela ne me regarde pas, et puis, je n'ai aucune auto-
rité ; mais il valait bien mieux fermer les yeux sur cette
affaire et laisser cet Européen tranquille ; le gouvernement
n'a rien à craindre de lui ; au contraire, en le mettant à
mort, vous vous attirerez des afTaires avec son gouverne-
ment ; en le renvoyant, vous vous en faites bien gratuite-
ment un ennemi." On m'a rapporté que la reine Min avait
dit : — " Pourquoi mettre cet homme à mort puisqu'il est
innocent? Si Ton met un innocent à mort comme un cou-
pable, comment pourrai-je élever mes enfants ? "
Quoi qu'il en soit de tous ces bruits, une chose est très-
certaine, c'est que l'on ne savait à quoi s'arrêter. Après
l'interrogatoire, je restai quelques jours dans la chambre
des satellites, tout près de la' prison, faisant connaissance
avec les employés de ce nouveau poste. Ils étaient loin
d'être aimables, nie paraissaient encore plus fourbes, plus
rusés que les autres, et aussi plus menteurs, s'il est possible.
On a peine à se figurer la difficulté qu'il y a de vivre avec
des hommes qui déguisent toutes leurs pensées, qui vous
assurent avec serment une chose qu'ils savent parfaitement
être fausse. C'était ma position; mais j'étais habitué à ce
manège et j'en étais venu à ne plus rien croire de ce qu'on
me disait. Quand ils se parlaient entre eux, c'était différent ;
mais alors ils parlaient à voix Basée.
— 197 —
..-. J .V
Le 19tDarsvle chef de poste reçut Kne lettre. Les satellites
se la communiguèHBnt ; ils la lurent avec un air stupéfait^
en se parlant à voix basse. Évidemment il s'agissait de moi,
et c'était quelque chose d'imprévu. Le chef du poste chan-
geait tous les trois jours ; ce soir>là, il en vint un nouveau.
On s'empressa de l'informer du contenu de la dépêche :
" — Comment ! dit-il, tout allait bien ce matin ; on a donc
changé de sentiment? Ce n'est pas possible ; apportez-moi
la lettre." On la lui apporte. Après l'avoir lue, il demande :
" — A quelle heure l'aveï-vous reçue ?
" — Dans l'après-midi.
" — G*est bien extraordinaire ; on vient de me donner des
ordres contraire^."
Quelques moments après, un satellite vint me dire :
" — On ne vous laisse pas tranquille ici ; le juge veut vous
mettre dans un appartement où il y aura moins de bruit.
" — Où va-t-on me mettre ? de quel côté ?
" — De ce côté-ci.
" — Alors, c'est avec les voleurs ?
" — Oh non !
'' — Serai-je seul ?
" — Non, j'irai avec vous. "
A n'en plus douter, il ^'agissait de me transférer dans la
prison des voleurs.
Le soir, en effet, le chef me dit : '' — On va vous conduire
dans l'appartement dont on vous a parlé. " Un satellite passa
devant, ouvrit une petite porte, et nous nous trouvâmes dans
la cour de la prison. Un gardien me fit entrer dani
le cachot désigné par le geôlier en chef. Quelle sur-
prise ! la première personne que je vois, c'est mon vieux
Jean Tchoi que je croyais mort depuis longtemps. Sa sur-
prise ne fut pas moins grande en me voyant : je lui parlai,
c'est à peine s'il me répondit.
Le geôlier m'indiqua la place que je devais occuper. Les
autres prisonniers furent obligés de se serrer un peu, et l'un
d'eux se leva^ Le gardien l'aperçoit, et aussitôt lui assène
^198 —
un coup de gourdin; puis, comme le patient avait laissé
échapper une exclamation, un second coup succède^ puis un
troisième. Je tâche de calmer cette brute, qui, sans raison,
administrait un traitement si barbare à un homme innocent.
Le satellite s'était retiré et le gardien aussi. J'adressai
toujours des questions à Jean qui ne me répondait guère.
Enfin il put me dire : '^ — Tous ici nous sommes chrétiens,
à l'exception de ce vieux païen qui est dans le fond, et qui
semble être ici pour nous surveiller ; on ne peut donc pas
parler, surtout de choses qui touchent à la religion. " Je
compris que ce païen devait être un espion, et qu'il était
urgent de ne pas enfreindre le règlement. Dans ma simpli-
cité, je lui demandai quelle était la règle. U me répondit
d'une voix rauque et brève : " — La règle, la règle ? c'est de
t'asseoir sur la paille et de rester tranquille. " Après ces ren-
seignements, je m'assis, à l'endroit indiqué ; je pus même
me mettre à genoux, faire ma prière et m'endormir. Le len-
demain, Je me réveillai avant le jour, et je vis Jean qui déjà
avait commencé sa prière, profitant des ténèbres pour être
plus recueilli.
Avant de passer outre, jetons un coup d'œil sur l'ensemble
de la prison.
VI
Les prisonniers étaient partagés en trois catégories princi-
pales : celle des voleurs, celle des prisonniers pour dettes,
et la nôtre, où les chrétiens étaient en majorité. Chacune
de ces catégories occupait un local spécial.
Les voleurs étaient les plus à plaindre. Ils étaient une
trentaine, les pieds passés dans les ceps jour et nuit, tous
atteints de maladie. La gale les dévore, leurs plaies tombent
en pourriture ; ils souffrent la faim ; quelques-uns n'ont que
la peau et les os, et à peine peuvent-ils faire quelques pas>
quand, au milieu du jour, on leur permet de sortir. C'est le
spectacle le plus horrible qu'on puisse imaginer. On fait ce
que Ton peut pour abrutir les prisonniers. Il leur est défendu
de dormff ; pendant la nuit, les gardiens, armés de gros
bâtons, les surveillent, et si, succombant à la fatigue,
— 199 —
quelqu'un vient à s'assoupir, aussitôt le gardien le réveille à
coups de bâtons sur le dos, sur les jambes, sur la tète.
Que de fois nous avons entendu les coups que c^s forcenés,
souvent ivres, administraient à des malheureux, qui n'avaient
qu'un souflle de vie et qui souvent expiraient sous les coups î
Jour et nuit, ils sont à la merci de ces êtres, plus sembla-
bles à des tigres qu'à des hommes. Après la mort d'un
voleur, on déclare qu'il est mort de maladie, on l'enlève, on
le dépose dans la chambre aux cadavres et, la nuit suivante,
les gens chargés de la voirie le prennent et vont le jeter dans
un bois en dehoi^s des remparts.
Dans la prison, les voleurs sont tous presque nus ; quel-
ques-uns, quand on les faisait sortir, prenaient un morceau
d'étoffe pourrie pour s'en couvrir les reins comme d'une
ceinture. Ils s'estiment heureux quandj on leur permet de
sortir et de tremper Leurs mains dans la mare d'eau corrom-
pue et puante pour s'en laver un peu la figure, la poitrine et
les jambes. Aussi sont-ils tous couverts d'épaisses couches
de gale, quelques-uns attaqués de la teigne. Parmi eux, se
trouvent de grands coupables ; mais beaucoup sont détenus
pour avoir volé quelque objet minime. Si l'on voulait pren-
dre tous les voleurs, il faudrait d'abord arrêter la plupart
des gardiens et même un certain nombre de satellites.
La nourriture consiste en une petite tasse de riz sans
assaisonnement, le matin et le soir ; nourriture insuffisante.
Aussi ceux qui arrivent bien portants sont, au bout de vingt
jours, semblables à des squelettes.
Les prisonniers pour dettes ou pour autres causes que le
vol sont moins maltraités. On les désigne sous le nom de
tcha-kalj nom qui s'applique à tous les prisonniers qui ne sont
pas voleurs ; ils peuvent communiquer avec leurs parents
et amis, recevoir leur nourriture du dehors (la prison ne
les nourrit pas) ; ils mènent môme joyeuse vie, et font bom-
bance sous les yeux des voleurs affamés. Ceux que j'ai vus
étaient, pour la plupart, des employés du gouvernement.
Ils restaient en prison jusqu'à ce qu'ils eussent rendu la der-
nière sapèque.
Les chrétiens sont nourris comme les voleurs. Ils ne
peuvent communiquer avec personne du dehors ; ordinaire
. I
— 200 —
ment ils n'ont pas les pieds pasçés dans les ceps, du moins
dans la prison de gauche ; ils font partie des tcha-kals, mais,
par mépris, on les appelle du nom injurieux de kouangpang-û
Pour ce qui est du régime de la prison, voici en quoi il
consiste. Le matin^ au point du jour, un gardien vient et
crie : " — On ouvre les portes. '* Les voleurs exceptés, ceui
qui veulent sortir dans la cour peuvent le faire. Le soir,
quelque temps après le coucher du soleil, on compte les
prisonniers; les gardiens se rassemblent, on en place un
dans chaque cachot pour le surveiller, puis on ferme les
portes en mettant par dehors une grosse poutre transversale
retenue par des chaînes. Il est impossible de sortir, car le
gardien qui a fermé les portes va dormir en ville : le feu
prendrait au bâtiment quQ tous les prisonniers seraient
grillés. J'ai entendu bien des prisonniers dire que le moment
le plus triste de la journée était celui de la fermeture des
portes. Alors, pour einpêcher de dormir, on fait chanter les
voleurs ; ce sont des cris forcenés pendant une partie de la
nuit ; plus il crient, plus les gardiens sont contents.
On fait deux repas par jour, le matin et le soir ; on nous
donnait en plyis^ à Jean et à moi, une tasse de bouillie
au milieu de la journée.
Notre cabanon ressemblait aux autres ; pour* toute ouver-
ture, une porte qui se fermait la nuit ; au-dessus, quelques
barreaux de bois en forme de lucarne laissaient entrer un
peu d'air et de lumière. Les murs étaient recouverts de
planches de tilleul disjointes. Sur le plancher était une
couche de paille ; lorsque j'entrai, on mit un peu de nouvelle
paille, mais sans enlever celle de dessous qui répandait une
odear infecte. Jean, transporté le même jour que moi de la
prison de droite dans celle de gauche, se trouvait moins mal
dans celle-ci. Il i^ous raconta que, dans l'autre, les prisoa-
Biers chrétiens étaient pèle-méle avec les voleurs, et tellement
à l'étroit qu'on ne pouvait se tourner sans déranger ses
voisins : tous étaient aux entraves comme les voleurs. Il
avait été appliqué deux ou trois fois à la torture ; ici, on le
traitait assez bien, il était nourri Comme moi. Malgré cela,
il souffrait beaucoup et était souvent malade.
Au fond du cabanon, était un vieux noble païen, empri-
— 201 —
gonné depuis dix moi^ pour cause de rébellion. Il se disait
innocent ; je crois qu*on reconnut plus tatd qu'il disait vrai,
car il fut mis en liberté le 18 avril. Il avait un mauvais
éaractère et avait fait beaucoup soufftrir les pauvres chré-
tiennes, les accablant d'injures et insultant la religion. Où.
nous dit que notre arrivée Pavait changé ; nous eûmes
cependant plusieurs fois ToGcaston de remarquer sa méchan-
ceté. Son fils venait de temps en temps le voir à la porté de
la prison, et, par lui, nous savions quelques rai^ës nouvelles
du dehors, il y avait trois chrétiens amenés depuis peu de
la province de Tchyoung-tchyang ; c'étaient de pauvres
cultivateurs forts et robustes. Après quinze jours de séjour
dans la prison, ils étaient méconnaissables, souffrant de cette
vie de réclusion et ne pouvant manger suffisamment Quand
nous n'étions pas sui^veillés, nous leur faisions passer une
partie de notre riz. Trois fois ils ont été appliqués à la
torture ; en rétitl-ant ils étaient tout tremblants et pouvaient
à peine respirer. Plus tard, on les transféra dans la prison
des voleurs. Le 12 mai, deux d'entre eux moururent de
faim et de mauvais traitements.
Trois femmes chrétiennes de la capitale, arrêtées presque
en même temps que nous, habitaient également le cachot
L'une d'elles était atteinte dte la peste ou fièvre typhoïde, qui
est: en permanence dans cette prison. Elle avait vingt-six ans
et était mère de deux charmants petits enfants, dont le
dernier n'avait que six mois. Mariée à un païen pendant la
persécution, elle avait instruit et converti son mari qui était
prêt à recevoir le baptême, ainsi que son beau-père et sa
belle-mère. Malheureusement, elle avait eu la faiblesse
d'apostasier. Saisissant le moment où personne ne l'aperce-
vait, elle se mit à faire plusieurs fois le sigrie de la croix en
me regardant, et la nuit elle dit à la femme chrétienne qui
la soignait : ^' — Ma grande maladie est d'avoir eu le
malheur d'apostasier. Oh ! que je suis coupable î " Et elle
versait des larmes abondantes. Gomme il m'était impossible
d'entendre sa confession, je la fis prévenir que je lui donne-
rais l'absolution. Elle s'y prépara, et lé matin, à un signal
convenu, je prononçai la formule. Quel' bonheur pour elle !
C'était le meilleur remède à sa maladie ; dès ce moment, le
— 202 —
danger disparut, et bientôt la malade entra en convalescence.
Je n'ai jamaia pu lui parler, mais bien des fois j'ai en
roccasion d'admirer $on bon caractère, sa piété, sa confiance
en Dieu, et la justesse de son esprit Son mari, qui passait
pour païen^ avait obtenu des geôliers la faveur, non pas delà
voir, mais de lui parler par Pouverture destinée à Técoule-
ment des immondices. Les deux autres prisonnières étaient
de pauvres femmes âgées. Toutes les trois avaient été
appliquées à la torture ; mais ce qui les faisait le plus
souffrir, c'étaient les propos obscènes des bourreaux et des
présidents et Pindécence avec laquelle on les avait traitées.
Une quatrième était morte de la peste, deux jours avant
mon entrée dans ce cachot. C'était Catherine, femme du
vieux Marc, catéchiste de la capitale, mis à mort en 1866.
Dénoncée par le traître Paul Hpi, son neveu, qu'elle avait
élevé, elle fut arrêtée en même temps que nous. U y avait
cinq ou six jours que j'étais arrivé, lorsqu'on vint enlever
son cadavre qui avait été oublié ; on le plaça dans une
chaise à porteurs. Un gardien vint dire en riant : " — De ce
corps il ne reste plus que les os : les rats et les belettes Tont
tout mangé." Et les autres d'ajouter : " -—C'est une drôle
de chose et vraiment bien juste que les belettes mangent ces
coquins de chrétiens." Les chrétiens, eux, récitaient des
prières pour la pauvre défunte, chacun pouvant penser que
bientôt il suivrait la même route.
VII
Le chef geôlier était (}e nos amis, et souvent il venait pas-
ser les soirées avec nous avant la fermeture des portes. Peu
instruit, illettré môme, il avait, sous un extérieur rude, de
sérieuses qualités. Depuis vingt ans, il remplissait ses fonc-
tions, sachant se faire obéir, mais toujours aveuglement sou-
mis aux ordres de ses chefs. Plusieurs fais catéchisé par
Jean, il trouvait juste et belle la doctrine chrétienne, mais
sans être touché. J'ai dit qu'il, était notre ami. De fait, il
ne nous a jamais maltraités ni rudoyés ; parfois même, il a
semblé avoir des sentiments de compassion à mon ég^rd ou à
l'égard des prissonnières chrétiennes. Néanmoins, sur l'ordre
— 203 —
du juge, il n'eût pas hésité à nous mettre la corde au cou et
à nous étrangler. On lui demandait un jour s'il avait vu
des chrétiens :
" — J'en ai vu des centaines.
^^ — Étaient-ce des hommes bons, tranquilles ?
" — Oh ! c'étaient les meilleurs hommes du monde, doux,
calmes, paisibles, ne parlant point mal du prochain, n'inju*
riant personne, et paraissant toujours recueillis.
*' — Est-ce qu'on en a tué beaucoup ici ?
" — A cette époque, la prison en était pleine, et, pour faire
de la place, tous les jours nous en étranglions un certain
nombre ; on ne les gardait guère que deux ou trois jours."
Les autres geôliers ne nous maltraitaient pas, mais quelë
caractères fourbes, irascibles, haineux ! Je les ai vus faire en
riant leur office de bourreaux ; étrangler un homme était
pour eux un amusement Bans aucun prétexte, ils se met-
taient en colère et battaient les voleurs. Quand le chef enten-
dait le brui^ des coups, il venait les empêcher. Afin de se
venger sans attirer l'attention, ils imaginèrent de fixer à une
baguette de bois une pointe de fer en forme d'aiguillon, et
ils s'en servaient pour piquer les pauvres patients dont nous
entendions souvent les soupirs et les cris étouffés. Un chré-
tien, accablé d'une fièvre violente, leur demande un jour un
peu d'eau : " — Ah î nous allons t'en donner de l'eau, coquin
de chrétien..." Et ils se mettent à lui meurtrir la poitrine
avec des bâtons pointus, si bien que, deux heures après, le
malheureux expirait. On déclara qu'il avait succombé aune
maladie.* Le cadavre fut emporté et jeté en dehors des murs
de la ville, sans que personne s'occupât de constater de quelle
manière le prisonnier était mort.
Il semble difficile de trouver des gens plus vils, plus mé-
chants, plus mauvais. Il en existe cependant Ce sont les
employés inférieurs ou bourreaux proprement dits. Ils frap-
pent, écorchent, brisent les jambes et les bras, en se riant de
la douleur des patients qu'ils accablent de plaisanteries
ignobles. Leur seule apparition dans l'intérieur de la prison
jette l'effroi parmi les détenus. Comment l'espèce humaine
peut-elle tomber à ce point de dégradation, d'avilissement et
de cruauté? Mon vieux chrétien n'avait-il par raison, lors*
— 204 —
qu'il disait que les prisons de Corée 3ont une image de Tea-
fer? Je dis les prisons, car toutes, p£irait-il, ont le même
aspect, et, d'après ce que j'ai entendu dire, quelquefois celles
des provinces sont encore plus affreuses.
C'est donc là que «ont wfermés nos cUrélieas, encore plus
méprisés que les voleurs ; on. dirait qup le contraste de leur
verlu excite la barbarie des gardiens et des bourreaux. Ils
souffrent sans.se plaindre et supportent volontiers les injures;
personne du dehors ne peut s'occuper d'eux. Ce soat des
victimes vouées à toutes les tortures et à la mort Du mo-
ment qu'ils sont chrétiens, il cessent d'ôtra d^s Coréens, ils
cessent même d'être des hompiesw
Telle était la prison où j'ai eu le bopheur de vivre, pensant
biien y mourir pour la plus grande gloi^'e de Dieu. J'y ai
été bien consolé par la vue de nos chri^tiens. Il ne leur échap-
pait jamais une injure, ni une mauvaise parole. Ils commen-
çaient leur journée par la prière, méditaient pendant le jour,
et, le soir, faisaient encore de longues prières. On prie bien
en prison. Dieu semble plus présent, et Ton connaît mieux
son propre néant. Je m'étais fait un règlement. Je disais
la messe en esprit ou j'y assistais de la même manière;
je n'avais pas de bréviaire, j'y suppléais par le rosaire-
J'aimais à me transporter par la pensée dans quelque église
pour y faire ma visite au très-saint Sacrement. Un autre
exercice que l'on fait bien en prison et gui. apporte beaucoup
de consolations, c'est le chemin de la croix. Que de grâces
le Seigneur me prodiguait dans ces jours de re^cueillementl
Je n'avais aucuna inquiétude, et je m'ét^ais remis tout entier
entre les mains de Dieu pour faire en, tout ^a sainte volonté,
persuadé qu'il ne m 'arriverait, que ce qu'il voudrait bienper-
meltre.
Ainsi se passèrent les fêtes de la Passion. J'avais heureu-
sement conservé mon anneau que je tenai,s caché dans un
petit sac ; le jour de Pâques, je dis aux chrétiens que j'allais
leur donner une bénédiction solennelle et spéciale pour eux
et pour tous les chrétiens de Corée. Mais il fallait choisir le
moment favorable, par il y avait avec nous un bonze et une
vieille païenne. Le bonze nous gênait peu, il dormait tou-
jours; la vieille païenne eut la bonne idée. 4e sortir un ins-
— 205 —
tant : aussitôt, les chrétiens se mettent à genouj et reçoivent
la bénédiction. Ce fut notre fête de Pâques; tous étaient
joyeux, et le reste de la journée se passa avec plus de fer-
veur. La bénédiction d'un évêque, dans une prison de Corée,
D'était-ce pas une cérémonie gui devait donner un no\;veau
<$ourage pour supporter les privs^ons et les souffrances de la
.'Captivité ?
Nos souffrances ! Nous en avions de bien des sortes. Ainsi,
il nous fallait porter toujours les mêmes habits qui étaient
malpropres, usés, déchirés ; et la vermine nous dévorait.
iLes rats foisonnaient ; on les voyait le jour, on les entendait
la nuit ; ils se promenaient, couraient, sauta,ient comme chez
'eux, car cja^L bien soin de les entretenir; un respect supers-
titieux «mpêche de les détruire. Notre paille infecte leur
procurait un asile parfaiteoaent sûr. Nous n'avions ni cou-
teau, ni canif. Longteinps nous n'eûmes pas d'aiguille;
nous pûmes enfin nous en procurer une, et, pour avoir du
fil, on en tira de «quelques chijGfons de soie, restes des habita
de la chrétienne morte en prison.
Craignant de perdre la mémoire des jours de la semaine,
j'écrivis sur le mur, au moyen d'un morceau de charbon, le^
dimanches à mesure qu'Us se présentaient. Une fois, nous
^vons failli nous tromper pour les dimanches du carême.
Heureusement je me rappelais que, cette année, Pâques arri-
vait le 21 avrit, le 19 de la 3"°e lune.
Après ce coup d'œil sur l'ensemble de Ift prison, reprenons
le récit des faits.
VIII
Pour quel motif nous avait-on transportés au tribunal de
gauche î Pour quel motif m'avait-on mis en prison ? Jus-
qu'ici il m'a été impossible de la savoir. Nous ne pouvions rien
.faire, nous n'avions rien à faire qu'à conserver notreâme unie
à Dieu, notre volonté soumiseà sa sainte volonté et à nous tenir
prêts à paraître devant sa divine Majesté, quand il voudrait et
de la manière qu'il le voudrait. Nous, penchions à espérer que
<a serait bi^tôt, lorsque, le 21 mars au matin, circula tout-à-
coup un bruit bien propre à exciter les imaginations. . On
— 206 —
disait que la reine venait d'avoir tin enfant Dès lors. \t
plupart des prisonniers s'attendaint à être graciés ou à obte-
nir une diminution de peines ; et, d'après la loi on la cou-
tume, à partir de ce jour et pendant les cent jours gui suivent,
on ne peut faire aucune exécution, ni appliquer les cou-
pables à la question ou à la torture. Dans le courant de la
journée, ce bruit fut confirmé. La reine Min, femme du roi
actuel, était accouchée d'un garçon ; c'était son second fils,.
le frère du prince héritier présomptif qui, deux ou trois ans-
auparavant, avait été reconnu par le gouvernement chinois-
comme devant succéder à son père. Je donne ces détails
parce que le roi a plusieurs autres enfants d'autres femmes^
Les procédures cessèrent, et l'on ne fit plus d'exécution;
mais, de temps à autre, l'on amenait de nouveaux prisonuiers-
Nous en vîmes un jour arriver un qui, la figure pâle, couvert
de poussière et de boue, portait une petite cangue passée au
cou. C'était notre courrier de Pyenmoum. J'eus de la peine
à le reconnaître, tant il était changé. Arrêté au commence-
ment de janvier, il avait été appliqué à une rude torture, et
on l'avait envoyé subir son jugment à la capitale. On le fit
entrer dans le cachot des voleurs où, faute de soins et de
nourriture, il s'affaiblit de plus en plus. Nous le revîme»
plusieurs fois, quand on permettait aux voleurs de sortir dans-
la cour ; nou3 pûmes même lui faire passer un peu de ri».
Un matin du mois de mai, nous le vîmes encore, et le soir
du même jour, son corps était jeté dans la chambre aux ca-
davres. Cependant le chef des satellites eut des doutes, puis-
que dans la soirée il envoya voir si vraiment il était mort;
le geôlier répondit affirmativement; néanmoins, le chef don-
na ordre de mettre ce cadavre aux entraves, sans doute parce-
qu'il était chrétien.
Le 20 avril, on nous amena une dame, âgée de soixante»
dix ans environ j qui prit place au fond du cachot En entrant^
elle jeta sur nous un regard de mépris et parut très-étonnée-
qu'on la mit en telle compagnie. "— Oh î dit-elle, je ne to
pas rester ici longtemps. C'est par erreur qu'on m'a amenée;
car moi, je ne suis pas une voleuse, encore moins une h(^
tjyou-àkn (nom injurieux que les païens emploient pour défi*
gner les chrétiens).'* Elle refusa la nourriture de la prison et
— 207 —
^6 fit apporter du vin. Tout alla bien tant qu'elle eut de
Targent ; elle se n;u>atrait arrogante, hautaine ponr les chré-
tiens qu'elle allait jusqu'à injurier. Cependant ses affaires
tournèrent mal, elle ne recevait plus rien du dehors, et ç^nfln
elle fut prise de la fièvre typhoïde. lies trois chrétiennes se
dévouèrent pour la soigner jour et nuit, malgré son mauvais
caractère, ses mépris et ses injures. Elle resta cinq jours sans
connaissance, et, comme personne du dehors ne s'occupait
d'elle, elle serait infailliblement morte. Plus tard elle recon-
nut ses torts et fit ses excuses. Lorsque je sortis elle était
encore en prison.
L'arrivée d'un nouveau prisonnier cause toujours une
'émotion pénible ; au contraire l'élargissement d'un détenu
-cause une joie générale, et chacun félicite l'heureux partant.
Quand un prisonnier arrive, le soldat qui le conduit pousse
A]n grand cri à la porte de la cour du tribuna). en disant :
*' — Un criminel est introduit," Un jour, vers le milieu du
. mois mois d'avril, ce cri désagréable arrive à nos oreilles.
Quelques instants après, on introduit trois prisonniers ; dès
les premiers mots, nous apprenons que ce ne sont pas des
chrétiens. Ils sont jetés dans le cachot des voleurs et mis
aux fers. Nous entendons le bruit des coups de gourdin
qu'on leur administre, les cris de douleur^ les gémissements
des victimes qui font des soubresauts, de manière à soulever
les deux grosses pièces de bois dans lesquelles ces infortunés
ont les jambes prises. Après cette scène^ un gardien vint
dans notre cabanon et dit : " — Ah ! ceux-là ne sortiront pas
privants d'ici, ils ont battu un satellite. "
Deux jours après, un bonze est introduit de la même mani-
ère ; puis on le transporta du cachot des voleurs dans le caba-
non des prisonniers pour dettes où il fut pris de la fièvre
typhoïde Les détenus de ce compartiment le firent alors
déposer dans le nôtre. Pendant huit jours, il demeura comme
mort ; nous fimes ce que nous pûmes pour le soigner, mais
nous manquions de tout. Peu à peu il revient à la vie. Il
f araissaint doux, calme et parlait peu ; il était difiicile de
trouver en lui un grand criminel. Il nous raconta son bis-
Itoire.
A l'âge de douze ans, il était entré chez les bonzes où il
— 208 —
s'adonna à Fétudé des caractères <^hînûis ; il apprit eosnîtei
faiiiB' les fleurs aTtiflcielles, et, depuis deux ans, il se livrait à
l'étude de la^inturie. 11 était dans sa bonzerie, travaaiant
à un tableau, lorsque leis satellites le saisirent et le condui-
sirent en prison. Voici à quelle occasion. Son maître ayant
acheté à deà voleurs des objets volés, les satellites allèrent
pour le prendre. Ne le trouvant pas, ils prirent ce jeune
hdmine. Ils voulurent arrêter ans^ quelques personnes du
rillage. Mais ils rencontrèrent de la résistance. Ils firent
cependant trois prisonniers : ce sont ceux dont j*ai parlé^
plus haut. Souvent j'ai pu les voir dans la cour : c'étaient
de braves gens, fortis et vigoureux ; leurs habits portaient
de larges taches du sang qu'ils avaient perdu sous les coups-
reçus en prison. Plus taM, on a reconnu que tous étaient
innocents, et, après un mois de prison, on les a renvoyés,,
sans indemnité, bien entendu. Telle est la justice en Corée-
A cette époque aussi, se présenta un prisonnier volontaire
nommé Pack, âgé de vingt ans. — " J'ai appris, dit-il, que
vous àve^ arrêté l'évêque, mon ihaitre, et que vous arrêtez
les chrétiens : eh bien ! moi aussi je suis chrétien. Vous
n'avez pas pu me prendre, je vietis me présenter, je suis
chrétien depuis Tenfance. Mon père et ma mère ont été tués
par vous en 1868; je n'avais que dix ans, mais j'ai retenu
leurs instructions. J'honore Dieu, créateur du ciel et de la
terre ; c'est lai qui gouvei*ne tout, qui nous donne la nourri-
ture et qui nous conserve la vie j il a souffert pour nous;
moi aussi je veux souÉfrir pour lui, je ne désire rien tant gue
d'endurer vos tortures ; faites-moi souffrir de la faim, de la
soif;' brisez-moi les bras, les jambes; ma vie est à Dieu.""
Les satellites le prirent d'abord pour un fou et voulurent le
renvoyer ; mais il insista. On le chassa ; il revint, toujours
sollicitant là faveur d'être admis à souffrir. Enfin le juge
donna l'ordre de l'admettre. Depuis soii enfance^ il n'avait
vu aucun missionnaire et ne connaiissâït pas les chrétiens;
ihais il savait que ses parents étaient morts pour Dieu^ et il
voulait faire comme eux. Les sateBites vinrenrt plusieurs
fois me parler de lui ; ils louaient sa douceur et sa bonté.
Il resta deux jours dans notre cabanon ; il fut mis ensuite
avec les voleurs, ne fut jamais appliqué à la torture ; mais,.
~ 209 —
comme les antres, il eut beaucoup à souffrir de la faim. Le9
gardiens s'amusaient de sa simplicité et lui faisaient réciter
ses prières, les commandements de Dieu, etc. Â mon départ^
il était encore dans ce cachot.
De temps en temps, iious voyions passer sous nos yeux
dés cadavres de voleurs, morts de faim, de misère ou de mala-
die. Quand un voleur est malade, on se garde bien de lui
procurer des remèdes ou quelque adoucissement. Sa maladie-
ne lui donne aucun privilège et ne le met pas à l'abri des-
coups. On le laisse s'éteindre, sans même lui ôter ses-
entraves. Quatre voleurs, présidés par un gardien, le saisis-
sent alors par les pieds et par les mains et le transportent
dans la chambre des morts. La nuit, des employés inférieurs-
viennent prendre le cadavre, le cachent dans un paillasson^
et vont le jeter en dehors des murs de la ville.
Le grand juge, paraît-il, s'ennuyait de ses vacances ; les-
voleurs s'entassaient dans la prison et il n'y avait pas de-
procédures. Aussi, au lieu d'attendre l'expiration des cent
jours, on nous annonça que les affaires reprendraient après*
le quarantième jour. C'était donc le l^i* mai qu'on allait
recommencer à interroger, torturer, supplicier, étrangler, etc.-
On s'en prit tout d'abord à un voleur nouvellement arrivé^
qui avait été dénoncé et arrêté par un satellite son cousîfi.
Le 3 du mois de mai, les geôliers ouvrirent la porte de la'
chambre des cadavres et y passèrent une corde dont l'extré-
mité restait en dehors. Jean me dit qu'on allait étrangler
quelqu'un. Qui est-ce ? Personne ne le savait et chacun
pouvait penser à soi. Quelques instants après, on ferma le»
portes de tous les cachots. C'était vers le temps du repas du
soir; les gardiens entrèrent dans la prison des voleurs et-
dirent à ce malheureux : " — Viens, on va t'élrangler." A.
cette parole foudroyante, les voleurs, bien qu'habitués à ces-
sortes d'exécutions et dévorés par la faim, laissèrent tous leur
tasse de riz. Le condamné est conduit dans la chambre. Oi>
lui passe la corde au cou, on ferme la porte ; puis quatre-
gardiens saisissent l'extrémité de la corde, et, sans éitiotion^
tirent comme des matelots hissant une voile. Lorsqu'ils ont
bien serré, ils attachent la corde à un morceau de bois ; l'exé-
cution était faite. Deux heures après, un jeune gardieii
— 210 —
^Ua regarder par la feate de la porte et dit en riant : " — ^11
remue encore les jambes.'' On serra de nouveau la corde.
Cette exécution se fit en silence ; on n'entendit aucun cri,
aucun soupir de la victime. C'est ainsi que des centaines,
pour ne pas dire des milliers de chrétiens ont été exécutés,
pendant la persécution de 1866 et 1868. Le soir on ouvrit
•la porte. Aussitôt tous les prisonniers païens se mirent à
cracher avec force ; c'était pour empocher l'âme du supplicié
de venir habiter la prison. Nous avions avec nous deux sor-
cières qui se firent surtout remarquer en cette circonstance ;
pendant plus de trois minutes, elles jetèrent de la saUve du côté
de la porte, et cela avec le plus grand sérieux du monde.
Disons quelques mots des sorcières (manstang). Leur fonc-
tion est de dire la bonne aventure, et surtout de chasser les
maladies ; on les appelle principalement pour la petite vérole.
.Elles se présentent avec des habits de diverses couleurs et
avec un tambour qu'elles frappent en récitant des formules,
d'abord sur un ton lent, puis sur un ton accéléré. S'armant
d'un sabre, dont la lame est de bois argenté, taché d'une
xîouleur rouge qui imite le sang, elles s'élancent, frappent
l'air à droite, à gauche, vont, viennent, crient, hurlent en
gambadant, et, lorsqu'elles sont épuisées, le mauvais génie
doit être expulsé.
Il prit fantaisie au préfet de police de chasser toutes les
sorcières de la capitale. Quelques-unes se cachèrent et, pen-
dant la nuit, exercèrent leurs fonctions qui sont assez lucra-
tives. Les satellites se mirent à leur poursuite et en arrè-
.tèrent successivement un certain nombre ; j'en ai vu une
quinzaine. On les laissait sept ou huit jours en prison et on
les renvoyait ensuite. Toutes furent déposées dans notre
cabanon. En arrivant, c'étaient des lamentations, des pleursi
.un chagrin qui allait jusqu'à leur faire refuser toute nourri-
ture; mais elles n'étaient pas longtemps à se remettre, et,
comme elles pouvaient se procurer ce qu'elles voulaient par
le moyen de leurs familles, elles faisaient généralement bom^-
hance. Du reste, elles étaient. généreuses et toutes parta-
geaient avec les chrétiennes ce qu'elles recevaient Elles
m'offrirent même plusieurs fois du vin de riz; je refusai
.Jean, qui n'avait pas les mômes raisons, put accepter ainsi
— 211 —
quelques tasses de vin. J'en ai vu de toutes sortes, de
vieilles, de jeunes, de tristes, de gaies, etc. ; les unes se
tenaient assez bien, les autres étaient d'un laisser-aller
effrayant. Mais, pour toutes, quel contraste avec la modestie
de nos chrétiennes qui, par leur charité, s'attiraient la bien-
veillance et l'affection de ces femmes toujours en guerre
entre elles.
J'eus aussi Toccasion de voir dans la prison quatre saltim-
banques ou comédiens : c'étaient des êtres dégradés, hideux,
passant leur temps à jouer. Les prisonniers pour dettes
étaient nombreux. A cette époque, le nombre total des déte-
nus s'élevait à soixante-cinq.
IX
Depuis la reprise des affaires, nous pensions qu'on s'occu-
perait de nous et qu'on ne nous laisserait pas pourrir dan»
le cachot. Un soir, le 11 du mois de mai, j'entendis la jeune
chrétienne qui disait à Jean :
« — Dites-le donc à l'êvêque.
« — Qu'y a-t-il, demandai-je ?
« — L'êvêque le saura demain, répondit Jean.
« — Et pourquoi ne pas me dire ce soir une chose que
vous savez tous?
« — L'ordre du gouvernement est arrivé. L'êvêque et moi
devons être conduits en dehors des murs pour avoir la tête
tranchée; les chrétiens seront tous étranglés là, vis-à-vis,,
dans la chambre des cadavres; il n'y a que la jeune chré-
tienne que le geôlier refuse d'étrangler; il lui donnera un
breuvage pour l'empoisonner. C'est une chose certaine, et
tout doit être fini pour le 16. »
Cet avis, venant du chef geôlier, ne devait, en effet, ne
nous laisser aucun doute. Nous n'avions plus qu'à nous
préparer immédiatement à la mort. Comme nous avions^
toujours quelques païens avec nous, je ne pouvais confesser
les chrétiens. Je leur fis dire de se préparer et que, le len-
demain, je leur donnerais une absolution générale.
Le lendemain matin, dimanche 12 mai, en ouvrant les
portes, on retira un cadavre de la prison des voleurs ; c'était
— 212 —
celui d'un chrétien mort pendant la nuit «Tappris alors que
la veille, étant malade, il avait demandé un peu d'eau ; le
gardien, pour tout^ réponse, lui avait asséné force coups de
tâton, à la suite desquels il avait rendu Pâme. Peut-âtre
tuerait-on tous les chrétiens ainsi. Vers neuf heures, je fis
signe que j'allais donner Tabsolution à tous les chrétiens de
la prison ; malheureusement il nous était impossible d'aver-
tir ceux qui se trouvaient avec les voleurs. Les chrétiens se
recuillent, et je prononce U formule d'absolution.
Deux heures après, on retire un autre cadavre de la prison
4es voleurs ; c'est encore un chrétien mort de faim, de mi-
sère et de mauvais, traitements. Jean pouvant me parler
assez facilement, j'entendis à moitié sa confession. Chacun
£e recueillit davantage pour passer, dans la retraite inté-
rieure, les derniers instants qui nous restaient à vivre. Les
païennes, qui se trouvaient avec nous, respectaient notre
silence, et, quand elles parlaient, c'était pour blâmer la
cruauté du gouvernement è l'égard de ces pauvres femmes
chrétiennes, qu'elles ne connaissaient que depuis quelques
jours, mais qu'elles estimaient, qu'elles aimaient et qui
toutes montrèrent en cette circonstance un grand courage.
On parlait alors ouvertement, dans la prison et même au
dehors, de la décision prise à notre égard.
Le lundi 13, vers quatre heures, un employé apporta la
corde à étrangler et la suspendit, devant nos yeux, à la.porte
de la chambre d'exécution. Evidemment on allait com-
mencer. Je me tenais prêt à donner une dernière absolu-
tion à nos chrétiens, à mesure qu'ils paraîtraient ; je me
tenais moi-môme prêt à marcher à la mort. 'Dans quelques
instants je pouvais échanger cette prison pour le ciel, voir
Dieu, la sainte Vierge, les anges, les saints, posséder un
bonheur sans limites, sans an 1 Quel moment solennel dans
la vie 1
Vers cinq heiires^le chef geôlier entre dans notre cabanon
et, s'asseyant, il nous dit tout-à-coup: «—Quelle catastrophe!
on vient de recevoir l'ordre d'étrangler ce soir Kim-t]so-si. •
Kim-tjso-si était un fonctionnaire chargé de recueillir les
impôts de sa province. Sur ses comptes se trouvait un dé-
iicit de. plus de 100,000 francs; depuis deux moiSi il était en
— 213— /
prison ; malgré sa graade fortune, il ne put réu83ir à payer
<cette dette au gouvernement. Le juge ennuyé d'attendre,
après ravoir plusieurs fois torturé,. venait de donner Tordre
de le mettre à mort. En quelques instants, les préparatifs
sont faits; le geôlier en chef avertit cet inl[ortuné que 1^ mo-
ment est arrivé. J'entends le geôlier qui, en traversant la
-cour, lui dit : « — Venez ; n'ayez pas peyr, nous aUpna vous
faire cela d'une belle manière, avec tous les égards possibles. »
Trois minutes après, il ne restait plus qu'un cadavre é^ams la
chambre des morts.
Cet événement fut un coup de foudre, surtout pour les
prisonniers pour dettes, qui jusqu'alors avaient été épargnés.
Bientôt on ouvrit la porte, et nous vîmes tous ces pauvres
païens effrayés, qui s'épuisaient à cracher, pour chasser
rame du supplicié et l'empêcher de leur nuire. Cela prouve
-du moins qu'ils croient a l'^istence de l'âme. Le corps fut
réclamé par la famille, qui le fit transporter en. province
pour le déposer dans le tombeau des ancêtres. Tous ceux
qui connaissaient le défunt disaient: « — Il est malheureux^
mais il n'est pas coupable. »
Le mardi matin, nous nous disions : « — C'est peut-être pour
aujourd'hui. » Cette journée et les deux suivantes passèrent
sans incident Avait-on encore changé de sentiment à notre
sujet ? Nous l'ignorons.
Jean s'affaiblissait de plus en plus; il était souvent ma-
lade. Moi-même, je me sentais très-affaibli ; les satellites
•qui venaient nous voir en faisaient la remarque. Dans les
premiers temps je pouvais prendre un peu l'air et faire quel-
ques pas dans la cour; mais les prisonniers étaient devenus
si nombreux qu'il était impossible de circuler. De plus, la
chaleur commençait à se faire sentir, notre cachot devenait
4e plus en plus inhabitable, surtout lorsque l'on eut mis
chez nous trois femmes de voleurs, dont deux avaient de$
petites filles de deux à trois ans. Ces femmes étaient ren^ar*
«quables par leur malpropreté, leur caractère acariâtre et leur
4enue plus qu'inconvenante.
Vers cette époque aussi, un chef de satellites vint me dire :
^' — On n'a pas de nouvelles des Pères ; on ne peut pa^^ le^
— 214 —
trouver. Je crois qtie c'est inutile de les chercher, ils sont
certainement partis. Qu'en pensez-vous ?
"—loi je ne puis rien savoir, n'ayant pas de communica-
tion avec l'extérieur; mais, vu la difficulté de rester dans le-
pays, ils pourraient bien être partis.
" — Oui, oui, c'est mon sentiment ; je crois qu'il est biei>
inutile de les chercher.
" — Et moi aussi, ajoutai-je ; vous y perdrez votre temps et
votre peine."
De temps à autre, quelques satellites venaient à la prison^
Un jour, il en vint un que je ne connaissais pas. Il m'adressa
la parole d'une manière inconvenante ; je ne lui répondis
pas. "—Comment î coquin, me dit-il, tu ne me réponds pas^
et tu oses rester assis devant moi î Tiens, regarde donc^
ajouta-t-il, en me montrant sa plaque de satellite ; tu sais^
maintenant qui je suis ? " Môme' silence et môme immobilité-
de ma part. Il se retira furieux en répétant ses injures. Le
chef geôlier vint quelques instants après. Les prisonniers,,
indignés, lui racontèrent ce qui s'était passé. '* — Quel est
celui qui a pu dire de telles choses à l'évèque ? dit-il. Qui
oserait, ici, adresser de telles injures à un homme que nou»
estimons tous ? " Bientôt les autres satellites vinrent me?
faire des excuses.
Ainsi les jours se passaient, et rien de nouveau ne se pré-
sentait. De temps à autre seulement on entendait le cri sinis-
tre des valets qui introduisaient de nouveaux prisonniers-
Cette impression douloureuse était compensée assez souvent
par le cri des mômes valets annonçant qu'un prisonnier était
mis en liberté. Tout le monde alors se réjouissait ; cette déli-
vrance donnait de l'espoir, et, par un retour bien naturel,^
chacun pensait à soi. Quand un prisonnier riche sortait, il
faisait ordinairement cadeau aux voleurs pauvres de quelques
boisseaux de riz. A la prison, c'était grand gala ; on faisait
double cuisine ; le cuisinier était un voleur, et, dans ces cir-.
constances, il ne manquait jamais d'offrir un sacrifice.
Lorsqu'on apportait la table de riz, le cuisinier en prenait
iine cuillerée qu'il remettait à un employé ; celui-ci allait
déposer ce riz auprès d'une peinture dans l'intérieur d»
cachot des voleurs ; puis il en prenait une autre qu'il allait
— 215 —
jeter à travers les barreaux de la chambre des exécutions eu
récitant cette formule de prière adressée au démon du lieu :
^' — Faites qu'un tel sorte bien vite..." Si le sacrifice était
général, il criait : '^ — Faites que tous les prisonniers sortent
demain matin. — Non J non! criaient les païens, ce soir, ce
soir I " Et le sacrificateur de reprendre : " — Faites qu'ils
sortent tous ce soir, qu'il n'en reste pas un seuil " Tout cela
se faisait en riant, en plaisantant, en gambadant, et cepen-
dant ils n'osaient pas se dispenser de cette simagrée. Les
sorcières surtout n'y manquaient jamais; elles auraient
tremblé de l'omettre, comme elles tremblaient la nuit
lorsqu'on éteignait la lumière. Elles voient des lutins, des
diables partout, et elles en ont une peur terrible, elles que
l'on appelle pour chasser les mauvais génies.
A là fin du mois de mai, nous eûmes des jours d'une
chaleur étouffante ; l'air ne circulait pas dans notre cabanon,
et je sentais qu'il me serait difficile de passer l'été en ce lieu.
Jean était souvent malade. S'il venait à mourir, que devien-
4rai-je ? Son âge et sa sagesse lui donnaient une certaine auto-
rité. Il était le roi de notre cachot ; de plus, il me servait de
barrière avec tout ce monde, et, comme étranger, je me
cachais derrière lui le plus possible. Par prudence, je ne
parlais qu'à lui seul. De son côté, Jean était sobre de paroles
et agissait avec beaucoup de retenue et de prudence.
Nous avions tojours nos habits d'hiver, des ha'bits que
nous portions depuis cinq mois; ils étaient sales, infects
presque pourris. J'avais plusieurs fois demandé d'autres
habits ; on m'avait promis d<e m'en donner, mais nous avons
attendu en vain. Nous dûmes enlever le coton dont ils étaient
bourrés, ce qui les rendit un peu plus légers sans les rendre
moins malpropres. La vermine continuait à nous dévorer et
notre paille était infecte.
Ces détails vous font voir dans quelle position je me
trouvais. Que de fois j'ai pensé au pape saint Marcel, con-
damné par Mexence à vivre dans une étable et à prendre
soin des bêtes ! Ce souvenir me fortifiait Puis plus récem-
ment, n'avais-je pas l'exemple de mes prédécesseurs, trois
•évoques et de nos confrères, qui avaient passé par cette prison
-construite depuis plus de cinquante ans ; peut-être avâient-ils
— 216 —
habité le même cachot ; si ces murs avaient pu parler, que
de choses j'aurais apprises ! Pouvais-je ne pas penser à tant
d'autres évoques emprisonnés en Russie, en Allemagne, au
Brésil? Mgr de Macédo, mon ami, mon condisciple à Saint-
Sulpice, avait-il été traité mieux que moi par ses geôliers ?"
Et maintenant que me voici chassé, exilé, n'ai-je pas encore
Pexemple des évoques de Suisse, de Pologne ? Toujours et
partout la persécution ! Ce ne sont pas ceux qui souffrent de
la sorte qu'il faut plaindre ; il faut plaindre leurs bourreaux,
il faut plaindre ceux qui se laissent vaincre par la persécu-
tion.
On semblait nous avoir oubliés de nouveau, et ne plus
penser à nous. Cette longue incarcération est une terrible
épreuve pour les chrétiens ; c'est comme un long martyre
de tous les jours : la tête se fatigue, le corps s'affaiblit, le
caractère même devient difficile. Une foi vive, une piété
constante et surtout une humilité sincère peuvent seules^
avec la grâce de Dieu, soutenir la faiblesse et empêcher de
succomber à l'ennui, au découragement Si l'épreuve est.
pénible, le secours de la grâce se fait bien sentir. Les chré-
tiens qui étaient avec moi persévéraient dans la prière, la.
confiance en Dieu et l'abandon à la divine Providence. Cepen-
dant on les entendait dire quelquefois : — " Jusqu'à quand
resterons-nous donc ainsi? Si Ton veut nous mettre à mort,.
ique ce soit le plus tôt possible." A d'autres moments, venait,
l'espoir que peut-être ils seraient relâchés; le souvenir de
leur famille, de leurs enfants, de leurs parents, se présentait
alors comme un rêve au bout duquel se trouvait encore la.
prison, toujours la prison, une prison sans fin. Ils priaient
pour leurs parents et demandaient pour eux-mêmes des grâces^
de force, de courage et de persévérance.
Le 31 mai, lendemain de l'Ascension, nous apprîmes que
les deux préfets de police devraient venir le jouir suivant éta-
blir leur tribunal dans l'appartement des satellites, anti-
chambre de la prison. C'était une bonne nouvelle : que pou-
vait-il nour arriver de plus pénible que ce séjour prolonge
dans notre cachot?
— 217 —
Le lendemain, t^r juin, un grand mouvement se fit en
dehors de la prison. Un prisonnier de ços amis vient nous
dire secrètement que je dois comparaître encore devant les
deux juges, venus pour m*interroger. Quelques instants après,
im satellite se présente et m*invite à la suivre. Nous traver-
sons la cour ; la porte de la prison s'ouvre et je me trouve,
entre deux haies de satellites, en présence de deux juges. Au-
jourd'hui ils sont habillés en bourgeois. Ils portent de beaux
habits de soie, un large chapeau, surmonté d'un bijou en
Jade appelée ok-non ; ils tiennent leur éventail à la main, et,
tranquillement assis, fument dans de longues pipes le bon
tabac des provinces du nord. Les deux rangs de satellites
ne se composent guère que de chefs. Ils me regardent avec
un petit air de protection et un sourire d'ancienne amitié.
De quoi s'agit-il? Mille pensées me traversent l'esprit.
On me fait asseoir sur le paillasson, au milieu de la cour.
Le premier juge me dit :
"—Comment est ta santé ? As-tu souffert beaucoup ? comme
tu es changé ! "
Et tous les satellites de sourire et de se dire entre eux :
^' — C'est vrai ; comme il est pâle et maigre 1
'^ — Je suis assez bien, répondis-je. Comment ne souffri-
rait-on pas en prison ? Je il 'ai pas été malade, mais je suis
faible et je sens que. mes forces s'en vont de jour en jour.
Aussi vous feraije remarquer que, exposé, comme je le suis
ici, à un soleil ardent que je n'ai pas vu depuis cinq mois, je
pourrais être pris d'tm grand mal de tête, peut-être môme
d'une insolation.
*' — C'est vrai, dit le juge. Qu'on le fasse approcher et s'as-
seoir, tout près de nous, à l'ombre."
Mon jugement ne débutait pas trop mal. Le juge prit une
feuille de papier qu'il déploya et me dit :
" — Connais-tu Ni-yak-mang-i !
" — Que veut dire yak-mang-i î
" — Je ne sais, je ne connais pas ce nom."
On insista beaucoup, mais impossible de donner une
— 218 —
réponse. Plus tard on apprit du vieux Jean que yak-man-î
voulait dire Jean en chinois ; cette explication parut leur
faire plaisir.
" — Ni yak-mang-i est un chrétien j ne le connais-tu pas ?
" — Non, je ne sais ni d'où est ce personnage, ni qui il est-
" — Que veut dire Paik-na-ri î Le connais-tu ?
^^ — Non, je ne le connais pas, je ne sais même pas si c'est
un nom d'homme ou de lieu."
On resta longtemps pour déchiffrer ce nom. Je ne puis
rapporter toutes les questions absurdes qu'ils me Qrent pour*
avoir un éclaircissement auquel, paralt-il, ils attachaient une
grande importance. Bientôt la chose tourna au comique :
" — Comment se prononce ce nom dans ta langue ?
" — Il m'est impossible de vous donner la prononciationr
d'un mot que je ne connais pas.
" — Mais, en français, comment prononcerais-tu Paikna-ri ?
" — Eh bien I je le prononcerais Paik-na-ri.
" — Non, ce n'est pas cela."
Un chef des satellites s'approcha et me dit en souriant :.
'^ — ^Toi, tu t'appelles Pok-Myeng-i en coréen.
''—Oui.
"— Pok veut dire Ilpe-ris-se.
"—Oui, Félix.
"— Myeng-i veut dire Ke-lai-ra.
• ''—Oui, Clair.
" — Eh bien ! dis-nous de la même inanière ce que veut
dire Palk-na-ri.
" — Faites-moi voir les caractères.
" — Ce n'est pas nécessaire; commeat traduis-tu Paik en
ta langue ?
"—Mais de quel Paik voulez-vous parler 7 (En coréen, l'un
signifie blanc^ l'autre cent).
" — Eh bien ! écris ce son en coréen."
On me passa un pienceau et j'écrivis seng pour cent
" — Et na^ comment le prononces-tu en français T
" — Na est un pronom qui signifie moû
"—Ecris cela."
J'écrivis en coréen moa pour moL Le chef était triom-
phant ; il trouvait que tout allait bien.
— 219 —
^' — Et H, comment se dit-il en français ?
'^'— 11 y a beaucoup de ri en coréen ; duquel voulez-vous
parler ?
(< — Du n, la mesure pour les distances.
"—En français, il n'y a pas de ri; mais dix ri font une
lieue.
" — Ecris ce mot."
J'écris en coréen rieu pour Imte^ le mieux possible. tPavàis
donc écrit Seng-moa-rieu. Le™rand juge, qui avait suivi
avec beaucoup d'intérêt et de patience tout ce petit drame,
iut Seng-moaneu.
" — Eh bien ! dit-il, demandez-lui s'il connaît un person-
nage de son pays qui s'appelle Seng-moa-rieu ? "
Jo ne pus m'empêcher de rire, et, sans avoir besoin d'in-
terroger longtemps ma mémoire, je répondis :
" — Non, je ne connais personne portant ce nom."
Désappointement général. Evidemment nous avions fait
fausse route.
Cependant ils ne se découragèrent pas, et nous dûmes pro-
céder de la même manière pour deux ou trois autres noms
de lieu ou de personne qu'ils ne connaissaient pas et que je
ne connaissais pas plus qu'eux. Le résultat eut le même
succès. Tout l'interrogatoire, qui fut assez long, se passa de
la sorte à expliquer des noms que personne ne connaissait.
Généralement les noms européens sont traduits en carac-
tères chinois, suivant le sens ou suivant le son ; bien souvent
même on se contente de traduire à peu près la première syl-
labe du nom. En Chine, pour quelqu'un qui ne connaît pas
la personne, il est difficile de trouver le nom européen, en
voyant seulement les caractères; mais, en Corée, où souvent
ces caractères ont un sens différent du chinois, la difficulté
devient une impossibilité. Ainsi, un jour que je racontais
la scène du Seng-moa-rieu, un confrère présent me dit que
Paik-na-ri pourrait bien être le nom de M. Brenier que les
Chinois prononceraient à peu près Pai-re-ni. Ce ne serait
pas Impossible, d'autant plus que le juge, vers la fin, me dit î
*' — Quel est le nom de ton ministre actuellement à Péking?
"—Le ministre de France actuellement à Péking s'appelle
le vicomte Brenier de Montmorand.
— 220 —
Tous encore essayèrent de le prononcer et s'en tirèrent
^endidement pour le seul mot Monimorand. Mais comme
il y avait loin de là à Paik-na-ri ! Et la distance n'était pas
moins grande avec ma tradnolion Seng-moa-^Heu.
'* — Connais-tu ton ministre ?
" — Oui, je le connais ; je Tai vu plusieurs fois.
" — Depuis quand est-il à Péking ?
"-rDepuis deux ou trois ana,'*
La conviorsation languissait, le juge paraissait ne plus savoir
sur quoi m'interroger. Je profitai du silence pour lui dire :
'' — Voilà longtemps que je suis en prison, et le gouverne-
ment ne décide rien. Si je pouvais voir le roi, je lui ferais
une demande ; ne pouvant paraître en sa présence, je prie-
lâs juges de vouloir bien lui rapporter mes paroles. Vous
connaissez assez la religion pour savoir qu'elle n'enseigne-
que le bien, qu'elle apprend aux hommes à régler leur cooi-
duite, à devenir des hommes justes et de bons citoyens. Jus-
qu'ici on l'a prohibée, sous de futiles prétextes, je ne sais «e^
qu'en pense le roi, mais j'ose le supplier de vouloir bien nous
accorder de rester en Corée, de prêcher et de répandre la
religion ; le royaume et le gouvernement ne peuvent qu'en
tirer beaucoup d'avantages. Tel est le grand désir de mon
cœur, telles sont les paroles que je voudrais dire au roi."
Le juge Ni-kyeng-ha me regardait: il sourit avec mépris
et, d'un ton bref, à peine articulé, donna Tordre de m'emme>
ner.
On mé reconduisit en prison. Tous les prisonniers avaient
les yeux braqués sur moi pour tâcher dé deviner la décision
du juge. La décision, je ne la connaissais pas, et j'ignorais
presque de quoi il s'était agi, tant cet interrogatoire m'avait
surpris. Je soupçonnais pourtant qu'on avait reçu quelque
dépêche du dehors; mais d'où venait-elle? et dans quel but?
Je racontai à Jean ce qui venait de se passer : il ne fut pas
peu surpris. Un des chefs satellites vient de la part de juge
me demander encore de nouvelles explications ; il questionna
même Jean qui n'en put donner aucune et qui perdit ^on
temps à faire comprendre que, bien qu'on pût connaître le
nom européen d'un personnage, il ne s'en suivait pas rju'on
sût son nom chinois, etc. Les juges partirent; l'un se reo-
dit au palais royal et Tautre cbe2 le grand maître. Puis àla^
prison tout rentra dans le calme.
Il y avait' en prison, depuis quelques jours, un prétorietr
de la ville de Y-y (province de T-1). Dès son arrivée, il vint"
me voir. Il me dit qu'il avait souvent entendu parler de lar
religion et qu'un grand nombre de ses amis s'étaient retiré»
des affaires pour la pratiquer'; il ajoutait que tous étaient de
braves et horiiiôtes gens à qui on ne pouvait rien reprocher.
" — Et vous, pourquoi ne la pratiquez-vous pas ?
'^ — Moi, 'répondit-il, j'ai tenu à ma position, je n'ai pa&
voulu quitter ma fortune, je continue de suivre les usages-
de notre pays, mais j'estime et j'aime les chrétiens.
" — En a-t-on arrêté beaucoup dans votre province ?
" — Non, on n'en a pas .arrêté un seul, on ne les cherche
même pas ; du reste, à quoi bon arrêter des gens qui ne font
de mal à personne ?
" — Savez-vous si on a arrêté des Pères ?
*' — On les a cherchés, mais il a été impossible de les trou-
ver et je sais que, jusqu'à ce moment, pas un seul n'a été
arrêté."
Ces nouvelles, qui me paraissaient certaines, me firent bien
plaisir. Il est rare de trouver des gens qui vous parlent avec
une telle franchise. Il reconta sont histoire à Jean. Il était
en prison pour dettes et n'avait pas une sapèque pour payer,
"—Je sais bien que je vais mourir, diuil, mais on ne meurt
qu'une fois." Hélas ! oui, on ne meurt qu'une fois, mais sa
pauvre âme ! Que j'eusse voulu le convertir I
Le 3 juin, il vint selon son habitude dans notre cachot et
dit à Jean : "-rOn dit partout qu'on va le renvoyer dans son
pays, parce que son gouvenement l'a réclamé." Nous étions
tellement habitués à ses sortes de bruits, que nous n'en
crûmes rien. Quant au prétorien, je le revis quelques jours
après. On le ramenait du tribunal ; il était porté sUr le dos
d'un valet, la tête pendante, sans connaissance, à la suite de
la violente torture à laquelle il venait d'être soumis. Son
entrée fît sensation dans la prison; on fut près d'une heure
à le rappeler à la vie, à pançer seô plaies. Depuis lors, je
n'ai plus rien su de lui.
— 222 —
XI
Le 5 juin, je célébrais ranniversaire de moa sacre ; j'avais
averti les chrétiens ; {lous étions en fête. Le chef du poste,
en grand costume se présente devant notre porte : ^^ — ^Prenez
votre grand habit, me dit-il, et suivez-moi." Je donnai une
poignée de main à Jean, je bénis tous les chrétiens et je sor-
tis à la suite de mon guide qui me conduisit dans la chambre
des satellites, en dehors de la prison ; puis on me fit entrer
dans la cour d'une autre prison gui était vide et on me don-
na de Teau. J'éprouvais une véritable jouissance en me lavant
la figure, les mains et les pieds. Le soleil paraissait ; je cares-
sai quelques brins d'herbes qui poussaient là, il y avait si
longtemps que je n'en avais pas vu ! Je comtemplai le ciel ;
je pus môme voir des montagnes dans le lointain. Tout me
paraissait nouveau ; tout me paraissait beau.
Plusieurs satellites vinrent me voir. Ils nae dirent qu'on
allait me renvoyer en Chine, que j'irais à Péking, où l'on me
remettrait entre les mains des Européens de mon pays ; que
Ton était en train de me faire des habits neufs pour le voyage,
et que, lorsque tout serait prêt, nous partirions. Je pensais
que, si vraiment on voulait me renvoyer, le juge me le ferait
dire de quelque manière ; j'attendis donc une communication
officielle avant d'ajouter foi à toutes ces paroles.
*' — Es-tu content de partir ?
" — Gomment le serais-je ? Vous savez bien que je n'ai qu'un
désir, c'est de rester ici pour continuer à enseigner, à répandre
la religion ; puis, on me renvoie et on laisse les chrétiens en
prison, comment ne souffrirais-je pas ?
^' — Mais on va mettre en liberté tous les chrétiens.
" — Est-ce vrai ?
^' — Certainement ; leur maître étant parti, ils ne peuvent
plus rien faire, que peut-on avoir à craindre ? On va tous les
renvoyer chez eux.
'^ — Sans nouveaux interrogatoires, sans supplices ?
'* — Certainement."
Que croire de tout cela ? Rien ; je les savais si menteurs !
Je pouvais même penser qu'on allait m'envoyer dans quel-
que autre endroit pour m'exécuter.
— 223 —
Bientôt la nouvelle se répandit que j'étais sorti de prison-
et qu'on me gardait dans les appartement du tribunal où Ton
pouvait me voir. Dès lors le tribunal fut envahi par \in&
foule de curieux. L'on fut obligé de me renfermer dans une-
cour ; mais les murailles en furent bien vite escaladées. De»
satellites m'annonçaient leurs parents, leurs amis; il me fal-
lait recevoir tout ce monde, répondre à toutes les questions*
Ce peuple de la capitale est vraiment bon ; tous me parlaient
poliment et avec affabilité, même les nobles, qui se présen-
tarent quelquefois au nombre d'une trentaine. Le mandarin
gouverneur de la prison, qui avait ses appartements dans le
tribunal, venait me chercher, et, renfermés chez lui avec
quelques-uns de ses amis, nous causions tout à l'aise. Ils y
prenaient un grand intérêt Je pus môme leur parler de la
doctrine que jetais venu prêcher. Le soir, le gouverneur
m'appelait, et je me souviens d'être sorti deux fois, assez
avant dans la nuit, pour répondre à ses questions. Il parais-
sait écouter mes réponses avec plaisir. Il admirait l'explica-
tion de la création du monde et disait que la doctrine des
dix commandements était bien belle. Par son entremise,
j'eus l'occasion de voir aussi plusieurs employés de la cour
qui s'adressaient à lui pour se faire présenter.
Tout le iocionde parlait de mon départ, et beaucoup de gens
disaient entre eux : " — On a bien fait de le renvoyer ; c'était
la seule chose qu'il y eût à faire." Cependant la pensée de
mes pauvres chrétiens prisonniers ne m^abandonnait pas. Un
jour je dis au juge :
" — Oh ! si je pouvais voir le vieux Jean Tchoï.
" — Vous désirez le voir? C'est bien facile. Je vais faire-
venir tous les chrétiens.*'
Aussitôt il donne Tordre d'appeler les chrétiens. Leur vue"
me consola ; je m'efforçais de les encourager à la patience
et à la confiance en Dieu. Hélas î j'étais mis en liberté, et*
eux restaient prisonniers; qui comprendra la grandeur de
cette épreuve ? Le vieux Jean demeura plus longtemps. Je
demandai au chef ce qu'allaient devenir les chrétiens pri- '
sonniers.
"^—On va les renvoyer tous. A quoi bon les retenir puis-
qu'on renvoie leur chef ?
— 224 —
*'— Est-ce certaia?
" — Très-certain. Après votre départ, on va les renvoyer
chez eux, on va rendre à Tchoi-Laing-ouen (Jean) la maison
que vous habitiez et tout ce qui lui appartenait."
Jean nous quitta ; il était bien triste.
" — ^Ah ! dit-il, je ne reverrai donc plus la figure de l'évéqpie !
^^ — Courage ! nous nous retrouverons certainement au ciel.''
Il retourna en prison, et je ne l'ai plus revu depuis.
On avait transporté mes caisses du tribunal de droite au
tribunal de gauche. En présence de plusieurs officiers, on
ies ouvrit et on en étendit le contenu sur le parquet. Tout
avait été bouleversé ou brisé. Us fii-ent un inventaire de
tout ce qu'il y avait et vinrent m'apporter la liste en me
demandant de la signer :
"— ^Signer quoi ? leur dis-je.
'^ — ^Cette liste, par laquelle tu reconnais les objets qui t'ap-
partiennent et qu'on va te remettre.
" — Comment I plus de trois quarts des objets que vous
avez pris dans ma maison ont disparu. Non, je ne veux pas^
je ne puis pas signer cela."
Il parurent d'abord un peu désappointés, puis ils me dirent :
" — Au reste, cela ne nous regarde pas. On nous a dit seu-
lement de faire l'inventaire ; nous n'avons qu'à présenter
cette liste telle qu'elle est au préfet de police."
On ne me parla {)lus de la signature que, d'ailleurs, j'étais
bien résolu à ne pas donner. En effet, un grand nombre
d'objets avaient disparu. Chacun, fouillant dans les caisses,
avait pris ce qui était à sa convenance. Tout ce qui avait
quelque valeur, tels que montres, calices, etc., jusqu'aux
ampoules des saintes huiles, tout avait disparu. J'avais
trouvé la petite boite d'un anneau auquel je tenais beaucoup,
car c'était un souvenir de Mgr J acquement, évéque de Nantes,
de qui j'avais reçu les ordres sacrés. Je cherchais l'anneau ;
le chef des satellites me dit : " — Il doit y être, je l'ai vu hier."
Nous cherchâmes en vain. Ainsi, même après que le gou-
vernement avait décidé de me rendre ce qui m'appartenait,
on m'avait encore volé. Les objets furent remis dans les
caisses que l'on ferma avec grand soin en les cachetant La
précaution était un peu tardive.
— 225 —
Tous les satellites, surtout ceux du tribunal de droite,
-vinrent me féliciter du succès de cette affaire et du bonheur
que }e devais éprouver de prendre le chemin de mon pays.
Je ne partageais pas tout à fait leur sentiment ; aussi l'un
des chefs me dit :
" — Tu n'as pas Pair content de retourner dans ton roy-
aume ; mais, dis-moi, aurais-tu commis quelque crime contre
ton gouvernement ?
" — Non, je n'ai commis aucun crime contre mon gouver-
nement."
Pauvres gens I II était inutile de leur expliquer ma posi-
tion, encore moins mes projets d'avenir. Chassé de force de-
Corée, je n'abandonnais pas pour cela ma maison ; mais,'
quand pourrais-je y rentrer, au milieu de mes enfants ? Puis,,
la pensée du sort réservé aux prisonniers!.... J'avais bien
de^ motifs de tristesse.
(à continiber).
Saint Joseph et l'Afrique Orientale, a)
LETTRE DU P. HORNER
de la Congrégation du SainUEeprit et du SainUCcntr de Marie, Vioe-Pr^ei
Apoetotique du Zanguébar,
J'ai à payer à saint Joseph une immense dette de recon-
naissance, puisqu'il m'a immensément secouru dans les
travaux apostoliques que j'ai entrepris pour la gloire de soa
Fils adoptif depuis un quart de siècle en ces missions de
l'Afrique orientale. Aussi suis-je heureux de pouvoir
acquitter une partie de ma dette envers ce glorieux Patriar-
che, en faisant connaître aux pieux lecteurs de son inté^s-
sant Messager quelque chose de ce qu'il a fait pour la mission
que j'ai reçue en héritage en 1863. L'histoire de la mission
de Zanguébar sera l'histoire où le récit d'une suite non
interrompue de bienfaits de la part du Protecteur glorieux
de l'Eglise catholique.
I. — FONDATION DE LA MISSION.
Une noble et généreuse inspiration pénétra un jour vive-
ment l'esprit de Mgr Maupoint, évéque de Saint-Denis (île
de la Réunion). Concevoir et exécuter ne faisaient qu'un
pour cet homme vraiment apostolique. Jl fait appeler M.
Fava, son vicaire général, aujourd'hui évoque de Grenoble.
^( .. Voulez-vous, lui dit-il, aller commencer en mon nom
une mission catholique à Zanzibar, dans les Etats du sultaa
Baïd-Medgid, qui, dit-on, est très-favorable aux Européens ?
" — Monseigneur, répond M. Fava, je serai toujours heu-
reux d'aller là où il y a du bien à faire... "
Dès ce moment, la fondation de la nouvelle mission était
décidée. Le choix de ses' protecteurs célestes ne fut pas un
instant douteux : elle fut immédiatement consacrée à la
Sainte-Famille, en souvenir de son passage en Egypte et de
son séjour dans cette terre de l'Afrique orientale. C'était en
(l)lMe88ager de St. Joseph, Novembre et Déoembre 1878.
— 227 —
1860, et le 25 décembre, la naissance du Sauveur y fut célé-
brée. Jésus prenait possession, avec Marie et Joseph, de la
nouvelle mission de Zanguebar.
En 1863, NN. SS. Maupoint et Fava confiaient la mission
à notre Congrégation, et la Congrégation m'y envoyait avec^
le P. Baur et trois frères. Nous pensâmes qu'il fallait don--
ner à cette œuvre un Protecteur plus spécial et plus explici-
tement désigné, en raison même de la nature particulière de
rétablissement de Zanzibar, résidence principale et chef-lieu
de toute la mission, particulièrement des ateliers ; et Zanzi^
bar porte, depuie cette époque, le nom de Communauté de'
saint Joseph. La raison de ce choix de saint Joseph pour
Patron spécial, est facile à démontrer.
La mission avait en ce temps d'immenses besoins, comme
cela arrive généralement à toutes les œuvres naissantes.
L'argent manquait pour les nécessités journalières de l'œu-
vre. Jugez donc : cinquante personnes à soutenir, et souvent^
pas cinq francs en caisse. Cet état de dénûment était parfois
pour moi l'objet des plus grandes préoccupations, et lorsque
mon esprit, absorbé par les soins de l'avenir de l'œuvre,
semblait se décourager un peu, saint Joseph, en qui j'avais
toujours confiance, se montrait de plus en plus généreux.
Que de fois, ne sachant plus comment faire pour subvenir à des
besoins urgents, je m'écriais : '' Ah I je ne sais plus que faire 1
Ainsi qu^'aux jours d'Egypte, mon petit peuple souffre de la
faim. Saint Joseph, si vous ne venez à notre aide, nous som-
mes perdus." 0 prodige ! jamais saint Joseph ne m'a manqué.
Une fois, entre autres, moins d'un quart d'heure après
mon recours à saint Joseph, vint un protestant me dire :
^^ Mon Père, je porte beaucoup d'intérêt à votre mission,
qui, par ses travaux, se rend très-utile au pays. Voici deux
cents francs que je vous prie d'accepter pour aider vos
œuvres. " Un autre fois, un autre protestant me dit : ^' Je
ne suis pas de votre religion, mais je vois que votre mission
est vraiment utile au pays et aux Européens qui résident ici,
et auxquels vous rendez d'excellents services ; je vous prie
^'accepter la somme de deux mille cinq cents francs, pour
TOUS aider à développer de plus en plus une institution si
keUe."
--228 —
Un illustre voyageur passa, en 1865, à Zanzibar. Il avait
l'habitude de ne jamais rien écrire au sujet des missions qui
n'entraient pas dans le cadre qu'il s'était tracé. " Je ne dis
jamais rien des missions, dit-il, mais cela ne m'empochera
pas de vous offrir la somme de trois cents francs pour votre
œuvre de civilisation chrétienne. " D'autres voyageurs, et
des capitaines de navires, voulurent également laisser à la
mission des traces de leur générosité. C'est ainsi que notre
mission, qui au début vivait au jour le Jour, a vu renouveler
en sa faveur les prodiges (du moins en partie) que saint
Joseph opéra pour sainte Térèse eï d'autres fondateurs ou
fondatrices de communautés religieuses.
Cette protection toute spéciale de l'illustre Patriarche reste
profondément gravée dans la mémoire de tous les anciens
membres de la mission, qui ont été les heureux témoins de
ces merveilles. Aussi la dévotion à saint Josej^ s'est-elle
toujours maintenue et développée dans toute la mission.
L'établissement de Zanzibar lui est consacré, comme cous
Tavons dit plus haut, et Bagamoyo, consacré au saint et
immaculé Cœur de Marie sous le vocable de Notre-Dame de
Bagamoyo, n'a pas voulu rester en arrière. Une magnifique
statue de saint Joseph, en bronze et de grandeur naturelle,
donnée par la pieuse famille d'un de nos Pères alsaciens^
domine l'entrée de l'établissement. Cette statue était, au
commencement surtout, une merveille pour le pays.
" — Qui est ce blanc ? demandent les indigènes.
" — Ah ! c'est celui qui donne de l'argent aux Pères, " leur
répondait Moussa, notre domestique arabe.
Tous comprirent que saint Joseph était un sorcier qui nous
assurait des trésors. En effet, c'est un sorcier, mais un sor-
cier spirituel, dont les sortilèges si merveilleux nous ont
aidés à faire, d'une forêt habitée par les bêtes fauves, une
chrétienté florissante.
ir. — ZANZIBAR.
L'ile de Zanzibar, ainsi qu'une partie de la côte, était au-
trefois une colonie portugaise. Mais le peuple lusitanien, au
lieu d'introduire la civilisation chrétienne <\ans ces vastes
— 229 —
<5ontrées, seul moyen de les conserver, chercha uniquement
à les exploiter. Sa cupidité révolta tellement les indigènes,
qulls prêtèrent main forte à Timan de Mascate Saïd-Said,
père du sultan actuel de Zanzibar, pour chasser les Portu-
gais, en 1828. La domination arabe développa cet abomina-
ble trafic de chair humaine qu*on appelle Tesclavage et la
traite.
En 1863, lorsque je vins à Zanzibar, ce commerce était
encore dans toute sa honteuse vigueur. Aussi, tous nos
efforts se portèrent-ils, dès le principe, vers le rachat du plus
grand nombre d'enfants possible. C'est là que saint Joseph
se montra encore bien généreux envers la mission, en lui
procurant des aumônes abondantes, soit poar racheter, soit
pour entretenir après leur rachat ces chers enfants.
Saint Joseph connaît les horreurs dont nous avons été sou-
vent les témoins attristés sur le marché aux esclaves. Lors-^
qu'en arrivant ces malheureux étaient trop malades pour
pouvoir être vendus, on les jetait tout vivants à la mer pour
n'avoir pas dix francs à payer comme droits de douane.
Parmi les esclaves de l'île, on jetait les malades vivant» au
cimetière, où ils attendaient la mort, pour être ensuite dévo-
rés par les chacals.
En élevant la voix pour dénoncer ces horreurs à l'Europe
'Civilisée, les missionnaires catholiques peuvent à bon droit
revendiquer pour leur bonne part l'honneur des démarches
^ui y ont à peu près mis fin.
Comme il s'agissait d'occuper honnêtement les esclaves
rachetés, nous établîmes des ateliers d'arts-et-méliers ; car il
convenait que l'établissement consacré à saint Joseph formât
des ouvriers chrétiens, pour imiter le travail et les vertus du
grand Prolecteur des ouvriers.
Nos ateliers nous concilièrent peu à peu l'estime et la
sympathie du Sultan, des Arabes et des Européens, commer-
çants à Zanzibar. L'ancien sultan Said-Medgid était grand
partisan des ateliers, qu'il honora de sa visite royale en corn*
pagnie de toute sa cour. Je n'oublierai jamais qu'une pompe
nouvellement installée à la mission {ce qui était alors une
merveille pour le pays,) a fait l'admiration 'de tous les visi
teurs. Le Sultan nous donna, à^^tte occasion, la somme de
— 230 —
sept cent cinquante francs pour racheter des enfaots de
resclavage, dans le but de nous aider à développer nos
ateliers.
m. — BAGAMOTO.
Mais bientôt nos enfants augmentant de jour en jour, nos
ateliers ne sufBsaient plus pour les occuper tous. Il fallait
donc songer à une nouvelle création. C'est dans ce but qu'en
1 866 j 'entrepris le pénible et périlleux voyage dont Mgr Gaume
a publié le récit. Je parcourus la plus grande partie de la
côte dans le dessein de choisir l'endroit le plus favorable à la
fondation d'une œuvre agricole, car ma conviction a toujours
été qu'on ne moralisera les noirs que par le travail pratiqué
chrétiennement
Mon choix se fixa sur Bagamoyo, qu'avait aussi autrefois
désigné Mgr Fava, sur le coteau* sud de Zanzibar. Nous
pûmes y obtenir une concession de terrain d'environ cent
hectares. Armés de la hache et de la pioche, le P. Machon
et moi, nous commençâmes à défricher et à faire défricher
notre forêt de broussailles. C'était une rude besogne, dans
laquelle nous nous faisions aider par des Vanyamouezis sau-
vages, venus de l'intérieur comme porteurs d'ivoire des
caravanes.
Que de fois ne me disais-je pas à moi-même ou au P.
Machon, mon dévoué confrère : ^' Âh 1 que je serais heureux
si je pouvais voir, plus tard, cette forêt devenir un village
chrétien l... Si je pouvais entendre raisonner ces lieux de
l'écho des chants de l'Eglise catholique, là où, en ce moment^
nous n'entendons que les cris des bêtes fauves, et surtout le
mugissement des lions 1 "
L'hippopotame venait, la nu^t, dévorer les quelques légu^
mes semés et entretenus à la sueur de notre front. Le lion
vint l'attaquer, comme s'il avait eu l'instinct assez fort pour
lui prouver que voler de pauvres /nissionnaires était une
chose abominable devant Dieu, devant les hommes, et même
devant le Roi des animaux. Bref, saint Joseph intervint
toujours, et pendant cinq ans, de 1868 à 1872, nous parvîn-
mes à créer un établissement que les indigènes appelaient la
ville des Blancs, et qui, du reste, faisait l'admiration de tous
— 231 —
ies Européens qui la visitaient; Notre œuvre, qui comptait
cilors environ cinquante constructions, ressemblant fort peu
aux Tuileries ou au Louvre, était en si bonne voie, que nous
trouvions notre terrain insuffisant.
Espérant avoir plus de facilité dans Pintérieur de l'Afrique
pour la conversion des âmes, j'entrepris en 1870, en compa-
gnie des PP. Duparquet et Baur, un voyage d'exploration
dans rUkuéré et TUkami, pour trouver une localité favora*
hle à nos idées d'évaugélisation. Grande fut notre déception
en arrivant dans ces contrées insalubres qu'on nous avait
cependant tant vantées. Nous avons manqué d'y mourir
tous les trois. Toutefois, ce voyage, dont on publie le récit
•en ce moment, a fourni des passages piquants, et qu'on lira,
Je pense, en Europe, avec intérêt.
A peine de retour à Bagamoyo, nous apprîmes la mort du
Sultan suzerain des pays parcourus. De plus, la guerre de
1870, entre la France et la Prusse, dont nous connûmes les
tristes nouvelles dans l'Ukami, nous força à ajourner nos
projets de fondation. En attendant, nous prenions de nou-
veaux renseignements, nous faisions de nouvelles études
géographiques et topographiques sur l'Afrique, en un mot,
nous cherchions à consolider nos œuvres déjà existantes.
IV. — LE DÉSASTRE.
Pendant ce temps, il se tramait dans les antres de l'enfer
un complot archidiabolique. Lucifer, jaloux des progrès de
la mission, alla demander à Dieu la permission qu'autrefois
il obtient pour éprouver la patience du saint homme Job. Il
fallait détruire Bagamoyo. Voici que toutes les '' puissances
de l'air," dont parle S. Paul, se mett€fnt à souffler sur Zanzi-
bar et Banzibar et Bagamoyo un ouragan comme on n'en
avait jaiQais vu de mémoire d'homme.
L'établissement de Bayamoyo fut rasé dans l'espace de
deux heures. Il ne me restait qu'un petit magasin de six
mètres de long sur trois large. C'est là que je m'étais retiré,
avec un Frère, pour y entendre les récits, qui ressemblaient
bien à ceux qu'on faisait au patriarche Job. J'avoue que
pétais peiné de voir tant de monde obligé de loger en plein
air, mais je n'étais pas découragé.
— 232 —
Au plus fort de ma douleur, je disais au F. Félicien, gui se
trouvait avec moi : " Résignons-nous comme Job, et ne per-
dons pas courage. Saint Joseph, qui âous a tant et si puis-
samment protégés jusqu'à ce jour, ne nous abandonnera pas^
C'est une lutte entre l'enfer et la mission ; je compte sur !a
protection de saiqt Joseph, et nous recommencerons nos tra-
vaux de constructions. Il est vrai, nous avons perdu, en
quelques instants, le fruit de cinq ans de labeurs, de priva-
tions et de sacrifices. Mais nous verrons qui sera le plus fort,,
ou de Dieu ou du démon. Nous avons saint Joseph pour
nous, que pourrionehnous craindre avec l'appui d'un si puis-
sant Protecteur 7 "
V. — SAINT JOSEPH RÉPARE TOUT ET RELÈVE LA MISSION.
Notre confiance en saint Joseph a été justifiée. Non-seuu
ment les bâtiments, terrassés par l'ennemi de tout bien, ont
été relevés, mais encore faits en pierre, de manière à défier
toutes les puissances de l'enfer. Aussi, que de fois n'a-t-on
pas dit dans la mission : " Le diable a été bien joué, malgré
toute sa ruse. Il croyait ruiner à tout jamais cette mission
de Bagamoyo, et saint Joseph a su la faire renaître de ses
cendres plus belle et plus florissante que jamais."
En effet, la mission de Bagamoyo n'a fait que profiter de
ces épreuves, qui lui ont attiré une immense sympathie de
la part de l'Europe, et même de la part de ceux qui ne par-
tagent pas nos croyances. En voici un exemple frappant
En 1873, sir Bartle Frère, ministre plénipotentiaire de Sa
Majesté Britannique, envoyé à Zanzibar pour abolir la traite^
alla visiter l'établissement de Bagamoyo. Il fut si touché et
ci émerveillé de tout ce qu'il avait vu, qu'il prit sur lui de
donner à la mission une subvention de 5,000 francs pour le»
besoins les plus urgents, espérant, à l'avance, la complète
approbation de lord Grandville, alors ministre des affaires
étrangères.
Peuton, je vous le demande, recevoir un encouragement
plus puissant, surtout lorsqu'il vient de la part de protestants
imbus de préjugés contre les catholiques. Saint Joseph a été
là ; il a niontré son doigt protecteur. L'établissement ruiné-
par le coup de vent de 1872, est plus prospère que jamais.
— 233 —
VI. — ^NOTRE RECONNAISSANCE A SAINT JOSEPH.
L'ornement de celte œuvre est le village chrétien, qui
compte près de cent ménages. Parcourrons un instant, mon
cher Père, ce village, qui s'appelle le village de saint-Joseph.
Le missionnaire aime à visiter ce pieux village, qui est sa
joie et sa consolation. Il y va souvent présider divers exer-
cices de piété. Nos néophytes sont pleins de ferveur. Que
voyons-nous au bout de ce village ? une petite chapelle dédiée
à saint Joseph. Et au fond de ce petit sanctuaire? un magni*
fique tableau de la Sainte-Famille, apporté de Bourbon par
Mgr Fava, actuellement évoque de Grenoble, et fondateur de
la mission du Zanguebar ;
Et dans les cases des néophytes, qu'y voyez-vous ? Je vous
-'défie de trouver une case dans laquelle il n'y ait pas une
espèce de petit autel sur lequel vous trouverez une statue de
•saint Joseph. De plus vous y trouverez, et souvent dans la
même case, plusieurs tableaux de Saint Joseph. Nos jeunes
-chétiens ont tellemment compris l'excellence et la nécessité
•de cette dévotion, qu'il n'y a pas besoin de les pousser ; il
faudrait peut-être plutôt les calmer pour que leurs bons sen*
timents ne dégénèrent pas en fanatisme.
Comme je me plais à entendre chanter à l'église de Baga-
moyo des cantiques en l'honneur de saint Joseph ! Que de
fois n'ai-je pas veisé de douces larmes de bonheur au souve-
nir du passé ! Je me reppelais alors les gémissements causés
par le pénible enfantement de l'Œuvre. Je me rappelais
alors ces paroles : " Ah ! que je serais heureux un jour, si,
à la place de ces broussailles que nous coupons en ce moment,
il m'était donné de voir s'élever une église catholique, dan*
laquelle ou chanterait les louanges et les gloires du Protec-
teur des ouvriers, du Protecteur de l'Eglise universelle!...
Que je serais heureux, me disais-je autrefois, si je vivais assez
longtemps pour voir une chrétienté établie ici, un village
-chrétien fondé et dédié à saint Joseph I "
Et, mon cher Père, je vois à présent tous ces rêves réalisés,
et je ne serais pas reconnaissant à saint Joseph !...
Dernièrement, j'ai présidé la procession de la Fête Dieuy
traversant le village de saint-Joseph. Le matin, j'ai donné
— 234 —
la confirmation à quelques néophytes, dont un grand nombre^
appartenait au village de saintJoseph. Ah ! je puis biea
emprunter les paroles du Psalmiste pour les adresser et le»
appliquer à notre saint Protecteur : '' Que ma main droite s&
dessèche, etc., si jamais j'oubliais vos bienfaits ! "
Vn. — ^LA MISSION DU n'GOUROU.
Saint Joseph ne se contenta pas de nous aider dans le»
œuvres déjà entreprises : il voulut aussi nous aider à faire et.
à établir une mission nouvelle dans l'intérieur de TAfrique. Il
lui tardait de voir TEnfant Jésus connu et adoré par des chré-
tiens nouveaux. C'est pour cela qu'il nous inspira de fonder
une mission à quarante lieues de la côte, à Mhonda, dans
f Oussigoa^ aux montagnes du N 'Gourou. Il est à remarques
que le premier voyage d'exploration a été entrepris un mer>
credi. car j'ai toujours eu pour dévotion de mettre nos voy-
ages sous la protection de saint Joseph, et chaque fois que-
cela a dépendu de ma volonté, mes péréginations apostoliques
ont été entreprises le mercredi, jour consacré à notre glorieux.
Patriarche. Et je m'en suis toujours parfaitement trouvé.
Je nepuis vous dire que quelques mots de cette mission d&
l'intérieur, dédiée au Sacré-Cœur de Jésus.. Saint Joseph n'y
est pas oublié.
Le P. Machon a eu soin d'emporter de France un grand
tableau de saint Joseph, pour susprendre dans la chapelle de^
Mhonda. Le P. Strebler, en se rendant dans cette nouvelIe^
mission, y arriva juste le 19 mars, fête de saint Joseph. II.
n'y arriva qu'à une heure de l'aprës midi. Malgré sa faible
santé, il resta ^ jeun jusqu'à cette heure avancée pour pou-
voir ofTric^le saint sacrifice de la messe en l'honneur de saint
Joseph et mettre ainsi son ministère sous la protection de ce^
grand Saint.
VIII LES BESOINS DE LA MISSION.
Je sais, mon bien cher Père, quel intérêt vous portez à
cette mission des Vasigouas. Vous me permettrez donc d'en^
parler à cœur ouvert.
Je vous avoue franchement que si je n^avais pas- une cm-
— 235 —
fiance sans borns en saint Joseph, je désespérerais du succès
^e cette œuvre nouTelle. Et pour quelle raison ? me deman-
derez-vous. Eh bien ! pour une raison que la fille de Mme
tle Sévigné elle-même ne devinerait pas. Je vais vous le dire
•en deux mots: Pas d'argent, pas de suisse. Et comment,
Tépliquerez-vous, cette mission de Zanzibar, qui passait pour
"^tre si riche, si favorisée de tant d'aumônes, manque d'ar-
gent ? Oui, nous manquons d'argent, et vous allez le corn-
l>rendre. La famine de Tlnde a eu son contre-coup terrible
>sur Zanzibar en doublant et en triplant le prix des vivres.
C'est là qu'ont été enfouies toutes nos économies du passé.
'De plus, la famine du nord et du sud ûe l'Afrique entretien-
nent la cherté des denrées. Enfin, la famine de l'Inde et de
la Chine fait prendre aux dons et aux aumônes un tout autre
«chemin que celui de Zanzibar.
Et puis, les missions nouvelles de l'intérieur, missions
algériennes, belges ou anglaises, veulent aussi vivre, et alors
on applique un moyen très-simple : on retranche aux anci-
ennes missions ppur donner aux nouvelles Comme vous le
voyez, nous avons toute chance de faire banqueroute si saint
Joseph, cette fois-ci encore, ne vient à notre aide d'une
manière toute particulière. Cette question est très-sérieuse
pour notre nouvelle mission de Mhonda, que vous voudrez
bien recommander, non-seulemeut aux prières, mais encore à
la charité de vos pieux associés de l'Archiconfrérie de saint-
Joseph. Le bien à faire dans l'Oussigoua est immence. Son-
gez donc qu'il y a pas de polygamie dans le pays, excepté
•chez les chefs. De plus, il y a une sévérité de punition pour
les fautes contre les mœurs, qu'on est stupéfait de recontrer
chez des sauvages. On y est bien plus sévère que dans les
pays civilisés. Les Yasigouas, en outre, aiment les blancs
autant qu'ils détestent les Arabes.
Le peuple est amical, Dienveillant et très-accessible aux
vérités de l'Evangile. Le pays est salubre et d'une fertilité
prodigieuse.
Plusieurs chefs invitent le P. Machon à commencer des
^missions dans leurs pays. Mais aujourd'hui il faut patienter,
car les dépenses de transport sont énormes. Ainsi, Te port
'd'une «caisse de douze bouteilles de vin de messe nous coûte
— 236 —
près de treute francs, et ainsi du reste, dont vous x>ouvez
déjà juger. Il faut dop« le misérable argent, le nerf de la
guerre et de bien d'autres dioses encore.
La belle Archiconfrérie de Saint-Joseph, à qui j'ai été heu-
reux de parler de notre chère mission lorsque je suis allé au
sanctuaire de Beauvais, la prendra sous sa puissante protec-
tion. Recommandez-nous donc aux prières et à la charité
de vos pieux associés. Bénis soient à jamais de saint Joseph
les cœurs généreux à qui ce bon Père de nptre mission, ias-
pirera de nous venir en aide dans l'œuvre de la rédemption
des pauvres noirs.— P. Horner, de la Congrégation du Saint-
Esprit et du Saint-Cœur de MariCj Yice-Préfet apostolique du
Zanguebar.
LA GASPÉSIE
DE 1800 A 1867.
Avec le 19e siècle commence en Canada Tépiscopat si glo-
rieux de Mgr. Plessis, qui, étant Goadjuteur de TEvêque de
Québec, avait déjà témoigné beaucoup d'intérêt à la Gaspésie
et à ses missionnaires. Il prit en 1806 les rênes du gouverne-
ment ecclésiastique d'une main ferme et assurée, et en
homme accoutumé depuis longtemps à ejcercer Tautorité : il
avait 43 ans.
Malgré sa vigueur, le nouvel Evéque était effrayé de la
tâche qui lui était imposée : '^ Examinez la carte, écrivait-t-il
en 1806, à son agent de Londres, et vous concevrez difficile-
;xient qu'il soit possible à un seul Evêqqe d'étendre sa solli-
citude avec quelques succès depuis le Lac Supérieur jusqu'au
dehors du golfe St. Laurent. Cet espace renferme 200,00&
catholiques, et néanmoins il n'y a que 180 prêti^es pour
répondre à tous ces besoins."
Aussi le digne Evêque ne put-il visiter la Gaspésie qu'en
1811 pour la première fois ; l'année suivante, il continua sa
visite, parcourut les villages açadiens et les établissements
écossais de l'Ile St Jean ; et, malgré les hostilités de la répu-
]blique américaine contre la grande Bretagne et le danger
qu'il courait de la part des croiseurs ennemis, il n'interrom-
pit pas son voyage, visita une partie du Cap Breton, de la
Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick et revint au Ca-
nada p^r l'intérieur des terres. Cette voie qui n'était alors
praticable que pour des sauvages, Texposa à de très-grandes
fatigues.
La conclusion de la paix permit au prélat de reprendre la
visite des missions renfermés dans les provinces du goKe St.
Laurent En 1815, il parcourut le littoral du Cap Breton : sur
la côte de la Nouvelle-Ecosse, il s'arrêta à plusieurs villages
qu'avaient établis depuis peu d'années des Açadiens revenus
de l'exil pour habiter un coin de leur ancienne patrie.
— 238 —
Après avoir parcouru les missions les plus importantes de
l'Ancienne Âcadie, et remonté la rivière St. Jeau jusqu'au
willage sauvage de Ste. Anne, il revint au Canada, en passant
-par Boston, New-York et Albany.
M. Ferland (1) rapporte que '' la matière du récit de ce
grand Evêque paraissait inépuisable," et mentionne particu-
lièrement '' ses voyages dans le Canada et les provinces voi-
'«ines comme un champ étendu qu'il savait dérouler devant
ses auditeurs, de manière à les instruire et à les intéresser.''
Il fascinait tout le monde et s'attirait surtout l'affection de
ses missionnaires. ^^Si j'avais offensé cet homme-là, disait
mn jour M. Painchaud, missionnaire dans la Baie des Cha-
leurs et plus tard fondateur du Collège de Ste. Anne, je con-
sentirais à me traîner sur les genoux, depuis mon presbytère
jusqu'à Québec, pour lui demander pardon de ma faute." En
rapportant cette parole si expressive, M. Ferland remarque
que M. Chs. Frs. Painchaud était un des hommes les plus
aimables et les plus brillants du clergé canadien. Par ses
missions il connut les besoins du Canada. ^' U savait com-
bien il est douleureux pour les fidèles d'être privé du ministre
du Seigneur; c'est ce qui le porta à répondre avec tant de
zèle à l'appel de son Evêque, qui le destina d'abord à la Gas-
pésie. ^' Il comprenait, comme l'a dit un homme distingué (2),
ce qu'est le prêtre dans la société, et en sa qualité d'apd
tre de l'Evangile, avec quel bonheur il devait entrevoir
comme conséquence de ses efforts, (en formant un Collège)
que des jeunes gens consentiraient à abandonner les joies
domestiques, toutes les jouissances, tous les biens que les
hommes recherchent si avidement pour se livrer à des
travaux obscurs, à des devoirs pénibles, pour devenir
des providences vivantes de tous les malheureux, les conso-
lateurs des affligés, les défenseurs de quiconque est privé de
défense, les réparateurs de tous les désordres et de tous les
maux qu'engendrent les passions et les funestes doctrines."
En attendant qu'il s'occupât de l'œuvre de toute sa vie, M.
Painchaud préluda par le ministère ardu des missions;
(1) F^yer Canadien, Notice biographique sur Mgr. J. O. Pleano.
(2) H. Chs. Bacon, maintenant Préfet des Etudes an Coll^ S. A.
— 239 —
malgré de8 difficultés de tous genres, son ardeur ne se raleo^
lit pas un instanL
On aime à l'entendre s'entretenir de ses sauvages de Risti-
gouche avec M. de Chateaubriand. ^^ Comme je vous aime,
lui écrivait-il, errant parmi nos sauvages, chez qui j'ai erré
aussi pendant huit ans en qualité de simple missionnaire 1
vous avez ^u occasion de vanter leur hospitalité avec raison ;.
mais si, qnod non accidat^ un nouvel orage vous éloignait
encore des rives du vieux monde, vous trouveriez sur celle
du nouveau, non plus des sauvages seulement, mais un<
peuple d'amis et d'admirateurs qui briguerait l'honneur de
vous 7 offrir ce qu'ils ont, un feu clair, des eaux limpides,
une peau de castor et un ciel bleu."
Lisons maintenant la réponse du célèbre écrivain français :-
'^ Je suis infiniment plus touché des éloges d'un pauvre curé
du Canada que je ne le serais des applaudissements d'un
prince de l'Eglise. Je vous félicite, monsieur, de vivre au
milieu des bois : la prière qui monte du désert est plus puis-
sante que celle qui s'élève du milieu des hommes ; toute pour
le ciel, elle n'est inspirée ni par les intérêts, ni par les cha«
grins de la terre ; elle tire sa force de sa pureté. Désormais,
monsieur, les tempêtes politiques ne mejeteraientsur aucun
rivage : je ne chercherais pas à leur dérober quelques vieux
jours qui ne vaudraient pas le soin que je prendrais de les
mettre à l'abri ; à mon âge, il faut mourir pour le tombeau
le plus voisin, afin de s'épargner la lassitude d'un long
voyage. J'aurais pourtant bien du plaisir à visiter les forêts
que i'ai parcourues dans ma jeunesse, et à recevoir votre hos-
pitalité."
Le nom de M. Painchaud reviendra lorsqu'il sera question
des missions dont il fut chargé.
Mais il faut auparavant mentionner deux prélats chers aux
populations de la Gaspésie, les Archevêques Turgeon et
Baillapgeon, qui les visitèrent successivement et à plusieurs
reprises : le premier en 1836 et 1841, et le second en 1852.
Lorsque Mgr. Baillargeon, alors Evêque de Tloa, donna la
confirmation dans la Gaspésie, en 1852, il n'y avait que six
prêtres pour desservir cet immense territoire. Dans les
notes qu'il prenait pour son propre usage, il exprime en quel-
— 240 —
ques mots de temps en temps son désir de subdiviser les mis-
sions, et de mettre ainsi les secours spirituels plus à la portée
-des fidèles : il s'appliqua à augmenter le nombre des prêtres
de manière qu'il y en avait quatorze dans le district de Gas-
:pé, lors que le diocèse de Rimouski fut érigé en 1867.
Dans la même pensée, dit M. Cyr. Légaré (1), il encouragea
les débuts du Collège de Rimouski." Si nous voulons con-
naître le zèle avec lequel le prélat faisait la visite des mis-
sions, nous n'avons qu'à écouter le récit de Mgr. B. Paquet (2).
^^ Ce fut surtout dans la visite si pénible des paroisses, qu'il
rendit service à l'Archevêque : on sait combien laborieuses,
fatiguantes et souvent périlleuses étaient à cette époque les
visites lointaines de la Gaspésie, de la Baie des Chaleurs et
du Labrador. Quel travail il s'imposait pendant ces visites.
Il faut l'avoir vu à l'œuvre pour pouvoir se former une idée
des fatigues auxquelles il se condamnait : les journées en-
tières étaient employées à prêcher, catéchiser, confesser, con-
firmer, à consoler, encourager, relever les âmes abattues.
Où il était admirable surtout, c'était en instruisant les petits
enfants. Quelle suave simplicité ! Gomme il savait se mettre
à la portée de leur jeune et faible intelligence ! "
Mgr Baillargeon a quelquefois rendu compte, dans des
lettres, des sentiments qu'il éprouvait en parcourant les mis-
sions : écrivant un jour à un prêtre avec lequel il était fami-
lier, il lui disait : " Je trouve ici un curé qui n'est pas si
grandement logé que des princes, mais qui est plus heureux
qu'eux tous. Le long de ma route j'ai vu des habitations, qui
ne valent pas les palais de Rome, mais je suis bien sûr qu'il
7 a plus de bonheur à l'abri de ces chaumières que sous les
lambris dorés ; et cette pensée me réjouit le cœur et me fait
aimer mon pays. Nos bons habitants de campagne ont la
crainte et l'amour de Dieu : c'est le principe du seul vrai et
du seul solide bonheur. Quand avec cela ils ont leur pain
quotidien, ils sont contents et heureux. Et Dieu donne ce
pain quotidien à ceux qui le lui demandent et qui le servent."
Sentant que certaines parties du diocèse avaient besoin
'■■' .-- --., —
a) Eloge de Mgr. BaUlargeon, prononcé le 30 juin 1871.
(2) Mgr. BaUlargeon, m vie, son oraison fanèbre, 1870.
— 24t —
*d'être confiées à des Vicaires-Généraux qui y résideraient,
IMgr. Baillargeon s'occupa d'abord de la Gaspésie.
En 1863, M. Alain, curé de Bonaventure, étant mort, Mgr
l'administrateur crut avantageux pour le bien de la religion
de lui donner pour successeur M. Alexis Mailloux, Tun de
ses vicaires-généraux. Il en informa le clergé de la Baie-dea-
Chaleurs par une circulaire du 19 août: les termes de cette
lettre font connaître les intentions du digne prélat :
*' J'ai le plaisir de vous informer, leur écrivait-il, que M.
le grand-vieaire Mailloux a bien voulu accepter la mission
que je lui ai offerte d'aller remplacer, à Bonaventure le
regretté M. Alain. Vous serez heureux d'avoir auprès de
vous ce prêtre vénérable qui possède à juste titre notre con-
fiance et qui est avantageusement connu des Qdèles du dis-
trict de Gaspé que son zèle a si souvent édifiés.
" J'avais depuis longtemps à cœur de placer dans la Bâie-
•des-Chaleurs un grand-vicaire qui partageât la soUicitude'du
premier pasteur et à qui vous puissiez recourir avec plus de
facilité dans les difiicultés qui se rencontrent parfois dans
l'exercice du ministère curial. Maintenant mes vœux sont
réalisés, et vous pourrez vous adresser désormais avec con-
fiance à mon digne représentant dans la plupart des cas, où,
auparavant, le recours à Québec vous était indispensable."
Au bout de deux ans, M. Mailloux quitta Bonaventure, et
l'évoque de Tloa adressa une nouvelle lettre aux curés de la
Gaspésie pour les informer qu'il remplaçait son grand-vicaire
par un vicaire forain qui résiderait à Garleton. Le prélat
avait fait choix de M. Nicolas Audet pour le revêtir de cette
<;harge. '^En donnant à M. Audet, disait^l, cette charge de
confiance, je ne fais qu'aller au devant des désirs d^ ses confrè-
res de cette partie du diocèse, qui ont su apprécier ses éminen-
tes qualités, et surtout le zèle et la prudence avec lesquels'il
s'est acquitté des-devoirs dé son ministère de pasteur:" (1)
Jusqu'à ce que la Gaspésie fut confiée à un vicaire-général,
le nombre des prêtres résidents ne suffisait pas pour la des-
serte, mais on y suppléait aussi bien qu'on le pouvait.
(1) M. Nicolas Audet f nt nommé Tieaire^général Ion de l'éreotion du
• diocèse de St. Germain, et mourut dans cette charge en 1370 ; i^ étai^ à
»€arleton depuis seize ans et n'avait que quarante-six anâ d*ilge.
— 242 —
En arrivant, M. le grand-vicaire Mailloux fut prié par le^
missionnaires de donner des retraites : il rendait compte da
résultat dans une lettre du 3 février 1864 :
" Mon cher Seigneur, écrivait-il à Tévèque de Tloa, je suis
arrivé la semaine dernière de la tournée dans le bas de la
Baie. Je me suis rendu jusqu'à la Malbaie. La tempérance
s'est bien relevée partout. Je vous préviens que j'ai con-
damné l'étalage du luxe et de la vanité dans les habits à
l'église surtout et dans la réception des sacrements. U me
semble que, prenant cette détermination, j'ai travaillé à eni-
pécher nos églises d'être des salles d'exhibition, un théâtre
où l'on venait se mettre en &pectacle. J'ai pris le devant
lorsqu'il me paraît qu'il est encore temps d'empêcher dans
ce district le luxe de ruiner et de démoraliser la population.
La ruine d'autres parties doit nous instruire : le concile pro-
vincial m'avait d'ailleurs suggéré ce que j'ai entrepris.'*
Le digne grand-vicaire faisait allusion au passage suivant
de la Lettre pastorale des Pères du troisième concile de
Québec : (1)
^^ Le second désordre que vous avez, à combattre, c'est le
luxe, dont les ravages sont visibles et dont les maux sont
incalculables. En effet, si on le suit à la piste, il est facile
de se convaincre que le luxe est produit et entretenu par
l'orgueil, le premier comme le plus grand des péchés ; qu'il
entraîne dans des dépenses excessives, et, par conséquent,
ruineuses; qu'il introduit, chaque jour, des modes dispen-
dieuses et souvent contraires à la décenéé ; qu'il cause des
injustices révoltantes^ en portant ses partisans à contracter
des dettes que leurs faibles ressources ne leur permettent
jamais de payer ; qu'il précipite dans la débauche beaueoup
de jeunes personnes prêtes à mépriser les devoirs les plus
sacrés, pour satisfaire leur goût de la toilette ; enfin qu'il
dessèche le cœur, et fait perdre cet esprit de foi et de piété^
sans lequel il ne saurait y avoir de vertu véritable.
'' Ces considérations, et beaucoup d'autres qu'il serait trop
long de détailler, ne peuvent manquer de vous inspirer une
grande horreur pour le luxe. Vous retrancherez donc de
- ' ' j'
(1) dl mai IdSa.
— 243 —
ATOs ameublements toute vanité et tout superflu ; vous élève-
rez vos enfants dans cette simplicité extérieure, gui est tou-
jours Timage et l'expression naturelle de l'innocence du
cœur ; et si, comme il est à désirer, vous confiez vos filles
aux soins de nos bonnes religieuses dévouées à l'instruction
de la jeunesse, vous seconderez de tout votre pouvoir la solli-
citude qu'elles mettent à leur inspirer l'amour de la modestie
chrétienne, l'éloignement des vanités du siècle, le goût du
travail et l'esprit d'économie."
Pour répondre à ce dernier vœu du concile, M. Nicolas
Audet, aidé de la généreuse donation de M. John Meagher,
paroissien et riche marchand de Carleton, bâtit un couvent
dans sa paroisse et le confia à des sœui*s de charité. Le comté
de Bonaventure fut ainsi doté d'une maison d'éducation, où
les familles peuvent placer les jeunes filles. Les eiccellentes
institutrices s'appliquent à inspirer à leurs élèves les goûts
de simplicité tant recommandés par les premiers pasteurs.
On conservera toujours dans cette maison le souvenir des deux
insignes bienfaiteurs à qui est due la construction du bel
édifice où sont logées les sœurs de la charité et leurs élèves.
Mais retournons en arrière pour rapporter les traits qui
peuvent faire connaître l'état de la religion dans l'étendue
de la péninsule gaspésienne.
Dans toutes les missions, pendant l'absence du prêtre, les
catholiques observaient fidèlement l'usage de se réunir le
dimanche à la chapelle pour faire leurs prières. On y chan-
tait certaines parties de la messe, ainsi que les psaumes des
vêpres. Un catéchiste était chargé de lire les prières à haute
voix et d'instruire les enfants. Ces fonctions étaient confiées
à un homme probe et assez instruit pour pouvoir, tant bien
que mal, lire les prières de la messe d'un bout à l'autre.
M. Ferland raconte (1) que dans la visite de la Baie-des-
Cbaleurs, Mgr l'évêque de Sidyme rencontra à la Grande*
Rivière un vieillard âgé de 82 ans qui avait rempli ces fonc-
tions pendant de longues années; et qui devenu aveugle
récitait encore de mémoire les prières qu'il avait si souvent
répétées.
(1) Journal d'an yoyt^e sor les côtes de \m Gaspésie.
— 244 —
Encore en 1836, il n'y avait de missionnaire qu'à Percé et"
Port Daniel.
La grande ambitix)n des habitants de la Baie était alors
d'avoir à Paspélpiac un prêtre résidant qui desservirait le
Port Daniel, tandis qu'un autre serait chargé de Bonaven-
ture et de Gascapédiac.
*' Après 45 ans écpulés, (1) là où ne se trouvaient que deux
missionnaires, non-seulement le territoire est divisé en douze
paroisses possédant chacune son église et son presbytère,,
mais chaque paroisse a son curé et i^nferme une population
sursaute pour requérir tous ses soins.
^' Oh 1 que la foi a jeté de profondes racines parmi cette
population 1... Qu'elle soit seulement reconnaissante des
bienfaits que lui a départis la Providence î et que ses rap-
ports avec ceux qui ne professent pas la vraie foi ne soient
pas pour elle des occasions de défaillance ou d'indifférence
coupable I Puisse-t-elle toujpurs fermer les oreilles à ceux qui
voudraient lui inspirer de la défiance ou moins de docilité
envers ^s pasteurs !*
" En parcourant la Gaspésje, le voyageur est consolé par
l9^ vue de nombreuses croix entretenues avec décence et res-
pect le long des grandes routes.
^^ La religion a planté ce signe sacré aux lieux qu'elle veut
partiqulièrement honorer, et elle l'a, placé sur la voie de
rhomme partout où il a besoin de force et de consolation.
. " La crojx veille sur le champ de la mort, afin que le chré-
tieuy conduit par la douleur auprès de la tombe de ceux qui
luiXurçnt chers, y prouve un gage d'union entre les vivante
et les morts. Avec reconnaissance le nautonier salue la croix
du rivage, qui lui désigne l'écueil à éviter et l'avertit de
prier pour l'âme du pauvre nai^ifragé., Succombant sous la
fatigue et brûlé par l'ardeur du soleil, le pè)eria,qai a suivi
le chemin poudreux de la vallée, s'arrête pour se reposer près
de la croix, au pi^d de laquelle murmure un ruisseau et
qu'ombragent les longs rameaux de l'érable et d^ l'orme. La
croix marque l'endroit où furent déposés les restes de Tin-
connu qui mourut au coin du bois, sans qu'une voix amie
(1) M. Ferland éczi\;ait en 186L Soirées oanadienne9%^
— 245 —
lui adressât nn mot de consolation ; rudement taillée elle*
apparait au détour du tortueux sentier qui circule dans-
répaisseur de la forêt, et elle étend ses bras sur Taventureux
pionnier pour lui rappeler que, même dans ces solitudes^
profondes, il est toujours sous la sauvegarde de Dieu»"
Après cet aperçu, général, on comprendra mieux les détails-
qui vont suivre.
PERCE.
En 1801 Ton trouve M. Alexis Lefrançois (1) dans la mis-
sion de Percé ! c'est là qu'il apprenait l'anglais : *' Percé m'a
été d'un grand secours pour l'anglais, écrivait-il à l'évêque
de Canathe. De la timidité, je suis passé à l'effronterie et à
l'efTronterie la plus marquée, jusqu'à prêcher mes Irlandais
et, qui pis est, presque toujours le cahier à la main."
Il revenait sur le môme sujet en 1802 :
"Quant à l'anglais, je n'y ai pas fait de grands progrès;
j'en suis affligé. Je n'ai trouvé aucun secours à Bonaventure,^
les livres même que j'avais apportés ne m'ont point été d'une
grande utilité. Je travaille toujours un peu. Les Anglais de
Percé et des autres endroits n'auront point de prédication de
ma part : je le crains. Si Sa Grandeur descend comme on
nous le fait espérer, ce sera pour moi un grand plaisir ; elle
leur procurera bien des secours et, ce qui me console dans
mon impuissance, ceux que je ne serais pas capable de leur
donner."
M. Lefrançois se calomniait, il avait réellement acquis une
connaissance suffisante de l'anglais pour être très-utile à
ceux dont il était chargé.
En 1804, M. Lefrançois fut transféré à la cure de l'Ile aux
Coudres, mais il desservait de là la mission de Percé, le tra-
jet pouvant se faire en trois jours. A la mission de Percé
étaient alors attachés, le Cap Rosier, l'Anse au Griffon, la
(1) A i>art ces missions. M. Alexis Lefrançois exerça le ministère pen*
dant de longues années dans les paroisses de l'Ile ans Coudres et de St.
Augustin. Après 88 ans de trayail dans cette dernière paroisse, le véné^
rabie vieillard se retira à THûtel-Dieu de Québec, où il mourut, en 1896,
à rage de d9 ans. En voyant sa figure austère, on sentait que Ton était^
en présence d'un saint.
— 246 —
îlivière au Renard et les postes plus considérables y compris
la Grande Rivière. *' C'est un grand malheur, disait M-
"Lefrançois, qu'il n'y ait qu'un prêtre pour toute la côte nord
de la Baie des Chaleurs." C'est ce qui détermina l'Evoque
de Québec à y envoyer en 1807 le Père Fitzimmons, (1) recol-
le t irlandais qui avait passé quelques années dans l'Ile du
Prince-Edouard et dans le Haut-Canada. En 1808, M. Chs.
Frs. Painchaud lui fut adjoint : le 12 octobre il écrivait à
i'Evôque de Québec : " Le Rév. Père Fitzsimmons étant
.arrivé ici samedi dernier, et la mission n'étant point finie
oious avons partagé la besogne. Il doit achever à Percé et
Si la Pointe SainUPierre, peut-être à Douglastown; et moi,
les quatre postes en remontant pour aller droit de Percé à
Bonaventure sans arrêter. Votre Grandeur doit savoir
qu'elle peut compter sur ma bonne volonté pour tout ce
.qu'elle veut et'désire de moi."
M. Kelly (2) était alors missionnaire de Madawaska, et M.
Painchaud l'alla visiter.
M. François Demers (3) remplaça M. Painchaud en 1814,
M. Flavien Leclerc en 1819 (4).
M, Clément Aubry (5) en 1821. M. Thos. Caron en 1823 (6).
Dans une lettre du 13 août 1824, M. Caron informait &^r
Plessis que les gens de la Petite-Rivière demandaient la
permission de construire une petite cnapelle pour y faire la
prière en commun les dimanches et les fêtes ; et il ajoutait :
(1) Le Père Fitzimmonfl repassa en Irlande en ISli.
(3) M. J. B. Kelly ne fat qa'nn an à Bfadawaska, et fut chargé saooes-
fiiyement des paroisses de St. Denis et de Sorel. I/Ev^ôque de Québec le
nomma Vicaire-Général en 1896. H fat tiente-six ans oaré de Socel. et
monrut à Montréal en 1854^
(8) M. F. X. Demers, en revenant de la Baie des Ohalenn, fat chargé
4e paroisses importantes : St. Luc, St. GréoDire, Boaoherville, St. Èiaae
et St. Denis. Il était Vicaire-Général de FËyègne de Montréal, qouid il
moarat, en 186S.
(4) M. Flavien Leclerc, après avoir passé un an seulement dans les
missions, fat placé à St. André de Kamoaraska ; il y resta jusqu'à sa mcôrt»
. arrivée en 1887.
(5) Il n'y a que six ans que M. Clément Aubry est mort. C'est à la
&Lvière-des-Frairies qn'U rut plus longtemps caré. Il aimait Fétade et
l'enseimement ; à deux reprises il fut professeur à St. ^yacintile et à
^te. Tnérèse.
<6) M. Chs. Thos. Caion dirioea successivement les paroiaseg du Sti
^Esprit, de St. Vincent-de-Paul, de St. Martin et de Chftteaaguay.
— .247 —
De retour d'un voyage à Québec, M. Garon écrivait de Percée
le 4 novembre 1824, à Mgr Plessis :
^^ Les cinq familles d'un petit endroit nommé Caboso^ dépen-
dant et éloigné de la Grande Grave de deux lieues, demandent
la même permission. "
^^ En profitant de l'occasion de donner à Votre Grandeur
quelque nouvelle, j'ai le plaisir de l'informer que, grâces à
la Providence, nous avons eu un asse^ heureux passage, qui
n'a duré que cinq jours pleins. Je m'étais embarqué le 9'
octobre au soir à Québec, et j'ai pu dire ma première messe
à Percé le 15. Le vent de nord-ouest nous prit fortement à
le Pointe St. Pierre, et nous parcourûmes en moins de rien
la distance qu'il y a de cet endroit à Percé. Il était temps
de mettre pied à terre ; car les voiles déchiraient quoiqu'elles^
fussent presque neuves. C'était un véritable ouragan : j'eus
alors pour la première fois l'occasion d'admirer la puissance
de Dieu dans les Ilots et les élévations de la mer. Réfugiés
à l'Anse à Beauâls, nous débarquâmes le lendemain matin.
^' L'ancienne chapelle est trop petite et menace de nous
tomber sur le dos. Les travaux de la nouvelle chapelle, de
la sacristie et du presbytère sont suspendus jusqu'au prin-
temps. Le carré est levé, et le tiers du lambris est posé ; l'en-
trepreneur doit livrer les édifices le 15 août. J'espère pouvoir
gagner, en faisant la quête cet hiver, que chaque propriétaire
fournisse sa part de bardeaux et de clous. Il faut environ
sept cents planches pour le second lambris, et huit châssis
pour clore les ouvertures."
•
Autres lettres de M. Caron.
" Percé, 19 mai, 1825.
''Je suis arrivé de Paspébiac le 16 du présent mois pour
y voir mon nouveau voisin que je n'avais pas encore ren-
contré ; il y avait cinq mois et demi que je n'avais pas vu de
prêtre. Ah I qu'il est dur de demeurer si longtemps seul et si
isolé ! Je ne finirais pas de me plaindre sur le malheur et la^
dureté de ma solitude, si je ne craignais de fatiguer et de
lasser Votre Grandeur par mes lamentations. Mais je mec
— 248 —
«ens soulagé quand je me suis entretenu avec Celui qui &
toute autorité en mains, et de qui seul je puis et dois atten-
dre quelque adoucissement à la rigueur de ma solitude.
Vous savez, aussi bien que moi, combien il est dur à on
pauvre prêtre de rester seul ici, pour essayera établir le règne
de Dieu dans un endroit où Tennemi des âmes voudrait
régner, pour entreprendre la réformation des mœurs, poar
résister et s'opposer au torrent. Comment, mon Dieu, un
prêtre seul, et surtout moi, dépourvu de tout, talent^ vertu
jumière, expérience, peut-il espérer remporter la victoire ? "
" Percé, 28 décembre f 824.
"J'ai de la joie à annoncer à Votre Grandeur qu'en vertu
<de mes pouvoirs extraordinaires, j'ai eu la grande consolation
•de recevoir huit abjurations depuis mai dernier. Puissè-je
encore avoir la même consolation pour le plus grand bonheur
de ceux qui embrassent la vérité ! Parmi ces nouveaux con-
vertis, il y a cinq hommes et trois filles. H semble que Dieu
veut ainsi compenser les peines et les contradictions que ren-
-contre son indigne serviteur, en voulant se servir de lui
comme d'un instrument pour une œuvre aussi grande qu'est
celle de confondre l'hérésie et de rompre les liens qui atta-
chent de pauvres chrétiens à l'erreur."
"Percé, 6 août 1825.
" La permission de bâtir une petite chapelle que Votre
-Orandeur avait accordée aux gens d'un petit endroit appelé
Cabozo n'étant pas mise à profit, parcequ'il ne s'y trouve pas
-assez de monde, j'espère que vous verrez d'un bon œil que
je transfère cette permission aux catholiques des environs da
Bassin de Gaspé qui sont au nombre d'une vingtaine ta
moins et qui ne pourront qu'augmenter bien vite. Plusieurs
raisons doivent engager à laisser ériger une chapelle en cet
endroit ; la première, c'est que les pauvres gens paraissent bien
le désirer et sont décidés à le faire au plus tôt ; — la seconde.
c'est que ces gens, qui ont trois lieues à se rendre à Douglas-
.lown, ne savent pas toujours quand le missionnaire s'y trouve,
— 249 —
ou, s'ils rapprennent, il est trop tard ou il leur est impossible*
de faire la traverse ; — la troisième pourrait être celle de ne^
pas laisser lieu à Terreur de se glorifier d'être seule en cet
endroit et d'y triompher."
" Percé, 16 septembre 1825.
^^ Je suis arrivé avant-hier de visiter tous mes postes du
côté de la Rivière-aux-Renards : j'ai été cinq semaines dans^
cette excursion. Je dois repartir la semaine prochaine pour
Paspébiac, où je rencontrerai mon voisin que je n'ai pas vu
depuis le 4 de mai.
'' J'ai été bien affligé d'apprendre par mon serviteur que
Votre Grandeur était retenue à l'hôpital par une augmenta-
tion de son infirmité ordinaire. Plaise au Seigneur, le sou-
verain médecin de tous les infirmes, que ce mal ne soit que
passager et que Votre Grandeur jouisse bientôt d'une santé
plus parfaite. Ce sont là les vœux très ardents du chétif
naissionnaire de Percé, qui a l'honneur, etc.
" (Signé,) G. Th. Caron, Ptre."
M. F. A. Boisvert (l) remplaça M. Caron en 1826, et alla
résider à Bonaventure en 1827. L'année suivante de nou-
veaux missionnaires furent placés dans tous les postes. M.
J. B. McMahon à Percé (2) ; M. Gagnon à Carie ton (3) ; M*
Célestin Gauvreau à Memramcouq (4) ; M. Malo à Ristigou-
che (5) et M. Naud à Nipissiguit (6).
0) M. Boisvert est mort à Rorton en 1864. H avait été ouré à St. Oé^
saire, St. FLe.et à la RivÂère-des-JPiairiee.
(2) M. J. B. MoMahoD était chaplain de Féglise St. Jacanes de Montréal
Suand il fat nommé missionnaire de Perce. H passa ensuite six ans à*
herbrooke, et se rendit abx KtatsrUnis.
. (S) M. Jean Yn. Gagnon est mort, à S3 ans, en 1875 ; St. Pierre-les^
Becqnets, St. Jean Beschaillons, LaV altrie et Berthier forent les paroisse»
dont il eut la direction.
(4) M. Célestin Qaavrean fat quatre ans à Memramoouq; trois ans à St.
Laurent; sept ans professeur de théoloc(ie au Grand Séminaire de Québec.
Les dix-neuf dernières années de sa vie se passèrent au CoUége de Ste.
Anne : il était Vicaire-Général de l'Archevêque de Québec.
(5) M. Malo est encore vivant et curé de Bécancou^b depuis 1850.
(6) M. Naud est retiré du ministère depuis vinfft ans et demeure dan»
la paroisse de St. Laurent, Ile d'Orléans, dont il fut curé pendant vingts
six ans.
— 250 —
^^ M. Gauvreau passa quatre années à Memramkoac et il j
'Connut toutes les fatigues, les peines et les privations. Il
aimait à raconter les incidents curieux qui marquèrent les
«deux voyages qu'il ût à Québec pendant sa vie de mission-
naire. On sait combien difficiles étaient les communications,
alors qu'on ne connaissait ni voie ferrée, ni macadam, mais
seulement le canot pour les lacs et les rivières, puis le véhi-
cule le plus élémentaire pour franchir les portages. Il n'ou-
bliait qu'une seule chose dans ces récits : les fatigues qu'il
avait dû éprouver (1). Il a été partout le même, toujours un
«aint. D'abord dans les missions lointaines et difficiles aux-
rquelles il consacra les premières années de son ministère :
^ensuite pendant les années où il remplit l'office de curé, puii
enfin dans les diverses situations qu'il a occupées et où il a
laissé les souvenirs les plus précieux et les plus vivaces dans
îous les cœurs (2) '\
M. McMahon écrivît à Mgr Panet le 8 mai 1839 :
'^ Je suis tout glorieux de vous annonce.r la conversion du
«principal protestant de Percé. J'étais allé à Garletoa (dis-
"tance d'au moins trente-six lieues) pour aider mes confrères
4ans la neuveine de St. François-Xavier. J'y ai trouvé un
^rand nombre de personnes parlant l'anglais et cpii se sont
adressées à moi pour la confession. Ils n'avaient pas satisfait
il ce devoir depuis le départ du Père Fitzsimmons, et étaient
îrès contents de me rencontrer.
" A mon retour à Percé, je me suis hâté d'aller voir mon
nouveau catholique, M. Fox, vieillard de quatre-vingt-six
ans ; il était bien faible. Les protestants n'avaient cessé de
dire pendant mon absence : ^^ M. Fox n'est pas encore catho-
lique, il ne le gagnera pas." Mais grâce à Dieu il était bien
ferme, et se préparait à la mort Je l'ai enterré depuis et je
vous assure que nos pauvres frères séparés sont bien morti-
fiés. Cela fait la sixième abjuration que je reçois depuis
mon arrivée.
^^ Les protestants redoublent d'eiïbrts, faisant circuler une
version calviniste de la Bible parmi les catholiques. Le
(1) Notice biographlqaef 1365.
.{2).Orai9on f anèbre par M. André Pelletier.
— 251 —
ministre voudrait leur persuader que cette Bible ne renferma
aucune différence d'avec celle de TEglise catholique. Il a
marié deux catholiques ensemble ; mais je les ai séparé»
publiquement et mariés plus tard dans un temps convenable.
Grâce à Dieu, je reçois des convertis presque toutes le»
semaines. — J'envoie à M. Portier la liste d'une foule de-
choses qui manquent à l'église : j'espère qu'il aura la bonté-
de remettre cette liste à M. Desjardins ou à quelqu'autre-
charitable pourvoyeur. "
Autre lettre de M. McMahon :
" Percé, 26 février 1830.
*' J'ai informé Votre Grandeur que les protestants avaient
fait beaucoup de bruit à l'occasion de la défense signifiée à
mes fidèles de lire la Bible protestante. Cette effervescence
se calme ; mais le ministre ne cesse ses efforts f our pervertir
nos catholiques.
" Voici l'état des constructions : à Percé on travaille à la
voûte ; à l'Anse au Griffon on a bâti la chapelle ; une autre
est commencée à la Malbaie, et celle de la Grande-Rivière
s'achève.
'' La population totale de mes missions est actuellement
de 2,460 de la Rivière-aux-Renards à la Pointe au Maquereau,
mais elle varie beaucoup. Il est arrivé cette année environ
cinquante Irlandais, qui ne parlent que le Gallic et se sont
fixés à Percé. Il arrive assez souvent que des protestants
assistent aux ofBces dans mon église.
^' Deux orphelins sauvés d'un naufrage au Cap Rosier ont
été vendus par ceux qui les ont recueillis. Comme l'un d'eux
était maltraité, je l'ai réclamé et la Cour me l'a fait livrer.
^' Notre population est bien pauvre ; et cet état est dû au
monopole exercé par quelques marchands.
" J. B. McMahon, Ptre Mis."
/
— 252 —
Extrait de lettres de M, Ant, Campeau (1).
'M 6 janvier 1843.
'' Le 8, dimanche dans rOctave, j'ai reçu à Percé après la
grand 'messe et publiquement, Tabjuration d'un Guernesiais
nommé Samuel Hopin, dont je considère le retour comme
une récompense des sacrifices qu'il a faits. "
"16 juillet 1844.
"J'ai vu, Monseigneur, avec un vif plaisir V Unicom dé-
barquer à Percé même, la veille de TAscension, le respec-
table juge Kiset et son intéressante famille, ainsi qu'un ami
ei confrère, M. Bardy (2). L'endroit a besoin de recevoir de
temps en temps de semblables habitants, qui y répandront
plus abondamment des notions solides de religion, de civili-
sation et de bonne justice.
" La mission a perdu, le 25 juin dernier, une de ses bonnes
âmes, Madame Winter, qui, par sa piété et sa vie exemplaire,
faisait l'édification de tout le monde.
" Grâce aux legs Robiti, la chapelle de Percé se termine
rapidement ; le portail n'est paâ du tout désagréable ; il n'en
cède guère à nos jolies églises de campagnes en Canada. Les
£ens en sont tous surpris.
" Ant. Campeau, Ptre."
L'établissement de la société de tempérance fit époqtie à
Percé ; il eut lieu en 1842, et se propagea dans d'autres mis-
fiions. M. O'Gr^dy rendît compte à Mgr. Signay de la fête
organisée à cette occasion.
"Percé, 15 août 1842.
"Le dernier dimanche de juillet, dit-il, a été remarquable
à Percé, par la belle et grande procession de la société de
Tempérance. On avoit eu soin de l'annoncer à l'avance, et
(1) M. Ant. Campeau est ooré de Beaomont depuis 22 ans.
(2) M. Félix Séverin Bardy fut une des victimes du terrible fl^^au de
1847, le tynhus. Il contracta la maladie au lazaret de la Grone-He et
mourut à THôtel-Dleu de Québec, le 2 septembre ; U n'avait gue S3 ans.
— 253 —
les habitants des postes voisins affluèrent le jour de la solen-
nité. Pendant toute la semaine on avait fait les préparatifs.
Un monument magnifique fut improvisé sur le mont Joli par
les soins de MM. Moriarty, Mignault, Le Bouthilier, Winter
et d'autres. On l'avait orné de riches pavillons ; une batterie
y avait été établie et il était convenu que Ton tirerait du
bâtiment des MM. Robin un salut de 21 coups. Les plus zélés
-avaient offert un riche pain-bénit; le matin je distribuai 56
•cartes de tempérance à de nouveaux membres, et l'après-
midi fut réservée pour la manifestation extérieure. A deux
heures, la procession était organisée, après la bénédiction
d'une belle bannière destinée à ouvrir la marche, et ornée
d'inscriptions. La croix y brillait comme signe de victoire
sur un ennemi longtemps récalcitrant. Les jeunes gens sui-
vaient, portant de ceinturons et de jolis pavillons. Les femmes
et les hommes en deux bandes séparées marchaient à double
rang, tenant chacun des étendards de diverses formes. La
milice sous les armes et commandée par son Capitaine venait
ensuite. Le curé et ses assistants étaient entourés des person-
nages les plus marquants ; et la procession ainsi disposée
s'étendait à une distance de plus de dix arpeuts. Le nombre
des personnes présentes était de 1,000 au moins ; la milice
tirait des salves à intervalles réglés et les canons du mont
Joli alternaient avec le vaisseau en rade pour répandre.
C'était un spectacle vraiment imposant e* qui frappait les
protestants. Après la bénédiction du monument, plusieurs
orateurs adressèrent la parole aux membres de la société de
Tempérance, l'on revint à l'église dans le môme ordre, et
tout fut couronné par la bénédiction du Très Saint Sacre-
ment. Le règne de la boisson est donc fini : que le bon Dieu
en soit à jamais remercié !
''JohnO'Grady, Ptre."
Relation d'une fnission en 1844 :
^'Montés sur la barque de M. Flynn de Gaspê, dous avons
quitté Percé le 14 octobre en route pour la Rivière-aux-Re-
nards. Gomme le vent était très favorable, trois heures et
demie après, nous étions au Cap Rosier. Là il nous fallut
— 254 —
prendre un bateau-plat et deux rameui's qui nous condui-
sirent jusqu'à rAnse-au-6riffou. M. Malouin nous prit sur sa
berge, et à huit heures nous arrivions à la Rivière-aux-Re-
nards. La chapelle de ce poste est petite et il y manque bien
des choses : on y a levé une nouvelle chapelle ; mais une
tempête de vent l'a presque renversée pendant la mission.
En arrivant, nous avons appris avec bonheur qu'un brave
homme du nom de Sauveur faisait le catéchisme aux enfants
tous les dimanches. Chaque jour il y eut deux instructions
pour toute la population et le catéchisme ; le nombre de com-
munions fut de quarante. Un protestant du nom de Preston
fit son abjuration ; et je retirai douze livres hérétiques, bibles,
tractSy catéchismes protestants qui se trouvaient dans des
familles catholiques. Je dois dire que la plupart n^en con-
naissaient pas le contenu et ne les avaient pas lus. La popu-
lation de la Rivière-aux-Renards est de 35 famiUes et environ
210 âmes. Nous ûmes par terre les deux lieues qui nous sépa-
raient de TÂnse-au-GrifTon. La chapetle est propre et conve-
nable^ mais il y manque une cloche, et la sacristie est abso-
lument vide. M. Doucet leur a procuré des burettes, des
images et d'autres objets. Les habitants de ces deux postes
ont fait une souscription pour acheter des cloches. Le nombre
d'âmes à l'Anse au Goiffon est de 180: le nombre de mau-
vais livres que j'ai trouvés ici est de 42. Nous demeurâmes
trois jours et demi dans cette missioft : quatre enfants y furent
baptisés et le même nombre à la Rivière-aux-Renards.
*'^ £n trois heures nons âmes la distance qui nous séparait
du Cap Rosier, sur une barge montée de quatre rameursL
Les pécheurs étaient occupés à sauver la cargaison de Vin-
dian Chief^ vaisseau naufragé ; cependant il y eut beaucoup
de monde à la mission. La pauvre chapelle est dans un état
déplorable, point de lambris, de clocher ni de clôture. Je fus
chagrin de ne pouvoir baptiser les enfants d'une femme ca-
tholique, dont le mari protestant ne voulait pas les laisser
élever catholiquement. J'espère encore que la grâce de Dieu
et les prières .de la femme l'ajuëne^ont à donner son consen-
tement un peu plus tard. On me livra ici quatre livres héré-
tiques, qui ne feront jamais de mal à personne. Le poste sui-
vant est la Grande Grave, où la chapelle n'est pas prête pour
— 255 —
<ju*on y dise la messe. Nous préparâmes ce qu'il fallait dans
la maison d'une veuve. Tous les postes depuis la Rivière-
aux-Renards seraient visités plus fréquemment s'il y avait
un prêtre à Douglastown, comme le bien des âmes le de-
mande. Les protestants méthodistes de ce voisinage seraient
moins hardis s'ils se sentaient surveillés de près : j'ai détruit
ici 24 livres wesleyeus de toute espèce. Un sermon anglais
et un français ont attiré tout le monde : il y a une soixan-
taine de catholiques. Pas encore d'école catholique dans tous
ces endroits ; je désire beamcoup recevoir de Québec des
livres d'école des deux langues. Â Gaspé nous primes loge-
ment chez M. McKenna ; la chapelle est absolument nue ; il
n'y a pas mâme de gradins sur la table de l'autel : aucun
banc pour s'asseoir, ni clocher^ ni cloche. C'est triste, dans
un lieu surtout où le protestantisme domine. Les catholiques
ont bien fait ce qu'ils pouvaient : ils ont souscrit |8, pour les
choses les plus nécessaires. Le nombre de familles est de 25.
J'ai prêché deux fois par jour, et la plupart ont rempli leurs
devoirs religieux.
^^ Deux Sauvages nous conduisaient en canot à Douglas-
town le 2 novembre, et nous logeâmes chez M. Gaul. Nous
y demeurâmes six jours, préchant matin et soir; Sur soi-
xante familles il n'y en a qu'une de protestante. On vient
<le commencer la construction d'une école. L'église est assez
élégante, mais le clocher est mal fait. S'ils pouvaient avoir
un prêtre, ces bons Irlandais bâtiraient une église qui cor-
respondrait au presbytère. Après avoir confisqué une dou-
zaine et demie de livres protestants, nous nous mîmes en
route pour la Malbaie : nous apprîmes au même moment le
naufrage de la goélette Maria^ capitaine Audet, sur laquelle
se trouvaient les livres de M. Campeau, qui sont perdus. Il y
a environ 300 cathoUques à la Malbaie et une bonne cha-
pelle, qui n'est pas finie. La mission a bien réussi. Les
protestants sont assez nombreux, et j'ai fait disparaître quatre
livres de leurs sectes déposés chez les catholiques. Nous
fûmes de retour à Percé le 14 novembre. Au bout de quel-
ques jours nous nous rendîmes à New Port, éloigné de douze
lieues, et M, le curé reçut une abjuration. Du Petit Pabos
à la Petite-Rivière il y a au moins 600 âmes. Nous passâmes
— Mô-
les derniers jours du mois dans ce dernier lieu et reçûmes^
grâce à Dieu, quatre protestants dans le sein de TEglise.
" M, DowLiNG, Ptre."
Lettres de M. Doucet :
"Percé, 13 janvier 184d.
" Comme ma santé est bonne et que je puis facilement
marcher à la raquette, je me suis décidé à visiter tous mes
postes cet hiver. Je ne puis entendre les gens se plaindre
d'être abandonnés tous les hivers : je croirais ma conscience
engagée si je ne me rendais à leurs supplications.
" Il y a quinze jours, j*ai été appelé pour un malade à dix
lieues d*ici ; j'ai fait quatre autres lieues à la raquette pour
dire la messe à la chapelle la plus voisine."
«20- février 1845.
" Nous continuons à éprouver de la coasolation dans notre
ministère. Le nombre des associés de.laitempèrance aug-
mente; des ^otestantseuz-mômes viennent {«rendre Pengar
gement. Plusieurs méritent la grâce de leur conrersion :
M. Do^rlifig a reçu dernièrement trois abjurations : dimanche
dernier, j'ai admis une femme qui s'était instruite de la
religion ; et nous recevrons, probablement,, dimanche pro-
chain^ une autre abjuration.
"25 août 1845.
"J'arrive du Qoridorme, situé à cinquante lieues d'ici ;
c'est la première fois que je visite ce poste, où M. Campeau
s'était transporté l'année dernière. Il y a sept familles dans
ce lieu, et deux autres dans la Grande- Vallée. Celles-ci
prévenues de la mission s'y sont rendues avec empressement,
quoique la distance soit de quatre lieues. Je n'ai jamais va
des gens si contents : c'était la seconde fois seulement qu*ils
entendaient la messe depuis dix à douze ans. J'y suis resté
deux jours entiers ; j'ai prêché tout le temps. Tous se sont
confessés, douze .ont demandé le scapulaire, et j'ai fait pren>
^257 —
<lre rengagement de la tempérance. A mon départ ces bons
pêcheurs témoignaient leur joie par des centaines dé coups
<le fusil.
'^ En revenant j'ai fait une mission dans chaque poste. Au
€ap-Rosier, j'ai reçu deux protestants dans l'Eglise. Ils
étaient instruits et bien décidés à faire cette démarche
importante : ils venaient de Guernesey."
" 24 septembre 1845.
" Monseigneur,
Je suis bien content d'apprendre que M. Dowling est
chargé de Douglastown ; parce que la gloire de Dieu et de
la religion demandait que la mission fût partagée, mais je
regrette de rester seul à Percé. J'ai toujours aimé les mis-
sions, je voudrais bien sauver les autres ; ce que je redoute
c'est Téloignement des confrères. "
« 20 décembre 1845.
" MONSEIGEUR,
" A la Toussaint nous avons profité pour la première fois de
vos dons : j'ai fait servir le plus beau des quatre ornements
que vous nous avez envoyés. Sur l'autel il y avait une belle
garniture de chandeliers de bronze argentés que je venais'
de recevoir de M. Hamel. M. l'avocat Mattel, élève du col-
lège de Nicolet, comme vous le savez, a chanté la messe
Bordelaise, et a été assisté d'un cbceur pour le reste de l'office.
"Madame LeBouthilier m'a donné hier £10 d'après la
demande que je lui ai faite, de la part de M. Desjardins, pour
faire peindre une Ste. Elizabeth, sa patronne, qui sera placée
dans notre église."
"Percé, 22 mars 1847.
»
" Nous avons un accident à déplorer dans nos missions ;
c'est rincendie de l'église de Douglastown, qui eut lieu il y
a huit jours. M. Dowling avait été appelé auprès d'un
malade ; les effets qui étaient dans l'église ont été perdus.
L'accident parait avoir été causé par une chandelle, placée
3
— 258 —
fiur un banc devant le St Sacrement. J'ai été obligé .de
prêter à ce cher confrère les objets nécessaires pour la célé-
bration de la sainte messe : il n'y a pas d'autre lieu dispo-
nible que son presbytère. Il m'écrit que les paroissiens ne
sont pas découragés, et qu'ils ont déjà levé la charpente d'une^
bâtisse dont ils se serviront en attendant l'égUse commencée
en pierre : il espère y dire la messe à Pâques.
'^ J'ai su ces jours derniers que le respectable M. Paul
Gaul, de Douglastown, où les prêtres se sont toujours retirés,
est mort presque subitement."
"Percé, 11 mars 1848.
^^ Ce n'est pas une petite entreprise que de bâtir une église
dans la Baie ; celle de la Grande-Rivière semble cependant
devoir se terminer bientôt Les dimensions sont 88 pieds
de longueur sur 38 de largeur avec des chapelles : la
fondation est en pierre. L'ouvrage est très bien fait au dire
de tous les charpentiers ; à la fin de juin tous les chassis^
seront posés. L'entrepreneur vient d'Halifax.
" J'ai transporté à New Port deux petits tableaux, don de
M. Desjardins, notre providence.
" C'est aussi à lui que nous devons des gradins pour char-
cune des chapelles ; il me dit qu'il pense en envoyer encore
deux. Je n'ai pas encore de ciboire, ni de porte-Dieu. Dans
tous les postes, excepté i Percé, je me sers d'une branche de
sapin pour doaner l'eau bénite le dimanche.
'^ Je fais travailler à toutes les chapelles, à Percé, à la
Malbaie, à la Grande-Rivière, à New Port Dans ce dernier
poste, on a construit de plus un presbytère qui sera d'une
grande commodité.
" N. DoucET, Ptre."
Lettre de M. Nérée Gingras,
" Percé, 16 décembre I85a
*' Monseigneur,
^^ Depuis longtemps je désirais écrire à Votre Grandeur^
n'ayant pas eu le bonheur de me joindre à mes confrères
— 259 —
pour présenter mes félicitations à mon nouvel Archevêque^
lui exprimer mes souhaits pour le succès de son administra-
tion et solliciter une bénédiction sur les œuvres de mon
ministère. J*en saisis aujourd'hui l'occasion avec empresse-
ment.
^^ Permettez-moi de Vous entretenir de mes missions. J -ai
terminé la semaine dernière la visite de l'automne : elle m'a
donné de la consolation. Pour affermir la tempérance, je
me propose d'établir la société de la Croix.
'^ L'église de Percé est maintenant en très bon état ; j'at-
tends ce printemps un joli tabernacle, et l'ancien, qui est
très convenable écherra à la Grande-Rivière.
" M. le juge DeBlois a fait don d'un encensoir d'argent.
" Les habitants de New-Port sont peut-être ce qu'il y a de
meilleur dans ma mission ; là se trouvent les gens les plu9
paisibles, grâce à la tempérance qui y porte ses fruits. Ils
croiraient mourir s'ils prenaient un verre de boisson : c'est
là aussi que l'on voit moins de misère.
" Leur chapelle est bien pauvre ; ils regrettent beaucoup
feu M. Desjardins qui leur a donné la plus grande partie de
ce qu'ils ont. Aussi en reconnaissance ont-ils fait chanter un
service pour le repos de son âme.
" C'est à New-Port que j'ai le plus de plaisir à faire la
mission : ils sont si contents lorsqu'ils voient arriver le prêtre
si empressés à tous les exercices.
" La mission du Chien-Blanc se peuple rapidement : il y a
à présent une dizaine de familles, composées de bien bonnes
gens. On se rend chez-eux par un petit chemin de pied.
" N. GiNGRAS, Ptre." (1).
On lira maintenant avec intérêt des lettres des mission-
•ohan
rite c .
de cette paroiase. Il en ëtftit parti en 1849 ponr la mission de Peraé, fat
chargé à son retour, en 1856, de la paroisse de St. Raphaël dans le comté
de Belleohasse. En 1859, il consentit à se rendre aux Illinois pour trayaÛ-
1er à la conversion d'un groupe de Canadiens entraînés dans le schisme de
Chiniquy. Au bout de 4 ans, il fut nommé curé de St. Edouard de Ldtbl*
nière, et Tannée suivante, de la Baie St. Paul.
— 260 —
naires de Bonaventure, de Paspébiac et de Port Daniel, rem-
plies de détail» intéressants sur Tépoque embrassée par c&
récit
"Bonaventure, 24 mai 182\.
" Monseigneur,
'^ Gomme Votre Grandeur aime à recevoir des nouvelles des
parties de son diocèse les plus éloigaé^s, concernant la reli-
gion, je lui fais mon rapport de missionnaire.
" Mon passage de Québec à Caraquet a été comme une béné-
diction ; mon compagnon, M. Blanchet, en a été quitte pour
un peu de bile. Nous avons été un peu mortifiés de Tabsence
de M. Gooke, occupé en course apostolique. C'était le di-
manche, huit jours après notre départ, il y a eu messe solen-
nelle et sermon dans la basilique Acadienne où Ton ne s'at-
tendait à rien moins. Le lendemain, je me suis acheminé
vers Bonaventure, où le vent ne nous a permis de mettre
pied à terre, que Id jour de la Toussaint, comme les gens
sortaient de la prière du vénérable Simon Henry. Il était
tard) je leur dis donc une messe basse seulement, et ils chan-
tèrent des cantiques.
" J'ai fait ce printemps la mission à la Grande-Rivière^ Percé
et la Pointe»St Pierre. Je suis bien embarrassé pour les ma-
lades de Percé, il y a un portage de 19 lieues de forèt^ si
épaisse que les plus au fait de ces voyages extraordinaires
ont de la peine à s'en tirer. Je marche mal en raquettes et
les sages du lieu ne me croient pas capable d'entreprendre
cette marche. Un missionnaire serait nécessaire à Percé.
" J'ai hâte de voir Votre Grandeur sur ces côtes."
Le missionnaire de Bonaventure avait encore des distances
considérables en 1840 pour visiter les malades. Ecrivante
Mgr. Signay, M. Alain consultait sur la récitation du bré-
viaire dans certains cas :
" Je n'ai pas de peine à croire, répondit-îl au prélat, que
dans les cas où il y a pour ainsi dire impossibilité, je n'y sois
pas tenu. Cependant ce carême j'ai fait 28 }ieues en un jour
pour un malade et ça ne m'a pas empêché de réciter mon
office."
— 261 —
M. Alain desservait Paspébiac tous les mois ; il en rendait
compte à TËvêque :
^^ J'y suis resté jusqu'à 15 jours de suite, tout seul dans le
presbytère ; je suis mon valet de chambre et d'écurie ; ce
n'est pas commode. Si les gens me payaient, je pourrais avoir
quelqu'un au moins pour soigner mon cheval : moi je n'ai
pas besoin de serviteur. J'ai une rivière à traverser pour me
rendre à cette mission : l'automne et le printemps il est im-
possible de passer à gué.
'' Je vais à Gascapédiac tous les mois suivant l'état de la
rivière. Je £ais la visite de Port Daniel moins souvent
^^ Je voudrais bien avoir un catéchiste àPaspébiac, jusqu'à^^
présent je n'ai pu en trouver.
'^ Tous les ans je reçois des protestants dans l'Eglise."
Lorsque M. Tessier fut retiré de la mission de Paspébiac^
M. Alain écrivit à l'évéque :
" Je ne suis rien, mais je ne saurais trop exprimer combien
la résidence d'un prêtre est nécessaire à Paspébiac. M. Tes-
sier y a fait beaucoup de bien : il en serait de même de tout
autre qui aurait autant de zèle et de volonté que ce Monsieur."
" Paspébiac, le 20 août 1846.
^' MoNSEiONECR, — ^Les malheurs communs qui, depuis plus
d'une année, ravagent le diocèse, semblaient nous avoir épar-
gnés, mais malheureusement nous les avons éprouvés. Hier
le feu, qui avait été mis dans les bois depuis plusieurs jour»
par imprudence sans doute, poussé par un violent vent d'ouest,
parcourut plus d'une lieue en moins de quatre heures. Sept
maisons et deux granges avec la récolte de f^in qu'elles ren-
fermaient ont été réduites en cendres; sans compter une
quantité de clôtures et le grain endommagé sur le champ.
Voilà donc plusieurs habitants réduits à la misère.
^^ Quant à l'église et au presbytère^ le feu n'en était pas à
plus de deux à trois arpents, vers le soir, lorsque le vent
devint un peu moins violent. Sans le secours de la divine
Providence que nous invoquions avec ardeur, sans la protec
tien de l Marie Immaculée, patronne de l'Église, tous ce
— 262-
édifices auraient été consumés, et je serais aujourd'hui sans
temple et sans logement.
" Le feu continue encore dans les bois qui nous en vironoenl ;
nous ne serons en sûreté que lorsqu'une pluie aboadante
«era venue éteindre les brasiers.
" G^est vous, monseigneur, qui ornez nos églises. J'ai reçu
avec beaucoup de reconnaissance les deux beaux ornements
destinés à la mission du Port Daniel. Le jour où je célébrai
pour la première fois avec Tun de ces ornements, les gens
ouvraient les yeux bien grands : ils n'avaient rien vu d'aus^
beau dans leur chapelle. Je profitai de l'occasion pour leur
dire que leur conduite chrétienne devait me mettre en état
de montrer de la gratitude envers le premier pasteur, et de
lui faire un rapport consolant.
" F.-X. Tessier, Ptre."
" Paspébiac, 8 mai 1848.
*^ Monseigneur,
"Voilà à peu près un an que j'ai eu l'honneur de rendre
compte de mes missions à Votre Grandeur : mon intention
cette fois est de vous faire connaître le résultat de chaque
année de mon séjour à Paspébiac, afin que vous puissiez
juger de l'avantage que les gens ont retiré de la résidence
d'un prêtre au milieu d'eux. Dans le temps de Pâques 1846,
j>'ai fait faire la première communion à soixante-seize i>er-
sonnes. Le jour de la St. Pierre, fête de mes pêcheurs,
quarante personnes ont approché de la sainte table : ce qui
était inouï à ce lieu. Les premières communions en 1847
ont éié de cent vingt ; à la fête de Noël dernier, cent trente
personnes ont communié. Je compte deux cent cinquante
personnes aggrégées à la société de tempérance totale, que
yaî établie le 15 février 1846. Deux de ceux qui ont manqué
i leur engagement ont péri misérablement : l'un s'est noyé
•t l'autre est mort par suite d'un autre accident ; ce qui a
été regardé comme une punition de Dieu.
"F. X. Tessier, Ptre."
— 263 —
M. Zéphirin Lévèque, en succédant à M. Tessier, lui rend
un excellent témoignage.
"J'ai à Paspébiac, écrivait-il le 11 juillet 1849, une nou-
velle église en bois parfaitement finie et dans le meilleur
ordre et goût ; et une sacristie à Favenant. M. Tessier s'est
donné beaucoup de trouble pour mettre tout sur le meil-
leur pied posssible, tant Téglise que les autres bâtisses et la
terre. La Confrérie du Sacré-Cœur de Marie compte déjà
cinquante associés ; et vendredi, fête de St. Pierre, j'ai érigé
un Chemin de Croix que M. Tessier avait préparé. Il fait un
excellent effet, et j'espère beaucoup de cette dévotion pour
l'augmentation de la dévotion parmi les gens. J'en ai un
autre que je destine au Port Daniel."
La lettre suivante est une de celles qui au besoin peut
prouver avec quelle sollicitude le clergé a toujours travaillé,
même au prix de sacrifices personnels à l'instruction et à
l'éducation du peuple.
" Port Daniel, 20 décembre 1861.
" Monseigneur,
" Pour remédier autant que possible à plusieurs maux que
nous avons à déplorer, j'ai cru devoir au prix de quelques
sacrifices maintenir les écoles déjà établies et qui seraient
tombées, et encourager par tous les moyens en mon pou-
voir le défrichement des terres. Mes efforts n'ont point été
sans quelques résultats avantageux.
^^Les écoles, indépendamment des avantages temporels
qu'elles procurent, sont ici indubitablement un puissant
moyen de moralisation. Retirer les enfants des dangers où
ils sont exposés dès leur bas Age, confier leur éducation à des
maîtres religieux et zélés, leur donner des aptitudes non-
vellss en les appliquant de bonne heure au travail et à la
pratique des vertus de leur flge ; voilà ce qu'il n'est possible
d'obtenir qu'au moyen de bonnes écoles et ce que réclament
impérieusement le salut de ces pauvres enfants et l'avenir
des familles. Les trois écoles étabhes au Port Daniel sont
sur un assez bon pied et suffisent amplement atx besoins de
celte mission. Des maîtres venus des écoles normales y
— 264 —
.-enseignent avec succès et les résultats déjà obtenus sont
sensibles. Il est facile de distinguer au catéchisme comme
dans leur conduite privée ceux qui fréquentent les écoles
' d'avec ceux qui n'ont pas le môme avantage.
'^ Puissent-ils devenir à leur tour des précepteurs dans leurs
familles, les moniteurs de leurs frères et soeurs l et, s'il est
possible plus tard, comme je Tespère, d'introduire de bons
livres dans les familles, ces livres seront lus avec empresse-
ment et les boas fruits qu'ils produiront feront pour les
parents un dédommagement de tous les sacrifices qu'ils font
aujourd'hui pour soutenir leurs écoles et rétribuer convena-
blement les instituteurs qui les dirigent.
^^ La pêche qui a été de tout temps l'occupation favorite des
habitants de la Côte, tiendra pendant longtemps encore le
'premier rang dans leur estime. Habitués à courir les chances
. du hasard, à vivre de peu ou à se trouver parfois dans Tabon-
' dance, suivant les circonstances où ils se trouvent, les rudes
travaux des champs ne leur sourient guère. Par une illusion
étrange, l'aisance et les richesses au moyen d'un travail
assidu et de tous les jours, leur paraissent trop chèrement
achetées. A leurs yeux la pêche du nord est le secret de
^gner beaucoup en peu de temps et avec peirde travail.
Attirés par l'appât du gain, ils conservent moins d'attrait
pour le cercle de la famille. Leur absence fait retomber
sur les femmes et les plus jeunes enfants tout le soin de la
maison et de la petite semence, qui ne consiste que dans un
jardinage. Et l'on n'a pas pensé aux accidents auxquels oa
s'expose, ni aux insuccès bien trop fréquents, ni aux dangers
qua courent les enfants sans surveillance, ni à la positiou
pénible faite à la mère laissée seule pendant des mois. Les
a&mx qui en résultent sont si ^considérables qu'on devra faire
les plus grands efforts pour y mettre un terme. Déjà, quoique
ragriculture ne soit encore que secondaire et que toutes les
prédilections soient pour la pêche, on constate néanmoins avec
joie un retour masqué vers les travaux de la terre et une
tendance heureuse vers une vie plus cakne et plus paisible.
Elles sont rares maintenant les familles qui n'ont point xm
petit champ à ensemencer, et qui ne s'efforcent d'ajouter
tous les ans un défrichement à leur terre déjà cultivée. La
— 265 —
pêche du nord est aussi généralement abandonnée par toutes
les familles un peu aisées ;, les accidents survenus ce prin-
temps dans les passages, et l'expérience des dernières années
ont découragé les plus ardents même et leur ont fait com-
• prendre surtout ce qulls perdent à s'éloigner de leur terre
pendant une si grande partie de Tannée. Ils sont un peu
fatigués de ces tentatives périlleuses, de sorte que j'ai lieu
de présumer que, dans ma mission au mt)ins, le nombre de
ceux qui s'éloignent ainsi se réduira désormais aux plus
nécessiteux, obligés à se mettre en service, et à suivre leurs
maîtres où il leur plaît de les conduire, tandis que les familles
stables, qui s'aideront de la pêche et do la culturoi^ pourront
beaucoup plus facilement que par le passé arriver à une
honnête aisance, fruit de leur industrie et d'une vie plus
laborieuse.
*' La pêche qui avait été bonne pendant l'été a été presque
nulle cette automne par suite de pluies torrentielles et du
mauvais temps : les familles qui n'ont pu envoyer de poisson
à Québec, n'ont pour la plupart obtenu aucune avance de
leurs marchands pour leurs provisions d'hiver et se trouvent
en conséquence dans la position la plus critique. La plupart
auront beaucoup à soufTrir pendant la saison qui commence.
'^ Le nombre des communiants dans les deux missions est
maintenant d'environ 600. Neuf enfants ont fait leur première
communion à New-Port et dix-huit au Port-Daniel ; il y a
eu 56 baptêmes, 11 mariages, 12 sépultures et 2 abjurations.
L'école de New-Port est bien fréquntée et fait du bien.
" E. Beaulibu, Ptre."
H08PICE ST. JOSEPH.
Ile à la Crosse, 14 Janvier 1879.
A LA Révérende Soeur Charlebois, Assistante.
Ma Rév. et bien chère Mère,
Nous voici déjà rendues au \i^^ jour d'une nouvelle
année, et tout en disant ^^ Fiat '' nous demandons que le
calice s'éloigne de vous et de nous, et que les 351 jours à
venir ne soient pas comme ceux qui viennent de s'écouler,
tous marqués de la Croix et des épines. Bercée de cette
espérance, je me livre tout entière à l'impression du moment,
c'est-à-dire, à la douceur que j'éprouve en m'entretenant
avec vous. Connaissant l'affection que vous portez a\ax
Missions du Nord nous vous en parlons avec plaisir, certai-
nes d'avance d'être lues avec intérêt. La dernière lettre
vous ayant mise au courant de bien des choses qui nous
regarde j'entrerai en d'autres détails cette fois-ci.
Les Saintes Ecritures nous apprennent qu'avant notre
existence il y eut dans le ciel un grand combat ; " Michel
et ses Anges qui combattaient contre le Dragon." Ce com-
bat commencé dès le temps de la Création s'est renouvelé
très souvent et se renouvelle encore de nos jours, presque i
notre porte. Depuis quelques semaines, bien chère
— 267 —
nous sommes en prières pour obtenir aux Gris du Lac Poûle^^
d'Eau, la grâce d'ouvrir les yeux à la lumière de TEvangile;
Ce nom vous est familier n'est-ce pas, chère Mère ? Il vous
rappelle aussi, sans doute, vos épreuves, votre grande anxiété
sur les bords de la célèbre rivière Pouje d'Eau, lors de votre
voyage en 1871, en la compagnie de Mgr Graudin. C'est à
quelque distance de là qu'est situé le Lac,'sur le bard duquel
sont fixés les Sauvages que l'on appelle ici '^ Les Cris du Lac
Poule d'Eau. "
Je pense qu'il est à propos de vous dire ici, chère Mère^ .
que la Mission du Lac Vert fondée par le R. P. Moulin,,
depuis trois ans, doit maintenant être desservie par les Mis*
sionnaires de l'Ile à la Crosse, qui n'y resteront pas, mais qui
iront y donner une Mission 2 fois par année. Au mois âà
mai dernier, le Rév. Père Moulin, fidèle à la voix de ses supé-
rieurs, dit adieu à sa chère Mission de St. Julien qu'il avait
arrosée de ses sueurs et semée de ses fatigues, pour porter
la bonne nouvelle ailleurs. Le R. Père Legeard est donc
allé au Lac Vert au mois d'août, mais comme c'était pendant
les travaux et que beaucoup d'hommes étaient absents, peu
de personnes ont profité de sa visite.
Dans son grand désir de ne voir aucun de ceux confiés
à ses soin» privés des avantages et des secours de la religion,
il renvoya le R. Père Chappellière au mois d'octobre.
Le boa Père partit le 15 du mois en canot d'écorce et s'y
rendit heureusement. Nous étions toutes en prières pour le
succès de cette Mission et le bon Dieu a daigné nous exaucer.
La voix du Prêtre fut écoutée avec docilité.
Tous vinrent avec assiduité aux exercices de la Mis-
sion. Il y eut beaucoup de confessions et la communion
générale eut lieu le 8 décembre, fête de notre Mère Immacu-
lée. Ce beau jour faisait oublier au Missionnaire ses peines
et ses fatigues, tant il était heureux de voir ces âmes, rache-
tées au prix du sang de Jésus, arrachées des ténèbres de
l'infidélité et marchant maintenant à la lumière de la Foi*
Xie temps du repos pourtant n'était pas encore arrivé puis-,
qu'il recevait l'ordre de son supérieur d'aller visiter les Gris
du Lac Poule d*Ëeau, voir si quelques-uns ^' voudraient de
la prière " ou du moins laisser baptiser leurs enfants.
— 268 —
Le 1 0 décembre accompagné de deux Ions voyageurs, il pa^
' lit en traine à chiens et se rendit le soir même au Lac Poule
d'Eau, où il fut bien reçu.
On- le fit entrer dans la maison du chef, où il y avait
dix-sept personnes ass^es à l'entour du feu ; là on lui donna
la place d-honneur, c'est-à-dire, au centre du groupe. Bien-
tôt on lui dressa une table, ayant pour nappe, un tapis
de grosse toile d'emballage bian aale, sur laquelle furent
posés un pot et uno assiette. On apporta une grande
plattée de poisson, puis une chaudière de thé. Le chef
et toute sa parenté se placèrent de chaque côté. II
n'y avait ni couteaux ni fourchettes, et les pauvres gens
sentant bien que le Père ne mangerait pas avec ses doigts,
fouillèrent partout à la recherche et finirent par trouver une
vieille fourchette qu'on nettoya et qu'on passa au chef:
celui-ci la remit au Père, puis le repas commença.
La conversation était animée, mais personne n'entama la
question de la religion. Lorsque le Père eut achevé son repas
le chef de la famille prit courtoisement son assiette et mangea
ses restes. La soirée se passa en conversation sans pouvoir
cependant toucher au sujet important. L'heure de dormir
venue on n'avait encore que le centre de la loge à offrir au
Père. On débarrassa un petit espace, mais les compagnons
inséparables des Sauvages ne mirent pas longtemps à te
franchir. Une fois en butte à une semblable persécution,
adieu donc le sommeil.
Le lendemain la maison fut constamment remplie de visi-
teurs ne laissant ainsi aucun moment libre.
Enfin le 12, on procura une loge au Père, et celui-ci se
trouvant seul et libre d'agir, commença à catéchiser quel-
ques personnes, qui avaient reçu le baptême, mais qui ne
savaient autre chose que le signe de la Croix.
Maintenant, chère Mère, je vais laisser parler le Père et à
peu près comme les choses nous furent racontées je vous les
répéterai à mon tour.
" Le Vendredi, " dit le Père, ** je fis le tour des trois
maisons et des six loges qui forment le eampement, afin de
voir tout le monde. Daiis une des loges un enfant se m06-
rait et voulant sauver cette âme, je demandai à la mère â
^269 —
^Ue Toulait que je la baptise. "Je demanderai à mon mari "
réponditrelte. Le mari interrogé, répondit à son tour qu'il
en parlerait aux anciens. Je compris alors que c'étaient les
anciens qui réglaient tout dans la bourgade^ et que tant
qu'ils refuseraient de recevoir la lumière, les autres reste*
raient sourds à ma voix. Je me décidai donc à avoir un
entretien privé avec eux et les fis intiter en conséquence
de venir chez moi tous les quatre. Ces messieurs se nom-
ment : " Le mangeur de terre, " c'est lui qui est le plus âgé
et le plus influent ; le second s'appelle : " La Belle Couverte.''
Le troisième porte pour titre, '^ L'Aurore, ou le jour qui
•commence à poindre. " Celui-ci se croit en réalité une vraie
lumière, et s'imagine qu'il éclaire ses semblables. Le der-
nier est " Le raconteur. "
Deux seulement se rendirent à l'invitation, les deux
autres crurent qu'ils avaient quelque chose de plus
important à faire que de venir parler religion. " Mangeur
de terre " était occupé à prendre un bain de vapeur
prescrit par leur superstition, tandis que l'autre don-
nait un festin, en honneur de leur dieu, et faisait battre le
tambour pour savoir si son enfant malade allait revenir à la
santé. Oh ! que le cœur me faisait mal sachant ces choses
et je suppliais Dieu de vouloir bien leur ouvrir les yeux. Je
ne parlai pas de religion aux deux qui vinrent me voir carie
moment n'était pas favorable mais j'agis de sorte que quand
ils se retirèrent nous étions bons amis.
Le lendemain je fis de nouveau le tour des maifions
et loges, pour inviter tout le monde à la messe du
Dimanche. Je vis le petit malade, qui n'allait pas
mieux, et je demandai encore de le baptiser. '^ Non,"
dirent-ils, "nous avons nos coutumes et nos usages."
J'étais presque découragé. Tout de même, le lendemain^
Dimanche, à 8 heures du matin je sonnai ma petite cloche
pour appeler à la messe. J'attendis longtemps mais personne
ne venait. Pauvres gens I me disais-je, ils refusent la gr&ce
que Dieu leur envoie, et je priais pour eux de toute la fer*
veur de mon âme. Pendant que j'étais encore ému, un jeune
homme vint me demander si c'était le temps de venir à la
prière. " Oui, lui répondis-je. J'ai sonné, il y a longtemps.
— 270 —
mais personne ne vient." Ce jeune homme désirait embras-
ser la religion mais ses parents s'y opposaient ^^ Ils ne Vont
pas entendu, " dit-il, ^^ si tu sonnais près des maisons ils
viendraient tous." — S*il n'y a que cela, dis-je, à mon tour, 1»
chose est facile." Ma confiance commençait à renaître^ pui»
prenant ma clochette je la sonne d*un bras vigoureux tou^
en faisant le tour dii camp. Presque tous se rendirent à
l'appel.
Pendant que je revêtais les ornements sacrés, ces
bons sauvages, assis par terre, les pieds croisés en avant à la-
façon des tailleurs, faisaient la causette assez fort pour me
déranger. Je ne puis les laisser continuer ainsi pendant la
messe, alors je me tourne et je leur dis : "c'est égal, on ne va-
pas parler." Ils se turent; mais ils commencèrent à bourrer
leur pipe. Nouvel embarras. Je me retourne de nouveau et
je leur dis, après avoir supplié le St. Esprit intérieuremeni
de les rendre dociles à ma voix : c'est égal on ne fume pas
non plus. Tous déposèrent leurs pipes au même instant Je
craignais alors de les voir partir, mais non. Tous restèrent
et furent très attentifs à toutes les cérémonies jus^'à la &u.
De mon côté je priais Dieu de toute mon âme de ne pas per-
mettre que ces pauvres enfants des bois restent sourds à la
grâce.
Aussitôt la messe finie je leur adressai quelques paro>
les sur l'importance du salut puis nous conversâmes sur
différents sujets, sans que je pusse trouver l'occasion d'intro-
duire celui que j'avais le plus au cœur. Nous nous séparâ-
mes sans que les Sauvages témoignassent le moindre désir
de se faire instruire. Le soir, le même jeune homme qui
était venu le matin revint me dire qu'on attendait encore la
messe et demanda à quelle heure elle allait commencer^
ajoutant que si je sonnais ils viendraient tous. " Il est trop
tard maintenant, lui dis-je, de faire aucune exercice et je ne
veux pas prêcher non plus car je vois bien qu'ils n'ont pas
envie de se faire chrétiens."
Je lui parlais ainsi pour qu'il répète mes paroles
et leur laisser voir qu'ils étaient libres d'accepter ia
grâce ou de la refuser. Personne ne revint Lundi matia
donc, je fis mes préparatifs de voyage et dans* la joomte^
— 271 —
l 'allai dans les madsons et dans les loges leur faire mes
adieux. Plusieurs me dirent alors : ^^ Je ne te donne pas Is
main. J*irai te voir ce soir chez toi. " En effet, un certain
nombre tint parole, et parmi eux deux des anciens. Quand
la conversation commença à languir j'en profitai et leur
parlai ainsi : ^^ J'aurais désiré voir les anciens ; je les ai invités
tous les quatre afin de savoir ce qu'ils pensent de la religion*
Je n'en ai vu que deux, les mêmes qui sont ici ce soir.
Comme les autres n'ont pas voulu s'y rendre je vous deman-
de maintenant à vous et je vous prie de me répondre : Que
pensez-vous de la religion ? de la prière ? L'un d'eux me
dit : '' Je ne hais pas la religion. J'aime les Missionnaires ;
ils peuvent venir quand ils le veulent instruire ceux qui ont
été baptisés, mais pour les autres, nous avons nos usages et
il faut les suivre." — " Et toi, qu'en pense-tu, demandai-je au
second ancien." — ^' Ce n'est pas la première fois," dit-il, '^ que
je vois le Missionnaire. Quand j'étais jeune j'en ai vu un
qui nous a parlé comme ceci : ^^ Vos médecines ne sont pas
bonnes. C'est le vilain manitou qui vous les donne. C'est
mal ça. Apportez-les moi toutes, et nous allons mettre le feu
dedans." On apporta toutes nos médecines et le Missionnaire
en fit un tas et les brûla toutes. Mais il ne nous donna pas
d'autres médecines à la place. Qu'arriva-t-il alors ? Tout
notre monde tombait malade, et n'ayant pas de médecine
pour leur faire boire ils mouraient tous. Pas mal de lunes
après, un autre Missionnaire est venu nous voir, (c'était Mgr
Taché) on lui a dit, ce que l'autre avait fait et comme tout
notre monde mourait. Il nous dit qu'il y avait des médeci*
nés qui étaient bonnes, qu'on pouvait s'en servir et qu'on
aurait dû ne jeter que les mauvaises. Je suis parti de là
après et je n'ai plus revu le Missionnaire. Comme je ne con*
nais pas les bonnes médecines d'avec les mauvaises, je les ai
toutes reprises. " Laissant là le sujet de médecine je l'inter-
roge sur sa croyance et je lui demande : ^' Quand tu seras
mort, où pensesntu aller ? " — ^' Nos grand-pères, les anciens,
ont appris de leurs grand-pères ce qu'ils nous ont dit comme
ceci : ^^ Si quelqu'un vient dans ta maisoAdonne lui à manger.
Si quelqu'un te fait du mal, ne te venge pas, et s'il vient dans
ta maison donne lui à manger quand môme. Fais du bien à
— 272 —
ton semblable. Si tu fais cela, tu iras à droite, avec Dieu. Si
tu fourche tu iras à gauche. Maintenant c'est de valeur pour
être bons, on est porté au mai malgré soi. ''-^'est bien ce
que lu dis lui répondis-je à. mon tour. Lorsque Dieu a mis
rhomme sur la terre, 11 lui a dit la même chose : ^^ Marche
droit. Ne fais tort à personne. Exerce l'hospitalité. Si tu fais
cela tu iras à droite, c'est-à-dire au ciel ; si tu ne le fais pas
tu iras à gauche, c'est-à-dire en enfer. Les premiers hommes
qu'il 7 a eu sur la terre, trouvaient cela de valeur pour être
bons, tout comme vous autres. Leur nature les portait sans
cesse vers le mal. Le bon Dieu a eu pitié d'eux. Il leur a
donné des lois, une religion qui donne les moyens d*étre
bons. Ce sont ces lois là que vous ne connaissez pas et que
je puis vous enseigner si vous le désirez." Partant de ce prin-
cipe je leur fis un exposé bien simple mais détaillé de nos
saints mystères, qu'ils écoutèrent dans le plus grand silence.
Ayant cessé de parler et personne n'opposant d'objection, j&
désirais avoir les deux autres anciens pour les forcer de
répondre d'une manière ou d'une autre, puisque l'opinion des
vieillards avait tant de poids. ^^ Comme nous sommes sur ce
sujet, leur dis-je, pourquoi n^enverrions>nous pas chercher les
deux autres anciens afin de connaître leurs pensées à eux ? '^
Un jeune homme courut à l'instant les chercher et ils vin-
rent de suite. Les mettant, en peu de mots, au courant d«L
discours j'exprimai mon désir de savoir ce qu'ils en pen-
saient Je tenais à faire parler ^^ Mangeur de terre" puisque
sa parole avait beaucoup d'influence sur les trois autres. Les
deux nouveaux arrivés s'excusèrent de répondre ajoutant
qu'ils parleraient les derniers. Me tournant aloi:s vers celui
qui parla si bien d'abord je le priai de prendre la parole.
Cette fois-ci il me refusa. '' Pourquoi ne veut tu pas le faire,
lui demandai-je ?'.'-^'^ C'est, diUl, parce que tu réponds trop
vite. Vous autres blancs, vous parles trop vite. On n'a pas
fini de dire une chose que vite vous nous volez la parole,
comme tu viens de faire. On ne parle plus. Je ne dirai rien."
Je compris que j'étai» dans de mauvais draps et il fallait sor*
tir tant bien que mal. ^'C'est la première fois que je me trouva
dans une pareille assemblée ajoutai-je. Je ne connais pa^
vos usages. Je te remercie de me les faire connaître. Maiar
-. 273 —
tenant, je m'y conformerai." Ma réponse ne l'adoucit pas,car
il reprit avec chaleur : " Tu nous méprise, tu méprises nos^
usages, notre manière de faire, etc. ; '• et il continua sur ce
ton, me disant des choses piquantes, mortifiantes et mème^
humiliantes. Je souffris tout sans dire mot. Il s'arrêtait, puis
reprenait, je ne disais rien. Quand il eut fini de parler
j'attendis encore quelques instants, enfin je présumai qu'il
avait fini son répertoire, et je repris. ** Je ne vous méprise pas,
au contraire, si je vous méprisais je n'aurais pas quitté ma
famille que j'aime beaucoup, tous mes amis, mon pays ; je
n'aurais pas tout quitté pour venir ici pour l'amour de vous
autres. Il y a longtemps, bien longtemps que je pense à
vous. Je suis arrivé à l'Ile à la Crosse il y a trois ans et
apprenant alors qu'il y avait des gens ici qui ne connais-
saient pas le bon Dieu, j'ai commenbé à^ prier pour vous et
depuis ce temps je pense à vous et je prie. Quant à vos
usages, je ne les méprise pas non plus. Il y a plusieurs cho-
ses que vous faites que je trouve bien, qui sont très bonnes ;
seulement comme il y a des choses qui pourraient être meil-
leures j'aime à vous les faire remarquer." Un des anciens
prit alors la parole et dit : " C'est bien parler ça. C'est bien
dit " J'avais obtenu mon pardon. Il était temps, car je
venais de passer un vilain quart d'heure. "Maintenant, dis-je,
si vous voulez bien me dire chacun ce que vous pensez de la
reHgion, afin que je sache si on pourra revenir vous voir, ou
bien si vous aimez mieux qu'on ne vienne pas." Un des der-
niers arrivés répondit : " Je t'ai déjà dit ce que je pense. "^
C'est celui qui avoua qu'il aimait le Missionnaire mais qu'ils
avaient leurs usages et qu'il fallait continuer à les suivre ;
ce qu'il répéta en présence de tous ceux alors présents." Et
toi, dis-je, à " Mangeur de terre, " que dis tu ? Celui-ci est le
chef quoiqu'il refuse le titre. * *' J'ai quelque chose à te de-
mander, mais ce sera quand nous serons seuls répondit
" Mangeur de terre, " puis il continua. J'aime la religion,
j'aime les Missionnaires. Ça me fera plaisir de les voir cha-
que fbis qu'ils viendront pour instruire ceux qui sont bapti-'
ses. Pour nous, je pense que c'est mieux de faire comme no^
anciens ont fait." La conversation se prolongea tard dans la
nuit. Enfin q«and ils furent tous partis " Mangeur de
— 274 —
(erre " fit sa demande et la voici : il voulait savoir s'il faisait
'bien le signe de la Croix, et il se signa : ^^ Au nom du Père,
du St. Esprit et du Fils. '* Lui ayant expliqué ce qu'il dési-
rait savoir il partit content Tous revinrent le lendemain,
me donner une poignée de main avant mon départ, et les
femmes étaient à la porte de leurs maisons et de leurs loges
pour me saluer au passage. Le midi quand nous fîmes halte
pour préparer un petit dîner je ne parlais pas, car j'étais
triste pensant qu'il était inutile de retourner vers ces pauvres
gens. Un de ceux qui m'accompagnait voyant mon silence
prolongé me demanda si je pensais à ceux que je venais de
quitter. '^Oui, répondis-je, j'y pense beaucoup. Je ne sais
s'ils pensent à moi. — ^^ Oh. oui, reprit-il : ils pensent à toi et
ils t'aiment fort Cette nuit après qu'on t'a laissé, on a parlé
longtemps ensemble. Le jour commençait à paraître et on
parlait encore sur ce que tu nons a dit " Ces paroles jeté*
rent un rayon de lumière dans mon âme et me faisait regret-
ter la nécessité qui ne me permettait pas de prolonger mon
-séjour au milieu d'eux encore quelques jours. Mais je n'avais
plus que deux pains d'autel et il fallait revenir chanter la
messe de minuit au Lac Vert Dieu soit loué I La bonne
semence est jetée. Puisse-t-elle germer et porter des fruits
dans une seconde visite que je leur ferai au printemps. "
C'est à nous maintenant, chère et bien-aimée Mère, à prier
que Dieu daigne préparer ces pauvres âmes et recevoir ses
grâces. Veuillez nous aider et faites prier nos chères Sœurs
car le Missi(Hinaire i^tournera au Lac Poule d'Eau au mois
de mars ou d'avril
Après vous avoir donné ces détails que je croyais vous
intéresser, parlons de nos affaires domestiques. Permettes
que notre Très-Honorée Mère reçoive ici nos sincères remer-
ciements pour la grande bonté qu'elle nous témoigne en
nous envoyant les circulaires imprimées. Nous les avons
reçues jusqu'au mois de juillet Quel bonheur en parcou-
rant ces lignes qui nous mettent au courant de ce qui se
passe dans notre cher chez*nous. Merci à ma chère Sœur
Collette de les rendre si intéressantes. Merci à ma chère
Sœur Thibodeau et à ses chères collègues pour la fatigue
• qu'elles se donnent pour les imprimer. Que ne nous est-il
— 275 —
donné de continuer à parler de nos joies I Hélas ! la list^
n'en est pas longue ; aussi nous fauUl passer bien vite ai]&
contraire.
Notre première épreuve a commencé cette année par
la ntialadie du Rév. Père Légeard qui arrivait à l'infir-
merie le 13 mars, pour n'en sertir que le 17 juillet. Ma Soeur
Marguerite Marie et moi ayant tant de besogne déjà, il fal-
lait de surplus soigner ce cher malade, nos Sœurs Langelier
et Gauthier étant toujours à la classe. Notre position n'était
pas des plus agréables, surtout avec la perspective du pro-
chain départ de ma Sœur Gauthier, qui nous laissa le 6 mai.
Cette chère Sœur se -berçait de l'espoir que les lettres lui
permettraient de rester, pour nous aider, jusqu'à l'arrivée de
notre chère Sœur Supérieure. Quand enfin ces messives si
désirées arrivèrent, ma Sœur Gauthier était déjà loin. Notre
position était très embarrassante : ma Sœur Langelier seule
à la classe, avec ses enfants qui ont presque tous eu la picotte
volante, et nous, avec nos petites forces. Ma Sœur Margue-
rite Marie avait presque toujours ses palpitations de cœur
gui la tenaient dans une grande faiblesse, et moi j'ai déposé
les armes, le 23 juillet, pour caresser mon oreiller pendant
nne semaine. Enfin le 23 août nous eûmes le bonheur
d'embrasser notre chère Sœur Supérieure et nos deux cou-
rageuses auxiliaires, Sœurs Nolin et Mercier. Le plaisir de
les voir rétablit nos santés, sans toutefois nous faire égaler
Samson; tout de même nous soutenons mieux à notre besogne.
Quelques jours après l'arrivée de Sœur Supérieure, il y eut
un peu de changement dans les ofiîces,ce qui nous amusa fort^
vu que le Stirabout se mange rarement dans ce pays. Après
ces distributions nous fêtâmes Ste. Rose de Lima, patronne de
notre chère Sœur Supérieure. Nous sommes allées prendre
un congé dans une des Iles qui avoisinent la Mission, afin de
nous dédommager un peu des privations de l'année. Quelle
ne fut pas notre surprise en voyant paraître au pic-nic un
beau gâteau de Savoie en glacis. Ce cadeau fut mis dans la
caisse de Sœur Nolin à Finsu de notre chère Sœur Supé-
rieure par notre bonne Sœur Ste. Thérèse. Jugez de l'émo-
tion générale en voyant cet objet de luxe et d'un tel pris,
rendu dans le Nord, où il n'y a pas môme de pain.
— 276 —
Le 1 3 septembre nos élèves entraient en classe au nombre de
50. C'est plus que nous ayons eu encore. Le 19, nous reçûimes
une pauvre orpheline montagnaise, du nom de Rosalie ; elle
était bien malade et il fallut la faire administrer. Le 24, un
Montagnais, qui perdit sa femme au printemps dernier, nous
donna son petit garçon âgé d'environ 7 ans, nommé Georges.
Le 4 octobre, nous augmentions encore notre nombre par la
séception d'une autre orpheline montagnaise, Thérèse, et le
49, celle-ci fut«uivie par Marie Suzanne Puinée. Cette der-
nière n'est pas orpheline, mais elle appartient à des parents
indifférents pour leur religion. Nous espérons les gagner
en les attirant à la Mission pour voir leur fille.
Enfin, nous nous sommes vues forcées de prendre plus d'or-
phelins et d'orphelinçs cette annéo^ parce que le Boui^eois
ayant refusé de donner des habits aux Sauvages, comme il en
avait l'habitude tous les ans, ces pauvres gens faisaient bien
pitié, étant presque nus et n'ayant pas de poudre pour chasser ;
ils vienùent nous donner leurs enfants, disant, qu'au moins
ceux-là ne mourront pas de faim pendant l'hiver. Nous ne
pouvions pas les refuser. Notre joie éclatait le 22 du même
mais à l'annonce des lettres arrivées. de St Boniface et de
notre cher Canada. Pourquoi faut-il qu'elle soit de si courte
- durée ? Hélas ! ces lettres nous apprenaient que la santé de
notre Vénérée Mère Supérieure Générale ne s'améliorait point;
-de plus, la mort de notre Illustre Cax^dinal Protecteur et de
Son Excellence Monseigneur Gonroy. On nous enseigne que
la souffrance purifie l'homme. Ayant cette pensée en vue
nous acceptâmes nos peines, et nous nous hâtâmes d'accom-
plir les. souffrance demandées pour ces éminents prélats. Le
10 novembre, notre bonne et si dé^vouée Marcelliue tombait
gravement malade, à la suite de trop de fatigue. Le 13, la
mort enlevait notre petite sourde-muette, aveugle, sœur de
la petite Marie Thérèse que ma Sœur Supérieure a laissée
chez les Bonnes Sœurs de la Providence. Cette malheureuse
enfant paraissait n]avoir pas plus d'intelligence qu'un petit
animal. Il fallait la surveiller constamment car elle était
rendue au point de manger ses excréments. Ce môme jour
«st morte à la Mission, une bonne Sauvagesse Crise. Nous
l'assistions et elle nous témoignait un grand désir d'être
— 277 —
^nteiTée près de notre regrettée Sœur Dandurand. " Je Tai-
mais tant, *' nous disait la mourante, '' que je voudrais dor-
mir à côté d'elle. '' Ses désirs ont été accomplis. La môme
fosse a regu les restes de la Sœur, et de la Sauvagesse. Lie
14, nous entrions en Retraite, laissant notre chère Sœujr
Supérieure qui se proposait de remplacer les priantes, et
Sœur l^iercier qui l'assistait, en ayant soin des classes. Nos
prières étaient sans doute bien efficaces puisqu'à peine étions*
nous en Retraite la fièvre scarlatine s'est déclarée parmi les
pensionnaires. Le 19, deux d'entre elles tombèrent malades,
avec des symptômes alarmants. Nos 53 élèves y ont passé.
Deux du nombre ont été menacées de la mort, mais grâce à
Dieu elles se* sont rétablies. Pendant la maladie nous fîmes
avertir les parents que s'ils désiraient retirer leurs enfants à
cause de la contagion, ils étaient à même. Il y en eut une
quinzaine qui rentrèrent au sein de la famille. Parmi ceux
qui sont allées chez leurs parents plusieurs ont été très ma-
lades. Une petite fille de 10 ans est morte le 19 décembre,
ayant eu la grâce de faire sa première communion deux
jours auparavant. Sa mort afflige grandement ses parents
qui n'avaient qu'elle de fille. Elle a huit frères dont l'un
d'eux suivit sa sœur de près dans la tombe. Gomme notre
bonne Marcelline ne se rétablissait que difiicilement, notre
€hère Sœur Supérieure jugea nécessaire de lui ôter le soin
de la cuisine. Donc une besogne de plus pour ma chère
Sœur Nolin. Cinq jours après Marcelline retombait plus
malade qu'auparavant étant prise des fièvres. Enfin elle
reprit encore le dessus mais jusqu'à Noël elle resta d'une
grande faiblesse. Le 1 décembre, nous apprîmes la mort du
père d'une de nos élèves, et ce môme jour nous adoptions sa
petite Virginie, (déjà sous nos soins) comme orpheline I Son
petit frère nous vint aussi comme orphelin quelques jours
plus tard. Nous eûmes la visite du bon petit Jésus la veille
de Noël, sous la forme d'une pauvre orpheline montagnaise
âgée de 2J. Sa mère, une pauvre veuve qui était atteinte du
charbon blanc, fut trouvée morte dans sa loge, entourée de
ses trois petits enfants qui pleuraient et l'appelaient à grands
^ris, ne sachant pas pourquoi elle ne répondait pas. C'est
la plus jeune de la famille que nous avons reçue.
— 278 —
Voici,ma bonne Mère, bien des détails que je me suis faituo
plaisir de vous communiquer, sachant d'avance l'intérêl que-
vous y porterez ; puis espérant, de votre part, et de celle de vo5>
chères Sœurs, beaucoup de prières, pour nous aider à soute-
nir la bonne cause, et à marcher, toujours, sur les traces de
notre Vénérée Mère d'Youville.
Agréez, ma bien chère Mère, l'expression de respect et
d'amour dont s'honore,
Votre pauvre enfant en J. C,
Soeur Sbnav.
Sœur de ia Charité-
%
OREGON.
*£tat de l'Eglise catholique, quaiunte ans après sok
établissement, sur la cote du pacifique.
La grande mission calholique d'Orégon doit son origine
aux faits suivants. Les voyageurs Canadiens, et les trafi-
quants du Canada pénétrèrent en grand nombre, de bonne
heure dans ce pays, avec les expéditions de Lewis et de Clark,
en 1B05 ; de Jacob Astor par terre et par mer, en 1810 ; du
Capitaine Hunt, en 1811. Ils furent aussi employés en grand
nombre, par les compagnies du Nord-Ouest et de la Baie
d'Hudson, comme chasseurs ou trafiquants parmi les Sau-
vages, à leurs différents forts et postes, à Touest des Mon-
tagnes Rocheuses.
Ces hardis pionniers menèrent une vie errante, mais
demeurèrent fidèles à leur éducation première, au milieu
des scènes de cette vie sauvage, par lesquelles il leur fallait
passer. Ils n'oublièrent jamais leur foi, surtout dans les
occasions du danger, et. c'est alors qu'ils se recommandaient
à la protection de Dieu. Ce fut de cette manière que les
Sauvages, qui les entouraient, reçurent la première connais-
sance du Dieu des Blancs ; et que, longtemps mâme avant
-d'être visités par des prêtres, ils entendirent parler des Robes
3foires. Par conséquent, c'est aux Canadiens, et aux Iroquois
— 280 —
qui les accampagnaient souvent, que revient Thooneur
d'avoir ouvert le chemin aux Missionnaires catholiques dans
rOrégon.
Les familles catholiques dispersées sur ce territoire, ayant
à plusieurs reprises demandé le secours d'un prêtre. Monsei-
gneur Joseph Signai, alors archevêque de Québec, leur en-
voya les MM. F. Norbert Blanchet et Modeste Demers, le
premier avec la dignité de Vicaire-Général. Ces courageux
hérauts de la foi, quittèrent Lachine, en Canada, le 3 mai
1838, et s'embarquèrent sur de légers canots d'écorce pour
leur lointaine mission. Leur voyage fut long et pénible ;
après avoir enduré les plus grandes privations et les plus
dures fatigues, ils arrivèrent au Fort Vancouver le 24 novem-
bre de la même année.
Le Vicariat Apostolique d'Orégon fut érigé en province
ecclésiastique le 24 juillet 1846, avec trois sièges suffragants,
celui d'Oregon City, de Walla Walla (actuellement Wallula^
et de rile Vancouver. Le Très Révérend Vicaire Apostoli-
que F. N. Blanchet fut nommé au siège d'Oregon City ; le
Révérend A. M. Blanchet, à celui de Walla Walla, et le
Rév. M. Demers à celui de l'Ile Vancouver.
Le 28 juillet 1871, Monseigneur M. Demers fut appelé à sa
récompense, après vingt-cînq années du plus pénible épisco-
pat. Kos Seigneurs F. N. Blanchet et A. M. Blanchet,
parvenus à un âge octogénaire peuvent, contempler avec
gloire les fruits de leur long et laborieux épiscopat. Le Saint
-Siège leur a doQué dernièrement, à chacun, un Coadjuteur^
dans la personne des RR. A. Junger et C. L. Seghers.
Nous donnons ici la lettre de Sa Grandeur Monseigneur
l'Archevêque F. N. Blanchet, adressée au CathoOc Seniimlie
Portland (Orégon), annonçant la visite Pastoi^ale de Mgr
Sieghers.
— 281 — .
^Esquisse sur l^ établissement des Missions Catholiques parmi
les tribus Indiennes du Nord-Ouest, — Sitccès des Catho*
tiques, insuccès des Protestants à civiliser les Sauvages. —
Précieuse contribution historique,
Portland, Oregon, 21 juillet 1879.
A M. l'EdUeur du Catholic SentineL
Mon cher Monsieur»
Comme le Vicariat Apostolique d'Idaho (lequel renferme
aussi, cette partie du Territoire de Moatana, située à rOuest>
des Montagnes Rocheuses) est sous l'administration de TAr-
cixevèque Blanchet, depuis que son Vicaire Apostolique a
donné sa résignation, le 16 Juillet 1876 ; et comme le Coad*
juteur de TArcheTêque Blanchet, doit visiter cette partie en
premier lieu, je vous envoie^pour être insérés dans les colonnes
de votre journal, les faits historiques suivants, relatifs à
rétablissement des Missions Catholiques dans cette région.
Les Missions qui doivent être visitées sont celles du Nord.
de ridaho et du Montana, et celles du Sud de Tldaho, dans
Tordre ci-aprës indiqué. Le Vicariat renferme quatre Mis-
sions Indiennes, qui sont encore sous les soins des RR. Pères
Jésuites leurs premiers fondateurs, et sept autres pour les
blancs. Les Missions Indiennes conservent encore les noms
donnés aux - tribus par les Canadiens-Français employés
comme voyageurs dans les premières expéditions faites sur
cette côte, et comme trafiquants parmi les Indiens, par les
compagnies du Nord-Ouest et de la Baie d'Hudson.
Voici le nom des Missions du Nord de Tldaho : ce sont,
les Nez-Percés et les Cceurs d'Alênes. Celles du Montana sont,
les Pendants d'Oreille de St. Ignace, auxquels par abréviation,
on donne le soubriquet de Pend' d'Oreille, écrivant non
point Pen, mais Pend, et retranchant la dernière syllabe de
Pendant. L'autre tribu est celle des Tètes Plates de la Mis-
sion de Ste. Marie.
Dans Tordre de la conversion à la Foi, les Tètes Plates
viennent en première ligne, et la n>anière dont ils sont deve-
— 282 —
nus Catholiques est digne d'être conservée dans les archives
de rhistoire. En Tannée 1812, vingt-quatre Indiens Iroquois
catholiques, du Canada, désertèrent une expédition organisée
par le capitaine Hunt, en 1811, et prirent refuge parmi la
nation des Têtes Plates, où ils se marièrent et eurent de
nombreuses familles. Dans les relations qu'ils eurent entre
eux, les Iroquois, naturellement, parlèrent aux Tètes Plates de
leur religion, de leurd prêtres, de leurs cérémonies, de leurs
églises et de leurs fêtes. Cette information excita dans le cœur
des Têtes Plates le désir d'en connaître davantage sur la Reli-
gion chrétienne ; en conséquence, ils envoyèrent, en Tannée
1830, une députation à St Louis, dans le BCissouri, afin
d'obtenir que des Missionnaires vinssent leur enseigner les
vérités du christianisme. La délégation arriva heureuse-
ment au terme de son voyage, mais peu de temps après leur
arrivée, ses membres tombèrent malades, ils s'empressèrent
de demander le secours du prêtre, ils se firent baptiser et
expirèrent en baisant le crucifix. Deux ans plus tarây le&
Indiens envoyèrent un Iroquois, chercher les Robn-Noires,
Il arriva heureusement à St. Louis, fit baptiser ses enfants,
et s'en retournait, apportant de bonnes nouvelles, quand
tombant au milieu d'un parti de Sioux, qu'il rencontra sur
sa route, il fut massacré. L^e troisième délégation de deux
Iroquois, fut envoyée en 1839 ; elle se rendit jusqu'à
St Louis ; et à l'automne de la même année, elle quitta cette
Tille, le cœur rempli, cette fois, de l'espérance que quelques
Missionnaires Catholiques les visiteraient Tannée suivante.
Cette espérance se réalisa, par Tarrivée au milieu d'eux tn
1840, du Père P. J. De Smet, S. J., qui établit la Mission de
Ste. Marie pour les Têtes Plates, en 1841. L'Evêque Rosati
de St. Louis, Missouri, raconte que beaucoup de missionnai-
xes Protestants, qui avaient quitté les Etats de l'Est, avec
grand brvit, désiraient ardemment s'étatblir au milieu des
Têtes Plates^ mais, que le« Iroquois avertirent leurs frères
Indiens, que ^^ ces hommes n'étaient pas les prêtres dont ils
^^ leur avaient parlé. Ils n'étaient pas les prêtres portant ia.
'' longue robe noire^ n'ayant pas de femme, disant la messe^
*' et portant le crucifix sur leur poitrine. "
La Mission de St. Ignace, chez les Indiens Pend' d'Oreille
— 283 —
Sat établie en 1842. Elle possède un pensionnat et un exter-
nat pour les Sauvages, fondés il y a déjà plusieurs années,
* et cooduits actuellement par cinq Sœurs de la Providence,
venant de Montréal. La Mission des Cœurs d' Alênes fut
fondée en 1843, elle possède, elle aussi des écoles pour Tédu-
'<>ation des enfants sauvages, sous les soins de trois Sœurs de
la Providence venant de Vancouver ; enfin la Mission des
Nez'Percés fut établie seulement en 1875.
Les Sauvages Cœurs d' Alênes j sont très méchants ; leur nom
«onvieat très bien à leur caractère ; cependant la Religion
catholique, la vraie civihsatrice des nations païennes, a fait
«a peu le temps, de ces loups cruels, des agneaux pacifiques.
Bien différent, fut le résultat obtenu chez les Nez Percés de
Lapwai, et chez les Cayuses de Wailatpu, sous la direction
des prédicants protestants. Le ministre presbytérien Spaul-
ding, se fixa chez les Nez Percés, en 1836 ; le Dr. Whitman,
aussi ministre presbytérien, commença, durant la même
année, une vaste mission chez les Gayuses, à un mille de
distance du vieux fort de Walla Walla, sur le Territoire de
Washington. Mais les travaux de chacun de ces deux
apôtres de l'erreur, furent presqu'entièrement sans succès, si
Ton peut en juger par le fait, qu'après onze ans de travaux
assidus au milieu d'eux, depuis 1836 jusqu'à 1847, le Dr.
Whitman, fut massacré par ses néophytes, et que M. Spaul-
ding, aurait partagé le même sort, sil n'eut pas été arraché de
leurs mains par P. S. Ogden, agent en chef de la Compagnie
de la Baie d'Hudson, en Janvier 1848. M. Spaulding retourna
chez les Nez Percés tn 1862, et y demeura jusqu'en 1877,
(quinze ans) sans meilleur succès, n'ayant pas assez d'in-
fluence sur eux, pour les empêcher de se joindre au chef
Joseph, dans la guerre qu'il avait déclarée aux blancs en 1877.
La Mission des Sauvages ^' Cœurs d'Alênes^ " se trouvait envi-
ron quatre vingt milles au Nord de celles des Nez Percés ;
ces derniers avaient souvent entendu parler de la manière
dont les Missionnaires catholiques instruisaient et assistaient
les Sauvages, chez qui ils se trouvaient. Un grand nombre
d'entre eux embrassèrent' donc la foi catholique, et le nom-
bre de ces derniers augmentant, ils demandèrent qu'un
prêtre vint résider au milieu d'eux, afin qu'ils pussent rece-
— M4 —
voir la ccrnsolation des Sacrements. Le Père Gaiaido, S. T^
accéda à leur demande et ûxa sa résidence au milieu d'eux
en 1875. Avec Taide des généreux citoyens de Lewiscon,
dans ridaho, il put bâtir une église et fonder une école. Les
bons effets produits par la fondation de ces étabftssements ne
tardèrent pas à se faire sentir, car en 1877, on reconnut
que pas un seul hidien catholique de ces Missions fut hostile
aux blancs ; mais, qu'au contraire les Nez Percés et les
Cœurs d'Alênes donnèrent des preuves évidentes de leur
fidélité aux enseignements catholiques, en usant de toute
leur influence auprès des autres tribus Sauvages, pour les
empêcher de se jeter dans les rangs hostiles, et aidèrent les
soldats en leur servant d'éclaireurs, et faisaot tout en leur
pouvoir pour amener la guerre à une fin.
MISSIONS POUR LBS BLANCS.
Des diffêrentes Missions fondées pour les blancs, deux se
trouvent dans le Montana, et les cinq autres dans le Sud de
ridaho, appelé par les anciens trafiquants canadiens Boise.
Ce nom fut donné à Tancien Fort Boise^ à cause de la grande
quantité de bois qui se trouvait dans le voisinage immédiat
. '' Missoula City, " dans le Montana, est une migsion ^bs-
servie par un Père Jésuite. Il y a là un pensionnat et un
externat, aussi un hôpital, sous les soins de six Soeurs de la
Providence, de Montréal.
^^ Deer Lodge City,'' aussi dans le Montana, est desservie
par un prêtre séculier, le Rév. JR.. De RyGheTe,.qui fut envoyé
à ce poste, en 1867, par TEvôque de Nesqualy. En 1873, le
Père. De Rychere csiistruisit un hôpital, qui fut ouvert au
.public dans le mois d'octobre suivant, sous, la direction de
cinq SiDBurs de Charité, venues de la Maison-Mère, à Levea-
:worth, dans le Kansas. H acheva aussi, en 1871, au coôtde
t4,000, une église en pierre, mesurant 26 sur 60 pieds, avec
un presbytère situé en arrière. Cette mission comprend on
circuit de soixante milles
La découverte de l'or, dans la vallée de Boise, en Idaho,
dans l'année 1861-62, attira à cet endroit une nombreuse
émigration. L'Archevêque Blanchetj voyant cela, nomma
— 285 —
Tannée suivante les RR. A. T. Poulin et T. Mesplie pour
aller donner les secours spirituels aux catholiques qur
86 trouvaient à travailler dans les mines. Trois églises
furent bâties en 1863, la première à *' Idaho City, " fut bénie
le 15 de Novembre, la seconde à Placerville, le 20 de Décem-
bre, et la troifiiëme à Centreville le jour de Noël.
Dans le cours des années suivantes, des églises plus gran-
des furent bâties à Granité Creek, Silver City et Boise City.
Le 13 de Décembre 1867, trois Sœurs du Saint Nom de Jésus,
quittèrent leur Maison-Mère en cette ville, pour Idaho City,
aûn d'y ouvrir un pensionnat et un externat. Mais elles n'y
demeurèrent que deux ans, et furent forcées d'abandonner
leur entreprise, la population n'étant pas assez fixe.
VICARIAT APOSTOLIQUE d'iDAHO.
Conformément aux recommandations du second Concile
Plenier de Baltimore en 1868, les parties est du Diocèse
d'Oregon City et de Nesqualy furent érigées en Vicariat
Apostolique d'Idaho, le 3 Mars 1868, avec le Très-Ré v. Louis
LootenSjde Californie, pour Vicaire Apostolique. Consacré par
Sa Grandeur l'Archevêque de San Francisco, au mois d'août
1869, il prit possession de son Vicariat de bonne heure en
1869. Plus tard l'Evêque Lootens donna sa résignation qui
fut acceptée par le Saint-Siège le 16 Juillet 1876.
Les Missions dans lé Sud de lldaho sont maintenant des-
servies par deux prêtres séculiers, les RR. J. A. Archam-
bault et Joseph Pickl. Prêtres et fidèles dans l'Idaho dési-
rent depuis longtemps recevoir la visite Episcopale de
FAnchevêque Coadjuteur. Il sera peut-être intéressant pour
les Catholiques de connaître l'itinéraire de la visite de l'Ar-
chevêque Seghers. Je prends la liberté de vous l'envoyer
avec ma lettre.
ITINÉRAIRE.
. L De Portland à Lewiston dans l'Idaho, un mille de la
Mission catholique des Nez Percés, — 401 milles par bateau à
vapeur, en trois jours, deux jours sur la Rivière Colombie et
une journée sur la Rivière au Serpent. II. De Lewiston à
Pine Creek, la nouvelle Mission où les Cœurs d'Alênes oni
— 286 —
été transportés il 7 a quelques années, 60 milles à cheval, ea
deux jours. III. Suivant à TEst, à la Mission de St. Ignace,
jchez les Pend'(i*OreiIle&) 250 milles à travers des chemins
montueux, rendus difficiles par robstruction d'arbres renver-
sés ; temps, six ou huit jours, à cheval. IV. De là, dans la
direction Sud, à la Mission de Ste. Marie chez les Tètes Pla-
tes, 75 milles, à cheval, en deux ou trois jours, (Missoula
City est à mi-chemin entre ces deux places). V. De Ste.
Marie à Deer Lodge, 120 milles, à cheval, ou en diligence
depuis Missoula. YI. De Deer Lodge à Ogden, 475 milles,
par diligence. VIL De Ogden à Kelton, 70 milles, par che-
min de fer en trois heures. VIIL De Kelton à Boise City,
300 milles, en diligence. IX. De là, dans la direction nord-
ouest, à Baker City, la Mission la plus éloignée à l'est de
TArchidiocèse, (350 millee de Portland) par diligence en
deux jours. X. A Canyon City, 90 milles en diligence.
XL De là, à Jacksonville, par diligence. XII. De Jackson-
ville à Portland, visitant en passant les Missions intermédiai-
res, à Roseburgh, La Côte, Gardiner City, CorvaUis, Salem,
Gervais, St. Louis, St. Paul et Oregon City.
Le temps nécessaire pour accomplir cette visite Episcopale,
sera d'environ trois mois. Prions tous pour que l'Archevê-
que Seghers fasse un voyage heureux et prospère A son
retour il visitera les agences du Grand Rond, de McMinville,
dornelius, Astoria, Dalles et Umatilla.
Votre très humble serviteur en J. Ç.,
F. N. B.
Statistiques dbs Diocèses et Vicariats apostoliques de la
PROVINCE ecclésiastique d'Oregon City en 1878.
L'archidiocèse d'Oregon City, établi le 24 juillet 1846,
comprend l'Etat d'Oregon, depuis l'Océan Pacifique jusqu'à
la rivière au Serpent, entre le 42o et le 46o de latitude. H
possède 23 prêtres, 22 églises, 68 sœurs, 9 académies pour
âUes, im collège pour garçons, 4 écoles paroissiales pour
garçons, 2 écoles paroissiales pour filles, un orpheUnat pour
les petites filles et un hôpital. On compte trois sociétée da
— 287 —
bienfaisance : celle de St. Vincent de Paul, du Rév. Père
Matthieu et celle de St. Joseph pour les Allemands. La popu-
lation catholique est estimée à 20,000 âmes. Incluses dans
l'Archidiocëse se trouvent les deux réserves indiennes du
Grand Rond et d'Umatilla ; la première a une école tenue
par des Sœurs des SS. Noms de Jésus Marie, avec un pen-
sionnat ; la seconde a aussi une école tenue par le prêtre
missionnaire de la réserve.
Le Diocèse de Nesqualy fut érigé le 31 mai 1850. Il com-
prend tout le Territoire de Washington, possède 10 prêtre»
séculiers et 5 réguliers ; 23 églises et chapelles ; 17 stations ;
55 sœurs et 4 novices ; 2 collèges ; 5 maisons d'éducation
pour garçons et filles ; 5 institutions de charité. La popula*
lion catholique est de 10 à 12,000. Dans les limites de ce
Diocèse se trouvent les réserves indiennes de Tulalip, Yoki-
ma et Colville ; la première et la dernière de ces réserves
ont des écoles dirigées par des Sœurs ; Yokima et Colville
sont desservies par les RR. Pères Jésuites.
Le Diocèse de l'Ile Vancouver, érigé le 24 juillet 1846,
possède 11 prêtres séculiers, 23 sœurs de Ste. Anne, un hôpi
tal, 3 académies pour ûUes, un collège et d'autres écoles pour
les garçons. Il renferme aussi plusieurs Missions indienne»
régulièrement desservies par des prêtres. Sa population
catholique blanche est estimée à 4,500 âmes.
Le Vicariat Apostolique de la Colombie Britansique, érigé
le 14 décembre 1863, comprend la terre ferme et est borné*
au sud par le 49^ : à l'est par la chaîne des Montagnes Ro-
cheuses ; au nord par la Rivière Simpson et la branche Fin-
lay de la Rivière de la Paix ; à l'ouest par l'Océan Pacifique ;
râe de la Reine Charlotte et plusieurs autres îles adjacentes)
sont aussi comprises dans ce Vicariat. Il possède 15 prêtres
réguliers, appartenant tous à l'ordre dts Oblals de M. I, {5
églises, 63 chapelles, 10 sœurs de Ste. Anne, 3 couvents, &
écoles pour les blanc» et 3 pour le« sauvages. Il n'y a que
quelques milles catholiques blancs ; la population catholiqme
indienne est estimée à 20,000, baptisés, ou se préparant à
l'être.
Le Vicariat Apostolique d'Idaho, établi le 3 mars 1868^
comprend le Territoire d'Idaho, et cette partie du Territoire
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du Montana situé à Fou^stdee Montagnes Rocheuses. H pos-
sède 10 prêtres réguliers et 3 séculiers, 14 églises et chapel-
les, 14 sœurs, 3 couvents, 2 hôpitaux et 3 écoles. Il renfenne
quatre missions sauvages desservies par des RR. Pères Jésui-
tes, savoir : dans le Montana, Ste. Marie pour les Tétes-Plates,
fondée en 1 840 par le Père De Smet, et St, Ignace, fondée en
1842 ; dans Tldaho, la mission des CkBurs-d'Alènes, fondée
«n 1843, et celle des Nez Percés, en 1875. Celles de St Ignace
et des Cœurs d'Alênes ont des Sœurs. La population catho-
lique blanche dldaho et du Montana est d'environ 3,000,
celle des Sauvages de 2,650.
Si après quarante années de travaux apostoliques non
interrompus dans le " Far West, " Monseigneur TArchevê-
^ue F. N. Blanchet, courbé sous le poids de ses quatre-vingt
ans, jette un regard dans le passé, il verra avec plaisir et
consolation le progrès immense que sa Mission a fait depuis
Tannée 1838. Alors ce n'était pour ainsi dire qu'un petit
grain (le sénevé, mais à peine eut-il été déposé dans la terre
xju'il leva vigoureusement et grandit au point de devenir un
grand arbre, qui maintenant étend ses branches au loin et au
large. D'abord c'est une humble mission ; cinq années plus
tard elle est érigée en Vicariat Apostolique ; elle devient une
Province Ecclésiastique en 1846, et s'accroît de nouveau pst
l'érection de deux Vicariats apostoliques ; celui de la Colom-
bie Britannique en 1863, et celui d'Idaho en 1868; tellement
que là où, en 1838, on ne trouvait que deux prêtres dans tout
le territoire, maintenant, après quarante ans, en 1878, on
compte 1 archevêque, 4 évèques, 80 prêtres, 115 églises et
chapelles, 4 collèges pour garçons, 176 sœuts de quatre ordres
différents, y compris les Soeurs de la Miséricorde d'Omahà
et de Deer Lodge, 20 académies pour filles, 6 hôpitaux, 4
orphelinats et un grand nombre d'autres écoles moins consi-
dérables pour garçons et filles. Tel est le pn^rès étonnant
que l'Eglise et le royaume du Christ ont fait en Orégon dans
le cours espace de quarante ans. Ces faits glorieux parlent
avec une éloquence plus convaincante que ne pouvaient le
faire les plus beaux mouvements oratoires. Ils forment une
page illustre dans l'histoire de TEglise catholique en Anaéri-
que.