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Full text of "Annales de la propagation de la foi pour la province de Québec"

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ANNALES 


SX  LA 


PROPAGATION  DE  LA  FOI 


POUR  LA  PROVINCE  DE  QUEBEC 


FÊVBlEB  1877. 


-   .    •  • 


PREMIER  NUMÉRO. 


DES  PRESSES  A  VAPEUR  DE  J.  A.  PLINGUET^ 

39,   RUE  ST.   JEAN-BAPTISTE. 
1877 


•  •   •  •    • 

•  •  •  • 

•  •  •    •  • 


Permis  d'imprimer, 

•4-  Edouarb  Ch.  Bv.  de  HontréaL 


AUX  ASSOCIÉS  DE    LA   PROPAGATION   DE  LA  POI 
DANS  LE  DIOCÈSE  DE  QUEBEC. 

Mgr.  SiQNAï  disait,  dans  une  Lellre  Pastorale  en  date  du 
28  Désemhre  183G:  ^^Dans  la  vue  de  répondre  au  plus  tôt 
^^  aux  heureuses  dispositions  que  font  paraître  ces  infortu-^ 
*'  nés  (les  peuples  sauvages  du  Nord,  ainsi  que  ceux  qui 
''  font  en'^ore  partie  du  diocèse  de  Québec);  et  désirant^ 
^''  pour  remplir  les  devoirs  de  notre  charge,  envoyer  de  zélé» 
^^  missionnaires  au  milieu  d'eux  pour  leur  annoncer  les 
^'  vérités  de  la  religion  ;  voulant  en  outre  pourvoir  aux 
^'  besoins  pressants  de  plusieurs  autres  missions  devenues 
^^  nécessaires  en  divers  lieux  dépendant  de  notre  juri* 
'<  diction  ;  nous  nous  sommes  adressé  à  N.  S.  P.  le  Pape 
'^  Grégoire  XVI,  pour  obtenir  la  permission  d'établir  dang. 
**  ce  diorèse  la  Société  de  la  Propagation  de  la  Foi  telle 
'^  qu'elle  est  établie  en  France  depuis  1822,  et  avec  tous  les- 
^'  privilèges  qui  y  sont  attachés.  Sa  Sainteté  a  bien  voulu 
-^répondre  à  nos  désirs,  et  nous  avons  la  satisfactiou.de 
"  vous  informer  qu'en  vertu  d'un  Bref  Apostolique,  daté  de 
''  Rome  le  28  février  de  la  présente  année,  nous  sommes 
'^  autorisé  à  établir  la  dite  Association  de  la  Propagation  de 
-^  la  Foi  pour  les  fins  &us-mentionnées. 

'^  Cette  Association  que  nous  proposons  et  que  nous 
'^  recommandons  aujourd'hui  au  zèle  de  notre  clergé,  à  sa 
'^  piéié,  ainsi  qu'à  celle  des  fidèles  de  notre  diocèse,  a  donc 
^'  pour  objet  d'étendre  ei  de  propager  la  foi  catholique, 
^(  d'^iairer  de  ses  divines  lumières  les  peuples  éloignés 
''  dont  nous  venons  de  parler  i  comme  aussi  d'établir  des 
^'  missions  au  milieu  d'un  grand  nombre  de  catholiques 
"  privés  des  secours  de  la  religion  et  incapables,  à  cause  de* 
'^  leur  pauvreté,  de  subvenir  à  l'entretien  des  prédicateurs 
<<  de  l'évangile.  Les  moyens  qu'elle  propose  à  ses  associés, 
'^  pour  atteindre  le  but  de  son  institution,  sont  des  œuvres 
<<  de  piété  et  de  charité,  dont  voici  le  détail: 

'Ma  Chaque  associé  doit  dire  tous  les  jours  un  Pater  et 
^<  un  Ave  Maria^ hyec  cette  courte  invocation:  Saint  François* 
"  Xavier^  priez pournous.    Il  suffit  de  diriger,  une  fois  pour 


<^  toutes,  l'intention  du  Pater  et  de  VAve  de  la  prière  da 
^^  matin  du  de  celle  du  soir. 

''  2o.  Chaque  associé  doit  donner  çn  aumône  un  90u  par 
^'  semaine. 

'-^  Les  avautages  et  les  privilèges  attachés  à  cette  Asso- 
*'  dation  par  les  Souverains  Ponti^s  sont  : 

*'  lo.  Une  indulgence  plénière  le  jour  de  l'Invention  de  la 
*'  Ste.  Croix,  le  3  mai,  ce  jour  étant  l'anniversaire  de  l'ins- 
<^  titution  de  l'Association. 

"  2o.  Une  seconde  indulgence  plénière  le  jour  de  la  fête  de 
*•  St.  François-Xavier,  patron  de  l'Association,  3  décembre. 

*'  3o.  Une  troisième  indulgence  plénière  une  fois  chaque 
^^  mois.  Le  jour  de  cette  indulgence  est  au  choix  de  cha- 
**  que  associé. 

*^  Pour  gagner  ces  indulgences,  il  faut  réciter  régulière- 
'<  ment  les  prières  dont  nous  venons  de  parler,  et,  le  jour 
^*  où  Fon  doit  gagner  l'indulgence,  se  confesser  (cette  con- 
*'  fession  peut  se  faire  la  veille)  communier,  visiter  l'église 
"  de  sa  paroisse  et  y  prier  à  l'intention  du  Souverain  Pon- 
**  tife. 

*'  Ou  peut  en  outre  gagner  une  indulgence  de  100  jour^ 
*•'  chaque  fois  qu'étant  au  moins  contrit  de  cœur,  on  récite 
^'  les  prières  de  l'Association,  ou  que  l'on  fait  soit  Pau- 
^'  mône  prescrite,  soit  toute  autre  aumône  en  faveur  des 
''  missions,  ou  que  l'on  fait  quelque  autre  œuvre  de  pitié 
^'  ou  de  charité  Toutes  ces  indulgences,  plénières  et  par* 
^^  tielles,  sont  applicables  aux  âmes  du  purgatoire. 

"  Nous  vous  exhortons,  Nos  Très  Ghers  Frères,  à  favo- 
'^  riser  une  œuvre  si  précieuse.  Quant  à  la  légère  con- 
**  tribu  lion  qui  y  est  attachée,  c'est  le  denier  de  la  veuve  de 
*^  Tévangile  demandé  à  chacun  de  vous  ;  mais  ce  denier 
^'  réuni  à  plusieurs  autres  pourra  contribuer  à  faire  porter 
*•  la  foi  chez  ceux  qui  ne  l'ont  pas  encore  reçue,  ou  à  la  per- 
<^  péluer  parmi  ceux  qui  manquent  de  moyens  pour  la  sou- 
'^  tenir  et  la  conserver  ". 

Comme  on  le  voit,  la  Société  de  la  Propagation  de  la  Foi 
existe  régulièrement,  dans  le  diocèse  dé  Québec,  depuis  le 
28|Dëcembre  1836.  Dans  le  cours  de  l'année  1841,  Mgr. 
Signai,  à  la  demande  des  membres  du  Comité  de  Régie  de 


TÀBsociation  à  Québec,  fit  des  démarches  auprès  du  Pré. 
eident  général  de  TOËuvre  en  France,  M.  de  Jessé,  pour 
obtenir  Taffiliation  à  celle  de  France  de  la  Société  de  la  Pro- 
pagation de  la  Foi  telle  qu'elle  était  établie  à  Québec  ;  cette 
affiliation  fut  aussitôt  accordée,  à  condition  que  TÂssociatioa 
de  Québec  continuerait  à  favoriser  autant  que  possible  les 
missions  sauvages  et  autres  de  l'Amérique  Britannique.  La 
plus  grande  partie  des  recettes  se  trouvait  de  la  sorte  à,  la 
disposition  du  Comité  de  Régie  de  Québec,  qui  employait 
cet  argent  au  soutien  des  missions  du  diocèse. 

Quelques  difficultés  s'étant  élevées,  en  1845,  entre  les 
conseils  centraux  de  France  et  le  Comité  de  Régie  à  Québec, 
ce  ne  fut  que  le  20  Décembre  1850  qu'on  en  vint  à  des 
arrangements  définitifs,  ^affiliation  de  la  Société  de  Québec 
à  celle  de  France  fut  maintenue  à  condition  que  notre 
Comité  de  Régie  paierait  tous  les  ans  $600,00  à  TEvêque 
d'Ottawa  pour  la  mission  sauvage  d'Abbittibbi,  $480,00  à 
TEvéque  de  St.  Boniface  et  $940,00  au  conseil  central  de 
Lyon  pour  Texpédition  des  Annales.  Le  reste  des  recettes 
était  à  la  disposition  du  Comité  de  Québec.  A  peu  près 
depuis  cette  époque  le  Comité  de  Québec  a  de  plus  alloué, 
chaque  année,  $600,00  à  la  mission  des  Naskapis  et  des 
sauvages  de  la  Baie  d'Hudson,  8400,00  pour  la  mission  des 
Tètes  de  Boule,  sur  le  haut,  du  St.  Maurice,  8200,00  pour  les 
Annales  anglaises,  etc.  Tous  les  ans,  le  Comité  de  Québec  a 
fait  rapport  de  ses  recettes  et  de  ses  œuvres  aux  conseils 
•  centraux  de  France. 

Les  choses  en  étaient  là,  lorsque,  dans  les  derniers  jours 
de  juin  1876  Mgr.  TArchevôque  de  Québec  reçut  une  lettre 
de  M.  de  Verdiôre,  Président  général  de  TCEuvre  de  la 
Propagation  de  la  Foi  en  France,  informant  Sa  Grandeur 
que,  pour  plusieurs  raisons,  il  no  lui  était  plus  possible  de 
continuer  à  la  Société  de  Québec  le  privilège  de  Taffiliation 
à  celle  de  Fran^,  à  moins  que  le  diocèse  de  Québec  ne 
consentit  à  laisser  toutes  ses  recettes  à  la  disposition  des 
conseils  centraux  de  France,  et  à  ne  rien  recevoir  à 
r  avenir. 

Après  avoir  consulté  MM.  les  curés  du  diocèse,  réunis  en 
retraite  à  la  fin  du  mois  d'août,  Mgr.  TArchevôque  résolut  de 


mettre  les  choses  sur  Tancien  pied.  Â  cet  effet  il  convoqua^ 
le  14  Sept.  1876,  une  assemblée  extraordinaire  du  Comité 
de  Régie,  qui  eut  lieu  au  salon  de  TArchevêché,  sous  la 
présidence  de  Son  Excellence  le  Lieutenant  Gouverneur 
Caron.  Voici  ce  qu'on  lit  au  procès-verbal  de  cette  asseni* 
blée:  '^  Mgr.  l'Archevêque  étant  venu  pour  prendre  part 
aux  délibérations  du  Comité,  expose  lui-même  qu'il  a  reçu 
une  lettre  du  Président  général  de  l'Association  de  la  Pro- 
pagation de  la  Foi  en  France,  par  laquelle  ou  annonce  que 
les  conseils  centraux  de  Paris  et  de  Lyon  en  sont  venus  à 
décider  qu'à  l'avenir,  c'est  i  dire  après  la  présente  année,  le 
diocèse  de  Québec  devra  disparaître  du  compte  des  dé- 
^nses  et  qu'il  ne  figurera  plus  que  dans  le  compte  des 
recettes.  En  d'autres  termes,  d'après  la  teneur  de  cette 
lettre  officielle,  le  Comité  de  Québec  devra  remettre  toutes 
ses  recettes  aux  mains  des  conseils  de  France,  sans  pouvoir 
s'attendre  à  aucune  allocation  pour  ses  propres  besoins. — 
Mgn  l'Archevêque  fait  remarquer  que  le  diocè*se  de  Québec 
ne  peut  absolument  pas  se  passer  des  ressources  que  lui 
fournit  la  Propagation  de  la  Foi,  et  que  le  plus  sûr  parti 
que  nous  ayons  à  prendre  c'est  de  rompre,  à  regret  sans 
doute,  l'union  qui  a  existé  depuis  tant  d'années  entre 
l'Œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi  régulièrement  et 
canoniquement  établie  dans  le  diocèse  de  Québec,  et  la 
Société  telle  qu'elle  existe  en  France. 

Les  membres  du  comité  de  Québec,  tout  en  déplorant 
sincèrement  cette  extrême  nécessité,  déclarent  alors  d'un^ 
commun  accord  que,  vu  les  besoins  immenses  où  se  trouve 
le  diocèse  de  Québec  pour  le  soutien  des  nombreuses  et 
pauvres  missions  qui  en  font  partie,  et  pour  venir  en  aide 
à  des  œuvres  locales  où  la  Propagation  de  la  Foi  est  direc- 
tement intéressée,  ils  ne  peuvent  accepter  la  proposition 
faite  par  M.  de  Verdière,  Président  de  l'Œuvre  en  France; 
qu'en  conséquence  l'Association  de  la  Propagation  de  la 
Foi  dans  le  diocèse  de  Québec  s'en  tiendra  désormais, 
domme  autrefois,  aux  privilèges  à  elle  accordés  par  l'In- 
duit de  Grégoire  XVI  en  date  du  28  février  1836,  et  qu'elle 
gardera  toutes  ses  recettes  pour  en  disposer  selon  les  besoins 
du  diocèse." 

Nous  nous  trouvons,  de  cette  manière,  à  ne  plus  avoir 


droit  aux  Annales  publiées  à  Lyon.  Mais,  pour  obvier  à 
cel  inconvénient,  il  a  été  réglé  que,  trois  fois  par  année,  le 
15  février,  le  15  juin  et  le  15  octobre,  il  sera  publié  à  Mont- 
réal, des  Annales  canadiennes  qui  renfermeront  des  matiè- 
res ayant  spécialement  rapport  aux  œuvres  accomplies  par 
la  Propagation  de  la  Foi  en  Canada  et  dans  l'Amérique  du 
Nord,  et  contenant  en  outre  des  informations  sur  les  tra- 
vaux  apostoliques  des  missionnaires  dans  toutes  les  parties 
de  l'univers.  Ces  Annales  seront  également  distribuées 
aux  Associés  des  diocèses  de  Montréal  où  l'CEuvre  de  la 
Propagation  de  la  Foi  est  organisée  depuis  plusieurs  années 
comme  elle  le  sera  désormais  chez  nous,  ainsi  qu'aux 
Associés  des  diocèses  des  Trois-Rivières  et  de  St.  Hyacin- 
the, où  Ton  va  suivre*  notre  exemple,  en  se  serrant  de  la 
Société  de  France. 

Depuis  Ja  publication  du  dernier  «^  Rapport  des  Missions,' 
en  Mai  1874,  le  Comité  de  Régie  à  Québec  a  eu  à  déplorer 
la  mon  de  deux  de  ses  membres:  A.  B.  Sirois,  Ecuyer 
Notaire,  qui  fatsatt  partie  du  Comité  depuis  le  22  Décembre 
1862;  et  Son  Excellence  le  Lieutenant  Gouverneur  Caron 
qui  fut  l'un  des  foHdateuis  de  l'Œuvre  à  Québec  et  qui 
était  Président  du  Comité  depuis  le  16  Décembre  1855: 
Nous  les  recommandons  tous  deux  aux  ferventes  prières 
des  Associés.  L'Hon.  M.  Chauveau  a  été  choisi  en  rem- 
placement  ae  M.  Sirois,  et  Alexandre  Lemoine,  Ecuyer  en 
remplacement  de  Son  Excellence  M.  Caron.  Errol  Boyd 
Lindsay,  Ecuyer,  le  dernier  survivant  des  fondateurs  de 
rCEuvredô  la  Propagation  de  la  Foi  à  Québec,  a  été  élu 
Président,  et  Vital  Têtu,  Ecuyer,  Vice- Président.  Le  Comité 
de  Régie  à  Québec  est  donc,  à  l'heure  qu'il  est,  composé 
comme  suit:  ; ^ 

5?taS^t^T?  J^INDSA\  ;  Ecr ,  Président. 

■  VITAL  TÊTU,  Ecr.,  Vice-Président. 

■  CYRIt.LE  DELAGRAVE,  Ecr.,  Secrétaire 

L'ABPE  NAP.  LALIBERm  f^JnJr 
MGR.  G.  F.  GAZE  AU,        .     ^'"»"«- 

G.  M.  MUIR,  Ecr.,  ... ,■....."- 

L'HON.  THOS.  McGREEVY 

L'HON.  P.  GARNEAU, 

L'HON.  P.  CHAUVEAU, 

ALEXANDRE  LEMOINE,  Ecr 


COMPTES-RENDUS. 


DIOCÈSE  DE  QUÉBEC. 


Etat  des  recettes  de  t'Œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi^  dans: 
le  diocèse  de  Québec^  pour  l'année  1874. 

CàSème  année.) 


Ville  de  Québec. 


BasUique $371  20 

50 


Archevêché. 
Grand  Séminaire 
Petit  Séminaire.. 

Hôtel-Dieu 

Daines  Ursulin^s, 

Hôpital-Général 36 

Sœurs  de  la  Charité 

8œar8  du  Bon  Pasteur .  •  •  •        5 


16 
16 
26 
24 
36 


00 
60 
00 
85 
00] 

00 


Porté $    522  15 


Rapporté 

Ecole-Normale 

St.  Patrick 

Faubourg  St.  Jean . . . 

St.  Roch 

St.  Sauveur 

Soldau 

Asile  des  Aliénés. .... 
Collège  de  Ste.  Anne. 


$    522  15 


Ut  00< 

276  00 

,     759  00 

215  30 

22  00 
8  00 

14  50 

Porté ...f  1957  95 


Campagne. 


Rapporté , 

Adrien,  St.  d'Ireland . . 

Agapit  St. 

Agathe  Ste - ... 

Agnès  Ste 

AlbanSl 

Alexandre  St • 

Alexis  St 

Alphonse  St 

AmbroiseSt. .,. 

Anastasie  Ste 

Ancienne  Lorette  N.D.de  V 
André  St 

Ange  Gardien 

Anges  SS.  de  la  Beauce. .  « 
Anne  Sle.  de  Beaupré. .  • .  • 
Anne  Ste.  de  la  Pocatière. . 
Anne  Ste.  du  Saguenay . . , 
Anne  Ste.  du  Portneuf. .  • , 

Anselme  St.. .  •  • 

Anse  St.  Jean. 


$  1957  95 


60  65 

76  85 

23  00 

47  50 

21  00 

6  00 

8  45 

87  15 

2  45 

89  25 

27  50 

156  15 

40  25 

53  00 

6  25 

134  45 
7  00 


Rapporté $ 

Antoine  St 

Antonin  St 

Apollinaire  St 

Armâgh  St.  Cajetan  d\. .. 

AubertSt 

Augustin  St , 

BaitoSt.  Paul 

Basile  St 

Beaumont  St.  Etienne  de.. 
Beauport  N  .D.de(à  compte) 
Bergeronnes  Ste.  Zoé  des». 

Bernard  St 

Berthier  N.D.de 

Broughton S.C.  de  J.  de... , 
Broughton  St.  Pierre  de.. 

Buckland  N.  D.  de 

Galixte  St  de  Somerset. . , 
Gap  Santé  Ste  Famille  du. 
Cap  St.  Ignace  • •• 


2804  85 

48  60 

14  25 

44  00 

2  50 

10  00 

241  40 

76  00 

72  30 

25  00 

34  25 

17  00 

5  00 

38  00 

ItO  00 

45  50 

126  00 

Porté $  2804  85 


Porté. ••••.M..*  3714  65 


Rapporté .•$ 

<:asimîr  Bt 

Oassten  St.  des  Caps . . .  •  • 

Catherine  Ste 

Charles  Si 

Charlebourg  St.  Charles  de 
Chateau-Richer  N.D.  du... 
Chicoutimi  Si.  Frs.-Xav.'de 

Glaire  Ste 

Côme  St.  de  Kennebec 

Craobourne  St.  Odiion  de. 

•Croix  Ste. 

CyrilleSt 

Cyriac  St.  de  KÎDo^ami. . . 
Damien  St.  de  Buckland . . 
David  St.  de  l'Aube-Riv.. 

Denis  St 

Deschambault  Si.  Jos.  de. 
Dominique  St  de  Jonquières 
Dunstan  SI  du  Lac  Beau  p. 
Eboulements  N.  D.  des. ., 
Ecureuils  St.  J  -Bapl.  des. 
Edouard  St  de  Lolbinière. 
Edouard  St.  de  Framplon. 
Eleuthère  St.  de  Poenéga- 

mouck 

ElzéarSl 

Bmmélie  Ste 'de  Lolbinière. 
Ephrem  St.  de  Tring.  .^. . . 
Escoumains  St.  Marcellin 

des 

Etienne  St.  de  Lau^on .... 

Eugène  St 

Evariste  St,  de  Forsyth... 

Famille  Ste 

Félicien  St 

Félix  St.  du  Cap  Rouge. . . 
Ferdinand  St.  d'Halifax. . . 

FerréoISt 

Fidèle  Si 

Firmin  St.  de  la  Rivière 

aux  Canards 

•Fla\ien8t .'. 

FoyeSte.  (l) 

François  St  de  Beauce. . . . 
François  St.  Isle d'Orléans. 
François  St.  Riv.  du  Sud. . 

Frédéric  St 

Falgence  St 

Gédéon  St.de  Grandmont.. 


3714  65 

45  00 

22  00 

118  50 

G4  70 

10  00 

81  50 

49  50 

15  00 

40  00 


50  00 

58  00 

I  50 

45  no 

9  01 
33  00 

3  00 

t  00 
32  00 

39  50 

4  10 

27  60 
8  00 

7  60 

40  50 

14  75 

15  50 
14  55 
31  00 


24  00 
46  25 
19  00 

36  25 

37  65 
21   10 

5  15 


Porté $  4785  85 


Rapporté $ 

Georges  Si 

Germaine  Ste 

Gervais  St. 

Gilles  SI 

Gosford 

Grondines  Si.  Charles  des.. 
Grosse-Ile  St.  Luc  de  la.. . 

Héberlvillo  N.  D.  d' 

Hélène  Ste 

Henédine  Sle 

Henri  SI , 

Hilarion  St , 

Honoré  St.  deShenlèy.... 
Inveroess  Si.  Alhanase  d*. 

Irénée  St 

Isidore  St 

I8leaux  Coudre  St.  Ls.  de  1' 
Isleau\  Grues  St.  Ant.  de  1' 

IsIetN.  D.  dor 

Jean-Chrysostôme  Si 

Jean  St.  Deschaijions.... 
Jean  St.  Isie  d'Orléans... 

Jean  St.  Port  Joly 

Jeanne  Sle.  de  Neuville... 

Jérôme  Si .... 

Joac^^imSt 

Joseph  St.  de  Beauce 

Joseph  St.  deiaévis 

Julie  Ste  de  Somerset 

Justine  Ste 

Kamouraska  St.  Louis  de.. 

Lambert  St. 

Lambton  St.  Vital  de 

Laurent  Si 

Laval  Ste.  Brigitte  de 

Lazare  Si 

Leeds  St  Jacques  de 

Léon  Si.  de  Standon. ..... 

Lévis  N.  D.  de 

Lolbinière  Si.  Louis  de. . . 
Louis  S.  de  Mélabetcbouan 

Louise  Ste 

Magloire  Si 

vialachie  St 

Malbaie  St  Etienne  de  la . . 

Ml rgueriie  Ste 

Marie  Sle.  de  Beauce 

Michel  St 

Mont  Carmei  N.  D.  du. . . • 


4785  85 

6  60 

2  00 

41  00' 

15  00 

72  00 

2  50 
34  Î5 
28  00 

3  00 
85  00 

19  45 
n  50 
32  00 
55  40 
68  40 

68  70 
128  50 

54  80 

69  35 
148  00 

61  00 
47  50 
7  00 
46  60 
60  30 

168  00 
40  50 
2  50 
67  20 
50  70 
10  25 

125  90 
21  00 
45  20 


320  00 
84  00 

5  25 
26  30 

1  00 

59  40 

6  50 
18  00 
97  20 

1  00 


Porté $  7103  60 


(l)  Ste.  Foyea  donné  $48.50  en  1871,  $52.60  en  1872  et  $50.00  en 
1873.    Le  nom  de  cette  paroisse  avait  été  oublié  dans  les  rapports  pré 
cédents. 


10 


Rapporté $  7103 

Narcisse  St 15 

Nicolas  St 116 

N.  D.  du  Lac  St.  Jean 3 

M.  D.  de  Laterrière 5 

N.  D.  du  Portage 4 

N.D.  de  Lourdes  de  Méganlic 
N.D.  delà  Hiv.  Batiscan.. 

OnésimeSt 1 

PacômeSt 12 

PamphileSt 

Paschal  St 181 

Patrice  Bt.  de  Beaurivage . 

Paul  St.  de  Mille-Vaches. .  2 

Paul  St.-  de  Moutminy ....  7 

Perpétue  Ste 1 

Petite  Riv.  S.  Frs.-Xav.de  la  1 8 

Pétronilie  Ste.Isle  d'Orl.. . .  32 
Philémon  Si.  de  Mailloux.. 

Philippe  de  Néri  St 35 


Pierre  St.  Isle  d'Orléans. . . 
Pierre  St.  Riv.  du  Sud .... 
Pointe-aux-Trembles    St. 

Frs.  de  Sales  de  la 

PorlneufN.  D.  de 


150 
42 

72 
51 


60 
00 
15 
00 
00 
00 


00 
00 

00 

00 
65 
50 
40 
00 

00 
65 
00 

00 
00 


Porté $  7852  95 


Rapporté $  7852  95 

PrimeSt 1  00 

Raphaël  St 37  10 

RiymondSt 57  00 

Riv.  du  Loup  S.  Pat.  de  la .  37  45 

Riv.  Quelle  N.  D.  de  la . . .  i  9  50 

Roch  Si.  des  Âulnets 80  00 

Romuald  St 50  OO 

Sébastien^t 1  00 

SévérinSt *...  10  00 

Siilery  St.  Colomb  de 29  30 

Siméon  St.  du  Port  au  Persil  15  00 

Sophie  Ste.  d^Ialifax .....  12  30 

Stoneham  St.  Edmond  de.  3  65 

Sylveste  St 16  75 

Tadousac  Ste.  Croix  de. . .  3  00 

Télesphore  St 

Tewkesbury  S.  Jacques  de 
Thetford  8.  C.  de  Marie  de 

Thomas  St.de  Montmagny.  132  00 

Tite  St.  des  Caps 25  00 

UbaldeSt ; 8  00 

Urbain  St 30  00 

Val-Cartier  St.  Gabriel  de.  30  50 

ValierSt 97  00 

Victor  St.  de  Tring 2  00 


Montant  de  la  recette  des  paroisses $8550  50 

Dons  et  intérêts 201  30 


Total  de  la  recette  de  1874 $8751  80 


Etat  des  sommes  allouées  par  le  Conseil  de  la  Propagation  de 
la  Foi  à  Québec^  pour  Vannée  commençant  au  irr  Octobre  . 
1874  et  finissant  au  \er  Octobre  1875. 

Annales  de  Lyon : $  980  40 

Missions  du  Lac  Abbitibbi  et  des  Chantiers 600  00 

Diocôee  de  St.  BoDiface 480  00 

Missions  du  St.  Maurice 400  00 

Missions  des  Naskapis 600  OO 

Transport  des  Annales  et  Annales  anglaises..  '. 200  Oi) 

Ornements,  vases  sacrés,  pierres  d'autels,  etc 1000  00 

Grosse-Isle  (Quarantaine) ....•• 2<'0  00 

Aide  au  Petit  Séminaire  de  Chicoutimi 250  00 

Pour  65  Appendices  au  Rituel 130  00 

Pour  livres  de  controverse  en  anglais 90  50 

Presbytère  de  Stoneham lOO  00 

Chapelle  de  N.  D.  de  Lourdes  de  Méganctic 100  00 

Chapelle  d'Invemess 100  0(i 

Chapelle  de  St.  Pierre  Baptiste 100  00 

Chapelle  du  S.  C.  de  Marie 100  00 

Porté Ç  5430  90 


Il 

Rapporté %  5430  90 

^:hapelle  de  Sle.  Justine 100  00 

Chapelle  de  St.  Damien  de  Bucktand 50  00 

<^hap<^llede  St.  Malgloire 100  00 

Chapelle  de  St.  Philémon  de  Mailloux 50  00 

llhapellede  Su  EleuUière 150  CO 

Chapelle  delà  Hivlère  aux  Canards -     50  00 

Chapelle  de  Ste.  Anne  do  la  Rivière  Portneuf. 100  00 

<^:hapelle  de  la  Hivière  Ste.  Murguerite 50  00 

i  :hapelle  de  St.  Cyriac  de  Kinoprami 40  00 

Chapelle  de  St.  Félicien 100  00 

Presbytère  des  S.  S.  Anges  de  la  Beauce 50  00 

Missionnaire  de  St.  Ubade,  eic 100  00 

"          de  Valcariier,  Gosford,  etc 80  00 

''          de  Stoneham,  St  Adolphe,  etc 100  00 

de  Laval,  etc 30  00 

.le  8t.  Tite  des  Caps 100  00 

•*          de  81.  Casaien,  par  Petite-Rivière 30  00 

'*          de  St.  Siméon,  etc 60  00 

de  Tadoussac,  etc. , 140  00 

"          des  Escoumains 50  00 

de  St.  Paul  de  Mille  Vaches,  etc 60  00 

♦»         de  l'Anse  St.  Jean 120  00 

de  St.  Fuigence  et  des  chantiers 200  00 

de  St.  Gèdéon,  par  St.  Jérôme 40  00 

de  Si.  Prime,  etc ; .' 160  00 


II 

de  Ste  Anastasie '   100  00 

d'Inverness 100  00 

<( 


deSt.  Sévérin 50  00 

de  Sébastien , ^...  120  00 

*•         deSt.  Cômede  Kennébeo 100  00 

"          de  Ste.  Justine 100  OÙ 

deSl.  Magloire 100  00 

dèSt.  Dumien,  parBuckland., 50  00 

de  St.  Paul  de  Montminy,  etc 100  00 

"         de  Ste.  Perpétue 120  00 

de  SI.  Eleuihère ' 175  00 


ii 


•* 


Montant  alloué...'. $8705  90 

JRésumé  : 

Total  de  la  recette  de  1871 $8751  80 

En  caisse  de  l'an  dernier 5 157  50 

Total • S13909  30 

Montant  alloué  pour  Î87J 8705  90 

Reste  en  caisse $5203  40 

NAP.  LALIBERTÉ,  Ptre., 

Trésorier. 


12 

Eiat  des  recettes  de  V Œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi^  dans 
le  diocièse  de  Québec^  pour  l'année  1875. 

..  .  (S^ème  année.) 

Ville  de  Québec. 


Basilique $  328  90 

Arclievèché 10  00 

Grand  Séminaire 15  00 

Petit  Séminaire 33  90 

Hôtel-Dieu 12  00 

Dame»  Ursulines 38  25 

Hôpital-Général , 32  30 

Sœurs  de  la-  Charité 4  00 

Sœurs  du  Bon  Pasteur ....  5  00 


Porté $    470  35 


Rapporté 

Eoole-Normale 

St.  Patrick 

Faubourg  St.  Jean. . 

St.  Roch 

8t.  Sauveur , . , 

Soldats 

A.»ile  des  Aliénés . . . . 
Collège  de  Ste.  Anne, 


\    479  35 

6  00 

100  00 

340  50 

708  OO 

244  60 

16  00 

7  00 

15  00 

Porté $1916  45 


Campagne. 


Rapporté $1916  45 

Adrien  St.  d'Ireland 

AgapitSt... 45  00 

Agathe  Ste. 66  00 

AgnèsSte.; 17  10 

AlbanSt..; 42  00 

Alexandre  St 18  00 

AlexisSt 4  00 

-Alphonse  St 2  00 

AmbroiseSt 71  00 

AnastasieSte 135 

Ancienne  Lorette.N.D.  de  r  100  00 

AndréSt ; 23  60 

AngeGardlen 57  00 

Anges  S9.  de  la  Beauce . . . 

Anne  Ste.  de  Beaupré S2  45 

Anne  8te.  de  la  Pocatière.  29  50 

Anne  Ste.  du  Saguenay  • . .  1  55 

Anselme  St 120  00 

Anse  St.  Jean 2  40 

Antoine  St 70  00 

Antonin  bt 14  50 

AppoUinaire  St 39  00 

Armagh  St.  C^jétan  d\ . . .  3  00 

Auberl  St 9  00 

Augustin  St 296  65 

Baie  St.  Paul 57  00 

BasileSt 33  00 

Beaumont  St.  Etienne  de.  67  10 

Beauport  N.  D.  de 96  00 

Bergeronnes  Ste.  Zoë  des. 

Bernard  St .  40  00 

Porté $  3324  65 


Rapporté $  3324  65 

Berthier  N.  D.  de 12  50 

Broughlon  S.  C  de  Jésus  de      10  00 
Braughton  St.  Pierre  de..       43  00 

Buckland  N.  D.  de 8  25 

Calixle  St.  de  Somerset...    137  00 
Cap  Santé  Ste.  Famille  du      42  65 

Gap  St.  Ignace 160  00 

Casimir  St 48  00 

Cassien  St.  des  Caps. ..... 

Catherine  Ste 23  00 

CharlesSt 170  00 

CharIesbourgSt.Ch8.de..      65  75 
Chdteau-Richer  N.  Û.  du.. 
Chicouttmi  St.  Prs.-X.  de.      55  00 

Claire  Ste 50  00 

Côme  St.  de  Kennébec... 
Cranbourne  St.  Odilon  de. 

Croix  Ste 34  00 

GyrilleSt 

Cyriac  St.  de  Kinogami . . . 
Damien  St.  de  Buckland  •  •  • 
David  St.  de  l'aube-Riv... . 

DenisSl 40  00 

Deschambault  St.  Jos.  de.      85  00 
Dominique  S.  de  Jonquières 
Dunstan  St.  du  Lac  Beau. 
Bboulements  N.  D.  des.. . 
ËcureuilsSt.  Jean-Bap.  des        7  00 
Edouard  St.  de  Lotbinière      34  00 
Edouard  St.  de  Frampton.       10  30 

Porté f  4360  10 


13 


Rapporté $  4360  10 

Slealhère  St.  de  Pohéné- 

gamook 

BIzéarSt 27  00 

JBmmélieSte.deLotbinière  26  50 

BphremSt.  de  Trlng 4  10 

JSscoumains,  St.  Marcellin 

des \ U  85 

^tienne  St.  de  Laazoo ....  4  00 

Eugène  St 

Evarirte  St.  de  Forsyth ...  i2  25 

Famille,  Sle 32  35 

Félicien  St 

Félix  St.  du  Gap  Rouge. . .  9  00 
Ferdinand  St.  d'Halifax . . . 

Ferréol,St 11  10 

Fidèle  St 

Firmin  St.  de  la  Rivière- 

aux^Ganards 

Flavien,  St 33  30 

FoyeSte 42  60 

François  St.  de  Beauce. . .  8  80 

Franco  s  St.  Isle  d'Orléans  28  90 

François  St.  Rivière  du  Sud  34  60 

KrôdéricSt 25  50 

FulgenceSt 2  80 

Gédéon  St.  de  Grand  mont 

GeorgesSt 5  10 

GermaineSte 2  00 

GerraisSt... 56  00 

GillesSt ■....  8  ÔO 

Grondines  St.  Charles  des,  60  00 

Grosse-Isle  St.  Luc  de  la. .  4  00 

Hébertville  N.  D.  d' 19  00 

Hélène  Ste 17  00 

Hénédine  Ste 15  00 

HenriSt 84  00 

HilarionSt 7  Oo 

HonoréSt 10  00 

Invemess  St.  Athanase  d'.  10  Oo 

IiénéeSt 9  75 

Isidore  St 63  75 

Isle-aux-GoudresS.Ls.  der  76  40 

Isle-aux-OruesSt.Ant.  deP  61  85 

laletN.  D.  der 135  00 

Jean  Chrisostôme  St. .  » .  • .  125  00 

Jean  Deschaillons  St 57  55 

Jean  St.  Isle  d^Orléans. . .  295  00 

Jean  Si.  PortnJoly 80  00 

Jeanne  Ste.  de  Neuville. . .  47  00 

Jérôme  St , 7  00 

JoachimSt.... 45  35 

Joseph  St.  de  Beauce 53  00 

Joseph  St.  de  Lévis 150  00 


Porté $  6211  50 


Rapporté.. $  6211  50 

Julie  Ste.  de  Somerset. ...  30  85 

Justine  Ste 6  00 

Kamouraska  St.  Louis. ...  50  OO 

Lambert  St 54  3S 

Lambton  St.  Vital  de 8  50 

Laurent  St 178  00 

Laval  Ste.  Brigitte  de 

Lazare  St. 41  50 

Leeds  St.  Jacques  de. ...  • 

Léon  St.  de  Standon 

Lévis  N.  D.'de 357  00 

Lolbinière  St.  Louis  de. . .  55  00 

Louis  St.  de  Métabetchouan  1  50 

Louise  Ste 28  lo 

MagloîreSt 

MalachieSt 4  00 

MalBaieSt.  Etienne  delà.  46  OO 

Marguerite  Ste 10  50 

Marie  Ste.  de  la  Beauce...  20  50 

MichelSt..: 84  00 

Mont-Càrmel  N.  D.  du . . .  • 

Narcisse  St.-. 9  00 

Nicolas  St 77  OO 

N.  D.  du  Lac  St.  Jean. . ..  2  50 

N.  D.  de  Laterrière 3  50 

N.  D.  du  Portage 6  00 

N.  D.  de  Lourdes  Megan  tic 
N.  D.  de  la  Rivière Batiscan 

Onésime  St.s 

PacômeSl 10  00 

Pamphile  St 

Paschal  Si 135  OO 

Patrice  St.  deBeaurivage. 

Paul  St.  de  Mille  Vaches.  5  OO 

Paul  St.  de  Montminy . ... 

Perpétue  Ste 3  00 

Petite  Riv.  «^i.  Frs.  X.  dp  la  11  00 

Pétronille  Ste.  Isle  d  0. 1 . .  30  00 
Philémon  St.  de  Mailloux. 

Philippe  de  Néri  St 1 9  00 

Pierre  St.  Isle  d'Orléans..  168  OO 

Pierre  St.  Rivière  du  sud . .  26  50 
Pointe-BU.x-Trcmbles    St. 

Frs:  de  Sales  de  la lOO  00 

Portneuf  N.  D.  de 40  00» 

Prime  Si 

Raphaël  St 25  00 

Raymond  St 50  75 

Riv.  du  Loup  St.  Pat.  de  la  43  40 

Rivierre  Quelle  N.  D.  de  la  20  00 

Hoch  St.  des  Aulnets 47  20 

Romuald  SI 22  50 

Sébastien  St 

Porté $  8047  65 


14 


Rapporté $  8047  65 

SéverinSt 12  40 

Sillery  St.  Colomb  de 26  50 

SiméonSt.du  Port  au  Persil  12  00 

Sophie  Ste.  cf 'Halifax 10  05 

Stoneham  St.  EËimondde.  4  00 

Sylvestre  St 16  00 

Tadoussac  Bt.  Croix  de... 
Thetford  S.C.  de  Marie  de 


Porté $  8128  60 


Rapporté $  8128  60 

Thomas  St.  deMontmagny  157  25 

TiLe  St.  des  Caps 13  00 

TélesphoreSt 

Tewkesbury  St.  Jacques  de 

UbaldeSt 5  00 

Urbain  St 27  60 

Vai*Gartier  St.  Gabriel  de. 

ValierSt 81  35 

Tictor  St.  de  Tring 3  00 


Montant  de  la  recette  des  paroisses .$841,5  80 

Dons  et  intérêts 247  55 


Total  de  la  recette  de  1875 $8663  35 


Etat  des  sommes  allouées  par  le  Conseil  de  la  Propagation  de 

la  Foi  à  Québec^  pour  l'année  commençant  le  \er  Octobre 

1875  et  finissant  le  \cr  Octobre  1876. 

Annales  de.Lyon $  980  40 

Missions  du  Lac  Abbitibbi  et  des  Chantiers 600  00 

Diocèse  de  St.  Boniface 480  00 

Missions  du  St.  Mauriee 400  00 

Missions  desNaskapis ..,......•  600  00 

Transport  des  Annales,  et  Annales  anglaises 200  00 

Ornements,  vases  sacrés»  pierres  d'autels,  etc • 1000  00 

Grosse-Isle.ÇQuarantaine) 200  00 

Pour  le  "  Rapport  des  Missions  de  1776  * 260  00 

Presbytère  du  S.  C.  de  Jésus ', - 60  00 

•'      du  8.  C.  de  Marie 100  00 

"      des  S.  S.  Anges  de  la  Beauce 50  00 

Chapelle  de  Ip  Rivière  aux  Rats,  Dioc.  des  3  Riv 150  00 

"      deN.  D.  Lourdes  de  Méganlic 100  00 

*'      dlnvemess \06  00 

^'      deLeeds 40  00 

"      de  S.  Adrien  d'Ireland 100  00 

*'      de  S.  Damien  de  Buckland 100  00 

*'      de  S.  Philémon  de  Mailloux 100  00 

'*      de  Sie.  Justine 100  00 

"      eeSt.  Magloire 100  00 

'*  '  de  N.  D.  de  la  Rivière  Batiscan 100  00 

*     *'      deSloneham ., 25  00 

"      de  St.  Adolphe 40  00 

<*      de  St.  Firmin  de  la  Riv.  aux  Canards 100  00 

"      de  St.  Joseph  de  l'Isled'Alma 100  00 

Missionnaire  de  St.  Ubaide,  etc < 100  00 

"         de  Valcartier,  Gosford,  etc 80  00 

"         de  Stoneham,  etc 80  00 

»'         deLival,  etc 80  Of 

Missionnaire  de  Sl  Tite  dos  Caps n 50  00 

••         de  St.  Cassien,  par  Pitite-Rivière 25  00 


Porté $  6600  40 


15 

Rapporté $  6G00  40 

3llssioiuiaire  de  St.  Siméon  etc 60  OO 

'«         de  Tadoussac 140  00 

"         des  Escoumains  et  de  Ste.  Zoé 80  00 

"         de  8t.  Paul  de  Mille  Vaches,  etc ^ 100  00 

-'         de  TAnse  St.  Jean ......^  120  00 

•'         de  St.  Fulgence  et  des  Chantiers 200  00 

•'         de  St.  Gédéon,  par  St.  Jérôme 25  OO 

«         de  St.  Prime  etc 160  00 

«         de  N.  D.  de  Lourdes,  par  Ste.  Julie; ,   25  00 

"         de  Ste.  Anastasie 80  Oa 

"         d'Inverness.  etc 80  OO 

"         des  S.  S.  Anges,  de  laBeauce 100  OO 

**         de  St.  Sébastien 120"  00 

«<.        deSi.  Côme 100  00 

«         de  Ste.  Justine 120  00 

"         de  St.  Magloire 120  00 

de  St.  Damien,  parBnckland.... 25  00 

de  St.  Paul  de  Montminy,  etc 120  00 

"         de  Ste  Perpétue,  etc ; 120  OO 

"         de  St.  Bleuthère 200  OO 

Offrande  à  Mgr.  Racine  pour  *«  la  Patrie  " .•. 100  OO 

Pour  UD  autel  portatif 60  0& 

Pour"  Paroissiens  notés  " 95  00 

Montât  alloué $8950  40 

'Résumé  * 

Total  de  la  recette  de  1875 $8663  3> 

En  caisse  de  Tan  dernier $5203  40 

ToUl $138GG  75 

Montant  alloué $8950  40 

Reste  en  caisse $4910  35 

NAP.  LALIBERTÉ,  Ptre.,  Trésorier. 


Etat  des  recettes  de  VŒuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi^  dans 
le  diocèse  de  Québec^  pour  Vannée  187G. 

(\^ème  année,) 

Ville  de  Québec. 

Basilique $  395  00  [              Rapporté $  oW  30 

-     '      *  "^  '  *f^  >^i^   Ecole-Normale 

Si.  Patrick 89  ."jO 

Faubourg  St.  Jean V^Q   15 

8t.  Roch G20  00 

St.Sauveur 292  ::c> 

Soldats 9  UO 

Asile  des  Aliénés »  10  00 

Collège  de  Ste.  Anne 13  80 


Archevêché 10  00 

Grand  Séminaire 1 4  00 

Petit  Séminaire 24  00 

Hôtel-Dieu 26  00 

Dames  Ursulines 37  50 

HôpiUl-Général 35  00 

Soeurs  de  la  Chanté. . . .  •  • 
doeurs  du  Bon  Pasteur. .  •  • 


Porté $    541  50 


Perte..,. $19iG  15 


16 
Campagnes. 


Rapporté $1926  15 

Aérien  St.  d'ireland 

Agapit  St..; 50  00 

AgatheSte 56  00 

.  Af^DèsSte 13  00 

AlbanSl 33  00 

Alexandre  St 14  00 

Alexis  St 4  00 

Alplionse  St 

ArabroiseSt 77  00 

AnastasieSte Il  90 

Ancienne  Lorette  N.D.de  r  94  00 

AndréSt 27  10 

Ange  Gardien 52  80 

Anges  SS.  de  la  Beauce. . . 

Anne  St.  de  Beaupré 54  ÛO 

Anne  Ste.  de  la  Pocatière. .  84  00 

Anne  Ste  du  Saguenay. ...  2  50 

AnselmeSl 128  00 

Anse  St.  J(.  an 1  50 

Antoine  St 53  60 

AtitoniriSt 7  50 

Apollinaire  St 31  00 

Armagh  St.'  Càjetan  d* . . . . 

AubertSt 5  00 

Augustin  St 235  00 

BaieSt.Paul 57  OO 

BasileSt 27  00 

Beau  mont  St.  Etienne  de.  64  15 

Beauport  N.D.  de 531  00 

Bi^rgeronnes  Ste.  Zoé  des. 

BernardSt 31  00 

Berthier  N.  D.  de 

Broughton  S.  C.deJ.  de..  9  80 

Broughton  St.  Pierre  de..  21  00 

Buckland  N.  D.  de 7(0 

<:aUxte  St.  de  Somerset. . .  103  00 

Oap  Santé  Ste  Famille  du.  35  40 

-Cap  St.  I|;nace 115  00 

Casimir  St 37  00 

Cassien  St.  des  Caps. ..... 

Catherine  Ste 

Charles  Si 102  60 

Charlesbourp  S.  Charles  de  75  25 
Château-RichfT  N.D.  du.. 

ChicoutimiS.Frs.-Xav.de.  45  00 

Claire  Ste 39  00 

Côme  St.  de  Kennebec. ...  4  50 
Cranbourne  St.  Udiloa  de. 

Cfoir  Ste 34  10 

Cyrille  St 8  00 

Cyriac  St.  de  Kinogimi... 

Damicn  St.  de  Buckland.. 

.     ..-•»♦... 

Porté ..$  4307  85 


Rapporté $  4307  85 

David  St.  de  TAube-Biv. . 

DenisSt 38  00 

Deschambault  StJos.  de  .      70  00 
Dominique  Stde  Jonquières 
DunstanStdu  LacBeaup. 
Eboulements  N.D.  des....        5  06 
Ecureuils  St.  J.-3apt.  des. 
Edouard  St.  de  Lotbinière.      30  00 
Edouard  St.  de  Frampton.       10  00 
Ëleuthère  St.  de  Poënega- 

mouck «, 

EUéarSt 27  00 

EmméUeStedeLotbiniore.      22  75 

Ephrem  St.  de  Tring 

Escountains  S.    Marcellin 

des 12  00 

Etienne  St.  de  Lauzon ....         4  00 

Eugène  St 

Evariste  St.  de  Forsyth . . . 

Famille  Ste 44  15 

Félicien  St 

Félix  St.  du  Cap-Rouge...  9  70 
Ferdinand  St.  d'Halifax..       18  00 

FerréolSt 

Fidèle  St 

Firmin   St.  de  la  Rivière 

aux  Canards 

Flavien  St 

PoyeSte 50  00 

François  St.  de  Beauce. . .  6  00 
François  St.  Isie d'Orléans  24  65 
François  St.  Riv.  du  Sud..       23  40 

Frédéric  St 22  70 

Fulgence  St 

Gédéon  St.  de  Grand  mont. 

Georges  81 4  00 

Germaine  Ste 2  00 

GervaisSl 71  00 

Gilles  St 

Grondines  St.  Charles  des.  52  00 
Grosse-Ile  St.  Luc  de  la  . .        4  00 

Hébertville  N.D.  d' 29  00 

Hélène  Ste 29  25 

H^^nédioe  Ste 18  00 

Henri  St 70  00 

HilarionSt 2  99 

Honoré  St.  de  Shenley. ...  8  65 
Inverness  St.  Athanase  d'.      10  Oo 

IrénéeSl 9  00 

IsidoreSl 53  00 

Isle-aux  Coudres  S.  Ls.de  V      63  00 

Porté $  5150  95 


17 


Rapporté $  5150  05 

Tsle-aux-Grues  S.  Ant.  de  V  58  05 

IsletN.D.del' 133  50 

Jean-Chry  SOS  tome  St 40  00 

Jean  Deschaillons  St .  ■ . . .  58  OO 

Jean  St.  Isle  d'()^^éaIiS. . .  200  00 

Jean  St.  Poi  t  Joly 48  «0 

Jeanne  Ste  de  Newville...  i5  50 

Jérôme  Si 12  00 

Joachim  St 39  00 

Jo8ephSt.de  Beauce 46  75 

Joseph  St.  de  Lévis 98  OO 


Julie  Ste.  de  Somerset. . . . 

Justine  Sle 

Kamoiirasta  St.  Louis  de. 

Lambert  St 

Lambton  St.  Vital  de 

Laurent  St 

Laval  Ste.  Brigitte  de.... 

Lazare  St 

Leeds  St.  Jacqnes  de 

Léon  8l.  de  Slandon 

L'»vis  N.D.  de 

Lotbinière  St.  Louis  de. . . 
Louis  S.  de  Mêtabetchouan 

Louise  Ste r 

MahchieSt 

Halbaie  S.  Etienne  de  hi. . 

Marguerite  Ste 

Marie  Ste.  de  Beauce 

Michel  8t 

Mont  Carmel  N.  D .  du . . . . 

Malgloire  St 

Narcisse  St 

NicolMSt 

N.D,  du  Lac  St.Jean 

N.D.  de  Lalerrière 

"S.  D.  du  Portage 

N.  D.  de  Lourdes  Méganlic 
J^.D.  delà  Hiv.  Bastiscan . . 
Onésime  St 


1 
50 
40 

6 

!28 

12 

4f 


37(1 
48 


75 
00 
00 
00 
40 
00 
15 
80 


50 
50 


j  00 


54 


S7 
4 


00 
0  OO 
5  75 
25 
30 


18 

67 

2 


00 
50 
00 


Rapporté $  6912  65- 

Pacôme  St îî  00 

PamphlleSt 

PaschalSt \\9  90 

Patrice  St.  de  Beaurivage. 
Paul  St.  de  Mille-Vaches., 
Paul  St.  de  Montminv. . . . 

Perpétue  Ste ", 2  00 

Petite  Riv.  S.  P.-Xav.dela  î6  «S 

Pélronille  Ste.  Isle  d'Orl . .  36  00 
Philémon  St.  de  Mailloux. 

Philippe  de  Néri  St 20  00 

Pierre  St.  Isle  d'Orléans. .  170  00 

Pierre  St.  Hiv.  du  Sud. . ..  30  90 
Poi  nte-aux-Trém  blés    St. 

Prs.  de  Sales  de  la. 8^  00 

Portneuf  N.D.  de 37  00 

Prime  St..; 2  50 

Raphaël  St. .  ,.• 21  fO 

'  Raymond  St '  45  30 

I  Riv.  du  Loup  S.  Pat.  de  la . .  39  65 

'  HWwre  Quelle  N.D.  delà..  16  60 

!  Hoch  St.  des  Aulnets 53  50 

Homuald  St 40  00 

I  Sébastien  Si 

S'H'erin  St 9  90 

Sillery  St.  Colomb  de 24  00 

Siméôn  S.  du  Port  au  Persil 

Sophie  Ste  d'Halifax 8  30 

Stoneham  St.  Edmond  de.. 

Sylvestre  ^t '  52  95 


Tadoussac  Ste.  Croix  de. 
Thetford  S.  C.  de  Marie  de. 
Thomas  St.  deMontmagny 

Tite  S.  des  Caps 

Télesphore  St. 

Te^\»ke8bury  S.  Jacques  de. 

Ubalde  St 

Urbain  St 

Valcartier  St.  Gabriel  de. . 
ValierSt 


3  00 

149  00 
8  00 


5  00 
18  00 


83 
3 


\  ictor  St.  de  Tring 

Port/'  $  0)1-2  (55 

Montant  de  la  recette  des  paroisses $8050 

Dons  et  intérêts 297 

Montant  non  employé  l'an  dernier 260 


45 
00 

05 
50 
00 


Total  de  la  recolle  de  1876 $8607  55 


£fat  des* sommes  allouées  par  le  Conseil  de  la  Proparjatimi  de 

la  Foi  à  Qu'Jbec^  pour  l'année  commençant  le  \er  Octobre 

\S1^  et  finissant  le  ïer  Octobre  1877. 

Pour  la  publication  des  Annales  en  français  et  en  anglais 450  00 

Hissions  dn  St.  Maurice .*. 400  00 

Porté $    850  OS 


18 

Rapporté $  850  00 

Missions  des  Naskapis 600  00 

Diocèse  de  St.  Boniface 480  00 

Ornements,  vases  sacrés,  pierres  d*autels,  etc 700  00 

Grosse-Isle  (quarantaine) , 100  00 

Offrande  à  Mgr.  Racine  pour  "La  Pairie" 100  00 

Pour  achat  de  livres • 20  00 

Pour  achat  d'une  terre  à  St.  Paul  de  Mille  Vaches *. . .  100  00 

Pour  achat  d'une  terre  aux  Grandes  Coudées  (St.  Georges). ...  150  00 

Pour  faire  défricher  la  terre  d©  St.  Bleulhère 60  00 

Montant  mis  à  la  disposition  de  Mgr.  l'Archevêque 1200  00 

Chapelle  de  N.  D.  de  la  Rivière  Batiscan 100  00 

Chapelle  de  St.  Adolphe 20  00 

'*      des  Sept  Crans 100  0<) 

'*      de  St.  Cassien  des  Caps Î5  QO 

"      de  St.  Firmin  de  la  Rivière  aux  Canards r>0  00 

"      deSt.Prime 50  Oo 

'<      de  N.  D.  de  Lourdes  de  Mégantic 100  00 

'*      dlnverness 100  Ou 

'«      et  Presbytère  du  S.  C.  de  Jésus 100  00 

et  Presbytère  du  8.  C.  de  Marie 100  00 

de  St.  Damien  deBuckland 50  00 

Missionnaire  de  St.  Ulbade,  etc 100  00 

"         de  Valcartier,  etc.... 120  00 

**         de  Stoneham,  etc .•..,  120  00 

"         deLaval 100  00 

"         de  St.  Cassien,  par  Petite-Hi vière 25  00 

"         de  la  St.  Trinité  de  Sales,  par  Ste.  Agnès 25  00 

"        de  St.  Simôon,  etc 75  00 

<'         de  Tadoussac 200  00 

'«         des  Escoumains,  etc 75  00 

"         de  St.  Paul  de  Mille  Vaches,  elc 100  00 

"         de  l'Anse  St.  Jean 150  00 

"         de  St.  Fulgence  et  des  Chantiers 200  00 

"         de  St.  Gédéon,  par  Si  Jérôme 25  00 

«         de  St.  Prime,  elc 1 60  0<) 

«'         de  N.  D.  de  Lourdes,  par  Sle.  Julie 25  00 

"         de  Ste.  Anaslasie 75  Ot> 

"         d'Inverness,  etc 1 20  0<> 

"         du  S.  C.  de  Jésus,  ^tc lô  Oit 

**         de  St.  Sébastien 75  00 

"         de  Ste  Justine 200  00 

"         des  S.  S.  Anges  de  la  Beauce 75  0'; 

"         dé  St.  Côme  de  Kennôbec 75  On 

de  St.  Damien.  par  Buckland 25  Oo 

de  Si.  Paul  de  Montminy,  etc 120  Ou 

"         deSt.  Magloire 120  (n) 

"         de  Ste.  Perpétue • 2(M)  Oi.. 

'*         de  St.  Eleuthère 200  Oo 

Montant  alloué $8015  Où 

Total  de  la  recelte  de  1870 $8007  55 

En  caisse  de  Tan  dernier , 4916  35 


Bésumé  : 


Total $13523  90 

Montant  alloué _8015  00 

Montant  en  caisse $  5508  90 

NAP.  LALIBERTÉ)  Pire.,  Teèsorier. 


I 


DIOCESE  DE  MONTREAL. 


3étail  des  aumônes  transmises  par  les  Eglises  et  Csmmunautés 

de  la  ville  de  Montréal. 

St.  Pierre J  539  00 

Notre-Dame 433  40 

LaCalhédrale 349  55 

Inté-ôtdulegsde  fea  M.  O.  Berthelet 240  00 

St.  Jacques 161  00 

Ecoles  des  Frères 125  00" 

Intérêt  du  legs  de  feu  Dame  Alfred  Larocque 120  00 

Hôtel-Dieu  35  00 

Ecole  du  Plateau 30  00 

Coteau  St.  Louis 29  30 

Conslitut  Beaudry 24  10 

Succession  McKay , 24  00 

Grand  Séminaire ' 19  00 

St.  Patrice 14  72 

Couvent  d'Hochelaga 12  50 

l^^alivifé  d'Hochelaga 3  25 

Asile  Nazareth 2  60 


$2162  42 


Détail  des  aumjnes  transmises  par  les  Paroisses  et  Commis 

nautcs  de  la  Campagne. 


L'Assomption $  168  04 

Ste.  Rose 153  50 

Boucherville    117  98 

Berlhier 104  00 

Ste.  Elizabelh 101  00 

St.Barthélemi 9.j  00 

Varennes 94  90 

UPrairie 90  00 

.St.  Rémi 85  60 

3Iascouche 85  IÎ9 

Sle.Auue  des  Plaines  81  '20 

Terrebonne 80  05 

Si.  Cyprien 77  70 

St.  Ls.  de  Gonzague.  65  46 


Porté. 


.?140^ 


88 


Rapporté 

St.  Jac.  de  TAchigan 

St.  Lin 

Ljngueuii 

Ile  Dupas 

Ste.  Geneviève 

St.  Placide 

St.  Esprit 

St.  Alexis 

St.  Roch  de  l'Achig. 

Lanoraie 

SteTérèse 

Pointe-Claire 

Sault-au-Récollet...  . 


1400  88 
64  50 
04  18 
62  50 
62  00 
56  00 
55  25 
53  00 

.  52  26 
51  80 
50  00 
50  00 
46  93 
45  40 


Porté 82114  70 


20 


Rapporté «2tl4 

Lavaltrie 43 

Coll.  de  rAssomption  42 

St  Thomas 41 

Su  Hubert 40 

Contrecœur.... 40 

Couvent  de  Lachine.  40 

St  Bruno 38 

Lachine 38 

Joliette 37 

St-  J.  rEvangéliste...  32 

Lachenaie 31 

St  Etienne  de  Beau- 
harnais. 30 

Pointe-aux-Trembles  27 

St  Cuthbert '  25 

St  Âmbroise 24 

St  Martin 24 

Sl.Sulpice 22 

L'Epiphanie 21 

Repentigny 20 

St  Michel  de  la  Pir 

geonnière 20 

St  Valentin... 20 

Un  inconnu 20 

Ile  Perrot 20 

St  Sauveur 19 


St.  Eustache. 
St  Augustin 


Ste.  Anne  du  Bout 

de  l'Ile 

St.  François  de  Sales 


18 
17 

15 
14 


70 
95 
25 
00 
92 
00 
00 
30 
20 
00 
00 
81 

00 
00 
OU 
75 

00 
00 
00 
10 

00 
00 
00 
00 
25 
00 
00 

OU 

ou 


Rapporté 

Rivière  des  Prairies 

St  Timoihée 

St  Jac.  le  Mineur.... 

LacoUe 

Les  Cèdres  

St.  Clet 

St  Paul  l'Ermite 

Ste.  Just.  de  Newton 

Ste.  Marthe 

Ste.  Julie 

St  Martin 

Ste.  Julienne 

St  Calixte 

St  Edouard 

St  Janvier 

Ste.  Monique 

St.  Constant 

St  Urbain 

St  Stanislas 

Ste.  Agnès 

Sherrington 

St.  Norbert 

Ste.  Dorothée • 

Ste.  Adèle 

Ste-  Agathe 

St  Jean  de  Matha.... 

St  Jérôme 

Ste.  Béatrix 

St  Damien 

St  H.  des  Tanneries 
Sacré-Cœur  de  Mont- 
réal  


$2897  n 

13  75 

13  40 

13  23 

13  0% 

13  00 

12  00 

12  00 

11  7S 

10  3S 

10  00 

10  00 

.a  64 

8  00 

8  00 

8  00 

7  70 

7  50 

7  00 

5  00 

5  0o 

4  00 

3  9f> 

^  •» 

40 
00 
00 
62 

1  ir> 

0  95 

0  55 


3 
3 
3 
3 
1 


0  50 


Porté $2897  23 

Total  pour  la  campagne 
Total  pour  la  ville 


3120  43 
2162  4^ 


$  5282  85 

Balance  de  1875 702  83 

Intérêts 155  OU 


Grand  total  (pour  les  besoins  de  1877). ...S  6140 


68 


21 


Paroisses  et  Eglises  qui  n'ont  pas  transmis  leur  montanW 


B.  Alphonse  . 

St.  André  d'Argenteuil 

St.  Anicet 

St.  Antoine  Abbé 

St.  Benoit 

Ste.  Brîgide  de  Montréal 

Ste.  Cécile 

St.  Clément  de  Beaubarnaie 

8t<  Colomban 

8t  Côme 

Ste.  Emélie 

Cônrersion  de  St.   Paul  de 

Joliette 
St.  Félix  de  Valois 
St.  Frs.  d'Assise  de  la  Longue 

Pointe 
Sault  St.  Louis 
Verchères 

St.  Oabriel  de  Brandon 
Si  Henri  des  Tanneries 
St.  Hermas 
St.  Hyppolite 
Coteau  du  Lac 
St.  Isidore 

St.  Jeau  Cbrysostôme 
€hateauguay 
Chambly 

St.  Joseph  de  Huntingdon 
St.  Joseph  de  Montréal 
St.  Laurent 
St.  Liguori 
Se.  Luc 


jSte.  Anne  de  Montréal 

Annonciation  du  Lac  des^ 
Deux  Montagnes 

Rigaud 

Lacadie 

Lac  Masson 

Ormstown 

Ste.  Mélanie  d'Aillebout 

St.  Michel  de  ManUwa 

Vaudreuil 

Notre-Dame  de  Giâces 

Rawdon 

Hinchinbroofee 

St.  Joseph  du  Lac 

St.  Philippe 

Ste.  Philomène 

St.  Polycarpe 

Ile  Bizard 

St.  Régis 

Hemmingford 

Ste.  Scbolastique 

Sie.  Sophie 

St.  Théodore  de  Chertsey 

St.  Vincent  de  Paul  (Ile  Jé- 
sus 

St.  Vincent  de  Montréal 

St.  Zotique 

Le  Gésu 

N.  D.  de  Bonsecours 

Hospice  St.  Joseph- 

St.  Gabriel  de  Montréal. 


90 


Aumônes  reparties  entre  les  diverses  Missions  du  Diocèse 
durant  Vannée  1876  de  sur  les  fonds  de*  1915, 

Payé  aux  Missionnaires  du  Diocèse $  800  00 

A  la  Mission  du  Sault  St.  Louis 200  00 

Au  Curé  de  St.  Gôme  et  à  l'église 250  00 

"        ^'        Ste.  Emélie 240  00 

*'        "        St.  André... 100  00 

"        "        Ste.  Anaôtasie 200  00 

"        St.Callixte 100  00 

*'        ''        SL  Hyppolite  et  à  l'église 500  00 

''        ''        St.  Daniien  et  à  l'église..; 300  00 

^'        "        Ste.  Sophie 100  00 

"        "        Rawdon 100  00 

A  Mgr.  de  Sherbrook  pour  Piopolis 200  00 

Au  Curé  de  St.  Douât  et  pour  l'église.. 370  00 

.    ''        ''        Hinchinbrooke  et  pour  l'église 213  00 

''       ''        Ste.  Julienue 100  00 

«'        "        St.  Michel  des  Saints 100  00 

"        "        A  son  prédécesseur 86  66 

"        ''       St.  Malachie  d'Ormstown  et  à  la  Mis- 
sion du  St.  Sacrement 171  00 

*'       ^'       Ste.  Lucie 50  00 

.  ^^        "        Ste.  Marguerite 170  00 

*'        "        St.  Alphonse 100  00 

"        "        St.  Théodore  de  Chertsey 100  00 

«'        "        Ste.  Agnès » 100  00 

Pour  impression  des  Annales  et  Circulaires 268  0% 

Réparation  de  vases  sacrés 3  00 

Aux  Sœurs  Grises  pour  la  Rivière  McKenzie 100  00 

Œuvres  des  Tabernacles 150  00 

Pour  pierres  sacrées 10  00 

Frais  de  voyages 16  00 

St.  Colomban 100  00 

Ste.Béatrix 100  00 

Total e5397  66 


DIOCESE  DE  ST.  HYACINTHE. 


I 

Recettes  de  la  Propagation  de  la  Foi  pour  1876. 


Sorel 

St.  Antoine • ... 

Bi  DeiùB 

St.  Hyacinthe 

St.  Aimé 

St.  Sébastien 

Belœil 

SUnbridge 

St.  Alexandre 

8t. Ours 

St.  Grégoire 

Ste.  Rosalie. 

St.  Oésaire. 

St.  Jean-Baptiste. . . . 

St.  Simon 

St.  Marc 

Ste.  Ifarie 

St.  Dominique 

N.  D.  St.  Hvacinthe 

St.  Hugues 

St.  Judes 


% 


180  00 
123  00 
116  00 
105  87 
100  00 
84  00 
63  00 
63  00 
60  50 
60  00 
55  00 
50  17 
42  60 
42  00 
37  00 
37  77 
35  00 
34  41 
33  00 
32  00 
26  00 


Porté $1329  07 


Rvf^OPté $1329  OT 

St.  Charles 25  00 

Roxton 25  00 

St.Pie 24  00 

Richqjieu 24  00 

Milton W  2.1 

St.  Athanase 20  2.> 

8t.  Barnabe 

La  Présentation 

St.  Marcel.... 

St.  Mathias 

St.  Louis 

St.  Hilaire 

St.Roch 

St.  Paul 

St.  Georges 

Ste.  Victoire 

Ste.  Hélène 

Ste.  Angèle..' 

St.  Valérien 

St.  Franrois-Xavier , . . . 


18  7[ 

18  m 

17  ta 

17  OO 

16  W 

12  00 

11  00 

9  6r> 

^  50 
9  00 

5  2r> 

3  IC 

3  00 

1  00 

Total ....$1619  97 


NoTB.— Oans  une  Circulaire  adressée  à  son  Clergé,  en  date  du  23 
Janvier  dernier,  Monseigneur  de  St.  Hyacinthe  donne  les  raisons  pour 
lesquelles  les  appropriations  de  TOËuvre  n'ont  pu  encore  être  effectur^c^, 
et  prometd'en  donner  le  détail  au  rapport  de  1877. 


MISSION  MONTAGNAISE  DU  LAC  ST.  JEAN. 

Tous  les  ans,  en  Juin,  une  cinquantaine  de  familles, 
Appartenant  à  la  Tribu  montagnaise,  se  réunissent  à  la 
Pointe  Bleue,  sur  les  bords  du  Lac  St.  Jean.  Ces  sauvages 
possèdent,  en  cet  endroit,  une  réserve  de  terres  sur  les- 
quelles Un  certain  nombre  d'entre  eux  ont  commencé  des 
défrichements.  Mais  on  sait  que  le  sauvage  aime  avant 
tout  la  vie  des  bois.  Lorsque  le  temps  de  la  îouùe,  du 
4îaribou  ou  du  castor  est  arrivé,  ou  bien  qu'ij.y  a  une 
l)onne  coQche  de  neige  partout  dans  les  forêts,  pour  pou- 
voir faire  avec  avantage  de  longues  courses  à  la  raquette, 
tous  les  raffinements  de  la  civilisation  moderne  réunis 
ensemble  ne  sauraient  retenir  le  Montagnàîs  dans  son 
^vigwam,  encore  moins  à  la  maison.  Aussi  ne  faut-il  pas 
«'étonner  si  l'agriculture  ne  fait  pas  de  grands  progrès  sur 
la  réserve  de  la  Pointe-Bleue.  Néanmoins  il  y  a  eu  des 
résultats  obtenus.  Le  Missionnaire,  puissamment  secondé 
par  M.  Eucher  Otis,  a  réussi  jusqu'à  un  certain  point  à 
faire  comprendre  à  ces  enfants  des  bois  que  le  caribou 
s'éloigne  beaucoup,  que  la  chasse  devient  tous  les  ans 
moins  abondante,  qu'il  faut  un  peu  penser  à  l'avenir,  et 
<que  pour  cela  ils  doivent  défricher  leurs  excellentes  terres.  * 

La  mission  avait  précédemment  lieu  aupostedeMétabet- 
chouan,  dans  un  site  magnifique.  Mais  le  terrain' sur 
lequel  se  trouvait  la  chapelle  n'appartenait  point  aux  Mon 
tagnais.  Ils  demandèrent  donc  à  Mgr.  l'Archevêque  de 
Québec  la  permission  de  transporter  et  de  reconstruire 
leur  chapelle  sur  leur  réserve  de  la  Pointe-Bleuè.  Cette 
permission  ayant  été  accordée,  le  transport  de  quatre 
lieues  environ  se  fit  sur  la  glace  du  lac  dans  le  cours  de  • 
rhiver  1874-75.  Aujourd'hui  cette  chapelle,  petite  mais 
fort  jolie,  est  à  peu  près  complètement  reconstruite  et 
terminée,  le  tout  au  moyen  des  secours  de  la  Propagation 
tie  la  Foi. 

Le  Rév.  Père  Durocher,  de  vénérable  mémoire,  a  fait 
tous  les  étés,  pendant  un  grand  nombre  d'années,  la  mis- 
r£ion  du  lac  St.  Jean.    Rempli  du  zèle  le  plus  éclairé,  jouis- 


25 

sant  de  la  réputation  cfun  saint,  parlant  parfaitement  la^ 
langue  montaguaise,  il  avait  sur  ces  sauvages  le  plus  grande 
ascendant.  Avec  quels  transports  de  joie  on  le  voyait 
arriver,  cet  ange  de  la  prière  I  avec  quel  respect  on  lui 
baisait  les  mains  et  on  lui  demandait  sa  bénédiction  î  De 
son  côté  le  bon  Père  était  ravi  de  se  revoir  au  milieu  de 
ses  chars  Montagnais.  On  peut  dire  que,  pendant  les  3  ou 
4  semaines  de  la  mission,  il  vivait  de  leur  vie,  prêchant, 
catéchisant,  tonnant  contre  les  désordres  dont  il  avait  en- 
tendu  parler,  excitant  ce  pauvre  peuple  à  la  pratique  de 
toutes  les  vertus. 

Après  la  mission  de  Juillet  1875,  le  Rév.  Père  Durocher 
écrivait  ce  qui  suit  à  Mgr.  T Archevêque  de  Québec  : 

''  St.  Sauveur,  25  Juillet  1875. 
'*  Monseigneur, 

*^  J'arrive  du  Lac  St.  Jean.    Je  m'empresse  de  dire  a 
Votre  Grandeur  que  la  mission  a  été  abondante,  malgré- 
les  pauvres  ressources  de  l'ouvrier.    Je  crois  devoir  spé- 
cialement m'arrêter,  dans  ces  quelques  notes,  aux  faits 
uivaats  : 

'»  Jubilé. 

.'^  Muni  d'amples  pouvoirs,  comme  missionnaire  des  sau-< 
Vages,  j'ai  pris  sur  moi  de  remplacer  les  15  visites  du  jubiler 
par  une  procession  générale  faite  à  l'église  paroissiale  de 
Notre-Dame  du  Lac  St.  Jean,  distance  de  cinq  milles  en- 
viron. Ceux  d'entre  nos  Montagnais  qui  ne  purent  faire 
ce  pèlerinage  eurent  d'autres  exercices  à  accomplir  en 
rafport  avec  leur  âge  ou  leur  santé. 

^^Nous  choisîmes  le  jour  de  la  fête  de  Notre-Dame  du 
Mont  Garmel  pour  notre  procession.  Le  temps  était  su* 
perbe.  En  tête  marcliaient  les  filles  de  la  Tribu  :  quatre 
d'entre  elles,  vêtues  de  blanc,  portaient,  à  tour  de  rôle,  une 
jolie  bannière  sur  laquelle  se  trouvent  représentés  d'un 
tôté  le  Sacré  Cœur  de  Jésus,  et  de  Tautre  Notre-Dame  de 
Pitié.  Toutes  ces  jeunes  filles  avaient  la  tête  couronnée 
ou  plutôt  couvertes  de  roses  des  bois  ;  elles  franchissaient 
l'espace  d'un  pied  ferme.  Puis  venaient  les  femmes,  placées 
sur  deux  lignes,  le  chapelet  à  la  main.    A  leur  suite  mar^ 


26 

chaientles  enfants  des  deux  sexes,  portaot-cLes  étendards 
et  des  oriflammes  et  ayant  de  grosses  boucles  de  ruban  sur 
les  épaules.  Ils  étaient  immédiatement  suivis  des  hommes 
mariés;  parmi  eux  se  distinguait  notre  grand  chantre  qui 
récitait  à  haute  voix  le  chapelet  auquel  tous  répondaient 
avec  la  plus  admirable  piété.  Enfin  le  corps  des  zouaves 
xnontagnais,  composé  des  jeunes  gens  de  la  Tribu,  Tespoir 
de  Tavenir,  fermait  la  mirche.  Avec  quelle  naïveté,  ou 
plutôt  avec  quelle  puissance  réelle  ils  avaient  au  bras  une 
pesante  armure,  ou  portaient  les  lourdes  hampes  d^un 
drapeau  tricolore  et  d'un  drapeau  anglais  !  Leurs  Képis oa 
casquettes  de  circonstancee,  aux  couleurs  variées,  et  sur* 
montés  d'une  haute  touffe  de  rubans,  eussent  fait  envie 
aux  vrais  zouaves  canadiens! — Mais  ces  chers  enfants 
avaient  surtout  en  vue  de  plaire  au  bon  Dieu,  et  j'ai  tout 
lieu  de  croire  que  (a  bonne  volonté  dont  ils  ont  fait  preuve 
leur  aura  mérité  ses  meilleurs  bénédictions. 

Chemin  faisant,  chose  étonnante,  nos  bannières  et  nos 
drapeaux,  ]oin  de  jeter  l'épouvante  parmi  les  pauvres  ani. 
maux  qui  se  trouvaient  sur  la  route,  semblaient  attirer  leur 
attention.  Un  troupeau  de  brebis,  frappées  de  ce  spectacle 
nouveau,  au  lieu  de  prendre  la  fuite,  accoururent  en  toute 
hâte,  avec  leurs  jeunes  agneaux,  pour  nous  voir  passer  de 
plus  près.  On  eût  dit  qu'elles  désiraient  saluer  l'étendard 
du  Pasteur  des  pasteurs,  et  rappeler  en  môme  temps  à 
notre  souverain  l'Agneau  de  Dieu  venu  pour  effacer  les 
péchés  du  monde.  Notre  marche  se  fil  avec  tout  le  re- 
cueillement ordinaire  aux  sauvages  dans  les  cérémonies 
religieuses.  Nous  récitâmes  le  chapelet  et  nous  chantâmes 
des  hymnes  et  des  cantiques,  alternativement,  durant  toutes 
les  deux  heures  que  dura  la  première  partie  de  notre  pelé- 
rinage.  Il  était  sept  heures  du  matin  lorsque  nous  arri- 
vâmes à  l'église  de  N.  D.  du  I^ac.  Nous  entrâmes  avec 
respect  dans  le  lieu  saint.  11  avait  revêtu  ses  habits  de  fêle. 
M.  le  curé  Delâge  avait  eu  la  pensée,  pleine  de  générosité 
et  de  délicaiesse,  d'offrir  uo  splendide  pain  bénit-  Je  ce- 
lébrai  la  sainte  messe,  pendant  laquelle  nos  pèlerins  exé- 
entèrent  leurs  plus  beaux  cantiques,  et  j'eus  l'insigne  con- 
^olatiou  de  distribuer  le  pain  des  forts  à  une  cinquantaine 


27 

de  personaer.    Tous  étaient  dans  la  joie;  la  grâce  de  Dieu 
inondait  leurs  âmes.   Après  la  messe^  réunis  à  Tombre  des 
arbres  qui  bordent  le  grand  lac  en  cet  endroit,  assis  sur  le 
gazon,  ils  prirent  un  bien  modeste  repas,  dont  le  pain  bénit 
ftt  la  plus  grande  partie  des,  frais.    Les  agapes  des  temps 
apostoliques  n'étaient  pas  plus  édiliantes.    Mes  souave^i. 
avant  le  départ,  firent  une  solennelle  décharge  d'artillerie 
en  rhonnenr  de  M.  le  curé  Delâge.    Nous  nous  remimes 
en  marche  dans  le  même  ordre  qu'en  venant,  chantant  des 
cantiques  et  récitant  le  chapelet.    La  population  de  N.  D. 
du  Lac  a  paru  très  édifiée  de  notre  balle  procession.    Tout 
lemoude  était  aux  portes  ;  plusieurs  fois  môme  on  nous  fbt 
l'honneur  de  décharger  des  armes  à  feu  pour  nous  saluer  à 
notre  passage.  Mais  ce  qui  m'a  surtout  réjoui,  Monseigneur, 
en  cette  belle  circonstance,  ça  été  ^la  foi  et  la  piété  franche 
de  mes  Montagnais.    Je  ne  saurait  vous  dire  avec  quelle 
ferveur  ih  ont  demandé  à  Dieu  de  bénir  leur  race  qui 
s'éteint,  d'éloigner  d'eux  tout  danger,  de  leur  accorder 
chasse  abondante,  de  protéger  la  Sainte  Eglise  CathoUque 
et  de  nous  conserver  longtemps  encore  notre  grand  chef 
de  la  Prière,  Timmorlel  Pie  IX. 

Ecole. 

^  Vous  n'ignorez  pas,  Monseigneur,  que  l'esprit  des  ténè- 
bres cherche,  par  tous  les  moyens  possibles,  à  pénétrer 
partout,  et  qu'il  a  môme  essayé  de  semer  Terreur  parmi 
mes  chers  Montagnais.   Il  s'est  servi  du  ministère  du  Sieur 
Côté,  ministre  suisse  établi  à  Chicoutimi,    Ce  Monsieur, 
pour  mieux  parvenir  i  pervertir  les  sauvages,  et  pour  se 
procurer  un  secours  puissant  dans  l'œuvre  qu'il  avait  en 
vue,  réussit  à  gagner  le  jeune  Pierre  Pekatés,  âgé  de  13  ans, 
et  il  l'emmena,  l'an  dernier,  à  Técole  protestante  anglaise 
de  Chicoutimi.    J'appris  que  Pierre  était  remonté,  cette 
année,  à  la  Pointe  Bleue,  que  le  pauvre  enfant  ne  faisait 
plus  le  signe  de  notre  rédemption,  qu'il  disait  à  tous  ceux 
qui  consentaient  à  l'entendre  qu'il  est*  inutile  de  se  con- 
fesser au  prêtre,  que  pour  lui  il  se  confessait  à  Dieu,  et 
qu'ils  devaient  faire  de  même.    J'intéYrogeai  l'enfant  qui 
m'avoua  les  faits,  je  fis  alors  venir  son  père  que  je  ne  con^ 


28 

» 

^[laiasais  pas  encore,  ne  Payant  jamais  rencontré.  Il  m'av<Hia 
«qu'il  était  catholique,  mais  qu'il  n'avait  point  pratiqué  sa 
ireligion,  que  sa  femme  avait  vécu  et  ôtatt  morte  en  bonne 
4^at]ioliqUie,  e)  qu'il  regrettait  de  voir  son  enfant  tombé  aux 
mains  du  ministre  protestant  Je  vis  4e  nouveau  le  pauvre 
Pierre  Pekatét.  Ma  première  entrevue  avec  lui  lui  avait 
iàlt  une  sérieuse  tmpresslon,  je  lui  rappelai  les  principales 
wérités  de  notre  sainte  religion,  je  lui  montrai  Tobligation 
où  il  était  d'obéir  à  son  père  et  de  suivre  les  bons  conseils 
que  lui  donna  sa  mère  sur  son  lit  de  mort,  et  que  s'il  con- 
tinuait  à  suivre  la  mauvaise  voie  où  il  était  entré,  il  allait 
certaioemeo^t  tomber  daus  les  abîmes  de  l'aufer.  Le  pau- 
Tre .  leàfan  t  m!a  fait  quelques  promesses.'  J'espère  avec  la 
gr&ee  de  Dieu,  que  le  ministre  Qôté  n'en  fera  pas  un  malti^ 
vd'èeole  qui  pervertirait  en  peu  de  temps  la  nation  moû. 
tagnaise. 

Une  bonae  école,  tenue  par  Madame  Otis,  est  en  pleine 
^péfatlou  sur  la  réserve.  Cette  école  est  aux  frais  du  gou- 
vernement fédéral.  Madame  Otis,  réunissant  tontes  les 
qualités  d'une  sage  iustitution,  rpûd  des  services  inappré- 
ciables, surtout  parmi  Ips  jeunes  filles  sauvages.  Plusieurs 
d'entre  elles,  bien  qu'elles  n'aillent  à  la  classe  que  depuis 
quelques  mois,  lisent  passablemeùt  dans  le*  jfMvoirs  du  Chré-' 
êien.  Tous  ces  cbers  enfants  apprennent  dans  cette  école  à 
oinnaîtne  le  bon  Dieu,  à  l'aimer  et  à  le  servir.  Fasse  le  Ciel 
^que  le  ministre  Côté  ne  parvienne  jaimais  à  arraobar  nne 
seule  iM^ébict  à  mon  petit  troupeau  ! 

Population^  etc. 

Qaeiques  Àbénaquis,  Hurons  et  même  Canadiens  se  trou- 
vent mêlés  à  la  tribu  montagnaise  dc|  Lac  St  Jean.  Cette 
année  43  familles  montagnaise  s  proprement  dites,  ont 
.assisté  à  la  mission,  formant  en  tout  183  personnes.  Il  y  a 
eu,  dans  le  cours  de  Tannée;  10  baptêmes,  21  sépultures  et 
'S  mariages.  Un  de  nos  plus  vigoureux  chasseurs  est  mort, 
pendant  l'hiver,  de  faim  et  de  fatigue.  Il  s'était  avancé  au- 
de-Ià  de  la  hauteur^des  terres,  à  une  trop  grande  distance 
^es  autres  sauvages.  La  pauvre  femme,  qui  l'avait  suivi 
dans  ses  court^es,  a  conservé  assez  de  forces  pour  se  rendre 


Î9 

à  une  loge  moiitagnaise  et  y  annoncer  la  triste  fin  de  som 
pauvre  mari.     Elle  ressemblait  à  un  cadavre  ambulant. 

Veuillez,  Monseigneur,  bénir  les  Montagnais  du  Lac  St^ 
Jean  et  leur  humble  missionnaire. 

Flav.  Durocher,  0.  W.  L 

Le  vénérable  Père  Durocher,  quoique  portant  encore 
lestement  ses  53  années  de  sacerdoce— 11  est  décédé  en 
Décembre  après  quelques  jours  seulement  4e  maladie— ne 
se  sexitit  pas  capable  d'entreprendre  la  mission  du  Lac  St. 
Jean  à  la  fin  de  juin  1876.  Ce  soin  fut  confié  au  Rév.  Père 
Arnaud,  depuis  un  quart  de  siècle  missionnaire  à  Betb- 
siamits  et  dans  les  Postes  du  Roi,  sur  la  côte  rlu  Labrador. 
Le  bon  Père  écrivit,  à  cette  oocasion,  Tiatéressante  leitl^ 
que  voici  à  M.  Laliberté,  aumônier  de  rArcbevôché: 


Mii^sion  Montagnaise  du  Lac  St.  Jean,  7  juillet,  1876. 
Bien  cher  Monsieur, 

Pour  vous  prouver  ma  bonne  volonté,  et  1*»  désir  que  j'ai 
d'être  agréable  aux  nombreux  associés  de  la  Propagation 
de  la  Foi,  je  vous  adresse  le  présent  rapport  que  j'ai  écrit 
à  la  hâte  dans  le  cours  de  ma  mission.  Vous  trouverez 
peut-être  ces  lignes  bien  incohérentes;  mais  ce  nVst  que 
^ansde  courts  moments  libres  que  j*^  puis  pren  ire  la  plume, 
et,  juste  au  milieu  d'une  phrase  ou  d'un  mot,  je  la  quitte 
fùtir  répondre  aux  demandes  qui  me  sont  faites,  ou  pour 
vaquer  au  saint  ministère.  Adidu  alors  à  Tinspi ration. 
Dans  un  temps  de  mission  nojs  ne  nous  appartenons  point; 
iHaut  être  entièrement  à  la  disposition  de  ceux  qui  récla 
ment  nos  services.  Nous  n'avons  réellement  à  nous  que  la 
Cuit,  et  cependant,  dujant  ces  heures  bien  cojartes,  des 
myriades  de  maringouins  se  chargent  d'occuper  tous  nos 
instants. 

Vous  connaissez  déjà  le  Lçc  St.  Jean.  Aussi  je  ne  vous 
en  ferai  pas  la  description,  car  mes  paro!es,  ajouteraient 
iien  peu  à  co  que  vous  en  savez  déjà  ei  ne  saurai^^nt  hâter 
d'une  minute  les  voies  de  communications  que  tous  les 
colons  du  pays  désirent  avec  lani  d'ardeur.*  A  d'autres 
plumes  plus  habiles  que  la  mienne  de  chanter  les  eaux  lim- 


30 

pides  du  beau  lac,  d'où  le  soleil  semble  sortir  chaque  ntatin  ; 
«es  rives  verdoyantes  où  tant  de  jeunes  laboureurs  tra- 
vaillent à  qui  mieux  mieux,  et  où  paissent  des  troupeaux 
déjà  nombreux  ;  et  ce  sol  exceptionnellement  fertile,  cou - 
vcjiBa  ce  moment  des  plus  belles  végétations,  je  voudrais 
avoir  cent  bouches  et  répéter  partout  que  c'est  le  plus  beau 
pays  de  la  Province  de  Québec,  le  plus  riche  ^nbois  et  le 
plus  fertile.  Je  ne  crains  pas  de  dir^  que  c'est  aussi  le  plus 
tempéré;  en  voici  la  raison.  La  chaine  des  montagnes  qui 
l'entourent  et  qui  s'élèvent' au  loin  à  une  grande  hauteur, 
en  '  amphitéâtre,  le  mettent  à  Tabri  des  grands  vents  du 
nord.  De  plus  la  vaste  nappe  d'eau  du  lac  se  réchauffe 
facilement,  conserve  longtemps  sa  chaleur  bienfaisante  et, 
à  son  tour,  tempère  l'atmosphère.  Voilà  pourquoi,  au  Lac 
St.  Jean,  les  semences  ei  les  récoltes  se  font  en  ménie  t'^mps 
que  dans  le  district  de  Montréal.  Si  un  chemin  de  fer 
venait  à  s'ouvrir,  je  suis  persuadé  que  ce  pdvs  deviendrai; 
VEldorado  du  Canada.  Les  alentours  du  lac  se  changeraient 
en  jardin,  et* partout  régnerait  la  plus  heureuse  aisance. 

Mais  revenons  à  nos  chers  Montagnais.  Il  n'y  a  pas  vin(t 
ans,  ils  étaient  encore  les  paisibles  possesseurs  de  ces  cour 
trées  fortunées.  Les  eaux  du  lac  leur  fournissaient  en  abon- 
dance le  brochet,  le  Wananish,  le  doré  et  la  truite,  et  ditns 
la  forêt  ils  avaient  l'orignal,  le  caribou,  l'ours,  la  loutre  et 
le  lièvre  ;  c'était  là  leur  pain  quotidien.    Mais,  que  le» 

temps  sont  changés  depuis  lors! Ils  ont  vu  leurs  forêts 

séculaires  tomber  sous  la  hache  du  colon,  les  arbres  à 
l'ombre  desquels  ils  dressaient  leurs  tentes  devenir  la  proie 
des  flammes.  C'est  en  vain,  mes  chera  enfants  des  bois,  que 
vous  chercheriez  les  grands  ormes  et  les  sapins  aux  bran- 
ches desquels  vos  mères  ont  autrefois  suspendu  vos  ber* 
ceaux  ;  vous  ne  grimperez  plus  jusqu'à  leurs  scimes  ;  à  leurs 
places  se  bercent  de  rickes  moissons  ;  là  où  étaient  vos  cam^ 
pements,  là  où  vivaient  en  paix  l'élan  et  le  caribou,  la 
charrue  a  sillonné  le  sol  et  l'agriculture  a  partout  fait  de 
grands  progrès. 

Nos  Montagnais  se  sont  retirés  peu  à  peu  devant  la  civi- 
lisation. Depuis  longtemps  ils  ont  quitté  Ghicoutimi,  ou 
xiieux  Shektimic  (eau  profonde)  comme  écrivaient  autre- 


31 

fois  les  missionnaires,  po.ir  aller  se  fixer  sur  les  bo^ds  du 
Lac  8t.  Jean.  Ici  encore  ils  ont  eu  plusieurs  hégyre»,  à  la 
grande  Décharge,  à  Kushpigan,  à  Métapetshuar.,  et  enfin  à 
la  Pointe  Bleup,  où  ils  sont  acculé»,  Dieu  seul  sait  pour 
combien  de  temps.  Ils  y  ont,  comme  vous  le  savez,  trans- 
porté leur  petite  chapelle  de  Métapetshuan.  Leur  joie  fut 
à  son  comble  lor^u'ils  virent  de  nouuea'i  briller  sur  la 
maison  de  Dieu  le  joli  clocher  qu'ils  avaient  trainé  avec 
tant  de  peine,  l'espace  de  quatre  lieues,  sur  la  glace  du  lac, 
et  qu'ils  entendirent,  deux  fois  par  jour,  leur  cloche  à  la 
voix  argentine  les  appeler  à  la  prière.  Leur  chapelle  est 
pour  eiw  ce  qu'était  l'arche  pour  le  peuple  d'Israël  ;  les 
chasseurs  dressent  leurs  tentes  aux  alentours,  et  a^sez  près 
poar  que  les  malades  et  les  infirmes  puissent  suivre  les 
chants  et  les  prières  qui  s'y  font.  Elle  est  construite  sur 
une  belle  élévation,  d'où  elle  domine,  les  eaux  du  grand 
lac.  Elle  n'est  pas  encore  terminée,  mais  d'après  ce  que 
vous  m'en  avez  dit,  elle  le  sera  bientôt,  grâce  aux  secours 
accordés  par  la  Propagation  de  la  Foi.  Continuez,  rher 
Monsieur,  à  prendre  tout  Tintôrêl  possible  pour  la  chère 
Mission  montagnaise.  du  Lac  St.  Jean  ;  elle  est  si  ancienne, 
si  bonne,  et  en  même  temps  si  pauvre! 

J'ai  constaté  un  grand  et  heureux  changement  parmi 
les  Montagnais,  depuis  la  mission  que  j'y  ai  faite  lors  d'une 
visite  pastorale  de  feu  Mgr.  Baillargeon.  Le  Père  Durocher 
a  opéré  parmi  eux  des  prodiges  comme  partout  où  il  passe- 
Le  missionnaire  qui  lui  succédera  trouvera  la  besogne  bien 
facile  ;  il  n'aura  qu'à  suivre  le  chemin  battu. 

TouB  nos  sauvages  savent  lire  et  écrire  dans  leur  langue, 
et  on  bon  nombre  savent  pareillement  lire  et  écrire  en 
français.    Ils  sont  sobres  et  honnêtes;  le  vol  est  inconnu 
parmi  eux,  ils  sont   zélés  à  se  faire  instruire,  édifiants  à 
Téglise,  on  peut  même  dire  pieux.    Les  protestants,  toute, 
fois,  continuent  à  faire  des  efforts  inouis  pour  les  pervertir 
Ces  derniers  ont  beau  leur  mettre  devani  les  yeux  l'exemple 
de  leurs  frères  dn  Lac  des  Deux-Montagnes,  les  nôtres  res^, 
tent  fermes.   *'  Si  nos  frères  ont  cru  à  ta  pirole,  ils  ne  sont 
pas  fins. — ^Tu  nous  parles  de  la  prière  et  tu  ne'pries  pasi — 
Tu  te  moques  de  la  croiK  de  Jésus  et  de  ceux  qui  la  portent. 


32 

et  lu  dis;  c'est  moi  qui  enseigne  vrai. — Tu  as  perdu  Tespiût. 
— Ce  n'est  pas  notre  père,  le  grand  Priant,  qui  t'a  envoyé 
vers  nous. — Va^t-en.  "  C'est  ainsi  qu'iis  répondent  au  Sieur 
Côté  et  consorts.    Cependant  ces  gens  là  font  du  mal  au 
milieu  des  Canadiens.    Ils  ont  réussi  à  entraîner  plusieurs 
jeunes  gens  à  leur  suite^  qu'ils  ont  ensuite  placés  dan^  leur 
prétendu  séminaire  de  la  Pointe  aux- Trembles,  près  de  Mont- 
réal. Le  Père  Durocher  vous  a  dit,  l'an  dernier,  tous  les  ef- 
forts qu'il  a  faits  pour  arracher  de  leurs  mains  un  jeune  Mon-? 
tagnais  de  Mjst-Assini;  il  avait  l'espoir  d'avoir  réussi.  Mai^, 
malheureusement,  le  pauvre  père  du  jeune  Paul  Pékatés  a 
été  trop  faible  eu  présence  des  belles  promesses  du  ministre 
Côté,  et  l'enfant  a  repris  la  route  de  l'école  protestante.^ 
C'est  un  malheur  qu'on  ne  saurait  trop  déplorer,  car  il 
peut  avoir  de  bien  funestes  conséquences  pour  la  foi  de  no& 
bons  Montagnais. 

Les  animaux  sauvages  et  le  gibier  de  toute  espèce  s'é- 
loignent tous  les  ans  et  diminuent  petit  à  petit.    Nos  Moo- 
tagnais  en  soufiTient   beaucoup,  ils  sont  en  général  irès 
pauvres.    Presque  chaque  année,  la  chasse  faisant  défaut) 
quelque  famille  périt  de  faim  au  milieu  des  grands  bois. 
Ajoutez  à  cela  la  rigueur  des  lois,  que  certains  Nemrods 
préparent  en  comités,  et  qu'ils  font  ensuite  sanctionner  par 
les  chambres  ;  je  ne  puis  trouver  que  ces  Messieurs  aient 
bonne  grâce,  tout  en  fumant  leur  liavaime  et  eu  dégustant 
le  sherry^  de  vanter  leurs  chasses  impossibles  et  de  légis- 
later  au  détriment  des  pauvres  enfants  du  sol.     C'est  ainsi 
qu'au  Lac  St.  Jean  un  sauvage  mourant  de  faim,  sera  pour- 
suivi pour  avoir  tué  un  caribou  en  temps  prohibé,  et  on 
exécutera  contre  lui  la  loi  dans  toute  sa  rigueur.    Cette 
conduite  de  la  civilisation  contre  le  pauvre  sauvage  est^ 
passez-moi  le  mot,  plus  que  de  la  sauvagerie. 

Il  y  a  quelques  années  des  Montagnais  sauvèrent  la  vie 
à  un  garde-peche  qui  avait  voulu  se  donner  l'agrément 
d'une  lointaine  partie  de  chasse.  Les  provisions  épuisées, 
le  pauvre  homme  s'était  égaré  dans  la  sombre  forêt.  Des 
Montagnais  le  trouvèrent  à  demi-morti  Ils  lui  prodiguent 
toutes  sortes  d<f  soins,  le  mettent  sur  la  bonne  route  et  ne 
le  quittent  que  lorsqu'il  est  hors  de  danger.    A  quelque 


33. 

temps  délaces  môoies  s^uvagesy  ^ouraat  ^e  |aim«Aen- 
dirent  leurs  filets  dans  une  rivière  et  ils  y  prirent  quelques 
saumous.  Crime  dolède-majestél  lis  fareni' pdursuivis 
par  noire  gardë-pdche  san^  cœor  oomme  sans  mémoire 
quîy  pour  ao,lda  de  l'amende,  s'empara  de  leurs  filets.  Et 
pourquoi  aussi  ces  pauvres  Hontagnais  se  mêlaient-ils 
4'avoir  faim? 

Xes  exercices  de  ma  mission  touchent  i  leur  fin.  Ils 
ont  été  suivis,  avec  piété  et  assiduité,  par  une  quarantaine 
de  familles.  Il  y  a  eu  quatre  mariages,  six  premières 
communions,  et  un  seul  baptême.  Les  autres  enfants, 
nés  dans  le  cours  de  Tannée,  avaient  été  baptisés  par  M.  le 
^curé  Delâge  avant  mon  arrivée.  Ce  qui  m'a  toujours  beau- 
coup édifié,  c'est  la  belle  habitude  que  les  parents  ont  de 
conduire  leurs  petits  enfants  à  la  chapelle,  pour  leurap* 
prendre  leurs  prières  et  le  catéchisme.  Chaque  matin, 
dès  l'aurore,  de  mon  humble  gîte  situé  dans  le  haut  de  la 
sacristie,  j'entendais  comme  un  murmure  dans  l'égUse. 
En  s'approchant  on  pouvait  saisir  ce  que  disaient  ces  voix 
enfantines  qui,  de  tous  les  points  de  la  chapelle,  répétaient 
à  l'envi  :  "Jésus,  Mali  Joseph,  uitshiinan,  shueliminan." 
Oh  !  que  leurs  bons  Anges  devaient  avoir  de  plaisir  à  porter 
tontes  ces  naïves  invocations  au  pied  du  trône  de  Dieu  I 

.  Un  sauvage  vient  de  me  dire  :  *'  Père,  à  qui  écris-tu  ?  " 
^^  A  la  robe  noire  que  notre  Père  le  grand  Priant  a  choisi 
pour  distribuer  ses  aumônes,  et  je  lui  parle  justement  de 
vous  autres  et  de  votre  chapelle  :  je  lui  dis  que  vous  êtes 
pauvres  et  qu'elle  l'est  davantage." — "  Oh  !  reprit  il,  cette 
robe  noire  doit  avoir  le  cœur  bien  bon,  puisqu'.elle  habite 
avec  le  Grand  Priant;  certainement  qu'elle  aura  pitié  de  ' 
nous.  Dis-lui  :  robe  noire,  supplie  notre  Père  le  Grand 
Priant  de  bénir  ses  enfants  des  bois,  afin  qne  Dieu  les  pro- 
tège dans  leurs  chasses,  et  qu'il  ne  leur  arrive  point  d'ac* 
cident  sur  les  rivières  et  sur  les  lacs.  Dis-lui  que  nous 
n'avons  pas  oublié'  ses  paroles  et  que  nous  tâchons  de  suivre 
les  bons  conseils  qu'il  nous  a  donnés.  Dis-lui  aussi  que 
notre  plus  grand  contentement  sera  de  voir  notre  maison 
de  prière  terminée." 

2 


34 

J^espère,  cher  MoDsieur,.que  vous  serez  leur  interprète- 
auprès  de  Monseigneur  rArchevéqu^,  et  que  vous  sollici- 
terez poW  nous  tous  une  paternelle  bénédiction. 

,  Croyez-CDoi  bien  aôectuçusemeat 

,.  Votre  humble  frère  eu  Marie  Immaculée,    . 

Chs.  ARNAUD,  O.Mi. 


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.♦     •-.■  ■     •  .' 


I    I 


.  •  •  •  n     .'  »  •    .  ' 

.  ORÉGpN,  . 


ri 


Réserve  du  grand  Rond. ,   .  .... 

Les  loueurs  das-  annules  d6  Propagàlioii'de  1a  JF'oi  de 
Montréal,  n^oa^sans  doute  pas  oublié  è^u'eiï  1874  quatre 
Sœurs  des  S&*  Nom»  d«  Jésos  et  Marie  partaient  pour  aller 
fonder,  uoe  missîonf  en'Orégon  dans  une  réserve  Indienne 
dite  du  lirand  Rond':  Les  aninaies  dû  mois  Je  Novembre 
1874  rendirent  oomptê  de  leur  réception  dans  cette  Réserve 
et  dans  une  lettre  d- une  de  ces  Sœurs  donnai éhcrhistori- 
que  de^  d^buiset  faisaient  un  tableau  navrant  de  leur  pau- 
vreté. 

Aujourd'hui  nbod  réproduisons  au  siijôt  de  cette  miission 
une  lettre  d'une  iaiitré' sotfrce,  lettre  bien  propre  à  faire  res- 
sortir tout  le  bien  qu^opërentuos  religieuses  missioonairçs 
au  milieu  de»  tribus  san'vages  ;  c'est  lé  Général  Boward  ' 
de  Tarmé  des  Etat&-Unis,  protestant  qui  écrit  à  un  journal 
protestant  de  Cbigago.  ' 

9 

*  t  «  *  • 

^    .  :       A  FA^vance  de  Chieagé  :       \ 

Sur  les  anciennes  certes  de  Géographie,  la  Réserve  dite- . 
"Grand  Rond"  ét^it  un  petit  carré  rouge  dans  le  Nord-  . 
Ouest  de  l'Orégoq,  non  loin  de  la  mer..  Elle  est  située  . 
trent(?-cinq  milles  à  Toùest  de  Salem,  juste  au  sud  du  Fort-. 
Yamhill,  où  notre  distingué  Lieutenant-Général  Sberidan 
résidait  avant  quQ  le  titre  de  Général  lui  fût  ajouté  à  celui  de 
'*  Lieutenant  ".  ' 

Lundi  matin  Tarent  des  léserves  Indiennes  (on  le  nomme 
dans  le  pays,  **  Browh  le  manchot,  "  )  arriva  à  Salem,  près 
de  l'hôtel  Wamekata  a!vec  une  forte  et  solide  voiture  à  deux . 
sièges,  tirée  par  deux  bons  chevaux.  Le  Major  Wm.  H. 
Boyle;  Inspecteur  des  Secours  Indiens^  et  le  soussigné 
prirent  places.  .    .,     : 

Noue  traversâmes  la  ville  de  Dallas,  ejt  tournâmes 
sur  nne  hauteur  près  de  Sberidan.  L'étendue  dee  champs 
de  blé  mè  surprit.  Nos  cbevavx  fatigués  eurent  à  gravir 
désr  côtes  et  arrivèrent  enfin  au  Fort  YamhiU  après- 
«a    péûible   voyage.    En    arrivant    au    sommet  de  la 


36 

côie  et  en  regardant  devant  ,nou8  quel  magnifique  spec- 
tacle s'ofFrit  à  nos  regaVds  !  Une  splendide  ^vue  pano- 
ramique d'une  va,llée  entourée  d'une  ceinture  de  col- 
lines comme  un  grand  lac  aux  vagues  gonflées,  mais 
ces  vagues  n|9  sgnt  que  l98  ^<i4ulations  de  U  prairie. 
C'est  là  la  Réserve  qu'on  ^pp^lle  ''  Grand  Bond  ^'.'  Quelles 
sont  ces  niais.ons  tout  le  iopg  4e  la  y^iléitf  «et  dont  plusieurs 
sont  évidemment  neuves?  Mr»?  Brown  me  dit  qu'elles 
appartiennent  tputes  aux  ladjonçj  .De»  fermai  leur  ont 
élé  accordées,  et  ell^s  progressant  T'diÂf'Of&ent.  Mon^cèBUr 
fut  rempli.de  joie  i^iay^.de  4;es.  tnaoes.  évidentes  delà 
civilisation,  même  1^  où  o^-p'Ai^itiqiiâiea pauvres  Indiens 
avaient  été  si  souvent  pillés  et  destitués  des  moyens  de  pro- 
grès que  le  gouvernement  A?.^riayAilaceordés.:jnéme  là'où 
leurs  femmes  avaient  ë^  yioléiss,.  #t,oii  iOiiateMeur  édu- 
cation avait  été  détruite  !  ,|^  y  ^^it  encore  de«lx  milles  et 
demi  à  ïaire  çQjar  s^tteindre  les  ))t4iBkeê,  deil'aganoe.  L'an* 
cien  chemin  âv^it  é^  cççverti  ea  fril^B^iét^ie  nouveau 
n'était  pas  encore  aplani  ni  clôturé.    . 

Le  docteur  de  l'agence  nous  conduisit  à  travers  les  champs 
et  les  marais,  jusqu'à  la  maison  de  Pagéhl,  Mr.  P.  B.  Sin- 
nott,  qui  est  un  Irlandaii>»    Jl  nQW9  souhaita  unif  e)ia- 
leureuse   bienvenue  à  sa  niaison.    Nqtre  ^rriv^e^  s\ih\%e 
aurait  po  troubler  n'importe  qui,  si  elle  ,n'a.v34t.  pas  él4 
annoncée.  Mais  un  pavillon  arborée  sur  l'édifice  et  qi^  vjéri* 
table ''** Brigadier  salute"tir^  par  une  petite  p^èoe  ^'ar- 
tillerie, étirent  bientôt  fait  voir  aux  Indîen.s  qu'up..*'  'jÇyçie  " 
était  arrivé.    En  regardant  au  Nord  de  la  maison  de  la 
demeure  de  Mr.  Sinnptt,  vous  verrez  une  b^Ue qo/^s^f action 
toute  neuve^  située  à  une  ceptainé  de  yerg^^..  G^estia  nou- 
velle maison  d'école  poûvârit  accommoder  une  oei^t^iae 
d'élèves.    Un  peu  erl  deçà,  je  remar(j|uài  une  ^Aciemie  Qons* 
truction,  surmontée  d'iin  çlocliei'  et  d'une  çroi^j:  c'ftai^l^, 
l'Eglise  Catholique.    À  ^mïa  gauche,  était 'M'asile ',' où  leis 
<^  Sœurs  "  (elles  sont  quatre  en  tout),  prenaient  coin  di^s 
jeunes  ûlles  Indienneë.    Deux  âes  ^œurs  enseigjueht^  et 
deuï' P'^ônnent  sôFù  de  l'Asile.  Après  uç  bon  souper  c^aud 
et  u»  enlretîeni  le  soir,  afvéc Mme. Sinn(5tt,  nous  étionspréjà 
maniï'*màiin  à  faire  de  nou^ell^  observations.  Nous.aôconî:« 


37 

pagoâmes  l'agent  à  plusieurs  maisoos  Jodieùnes;  elle$ 
aràient  en  général,  deux  grandes  chambres  et  une  cuisine, 
les  chambres  à  coucher,  contenaat  chacun  un  lit  bien  fait, 
étaient  très  propres.  Je  remarquai  dans  une  chambre  où 
il  y  avait  un  bébé,  un  curieux  petit  berceau,  aussi  large  que 
long,  et  contenant  une  couverture  de  coton.  Les  habits 
dans  la  maison  étaient  très  bien  tenus  ;  les  murs  de  la  salle 
d'attente  étaient  couverts  de  gravures  prises  dans  les  jour- 
naux  illustrés.  Presque  tous  les  pères  de.  famille  possé- 
daient une  voiture,  une  charrue  et  des  chevaux. 

Nous  revînmes  avant  dix  heures  de  Tavant-midi,  pour 
visiter  l'école.  Dans  la  première  chambre  étaient  les  deux 
Sœurs,  ainsi  que  toutes  les  jeunes  filles  rangées  de  droite  à 
gauche  par  ordre  de  hauteur,  la  plus  âgée  pouvait  avoir  15 
ans,  et  la  plus  jeune,  de  4  à  3  ans.  Elles  étaient  aiissi  pro- 
pres que  toutes  les  petites  filles  en  général^,  elles  portaientde 
bons  vêtement».  A  la  demande  d'une  des  Sœurs,  je  leur 
fis  des  questions  sur  Tépellation,  la  lecture  et  la  géo* 
graphie.  Elles  me  répondirent  en  bon  Anglais  et  lurent 
très  bien. 

Les  garçons,  qui  demeurent  chez  eux,  n*ont  pas  les 
manières  posées  des  jeunes  filles  et  ne  sont  pas  si  bien 
tenus*  mais  ja  m'aperçus  qu'ils  parlaient  et  lisaient  autoi 
bien.  Le  chant  de. bienvenue,  exécuté  par  les  garçons' et 
les  filles  ensemble,  me  ps^rut  un  peu  triste  ;  c'était,  conlme 
toujours  chez  les  enfants  Indiens,  une  espèce  de  gémisse- 
ment plaintif.  Dieu  veuille  qu'il  ne  leur  présage  pas  uile 
pénible  vie  ! 

Puissent-ils  tous  être  sauvés,  et  sauvés  de  manière  à  pou< 
voir  participer  à  notre  saint.  , 

Le  Père  Croquet,  un  prêtre  Belge,  était  là.  II  a  une  phy- 
sionomie franche  et  chrétienne  ;  tout  le  monde  l'aime.  Je 
ne  crois  pas  qu'il  trace  la  môme  ligne  que  nous  entre  les 
convertis  et  les  non-convertis.  J'essayai  à  apprendre  de 
lui  si  plusieurs  des  Indiens  âgés  avaient  trouvé  le  Sauveur. 
n  me  répondit  que  plusieurs  d'entre  eux  étaient  attentifs 
et  sincères  dans  leur  conduite.  Nous  allâmes  ensuite  visiter 
l'agence.  Ici,  les  Indiens  voulurent  que  je  leur  parlasse. 
Je  le  ils,  tout  en  exprimant  ma  satisfaction  pour  l'école,  les 


38 

• 

fermes,  et  les  marques  évidentes  de  progrès  des  diverses 
•tribus  as<eml>(éè9^ -en  'Ce  lieii.  Les  Indiens  'me^épondirent 
chacun  à  lear  tour.  Les  plus  J^\îiies*pàrlaient  ^on  '^ynglais, 
tnaifi.dc  peurd^-  ne  pas  être  compris  parles  h'ômiries,  ils 
parlèrent  tous,  le'GbiBook  ou  "Jargon",  com^é  ils  rap- 
pellent et  me  le  firent  interpréter.  La  polygamie  à  presque 
dispalru  cbei  eux.  Rien  ne  lèis  offense  autant  que  les  eîTorts  . 
^que  oertains  hommes  blancs  font  pour  leur  enlever  leurs 
-f-emmes*  .'Ils  me  remercièrent  tant  et  plus  pour  ma  visite 
etmtis  discours,  Des  hommes  blancs  du  voisinage  leur 
avaient  dit  qu'ils  ne  valaient  pas  mieux  que  lés  Indiens 
barbares;  '*  Vous  pouvez  en  juger'*,  dirent-ils,  **  noiis  nous 
vêlons  comme  vous,  nous  avons  une  école  et  une  église, 
nous  avons  des  habitations  et  d^^s  terres,  des  bêtes  de 
somme  et  des  charrues;  nous  ne  sommes  plus  des  Indiens 
barbares  ". 

A  midi,  nous  dîmes  adieu  à  tous  ces  braves  gens,  pie  sen- 
tant vivement  porté  à  dire  et  faire  tout  ce  qui  serait  en  "mon 
pouvoir  en  faveur  de  Tâdministration  quf  civilisé  les  restes 
de.tribn£  Indiennes  qui  habitent  ces  contrées. 

Une  visite  à  cette  Réserve  vous  représente  les  faits  meniez 
— faits^ïui  se  rapportent  au  passé  ténébreux  où  l'honnêteté, 
la  chasteté  et  l'humanité  étaient  les  qualités  d'un  bien  petit 
nonibi:>è — ^faits  qui  se  rapportent  au  présent  où  Téglisç, 
récote,  le  monlin  à  scie,  le  défrichement  des  terres  et  un 
honnête  ensêîgnerhftnt  ont  réussi  à  rendre  un  peuple  indus- 
trieux et  indépendant.  C'est  le  fruit  d'un  enseignement 
Catholique,  fidèle  et  persévérant  ;  que  nos  frères,  et  sœurs 
protestants  ne  restent  pas  en  arrière  de  ces  bons  et  fidèles 
serviteurs  du  Seigneur. 

0.   0»   HOWARP. 


;     ;  '  »   '     'i         J  ..  Li       ■  »    ".* 

/»      ■'  ...  i    :  «  I      .  i        .    '•  ... 

■      '    ■   "projets  D'ÉVANGÉLISÀTION 

DE   LA   PAT*AG0NIB 

La  Pâtagome  est  une  imm*9nse  région,  située  à  Textré- 
mité  de  l'Amérique  méridionale  et  c^omprenant  tout  le 
territoire  au  sud  de  la  République  Argentine  el^du  Chili. 
Si  Ton  a](5ute  à  ae  territoire,  outre  les  pampas  qui  s'éten- 
dent au  nord  presque  jnsque  à  l'équateur  et  qui  servent 
encore  tle  repaire  aux  sauvages,  les  îles  nombreuses  épar- 
pillées sur  les  eûtes,  on  figura  une  contrée  dont  la  superficie 
égale  peut-être  celle  de  FEurope.  Le  nombre  des  Pata- 
gens  est  iuconnu  ;  mais  il  est  sans  doute  beaucoap  plus* 
élevé  que  les  géographes  ne  le  su|>posent.  On  doit  les 
compter  pcftr  millioos.  Ils  sont  complèrtement  sauvages, 
sans  lois,  sans  gouvernement.. 

Jusqu'à  ce  jour,  malgré  des  efforts  réitérés,  la  voix  du 
missionnairq  n'a  pas  retenti,  dans  cette  partie  du  monde* 
Toutes  les  tentatives  ont  échoué .  devant  la  férocité  des 
naturels. 

Le  moment  de.  ia  miséricorde  divine  semble  cepeadant 
éire  arrivé  pour  eur,.  puisque  un  nouvel  essai  d'évangéli" 
sation  n'a  pas  été  reconnu  inutile.  Les  moyens  employés 
jusqu'à  ce  jour  n'avaient  abouti  qu'à  faire,  extermiaer  les 
missionnaires  ;  on  devait  donc  en  rechercher  d'autres.  Un 
projet,  approuvé  par  le  Saint-Père,  :  propose  d'ouvrir  des 
écoles,  des  refuges,  des  orphelinats  sur  les  frontières  de  la 
Patagonie,  et  d'arriver,  par  l'éducation  des  enfants  pata« 
goos,  à  la  conversion  du  peuple  tout  entier. 

Nous  pouvons  déjà  constater  les  résultats  pratiques  de 
€6  plan  dans  les  écoles,  où  qi^elques  indigènes  devenus 
chrétiens  demandent  instamment  à  être  renvoyés,  comme 
missionnaires,  auprès  de  leurs  compatriotes  encore  sauva- 
ges. C'est  précisément  le  but  que  les  Religieux  S^lésiens 
avaient  en  vue  lorsqu'ils  fondèrent  une  maison  à  Buenos- 
Àyres  et  une  autre  à  San-Nicolas.  Dans  ce  dernier  établis-* 
ssment,  distant  de  60  milles  des  tribus  patagonnes,  plus  de 
cent  enfants  reçoivent  une  éducation  chrétienne.    Le  plus 


40 

grand  nombre  d'entre  eux  appartiennent  à  des  famille»^ 
entièrement  sauvages.  Il  est  question  d*oumr  un  nouvel 
établissement  dans  la  ville  de Doloiès,  un  autre  Ji  Carmen, 
Tllle  de  la  République  Argentine,  à  remboucbûre  du  Rio 
Negro,  sur  les  limites  de  la  Patagonie,  D'antres  maisons 
et  d'autres  asiles  son>  projetés  dans  la  ville  de  La  Concep- 
tion, siège  du  diocèse  le  plus  méridional  de  la  Républiquja 
du  ChJili,  et  à  Valdivia,  ville  très-rapprochée  des  sauyage^ 
de.la  Patagonie. 

Pendaoit  que  Ton  étudiait  la  fondation  d'un  nouvel 
établissement,  trois  projets  furent  présentés  simultané* 
ment*  • 

Mgr  Frédéric  Aneyroa,  archevêque  de  Buenos-Ayres, 
otEcit,  par  une  lettre  datée  du  ter  juillet  1876,  à  la  Congré- 
gation des  Salésiens,  sur  les  confins  de  la  Patagonie,  la 
paroisse  la  plus  reculée  de  son  immense  diocèse*  Une 
fois  en  possession  de  ce  poste  avancé  sur  le  territoire  des 
tribus,  ces  Religieux  élèveraient  un  hôpital,  pour  recueillir 
les;en{ants  que  les  Patagons  laissent  mourir  de  faim^et 
poar  donner  l'hospitalité  aux  marchands,  llspournalsnt 
aussi)  par  leurs  bons  offices,  se  concilier  l'affection  de» 
indigènes  qui  vont  de  temps  en  temps  y  échanger  leurs 
marchandises  contre  des  produits  européens.  Ainsi  établis 
suc  les  limites  de  la  Patagonie,  les  missionnaires  péné^ 
treraient  plus  aisément  dans  l'intérieur  du  pays. 

Mgr  Aneyros  a  l'intention  de  confier  aux  Saiésiens  la 
charge  des  Patagons  Molu-chez,  Puel-chez  et  Che  che^hestt 
qui  sont  réunis  sur  les  bords  4u  Rio  Negro,  depuis  le  i> 
de  latituge  australe  jusqu'à  l'Atlantique. 

Le  deuxième  projet  présente  aussi  de  grandes  espéran- 
ces. '^Depuis  ma  dernière  lettre,  écrit  M.  Gagliero  à  M. 
Bosco,  fondateur  de  la  Congrégation  des  Saiésiens  de 
Turin,  j'ai  négligé  Buenos-Ayres  pour  porter  toute  mon 
attention  sur  la  Patagonie.  Une  lettre  da  M.  Antonio 
Oneto,  commissaire  de  G  illenos  de  Chubret  (colonie  située 
au  41»  de  latitude  sur  Uii.afa.uent  de  l'Atlantique),  m'invite 
à  aller  avec  d'autres  missionnaires  chez  les  P^itagonsUrli- 
chez  et  Therol-chez*  Facel  et  Cinquecian,  casiques  de  ces 
deux  tribus,  recevront  les  missionnaires  trèsrcordialement, 


41 

l6S  écouteront  avec  respect  et  pourroiront  à  tous  leur»- 
besoins.  En  outre,  M.  Oneto  nous  fait  espérer  que,  lors- 
que ces  tribus  seront  devenue^  amies,  la  Patagonie  tout  en* 
ttère  nous  sera  ouverte.'* 

Un  troÊstème  projet  est  également  présenté.    Le  gouver- 
neur  de  la  Répnbliqoe  Argentine  a  l'intention  de  fonder 
mae  colonie  à  Santa  Groz,  site  excellent  i  l'embouchure 
d*UBe  rivière  qui  se  jette  dans  l'Atlantique,  très-près  da 
50^  parallèle,  c'est-à-dire  un  peu  au  nord  du  détroit  de 
Magellan.    Il  a  l'intention  d'en  confier  la  direction  e^u% 
Religieux  Salésiens.    Les  nombreux  touristes,  qui  visitent 
le  port,  le  déclarent  très-propre  à   l'établissement  d'une 
colonie.    Le  froid  y  est  souvent  rigoureux,  mais  ne  l'est 
pas  assez  pour  le  rendre  inhabitable  ;  en  somme,  le  climat 
parait  favorable  à  la  constitution  des  Européens.    Le  gou- 
verneur se  montre  disposé  à  soutenir  les  missionnaires  et 
led  Patagons  Quiene-ohèz  et  Plima-chez  confiés  à  leur»- 
soins.    Avec  un  petit  nombre  de- missionnaires  établis  à- 
Santa  Crnz^  il  ne  sera  pas  difBcrlede  pénétrer  dans  rinté*- 
rieur,  et,  en  peu  d'atifiées,  d'explorer  toutes  les  parties  de 
la  Patagonie. 

M.CiagHero  termine  ainsi  sa  lettre:  ^^ Tous  ces  Indiens 
sont  faciles  à  gagner,  mais  naturellement  portés  à  la  dé- 
ianee.'  Sous  l'influence  de  ce  sentiment  ils  sont  sans  pitié 
pour  leor»  ennemis.  Que  chacun  néanmoins  se  prépare 
pour  la  Patagonie:  que  ceux  qui  sont  choisis  pour  cette 
œuvre  s'arment  de  patience,  d'application,  de  prudence  et 
de  courage.  En  outre,  il  faut  beaucoup  de  précaution  dans 
les  rapports  avec  les  Indiens,  sinon  le  travail  de  plusieurs 
années  est  détruit  en  un  jour.  Le  missionnaire  qui  les  en- 
gagerait à  se  soumettre  au  gouvernement  de  Buenos-Ayre» 
serait  mis  à  mo**t  impitoyablement.'' 

En  attendant  la  mise  à  exécution  de  ces  projets,  douze 
missionnaires  sont  partis  pour  Montevideo  et  Buenos-Ayres» 
Là,  ils  seront  divisés  par  groupes,  puis  envoyée  à. San  ta- 
Cruz  ou  chez  les  Hurli.chez  et  les  Thérel-cbez^ 


î         ■':.«* 


•  CHINE.  • 

«      t 

Nous  reproduisons^  d'apcès  les  leltres^. les  plue  réoênies 
des  mission naires  et  clans  leur  ordre  ehroD0logique,\  le 
Tésuoié  des  nouvelles  de  la  perséc-utio^  qui  conimo^  tou- 
jours à  s'exercer  en  Chine  ;  pa  verra  par  les  documents 
qui  suivent  que  rEglise  a  toujours  à  combattre,  qxie  Teafer 
€St  toujours  animé  de  la  même,  rage  contre  les  propagateurs 
de  Tévaugile,  et  que  la  croix,  avant  de  prendre  possession 
d'un  peuple,  a  besoin  d'être  arrosée  par  le  sang. 

L  Su-tchuen  occidental.  —  ''  ly'aunée  dernière,  dit  Mgr. 
Pinchon,  je  vous  ai  parlé  de  troublées  survenus  à  Ghoaea- 
kiufou.  Deux  mandarins  s'étant  mis  à  la  tête  des  meneurs, 
près  de  mille  bandits  s'étaient  soulevé»  contre  las  chrétiens 
et  avaient  juré  de  les.  exterminer  tpus.  Ceux-ci  s'étaient 
cachés  ou  avaient  pris  la  fuite.  Deux,,  étant  tombés  aux 
mains  dles  révoltés,  avaient  été  mis  à  mort.  A  ChoueD-kia- 
fou^  une  maison,  nous  servant  d'oratoire-  et  de  pharmacie, 
avait  été  entièrement  détruite.  Le  prêtre  indigène,  curé 
de  la  ville,  arrêté  lorsqu'il  s'échappait,  avait  été  garrotté, 
accablé  de  coups,  abrei^vé  d'outrages,  puis, enfermé  daqs 
une  pagode,  sans  aliments,  durant  trois  jours  et  trois  nuits. 
On  consentit  enfin  à  le  xelâcher,  mais  à  la  conditian  qu'il 
excommunierait  tous  les  chrétiens  de  la  ville.  On  lui  don* 
siait  le  cboix,  entre  cette  excommunication  et  la  mort,  en 
lui  mettant  le  canon. d'un  pistolet  dans  la  bouche.  Ce 
prêtre,  vieillard  septuagénaire,  a  recouvré  la. liberté  ;  mais 
itant  de  mauvais  traitements  lui  ont  un  peutroublé  la  raison. 

^^  Les  promesses  que  l'on  m'avait  faites  me  donnaient  l'es- 
poir que  l'on  rétablirait  l'ordre,  que  l'on  jugerait  et  puni- 
rait  les  coupables,  et  que  notre  oratoire  pourrait  enûn  se 
relever  de  ses  ruines.  Je  m'étais  trompé.  Au  mois  de 
janvier  1876,  le  gouverneur  de  Su-tcbuen  a  été  changé^  et 
son  successeur  est  l'ennemi  juré  des  Européens,  par  con- 
séquent des  chrétiens.  Ce  changement  a  déjà  eu  et  a 
encore  tous  les  jours  des  conséquences  désastreuses  pour 
la  mission.  A  Chouen-kiu-fou,  notre  oratoire  n'a  pas  été 
rebâti,  les  coupab'es  n'ont  pas  été  arrêtés;  et  la  position 


43 

est  i^estèe.  telle  qnellç,.  paalgré,.ao3,,AÇprt5  réitérés  .pp.ur. 
obtenir  une  solution.  accep(.^l>le^^j  Les  .baadiis,  protégés  pai: 
l'inertie  des  fonctionnaires  çt,.Qjnhai:dis  par  Ti^ipupité,  se 
multiplient  et  menacent  de  tout  anéantir. 

'^  Vers  la  fin  dç  rannéç  dernière,  Jçrs  deg  exam-ens  publics 
dans  la  petite  ville  de  lun  clxpu-chien,  les  bacheliers,,  au 
nombre  de  sept  à  huit  cents,  se  ruèrent  sur  Toratoire  que 
nous  venions  de  bâtir,  le  pillèrent,  et,  aidés  de  la. populace, 
le  démolirent  et  en  emportèrent  tous  les  matériaux.  L'in- 
nocence  des  chrétiens  a  été  reconnue,  n)erae  par  le  sous- 
préfet  de  la  ville  dans  son  rapport  au  gouverneur,  et  ce- 
pendant nous  n'avons  pu  obtenir  aucune  satisfaction... 

*' Le  20  juillet  dernier,  la  populace  coalisée  des  trois  sous- 
préfectures  de  Lôui-kianglxién,  de  lujn-tchong-hien  et  de, 
Long-tchoun-hien  prit  les  armes,et,  dr^'vpeauxen  tète,  enve^- 
hit  les  chrétientés  les  plus  florissantes  d^  Loui-kiang-hien. 
Les  révoltés  se  jetèrent  sur  les  chrétiens,  pillèrent,  puis  dé- 
molirent ou  brûlèrent  leurs  maisons,  blessè^^çnt.  un  grand 
nombre  de  néophytes  et  réservèrent  les  plus  ngtablea  pour 
les  égorger  avec  des  raffineme.nls  de  cruauté.  On  attacha  les 
victimes  su  r  une  grande  crpix  de  bois,  et  on  les  coupa  en  mor- 
ceaux, comme  ferait  un  boucher  sur  son  étal,  Ainsifurent 
massacrées  quatorze  personnes,  parmi  lesquelles  un  enfant 
de  deux  ans  et  un  autre  de  cinq.  Ces  pauvres  petits  n'étaient 
pas  encore  baptisés;  mais,  enfants  de  néophytes,  ils  ont 
été  tués  en  haine  de  la  religion.  Les  bandits  ensevelirent 
d'abord  dans  une  fosse  commune  tous  les  cadavre*»  mutilés, 
et,  quelques  jours  plus  tard,  les  exhumèrent  pour  les  livrer 
aux  flaïnmes.  Les  cendres  en  furent  jetées  au  fleuve  ou 
dispersées  dans  les  champs.  Ils  agissaient  ainsi,  afin  qu'on 
ne  pût  leur  montrer  ces  cadavres,  comme  des  témoins  irré- 
cusables de  leur  crime. 

"  Les  scélérats  ont  occupé  militairement  le  pays  jusqu'à 
<e  jour.  Ils  vont  de  localité  en  localité,  blessant,  tuani  les 
chrétiens  qu'ils  rencontrent.  Un  néophyte,  nommé  Loù, 
saisi  par  eux,  a  été  garrotté  et  enterré  vivant.  Jugez  de 
la  terreur  qu'une  telle  sauvagerie  a  répandue  dans  tout  le 
pays.  Plus  de  la  moitié  de  nos  chrétiens  de  Loui-kiang- 
hien  ont  apostasie, pour  sauver  leurs  maisons, leur  fortune 


44 

00  leur  vie  ;  quelquéd-âns  austfi;  de^^nus  Judas  dans  Té- 
preuve,  se  pont  tournés  contre  nous  et  nous  causent  le 
plus  grand  mal:    C'est  une  désolation  générale. 

*^  Le  nombre  r!es  morts  déjà  connus  est  de  quatorie,  mais 
on  pense  qu'il  y  en  a  davantage.  Actuellement,  il  nous 
est  Impossible  de  faire  une  enquête  et  de  connaître  les 
détails. 

'^  Dans  cette  dernière'  et  si  triste  affaire,  nos  mandarins 
ont  donné  des  ordres  bons  en  apparence,  mais  tout  à  fait 
inefficaces.  Ils  n*ont  pas  un  nombre  de  satellites  et  de 
soldats  suffisant  poui'  les  opposer  à  cinq  ou  six  mille  pil- 
lards. El  puis,  en  réalité,  ce  sont  les  mandarins  eux-mômes 
qui  ont  favorisé  ces  soulèvements  populaires.  Depuis  plus 
de  quatre  mois,  tous  ces  désordres  existent  dans  une  mis> 
sion  voisine  de  la  mienne,  et  nos  mandarins,  grands  et 
petits,  ont  catégoriquement  refusé  tout  secours,  tout  ordre, 
tout  édit,  capables  de  réprimer  les  troubles.  De  plus,  on 
fait  librement  circuler  des  placards  séditieux,  appelant  le 
peuple  au  massacré  des  Européens  et  des  chrétiens.  Nos 
mandarins  connaissent  Texistence  de  ces  libelles.  Maintes 
fois,  je  les  ai  priés  de  prendre  des  mesures  pour  empêcher 
ces  infâmes  publications  ;  ils  n'en  ont  rien  fait.  Plusieurs, 
fonctionnaires,  sinon  tous,  favorisent  secrètement  la  circu- 
lation de  ces  écrits  indignes." 


Un  de  ces  placards  séditieux,  dont  parle  Mgr.  Pinchon,  et 
où  le  nom  même  du  prélat  se  trouve  perQdement  mêlé,  a  été 
reçu  en  Europe,  Nous  croyons  devoir  donner  la  traduction 
de  cette  pièce  qui  paraît  être  de  date  assez  récente.  Elle  est 
d'un  style  très-concis,  quoique  très-obscur  et  révèle  une  in- 
dignation violemment  concentrée.  C'est  une  excitation 
publique  au  massacre  des  chrétiens,  des  missionnaires  et 
des  Européens. 

RECOMMANDATION 

d'un  grand  chef  militaire  pour  la  deslructîon  des  crimes 

commis  par  les  barbares. 

«  0  honte  !  6  douleur  !  notre  dynastie  impériale  est  vendue  par  les 
Tartares.    Le  fait  le  plus  mémorable  de  .a  vie  de  Ky-Chan  3St  d'avoir 


43 

^en^ii  les  douanes.   C'est  ainsi  ({oe,  dans  les  temps  ancfims,  T«naB<^k 
i<'8st  rendu  célèbre  dans  la  postérité,  en  vendant  rEmpire.  De  noa  joufs, 
le  prince  de  Kong,  pins  rusé  que  les  anciens  traîtres,  a  su  vendre  m^me 
la  vie  de  Tempereur  Tong  Tché. 

"  L'empereur  actuel  étant  très^jeune  et  d'une  santé  délicat^  U  fa*it 
veiller,  examiner  avec  la  plus  grande  vigilance  pour  que  da  nouveaux 
malheurs  ne  nou>  atteignent  pas. 

"  Demeurant  à  Péking,  Je  vois  clairement  ce  qui  se  passe.  Vous, 
bommes  de  la  cour,  docteurs  et  hauts  fonctionnaires,  vous,  les  oolonpes 
de  ce  puissant  Empire,  offrez-lui  la  fid^^lité  de  votre  dévouement  et  ne 
détournez  pas  la  tête  pour  vous  mettre  au  service  de  ses  en^eniis. 
-Qnand  nous  permettrions  volontairement  à  l'Esprit  des  richesses  d'in  * 
troduire  les  D.trbares  dans  l'Empire  et  que  nous  vendrions  nos  propres 
eorps  pour  les  conss'^rer  h  leur  service,  n'allez  pas  penser  qu'il  en  sera 
de  cette  révolution  comme  des  anciennes  ;  sachez  bien  qu'Âne  fois  foe 
Tordre  du  Ciel  et  de  la  Terre  sera  bouleversé,  il  ne  reviendra  plus  dan 
son  état  antique. 

S3uvent,  dans  nos  cDuvorsationA,  nous  parlons  des  malheurs  que  l'em  . 
)>ereur  Ghe«ll3uang  attira  sur  la  Chine  ;  il  en  est  parlé  dans  nos  anciens 
livres.  On  gémit  sur  le  massacre  ordonné  par  Houaag-Tsao,  qui  r^nt 
sur  ses  pas  après  s'être  contenté  de  tuer  800  hommes.  Mais  c'est  le  genre 
humain  que  Ton  V6ut  détruire  c  jtte  fois,  p'est  .la  nature  bamaitts  que 
Ton  veut  pervertir.  Quoi  donc!  oatte  religion  que  les  Barbares  vienneu^ 
prêcher  ne  les  autorise  t-elle  pas  à  se  saisir  des  filles  et  des  femmes  cen- 
fermées  dans  de  gran<h  appartements  durant  la  nuit?  Ces  Barbaros 
ce mmetleat  beaucoup  d'antres  crimes  horribles  ;  quand  on  les  voit  on  les 
entend  on  ne  trouve  pas  de  paroles  pour  les  exprimer.  XiOS  Barbares  ont 
pfêparé  secrètement  dos  poisons  très-dangereux  qui  se  répandent  comme 
les  racines  des  herbes  pernicieuses  ;  il  faut  un  grand  travail  ensuite 
pour  les  arracher. 

A  ^intérieur,  les  B  irbares  Jouissent  de  la  proteotion  du  princa  de 
Kéing;  k  l'extérieur,  ils  ont  pour  eux  la  bienveillance  de  tous  les  «men- 
dartns  soit  militaires  soit  lettrés.  C)  qui  est  bien  plus  étonnant,  c'^st 
^e'Ie  gouverneur  Où  (1)  reçoit  avec  respect  l'évéque  Hong  (2)  ;  d'où  il 
résAille  qu'une  telle  familiarité  rend  les  Barbares  beaucoup  plus  auda. 
oieux.pour  mûre  an  penp'e.  Si  quelqu'un  ose  seulement  ;prononcer  le 
nom  de  leur  religion,  aussitôt  Us  s'emportent  et  pcétendedt  qu'on  l'a 
blasphémée;  blon  vite  ils  accuaent  devani  lestmandtnoSf  et  Is  paowe 
peuple  perd  ainsi  son  temps  dans  ces  longs  procès  eK  y  perdaufsi  toute 
sa  fortune.  Non  contents  de  cala,  les  Barbares  disent  que  les  lettrés  et  le 
peuple  ignorant  les  vexant  et  leur  causent  da  grands  dommages.  Us 
éevlenuem  plas  insolents  à  t»use  de  Pimpunlté/ 


1 9^  étMîU  l'apnée  dsralC  n  <  1S75).,  f(^;f ver^ai^^  d)»  fflttibuan. 

X  mi.  ^fn^hon,  ^véqne  d^'I^ôUmoalami'  vioMre  apqfto|itQe>  do  âa-toboeB.eosl* 


46 

Maintenant  donb,  après  mûr  examen,  nous  avons  reconnu  que  Igs 
«Barbares  d'Ettroné  sont  de  vrais  rel)elles  qui  amoncellent  secrètement 
d^  r-argen*  et 'des  vivres,  q'dl  côiialruisent.  dbs  machines  semblnbles  à 
des  hommes  ,  ils  conduisent  si  bien  leur  jeu  qut)  Iç  préteur  Où,  comme 
un  lioiàme  ivre,  cet  accablé  dé  sompieil.  Si  nous  ne  prenons  iramédiate- 
merifiin  parti  llèôis'ï^,  sôus  peu  de  temps  les  ch'-êtiens  s.e  lèveront  comme 
une  grande  armée  de  rebelles.  '    , 

Heureiisètnent  à  l'heure  qu'ilesl,  au  Sûlchuen,  sur  1,000  hibilants,  il 
y  a  900  hommes  honnêtes.  Si  nous  savons  prendre  ijotre  temps  et  nouj 
réunir  aussi  promplément,  nous  pourrons  massacrer  tous  les  chrétiens  ; 
il  n*en  restera  pas  un  seul  dans  le  Su-tchue'n,  Si  les  mandarins  veulent 
■  les  défendra,  massacrons  les  niandarins  eux-^mômes.  Nourrir  et  conserve'' 
chôz  soi  un  ennemi  dangereux  pour  l'avenir,  ainsi  qu'il  a  été  dit  par  les 
anciens  sages,  c'est  conserver  du  poison  dans  ses.coffie»;  si  on  n& 
détruit  celui  dont  il  est  question,  les  habitants  du  Su-tchuen,  devenus 
misérables,  exprimeront  en  vain  leur  repentir. 

Vous,  qui  êtes  des  hommes  forts,  faites  donc  entendre  ces  chpses  & 
haute  VOIX,  frappez  des  coups  terribles  et  anéantissez  les  plantes  sau^ 
vages  dont  il  a  été  parlé  pins  haut. 

Moi,  qni  écris  ces  lignes,  je  tais  mon  nom  dé  .f(imille,  mais  je  fais  con* 
'naître  mon  surnom  ;  ce  surnom  est  Sue,  et  j'habite  Tcheôu.  Le  mal  qui 
vient  d'éclore  parmi  nous  est  elfrtynble  et  cependant  encore  "  timide  ; 
^U6ls  que  soient  les  dangers  auxquels  je  doive  m'exposer,  je  désire  être 
-à  la  tête  du  mouvement  et  m'avancer  le  premier  pour  réprimer  le«  grands 
^J^onblès  que  je  prévois.  Vous  tous,  en  conséquence,  îiommes  de  consejl 
et  d'intelligence,  fartes  société  alin  que  nous  nous  olTrions.  généreusement 
pour  rendre  à  l'Empire  son  ancienne  splendeur  et  qu'il  persévère  durant 
de  longs  siècles  dans  Sa  glorieuse  immobilité. 

'  ■ 

'*  Il  est  incontestable,  ajoute  un  correspondant, 'que  la 
haine  que  nous  porte  un  certain  parti  politique  dans  Vém- 
pire  est  à  son  paroxysme.  Ce  ne  sont  plus  des  tejctes  et.dei 
raisonnements  philosophiques  gu*oa  nous  oppose,  c'est  le 
fer  et  le  feu  qu'on  fait  briller  à  no^  r^egards.  D'ua  autre 
côté)  il  est  remarquable  qu-un  ^racd  nombre  de  hauts  fonc- 
tionnaires chinois  ne  paraissent  pas  s'associer  aux  idées  dé 
ceux  qui  notis  menacent,  puisqu^OTï  leâ  menace  eux-mômes 
et  qu'il  est  dit  que,^Mls  ne  nous, exterminent  pj^is,  la  ven- 
geance dn  peuple  tombera  sur  lé  gouvernement. 

^'  Pour  peu  que  ropposition  ai]|x  E/urppéefis  se  fortifie  à 
Péking,  les  missions,  celles  du  Su-tchuen  en  particiriier, 
seront  en  très^grand  péril.  Vous  ave%  parlé  déjà  sans  doute 
de  ce  qui  vient  de  se  passer  &'Tch6ng-king.  La  conclusion 


47 

évidente  des  faits  est  que  les  mandarins  sont  complices  des 
meortriers.  On  peut  âisémentee  figurer- que  des  kfiche» 
semblables  à  celle  que  je  vous  envoie,  répanduefs  à  pit^fusion 
dans  tout  un  vaste  pay?s,  produiront  oujpeuvent  prodnii-e 
un  immense  soulèvement  contre  nous,  surtout  quand  i)  y 
a  conuiveucede  l/9utorité.  On  nous  anoonce  de  divers  côtés 
que,  dans  presque  toutes  les  provinces,  les  lettrés  se  mettent 
en  campagne,  avec  cette  différence  que,  en  beaucoup  d'en, 
droits,  on  nous  combat  par  les  calomnies  et  de  grossier» 
raisonnements,  tân()is  que,  dans. le  Sotcliuen,  c'est  avec  la 
torche  et  le  poignard  qu'on  nous  poui^hasse." 

M.  Riraet,  provîcairê  du  Sutchuen  occidental,  écrivait,. 
le  1er  septembre  1876  : 

^'  A  la  réception  d'une  dépâche  du  tsong-Iy^ya-dien  témoin 
gnaot  qu9  Mgr  Pinchon  avait  eu  neoours  à  Pékin  g  sad» 
préveuir  la  commission  chargée^  à  Tchen-tou,  de  traiteriez 
affaires  des  chrétiens,  le  chef  de  cette  commission  a  faic 
grand  tapage,  a  maudit  févéque  et  le  P.  Nièn,  et  a  menàeé 
tous  les  chrétiens,  d'un  prochain  massacre." 

Le  même  missionnaire  écrite  à  la  date  du  12  septembre  ; 

"  Mgr,  Pinchon  a  reçu,  de  M:  de.  Roquette,  secrétaire 
de  la  légation  française  à  Péking,  une  lettre  accompagnée 
de  la  réponse  du  tsongily-ya-men,  qui. enjoint  aux  autorité» 
du  Su-tchuen  de  traitep  nos  procès.  De  là,  grande  colère 
du  propréleur  et  du  kin  (chef  de  la  commission).  Ce  der- 
nier  ayant  Invité  Mgr  Pinchon  à  se  rendre  au  sein  de  la 
commission,  Ta  assuré  que  nos  affaires  seraient  instruites,. 
mais  qu'il  fallait  du  temps,  vu  les  dispositions  du  peuple 
qu'une  répression  trop  précipitée  pousserait  à  la  révolte. 
Voici  les  conditions  imposées.  :  lo  l'évoque  ne  pourra 
aider  les  chrétiens  à  faire  parvenir  leurs  plaintes  au  iK>a« 
voir  central  ;  2o  l'évêque  aura  la  faculté  d'écrire  àlacom-* 
mission,  mais  pas  aux  mandarins  ;  la  commission  ne  ré* 
pondra  point  à  l'évêque  ;  elle  traitera  Içs  affaires,  si  elle 
les  troure  justes,  sinon,  non.  Nous  voilà  donc  réduits  3^ 
l'état  où  BOUS  étions  avant  les  traités." 


48 

M.  Coupât,  migfliooaairejaa  Sta^tchaee  oodidenêalyécril) 
Ji  la  4ate  4tt  8  t^pleœbre  : 

^'  DapB  la  Bou^'prèfoetare  de  Liutchottih^hien,  te  n'est 
plus  la  perdèeatiofl  des  temps  passés,  b'est  l'isxtermWiéÛon  : 
17  ou  18  stations  soat  anéanties  ;  les  7  ou  %  qui  restèât  le 
•eroQt  dans  quelc^ues  jours.  O  mon  Dieu  !  ijuaud  aurez- 
vous  pitié  de  nous  T  Déjà  prèsde  400  niaisons sout^UHilées 
et  notre  oratoire  de  Ja  ville  n*a  plus  pierre  sur  pierre. 

^^  C'est  à.  la  mort  du  mandapin  de  Lin-ciioui  <iué  la  per- 
sécution s'est  déclarée.  J^allai  trouver  le  iuand*arin  in- 
^rimaire. .  Après  m'avoir  écouté,  il  me  dit  que  je;devais 
partir  et  partir  sans  retard.  Je  me  rends  à  Kanky^tchahg, 
pour  demander  conseil  à  mes  deux  confrères  voisins  ;  puis, 
.je  me  mets  en  toute  .pour  Lio^^houi.  A  moitié -obemin, 
j'apprends  que  l'oratoire  est  démoli  et  que  leé  maisons  des 
ehréiiens  sont  détruites.  Le  5  septembre,  la  ville  avait 
•été  eAvakie  par  plusieurs  milliers  de  gens  armés,  ot^  vers 
^UfStre  heures  du  b^\t^  l'attaquede  l'oratoire  et d<s maisons 
avait  commencé.  Pairmi  les  as^illànts,  il  y:  a,  dit^a, 
quatre  cents,  hpmmes  de  K^iang-pee  (Su-tcbueu  oriental)  ; 
'  ils  répètent  qu'ails  ont  ordre  de  leur  mandarin,  de  l'empe- 
reur même,  d'exterminer  tous  lès  chrétiens  :  aussi  se  van- 
tent ils  de  faire  partout  ee  qu^ib  onl  fait  à  Lin-ehoui. 

^^  Nous  avons  actuellement,  à  KaU-ky-tcbang,  près  de 
deux  cents  fugitifs^  et  nous  ne  tarderons  pas  à  en  avoir  de 
«ixàseptoents." 

Mgr  Pinchon  écrivait  |i  Mgr  Desflèches,  le  11  septembre  : 

^'  Après  les  désastres  de  ]Liin>choui-hien,  soct  survenus  de 
noBveaux  désastres  à  Loui-kiang-bien  où^  le  22  jjiuUet,  on 
^vait  mis  en  croix  et  massaeré  quatorze  chrétiens.  Oa 
m^apporte  la  triste  nouvelle  que,  le  7  septembre^Ies  brigands 
de  lun  hin.miao,  appelés  dans  la  ville  de  Loui-kia^ng,  y  çni 
'détruit  notre  oratoire  et  toutes  les  maisons  des  chrétiens. 
Le  mandarin  n'a  rien,  empêché." 

A  la  date  du  15  septembre,  Mgr  Pinchon  écrivait  .oQcere 

à.  Mgr  Desflèches  : 

^  Sqè  ennemis  inondent  la  province  de  lettres  incendiai- 
jres,  convoquent  les  milices  à  une  réunion  générale  pour 


49 

massacrer,.  assure^tfOn/ les  èhréiiens  et  lea  Européens 
josqu'au  dermer. 

^^  Je  Tousai  aniumcé  la  dèstmctlon  dés  oratdrë'S  de  Loui- 
IdABg  et  de^Iiin;-ch6tii-faien,  ain6i  que  4e^  ôiaison»  des  chré^ 
tiefQs  de  Ces  deux  districts:  Que  de  désastres  !  Les  dhré'- 
^tianà  sont  ponrsnivis  comme  dés  bétes  fauves  ;  on  leur 
demande  la  vie  ou  Tapostasie  ;  au^un  d'eux  ne  peut  plus^ 
retourner  ctfêz  lui.  Que  faire  de  tout  se  monde  si  mal-- 
heureux  ?" 

M.  Coupât  écrit,  le  24  septemibre  : 

^'  A  Lin  choui,  on  met  en  pratique  le  manuel  Ky-kinlou 
(manuel  indiquant  la  manière  d'en  finir  a¥ec  les  cbrétiens 
et  les  Européens)»  Dans  chaque  /oàn'(compagtiie  dé  la 
garde  nationale)  est  établi  un  hiou  (tribunal)  chargé  de 
rechercher  tous  les  chrétiens  sans  exception.  L'apo4asie 
ou  la  mort,  rexpropriâCion  des  biehs  im^meobles,  la  spolia^ 
tion  totale  ;  tel  est*  le  soft  qui  leur  est  réservé. 

**'  Les  mandarins  ne  veulent  pas  que  nous  retenions  dans 
nos  maisons  les  chi^étiéns  fugitifis,  sous  prétexte  que  cela 
enflamme  de  êolèl*ei  nos  ennemis.  On  m'aceoée  de  réunir 
des  bataillons  pour  la  révolte,  parce  quo  je  recueille  les^ 
chrétiëne  sans  asile.^' 

IL  SU'tehuen  orientaL^-On  écrit  du  Sutchuen  oriental, 
-le  8  septembre  1878:  J 

*^  La  permanence  de  la  persécution  de  Kian  gpee  tient 
en  suspens  les  bons  matidarins  qui  n'osent,  par  crainte  du 
tao-tai,  se  déclarer  en  notre  faveur,  et  excite  le  .peuple, 
Hiéme  les  milices-  rurales,  à  préparer  de  nouvelles  atta- 
ques contre  nos  chrétieus.  Si  le  tao-tai  et  le  mandarin  de 
ICiaag-pee. na.  sont  point  procliaineii^ent  ehangés,  nous  ne 
tpoarrons  éviter  dlmineases  désastres.  D'ailleurs,  étant 
les  principaux  coupables. et  aocusés,  ils  ne  peuvent  être  nos 
juges,. et  ils  le  seront  pourtant  s'ils  ne  partent'd'ici!  On  a 
^anèté  des  ten-hoa-kiano  (dign«itaires  dé  la  franc-maçonnerie 
chinoise).  Ilsontiait  des  révélations  qui  établissent  que 
les isia-lien-kiao  (frttncB^maçons^^sont lespromoteursde  ce 
fioalÀvement  généiaL  "    •' 

11  Prévost,  olissionnaire  au  Su-^tchuen  oriental,  écrit  de 
Tchong-kin,  le  1 3  septembre  : 

3 


50 

*^  Il  n'e^t  plus  guère  permis  de  douter  que,  si  le  gouTeroe- 
ment  chinois  n'a  pas  décrété  officiellement  la  persécution, 
il  iroit  du  moins  de  bon  ceil  la  dévastation  de  nos  cfaré- 
iîenlés.  Au  point  oii  les  choses  en  sont  arrivées,  il  est  évi- 
dent que  missionnaires  et  chrétiens  reçoivent  les  coups 
que  les  Chinois  n'osent  décharger  sur  les  Européens.  Beau- 
coup de  Chinois  sont  massacrés  parce  que,  étant  chrétiens, 
ils  ont  de  la  sympathie  pour  les  étrangers  ;  on  veut  se 
•débarrasser  d'abord  de  ceux  qu'on  représente  au  peuple 
comme  les  émissaires  et  les  auxiliaires  des  Européens.  " 

Mgr.  Desflëcbes  écrit  de  Tshong-kio,  le  ip  septembre,  i 
li.  Vinçot,  àChaog  hai  ; 

''  Hier,  on  est  venu  de  Kiang-pee  enlever  ici  deux  chré- 
tiens. Voici  le  procédé.  Un  chrétien,  dont  la  maison  a 
été  pillée  et  brftlée,  porte  plainte  ;  les  mandarins  ne  bou- 
gent pas.  Les  pillards  accusent  alors  le  chrétien  d'un  crime 
imaginaire.  Aussitôt  on  le  recherche,  on  le  mène  au  man- 
darin qui  fait  étaler  devant  lui  les  instruments  de  supplice. 
Le  chrétien  déconcerté  perd  la  tète  et  signe  un  billet  où  il 
reconnaît  avoir  faussement  porté  plainte  et  n'avoir  été  ni 
pillé  ni  poursuivi,  " 

IIL  Kiang-sou. — ^Le  R.  P.  Royer  écrit,  le  6  septembre 
1876: 

^^  C'est  dans  ma  barque,  en  face  des  ruines  encore  fu- 
mantes de  notre  église  et  de  notre  maison  de  6neu-ko-tsen 
(préfecture  de  Tchangtchéou-fou)« que  je  vous  écris  ces 
lignes. 

^*  Hier,  5  septembre,  de  une  heure  à  six  heures  de  l'aprèe- 
midi,  pins  de  mille  homems  ont  envahi  notre  kom-sou.  Ils 
revenaient  du  bourg  4o  Koue-tsen,  où  ils  avaient  assisté  à 
une  procession  faite  dans  le  but  de  chasser  les  diablei 
oppresseurs  et  de  découvrir  les  coupeurs  de  queues.  ArriTés 
devant  le  kohi-sou,  ils  y  entrent  et  se  mettent  à  faire  des 
recherches,  derrière  l'autel,  sous  les  tables  et  les  planchers. 
— Us  trouvent  des  rameaux  ornés  de  petits  anges  de  papier  : 
^  — Voilà,  disent-ils,  les  hommes  de  papier,  les  coupeurs 
de  queues."  Ils  remarquent  l'image  de  Notre-Seigneur 
dans  les  stations  du  chemin  de  la  croix.  L'un  d'eux. pré- 
tend que  c'est  un  diable  opprssseur.  Aussitôt  ils  brisent  les 


51 

tableaux «t  8*éerient  qu*il  faut  brûler  l'église.  Le.maitr» 
d'école,  qui  en  est  le  gardien, -ayant  touIu  les  arrêter,  le 
chef  de  la  bande  le  saisit,  l'étend  par  terre  et  Taccable  de 
coups.  Pendant  que  Téglisebrûle,  notre  chrétien  parvient 
à  s'enfuir.    A  six  heures  du  soir,  tout  était  consumé. 

"  Le  lendemain,  le  mandarin  arrive.  J'allai  le  recevoir  aU' 
lieu  du  débarquement  et  je  le  conduisis  moi-même  sur  le 
théâtre  dé  l'incendie.  '^  —  Je  veux  terminer  promptemeni 
cette  affaire,  me  dit-il,  de  façon  à  rebâtir  le  plus  tôt  possible 
TOtre  église  et  votre  maison,  et  à  empêcher  le  peuple  de  se 
porter  à  d'autres  excès."  Il  envoya  vingt  soldats  pour 
protéger  Téglise  de  Cbe-li-pà  et  publia  une  proclamation 
pour  calmer  le  peuple. 

^<  A  Y-ching,  nos  chrétiens  ne  peuvent,  depuis  vingt  jours 
faire  aucun  commerce  ;  ils  sont  obligés  de  se  cacher,  parce 
qu'on  les  traque  commes  des  bêtes  fauves.  Ton  te»  les  bar 
ques  chrétiennes  lancent,  dit-on,  des  hommes  de  papier  et 
des  diables  nocturnes,  et  on  les  arrête.  Celles  de  Y-ching 
et  de  Li-yang  se  sont  retirées  à  Che-li-pa.  A  peine  arrivé 
le  6  septembre,  j'ai  dû  faire  aux  chrétiens  de  ces  barques^ 
xine  aumône  de  vingt-trois  piastres  pour  leur  fournir  du 

riz.  " 

Le  IL  P.  Pouplard  écrit  de  Ou-si  (préfecture  de  Tchang- 
tchéou-fou),  le  19  septembre: 

Le  7  septembre,  deux  chrétiens,  qui  s'étaient  un  peu 
éloignés  pour  pêcher,  ont  été  pris  par  les  païens,  suspendus 
en  l'air  avec  des  pievres  aux  pieds  et  affreusement  mal- 
traités. C'est  grâce  aux  sapèques  déboursées  à  lemps^ 
qu'ils  n'ont  pas  été  tués  sur  place. 

Lo-siësang  vient  enfin  de  sortir  de  prison.  Il  nous  est 
arrivé,  le  16  septembre,  après  un  mois  de  captivité. 

A  Y*ching,  un  enfant.de  douze  ans  ayant  déclaré,  à 
force  de  caresses  et  de.  menaces,  que  ses  parents  et  lui  lan. 
çaient  des  hommes  de  papier,  on  les  a  immédiatement  jetés 
en  prison  et  mis  à  la  torture. 

*  J^écris  aujourd'hui  au  préfet  de  Tchang-tchéou,  pour  le 
prier  d'élargir  un  jeune  pêcheur r  incarcéré  pour  quelques 
anges  de  papier  trouvés  dans  sa  barque.  Presque  tous  les 
jours,  on  lui  fait  subir  d'odieux  et  interminables  interro. 
gatoires. 


52 

De  B.  P.  Ferrand  écrit  de  Zô-sé  (préfecture  de  Song. 
kiang-fou),  le  22  septembre  : 

''  J'ai  reçu,  le  17  septembre,  une  lettre  du  mandarin  de 
Tsing-pou-hien  qui  m'annonce  qu'il  avait  rendu  un  juge- 
ment en  faveur  d'une  barque  chrétienne  arrêtée  à  Sa-dang, 
et  qu'il  allait  publier  une  proclamation.  Ce  n'est  pas  trop 
tôt,  car  il  règne  dans  la  sous-préfecture  de  Tsing-pou  une 
confusion  universelle.  Toutes  les  barques,  qu'elles  appar- 
tiennent à  des  chrétiens  ou  à  des  païens,  à  des  pécheurs^  à 
des  commerçant^  ou  à  des  voyageurs,  sont  arrêtées, 
fouillées,  parfois  pillées  et  endommagées.  N'importe  qui 
s'arroge  le  drojt  de  les  visiter.  Aussi  nos  pêcheurs  ne 
savent-ils  plus  où  aller  pour  faire  leur  commerce.  Dans 
les  bourgs,  comme  dans  les  campagnes,  on  traque  les  chré- 
tiens. 

"  Le  1^  septembre,  le  mandarin  de  Tsing-ppu  a  publié  sa 
proclamation,  mais  à  un  trop  petit  nombre  d'exemplaires. 
Cette  proclamation  est  générale;  elle  ne  renferme  qu'un 
article  en  faveur  des  chrétiens  et  des  pêcheurs,  avec  cette 
restriction  que,  si,  parmi  ces  derniers,  on  trouve  des  cou- 
pables, ils  devront  être  amenés  à  son  tribunal.  Elle  se 
termine  par  une  formule  superstitieuse  dont  le  mandarin 
vante  l'efRcacilé  contre  les  sorcelleries.  Cette  formule  se 
distribuait  gratuitement,  il  y  a  quelques  jours,  au  tribunal 
de  Song-kiang-fou. 

"A  Kayding,  la  confusion  est  encore  plus  grande  qu'à 
Tsing-pou.  Beaucoup  de  barques  du  Kong-po  ont  été 
arrêtées  et  brûlées.;  les  gens  qui  les  montaient  ont  été 
battus  et  ont  disparu.  Un  homme  n'oserait  pas  s'aven- 
turer seul  sur  les  routes. 

IV.  JV^aM-/iot>.— Le  R.  P.  Le  Cornée  écrit  de  Ou  hon 
(préfecture  de  Ning-ko-fou),  le  11  septembi^e  : 

"Rien  n'est  encore  fait  à  Ning-ko-fou  pour  réparer  les 
désastres  qui  viennent  de  s'accomplir  ou  pour  prévenir 
des  éventualités  du  même  genre.    La  proclamation  de- 
mandée au  vice-roi  par  le  ministre  de  France  n'a  été* 
vue  en  aucun  endroit  du  Ning-ko-fou. 

"  Le  général  Fang-tong-lin  est  à  Ngan-king  où  il  a  fait 
et  reçu  des  visites.    II  a,  dit-on.  ce  qu'il  faut  pour  nous 


5Î 

^ccQser,  et  11  saura  pousser  sa  cause,  <^ar  i\  est  fortoaitat- 
protégé.    Rien  116  prouve  dooe  qu'il  ne  rëlrie&drapas.  Bn^ 

•outre)  tousses  hommes  restent  iKieflrPing*     •-     - 

^'  Tchao-ta-jen,  son  bras  droit,  dirige  encore  ées  soldait^ 
et  ceux-ci,  toujou^-s  disposés,  à  la  révolte,  foat>  cauie 
commune  avec  les  gens  d'Ho-kiu.  L'opinion!  générale» 
est  que  Fang-tong-lin  est  monté  en  gj^ade*  Sto  départ 
n'a  produit  jusqu'ici  aucun  effet  favorable  à  notre  cause. 
Ainsi,  pendant  qu'on  nous  relègue  à  Ou-hou,  Fang-tonglSn 
nous  attaque  à  Ngen-kiag  où  il  est  l'ami. du  premtièr  secré^ 
taire  du  gouverneur,  et  Hokin  nous  attaque  à^Nan-king> 
auprès  du  vice-roi,  A  Ou-hon,  notre  toa-'tai  continue  à 
être  ou  à  se  dire  malade. 

^^  Les  délégués  Tcheou.et  Ouang,  après:  un  voyage  inutile 
à  Ning-ko-fou,  se  reposent  à  Ngau-king.  Fong*-kin-8an,  le 
troisième  délégué  du  gouverneur  du  Ngan-hoei,  à  passé 
ici,  le  8  septembre;  il  se  dit  malade  et  va  se  reposer  à 
Ngan-king.  Que  faire  en  présence  d'une  pareille  inertie* 
et  d'une  malveillance  aussi  évidente? 

'^  Nos  chrétiens,  entendant  dire  qu'on  va  les  massacrer  à 
la  8e  lune  (18  septembre — 17  octobre),  ne  voyant  aucune 
proclamation  qui  les  protège,  et  surtout  sachant  qu'on  ne 
pnnit  pas  leurs  ennemis,  craignent  de  rester  indéfiniment 
Jl  la  merci  de  ceux  qui  veulent  les  molester;  ils  perdent 
courage.  Les  bons  vendent  à  bas  prix  leurs  terres  et  leurs 
maisons  et  s'en  retournent  au  Hou-pé;  les  autres  se  con* 
firment  dans  leur  apostasie*  Le  commissaire  chargé  de  la 
police  des  voleurs  au  Suentchen  bien,  disait  à  quelques 
païens  de  Siao-hou-  Isen  :  *'  —  Faites  donc  apostasier  ces 
vieux  chrétiens  qui  tiennent  encore.  Lorsque  tous  auront 
apostasie,  les  diables  d'Europe  n'auront  plus  besoin  de 
venir.  "  Si  le  système  actuel  d'inaction  continue  encore 
deux  mois,  il  est  bien  à  craindre  que  la  parole  de  ce  com- 
missaire ne  se  réalise.  " 

Le  R.  P*  Seckinger  écrit  de  Ngan-king,  le  Id septembre: 

^^  Les  portes  du  Ning-ko-fou  nous  étant  fermées,  je  suis 

parti  pour  Ngan-king  afin  d'aviser  aux  moyens  de  mettre 

£ii  i  un  statu  qua  qui  dure  depuis  deux  mois.  Les  réponse* 

4e8  mandarins  aux  questions  catégoriques  que  je  leur 


54 

posées  tie  sont  que  d^  faux-Iuyaats.  Us  Touâraieot  laisser 
toute  la  resprasabilité  au  vice-roi  et  ie  iretirer  complètement 
ou  n'agir  qu'après  que  la  cause  d'Ho  kin  sera  terminée  à* 
Nâng-ing.  *' 

V.  Àïûw^man.— Nous  donnerons  maintenant,  d'après  la 
correspondance  des  missionnaires,  le  récit  détaillé  des  évé- 
nements de  Ning-ko-fou,  dont  nous  venons  de  faire  le  récit 
sommaire  : 

La  persécution  qui  vient  d'éclater  dans  la  préfecture  de 
Ning-ko  était  préparée  depuis  plusieurs  mois  par  un  homme 
dont  les  dispositions  hostiles  sont  bien  connues  de  tous. 
Nous  voulons  parler  du  général  Fang  ou  Fang-long-lin. 

Lettré  et  mandarin  militaire,  il  trouva  dans  l'impunité 
qui  accueillit  ses  premiers  exploits,  un  encouragement  Sl 
satisfaire  sa  haine  contrôle  christianisme.  Aûn  de  par- 
venir plus  sûrement  à  son  but,  il  entreprit  des  prédications, 
expliqua  les  instructions  de  l'empereur  Kaug-hi,  surtout 
celle  qui  a  rapport  aux  sectes  perverses,  parmi  lesquelles 
la  religion  catholique,  et  étanlit  le  Chen-jen-hiao  ou  la 
religion  du  saint  homme  (Confucius)  pour  l'opposer  au 
Tienrtehotk-hiao^  religion  du  Maître  du  Ciel.  11  fit  alors 
écrire  des  pancartes  sur  lesquelles  on  lisait  l'inscription 
traditionnelle:  Tien'Ti'Kiun-Che-Tsin :  Giel-Terre-Empereur- 
Maîtres-Parents;  et  il  y  ajouta  les  quatres  caractères: 
Dhevr-jen-chen-ouei  eu  siège  de  l'esprit  du  saint  homme.  Ces 
pancartes  furent  distribuées  par  ses  affldés.  Il  inscrivit 
sur  un  registre  le  nombre  de  ses  adeptes,  et  leur  promit 
aide  et  protection,  les  menaçant  de  sa  colère,  s'ils  osaient 
embrasser  le  christianisme.  Le  tong-ze  Ho-Kiu,  émigré 
du  Ho-nan,  fut  un  des  propagateurs  les  plus  ardents  de  la 
religion  nouvelle.  On  le  rencontrait  toujours  à  la  suite 
du  mandarin  de  Kien  ping,  quand  celui-ci  expliquait,  à 
l'exemple  de  Fang  ton-Un,  les  instructions  de  Eang-hi,  et 
il  avait  le  talent  de  faire  croire  au  peuple  que  le  chen-jen- 
kiao  émanait  du  gouvernement. 

Sur  Qes  entrefaites,  des  bruits  étranges  circulaient  à 
Tchen-ki^ng,  à  Nanking:,  à  Ou-hou  et  dans  les  villages  de^ 
bord:?  du  Yaiig^tse-kiang.  Les  queues  des  Chinois  y  étaient 
coupées,  disait  on,  d'une   manière  mystérieuse  par  des 


55        ' 

boxnmes  de  pai^er^  hauts  seulemeot  dd  qvfelqùds  centi- 
mètres, et  qne  Toa  apercerriiit  daas  les  afrs.^  Ces  rùmetin^ 
pénétrèrent  au  pays  de  Ning-ko-fou  ;  les  erinemls-  dn  nom' 
•chrétien  les  exploitèrent  d'une  manière  {^rftde  et  dirent 
bien  haut  que  les  missionnaires  pouvaient,  àletirgré,  faire 
tomber  les  queues.  Il  leur  suffisait,  affirmait^on^  de  lanoer 
-en  Tair  un  morceau  de  papier  en  soufflant  dessus  :  aussitôt 
une  queue  tombait,  et  la  victime  de  ce  sortilège  n'avait 
plue  que  trois  jours  à  vivre*  Les  entants,  pour  échapper  à 
ce  malheur,  portaient^  attaché  à  la  queue,  tin  «papier  sur 
lequel  étaient  écrits  des  caractères  superstitieux  ;  les  hom- 
ones  la  tenaient  courageusement  à  la  main,  ou  Tenroulaient 
sous  leur  coiffure.  Ces  bruits  absurdes  répandus  partout, 
et  ces  niaiseries  étalées  au  grand  jour  excitèrent  parmi  le 
peuple  une  agitation  insolite  et  une  recrudescence  de  haine 
contre  les  missionnaires  et  les  chrétiens.  Fang-tonlin  et 
les  siens  trouvèrent,  dans  ces  dispositions  de  la  multitude,' 
une  chance  de  plus  pour  le  succès  des  desseins  qu'ils 
méditaient  et  que  nous  allons  raconter. 


Les  RR.  PP.  Bies  etChen-eul,  mîsdionnaires  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  et  le  P.  François  Xavier  Ouang,  prêtre 
séculier,  après  avoir  pris  quelques  jours  de  vacances  à 
2i-ka-wei  et  à  Chang-hai,  s'embarquèrent,  le  S  juilielt  1876, 
sur  un  vapeur  du  Yan-tse-kiang  pour  se  rendre  à  Ning-ko- 
fou.  Il  7  arrivèrent  le  9,  vers  cinq  heures  du  soir,  et,  à 
onze  heures,  les  PP.'  Bies  et  Chen-eui  entraient  dans  le 
kèm-sou  do  bourg  de  Sen.kia-pou.  Des  catéchumènes  de 
Ooang'kin-chan  s'y  étaient  réfugtés  pour  échapper  aux 
poursuites  de  Feng-tong-lin,  qui  en  voulait  à  leur  vie. 

Le  lendemain  10  juillet,  les  deux  Pères  se  rendirent  à 
Ghoué-toag.  Ce  même  jour,  le  P.  Ouaog,  arrivé  dans  la 
-chrétienté  de  Pi-kia-kiao,  envoyait  sa  carte  et  une  lettre  au 
mandarin  de  Kien-ping,  pour  le  prier  de  rendre  justice  à 
4oa  catéchiste  Pé-hooé-tsin,  arrêté  trois  jours  auparavant, 
«ur  la  route  de  Séma-kai,  par  une  bande  de  Ho-nan-jen 
^hommes  du  Ho*nan).  Il  avait  été  maltraité  et  conduit  à 
Oio-txe-pou,  où  se  trouvait  Faog-tong-lin,  qui  l'avait  ren* 


T0)7â^^iLm«ilQ4^<?in':âQvKiw  ping.  iLa  P;Ot|iApg  se  dirigea 
Qq^ji^ei/fyei;?)  LjShi^çu.'  iiie.{13:|itiUeV  ii  ébrmt.aur  PP» 
Q^ -i^qi^iB^ftP^  Minh  ei<4l^ennéulyréiîn:îsàClhoiaé*tong, 
que  Ho-^a  ^t^le»^  sieûiiiftTaiaotijiii ré  publiquement  de  faii» 
délai  lin  np^i5tyr,î.    ;  .  '^     ' 

l4ejeadi,:1(3  juillet^  le  P.  ûuangt  A'ielvaifc  pa's  eneore  cbm- 
n^noô  .sa  riae^ae^  que  l'admîmatralteuc  Ouang-tdieû-ia 
accourut;  fmff  .lui  dide  de- VenfUir  proakpieliient,  parce 
qu'u^e  b^ade  de  mallaiteucd  se  dtrigéatt'sur  le  kom-soa. 
Le  Père  eopgça  ioutrd'abDiâ  à  faciliter  révteion  des  jeunes- 
filles  <(ui^:àQus:la  :âireetiQQ  de  layeuv^  Song^  étudiaient 
dd^s  up^  écolQ  séparée  de  régli«e»  par  deux  oaurs  et  un 
ja^dio..  lUI^ais  le  Jfomsou,  icerajé  i>ar'huit  cents  homme» 
a^nBôs  4^:  f'^il^  ^^  d^  couteaux,  n'offrait  aucune  issue  pos- 
sible ;  et. ces  forcenés  ren^^^biveat  immédiadiemeiat.  Le  ?• 
.  Ouang  fut  j^aisâ  près,: de.  Téoelie  qu'il  aivait  v^^uiu  sauver. 
Ho-Hiu.  «'avança  v^rs  .lui..  ;, 

^^  — Ppurquai  tout  pel  appajreil  1  \m  dit  le  Père.  *  Situ 
as  quelque  cbose  à  me  i  deinao^or j  je  &uis  prêt  à  te  rendre 
justice.  ,  , 

'^  Mets-toi  à  genoux  et  demande-moi  grâce  de  la  vie, 
répondit  Ho-kin  teiik Jieivant  son  sabrei 

.>^rnMa,yie(esi^<0«kii^  les  mains.de  Dieu;  si  je  la  perds 
pour  sa  cause;  je  monterai  au  ciel,  où  je  désire  que  tu  me 
8,utV6s:Un  jour  .M  Je  ne  suis  ici  que  pour  sauver  moâ  âme 
el)i$ell0s:d6  mc^s  frères.  Sidomc  tu  veux  me  frapper,  frappe^ 

<(.  .^P(i.bi^n,  enlèvi^  tes  habits. 

" -rrtïe  ç.e  less  etuJèverAi  pas.  "  .     '      * 

{je  p.  Qu^ng  aivait  à  peine  prononcé  ces  paroles  qu'on 
lui, /^rraçJplA^a.r€lt]>eY  sa  chemise  et  «es  souliers. .  Refait  un 
dernier*  vétqmeiiit:. 

^^  -rrAltçi  rd;^lever.  cela,' dit  Ho  kiu^  qui  voulait  joindre 
PjgnQPnniQ:^  1a  QÇViauté. 

.'f  --J[e'l.'e^^èfv^^ai.en(>o^?e;moiIW.  quel  le  reste.  "  -  - 

!^Èto-jkiï^UûiW49it  alwp:lA  ftête^.et  le.  frappa 'd'Un  coup  de 
S2^)>r^  j^>'pieiu ,  ^if(agô«  :  Une  iargd  bieiidilre,  s'étendant  du 
fp^ni  à  r.prpîUJ?  di^itq,  Vinonde  de'saog.  Un  second  <ooap 
l^|iÙ^jçi^.^4ijiô\Ai.g«(uobe.  et!  l'étetLd  par  terre  : '^' — Jésus, 
«^|i,yeij-HïVQïrî>jp'^W«t:te  P..  Ouang.    Ce  i'ut  sa:  deraière 


67 

pflirole.  liesJBorceâés luli0'»ié'fè«eât alOré-tesëiil'Vfitëitiéàil 
quji.racQiivraiitflon-ewpsletiMQglaiité..  Le  trtyi^tôiïië  fils  d^ 
So*kia  lai  oiwrift^ila^anbre  ei'lui  krikthA^^  Iès-'€fnl«<aille^ 
Les  q^oaites  mcpibr^s' lurent  séparés  dàf'tpon^î,  ët'&o-ld'ril 
emporta^  dit on^  la  tâte  di  la'Vic^ma;<Iéé  reMèâ  Xtrreat 
l>rûiéë sur IftilieutHi^ihei.  •'  ■       .i-.  c- 

Le  P.  Oiiang  était  à'-peins  tombé  sous  le  fer  des  assassiti^^ 
que  Yang-ch&'chQ^  l'un' de  ses  eatéohîstes,  était -^aussi 
ajrrété.  Un  coup  de  sabieen  pleine  poilrîde  le  renversa, 
eo  £ace  de  Téglise.  Le  zèle  de  ce  jeune  homme,  et  le 
-eucQës  qu'il,  avait  obtenu  en  prêchant  TËvangile,  le  dési*' 
puaient  naturellement  à  la  haine  de  Bo-kiu.  Yaiig^che- 
-cho  fut  ensuite  brûlé  sous  les  yeux  de  sa  mëre^ 

Les  filles  de  l'école  et  leur  maîtresse  furent' partagées 
entre  les  che&  de  celte  barbare  expédition.  L'église  fut 
entâërement  pillée,  puis  en  partie  abattue.  L^écote  devint 
presque  totalement  la  proie. des  flammes.  Avant  L'incendie^ 
fié-kiu  trouva,  dans  une. caisse,  quelques  angee  en  papier 
découpé,  que  les  chrétiens  ont  coutume  d'attactier  à  des 
.branches  de  sapin  ou  de  palmier,  le  jour  du  dimanche  des 
Rameaux.  Il  emporta  la  caisse,  y  serra  une  queue,  en- 
levée sans  doute  à  Tune  de  ses  victimes  ;  puis  il  répandit 
le  bruit  qu'il  avait  trouvé,  chez  le  missionnaire,  ces  ter* 
ribles  hommes  de  papier,  qui  causaient  tant  de  désastres. 
l»a  queue  déposée  dans  la  caisse  était  la  preuve-  la  plus 
.convaincante  de  la  culpabilité  du  P.  Ouang. 

Le  jour  même  où  s'accomplissaient  ces  événements^  des 
courciers  partirent  en  toute  hâte  de  Lo-tsen  pour  les  an- 
noncer aux  Pères  réuni»  à  Ghoué-toog,  et  pour  les  prévenir 
>d.e  l'arrivée  prochaine  des  hommes  de  Hokin.  Les  mis- 
sionnaires prirent  alors  des  mesures  de  sûreté  :  les  élèves 
furent  renvoyées  dans  leurs  familles,  et  les  maîtresses 
dirigées  vers  une  autre  chrétienté.  Le  P.  Chen-eul  pria 
le  maire  et  les  notables  d'empêcher  au  moins  toute  attaqu® 
de  la  part  des  gens  du  bourg. 

Bn  même  temps,  le  P.  André  partait  à  cheval  pour  Ning- 
ko-fou  avec  deux  catéchistes.  Ils  arrivèrent  à  minuit; 
icnaiSyles  portes  étant  ferhiées,  ils  ne  purent  entrer  qu'au 
^ointdu  jour.    Les  démarches  du  Père  auprès  des  man 


58 

dariqs  .n^olHinreDi  qu'ua  médiocre  succès.  Le  soufr-préfer 
refufa  de  le  reeeToir*.  ,h$  préfet  lai  accorda  une  entrevue^, 
et,  liout,  en  refusant  de  croire  aux  sinistrée  rameurs  qui 
•eircul^ietnt  partou^^  promit  d'eniroyer  quelques  soldats  pour* 
protéger  Gboué^tong.  Au  lieu  de  lancer  une  proclamatioa' 
6t  de  recourir  i  des  moyens  énergiques  pour  arrêter  la* 
marche  des  malfaiteurs,  il  resta  dans  une  inertie  complète 
et  laissa  se  prépaiTer  et  s'accomplir  d'irréparables  désastres. 

Les  missionnaires  et  les  chrétiens,  ainsi  abandonnési. 
durent  pourvoir  à  leur  propre  sûreté.  Hommes,  femmes 
et  enfants  s'enfuirent  dans  les  montagnes,  emportant  ce 
qu'ils  possédaient  de  plus  précieux.  Le  P.  Chen-eul,  caché,, 
le  jour,  dans  les  chrétientés  voisines  de  Ghoué-tong, -en- 
tendait les  confessions,  ranimait  les  couragss  ;  et,  la  nuit, 
se  mettait  en  marche  pour  aller  offrir  à  d'autres  chrétiens 
le  secours  de  son  ministère.  Le  P.  Bies  partit  pour  Kouang- 
te-tcheou,  où  il  arriva  le  16  juillet.  Pendant  qu'il  tra- 
versait la  ville,  les  insultes  et  les  menaces  ne  lui  furent  pas 
épargnées.  Le  18,  des  attroupements  se  formèrent  dans 
les  rues  et  menacèrent  d'envahir  sa  demeure.  Averti  à 
ternes,  le  mandarin  donna  des  ordres  sévères  pour  em- 
pêcher l'émeute,  et  porta  la  peine  de  mort  contre  qui- 
conque se  rendrait  coupable  de  délit  envers  le  mis- 
i@ionnaire,  dont  il  fit  garder  la  maison  par  quatre  satellites. 

Le  P.  André  avait,  en  quittant  Ning  ko*fou,  repris  la 

route  de  son  district  de  Ho-li  ki.    Dès  ce  moment,  les  trois 

missionnaires  n'eurent  plus  entre  eux  aucune  commu^ 

nication. 

Les  tètes  des  PP.  Gheneul  et  André  avaient  été  mises  à 
prix;  les  chemins  et  les  sentiers  des  montagnes  étaient  soi- 

gneusen^ent  surveillés,  car  on  espérait  saisir  les  deux  Pères 
^'ils  essayaient  de  fuir,  ou  connaitre  leur  retraite  en  con- 
traignant les  chrétiens  à  la  révéler. 

Le  P.  Ghen-leang  était  parti,  le  14  jnillet,  de  Choué^tong 
pour  Ou-hou.  Là,  il  prit  place  sur  un  bateau  à  vapeur,  et,, 
le  17^'  il  apportait  à  Chang-hai  les  nouvelles«du  massacre 
de  Lo-tsen,  ^  Le  lendemain,  le  P;  LeCornec,  ministre  de  la 
section,  et  le  P.  Li,  missionnaire  au  district  septentrional 
de  Nir.g  Vo-hien,  s'embarquaient  à  Cbang-h^i  pour  se  reo- 


59 

^re  à  Ning-ko*fOu.  Arrivéa  i  Tchen-kiâng, .  iU  allàrent 
'trouver  le  P.  Seckinger,  à  qui  le  R.  P.  Foucaalt,  supérieiûr 
^néral  :âe  la  mission,  remettait  tous  ses  pouvoirs  pour 
traiter  avec  les  moadariDs  du  Yang-ou-kiu^  (tribunal  chargé 
des  ajlaires  européeùriea),  à  Ngaa-king.  Lèâl^  les  trois 
JPères  se  trouvaient  à  Ou-hou.  Le  P.  Le  Goraec  y  resta  pour 
-  essayer  de  renouer  des  cûmmunicatioDs  airec.les  chrétiens 
de  sa  section.  Le  P.  Seckinger  et  le  P.  Li  se  rendirent  à 
Ngan-king. 

Cependant  TcBuvre  de  destruction  avait  été  poursuivie 
avec  une  persévérance  que  l'inertie  des  mandarins  était 
bien  propre  à  encourager.  Fang-tonglin  fit  afficher  par 
tout  une  proclamation  invitant  les  chrétiens  à  renoncer, 
s'ifs  tenaient  à  conserver  la  vie,  à  la  religion  qu'ils  avaient 
embrassée.  Effrayés  du  danger,  bon  nombre  de  catéchu- 
mènes  et  de  néophytes  eurent  la  faibl^se  de  céder. 

Ho-kiu  s'était  présenté,  le  14  juillet,  chee  le  sous-préfet 
de  Ki en- ping,  et  lui  avait  déclaré  que,  la  veille,  il  avait  tué 
le  P.  Ouang  :  '^  — ^Tu  m'as  mis  une  vilaine  affaire  sur  les 
bras.  "  répondit  f roidemeut  le  sous-préfei.  Encouragé  par 
cette  parole,  qui  lui  assurait  une  impunité  au  moins  mo- 
mentanée, Ho-kiu  pilla  et  incendia  ce  même  jour  le  kom-sou 
de  Ta>sen-tsen.  Le  gardien  Ou-sien-cheng^  vieillard  de 
soizante-quetorze  ans,  y  fut  mis  à  mort.  Ce  fervent  chré* 
tien  avait  déjà,  dans  son  propre  pays,  généreusement  con- 
fessé la  foi.  Originaire  du  Ho-nan,  il  avait  quitté  cette 
province  depuis  quelques  années^  pour  se  mettre  au  service 
des  missionnaires  du  Ngan-hoeL  ^  Presque  en  même  temps 
-que  Ou-slen-cheng,  Pô  houé-tsin,  un  des  catéchistes  du  P. 
Ouang,  fut  saisi  sur  la  route  par  les  hommes  de  Ho-kiu  et 
subit  le  même  sort. 

Nang-lang-tsen  fut  pillé  le  15  juillet  ;  six  familles  eurent 
leurs  maisons  dévaUsées,  et  les  chrétiens  se  dispersèrent; 
Le  16,  les  gens  de  Kaifong-tseu  démolirent  le  kom-sou  ;  le 
chrétien  Tchan-kouang-tche  et  sa  femme  furent  blesséa 
mortellement.  Dans  la  sous-préfecture  de  Kien-ping,  la 
plupart  des  routes  étaient  alors  interceptées,  et  l'on  arrêtait 
toutes  les  personnes  sur  lesquelles  on  trouvait  des  médailles 
.  ou  des  chapelets. 


60 

'  UàiiniUièr.dôHo-nan-jéii  prirent  les  artnes^ei  menacèrent 
ée  se  révolter,  ù  lesimaadariDs  cherchatent  à  régler  les 
affaires  des  ofaréUens. .  Ho-kiu  disait  hautement:  ^^  —  Ma 
Clause  est  claire,  ma  tète  tombera  ;  mais,  avant  de  mourir, 
je  brûlerai  Chèué-tODg' et  je  tuerai  te  P.  Seckisger.  "  De 
NiDg-^ko-fou  aux  rires  du  Kiang,  des  hommes  étaient  postés 
sur  toutes  les  routes,  pour  saisir  le  Père,  s-il  essayait  d'en- 
trer dans  le  pays.  Du  15  au  23  juillet,  quarante  églises, 
résidences  ou  écoles  furent  brûlées  ou  démolies,  et  le 
nombre  connu  des  personnes  tués  s'élevait  à  huit. 

Restait  Ghoué4ong.    C'était  la  résidence  centrale  des 
missionnaires,  le  dépôt  général  du  matériel  de  la  section 
de  Ning-ko-fou.    Le  24  juillet,  Ghoué-tong  fut  rasé  ;  les 
fondements  des  maisons,  du  collège  et  même  du  mur  d'en- 
elos  disparurent  complètement.  Sacristie,  chapelles,  biblio- 
thèque, lingerie,  mobilier,  tout  fut  pillé;  et  2,500  piastres, 
^ue  le  P.  Chen-eul  avait  enfouies,  furent  découvertes  et 
volées.    Un  oreiller,  garni  de  crins,  fut  déchiré;  ce  crin 
provenait,  disait-on,  des  queues  coupées  par  les  agents  des. 
missionnaires.    Un  enfant,  mis  à  mort  par  un  malfaiteur,. 
avait  étédéposé  dans  une  de  leurs  chambres,  et  cbarun  de 
dire  que  cet  enfant  était  une  victime  destinée  à  leur  four- 
nir des  médecines  et  des  sortilèges.    Au  coin  du  jardin  se 
trouvait  le  cercueil  du  P.  Fémiani.    Quelques  bandits  le 
brisèrent,  dépouillèrent  de  ses  vêtements  le  cadavre  encore 
parfaitement  conservé  et  lui  tranchèrent  la  tête.  Les  restes 
de  ce  vénéré  Père  furent  en  partie  mangés  par  les  chiens*^ 
Huit  jours  après  cette  hor/ible  profanation,  un  domestique 
ae  glissa  furtivement  dans  le  jardin  et  recouvrit  de' terre  les 
derniers  ossements  qui  gisaient  sur  le  sol. 
.   Après  avoir  démoli  ou  brûlé  les  -églises,  les  malfaiteurs 
répandirent  le  bruit  que  les    chrétiens   du  Ning-ko-fou 
^talent  entrés  en  pleine  révolte.    Ces  calomnies  furent 
favorablement  accueillies   jusqu'à   Nanking.    Les   perses 
cuteurs  se  tournèrent  alors  contre  les  chrétiens  qui  re* 
fuyaient  d'accepter  la  pancarte  du  cben-jen-kjao,  pillèrent 
leurs  maisons,  enlevèrent  leurs  femmes  et  leurs  filles  pour 
les  vendre.    Beaucoup  de  familles  se  retiraient  dans  les 
montagnes  ;  quelques  chrétiens^  à  travers  paille  obstacles^. 


61 

parvenaient  â  gagner  les  rireB  du  Kiang  et  allaient  à  Ou 
iiou  demander  asile  an  P.  Le  Cornée. 

Cependant  des  négociations  étaient  entamées  à  Ngan- 
king.    Informé  exactement  de  ce  qui  se  passait  au  Ning* 
ko-fou,  le  P.  Seckinger  eut,  le  23  et  le  24  juillet,  des  en- 
trevues avec  Cben-la-jen,  président  du  tribunal  des  affaires 
européennes.    Le  26,  un  délégué  nommé  Ouang,  parti  de 
Ngao-king,  passait  à  Ou-hou  et  se  rendait  à  Kien-ping, 
pour  prendre  des  informations  sur  le  meurtre  du  P.  Ouang 
et  sur  l'incendie  des  églises.  Uo  deuxième  délégué,  Tcheou, 
envoyé  le  28  juillet  à  Ning-ko-fou,  échoUa  devant  l'obsli- 
Bation  de  Fang-tong-lin.    Un  troisième  délégué,  Fong-kin- 
san,  chargé  de  rechercher  et  de  ramener  à  Ouhou  les  PP. 
C!nen-eul,  Bies  et  André,  put  seul  s'acquitter  de  la  mission 
qui  lui  était  conûée.   Il  a  délivré  le  P.  André,  caché  depuis 
quinze  jours  sur  la  montagne  de  Nang-fou,  dans  le  grenier 
d'une  cabane  où  la  mort  allait  bientôt  l'atteindre.    Le  P. 
André  est  arrivé  à  Chang-hai   la  veille  de  l'Assomption 
dans  un  état  complet  d'épuisemt^nL    Le  P.  Chea-eul  avait 
déjà  quitté  le  Niug-^ko-fou  ;  grâce  à  un  dégaisement,  il  a  pu 
échapper  à  ses  ennemis,  et,  après  avoir  couru  de  grands 
dangers  et  souffert  de  rudes  privations,  était  arrivé  à  Zi-ka- 
weî,  le  31  juillet.    Le  P.  Bies  est  le  seul  missionnaire 
actuellement  retenu  sur  le  théâtre  de  la  persécution.    Il  se 
trouve  encore  au  tribunal  de  Kouang-té-tchéou  où  le  man- 
darin lui  a  donné  asile  le  27  juillet. 


Une  lettre  du  R.  P.  Le  Cornée,  écrite  de  Ou-hou,  donne 
une  idée  exacte  de  Taction  des  persécuteurs,  de  la  conduite 
des  mandarins  et  de  la  situation  des  missionnaires  et  des 
chrétiens  au  Ngan-hoei.  Nous  en  citons  les  passages  sui- 
yants  :  • 

Les  belles  promesses  du  vice-roi  et  du  tao-tai  ne  se  réa- 
lisent pas  ;  on  continue  de  tous  côtés  à  vexer  impunément 
les  chrétiens. 

A  Biu-tsen,  à  Ghoué-tong  et  ailleurs,  ils  errent  en  grand 
nombre  sur  les  montagnes,  sans  vêtements,  sans  nourriture, 
ne  pouvant  môme  pas  revenir  récolter  le  riz  et  se  préparer 
une  faible  ressource  pour  Tannée  prochaine. 


62 

fl 

Deux  fois  des  délégués  sont  allés  mesurer  les  ruines  de 
nos  maisons  et  évaluer  les  pertes.  Ils  n'ont  point  reçu  les 
plaintes  de  nos  chrétiens,  n'ont  pas  adressé  un  mot  de 
blftme  aux  persécuteurs,  et,  après  leur  départ,  les  vexations 
ont  recommencé. 

Dans  la  plupart  des  localités,  ce  sont  les  conseillers  et  les 
maires  qui  forcent  les  chrétiens  à  apostasier,  en  affirmant 
•que  l'ordre  de  nous  exterminer  est  venu  des  mandarins. 

Le  tao-tai,  chargé  par  le  gouverneur  du  Ngan-hoei  de 
pacifier  le  pays,  n'a  publié  qu'une  proclamation  fort  timide, 
où  il  prie  le  peuple  et  les  chrétiens  de  se  tenir  tranquilles, 
mais  où  il  n'a  pas  uq  mot  de  blâme  pour  les  faits  accomplis. 
Après  avoir  séjourné  à  Kien-ping  sans  aucun  résultat,^! 
s'est  rendu  à  Ningko-foo  ;  là,  il  assiste  impassible  à  l'a 
gonie  de  nos  chrétiens. 

Les  1,500  soldats  envoyés  de  Nan-king  par  le  vice-roî 
sont  à  la  porte  de  Ning-ko-fou  et  construisent  un  rempart 
en  terre,  au  sommet  d'une  colline,  pour  y  établir  leur 
camp.  Ils  n'ont  pas  saisi,  depuis  six  jours,  un  seul  des  bri- 
gands dont  le  pays  est  rempli,  et  qu'ils  avaient,  diton,  offi- 
•ciellement  mission  de  combattre.  Ils  s'occupent  fort  peu 
de  ce  qu'on  fait  contre  les  chrétiens  ;  et,  jusqu'à  présent,  je 
n'ai  pas  appris  que  le  tao-tai,  ni  Ou  ta-jen,  général  de  ces 
troupes,  aient  rendu  justice  à  une  seule  famille  chrétienne 
pillée,  ou  aient  protégé  une  seule  famille  menacée  du  pil- 
lage. 

Les  mandarins  locaux  disent  aux  chrétiens  qui  leur  pré- 
sentent dps  suppliques  :  "  —  Allez  trouver  vos  Pères.  "  Le 
fiuen-tchen-hien  Ouang  disait  même  à  Tchen-tsien-kuo, 
chrétien  de  Choué-tong:  "  —  Pourquoi  es-tu  chrétien?'* 
Et  comme  celui-ci  répondait  qu'il  l'était  déjà  au  Houpé,  le 
mandarin  ajouta:  "  —  Tu  es  donc  un  vieux  chef  de  religion  f 
Tu  n'en  es  que  plus  coupable."  Le  délégué  Foiig,  allant 
chercher  le  P.  André  au  Ningko-hien,  demandait  au  man- 
darin du  lieu  pourquoi  il  ne  faisait  pas  arrêter  les  démo- 
lisseurs de  nos  kom-sou  et  ceux  qui  nous  poursuivaient. 

'^  —  Parce  que  telle  est  la  consigne,  répondit  celui-ci. 

^^  — Alors,  pourquoi  saisir  Ou-kin4ao  et  Hia-fei  pong,  les 
ravisseurs  de  la  vierge  Ghen? 


63 

** — Parce  qu'ils  sont  venus  eux-mômes  se  présentera 
mon  tribunal.  " 

Le  P.  fiies  priait  Ooen-han,  mandarin  de  Kouang4e< 
IchëoUy  d'empêcher  le  pillage  des  maisons  de  nos  chrétiens* 
te — L'essentiel,  répondit  le  mandarin,  c'est  de  proléger  la 
Tille;  les  petites  affaires  s'arrangeront  plus  tard.  "  Et  il  ne 
.fit  rien.  Il  serait  pourtant  bien  facile  d'arrètei  ces  dé- 
sordres dans  la  plus  grande  partie  du  Ning-kofou  et  du 
Kouang-te  tchéou.  Qu'on  saisisse  quelques  vauriens  ;  qu'on 
les  punisse  selon  les  lois,  et,  avant  huit  jours,  la  paix  sera 
Tétablie. 

Les  mandarins  tiennent  beaucoup  à  ce  que  nous  ne  lé- 
l#nrnions  pas  dans  le  paya.  Aussitôt  qu'on  a  su  à  Ngan- 
king  mon  arrivée  à  Ou^hou,  le  foulai  a  fait  promettre  au 
P.  Seckinger  que  je  n'irais  pas  à  Ning-ko  fou  avant  d'en 
avoir  reçu  l'invitation  du  tao-tai^  On  assurait  en  même 
temps  au  P.  Seckinger  qu'il  pourrait  aller  au  Ning-ko-fou 
quelques  jours  après  le  tao-tai.  Or,  celui-ci  est  parti  depuis 
près  de  vingt  jours,  et  il  n'y  a  encore  eu,  pour  le  P.  Sec- 
kinger, aucune  invitation. 

On  laisse  les  partisans  de  Fang-tong-lin  forger  des  armes 
à  leur  gré.  Kieu-sien-cheng  a  vu,  au  village  de  Ta-iuen 
trois  fournaux  qui  fonctionnaient  contlauellement  pour  la 
fabrication  de  coutelas  et  de  fusils. 

H6-kiu  est  parti  dernièrement  pour  Nan-king  avec  le 
sous-préfet  Fang  et  une  dizaine  de  gens  de  son  par^i  ;  il  va 
plaider  sa  cause  auprès  du  vice-roi.  C'est  Fang-tong-lin 
qui  lui  a  conseillé  d'aller  à  Nanking  plutôt  qu'à  Ngan- 
king«  Au  commencement  de  cette  année,  Fang-ton-Iin  a 
lui-même  fait  trois  ou  quatre  fois  le  voyage  de  Nan-king. 

On  a  renfermé  deux  petites  filles  de  l'école  de  Lo-tsen 
dans  le  camp  de  Fang-tong-lin,  et  deux  au  tribunal  du  sous- 
préfet.  Les' autres  sont  toujours  sous  les  verrous^  et  l'on 
veut  leur  arracher,  par  l'intimidation,  des  aveux  qui  pais- 
sent justifier  le  massacre  de  Lo-tsen.  Ho-kiu  et  les  siens 
ont  amassé  des  caisses  de  queues  coupées  et  d'hommes  de 
papier,  pour  les  présenter  aux  mandarins  comme  un  témoi- 
gnage précieux  contre  nous.  Puis  on  a  remis  et  on  remet 
sncore  aux  mandarins,  des  mémoires  calomnieux.   Du  der- 


64 

nier' «taire  d6  yiiUgd  ati  tao^lai  de  Ning-ka-fou,  tons  lea 
fonctionnaires  agissent  comme  s'ils  avaieiit  ordre  de  ne 
ri^  faire  pour  protéger  les  chrétiens-  et  de  laisser  tdut 
faire  pour  les  exterminer. 

Le  P.  Chen-leaûg  e^t  encore  à  Ou-hou,  vu  l'impossibilité 
de  regagner  son  district  et  surtout  d'y  rester.  Les 
néophytes  craindraient  de  se  compromettre  en  recevant  et 
en  cachant  un  Père,  dont  la  retraite  serait  bien  vite  décou- 
verte. D'un  autre  côlé,  que  faire  pour  nos  chrétiens  quand 
les  mandarins  s'obstinent  à  les  persécuter? 

Si  terrible  que  soit  la  persécution,  nous  espérons,  cepen- 
dant, rentrer  dans  nos  chrétientés  désolées.  L'insuccès  des 
démarches  d'Ho-kiu  à  Nan-king  semble  légitimer  nos  es- 
pérances. Le  16  août,  on  lisait,  à  la  porte  du  palais  du 
vice-roi,  l'affiche  suivante  : 

Moi,  Chen,  vice-roi  des  deux  Kiang,  je  porte  mon  jugement  sur  le  mé- 
moire que  toi,  lîo-kiu,  immigré  dans  la  sous-préfeclure  de  Kien-ping, 
m'as  présenté. 

Si  les  chrétiens  de  cette  contrée  se  sont  rendus  coupables,  tu  aurais 
dû  les  accuser  devant  les  mandarins  locaux,  et  laisser  h  ceuz^i  le  soin 
de  traiter  ces  affaires.  De  quel  droit  t'es-tu  mis  à  la  tête  d'une  bande 
d'individus  pour  incendier  une  église,  tuer  deux  hommes  et  brûler  leurs 
cadavres  ?  De  plus,  comme  si  ces  crimes  ne  te  suffisaient  pas,  tu  es 
sorti  de  ton  pays  avec  ta  bande,  et  tu  as  incendié  les  églises  des  sous- 
préfectures  de  Hien-tchen  et  de  Ning-ho.  Ta  as  agi  ainsi  avec  une 
témérité  audacieuse  et  an  mépris  de  toutes  les  lois. 

J'ordopne  en  conséquence  que  Ho-Kiu  soit  mis  sons  la  garde  du  kiang- 
ning-fou,  et  que  le  grand-juge  et  le  tao-tai  saisissent  immédiatement  les 
autres  accusateurs  Ho-ta-tié,  Ya-in-long  et  Hou-iun-tin,  qu'ils  recher- 
chent la  vérité,  et  qu'ils  me  remettent  ensuite  leur  jugement,  afin  que  la 
sentence  qu'ils  porteront  soit  exécutée.  Je  remets  à  ces  juges  les  mémoi- 
res que  Hu-Kiu,  Yu-in-long  et  Hou-iun-tin  m'ont  présentés.  Ces  mémol«> 
xes  me  seront  rendus. 

Je  porte  sur  le  mémoire  de  Yn-in-long,  immigré  dans  la  souB-prôiec- 
iure  de  Kien-ping,  le  môme  jugement  que  sur  celui  deH(t-Kiu. 

Je  porte  sur  le  mémoire  de  Hou-iun-tin,  immigré  dans  la  sous-préfec- 
ture de  Kien-ping,  le  môme  jugement  que  sur  celui  de  Ho-Kiu. 

Le  27  de  la  6e  lune. 

Le  R.  P.  Bies  écrit  de  Kouang-te^tchéou,  le  23  août  1876  : 

Hier,  le  délégué  Fong  est  arrivé  ici  pour  me  reconduire 

à  Chang-hai.    Oe  serait  une  bonne  occasion  de  revoir  nos 


65 

Pères,  et  je  désirerais  ea  profiter  ;  néanmoins,  dans  les 
circonstances  actuelles,  je  crois  ga'il  n^  Xaut  ;  pas  encore 
^6der.  J'ai  donc  refusé  les  offres  du  délégué  ;  lé  mandarin 
»  mis  tout  en  (BUyre  poux  se  débarrës^r  deinoi  :  nials^  si 
je  pars,  on  accablera  encore  tuos  clrréitièns  de  Texations,«  ^ 
nos  dernières  espérances  seorent  Montât  anéanties.'  Tant- 
que  je  suis  ici,  le  oouandarin  a  des  précautions  à  prendre,  et 
il  n'ose  persécuter  ouvert^ment,  car,  à  diaqueinst^mt,  jo 
puis  réclamer.  Je  veux  donc  répondre  au  mandarin  que 
je  ne  partirai  pas,  que  j'ai  peur  d'être  assassiné  en  route, 
tant  qu'on  n'aura  pas  arrêté  les  mauvais  maires  et  conseil- 
lers. 

Avant-hier,  je  me  suis  rendu  jusqu'à  notre  maison  ;  dans 
les  rues,  personne  n'a  murmuré  un  seal  mot  ;  j'ai  dit  en* 
suite  an  nandarin  que,  s'il  craint  pour  moi,  il  peut  me 
faire  accompagner  dans  mes  sorties  par  deux  soldats.  Je 
Toulais  lui  faire  comprendre  que  je  ne  resterai  pas  ici  com- 
me prisonnier  ;  aussi  n'a-t-on  pas  insisté  pour  empêcher 
mes  communications  avec  les  chrétiens.  Le  même  jour, 
deux  hommes  à  cheval  sont  entrés  dans  notre  maison  ;  ils 
se  sont  donnés  pour  des  délégués  du  vice-roi,  chargés  de 
prendre  des  informations  ;  ils  ont  proféré  des  malédictions, 
-ont  demanda  qui  nous  avait  vendu  ce  terrain,  et  combien 
de  diables  d'Europe  il  y  avait  encore  là.  J'ai  fait  immé- 
diatement avertir  le  mandarin  d'arrêter  ces  individus  ;  il 
n'en  a  rien  fait,  et  ces  hommes  sont  encore  à  l'auberRe* 
Peut-être  sont-ils  envoyés  par  Fang-tong-Iin  ou  par  Ho 
Jdn. 


LE  PROTESTANTISME  EN  CHINE 

Ia  dernier  rapport  du  Tieariat  apostolique  du  Kiang-Dan, 
imprimé  i  Chang-hai  au  mois  de  juillet  1876,  contient 
d'instructifs  renseignements  sur  l'état  des  missions  protes- 
tantes en  Chine,  et  en  particulier  dans  la  prorince  du: 
Kiang-nan.    Nous  les  reproduisons. 

I 

'  Il  y  a  plus  de  soixante  ans  que  les  premiers  ministres 
protestants  sont  venus  prêcher  leurs  doctrines  au  peuple 
chinois.  Ceux  qui  leur  ont  succédé  ont  établi  des  stations 
évangéliques  dans  la  plupart  des  provinces  de  Tempire  ;  et 
le  Kian-nan,  grâce  à  ses  ports  nombreux,  est  %n  champ 
naturellement  ouvert  à  leurs  prédications. 

Voici  les  noms  des  Sociétés  protestantes  qui  envoient  des 
missionnaires  en  Chine,  et  les  dates  des  premiers  envois: 

1  London  missionary  Society 1807 

2  Netherlands  missionary  Society 1827 

3  American  Board  of  Commissioners  for  Fereign 

Missions 1830 

4  American  baptist  Board  of  Foreign  Missions,  ne w 

slyled  American  baptist  missionary  Union..    1834 
.  5  Board  of  Foreign  Missions  of  the  protestant  épis- 

copal  Cburch  in  Ihe  United-States 1835 

6  Church  of  England  missionary  Society 1837 

7  Board  of  Foreign  Missions  of  the  presbyterian 

Church  in  the  United  States) 1838 

8  General  Baptist  Missionary  (England) 184& 

9  Evangelical  missionary  Society  in  Base! 1847 

10  Rhenish  missionary  Society 1847 

11  Board  of  Foreign  Missions  of  the  Southern  bap- 

tist Convention  in  the  United  States 1847 

12  Seventh  day  baptist  missionary  Society  (Uaited- 

States 1847 

13  American  methodist  episcopal  missionary  So- 

ciety       1847 


67 

14  Poreign    Mission   Board   of   the   presbylerian 

Church  in  England 1847 

15  MissioDary  Society  of  the  methodist  episcopal 

Church  in  the  Southern  States  of  America..  1848 

16  Hissionary  Society  at  Lund,  in  Sweden 1849 

17  Cassel  missionary  Society.. ..;; 1850 

18  Berlin  missionary  Society.. 1851 

19  Wesleyan  missionary  Society  (England) 1852 

20  Chinese  evangelizalion  Society  (England) 1853 

21  Netherlands  chinese  evangelization  Society 1855 

22  Board  of  Foreign  Missions  of  the  Dutch  reformed 

Church  in  the  United  States 1858 

23  Mission  Union  for  ihe  evangelization  of  China 

in  Pomerania 1868 

24  English  baptist  Missionary  Society 1860 

25  New  connection  methodist  missionary  Society 

in  England.^ ^ .^ 1860 

26  French  protestant  missionary  Society  at  Paris...  1860 

27  American  United  presbyterian  Mission 1860 

28  Chinese  Inland  evangelization  Society 1862 

29  Society  for  the   propagation   of  the  Gospel  in 

Iroreign  Parts 1862 

30  United  methodist  free  Church  missionary  So- 

ciety in  England 1864 

31  Missionary  Board  of  the   United  presbyterian 

Church  of  Scotland , 1865 

De  ces  31  Sociétés,  11  appartiennent  aux  Etats-Unis;  11 
à  l'Angleterre  ;  4  à  l'Allemagne  ;  2  aux  Pays-Bas  :  1  à  la 
Suisse  ;  1  à  la  Suède,  et  1  à  la  France. 

Devx  autres  Sociétés  dites  The  National  Bible  Society  of 
Scotland  et  The  Womari's  Union  Mission  ont  également  des 
agents  en  Chine. 

De  1807  à  1867,  338  missionnaires  européens  ou  améri- 
cains ont  été  envoyés'en  Chine  par  les  31  Sociétés  ci-dessus 
toeniionnées. 

Le  nombre  des  prédicants  indigènes  pendant  ces  soixante 
années  ne  nous  est  qu'Imparfaitement  connu  ;  toutefois,' la 
jtatistique  suivante,  publiée  par  le  ministre  Miles  Justus 


68 

KnowltOB,  membre  de  VAmericaTh  bapUst  Missionary  Union, 
nous  donne  des  chiffres  qu'il  est  utile  de  faire  connaître. 

1853  1863  1864    1868 
8«'         Stations  (dans  les  ports  et  à 

l'intérieur  du  pays) 26  108  130       306 

Prédicateurs  indigènes •        59  141  107       365 

Chrétiens  indigènes 351  1,974  2,607  5,743 

Cette  année  même,  le  ministre  Joh»  W.  Davis  a  publié 
une  statistique  du  nombre  des  missionnaires  protestant» 
en  Chine  en  1875,  statistique  que  le  Chinese  Recorder  and 
missionary  Journal  a  imprimée  dans  son  cinquième  volume. 
Nous  la  reproduisons  ici  : 

Stations  principales. , 41 

Missionnaires  ordonnés 189 

—  médecins • 10 

—  chargés  des  presses 3 

—  laïcs • 24 

Femmes..,. 210 

Hommes 226 

436 

Cette  dernière  statistique  laisse  dans  l'oubli  deux  chiffre» 
qu'il  serait  important  de  connaître.  On  se  demande^  en 
efflst,  quel  est  actuellement  le  nombre  des  chrétiens  protes- 
tants indigènes  et  celui  des  prédicants  américains,  euro* 
péens  et  chinois. 

II 

Nous  n'avons  point  à  parler  ici  de  l'action  du  protestan- 
tisme dans  les  diverses  contrées  de  la  Chine  ;  nous  nous 
bornerons  à  signaler  son  apparition  au  Kiang-nan,  à  faire 
connaître  ses  travaux  et  les  résultats  qu'il  a  obtenus. 
-  Le  traité  de  Nan-king,  conclu  le  20  août  1842  entre  l'Aa* 
.gieterre  et  le  gouvernement  chinois,  mit  fin  à  la  guerre  de 
Topium  et  ouvrit  au  commerce  européen  quatre  nouveaux 
ports,  parmi  lesquels  on  comptait  celui  de  Chang  hai.  L'aor* 
née  suivante,  au  mois  de  décembre,  le  Rév.  Walter-Henry 
Medburst  et  M.  Lockhart  abordaient  dans  cette  ville,  en 
même  temps  que  le  consul  de  Sa  Majesté  Britannique  ;  il& 


69 

appartenaient  tous  deux  à  la. Société  de  la  Mission  de  Lon- 
dres. Depuis  leur-arrivée  jusqu'au  départ  de  U.  Medhurst 
pour  l'Angleterre,  le  10  septembre  1856,  dix  autresSociétés 
ehoisirent  Ghang  hai  pour  lé  centre  de  leurs  opérations 
éyangéliques,  et  y  envoyèrent  67  missionilaires. 

Les  prédications  dans  les  temples  ou  autres  bâtiments 
loués  pour  cette  fin,  la  distribution  de  la  Bible  et  de  traités 
religieux,  la  formation  d'écoles  pour  Téducation  des  enfants, 
étaient  alors  et  sont  encore  aujourd'hui  les  moyens  em- 
ployés par  les  ministres  pour  la  propagation  du  protestan- 
tisme. 

En  1843,  avant  l'arrivée  des  membres  de  la  Mission  de 
Londres,  la  révision  des  traductions  chinoises  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau-Testament  fut  résolue  dans  une  conférence 
tenue  à  Hong-kong  ;  et  une  commission  de  cinq  délégués, 
nommés  par  les  ministres  des  différentes  stations,  fut  char- 
gée de  ce  travail.  Les  délégués  tinrent  leur  première  ses- 
sion à  Chang-hai,  pendant  l'été  de  1847  sous  la  présidence 
du  Rév.  W. — .Medhurst  ;  et,  à  la  fin  de  juillet  1850,  la  révi- 
sion du  Nouveau-Testament  était  achevée  ;  celle  de  l'Ancien^ 
Testament,  fut  terminée  au  printemps  de  1853. 

Cette  même  année,  les  églises  d'Angleterre  offrirent  un 
million  de  Bibles  à  la  nation  chinoise.  Les  presses  de 
Cbang-hdi,  surtout  celles  de  la  Société  biblique,  furent 
constamment  occupées,  durant  trois  ans,  à  les  imprimer. 
Un  nouveau  système  de  colportage  fut  bientôt  organisé  : 
Bibles  et  traités  se  répandirent  plus  rapidement  et  plus  au 
loin. 

'  Chang-hai  compte  un  personnel  de  26  membres  ainsi 
répartis  : 

Missionnaires  ordonnés ••  10 

Directeurs  d'imprimerie 1 

Missionnaires  laïcs ••••••••  4 

Femmes Il 

Total • 25 

Depuis  le  23  mai  1875,  Chang-hai  est  devenu  siège  épis- 
cepal^  et  le  Rév.  William  Ârmstrong  Russel,  évéque  du 
Nord  de  la  Chine,  a  élevé  le  temple  de  la  Trinité  au  rang 


70 

de  cathédrale.    Ce  temple  appartient  au  gouvernement  et 
à  la  «dmmurïauté  anglaise  de  Chang-hai. 

Un  autre  temple,  connu  sous  le  nom  à,' Union  Chapelj  ti 
été  élevé  aux  frais  de  la  mission  de  Londres.  L' American 
Mission  of  th4  protestant  ^iscopai  Church  U.  S.  A.  en  possède 
un,  au  ({uartier  américain  de  Hong-ken,  sous  le  titre  de 
^'Church  of  our  Savions. 

Le  dimanche  13  septembre  1874,1e  ministre  Lambuth, 
de  la  Missionnary  Society  of  the  Methodist  Episcopale  Church 
in  the  Southern  States  America^  a  ouvert  sur  la  concessioa 
française  un  temple  où  120  personnes  peuvent  aisément 
trouver  place,  dit  le  rédacteur  du  Chinese  Recorder. 

Dans  Tenceinte  de  la  ville  murée,  le  protestantisme  a 
élevé  sept  ou  huit  temples  ;  mais  tout  document  nous  fait 
ici  défaut,  et  nous  ne  saurions  dire  à  quelle  secte  ils  appar- 
tiennent 

En  dehors  de  la  porte  de  TOuest,  sur  le  bord  de  la  route 
française  qui  conduit  à  Zi-ka-wei,  se  trouve  la  Soulh-Gate 
Chapel  ;  elle  relève  du  Board  of  Forengn  Missiom  of  the 
Presbyterian  Church  in  the  United  States, 

Les  protestants  possèdent  actuellement  à  Chang-hai  deux 
écoles  primaires  et  deux  hôpitaux. 

Jusqu'ici,  ils  n'ont  point  adopté  le  journalisme  quotidien 
comme  moyen  de  propagande.  Cependant  V American  Pres- 
byterian Mission  publie  en  chinois  une  revue  hebdomadaire 
intitulée  Oyun-ko-kong-pao  (nouvelles  générales  des  dix  mille 
royaumes),,  avec  ce  sous-titre  :  Chinese  Globe  Magazine 
devoted  to  the  extension  ofknowledge  relating  to  the  geogrophy^* 
history^  civilisation^  politic^  religion^  science^  art^  industry, 
and  gênerai  progress  of  Western  countries.  Les  questions  re- 
ligieuses y  occupaient  autrefois  une  plus  large  place  qu'au- 
jourd'hui. 

Outre  cette  revue,  il  en  existe  une  aulre,  qui  parait  tous 
les  deux  mois^  en  anglais,  sous  le  titre  de  The  Chinese  Re* 
corder  and  Missionnary  Journal.  Les  travaux  d'histoire  et 
de  linguistique,  les  recherches  bibliques,  les  récits  de 
voyage,  une  chronique  religieuse,  un  compte-rendu  de  pu- 
blications nouvelle»  en  forment  la  matière  la  plus  ordinai- 
re ;  et  ses  rédacteurs,  comme  ceux  du  Ouan-ko-kong-paùj 
.n'ont  point  pour  but  de  combattre  le  catholicisme. 


71 

Telles  sont  les  œuvres  des  ministres  protestants  à  Ghang- 
liai. 

Section  db  Sou-tchéou.— L'immcan  Presbyterian  Church 
North  et  VÀfneriean  Preskyterian  Church  South  entretienne 
chacune  deux  ministres  à  Sou4ckéou  ;  V American  Southern 
MethodUt  Church  et  la  London  Mission  y  sont  représentées 
par  des  prédicants  indigènes. 

Kouen-së  possède  une  station  et  un  prédicant  chinois. 

SscTiON  DE  SoNG-KUNG. — On  ne  rencontre  dans  cette  sec- 
tion ancun  ministre  américain  ou  européen  ;  toutefois  le 
Îrotestantisme  y  a  établi  quatre  stations  à  Song-kiang, 
Ta-zang,  à  Kang-wè  et  à  Néziang  ;  chacune  d'elles  a  son 
prédicant.  Celle  de  Né-zianç  a  été  inaugurée,  le  16  mai 
1876,  par  le  ministre  Lambuth. 

Sections  de  né-wei  et  de  Hai-mbn. — Le  protestantisme 
n'a  pas  de  stations  dans  ces  deux  sections. 

Section  de  Nan-king. — ^Une  résidence  habitée  par  un 
ministre  européen  a  été  fondée  dans  celte  ville  par  la  China 
Island  Mission.  De  plus,  VAmerican  Presbyterian  Church, 
dans  son  assemblée  annuelle,  tenue  à  Ning-po  au  mois  de 
janvier  1876^  a  permis  aux  ministres  Whiting  et  Leaman  d'y 
établir  une  nouvelle  station.  Le  1er  septembre  suivant,  le 
Rév.  Leaman  y  a  loué  une  maison,  où;  un  mois  plus  tard, 
son  confère  est  venu  le  rejoindre. 

La  China  Inland  Mission  a  établi  depuis  longtemps  une 
station  à  Yang-tchéou  et  la  confie  actuellement  à  la  garde- 
d'un  prédicant  indigène.  C'est  à  elle  aussi  qu'appartien- 
nent les  deux  maisons  de  Tchen-kiaog.  Dans  Tune^le 
ministre  Mac-Carthy  dirige  des  écoles  ;  l'autre  est  babitée 
par  un  Chinois,  Tai-tchéou  et  Tsia-kiang  ont  deux  prédi- 
cants. 

Ning-ko-fou  et  Tai-piog-fou  ont  chacune  un  prédicant 
qui  relève  de  la  China  Inlànd  Mission. 

Ou-hou,  Ta-tong,  Ngan-king,  Tsin-yang  et  Tché-tchéou 
sont  autant  de  postes  occupés  par  la  même  Société.  Ngan- 
king  a  deux  ministres  européens  ;  dans  les  autres  villes,  on 
ne  rencontre  que  des  prédicants  indigènes. 

Les  ministres  de  cette  Société,  dirigée  par  M.  Taylor,  ont 
revêtu  le  costume  chinois,  comme  les  missionnaires  ca- 
tholiques. 

Tels  sont  les  renseignenients,  bien  incomplets  sans  doute, 
que  nous  pouvons  donner  sur  l'état  actuel  du  protestantisme 
dans  le  vicariat  du  Kiang-nan.  Les  statistiques  ne  donnent 
pas  le  chiffre  des  Chinois  convertis  ;  cependant  nous  avons 
de  sérieuses  raisons  de  croire  qu'ils  ne  sont  pas  nombreux. 


•  '  '  .  •  '  If'" 

.  -  .'1/  -  ..    ■  •;.'  f         ..    ■  .     <■■.    ,    -,  k-   •    ' 

AU  VATICAN.  *        •'■  ' 

'       I     4        <  .  •,       .  •  . 

*  *<  *  ,1  * 

Datant  les  fÔlès  de  N<Jël,  le  Valicâii  rappellait  là  Grècheïe 
•Bethléem  ;  de  toutes  parts,  ïes  chrêtljBns  fiidfeles  y.  venaient 
rendre  hommage  à  celui  qui  est  le  Vicaire  de  rÈnfantrDieu 
sur  I^  terre.  :  les  pripces  de  TEglise  et  les  princes  de  la 
terre;  les  représentants  des  nations^  les  grands  et  les  petits, 
les  riches  elles  pauvres,  tontes  les  condifWns  et  tous  les 
âges  se  rendaient  auprès  du  Saint  Père  ;  ils  lui  exprimaient 
leur  déivouement,  ils  en  recevaient  les  conseils  les  plus 
appropriés  aux  difficultés  des  circonçtances.  C'est  un  spec- 
tacle qiii  ne  frappe  plus,  parce  qu'il  devient  ordinaire  ;  mais 
nous  demandons  à  quelle  majesté  déchue  sont  rendus  des 
hommages  aussi  universels,  nous  demandons  quel  est  le 
souverain  dépossédé,  quel  est  même  le  souverain,  au  milieu 
de  Téclat  des  victoires  et  de  la  puissance,  qui  est  l'objet 
d'un  pareil  concours,  de  tant  de  sacrifices,  d'une  si  inébran 
lable  fidélité.  L'Eglise  catholique  seule  offre  cet  étonnant 
spectacle  :  ce  n'est  certes  pas  un  signe  de  décrépitude  et  de 
mort,  c'est  un  puissant  motif  d^'espérance.  Ce  n'est  pas  la 
défaite,  c'est  l'épreuve,  et  l'on  sait  que  c'est  après  les  plms 
cruelles  épreuves  que  l'Eglise  brille  d'an  plus  vif  é«lat  et 
remporte  les  plus  glorieux  triomphes  :  Merses  profundoj 
pylchrior  evenît. 

Le  6  Janvier,  jour  de  l'Epiphanie,  le  pèlerinage  italien  a 
été  reçu  en  audience  solennelle  par  le  Saint-Père.  Nous 
donnons  ci-après  le  texte  de  l'Adresse  à  Pie  IX  par  M.  le 
commandeur  Aquaderni  et  la  réponse  du  Pape 

Voici  l'Adresse: 

"  Très-Saint  Père, 

^'  Au  commencement  de  la  nouvelle  année,  nous  voici 
réunis  autour  de  vous,  comme  des  ûls  aimants  et  dévoués 

Îui  se  serrent  autour  de  leur  Père  adoré  et  dans  les  jours 
e  joie  et  dans  les,  jours  de  tribulation. 
^*  £n  effet,  tandis  que  nous  sommes  heureux  de  vous 
contempler  ici  présent,  nous  sentons  notre  cœur  profondé- 
ment blessé  en  songeant  aux  liens  qai  vous  enchaînent  et 
^avec  vous  l'Eglise  de  Jésus  Christ^  et  en  considérant,  pour 
•  comble  de  tristesse  et  d'humiliation,  que  ces  chaînes  vous 


78 

fucent  imposée?  p^r  led  ^naiossaorilégea  de  fib  égar^  de^ 
noire  palne.     • 

^^  C'est  pourquoi  lea  îïéMx  diviaQ  s'appefiaotissetH  tem' 
blejgiieAt  sur  la jxuklbeureuae  Italie  et  la  qoAîa;  de  rEtecqel 
ne  su^peadra  pas  Ia  vigueur  de  sa  justice^  puisque,  hélas  r 
l'esprit  impie  (le.laRév(>lu.ii<HiBieQacerEgli«eâeiioa?eUe3* 
persécuticoa  et  de  nouvelles  calamités,  i 

'<  Non-seulement  l'Italie,  mais  TfÎQDepe  et  Je  monde 
entier,  sont  en  prMe  à  rieqaiet  prea8eati<9ent  de  terribles 
et  inéTilables  catastrophes.  De  toutes^ parts  on  demande  la 
lumière,  et  les  ténèbres  .s'épaisaiâseet  plus  obscures  et 
pus  sinistres;  on  demande  Tordre,  et  la  négation  de 
toute  autorité  se. lance  avec  plus,  .dr'aufiace  pour. é>raa^r' 
et  démolir  1^  beses  sociales  :  on  veut  JiaciirvilisatioQy  et  on 
la  dénature  et  englpn^t  sous  Tonde  furieuse  de^ exigences 
païennes  de  ce  siècle  corrompjuet  impie.    . 

'^  Que  reste-il  dono  dé9ormais  à  rhumanité,,s4Uon  d'im- 
plorer de  Dieu  les  miséricordes  qu'il.ap^omiçes^uxftrdeas- 
tçe  supplications  des  cœurs  coatrita  etb^umiUés  ?  Que^lui 
reste-t-il^  sinon  d'implorer  du  Réidemptear  éternelle  qu'il 
ait  pitié  de  nous  et  de  notre  patrie,  qu'il,  vienne  au  becour- 
de  la  barque  de  Pierre  battue  par  les'  plus  furieuses  tempê- 
tes, et  qu'avec  sa  toute-puissance  il  mejLte  iin  au  désorae, 
aux  injustices,  aux  persécutions,  aux  luttes  fratricides  qui 
troublent  et idéehirent.la  société  ? 

^^  Voiià  pourquoi  qous  avons  prisleb3Virdon  despèlerins 
et  nous  somme&  accourus  à  1^  ton;be. des. saints  Apôtres  ; 
et  maintenant  nous  nous  réunissons  au  pied  du  trône  de 
Pierre  vivant  en  vou^,  Très-Saint  Père,  en  voys,  Vicaire 
de  ce  Verbe  divin,  qui  est  l'auteur  et  le  cpos^rvateur  pro- 
videntiel du  genre  humain. 

^^  Sur  la  to^ibe  dç  saint  Pierre,  nous  avons  imploré  de 
Dieu  la  liberté  et  Ja  paix  de  l'Eglise  catholique,  l'ordre  et 
la  paix  dans  notre/ patrie  et  dans  le  monde  tOMt  entier.  Et 
ici,  à. vos  pieds,  1res  Saint  Père,  nous  sotncnes  venus  ren- 
dre un  nouveau  témoignage  à  votre  suprôme  autorisé,  à 
Tautoritô  du  Pontife  et  du  Père  universel;  vous  rendre  à 
TOUS  et  par  vous  un  nouvel  hommage  de  soumission,, aux 
droits  de  Dieu,  confiant  ainsi  qu'il  daignera  enfiu  exa^icer 
nos  voeux  ardents  et  faire  reÛeurir  sur  la  içrre  le  règne 
uni verst^l  de  Jésus-Christ  dans  la  plénitude  de  ses  miséri'*, 
cordes. 

Très-3aint  Père,  daigne*  :unir  vo|ç  painles  prières  .à  nos- 
snpp  icaUunç,  daignez  nous.adrçsj^er  votr-e  parole  de  vérité 
et./ie.viej  Accot;de&  à:  là  catt^oU€[ue:It,aliri  une  nouvelle 
bénédictiQU  qui  tombe  sur  les..çour£kgeux  afl,i)jqu ils  persér 
vëreat;  sur  les  tremblants  afiA.^'U'il^,  se  Xçrjiûent  et  ne; 


74" 

-càdent  point  aa  découragement  qui  finit  par  s'emparer 
^'eux;  sur  les  abattus,  afin  qu'ils  recommencent  à  espérer 
et  à  oômbaUre  en  suivant  fidèlement  cette  voie  que,  comme 
vous  avez  toujours^  fait,  vous  daignerei  traeer  encore  à  vos 
enfants  dans  les  présentes  âétt*ess6s,  pour  que  tous  dans  la 
concorde,  Tunion  et  la  persévérance^  nous  puissions  opérer 
quelque  bien  pour  la  très^sainte  cause  derEglise  et  pour 
le  salut  de  notre  patrie." 

Le  Pape,  oui  avait  écouté  cette  lecture  avec  attention,  en 
approuvant  les  pensées  du  geste  et  du  regard,  s*est  levé  et  a 
répondu  par  cette  improvisation  : 

^^  Je  m'associe  pleinement  à  tout  ce  qu'a  dit  le  président 
nie  eette  assemblée  qui  m'est  si  chère.  Mes  paroles  seront 
un  écho  des  siennes;  mais  elles  auront  ceci  de  plus  que 
le  sceau  du  Vicaire  de  Jésus-Christ  leur  donnera  le  dou- 
ble avantage  de  vous  tenir  sans  cesse  éloignés  du  dange- 
reux sentier  de  notre  siècle  et  d'ouvrir  davantage  vos  cœurs 
il  la  confiance  en  Dieu. 

<'  Hélas  1  il  est  bien  vrai  :  l'Italie  se  trouve  réduite  en 
l'état  où  elle  vient  d'être  dépeinte.  Les  événements  rapides 
qui,  dans  ces  derniers  temps,  se  sont  succédé  dans  la 
Péninsule  ont  produit  l'union  des  Etats  qui,  séparés  autre- 
fois, n'en  formaient  pas  moins  cette  belle  partie  de  l'Eu- 
rope. 

*'*'  Oui,  ces  Etats  sont  unis  à  cette  heure  politiquement; 
mais  ils  étaient  unis  déjà,  et  le  lien  qui  faisait  un  tout  de. 
l'Italie  était  le  doux  lien  de  la  foi  et  de  la  religion  de  Jésus- 
<3irist. 

^'  On  a  eu  la  pensée  (pensée  horrible  et  scélérate)  de  bri- 
Hser  ce  doux  lien,  et  on  a  enserré  l'Italie  dans  les  lacets 
-d'une  politique  ténébreuse. 

^^  Le  lien  sacré  qui  unissait  alors  l'Italie  était  fortifié 
par  le  riche  patrimoine  de  l'Eglise,  qui  partout  encoura- 
:geait  les  arts,  alimentait  les  pauvres,  pourvoyait  à  lA  dignité 
du  culte,  à  la  difi'usion  de  la  fei,  au  soutien  de  l'éduca- 
tion chrétienne. 

^^  Aujourd'hui,  le  clergé  étant  appauvri,  les  moines  bien- 
faisants  chassés  de  leurs  monastères,  les  pauvres  frappent 
-vainement  aux  portes  :  ils  ne  trouvent  plus  les  pieux  nien- 
faiteurs  qui  leur  donnaient  du  pain  s'ils  avaient  faim,  des 
vêtements  s'ils  étaient  nus.  Au  contraire,  ils  entendent 
des  voix  qui  leur  répondent  avec  les  paroles  déjà  condam- 
nées par  l'apôtre  samt  Jacques:  CaUfacimini et  saturaminù 

^^  Or,  l'union  présente  a-t-elle  développé  le  commerce  T 
Il  est  certain  qu'au  temps  où  les  Etats  de  la  péninsule 
étaient  unis  par  le  lien  de  la  foi,  le  commerce  n'était  pas 
plongé  dans  le  marasme  qui  excite  à  cette  heure  notre  corn* 
passion,  à  cause  des  désastres  qu'il  a  subis.  * 


75 

^*  Je  n'entre  pas  dans  les  détails:  vous  vivez  au  milieu 
du  monde,  vous  le  connaissez  ;  seulement  j'ajoute  qu'à 
Borne  les  commerçants  viennent  me  dire  qu'ils  manquent 
de  pain. 

^^  Peut-être  les   propriétaires  *  ont-ils   gagné    au    chan- 

Sement?  Ahl  interrogez-les  I  Dans  Tancienne  union,  ceux 
u  second  ordre,  et  même  les  plus  petits,  se  suffisaient. 
Ont-ils  cru  que  les  nouveaux  maitres  réaliseraient  la  pro- 
messe de  diminuer  les  impôts?  Ces  impots  se  sont  accrus 
au  point  qu'on  ne  peut  plus  les  payer  et  que  les  proprié- 
taires, en  majorité,  voient  leurs  patrimomes  saisis  en  tout 
ou  en  partie  par  le  fisc  :  fléau  que  déplorent  publiquement 
en  d'âpres  discours  certains  individus  appartenant  au  soi- 
disant  Corps  législatif. 

"  De   telle  sorte  que  les  malheureux  propriétaires,  dé- 
pouillés de  leur  ancienne  fortune,  se  trouvent  dans  rim- 
{>ossibilité  de  placer  leurs  fils  et  d'entretenir  honnêtement 
eur  famille. 

"  Je  ne  poursuis  pas  Ténumération  de  ces  maux,  il  y  en 
aurait  beaucoup  à  joindre  à  ceux  que  j'indique.  Je  dis 
simplement  que  les  clameurs  des  peuples  souffrants  s'é- 
lèvent de  toute  part,  que  les  gens  de  bien  gémissent  sur  la 
situation,  en  constatant  l'impossibilité  de  marcher  plus 
longtemps  dans  ce  malheureux  che/nin. 

*^  Quelles  remarques  fait-on  hors  de  l'Ilalie?  Ceux  qui  la 
gouvernent  ne  les  ignorent  pas.  Quant  à  nous,  qui  avons 
sous  les  yeux  ce  lugubre  spectacle,  avertissons-les  qu'ils 
aient  à  retirer  leurs  pas  de  la  pente  qui  descend  à  Pabime. 

^'  Et  cela  fait,  tournons-nous  vers  Dieu  et  prions-le  de 
soulager  nos  malheurs  d'un  regard  de  sa  miséricorde,  et 
d'arrêter  le  châtiment  que  nos  fautes  ont  mérité. 

^^  Nous  devons  en  même  temps,  au  commencement  de 
celte  année,  ouvrir  notre  cœur  à  la  confiance,  avec  l'espoir 
que  cette  confiance  ne  sera  pas  trompée. 

"  Sans  doute  les  apparences  sont  contraires,  mais  il  faut 
se  garder  de  prendre  les  apparences  pour  des  faits  accom- 
plis. 

^^  Hélas  !  quelques  hommes  (se  disant  catholiques)  vou- 
draient que  l'Eglise  se  rapprochât  de  l'Etat  et  regardât 
comme  déCnitive  et  irrévocable  la  juridiction  usurpée  de  la 
souveraineté  temporelle. 

"  Quant  à  moi,  je  me  souviens  de  mes  serments,  et  avec 
l'aide  dn  Dieu,  je  les  remplirai  sans  prêter  l'oreille  à  cer- 
tains argumf'Uts  suggérés  par  la  fantaisie  et  par  l'orgueil  à 
des  têtes  exaltées. 

''  Je  respecte  ces  serments  faits  à  Dieu,  et  je  «conseille  à 
tous  ceux  qui  veulent  prêter  serment  d'accomplir  certaines- 


76 

lois  en  partie  contraires  à  Dieu,  de  s^abstenir  d'uA  acte  qai, 
étant  ainsi  seul  et  isolé,  est  blâmable. 

"  Pour  vous,  mes  très  chers,  n'ayez  point  de  rapporlg 
avec  les  esprits  qui  cèdent  à  la  fantaisie,  à  Porgueu,  et 
non  à  la  réflexion.  Mais,  unis  et  compactes,  continuez  de 
combattre,  par  tous  les^moyens  légaux,  afin  de  repousser 
sans  cesse  les  attaques  contre  l'Eglise  et  contre  la  société. 

''  Que  si  un  enfant  sans  défense,  là,  dans  la  grotte  de 
Bethléem,  gémissant  et  pleurant,  un  enfant  privé  de  toute 
marque  de  grandeur  et  de  force,  a  pu  frapper  d'épouvante 
Hérode,  jeter  le  trouble  à  la  cour,  et  agiter  la  ville  entière 
de  Jérusalem,  pourquoi  n'aurions-nous  pas  confiance  en 
Lui  ?  Bien  qu'Enfant,  Dieu  n'est-il  pas  toujours  le  Tout- 
Puissant,  ne  peut-il  pas  lever  son  bras,  secourir  l'Eglise  et 
disperser  ses  ennemis  ? 

''  Ah  1  oui,  supplions  cet  enfant  de  nous  donner  un  nou- 
veau témoignage  de  sa  puissance,  et,  en  attendant,  de  lever 
son  bras  aimant  pour  nous  bénir  et  pour  rejeter  les  enne- 
mis de  son  Eglise-  Supplions  sa  souveraine  bonté  d'être 
toujours  notre  confort  et  notre  refuge.  Supplions-le  de  nous 
mettre  au  cœur  la  promptitude  et  la  fidélité  à  le  suivre, 
afin  que,  comme  nous  avons  la  croix  sur  la  poitrine  nous 
la  portions  aussi  dans  le  cœur. 

"  Et  maintenant  je  vous  bénis  dans  vos  personnes,  dans 
vos  familles,  dans  tous  vos  biens,  à  seule  fin  que  régnent 
parmi  vous  la  paix,  la  concorde,  l'union,  le  seul  désir  de 
vous  consacrer  absolument  au  service  de  Dieu^  et  chacun, 
en  ce  qui  le  concerne,  au  remède  des  maux  qui  affligent  là 
société. 

''  Partez  donc  de  Rome  bénis  de  Dieu,  bénis  de  son 
vicaire,  bénis  dans  le  temps  et  à  l'heure  de  la  mort,  pour 
-^que  vous  soyez  dignes  de  le  bénir  éternellement." 

Bcnedictio  Deù 


BEAUX  EXEMPLES. 

I 

I      Nous  lisons  dans  la,  iSemaine  religieuse  d^ Angers,  le  récit 

suivant  publié  par  M.  Tabbé  Sécher  : 

*'  Il  y  a  quelques  semaines,  je  venais  d'entrer  aa  secré- 
tariat de  révôché,  à  une  heure  où  je  n'y  vais  que  très-rare- 
ment^ lorsque  la  Providence  y  conduisit  un  étranger  qui 
avait  précisément  besoin  de  me  parler.  Sou  aspect  tout 
d'abord  me  frappa.  II  tenait  à  la  main  un  gros  bâton  de 
houx  tout  poudreux  ;  à  sçs  épaules  était  suspendu  un  sac 
grossier  ;  il  avait  une  barbe  inculte  et  une  mise  plus  que 
négligée  ;  sans  Tair  de  modeste  assurance  qtie  je  remar- 
quais en  lui,  je  n'aurais  pu  hésiter  un  seul  instant  à  croire 
que  j'avais  devant  moi  un  mendiant.  Incertain  sur  le  but 
de  sa  visite,  je  ne  savais  quelles  paroles  lui  adresser.  Il 
s'aperçut  sans  doute  de  mon  embarras,  et  se  hâta  de  me 
dire  qu'il  ne  venait  pas  me  demander  l'aumône,  mais  qu'il 
espérait  que  je  voudrais  bien  cependant  lui  rendre  un  ser- 
vice. L'ayant  invité  à  s'expliquer,  il  le  fit  en  des  termes  que 
je  vais  m'efforcer  de  reproduire  le  plus  fidèlement  possible 
"  —  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu,  me  dit-il,  de  vous  raconter  en 
détail  ma  longue  et  triste  histoire  ;  mais  vous  auriez  peine 
à  comprendre  le  motif  qui  m'amène,  si  je  ne  soulevais  un 
peu  le  voile  qui  cache  mon  passé.  Ma  vie  n'a  été  qu'une 
longue  suite  d'épreuves.  Je  n'ai  pas  le  droit  de  m'en 
plaindre,  car,  hélas  !  je  suis  un  grand  pécheur,  et  je  n'ai 
que  trop  mérité  les  tribulations  que  j'ai  partout  rencontrées 
sur  ma  route.  Pour  vous  donner  une  idée  du  mal  que  j'ai 
fait,  songez  que,  jusqu'à  dix-sept  ans,  je  n'avais  entendu 
parler  de  Dieu  que  pour  le  blasphémer,  et  je  n'en  parlais 
r  moi-même  que  pour  le  maudire.  Mes  pauvres  parents 
étaient  trop  peu  religieux  pour  avoir  le  moindre  souci  de 
mon  ftme  ;  j'avais  i  peine  dix  ans,  qu'ils  me  jettèrent  dans 
une  maBufacture  où  régnaient  tous  les  vices.  Je  fus 
bientôt  dépravé  et  je  devins  corrupteur  à  mon  tour,  com-. 
muniquant  à  d'autres  la  contagion  dont  j'étais  atteint,  et 
tommettanl  le  crime  sans  aucun  remords.  A  dix-sept  ans, 
j'eus  le  bonheur  de  rencontrer  un  prêtre  charitable,  à  qui 


78 

je  découvris  l'état  de  mon  âme  ;  il  en  eut  pitié,  m'instruisit 
et  me  fit  faire  ma  première  communion.  C'est  de  là  que 
date  ma  conversion.  A  cette  époque  également,  Dieu  vou- 
lant sans  doute  oie  fortifier  d'avance  contre  une  tentation 
terrible  qui  allait  commencer  pour  moi  et  qui  dure  encore, 
m'inspira  la  pensée  d'accepter  d'avance  toutesiessovffrao- 
ces  de  cette  vie  en  expiation  de  mes  fautes.  Ce  fut  là  mon 
salut.  Sans  cette  lumière,  je  ne  sais  si  parfois  je  n'aurais 
pas  succombé  sous  le  poids  de  mes  infortunes.  Je  n'ai  pas 
eu  un  moment  de  répit  :  partout  des  revers,  partout  des 
déceptions,  aucun  projet  ne  m'a  réussi,  toutes  mes  entre- 
prises ont  échoué.  La  main  vengeresse  de  Dieu  me  pou^ 
suit  sans  relâche  et  me  frappe  en  tout  lieu.  Sans  parents, 
sans  amis,  sans  position,  je  cnerche  partout  un  lieu  de  repos 
et  ne  le  trouve  nulle  part.  Et  cependant,  je  dois  le  recon- 
naître, au  milieu  de  tant  d'adversités,  le  boa  Dieu  ne  m'a 
jamais  complètement  abandonné  ;  même  quand  il  me  châ- 
tiait le  plus  rudement,  il  m'a  toujours  procuré  le  moyen 
de  gagner,  par  le  travail,  le  pain  de  chaque  jour  et  les  vête- 
ments nécessaires.  Il  a  fait  plus,  il  a  permis  que  je  pusse 
prélever  sur  mes  gages  quelque  argent,  et  c'est  cet  argent 
que  je  viens  vous  prier  d'accepter  pour  le  faire  passer  à  nos 
missionnaires.  Âh  I  ils  s'imposent  bien  plus  ae  sacrifices 
pour  gagner  les  âmes  à  Jésus-Christ  que  ne  m'en  oot  coûté 
ces  économies.  Et  pourtant,  je  dois  le  dire,  ces  épargnes 
sont  le  fruit  de  dures  et  longues  privations  ;  je  m'en  trouve 
bien  dédommagé  par  la  joie  que  je  ressens  de  contribuer  à 
cette  sainte  œuvre." 

<<  En  achevant  ces  derniers  mots,  prononcés  avec  une 
émotion  qui  avait  gagné  les  témoins  de  cette  scèae,  l'étran- 
ger tira  de  sa  poche  un  mouchoir,  le  développa  et  y  pritua 
vieux  chiffon  de  papier  qui  contenait  la  somme  de  247 
f  r.  20  c. 

**  A  cette  vue,  mille  pensées  traversèrent  mon  esprit. 
Mais,  partagé  entre  l'étonnement,  l'admiration  et  le  respect 
pour  ce  pauvre  inconnu,  j'étais  dans  l'impuissance  de  lui 
faire  aucune  question  ;  je  me  bornai  à  lui  demander  s'il 
ne  gardait  point  quelque  argent  pour  lui-môme. 

*' —  Oh  1  me  répondit-il.  j'ai  si  peu  de  besoins  que  le  peu 
qui  ipe  reste  suffira  amplement  a  les  satisfaire,  et  je  tiens 
si  peu  à  toutes  les  richesses  de  la  terre  que  si  la  Providence 
me  donnait  plein  d'or  cet  appartement,  je  ne  serais  pas 
tenté  un  seul  instant,  avec  la  grâce  de  Dieu,  d'en  réserver 
là  moindre  partie  pour  moi-môme.  Puis,  je  compte  bien 
sur  la  Providence  pour  trouver  une  occupation  qui  me 
permette,  comme  par  le  passé,  de  gagner  ma  vie.  Moa 
métier  est  celui  de  berger.    Pendant  de  longues  annéeà,  je* 


79 

l'ai  exercé  aux  eavirone  de  Lyon,  mon  paya  natal  ;  depnis 
quelque  temps  je  n'y  trouvais  plus  d'emploi  ;  voilà  pour* 
quoi  j'ai  quitté  mon  pays  ;  et  en  ce  moment,  je  me  rends  à 
pied  en  Bretagne  ou  j'espère  trouver  un  bon  maître  qui 
Toudra  bien  me  confier  la  garde  de  son  troupeau.  Priez 
Dieu  de  me  faire  la  grâce  de  rencontrer  sur  ma  route 
qiielqn'une  de  ces  religieuses  familles^  que  l'on  dit  encore 
SI  nombreuses  dans  ce  pays,  auprès  de  laquelle  je  puisse 
tranquillement  terminer  ma  vie.  '^ 

^^  Avant  de  s'éloigner,  il  me  dit  : 

^'  —  Nul  n'a  besoin  de  savoir  mon  nom  ;  l'acte  que  je 
Tiens  de  faire  n'est  d'ailleurs  que  l'accomplissement  d'un 
devoir^  un  moyen  de  racheter  mes  péchés.  Mais  si,  par  la 
publicité  donnée  à  l'aumône  d'un  piuvre  comme  moi,  vous 

K usiez  intéresser  quelques  uns  des  riches  de  cette  ville  à 
Euvre  de  la  Propagation  de  la  Foi,  je  ne  veux  pas  m'op- 
poser  à  ce  qui  vous  semblera  propre  à  accroître  les  res^ 
sources  de  cette  Œuvre.  " 


Dans  un  des  derniers  numéros  de  V Aquitaine^  journal  de 
Bordeaux,  M.  l'abbé  Castaing  raconte  le  trait  suivant,  tout 
aussi  édifiant  et  tout  aussi  propre  à  stimuler  le  zèle  des 
associés  de  l'Œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi  : 

^< J'entendis  frapper  à  ma  porte.  J'ouvris. 

<<  C'était  une  vieille  domestique  qui  m'apportait  le  mon- 
tant de  sa  souscription  à  l'Œuvre  de  la  Propagation  de  la 
Fol 

^^  J'admirai  Theureuse  physionomie  de  la  pauvre  femme, 
son  visage  modeste  dont,  la  vieillesse  n'avait  pas  encore 
altéré  les  traits,  son  regard  calme  et  doux  qui  exprimait 
une  «graBde  joie  intérieure  ;  j'admirai  même  son  costume 
pauvre,  usé,  à  peu  près  correct  toutefois,  mais  dont  la  com- 
position un  peu  extraordinaire  attestait  que,  depuis  long- 
temps, elle  s'était  élevée  fort  au-dessus  des  préjugés  de  la 
mode. 

"  — Voilà,  M.  l'abbé,  me  dit-elle,  tout  ce  que  j'ai  pu  re- 
cueillir." 

^^  Je  dépliai  le  papier  qu'elle  venait  de  déposer  sur  mon 
])nreau.  Ce  papier  contenait  35  francs  ;  s'était  plus  que  la 
cotisation  de  dix  personnes.  Je  la  félicitai. 

^^  Et  comme  j'iascrivais  sur  le  registre  de  l'Œuvre  le  nom 
do  la  bonne  femme  et  la  somme  versée  par  elle,  je  remar- 
quai que,  l'année  dernière,  à  la  même  date,  elle  m'avait 
apporté  36  francs. 

*^ — ^Nos  actions  ont  baissé,  lui  dis-je  en  souriant  ;  vous 
me  donnez  un  franc  de  moins  que  ra.n  dernier. 


80 

'<— 4]')e6t  Trai,  M.  Tabbé,  cela  Tient  de  ce  auè  j'ai  péidul 
OQito  année  plusieurs  de  mes  amies^  et,  malgré  todsïnes 
efforts^  je  n'ai  pu  recueillir  davantage*  Mais  -cette  petite 
perte  sera  compensée  avantageusement,  je  crois,  pfir  Hin^ 
offrande  particulière  que  je  suis  chargée  de  vous  remettre."^ 

Et  elle  me. tendit  on  pli  cacheté. 

*'< — D*oii  celavient-ilr  demandais-je. 

^'  — Je  ne  puis  vous  répondre,  M*  l^abbé.  N'iïisisteK  pas-i 
on  exige  le  plus  profond  secret." 

Je  décachetai  le  pli  lentement,  en  me  demandant  quelle 
pouvait  être  la  raison  de  ce  mystère.  Je  trouvai,  sous  Ten- 
veloppe,  éOO  francs  en  billets  de  banque. 

^' — Ma  bonne,  dis-je  alors  à  la  zélatrice,  je  ne  puis  ao 
cepter  une  pareille  somme  sans  savoir  d'où  elle  provient» 
iia  personne  qui  vous  a  confié  ce  secret  peut  bien  le  confier 
à  un  prôlre. 

«t — Non,  cVst  impossible* 

" — En  ce  cas,  je  suis  obligé  de  refuser  l'argent  que  vous 
m'apportez." 

La  tristesse  couvrit  subitement  comme  un  voile  le  vi- 
sage de  la  pauvre  femme  ;  elle  leva  vers  moi  des  yeux 
suppliants. 

" — Je  vous  en  conjure,  M.  l'abbé,  acceptez. 

" — Vous  jouez  bien  mal  votre  rôle,  ma  pauvre  fille, 
m'écriai  je.  C'est  .donc  bieu  vous  qui  donnez  ces  400 
francs  ?" 

Elle  hésita  un  instant:  il  fallait  mentir  ou  avouer  sa 
bonne  action.  Or,'  évidemment,  cette  femme  n'avait  jamais 
menti,  et  elle  teïiait  à  son  secret.  Elle  baissa  les  yeux  et 
ne  répondit  rien.  . 

'< — Ne  craignez  pas,  repris-je.  Je  garderai  fidèlement 
votre  secret.  Mais,  dites-moi,  pouvez-vous  faire  un  tel 
sacrifice  ?  Cet  argent  ne  vous  fera-t-il  jamais  défaut?  " 

Elle  me  dit  alors  ses  petits  secrets.  Malgré  sa  jeunesse^ 
de  cœur  et  sa  naïve  franchise,  elle  comptait  soixanté^dix* 
huit  ans.  Dépuis  l'âge  de  quatorze  ans,  elle  était  dome&* 
tique.  Aujourd'hui  l'heure  du  repos  a  sonné.  Elle  s'est 
"  retirée."  Mais  elle  loge  à  un  quatrième  étage  pour  pou?* 
voir  donner  aux  missionnaires  les  petites  rentes  qu'elle  a 
gagnées  à  ia  sueur  de  son  front. 

...J'accompagnai  respectueusement  la  bonne  femme,  qui 
ma  dit  encore  en  me  quittant  : 

''—Vous  garderez  roon  secret,  n'est-ce  pas,  M.  l'abbôï 

"  — Oui,  certainemedt. 

" — Et  vous  prierejï  pour  moi?  Je  vais  paraître  bientôt 
devant  le  bon  Dieu  ;  pilez  pour  que  je  n^  ariive  pas  les 
mains  vides  de  mérites." 


I 


k5 


A.3srisrjft.XjBs 


FOUB  !•▲  PBOVINCB  DB  QUEBEC 


DEUXIÈME  NUMÉRO,  JUIN  1877. 


^  o:L^i^.â.x:Ee^s:. 

PA6B8. 

LB  R.   P.  REBOUL,  O.  M.  I 83 

ST.  GBORGBS.  TERRBNEUVE 91 

NORD-OUJBST -  *^3 

MISSION    DES    SBPT-CKANS 109 

ABUAUAM   WIKASKOKISÉYIN 115 

MISSION    DE   STB.    CROIX  DE  TAD0U8SAC 120 

NOUVEAU-BRUNSWICK  .., 129 

CHINE - *^* 

PROCESSION     DU     SAINT-SACRBMENT    AU    MILIEU    DES 

MUSULMANS - ^^'^ 


DES 


MONTBEAJL  j 
A  VAPEUR  DE  J,  A   PLINflUBT, 

39,   RUE  ST.   JEAN-BAPTUTK. 

1877* 


l^ 


?/<■ 


ANNALES 


DB  LA 


PROPAGATION  DE  LA  FOI 


POUR  LA  PROVINCE  DE  QUEBEC 


JUIN  1877. 


DEUXIÈME  NUMÉRO. 


DES  PRESSES  A  VAPEUR  DE  J.  A.  PLÏNGUEIV 

39,   nUE   ST.   JEAX-IÎA.PTISTE. 

1877 


Permis  d'imprimer, 

-)-  Edouard  Gh.  Ev.  de  MoûtréaL 


LE  R.  P.  REBOUL  0.  M.  I. 


Le  Révérend  Père  Reboul,  0.  M.  L,  est  mort  ;  ea  lui  le 
Canada  a  perdu  un  apôtre,  la  Congrégation  des  Oblats  de 
Harie  Immaculée  une  de  ses  gloires,  les  voyageurs  des  chan- 
tiers leur  meilleur  ami,  leur  dévoué  missionnaire  depuis 
Tingt-cinq  ans. 

Le  R.  P.  Reboul  ne  fut  pas  un  honune  ordinaire  ;  son 
àme  ardente,  son  cœur  d'apôtre  servis  par  une  belle  intel- 
ligence avaient  fait  de  lui  plus  qu'un  bon  prêtre  et  qu'un 
bon  missionnaire  :  c'était  un  saint 

La  nouvelle  de  sa  mort  a  plongé  la  population  catholi- 
que d'Ottawa  et  de  Hull  dont  il  était  comme  le  fondateur 
dans  une  consternation  profonde  ;  sa  Congrégation  ne  sait 
comment  elle  pourra  remplir  le  vide  immense  que  cette 
mort  vient  de  créer  daus  son  sein. 

Nous  ne  pouvons  faire  moins  que  de  donner  ici  quelques 
lignes  sur  la  vie  de  ce  grand  Missionnaire,  pt  sur  les  cir- 
constances qui  ont  accompagné  sa  mort. 

NOTICE   BIOGRAPHIQUE. 
I 

Le  R.  P.  Reboul  est  né  dans  le  diocèse  de  Vivier?, 
département  de  TArdôche,  France,  d'une  famille  riche 
et  honorable.  11  a  fait  ses  études  classiques  au  petit 
séminaire  du  Bourg  St.  Andéol,  petite  ville  située  sur  les 
liords  du  Rhône.  Ses  connaissances  variéesetsûreb mon- 
traient qu'il  avait  dû  être  un  brillant  élève.  S'il  avait  eu 
dans  la  suite  de  sa  vie  le  temps  de  se  livrer  à  l'étade,  il 
aurait  pu  devenir  un  savant  de  premier  ordre.  Se  desti- 
nant à  l'état  ecclésiastique,  il  est  entré  au  grand  Séminai- 
re de  Viviers  pour  commencer  son  cours  de  théologie» 
Mais  il  fallait  a  une  âme  ardente  et  généreuse  comme  la 
sienne  un  vaste  champ.  Aussi  bientôt  il  demandait  et 
obtenait  son  admission  dans  la  congrégation  des  Oblats 
Marie  Immaculée.  Après  avoir  fait  son  noviciat  à  Nolr(>^ 
Dame  de  l'Osier,  diocèse  de  Grenoble,  et  avoir  terminé  ses 
études  théologîques,  il  recevait  l'ordre  de  la  priîtrise  di^s 


84 

mains  de  Monseigneur  de  Mazenod,  évèque  de  Marseille, 
fondateur  et  supérieur  général  dd  la  Congrégation  des 
Oblats.  C'était  au  commencement  de  Tannée  1852.  Peu 
de  temps  après  son  ordination,  le  R.  P.  Reboul  fut  envoyé 
daos  la  missiofn  du  Canada.  Le  district  d'Ottawa  a  eu  les 
préinices  de  6<m  ministère  ;  c'est  à  cette  époque  que  Mon- 
seigneur Guigue  fondait  ce  nouveau  diocèse.  Or,  Mgr. 
avait,  dans  la  personne  du  Père  Reboul,  un  intrépide  apôtre 
qu'il  envoyait  tantôt  dans  une  mission  et  tantôt  dans  une 
autre,  selon  les  besoins  des  âmes. 

Pendant  deux  étés  le  R.  P.  Reboul  a  accompagné  le  mis- 
sionnaire qui  faisait  la  mission  des  Sauvages  de  la  Baie 
d'Hudson. 

Pendant  les  mômes  années,  en  hiver,  il  faisait  ses  pre- 
mières armes  à  la  mission  des  chantiers  sous  la  conduite 
des  RR.  PP.  Brunet  et  Bourassa.  Quel  est  le  voyageur 
depuis  25  ans  qui  n'a  pas  connu  le  Père  Reboul  et  que  le 
Père  Reboul  n'a  pas  connu  ?  Le  bon  Père  était  dans  sa 
vingt-cinquième  campagne  quand  la  mort  est  venue  le 
frapper  comme  un  vaillant  soldat  sur  le  champ  de  bataille. 

Hors  le  temps  de  la  mission,  la  ville  d'Ottawa  était  le 
théâtre  de  son  zèle  ;  que  de  fois  on  le  vit  parcourir  les 
nombreuses  maisons  de  pension,  pour  voir  comment  se 
conduisaient  les  voyageurs,  leur  faire  des  recommanda- 
tions et,  au  temps  de  retraite,  les  pousser  devant  lui  dans 
les  rues,  comme  un  troupeau  de  dociles  agneau:^,  pour 
assister  au  sermon  de  la  cathédrale.  Au  moindre  bruit 
qu'il  entendait  il  s'élançait  de  l'évêché  et  se  jetait  au  mi- 
lieu des  disputes  et  batailles  pour  les  arrêter.  C'était  re- 
connu que  sa  présence  dans  ces  occasions  était  plus  efficace 
pour  le  rétablissement  de  l'ordre  qu'une  nombreuse  police. 
On  savait  aussi  qu'il  avait  un  bras  capable  de  séparer  les 
plus  terribles  combattants.  Dans  certaines  difficultés  de 
nationalités  et  de  religion,  il  a  épargné  à  la  ville  d'Ottawa, 
par  l'ascendant  de  sa  parole,  de  grandes  scènes  de  désordre. 
Dans  les  incendies  il  était  toujours  le  premier  rendu  sur  le 
lien  du  sinistre;  il  donnait  très  à  propos  des  ordres  qui 
ordinairement  étaient  bien  suivis  et  il  payait  bravement 
de  sa  personne. 


85 

II  n'avait  pas  reçu  de  la  nature  un  organe  bien  sonore, 
mais  par  son  style  poli,  correct,  sa  doctrine  bien  fournie 
d'écriture  sainte  et  des  traits  historiques,  il  se  faisait  écou- 
ter avec  intérêt.  Son  confessionnal  à  la  cathédrale,  par  la 
confiance  que  son  assiduité  au  poste  et  sa  miséricordieuse 
charité  inspiraient  à  tout  le  monde,  était  une  image  de  la 
grande  Pénitencerie  à  Rome. 

Mais  déjà  la  ville  d'Ottawa  ne  suffisait  pas  à  son  zèle. 
Dès  Tannée  1854,  il  commençait  à  évangéliser  les  quelques 
familles  établies  sur  la  rive  nord  de  la  rivière  près  des 
Chaudières.  On  peut  dire  que  le  nom  de  HuU  et  le  nom 
du  P.  Reboui  sont  encore  inséparables.  Si  maintenant 
cette  jeune  cité  peut  subir  une  honorable  comparaison  avec 
d'autres  villes  plus  anciennes,  elle  lui  doit  une  grande  partie 
de  son  accroissement  et  de  sa  prospérité.  Nul  autre  prêtre 
de  la  communauté  n'aurait  été  capable  de  décider  le  supé- 
rieur à  prendre  la  charge  d'énormes  dettes  pour  doter  Uull 
d'établissements  comme  ceux  qu'on  y  admire  aujourd'hui. 
On  ne  pouvait  rien  refuser  à  cette  persévérance  qui  semblait 
devenir  plus  vive,  plus  acharnée  selon  qu'elle  était  plus  re- 
butée. D'ailleurs  on  lui  reconnaissait  le  talent  de  faire 
faire  des  travaux  importants  avec  des  frais  relativement 
minimes.  Le  P.  Reboui  aimait  HuU  autant  qu'un  cœur 
bien  né  peut. aimer  la  patrie  qui  l'a  vu  naître.  Sans  respect 
humain  comme  sans  timidité,  il  parlait  et  il  agissait. 
Parfois  il  y  avait  une  grande  sévérité  de  paroles,  mais  en 
action,  c'était  l'homme  le  plus  compatissant  et  le  plus 
miséricordieux.  Ceux  qui  l'ont  connu  peuvent  dire  que 
àï  jamais  une  goutte  de  fiel  est  entrée  dans  son  cœur  elle 
en  est  sortie  aussitôt. 

Les  anglais  protestants,  avec  qui  il  a  eu  de  fréquents 
rapports,  lui  ont  toujours  témoigné  une  grande  estime  et 
on  pourrait  dire  de  l'amitié,  à  cause  de  sa  politesse,  de  sa 
loyauté  et  de  son  amour  pour  le  progrès  du  pays.  Ils 
doivent  le  regretter  sincèrement. 

Ce  bon  Père  avait  une  santé  incomparable  :  il  semblait 
devoir  parcourir  une  longue  et  heureuse  carrière,  mais  il 
lie  ménageait  pas  assez  cette  santé.  L'automne  dernier  il 
a  enduré  beaucoup  de  froid  en  surveillant  les  travaux  de 


86 

la  grande  et  belle  maison  d'école  qui  sera  le  dernier  monu- 
ment de  son  activité  et  de  son  zèle.  Dès  la  veille  de  Noel^ 
il  sentait  un  violent  mal  de  tôle  ;  cependant  le  départ  de  la 
mission  des  chantiers  approchait  et,  se  trouvant  mieux,  il 
voulut  partir  pour  les  bois,  accompagné  du  R.  P.  Amiot. 
Le  mal  de  tète  semblait  s'être  dissipé  au  grand  air  des 
forêts  et  des  lacs. 

SA   MORT   ET   LA   TRANSLATION   DE   SES   RESTES. 

Il 

Le  R.  P.  Reboul  était  parti  d'Ottawa  le  11  janvier  eiï 
compagnie  du  R.  P.  Amiot,  afiui  de  visiter  pour  la  25ème 
fois  ses  chers  chantiers  dispersés  au  coin  de  la  forêt  et  sta- 
tionnés pour  la  longue  saison  de  l'hiver  dans  les  nombreux 
chantiers  qui  leur  servent  de  modeste  résidence.    Cette 
mission  qui  devait  être  sa  dernière,  fut  témoin  de  son  zèle 
et  de  son  énergie  accoutumée  dans  cette  sorte  d'ouvrage  oii. 
tous  n'auraient  pas  pu  réussir,  mais  pour  lequel  Dieu  avait 
départi  au  vaillant    apôtre  des   qualités  exceptionnelles 
afin  d'entrainer  tous  ces  jeunes  gens  dont  il  était  le  père  de- 
puis si  longtemps  et  afin  de  les  amener  tous  à  l'accomplisse 
ment  de  leurs  devoirs  religieux,  au  point  que  sur  45  chan- 
tiers visités  par  lui  cet  hiver,  un  seul  homme  lui  a  résisté. 
Aussi  la  mission  des  chantiers  fait-elle  en  lui  une  perle  irré- 
parable. Le  R.  P.  Reboul  achevait  son  39me  chantier  sur  la 
Madawasca  quand  la  maladie  qui  Fa  emporté  si  tôt,  a  com. 
mencé  à  ruiner  ou  à  détruire  en  peu  de  jours  la  santé  la  plus 
forte  et  la  plus  robuste  que  l'on  connût. 

De  violents  maux  de  tête  accompagnés  d'une  grande- 
prostration  mentale  l'assaillirent  sans  le  décourager  et  sans 
l'arrêter  dans  la  mission  qu'il  voulait  achever  à  tout  prix- 
Tout  souflrant  qu'il  était,  il  franchit  les  mauvais  chemins 
qui  séparaient  la  Madawasca  de  la  Bonne  Chère,  visita  deux 
chantiers  sur  cette  rivière,  d'où  il  se  rendit  sur  la  Petawa- 
we,  où  il  fut  voir  encore  deux  chantiers  qui  furent  les  der- 
niers. Arrivé  aux  chantiers  de  Thistle,  Caswel  et  Francis- 
co, situé  sur  le  creek  Harriuey  qui  se  décharge  dans  le  lac 
de  Cèdres,  notre  cher  défunt  tomba  dans  un  état  alarmant 
0i  ne  fut  pas  capable  de  faire  la  mission.    Son  compagnon^. 


87 

lie  P.  Amiat,  le  remplaça.  C'était  un  mardi  soir,  le  27  février. 
«-Comme  on  le  voyait  si  malade,  si  faible,  si  souffrant,  on 
le  força  à  discontinuer  sa  chère  mission  et  comme  il  n'y 
avait  que  35  milles  du  chantier  à  Matawan  où  les  RR.  PP^ 
Oblats  ont  une  résidence  et  une  église,  il  fut  décidé  qu'on 
l'y  transporterait.    Le  mercredi  au  matin,  28  février,  le  R. 
P.  Reboul  laissait  son  dernier  chantier,  et  après  une  jour- 
née des  plus  rudes  à  cause  des  mauvais  chemins,  il  arrivait 
^le  soir  à  5^  heures  à  Matawan  où  il  fut  accueilli  à  bras  ou» 
verts  par  les  RR.  PP.  Poitras  et  Nédelec.    Vite  le  docteur 
Paré  de  Matawan  fut  appelé,  et  ayant  constaté  que  la  ma- 
ladie était  très  grave,  puisque  c'était  un  ramollissement  du 
cerveau,  il  ordonna  de  télégraphier  immédiatement  aux 
docteurs  Desloge  et  Dickson  de  Pembroke  pour  avoir  avec 
^ux  une  consultation  médicale  qui  ne  devait  pas  avoir  lieu 
et  que  la  mort  devait  prévenir.   En  effet,  le  jeudi  1er  mars, 
la  maladie  ne  faisait  qu'empirer  ;  on  crut  à  propos  de  s'oc- 
cuper de  rame  et  du  grand  voyage  du  pauvre  malade  : 
un  des  pères  qui  entouraient  son  lit  de  douleurs  lui  don- 
na les  derniers  sacrements.    Le  Bon  Dieu,  qui  veillait  sur 
son  bon  serviteur,  lui  avait  conservé,  jusques-là,  une  con- 
naissance qui  lui  était  encore  nécessaire,  mais  que  le  cher 
malade  perdit  aussitôt  après  pour  ne  plus  la  recouvrer.    H 
passa  le  restant  du  jeudi  dans  un  état  léthargique,  et  dans 
la  nuit  du  jeudi  au  vendredi  vers  minuit,  un  des  plus  an- 
ciens et  des  plus  zélés  prêtres  du  diocèse  d'Ottawa  rendait 
à  Dieu  sa  belle  âme  chargée  de  bonnes  œuvres  et  de  méri- 
tes, entre  les  bras  de  trois  de  ses  frères  en  religion,  qui  ne 
l'ont  pas  abandonné  jusqu'au  moment  suprême  et  dont  les 
noms  méritent  d'être  mentionnés  ici.    Ce  sont  les  RR.  PP» 
Poitras,  Nedelec  et  Amyot,  le  dernier  compagnon  d'armes 
et  le  dernier  témoin  de  cette  vie  sacerdotale  si  belle  et  si 
bien  remplie.    Le  R.  P.  Reboul  s'est  éteint  doucement 
avec  sa  croix,  son  scapulaire  sur  la  poitrine,  et  son   chape- 
let à  ses  côtés.    C'est  ici  le  cas  de  répéter  avec  le  royal 
Prophète  :    BienheurerMX  ceux  qui  meurent  dans  le  Seigneur. 
Aussitôt  que  le  R.  P.  Reboul  eut  rendu  le  dernier  sou* 
pir,  on  le  revêtit  de  la  soutane  et  on  l'exposa  dans  le  salon 
.du  presbytère  où  Hou'e  la  population  du  petit  village  da 


[ 


88 

Matawan  est  venue  successivement  s'agenouiller,  prier  et 
se  retremper  à  la  source  des  bons  exemples  laissés  par  ce 
bon  prêtre  qui  n'était  plus.    Le  mardi  matin,  un  service 
-  funèbre  solennel  était  chanté  dans  l'église  de  Matawaix 
pour  le  repos  de  son  âme,  et  à  10  heures  précises  le  corps 
'  était  dirigé  vers  Pembroke,  recevant  sur  tout  le  parcours 
des  100  milles  qui  séparent  Pembroke  de  Matawao,  des 
témoignages  d'estime,  de  sympathie  et  de  regrets.  Le  corps 
n'arriva  à  Pembroke  que  le  lendemain  dimanche  vers  8 
hrs.  du  soir.    Toute  la  paroisse  de  cette  jeune  et  int^- 
ressante  cité  avec  son  digne  curé  en  tête  et  M.  le  docteur 
Faure,  attendait  avec  impatience  l'arrivée  de  ces  restes  pré- 
cieux.   Un  Libéra  fut  chanté  aussitôt  dan»  l'église  et  le- 
lendemain  lundi  5  mars,  toute  la  population  se  pressait 
en  foule  pour  assister  à  un  service  funèbre,  où  M.  le  curé 
de  Pembroke  fit  en  français  et  en  anglais  l'éloge  du  regret- 
té défunt.    Après  le  service,  le  corps. laissait  Pembroke 
pour  HuU,  où  les  chars  arrivèrent  à  1.20  p.  m.    Toutes 
les  sociétés  et  le  clergé  de  Hull  s'étaient  rendus  à  l'avance 
à  la  station  du  Fiat   où  s'était  rendue   également  une 
foule  immense  de  citoyens  de  toutes  les  classes  et  de 
tous  les  quartiers  d'Ottawa  et  de  Hull.    A  1.20  le  sifflet 
des  chars  se  fait  entendre  et  quelques   instants  après, 
les  restes  mortels  du  K.  P.  Reboul  étaient  descendus  et  dé- 
posés non  pas  dans  un  chariot  funèbre,  mais  bien  plutôt 
dans  un  char  de  triomphe  qui  s'avançait  magestueusement 
à  travers  les  rangs  pressés  d'une  foule  immense  et  recueil- 
lie, que  précédait  la  bande  de  Hull,  dont  les  airs  funèbres- 
habilement  exécutés,  ajoutaient  considérablement  de  l'é- 
clat et.de  la  pompe  à  cette  longue  procession  funéraire  ;  on 
s'arrêta  devant  l'église  du  Fiat,  où  le  corps  fut  momenta- 
nément déposé  et  où  M.  Francœur  le  curé  du  Fiat  chanta 
un  Libella  solennel,  après  quoi  la  procession  forma  ses  ran^^s. 
la  musique  se  fit  de  nouveau  entendre,  le  corps  fut  repla- 
cé sur  le  char  triomphal  escorté  par  une  compagnie  de  vol- 
tigeurs et  par  les  diverses  sociétés  de  Hull  portant  dans  leurs 
mains  les  drapeaux  où  étaieîit  inscrits  les  noms  des  diver- 
ses places  et  missions  où  le  R.  P.  Reboul  avait  exercé  son 
2èle  el  son  ministère  snccrdotal. 


89 

A  mesure  que  la  procession  avançait,  la  foule  grossissait 
et  montait  jusque  sur  le  toit  des  maisons  pour  mieux  con- 
templer une  dernière  fois  les  dépouilles  mortelles  de  celui 
à  qui  HuU  doit  tout  ce  qui  fait  actuellement  sa  gloire  et  son 
orgueil,  la  magnifique  église  dont  les  cloches  pleurent  un 
trépas  si  prématuré,  son  vaste  presbytère»  et  cette  superbe 
école,  cette  dernière  imposante  œuvre  du  regretté  défunt 
dont  les  mains  ont  remué  chaque  pierre,  et  où  grâce  à  son  zè- 
le infatigable,  de  longue's  générations  d'enfants  iront  puiser 
une  éducation  solide,  une  éducation  religieuse,  chrétienne 
qui  en  fera  plus  tard  la  gloire,  l'espoir  de  la  religion  et 
de  la  patrie. 

Vers  2J  p.  n^  le  cortège  funèbre  envahissait  l'église  de 
Notre  Dame  de  Grâce  à  HuU,  un  Libéra  y  était  solennelle- 
ment chanté  ;  puis  les  portes  de  l'église  ayant  été  momen- 
tanément fermées,  on  transporta  le  corps  dans  la  sacristie 
où  uue  chapelle  ardente  avait  été  préparée.  Là  le  cercueil 
fut  ouvert  en  présehce  d'un  petit  nombre  de  personnes  ;  on 
craignait  de  ne  pouvoir  plus  reconnaître  les  traits  du  re- 
gretté défunt,  on  croyait  que  la  maladie,  que  la  mort,  que 
les  difficultés  d'une  longue  route  eussent  à  jamais  défiguré 
celui  qu'on  eût  tant  désiré  contempler  une  dernière  fois. 
Mais  quelle  ne  fut  pas  la  surprise  de  tous  quand,  le  cercueil 
ayant  été  ouvert,  on  trouva  le  corps  parfaitement  conservé 
dans  l'état  d'une  personne  doucement  endormie.  On  se 
hâta  de  le  revêtir  de  ses  habits  sacerdotaux,  de  Tamict,  de 
Taube,  du  cordon,  du  manipule,  de  l'étole,  de  la  chasuble, 
de  la  barrette  ;  on  lui  plaça  sa  croix  dans  les  mains;  on  le 
releva  dans  son  cercueil,  de  manière  à  ce  que  tout  le  mon- 
de pût  bien  le  voir  etle  contempler  une  dernière  fois.  Ou 
ouvrit  alors  les  portes  du  sanctuaire,  où  aussitôt  la  foule 
se  précipita  pour  contempler  et  pour  prier.  Depuis  cette 
heure  jusqu'à  l'inhumation,  le  cercueil  fut  entouré  de  cen- 
taines de  fidèles.  C'est  le  7  Marâ  qu'eurent  lieu  les  obsè- 
ques du  B.  P.  Reboul  :  si  on  excepte  les  funérailles  de 
Mgr.  Guignes  qui  furent  si  imposantes  il  y  a  deux  ans,  à 
Ottawais,  jamais  les  population  de  ce  pays  n'avait  rien 
vu  d'aussi  solennel  et  d'aussi  touchant. 

A  9|  heures,  les  cloches  faisaient  entendre  les  glas  funë- 


90 

bres,  et  on  voyait  les  rues  de  HuU  remplies  d'une  foule  de- 
peuple  qui  en  dépit  d'un  vent  glacial  soufflant  avec  violen- 
ce, accourait  vers  l'église.  Le  sanctuaire,  la  voûte,  les 
fenêtres  de  Téglise,  tout  était  orné  pour  la  triste  circons- 
tance, avec  beaucoup  de  goût.  La  levée  du  corps. a  été 
faite  par  le  R.  P.  Antoine,  Provincial  des  Oblats. 

Le  corps  a  été  déposé  sur  un  catafalque  élevé  au  milieu 
du  sanctuaire  et  environné  de  nombreuses  lumières. 
'  Un  chœur  nombreux  et  puissant  a  exécuté  dignement  les  - 
chants  de  la  liturgie  sacrée.  Après  la  messe  Monseigneur 
Duhamel  Evêque  d'Ottawa,  est  monté  en  chaire  pour  pro- 
noncer l'oraison  funèbre,  qui  a  été  regardée  par  tout  le 
inonde  comme  un  chef  d'œuvre  d'éloquence.*  Un  assistant 
disait  que  jamais  dans  sa  vie  il  n'avait  été  témoin  d'une 
pareille  explosion  de  sanglots,  et  d'un  pareil  déluge  de 
larmes. 

Le  corps  du  R.  P.  Reboul  a  été  inhunié  dans  la  chapelle 
du  Sacré  Cœur  de  Jésus,  en  sorte  que  les  fidèles  pourront 
facilement  venir  déposer  une  larme  et  offrir  une  prière  sur 
la  tombe  de  ce-lui  qui  fut  leur  ami,  leur  bienfaiteur  et  leur 
apôtre. 

Parmi  les  laïques  placés  sur  des  sièges  réservés,  étaient  les 
membres  du  conseil  municipal,  une  partie  des  membres  du 
baran  de  Hull,  les  commisaires  des  écoles  catholiques  de 
Hull,  dont  le  R.  P.  Reboul  était  le  président,  le  Révérend 
Johnson,  chapelain  du  Sénat  et  recteur  de  l'église  Anglicane 
de  Hull,  D.  Simon  Délude,  président  des  sociétés  St.  Joseph,, 
et  St.  Pierre,  dont  le  R.  P.  Reboul  était  le  chapelain,  les  doc- 
teurs Beau  din,Perras,Cook:  les  Sénateurs  Dumouchelet 
Girard  ;  Ch.  Wrigh  Marston,  Bélanger,  Champagne,  etc.  etc.^ 

Monsieur  Eddy,  a  fait  arrêter  toutes  ses  manufacture» 
tant  pour  permettre  aux  conducteurs  et  ouvriers  d'assister 
aux  funérailles  du  R.  P,  Reboul,  que  par  respect  pour  sa 
mémoire. 

Toutes  les  communautés  religieuses  d'Ottawa  et  de  Hull 
s^étaient  fait  un  devoir  d'assister  en  nombre  aux  funérailles 
du  R.  P.  Reboul. 

Requiescat  in  pace. 


St.  Georges,  Terreneuve,  10  février  1878- 
Au  Conseil  Central  de  l'Association  de  la  Propagation  de  la  Foi 

Messibuas, 

Je  vous  ai  fait  connaître,  il  y  a  à  peu  près  deux  ans,  le» 
-commencements  et  les  progrès  de  notre  sainte  religion  dans 
cette  partie  de  la  Préfecture  Apostolique,  confiée  à  mes 
soins,  et  comprise  entre  les  bornes  de  la  Baie  St.  Georges 
et  la  Vallée  Codroy. 

Dans  ce  rapport,  j'ai  montré  comment,  il  y  a  à  peu  près 
90  ans,  le  catholicisme  y  a  été  implanté  par  une  seule  far- 
mille  de  Canadiens-français  ;  comment,  malgré  qu'ils  aient 
été  laissés  sans  les  secours  des  ministres  de  la  religion, 
sauf  en  quelques  occasions  extrêmement  rares,  ils  sont 
restés  attachés  à  la  foi  de  leurs  ancêtres  ;  et  comment  aussi, 
par  l'arrivée  de  nouveaux  membres, quelques-uns  de  Fran- 
ce, d'autres  de  différentes  parties  du  Cap-Breton,  de  la 
Nouvelle-Ecosse,  principalement  d'origine  Acadienne-fran- 
çaise,  et  tout  récemment  des  Montagnes  d'Ecosse,  ils  ee 
sont  accrus  jusqu'au  nombre  de  3,000. 

Le  territoire  de  la  Baie  St.  Georges  et  de  la  Vallée  Cod- 
roy est  situé  entre  le  47o  36  minutes  et  48^  47  minutes, 
latitude  nord,  et  entre  le  58o  11  minutes  et  59<>  35  minutes 
longitude  ouest. 

Ce  territoire  est,  par  conséquent,  de  plus  de  80  milles  du 
nord  au  sud,  et  environ  50  milles  de  l'est  à  l'ouest,  compre- 
nant un  territoire  qui,  au  point  de  vue  des  ressources  na- 
turelles, surtout  des  minéraux  (1),  est  inférieur  à  peu  de 
places,  si  toutefois  de  l'Atlantique  aux  Montagnes  Bocheu- 
ses  il  s'en  trouve  qui  le  surpasse.  A  cela  ajoutez  un  climat 
très  salubre  et  un  sol  fertile  (2)  outre  les  pêcheries  si  con- 

(1)  Les  minéraux  de  ce  district  sont  principalement:  le  charbcm»  le 
.fer,  le  cuivre,  le  plomb,  l'argent,  le  nickel,  et  d'inépuisables  couches  de 

pierre  à  chaux  et  à  pldtre. 

(2)  Nous  ne  sommes  nullement  exposés  aux  froids  rigoureux  du  Gi* 
nada  en  hiver,  puisque  le  thermomètre  descend  rarement  à  zéro.  Nous 
ne  souffrons  pas  non  plus  de  chaleurs  excessives  eo  été,  encore  moins 
sommes-nous  incommodés  par  les  brumes  et  les  brouillards  si  fMqnents 

•sur  les  bords  de  T^eéan  Atlantique. 


92 

nues,  et  vous  pourrez  couclure  combien  important  ce  dis^ 
trict  deviendra  quand  une  fois  Téirange  mésintelligence 
entre  la  France  et  l'Angleterre  touchant  les  droits  de  pêche, 
sera  réglée,  ce  qui  arrivera  probablement  bientôt 

Ce  dernier  district  possède  déjà,  pour  les  fins  du  minis- 
tère pastoral,  6  églises  et  chapelles.  Douze  écoles  sont 
nécessaires  pour  le  présent. 

Je  veux  vous  entretenir  dans  cette  lettre  de  deux  autres 
localités  à  peine  mentionnées  dans  mon  deruier  rapport, 
savoir  :  la  Baie  des  Iles  et  la  Bonne-Baie. 

Ces  deux  baies  sont  situées  comme  suit  :  la  première  se 
trouve  placée  entre  le  48o  52  minutes  et  49»  14  minutes, 
latitude  nord,  et  entre  le  57o  38  minutes  et  58^  24  minutes 
longitude  ouest,  étant  environ  à  60  milles  au  nord  de  la 
baie  St.  Georges.  La  baie  des  Iles  consiste  en  un  bassin 
carré,  d*à  peu  près  200  milles  en  superficie,  rempli  d'un 
grand  nombre  d'îles,  d'où  les  Français  lui  ont  donné  le 
nom  de  Baie  des  Iles.  Cette  partie  du  pays,  avec  toutes 
ses  îles,  est  peu  habitée,  à  cause  du  sol  raboteux  qui  l'en- 
toure (1)  et  de  l'immense  profondeur  de  l'eau  qui  est  de  80 
à  140  brasses.  De  ce  bassin  s'étendent  trois  larges  bras,  péné- 
trant au  loin  dans  l'intérieur  et  dans  des  directions  différen- 
tes. Le  principal  est  le  Humber-Sound,  long  de  18  à  20  milles, 
et  ayant  au  moins  deux  milles  de  largeur.  Ce  spleudide 
estuaire  formerait  un  havre  capable  de  contenir  la  plus 
grande  flotte  du  monde  ;  mais  comme  sa  profondeur  est  à 
peu  près  celle  de  la  baie,  il  est  difficile  d'y  jeter  l'ancrej  si 
ce  n'est  près  du  rivage.  Cette  baie  si  profonde,  avec  ses 
bras  considérables,  semble  avoir  été  formée  par  la  nature 
pour  une  fin  bien  importante.  Les  grands  bancs  de  harengs 
qui  se  pressent  autour  de  la  côte  du  Labrador  dans  les 
mois  d'automne»  comme  l'on  sait,  semblent,  par  une  sage 
disposition  de  la  Providence,  prendre  leurs  quartiers  d'hiver 
dans  ces  profondes,  mais  paisibles  eaux.   De  là  se  pratique 

(l)  Quelques-ODS  des  caps,  étant  rextrémité  des  rangées  de  montagnes 
qui  se  terminent  dans  cette  baie»  sont  de  1,400  à  2,000  pieds  de  hauteur, 
s'élevant  presque  perpendiculairement  de  la  surface  de  Teau,  ce  qui 
rend  le  paysage  avoisinant  tellement  pittoresque  qu'on  n*en  rencontre  de 
semblables  que  dans  les  hautes  latitudes  septentrionales: 


93 

Ici  un  mode  de  pêche  inconnu,  je  pense,  dans  toute  autre- 
partie  du  monde. 

PÊCHE  A   TRAVERS  LA   GLACE. 

Quand  l'hiver  commence,  et  que  cette  baie  est  toute 
glaoée,  ce  qui  arrive  généralement  au  mois  de  janvier,  les 
pêcheurs  entreprennent  la  pêche  d'hiver-  Voici  comment 
ils  procèdent  :  Plusieurs  ouvertures  de  deux  pieds  carrés 
à  peu  près,  sont  faites  dans  la  glace  en  droite  ligne,  une 
perche  d'environ  vingt  pieds  de  longueur  est  attachée  au 
hont  du  filet,  la  perche  ainsi  attachée  est  enfoncée  dans  la 
première  ouverture  et  dirigée  vers  la  suivante,  puis  vers  la 
troisième  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la  dernière  qui  corres- 
pond à  la  longueur  du  filet.  Un  bout  de  la  corde  est 
attaché  à  la  dernière  ouverture,  l'autre  restajat  attaché  à 
la  première  ;  entre  celles-ci  le  filet  se  trouve  suspendu  et 
enfoncé  à  une  distance  quelconque  dans  Tipimense  pro- 
fondeur où  l'on  suppose  que  le  poisson  s'est  retiré,  et  laissé 
ainsi  ime  nuit  entière  ;  le  lendemain,  le  filet  est  retiré  par 
une  des  ouvertures  ;  ce  qui  vaut  la  peine  d'être  vu.  Quel- 
quefois le  filet  est  aussi  gros  qu'un  tierçon  par  la  quantité 
de  poissons  pris  de  cette  manière  ;  le  pauvre  poisson  est 
secaué  du  filet  et  laissé  à  se  débattre  sur  la  glace,  pendant 
qu'on  le  met  en  barils  ou  dans  des  bottes  pour  être  trans- 
porté ensuite,  au  moyen  de  traîneaux,  dans  les  dépôts-où 
on  le  sale  de  diverses  manières. 

La  quantité  de  poisson  prise  dane  ces  baies  est  énorme. 
Le  poisson  entre  quelquefois  dans  la  baie  vers  la  fin  d'oc- 
tobre, à  cette  époque  on  le  prend  de  la  manière  ordinaire^ 
c'est-à-dire,  au  moyen  de  filets  et  de  seines. 

Les  vaisseaux  de  pêche  et  de  commerce  viennent  de 
difTérents  ports  de  la  Nouvelle  Angleterre,  du  Nouveau- 
f  runswick;  de  la  Nouvelle  Ecosse  et  de  l'Ile  du  Prince- 
Edouard.  Quelques-uns  pour  pêcher  eux-mêmes,  mais  le 
plus  grand  nombre  achètent  leur  cargaison  des  habitants 
de  la  place,  leur  donnant  en  échange  toutes  sortes  de  pro- 
visioi»  de  bouche  et  de  marchandises  sèches.  Les  pécheurs 
préfèrent  en  règle  générale  ce  trafic  au  paiement  en  ai- 
gent,  car  ils  se  procurent  plus  facilement  ainsi  leurs  provi- 
sions d'hiver. 


94 

Gomme  il  n'y  a  point  d'officier  du  gouvernement  pour 
X)rendre  connaissance  de  ces  exportations^  il  n'est  pas  facile 
de  donner  ici  un  compte  exact  de  la  quantité  de  poisson 
ainsi  exportée,  je  ne  crois  pas  me  tromper  en  l'évaluant  à 
une  moyenne  de  40  à  50,000  barils  par  année. 

L'année  dernière,  j'ai  chargé  quelques  personnes  de  mar- 
quer ce  qui  a  été  expédié  d'une  autre  baie,  beaucoup  plus 
petite,  située  à  30  milles  au  Nord  de  la  Baie  dés  Iles,  savoir, 
Bonne-Baie,  et  je  trouve  que  depuis  la  première  apparition 
des  pécheurs  en  octobre  jusqu'à  décembre,  les  exportations 
furent  de  50,000  barils,  et  on  continua  à  le  prendre  en 
aussi  grande  quantité  jusqu'au  mois  de  mai  ;  de  décembre 
à  avril,  il  va  sans  dire,  on  le  prend  à  travers  la  glace. 

Nos  gens  ici  prennent  absolument  tout  ce  qu'il  leur  en 
faut.  Nos  marchands  en  ont  autant  que  leurs  magasins 
peuvent  en  contenir,  leurs  hangards  et  caves  étant  complè- 
tement remplis,  et  cependant  nous  ne  sommes  encore  qu'au 
milieu  de  l'hiver.  Heureusement  que  deux  vaisseaux  ap- 
partenant à  la  maison  de  commerce  de  A.  &  M.  Pétrie,  de 
Sligo,  en  Irlande,  ont  été  retenus  ici  cet  hiver  par  les  vents 
contraires  ;  ils  donneront  de  la  place  pour  pouvoir  emma- 
gasiner quelques  4,000  barils  de  poisson  qui  autrement 
auraient  été  laissés  dans  l'eau,  ou,  s'ils  eussent  été  pris, 
auraient  été  perdus. 

Cette  maison  de  commerce  possède  quatre  navires  em- 
ployés, chaque  été,  au  commercede  poisson  et  de  bois.  On 
compte  qu'il  y  aura  au  moins  20,000  barils  de  hareng  ex- 
pédiés à  la  première  navigation,  outre  de  grandes  quantités 
de  bois  carré  et  scié.  Il  est  fort  à  regretter  qu'il  n'y  ait  point 
de  moyens  de  communication  avec  ces  baies  dans  la  saison 
de  l'hiver.  Le  havre  de  La-Poile,  ouvert  à  la  navigation 
pendant  tout  l'hiver,  n*est  qu'à  80  ou  90  milles  de  cette 
baie.  Avec  de  bons  chemins,  des  centaines  dô  barils  pourw 
raient  être  envoyés  tous  les  jours  à  ce  port,  d'où  ils  pour- 
raient atteindre  en  moins  d'un  jour  le  terminus  Est  du 
<5hemin  de  fer  de  la  Nouvelle-Ecosse,  White-Haven,  ou 
tout  autre  port  choisi.  On  pourrait  les  transporter  sur  les 
marchés  de  New-York,  Boston,  de  Québec  et  de  Montréal, 
dans  l'espace  de  40  à  50  heures,  en  un  mot,  dans  toutes  les 


95 

Tilles  importantes  des  Etats  Unis,  de  l'Est  et  du  Centre,  et 
du  Canada. 

Quel  avantage  pour  ces  grandes  cités  d'avoir  à  leur  portée 
un  aliment  si  délicieux  parfaitement  frais  1  le  hareng  si' 
apprécié  du  Labrador.    Que  ce  poisson  aurait  de  valeur 
sur  un  tel  marché,  tandis  que  maintenant  il  ne  se  vend 
quelquefois  qu'une  livre  de  thé  ou  de  tabac  le  baril. 

La  pêche,  généralement  parlant,  est  une  occupation  bien 
précaire  au  moins  pour  le  pécheur,  car  il  est  exposé  au 
caprice  du  poisson  qui  semble,  par  un  instinct  de  conser- 
vation, fuir  pour  quelque  temps  les  endroits  où  on  le  prend 
en  très-grande  quantité,  pour  y  revenir  ensuite,  quand  il 
croit  avoir  détourné  l'attention  du  pêcheur. 

A  cette  règle  générale,  il  semble  y  avoir  une  exception 
par  rapport  à  la  pêche  au  hareng  dans  cette  Baie  des  Iles, 
Terreneuve  ;  en  voici  la  raison  qui  semble  bien  claire. 
Aussi  longtemps  que  ces  immenses  bancs  de  harengs  fré> 
queuteront  les  côtes  du  Labrador,  il  n'y  a  point  de  doute 
que  la  quantité  en  sera  abondante  dans  cette  baie,  que  la 
nature  semble  avoir  destinée  à  être  leur  quartier  d'hiver 
Sur  à  peu  près  300  milles  de  la  côte  ouest  de  Terreneuve, 
oa  ne  rencontre  que  ces  trois  baies,  savoir  :  Bonne-Baie^ 
Baie  des  Isles  et  Port-au-Port-Baie.  Le  golfe  ne  semble  pas 
donner  à  ce  poisson  la  protection  dont  il  a  besoin  contre 
les  orages  et  tempêtes  d'automne  particuliers  à  cet  endroit  ; 
de  là  la  nécessité  pour  le  poisson  de  se  réfugier  dans  les 
eaux  tranquilles  de  la  Baie  des  Iles  ;  de  là  aussi  le  fait  re- 
marquable que,  pendant  que  les  autres  lieux  de  pêches  sont 
abandonnés  et  ensuite  fréquentés,  de  nouveau  par  le 
poisson,  cette  baie  n'en  manque  jamais.  Que  cette  baie  est 
pendant  l'hiver  le  lieu  de  rendez-vous  du  hareng  du 
Labrador,  en  voici  la  preuve  bien  claire.  Il  ne  se  montre 
jamais  ici  qu'après  de  gros  orages  du  nord-est,  et  alors,  oa 
le  voit  dans  le  golfe  remonter  la  côte  par  bancs. 

CONDITION  RELIGIEUSE. 

Ayant  parlé  longuement  de  l'état  physique  et  industriel 
de  la  Préfecture  Apostolique  de  Terre-Neuve,  je  dois  main- 
tenant vous  dire  quelques  mots  sur  la  condition  de  la  reli- 
gion dans  cette  même  Préfecture. 


96 

La  première  tige  du  catholicisme  dans  cette  contrée,  fut 
plantée  par  un  membre  de  la  première  famille  catholiqpie 
de  la  Baie  St.  Georges  qui  est  venu  ici,  il  y  a  une  trentaine 
d'années. 

Ce  n'était  en  réalité  qu'une  seule  personne,  une  femme 
qui  se  maria  à  un  Anglais  dont  elle  procura  l'entrée  dan» 
la  vraie  Eglise  avec  la  nombreuse  famille  qu'ils  élevèrent, 
dès  que  cette  localité  fut  visitée  par  un  prêtre  ayant  juris- 
diction  directe.  (1) 

11  y  a,  à  peu  près  12  ou  15  années,  quelques  autres  familles 
suivirent  bientôt  ;  quelques  jeunes  aventuriers  de  la  Nou- 
velle-Ecosse se  joignirent  à  eux,  ils  se  marièrent  dans  des 
familles  anglaises,  mais  aussitôt  que  le  premier  prôtre 
visita  cette  place,  ces  femmes  furent  reçues  dans  l'Eglise 
catholique,  leurs  mariages  furent  bénis,  et  leurs  enfants 
baptisés. 

La  Baie  des  Iles  fut  visitée  pour  la  première  fois  en  ' 
1863  par  un  missionnaire,  ce  fut  le  Très-Révérend  Alexis 
Bellanger.  Il  était  depuis  quelques  années  curé  de  la  Baie 
St.  George,  mais  comme  il  n'y  avait  presque  aucun  moyen 
de  communication  entre  ces  deux  places,  que  le  voyage  était 
long,  ennuyeux,  et  que  ses  occupations  étaient  très  nom- 
breuses dans  sa  mission,  il  ne  put  y  retourner  qu'en  1 868.  Il 
est  étonnant  de  voir  combien  ce  missionnaire  a  dû  travailler 
à  la  dernière  visit3  surtout,  en  consultant  le  registre  de 
paroisse  qu'il  a  laissé  dans  cet  endroit  ;  mais  c'était  la  der- 
nière moisson  que  Dieu  demandait  de  ce  bon  et  âdèle  ser- 
viteur. La  fatigue  et  la  misère  endurées  dans  cette  course 
pastorale  épuisèrent  tellement  ses  forces,  qu'il  ne  survécut 
que  quelques  jours  après  son  retour  à  sa  résidence  ordi- 
naire. 

Le  Révérend  A.  Bellanger  fut  très-bien  reçu  par  ces  pan* 
vres  gens,  suivant  leurs  moyens,  spécialement  par  un  M. 
Petipas,  marchand  de  cet  endroit,  qui  lui  donna  l'hospi- 
talité dans  sa  propre  maison,  tandis  qu'il  mettait  à  sa  dis- 


(I)  Je  fais  cette  distinctiouj  parce  que  en  piusieurs  occasions  cett» 
baie  fui  visitée  par  les  Chapelains  de  la  flotte  Française.  Cette  pau^rre 
femme  ne  manqua  pas  de  profiter  de  leurs  visites  pour  faire  baptiser 
ses  enfants. 


97 

position  le  magasin  y  attenant  pour  servir  de  chapelle  ; 
mais,  dans  quelques  autres  parties  de  cette  baie,  il  fut  obligé 
parfois  de  loger  dans  nne  petite  cabane  à  poisson  sur  le 
rivage  ;  il  y  passa  plusieurs  jours,  le  pauvre  peuple  accou- 
rant  de  difTérenls  endroits  pour  le  voir.  11  était  si  épuisé 
par  le  travail  qu'on  dit  l'avoir  souvent  vu  obligé  de  dis- 
continuer les  cérémonies  du  baptême  à  quelques  enfants, 
pour  aller  s'étendre  sur  son  humble  grabat,  jusqu'à  ce 
qu'il  recouvrît  assez  de  force  pour  pouvoir  reprendre  son 
saint  ministère. 

Tel  était  l'état  de  ce  pauvre  missionnaire  lorsqu'il  dut 
entreprendre  le  voyage  de  retour  à  sa  résidence,  distance 
de  cent  milles,  renfermé  dans  la  misérable  cabine  d'une 
vieille  goélette  employée  au  commerce  du  poisson. 

C'est  ainsi  que  cet  énergique  missionnaire  sacrifia  sa  vie 
en  travaillant  à  la  Vigne  de  son  Divin  Maître.  Il  ne  vécut 
encore  que  quatre  ou  cinq  jours  après  son  retour.  Il  y  a 
tout  lieu  d'espérer  qu'il  jouit  maintenant  de  la  récompense 
que  de  si  grands  sacrifices  lui  ont  méritée.  On  ne  peut 
attribuer  à  la  mauvaise  volonté  de  ces  pauvres  gens  la 
misère  que  le  Révérend  Alexis  Bellanger  eut  à  endurer,  car 
ils  firent  de  leur  mieux,  mais  les  moyens  leur  manquaient 
alors  pour  pouvoir  lui  procurer  les  soins  que  Pétat  de  sa 
santé  demandait. 

Après  la  mort  de  ce  missionnaire  dévoué,  ses  pauvres 
paroissiens  ne  crurent  pas  convenable  d'enterrer  eux-mêmes 
ses  restes  mortels,  et,  comme  il  n'y  avait  aucune  possibilité 
de  se  procurer  un  prêtre,  le  plus  rapproché  se  trouvant  à 
quelques  centaines  de  milles,  ils  prirent  la  résolution  de 
lôs  transporter  à  Québec,  son  diocèse  natal,  à  600  milles  de 
distance  ;  pour  cela,  ils  frétèrent  un  vaisseau,  et  quatre 
d'entre  eux  s'offrirent  pour  accompagner  jusqu'à  Québec 
les  refites  vénérés  de  cet  homme  de  Dieu.  Il  fut  inhumé 
dans  la  magnifique  église  de  St.  Roch  des  Aulnets,  en  bas 
de  Québeb,  sa  paraisse  natale. 

Sa  Grandeur  Mgr.  MuUock,  Evâque  de  St.  Jean,  ayant 
appris  cette  nouvelle,  se  rendit  aussitôt  auprès  de  l'Evôqae 
d^Ariotiat,  afin  de  demander  un  missionnaire  qui  pût  le 
remplacer,  mais  n'en  ayant  pu  obtenir,  il  monta  à  Québec 


98 

t 

OÙ  il  n'eut  pas  plus  de  succès,  TArchevôque  de  Québec 
n'ayant  aucun  prêtre  disponible  à  envoyer  dans  ces  mis^ 
siens  lointaines. 

Comme  il  s'en  retournait  bien  découragé,  le  bon  Evêque 
reçut  à  Halifax  une  requête  des  catholiques  délaissés  de  la 
Baie  St.  George,  le  plus  grand  nombre  desquels  était  venu 
du  diocèse  d'Ârichat,  demandant  à  TEvêque  MuUock  de 
supplier  PEvôque  McKinnan  d'Arichat  de  leur  envoyer 
un  prêtre.  Cette  requête  était  écrite  dans  les  termes 
les  plus  touchants,  et  exprimait  vivement  la  désolation  de 
toute  cette  partie  de  Terreneuve  laissée  sans  pasteur.  Le- 
compatissant  Evêque  McKinnan  en  fut  si  ému  qu'il  l'en- 
voya à  celui  qui  écrit  ces  lignes,  alors  curé  de  Port  Mul- 
grave,  dans  le  détroit  de  Canso,  tout  en  lui  demandant  s'il 
aurait  assez  de  courage  et  de  désintéressement  pour  se 
charger  de  cette  mission  lointaine,  l'espace  de  neuf  mois. 
La  saison  était  avancée,  c'était  à  la  fin  d'octobre,  mais  la 
Providence  qui  conduit  tout,  fit  qu'un  vaisseau  se  préparait 
à  l'heure  même  à  aller  chercher  une  charge  de  poissoa 
dans  cette  partie  de  Terreneuve.  De  sorte  que  cinq  jours 
après  qu'on  eût  fait  cette  proposition,  le  missionnaire  était 
à  bord  du  vaisseau  et  en  route  pour  le  nouveau  théâtre  de 
ses  futurs  travaux.  Ceux  qui  avaient  présenté  la  requête 
n'eurent  pas  la  consolation  d'avoir  le  prêtre  résidant  au 
milieu  d'eux,  car  ma  lettre  de  mission  reçue  de  l'Evêque 
le  destinait  à  un  endroit  de  100  milles  plus  éloignés. 

Comme  si  la  Providence  eût  voulu  encourager  ce  projet^ 
le  vaisseau  arriva  deux  jours  après  avoir  quitté  le  port, 
ayant  parcouru  300  milles  dans  le  court  espace  de  quarante 
heures,  avec  une  vitesse  presque  égale  à  celle  d'un  bateau 
à  vapeur. 

Qhelle  impression  la  vue  d'un  pays  si  montagneux  et 
raboteux  ne  fit-elle  point  sur  l'esprit  de  ce  nouveau  mission- 
naire, ce  Humbér  étant  une  vallée  placée  entre  deux  chaî- 
nes de  Montagnes,  s'élevant  jusques  aux  nues  ;  la  première- 
impression,  qui  dura  plusieurs  jours,  e^  quelque  chose  de 
semblable  à  ce  qu'on  éprouve  lorsqu'on  est  enfermé  dans- 
un  cachot.  Mais  le  brouhaixa  et  le  mouvement  de  la  saisoa 
des  travaux,  par  dessus  tout,  le  travail  considérable  qull 


99 

-avait  à  faire  pour  le  salut  de  ces  âmes  racheiées  par  le 
Sang  Précieux  du  Sauveur,  lui  fit  bientôt  oublier  son  iso- 
lement, et,  Dieu  en  soit  béni,  il  en  a  toujours  été  de  même 
depuis. 

Quoique  arrivé  à  la  Baie  des  Iles  le  2  novembre,  il  ne 
put  néanmoins  se  rendre  à  la  Baie  St.  Georges,  ancien  domi- 
cile du  Révérend  A.  Bellangër,  et  qui  devait  être  le  lieu  de 
sa  résidence,  que  vers  le  14  décembre.  Ce  n'était  pas  chose 
facile  que  d'entreprendre  un  tel  voyage,  surtout  dans  la 
saison  si  rigoureuse  de  décembre.  Il  rencontra  sur  son 
chemin  des  postes  qui  n'avaient  encore  jamais  été  foulé 
par  les  pieds  du, missionnaire. 

Inutile  de  m'étendre  davantage  sur  les  travaux,  les  priva- 
tions et  les  innombrables  dangers  bravés  par  ce  missionnaire 
chaque  année,  lorsqu'il  est  obligé  soit  de  venir  ou  d'aller 
entre  les  deux  plus  importantes  stations  de  la  Préfecture.  Il 
a  certainement  échappé  d'une  manière  providentielle  à  bien 
des  périls,  mais  plus  spécialement  quand,  le  25  novembre 
1872,  il  laissa  la  Baie  des  Iles  pour  se  rendre  à  St.  Georges  sur 
un  vaisseau  Américain.  La  môme  nuit  ils  furent  assaillis 
par  une  violente  tempête,  le  vaisseau  surchargé  d'une  car- 
gaison de  poisson,  faillit  être  submergé  par  les  vagues  qui 
passèrent  et  repassèrent  sur  le  pont  et  firent  couler  une 
grt^nde  quantité  d'eau  dans  la  cabine  où  le  pauvre  mission- 
naire demeura  seul  sans  que  personne  pût  l'approcher 
•d'assez  près  pour  lui  donner  un  verre  d'eau  douce,  depuis 
lundi  soir  jusqu'à  mercredi  midi,  alors  que  la  tempête 
s'apaisa  un  peu.  Le  jour  suivant,  le  missionnaire,  étant  le 
seul  qui  connftt  bien  les  différents  ports  qu'il  fallait  visiter, 
prit  en  main  le  commandement  du  vaisseau,  et  le  pilota 
jusqu'au  Port-au-Port,  la  seule  place  qu'il  put  trouver  pour 
metti^  pied  à  terré  et  de  là  regagner  ses  missions. 

Le  vaisseau  demeura  dans  ce  port  jusqu'au  lendemain. 
On  s'occupa  de  réparer  le  gouvernail  qui  avait  été  brisé  le 
premier  soir  de  la  tempête  et  à  se  remettre  des  fatigues  du 
voyage.  Le  temps  libre  se  passa  agréablement  en  propos 
joyeux  et  en  excursions.  Lorsque  l'heure  du  départ  sonna, 
chacun  fit  ses  adieux  au  missionnaire  qui  se  trouvait  encore 
à  trente  milles  de  sa  résidence  et  on  se  mit  en  route  ;  mais 


100 

00  croit  généralement  que  ces  pauvres  gens  périrent  tous 
dans  une  tempête  qui  s'éleva  cette  nuit-là  même,  car  il» 
n'ont  jamais  été  revus  depuis  !  !  I 

Tels  sont  les  dangers  auxquels  est  exposé  le  miesionnaire 
dans  ces  vastes  régions  où  il  n'y  a  ni  cheminsi  ni  sentiers, 
et  où,  pour  se  rendre  aux  différents  établissements,  il  lui 
faut  se  servir  des  vaisseaux  qu'il  trouve  par  hasard  d'une 
place  à  l'autre. 

Je  dois  maintenant  vous  parler  des  résultats  obtenus  par 
les  missionnaires  dans  cette  partie  de  la  vigne  du  Seigneur 
qui  est  confiée  à  leurs  soins. 

Cette  Baie  des  Iles  contient  en  ce  moment  environ  sept 
mille  catholiques,  fidèles  et  constants  dans  leur  foi.  Parmi 
eux  plusieurs  ont  abjuré  le  protestantisme  pour  se  faire, 
catholiques,  et  sont,  comme  toujours,  des  plus  fervents. 
Deux  belles  églises  ont  été  construites,  une  d'elles,  lors* 
qu'elle  sera  complètement  terminée,  ne  sera  pas  surpassée, 
en  ce  qui  regarde  l'architecture,  par  aucun  édifice  des 
colonies  environnantes.  Uutre  cela,  trois  ou  quatre  mai- 
sons sont  en  construction*  pour  servir  d'écoles  paroissiales. 

BONNE  BAIE. 

• 

Une  autre  baie  située  à  environ  60  milles  nord  de  celle- 
ci,  possède  une  beUe  chapelle  qui  sera  bientôt  terminée. 
D'après  le  recensement  de  1868,  les  catholiques  de  cette 
baie  étaient  au  nombre  de  6.  Je  fis  ma  première  visite  ea 
cet  endroit  en  Mai  1872,  quatre  ans  plus  tard.  Et  pendant 
ce  laps  de  temps  le  nombre  des  catholiques  s'était  élevé  à 
environ  136  âmes  ou  plus  de  trente  familles.  Depuis  cette 
époque,  ils  ont  été  visités  assez  régulièrement,  quelquefois 
même  deux  ou  trois  fois  par  année  ;  ce  qui  les  a  encoura- 
gés à  construire  la  jolie  chapelle  ci-dessus  mentionnée. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  le  missionnaire  catholique  n'a 
pas  toujours  le  moyen  de  se  procurer  une  embarcation  pour 
faire  la  visite  pastorale  des  différents  ports  et  baies  qui  se  trou- 
vent le  long  de  cette  immense  région,  et  bien  des  fois^  mal- 
gré son  zèle,  il  se  trouve  obligé  de  différer  des  visites  tou- 
•  ;  jours  bien  importantes  pour  le  bien  spirituel  des  âmes.  J'ai 
pu  néanmoins,  grâce  à  une  faveur  du  Gouvernement,  me 


•  • 


101 

procurer,  cette  année,  un  paquebot  et  me  rendre  jusqu*à 
Bonne  Baie.  Ce  fut  un  véritable  bonheur  pour  les  habitants 
de  cet  endroit  qui  se  sont  toujours  fait  remarquer  parleur 
esprit  de  foi  et  de  piété. 

J'arrivai  là  vers  quatre  heures  P.  M.  le  20  Mai  1872  ; 
mais  je  ne  pus  faire  que  bien  peu  de  chose  ce  jour-là  ; 
l'ezcès  de  fatigues  m'empêcha  de  me  mettre  à  Tœuvre.  Le 
navire  devait  partir  de  bonne  heure  le  jour  suivant,  mais 
le  capitaine  eut  la  bonté  de  me  promettre  qu'il  m'attendrait 
jusqu'à  ce  que  la  besogne  fût  terminée.  Je  me  mis  à 
l'œuvre  de  grand  matin  et  la  moisson  fut  grande.  La  plu- 
part se  confessèrent  ;  je  baptisai  un  grand  nombre  d'en- 
fants et  bénis  plusieurs  mariages.  Qu'il  suilise  de  dire  que 
le  conducteur  du  navire  était  à  bout  de  patience,  et  les 
fatigues  du  missionnaire  telles  qu'elles  ne  lui  furent  pas 
faciles  à  oublier.  Mais  la  consolation  de  pouvoir  faire  le  bien 
à  ces  pauvres  âmes  rachetées  par  le  sang  de  Jésus  Christ,  et 
de  travailler  ainsi  à  la  gloire  de  Dieu  dans  un  endroit  où  la 
parole  de  Dieu  n'avait  pas  encore  été  entendue,  l'emportait 
encQre  sur  les  fatigues,  et  je  me  sentais  heureux. 

Cette  Bonne  Baie  est  située  à  20  milles  nord  de  la  princi- 
pale résidence  du  missionnaire,  il  y  a  encore  maintenant 
quelques-uns  de  nos  catholiques,  pauvres  pécheurs,  disper- 
sés ça  et  là  tout  le  long  de  la  côte  dans  la  direction  du 
Labrador.  Le  territoire  de  la  préfecture  s'étend  encore  à 
130  milles  plus  au  Nord  ;  Mais  les  travaux  immenses  entre- 
pris dans  les  différents  postes  dont  j'ai  déjà  parlé,  le  défaut 
de  communication  et  le  manque  de  ressource  m'avaient 
empêché  jusqu'ici  de  les  visiter  et  ce  n'est  que  l'année  der- 
nière, que  j'ai  pu  envoyer  un  missionnaire,  le  Rév.  Père 
Guillaume,  porter  les  consolations  spirituelles  à  ces  pauvres 
délaissés. 

Je  vous  parlerai,  dans  une  prochaine  lettre,  des  obstacles 
nombreux  que  rencontre  le  missionnaire  destiné  à  travail- 
ler dans  cette  partie  de  la  vigne  du  Seigneur.  En  atten- 
dant je  recommande  mes  pauvres  missions  à  la  bienveil- 
lance de  l'œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi,  et  j'ose  comp- 
ter sur  une  allocation  qui  me  permettra  de  visiter,  cette 
année,  encore  un  plus  grand  nombre  de  postes  que  l'année 


102 

dernière.  Ici  la  moisson  est  grande,  mais  les  ouvriers  sont 
rares,  et  les  ressources  nécessaires  pour  seconder  le  zèle 
de  ceux  qui  se  sont  dévoués  aux  missions  fout  souvent 
défaut.  La  providence  se  servira  de  vous  pour  nous  venir 
•en  aide. 

J*ai  l'honneur  d'être, 

Messieurs, 

Votre  obéissant  serviteur, 

Thomas  Sears, 
Préfet  Apostolique^ 


NORD-OUEST. 

HOPITAL  GÉNÉRAL  DE  LA  PROVIDENCE, 

Rivière  MacKenzie,  6  Décembre  187C. 

A  la  très  Révérende  Mère  Dupuis, 
Supérieure  Générale,  Montréal. 

Ma  Très-Honorée  et  Bonne  Mère, 

L'époque  tant  désirée  de  l'arrivée  du  courrier  vient  de 
nouveau  réjouir  le  cœur  de  vos  pauvres  enfants  du  lointain 
MacKenzie.  Il  est  si  doux  de  s'entretenir  avec  une  Mère 
Bien-aimée,  de  lui  parler  de  ses  œuvres,  de  ses  pauvres 
sauvages,  de  ses  chers  enfants,  de  lui  rendre  compte  du 
passé  et  de  lui  conûer  ses  espérances  pour  l'avenir  I  II 
est  si  consolant  de  pouvoir  lui  répéter  :  ma  Mère.  Malgré  la 
peine  que  nous  ressentons  de  la  séparation,  malgré  les  pri- 
vations et  les  sacrifices  qui  accompagnent  nécessairement 
la  vie  missionnaire  en  pays  sauvage,  nous  sommes  contentes 
et  heureuses,  et  si  le  sacrifice  était  à  refaire  nous  le  ferions 
de  nouveau  avec  joie  et  bonheur,  sachant  maintenant  par 
expérience  le  bien  qu'il  y  a  à  faire.  Connaissant  aussi 
combien  notre  Bonne  Mère  nous  plaint  parfois,  nous  som- 
mes heureuses  de  lui  dire  que  nous  nous  trouvons  bien 
mieux  sous  tous  les  rapports  que  les  premières  années. 
Ainsi,  ma  Très-Honorée  Mère,  ne  soyez  plus  inquiète  de 
nous,  nous  vivons,  nous  sommes  heureuses,  que  désirer  de 
plus Nous  sommes  vraiment  à  la  Providence. 

Ma  dernière  lettre  était  datée  du  mois  de  Juin,  c'est  donc 
de  cette  date  que  je  reprendrai  le  récit  de  tout  ce  qui  peut 
vous  intéresser.  Je  le  sais  et  c'est  ce  qui  m'encourage  à 
TOUS  transmettre  toutes  nos  petites  nouvelles  :  chaque  petit 
détail,  insignifiant  pour  tout  autre,  vous  plait  et  vous  inté- 
resse. 

A  la  fin  de  Juin  donc,  les  barges  nous  sont  arrivées 
du  Fort  Simpson  (c'est  le  grand  et  l'unique  événement  du 
pays).  Elles  nous  amenèrent  de  la  visite,  entr'autres,  celk 
de  la  Dame  de  l'Evêque  anglican  de  nos  parages.  Madame 
Bûwpass.  Elle  est  venue  nous  voir  trois  fois  pendant  son 
séjour  ici.    Elle  a  adopté  tout  dernièrement  l'enfant  d'un^ 


104 

des  engages  protestants  de  la  Compagnie,  dont  la  femme 
est  morte  quelques  semaines  après  la  naissance  de  cette 
enfant.    Elle  en  prend  un  soin  tout  à  fait  maternel;  si 
nous  n'étions  pas  ici,  ce  ne  serait  pas  seulement  des  enfants 
protestants  qu'elle  aurait,  mais  bien  tous  ceux  de  nos  pau- 
vres sauvages  catholiques.     Oh  !  oui,  heureuses,  mille  fois 
heureuses  sommes- nous,  d'avoir  été  choisies  pour  une  si 
belle  œuvre  !    Mais,  hélas  !  les  ressources  nous  manquent, 
et  malgré  le  grand  désir  que  nous  aurions  de  recevoir  et 
de  secourir  un  grand  nombre  de  ces  chers  enfants,  il  faut 
nécessairement  se  restreindre.     Oh  !  si  on  savait,  en  Ca- 
nada, combien  nous  pourrions  faire  de  bien  avec  un  peu 
plus  de  ressources,  je  ne  doute  nullement  que  les  âmes 
généreuses  qui  y  habitent  ne  s'empressassent  de  venir  à 
notre  secours.     Nous  n'oublions  pas  ce  qui  a  déjà  été  fait 
pour  cette  mission,  certes  non,  le  souvenir  en  est  encore 
trop  présent  à  nos  cœurs.    Reconnaissance  donc,  éternelle 
reconnaissance  aux  personnes  charitables  qui  se  sont  si 
bien  montrées.    Dieu  leur  réserve  une  récompense  digne 
de  leur  générosité  ;  mais  les  besoins  croissent  chaque  an- 
née et  nos  ressources  ne  suffisent  plus.  Oh  !  que  volontiers 
j'irars  tendre  la  main  en  faveur  de  nos  malheureux  orphe- 
lins !  lorsque  nous  sommes  continuellement  témoins  des 
efforts  que  font  nos  frères  séparés  pour  attirer  à  leur  parti 
nos  pauvres  Indiens,  il  y  a  de  quoi  exciter  le  zèle  le  moins 
fervent.    Dans  ce  moment-ci  leurs  maîtres  d'école  se  mul- 
tiplient et  s'étendent  partout.    S'ils  ne  réussissent  pas  tou- 
jours à  leur  faire  embrasser  le  protestantisme,  trop  souvent 
ils  parviennent  à  les  éloigner  du  missionnaire  et  à  les  pré- 
venir contre  lui.    Le  nombre  de  prêtres  est  encore  trop 
petit  pour  les  besoins  toujours  croissants  de  cet  immense 
Vicariat    Veuillez  donc,  ma  Très-Honorée  Mère,  prier  et 
faire  prier  à  cette  intention,  car  ici  plus  que  partout  ailleurs, 
pouvons-nous  répéter  après  notre  Divin  Maître  :  La  mois- 
son  est  grande^  mais  U  y  a  peu  d'ouvriers.    Prions  donc^ 
afin  que  l'erreui  ne  triomphe  pas,  et  que  nous  ayons  la 
consolation  de  secourir  un  plus  grand  nombre  de  mal- 
heureux. 
Nos  missionnaires  sont  à  la  hauteur  de  la  taché  et  ils 


105 

sont  admirables  de  dévouement  et  de  zèle.  Le  huit  sep- 
tembre dernier,  nous  en  eûmes  une  preuve  irrécusable,  le 
R.  P.  Lecorre  prononçait  ses  vœux  solennels  et  faisait  son 
Oblation.    Ce  jeune  missionnaire  qui  est  venu  de  France 

'  avec  Monseigneur  Clut  en  1870,  a  montré  un  courage  digne 
de  tout  éloge.  Il  a  accompagné  Sa  Grandeur  à  Alaska  en 
1872  et  y  a  fait  un  assez  long  séjour  à  plusieurs  centaines 
de  lieues  de  tout  confrère,  (des  affaires  importantes  avaient 
obligé  notre  digne  Evoque  à  revenir  dans  son  Vicariat.) 
Dans  cette  immense  solitude;  que  de  sacrifices  n'a  t-il 
pas  faits  I  que  de  privations  n'a  t-il  pas  endurées  ! 
Et  quand  sa  tâche  est  terminée,  il  ne  craint  pas  de 
traverser  l'Atlantique  une  seconde  fois  ei  va  demander^ 

%à  sa  Bretagne  bien-aimée,  des  secours  pour  nos  pauvres 
missions.  Là,  il  ne  trouve  pas  seulement  des  aumônes 
abondantes  ;  mais,  de  dignes  émules  de  son  héroïque  dé- 
vouement et  de  sa  généreuse  abnégation  s'empressent  de 
profiter  de  si  beaux  exemples,  et  il  est  revenu  vers  son  pays 
d'adoption  suivi  d'un  nombreux  renfort.  Le  8  Septembre, 
une  nouvelle  gloire  venait  illustrer  une  carrière  si  géné- 
reusement commencée.  Jaloux,  lui  aussi,  du  titre  si  beau, 
du  nom  si  doux  d'Ohlat  de  Marie  Immaculée,  il  s'est  en- 
rôlé sous  la  bannière  de  cette  Reine  des  Vierges  et  des 
Apôtres  :  De  si  beaux  exemples  ont  porté  des  fruits.  Un 
des  vénérables  missionnaires  qui  Tout  accompagné  à  son 
retour  de  France  (prêtre  depuis  vingt  ans)  a  aussi  com- 
mencé sou  Noviciat  au  commencement  d'Octobre.  Un 
autre  (frère  convers)  a  fait  ses  premiers  vœux  le  jour  de 
la  Toussaint.  Ces  derniers  sont  d'un  secours  inappréciable 
aux  missionnaires  ;  car  pour  diminuer  les  dépenses  qui 
sont  toujours  trop  fortes,  (ce  qui  se  conçoit  dans  un  pays^ 
où  il  faut  tout  importer)  tous,  Evéque  et  prêtres  se  livrent 
à  toutes  sortes  de  travaux. 

Le  7  Septembre,  nous  eûmes  le  plaisir  de  voir  arriver  le 
R.  P.  Petitot;  nous  fClmes  heureuses  de  le  voir  jouissant 
d'une  parfaite  santé  et  ne  soupirant  qu'après  sa  belle 
mission  de  Good  Hope  où  ses  chers  Sauvages  l'attendent 
impatiemment.  C'est  ce  même  jour,  ma  Très-Honorée 
Mère,  que  nous  eûmes  la  consolation  de  recevoir  les  lettre? 


106 

du  Canada.  Jugez  de  Dotre  joie  en  lisant  tous  les  détails 
si  intéressants  que  nos  chères  Sœurs  Secrétaires  nous  com- 
muniquent si  fidèlement  :  que  ces  bonnes  Sœurs  agréent  nos 
sincères  remerciements,  et  qu'elles  soient  bien  convaincues 
qu^elles  nous  font  passer  de  bien  doux  instants  en  parcou- 
rant ces  pages  si  pleines  d'intérêt. 

Notre  bonne  Marie  Domîtille  nous  arrivait  en  mèaie 
temps  d'Atbabaska  ;  quant  aux  autres  filles,  elles  ont  dû 
passer  l'hiver  au  Lac  à  La  Biche.  Le  R.  P.  Grouard  doit 
aussi  y  séjourner  une  année.  Nous  avons  appris  avec  une 
joie  bien  sensible  la  détermination  qu'a  prise  Monseigneur 
Farraud  d'abandonner  le  chemin  qu'il  se  proposait  de  faire 
tracer  pour  le  transport  de  nos  effets.  Sa  Grandeur  est 
maintenant  décidée  à  revenir  dans  son  Vicariat*  Nouf 
l'attendons  au  mois  d'Août.  Voilà  sept  ans  qu'Elle  nous 
a  dit  adieu. 

Entr'autres  nouvelles  que  les  lettres  nous  apportèrent, 
celle  de  la  visite  que  vous  avez  laite,  ma  Très-Honorée 
Mère,  à  nos  chères  Sœurs  de  St.  Bouiface,  nous  causa  une 
extrême  joie.  Tout  en  prenant  une  lar^/e  part  au  bonheur 
de  ces  bien-aimées  Sœurs  de  St.  Boniface,  nous  ne  pûmes 
nous  défendre  d'un  petit  sentimeut  d'envie  (qu'elles  nous 
pardonneront  facilement)  Quand,  nous  sommes-nous  dit, 
quand  aurons-nous  une  semblable  consolation  ?  Nous 
fûmes  aussi  heureuses  d'apprendre,  que  votre  santé  si  dé- 
licate, ma  Très-Honorée  Mère,  s'était  améliorée  ;  nous  en 
avons  rendu  de  vives  actions  de  grâces  au  Seigneur  et 
nous  l'avons  prié  de  nouveau  de  nous  conserver  de  longues 
années  encore  notre  bien-aimée  Mère  Générale. 

Le  20  Septembre,  voilà  que  tous,  évoque,  prêtres  et  frères 
étaient  transformés  en  cultivateurs,  et  exerçaient  sinon 
leur  zèle,  du  moins,  leurs  forces,  en  arrachant  les  patates. 
Nous  en  eûmes  onze  cents  barils,  et  si  grosses  que  plusieurs 
pesaient  plus  d'une  livre.  Si  nous  étions  plus  rapprockées 
des  pays  civilisés  nous  aurions  été  tentées  d'en  envoyer  à 
l'exhibition.  Les  pluies  continuelles  qu'il  a  fait  tout  l'été 
ont  contribué  sans  doute  à  cette  grosseur  extraordinaire. 
Malheureusement  notre  Orge  et  notre  blé  n'ont  pu  mûrir, 
aussi  la  galette  sera-t-elle  plus  rare  que  jamais.    Mais  je 


107 

le  répète,  nous  sommes  à  la  Providance  et  nous  avons 
remarqué  avec  reconnaissance  plus  d'une  fois  que  le  Sei- 
gneur 56  plait  à  faire  naître  des  ressources  inattendues, 
chaque  fois  qu'il  nous  semblait  que  nous  allions  manquer 
de  quelque  c  hose.  Aussi  pouvons-nous  dans  l'élan  de  notre 
gratitude  répéter  après  notre  Vénérée  Fondatrice  :  Tou- 
jours à  la  veiile  de  manquer  de  touty  nous  ne  manquons 
jamais^  du  moinSf  du  nécessaire!  Et  que  désirer  de  plus 
nous  qui  avons  fait  vœu  de  ne  jamais  avoir  de  superflu. 

Nous  avons  actuellement  27  enfants,  dont  19  filles  et  8 
garçons.  Parmi  ce  nombre,  il  y  a  orphelins  et  pension- 
naires. Ces  enfants  sont  tous  internes.  La  plus  jeune  de 
nos  orphelines  est  une  charmante  enfant  de  4  ans,  pleine 
d'esprit  et  d'intelligence.  A  son  arrivée  ici,  le  21  Janvier 
1876,  elle  ne  parlait  que  le  montagnais;  aujourd'hui,  et 
cela  depuis  plusieurs  mois,  elle  s'exprime  facilement  en 
français. 

Au  commenc9ment  d'Octobre,  notre  bonne  Mère  fit  les 
changements  suivants.  Ma  Sr.  Brunelle,  ci-devant  à  la 
salle  des  Orphelines,  s'en  allait  à  la  cuisine,  détrôner  ma 
Sr  Daigle.  Les  adieux  de  cette  dernière  n'eurent  rien  de 
bien  attendrissant.  Au  contraire,  toute  son  affection  se 
déploie  maintenant  à  l'égard  de  ses  petits  garçons  en  qui 
elle  trouve  toutes  sortes  de  perfections.  Ma  Sœur  Michon 
préside  toujours  les  deux  moulins  à  la  communauté  et 
trouve  que  sa  dignité  de  présidente  lui  suffît  pour  em- 
ployer scrupuleusement  son  temps.  Ma  Sr  Ward  prenait 
la  place  de  ma  Sr  Brunelle.  Notre  Bonne  Mère,  toujours 
zélée,  toujours  dévouée,  trouve  son  bonheur  à  prendre 
toujours  le  -plus  pesant  fardeau  pour  elle  et  cherche  tou 
jours  à  soulager  ses  Sœurs.  Quelle  Bonne  Mère  nous 
avons  le  bonheui  déposséder!  Puissions-nous  profiter  de 
si  beaux  exemples  de  dévouement.  Cette  chère  Mère  est 
assez  bien,  en  général  notre  santé  est  excellente,  bien  meil- 
leure qu'elle  ne  Tétait  en  Canada. 

Le  grand 'air  que  nous  respirons  continuellement  y  con 
tribus  sans  doute.    Notre  bonne  Mère  et  nos  chères  Sœurs 
sont  heureuses  de  s'unir  à  moi  pour  vous  présenter  l'hom- 
mage de  notre  respect  et  de  notre  vive  affeclion,  ma  Très- 


108 

Honorée  Mère.    Nos  bonnes  Sœurs  assistantes  et  toutes 
nos  chères  Sœurs  voudront  bien  aussi  agréer  nos  saluts 
affectueux  et  l'assurance  de  notre  amour  fraternel. 
T  Adieu,  ma  bonne  Mère,  et  au  revoir  dans  la  Patrie. 
Croyez-moi j  comme  toujours, 

Votre  afiectionnée  enfant  en  Notre  Seigneur. 

Sr.  Ward. 


MlSélON  DES  SEPT-CRANS. 

RAPPORT 

Présenté  au  Bureau  de  la  Propagation  de  la  Foi  sur  la  mis- 
sion et  l'école  établies  aux  Sept-CranSy  Municipalité  de 
Ste.  Anne  de  Beaupré. 

Ste.  Anne  de  Beaupré,  21  Novembre  1876 

Révd.  M.  Napoléon  Laliberté,  Ptre., 
Aumônier  de  TArchevêché  de  Québec. 

Monsieur  l'Aumônier, 

C'est  aveô  plaisir  que  je  viens  vous  tracer  quelques  lignes 
sur  ce  qui  s'est  fait  aux  Sept-Crans,  depuis  à  peu  près  un 
an.     Il  y  avait  trois  mois  que  Sa  Grandeur  Mgr,  TArche- 
vôque  m'avait  chargé  de  la  Cure  de  Ste.  Anne  de  Beaupré, 
lorsque  j'allai,  pour  la  première  fois,  visiter  ce  pauvre  en- 
droit.   Les  Sept-Crans  sont  trois  petites  concessions  appe- 
lées, l'une  "St.   Jacques,"  l'autre,  "St.  Etienne"   et  la 
troisième  *' St.  Pierre,"  en  arrière  de  la  profondeur  d'une 
lieue  et  demie  que  mesurent  les  terres  du  premier  rang  de 
la  paroisse  de  Ste.  Anne,  Seigneurie  de  Beaupré.    Là  je 
comptai  38  familles,  la  plupart  pauvres,  renfermant  116 
communiants  et  80  non-communiants,  parmi  lesquels  se 
trouvent  plusieurs  vieillards  et  infirmes.    Mais  ce  qui  me 
frappa  davantage,  ce  fut  d'y  voir  des  enfants  de  douze 
quinze  et  dix-huit  ans  complètement  ignorants  des  vérités 
de  notre  sainte  religion,  et  par  conséquent  n'ayant  pas 
^encore  fait  leur  première  communion.    Ces  enfants,  ces 
infirmes,  ces  vieillards  et  ces  pauvres  qui  n'ont  pas  de 
vêtements,  me  disai-je,  ne  peuvent  donc  jamais  venir  à  nos 
^offices  les  dimanches  et  jours  de  fête,  ni  entendre  les  ins- 
tructions, ni  fréquenter  les  sacrements.    En  effet,  pour  se 
«rendre  à  l'église,  la  plupart  ont  deux  lieues  et  demie  à 
parcourir  par  des  chemins  affreux,  puis  pour  revenir  chez 
eux,  il  leur  faut  remonter  une  partie  des  Laurentides  si 
élevées  en  cet  endroit.     Laissés  à  eux-mêmes,  ils  n'ont 
jamais  même  pu  songer  a  la  possibilité  d'avoir  une  école 


110 

dans  leur  localité  pour  y  faire  instruire  leurs  enfants» 
Touché  de  compassion  sur  le  sort  de  ces  familles  à  plaindre 
sous  tous  les  rappojts,  je  résolus  de  leur  veriir  en  aide,  en 
essayant  de  trouver  les  moyens  de  bâtir,  dans  la  concession 
du  centre  appelée  "St.  Etienne,"  une  chapelle-éeole^  où,  ea 
leur  procurant  l'immense  avantage  d'une  bonne  école,  je 
pourrais  aller  dire  la  sainte  Messe  une  fois  par  mois  sur 
semaine,  y  catéchiser  les  enfants  et  confesser  les  vieillards 
et  les  pauvres  qui  ne  peuvent  descendre  à  l'église.  Je  sou- 
mis ce  projet  à  Mgr.  l'Archevêque,  qui  l'approuva  dans  une 
lettre  en  date  du  16  Décembre  mil  huit  cent  soixante* 
quinze,  dont  voici  un  extrait  : 

"  Je  connais  de  réputation  votre  concessien  des  Sept- 
**  Crans.  J'approuve  de  tout  cœur  la  projet  que  vous  avez 
"  formé  d'y  aller  une  fois  par  mois  sur  semaine,  faire  une 
*'  petite  mission,  pour  confesser  et  catéchiser  ces  pauvres 
"  gens.  Quant  à  la  faire  ériger  en  municipalité  scolaire 
"  séparée,  et  obtenir  une  aide  du  gouvernement,  c'est  chose 
**  facile.  Vous  n'avez  qu'à  dresser  une  requête  au  Ministre 
"  de  l'Instruction  Publique,  faites  la  signer  par  vos  commis- 
"  saires  d'école  et  par  l'Inspecteur  du  district  scolaire,  don- 
"  nez  le  nombre  exact  des  enfants  en  âge  de  fréquenter  les 
*'  écoles  et  exposez  le  grand  état  de  misère  où  se  trouvent 
*'  ces  pauvres  gens.  Je  vous  autorise,  par  les  présentes,  à 
*^  dire  ou  faire  dire  la  messe  dans  une  maison  privée  de  la 
*'  dite  concession." 

(Signé)    t  E.  A.  Arch.  de  Québec." 

Encouiagé  par  cette  bonne  lettre,  je  me  mis  immédiate- 
ment à  l'œuvre  et  suivis  la  marche  tracée  par  Monseigneur. 
Je  dressai  une  requête  à  l'Honorable  Ministre  de  l'Instruc- 
tion Publique,  pour  demander  l'érection  des  Sepl-Crans  en. 
municipalité  scolaire  séparée  de  celle  de  la  paroisse  Ste« 
Anne  :  ce  qui  fut  accordé  par  un  ordre  en  conseil,  en  date 
du  28  janvier  1876.  Une  demande  d'allocation  comme  mu- 
nicipalité pauvre  fut  aussi  bien  accueillie  du  Départemei\t 
Tout  allait  à  merveille  de  ce  côté,  mais  je  ne  savais  pas 
encore  ce  que  pourraient  faire  les  intéressés.  Cependant 
je  fais  un  appel  à  leur  générosité  un  dimanche  au  prône. 


111 

et  les  invite  à  une  assemblée  après  la  messe.  Un  certain 
nombre  s'y  présentent.  Il  s'agit  de  construire  une  maison 
suffisamment  spacieuse  pour  servir  de  chapelle  de  mission 
ei  en  môme  temps  de  maison  d'école.  Je  ne  leur  demande 
que  leur  travail  et  les  matériaux  nécessaires  à  Tédiflce,  et 
qu'ils  peuvent  fournir  eux-mêmes.  Trois  syndics  sont 
nommés,  les  devis  sont  faits  ;  syndics  et  contribuables  ré- 
pondent à  l'appel  avec  une  entente  admirable,  et  un  mois 
après  tout  le  bois  nécessaire  était  rendu  sur  place  :  c'est-à 
dire  sur  un  emplacement  qu'un  brave  homme  de  la  con- 
cession St.  Etienne,  nommé  Sieur  Olivier  Gravel,  avait 
accordé  gratuitement  à  ma  demande.  Gomme  c'était  en 
hiver,  je  ne  pus  juger  si  ce  lieu  était  propre  à  une  telle 
construction.  Malheureusement,  au  printemps,  après  la 
fonte  des  neiges,  je  m'aperçus  que  cet  endroit  était  d'un 
accès  difficile,  et  de  plus  que  le  terrain  était  humide  et  peu 
solide.  Le  voisin  Sieur  Paul  Paré,  voyant  mon  embarras» 
m'offrit  sur  sa  terre  un  autre  bel  emplacement,  à  quelques 
perches  seulement  du  premier,  qui  réunissait  tous  les  avan- 
tages.   Je  l'acceptai  avec  empressement  et  reconnaissance. 

Mais  l'argent  pour  construire,  où  le  trouver?  Il  n'y 
avait  pas  dix  piastres  en  espèces  dans  les  Sept-Crans 
Mieux  que  personne,  M.  l'Aumônier,  vous  connaissez  la- 
source  première  des  moyens  pécuniaires  qui  nous  sont 
-venus.  C'est  par  votre  entremisa  que  le  Consoil  de  la  Pro- 
pagation de  la  Foi  nous  a  accordé  la  belle  somme  de  $100» 
Le  Département  de  l'Instruction  Publique  y  ajouta  835, 
les  Messieurs  du  Séminaire  de  Québec  $30.  Plusieurs  gé- 
néreux paroissiens  de  Ste.  Anne  me  vinrent  aussi  en  aide  : 
un  d'entre  eux  me  donna  ?5,  un  autre  me  fournit  tout  le 
clou  nécessaire  à  la  bâtisse,  puis  l'Archevêché  nous  fit 
cadeau  des  châ!5sis  et  des  portes  de  son  ancienne  bibliothè- 
que. Avec  ces  secours  ménagés  par  la  Providence,  qui 
prend  soin  du  pauvre  et  du  misérable,  la  mapson  fut  com- 
mencée au  mois  de  juillet  de  cette  année. 

Dès  le  premier  de  ce  mois,  selon  la  permission  donnée 
par  Mgr  l'Archevêque,  j'allai  dire  la  messe  dans  la  maison 
duSieur  Olivier  Gravel.  Toute  la  population  y  assistait, 
"hommes,  femmes  et  enfants.    Plusieurs  d'en  tre  eux  enten- 


112 

daient  la  messe  pour  la  première  fois  de  leur  vie:  c^était 
un  spectacle  vraiment  attendrissant:  un  Dieu  Sauveur  des- 
cendait pour  la  première  fois  sur  un  autel  bien  pauvre 
dans  ce  pays  de  montagnes,  et  c'était  le  môme  Dieu  gui 
habite  nos  temples  magnifiques,  nos  riches  cathédrales,  le 
môme  Dieu  qui  règne  dans  la  splendeur  des  cieux.  Je 
donnai  une  instruction  bien  familière  sur  ce  sujet  même  : 
il  y  avait  des  larmes  abondantes  de  joie  et  dé  bonheur. 
C'était  là  la  première  récompense  du  zèle,  de  l'entente  et 
des  sacrifices  de  ces  pauvres  gens  ;  elle  fut  vivement  sentie 
et  hautement  appréciée. 

Un  autre  sujet  de  joie  d'autant  plus  grande  qu'elle  était 
moins  prévue  et  moins  attendue,  ce  fut  la  visite  de  Mgr 
rArcheveque  aux  Sept-Çrans.  Selon  sa  pieuse  habitude 
depuis  de  longues  années.  Sa  Grandeur  qui  a  tant  fait  pour 
encourager  la  dévotion  envers  Ste.  Anne,  aujourd'hui  pa- 
<.  tronne  de  la  Province  Ecclésiastique  de  Québec,  était  en 
pèlerinage  au  vénéré  Sanctuaire,  le  Dimanche  dans  l'octave 
de  la  fête.  Non  content  d'avoir,  ce  jour-là,  donné  le  ser- 
mon à  la  messe  paroissiale,  confessé  avec  nous  les  pèlerins 
pendant  plusieurs  heures,  fait  la  procession  de  la  Sainte 
ReUque  à  vêpres,  Monseigneur  voulut  couronner  sa  journée 
déjà  si  bien  remplie  par  une  ascension  des  montagnes  jus- 
qu'aux Sept-Crans.  Les  habitantsl  du  ieu  prévenus  de 
cette  honorable  visite,  s'empressèrent  de  monter  chez 
eux  immédiatement  après  l'office,  et  de  là  se  rendirent 
en  foule  à  leur  chapelle.  De  son  côté.  Monseigneur 
quittait  le  presbytère  de  Ste.  Anne  en  petite  charrette, 
seule  voiture  possible  dans  ces  chemins,  sans  suite  comme 
un  simple  missionnaire.  Deux  heures  et  demie  de  marche 
le  conduisirent  au  terme  de  son  voyage.  Là  Monsei 
gneur  adresse  une  parole  d'encouragement  à  ces  braves 
gens,  fous  du  bonheur  d'une  si  belle  visite,  bénit  la  foule 
prosternée  à  ses  pieds  et  revient,  écrasé  de  fatigue,  mais 
heureux  du  bouheur  de  ses  enfants.  Le  souvenir  de  cet 
événement  qui  fera  époque  dans  la  vie  des  gens  des  Sept 
Crans,  ne  s'effacera  jamais  de  leur  mémoire.  Plus  tard  les 
enfants  et  les  petits-enfants  de  ceux  qui  en  ont  été  les 
témoins  diront  que  le  premier  Evêque  qui  foula  de  ses- 


413 

pieds  le  sol  des  Sept-Crans,  fut  Sa  Grandeur  Mgr.  Elzéar 
Alexandre  TaschereaUj  Archevêque  de  Québec. 

La  chapeUe-écûie  était  alors  seulement  levée  et  le  solage 
fait.  Je  donnai  à  Tentreprise  le  parachèvement  de  l'ex- 
térieur et  de  l'intérieur,  ce  dernier  divisé  comme  suit  : 
l'édiûce  compte  40  sur  25  pieds  ;  le  centre  de  la  maison,  22 
sur  25,  servira  à  la  classe,  et  aussi  de  nef  pour  la  chapelle 
au  jour  des  missions.  A  droite,  en  entrant,  10  sur  25  pieds 
sont  destinés  au  logement  de  la  maîtresse  d'école,  et  à 
gauche,  8  sur  25  sont  distribués  en  trois  parties  égales  de 
huit  pieds  guarrés  ;  l'appartement  du  milieu  est  fermé 
d'une  porte  double  largeur:  là  est  l'autel:  c'est  le  sanc- 
tuaire de  la  chapelle  ;  d'un  côté  est  la  sacristie,  de  l'autre 
une  petite  chambre  pour  le  prêtre. 

En  outre  de  l'avantage  d'une  école  et  d'une  chapelle 
pour  cette  mission,  rien  de  plus  commode  que  cette  maison. 
Si,  à  la  tombée  du  jour,  on  vient  des  Sepl-Crans  quérir  le 
prêtre  à  Ste.  Anne  pour  aller  porter  secours  à  un  malade, 
c'est  un  voyage  de  toute  la  nuit  pour  aller  et  revenir,  avec 
mille  peines  et  dangers^  surtout  dans  les  saisons  du  prin 
temps,  de  l'automne  et  de  l'hiver.  Puis,  si  le  malade  est 
en  danger  de  mort,  et  que  l'on  n'ait  pas  donné  au  prêtre 
tous  les  renseignements  nécessaires  sur  son  état,  c'est  un 
deuxième  voyage  des  plus  pénibles  à  entreprendre  pour 
porter  le  Saint- Via  tique.  Maintenant  aucun  de  ces  incon. 
vénients.  Nous  n'avons  qu'à  apporter  calice,  vin  et  hostie 
avec  nous  ;  si  le  malade  peut  et  doit  recevoir  le  Saint- 
Viatique,  la  messe  se  dira  à  notre  chapelle,  sans  que  nous 
revenions  à  l'église  chercher  les  sain  tes  espèces,  et  le  malade 
n'eût-il  pas  besoin  du  Saint- Viatique,  le  prêtre  sera  heu- 
eux  de  trouver  aux  Sept-Crans  un  chez  lui  qui  l'exemple 
vde  revenir  la  nuit. 

C'est  le  premier  de  Septembre  qu'eut  lieu  la  bénédiction 
de  la  nouvelle  chapelle  et  que  la  sainte  messe  y  fut  dite 
pour  la  première  fois.  Cinq  semaines  plMs^tard  une  insti- 
tutrice était  engagée  pour  la  nouvelle  école  :  c'est  une  Dlle. 
Sylvain,  de  Ste.  Anne,  élève  du  Couvent  de  cette  paroisse, 
.  ayant  diplôme  d'école  modèle  du  Bureau  de  Québec,  qui 
•  eut  le  zèle  et  le  courage  de  prendre  la  direction  de  cette 

2 


114 

classe.    La  maison  était  prête  à  sa  destination  et,  dès  le- 
premier  jour,  au-delà  de  30  enfants  se  présentèrent  à  l'école. 

Le  7  Novembre  courant,  j'ai  donné  la  première  mission 
en  forme  :  prière  et  instruction  le  soir,  puis  confession. 
Xe  lendemain  grand'  messe,  à  laquelle  j'eus  le  bonheur  de' 
distribuer  la  sainte  communion  à  46  personnes.  Cette  grand'^ 
messe  a  été  chantée  pour  témoigner  de  la  reconnaissance 
des  habitants  des  Sept-Crans  envers  Mgr  l'Archevêque  en 
particulier,  bienfaiteur  de  l'école,  et  envers  tous  les  bien- 
faiteurs de  la  mission.  Après  la  messe,  je  visitai  la  classe, 
qui  comptait  37  élèves,  et  ce  nombre  augmentera  encore 
prochainement.  Je  fus  étonné  de  voir  la  bonne  tenue  de 
ces  pauvres  petits  enfants,  et  je  dois  dire  à  leur  louange 
qu'ils  semblent,  par  leur  application  et  leur  respect  pour 
l'institutrice,  comprendre,  malgré  leur  jeune  âge,  l'immense 
avantage  dont  ils  jouissent  aujourd'hui  de  préférence  à 
leurs  devanciers. 

De  tout  ce  qui  précède,  il  est  facile  de  conclure  que  la 
chapelle-école,  telle  qu'étabHe,  était  absolument  nécessaire 
aux  Sept-Crans.  La  mission  y  produira  ses  fruits,  grâce  à 
la  protection  et  à  l'encouragement  qu'elle  a  reçus  et  qu'elle 
recevra  encore,  je  l'espère,  du  Bureau  de  l'Œuvre  de  la 
Propagation  de  la  Foi.  L'école  ne  fera  pas  moins  de  bien,, 
si  leTDépartement  de  l'Instruction  Publique  lui  continue  la 
faveur  qu'il  lui  a  donnée  avec  tant  de  générosité. 

En  terminant  ce  long  rapport,  je  ne  puis  que  remercier 
tous  les  cœurs  généreux  qui  nous  sont  venus  en  aide  dans 
cette  entreprise,  petite  en  apparence,  mais  en  réalité  im- 
portante. L'établissement  de  cette  chapelle  école  ouvre 
pour  cette  localité  une  ère  d'encouragement  et  de  bonheur 
spirituel  et  même  teanporel.  Nous  pouvons  même  dire 
que  nous  y  avons  déjà  cueilli  des  fruits  précieux  de  salut, 
et  le  bon  Dieu  ne  fait  que  commencer  son  œuvre.  Les 
parents  et  les  enfants  apprendront,  les  uns  à  l'école^  les 
autres  à  la  mission,  à  s'acquitter  dignement  de  leui*s  de- 
voirs de  chrétiens  et  de  citoyens.  Aussi  ces  pauvres  gens 
n'ont  qu'un  cœur  et  qu'une  âme  pour  redire  leur  conten- 
tement et  leur  reconnaissance  envers  leurs  bienfaiteurs. 

Agréez,  M.  l'Aumônier,  l'assurance  de  mon  sincère  atta- 
chement, et  croyez-moi  bien 

Votre  tout  dévoué  confrère, 

ANT.  GAUVREAU,  Ftrk.- 


ABRAHAM  WIKASKOKISEYIN. 

II  y  a  quelques  semaines,  les  feuilles  publiques  anan- 
çaient  la  mort  accidentelle  d^Abraham  Wikaskokiséyin 
(herbe  odoriférante^  le  chef  de  la  tribu  des  Cris,  dans  la 
▼allée  de  la  Saskatchewan,  territoire  du  Nord-Ouest*  Un 
véritable  ami  de  cette  tribu,  désolé  par  la  perte  de  son 
chef,  BOUS  fournit  quelques  détails  sur  les  principaux  inci- 
dents de  la  vie  de  Wikaskokiséyin,  que  nous  publions  avec 
le  plus  grand  plaisir. 

Les  ancêtres  de  ce  chef  appartenaient  à  une  peuplade 
appelée  les  Corbeaux  (Kâkiwâtjénak,)  vivant  aux  environs  du 
Missouri.  La  guerre  qui  existait  alors  entre  cette  tribu  et 
celle  des  Cris  occasionna  l'enlèvement  d'une  jeune  femme 
qui  fut  amenée  au  milieu  des  Gris,  et  y  donna  naissance  ù 
un  lils  qu'on  nomma  plus  tard  Wikaskokiséyin.  Devenu 
jeune  homme,  et  ayant  été  adopté  par  les  Cris  comme  ap- 
partenant à  la  tribu,  il  prit  part  à  leurs  guerres  et  aventu- 
res. Son  caractère  aimable  et  conciliant,  et  surtout  sa  bra- 
voure, rélevèrent  bientôt  au-dessus  de  ses  compagnons.  Il 
était  d'une  petite  taille^  et  on  commença  à  le  nommer  Apist- 
chi'KoimciSy  le  petit-chef.  Chez  les  sauvages  des  prairies,  le 
désintéressement,  la  libéralité  et  la  prodigalité  sont  des 
qualités  qui  placent  bientôt  quelqu'uîi  au  nombre  ies  grands. 
Notre  jeune  homme  revenait  bien  des  fois  ''.e  ses  courses 
dangereuses  avec  des  bandes  de  chevaux  enlevés  à  l'enne- 
mi, et  des  chevelures  pendaient  à  sa  ceinture.  Arrivé  dans 
son  camp,  il  distribuait  toutes  ces  dépouilles  à  la  foule 
qui  l'acclamait,  et  ne  gardait  rien  pour  lui.  Nombre  de 
fois  il  sauva  ses  compagnons  de  dangers  imminents  par  sa 
hardiesse  et  son  audace  remarquables. 

Devenu  giund  hommc^  il  se  maria,  et  c'est  d'alors  que  da- 
te véritablement  le  choix.qu'on  fit  de  lui  comme  chef  de  la 
tribu  des  Cris.  Il  commença  de  suite  à  se  faire  remarquer 
par  sa  patience,  et  la  constance  qu'il  déploya  pour  engager 
sa  nation  à  vivre  en  paix  avec  les  tribus  voisines. 

Depuis  longtemps,  il  manifestait  ses  sympathies  et  son 
attachement  pour  les  blancs,  en  plaidant  leur  cause  dans 
les  grand};  conseils.    A  l'arrivée  des  missionnaires  au  milieu 


116 

de  ses  gens,  il  se  montra  bon,  généreux  et  hospitalier  en 
vers  eux,  mais  il  ^ tarda  longtemps  à  inscrire  son  nom 
sur  la  liste  des  catéchumènes,  tout  en  encourageant  les 
siens  à  se  Mre  chrétiens.  On  ne  pouvait  s'expliquer  sod 
retard  de  prendre  pour  lui  ce  qu'il  trouvait  si  bon  pour  les 
autres^ 

Il  eslimait  et  aimait  beaucoup  le  Révd.  Père  Lacombe,  le 
premier  prêtre  avec  lequel  il  avait  fait  connaissance  et 
amitié»  Le  père  lui  parlait  souvent  de  religion,  mais 
Wikaskokiseyin  soutenait  toujours  que  le  temps  n'était  pas 
arrivé  pour  lui.  Une  circonstance  providentielle  déter- 
mina son  changement.  Un  jour,  son  gendre  s'était  frac- 
turé la  main  par  l'explosion  de  son  fusil.  Le  jeune  homme, 
de  désespoir,  s'était  enlevé  toute  la  main  en  se  coupant  le 
poignet  avec  son  couteau.  Il  s'était  fait  lier  le  bras  avec 
du  nerf  pour  arrêter  le  sang.  Quelques  jours  après  cet 
accident,  le  missionnaire  arrive  dans  ce  camp.  Wikaskoki- 
seyin s'empresse  d'aller  le  saluer  et  lui  demande  de  soigner 
son  gendre.  Le  cas  était  bien  grave,  et  le  pauvre  Père,  en 
voyant  cette  plaie  hideuse,  ce  bras  gonflé,  et  une  partie 
4es  chaires  déjà  en  putréfaction,  unit  par  dire  au  chef  qu'il 
I  egrettait,  mais  qu'il  ne  pouvait  rien  faire  pour  son  gendre, 
vu  que  cette  affreuse  blessure  requérait  un  bien  meilleur 
médecin. 

*'*'  Homme  de  la  prairie,  dit  Wikaskokiseyin,  soigne-le 
quand  même,  et  je  me  mettrai  de  la  Prière^  quoique  tu  ne 
le  guérisses  pas," 

Le  prêtre  forcé  par  les  instances  de  son  ami  qui  avait 
tant  de  confiance  en  lui,  entreprit  tout  de  même  de  soigner 
le  Jeune  homme.  Avec  son  rasoir,  il  détacha  les  chairs 
«.yâtées,  appliqua  tous  les  jours  des  onguents,  et  tous  les 
Jours  lavait  la  plaie,  après  en  avoir  détaché  le  pus.  Avec 
Taide  du  Grand  Maître  de  la  vie,  au  bout  de  vingt-cinq 
jours  de  soins,  le  jeune  homme  était  guén.  Il  n'en  fallut 
pas  davantage  pour  convaincre  le  chef  et  toute  sa  nom- 
breuse parenté,  qui  suivirent  son  exemple. 

Pendant  que  Wikaskokiseyin  était  catéchumène  et  qu'il 
se  préparait  à  recevoir  le  baptâme,un  incident  digne  d'être 
rappelé  pour  l'honneur  de  ce  grand  chef  eut  lieu  en  pré* 


117 

sence  du  missionnaire.  C'était  dans  le  mois  de  février^ 
dans  les  grandes  plaines  du  Nord-Ouest,  au  milieu  d'un 
camp  assez  nombreux.  Après  la  prière  du  soir,  plusieurs 
des  principaux  étaient  restés  pour  causer  avec  le  mission- 
naire en  fumant  le  calumet.  Wikaskokiséyin  était  là 
comme  toujours,  le  plus  proche  de  la  robe  noire.  Tout  à 
coup,  un  sauvage,  en  habits  de  voyage,  tout  couvert  de 
frimas,  ses  raquettes  sous  le  braiB,  entre,  remet  au  Père  un 
paquet,  et  s'accroupit  auprès  du  feu.  C'était  un  courrier 
de  la  mission  de  Saint- Albert  (cinq  nuits  de  distance),  et 
qui  apportait  la  malle  du  missionnaire,  qui,  depuis  bien 
des  mois,  n'avait  pas  eu  de  nouvelles  des  pays  civilisés. 
En  ouvrant  le  paquet,  le  missionnaire  reconnaît  les  lettres 
de  son  évèque,  de  ses  amis  et  de  ses  parents.  11  fait  si  bon 
de  recevoir  des  lettres  quand  on  est  bien  loin  des  siens! 
Tous  les  yeux  étaient  tournés  sur  lui  et  on  cherchait  à 
deviner  sur  sa  figure  les  nouvelles  qu'on  attendait  avec 
tant  d'anxiété.  Le  Père  avait  déployé  un  grand  papier  et 
le  parcourait  en  silence,  mais  ses  émotions  le  trahissaient. 
C'en  est  fait  le  chef  ne  peut  plus  se  contenir,  et  interpelle 
le  Père  en  lui  disant  : 

'*  Voyons,  un  peu  pour  nous.  Dis-nous  ce  que  dit  ce 
papier,  puisque  tu  parais  si  touché. 

— Ah  1  dit  le  missionnaire,  ce  papier  renferme  les  paroles 
du  pape,  le  chef  de  tous  les  priants.  Il  s'adresse  à  tous  les 
chefs  de  la.  prière  et  leur  dit  de  se  rendre  auprès  de  lui^ 
pour  tenir  un  grand  conseil  pour  l'intérôt  de  la' religion." 
C'était  l'Encyclique  que  le  Pape  adressait  à  tous  les  évo- 
ques pour  les  inviter  au  concile  dû  Vatican.  Wikasko- 
kiséyin se  lève  et  demande  le  nom  du  Pape*  Le  Père  lui 
dit:  "  Pie  /J.'"— "  Mon  Père,  répète  donc  encore  une  fois."' 
Le  Père  de  répéter  Pie  IX  une  seconde  fois.  Alors  tout 
transporté,  il  dit  au  missionnaire.  ^'£st-ce  qu'il  nous  est 
permis,  à  nous,  si  misérables,  de  prononcer  ce  nom  ?" — 
^'Ohl  oui,  mes  enfants,  dit  le  Père^  puisque  vous  êtes  de 
sa  famille."  Il  fait  le  signe  de  la  crois;,  et  aveola  plus 
grande  émotion,  il  dit  :  ^'  Pie  /J/:— Dites  tous  comme  moi, 
dit-il  à  ses  compagnons,  cela  nous  portera  chance."  £n- 
atiite  il  demande  au  Père  le  papier  et  la  place  où  était  im> 


118 

primé  le  nom  de  Pie  IX,  et  le  baise  avec  amour  en  l'arro- 
sant de  ses  larmes.  Il  n'en  faut  pas  davantage  pour  dé- 
montrer le  bon  cœur  et  l'intelligence  de  Wikaskokiséyin. 
L'été  suivant,  il  se  trouvait,  avec  sa  tribu,  aux  prises  ayec 
la  terrible  maladie,  la  petite  vérole,  qui  a  décimé  les  pau- 
vres sauvages  pendant  plusieurs  mois.  Plus  de  3,000,  in- 
dividus parmi  lés  tribus  de  la  Saskatchewan,  ont  été  vicU- 
mes  de  ce  cruel  fléau.  Wikaskokisévin  se  montra  à  la 
hauteur  de  sa  position,  au  milieu  de  la  consternation  géné- 
rale. Il  venait  de  recevoir  le  baptême  et  de  faire  les  grandes 
promesses  du  mariage.  Il  consolait,  il  encourageait,  et  il 
était  presque  toujours,  avec  le  prêtre,  auprès  des  morte  ou 
des  mourants.  Il  invitait  les  mieux  portants  à  Paider  pour 
enterrer  les  morts.  Comme  le  prêtre,  il  consolait  ceux 
<iu'il  ne  pouvait  secourir.  Des  scènes  bien  touchantes  et 
bien  navrantes  se  sont  passées  alors  et  ne  sont  connues  que 
du  pauvre  missionnaire,  le  témoin  attendri  d'une  nation 
frappée  par  un  fi:rand  malheur. 

L'été  dernier,  le  lieutenant-gouverneur  de  Manitoba  se 
rendait  sur  les  bords  de  la  Saskatchewan,  aûn  de  faire  un 
traite  avec  la  tribu  des  Cris.  Quelques-uns  étaient  mal 
disposés  et  ne  voulaient  pas  entendre  parler  de  traité.  Mais 
Wikaskokiséyin,  dans  une  harangue  sage  et  persuasive,  fit 
'Comprendre  aux  siens  que  c'était  leur  intérêt  de  bien  s'en- 
tendre avec  les  blancs.  Il  les  persuada  et  le  traité  fut 
conclu.  Devant  toute  l'assemblée,  il  demanda  au  Gou- 
verneur  des  missionnaires  catholiques.  Le  représentant 
de  la  Reine  l'embrassa,  lui  remit  un  habit  de  chef  et  un 
beau  pistolet.  Wikaskokiséjin  s'était-  acquis  l'amitié  et 
l'admiration  de  tout  le  monde.  Hélas  !  il  ne  devait  pas 
jouir  longtemps  de  ces  marques  de  distinction.  Quelques 
mois  après,  ce  même  pistolet  lui  donnait  la  mort.  Pendant 
une  réunion  dans  sa  loge,  on  examinait  cette  arme,  qu^'on 
remuait  en  tous  sens,  sans  précaution.  Tout  à  coup  une 
détonation  se  fait  entendre,  et  le  chef  des  Cris  est  frappé 
mortellement^  à  la  grande  désolation  de  tous. 

C'est  ainsi  que  quelque  temps  après,  les  journaux  du  pays 
annonçaient  cette  mort  tragique  : 

'*  Nous  apprenons  avec  un  grand  regret  la  nouvelle  de 


119 

t 

la  mort  d'Âbrâbam  Wikaakokiséyiû  (herbe  odoriférante), 
tué  accidentellement  par  la  décharge  d'un  pistolet.  Ce 
iBauvage  remarquable  était  depuis  longtemps  le  chef  de  la 
tribu  des  Cris  des  Prairies,  dans  le  Nord-Ouest." 

"  Depuis  plusieurs  années,  il  avait,  ainsi  que  sa  parenté^ 
.embrassé  le  christianisme  par  les  soins  du  R.  P.  LâiCombe, 
qui  l'avait  baptisé  et  marié.  Les  missionnaires  ont  toujours 
trouvé  en  lui  un  appui,  un  aide  et  un  fidèle  ami  dans  leurs 
travaux  apostoliques.  Il  s'est  toujours  montré  le  protecteur 
des  blancs,  et  plus  d'une  fois  il  a  prouvé  la  sincérité  de  ses 
bonnes  dispositions  envers  eux,  par  des  conseils  conciliants 
et  sa  sagesse  dans  les  assemblées  de  sa  tribu.  Il  était  aimé 
de  tous,  et  môme  les  tribus  ennemies  ne  pouvaient  s'empô- 
-cher  de  rendre  hommage  à  son  mérite,  en  publiant  ses 
vues  pacifiques  et  son  honnêteté  dans  les  traités.  Il  s'était 
acquis  sa  position  par  son  désintéressement,  sa  douceur  et 
sa  charité  envers  ceux  qui  soufiTraient. 

**  Le  lieutenant-gouverneur  Morris,  en  annonçant  sa 
mort  au  Rév  P.  Lacombe,  a  dit  que  ce  chef  lui  avait  été 
d'un  grand  secours,  l'été  dernier,  au  fort  Pitt,  lors  du  traité 
que  son  Honneur  a  conclu  avec  les  Cris,  et  qu'il  le  regret- 
tait sibcërement. 

'^  Il  y  a  une  dizaine  d'années,  Abraham  Wikaskokiséyin 
avait  accompagné  le  Père  Lacombe  à  Saint-Boniface,  où, 
dans  la  cathédrale,  il  avait  reçu  le  sacrement  de  confir- 
mation des  mains  de  Sa  Grandeur  Mgr.  l'Archevêque. 

''  Les  missionnaires  perdeut  en  lui  un  bon  ami,  les  sau- 
vages du  Nord-Ouest  un  chef  intelligent,  et  les  blancs  un 
^ppote€teur  dans  leurs  rapports  avec  les  indigènes." 


MISSION  DE  Ste.  CROIX  DE  TAD0US8AC. 

8  Février  1876; 
A  Sa  Grdce  Mgr.  P Archevêque  de  Québec. 

Monseigneur, 

Je  suis  heureux  d'être  arrivé  au  moment  de  pouvoir  en- 
tretenir Votre  Grandeur,  des  missions  qu*elle  a  confiées  à 
mes  soins  l'automne  dernier.  Je  commencerai  par  vous 
parler  de  Tadoussac,  qui  est,  comme  le  sait  Votre  Gran- 
deur, le  lieu  principal  de  ma  résidence. 

Le  township  "Tadoussac"  est  borné  à  TEst  par  les 
Petites  Bergeronnes,  à  l'Ouest  par  le  township  Albert  qui 
dépend  de  la  mission  de  Tadoussac.  La  population  qui  se 
composait  de  70  familles  en  l'année  1870  n'a  augmenté, 
depuis  cinq  ans, .que  dans  les  proportions  suivantes:  En 
Janvier  1870,  il  y  avait  à  Tadoussac  70  familles,  235  en- 
fants, 192  communions,  en  tout  385  âmes.  En  1876  j'ai 
fait,  dans  ma  visite  du  premier  de  l'an,  un  nouveau  recen- 
sement de  mes  ouailles,  et  j'y  ai  trouvé  75  familles«217 
enfants,  241  communiants,  en  tout  458  âmes.  Comme 
Votre  Grandeur  pourra  le  constater  par  le  tableau  suivant,, 
le  nombre  d'enfants  est  moins  grand  cette  annéa  qu'il  ne 
rélait  en  1870: 

Familles.    Enfants.    Communions.    Ames. 
Janvier  1875...        75  217  241  458 

Janvier  1870...        70  235  192  385 


Augmentation.         5  49  73 

Cette  augmentation,  sans  être  rapide,  donnerait  néan- 
moins beaucoup  d'espoir  pour  la  formation  d'une  nouvelle 
paroisse  en  arrière  de  Tadoussac,  dans  le  township  Albert  ; 
mais  on  ne  s'occupe  pas  assez  de  la  culture  malheureuse- 
ment, et  c'est  le  moyen  d'être  toujours  pauvre.  On  aime 
mieux  vivoter,  se  contenter  de  peu,  plutôt  que  d'abandon- 
ner les  côtes  arides  de  Tadoussac:  On  préfère  accompagner 
les  étrangers  qui  affluent  ici  pendant  la  belle  saison,  dans 
leurs  partis  de  chasse  ou  de  pêche  ;  hélas  !  c'est  un  moyea^ 


121 

d*être  toujours  esclaves  des  autres  et  de  ne  pas  exploiter  les 
bonnes  terres  qn'on  a  prises  dans  la  concession  et  plus  loin 
SUT  le  chemin  qui  conduit  à  la  mission  de  la  Rivière  Ste. 
Marguerite. 

Cependant  plusieurs  semblent  ouvrir  les  yeux  et  finissent 
par  comprendre  que  le  défrichement  de  ces  bonnes  terres 
leur  serait  plus  profitable  et  leur  rapporterait  plus  que  le 
peu  d'argent  qu'ils  gagnent  dans  leurs  excursions  avec  les 
étrangers.  Puissent-ils  le  comprendre  définitivement  et 
honorer  un  peu  plus  la  culture  I  Ce  serait  le  seul  moyen 
d'éloigner,  de  plusieurs  familles,  cet  état  de  médiocrité  ou 
plutôt  de  pauvreté  dans  lequel  elles  vivent.  Quatre  familles 
courageuses  sont  allées  se  fixer  au  milieu  du  lownship  Al- 
bert, à  trois  lieues  d'ici,  pour  commencer  à  ouvrir  les  bel- 
les et  bonnes  terres  qui  s'y  trouvent  :  espérons  que  l'exem- 
ple de  leur  courage  en  attirera  d'autres  ! 

L'ancienne  et  respectable  chapelle  de  Tadoussac,  bâtie 
en  1747  par  le  père  Goquart,  Jésuite,  n'est  plus  assez  spa- 
cieuse pour  la  population.  Il  suffit  de  connaître  les  di- 
mensions de  ce  modeste  temple,  pour  se*  persuader  de 
l'exiguité  du  local,  les  voici  :  longueur,  30  pieds  ;  largeur, 
20  pieds  avec  rond-point  y  compris:  le  chœur  n'a  que  10 
pieds  de  long. 

Pendant  l'hiver,  les  Tadousaciens  s'y  logent  encore,  tout 
en  y  étant  bien  à  la  gône  ;  mais  pendant  l'été  la  chapelle 
est  tout-à-fait  insuffisante:  il  y  a  un  plus  grand  nombre  de 
personnes  qui  entendent  la  messe  en  dehors  et  jusque  dans 
la  rue,  qu'il  y  en  a  qui  l'entendent  à  l'intérieur,  et  Votre 
Grandeur  comprend  la  difficulté  qu'il  y  a  pour  le  prêtre 
d'être  entendu  de  ces  personnes,  comme  aussi  là  difficulté 
pour  le  Connétable  de  faire  observer  l'ordre  et  le  silence  au 
plus  grand  nombre  dont  la  plupart  sont  des  jeunes  gens 
toujours  si  portés  à  se  dissiper  dès  qu'ils  ne  sont  plus  sous 
les  yeux  de  leurs  parents  ou  d'un  gardien. 

11  paraît  certain,  que  l'an  prochain,  M.  David  Price  et 
Cie.  feront  construire  des  moulins  à  vapeur  tout  près  de 
rAnse-à-l'Eau,  pour  le  sciage  du  bois.  Ces  moulins  don- 
neront de  l'emploi  à  200  ou  300  hommes;  alors.  Monsei- 
gneur, Votre  Grandeur  peut  facilement  jwger.combien  nous* 


122 

serons  à  rétrolt  dans  notre  petite  chapelle.  C'est  donc  le 
moment  urgent  de  commencei*  à  construire  une  demeure 
plus  vaste  à  Notre  Seigneur  Jésus  Christ  et  nous  n'atten- 
dons que  l'ordre  de  Votre  Grandeur  pour  nous  mettre  à 
l'œuvre  ;  puis  nous  espérons  que  l'œuvre  de  la  Propagation 
de  la  Foi  nous  viendra  en  aide  pour  cette  construction  ;  car, 
Monseigneur,  comme  Votre  Grandeur  le  sali  bien,  les  ha- 
bitants de  Tadoussac  sont  trop  pauvres  pour  soutenir  seuls 
tous  les  frais  que  devra  nécessiter  une  telle  entreprise. 

Secourus  par  la  Propagation  de  la  Foi,  avec  le  peu  que 
la  mission  possède  et  aussi  avec  la  bonne  volonté  de  plu- 
sieurs contribuables  de  la  place,  je  crois  que  nous  élève- 
rions, en  peu  de  temps,  ce  petit  temple.  Nous  comptons 
aussi  sur  la  libéralité  des  MM.  David  et  William  Price,  qui, 
toujours  dans  ces  occasions,  se  montrent  fort  généreux  ; 
ils  pourront  nous, donner  la  plus  grande  partie  du  bois 
nécessaire.  Puis  ensuite,  j'espère  que  les  touristes  qui 
séjournent  et  passent  en  grand  nombre,  par  Tadoussac, 
pendant  la  belle  saison  et  qui  ne  manquent  jamais  de  venir 
visiter  notre  chapelle,  cette  ancienne  relique  des  temps 
passés,  se  convaincront  facilement  de  la  nécessité  de  notre 
entreprise  et  qu'ils  nous  aideront  par  leurs  largesses. 

Son  Excellence,  Lord  DulFerin,  qui  a  ici  une  demeure 
princière  où  il  vient  avec  son  honorable  famille  passer  la 
belle  saison,  ne  manquera  pas  non  plus,  nous  en  sommes 
sûrs,  de  nous  offrir  un  don  généreux  ;  car  il  sui&t  de  con- 
naître l'intérêt  que  Lord  Dufferin  met  à  conserver  les  anti- 
quités de  la  vieille  capitale  du  Canada,  et  de  toute  la  pro- 
vince, pour  croire  aussi  qu'il  ne  refusera  pas  de  nous  aider 
à  embellir  le  lieu  où  il  possède  une  résidence,  ce  vieux 
Tadoussac  si  célèbre  dans  l'histoire  de  notre  pays. 

A  tout  amateur  d'antiquités,  voici  une  note  qui  ne  man- 
quera pas  d'intérêt,  elle  est  tirée  du  journal  du  père 
Coquart,  jésuite.    J'ouvre  ce  journal  et  je  cite  : 

''  Le  21  Mars  1747,  Blanchard  est  parti  pour  aller  écarrir 

^'  la  nouvelle  Eglise  à  Tadoussac,  selon  l'engagement  par 

'<  écrit  que  j'ai  avec  luju    Le  16  Mai  j'ai  béni  la  place  de  la 

'^^  nouvelle  Eglise  et  coigné  la  première  cheville.  Monsieur 

-^^Hocguart,  intendant  de  la  Nouvelle- l'rance,  a  accordé 


123 

'^  toutes  les  planches,  madriers,  bardeaux  et  tous  les  clous 
^*  nécessaires  pour  la  bâtisse  et  je  me  suis  engagé  pour  moi 
^^  et  mes  successeurs  à  dire  pour  lui  la  messe  tandis  que 
^^  l'Eglise  subsistera  pour  reconnaître  sa  libéralité.  Le  21 
''  Mars  1748  je  fus  à  Québec  et  j'obtins  encore  de  Monsieur 
*'  rintendant,  300  liv.  pour  ma  nouvelle  église  de  Tadous- 
'*  sac*  L'automne  1749  Monsieur  Bigot,  intendant,  m'ac- 
^*  corda  200  liv.  pour  mon  Eglise  de  Tadoussac,  qui  fut 
"  couverte  et  fermée  cette  année. 

"  Enfin  à  la  St.  Jean,  de  l'an  1750  la  dite  Eglise  fut  par- 
^  faitement  achevée  et  fut  estimée  à  3000  liv.  par  Monsieur 
^  Guillemin,  Conseiller  au  conseil  de  Québec  et  commis- 
"saire  du  Roi  à  Monsieur  Hary,  nouveau  fermier  des 
"  postes  du  1er  octobre  dernier." 

Voilà  ce  que  disait  le  père  Coq'uart  au  sujet  de  l'église 
qne  nous  possédons  encore,  quoique  depuis  ce  temps  elle 
ait  subi  quelques  réparations.  C'est  donc  une  vieille  reli- 
que que  nous  aimerons  à  conserver,  tout  en  élevant  à  ses 
côtés  une  autre  chapelle  plus  considérable.  Les  renseigne- 
ments du  père  Coquart  s'accordent  très  bien  avec  Tinscrlp- 
tion  trouvée  il  y  a  quelques  années,  sous  le  plancher  de  la 
dite  chapelle.  C'est  une  plaque  en  plomb,  sur  laquelle  sont 
les  lettres  suivantes  : 

"  L'an  1747  le  16  Mai  Monsieur  Coignet,  fermier  des 
"  Postes  ;  F.  Doré,  commis — Michel  Lavoye  fesant  l'Eglise 
"  — Le  père  Coquart,  Jésuite,  m'a  placée." 

Tadoussac  possède  une  bomie  maison  d'Ecole,  fréquentée 
par  cinquante  enfanta  cette  année.  Il  est  malheureux  qu'il 
n'y  ai  t  qu'une  seule  école  ici  ;  si  les  ressources  des  habitants 
le  permettaient,  une  autre  école  serait  d'une  grande  utilité, 
w  En  effet  la  maison  d'école  se  trouvant  dans  le  village  même 
de  Tadoussac,  un  bon  nombre  d'enfants  résidant  dans  le 
bas  de  la  paroisse  ou  dans  la  concession  se  trouvent  trop 
éloignés  pour  y  pouvoir  venir. 

La  piété  est  assez  remarquable  dans  ce  poste.  La  pla* 
part  de  mes  ouailles  savent  se  mettre  à  l'abri  des  dangers  qui 
résultent  da  contact  avec  cette  population  nomade  qui  nous 
arrive  chaque  printemps.  Cependant,  il  faut  l'avouer  avec 
peine,  il  y  a  eu  encore  l'été  dernier  quelques  défaillances 


124 

suFtout  en  ce  qui  regarde  les  boissons  enivrantes  ;  tel  qur 
serait  sobre  s'il  n'avait  pas  la  malheureuse  occasion,  noie* 
souvent  sa  raison  dans  le  vin  apporté  ici  par  les  étrangers. 
Les  victimes  de  ce  genre  son  peu  nombreuses,  Dieu  merci, 
mais  un  grand  nombre  d^autres,  quoique  n'étant  ^as  ivro- 
gnes de  profession,  ont  un  goût  prononcé  pour  les  liqueurs 
alcooliques.  L'on  dirait  que  plusieurs  Tadousaciens  ont 
hérité  des  dispositions  de  leurs  devanciers  indigènes  à 
Tadoussac,  en  ce  qui  regarde  les  boissons  fortes.  La  croix 
de  tempérance  n'y  est  tenue  en  honneur  que  par  quelques 
familles.  Espérons  que  plus  tard  d'autres  viendront  se 
ranger  sous  ce  signe  sacré  et  protecteur  1  Je  dirai  même 
à  Votre  Grandeur  que  trois  familles  dont  la  parenté  engen- 
dre  peut-ôtre  la  parité  dans  les  inclinations,  font  des  efforts 
inouïs  pour  obtenir  une*  licence  et  détailler  de  ces  malheu- 
reuses boissons.  J'espère  que  ces  efforts  viendront  se  briser 
contre  la  volonté  de  nos  quatre  braves  conseillers  munici- 
paux et  que,  comme  l'an  dernier,  le  coup  d'essai  manquera. 

Une  licence  accordée  serait  un  grand  malheur  !  les  gens 
de  Tadoussac,  qui  sont  pauvres  pour  \A  plupart,  n'ont  que 
faire  de  ces  tristes  demeures,  où  irait  s'engouffï^er  l'ar- 
gent si  rare  et  si  nécessaire  pour  procurer  le  pain  à  leurs 
familles. 

Les  exercices  du  Jubilé,  qui  ont  eu  lieu  en  décembre 
dernier,  ont  été  bien  suivis  par  mes  paroissiens  et  le  soir  à 
7  heures  il  j  avait  foule.  Pour  la  commodité  des  journaliers 
et  des  personnes  de  métiers^j'avais  renvoyé  jusqu'à  cette 
heure  le  sermon,  qui  était  précédé  de  la  prière  et  suivi  de 
la  bénédiction  du  très-Saint  Sacrement.  Tous  se  sontap* 
proches  du  tribunal  dd  la  pénitence  et  de  la  sainte  table,  à. 
l'exception  de  quelques  négligents  dont  le  nombre  n^excë- 
dait  pas  7  ou  8.  Après  Dieu  le  mérite  en  revient  i  mes 
confrères  voisins,  qui  ont  bieù  voulu  prêcher  dans  cette 
circonstance,  et  être  les  instruments  choisis  de  Dieu  pour 
lui  réconcilier  les  pauvres  pécheurs.  En  sommé,  si  le 
pauvre  missionnaire  a  plus  de  sacrifices  à  faire,  s'il  a  à 
passer  la  plus  grande  partie  de  scn  temps  dans  l'isolemeni, 
éloigné  de  ses  confrères  qu'il  ne  voit  qu'après  de  longs  io^ 
tervalles,  en  revanche,  le  bon  Dieu  sait  lui  ménager  de? 


125 

temps  en  temps  beaucoup  de  consolalion  et  de  joies  s^iasi» 
blés  au  cœur. 

MISSION  DE   ST.   FIRMIN   DE   LA   RIVIÈRE   AUX    CANARDS. 

La  mission  de  la  Rivière  aux  Canards  et  gui  a  saint  Fir- 
min  pour  patron,  est  desservie  par  le  missionnaire  de 
Tadoussac  d'une  manière  assez  régulière.  Il  n'y  a  que  les 
forts -vents  du  Nord-ouçst  qui  soufflent  si  souvent  ici,  et 
les  glaces  dont  le  Saguenay  est  souvent  couvert  qui  appor- 
tent quelques  retards  dans  les  époques  déterminées  pour  la 
mission.  Depuis  Tautomne  dernier,  les  gens  de  St.  Firmin 
ont  la  messe  un  dimanche  sur  six  et  une  autre  messe  sur 
semaine  pendant  Tinterval  ;  faveur  qu'ils  doivent  à  votre 
bienveillance,  Monseigneur,  et  dont  ils  n'oublieront  jamais 
le  bienfait.  Chaque  jour,  ou  les  entend  témoigner  leur  re* 
connaissance  envers  Votre  Grandeur  d'abord,  puis  envers 
celui  qui  va,  au  nom  de  Dieu  et  par  votre  autorité,  leurpor* 
ter  les  secours  de  noire  sainte  religion.  II  leur  fallait  la  mes- 
se quelquefois  le  dimanche  pour  ne  pas  leur  laisser  oublier 
que  ce  jour  est  consacré  à  Dieu  d'une  manière  toute  spéciale 
et  pour  les  amener  à  bien  l'observer.  On  comprend  facile- 
ment qu'étant  continuellement  privé  de  la  messe  le  diman- 
che, et  se  trouvant  presque  toujours  dans  l'impossibilité  de 
l'entendre  à  raison  de  la  traverse  du  Saguenay  qui  est  le 
plus  souvent  dangereux,  on  finit  par  ne  considérer  ce  jour 
que  comme  un  jour  ordinaire.  Il  le  fallait  encore  afin  de 
ne  pas  permettre  aux  hérétiques  d'insinuer  à  ces  pauvres 
jeunes  gens  le  poison  de  l'erreur  ;  car  c'est  surtout  le 
dimanche  que  ces  apostats  éhontés  s'efïorcent  de  faire  des 
prosélytes,  profitant  du  jour  où  les  gens  sont  désœuvrés 
et  réunis  ensemble  au  foyer  domestique.  Les  gens  de  cette 
mission  paraissent  heureux  de  pouivoir  se  réunir  de  temps 
à  autres  le  dimanche  autour  du  missionnaire,  et  je  vous 
assure,  Monseigneur,  que  j'en  profite  pour  leur  faire  voir 
Terreur  et  la  mauvaise  foi  des  pasteurs  bibliques,  et  pour 
leur  rappeler  les  vérités  immuables  de  notre  sainte  religion. 

Deux  chefs  de  famille  que  l'erreur  avait  atteints  assez 
facilement  à  canse  de  leur  ignorance,  sont  rej^enus  à  des 
-sentiments  plus  religieux  ;  l'un  d'eux  s'est  même  approché 


126 

du  tribunal  de  la  pénitence  et  Tautre  donne  les  meilleures 
espérances  de  retour  :  depuis  quelque  temps  ils  sont  tous 
deux  très- réguliers  à  assister  à  la  messe  à  chaque  mission 
que  je  donne  à  St.  Finnin. 

Votre  Grandeur  sait,  sans  douce,  que  Tan  dernier  un  habi- 
tant de  la  Rivière  aux  Canards,  trompé  et  perverti  par  les 
émissaires  de  Satan,  a  apostasie  et  s'est  ainsi  jeté,  tôte  bais- 
sée, dans  le  précipice  de  Terreur...  Reviendra-t-il  à  la  foî 
catholique  ?  Dieu  seul  le  sait...  Les  conjectures  nous  por- 
tent à  croire  qu'il  mourra  dans  son  apostasie  avec  sa  pauvre 
famille  qu'il  a  associée  à  son  malheur.  Pauvre  âme,  paa- 
vre  famille  !  !  ! 

En  somme,  quoiqu'il  y  ait  encore  trois  à  quatre  indiffé- 
rents qui  ne  donnent  pas  signe  de  vie,  tous  les  autres  nous 
ont  donné  les  plus  grandes  consolations  dans  les  différentes 
missions  que  nous  leur  avons  données;  ils  assistent  aux 
instructious  ainsi  qu'à  la  sainte  messe  avec  une  assiduité 
peu  ordinaire. 

C'est  surtout  à  l'occasion  du  Jubilé  qu'ils  ont  montré^ 
leur  foi  et  leur  piété.  Quatre  prêtres  que  nous  étions, 
nous  avons  été  tous  vraiment  édifiés  et  touchés  de 
voir  leur  empressement  a  profiter  de  la  grâce,  et  nous 
en  sommes  sûrs,  la  grâce  n'a  pas  passé  en  vain,  puisque  la 
belle  résolution  qui  a  couronné  les  exercices  du  Jubilé  a 
été  celle  de  s'enrôler  sous  la  bannière  de  la  Croix  en  renon- 
çant librement  et  généreusement  aux  boissons  enivrantes. 
Plus  de  trente  personnes,  jeunes  gens  et  chefs  de  famille 
ont  pris  la  croix  de  tempérance  ! 

La  mission  de  St.  Firmin  ne  progresse  pas,  mais  elle  ne 
diminue  pas  non  plus.  Elle  ne  renferme,  comme  en  1874^ 
qu'une  trentaine  de  familles.  D'après  le  recensement  que 
j'ai  fait,  celte  année,  dans  ma  visite,  j'ai  trouvé  que  le  nom- 
bre positif  des  communiants  est  de  112,  celui  des  non-com 
muniants,  en  y  comprenant  les  protestants,  est  de  79 — en 
tout  191  âmes. 

Une  chapelle  de  40  x  25  pieds  est  levée  et  close;  mais 
elle  n'est  pas  encore  en  état  de  recevoir  son  petit  peuple 
pour  les  s^jnts  mystères.  J'espère  que  ce  printemps  les 
travaux  se  continueront  activement  et  que  nous  y  ferons 


127 

les  offices  dès  Tautomne.  Je  prends  ici  occasioa  de  remer- 
cier rœnvre  delà  Propagation  de  la  Foi,  des  secours  qu'ellp 
nous  a  accordés  pour  bâtir  cette  chapelle  devenue  si  néces- 
saire dans  les  temps  mauvais  où  Thérésie  tentait  à  se  pro- 
pager ;  car  par  ce  moyen  le  culte  divin  sera  relevé  à  leurs 
yeux  et  à  leur  esprit,  et  rhérésie  tentera  moins  à  y  marcher 
tète  levée. 

Une  bonne  école  fonctionne  à  St.  Firmin;  20  enfants  la 
fréquentent  assez  régulièrement. 

MISSION  DE   STE.    MARGUERITE. 

La  mission  de  la  Rivière  Ste.  Marguerite  située  à  6  lieues 
de  Tadoussac  sur  la  rive  droite  du  Saguenay  en  remontant, 
renferme  une  population  de  120  âmes,  dont  62  commu- 
niants et  58  non-communiants.  Dans  ce  chiffre  se  trouvent 
comprises  les  familles  qui  résident  à  une  demi-lieuc  plus 
haut  aux  '^Islets  rouges,  "  dans  le  voisinage  desquels  sont 
construits  les  moulins  à  scies  de  MM.  Louis  et  Joseph  llar- 
vey.  Comme  les  gens  de  ces  moulins  ont  beaucoup  de 
difficulté  à  se  rendre  à  la  chapelle  de  Ste.  Marguerite,  le 
missionnaire  se  transporte  chez  eux  et  donnent  la  mission 
dans  la  maison  de  M.  Louis  Harvey  qui  la  voit  de  bonne 
grâce  se  transformer  en  chapelle  pour  un  moment,  aûn  de 
permettre  aux  employés  de  ses  chantiers  et  de  ses  moulins 
de  remplir  leurs  devoirs  religieux  et  surtout  d'assister  k  la 
sainte  messe. 

La  chapelle  de  StP.  Marguerite  estassez  spacieuse  pour  la 
population;  elle  a  30  x  24.  L'extérieur  n'est  pas  encore 
achevé,  il  le  sera  (  o  printemps  ainsi  que  la  petite  sacristie 
qui  a  été  annexée  ù  cette  chapelle  et  qui  n'est  pas  cucoro 
logeable. 

Il  y  a  une  maison  d'école  à  Ste.  Marguerite  mais  mal- 
heureusement, elle  ne  fonctionne  pas  cette  année  ;  cela 
vient  surtout  de  ce  qu'aucune  institutrice  n'aime  beaucoup 
aller  s'isoler  ainsi,  loin  de  l'église  et  du  prêtre.  Pourtant 
ce  serait  un  avantage  bien  précieux  pour  ces  pauvres  gens 
d*avoir  au  milieu  d'eux  une  bonne  école.  Car  ils  sont 
ignorants,  et  privés  d'une  école  leurs  enfants  ne  seront 
guère  plus  instruits.    Le  missionnaire  ne  peut  aller  bien 


128 

souvent  leur  porter  Viiistructioa  eX  les  secours  de  la  reli- 
gloQ  vu  la  distance  qui  les  sépare  de  Tadoussac  et  Tétat 
impraticable  des  chemins. 

Là  comme  dans  les  autres  endroits  où  le  missionnaire 
n'apparaît  qu'à  de  rares  intervalles,  on  pourrait  souhaiter 
plus  de  perfection  dans  l'accomplissement  des  devoirs  reli- 
gieux. Il  y  a  une  plaie  difficile  à  guérir  :  ce  sont  les  blas- 
phèmes et  les  mauvaises  paroles.  Si  le  prêtre  est  assez 
heureux  pour  renverser  cette  batterie  du  démon,  ce  sera 
un  grand  point  de  gagné. 

Le  désœuvrement  du  dimanche  a  bien  aussi  ses  incon- 
vénients; mais  il  faut  espérer  qu'ils  suivront  mes  conseils 
et  qu'ils  s'assembleront  tous  les  dimanches  dans  leur  cha- 
pelle pour  y  faire  une  lecture  de  piété,  dire  le  chapelet  el  * 
faire  le  chemin  de  la  Croix.  En  effet  ils  ont  maintenant  un 
assez  joli  chemin  de  Croix  que  j'ai  béni  daas  le  mois  de 
janvier  selon  la  permission  que  m'en  avait  accordée  Votre 
Grandeyu. 

Je  vous  -demande  pardon,  Monsei/îneur,  de  vous  avoir 
ennuyé  aussi  longuement  par  ces  différents  rapports  et  je 
sollicite  humblement  de  Votre  Grandeur,  qu'elle  daigne 
me  bénir  d'une  manière  toute  spéciale  ainsi  que  le  petit 
troupeau  confié  à  mes  soins. 

J'ai  rhonneur  d'être  avec  respect, 
Monseigneur, 

De  Votro  Grandeur, 
Le  très  humble  et  très  dévoué  fils, 

F.  E.  T.  Casault,  Pire. 

Miss. 


NOUVEAU-BRU NSW ICK. 

LÉPROSERIE  DE  TllACADIE. 

Les  religieuses  de  THôteLDieu  de  Montréal  ont  entre 
pris,  il  y  a  neuf  ans,  une  œuvre  admirable  de  dévouement 
et  d'héroïsme,  une  œuvre  capable  à  elle  seule  de  faire 
aimer  et  respecter  une  religion  qui  enfante  de  tels  prodiges 
de  charité  et  d'abnégation,  nous  voulons  parler  du  soin 
des  Lépreux  à  Tracadie  dont  elles  se  sont  chargées  en 
Septembre  1868. 

Cette  mission  importante  des  Sœurs  de  THôtel-Dieu  de 
Montréal  est  peu  connue  ;  nos  Annales  en  ont  à  peine  parlé, 
les  journaux  n^'ont  fait,  dans  le  temps,  qu'annoncer  le 
départ  des  Sœurs  ;  néanmoins  une  de  nos  bonnes  plumes 
canadiennes  et  catholiques,  M.  E.  Lef.  deBellefenille,  traça 
de  belles  pages  sous  le  titre  *'  Les  Lépreux  de  Tracadie/' 
dans  la  Revue  Canadienne  (Août  1870),  mais  ces  pages 
pleines  d'intérêt  ne  furent  lues  que  par  les  lettrés,  les 
seuls,  à  peu  près,  qui  s'abonnent  aux  grandes  Revues.  Le 
travail  de  M.  de  Bellefeuille  étant  très  propre  à  faire  con 
naître  et  apprécier  l'œuvre  de  nos  dévouée»  religieuses, 
donnant  de  plus  des  renseignements  précieux  sur  l'histoire 
proprement  dite  de  cette  colonie  infortunée,  nous  ne  pou- 
vons rien  faire  de  mieux  que  de  le  reproduire  ici  en  grande 
partie  ;  les  Associée  de  la  Propagation  de  la  Foi  y  trouve- 
ront leur  profit  sous  plus  d'un  rapport,  et  surtout  ils  y  admi- 
reront le  dévouement  sans  borne,  l'héroisme  sublime  de 
nos  religieuses  qui  eurent  le  courage  chrétien  d'aller  se 
faire  les  amies,  les  sœurs  de  ces  êtres  délaissés  de  tous  et 
croupissant  dans  la  plus  profonde  misère  depuis  plus  de 
cent-cinquante  ans. 

Nous  laissons  la  parole  à  l'écrivain  de  la  Revue  : 

^*  Il  y  a  longtemps  qa'on  le  dit,  le  Bas-Canada  est  Tins 
trament  dont  se  sert  la  Providence  de  Dieu  pour  évangé 
User  la  terre  de  l'Amérique,  instruire  les  iguorants,  recourir 
les  pauvres,  soigner  les  malades,  élôver  les  enfants  dans  le 
bon  chemin,  sur  la  face  de  cet  immense  continent.    Au> 


130 

Chili,  au  Bi*ésil,  au  Pérou,  dans  TOrégon,  à  la  Rivière- 
Rouge,  à  Terreneuve,  jusque  dans  les  immenses  steppes 
glacées  de  PÂmérique  russe  et  de  la  Baie  d'Hudson,  le 
Canada  envoie  des-évêques,  des  prêtres,  des  missionnaires, 
des  religieux,  des  religieuses,  exercer  toutes  les  œuvres  de 
la  charité  chrétienne,  et  faire  connaître  partout  les  descen- 
dants des  héros  et  des  inartys  qui  ont  jadis  fondé  cette 
colonie  de  la  Nouvelle-France.  Même  aujourd'hui,  notre 
pays  ne  cesse  de  vérifier  la  remarque  que  je  viens  de  faire; 
par  là,  il  continue  l'entreprise  commencée  par  Jacques- 
Cartier  et  ses  compagnons,  continuée  par  Champlain  et 
Mgr.  de  Laval  ;  entreprise  qui  consiste  à  porter  la  lumière 
de  la  vraie  foi  aux  infidèles  et  à  tous  ceux  qui  en  sont 
privés,  et  qui  a  déterminé  rétablissement  de  ce  pays.  Bien 
aveugle  serait  celui  qui  ne  verrait  pas  dans  ce  rôle  impor- 
tant que  remplit  le  Canada  avec  une  mystérieuse  constance 
depuis  bientôt  trois  siècles,  la  main  de  la  Providence  qui 
a  permis  que  d'autres  nations  en  Amérique  devinssent 
plus  grandes  par  la  richesse,  plus  puissantes  par  la  poli- 
tique, plus  influentes  par  le  commerce,  plus  fortes  par  les 
travaux  matériels;  mais  qui  n'a  pas  voulu  qu'aucune  con- 
tribuât davantage  à  l'œuvre  religieuse,  à  Tœuvre  catho- 
lique,  que  le  plus  petit  de  tous  les  peuples,  le  peuple  du 
Canada  1 

"  Ces  réflexions  me  sont  inspirées  par  la  lecture  de  plu- 
sieurs lettres  et  autres  documents,  dont  quelques-uns  sont 
inédits,  qui  donnent  les  détails  les  plus  navrants  sur  une 
classe  d'infortunés  qui  existe  et  souffre  à  nos  portes,  dans 
la  province  du  Nouveau-Brunswick,  sans  autre  espoir  de 
cesser  de  souffrir  qu'en  cessant  d'exister.  Je  veux  parler 
•des  Lépreux  de  Tracadie.  Les  plus  malheureux  de  tous 
les  hommes,  non  seulement  ils  n'ont  pas  l'espoir  de  la 
fruérison  pour  les  soutenir  à  traîner  leur  misérable  vie; 
mais  ils  n'ont  pas  môme  la  consolation,  généralement, 
d'inspirer  des  sentiments  de  pitié  à  leurs,  semblables  :  c'est 
un  sentiment  d'horreur  qu'ils  répandent  autour  d'eux.  Ce 
ne  sont  pas  des  regards  de  compassion  qui  se  reposent  sur 
leurs  traits  défigurés  et  monstrueux,  sur  leur  plaies  béan- 
U's  ;  ce  sont  des  regards  de  terreur  et  de  dégoût.  Eh  bien, 


131 

ces  malheureux  n'oat  pas  échappé  à  la  charité  des  reli- 
gieuses canadieunes  ;  car  il  y  a  deux  ans,  (t)  môtel-Dieu 
de  Montréal  envoyait  à  Tracadie  six  de  ses  membres,  qui 
B'étaient  volontairement  sacrifiés  et  dévoués  pour  le  reste 
de  leurs  jours,  aux  soins  des  Lépreux.  Le  gouvernement 
protestant  du  Nouveau-Brunswick,  pour  lequel  ces  inîor- 
tunés  étaient  depuis  longtemps  un  embarras,  a  confié  avec 
joie  à  ces  vénérables  religieuses,  la  garde  du  Lazaret  et  le 
traitement  des  malades,  rendant  par  là  un  bel  hommage 
aux  ordres  religieux  de  TEglise  catholique.  De  fait,  il  était 
grandement  temps  que  ce  secours  arrivât,  car,  comme  on 
le  verra  plus  tard,  tous  reconnaissent  qu'avant  la  venue 
des  sœurs,  les  Lépreux  ne  rerurent  guère  les  soins  qu'exige 
leur  état." 

^*  Les  premiers  établissements  sur  la  Rivière  Miramichi, 
Nouveau-Brunswick,  furent  faits  bientôt  après  le  traité 
d'Utrecht,  en  1713,  par  des  sujets  ds  la  France,  principale- 
ment des  Basques,  des  Bretons  et  des  Normands.  Sous 
l'administration  du  Cardinal  Fleury,  de  puissantes  mesures 
furent  mises  en  œuvre  afin  d'encourager  et  faire  avancf^r 
ces  établissements,  qui,  en  j)eu  de  temps,  progressèrent  si 
bien  qu'un  Monsieur  Pierre  Beaubair  fut  envoyé  de  France 
comme  Intendant,  afin  d'en  diriger  les  affaires  au  nom  de 
la  France.  II  bAtit  une  petite  ville  à  !a  pointe  de  terre  qui 
porte  son  nom  jusqu'à  présent,  à  l'embouchure  de  la  bran- 
che nord-ouest  de  la  rivière  Miramichi.  L'isle  en  face, 
connue  aujourd'hui  sous  le  nom  de  i'Isle  Beaubair,  était 
fortement  défendue  ;  et  il  est  dit  par  des  vieillards  que 
dans  ce  fort,  il  y  avait  une  fonderie  à  canon,  et  des  bou- 
tiques pour  les  finir,  ainsi  que  des  manufactures  de  muni- 
tions de  guerre. 

"  Durant  l'été  de  1737,  les  établissements  sur  la  rivière 


(t)  Les  révérendes  sœurs  partirent  de  Montréal  le  12  septembre  1868 
et  arrivèrent  à  Tracadie  le  20  du  même  mois.  Voici  les  noms  de  ces 
femmes  dévouées  : 

S(Bur  Page,  supérieure  ;  sœur  Quesnel,  assistante  ;  sœur  Yiger  dite  St. 
Jean  de  Goto;  sœur  Brault;  soeur  Clémence,  converse;  sœur  Luména, 
toniTière.  Depuis  cette  date,  la  sœur  Page  est  revenue  en  Canada;  les 
sœurs  Sicotte  et  Reid  sont  parties  pour  Tracadie  le  12  juin  1869. 


132  • 

TiJiraniichi  eurent  beaiicoup  à  souffrir  de  la  guerre  entré 
la  France  et  l'Angleterre,  qui  intetceptaît  leur  trafic  de 
poisson  et  de  fourrures.  L'hiver  suivant,  ils  forent  réduits 
à  une  grande  extrémité  par  la  famine  gui  fit  périr  angraad 
ùombre  d'habitants. 

"  Deux  transports  cbareés  de  provisions,  d'étoffes  et  d'ha 
billements  leur  fqrent  envoyés  de  France  en  1758,  maïs 
tous  deux  furent  capturés  par  les  vaisseaux  de  la  flotte 
anglaise  alors  employée  à  la  prise  de  la  ville  de  Louisbourg. 

*'  Pendant  que  ces  premiers  colons  souffraient  les  plus 
grandes  privations  un  vaisseau  français  appelé  U Indienne, 
de  Morlaix,  fit  naufrage  à  l'embouchure  de  Miramichi, 
près  du  goulet  de  la  Baie  des  Vents,  nommée  aujourd'hui 
par  erreur  "  Baie  du  vin."  La  tradition  raconte  que  ce 
vaisseau,  avant  de  venir  en  Amérique,  avait  fait  le  trafic 
dans  le  Jjevant  et  que  quelques  ballots  de  vieilles  hardes 
qui  avalent  été  mises  à  bord  à  Smyrne,  furent  poussés  au 
rivage  après  2e  naufrage,  et  que  ces  habillements  furent 
recueillis  et  portés  par  des  habitants  de  Miramichi.  Quoi- 
qu'il en  soit,  il  est  certain  qu'il  sortit  de  ce  vaisseau  une 
affreuse  maladie  qui  s'abattit  sur  les  malheureux  Âcadiens 
déjà  décimés  par  la  famine  dans  les  établissements  de 
Miramichi.  Cette  peste  s'abattit  avec  la  plus  grande  sévé- 
rité sur  la  ville  de  Beaubair,  et  l'une  de  ses  premières 
victimes  fut  M.  de  Beaubair  lui-même.  La  maladie  con- 
jointement avec  la  famine,  n'enleva  pas  moins  de  huit 
cents  babitanls,assure-t  on,  qui  furent  enterrés  à  la  Pointe- 
Beaubair. 

"  Les  survivants  abandonnèrent  Miramichi  et  s'enfuirent, 
quelques-uns  à  l'Ile  Saint- Jean,  maintenant  l'Ile  du  Prince- 
Edouard,  et  le  plus  grand  nombre  se  fixa  le  long  de  la 
côte  ouest  du  golfe  St.  Laurent,  où  ils  formèrent  de  nou- 
veaux établissements  tels  que  Niguaweck,  Tracadie  et 
Poêkmouche  ;  ils  contribuèrent  aussi  à  ragrandissement 
de  la  paroisse  de  Caraquet  (1). 

<' Pendant  bien  longtemps,  c'est-à-dire  pendant  plus  de 
quatre-vingts  ans,  quoique  Ton  sût  que  la  lèpre  existât  dans 


(t)  Tous  ces  renseignements  n'ont  été  communiqués  par  M.  Tabbé 


(iauvreau. 


133 

«ces  établissemeats  éloignés,  cependMt  elle  n'attira  que  fort 
peu  ratte^tioQ  publique,  quau^,  en  1817,  le  cas  d'une  femme 
nommée  Ursule  Landry,  qui  eo  mourut,  la  fit  remarquer. 
'^  Une  relation  écrite  par  une  des  religieuses  de  THÔtel** 
Dieu  et  que  Ton  a  bien  voulu  me  communiquer,  attribue 
une  origine  quelque  peu  différente  à  ce  iléau.  ^'  D'après 
la  tradition,  dit  l'auteur,  la  maladie  surnommée  ^'  Maladie 
do  Tracadie,"  fut  importée  en  1758,  dans  le  Nouveau- 
Brunswick,  par  un  bâtiment  venant  du  Levant,  pour  le 
trafic  de  la  poche.  Le  bâtiment  ayant  touché  terre  tard 
dans  l'automne,  l'équipage  fut  obligé  de  se  disperser  dans  * 
4ifrérents  endroits,  nommément  à  Caraquet.  Malheureuse- 
ment, cet  équipage  était  atteint  d'une  maladie  que  personne 
ne  soupçonnait.  Les  gens  du  pays  ayant  donné  l'hospi- 
talité à  ces  navigateurs,  plusieurs  femmes  s'employèrent  à 
laver  leurs  hardes  et  prirent  ainsi  la  maladie  sans  s'en 
douter  ;  laquelle  se  transmettant  depuis  de  l'un  à  l'autre, 
et  sans  doute  de  père  en  fils,  prit  à  la  longue  un  caractère 
particulier." 

Son  Excellence  l'Hon.  Arthur  Hamillon  Gordon,  lieu- 
tenant-gouverneur du  Nouveau-Brunswick  en  1862,  a  assi- 
gné une  origine  analogue  au  terrible  fléau,  dans  une  inté- 
ressante l)rochuré  qu'il  a  intitulée  :  WUderness  Joumeys  in 
NeW'BrunstDick  in  1862-3. 

Voici  ce  qu'il  en  dit  : 

"  Il  existe  une  tradition  obscure  et  incertaine,  d'après 
laquelle  un  navire  français  s'échoua,  il  y  a  environ  quatre- 
vingts  ou  cent  ans,  sur  les  côtes  du  comté  de  Gloucester  ou 
de  Northuraberland,  et  que,  parmi  les  hommes  de  l'équi- 
page qui  échappèrent  au  naufrage,  étaient  des  matelots 
venant  de  Marseille,  qui  avaient  attrapé  dans  le  Levant  la 
véritable  lèpre  de  l'Orient,  VElcphantiasis  Grœcorumy  Quoi- 
qu'il en  soit,  il  n'y  a  aucun  doute  que,  depuis  bien  des 
années  passées,  une  partie  de  la  population  française  de  ces 
comtés  a  été  affligée  de  cette  terrible  maladie,  ou  d'une 
affection  qui  lui  ressemble  beaucoup,  peut-être  de  cette 
forme  particulière  de  lèpre  que  l'on  rencontre  sur  les  côtes 
de  la  Norvège  1  " 


134 

^^  Il  est  difficile  de  se  persuader,  dit  de  son  côté  M.  Gau- 
Treau,  curé  de  Tracadie  et  chapelain  du  Lazaret  depuis  dix- 
huit  aus,  dans  une  lettre  en  date  du  30  novembre  1859  (1)^ 
il  est  difficile  de  se  persuader  que  cette  maladie  ait  pris^ 
son  origine  dans  cet  endroit  même  où  elle  règne. 

"  La  position  géographique  de  la  mission  de  Tracadie,  en 
face  eC  sur  le  bord  de  la  mer,  entrecoupée  de  rivières  dans 
lesquelles  la  montée  de  Peau  de  la  mer  se  fait  sentir  jusqu'à 
8  ou  9  milles  de  leurs  embouchures  ;  le  terrain  en  partie 
sablonneux  et  en  partie  légèrement  argileux,  ne  renfer- 
mant aucun  marais  infect,  et,  par  conséquent,  Tabsence 
absolue  de  tout  miasme  nuisible,  tout  cela,  il  me  semble, 
doit  justifier  Topinion  que  j'ai  toujours  entretenue  et  à 
laquelle  je  tiens  encore,  que  le  virus  de  cette  peste  n'a  pas 
pris  naissance  dans  Tendroit,  mais  a  dû  être  originaire- 
ment apporté  ici  par  quelqu 'et ranger  soit  navigateur  ou 
voyageur  par  terre.  Ce  voyageur  ou  passant,  quelqu'il  soit, 
aurait  pris  logement  dans  l'endroit,  aurait  bû  dans  les  vais- 
seaux à  boire  d'une  famille  hospitalière,  il  y  aurait  eu  son 
linge  lavé,  il  aurait  couché  dans  un  des  lits  de  la  maison,  il 
aurait  laissé  sa  salive  empestée  (je  devrais  dire  son  venin) 
sur  les  parois  du  vaisseau  à  boire,  ou  ayant  sur  ses  mem* 
bres  des  ulcères  en  état  de  suppuration,  il  aurait  empoi- 
sonné la  couche  qui  lui  aurait  été. cédée  par  charité*  Après 
son  départ,  quelqu'un  de  la  famille  aurait  bu  dans  le  vais- 
seau qui  aurait  servi  à  ce  passant,  ou  aurait  couché  sous 
les  mômes  couvertures,  et  ce  misérable,  après  avoir  été 
l'objet  sacré  de  la  belle  hospitalité  française,  aurait  trans- 
mis ainsi  le  virus  de  son  mal  à  ses  hôtes,  et  aurait  fait 
d'eux  et  de  leurs  descendants  ce  que  ces  lépreux  sont  ac- 
tuellement, des  objets  repoussants  de  dégoût  et  de  frayeur, 
€t  de  Tracadie  un  lieu  frappé  au  coin  de  l'anathôme  public.'» 

La  tradition  rapportée  par  ces  écrivains  doit  donner  la 
vérité  sur  l'origine  du  terrible  fléau.    Ils  ne  s'accordent 
pas,  il  est  vrai,  sur  la  manière  dont  la  maladie  a  été  ap 
portée.  Il  semble  difficile,  en  effet,  de  croire  que  des  eauses^ 
locales  aient  fait  naître  dans  cette  partie  du  pays  une  ma- 


(I)  Publiée  dans  le  journal  de  Montréal  U Ordre, 


135 

ladie  aussi  extraordinaire.  Il  est  malheureusement  bien 
d'autres  endroits  que  Tracadie  et  Miramichi  où  les  habi- 
tants sont  pauvres  et  malpropres,  mal  nourris  et  pechaurs^ 
et  qui  vivent  dans  un  atmosphère  humide;  cependant,  c'est 
à  Tracadie  seulement  ou  aux  environs  que  Ton  rencontre 
aujourd'hui  la  lèpre.  Au  Labrador,  à  Terre-Neuve,  les 
habitants  se  nourrissent  tout  autant  de  poisson,  vivent  dans 
des  conditions  climatériques  semblables,  n'observent  pas 
davantage  les  prescriptions  hygiépiques,  et  pourtant  la 
maladie  de  Tracadie  ne  les  décime  pas. 

Quoiqu'il  en  soit  de  l'origine  de  ce  terrible  fléau,  il  est 
certain  qu'il  règne  aujojurd'hui  à  Tracadie,  et  qu'il  y  règne 
déjà  depuis  un  grand  nombre  d'années.  Depuis  le  moment 
de  son  introduction  dans  le  pays,  la  maladie,  dit  la  relation 
-que  j'ai  déjà  citée,  fit  sourdement  son  chemin  jusqu'en 
1817,  qu'elle  fut  reconnue  parles  ravages  qu'elle  faisait, 
«t  chacun  commença  dès  lors  à  se  tenir  en  garde  contre 
elle.  Mais  ce  ne  fut  qu'en  1844  que  les  autorités  s'en  pré- 
occupèrent. Une  commission  médicale  fut  nommée  ;  elle 
fit  part  de  ses  investigations  au  gouvernement,^  et  dans 
l'année  précitée  un  acte  de  la  législature  provinciale,  passé 
et  renouvelé  avec  quelques  modifications  en  1850,  autorisa 
le  Lieutenant-Gouverneur  de  la  Province  à  établir  un  co- 
mité de  santé.  Ce  comité  local  duement  approuvé  établit 
^'abord  un  Lazaret  dans  l'Ile  de  Sheldrake,  position  isolée, 
^u  milieu  de  la  rivière  de  Miramichi,  à  environ  18  milles 
au-dessus  de  Chalham. 

'-Quelqu'un  était-il  trouvé  atteint  de  la  maladie,  con- 
tinue l'écrivain  que  je  viens  de  citer,  il  lui  fallait,  de  gré 
ou  de  force,  s'arracher  à  sa  famille;  l'époux  était  enlevé  à 
^on  épouse,  la  mère  à  ses  enfants,  les  enfanis  à  leurs  pa- 
^*enls,  quelqu'ils  fussent,  aussitôt  qu'on  reconnaissait  en 
■e\ix  les  symptômes  de  la  lèpre.  On  les  forçait  de  dire  adieu 
à  tout  ce  qui  leur  était  cher  pour  aller  se  confiner  dans 
cette  prison.  Il  est  arrivé  plusieurs  fois  que  certains  lé- 
preux refusant  de  se  rendre  au  Lazaret,  on  les  y  traînait 
avec  des  cordes,  comme  des  animaux,  car  personne  n» 
voulait  mettre  la  main  sur  eux,  et  môme  on  les  frappait  à 
^0Qp8  de  bâton  jusqu'à  ce  qu'ils  entrassent. 


136 

^^  Mais  les  choses  ne  pouTaient  demeurer  longtemps  en 
cet  état,  puisque  les  lépreux,  excités  par  la  souffrance,. 
l'euDui  et  le  désir  de  jouir  de  leur«  liberté,  s'échappaient 
pour  retourner  dans  leur  famille. 

"  On  songea  donc  à  améliorer  leur  sort.  Pour  cet  effêt^ 
en  1847,  on  transféra  le  Lazaret  dans  la  position  qu'il  oc- 
cupe  aujourd'hui,  à  un  demi-mille  de  l'église  paroissiale  de 
Tracadie,  où  un  assez  vaste  terrain  a  été  acheté  par  le  gou- 
vernement et  entouré  d'une  clôture  de  pieux  de  cèdres  de 
vingt  pieds  de  haut,  garni  de  clous  aûn  d'empêcher  les 
pauvres  lépreux  de  s'échapper.  Les  ^fenêtres  du  Lazaret 
furent  garnies  de  grosses  barres, de  fer,  ce  qui  donna  un 
assez  triste  aspect  à  ce  séjour  de  douleur.  Ces  barres 
de  fer  demeurèrent  ainsi  aux  fenêtres  jusqu'à  en  1869^ 
que  les  lépreux,  choqués  de  la  ressemblance  que  cela  leur 
donnait  avec  les  prisonniers  d'état,  en  firent  tomber  une 
partie.  'A  notre  arrivée  nous  fimes  ôter  le  reste,  car  main- 
tenant ils  sont  tous  de  bonne  volonté." 

Ainsi  que  je  Tai  dit  plus  haut,  c'est  dans  llautomne  de 
1868  que  des  religieuses  de  l'Hôtel- Dieu  de  Montréal  pri- 
rent possession  du  Lazaret  de  Tracadie.  Depuis  plusieurs 
années  déjà,  on  éprouvait  vivement  le  besoin  de  réorga- 
niser celte  institution  et  de  la  mettre  sous  les  soins  et  sou» 
la  direction  des  sœurs  hospitalières.  J'ai  sous  les  yeux  une 
lettre  de  Mgr.  James  Rogers,  évêque  de  Chatham,  dans 
laquelle  Sa  Grandeur  rend  compte  au  Conseil  Central  de 
la  Propagation  de  la  Foi,  à  Paris,  des  démarches  qu'elle 
avait  faites  jusqu'à  la  date  du  4  décembre  1866  pour  par- 
venir à  opérer  la  transformation  qu'ElIe  désirait  dans  le 
Lazaret. 

^^  Depuis  ma  première  visite  à  cette  maison,  dit  Mgr. 
Rogers,  j'ai  toujours  pensé  qu'il  serait  bien  désirable  qu'on 
pût  y  établir  des  sœurs  hospitalières,  pour  s'y  livrer  aux 
travaux  de  la  charité  en  soutenant  et  en  soignant  ces  pau- 
vres souffrants,  dont  le  nombre,  dans  le  cours  de  mes 
visites,  a  varié  d'environ  20  à  30,  nombre  actuel.  Mais^ 
alors,  la  considération  de  plus  grands  et  de  plus  preAsants 
besoins  réclamant  mon  attention,  et  mes  ressourças  étant 
iusufiBsantes  non  seulement  pour  le  soulagement  des  souf- 


137 

frances  physiques,  mais  aussi  peut-être  pour  le  salut  de 
certaines  âmes,  cette  considération,  dis-je,  m'obligeait  d'a- 
journer mes  projets  en  faveur  des  lépreux  jusqu'à  ce  que 
mon  diocèse  naissant  pût  satisfaire  aux  besoins  religieux 
de  ses  habitants  par  une  augmentation  du  nombre  des 
prêtres,  l'érection  d'églises  ou  chapelles  là  où  il  n'en  exis- 
tait pas  et  où  le  besoin  s'en  faisait  sentir,  et  la  création 
d'institutions  pour  l'éducation  chrétienne  de  la  jeunesse. 
Un  autre  obstacle  à  l'exécution  Immédiate  de  mon  dessein, 
fut  le  manque  d'approbation  et  de  concours  nécessaires  du 
gouvernement,  l'absence  de  logement  convenable  pour  re- 
cevoir les  sœurs,  et  l'incertitude  sur  le  point  de  savoir  sî 
l'élément  protestant,  qui  domine  dans  notre  gouvernement 
et  notre  législature,  voudrait  nous  donner  l'argent,  ou 
même  nous  permettre  de  prendre  les  dispositions  néces- 
saires pour  que  les  sœurs  viennent  et  dirigent  l'hôpital. 
Le  printemps  dernier,  j'ai  fait  une  pétition  au  gouverne* 
ment,  mais  les  agitations  et  les  perturbations  politiques  qui 
changent  souvent  le  personnel,  l'ont  empêché  jusqu'à  pré- 
sent de  prendre  une  décision  à  cet  égard.  Voilà  pourquoi 
le  digne  curé  de  Tracadie,  M.  Gauvreau,  continue  à  être  le 
«eul  ange  administrant  les  consolations  de  la  religion  à 
cette  portion  de  son  troupeau,  cruellement  affligée  "  (1). 

Les  démarches  faites  depuis  par  Mgr.  Rogers  semblent 
avoir  été  plus  heureuses  ;  il  a  obtenu  de  Mgr.  Bourget  le 
secours  des  religieuses  de  l'Hôtel  Dieu  de  Montréal,  et  le 
gouvernement  paraît  avoir  vu  d'un  bon  œil  cette  réorga- 
nisation du  Lazaret,  qui  a  produit  en  peu  de  temps  les 
meilleurs  efTets  chez  les  infortunés  lépreux. 

M.  Tabbé  Gauvreau  fait  une  triste  peinture  de  l'état  dans 
lequel  vivaient  ceux-ci  avant  l'arrivée  des  Sœurs  Hospi ta- 
rliëre.    Voici  les  détails  navrants  que  je  lis  dans  une  lettre 
.du  digne  chapelain  adressée  à  la  Révérende  Mère  Supé- 
rieure de  THôtel-Dieu  de  Montréal,  en  date  du  28  avril  1869  : 

''  Je  ne  me  sens  pas  capable,  écrit  le  vénérable  prêtre,  de 
décrire  l'état  de  misère  inouï  de  nos  pauvres  lépreux  avant 

(1)  Correspondance  adressée  par  Monseigneur  Rogers»  évêque  de  Gha- 
'Iham,  au  Ck>nseil  Central  delà  Propagation  de  la  Foi,  à  Paris,  concernant 
VéUiX  du  diocèse.    P.  14. 


138 

l'arrivée  des  sœurs.  Je  ne  puis  que  dire  que  depuis  leur 
transport  de  Tlsle  aux  Becs-scies  (Shelclrake),  à  Pentrée  de 
la  rivière  Miramichi,  ce  n'était  pour  eux  que  malpropreté  à 
faire  bondir  le  cœur,  discorde,  insubordination  envers  les 
autorités  bienveillantes  du  gouvernement,  divisions  et 
querelles  continuelles  entre  eux,  révoltes  contre  le  chape- 
lain ;  la  loi  du  plus  violent  était  en  pleine  force,  et  souvent 
l'oreille  était  blessée  par  des  jurements  et  d'horribles  blas- 
phèmes ;  en  un  mot,  l'hôpital  était  devenu  comme  une 
caverne  de  voleurs  et  de  bandits.  Oh  I  ma  chère  mère 
Supérieure,  combien  j'ai  gémi  et  versé  de  larmes,  depuis 
1859,  sur  le  sort  de  ces  Times  malheureuses  que  le  démon 
tenait  enchainées  par  toute  sorte  de  crimes,  excepté  le 
meurtre,  pendant  que  tout  le  reste  se  commettait.  Cepen- 
dant, plus  ils  étaient  méchants  malgré  mes  remontrances, 
plus  je  redoublais  d'instances  et  de  prières  auprès  du  Dieu 
de  miséricorde  dans  toutes  les  messes  que  je  célébrai  pen- 
dant dix-sept  ans,  afin  qu'il  en  eût  pitié  et  qu'il  sauvât  ces 
âmes  que  Jésus-Christ  n'avait  certainement  pas  mises  de 
côté  en  mourant  sur  le  calvaire. 

**  Dans  le  môme  temps  le  bureau  de  santé  n'épargnait 
rien  pour  les  rendre  heureux  :  nourriture  abondante,  loge- 
ment confortable,  bons  vêlements  et  môme  beaucoup  de 
petits  soins  et  de  médicaments  qui  leur  étaient  prodigués 
avec  toute  la  charité  possible.  Malgré  tout  cela,  ces  êtres 
humains  aux  cœurs  ulcérés  comme  et  plus  que  leurs  corps 
étaient  insensibles  à  tout  ;  ils  étaint  indomptables,  par- 
ce que  le  démon  régnait  en  maître  dans  l'hôpital.  Quelques- 
uns  de  ces  malheureux  ne  voulaient  pas  se  résigner  à  mou- 
rir, malgré  les  exhortations  réitérées  du  chapelain  ;  et 
même  après  la  réception  des  derniers  sacrements  et  l'indul- 
gence plénière  à  l'article  de  la  mort,  ils  tenaient  encore  à 
la  vie  en  dernier  lieu. 

"  De  ce  nombre  il  en  fut  un  qui  avait  été  averti  par  le 
médecin  d'envoyer  quérir  le  prêtre  le  plus  tôt  possible. 
Ses  amis  et  parents  s'empressèrent  de  l'engager  à  se  pré- 
parer à  bien  mourir.  "  Laissez-moi  tranquille,  dit-il,  je 
sçiis  ce  que  j'ai  à  faire."  Vers  neuf  heures  du  soir,  il  prie 
plusieurs  de  ses  compagnons  d'infortune  de  ne  pas  se  cou- 


139 

■cher  et  de  veiller  avec  lui,  s'imagiuant  pouvoir  renvoyer 

.la  mort  qui  le  pressait.    '^  Jouons  aux  cartes  ensemble/ 

leur  demaude-til,  mais  la  partie  à  peine  commencée,  les 

cartes ^lui  échappent  des  mains  ;  l'infortuné  se  précipite  à 

son  lit  ;  on  appelle  au  secours,  on  court  à  lui,  il  était  mort." 

Depuis  l'arrivée  des  Religieuses  de  THôtel-Dieu,  tout 
semble  avoir  changé  d'aspect.  ''  Sans  entrer  dans  un  détail 
particulier  de  tout  ce  que  nos  chères  et  bien-aimées  sœurs 
ont  fait  pour  réformer  cette  misérable  habitation,  je  dois, 
dit  M.  Gauvreau,  me  contenter  de  vou^dire  que  nous  n'y 
voyons  plus  que  la  propreté  la  plus  recherchée,  la  régula- 
rité la  plus  admirable,  la  charité  la  plus  parfaite  ;  tout  se 
fait  avec  ponctualité  de  la  part  des  sœurs  et  des  malades  ; 
tout  va  régulièrement  ;  tout  est  en  ordre  dans  le  cloître,  si 
bien  que  ces  pauvres  gens  qui,  auparavant,  se  plaisaient 
dans  la  malpropreté  et  le  désordre,  sont  émerveillés  main- 
tenant de  ne  voir  partout  que  propreté,  ordre  et  décence.  Ce 
qui  contribue  beaucoup  à  les  tenir  dans  la  soumission,  et 
à  les  faire  s'observer  eux-mêmes,  c'est  l'humble  habit  des 
sœurs,  leur  modestie,  leur  réserve,  leur  austère  vertu,  leur 
silence,  leur  recueillement,  leurs  soins  et  leurs  attentions 
les  plus  tendres  auprès  de  tous  les  malades,  mais  surtout 
auprès  de  ceux  qui  sont  alités." 

On  conçoit  après  ce  double  tableau  avec  quelle  joie  les 
malheureux  lépreux  de  Tracadie  ont  vu  arriver  les  religieu- 
ses qui  venaient  leur  consacrer  leur  existence  ;  on  comprend 
l'affection  et  le  respect  qui  les  animent  à  l'égard  de  ces 
saintes  femmes. 

"  L'enceinte  extérieure  du  Lazaret,  dit  le  gouverneur 
Gordon  dans  ses  WUderness  Jowmeys,  consiste  en  un  champ 
de  verdure  de  trois  ou  quatre  arpents  en  superficie.  Dans 
ces  limites  on  permet  maintenant  aux  lépreux  d'aller  et 
venir  à  volonté.  Jusqu'à  dernièrement,  toutefois,  ils  étaient 
confinés  dans  les  bornes  bien  plus  étroites  d'une  enceinte 
semblable,  siluée  au  centre  de  la  plus  grande,  et  contenant 
les  bâtisses  de  l'hôpital  même. 

^^  C'est  daos  ces  lugubres  frontières  que  j'entrai,  accom- 
pagné de  l'évéque  catholique  romain  de  Ghatham,  du  se- 


140 

crétaire  du  Bureau  de  santé,  rlu  médecin  résidant,  et  àvs 
prêtre  catholique  du  village,  qui  est  aussi  le  chapelain  de- 
l'hôpital. 

"  En  dedans  de  Tenceinte  intérieure,  il  y  a  plusieurs 
petites  constructions  en  bois,  séparées  les  unes  des  autres, 
comprenant  la  cuisine,  lingerie,  etc.,  de  rétablissement  ; 
l'un  de  ces  bâtiments  récemment  achevé,  contient  un  bain, 
ce  qui  ajoutera  beaucoup  au  bien-être  des  infortunés  ha- 
bitants. L'hôpital  lui-même  est  une  bâtisse  qui  contient 
deux  grandes  salles,  Tune  consacrée  aux  hommes  et  l'autre 
affectée  aux  femmes.  Au  centre  de  chaque  salle,  il  y  a 
un  poêle,  une  table,  avec  des  bancs  et  des  chaises,  tandis 
que  les  lits  des  malades  sont  rangés  le  long  des  murs.  Ces 
salles  sont  suffisamment  éclairées  et  sont  bien  ventilées,  et 
au  moment  de  ma  visite  élaienl  parfaitement  nettes  et 
propres.  Au  fond  de  ces  salles  il  y  a  une  petite  chapelle 
disposée  de  telle  sorte  qu'une  fenêtre  oblique,  traversant 
le  mur  de  chaque  côté  de  la  cloison  qui  divise  les  deux 
salles,  permet  aux  patients  dé  l'un  et  l'autre  sexe  d'entendre 
la  messe  sans  se  rencontrer.  Au  travers  des  mêmes  ou- 
vertures, ils  peuvent  se  confesser,  et  recevoir  la  sainte  com- 
munion." 

Depuis  l'arrivée  des  sœurs  on  a  fait  de  légers  changements 
dans  l'aménagement  intérieur  du  Lazaret.  La  chapelle 
maintenant  se  trouve  au  bout  des  salles  avec  une  arcade 
vitrée,  permettant  aux  lépreux  d'entendre  la  messe  eu  même 
temps  que  les  Religieuses,  qui  se  mettent  de  l'autre  côté 
vis-à-vis.  Les  hommes  occupent  dans  l'hôpital  deux  salles 
de  25  pieds  carrés  et  deux  salles  de  même  dimension  dans 
les  mansardes  sont  réservées  aux  femmes.  De  plus,  le 
terrain  du  Lazaret  a  été  agrandi. 

Je  reprends  la  relation  que  j'ai  déjà  citée.  '^  Avant  de 
donner,  dit  l'auteur,  les  caractères  de  cette  terrible  ma- 
ladie, je  réponds  à  une  question  que,  sans  doute,  vous  ne 
manquerez  pas  de  me  faire,  savoir:  Gomment  cette  ma- 
ladie s'est-elle  propagée  ?  Nul  ne  le  sait.  !<>  Elle  ne  semble 
pas  être  héréditaire,  puisque  dans  une  famille,  le  père  ou  la 
mère  en  est  atteint  et  les  enfants  ne  le  sont  pas;  dans- 
d'autres,  les  parents  sont  sains  et  les  enfants  sont  lépreux- 


141 

Témoin  ce  gui  arriva  en  1856  ou  1857.  Une  femme  nommée* 
Domitilde  Brideau,  épouse  de  François  Robichaud,  était 
tellement  couverte  de  la  lèpre  depuis  plusieurs  années,  que 
son  corps  n'était  pour  ainsi  dire  qu'un  amas  de  pourriture- 
Elle  devint  mère  d'une  Ûlle,  qu'elle  nourrit  elle-même,  et 
mourut  peu  de  temps  après  dans  ThôpitaL  Cependant 
l'enfant  était  nette,  et  n'avait  aucuns  symptômes  de  la  ma- 
ladie ;  elle  demeura  jusqu'à  Tàge  de  trois  ans  dans  l'hôpitaV 
d'où  elle  fut  alors  renvoyée..  L'enfant  grandit  avec  une 
santé  parfaite  ;  aujourd'hui  elle  est  mariée,  et  tous  ses  en- 
fants sont  très-bien.  Grand  nombre  d'exemples  semblables 
pourraient  être  cités,  mais  il  faut  se  borner.  2^  Cette  m  i- 
ladie  est  elle  contagieuse  ?  11  n'y  en  a  pas  d'apparence, 
puisque  dans  une  famille  le  mari  en  est  atteint  et  la  femme 
ne  l'est  pas  ;  ou  bien,  la  femme  l'a  et  le  mari  ne  l'a  pas.  IL 
y  a  maintenant  à  Tracadie  un  nommé  François  Robichaud^ 
lequel  a  eu  trois  femmes;  les  deux  premières  sont  mortes 
de  la  lèpre,  et  la  troisième  est  maintenant  à  l'hôpital;  lui^ 
cependant,  jouit  d'une  sautô  parfaite.  Dans  une  même 
famille  un  ou  deui  enfants  ont  la  lèpre  et  les  autres  sont 
nets.  Une  femme  employée  au  service  des  lépreux  de- 
meura huit  ans  dans  l'hôpital,  mangeant  et  buvant  avec 
eux,  et  elle  n'a  pas  contracté  la  maladie.  Nous  l'avons 
vue  plusieurs  fois,  elle  est  parfaitement  nette.  La  lavan- 
dière actuellement  employée  dans  l'hôpital,  demeure  en- 
tièrement avec  eux,  depuis  deux  ans  ;  c'est  une  veuve  dont 
le  mari  est  mort  de  la  lèpre  ;  elle  en  a  eu  soin  pendant 
trois  ans  que  dura  sa  maladie  et  elle  est  saine.  11  est  arrivé 
en  différentes  occasions  que  certaines  personnes  soupçon- 
nées d'avoir  cette  maladie  furent  forcées  d'entrer  dans 
l'hôpital  et  y  passèrent  plusieurs  années,  après  lesquelles 
étant  reconnues  pour  ne  l'avoir  pas,  furent  congédiées  sans 
qu'on  n'aitjamais  depuis  remarqué  en  elles  aucuns  symp- 
tômes de  lèpre. 

•  ^^  Tous  les  lépreux  qui  sont  maintenant  dans  l'hôpital 
s'accordent  pourtant  à  dire  qu'elle  se  communique,  puisque 
bon  nombre  d'entre  eux  disent  Tavoir  prise  soit  en  cou- 
chant avec  quelqu'un  qui  en  était  atteint,  soit  en  mangeant 
et  en  buvant  avec  eux.  De  là,  donc,  il  faudrait  conclure 
que  Dieu  la  donne  à  qui  il  veut. 


142 

••'Je  ï^uis  fortemeat  persuadé  que  cette  maladie,  outre 
Torigine  qu'on  lui  attribue,  est  causée  par  le  genre  de  vie 
auquel  s'adonnent  les  habitants  de  Tracadie  :  presque  tous 
sont  pêcheurs  ou  navigateurs,  leur  principale  nourriture 
est  le  poisson,  surtout  le  hareng,  les  patates  et  les  navets. 
Je  puis  assurer  en  toute  vérité  qu'il  n'y  a  pas  dix  familles 
dans  Tracadie  qui  mangent  du  pain,  car  la  pauvreté  y  est 
extrême." 

* 

Entrons  maintenant  au  Lazaret  et  examinons  ensemble 
les  tristes  victimes  qu'il  contient.  Suivons  d'abord  le  gou- 
verneur Gordon  ;  nous  reviendrons  ensuite  prendre  notre 
bonne  religieuse  avec  laquelle  nons  pourrons  faire  plus 
d'observations  et  des  études  plus  sérieuses. 

"  Au  moment  de  ma  visite,  dit  Son  Excellence,  il  y  avait 
vingttrois  malades  au  Lazaret,  treize  hommes  et  dix 
femmes  ;  tous  étaient  Franrais,  catholiques,  appartenant 
aux  familles  de  la  plus  basse  classo.  Ils  étaient  de  tout  âge, 
et  parvenus  à  différentes  périodes  de  la  maladie.  Un  vieil 
lard,  dont  les  traits  étaient  telleoient  défigurés  qu'ils  n'a- 
vaient presque  plus  rien  d'humain,  et  qui  paraissait  réduit 
à  la  dernière  enfance,  put  à  peine  être  tiré  de  son  apathie 
suffisamment  pour  recevoir  la  bénédiction  de  l'Eveque,  que 
tous  les  autres  imploraient  avidement  en  se  jetant  à  genoux. 
Mais  il  y  avait  aussi  des  jeunes  gens,  dont  les  bras  parais- 
saient aussi  vigoureux,  et  les  facultés  de  travailler  et  de 
jouir  aussi  intactes,  qu'ils  avaient  jamais  éié  ;  et,  spectacle 
le  pl'js  triste  de  tous,  il  y  avaient  des  jeune  enfants  con- 
damnés à  passer  dans  cet  affreux  séjour  une  vie  de  souf- 
france s:ins  espoir. 

"  J'ai  été  surtout  touchiS  par  la  vue  des  trois  pauvres 
petis  garrons  âgés  de  quinze  à  onze  ans.  A  un  observateur 
non  prévenu  d'avance,  ils  auraieiit  paru  comme  tous  les 
autres  enfants  de  leur  âge  ;  leurs  yeux  étaient  brillants  et 
passablement  i'itelligents  ;  mais  les  symptômes  fatals  qui 
avaient  suffi  pour  les  faire  séparer  du  monde  extérieur  se 
voyaient  sur  leurs  personnes,  et  ils  étaient  enfermés  pour 
toujours  dans  les  murs  du  Lazaret. 

"  L'on  éprouve  un  sentiment  semblable,  quoique  peut- 


143 

être  moins  vif,  à  la  vue  de  tous  les  plus  jeunes  malades.  Il 
y  a  quelque  chose  d'effrayant  dans  la  pensée  que,  depuis  le* 
moment  de  son  arrivée  jusqu'à  celui  de  sa  mort,  intervalle 
pendant  lequel  il  peut  s'écouler  de  longues  années,  ua 
homme,  doué  deâ  capacités,  des  passions  et  des  désirs  des 
autres  hommes,  est  condamné  à  passer  de  la  jeunesse  ù 
rage  mur,  de  Tâge  mûr  jusqu'à  la  vieillesse,  sans  autpr^ 
société  que  celle  de  ses  compagnons  de  souffrance,  sans. 
aucun  travail,  aucun  amusement,  aucune  ressource  ;  sans 
autre  distraction  que  l'arrivée  d'une  nouvelle  victime; 
sans  autre  occupation  que  de  contempler  ses  tristes  compa- 
gnons mourant  lentement  l'un  après  l'autre  autour  de  lui. 

*'  Un  petit  nombre  des  malades  savaient  lire,  et  ceux  qui 
le  pouvaient  n'avaient  pas  de  livres.  Il  semblait  n'y  avoir 
aucune  organisation  pour  leur  fournir  quelqu'occupation, 
soit  corporelle,  soit  intellectuelle,  et  dans  de  telles  circons 
tances  je  n'ai  pas  été  surpris  d'apprendre  que,  dans  les  der- 
niers dégrés  de  la  maladie,  l'esprit  s'affaiblit  généralement 

'*  La  majorité  des  patients  ne  m'a  pas  paru  ressentir  de 
souffrances  bien  vives,  et  Ton  m'a  informé  que  l'un  des  ca- 
ractères de  la  maladie  est  l'insensibilité  à  la  douleur.  On  m'a 
montré  un  individu  dont  la  main  et  le  bras  s'étaient  posés 
par  hazard  sur  un  poêle  rouge  de  chaleur  et  qui  ne  s'en 
aperçut  que  lorsque  la  forte  odeur  de  chair  grillée  attira 
son  attention  sur  son  membre  brûlé,  qui  était  gravement, 
blessé." 

Depuis  l'époque  de  la  visite  du  gouverneur  Gordon,  le^ 
sort  des  lépreux  a  été  considérablement  amélioré.  Les 
sœurs  enseignent  à  lire  aux  plus  jeunes  et  s'efforcent  de  les 
occuper  autant  que  possible  à  des  ouvrages  de  menuiserie 
et  de  cordonnerie. 

Les  observations  du  gouverneur  Gordon,  quoique  faites 
pendant  une  courte  et  rapide  visite  au  Lazaret,  sont  justes  ; 
mais  elles  ne  sont  pas  complètes.  Ce  sont  les  remarques 
d'un  touriste  qui  raconte  ce  qui  l'a  le  plus  frappé.  Ecou- 
tons maintenant  les  témoignages  des  personnes  qui  ont 
vécu  parmi  les  lépreux.  M.  l'abbé  Gauvreau  est  le  cha- 
pelain du  Lazaret  depuis  dix-huit  ans  ;  il  a  suivi  avec  un 
zèle  éclairé  les  progrès  de  la  maladie  chez  près  100  indivi- 


144 

•dus  ;  il  en  a  observé  tous  les  symptômes  ;  il  en  a  calculé 
la  marche  lente  mais  fatale  ;  il  a  assisté  à  la  mort  horrible 
d'un  grand  nombre  de  lépreux,  et  il  raconte  avec  horreur, 
tout  en  s'humiltant  sous  la  main  de  Dieu  qui  frappe  quel- 
quefois avec  tant  de  sévérité,  les  choses  épouvantables 
qu'il  a  vues.  Personne  n'est  donc  plus  compétent  ijue  lui, 
à  décrire  d'une  manière  exacte,  complète,  impartiable  et 
juste  les  phases  caractéristiques  de  la  terrible  maladie. 
Prêtons  l'oreille  à  son  enseignement  ;  nous  reviendrons 
ensuite  interroger  la  religieuse  infirmière  qui  nous  donnera 
le  résultat  de  ses  observations. 

''  Sans  vouloir  vous  imposer  mon  opinion,  je  ne  puis 
cependant  chasser  de  mon  esprit  la  pensée  que,  en  dehors 
de  la  volonté  divine,  ce  fléau  qui  semble  être  la  maladie 
particulière  de  l'homme  déchu  de  son  innocence  primitive, 
est  un  poison  extrêmement  subtil,  s'insinuant  à  la  dérobée 
dans  le  corps  humain,  soit  par  transmission  ou  par  contact, 
soit  par  innoculation  directe  ou  accidentelle,  ou  même 
peut-être  par  une  cohabitation  prolongée. 

^'  Mais  quoiqu'il  en  soit  de  ces  suppositions,  quand  une 
fois  la  maladie  s'est  introduite  .dans  un  nouveau  sujets 
son  action  est  si  insidieuse  et  si  latente,  que  pendant  plu- 
sieurs années,  disons  pendant  deux,  quatre,  ou  plus,  l'in- 
fortuné Naaman  ou  Giezi,  dont  elle  a  pris  possession,  ne 
s'aperçoit  d'aucun  changement,  soit  dans  ses  habitudes 
constitutionnelles  ou  dans  ses  besoins.  Le  sommeil  lui  est 
tout  aussi  rafraîchissant,  la  digestion  aussi^acile,  et  la  res- 
piration aussi  libre  qu'auparavant:  en  un  mot,  tous  les  or- 
ganes vitaux  fonctionnent  bien,  et  les  membres  continuent 
à  jouir  de  toute  leur  vigueur,  de  toute  leur  énergie. 

*'  Mais  malheur  à  lui  !  et  puisse  Dieu  venir  à  son  secours  I 
c'est  un  Jépreux,  et  le  terrible  virus  de  la  lèpre  est  en  lui  ; 
et,  comme  s'il  tendait  une  embuscade,  il  n'attend  que  le 
moment  de  se  développer.  Le  fléau  est  là,  comme  un  ser- 
pent vetiimeux  engourdi,  qui  le  mordra  infailliblement 
lorsqu'une  fois  il  sera  réveillé, 

^'  A  cette  période  de  la  maladie,  la  peau  ne  tarde  pas  à 
perdre  son  apparence  naturelle  et  saine  ;  la  fraîcheur  et  le 
brillant  du  teint  disparaissent,  et  sont  remplacés  par  une 


145 

blancheur  morbide,  matte,  depuis  les  pieds  jusqu'à  la  tête- 
dette  blancheur  paraît  comme  si  Taffreuse  maladie  avait 
pris  possession  des  membranes  muqueuses,  et  déplacé  le 
iluide  nécessaire  d  ses  fonctions. 

'^  Sans  savoir  si  la  lèpre  de  TOrient  a  jamais  offert 
d'autres  symptômes  extérieurs,  il  est  certain  que,  dans  ce 
-que  j'appellerai  son  premier  degré,  la  maladie  de  Tracadie 
prend  toutes  les  apparences  de  la  lèpre  des  anciens  ;  je  veux 
dire,  cette  fausse  blancheur  de  la  peau.  Au  second  degré, 
la  peau  devient  légèrement  jaunâtre  ;  puis  dans  la  troisième 
-et  dernière  période,  elle  devient  d'un  rouge  foncé,  violet 
ou  prend  même  quelquefois  une  teinte  verdâtre.  La  maladie 
est  alors  pleinement  confirmée 

^^  De  fait,  la  population  de  Tracadie,  aussi  bien  que  moi- 
même,  nous  sommes  tellement  familiarisés  avec  ce  symp- 
tôme précurseur  de  la  lèpre,  que  sur  la  seule  apparence  de 
la  fausse  blancheur  de  la  peau,  nous  constatons  immédia 
tement  la  présence  de  la  maladie,  et  nous  nous  trompons 
bien  rarement.  Il  n'y  a  eu  ici  qu'un  seul  cas  de  décès 
(celui  de  Cyrille  Austin)  dans  ce  premier  degré,  que  j'ap- 
pelle le  premier  et  peut-être  le  plus  fatal.  Tous  les  autres 
«cas  ont  passé  par  les  autres  dégrés,  le  second  ou  le  troi- 
sième, avant  d'arriver  à  la  mort  Et  quelqu'étrange  que 
cela  puisse  paraître,  il  a  été  remarqué  par  les  lépreux  eux- 
mêmes  que  le  traitement  du  docteur  LaBillois  avait  une 
meilleure  chance  de  succès  à  l'origine  de  la  troisième  pé- 
riode que  pendant  la  seconde 

^'  Examinons  maintenant  les  progrès  de  la  maladie,  et 
suivons-la  pas  à  pas,  si  c'est  possible. 

"  La  pitoyable  victime  commence  par  éprouver  une 
fièvre  qui  la  dévore  et  la  fait  trembler  de  tous  ses  membrs, 
une  raideur  et  une  faiblesse  dans  toutes  ses  articulations, 
nne  pesanteur  sur  la  poitrine  comme  causée  par  un  vif 
chagrin,  une  abondance  de  sang  au  cerveau,  une  fatigue, 
un  assoupissement,  un  ennui,  et  d'autres  sensations  ex- 
trêmement désagréables  que  les  lépreux  avancés  m'ont  fait 
<;onnaitre,  mais  qui  maintenant  échappent  à  mon  souvenir. 

''  Le  système  nerveux  tout  entier  est  alors  frappé  d'une 
insensibilité  absolument  complète,  de  telle  sorte  qu'un  in- 


146 

strument  aigu  comme  un  aiguille,  ou  une  lame  de  couteau, 
enfoncé  dans  les  parties  charnues,  ou  même  à  travers  les 
tendons  ou  les  cartilages  du  malheureux  lépreux,  ne  lui 
fait  éprouver  aucune  sensation  douloureuss,  et  ne  l'affecte 
en  aucune  manière. 

"Bien  plus,  le  lépreux,  avec  le  plus  grand  calme  du 
monde,  pourrait  placer  son  bras  ou  sa  jambe  dans  un  bû- 
cher ardent  de  bois  et  de  goudron,  jusqu'à  ce  que  le  mem- 
bre tout  entier  et  même  les  os  fussent  consumés,  et  cepen- 
dant il  n'éprouverait  rien  de  douloureux  du  tout,  absolu- 
ment lien,  et  il  pourrait,  dans  cet  état,  s'endormir  aussi 
paisiblement  que  s'il  était  couché  sur  un  bon  lit." 

M.  Gauvreau,  dans  une  autre  de  ses  lettres,  cite  un  ex- 
emple de  cette  insensibilité  extraordinaire  des  lépreux  : 
"  Un  de  ces  aflligés  qui  eff't  mort  du  Lazaret,  et  à  qui  j'eus 
le  bonheur  d'administrer  les  derniers  sacrements,  s'endor- 
mit auprès  d'un  feu  ardent,  et  pendant  son  sommeil,  il 
étendit  une  de  ses  mains  dans  le  brasier  en  flamme.  L'ac- 
tivité du  feu  n'interrompit  nullement  son  assoupissements 
L'odeur  forte  des  chairs  brûlées  attira  l'attention  d'un  de 
ses  compagnons  d'infortune,  qui  le  retira  du  feu  et  lui 
sauva  la  vie." 

La  Relation  de  l'Hôtel-Dieu  cite  un  trait  semblable  : 
*'  Depuis  notre  arrivée  à  Tracadie,  écrit  la  religieuse,  deux 
malades  de  Thôpital  se  sont  brûlés  les  mains  assez  considé- 
rablement et  ne  s'en  sont  aperçus  que  quand  les  plaies 
furent  fermées;  je  les  ai  pensés  moi-même;  le  premier 
surtout  était  tellement  brûlé  que  ses  plaies  durèrent  près 
d'un  mois." 

Au  Sujet  de  cette  insensibilité  M.  Gauvreau  remarque 
qu'elle  n'a  qu'un  temps,  dont,  dit  il,  je  ne  suis  pas  en  état 
de  préciser  la  durée.  "J'ai  remarqué  dans  les  malades 
maintenant  sous  traitement,  ajoute  la  religieuse,  que  cet 
état  d'insensibilité  complète  n'existe  pas  chez  tous,  et  seu- 
lement en  quelques  endroits  de  leur  corps;  chez  quelques- 
uns  ce  sont  leurs  jambes,  chez  d'autres  ce  sont  les  mains, 
ou  d'autres  parties.  Mais  tout  se  plaignent  d'un  certain 
j  engourdissement  qui  ressemble  à  la  paralysie." 
•     "  Peu  à  peu,  cependant,  continue  M.  Gauvreau,  la  fausse 


•  • 


147 

blancheur  de  la  peau  disparaît  pour  faire  place  à  des  taches 
plus  ou  moins  grandes  d'une  légère  couleur  jauue  ;  cas 
taches,  dans  certains  cas,  sont  ^eu  étendues,  par  exemple, 
de  la  dimension  d'une  pièce  d'une  piastre.  Quand  elles 
sont  de  cette  grandeur,  elles  apparaissent  d'abord  disposées 
symétriquement  et  à  des  endroits  qui  correspondent  exac- 
tement entre  eux,  soit  sur  les  bras,  sur  les  épaules,  ou  sur 
les  membres,  mais  plus  souvent  sur  la  poitrine.  Ces  taches 
sont  d'abord  plus  ou  moins  éloignées  les  unes  des  autres; 
mais  à  mesure  que  le  venin  du  mal  fait  son  chemin  à  tra- 
vers les  parties  vitales  du  lépreux,  elles  deviennent  con- 
tiguûes  l'une  à  l'autre,  et  quand  elles  sont  toutes  unies 
ensemble  elles  finissent  par  convertir  tout  le  corps  du  ma- 
lade en  une  masse  de  corruption.  Viennent  ensuite  l'en- 
ilure  de  tous  les  membres,  le  gonflement  de  toutes  les 
parties  du  corps,  de  la  fête  aux  pieds,  et  quand  ce  gonfle- 
ment et  ces  enflures  sont  arrivées  à  la  tension  extrême,  la 
peau  crève  pour  faire  jour  à  des  ulcères  baveux,  dégoûtants 
et  repoussants  au  suprême  degré.  La  peau  par  tout  1*^ 
corps  devient  tendue,  et  se  couvre  d*un  suintement  de 
couleur  luisante  semblable  à  un  vernis.  La  peau  et  la 
chair  entre  le  pouce  et  l'index  se  retirent;  les  extrémités 
des  doigts,  des  pieds  et  des  mains  deviennent  aussi  très- 
petites,  et  quelquefois  ils  se  détachent  des  articulations  et 
tombent  sans  que  le  malade  s'en  aperçoive  et  sans  causer  de 
douleur. 

"  La  partie  la  plus  noble  de  cet  être  créé  à  Tiniage  de 
Dieu,  la  figure,  n'est  pas  plus  épargnée  par  la  lèpre  que 
toute  autre  partie  du  corps.  Le  visage  est  ordinairement 
beaucoup  enflé  et  considérablement  gonflé.  Le  menton, 
les  joues,  et  les  oreilles  sont  couverts  de  tubercules  durs 
et  roux  delà  grosseur  d'un  gros  pois;  les  yeux  à  demi 
sortis  de  leurs  orbites,  sont  couverts  d'une  espèce  de  ca- 
taracte qui  produit  quelquefois  une  cécité  complète.  C'est 
le  cas  actuel  d'un  de  ces  infortunés.  La  peau  du  front  de- 
vient aussi  enflée,  très-épaisse  ;  elle  prend  une  couleur  de 
plomb,  qui,  dans  certains  cas,  se  répand  sur  toute  la  flgure  ; 
tandis  que  dans  d'autres,  elle  tourne  au  rouge  ;  cela  pour- 
rait ôtre  attribué  à  la  difl%rence  des  tempéraments,  san- 


148 

guins,  bilieux  ou  lymphatiques.  Sur  cette  figure,  où  ron 
admirait  auparavaut  les  charmes  de  la  beauté,  les  traita 
sont  mainteuant  devenus  ^e  profonds  sillons^  les  lèvre» 
forment  deux  gros  ulcères  baveux,  la  lèvre  supérieur» 
considérablement  enflée  et  relevée  vers  la  base  du  nez  qui 
a  disparu,  tandis  que  la  lèvre  inférieure  pend  sur  le  menton 
lustié  par  la  tension  de  la  peau."  Peut-on  imaginer  un 
plus  horrible  spectacle  ? 

^'  Dans  quelques  cas,  les  lèvres  sont  pincées  et  retrécies 
comme  Toriflce  d'une  bourse  plissée  par  des  cordons.  Cette 
difformité  est  la  plus  regrettable  de  toutes  puisqu'elle  prive 
ceux  qui  en  sont  frappés  de  la  sainte  communion  qu^ils 
désirent  avec  tant  d'ardeur. 

'"  La  lèpre,  je  veux  toujours  dire  celle  deTracadie,  achève 
ses  ravages  à  l'intérieur  du  malade.  Elle  s'empare  enfin 
du  larynx  et  de  toutes  les  ramifications  bronchiales  ;  elle 
les  obstrue  et  les  remplit  tellement  de  tubercules  que  le 
malheureux  patient  ne  peut  plus  trouver  de  repos  dans, 
aucune  position  imaginable,  sa  respiration  devient  un  sif- 
flement aigu,  et  elle  est  si  pénible  qu'il  s'attend  à  étouffer 
à  chaque  instant;  il  préférerait  ôtre  étranglé  avec  une 
corde-  J'ai  moi-même  assisté,  dit  M.  Gauvreau,  aux  der- 
niers efforts  de  quelques-uns  de  ces  hommes,  les  plus  af- 
fligés de  tous  les  mortels;  et  je  n'aimerais  pas  à  voir  ce 
spectacle  encore  une  fois.  Dispensez-moi  de  vous  donner 
un  récit  détaillé  de  leur  mort  ;  car,  si  je  l'entreprenais,  le 
courage  me  ferait  défaut,  et  je  vous  assure  que  plusieurs 
d'entre  vous  s'évanouiraient  devant  ce  spectacle.  Conten- 
tez-vous de  vous  imaginer  voir  le  lépreux  mourant  faire 
des  sauts  rapides,  des  contorsions  horribles,  courir  à  la 
porte  pour  avoir  un  peu  d'air,  et  revenir  se  jeter  sur  son 
grabat;  entendez  ses  fureurs  involontaires,  ses  lamenta* 
lions  à  briser  le  cœur  le  plus  dur,  ses  cris,  ses  pleurs  et  ses 
sanglots,  et  s'exclamant  mille  fois:  ^^0  mon  Dieu,  ayez 
pitié  de  moi  !  ayez  pitié  de  moi  !  " 

^^  Enfin,  il  arrive  au  moment  suprême  de  sa  longue  mort. 
Il  meurt  épuisé  et  étouffé.  Tout  est  fini  maintenant  pour 
lui,  et  un  autre  Lazare  s'envole  dans  le  sein  d'Abraham." 


* 


CL 


149 

Après  le  livide  tableau  que  Ton  vient  de  lire  de  rhorrible 
maladie,  une  question  se  présente  tout  naturellement  à 
Fesprit,  et  Ton  se  demande  si  ce  mal  est  tel  que  la  science 
mëdicate  ne  puisse  rien  faire  pour  le  combattre  ?  *^  Chacun 
en  jugera  comme  il  voudra,"  dit  la  relation  de  la  sœur  in- 
firmière des  lépreux  ;  je  vous  communiquerai  simplement 
ce  que  j'ai  appris  sur  ce  sujet. 

"En  1849  et  1850,  le  Dr.  LaBillois, célèbre  médecin  fran- 
çais, demeurant  à  Dalhousie,  traita  les  lépreux  pendant 
seize  mois,  et  prétendit  en  avoir  guéri  dix  suivant  le  rap- 
port qu'il  en  fit  lui  môme.  "T.  Goulheau,  Chs.  Comeau, 
"  T.  Brideau,  A.  Benoit,  L.  Sonier,  Ed.  Vienneau,  Mme. 
"  A.  Sonier,  AI.  Sonier,  Mme.  Ferguson,  Mélina  Lavoie. 
*'  The  enlire  of  the  above  cases  are  now  quite  well,  and 
Ihe  treatment  I  adopted  \vas  entirely  for  syphilitic  di- 
sease,  thus  eslablishiug  without  any  doubt  the  trulh  of 
tbe  nature  of  Ihe  disease."  (Extract  from  LaBillois* 
Report,  febr.  l-2th  1850). 

•*  Cependant  on  voit  dans  le  rapport  du  secrétaire  du 
Bureau  de  santé,  l'Honorable  James  Davison,  que  tous  les 
malades  susmentionnés  revinrent  à  l'hôpital  après  quelque 
temps  et  y  moururent  à  l'exception  de  trois  dont  deux  mou- 
rurent dans  leurs  propres  maisons  ;  le  troisième  vit  encore 
et  voici  ce  qu'en  dit  le  Dr.  Gordon,  de  Bathurst  :  "The 
**  disease  is  making  slow  progress,  but  is  still  going  on  to 
"  a  fatal  termination." 

Le  Dr.  Nicolson  entreprit  îe  traitement  des  lépreux  en 
l'année  1860  ou  1801,  et  au  moyens  de  bains  à  la  vapeur, 
et  d'un  traitement  qu'il  n'a  pas  fait  connaître,  parvint  à 
leur  procurer  un  grand  soulagement  ;  plusieurs  se  voyaient 
sur  le  point  de  guérir,,quand  malheureusement  ce  médecin 
abandonna  ses  patients,  à  leur  grand  regret,  et  mourut 
trois  ans  après.  Le  mal  reprit  le  dessus  et  depuis  lors 
aucun  n'a  éprouvé  de  mieux. 

"A  notre  *arrivée  à  Tracadie,  dit  la  Religieuse,  nous 
trouvâmes  vingt  malades  dans  l'hôpital  et  depuis  nous  en 
avons  admis  trois.  Ces  bonnes  gens  fermement  persuadés 
que  les  sœurs  allaient  les  guérir,  demandèrent  des  remèdes 
et  ne  furent  satisfaits  que  quand  nous  leur  en  eûmes  donnés* 


150 

"  D'abord  j'en  ai  choisi  trois,  qui  n'avaient  jamais  pris  de 
remèdes,  les  seuls  chez  qui  il  y  eut  conlraction  des  ex- 
trémités. Le  premier,  âgé  de  22  ans,  est  à  Thôpital  depuis 
quatre  ans,  et  n'avait  pour  tout  mal  que  la  contraction  ei 
l'insensibilité  des  extrémités  et  une  enflure  a  un  pied.  Le 
second,  âgé  de  quinze  ans,  est  à  riiûpital  depuis  deux  ans  ;  il 
n'avait  que  la  contraction  des  mains  et  une  enflure  au  gros 
doigt  du  pied  gauche  ;  cet  enfant  est  très-délicat  et  éprou- 
vait de  temps  en  temps  des  douleurs  dans  Testomac.  Le 
troisième  est  âgé  de  onze  ans,  malade  depuis  deux  ans  ;  il 
n'éprouvait  que  la  contraction  des  mains  et  des  taches  sur 
tout  le  corps,  quelques-unes  rougeâtres,  les  autres  blanches 
comme  de  la  farine,  avec  insensibilité  sur  toutes  ces  taches, 

*'  J'ai  donné  à  ces  trois  malades  les  remèdes  de  M. 
Fowle  (l),  à  la  dose  prescrite.  Le  premier  et  le  second 
n'éprouvent  d'aulre  changement  depuis  qu'ils  prennent  ce 
remède  qu'une  certaine  vigueur  qu'ils  n'avaient  pas  au- 
paravant. Quant  au  troisième,  la  sensibilité  des  muscles 
est  revenue,  mais  les  taches  sont  les  mêmes.  Ceci  parait 
extraordinaire,  car  tous  disent  qu'ils  n'ont  jamais  vu  une 
partie  insensible  revenir  à  sa  sensibilité  naturelle. 

'*  J'ai  donné  le  même  remède  à  un  autre,  âgé  de  vingt- 
deux  ans,  malade  depuis  huit  ans;  c'était  à  notre  arrivée 
un  des  plus  malades  ayant  le  nez  tombé,  les  lèvres  d'une 
grosseur  démesurée,  les  mains  enflées  et  ressemblant  plus  à 
des  pattes  d'ours  qu'à  des  mains  d'hommes  ;  de  plus  saliva- 
tion abondante  et  impossiblité  d'avaler.  Depuis  qu'il  prend 
le  susdit  remède,  la  silivation  est  arrêtée,  il  avale  facile- 
ment, il  a  pu  communier  le  23  janvier,  ce  qu'il  n'avait  pas 
pu  faire  depuis  quatre  ans;  ses  lèvres  sont  maintenant  à 
leur  grosseur  naturelle,  il  éprouve  une  vigueur  telle  qu'il 
n'en  a  pas  ressentie  depuis  plusieurs  années.  Mais  il  éprouve 
des  douleurs  plus  fortes  qu'avant  dans  les  jambes  et  de 
temps  en  temps  dans  les  bras. 

"J'ai  encore  donné  le  Fowle's  cure  à  tous  ceux  des  ma- 
lades qui  n'avaient  jamais  pris  des  remèdes  et  tous  trouvent 

(1)  Fowle' s  Humor  Curty  remède  américain  patenté,  qui  a  été  procuré 
aux  religieuses  de  THôtel-DIeu  de  Montréal ,  par  M»  Gray,  pharmacieo. 
Ce  M.  Powle,  inventeur  de  cette  préparation  nouvelle,  rédicje  à  Boston.' 


151 

on  petit  mieux  ;  dans  les  uns  la  couleur  de  la  peau  est  plus- 
naturelle,  dans  les  autres  Tenflure  de  la  figure  ou  des  mains 
est  diminuée.  Ce  remède,  tout  en  leur  causant  certaines 
douleurs  dans  les  membres,  paraît  leur  donner  une  force, 
une  vigueur  qu'ils  n'avaient  pas;  et  tous  se  trouvent  mieux 
de  la  bouche  et  de  la  gorge.  Car,  &oit  dit  en  passant,  cette 
maladie  a  beaucup  de  ressemblance  avec  la  syphilis.  Aussi 
ont-ils  tous  la  gorge,  la  langue  et  tout  Tintérieur  de  la 
bouche  ulcéré  ;  tous  ont  la  voix  tellement  éteinte  qu'on  a 
peine  à  les  entendre  parler;  ils  toussent  beaucoup  et  cra- 
chent presque  continuellement. 

"Quelque  temps  après  notre  arrivée,  il  se  présenta  un- 
lépreux,  malaJe  depuis  six  ans,  demandant  à  être  admis 
dans  l'hôpital.  Il  fut  reçu.  Ce  pauvre  homme  était  couvert 
de  plaies  et  toutes  les  nuits  il  éprouvait  une  transpiration 
abondante  et  froide.  Après  quelques  jours  ^e  repos,  je  lui 
donnai  la  liqueur  arsenicale^  de  cinq  gouttes  à  la  prise.  Il 
continua  depuis  la  môme  chose.  La  transpiration  a  dis- 
paru, toutes  ses  plaies  sont  guéries,  ù  l'exception  d'une 
au  pied;  ses  lèvres  sont  encore  un  peu  malades;  mais  il 
est  fort  et  vigoureux,  les  taches  rougeâtres  qu'il  avait  sur 
les  jambes  disparaissent  peu  à  peu, 

"Deux  autres,  aussi  nouvellement  entiés  à  Thupital,  ont 
pris  la  liseur  arsenicale^  et  ils  se  trouvent  soulagés. 

**  Soupçonnant  toujours  que  l'origine  de  cette  maladie 
remontait  à  une  autre  source,  et  surtout  d'après  le  senti- 
ment du  Dr.  LaBillois,  j'ai  donné  le  bi-cJUorure  de  mercure^  à 
la  dose  d'un  trente-deuxième  de  grain,  à  celui  qui  me  paraît 
le  plus  mauvais  cas  ;  je  n'ai  encore  pu  en  voir  les  effets,  car 
il  n'y  a  pas  assez  longtemps  qu'il  en  prend. 

^'Les  changements  ne  sont  pas  sensibles,  mais  ils  sont 
certains.    Du  reste,  nous  attendons  de  Dieu  seul  le  succès 

que  nous  espérons." 

*  * 

Je  manque  de  statistiques  sur  le  nombre  de  victimes  que 
la  lèpre  a  faites  à  Tracadie  et  aux  environs.  Je  trouve  ce- 
pendant dans  une  lettre  de  M.  Gauvreau  en  date  du  30 
novembre  1859,  que  60  personnes  étaient  tombées  victimes 
du  fléau,  dans  les  quinze  années  précédant  cette  époque  ;^ 


152 

et  que  25  autres  malheureux  de  tout  âge  et  de  tout  sexe 
étaient  alors  au  Lazaret,  s'attendanl  d'un  jour  à  l'autre,  à 
se  réunir  aux  pauvres  infortunés  qui  les  avaient  précédé» 
dans  la  tombe.  En  1862,  le  gouverneur  Gordon  dit  avoir 
vu  23  malades  à  l'hôpital,  et  les  sœurs  de  THôtel  Dieu  eu 
ont  trouvé  vingt  à  leur  arrivée  à  Tracadie  et  en  ont  depuis 
admis  trois.  La  fille  aincc  de  la  mort  ne  semble  donc  pas 
abandonner  son  empire  sar  cette  malheureuse  localité* 
Encore,  si  la  maladie  pouvait  y  borner  ses  ravages  :  après 
l'avoir  localisé  dans  ce  lieu  unique,  peut  être  que  de  bons 
soins,  un  traitement  régulier,  suivi  et  conforme  aux  pré- 
ceptes avancés  de  l'an,  une  grande  prudence,  des  précau- 
tions incessantes  et  une  hygiène  plus  intelligente  parvien- 
drait à  faire  disparaître  ce  fléau  de  la  terre  d'Amérique. 
C'est  là  où  doivent  se  borner  les  efforts  des  Religieuses  et 
de  ceux  qui  le^  assistent-  Espérons  qu'ils  réussiront,  car 
nous  y  sommes  intéressés.  La  chose  est  loin  d'être  cer- 
taine, cependant,  comme  le  fait  voir  M.  l'abbé  Gauvreau. 

"  Un,  ou  deux,  ou  trois  de  ces  infortunés,  dit-il,  se  sen- 
tent atteints  de  ce  mal,  et  ne  pouvant  se  familiariser  avec 
la  pensée  d'être  écroués  dans  le  Lazaret,  ils  font  complot 
de  sortir  de  cet  endroit.  Ils  s'embarquent  à  Miramichi  à 
bord  du  steamer  pour  débarquer  à  la  Rivière-du-Loup,  à 
Kamouraska,  ou  peut-être  à  Québec,  ou  à  Montréal.  H 
n'ont  aucun  ulcère  visible,  ni  aucuns  symptômes  extérieurs 
qui  puissent  donner  lieu  au  moindre  soupçon.  Ils  s'en 
prévalent,  et  une  fois  à  terre,  ils  s'engagent  pour  un  ou 
deux  mois  dans  différentes  maisons.  Ils  taisent  leur  mal, 
n'en  disent  mot,  pas  même  au  médecin  du  lieu.  Us  man- 
gent  avec  la  famille  de  leurs  maîtres  et,  malgré  toutes  leurs 
précautions,  ils  transmettent  leurs  mal  à  leurs  maîtres,  ou 
à  leurs  enfants,  et  quand  ils  ont  lieu  de  soup<;onner  qu'ils 
commencent  à  devenir  suspects,  ils  se  retirent  de  cette 
maison,  et  vont  chercher  fortune  dans  une  paroisse  plus 
éloignée,  ou  même  dans  une  des  villes  du  Canada. 

^<  Le  cas  est  arrivé  à  ma  connaissance,  continue  M.  Gau- 
vreau. Un  jeune  homme  sous  l'influence  de  ce  mal,  ne 
pouvant  se  soumettre  aux  règlements  restrictifs  du  Lazareti 
abandonna  son  endroit  natal  et  se  rendit  à  Boston,  où  il 


153 

s'engagea  à  bord  d'un  Mtimeot  allant  en  puche,  dans  Tes- 
pérance  que  les  médicameuts  dont  il  fit  provision  avant 
d'aller  à  bord,  et  l'air  salubre  de  la  mer,  Ini  procureraient 
quelque  palliatif  au  mal  qui  le  dévorait.  Mais  non  ;  il  lui 
fallut  revenir  et  entrer  dans  Thôpital  à  Boston,  où  il  fut 
traité  avec  tous  les  soins  possibles  par  des' médecins  du 
Collège  Médical  de  Cambridge,  et  malgré  tous  les  efforts 
de  ces  messieurs,  il  y  est  mort,  loin  de  ses  parents  et  de 
ses  amis,  au  milieu  des  étrangers.  Avant  d'être  admis 
dans  rbôpital  n'aurait-il  pas  transmis  à  ses  compagnons  de 
bord,  ou  aux  autres  malades,  le  virus  vénéneux  de  la  lèpre.' 

Espérons  cependant  que  le  traitement  régulier  qui  sera 
maintenant  donné  aux  lépreux  parviendra  d'abord  à  loca- 
liser la  maladie  à  l'endroit  où  elle  existe  aujourd'hui,  et 
réussira  enfin  à  faire  disparaître  de  la  terre  d'Amérique  cet 
horrible  f  éau.  Ce  sera  une  victoire  dont  tout  l'honneur 
appartiendra  à  des  religieuses  canadiennes,  et  la  population 
affligée  de  Tracadie,  de  môme  que  celle  de  tout  le  pays, 
leur  en  devra  une  éternelle  reconnaissance. 

Après  un  exemple  semblable  de  charité  et  de  dévoue- 
ment, laissons  crier  ces  esprits  étroits  qui  déprécient  nos 
institutions  monastiques.  Plaignons-les,  car  la  lumière 
leur  manque,  et  ils  n'ont  pas  encore  commencé  à  com- 
prendre ce  que  l'Eglise  a  de  plus  beau  après  l'amour  de 
Dieu,  savoir  l'amour  du  prochain. 

E.  Lef.  de  Bellefeuille. 


CHINE. 

Kiang-sL  —  Nous  avons  parlé,  dans  notre  deraier  numéro, 
des  ''queues  coupées"  et  du  rôle  important  qu^elles  oot 
joué  dans  les  massacres  du  Ning-ko-fou.  Mgr  Bray,  de 
la  Congrégation  de  Saint-Lazare,  vicaire  apostolique  du 
>Kiang-si,  écrivait  à  ce  propos  de  Kieou-kiang,  le  10  dé- 
cembre 1876  : 

''Nous  venons  de  passer  quelques  mois  au  milieu  de 
grandes  angoisses  :  "  Une  maiu  invisible,  disait-on,  coupe 
*'  la  queue  à  beaucoup  de  Chinois,  et  cette  opération  les 
"  condamne  à  une  mort  prochaine."  De  là,  des  menées 
sinistres  contre  les  chrétiens,  sur  qui  Ton  voulait  rejeter 
Todieux  de  ces  vols  ;  de  là,  des  processions  diaboliques 
pour  conjurer  les  esprits  malfaisants.  On  ne  craignit  pas 
d'afficher  sur  les  murs  de  Ou-tcheng  que,  le  15  de  la  8e 
lune,  la  foule  se  ruerait  sur  notre  église  et  la  livrerait  aux 
flammes.  Des  menaces  plus  terribles  encore  furent  faites 
contre  nos  établissements  de  Fou  tcheou  ;  on  lira  même  un 
coup  de  fusil  à  travers  la  fenêtre  de  la  chambre  de  M. 
Anot,  qui,  heureusement,  ne  fut  pas  atteint.  Nous  devons 
cependant  reconnaître  que  les  mandarins,  en  cette  circons- 
tance, se  sont  généralement  montrés  bienveillants  à  notre 
égard.  Le  Préfet  de  Foutcheou  nous  a  énergiquement  dé- 
fendus contre  la  populace  ;  et,  sans  son  intervention,  il  est 
à  peu  près  certain  que  nos  deux  établissements  auraieuX 
été  détruits  ou  incendiés 

"  De  plus,  à  ma  deniande,  le  tao-tai  de  Kieou-kiang  a 
obtenu  du  gouverneur  du  Kiang-si  qu'il  donnât  Tordre 
d'adresser  une  proclamation  à  toute  la  province,  par  la- 
quelle les  chrétiens  seraient  justifiés  des  calomnies  dont  on 
les  chargeait.  Je  vous  transmets  la  traduction  du  placard 
qui  a  été  affiché  à  Chouitcheou-fou.  Il  est,  comme  vous 
le  verrez,  conçu  en  très- bons  termes." 

Proclamation  du  sous-préfet  de  Kao-ngan  en  faveur  des  cht^èlims 

calomniés. 

Moi,  Kao,  devant  Otre  promu  à  un  mandarinat  de  deuxième  ordre, 
tnandarin  do  troisième  ordre  k  Tai^ko,  chargé  d'affaires  à  Kao-ngan» 


135 

Après  avoir  ou  mon  nom  i»réscnté  dix  fois  à  l'empereur,  çt  avoir  obtenu 
le  cinquième  degré  des  dignités,  je  fais  la  présente  proclamation. 

Le  30e  jour  de  la  7e  lune  do  la  présente  année,  j'ai  reçu  et  lu  avec 
respect  une  lettre  du  préfet  de  Wang,  qui  en  avait  pareillement  rerir 
une  du  nié-^ai  Tcheou,  lequel  en  avait  lu  une  du  tao-tai  de  Kieou- 
Viang  conçue  en  ces  termes  : 

"  Le  lOo  jour  do  la  7e  lune,  Mgr  Bray,  chef  de  la  religion  du  maître 
du  Ciel  au  Kiang->i,  a  reru  du  bourg  de  Ou-tcheng  un  écrit  non  signe 
et  publié  dans  l'endroil,  dans  lequel  écrit  on  calomnie  les  chrétiens  et 
on  les  accuse  d'être  superstitieux  et  rebelles,  comme  aussi  de  *•  couper 
les  queues."  11  est  à  craindre  que,  en  répandant  de  tels  bruits  et  dr 
telles  faussetés,  on  ne  i>rovoque  des  troubles,  etc.'' 

C'est  pourquoi  j'ai  reçu  des  supérieurs  cités  plus  haut  l'ordre  d'ex 
aminer  attentivement  qupls  bommcs  sèment  de  pareils  bruits,  et  de  faire 
une  proclamation  pour  c'mi>écher  qu'ils  ne  se  répandent  davantage. 

Aussi,  considérant  que  les  chrétiens,  loin  d'être  superstitieux,  pra- 
tiquent une  religion  qui  est  sainte  et  qui  est  propagée  avec  honneu»* 
dans  tous  les  royaumes  du  monde  ;  considérant  que  le  traité  franco- 
chinois  Tautorise  dans  tout  notre  empire,  et  que,  depuis  longtemps,  l.i 
paix  a  été  conclue  entre  les  doux  royaumes,  moyennant  dos  condition> 
qniontétô  observées  do  part  ot  d'autre,  comment  pourrait-on  souffrii 
que  des  sots  et  dos  insensés;  répandent  des  bruils  capables  de  jeter  le 
trouble  partout  i  C«:  serait  une  chose  odieuse  et  doteslable  de  le  per- 
mettre. ♦ 

En  conséquence.  j'a\erlis  tou^  coux  qui  sont  soumis  à  ma  juridiction. 
soldats  et  autres  queU  qu'ils  soient,  d'avoir  &  chercher  et  à  saisir  ces 
gens  qui  •*  coupent  le.s  queues,  "  hommes  rebelles  et  endiablés  qui  n'ont 
rien  de  commun  avoe  los  chrétiens.  Et  qu'on  ne  s'y  méprenne  pas  : 
il  n'est  pas  permis  ici  do  soup<'onner  les  chrétiens  ni  de  concevoir  de  In 
haine  contre  eux,  à  cause  des  "  queues  coupées." 

Môme  si  quelqu'un,  soumis  à  ma  juridiction,  ose,  pour  cacher  sa 
méchanceté  et  ses  idées  superstitieuses,  se  déclarer  faussement  membre 
de  l'Eglise  chi'étienne,  et  qu'il  soit  saisi  et  convaincu  de  son  hypo- 
crisie, il  sera  puni  pluî-  sévèremont  selon  la  gravité  de  sa  malice,  afin 
que,  par  ce  moyen,  on  o^nsorve  la  paix  entre  le  simple  peuple  et  les 
chrétiens. 

Telle  est  la  proclamation  que  je  fais  ;  que  cliacun  la  comprenne  bien 
et  se  conforme  à  tout  ce  qu'elle  contient. 

Elle  sera  affichée  à  la  porte  du  midi  et  à  celle  du  nord. 

Fait  et  publié  le  3e  jour  de  la  8e  lime  de  l'empereur  (20  septembre 
1876). 

SU'tchuen  orientaL — Dans  une  lettre,  daté»»  de  Kien-kiang^ 
2  janvier  1877,  M.  Pons,  de  la  Société  des  Missions-Etran- 
gères de  Paris,  donne  quelques  détails  complémentaire» 


156 

sur  les  naassacres  qui.  Tannée  dernière,  ont  désolé  le  Su- 
tchuen  oriental,, et  annonce  la  fin  de  la  persécution. 

^' De  Kiang-pée,  où  elle  avait  pris  naissance,  la  perse- 

•cution  s'étendit  dans  les  districts  voisins.  Un  immense 
département,  celui  du  Fou-tcbéou,  a  été  le  théâtre  d'atro- 
cités épouvantables.  L'église,  achevée  depuis  deux  mois, 
n'est  aujourd'hui  qu'un  monceau  de  ruines.  Les  chrétiens, 
chassés  de  leurs  maisons  livrées  aux  flammes,  ont  aban- 
donné leurs  champs  et  se  sont  réfugiés  dans  les  contrées  en- 
vironnantes. Un  grand  nombre  d'entre  eux  sont  à  Tehong- 
kin,  auprès  de  Mgr  Desflèches,  qui  tâche  de  les  secourir 
proportionnellement  à  ses  modiques  ressources.  On  peut 
aisément  s'imaginer  la  misère  de  ces  milliers  de  chrétiens, 
sans  moyens  d'existence  et  sans  amis,  loin  de  leurs  maisons 
brûlées  et  de  leurs  champs  dévastés.  Dans  mon  récent 
voyage  à  Pen  choui,  j'ai  vu  deux  prêtres  chinois,  origi- 
naires  du  pays  de  Fou-tchéou.  Leurs  familles  sont  dis- 
persées, leurs  maisons  détruites.  L'un  d'eux  ne  sait  pas 
encore  où  se  sont  réfugiés  ses  frères  et  ses  sœurs. 

"  Les  mandarins,  effrayés  de  tant  d'excès,  ont  enfin  donné 
dej  ordres  sévères  pour  arrêter  les  déprédations  et  les  mas- 
sacres. Le  courrier  qui  m'arrive  annonce  que  la  tranquil- 
lité renaît  de  partout.  Après  dix  mois  de  troubles,  il  est 
temps  que  la  paix  nous  soit  rendue," 


PROCESSION  DU  SAINT-SACREMENT  AU  MILIEU 

DBS  MUSULMANS. 

.INFLUBNGJB  DB  LA  DIVINE  EUGHAllISTIfi   CONTRE  LE  CHOLÉRA» 
LETTRE  DU  P.  PORTELLI  AU  P.  DUCAT,  S.  J. 

Dikfaïa,  le  25 janvier  1876. 
]loN  Révérend  Père, 

Le  P.  Sacconi,  à  son  retour  du  Beyrouth,  m'a  dit  que 
vous  désiriez  avoir  le  récit  de  la  procession  qui  a  eu  lieu 
^u  mois  d'août  dernier,  dans  un  village  des  environs  de 
Homs,  dont  le  nom  m'échappe  en  ce  moment.  Sur  ce  fait 
extraordinaire,  voici  ce  que  m'ont  raconté  des  personnes 
•dignes  de  foi  : 

Pendant  que  le  choléra  sévissait  à  Damas,  durant  les 
mois  de  juin  et  de  juillet  de  l'année  dernière,  les  chrétiens 
épouvantés  des  progrès  du  fléau,  abandonnèrent  la  ville  et 
se  réfugièrent  en  foule  dans  le  Mont  Liban.  Zahlé,  que  vous 
connaissez,  ouvrit  ses  portes  aux  fuyards  qui  s'y  rendirent 
en  grand  nombre.  Tous  les  jours  de  nouvelles  caravanes  de 
Damasquins  arrivaient  à  Zahlé.  Parmi  les  derniers  venus, 
quelques-uns  apportèrent  avec  eux  le  choléra  et  ne  tardè- 
rent pas  à  succomber  au  mal  au  milieu  de  Zahlé  môme.  Mgr. 
Ambroise  Abdo,  évoque  grec  catholique  de  Zahlé,  voyant 
le  danger,  voulut  imiter  ses  prédécesseurs,  qui  dans  des 
circonstances  pareilles,  obtinrent  de  Dieu  que  la  ville  fût 
délivrée  de  celte  épidémie  en  portant  en  procession  le  Très- 
Saint  Sacrement  et  les  statues  de  la  Sainte-Vierge  e.t  de 
saint  Joseph.  Au  jour  indiqué  par  Monseigneur,  tous  les 
habitants  de  Zahlé  se  rendirent  à  la  Cathédrale,  un  cierge 
à  la  main  gauche  et  le  chapelet  à  la  main  droite.  Lorsque 
Pévôque  parut  sur  le  seuil  de  Téglise,  tout  le  monde  se 
prosterna  le  front  dans  la  poussière,  devant  le  Très-Saint 
Sacrement  porté  par  Sa  Grandeur.  Le  clergé  chantait  deg 
hymnes  et  le  peuple  récitait  le  chapelet.  On  fit  ainsi  le 
tour  de  la  ville. 

■ 

Le  bon  Dieu  permit  que  ces  jours-là  se  trouvât  à  Zahlé 
un  riche  musulman,  chef  d'un  village  des  environs  de 


158 

Homs.  Cet  homme  a  donc  pu  être  témoin  de  ce  spectacle- 
de  piété  chrétienne  :  il  a  pu  voir  de  ses  propres  yeux  cette 
foi  vive  que  nos  bons  Libanais  conservent  encore.  Il  a  pa 
remarquer  plusieurs  de  ses  amis,  aussi  puissants  et  plus  ri- 
ches que  lui,  marcher  avec  la  foule  des  pauvres,  sans  aucu- 
ne distinction  ;  il  a  pu  entendre  des  milliers  de  voix  deman- 
dant à  Notre-Seigneur  pardon  et  miséricorde,  avec  une 
confiance  illimitée.  Enfin  toute  cette  manifestation  si  tou- 
chante ne  manqua  pas  de  produire  en  lui  quelque  heureuse 
impression.  Mais  en  bon  musulraan'qu'il  était,  il  crut  de- 
voir se  moquer  de  tout  ce.  qui  avait  fait  l'objet  de  son  admi- 
ration. En  apprenant  que  le  choléra  avait  éclaté  dans 
quelques  villages  de  la  plaine  de  Baalbek,  aux  environs  de 
Zahlé,  il  se  hâta  de  terminer  ses  affaires  et  de  partir  pour 
son  village  qu'il  regardait  comme  inaccessible  à  Tinvasion 
du  terrible  fléau,  à  cause  d%  sa  position  solitaire  dans  l'im- 
mense plaine  de  Homs.  A  son  arrivée,  tous  les  musul- 
mans de  l'endroit,  suivant  l'usage  du  pays,  se  firent  un 
devoir  de  le  visiter  et  de  lui  demander  des  nouvelles  de  son 
voyage.  La  matière  ne  lui  manquait  pas  :  la  foie  et  la  piété 
de  nos  braves  Zahléotes  lui  fournirent  de  quoi  égayer  ses 
coreligionnaires.  Mais  cette  gaieté  ne  dura  pas  longtemps. 
Dix  jours  après,  le  lloau  apparaît  menaçant,  et  fait  même 
plusieurs  victimes  parmi  les  musulmans.  Les  quelques  fa- 
milles chrétiennes  qui  habitaient  ce  même  village  prennent 
la  fuite,  à  l'exception  d'un  vieillard  qui  ne  pouvant  pas  sup- 
porter les  fatigues  du  voyage  demeura  dans  sa  maison  avec 
quelques  membre^  do  sa  famille.  Notre  chef  naguère  si 
railleur,  maintenant  effrayé  des  ravages  du  choléra,  se  rap- 
pela la  procession  do  Zahlé;  d'ailleurs  des  lettres  de  ses 
amis  lui  apprennent  qu*à  Zahlé  tout  le  monde  se  porte  bien, 
tandis  que  dans  son  village  le  mal  sévit  chaque  jour  davan- 
tage. Le  musulman  n'hésite  plus;  il  court  chez  le  curé 
grec-catholique,  qui  était  resté  fidèle  à  son  poste  à  cause  du 
vieillard  chrétien  et.  de  sa  famille.  Il.lui  décrit  l'admirable 
processio!)  dont  il  avait  eu  le  bonheur  d'être  témoin 
à  Zahlé.  En  même  temps  il  tire  de  sa  poche  des  lettres  der- 
nièrement arrivées  :  '^Voilà,  ajoute-il,  la  grâce  signalée  que 
•'  les  Zihléoles  ont  obtenue  de  votre  Christ.  Ils  ont  étéentiè- 


159 

**  rement  délivrés  du  fléau.  Nous  pouvons  donc  obtenir  les 
*'  mêmes  résultats.'*  Le  brave  curé,  étonné  d'un  pareil  lan- 
gSLge  dans  la  bouche  d'un  musulman  lui  répond  :    ^'  Mais, 
mon  cher  Monsieur,  vous  ne  faites  pas  attention  à  une  cho- 
se:    Zahié  est  un  village  entièrement  chrétien,  où  l'on  peut 
exercer  en  toute  liberté  le  culte  catholique  avec  le  respect 
et  la  piété  convenables,  tandis  que  dans  un  village  tout 
musulman  comme  celui-ci,  je  ne  pourrais  pas  p  iraltre  dans 
les  ruée,   portant  le  Très-Saint  Sacrement,  sans  exposer 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  aux  outrages  de  vos  co-réligion 
naires,  et  par  conséquent  sans  attirer  sur  nous  ses  justes 
châtiments." — Le  musulman  prenant  alors  un  air  sérieux: 
*'Quant  à  cela,  dit-il,  je  m'en  charge  ;  je  suis  chef  des  mu- 
sulmans, je  vous  donne  ma  parole  que  pendant  tout  le  temps 
de  la  procession  pas   un  ne  bougera  et  ne  soufflera  mol, 
soyez-en  sûr."  Le  bon  curé  avait  obtenu  déjà  quelque  chose, 
mais  cela  ne  lui  suffisait  pas. — "Je  crois,  Monsieur,  répondit- 
il,  tout  ce  que  vous  me  dites;  cependant  pour  que  Notre- 
Seigneur  nous  accorde  la  grâce  désirée,  ce  n'est  pas  assez  de 
ne  point  l'outrager  ;  il  faut  aussi  faire  quelque  chos^i  en  son 
honneur  :  "  Dites,  M.  le  Curé,  reprit  le  musulman,  que  faut- 
il  que  nous  fassions?"  "  D'abord  toutes  les  rues  par  où  pas- 
sera la  procession  doivent  être  bien  balayées  et  nettoyées; 
ensuite  le  jour  de  la  procession  tous  les  musulmans  se  ren- 
dront devant  la  porte  de  mon  église,  tenaîjt  à  la  main  un 
cierge  qu'ils  allumeront  pour  accompagner  le  Très  Saint 
Sacrement.  Enfin,  il  faut  qu'ils  aient  tons  la  foi  que  Notre- 
Seigneur  Jésus-Chiist  peut  et  veut  bien  nous  délivrer  du 
choléra.    Si  vous  promettez  ces  trois  choses,  la  procession 
aura  lieu." — Le  chef  enchanté  lui  répondit  :  ''Tout  ce  que 
vous  demandez  sera  accompli  à  la  lettre  ;  dans  deux  jours, 
après  votre  m?sse,  vous  verrez  tous  les  musulmams  à  la 
pone  de  votre  église  pour  assister  à  la  procession." — En 
effet,  le  lendemain  dès  le  matin,  hommes,  femmes,  enfanta 
sortirent  de  leurs  maisons  qui  avec  des  balais,  qui  avec  des 
pelles,  qui  avec  des  corbeilles,  se  mirent  tous  à  l'œuvre;  le 
soir  toutes  les  rues  du  village  étaient  parfaitement  propres. 
Le  deuxième  jour  tout  le  monde  était  réuni  devant  l'église  : 
*on  alluma  les  cierges,  et  lorsque  le  curé  parut  portant  le 


160 

Saint-Sacrement,  tous  les  musulmans  se  mirent  en  marche^ 
le  chef  derrière  eux.    Après  lui  venait  le  curé  accompa^iifr  t 
de  quelques  membres  de  la  famille    catholique  qui  élaiÉ. 
restée  dans  le  village.    La  procession  traversa  les  princi|H^ 
les  rues,  puis  elle  sortit  et  fit  le  tour  du  village.  Lorsqa*iiâe 
rentra  pour  se  rendre  à  l'église,  elle  passa  dans  une  rué  ofr 
se  trouvait  la  maison  du  Khatib  (prêtre  musulman.)  Celui-d 
se  place  devant  sa  porte,  et  au  moment  où  la  processioa 
défilait,  il  murmure  quelques  paroles  de  reproche.  Le  chef 
les  entend  et  dit  à  ses  musulmans  :  —  '*  Ne  faites  pas  atten- 
tion à  ce  qu'il  dit  ;  celui-là  n'a  pas  la  foi,  et  Jésus-Christ  ne 
le  délivrera  pas  du  choléra.  "  —  La  procession  continuant 
sa  marche,  arrive  à  l'église  ;  le  curé  bénit  tout  le  village 
avec  le  Très-Saint  Sacrement,  et  chacun  se  retira  î^lein  d'es- 
pérances.   Le  reste  de  cette  journée  s'écoule  sans  aucun  dé* 
ces.    Vers  le  coucher  du  soleil,  le  Khatib  est  atteint  par  le 
fléau  et  il  expire  quelques  instants  avant  minuit.  Le  second 
jour  point  de  nouvelle  victime  ;  les  malades  eux-mêmes  se 
lèvent  ;  au  bout  de  quatre  ou  cinq  jours,  tout  le  monde  se 
porte  bien,  le  village  "était  sauvé.    Voilà  le  fait  que  le  curé 
même  du  village  a  raconté  au  curé  de  Zahlé,  son  frère,  de 
qui  je  le  tiens  moi-même.    Je  sais  que  quelques  savants  de  > 
l'Europe  attribueront  ce  phénomène  à  la  propreté  qu'on  a 
mise  dans  les  rues,  ou  à  d'autres  causes  naturelles.    Les- 
musulmans  y  ont  reconnu  la  puissance  de  Jésus-Christ» 
Mais  vous  me  direz  peut-être  :  et  ces  mômes  musulmans 
n'ont-ils  pas  alors  embrassé  la  religion  catholique  ?  11  n'y  a, 
je  crois,  qu'une  seule  réponse  à  faire  à  votre  question  :  âans< 
les  desseins  de  la  divine  providence  l'heure  de  la  conver* 
sion  des  musulmans  n'a  pas  encore  sonné. 

Je  suis,  en  union  de  vos  Saints  Sacrifices, 

Votre  serviteur  en  Jésus-Christ. 

PORTELLI,  s.  j. 


'à 


y 


I 

ANNALES 


DB  LA 


PROPAGATION  DE  LA  FOI 


POUR  LA  PROVINCE  DE  QUEBEC 


OCTOBBB  -1877. 


(NOUVELLE    SERIE) 


TROISIÈME  NUMÉRO. 


DES  PRESSES  A  VAPEUR  DE  J.  A.  PLINGUET, 

39,   RUE  ST.  JEAN-BAPTISTB. 
1877 


Permis  d'imprimer, 

4-  Edouard  Ch.  Ev.  de  Montréal 


LES  LÉPREUX  DE  TRACADIE.  N.  B. 

pi  nous  semble  que  la  ieltre  suivante  complète  ce  que  nous  avons 
dît  dans  notre  dernier  numéro  sur  la  léprosie  de  Tracadie,  et  nous  som- 
mes persuadé  qu'elle  sera  lue  avec  intérêt  et  plaisir  ;  M.  Poirier,  auteur 
de  la  lettre  que  nous  donnons  aujourd'hui,  corrobore  M.  de  Bellefeuille 
sur  les  points  qui  touchent  à  Thistoire  et  donne  des  détails  comme  un 
témoin  dt  visu  peut  seul  en  donner.  C'est  du  Moniteur  Acadien  du  7. 
juin  dernier,  que  nous  extrayons  cette  lettre  ;  ces  renseignements 
sont  donc  tout  à  fait  récents.] 

(extrait    d'un   voyage   en   AGADIE,   par   MR.  PASCAL   POIRIER.) 

Le  jour  était  prêt  de  tomber  quand  j'arrivai  à  Tracadie. 
Je  donnai  congé  à  mon  guide,  et  me  présentai  seul  au  pres- 
bytère. Je  ne  connaissais  pas  personnellement  M.  le  curé 
X.;  mais  le  succès  d*un  sermon  prêché  par  lui  devant  une 
réunion  anglaise  où  se  trouvait  un  de  mes  amis,  était  venu 
josqn'à  mes  oreilles.  11  me  tardait  de  me  présenter  a  uu 
compatriote  aussi  distingué. 

Monsieur  X.  était  absent. 

Sans  l'attendre,  je  me  hAtai  d'aller  visiter  les  aleniours 
d'une  institution  unique  dans  la  Confédération — le  Lazaret. 

Plusieurs  lecteurs,  à  l'étranger  et  même  en  Acadie,  me 
demanderont  quel  est  ce  lazaret  de  Tracadie  ?  L'histoire  en 
est  bien  triste,  pénible  à  raconter.  La  lèpre  sérit  es  cet 
endroit;  et  le  lazaret,  comme  le  nom  l'indique,  est  rhos- 
pice  où  sont  renfermés  les  lépreux. 

Bien  des  commentaires  ont  été  faits  au  sujet  des  lépreux 
de  Tracadie,  et  la  plupart  avec  une  ignorance  remarqua- 
ble des  faits  et  des  circonstances.  Par  exemple,  une  con- 
clusion tirée  par  plusieurs  touristes  anglais  qui  se  sont 
mêlés  d'écrire  à  ce  sujet,  est  d'affirmer  que  la  lèpre  existe 
à  l'état  dormant  chez  tous  les  Acadiens,  par  suite  d'ancien- 
ne corruption  du  sang,  que  c'est  chez  eux  une  maladie  en- 
démique. 

Les  faits  vont  rétablir  la  vérité. 

La  première  apparition  de  ce  terrible  fléau  a  été  signalée 
en  1816,  à  Chatham,  à  quarante  milles  environ  de  Tracadie  ; 


164 

et  c'est  une  femtre  anglaise,  Madame  Gardiner,  qui  en  était 
atteinte.  Jamais  aucun  symptôme  de  ce  mal  n'avait  été 
observé  auparavant  en  Acadie,  ni  pendant  le  domination 
française,  ni  après  ;  et  aujourd'hui  encore,  il  est  aussi  incon- 
nu, inouï,  dans  les  autres  parties  des  Provinces  Maritimes 
que  dans  la  Chambre  des  Représentants  à  Ottawa.  Ce  n'est 
qu'en  1821,  que  la  lèpre  s'est  déclarée  pour  la  première  foî« 
à  Tracadie,  parmi  la  population  française:  une  autre  fem- 
me. Madame  Benoit^  en  était  la  victime. 

Comment  la  lèpre  a-t-elle  origine  à  Chatham,  puis  à  Tra- 
cadie? C'est  la  question,  c'est  le  mystère;  mystère  sotte- 
ment expliqua  par  le  premier  touriste  anglais  auquel  est 
venu  l'idée  qu'elle  devait  exister  à  l'état  latent  chez  tous 
les  Acadiens.  La  maladie  est>elle  spontanée  ?  A-t-elle  été 
importée  de  l'étranger,  comme  elle  l'a  été  en  Espagne  par 
les  Maures  et  en  France  par  les  Croisés,  au  dire  de  certains 
savants  savamment  réfutés  par  d'autres?  Mystère  encore. 
Les  habitants  de  Chatham  disent  que  l'équipage  d'un  cer- 
tain navire  norvégien  leur  a  laissé  ce  funeste  présent. 
Chatham,  en  effet,  exporte  beaucoup  de  bois  en  Europe  sur 
des  navires  norvégiens  ;  et  tout  le  monde  sait  que  la  lèpre 
sévit  en  plusieurs  endroits  de  la  Norvège. 

Quoiqu'il  en  soit,  le  ûéau  a  maintenant  pris  racine  dans 
notre  province,  et  fasse  le  ciel  qu'il  ne  se  projjage  pas.  Ac- 
tuellement il  ne  franchit  pas  les  limites  de  Tracadie  et  de 
la  partie  la  plus  rapprochée  de  Poqueraouclie,  paroisse  voi- 
sine. L'on  observe  en  outre,  fait  consolant,  que  le  nombre 
des  victimes  n'augmente  pas  depuis  que  les  bonnes  Reli- 
gieuses de  l'Hôtel-Dieu  de  Montréal  sont  allées  prendre 
soin  des  malades,  mais  qu'il  tend,  au  contraire,  à  diminuer. 

Autrefois,  à  partir  de  1844,  les  malades  étaient  relégués 
à  rile-aux  Becs-Stie  (Slieldrake  Island),  sur  la  rivière  Mira- 
michi,  à  six  ou  sept  milles  de  Chatham.  Ou  les  entassait 
pele-môle  dans  une  chétive  bicoque,  cadeau  du  gouverne- 
ment, où  ils  étaient  réduits,  la  plupart  du"  temps,  à  prendre 
soin  d'eux-mêmes.  L'or  ne  pouvait  payer  les  services  d'au- 
cun engagé  ;  à  peine  si  un  parent  osait  aller  leur  prodi- 
guer de  temps  à  autre  les  soins  les  plus  urgents,  tant  la 
crainte  du  mal  frappait  les  esprits. 


165 

Ce  que  Tor,  le  dieu  puissant,  la  parenté,  le  lien  fort,  n'ont 
pas  fait,  la  Beligion  l'est  venue  faire,  avec  des  femmes 
pour  ministres. 

Les  Dames  de  THôtel-Dieu  arrivèrent  à  Tracadie  le  4 
octobre  1868,  Le  Révd.  M.  Gauvreau,  mort  il  y  a  quelques 
années  en  odeur  de  sainteté,  avait  obtenu  du  gouverne- 
ment que  le  soin  des  lépreux  leur  serait  confié.  Aujour- 
d'hui, grâce  à  leur  dévouement,  si  le  mal  n'en  est  pas 
4noins  demeuré  affreux,  incurable,  au  moins  les  malades 
sont-ils  Tobjet  constant  de  l'attention  la  plus  empressée,  de 
la  sollicitude  la  plus  tendre. 

Je  visitai  le  Lazaret  en  compagnie  de  M.  le  Curé.  J'a- 
vouerai que  je  ne  pus  maîtr.'ser  un  certain  sentiment  de 
crainte,  en  entrant  dans  ce  lieu,  d'où,  comme  dans  l'enfer 
du  Dante,  aucun  condamné  ne  sort.  Déjà,  la  veille,  dans 
ma  promenade  autour  de  l'hospice,  j'avais  conversé  avec 
quelques-uns  des  malades  occupés  à  respirer  la  fraîcheur 
du  soir  dans  leur  jardin.  Je  m'étais  fait  raconter  l'histoire 
de  plusieurs  d'entre  eux,  leur  condition  présente,  leurs 
souffrances,  leurs  espérances.  L'air  de  consternation  que 
je  leur  avais  vu,  cette  sombre  résignation  qui  serait  du 
désespoir  si  elle  n'était  un  long  martyre,  avaient  assombri 
mes  pensées,  bouleversé  mon  âme. 

Les  Religieuses  nous  accueillirent  avec  beaucoup  de 
grâce.  Elles  me  permirent  môme  de  visiter  les  apparte- 
ments des  malades.  Il  n'y  a  que  deux  appartements,  l'un 
pour  les  femmes,  l'autre  pour  les  hommes.  A  notre  entrée, 
ils  se  levèrent,  s'attendaut  peut-être,  les  infortunés,  que 
nous  leur  apportions  des  consolations,  que  sais  je  ?  peut-être 
le  remède  que  personne  ne  leur  apporte,  et  qu'ils  ne  trouve- 
ront qu'au  delà  du  tombeau.  Quelles  consolations  donner 
à  ceux  qui  ne  doivent  jamais  jouir  de  la  société  des  autres 
hommes,  qui  sont  un  objet  de  terreur  pour  les  autres  et  de 
dégoût  pour  eux-mêmes?  Je  ne  leur  apportais  qu'une  âme 
chargée  de  pensées  lugubres  ;  et  je  me  disais  :  quel  mal 
onl-ils  fait  pour  mériter  le  châtiment  qui  les  frappe  '/  Pour- 
quoi sont-ils  ici  plutôt  que  d'autres? 

Il  y  en  avait  vingt-et-un,  tant  hommes  que  femmes  et 
enfants.    Les  uns  ne  me  paraissaient  guère  mutilés  ;  mais 


166 

• 

d'autres  avaient  le  visage,  les  mains,  les  pieds  horriblement 
grossis  ;  d^autres  avaient  perdu  leurs  doigts,  gui  étaient 
tombés  aux  jointures  sans  laisser  de  cicatrice,  comme  un 
fruit  trop  mur  se  détache  de  la  branche.  Tous  avaient 
cette  couleur  terne,  cette  chair'morte,  incolore,  ou  plutôt  pa- 
reille au  cuir  de  Télôphant,  ainsi  que  le  nom  de  la  maladie 
l'indique. 

La  lèpre^  en  effet,  n'est  pas  proprement  le  nom  de  leur 
maladie,  c'est  Véléphantiasis. 

La  lèpre  proprement  dite  a  été  subjuguée  par  la  science 
moderne. 

L'éléphantiasis  dont  sont  frappés  les  malades  deTracadie 
est  la  lèpre  orientale,  la  même  apparemment  dont  il  est  fait 
mention  dans  Moïse  et  les  écrivains  hébreux,  celle  qu'a 
décrite  Aretée  de  Cappadoce.  C'est  le  mal  incurable,  mys- 
térieux, que  la  science  humaine  n'a  jamais  sondé,  et  qu'un 
miracle  seul  a  guéri. 

La  lèpre  si  répandue  en  Europe  au  Moyen-Age,  qu'en 

France  seulement,  sous  le  règne  de  Louis  VIII,  on  a  compté- 

2,000  léproseries  ou  lazarets,  n'était  pas  toujours  l'éléphan- 

tiasis.    Plusieurs  savants  prétendent  même  que  ce  n'était 

autre  chose  que  la  syphilis;  d'autres  pensent  que  c'était 

cette  sorte  de  lèpre  que  les  grecs  nommaient  leuke^  mal 

blanc. 
Sans  nous  arrêter  aux  disputes  des  savants,  auxquelles, 

pour  ma  part,  je  n'entends  rien,  comment  s'expliquer  la 
nature  de  la  lèpre  dont  il  s'agit,  la  plus  ancienne  des  mala- 
dies dont  l'histoire  fasse  mention,  la  moins  expliquée,  celle 
que  les  hommes  ont  le  plus  en  horreur  ?  Est-elle  conta- 
gieuse  ?  Les  Sœurs  de  l'Hôtel-Dieu  qui  prennent  soin  des 
malades  depuis  sept  ans,  non  plus  que  les  femmes  qui 
lavent  leur  linge,  ne  l'ont  jamais  prise.  Une  rumeur  cir- 
cule, cependant,  qu'un  médecin  attaché  au  lasaret  s'aperçu 
un  jour  qu'il  en  était  atteint,  et  de  désespoir  ait  fin  à  so 
existence.  * 

Est-elle  héréditaire  ? 

Dans  les  familles  le  mal  frappe  indistinctement  le  père 
la  mère,  les  enfants  ou  quelques-uns  d'entre  eur,  et  épar 
gne  les  autres.    L'on  a  vu  un  homme,  marié  en  seconde] 


167 

noces,  dont  les  deux  femmes  sont  allées  mourir  au  lazaret^ 
vivre  de  longues  aunées  et  n'en  être  jamais  atteint.  Voici 
qui  est  plus  surprenant  encore  :  une  femme  a  donné  le 
jour  à  un  enfant  pendant  qu'elle  était  au  lazaret,  où  elle 
est  morte  ensuite,  et  Penfant  maintenant  est  grand  et  n'a 
aucun  symptôme  de  la  lèpre. 

Qui  éclaircira  ce  mystère  ? 

Ici,  comme  dans  la  plupart  des  effets  dont  les  causes  sont 
demeurées  inconnues,  un  brin  de  superstition  est  venu  se 
fourvoyer  :  ce  qui  n'a,  dans  aucun  temps,  contribué  à  amé- 
liorer le  sort  de  ces  malheureux.  Aux  yeux  du  peuple,  un 
lépreux  a  presque  toujours  été  un  homme  frappé  de  la 
malédiction  du  ciel. 

Les  législateurs,  au  contraire,  tout  en  s'entourant  des 
mesures  les  plus  sévères  pour  empocher  la  propagation  du 
mial,  ont  presque  toujours  laissé  le  soin  des  lépreux  aux 
ministres  de  la  religion,  semblant  montrer  par  là  le  cas 
religieux  qu'ils  en  faisaient.  Moïse  ordonne  à  l'homme 
suspect  de  la  lèpre  de  se  montrer  au  prêtre.  S'il  est  déclaré 
impur,  on  lui  assigne  sa  demeure  hors  du  camp.  Sa  maison 
est  démolie,  et  ses  bardes  et  meubles  sont  brûlés. 

Au  Moyen- Age,  celui  qui  était  convaincu  atteint  de  la  lèpre 
était  recouvert  d'un  linceul  ;  on  chantait  pour  lui  la  messe 
des  morts  et  le  libéra,  puis  on  le  conduisait  au  cimetière. 
Le  prôtre  prenant  une  pelletée  de  terre,  la  lui  posait  trois 
fois  sur  la  tète  en  lui  disant  :  Souviens-toi  qufi  lu  es  mort  au 
monde,  et  pour  ce^  aye  patience  en  toi.  "  Il  lui  était  défendu 
alors,  dit  un  auteur  que  je  transcris,  de  s'approcher  de 
personne,  de  ne  rien  toucher  de  ce  qu'il  marchandait,  de 
se  tenir  au  dessous  du  vent  lorsqu'il  parlait  à  quelqu^un^ 
de  sonner  sa  tourterelle,  ou  cliquette,  quand  il  demandait 
l'aumôme,  de  ne  pas  sortir  de  sa  borde  ou  tanière  sans  être 
vêtu  de  la  housse,  de  ne  boire  à  aucune  fontaine  ni  ruis- 
seau, si  ce  n'est  dans  le  réservoir  d'eau  qui  se  trouvait 
devant  sa  borde,  de  ne  pas  sortir  du  lieu  de  son  domicile 
sans  un  congé  du  curé  ou  de  l'officier." 

Ces  cérémonies  si  lugubres  étaient  bien  de  nature  à  frap- 
per profondément  le  peuple  qui  en  était  témoin  ;  d  où 
l'horreur  que  le  nom  seul  de  lépreux  inspirait. 


168 

Certains  peuples  sont  allés  encore  plas  loin.  Us  voulaient 
{ceux-là  n'étaient  pas  positivement  des  républicains)  que  le 
roi  qui  en  était  frappé  fie^  baignât  dans  le  sang  de  ses  sujets 
pour  se  guérir. 

Au  rapport  de  Josephe,  au  contraire,  chez  quelques  con^ 
trées  orientales,  les  lépreux  étaient  Tobjet  de  la  vénération 
universelle,  d'honneurs  extraordinaires*  :  on  leur  donnait 
les  premières  dignités  civiles  et  militaires. 

Plutarque  nous  apprend  qu'Artaxerce  aimait  passionné- 
ment son  épouse  Atorsa,  dont  le  corps  était  couvert  d'une 
lèpre  blanche  —  celle  que  les  Grecs  appelaient  leuke. 

Le  gouvernement  du  Nouveau-Brunswick  ne  témoigne 
pas  aux  lépreux  de  Tracadie,  les  mêmes  égards  que  témoi- 
gnaient à  leurs  lépreux  les  gouvernements  dont  parle 
Josephe.  Après  les  avoir  laissés  périr  de  misère  pendant  de 
longues  années  sur  Tlle  aux  Becs-Scie,  il  les  a,  il  est  vrai^ 
installés  dans  le  lazaret  où  ils  sont  aujourd'hui.  Mais  ce 
lazaret  n'est  pa^  ce  qu'il  devrait  être  ;  les  malades  n'y  sont 
guère  plus  à  l'abri  des  intempéries  des  saisons  qu'ils  ne  le 
seraient  dans  une  grange  confortable.  La  pluie,  quand 
elle  est  poussée  par  les  vents  du  nord  et  du  nord-est,  pénè- 
tre le  toit,  et  tombe  abondamment  sur  leurs  lits  de  douleur  ; 
et  pendant  les  rigueurs  de  l'hiver,  les  soins  et  la  sollicitude 
des  bonnes  Religeuses  ne  peuvent  pas  toujours  les  préser^ 
ver  du  froid  qui,  joint  à  l'humidité  de  l'automne,  leur  est 
souvent  fatal.  Parce  qu'ils  sont  condamnés  à  vivre  isolés^ 
séparés  de  toute  société;  parce  que  leur  mal  est  sans 
remède,  cela  ne  doit  pas  leur  enlever  leurs  droits  à  la  sym- 
pathie de  leurs  semblables.  Le  gouvernement  en  les 
dotant  d'un  hospice  confortable,  tel  que  le  réclame  leur 
malheureux  état,  ferait  un  acte  de  philantropie  applaudi 
par  toute  la  province.  La  subvention  môme  de  800  pias- 
tres accordée  aux  Religieuses  pour  leur  propre  entretien 
l'achat  des  remèdes,  etc,  n'est  pas  suffisante.  L'on  ne  de' 
vrait  pas  y  regarder  de  si  près,  il  me  semble,  lorsqu'il  s'agit 
de  tempérer  des  souffrances  déjà  grandes  et  surtout  si  Ion- 
gués. 

Ceux  d'entre  vous  à  qui  il  est  arrivé  de  visiter  nos  grands 
pénitenciers,  ont  peut-être  été  étonnés  d'y  entendre  parler 


169 

de  délivrance  prochaine,  faire  des  rêves  brillants,  ceux  que 
la  justice  a  condamnés  à  une  réclusion  perpétuelle.  Mon 
éionnement  fut  plus  grand  encore  en  entendant  les  mômes 
paroles,  les  mômes  projets  d'avenir  et  de  bonheur,  sortir 
de  la  bouche  de  ceux  que  la  science  et  les  hommes  ont 
également  condamnés.  Mais  ces  moments-là  sont  courts  ; 
ce  sont  des  éclairs  passagers,  des  images  fugitives,  suivis 
aussitôt  d'un  afTreux  retour,  de  la  sombre  et  inflexible 
réalité. 

En  entrant  dans  leur  salle,la  Supérieure  leur  avait  an- 
noncé que  je  leur  apportais  des  nouvelles  du  Docteur  Ta- 
ché. A  ce  nom  je  vis  leurs  yeux  se  dilater,  leurs  lèvres  * 
sourire,  comme  à  l'annonce  d'une  délivrance  prochaine. 
Le  Docteur  Taché,  en  effet,  a  passé  plusieurs  étés  avec  eux 
à  étudier  leur  maladie,  dans  le  but  de  faire  un  traité  sur 
la  lèpre,  qu'il  est  prôt,  me  dit-on,  à  mettre  sous  presse.  La 
«cience  attend  l'œuvre  du  savant  docteur,  mais  non  pas 
avec  la  môme  avidité  que  ces  malheureux  attendent  son 
retour  au  milieu  d'eux.  De  ses  bontés  pour  eux  il  leur 
^st  resté  l'idée  qu'un  beau  matin  il  arrivera,  leur  apportant 
le  remède  qui  doit  les  guérir  de  la  lèpre. 

0  espérance!  me  disaîs-je  en  moi-même,  tu  es  une  bien 
puissante  consolatrice,  puisque  tes  rayons  pénètrent  jusque 
dans  ces  hospices  où  règne  le  désespoir  ;  puisque  tu  fais 
épanouir  des  cœurs  condamnés  à  mourir. 

Je  laissai  Tracadie  l'âme  grosse  de  réflexions  sombres. 

  peine  si  je  trouvai  quelqu'observation  à  faire  sur  les 
lieux;  à  peine  si  j'observai  la  magnifique  église  en  pierre 
de  taille,  longue  de  120  pieds  et  large  de  56,  en  voie  de 
construction,  et  qui,  parachevée,  sera  l'une  des  plus  belles 
églises  en  pierre  des  Provinces  Maritimes. 

Tracadie  est  un  village  agréablement  situé  sur  le  bord  de 
la  mer,  avec  trois  cent  quatre-vingt-six  familles  toutes  Âca- 
diennes,  sauf  4  familles  anglaises  et  irlandaises.  L'on  y 
arrive  par  la  diligence  de  Chatham  ou  de  Bathurst,  au  tra* 
/vers  de  chemins  qui  ne  sont  pas  les  plus  beaux  du  monde* 


NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

SUR  LE 

Très  Révérend  Alexis  Mailloux^  Vicaire-Général,  décédé  à  Pile 

aux  Coudres  le  4  août  1877. 

Certa  bonnm  certamen  fidel  :  appréhende 
vltam  œtemam  In  qua  vocatos  es»  etconfes- 
8a8  bonam  eonfesBionem  coram  multifi  tes- 
tibos. 

^  Combattez  le  Sâlnt  combat  de  la  foi  :  rem- 

portez le  prix  de  la  vie  étemelle  à  laquelle 
vous  avez  été  appelé,  ayant  si  glorieusement 
confessé  la  fol  devant  un  grand  nombre  de 
témoins. 

I  Tlm.VI.12. 

Ces  paroles  de  TApôtre  St.  Paul  semblent  être  le  résumé 
parfait  de  la  vie  et  des  travaux  de  ce  vétéran  du  sanctuaire 
qui  vient  de  s'endormir  doucement  dans  la  paix  du  Sei- 
gneur, à  rage  de  soixante- seize  ans  et  six  mois,  après  plus 
de  cinquante-deux  années  de  prêtrise  consacrées  tout  en- 
tières à  l'exercice  du  saint  ministère  et  du  salut  des  âmes. 

Homme  laborieux,  patriote  dévoué,  prédicateur  éloquent, 
missionnaire  infatigable,  prêtre  sans  tache,  tel  fut  le  Révé- 
rend Messire  Alexis  Mailloux,  dont  l'Eglise  de  Québec  enre- 
gistre aujourd'hui  la  perle  et  dentelle  conservera  toujours 
le  plus  précieux  souvenir. 

M.  Mailloux  naquit  à  TUe  aux  Coudres,  le  9  janvier  1801, 
et  il  a  conservé  jusqu'à  sa  mort  un  véritable  culte  pour 
cette  paroisse  où  il  avait  vu  le  jour  et  où  il  devait  rendre  le 
dernier  soupir.  La  Providence  de  Dieu  qui  le  destinait  à 
devenir  une  des  gloires  du  sacerdoce  en  notre  pays,  permit 
qu'il  fut  rencontré  un  jour  dans  Tlle  môme  par  un  des  di- 
recteurs du  Séminaire  de  Québec,  le  regretté  M.  Jérôme 
Demers.  Ce  prêtre  distingué,  avec  ce  coup  d'œil  sûr  qui 
le  caractérisait  et  peut-être  aussi  comme  inspiré  de  l'esprit 
d'en  haut,  s'attacha  cet  enfant.  Le  séminaire  lui  fut  ou- 
vert, et  quelques  années  plus  tard,  le  28  mai  1825,  après  un 
cours  d'études  classiques  et  tbéologiques  aussi  brillant  que 


171 

solide,  M.  Mailloux  recevait  ronction  sacerdotale  dels  mains 
de  feu  Monseigneur  J.  O.  Plessis,  d'illustre  mémoire. 

Ecolier  modèle,  lévite  déjà  consommé  dans  la  piété  et 
-dans  la  vertu,  aurait- il  pu  ne  pas  devenir  un  prêtre  selon  le 
coeur  de  Dieu?  Il  le  fat  en  effet,  et  Monseigneur  Plessis, 
pour  première  preuve  de  l'affection  et  de  la  confiance  qu'il 
mettait  en  lui,  le  fit  aussitôt  chapelain  de  cette  paroisse 
naissante  de  St.  Roch  de  Québec  que  ce  prélat  aimait  si 
particulièrement.  Quatre  ans  plus  tard,  en  récompense  de 
son  zèle,  on  l'attacha  plus  étroitement  encore  à  son  poste 
et  il  devint  premier  curé  de  St.  Roch.  Il  conserva  ce  titre 
jusqu'en  1833,  époque  à  laquelle  il  supplia  l'autorité  ecclé- 
siastique de  lui  laisser  exercer  le  saint  ministère  dans  une 
paroisse  de  la  campagne.  La  Rivière  du  Loup  lui  échut 
en  partage.  Il  s'y  était  établi  depuis  à  peine  un  an,  lors- 
•qu'on  réclama  ses  services  pour  la  direction  du  collège 
Ste.  Anne  Lapocatière.  Inutile  de  dire  qu'il  se  donna  tout 
entier  à  cette  œuvre  qui  demande  tant  de  discernement,  de 
prudence  et  de  dévouement.  A  la  mort  de  M.  Painchaud 
qui  eut  lieu  le  8  février  1838,  il  accepta  la  cure  de  Ste» 
Anne,  tout  en  demeurant  attaché  au  collège,  au  soutien 
duquel  il  consacrait  presque  tous  ses  revenus  ecclésiasti- 
ques avec  cette  charité  qui  ne  s'est  jamais  démentie  un  seul 
instant.  C'est  pour  reconnaître  tant  de  bons  offices  qu'au 
mois  de  juin  de  la  môme  année.  Monseigneur  Signay  le 
nomma  Vicaiie-Général,  honneur  qu'il  méritait  à  tant  de 
titres.  Pendant  dix  ans,  M.  Mailloux  se  voua  corps  et  âme 
à  la  desserte  de  cette  immense  paroisse,  sans  jamais  oublier 
l'œuvre  du  collège  dont  il  espérait  tant  de  bien  pour  le 
pays. 

Depuis  longtemps/  cependant,  ce  saint  prêtre  mûrissait 
dans  son  esprit  et  réchauffait  dans  son  cœur  un  projet  aussi 
plein  de  patriotisme  que  de  religion  et  l'heure  semblait 
venue  où  il  allait  pouvoir  la  mettre  à  exécution.  L'ivro- 
gnerie faisait  de  terribles  ravages  dans  tout  le  Canada,  et 
«lie  avait  alors  ce  caractère  particulier  qu'on  semblait  ne 
la  considérer  ni  comme  une  honte  ni  comme  un  péché 
bien  grave.  Pour  combattre  ce  désordre  affreux,  Monsieur 
le  6raûd-Vi Caire  Mailloux  se  fit  exclusivement  V Apôtre  de 


172 

la  Tempérance^  et  bien  que  le  mal  eût  jeté  déjà  des  racines 
profondes,  après  quelques  années  de  travaux,  ce  zélé  mis- 
sionnaire avait  changé  la  face  du  pays.  On  le  vit  donc 
pendant  longtemps,  armé  de  Tétendard  de  la  croix,  par- 
courir les  unes  après  les  autres  les  paroisses  des  villes  et 
des  campagnes  et  y  établir  cette  société  admirable  de  tem- 
pérance dont  la  sainte  rigueur  était  bien  nécessaire  au  ca- 
ractère du  peuple  canadien  et  qui  demanderait  peut-être 
de  nos  jours  encore  un  apôtre  pour  la  raviver  au  milieu  de 
nous. 

Les  générations  qui  ont  été  témoins  de  cette  première 
croisade,  se  rappellent  encore  combien  ce  prêtre  vénéré 
mettait  d'ardeur  dans  Taccomplissement  de  son  œuvre.  Sa 
parole  forte  et  onctueuse  à  la  fois  ne  connaissait  pas  d'obs- 
tacle, et  si  quelquefois  en  lui  le  prédicateur  paraissait  aus- 
tère, le  confesseur  rachetait  cette  sévérité  apparente  par  la 
plus  miséricordieuse  douceur.  Que  d'âmes  lui  devront  leur 
salut  éternel  1 

Après  des  semaines  et  des  mois  de  travaux  incessants, 
,de  veilles  et  de  fatigues,  Tapùtre  des  retraites  et  de  la  tem- 
pérance s'accordait  comme  à  regret  quelques  jours  de  re- 
pos. TI  avait  choisi  pour  demeure  la  maison  de  son  ami 
le  plus  intime,  le  Révérend  Messire  Pierre  Villeneuve,  alors 
curé  de  St.  Charles.  Là,  jouissant  pour  ainsi  dire  de  la  vie 
de  famille,  s' occupant  do  quelques  travaux  manuels,  con- 
sacrant ses  loisirs  à  la  culture  de  la  musique  religieuse  et 
à  quelques  autres  amusements  favoris,  il  trouvait  encore 
l'occasion  de  satisfaire  son  zèle  en  aidant  son  confrère 
bienaimé  dans  tous  les  soins  du  ministère  et  surtout  dans 
la  prédication  et  dans  la  direction  des  âmes. 

C'est  à  peu  près  vers  cette  époque  qu'il  présenta  aux 
associés  de  la  Tempérance  son  opuscule  intitulé:  "La 
Croix  "  qui  se  conserve  avec  respect  dans  beaucoup  de 
nos  familles  canadiennes.  Il  publia  aussi  vers  le  même 
temps  "  Le  Manuel  des  Parents  Ckrétiens,''  œuvre  remplie  de 
conseils  salutaires  pour  le  bien  spirituel  et  temporel  de  ce 
peuple  qu'il  aimait  si  tendrement  et  qu'il  voulait  enchaîaer 
à  jamais  sous  le  joug  de  la  foi  et  de  la  vertu. 

Non  content  de  se  montrer  patriote  dans  ses  travaux* 


173 

apostoliques  et  dans  ses  écrits,  il  voulut  encore  encourager 
par  ses  exemples  l'œuvre  de  la  colonisation,  et  on  le  vit  un 
jour,  à  la  tôle  d'une  nombreuse  cohorte  de  défricheurs, 
aller  travailler  pendant  plusieurs  semaines  à  l'avancement 
de  ce  township  qui  porte  son  nom  et  où  sont  établis  main- 
tenant des  cultivateurs  à  Taise  qui  lui  sont  redevables 
d'une  large  part  de  leur  prospérité.  Oo  rapporte  que  pen- 
dant cette  expédition  si  ardue,  après  de  pénibles  journées, 
il  passait  encore  une  partie  de  ses  nuits  en  oraison,  vou- 
lant, disait-il,  prier  à  la  place  de  ses  chers  compagnons 
qu'il  voyait  accablés  de  fatigues  et  qui  plus  que  lui  avaient 
besoin  de  repos. 

M.  Maiiloux  menait  depuis  huit  longues  années  cette  vie 
laborieuse,  lorsqu'un  pénible  incident  vint  encore  une  fois 
modifier  son  genre  d'apostolat. 

Le  31  août  1856,  le  Révèrent  M.  Pierre  Villeneuve  mou- 
rait à  l'HôteiDieu  de  Québec,  emportant  dans  sa  tombe  le 
regret  et  l'amour  de  la  paroisse  de  St.  Charles  toute  entière. 
Monsieur  le  Grand  Vicaire  Maiiloux  pleura  ce  tendre  ami 
avec  lequel  il  avait  coulé  des  jours  si  heureux,  et,  comme 
pour  faire  diversion  à  sa  douleur,  il  s'offrit  pour  la  mission 
des  Illinois  que  de  tristes  circonstances  avaient  rendue 
nécessaire.  Et  qui  mieux  que  lui  pouvait  arrêter  ce  schis- 
me naissant  ?  En  face  d'un  prêtre  apostat  et  infidèle,  ne 
fallait-il  pas  un  prôtre  véritablement  digne  de  son  nom,  un 
prêtre  inviolablement  attaché  à  la  doctrine  de  l'Eglise  et 
ponant  sur  son  front  le  triple  cachet  de  la  mortification^ 
de  Tobéissance  et  de  la  pureté  sacerdotale  ? 

Cette  mission  des  Illinois  fut  féconde  en  fruits  de  salut,  et 
quand,  en  1862,  il  laissa  cette  terre  qu'avait  voulu  ravager 
l'ennemi,  il  put  emporter  dans  son  cœur  ta  certitude  d'avoir 
remis  pour  toujours  dans  le  droit  chemin  grand  nombre  de 
familles  qui  s'étaient  laissées  entraîner  presqu'invincible- 
ment  dans  les  sentiers  de  l'erreur. 

De  retour  en  Canada,  il  se  donna  avec  une  nouvelle 
ardeur  à  l'œuvre  des  retraites.  Pendant  un  an,  il  interrom- 
pit ce  travail  pour  se  charger  de  la  paroisse  de  Bonaven- 
ttire,  dans  le  district  de  Gaspé  ;  mais  le  ciel  content  de  ses 
nobles  efforts  voulait  qu'il  termina  ses  jours  dans  des  oc- 


174 

cupatlons  plus  par&ibles  et  plus  proportionnées  à  son  âge, 
ainsi  qu'à  sa  santé  qui  allait  s'altérant  de  jour  en  jour. 

Depuis  cette  époque  jusqu'à  sa  mort,  il  fut  successive- 
ment l'hôte  d'amis  de  son  choix  qu'il  mentionne  et  remer> 
cie  tout  particulièrement  de  leur  charité  dans  son  testament. 
Du  mois  de  mars  1866  au  mois  de  juin  1870,  il  accepta 
l'hospitalité  du  Révérend  M.  Martineau,  curé  de  St.  Charles, 
qui  le  traita  toujours  avec  une  déférence  toute  filiale. 

En  retour  de  toutes  ces  prévenances  respectueuses,  moa- 
sieur  le  Grand  Vicaire  Mailloux  lui  rendait  tous  les  services 
dont  il  avait  besoin,  et  c'est  grâce  à  lui  et  môme  sur  ses 
instances  que  monsieur  le  curé  de  St.  Charles  put  faire  en 
1870,  année  du  concile  du  Vatican,  son  voyage  en  Europe 
et  son  pèlerinage  à  la  Ville  Eternelle. 

Depuis  1870  jusqu'à  sa  mort,  M.  Mailloux  vécut  à  St. 
Henri  de  Lauzon  auprès  de  ses  deux  autres  amis  de 
cœur,  M.  le  Curé  Grenier  et  le  Révérend  M.  T.  B.  Côté  qui 
n'ont  cessé  de  lui  prodiguer  jusqu'à  Ja  fin  les  marques  du 
plus  sincère  attachement. 

Pendant  ces  dix  dernières  années  de  sa  vie,  M.  Mailloux 
ne  resta  pas  inactif.  De  temps  en  temps  encore,  autant  que 
ses  forces  le  lui  permettaient,  il  donnait  quelques  retraites, 
avec  moins  de  vigueur  peut-être  qu'autrefois,  mais  avec 
des  résultats  non  moins  précieux.  C'est  aussi  pendant  ce 
laps  de  temps  qu'il  élabora  à  force  d'étude  et  de  veilles, 
ses  ouvrages  si  bien  connus  sur  La  Tempérance^  sur  Le 
Luxe^  et  tout  récemment  encore  un  volume  intitulé*  Le  PetU 
Arsenal,  C'est  un  livre  de  controverse  élémentaire  destiné 
à  la  classe  peu  instruite  et  qui  a  reçu  l'approbation  des 
Evéques  de  la  Province. 

Monsieur  Mailloux  a  laissé  de  plus  un  résumé  inédit  de 
l'Histoire  de  l'Eglise  ainsi  qu'une  foule  de  notes  précieuses 
et  de  documents  qui  peuvent  servir  à  notre  histoire  en  par- 
ticulier. Son  testament  lègue  au  séminaire  de  Québec  tous 
ses  manuscrits  comme  un  gage  de  reconnaissance  et  d'af- 
fection pour  cette  maison  envers  laquelle  il  se  trouve,  dit*i], 
redevable  de  tant  de  bienfaits. 

Cs  qu'il  faut  rechercher  avant  tout  dans  la  série  des  oa- 
vrages  de  M.  Mailloux,  ce  ne  sont  pas  sans  doute  les  déli- 


175 

<:at€sses  d'uD  style  brillant  et  châtié  ;  un  travail  trop  rapi- 
de lui  faisait  négliger  ces  justes  exigences  de  Tart  ;  mais  si 
on  oublie  un  instant  ces  quelques  défauts,  on  sera  éton- 
né, en  lisant  ses  œuvres,  de  voir  les  rect)^rches  qu'elles  ont 
dû  exiger  et  l'érudition  dont  elles  témoignent.  La  science 
qai  semble  7  prédominer,  c'est  la  connaissance  approfondie 
des  Saintes  Ecritures  et  des  Pères  de  l'Eglise  ;  mais  à  cha- 
que page  aussi  se  révèlent,  sous  une  doctrine  quelque  peu 
sévère,  un  jugement  généralement  sûr  et  une  chaleur 
d^âme  qui  portent  la  conviction  dans  les  esprits  et  la  per- 
suasion dans  tous  les  cœurs. 


Jusqu'ici  nous  avons  admiré  l'athlète  du  Seigneur  com. 
liattant  les  bons  combats  de  la  foi  et  la  confessant  par  ses 
OBUvres  admirables  devant  une  multitude  de  témoins:  Certa 
bùnum  certamen  fidei  :  confessus  bonam  confessiênem  eoram 
muUis  Ustibus.  Il  nous  reste  à  le  contempler  maintenant 
au  moment  où  il  va  cueillir  le  prix  de  ses  travaux  et  rece- 
voir la  couronne  de  gloire  qui  lui  est  destinée  :  Appréhende 
vitam  œtemam  in  quâ  vocatus  es. 

Pendant  son  séjour  à  St.  Henri  de  Lauzon,  M.  le  Grand 
Vicaire  Mailloux  s'occupait  activement  du  saint  ministère. 
Le  Tribunal  de  la  Pénitence  et  la  prédication  de  la  parole 
de  Dieu  attiraient  particulièrement  son  attention. 

Au  mois  de  mai  de  cette  année  1877,  pour  accomplir  un 
vœu  qu'il  avait  fait,  il  prêcha  trente  sermons  sur  la  Ste. 
Vierge.  Ces  sermons  furent  les  derniers  de  sa  vie.  Cet 
effort  d'amour  pour  glorifier  la  Reine  des  deux  lui  démon- 
tra combien  ses  forces  s'en  allaient  rapidement,  et  dans 
Tallocution  du  dernier  jour,  comme  par  un  instinct  pro- 
phétique, il  laissa  comprendre  aux  fidèles  et  à  ses  confrères 
chéris  que  désormais  sa  voix  cesserait  d«  se  faire  entendre. 
il  ne  disait  que  trop  vrai.  Pourtant  il  continua  encore  de 
se  rendre  au  confessionnal  et  de  célébrer  la  sainte  messe, 
mais  plus  d'une  fois  il  fut  pris  de  défaillances,  et  un  jour 
en  particulier^  (c'était  pendant  le  Triduum  de  la  Bonne 
Sainte  Anne),  il  demeura  assez  longtemps  évanoui  dans  le 
jardhi  du  presbytère  où  personne  ne  l'avait  aperçu. 

Le  31  juillet,  il  quittait  St.  Henri  pour  se  rendre  à  Tlsle 


176 

aux  Coudres,  pressé,  disait-il,  par  le  besoin  de  repos^  et 
voulant  resfirer  encore  une  fois  l'air  natal.  Dans  Tétat  de 
faiblesse  où  il  se  trouvait,  on  peut  affirmer  que  la  Provi- 
dence seule  Ta  soutenu  et  conduit  jusqu'à  cet  endroit  où. 
il  devait  terminer  sa  carrière.  Deux  ans  auparavant,  lors- 
qu'il célébrait  à  l'Isle  aux  Coudres  même  sa  cinquantième 
année  de  prêtrise^par  une  fête  de  famille  qui  restera  à  jamais 
-célèbre  dans  l'Isle  toute  entière,  il  avait  déclaré  publique- 
ment à  ses  co-paroissiens  qu'il  viendrait  mourir  au  milien 
d'eux.  Il  tenait  sa  parole  :  encore  quelque  jours  et  ses  vmax 
allaient  ôtre  exaucés.  Le  quatre  du  présent  mois,  (Août)  jour 
de  l'ouverture  des  Quarantes  Heures  dans  l'église  parois- 
siale, M.  le  Grand-Vicaire  se  leva  dès  l'aurore  et  commença 
la  Sainte-Messe,  mais  après  la  consécration,  il  fut  atteint 
d'une  nouvelle  défaillance.  Sentant  que  c'était  la  demiëre 
il  se  communia  lui>môme  avec  cette  piété  qu'on  admirait 
en  lui  ;  il  prit  également  le  calice  du  sang  précieux  ;  puis, 
après  ce  viatique  sacré,  il  se  rendit  en  toute  hâte  à  la  sacris- 
tie où  M.  le  curé  de  l'Isle  aux  Coudres  lui  prodigua  ses 
soins  empressés  et  le  reconduisit  au  presbytère. 

Les  forces  lui  revinrent  cependant  partiellement,  et  dans  le 
cours  de  la  journée,  il  put  voir  quelques  vieux  amis  de  la 
paroisse  et  converser  avec  eux.  Mais  sur  les  quatre  heures 
et  demie  de  l'après-midi,  se  sentant  plus  mal,  il  appela.  On 
lui  prépara  aussitôt  en  toute  diligence  une  potion  cordiale 
pour  le  reconforter,  mais  lorsque  quelques  minutes  après 
on  se  rendit  auprès  de  lui  pour  la  lui  présenter,  on  le  trou- 
va immobile  et  doucement  étendu  sur  son  lit.  II  venait 
de  rendre  le  dernier  soupir,  sans  autre  effort  que  celui  d'an 
voyageur  qui,  au  terme  d'une  longue  course  s'endort  d'un 
paisible  sommeil*  Son  bréviaire  était  encore  dans  sa  main 
et  témoignait  hautement  que  son  dernier  acte  avait  été  un 
acte  de  religion,  sa  dernière  parole  une  élévation  de  son 
coeur  vers  Dieu. 

M.  Tabbé  Demers,  vicaire  de  la  Baie  St.  Paul,  se  trouvait 
en  ce  moment  au  presbytère.  Espérant  qu'un  reste  de  via 
pouvait  peut-être  errer  encore  sous  ces  membres  glacés,  il 
prononça  les  paroles  de  l'absolution  et  fit  l'onction  générale 
pour  les  mourants,  mais  11  constata  bientôt  que  c'en  était 
fait  et  pour  toujours. 


177 

Une  mort  subite  laisse  toujours  dans  Tâme  de  pénibles 
émotions  ;  mais  en  considérant  les  traits  si  paisibles  de  cet 
ami  de  Dieu,  on  se  consolait  au  souvenir  de  cette  parole 
4&  la  Sagesse  :  *'  Quand  môme  le  juste  mourrait  d'une  mort 
précipitée,  il  se  trouvera  dans  le  repos;  "  Juslus^  si  morte 
prxoccupatus  fuerit  in  rex  frigerîo  erit.  Ah  î  s'il  était  quel- 
qu'un sur  la  terre  qui  pût  se  passer  des  derniers  secours 
que  l'Eglise  réserve  à  ses  enfants,  n'était-ce  pas  celui  qui  le 
matin  même  s'était  nourri  du  pain  des  forts  ;  n'était-ce  pas 
ce  vaillant  soldat  du  Christ  qui  depuis  longtemps  avait 
vaincu  la  puissance  du  démon  at  qui  n'attendait  plus  que 
la  couronne  incorruptible  promise  par  le  Prince  des  Pas- 
teurs? 

La  nouvelle  de  la  mort  de  M.  Mailloux  tomba  partout 
comme  un  coup  de  foudre  et  se  propagea  avec  la  rapidité 
de  réclair.  En  un  instant  tous  les  paroissiens  en  furent 
informés,  et  le  soir  même  le  télégraphe  annonçait  que  le 
•Seigneur  venait  d'appeler  à  lui  son  bon  et  fidèle  serviteur. 

Pendant  que  les  Anges  du  ciel  se  réjouissaient  du  triom- 
phe de  ce  saint  apôtre  de  la  Croix,  ses  amis  de  la  terre  le 
pleuraient  et  lui  préparaient  des  funérailles  dignes  de  lui. 
Elles  furent  célébrées  le  huit  août  dans  l'église  de  l'Ile  aux 
Goudres,  au  milieu  d'un  concours  immense  de  fidèles  et  en 
présence  d'un  grand  nombre  de  membres  du  clergé.  Mon- 
seigneur l'Archevêque  de  Québec,  voulant  témoigner  de  sa 
vénération  pour  l'illustre  défunt,  présida  lui-même  à  cette 
lugubre  cérémonie,  et  avant  de  confier  à  la  terre  la  pré- 
cieuse dépouille,  il  prononça  sur  la  tombe  l'éloge  funèbre 
de  ce  prêtre  distingué  dont  le  nom  béni  sera  à  jamais  la 
gloire  du  sanctuaire. 

Apres  un  demi-siècle  de  travaux  incessants  dont  le  théâ- 
tre s'étend  des  limites  de  rillicois  aux  côtes  lointaines  de 
la  Gaspésie,  après  tant  de  privations,  de  peines  et  de  fati- 
gues, qu'il  repose  en  paix  1  Qu'il  dorme  le  sommeil  des 
saints  dans  cette  église  où  il  a  prié  à  tous  les  âges  de  sa  vie, 
auprès  de  cet  autel  où  tant  de  fois  il  célébra  les  saints  mys- 
tères et  où  il  est  venu  à  son  dernier  jour^déposer  cette  riche 
moisson  de  mérites  dont  il  reçoit  maintenant  la  juste 
récompense  ! 


178 

Quelque  bien  approprié  cependant  que  soit  le  lieu  de  ea 
sépulture  ce  n'était  pas  là  celui  qu'il  avait  désiré.  Ce  qu'il 
voulait,  ce  qu'il  avait  demandé  instamment  dans  Texpres- 
sion  écrite  de  ses  dernières  volontés,  c'était  d'être  déposé 
dans  le  cimetière  de  la  paroisse  où  il  mourrait,  au  pied 
môme  de  la  grande  croix  qui  protège  ce  séjour  de  la  mort^ 
en  souvenir  de  la  Société  de  la  Croix  qu'il  avait  établie. 

Reposer  à  l'ombre  de  cet  arbre  de  vie,  en  attendant  le 
jour  du  jugement,  tel  était  son  vœu  suprême.  Et  pouvait- 
il  réclamer  un  monument  plus  glorieux  cet  homme  de  la 
croix,  cet  apôtre  dont  la  vie  prêcha  jamais  autre  chose  que 
Jésus  et  Jésus  crucifié.  Ce  saint  prêtre  voulait  encore  en 
agissant  ainsi,  rester  plus  présent  à  l'esprit  des  fidèles  el 
leur  recommander  même  après  sa  mort  la  fidélité  aux 
leçons  de  vertus  qu'il  leur  avait  prêchées.  Mais  si  l'au- 
torité ecclésiastique  n'a  pas  cru  devoir  obtempérer  à  ses 
désirs,  si  on  a  préféré  mettre  dans  le  sanctuaire  celui  qui 
fut  une  colonne  dans  la  maison  de  Dieu,  celui  qui  sera  à 
jamais  le  modèle  de  la  sainteté  sacerdotale,  le  peuple 
canadien  n'en  conservera  pas  moins,  malgré  cela,  le  souve- 
nir de  cet  homme  si  dévoué  à  la  religion  et  à  la  patrie  et 
qui  ne  connut  d'autre  joie  ici-bas  que  celle  de  s'oublier  lui- 
même  pour  se  donner  tout  entier  à  l'amour  et  au  service 
de  ses  frères. 

Dans  une  des  dispositions  de  son  testament,  après  maintes 
recommandations  toutes  dictées  par  l'humilité  la  plus  pro- 
fonde, M.  le  Grand  Vicaire  Mailloux  a  demandé  qu'on  ne 
lui  fit  aucun  éloge  sur  les  feuilles  publiques.  Nous  avons 
dû  enfreindre  ses  ordres. 

Puisse-t-il  du  haut  du  ciel  nous  pardonner  notre  pieuse 
désobéissance  1    Puisse  surtout  cette  humble  notice  con- 
tribuer quelque  peu  à  conserver  plus  longtemps  parmi 
nous  le  souvenir  de  ce  saint  Prêtre  qui  fut  toujours  sL 
agréableà  Dieu  et  si  vénérable  aux  yeux  des  hommes  ! 


NORD-OUEST. 

VICARIAT   APOSTOLIQUE   d'aTHABASKA-MAGKENZIE. 

Les  Associés  de  la  Propagation  de  la  Foi  liront  sans  doute 
avec  un  grand  intérêt  les  pages  qui  suivent.  On  y  verra 
une  foule  de  détails  originaux,  instructifs,  et  surtout  fort 
édifiants,  sur  le  climat  et  les  productions  de  ces  lointaines 
contrées,  sur  la  manière  de  vivre  et  la  touchante  piété  de 
leurs  habitants. 

Journal  d'un  Missionnaire, 

Mission  de  la  Providence,  2  juillet  1876- 

2  juillet,  Dimanche. — En  attendant  que  les  berges  d'au- 
tomne, à  leur  retour  du  Fort- Simpson,  remontent  nos 
lettres  à  Athabaska  et  de  là  à  la  Rivière-Rouge,  qui  est 
maintenant  la  porte  des  vieux  pays  à  cause  du  chemin  de 
fer  qui  doit  y  aboutir,  je  vais  encore  suivre  ma  méthode 
accoutumée  et  vous  écrire  chaque  dimanche.  C'est  ce  que 
je  tâcherai  de  faire  tant  que  je  vivrai,  et  ainsi  la  dernière 
page  de  mon  journal  sera,  pour  vous,  mon  dernier  diman- 
che passé  sur  celte  terre.  Quand  sera-ce  ?  Je  ne  le  souhaite 
pas  tout  de  suite  ;  car  je  sens  le  besoin  de  réparer  par  une 
vie  d'obéissance,  de  pauvreté  et  de  mortification,  mes  an- 
nées de  jeunesse  immortifiée.  C'est  pourquoi  la  vie  reli- 
gieuse, celle  d'Oblat  de  Marie  Immaculée  surtout,  m'ins- 
pire de  Pâtirait  et  de  la  confiance,  associée  qu'elle  va  être 
avec  la  vie  de  missionnaire.  Oh  !  j'espère  que  Dieu,  qui 
est  si  miséricordieux,  me  tiendra  compte  du  grand  sacrifice 
que  je  fais  de  me  priver  de  votre  douce  intimité.  Parfois, 
je  vous  assure,  je  suis  obligé  de  prendre  mon  cœur  à  deux 
mains  pour  ne  pas  voler  vers  vous  I 

Les  berges  sont  arrivées  hier  au  nombre  de  neuf,  ayant 
à  leur  tâte  M.  Hardisty,  chef  de  district  pour  la  traite  des 
fourrures.  Je  m'attendais  à  voir  arriver  en  même  temps 
deux  de  mes  caisses  qui  avaient  pris  le  chemin  de  Good- 
flope  l'automne  dernier.  C'est  là  tout  ce  qui  me  reste  après 
•l'incendie  dont  vous  avez  entendu  parler  avant  moi-même. 


180 

Mais  le  bon  P.  Séguin,  qui  est  toujours  supérieur  de  1» 
mission  de  Good-Hope,  m'écrit:  "Que  me  parlez-vous  de 
renvoyer  vos  caisses  à  la  Providence  ?  Elles  vous  attendent 
ici,  et  il  vous  faudra  venir  me  les  chercher.  Nos  évoques 
TOUS  ont  promis  pour  ici,  et  je  vous  attends  avec  anxiété. 
Vous  ne  désirez  pas  plus  revoir  vos  caisses  que  je  ne  désire 
de  vous  revoir  moi-même..."  Et  me  voilà  1  Irai-je  à  Good- 
Hope  ?  C'est  peu  probable.  Eh  bien  1  ce  va  être  une  occa- 
sion d'exercer  mon  vœu  de  pauvreté.  —  Monseigneur  est 
parti  lundi  pour  la  Rivière-au-Foin,  en  canot  d'écorce,  avec 
le  F.  Renault  et  deux  Indiens  :  il  va  donner  la  mission  aux 
sauvages  esclaves  de  ce  poste,  qui  sont  minés  déjà  par  les 
absurdités  et  calomnies  d'un  vilain  maître  d'école  protes- 
tant apposté  là  tout  exprès  pour  cette  fin.  Presque  tous  les 
sauvages  de  cette  mission-ci  sont  également  rendus  ;  mais 
s'il  y  en  a  deux  cents  en  tout,  il  n'y  en  a  pas  cinquante  de 
bons  pour  la  prière.  C'est  une  misère  que  de  les  avoir  par 
petites  bandes  à  la  chapelle.  On  voit  bien  que  le  protes- 
tantisme a  passé  aussi  par  là  ;  il  sème  l'indilTérence,  quand 
il  ne  peut  faire  autre  chose.  Un  sauvage  ne  raisonne 
guère,  et,  quand  on  le  prend  par  l'intérêt  matériel,  bien 
souvent  il  ne  raisonne  plus. — Mais  je  crois  m'apercevoir 
que  j'écris  du  passé  qui  voyage  déjà  pour  vous  rejoindre. 
Aussi  je  vais  attendre  à  l'autre  semaine. 

9  juUlet.—Tous  les  sauvages  sont  repartis  pour  le  bois, 
c'est-à-dire  pour  la  chasse  et  la  pêche  ;  beaucoup  d'entre 
eux  ne  m'ont  guère  donné  de  consolation.  Je  pensais  que 
c'était  simplement  indifférence,  mais  je  viens  d'apprendre 
que  c'est  plutôt  crainte  .superstitieuse;  voici  comment:  un 
vilain  sauvage,  nommé  Le  Borgne,  de  ce  qu'il  Test,  leur 
faisait  accroire  que  s'ils  venaient  prier  à  la  chapelle,  ils  ne 
tarderaient  pas  à  mourir;  mais  que  si,  au  contraire,  ils 
s'assemblaient  dans  sa  loge,  et  lui  touchaient  la  main,  ils 
se  débarrasseraient  par  là  du  mauvais  sort  que  le  Père 
avait  pu  jeter  sur  eux.  Les  pauvres  sauvages  qui  ne  sont 
que  de  grands  enfants  vicieux  (on  ne  saurait  s'expliquer 
leurs  idées  autrement),  l'ont  cru  et  craint  à  la  fois;  et 
Toilà  ce  qui  explique  leur  absence  totale  ou  partielle  des 
exercices  de  la  mission.  Mais  le  bon  Dieu  aura  pitié  d'euXf 


181 

je  l'espère,  car  on  peut  dire  d'eux,  en  une  certaine  mesure, 
€6  que  Jésus-Christ  dit  des  Juifs*.  ^' pardonnez-leur,  ils  ne 
savent  ce  qu'ils  font." — J'ai  été  voir  une  vieille  femme  qu'on 
disait  près  de  mourir,  et  je  l'ai  administrée,  bien  que  je  ne 
pusse  savoir  si  elle  était  bien  malade.  Je  n'ai  jamais  vu  rien 
de  plus  ratatiné,  de  plus  vieux  :  un  vrai  consommé  d'an- 
nées !  Pour  le  sûr,  il  ne  lui  faudra  pas  un  violent  efTort  ;  ou 
plutôt  il  n'est  besoin  que  d'une  petite  brise  pour  faire  tomber 
ce  fruit  plus  que  mûr  de  l'arbre  de  l'existence  humaine. 
Dans  le  môme  camp  où  j'ai  vu  la  vieille,  j'ai  confessé  les 
femmes  dans  leurs  loges.  Madame  Bonpass,  la  femme  de 
l'évoque  protestant,  nous  a  honorés  de  sa  visite  et  est  venue 
diner  avec  nous.  C'est  moi  qui  ai  été  chargé  de  la  servir 
et  de  l'entretenir  à  table,  et  j'espère  m'en  être  tiré  à  mon 
honneur.  Cette  dame  a  été  à  Rome  et  a  reçu,  toute  protes- 
tante qu'elle  est,  la  bénédiction  du  Saint-Père.  Elle  est 
âgée  et...  pas  jolio^  tant  s'en  faut;  mais  elle  a  bonne  façon, 
possède  de  l'esprit,  du  talent  môme,  surtout  en  musique. 
Si  elle  pouvait  aller  charmer  la  société  des  pays  civilisés,  et 
entraîner  son  vilain  évoque  qui  nous  fait  tant  de  mal,  je  la 
verrais  de  meilleur  œil  encore,  car  je  ne  la  verrais  pas  du 
tout. 

16  juillet. — Mgr  Clut  nous  est  arrivé  mardi  dernier  en 
berge,  de  retour  de  sa  mission  à  la  Rivière-au-Foin  :  cette 
place-là  aussi  est  ravagée  par  le  protestantisme  qui  intro- 
duit, comme  cela  doit  être,  la  liberté  du  mal  parmi  les  sau- 
vages. Ainsi,  Monseigneur  y  a  rencontré  deux  mauvais 
Indiens  dont  l'un  entretient  deux  femmes,  et  l'autre  trois. 
11  n'y  a  pas  eu  moyen  de  les  convertir.  De  pareils  fruits 
sont  dignes-de  l'arbre  protestant. — Cette  semaine  a  été  une 
semaine  de  pluie  ;  ce  dont  nos  patates,  notre  orge  et  nos 
menus  légumes  sont  loin  de  se  fdcher.  Il  faut  voir  comme 
tout  cela  profite  à  vue  d'œil,  ils  savent  que  la  saison  est 
courte,  aussi  poussent  ils  à  la  course  \  Nos  rets  (nous  en 
avons  8  à  l'eau]  prennent  assez  de  poisson  pour  défrayer 
notre  entretien. 

D'ailleurs  nous  sommes  riches  en  viande  sèche,  et  nous 
avons  même  encore  de  la  viande  fraîche  d'hiver  dans  la 
glacière. — Imaginez-vous  qu'un  lynx  s'est  avisé  de  chercher 


182 

refuge  dans  les  lieux  d'aisance  :  je  l'ai  tiré  là  à  bout  por- 
tant ;  mais  on  ne  l'a  pas  mangé  à  cause  des  circonstances 
et  des  lieux. 

23  juillet. — ^Tous  nos  catholiques  du  Fort  ont  communié 
aujourd'hui.  C'est  moi  qui  chante  toujours  la  Grand'messe, 
excepté  les  dimanches  ou  fêtes  de  Ire  classe,  où  Monsei- 
gneur officie  pontiflcalement.  Il  soufle  un  vent  du  Sud 
aujourd'hui,  qui  brûle.  Quel  étrange  climat  I  II  y  a  quel- 
ques jours,  il  y  avait  gelée  blanche  et  rebords  de  glace  :  au- 
jourd'hui, c'est  la  chaleur  des  tropiques.  Nous  voilà  au 
plus  fort  des  moustiques!  Nos  pauvres  animaux  n'ont 
garde  de  se  fourvoyer  dans  le  bois.  Ils  préfèrent  les  quel- 
ques brins  d'herbe  desséchée  des  alentours  de  la  mission 
aux  touffes  luxuriantes  des  bords  de  la  rivière,  attendu  que 
ces  touffes  et  l'ombre  des  bois  sont  des  repaires  de  marin- 
gouins.  Le  soir,  nous  sommes  obligés  de  leur  faire  de  la 
boucane,  pour  leur  procurer  un  peu  de  repos  dans  la  nuit; 
vous  les  voyez  venir  instinctivement  fourrer  leurs  têtes 
dans  la  fumée  et  éternuer  de  plaisir.  Nous  avons  beau 
attacher  au  cou  de  nos  chiens  de  gros  billots  pouf  les  em- 
pocher de  courir  après  les  animaux,  ils  n'en  sont  que  plus 
loups.  Ils  viennent  de  maltraiter  deux  génisses  du  fort  à 
tel  point  que  l'une  d'elles  va  certainement  succomber  des 
suites  de  ses  blessures.  Ils  sont  affamés  les  pauvres  chiens  I 
On  ne  peut  leur  donner  un  peu  à  manger  que  tous  les  trois 
ou  quatre  jours.  Bientôt  on  en  tuera  deux  pour  faire  de 
l'huile  et  nous  régaler 

6  août.  —  Décidément  nous  aurons  un  été  pluvieux:  aussi 
la  végétation  de  nos  patates  est  magnifique  ;  avec  un  peu 
de  chaleur  par  là-dessus,  nous  pouvons  compter  snr  une 
belle  récolte.  —  La  pomme  de  terre,  yoilà  le  pain  de  nos 
orphelins,  car,  sans  cela,  il  nous  serait  impossible  de  les 
entretenir.  Nous  allons  demander  au  gouvernement  Cana- 
dien la  subvention  de  300  piastres  qu'il  promet  à  toute 
nouvelle  école  établie  sur  le  territoire  de  la  Rivière- 
Rouge  ou  adjacente,  et  comptant  trente  élèves.  Nous 
réalisons  ce  nombre  en  y  comprenant  notre  petit  idiot, 
Joseph,  et  deux  autres  infirmes  qui  apprennent,  non  pas  à 
lire,  mais  à  éprouver  la  douceur  et  le  dévouement  de  nos 


i83 

Sœurs  de  charité.  —  Dernièrement  le  père  de  Pune  de  nos 
orphelines,  Elmire,  ûlle  d'une  douzaine  d'années,  la  plus 
avancée  de  l'école,  sachant  lire  et  écrire  en  anglais  et  en 
français,  compter  et  calculer  jusqu'aux  fractions  inclusive- 
ment, venait  la  réclamer  pour  l'emmener  dans  le  bois» 
Mais  on  la  lui  a  refusée  net,  pour  une  bonne  raison  :  c'est 
qu'il  l'avait  abandonnée,  pauvre  enfant  de  deux  ans,  sans 
vêtements,  pour  mourir  de  faim  et  de  froid.  Par  consé- 
quent,  il  pouvait  la  regarder  comme  morte,  et  aujourd'hui, 
on  n'ira  pas  l'exposer  à  subir  le  même  sort.  Son  âme, 
d'ailleurs,  courrait  des  dangers  plus  grands  encore.  Aussi 
les  Sœurs  la  gardent-elle. 

13  Août.  —  Nous  avons  une  de  nos  orphelines  qui  se  pré- 
pare à  gagner  la  céleste  patrie,  la  petite  Angélique,  âgée  de 
7  ans  ;  malgré  ses  souffrances,  on  lui  voit  toujours  le  sou- 
rire aux  lèvres,  et  quand  je  lui  demande  si  elle  est  contente 
d'aller  prendre  sa  place  parmi  les  anges,  elle  me  répond 
"  oui  "  avec  un  air  si  candide  qu'elle  semble  déjà  appartenir 
au  Ciel.  Oh  !  qu'elle  me  fait  envie  !  que  je  serais  heureux 
d'échanger  mon  sort  avec  le  sien  !  Encore  quelques  jours, 
quelques  semaines  tout  au  plus,  et  elle  verra  son  Dieu  dans 
la  ravissante  clarté  d'une  éternité  bienheureuse  !  Et  nous, 
qui  irons  l'accompagner  à  sa  tombe,  nous  aurons  encore  à 
traîner  la  chaîne  de  notre  exil,  dans  ces  tristes  régions, 
peut-être  bien  des  années.  N'importe  !  Bénie  soit  la  sainte 
volonté  de  Dieu  !  La  croix  de  Jésus  est  lourde,  mais  c'est 
un  doux  fardeau  quand  la  foi  remplit  et  anime  le  cœur.  Le 
père  d'Angélique,  sauvage  Couteau-Jaune,  qui  a  emmené 
ses  trois  enfants  ici  et  travaille  pour  nous  jusqu'à  l'automne, 
est  admirable  de  piété  et  de  résignatign.  Jamais  il  ne 
manque  la  messe  le  matin  et  communie  avec  ferveur  tous 
les  quinze  jours.  L'autre  jour,  Monseigneur  lui  disait  : 
^'  Eh  bien  !  Goulet,  le  bon  Dieu  te  demande  ta  fille  ;  il  faut 
te  résigner  à  la  perdre."  Voici  quelle  fut  sa  réponse  : 
^'  Le  bon  Dieu  m'avait  donné  une  bonne  femme  ;  je  l'ai 
perdue  et  je  l'ai  pleurée  beaucoup.  Maintenant  j'aimais 
tous  mes  enfants  doublement,  parce  que  seuls  ils  me  res- 
taient pour  me  consoler  :  si  le  bon  Dieu  les  veut,  il  fera  ce 
qu'il  voudra  ;  je  suis  prêt,  malgré  ma  peine  I  "    Quelle  ré- 


.t 


184 

signation  !  Voilà  ce  qu'opère  la  foi  dans  les  Ames,  dans  les 
âmes  même  des  pauvres  sauvages. 

20  Août.  —  L'arrivée  d'une  escadre  de  vaisseaux  de  haut 
bord  chargée  de  "  gros  bonnets  "  et  de  choses  infiniment 
précieuses  ne  ferait  pas  plus  de  sensation  dans  un  port  de 
France,  que  l'arrivée  ici  des  bateaux  ou  berges  de  la  Cie 
d'Hudson  ne  nous  préoccupe  et  nous  fait  palpiter  d'attente. 
C'est  que  ces  petites  embarcations  apportent  au  pauvre 
missionnaire  bien  des  choses  précieuses  aussi  pour  lui  : 
d'abord  les  chères  correspondances  de  ceux  qu'il  a  quittés 
pour  obéir  à  Dieu,  mais  qu'il  ne  lui  est  pas  défendu  d'aimer 
toujours  ;  les  nouvelles  des  frères  oblats  et  de  leurs  travaux 
dans  les  vieux  pays  ;  enfin,  et  par-dessus  tout,  pardonnez- 
moi  ce  matérialisme,  le  nécessaire  de  la  vie,  c'est-à-dire  les 
quelques  provisions  ou  marchandises  destinées  à  nous  les 
procurer.  D'après  cela,  jugez  si  la  vue  d'une  voile  au  haut 
du  Rapide,  ou  le  bruit  des  rames,  n'est  pas  capable  de  nous 
faire  tressaillir  malgré  nous.  Aussi  chaque  matin  et  chaque 
soir,  notre  premier  coup  d'œil  en  sortant  de  la  maison, 
notre  dernier  regard  en  y  rentrant  pour  la  nuit,  est  d'inter- 
j'Oger  le  lointain  du  fleuve  !  C'est  l'époque  maintenant  où 
la  première  brigade  de  berges,  c'est-à-dire  les  trois  ou  quatre 
premiers  arrivants,  a  coutume  de  paraître.  —  En  attendant, 
on  sarcle  les  patates,  auxquelles  se  mêlent,  mais  en  domina- 
teurs superbes  et  despotes,  des  choux  gras,  espèce  de  plante 
parasite  que  j'ai  seulement  vue  ici  et  qui  se  mjiltîplie  à 
l'excès,  pour  peu  qu'on  lui  accorde  d'indulgence.  —  Si  les 
berges  nous  préoccupent  un  peu,  une  autre  pensée  autre- 
ment sérieuse  remplit  mon  âme  :  c'est  celle  de  mon  oblatioa 
qui  va  avoir  lieu  dans  une  quinzaine  de  jours  1  —  Dans  une 
quinzaine,  je  serai  oblat  de  Marie  Immaculée  !  Quelle 
gloire  et  quel  bonheur  1  II  me  semble  qu'à  partir  de  ce 
joui,  mon  salut  est  en  de  bonnes  mains. 

27  Août,  —  La  première  brigade,  composée  de  deux  berges 
seulement,  est  arrivée  mercredi  ;  mais  à  notre  grand  désap- 
pointement, ni  butin,  c^est-à-dire  marchandises,  ni  lettres 
des  vieux  pays  avec  ces  premiers  arrivants.  Nous  savons 
seulement  que  les  Pères  Grouard  et  Petitot  n'ont  pu  obte- 
nir passage  par  le  Lac  Vert,  ma  route  de  l'année  dernière, 


185 

et  qu'ils  ont  été  obligés  de  prendre  le  chemin  du  Lac 
Labiche  ;  avec  eux  sont  l'abbé  Jolys  et  un  autre  frère 
oblat,  rien  encore  que  tonsuré  et  venant  aussi  du  Canada 
où  l'avait  laissé  Mgr  Faraud  l'année  dernière.  Du  lac 
Labiche,  nos  voyageurs  doivent  se  rendre  en  grands  canots 
d'écorce  jusqu'au  fort  Montperlé  ou  Mac  Murray,  pour  y 
prendre  passage  dans  les  berges  de  retour  du  Portage. 

Ainsi,  malgré  tout,  nous  les  attendons  par  la  deuxième 
brigade  ou  la  troisième  au  plus  tard.  — J'ai  déjà  composé 
un  chant  de  réception,  à  la  demande  des  Sœurs,  pour  être 
chanté  à  l'arrivée  du  P.  Grouard,  le  supérieur  si  digne  de 
cette  mission.  J'attends  de  pied  ferme  le  P.  Petitot,  pour 
l'obliger  (autrement  il  est  si  humble  qu'il  ne  l'oserait  pas)  à 
exhiber  devant  ses  frères  fiers  et  joyeux,  son  ruban  violet 
d'officier  d'académie,  sa  grande  et  belle  médaille  de  géogra- 
phie,  ses  titres,  par  ailleurs,  ù  n'en  plus  finir.  Je  vais  le 
faire  tressaillir  d'aise*  en  le  trémoussant  un  peu  :  ne  lui 
dois>je  pas  une  revanche,  pour  m'avoir  dérobé  mon  petit 
verre  de  je  ne  sais  quoi  de  bon,  lors  du  sacre  de  Mgr  Jolivet, 
et  cela,  tout  à  côté  des  Cardinaux  et  Évoques  en  face  des- 
quel on  avait  disposé  nos  barbes,  pour  faire  fond  du 
tableau,  c'est-à-dire  le  lointain  du  Pôle  î  —  Combien  j'aime 
à  me  rappeler  les  bons  et  beaux  jours  de  mon  séjour  si  court 
en  France  !  Ces  souvenirs  ne  se  délogeront  pas  si  vite  et 
exigeront  encore  et  longtemps  plus  d'un  instant  de  mes 
loisirs. 

3  Septembre, — Je  suis  en  retraite  depuis  hier  pour  me 
préparer  à  prononcer  mes  vœux  perpétuels.  Mes  bien-aimés^ 
je  pense  à  vous  tous  en  abordant  ces  derniers  jours  de  ma 
liberté  de  volonté.  J'aurais  pu  choisir  de  passer  de  beaux 
jours  dans  votre  intimité,  de  goûter  et  de  vous  faire  parta- 
ger quelques  douceurs  de  la  vie...  J'aurais  pu  !...  Dieu  le 
▼eut  autrement,  en  m'appelant  à  m'engager  plus  avant  dans 
le  chemin  des  sacrifices  !  Que  son  saint  amour  m'y  guide  ! 
C'est  tout  ce  que  je  lui  demande  en  retour  ;  je  me  trompe  : 
je  lui  demande  aussi  de  reporter  sur  ma  chère  famille  une 
partie  de  la  récompense  qu'il  a  promise  à  cette  abnégation, 
dès  cette  terre,  s'il  le  juge  à  propos.  — Me  voici  donc  con. 
fine  dans  ma  chambrette,  comme  étranger  au  petit  monde 


•186 

•qui  IL 'entoure.  Personne  pour  me  parler,  que  Dieu,  que 
mon  Jésus  :  désormais  il  sera  seul  mon  partage,  car  '^  à  lui 
seul  j'ai  donné  mon  cœur  !" 

10  Septembre  1876.  —  Alléluia  !  je  puis  baiser  avec  amour 
ma  croix  d'oblat;  je  puis  dire  à  Marie  :  ''Je  suis  à  tous 
pour  la  vie,  je  ne  m'appartiens  plus."  C'est  vendredi  matin, 
vers  trois  heures,  qu'a  eu  lieu  cette  belle  et  touchante  céré- 
monie de  mon  oblation.  La  veille  encore,  à  midi,  je  pen- 
sais qu'il  n'y  aurait  d'autres  Pères  à  y  assister,  que  Mgr 
Clut  qui  devait  recevoir  mes  vœux  ;  mais,  par  bonheur»  la 
deuxième  brigade  nous  a  am^né,  le  soir,  les  RR.  PP.  Pe- 
titot  et  de  Kangué.  J'en  étais  si  heureux  !  Gomme  les 
berges  devaient  repartir  le  lendemain,  de  bon  matin,  on  a  * 
dû  avancer  la  cérémonie  de  deux  heures,  afin  que  les  Pères 
pussent  y  assister.  Voici  comment  tout  s'est  passé.  A 
trois  heures,  j'entrais  à  la  chapelle  qui  avait  été  ornée  par 
les  Sœurs  comme  aux  plus  beaux  jours  de  fête,  et  je  m'a- 
genouillais au  milieu,  en  face  d'une  petite  table  où  repo- 
saient la  formule  d'oblation,  le  livre  des  Règles,  la  croix 
d'oblat  et  le  scapulaire  de  Tordre.  Mgr  avait  revêtu  ses 
ornements  pontificaux,  assisté  des  Pères  Petitot  et  de  Kan- 
gué. On  commença  par  le  chant  du  Vent  Creator;  puis 
Monseigneur,  prenant  la  parole,  s'inspira  des  souvenirs  in- 
times du  passé,  disant  qu'il  m'aimait  déjà  comme  le  ûdèle 
compagnon  de  ses  courses  et  de- ses  fatigues,  mais  qu'il 
allait  pouvoir  me  chérir  comme  un  frère  en  religion.  Il 
passa  en  irevue,  d'une  façon  touchante,  les  différents  épi- 
sodes de  nos  voyagefi,  entre  autres  l'expédition  d'Alaska; 
puis  il  ajouta  qu'il  n'avait  pas  besoin  d'appuyer  sur  le  dé- 
vouement et  le  zèle  qu'exige  la  carrière  d'oblat:  le  passé 
en  était  déjà  un  garant.  —  Ce  qui  me  touchait  dansées 
quelques  paroles  de  Monseigneur,  ce  n'étaient  pas  les  lou- 
anges accordées  à  mon  courage  et  à  mon  passé  de  mission- 
naire: ohl  je  sais  que  je  buis  loin  de  les  mériter  devant 
Dieu  ;  mais  c'est  que  »".es  paroles  venaient  du  cœur^et  res- 
piraient tant  de  bonté,  que  les  larmes  m'en  venaient  aux 
yeux,  malgré  la  bonne  contenance  que  je  voulais  garder. — 
Vint  le  moment  de  prononcer  ûies  vœux  ;  voici  le  texte  de 
la  formule  :  f  Au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint- 


187 

Esprit,  au  nom  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  en  présence 
de  la  Très-Sainte  Trinité,  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie, 
de  tous  les  Anges,  de  tous  les  Saints,  de  tous  mes  Frères 
ici  réunis,  et  devant  vous.  Monseigneur  Isidore  Clut,  évo- 
que d'Erindel,  moi  Auguste-Louis-Marie  Lecorre,  promets  à 
Dieu  et  fais  vœu  de  pauvreté,  de  chasteté  et  d'obéissance 
pour  toute  ma  vie.  Je  jure  et  fais  pareillement  vœu  de  persé- 
vérer jusqu'à  ma  mort  dans  le  saint  Institut  et  la  société 
des  missionnaires  oblats  de  la  très-sainte  et  Immaculée 
Vierge  Marie.  Ainsi  Dieu  me  soit  en  aide!  Ainsi  soit-il. — 
Ensuite  Monseigneur  a  béni  ma  croix  et  mon  scapulaire 
d'oblat  qui,  avec  le  livret  des  Règles,  étaient  réunis  dans 
un  plateau  et  entourés  d'une  couronne  de  fleurs  blanches. 
Ces  trois  objets  bénits  m'ayant  été'donnés,  i^  me  suis  ha- 
billé pour  dire  la  sainte  messe,  durant  laquelle  on  a  chanté 
divers  morceaux  bien  touchants,  surtout  le  cantique  d'o- 
blation:  "Je  renonce  à  la  terre,  etc.,"  avec  le  refrain: 
Holocauste  sublime.  —  Au  moment  de  communier,  j'ai  re 
nouvelé  mes  voeux  tacitement.  —  La  cérémonie  s'est  ter- 
minée par  le  Te  Deum  et  j'ai  été  recevoir  l'accolade  frater- 
nelle de  Monseigneur,  des  Pères  et  des  Frères  auxquels  je 
suis  uni  pour  la  vie,  et,  je  l'espère,  pour  l'éternité.  Ah  !  si 
la  réception  du  sous-diaconat  est  une  cérémonie  si  tou- 
chante et  si  capable  d'émouvoir  le  monde,  il  me  semble 
qu'une  oblation,  qu'une  profession  religieuse  où  l'on  s'im- 
mole totalement,  Test  encore  bien  davantage.  Je  bénis  le 
bon  Dieu  de  m'avoir  appelé  là,  et  vous  tous,  je  vous  prie 
en  grâce  de  m'aider  de  vos  ardentes  prières,  afin  que  je 
sois  digne  d'une  vocation  si  belle.  —  Inutile  de  vous  parler 
du  repas  qui  suivit  :  on  fêta  ce  beau  jour  du  mieux  qu'on 
put,  c'est  tout  dire  ;  il  n'y  eut  ni  vin,  ni  même  de  cidre, 
mais  cela  n'empêcha  pas  une  franche  gaieté  de  régner 
parmi  les  convives  !  Les  Pères  Petitot  et  de  Kangué  repar- 
tirent immédiatement  après  le  déjeûner,  l'un  pour  son  cher 
Oood-Hope,  l'autre  pour  la  mission  Saint-Raphaël  au  fort 
des  Liards,  où  se  trouve  actuellement  le  P.  Ladet,  l'un  de 
mes  compagnons  de  1870.  Quant  au  P.  Séguin  et  au  F 
Karney,  ils  sont  toujours  où  va  aller  les  rejoindre  et  les 
surprendre  le  P.^^Petitot.  —  Dans  le  courant  de  la  journée, 


188 

J'ai  été  bénir  les  Sœuri  et  les  enfants  de  Técole,  et  j'ai  reçu 
à  mon  tour  mon  obédience  pour  la  mission  Saint-Joseph, 
dans  mon  ancienne  et  fortunée  île  d'Orignal.  C'est  là  que 
j'ai  fait  mes  premières  armes  comme  missionnaire  ;  c'est  là 
que  je  retourne  travailler  cette  fois  comme  oblat.  Ainsi, 
je  vais  me  rapprocher  de  vous  d'une  soixantaine  de  lieues  f 
Vive  Marie  Immaculée  !  Quand  vous  recevrez  ce  journal, 
remerciez-la  tous  avec  moi  du  bonheur  qu'elle  m'accorde 
d'être  son  oblat. 

il  Septembre.  —  Enfin  la  troisième  et  dernière  brigade, 
celle  de  M.  Gaudet,  commis  de  Good-Hope,  est  arrivée  et 
nous  a  amené  le  bon  M.  Doussal  et  le  P.  Lecointe,  tonsuré, 
avec  des  nouvelles  du  lac  Labiche.  Que  je  vous  dise  tout 
de  suite  que  Mgr  Clut  devra  passer  l'hiver  à  la  Providence, 
le  P.  Grouard  au  lac  Labiche,  à  cause  de  sa  santé,  et  que 
l'abbc  Jolys  est  resté  tenir  compagnie  à  mes  autres  compa- 
gnons de  voyage,  les  abbés  ou  plutôt  les  RR.  PP.  Le  Serrée 
et  Dupire,  et  les  FF.  Milsens,  Lorfeuvre  et  Thouminet. 
Mais  l'année  prochaine  nous  reverrons  quelques  uns  d'entre 
eux  ;  car  Mgr  Faraud  va  venir  se  fixer  à  Athabaska,  et  par 
conséquent  tout  son  personnel  quittera  le  lac  Labiche.  J'ai 
oublié  de  vous  dire,  la  semaine  dernière,  que  le  jour  où 
je  faisais  mon  oblation,  les  FF.  Milsens,  Thouminet  et  Lor- 
feuvre faisaient  en  même  temps  leur  oblation  d'un  an- 
Une  petite  prière  pour  leur  persévérance  :  c'est  le  premier 
pas,  mais  cène  sera  pas  le  dernier,  j'ose  l'espérer.  Mgr 
Faraud  est  enchanté  de  leur  courage  et  de  leur  conduite 
exemplaire  et  édifiante  Quant  à  M.  le  Doussal,  il  vient 
aussi  commencer  son  noviciat  :  il  a  bien  profité  depuis  qu'il 
est  dans  le  Nord;  avec  ses  joues  quasi-pleines  et  sa  barbe 
de  chèvre,  vous  auriez  peine  peut-être  à  le  reconnaître. 
C'est  toujours  la  môme  physionomie  de  saint  prêtre,  quand 
même.  Quel  bon  religieux  va  sortir  de  cette  année  de 
noviciat!  Lo  P.  Lecointe  a  passé  un  an  au  Canada;  il  a 
prononcé  ses  vœux  perpétuels  au  lac  Labiche,  au  mois 
d'août  dernier;  mais  il  ne  peut  être  ordonné  prêtre  quoi- 
qu'il en  ait  l'âge,  avant  qu'on  ait  reru  son  Exeat  délivré  par 
l'évoque  du  diocèse  auquel  il  appartenait.  C'est  un  excel- 
lent musicien,  et  il  brûle  du  désir  de  se  mettre  à  l'étude 


189 

• 

<les  langues  sauvages.  —  Je  ne  partirai  pour  la  mission  de 
'Saint-Joseph  qu'au  retour  de  la  berge  du  lac  des  Esclaves, 
descendue  par  la  troisième  brigade,  jusqu'au  fort  Simpson, 
c'est-à-dire  dans  une  douzaine  de  jours  à  peu  près.  Je  vais 
donc  jouir  encore,  pendant  ce  temps,  de  la  conversation  de 
mon  aimable  vicaire  de  Plouhinec. 

24  Septembre. — Depuis  mardi  on  récolte  les  patates  :  tout 
le  monde  est  à  la  besogne.    J'ai  omis  de  vous  dire  que 
l'orge  a  été  coupée  la  semaine  dernière,  et  que  Ton  compte 
sur  environ  100  barils,  c'est-à-dire  50  minots.  Monseigneur, 
le  F.  Scheers  et  môme,  de  temps  à  autre,  les  Sœurs  y  ont 
mis  la  main.    Pour  moi,  je  me  serais  peut-être  coupé  les 
jarrets,  et  je  me  suis  tenu  tranquille.    J'ai  aidé  seulement 
à  retourner  et  à  faire  les  paquets.    Une  chose  curieuse  et 
lamentable  !  Toute  une  myriade  de  mulots  vivait  à  l'abri 
de  cette  moisson  et  aux  dépens  d'icelle!  Impossible  de 
compter  les  victimes  de  carnage  que  nous  avons  fait,  victi- 
mes qui  étaient,  au  fur  et  à  mesure,  honorablement  ense 
velies  dans  l'abdomen  de  nos  chiens.  L'un  d'eux,  en  moins 
de  dix  minutes,  en  a  engouffré  plus  de  quarante  !  Je  regret- 
tais qu'on  ne  les  eût  pas  réservés  pour  les  faire  cuire  et  en 
recueillir  de  la  graisse,  car  c'étaient  de  vraies  pelottes  de 
gras  î  —  M  le  Doussal  et  le  F.  Lecointe  n'en  peuvent  plus 
au  travail  des  pommes  de  terre,  ils  ne  s'attendaient  pas  tout 
à  fait  à  cette  fête  en  débarquant  !  D'ailleurs,  à  part  le  dos  qui 
se  plaint  hautement,  le  cœur  prend  le  dessus  et  se  réjouit 
franchement.    Jamais  on  n'a  vu  de  si  belles  patates  à  la 
Providence  !  J'en  ai  pesé  deux  séparément  :  l'une  atteignait 
le  poids  d'une  livre,  et  l'autre  en  approchait  ;  jugez  de  la 
grosseur.     On  compte   recueillir  au  moins  1,000  barils, 
c'est-à-dire  500  minots.    C'est  moi  (quelle  gloire  !  !  I  )  qui  ai 
déposé  ou  surveillé  pour  déposer  les  grenoches  qui  ont  don- 
né ces  géants,  ces  Titans  ! — La  pauvre  Angélique  a  attendu 
M.  Le  Doussal  pour  s'envoler  au  ciel  et  avoir  sa  petite 
dépouille  conduite  par  lui  au  cimetière. 

\er  Octobre, — La  récolte  des  pommes  de  terré  s'est  termi- 
née jeudi  :  on  a  atteint  le  chifTre  de  505  minots;  ainsi,  on 
ne  mourra  pas  de  faim  à  la  Providence,  cette  année.  Mais 
aussi,  il  faut  compter  qu'il  y  a  près  de  50  bouches  à  feu 


190 

pour  loger  ces  boulets,  en  comptant  tout,  engagés  et  orphe- 
lins. Nous  donnons,  outre  la  ration  de  viande  et  de  pois- 
son, c'est-à  dire  8  Uvres  par  jour,  nous  donnons,  dis-je,  un 
}  baril  de  patates  par  semaine  à  chacun  de  nos  quatre  en- 
gagés.—  Le  F.  Le  Comte  et  M.  le  Doussal  se  reposent  un 
peu  maintenant,  car  réellement  ils  étaient  fatigués.  Quant 
à  Mgr  dut,  il  est  infatigable  !  Me  voici  sur  le  point,  à  la 
veille  même  de  quitter  la  Providence.  La  berge  du  lac 
des  Esclaves  est  arrivée  ce  malin  du  fort  Simpson  et  s'aprête 
à  continuer  sa  route  dès  demain  matin.  Mes  bagages  sont 
prêts  :  le  tout  n'est  pas  bien  lourd  ;  seulement  j'emporte  à 
Saint-Joseph  un  harmonium  qu'ont  bien  voulu  me  céder 
les  Sœurs:  ce  sera  une  grande  nouveauté  pour  là-bas;  et 
puis,  un  bel  enfant  Jésus,  don  également  de  la  mère  La- 
pointe.  C'est  cette  bonne  mère  qui  a  préparé  mon  petit 
trousseau,  et  elle  y  a  apporté  ce  dévouement  et  cette  pré- 
voyance que  rien  n'égale  ici,  dans  le  Nord.  Aussi  je  lui 
suis  mille  fois  reconnaissant.  J'ai  prêché  à  l'office  du  soir 
et  ai  fait  mes  adieux  à  tout  le  monde,  en  m'inspirant  de 
cette  douce  parole,  si  chère  à  tout  oblat,  que  Jésus  laissa 
tomber,  comme  son  testament  et  son  dernier  gage  de  ten- 
dresse, du  haut  de  sa  croix:  "Mon  fils,  voilà  ta  mère.'' 
C'est  à  Marie  que  j'ai  voulu  confier,  en  partant,  toutes  ces 
âmes  si  chères  que  je  me  suis  appliqué  à  nourrir  de  la  pa- 
role de  Dieu,  pendant  l'année  que  je  viens  de  passer  ici. — 
Il  fait  un  gros  vent  d'arrière,  trop  fort  pour  la  voile;  si  de- 
main, il  80  modère  un  peu,  nous  allons  faire  un  bon  bout 
de  rivière. 

8  Octobre.  —  (Rivière  au  bœuf.)  Nous  voici  dc(;racf^5  à  la 
Rivière  au  bœuf  par  un  vent  nord-est  qui  est  presque  debout 
pour  nous  et  sç^ulève  d'énormes  vagues.  Nous  sommes 
partis  de  la  Providence  lundi,  vers  neuf  heures  du  matin. 
Monseigneur,^leSj  Pères  et  les  Frères  sont  venus  m'accom- 
pagner  jusqu'au  bateau.  Tous  les  petits  enfants  de  l'école 
m'ont  donné  un  petit  souvenir  en  témoignage  de  recon^ 
naissance.  Les  Sœurs  m'ont  confié  le  petit  Johny  Trindell, 
d'une  douzaine  d'années,  leur  meilleur  élève  et  le  plus 
docile,  pour  l'initier  aux  travaux  du  pays,  en  faire  un  gar- 
çon d'avenir,  et  surlout  un  bon  soutien  des  Missions  un  jour 


191 

à  venir.  — Le  vent  d'abord  assez  fort,  est  tombé  tout  d'un 
coup  et  s'est  tourné  ensuite  contre  nous,  de  sorte  qu'après 
un  parcours  de  10  milles,  nous  avons  dû  mettre  à  terre  sur 
une  pointe  de  saules  toute  vaseuse.    La  berge  du  fortRaë, 
^ui  nous  suivait  de  près,  est  venu  relâcher  au  même 
endroit  :  le  ministre  protestant,  résidant  au  fort  Raê,  M. 
Reives,  ainsi  que  La  Flett  et  ses  enfants  (La  Flett,  de 
sinistre  mémoire  lors  de  notre  voyage  au  fort  Mac-Pherson), 
s'y  trouvaient  ;  mais  leur  présence  ne  m'a  pas  importuné 
du  tout.    Dans  notre  berge,  j'avais  pour  compagnons  de 
voyage  M.  Round  et  sa  femme,  allant  prendre  charge  du 
fort  de  la  Rivière  au  Foin.    Ces  derniers  furent  très- 
aimables  à  mon  égard.    Nous  ne  sommes  repartis  que  le 
mercredi,  vers  dix  heurs,  à  la  rame,  après  avoir  tapissé 
notre  campement  des  plumes  des  canards  et  des  faisans 
qu'on  y  avait  tués. 

A  deux  heures  de  là,  la  berge  du  fort  Raê  se  séparait  de 
nous  pour  se  diriger  au  nord,  tandis  que  nous  continuions 
à  gagner  les  îles  Desmarets,  au  sud-est.    Une  bonne  brise 
enflait  notre  voile  et  nous  comptions,  ce  soir-là,  aller  camper 
sur  le  Grand-Lac,  lorsqu'une  bourrasque  faillit  nous  sur- 
prendre et  nous  faire  chavirer.  Nous  n'eûmes  que  le  temps 
d'abattre  la  voile  et  de  nous  laisser  pousser  parle  vent  en 
furie  vers  une  île,  où  nous  espérions  trouver  un  abri  contre 
la  tempête.    En  effets  nous  abordâmes  une  rive  de  galets  et 
ce  soir-là  nous  campâmes  sous  de  grandes  épinettes,  sur  le 
sol  le  plus  inégal  et  raboteux  que  l'on  se  puisse  imaginer. 
Alexis  Baulieu,  le  pilote  de  la  berge,  nous  aidait  à  mater 
la  tente,  nous  préparait  à  manger  et  couchait  à  mes  côtés  : 
c'est*  un  bon  catholique  et  l'un  des  Mélis  qui  ont  le  plus  de 
cœur  à  l'égard  de  leurs  missionnaires.    Chaque  soir,  je 
faisais  réciter  à  haute  voix  les  prières  aux  sauvages  et  Métis 
de  notre  berge.    Une  particularité  que  j'eus  lieu  de  remar- 
quer encore  une  fois  de  plus  dans  cette  traversée,  c'est  que 
nos  sauvages  sont  les  plus  imprévoyantes  créatures  qui 
soient  dans  le  monde.    Ainsi,  tant  qu'ils  ont  des  vivres 
devant  eux,  ils  ne  cessent  de  manger.    Après  avoir  fait 
bouillir  une  chaudière  pleine  de  viande  sèche,  ils  allument 
la  pipe,  se  prélassent  un  peu  et  recommencent  le  festin.  Et 


192 

puis,  ils  gaspillent  les  provisions,  jetant  à  tort  et  à  travers 
des  lambeaux  de  viande  sèche,  bien  maigre,  il  est  vrai,  et 
par  conséquent  bien  dure  et  peu  appétissante,  mais  qui 
pourraient  devenir  des  morceaux  de  choix  en  temps  de 
disette.  N'importe,  pas  de  leodemain  peureux  !  Lies  nôtres 
semblaient  adopter  cette  façon  d*agir  avec  la  meilleure 
grâce  du  monde  :  aus^i  la  berge  s'allégeait  de  vivres  d'une 
manière  alarmante.  —  Le  lendemain,  au  matin,  on  repartit 
à  la  voile,  et,  vers  le  lever  du  soleil,  on  arrivait  aux  îles 
Desmarets  où  nous  rencontrâmes  un  des  chef  de  tribu  du 
fort  de  la  Rivière  au  Foin.  11  y  avait  beaucoup  de  poisson 
et  de  gibier,  disait-il,  mais  ni  rôts,  ni  munitions  pour  faire 
chasse  ou  pêche.  Nous  ne  pûmes  nous  rendre  jusqu'à  son 
camp,  car  l'eau  est  trop  basse  dans  ces  parages;  mais  je 
demandai  s'il  y  avait  des  malades  ou  des  enfants  à  visiter, 
et  Ton  me  répondit  que  non.  Les  sauvagesses  du  camp 
nous  apportèrent  de  pleins  casseaux  de  graijaes  appelées 
Âttocas,  petites  graines  rouges,  semblables  aux  graines  de 
l'aubépine  ;  elles  reçurent  en  retour  quelques  poignées  de 
thé.  —  Nous  voici  maintenant  sur  le  Grand-Lac  :  d'un  côtô^ 
la  terre  se  dessinant  sur  une  lisière  d'épinettes  qui  va  se 
perdre  dans  le  mirage  du  lointain  ;  de  l'autre,  l'eau  à  pertd^ 
de  vue.  Le  vent  fraîchit  de  plus  en  plus  ;  la  berge  com- 
mence à  danser,  et  M.  et  Mme  Round,  à  ressentir  violem- 
ment  les  atteintes  du  mal  de  lac.  Moi-même,  je  suis  loin 
d'être  dans  mon  assiette.  Heureusement  pour  moi,  la 
violence  du  vent  oblige  encore  une  fois  de  relâcher  à  un 
petit  îlot  en  forme  de  croissant,  dont  la  concavité  offre  à  la 
berge  un  port  calme  et  assuré.  Le  froid  devient  vif;  mais 
le  bois  de  grève  abonde,  et  de  gros  brasiers  pétillent  devant 
nos  tentes. — Le  lendemain,  6,  temps  calme  ;  on  rame  vers 
la  fameuse  pointe  de  roches,  fameuse,  dis-je,  par  les 
épreuves  que  nous  y  avons  subies  en  1870,  par  la  prise  des 
glaces  qui  faillit  nous  y  arrêter  tout  de  bon  et  la  perte  de 
deux  beaux  Angoras  trouvés  noyés,  le  matin,  au  bout  d'une 
rame  ;  puis,  en  1871,  à  notre  passage  en  hiver,  avec  Mgr  Glut 
et  le  F.  Boisramé,.par  là  grave  indisposition  de  ce  dernier, 
etc.  Mais  la  voilà  derrière  nous,  et  le  cap  est  mis  sur  U 
Rivière  au  Foin,  moitié  de  notre  traversée... 


193 

Après  quatre  bonnes  heures  de  rame,  nous  en- 
trons dans  la  Rivière  au  Foin.  Je  salue  de  cœur,  en  pas* 
sant,  la  tombe  de  notre  regretté  Frère  Iland,  qui  s'est  noyé 
dan£.un  canot  d'écorce  en  visitant  ses  rôts,  puis  la  pauvre 
cabane  délabrée  qu'habita  autrefois  le  P.  Gascon,  et  nous 
arrivons  au  fort.  Le  vieux  Morn  est  là  sur  la  edte,  sa  chi- 
que sempiternelle  à  la  bouobe  ;  c'est  le  pêcheur  du  fort. 
Son  fils  aloé  s'est  donné  au  prétendu  Evoque  Anglican 
Bompass  qui  l'a  fait  maître  d'école,  c'est  à-dire,  pour  ce 
pays,  un  trois -quarts  de  ministre.  Or,  ce  fameux  ûls 
Morn,  qui  a  dit  les  plus  grossières  calomnies  imaginables 
contre  les  prêtres  catholiques,  voulait  convertii  son  vieux 
père  au  protestantisme  :  '*  Mon  fils,  dit  le  bonhomme, 
quand  ma  barbe  redeviendra  noire  comme  tes  cbeveux,  je 
t^écouterai."  Cest  dans  sa  maison  que  j'ai  voulu  passer  la 
nuit,  malgré  les  offres  obligeantes  que  me  faisait  le  cou 
veau  commis  d'accepter  chez  lui  l'hospitalité.  Seulement 
j'ai  accepté  le  souper  et  le  déjeûner  le  lendemain.  Avant 
de  nous  coucher,  j'ai  invité  les  gens  catholiques  du  fort  à 
se  confesser,  attendu  qu'ils  ne  verraient  pas  de  Père  d'ici 
longtemps.  Tous  l'ont  fait  et,  à  la  messe  que  j'ai  dite  le  len- 
demain sur  une  mauvaise  petite  table  de  la  maison,  tous 
ont  communié.  Samedi,  nous  reprenions  le  lac,  laissant 
deux  familles  à  la  Rivière  au  Foin,  et  ne  comptant  plus 
que  dix  personnes  dans  la  berge,  toutes  du  fort  Résolution, 
en  face  de  la  mission  Saint-Joseph.  Vers  midi,  nous  attei- 
gnions la  Rivière  aux  Bouleaux  où  nous  dinâmes.  Nos 
repas  se  composaient  invariablement  de  viande  sèche  et  de 
patates  bouillies:  mais  la  viande  que  j'avais  prise  à  la  Pro- 
vidence, touchait  déjà  à  sa  fin.  Le  soir,  nous  campions  à 
la  pointe  La  Presse  (non  pas  la  presse  du  journalisme,  mais 
la  presse  à  pression  pour  les  fourrures).  Ce  soir-là.  Honoré,. 
un  bon  petit  métis  qui  a  travaillé  assez  longtemps  pour  le 
P.  Gascon,  tuait  un  aigle  à  tête  blanche  qui  pouvait  me- 
surer  un  mètre  et  demi  d'envergure  :  nos  gens  firent  festin 
de  sa  chair.  Déjà  leur  imprévoyance  leur  valait  de  dures 
privationsT  Ils  avaient  compté  recevoir  un  supplément  de 
vivres  à  la  Rivière  au  Foin,  mais  le  fort  était  presque  tota- 
lement dépourvu  de  viande  ;  de  sorte  qu'ils  n'avaient  plus 

2 


194 

à  66  mettre  sous  la  dent  que  quriques  débris  de  viande  et 
les  quelques  mauves  qu'ils  pouvaient  abattre  ou  poissons 
qu'ils  pouvaient  prendre,  dans  des  places  comme  celles-ci. 
Aussi,  tout  passait  au  feu  ;  et  les  boyaux  à  peine  roussis  un 
peu,  étaient  avalés.  De  grand  matin,  le  dimanche,  je  dis 
la  sainte  Me&se  dans  la  tente,  à  laquelle  tous  assistèrent 
bien  recueillis.  Puis,  âous  allâmes,  à  la  rame,  camper  à 
la  Rivière  au  Bœuf,  d'où  nous  ne  repartirons  peut-être  pas 
tout  de  suite,  car  le  vent  N.-E.  s'élève  du  large,  et  c'est  un 
vent  contraire  et  persistant.  Nous  venons  de  réciter  en- 
semble le  chapelet,  à  côté  de  ma  tente,  et  de  chanter  VAve 
MarU  Stella  en  montagnais.  Mes  vivres  sont  épuisées,  mais 
Alexis  viendra  à  mon  aide. 

15  Octobre.  —  J'ai  le  bonheur  de  vous  écrire  de  ma  cham- 
brette  d'autrefois,  de  cette  douce  petite  cellule  où  j'aimais 
tant  à  me  reposer  les  premiers  jours  qui  suivirent  mon  arri- 
vée en  février  1871,  à  cette  maison.  J'étais  alors  si  fatigué 
de  mes  six  premiers  jours  de  marche  à  la  raquette  et  des  cinq 
premières  nuits  passées  dans  la  neige  !  Nous  sommes  ar- 
rivés ici  hier,  au  kver  du  soleil.  Ainsi  nous  avons  mis 
douze  longs  jours  à  faire  un  trajet  qui  s'effectue  le  plus 
souvent  en  4  ou  5  jours.  Aussi  nos  hommes  avaient  les 
dents  bien  longues  en  arrivant  ici  :  il  y  avait  déjà  près  de 
trois  jours  qu'ils  n'avaient  rien  à  manger.  Nous  avons  été 
éprouvés  tout  le  temps  par  des  vents  contraires,  et,  à  une 
journée  d'ici,  nous  avons  failli  être  pris  par  la  glace,  sur 
une  île  qui  n'offrait  d'autre  ressource  que  de  mourir  de 
faim.  Car  cette  île  est  au  large,  et  si  la  glace  eût  persisté, 
il  eût  été  impossible  de  mouvoir  la  berge.  11  eût  donc 
fallu  attendre  la  prise  totale  du  lac  par  la  glace,  pour  pou- 
voir atteindre  la  terre  ferme;  mais,  d'ici  là.  sans  vivres, 
qu'eussions-nous  pu  faire  ?  On  avait  lue  quelques  perdrix, 
les  seules  Jiabitantes  de  cet  îlot  du  large.  Alexis  avait 
épuisé  à  son  tour  le  peu  de  viande  pilée*  qui  lui  restait;  je 
devais  emporter  4  ou  5  livres  de  riz  à  Saint  Joseph  :  il  a 
fallu  le  manger  ;  c'était  ma  dernière  ressource,  et  il  n'en 
restait  plus  que  pour  un  minime  repas,  car  nous^  ne  man- 
gions pas  ration  entière,  bien  entendu.  Enfin  le  calme 
«'est  fait,'et  nous  a  permis  d'atteindre  le  but  tant  désiré.  Bo 


195 

arrivant,  j'ai  fait  distribuer  xin  plein  plat  de  patates  à  cha- 
cun des  hommes  de  la  berge.    £h  bien  !  ces  pauvres  gênas 
qui  ont  eu  le  ma}heur  d'être  si  imprévoyants,  comme  je 
vous  le  disais  la  semaine  dernière,  sont  admirables  de  t^- 
tience  et  de  courage,  quand  le  jeûoe  vient  les  éprouver. 
Vous  les  voyez  maigrir  et  pâlir  ;  ib  souffrent  des  torturas 
de  la  faim,  et  ils  ne  se  plaignent  guère  ou  bien  doucement. 
Donc,  en  Tabsence  du  P.  Gascon  qui  est  allé  à  la  mission 
Saint  Isidore,  au  fort  Smith  et  ne  reviendra  probablement 
qu'au  mois  de  février,  j'ai  été  accueilli  par  le  bon  F.  Renault, 
de  Rennes,  qui  venait  de  visiter  ses  rets.    J'ai  trouvé  une 
famille  installée,  la  famille  de  Pierre  Baulieu,  un  des  fils 
du  bonhomme  Baulieu  dont  je  vous  ai  souvent  parlé  ; 
installée,  dis-je,  dans  une  petite  maison  appartenant  et  atte-* 
nant  à  la  mission,  de  sorte  que  nous  ne  serons  pas  tout  à 
fait  des  ermites  dans  notre  Ile  Orignal.    Cette  famille  se 
compose  du  père,  de  la  mère  et  de  six  enfants,  dont  deux 
garçons  assez  grands  aident  déjà  leur  père  à  la  chasse  des 
fourrures  et  des  vivres-    Ce  sont  de  bons  catholiques,  de 
sorte  qu'ils  pourront  mieux  profiter  de  la  présence  d'un 
Père.    J'ai  chanté  lagrand'-messe  en  m'accompagnant  de 
l'harmonium  pour  le  Kyrie^  le  Gloria  et  le  Credo^  au  grand 
ébahissement  de  mon  petit  monde  venu  au  complet  du  Fort. 
(Le  fort  est  situé  dans  la  baie,  à  environ  2  milles  en  droite 
ligne,  3  milles  en  suivant  le  circuit  de  la  baie).  Mon  petit 
Johny  est  heureux  d'avoir  aussi  un  petit  coin  de  la  cham- 
brette  '^  qui  sera  son  logis."    Il  se  sent  grandir  de  toute  la 
dimension  des  4  pieds  de  son  chez  soi.  — ...  Je  ne  saurais 
terminer  cette  feuille  de  semaine  sans  vous  prier  de  joindre 
votre  voix  à  la  mienne  pour  remercier  le  bon  saint  Joseph 
de  m'avoir  fait  aborder  sain  et  sauf  à  cette  mission  dont  il 
est  le  gardien  et  le  protecteur. 

22  Octobre,  —  L'Ile  Orignal,  ainsi  nommée  de  l'Elan  qui 
la  peuplait  autrefois,  n'est  séparée  de  la  terre  ferme  qop 
par  un  petit  détroit  peu  profond.  Elle  est  toute  rocailleu- 
se ;  les  pierres  à  chaux  y  abondent.  C'est  un  terrain  sec, 
recouvert  d'arbustes  à  graines  de  différentes  espèces:  le 
framboisier  et  le  groseiller  sauvage  y  abondent.  En  fait 
d'arbres,  il  y  a  plus  de  trembles  que  d'épinettes  ;  quelques 


196 

I)ouleaux^  mais  bien  grêles  viennent  s'y  mêler.  Llle  est 
entourée  d'une  ceinture  de  bois  de  grève  qai  suffirait  à  dé* 
frayer  toutes  les  cheminées  du  département  du  Morbihax> 
dans  le  plus  rude  et  le  plus  long  des  hivers.  Nous  avons 
trois  énormes  tas  de  ce  bois  entassés  auprès  de  la  maison. 
Il  y  a  de  ces  souches  qui  mesurent  plus  de  10  mètres  de 
longueur  jusqu'à  un  mètre  d'épaisseuc  au  milieu.  Tous 
ces  bois  viennent  de  la  débâcle  des  glaces  sur  le  fleuve,  et, 
une  fois  flottant  sur  le  lac,  ils  vont  aborder  où  les  poussent 
le  vent  et  la  vague. 

La  mission  Saint-Joseph  est  au  bord  du  lac,  dans  une 
anse,  et  compte  trois  petits  édifices  :  la  maison  des  Pères  à 
laquelle  atteint  la  chapelle,  la  cuisine  ou  appartement  de 
décharge  en  même  temps  qu'atelier  de  menuiserie,  le  han- 
gar où  se  mettent  les  ustensiles,  les  traîneaux  et  tout  le 
poisson  sec  ou  gelé,  une  petite  cabane  qui  servait  autrefois 
de  demeure  aux  engagés  de  la  mission,  et  une  glacière» 
Le  tout,  comme  ailleurs,  bien  entendu,  est  en  bois,  cimenté 
par  du  mortier  et  recouvert  d'écorce.  Dans  la  maison 
d'habitation,  il  y  a  neuf  appartements,  mais,  à  vrai  dire,  il 
n'y  en  a  que  trois  d'une  dimension  raisonnable.  Les  six 
autres  font  place  à  un  lit  et  à  une  table  à  manger,  et  c'est 
tout.  Les  trois  chambres  proprement  dites  servent  !<>  de 
chapelle,  2«  de  salle  commune,  3»  de  cuisine.  Un  poêle  en 
tôle  à  ia  chapelle,  un  autre  en  fonte  dans  la  salle  com- 
mune, et  une  cheminée  dans  la  cuisine,  chassent  suffisam 
ment  le  froid  le  plus  rigoureux.  Puis,  nous  avons  au-des- 
sus un  grenier,  où  sont  cachées  nos  richesses,  c'est-à-dire 
le  peu  de  marchandises  que  nous  échangeons  pour  des 
vivres^  ou  des  vêtements  en  peau,  ou  des  salaires  de  voya- 
ges; et,  au-dessous,  une  cave  où  sont  entassées  dans  la 
paille  nos  90  et  quelques  barils  de  patates.  —  Dois-je  aussi 
compter  dans  notre  inventaire  la  petite  cabane  aux  chiens 
avec  cinq  chiens  de  traine  et  ma  Sauterelhy  l'émule  de 
Birbitte,  le  digne  successeur  de  Breton^  qui  ne  laisse  pas  le 
gibier  se  perdre  dans  l'eau  ou  dans  les  marais? — Domi- 
nant toutes  ces  constructions  chétives  dont  la  principale,  la 
maison  des  Pères  et  la  chapelle,  a  failli  s'écraser  d'un  coup 
de  vent  du  nord,  et  penche  encore  assez  pour  avoir  mérité 


197 

-quatre  béquilles  en  forme  d'étangons;  dominant  tout  ce 
petit  domaine,  œuvre  en  partie  de  la  main  des  Pères,  s'é- 
lève au  bout  de  deux  madriers  emboîtant  une  cloche  d'une 
4izaine  de  livres,  le  signe  de  notre  Rédemption,  attestant 
•et,  en  vérité  plus  que  partout  ailleurs,  dans  le  nord,  que 
.notre  Divin  Sauveur  a  pris  possession  du  lac  et  de  ses 
habitants.  Aussi  celui-là  ne  refuse  pas  au  missionnaire 
Jes  quelques  milliers  de  poissons  dont  il  a  besoin  pour 
passer  son  hiver,  et  les  habitants  sont  de  bons  catholiques 
^ui,  par  leur  ferveur  et  leur  bonne  conduite,  témoignent 
assez  que  la  parole  de  Dieu,  au  lac  des  Esclaves,  est  tombée 
sur  une  bonne  terre 

29  Octobre. — Mes  ouailles  ont  été  obligées  de  faire 
aujourd'hui  tout  le  tour  de  la  baie  pour  venir  à  la  Mission. 
Lia  glace  est  partie  au  large,  par  un  gros  coup  de  vent  du 
nord.  Il  n'y  a  guère  d'heure  fixe  pour  la  grand'-messe  : 
tantôt  elle  est  à  neuf  heures,  tantôt  à  dix  heures  au  plus 
tard;  c'est  suivant  l'heure  où  mon  monde  arrive  du  Fort 
Voici  comment  se  passent  les  offlcesu  La  grand'messe  .est 
précédée  du  chant  montagnais  du  cantique  connu  :  Esprit- 
Saint,  descendez  en  nous.  Après  le  cantique,  une  instruction 
ou  catéchisme  en  montagnais  ;  puis  la  grand'-messe  où 
l'on  ne  chante,  en  fait  de  chant  de  chœur,  que  le  Ayrie,  le 
Gioria^  le  Credo  et  les  différents  répons  de  la  messe.  Des 
<îanliqQes  montagnais  remplacent  VAgnus  Dei  et  le  Sanctus, 
La  messe  est  suivie  de  prières  en  n^ontagnais.  —  En  atten- 
dant l'office  de  l'après-midi,  on  mange  un  morceau.  Il  faut 
▼oir  tous  nos  priants  accroupis  dans  la  salle  commune,  par 
groupes  de  familles,  et  déchiquetant  quelques  morceaux 
de  viande  sèche  I  Sur  le  poêle,  six  à  sept  chaudières  à  thé 
se  disputent  une  petite  place.  Les  bonnes  mamans  parsè- 
ment aussi  la  salle  de  débris  de  mousse  ou  lichen  sauvage, 
dont  elles  font  provision  pour  emmailloter  leurs  petits 
•enfants.  Aussi  le  balai,  après  chaque  jour  de  dimanche,  a 
une  sérieuse  corvée  à  subir.  Quand  on  a  satisfait  aux  exi- 
f^ences  de  l'appétit,  on  se  remet  à  prier  le  bon  Dieu  de  tout 
-cœur.  Le  F.  Renault  va  sonner  la  cloche  au  dehors  pour 
ramener  les  égarés  ;  puis,  quelques  minutes  après,  la  clo- 
chette de  la  chapelle  invite  tout  le  monde  à  y  entrer.   Les 


198 

hommes  se  rangent  d'un  côté,  les  femmes  de  l'autro  ;  je 
récite  le  Notre  Père  à  haute  voix  au  pied.de  Tautel,  tout  le 
monde  7  répond  ;  puis  je  vais  m'asseoir  à  l'harmonium 
pour  chanter  un  cantique,  le  plus  souvent  à  Marie.  Le 
cantique  termirié,  je  proche  environ  une  demi-heure  sur  un 
thème*  suivi,  tel  que  les  Commandements  de  Dieu.  Puis 
vient  la  récitation  du  Chapelet  que  remplace,  une  fois 
chaqne  mois,  le  Chemin  de  la  Croix.  Enfin,  c'est  le  Salut 
du  Saint-Sacremeiit  avec  les  prières  chantées  de  TArchicon- 
fréfrie.  Tous  nos  catholiques  chantent  à  pleins  poumons, 
mais  non  ^ans  écorcher  les  mots  latins.  Enfin,  la  journée 
du  Seigneur  se  termine  par  la  prière  du  soir  en  commun  ; 
et  '*  mes  enfants",  comme  nous  les  appelons  toujours  dans 
nos  instructions,  s'en  retournent,  le  cœur  joyeux,  à  leur 
Fort,  sans  s'arrêter,  comme  beaucotp  de  nos  hons  Bretons, 
à  dissiper  dans  des  jeux  ou  des  excès  tout  le  fruit  des  dévo- 
tions du  jour.  —  C'est  mon  petit  Johny  qui  fait  toujours  les 
fonctions  d'acolyte.  Tous  les  matins,  il  se  lève  comme 
nous  à  cinq  heures,  dit  sa  prière,  balaie  la  salie  commune 
et  ma  chambrette,  puis  vient  à  la  chapelle  attendre  la  fin  de 
notre  méditation  et  répondre  la  messe  qui  la  suit.  Le  matin, 
je  lui  fais  traduire  alternativement  de  l'anglais  en  français 
et  vice  versa  ;  le  soir,  il  s'exerce  au  calcul  ;  il  est  arrivé 
aux  règles  de  trois.  En  guise  de  recréation,  je  le  mène 
avec  moi,  l'espace  d'une  heure,  chasser  les  perdrix  ;  depuis 
notre  arrivée  ici,  j'en  ai  déjà  tué  cinquante.  Aussi,  cela 
nous  donne  un  bon  supplément  de  vivres,  et  mes  pauvres 
dents,  qui  vont  s'ébréchant  et  disparaissant  de  plus  en  plus^ 
n'en  sont  pas  fâchées,  car  la  viande  sèche  les  met  à  une 
rude  épreuve,  je  vous  assure.  —  Cette  semaine  a  été  emplo- 
yée par  le  F.  Renault,  dans  les  intervalles  de  la  poche,  à 
rebousiller  la  maison  en  dehors  et  en  dedans  :  il  y  a  déployé 
tous  les  talents  d'un  vrai  franc  maçon.  —  Dois  je  vous  signa- 
ler la  naissance  de  onze  petits  chiens  dont  trois  sont  déjà 
morts  gelés  1  Ce  n'est  guère  intéressant  pour  vous;  mais, 
pour  nous,  il  s'y  rattache  de  gros  intérôts  :  chacun  de  ces 
petits  nouveau-nés,  vendu  à  la  Compagnie  ou  aux  Sauvages, 
au  bout  de  dix  jours,  c'est  5  plus.  Un  plw^  c'est  la  valeur 
de  2  fr.,  c'est  six  livres  de  graisse  ou  deux  plats  côtés  d'Ori- 


199 

• 

gnal  ;  c'est  donc  toute  une  source  de  richesses  dans  notre 
pauvreté,  car  nous  nous  procurons  par  là  quelques  livres  p 
et  puis  ces  pauvres  bêtes  sont  nos  coursiers  d'hiver  sur  la 
neige.  Sans  exxi,  il  nous  serait  impossible  de  nous  rendre 
d'un  poste  à  un  autre.  —  Pierre  Beaulieu  est  allé  à  la  chasse 
deux  jours  et  nous  a  rapporté  un  flanc  d'élan  qu'il  a  tué. 
Adieu;  préparons-nous  à  la  céleste  fête  de  la  Toussaint: 
"  Sursutn  corda  !  " 

5  Noveinbre. —  Que  je  vous  dise  tout  de  suite  que  c'est 
mercredi  dernier  que  les  RR.  PP.  Le  Serrer;  et  Dupire  ont 
dû  faire  leur  oblation  perpétuelle  au^Lac  Labiche,  et  le  F. 
Olivier  Carour,  prononcer  ses  vœux  d'un  an  à  la  Provi- 
dence. Ça  a  dû  être  un  bien  beau  jour  pour  eux,  si  j'en  juge 
par  la  joie  qui  a  inondé  mon  âme  le  jour  de  mon  oblation. 
Oh  !  puissioDS-nous  tous,  après  nous  être  consacrés  à  Dieu 
tout  entiers-)  marcher  sur  les  traces  de  ces  Saints  dont  nous 
contemt>lons  aujourd'hui  le  triomphe  au  ciel.  Pour  un 
moment  de  sacrifice»  quel  poids  de  gloire  ils  ont  obtenu! 
Ah!  ces  grands  apdtres,  ces  glorieux  missionnaires,  ces 
martyrs  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  des  âmes,  ils  doi- 
vent prier  sans  doute  aujourd'hui  pour  nous,  les  pauvres 
perdus  du  Nord  !  — J'ai  paré  TauteL  du  mieux  que  j'ai  pu 
pour  la  fête,  et  j'ai  mis  l'Jiarmonium  à  contribution  pour 
des  accords  insolites.  Tout  mon  petit  troupeau  a  commu- 
nié :  cela  fait  une  vingtaine  de  communions.  Il  n'y  a  ici, 
jusqu'à  Noël  désormais,  que  les  quatre  à  cinq  familles  des 
engagés  du  Fort.  Tous  les  Sauvages  sont  dispersés  dans 
les  bois  aux  environs.  —  On  tue  toujours,  en  guise  de  re- 
création, quelques  perdrix  blanches  dans  l'Ile.  —  J'allais 
oublier  de  vous  dire  que  le  matin  de  la  Toussaint,  nous 
avons  renouvelé,  le  Frère  et  moi^  nos  vœux  en  présence  du 
Ôaint-Sacremonl.  (Le  F.  Renault  a  pronencé  ses  vœux  per 
pétuels,  il  y  a  deux  ans.)  De  plus,  ce  jour-là,  j'ai  fait  faire 
sa  première  communion  à  un  jeune  garron  de  King  Beau- 
lien,  l'ainé  des  fils  du  vieux  patriarche  Beaulieu.  —  Le 
froid  revient  à  la  charge  ces  jours-ci  et  est  parfois  très- 
intense;  la  glace  couvre  toute  la  surface  du  lac,  aussi  loin 
que  la  vue  s'étende.  Pierre  Beaulieu,  qui  est  allé  faire  un 
tour  de  chasse,  a  tué  un  gros  ours  noir  dans  sa  tanière  :  il 
lui  a  fallu  tirer  cinq  coups  pour  s'en  rendre  maître. 


200 

12  Novembre.  —  Rien  de  saillant  à  noter  cette  semaine. 
J'ai  envoyé  le  Frère  prendre  au  Fort  la  potasse  qne  nous 
avions  donnée  à  faire  à  la  femme  d'Alexis  Beaulieu,  notre 
laveuse.  Cette  potasse  est  notre  savon  :  de  la  cendre  de 
tremble,  de  la  graisse  et  du  sel,  et,  avec  cela,  nous  avons 
de  quoi  nous  blanchir  toute  l'année.  —  Nous  domptons  de 
temps  à  autre  nos  jeunes  chiens  à  la  traîne,  afin  qu*îla 
soient  capables  de  faire  un  premier  voyage  en  décembre; 
et  pour  les  dompter,  il  faut  plus  d'un  coup  de  fouet  sur 
l'oreille.  Jeudi,  il  a  fait  un  temps  épouvantable  :  une  pou- 
drerie de  neige  si  éjtaisse  et  si  glacée,  qu'il  était  impossible 
d'y  faire  face  plus  de  cinq  minutes.  Des  tas  de  neige  de 
plus  de  six  pieds  se  sont  déjà  faits  autour  de  la  maison; 
mais  ce  que  le  vent  du  nord  amoncelle,  demain  le  vent  da 
sud  le  reprendra  pour  le  transporter  ailleurs.  La  neige, 
dans  ces  pays,  réalise  en  quelque  sorte  le  mouvement  per- 
pétuel.—  Aujourd'hui  encore,  il  n'est  guère  facile  devoir 
à  dix  pas  devant  soi,  à  cause  des  tourbillons  de  neige  sur 
le  lac.  Aussi,  j'ai  admiré  le  courage  de  nos  catholiques 
d'affronter  un  temps  pareil  pour  venir,  de  l'espace  d'une 
lieue,  à  la  messe.  Chaque  arrivant  a  le  visage  d'un  rouge- 
-écre visse,  mais  bientôt  la  chaleur  a  ramené  les  couleurs 
naturelles.  Nous  avons  bien  ri,  le  Frère  et  moi,  en  voyant 
l'équipage  d'une  pauvre  vieille  Sauvagesse  qui  reste  au 
Fort.  Aussitôt  les  offices  terminés,  la  vieille  s'installe  ou 
plutôt  s'accroupit  sur  deux  planchettes  mal  jointes  qui  lui 
servent  de  traîneau  ;  elle  s'arme  d'un  bâton,  puis,  poussant 
le  cri  de  guerre  "  Marche,"  elle  accompagne  cette  injonc- 
tion d'un  vigoureux  coup  sur  la  maigre  échine  du  chien 
de  derilère.  Elle  a  trois  chiens  à  son  morceau  de  traîne  ; 
mais  les  trois,  passés  à  la  cuisson,  ne  donneraient  pas  une 
cuillerée  de  graisse.  Les  noms  valent  mieux  que  les  bêtes 
•elles-mêmes  :  l'un  d'eux  s'appelle  ^^  Drap-fin,''  et  c'est  ce 
Drap-fin  que  le  bâton  se  charge  d'épousseter  de  temps  i 
autre  1  N'importe,  il  faut  que  cela  marche,  criant,  boitant, 
grinçant  sur  la  neige.  Dans  la  semaine,  les  trois  coursiers 
n'auront  peut  être  pas  recueilli  un  bon  repas,  tout  compté; 
cela  n'empêche  qu'ils  charrieront  leur  vieille  encore  ici,  ei 
encore,  jusqu'à  ce  qu'ils  n'en  puissent  plus. 

A.  Lecoras,  O.  m.  L 


ILE  A  LA  CROSSE. 

EXTRAIT  d'uN£  LQTTRE  DU  BÉVJâRENO  PÈRE  LÉGEARO 

au  r.  p.  martinet. 

Mon  Révérend  et  bien  cher  Père, 

Yoici  quelques  renseignements  sur  les  missions  que  nous 
desservons.  Ce  sont  les  missions  du  lac  Froid,  celle  du  lac 
'Canot,  celle  du  portage  la  Loche  et  enfin  celle  de  Tlle  à  la 
Crosse.  Précédemment,  nous  étions  également  chargés  de 
celle  du  lac  Vert,  mais  depuis  que  le  P.  Moulin  y  réside 
nous  n'avons  plus  à  nous  en  occuper. 

lo  Mission  de  Saint-Raphaël^  (lac  Froid). — Je  laisse  la 
parole  au  R.  P.  Legoff,  qui  vous  dira  mieux  que  moi  l'état 
-de  cette  mission,  ce  qu'il  y  a  fait  et  ce  qu'il  y  reste  à  faire. 
Voici  ce  qu'il  m'écrit  :  ^'  Que  vous  dirai-je  de  la  mission  du 
lac  Froid  ?  vous  savez  bien  ce  qu'il  en  est  et  ce  que  j'y  ai 
fait.  C'était  bien  triste,  autrefois,  que  ce  lac  Froid  1  et 
môme  encore  aujourd'hui,  après  trois  missions  que  j'y 
ai  données,  il  s'en  faut  que  tout  y  soit  en  odeur  de  sainteté. 

^^  Il  y  avait  une  dizaine  d'années  que  ces  pauvres  gens,  à 
part  trois  ou  quatre,  ne  fréquentaient  presque  plus  aucune 
émission.  Et  comme  durant  ce  temps  aucun  Missionnaire 
a'alla  voir  ce  qu'ils  faisaient  ainsi  cachés  au  fond  d^^s  bois, 
Jl  en  résulta  qu'ils  tombèrent  peu  à  peu,  faute  d'instruction, 
dans  une  ignorance  et  une  indifférence  bien  grandes.  La 
cause  de  cette  triste  défection  était  venue  du  décourage- 
ment où  les  avait  jetés  la  conduite  honteuse  de  celui  qu'ils 
regardaient  jusque-là  comme  leur  chef.  Ce  pauvre  malheu- 
4reux,  ayant  renvoyé  sa  légitime  épouse,  s'était  attaché  i  la 
veuve  de  son  frère  et  s'obstinait,  malgré  toutes  les  prières 
•et  toutes  les  remontrances,  à  vivre  en  concubinage  avec 
elle.  C'était  quelque  peu  décourageant,  en  effet,  qu'un  tel 
homme  ;  d'autant  plus  que  les  autres,  voyant  leur  chef 
excommunié,  se  regardaient,  par  le  fait,  comme  plus  ou 
moins  excommuniés  eux-mêmes. 

^'  Dès  que  Tobéissance  me  plaça  à  Pile  à  la  Crosse,  ma 
-pensée  se  tourna  vers  ces  pauvres  gens.    Mais  que  faire  ? 


'202 

je  ne  faisais  que  bégayer  le  montagnais.  Les  aller  attaquer 
dans  cette  condition,  c'était  m'ezposer  à  un  échec  certain  ; 
j*ai  donc  attendu  trois  ans.  Ce  n'est  qu'au  bout  de  ce  temps 
que  j'ai  trouvé  la  hardiesse  et  la  confiance  nécessaires  pour 
entreprendre  cette  pénible  et  difficile  mission.    La  chose 
pressait  d'autant  plus  que  je  voyais  arriver  le  moment  où 
les  jeunes  gens  de  cette  triste  place,  tous  issus  de  frères  et 
sœurs,  tous  cousins  germains  par  conséquent,  s'uniraient 
entre  eux  par  des  mariages  incestueux.    Il  importait  d'em- 
pêcher cela  ;  ce  n'était  pas  facile^  car  la  plupart  de  ces 
jeunes  gens  avaient  l'âge  de  se  marier  et,  du  reste,  tenaient 
à  le  faire  le  plus  tôt  possible.    Comment  faire  alors  T 
personne  ici  parmi  nos  Montagnais  n'était  jaloux  de  donner 
ses  enfants  à  des  gens  si  mal  famés.    Oh  I  j'étais  bien 
inquiet,  lorsque  il  y  a  trois  ans,  j'entrepris  pour  la  premiè- 
re fois  de  franchir  les  40  à  50  lieues  qui  nous  séparent  du 
lac  Froid  I    J'avais  confiance  en  Dieu,  mais  aussi  j'appré 
hendais  beaucoup  la  fureur  du  diable.    Je  vous  avouerai 
même  qne  ma  confiance  devenait  parfois  bien  faible  en 
face  de  ces  appréhensions.     Durant  mon  voyage  qui  fut  de 
quatre  jours  pour  arriver  au  premier  village,  l'esprit  nuit 
et  jour  préoccupé  de  cette  affaire,  je  cherchai  et  imaginai 
bien  des  expédients  dont  le  meilleur  en  définitive  ne  me 
rassurait  guère.    Enfin,  le  dernier  jour,  comme  je  traînais 
péniblement  mes  raquettes  à  la  suite  de  mes  quatre  jeunes 
gens,  la  pensée  me  vint  de  m'adresser  à  Tarchange  sain  t 
Raphaël.    Je  songeai  à  ce  qu'il  fit  pour  Sara,  à  ce  qu'il  fit 
pour  le  vieux  Tobie,  et  comme  tous  les  pauvres  sauvages 
que  j'allais  visiter  se  trouvaient  à  la  fois  dans  le  cas  de 
Tobie  et  dans  celui  de  Sara,  je  le  priai,  de  mon  mieux, 
d'opérer  en  leur  faveur  cette  double  merveille  qui  délivra 
Sara  et  guérit  Tobie;  d'abord  en  éloignant  d'eux  te  démon 
qui  les  ensorcelait,  puis  en  leur  appliquant  le  remède  néces- 
saire pour  guérir  leurs  yeux  aveuglés  par  Tignorance  et  la 
superstition,  et  leurs  cc&urs  souillés  et  endurcis.  En  même 
temps  je  mettais  ce  pays  et  ses  habitants  sous  sa  protec- 
tion, et  lui  promettais,  pour  le  cas  où  une  mission  serait 
bâtie  au  lac  Froid,  de  faire  en  sorte  qu'elle  lui  fût  dédiée. 
^^  Cette  première  visite  eut  pour  résultat,  d'abord  de  leur 


203 

prouver  que,  loin  de  les  mépriser,  je  les  aimais,  ce  gui  est 
beaucoup;  ensuite,  de  leur  faire  voir  que  j'entendais  le» 
tirer  dé  cetétat  de  dégradation  et  de  déconsidération  dans 
lequel  ils  vivaient;  puis  enfin,  après  des  débats  qui  durè- 
rent au  moins  quatre-  heures,  de  séparer  le  malheureux 
concubinaire  cause  de  tout  le  mal,  de  le  séparer,  dis-je,  de 
cette  femme,  qui,  comme  je  vous  Tai  dit,  n'était  autre  que 
la  veuve  de  son  frère.  En  môme  temps,  après  les  avoir 
tous  confessés,  j'obtins  d'eux  la  promesse  qu'ils  songeraient 
désormais  sérieusement  au  salut  de  leurs  âmes  ;  Ton 
m'assura  aussi  que  les  mariages  incestueux  que  je  craignais^ 
n'auraient  pas  lieu. 

"  L'année  suivante,  je  leur  renouvelai  ma  visite.  MaiSy 
hélas'!  le  malheureux  concubinaire  n'avait  pu* résister  à  sa 
passion,  et  était  retourné  à  son  vomissement.  Pour  comble 
de  malheur,  redoutant  d'avance  l'effet  d'une  entrevtie  avec 
moi,  qui  ne  suis  pourtant  pas  bien  terrible,  il  avait  pris  la 
fuite  avec  sa  concubine,  se  proposant  de  ne  revenir  chez 
lui  que  lorsqu'il  pourrait  présumer  que  je  serais  parti  et 
que  la  rencontre  tant  redoutée  par  lui  n'aurait  pas  lieu. 
Heureusement  pour  moi  et  aussi  pour  lui,  il  calcula  mal 
et  arriva  chez  lui  tandis  que  j'y  étais  encore.  Il  était  tout 
honteux  d'avoir  manqué  à  sa  parole,  et  en  môme  temps 
tellement  dominé  par  sa  passion,  qu'il  paraissait  difficile 
de  le  détacher  de  cette  malheureuse,  qui  ne  valait  pas 
mieux  que  lui.  Il  s'en  sépara  pourtant  et  promit  d'être 
plus  ferme  à  l'avenir.  Hélas  !  il  retomba  encore  malgré 
toutes  ses  promesses,  et  ce  n'est  qu'à  la  troisième  visite  que 
je  leur  ai  faite  cette  année  que  j'ai  enfin  réussi  à  les  sépa- 
rer définitivemeet. 

"J'ai  fait  là  quatre  mariages  bien  assortis,  lesquels,  selon 
toutes  les  prévisions  humaines,  nous  donnent  les  meilleu- 
res garanties  pour  l'avenir.  Il  y  reste  encore  plusieurs 
jeunes  gens  à  marier,  mais  le  plus  difficile  est  fait  et  j'espère 
que  si  l'on  peut  sanctifier  encore  quelques  alliances  dans  ces 
familles  dégénérées,  on  les  tirera  définitivement  de  l'état 
de  dégradation  dans  lequel  elles  sont  tombées.  Je  n'ai  pas 
la  liste  de  toutes  ces  familles,  je  ne  puis  donc  évaluer 
le  nombre  des  personnes  qui  se  trouvent  au  lac  Froid. 


204 

que  d'une  manière  approximative.    Le  nombre  me  parait 
4tre  entre  de  quatre-vingts  à  cent." 

II  y  a  aussi,  au  lac  Froid,  quelques  familles  crises  encore 
infidèles.  Comme  elles  ne  viennent  jamais  par  ici,  j'ignore 
leur  nombre.  Il  est  probable  qu'elles  ont  dû  voir  des 
Missionnaires  sachant  le  cris,  soit  au  fort  Pitt,  soit  au  lac 
Labiche  où  elles  peuvent  se  rendre  sans  difficulté.  Pour 
plus  de  sûreté,  cependant,  le  R.  P.  Lsgoff  étudie  actuelle 
ment  le  cris,  afin  de  pouvoir  instruire  un  peu  ces  pauvres 
gens  quand  il  ira  visiter  ses  Montagnais  le  printemps  pro- 
chain. 

2o.  Mission  de  la  bienheureuse  Marguerite-Marie  (lac  Canot). 
Cette  petite  mission  est  la  plus  favorisée  de  toutes  celles  dont 
nous  nous  occupons,  en  dehors  de  l'Ile  à  la  Crosse.  Depuis 
l'ai^tomne  de  1875,  elle  a  eu  l'avantage  d'être  visitée  plu- 
sieurs fois.  Le  R.  P.  Moulin  y 'est  venu,  du  lac  Vert,  passer 
une  semaine  en  janvier  dernier.  Le  R.  P.  Chapelliere  y  est 
resté  depuis  le  4  avril  jusqu'au  10  juin,  et  depuis  le  28 
août  jusqu'au  23  septembre  ;  ce  qui  n'a  pas  empêché  ces 
bons  sauvages  de  venir,  au  printemps  et  à  l'automne,  sui- 
vre les  exercices  de  la  mission  que  nous  donnons  réguliè- 
rement, à  celte  époque,  à  tous  les  sauvages  réunis.  Souvent 
aussi  nous  les  voyons  dans  le  courant  de  l'été  lorsqu'ils  vien- 
nent au  fort  de  la  compagnie  de  la  baie  d'Hudson,  cher- 
cher ce  dont  ils  ont  besoin.  Il  est  bien  rare  qu'ils  ne  se 
confessent  pas  en  passant  ici.  Pauvres  sauvages  !  ils  ont 
bien  leurs  défauts,  il  s'en  faut  qu'ils  soient  parfaits,  mais 
il  faut  leur  rendre  le  témoignage  qu'ils  sont  bien  dociles, 
bien  obéissants,  remplis  de  bonne  volonté  et  qu'on  peut  en 
faire  tout  ce  que  l'on  veut.  Une  chose  qui  me  fait  grand 
plaisir,  c'est  qu'ils  commencent  à  avoir  une  grande  dévotion 
au  Sacré  Cœur.  Tous  en  ont  déjà  des  images  que  nous 
leur  avons  faites  et  qu'ils  gardent  bien  précieusement.  Tous 
également,  ou  presque  tous,  portent  le  scapulaire  du  Sacré- 
Cœur.  Pour  les  récompenser,  Dieu  leur  a  fait  une  faveur 
«dont  jouissent  bien  peu  de  sauvages  dans  ce  pays.  Tout  le 
temps  que  le  Père  est  là,  Notre-Seigneur  réside  au  milieu 
d'eux  dans  la  petite  chapelle  qu'ils  ont  bâtie.  C'est  la  pre- 
mière fois  'Cette  année,  qu'avec  l'autorisation  de  Monsei- 


205 

goeur  on  y  a  conservé  la  sainte  réserve  ;  ce  qui,  certaine- 
ment, sera  pour  eux  la  source  de  bien  des  grâces. 

Un  autre  avantage  qu'ont  les  Cris  du  lac  Canot,  c'est  leur 
petite  école.  Les  fruits  qu'elle  a  produits  sont  déjà  bien 
consolants,  Au  printemps  dernier,  quand  ils  vinrent  pour 
la  grande  mission,  le  R;  P.  Chapellière,  qui  arrivait  avec 
eux,  me  dit  que  bon  nombre  d'enfants,  garçons  ou  filles, 
connaissaient  leur  catéchisme  par  cœur  d'un  bout  à  l'autre. 
Je  n'osais  trop  y  croire;  pour  m'en  assurer,  jlnterrogeai 
moi-même  les  enfants,  un  peu  sur  toutes  sortes  de  sujets, 
je  leur  demandai  plusieurs  explications  et  je  pus  me  con 
vaincre  que  ce  qu'on  m'avait  dit  était  bien  vrai.  C'est  la 
première  fois,  je  pense,  que  nous  voyons  dans  nos  missions 
des  enfants  sauvages  parfaitement  instruits  du  catéchisme. 
Personne  même  n'aurait  songé  à  entreprendre  cette  tiche 
bien  difficile  ;  notre  petite  maîtresse  d'école,  avec  sa  bonne 
Tolonté,  sa  persévérance  et  aussi  le  secours  du  bon  Dieu, 
en  est  venue  à  bout.  C'est  un  grand  travail  de  moins  pour 
nous.  Daigne  le  Seigneur  continuer  à  répandre  ses  grâces 
sur  cette  petite  mission  et  lui  faire  porter  des  fruits  de  salut 
encore  plus  abondants.  C'est  ce  que  leur  obtiendra,  j'en 
suis  sûr,  leur  patronne,  la  B.  Marguerite-Marie,  toujours 
puissante  sur  le  cœur  adorable  de  notre  doux  Sauveur. 

3o  Mission  de  la  Visitation  (Portage  la  Loche).  —  C'est  le 
R.  P.  Lbgofp  qui  en  est  chargé.  Voici  quelques  notes  qu'il 
m'a  communiquées  sur  cette  mission  :  ^^  Depuis  mon  arri- 
▼ée  à  l'Ile  à  la  Crosse,  en  1870,  j'ai  déjà  visité  huit  fois  ce 
poste  ;  j'aurais  là-dessus  bien  des  choses  à  raconter  ;  mal-  « 
heureusement,  c'est  le  temps  pour  les  raconter  qui  me 
manque.  Vous  voudrez  donc  bien  vous  contenter  celte  foi& 
de  quelques  lignes. 

^^  Cette  mission  compte  deux  cent  trente  et  quelques  saii 
yages,  parmi  lesquels  il  y  a  soixante-dix  ou  soixante-douze 
communiants.  Cette  mission  était  bien  négligée  autrefois,. 
nos  Pères  se  trouvant  assez  souvent  dans  l'impossibilité  de- 
l'aller  visiter.  Depuis  que  je  suis  ici,  je  la  visite  réguliè- 
rement tons  les  ans,  et  môme  l'année  dernière  j'y  ai  fait 
deux  apparitions,  l'une  en  été,  l'autre  en  hiver.  Oela  ne 
leB  satisfait  pas  encore,  et  depuis  longtemps  ils  ne  cessent 


206 

^6  demander  à  car  et  à  cri  que  Moaseigaeur  veuille  bien 
établir  uq  Mlssioanaire  au  milieu  d'eux.  Môme  pour  dé- 
moatrer  à  Sa  Grandeur  combien  ce  Missionnaire  serait 
bien  au  milieu  d'eux  et  combien  il  pourrait  compter  sur 
leur  dévouement,  ils  ont  préparé  depuis  deux  ou  trois  ans 
tout  le  bois  nécessaire  à  la  construction  d'une  église.  Tout 
cela  forme  un  beau  tas,  je  vous  l'assure,  et  c'est  du  beau 
l)oi5 1  Mais  par  malheur  le  tas  reste  là  et  l'église  est  encore 
dans  les  futurs  contingents.  Ils  la  bâtiront,  disent-ils,  oh.  1 
mais,  avec  de  l'empressement  tout  plein,  quand  leur  cher 
missionnaire  tant  désiré  sera  arrivé.  Ils  ne  veulent  la  bâtir 
qu'à  cette  condition,  prétendant  que  par  ce  parti  pris  ils 
vont  certainement  obliger  Monseigneur  à  se  dépêcher  de 
leur  envoyer  le  Missionnaire  tant  désiré.  Gomment  ne  se 
4épôcherait-il  pas?  Le  bois  de  construction  est  à  terre  et 
il  va  se  gâter  si  le  Missionnaire  n'arrive  pas  vite.  Finesses 
de  Montagnais  ! 

^^  Ces  pauvres  sauvages,  quoique  visités  à  de  si  rares  in- 
tervalles, ne  laissent  pas  notre  ministère  sans  consolation. 
Je  vous  avoue  franchement  que  je  les  trouve  bien  changés 
depuis  la  première  fois  que  je  les  vis.  Ils  sont  plus  dé> 
grossis,  plus  instruits,  plus  attachés  à  leur  religion  et  à  leur 
Missionnaire.  Tous  pourtant  ne  .répondent  pas  également 
à  nos  soins  et  ne  montrent  pas  la  même  bonne  volonté.  Ici, 
comme  partput,  il  j  a  le  mélange  d^s  bons  et  des  mauvais. 
Les  mauvais  et  les  tièdes  forment  à  mon  avis  le  gros  tiers  : 
les  autres  sont  convenables  et  ne  me  donnent  guère  que  de 
Ja  satisfaction."      ^ 

Il  est  donc  vrai,  comme  vous  pouvez  en  juger  par  cette 
lettre  du  R.  P.  Legofjs,  les  sauvages  du  Portage  la  Loche 
nous  donnent,  pour  la  plupart,  de  la  satisfaction  et  il  y  au- 
rait là  de  quoi  faire  une  belle  misbion.  ^Mais  cette  paresse 
qu'ils  montrent  pour  bâtir  une  chapelle  et  une  maison  pour 
le  Missionnaire  qui  va  les  visiter  me  fait  de  la.  peine,  d'au- 
tant plus  que  presque  tous  se  sont  construit  de  jolies  petites 
maisons  et  qu'ils  sont,  on  peut  le  dire,  les  sauvages  en  gé- 
néral les  plus  riches  et  les  mieu^  établis  du  pays.  Au  lac 
Canot,  six  pauvres  Cris  ont  à  eux  seuls  bâti  la  chapelle  et 
un  appartement  contigu  à  la  chapelle  pour  leur  Mission- 


207 

oaire  ;  et  eux,  depuis  trois  ans  que  Tftffaire  est  lancée,  n'ont 
pu  élever  une  chapelle  alors  que  tout  la  bois  de  construc- 
tion était  rendu  sur  place.  Pauvre»  gens  !  ils  manquent 
d'entente  entre  eux,  ils  sont  un  peu  jaloux  les  uns  des 
autres  ;  impossible  de  mettre  quelqu'un  à  la  tête  de  cette 
entreprise  sans  mécontenter  les  autres.  Voilà  en  grande 
partie  la  cause  de  ce  retard.  Sans  s'en  douif  r  probable- 
nient,ils  se  font  grand  tort,  car  ils  ne  prennent  pas  le  moyen 
d'obtenir  qu'un  Père  aille  résider  au  milieu  d'eux. 

i9  Mission  de  Saint-Jean-Baptiste  (Ile  à  la  Grosse.) — l»  Nod 
travaux  pour  la  desserte  de  notre  église  sont  toujours  les 
mêmes.  Je  n'en  parlerai  donc  pas  aujourd'hui  ;  je  me  conten- 
terai de  vous  dire  que  nous  sommes  bien  contents  de  notre 
petite  population.  Ces  pauvres  gens,  la  plupart  métis,  ont 
bien  aussi  leurs  défauts,  mais  ils  nous  écoutent  quand  nous 
les  instruisons  ;  les  sacrements  sont  bien  fréquentés,  et  les 
offîces  suivis  fidèlement.  Ce  qui  nous  donne  meilleur  es- 
poir encoi*e  pour  l'avenir,  c'est  qu'il  n'y  a  pas  une  maison 
à  l'île  à  la  Crosse  où  il  n'y  ait  une  image  du  Sacré  Cœur. 
Ce  divin  cœur,  j'en  suis  sûr,  ne  manquera  pas  de  leur  ac- 
corder les  bénédictions  que  lui-même  a  promises  à  tous 
ceux  qui  l'honoreront 

En  fait  de  travaux  extraordinaires,  nous  avons  eu  le 
Jubilé  de  1875  ;  nous  l'avons  fait  du  12  au  26  décembre. 
Pendant  cette  quinzaine,  il  y  avait  tous  les  soirs  bénédic- 
tion du  très-saint  Sacrement  Ym  les  circonstances  dans 
lesquelles  se  trouvait  notre  petite  population,  nous  n'avons 
pas  jugé  à  propos  de  faire  aucun  autre  exercice  public. 
Nous  étions  un  peu  embarrassés  au  commencement  pour 
mettre  en  train  ce  jubilé  ;  le  succès  a  dépassé  nos  espéran- 
ces. Nos  chrétiens  nous  ont  surpris  par  leur  ûdélité  à  as- 
sister tous  les  jours  aux  exercices  et  à  faire  les  stations 
commandées  ;  deux  à  la  grande  église,  deux  à  la  chapelle 
de^  sseurs.  J'espère  que  le  bon  Dieu  les  aura  'récompensés 
de  leur  bonne  volonté. 

Un  mot  maintenant  des  deux  grandes  missions  que  nous 
donnons  annuellement  au  printemps  et  à  l'automne.  De- 
puis quelques  années,  la  mission  d^automne  perd  beaucoup 
de  son  importance  ;  elle  n'est  plus  suivie  comme. autrefois» 


208 

Ea  1875,  elle  a  été  presque  nulle  ;  pour  les  Cris  il  n'y  en.  a 
pas  eu  ;  pour  les  Montagnais  presque  pas.  Quelles  soat  les* 
causes  de  ce  changem^t?  Les  voici:  autrefois  les  berges 
de  la  Compagnie  qui  partaient  chaque  printemps  pour  aller 
.  à  York  Factory  sur  la  baie  d'Hudson  chercher  les  mar- 
chandises pour  la  traite  avec  les  sauvages,  étaient  de  retour 
^'  ordinairement  dans  la  dernière  moitié  de  septembre.  L*ar- 

rivée  des  berges  était  un  événement  pour  le  pays.  Les 
sauvages  se  rassemblaient  tous  alors,  pour  prendre,  comme 
ils  disent,  "leurs  avances,"  c'est-à-dire  pour  recevoir  de  la 
Compagnie  ce  dont  ils  avaient  ^  besoin  pour  leur  hiver  en 
fait  de  vêtements  ou  de  munitions  de  chasse.  On  profitait 
de  leur  présence  pour  leur  donner  les  exercices  de  la  mis- 
sion pendant  douze  ou  quinze  jours,  après  quoi  chacun 
partait  de  son  côté  pour  se  rendre  aux  places  choisies  pour 
l'hivernement.  Actuellement  les  choses  ont  bien  changé. 
Toutes  les  marchandises  venant  d'Angleterre  par  la  rivière 
Rouge  et  le  lac  Vert,  les  berges  ne  vont  plus  à  la  mer,  et 
elles  arrivent  ici  à  différentes  époques  de  Tété,  ce  voyage 
du  lac  Vert  ne  durant  ordinairement  qu'une  semaine,  aller 
et  retour.  Les  sauvBges,  assurés  de  trouver  toujours  ce 
dont  ils  ont  besoin,  prennent  leur  temps.  En  outre,  la 
plupart  d'entre  eux  ayant  maintenant  des  maisons  et  des 
champs  de  patate,  ne  peuvent  rester  ici  longtemps  l'au- 
tomne, car  c'est  le  moment  de  ramasser  les  patates  et  d^ar> 
ranger  les  maisons  pour  l'hiver.  Ajoutez  à  tout  cela  que 
le  mois  d'octobre  est  l'époque  de  l'année  où  l'on  prend  le 
poisson  blanc  avec  le  plus  d'abondance.  Qu'arrive-til  T 
C'est  que  quelques-uns  ne  viennent  point,  ou  bien  ils  arri- 
vent les  uns  après  les  autres,  ou  bien  ils  ne  restent  que 
quelques  jours.  Impossible,  dans  de  pareilles  conditions^ 
de  leur  donner  une  mission  en  règle.  Ils  se  contentent 
donc  de  se  confesser  une  fois  ou  deux,  de  communier  quand 
ils  sont  du  nombre  des  communiants  et  ils  partent  ensuite. 
Quant  aux  pauvres  enfants  et  à  tous  ceux  qui  ont  besoin 
d'instruction,  on  ne  peut  guère  s'en  occuper,  car  il  faut 
passer  tout  le  temps  au  confessionnal.  Je  ne  sais  si  je  mt 
trompe,  mais  je  crois  qu'il  nous  sera  difficile  de  donner  à 
cette  mission  de  l'automne  l'importance  qu'elle  avait  pré- 
cédemment. 


209 

En  reyancbe,  celle  du  printemps  devient  de  plus  en  plus 
.  consolante.  L'année  dernière,  en  1875,  lors  du  passage  de 
Monseigneur  pour  sa  visite  pastorale,  elle  fut  magnifique  ; 
cette  année,  grftce  à  la  nouvelle  impulsion  donnée  par  cette 
visite,  elle  a  été  plus  belle  encore.  Jamais,  je  crois,  il  n'y 
avait  eu  une  mission  semblable  ;  notre  église  était  littérale- 
ment  trop  petite  pour  contenir  tout  notre  monde.  Pendant 
la  semaine,  cela  allait  passablement  encore,  parce  que  les 
exercices  se  donnaient  pour  les  Montagnais  à  la  grande 
église,  et  pour  les  Cris,  qui  sont  bien  moins  nombreux,  à  la 
chapelle  deS  sœurs  ;  mais  les  dimanches,  pour  les  offices,. 
tous  ne  pouvaient  entrer.  La  plus  belle  de  toutes  les  céré- 
monies a  été  la  grande  procession  du  Saint  Sacrement  que 
nous  avons  faite  le  jour  de  la  Fôte-Dieu.  11  y  avait  au 
moins  sis  ans  qu'elle  n'avait  pas  eu  lieu,  pour  des  raisons 
qu'il  serait  trop  long  de  rapporter  ici.  Ce  jour-là,  pour 
donner  à  tous  la  facilité  d'assister  à  la  sainte  messe,  nous^ 
multipliâmes  les  offices.  Le]  matin,  à  six  heures,  il  y  eut 
messe  avec  cantiques  et  sermons  en  montagnais  ;  la  plupart 
des  sauvages  appartenant  à  cette  nation  communièrent  à 
cette  messe.  A  huit  heures  et  demie,  messe  encore  avec 
cantiques  et  sermon  en  cris;  enin  à  dix  beures  et  demie, 
messe  solennelle  devant  le  Saint-Sacrement  exposé. 

Dans  la  soirée  eut  lieu  la  procession  du  Saint-Sacrement. 
Dès  la  veille,  les  sauvages,  sous  la  direction  du  R.  P.  Gha- 
PBLLiiius,  avaient  planté  de  distance  en  distance,  de  chaque 
côté  du  parcours  que  devait  suivre  la  procession,  de  petits 
arbres  coupés  dins  le  bois;  trois  arcs  de  triomphe  avaient 
été  dressés  ;  enfin  le  reposoir  avait  été  élevé  sur  un  mon- 
liculOy  à  700  ou  800  mètres  de  la  mission.  De  cette  éléva- 
tion le  coup  d'œil  était  magnifique:  à  droite  notre  beau 
lac,  à  nos  pieds  le  camp  des  sauvages  avec  ses  tentes  et  ses 
loges  en  grand  nombre,  un  peu  plus  loin  la  mission,  puis 
au  fond  de  ia  s  :ouo,  au  dolà  dj  i\  b  ilo  sur  bs  b  jrds  d3  la- 
quelle s'eicve  njtrc  établissemeut,  le  fort  Jj  la  i  ompagnie 
de  la  baie  dlln  ison. 

A  trois  heures,  la  procession  sortait  ds  TégUse  ;  tout  le 
monde,  hommes,  femmes  et  enfants,  marchaient  en  rang. 
A  un  étranger,  les  costumes  auraient  paru  bien  bariolés^ 

3 


210 

bien  peu  dignes  peut-être  de  paraître  dans  une  grande  pro- 
cession ;  nos  sauvages  n*y  pensaient  guère  ;  le  bon  Diea 
non  plus,  j'en  suis  convaincu,  n'en  voulait  aucunement  à 
ces  pauvres  enfants  des  bois.    Au  milieu  des  rangs,  se  dé- 
ployaient quatre  belles  bannières  confectionées  aille  à  la 
■Grosse  :  celle  de  S^in^  Jean- Baptiste,  patron  de  la  mission  ; 
celle  de  Saint  Joseph  ;  ceile  de  la  Sainte-Vierge  et  celle  du 
Sacré  Cœur,  la  plus  belle  de  toutes.    Le  R.  P.  CifAPBLBriRS, 
aidé  du  F.  Nemoz,  dirigeait  la  procession;  le  R.  P.  Lbgoff 
faisait  chanter  ses  Montagnais.    Quant  au  R.  P.  LâoBAHD, 
dont  la  santé  était  un  peu  meilleure,  il  présidaif  la  proces- 
sion et  avait  le  bonheur  de  porter  le  Saint-Sacrements 
Quatre  hommes  choisis  parmi  les  plus  anciens,  deux  méfifl, 
un  Montagnais  et  un  Cris,  soutenaient  le  dais  ;  quatre 
autres,  des  plus  anciens  également,  tenaient  les  cordons. 
La  procession  se  déroula  en  suivant  le  chemin  qui  lui  avait 
été  préparé  le  long  du  lac  et  au  milieu  du  camp  des  saa* 
vages.    Favorisée  par  un  temps  magnifique,  elle  fut  des 
plus  belles.    Mais  il  y  eut  un  moment  surtout  où  malgré 
moi  les  larmes  s'échappèrent  de  mes  yeux.    Après  la  béné- 
diction donnée  du  monticule,  sur  lequel  était  dressé  le 
reposoir,  il  fallut  réorganiser  la  procession  ;  cela  fut  ua 
peu  long;  pendant  tout  ce  temps  là,  j'étais  tourné  vers  Je 
peuple,  tenant  Notre-Seigneur  dans  mes  mains;  devant 
moi  se  déroulait  le  panorama  dont  je  vous  ai  parlé  plus 
haut.  A  mes  pieds  se  tenait  la  foule  des  hommes  qui  atten- 
daient leur  tour  pour  partir;  moitié  à  genoux,  moitié  assis 
par  terre,  ils   étaient  là,  chantant  de  tout  leur  cœur  les 
louanges  de  Notre-Seigneur.    Gomme  le  divin  Maître  de- 
vait, ce  me  sjBmble,  être  heureux  de  ce  triomphe  !  Comme 
son  Cœur  adorable  qui  a  tant  aimé  les  petits  et  les  pauvres 
devait  être  satisfait  de  voir  agenouillés  à  ses  pieds  avec 
tout  l'abandon  filial  ces  pauvres  enfants  des  bois  !  Il  y  a 
seulement  trente  ans,  la  place  où  se  déroulait  en  ce  mo- 
ment la  procession  n'était  qu'un  bois  épais;  au  lieu  da 
chant  dçs  cantiques,  on  n'y  entendait  que  le  bruit  du  tam* 
bour  et  les  chants  superstitieux  des  sauvages!    Que  Dieu 
soit  mille  fois  béni  de  ce  changement  !  Qu'il  soit  aussi  mille 
fois  béni  d'avoir  bien  voulu  se  servir  de  notre  chère  Congre- 


211 

galion  pour  le  faire  connaître  et  aimer  de  ces  pauvres  sau- 
vages! Nos  Pères  qui  ont  travaillé  à  défricher  cette  partie 
de  la  vigne  du  Seigneur  n'ont  pas  perdu  leur  temps  ;  les 
fruits  que  nous  recueillons  maintenant  sont  bien  conso- 
lants. 

Quand  nous  arrivâmes  à  l'église,  elle  était  déjà  remplie, 
et  bon  nombre  de  personnes  durent  rester  dehors  pour 
assister  à  la  bénédiction  du  Saint-Sacrement  qui  termina  la 
cêrépionie. 

Vous  devez  le  comprendre,  cette  mission  nous  a  donné 
bien  des  joips.  La  plus  grande  partie  du  travail  retombait* 
sur  le  R.  P.  tEGOFF,  qui  est  chargé  des  Montagnais.  Comme  . 
ils  sont  très-nombreux,  c'est  à  peine  s'ils  lui  laissaient  le 
temps  de  prendre  ses  repas  et  le  sommeil  nécessaire  pour 
réparer  ces  forces  épuisées.  Quelques  jours  après,  ils  par- 
taient tous,  fortifiés  par  la  réception  des  sacrements,  affer- 
mis  dans  leurs  bonnes  résolutions  et  attachés  plus  que 
jamais  à  leur  religion  et  à  ceux  qui  sont  venus  la  leur 
enseigner. 

Depuis  deux  ou  trois  ans  surtout,  nous  avons  encore 
deux  petites  missions  supplémentaires  à  Noël  et  à  Pâques. 
Pour  ces  deux  fôtes,  nous  voyons  arriver  bon  nombre  de 
sauvages  qui  souvent  viennent  d'assez  loin  pour  faire  leurs 
dévotions.  C'est  un  surcroit  de  travail  pour  nous,  mais 
ce  travail  est  bien  consolant  La  fête  de  Noël  surtout  se 
célèbre  avec  i)ne  grande  solennité:  il  est  vrai  de  dire  que 
nous  jouissons  d'nn  privilège  que  nous  envieraient  beaucoup 
de  grandes  églises  de  France,  c'est  qu'après  minuit  on 
donne  la  bénédiction  papale  avec  indulgence  plénière. 
Mgr.  Grandin,  ayant  obtenu  du  Souverain  Pontife  la  per- 
mission de  la  donner  trois  fois  par  an  et  de  communiquer 
ce  pouvoir  comme  il  l'entendrait,  a  accordé  au  Supérieur 
de  là  mission  la  faculté  de  la  donner  en  son  nom  une  fois 
chaque  année  ;  et  c'est  le  jour  de  Noël  que  nous  avons 
choisi  pour  cela. 

Vous  trouverez  peut-être  extraordinaire  que  je  ne  fasse 
mention  d'aucune  conversion  d'adultes,  soit  parmi  les  héré- 
tiques, soit  parmi  les  infidèles  qui  doivent  se  trouver  dans 
la  mission  de  l'Ile  à  la  Crosse.    En  fait  de  protestants,  il  y 


212 

«n  a  seulement  une  vingtaine  ici,  au  fort,  hommes,  femmes 
ou  enfants.  Ce  soot  tous  des  gens  engagés  au  service  de  la 
Compagnie  de  la  baie  d*Hudson,  ordinairement  pour  deux 
ou  trois  ans,  et  qui  le  plus  souvent  s'en  retournent,  leur  en- 
gagement fini.  Avec  eux  il  n'y  a  pas  grand'chose  à  faire» 
De  temps  en  temps  cependant,  mais  bien  rarement,  nous 
recevons  quelques  abjurations.  Au  printemps  dernier, 
j'ai  eu  la  consolation  de  recevoir  celle  d'une  femme  mé- 
tisse anglaise,  mariée  depuis  quelques  années  à  un  de 
nos  métis  canadien-français.  Depuis  longtemps,  elle,  était 
•  sollicité  par  la  grâce,  mais  elle  résistait  ;  elle  avait  peur,  elle 
craignait  ses  co  religion naires  ;  il  a  presque  fallu  un  mi- 
racle pour  la  soumettre  ;  enfin  le  bon  Dieu  a  eu  le  dessus  ; 
elle  est  venue  d'elle-même  et  je  n'ai  eu  qu'à  l'instruire.  On 
lui  a  bien  fait  un  peu  de  misères  dans  les  commencements  ; 
maintenant  on  la  laisse  à  peu  près  tranquille.  Quelques 
jours  après  son  abjuration  et  son  baptême,  elle  avait  le 
bonheur  de  faire  sa  prenûère  communion  le  jour  de  Pâques. 
Que  Dieu  est  bon  pour  les  cœurs  simples  !  Depuis  sa  con- 
version, cette  pauvre  femme  a  reçu,  on  peut  le  dire,  le  don 
de  prière  ;  on  dirait  qu'elle  ne  peut  se  rassassier  de  prier  ; 
la  confession  et  la  communion  sont  un  besoin  pour  elle. 
Puisse-telle  persévérer  toujours  dans  ces  heureuses  dis- 
positions !  Je  l'espère,  car  elle  aime  bien  le  Sacré  Cœur  et 
la  Sainte  Vierge. 

Quant  aux  infidèles,  on  peut  dire  qu'il  n'y  en  a  plus 
parmi  les  sauvages  du  district  de  l'Ile  à  la  Crosse  qui  ap- 
partiennent à  cette  mission.  Voici,  d'ailleurs,  ce  que  Mgr. 
Grandin  a  consigné  lui-même  dans  notre  registre  des  actes 
de  baptême,  mariages,  etc.,  etc.,  lors  de  la  plantation  de 
la  croix  qui  clôtura  la  mission  du  printemps  1875: 

'^Le  ÎO  juin  1875,  nous  soussigné,  avons  clôturé  la 
mission  des  sauvages  qui  fréquentent  la  mission  de  Saint- 
Jean- Baptiste  de  rile  à  la  Grosse  par  la  bénédiction  sa 
lennelle  et  l'érection  d'une  belle  croix  en  bois,  longue  de 
35  pieds,  sur  le  coteau  qui  s'élève  à  quelques  arpents  au 
sud  de  la  mission.  Il  y  a  dix-sept  ans,  nous  élevions  une 
croix  à  la  même  place  et  nous  sommes  heureux  de  cons- 
tater aujourd'hui  que  depuis  ce  temps  notre  sainte  religion 


213 

a  fait  dans  le  pays  des  progrès  que  vraiment  on  n'aurait 
pas  oser  espérer  alors.  On  peut  dire  aujourd'lxui  que  tous 
les  sauvages  sont  chrétiens  et  catholiques  et  généralement 
bons  chrétiens  et  bons  catholiques.  Que  Dieu  en  soit  à 
jamais  béni  I  " 

Cela  ne  veut  pas  dire  cependant  qu'il  n'y  ait  rien  de 
défectueux  parmi  nos  sauvages  et  que  tout  marche  à  mer- 
veille. Non,  malheureusement;  un  certain  nombre  d'entre 
•eux  ont  besoin  d'être  suivis  de  près  et  rappelés  souvent  i 
Tordre.    Parmi  les  Montagnais  surtout,  qoi  restent  loin  de 
la  mission  et  qui  connaissent  bien  imparfaitement  encore 
notre  sainte  religion,  de  grands  désordres  se  produisent 
parfois  :  il  a  fallu  même,  il  n'y  a  pas  bien  longtemps  encore, 
-en  excommunier  quelques-uns  ;  mais,  Dieu  merci,  ces  faits 
deviennent  de  plus  en  plus  rares,  et   maintenant  surtout 
•que  la  mission  est  consacrée  au  Sacré  Cœur,  cela  ira  mieux 
•encore,  nous  l'espérons. 

Ecole  de  Notre-Dame  du  Sacré-Cœur.  —  Comme  vous  le  savez 
déjà,  c'est  le  nom  que  porte  maintenant  notre  école.  Cette 
CBuvre,  à  laquelle  nous  attachons  beaucoup  d'importance, 
va  toujours  en  se  développant.  Pendant  l'année  scolaire 
1875-1876,  nous  avons  eu  jusqu'à  trente>deux  et  trente - 
^rqis  enfants,  tous  pensionnaires,  y  compris  nos  orphelins. 
Nous  ne  recevons  pas  d'externes.  Je  suis  heureux  ^e  dire 
qu'ils  nous  ont  donné  plus  de  consolations  qu'ils  ne  l'a- 
vaient fait  les  années  précédentes.  Mais  il  faut  avoir  vécu 
dans  le  pays  pour  comprendre  ce  que  sont  nos  écoles,  pour 
connaître  la  patience  nécessaire  à  nos  bonnes  sœurs  pour 
instruire  des  enfants  qui  n'ont  aucun  goût  pour  l'étude, 
qui  ont  honte,  pour  ainsi  dire,  de  bien  faire,  et  dont  le  seul 
désir  est  de  quitter  l'école  le  plus  tôt  possible. 

Les  parents  cependant  semblent  mieux  comprendre  la 
nécessité  de  l'éducation  et  le  service  que  nous  leur  rendons 
en  instruisant  leurs  enfants  ;  quant  à  ces  derniers,  ils  n'en  • 
sont  pas  encore  là.  Ce  n'est  donc  qu'à  force  de  travail  et 
de  fatigue  qu'on  peut  arriver  à  leur  faire  apprendre  quel- 
que chose.  Quand  ils  paraissent  dans  les  examens  publics, 
oeux  qui  les  voient,  ceux  qui  les  entendent  ne  se  doutent 
guère  de  ce  qu'il  a  fallu  de  patience  et  d'efforts  pour  ar* 


214 

river  à  ces  résultats.    Les  sauvages  se  montrent  mainte- 

•  nant  plus  empressés  à  nous  confier  leurs  enfants  ;  actuelle- 
ment nous  en  avons  quinze,  réunis  aux  orphelins,  c'est  à- 
dire  nourris  et  entretenus  aux  frais  de  la  mission.  Si  nous 
l'avions  voulu,  nous  en  aurions  bien  davantage,  car  nous 
en  avons  refusé  un  certain  nombre,  mais  c'est  tout  ce  que 
DOS  ressources  peuvent  nous  permettre  pour  le  moment. 

Ce  qui  donne  surtout  de  la  réputation  à  notre  école,  ce 
sont  les  examens  publics  que  de  temps  en  temçs  nous  fai- 
sons subir  à  nos  enfants.  L'été  dernier,  TofiBcier  en  charge 
du  district  de  l'Ile  à  la  Crosse  devant  quitter  le  fort  pour 
être  nommé  à  un  grade  supérieur,  c'est- à-dire  à  l'inspection 
de  tous  les  districts  du  Nord,  nous  avons  voulu  faire  un 
grand  examen  en  son  honneur  pour  le  remercier  de  s'être 
montré  toujours  le  bienfaiteur  de  nos  missions.  C'est  le 
20  juin  qu'a  eu  lieu  cet  examen.  L'assistance  était  très- 
nombreuse  et  se  composait  surtout  des  métis  et  des  sau- 
vages arrivés  pour  la  mission.  Le  R.  P.  Supérieur,  pendant 
la  séance,  avait  à  sa  droite  M.  l'inspecteur  et  le  nouvel  of- 
ficier en  charge  du  district,  et  à  sa  gauche  les  dames  de 
ces  deux  messieurs  avec  leurs  enfants.  Pendant  quatre 
heures  que  dura  l'examen,  l'intérêt  ne  cessa  d'aller  crois- 
sant. Les  matières  de  l'examen,  moitié  en  français,  moitié 
en  anglais,  étaient  entremêlées  de  chansons  dans  les  deux 
langues.  La  partie  française  par  laquelle  on  commença  se 
termina  par  une  petite  pièce  admirablement  interprétée  et 
qui  intéressa  vivement  les  assistants.  La  partie  anglaise, 
qui  vint  ensuite,  se  termina  également  par  une  pièce  an- 
glaise en  l'honneur  du  héros  de  la  fête.  Au  dire  de  tout  le 
monde,  cet  examen  a  été  le  plus  beau  de  tous  ceux  qui  ont 
eu  lieu  à  l'Ile  à  la  Crosse.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est 
qu'il  a  été  le  plus  complet,  car  c'était  la  première  fois  qu'il 
comprenait  le  français  et  l'aYiglais  réunis.    Vint  ensuite  la 

•  distribution  des  prix  ;  après  quoi,  pour  clore  la  séance, 
nous  chantâmes  selon  l'usage  anglais  le  God  save  the  Queen, 
Dieu  conserve  la  Reine...  Les  résultats  de  cet  examen  se  font 
déjà  sentir  :  à  la  rentrée  de  l'automne,  nous  avons  eu  plus 
de  quarante  pensionnaires,  sans  compter  ceux  que  nous 
avons  refuses. 


215 

Je  ne  puis  terminer  ces  quelques  notes  sur  notre  école 
«ans  vous  faire  part  d'une  faveur  bien  précieuse  qu'elle  a 
reçue  au  mois  de  janvier  1875.  Nos  enfants  venaient  de 
finir  leurs  lettres  de  bonne  année  :  tout  d'un  coup,  une 
petite  fille  s'écrie  au  milieu  de  ses  petites  compagnes  :  ^^  Si 
nous  écrivions  à  notre  Saint- Père  le  Pape  pour  lui  dire 
combien  nous  l'aimons!  —  Oui,  fut  ]a  réponse  générale, 
écrivons-lui."  Les  maîtresses  me  demandèrent  ce  que  j'en 
pensais.*  '*  Qu'elles  écrivent,  leur  dis-je,  nous  enverrons  la 
lettre  à  Monseigneur  ;  il  en  fera  ce  qu'il  voudra."  Elles  se 
ipirent  immédiatement  à  l'œuvre,  et  celle  qui  avait  la  plus 
belle  main  écrivit  à  genoux,  par  respect  pour  notre  Saint- 
Père»  La  lettre  fut  envoyée  à  Monseigneur.  Il  approuva 
ridée  de  nos  enfants,  fit  écrire  une  seconde  lettre  par  ceux 
de  Saint-Albert,  et  les  expédia  toutes  deux  à  Rome  au  car- 
dinal préfet  de  la  Propagande.  Am  mois  de  février  dernier, 
nous  recevions  une  lettre  de  Monseigneur,  dans  laquelle  il 
nous  disait  :  ^'  A  propos  des  petits  enfants,  j'ai  à  vous  an- 
noncer une  nouvelle  qui  vous  fera  plaisir.  Vous  vous  sou- 
venez de  la  lettre  que  vos  élèves  écrivirent  il  y  a  un  an  au 
Souverain  Pontife  j  les  enfs^nts  de  Saint-Albert  lui  écri- 
virent de  leur  côté  et  j'envoyai  le  tout  à  S.  Em.  le  cardinal 
préfet  de  la  Propagande.  *  Il  y  a  quelques  semaines,  je 
recevais  de  S.  Em.  le  cardinal  Franchi  la  lettre  des  enfants 
de  Saint-Albert,  au  bas  de  laquelle  le  Pape  avait  écrit  de  sa 
main:  ^^Que  le  Seigneur  vous  bénisse  et  vous  dirige  dans 
toutes  vos  voies,"  avec  sa  signature  et  la  date.  La  lettre 
de  vos  enfants  est  restée  entre  les  mains  dn  Saint-Père. 
Comme  cette  bénédiction  est  pour  les  enfants  de  Tile  à  la 
Crosse,  aussi  bien  que  pour  ceux  de  Saint- Albert,  je  tacherai 
de  vous  envoyer  un  souvenir  de  cette  bénédiction. 

Son  Eminence  m'écrivait  en  même  temps:  "  Pour  ce  qui 
^^  est  des  lettres  si  aimables  envoyées  par  les  enfants  qui 
^'  fréquentent  les  écoles  catholiques  de  Saint-Albert  et  de 
''l'île  à  la  Crosse,  je  les  ai  présentées  à  Sa  Sainteté  dans 
*^  l'audience  qu'il  m'a  accordée  le  11  de  ce  mois.  Il  les  a 
^^  reçues  avec  bonté,  et  a  de  grand  cœur  envoyé  sa  béné- 
^^  diction  apostolique  à  ces  mômes  enfairts,  ainsi  qu'aux 
'^  Sœurs  qui  en  ont  soin,  et  vous  trouverez  sous  ce  pli  l'aa- 
-"  tographe  de  cette  bénédiction  apostolique." 


216 

Comme  souvenir  de  cette  bénédiction,  Monseigneur  nou» 
a  envoyé  un  beau  portrait  du  Saint-Père,  au  bas  du- 
<piel  se  trouvent  les  paroles  qu'il  a  bien  voulu  nous  adresser, 
ainsi  que  sa  signature.  Ces^un  autographe  de  Sa  Sainteté, 
que  Sa  Grandeur  a  découpé  d'une  autre  piôce,  et  collé  sur 
cette  image.  Cette  bénédiction,  venue  de  si  haut,  sera  un 
encouragement  pour  nous,  et  aussi  un  gage  de  succès  pour 
cette  œuvre  si  importante. 

50  Quelques  mots  en  unissant  sur  le  temporel' de  la 
mission  :  Notre  position  tend  à  s'améliorer  tous  les  jours. 
Pour  les  constructions  nous  sommes  bien  maintenant.  Les 
Sœurs  sont  assez  grandement  logées,  et  nous,  nous  sommes 
au  lapge.  Quant  aux  dégâts  commis  les  années  précéden- 
tes par  les  inondations,  ils  sont  tous  à  peu  près  réparés.  On 
peut  donc  dire  en  général  que  la  mission  est  sur  un  boa 
pied  :  après  les  travaux  que  nous  nous  proposons  de  faire 
l'été  prochain,  elle  aura  presque  été  remise  à  neuf.  Cette 
aqnée  nous  avons  entrepris  de  réparer  notre  église  et  de 
recouvrir  d'une  nouvelle  couche  de  neinture  tout  Tex- 
térieur  qui  est  lambrissé  avec  des  planches:  c'était  un 
tra^vail  nécessaire,  qui  aurait  déjà  dû  être  fait  depuis  long- 
temps, carie  bois  commençait é^ se  détériorer  sensiblement. 
Nous  avons  ouvert  pour  cela  une  petite  souscription  ;  je 
ne  m'attendais  qu'à  une  somme  peu  considérable, 
cependant  suffisante  pour  ce  que  nous  voulions  faire  :  grâce 
à  Dieu,  nos  espérances  ont  été  dépassées.  Non-seulement 
nos  catholiques,  mais  encore  les  officiers  protestants  de  la 
Compagnie  nous  ont  donné  largement,  puis  les  sauvages 
se  sont  mis  de  la  partie,  ce  que  jamais  encore  ils  n'avaient 
fait,  de  telle  sorte  que  nous  avons  déjà  recueilli  trois  fois 
plus  que  je  n'espérais.  Une  fois  ces  réparations  et  ces 
travaux  finis,  notre  petite  église  sera  réellement  belle.  Je 
ne  puis  m'empêcher  de  faire  ici  mention  de  deux  objets 
bien  précieux  dont  elle  a  été  enrichie  depuis  deux  ans. 
Le  premier  est  un  tableau  de  moyenne  grandeur,  qui  nous 
a  été  envoyé  paï  la  Visitation  d'Autun  ;  il  représente  Notre- 
Seîgncur  apparaissant  à  la  bienheureuse  Marguerîte-Marie 
etlui  découvrant  son  divin  cœur.  Ce  tableau  a  été  bénit 
par  Mgr.  GRANom,  et  placé  dans  notre  église  le  4  juin  f875y. 


217 

jour  auquel  Sa  Grandeur  consacra  lui-même  notre  mission 
au  Sacré-Cœur.  L'autre,  plus  précieux  encore,  Icar  c'est 
une  véritable  relique,  est  venu  de  la  Visitation  de  Paray- 
le-Monial.  C'est  la  première  lampe  qui  a  été  mise  dans  la 
première  chapelle  dédiée  au  Sacré-Cœur,  et  construite  dans 
le  jardin  de  la  Visitation,  du  vivant  même  de  la  B.  Mar- 
guerite-Marie. Comme  vous  le  [voyez,  nous  sommes  vrai- 
ment privilégiés.'  Puissions-nous  en  retour  contribuer 
un  peu  à  faire  connaître  et  aimer  le  Sacré-Cœur  et  son 
humble  servante. 

Quant  à  la  vie,  pour  me  servir  de  l'expression  employée 
ici,  elle  n'est  pas  toujours  des  meilleures.    Sous  ce  rapport, 
la  mission  de  l'Ile  à  la  Crosse  est  une  des  plus  pauvres  du 
Vicariat.    En  1875,  nos  récoltes  ont  été  bonne  pour  l'orge 
et  les  patates,  mais  non  pour  le  blé.    Il  nous  a  fallu  passer 
presque  tout  l'hiver  sans  avoir  une  bouchée  de  viande 
fraîche,  n'ayant  pour  toute  provision  qu'environ  250  livres 
de  mauvaise  farine  de  froment  et  100  livres  de  farine  d'orge  ; 
tout  cela,  pour  seize  personnes  (je  ne  parle  ici  que  des  Pères, 
Frères,  Sœurs,  et  personnes  de  service,  car  pour  nos  enfants 
nous  ne  leur  en  donnons  jamais),  ce  qui  ne  faisait  pas  même 
1  livre  par  jour  à  partager  entre  seize  personnes  pour  trois 
repas.    Si  nous  avions  encore  eu  de  la  viande  sèche  et  du 
pemikan  à  discrétion,  cela  aurait  été  assez  bien,  mais  hélas! 
la  viande  sèche,  nous  n'en  avions  pas.    Quant  au  pemikan, 
il  nous  fallait  avoir  recours  à  l'obligeance  de  l'ofi&cier  en 
charge  du  district,  du  bourgeois,  comme  on  l'appelle,  afin 
d'en  avoir  le  strict  nécessaire  pour  nos  travaux.    Nous 
nous  sommes  bien  procuré  quelques  lièvres  de  temps  en 
temps,  mais  ces  lièvres  du  Nord  sont  une  bien  pauvre  nour- 
riture, et  celui  qui  n'a  rien  que  cela  fait  triste  chère. 
Heureusement  que  les  patates  ne  nous  manquent  point,  et 
que  nous  avions  de  l'orge  pour  faire  de  la  soupe,  et  du  pois- 
son frais  suffisampient.    Nous  sommes  tous  les  enfants  de 
la  providence,  mais  ici,  je  crois,  plus  que  partout  ailleurs. 
Notre  pain  quotidien,  c'est  le  poisson,  et  ce  pain  quotidien, 
il  faut  aller  le  chercher  tous  les  jours,  hiver  comme  été, 
*ét6  comme  hiver,  il  faut  aller,  dis-je,  le  chercher  dans  le 
(lac.    Malheuieusement  il  se  fait  désirer  quelquefois,  il 


218 

n'aime  pas  toujours,  paraît-il,  à  se  faire  prendre  dans  le& 
rets.  Dieu  merci,  nous  n'en  avons  cependant  jamais  manqué  ; 
il  esc  vrai  que  nous  le  payons  assez  cher,  surtout  quand  il 
est  rare.  Depuis  quelques  années,  afin  d'en  avoir  davan- 
tage et  de  pouvoir  nourrir  tour  notre  petit  monde, 
nous  mettons  dans  nos  intérêts  les  âmes  du  purgatoire. 
L'hiver  dernier,  il  nous' fallait  jusqu'à  250  livres  de  poisson 
par  jour  sans  compter  les  mauvais  pour  les  chiens. 

L'été  dernier,  le  bon  Dieu  nous  a  pris  en  pitié  en  nous 
envoyant  du  poisson,  comme  jamais  nous  n'en  aviotis  pris: 
cet  automne,  nos  récoltes  de  patates  et  d'orge  ont  été  plus 
belles  encore  que  l'année  dernière.  Qu'il  en  soit  mille  fois 
bénie  I 

Après  tout  cela,  vous  comprendrez  que,  pour  entretenir 
cette  mission,  nous  devons  dépenser  annuellement  une 
somme  assez  considérable.  Nos  dépenses  actuellement 
s'élèvent  au  moins  à  12000  francs  par  an.  Pour  tout  revenu, 
nous  avons  nos  messes,  quelques  petites  rétributions  pour 
l'école,  et  quelques  dons  faits  à  l'enfant  Jésus  dans  le  temps 
de  Noël,  c'est-à-dire  environ  2000  francs,  ce  qui  laisse  une 
balance  de  10  000  francs  à  payer  par  la  caisse  vicariale. 
Nous  quêtons  bien  de  côté  et  d'autres,  parfois  nous  rece- 
vons d'assez  bonnes  petites  sommes,  mais  ce  n'est  rien 
auprès  de  ce  dont  nous  aurions  besoin. 
•  Daignez,  mon  révérend  et  bien-aimé  Père,  agréer  ce 
rapport  un  peu  trop  long,  peut-être  sur  notre  chère  mis- 
sion de  l'Ile  à  la  Crosse.  Veuillez  prier  et  faire  prier  pour 
nous,  a&n  que  nous  puissions  continuer  et  augmenter, 
s'il  est  possible,  le  bien  produit  par  nos  devanciers. 

Ne  m'oubliez  pas  surtout  au  saint  autel,  et  croyez-moi 
toujours,  aujourd'hui  comme  autrefois^ 

•     Votre  enfant  en  N.-S.  et  M.  I., 

P.  Légeard,  0.  A(.  i^ 


MISSION  DE  ST.  LÉON  DE  STANDON. 

Lettre  adressée  par  M.  Eainville^  Missionnaire^  à  M.  V Aumônier 

de  VÂrchevéehé  de  Québec. 

Ste.  Germaine,  Lac  Etchemin, 

25  mars  1876. 

Monsieur  l'Aumônier, 

C'est  avec  un  vif  plaisir  que  je  saisis  l'occasion  de  vous 
transmettre  quelques  nouveaux  renseignements  sur  ma 
mission  de  St.  Léon  de  Standon.  Cette  mission  ne  Test 
plus  que  de  nom,  puisqu'elle  est  maintenant  érigée  en  pa- 
roisse canonique  et  civile,  et  qu'elle  renferme  une  popula- 
tion de  plus  de  1,000  âmes,  dont  580  communiants.  Aussi, 
je  vous-  assure  que  les  habitants  de  St.  Léon  font  valoir 
plus  que  jamais  leurs  titres  à  obtenir  ce  qui,  depuis  plu- 
sieurs années,  est  l'objet  de  leurs  légitimes  désirs  :  un  curé 
résidant.  On  y  compte  avec  la  plus  grande  certitude  pour 
l'automne  prochain. 

La  nouvelle  paroisse  possède  une  chapelle  fort  conve- 
nable, avec  une  bonne  sacristie,  et  le  presbytère  que  je 
viens  de  faire  construire,  est  complètement  fini  à  l'exté- 
rieur, et  la  partie  intérieure  est  déjà  bien  avancée. 

Vous  me  permettrez  sans  doute,  M.  l'Aumônier,  de  vous 
faire  connaître,  en  quelques  mots,  combien  le  bon  Dieu  a 
répandu  de  grâces  sur  ma  mission  pendant  la  retraite  so- 
lennelle que  le  Ré  v.  P.  Sache  y  a  prèchée  tout  dernièrement. 
C'était  la  première,  et  rien  ne  fut  épargné  nour  en  rendre 
les  cérémonies  et  les  exercices  aussi  solennels  et  imposants 
que  possible.  Des  personnes  habiles  et  bienveillantes  avaient 

Îrodigué  les  décorations  dans  l'humble  temple,  et  le  bon 
)ieu  y  mit  aussi  sa  puissante  main  en  nous  accordant  un 
temps  superbe,  malgré  la  mauvaise  époque  de  la  saison. 

Si  le  ministère  sacerdotal  dans  une  mission  a  assez  sou- 
vent ses  jours  pénibles,  il  a  aussi  ses  instants  de  bonheur 
et  de  profonde  consolation.  Jamais,  depuis  que  je  suis 
prêtre,  je  n'ai  remarqué  autant  d'entrain  et  de  constante 
bonne  volonté  pour  assister  à  des  exercices  religieux.  Tout 
le  monde  y  venait,  hommes,  femmes  et  enfants,  même  des 
parties  les  plus  éloignées  de  la  paroisse.  Avec  quel  esprit 
de  foi  l'on  recueillait  chacune  des  paroles  du  vénérable 

Îirédicateur I    Personne  n'a  résisté  a  la  grâce;  tous  ont 
avé  leur  conscience  dans  le  St.  Tribunal,  et  tous  se  sont 
nourris  du  Pain  des  forts. 


220 

f 

A  la  clôture  de  la  retraite  le  R.  P.  Sache  fit  la  distribua 
tion  solennelle  des  croix  de  Tempérance.  A  plusieurs  re> 
prises  le  Rév.  Père,  dans  le  cours  de  ses  instructions,  s'était 
élevé  avec  véhémence  contre  les  innombrables  dangers  et 
les  ravages  de  l'ivrognerie.  Ce  fut  donc  une  grande  joie 
pour  lui  de  voir  tous  les  pères  de  famille  et  un  bon  nombre 
de  jeunes  gens  venir  recevoir  de  ses  mains  Pétendard  de 
notre  Rédemption,  comme  un  signe  de  leurs  généreuses 
résolutions  et  un  gage  assuré  de  leur  persévérance.  Puis, 
la  distribution  des  croix  Unie,  tou^  le  monde  se  rangea  en 
procession,  et  Ton  se  mit  en  marche  vers  le  cimetière.  Là, 
dans  ce  champ  des  morts,  le  Père  Sache  adressa  à  son  au- 
ditoire si  bien  disposé  les  paroles  les  plus  touchantes  et 
qui  produisirent  la  plus  profonde  impression.  La  proces- 
sion se  remit  en  marche,  rentra  dans  la  chapelle,  et  le  Te 
Deum  d'actions  de  grâces  fut  chanté  par  tous  avec  de  vrais 
transports  de  reconnaissance.  Dieu  merci,  la  SociéXé  de  la 
Croix  continue  à  produire  ici  les  plus  heureux  résultats. 

Je  me  rappelle,  M.  TAumônier,  que  dans  ma  dernière 
lettre,  parlant  d'une  conversion  opérée  dans  la  mission  de 
Standon,  je  vous  disais  que  le  jeune  converti  d'alors  expri- 
mait l'espoir  de  voir  bientôt  un  de  ses  frères  partager  son 
bonheur.  Ce  beau  désir  est  accompli  ;  le  frère  est  mainte- 
nant dans  le  sein  de  l'Eglise  catholique. 

Depuis  lors  j'ai  eu  la  consolation  de  recevoir  deux  autres 
abjurations,  dont  l'une  était  celle  d'une  mère  de  famille 
appartenant  à  la  secte  presbytérienne.  Se  sentant  grave- 
ment malade,  elle  me  fit  appeler  en  toute  hâte.  Je  fus 
alors  témoin  de  l'une  de  ces  merveilles  de  la  grâce  divine 
qui  impressionne  vivement  et  laisse  dans  l'âme  les  plus 
suaves  souvenirs.  Cette  pauvre  mère,  qui  avait  toujours 
su  remplir  parfaitement  ses  devoirs,  bien  qu'en  dehors  de 
la  vraie  Religion,  se  convertit  sincèrement  et  mourut  dans 
les  sentiments  de  la  plus  parfaite  résignation  à  la  sainte 
volonté  de  Dieu. 

Puissent  les  lumières  de  la  Foi  pénétrer  dans  toutes  les 
familles  de  ma  mission  qui  vivent  encore  dans  les  ténèbres 
du  Protestantisme  ! 

Recevez,  M.  l'Aumônier,  etc., 

J.  A.  Rainville,  Ptre., 
Curé  de  Ste.  6ermainei 


RAPPORT  SUR  LA  MISSIOxN  DE  L'ANSE  ST.  JEAN 
ADRESSÉ  A  Mgr  L'ARCHEVÊQUE  DE  QUÉBEC. 

Monseigneur, 

Pour  me  conformer  aux  désirs  exprimés  par  Votre  Gran- 
deur, j'ai  l'honneur  de  lui  ofErir  l'humble  rapport  qui  suit, 
sar  la  mission  confiée  à  mes  soins. 

Si  vous  ne  le  saviez  déjà,  Monseigneur,  je  vous  dirais, 
en  commençant,  que  nous  sommes  ici  presque  complète- 
ment enveloppés  de  gigantesques  montagnes  et  que  le  mis- 
sionnaire de  l'Anse  St.  Jean  est  condamné  à  une  pénible 
solitude.  Les  onze  lieues  qui  nous  séparent  de  la  Grande 
Baie  d'un  côté,  et  les  neuf  lieues  qui  nous  séparent  de  Ta- 
doussac  de  l'autre,  m'obligent  à  faire  un  voyage  à  la  fois 
périlleux  et  dispendieux  pour  rencontrer  un  confrère. 

A  cette  première  croix,  le  missionnaire  de  l'Anse  St. 
Jean  doit  ajouter  celle  d'avoir  presque  continuellement 
sous  les  yeux  le  spectacle  de  la  plus  grande  pauvreté.  Oui, 
qu'ils  sont  pauvres,  Monseigneur,  les  habitants  de  l'Anse 
St  Jean  et  du  poste  du  Petit  Saguenay  !  Un  bon  nombre 
manquent  souvent  du  nécessaire,  même  de  pain  !  Ils  ont  né- 
gligé la  culture  de  la  terre  pour  aller  travailler  dans  les 
chantiers,  et  le  commerce  languissant  de  ces  dernières 
aimées  les  a  jetés  dans  une  misère  extrême,  augmentée 
par  l'éloignement  et  le  défaut  de  communications.  Que  la 
volonté  du  Seigneur  soit  faite  et  qu'il  fasse  partager  aux 
brebis  et  au  pasteur  son  calice  d'amertume,  pourvu  que 
tous  en  fassent  leur  profit  pour  la  vie  éternelle. 

Mes  paroissiens  sont  admirables  de  patience  au  milieu 
des  tribulations  ;  ils  se  distinguent  aussi  par  leur  respect 
et  leur  confiance  envers  le  missionnaire,  qui  est  obligé  de 
prendre  l'initiative  en  toutes  choses.  La  paix  qui  règne 
parmi  eux  est  digne  de  remarque  ;  ils  ne  forment  ^  qu'un 
cœur  et  qu'une  âme,"  comme  les  premiers  chrétiens  : 
**  IMtiittdinis  autem  credentium  erat  cor  unum  et  anima  una'' 
Peuple  tranquille,  s'il  en  fut  jamais,  sobre  et  de  bonnes 
mœurs.    Béni  soit  le  Dieii  bon,  qui  répand,  par  cette  cou- 


222 

duiie  aimable,  la  consolation  dans  Tâme  de  son  ministre  et 
lui  fait  oublier  les  ennuis  de  Texil. 

Malgré  les  bonnes  qualités  énumérées  ci-dessus,  malgré 
Tabsence  de  ces  désordres  marquants  qui  sont  une  source 
de  scandale  dans  une  paroisse,  mes  ouailles  ont  bien  aussi 
quelques  défauts. 

C'est  d'abord  la  négligence  à  payer  les  dettes  ;  et  c'est 
ensuite  chez  quelques-uns  quelque  chose  qui  ressemble  à 
la  malhonnêteté.  Si  Ton  fait  la  gaucherie  de  vendre  à 
crédit,  on  a  toutes  les  peines  imaginables  à  se  faire  payer^ 
ou  plutôt,  on  n'y  peut  réussir  dans  certains  cas.  Par  bon- 
heur, j'ai  été  instruit  de  cette  misère  peu  de  temps  après 
mon  arrivée  dans  la  mission,  et  pendant  le  cours  de  l'année, 
j'ai  cru  que  la  prudence  me  faisait  un  devoir  de  ne  rien 
vendre  à  crédit  des  effets  de  la  Fabrique,  et  d'exiger  sans 
retard  le  paiement  des  bancs,  en  faisant  vendre  immédia- 
tement ceux  qui  ne  seraient  pas  payés  au  tetnps  âxé.  Six 
ont  dû  changer  de  possesseur.  Il  reste  des  vieilles  dettes 
qui  ne  se  paient  pas  :  dettes  envers  l'église,  envers  les  âmes 
du  purgatoire,  dettes  pour  les  écoles.  La  pauvreté  est  une 
des  causes  de  cet  état  de  choses,  mais  la  négligence  et  le 
manque  de  conduite  ont  aussi  leur  part. 

L'avenir  s'annonce  sous  des  couleurs  plus  encouragean> 
tes,  pour  ce  qui  concerne  les  écoles.  La  cotisation  a  été 
établie  pendant  l'année  et  je  suis  à  peu  près  certain  que  les 
écoles  pourront  fonctionner  régulièrement.  Il  y  avait  plus 
d'une  année  que  la  mission  en  [était  privée  ;  j'ai  cru  devoir 
y  suppléer  en  enseignant  le  catéchisme  aux  enfants  les  plus 
vieux  et  les  plus  arriérés. 

Dans  le  temps  pascal,  j'ai  visité  deux  chantiers,  à  la  de- 
mande de  M.  le  grand-vicaire  Racine. 

Le  Rév.  M.  Casault,  de  Tadoussac,  est  venu  une  fois  à 
l'occasion  des  quarante-heures,  visiter  le  solitaire  de  l'Anse 
S.  Jean,  qui  lui-même  a  laissé  trois  fois  dans  le  cours  de 
l'année  sa  solitude  inaccessible. 

L'établissement  àê  la  cotisation  pour  les  écoles,  la  répara- 
lion  de  la  clôture  du  cimetière  qui  menaçait  ruine,  et  la 
<;on8truction  d'un  solage  à  la  chapelle  qui  s'enfonçait  de 
plus  en  plus  dans  le  sol  et  qui,  maintenant,  repose  sur  une 


223 

base  solide,  sont  les  trois  principales  choses  qui  ont  signalé 
le  passage  de  Tannée  qui  vient  de  s'écouler.  Pour  le  solage 
de  la  chapelle,  j'ai  fait  une  corvée,  et  Ton  a  répondu  à 
rappel  avec  une  bonne  volonté  admirable.  On  se  propose 
de  faire  la  même  ehose  au  presbytère  Tannée  prochaine,  si 
Votre  Grandeur  le  permet.  Il  est  en  gran(l  danger  de 
8*écrouler,  à  cause  de  ses  fondations  chancelantes.  Il  7 
aurait  d'autres  réparations  à  faire,  mais  la  pauvreté  de  mes 
^ns  les  rend  quasi-impossibles. 

A  mon  avis,  la  mission  de  l'Anse  S.  Jean  restera  long- 
temps dans  le  statu  quo  et  elle  se  dépeuplera  peut-être,  si  la 
misère  devient  trop  grande.  Trois  familles  sont  parties 
cette  année  :  deux  pour  la  Baie  de  Mille  Vaches  et  une 
pour  les  Eboulements. 

Ma  mission  compte  610  âmes  dont  345  communiants  et 
265  non  communiants. 

J'ai  fait  cette  année  30  baptêmes,  12  sépultures  et  3 
mariages. 

En  terminant,  je  prie  Votre  Grandeur  de  vouloir  bien  me 
donner  les  avis  nécessaires  pour  m'aider  à  corriger  ce  qu'il 
y  a  de  repréhensible  parmi  les  gens  de  ma  mission,  et  de 
Y'ouloir  bien  me  bénir  ainsi  que  mon  peuple. 

Veuillez  recevoir,  Monseigneur,  les  sentiments  de  vénéra- 
tion avec  lesquels  je  suis, 

De  Votre  Grandeur, 

l'obéissant  serviteur, 

Paul  Dubé,  Ptrk. 


RAPPORT  PRÉSENTÉ  A  Mgr.  B.  A.  TASCHEREAU,  ARCHBVB- 
QUE  DE  QUÉBEC,  SUR  LA  MISSION  DE  NOTRE-DAME  DBS 
ANGES  DE  LA  RIVIÈRE  BATISGAN,  POUR  L'ANNÉE  1876. 

SI.  Ubalde,  le  18  août  1876. 

Monseigneur, 

J'ai  rhonneur  de  présenter  à  Votre  Grandeur,  dans  le 
rapport  suivant,  l'état  de  la  Mission  de  Notre-Dame  des 
Anges  de  la  Rivière  Batiscan,  que  vous  avez  bien  voulu 
confier  à  mes  soins.  J'ai  la  douce  espérance  que  ces  quel- 
ques lignes  vous  seront  agréables,  vu  le  grand  intérêt  que 
Votre  Grandeur  porte  au  développement  des  nouvelle» 
paroisses  dans  l'archidiocèse. 

La  Mission  de  Notre-Dame  des  Anges  est  à  3}  lieues  en- 
viron de  la  chapelle  de  St.  Ubalde.  Elle  renferme  30 
familles  résidentes  qui  donnent  126  âmes,  dont  86  commu- 
niants. Cet  établissement  n'est  commencé  que  depuis  4 
ans.  Il  est  vrai  qu'avant  1872  quelques  colons  y  avaient 
pris  des  lots  et  y  avaient  fait  quelques  défrichements,  mais 
personne  n'y  résidait  encore.  Ce  fut  le  Révérend  Messire 
N.  Bellenger,  curé  de  Deschambault,  qui  fit  ouvrir  le  pre- 
mier lot.  11  le  fit  habiter  par  deux  de  ses  frères,  hommes 
actifs  et  intelligents  qui  surent  employer  leurs  ressources 
à  l'avancement  de  leurs  propriétés  et  de  la  colonie  en  gé- 
néral. Ces  Messieurs  ont  maintenant  au-delà  de  100  acres 
de  terre  en  état  d'excellente  culture. 

Us  ont  bâti,  sur  leur  terre,  une  très- belle  maison  qui  a» 
jusqu'ici,  servi  de  chapelle  temporaire. 

En  outre,  ils  ont  construit,  sur  la  Rivière  Batiscan,  un 
moulin  à  scie  considérable,  qui  donne  aux  colons  l'avantage 
de  se  bâtir  facilement.  Près  de  leur  moulin  à  scie  ils  ont 
construit  un  bon  moulin  à  farine  qui  sera  bientôt  en  acti- 
vité, et  qui  rendra  les  plus  grands  services  à  la  nouvelle 
colonie. 

Le  gouvernement,  de  son  côté,  active  beaucoup  la  colo- 
nisation, en  faisant  ouvrir  des  chemins  à  peu  près  partout 
où  le  besoin  s'en  fait  sentir. 


225 

A  part  ces  eucouragements  donnés  par  le  gouvernement 
et  les  Messieurs  Bellenger,  il  y  a  eu  une  providence  toute 
spéciale  pour  cette  Mission,  dans  Taide  provenant  des  so- 
ciétés de  colonisation  de  Québec-Centre  et  du  comté  de 
Portneuf,  qui,  depuis  plusieurs  années,  versent  leurs  re- 
Tenus  dans  notre  établissement  avec  la  plus  grande  libéra- 
lité. Mille  remerciments  aux  patriotiques  directeurs  de 
ces  bienfaisantes  sociétés,  qui  ont  si  puissamment  aidé  les 
colons  de  Notre-  Dame  des  Anges  dans  leurs  pénibles  tra- 
vaux. Gertainei^ent  sans  l'assistance  de  ces  sociétés  géné- 
reuses, il  aurait  été  tout-à-fait  impossible  de  pousser  avec 
vigueur  l'avancement  de  cette  colonie. 

La  corporation  archiépiscopale  possède,  au  centre  de  la 
mission,  une  belle  terre  de  4  acres  de  front  sur  25  acres  de 
profondeur. 

Sur  cette  terre  vient  d'être  érigée  une  magnifique  cha- 
pelle en  bois,  de  56  pieds  de  longueur  sur  40  de  largeur  et 
22  de  hauteur  pour  le  carré,  avec  un  bon  solage  en  pierre. 
Cet  automne  je  ferai  l'office  dans  cette  chapelle,  et  l'année 
prochaîne  elle  sera  terminée  à  l'extérieur  avec  un  joli 
clocher. 

IjO  coût  de  cette  chapelle  est  de  $1,400.00.  Cette  somme 
est  assurée,  d'abord,  par  un  octroi  de  $200.00  que  Votre 
Grandeur  a  bien  voulu  faire  accorder  sur  les  fonds  de  la 
Propagation  de  la  Foi,  et  le  reste  par  la  générosité  de  quel- 
ques âmes  charitables.  La  Sainte  Vierge,  en  l'honneur  de 
laquelle  cet  humble  temple  a  été  élevé,  saura  les  récom- 
penser au  centuple  pou/  les  sacrifices  qu'elles  se  sont  im- 
posés en  faisant  ces  dons  si  précieux  pour  cette  nouvelle 
paroisse  qui  promet  beaucoup. 

Le  site  de  cette  chapelle  est  très  beau.  De  l'éminence 
sur  laquelle  elle  est  construite,  elle  domine  au  loin  la  Ri- 
vière Batiscan,  ainsi  que  le  pont  superbe  qui  traverse  cette 
rivière  au-dessus  d'une  chute  majestueuse,  qui  forme  un 
large  bassin,  après  avoir  précipité  ces  bruyantes  eaux  d'une 
hauteur  de  plus  de  50  pieds. 

Toutes  les  cinq  semaines  je  vais  faire  l'office  dans  cette 
mission,  et  j'ai  le  bonheur  de  dire  à  Votre  Grandeur  que  les 
JTamilles  qui  la  composent  sont  toutes  bonnes  et  chrétien- 


226 

Des.  Chaque  fois  que  je  me  rends  au  milieu  d'elles  pour 
faire  les  exercices  religieux,  je  suis  heureux  de  constater 
que  les  colons  assistent  aux  offices  et  aux  instructions  avec 
la  plus  grande  assiduité,  et  qu'ils  approchent  des  sacre- 
ments très  fréquemment  et  avec  piété.  J'espère  qu'à  côté 
de  la  chapelle  s'élèvera  bientôt  un  presbytère  avec  des  dé^ 
pendances  convenables;  cardans  peu  d'années  les  côlons 
de  Notre  Dame  des  Anges  auront,  sans  doute,  le  moyen 
d'avoir  un  prêtre  résidant  au  milieu  d'eux.  La  chq^e  sera 
assez  facile  si  la  mission  prospère  par  la  suite  comme  elle 
l'a  fait  depuis  ses  commencen\ents  ;  et  cette  prospérité  n'est 
pas  douteuse  puisque  cette  mission  renferme  un  sol  fertile 
avec  une  population  religieuse  et  laborieuse. 

Les  colons,  tout  en  défrichant  leuis  terres,  ne  négligent 
pas  celle  qui  sera  à  l'usage  du  prêtre  qui  résidera  plus  tard 
en  cet  endroit  ;  ils  ont  déjà  mis  en  état  de  culture  plus  de 
douze  arpents.  Dans  quelques  années  cette  terre  donnera 
un  revenu  passable  au  futur  curé  qui,  j'en  suis  certain, 
sera  heureux  au  milieu  de  cette  bonne  population  de  Notre- 
Dame  des  Anges. 

•J'ai  l'honneur  d'être, 
Monseigneur, 

De  Votre  Grandeur, 
Le  très-humble  et 

très-respectueux  serviteur, 

G.'Chav.  de  la  Chevrotière, 

Missionnaire. 


RAPPORT  SUR  LA  MISSION  DE  ST.  ELEUTHERE  DE 
POHÉNÉGAMOOK,  POUR  L'ANNÉE  1876. 

St.  Eleuthère,  15  Septembre  1876. 

Monsieur  l'Aumônier, 

La  mission  de  St.  Eleuthère  de  Pohénégamook  n'offre 
rien  de  bien  remarquable  cette  année.  Cette  mission, 
malgré  les  généreux  efforts  qui  ont  été  faits  depuis  ses 
commoncements,  n'avance  quo  très-lentement,  ce  qui  est 
dû,  je  pense,  avant  tout  à  la  pauvreté  des  colons  qui  sont 
montés  ici  les  premiers.  Quand  on  est  forcé  de  lutter 
contre  les  besoins  de  chaque  jour,  cela  indique  bien  peu  de 
ressources  pour  faire  face  aux  dépenses  Qu'exige  le  défri- 
chement d'une  terre  nouvelle  ;  et  c'est  malheureusement 
le  cas  pour  à  peu  près  tous  les  pauvres  habitants  de  St. 
Eleuthère. 

Les  jeunes  gens  des  paroisses  voisines  manquent  aussi 
d'ambition  pour  se  faire  un  établissement  convenable,  et 
les  parents  n'encouragent  pas  assez  leurs  enfants  à  se  ûxer  \ 
ils  aiment  mieux  s'exposer  à  les  voir  partir  pour  les  Etats- 
Unis,  ou  s'engager  dans  les  chantiers  ou  pour  la  naviga- 
tion. La  vie  du  défricheur,  pour  celui  qui  a  de  la  santé  et 
de  bons  bras,  est  pourtant  enviable  sous  tous  les  rapports. 
Elle  est  pénible,  il  est  vrai,  mais  elle  est  pleine  d'encourage- 
ment pour  le  présent  et  d'espérance  pour  l'avenir.  Si  on  la 
compare  aux  autres  voies  dans  lesquelles  s'engagent  la 
plupart  de  nos  jeunes  gens,  elle  est  sans  contredit  la  plus 
sûre,  la  plus  à  l'abri  des  dangers,  pour  le  corps  et  pour 
l'âme,  enfin  la  plus  méritoire  et  celle  qui  est  plus  selon 
l'ordre  de  la  Providence.  Espérons  que  la  main  bienfai- 
sante qui  conduit  toutes  choses  guérira  cette  triste  fièvre 
des  voyages,  détournera  les  jeunes  gens  de  ces  lieux  où  ils 
vont  chercher  leur  ruine  spirituelle  d'abord,  et  le  plus  sou- 
-vent  aussi  leur  ruine  matérielle,  en  perdant  leur  santé  et 
le  goût  du  travail  de  la  terre. 

Je  dois  vous  faire  constater,  cependant,  que  la  plaie  des 
voyages  tend  un  peu  à  disparaître.  Depuis  l'année  derniè- 
re, une  dizaine  de  familles  sont  venues  s'établir  ici,  et  il 
n'y  eh  a  que  deux  ou  trois  qui  soient  parties  depuis  la 
même  époque,  encore  je  crois  que  c'est  pour  revenir  avant 
peu.  Si  nous  ajoutons  qu'il  n'y  a  pas  eu  un  seul  décès  à 
-enregistrer  cette  année  contre  plusieurs  naissances,  il  faudra 
•oonclure  à  une  augmentation  assez  sensible  dans  la  popula- 
tion. 


228 

Quoique  le  temps  n'ait  pas  été  aussi  favorable  au  défri- 
chement que  Tan  dernier,  vu  la  fréquence  des  pluies  ce 
printemps  et  une  partie  de  Tété,  ^ui  ont  empêché  le  feu  de 
faire  son  œuvre,  néanmoins  plusieurs  ont  avancé  considé- 
rablement leurs  terres  pour  l'année  prochaine  parce  qu'ils 
ont  pu  faire  brûler,  à  la  un  d'août,  une  partie  considérable 
de  leurs  abattis. 

Les  grains  ont  partout  bonne  a4>parence  et  la  récolte  sera 
aussi  abondante  pour  le  moins  que  l'année  dernière.  En 
gomme,  personne  n'a  à  se  plaindre  ;  bien  au  contraire  tons 
doivent  bénir  la  Providence  qui  fait  pleuvoir  sur  les  justes 
et  les  injustes,  comme  elle  fait  lever  son  soleil  sur  les  bons 
et  sur  les  mauvais. 

Quant  à  ce  qui  rejj^arde  spécialement  la  terre  de  la  cha- 
pelle, les  travaux  n'ont  pas  été  poussés  avec  toute  la  vi- 
gueur désirable,  'néanmoins  l'argent  qui  a  été  consacré  â 
ces  travaux  ne  sera  pas  perdu;  ceux  qui  n'ont  pas  encore 
rempli  leurs  engagements  promettent  de  le  faire  plus  lard, 
et  ils  le  feront;  mais  il  faut  bien  leur  donner  le  temps  de 
lécolter  comme  il  a  fallu  qu'ils  prissent  celui  de  semer. 
Toujours  est-il  que  j'ai  pu  faire  semer  une  douzaine  de 
minots  de  grains  ;  et  l'on  en  sèmera  le  double,  si  les  tra- 
vaux commencés  ou  à  faire,  sont  unis  au  printemps  pro- 
chain. 

Quoique  le  bien  qui  se  fait  au  spirituel  ne  se  constate  pas 
aussi  facilement  qui  celui  qui  regarde  la  terre,  cependant 
la  présence  du  prêtre  ici  est  loin  d'être  inutile.  Ce  que  je 
remarque  de  plus  consolant  c'est  l'assiduité  à  la  messe  du 
dimanche,  et  Tabsence  complète  de  tout  désordre  au  moins 
apparent.  Peu  à  peu  les  gens  prendront  plus  àcœitrla 
grande  affaire  de  leur  salut,  à  mesure  que  les  préoccupa- 
tions pour  la  vie  de  chaque  jour  s'affaibliront,  et  l'on  finira 
par  s'affectionner  ici  comme  ailleurs  aux  œuvres  de  piété 
qui  sont  la  source  de  tant  de  bénédictions. 

Je  termine  en  remerciant  cordialement  les  membres  de 
la  Propagation  de  la  Foi,  des  sacrifices  qui  ont  déjà  été 
faits  pour  la  chapelle  et  pour  moi  en  particulier,  ainsi  qu'en 
demandant  avec  le  secours  des  prières  de  toute  la  Société 
la  continuation  de  la  même  généreuse  assistance. 

Votre  très- humble  et  très-obéissant  serviteur, 

Ed.  Roy,  Ptrb.  Mis. 


MISSION  DES  SS.  ANGES,  COMTÉ  DE  BEAUCE. 

Lettre   adressée  par  le  nouveau  missionnaire  au  Rév,  M^ 
Lalibertc^  aumônier  de  V Archevêché  de  Québec. 

Saints  Anges  de  la  Beauce,  25  Nov.  1876. 

Monsieur  l'Aumonier, 

Je  m'acquitte  enfin  de  la  promesse  que  je  vous  ai  faite 
plusieurs  fols  de  vous  envoyer  quelques  notes  sur  la  mission 
qui  m'a  été  confiée,  il  y  a  plus  d'un  an. 

La  mission  des  Saints  Anges  se  trouve  en  arrière  de 
Sainte  Marie  et  de  Saint  Joseph  de  la  Beauce,  et  touche  au 
Nord  et  à  l'Est  au  Township  Frampton. 

La  chapelle  occupe  un  des  plus  beaux  sites  que  l'on 
puisse  trouver.  De  la  hauteur  oii  elle  est  bâtie,  la  vue 
s'étend  à  une  très  grande  distance  au  Sud  et  à  l'Ouest.  'Nous 
découvrons  au  loin  les  églises  et  habitations  de  Saint  Victor 
de  Tring,  de  Saint  Frédéric,  de  Saint  Sévérin  et  de  Saint 
Elzéar.  Cette  chapelle  fut  construite  en  1872,  sous  la  sur- 
veillance du  Révérend  Ls.  An  t.  Martel,  curé  de  Saint 
Joseph,  qui  desservait  alors  la  mission.  Elle  a  soixante 
pieds  de  longueur  sur  trente-cinq  de  largeur.  Il  y  a  aussi 
une  petite  sacristie  de  vingt-cinq  pieds  sur  vingt. 

Mes  paroissiens  n'oublieront  pas  de  sitôt  le  dévouement 
et  la  charité  que  le  Rév.  M.  Martel  a  montrés  dans  l'établis- 
sement de  leur  mission.  C'est  vraiment  à  lui  qu'ils  sont 
en  grande  partie  redevables  des  avantages  qu'ils  possèdent 
maintenant. 

En  fait  d'ornements  et  autres  objets  nécessaires  au  culte? 
nous  sommes  assez  bien  pourvus  grâce  à  la  Propagation  de 
la  Foi  et  aux  dons  généreux  de  certaines  peisonnes  chari- 
tables de  la  mission  et  des  paroisses  voisines. 

Le  presbytère  a  trente-cinq  pieds  de  longueur  sur  trente 
de  largeur,  avec  une  cuisine  de  vingt  sur  vingt.  C'est  un 
bon  logement  quant  aux  dimensions,  mais  nous  y  avons,  le 
premier  hiver,  souffert  du  froid.  Avec  la  permission  de 
Monseigneur  l'Archevêque,  j'ai  fait  exécuter  quelques  répa- 
rations qui  l'ont  rendu  très  confortable,  et  les  revenus  de 


230 

la  mission  quoique  bien  faibles,  nous  ont  néanmoins  permis 
de  faire  face  à  ces  dépenses. 

D'après  le  recensement  que  j'ai  fait  en  janvier  dernier,  il 
Y  a  dans  la  mission  128  familles  (cinq  irlandaises),  formant 
une  population  de  836  âmes,  dont  492  communiants.  Cette 
population  est  pleine  de  zèle  et  de  bonne  volonté  :  elle  n'a 
reculé  devant  aucun  sacrifice  pour  se  procurer  le  bonheur 
d'avoir  un  prêtre  au  milieu  d'elle.  Aussi,  très-grandes  sont 
les  consolations  du  missionnaire  au  milieu  d'un  peuple  si 
dévoué  aux  intérêts  de  la  Religion  et  si  fidèle  à  ses  devoirs. 

J'ai  l'honneur  d'être, 

Monsieur  l'aumônier, 

Votre  très-humble  serviteur. 

D.  Lemieux,  Ptrr 


LETTRES  DE  CONSTANTINOPLE. 

La  lulte  gigantesque  engagée  entre  la  Russie  et  la  Tur- 
quie  attire  Tattention  du  monde  entier;  mais  ce  à  quoi  on 
ne  pense  que  très  peu,  c'est  le  sort  réservé  aux  populations 
catholiques  des  pays  envahis  par  les  deux  armées  ennemies  ; 
les  catholiques  ne  sont  les  amis  ni  des  Musulmans  Turcs, 
ni  des  schismatiques  Russes,  et  malgré  la  neutralité  dans- 
laquelle  ils  ont  voulu  demeurer,  les  catholiques  sont  moles- 
tés, pillés,  massacrés  par  l'une  ou  l'autre  des  deux  armées. 

On  ne  peut  se  faire  une  idée  exacte  des  maux  qu'ont  eus 
et  qu'ont  encore  à  endurer  ces  pauvres  populations  catholi- 
ques qui  habitent  les  pays  servant  de  champ  de  bataille  aux. 
deux  nations  ennemies. 

Nous  croyons  donc  intéresser  nos  lecteurs  en  leur  pro- 
curant les  nouvelles  fournies  par  les  missionnaires  de  ces 
pays. 

Nous  donnons  des  extraits  de  lettres  de  diverses  dates, 
■même  du  commencement  des  hostilités,  aûn  de  mettre  le 
lecteur  au  courant  des  différentes  phases  de  cette  guerre 
désastreuse. 

LA  GUEBRE  SAINTE 

On  écrit  de  Gonstantinople,  à  la  date  du  4  mai  1877  : 


"  La  guerre  a  éclaté.  L'obstination  de  la  Porte  à  repous- 
ser la  médiation  de  l'Europe  et  les  réformes  les  plus  élé- 
mentaires vient  de  la  jeter  en  présence  de  son  ennemi  sé- 
culaire. 

^*  Les  armées  russes  ont  envahi  déjà  le  territoire  ottonoan, 
et  elles  s'avancent  sur  Erzeroum.  En  Roumanie,  elles  se 
concentrent  entre  Galatz.  Ibrall  et  Ismaïl.  Les  nouvelles 
de  l'Arménie  ne  doivent  pas  être  favorables  aux  Turcs, 
malgré  les  bulletins  of&ciels  publiés  par  le  ministère  de  la 
guerre.  D'après  certains  bruits  qui  circulent  depuis  quel- 
ques jours,  Erzeroum  et  Kars  seraient  investis,  et  l'armée 
de  Ahmed-Moukhtar  pacha  aurait  subi  un  échec.  On  n'a 
pas  oublié  que  c'est  ce  même  Ahmed-Moukhtar  pacha,  au* 


232 

trefois  gouverneur  d'Erzeroum,  qui  fit  prendre  d'assaut^ 
par  ses  soldats,  Téglise  catholique  arménienne  d'Erzeroum, 
tandis  qu'il  gardait  prisonnier,  dans  son  konak,  Mgr  Mel- 
chisédéchian. 

"  Un  avis  officiel,  publié  hier,  suspend  la  loi  de  la  presse 
qui  tombe  ainsi  sous  le  pouvoir  discrétionnaire  du  gouver» 
nement.  On  parle  de  la  proclamation  prochaine  de  Pétat 
de  siège  à  Gonstantinople,  et  Ton  redoute  avec  raison 
l'excès  et  les  abus  que  les  fonctionnaires  militaires  mulul- 
mans  commettront  sous  prétexte  de  loi  martiale.  D^autres 
part,  la  cherté  des  vivres  augmente  de  jour  en  jour.  Un 
iradé  impérial  défend  au  ministère  des  finances  de  rien 
payer  à  qui  que  ce  soit  et  d'affecter  tous  les  revenus  de 
PEtat  aux  besoins  de  la  guerre.  Tous  les  musulmans  de 
Gonstantinople  ont  fait  des  achats  d'armes,  et  il  n'est  pas 
de  famille  musulmane  qui  ne  possède  quelques  fusils  sys- 
tème Henry-Martins  et  quelques  revolvers. 

"  Hier,  le  Yakîl,  journal  turc,  a  publié,  sous  le  ti  (re  de  "  In- 
vitation à  la  guerre  sainte,"  un  appel  chaleureux  aux  mu- 
sulmans. Dans  les  rues,  afin  d'enrôler  des  volontaires,  on 
a  planté  des  drapeaux  ottomans  sur  lesquels  on  lit  des  ver- 
sets du  Coran.  Au  parlement  turc,  à  une  séance  tenue  à 
huis  clos,  les  députés  musulmans  ont  qualifié  de  "  guerre 
sainte  "  la  guerre  qui  vient  d'éclater.  Quelques  députés 
chrétiens  ayant  fait  observer  que  cette  qualification  porte- 
rait ombrage  aux  chrétiens,  sujets  du  sultan,  et  produirait 
une  fâcheuse  impression  sur  l'Europe,  la  majorité  a  main- 
tenu la  qualification  donnée  à  la  guerre  présente,  et  les 
députés  chrétiens  qui  avaient  cru  devoir  faire  des  observa- 
tions durent  se  taiie,  mtimidés  par  le  ton  menaçant  de  la 
Chambre.  P'ailleurs,  ceux  qui  connaissent  à  fond  le  jeu 
de  la  Porte  donnent  le  nom  de  comédie  aux  séances  de  ce 
prétendu  parlement.  Le  président  impose  au  besoin  sa  vo- 
lonté à  la  majorité.  Dernièrement,  on  a  décidé  de  rayer 
du  langage  parlementaire  les  mots  exotiques  de  "  budget, 
commission,  octroi,  etc."  employés  oflîciellement  depuis 
un  demi-siècle  par  la  Sublime  Porte.  C'est  par  l'épuration 
dulangage  que  la  Chambre  a  voulu  commencer  les  réfor- 
•mes. 


233 

"  Quant  au  Sénat,  il  n'a  pas  encore  donné  signe  de  vie  y 
jusqu'ici  aucune  séance  publique.  Le  sultan  vient  d'y 
nommer  un  nouveau  membre  israélite,  le  docteur  Castro- 
bey.  Il  y  a  ainsi  deux  sénateurs  israélites,  un  grégorien, 
trois  grecs,  un  bulgare,  un  néo  schismalique  arménien,  et 
pas  un  catholique. 

"Damad  Mahmoud  pacha,  beau-frère  du  sultan,  qui  dirige 
actuellement  les  affaires  de  l'Etat,  déploie  en  toute  circons- 
tance son  hostilité  contre  les  catholiques.  Afin  d'écarter 
Tadoption  de  toute  mesure  qui  pourrait  leur  être  favorable, 
il  a  placé  dans  le  cabinet,  en  qualité  de  ministre  du  com- 
merce, son  ami  Tchamith  Ohannes  effendi,  un  des  princi- 
paux néo-schismatiques.  Il  devrait  se  rappeler  que  tous 
les  ministres  turcs  qui  se  sont  signalés  dans  la  persécution 
ont  eu  une  triste  fin. 

'*  Les  journaux  turcs  de  Constantinople  donnent  comme 
terminée  la  défaite  des  Mirdites,  population  catholique  de 
TAlbanie,  dont  j'ai  dernièrement  entretenu  les  lecteurs  du 
Bulletin.  Priak  Doda,  le  chef  de  la  Mirdite,  se  serait  enfui 
devant  l'armée  turque  qui  avait  pénétré  jusqu'au  cœur  de 
la  montagne,  dévastant  les  habitations.  L'église  rencontrée 
sur  la  route  a  été  profanée  ;  les  vases  sacrés  ont  été  empor- 
tés, la  croix  a  été  insultée. 

"  On  a  destitué  Yaver  pacha,  directeur  général  des  télé- 
graphes et  dés  postes.  C'était,  parmi  les  fonctionnaires  chré- 
tiens, presque  le  seul  Arménien  catholique.  Il  appartient 
à  la  noble  famille  Tinghir,  et  sa  femme  est  la  fille  de  M. 
David  Glavany,  le  doyen  de  la  colonie  française  de  Cons- 
tantinople, renommé  pour  sa  piété  et  ses  qualités  éminentes. 
Taver  pacha  a  été  remplacé  par  un  musulman.  Damad 
Mahmoud  pacha  a  voulu  par  là  frapper  l'élément  catholi- 
que. C'est  Yaver  pacha  ^ui  avait  organisé  les  télégraphes 
ottomans." 

On  écrit  de  Constantinople,  le  S  juillet  1877  : 

U 

'  ^  Le  Danube  est  franchi  par  l'armée  ru&se.    Le  premier 
eflét  de  «étte  invasion  a  été  le  massacre  des  habitants  bol- 


234 

gares  d'ua  village  voisin  de  Kustenjé,  dans  la  Dobroudja» 
Ce  sont  les  Gircassiens,  aidés  par  les  bacbi-bouzouks,  qui 
ont  commis  ces  atrocités  ;  deux  cents  personnes  à  peine 
ont  pu  écbapper  au  carnage. 

"  Des  nouvelles  désolantes  arrivent  de  l'Arménie.  La 
province  de  Van,  en  particulier,  est  actuellement  le  théâtre 
de  forfaits  inouïs.  Les  Arméniens,  leurs  familles,  leurs 
monastères  et  leurs  églises  sont  soumis  à  des  horreurs 
sans  exemple  dans  Thistoire.  Il  n'est  pas  possible  de  livrer 
à  la  publicité  le  récit  détaillé  des  attentats  que  les  Kurdes, 
les  Circassiens  et  les  bachi-bouzouks  eommettent  dans  cette 
chrétienté.  Un  journal  arménien  de  Constantin ople,  le 
Manzoumei-efldar^  ayant  publié  une  minime  partie  de  ces 
horreurs,  a  été  immédiatement  supprimé  ;  et  son  rédacteur 
en  chef,  traduit  devant  le  conseil  de  guerre,  aurait  été  déjà 
envoyé  en  exil,  si  les  influences  et  l'argent  ne  lui  étaient 
venus  en  aide.  Les  habitants  chrétiens  de  Bayazid  ont  été 
tous  massacrés.  Le  patriarche  des  Arméniens  grégoriens 
voulait  se  présenter  au  sultan  pour  porter  plainte  ;  on  ne 
le  lui  a  pas  permis.  Aucun  des  coupables  n'a  été  puni. 
Les  Turcs  prennent  un  plaisir  particulier  à  accomphr  leurs 
turpitudes  dans  les  églises,  sur  les  autels  même.  Les  sacri- 
lèges les  plus  révoltants  y  sont  accomplis  avec  une  sauva- 
gerie incroyable.  PJus  les  Russes  avancent,  plus  la  crain- 
te des  massacres  augmente. 

'*  Pour  atténuer  l'impression  fâcheuse  de  ces  crimes,  la 
Porte  publie  sans  cesse  des  récits  de  cruautés  commises 
par  les  Russes  dans  le  Concase.  Quand  elles  seraient  vraies, 
elles  ne  justifient  pas  le  gouvernement  turc  qui  a  encoura- 
gé tous  les  excès,  en  les  laissant  impunis  et  en  récompen- 
sant même  leurs  auteurs.  Safvet-pacha,  ministre  des  affai- 
res étrangères,  pressé  par  la  plupart  des  ambassades,  a 
donné  à  entendre  que  le  gouvernement  est  impuissant  à 
réprimer  ces  brigandages.  Triste  aveu  et  présage  trop 
certain  de  désastres  à  venir.  Les  musulmans  ont  été  telle- 
ment fanatisés  que,  pour  eux,  c'est  la  guerre  d'extermina- 
tion des  chrétiens. 

Il  y  a  déjà  assez  longtemps  les  manœuvres  odieuses 
furent     employées    par     la     Porte     pour     abattre     la 


235 

Mirdite.  Dernièrement  on  a  amené  ici  quelques  prison- 
niers mirdites  ;  parmi  eux  se  trouvent  le  fils  du  capitaine 
Marco  et  Taumônier  du  prince,  M.  Tabbé  Primo  Dochi, 
ïlève  du  collège  de  la  Propagande,  à  Rome,  à  peine  âgé 
Le  vingt-huit  à  trente  ans.  Tous  ont  été  écroués  aux  pri- 
sons du  ministère  de  la  police,  à  Stamboul.  Des  démar- 
ches ont  été  faites  pour  délivrer  au  moins  Pabbé  Dochi. 
On  a  eu  recours  à  plusieurs  influences.  Mgr  Azarian, 
Ticaire  général  de  S.  B.  Mgr  fiassoun,  a  parlé  au  grand- 
Yizir  et  à  Safvet  pacha  ;  il  s'est  même  porté  garant  pour  le 
-prêtre  incarcéré.  Safvet  pacha,  suivant  son  habitude,  s'est 
montré  disposé  à  relâcher  le  prisonnier  ^^  en  considération 
de  la  conduite  correcte  des  catholiques  de  la  Bosnie  et  de 
l'Herzégovine."  Mais  jusqu'ici  ses  bonnes  dispositions  n'ont 
eu  aucun  résultat.  L'abbé  Dochi  languit  dans  les  prisons 
de  Mehterhané,  et  Ton  sait  ce  que  sont  les  prisons  turques. 
Djeved  pacha,  ministre  de  l'intérieur,  qui  a  parcouru  toute 
l'Albanie  et  qui  connaît  aussi  la  valeur  de  la  Mirdite,  s'op- 
pose, dit-on,  à  l'élargissement  de  M.  Dochi.  Il  voudrait  dé 
truire  la  Mirdite  et  la  musulmaniser. 

"  Quant  au  Monténégro,  les  Tures  le  représentent  déjà 
comme  anéanti,  et  la  presse  ottomane  propose  pour  vali 
(gouverneur  général)  de  cette  principauté  vaincue  l'un  des 
généraux  musulmans  qui  l'ont  envahie.  Maiâ  les  nouvelles 
les  plus  sûres  montrent  que  la  victoire  des  armées  turques 
au  Monl^enegro  n'est  pas  encore  complète. 

IIL 

*'  Les  nouvelles  des  diocèses  d'Artvin,  d'Erzeroum,  de 
Trèbizonde  et  de  Karpouth,  exposés  aux  horreurs  de  la 
guerre,  sont  désolantes.  Les  missionnaires  arméniens 
catholiques,  pleins  de  zèle  et  de  dévouement,  ne  cessent 
d'inspirer  du  courage  aux  populations.  Les  hordes  sau- 
Tages  auxquelles  ces  pays  sont  livrés  n'épargnent  que  ceux 
qui  embrassent  l'islamisme. 

''  Les  édits  firmans,  ordres  émané.s  de  la  Porte,  et  les 
télégrammes,  expédiés  par  les  généraux  des  armées  turques, 
parlent  de  l'exaltation  de  l'islamisme  et  de  l'aide  du  Pro- 
phète pour  le  triomphe  des  armées.    Le  sultant  lui-même,. 


236 

dans  tous  ses  télégâmmes  aux  généraux,  insiste  particuliè- 
rement sur  la  confiance  qu'ils  doivent  placer  en  Mahomet, 
pour  faire  triompher  l'islamisme.  Ainsi,  le  caractère  de  la 
guerre  se  dessine  de  plus  en  plus  nettement,  et  les  craintes 
de  massacres  se  multiplient  en  proportion. 

^^  Dans  toute  l'étendue  du  théâtre  de  la  guerre  en  Asie, 
c'est  rÉglise  arménienne  qui  aura  le  plus  à  souffrir.  Mgr 
Melchirédedinam,  l'intrépide  évêque  d'Erzeroum,  réside  au 
cœur  de  l'Arménie,  sur  le  haut  plateau  de  cette  région  deve- 
nu le  point  de  mire  de  l'expédition  russe.  En  effet,  les  trois 
colonnes  de  l'armée  russe  d'Asie  convergent  vers  Erzeroum. 
Quel  sort  est  réservé  à  cet  éminent  prélat?  Après  lui  avoir 
pris  tous  ses  revenus,  les  autorités  locales  ne  cessent  de  lui 
demander  des  secours  pour  l'armée  turque.  Les  commissa- 
riats de  l'amée  emportent,  sans  rien  payer,  le  blé,  la  farine 
et  toute  sorte  de  vivres  que  les  villageois  arméniens  conser- 
vaient pour  eux-mêmes. 

*^  Malgré  toutes  ces  calamités,  le  jubilé  épiscopal  du  Saint- 
Père  a  été  célébré,  à  Gonstantinople,  comme  dans  toutes 
les  églises  arméniennes  de  l'intérieur,  avec  un  éclat  extra- 
ordinaire. Tous  les  archevêques  et  évoques  suffragants  ont 
fait  Ure  d'excellentes  lettres  pastorales  ;  des  prières  ont  été 
récitées,  et  des  lettres  collectives  ont  été  adressées  au  Saint- 
Père. 

''  Le  présent  de  Mgr.  Hassoun  au  Pape  a  été  très-gracieu- 
sement agréé.  Sa  Sainteté  a  plus  d'une  fois  loué  la  beauté 
de  cet  objet  qui  consiste  en  une  tabatière  en  or,  faite  à  l'hô 
tel  de  la  Monnaie  de  Gonstantinople,  ornée  de  miniatures 
^i  enrichie  de  diamants.  La  tabatière  et  sa  boîte  étaient 
renfermées  dans  un  sac  en  satin  brodé  d'or  par  les  Sœurs 
arméniennes  de  l'Immaculée  Conception.  Cette  broderie, 
d'une  i:  liesse  lorA  ---p-'  'n  et  d'un  éclat  meî'Vi  : /;:!':.  por- 
tait l'inscription  dédicaloire  de  la  comniu:îau'i>  avrir'  venue 
catholique.  Le  Saint-Père  a  daigné  exprimer  sa  satisfac- 
tion à  M.  l'abbé  Ferahîan,  procureur  de  Mgr.  Hassoun  à 
Rome,  en  lui  disant  :  "  —  Merci  à  Mgr.  Hassonn  pour  son 
magnifique  présent." 

"  On  voit  que  plus  les  souffrances  et  les  tribulations  d$ 
l'Église  armémienne  augmentent,  plus  sa  foi  se  rafferoiit 


237 

>et  son  dévouement  à  la  chaire  de  saint  Pierre  éclate. 
Otte  petite  Église,  assaillie  par  toute  sorte  de  persécutions, 
d'attaques,  de  calamités  et  de  désastres,  au  milieu  des  infi- 
dèles, des  hérétiques  et  des  schismatiques  vieux  ou  nou- 
veaux, demeure  toujours  inébranlable. 

Oq  écrit  ae  Constantinople,  le  8  août  1877  : 

IV 

"  Les  nouvelles  qui  nous  arrivent  des  provinces  exposées 
aux  horreurs  de  la  guerre,  soit  en  Houmélie  et  en  Bulgarie, 
soit  en  Arménie,  sont  de  plus  en  plus  désolantes. 

^'  En  Arménie,  dès  que  l'armée  russse  eut  commencé  son 
mouvement  de  retraite,  les  hordes  des  Gircassiéns,  des 
Kurdes  et  des  bachi-bouzoucks  envahirent  les  pays  évacués 
et  traitèrent  les  habitants  chrétiens  en  véritables  rebelles, 
les  accusant  d'avoir  fait  bon  accueil  aux  troupes  russes. 
Dans  le  district  de  Pasin  et  d'Atachgherd  (province  d'Er- 
zeroum),  la  plupart  des  villages  arméniens  ne  présentent 
plus  qu'un  monceau  de  ruines.  A  Artvin,  siège  d'uu  évo- 
que arménien  catholique,  les  bachi-bouzoucks  ont  plus 
d'une  fois  tenté  d'envahir  l'église  pour  se  ruer  sur  les 
femmes.  Ils  ont  maltraité  un  des  vicaires  qui  leur  avait 
fait  des  remontrances.  On  a  été  obligé  de  fermer  l'église 
et  d'interrompre  le  culte  public.  A  Ardanoudj,  le  sous- 
gouverneur,  aussitôt  après  la  retraite  des  Russes,  a  fait 
appeler  le  curé,  l'a  soufQeté  et  l'a  jeté  en  prison,  sous  pré^ 
texte  que,  à  l'entrée  des  Russes,  il  s'était  présenté  à  leur 
commandant.  Aussi  3,000  familles  arméniennes  des  dis- 
tricts de  Paein  et  d'Atachgherd,  pour  ne  pas  être  massa 
crées  par  les  Kurdes  et  les  Circassiens,  ont-elles  suivi  dans 
sa  retraite  l'armée  du  général  Der  Goughasof. 

Quant  à  la  Roumélie  et  à  la  Bulgarie,  ces  deux  provinces 
ne  sont,  pour  ainsi  dire,  qu'un  vaste  champ  de  carnage. 
L'élément  turc  et  l'élément  bulgare  y  sont  aux  prises  avec 
un  tel  acharnement,  qu'ils  semblent  menacés  l'un  et  l'autre 
d'une  destruction  totale. 

La  guerre  actuelle  prend  de  plus  en  plus  le  caractère 
d'une  guerre  purement  religieuse.    Deux  cents  cheiks. 


238 

gardiens  du  tombeau  du  prophète,  ont  apporté  dernière- 
ment un  drapeau  que  le  gouvernement  a  fait  exposer  dans 
la  mosquée  de  Suleï-maniyé,  à  Stamboul.  Un  avis  officiel^ 
publié  dans  les  journaux  turcs,  dit  que  tout  musulman,  qui 
a  souci  du  salut  de  son  âme  et  de  Texaltation  de  l'isla- 
misme, doit  se  rendre  sous  ce  drapeau,  y  prier,  et  donner 
son  nom  comme  volontaire.  Depuis  que  la  guerre  a  pris 
des  proportions  graves,  des  avis  émanés  du  cheik-ul-islun 
(département  du  culte  islamique)  invitent  les  populations 
musulmanes  à  assister  aux  prières  qui,  chaque  jour,  se  font 
dans  une  mosquée  différente.  Ces  prières  sont  suivies  de 
discours  guerriers  où  Ton  explique  les  versets  du  Coran 
relatifs  au  ghaza  (guerre  sainte).  A  Stamboul,  à  Péra,  à 
Galata  et  dans  tout  le  Bosphore,  pour  enrôler  des  volon- 
taires, on  promène,  au  son  du  tambour  et  du  gouma  (sorte 
de  fifre),  des  drapeaux  sur  lesquels  sout  inscrits  des  versets 
du  Coran. 

Un  article  d'une  grande  importance,  inspiré  sans  doute 
par  la  S.  Porte,  a  paru  dans  le  journal  turc  le  Vakit^  organe 
des  Osmanlis.  Il  dit  que  le  gouvernement  ottoman  n'a 
qu'un  tort,  c'est  de  professer  la  religion  islamique.  Il  dit 
que  la  guerre  actuelle  n'est  ni  russo  turque,  ni  turco-slave, 
mais  qu'elle  est  exclusivement  islamico-chrétienne.  Pour 
s'opposer  au  panchristianisme,  il  faut  constituer  le  panisla- 
misme. Le  Yahit  fait  donc  appel  aux  populations  musul- 
manes du  Maroc,  de  l'Algérie,  de  la  Tunisie,  de  l'Egypte, 
de  la  Perse,  de  l'Asie  centrale  et  des  Injes. 

Il  est  certain  toutefois  que  la  haine  des  Turcs  se  dirige 
principalement  et  immédiatement  contre  les  Bulgares.  Cha- 
que jour,  des  centaines  de  ces  malheureux,  amenés  par  le 
chemin  de  fer  comme  espions  et  rebelles,  sont  mis  à  mort. 
En  Roumélie  et  en  Bulgarie,  les  représailles  sont  formi> 
dables. 

Ces  horreurs  ont  fini  par  causer  dans  la  capitale  une  cer- 
taine appréhension.  On  craint  le  pillage,  l'incendie  et 
môme  le  massacre.  Les  Circassiens,  les  zeïbecks  (volon- 
taires), les  bachi-bouzouks  sont  tout  disposés  à  ces  forfaits 
par  la  perspective  d'un  opulent  pillage.  Un  grand  nom- 
bre de  familles  ont  quitté  Coustantinople  et  se  sont  ren- 


239 

dues  en  Grèce  ou  en  Italie  ;  les  autres,  pour  s'éloigner  le 
plus  possible  des  quartiers  musulmans,  se  sont  portées  dans 
les  îles  des  Princes.  On  est  peu  armé  et  l'inquiétude  est 
générale.  Les  optimistes  eux-mêmes  croient  que  les  hor- 
des de  Circassiens,  de  zeïbeks  et  de  bachi-bouzouks,  dont 
un  certain  nombre  se  trouvent  toujours  ici,  peuvent  en 
une  nuit  [mettre  le  feu  dans  plusieurs  faubourgs  chréti- 
ens de  la  capitale  et  du  Bosphore,  où  la  plup  irt  des  mai- 
sons sont  en  bois.  L'incendie,  allumé  sur  plusieurs  points 
•et  attisé  par  un  vent  violent,  jetterait  la  confusion,  et  le 
-sauve-qui-peut  serait  suivi  de  pillage  et  de  massacres.  Les 
esprits  sont  tellement  surexcités  que  le  plus  léger  prétexte 
peut  provoquer  d'effroyables  catastrophes.  Les  commu 
nautés  chrétiennes  fourniraient  volontiers  leur  part  à  la 
formation  d'une  gendarmerie  mixte  assez  forte  pour  pro- 
téger la  capitale  contre  toute  émeute  intérieure.  Mais  le 
gouvernement  ne  s'y  est  pas  encore  décidé. 

"  Les  Turcs  sont  résolus  à  continuer  la  guerre  à  ou- 
trance ;  ils  ne  veulent  céder  devant  aucune  épreuve  ni 
accepter  aucune  médiation  ;  l'entrainement  est  généraL 
Le  gouvernement  a  appelé  sous  les  drapeaux  le  troisième 
ban  des  moustafises.  De  tous  côlés  de  nombreux  soldats 
arrivent  sans  murmurer  ;  des  corps  de  volontaires  se  for- 
ment aussi  en  grand  nombre.  Un  article  de  fond,  publié 
avant- hier  dans  le  Vakit^  rejette  toute  idée  de  conciliation. 
Il  déclare  que  l'islam  vaincra  ou  combattra  jusqu'à  la  mort 
du  dernier  croyant. 


La  chute  de  Safvet  pacha,  ministre  des  affaires  étran- 
gères, peut  avoir  de  fâcheuses  conséquences  pour  l'Eglise 
arménienne.  Sans  être  complètement  juste  envers  les  ca- 
tholiques, Safvet  pacha  comprenait  au  moins  que  le  gou- 
vernement turc  avait  intérêt  à  les  protéger.  Ainsi,  il  a 
montré,  surtout  ces  deux  dernières  années,  une  certaine 
bienveillance  pour  les  catholiques  en  général  et  pour  les 
catholiques  arméniens  en  particulier.  Il  a  sensiblement 
soulagé  leurs  souffrances  et  réparé  quelques  injustices 
^rtielles.    S'il  n'a  pas  rendu  justice  entière,  s'il  n'a  pas 


240 

sapprimé  le  kupélianisme,  il  rattribuait  à  certaines  protec- 
tions dont  cette  secte  jouirait  encore.  Ses  déclaratioas 
étaient  très-nettes,  ses  promesses  très-séduisantes,  mais  se» 
actes  n'ont  pas  répondu  à  l'attente  des  catholiques.  Néan- 
moins les  catholiques,  et  en  particulier  les  Arméniens,, 
regretteront  beaucoup  cet  homme  d'Etat 

Nous  avons  déjà  dit  un  mot  au  sujet  des  troubles 
qui  avaient  éclaté  dans  la  Mirdite,  et  nous  avons  dit 
que,  parmi  les  prisonniers  envoyés  à  Gonstantinople,  se 
trouvait  un  jeune  prêtre,  l'abbé  Primo  Dochi,  aumônier 
du  prince  Bib-Derda  de  la  Mirdite.  Derviche  Pacha,  Ten- 
nemi  acharné  des  Mirdites,  l'auteur  et  le  provqcateur  des 
troubles  qu'il  quali&a  d'insurrection  dans  le  but  d'envahir 
la  montagne,  a  fait  parvenir  au  gouvernement  un  rapport 
très-défavorable  à  M.  Primo  Dochi  écroué  avec  ses  cinq 
compatriotes  dans  les  prisons  de  Stamboul.  Il  était  bien 
difficile  de  délivrer  ce  prêtre,  surtout  sous  le  régime  de  la 
loi  martiale.  Safvet  pacha,  cédant  aux  prières  qu'on  lui  avait 
adressées  et  désirant  faire  quelque  chose  d'agréable  aux 
catholiques,  a  fait  élargir  M.  Primo  Dochi  sous  la  condition 
qu'il  se  rendrait  à  Rome,  aân  que  sa  présence  à  Constan- 
tinople  ou  en  Albanie  ne  pût  servir  de  prétexte  à  ses  enne- 
mis. Sur  un  billet  de  Safvet  pacha,  le  ministre  de  la  police 
a  donc  remis  le  prisonnier  à  Mgr.  Azarian  qui,  le  lende- 
main même,  l'a  fait  embarquer  pour  Rome. 


NOTE  ÉDITORIALE. 


La  notice  biographique  de  feu  M.  A.  Mailloux,  que  nous- 
donnons  plus  haut,  est  extraite  du  journal  ^^  Le  Canadien'^ 


bv 
1  :-.?i 


c> 


A.3srisrA.XjEs 


DB  ZiA 


JPOXTB  IiA  TROVINCB  DS  QUEBEC 


(NOnVJBSIiliSS    SERIE.) 


QUATRIÈME  NUMÉRO,  FÉVRIER  1878. 


1 


PAG  M. 

COMPTES-RExVDUS  DE  L'ŒUVRK  POUR  L'ANN^K   1877: 

I  Québec 3 

II  Montréal  7 

ni  Trois-Uiviôres 10 

IV  St.  riyacinthe 12 

DIOCÈSE  DE   MONTREAL— Mission  de  M^intawa  13 

ISLE    DE   VANCOUVER 16 

COLOMBIE  ANGLAISE  '21 

DIOCÈSE  DE   ST.    ALBERT.— (Norl-Gaest)  ^26 

CHINE ^^ 

OTÈANIE nistoire  d'une  Colùiiio  (chrétienne 55 

HISTOIRE  DE    PIE   IX,  SA  VIK  ET  SA  MORT 65 


MOKTIlEAl,  : 

DES   PRESSES  A  VAPEUR  DE  J.  A.  PLINGUET, 

39,    RUE   ST.   JEAN-BAPTISTE. 


1878 


t 


ANNALES 


*  DS  UL 


PROPAGATION  DE  LA  FOI 


POUR  LA  PROVINCE  DE  QUEBEC 


FÉVBIEB  187a 


(NOUVELLE    SERIE> 


QUATRIÈME  NUMÉEQ. 


JdOJfTIiEJiL  : 
DES  PRESSES  A  VAPEUR  DE  J.  A.  PLINGUET^ 

89,  KVE  ST.  JSAIf-BAFTISn.        , 

1878 


J 


Permis  d'imprimer, 

-|-  Edouaed  Gh.  Sv.  de  Montréal 


COMPTES-EENDUS. 


DIOCÈSE  DE  QUÉBEC. 


"Elai  des  recettes  de  FŒuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi^  dam 
le  diocèse  de  Québec^  pour  Vannée  1877. 

(kVeme  année.) 


ViLLB  DK  Québec. 


302  00 

10  00 

9  00 

15  00 

27  75 

37  00 

34  15 

6  00 

5  00 

447  90 

Basilique $ 

Archevêché  . . . • , 

Grand  Séminaire.  • 

Petit  Séminaire 

Hôtel-Dieu 

Bames  Ursulines 

HôpiUl-Général 

ScBurs  de  la  Charité 

Sœurs  du  Bon  Pasteur. .  • . 

Porté $ 


Rapporté $ 

AgapitSt 

Agathe  Ste 

Agnès  Ste 

Alban  St 

Alexandre  St 

Alexis  St 

Alphonse  St 

Ambroise  St 

Anastasie  Ste 

Ancienne-  Lorette 

André  St 

Ange-Gardien ..•• 

Anges  Sj3.  delaBeauce., 
Anne  Ste.  de  Beaupré .  •  •  • 
Anne  Ste.  de  Lapooatière. 
Anne  Ste.  du  Saguenay... 

Anselme  St.  •••  • 

Anse  St.  Jean 

Antoine  St 

Antonin  St 


Porté S  2609  30 


Rapporté %  447  9a 

St.  Patrick 74  00 

Faubourg  St.  Jean 317  20 

St.  Roch 616  00 

St.  Sauveur 335  00 

Soldats 5  15 

Asile  des  Aliénés •..  10  00 

Collège  de  Ste.  Anne.  •  •  • .  8  00 


Porté $  1813  25: 


Campagnes. 


1813  25 

30  00 

44  50 

13  00 

28  15 

19  00 

5  20 

5  00 

76  00 

78  00 

22  30 

169  50 

54  50 

120  00 

68  00 

3  00 

56  00 

3  70 

Rapporté $ 

Apollinaire  St 

Aubert  St 

Augustin  St 

BdieSt.  Paul 

Basile  St 

Beaumont 

Beauport ••.:.... 

Bernard  St .•••. 

Berthier • 

Broughton • 

Cajétan  St.  d'Armagh.... 
Calixte  St.  de  Somerset. . . 

Cap-Santé 

Gap  St.  Ignace.. 

Casimir  St • 

Catherine  Ste 

Charles  St 

Charlesbourg • 

ChAteau-Ricber. 

Cbicoutimi . .  •  •  • 


Porté $  3909  95- 


2609  30 

20  40 

7  00' 

221  50^ 

27  00 

54  35 

471  00 

30  50 

15  OO 

20  00 

97  10 

94  30 

24  oa 

95  00 

64  50 

7  06 

52  00 

.t 


Rapporté $ 

Glaire  Ste 

GômeSt 

Croix  Sle 

Cyrille  8t 

David  St.  deTAube-Riv... 

Denis  8t 

Deschambault 

Dominique  St 

Eboulements . .  •  • 

Ecureuils 

Bdouard  St.  de  Prampton. 
âdouard  St.  de  Lotbinlère. 

Eleuthère  St 

ElzéarSt 

Emmélie  Ste 

Ephrem  St •  •  •  • 

EscoumaiDS 

Etienne  St.  de  Lauzon.... 

Evariste  8t 

Famille  Ste 

Félix  St.  du  Cap-Rouge..* 

Ferdinand  Si ^  «  • 

Ferréol  St 

Fidèle  St ^*». 

Flavien  St 

FoyeSte 

François  St.  de  la  Beauce. 
François  St.  Isle  d'Orléans. 
François,  St.  Riv.  du  Sud. 

1?rédéric  St 

Fulgence  St 

Georges  S.«.«««  ••.•••■•• 
Germaine  Ste.  et  St  I^on. 

(rervais  St 

ailles  St 

Grondines 

Hébert  ville 

Hélène  Ste 

HénédineSto 

Henri  St 

HilarionSt 

Honoré  St. ...• 

iQverness 

Irénée  St . .  •  • • 

Isidore  St 

Isle-aux-Goudres.. ....... 

Isle-aur-Grues 

Islet  et  St  Eugène 

Jean-Chrysostôme  St...«« 

Jean  St.  Deschaillons 

Jean  St  Isle  d'Orléans.. . 

JeanSt  Port-Joly 

Jeanne  Ste.... 


3909  95 

79  90 

5  00 

19  00 

30  00 
44  00 

8  00 
27  00 


53  00 

22  00 

60  00 

12  00 

3  00 

32  00 

il  80 

4  00 

30  00 

47  40 

6  25 

32  65- 

43  70 

56  00 

49  00 

37  10 

16  75 

10  60 

67  40 

9  00 

7  00 

51  50 

69  30 

43  30 

140  00 

23  00 

58  90 

200  00 

43  00 

45  15 

Ropporté «9 

Jérôme  St . , 

Joachim  St 

Joseph  St.  do  la  Beauce.. 

Joseph  St  de  Lévis 

Julie  Bte 

Justine  Ste 

Kamouraska • 

Lambert  St 

Laurent  St 

Laval  ...•..•. •••• 

Lazare  St 

Lotbmière 

Louis  St.  de  Métab • 

Louise  Ste • 

Magloire  St 

Malachie  St, ..*••••  • 

Malbaie • 

Marguerite  Ste.  •  •  •  • 

Marie  Ste 

Michel  St 

Mont-Carmel 

Narcisse  St. 

Nicolas  St 

N.  D.  deBuckland 

N.  D.  du  Lac  St  Jean. ... 

N.  D.  de  Laterrière 

N.D.  de  Lévis 

N.  D.  du  PorUge 

OnésimeSt 

Pac6me  St « .  • 

Paschal  St • 

Patrice  St  deBeaurivage. 
Paul  St.  de  Mille-Vaches. 
Paul  St.  de  Montminy .... 

Peqpétue  Ste 

Petite-Rivière 

Pétroniire  Ste 

PhillippeSt  deNéri 

Pierre  St.  Isle  d'Orléans.. 
Pierre  St.  Riv.  du  Sud .... 

Pointe-aux-Trembles 

Portneuf . .  •  •  • •  •  • 

Prime  St 

Raphaël  Bt '. 

Raymond  St 

Rivière-du-Loup 

Rivière-Ouelle 

Roch  St.des  Aulaets..... 

Romuald  St 

Sacré  Cœur  de  Jésïïs. . . . . 

Sébastieh  St ',' 

SévérinSt; 

Sillery.: 


5407  fô 

14  oa 

42  OQ 

55  05 

100  00 

31  36 

200 

50  00 

29  OO 

108  00 

6  00 

32  80 

43  OO 

5  OO 

3  OO 

45  00 

6  00 

il  60 

44  40 

400 

46  50 

3  20 

15  75 

353  00 

10  00 

74  00 

Porté %  5407  65 


4  15 

36  00 
15  00 
121  00 
30  OO 
81  40 
38  OO 

22  OO 
43  00 
26  30 
It  65 
45  20 
29  00 
14  OO 

13  00 
2J  00 


Porté $  7098  OO 


Bapporté $  7098  00 

"Simèon  Bt 

Sophie  Ste 9  40 

StoDeham.., 

BylTeatreet. 33  3d 

Tadoussac • 5  00 

Thomas  Bt.... 117  60 

Tite  Bt 


Rapporté $  7263  ib 

Ubalde  Bt •• 

Urbain  Bt 10  09 

Valcartier 2  00 

ValierSt 64  15 

VictorSt 7  00 

ViUlSt.  deL.afi9J)ton..«* 


Porté $  7263  45 

Montant  de  la  recette  des  paroisses. $7346  60 

Dons  et  intérêts 344  50 


Total  de  la  recette  de  1877 $7691 


Etat  des  sommes  allouées  par  le  Conseil  de  la  Propagation  de 

la  FoiTà  Québec^  pour  Vannée  commençant  le  \er  Octobre 

1877  et  finissant  le  ier  Octobre  1878 

An  Conseil  de  Lyon  eq  France  (arrérages) $  980  CO 

Montant  mis  à  la  disposition  de  Mgr.  TArcheTÔque.  •  •  • 1200  00 

Pour  la  publication  des  Annales. ...  • 450  00 

Pour  vases  sacrés,  ornements^  pierres  d'autels,  etc..  ^. • 800  00 

Missions  du  Bt.  Haurice •• 400  OO 

Missions  des  Naskapis,  Baie  d'âudson 600  OO 

Mission  (le  la  Qrosse-Isle  (Quarantaine). ••,.., 50  00 

CUiapelle  de  Oosford 100  OO 

<<      des  Sept  Crans... 100  00 

"      de  St.  Cassien  des  Caps ^..  100  OO 

•<      deBt.  Joseph,  Isie d'Alma 100  00 

"      deSt.  Prime 100  OO 

'*      deSt.  Adrien  d*Ireland 100  OO 

"      deK.  D.  de  Lourdes  de  MégaaUc 100  OO 

"      d'Invemees 75  OO 

Povr  une  terre  a  B.  Samuel  du  Lac  Drôle t 25  OO 

Pour  une  terre  à  Invemess....  • 100  OO 

Presbytère  du  6.  G.  de  Jésus 50  OO 

Presbytère  du  S.  G.  de  Marie 50  00 

Miasioiuiaire  de  Bt.  Ulbade,  etc 80  00 

"         de  Valcartier 120  00 

"         deStoneham *. 100  00 

"         de  Laval 100  00 

"         de  St.  Cassien 25  OO 

"         de  la  Ste.  Trinité  de  Baies 25  00 

"         de8t.8iméon,  etc 75  00 

^*         de  Tadoussac,  etc 200  00 

de  St.  Paul  de  Mille-Vaches 100  00 

"         de  l'Anse  Bt.  Jean 150  00 

"         de  St.  Fuîgence,  etc 200  00 

de'Bt.  Gédéon 25  00 

'*         de;;st.  Joseph  d' Aima 25  00 

-"         deSt.Prime 150  00 

PoryjJ .• %  6855  00 


Rapporté $  6855  W 

Jfissionnairô  de  St.  Plôfre-Baptiste 25  oa 

deN.D.  de  Lourdes. 25  Oa 

"         deSt.  Adrien 25  00 

«<        deSte.Anastasie..... 100  00 

dlnvértiess 120  00 

«         deSte.  Justine 180  00 

de  Bt.  Malachie 50  00 

''         des  SS.  Anges 50  00 

"         deSt.  Damien 25  00 

"         de  Bt.  Paul  de  Montminy,  etc 120  00 

dé  St.  Magloire. .  ; 120  00 

«         deSte.  Perpétue,  etc 2O0  00 

«         de  St.  Eleulhère 200  00 

AMgr  Racine,  pour  "la  Patrie" 100  00 

Montant  aUoué 98195  00 


« 


RÉSUMÉ  : 

Total  de  la  recette  de  1877 97691  10 

Bn  caisse  de  Tan  dernier 95508^ 

^     Total .' 913200  W 

Montant  alloué  pour  1877-78 8195  00 

Reste  en  caisse. ••••.  .\ 95005  00 

NAP.  LALIBERTÉ,  Ptre.,  Triiorier. 
29  Décembre  î  877. 


•s 


Recettes  entrées  après  la  clôture  des  comptes, 

Bt.  Paschal  (balance) *9  36  35 

8t.  Edouard  de  Prampton 4  75 

8t.  Cyrille 4  OO 

8t  Ubalde 4  OO 

8te.  Anastasie • 2  OO 

6t,  Frédéric 19  OO 

8t.  Basile :... 25  OO 

8t.  Sylvestre  (balance)... • 4  30 

Invemess *. ••• ..  6  OO 

8t.  Ferdinand , 10  OQ 

8t.  Flavien 18  00 

St.  Ferréol 8  00 

N.D.  du  Portage 9  00 

Cap-Santé 35  29 

iSte.  Perpétue , ♦ 2  00 

9187  60 


DIOCÉBE  DE  MONTRÉAL. 


^AT  DB8  RBCETTB6  BT  DÉPENSES  DURANT  L'ANNÉB  1877. 


Argent  en  mains  au  31  décembre  1876,  pour  faire  face  aiur 

dépenses  de  \671 $6140  68. 


Dépenses. 


€te.  Maguerite.... 

St  Donat • 

St  Michel  des  SS.... 

StCallixte 

Ormstown 

St.  Anastasie 

St  Hyppolite 

Ste.  Sophie 

St.  Côme 

St  Damieo 

Ste«  Emélie 

Œuvre  des  Taberna- 
cles  

Hinchinhrooke 

RawdoD 

âte.  Julienne 


240  00 
560  00 
300  QO 
75  00 
100  00 
335  00 
400  00 
170  00 
350  00 
230  00 
400  00 

165  00 

200  00 

IQO  00 

75  00 


Porté... $3700  OÔ 


Rapporté $3700  OO 

Ste.  Béatrice 100  00 

Sœurs  de Madawaska  160  00 

00 
00 


Piopohs 200 

Chertsey 200 

Dundee 100  00 

St  Colomban 150  00 

B.  Alphonse 100  Otf 

Oblats 800  00 

Caughnowaga 200  OO 

Ste.  Lucie 10  OO 

transport  de  livres.  8  87 

Frais  de  transport..  9  7S 

Annales 323  3S 

Reliquaire 4  25 

Pierres  sacrées 11  OO 


$60^7  22 


Avoir  A $6140  6ft 

Dépenses 6077  ?2 

Balance $    63  4^ 


8 

RSGBTTES  DURXNT  L 'ANNÉE   1877. 

ruie. 

N.D.  de  Montréal $  435  90 

St.  Pierre 310  23 

N.-D.  de  Grâce,  1876  et  1877 186  00 

Cathédrale • 132  50 

St.  Jacques 99  25 

Hôpital  Gténéral 40  99 

HôtelDieii 37  30 

Coteau  St.  Louis 30  27 

Collège  de  Montréal 25  00^ 

Grand  Séminaire 16  60 

Aveugles  de  Nazareth .' « 2  60 

Sacré-Cœur 1  50 

Legs  de  M.  Goujon.  N.-D.  de  Grâces 200  00 

Intérêt  du  legs  de  feu  M.  O  Berthelot., 240  00- 

**              "           "    Dame  A.  LaRocque 120  00* 

"              "           "    M.  McKay 24  Ofr 

^  *'              ''           "    M.  Beaudry 8  10» 

•1,910  15 


Campagnes. 


L'Epiphanie,  1876  et 
1877 ....$ 

L' Assom  ption 

Ste.  Rose 

Verchères 

Boucherville 

St.  Roch 

Ile  iVipas 

St.  Isidore 

Terre  bonne 

St.  Henri  de  Mat- 
couche • 

Berlhier  

6t.  Rémi 


..•.•• ■•..•..•• 


Longusail 

Laprairie 

St.  Alexis..... 

St.  Lin 

Ste.Anne  des  Plaines 


178  50 

162  67 

130  85 

121  56 

118  38t 

103  50 

90  00 

89  00 

76  50 

73  00 
72  53 
69  00 
66  70 
66  20 
64  38 

63  00 

64  00 


Rapporté $1609  77 

Lachenaier(l) 55  32^ 

St  Louis  Gonzague..      52  55 

Lavaltrie 45  67 

St.  Barthélemi 43  00 

Ste.  Elisabeth 43  00 

SkCyprian 41  64 

St.  Joseph  de  Lanor..      4t  00 
Sault-au-RécoUet .... 

Contrecœur 

St  Bruno 

Lachine 

Joliette 

Jos.  Leduc,  legs  Ga.. 

bureau 33  3& 

St.  Thomas. 

St.  Paul  de  Joliette.. 
GoII.de  l'Assomption 


38  02 
36  00 
84.00 
34  00 

33  75 


31  SO 
31  00 
30  00 


St.  Esprit., 28  00 


Porté «1609  77  Porté 

(1)  T  comprit  la  legs  da  D»Ue  Ifnnro,  $35. 


«2260  58 


9 


Rapporté $2260  58 

BeauharnoiB 27  62 

St.  Michel 25  05 

St.  Etienne 25  00 

SUSulpice 24  00 

St.Clet 21  50 

Repentigny 20  39 

Coteau  du  Lac 20  00 

St.  Eustache 17  10 

St.Timothée 16  50 

Longue-Pointe 15  15 

Chambly 14  25 

St.  Ambroise 13  35 

Rivière-des-Prairies  13  10 

St.  Jacques  Mineur..  12  83 

St.  Zotique 12  50 

St.  Urbain 12  00 

Ste.  Thérèse 12  00 

St.  Paul  l'Ermite 11  00 

St.Laurent 11  00 

St.  Hubert 11  00 

Couv.  de  Longueuil.  10  50 

Porté $2606  42 


Rapporté $2606  4? 

Ste.  Julie "  10  tfO 

Ste.  Mélanie 10  00 

Ghateauguay 10  00 

Ste.  Julienne 9  97 

St.  Calixte 9  26 

St.  Sauveur 8  00 

lies  Cèdres 7  00 

St.  Constant 6  50 

Ste.  Adèle 6  20 

Ste.  Marguerite ^  5  90 

St.  Télesphore 5  63 

Chertsey 5  00 

St.  Félix  de  Valois...  5  00 

Ste.  Scholastique 4  OO 

Ste.  Dorothée 3  50 

StMalachie 3  00 

îleBizard 3  00 

Ste.  Béatrice 3  00 

Ste.  Agathe 1  09 

St.  Damien 0  90 

Pointe  Claire 0  44 


$2723  80 


RÉCAPITDLATION. 


Recettes  de  la  ville $1910  15 

"       des  campagnes 2723  80 

Intérêts 103  30 

Balance  du  dernier  exercice 63  46 

Porté  en  trop  à  l'allocation  d'Ormslown  en  1876...      71  00 


Si  caisse  au  31  Dec.  1877  pour  les  besoins  de  1878...$4871  71 


DIOCÈSE  DES  TROIS-RIVIÈRES. 


Reeettes  de  la  Propagation  de  la  Foi  pour  l'année  1877. 


8te.  Monique $  245  OOl 

Troi3-Rivières 170  57 

Xa  Baie  du  Febvre 1 39  00 

Hhière^u-Loup 1 23  08 

fil.  Christophe 92  85' 

fit.  Léon 85  00 

Yamachiche 83  50 

Nicolet 80  45 

8te.  Anne  de  Lapérade. . ,  75  QO 

fit.  Grégoire 72  00 

'St.  Thomas «......-    57l6 

fit.  Guillaume 57  00 

Champlain • 55  25 

Warwick 49  00 

Ste.  Gertrude 45  00 

Bécancourt ••••.  37  65 

St.  Justin 37  50 

8t.  Maurice 33  60 

St.  Zéphirin 33  00 

Centilly 32  26 

Batiscan 32  00 

St.  Stanislas 32  00 

Ste.  Angèle 31  51 

St.  Pierre  les  Becquets., .  29  50 

St.  François  du  Lac 29  00 

St.l>rosper 29  «0 

fit  Norbert 26  90 

fit.  Cyrille 24  25 

fit.  Michel 24  00 

fit.  Barnabe 24  00 

Durham 23  37 

St.  Bona venture 20  45 

St.  Boniface 17  70 

Stanfold 14  00 

St.  Didace 12  00 

St.  Narcisse tl  87 

fit.  Sévère 11  40 

Porté $  1995  82 


Rapporté $ 

St.  Léonard... 

Mont  Carmel 

Séminaire  de  Nicolet 

Ste.  Hélène 

St.  Etienne 

St.  Pie 

Tingwick , 

St.  Théodore 

St.Yalère 

Ste.  Sophie : 

Orummond  ville 

Ste.  Victoire 

St.  André o.. 

St.  Louis  de  Blandford.. . . 

Maskinnongé.  •  • 

St.  David 

Pointe  du  Lac. .  • 

Ste.  Ursule 

St.  Paul 

St.  Célestin 

Ste.  Geneviève 

Cap  de  la  Madeleine 

St.  Tite 

St.  Luc 

Ste.  Flore 

St.  Elle 

St.  Paulin 

St.  Alexis 

Ste.  Glothide 

Kingsey 

St.  Brigitte 

Ste.  Perpétue 

St.  Fulgence « 

St.  Jean 

St.  Wenceslas  ..•••••••• 


1996  8? 

10  0» 

9  70 

9  36 

8  00 

7  53 

7  25 

6  25 

5  05 

5  00 

4  75 

1  40 

1  30 

1  00 

0  86 

$2074  2r 


11 

Appropriation  des  recettes  de  1877. 

^.  Mgr.  rEvèqne  de  Sherbrooke $400  00 

Mission  de  Tlsle  à  la  Crosse,  aa  Nord,  Ouest • ;.  100  00 

Mission  du  St  Maurice,  pour  chapelle ««^. 60  00 

Chapelle  des  Abénaquis,  St.  Thomas 100  00 

Au  Curé  de  Ste.  Victoire  d'Arthabaska 100  00 

"          *'      Ste.  Eulalie 100  00 

*•         "      St.  Jean  de  Wickham 100  00 

"      St.  Elle 100  00 

"         "      St.  Louis  de  Biandford 80  00 

"         «'      St.  Paul  de  Chester 80  00 

'«      St.  Alexis 80  00 

"      St.  Albert i...  80  00 

"■     Ste.  Clothide 80  00 

"         '«      Ste.  Sophie  de  Léonard , 50  00 

"         *•      Ste.  Angèle  de  Laval 25  00 

A  la  mission  de  Kingsay  Falls 25  00 

"      •  **      derislet 25  00 

A  M.  Yervais,  ancien  missionnaire 20  00 

Annales  de  la  Propagation  de  la  Foi. 125  00 

Impressions  du  diocèse r 125  00 

Voyages « 75  OO 

Divers  :  pierres  d'autels,  effets  pour  missions,  escompte,  etc.,  etc.  1 38  22 

$2068  22 

Balance  en  Caisse 6  06 

$2074  27 


DIOCÈSE  DB  ST.  HYACINTHE. 


Recettes  de  la  Propagation  de  la  Foi  pour  1877. 


fit.  Antoine ,  $  135  00 

8t.  Denis 120  00 

Sorel 100  00 

Bt.  Hyacinthe 9i  50 

fit.  Aimé 82  00 

Belœil 78  00 

St.  Césaire 77  00 

St.  Ours 70  00 

St.  Sébastien 65  50 

Ste.  Marie 64  00 

8t .  Jean-Baptiste 50  00 

St.  Grégoire... , 47  00 

fite.  Bosalio 45  00 

N.  D.  de  St.  Hyacinthe..  43  00 

St.  Alexandre 41  22 

St.  Simon 37  00 

St.  Dominique. « 35  65 

St.  Roch 35  50 

Stanbridge 35  20 

St.  Marc 31  45 

St.  Hugues , 28  60 

St.  Pie 28  14 

St.  Athanase 27  00 

N.  D.  du  Richelieu 26  00 

St.  Robert... 24  40 


Rapporté $1418  1^ 


24  00 
22  Oa 
21  25 
20  00 
18  25 


Porté $1418  16 


St.  Mathias 
St.  Charles 
St.  HUaire 
Roxton.... 
St.  Marcel. 

St.  Théodore^ , 18  00 

St.  Damase -      17  40 

St.  Jude 17  00 

Milton 16  50 

Laprésentation 14  14 

St.  Georges 13  50 

St.  Barnabe . . , 
Ste.  Madeleine. 

Upton 

St.  Joaohim... 
St.  Paul...... 

Ste.  Bridgide^. 

Granby 

Ste.  Hélène... 
Dunham ....... 

Adamsville..,. 
Ste.  Victoire... 
St.  Valérien. . . . 

Ste.  Angèle... 


l 


13  00 

12  15 

10  00 

8  00 

7  92 

6  83 

5  35 

5  10 

5  00 

4  75 

4  50 

4  00 

3  77 

Total $1710  57 


Dépenses. 

Annales.... ;..  $  55  25 

Impressions 97  50 

Visite  pastorale • ••.•••  11  50 

Objets  de  Culte 80  45 

Bglises  des  Missions • 200  09 

An  Diocèse  de  Sherbrooke..,. 1241  50' 

ToUl $168^20 


J,  A.  GRAYEL,  T.  O.  Jke. 


DIOCESE  DE  MONTREAL. 

Saint  Mighbl  des  Saints^  Mantawa,  It  janTier  1878. 

A  Monsieur  Edmond  Moreau,  Ghan.  Directeur  de  la  Pro> 
pagation  de  la  Foi,  Evéché  de  Montréal. 

I 

Monsieur, 

J'ai  reçu  votre  lettre  (circulaire)  du  15  décembre  dernier. 
Elle  ne  m'a  été  délivrée  qu'au  commencement  de  janvier- 
Nous  avons  la  malle  une  seule  fois  la  semaine,  et  il  fau  t 
que  les  lettres  soient  à  Joliette  le  undi,  autrement  elles 
restent  là  jusqu'au  lundi  suivant.  Ceci  vous  explique  le 
retard  de  la  vôtre.  Le  postillon  ne  restant  ici  que  quelques 
heures,  il  m'a  été  impossible  de  répondre  à  vos  différentes 
questions  par  le  retour  de  la  malle. 

Je  vous  remercie  beaucoup  d'avoir  mis  à  exécution  le 
nouveau  mode  d'administration  des  deniers  de  TCEuvre  de 
la  Propagation  de  la  Foi.  Vous  m'en  aviez  parlé,  l'an  der" 
nier,  lorsque  je  suis  allé  à  votre  bureau  vous  faire  connaître 
le  dénûment  presque  complet  où  j'ai  trouvé  la  maison  qui 
sert  de  presbytère  et  de  chapelle  à  Saint  Michel  des  Saints. 
Il  est  certain  que  par  ces  résolutions  de  votre  "^Conseil, 
les  plus  pauvres  missions  seront  les  plus  aidées  et  les  sub- 
aides de  la  Propagation  de  la  Foi  rencontreront  leur  véri- 
table but. 

Et  je  suis  heureux  d'avoir  l'occasion  de  vous  rappeler  que 
Saint  Michel  des  Saints  est  la  seule  mission  du  diocèse  qui 
mérite  de  porter  ce  nom,  au  moins  pour  un  vrai  missionnaire. 
Le  missionnaire,  ici,  a  à  parcourir  une  étendue  de  plus  de  7 
lieues  pour  visiter  Saint  Michel  des  Saints  et  Saint  Zénon^ 
Il  y  a  de  plus  la  Tribu  des  Têies  de  Boule  qui  se  trouve  à  17 
lieues  en  arrière  de  Saint  Michel  des  Saints.  Je  suis  le  seul 
nissionnaire  qui  puisse  les  rencontrer  en  hiver  pour  le 
temps  de  Pâques.    Cette  distance  de  17  lieues  se  parcourt 

ea  voiture  et  à  la  raquette.    Voici  maintenant  les  réponses 
à  Tos  difiSêrentes  questions  : 

Fremièremeni.  —  Le  seul  revenu  de  la  chapplle  est  la  lo- 


14 

cation  des  bancs.  J'ai  pu  retirer  $1 7.25  durant  cette  année  ; 
peut-être  en  louerai-je  quelques  autres  dans  le  cours  de 
l'année.  Je  donne  pourtant  à  mes  gens  la  facilité  de  me 
payer  en  argent  ou  en  effets,  je  prends  même  de  la  gomme 
d'épinette  rouge. 

Secondement.  —  Les  revenus  du  missionnaire  I«  par  dime  ; 
cette  année  j'ai  retiré  :  350  bottes  de  mil,  150  bottes  de 
foin  bleu  réputé  un  peu  meilleur  que  la  paille,  If  minot 
de  blé,  24  de  pois,  12  d'orge,  46  d'avoine,  37  de  mélange, 
2J  de  sarrasin,  4J  de  seigle,  1^  de  lentilles,  enfin  79  mi- 
nots  de  patates.  Les  indiens  chasseurs  m'ont  donné  en 
pelleterie  environ  8  dollars.  Mais  remarquez  bien  que  de 
toute  cette  dime,  je  n'ai  pu  vendre  pour  de  l'argent  que  18 
minots  de  mélange  et  6  minots  de  pois.  Tout  le  reste 
3,  été  prêté  en  grande  partie  aux  pauvres  pour  les  se- 
mailles du  printemps.  Il  m'était  impossible  de  l'envoyer 
au  marché  de  Joliette  qui  se  trouve  à  21  lieues  de  chez 
nous.  Vous  comprenez  de  suite  que  ma  dime  se  trouve 
bien  réduite  en  valeur  réelle. 

II«  Mon  casuel  a  été  :  2  mariages  $4.00  ;  1  service  $2.50  ; 
2  petits  entendements  $1.00;  2  grandes  messes  $5.l00  —  en 
total  $12.50. 

III«  En  aumônes,  par  effets,  $4.00  de  la  part  des  colons.' 
Troisièmement*'^  Je  me  suis  endetté  en  faveur  de  la  mis- 
-sion  pour  la  somme  de  $128.75  pour  achat  de  ciboire,  mis- 
sel, vin,  cierges,  hosties,  d'un  poêle  et  son  tuyau,  et  pour 
quelques  petites  réparations  nécessaires  à  la  décence  du 
•culte  divin. 

Quatrièmement.  —  N'ayant  pas  encore  de  chantiers  cette 
année,  il  est  certain  que  la  mission  ne  donnera  à  peu  près 
que  la  moitié  de  ce  qu'il  faut  pour  le  soutien  du  prêtre  et 
les  frais  du  culte.  8i  les  chantiers  reprennent  l'an  pro- 
chain comme  tous  l'espèrent,  et  si  la  colonie  augmente 
comme  cette  année,  la  mission  fournira  assez  pour  le  sou-* 
tien  du  prêtre,  à  condition  toutefois  qu'il  soi Ir  sobre  et  frugal. 

D'après  ce  compte-rendu  vous  comprenez  sans  peine  que  je 
dois  nécessairement  compter  pour  l'année  qui  commence, 
sur  d'aussi  abondants  secours  que  ceux  que  vous  m'avez 


*  15 

accordes  Tan  passé.  Autrement  je  me  verrais  forcé,  pour 
payer  mes  dattes,  de  vendre  Tameiiblement  convenable  que 
j'ai  acheté  et  de  laisser  une  jolie  petite  colonie  composée  de 
70  familles  au  miliea«*desquelles  je  serais  si  heureux  de 
passer  ma  vie. 

Vous  me  permettrez  de  vous  faire  remarquer  que  les 
jpaiements  delà  subvention  par  part  égale,  tous  les  trois 
mois,  est  grandement  préjudiciable  à  la  mission  de  Saint 
Michel  des  Saints  qui  se  trouve  éloignée  de  63  milles  de 
Joliette  où  nous  sommes  obligés  d'acheter  nos  provisions. 
L'hiver  est  la  meilleure  saison  pour  le  transport  à  bon 
marché.  En  toute  autre  saison  il  y  a  certainement  de  50  à 
75  cents  de  plus  par  cent  livres  à  payer  que  dans  l'hiver» 
J'espère  que  connaissant  mes  raisons  vous  vaudrez  bien 
faire  une  exception  pour  moi,  et  que  vous  m'enverrez  le 
plus  tôt  possible  la  plus  haute  somme  que  vous  pourrez 
afin  de  me  permettre  de  monter  le  presbytère  d'une  ma- 
nière convenable.  Je  vous  l'ai  déjà  dit,  mon  prédécesseur, 
en  laissant  Saint  Michel  des  Saints,  avait  tout  vendu  :  pail- 
lasse, table,  chaises,  jusqu'au  tuyau  de  presbytère  et  de  la 
chapelle  ;  il  m'a  fallu  m'endetter  considérablement  pour 
m'installer.  Je  préférerais  de  beaucoup  retourner  vi- 
caire à  60  ou  80  dollars  que  de  rester  ici  en  tenant  maison' 
aune  distance  si  éloignée  des  centres;  dans  les  11  lieues 
qui  me  séparent  de  Sainte  Emmélie,  il  n'y  a  que  des  mon- 
tagnes et  des  savanes; 

A  l'heure  qu'il  est,  nous  avons  un  froid  de  saison,  comme 
on  dit,  et  bien  peu  de  neige,  de  sorte  qu'il  est  difficile  de 
descendre  avec  des  charges  ;  j'ai  dit  descendre,  car  remar- 
quez que  Mantawa  se  trouve  à  2,000  pieds  plus  bas  que  le 
sommet  des  Laurentidês. 

Je  termine  en  vous  suppliant  de  me  protéger  auprès  de 
▼os  Conseillers  qui,  sans  doute,  sont  loin  de  connaître  les 
véritables  renseignements  que  j'ai  cm  nécessaire  de  vous 
donner  dans  l'intérêt  de  ma  chère  mission. 

Je  demeure  par  avance 

Votre  reconnaissant  serviteur, 

/    Ghs.  LaRosb,  Ptre , 

Missionnaire. 


ISLE  DE  VANCOUVER.     # 

J.  M.  J.  A? 

Lettre  d'une  Sœur  de  Ste.  Anne  à  la  Révérende  Mère 
Supérieure  des  Sœurs  de  Ste.  Anne  à  Lachine,  prèé 
Montréal. 

Couvent  de  Ste.  Anne, 
Nanaïmo,  Col.  Brit.,  11  Sep.  1877. 

A  Notre  Révérende  Mère  Supérieure  Générale, 

et  à  toutes  nos  chères  Sœurs  de  Lachine. 

Bien-Aiméb  Mère  et  chères  Sœurs, 

J'ai'  le  cœur  tellement  rempli  de  bons  sentiments  pour 
vous,  que  je  ne  puis  me  garder,  malgré  mes  occupations 
qui  s'accumulent  tous  les  jours,  de  venir  vous  donner 
quelques  signes  de  cette  amitié  que  je  vous  conserve  tou- 
jours entière  au  fond  de  notre  petite  Mission  de  Nanaïmo. 

Nous  voici  encore  revenues,  ma  compagne  et  moi,  à  notre 
*  i>esogne  des  mois  de  Mai  et  Juin  derniers,  avec  le  môme 
'COurage,  et  je  dirais,  avec  plus  de  joie  ;  car  nous  avions 
senti,  pendant  ce  court  temps  de  deux  mois,  combien  Diea 
était  peu  connu,  peu  aimé,  parmi  nos  pauvres  catholiques . 
Aussi  sommes-nous  déjà  à  l'œuvre,  et  parmi  nos  35  élèves, 
nous  comptons  avec  bonheur  14  petites  filles  Catholiques, 
d'est  là  la  partie  chérie  du  troupeau.  Aidées  de  la  puis> 
«ante  énergie  du  R.  Père  Lammens,  nous  espérons  faire, 
de  ces  chères  enfants,  de  ferventes  chrétiennes  I*9ous  en 
attendons  encore  plusieurs,  et  si  cela^  continue,  nous 
devrons  bientôt  bâtir  notre  nouveau  Couvent. 

Gomme  vous  voyez.  Révérende  et  chère  Mère,  nous 
sommes  asses  encouragées  n'était  encore  qu'au  début 
-d'une  année  scolaire.  Nous  avons  à  notre  école  les  filles  du 
Maire,  aussi  celles  du  Ministre  Anglican.  Nous  faisons 
tout  en  notre  pouvoir  pour  bien  faire  notre  devoir  à  lear 
égard  ;  mais,  ma  Mère,  je  tremble  souvent  de  gâter  tout.  Je 


17 

^aisde  temps  en  temps  aux^pieds  de  Notre-Beigaeur,  m*em- 
parer  de  vos  bonnes  prières  et  de  celles  de  ,nos  chères 
-ScBûrs,  pour  que  tout  réussisse.    J'espère  fp^e  Ton  ne  me 
blâmera  pas  de  ce  larcin; 

Pendant  notre  vacance,  qui  a  été  si  belle,  au  dire  de 
toutes  nos  chères  Sœurs  de  Victoria  et  des  Missions,  on  me 
pria  de  vous  adresser  le  journal  commun.  Je  le  fis  une 
fois,  bien  mal,  mais  je  me  proposais  de  réparer  cette  lacune, 
en  vous  écrivant  plus  intéressantes  les  feuilles  du  mois 
d'Août,  lorsque,  notre  retraite  à  peine  terminée,  je  reçus 
l'ordre  de  partir  pour  Nanaîmo,  avec  mes  compagnes. 
Nous  eûmes  nos  obédiences  le  Dimanche  soir,  et  le  mardi 
(28  Août)  était  le  jour  fixé  pour  les  départs.  Il  fallut  donc 
nous  hâter  dans  nos  préparatifs.  J'avais  si  grand  nombre 
de  paquets  et  de  boîtes  à  préparer  que  je  faillis  en  perdre 
la  tête.  Grâces  à  notre  chère  Sr.  M.  Vfr^nie,  qui  est  tou- 
jours si  bonne  pour  moi,  et  aussi  à  notre  active  dépositaire, 
ma  Sr.  M.  Zenon,  tout  fut  fini  poui^le  temps  voulu. 

On  s'amusa  beaucoup  à  notre  sujet;  ma  6r.  M.  Emmanuel 
^'informait  auprès  de  ma  Sr.  M.  Eléonore  si  nous  allions' 
ouvrir  .un  Store  à  Nanaîmo  ;  j'en  fis  tant  qu'on  a  dû 
se  réjouir  à  Victoria  de  mon  départ  Je  mendiais  cons- 
tamment pour  notre  Mission,  et  comme  l'enfant  qui  visite 
le  toit  paternel,  j'avais  envie  de  tout. 

Ma  Sr.  Vicaire  montre  une  prédilection  très  grande  pour 
-  Nanaîmo,  et  vraiment  je  suis  confuse  de  toutes  ses  bon- 
tés. Si  vous,  chère  Mère  et  bonnes  Sœurs,  pouviez  visiter 
notre  Mission,  vous  seriez  mal  édifiées,  j'ai  raison  de  le 
«croire,  de  nous  voir  si  bien  pourvues;  mais  vous  seriez  tou- 
chées des  soins  que  la  Providence  prend  de  ses  ^pauvres. 
Oh  1  qu'elle  est  douce,  cette  Providence  ! 

Notre  santé  est  bonne.  Nous  ne  sommes  pas  très  fortes> 
ni  l'une  ni  l'autre  ;  mais  nous  allons  assez  facilen^QUt  au 
i)0ut  de  la  journée,  sans-  trop  de  fatigue  le  soir.  Notre  petite 
maison  ne  renferme,  il  est  vrai,  que  trois  p^r^onna^es,  notre 
bonne  Emily  Winnard  et  nous  ;  mais  c'est  le  nombre  qu'il 
y  avait  dans  la  famille  bénie  de  Nazareth,  et  cette  pensée 
nous  anime  souvent  à  suivre  ces  divins  modèles  :  Jésus, 
3(arie,  Josepli. 


18 

Nons  arrivâmes  seules*  à  ootre  mission  ;  le  Br,  Père 
Lemmens  était  alors  en  retraite  à  Victoria  et  ne  devait 
nous  rejoindtë  que  le  4  Septembre.  Il  nous  en  coûtait  un 
peu  de  revenir  seules,  sans  Prêtre,  par  conséquent  sans 
Messe  pour  huit  jours  ;  mais  pour  relever  notre  cOurage, 
le  bon  Dieu  a  daigné  nous  envoyer  une  grande  conso- 
lation. Nous  étions  arrivées  depuis  quelques  heures  seule* 
ment,  et  à  la  veille  de  prendre  Teicellente  soupe  dont  une 
bonne  dame  catholique  voulait  nous  régaler,  quand  un 
sauvage,  le  chef  des  Komosk,  se  présente  et  nous  dit  z 
"  Mon  fils,  jeune  homme  d'une  vingtaine  d'années,  vient 
d'être  écrasé  par  ces  énormes  boîtes  qui  contiennent  le 
charbon  au  sortir  des  puits.  11  vit  encore  et  demande  le 
Prêtre.  Il  n'est  pas  baptisé."  J'irai,  lui  répondis-je.  "  Oh  ! 
i)ui^  viens  vite^  reprend  le  chef,  car  je  suis  bien  malheu- 
reux I  " 

Il  était  six  heures  et  demie  P.  M.,  nous  partîmes,  ma  Sr. 
M.  Eléonore  et  moi,  accompagnées  de  notre  guide  qui  mar- 
chait en  toute  hâte.  4l  était  sept  heures  quand  nous  ar- 
rivâmes dans  la  cabane  du  chef.  Le  pauvre  malade  était 
tout  brisé  ;  mais  il  parlait  très  bien  et  avait  sa  pleine  con- 
naissance. Il  désirait  le  baptême  avec  ardeur.  Après  lui 
avoir  expliqué  les  principaux  mystères  de  la  foi  et  fait  faire 
quelques  actes  en  chinook,  je  lui  mis  une  chandelle  à  la 
main  et  le  baptisai.  Oh  1  ma  mère,  je  n'oublierai  jamais  la 
belle  figure  qu'il  avait,  quabd  l'eau  qui  devait  laver  sou 

âme  eût  coulé  sur  soufrent Qu'il  était  donc  heureux, 

ce  pauvre  sauvage  I.. ..'.«.. .Après  l'avoir  -encouragé,  ainsi 
que  tous  les  sauvages  qui  se  trouvaient  là,  nous  partime» 
précédées  encore  d'un  guide.  De  retour  au  couvent,  je 
cherchai  un  crucifix  que  j'envoyai  au  nouveau  baptisé, 
afin  qu'il  le  baisât  au  plus  fort  de  ses  souffrances.  J'appris 
plus  tard  qu'il  avait  été  fidèle  à  ma  recommandation.  Le 
lendemain  à  cinq  heures  et  demie  P.  M.,  nous  retournâmes 
le  voir,  car  nous  n'avions  pas  reçu  dé  ses  nouvelles.  Nous- 
trouvâmes  nombre  d'Indiens-  en  dehors  duf  camp  qui  joa- 
glaient.  J'appris  de  suite  que  notre  jeune  homme  était 
mort  à  sept  heures  dans  la  matinée.  Oh  !  comme  j'avais  le 
cœur  joyeux.    Je  ne  savais  comment  prouver  ma  recon* 


19 

naissances  Notre  Seigneur  pour  la  grâce  insigne  qu'il 
m'avait  faite  de  baptiser  un  pauvre  Indien.  Ohl  disais-je, 
je  quitterais  vingt  fois  mon  pays  et  je  passerais  quatorze 
ans  encore  en  mission  pour  le  remercier  d'une  telle  faveur 
et  en  obtenir  encore  une  semblable.  .J'avais  le  cœur  à 
bie^  dormir  ce  soir-là,  je  vous  assure,  ma  bonne  Mère. 
Mais  aussi,  j*atfrribuais  la  meilleure  partie  de  cette  grande 
grâtîe  à^uelques  bonnes  âmes  qui  prient  pour  les  inflàèles, 
•et  je  prie  ce  pauvre  sauvage,  qui  est  au  ciel,  de  se  souvenir 
de  nous  toutes. 

Une  semaine,  c'était  bien  long  sans  communion.  Aussi, 
quand  le  bateau  du  quatre  nous  fit  entendre  son  sifflet, 
notre  cœur  battait  bien  fort.  Notre  Révérend  Curé  frap- 
pa bientôt  à  notre  porte.  J'étais  là  pour  lui  dire  qu'jl 
était  bien  chez  /ui,  et  je  crois  que  je  ne  l'avais  jamais  vu  si 
joyeux.  Il  'mangea  avec  appétit  le  diner  que  nous  lui 
avions  prépara  d'un  grand  cœur.  Nous  avions  fait  un 
grand  ménage  dans  sa  petite  maison,  et  il  paraissait  heu- 
reux d'être  de  retour.  Le  lendemain  nous  eûmes  la  sainte 
messe  et  nous  pûmes  de  nouveau  n&us  réconforter  à  la 
table  du  pain  des  anges.  Ah  !  que  cette  communion  fit  du 
i>ien  à  nos  âmes  ! 

Le  Rév.  Père  Lemmens,  grâces  à  Dieu,  prend  du  mieux  ; 
il  est  plus  fort  et  a  maintenant  la  permission  de  preiber. 
Une  belle  église  de  82  pieds  de  long  et  de  30  de  large, 
s'élève,  par  ses  soins,  à  côté  de  nous  ;  elle  sera  terminée 
jpour  Noël.  Peintures,  autels,  etc.,  on  n'a  rien  oublié 
dans  les  spécifications — jusqu'à  des  anges  adorateurs... 
J'ai  hâte  d'y  pouvoir  faire  les  parures  :  comme  nous  n'au- 
rons plu  alors  de  chapelle  au  couvent,  ce  sera  là  notre 
-bijou. 

J'ai  reçu  avant  hier  au  soir  un  grand  ru^  de  la  valeur 
de  $15,  pour  le  marche-pied  de  notre  autel.  Le  jeune 
catholique  qui  nous  en  a  fait  don,  mérite  bien  qu'on  prie 
pour  lui  en  retour.  Je  vais  bientôt  commencer  à  faire 
4es  fleurs  artificielles  pour  le  nouvel  autel. 

Le  jour  de  l'arrivée  du  Rév.  Père  Lemmens,  révérende 

'  et  bonne  Mère,  je  fus  grandement  réjouie  par  la  réception 

de  la  bonne  lettre  que  vous  nous  faisiez  adresser  par  ma 


20 

Sr.  M.-Joseph  du  S.  G.,  à  la  date  du  4  août  Elle  nous  ar- 
rivait à  temps,  car  j'allais  presque  croire  que  bous  étions 
trop  loin  pour  entendre  parler  de  notre  chère  Mère.  J'at- 
tends avec  impatience  celle  que  vous  me  promettez  tous- 
mâme,  ma  bonne  Mère. 

Je  me  recommande  instamment  à  toutes  nos  chères 
âœurs  pour  m'assurer  le  secours  de  leurs  prières. 

Veuillez,  ma  chère  et  révérende  Mère,  m' accoler  un 
mémento  dans  les  vôtres.  Vous  connaissez  mes  besoins. 
Vous  n'êtes  pas  oubliée  par  vos  ûUes  de  Nanaîmo. 

Avec  ma  campagne,  je  salue  toutes  nos  chères  Sœurs 
de  la  communauté,  et  me  dis 

Votre  fille  reconnaissante  en  Notre-Seigneur, 

Sr.  Marïe  de  la  Croix,  Miss^ 


COLOMBIE  ANGLAISE. 
J.  il/ 3.  A. 

Lettre  d'une  autre  Sœur  de  Ste.  Anne  à  la  même. 

Mission  St.  Joseph, 
Williams  Lake,  21  octobre  1877. 

A  notre  Révérende  Mère  Supérieure, 

Lachine. 

Ma  bien  bonne  Mare, 

Je  vois  avec  peine  que  je  n'ai  pas  été  fidèle  à  la  promesse 
que  je  vous  faisais  dans  ma  lettre  du  mois  d'août:  celle  de 
TOUS  écrire  pendant  notre  voyage.  J'étais  bien  ignorante 
alors,  je  n'avais  nulle  idée  de  l'ouvrage  qui  nous  attendait 
dans  le  parcours  que  nous  venons  de  faire.  Les  quelques 
lignes  que  nous  avons  tracées  et  cela,  à  la  dérobée  ,  nous 
les  avons  dirigées  vers  notre  chère  petite  Sr.  Marie-Octavi^ 
que  nous  avions  laissée  seule  avec  nos  douze  petites  orphe- 
lines. Nous  sentitffts  malgré  notre  fatigue,  le  besoin  de 
lui  donner  cette  consolation  ;  et  n'est-ce  pas,  ma  bonne 
lière,  elle  lui  était  bien  due? 

Avant  d'entrer  dans  aucun  détail  je  veux,  nia  bonne 
Hère,  vous  offrir  nos  sincères  remerciments  pour  le  beau 
et  intéressant  journal  que  vous  nous  avez  fait  écrire  par 
notre  chère  Sr.  Marie-Joseph  du  Sacré  Cknur.  Cette  bonne 
Sœur  sait  bien  ce  qui  peut  faire  plaisir  aux  pauvres  mis- 
sionnaires des  montagnes  ;  —  le  bon  Dieu,  sans  nul  doute, 
1a  récompensera  de  sa  douce  charité. 

Maintenant,  ma  Révérende  Mère,  je  vais  vous  raconter 
tout  ce  qui  s'est  passé  dans  notre  long  voyage  au  Gariboo  ; 
course  entreprise  dans  le  but  de  quêter  pour  le  soutien  de 
notre  hunibie  institution.  Ce  voyage  que  je  redoutais 
tant,  nous  le  commençâmes  lundi,  20  août,  jour  consacr4^ 
à  notre  bonne  Mère  Ste.  Anne,  et  le  huitième  écoulé  depuis* 
notre  belle  retraite. 


22 

Notre  équipage  consistait  dans  une  bonne  petite  voiture 
bleue  à  quatre  roues  et  deux  sièges  :  ma  Sr.  Marie-Joachim 
et  moi,  nous  occupions  celui  de  derrière,  et  notre  bon  et 
révérend  guide,  le  Père  McGuckin,  celui  de  devant.  Notre 
caresse  était  traîné  par  deux  bons  chevaux  rouges.  Nous 
n'avions  pas  oublié  la  chapelle,  le  panier  de  provisions,  les 
vêtements  chauds,  les  couvertes,  les  parapluies,  etc.,  etc. 

Partis  vers  les  huit  heures  du  matin,  nous  arrivâmes  à 
Soda  Greek  vers  les  6  heures  p.  m.  Mme  Dunlevy  nous 
attendait  impatiemment.  Nous  profitâmes  de  sa  bonce 
hospitalité,  sans  avoir  aucunement  à  nous  plaindre  de  la 
fatigue  ;  notre  voiture  nous  avait  si  doucement  portés  et 
les  chemins  étaient  si  beaux  !  Tout  le  long  du  jour,  notre 
saint  conducteur  nous  avait  bien  amusées  et  édifiées  en 
même  temps,  par  les  intéressants  récits  de  sa  vie  de  mis* 
âionnaire  et  autres;  plusieurs  fois,  nous  avions  récité  le 
chapelet  ;  nous  avions  fait  notre  lecture  spirituelle,  enfin, 
c'était  la  vie  régulière  en  charrette.  Le  lendemain  nous 
quittions  Soda  Creek  après  avoir  collecté  cinquante  pias- 
tres. Nous  atteignîmes  ce  jour-là  le  Fort  Alexandrie.  Nous 
Sjissâmes  la  nuit  chez  les  parents  d'un  des  élèves  du  collège 
•de  Williams  Lake. 

Mercredi,  nous  arrivâmes  à  Quesnellc^elle  petite  place 
5ur  la  rivière  Fraser  ;  nous  y  restâmes  jusqu'au  vendredi* 
La  pluie  noos  incommoda  un  peu,  mais  tout  de  même,  nous 
fîmes  heureusement  notre  collection  qui  s'éleva  à  près  de 
deux  cents  piastres.  Nous  logions.dans  le  plus  bel  hôtel  de 
l'endroit  ;  nous  y  étions  servies  avec  toutes  sortes  de  préve- 
nances, et  quand  viut  l'heure  de  régler  les  comptes,  l'hô- 
tellier,  non  seulement  ne  voulut  rien  recevoir,  mais  même 
nous  donna  dix  piasres.  Nous  le  remerciâmes,  bèaissaol 
Dieu  de  la  bonne  Providence  qui  nous  avait  accompagnées 
jusqu'ici. 

Au  même  moment,  nous  fîmes  la  rencontre  d'un  célèbre 
mineur,  M.  James  Ford,  celui  qui  avait  accompagné^  il  y  a 
deux  ans,  les  Révérendes  Sœurs  de  la  Providence  dans 
leurs  quêtes  au  Gariboo.  Le  Révérend  Père  McGuckin  le 
persuada  de  remonter  avec  nous  :  ce  quUl  accepta  à  notre 
grande  satisfaction.    Nous  nous  remîmes  en  route  pour 


23 

Stanley  lightening  Creek:-  M.  Rosé,  espagnol  camolique,  nous- 
reçut  avec  une  grande  joie.  Sa  dame  nous  réserva  une 
vaste  chambre  où  chaque  matin  nous  eûmes  le  bonheur 
d'avoir  la  sainte  messe  et  de  recevoir  la  sainte  communion. 
Combien  ces  grâces  nous  vinrent  à  propos  !  Il  nous  répu- 
gnait tant  de  tendre  la  main  à  une  colonie  protestante  et 
très-fanatique  I  et  pourtant  les  ofiTrandes  s'élevèrent  à  deux 
cents  piastres.  Daigne  Dieu  les  convertir,  pour  prix  de 
leur  charité. 

Le  mardi  midi,  nous  partîmes  pour  Barkerville,  Cariboo 
proprement  dit,  distant  de  Stanley  d'à-pen-près  14  milles. 
Mais,  ma  bonne  Mère,  si  la  distance  est  peu^.  considérable, 
la  différence  qui  existe  entre  les  gens  est  bien  grande.  Ar- 
rivées là  le  mardi  soir,  nous  n'en  sommes  reparti  que  le 
dimanche.  Je  ne  pufs  vous  dire  assez,  ma  bonne  Mère? 
combien  poli  a  été  l'accueil  de  ces  bonnes  gens  ;  tous  nous 
ont  assistés  avec  une  générosité  remarquable,  et  en  nous 
remettant  leur  oiTrande,  ils  nous  exprimaient  le  regret  de 
ne  pouvoir  donner  davantage  :  ils  se  ressentent,  eux  aussi, 
de  la  crise.  Dans  nos  longues  courses,  que  de  fois  j'ai 
pensé  à  vous,  ma  bonne  Mère,  et  à  toutes  nos  chères  Sœurs  I 
Que  vous  eussiez  aimé  à  voir  travailler  les  mineurs  !  Ils- 
sont  en  effet  très-intéressants,  et  puis,  ils  sont  si  polis,  si 
contents  de  4ious  voir.  Nous  en  avons  donc  vu  de  ces 
pauvres  hommes,  subissant  à  la  lettre  Tarrét  divin  porté 
contre  Adam  pécheur  I 

Que  de  réflexions  je  pourrais  insérer  ici...  mais,  je  les- 
tais, elles  seraient  par  trop-longues.  Cependant,  tna  Révé- 
rende Mère,  je  ne  puism'empécherde  vous  dire  que  ma  Sr. 
Ifarie-Joachim  et  moi,  nous  avons  beaucoup  aimé  Bar- 
kerville, et  que  si  jamais  nous  établissons  un  couvent  là^ 
nous  vous  offrons  toutes  deux  à  l'avance  nos  humbles  ser- 
vices. 

Je  suis  beureuse  de  vous  dire,  ma  trës-bonorée  Mère, 
que,  à  Barkerville  comme  au  poste  précédent,  nous  avons 
entendu  la  sainte  messe  chaque  matin,  avec  toutefois  cette 
différence,  que  le  Révérend  Père  McGuckin  la  célébra 
dans  la  belle  petite  église  que  lui-même  a  bâtie  pendant  les 
vingtcinq  années  qu^il  passa  à  évangéliser  les  pauvres 


24 

mineurs.  Oh!  ma  bien  chère  Mère,  jamais  je  n'oublierai 
la  première  messe  que  j*ai  entendue  là.  Nous  étions  si 
loin  des  nôtres  !...  Mais  encore  une  fois^  nous  avions  Notre 
Seigneur  avec  nous,  et  nous  goûtions  avec  une  suavité  ex- 
ceptionnelle ces  si  consolantes  paroles  échappées  de  son 
cœur  divin  et  miséricordieux  :  ^'  Mes  délices  sont  d'être 
avec  les  enfants  des  hommes."  Notre  bon  Père  McGuckin 
fut  lui  aussi  vivement  ému  pendant  le  saint  sacrifice.  H 
se  rappelait  sans  doute  de  si  précieux  souvenirs. 

Le  temps  du  départ  arrivé,  nous  prîmes  congé  de  nos 
bons  amist  leur  souhaitant  courage  et  succès.  Ces  braves 
gens  firent  les  plus  vives  instances  au  Révérend  Père,  pour 
sinon  le  garder  au  milieu  d'eux,  du  moins  l'engager  à  les 
aller  visiter  cet  hiver.  Nous  nous  éloignâmes,  la  recon- 
naissance dans  le  cœur  pour  ces  ân^es  généreuses  qui  nous 
avaient  donné  si  libéralement  du  prix  de  leurs  sueurs. 
Vous  voudrez  bien,  ma  Révérende  Mère,  prier  et  faire 
prier  pour  toutes  les  personnes  qui  ont  ouvert  leurs  bourses 
en  faveur  de  vos  deux  pauvres  filles.  Nous  unirons  nos 
prières  aux  vôtres  et  nous  apprendrons  à  nos  petites  filles 
la  prière  de  la  reconnaissance  envers  Dieu. 

Notre  voyage  qui  avait  été  si  heureux  en  allant  le  fat 
également  en  reyenant.  Nou#  stationnâmes  quelque  peu 
aux  différents  villages  que  nous  avions  visités,  puis,  lundi 
soir,  10  septembre,  nous  arrivions  à  notre  humble  et  chère 
demeure  où  nous  étions  si  impatiemment  attendues,  heu- 
reuses d'avoir  fait  si  facilement  un  si  long  trajet,  et  recon- 
naissantes envers  le  bon  Père  McGuckin  pour  ses  mille 
bontés  et  ses  charitables  soins.  Après  les  premiers  épanche- 
ments  de  la  plus  cordiale  bienvenue,  nous  entrâmes  dans 
notre  pauvre  petite  chapelle,  et  là,  prosternées  aux  pieds 
de  Jésus,  nous  lui  offrîmes  nos  hommages  avec  le  succès 
de  notre  quête.  Nous  lui  dîmes  que  ces  onze  cents  pias- 
tres seraient  employées  à  l'entretien  de  nos  petites  orphe- 
lines et  à  payer  les  dettes  considérables  que  nous  avons  dû 
contracter  pour  notre  établissement  icL  Je  me  propose  de 
vous  envoyer  sous  peu  un  inventaire  de  notre  mobilier  et 
de  nos  provisions,  vous  y  verrez  en  détail  tout  notre  trésor; 
«en  attendant,  ma  Révérende  Mère,  ne  soyez  pas  trop  in- 


•  25 

quiète  de  nous  et  que  nos  bonnes  Sœurs  ne  s'apitoyent  pa» 
trop  sur  notre  sort  :  nous  sommes  très-bien  partagées  ;  nous 
n'avons  jamais  manqué  du  nécessaire,  et  ce  dernier  nous^  ' 
Favons  abondamment,  grâc9  à  la  prévoyance  sans  exemple 
au  Révérend  Père  McGuckin. 

Avant  de  terminer,  ma  Révérende  Mère,  je  veux  vous 
annoixcer  que  nous  avons  sous  nos  soins  23  pensionnaires, 
dont  un  bon  nombre  d'orphelines.  Toutes  ces  chères  en- 
fants répondent  parfaitement  aux  soins  que  nous  leur  don- 
nons et  profitent  on  ne  peut  mieux  des  instructions  qui 
leur  sont  faites,  soit  aux  catéchismes,  soit  ailleurs.  C'est 
déjà  pour  nous,  pauvres  missionnaires,  une  récompense 
Men  précieuse.  Puisse  t-elle  nous  être  continuée  et  nous^ 
être,  dans  notre  exil  volontaire,  le  gage  de  celle  que  nous 
attendons  dans  le  ciel. 

Maintenant,  ma  bonne  Mère,  je  vous  prie  d'excuser  la 
longueur  de  ma  lettre.  Je  me  recommande,  ainsi  que  mes 
chères  compagnes,  à  vos  ferventes  prières  et  i  celles  de  la 
communauté,  et  je  prîe  nos  bons  Anges, de  vous  porter 
avec  DOS  hommages  respectueux  le  tribut  .de  notre  inalté- 
rable reconnaissance. 

Je  demeure  en  Notre  Seigneur, 

Votre  fille  respectueuse  et  soumise, 

Sr.  MARIB-GLiMENT. 


DIOCÈSE  DE  ST.  ALBERT  (NORD-OUEST.) 

Le  Rév.  P.  Bonald,  s'étant  mia  en  route  pour  St.  Albert, 
au  mois  de  Mars  1875^  éprouva  de  longs  retards,  et  faillit 
périr  dans  le  trajet.  ^  Trouvant  un  jour  une*  bonne  occasion, 
il  écrivit  sur  ses  genoux  la  lettre  suivante  au  Rév.  P. 
Lacombe  : 

,  En  route  pour  St.  Albert,  18  Avrill875. 

3ion  bien  cher  Père, 

Je  vous  recommande  tout  particulièrement  ce  bravé 
métis  anglais  qui  est  le  porteur  de  mes  lettres.  Je  suis  en 
route  pQur  St.  Albert  depuis  le  8  Mars.  *  Quand  je  partis 
de  la  missinn  des  Pieds-Noirs,  sur  la  rivière  des  Arcs,  je 
^croyais,  ayant  avec  moi  un  guide  tel  qu'Alexis  Cardinal, 
arriver  à  St.  Albert  pouç  Pâqu«s.  Mais,  rendus  à  la 
rivière  la  Biche,  ne  pouvant  plus  retrouver  le  chemifa  que 
le  ministre  protestant  avait  suivi  deux  mois  auparavant, 
Alexis  prit  un  chemin  de  traioe  à  chiens,  et  nous  eûmes  tant 
de  neige  et  tant  de  fatigues  pour  continuer  notre  route  que 
nous  mîmes  deux  semaines  à  faire  un^trajet  de  deux  jours. 
Alexis,  malgré  sa  grande  capacité  de  chasseur,  ne  pouvait 
plus  fournir  à  manger,  car  il  n'avait  plus  de  poudre.  Épui- 
sé, il  ne  me  restait  plus  assez  de  forces  pour  aller  plus  loin. 
Mon  excellent  guide  partit  donc  seul  pour  aller  au  fort  le 
plus  près  demander  du  secours  et  un  peu  de  viande  sèche- 
Jl  fit  cette  fois,  en  une  demijouinée,  un  trajet  que  Ton  met 
ordinairement  deux  jours  à  accomplir.  La  divine  «Provi- 
dence voulait  conserver  encore  quelque  temps  un  mis- 
sionnaire indigne  ;  il  est  impossible  pour  moi  de  ne  pas  ad- 
mirer en  cette  circonstance  sa  touchante  intervention. 
Alexis  revint  joyeux,  et  nous  pûmes  nous  rendre  ensemble 
au  fort  dont  je  viens  de  vous  parler.  Nous  y  séjournâmes 
une  semaine  entière,  pour  attendre  la  fonte  des  neiges. 
Vendredi  dernier,  plusieurs  jours  après  nous  être  remis  en 
route,  nous  fûmes  arrêtés  par  une  rivière  roulant  des  eaux 


27 

faneuses.    Il  commeaçait  à  faire  chaud,  et  le  cadavre  de  ce- 
cher  Leuis  Dazé,  que  nous  amenions  au  grand  Lac  entrait 
en  putréfaction.    Je  ne  suis,  comme  vous  le  savez,  mon 
Révérend  Père,  que  depuis  huit  mois  dans  ces  pénibles  mis- 
sions, et  je  vous  assure  que  sans  la  grâce  du  Divin  Maître, 
mon  courage  aurait  peut-être  failli.     Comme  j'étais  malade 
et  triste  î  un  regard  vers  le  trône  des  bontés  infinies  de 
Dieu  me  ranima.    Nous  pûmes  enfin,  avec  mille  dangiBrs, 
traverser  la  rivière,  et  à  peine  étions-nous  sur  l'autre  rive, 
que  nous  entendîmes  un  coup  de  feu.    Je  pousse  aussitôt 
un  grand  cri,  et  voilà  qu'un  sauvage  se  précipite  vers  nous. 
C'était  notre  salut.    Il  monte  sur  un  de  nos  chevaux  et  il 
nous  conduit  à  sa  loge,  non  loin  du  fort  de  la  montagne^ 
sur  la  route  du  fort  Edmunston.    Que  je  trouvai  donc  déli- 
cieux le  repas  que  le  beau-père  de  notre  sauvage,  un  vieux 
Saoteux,  nous  offrit  de  si  grand  cœur  î    Nous  étions  encore 
chez  notre  hôte  lorsqu'arrivèrent  quatre  charettes  conduites 
par  des  métis  qui  allaient  au  Lac  du  Bœuf.    Il  y  avait  en^ 
core,  près  de  cet  endroit,  un  large  bras  de   rivière  à  tra. 
verser.     Nous  décidâmes,  Alexis  et  moi,  de    profiter  du 
cageux  que  les  métis  devaient  préparer  pour  franchir  la  ri- 
vière, quoique  ce  fut  un  dimanche  matin.    C'est  de  l'autre- 
côté  de  cette  rivière  que  j'ai  heureusement  fait  la  rencontre 
de  ce  métis  anglais,  qui  nous  a  donné  de  la  farine  et  du 
sucre,  et  qui  s'en  va  directement       la  Rivière-Rouge.    Je 
lui  confie  mes  lettres  et  celles  du  bon  Père  ScoUen.    J'ai 
appris  que  Mgr  de  St.  Albert  partait  incessamment  pour 
le  lac  Carillon,  et  que  je  dois  l'y  suivre.    C'est  donc  là  que 
vous  voudrez  bien  m'écrire    J'espère  être,  dans  deux  jours, 
au  terme  de  mon  voyage. 

Mille  saints  affectueux  aux  Rév.  Pères  de  St.  Boniface- 

Veuillez  vous  souvenir  de  moi  tous  les  j^urs  au  saint 
autel.  Pour  moi  je  vous  promets  de  faire  de  même  ;  mais, 
depuis  le  8  Mars  je  n'ai  eu  le  bonheur  de  célébrer  les  SS. 
Mystères  qu'une  seule  fois,  le  jour  de  Pâques. 

Votre  humble  frère  en  J.  C.  et  Marie  Im., 

BONALD,  O.  M.  I*. 


28 
Xettre  du  R.  p.  Fourmond,  au  R.  P.  Lacombe. 

Nothe-Dahb  des  Victoires, 

Lac  la  Biche,  20  Août  1875 . 

Bien  cher  frâre  et  ami, 

J'ai  reçu  ici  votre  lettre  avec  un  bien  sensible  plaisir. 
Soyez  assuré  que  nous  aussi,  nous  Be  vous  oublions  pas  ; 
des  Oblats  de  Marie,  des  missionnaires  de  St.  Albert,  unis 
dans  les  saints  cœurs  de  Jésus  et  de  Marie,  pourraient-ils 
jamais  s'oublier  I — A  Dieu  ne  plaise;  pour  ce  qui  me 
regarde,  je  vous  donne  part  à  toutes  mes  prières,  comme  je 
souhaite  avoir  part  aux  vôtres.  Ce  que  j'admire,  entre  autres 
choses  chez  vous,  c'est  cette  invincible  espérance  de  nous 
revoir  un  jour  et  de  travailler  encore  avec  nous  au  salut 
des  pauvres  et  des  délaissés  enfants  des  bois,  ou  de  la 
prairie.  Que  cette  espérance  se  soutienne  toujours  ;  elle 
n'est  pas  moins  chère  à  nos  cœnrs  qu'au  vôtre  ;  bientôt 
T[)eut-être  nous  pourrons  répéter  avec  reconnaissance  ces  pa- 
roles du  prophète  royal  :  Le  Seigneur  a  exaucé  le  désir  des 
pauvres,  desiderium  pctuperum  exaudivit  Dominus, 

^'ai  enfin  fini  cet  hiver  de  copier  vos  excellents  sermons 
cris  à  l'exception  de  ceux  qui  traitent  des  commandements 
de  l'Eglise  ;  je  n'ai  pu  me  procurer  ces  derniers.  Ce  travail 
a  été  un  peu  rude,  mais  j'ai  lieu  de  croire  qu'il  n'a  pas  été 
sans  fruit.  Le  Révèrent  Père  Rémas,  le  grand  phénix  cri 
depuis  votre  départ,  aurait  préféré  que  j'eusse  composé  moi- 
même  mes  sermons,  sans  doute  pour  avoir  le  plaisir  dé  les 
corriger,  mais  j'ai  mieux  a^mé  me  familiariser  avec  vos 
tournures  si  bien  crisées  et  m'appro prier  en  quelque  sorte 
vos  sermons  si  poétiques,  pensant  que  ce  serait  beaucoup 
plus  avantageux  pour  moi.  '  Comme  le  disait  un  bon  Père 
Jésuite  nous  prêchant  jadis  une  retraite  ecclésiastique,  dans 
les  rivières  les  gros  poissons  mangent  les  petits  ;  parmi 
nous  c'est  le  contraire  qui  doit  avoir  lieu  :  ce  sont  les  petits 
poissons  qui  doivent  manger  les  gros.  En  conséquence, 
ne  soyez  pas  surpris  si  moi,  petit  i>oisson,  je  coniinue  de 
vous  dévorer,  gros  poisson  cris.  Pour  vous  en  consoler,  je 
vous  offre  de  nouveau  ma  bien   sincère    reconnaissance 


29 

^ur  toutes  les  peines   que  vous  vous  êtes  données  afin 

-de  nous  Tenir  en  aide  dans  cette  rude  et  épineuse  tâche 

d'apprendre  le  cri. 

Votre  échelle  catholique  m'est  d'un  plus  grand  secours 
poar  enseigner  les  ignorants  que  votre  catéchisme  en  images 
dont  la  plupart  des  sujets  ne  sont  pas,  je  crois,  à  la  portée  de 
mes  élèves.  Quant  à  vos  autres  ouvrages  :  dictionnaire, 
grammaire,  évangile,  je  n'ai  pu  encore  me  les  procurer. 

Mon  ministère  s'est  borné  à  évangéliser  les  environs  du 
fort  où  j'allais  d'ordinaire  dire  la  sainte  messe  le  dimanche, 
partant  chaque  samedi  en  traine  à  chien.  Monsieur  Trell, 
le  gendre  de  Monsieur  Mackaye,  m'a  toujours  re  çu  avec  la 
plus  grande  bonté.  Que  le  bon  Dieu  l'en  récompense  au 
centuple  !  J'avais  pour  église  et  en  môme  temps  pour  pres- 
bytère la  maison  de  Monsieur  Pombrun,  située  à  une  portée 
de  carabine  du  port.  J'y  ai  passé  toute  la  semaine  de 
Pâques  pour  préparer  la  première  communion.  Neuf  per- 
sonnes, dont  cinq  enfants,  deux  jeunes  gens  et  deux  femmes, 
ont  eu  le  bonheur  de  recevoir  leur  Dieu  pour  la  première 
fois.    L'une  de  ces  femmes  avait  été  élevée  dans  la  religion 

'  protestante,  mais  touchée  de  la  grâce,  elle  est  entrée  dans 
le  bercail  du  divin  Maître  et  elle  a  édifié  tout  le  monde  par 
sa  piété.  L'autre  était  une  vieille  grand'  mère  qui  m'a 
.répondu  quand  je  lui  ai  demandé  son  âge  :  ^^  Père^  je  pense 
bien  que  j'ai  cent  ans,  car  il  y  a  longtemps  que  je  ne  compte 
plus  mes  années."  Je  n'avais  pas  encore  rencontré  dans  le 
pays  autant  de  bonne  volonté  pour  s'instruire  et  pour  se 
préparer  à  la  première  communion.  Aussi  Notre  Seigneur 
l'a-t-il  bien  récompensée  réelle  était  si  remplie  de  la  grâce,  si 
heureuse  de  posséder  Jésus  dans  la  sainte  Eucharistie, 
qu'elle  aurait  voulu  mourir  là  où  elle  avait  communié  ;  et 
il  semble  que  le  Sauveur  des  hommes  devait  répéter  cette 
parole  qu'il  avait  prononcée  jadis  :  Non  inverti  tantam /idem 
in  Israël^  je  n'ai  pas  rencontréjjune  si  grande  foi  en  Israël. 
Vous  savez  déjà,  je  pense,  la  mort  terrible  de  notre  cher 
Louis  Dazé,  mort  de  faim  et  de  froid  au  milieu  de  la  prai- 
rie, sur  les  bords  de  la  rivière  des  Erres.  Cette  triste  nou- 
velle nous  a  tous  frappés  au  cœur  comme  la  mort  d'un  ami 
et  d'un  Père.    Que  le  Seigneur  le  récompense  de  son  dé- 


30 

▼ouemeni  à  toute  épreuve  et  en  particulier  des  service» 
qu'il  m'a  rendus  dans  mon  voyage  à  Notre-Dame  de  la 
Paix,  en  lui  donnant  le  repos  éternel,  promis  à  celui  qui  a 
travaillé  et  qui  a  souffert  pour  le  mériter.  C'est  une  grande 
perte  pour  la  mission,  mais,  je  n'en  doute  pas,  c'est  déjà 
une  nouvelle  joie  pour  le  ciel. 

Une  nouvelle  obédience  m'est  arrivée  ici  comme  une 
l>ombe  :  je  pars  avec  les  charrettes  de  Carlton  pour  aller 
rejoindre  le  bon  Père  André  à  la  mission  de  St.  Laurent. 
Que  le  Seigneur  Jésus  et  Marie  Immaculée  en  soient  glo- 
rifiés en  cela  comme  en  tout  le  reste,  et  qu'ils  vous  bénis- 
sent autant  que  je  le  désire,  en  attendant  que  nous  nous 
revoyions  en  cette  vie  ou  dans  l'autre  selon  leur  bon  plaisir. 

Votre  tout  affectionné  frère  en  J.  M.  J., 

FOURHOND,  O.  M.  L 


31       * 

1.KTTR1  DB  MGRi  Grandin  hux  Prêtres-missionnaîres  et  aux 
Frères  convers  du  diocèse  de  St.  Albert. 

St.  Albert,  20  J^ioembre  1 875. 

Mes  Révérends  et  bien  chers  Pères  et  Frères, 

Une  maladie  avec  laquelle  je  suis  arrivé  ici  l'automne 
dernier,  après  m'avoir  beaucoup  fait  souffrir,  me  laisse 
^nfin  en  repos  maintenant  ;  mais  elle  m'a  quitté  trop  tard 
pour  que  je  puisse  m'acquitter  entièrement  de  mon  courrier 
^'hîver,  d'autanf  qu'il  me  faut  prendre  des  précautions  et 
me  ménager.  Craignant  de  ne  pouvoir  écrire  à  chacun 
-d'entre  vous  comme  je  le  désirerais,  et  devant  dire  à  plu- 
sieurs les  mômes  choses,  pour  diminuer  le  travail,  ou  plutôt 
pour  suffire  à  tout,  je  me  servirai  enc(îre  d'une  circulaire. 

Depuis  mon  retour  jusqu'à  présent,  je  n'ai  pas  été  seule- 
ment inutile  pour  mes,  missions* dont  je  n'ai  pu  absohîm«nt 
m'occuper,  mais  j'ai  été  vraiment  bien  embarrassant  pour 
St.  Albert  On  ne  me  l'a  jamais  fait  sentir  assurément. 
•  Tout  le  monde,  dans  les  deux  communautés,  ne  savait  que 
faire  pour  me  soulager  et  pour  m'étre  agréable  ;  on  priait, 
on  veillait  et  malgré  tout  je  souffrais  toujours,  j'avais  la 
faiblesse  de  me  plaindre  et  de  troubler  le  sommeil  de  ceux 
4]ui  étaient  un  peu  rapprochés  de  moi. 

Le  19  Septembre,  fête  de  N.-D.  dès  Sept  Douleurs,  jedevais 
ordonner  le  F.  Grandin  diacre  et  le  F.  Fafard  sous-diacre. 
L'ordination  était  annoncée,  tout  était  préparé,  la  veille 
nous  espérions  encore;  et  îl  fallut  pourtant  y  renoncer  ;  je 
né  pus  le  faire  que  le  21  Septembre  et  sans  folennité.  Le 
21  Novembre,  jour  de  la  solennité  de  St.  Albert,  je  devais 
ordonner  le  F.  Grandin  prêtre  et  le  F.  Fafard  diacre.  Cette 
fois  le  désappointement  fut  moins  complet,  parce  que  long- 
temps d'avance  on  avait  pii  prévoir  que  l'ordination  ne 
serait  pas  possible,  dépendant  le  19  Novembre,  pour  la 
troisième  fois,  un  abcès  m'a  crevé  dans  l'oreille  et  a  coulé 
si  abondamment  que  j'en  étais  fatigué;  malgré  cela  l'en- 
llure  qui  paraissait  à  l'extérieur  ne  diminuait  pas,  et  les 
souffrances  élaient  toujours  très-violentes.  Le  24  uhe  Sœur 


"       32 

• 

ouvrit  la  tumeur  Jormée  derrière  Toreille  ;  Técoulement 
fut  eocore  plus  abondant  par  cette  ouverture  que  par  l'o- 
reille, et  cette  fois  je  fus  soulagé,  je  pus  dormir  la  nuit. 
Jlai  pu  dire  la  sainte  messe  le  dimanche  27,  et  Pal  toujours 
dite  depuis.  Emln  j'Osai  entreprendre  l'ordination  le  30, 
et  j'ai  fait  celle  du  P.  Fafard  comme  prêtre  le  jour  de  l'Im- 
maculée  Conception.  Tout  cela  m'a  bien  fatigué  ;  je  suis 
môme  retombé  plusieurs  fois  depuis.  Chaque  foie  que  l'é- 
coulemeat  cessait,  les  souffrances  reprenaient  et  le  sommeil 
disparaissait  complètement.  Je  crois  pouvoir  dire  que 
depuis  le  14  du  courant,  je  sais  guéri  ;  il  ne  me  reste  plus 
que  la  faibleese  qui  diminue  pourtant  tou%  les  jours.  Mais 
l'oreille  droite  n'entend  plus  et  la  gauche  est  bien  paces- 
seuse.  C'est  la  première  fois  que  ma  sauté  ne  me  permet 
pas  de  faire  face  à  mes  obligations.  Je  devais,  cet  automne, 
accompagner  le  R.  P.  ScoUen  et  visiter  les  tribus  de  l'Ouest  ; 
il  m'a  fallu  j  renoncer  malgré  l'importance  de  cette  visite. 
J'^  eu  la  douleur  de  voir  partir  ce  cher  Père  seul  avec  un 
enfant  Pied- Noir.  La  saison  le  pressant, il  dut  se. mettre  en 
route  avant  que  nos  marchandises  fussent  arrivées.  La 
neige  et  les  froids  l'ont  pris  dans  le  voyage  ;  il  fut  obligé  de 
faire  seul  à  peu  près  tout  l'ouvrage  des  campements,  sans 
compter  les  accidents  aux  voitures,  toujours  nombreux  dans 
ces  sortes  de  courses,  et  qu'il  lui  fallait  réparer.  11  a  re- 
trouvé, à  la  rivière  des  Arcs,  le  bon  Père  Doucet  et  le  pauvre 
Alexis,  tellement  troublé  aujourd'hui,  que  loin  de  rendre 
service  il  est  devenu  un  embarras  considérable.  Ils  ont  dû 
le  laisser  à  la  maison  qu'il  avait  construite  autrefois,  et  eux 
deux  se  sont  rendus  à  l'embouchure  de  la  rivière  du  Coude 
dans  la  ri  vie  i^  des  Arcs. 

Le  1<^  Novembre  ils  y  étaient  en  loge  et  ils  devaient  cons- 
truire une  maison  pour  y  passer  l'hiver.  Déjà  la  neige 
couvrait  la  terre,  et  les  pauvres  Pères  n*avaient  point  d'ar- 
gent}  point  de  provisions  d'avance  et  point  d^autres  ser- 
viteurs que  cet  enfant  dont  je  vous  ai  parlé.  Vous  voyez, 
chers  Pères  et  Frères,  que  si  vous  souffrez  de  la  pauvreté, 
vous  n'êtes  pas  les  seuls.  Je  suis  pour  ma  part  désolé  de 
n'avoir  pu  les  visiter  ;  j'aurais  au  moins  partagé  leurs  mi 
sères.    Si  je  le  puis  ce  printemps,  je  ne  manquerai  pas 


33 

<l'aller  à  leiir  secours.  Mais  ce  n'est  pas  tout,  les  Père» 
Dupin  et  Bourgine  sont  au  petit  Lac  des  Esclaves;  ils 
m'attendent  ce  printemps,  et  ne  me  verroat  point,  bien 
entendu.  Cependant  eux  aussi  ont  bien  leur^  misères  ;  ris 
sont  nombreux  en  cet  endroit;  leurs  chrétiens  sont  de 
petits  chrétiens  qui  comprennent  d'autant  moins  qu'ils  ont 
plus  besoin  de  prêtre.  La  vie  de  ces  pauvres  ouailles  est 
loin  d'être  édifiante  ;  il  n'en  peut  être  autrement  puis- 
qu'elles ont  presque  toujours  vécu  loin  du  missionnaire. 
IjCs  consolations  qu'éprouvent  ces  chers  Pères  sont  donc  bien 
minces,  si  tant  est  qu'ils  en  aient  d'autres  que  de  souffrir  pour 
le  bon  Dieu.  Ajoutons  à  cela  que  l'un  d'eux  est  sérieuse- 
sement  malade  et  Tautre  loin  d'être  fort;  ils  ont  avec  eux 
un  certain  Ladred  venu  avec  moi  comme  postulant  conver3 
l*a  manière  dont  il  s'est  conduit  ne  me  permet  guère  de 
douter  qu'il  eût  d'autre  intention  en  quittant  la  France- 
que  de  s'exempter  du  service  militaire  en  se  faisant  une 
position  ailleurs.  Je  l'oblige  à  travailler  pour  remplir  son 
engagement  J  il  le  fait  â  contre-cœur  le  moins  qu'il  peut 
Ce  n'est  pas  avec  un  tel  sujet  que  ces  pauvres  Pères  auront 
de  l'agrément. 

Ici  nous  sommes  passablement  nombreux.  Outre  le  Rév. 
Père  Lestanc,  Supérieur  et  spécialement  chargé  de  la  direc- 
tion spirituelle  de  la  population,  le  Rév.  Père  Bianchet  est 
chargé  de  l'économat,  en  môme  temps  que  de  la  desserte 
d'Edmonton  et  de  Jasper,  dans  les  Montagnes  Rocheuses. 
Il  a  visité  ce  poste  cet  automne.  Le  jeune  Père  Grandin 
est  chargé  du  collège  et  enseigne  le  latin  à  trois  petits  gar- 
rons.  Le  Père  Fafard  a  dû  partir  quelques  jours  seule- 
ment après  son  ordination  pour  aller  au  secours  de  nos 
nombreux  métis  du  lac  du  Bœuf.  Après  que  ceux  d'ici 
auront  terminé  leur  jubilé,  ce  qui  aura  lieu  à  Noël,  le  Père 
Lestanc  ira  le  rejoindre  et  passer  au  moins  quelques  se- 
maines avec  lui.  Nous  avons  de  plus  les  Pères  Sarumet  et 
Tpuze,  novices,  le  Frère  Paquet,  scolastique,  oblât  d'un 
an.  En  fait  do  Frères  convers  nous  avons  le  bon  vieux 
Frère  Lalican  toujours  plein  de  bonne  volonté,  sans  avoir 
trop  de  santé  ;  il  court  toujours,  dispute  souvent,  c'est 
l'homme  d'ordre  et  d'économie  par  excellence,    et  mal- 

2 


34 

heureusement  ce  n'est  pas  la  qualité  de  tout  le  monde^ 
Le  Frère  Â.  Lambert,  oblat  à  vie  depuis  la  Toussaint^, 
est  chargé  des  étables  pi  a  au  moins  80  animaux  à  soigner, 
sans  compter  les  nouveaux  nés  qui  viennent  de  temps 
6n  temps.  Le  vieux  Frçre  Leriche  est  toujours  à  la  forge  ; 
sans  lui  nous  ne  pourrions  plus  ni  faire  de  feu  ni  manger 
de  soupe  ;  il  a  toujours  quelques  tuyaux  à  ajuster  ou  de» 
chaudières  à  refoncer.  Le  fait  est  que  si  nous  ne  Tavions 
point  nous  serions  en  peine  pour  faire  faire  ces  ouvrages 
dans  le  pays  où  la  main  d'œuvre  se  fait  payer  si  cher.  Le 
cher  Frère  a  monté  en  grade  cette  année,  puisqu'il  a  ordi- 
nairement sous  son  autorité  le  cher  Frère  Gaillard,  novice^ 
qui  lui  aussi  a  du  goût  et  de  l'aptitude  pour  frapper  sur  Ten^ 
clûme.  Malheureusement  il  faut  souvent  le  tirer  de  sa 
boutique.  Dès  que  quelqu'un  manque  pour  les  charriages^ 
c'est  au  Frère  Gaillard  qu'on  a  recours,  he  bon  Frère  Pi- 
quet avec  le  Frère  Letourneux,  le  premier  oblat  de  5  ans^ 
le  second  oblat  d'un  an,  travaillent  de  leur  mieux  à  nous 
procurer  le  bois  de  chauffage.  Le  métier  est  dur  pour  eux, 
pour  le  cher  Frère  Piquet  surtout,  qui  n'est  nullement  fait 
à  ce  genre  d'ouvrage,  l'autre  n'a  pas  forte  santé  ;  enûn 
la  bonne  volonté,  le  courage  et  le  dévoûment  fout  ce 
que  les  forces  ne  pourraient  faire.  Le  Frère  Boon,  autre 
oblat  d'un  an,  était  ici  notre  fac  totum  ;  il  était  devenu  bon 
fermier,  un  peu  ouvrier,  ce  qui  tic  l'empêchait  pas  d'être 
excellent  chasseur.  Mais  le  voilà  bien  pris  d'une  maladie- 
non  pas  dangereuse,  et  cependant  bien  pénible,  puisqu^on 
ne  pourra  jamais  le  guérir  parfaitement:  c'est  l'inflamma- 
tion des  amygdales.  Pour  peu  qu'il  se  mouille  ou  qu'il  ait 
froid,  le  mal  augmente  à  tel  point  que  pendant  quelque 
temps  j'aui^ais  eu  peur  pour  sa  vie,  si  la  Sœur  infirmière 
De  Tja'avait  rassuré.  Il  avait  la  gorge  tellement  bouchée 
qu'il  ne  pouvait  ni  manger  ni  parler  ;  à  peine  pouvait-il 
respirer.  Aujourd'hui  la  guérison  est  aussi  complète 
qu'elle  peut  l'être,  mais  il  a  toujours  la  gorge  plus  ou  moins- 
prise.  On  a  donc  dû  le  mettre  à  la  menuiserie,  non  pa& 
sous  la  direction  du  Père  Bowes,  mais  bien  du  Frère  Van* 
tighem,  novice  belge  que  j'ai  eu  la  chance  de  recevoir  cette 
année.    Grâces  à  ses  conaaissances  comme  ouvrier  et  à  $a 


35 

tonne  volonté  comme  religieux,  si  le  bon  Dieu  npus  le 
conserve,  c^est  une  véritable  acquisition  pour  nos  missions. 
Le  Frère  Boon  ne  pouvant  plus  travailler  dehors,  nous 
avons  engagé  mi  jeune  métis  pour  cbarroyer  les  foins. 

Ceux  d'entre  vous  qui  connaissez  révêché  de  St.  Albert, 
^ous  vous  demandez  peut-ôtre  comment  nous  pouvons  nous 
loger  tons?    Les  cellules  sont  doublées,  à  l'exception  de 
celle  du  P.  Supérieur  et  de  la  mienne,  et  quand  le  P. 
Vegreville  s'en  vient  du  Lac  Ste.  Anne,  le  P.  Supérieur  est 
bien    obligé    de    lui    donner   Thospilalité.    Lorsque   ma 
maladie  augmenta,  on  jugea  que  je  ne  pourrais  pas  con- 
tinuer 4^ocquper  ma  chambre,  les  allées  et  venues  de  tout 
le  monde,  le  bruit  des  portes,  etc.,  ne  permettaient  pas  de 
réparer  pendant  le  jour  le  sommeil  que  je  manquais  pendant 
la  nuit;  on  me  prépara  un  appartement  dans  la  petite  maison 
t)ù  étaient  les  serviteurs  autrefois.   Elle  servait  alors  à  rece- 
voir les,  malades  qu'on  nous  amène  de  temps  en  temps  et 
iju'on  ne  peut  refuser.     Elle  était  justement  vacante  depuis 
mon  arrivée,  par  la  mort  d'un  jeune  sauvage.qu'on  avait  d& 
y  recueillir,  et  par  le  départ  d'un  estropié  qu'on  y  avait 
guérL    J'étais  à  peine  installé  dans  mon  nouveau  logis^ 
avec  le  F.  Grandin  pour  compagnon  et  infirmier,  qu'on 
nous  amena  du  fort,  un  pauvrQ  Anglais,  employé  au  service 
du  gouvernement  ;  il  avait  un  pied  gelé,  pas  de  chez  lui, 
pas  de  parents,  pas  d'amis  :  il  fallut  bien  le  recevoir,  et 
comme  il  n'y  avait  pas  d'autre  place  que  la  chambre  épis> 
copale,  c'est  là  en  effet  qu'on  l'installa.    Je  ne  saurais  vous 
dire  tous  les  voyages  que  les  pauvres  Sœurs  font  de  chez 
elles  chez  npus,  pour  soigner  tous  ces  infirmes.    Pour  ne 
pas  m'exposer  à  un  coup  de  vent,  on  m'apporte  mes  repas 
dans  ma  chambre.     Le  pauvre  gelé  n'est  que  pourriture  ; 
tous  les  orteils  sont  tombés^  et  je  ne  sais  s'il  en  sera  quitte 
pour  cela.    Sans  doute  nous  serons  dédommagés  des  trou- 
bles que  ce  malade  nous  occasionne,  mais  il  faut  autre 
chose  que  de  l'argent  pour  supporter  l'infection  que  ce 
pauvre  misérable  répand  dans  toute  la  maison  :  c'est  à  n'y 
pas  croire.  Oh  I  chers  Pères  et  Frères,  prenez  bien  garde  de 
ne  p^s  vous  exposer  à  de  semblables  accidents  ;  ils  seraient 
d'autant  plus  déplorables  que  plusieurs  d'entre  vous  ne 


36 

seriez  pas  à  portée  de  profiter  de  la  charité  et  de  la  science 
de  nos  bonnes  Sœurs. 

Je  crois,  chers  Pères  et  Frères,  tous  avoir  donné  à  peu 
pr^s  toutes  les  nouvelles  locales  que  je  puis  supposer  inté- 
ressantes pour  voils.  Mais  avant  de  finir,  je  dois  apprendre 
à  ceux  d'entre  vous  qui  Tignorez,  au  moins  à  ceux  du  Lac 
Caribou,  la  mort  tragique  du  pauvre  F.  Alexis.  Il  se  ren- 
dait d'Attabaskawr  au  Lac  Labiche.  Les  provisions  lui  ayant 
manqué,  Louis  Tlroquois  son  compagnon  Ta  tué  et  mangé  / 
ses  08  mutilés  et  calcinés  sont  au  Lac  Labiche.  Sans  doute 
Louis  riroquois  est  mort  aussi.  J'oubliais  encore  de  vous- 
parler  du  Jubilé.  Nous  faisons  une  espèce  de  mission- 
pour  y  préparer  nos  chrétiens  qui  sont  vraiment  pleins  de 
bonne  volonté  pour  se  rendre  aux  exercices  deux  fois  le 
jour.  Je  ne  signale  pas  de  retour  parmi  nos  métis;  géné- 
ralement bons  chrétiens  ;  mais  nous  avons  la  consolation 
d'en  obtenir  quelques-uns  parmi  les  étrangers  ;  et  de  plu» 
tous  ont  été  préparés  par  les  instructions  que,  pendant  deux 
semaines,  nous  leur  donnons  dedx  fois  le  jour.  Beaucoup 
reviennent  sur  leurs  confessions  passées  et  grâce  à  Dieu,  j'es- 
père qu'à  St.  Albert  le  jubilé  produira  de  grands  fruits  de 
salut.  J'ai  appris,  par  une  nouvelle  lettre  venue  de  la  Pro- 
pagande, que  le  St.  Père  accordait  pour  les  pays  de  mission 
l'année  1876  tonte  entière.  Ainsi,  si  pour  cause  de  voyage» 
ou  autrement,  vos  fidèles  n'avaient  pu  profiter  de  cette 
grâce  cette  année,  on  pourra  les  en  faire  profiter  Tannée 
prochaine.  Puisque  je  vous  parle  de  Rome,  cela  me  fait 
penser  à  une  chose  qui  pourra  encore  vous  faire  plaisir.  Il 
y  a  un  an  les  petits  enfants  de  l'Ile  à  la  Grosse  eurent  la 
naïve  et  heureuse  pensée  d'écrire  au  St.  Père.  Je  trouvai* 
leur  lettre  si  charmante  que  je  ne  balançai  pas  à  l'envoyer 
au  cardinal  Préfet  de  la  Propagande,  avec  une  autre  lettre* 
des  enfants  de  St.  Albert.  Je  demandais  en  même  temps  a 
son  Eminence  de  prier  le  St.  Père  de  nous  bénir  tous  et  de 
l'assurer  de  notre  dévoûment  et  de  notre  vénération. 
Dernièrement  la  lettre  des  enfants  de  St.  Albert  nous  est: 
revenue  avec  ces  paroles  écrites  de  la  main  du  Pape  : 
Benedicat  vos  Deus  et  dirigat  gressus  vestros  in  semitis  suis.  — 
Plus  P.  P.  IX.    Cette  lettre  était  accompagnée  d'une  autre 


37 

du  Gardi^nal  Préfet  où  Son  Emmence  m 'assurait  de  Testime 
et  de  raffectdOQ  que  Sa  Sainteté  daigne  nou»  porter. 

Vous  donnant  du  fond  de  mon  cœur  roa  plus  affectueuse 
bénédiction;  je  demeure,  mes  chers  Pères  et  Frères, 

Votre  tout  dévoué  en  N.  S., 

f  Vital  J.  Ev.  db  St.  Albert;. 


38 

Lettre  AORESséE  au  R.  P.  A.  Lacombs  par  le  R.  P.  A- 
Gasté,  O.  m.  L,  missionnaire  au  Lac  Caribou,  Terri- 
toire de  la  Baie  d'Hudson. 

Mission  St.  Pierre  du  Lac  Caribou,  27  Juin  1876. 

Mon  révérend  et  cher  Père  Lacombe, 

Je  ne  puis  remettre  la  main  sur  votre  bonne  lettre  de 
Tété  dernier,  que  j'ai  reçue  dans  Tautomne  ;  j*aurais  vou- 
lu la  relire  pour  y  répondre  plus  à  propos.  Je  vous  en  re- 
mercie néanmoins  bien  sincèrement,  ainsi  que  de  l'envoi 
de  votre  dictionnaire  et  de  votre  sermonaire  Cris  que  vous 
avez  eu  la  bonté  de  me  faire.  Je  n'ai  pas  encore  pu,  jus- 
qu'à présent,  m'occuper  des  Cris,  ayant  été  obligé  de  faire 
l'apprentissage  de  la  varlope  et  du  rabot,  puis  d'entre- 
prendre deux  voyages  pour  la  visite  des  malades.  Mais 
notre  Père  Bonald  est  heureux  de  posséder  vos  deux  ou- 
vrages. Ils  lui  sont  d'un  bien  grand  secours  pour  se  for- 
mer à  la  pratique  de  la  langue  crise  et  travailler  à  Pins» 
truction  des  familles  crises  ou  métis  qui  peuplent  le  fort 
qui  nous  avoisine.  Ne  pouvant  encore  se  hasarder  à  prê- 
cher en  public,  il  se  sert  de  votre  sermonaire  pour  leur  lire 
un,  et  parfois  deux  sermons  par  dimanche. 

Je  vous  serais  bien  reconnaissant  si  vous  pouviez  nous 
envoyer  une  bonne  quantité  de  livres  cris,  tant  livres  de 
prières  qu'évangiles.  Voilà  bien  trois  ou  quatre  ans  que 
je  réclame  les  premiers  sans  pouvoir  en  recevoir.  Ici, 
comme  dans  tous  les  postes  d'en  bas,  tels  que  Lac  Chetek, 
Fort  Cumberland,  Grand-Rapide,  on  nous  demande  par- 
tout des  livres.  Comme  il  est  pénible  de  ne  pouvoir  en  dis- 
tribuer à  tout  ce  monde,  quand  on  voit  les  ministres  pro- 
testants répandre  les  leurs  à  profusion  ! 

Par  ce  môme  courrier,  j'écris  à  Sa  Grandeur  Mon- 
seigneur Taché,  pour  lui  demander  avec  iustance  qu'Elle 
vous  envoie  cet  été  faire  une  visite  dans  les  trois  postes  ci- 
dessus  mentionnés.  J'espère  que  Sa  Grandeur  ne  me  re- 
fusera pas  cette  faveur,  et  cela  en  vue  de  la  gloire  de  Dieu 
et  du  salut  des  âmes.  En  effet,  Mgr.  Grandin  voudrait 
qu'on  s'établît  dans  ces  trois  places.    Déjà  même,  Sa  Grau- 


39 

deur  devait  eovoyer  cet  hiver  un  jeune  Père  au  Fort  Gum- 
berland  pour  en  prendre  possession.    Dans  chacun  de  cet 
postes,  il  y  a  un  petit  noyau  de  catholiques  qu'il  est  urgent 
de  soigner  plus  que  par  le  passé,  si  nous  ne  voulons  pa» 
les  voir  croupir  daos  Tignorance  ou  se  protestaotiser  à  la 
longue,  du    moins   pour   ce   qui   est  des  enfants.    Au 
Grand  Rapide  et  au  Lac  Chétek,  il  y  a  ^e  plus  une  agglomé- 
ration  de  sauvages  qui  ne  sont  point  encore  fixés  sur  le 
choix  de  leur  religion.    Quelques-uns  sont  baptisés  par 
nous,  1  d'autres  par  les  ministres  protestants.    Dans  ces 
deux  postes,  on  nous  sollicite  de  nous  y  établir  ;  mais  les 
ministres  qui  le  savent  redoublent  leurs  visites.  Au  Grand- 
Rapide,  on  nous  pressait  fort.  Tannée  dernière,  de  nous 
fixer  là;  mais  nous  n'avons  pu  le  faire  encore.    Malheu- 
reusement, je  crois  qu'à  la  fin  de  l'été  dernier,  les  sauvages 
de  cette  place  ont  consenti  à  recevoir  un  ministre  ou 
maître  d'école  Wesléyen  qui  devait  leur  être  envoyé  dans 
le  couis  de  l'hiver. 

Au  fort  Gumberland,  les  sauvages  prient  déjà  avec  le 
ministre;  mais  si  Tun  de  nous,  possédant  bien  leur  langue, 
y  résidait^  bien  vite  un  bon  nombre  d'entre  eux  se  join- 
draient à  nous.  Déjà  quelques-uns  nous  ont  assurés  qu'ils 
prieraient  avec  nous,  si  nous  étions  là  ;  et  leur  exemple  se- 
rait bientôt  suivi  par  plusieurs  sauvages  du  Pas.  Par 
malheur,  Monseigneur  Grandin  n'a  pas  de  Père  disponible 
et  connaissant  suffisamment  la  langue  crise  pour  espérer 
porter  un  bon  coup  en  arrivant. 

Pour  vous,  mon  très-révérend  Père,  vous  seriez  précisé- 
ment l'homme  qu'il  faudrait  ^pour  opérer  le  bien  dans  ces 
trois  postes.  Une  visite  que  vous  feriez  dans  chacun  d'eux, 
au  printemps,  suffirait,  je  pense,  pour  amener  un  bon  ré- 
sultat. La  permission  de  Mgr  Taché  accordée,  vous  pou- 
ves  vous  rendre  en  xanot  au  lac  Ghetek,  où  réside  notre 
bon  Antoine  Morin.  Il  suffit  de  trois  jours  au  plus  pour 
faire  le  trajet  ;  mais  si  la  chose  présentait  trop  de  difficultés, 
TOUS  pourriez  vous  en  tenir  à  la  visite  du  Fort  Gumber- 
land eVdu  Grand  Rapide.  Le  Père  Bonald  doit  vous  écrire 
dans  le  même  sens.  Ge  faisant,  mon  bien  cher  Père,  vou& 
aurez  grandement  contribué  à  la  gloire  de* Dieu,  au  salut 


40 

des  âmes,  rendu  à  Monseigneur  Grandin  et  à  nous  un  im- 
mense service  dont  nous  vous  garderons  une  éternelle  re- 
connaissance. 

Nous  avons  eu  la  consolation,  au  commencement  de 
Tété  dernier,  de  recevoir  la  visite  de  Mgr  Grandin.  Il  nous 
est  arrivé  le  10  juillet  au  soir,  et  n'a  pu  demeurer  que  huit 
jours  avec  nous.  De  chez  nous,  il  e^t  descendu  au  lac 
Chetek  et  an  Fort  Cumberland.  Partout  où  Sa  Grandeur 
est  passée,  Elle  a  produit  un  excellent  effet,  et  cette  der- 
rière visite  chez  nous  parait  avoir  raffermi  les  bonnes  dis- 
positions que  nos  sauvages  montraient  depuis  Tannée  der- 
nière. 

Les  traiteurs  ont  fait  leur  apparition  dans  nos  parages. 
Je  «rains  que  ce  ne  soit  pa^s  trop  à  l'avantage  spirituel  de 
nos  pauvres  Montagnards.  Priez  donc  bien,  mon  cher 
Père,  pour  que  mes  craintes  ne  se  réalisent  point,  et  pour 
que  le  bon  Dieu,  qui  tient  les  cœurs  de  tous  en  ses  mains, 
les  incline  de  plus  en  plus,  malgré  ces  obstacles  apparents, 
vers  la  pratique  ferme  et  solide  de  ses  saints  commande- 

ments. 

Puisse  cette  missive  vous  trouver  en  bonne  santé  !  Nous 
vous  souhaitons,^  quoiqu'un  peu  tard,  une  année  bien  pros- 
père à  tous  égards. 

Vôtre  très-respectueux,  tout  affectionné  et  tout  dévoué 
frère  en  J.-C.  et  M.  I. 

M.  J.  E.  A.  Gasté, 
Prêtre-Missionnaire,  0.  M.  I. 


.j 


CHINE. 

Nous  croyons  devoir  mettre  sous  les  yeux  des  associés 
de  la  Propagation  de  la  Foi  les  belles  pages  qui  suivent. 
Oq  7  verra  que  la  Chine  persécute  toujours  les  mission- 
naires et  les  chrétiens,  dont  la  foi;  le  zële  et  rentier  dévoue- 
ment  sont  admirables. 


-^ 


8U-TGHCBN  OrciDBirrAL. 


M.  Bompas  écrivait,  de  Ydn-chân,  le  2  juin  1875,  à  M. 
Voisin,  directeur  au  Séminaire  des  Missions-Etrangères  de 


'^En  Europe,  les  sociétés  secrètes  ont  entre  les  mains  la 
presse  qui,  en  pénétrant  jusque  dans  les  bourgades  les  plus 
inconnues,  répand  par  tout  l'impie  té  avec  la  haine  dû  Christ 
et  de  ses  prôtres.  En  Chine,  les  Tsin-liên-kiao  ont  su  lui 
assigner  le  même  office  et  lui  font  jouer  le  même  rôle. 
Dans  toutes  les  villes,  circulent  des  brochures  contre  la 
religion  chrétienne  et  les  Européens.  A  tous  les  coins  de 
rues,  on  affiche  d'immondes  placards.  Quelques  manda- 
rins ont  fait  déchirer  ces  libelles  et  publier  un  décret  par  le- 
quel ils  menacent  des  peines  les  plus  sévères  ceux  qui  ose- 
raient les  mettre  au  jour.  D'autres,  et  ce  sont  les  plus 
nombreux,  voient  avec  indifférence  ces  infamies  affichées 
à  leur  porte  ;  ils  connaissent  les  trames  ourdies  contre 
nous,  et,  au  lieu  4e  nous  défendre  et  de  nous  rendre  jus- 
tice, ils  semblent  plutôt  prêter  la  main  i  nos  calomniateurs. 
La  persécution^  locale  jusqu'à  ce  jour,  tend  à  devenir  géné- 
rale. Jamais,  peut-ôtre,  les  injures,  les  menaces  et  les  calom- 
nies, n'ont  été  plus  nombreuses  que  depuis  Farrivée  de  M. 
de  Roquette.  C'est  uo  appel  à  la  révolte,  un  déû  jeté  i  la 
face  des  nations  européennes  qui  viennent  faire  le  com- 
merce dans  les  ports  du  Céleste  Empire. 

^'Un  des  placards,  maintenant  affichés  dans  tout  le 
Tchouanpê    (Su-tchuen  septentrional),  est    écrit  comme 


'      ~  42 

venant  de  trois  grands  mandarins.  Les  gens  lettrés  savent 
bien  qu'il  n'émane  point  de  ('i^utorité  ;  mais,  c'est  aux 
ignorants,  à  la  populace  que  nos  ennemis  s'adressent. 
Dernièrement,  ayant  appris  gu'on  avait  afficbé  u]i  placard 
à  Hoûy-long-tchâng,  villag9  situé  à  trois  lieuçs  de  Yûa- 
chân,  j'ordonnai  à  un  médecin  chrétien  nommé  Lô.fty  de 
le  déchirer.  Le  samedi,  22  mai^  jour  de  marché,  mon 
brave  néophyte  s'empressa  de  m'bbéir  ;  mais  aussitôt  un 
forgeron,  taillé  en  hercule,  le  saisit  à  la  gorge. 

'•  —  De  quel  droit  viens-tu  lacérer  ce  décret  porté  par 
^^  trois  des  plus  grands  mandarins  de  l'empire  ? 

" — Cette  affiche,  répond  Loûy,  san^  perdre  son  sang- 
^' froid,  n'est  point  un  décret  porté  par  les  mandarins, 
''  comme  tu  lé  dis  :  c'est  un  iofâiné  liheUe  sorti  dô  la  presse 
*^  des  Tsin-lién-kiao.  H  outrage  le  Dieu  que  j^adore,  il  io- 
^^  jurie  nos  prêtres  et  fait  appel  à  la  haine  contre  les  chrè- 
*'^  tiens  ;  mon  devoir  est  de  le  faire  disparaître. 

<i  —  Ah  I  tu  es  ûa  bàtaM  de  ces  Européens,  un  suivant 
^*àvi  Péh-sé-to  (P'ôn  estmdntubm  chinnis),  ce  chef  de  re« 
^'  belles  ;  tu  es  iin  chrétien,  nous  allons  te  mener  avec  ton 
''  Yè  sou  (Jésu8>." 

^'  Et  le  scélérat  de  terrasser  Loûy  et  de  le  fouler  aux 
pieds.  Aussitôt  la  populace,  ameutée  par  deux  maires  de 
l'endroit  et  un  certain  nombve  de  bornes,  se  précipite  sur 
la  victime.  Oelui-ci  lui  donne  un  soufflet,  eelui-là  des  coups 
•de  pieds,  un  autre  des  coups  de  poings  ;  qui  lui  arrache 
,  les  cheveux,  qui  lui  craché  au  visage  et  le  couvre  d'or-* 
dures  ;  d'autres^  lui  brfttent  les  sourcils  et  lui  pincent  la 
peau  avec  des  tenailles. 

^'  Il  sera\t  trop  long  d'ônumérer  toutes  les  tortures  in- 
fligés à  notre  pauvre  néophyte;  au  boiit  de  quelques  mi- 
nutés, son  corps  n'était  plus  qp'noe  plaie^  Les  nom$  de 
Jésus,  Marie,  Joseph,  qu'ail  répétait  sans  cesse  au  milieu  de 
ses  souffrances,  avait  excité  jusqu'au  paroxisnie  la  colère 
de  ces  forcenés.  On  allait  le  jeter  à  Teab,  lorsque  les  deux 
maires,  instigateurs  de  oe  forfait,  craignant  que  la  chose 
n'eût  pour  eux  un  mauvais rémiltat)  erdodnërent  à  la  foule 
de  se  retirer. 

^  —  Arrêtez,  fe'écrièrent-ils,  nous  sommes  assez  vengés. 


43 

**  Laissez  la  vie  à  Louy-slèn-sîn  ;  mais  que,  désormais,  if 
"  ne  revienne  plus  à  Hoûy-Iong-lchânç  faire  le  commerce,. 
"  car,  pour  lui,  c'est  la  mort.*' 

**Un  chrétien,  qui  se  trouvait  là  par  hasard,  et  plusieurs 
païens  compatissants  recueillirent  le  malheureux  médecin 
et  le  firent  transporter  ici,  à  l'oratoire.  Dieu  merci  !  au- 
cune de  ses  blessures  ne  parait  mortelle  ;  aussi  j'espère  que 
nous  l'aurons  bientôt  rendu  à  la  santé. 

**J'ai  porté  une  accusation  au  tribunal  du  mandarin  de 
Yûn-chàn  ;  la  réponse  a  été  assez  bonne,  mais  quel  sera  le 
jugement?" 

Le  27  jnin  1875^  M.  Eugène  Cotlin  écrivait  de  Tchang-où- 
kien,  à  son  frère,  curé  de  Rossillon  {diocèse  de  Belley)  : 

"D^pufe  Pâques,  là  persécution  ne  s'est  pas  ralentie,  et 
mes  néophytes,  sur  un  espace  de  dix  lieues  de  long  et  trois 
à  quatre  de  large,  sont  soumis  à  toutes  sortes  de  vexations. 
L'avenir  est  sombré;  la  guerre  menace  d'éclater  entre  la 
Chine  et  l'Angleterre  et  la  Russie.  Lés  Chinois,  ignorants 
et  moutonniers,  lie  manquent  pas  d'en  réjeter  la  cause  sur 
les  missionnaires  et  les  chrétiens.  On  publie,  au  son  du 
tam-tam,  des  placards  remplis  d'injures  et  appelant  le 
peuple  au  massacre  des  chrétiens.  On  traduit  ces  placards 
à  ceux  qui  ne  savent  pas  lire  ;  on  les  commente,  et  on  s'ex- 
cite mutuellement  à  la  haine  des  étrangers  et  des  chrétiens, 
leurs  disciples.  L'année  dernière,  ceux-ci  étaient  chassés 
des  marchés  et  rançonnnés  suivant  leur  fortune  ;  cette 
année  les  plus  petites  chaumières  ne  sont  pas  à  l'abri  du  pil- 
lage; les  biens  d'un  bon  nombre  de  familles  sont  occupés 
par  les  bandits,  au  vu  et  au  su  des  autorités  qui  encoura- 
gent ce  qu'elles  devraient  défendre  et  réprimer.  Parmi 
les  milliers  de  néophytes  qui  ne  savent  encore  presque  rien 
de  la  doctrine,  combien  y  aura-t-il  d'infldëles  ?  Je  ne  puis 
plus  rien  pour  les  soutenir.  Je  Vois  venir  l'heure  où  il  me 
sera  impossible  de  sortir  ouvertement.  Il  faudra  recourir 
au  système  du  secret,  ne  plus  voyager  qu'à  la  faveur  des 
ténèbres  et  ne  plus  prier  à  haute  voix.  Les  vingt  et  quel- 
ques réfugiés  que  je  nourrissais  depuis  deux  mois  sont  par- 
tis peut  tenter  les  moyens  de  rejoindre  leurs  familles  dis- 
persées et  se  préparer  à  l'émigration.    La  tempête  gronde 


44 

■ 

fortement  partout;  oéanmoios,  mon  district  est  le  seul  où, 
celte  année,  l'on  en  soit  venu  aux  voies  de  fait  Dans  cer- 
taines localités,  les  chrétiens  se  préparent  à  se  défendre." 

'^  Nous  traversons  des  temps  bien  malheureux,  écrivait 
de  son  côté,  le  21  Novembre  1875,  M.  Dunaud;  on  peut  dire 
que  la  province  du  Su-tchuen  est  devenue  un  nid  de  bri- 
gands. 

"Autour  de  nous,  ces  jours-ci,  on  a  dévalisé  plus  de  cin- 
quante familles  ;  les  brigands  sont  à  une  lieue  du  collège* 
Alarme  universelle,  Mgr.  PincboPi  actuellemenl;  en  visite 
pastorale  à  une  demi-heure  de  notre  maison,  est  consterna. 
Il  est  inquiet  pour  notre  nouveau  séminaire,  car  nous 
sommes  un  peu  isolés.  Nous  n'ignorons  pas,  d'ailleurs, 
que  nous  sommes  désignés  à  la  cupidité  des  brigands. 
Hier,  sur  le  conseil  de  Monseigneur,  j'ai  retiré  le  très-saint 
Sacrement,  et  mis  en  sûreté  nos  objets  précieux.  Le  gé- 
néral en  chef  de  la  garde  nationale,  un  excellent  chrétien^ 
nous  est  tout  dévoué  ;  il  est  notre  procureur.  Au  premier 
signe,  il  accourra  ;  mais  les  Chinois  font  des  coups  hor- 
ribles en  moins  de  rien.  Les  mandarins  sont  complices, 
car  ils  ont  soin  de  tout  ignorer. 

^'J'oubliais  de  vous  dire  que  Moù-pin  était  à  feu  et  à 
sang  depuis  plus  de  six  mois.  Jusqu'à  présent,  on  n'a  pas 
touché  à  notre  maison,  grâce  à  notre  confrère,  M.  Této, 
que  l'on  craint  comme  *'  diable  occidental." 

Six  mois  plus  tard,  le  20  mai  487.6,  Mgr.  Pinchon,  vicaire 
apostolique  du  Su-tchuen  occidental,  écrivait: 

"  A  lun-chan  bien,  petite  ^ous-pr^fecture  située  dans  les 
montagnes,  nous  avions  érigé  un  assez  bel  oratoire.  Il 
n'était  pas  achevé  que,  subitement,  deux  ou  trois  mille 
païens,  ayant  à  leur  tête  quelques  lettrés,  se  portèrent  sur 
notre  maison,  la  pillèrent  complètement  e.t  la  démolirent. 
M.  Bompas,  missionnaire  de  Inn-chau-hien,  pQur  échapper 
à  la  fureur  de  ces  sauvages,  se  jeta  dans  la  rue  par  une 
porte  de  derrière.  Il  ne. put  sauver  que  les  habits  dont  il 
était  vêtu.  Nos  pertes  indépendamment  de  la  somme  dépen- 
sée pour  la  construction  de  l'or.atoire,  ont  été  fort  grandes. 
Les  vases  sacrés,  les  ornements,  sacerdotaux,  tQus.le^  eSets 
et  les  livres  de  M.  Bompas  ont  été  emportés,  brûlés  ou  dé- 


45 


'truits.    Cet  acte  de  vandalisme  s'est  exécuté  en  plein  midi. 

zLi6s  chrétiens  de  lunchan-hien  sont  peu  nombreux, 
pauvres,  timides,  et  ils  vivent  eu  bons  rapports  avec  les 
païens  du  voisinage.  De  Taveu  des  mandarins,  tous  les 
torts  sont  du  côté  des  païens;  Qéanmoins,  aucune  justice 
ne  nous  a  été  rendue.  On  dirait  qu'il  y  a,  contre  la  reli- 
gion chrétienne,  une  conjuration  générale  qui  prend  son 

•  origine  dans  les  prétoires.  Ce  qui  nous  le  prouve,  c'est  le 
déni  de  justice,  c'est  l'audace  croissante  des  païens,  ce  sent- 
ies placards  les  plus  infimes  qu'on  affiche  partout." 

Le  16  août  1876,  le  môme  prélat  nous  écrivait  : 
"L'année  dernière,  je  vous  ai  parlé  de  troubles  survenu» 
à  Chouen-kin-fou  Les  promesses  que  l'on  m'avait  faites 
me  donnaient  l'espoir  que  l'on  rétablirait  l'ordre,  que  l'oa 
jugerait  et  punirait  les  coupables,  et  que  notre  oratoire 
pourrait  enûn  se  relever  de  ses  ruines.  Je  m'étais  trompé. 
Au  mois  de  janvier  1876,  le  gouverneur  du  Su-tchuen  a  été 
changé,  et  son  successeur  est  l'ennemi  juré  des  Européens, 
par  conséquent  des  chrétiens.    Ce  changement  a  déjà  eu 

•  et  a  encore  tous  les  jours  des  conséquences  désastreuses 
pour  la  mission.  A  Chouen-kin-fou,  notre  oratpire  n'a  pas 
été  rebâti,,  les  coupables  n'ont  pas  été  arrêtés  ;  et  la  posi- 
tion est  restée  telle  quelle,  malgré  nos  efforts  réitérés  pour 
obtenir  une  solution  acceptable.  Les  bandits,  protégés  par 
l'inertie  des  fonctionnaires  et  enhardis,  par  l'impunité^  se 
multiplient  et  menacent  de  tout  anéantir. 

"  Vers  la  fin  de  l'année  dernière,  lors  des  examens  pu- 
blics dans  la  petite  ville  de  lun-chan-hien,  les  bacheliers, 
au  nombre  de  sept  à  huit  cents,  se  ruèrent  sur  l'oratoire 
que  nous  venions.de  bâtir,  le  pillèrent,  et,  aidé  de  la  po- 
pulace, le  démolirent  et  en  emportèrent  tous  les  matériaux. 
L'innocence,  des  chrétiens  a  été  reconnue,  même  par  le 
-sous-préfet  de  la  ville  dans  son  rapport  au  gouverneur^  et 
cependant  nous  n'avons  pu  obtenir  aucune  satisfaction. 

''  Le  20  juillet  dernier,  la  populace  coalisée  des  trois  sous- 
préfectures  de  Loui-kiang-hien,  de  Iuin*tchong-hien  et  de 
Long-tchoQg-hien  prit  les  armes,  et,  drapeaux  en  tète,  en- 
vahit les  chrétientés  les  plus  florissantes  de  Loui-kiang-hien. 
Les  révoltés  se  jetèrent  sur  les  chrétiens,  pillèrent,  puis 


46 

démolirent  ou  brûlèrent  leurs  maisons,  blessèrent  un  grand" 
liombre  de  néophytes  et  réservèrent  les  plus  notables  pour- 
les  égorger  avec  des  raffinements  de  cruauté.    On  attacha 
les  vidtimes  sur  une  grande  croix  de  bois,  et  on  les  coupa 
en  morceaux,  comme   ferait  un  boucher  sur  son  étal. 
Ainsi  furent  massacrées  quatorze  personnes,  parmi  les- 
quelles un  enfant  de  deux  ans  et  un  autre  de  cinq.    Ces 
pauvres  petits  n'étaient  pas  encore  baptisés;  mais,  enfants 
de  néophytes,  ils  ont  été  tués  en  haine  de  la  religion.    Les 
handits  ensevelirent  d'abord  dans  une  fosse  commune  tous^ 
les  cadavres  mutilés,  et.  quelques  jours  plus  tard,  les  exhu- 
mèrent   pour    les  livrer  aux  flammes.    Les  cendres   ^n 
furent  jetées  au  fleuve  ou  dispersées  dans  les  champs.    Ils- 
agissaient  ainsi^  afin  qu'on  ne  pût  leur  montrer  ces  ca- 
davres, comme  des  témoins  irrécusables  de  leur  crime. 

"  Les  scélérats  ont  occupé  militairement  le- pays  jusqu'à 
ce  jour.  Ils  vont  de  localité  en  localité,  blessant,  tuant  les 
chrétiens  qu'ils  rencontrent.  Un  néophyte,  nommé  Loù,^ 
saisi  par  eux,  a  été  garrotté  et  enterré  vivant.  Jugez  de  la 
terreur  qu'une  telle  sauvagerie  a  répandue  dans  tout  le 
pays.  Plus  de  la  moitié  de  nos  chrétiens  de  Loui-kiang- 
hien  ont  apostasie,  pour  sauver  leurs  maisons,  leur  fortune 
ou  leur  vie  ;  quelques-uns  aussi,  devenus  Judas  dans  l'é-- 
preuve,  se  sont  tournés  contre  nous  et  nous  causent  le  plus 
grand  mal.    C'est  une  désolation  générale. 

^'Le  nombre  des  morts  déjà  connus  est*  de  quatorze,, 
mais  on  pense  quMl  y  en  a  davantage.  Actuellement,  il. 
nous  est  impossible  de  faire  une  enquête  et  de  connaître^ 
les  détails. 

^'  Dans  cette  dernière  et  si  triste  affaire,  nos  mandarins 
ont  donné  des  ordres  bons  en  apparence,  mais  tout  à  fait 
inefS^caces.  Ils  n'ont  pas  un  nombre  de  satellites  et  de- 
soldats  suf&sant  pour  les  opposer  à  cinq  ou  six  mille 
pillards.  Et  pois,  en  réalité,  ce  sont  tes  mandarins  eux> 
mêmes  qui  ont  favorisé  ces  soulèvements  populaires- 
Depuis  plus  de  quatre  mois,  tous  ces  désordres  existent 
dans  une  mission  voisine  de  la  mienne,  et  nos  mandarins,, 
granis  et  petits,  ont  catégoriquement  refusé  tout  secoc^^ 
tout  ordre,  tout  édît,  capables  de  réprimer  les  troubles.  DeT 


47 

^lus,  on  fait  librement  circuler  des  placards  séditieux, 
appelant  le  pauple  au  massaore  des  Européens  et  des  chré- 
tiens. Nos  mandarins  connaissent  Texistence  de  ces 
libelles.  Maintes  fois,  je  les, ai  priés  de  prendre  des  ibesures 
pour  empêcher  ces  infâmes  publications  ;  ils  n'en  ont  rien 
.fait.  Plusieurs  fonctionnaires,  sinon  tous,  favorisent  secrè 
tement  la  circulation  de  ces  écrits  indignes." 

M.  Coupât  écrivait,  le  8  septembre  1876  : 

^^  Dans  la  sous-préfecture  de  Lin-choui-hien,  ce  n*est 
plus  la  persécution  des  temps  passés,  c'est  l'extermination  : 
17  ou  18  stations  sont  anéanties  ;  les  7  ou  8  qui  restent  le 
fieront  dans  quelques  jours.  0  mon  Dieu  !  quand  aurez- 
vous  pitié  de  nous  ?  Déjà  près  de  400  maisons  sont  brûlées 
et  notre  oratoire  de  la  ville  n'a  plus  pierre  sur  pierre. 

'^  C'est  à  la  mort  du  mandarin  de  Lin-cboui  que  la  perse 
cution  s'est  déclarée.  J'allai  trouver  le  mandarin  intéri- 
maire. Apès  m'avoir  écouté,  il  me  dit  que  je  devais  partir 
et  partir  sans  retard.  Je  me  rends  à  Kan-ky-tchang,  pour 
demander  conseil  à  mes  deux  confrères  voisins  ;  puis,  je 
me  mets  en  route  pour^Lin-choui.  A  moitié  chemin, 
j'apprends  que  Toratoire  est  démoli  et  que  les  maisons  des 
chrétiens  sont  détruites.  Le  5  septembre,  la  ville  avait  été 
envahie  par  plusieurs  milliers  de  gens  armés,  et,  vers  quatre 
heures  du  soir,  l'attaque  de  l'oratoire  et  des  maisons  avait 
commencé.  Parmi  les  assaillants,  il  y  a,  dit-on,  quatre 
cents  hommes  de  Eiang-pee  (Su-tchuen  oriental)  ;  ils 
répètent  qu'ils  ont  ordre  de  leur  mandarin,  de  l'empereur 
môme,  d'exterminer  tous  les  chrétiens  ;  aussi  se  vantent- 
ils  de  faire  partout  ce  qu'ils  ont  fait  à  Lin-choui. 

<^  Nous  avons  actuellement,  à  Kan-ky-tchang,  près  de 
deux  cents  fugitifs,  et  nous  ne  tarderons  pas  à  en  avoir  de 
six  à  sept  cents." 

Le  11  septembre,  Mgr  Pinchon  écrivait  à  Mgr  Desflèches  ^ 

^'  On  m'apporte  la  triste  nouvelle  que,  le  7  septembre, 
les  brigands  de  lun-hinmiao,  appelés  dans  la  ville  de  Loui- 
kiang,  y  ont  détruit  notre  oratoire  et  toutes  les  maisons  des 
chrétiens.    Le  mandarin  n'a  rien  empêchée" 

A  la  date  du  15  septembre,  Mgr  Pinchon  écrivait  encore 
'  il  Mgr.  Desflèches  : 


48- 

"  Nos  ennemis  inondent  la  province  de  lettres  incen- 
diaires, convoquent  les  milices  à  une  réunion  générale  pour 
massacrer,  assure-t-on,  les  chrétiens  et  les  Européens  pTS- 
qu'au  dernier. 

"Je  vous  ai  annoncé  la  deslruction  des.  oratoires  de 
Loui-kiang  et  de  Lin-cboui-hien,  ainsi  que  des  maisons  des 
chrétiens  de  ces  deux  districts.  Que  de  désastres  1  Les- 
chrétiens  sont  poursuivis  comme  des  bétes  fauves  ;  on  leur 
demande  la  vie  ou  l'apostasie  ;  aucun  d'eux  ne  peut  plus- 
relourner  chez  lui.  Que  faire  de  tout  ce  monde  si  mal- 
heureux ?  "       . 

M.  Coupât  écrit,  le  24  septembre  : 

"  A  Lin-chôui,  on  met  en  pratique  le  manuel  Kyldn-low 
(manuel  indiquant  la  manière  d'en  finir  avec  les  chrétiens 
et  lés  Européens).  Dans  chaque  toan  (compagnie  de  la 
garde  nationale)  est  étahli  un  kiou  (tribunal)  chargé  de 
rechercher  tous  les  chrétiens  sans  exception.  L'apostasie 
ou  la  mort,  l'expropriation  des  biens  immeubles,. la  spolia- 
tion totale  :  tel  est  le  sort  qui  leur  est.  réservé. 

*'  Les  mandarins.ne  veulent  pas  que  nous  retenions  dans 
nos  maisons  les  chrétiens  fugitifs  sous  prétexte  que  cela 
enflamme  de  colère  nos  ennemis.  On  m'accuse  de  léunir 
des  bataillons  pour  la  révolte,  parce  que  je  recueille  les- 
chrétiens  sans  asile/' 

Les  dernières  nouvelles  reçues  du  Su-tchuen  occidental 
sont  d'une  grande  gravité.     M.  Voisin  nous  conimunique 
nne  letije  de  Mgr..  Pinchon,  écrite  le  8  octobre  1876.  Nous- 
y  trouvons  les  informations  suivantes  : 

"  La  persécution  ravage  moa  vicarint  dans  la  partie  qui 
avoisine  la  iniçsion  de  Mgr  Desflëches.  Nos  désastres  sont 
horribles  et  nos  dépenses  au-dessus  de  nos  forces.'  Nous 
avons  pliis  1,000  personnes  à  nourrir.  De  3^0  à  40  personnes 
ont  été  déjà  massacrées.  Le  npmbre  des  blessés  eçt  incal- 
culable. Toutes  les  maisons  des  chrétiens  sont  pillées, 
puis  brûlées.  Nos  persécutés  ne  peuvent  même  pas  retour- 
ner vers  les  ruines  de  leurs  maison^,  car. on  les  poursuit 
avec  le  couteau  et  on  les  tue. . 

"  Comme,  dans  plusieurs  provinces,  les  païens  se  soulè- 
Tent  en  masse  contre  les  chrétiens  et  lès  mettent  à  mort,» 


49 


00  serait  porté  à  croire  qu'il  y  a  une  conjuration  générale 
eontre    le  catholicisîme.'  Veuillez  beaucoup  prier  four 


nous." 


II. 


SU-ÏCHtEN    ORIENTAL. 

r 
t 

*  ■  

M.  Leuoir,  de  la  Société  des  Missions-Etrangères  de  Pari&, 
écrivait  la  lettre  suivante  de  Tcliong-king,  le  15  décembre 
1875  : 

"  Vous  connaissez  Theureuse  issue  du  long. procès  occa- 
sionné par  le  nneurlre  de  MM.  Hue  et  Michel  Tay.  Grâce 
àreffîcace  intervention  de  la  légation  de  France  4  Pékinget 
au  voyage  de  MM.  de  Roquette  etdeBezaure  au  Su-tchuen, 
justice  nous  a  ^té  rendue.  Bien  que  cette  satisfaction,  en 
partie  au  moins,  n'existe,  encore  que  sur  le  papier,  cela  est 
déjà  beaucoup  en  Qilue.  Jusqu'à  ce  jour,  en  toute  cette 
afbire,  il  n'a  pas  été  répandu  d'autre  sang  que  le  sang  de 
nos  deux  martyrs.  Pour  les  nombreux  accusés,  tous  gra- 
vement coupables,  un  seul  malheureux,  non  accusé  par 
nous,  a  été  condamné  à  être  étranglé.  Quand  aura  lieu 
l'exécution  ?  Probablement  jamais  ;  et,  nous  n'y  perdrons 
guère  en  influence,  car  tout  le  monde  sait  que  c'est  un 
homme  acheté. 

"  Ce  qui,  aux  yeux  des  populations,  fait  noire  succès, 
c'est  d'avoir  pu  faire  déclarer  :  !<>  que  le  mandarin  de 
Kouy-ku  hin  est  uou  seulement  responsable,  mais  direc- 
tement et  giavement  coupable,  et,  comme  tel,  passible  de  * 
l'exil  perpétuel,  et  ne  doit  qu'à  l'intervention  de  Mgr 
Desflèches  l'adoucissement  de  sa  peine  ;  2^  que  deux- 
notables  globules^  complices  du  mandarin  de  Kouy-ku- 
hin,  ont  mérité  la  mort  et  ne  doivent  la  vie  qu'à  la  prière 
du  vicaire  apostolique  j. . 3*^  enfln  que  ces  deux  décisions 
seraient  portées  à  ^  contiaissance  dû  public. 

"  En  France,  un  tel  jugement  semblerait  de  peu  d'im- 
portance. En  Chine,  si  les  promesses  de  réparations  d'in- 
justices dans  le  passé  et  de  garanties  pour  l'avenir  soii  fidë- 
lement  observées,  comme  les  mandarins  s'y  sont  tous 


50 

•engagea  par  serment  6t  par  écrit,  ce  jugement  a  une  grande 
valeur.  Mais,  ici,  promettre  et  tenir  sont  deux  choses  biea 
différentes  ;  et,  de  fait,  après  six  mois  d^attente,  aucun  des 
articles  n'a  encore  été  mis  à  exécution.  Nos  mandarins, 
même  à  globule  rouge,  se  laissent  facilement  aller  au  men- 
songe et  à  la  fourberie  ;  ce  sont,  pour  eux,  des  moyens 
naturels  et  légitimes  s'ils  les  mènent  à  bonne  fin.  En  voici 
quelques  exemples. 

*'  M.  de  Roquettes  avait  consenti  à  ce  que,  pour  les  nom- 
breux assassins  accusés,  deux  seulement,  des  six  non 
accusés  par  les  missionnaires,  mais  donnés  pour  les  vrais 
coupables  (1),  fussent  condamnés  à  mort  et  eussent  la  tête 
tranchée.  A  force  d'instances,  les  mandarins  obtinrent 
qu'un  seul  serait  décapité  et  que  l'autre  gérait  étranglé,  lis 
eurent  l'audace,  alors,  de  désigner  comme  devant  être 
décapité  le  nommé  Tchen-tson-fa,  qu'ils  savaient  mort 
depuis  longtemps;  et  le^  vice-roi,  qui  le  savait  aussi  bien 
qu'eux,  s'abaissa  jusqu'à  couvrir  de  son  approbation  ce  joli 
tour  de  diplomatie  chinoise  et  à  prier,  avec  la  plus  exquise 
politesse,  M.  de  Roquette,  d'y  joindre  sa  signature. --M.  de 
Roquette,  s'élant  aperçu  plus  tard  de  cette  insigne  four- 
berie, en  fut  justement  irrité.  Il  çoHsentit  cependant,  à  la 
prière  de  Mgr  Desflèches,  à  ce  que,  selon  la  légalité  chinoise 
pour  certains  coupables,  le  ^'  défunt  "  Tchen-lson-fa  eût  la 
tête  tranchée,  sans  qu'il  fût  nécessaire  de  condamner  à 
-mort  un  autre  malheureux. 

'^  Un  journal  anglais  de  Chang-hai  faisait  dernièrement 
remarquer  que,  au  Chan-tong,  les  autorités  chinoises  vou- 
laient faire  condamner  à  mort  un  Anglais  pour  avoir  tué 
un  Chinois,  et  que,  quelque  temps  après,  ce  Chinois  fut 
rencontré  vivant  et  en  très  bonne  santé.  Croyez-vous  que 
nos  mandarins  rougissent  de  tels  actes  ?  Détrompez-vous. 
La  Chine  est  par  excellence  le  pays  des  fourberies. 

**  Ici,  au  Su-tchuen,  dans  îé  pays  de  Yeoii  yang,  pour  se 
disculper  d'avoir  fait  massacrer,  danfe  l'église  même,  M. 
Rigaud  et  plusieurs  dizaines  de  chrétiens,  nos  mandarins 


{l)  Ces  six,  accusés  seulement  par  les  mandarins,  sont  le?  six  mal* 
Jieureux  achetés,  parmi  lesquels  se  trouvent  Sié-kia-fun  et  Tch6n-t50D-/s« 


51 

eurent  bientôt  à  leur  service  des  expédients  de  leur  inven- 
tion.  Ils  firent  des  chrétiens  les  persécuteurs,  et  des  païens 
les  persécutés.  On  dressa  une  liste  ''  exacte  '*  de  tous  les 
cadavres  des  gens  du  '^  bon  peuple  '*  massacrés  par  les 
chrétiens.  Il  y  avait  des  vieillards,  des  femmes,  de& 
enfants^  en  tout  deux  cent  soixante  cadavres  examinés  un 
à  un  par  les  mandarins,  qui,  de  plus,  avaient  compté  le 
nombre  et  le  genre  de  blessures  de  chaque  victime.  La 
relation  ajoutait,  en  note,  que,  ^^  outre  ce  nombre  connu, 
il  y  avait  un  nombre  inconnu  de  victimes  dont  on  n'avait 
pu  découvrir  les  traces."  Cette  pièce,  revêtue  du  sceau  du 
sous-préfet,  du  sceau  du  préfet,  du  sceau  du  viceroi,  fut 
envoyée  à  Péking.  Le  tsong  ly-ya-niien,  fort  de  cette  trou- 
vaille, en  fit  la  base  de  son  fameux  mémorandum  de  1871 
qu'il  s'empressa  d'envoyer  aux  légations  de  France,  d'An- 
gleterre, de  Russie,  d'Amérique,  etc.,  d'où  il  passa  à  toutes 
les  cours  d'Europe  et  fit  bientôt  le  tour  du  globe.  Dé  là, 
indignation  générale  contre  les  missionnaires  et  leurs 
néophytes,  réclamations  de  certains  journaux  contre  le 
gouvernement  français  qui  protégeait  de  tels  hommes. 
Mgr  Desflèches  était  alors  en  France.  Il  prolesta  immé- 
diatenient,  et  s'engagea  à  fournir,dès  son  retour  en  Ghine^ 
toutes  les  preuves  nécessaires  pour  démontrer,  jusqu'à 
l'évidence,  la  fausseté  des  faits  allégués  par  le  gouverne- 
ment chinois  (1). 

"  Sa  Grandeur  porta  elle-même  son  mémoire  à  Péking, 
M.  de  Geofroy,  alors  ministre  de  France  en  Chine,  voulut, 
avant  de  le  présenter  à  l'empereur,  s'assurer,  par  un  agent 
de  son  gouvernement,  de  la  vérité  des  faits  contenus  dans 
le  mémoire,  et  il  délégua  M.  Blancheton,  consul  de  France 
à  Han-kéou,  pour  aller  les  examiner  «ur  les  lieux  mômes. 
Le  rapport  de  M.  Blancheton  confirma  entièrement  le  mé- 
moire du  vicaire  apostolique.    Or,  d'après  ce  mémoire,  il 


(l)  Devant  MH.  Thîers  et  de  Rémusat,  qui  chargèrent  M.  de  Geofroy 
de  faire  pan-enir  les  réclamations  du  prélat  jusqu'à  Temperenr  de^a 
Chine.  Malgré  ces  hautes  recommandations,  malgré  les  ai&rmâtions 
d'un  consul  de  France  sur  la  vérité  des  fiilts  allégnés,  le  mémoire  de 
Kgr  Desflèches  est  encore  dans  les  cartons  de  la  légation  de  France  à 
Péking. 


52 

consiste  que  :  l^\(ies  deux  cent  soixante  personnes  massa- 
crées par  les  chrétiens  en  1869,  plusieurs  n'ont  jamais  ex- 
isté; 2o  quelques-unes  étaient,  à  cette  date,  mortes  et  en. 
terrées  depuis  dix  et  .vingt  ans';  3«  le  plus  grand  nombre,' 
une  centaine  environ,  vivent  encore...  Croyez  à  l'histoire 
chinoise  !  Des  malheureux  ont  été  condamnés,  qui  à  l'exil, 
qui  à  la  mort,  pour  avoir  tué  tout  ce  monde."  Parmi  les 
chrétiens  condamnés  se  trouve  un  de  nos  prêtres  indigènes, 
leur  curé. 

"  Ce  jugement  était  inique,,  odieux,  ridicule.  Nos  grands 
madarins  eurent  cependant  l'habileté  de  le  faire  approuver 
par  M.  de  Rochechouart,  qui  voulut  que  M.  Mihières, 
supérieur  de  la  mission  du  Kouang-si,  alors  de  passage 
à  Han-kéou,  le  signAt,  au  nom  de  la  mission  du  Su- 
tchuen  oriental.  Il  n'est  pas  nécessaire  d'ajouter  que 
M.  le  chargé  d'affaires  en  France,  indignement  trompé  par 
im  globule  rouge,  ne  croyait  approuver  et  faire  signer  que 
la  convention  conclue  pour  le  meurtre  de  M.  Rigaud  et 
l'incendie  de  notre  église,  et  non  pas  la  condamnation  de 
nos  chrétiens.  Lorsque  M.  Mihières  sut  que  les  mandarins 
avaient  eu  la  fourberie  de  ne  faire  qu'un  tout  et  de  la  con- 
vention et  du  jugement  contre  les  chrétiens,  jugement  tenu 
caché,  il  s'empressa  de  protester  et  de  retirer  sa  signature 
par  une  lettre  envoyée  à  Péking,  mais  qui  est  restée  ''  lettre 
morte."    . 

"  Toutefois,  nous  ne  sommes  pas  sans  espérer  que  la 
vérité  se  fera  jour  et  qu'enfin  justice  nous  sera  rendue." 

Le  8  avril  .1876,  un  soulèvement  a  eu  lieu  contre  les 
chrétiens,  à  Kiang^pêe,  faubourg  de  Tchong-king.  Voici 
les  détails  que  nous  trouvons  dans  une  lettre  écrite  le  24 
juin,  par  M.  Pons,  delà  Société  dés  Missions-Etrangères  : 

"La  ville  de  Tchong-king-fou,  chef-lieu  de  {préfecture, 
est  traversée  par  une  petite  rivière  qui  débouche  dans  le 
grand  fleuve,  à  une  extrémité  de  la  ville.  Le  côté  le  plus 
populeux  est  appelé  Tchong-king,  et  c'est  là  que  réside  Mgr 
Desflèches  ;  l'autre  est  nommé  Kiaog-pée,  et  il  est  gouverné 
par  un  mandarin  inférieur. 

"  C'est  à  Kiang.pée  que  la  persécution  sévit  en  ce  mo- 
ment, sous  les  yeux  de  Mgr  Desflèches,  impuissant  à  calmer 


53 

la  tempôte,  à  cause  du  mauvais  Touloir  et  de  la  haine  sata- 
nique  des  mandajeiaa.  Plus  de  300  maisons  de  chrétiens 
ont  été  pillées  et  livrées  aux  flammes  ;  plus  de  50  chrétiens 
ont  été  massacrés.  Sur  les  routes  et  à  rentrée  de  la  ville, 
des  hommes,  postéi^.èn  faction,  interrogent  et  fouillent  les 
passants.  Ceux  qui  sont  reconnus  pour  des  chrétiens  sont 
aussitôt  massacrés  et  leurs  corps  précipités  dans  la  rivière. 

^'  Les  chrétiens  qui  ont  pu  fuir  se  sont  réfugiés  auprès  de 
"Mgr  Desfièches.  Ces  malheureux,  sans  asile,  sans  pain, 
-privés  de  leurs  parents  ou  de  leurs  enfants,  présentaient  un 
spectacle  indescriptible.  Mgr  Desflèches  en  entretient  à 
ses  frais  une  centaine.  D^autres  ont  été  répartis  entre  les 
meilleures  familles  chrétiennes  de  Tchongking  qui  par- 
tagent avec  eux  le  riz  quotidien. .  Mais  plus  de  mille  chré- 
tiens sont  sans  asile,  sans  foyer,  sans  récolte  prochaine. 

"  Toute  la  mission  a  été  ébranlée  par  cette  tempête.  Au 
milieu  des  troubles  et  des  dangers,  Mgr  Desflèches  est  d'une 
fermeté  tout  apostoliquf^.  C'est  lui  qui  console,  encourage 
•et  afTermit  nos  pauvres  chrétiens.  Dernièrement,  le  plan 
était  arrêté  de  frapper  le  vicçtire  apostolique  et  les  chrétiens 
de  Tchong-king.  Par  une  assistance  divine,  la  conjuration 
a  été  déjouée.  Dieu  nous  accorde  enfin  la  paix  et  la  tran- 
quillité. Le  principal  instigateur  de  la  persécution,  saisi 
d'un  trouble  indéfinissable,  vient  de  pendre,  dans  sa  maison, 
sa  femme  et  ses  enfants;  et,  après  avoir  jeté  leurs  cadavres 
dans  le  fleuve,  il  s'est  pçndu  lui-même.  Dans  un  village, 
•où  beaucoup  de  chrétiens  ont  été  poursuivis  et  massacrés, 
plus  de  quarante  païens  se  sont-  précipités  dans  le  fleuve. 
Presque  partout  où  a  sévi  la  persécution,  les  païens  disent 
qu'ils  voient  des  légions. d'hommes  habillés  de  blanc,  tenant 
des  glaives  en  main  et  poursuivant  les  ennemis  des  chré- 
tiens." 

'^  La  permanence  de  la  persécution  de  Kiangpée,  nous 
écrivait-on  le  8  septembre,  tient  ^n  suspens  les  bons  man- 
darins qui  n'osent,  par  crainte  du  tao-tai,  se  déclarer  en 
notre  faveur,  et  excite  le  peuple,  môme  les  milices  rurales, 
à  préparer  de  nouvelles  attaques  contre  nos  chrétiens.  Si 
le  tao-tai  et  le  mandarin  de  Kiang-péc  ne  sont  point  pro- 
«chainement  changés,  nous  ne  pourrons  éviter  d'immenses 


54 

désastres.  D'ailleurs,  étaat  les  principaux  coiijmbles  et  ac- 
cusés, ils  ne  peuvent  être  nos  juges,  et  ils  le  seront  pourtant 
s'ils  ne  partent  d'ici.  On  a  arrêté  des  ten-hoa-kiao  (digni- 
taires de  la  franc  maçonnerie  chinoise).  Ils  ont  fait  des- 
révélations qui  établissent  que  les  tsin*lien-kiao  (franc^s- 
maçons)  sont  les  promoteurs  de  ce  soulèvement  gtoéral/* 

Le  13  septembre,  M.  Provost  écrivait  de  Tchong-king  : 

"  Il  n'est  plus  guère  permis  de  douter  que,  si  le  gouverne- 
ment chinois  n'a  pas  décrété  officîeilemeat  la  persécution,  il 
voit  dû  moins  de  bon  œil  la  dévastation  de  nos  chrétientés^ 
Au  point  où  les  choses  en  sont  arrivées,  il  est  évident  que 
missionnaires  et  chrétiens  reçoivent  les  coups  que  les  Chinois 
n'osent  décharger  sur  les  Européens.  Beaucoup  dç  Chinois- 
sont  massacrés  parce  que,  étant  chrétiens,  ils  ont  de  lar 
sympathie  pour  les  étrangers  ;  on  veut  se  débarrasser  d'a- 
bord de  ceux  qu'on  représente  au  peuple  comme  les  émis- 
saires et  les  auxiliaires  des  Européens." 

Nos  dernières  nouvelles  sont  du  29  septembre  1876.  A 
cette  date,  Mgr  Desflèches  écrivait  : 

"  Hier,  on  est  venu  à  Kiang-pée  enlever  ici  deux  chré- 
tiens. Voici  le  procédé.  Un  chrétien,  dont  la  maison  a 
été  pillée  et  brûlée,  porte  plainte  ;  les  manîdarins  ne  bou- 
gent pas.  Les  pillards  accusent  alors  le  chrétien  d^un 
crime  imaginaire.  Aussitôt  on  le  recherche,  on  le  mène 
au  mandarin  qui  fait  étaler  devant  Utiles  instruments  de 
supplice.  Le  chrétien  déconcerté  perd  là  tète  et  signe  un 
billet  où  il  reconnaît  avoir  faussement  porté  plainte  et 
n'avoir  été  ni  pillé  ni  poursuivi." 


LA  NOUVELLE  NURSIB. 

m^TOinn  D'CNB  GOLOKIB  BâKâl>I€TIHfi  DANS  L'aD9TRAUB' 

OC<ÎÎDENTALfi 

*  » 

—1846-1877  — 


CHAPITRE    PREMIER 

Vocation  des  RR.  PP.  Serra  et  Salvado  à  Taposlolat  des  Australiens. — 
Audience  de  Grégoire  XVI.  —  Départ  et  voyage  des  missionnaires. 

Les  grands  vtnts  de  Paulomne  n'emportent  an  loin  les 
démences  des  plantes  des  vallons  ou  les  graines  des  arbres 
des  forêts  ç[ue  pour  reproduire  en  d'autres- lieux  une  nou- 
velle Yégétation.  On  peut  dire  que  parfois  aussi  la  Provi- 
dence se  sert  du  vent  de  la  persécution  pour  porter  dans 
des  contrées  lointaines  la  précieuse  semence  de  l'Évangile. 
■C'est  à  l'ouragan  politique,  qui  bouleversa  l'Espagne  en 
i  835,  tfue  les  sauvages  de  l'Australie  occidentale  sont  i-edeva- 
Wes  de  la  connaissance  de  la  religion  chrétienne  et  des 
avantages  de  la  civilisation.' 

Deux  moines  Bénédictins  de  l'insigne  abbaye  de  S  int- 
^lartin  8e  Composlelle,  en  Galice,  les  PP.  José  Serra 
et  Rosendo  Salvado,  chassés,  jeunes  encore,  de  leur  cloître 
par  les  libéraux  espagnols,  se  réfugièrent  en  Italie.  Accueil- 
lis avec  tttie  affection  toute  fraternelle  par  les  Religieux 
de  la  grande  abbaye  de  la  Trinité  de  La  Gava,  dans  le  ro- 
yaume de  Naples,  ils  passèrent  quelques  années  paisibles 
dans  ce  monastère.  Mais  ils  étaient,  à  l'insu  Tun  de 
l'autre,  poursuivis  par  la  même  pensée,  qui  avait  jadis 
poudsé  à  la  conquête  des  ftme»  tant  d'apôtres  sortis  du 
«cloître  bénédictin.  Puisque  la  révolution  triomphante  sem- 
Wàit  letir  iilterdîre,  pour  de  longes  années  encore,  l'accès 
ée  leur  patrie  et  le  retour  dans  ces  murs  bénis  qui  avaient 
abrité^  leur  jeunesse  monastique,  ils  voulaient  se  consicrer 
aux  laissiions  dans  les  plus  lointains  pays  du  globe. 


56 

Mais  laissons  parler  le  P.    Salvado,  qui  a  tracé  avec  une- 
grande  simplicité,  et  non  sans  charme,  dans  ses    Mémoires 
sur  V Australie^  les  émouvantes  péripéties  de  sa  vocation  à 
Tapostolat. 

*'^  Noiifr  avions  l'an  et  l'autre  depuis  longtemps,  dit-il,  la 
pensée  de  nous  consac^^r  aux  missions  les  plus  abandon- 
nées de  la  terre  ;  mais  un  vif  sentiment  de  reconnaisan. 
ce  nous  retenait  dans  T^^bbaye  de  La  Gava.  Les  Religieux 
de  cet  illustre  monastère  nous  avaient  accueillis  avec  tant 
de  bonté,  lorsque  nous  étions  arrivés  pauvres  et  fugitifs  de 
l'Espagne,  ils  nous  avaient  prodigué  les  marques  d'une  af- 
fection si  fraternelle,  que  la  pensée  de  les  quitter,  après 
plusieurs  années  de  vie  commune,  nous  semblait  un  acte 
d'ingratitude.    Cependant  l'appel  d'Ea-haut  se  faisait  en- 
tendre toujours  plus  vivement  à  nos  cœurs,  qui  sduETraient 
l>eaucoup  de  cette  lutte  inté.rieuxe  eotre  des  devoirs  et  de& 
sentiments  si  opposés.    Enfin,  la  grâce  divine  triompha  et 
nous  fit  comprendre  que  toute  considération  humaine  de- 
vait s'effacer  devant  la  volonté  du  ciel. 

'^  Jusqu'à  ce  moment,  nous  ne  nous  étions  point  ouvert 
l'un  à  l'autre  sur  nps  aspirations  secrètes  à  la  vie  d'apôtre  '^ 
nous  n'en  parlions  que  d'une  manière  générale.  Le  1( 
Juillet  1844,  en  revenant  de  notre  promenade  qi^o.tidienne 
dans  les  bois  touffus  qui  entourept  La  Gava,  mon  com- 
pagnon D.  José  Serra,  d'un  corps  chétif,  mais  d'une 
âme  ardente  et  d*un  esprit  élevé,  me  dit  tous  à  coup: 
'<  —  Cette  vie  de  missionnaire,  dont  nous  parlons  sou- 
^^  vent,  a  quelque  chose  de  grand,  de  généreux  qui  me  trans- 
^'  porte;  il  me  semble  que  c^eetla  plu^s^ parfaite  des  m.uvres 
^<  de  charité,  mais..."  Je  l'interrompis,  pensant  qup.  les 
fatigues  et  les  dangers  de  cette  vie  d'apôtre  l'eçipôchait  de- 
m'inviter  à  la  partager  avec  lui,  et  je  lui  déclarai,  que  les- 
mission^  étaient  au^si  toute  l'ambition  de  mon  cœur. — 
^^  Dieu  soit  béni  1  me  dit-il  avec  joifi. .  Si  vous  avez  ce  cou^ 
rage,  je  suis  voire  compagnon,  à  la  vie^  à  la  mort"' 
Je  m'attendais  à  cette  réppnae,  et  elle  me  remplit  de  c<m' 
solalion.  Je  lui  ouvris  entièxameal  mon  ;^e,  et  lui  apj^ris 
que,  .deflpuis  longtemps,  je  pensais  à  me  consacrer  à 
l'évangéUsation  des  païens  ou  des  sauvages  et  que  déjà 


^ 


57 

3'avats  fait  quelques  démarchea  dans  ce  sens.  Noua  nous 
entretînmes  longtemps,  et,  en  nous  séparant,  noire  dernière 
parole  fu  t  celle-ci  :  ^'  —  Recommandons  à  Notre*S^igneur, 
^^  &  la  Madone  et  à  saint  Benoit  ce  grand  dessein." 

'^  La  nuit  suivante,  le  somaieil  ne  put  clore  nos  pau- 
pières; nous  ne  pensions  qu'aux  missions  étrangères,  à 
leurs  difficultés,  à  leurs  dangers*  mais  aussi  à  leurs  cé- 
lestes consolations.  Le  lendemain,  nous  étions  réunis  de 
nouveau,  après  l'office  divin,  nous  nous  sentîmes  encore 
plus  raffermis  dans  notre  résolution,  et^  ageuouillés  dans 
régUse  de  Tabbayevnoùs  unies  à  Dieu  la  promesse^de  nous 
-consacrer  jusqu'à  ta  mort  au  sahit  des  infidèles  en  fondant 
parmi  eux  un  monastère  de  notre  Ordre,  si  nous  en  ob- 
tenions la  permission  de  uns  supérieurs.  Il  fut  résolu  que 
nous  manifesterions  secrètement  d'abord  nos  désirs  à  la 
S.  C.  de  la  Propagande  pour  savoir  si  notre  offre  serait  ac- 
ceptée. Ayant  obtenu  du  Rni«  abbé  de  La  Gava  la  permis- 
sion de  faire  un  pèlerinage  aux  tombeaux  des  saints 
Apôtres,  BOUS  dl'Sposdmes  toutes  choses  pour  le  départ. 

^'Le  26  décembre  1844,  l'aube  blanchissait  à  peine  le 
•sommet  des  montagnes  au  milieu  desquelles  est  placé  le 
monastère  de  la  Sainte-Trinité,  que  déjà,  couverts  de  nos 
-manteaux,  nous  étions  à-  genoux  devant  un  tableau  de 
Notre-Dame  du  Secours,  que  j'avais  apporté  d'Espagne. 
Après  lui  avoir  recommandé  avec  beaucoup  de  larmes  et 
de  prières  notre  hardi  projet,  nous  allumâmes  deux  torches 
de  cire  deiant  la  Madone  et  nous  sortîmes,  le  cœur  très- 
ému,  de  ce  monastère  qui  nous  avait  si  doucement  abrités^ 
pendant  les  années  de  notre  exil.  A  peine  en  rente  pour 
Nocera,  notre  petite  voiture  fut  précipitée  dans  un 
i*avin.  C'était  sans  douté  une  première  attaque  de  l'esprit 
des  ténèbres,  qui  devait  dans  la  suite  nous  tendre  tant  de 
pièges.  Grâce  à  nos  saints  anges,  l'accident  n'eut  pas 
-diantre  suite  qu'ini  assez  long  retard,  et^  la  veille  du  pre- 
mier jouir"  de  l'âu  184$,  noQs  arriviona  à  Rome." 

Nott  deux  môinée  pèlerine,  sans  perdre  de  temps,  se  pré- 
-sentenià  la  Propagande  dès  le  lendemain  du  jour  de  leur 
arrivée  à.Rome  ;  ils  y  rencontrent  Ia  iecfétaire  de  la  Con- 
grégation, Mgr  Br^nelli,  auquel  ils  êonmétlént  en  toute 
simplicité  leur  projet. 


58 

'^  —  Dans  quelle  mission,  leur denuada-til,  youlez^vaus^ 
travailler  au  salut  des  âmes  ?. 

" — Nous  serons  heureux,  Monseigneur,  d'évangéliser 
les  païens  et  les  sauvages  dans  n'importe  quelle  partie  du 
monde  où  l'on  voudra  bien  nous  envoyer. 

'^  —  Il  est  possible  que  la  Propagande  vous  destine  à  la 
mission  de  TAustralie  orientale  où  se  trouvent  déjà  des- 
Religieux  anglais  de  votre  Ordre  et  où  il  y  a  beaucoup  de 
saavages  à  convertir. 

'^ — Dans  une  matière  de  cette  importamce,  ajoute  le  P. 
Salvado^  nous  ne  voulions  pas  avoir  de  volonté  propre  ;: 
aussi  nous  reçûmes  les  paroles  du  secrétaire  de  la  Propa* 
gande  comme  un  oracle  venu  du  ciel,  et  nous  nous  con- 
sidérâmes dès  lors  comme  missionnaires  de  l'Australie." 

Mgr.  Brunelli  les  avait  adressés  au  Rév.  Brady,  qui 
n'était  pas  encore  revêtu  de  la  dignité  épiscopale  et  qui  fut 
très-heureux  de  recevoir  pour  sa  mission  deux  ouvriers 
aussi  dévoués,  car  il  pensait  bien  les  amener  à  Perth,  si  la 
colonie  de  Swan-River  était  distraite  de  l'autorité  de  l'Ar- 
chevêque de  Sydney*  La  Bcopàgaitâe,  ayant  pris  Içs  in- 
formations ordinaires  sur  le$  deux  moines  espagnols,  reçut 
les  meilleurs  renaeignementA  et  con&rma  la  destination 
déjà  indiquée  par  Mgr  Brunelli.  Us  pensaient  euxsGOiêmes 
que  leur  sort  était  euiièren^eut  décidé  et  ils  écrivirent  à 
l'abbé  de  La  Gava,  leur  supérieur  immédiat,  pour  obtenir 
la  permission  d'échanger  la  vie  ducloitre  contre  la  vie  de 
mission  jusqu'à  la  fondation  d'un  nouveau  monastère  et 
pour  recevoir  sa  bénédiction  paternelle.  En  attendant  sa 
réponse,  ils  voulurent  faire  le  pèlerinage  de  la  grotte  de 
Subiaco,où  8t.  Benoit  avait  mené  la  vie  érémi tique./'  Nous 
y  arrivâmes,  dit  le  P»  Salvador  le  21  janvier  1M5.  U  me 
serait  impossible  d'exprimer  tes  $enti[meQts  de  respect  et 
d'amoor  ûlialè  qu'excita  dans  nos  cours  la  vu^  de  ce  lieu 
vénérable.  Dans  cette  caverne,  uon^  dision&oousi  vrai 
berceau  de  l'ûrdrabéuédictiny aleugjtemps  vécu  ce  grand 
patriarche  des.  moines  de  l'Ocoîdept  que  l'oi^  peut  appeler 
le  restaurateur  de -la  civilisatio»^  e^  Europe  par  sesQuIant^ 
etPapôtte  des  plus  grandes  nations  4b  rJBJuitipe-  AVfsi,. 
en  ofErant  l'auguste  sacrifiée  d^ns  cette  sainte  grot^tei  jooub^ 


59 

«68  derniers  enfants,  qui  allions  porter  son  nom  et  sa  règle 
4an8  un  nourean  monde,  nous  le  suppliâmes  de  nous  cou- 
vrir de  sa  puissante  protection,  afin  que  nos  travaux  ser* 
vissent  à  la  dilatation  de  la  ifoi  chrétienne  à  laquelle  il 
avait  consacré  sa  vie  tout  entière/' 

Leur  dévotion  filiale  satisfaite,  les  PP.  Serra  et  Salvado 
retournèrent  à  tlome.  Une  épreuve  les  7  attendait.  Le 
Rme  P.  Candido,  abbé  de  La  Gava,  leur  faisait  répondre 
qu'il  ne  pouvait  accorder  son  consentement  à  leur  départ 
pour  les  missions.  Il  craignait  que  le  projet  des  deux 
moines  espagnols  ne  fût  que  le  résultat  d'une  ardeur  ir- 
réfléchie ou  peut^-ètre  un  regret  de  la  patrie  absente  qui 
leur  rendait  pénible  leur  séjour  dans  un  monastère  d'Italie» 
Les  deux  Religieux  se  résignaient  déjà,  malgré  leur  pro- 
fonde douleur,  à  rentrer  à  La  Gava  ;  mais  Mgr  Brunelli,  in- 
formé par  eux  de  cet  événement  inattendu,  leur  rendit  cou- 
rage, et,  au  nom  dii  Saint-Père,  leur  défendit  de  sortir  de 
Rome  avant  que  toute  l'affaire  n'eût  été  entièrement  éclair- 
<:ie.  Après  avoir  parlé  au  cardinal-préfet  et  pris  les  ordres 
du  Souverain  Poûtife,  il  fit  écrire  à-  l'abbé  de  La  Gava 
<iu'il  n'existait  aucune  raison  sérieuse  qui  pût  empêcher 
les  PP.  Serra  et  Salvado  de  se  consacrer  à  la  mission  d'Aus- 
tralie. Peu  de  jours  après,  le  Rme  P.  Gandldo  leur  écri- 
vait qu'il  avait  voulu  seulement  8*assurer  de  la  réalité  de 
leur  Tocation  ;  il  leur  donnait  donc  de  tout  cœur  son  con- 
•sentemeut  aveô  sa  bénédiction  et  priait  le  Seigneur  de 
rendre  très  fructueux  leur  lointain  apostolat. 

Sur  ces  entrefaites,  le  Ré\%  Brady  recevait  Tonction 
-épiscopale  (18  mai),  et  obtenait  que  les  moines  espagnols 
fussent  attachés  à  son  diocèse  de  Perth.  Le  5  juin  1845, 
le  nouvel  évéque  les  conduisit,  avec  ses  missionnaires,  à 
l'audieoee  du  Saint-Père.  Grégoire  XVI  fit  aux  futurs 
apôtres  de  PAustralie  occidentale  une  courte  et  vive  ex- 
hortation ;  il  donna  un  crucifix  d'argent  à  Mgr  Brady,  et 
une  médaille  du  même  métal  à  chacun  des  missionnaires  ; 
elle  portail  d'un  côté  son  effigie,  et  de  l'autre  la  figure  de 
Noire-Seigtteùr  ordonnant  aux  apôtres  d'aller  prêcher 
l'Évangile  dans  tout  l'univers.  Il  les  bénit  ensuite  pater- 
nellement à  mesure  qu'ils  venaient  baiser  ses  pieds  sacrés. 


60 

Mais,  lorsqu'il  vit  agenoailléa.  devaat  lui  les  deux  moines- 
espagnols,  se  fiOUTenaat  que,  lui  aussi,  était  enfant  de  saint 
Benoit  par  saint  Romuald^il  posa  sesjxiaîns  sur  leur  téteV 
en  disant:  ^^  —  B appelez-y o^s,  mes  fils,  que  vous  appar- 
tenez à  la  grande  famille  de  notre  glorieux  patriarche,  saint 
Benoit,  votre  père  et  le  mien.  Vous  allez  entrer  dans  la 
voie  parcourue  par  d'illustres  apôtres,  qui  étaient  nos 
frères.  Ils  ont  converti  à  la  foi  chrétienne  une  grande 
partie  des  peuples  de  TËurope^ils  leur  ont  procuré  les  bien- 
faits de  la  civilisation,  et,  par  leurs  prédications,  par  leurs- 
travaux,  ces  populations  barbares  ont  été  transformées  en 
nations  policées.  Allez  donc,  faites  honneur  au  saint 
habit  que  vous  portez,  et  que  le  ciel  bénisse  votre  zèle  et 
rende  votre  apostolat  fructueux  1  " 

Deux  jours  après  cette  audience,  les  PP.  Serra  et  Sal- 
vado,  ayant  pris  congé  des  moines  de  Saint-Paul  hors  des 
murs,  qui  les  avaient  comblés  de  témoignages  d'affection, 
des  cardinaux  et  des  prélats,  qui  avaient  secondé  leur  des- 
sein» partaient  de  Rome  pour  la  France  avec  Mgr  Brady 
et  toute  sa  troupe  de  missionnaires.  A  Lyon,  ils  furent 
accueillis  avec  une  grande  charité  par  les  PP.  Maristes 
qui  évangélisaient  déjà  plusieurs  îles  de  TOcéanle.  L'évê- 
que  de  Fertb  expqsa  au  Conseil  central  de  TGËuvre  de  la 
Propagation  de  la  foi  les  besoins  de  son  diocèse  naiss^mt. 

A  Paris,  les  PP.  Serra  et  Salvado  visitèrent  la  colonie 
des  Bénédictins  de  Solesmes  qui  venait  de  s'établir  dans 
cette  capitale.  ^'  Nous  fûmes  reçus  comme  des  frères,  par 
le  pieux  et  docte  abbé  Dom  Prosper  Guéranger,  restaura 
teur  de  l'Ordre  bénédictin  en  France,  et  par  ses  Religieux,, 
raconte  M.  Salvado.  Pendant  notre  séjour  à  Paris»  nous 
allions  souvent  les  voir,  et  le  11  juillet,  Mgr  Brady  fut  in- 
vité par  le  vénérable  abbé  à  officier  pontiftoaleinent  dans  la 
modeste  chapelle^du  nouveau  prieuré  de  Saint-G«rmain  (IV 


<4)  Ce  monastère»  dont  le  R.  P.  Jean^Baptiste  f^tra  (aujoord'hai  car- 
dinal et  bibliothécaire  de  la  sainte  Bgli9e  romaine)  était  prieor,  ne  put 
subsister  longtemps  à  cause  du  défaut  de  ressources  et  aussi,  il  faut  le 
dire,  par  suite  de  la  guerre  sourde  que  lui  faisaient  les  Gallicans  de 
Paris. 


pour  la  fête  de  la  translation  en  France  des  ossements  sa- 
crés de  notre  glorieux  patriarche  saint  Benoît.  Plusieurs  de 
ces  Religieux  désiraient  se  dévouer  avec  nous  à  Tapostolat 
des  sauvages  australiens  ;  mais  le  R™^  Dom  Guéranger,  qui 
portait  cependant  un  grand  intérêt  à  notre  entreprise,  ne 
put,  à  cause  du  petit  nombre  des  membres  de  sa  congréga^ 
tion  naissante,  nous  accorder  que  le  jeune  Frère  Léandre.  " 

De  Paris,  les  missionnaires  se  rendirent  à  Londres  et  à 
Dublin  pour  trouver  des  ressources  et  accroître  leur  nombre. 
Enfin,  le  17  septembre  1845,  le  départ  eut  lieu  au  port  de 
Gravesend,  sur  la  Tamise  (1).  La  frégate  Tlsabeîta  empor- 
tait en  Australie,  arec  Mgr  Brady,  une  vingtaine  de  mis- 
sinnaires,  dont  sept  prêtres,  onze  ecclë$iastiques,  moines 
ou  catéchistes  et  deux  Frères  convers  ;  presque  tous  étaient 
de  nationalité  différente  :  onze  Irlandais,  quatre  Français, 
deux  Espagnols,  un  Anglais,  un  Romain  et  un  Tyrolien  ; 
sans  compter  six  Religieuses  irlandaises  de  l'Ordre  de  la 
Merci. 

Nous  ne  raconterons  pas  en  détail  le  voydge  des  futurs 
apôtres  de  l'Australie  occidentale,  qui  mirent  près  de  quatre 
Hiois  à  faire  une  travesée  que  les  paquebots  anglais  accom- 
plissent aujourd'hui  en  u^e  quarantaine  de  jours.    Sauf 


(I)  Voici  les  noms  des  missionnaires  qui  partirent  d'Angleterre  pour 
l'Australie  le  17  septembre  1845: 

Mgr  rév(^que  Jean  taADT,  Irlandais. 

B:  J^^sli-VADO,  \  BtoMIcUns,  ùpagnols. 

D.  Axigelo  GoNFAUONiftBi,         BénécUdUn,  Tyrolien. 
Sept  prt très.      ^  M. . .  .T lUteçA^ux,  J  ^^  ,^  m«l*>n  du  Saint-Cœur 

M.mÏ^Wh«i,              $    de  Marte.  Français. 
^  M.  Pierre  Powkl,  Jrlandala. 

Un  sow-diacre. . ..Denis  Tgtixu Bénédictin,  Anglais. 

Un  novice Fr.  LftAKnRK. novice  Bénédictin,  Françal». 

Unlatqae.. Nicolas  Caporbi<u *'  **  Romain. 

Jean  O'Reilly 

Nicolas  HoGAK, 

Jean  Gobman, 

Tlmothée  Don AVAW,  J  irlandais. 

Jean  Faoan,  *^ 

Gulllaaœe  Fowijni, 
I  Martin  BrriiXB, 
[Térenee  Famclly. 

«  •     1  *««^-      S  Théodore  Onox,  }  de  la  malfon  du  Sapre-Cœur 

Deux  laïques       (Vincent...  S     de  Marte,  Français. 

fMartaFBATinE  ,^^         1 

Six  rdUgléiul«»»'  1        et  nne  novice,  krates  4©  f  *^  au»»*,  w 

l       rordrede  la  Merci.  i 


Hnlt  catéchistes 
éiudlants. 


quelques  acçidents^inévitables  dans  une  si  longue  uaviga- 
tion^  ils  n'eurent  qu'à  remercier  la  Providence  de  les  avoir 
protégés  jasqu'^au  terme  de  leur  course. 

Enûn,  le  7  janvier  1846,  le  matelot  de  la  vigie  placé  dans 
les  huniers   cria:  "  Terre!  terre  !  "  —  ''  A  ces  mots,  dit 
le  P.  Salvado,  notre  cœur  bondit  d'allégresse,  et  nous  fix- 
âmes nos  regards  avides  sur  le  point  de  Thorizou  qu'on 
Tenait  de  signaler.  Après  quelques  moments  d'attente,  l'Aus- 
tralie apparut  à  nos  yeux.    JNous  nous  souvenions  encore 
de  l'aspect  désolé   des  rivages  sablonneux  et  dénudés  de 
l'Afrique  qne  nous  avions  contournée  par  le  cap  de  Bonne- 
Espérance  ;  aussiy  en  apercevant  la  côte  de  l'Australie  occi* 
dentale  couverte  d'une  riante  verdure  et  de  roches  pittores- 
ques» nous  éprouvions  une  grande  joie,  qui  augmentait  à 
mesure  que  notre  vaisseau  s'avançait.    Nous  dûmes  nous 
arrêter  dans  la  baie  de  Freemàntle,  parce  que  le  jour  était 
trop  avancé  pour  le  débarquement,  et  nous  nous  jetâmes 
une  dernière  fois  sur  nos  couchettes  en  remerciant  Dieu 
de  nous  avoir  amenés  si  heureusement  au  but  de  tous  nos 
<lésir8." 

Le  lendemain,  à  la  pointe  du  jour,  Mgr  Brady  et  tous  les 
missionnaires  étaient  sur  le  pont,  prêts  à  débarquer. 
L'évoque,  ayant  remercié  le  capitaine  et  l'équipage  dô 
Vlsabella  de  tous  leurs  soins  obligeants  durant  la  traversée, 
descendit  avec  nous  dans  deux  grandes  barques  qui  s'éloi- 
gnèrent rapidement  du  navire,  pendant  que  les  matelots 
poussaient  en  notre  honneur  trois  formidables  hourras. 
Nous  chantions  tous  ensemble  les  litanies  de  la  sainte 
Vierge  jusqu'au  moment  où  nos  pieds  touchèrent  le  sol 
australien.  Nous  jetant  alors  à  genoux  sur  cette  terre  que 
nous  venions  évangéliser,  nous  chanti1:mes  le  Te  Deunu,  en 
présence  des  Européens  et  des  Australiens  descendus  au 
rivage  pour  nous  recevoir. 

"Pour  moi,  raconte  le  P.  Salvado,  je  désirais  surtout 
entrer  en  relation  avec  les  indigènes.  Abordant  les  deux 
premiers  que  je  rencontrais,  et  qui  cachaient  leur  nudité 
sous  une  mauvaise  couverture,  je  tâchais  de  lier  conversa- 
tion par  signes  avec  ces  pauvres  Australiens,  assez  hideux 
à  voir,  mais  dont  les  regards  étaient  doux    et  presque 


63 

timides.  ^^  Maragna^  mara^naj'  me  dirent-ils  à  plusieurs- 
reprises.  Me  tournant  vers  un  habitant  de  la  côte  qui 
nous  conduisait,  je  lui  demandais  ce  que  signifiait  cette 
parole  :  *'  —  A  manger,  à  manger,  me  répondit-il,  car  les 
sauvages  de  cette  contrée  ont  toujours  faim."  Aussitôt  je 
coupai  en  deux  morceaux  un  des  pains  apportés  du  navire 
et  leur  donnai.  Pendant  qu'ils  le  dévoraient,  je  me  disais  : 
'^  Fasse  le  ciel  que  ces  enfants  des  bois  soient  bientôt  aussi 
affamés  de  la  nourriture  spirituelle  que  nous  leur  appor- 
tons I  "  Et  je  notai  le  mot  mara^a  avec  sa  signification, 
pour  commencer  un  vocabulaire  portatif  à  notre  usage." 

L'évêque  de  Perth  et  ses  missionnaires  employèrent  la 
journée  à  visiter  le  port  de  Freemantle  et  les  environs, 
tandis  que  Ton  préparait  les  barques  qui  devaient  les  con- 
duire  à  Perlh  par  la  rivière  des  Cygnes.  Ils  étaient  tous 
surpris  du  spectacle  que  leur  offrait  la  nature  australienne.^ 
Les  arbres,  les  plantes,  les  animaux  ont  des  formes  et  des 
propriétés  presque  inconnues  en  Europe  ;  mais  ce  qui  at- 
tirait  le  plus  leur  attention,  c'étaient  les  sauvags  qui  erraient 
dans  les  rues  de  la  jeune  cité  comme  des  chiens  maigres,, 
toujours  en  quête  de  quelque  nourriture.  Us  n'étaient 
d'ailleurs  pas  beaucoup  mieux  traités  que  ces  animaux  par 
les  colons  européens,  dont  la  fréquentation  n'avait  eu  jus- 
qu'alors d'autre  résultat  que  de  faire  conaitre  à  ces  enfants 
de  la  nature  les  vices  de  nos  sociétés  modernes. 

Le  9  janvier,  les  missionnaires  s'embarquaient  sur  la  Swan- 
River,  pour  la  ville  de  Perth.  Us  chantaient  des  psaumes, 
des  cantiques  ou  des  litanies,  et  les  indigènes,  qui  apparais- 
saient de  emps  à  autres,  derrière  les  majestueux  eucalyp- 
tus et  les  élégants  acajous,  semblaient  tout  étonnés  de  ce» 
accords  religieux,  dont  ils  ne  comprenaient  pas  encore  le 
sens.  ''Nous  admirions,  dit  le  P.  Salvado,  ces  rives  gra- 
cieuses de  la  rivière  des  Cygnes,  domt  les  bords  sont  garnis 
d'une  puissante  végétation  et  dont  le  cours  sinueux  offrait 
à  chaque  instant  à  nos  regards  émerveillés  un  nouveau 
point  de  vue.  Sur  les  bancs  de  sable  se  montraient  une- 
foule  d'oiseaux  aquatiques,  et  parmi  eux,  de  graves  péli- 
cans, qui  demeuraient  immobiles  à  notre  approche,  sans» 
même  nous  regarder,  tant  ils  étaient  attentifs  à  suivre  dan» 


64 

les  eaux,  les  mouvements  des  poissons  dont  ils  font  leur 
Jiourriture.  Nous  pensions  rencontrer  les  cygnes  noirs 
d'Australie,  qui  ont  donné  leur  nom  au  ileure  ;  mais  ces 
oiseaux,  -d'humeur  beaucoup  plus  farouche,  se  sont  éloi- 
gnés de  cea  bords  trop  fréquentés  et  ne  se  voient  que  dans 
la  partie  supérieure  du  cours  de  l'Avon." 

Après  trois  heurs  et  demie  d'une  navigation  fortpaisi- 
l)le,  l'évéquea  de  Perth  et  ses  auxilliaires  arrivèrent  en 
vue  de  la  capitale  de  l'Australie  occidentale  et  furent  ac- 
cueillis par  les  cris  de  joie  de  tous  les  catholiques  et  même 
des  protestants  réunis  en  grand  nombre  sur  le  quai  de  dé- 
barquement. Les  PP.  Serra  et  Salvado  descendirent  les 
premiers.  Aussitôt  la  procession  se  forma,  le  P.  Salvado 
entonna  le  Te  Deum  de  sa  forte  et  belle  voix,  et  l'on  se  diri- 
gea vers  l'église  catholique  qui  n'avait  pas  encore  sa  toitu- 
re. Mgr  Brady  dit  l'oraison  d'actions  de  grâces  et  donna 
à  la  foule  la  bénédiction  épiscopale.    • 

(A  suivre:] 


i .. 


HISTOIRE 


DE     PIE     IX, 


SA  VIE  ET  SA  MORT. 


PREMIERE  PARTIE. 


NOTICE  BIOCRAPHIQDB  DB  PIE  IZ,  JUSQd'a  SON   ÉLECTION  AIT 

SOVTSRAIN  PONTIFICAT. 

I. 

Le  plus  sombre  et  le  plus  triste  événement  de  Tépoque 
actuelle,  était  apporté,  le  7  du  présent  mois,  (Février)  par 
l68  dépêches  télégraphiques  de  Kome. 

Le  grand  et  bien-aimé  Pontife  de  l'Eglise,  Notre  Très- 
Saint  Père  le  Pape,  Pie  IX,  est  mort. 

Cette  nouvelle  a  plongé  le  monde  catholique  dans  le 
deuil  et  la  douleur. 

Pie  IX  a  été  la  grande  figu^  du  19e  siècle,  Thistoire  le 
désignera  plus  tara  par  le  titre  de  grand. 

Le  règne  de  Pie  IX  est  un  des  plus  longs  et  des  plus  rem- 
plis de  rhisioire  de  la  papauté  ;  sa  carrière,  une  des  plus 
admirables  que  nous  pêsente  Thistoire  du  monde  —  admi- 
rable par  la  gloire  qu'il  a  jetée  sur  TEglise  —  admirable  par 
la  fermeté,  le  courage  qu'ila  déployés  au  milieu  des  persé- 
cutions et  des  violences  dont  ses  ennemis  Font  accablé  — 
admirable  par  les  grands  exemples  et  les  leçons  de  justice, 
de  droit,  de  sainteté  qu'il  a  donnés  au  mbnde  —  admirable 
par  la  conquête  qu'il  ut  des  cœurs  de  tous  les  catholiques 
et  de  tant  d'autres.  Autant  il  fut  grand,  autant  il  fut  aimé. 

C'est  pourquoi  jamais  deuil  aussi  général,  jamais  douleur 
plus  profonde. 

3 


66 
II 

Depuis  saint  Pierre,  le  ter  Pontife,  institué  par  Jésus- 
Christ,  pour  être  son  représentant  sur  la  terre,  deux  cent 
«oiiance-denx  Papes  se  sont  assis  sur  le  premier  de  tous 
les  trônes  du  monde.-^'est  le  16  juin  1846  que  Pie  IX  a 
été  appelé  à  succéder  au  grand  apAtre. 

Pie  IX  est  né  le  13  mai  1792,  dans  une  petite  ville  des 
Etats-Romains,  à  Sioigaglia,  de  la  noble  famille  des  comtes 
Hastaï. 

Dès  son  enfance,  on  admira  en  lui  une  vive  intelligence 
et  une  aptitude  merveilleuse  pour  les  choses  saintes.  Après 
avoir  commencé  Tétude  des  lettres  sous  les  yeux  de  ses  pa- 
rents, il  fut  mis,  à  Tàge  de  douze  ans,  au  collège  de  Volter- 
ra,  en  Toscane.  Il  y  demeura  six  ans  en  qualité  de  pen- 
sionnaire. Pendant  ces  six  années,  il  se  fit  remarquer  par 
une  application  constante  au  travail,  une  grande  sûreté 
d'esprit,  une  finesse  de  bon  sens  au:dessus  de  son  âge,  une 
piété  douce  et  éclairée. — C'est  ce  qu'attestent  les  auteurs 
qui  ont  écrit  les  premières  années  de  la  vie  de  notre  au- 
guste Pontife.  Ces  auteurs  ajoutent  aue  les  anciens  con- 
disciples du  jeune  Mastaï  ont  conservé  te  souvenir  des  heu- 
reuses qus^ités  dont  il  était  doué,  et  des  exemples  de  vejtu 
qu'il  leur  avait  donnés. 

En  1810,  il  vint  à  Rome  pour  y  terminer  ses  études  La 
bienfaisante  influence  de  la  Ville  sainte  développa  toutes 
les  excellentes  dispositions  de  son  cœur.  On  le  vit  se  li- 
vrer avec  ardeur  aux  œuvres  de  charité,  et  surtout  au  sou- 
lagement des  jeunes  orphelins,  recueilis  à  Thospice  de  Ta- 
ta  Giovanni  {{), 

Cependant  le  moment  approchait  où  d'après  le  cours  or- 
dinaire des  choses,  il  devait  songer  à  son  aveuir.  Depuis 
longtemps  il  avait  la  pensée  de  se  consacrer  à  Dieu  ;  mais 
sa  Scinté,  chancelante  alorsf  semblait  lui  interdire  l'entrée 
du  sanctuaire.  En  véritable  chrétien,  il  s^efforça  d'attirer 
sur  lui  les  lumières  d'en  haut,  et  multiplia  dam  ce  but  ses 
prières  et  ses  bonnes  œuvres.  Puis,  pour  mettre  un  terme  à 
son  indécision,  il  alla  trouver  le  Pape  Pie  VU,  qui  lui  portait 
un  intérêt  paternel  et  auquel  l'unissait  des  liens  de  parenté. 
Après  avoir  écouté  tout  ce  que  le  jeune  Mastaï  Ferrettilui 
racontait  de  ses  projets  et  de  ses  craintes,  Pie  VII  l'encou- 
ragea à  s'offrir  à  Dieu  pour  travailler  à  la  gloire  et  au  dé- 
veloppement de  l'Ëglise;  et,  avec  une  autorité  quasi  pro- 
phétique, il  Tassnra  que  sa  santé  s'affermirait.    Le  jeune 


(l)  L'hospice  de  Tala  Giovanni  est  une  espèce  de  maison  de  refuge 
l'>liiîë  il  recueillir  ei  à  ohner  cliréliennement  dp  jeurrrs  orphelins. 


67 

Mastat  reçut  ces  paroles  comme  venant  du  ciel.  Plein  de 
reconnaissance  il  entreprît  1^  pèlerinage  de  Notre-Dame  de 
Lorette.  Là  de  nouvelles  lumière  lui  étaient  réservées  ;  il 
revint  de  Lorette  entièrement  décidé  à  entrer  dans  les  or- 
dres, et  commença  ses  études  de  théologie. 

Pendant  trois  ans,  il  «nivit  le  cours  de  TAcadémie  ecclé- 
siastique^ et  Ton  raconte  que  le  célèbre  théoloprien  Gra- 
ziosî,  son  professur,  s'écria  un  jour,  ému  de  sa  charité,  de 
sa  doaceur  et  de  sa  piété,  que  Viabbé  Mastài  avait  le  cceur 
d'un  Pape.  C'est  qu'en  effet,  les  nouvelles  occupations  de 
rabbé'Mastaï  ne  diminuèrent  point  ses  bonnes  œuvres.  Il 
continuait  avec  plus  de  zèle  que  jamais  ses  visites  et  ses  se- 
cours aux  orphelins  de  Tata-Giovanni. 

III 

Ce  fut  dans  l'église  de  cet  hospice  qu'il  célébra  sa  pre- 
mière mes8e,le  11  avril  1819  :  *'  Ce  sanctuaire,  dit  M.  de  St. 
Hermel,  était  plus  beau  pour  lui  que  toutes  les  basiliques  ; 
c^était  la  basilique  des  indigents." 

Jusque-là,  l'abbé  Mastaï  n'avait  été  pour  les  pauvres  en- 
fanta de  Tata-Giovanni  qu'un  pieux  et  charitable  conseiller. 
Dès  qu'il  eût  été  ordonné  prêtre,  il  prit  la  direction  de 
l'hospice,  et  devint  le  père  de  tous  les  jeunes  orphelins  et 
le  guide  de  leur  conscience.  La  providence  voulait  que 
cette  Maison,  où  il  avait  donné  tant  de  pieuses  leçons  de 
vertu  lorsqu'il  était  encore  jeune  homme,  et  où  il  avait 
Tépandu  les  premières  grâces  de  sa  vocation  ecclésiastique, 
recueillit  aussi  les  premiers  fruits  de  son  sacerdoce.  Celui 
qu'elle  destinait  à  un  si  sublime  ministère  devait  faire  son 
apprentissage  au  milieu  des  enfants  et  des  pauvres. 

L'abbé  Mastaï  ne  resta  que  quatre  ans  environ  chargé  de 
la  direction  de  l'hospice  de  Tata  Giovanni,  Il  la  quitta  du- 
rant l'été  de  1823,  pour  suivre,  dans  le  Nouveau-Monde,  en 
qualité  d'auditeur,  Mgr.  Musî,  envoyé  comme  vicaire  apos- 
tolique au  Chili.  Ce  n'était  pas  sans  y  avoir  mûrement 
réfléchi,  que  le  Pape  Pie  Yll  enlevait  Tabbé  Mastaï  à  ses 
chers  orphelin?,  pour  l'adjoindre  au  vicaire  apostolique. 
— L'objet  de  celte  mission  dans  le  Nouveau^Monde  était 
des  plus  délicats,  et  Pie  VII  avait  discerné  dans  le  jeune  ab- 
bé toutes  les  qualités  capables  de  faire  réussir  une  telle  né- 
gociation(tL 

(t)  Il  s'agissait  de  rt^gier  d'un  commun  accord,  au  nom  du  Sainte 
Siège,  avoc  les  autorités  républicaines  (récemoient  émancipées,  du  Chi- 
li, du  Pérou  et  du  Mexique,  etc.),  les  droits  et  les  devoirs  du  clergé,  sa 
situation  temporelle  et  spirituelle  dans  les  constitutions  nouvelles  sorties 
de  ce  grand  mouvement  d'indépendance  qui  avait  ravi  à  l'Espagne  ta 
moitié  d'un  monde. 


68 


La  conduite  de  Tabbé  Masiaï  fit  vair  qjue  le  Pape  ne  s'é- 
tait point  trompé  dana  l'appréeiatiou  qu^ll  faisait  de  lui. 
Bn  Taia  dea  difficultés  aufl9i  ioatteDduBa-  que  multipliées 
vinrent-elles  paralyser  rheureose  issue  qu'on  avait  espé- 
rée :  le  jeune  auditeur  signala^  en  toute  rencontre,  oetle 
pénétration  d'esprit  dont  il  avait  donné  les  premiers  indi» 
ces  au  collège  de  Volterra  ;  et,  co^summenf ,  on  le  vit  join* 
dre  à  cette  assurance  de  boa  sens,  qui  était  natureUe  en  lui» 
un  courte  et  une  fermeté  inébraalable&  Ausm  quand» 
après  deux  années  d'absence,  les  envoyés-  du  SainV>Père, 
épuisés  par  ce  voyage^  qui  ne  fut  (Qu'une  longue  épreuve  de 
patience,  de  privations  et  de  vexations  aans  nombre,  durent 
reprendre  le  chemin  de  Rome,  le  nom  de  Tabbé  Hastaï  lea 
y  avait  précédés. 

IV 

Pie  VII  venait  de  mourir  ;  mfûs  la  réputation  du  jeune 
auditeur, les  services  qu'il  venait  de  rendre  dan» la  miation 
du  Chili,  ne  purent  échapper  à  Léon  XII,  successeur  du 
défunt  Pape.  Il  reçut  avec  bonté  le  cojûa.pagnon  de  Mgr 
Muzi  ;  et,  pour  lui  témoigner  sa  reconnaissaoce  et  sa  haute 
estime,  il  l'admit  aux  honneurs  de  la  prélature,  et  le  nomma 
chanoine  de  l'église  Santa-Marioriii'YiarLata:  ce  fut  lèpre- 
mier  pas  de  l'abbé  Mastaï  dans  les  dignités. 

Le  nouveau  chanoine  continua  à  Rome  la  vie  qu'il  avait 
menée  dans  les  Missions  du  Nouveau-Monde.  Prêcher, 
confesser,  revoir  sa  famille  bien-aimée  des  orphelins  de 
Tata-Giovanniy  telles  étaient  ses  occupations  de  tous  les  ins- 
tants. Aussi,  tandis  que  les  hommes  d'Etat  le  plaçaient 
déjà  dans  cette  classe  d'esprits  supérieurs  qui  savent  corn- 
prendre  et  conduire  les  affaires,  la  peuple  voyait  en  lui  un 
prêtre  rempli  de  vertus  et  de  charité,  entièrement  dévoué 
à  son  ministère. 

Peu  de  temps  après,  le  chanoine  Mastaï  fut  nommé  pré- 
sident de  la  commission  directrice  de  l'hospice  de  Saint- 
Michel  à  Ripa-Grande,  Cet  hospice  est  un  des  plus  vastes 
établissements  de  charité  que  possède  le  nmnde  (1).  On  a 
dit  avec  raison  que  son  administration  demande  les  qualités 
d'un  homme  d'Etat.  Le  eouv^r  du  séjour  de  l'abbé  Mastaï 
à  Tata-Giovanni^  les  services  importants  qu'il  y  avait  rendus, 
l'activité  douce,  la  vigilance  assidue,  l'esprit  d'ordre  qu'il  y 
avait  déployés,  motivèrent  le  choix  du  Souverain  Pontife  ; 

(1)  La  longueur  totale  lieTbospice  Saint-Micliol  est  de  375  vtTg^s,  sa 
la-geur  de  90  et  son  circuit  de  950.  Ce  vaste  hA liment  occupe  toute  la 
lo.igueur  du  quai  de  Ripa-Grande  (le  port  maritîmp  de  la  viJ.'e  de  Rome.) 


69 


-et,  cette  fois  eocorei  Léon  XII  put  se  conyaincre  qu'il  ne 
e^était  point  trompé.  £a  moins  de  deux  ans,  lliospice 
Saint-BlicheL  dont  le  budget  était  en  déficit  à  l'arrivée  de 
Tabbé  Mastai,  avait  retrouvé  toute  sa  prospérité  sous  sa 
Jouissante  et  sage  impulsion. 


Le  21  mai  1827.  rarcbevèché  de  Spolète,  ville  natale  de 
Léon  XII,  étant  devenu  vacant,  le  Pape  ne  crut  pas  pou- 
voir donner  à  sa  pairie  de  témoignage  pins  certain  de  sa 
sollicitude  pour  eîle^  qu'en  nommant  Tabbé  Mastaï  à  ce 
poste  élevé. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieo  de  nous  étendre  sur  les  actes  du 
nouvel  arcnevéq ne.  Contentons^nous  dé  dire,  avec  un  de 
ses  historiens,  que  la  ville  de  Spolète  se  souviendra  éter- 
nellement de  son  épiscopat,  et  que  sa  présence  sembla  at- 
tirer sur  elle,  pendant  les  cinq  années  pleines  d'orages  au'il 
y  traversa,  '<  une  sorte  de  protection  visible  et  une  béné- 
diction céleste." 

Monseigneur  Mastaï  occupa  le  siège  de  Spolète  jusqu'en: 
183^.  Le  17  décembre  de  cette  année,  Grégoire  XVI,  suc- 
cesseur de  Léon  XII  et  de  Pie  VllI,  le  transféra  à  révêchè 
d*Imola,  poste  en  apparence  moins  considérable  que  celui 
de  Spolète,  mais,  en  réalité,  d'une  importance  plus  grande, 
et  qui,  au  milieu  des  agitations  auxquelles  la  province  était 
alors  en  proie,  d«nnandait  un  homme  de  choix  et  d'un  ca- 
ractère aussi  ferme  que  sage,  aussi  conciliant  que  pieux. 
MgrMastàï  remplit  les  espérances  de  Grégoire  XVI:  tout 
le  monde  savait  en  Italie  combien  Tévôque  d'imola  était 
vénéré  et  aimé  dans  son  diocèse. 

Tant  de  vertus  et  une  si  sage  administration  appelaient 
*Mgr  Mastaï  au  Cardinalat.  Réservé  in  petto  dans  le  consis- 
toire  du  23  décembre  1839,  il  fut  proclamé  le  14  décembre 
1840,  et  reçut  le  titre  de  saint  Pierre  et  saint  Marcelin. 

Le  nouveau  Cardinal  dut  venir  à  Rome  pour  recevoir  le 
chapeau  ;  mais  il  ne  fit  qu'y  paraître  :  il  retourna  bientôt  à 
son  troupeau  qu'il  croyait  ne  devoir  jamais  quitter,  et  au- 
quRl  il  se  dévoua  avec  plus  de  zèle  encore.  Mais  Dieu  en 
avait  disposé  autrement  ;  il  destinait  Mgr  Mastaï  à  succéder 
à  Grégoire  XVI.  On  dit  que  le  peuple  romain  avait  comme 
un  pressentiment  de  cette  élévation  future.  Lorsqu'un  de- 
voir impérieux  appelait  le  pieux  éveque  dans  la  capitale  de 
la  chrétienté,  on  entendait  ces  paroles  du  milieu  de  la  foule  : 
4^oilà  le' futur  Pape  !  Dieu  nous  le  donnera  ! 
Dieu  l'a  donné  effectivement  à  TËglise  ! 


70 


DEUXIÈ>fE  PARTIE. 


RÉuiT  DE  l'Élection  de  pie  ix;  le  tC  juin  1346'. 


C'était  pour  obéir  à  Tuii  des  plus  impérieux  devoirs  de  sa 
haute  dignité,  que  Le  cardinal  Mastaï  avait  du  quitter  Imola, 
dès  qu'il  avait  appris  la  mort  de  Grégoire  XVI.      .  , 

Il  était  entré  dans  Rome  sans  U  moindre  prétention  daos 
le  cœur.  Malgré  lee  marques  de  sympathie  qu'il  avait 
reçues  sur  son  passage  et  renthousiasme  qui  Tavait  par- 
tout accueilli,  il  ne  paraissait  pas  marne  soupçonner  qu'il 
pût  être  question  de  lui  pour  succéder  au  Pape  défunt 

Un  voyageur  français  écrivait  quelq^es  jours  après  le 
Conclave  :  ^'  Les  fenêtres  de  mon  appartement  se  trouvaient^ 
situées  visa  vis  de  la  maison  où  le  cardinal  évêque  d'Imola, 
Tenait  de  descendre,  sans  que  je  m'en  fusse  douté.  Un 
matin,  j'aperçus,  dans  une  des  pièces,  un  p^rsoDnagj^  in- 
connu: la  soutane  rouge  qu'il  portait  me  révéla  tout  aus- 
sitôt que  c'était  un  cardinal.  Je  m'iufprmai  de  son  nom^ 
et  j'appris  que  c'était  le  cardinal  Mastaï  Ferretti.  Au  peu 
d'éclat  qui  l'entourait,  j'étais  loin  de  pepserque  ce  pût  être  ' 
notre  Pape  futur,  il  préludait  cependant  par  l'humilité  et 
le  silence  au  choix  de  Dieu.  Béni  soit  le  Ciel  de  nou» 
ravoir  donné  !" 

L'entrée  du  cardinal  au  Conclave  fut  tout  aussi  modeste 
que  son  arrivée  à  Rome.  Autour  de  lui  rayonnait,  comme 
une  auréole,  la  renommée  de  ses.  vertus  ;  mais  il  semblail 
vouloir  se  soustraire  à  tous  les  regards. 

Aimé  du  peuple,  qui  n'avait  pas  oublié  les  première» 
années  de  son  ministère,  et  qui  savait  combien  on  le  ché- 
rissait à  Imola,  il  était  presque  inconnu  dans  les  salons  de 
Rome  et  dans  les  chancelleries.  Plusieurs  membres  mémo 
du  Sacré-Collégc  (qui,  d'ailleurs,  honoraient  le  nom  de 
Mastaï  sur  sa  réputation  populaire),  le  connaissaient  à  peine  ; 
et  sans  doute  ils  eussent  été  étonnés  si  on  leur  eût  dit  que 
c'était  l'élu  de  Dieu,  qu'ils  devaient  eux-mêmes  proclamer 
deux  jours  apj es. 

Parmi  les  personnages  sur  lesquels  était  fixée  l'attention 
publique  et  qui  semblaient  devoir  se  disputer  les  suiffiages, 
le  cardinal  Lambruschini  occupait  le  premier  rang. 

Le  cardinal  Lambruschini  avait  été  le  confident  et  le 


71 

ministre  intime  de  G]*égoire  XVI.  Pendant  dix-huit  ans^ 
il  avait  pour  ainsi  dire  régné  avec  le  vieux  Pontife,  qui 
semblait  se  décharger  sur  lui  des  fatigues  et  des  soucis  du 
pouvoir.  Suivant  les  calculs  de  la  politique  il  devait  être 
élu  ;  mais  que  peuvent  toutes  les  combinaisons  de  la  diplo- 
matie devant  les  décrets  du  ciel  7 

Ce  fut  le  soir  du  14  juin  1846,  que  les  cardinaux  réunis 
au  Quirinal,  au  nombre  de  cinquante,  virent  se  fermer  sur 
eux  les  portes  du  Conclave. 

Le  lendemain,  à  neuf  heures,  après  la  messe  du  Saint- 
Esprit,  le  premier  scrutin  s^ouvrit. 

La  majorité  canonique  devait  être  de  trente-quatre  voix. 

Au  dépouillement,  le  nom  de  Lambruscbini  sortit  quinze 
fois  de  Turoe  :  treize  suffrages  portaient  le  nom  de  Mastaî* 
Les  autres  voix  s'étaient  perdues. 

Dieu  commençait  à  se  montrer. 

Quel  prodige  (\)  de  voir  Thomme  d'Etat  du  dernier  règne, 
"  le  prélat  le  çlus  influent  du  Sacré-Collége,  le  tout  puis- 
"  sant  de  la  veille  et  du  jour,  accueilli  par  une  minorité  de 
"  suffrages  telle,  qu'elle  ne  s'élevait  pas  à  la  moitié  du 
"  chiffre  canoniquement  nécessaire  !  " 

N'étaitce  pas  un  autre  prodige  de  voir  le  plus  humble, 
le  plus  modeste  des  cardinaux,  recherché  et  poursuivi  jus- 
que dans  l'ombre  même  de  sa  modestie  par  treize  suffrages 
«on  contestés? 

Quelle  inspiration  surhumaine  allait  donc  éclairer  et 
diriger  un  scrutin  qui  débutait  ainsi  contre  toutes  les  pré- 
visions humaines  et  les  conjectures  les  plus  habiles  ? 

L'imprévu  commençait. — Et,  on  le  sait,  "  dans  les  chose» 
de  ce  monde,  il  arrive  que  bien  souvent  c'est  la  j»art  le 

DIED  1  " 

Le  scrutin  du  soir  fut  un  nouveau  triomphe  pour  le  car- 
dinal Mastaî;  il  avait  gagné  quatre  voix;  et  le  cardinal 
Lambruscbini  en  avait  perdu  deux. 

Au  troisième  tour  de  scrutin,  qui  eut  lieu  le  16,  à  neuf 
lieures,  le  nom  de  Lambruscbini  n'avait  été  proclamé  que 
onze  fois  :  Mastaî  avait  obtenu  vingt-sept  suffrages.  Ainsi 
la  candidature  de  l'archevêqueévêque  d'Imola  se  recrutait 
et  s'augmentait,  à  chaque  tour  de  scrutin,  de  tous  les  suf- 
fi'ages  qui  désertaient  le  concurrent  que  patronait  la  diplo 
matie.  « 

Par  une  de  ces  coïncidences  que  £)ieu  seul  sait  amener 
au  moment  marqué,  le  cardinal  Mastaî  venait  d'être  dési- 
gné par  le  sort,  pour  être  lui-même  un  des  trois  scrutateur» 
chargés  de  dépouiller  le  scrutin  et  de  proclamer  les  vote». 


(I)  M.  DE  Saint-IIernkl,  Vie  de  Pie  IX. 


72 

II 

Pendant  que  le  nom  de  Mastaï  allait  à,e  plus  en  plus> 
slUuHiinaot,  ^^  rimpatience  la  plus  inquiète  régnait  dan» 
^^  Rome.  C'était  Tanxiéié  des  classes  éclairées  çii'un  nom 
'*  allait  rassurer  ou  consterner.  C'était  la  curiosité  savante 
*^  et  raffinée  du  corps  diplomatique  se  préparant  à  deviner 
^Mes  influences  du  règne  futur  etàaresser  des  plans  de 
^'  campagne.  C'était  aussi  la  curiosité  de  la  foule,  attendant 
"  son  premier  pasteur  et  son  souverain  (1)." 

Deux  jours  de  suite,  la  grande  procession  du  clergé 
romain  s'était  rendue  de  Téglise  des  Saints-Apôtres  au 

Klais  Quirinal,  adressant  aux  auditeurs  de  Rote^  solennel- 
nent  rangés  dans  la  chapelle,  la  fameuse  question  : 
Habemus-ne  Pontificem  ? 

Deux  fois,  la  procession  s'en  était  retournée  en  chantant 
le  Yeni  Creator,  et  témoignant  ainsi  que  le  Conclave  avait 
encore  besoin  du  secours  et  des  lumières  de  TEsprit-Saint. 

Pour  \SL  troisième  fois,  la  multitude  assemblée  sur  le 
Monte- Cavahj  venait  de  voir  s'échapper  une  légère  colonne 
de  fumée  au-dessus  de  la  chapelle  Pauline,  annonçant  que 
le  scrutin  était  nul,  et  que  la  volonté  secrète  de  Dieu  ne 
8*était  point  encore  manifestée. 

L'impatience  publique  croissait  d'heure  en  heure.  Je  ne 
sais  quel  vague  pressentiment  avait  saisi  tous  les  esprits  ;. 
on  sentait  que  le  dénoûment  approchait. 

"  Le  scrutin  de  ce  soir  sera  le  dernier,"  avaient  murmu- 
ré quelques  voix,  et  la  foule  avait  accueilli  avec  empresse- 
ment cette  espérance. 

Elle  ne  se  trompait  pas  :  à  trois  heures,  s'ouvrit  le 
quatrième  scrutin.  L'émotion  la  phis  grande  régnait  dans^ 
le  Conclave.  L'action  de  Dieu  se  rendait  de  plus  en  plu& 
sensible.  Chacun  des  membres  du  Sacré-CoUége  compre- 
nait qu'il  allait  proclamer  sou  élu. 

De  même  que  les  précédentes,  la  séctnce  commença  par 
le  chant  du  Yeni  Creator  :  puis  les  cardinaux  écrivirent 
leur  vote  et  le  déposèrent  dans  l'urne  du  scrutin 

En  ce  moment,  le  silence  de  Taugiiste  assemblée,  déjà  si 
solennel,  devint  plus  solennel  encore.  Tour  à  tour,  les 
yeux  se  portaient  sur  le  calice  dépositaire  des  secrets  de 
Dieu,  et  sur  Mastai.' 

Il  était  debout,  à  la  table  du  dépouillement,  où  le  sort 
l'avait  désigné  pour  la  journée.  A  ses  côtés  se  tenaient  les 
deux  autres  scrutateurs  : — l'un  avait  pour  fonction  de  lui 


(l)  M.  de  Saint-Hbrmel,  Vie  de  Pie  IX, 


73 

^résenleF  les  suffrages  qu'il  devait  proclamer;  Tautre était 
chargé  de  les  vérifier  après  lui  et  de  les  inscrire. 

Une  pâleur  causée  par  Témolion  était  répandue  sur  se» 
traits.  Le  résultat  de  Tépreuve  du  matin  avait  effrayé  sa 
modestie  ;  et,  bien  qu'il  eût  passé  en  prières  tout  le  temps 
qui  s'était  écoulé  entre  les  deux  scrutins,  son  âme  n'avait 
pu  calmer  la  profonde  appréhension  dentelle  était  dominée* 
On  eût  dit  une  victime  a  qui  Dieu  allait  imposer  un  fardeau 
d'honneur  et  de  responsabilité  auquel  elle  voudrait  se 
soustraire.  La  nécessité  même  de  proclamer  son  nom 
augmentait  son  effroi  :  cependant  il  fallait  obéir. 

Le  nom  de  Mastaï  était  sur  le  premier  bulletin  ;  il  était 
sur  le  second,  sur  le  troisième  — Le  scrutateur  dut  dix  sept 
fois  de  suite  le  proclamer  sans  interruption.  Sa  main  pou- 
vait à  peine  soutenir  les  papiers  qui  lui  étaient  présentés. 
Sa  voix  était  tremblante.  Quand,  sur  le  dix-huitième  billet, 
il  aper<;ut  encore  son  nom,  ses  yeux  se  voilèrent,  la  parole 
expira  sur  ses  lèvres. 

Après  un  moment  de  silence,  un  torrent  de  larmes 
s'échappa  de  ses  yeux  ;  il  supplia  l'assemblée  de  le  prendre 
en  pitié,  et  de  remettre  à  un  autre  le  soin  de  lire  le  reste 
des  votes. 

Mastai  oubliait  qu'un  scrutin  interrompu  eût  annulé 
l'élection  :  le  Sacré-Collége  s*en  souvint. 

'*  Reposez- vous  un  moment,  lui  cria-t-on  de  toutes  parts; 
oalmez  votre  émotion  :  nous  attendrons " 

En  même  temps,  plusieurs  cardinaux  quittèrent  leurs 
«iéges  ;  ils  s'empressaient  autour  de  lui,  et  le  faisaient 
asseoir. 

Pour  Mastaï,  toujours  silencieux  et  trembrant,  il  n'enten- 
dait rien,  ne  vovait  rien,  et  les  larmes  continuaient  à  couler 
de  ses  yeux.  L'épreuve  avait  été  trop  forte  :  il  y  avait 
succombé. 

Cependant,  après  quelques  moments  de  repos,  il  revint  à 
lui  :  une  force  nouvelle  semblait  lui  avoir  été  rendue.  U 
se  releva  et  rejoignit  le  bureau  soutenu  par  deux  de  ses 
collègues.  Le  dépouillement  s'acheva  lentement  ;  au 
dernier  bulletin  Mastaï  avait  lu  son  nom  trente-six  fois  I 

L'élection  était  faite  par  les  suffrages,  elle  fut  ratifiée  par 
l'acclamation.  D'un  commun  élan  tous  les  cardinaux  se 
levèrent  et  l'on  entendit  retentir  sous  les  voûtes  de  la 
chapelle  Pauline  le  nom  de  Mastaï.  Tous  ensemble  le  pro- 
clamaient, aussi  bien  ceux  qui  l'avaient  inscrit  sur  leurs 
bulletins  que  ceux  qui  jusque-là  lui  avaient  refusé  leur 
voix.  Attendris  par  tout  ce  qu'ils  avaient  vu  de  modestie, 
de  sensibilité,  d'oubli  de  sa  propre  grandeur  dans  l'élu  de 
leurs  confrères,  ces  derniers  voulaient  s'associer  à  une 


74 

élection  si  sainte,  et  y  donner  leur  assentiment  par  un  acte 
solennel  et  authentiaue. 

Telle  fut  l'issue  ae  cette  dernière  réunion  du  Conclave^ 
qui  avait  donné  à  Rome  un  souverain,  au  monde  catholique 
un  pasteur  et  un  père. 

m 

Abordons  le  lécit  des  faits  qui  signalèrent  les  premières 
heures  du  pontificat  de  Pie  IX. 

Pendant  que  tous  les  cardinaux,  acclamaienc  réleclion 
du  cardinal  Mastaï,  le  nouveau  Pape  s'était  jeté  au  pied  de 
Tautel.  Là,  perdu  daus^une  silencieuse  adoration,  il  deman* 
doit  à  Dieu  de  le  soutenir  contre  les  défaillances  de  son 
cœur  et  les  troubles  de  sa  liaison  bouleversée  à  la  vue  d'un 
honneur  si  terrible  et  si  grand. 

Cependant  la  sonnette  du  cardinal  doyen  avait  annoncé 
aux  prélats  assemblés  aux  portes  de  la  chapelle  que  le  Pape 
était  nommé.  Déjà  les  maîtres  des  cérémonies  étaient 
entrés  avec  le  secrétaire  du  Sacré-CoUége  ;  on  allait  com- 
mencer les  formalit/^s  prescrites  pour  l'acceptation  que  doit 
faire  publiquement  l'élu. 

Mastai  restait  toujours  au  pied  de  l'autel,  abimé  et  anéanti 
dans  sa  prière  :  le  sous-doyen  cardinal  Maccbi  s'avança 
vers  lui  escorté  des  maîtres  desxérémonies  et  des  princi- 
paux cardinaux,  et  lui  adres^  la  question  solennelle  : 

Àcceptas-ne  electionem  de  te  factam  iii  Summum  Pontificem  f 

A  cette  demande,  Mastaï  se  releva,  et,  fortifié  par  la 
prière,  il  déclara  qu'il  acceptait  (1). 

Aussitôt,  tous  les  baldaquins  placés  an-dessus  des  cardi- 
naux S'abattirent,  selon  l'antique  cérémonial,  pour  ne 
laisser  suspendu  que  celui  du  nouveau  Pape.  Seul  désor- 
mais, il  devait  être  honoré  des  marques  du  Souverain- 
Pontificat. 

A  la  seconde  question  qui  fut  adressée  au  nouveau  pape  : 
Quel  nom  voulez-vous  prendre  ?  il  annonça  qu'il  désirait  em- 
prunter son  nom  à  Pie  VU,  son  glorieux  prédécesseur  au 
siège  d'imola.  Les  deux  actes  de  l'acceptation  et  de  la 
nomination  furent  immédiatement  dressés  par  le  notaire 
du  Saint-Siège  apostolique,  Mgr  de  Ligne.  Aussitôt  après. 
Pie  IX  fut  revêtu  des  insignes  de  sa  nouvelle  dignité  ;  le 


(1)  Nous  avons  suivi  dans  cette  narration  la  pliinart  des  historiens  de 
Pie  iX. — D'après  quelques  récits  de  l'élection  du  Pontife,  lorsqu'on  lui 
présenta  la  question  solennelle  d'acceptation,  il  aurait  demandé  quelque 
temps  do  réflexion,  et  ce  ne  serait  que  deux  heuros  après  le  scrutin  au*ii 
aurait  donné  son  assentiment. 


75 

^^ardiiial  Riario  Sforza,  carmerlingue  de  la  saiole  Église 
romaine,  lui  mit  au  doigt  Tanneau  du  Pôcheur,  et  la  pre- 
niière  adùralion  des  cardinaux  con^mença. 

Il  était  neuf  beures  et  demie  du  soir,- lorsque  toutes  ces 
cérémonies  furent  terminées 

A  dix  heures,  Pie  IX  se  retira  dans  sa  cellule  :  le  silence 
et  la  prière,  après  toutes  les  émotions  qui  avaient  partagé 
cette  longue  et  sainte  journée,  lui  rendirent  une  paix  et  un 
<*alme  parfaits. 

Avant  de  prendre  son  repos,  il  lit  une  légère  collation 
•avec  son  aumônier,  et  écrivit  a  ses  trois  frères,  à  Sinigaglia, 
pour  leur  annoncer  son  élection. 

"  Il  a  plu  à  Dieu,  qui  exalte  et  qui  humilie,  leur  disait-il,  de  m*élever 
"  de  mon  insignifiance  à  la  dignité  la  plus  sublime  de  la  terre  :  que  aa 
'*  volonté  soit  faite  !  Je  sens  toute  l'immensité  de  ce  fardeau  et  toate 
"  la  faiblesse  de  mes  moyens.  Faites  prier  et  priez,  vous  aussi,  pour 
**  moi- 

**  Si  la  ville  voulait  faire  quelque  démonstration  publique  à  cette 
<'  occasion,  je  vous  prie,  car  Je  le  désire,  de  faire  en  sorte  que  la  totalité 
''de  la  somme  soit  appliquée  aux  oeuvres  que  le  gonfalonier  [U  maire) 
"  et  les  ansiani  (adjoints),  jugeront  utiles. 

'*  Quant  à  vous-mêmes,  mes  chers  frères,  je  vous  embrasse  de  tout 
''  mon  cœur  en  Jésus-Christ.  Ne  vous  enorgueillissez  pas  ;  mais  prenez 
"  plutôt  en  pitié  votre  A^ère,  qui  vous  donne  sa  bénédiction  apostolique/' 

Adirirable  lettre  !  elle  peint  Thumilité  de  Pie  IX,  sa  foi 
profonde,  son  abnégation.  Songez  qu'il  était  minuit  moins 
"un  quart  lorsque  le  nouveau  Pontife  écrivait  à  ses  frères, 
et  que  quelques  heures  à  peine  nous  séparent  des  grands 
événements  qu'on  vient  de  lire. 

La  nuit  du  Saint  Père  fut  paisible:  dès  le  matin,  il  célé- 
bra la  sainte  messe  comme  à  son  ordinaire. — ^Tous  ceux 
qui  l'ont  vu  à  l'autel  savent  avec  quel  recueillement  et 
quelle  piété  il  offre  le  saint  sacrifice  :  ce  recueillement  et 
cette  piété  étaient  plus  intimes  encore  le  lendemain  de  ce 
jour  si  plein  d'émotions,  au  matin  d'une  journée  qui  devait 
les  renouveler  toutes. 

Sur  les  neuf  heures,  devait  avoir  lieu  la  présentation  du 
nouveau  Pontife  au  peuple. 

IV 

Avant  de  la  raconter,  détournons  un  moment  nos  pen- 
sées du  Conclave,  qui  nous  a  occupés  jusqu'ici,  et  disons  ce 
qui  s'était  passé  dans  la  ville. 

Depuis  la  veille  au  soir,  Rome  toute  entière  était  dans  la 
plus  grande  agitation.  La  multitude  qui  couvrait  le  Jfon^^ 
Cavallo^  pendant  que  les  cardinaux  procédaient  au  dernier 


76 

scrutlDj  avait  bien  compris,  en  ne  vovant  pas  paraître  la 
mystérieuse  fumée,  que  le  Pape  était  llu. 

Dès  cinq  heures,  la  nouvelle  s'en  était  répandue  dans 
tous  les  quartiers  ;  à  chaque  moment,  de  nouveaux  flots  de 
peuple  venaient  grossir  la  foule,  déjà  si  nombreuse.  Cha- 
cun espérait  assister,  ce  soir-là  même,  à  la  présentation  du 
Pontife  et  recevoir  sa  première  bénédiction. — ^Mais,  quel 
était  cet  élu,  oe  nouveau  père,  ce  nouvçau  prince  ? 

Mille  bruits  divers  circulaient  dans  les  groupes;  tous 
roulaient  savoir  quel  serait  le  dernier  mot  de  Pénigme. 
Les  espérances,  on  le  sait,  furent  déçues.  La  longueur  de 
la  dernière  séancee  du  scrutin,  les  formalités  qu'on  avait 
dû  remplir,  la  suite  des  cérémonies  de  la  première  adora- 
iian^  les  intervalles  de  silence  et  de  délibération  laisées  au 
nouveau  Pape,  selon  quelques  écrivains,  avant  son  accepta- 
tion: tout  cela  ne  permit  pas  de  présenter  immédiatement 
Pie  IX  à  ses  sujets.  D'ailleurs  aucune  mesure  n'avait  été 
prise  ;  rien  n'était  prêt  pour  une  si  prompte  élection  :  il  eût 
été  même  difficile,  à  cette  heure,  de  se  procurer  les  ouvriers^ 

3ui  devaient  abattre  le  mur  élevé,  deux  jours  auparavant, 
evant  la  Loggia  du  palais  sur  laquelle  les  nouveaux  Papes 
doivent  être  présentés. 

Quels  que  fussent  Timpatience  du  peuple,  et  le  désir  des 
cardinaux  de  satisfaire  cette  impatience  légitime,  il  fallut 
remettre  au  lendemain  la  solennelle  cérémonie. 

Durant  la  nuit,  les  faux. bruits,  qui  avaient  pris  naissance 
au  Ma7itc  C^i;aZ/o,  s'accréditèrent  dans  la:  ville.  Le  nom  de 
Mgr  Gizzi,  l'un  des  cardinaux. les  plus  aimés,  était  partout 
répété,  et  partout  ce  nom  érait  accepté  avec  joie.  Par  un 
secret  de  la  Providence,  on  oubliait  celui  de  MastaL  Au 
matin,  les  conjectures  avaient  pris  un  tel  caractère  d'auto- 
rité, que  Ton  finissait  par  tenir  pour  certaine  l'élection  de 
Mgr.  Gizzi. 

Dès  la  pointe  du  jour,  la  grande  place  du  Monte  Cavallo 
était  envahie.'  C'est  à  peine  si  la  procession  du  clergé 
romain,  qui,  celte  fois,  vint  prendre  place  eu  face  du  Quiri- 
nal,  en  chantant  l'hymne  de  reconnaissance,  le  Te  Demij 
avait  pu  se  frayer  un  passage. 

L'impatience  croissait  de  moment  en  moment. 

Enfin,  neuf  heures  sonnèrent:  c'était  le  signal  donné. 
Les  maçons  se  mirent  à  l'œuvre  ;  et,  bientôt  les  derniers 
obstacles  furent  enlevés.  La  bonne  nouvelle,  captive  jus- 
que-là sous  le  secret  du  Conclave,  allait  être  manifestée. 

Le  cardinal  camerlingue  s'avança  sur  le  balcon,  et  vint 
Tannoncer  en  ces  termes  : 

*'  Je  vous  annonce  une  grande  joie.  Nous  avons  pour 
**  Pape  l'Eminentissime  et  Révérendissime  Seigneur  Jean- 


77 

/^  Marie  Mastaï  Ferretti,  jusqu'ici  cardinal  de  la  sainte 
'^  Eglise  romaine  :  il  a  pris  le  nom  de  Pie  IX." 

La  sympathie  publique  s'était  tellement  portée,  depuis  la 
veille  au  soir,  sur  la  nomination  pupp^^ée  de  Mgr  Gizzi,. 
qu'à  la  proclamation  du  choix  réel  du  Sacré-ColIége,  il  y 
eut  dans  la  foule,  étonnée  du  nom  inattendu  qu'on  lui  an- 
nonçait, un  moment  de  désappointement; 

Mais  quand,  après  tous  les  cardinaux,  qui  se  présentèrent 
tour  à  tour  sur  le  balcon,  on  vit  apparaître  le  Souverain- 
Pontife,  les  yeux  baignés  de  larmes,  dans  l'émotion  la  plus 
sainte  :  quand  on  lui  eut  vu  lever  les  mains  au  ciel  dans 
une  sorte  d'extase,  pour  bénir  le  monde  et  son  peuple,  et 
que  Ton  eut  entendu  sa  voix  si  douce  et  si  paternelle,  cha- 
cun se  rappela  combien  le  cardinal  Mastaï  était  aimé,  de 
quel  respect  il  était  entouré,  comment  autrefois  on  pronos- 
tiquait son  élévation  future  ;  et,  l'enthousiasme  succédant 
tout  à  coup  au  silence>  les  applaudissements  éclatèrent 
comme  une  tempête,  et  toutes  les  voix  s'élevèrent  dans  les 
airs,  répétant  comme  d'un  commun  accord  :  Viva  Pio  nono  ! 

Du  Monte  Cavaîlo  l'enthousiasme  et  les  applaudissements 
se  répandirent  dans  la  ville.  Le  nom  de  Mastaï  et  de  Pie 
IX  volait  dans  toutes  les  bouches  :  chacun  s'empressait  de 
l'associer  aux  plus  doux  souvenirs  de  sa  vie. 

Les  nombreux  ouvriers  qui  avaient  vu  autrefois  l'abbé 
Mastaï  â  l'œuvre,  soit  à  la  Tata-Giovanni,  soit  à  l'hospice 
Saint-Michel,  se  plaisaient  à  répéter  mille  traits  naïfs  de  sa 
jeunesse  sacerdotale.  Ils  disaient  qu'il  était  bon,  qu'il  était 
sensible  ;  que  les  malbeureux  trouvaient  accès  auprès  de 
lui  ;  que  chaque  douleur,  accueillie  par  lui,  s'en  retournait 
consolée  ;  qu'il  avait  été  le  père  de  toute  une  génération 
d'orphelins. 

**  De  leur  côté,  les  habitants  de  Spolète  et  d'Imola,  qui 
se  trouvaient  à  Rome,  racontaient  à  l'envi  cette  sainte  lé- 
gende du  Prélat,  arrêtant  d'un  seul  mot  deux  régiments 
autrichiens,  désarmant  d'un  regard  cinq  mille  rebelles, 
sauvant  les  coupables  en  jetant  au  feu  la  liste  de  proscrip- 
tion, calmant  les  passions  émues,  et  réalisant  en  bienfaits 
chacune  de  ses  pensées  (1)." 

Tous  ces  récits,  multipliés  par  l'affection,  mais  non  ex- 
agérés, exaltaient  les  cœurs,  enivraient  les  imaginations  : 
Rome  toute  entière  était  dans  les  transports  du  bonheur  et 
de  la  joie.  Il  semblait  que  l'on  n'efit  pas  assez  de  voix 
pour  célébrer  les  louanges  du  vénéré  Pie  IX. 

Heureux  Pontife  I  qui,  après  avoir  été  élevé  à  la  suprême 
dignité  du  monde,  par  un  concours  de  circonstances  si  pro- 


(i)  M.  DB  Saint-Hbriiel,  Vie  de  Pie  IX. 


78 

Tidentiel  et  si  divin,  voyait  les  premières  heures  de  sou  rè- 
gne signalées  par  de  telles  sympathies  et  consacrées  par  de 
semblables  marques  d'amour  1  . 

Poniife  plus  heureux  encore  de  ë'ètre' rendu  djgne.de  fi- 
:xer  les  regards  du  ciel  par  aës  vertus,  et  d'avoir  mérité  que 
les  bonnes  œuvres  de  ses  premières  années  fussent  pour 
lui,  en  ce  moment,  un  titre  à  la  reconnaissance  de  tous,  et 
que  sa  jeunesse  sanctifiée  devint  comme  un  présage  fortuné 
de  son  Pontiûcat  ! 


La  seconde  et  la  troisième  adorations  m  succédèrent  le 
jour  même  à  la  chapelle  Sixtineetà  Saint-Pierre.  Toutes 
deux  furent  entoiirées  d'une  pompe  et  d'un  enthousiasme 
que  Ton  ne  saurait  exprimer.  Le  peuple,  dans  le  désir  de 
voir  son  nouveau  Souverain,  se  pressait  sur  le  passage  du 
Saint- Père  :  partout  c'était  des  élans  de  joie,  des  témoigna- 
g-es  de  respect  et  d'amour. 

Quatre  jours  après,  le  21  de  juin,  eut  lieu  la  belle  céré> 
monle  du  couronnement-  Quand,  pour  la  première  fois, 
le  front  ceint  de  la  tiare.  Pie  IX  donna  sa  bénédiction  sol- 
ennelle du  haut  de  la  loggia  de  Saint- Pierre,  "  l'émotion 
*' était  générale  ;  le  cœur  du  peuple  monta  vers  le  Pontife 
*'  en  un  immense  applaudissement  :  c'était  comme  undéli- 
'*  re  d'amour  filial."  " 

Le  soir,  il  y  eut  grande  réception  au  palais  pontifical  ;  tous 
Jes  monuments  publics  furent  illuminés  ;  les  palais  des  car- 
dinaux,, des  ambassadeurs  et  des  magistrats  romains,  riva- 
lisaient de  splendeur  et  de  clartés;  l'immense  coupole  de 
Saint- Pierre  était  tout  en  feu.  "  La  joie  était  partout  :  tou- 
"  tes  les  âmes  ét<^i«nt  à  l'allégresse,  à  la  confiance,  au  bon- 
*'  heur." 


TROISIÈME  PA.RTIE. 


RÉSUMÉ  DES  PRINCIPAUX  ÉVÉNEMENTS  DU  PONTIFICAT  OS  PIB  IX. 

Dr^puis  les  dates  mémorables  du  IG  et  du  21  juin  1846, 
trente-deux  années  se  sont  écoulées. 

Tout  l'univers  catholique  sait  combien  le  saint  Pontife 
s'est  montré,  en  toute  occasion,  digne  du  rang  auguste  où 


79 

la  Providence  l'a  appelé.  Toul  Tunivers  catholique  sait  de 
môme  comment  Dieu  a  marqué  le  règne  de  Pie  IX  ^r 
d^importants  événements;  comment  U  a  départi  tour  à 
tour  à  ce  grand  Pape  des  ovations  et  des  honneurs  presque 
sans  antécédents,  aussi  bien  que  des  amertumes  et  des 
douleurs  qui  ressemblent  à  celles  du  Calvaire. 

Au  reste,  si  vous  voulez  vous  remémorer  en  quelques 
lignes  toutes  les  merveilles  de  la  vie  de  notre  bien-aimé 
Pontife,  et  la  mystérieuse  action  de  la  Providence  à  son 
égard,  parcourez  les  pages  qui  suivent  :  vous  y  trouverez 
en  résumé  tout  le  pontificat  de  Pie  IX. 

LES  TRBNTE  -  DEUX  ANNÉES  DU  PONTIFICAT  DE  PIE  IX. 

C'est  à  la  source  la  plus  authentique,  à  la  collection  des 
Aeta  Fii  Noni  qu*ont  été  puisés  les  documents  rassemblés 
ici.  Ils  ont  été  recueillis  par  le  courageux  directeur  de 
VUnita  eattolicfi  de  Turin;  il  les  a  pubKés  en  de\ix  articles 
le  16  et  le  21  juin  1875,  avec  cette  devise  : 

LAUOBNT  SUM  OPERA  EJUS  ! 

Dans  la  traduction  que  nous  donnons  de  VUnita^  nous 
avons  cru  devoir  ajouter  au  texte  de  nombreuses  explica- 
tions supplémentaires  qui  en  faciliteront  Tintelligence. 

1846.    l'année  de  l'élection. 

Par  la  volonté  mystérieuse  de  la  Providence,  le  Conclave, 
commencé  le  14  juin  au  soir,  s'accorde  deux  jours  après 
dans  un  choix  unanime,  et  appelle  au  suprême  pontificat 
le  cardinal  Jean-Marie  Mastaï  Ferretti,  qui  prend  le  nom 
de  Pie  IX. — Le  nouveau  Pape  inaugure  son  règne  par  une 
amnistie  des  détenus  politiques  :  elle  est  publiée  le  16  juil- 
let, un  mois  après  son  élection.  —  Peu  après  il  établit 
un  sénat  et  une  assemblée  consultative  composée  de  dé- 
putés de^  provinces.  Ces  mesures  sont  accueillies  avec 
enthousiasme. — Le  27  juillet.  Pie  IX  se  plait  à  faire  remar- 

?[uer  l'action  providentielle  de  son  élection,  la  première 
ois  qu'il  adresse  la  parole  en  présence  du  Sacré  Collège 
(allocution  consistoriale).  Le  9  novembre,  il  notifie  à  tout 
réptscopat  et  au  monde  catholique  son  exaltation  au  trftne 
pontificat  par  l'Eneyclique:  QuiplurKms. — Dans  cette  même 
lettre,  il  amrme  sa  mission  de  docteur  universel  et  de  pas- 
teur des  pasteurs,  en  dévoilant  les  erreurs  modernes  et 


80 

I 

confirmant  les  constitutions  de  ses  prédécesseurs  contre 
les  sectes  maçonniques  ;  il  y  excite  égalenrent  l'Episcopat  à 
défendre  TEglise  avec  plus  d'emptessement  otie  jamais,  et 
à  lui  donner  de  bons  prêtres. — Pfeu  après,  le  20  novembre, 
il  promulgue  un  Jubilé  universel,  pour  attirer  sur  le  peuple 
chrétien  le  secours  de  Dieu.  Le  saint  Pontife  n'ignore  pas 
combien  le  génie  du  mal  travaille  sourdement,  pour  la 
destruction  de  la  Société,  dat^s  tous  leb  pays  du  moâde,  et 
spécialement  en  Italie. 

1847.    l'année  des  applaudissements. 

L'année  1847  est  marquée  par  de  continuelles  acclama- 
tions à  Pie  IX.  Tout  Tunivers  en  retentit  ;  mais  le  saint- 
Pontife,  peu  soucieux  de  cesfélicitation8{l),  s'applique  tout 
entier  au  gouvernement  de  l'Eglise. — Le  25  mars,  il  de- 
mande des  secours  et  des  prières  pour  la  malheureuse 
Irlande  (Encycl.  Pj-œdecessorts). — Peu  après,  il  coninlète 
l'administration  pontificale  par  la  création  d'un  conseil  des 
ministres,  et  notifie  cette  utile  innovation  aux  cardinaux, 
le  il  juin.  (Alloc.  Cumveluti.) — Le  17  juin,  les  ordres  reli- 
gieux reçoivent  de  lui  une  Encyclique  dans  laquelle  il 
les  excite  à  l'observance  de  leurs  règles.  (Encyc.  Ubiprimum). 
Le  même  jour,  cette  Encyclique,  adressée*^  aux  généraux 
d'ordre,  est  communiquée  à  Tépiscofat — Le  23  juillet^  il 
rétablit  à  Jérusalem  l'antique  juridiction  du  Patriarche 
latin.  Le  4  octobre,  il  annonce  cette  sage  mesure  aux  car- 
dinaux et  fait  le  vœu  que  tous  les  fidèles  se  distinguent  par 
une  sincère  obéissance  aux  puissances  temporelles  dans  ce 
qui  est  du  ressort  de  ces  puissances.  (Alloc.  consister.) — 
Le  17  décembre,  dans  une  semblable  occasion,  il  réfute  les 
calomnies  déjà  lancées  contre  lui,  déplore  les  hostilités  de  la 
Suisse  contre  le  catholicisme,  et  la  guerre  dite  du  flunder- 
bund,  et  exhorte  les  évoques  à  défendre  l'Eglise.  (Âiloc. 
consist) 

1848.    l'année  de  la  trahison. 

m 

Les  applaudissements  continuent  durant  l'année  1848: 
la  ruse  et  l'hypocrisie  les  inspirent  à  plusieurs.  Pie  IX  ne 
se  laisse  pas  plus  séduire  que  Pannée  précédente  à  ces 


(l)  Un  jour  qu'en  présence  de  Pie  IX,  on  parlait  de  Tallégresse 
avec  laquelle  le  peuple  exaltait  ses  bienfaits  :  "  Plaise  à  Dieu,  dit  le 
saint-Pontife,  que  ces  joies  soient  réelles  !  Elles  pourraient  peut-être  hïén 
nous  présager  que  la  tiare  sera  bientôt  changée  on  couronne  d'épines." 
Hélas  !  cette  triste  prévision  ne  devait  pas  tai^er  U  se  i^ûliser. 


81 

louanges  hypocrites. — Le  6  janvier,  il  exhorte  les  scfaisma- 
tiques  d'Orient  à  revenir  à  l'unité.  (LetL  In  suprema.)r^ 
Le  29  avril,  il  proteste  de  ses  sentiments  bienveillants  -pour 
TAutpiche  et  refuse  de  lui  faire  la  guerre.  (AUoc). — ^Le  2 
juin,  il  pourvoit  à  la  censure  des  livres  dans  les  Etats  pon- 
tificaux et  signale  ceux  que  l'Index  a  récemment  prohibés. 
(Lett.^ — Le  3  juillet,  il  expose  aux  cardinaux  le  triste  état 
du  catholicisme  en  Russie,  et  leur  annonce  ce  qu'il  vient 
de  faire  pour  Taméliorer  (AUoc.  consist.)  :  ce  même  jour, 
par  sa  lettre  Universalisa  il  crée  en  Russie  les  circonscrip- 
tions des  diocèses. — Le  11  septembre,  en  consistoire,  il  con- 
firme Tautorité  du  patriarche  chaldéen  de  Babylone,  pleu- 
re la  mort  de  Mgr.  AÔre,  archevêque  de  Paris,  (Allocut. 
consist.)  et  fait  célébrer  pour  lui  un  service  funèbre  dans 
la  basilique  Libérienne. — Cependant  les  ferments  de  sédi- 
tion vont  chaque  jour  se  développant  dans  la  Ville  sainte  ; 
les  troubles  de  la  France  ne  les  ont  que  trop  favorisés.  Au 
commencement  de  novembre  l'insurrection  éclate.  Le  15^ 
le  comte  de  Rossi,  premier  ministre  de  Pie  IX  est  poignar- 
dé, et  le  Quirinal  où  le  Pape  s'est  retiré  est  investi. — Le  24, 
Pie  XI  se  voit  forcé  de  quitter  Rome  devant  la  révolution 
trîoiliphante  et  de  partir  en  exil  :  Il  est  accueilli  par  le  roi 
de  Naples. 

1849.     l'année  de  l'exil. 

Retiré  à  Gaëte,  la  première  pensée  de  Pie  IX  est  pour  la 
sainte  mère  de  Dieu.  Le  11  févrirer,  il  demande  à  tons  les 
évêques  de  lui  faire  connaître  quel  est  le  caractère  de  la 
croyance  à  la  Conception  Immaculée  de  Marie  dans  les  di- 
vers diocèses  de  la  catholicité.  (Lelt.  Encyc.) — Le  20  avril, 
il  signale  au  monde  les  menées  de  la  révolution  à  Rome,  et 
l'inutilité  de  l'appel  du  chef  de  l'Eglise  auprès  des  princes, 
et  remercie  le  peuple  catholique  des  secours  qu'on  lui  a  de 
toutes  parts  adressés  sous  le  nom  de  Denier  de  Saint-Pierre. 
(AUoct.  consist  :.Çut 6 wî  tant is que. )^L%  8  décembre,  prôvory- 
aut  la  guerre  acharnée  qu'on  prépare  à  l'Eglise  en  Italie, 
il  engage  lés  évêques  à  résister  avec  courage  aux  assauts 
de  l'enfer.    (  Encycl.  NoscUis.) 

1850.    l'année  du  retour  a  rome. 

Le  règne  de  la  Révolution  à  Rome  avait  duré  neuf  mois 
(15  nov.  1848.— 2  juillet  1849).  Dès  le  25  avril  1849.  les 
armées  catholiques,  à  la  tête  desquelles  se  distinguait  l'ar- 
mée française,  commandée  par  le  général  Oudinot,  étaient 


82 

Tenues  faire  le  siège  de  la  ville  sainte.  Rome  était  délivrée 
k  2  juillet.  Pie  IX  y.  entra  triomphalement  le  12  avril 
1S50.  Le  20  mai  dans  une  allocution  coasistoriale,  il  re- 
mercie les  princes  qui  Tont  secouru,  et  déplore  les  pre- 
mières agressions  du  Piémont  contre  TEglise,  notamment 
la  condamnation  de  Mgr  Franzoni,  archevêque  de  Turin. 
Le  29  septembre,  il  rétablit  la  hiérarchie  en  Angleterre. 
(Bulle  apost.) — Le  1er  novembre  il  se  plaint  de  nouveau 
da  gouvernement  piémontai?,  et  l'accuse  de  violer  les  con 
cordats.  (Alloc.  consisi.) — Le  19  novembre,  poursuivant 
TcBuvre  commencée  en  Angleterre,  il  y  institue  des  cha- 
pitres canoniaux.    (Lettre  apost.) 

1851.      L*ANNÉE   DES   CONCORDATS. 

Un  Français,  résidant  à  Lima,  Paul  Vigil,  ose  attaquer 
dans  un  écrit  ^4es  prétentions  de  la  curie  romaine  ;*'  le  10 
juin,  Pie  IX  condamne  cet  écrit. — Le  22  août,  il  condamne 
également  le  docteur  Nuyiz,  professeur  à  TUniversité  de 
Turin,  accusé  de  fausser  dans  son  enseignement  le  droit 
canon.lLt-tt.  apost.) — Le  5  septembre,  il  annonce  avec  joie 
aux  cardinanx  qu'li  vient  de  conclure  un  concordat  impor- 
tant avec  TEspagne.  (Ail.  consist.)  (1). — Peu  après,  il  pu- 
blie le  t«xte  de  ce  concordat.  (Lett.  apost.  Ad  vicarium  xter* 
ni pontificis.  ) — Le  21  novembre,  il  promulgue  un  second  Ju- 
bilé dans  ie  but  de  multiplier  les  prières  et  les  bonnes  œu- 
vres pour  sauver  TEglise.  (Encyc) 

1832.      l'année  DBS  SAINTS  CONSEILS. 

Désireux  de  maintenir  dans  Tépiscopat  le  spectacle  édi- 
fiant pour  tout  l'univers  de  la  plus  parfaite  union,  Pie  IX 
adresse  successivement  les  conseils  de  sa  paternité  aux 
évêques  d'Irlande  (Encyc.  du  25  mars)  et  à  ceux  d'Espagne 
C17mai)pirmi  lesquels  la  concorde  semblait  un  moment 
troublée. — Le  27  septembre,  il  signale  les  agissements  de  la 
franc-maçonnerie  de  la  Nouvelle-Bretagne  contre  la  sain- 
teté du  mariage  et  la  liberté  de  l'Eglise.  (Ali.  consist.) — 
Le  1er  octobre,  il  béatifie  Jean  Grande  et  Paul  de  la  Croix, 
et  déclare  que  le  monde  chrétien  doit  apprendre  de  i'ex- 


(l)  Bien  aue  Pie  IX  ait  conclu  durant  son  pontifical  beaucoup  d'au- 
tres concordats  avec  des  puissances  catholique*,  l'importance  de  celui 
qui  fut  signé  avec  l'Espagne  en  1851  a  fait  donner  à  cette  année  le  titre- 
d'année  des  concordats. 


83 

-emple  de  ces  saints  personnages^  comment  il  faut  savoir 
lutter  et  combattre  pour  le  Seigneur.  '  (Lettre  apost.) 

1853.    l'année  des  belles  institutions. 

I.e  4  mars,  Pie  IX  rétablit  la  hiérarchie  épiscopale  en 
Hollande  (Lelt.  apost.)— Le  7,  il  signe  un  concordat  avec  la 
république  de  Costa-Rica  et  le  notifle  en  consistoire. — Le 
!2ly  dans  nue  lettre  encyclique,  il  loue  les  évêques  de 
France  pour  leur  dévouement  à  l'Eglise  et  les  invite  à  pro- 
léger Ips  écrivains  catholiques  qui  ont  le  courage  de  pren- 
dre la  défense  du  Saint-Siège  et  de  ses  enseignements. 
(Encycl.  Inter  mnlUpliees)  (l).— Le  28  juillet,  il  fonde  à  Rome 
un  nouveau  séminaire  auquel  il  donne  son  nom,  le  sémi- 
naire Pie.  (Lelt.  apost) — Le  1er  septembre, il  crée  un  col- 
lège à  Sinigaglia,  sa  ville  natale.  (Lett.  apost.) — Le  3  oc- 
tobre, il  publie  uu  admirable  règlement  pour  les  études 
dans  le  séminaire  romain,  dit  de  Saint-Apollinaire.  (Lett. 
apost.) — Ce  même  mois  et  les  suivants,  il  établit  deux  nou- 
veaux sièges  du  rite  catholique  grec,  fait  un  concordat 
avec  la  république  dp  Guatimala,  et  déplore  en  consistoire 
les  outrages  faits  à  TËglise  en  Suisse  et  dans  le  Piémont. 

1854.    l'année  de  l'immaculée-  conception. 

En  vue  et  comme  préparation  &  la  déflnition  du  dogme 
de  la  Conception  Immaculée  de  Marie,  Pie  IX  accorde  on 
troisième  Jubilé.  (Encyc.  du  1er  août.) — Le  lerdécembre, 
il  annonce  aux  cardinaux  qu'il  se  propose  de  décréter  pro- 
chainement le  dogme  de  rimmaculée-Conception. — Le  8 
du  même  mois,  en  présence  de  tout  le  Sacré-Collége,  d'une 
grande  partie  des  évéques  du  monde  catholique  et  d'un 
nombre  considérable  de  prêtres  et  de  fidèles  accourus  i 
-Rome,  il  promulgue  ce  dogme  par  la  bulle  Ineffabilis.-^he 
•lendemain,  il  déclare  que  le  8  décembre  restera  le  pins 
beau  jour  de  sa  vie  et  annonce  que  la  définition  touchant 
l'Immaculée  Conception  de  Marie  sera  le  grand  et  puissant 
antidote  des  erreurs  contemporaines.   (AUoc.  Swgulari  qua- 

1855.     l'annéI?  de  la  révolte  piémontaise. 

Depuie  quatre  ans,  Pie  IX  souffrait  avec  une  admirable 
patience  les  outrages  du  Gouvernement  piémonlais.    Le 


(!)  CeUe  Lettre  encyclique  parut  au  moment  où  le  journal  V Univers 
venait  d'être  condamné  par  Mgr  Sibour,  areliev6quc  de  Paris. — La  c(k 
Incidence  n*échappa  à  personne. 


84 


qu'il  a  fait  pour  y 
Probe 
connue 

àTEgli , , 

ostensiblement.  Pie  IX  fait  entendre  à  ce  sujet  de  pater- 
nels gémissements  dans  le  consistoire  du  26  juillet.— Un 
heureux  concordat  conclu  avec  Tempereur  d'Autriche  vient 
le  consoler.  Le  Pape  en  fait  part  aux  cardinaux  le  3  no- 
vembre. — Cette  année  1855  a  été  aussi  marquée  par  une 
intervention  toute  particulière  de  la  très-sainte  Vierge  sur 
le  Saint-Pontife.  Un  grave  accident  pouvait  compromet- 
tre ses  jours,  le  12  avril.  Il  a  été  providentiellement  sau- 
vé. 

1856    l'année  du  chaos  européen  et  ï}\}  congrès  de  paris 

Au  milieu  des  complications  qu'entraîne  pour  TEglise  le 
Congrès  de  Paris,  Pie  IX  accédant  à  la  demande  d'un 
grand  nombre  d'évéques  français,  étend  à  TËglise  univer- 
telle  la  fête  dû  Sacré-Cœur  (Décret  du  23  août.)  Cest  dans 
la  protection  du  Sacré-Cœur  de  Jésus  que  le  saint  Pontife 
cherche  consolation  et  espérance  contre  la  politique  de 
Napoléon  III  en  France  et  de  Cavour  en  Piémont,  et  con- 
tre les  tentatives  des  impies  dans  le  duché  de  Bade,  au  Me- 
xique, dans  les  républiques  de  l'Amérique  méridionale  6t 
en  Suisse.    (AU.  consist.  du  15  décembre.) 

1857.      l'année  DU   voyage' TRIOMPHAL. 

Dans  le  but  de  répondre  à  Taccusation  mensongère  et 
hypocrite  des  politiques  qui  prétendent  que  Pie  IX  est  dé- 
testé de  ses  sujets,  le  pieux  Pontife  se  décide  à  parcourir 
ses  Etats.  Son  voyage  est  un  long  triomphe  qui  dure 
du  4  mars  au  5  septembre. — Le  25  septembre,  il  raconte 
aux  cardinaux  l'accueil  enthousiaste  qu'il  a  reçu  de  ses 

Îeuples  et  des  souverains  voisins.    (Alloc.  Cum  priwwm.) 
amais  l'Italie  n'avait  eu  et  elle  n'aura  jamais  un  plébiscite 
aussi  sincère  et  aussi  décisif. 

1858.      L'ANNiE  DES  SAGES  AVERTISSEMENTS. 

La  Révolution  vaincue  en  1849  n'a  pas  perdu  couraee» 
Pie  IX  prévoit  qu'elle  pénétrera  avec  Garibaldi  en  Sicile, 
et  de  là  dans  les  Etats  Pontificaux.    Le  20  janvier,  dans 


!  85 

une  lettre  encyclique,  il  annonce  les  malheurs  qu'il  appré- 
lieade  et  donne  aux  évêques  de  Sicile  et  à  Pépiscopat  tout 
entier  de  précieuses  admonitions.  (  Encyc.  €um  mipei\) — 
Heureux  le  roi  de  Naples,  s'il  eût  sn  alors  profiter  des  aver- 
tissements du  Saint-Père  ! 

1859.  l'année  de  l'annexion  piémontaise  et  du  denier 

de  saint-pierre. 

Tandis  que  la. guerre  se  prépare  entre  la  France  et  T Au- 
triche, et  que  parait  en  France  (  4  février  )  la  brochure  cé- 
lèlM-e  intitulée  :  Napoléon  III  ei  l  Italie^  brocliure  qui  propose 
de  séculariser  les  Etats  pontificaux,  Pie  IX  inaugure  Tan- 
née par  une  admii*able  lettre  à  l'empereur  Alexandre  II  de 
»  Russie,  en  faveur  des  cathoUques  opprimés  (31  janvier). — 
Dès  que  la  guerre  éclate,  dans  une  nouvelle  encyclique  du 
27  avril,  il  demande  partout  des  prières  pour  la  paix  du 
xncœde — ^Un  mois  après,  le  12  juin,  un  soulèvement  favorisé 
par  le  Piémont,  éclate  à  Bologne  (l),  et  immédiatement 
l'insurrection  s'étend  à  Ravenue  et  à  Pérouse,  et  Victor- 
Emmanuel  se  fait  décerner  la  dictature  des  Légations  et  de 
laRomagne.  En  apprenant  cette  nouvelle,  Pie  IX  adresse 
à  tout  l'univers  (18  juin)  une  encyclique  dans  laquelle  il 
proteste  contre  tout  ce  qui  s'est  passé  et  déclare  qu'il  est 
prêt  à  tout  souffrir  plutôt  ôue  de  faillir  à  son  devoir. — 
Deux  jours  après,  il  renouvelle  les  mêmes  protestations  de- 
vant le  Sacré-Collége. — Cependant^  l'insurrection  s'accen- 
tue de  plus  en  plus;  bientôt  toute  l'Emilie  est  en  feu,  et  le 
6  septembre,  l'annexion  de  cette  province  aussi  bien  que 
des  Romagues  au  Piémont  est 'solennellement  décrétée. 
Pie  IX,  dans  une  allocution  consistoriale  du  26  septembre, 
proteste  de  nouveau  contre  les  attentats  du  Piémont  et  ré- 
sume tous  ses  griefs  contre  ce  gouvernement,  cause  de  tant 
de  maux* — L'univers  catholique  répond  à  la  voix  et  aux 

SLaintes  de  Pie  IX  par  des  témoignages  de  dévouement  et 
'amour  et  en  renouvelant  des  temps  anciens  V Œuvre  du 
Denier  de  Saint-Pierre. 

1860.    l'année  des  excommunications  et  db  castelfidardo. 

1859  s'était  terminé  au  milieu  de  l'agitation  produite  par 
la  brochure  le  Pape  et  le  Congrès.    Cette  brochure  qui  était 


(1)£ia  veille,  les  Autrichiens  qni  occupaient  cette  ville,  menacés  par 
rarmée  française,  avaient  dû  Tévacuer.  C'était  l'heure  propice  pour 
les  révolutionnaires. 


6ti 

un  véritable  hommage  rendu  à  la  révolution^  selon  Taveu 
•d'un  diplûiiiale  anglais,  allait  achev^er  de  faire  perdre 
Pape  plus  de  la  moitié  de  ses  domaia^es  et  empêcher  la 
union  d'un  nouveau  congrès  européen,  attendu  depuis 
l)lusieurs  mois.    Pie  IX,  dès  le  ier  janvier  1860,  stigmatise 
cette  brochure  dans  la  réponse  qu'il  adresse  aux  félicita- 
tions d'heureuse  année  que  lui  offre  le  général  de  Gayon, 
commandant  de   l'armée  française;    le  saint  Pontife  ne 
craint  pas  d'appeler  cette  brochure  "  un  monument  insigne 
d'hypocrisie  et  im  tissu  ignoble  de  contradictions.'* — Le  8 
janvier^  Pie  IX,  dans  une  lettre  adressée  à  l'empereur  de« 
Français,  rejette  avec  indignation  la  proposition  que  ce 
souverain  avait  osé  lui  faire  de  renoncer  à  ses  droits  sur 
les  provinces  envahies. — ^Quelques  jours  après,  le  19  jan- 
vier. Pie  IX  notifie  au  monde  catholique  la  proposition  im- 
périale et  la  réponse  qu'il  a  cru  devoir  y  faire.     (Encyc, 
NuUis  certe   vet'bis,) — La   lettre  du   Pape    est    publiée  en 
France,  le  29  janvier,  par  le  journal  r//;uuerx  qui  est  sup- 
primé le  même  jour,  sons  de  spécieux  prétextes  d'ordre 
public. — Le   14   février,   Pie  IX  repousse  une  propositioa 
analogue  à  celle  de  Napoléon  III  qui  lui  a  été  faite  par 
Victor- Emmanuel.    (Lett.  apos.) 

Le  26  mars,  Tœuvre  de  la  Révolution  se  poursuivant 
dans  las  Etats  pontificaux,  malgré  les  avertissements  de 
Pie  IX,  le  saint  Pontife  lance  contre  les  envahisseurs  et 
tous  leurs  complices,  la  célèbre  bulle  d'excommunication  : 
Cum  CathoUca  Ecclesia  (1).— Le  2  avril  nouvelle  lettre  de 
Pie  IX  à  Victor-Emmanuel,  après  le  prétendu  suffrage  uni- 
versel qui  a  consommé  la  spoliation  des  Romagnes  ;  le 
Pontife  y  renouvelle  ses  justes  protestations,  et  laisse  sur 
la  conscience  du  prince  toutes  les  conséquences  de  l'usur- 
pation. Cependant  de  jeunes  catholiques  accourent  de 
toutes  parts  pour  défendre  le  Saint-Siège  et  lui  conserver 
les  Marches  et  l'Ombrie  qu'on  menace  d'envahir.  Le  gé- 
néral Lamoricière  est  placé  à  la  tôte  de  l'armée  pontificale  ; 
le  8  avril  il  adresse  une  proclamation  dont- l'heureux  effet 
est  de  grossir  considérablement  les  rangs  des  défenseurs  de 
la  Papauté. — Au  mois  de  mai,  la  révolution  reprend  le 
cours  de  ses  entreprises,  soutenue  par  Victor- Emmanuel  et 
Garibaldi.— Invasion  de  la  Sicile.     Pie  IX  raconte  les  nou- 


(t)  Plusieurs  d*^  ceux  qui  plaisantèrent  alors  de  rexcoramunication 
du  viaillard  du  Vatican,  en  expient  peut-être  aujouix)*hui  les  dures  con- 
séquences. Si  tel  ou  tel  en  plaisante  encore,  ce  sera  pour  peu  do 
temps  :  l'heure  de  la  justice  de  Dieu  viendra.  Quoi  qu'il  en  aoil,  l9 
Parlement  qui  siège  au  Monte  Cltono  est  vraiment  la  Chambre  dos 
excommuniés.  Tel  est  le  titre  sous  lequel  la  désignait,  il  y  a  peu  de 
mois,  un  d<^pulé  italien. 


87 

▼eaux  attentats  du  Piémont  dans  le  consistoire  du  13  juillet.- 
(Alloc.  consist.) — Le  29,  oubliant  ses  propres  malheurs,  il 
écrit  aux  évoques  de  Syrie  persécutés,  pour  les  encourager. 
Le  1 1  septembre,  invasion  des  Marches  et  de  TOmbrie.  L'ar- 
mée pontificale  est  odieusement  massacrée  à  Castelfidardo 
près  de  Lorette,  le  18  septembre. — Le  général  de  Pimodan 
est  mortellement  blessé  sur  le  champ  de  bataille.  Lamo- 
ricière  traverse  les  lignes  de  Tennemi  et  arrive  à  Ancône,- 
dernier  retranchement  de  l'armée  pontificale.  Après  une 
admirable  défense  de  dix  jours  de  bombardement,  la  place 
est  obligée  de  se  rendre  le  29. — Douleur  de  Pie  IX  en  ap- 
prenant ces  tristes  nouvelles.  La  veille  de  la  capitulation 
qui  désarmait  ses  derniers  soldats  dans  les  Marches  et  livrait 
cette  province  aussi  bien  que  TOmbrie  au  roi  du  Piémont, 
Pie  IX,  dans  unq  allocution  consistoriale,  avait  de  nou- 
veau protesté  contre  l'invasion  et  en  avait  appelé  à  toutes 
les  puissances  catholiques.  La  voix  du  Pontife  ne  devait 
pas  être  écoulée  par  les  souverains  ;  mais  on  vit  de  toutes 
parts,  les  évéques  des  deux  mondes  protester,  avec  Pie  IX, 
contre  la  spoliation  de  ses  Etats,  et  les  accroissements 
admirables  que  prit  VŒuvre  du  Denier  de  Saint-Pierre  vinrent 
aussi  consoler  le  saint  Pontife. 

18CI.    l'année  du  royaume  d'italik. 

C'était  le  but  avoué  de  la  Révolution  de  faire  de  Tltalie 
un  seul  royaume.  En  conséquence,  le  comte  de  Cavour 
fait  déclarer,  le  26  février,  par  le  Sénat,  et  le  4  mars,  par 
la  chambre  des  députés,  Victor  Emmanuel,  roi  d'Italie.  La 
reconnaissance  du  nouveau  royaume  par  la  France  et  les 
puissances  viennent  consolider  l'œuvre.  Pie  IX  voit  ainsi 
se  multiplier  ses  épreuves.  Sa  force  d*âme  n'en  est  pas 
abattue. — ^Le  30  septembre,  dans  la  célèbre  encyclique  : 
Meminit  unusqmsque^  il  raconte  Torigine  sacrilège  du  nou- 
veau royaume^  et  termine  ce  triste  récit  en  avouant  que 
Dieu  daigne  consoler  son  cœur  de  Pontife  par  Tunion  ad- 
mirable de  tout  l'épiscopat,  par  la  piété  des  peuples,  par  la 
fidélité  des  Romains  et  par  des  marques  sensibles  de  sa 
miséricorde,  notamment  dans  la  conversion  des  Bulgares 
séparés  depuis  longtemps,  par  le  schisme,  de  TEglise  catho- 
lique (1). — Ou  reste  Pie  IX  déclarait  en  cette  circonstance 
qu'aucune  puissance  ne  pouvait  Tempècher  de  conserver 
son  indépendance  et  de  pourvoir  aux  intérêts  de  l'Eglise. 
Les  faits  l'ont  démontré.    Au  milieu. des  tristesses  delà 


)!)  L'œurre  de  cptte  conversion  avait  eu  son  prélude  le  30  décembre 
1860. 


88 

présente  année,  Pie  IX,  dès  les  premiers  maig^,  réglait  le 
culte  catholique  dans  le  Danemarck,  sacrait  Tévèque  des 
Bulgares  et  créait  un  nouveau  siège  épiscopal  à  Goa.  (LeU« 
apost.  Suprema  auctoritas,) — Le  6  juin  il  manifestait  à  ré- 
voque de  Varsovie  son  amour  pour  la  Pologne.  Peu  après, 
il  organisait  le  service  religieux  de  la  république  d'Haïti  et 
«  créait  un  archevêché  à  Port-an-Prince.  Enfin,  le  23  dé- 
cembre, il  annonçait  aux  cardinaux  qu'il  préparait  la  cano- 
nisation des  martyrs  japonais.  (Alloc.  Inter  plurima.) 


18&2.    l'année  des  martyrs  japonais. 

La  canonisation  des  martyrs  japonais  est  signalée  ajuste 
titre  comme  le  grand  fait  religieux  de  cette  année.  Elle 
eut  lieu  le  6  juin.  Les  allocutions  du  7  avril  :  Si  semper^  et 
du  22  mai  :  Quant o  studio^  en  avaient  fait  pressentir  la 
grande  pensée.  Pie  IX  la  résume  dans  la  saisissante  allo- 
cution du  6  juin  :  Mirabile  quoddam.  En  présence  de  la 
persécution  dont  TEglise  est  victime  eu  tant  de  lieux,  la 
canonisation  de  ces  héros  martyrs  et  du  saint  pénitent 
Michel  De  sanctis  doit  apprendre  à  tous,  comment  il  faut 
savoir  souffrir  pour  rEglise  et  pour  la  vérité. — Le  9  juin, 
Pie  IX  entretient  de  nouveau  les  nombreux  Évôçues  aceou- 
rus  de  toutes  parts  ;  dans  une  éloquente  homélie  prononcée 
dans  la  Basilique  vaticane,  il  les  exhorte  à  combattre  par 
la  parole,  par  les  écrits,  par  tous  les  moyens  en  leur  pou- 
voir, les  erreurs  dominantes.  (AH.  Exultatur  nostrum.) — 
Le  11  décembre,  il  avertit  rArchevôque  de  Munich  de 
rhérésie  qui  menace  d'infecter  TAllemagne  (lett.  Gravissi- 
mas  mfer).^Dans  le  môme  temps  il  écrit  à  Tépiçcopat 
portugais  pour  lui  recommander  le  zèle  et  la  vigilance. 


1863.    l'année  de  la  Pologne. 

Avec  un  courage,  qui  excite  l'admiration  de  ses  ennemis 
eux-mêmes,  Pie  IX  soutient  seul  la  Pologne  persécutée 
contre  le  Czar.  Dans  le  consistoire  du  19  mars,  il  raconte 
les  malheurs  de  ce  pays  (ail.  Omnibus  notum,) — ^Le  22  avril, 
il  écrit  au  Czar  lui-niême,  une  lettre  en  italien,  en  faveur 
de  la  Pologne  (lett.  Non  dove  meravigliare). — Quelques 
semaines  après,  il  célèbre  le  troisième  centenaire  du  Con- 
cile de  Trente,  et  adresse,  à  cette  occasion,  deux  lettres  à 
l'Évêque  de  Trente,  le  1er  et  le  15  juin. — Le  10  août,  il  con- 
damne, dans  une  encyclique,  les  catholiques  libéravû). — ^Le 
22  décembre,  il  écrit  de  nouveau  à  l'Archevêque  de  Munich^ 


89 

au  sujet  de  renseiguement  de  plusieurs  docteurs  de  Bavière^ 
et  démasque  les  erreurs  de  Dœllinger,  T orgueilleux  père 
des  vieux  catholiques^  en  AUemage. 


180  4.    l'année  du  syllabus. 

Continuant  la  lutte  commencée  contre  Terreur,  Pie  IX 
écrit  le  14  juillet  à  l'Archevêque  de  Fribourg  en  Bris^au, 
pour  le  féliciter  de  son  attitude  héroïque. — Le  30,  il  écrit  de 
nouveau  aux  Evoques  de  Pologne  pour  les  encourager  et 
flétrir  de  nouveau  la  persécution  russe  contre  TEglise. — Le 
18  août,  nouvelle  lettre  dans  laquelle  il  complimente  TEpis- 
copat  bavarois  de  sa  noble  fermeté — Le  19  du  môme  mois, 
il  béatifie  Marguerite-Marie  Alacoque,  la  fervente  propaga- 
trice de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur. — ^Après  la  triste  con- 
vention du  15  septembre,  qui,  sous  prétexte  de  maintenir 
l'indépendance  du  Pape,  devait  livrer  ses  Etats  à  la  merci 
du  Piémont,  Pie  IX  prononce  cette  mémorable  parole  : 
**  Je  plains  la  France. .  .mais  Dieu  saura  défendre  son  Eglise.'^ 
Le  saint  Pontife  termine  cette  année,  en  publiant  son 
immortelle  Encycliciue  Quanta  cura  et  le  Syllabus  des  evreurs 
contemporaines.  Le  8  décembre,  dixième  anniversaire  de 
la  promulgation  du  dogme  de  l'Immaculée-Conception  est 
choisi  à  dessein  par  le  pieux  Pontife  pour  la  publication 
de  ces  deux  documents  d'une  si  capitale  importance. 


1865.    l'année  des  francs- maçons. 

Bien  que,  dès  son  avènement.  Pie  IX  eut  condamné  cette 
secte  dangereuse,  voyant  ses  continuels  et  désastreux 
progrès,  le  saint  Pontife  renouvelle  contre  elle  en  1865 
toutes  les  anciennes  condamnations.  En  effet  après  avoir 
successivement  pourvu  aux  besoins  de  l'Eglise,  notamment 
à  la  Plata  (5  mars),  au  Pérou  (17  mars),  en  Orient  (27  mars), 
aux  îles  Phillippiiies  (27  mai),  par  son  allocution  consisto- 
riale  Multiplices  inter  du  25  septembre,  il  signala  au  monde 
les  perfides  agissements  des  sociétés  maçonniques  et  con- 
jure les  fidèles  de  s'en  préserver. 

1866.     l'année  de  sadowa. 

La  Révolution  s'efforce  d'affaiblir  les  puissances  catholi- 
ques, de  les  détruire  même  ;  elle  s'unit  aux  protestants  de 
tous  les  pays  pour  combattre  partout  l'Eglise  :  Pie  IX 


90 

redouble  d'ardeur  pour  soutenir  la  lutte.  Par  sa  lettre 
-apostolique  Gravissimum  supremiy  il  fonde  à  perpétuité  dans 
la  compagnie  de  Jésus  un  collège  d'écrivains  chargés  de 
défendre  la  religion  et  le  Saint-Siège. — Dans  le  conèistoiie 
du  22  juin,  il  crée  neuf  nouveaux  cardinaux. — Le  25  juillet, 
il  reconnaît  Alger  comme  métropole  et  érige  les  deux  siège» 
d'Oran  et  de  Constantine  (lett.  apost.  Catholicœ  Ecclesiœ), — 
Les  mois  suivants,  il  confirme  Télection  du  patriarche  des 
Syriens  d'Antioche. 

1867.     l'année  du  centenaire  de  saint-pierrb. 

En  cette  année,  Pie  IX  est  inondé  de  joies  extraordinai- 
res, que  Dieu  lui  accorde  pour  soutenir  de  nouvelles  luttes. 
Tous  les  évoques  du  monde  accourent  à  Rome  pour  le  dix- 
huitième  centenaire  du  martyre  de  saint-Pierre.    Pie  IX 
les  réunit  en  consistoire,  le  26  juin.    Par  son  allocution  : 
Singulari    quidem^    il    leur  manifeste   le  bonheur  qu'il 
éprouve  à  les  voir  ainsi  unis  au  Siège  apostolique.    La 
fête  triomphante  du  prince  des  apôtres  a  lieu  le  29.  Pie 
IX    y    canonise    les  martyrs   de    Gorcum   et   plusieurs 
autres   saints.     A  Toccasion  de    cette    solennité,    et   en 
réponse  à  rallocution  apostolique  du  26,  les  évoques  sous- 
-cnvent  une  Adresse,  où  ils  protestent  de  leur  fidélité  au 
Pape  et  proclament  la  nécessité  du  pouvoir  temporel.    Le 
30,  Pie  IX  répond  par  Tallocution  Perjucunda  et  annonce 
un  concile  œcuménique.    Ce  même  jour,  il  érige  en  archi- 
confrérie  l'Association  des  chaînes  de  saint  Pierre — Dans 
le  consistoire  du  20  septembre,  il  gérait  sur  la  spoliation 
'  4es  couvents  en  Italie.    (AU.  Universus  cath-olicus  orbis)— 
Le  17  octobre,  il  notifie  avec  douleur  l'entrée  de  Garibaldi 
dans  les  Etats  pontificaux,  et  dévoile  la  ruse  et  les  machi- 
nations perfides  de  ces  nouveaux  envahisseurs  et  de  tous 
les  ennemis  de  l'Eglise.    La  persécution  de  la  Pologne 
obtient  aussi  en  cette  circonstance  un  nouveau-  blâme. 
^All.  Levate.)    Le  4  novembre.  Pie  I\  apprend  l'heureuse 
issue  do  la  bataille  de  Mentana  (livrée  la  veille)  ;  le  terri- 
toire pontifical  venait  d'ùtre  délivré  des  bandes  révolution- 
naires.   Le  Souverain-Pontife  donne  des  larmes  aux  jeunes 
héros  qui  ont  succombé  dans  la  lutte. 

1868.      i/aNNÉEDE  préparation    au     concile   et   DIÉPART   DES 

premiers    zouaves  CANADIENS. 

Dans  son  désir  d'augmenter  ses  conseillers  et  de  pourvoir 


91 

■ 

à  tout  rensemble  du  gouvernement  de  TEglise,  Pie  IX 
nomme  de  nouveaux  cardinaux  au  consistoire  du  ISimars.- 
— Le  22  juin,  il  consulte  le  Sacré-GoUége  sur  plusieurs 

Îiiestions  relatives  au  futur  concile.  (A|[l^  Notuàh  vobis.) — 
e  29  juin,  il  donne  publication  des  Lettres  apostoliques 
^emi  Pattiy^  par  lesquelles  il  indique  la  Concile  pour  le 
8  décembre  4869. 

C'est  en  cette  année  1868,  que  le  Canada  manifeste  d'une 
manière  si  éclatante  son  amour  pour  Pie  IX,  en  lui  en- 
voyant un  premier  détachement  de  jeunes  volontaires  ;  le 
18  février  1868,  jour  du  départ,  de  Montréal,  des  tSO  pre 
miers  soldats  pontificaux  est  un  jour  à  jamais  mémorable 
dans  notre  histpire.  Le  Canada  envoya  en  tout,  à  Rome, 
500  de  ses  enfants  pour  la  défense  du  pouvoir  temporel. 

1860.   L' ANNÉE  DV   CONCILE  DU  VATICAN* 

I 

Les  premiers  mois  de  cette  année  sont  marqués  par  la^ 
célébration  des  noces  d'or  de  Pie  IX  (la  cinquantaine  de 
son  sacerdoce),  et  par  l'ouverture  d'nii  Jubilé  universel 
Un  décret  apostolique  du  26  mars,  commençant  par  ces 
mots  :  Quod  in  maxlmîSy  publie  ce  Jubilé  destiné  à  attirer 
les  grâces  du  Ciel  sur  le  Concile.  Le  4  septembre,  Pie 
IX  refuse  rentrée  du  Concile  aux  schismatiques  qfui  préten- 
daient s'arroger  ce  droit  (Lett.  apost.)  ;  toutefois,  par  une 
nouvelle  lettre,  du  30  octobre,  il  les  invite  à  discuter  avec 
des  théologiens  qu'il  désignera. — Le  27  novembre,  il  publie 
un  très  sage  règlement  à  l'usage  des  Père  du  Concile.  (Lett* 
apost.  Multipliées  inter.) — Le  2  décembre  il  inaugure  les  Con- 
grégations du  Concile  par  une  admirable  allocution  ;  ce 
même  jour,  il  fait  paraître  la  Constitution  apostolique  Cum 
Romanis  par  laquelle  il  pourvoit  à  l'élection  de  son  succes- 
seur, si  la  mort  venait  à  le  frapper  lui-même  pendant  la  ré- 
union des  évoques  :  enfin,  le  8  décembre,  il  ouvrQ  dans  la 
Basilique  de  Saint-Pierre  le  saint  Concile,' par  Tallocution  : 
Quod  votis  omnibus. 

1870.    l'annék  de  la  brkchk  de  la  porta-pia. 


dogmatique  Dei  plius  sur  Dieu,  sur  la  foi,  sur  la  raison,  sur 
la  révélation. — Le  18  juillet,  il  promulgue  une  seconde 


92 

• 

'Constitiiiiom  Pater  œternus^  sur  la  primauté  de  Pierre,  la 

Êei^tuité  da  Saint-Siège  et  rinfaillibiliié  pootificala 
[ais  ce  même  jour^  éclatait  la  guerre  entre  la  Fraqce  et  la 
Pruflsa — Le  211  septembre^  par  suite  du  retrait  des  troupes 
fraaçaigee,  Rame  est  envahie  par  l'armée  piémontaise  :  âk 
Y  pénètre  par  la  PortarPia- — Le  1er  noyemfarey  Pie  I  a  no- 
tifie au  monde  catholique  cette  sacrilège  invasion.  Il  ter- 
mine son  lugubre  récit  par  une  solennelle  protestation  et 
par  la  promesse  non  moins  solennelle  de  ne  jamais  pactiser 
avec  l'envahisseur.  L'histoire  peut  dire  s'il  a  manqué  à  sa 
parole. 

» 

1871.  l'axnée  des  garanties. 

Les  envahisseurs  veulent  donner  au  Pape  des  prétendus 
gages  de  sécurité,  en  lui  offrant  ce  qu'ils  appellent  des 
Garanties,  Pie  IX  les  refuse  noblement  par  sa  Lettre  apos- 
tolique Scclesia  Dei^  adressée,  le  2  mars,  au  cardinal-vicaire, 
Son  Em.  Patrizzi. — Depuis  ce  mcfment,  par  de  continneis 
discours  et  par  tous  ses  actes  il  ne  cesse  de  combattre  la  ré- 
volution.—  Le  4  juin,  il  remercie  Dieu,  qui  daigne  lui 
accorder  les  longues  années  de  saint  Pierre.  (Encyd, 
Bénéficia  Dei.)-;^Le  7  juillet,  il  proclame  saint  Joseph,  pro- 
lecteur de  l'Église.  —  Daos  une  nouvelle  Encyclique  du 
ô  août,  il  voit  dans  l'unité  du  monde  catholique  le  gage  dn 
triomphe  futur. — Le  8  août,  il  refuse  un  trône  d'or  que  la 
piété  des  catholiques  se  prqpose  de  lui  offrir  et  le  titre  de 
grand  qu'elle  veut  lui  décerner. — Le  27  octobre,  il  pourvoit 
aux  nombreux  sièges  épiscopaux  vacants  en  Italie. 

1872.     l'année  uk  la  (.iehiik  aux  codve>ts. 

La  confection  des  lois  oppressives  pour  les  couvents 
signale  les  progrès  de  la  révolution  dans  la  ville  sainte 
durant  Tannée  1872  ;  en  même  temps  la  servitude  dans 
laquelle  la  révolution  préteiul  tenir  Pie  IX,  prend  chaque 
jour  un  caractère  plus  manifeste.  Le  saint  Pontife  domine  la 
situation  et  déjoue  toutes  les  ruses  de  ses  ennemis.  —  Le  16 
juin,  par  une  lettre  adressée  au  cardinal  Antoneli,  il  se 
iléclare  prisonnier  du  gouvernement  italien,  mais  prêta 
mourir  plutôt  que  dje  céder  à  des  exigences  ou  à  des  con- 
cessions incompatibles  avec  les  devoirs  que  lui  impose  la 
<4iarge  du  souverain  pontificat. — Le  23  décembre,  en  pré- 
sence du  Sacré-CoUége,  il  condamne  la  conduite  desspâia- 


93 

teura  des  biens  de  TEglise  et  les  excommunie  ;  il  affirme 
de  nouveau  que  pour  lui  il  s^abandonoe  à  la  justice  de  Dieu 
et  compte  sur  sa  miséricorde.    (AU.  Justus  et  misericors.) 

1873.    l'année  de  la  persécution  universelle. 

A  l'imitation  du  gouvernement  italien,  plusieurs  çoa- 
vernements  se-  mettent  à. persécuter  ouvertement  l'Eglise  : 
celto  persécution  est  en  partie  le  triste  résultat  des  sourdes 
menées  de  la  maçonnerie  ;  de  son  côté,  le  catholicisme 
libéral  s'efforce  de  semer  la  division  contre  Rome.  Pie  IX, 
pour  opposer  au  mal  un  remède  efficace  par  ses  lettre» 
apostoliques  Dum  insectatiimeâ  du  10  février,  encourage 
partout  lès  sociétés  ou  associations  sincèrement  catholi- 
ques :  notamment  celles  de  la  France,  de  l'Allemagne,  de 
la  Belgique  et  de  Fllalie  reçoivent  ses  félicitations. — Allant 
plus  loin,  le  29  mai,  il  renouvelle  la  condamnation  des 
iranps-maçons  par  sa  lettre  Qttanquam  dolores  adressée  à 
révoque  d'Olinda,  au  Brésil. — ^En  même  temps,  il  démasque 
et  condamne  le  catholicisme  libéral  dans  des  lettres  de 
félicitation  adressées  à  plusieur  sociétés  catholiques,  notam- 
ment à  celle  de  Saint-Ambroise,  de  Milan,  (Lett.  Fer  tristis- 
sima)^  et  à  celles  d'Orléans  et  de  Belgique. — Enfin,  le  21 
novembre,  il  publie  TEcycliaue  Et  si  liicttwsa^  par  laquelle 
il  dénonce  au  monde  catholique  ce  que  souffre  TEglisef  à 
Rome,  en  Italie,  en  Suisse  et  en  Prusse. 

1874.    l'année  des  alliaeces  iepies. 

Soulevée  par  les  sectes,  l'Autriche  semble  se  préparer  a 
persécuter  l'Eglise  comme  la  Prusse.  En  pilot  attentif  et 
vigilant,  Pie  IX,  pour  contrebalancer  ces  malignes  influen- 
ces, adresse  le  7  mars  à  l'épiscopat  autrichien  Tencyclique 
Vix  dum  a  nohis. — Le  13  mai,  dans  une  nouvelle  encyclique 
adressée  à  l'épiscopat  ru thène,  il  recommande  le  maintien 
de  la  véritable  liturgie  que  les  schismatiques  russes  veu- 
lent corromqre.  (Encyc.  Omnem  sollicitudincm:)^\o\dint  le 
mal  s'étendre  de  plus  en  plus,  dans  le  Consistoire  du  21  dé- 
cembre, il  déplore  Taveuglement  des  gouvernements  qui 
partout  s'unissent  aux  ennemis  de  TEglise.  Il  cite  le  mal- 
heureux exemple  de  l'Allemagne,  de  la  Suisse,  des  divers 
Etats  du  nord  et  du  sud  de  l'Amérique,  et  signale  en  parti- 
culier la  persécution  de  la  Turquie  contre  les  Arménien»- 
îAUoc.  Conspicientes.) — Le  24  décembre,  il  convie  les  peuple» 


94 

à  la  pénitence  et  publie  le  grand  Jubilé  que  ramène  chaque* 
période  de  vingt-cinq  ans. 

1875.     l'année  les  bernjèbes  conspirations. 

A  la  persécution  vient  s'ajouter  la  conspiration  hypocri- 
te.   On  fait  des  calculs  impies  sur  TéventuaUté  de  la  mort 
du  Pape  ;  les  divers  gouvernements  cherchent  à  s'entendre 
pour  entraver,  le  cas  échéant,  la  liberté  du  futur  conclave. 
Fie  IX  dédaigne  ces  sacrilèges  conbinaisons  de  ses  enne- 
mis.   Tout  entier  aux  douleurs  de  ses  enfants,  il  écrit  aux. 
évoques  d'Allemagne  prisonniers.(Lettr.  ap,  Quod  nunquam) 
puis  au  clergé  et  aux  ndëles  de  Suisse  (Lett.  aq.  du  23  mars) 
pour  consoler  et  encourager  les  uns  et  les  autres. — Dans  le 
même  jour,  avec  une  sainte  indépendance,  il  se  plaint  de- 
Tant  le  Sacré-Collège  de  l'excès  de  l'intolérance  de  ses  enne- 
mis :  Ils  vont  jusqu'à  prétendre  empêcher  en  Italie  la  pu- 
blication des  discours  pontificaux  et  veulent  lui  enlever 
ainsi   la    liberté    de    ses  actes  et  de  sa  parole.  —  Mais 
pendant    que  les   gouvernements  s'éloignent   du   Vicai- 
re de  Jésus-Christ^  les  peuples  accourent  à  sea  pieds  pour 
fêter  les  anniversaires  de  sa  naissance  et  de  son  couronne- 
'  ment,  et  puiser  auprès  de  lui  la  force  dont  ils  ont  besoin. 
Pie  IX  ne  cesse  d'accueillir  avec  sa  bonté  ordinaire  les 
nombreux  pèlerins  ;  il  les  invite  tous  à  mettre  leur  appui 
dans  le  sacré  Cœur  de  Jésus,  à  se  consacrer  à  lui.    Il  les- 
bénit  avec  paternité,  et  fortifiance  en  l'assistance  que  Dieu 
a  promise  à  l'Eglise  :  l'épreuve  ne  servira  qu'à  la  purifiier. 
à  la  faire  resplendir  de  plus  d'éclat.    Tel  est  le  résumé  des. 
nombreuses  et  éloquentes  allocutions  que  les  visiteurs  de 
Pie  IX  ont  le  bonheur  d'entendre. 

187Q.      l'année   des   PÉLÉRINAGEi>. 

Pendant  que  la  révolution  règne  au  Quirinal,  que  les 
gouvernements  font  la  guerre  à  lEglise,  des  milliers  et  des 
milliers  de  fidèles  viennent  de  toutes  les  parties  du  monde 
protester  de  leur  dévouement  au  Saint-Siègei  Les  offrandes 
abondent,  les  vœux  pour  Pie  IX  sont  universels.  Et 
quelle  est  l'attitude  de  tous  ces  pèlerins  ?  C'est  l'attitude 
même  des  Saints.  On  sent,  en  les  voyant,  qu'ils  sont  pous- 
sés par  le  vent  de  la  foi,  qu'un  même  zèle  les  anime,  qu'un 
même  amour  filial  déborde  de  leurs  cœurs.  Là,  plus  de 
distinctions  humaines,  les  princes  coudoient  les  négocianîs, 
les  industriels,  les  paysans,  les  ouvriers,  les  mendiants  î 


95 

-oui,  les  mendiants  eux-mêmes  veulent  baiser  les  pieds  de 
Tauguste  captif. 

Ces  grandes  manifestations  des  sentiments  de  la  catholi* 
cité,  montrent  aux  puissances  que  les  fidèles  protestent  con* 
tre  la  situation  qu'elles  ont  faite  ou  laissé  faire  au  Souve- 
rain-Pontife et  que  sur  cette  question  ils  ne  transigeront 
iamais.  Un  des  plus  haut  placés  parmi  les  ennemis  de 
rEglise  a  avoué  dans  un  discours  puolic  ^^  Que  la  durée  de 
la  persécution  n'a  pas  brisé  le  courage  des  fidèles".  11 
ignore  donc  que  le  propre  de  la  persécution  est  de  ranimer 
la  foi  I 


1877.    l'année  des  noces  d'or. 

Le  21  mai,  Pie  IX  célèbre  ses  noces  d'or  ou  le  cinquan- 
tièmiB  anniversaire  de  son  élévation  à  l'épiscopat.  Le  Pape 
reçoit  des  députations  de  tous  les  diocèses  de  France,  da 
Canada,  de  la  Belgique,  de  l'Allemagne  et  du  monde  en- 
tier, qui  viennent,  par  leur  présence,  protester  contre  le» 
oppressions  auxquelles  l'Ec^lise  est  en  butte  dans  la  personne 
de  son  Souveram  Pontife,  de  la  part  du  gouvernement 
usurpateur  de  Victor-Emmanuel  et  autres. 

1878.      SA   MORT. 

Le  7  février  au  soir,  le  télégraphe  jetait  par  tous  les  points 
du  monde,  la  lugubre  nouvelle  de  fa  mort  de  notre  grand, 
illustre  et  bien-aimé  Pontife  dans  les  termes  suivants  : 


Rome^  7  F(:\:rier  1878. 

'•  Le  Pape  était  bien  hier.  Il  a  pu  faire  quelques^pas 
"'  dans  sa  chambre.  On  croit  que  cet  exercice  lui  a  nut 
''  dommage,  car  sa  plaie  à  la  jambe  s'est  feiTnée,  et  immé- 
"  diatement  la  douleur  est  montée  à  la  tt'te." 

''  Ce  matin,  à  quatres  l'agonie  a  commencé.  Les  cardi- 
"  njiuz  se  sont  réunis  d'abord  dans  la  chambre  voisine, 
'^  avec  les  dignitaires  de  la  Cour  Papale  ;  mais  aux  dernière 
''  moments  de  l'auguste  Pontife,  tous  les  cardinaux  étaient 
^^  autour  de  son  lit.  Le  Cardinal  Panebianco  lui  a  adminis- 
-'^  Iré  les  derniers  sacrements.  Pie  IX  a  dit  à  ses  méde- 
'*  cins  :  *'  la  mort  l'emporte  cette  fois." 


96 


'*  Il  a  coD serve  toute  sa  connaissance  jusqu'à  son  de 
^*  soupir.    Avant  de  mourir,  il  a  dit  aux  cardinaux  ;    .   .    » 

il   -Pv.^tArrA^  l'TT^Ko/^  /«^lA  ;>o{    font    nim&tx  ^*  | 


Protégez  l'Eglise  que  j'ai  tant  aimée." 
*'  Il  est  mort  à  cinq  heures  p.m."  '  /  ■ 

Euge  strve  bone  et  fidelis,  intra  in  gaii4ium  Domini  tvil 


\ 


•  •  ' 


?^;} 


ANNALES 


]>■  I^ 


PROPAGATION  DE  LA  FOI 


POUR  LA  PROVINCE  DE  QUEBEC 


JUIN  1878- 


(NOUVELLE    SERIE) 


t 


CINQUIÈME  NUMÉRO.       * 


DES  PRESSES  A  VAPEUR  DE  PLINGUET  6c  FILS» 

22,  RinC  ST.  GABRIEL. 

1878 


Permis  d'imprimer, 


-f  Edouard  Gh.  Ey.  delipotréaL 


\ 


\ 


il  :H'3o 


NOTES  HISTORIQUES  SUR  LA  MISSION  DE  L'ANSE 

ST.  JEAN. 

Anse  St.  Jean,  2  avril  1878. 
IL  H.  TÊTU,  Ptre , 

Aumônier  de  T Archevêché  de  Québec. 
Monsieur  PAumônier, 

Pour  me  conformer  à  votre  désir,  je  vais  donner  aux 
lecteurs  des  Annales  de  la  Propagation  de  la  Foi  quelques 
renseignements  sur  rétablissement  et  le  développement  de 
la  mission  de  l'Anse  St.  Jean,  renseignements  que  j'extrais 
pour  la  plupart  des  notes  qu'a  laissées  le  Rév.  M.  Otis,  l'un 
de  mes  prédécesseurs. 

Ce  fut  dans  l'été  1838  que  les  premiers  colons  débarquè- 
rent à  l'Anse  St.  Jean.  Ils  étaient  envoyés  par  une  société 
formée  de  21  citoyens  de  la  Malbaie  à  la  tète  desquels  se 
trouvait  Sieur  Alexis  Tremblay  (Picoté). 

Noms  des  associés. 

1.  Alexis  Tremblay  (Picoté).  12.  Louis  Villeneuve. 

2.  Louis  Tremblay  (Picoté).    13.  Basile  Villeneuve. 

3.  Joseph  Tremblay  (Picoté).  14.  Ignace  Murray. 

4.  Alexis  SiMARD.  15.  David  Blackborn. 

5.  Thomas  SiMARD.  16.  George  Tremblay. 
6.|  Ignace  Couturier.  17.  Jérôme  Tremblay. 

7.  Joseph  Lapointe.  18.  François  Maltais. 

8.  Benjamin  Gaudreault.        19.  Michel  Gagné. 

9.  Joseph  Harvey.  20.  Pierre  Bouoreau. 

10.  Louis  Desgagné.  21.  Jean  Harvey. 

11.  Louis  BouLiANE. 

Le  but  que  se  proposaient  ces  âmes  généreuses,  c'était 
d'ouvrir  un  nouveau  champ  à  la  colonisation  et  de  pouvoir 
un  jour  y  placer  convenablement  leurs  enfants.  Mais  pour 


100 

atteindre  ce  bat,  il  y  avait  deux  obstacles  considérables  i 
lever  :  il  fallait  !<>  composer  avec  la  puissante  société  an- 
glaise, appelée  de  ïa  Bade*  cPltudson^  qui,  étant  en  posses- 
sion de  tout  le  territoire  'du  Sagnenay,  ne  voulait  pas  &e 
désister  de  ses  droits,  à  moins  qu'on  ne  lui  payât  la  somme 
de  mille  buit  cents  louis  (£1,800).  Alors,  elle  permettait 
seulement  aux  colons  de  couper  le  pin,  Tépinette  qui  se 
trouvaient  dans  ses  limites,  sans  cependant  consentir  an 
plus  petit  défrichement. 

2o  Le  second  obstacle  était  le  dénûment  absolu  où  se 
trouvait  la  société  Malbaie.  Quoique  composée  de  citoyens 
à  Taise,  néanmoins  la  position  respective  de  chacun  d*eax 
était  loin  de  leur  permettre  de  fonder  un  capital  suffisant 
pour  rencontrer  les  exigences  des  associés  de  la  Baie  d'Hud- 
son. 

En  présence  de  ces  difficultés,  les  associés  décidèrent 
que,  pour  parvenir  à  rencontrer  la  somme  que  la  compa- 
gnie reclamait,  ils  devaient  avoir  des  chantiers,  sans  se 
préoccuper  pour  le  moment  de  la  colonisation.  D'ailleurs, 
le  bail  qui  donnait  tous  ces  privilèges  à  la  compagnie  an- 
glaise devait  expirer  en  peu  d'années,  et  alors,  tout  obstacle 
étant  vaincu,  il  serait  facile  à  la  société  Malbaie  d'atteindre 
son  but  primitif. 

Au  printemps  donc  de  l'année  1838,  les  eaux  du  Sague> 
nay  virent  la  première  goëlettjs,  portant  les  braves  qui  de 
valent  combattre  pour  leur  cojaquête.  ilais,  malheuren- 
sement,  elle  ne  put  atteindre  que  les  sept  îles,  près  de  Ta- 
doussac,  à  raison  des  glacer  qui  couvraient  la  rivière.  On 
y  débairqua  un  certain  nombre  d'hompies  pour  y  cons- 
truire un  moulin  à  scie  et  y  passer  l'été. 

La  goélette  remonta  de  là  jusqu'à  TAnse-au- Cheval  (vis* 
à- vis  Ste.  Marguerite),  où  l'on  débarqua  une  seconde  troupe, 
avec  instruction  d'y  construire  un  moulin  et  y  couper  du 
bois.  Le  reste  de  Téquip.^ge  continua  sa  route  jusqu'à 
l'Anse  St.  Jean. 

,.  L'établissenjent  de  ce§  trois  postes  jusque-là  ignorés,  de- 
vant avoir  chacun  son  moulin  et  des  hommes  à.gages  pour 
y  amener  lé  bois  propre  aux'  madriers,  était  la  tâche  que 
s'était  iiûpoëée  la  société  pout-  Tannée  1838.* 


loi 

Tôtre  ces  jennes  gens  stationnés  m  iriilieti  dés  neige* 
Tondatilès  da  prihtënïps  n*araieht  aucutt  afiri.  Mais  si  les 
privations  et  lés  fatigues  furent  grandes^  ônA  peut  asàuiier 
'que  leur  courage  le  fut  davantage. 

Les  moulina  Se  firent  avec  les  écluses,  à  bras  d'hommes  ; 
celui  de  l'Anse  St.  Jeati  jput  scier  assez  de  madriers^ 
durant  la  saison  d'été,  pour  être  en  état  dé  pouvoir  chiarger 
un  navire  dans  le  mois  d'octobre.  Cette  charge  vendue 
suifit  seule  à  compléter  les  $1,800  dus  à  la  compagnie  de  la 
Baie  d'Hodon. 

La  société  de  la  Malbaié  s'acquit  par  là  de  la  renommée 
et  assura  son  crédit. 

Le  Saguenay  fut  dès  lors  considéré  comme  une  terre 
promise.  Aussi,  tout  le  surcroit  de  population  qui  encom- 
brait les  vieilles  paroisses  de  la  côte  Nord,  tomba-t-il 
comme  sous  le  coup  d'une  baguette  magique  en  entendant 
les  récits  merveilleux  des  jeunes  gens  qui  revenaient  de 
ces  lointains  climats. 

Le  Saguenay  était  une  rivière  sans  fond  comme  sans 
mouillage  possible  (hors  celui  de  l'Anse  St.  Jean  et  de 
l'Anse  St.  Etienne.)  •  Fût-on  près  du  port,  où  Ton  voulait 
•aller,  le  vent  favorable  cessant,  il  fallait  rebrousser  chemin, 
et  se  hâter  d'atteindre  l'un  de  ces  havres.  Ils  avaient  vu  la 
Soûle  PEternité  (Trinité)  montagne  se  perdant  danà  les 
nues.  Plus  haut,  les  terres  étaient  d'une  étendue  immense, 
<l'une  qualité  supérieure  ;  une  vallée  sans  horizon  s'éten> 
dait  depuis  la  grande  Baie  jusqu'au  Lac  Si.  Jean.  C'était 
\\  que  croissait  la  vigne  plantée  par  les  Pères  Jésuites  et 
les  autres  fruits  des  climats  chauds. — Enfin  quede  belles 
-choses  n'avait-on  pas  à  dire  sur  ces  parages  enchantés  ! 

Dès  l'autônine  de  la  môme  année  1838,  8  familles  étaient 
montées  s'établir  à  la  Baie  des  Ha,  Ha. 

Les  chantiers  de  l'Anse  St.  Jeail  continuèrent,  sous  la 
direction  dû  même  chef,  avec  plus  ou  moins  àe  succès 
jusqu'en  18i5.  Alors,  les  associés  résolurent,  d'un  commun 
accord,  de  vendre  tous  les  établissements  appartenant  à  la 
.Sociéjtê.  Ce  fut  la  maison  W.  Price  et  Cie.,  qui  en  devint 
Tâcquéreur.  '" 

Les  pointes  étaient  ouvertes,  tous' les  obstacles  levée  :  le 


102 

lienlait  était  immense  pour  la  population  déjà  fixée  am 
Saguenay  à  cette  époque,  ainsi  que  pour  çeiu  q^ii  devaient. 
y  venir  plus  tard.  Aussi,  les  héi:i  tiers  de  tant  de  sacrifices 
doivent  ils  une  souveraine  reconnaissance  à  ces  21  citoyens 
généraux  de  la  Malbaie  qui  leur  préparèrent  ainsi  l'avenir^ 

A. partir  de  1845,  l'Anse  St.  Jean  fut  abandonnée  comme 
point  central,  la  maison  Price  lui  ayant  substitué  la  Grande 
Baie,  et  cinq  familles  seulement  continuèrent  à  demeurer 
au  premier  poste.    Une  couple  de  familles  vinrent  se  join- 
dre aux  anciennes  dans  le  cours  des  années  suivantes. 

Ces  familles  restèrent  ainsi  isolées  jusque  vers  Tannée 
1856,  sans  que  leur  nombre  s'augmentât  d'une  manière 
notable.  A  cette  époque  s'établit  un  courant  assez  considé- 
rable d'émigration  venant  des  Eboulements  :  alors,  les  forêts 
disparaissent  comme  par  enchantement  et  se  transforment 
en  campagnes  fertiles. 

Pendant  ces  dix-huit  premières  années,  l'Anse  St.  Jean 
fut  visitée  par  un  grand  nombre  de  missionnaires  résidant 
à  la  Grande  Baie  et  dont  voici  les  noms  : 

Les  Rév.  PP.  Oblats  Duroclier,  Babel,  Fiset,  Bourassa, 
Garant,  Arnaud,  Lalaze,  Honorât,  et  M.  Durocher,  frère  du. 
Rév.  Père  du  même  nom. 

'  En  1839,  le  Rév.  M.  B.  B.  Decoigne,  curé  de  la  Baie  St. 
Paul,  et  le  Rév.  M.Léveque,  curé  de  la  Malbaie,  donnèrent 
la  mission. 

Les  Rév.  Pères  Oblats  s'étant  retirés  de  la  Grande  Baie 
en  1851,  le  Rév.  M.  Charles  Pouliot  les  remplaça  dans  la 
mission  de  l'Anse  St.  Jean  jusqu'en  1854,  Vint  alors  le 
Rév.  M.  T.  Gill,  puis  le  Rév.  M.  T.  Otis  en  1856,  pour  laisser 
le  soin  de  la  même  mission  au  Rév.  M.  T.  À.  Mai'tel  en  1858. 

Ce  fut  vers  la  fm  de  1861,  que  Mgr  C.  F.  Baillargeon 
nomma  un  missionnaire  résidant  à  l'Anse  St.  Jean,  dans  la 
personne  du  Rév.  M.  T.  Otis,  curé  de  St.  Alphonse.  Ses 
successeurs  furent  les  Rév.  M.  Sauvageau  en  1866,  Girard 
en  1867,  et  enfin  dans  l'automne  de  1875,  le  missionnaire 
actuel. 

Faire  de  longs  voyages  pour  visiter  leurs  ouailles,  ris- 
quer leur  vie  au  milieu  des  tempêtes  qui  sévissept  quelques 
fois,  violemment  sur  la  rivière  Saguenay,  éprouver  des- 


103 

Têtards  à  bord  des  goélettes  ou  des  chaloupes,  ainsi  qne 
'des  contre- temps  de  toutes  sortes,  telle  dut  êtfe  la  couditioa 
>des  premiers  missionnaires.    Mener  une  vie  de  solitaire, 
passer  plusieurs  mois  de  suite  sans  voir  leurs  confrères, 
-supporter  beaucoup   d'ennui  et  voyager  quelquefois  aa 
milieu  des  dangers,  tel  fut  le  partage  des  missionnaires 
Tésidants.    A  propos  des  tempêtes  du  Saguenay,  je  me  rap. 
.pelle  le  fait  assez  original  d'un  voyageur,  qui  après  ôtre 
parti  le  matin  de  l'endroit  appelé  descente  des  femmes^  fut 
surpris  par  la  tempête,  rebroussa  chemin  sans  s'en  aperce- 
voir au  milieu  des  tourbillons  de  vent  et  de  neige  et  ar- 
xiva  le  soir,  bien  étonné,  à  l'endroit  qu'il  avait  laissé  le 
matin. 

Jusqu'en  1857,  la  mission  se  donnait  dans  une  maisoa 
particulière.  Alors  les  habitants  commencèrent  à  cons- 
truire une  petite  chapelle,  dans  le  voisinage  de  la  Rivière 
St.  Jean  et  à  peu  de  distance  du  Saguenay.  Le  comble  seu-: 
lement  y  avait  été  mis,  qu'une  tempête  arriva  qui  fit  table 
rase;  alors  on  abandonna  le  projet  pour  le  moment 

Quelque  temps  après,  ^L  T.  Otis,  curé  de  St.  Alphonse^ 
vint  leur.. donner  la  mission  ;  et  les  citoyens  se  trouvant 
trop  à  la  gêne  dans  une  maison  privée  pour  l'exercice  de 
ieurs  devoirs  religieux,  se  réunirent  dans  la  pensée  qu'il 
fallait  relever,  ou  mieux  construire  à  neuf  les  murs  du 
temple  renversé.  Le  missionnaire  leur  conseilla  de  choi- 
sir une  autre  place,  vu  que  celle  indiquée  plus  haut  offrait 
à  la  Rivière  St.  Jean  une  proie  facile  à  dévorer,  et  que  pro-* 
bablement  plus  tard,  le  terrain  continuant  d'ébouler,  né- 
«cessiterait  des  charges  pesantes  aux  contribuables. 

Le  conseil  fut  sur  l'heure  adopté,  et  aussitôt.  Ton  se  mit 
à  l'œuvre.  Tous  les  matériaux  de  la  chapelle  écrasée  fu- 
rent transportés  sur  un  plateau  élevé,  à  une  distance  d'en- 
viron 20  arpents  du  Saguenay.  C'est  là  qu'on  construisit 
la  chapelle  actuelle. 

Les  habitants,  peU  nombreux,  élevèrent  eux  seuls,  sans 
aide  aucune,  une  chapelle  de  46  pieds  sur  36.  Oii  né  pou- 
vait cërtaiiiement  manifester  plus  de  bonne  volonté. 

''La  chapelle  est  terminée,  hAtons-nous  de  construire  Id 
jpresbytère-et  le  prêtre  résidant  ne  tardera  pas:  ^    (Test  cé 


m 

que  l'on  iit^Oj  effet,  t.es  trois  AvrU;186Q,  3>f gç.  G.  F.  Bail« 
largeQK)  ordonnait' iCettQ,  Qoii^tructioQ.,  Lqs  citoyens,  mal-^ 
gré  leoir  jn^ig^w^e, ,  fie  jmirept  résjolu^eijt  $-  Itouvre.,  M- 
Martel,  alora  l^uf  .ipie^pï^naire,  coï^djuiçiit  ïe^  affaires. avec 
nue  ajGtlvité  et  uç/iaèlexiqi  furent  .covj?pUJ?4^  de,  siiccès.. 
Tout. marcha  si  bien  et  sa  yite^  que  âani^4'ajkUoiune<18|Sl,  la 
t>l^tisse,. contre  Tatteôte  de  Mon^igneiur.de  T^oa,  se  trouva, 
eutièrement  tern>inée. 

Aiidsi,  le  2  septembre  18Q1  le  Rév.  M.  Otis  était>il 
Homtué  premier  curé  de  l'Anse  St  Jean,  Voifci  compient  le 
dévoué  missionnaire  raconte  son.  arrivée  dans  sa. nouvelle- 
paroisse  :  1 

"  Parti  de  S.  Alphonse  le  24  septembre  1861,  je  n'a"rrivai 
"à  l'Anse  St.  Jean  que  le  28  dans  là  nuit,  véîlte  de  la  fôte 
^  St.  Michel.  Je  descendis  en  chaloupe,  p^r  un  coup  de 
"  vent  des  plug  violents.  Plus  d'une  Ibis,  hotis  craignîmes 
*^  d'être  submergés.  '  Je  n'avais  avec  moi  qu'une  partie  de 
*•  mes  bagages,  l'autre  était  dang  un  grand  bateau  qui  fai- 
"  sait  voile  en  môme  temps.  Mais  la  tempête  était  si  forte 
"  qu'elle  épouvanta  les  matelots  et  jusqu'au  capitaine  ;  de 
"  sorte  que  le  bateau  prit  terre  au  Tableau  et  y  ppssa  le 
*'  Dimanche,  29. 

"  Mon  arrivée  au  nouveau  presbytère  n'était  pas  des 
**  plus  attrayanJtes.  .  C'était  là  forêt  tout  autour.  La  forêt» 
*'  il  est  vrai,  reaverséepar  le  feu  ;  mais  le  feu  avait  respec- 
**  té  se3  débris.  *  De  sorte  qu'il  fallut  se  frayer  ua  passage 
*'  quelconque  à  travers  le  bois  et  les.énorpies  souches  pour 

*'  y  arriver Le3  deux  uniques  bâtisses  étaient  la  cha- 

"  pelle  construite  ^n  lÔ57et.le  presbytère,  TJout  le  reste 
**  était  à  faire  :  sacristie,  étabïe,  grange,  etc.  'Mais,  je  dois 
**  confesser,  à  la  louante  des  colons  d'alors,  que  je  trpuvai 
"  dans  leur  zèle  un  dédommagement  de  l'embarras  où  je 
"me  trouvais^  car  [aujpremter  novembre,  grange,  étable 
*'  et  autres  dépendances  étaient  debou^i 

.  "  Mft  piremièire  ipe^^  8qlçnflpl],e  copime,  prôtije  résidant 
«fut  (^efcr^le.§:;_pctp^rS,'..fôtaduLSt^^R^^  ;Ça8eul 

^<  hfiipupe,  dançi  Ift .  iJ^acertsa^yaU  la»  réjjcft^,  rauoiM?^:  ci^ 
«  ni  suivant»    Les  ohç^es.  aLLèi^e^t  ainsi  jusqjûi'àiNoèL 


105 

**■  La  messe  de  minuit  et  chi'jotir  de  Noël  fut  des  jllus  ^o- 
"*•  lennelles  :  Quatre  servants  en's^irplis,  un  Aicenëwr,  huit 
-*'  chantres  qui  faisaient  leur  flôBsiWe  aux  aïleîuia,Tiû'harnio- 
'*'  nium  accompagnant  les  voix  de  douze  jeunes  filles. — ^Les 
^*  aticiens  colons  privés  depuis  18  ans  de  ces  solennités  si 
*'  belleset  si  touchantes  ]ie  pouvaient  retenir  des  larmes  de 
**  joie  en  voyant  ces  choses  qui  leurs  rappelaient  les  dod- 
*'  ces  émotions  éprouvées  autrefois  au  pays  natal.  C'était 
**  les  Juifs  Vendus  à  leur  chère  Jérusalem  après  les  ennuis 
*'  de  l'exil  :  "  El  facta  est  lœtitin  in  populo^  magna  valde  /  " 

On  ne  sait  qui  admirer  davantage,  du  pasteur  qui  se  mul- 
tiplie pour  prérider  à  tous  les  travaux  d'organisation  ou  des 
paroissiens  qui  secondent  un  si  beau  zèle.  Trois  mois  se 
sont  à  peine  écoulés  que  déjà  la  création  est  complète.  S'il 
nous  était  donné  de  considérer  le  courageux  missionnaire 
à  l'œuvre  pendant  les  5  ans  qu'il  desservit  l'Anse  Bt.  Jean, 
nous  le  verrions  Se  dévouer  corps  et  âme,  pour  Pavance- 
ment  spirituel  et  temporel  de  -ses  chères  ouailles.  Coloni- 
sation, éducation  de  l'enfance,  accroissement  de  la  piété  au 
milieu  de  son  peuple,  rien  n'est  négligé.  Il  se  fait  tout  & 
tous  :  il  instruit,  il  encourage,  il  console,  il  prie,  il  travaille 
sans  cesse  et  la  joie  semble  sa  compagne  habituelle  dans  sa 
solitude  bien-aimée.  Que  ne  peut-il  y  demeurer  encore 
des  années  et  des  années  !  Mais,  bientôt,  épuisé  par  le  tra- 
vail, sa  santé  ne  peut  résister  plus  longtemps  â  l'ardeur  de 
son  zèle  et  bien  â  regret  il  confie  à  un  autre  un  champ  si 
bien  cultivé. 

La  première  visite  épiscopale  eut  lieu  en  Tannée  1863. 
Monseigneur  Charles  François  Baillargeon,  accompagné 
des  Rév.  Pérès  Beaudry  et  Lecours,  arriva  à  l'Anse  St. 
Jean  le  27  juillet  à  ÎO}  heures  du  soir*  La  jôle  de  la  popu- 
lation fut  grande  le  28  au  matin  lorsqu'elle  appAt  l'arrivée 
de  Sa  Grâce.  Monseigneur  voulut  dans  ravant-midi  Visiter 
ïa  place.  Il  ftit  accompagné  dans  son  voyage  parla  cava- 
leriejusqu'à  4  milles.    Là  s'arrêtait  le  chemin  praticable. 

Les  exercices  de  la  visite  commencèrent'  dans  Paprès- 

midi.    L^  lendemain,  56  personnes  eurent  le  bônhefur  de 

-recevoir  la  confirmation.    Monseigneur  partit  de  l'Anèe^St. 

Jeaii  pour  Tadoussac  le  29  à  midi,  en  chaloupe.    Sa  Ûrâce 


106 

éprouva  du  vent  contraire,  des  orages,  et  ne  put  arriver  St 
Tadoussac  que  dans  la  nuit* 

-  L'année  1865  fut  célèbre  par  la  disette  de  fourrage.  Cette 
disette  était  générale.  Tous  les  grains  en  réserve  pour  les- 
semences  furent  dépensés  ;  ce  fut  par  ce  moyen  que  l'on 
put  sauver  les  animaux.  Il  fallut  ensuite  faire  venir  le$ 
grains  de  semence  de  la  Malbaie. 

Le  commencement  de  Tannée  1866  fut  surtout  remar- 
^able  par  rémigration.  Un  certain  nombre  de  familles 
n'ayant  pas  semé,  se  voyaient  sans  espoir  d'échapper  à  la 
misère.  Dans  cette  extrémité,  on  prit  des  informations  de 
tous  côtés.  L'un  trouva  ici  des  avantages,  l'autre  voyait 
là  de  l'or  et  du  pain.  Enfin,  il  fut  décidé  que  le  premier 
soleil  de  mars  serait  l'infaillible  témoin  du  décampage^ 
Vingt  familles  partirent  dans  le  cours  des  deux  années 
1865  et  1866. 

Le  successeur  du  Rév.  M.  T.  Otis  dut  laisser  au  bout 
4l'un  an  pour  cause  de  s^nté.  Il  réunissait  à  un  haut  degré 
toutes  les  qualités  du  vrai  missionnaire  et  du  solitaire. 
Ses  paroissiens  n'avaient  pas  tardé  à  s'en  apercevoir  et 
leurs  i*egrets  le  suivirent  à  son  départ. 

Le  nouveau  curé  demeura  8  ans  à  l'Anse  St.  Jean.  Les 
travaux  accomplis  furent  nombreux  :  la  chapelle  et  le  pres- 
bytère subirent  une  agréable  transformation,  des  maisons 
d'écoles  se  construisirent  et  de  grands  fruits  furent  pro- 
duits dans  les  âmes.  En  présence  de  ces  8  longues  années- 
de  solitude,  nous  sommes  ravis  d'admiration  et  en  même 
ftemps,'  une  pensée  de  frayeur  se  dresse  devant  nous  de 
manière  que  nous  nous  demandons  avec  anxiété  :  '^  Si  l'on 
f*  exige  de  nous  un  pareil  sacrifice,  où  trouverons-nous 
^  donc  un  courage  et  des  forces  pour  Taccomplir  ?  " 

En  1868  eut  lieu  la  deuxième  visite  épiscopale  dans  la- 
•quelle  74  personnes  reçurent  1^  confirmation. 
.    Enfin,  vers  le  milieu  de  juillet  1874,  Sa  Grâce,  Mgr  E.  A^ 
Taschereau,  arrivait  à  l'Anse  St.  Jean  et  le  Saint-Esprit 
descendait  sur  82  personnes. 

On  dit  que  Sa  Grâce  n'arriva  à  l'Anse  St.  Jean  qu'après* 
jan  grand  retard,  à  une  heure  avancée  de  la  nuit.  De 
grands  préparatifs  de  réception  avaient  été  faits  la  veille^ 


107 

•et  la  populatioa  était  restée  longtemps  dans  Tattente. .  Le 
lendemain,  la  pluie  tombait  par  toi?rent9,  mais  elle  ne  put 
empêcher  les  braves  parois&iens  de  F  Anse  Sk  Jean  de  pro- 
fiter des  grâces  si  abondantes  attachées  à  la  visite  de  lemr 
vénérable  Archevêque. 

Paul  Dubé,  Ptre. 


Nous  croyoj^s  devoir  ajouter  à  ces  notes  historiques  le 
rapport  suivant  que  le  Révérend  M.  Dubé  a  envoyé  à  Mon- 
seigneur l'Archevêque  au  mois  de  mars  dernier,  et  qui 
complète  les  renseignements  déjà  donnés  sur  la  mission  de 
l'Anse  St.  Jean. 

« 

Anse  St.  Jean,  2B  mars  1878. 

A  Sa  Grâce  Mgr  E.  A.  Tasghereau, 

Archevêque  de  Québec. 

Moîiseigneurj 

L'intérêt  que  vous  portez  à  l'œuvre  des  missions,  me  fait 
-croire  que  vous  aurez  pour  agréables  quelques  renseigne- 
ments sur  l'Anse  St.  Jean,  le  Petit  Sagnenay  et  le  Tableau, 
qui  composent  ma  desserte. 

ANSE  ST.  JEAN. 

L'Anse  St.  Jean,  comme  Votre  Grâce  le  sait,  est  le  lieu 
de  ma  résidence.  Déjà,  dans  un  premier  rapport,  ie  vous 
ai  fait  connaître  la  physionomie  du  peuple  qui  l'habite,  et 
qu'on  peut  bien  appeler  un  bon^  petit  et  solitaire  peuple^ 
j^our  me  servir  des  expressions  que  Votre  Grâce  a  daigne 
employer  dans  une  lettre  qu'elle  m'a  fait  l'honneur  de  m'é- 
>crire.    La  bonté,  c'est  bien  le  trait  le  plus  saillant  de  cette 

Shvsionomie  qui  porte  aussi  un  cachet  spécial  de  candeur, 
'obéissance,  oè  respect  à  l'autorité. 
Les  premiers  colons  de  l'Anse  St.  Jean  y  débarquèrent 
«n  1838. 

Depuis  lors,  beaucoup  de  missionnaires  animés  du  zèle 
Je  plus  généreux  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des 
AmeSj  m*ont  précédé  dans  la  culture  de  ce  champ  isolé' de 
la  vigne  du  Seigneur;  ils  y  ont  déposé  une  semence,  qui. 


.108 

jpar  leurs  soins,  leurs  sacrifices  et  leurs  sueurs,  a  pris  pk* 
teur^ux  acçrôisseniént  et  qui  est  devenue  une  plante  tna- 
gnifique  doét  je  a^aiiju'à  recueillir  les  fruits.  -Honneur  à 
-ces  messagèrâ  tle  ']a.  bonne  nouvelle.  i\  j'at  euvij^on  dix- 
.Jbuit  ans  seulensQUl  qu'\in  prêtre  réside.ii  l'anse  St., Jean» 
Quelles  souffrances  n'ont  pas  dû  endurer  ces  pauvres  soli- 
taires, si  loin  de  tout  secours  religieux  I  En  effet,  le  curé  le 
plus  proche  se  trolivait  à  une  douzaine  de  lieues. 

Si  "Votre  Grâce  me  permet  quelques  détails,  je  lui  dirai 
la  concorde  qui  continue  de  régner  entre  mes  paroissiens 
et  qui  attire  sur  eux  une  abondance  de  bénédictions,  car, 
l)ieu  regarde  toujours  avec  amour  celte  belle  paix  et  ne 
-laisse  pas  de  récompenser;  dès  cette  vie,  les  sociétés  et  le» 
familier  qui  lui  donnent  rhospitalité.  La  foi»  la  confiance 
en  Dieu  sont  ici  bien  grandes  ;  elles  se  manifestent  sou- 
vent par  des  signes  non  équivoques.  Un  danger  nous 
menace-t-il,  une  maladie  vient  telle  s'asseoir  au  foyer,  aus- 
Bitôt,  les  regards  s'élèvent  vers  le  Tout-Puissant,  vers  Ste» 
Anne,  etc.,  et  le  secours  du  prêtre  estreclamé.  '*  A  défaut  du 
médecin  des  corps,  disent-ils,  nous  recourons  au  médecin 
spirituel  et  c'est  bien  le  meilleur."  Je  m'aperçois  avec 
bonbeur  que  la  récompense  ne  se  fait  pas  attendre,  parce 
qu'ordinairement,  les  dangers  sont  éloignés,  les  maladies- 
guéries. 

Le  Dimancbe  est  respecté,  ol  serve;  l'assistance  aux  offi- 
ces régulière  autant  que  possible  ;  les  catéchismes,  qui  se 
-font  pendant. toute  l'année,  suivis  par  un  bon  nombre  ;  les 
sacreipfnts  fréquentés  assez  s.oyven.t.  Auic  .principales 
fêtes,  il  y  a  concours,  ainsi  que  dans  les  mois  de  St.  Joseph^ 
de  Marie,  de  Ste.  Anne,  etc.  Mais  c'est  à  l'occasion  des 
Quarante-heures  surtout  que  l'empressement  est  le  plus^ 
général.  L'humble  chapelle  revêt  alors  ses  ornements  de 
fête  et  la  piété  des  fidèles  relève  spécialement  l'éclat;  de  la 
solennité.  Grande  foule  à  la  prière  du  soir.  A  propos  des 
Quarante-iietires,  je  prends  la  liberté  de  solliciter  une  épo- 
que plus  favorable.  En  hiver,  il  eet  difficile  d'avoir  le  se- 
cours des  confrères  voisins.  Cette  année,  j'étais  seul  et 
(|uoique  la  population  ne  soit  pas  considérable,  c'est  ton- 
jours  un  peu  fatiguant.^  Dans  mon  humble  opinion,  l'été 
nous  conviendrait  mieuï',  d^autant  plus  que  n'otis  avons 
maintenant  un  quai  qui  pertiiettra  au  vaj^éur  d^  venir  dans 
notre  port. dès  le  printemps  prochain. 

En  résumé,  lés  devoirs  religieux  s'accomplif sent  bien  ;, 
en  pçurrait  cependant  exiger  plus  de  perfection,  de  la  part 
de  quelques  familles. 

La  tempérance  peut  regretter  seulem^t  quelques  rares 
accidents  que  le  temps  fera  disparaître,  espérons-le  :  aucua 


,    109 

Tejodeur  de  boisson  n 'a.  pi;L  prendre  racine  .dans  notre -soi 
eanemi  de  semblables  plantes^ 

Les' réunions,. les  danser  ^'ont  p^s  beaucoup  de  vogue 
ici  et  Tannée  pré^ent^e  jAérite,  ui;e  mention  bonorable  aous 
ce  rapport. 

Je  faisais  remarquer,  dans  mes  premières  notes,  quelque 
négligence  dans  le  paiement  des  dettes,  notable  améliora- 
tion^ maintenant.  D'aiUeurs,  il  e.$t  bien,  entendu  qu'il  ne 
s'agissait,  dans  les  dites  notes,  que  d'un  certain  nombre  ; 
encore,  faut-il  ajouter  que  c'était  plutôt  l'impossibilité  que 
la  négli^^ence  et  la  mauvaise  volonté  qui  empêchait  de  sa- 
tisfaire a  ces  diverses  obligations.  Ici,  comme  dans  les 
autres  paroisses,  un  bon  tiombre  font  bonoeur  à  leurs 
affaires. 

Deux  écoles  fonctionnent  régulièrement  sous  le  régime 
protecteur  de  la  cotisation.    C'est  un  bonheur  pour  nos 
pauvres  enfants  qui  pourront  s'instruire  un  peu  et  surtout, 
bien  apprendre  leur  catéchisme. 

Sous  le  rapport  matériel,  lé  progrès  est  sensible.  La 
gône  a  disparu  pour  faire  place  à  une  aisance  passable.  Si 
l'on  donnait  moins  d'attention  à  l'exploitation  des  t)oiSy 
pour  se  livrer  au  défrichement  et  à  la  culture  de  la  terre, 
ce  serait  un  acheminement  vers  le  bien-être.  On  en  voit 
une  preuve  vivante,  daps  un  certain  nombre  de  braves  cul- 
tiva tenrs,  qui  ont  devancé,  depuis  longues  années,  leurs 
co^paroissiens  dans  la  voie  delà  fortune  et  qui  pourraient 
paraître  sans  rougir,  à  côté  des  riches  habitants  de  nos 
grandes  paroisses. 

Le  prinremps  dernier,  on  à  effectué  le  transport  et  la  ré- 
paration d'une  maison,  qui  sert  actuellement  de  demeure 
au  bedeau  et  de  salle  poblique.  La  bonne  vplonté  de  mes 
ouailles  a  encore  brillé  dans  cçtte  circonstance. 

En  un  mot,  je  suis  bien  content  de  la  conduite  dé  mes 

Ïaroissiens  que  l'éloignement  protège  contre  les  influences 
élétères  qui  pourraient  venir  de  l'extérieur. 

PETIT  SAGUENAT.    ' 

Ce  poste  est  à  trois  lieues  et  demie  environ  de  l'Anse  St. 
Jean.  Il  se  compose  de  7  ou  8  familles  qui  ressemblent  en 
tous  points  à  celles  de  l'Anse  St.  Jean.  Aussi,  me  contenterai- 

J'e  de  dire  à  Votre  Grâce  que  je  visite  ce  petit  troupeau  trois 
bis  dans  l'année.  Alors^  la  maison  de  M.  H.  Tremblay  se 
transforme  en  chapelle  temporaire  et  tous  ceux  qui  le  peu- 
vent, s'approchent  des  sacrements.  Ma  lettre  de  mission 
m'obligerait  d'y  aller  quatre  fols,  mais  ordinairement  les 
Quarante-heures  amènent  ces  bons  cultivateurs  à  notre 


110 

chapelle  et  m'exemptent  un  voyage.  Au  reste,  quand  les 
-communications  sont  plus  faciles,  ils  se  donnent  la  peine 
d'apparaître  de  temps  en  temps  à  nos  offices. 

Il  n'y  a  dans  cet  endroit  aucune  organisation  régulière 
pour  une  école,  mais  cette  année,  une  institutrice  non  di- 

λlômêe  se  dévoue,  moyennant  une  légère  rétribution,  à 
'instruction  des  petits  enfants. 

Le  Petit  Saguenay  prendrait  un  peu  plus  de  développe- 
ment, s'il  pouvait  communiquer. par  terre  avec  l'Anse  Si. 
Jean.  Nous  avons  fait  une  requête  pour  faire  terminer  un 
chemin  déjà  commencé,  et  si  l'on  pouvait  réussir,  ce  serait 
un  grand  avantage  pour  ces  pauvres  colons,  isolés  comme 
ils  le  sont,  sans  autre  chemin  que  la  rivière  Saguenay. 

TABLEAU. 

^  Le  Tableau  est  sur  les  con&ns  de  mon  immense  mais  peu 
populeuse  paroisse,  à  peu  près  à  mi-chemin  entre  l'Aiise 
St.  Jean  et  la  Giaode-Baie,  sur  la  rive  opposée  du  Saçue- 
nay.  Je  ne  visite  qu'au  temps  pascal  ces  brebis  lointaines 
qui  forment  en  tout  4  ou  5  familles,  encore  presque  toutes 
ces  familles  n'y  passent-elles  aue  l'hiver  pour  le  chantier, 
si  je  ne  me  trompe.  U  y  a  là  un  moulin  à  scie  qui  doit 
occuper  un  peu  de  monde  pendant  l'été  et  il  serait  peut-être 
bon  de  faire  au  moins  une  visite  à  part  le  temps  des  Pâ- 
ques. 

C'est  toujours  avec  la  plus  grande  cordialité,  que  je  suis 
reçu  par  ces  solitaires  qui  voient  si  rarement  le  prêtre.  Je 
leur  donne  quelques  mots  d'instruction,  je  les  confesse 
ainsi  que  les  enfants,  les  communie  et  les  abandonne  aux 
soins  de  la  Providence. 

En  terminant,  je  vous  prie,  Monseigneur,  de  recevoir  le» 
sentiments  de  vénération  avec  lesquels  je  suis 

De  Votre  Grâce 
le  très-humble  et  très-respectueux  serviteur, 

Paul  Dubé,  pire. 


MISSION  DES  NASKÀPIS. 

Lettre  du  Révérend  Père  Laçasse^  0.  M,  L 

St  Sauveur,  1er  Avril  1878. 

Révérend  M.  H.  Têtu,  Ptré., 

Aumônier  de  TArchevôché  de  Québec, 

Monsieur  l'Aumônier, 

Comme  nos  missions  ne  vivent  que  par  les  secours  de 
la  Propagation  de  la  Foi,  il  est  bien  juste  que  je  fasse  con- 
naître aux  lecteurs  de  vos  Annales  que  Dieu  s'est  plu  à  bé- 
nir leur  générosité.  Excusez  le  retard  apporté  à  l'envoi  d» 
ces  quelques  notes  promises  depuis  longtemps.  Mais 
l'homme  propose  et  Dieu  dispose  :  j'avais  tenu  un  journal 
des  dîx-huit  longs  mois  passés  au  milieu  des  tribus  infidè- 
les ;  nn  naufrage  est  venu  l'engloutir.  La  mer  rend  ses 
Tictimes,  dit-on  ;  oui,  mais  les  manuscrits  exceptés.  Sans 
autre  préambule,  je  commence  de  suite,  car  je  vois  que  le 
temps  ne  me  permettra  même  pas  de  finir  ce  rapport 

Les  Sauvages  que  les  Révérends  Pères  Oblats  de  Beth- 
siamites  ont  à  visiter,  habitent  un  littoral  de  plus  de  neuf 
cents  lieues,  si  on  y  comprend  le  pays  des  Esquimaux  qui 
ont  aussi  été  les  objets  de  leur  zèle  et  au  milieu  des- 
quels ils  ont  l'espoir  d'établir  une  résidence.  Les  Monta- 
goals  habitent  le  littoral  du  golfe  depuis  Bethsiamites, 
distant  de  soixante-et-dix  lieues  de  Québec,  jusqu'au  Dé- 
troit de  Belle-Isle.  Us  sont  disséminés  par  petites  bourga- 
des, vivent  dans  l'été  à  l'embouchure  de  certaines  petites 
rivières  qu'ils  remontent  pendant  l'automne.  Us  hiver- 
nent dans  les  bois,  y  font  la  chasse  et  reviennent  au  prin- 
temps vendre  leurs  pelleteries  et  se  munir  de  provisions. 
Pendant  leur  séjour  à  la  mer,  ils  font  leur  mission  là  où 
le  prêtre  va  les  attendre  et  se  hâtent  de  retourner  dans 
leurs  bois.  Comme  ces  Sauvages  sont  cathoUques  depuis 
longtemps  et  qu'ils  n'ont  rien  qui  les  distinguent  de  la 
classe  des  Sauvages  connus  de  vos  lecteurs,  je  me  hflte  do 


112 

vous  introduire  au  milieu  de  mes  chers  Naskapis,  autre 
tribu  qui  vit  dabfi  rinfétièur- dès^teii^res^'    Quelques-uns 
d'entre  eux  qui  vivaient  à  la  hauteur  des  terres  des  Sept- 
Iles  et  de  MingftUy  viennent  xTO^intenaat  faire. leur  mission 
à  ces  postes  respectifs.    Mais  il  y  a  des  Naskapis  qui  vivent 
autour  des-grànds  lacs  et  le  long  des  rivières  qui  donnent 
leurs  eaux  au  détroit  d'Hudson.  ^  Qeçont  ces  Naskapis  que 
je  viens  vous  préseinter  aujourd'hui.  Comme  ils  ae  peuvent 
ni  ne  veulent  venir  ici,  il  vous  reste,  M.  TAumônier,  Tobli- 
gation  de  faire  route  avec  moi.    Dites  Adieu  à  Qa^c  que 
vous  courez  grand  risque  de  ne  plus  revoir,  et  à  bord  d'une 
gôëleite,  faites  route  pdu^  St.  Augustin,  poste  distant  de 
trois  cents  lieues.    Vous  êtes  à  hord  du  capitaine  Narcisse 
Biais  de  Berthîer.    Ne  ôraignez  rien.    Le  chapelet  et  la 
prière  commune  de  chaque  joùi*  sont  votre  sauve  garde. 
Le  capitaine,  que  tous  les  missionnaires  de  la  côte  connais^ 
«ent,  sera  plein  d'égards  pour  vous;  il  vous  donnera  même 
son  lit,  en  dépit  de*  vos^récrîminations,  et  permettra  à  ses 
bi'aves  matelots  de  rire  à  gorge  ^  déployée  quand,  sonë  Tîn- 
flUencé  d*u  mal  de  mér,''T0ti^  irez  jeter  à  l'océan  impitoya- 
ble, l'écume  de  vôtre  cdUTrôux.  Pauvre  mal  de  mer  I  Qu'il 
est  acharné  à  tourmenter  ses  victimiss  !  Après  cinq  ans  de 
cotirses  continuelles,  il  n'est  pas  encore  satirfait  de  moi  et 
il  crie  toujours  :  encore,  feEtcore  1  Et  moi,  penché  sur  le 
bastingage,  de  lui  répondre  î  en  voici  ! 

Mais  hâtotis-nbus  dé  passer  à  un  sujet  plus  gai,  car  rien 
qu"^au  souvenir  de  la  mer,  més'yeux  s*embrouilleht,  je  ne 
distingue  plus  les  lignés  de  mon. papier,  et  mnn  cœur  fne 
su'ppKé  d'attendre  aii  îrioiis  Id.iébàcie,  avant  de  prendre 
passage  à  bord  4'àn  bâteâtt,  î^us  sommes  donc  à  St.  Au- 
guUin  :  nous  alloùs  faire  la  mission  aux  pauvres  Monta- 
gnàis  db  cfet^endroit,  et,  de  Hl]  eh  cotnpa^rtie  dé  deux  gifides, 
traverser  "une  la^ngaé  dè'tét^e  4e  80  lieues  pour  tomber 
dans  le'fohd'  de  là  Bkfe  des  Esquimaux,  qui  mêle  ses  eaux 
il  celles  de  rAtlaiitîque;  L^  RéV.  Pèfes  Arnaud  et  Babel 
ont  souvent  visité  cette  mlsfsion.  Voyez  ces  ^âu Vires  Nas- 
ka{)is  accourir  en  foulé"  fihi  riva^.'  Si  les  hailldns 'qui 
les  confi^tii  vousinvîteù^^péuàles  appfrocfier, -qile  leur 
timide  sourire  et  les  poîghéfes  dé  liiaîn  quils  vous  donnent 


113 

VOUS  déténtoraent  à  les  presser  strr  votre  coerirf  n'en  pàilsôz, 
pas  un  seul,  car  ils  soht  jalour  âe  cette  iz^rgûe  d'âûrîtië  '- 
dé  la  Robe  noire^  et  ils  regardent,  comme  tinfe  récomjiènBe 
de  leur  bonne  conduite,  la  faveur  de  presser  là' main  dû' 
prêtre  du  Graiàd  Manîto.    Vous  avez  devant  vous  de  bons 
enfants,  bien  disposés  à  la  piété,  mais  encore  ignorants  et 
superstitieux.    Ils  ont  abandonné,  sauf  une  exception  ou 
deux,  la  jonglerie,  qui  reridait  leur  âme  coupable* de  péchés 
niortels,  mais  ils  ont  encore  une  foule  de  craintes,  de  Re- 
marques, d'observances  qui  font  comprendre  aux  missioîtt- 
naires  pourquoi  il  y  a  encore  des  superstitions  en  Canada 
après  tant  de  siècles  de  civilisation.    Que  x;eux  et  celles 
qui  veulent  jeter  la  pierre  à  nos  Sauvages,  se  rappellent 
que  j'ai  une  compatriote  qui  s'est  couchée  la  tête  sur  un 
miroir,  après  avoir  mangé  une  galette  salée  pour  connaître 
sa  destinée.    En  faisant  la  mission  en  cet  endroit,  je  suis 
certain  que  vos  larmes  vont  coaler  plus  d'Une  fois,  mais  ee 
seront  des  larmes  de  joie  et  dé  bonheur  ;  car  de  nombrèa 
ses  -consolations  vous  attendent.    Votre  première  occupar 
tion  devra  être  de  montrer  à  lire  à  ces  pauvres  sauvais 
pour  qu'ils  puissent  s'instruire  eux-mêmes.   Le  catéchisme 
occupera  presqae  tout  votre  temps.  Vous  aurez  à  répondre 
à  biea  des  questions  qui  exciteront  votre  sourire  plus  d'une  ' 
fois  : 

—  Père,  au  ciel  on  n'a  jamais  faim  î* 

—  Non,  mon  enfant,  jamais* 

—  Combien  mange-Uon  de  fois  par  jour  ? 

—  Au  ciel,  mes  enfants  bien-aimés,  on  ne  mange  pas. 
Stupéfaction  générale  I    Un  Sauvage,  ne  pas  mager  I 

Et  encore  :  —  Mes  enfants,  il  n'y  a  qu'un  Dieu,  mais  trois 
personnes  en  Dieu  :  le  Père,  le  Fils,  le  Saint-Esprit;  qui  ne 
foht  qu'un  seul  et  môme  Dieu.  Eh  bien  î  mon  Jean-Marie, 
dépuis  une  heure  que  je  vous  explique  cela,  peux-tu  ré- 
pondre à  ma  question  ?  —  Ohl  oui,  ï^ère,  j'ai  la  tête,  molle 
comme  la  cervelle  d^un  caribou.  —  Chez  nos  sauvages  tête 
molle  est  l'opposé  de  tête  dure. 

—  Combien  donc  y  a-t-il  de  Dieu  î  •' 

— 11  y  a  trois  personnes  en  Dieu,  qui  ne  font  qu'un  seul 
Dieu  ;  trois  et  un  font  quatre,  ce  qui  fait  qu'il  y  a  quatre  ' 


114 

Dieux,  et  la  Sainte  Viarge  Marie  gui  se  tient  à  côté  du  baiB 
Dieu  et  qui  lui  dit  que  les  aauyagessout  ses  enfants.  "  Après^ 
une  pause,  de  s'écrier  d'une  manière  inspirée  :  —  ^^  Oh  I  j'ai 
oublié  le  Fil»  de  Dieu  qui  s'est  fait  homme,  et  qu'où  baptise^ 
un  enfant  pour  laver  son  âme,  et  qu'il  faut  bien  se  tenir  à 
la  n^esse,  "  L'eniant  se  tait,  il  se  fait  un  silence  ;  les  yeux 
se  Jtournent  vers  lui*  Le  père,  la  fierté  dans  le  regard^ 
l'émotion  dans  la  voix,  dit  en  souriant  :  —  '^  C'est  mon  fils» 
celui-là  ;  il  est  fin  partout  ;  il  a  tué  trois  caribous  dans  une 
journée,  l'hiver  dernier.  Ils  étaient  gras,  pas,  mon  fils  ? 
—  '^  Bien,  bien,  mon  fils  I  nous  parlerons  de  cela  après  le 
catéchisme.  "  Puis  on  fait  une  autre  question,  puis  on  a. 
une  autre  réponse. 

Quelquesfois  vous  vous  plaisez  à  admirer  leur  exîrème^ 
naïveté.  Ils  vous  adressent  des  questions  qui  vous  font 
monter  le  vieil  homme  à  la  figure.  Jugez-en  par  la  scène^ 
suivante:.  Je  venais  de  chanter  la  messe,  si  toutefois  ou 
peut  appeler  chant  le  cri  qui  sort  de  mon  gosier.  C'est 
affreux  à  entendre.  Le  sourire  avec  lequel  mes  amis  ac- 
compagnent la  lecture  de  ces  mots,  peut  vous  prouver  que 
ceux  qui  m'ont  entendu  une  fois,  ne  peuvent  en  perdre  1& 
soFutenir.  En  musique,  comme  en  tout,  les  extrêmes  se 
touchent,  et  le  Canada  a  ses  deux  Albani.  Je  sors  de  la 
chapelle  la  tête  basse.    Les  Sauvages  m'entourent  : 

—Le  Père  Arnaud,  celui  qui  a  ta  voix  claire^  comme- 
rappellent  les  Sauvages — chante  bien,  n'est-ce  pas,  père  ? 

— Oui,  mes  enfants,  très-bien. 

■ — Il  est  bien  plus  fin  que  toi,  n'est-ce  pas  ? 

— Oh  !  oui,  d'un  bout — (Vous  savez  que  les  Sauvages- 
n'ont  pas  d'autre  adjectif  pour  exprimer  les  qualités  de 
l'homme  :  "  que  le  mot  fin  "  il  est  fin  ou  il  n'est  pas  fin). 
J'avais  à  peine  exprimé  le  signé  afiirmatif,  qu'une  voix  vic- 
torieuse s'écria  :--rJe  le  savais  bien  moi,  qu'il  n'était  pas  si 
fin  que  le  Père  Arnaud  ;  je  vais  aller  chercher  ma  femme 
qui  ne  voulait  pas  me  croire  et  tu  vas  me  le  dire  devant  elle. 
Ce  qui  fut  dit,  fut  fait.|  Une  seule  consolation  vous  reste  : 
l^t  qu'ils  disent  à  ceux  qui  veulent  les  entendre  que  voué. 
parSftlssez  les  aimer  beaucoup. 


115 

Mais  le  cœur  serré,  il  faut  se  séparer  de  ces  chars  néophy> 
tes,  et  vous  aventurer  encore  plus  de  300  lieues  plus  loib.  Il 
y  a  des  Sauvages  à  l'intérieur  des  terres  ;  ils  ont  une  âme  et 
personne  ne  pense  à  eux.  Il  faut  aller  les  voir,  se  rendre  Chez 
«uz  jusqu'au  Détroit  d'Hudson.  Uu  seul  sauvage  de  la  Baie 
^es  Esquimaux  connait  ce  chemin  long  et  difficile  :  c'est 
notre  cher  Watshikatt,  notre  bon  sacristain,  qui  relève  de 
^maladie,  et  est  infirme  d'une  main.  Je  le  fais  venir  à  la 
chapelle  et  lui  parle  sérieusement  en  ces  termes:  '^ Frère 
'Watshikatt,  toi  seul  connais  le  chemin  des  Naskapis.  Je 
veux  y  aller  pour  sauver  des  âmes  à  Dieu  ;  pour  remercier 
Dieu  de  la  grâce  qu'il  t'a  faite,  il  me  semble  que  tu  accep- 
teras ma  proposition  avec  plaisir  :  tu  vas  être  mon  pilote. 
Je  te  ménagerai,  porterai  ton  fardeau  et  Dieu  sera  avec 
nous,  qu'importe  le  reste  ?  "  Watshikatt  se  recueillit,  et  moi, 
je  priais.  "  Père,  je  suis  vieux,  infirme,  mais  je  vais  y  aller, 
parce  que  je  Yeux  faire  plaisir  à  Dieu,  car  aucun  commis  ou 
marchand  ne  me  déterminerait  à  y  aller."  Je  lui  sautai  au 
cou,  l'embrassai  avec  tendresse,  et  on  se  mit  de  suite  à 
chercher  un  troisième  compagnon.  Il  fallut  déployer  beau- 
coup dé  diplomatie*  Enfin  l'un  accepte.  Bon  nom  n'est 
pas  embaumant,  mais  que  voulez-vous  ?  l'on  prend  ce  qui 
nous  vient  :  mon  premier  guide  Walshikatt  veut  dire  : 
•"  l'homme  crochu,"  mon  second  est  *'  l'homme  qui  pue;'* 
ses  compatriotes  l'ont  ainsi  désigné  et  je  crois  que  pour 
quelqu'un  qui  Ta  approché  seulement  à  vingt  pieds  de  dis- 
tance, il  est  difficile  de  le  nommer  autrement.  Là  tradi- 
tion dit  qu'il  se  lava  une  fois,  il  avait  8  ans  alors,  la  fois 
qu'il  versa  au  milieu  d'un  lac.  D'ailleurs  il  y  a  un  arôme 
qui  s'échappe  de  tous  ses  pores,  de  la  tète  aux  pieds  et  dont 
il  ne  saurait  se  défendre.  Il  est  le  meilleur  homme  du 
inonde,  lent  dans  ses  mouvements,  mais  â'une  force  grena- 
chienne  qui  l'ont  rendu  influent  dans  sa  tribu. 

Il  est  8  heures  du  matin,  la  glace  des  lacs  a  passé  hier, 
^  juillet,  il  est  temps  de  partir.  Faisons  un  court  inventaire  : 
Un  canot  de  deux  brasses  et  une  coudée,  un  bon  fusil,  de 
la  poudre,  du  plomb,  dés  balles,  une  rets  de  quelques 
brasses,  des  hameçons,  une  hache,  une  chaudière,  un  cou- 
teau croche,  ma  chapelle  portative,  des  images^  des  chape- 
lets, et  nos  trois  intéressantes  personnes,  munies  chaotine 


.116 

d*uo  aviroQ.  Ja  bénislep  «auvages  agenouillés  devant  moi 
et.l6  signal  du  départ  est  djonoé,  ^^  En  flotte,  s'écrie  l'homme 
du  gouvernail  ;  Père,  resta  coi  au  fond,  tu  sais  que  notre 
canot  esi  versant."  ^^  Mai$,  mon  enfant,  qua^d  mes  jambes 
seront  fatiguées,,  engourdies,  je  pourrai  change^,  de  place  ?  '^ 
^^Tii:  feras  comme  nous  autres,  père;  tu  attehdras  qu'on 
débarque.*'  Et  quelquefois,  vous  attendez  quatre  et  cinq 
heures»  vous  vous  den^andez  alors  si  le  calme  du  canot 
n'est  p^  pis  que  le  roulis  de  la  mer.  Pauvre  nature 
humaine  !  c'est  son  sor.t  de  ne  jamais  ôtre  contente  ici- 
ha3»  D'ailleurs,  comme  me  dit  mon  guide  bien  souvent  : 
^  U  faut  bien  quelque  chose  de  croche  pour  faire  passer  le 
temps  droit"  Les  premiers  jours,  vous  mangez  les  quel- 
ques livres  de  farine  que  vous  aviez  apportées  ;  puis 
Tiennent  les  portages  et  comme  le  canot  et  le  bagage  pèsent^ 
il  faut  xenoncer  à  apporter  des  provisions  pour  le  voyage» 
Mes  deux  guides  me  disent  qu*on  en  trouvera,  et  qu'ils 
préfèrent  être  deux,  jours  sans  roanger  que  d'apporter  un 
ÎHscuit  de  trop.  La  rivière  que  vous  ijnontez  est  la  rivière 
Naskapise  ;  comme  elle  est  trop  rapide  pour  pouvoir  la  sui- 
vre jusqu'au  bout,  vous  la  lassez  pour  suivre  une  chaîne  de 
lacs  qui  vous  conduiront  jusqu'à  la  hauteur  des  terres» 
Avani^d'y  parvenir,  vous  aurez  57  portages  à  faire  le  collier 
au  front  et  la  charge  sur  le  dos.  Cinq  de  ces  portages  vous 
prennent  plus  de  4  heures  de, marche.  Permettez-moi  de  vous- 
mettre  en  conijiaiiçs^nee  avec  le  portage  que  les  Sauvages 
appellent  ^^Bo8su";son  souvenir  m'est  si  vivace  surtout 
dans  les  jambes  que  je  ne  puis  résister  au  plaisir  de  vous  en 
parler.  U  y  a  huit  jour^  que  nous  avons  laissé  la  mer,  et^ 
chaque  jour,  nous  nous  élevons  toujours  de  quelques  cen- 
taines de  pieds.  Nous  arrivoiuB  aux  montagnes  du  Loupma- 
rin,  dont  la  cime  est  toujours  couverte  de  neige.  Une  bar- 
rière de  roches  vient  intercepter  la  rivière  qui,  ne  pouvant 
arrêter  son  cours,  dovient  furieuse  en  cet  endroit.  L'enten- 
dec^vouB  se.heur^r  contre  ces  imposantes  murailles  de  pier- 
rç,  s'y  faire  un  jour  ^^  venir  tomber  d'une  hauteur  d^une 
cinquantaine  fie  pieds,  en  une  imm^^s^  nappe  blanche,  dans 
le  bassin  où  9e  tra\ive  votre  petit  canot  tremblani  7  U  ne 
^ut  se  frayer  un  passage  à  travers  l'imposant  rideau  blanc 
qu€|  vous  contemplez  et  qui  apporte  i  votre  œil  étonnfr 


toutes,  les  couleurs  de  raroea-ciel.  JOétoumez  le  regard;: 
Toyez  à  gauche  cette  montagne  do^t  la.  paisible  ma|e$té 
contraste  avec  la  turbulente  grandeur  de  la  rivière  qui  est 
à  sa  base.  Le  sommet  est  loin,  la  pente  est  raide,  et  les  lils 
ixiégaijix  des  rochers, ,  rendus,  gliissauts  par  la  pluie  qui 
appesantit  votre  bagage,  vous  promettent  plus  d'un  baiser 
fraternel,  sans  que  ces  rigides  messieurs  veulent  se  charger 
de  faire  la  moitié  du  chemin.  Cette  condition  vous  donne 
des  doutes  sur  la  sincérité  de  leur  amitié  et  L'expérience 
vous  montrera  que  leurs  caresses  ne  sont  pas  douces. 
Prenez  un  bon  diner  aux  poissons  frais  ;  qu'importe  le  sel, 
quand  Tappétit  y  est?  Il  faut  des  forces  pour  gravir  le 
portage  Bossu.  Le  guide  qui  porte  le  canot,  a  jugé  prudent 
d'ôter  ses  souliers.  Les  doigts  des  pieds  sont  libres  et 
adhèrent  mieux  aux  crevasses  des  rochers.  Pour  mpi, 
je  résolus  de  garder  ma  chaussure  quoique  le  sauvage 
m^avertit  de  mon  imprudence.  "  Après  tout.  Père,  il  vaut 
mieux  se  déchirer  les  pieds  que  de  se  casser  la  tùte." 

On  commence  Tascension;  les  genoux,  les  mains,  les 
dents  qui  saisissent  les  branches,  la  crosse  du  fusil,  voire 
même  les  pieds,  tout  est  utilisé.  Plus  vous  montez,  plus 
▼eus  admirez  la  perpendicularité  de  la  côte.  Vous  faites 
halte  ;  et  puis  vous  reprenez  courage.  Vous  montez,  vous 
descendez,  vous  remontez,  vous  redescende?.  Vous  donnez 
un  nouveau  coup,  coup  fatal  I  La  bande  du  collier  casse  ; 
chapelle,  chapelets,  fusil,  hache,  chaudière,  tout  part.  Lei 
missionnaire, veut  tout  retenir  par  un  mouvement  instinctif 
et  trop-  prompt  pour  lui  être  imputable  ;  son  bras  le  sert 
mal;  il  perd  l'équilibre,  et  en  vertu  de  la  loi  de  gravitatipn, 
il  parcourt  promptement  et  en  sautillant.,,  de  roche  en 
roche,  un  chemin  qu'il  croyait  plus  long.  Inutile,  M.  Tau- 
mônier,  de  dire  à  vos  intelligents  lecteurs,  que  ce  n'est  plus 
en  montant  qu'il  va.  Un  sapin  se  trouve  sur  son  passage  ; 
di^pelle^  fusil  et  missionnaire  y  trouvent  refuge,  à  1^ 
gr^ode  surprise  de  ce  dernier  qui  ne  sait  cominent  et  pour* 
quoi  il  est  là.  Il  tient  d'une  main  son  chapeau,  et  de  l'autre 
une  partie  d'une  des  jambes  de  son  pantalon  qui  se  plaint 
par  de  grands  déchirements  de  la  violence  qu'pn  lui  a 
fajte.  Et  puis  pas  un,  blinde  mal  N'est  ce  pas  quececL 
donne   conflapce   au   mi^siqnnaire  ?     Marie    Immaci|lée- 


118 

garde  bien  ceux  qu'elle  garde,  se  dit-il,  quaad  arrivé 
•au  sommet  de  la  montagne,  il  peut  adresser  ses  remerde- 
ments  à  sa  bonne,  si  bonne  Mère. 

Pour  vous  reposer,  vous  jouissez  d'un  des  plus  beaur 
•coups  d'œil  du  monde  :  d'un  côté,  la  mer  et  ses  banquises, 
la  mer  avec  ses  baies,  ses  lies,  ses  rochers  et  ses  récifs,  bt 
mer  dont  l'orgueil  des  flots  vient  se  briser  sur  un  petit  grain 
de  sable  qui  se  rit  de  la  pesanteur  et  du  bruit  de  ses  va- 
gues. De  l'autre  côté,  des  pics,  des  vallées,  des  lacs,  des 
rivières,  des  chaînes  de  montagnes  dont  les  capricieuses 
formes  vous  étonnent  encore  plus  que  leur  imposante  gran* 
deur. 

«  Il  m'a  été  donné,  M.  l'aumônier,  de  célébrer  la  sainte 
Messe  sur  un  rocher  élevé,  dont  la  cinae  couverte  de  neiges 
dominait  tous  les  lieux  d'alentour.  Quel  souvenir  dans  la 
vie  d'un  prêtre  !  !  J'oserais  dire  que  toutes  les  splendeurs 
de  nos  belles  cathédrales  ne  peuvent  impressionner  l'âme  si 
fortement  que  les  décorations  faites  par  la  main  de  Dieu 
même  pour  l'autel  du  missionnaire  dont  l'église  n'a  d'autres 
murs  que  les  quatre  points  cardinaux  et  dont  la  voûte  est 
celle  des  cieux.  La  nature  a  fait  silence  autour  de  nous  ;  le 
bruit  du  commerce  ne  se  fait  pas  entendre  dans  ces  régions  ; 
rien  ne  vous  parle  de  l'homme,  et  tout  vous  parle  de  Dieu. 
'^  Le  doigt  de  Dieu  est  ici."  L'idée  de  la  présence  de  Dieu 
vous  pénètre  tellement,  qu'instinctivement  vous  trembles. 
Quand  vous  préparez  votre  autel,  vous  avez  peine  à  croire 
que  le  peu  de  boue  animée  qui  s'agite  au  milieu  de  toutes 
ces  merveilles  va  bientôt  produire  celui  qui  en  est  l'auteor. 
Les  paroles  sont  prononcées  et  les  anges  envient  votre  sort, 
tremblent  autour  de  vous.  Que  le  psaume  Benedicite  coole 
facilement  du  cœur  à  l'issue  de  la  messe  !  Benedidte  sol  et 
tuna..^  Benedicite  omnis  imber  et  ros...  Benedicite  frigus.^ 
Benedicite glacies  et  nives...  montes  et  coUes^  maria  etflumina.: 
cmnes  bestix^  etc.,  etc.,  et  toutes  ces  choses  sont  sous  vos 
yeux,  et  chantent  si  haut  les  louanges  de  Dieu,  qu'elles  vous 
rappelleraient  l'hymne  de  la  reconnaissance,  si  par  malheur 
vous  l'aviez  oublié. 

Voir  Naples  et  mourir,  dit  le  voyageur  extasié  des  beautés 
de  cette  ville  :  dire  la  messe  une  fois  sur  le  point  le  plus 
•élevé  de  la  hauteur  des  terres  et  mourir!  dit  le  mission* 


119 

naire,  dont  les  yeux  se  remplissent  de  larmes  rien  qu'au 
flouvenir  des  inénarrables  joies  que  le  bon  Dieu  sème  sur 
sa  route.  Mais  je  vois  que  je  m'arrête  à  des  souvenirs 
personnels.  C'est  de  l'égoïsme,  je  le  sais,  mais  à  chacun 
ses  faiblesses  et  celle  du  missionnaire  est  de  raconter  aux 
autres  ses  jouissaooes.  Continuons  notre  voyage. 

La  fatigue  commence  à  se  faire  sentir,  le  sommeil  des 
nuits  est  troublé,  l'aviron  pèse  au  bras,  et  cependant  les 
Naskapis  ne  sont  pas  encore  atteints.  Mes  deux  guides  me 
regardent  souvent  et  me  disent  que  je  suis  malade.  Je  me 
trouve  encore  heureux  d'apprendre  d'eux  ma  maladie. 
Nous  avons  apporté  une  livre  et  demie  de  thé,  c'est  le 
temps  d'en  faire  usage.  Comme  il  n'y  a  qu'une  chaudière, 
ne  soyez  pas  surpris  si  notre  cuisinier  s'avise  de  faire 
l)ouillir  poisson  et  thé  ensemble.  Pourquoi  ne  pas  essayer  ? 
Ecoutez  son  raisonnement  :  C'est  l'eau  bouillante  qui  cuit 
le  poisson  et  c'est  l'eau  bouillante  qui  infuse  le  thé  ;  or,  le 
poisson  est  une  bonne  chose,  le  thé  est  une  bonne  chose  et 
Vezu  est  une  bonne  chose,  et  comme  trois  bonnes  choses 
ne  peuvent  faire  une  mauvaise  chose,  il  s'en  suit  qu'il  faut 
tout  manger  ce  qu'il  y  a  dans  la  chaudière  ;  voilà  la  con- 
clusion où  en  arrive  mon  logicien  de  cuisinier.  Les  Sauvages 
aiment  beaucoup  le  thé.  Quelquefois  dans  la  nuit,  mes 
guides  se  levaient,  prenaient  en  cachette  une  poignée  de  thé 
et  buvaient  à  mon  intention.  Un  fait  inouï  dans  les  anna- 
les des  missions  prit  place  alors.  Vous  n'êtes  pas  sans 
savoir,  M.  l'Âumonier,  que  le  missionnaire  n'est  presque 
jamais  seul  et  que  ses  habits  donnent  l'hospitalité  à  bien  d'au- 
tres locataires.  Mille  pardons  de  vous  parler  de  ces  petits  in- 
sectes qui  ont  pour  mission  de  vous  accompagner  jusqu'au 
•  pôle  Nord.  Leur  nombre  est  légion.  Le  missionnaire  pro- 
nonce leur  nom  sans  plus  de  scrupule  et  de  frémissement 
qu'il  n'en  ressent  lorsqu'il  écrase  leurs  petits  êtres  sous  l'on- 
gle de  son  pouce.  Mais  on  me  dit  que  le  nom  de  cet  insecte 
ne  peut  trouver  place  que  sur  des  lèvres  sauvages,  et  que  la 
ciyilisation  permet  tout  au  plus  d'en  remplacer  le  nom  par 
trois  petits  points.  £h  bien^  mettez  un  point  pour  remplacer 
le  Py  un  au  lieu  de  Vo  et  le  troisième  à  la  place  de  Yu.  De 
cette  manièi'e^  vos  nerveux  lecteurs  pourront  peut-être  en 
supporter  la  lecture  sans  traiter  d'incongru  le  missionnaire- 


120 

qui  ose  parler  de  ce  petit' dégoûtant  i'ni^ècte.  Je  votis  assare 
•cependant^  que  si' le  misâibatiaire  '  ûë  frétait  pas  ea  prontiii- 
çaùt  son  nom,  îl  frétnit  *6t)uteht  lori^ù'il  est  brûlé  jolïr  et 
ntiit  parle  fëii  de  son  aiguillon.    Revêtions  au'fatît:   Mes 
Sauvages  ronflaient  depuis  le  coucher  du  soleil.    Le  mis- 
sionnaire voulait  dorniir,  mais  le  ôocâbat  était  trop  violent 
ce  soir-là.    Dès  qu*il  avait  tué  lin  ennemi,  il  avait  toujours 
la  douleur  d'en  voir  deux  venir  à  son  énterremeut    II  mît 
la  chaudière  au-dessus  du  feu,  et  voulant  remporter  une 
victoire  définitive,  il  plaça  sa  chemise  dans  cette  chaudière 
dont  Teau  bouillante  fit  en  peu  de  temps  de  nombreoses 
victimes.  Le  moyen  réussissait  trop  bien  pour  perdre  cette 
eau.  La  chemise  en  est  retirée  avec  précaution.  Le  feu  est 
attisé.   Bientôt  Teau  bouillera  de  nouveau,  se  dit  le  mis- 
sionnaire, et  l'autre  partie  de  mon  vêtement  aura  le  même 
sort  que  ma  chemise  ;  puis  il  se  retire  en  attendant  sous  sa 
tente.  Il  s'y  endort.   Que  Ton  dort  bien  après  une  brillante 
victoire  !    Mon   guide  se  réveille,  voit  la  chaudière  dont 
l'eau  bout,  pousse  son  compagnon  et  lui  souffle  à  Toreille: 
Buvons  du  thé;  une  poignée  est  aussitôt  jetée  dans  la  chau- 
dière et  mes  dieux  Sauvages  de  boire  et  de  ne  s'arrêter  que 
faute  de  liquide,  puis    ils  se    couchent    tranquillemenL 
Quelques  instants  après,  je  fis  uû  bond  hors  de  ma  tente  : 
je  venais  de  me  réveiller  et  de  penser  à  ma  chaudière.  Je 
la  vis  placée  à  coté  dil  feu.  Elle  contenait  des  feuilles  de 
thé,  toutes  parsemées  de  taches  blanches.    Il  y  en  avait 
de^  centaines.    Je  réveillai  mes  hommes,  qui.  me  dirent 
"avoir  bu  du  thé  dans  la  nuit.   Je  'leur  répondis  que  je 
croyais  qu'ils  avaient  bu  du  bouillon,  et  pour  preuve,  je 
leur  montrai  le  contenu  de  la  chaudière.    Mon  Watshikatt 
l'examine,  rit  aux  éclats,  et  montrant  à  VHo^nie  qui  pue* 
la  carcasse  de  centaines  d'insectes  qu'on  appelle  pous  dans 
les  missions  sauvages  et  trois  petits  points  dans  le  monde 
civilisé,  il  ajbdleV"  Si  je  meurs  aujourd'hui  ça  ne  sera  ton- 
Jours  pas'  de  la  jaunisse." 

Mais  continuons  notre  voyage  et  hâtons-nous  d'arriveï'â 
l'etidroit  que  leô  Sauvages  appellent  la  grande  traverse» 
Tous  les  Naôkapis  sont  là  qui  pèchent  le  poison  et  atlen- 
'dent  le  caribou.  '  Ils  aperçoivent  votre  caâot,  et  pendant 
qu'ils  accourent  au  rivage  en  s'écriant  "  des  étrangers,  des 


121 

étrangers,"  étudiez  leur  physionomie.  Le  Naskapis  est  un* 
grand  homme  habillé -dei-peaos  de.earibou.  II  paraît  ro- 
buste et  ses  longues  jambes  vous  disent  que  le  caribou  est 
mal'à  l'aise  lofequ'ilestàsapouraruiXe.  Les  tcaits  de  son^ 
visage  annoncent  de  la  dopcevir  et  beaucoup  d'ouverture. 
Son  teint  est  couleur  de  cuivre,  recouvert  d'un  enduit 
de  graisse  de  caribou  qui,  en  vertu  de  la  prescription,  ré- 
clama des  droits  imprescriptibles  de  séjour  sur  cette  peau 
qui  ignore  encore  l'existence  du  savon.  Ses  beaux  cheveux 
noirs  pendent  sur  ses  épaules.  On  n'y  voit  pas  de  frisures, 
niais  en  revanche,  ces  cheveux  sont  orné^  de  petites  perles 
blanche^^  qui  au  besoin,  se  rougissent  couleur  sang.  Veuijlçz 
cependant  ne  vous  en  procurer,  ni  pour  or,  ni  pôiir* argent, 
car  vous  paieriez  pour  YQtvB  ivoç^graride  démangeaison. 
Abordez  le  rivage  et  écqutez' Ifts"  plaintes  d'un  jongleur, 
qui'ne  veut  pas  de  Thomme  au  visage  pâle.  Vous  discutez 
vos  droits  et  tous  les  sauvages  vous. entourent.  Xe  bon 
Dieu  vous  réserve  en  ce  moment  une  grande  consolation.. 
Une  femme  de  la  tribu  vous  appelle  pour  guérir  Sa  flUe.qui 
est  mourante,  vous  courez  à  la  cabane  indiquée,  et  là,  V'ous 
avez  juste  le  temps  d'instruire,  une  heure  durant^  une 
pauvre  fille  de  16  à  17  ans,  et  de  lui  conférer  le  saint  Bap- 
tême, quelques  instants  avant  sa  mort:  Vous  restez  avec 
eux,  ils  vous  sont  bien  soumis  après  que  vous  ayez  donné 
quelques  bonnes  talocl^es  au.jonglpur.  Vous  vivez  àe  leur 
vie,  votre  corps  accoutiiixié  ne  fait  plus  le  rebelle,  et  d'ail- 
leurs les  consolations  spirituelles  qui  vous  attendent  vous 
dédommageront  de  vos  fatigues.  Quel  spectacle  que  de 
voir  une  nation  infidèle  aux  genoux  d'un  prêtre  et  lui  dire 
que  tous  les  membres  de, cette  tribu  veulent  Técouter  et  le 
suivre  jusqu'au  cîeL 

Je  regretta  d'être  obligé  de  m'arrôter  ici,  M.  FAiimônîery 
mais  le  temps  presse  et  ce  soir  je  dois  faire  voile  pour  la 
Baie  des  Esquimaux,  qui  reçoit  les  eaux  de  quatre  gîrandes 
rivières.    Né  serait-ce  pas,'  par  hasard,  les  quati^e  fleuves- 
fln  pa^'adis  terrestre  ?    J^y  cottrs. 

ft'iézpour  moi;  quand  mes  occupations  me  le'^ permet- 
tront, je  vous  promets  une  plus  longue  lettré.      ■'. 

Tout  jpopr  Jésus,  par,  Marie .  Immaculée.  " 

Zach.  Laoasse,  0.  M".  T.,  Ptre* 


L.  J.  C*  ET  M.  J. 

Lettre  du  Rév,  Père.  Mareoux^  Missionnaire  de  la  RiTiëra 

Rouge. 
Au  Rév»  P.  Boisramé^ 

St.  Alexandre,  le  7  janvier  1878. 
Révérend  et  bieriraimé  Père^ 

Déjà  plus  de  trois  mois  se  sont  écoulés  depuis  le  joor 
où  le  R.  P.  Antoine  recevait  les  vœux  du  Père  Van  Laar  et 
les  miens.  Ce  jour-là  même  mon  compagnon  d^oblatioa 
partait  pour  les  États-Unis  ;  il  devait  prendre  part  à  la  mis- 
sion de  Syracuse  que  les  Pères  Oblats  de  Lowell  commen- 
çaient  le  dimanche  suivant.  Ce  ne  fut  que  le  lendemain, 
après  avoir  célébré  la  messe  de  communauté,  que  je  quittai 
le  berceau  de  mon  enfance  religieuse,  le  cher  noviciat  de 
N.  D.  des  Anges.  Bien  des  fois  depuis  je  me  suis  rappelé 
la  promesse  que  je  vous  fis  alors  de  vous  donner  de  mes 
nouvelles.  C'est  pour  accomplir  cette  promesse  que  j'in- 
terromps aujourd'hui,  pendant  quelques  instants  mon  étude 
de  la  langue  sauteuse  et  que  je  viens  vous  parler  de  mon 
voyage  et  de  la  mission  qui  m'est  échue  en  partage  dans 
cette  vaste  région  de  Manitoba.  Puissent  ces  lignes  vous 
redire  également  les  sentiments  de  la  vive  reconnaissance 
que  je  vous  conserverai  toute  ma  vie  pour  les  soins  que 
vous  m'a  vez  prodigués  pendant  l'année  de  pion  noviciat  ! 

Vous  savez^  mon  révérend  Père,  que^  comme  je  devais 
sauter  jusque  chez  les  Sauteux,le  Rév.  P,  Provincial  m^avait 
gracieusement  accordé  la  permission  d'aller  dire  adieu  i 
ma.  famille  et  ^  jnes  anciennes  connaissances  du  diocèse  de 
St  Hyacinthe,  et  d'accepter  les  offrandes  qui  pourraient 
m'étre  faites  pour  mes  pauvres  misçions.  Ces  offrandes,  vft 
surtout  les  temps  difficiles  que  uojïs  trayerçons,  furent  gé- 
néreuses* Que  ne  puis-je  dire  de  nouveau  à  cjii^çun  de  mes 
bienfaiteurs  ma  vive , et  sincère,  gratitude?  Non,  je  ne  les 
oublierai  jamais.  , 

Le  joui;  de  moii  départ  de  Montréal  fut  flx§  au  16  Octobre 


123 

et,  pendant  qu'on  y  fêtait  la  St.  Edouard,  je  m'en  allais 
rapidement  vers  le  Nord-Ouest  sous  la  conduite  des  Anges- 
Gardiens  que  m'avait  trouvés  la  Providence.  11  ne  faut 
plus  deux  grands  mois,  comme  au  Rév.  P.  Aubert  et  au 
Frère  Taché,  pour  faire  le  trajet  de  Montréal  à  St.  Boniface^ 
Le  dixième  jour  après  notre  départ  nous  avions  heureuse- 
ment parcouru  cette  distance.  En  foulant  pour  la  première 
fois  le  sol  de  ma  patrie  àdoptive,  j'entonnai  l'hymne  de  la 
reconnaissance  ;  je  voyais  mes  espérances  réalisées  et  mes 
plus  vifs  désirs  exaucés  ;  je  remerciai  également,  du  fond 
de  mon  cœur,  tous  ceux  qui  m'avaient  aidé  à  suivre  ma  vo- 
cation et  surmonter  les  obstacles  qu'elle  avait  rencontrés. 
Il  me  tardait  de  me  jeter  aux  pieds  de  Celui  qui,  désormais,, 
allait  me  tenir  la  place  de  Dieu,  comme  Supérieur  ecclési- 
astique et  religieux.  Sa  Grâce  Monseigneur  Taché  me  fit 
Taccueil  le  plus  empressé  et  le  plus  cordial.  Elle  s'enqùij 
immédiate  ment  de  l'état  dans  lequel  j'avais  laissé  le  Novi- 
ciat de  Lachine  et  la  maison  de  St.  Pierre  de  Montréal: 
et  immédiatement  je  me  trouvai  dé  nouveau  au  sein  de  la 
famille  ;  tous  les  nôtres  de  l'Archevêché,  du  Collège  et  de 
Winnipeg  me  forsèrent  par  leurs  bontés  et  leurs  prévenan- 
ces fraternelles  de  redire  :  "  Oh  !  qu'il  est  bon  et  agréable 
pour  des  frèresd'habiter  ensemble  I  " 

Yous  le  savez,  mon  révérend  Père,  je  n'avais  pas  exercé 
le  saint  ministère  depuis  mon  départ  de  St.  Pie  ;  l'année  de 
mon  noviciat  avait  Pté  exclusivement  consacrée  à  la  sanctifi- 
cation de  mon  âme  suivant  les  sages  prescriptions  de 
Rome.  Mais  l'heure  du  travail  et  du  combat  ne  tarda  pas 
à  sonner,  quoique  je  ne  fusse  pas  encore  arrivé  au  terme 
fle  mon  voyage.  Une  fois  installé  à  l'Archevêché,  je  me  mis 
i  préparer  quelques  instructions  pour  donner  les  exercices 
d'une  retraite,  à  l'occasion  de  la  fête  de  la  Toussaint,  dans 
la  paroisse  de  St.  Norbert.  Cette  paroisse  est  à  douze  milles 
de  St.  fioniface,  elle  compte  environ  mille  âmes.  La  plu- 
part des  habitants  sont  des  métis,  les  autres  sont  des  blancs. 
Je  passai  un  peu  plus  d'une  semame  au  milieu  de  cette 
bonne  population. 

De  ifetour  de  ma  petite  expédition  apostolique,  j'allai  me 
mettre  sous  la  direction  du  Rév.  P.  Lacombe  à  Ste.  Marie 


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de  Winnipeg  ;  c'est  lui  qui  .dey?dt  m'initier  à  l'étude  de 
ïa^ langue  sauteuse.  Mais  cette  étude  fut  interrompue,  vers 
la  fip  du  mois  de  Novembre,  par  liiie  nouvelle  obédience» 
Tous  savez  que.  l'infatigable  coxnpâgoon  de  Mgr.  Guigue, 
Tancien  administrateur  du  diocèse  d'Ottawa,  pendant  la  va^ 
cance  du  siège,  eh  uu  mot  leRév.  P.  Dandurand,  celui  que 
notre  Vénéré  Fondateur  appelait  :  "  mon  cber  premier-né 
du  Canada,  "  est  chargé  de  la  paroisse  de  St.  Charles.  Non- 
seulement  j'eus  l'avantage  de  faire  sa  connaissance,  mais 
je  fus  chargé  de  le  remplacer  pendant  la  grande  retraite  an- 
nuelle que  tous  lesOblats  firent  à  Winnipeg,  retraite  qui  se 
termina  le  beau  jour  de  notre  fôte  patronale,  le  jour  de 
rimmrculée  Conception.  St.  Charles,  est  ditron,  le  plus 
beau  site  du  Manitoba  ;  je  n'ai  pas  de  peine  à  le  croire.  Le 
terrain  y  est  élevé  et  fertile,  le  bois  y  abonde  ;  la  rivière 
Assiniboine  y  roulé  ses  ondes  limpides  à  quelques  pas  de 
l'église  ;  bref,  il  y  a  là  tout  ce  que  les  peintres  demandent 
pour  un  beau  paysage..  N'y  aurait- il  pas  là  également 
tout  ce  qu'il. faut  pour  un  aoviciat?  Quoiqu'il  en  soit,  je 
n'oublierai  pas  les  quelques  jours  que  j'ai  passés  à  St.  Char- 
les« 

Mais  je  n'étais  pas  encore  au  milieu  de  mes  chers  San- 
teux,  je  ne  devais  pas  tarder  d'y  être.  En  effet  je  quittai  St. 
Boniface  le  13  décembre,  et  quatre  jours  plus  tard  j'arrivai 
à  St.  Alexandre.  Tout  ce  traje  se  fit  sur  la  glace  qui  pai^ 
fois  menaçait  de  s'entrouvrir  sous  nos  pas,  mais  l'Archange 
Raphaël  nous  accompagnait,  il  ne  nous  arriva  aucun  mat- 
heur  grave.  Mgr.  Taché  vint  me  rejoindre  à  mi-chemin; 
nous  n'étions  que  lui  et  moi  dans  sa  voiture  ;  il  m'en  nom- 
ma le  cocher;  mais,  comme  vous  allez  le  voir,  c'était  nn 
cocher  improvisé.  Nous  traversions  le  grand  portage  de 
la  Loche  et,  depuis  près  d'une  heure,  les  choses  allaient  si 
bien  que  Monseigneur  se  prit  à  nié  faire  des  complimente 
sur  mon  savoir-faire.  Hélas  ]  m0a  étoile  ne  tarda  pas  à  pâ- 
lir. Car,  quelques  miuutes  s'étaient  à  peine  écoulées  C[ae 
notre  voiture  venant  à  se  heurter  contre  uoo  grosse  pierre» 
nous  tombons,  Monseigneur  et  moi,  à  la  renverse.  Nous  en 
fiimes  quittes  pour  xm  peu  de  pepr,  nous  n'avions  pas  la 
moindre  b'essure.  ''  Vous  êtes  tombé,  Monseigneur,  dis-je 


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i  Sa  Grâce  ;  vous  voyez  comme  je  suîb  aûrôit  !"  et  ce  disant 
je  ne  pns  m'empécher  de  rire. — "  Ah  l  c'est  comme  cela  que 
TOUS  rle2  de  moi,  répartîft  agréablement  Monteigoeur 
Voyez  comme  ce  petit  Père  dévient  tout  d'an  coup  ïho- 
<jueur  î  Vous  ave*  pris  trop  à  cœur  les  éloges  qiïe  je  voos  ai 
donnés,  vous  étiez  trop  fier,  et  vouft  voilà  puni."  **  CTe»! 
vrai,  Monseigneur,  répliquaî-je,  mais  ce  qui  est  fait,  est^ait, 
vous  n'avez  qu'à  retracter  les  louanges  dont  vous  m*ai- 
vez  comblé  ;  "  et  gaîment  noua  continuâmes  notre  route. 
Vers  neuf  heures  du  soir  nous  campâmes  dans  ce  même 
portage  de  la  Loche  qui  a  pins  de  neuf  milles.  Je  fin 
l'office  de  maître  d'hôtel  et  préparai  une  place  pour  Mon- 
seigneur. Le  repas  fut  frugal,  nous  eûtnes  du  pain  et  du 
beurre  et  du  beurre  et  du  pain.  Nos  Mission nnires  Oblats. 
de  l'extréme-Nord  n'en  ont  cependant  souvent  pas  autakit 
L'appétit  d'ailleurs  est  le  meilleur  des  assaisonnements.  Je  • 
ne  pus,  dans  cette  circonstance,  m'empécher  d'admirer  Tha- 
milité  de  l'Archevêque  missionnaire,  et  je  le  voyais  tel  que 
je  l'avais  vu  dans  les  *'  Vingt  années  de  mission." 

Nos  agapes  finies,  nous  nous  remimes  en  route  pour  ne 
plus  nous  arrêter  qu'au  fort  Alexandre.  Nous  y  arrivâmect 
A  quatre  heures  du  matin  bien  fatigués,  mais  aussi  bien 
contenté  d'arriver  ainsi  sans  encombre  au  terme  de  notre 
voyage.  Puissent  toutes  mes  pérégrinations  futures  être 
aussi  heureuses  ! 

Le  fort  Alexandre  !  Nous  vous  le  rappelez,  mon  Révé- 
rend Père,  c'est  de  là  que  le  R.  P.  Allard  vous  écrivait 
pour  vous  exprimer  le  désir  qu'il  avait  de  m'y  posséder j 
c'est  vers  ce  but  que  me  portaient  mes  propres  désirs  ;  c'est 
ici  que  le  bon  Dieu  a  inspiré  à  me&  supérieurs  de  m'envoy- 
er«  quoique  je  fusse  disposé  à  aller  occuper  tout  autre  poste: 
que  son  saint  nom  en  soit  à  jamais  béni  ! 

Vous  devinez  facilement  le  bonhteur  que  j'éprouvai  en  me 
jetant  dahs  les  bras  du  R.  P.  Allard  ;  nous  ne  nbus^  étione 
jamais  vus,  mais  nous  étions  frères  nous  étions  oblatsj 
noti9  allions  vivre  ensemble,  il  allait  être  mon  ^éupérienr, 
j'àBaiiï  être  son  sujet'  et*  son  ooadjuletir  ;  je  sentis  aiora^  la 
vérité  des  |>ài:\)le&  de  'l^Esprit  Saiât:  ^^  il  vaut  miotix  être 
éeMsx  enseoible  qu'un  seul,  car'  ils.  tirent  de  Pavantage  de 


126 

• 

lear  aociôté."   Que  vous  dire  de  notre  maison  religieuse  r 
c'est  une  pauvre  masure  que  Monseigneur  Taché  a  honorée 
da  titre  de  ^^  petite  étahle  de  Bethléem.'*    Le  toit  est  fait 
de  terre  calcaire  pétrie  avec  du  foin  de  prairie  ;  nous  nous^ 
7  trouvons  plus  ou  mojins  à  l'abri  du  froid.    Voulez-vous 
conHaitre  un  peu   son  ameublement  :  quelques  blanches 
fixées  au  mur  et  soutenues  par  deux  poteaux,  voilà  mon. 
lit,  une  autre  planche  clouée  à  la  cloison,  voilà  mon  cabinet. 
de  toilette:  ma   valise,   voilà   mon  fauteuil;  uue    petite 
boite  me  sert  de  siège  à  table.  Puisque  je  pronnonce  le 
mot  table,  que  mangeons-nous  ?  que  buvons-nous  ?    De  la. 
galette,  du  pain  qu'on  appelle  vulgairement  gras-cuit  en 
Canada  ;  parfois  du  lièvre  et  du  ris  sauvage,  tels  sont  nos 
mets  les  plus  délicieux;  de  Teau  froide,  tel  est  notre  thé 
de  tous  les  jours.    Je  ne  pense  pas  qu'il  y  ait  dans  toute  ces 
choses,  excellentes  d'ailleurs,  rien  d^  contraire  à  notre  vœu^ 
de  pauvreté. 

Lçi  maison  du  Seigneur,  hélas  I  ressemble  beaucoup  trop 
à  celle  des  missionnaires.  L'autel  néanmoins  est  assez 
convenable  pour  un  pays  de  mission  sauvage  ;  le  fond  est 
tapissé  et  quelques  sculptures  bien  communes  en  forment 
lu  principale  décoration.  Nous  avons  des  ornements  (sacrés 
qui  suffisent  à  la  rigueur  pour  le  présent,  mais  il  nous 
manque  des  habits  du  chœur,  un  encensoir  et  bien  d'autres 
choses  encore.  Nous  espérons  que  la  divine  Providence 
viendra  à  notre  secoui*s,  et  que  quelques  âmes  charitables 
en  Canada  voudront  contribuer  à  l'euvre  de  l'evangélisa- 
tion  de  nos  cl^ers  Sauteux. 

Ils  sont,  sous  le  rapport  matériel,  encore  plus  pauvres 
que  leurs  missionnaires.  Ils  ne  vivent  que  de  poisson  et 
de  patates  ;  il  n'y  a  dans  leurs  misérable  huttes  ni  lit,  ni 
chaise,  ni  table  ;  la  terre  remplace  tous  ces  objets  d'un  luxe 
inutile  pour  eux,  ils  y  étendent  un  peu  de  paille  pour  y 
dormir*  Un  poêle,  une  chaudière,  une  hache,  un  goblet 
rempli  4'huUe  de  poisson  dans  laquelle  s'imbiba  une 
mèclie,  quelques  tasses  .et  quelques  souscoupes,  voilà  à 
peu  près  leur  batterie  de  cuisine.  Sous  le  rapport  moral, 
ils  sont  paresseux  pour  la  plupart;  malpropres,  fort  sus 
ceptibles,  optniAtresi  et  partant,  difficiles  à  conduire.    Mais^ 


la  grâce  de  Dieu  est  toute-puîssante  ;'elie  nous  aidera^  nous 
en  avons  la  douce  confiance,  à  corriger  ces  pauvres  Indiens 
et  à  en  faire  des  chrétiens  selon  le  cœur  de  Dieu 

La  bonne  œuvre  d'ailleurs  est  déjà  commencée.  Je  pns 
m'en  convaincre  dès  le  lendemain  de  notre  arrivée,  qui 
était  un  dimanche.  Ce  jour-là  Monseigneur  administra  lé 
sacrement  de  confirmation  à  une  quarantaine  de  sauvages 
tant  adultes  qu'enfants.  Ce  fut  une  grande  fête  pour  ce 
pauvre  peuple  de  voir  et  de  posséder  son  premier  Pasteur  : 
cette  faveur  n'avait  pu  lui  être  acordée  depuis  dix  ans,  épo- 
que à  laquelle  le  R.  P.  Lestang,  premier  missionnaire  du 
Fort  Alexandre,  résidait  ici.  Je  fus  touché  moi-même  èa 
voyant  plusieurs  de  ces  pauvres  sauvages  verser  des  larmes 
de  joie  et  de  reconnaissance.  Plusieurs  n'avaient  jamais 
vu  leur  Evêque,  et  tous  savaient  les  fatigues  qu'il  s'était 
imposées  pour  les  visiter. 

Nous  voudrions  construire  une  autre  chapelle  et  en  lever 
la  charpente  cette  année,  car  la  maison  d'école  qui  sert  de 
chapelle  est  insufiisante  pour  nos  métis  et  nos  sauvages. 
Nous  avons  pour  maître  d'école  un  français,  excellent 
<;atholique.  C'est  lui  qui  remplit  également  les  fonctions 
de  chantre. 

Le  R.  P.  Allard  et  moi  chantons  la  Messe  et  les  Vêpres 
le  dimanche  à  tour  de  rôle.  Tçus  les  dimanches  je.  prâche 
en  français.  Vous  m'aviez  recommandé,  mon  Révérend 
Père,  de  me  mettre  sans  retard  et  courageusement  à  l'étude 
de  la  langue  des  sauvages.  J'ai  suivi  votre  conseil.  Di- 
ipanche  prochain  je  leur  lirai  ma  première  instruction  en 
sauteux.  J'ai  hâte  de  bien  savoir  et  de  bien  parler  cette 
langue  pour  pouvoir  travailler  plus  efficacement  au  salut 
des  âmes.  Je  suis  occupé  à  copier  la  grammaire  sauteuse 
-de  Monseigneur  Baraga,  car  le  R.  P.  Lacombe  en  a  besoin 
pour  corriger  les  épreuves  qu'on  lui  envoie  de  Montréal. 
Nous  ne  pouvons  pas,  à  notre  regret,  consacrer  à  l'étude 
et  au  ministère  proprement  dit  tout  le  temps  que  nous  vou* 
d  rions.  Il  faut  prendre  soin  de  la  chapelle  et  de  la  maison, 
bûcher  le  bois  de  chauffage,  parfois  le  charroyer,  faire  de 
la  terre  neuve  i  cette  nécessité  de  pourvoir  aux  besoins  les 
plus  pressants  de  la  vie,  sans  nous  déplaire,  arrête  un  peu 


r<B|ivre  /le  I9  n^iasipq.  Mais^npus  ptoi^s  .l^erçons  de  la  douce- 
egpéKapce  quç.plq^ieurç.^e  npsPères  et  Frères  du  Noviciat 
viendront  bienjtôt  pput-$tre  npus  prêter  main  forte  et  parta- 
geir  nps  labeur^,    Oui^  qu'ils  vieanept,  ils  seront  les  bien- 
Yemus,  et  j'ps©  re^érer^  ils  seront  aussi  be^ureux.  Car  pour 
mqi,  moa  Révérend  Père,  je  me  trouve  aux  anges  dans  la 
pos^p  çie  missionnaire  des  sauvages  que  je  convoitais  depuis 
ailongtemps.  Oui,  la  vip  que  nous  tneiiLoas  ici  a  ses  douceurs, 
au  milieu  des  fatigues  et  des  privations  qu'elle  nos  impose  ; 
c'eS|t  une  vie  qui.  consiste  à  ohereber    Dieu  ^our    Dieu. 
Gagner  des  âmes  à  J.  G.  voilà  notre  unique  ambition,  notre 
seule  jo^e.    Vous  pouvez  dire  à  mes  anciennes  connaissan- 
ces auxquelles  vous  pourriez  parler  de  moi  que,  grâces  â 
Dieu^^età  Marie  Immaculée,  je  suis  mieux  que  jamais  au 
physique  et  au,  moral.    Veuillez  néanmois  ajouter  une  fa- 
veur aux  faveurs  passées,  celle  de  prier  et  de  faire  prier 
pour  p9pi>  afin  qi^e  je  me  montre  de  moins  enmpins  indigne 
de  'la  .vocation,  à  laquelle  le  Seigneur  a  daigné  m'appeler. 
Mes  salutations  les  plus  respectueuses  et  les  plus  cordiales  i 
tous  nos  Pères  et  à  tous  mes  Frères  scolastiques  et  convers. 

Daignez  vous-même  agréer,  avec  mes  souhaits  de  bonne 
et  sainte  [aunée,  les  sentiments  de  la  vive  reconnaissance 
avec  lesquels  je  suis  heureux  de  me  dire, 

Mon  Révérend  etbien-aiméPère,  tout  à  vous 

Votre  très-humble  frère  en  J.  C.  et  M.  L 

.  J.  S.  Marcoui,  0,  M.  L 


«    t 


NORD-OUEST.— ATHABA8KA. 

Couvent  des  Saints  Anges, 
Âtbabaska,  11  juillet  1R77. 

nvde.  Sr.  Charlebois,  As8te. 

Ma  Très-Chère  et  Bien-aimée  Sœur^ 

Connaissant  vos  vives  sympathies  pour  nos  missieiur 
4u  Nord  et  tout  Tintérêt  que  vous  leur  portez,  j'entre- 
prends aujourd'hui  de  vous  adresser  une  petite  notice  qui 
vous  donnera  une  idée  succincte  de  nos  travaux  dans  le 
jardin  que  le  Bon  Dieu  nous  a  appelées  à  défricher  sur 
cette  terre  du  Nord  si  stérile  et  si  glacée. 

Je  n'essaierai  point,  ma  bien  chère  Sœur,  de  vous  narrer 
toutes  les  péripéties  de  notre  fondation.  Les  œuvres  du 
bon  Dieu  ne  surgissent,  d'ordinaire,  qu'au  milieu  d'enlra^ 
-ves  et  de  soucis  de  toutes  sortes  ;  elles  prennent  naissance 
au  pied  de  la  Croix.  Laissons  donc  au  passé  les  épreuves 
et  les  misères  qui  ont  servi  de  base  à  l'édifice  moral  et 
religieux  auquel  nous  sommes  si  heureuses  de  travailler 
selon  la  petite  mesure  de  nos  forces. 

Avant  de  vous  parler  du  contenu  de  notre  établissement 
je  veux  tout  d'abord,  ma  bien  chère  Sœur,  vous  donner 
une  idée  du  contenant.  La  maison  qui  nous  sert  de  rési- 
dence a  déjà  eu  plusieurs  destinations.  Elle  servit,  en 
premier  lieu,  de  Chapelle  aux  premiers  Missionnaires 
Oblats,  venus  dans  le  pays  ;  puis  ensuite  de  hangar  ;  et 
pendant  trois  années  consécutives  les  RR.  Pères  y  avaient 
fixé  leur  séjour  jusqu'à  la  nouvelle  définitive  de  notre  arri> 
vée  à  Athabaska.  Dès  lors  les  RR.  Pères  nous  cédèrent 
leur  place  pour  aller  s'établir  eux-mêmes  dans  une  vieille 
bâtisse  servant  d'entrepôt,  mais  qu'ils  avaient  rendue  ha- 
bitable en  cas  d'éventualité.  Donc  la  susdite  maison  ea 
est  à  sa  quatrième  et  probablement  dernière  période. 
C'est  la  plus  ancienne  bâtisse  de  la  Mission.    Avant  notre 


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arrivée,  elle  mesurait  36  pieds  de  long  sur  24  pieds  da^ 
large.  Elle  fut  ensuite  allongée  de  20  pieds,  ce  qui  lui 
donne  une  longueur  totale  de  56  pieds.  Le  rez-de-chaussée 
est  seul  habitable,  à  part  le  grenier  de  la  partie  neuve  qui 
sert  de  dortoir.  Notre  maison  se  compose  de  huit  pièces 
comme  suit  :  Cuisine,  deux  réfectoires,  salle  de  commu- 
nauté, oratoire,  parloir,  salle  des  petits  garçons,  qui  sert 
en  même  temps  pour  la  classe,  salle  des  petites  filles,  puis 
enfin  le  dortoir  ci-dessus  mentionné.  Comme  vous  le 
voyez,  ma  bien  chère  Sœur,  nous  sommes  bien  à  Tétroit  * 
et  encore  si  ces  appartements  étaient  de  grandeur  passable^ 
mais  hélas  I  ce  ne  sont  que  de  petits  recoins  à  peine  éclai- 
rés  par  un  châssis  de  neuf  vitres.  Pour  ne  citer  qu'un 
exemple,  je  particulariserai  la  salle  des  petites  filles  qui 
mesure  12  pieds  sur  10  pieds.  Cette  seule  citation  donnera 
une  idée  plus  ou  moins  vague  du  reste. 

Ma  bien  chère  Sœur,  comme  nous  venons  de  nous  en- 
tretenir de  l'habitation,  parlons  maintenant  de  ses  habi- 
tants. Pour  le  moment  nous  comptons  20  enfants,  dont  8 
garçons  et  12  filles,  tant  m<3tis  que  sauvages.  Sur  ce  nom- 
hre,  cinq  sont  orphelins.  Il  est  probable  que  le  chiffre 
s'élèvera  à  la  trentaine  quand  vous  recevrez  cette  lettre^ 
car  nous  recevons  des  demandes  de  tous  côtés.  Tous  ces 
enfants  sont  lavés,  raccommodés  et  en  partie  habillés  par 
nous;  n'étant  que  trois,  nous  ne  pouvons  suffire  à  la  beso- 
gne, malgré  toute  notre  activité.  Les  enfants  confiés  à  nos 
«oins  nous  donnent,  Dieu  merci,  bien  des  consolations. 
Malgré  les  petits  défauts  inhérents  a  leur  nature  plus  ou 
moins  sauvage,  nous  voyons  avec  joie  que  nos  labeurs  ne 
sont  pas  dépensés  à  pure  perte.  Leur  cœur  aubsi  bien  que 
leur  esprit  sont  très  susceptibles  de  culture  ;  j'ajouterai 
même  que  sous  ce  rapport  ils  laissent  peu  à  désirer.  Les 
enfants  de  ces  contrées  sont  généralement  fort  intelligents.. 
La  plupart  de  ceux  qui  sont  sous  nos  soins  ont  appris  la 
lecture  et  l'écriture  en  peu  de  temps  ;  il  en  est  môme  par- 
mi  eux  qui  ont  beaucoup  d'aptitude  pour  le  calcul.  Les 
officiers  de  la  compagnie  que  nous  invitons  d'ordinaire  à 
assister  aux  examens  scolaires  de  nos  enfants,  sont  émer- 
veillés des  rapides  progrès  des  élèves,  et  avouent  ingénu- 


131 

onent  que  notre  école  surpasse  de  beaucoup  celle  tenue 
par  le  Magister  Protestant.  Ce  que  nous  croyons  sans 
peine  :  car  un  travail  inspiré  et  excité  par  l'amour  de  Par* 
^ent,  ne  vaudra  jamais  celui  qui  est  inspiré  et  alimenté 
par  l'amour  de  Dieu.  Or,  nous  nous  faisons  gloire  de  n'a- 
iroir  d'autre  mobile  et  intérêt,  que  le  bien  de  ces  chères 
petites  âmes  que  le  bon  Dieu  nous  a  confiées,  pour  diriger 
leur  cœur  et  leur  esprit  vers  Lui. 

Pour  bien  comprendre  l'immense  bienfait  d'une  école 
religieuse  dans  ces  tristes  contrées  où  pendant  des  siècles 
entiers  le  démon  a  régné  en  souverain,  il  suffit  de  jeter 
un  coup  d'œil  sur  la  condition  matérielle  et  morale  dans 
laquelle  gît  l'enfance  chez  ces  pauvres  Indiens.  Nous  n'a- 
vons plus,  il  est  vrai,  à  déplorer  ces  épouvantables  scènes 
de  barbarie  ou  l'abandon  d'enfants  et  de  vieillards  inutiles 
-sur  les  grèves.  Les  Missionnaires  en  apportant  le  flambeau 
-de  TEvangile  au  milieu  de  ces  populations  dégradées  et 
livrées  à  l'empire  du  démon,  ont  fait  cesser  ces  abomina- 
tions. Mais  il  n'est  pas  moins  vrai  de  dire  que  de  grandél 
misères  existent,  tant  sous  le  rapport  matériel  que  moral^ 
parce  que  la  pénurie  des  moyens  du  côté  de  la  famille  et 
l'éducation  font  complètement  défaut.  Voyez  ce  pauvre 
petit  être  à  demi-vètu,  que  l'on  appelle  sauvage  :  il  pleure 
•dès  le  premier  jour  de  son  existence,  car  déjà  il  souffre  ;  il 
souffre  du  manque  de  soins  qu'une  mère  indigente  et  éle- 
vée comme  lui  ne  saurait  lui  donner,  malgré  tout  l'amour 
«qu'elle  lui  porte.  Il  souffre  du  froid,  car  il  doit  vivre  soos 
un  ciel  d'airain,  ses  petits  pieds,  dès  qu'ils  pourront  le  por- 
ter, ne  fouleront  qu'un  sol  glacé  et  couvert  d'une  neige 
-épaisse  ;  il  n'aura  d'autre  abri  que  les  arbres  de  la  forêt, 
d'autre  subsistance  que  la  chasse  aventureuse  des  animaux 
sauvages,  heureux  encore  si  sa  frêle  nature  ne  succombe 
pas  sous  le  poids  de  tant  de  misères»  Le  froid  et  la  faim, 
tels  sont  les  fléaux  qui,  trop  souvent,  emportent  le  vieillard 
et  l'enfant.  L'Hiver  qui  vient  de  s'écouler  en  a  vu  périr 
un  bon  nombre. 

A  l'extrémité  nord  de  notre  Grand  Lac  (Lac  Athabaska) 
d7  personnes  dont  onze  enfants  et  six  vieillards  sont  mor- 
tes de  froid  et  de  faim.    Ces  pauvres  infortunés  espéraient 


ia2 

à  force  de  marche  glaner  le  fort  le  plus  voisla  et  saurer 
ainsi  leur  vie  ;  mais  hélas  !  1  l'enfaut  et  le  yieiUard,  étant 
naturellement  faibles^  s'affaissaient  le  long  du  chemin, 
épuisés  sur  la  glace  des  lacs  et  ne  se  relevaient  plus.  Leurs- 
parents  euz-mômes  n'avaient  plus  la  force  de  leur  tendr» 
la  main,  ils  sont  morts  cm  ils  sont  tombés.  Ijes  adolescents- 
seuls  ont  survécu  et  ont  échappé  à  une  mort  terrible  en 
atteignant  le  fort  où  ils  reçurent  les  premiers  soins.    Ces 
pauvres  malheureux  faisaient  pitié  à  voir  ;  les  uns  avaient 
les  pieds  et  les  mains  gelés,  d'autres  la  figure,  etc.,  etc.^ 
tous  plus  ou  moins  souffrants.    Pauvres  Sauvages  1  que 
leur  existence  est  dure  et  pitoyable. 

Cependant,  ma  bien  chère  Sœur,  ce  n'est  pas  encore  de 
ce  côté  que  se  trouve  le  plus  affligeant  du  tableau.  L'ex- 
périence si  précoce  de  la  souffrance,  l'instinct  inné  d'entre- 
tenir une  vie  qui  tient  à  si  peu  de  chose,  hâte  chez  l'enfant 
répoque  ordinaire  du  développement  de  la  raison.  C'est 
dans  cet  âge  tendre  et  délicat  où  la  consciaoce  s'éveille,  où 
^œil  de  l'âine  s'ouvre  aux  premières  révélations  du  vice  et 
de  la  vertu,  que  la  mère  devrait  comprendre  le  rôle  si  im- 
portant qu'il  est  de  son  devoir  de  remplir  à  l'égard  de  ce 
petit  être,  qui  entre  ses  mains  maternelles  peut  rester  ange 
ou  devenir  démon.  Mais  hélas  î  trop  souvent  des  spectacles 
ÏÀ&Q.  déplorables  viendj*ont  se  présenter  sous  son  limpide 
et  innocent  regard.  La  colère,  la  brutalité,  les  vices  les 
plus  avilissants  se  montreront  à  lui,  et  cela  sous  les  traits- 
de  ceux-là  même  que.  son  cœur  lui  presci:it  d'aimer  et  de- 
respecter  ;  il  ne  comprend  pas  encore,  n^4is  il  s'habitue  ; 
rame  n'est  pas  souillée,  mais  la  pudeur,  cette  gardienne 
de  l'innocence,  perd  sa  délicatesse  native.  En  face  de  ce 
tableau  que  nous  avons  sous  les  yeux,  nous  comprenons 
la  grave  importance  de  notre  œuvre,  la  régénération  de  ce 
pauvre  peuple  par  r^ducation  soignée  de  l'esprit  et  du 
cœur  de  l'enfant,  à  l'âge  où  il  est  plus  apte  à  recevoir  la 
douce  et  salutaire  impression  de  l'exemple  et  de  la  vertu. 
Oh!  puissions-nous  être  toujours  dignes  de  notre  sublima 
vocation»  et  en  remplir  fidèlement  les  saintes  obliga^ous  I 

Que  la  Divine  Mère  des  Missionnaire»  nous  assiste  de  scm 
puissant  secours  et  nous  protège  contre  les  embûches  da 


133 

malin  esprit.  —Nous  espéroos  que  ee  petit  grain  de  séneyè 
que  nous  cultivons  avec  amour,  deviendra,  plus  tard,  un 
^and  arbre  ;  le  temps  et  la  patience,  et  surtout  la  divine 
rosée  de  la  grâce,  obtenue  par  les  ferventes  prières  de  ceux 
et  de  celles  qui  s'intéressent  au  salut  de  ces  pauvres  âmes^ 
produiront  ces  merveilleux  effets. 

Voici  maintenant,  ma  bien  chère  Sœur,  les  difficultés, 
qui,  en  partie,  entravent  notre  œuvr&:  le  local  de  notre 
maison  est  insuffisant  pour  le  nombre  d'enfants  que  nous 
sommes  à  même  de  recevoir  :  et  ensuite  pour  les  œuvres 
de  charité  qui  ont  rapport  aux  soins  des  infirmes  et  des 
Tieillards.  Notre  cœur  saigue  lorsque  nous  sommes  obli- 
gées de  refuser  ces  pauvres  gens  qui  fonc  tant  pitié;  ei  qui 
entre  nos  mains  recevraient  les  soins  qu'exige  leur  état. 
Parfois,  comme  compensation,  nous  faisons  quelques  visites 
à  ces  pauvres  indiens  malades  lorsque  la  proximité  de  leurs 
loges  nous  permet  de  nous  rendre  près  d'eux.  Si  nous 
avions  assez  de  moyens  pour  entreprendre  une  bâtisse  assez 
spacieuse  pour  nos  différentes  œuvres,  le  bien  ne  pourrait 
qu'y  gagner  ;  mais  la  pénurie  des  ressources  nous  arrête. 

Un  autre  obstacle  à  l'agrandissement  de  notre  œuvre, 
c'est  le  manque  de  vêtements  pour  couvrir  nos  chers 
orphelins  ;  ils  nous  arrivent  ordinairement  plus  couverts 
de  vermine  que  d'habits.  Les  RR.  Pères  nous  viennent 
en  aide  sous  ce  rapport,  il  est  vrai,  mais  c'est  aux  dépens 
de  la  traite  des  vivres  ;  le  peu  de  denrées  qu'ils  possèdent 
est  consacré  à  notre  subsistance.  Puisque  j'ai  prononcé  le 
mot  denrée,  je  me  permettrai  d'étaler  sous  vos  yeux  les 
succulentes  richesses  de  notre  table  et  celles  de  nos  orphe- 
lins qui  est  à  peu  près  la  même. 

Nos  vivres  se  composent  en  premier  lieu  de  viande 
fraîche,  d'orignal  et  de  caribou,  que  les  serviteurs  de  la 
Mission,  et  souvent  les  Révérends  Pères  eux-mêmes,  quel- 
quefois les  Evêques,  vont  quérir  avec  des  traînes  à  chiens, 
à  des  distances  qui  paraîtraient  incroyables  dans  nos  pays 
civilisés.  Notre  nourriture  se  compose,  en  second  lieu, 
de  poisson  :  c'est  l'article  le  plus  abondant.  Sacs  cette 
ressource,  nous  ne  pourrions  nourrir  nos  enfants,  qui, 
comme  je  l'ai  dit,  sont  tous  pensionnaires.    Mais  que  de- 


134 

peines  la  mission  doit  s^imposer  pour  retirer  de  dessous  la 

glace  les  huit  mille  poissons  gui  nous  alimentent  pendant 
rhîver. 

Cette  pêche  se  fait  à  neuf  milles  au  large  du  lac,  qui, 
comme  vous  le  savez,  est  une  yéritable  mer.  Que  de 
voyages  à  faire  pour  charroyer  ces  poissons  au  moyen  des 
véhicules  que  vous  connaissez,  et  cela  sous  une  température 
qui  descend  parfois  à  40°  Réaumur. 

Inutile  d'ajouter  que  les  Missionnaires  tentent  l'impos- 
sible pour  améliorer  notre  position,  subvenir  à  notre 
alimentation  et  à  celle  de  nos  orphelins.  Leur  zèle  est 
admirable  pour  favoriser  notre  œuvre,  dont,  eux  aussi, 
attendent  du  bien.  Us  souffrent  comme  nous  des  obstacles 
qui  Fentraveut,  obstacles  que  nous  avons  espoir  de  voir 
disparaître  avec  le  temps.  Leur  dévouement  à  notre  égard 
est,  pour  ainsi  dire,  sans  bornes  et  nous  remplit  de  con- 
fusion à  chaque  instant.  Ainsi,  ma  bien  chère  Sœur, 
comme  vous  pouvez  en  juger  par  ce  petit  aperçu,  notre 
<Buvre  gagnerait  beaucoup  par  l'acquisition  des  ressources 
qui  nous  font  complètement  défaut. 

Il  nous  faudrait  : 

1o  Une  bâtisse  plus  spacieuse  ; 

2o.  Des  vêtements  pour  nos  enfants  ; 

3o.  Une  pharmacie  tant  soit  peu  complète  pour  les  in- 
firmes ; 

40.  Une  foule  d'articles  pour  l'école,  etc.,  etc.  En  ré- 
sumé c'est  de  l'argent  qu'il  nous  faudrait.  Que  nous 
serions  heureuses,  si  nous  possédions  un  petit  fond  sur 
lequel  nous  nous  appuyerions  pour  subvenir  aux  besoins  les 
plus  pressants.  Mon  imagination  ne  fait  q'ie  rêver  à  cela 
jour  et  nuit  ;  et  mon  esprit,  que  de  projets  ne  forme-t-il  pas 
à  ce  sujet.  Mais,  hélas  !  s'accompliront-ils  un  jour  ?  Oui, 
oui,  j^en  ai  la  douce  conviction  ;  car  il  y  a  trop  d'âmes 
généreuses  dans  notre  cher  Canada,  qui  s'estiment  infini- 
ment heureuses  de  contribuer  à  l'extension  de  notre  sainte 
Religion.  Oui,  nous  aurons  donc  un  jour  le  bonheur  de 
compter  sur  des  secours  pécuniaires  ;  et  nous  aurons,  par 
là  même,  la  consolation  de  faire  plus  de  bien.  Que  le  Dieu 
de  toute  charité  daigne  toucher  les  cœurs  de  ceux  qui  s'in- 


135 

téressent  à  l'enfance.  S'ils  comprenaient  le  service  qu'ils^ 
rendraient  aux  âmes  et  à  eux-mêmes,  en  plaçant  leur  super- 
flu à  la  Banque  du  Bon  Dieu,  le  cent  pour  cent  leur 
reviendrait  de  droit  ;  car  Dieu  Ta  promis  et  sa  banque  ne 
fera  pas  banqueroute. 

Voilà,  ma  bien  chère  Sœur,  les  quelques  petits  détails 
que  je  désirais  vous  donner  depuis  longtemps.  Puissent- 
ils  vous  intéresser,  et  toucher  les  cœurs  sensibles  et  charita- 
Mes  auxquels  il  pourra  être  donné  de  lire  ces  lignes  incom- 
plètes. 

Adieu,  ma  bien  chère  Sœur,  c'est  dans  le  cœur  de  notre 
tout  aimable  Jésus  que  je  ne  me  souscris  avec  bonheur, 

Votre  toute  afTectionnée  Sœur, 

Soeur  St.  Michel  des  Saints. 


MISSION  DE   NOTRE-DAME   DE  LOURDES  DE 

MÉGANnC. 

Au  Rév.  M.  H.  TÊTU,  Ptre., 

Aumônier  de  rArchevêché,  Québec. 
Mon  cher  Monsieur, 

C'est  de  grand  cœur  que  je  me  rends  au  désir  de  votre 
prédécesseur,  le  Révérend  M.  N.  Laliberté,  qui  m'a  prié  de 
faire  un  rapport  général  sur  la  Mission  de  Notre-Dame  de 
Louides  de  Mégantic.  La  reconnaissance  m'oblige  à  ne 
pas  demeurer  sourd  à  ce  désir.  M.  Laliberté  s'est  montré 
si  zélé  et  si  généreux  envers  cette  pauvre  mission  que  je 
n'bésite  pas  à  déclarer  que  si  elle  jouit  aujourd'hui  de  Ta- 
van tage  d'avoir  une  jolie  petite  chapelle,  c'est  grâce  à  lui* 
Je  suis  heureux  de  le  reconnaître  publiquement,  et  de  loi 
en  témoigner  toute  ma  reconmaissance. 

C'est  le  28  juillet  1873  que  je  visitai  pour  la  première 
fois  la  mission  de  l'Augmentation  de  Somerset.  Mon  pré 
décesseur,  le  Rév.  M.  L.  T.  Bernard,  avait  desservi  cette 
mission  pendant  un  an.  Auparavant,  n'ayant  aucun  che- 
min pour  communiquer  avec  Ste.  Julie  de  Somerset,  les 
colons  s'adressaient  pour  leurs  besoins  religieux  aux  curés 
de  St.  Eusèbe  de  Stanfold  et  de  St  Louis  de  Biandford. 

Les  premiers  colons  arrivés  à  l'Augmentation  sont  déjàan- 
ciens  :  les  premiers  résidents  datent  de  25  à  30  ans.  Le  défri* 
cbement  s'est  opéré  lentement,  et  il  est  encore  peu  avancé 
du  côté  de  l'ouest.  Plusieurs  causes  ont  produit  ce  retard. 
La  première  c'est  le  manque  de  chemins  :  pendant  les  pre- 
mières années  les  colons  n'avaient  pas  d'autre  sortie  que  le 
chemin  qui  conduit  à  Biandford.  Ce  n*est  que  depuis  Tété 
de  1873  que  le  chemin  qui  les  met  en  communication  avec 
Sie.  Julie  a  été  complété  par  les  municipalités  de  St  Calixte 
de  Somerset  et  de  Ste.  Julie  de  Somerset.  Dans  le  cours 
de  janvier  dernier,  ils  ont  présenté  une  requête  au  gouver- 
nement demandant  une  aide  pour  faire  une  route  entre 


137 

PiessisYille  et  la  rivière  Bécancour.  La  distance  n'est  que 
de  7  nulles.  Ce  chemin  complété  diminuerait  de  14  miiles 
la  distance  qu'ils  parcourent  aujourd'hui  pour  communi- 
quer avec  8t.  Galixte  dont  ils  dépendent  pour  les  fins  muni* 
cipales  et  scolaires. 

La  seconde  cause  de  retard  pour  le  défrichement  a  été 
le  commerce  du  bois.  Ce  commerce  amenait  l'argent  dans 
la  localité,  et  rendait  la  vie  du  colon  plus  facile.  Il  pré- 
férait ce  genre  de  travail  à  la  culture  parce  qu'il  paraissait 
mieux  le  payer.  Mais  aujourd'hui  le  bois  est  disparu,  ei 
les  terres  ne  sont  pas  préparées  à  la  culture  :  voilà  ce  qui 
explique  le  malaise  d'un  bon  nombre.  Aujourd'hui  on  le 
comprend  mieux  que  jamais,  et  on  commence  à  avoir  plus 
foi  en  l'agriculture.  En  1876  dix-sept  lots,  de  4  acres  sur 
25^  ont  été  pris  sur  les  terrains  du  gouvernement  par  les 
jeunes  gens  de  la  mission  et  des  paroisses  environnantes. 

Dans  quelques  années,  lorsque  les  communications  avec 
Somerset  seront  plus  faciles,  les  lots  situés  au  sud  de  la 
xivière  Bécancour,  dans  Son^erset  et  Stanfold,  se  vendront 
au  profit  de  la  mission.  Quoiqu'on  en  dise,  il  y  a  assuré- 
ment à  Lourdes  de  bons  terrains;  j'ai  vu  là  de  magnifiques 
champs  de  grains  et  de  belles  prairies.  Lorsque  les  deux 
côtés  de  la  rivière  seront  également  habités,  et  qu'une 
certaine  aisance  aura  fait  place  à  la  pauvreté.  Lourdes  sera 
une  jolie  paroisse. 

Jusqu'au  mois  de  décembre  dernier,  les  exercices  de  la 
mission  se  sont  donnés  dans  la  maison  d'école.  Cette  mai- 
son, sise  sur  le  12^  lot  du  3»  rang,  mesure  22  pieds  sur  20.  Ce 
local  était  assurément  insuffisant,  et  tout  le  monde  sentait 
l'urgente  nécessité  de  construire  une  chapelle.  Déjà  une 
requête  avait  été  préparée  par  le  Rév.  M.  L.  T.  Bernard.  Je 
m'occupai  aussitôt  de  mettre  ce  projet  à  exécution.  La  i  equê- 
te  fut  signée  par  tous  les  intéressés  et  présentée  à  Mgr  l'Ar- 
chevêque de  Québec  le  23  juillet  1873.  Le  Rév.  M.  N- 
Laliberté,  aumônier  de  l'Archevêché,  fut  délégué  pour 
Yénûer  les  allégations  de  la  requête,  fixer  la  place  et  déter- 
miner les  dimensions  principales  d'une  chapelle  en  bois. 
Le  18  septembre  1873,  M.  Laliberté  se  transporta  sur  les 
lieuxi  et  choisit  pour  construire  la  chapelle  un  joli  coteau» 


138 

auprès  de  la  rivière  Bécancour,  sur  le  23«  lot  du  3«  rang. 
d'est  là  que  se  sont  donnés  en  premier  lieu  les  exercices 
de  la  mission,  chez  M.  Joseph  Langevin,  qui  a  fait  don  de 
ce  terrain  à  la  corporation  archiépiscopale.  M.  George 
Nadeau,  voisin  de  M.  Langevîn,  fit  aussitôt  un  don  analogue. 

Le  Décret  de  TArchevôque  de  Québec  en  date  du  28  avril 
1874  plaça  la  mission  sous  l'invocation  de  l'Immaculée- 
<îonception  de  la  Sainte  Vierge,  et  elle  est  désignée  et 
connue  maintenant  sous  le  nom  de  Notre  Dame  de  Lourdes 
de  Mégantic.  Monseigneur  l'Archevêque  approuva  le  choir 
4u  23e  lot  sur  le  3e  rang  pour  la  construction  d'une  cha* 
pelle  en  bois  sur  un  solage  en  pierre,  de  50  pieds  de  lon- 
gueur, 36  en  largeur,  et  15  au-dessus  des  lambourdes. 

La  mission  de  Lourdes  comprend  une  étendue  de  terri- 
toire d'environ  6  milles  de  front  sur  environ  6  milles  de 
profondeur.  Plusieurs  lots  de  la  paroisse  de  St.  Ëustache 
de  Stanfold  ont  été  accordés  par  Sa  Grandeur  Mgr.  Laflè- 
che,  Evoque  des  Trois- Rivières,  le  9  octobre  1874,  pour  être 
annexés  à  la  mission  de  N.  D.  de  Lourdes.  Cette  cession 
d'une  partie  du  diocèse  des  Trois-  Rivières  à  l'archidiocèse 
de  Québec  fut  approuvée  et  confirmée  par  Notre  Très 
Saint  Père  le  Pape  Pie  IX  le  27  août  1874. 

Ce  choix  ne  plut  pas  à  quelques-uns;  ils  préféraient  le 
12e  ou  lie  lot,  comme  représentant  mieux  le  centre  de  la 
population.  Ils  présentèrent  leurs  objections  à  l'Archevê- 
que qui  maintint  le  premier  choix. 

Cette  petite  population  qui  avait  si  grand  besoin  d'union 
pour  porter  le  fardeau  de  la  construction  se  trouvait  malheu- 
reusement divisée.  Cependant  les  plus  zélés  se  mirent  à  l'œu- 
vre et  suivirent  l6«  conseils  du  missionnaire.  Ils  coupèrent  et 
transportèrent  sur.  place  pendant  l'hiver  tout  le  bois  de 
charpente.  Dans  sa  visite  pastorale,  en  juillet  1875,  Mgr. 
FArchevèque  se  rendit  à  Lourdes  pour  administrer  la  con- 
firmation. Sa  Grandeur  encouragea  ceux  qui  avaient  mon- 
tré jusque-là  de  la  bonne  volonté,  recommanda  l'union, 
leur  en  fit  voir  tous  les  avantages,  et  déclara  que  rien  ne 
serait  changé  quant  au  site  choisi  pour  la  construction  de 
la  future  chapelle. 

Les  choses  en  restèrent  là  jusqu'à  l'automne  de  1876.    A 


139 

cette  époque  je  leur  parlai  de  nouveau  de  la  nécessité  de 
Mtir.  Pendant  Thiver  de  1877,  profitant  de  la  libéralité 
des  MM.  Hall  qui  donnaient  tout  le  bois  nécessaire  pour 
madriers  et  planches,  ils  transportèrent  au  moulin  la  quan- 
tité de  billots  requise.  Dans  le  cours  de  février  le  marché 
fut  conclu  avec  Touvrier  entrepreneur,  M.  Orner  Gagné,  de 
Ste.  Julie  de  Somerset  Les  travaux  ont  commencé  le  1er 
juillet  1877,  et  ont  été  terminés  heureusement  vers  la  mi- 
novembre.  Le  zèle  et  la  persévérance  de  la  grande  majo- 
rité des  paroissiens  en  cette  circonstance  ont  été  admira.- 
bles. 

La  bénédiction  de  la  chapelle  a  eu  lieu  le  11  décembre. 
Yoci  le  compte-rendu  qu'a  fait  de  cette  cérémonie  un  ami 
de  l'œuvre,  dans  le  "  Courrier  du  Canada  •'  du  19  décem- 
iHre  dernier  : 

N.-D.   DE  LOURDES  DK  MÉGANTIC. 

Sur  les  bords  de  la  rivière  Bécancour,  dans  la  partie  nord- 
ouest  du  comté  de  Mégantic  qui  touche  au  comté  de  Lot- 
binière, — on  a  longtemps  appelé  cet  endroit^'  Augmentation 
de  Somerset,  " — s'élève  maintenant,  au  centre  d'une  qua- 
rantaine d'habitations,  une  fort  jolie  chapelle,  dédiée  à  N. 
D.  de  Lourdes.  Cette  chapelle,  susceptible  d'agrandisse- 
ment, lorsque  Lourdes  sera  devenue  plus  considérable,  me- 
sure 52  pieds  sur  36.  Elle  est  solide  et  élégante  à  la  fois,  et 
le  clocher  qui  la  surmonte  est  presque  magnifique.  Il  a . 
été  payé  par  la  paroisse  de  St.  Calixte  de  Somerset.  Il  briUe 
au  loin,  mais  il  est  encore  muet  ;  qui  sait  si,  un  jour  ou 
l'autre,  la  cloche  qu'il  est  tout  prêt  à  recevoir  ne  lui  sera 
pas  offerte  par  quelque  personne  généreuse,  dévouée  et  re- 
connaissante envers  N.-D.  de  Lourdes. 

Le  Rév.  M.  Dubé,  curé  de  Ste.  Julie,  qui  dessert  la  mis- 
sion de  Lourdes,  tenait  à  ce  que  les  travaux  de  la  nouvelle 
construction  fussent  terminés  à  temps,  pour  que  la  bénédic- 
tion de  cet  humble  temple  du  Seigneur  eût  lieu  pendant 
l'octave  de  l'Immaculée-Gonception.  Ce  légitime  désir  fut 
accompli,  et^  mardi  de  la  semaine  dernière,  le  11  du  cou- 
rant,— date  que  les  colons  de  Lourdes  n'oublieront  jamais 


140 

— M.  Laliberté,  armônier  de  TArchevêché,  assisté  de  M.  le 
<îuré  de  Ste.  Julie,  et  du  Rév.  M.  Julien,  curé  de  St.  Lobîb 
de  Brandford,  bénissait  solennellement  la  nonrelle  chapel- 
le, en  présence  de  tous  les  habitants  de  Tendroit.  Avec 
'quel  pieux  enaipresseinent  ces  braves  gens  vinrent,  malgré 
le  déplorable  état  des  chemins,  prendre  part  à  cette  fôte 
pleine  de  joie  et  d'espérance  pour  eur  I  On  chanta  «ne 
grand'messe,  pour  laquelle  le  chœur  de  Ste.  Julie  avait 
prêté  ses  meilleures  voix.  Les  chants  solennels -de  TEglîse 
retentissaient  pour  la  première  fois  en  ces  lieux.  M.  Dubé 
officia,  et  M.  Laliberté  donna  l'instruction  de  circonstance, 
ayant  pris  pour  texte  ces  paroles  de  la  Genèse  :  "  C'est  ici 
la  maison  de  Dieu  et  la  porte  du  ciel."  Il  fut  écouté  avec 
le  plus  religieux  recueillement.  L'émotion  fut  surtont 
bien  vive  dans  l'humble  auditoire  lorsque,  à  la  fin  de  son 
instruction,  M.  Laliberté  félicita  la  nouvelle  mission  d'avoir 
pour  patronne  et  protectrice  puissante  la  Vierge  Immacu- 
lée invoquée  sous  le  beau  titre  de  N.  D.  de  Lourdes,  et 
qu'il  fit  part  des  impressions  douces  et  profondes  qu'il  éproa- 
va  auprès  de  la  merveilleuse  grotte  de  Lourdes  lors  de  son 
récent  voyage  en  France,  ainsi  que  des  prodiges  sans  nom- 
"bre  qui  s  y  opèrent. 

N.-D.  de  Lourdes  de  Mégàntic  est  une  très-pauvre  mis- 
sion. La  chapelle  n'a  été  construite  qu'avec  les  secours  de 
l'Œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi,  quelques  dons  parti- 
culiers, et  la  bonne  volonté  des  colons.  Elle  est  à  peine 
pourvue  des  choses  les  plus  rigoureusement  nécessaires 
au  culte  et  elle  est  considérablement  endettée.  Que  les  âmes 
qui  aiment  N.-D.  de  Lourdes  aient  donc,  dans  leurs  charités, 
un  petit  souvenir  tout  spécial  pour  la  pauvre  chapelle  î  Bien 
des  fois  la  Mère  Immaculée  de  notre  divin  Sauveur  a  répan- 
du parmi  nous  des  faveurs  abondantes  et  précieuses  ;  nn 
moyen  bien  agréable  et  très-facile  de  lui  en  témoigner  notre 
reconnaissance  serait  de  déposer  aux  pieds  de  la  Vierge  de 
Lourdes  de  Mégàntic  une  obole  donnée  de  bon  cœur.  M. 
le  curé  de  Ste.  Julie  et  M.  Laliberté  de  l'Archevêché,  rece- 
vront avec  la  plus  sincère  gratitude  les  offrandes,  quelques 
minimes  qu'elles  soient,  qui  leur  seront  confiées  pour  le 
paavre  sanctuaire.    Puisse  cet  appel  éire  entendu   d'an 


141 

.^rand  nombre  !  La  charité  n'appauvrit  pas  ;  elle  nous  amft- 
nera  des  joars  meillemrs. — (  Communiqité.) 


Dans  le  cours  de  janvier  dernier  j'ai  demandé  à  chaque 
habitant  un  billot  de  pin  pour  faire  une  voûta  dès  l'année 
prochaine.  Il  va  sans  dire  que  cette  voûte  sera  bien  sim- 
pie,  bien  unie.  Nous  n'avons  pas  en  vue  le  luxe  des  orne- 
ments, nous  voulons  seulement  nous  protéger  contre  le 
froid-  J'ai  demandé  aussi  tous  les  matériaux  nécessaires 
pour  enclore  le  terrain  de  la  Corporation  Archiépiscopale 
«t  le  cimetière  marqué  par  le  Bév.  M.  Laliberté.  J'es- 
père que  les  colons  se  montreront  aussi  zélés  que  par  le 
passé. 

Plusieurs  personnes  se  sont  montrées  généreuses  envers 
la  petite  chapelle  de  Lourdes.  M.  Antoine  Côté  a  fait  doa 
de  l'autel  dont  on  se  servait  à  la  maison  d'école,  et  d'un 
iset  de  chandeliers. 

M.  David  Ouellet,  architecte  de  Québec,  a  donné  un  set 
4e  chandeliers  en  bois  avec  souches. 

M.  François  Fortier,  de  Ste.  Julie,  un  porte-corps. 

M.  Edouard  Demers,  de  Ste.  Julie,  3  chandeliers  en  bois, 
un  bénitier  et  un  pupitre  pour  missel. 

Tous. les  marchands  de  Ste.  Julie  ont  fourni  quelque 
chose,  pour  lingerie  et  devant-d'autels.  Certains  articles 
•ont  été  aussi  donnés  par  M.  J.  Saroie,  J.  B.  Doyon  et  P» 
Lehoux. 

Le  Rév.  M.  Laliberté  a  donné  un  drap  mortuaire,  une 
aube,  deux  surplis,  quelques  amicts,  purificatoires  et 
manutuges,  4  porte-fleurs,  st  bouquets. 

Sepuis  le  19  décembre  dernier  voici  les  dons  qui  ont  ét6 
laits  : 

M.  Joseph  Gagné,  père,  Ste.  Julie $2.00 

Un  ami,  Ottawa 2.00 

Dme.  L.  G.  Rousseau,  Ste.  Monique 1.25 

M.  Jos.  Nantel,  Calumet,  Mich 7.80 

Un  paroissien  de  l'AngeGardien 0.66 

M.  Louis  Poulin,  épicier,  Québec 10.00 

Melle.  Adèle  Couillard,  Lowell,  Mass. 10.00 

Xes  élèves  de  Jésus-Marie,  Sillery 2.40 


142 

-  Les  Religieuses  de  Jésus-Marie,  Sillery,  ont  donné  des 
linges  sacrés  et  les  Religieuses  du  Bon  Pasteur,  Hospice. 
S.  Charles,  des  pots  à  fleurs. 

Voilà  un  bon  encouragement,  et  tout  porte  à  croire  que- 
If.  D.  de  Lourdes  nous  attirera  encore  plusieurs  aumônes^ 

D'après  le  dernier  recensement,  en  1877,  la  populatioa 
de  Lourdes  était  comme  suit  :  3L  familles — 1^3  âmes — 131 
communiants. — C'est  un  chiffre  peu  élevé,  mais  lorsque  les- 
17  nouveaux  lots  seront  bâtiâ,  ce  sera  une  augmentation^ 
On  peut  espérer  que  ces  nouveaux  colons  trouveront  des* 
imitateurs. 

Lourdes  a  une  école  élémentaire  fréquentée  par  une 
vingtaine  d'enfants.  Cette  école  est  sous  le  contrôle  des 
commissaires  de  St.  Calixte  de  Somerset  ;  tout  ce  que  je 
puis  en  dire,  c'est  que  j'ai  trouvé,  l'année  dernière,  les 
enfants  de  la  première  communion  très  bien  préparés. 

Voilà,  mon  cher  Monsieur,  les  informations  que  j'ai  à  vous^ 
donner  sur  N.  D.  de  Lourdes.  T'espère  qu'elles  intéresse- 
Tont  les  âmes  charitables  et  qu'elles  les  porteront  à  aider  le& 
colons  à  terminer  leur  modeste  chapelle  et  à  favoriser  de 
tout  leur  pouvoir  l'accroissement  de  cette  mission  qui 
donne  déjà  de  si  belles  espérances. 

J'ai  l'honneur  d'être 

Votre  humble  serviteur, 

P.  P.  DuBÉ,  Ptre. 
Ste.  Julie  de  Somerset, 
15  Février,  1878. 


fRAVAGES  MEURTRIERS  ET  FRUITS  DE  VIE  DE  LA 

FAMINE  INDIENNE. 

(Messager  du  Sacré  Cœur.) 

La  foi  et  la  raison  s'accordent  à  nous  démontrer  qu'en 
permettant  le  mal,  Dieu  ne  peut  avoir  en  vue  que  le  bien  ; 
mais  il  n'est  pas  toujours  facile  de  suivre  les  voies  mystéri- 
euses par  lesquelles  la  divine  sagesse  fait  coopérer  à  ses  mi- 
séricordieux desseins  les  désordres  les  plus  criminels  et 
les  iléauz  les  plus  meurtriers.  Nous  le  verrons  un  jour,  et 
ce  ne  sera  pas  un  des  moindres  sujets  de  notre  admiration 
pendant  l'éternité. 

Mais  voici,  du  moins,  un  de  ces  fléaux  dom  la  fécondité 
en  fruits  de  vie  éternelle  est,  déjà,  aussi  manifeste  que- la 
rigueur  avec  laquelle  il  a  répandu,  sur  des  contrées  immen- 
ses, la  dévastation  et  la  mort . 

Les  ravages  de  la  famine  indienne  ont  été  épouvantables, 
et  les  douleurs  qu'elle  a  causées  dé&ent  toute  description  ; 
mais  combien  d'âmes  elle  a  envoyées  au  ciel,  qui,  sans  elle» 
se  seraient  infailliblement  perdues  1  En  hâtant  le  moment 
^ù  elles  auraient  dû,  tôt  ou  tard,  quitter  leurs  corps,  elle 
leur  a  ouvert  le  chemin  du  ciel,  dans  lequel  une  violente 
secousse  pouvait  seule  les  pousser.  Et  puis,  combien  de 
mérites  ce  fléau  a  procurés  aux  âmes  charitables  qui,  pour 
les  soulager,  ont  fait  les  plus  beaux  sacrifices  ! 

Nos  lecteurs  nous  sauront  gré  de  mettre  en  évidence  ces 
deux  genres  de  fruits,  par  la  citation  de  quelques  extraits  de 
lettres. 

On  écrivait  d'Aurillac,  à  la  date  du  7  décembre  : 

"  Mon  révérend  Père,  je  vous  envoie,  sous  ce  pli,  200  fr. 
en  billets  de  banque^  pour  les  malheureux  affamés  de  l'Inde* 
C'est  bien  peu  de  chose,  mais  les  gouttes  d'eau  forment 
l'Océan.  Il  y  a  quatre  jours,  j'allai,  un  soir,  chez  Mme'*'*^  : 
^'  N'avez-vous  pas  à  écrire  à  Toulouse?  me  dit-elle, j'ai  là 
^'  50  fr.,  qui  m'ont  été  donnés  par  une  pauvre  "  menotte  *•, 
•*'  presque  misérable.    J'y  joindrai  mon  obole.    Ce  sera  un 


144 

**'  don  bien  minime,  mais  la  misère  est  si  grande  ici,  que  j& 
*^  n'ose  quêter  pour  eux.  Cependant,  nous  aurions  pu  faire^ 
^  quelque  chose.  "  Je  vous  avoue  que  cette  pensée  me- 
saisit  comme  un  reproche  bien  mérité.  J'avais  lu  de  tristes^ 
détails  sur  l'état  de  ces  pauvres  populations,  mais  leur 
▼enir  pratiquement  en  aide,  ne  m'était  pas  venu  à  Pidée»- 
JTacceptai  donc  de  vous  envoyer  les  65  fr.  qu'elle  me  remit^ 
me  promettant  d'arrondir  la  somme,  en  puisant  une  petite 
pièce  dans  ma  bourse  et  dans  celles  de  quelques  amies  du 
Sacré  Cœur.  Le  lendemain  matin,:je  me  mis  donc  brave- 
ment en  mesure  de  faire  plusieurs  visites  intéressées  ;  je 
mettais  tout  ce  qu'on  me  donnait,  sans  compter,  dans  une 
poche  vide  ;  le  soir  j'avais  80  fr.  à  ajouter  aux  65  reçus  ; 
alors,  mon  ambition  a  grandi  un  peu,  et  j'ai  conti- 
nué hier  et  avant-hier.  Personne  ne  m'a  refusé  ;  on  me 
donne  peu,  mais  on  me  donne.  J'ai  tout  à  l'heure  225 
fr.,  peut-être  aurai-je  un  peu  plus  ce  soir  ;  je  vous  en- 
Terrai  tout.  C'est  toujours  au  nom  du  Sacré-Cœur  que  j'ai 
demandé  et  reçu,  citant  l'exemple  généreux  de  la  bonne 
menotte,  à  qui  revient  la  gloire  de  l'initiative.  Sa  générosité 
n'a  pas  été  égalée,  mais  enûn  l'exemple  a  porté  ses  fruits  i 
on  ne  croirait  jamais  combien  il  y  a  de  ces  pauvres  ûlles  qui^ 
sans  hésiter,  font,  pour  une  œuvre  qui  les  touche,  le^sacri- 
fice  des  petites  économies  de  toute  une  vie.  J'en  ai  trouvé 
nne  qui,  en  me  remettant  une  petite  somme,  me  disait  :  ^^  Ce 
^^  sont  toutes  mes  épargnes,  je  les  gardais  pour  me  fair& 
^^  enterrer  et  faire  un  peu  prier  après  moi.  On  m'enterrera 
^'  bien  toujours,  d'une  manière  ou  d'une  autre,  et  le  boii 
^^  Dixu  sait  bien  que  c'est  pour  lui  que  je  sacrifie  les  prières 
*^  qu'on  pourrait  faire  x>our  moi.  Je  compte  sur  sa  miséri* 
**  corde  ;  tenez,  prenez  tout,  je  vous  le  donne  de  bon  cœur.  '* 
Ah  !  si  de  tels  sentiments  se  trouvaient  chez  certaines  per- 
sonnes à  qui  Dieu  a  donné  tous  les  biens  de  ce  monde, 
quels  résultats  n'obtiendrait-on  pas.  " 

Le  même  courrier  nous  apportait  la  lettre  suivante  : 

"  Mon  cher  Père,  j'ai  lu,  tlans  votre  excellent  Messager^. 

le  triste  état  oii  se  trouvent  ces  malheureux  aSamésin* 

diens;  cela  ni'a  navré  le  cœur. 
^^  Je  regrette  beaucoup  que  ma  position  sociale  ne  me^ 


145 

permette  pas  de  faire  ce  que  je  voudrais.  N'étant  que  sim- 
ple ouvrier,  par  conséquent  ne  gagnant  ma  vie  qu'au  jour 
le  jour,  je  ne  puis  faire  que  peu. 

**  Vous  trouverez,  mon  bon  Père,  dans  ce  pli,  un  fran$  en 
timbres-poste,  dont  vous  disposerez  en  renvoyant  là  où 
^ous  jugerez  le  besoin  le  plus  urgent. 

*'  Si  je  pouvais,  par  cette  petite  aumône,  contribuer  à  pro- 
curer la  gloire  de  Dieu  et  pouvoir  lui  gagner  quelques 
âmes,  je  me  trouverais  bien  heureux.  '' 

Combien  d'autres  traits  de  générosité  les  anges  ont  enre- 
^trés,  dans  cette  circonstance,  sur  le  livre  de  vie  I  Vivi- 
fiée par  l'influence  divine  de  la  charité,  l'aumône  catholi- 
que ne  s'est  pas  bornée,  comme  les  secours  officiels,  à 
soulager  momentanément  quelques  souffrances  corporelles: 
elle  a  porté  des  fruits  éternels  et  vraiment  divins,  comme 
on  pourra  s'en  convaincre  par  la  lettre  suivante,  que  nous 
avons  reçue  du  révérend  Père  Barbier,  supérieur  de  la 
lion  du  Maduré  : 


Mon  révérend  Père, 

^*  Je  ne  veux  pas  tarder  plus  longtemps  à  remercier,  par 
▼otre  entremise,  les  généreux  bienfaiteurs  dont  vous  avez 
stimulé  la  charité  et  qui,  par  votre  intermédiaire,  nous  ont 
fait  parvenir  leurs  aumônes.  Le  service  qu'ils  nous  ont  ren- 
du est  de  ceux  que  Uieu  seul  peut  récompenser,  parce  que 
lui  seul  peut  les  apprécier  dignement. 

'*  On  comprendra  difficilement  la  cruelle  position  des 
missionnaires  du  Maduré,  pendant  les  premiers  mois  de  la 
jEamine.  Un  de  nos  Pères  m'écrivait:  ^'  En  ce  moment,  toute 
*'  une  bande  d'affamés  est  à  ma  porte.  Nus,  ou  couverts  de 
^  sales  lambeaux  de  toile,  tout  décharnés,  ils  me  prient  de 
^  oe  pas  les  renvoyer  et  de  leur  donnei  de  quoi  ne  pas  mou- 
<<  rir  de  faim.  Plusieurs  n'ont  rien  mangé  depuis  trois  ou 
'<  quatre  jours.  Les  païens  me  promettent  de  recevoir  le 
*' baptême  et  de  gagner  tous  leurs  villages  à  notre  sainte 
'^  religion.  Mais  il  ne  me  reste  plus  un  sou  ni  un  grain  de 
"  riz.  Le  cœur  brisé,  j'ai  dû  renvoyer  tous  ces  malheureux, 
*^  avec  la  certitude  qu'ils  allaient  expirer  sur  les  routes  et 
**  dans  les  champs,  et  avec  la  douleur  de  ne  pouvoir  accep- 


146 

^\  ter  les  païens  qui  voalaient  se  donner  à  nous.  Quand 
*'  j'ai  vu  partir  ces  pauvres  affamés,  qui  étaient  restés  plus 
'^'  de  douze  heures  étendus  devant  ma  porte,  je  me  suis 
"  retiré  en  pleurant,  et  je  n'ai  plus  eu  le  courage  de  sortir 
"  que  lorsqu'on  m'appelait  pour  aller  auprès  des  mourants." 
La  douloureuse  position  de  ce  Père,  au  milieu  des  scènes 
navrantes  de  la  famine,  a  été  celle,  jusqu'ici,  de  tous  nos 
autres  Pères  missionnaires.  Aussi,  grande  a  été  leur  joie  à 
la  nouvelle  que  vous  aviez  fait  un  appel  à  la  charité  des 
catholiques  de  France  et  que  vous  nous  envoyiez  des  se- 
cours. 

"  Depuis  que  nous  avons  reçu  vos  premières  aumônes, 
tout  a  changé  de  face  dans  la  mission.  Les  missionnaires 
qui  étaient  condamnés  à  rester  dans  leurs  résidences,  par- 
courent maintenant  leurs  chrétientés,  pour  consoler  et 
distribuer  des  secours*  Les  chrétiens  nous  bénissent,  et 
les  païens,  témoins  du  dévouement  et  de  la  charité  de  nos 
Pères,  viennent  à  nous.  Un  grand  mouvement  de  conver- 
sion a  déjà  commencé. 

"  Le  missionnaire  de  Punicaël,  qui  a  déjà  converti  plu« 
de  600  païens  ou  protestants,  est  en  ce  moment  occupé,  lai 
et  tous  ses  gens,  à  instruire  et  à  baptiser  les  nouveaux  caté- 
chumènes, qui  demandent,  en  grand  nombre,  à  embrasser 
notre  sainte  religion. 

'S Nos  bienfaiteurs  sont  heureux  d'apprendre  ce  que  nous 
avons  pu  faire  pour  les  orphelins,  avec  le  secours  de  leurs 
aumônes.  Nos  Pères  ont  baptisé  environ  dix  mille  enfants 
païens.  Â  cette  heure,,  la  plupart  sont  au  ciel,  et  prient 
pour  ceux  qui  ont  aidé  à  leur  procurer  la  grâce  du  baptême. 
Nous  avons  recueilli,  selon  la  mesure  de  nos  ressources, 
ceux  que  la  mort  a  épargnés.  A  Trichinopoly,  nous  entre- 
tenons 80  enfants  païens  dans  l'orphelinat  des  garçons,  92 
dans  l'orphelinat  des  filles  et  165  dans  des  fainilles  chréti- 
ennes. Au  Marava  nous  avons  98  orphelins  dans  l'orphelU 
nat  de  Dindigul,  et  environ  350  dans  les  familles  chrétien- 
nes. Dans  le  district  du  sud,  nous  entretenons  dans  le 
grand  orphelinat  d'Adeikalabouaram  environ  400  person- 
nes et  150  orphelins  païens  ;  de  plus,  300  orphelins  dans 
les  familles  chrétiennes. 


147 

^  ^^  Je  ne  puis  dire  ici  mille  détails  qui  intéresseraient  et 
rendraient  heureux  nos  bienfaiteurs.  Au  ciel,  ils  verront 
tout  le  bien  qu'ils  ont  fait,  et  toutes  les  âmes  qu'ils  ont  sau- 
'vées  par  leurs  aumônes.  Mgr  Canoz  témoigne  toute  sa  re- 
connaissance à  Mgr  l'Archevêque  de  Toulouse,  à  Mgr  l'E- 
voque de  Bayonne  et  à  Mgr  TEvêque  de  Viviers.  On  ap- 
prendra avec  plaisir,  en  Angleterre  et  aux  Indes,  que  les 
^vaques  de  France  ont  imité  les  évèques  d'Irlande,  qui  ont 
envoyé  de  grandes  sommes  au  vicaire  apostolique  de  Ma- 
dras. 

*'  Tous  nous  remercions  de  leur  généreuse  charité  les 
RR.  PP.  de  la  Chartreuse  de  la  Bastide-Saint-Pierre  et  de  la 
Chartreuse  de  Mougères,  les  élèves  du  collège  Sainte-M&rie 
de  Toulouse,  les  souscripteurs  de  la  collecte  de  Bade  et 
tous  nos  autres  bienfaiteurs  et  bienfaitrices,  dont  les  noms 
devraient  être  cités  ici  et  que  nous  sommes  obligés  de  taire. 

"  La  famine  est-elle  finie  ?  Non,  et  il  faut  encore  long- 
temps pour  ç[ue  nos  chrétiens  trouvent  leur  nourriture  or- 
dinaire, supposé*même  que  les  prochaines  récoltes  réussis- 
sent A  Dindigul,  le  P.  Saint-Cyr,  ne  pouvant  aller  par- 
tout lui-même,  envoya  son  catéchiste  dans  un  village  tout 
païen,  situé  au  pied  des  montagnes  de  Siroumaley.  Quand 
le  catéchiste  parut,  une  îoule  d'affamés  se  précipita  vers 
lai  comme  vers  un  sauveur.  Mais  la  nuit  était  venue,  la 
distribution  des  secours  dut  être  remise  au  lendemain.  Le 
matin,  quand  le  catéchiste  commença  à  distribuer  ses  au- 
mônes, tous  les  pauvres  affamés  qui  étaient  venus  la  veille 
ne  reparurent  pas.  Dans  cette  seule  nuit,  sept  étaient 
morts  dans  les  tortures  de  la  faim,  et  plusieurs  autres  ne 
pouvaient  plus  se  traîner.  Par  ce  fait,  on  peut  comprendre 
les  ravages  que  fait  encore  la  famine  dans  notre  mission 
et  les  scènes  navrantes  de  souffrances  et  de  mort  que  nos^ 
missionnaires  ont  encore  sous  les  yeux.  Aussi,  si  vous  pou- 
yez  nous  envoyer  de  nouvelles  aumônes,  croyez  qu'elles 
nous  serviront  à  sauver  la  vie  à  bien  des  malheureux,  et  à 
ouvrir  le  ciel  à  bien  des  âmes... 

^'  Le  P.  Guchen  nous  annonce  aussi  de  nombreuses  con- 
Tersions.  Dans  son  vaste  pahgou  de  Sattancoulam,  il  a 
fondé,  avec  les  païens  et  les  protestants  convertis,  de  non- 


148 

Telles  chrétientés,  qui  suffiraient  à  elles  seules  pour  occii-> 
per  un  missionnaire.  En  ce  moment,  des  villages  entiers 
«^ébranlent,  et  lui  donnent  les  plus  consolantes  espérances. 

'^  Le  P.  Trincal  est  également  bien  consolé  des  souffran- 
ces qu'il  a  endurées  pendant  la  famine.  C'est  lui  qui  a 
converti  et  baptisé  de  sa  main  les  3,000  chrétiens  qui  com- 
posent son  pangou  de  Virondoupatty.  Aussi,  ces  pauTre» 
Indiens  le  regardent  comme  leur  père,  et,  dans  cette  fami- 
ne, tous  recourent  à  lui  comme  à  leur  unique  soutien.  Il  a 
tout  donné  ;  et,  quand  toutes  ses  ressources  ont  été  épuisées, 
il  a  vu  ses  pauvres  chrétiens  livrés  à  toutes  les  tortures  de  la 
faim  etdécimés  par  la  mort.  Il  nous  écrivait:  "Toute  la  Jour- 
"  née,  je  suis  auprès  des  mourants;  et, comme  personne  ne 
"  veut  ensevelir  les  cadavres,  tous  mes  gens  sont  occupés  à 
^^  creuser  des  fosses."  La  première  lettre  qui  lui  annonçait 
les  secours  venus  de  France,  lui  fut  remise  en  présence  des 
catéchistes  et  des  chrétiens.  En  lisant  la  bonne  nouvelle,  de 
grosses  larmes  remplirent  ses  yeux  :  "  Çère^  lui  dîrenl 
*'  les  chrétiens,  qu'avez- vous,  quelle  nouvelle  T — Mes  enfaaCs, 
*'  remerciez  Dieu  ;  de  France,  on  vous  envoie  des  secours  : 
'^  vous  êtes  sauvés."  Maintenant,  tout  a  changé  d'aspect 
dans  le  pangou  de  Virondoupatty.  Le  Père  a  recueilli  les 
enfants  que  la  mort  a  laissés  orphelins,  donné  à  ses  chré- 
tiens une  misérable  nourriture  qui  les  empêchera  au  moins 
de  mourir  de  faim,  et  gagné,  par  son  dévouement  et  son 
zèle,  un  grand  nombre  de  païens.  En  quelques  semaines, 
il  en  a  converti  et  baptisé  plus  de  2Ô0;  et,  eh  ce  moment, 
lui  et  ses  gens  sont  occupés  à  instruire,  et  à  préparer  au  bap- 
tême les  nombreux  catéchumènes  qui  désirent  sincèrement 
vivre  et  mourir  dans  notre  sainte  religion. 

^^  Depuis  que  les  aumônes  venues  de  France  ont  permis 
à  nos  Pères  missionnaires  de  parcourir  leurs  chrétientés  et 
exercer  leur  zèle,  le  mouvement  de  conversion  s'est  déclaré, 
même  dans  les  endroits  où  nous  avions  le  moins  d'espé^ 
rance.  Le  P.  Pouget  écrit  de  Tuticorin  :  ^^  Les  deux  villa- 
■*''  ges  païens  de  Velayoudâpuram  et  de  Velapadou  sont 
•^^  convertis  au  catholicisme.  Je  trouve  dans  ces  chrétiens 
-'^  les  meilleures  garanties  de  persévérance.  Us  sont  riches 
-^  en  terres,  ils  se  relèveront  assez  vite  de  la  misère  à  la* 


149 

'*'  quelle  ils  sont  réduits  en  ce  moment  La  famine  les  a 
^'  décimés.  Des  familles  entières  ont  été  anéanties  et  pres- 
^'  que  tous  les  enfants  ont  disparu." 

Un  peu  plus  tard,  le  même  Père  nous  donnait  de  nou- 
veaux détails  également  consolants. 

'^  Votre  bonne  lettre  du  18  novembre  nous  annonce  de 
nouveaux  secours.  Nous  sommes  infiniment  reconnais- 
sants envers  tous  nos  bienfaiteurs.  Leurs  aumônes  vont 
sauver  la  vie  à  bien  des  chrétiens,  et  nous  aider  à  conver- 
tir un  grand  nombre  de  païens. 

*'  Le  P.  Pouget  m'écrit  :  "  Tuticorin,  3  décembre.— Il  y  a 
-^^  quelque  temps,  nous  avions  baptisé  7  païens  adultes,  5  en- 
^'  fants  de  nouveaux  convertis,  17  enfants  de  païens,  que  des 
^^  familles  catholiques  ont  adoptés,  un  grand  nombre  d'en* 
^^  fani  s  païens  moribonds.  Hier,  après  la  messe,  le  Père  Mikel 
^'  a  donné  le  baptême  à  74  païens  de  Velayoudapuram.  An- 
■*'  jourd'hui,  fôte  de  saint  François  Xavier,  huit  autres  ont 
^^  reçu  le  baptême.  Pendant  la  semaine,  beaucoup  d'autres 
^^  catéchumènes,  qui  n'ont  pu  venir  ici  pour  cause  de  ma- 
^^  ladie,  seront  baptisés  dans  leur  village.  A  Velapadou  on 
'^  instruit  en  ce  moment  sept  familles  de  Sanards.  Nous 
^^  pourrions  faire  cent  fois  plus,  si  nos  travaux  et  nos  res* 
^^  sources  nous  le  permettaient.  Nos  nouveaux  convertis  de 
'*'''  Velayoudapuram  vont  abandonner  leur  village  et  le  re- 
^'  construire  sur  le  bord  de  la  route.  Nous  donnerons  au 
^^  nouveau  village  un  nom  chrétien.  Nous  allons  pons*- 
'^  truire  une  hutte  en  terre,  et  couverte  en  feuilles,  pour 
*^  servir  de  chapelle  à  nos  néophytes.  Nous  n'avons,  pour 
^^  orner  cette  chapelle,  ni  image,  ni  statue^  pas  môme  un 
^<  crucifix.    Aidez-nous  à  obtenir  quelque  chose." 

''  Je  reçois  une  autre  lettre  du  P.  Verdier,  en  voici  nn 
^ssage  :  "  Panlamcottah,  4  décembre  1877. —  Le  P.  Day* 
'^^  riam,  qui  a  baptisé  ici  une  vingtaine  de  païens,  vient  de 
''  partir  pour  aller  porter  des  secours  et  instruire  des  païens 
'^  qui  nous  demandent.  Les  chemins  sont  affreux  ;  j'ai 
**'  donné  au  Père  10  chrétiens  qui,  au  besoin,  poossseront 
^^  la  charrette  et  la  feront  sortir  des  boues.  Près  de  Van* 
*^  danour,  village  chrétien,  le  Père  trouvera  un  village 
-<*  païen  de  53  familles.    Ces  braves  gens  m'ont  tous  fait 


160 

^  demander  le  baptême.    Hais  la  famine  a  fait  de  terribles 
^^  ravages  dans  leur  village.    Arriverons-nous  à  temps  ?  je 
^^rignore.    ATouest  d'Antipatti,  grand  nombre  de  païens 
^^  nous  demandent  ;  mais  nos  Père  ont  dix  fois  trop  de'  tra- 
^^  vail  ailleurs  et  je  n'ai  plus  personne  à  envoyer.    Quand 
^^  nous  enverra-ton  de  nouveaux  ouvriers  de  France  ?  Tout 
'^  l'argent  que  nous  avons  reçu  est  déjà  distribué.  De  grâce^ 
^^  n'abandonnez  pas  nos  chrétiens  et  nos  néophytes,   en- 
^  voyez-nous  encore  quelque  chose.  " 

"  Le  P.  Darrieutort  nous  annonce,  de  son  côté,  que  le  P^ 
Laporte  vient  de  baptiser  dans  son  pangou  de  Ramnad  uae 
centaine  de  païens. 

*'  Le  P.  Trincal  m'écrit  de  Padupatty,  à  la  date  du  3  dé- 
cembre: 

'^  L'argent  que  vous  m'avez  envoyé  ne  m'a  pas  enrichi 
^^  matériellement,  car  j'ai  déjà  tout  distribué  et  j'ai  les- 
^  mains  vides  ;  mais  je  me  suis  considérablement  enrichi  en 
^^  catéchumènes.  Depuis  le  1er  novembre,  j'en  ai  baptisé 
*^  549.  Ce  matin  même,  j'ai  pu  offrir  51  nouveaux  chré- 
*'  tiens  à  saint  François  Xavier.  Je  nourris  tous  ces  caté- 
*'  chumènes  pendant  huit  jours,  et  le  jour  de  leur  baptême 
**  je  leur  donne  une  toile  pour  se  couvrir  :  car  ils  arrivent 
*^  tout  nus  ou  couverts  de  dégoûtants  haillons.  Je  dépense 
^*  en  moyenne  4  francs  pour  chaque  catéchumène.  Vous 
'^  voyez  que  le  salut  d'une  âme  s'obtient,  ici,  à  meilleur 
"  marché  que  dans  d'autres  contrées,  où  l'on  est  contraint 
^  de  dépenser  au  moins  10  fr.  par  catéchumène.  Ne  sera- 
^^  ce  pas  une  bien  douce  consolation  pour  la  personne  qui  a 
**  envoyé  1,000  fr.  destinés  à  faire  de  nouveaux  chrétiens^  de 
"  savoir  qu'avec  ces  1,000  fr.  j'ai  pu  baptiser  250  païens  L 
"  Mais,  je  vous  en  prie,  envoyez-moi  sans  retard  de  nou- 
**  veaux  secours.  Si  l'argent  ne  me  fait  pas  défaut,  au 
"  premier  de  Tan  j'aurai  baptisé  peut-être  plus  de  t,00ft 
"  païens.  " 

"  Avec  la  lettre  du  Père  Trincal,  en  arrive  une  du  F». 
Labarthère,  qui  annonce  300  nouveaux  baptêmes  d^enfants 
païens.    Le  Père  en  avait  déjà  baptisé  plus  de  200  le  mois^ 
dernier. 
*  ^^  Messis  quidem  muUa.    Oui,  la  moisson  est  grande,  et  le^ 


151 

iiombre  d'ouvriers  est  bien  petit  pour  la  recueillir.  No« 
Pères  donneront  avec  joie  leur  santé  et  leur  vie,  s'il  le 
faut;  mais  avec  tout  leur  dévouement,  ils  ne  sauraient 
^  créer  les  ressources  qui  leur  sont  nécessaires  pour  poursuivre 
leurs  œuvres  de  charité  et  de  conversions.  Vous  noua 
avez  envoyé  beaucoup,  et  cependant  ces  milliers  de  francs 
que  nous  avons  reçus  de  France,  sont  pour  nos  milliers  d'af- 
famés ce  qu'étaient  les  cinq  pains  pour  la  foule  qui  avait 
suivi  notre  divin  Maître  au  désert.  Il  faudrait  que  Notre- 
Seigneur  vînt  au  milieu  de  nous  et  multipliât  entre  nos 
mains  le  peu  que  nous  possédons,  pour  donner  à  manger  à 
nos  pauvres  afiPamés  et  les  arracher  à  la  mort.  Peut-être 
Notre-Seigneur  veut-il  se  servir  de  vous  pour  faire  le  mira- 
cle de  la  multiplication.  Veuillez  continuer  à  faire  con- 
naître aux  catholiques  de  France  les  cruelles  souffrances 
"de  nos  pauvres  Indiens,  toujours  en  proie  aux  horreurs  de 
la  famine  et  que  la  mort  continue  à  décimer  dans  toute  la 
mission  du  Maduré.  " 

Cette  lettre  était  déjà  sous  presse,  lorsque  le  R.  P.  Blan- 
chard, Provincial  de  la  Compagnie  de  Jésus,  à  Toulouse, 
a  reçu  du  môme  Père  l'annonce  d'un  second  fléau,  non 
moins  terrible  que  la  famine,  qui  vient  de  s'abattre  sur  la 
malheureuse  population  du  Maduré,  et  qui  sollicite  avec 
la  même  urgence  la  charité  des  chrétiens. 

"  Mon  révérend  Père  Provincial  ;  j'ai  reçu  votre  bonne  let- 
tre du  22  novembre,  dans  laquelle  vous  nous  annoncez  une 
nouvelle  aumône  de  3,000  fr.  Nous  vous  sommes  tous  re 
connaissants  de  l'appel  que  vous  avez  bien  voulu  faire  à  la 
charité  de  nos  Pères  et  des  satholiques,  en  faveur  de  nos 
chrétiens  réduits  aux  horreurs  delà  plus  affreuse  famine.- 
Vous  nous  promettez  de  vous  occuper  encore  à  nous  procu- 
rer de  nouveaux  secours  ;  nous  vous  en  remercions  infini- 
ment, mon  révérend  Père,  car  nous  aurons  besoin  long- 
temps encore  qu'on  envoie  de  quoi  secourir  nos  pauvres 
affamés.  Les  journaux  ont  dit  qu'au  mois  de  mars  la  famine 
serait  à  peu  près  finie,  si  les  récoltes  réussissaient.  Alors 
même  que  les  récoltes  eussent  été  bonnes,  nos  Pères  qui 
*8ont  répandus  parmi  les  Indiens,  dans  les  campagnes,  e^ 
«connaissent    mieux    que    personne   leur    véritable  étal» 


152 

pensent  que  noa  cbrétleos  auraient  eu  encore  i  soufixir  un» 
année  entière.    Mais^^voici  que  de  nouveaux  désastres  suc- 
cèdent aux  ravages  de  la  famine.  La  famine  de  rinondation 
Ta  succéder  à  la  famine  de  la  sécheresse,  si  Dijbu  n'a  pitié  de 
mouB.Depuis  deux  mois  8urtout,des  pluies  torrentielles  n*ont 
cessé  de  tomber  dans  toute  notre  mission.Au  commencement 
de  novembre,  le  P.Verdier  avait  quitté  Palamcottah  pour  ve- 
nir à  Trichinipoly  ;  mais  arrivé  à  Dindigul,  il  trouva  le 
chemin  de  fer  emporté  par  les  eaux  et  dut  attendre  là  plus 
de  quinze  jours.    A  son  retour  à  Pallamcottah,  il  m'écri- 
Tait:  ^'  Dans  mon  voyage  de  Trichinipoly  à  Pallamcottab, 
^^  j'ai  trouvé  partout  la  campagne  inondée.    C'est  un  nou- 
^^  veau  désastre  qui  commence.    Les  moissons,  notre  seule 
^*  espérance  pour  sauver  nos  chrétiens  de  la  mort  et  voir 
^'  se  terminer  leurs  cruelles  épreuves,  sont  couvertes  par 
^  les  eaux.    Depuis  Dindigul  surtout  jusqu'à  Palamcottah 
''je  n'ai  vu  que  des  champs  couverts  par  l'eau,  ou  des  ré- 
^^  coites  en  mauvais  état  et  compromises  par  la  trop  grande 
'*  abondance  des  pluies."  Depuis  cette  lettre  du  P.  Verdier 
le  mal  est  allé  en  croissant.  — Le  P.  Maget  m'écrit  de  Fi* 
sherpattnam,  en  date  du  10  décembre:  '^  A  mon  retour  de 
*'  Sarougany,  je  pris  le  chemin  de  Manamaduré,  espérant 
*'  pouvoir  arriver  par  là,  à  travers  les  eaux,  à  Edeientour  ; 
^^  mais  je  trouvai  le  fleuve  tellement  débordé  que  je  dus  re- 
^^  brousser  chemin  jusqu'à  Sheiagungah.    J'allai  tenter  le 
^^  passage  du  côté  de  Périacottay  ;  impossible  encore  d'aller 
*^  en  avant.    Je  suis  donc  revenu,  hier,  à  Manamaduré,  je 
*^  ne  dis  pas  à  travers  quelles  difficultés*    Ici  il  n'y  a  pas 
^^  de  barques  ;  il  fallait  cependant  traverser  le  fleuve.    Je 
'*  mîe  décidai  à  monter  sur  une  espèce  d'embarcation  fabri- 
^  quée,  pour  la  circonstance,  par  les  Indiens  ;  et,  grâce 
^^  à  mon  bon  Ange,  j'arrivai  à  l'autre  rive.    Là,  nouvelle 
^^  épreuve  ;  point  de  gîte  pour  la  nuit.    Vendredi  soir,  le 
^^  fleuve  a  renversé  ses  digues  et  emporté  soixante-six  habi* 
^  tations.  La  poste,  la  bangalow  et  notre  église  ont  été  en* 
^  tièrement  détruites.    11  a  fallu  me  mettre  en  route  et 
^'  gagner  Fisherpattnam,  distant  de  deux  milles.  Les  route» 
^  sont  impraticables  ;  il  m'a  fallu  marcher  à  pied,  ^K^ortéda 
*^  quelques  chrétiens,  qui  portaient  mon  bagage,   Quelle- 


153 

*''  épreuve  nouvelle  Dieu  nous  envoie!  Que  vont  devenir 
^*  nos  chrétiens  ?  De  grâce,  envoyez-moi  tout  ce  que  vous 

^'  pourrez,  afin  que  je  pui^e  au  moins  secourir  les  plus 

^^  abandonnés.  "  — ^Le  P.  Darrieutort  nous  donne  aussi  de 

bien  tristes  nouvelles  sur  le  Marava  :  ''  De  mémoire  d'hom- 

**  xne,on  n'a  vu  ici  pareille  inondation.    La  rivière  est  arri- 

**  vée  à  une  hauteur  qu'elle  n'avait  pas  encore  atteinte.  Elle 

^'  n'a  pas  rompu  ses  digues,  mais  elle  passe  par-dessus  et  se 

^^  déverse  dans  notre  grand  étang.    Si  les  digues  sont  em- 

*^  portées,  alors  tout  est  perdu.    La  grande  rue  Sarougany 

^*   est  comme  une  rivière.    Notre  église  aurait  été  envahie 

'^  sans  une  petite  digue  que  nous  avons  construite.  Je  tra- 

^'  vaille  jour  et  nuit  avec  mes  gens,  pour  empêcher  notre 

^^  étang  de  briser  ses  digues.    Au  milieu  de  tous  ces  mal - 

"heurs,  Dieu  nous  coasole  par  de  nouvelles  conversions  • 

'^  J'ai  déjà  distribué  à  nos  Pères  tout  l'argent  envoyé  pour 

^*  nos  catéchumènes.   Ils  ont  baptisé  bon  nombre  de  païens 

^'  adultes,  et  Je  P.  Laporte  espère  atteindre  le  nombre  de 

^*  deux  cents.  " 

^^  Le  district  du  Sud  est  aussi  éprouvé  que  le  Marava» 

^*  J'arrive  de  Rassanguittanabouran,  m'écrit  le  P.  Faseuille^ 

^'  le  9  décembre  ;  je  trouve  Vadakencoulan  dans  la  désola- 

^'  tiOD.    Quels  désastres  1   Les  pluies  torrentielles  ont  tout 

*'  ravagé  :  arbres  déracinés  et  emportés,  rivières  débordées, 

^'  étangs  crevés  et  dévastant  tout,  habitations  renversées. 

'*  De  nombreuses  épaves  ont  été  emportées  par  les  eaux,  et 

"  j*ai  trouvé  tout  le  village  en  contestations  pour  savoir  à 

^^  qui  appartenaient  les  objets  apportés  par  les  torrents. 

^^  J'ai  réussi  à  les  mettre  d'accord.    IjOs  protestants  font 

''  d'incroyables  largesses  à  leurs  adeptes.  Que  ne  pouvons- 

^'nous  faire  de  même  pour  nos  chrétiens,  qui  n'ont  que 

^*  nous  pour  les  secourir  au  milieu  de  leurs  nouveaux  mal- 

**  heurs  !  "  Trois  jours  après  avoir  reçu  cette  lettre,  le  P. 

Verdier  m'annonçait  de  nouveaux  désastres  causés  dans  son 

district  par  les  inondations.  ^^  Palamcottah,  12  décembre.^-*- 

^'  Notre  grand  orphelinat  d'Adei  Kalâbouram,  où  nous  avons 

*^  environ  six  cents  personnes,  nage  dans  les  eaux.  Le  fleuve 

^^  a  débordé  en  trois  endroits,  d'ici  à  la  mer.  Que  de  ruines  I 

^'  Le  grand  étang  de  Kadambacouiam,  qùi«^  de  six  à  sept 


154 

"^^  milles  de  circoaférence,  a  brisé  ses  digues,  et  ses  eaux,  qu^ 
*^  devaient  donner  les  nouvelles  pécoltes,  ont  ravagé  tonte  la 
^'  campagne.  La  route  qui  conduit  à  Adei-Kalabouram  a  été^ 
**  emportée  depuis  Alvarlinnevelly  jusqu'à  Trichendore,  en 
'^  sorte  qu'il  nous  sera  impossible  de  nous  rendre  à  Torphe- 
*'  linat  jusqu'à  ce  qu'on  ait  refait  la  route.  Les  conversions 
*'  continuent  dans  le  district.  Il  y  a  quelques  jours,  j'ai  vu 
*'  à  Tuticorin  nos  quatre-vingt-quatorze  néophytes  pollers. 
"  Ils  portent  la  simplicité  et  la  joie  sur  leurs  ûgures.  Tous 
^^  sont  venus  me  demander  la  bénédiction.  D'autres  famil* 
*'  les  de  leur  parenté  et  d'un  village  voisin  leur  deman- 
"  dent  aussi  à  être  baptisées.  Aujourd'hui,  je  reçois  du  P. 
"  Dayriam  ces  quelques  mots  :  "  Je  suis  encore  à  Vanda- 
^'  nam,  oerné  par  les  eaux.  Quinze  familles  de  Poadou- 
**  patty  sont  déjà  catéchumènes.  Tous  les  jours  il  m'arrive 
^^  quatre  ou  cinq  personnes  demandant  le  baptême.  Une 
^^  famille  de  Setty  est  aussi  au  nombre  des  catéchumènes. 
^'  Le  chef,  brave  homme  et  assez  instruit,  m'a  promis  de 
*'  m'envoyer  tous  ses  proches  parents.  Malgré  l'inondation, 
^' je  resterai  au  poste  tant  qu'il  y  aura  des  catéchumènes. 
*'  La  nuit  dernière,  tous  les  étangs  ont  emporté  leurs  digues. 
•*  Autour  de  ma  chambre,  il  y  a  de  l'eau  jusqu'au  genou. 
^^  Plusieurs  maisons  se  sont  écroulées,  et  des  personnes  ont 
"  péri.    Tous  les  Indiens  sont  dans  l'épouvante." 

^^  Les  districts  du  Marava  et  du  Sud  ne  sont  pas  les  seuls 
ravagés  par  les  inondations  ;  le  district  de  Trichinopoly  a 
aussi  sa  large  part  à  la  nouvelle  épreuve  qui  frappe  notre 
mission.  Le  P.  Boyer  vient  de  nous  écrire  que,  dans  son 
pangou  de  Manargoudy,  le  fleuve  a  rompu  ses  digues  et 
emporté  plusieurs  villages  entiers.  La  famine  avait  laissé 
au  moins  aux  pauvres  indiens  leurs  maisons  et  leurs  terres 
desséchées;  le  nouveau  fléau  a  renversé  leurs  pauvres 
habitations,  emporté  leurs  moissons  et  ravagé  les  champSt 
qui  demanderont  de  grands  travaux  pour  être  de  nouveau 
aptes  à  la  culture.  J'en  étais  là  de  ma  lettre,  quand  nous 
est  arrivé  le  journal  The  Madras  Mail,  Les  désastres  sont 
plus  grands  encore  que  nous  l'avions  cru.  ^^  La  plaie  est 
^^  devenue  plus. for  te,  depuis  xnardi  dernier  ;  elle  ne  cesse 
'^  pas  encore  et  tombe  avec  une  impitoyable  furie,  pUUesi 


155 

^'  fihry.  En  ce  moment,  dans  le  Sud,  les  rivières  et  les 
^^  fleuves  ont  débondé  et  inondé  toutes  les  tampagnes.  Les 
^^  étangs  ont  rompu  leurs  digues  et  portent  partout  la  dé- 
^^  vastation.  Toutes  les  moissons  ont  péri...  Des  villages 
^'  antiers  se  sont  écroulés  et  ont  disparu  sous  les  eaux.  Le 
^'  nombre  de  maisons  renversées  est  incalculable  :  o^  for 
^'  native  houses  destroyed^  theit  number  i$  légion.  " 

^^  Tous  nos  pauvres  chrétiens  se  réfugient  auprès  de 
leurs  missionnaires,  leur  unique  soutien,  au  milieu  de  tous 
les  fléaux  qui  fondent  à  la  fois  sur  eux.  Nos  Pères  s'adres- 
sent à  nous,  pour  obtenir  de  quoi  donner  aux  malheureux 
qui  les  assiègent  un  morceau  de  toile,  pour  couvrir  leur 
nudité,  et  un  peu  de  riz,  pour  les  empêcher  de  mourir  de 
faim.  Je  ne  puis,  mon  révérend  Père,  que  faire  parve- 
nir jusqu'à  vous  les  demandes  de  nos  missionnaires.  Nous 
n^aurons  guère  à  donner  à  nos  chrétiens  que  les  secours 
que  nous  recevrons  d'Europe.  Nos  bienfaiteurs,  tout  en  se- 
courant les  corps,  contribueront  largement  au  salut  des  âmes 
au  Maduré.  Je  ne  parlerai  pas  aujourd'hui  du  bien  et  des 
nombreuses  conversions  que  font  nos  Pères.  J'en  ai  parlé 
dans  mes  deux  lettres  précédentes.  Le  mouvement  de  con- 
versions continue,  et  on  baptise  grand  nombre  d'enfants 
païens.  Cette  semaine,  le  P.  Labarthère  m'écrivait  :  '^  Je 
^^  continue  à  parcourir  mes  villages  affamés.  J'en  ai  déjà 
^'  visités  vingt-huit,  et  j'ai  baptisé  jusqu'à  ce  moment  denz 
^'  mille  vingt-quatre  enfants  païens.  Presque  tous  sont  déjà 
*^  au  ciel,  où  ils  prient  pour  la  mission  et  nos  bienfaiteurs 
^^  d'Europe...  "  Quel  bon  placement  pour  les  fonds  de  la 
charité  ! 

"  Je  vous  exprime  de  nouveau,  mon  révérend  Père  Pro- 
vincial, au  nom  de  tous  nos  Pères,  toute  notre  reconnais- 
sance pour  le  dévouement  et  la  charité  que  vous  montrez  à 
notre  mission  éprouvée  par  tant  de  fléaux.  Je  me  recom- 
anande  à  vos  prières  et  saints  sacrifices. 

«^  Pe  votre  Révérence,  l'humble  serviteur  en  Jésus-Christ^ 

"  L,  Barbier,  S*  J.  " 


156 

Les  lettres  suivantes  continuent  i  nous  montrer,  sous  ce- 
double  aspect,  le  cruel  fléau  qui  ravage  les  Indes  : 

Trichinopoly,  17  janvier  1878. 

"  Mon  révérend  et  bien  cher  Père  Ratniëre,  P.  C —  Je  vous- 
remercie,  au  nom  de  Monseigneur  et  de  nos  Pères,  de  tout 
ce  que  vous  avez  fait  pour  notre  mission,  au  milieu  de  nos 
grandes  épreuves.  Nous  espérions  toucher  au  terme  de 
nos  malheurs,  et  voilà  que  de  nouveaux  désastres  viennent 
de  frapper  nos  pauvres  chrétiens.  Je  ne  vous  redirai  pas, 
dans  cette  lettre,  toutes  les  scènes  de  désolation  que  vous  ont 
racontées  nos  Pères  du  Marava  et  du  Sud.  L'inondation  a 
consommé  l'œuvre  de  la  famine.  Il  restait  encore  à  nos 
Indiens  leurs  maisons  et  leurs  champs  desséchés.  Mainte* 
nant  ils  n'ont  même  plus  de  demeure  pour  s'abriter,  plus 
de  champ  à  ensemencer.  Les  rivières  ont  été  ravinées  et 
ensablées.  La  saison  des  pluies  est  finie,  et  les  étangs  qui^ 
dans  le  Sud,  ont  tous  rompu  leurs  digues,  sont  vides .  de 
•  sorte  que,  pendant  la  brillante  saison  d'été,  nos  Indiens  du 
Sud  vont  se  trouver  sans  eau  et,  par  conséquent,  '  sans 
récolte. 

^^  La  désolation  est  grande  partout,  mais  çurtout  à  Tada* 
kencoulam.    Là,  une  première  inondation  avait  déjà  fait 
de  grands  ravages  ;  mais  une  seconde,  plus  terrible  encore, 
n'a  rien  laissé.    Nous  avions  envoyé  une  part  des  secours 
que  nous  avions  reçus  de  France  aux  Pères  Faseuille  et 
Delphech,  qui  étaient  à  Vadakencoulam.    Nos  Pères  ont 
tout  donné,  et  quand  il  ne  leur  est  plus  rien  resté,  leurs 
pauvres  chrétiens  sont  allé  demander   des   secours  aux 
protestants,  qui  avaient  reçu  des  Anglais  de  larges  somni^s 
à  distribuer.    On  leur  a  répondu  :  "  Quittez  vos  prêtres^ 
*^  faites- vous  protestants,  et  nous  vous  donnerons  de  quoi 
*'  rebâtir  vos  maisons  et  nourrir  vos  familles.    "  Nos  chré- 
tiens sont  revenus  trouver  les  Pères  et  leur  ont  dit  la  répon- 
se des  protestants.    Maintenant,  ils  attendent  que  leurs 
prêtres  viennent  à  leur  secours,  ils  ne  peuvent  rien  espérer 
d'ailleurs. 

"  A  Vadakencoulam,  le  choléra  est  venu  s'ajouter  à  tous 
les  autres  fléaux.    Nos  missionnaires  ont  des  remèdes  qui 


157 

ordinairement,  sauvent  bien  des  cholériques;  mais  cette 
fois  tout  a  été  inutile.  'Il  semble  que  ce  choléra  soit  un 
châtiment  de  Dieu.  Dans  Vadakencoulam,  la  populatioxi 
est  divisée  en  deux  camps,  malheureusement  souvent  en 
guerre  ;  d'un  côté,  les  hautes  castes,  Vellages  et  Mondélis  ; 
de  l'autre,  Iqs  basses  castes,  Sanards  et  Parias.  Le  fléau 
s'est  attaqué  seulement  aux  hautes  castes.  La  première 
maison,  où  a  été  appelé  le  P.  Faseuille  pour  donner  les  der- 
niers sacrements,  renfermait  quatre  cholériques.  C'était 
quatre  frères:  le  soir,  ces  quatre  jeunes  gens  étaient  em- 
portés au  cimetière.  En  quinze  jours,  sur  650  Vellages  ou 
Mondélisqui  se  trouvaient  dans  le  village,  105  étaient  empor- 
tés par  le  fléau.  Les  Sanards  et  les  Parias,  qui  étaient  plus 
de  1300,  n'ont  pas  eu  un  seul  mort.  Nos  Vellages  et  Mondé- 
lis  ont  compris  que  c'était  un  châtiment,  et  qu'il  fallait  re- 
courir à  Dieu.  Ils  ont  montré  uue  charité  et  un  courage 
admirables.  Une  qninzaine  d'entrj  eux,  pendant  quatorze 
jours,  ont  été  occupés  à  creuser  des  fosses  et  à  porter  des 
cadavres.  Ils  ne  recevaient  aucun  salaire  et  ils  oubliaient 
tout  pour  accomplir  cet  acte  de  dévouement.  L'un  d'eux 
avait  sa  fille  malade  du  choléra  :  il  va  trouver  le  P.  Fa- 
seuille, à  une  heure  après-midi,  pour  lui  rendre  compte 
des  morts  et  des  enterrements.  Le  Père  lui  demande  : 
*' Comment  va  ton  enfant  ? — Je  n'en  sais  rien,  Père;  je 
**  suis  sorti  ce  matin,  après  déjeuner,  et,  depuis  ce  matin, 
**  j'ai  travaillé  à  porter  les  cadavres  (1).  "  A  la  charité,  nos 
Vellages  ont  joint  l'humiliation.  Us  ont  fait  spontanément 
un  acte  qui  semble  héroïque  à  ceux  qui  connaissent  l'or- 
gueil des  castes  dans  ce  pays-  Ils  ont  promené,  dans  les 
rues  du  village,  la  statue  de  «aint  Sébastien,  en  se  servant 
du  sapram  déjà  employé  par  les  Sanards.  Us  ont  eu,  ensui- 
te, ridée  de  faire  une  cérémonie  d'expiation,  et  en  ont 
demandé  la  permission  au  Père,  Les  principaux  chefs,  une 


(t)  Noire-Seigneur  a  béni  la  charité  de  cet  homme  ;  sa  fille  est  guérie 
disciples  des  Pères  ont 'donné  les  premiers  l'exemple  du  dévoue- 
ment. Eux  aussi  sont  morts  victimes  du  fléau,  et  aussi  de  la  charité. 
Le  vide  s'est  fkît  auioiir  des  Pères,  et,  un  jour,  ils  se  sont  trouvés  san» 
UD  seul  discâpie  pour  les  aider  et  les  servir. 


158 

couronne  d'épines  sur  la  tête,  ont  lu  un  acte  d'amende  ho- 
norable, pour  les  principaux  péchés  commis  danslô  village* 
Eoûn,  tOHS  se  sont  confessés  et  ont  fait  la  sainte  communioD. 
Le  Père  a  fait  un  appel  au  Cœur  de  Notre-Seigneur  en  fa- 
veur de  ses  pauvres  chrétiens.  II  a  fait  mettre  sur  toates 
les  portes  une  petite  image  du  sacré  Cœur.  A  partir  de  ce 
jour,  le  fléau  a  diminué,  et,  trois  jours  après,  il  n'^^^^t 
plus  un  seul  cholérique  dans  Vadakencoulam. 

'^  Pendant  de  longs  mois  encore,,  nous  aurons  besoin  des 
secours  que  nos  bienfaiteurs  nous  envoient  de  France.  Les 
protestant»,  qui  distribuent  l'argent  à  pleines  mains,  solli- 
citent nos  pauvres  chrétiens  affamés;  des  familles,  des  viL 
lages  entiers  de  païens  s'offrent  à  nous  et  donnent  des  garan- 
ties de  persévérance,  si  nous  pouvons  les  secourir  ;  partout 
nos  chrétiens  sont  encore  dans  le  plus  grand  dénùment. 
Aussi,  tous  nos  Père  missionnaires  ne  cessent  de  nous  de- 
mander des  secours.  Ici,  au  Maduré,  les  aumônes  que 
.  vous  nous  envoyez  produisent  un  double  fruit:  elles  sau- 
vent la  vie  à  nos  pauves  affamés  et  ouvrent  le  ciel  à  des 
milliers  de  païens*  Cette  semaine  encore,  135  païens  adul- 
tes ont  été  baptisés.  Dans  toute  la  mission,  des  prières  ont 
été  ordonnées  pour  tous  nos  bienfaiteurs. 

^^  Veuillez  me  recommander  quelquefois  au  CkBur  de 
Notre-Seigneur  et  à  sa  miséricordieuse  Mère.  Merci  pour 
tout  ce  que  vous  avez  fait  pour  nous. 

^'  Je  suis,  etc.  L.  Barbiïr,  S.  J.  " 

^^  J'allais  expédier  le  courrier  d'Europe,  quand  j'ai  reçu 
la  lettre  suivante  du  P.  Pouget.  Je  vous  l'envoie  teUe 
quelle.  Aujourd'hui  encore,  le  P.  Larmey  m'écrit  que  le 
mouvement  de  conversions  s'accroît  de  plus  en  plus  dans 
son  pangou.  Si  les  ressources  ne  nous  manquent  pas,  nous 
pouvons  fonder  de  nouvelles  et  belles  chrétientés.  Il  serait 
bien  triste  de  laisser  passer  cette  occasion,  qui  ne  se  pré- 
sentera probablement  jamais  plus.  On  m'annonce  que  k  '■ 
P.  Faseuille  est  guéri.  Le  P.  Delpech  reprend  des  forces. 
Mais  nous  avons  plusieurs  Pères  fatigués,  à  cause  de  l'excës 
du  travail.  L.  B.  " 


159 

"  Palamcottah,  le  16  janvier  1878. 

**  Mon  révérend  Pèrô,  — ^je  viens  d'écrire  à  Monseigneur 
pour  demander  des  fonds.  Si  nous  voulons  entretenir  et 
augmenter  le  mouvement  qui  se  manifeste  vers  le  catholi- 
cisme,  dans  le  district  de  Palamcottah,  il  faut  des  ressources 
abondantes.  Inutile  de  se  le  dissimuler.  Mais  ces  sacrifi- 
ces pécuniaires  seraient  compensés  par  une  ample  mois- 
son d'âmes,  autant  que  je  puis  en  juger. 

**  La  misère  nous  arhène  actuellement  de  nombreuses  po- 
pulations qui  jamais  n'auraient  renoncé  au  paganisme  sans 
ôtre  attirées  vers  nous  par  l'aumône  de  la  charité.  Ne  croy- 
ez pas,  pourtant,  que  ces  conversions,  paraissant  fondées 
sur  l'intérêt,  n'aient  pas  de  sûres  garanties  de  stabilité.  Je 
suis,  au  contraire,  d'avis  que  l'assistance  que  nous  donnons 
nous  attachera  les  cœurs  de  ceux  qui  en  ressentent  les 
douces  influences.  Il  n'y  a  aucun  déshonneur  pour  notre 
religion  à  secourir  les  infortunes.  Nous  n'achetons  pas  les 
âmes,  à  la  façon  des  protestants.  Tout  en  évitant  cet  écueil,. 
je  crois  que  la  gloire  de  Dieu  demande  que  nous  profitions 
des  circonstances  actuelles  pour  faire  un  bien  durable,  qui 
se  perpétuera  de  génération  en  génération. 

"  A  Tuticorin,  le  P.  Miquel  a  baptisé  2Î0  païens  depuis 
le  2  décembre  dernier.  Nous  avons  actuellement  160  ca- 
téchumènes qui  se  préparent  au  baptême,  et  un  grand 
nombre  qui  sollicitent  la  môme  faveur. 

"  Les  néophytes  qui  ont  été  baptisés  appartiennent  prin- 
cipalement à  trois  villages:  150  Paliers  à  Velayoudapuram, 
18  Maravers  à  Mélamarudur,  152  Sanards  à  Vépelodei  et 
dans  le  voisinage. 

"  Vous  serez  content  d'apprendre  quelque  chose  sur  leurs 
dispositions,  et  les  espérances  qu'ils  nous  donnent  de  leur 
persévérance. 

"  Les  Paliers  de  Valayoudapuram  nous  présentèrent  un 
mouton,  le  jour  du  premier  de  l'an.  Nous  leur  répon- 
dîmes que  nous  le  laissions  à  leur  usage  ;  ils  s'en  montrè- 
rent presque  mécontents,  et  nous  prièrent  d'accepter  ce  pe- 
tit gage  de  reconnaissance,  pour  les  services  que  nous  leur 
avions  rendus.    Le  dimanche,  ils  viennent  assidûment  à  la 


160 

tnesse  à  Tuticoria.  Le  jour  du  Pouguel,  cérémonie  païenne^ 
les  païens  voisins  étaient  venus  faire  les  apprêts  de  leurs  cé- 
rémonies près  de  nos  paliers.  Ils  voulaient  les  vexer,  en  leur 
mettant  sous  les  yeux  les  réjouissances  de  la  religion  qu'ils 
ont  abandonnée.  Non-seulement  aucun  néophyte  ne  voulat 
participer  à  ces  superstitions  païennes,  mais  ils  réussirent  1 
•éloigner  leurs  anciens  compagnons  d*idolâtrie,  eu  protestant 
•qu'ils  avaient  renoncé  à  toutes  ces  superstitions,  pour  ne  sui- 
vre désormais  que  le  culte  catholique.  Bien  des  fois,  je  lésai 
entendus  faire  la  même  protestation  en  ma  présence.  Lundi 
dernier,  jour  de  mon  départ,  le  P.  Miquel  était  allé  dire  la 
messe  chez  eux  pour  la  première  fois.  IL  apporta  une  clo- 
che, un  christ  et  une  statue  de  saint  François  Xavier,  leur 
patron.  Il  devait  installer  ces  objets  dans  un  misérable 
pandel,  que  nous  avons  fait  construire.  Cet  événement 
était  trop  remarquable  pour  qu'il  se  passât  sans  solennitéL 
Eux-mêmes  avaient  voulu  faire  les  frais  de  la  fête,  et  s'é- 
taient imposé  un  Vari  qui  montait  à  2  roupies  et  i.  Celait 
assez  pour  les  pétards  et  la  fanfare.  Un  nombre  asses 
considérable  de  Paravers  accompagna  le  Père  dans  son  ex- 
cursion. Nos  Paravers  ont  servi  de  panains  à  ces  non- 
veaux  chrétiens,  et  s'intéressent  beaucoup  à  eux.  Ces  liens 
d'union  ne  peuvent  avoir  que  de  bons  résultats.  L'im- 
pression par  cette  petite  cérémonie  sera  excellente.  Elle 
attirera,  probablement,  de  nouvelles  conversions  dans  les 
environs.  Déjà  quelques  individus  inscrits  par  les  protes- 
tants parlent  de  venir  à  nous. 

"  Un  village  de  130  personnes,  aux  portes  de  Tuticorin,  se- 
ra baptisé  avant  quinze  jours.  Dans  plusieurs  autres  en- 
droits, on  manifeste  des  désirs.  Mais  encore  une  fois,  là 
(juestion  des  fonds  est,  ici,  une  question  de  vie  ou  de  mort 
pour  tout  ce  mouvement.— Je  suis,  etc. 

"  G.  POUGET,  S.  J.  " 


LA  NOUVELLE  NURSIE. 

HISTOIRE  D'uNK   COLONIE    BÉNÉDICTINE   DANS   L'ArSTRALIB 

OCCIDENTALE 

—1846-1877  — 

(Suite.) 
CHAPITRE    DEUXIÈME. 

« 

Insuccès  des  premières  missions.  —  Les  PP.  Serra  et  Salrado  au 
milieu  des  bois.  —  Leurs  épreuves. 

Lorsque  les  missionnaires  se  furent  un  peu  remis  des 
fatigues  du  voyage,  Mgr  Brady  les  réunit  en  conseil  pour 
avoir  leur  avis  sur  le  meilleur  moyen  d'évangéliser  les  Aus- 
traliens. Après  une  longue  discussion,  il  fut  convenu  qu'il 
y  aurait  trois  centres  de  mission  :  !<>  la  mission  du  nord,  con- 
fiée à  M.  Gonfalonieri,  avec  deux  catéchistes  irlandais  ;  2^ 
la  mission  du  sud,  confiée  à  MM.  Thébeaux  et  Tiersé,  avec 
deux  catéchistes  frangais  ;  3<>  la  mission  du  centre,  confiée 
aux  PP.  Serra  et  Salvado,  avec  deux  catéchistes  anglais  et 
le  F.  Léandre  dé  Solesmes. 

L'évoque  de  Perth  demanda  au  gouverneur  de  la  colonie 
des  terres  pour  établir  ses  missionnaires.  Vingt  acres 
furent  accordées  en  toute  propriété  à  chacune  des  missions. 
Le  dimanche  25  janvier,  fête  de  la  Conversion  de  saint 
Paul,  Mgr.  Brady,  à  l'issue  de  la  grand'messe,  adressa  une 
allocution  à  ces  prêtres  et  à  ces  catéchistes  de  nations  si 
diverses  qui  allaient  chercher,  dans  les  bois  de  l'Australie, 
les  pauvres  sauvages  pour  les  amener  à  la  lumière  de 
l'Évangile.  Après  ce  discours,  le  pontife  donna  sa  bénédic- 
tion aux  missionnaires  agenouillés,  et  les  embrassa  tous 
paternellement  Cette  cérémonie  émut  tellement  trois  pro- 
testants, mêlés  par  curiosité  à  la  foule  des  catholiques, 
qu'ils  se  convertirent  et  devinrent  ainsi  les  prémices  de  cet 
apostolat 

La  mission  du  sud  quitta  Perth  au  commei^cement  de 

3 


162 

février.  Elle  se  dirigea  à  pied  vers  la  ville  d'Albany,  où 
elle  n'arriva  qu'à  la  an  de  mars.  Les  prêtres  et  les  caté- 
chistes qui  en  faisaient  partie  se  mirent  aussitôt  à  la  re- 
cherche des  sauvages  et  souffrirent  beaucoup  dans  leurs 
courses  à  travers  les  bois.  Ayant  épuisé  leurs  provisions, 
ils  vécurent  quelque  temps  encore  de  pommes  de  terre  oa 
des  galettes  que  les  marins  de  la  côte  leur  donnaient  par 
charité.  Après  quelques  mois  d'une  existence  très-précai- 
re, ils  obtinrent  la  permission  de  s'embarquer  pour  Tile 
Maurice,  qui  manquait  d'ouvriers  évangéliques  et  qui 
offrait  un  ministère  moins  difficile  et  plus  consolant.  Nous 
avons  p^rlé  déjà  de  l'issue  malheureuse  de  la  mission  diri- 
gée sur  le  nord  de  l'Australie,  à  Port-Vittoria.  Une  troi- 
sième mission  que  Mgr  Brady  envoya  à  Guildfort,  à  neuf 
milles  seulement  de  Perth,  ne  réussit  pas  mieux  que  les 
deux  autres,  et  le  prêtre  Powel,  qui  en  avait  la  direction^ 
désespérant  du  succès,  se  rendit  dans  Tlnde,  où  11  fut  admis 
parmi  les  missionnaires  de  Calcutta. 

Il  semblait  que  la  Providence  réservait  l'apostolat  des 
Australiens  aux  moines  espagnols.  Mgr  Brady  découragé 
n'osait  permettre  aux  PP.  Serra  et  Salvado  de  partir  pour 
leur  mission,  lorsqu'un  des  colons  catholiques  de  Swan- 
River,  le  capitaine  irlandais  Jean  Scully,  lui  apprit  que., 
non  loin  de  ses  possessions,  se  trouvaient  des  terres  fertiles 
et  qu'un  grand  nombre  de  sauvages  vivaient  dans  les  bois 
d'alentour.  A  cette  nouvelle,  les  deux  Bénédictins  suppliè- 
rent l'évêque  de  Perth  de  les  laisser  partir  avec  leurs  caté- 
chistes. *'  Le  16  février  1846,  raconte  le  P.  Salvado,  ayant 
pris  notre  léger  bagage  sur  les  épaules,  le  crucifix  sur  la 
poitrine,  et  le  bâton  à  la  main,  nous  nous  rendîmes  à  l'église 
-où  Mgr  Brady  nous  attendait.  Toute  la  colonie  informée 
de  notre  départ,  remplissait  l'humble  cathédrale  de  Perth  ; 
car  les  protestants  comme  les  catholiques  voulaient  nous 
faire  leurs  adieux,  que  beaucoup  pensaient  devoir  être 
éternels.  L'évêque  nous  fit  une  exhortation  qui  émut  tous 
les  assistants.  Ayant  reçu  sa  bénédiction  et  le  baiser  de 
paix,  nous  quittâmes  Perth,  accompagnés  jusqu'à  plus  d'an 
mille  par  notre  premier  pasteur  et  une  grande  partie  de  la 
population.    La  lune  éclairait  d'une  lumière  douce  notre 


163 

chemin,  et  derrière  nous  suivaient  deux  chariots  où 
étaient  entassés  nos  petites  provisions,  qnelques  vêtements 
de  rechange,  des  outils  de  cultivateurs  et  un  autel  portatif.*' 

La  première  étape  fut  assez  pénible.  La  contrée  que 
traversaient  les  missionnaires,  étant  fort  sablonneuse,  ren- 
dait la  marche  difficile.  Vers  deux  heures  après  minuit,  le 
P,  Serra,  chef  de  la  caravane,  jugea  à  propos  de  faire 
arrêter  tout  son  monde,  sauf  les  conducteurs  des  chariots 
qui  continuèrent  leur  route  pour  arriver  plus  tôt  à  la 
ferme  d'un  Irlandais  nommé  Moore.  Les  missionnaires  et 
leurs  deux  compagnoiis  s'étendirent  sur  la  terre  nue,  au- 
dessous  d'un  arbre  gigantesque  (Eucalyptus  robusta)^  qui 
semblait,  par  l'épaisseur  de  son  tronc  et  la  largeur  de  ses^ 
Lranches,  dater  du  déluge,  et  bientôt  un  profond  sommeil 
vint  réparer  leurs  forces.  Ils  ne  s'éveillèrent  qu'à  la  pointe 
du  jour.  Ils  se  mirent  de  nouveau  en  chemin  dans  l'épaisse- 
forêt  qui  couvrait  presque  tout  le  pays.  Arrivés  à  une 
clairière  où  commençaient  trois  sentiers,  ils  ne  savaient 
lequel  suivre,  lorsqu'un  sauvage,  tenant  d'une  main  sa 
longue  lance  et  de  l'autre  un  tison  enflammé,  parut  à  leurs 
yeux.  Ils  lui  crièrent  :  *'  Moore,  Moore."  L'Australien 
les  corayrit,  leur  indiqua  de  la  main  un  des  sentiers  et  se 
mit  à  marcher  devant  eux  de  ce  pas  rapide  et  élastique 
propre  aux  enfants  des  bois.  Après  avoir  traversé  une 
forêt  composée  d'arbres  inconnus  en  Europe,  araucanias, 
banksias,  xanthoréas,  zamias,  eucalyptus,  etc.,  ils  arrivè- 
rent chez  M,  Moore.  Ce  fut  sous  ce  toit  hospitalier  que  les 
PP.  Serra  et  Salvado  célébrèrent  pour  la  dernière  fois  le 
saint  sacrifice  dans  une  maison  couverte  ;  ils  ne  devaient 
plus,  jusqu'à  leur  installation  dans  la  colonie  monastique, 
offrir  l'auguste  victime  que  sous  la  voûte  du  ciel. 

En  quittant  M.  Moore,  la  petite  troupe  de  missionnaires 
fit  l'asoension  d'une  montagne  escarpée,  une  des  dernières 
ramifications  de  la  chaîne  des  monts  Darling.  Après  un 
trajet  de  trente  milles,  ils  traversèrent  le  fleuve  Avon,  dont 
le  lit  se  trouvait  alors  presque  entièrement  à  sec,  etarrivè* 
rent,  le  21  février,  à  l'habitation  du  capitaine  Scully,  le 
colon  le  plus  éloigné  de  Perth,  dont  il  est  distant  de  pris 

de  68  milles.    C'était  la  dernière  halte  avant  d'entrer  dans 


164 

les  solitudes  boisées  de  Tiatérieur  ;  les  missionnaires  y 
demeurèrent  trois  jours  pour  faire  reposer  leurs  boeufs. 
Le  capitaine  leur  donna  de  très-utiles  renseignements  sur 
la  contrée  qu'ils  allaient  traverser. 

A  l'aide  de  la  boussole,  les  missionnaires  se  dirigèrent 
vers  le  nord  où  se  trouvait,  d'après  le  rapport  de  quelques 
sauvages,  une  terre  fertile  appelée  par  eux  Baggi-baggi. 
Ils  rencontrèrent  d'abord  un  pays  montueux,  mais  couvert 
d'une  riche  végétation  ;  vinrent  ensuite  des  plaines  presque 
entièrement  sablonneuses,  où  l'on  ne  rencontrait  que  des 
eucalyptus  de  différentes  espèces,  la  rluylsia  fîorida  et  beau- 
coup de  plantes  vénéneuses.  En  approchant  de  Baggi- 
baggi,  ils  virent  des  terres  qui  leur  parurent  meilleures,  et, 
dans  les  Vittoria  Plains,  ils  furent  émerveillés  de  la  beauté 
des  arbres  et  de  la  force  de  la  végétation.  Mais  une  soif 
brûlante,  augmentée  par  la  chaleur  de  la  saison,  ne  leur 
permit  pas  d'admirer  longtemps  le  paysage.  La  source 
qu'ils  espéraient  trouver  à  Baggi-baggi  était  presque  dessé- 
chée. Les  bœufs  coururent  d'eux-mêmes  s'y  désaltérer,  et 
il  fallut  les  écarter  avec  l'aiguillon  pour  boire  un  peu  d'eau 
saumâtre  et  pleine  de  boue,  qui  provoquait  les  vomisse- 
ments. Un  sauvage,  que  le  capitaine  ScuUy  avait  adjoint 
à  la  petite  caravane,  assura  qu'il  se  trouvait  de  l'eau  à  peu 
de  distance.  L^  P.  Salvado  et  le  F.  Léandre  l'y  suivirent  ; 
mais,  là  encore  "  le  soleil  avait  tout  bu  ",  comme  disent  les 
Australiens.  L'indigène  frappa  du  pied  avec  indignation 
et  fit  signe  qu'il  allait  chercher  une  autre  sourte.  A  la  fin, 
ils  découvrirent  une  profonde  cavité  où  l'eau  des  pluies, 
protégée  par  de  grands  arbres,  s'était  conservée  fraîche  et 
pure.  Ils  étanchèrent  leur  soif  ;  puis,  ayant  rempli  deux 
grandes  gourdes  du  précieux  liquide,  ils  se  hâtèrent  de 
rejoindre  leurs  compagnons,  en  poussant  de  temps  à  autre 
1(3  cri  aigu  Cai  !  Cui  !  dont  les  sauvages  se  servent  pour  an- 
noncer de  loin  une  heureuse  découverte.  A  la  tombée  de 
la  nuit,  les  missionnaires  se  trouvaient  tous  réunis  auprès 
dé  ce  petit  étang,  et  l'on  fit  au  sauvage  une  large  part  du 
souper  commun,  qu'il  absorba  en  silence  et  avec  une  mer- 
veilleuse rapidité- 

Le  lendemain,  les  PP.  Serra  et  Salvado  furent  soumis  à 


i0S 

iine  éj^euve  qui  aurait  triocaphé  de  caractères  moins 
fortement  trempés  et  de  cœura  moins  dévoués  au  salut  des 
âmes.  Les  conducteurs  des  chariots,  fort  peu  soucieux  de 
partager  la  vie  pleine  de  privations  et  de  périls  des  mission* 
naires,  déclarèrent  qu'ils  n'iraient  pas  plus  loin.  Malgré 
toutes  les  promesses  qu'on  put  leur  faire,  malgré  toutes  les 
supplications  qu'on  put  leur  adresser,  ils  déposèrent  fleg- 
matiquement  le  contenu  des  chariots  sous  un  eucalyptus 
«en  se  disposant  à  retourner  à  Perth,  sans  s'inquiéter  du  sort 
réservé  aux  deux  Bénédictins  et  à  leurs  catéchistes.  Cepen- 
dant, comme  c'était  le  premier  dimanche  du  Carême,  ils 
voulurent  assister,  à  la  messe  célébrée  en  plein  air  par  le 
P.  Serra  et  •  à  celle  du  P.  Salvado.  Un  des  chars  servit 
d'autel.  Aussitôt  après,  ils  prirent  la  roate  de  la  capitale 
du  Swan-River,  et  le  sauvage  retourna  dans  ses  bois.  "  Ce 
départ  ne  put  nous  décourager,  dit  le  P.  Salvado,  car  nous 
avions  mis  toute  notre  assurance  en  celui-là  même  que 
nous  venions  d'offrir  pour  la  première  fois  dans  les  soli- 
tudes boisées  de  l'Australie  comme  victime  de  propitiatioa 
pour  ces  pauvres  sauvages  dont  nous  voulions  être  les 
apôtres.  " 

Restés  seuls,  avec-  le  F.  Lôandre  et  le  catéchiste  irlan- 
dais, les  PP.  Serra  et  Salvado  résolurent  de  construire,  en 
ce  lieu  même,  une  cabane  de  branchages.  Ils  se  mirent 
aussitôt  à  la  besogne,  et,  vers  le  soir,  ce  fragile  abri  était 
<léjà  recouvert  de  feuillage.  Dans  l'ardeur  du  travail,  les 
missionnaires  n'avaient  pas  aperçu  une  troupe  de  sauvages, 
armés  de  longues  lances,  qui  les  regardaient  de  loin  et  qui 
bientôt  s'approchèrent  du  petit  étang  auprès  duquel  s'élevait 
la  cabane.  Ces  Australiens  étaient  anthropophages,  et  ils 
examinaient  les  nouveaux  venus  avec  une  attention  qui  ne 
semblait  pas  du  tout  rassurante.  Les  deux  missionnaires 
et  leurs  compagnons  ne  s'en  émurent  pas  autrement  Leur 
besogne  achevée,  ils  allumèrent  un  grand  feu,  comme  les 
sauvages  venaient  de  le  faire,  et  se  mirent  à  chanter  les 
compiles  à  deux  chœurs  avec  les  pauses  et  les  inclinations 
qui  se  pratiquaient  dans  leur  monastère.  Ils  récitèrent 
ensuite  le  chapelet  à  genoux,  et,  après  un  léger  repas  de 
galettes  cuites  sous  la  cendre,  de  riz  à  l'eau  et  thé,  ils  s'en- 


166 

dormirent  paisiblement,  sous  la  protection  de  leurs  anges- 
gardiens. 

Le  lendemain,  à  là  pointe  du  jour,  les  PP.  Serra  et 
Salvado  dressèrent  un  autel  champêtre  et  offrirent  l'auguste 
Yiclâme  pour  les  sauvages  qui  suivai^t  des  yeux  lears^ 
moindres  mouvements,  et  qui  partire  *  après  le  lever  du 
soleil.  Le  soir,  les  sauvages  revinrent  en  plus  grand  nom* 
bre  et  se  placèrent  à  trente  pas  à  peine  de  la  cabane  des 
missionnaires.  '^  Nous  fîmes,  lacon^  le  P.  Salvado,  nos- 
exercices  de  piété  comme  à  l'ordinaire  ;  mais,  la  nuit^ 
notre  sommeil  fut  souvent  interrompu  par  la  pensée  de  ces 
incommodes  voisins,  qui  pouvaient  d'un  moment  à  l'autre 
céder  à  la  tentation  de  nous  tuer  pour  nous  manger."  Le 
matin  arrivé,  les  missionnaires,  après  la  messe,  prenaient 
leur  maigre  repas  lorsqu'ils  virent  les  sauvages  s'avancer^ 
en  foule  vers  eux  tenant,  chacun  dans  les  mains,  cinq  ou 
six  javelines  qu'ils  appellent  des  guichls.  Les  moines^ 
s'avancèrent  à  leur  rencontre  avec  un  visage  riant  et  leur 
offrirent  la  nourriture  qu'ils  avaient  préparée  pour  eux- 
mêmes  et  des  morceaux  de  sucre.  Les  sauvages  brandi- 
rent  leurs  armes,  pendant  que  les  femmes  et  les  enfan  ts 
s'enfuyaient  en  poussant  des  cris  aigus. 

"  Nous  avancions  toujours,  continue  le  P.  Salvado,  en 
leur  faisant  signe  de  baisser  leurs  lances,  qui  allaient  nous 
percer,  si  Dieu  ne  les  avait  retenus,  et  en  leur  offrant  nos 
galettes  de  farine  et  notre  sucre  dont  nous  mangions  nous- 
mêmes  pour  les  inviter  à  y  goûter  à  leur  tour.    Quelques 
Australiens  déposèrent  leurs  javelines,  et  prirent  le  sucre  ; 
mais,  après  l'avoir  porté  à  leurs  lèvres,  ils  le  rejetèrent 
parce  que  cette  saveur  si  douce  les  surprenait.    Nous  en 
jnlmes  dans  notre  bouche  une  seconde  fois  pour  les  i;assu- 
rer.    Ils  se  décidèrent  à  i^ianger  les  morceaux  que  nous 
leur  présentions,  les  trouvèrent  bons  et  invitèrent  les  autres 
à  les  imiter.    £n  quelques  minutes,    tout  ce  que  nous 
avions  de  galettes  et  de  sucre  fut  dévoré,  et  ils  s'en  dispu- 
taient entre  eux  les  moindres  bribes.    Ce  fut  ainsi  que,  par 
la  grâce  de  Dieu  et  la  protection  de  sa  très  sainte  Mère,  de 
pauvres  missionnaires  isolés  et  sans  armes  purent,  en  quel- 
ques moments,  dompter  ces  anthropophages  et  se  faire 
d'eux  des  amis." 


167 

En  effet  les  Australiens  s'approchèrent  de  la  cabane  im- 
provisée, examinèrent  curieusement  les  instruments  de 
'travail  et  aidèrent  les  missionnaires  à  établir  cette  fragile 
demeure  sur  des  bases  plus  solides.  On  mangea,  on  dormit 
ensemble,  et  la  plus  franche  intimité  régna  bientôt  entre  les 
natifs  et  les  missionnaiies.  Mais  la  faim  ne  tarda  pas  à 
obliger  les  indigènes  à  se  mettre  en  chasse  ;  car  les  proTi- 
sions  de  la  mission  avaient  promptement  disparu  devant 
l'appétit  de  ces  sauvages,  les  plus  grands  mangeurs  du 
mondé.  On  entra  dans  les  bois, 'et  les  missionnaires  par* 
tagèrent  dès  lors  tous  les  travaux  et  toutes  les  fatigues  de 
ceux  qu'ils  voulaient  évangéliser.  Souvent  même  ils  por- 
taient, califourchon  sur  leurs  épaules,  les  petits  enfants,  et 
ceux-ci  les  aimaient  déjà  autant  que  leurs  propres  parents» 
tll'était  une  fête  quand  on  débusquait  un  kangourou  ou  nu 
opossum  (espèce  de  seiigue);  mais  souvent  on  ne  trouvait 
pour  les  repas  que  des  racines,  des  baies  sauvages,  des 
lézards  ou  des  vers  de  terre.  Tout  en  cheminant  dans  les 
bois,  les  missionnaires  cherchaient  à  parler  de  Dieu  et  de 
la  religion  chrétienne  a  leurs  nouveaux  amis  ;  malhen^ 
reusementy  ne  connaissant  pas  encore  leur  idiome,  ils  de- 
vaient à  chaque  mot  qu'ils  entendaient  le  noter  avec  sa 
signification,  afin  d'arriver  à  former  peu  à  peu  le  vocabu- 
laire australien  commencé  au  débarquement. 

L'ignorance  du  langage,  la  pénurie  de  la  nourriture  n'é- 
taient pas  les  seules  difficultés  à  vaincre  dans  cette  vie  ab- 
solument nomade.  La  réfiexion  d'un  soleil  ardent  sur  la 
blancheur  du  sable  causa  bientôt  aux  missionnaires  de 
cruelles  ophtalmies.  La  privation  de  l'eau,  dans  un  pays 
presque  uniquement  arrosé  par  les  pluies  êquinoxiales,  les 
exposa  plus  d'une  fois  à  mourir  de  soif.  Aussi  la  santé  des 
missionnaires  se  trouvait-elle  déjà  fortement  éprouvée^  Le 
Vé  Salvado,  qui  était  le  moins  malade,  pensa  qu'un  peu  de 
bouillon  ferait  grand  bien  à  ses  confrères,  et  il  partit  un 
Jour  en  chasse  pour  tuer  un  kangourou.  H  marcha  long, 
temps  sans  en  rencontrer  un  seul.  Découragé,  il  revenait 
assez  tristement,  lorsqu^un  vol  énorme  de  perroquets  blancs, 
appelés  kakatoès,  vint  s'abattre  dans  les  bois  qu'il  traver- 
.«ait  Lançant  alors  avec  vigueur  son  bâton  ferré  au  milleo 


168 

de  ces  oiseaux,  il  en  fit  tomber  deux  des  plus  gros.  Les 
perroquets,  qui  étaient  bien  cinq  à  six  miRe,  se  jetèrent 
aussitôt  sur  lui  avec  fureur,  et  il  ne  put  éviter  d'être  blessé 
par  leurs  becs  et  par  leurs  serres  qu'en  exécutant  avec  son 
bâton  un  rapide  moulinet,  et  en  courant  d'arbre  eu  arbre, 
jusqu'à  ce  qu'il  se  fût  mis  hors  des  atteintes  de  ses  enne- 
mis emplumés.  Le  bouillon  qu'il  &t  avec  la  chair  des 
deux  perroquets  était  délicieux  et  soulagea  beaucoup  ses 
confrères.  Il  lui  fut  faeile  de  s'approvisionner  de  ce  gibier  ; 
car  ces  oiseaux  et  des  milliers  d'autres  venaient  se  désalté- 
rer dans  le  petit  étang  voisin  de  la  cabane  des  mission 
Bâires. 

L'on  approchait  de  la  fête  de  Pâques.  Le  F.  Léandre, 
voulant  offrir  pour  ce  grand  jour  un  régal  à  ses  deux  Pères, 
se  lança,  dès  le  matin  du  11  avril,  le  samedi  saint,  à  la 
poursuite  d'un  kangourou.  Quoique  jeune,  fort  et  plein 
d'ardeur,  il  ne  put  l'atteindre,  et  l'agile  animal,  par  ses 
bonds  et  ses  énormes  enjambées,  eut  bientôt  disparu  dans 
les  bois..  Le  F.  Léandre  s'égara.  A  la  tombée  de  la  nuit, 
les  deux  missionnaires  et  le  F.  Gorman,  ne  le  voyant  pas 
revenir^  furent  dans  des  craintes  mortelles.  Ils  parcouru- 
rent les  bois  voisins  en  poussant  de  grands  cris,  et  allumè- 
rent des  feux  sur  tous  les  monticules,  mais  l'écho  seul  leur 
répondit,  ou  le  sifflement  moqueur  de  quelque  kakatoès  ré< 
Yoillé  par  la  lueur  de  la  flamme.  Le  jour  de  Pâques  se 
passa  fort  tristement  pour  nos  missionnaires,  qui  chantèrent 
cependant  avec  courage  la  g  rand'messe  et  les  vêpres  et  fixent 
à  la  Madone  maintes  prières  pour  retrouver  leur  jeune  com* 
pagnoD.  Le  lendemain,  lorsque  déjà  ils  pleuraient  sa 
perte^le  F.  Léandre  arriva,  accompagné  de  quelques  sau- 
vages. 

Nous  ne  pouvons  raconter  en  détail  toutes  les  épreuves 
et  les  souffrances  des  nouveaux  missionnaires.  Eux-mêmes 
s'aperçurent,  au  bout  de  deux  mois,  que  les  fatigues  de 
cette  vie  des  bois  épuisaient  leurs  forces,  sans  grand  résul- 
tat pour  la  mission.  Le  P.  Sàlvado  s'offrii  alors  pour  re- 
tourner à  Perth  et  en  rapporter  .'dès  provisions  qui  leur 
permettraient  de  reprendre  quelque  vigueur  et  de  vivre 
plus  longtemps  avec  les  sauvages,  déjà  devenus  leurs  amis. 


169 

^^  Je  partis,  nous  dit-il,  arec  un  naturel  du  pays,  nommé 
Bigliagoro,  qui  consentit  à  m^  servir  de  guide.  Gomme 
ses  congénères,  il  n'avait  en  fait  de  vêtement  qu'une  cor* 
delette  en  peau  de  kangourou  pour  retenir  ses  cheveux,  et 
je  dus  l'affubler  d'une  large  pièce  d'étoffe  de  laine.  Dans 
la  route,  qui  fut  longue,  nous  mangions  ce  que  nous  trou- 
vions, c'est-à-dire  le  plus  souvent  des  lézards  ou  des  vers 
de  terre.  Bibiiagoro  me  laissait  toujours  la  meilleure  part 
de  sa  chasse  :  mais  souvent  mon  estomac  se  révoltait  Au 
bout  de  quelques  jours  cependant,  je  pus  le  digérer,  et  je 
dois  même  dire  qu'un  lézard  grillé,  ou  un  cuissot  d'opos- 
sum cuits  sous  la  cendre  dans  une  enveloppe  de  feuilles 
vertes  ne  sont  pas  des  mets  trop  désagréables  surtout 
quand  on  se  trouve  à  jeun  depuis  le  matin. 

'*  A  la  Duii  tombanie,  après  la  récitation  de  rofïice  divin 
et  de  mes  prières,  je  m'endormais  paisiblement  sur  l'herbe 
et  toujours  la  joie  dans  le  cœur  ;  car  je  me  sentais  d'une 
manière  toute  particulière  sous  la  garde  de  la  Providence» 
Quant  à  mon  guide,  il  continuait  son  repas  qui  ne  devait 
£nir,  suivant  la  coutume  de  ces  hommes  voraces,  qu'après 
la  disparition  complète  du  gibier  dont  il  était  devenu  le 
maître.  De  temps  à  autre,  il  me  réveillait  et  m'offrait  ua 
morceau  de  chair  d^à  tout  mâché  et  me  disait  :  ^^  Guaba^ 
guaba,  nunda^  nalgOj''  c'est  à-dire:  "Prenez,  prenez,  ceci 
est.  fort  bon."  J'avais  beau  lui  dire  que  je  le  croyais  sur 
jparole  ;  il  fallait  accepter  et  avaler  ce  qu'il  cioyaît  une  vé- 
ritable friandise." 


CHAPITRE  III 

One  soirée  musicale  à  Perih.  •— Retour  du  P.  Salvado  à  la  mission. — 
Vie  des  missiomiaires  avec  les  sauvages.  —  Fondation  du  monas-- 
1ère  de  la  Nouvelle-Nursie.  • 

Arrivé  à  Perth,  le  P.  Salvado  fit  connaître  V  Mgr  Bradj^ 
la  détresse  des  missionnaires.  L'éveque  en  fut  émn  jus- 
qu'aux larmes  5  malheureusement  ses  modiques  ressources- 
étaîent  à  peu  près  épuisées.  Aussi  voulait-il  rappeler  le  P- 
Serra  et  ses  compagnons.  Mais  le  P.  Salvado  Jui  déclara, 
avec  une  respectueuse  fermeté,  qu'ils  subiraient  les  derniè- 
res extrémités  plutôt  que  d'abandonner  l'œuvre  commen- 
cée. Alors  Mgr  Brady  promit  de  recommander  en  chaire 
la  mission  australienne,  et  le  P.  Salvado  se  disposa  à  faire 
une  quête  à  domicile.  Mais  les  catholiques  étaient  en  pe- 
tit  nombre  et  peu  favorisés  des  dons  de  la  fortune  ;  le  pro- 
duit des  quôtes  et  du  sermon  fut  très-minime. 

Il  vint  en  pensée  au  P.  Salvado  de  donner  une  soirée- 
musicale.    Très  habile  pianiste  et  connu  pour  tel  en  Espa. 
gne  et  en  Italie,  il  savait  que  l'annonce  d'un  concert  serait" 
bien  accueillie  des  protestants.    Mgr  Brady  approuva  cette 
idée,  et  toute  la  ville  de  Perth,  sans  distinction  de  religion^ 
s'y  associa  avec  un  élan  remarquable.    Sir  Clarke,  le  gou- 
verneur, accorda  gracieusement  la  salle  du  tribunal  ;  le 
lithographe,  quoique  méthodis'e,  voulut  imprimer  gratui- 
tement le  programme  et  les  cartes  d'invitation.    Le  minis- 
tre anglican  lui-même  prêta,  sans  qu'on  les  lui  demandât^ 
fes  tapisseries  de  son  temple,  et  son  sacris*ain  se  chargea 
de  l'illumination.    Enfin  un  juif,  appelé  Samson,  promit 
d'établir  le  contrôle  à  la  porte  et  de  maintenir  l'ordre  dan» 
la  salle. 

Le  P.  Salvado  emprunta  un  piano  aux  Religieuses  de  la 
Merci,  et,  le  21  mai,  il  se  présenta  à  la  nombreuse  assem- 
blée réunie  dans  la  salle  du  tribunal  transformée  en  salle 
de  concert.  Il  avait  gardé  son  habit  bénédictin.  '^  Mais^ 
nous  racontaitil  lui-même,  dans  quel  état  me  trouvai-je, 
après  trois  mois  de  séjour  dans  les  bois  de  l'Australie?  La. 
tunique,  tout  en  lambeaux,  me  descendait  à  peine  aux  gé— 


171 

HOUX  ;  mes  bas,  que  j'avais  essayé  de  raccommoder  avec 
des  fils  ou  des  ficelles  de  toutes  les  couleurs,  présentaient 
les  plus  étranges  bigarrures  ;  quant  aux  souliers,  ils  étaient 
percés  en  plusieurs  endroits  et  laissaient  à  découvert  les 
"doigts  des  pieds.  Ajoutez  à  cela  une  grande  barbe  inculte, 
la  figure  d'un  charbonnier  et  les  mains  d'un  forgeron. 
J'étais  un  objet  digne  à  la  fois  de  compassion  et  de  risée. 
Cependant  des  applaudissements  universels  m'accueillirent 
et  me  donnèrent  nn  peu  de  courage." 

Durant  trois  heures,  le  P.  Salvado  tint  son  auditoire  sous 
le  charme  de  ses  brillantes  improvisations.  Les  habitants 
de  Perth  montrèrent  leur  satisfaction  en  faisant  une  col- 
lecte dont  le  produit,  joint  au  prix  des  places,  forma  une 
assez  jolie  somme.  Mais  rien  ne  toucha  plus  le  cœur  du 
P.  Salvado  que  la  charité  d'une  brave  Irlandaise.  Voyant, 
à  l'issue  du  concert,  le  missionnaire  si  pauvrement  chaus- 
sé, elle  lui  donna  sur  le  champ  ses  propres  souliers,  qui 
étaient  larges  et  solides,  et  elle  s'en  retourna  gaiement  à  sa 
demeure  les  pieds  nus. 

Le  produit  de  la  soirée  musicale  permit  au  P.  Salvado 
de  faire  les  empiètes  nécessaires  à  la  mission  :  provisions 
de  bouche,  vêtements,  semences,  instruments  aratoires,  etc. 
Le  tout  fut  placé  sur  un  chariot  traîné  par  deux  bœufs,  que 
suivaient  deux  chèvres  et  leurs  chevreaux  ;  et  le  mission- 
xiaire  partit  fort  joyeux.  Mais  la  saison  des  pluies  était  ar- 
rivée, car  on  se  trouvait  au  mois  de  juillet,  qui  correspond 
dans  cet  hémisphère  à  notre  mois  de  janrier.  Après  avoir 
été  mouillé  tout  le  jour,  le  P.  Salvado  ne  pouvait  reposer, 
la  nuit,  que  sur  son  char,  tant  le  so!  était  détrempé;  et  toutes 
les  demi-heures,  pour  empocher  ses  bœufs,  qu'il  laissait 
paître  à  l'aventure,  de  trop  s'écarter,  il  devait  descendre  à 
terre  et  se  mettre  parfois  dans  l'eau  jusqu'aux  genoux.  Le 
'ciel  lui  réservait  une  autre  épreuve.  Les  traces  du  pre- 
mier passage  formaient  seules  la  route  à  suivre.  Dès  le 
deuxième  jour  du  voyagé,  l'eau  couvrant  une  partie  de  la 
plaine  qu'il  traversait,  il  ne  put  les  retrouver  et  se  perdit 
complètement  ^^Ce  fut  un  terrible  moment,  dit  le  mis- 
sionnaire. La  pensée  de  me  trouver  sans  guide  dans  cette 
Taste  solitude  et  par  un  temps  pareil  troubla  mon  esprit, 
■^t  je  ne  sarais  que  faire.    Je  me  jetai  à  genoux,  et,  les 


mains  et  les  youx  levés  aa  ciel,  ja  demaadai  à  Dieu  de  venir 
à  mon  aide  :  Deus  in  adjutorium  w%eum  inttndc^  Domiike^  ad 
ndjuvandum  me  festina.  Cette  caurte  prière  me  doaaa  da 
cœur,  et,  prenant  mes  bœufs  par  les  cornes,  je  leur  fis  faire 
▼olte  face  et  revins  sur  mes  pas.  Après  une  marche  de 
quelqaes  milles,  je  retrouvais  les  marques  de  notre  premier 
passage  et  je  pus  continuer  ma  route  avec  sécurité.'* 

La  pluie  avait  cessé  ;  mais  le  sol  inondé  en  grande  par- 
tie, les  torrents,  les  étangs  grossis  par  les  orages  fréquents 
de  cette  saison  obligèrent  plus  d'une  fois  l'intrépide  mis- 
sionnaire à  se  dépouiller  de  presque  tous  ses  vêtements 
-pour  les  traverser  à  gué  ou  à  la  nage.  Parfois  le  courant 
était  si  rapide,  qu'il  devait  s'accrocher  aux  arbres  de  la  rive 
pour  n'ôtre  pas  emporté. 

L'aventure  la  plus  fâcheuse  de  ce  pénible  retour  lui  ar- 
riva au  passage  d'une  plaine  marécageuse  où  le  char  s'ea 
fonça  jusqu'aux  essieux  et  les  bœufs  jusqu'au  poitrail.  Les 
pauvres  animaux  ne  purent  se  dégager  malgré  tous  leurs 
efforts,  et  quoique  le  P.  Salvado  les  eût  dételés,  '*  Je  crus> 
dit-il,  que,  dans  une  pareille  extrémité,  il  fallait  employer 
les  moyens  les  plus  énergiques.  «Te  plaçai  donc  au  dessous 
de  la  croupe  de  ces  animaax  un  fagot  de  feuilles  sèches  et 
de  petits  bois  et  j'y  mis  le  feu.  Les  bœufs,  sentant  la 
jDamme  atteindre  leurs  poils  et  leur  chair  firent  des  efforts 
désespérés  et  parvinrent  enfin  à  sortir  du  bourbier.  Mais 
ils  étaient  furieux  et  poussaient  d'affreux  mugissements; 
aussi  je  crus,  prudent  de  passer  la  nuit  suc  un  arbre^  afin 
de  me  soustraire  à  leur  trop  juste  ressentiment  Le  lende- 
main, le  temps  s'était  mis  au  beau,  et  mes  pauvres  bœufs^ 
qui  se  léchaient -encore  les  flancs  pour  guérir  leur  brûlure^ 
semblaient  apaisés.  Ils  refusèrent  toutefois  si  obstinément 
de  se  laisser  atteler,  que  je  dus  laisser  le  char  enfoncé 
-dans  la  vase,  où  il  demeura  jusqu'au  printemps.  Je  char- 
geai sur.  le  dos  des  bœufs  une  partie  des  provisions  et  des 
instruments  aratoires,  et,  prenant  moi-môme  sur  la  tôte  la 
cage  des  poules,  sur  le  dos  le  sac  qui  contenait  un  chat, 
destiné  à  faire  la  guerre  aux  souris  qui  dévoraient  jusqu'à. 
nos  vôtementS)  jo  tenais  (an  laisse  un  gros  chien  et  l'unique 
ohèvre  qui  m»  restait  avec  son  chevreau.  Ce  fut  dans 
cet  équipage  que  je  m'acheminai  lentement  vers  la  missioa*.. 


m 

J'y  trouTai  mes  compagnons  dans  la  tristesse.  Dieu  venait 
de  les  éprouver  vivement  par  la  mort  du  catéchiste  irlan- 
dais, le  Fr.  Gorman." 

Cette  douloureuse  circonstance  engagea  les  deux  Béné- 
dictins à  quitter  un  lieu  qui  ne  leur  rappelait  plus  que  de 
pénibles  souvenirs  et  dont  l'aridité  d'ailleurs  se  prêtait  mal 
à  l'agriculture.  Ayant  choisi  un  autre  site  qui  paraissait 
favorable  au  labour,  ils  construisirent  promptement, 
avec  l'aide  de  quelques  sauvages,  une  nouvelle  case,  et, 
dès  le  mois  d'août  1846,  ils  se  mirent  à  cultiver  le  sol  aus- 
tralien. Le  P.  Serra  conduisait  les  bœufs  et  le  P.  Salvado, 
plus  vigoureux  que  son  compagnon,  tenait  les  manchons 
de  la  charrue.  C'était  un  travail  assez  pénible  sur  un  ter- 
rain vierge  encore  de  toute  culture  et  parsemé  de  brous- 
sailles. Leur  labeur  opiniâtre  fut  récompensé.  Au  mois 
de  septembre,  ils  avaient  labouré  et  ensemencé  deux 
champs  de  blé,  planté  900  pieds  de  vigne,  600  arbres  frui- 
tiers, semé  3,000  noyaux  d'olive  et  piqué  une  grande  varié- 
té de  légumes.  Déjà  ils  voyaient  verdoyer  leurs  semences, 
au  grand  étonnement  des  indigènesi  et  ils  pouvaient  espé- 
rer, grâce  à  la  douceur  du  climat  et  à  la  fertilité  du  terroir, 
une  prompte  et  abondante  moisson. 

Tout  leur  temps  n'était  pas  occupé  aux  travaux  agricoles. 
lis  étudiaient  la  langue,  les  coutumes  et  les  croyances 
des  sauvages,  a&n  de  pouvoir  leur  faire  connaître  la  reli- 
gion chrétienne,  afin  de  pacifier  leurs  querelles  toujours 
fréquentes  et  de  les  secourir  dans  leurs  maladies.  Pour 
prévenir  des  disputes  qui  finissaient  toujours  par  des  com- 
bats sanglants,  les  missionnaires  avaient  exigé  que  toutes 
les  armes  des  sauvages,  qui  vivaient  auprès  d'eux,  fussent 
déposées  dans  leur  cabane.  Si  des  indigènes  étrangers  à 
la  missioH  venaient  troubler  la  bonne  harmonie,  les  femmes 
des  sauvages  à  demi-civilisés  prévenaient  les  Pères  en 
toute  hâte.  Us  se  rendaient  aussitôt  sur  le  lieu  du  combat, 
et  presque  toujours  leur  seule  présence  l'arrôtaU:.  Parfois 
cependant  les  sauvages  étaient  si  animés  les  uns  contre  les 
autres,  qu'ils  ne  voulaient  pas  se  séparer.  Il  fallait  alors 
qoe  les  deux  moineis,  le  crucifix  à  la  main,  se  jetassent  au 
milieu  des  combatti^nts^  au  risque  de  recevoir  «n  coup  de 
lance  ou  d'avoir  la  tète  écrasée  par  leur  terrible  bomerang. 


174 

*'  0  Dieu  de  miséricorde,  s'écrie  le  P.  Salvado,  c'est  bien 
TOUS  seul  qui  rendiez  ces  bommes,  si  barbares  et  si  intré- 
pides même  devant  les  soldats  de  l'Angleterre,  doux  et  pa- 
tients envers  nous,  au  point  de  se  laisser  arracher  par  deux 
moines  sans  armes  leur  guichis^  et  de  se  séparer  à  notre 
voix." 

Le  combat  fini,  les  missionnaires  prenaient  les  blessés 
sur  leurs  épaules,  les  portaient  dans  la  cabane,  et  ban- 
daient leurs  plaies  sanglantes,  après  les  avoir  lavées  et 
adoucies,  comme  le  bon  Samaritain,  par  un  peu  d'haile  et 
de  via.  Presque  toujours  la  guérison  suivait  ce  traitement  » 
En  voici  des  exemples  : 

Les  PP.  Serra  et  Salvado  étaient  à  réciter  l'office  de  ma- 
tines, à  l'aube  du  jour,  lorsqu'uoe  femme  sauvage  accourut, 
tout  en  larmes,  disant  que  son  fils  venait  d'être  percé  d'un 
coup  de  lance  et  qu'il  se  mourait  dans  le  bois  voisin.  Les 
missionnaires  s'y  rendirent  promptement,  prirent  le  jeune 
homme  dans  leurs  bras  et  l'apportèrent  dans  la  cabane 
La  blessure,  dans  l'aine,  était  fort  grave.  Le  P.  Serra  rap- 
procha les  chairs,  cousit  la  peau  avec  un  fil  de  soie,  et  le 
P.  Salvado  oignit  la  plaie  avec  de  l'huile  d'olive.  On  fit 
prendre  au  malade  un  purgatif  et  ensuite  une  tasse  de  th6« 
Sa  mère  et  les  autres  femmes,  croyant  qu'il  allait  mourir, 
le  pleuraient  suivant  leur  usage  avec  force  lamentations. 
Le  lendemain,  le  blessé  allait  déjà  mieux.  On  lui  donnait 
seulement  du  thé  trois  fois  par  jour,  et  une  petite  soupe  au. 
riz,  vers  midi.  Au  bout  d'une  semaine,  le  jeune  sauvage 
était  guéri  et  retournait  dans  les  bois.  Mais  il  se  souvint 
de  ses  charitables  médecins,  et  les  suivit  plus  tard  en  Ea- 
rope,  pour  entrer  dans  l'Ordre  de  Saint-Benoit. 

Une  autre  fois,  c'était  un  chef  australien  nommé  Duer- 
gan,  qui  arrivait  à  la  cabane  de  la  mission,  porté  à  caUfour^ 
chon  par  sa  propre  femme.  Il  était  atteint  d'une  maladie 
de  poitrine,  déjà  très-avancée.  Soumis  au  même  régime 
que  le  jeune  sauvage  durant  trente  jours,  il  se  trouva  par- 
faitement guéri.  Dans  sa  joie  naïve,  il  disait  aux  Pères  : 
**  — Vous  m'avez-enievé  mon  mal  ;  eh  bien  !  tout  ce  qui  est 
à  moi  est  à  tous  ;  ma  femme  est  votre  femme,  mes  enfants 
sont  vos  enfants,  mes  armes  sont  vos  armes,  ma  chasse  es 
votre  chasse." 


175 

Nous  ne  pouvons  douter,  comme  l'avouaient  eux-mêmes 
les  PP.  Serra  et  Salvado^  que  la  Providence  ne  vint  en  aide 
à  leur  médecine  improvisée  et  ne  donnât  une  efficacité  par- 
ticulière à  dps  remèdes  aussi  simples  que  Thuile,  le  thé  et 
la  soupe  au  riz.    Le  résultat  de  ces  guérisons  fut  très-fa vo* 
rable  à  Tévangélisation  des  sauvages  qui  regardaient  déjà 
les  missionnaires  comme  des  êtres  surhumains  et  les  écou- 
taient toujours  très-volontiers  parler  de  religion.    Il  surgi- 
cependant  une  grave  difficulté.    Les  Australiens  disaient 
aux  missionnaires  :    ^^  Nous  voulons  croire  au  Dieu  Jésus  ; 
mais  donnez-nous  d'abord  à  manger,  car  nous  avons  grand 
faim,  et,  si  nous  n'allons  pas  à  la  chasse,  nous  mourrons 
ainsi  que  nos  femmes  et  nos  enfants."    Les  PP.  Serra  et 
Salvado  avaient  essayé  de  les  suivre  dans  leurs  chasses  ;  ils 
ne  tardèrent  pas  à  reconnaître  que  c'était  s'imposer  des  fa- 
tigues inutiles.    Outre  les  difficultés  de  cette  vie  nomade, 
qui  ne  permettait  que  rarement  l'échange  de  quelques  pa> 
rôles  sur  la  religion,  il  aurait  fallu  que  les  missionnaires 
eussent  leur  nourriture  assurée  ;  car  l'Australie  n'est  pas 
un  pays  giboyeux  comme  l'Amérique.    Au  reste,  l'ôvangé- 
lisation  monastique,  qui  a  changé  la  face  de  l'Europe  du 
Yr>  au  ix^  sièck,  n'a  jamais  procédé  de  cette  manière.    Les 
Augustin  de  Cantorbéry,  les  Willibrod  d'Utrecht,  les  Boni- 
face  de  Mayence,  les  Anschaire,  les  Adalbert,  les  Othon  et 
tous  les  grands  moines-apÔtres  commençaient  par  fonder 
un  monastère,  un  centre  d'action  religieuse  et  civilisatrice, 
d'où  ils  rayonnaient  dans  tous  les  pays  d'alentour.    Les 
PP.  Serra  et  Salvado  résolurent  de  suivre  ces  exemples  de 
leurs  ancêtres.    La  nécessité,  d'ailleurs,  allait  les  y  con- 
traindre: leurs  provisions  se  trouvaient  de  nouveau  épui- 
sées, et  leurs  vêtements  mêmes  tombaient  en  lambeaux. 
^^  Notre  tunique  et  notre  scapulaire,  écrit  le  P.  Salvado,  dé- 
chirés en  cent  endroits,  descendaient  à  peine  à  la  ceinture. 
Le  vêtement  que  les  Anglais  appellent   ^^  indispensable  " 
était  en  si  mauvais  état  que  nous  avions  dû  le  raccommo- 
der avec  des  morceaux  de  peau  de  kangourou.    Les  sou- 
liers étaient  usés  depuis  longtemps,  et,  pour  ne  pas  nous 
mettre  les  pieds  en  sang  dans  ce  pays  de  ronces  et  de  brous- 
sailles, nous  avions  confectionné,  tant  bien  que  mal,  des 
flemelles  de  bois  que  nous  recouvrions  avec  de  la  peau  de 


17« 

I 

kangourou,  dont  les  nerfs  nous  servaient  de  lanières  ponr 
les  attacher  comme  le  cothurne  des  anciens.  Quant  à  nos 
chapeaux,  ils  n'avaient  plus  de  forme.  Nos  chemises,  qui 
étaient  en  laine  et  que  nous  portions  depuis  trois  mois, 
avaient  seules  résisté  à  cet  anéantissement  presque  total  de 
notre  garde  robe.  Toutefois,  notre  santé  ne  souffrit  jamais 
de  tant  de  privations.    La  Providence  veillait  sur  nous." 

Cependant  les  deux  moines  bénédictins  s'étaient  rendus 
à  Perth  pour  consulter  leur  évoque.  Mgr.  Brady  approuva 
leur  pensée  de  fonder  un  établissement  agricole  qui  servi* 
rait  de  centre  à  la  mission.  Une  allocation  de  5,000  fr.,  qui 
leur  fut  attribuée  par  les  Conseils  de  la  Propagation  de  la 
Foi,  vint  fort  à  propos  leur  permettre  de  commencer  cette 
fondation.  Mais,  à  leur  retour  (20  décembre  1846),  ils  trou- 
vèrent leur  petite  plantation  entièrement  ravagée  par  un 
troupeau  de  chevaux  sauvages,  qui  avaient  piétiné  les 
champs  ensemencés  et  renversé  la  cabane  des  mission- 
naires. En  même  temps  le  magistrat  du  district  leur 
fit  signifier  que  ce  terrain  était  réservé  comme  pâturage  el 
qu'ils  eussent  à  l'abandonner.  Ainsi,  après  tant  de  fatigues 
et  de  travaux,  les  pauvres  moines  n'avaient  pas  même  la 
satisfaction  de  récolter  ce  qu'ils  avaient  semé  à  la  sueur  de 
leuf  froDl. 

Ils  ne  se  découragèrent  point.  Ayant  obtenu  du  gouver 
nement  colonial  la  concession  de  quarante  acres  de  terre 
auprès  de  la  rivière  Moore,  dans  le  lieu  appelé  Vittoria- 
Plains,  ils  y  commencèrent,  le  2  janvier  1847,  la  construc- 
tion d'une  cabane.  C*était  leur  troisième  essai  de  coloni- 
sation. Se  mettant  courageusement  à  l'œuvre,  ils  arrachè- 
rent les  eucalyptus  séculaires  et  les  nombreux  accaoias  qui 
couvraitnt  les  rives  de  la  Moore,  et  ils  eurent  bientôt  pré- 
paré trentre-quatre  acres  de  terrain  pour  le  labour.  L'au- 
omiie  avançait  ;  car  on  se  trouvait  au  mois  de  mars  qui, 
en  Australie,  correspond  à  notre  mois  de  septembre.  Aidés 
par  plusieurs  colons  irlandais  et  français  de  Perth,  les  mis* 
sionnaires  purent  construire  une  case  plus  spacieuse  et 
une  étable  pour  les  bestiaux.  Au  mois  de  février,  Tasped 
d«s  rives  de  la  Moore  avait  entièrement  changé.  On 
aurait  pu  ss  croire  auprès  d'une  ferme  d'Europe  ;  tout 
était  ea  moavement  Les  eolons  de  Perth  construisaient  de 


177 

longs  pans  de  muraille^  les  sauvages  abattaient  de  grands 
^arbres,  pendant  que  les  moines  c<onduisaient  la  charrue  et 
<[ue  des  enfants  du  pays  surveillaient  le  troupeau. 

Ce  fut  le  1er  mars  1857,  jour  anniversaire  de  l'arrivée  des 
Bénédictins  dans  les  solitudes  de  l'Australie  occidentale, 
-que  les  PP.  Serra  et  Salvado  posèrent  la  première  pierre 
<le  leur  futur  monastère.  Ils  y  mirent  une  médaille  du 
glorieux  saint  Benoit  et  résolurent  de  l'appeler  la  Nouvelle 
iMursie,  en  souvenir  de  la  petite  ville  de  l'Italie  centrale  où 
naquit  le  patriarche  des  moines  d'Occident.  L'église  devait 
être  dédiée  à  la  Très-Sainte  Trinité  et  à  l'Imaculée-Concep- 
tion.  Après  cinquante  jours  d'un  travail  continu,  l'édifice 
claustral  fut  terminé  pour  le  gros  oeuvre  en  briques  et  en 
bois.  Il  mesurait  40  pieds  de  long,  16  de  large  et  14  de 
haut.  Les  maçons,  charpentiers  et  serruriers,  qui  avaient 
prêté  leur  concours  avec  tant  de  générosité  à  la  mission 
bénédictine,  retournèrent  à  Perth,  et,  le  26  avril,  les  deux 
moines  purent  dormir  dans  leur  petit  monastère  quoiqu'il 
ne  fût  encore  couvert  qu'à  moitié.  Leur  joie  était  grande. 
^  Nous  pensions,  disait  le  P.  Salvado,  être  rentrés  dans 
notre  belle  abbaye  de  Saint-Martin  de  Compostelle." 

Durant  toute  la  construction,  il  s'était  produit  un  fait 
assez  remarquable  et  qui  semble  peu  éloigné  du  miracle* 
Un  habitant  de  Perth  avait  donné  an  P.  Salvado  un  chien 
que  l'on  disait  excellent  pour  lâchasse  des  kangourous; 
«n  réalité  il  n'en  avait  pas  pris  un  seul,  pendant  les  deux 
premiers  essais  de  colonisation.  Les  ouvriers  furent  à 
peine  arrivés,  qu'on  le  vit  partir  tous  les  matins  pour  la 
chasse,  e^,  le  soir,  il  revenait  avec  le  sauvage  qui  le  suivait 
€t  qui  portait  un  kangourou  pesant  cinquante  livres  et  plos* 
Ljes  dix-sept  personnes  qui  étaient  alors  à  la  mission  se  trou- 
vaient ainsi  abondamment  fournies  de  viande  fraîche; 
Lorsque  le  nombre  des  ouvriers  commença  à  diminua, 
Pompée,  c'était  le  nom  du  chien,  ne  prit  que  des  kangou- 
rous de  moindre  grandeur  et  dont  le  poids  était  toujours 
f  roportionné  au  nombre  des  convives.  Enfin,  lorsque  la 
construction  €ut  terminée,  te  pauvre  bête  perdit  un  œil  et 
n'alla  plu^  à  la  chasae;  Nous  dirons  donc,  comme  le  P.  âid- 
T#do:  '^  Qui  ne  voit  ici  une  attention  aimable  de  la  Pro-- 
Tidence  pour  les  ouvriers  de  la  vigne  du  Seigneur  ?  " 


CHAPITRE    IV 

Progrès  de  la  mission.  —  Mœurs  et  croyances  des  sauvages. 
Un  synode  à  la  Nouvelie-Nursie. 

Les  AustralieDs  admiraient  les  constructions  du  monas- 
tère, car  ils  ne  connaissaient  auparavant  que  leurs  huttes- 
de  feuillage.  Ils  venaient  en  grand  nombre  le  visiter  et 
plusieurs  d'entre  eux  se  fixaient  déjà  auprès  des  mission- 
naires. Le  P.  Serra  dut  aller  à  Perth  demander  la  con- 
cession d'un  nouveau  terrain.  Le  gouverneur  par  inlérim, 
sir  Irwin,  accorda,  gratuitement  et  à  perpétuité,  à  la  co- 
lonie monastique  de  la  Nouvelle-Nursie,  trente  acres  de 
terre  cultivables,  à  côté  de  la  concession  primitive,  et  de 
plus  l'usage  de  mille  acres  de  prairie  pour  l'élevage  du 
bétail  acheté  aux  colons  anglais.  Ces  troupeaux,  qui 
devaient  rendre  tant  de  services  aux  moines  espagnols,, 
furent  conduits  par  quelques  fermiers,  qui  après  leur  avoir 
fait  traverser  le  Swan-River,  les  remirent  au  P.  Salvado* 
et  à  ses  travailleurs  indigènes. 

Au  mois  de  juillet  1847,  les  PP.  Serra  et  Salvado,  aidés  par 
les  sauvages,  avaient  déjà  ensemencé  trente-quatre  acres 
et  les  indigènes,  qui  arrivaient  chaqne  jour  d«»  l'intérieur 
saisis  d'admiration  à  la  vue  de  la  moisson  qui  grandissait, 
offraient  à  l'envi  leurs  services  aux  Bénédictins  labou- 
reurs. 

L'intimité  qui  commençait  à  s'établir  permit  aux  deux 
missionnaires  de  s'informer  assez  sûrement  des  croyance 
Teligieuses  des  indigènes. 

•  **  Pour  obtenir  quelques  explications  sur  ce  point,  mal- 
gré toute  la  réserve  des  sauvages,  raconte  le  P.  Salvado, 
je  fus  obligé  d'user  de  ruse.  Un  soir,  après  avoir  admis 
à  nôtre  frugal  repas  des  indigènes  qui  paraissaient  jouir  de 
la  considération  générale,  je  leur  dis  : 

**  —  Moi,  tel  que  vous  me  voyez,  je  ne  suis  pas  seul, 

comme  vous  croyez  ;  mais  je  suis  deux  en  un.  " 

^^  Cette  déclaration  fut  accueillie  par  un  rir^  général. 

** —  Riez  tant  que  vous  voudrez;  je  vous  le  répète,  je* 
*•  suis  deux  en  un;    d'abord,  ce  grand  corps  que  vous- 


179 

"^^  TOjez,  et  là,  dans  rintérieur,  un  autre  petit  âtr»  que  Yons 
*^  ne  voyez  pas.  Le  premier  finit  par  mourir,  et  on  le  dé- 
^^  posé  dans  la  terre  ;  mais  le  second  ne  meurt  pas,  il  s'é» 
'^^  loigne  quand  le  corps  vient  à  mourir. 

(«  — Oui,  oui  I  répondirent  les  sauvages,  nous  aussi  nous 
'^'  sommes  deux,  et  le  plus  petit  des  deux  habite  dans  notre 
-*'  poitrine. 

*' — Celui-là,  comment  l'appelez- vous  ? 

**  —  Cacùu 

"  —  Et  où  va-t-il  après  la  mort  ? 

^^  —  Il  se  sauve  dans  des  bois,  répondirent  les  uns. 

"  —  Il  va  sur  la  mer,  afBirmërent  d'autres. 

'^  Quelques-uns  ne  savaient  pas  ce  qu'il  devenait  J'arrêtai 
là  mes  interrogations  ;  mais,  dans  la  suite,  je  pus  obtenir 
des  détails  plus  circonstanciés  de  deux  Australiens  qui 
«'étaient  faits  mes  an^is.  Voici  ce  qu'ils  m'apprirent.  Lors- 
qu'un indigène  vient  d'expirer,  son  âme  demeure  sur  les 
branches  des  arbres  qui  environnent  la  case  et  chante  d'un 
ton  lamentable  comme  un  oiseau  blessé,  jusqu'à  ce  qu'elle 
soit  recueillie  par  un  passant.  Dès  que  Ton  apprend  qu'une 
âme  voltige  ainsi  de  branche  en  branche,  plusieurs  sauva- 
ges viennent  à  la  file,  courbés  en  deux,  frappant  deux  petits 
morceaux  de  bois  l'un  contre  l'autre  et  disant  à  demi-voix  : 
*^  Pst...pst...  pst..."  L'âme  quelquefois  demeure  sur  l'arbre 
sans  répondre  à  l'invitation  ;  le  plus  souvent  elle  entre  dans 
la  bouche  du  premier  de  la  file,  sort  par  l'autre  extrémité* 
entre  dans  la  bouche  du  suivant,  en  sort  de  la  même  façon, 
€t  ainsi  de  suite  jusqu'au  dernier  où  elle  reste  définitive* 
ment.  Je  n'ai  pas  voulu  omettre  cette  singulière  croyan- 
ce, parce  que,  malgré  son  étrangeté,  elle  montre  la  foi  des 
sauvages  australiens  à  l'immortalité  de  l'âme  et  à  sa  trans- 
migration dans  d'autres  corps.  " 

Au  mois  d'août,  les  Bénédictins  de  la  Nouvelle-Nursie 
^eurent  la  joie  de  recevoir  dans  leur  monastère  naissant 
Mgr  Brady.  L'évèque  de  Perth  fut  émerveillé  des  progrès 
de  la  mission  et  du  travail  accompli  dans  l'espace  de  hui^ 
mois.  Il  constata-surtout  avec  une  grande  joie  l'amélioration 
morale  et  civile  des  sauvages,  qui,  encore  anthopophagea 
j'année  d'auparavant,  se  livraient  aujourd'hui  paisiblement 


180 

aux  soins  de  Taigriaulture.  Peu  après  le  départ  de  Mgr 
Brady,  le  P.  Salvado  se  readit  à  Perth  ponr  acheter  des  se- 
-menées.  Il  emmenait  avec  lui,  dans  son  char  à  bœufs,  une 
petite  sauvage  orpheline  du  nom  de  Cuchina,  qui  s'était  ré- 
fugiée à  la  mission,  parce  qu'elle  n'avait  rien  à  manger. 
Au  passage  de  l'Àvon,  le  missionnaire  engagea  ses  bœufs 
dans  le  gué  ;  mais  les  grandes  pluies  qui  étaient  tombées 
depuis  quelques  jours  avaient  gonflé  ce  cours  d'eau,  et  le  P. 
Serra  vit  son  char  aller  à  la  dérive.  Il  se  hâta  de  dételer 
les  hœufs,  se  jeta  lui-même  à  la  nage  avec  la  petite  sauvage 
sur  son  dos  et  parvint  à  gagner  le  bord.  Il  avait  encore  à 
faire  deux  journées  de  marche.  Eufin,  Il  ariiva  à  Perth, 
portant  sur  ses  épaules,  comme  le  bon  Pasteur,  la  petite 
krebis  arrachée  par  sa  charité  à  une  mort  certaine  ou  à  la 
barbarie.  Mgr  Brady  accueillit  paternellement  la  jeune 
Cuchina  et  la  confia  aux  Religieuses  de  la  Merci,  qui  la 
préparèrent  au  baptême,  Cette  cérémonie  eut  lieu  solen- 
nellement en  présence  de  tous  les  catholiques  et  de  bon 
nombre  de  protestants.  On  donna  à  la  petite  Cuchina,  alors 
âgée  de  six  à  sept  ans,  les  noms  de  Marie  Christine,  et  elle 
fut  ainsi  comme  les  prémices  de  l'apostolat  bénédictin  en 
Australie. 

Au  retour  du  P.  Salvado  à  la  Nouvelle-Nursie,  à  la  fin 
de  novembre,  on  commença  la  moisson.  Les  sauvages  in» 
▼ités  à  y  prendre  part  surent  bientôt  manier  la  faucille  aus- 
si adroitement  que  les  Pères.  Comme  ou  se  trouvait  dans 
les  jours  les  plus  chauds  de  l'été  australien,  les  PP.  Serra  et 
"^Salvado  mettaient  à  profit  le  repos  du  milieu  du  jour  pour 
enseigner  les  vérités  du  salut  aux  indigènes,  qui  écoutaient 
Tolontiersces  instructions.  L'un  d'eux  ayant  reçu  une  bles- 
sure mortelle  à  la  chasse,  les  missionnaires  le  trouvèrent 
assez  instruit  pour  le  baptiser  et  lui  ouvrir  la  porte  du  cieL 

Un  événement  merveilleux  devait  marquer  cette  premiè- 
re moisson  de  la  colonie  monastique.  Un  jour,  assis  à 
l'ombre  d^un  vieil  eucalyptus,  les  deux  missionnaires  s'en- 
tretenaient de  religion  avec  leurs  travailleurs,  lorsqu'ils 
entendirent  de  grands  cris  et  virent  arriver  une  femme 
sauvage,  les  cheveux^pars,  qui  fuyait  la  poursuite  d'un  io- 
digène.    Celui-ci  allait  l'atteindre  de  sa  lûnguç  lance.    Les. 


FP.  Serra  et  Salvado  se  précipitèrent  à  sa  rencontre  et  par- 
vinrent à  contenir  ce  furieux,  qui  voulait  tuer  sa  feoime 
pour  je  ne  sais  quelle  offense.  La  malheureuse  s'était  ré- 
fugiée dans  le  monastère  dont  la  porte  se  referma  sur  elle 
au  môme  instant.  Le  mari,  voyant  sa  vengeance  lui 
échapper,  s'éloigna  en  proférant  les  plus  horribles  menaces 
lie  lendemain,  au  moment  du  départ  pour  la  moisson,  des 
tourbillons  de  fumée  et  de  flammes  s'élevèrent  dans  les 
hautes  herbes  d'une  plaine  voisine,  et,  poussées  par  le  vent, 
s'avançaient  vers  la  mission.  Éperdus,  les  missionnaires 
et  leurs  fidèles  sauvages  s'élancent  au  devant  du  feu  pour 
couper  les  buissons  et  les  broussailles  qui  pouvaient  le  com- 
muniquer aux  champs  de  blé.  Mais  le  fléau  dévastateur 
l'emporte  sur  tous  leurs  efforts,  et,  les  cheveux  et  la  barbe 
à  moitié  brûlés,  ils  voient  avec  désolation  le  fruit  de  tAUt 
de  travaux  menacé  de  périr  en  un  instant  Dans  cette  ex- 
trémité, le  P.  Salvado  court  à  la  pauvre  chapelle  de  la  mis- 
sion, prend  sur  l'autel  un  tableau  représentant  la  Madone 
et  Iej)orte  à  l'endroit  le  plus  menacé,  l'opposant  aux 
flammes  comme  un  bouclier  protecteur.  Le  vent,  jusqu'a- 
lors très* violent,  change  tout  à  coup  de  direction  et  pousse 
l'incendie  sur  un  bois  voisin  sans  toucher  aux  champs 
de  blé.  Les  sauvages,  qui  tenaient  encore  leur  faucille  à 
la  main,  ne  pouvaient  en  croire  leut's  yeux.  Us  regar- 
daient la.  sainte  image  avec  admiration  :  ^'  Cette  femme 
blanche  est  bien  puissante  1  C'est  elle  qui  l'a  fait,  oui,  elle 
l'a  fait.  Nous,  nous  n'en  ferions  pas  autant.  "  On  sut, 
quelques  jours  après,  que  l'incendie  avait  été  allumé  par 
le  sauvage  dont  la  femme  était  réfugiée  à  la  mission» 
Hais,  lorsqu'il  eut  connaissance  du  prodige,  ce  sauvage 
en  fut  si  frappé,  qu'il  vint  demander  pardon  de  son  crime 
aux  Bénédictins  ;  et  depuis,  Munanga,  c'était  le  nom  du 
coupable,  fut  un  de  leurs  plus  utiles  auxiliaires. 

Se  voyant  entourés  d'une  troupe  nombreuse  de  sauvages, 
les  missionnaires  résolurent  de  profiter  de  la  belle  saison 
pour  ouvrir  une  route  directe  de  la  Nouvelle-Nursie  à  la 
Tille  de  Perth.  Le  P.  Salvado  se  chargea  de  l'exécuter, 
ficoutons-ie  nous  raconter  comment  il  s'y  prit. 

''Ayant  fait  provision  de  farine,  de  sucre  et  de  thé,  je- 


182 

'partis  avec  quatorze  sauvages  munis  de  leurs  instruments 
de  travail.  Je  disposai  mes  travailleurs  de  la  manière  8oi> 
vante  :  deux  étaient  chargés  d'aller  à  la  chasse  des  kas- 
gourous  pour  nous  fournir  de  la  viande  fraîche  ;  quatre 
partaient  en  avant  pour  frayer  le  sentier  et  abattre  les 
arbres  ;  et  hui)  se  reposaient  près  du  char  des  provisions. 
"Quand  les  six  premiers  étaient  fatigués,  ils  venaient  se  re- 
poser auprès  du  char,  et  six  autres  les  remplaçaient  Ea 
trois  jours,  la  route  fut  tracée,  de  la  Nouvelle-Nursie  à  la 
première  station  des  colons  de  Perth,  sur  une  longueur  de 
40  milles  (10  lieues).  J'avais  dirigé  mes  sauvages  avec 
l'expérience  que  m'avaient  donnée  mes  fréquents  voyages 
à  Perth,  et  l'ingénieur  de  la  colonie  fit  classer  plus  tard  ce 
chemin  parmi  les  routes  du  pays,  comme  étant  la  plus 
courte  et  la  plus  commode  que  Ton  pût  établir.  Désormais, 
au  lieu  d'une  semaine  entière,  il  ne  fallut  que  trois  oa 
quatre  jours  pour  se  rendre  à  Perth. 

"  Durant  ce  travail,  j'eus  l'occasion  d'observer  quelques 
coutumes  des  Australiens.  Le  matin  du  deuxième  jour, 
nous  rencontrâmes  une  troupe  de  sauvages  qui  nous  étaient 
entièrement  inconnus.  Seul  un  de  mes  travailleurs  les 
connaissait  un  peu.  Ce  fut  lui  qui  aborda  le  chef  et  lui 
expliqua  qui  nous  étions  et  ce  que  nous  faisions  en  ce  lieu. 
Aussitôt  grand  échange  de  civilités.  Le  chef  s'approcha 
du  principal  de  mes  sauvages  et  l'embrassa  affectueusement 
^n  le  tenant  cinq  ou  six  minutes  dans  ses  bras.  Il  en  fit 
autant  à  tous  les  autres.  Ces  embrassades  terminées,  le 
chef  des  sauvages  étrangers  dit  aux  miens  d'un  air  digne 
et  respectueux  :  "  —  Mon  feu  est  votre  feu  ;  moi  et  mes 
"  parents,  nous  demeurons  ici  :  mais,  vous,  allez,  venez, 
^'  restez  ici  ou  partez,  vous  êtes  ici  les  maîtres  ;  car  nous 
^*  sommes  devenus  grands  amis."  Puis,  ils  s'assirent  pour 
goûter  à  nos  provisions,  quoiqu'ils  eussent  déjà  mangé  un 
kangourou  ;  car  l'estomac  de  l'Australien,  souvent  con. 
damné  au  jeûne,  est  toujours  d'une  merveilleuse  élasticité. 

**  Dans  cette  môme  rencontre,  un  de  mes  sauvages,  ayant 

•  vu  arriver  la  veuve  d'un  de  ses  amis,  la  pril  aussitôt  pour 

femme,  bien  qu'il  en  eut  déjà  quatre.    Comme  je  lui  eu 

•demandais  la  raison:  "  —  C'est,  me  dit-il,  pour  qu'elle  ne 


183 

^  soit  pas  sans  protection  ;  c'est  mon  devoir,  puisque  l'ai- 
^^inais  beaucoup   son  mari/'    De    fait,   les    Âustraliensr 
qui  n'ont  ordinairement  qu'une  femme  ou  deux,  peurent 
se  trouver,  par  suite  de  la  mort  d'un  ami  ou  d'un  parent^ 
en  posséder  jusqu'à  six  ou  sept.    Elles  font  partie  de  l'hé- 
ritage comme  un  meuble  ou  une  arme  de  chasse." 

Une  œuvre,  beaucoup  plus  importante  que  le  tracé  d'une 
route,  était  inaugurée  dans  le  monastère  de  la  Nouvelle- 
Nursie,  le  8  décembre,  fête  de  l'Immaculée  Conception,  de 
cette  année  1847.  Nous  voulons  parler  de  l'ouverture 
d'une  école  pour  les  petits  sauvages.  De  ce  jour  date  la 
rénovation  religieuse  et  civile  des  Australiens  ;  car  l'édu- 
cation d'un  peuple  barbare  ne  peut  commencer  sérieuse- 
ment que  par  l'enfance.  Donc,  le  8  décembre,  trois  jeunes 
sauvages  furent  admis,  avec  le  ronsentement  de  leur  fa- 
mille, à  partager  la  vie  des  moines  bénédictins  et  ne  tar- 
dèrent pas  à  recevoir  le  baptême.  Pour  fêter  cet  heureux 
érénement,  les  PP.  Serra  et  Salvado  firent  aux  sauvages 
une  distribution  de  soupe,  et,  grâce  à  l'abondante  récolte 
de  l'année,  ils  purent  désormais  la  continuer  chaque  jour. 
Dès  qu'on  connut  ces  largesses  quotidiennes,  il  y  eut  grand 
empressement  à  profiler  du  nalgo  ou  de  la  moragna^  c'est- 
à-dire  de  la  bonne  soupe  ;  et  les  missionnaires  trouvaient 
ainsi  deg  auditeurs  toujours  attentifs  à  leurs  instructions 
religieuses.  Plusieurs  même  consentaient  à  vivre  sur  la 
mission,  en  y  travaillant  dans  la  mesure  de  leurs  forces.. 
Cétait  déjà  une  transformation  de  la  vie  nomade  en  une 
existence  à  demi  civilisée  ;  et,  quand  on  voyait  les  petits 
Australiens  servir  avec  grande  attention  la  messe,  et  mêler 
leur  voix  naturellement  musicale  aux  chants  des  moines, 
eux  qui  fuyaient  quelques  mois  auparavant  les  Européens 
comme  des  animaux  féroces,  l'on  pouvait  croire  que  PAus- 
tralie  occidentale  allait  sortir  enfin  des  ombres  de  la  mort 
où  elle  était  assise  depuis  tant  de  siècles. 

Les  missionnaires  ne  tardèrent  pas  à  prendre  une  mesure 
qui  fut  un  nouveau  progrès  dans  la  voie  de  la  civilisation.. 
Les  sauvages  se  couvrent,  i'hiver,  de  peaux  de  kangourous  ; 
mais,  l'été,  hommes,  femmes  et  enfants  vont  et  viennent 
dans  l'état  de  pure  nature,  sans  y  voir  de  mal.    Les  PP. 


184 

Serra  et  Salvado  décidèrent  que  quiconque  se  présenterait 
à  la  mission,  pour  avoir  une  portion  de  soupe  ou  pour  tra« 
vailler,  devrait  être  couvert  du  manteau  de  kangourou» 
^'  Mais,  écrit  le  P.  Salvado,  nous  leur  dîmes  seulement  que 
c'était  une  politesse  à  notre  égard,  afin  dç  ne  pas  leur  ap- 
prendre ce  qu'ils  semblaient  ignorer.  En  effet,  je  me  sais 
trouvé  des  centaines  de  fois  obligé  de  passer  la  nuit  avec 
des  familles  de  sauvages,  en  plein  air  dans  les  bois,  comme 
dans  leurs  huttes  de  branchages,  et  jamais  je  n'ai  vu  parmi 
eux  la  moindre  action  déshonnête." 

Nous  avons  maintenant  à  raconter  un  événement  qui 
devait  accroître  encore  les  heureux  résultats  déjà  obtenus 
par  les  missionnaires.  Il  s'agit  du  premier  synode  da 
diocèse  de  Perth,  que  Mgr  Brady  voulut  tenir  à  la  Nou- 
velle Nursie.  Le  13  janvier  1848,  le  vénérable  prélat  as- 
sisté de  son  vicaire  général,  le  R.  P.  Joostens,  et  des  PP- 
Serra  et  Salvado  avec  quelques  catéchistes  à  peine  engagés 
dans  les  ordres,  ouvrit,  selon  les  rites  accoutumés,  la  pieuse 
assemblée  qui  dura  trois  jours.  Dans  les  deux  premières 
réunions,  on  s'occupa  des  affaires  du  diocèse  ;  les  trois. sui- 
vantes furent  consacrées  à  la  mission  bénédictine.  On 
déclara  que  la  règle  de  saint  Benoît,  qui  partage  la  vie  des 
moines  entre  la  prière  et  le  travail  et  qui  fait  bientôt  du 
monastère  une  véritable  cité,  était  parfaitement  appropriée 
à  l'essai  d'évangèlisation  et  de  civilisation  de  la  race  aus- 
tralienne que  l'on  tentait  depuis  un  an.  Les  missionnaires 
furent  ensuite  autorisés  à  faire  l'acquisition  d'un  plus  vaste 
terrain  qui  permettrait  de  donner  de  l'extension  à  la  mis- 
sion bénédictine  et  qui  l'isolerait  des  terres  à  pâturage, 
exploitées  par  les  Européens,  toujours  trop  enclins  à  per- 
vertir les  sauvages  ou  à  les  persécuter.  Le  P.  Serra  devait 
partir  pour  l'Europe,  afin  de  réunir  la  somme  d'argent  né- 
cessaire à  cette  acquisition  et  de  soumettre  à  la  Propa- 
gande quelques  questions  touchant  la  conduite  à  tenir  avec 
les  sauvages  danjs  certains  cas  particuliers. 

A  la  suite  du  synode^  le  P.  Salvado  put  acquérir  2,560 
acres  de  terres  labourables  et  de  pâturages  à  raison  d*une 
demi-livre  sterling  par  acre,  ce  qui  devait  l'obliger  à  payer 
au  gouvernement  de  la  colenie  la  somme  de  32,000  £^, 


186 

mais  à  des  époques  éloignées.  Cette  acquisition  le  rendait 
maître  de  1,280  hectares  formant  une  superficie  de  douze 
lâloniëtre&  Le  P.  Serra  s'embarqua  aussitôt  au  port  de 
Fremantle  avec  le  jeune  sauvage  Upumera,  guéri  par  les 
missionnaires  et  baptisé  sous  le  nom  de  Benoît.  Le  P.  Sal* 
Tado  retourna  à  la  Nouvelle-Nursie  avec  un  nouveau  mis- 
sionnaire, le  P.  Fowler,  et  deux  catéchistes. 


CHAPITRE  V 

Apprentisage  de  la  vie  agricole.  —  Sort  de  la  femme.  sauvage- 
Anthropophagie. 

De  retour  à  la  Nouvelle-Nursie  ver«  Tépoque  des  semail- 
les, le  P.  Salvado  assigna  une  portion  de  terrain  à  chacun 
des  sauvages  qui  l'avaient  aidé  depuis  rétablissement  de  la 
mission.  C'était  les  arracher  d'une  manière  définitive  aux 
hasards  et  aux  dangers  de  la  vie  nomade.  Flattés  de  se  voir 
presque  propriétaires,  les  sauvages  se  mirent  à  l'œuvre 
avec  ardeur,  et  bientôt  leurs  lopins  de  terre  furent  défrichés 
et  ensemencés. 

Le  P.  Salvado,  encouragé  par  ce  premier  succès,  résolut 
de  leur  donner  quelques  sous  poiir  prix  de  leur  travaiL 
En  même  temps,  il  fallut  leur  faire  comprendre  que,  avec 
cet  argent  mis  en  réserve,  ils  pouvaient  se  procurer  des 
objets  d'utilité  ou  d'agrément  :  une  poule,  une  brebis,  un 
porc  ou  même  une  vache  et  un  cheval.    L'idée  leur  parut 
excellente  ;  mais  ils  prièrent  le  P*  Salvado  de  garder  cet 
argent  en  dépôt.    Le  missionnaire  se  procura  une  caisse  i 
comp  irtiments,  et  l'on  y  mettait,  chaque  samedi,  la  paie 
des  sauvages  devenus  cultivateurs.    C'était  plaisir  de  voir 
ce  jour-là  leur  joie  enfantine,  quand  ils  supputaient,  avec 
l'aide  d'un  catéchiste,  combien  il  leur  faudrait  attendre  de 
semaines  pour  acheter  un  beau  coq  ou  un  porc  gras.    Eux 
qui,  l'année  d'auparavant,  plaisantaient  les  missionnaires 
quand  ils  les  voyaient  labourer  la  terre  ou  déraciner  les 
arbres,  ne  pensaient  plus  à  leur  bois  ni  à  la  chasse  du  kan- 
gourou ;  ils  faisaient  déjà  des  rêves  de  propriétaire. 

Un  autre  résultat  de  cet  apprentissage  de  la  propriété 
fut  de  rapprocher  les  Australiens  des  Européens  par  des 
rapports  de  commerce  qui  les  plaçaient  sur  le  pied  de  Vég^ 
lité  civile.  Avant  l'arrivée  des  Bénédictins,  les  indigènes 
étaient  traités  par  les  colons  anglais,  nous  l'avons  dit,  ua 
peu  moins  bien  que  des  bétes  de  somme.  Aucun  d'eux 
n'osait  se  hasarder  hors  des  bois.  Les  PP.  Serra  et  Salvado 
en  avaient  déjà  amené  plusieurs  à  Perth  et  avaient  su  les 
faire  respecter.    Dès  lors,  les  Australiens  ne  craignirent 


187 

plus  d^eatrer  en  relation  avec  les  Anglais.  Quand  un- 
indigène 'avait  réuni  une  somme  suffisante,  il  allaita  Pertti 
avec  un  billet  du  missionnaire,  pour  se  procurer,  chez  tel 
ou  tel  marchand,  une  belle  chemise,  de  solides  pantalons, 
un  grand  chapeau,  etc.  A  son  retour  à  la  mission,  ainsi 
vêtu  à  l'européenne,  il  excitait  l'admiration  de  ses  compa- 
triotes,  qui  se  promettaient  de  travailler  courageusement,. 
pour  lui  devenir  semblable. 

A  propos  de  ce  billet  donné  par  le  missionnaire  aQn 
d'empêcher  les  mauvais  plaisants  d'abuser  de  la  simplicité 
du  sauvage,  nous  devons  parler  du  respect  presque  supers- 
titieux que  les  Australiens  ont  pour  les  lettres  qu'ils  appel- 
lent des  "  papiers  parlants  ".  En  voici  un  exemple.  Un 
des  bergers  européens,  employés  par  la  mission,  avait 
trouvé  une  nichée  de  bandicoots^  jolis  petits  animaux  assez 
semblables  à  des  rats  mais  sans  queue.  Il  les  envoya  au 
P.  Salvado  par  un  sauvage  avec  un  billet.  En  route,  l'Aus- 
tralien laissa  s'échapper  une  de  ces  petites  bêtes.  Le  mis- 
sionnaire reçut  le  présent,  et,  ayant  lu  le  billet,  dit  au 
sauvage  :  "  —  Mais,  on  me  parle  de  quatre  petits  bandi- 
coots,  et  je  n'en  vois  que  trois  ;  qu'est  devenu  le  qua- 
trième ?"  A  ces  mots,  le  sauvage  ouvrit  de-grands  yeux,, 
une  bouche  plus  grande  encore,  et  regarda  les  assistants 
d'un  air  stupéfait.  '^  —  Je  le  vois,  reprit  en  souriant  le  P. 
Salvado,  lu  as  laissé  échapper  le  quatrième."  Ces  paroles 
mirent  au  comble  la  consternation  de  l'indigène  ;  il  ne 
pouvait  s'expliquer  comment  le  Père  savait  une  chose  qui 
s'était  passée  dans  les  bois  et  loin  de  tout  regard  humain. 
Aussi,  les  sauvages  ne  trouvaient-ils  pas  de  meilleure 
excuse  quand  on  les  accusait  injustement,  que  de  dire  : 
**  —  Prenez  le  livre  ou  la  lettre  qui  parle,  et  vous  verrez. 
que  j'ai  raison." 

L'ascendant  que  le  P.  Salvado  exerçait  sur  les  sauvages 
allait  donc  toujours  croissant.  On  lui  croyait  des  connais- 
sances universelles,  surtout  dans  l'art  de  guérir  les  malades. 
Nous  avons  vu  qu'il  avait  opéré  déjà  des  cures  inespérées. 
Mais,  lorsque  ces  pauvres  gens  luidemandaient  la  guérisoa 
de  cruelles  maladies,  contractées  par  leur  commerce  avec 
des  Européens  corrompus,  il  était  obligé  d'avouer  son  im- 


188 

puissance  à  les  soulager.  Cependant,  la  compassion  que 
ces  maux  lui  inspiraient,  le  portèrent  à  demandTer  à  nn 
médecin  de  Perth,  de  ses  amis,  quelques  remèdes  énergi- 
ques, et  il  put  ainsi  rendre  la  santé  à  plusieurs  Australiens 
qui  fréquentaient  la  mission.  Le  plus  souvent,  la  guérîsoD 
de  rame  suivait  celle  du  corps,  et  les  malades,  qui  voyaient 
disparaître  leurs  ulcères,  devenaient  bientôt  de  fervents 
néophytes.  Un  sauvage,  dont  le  corps  était- couvert  de 
plaies,  arriva  un  jour  à  la  Nouvelle-Nursie,  porté  par  ses 
quatre  femmes.  Le  P.  Salvado  le  soigna  durant  deux 
semaines,  et  la  guérison  fut  complète.  Ne  se  possé- 
dant pas  de  joie,  le  sauvage  sautait,  dansait,  hurlait  ses 
chants  de  guerre  ;  enfin,  pour  témoigner  à  son  charitable 
médecin  toute  sa  reconnaissance,  il  lui  dit:  " — Père, 
soyez  sur  que,  lorsque  vous  mourrez,  j'en  aurai  tant  de 
peine,  que  je  tuerai,  non  pas  seulement  un  homme  de  la 
tribu  ennemie,  mais  jusqu'à  six  chasseurs  de  kangourous, 
pour  montrer  à  tout  le  monde  Taffection  que  je  vous  porte." 
Il  fallut  que  le  missionnaire  modérât  ces  élans  de  gratitude 
et  fit  promettre  à  l'Australien  de  remplacer  les  victimes 
humaines  par  des  bêtes  sauvages. 

Le  P.  Salvado  profita  des  bonnes  dispositions  des  indigè- 
nes pour  mettre  en  culture  une  plus  grande  étendue  de 
terre  et  pour  augmenter  les  -constructions  de  la  colonie 
monastique,  afin  que,  au  retour  d'Europe  du  P.  Serra,  il  y 
eût  assez  de  logement  pour  les  nouveaux  missionnaires 
attendus  avec  lui. 

En  ce  temps-là  même,  les  Bénédictins  de  la  Congrégation 
d'Angleterre,  qui  formaient  une  grande  partie  du  clergé  de 
l'Australie  orientale,  ayant  appris  les  longues  souffrances 
de  leurs  frères  espagnols  dans  le  diocèse  de  Perth,  pensè- 
rent à  venir  à  leur  secours.  Mgr  Polding,  archevêque  de 
Sydney,  leur  fit  écrire  par  le  moine  de  Solesmes  qui  était 
venu  '  partager  les  travaux  des  fils  de  saint  Augustin  de 
Gantorbéry,  que  l'accueil  le  plus  fraternel  les  attendait 
dans  la  capitale  de  l'Australie,  s'ils  ne  pouvaient  con* 
tinuer  leur  apostolat  parmi  les  sauvages.  Le  P.  Salvado 
fut  très-touchô  de  cette  marq;ue  d'affectueux  intérêt,  nuds 
il  répondit  que  rien  au  monde,  si  ce  n'est  la  mort,  ne  pour» 


180 

rail  les  séparer  de  leurs  chars  Australiens,  maintenant 
surtout  que  la  moisson  commençait  à  blanchir. 

A  Tappui  de  cette  déclaration,  le  P.  Salvado  profita  de 
la  bienveillance  du  nouveau  gouverneur  de  l'Australie 
occidentale,  sir  Fitz  Gérald,  pour  obtenir  Tiiidigéna'  anglais. 
"  Je  pensais,  comme  l'Apôtre,  écrit  le  P.  Salvado,  qu'il 
fallait  me  faire  tout  à  tous  ;  sauvage  avec  les  sauvages» 
anglais  avec  les  Anglais,  afin  de  les  gagner  plus  facilement 
à  Jésus-Christ."  Reconnu  sujet  britanique  le  24  août  1848, 
le  missionnaire  put,  en  cette  qualité,  défendre  devant  le 
juge  anglais  un  prisonnier  australien  dont  il  connaissait 
l'innocence,  el  le  faire  mettre  en  liberté.  Le  sauvage'  avait 
été  impliqué  dans  un  vol  de  brebis  fait  à  des  bergers 
européens,  ce  qui  était  le  péché  mignon  des  iniigènes 
toujours  pressés  par  la  faim.  "  Mais,  remarque  le  P. 
Salvado,  il  n'arrivait  jamais  que  les  maraudeurs  fissent  des 
razzias  sur  les  troupeaux  de  la  mission.  Loin  de  là,  si  uue 
de  nos  brebis  ou  quelques  agneaux  venaient  à  s  égarer  ea 
revenant  des  pâturages,  nous  étions  assurés  de  voir,  le 
lendemain,  des  sauvages  nous  les  rapporter  sur  leurs 
épaules."  L'acquittement  de  l'indigène,  dû  à  la  plaidoierie 
du  missionnaire,  fit  grand  bruit.  Les  naturels  du  pays 
comprirent  qu'ils  avaient  trouvé  un  protecteur,  et  ils 
Taimèrent  surtout,  lorsque  le  prisonnier  lil^ré  eut  repro- 
duit devant  eux,  avec  le  rare  talent  d'imitation  que  possè- 
dent les  Australiens,  les  gestes  et  jusqu'aux  intonations  de 
voix  de  son  avocat  improvisé. 

A  son  retour  de  Perth,  le  P.  Salvado  trouva  les  trou- 
peaux fort  augmentés  par  la  naissance  des  agneaux  et  une 
superbe  moisson.  ''  Je  me  souviens,  dit-il,  que,  me  trou- 
vant au  milieu  des  blés,  les  épis  dépassaient  ma  tète.  Sur 
ua  seul  pied,  j'ai  compté  trente-neuf  tiges,  ayant  chacune 
un  épi  de  cinq  pouces  de  longueur.  Bénédiction  du  ciel  1 
Une  moisson  si  abondante  nous  mettait  désormais  à  l'abri 
de  la  famine.  Nous  ne  serions  plus  obligés  d'abandonner 
les  travaux  agricoles  par  défaut  de  forces,  et  de  chercher, 
pour  nous  sustenter,  des  racines,  de  la  gomme  des  arbres, 
des  couleuvres,  des  serpents  ou  des  vers  de  terre."  Cette 
année,  le  blé  fut  coupé  rapidement  ;  les  sauvages  étaient 
•devenus  d'habiles  moissonneurs. 


190 

Après  la  moisson  des  champs  de  la  mission,  chaque 
Australien  ût  celle  de  son  propre  champ.  Ils  en  portèrent 
le  produit  sur  la  grande  place  du  monastère.  Le  P.  Salvada 
leur  fit  alors  ce  petit  discours  : 

**  —  Mes  enfants,  chacun  de  vous  a  maintenant  sa  pro- 
vision de  blé.  Vous  en  ferez  deux  parts  :  la  première 
servira  à  votre  nourriture  et  aux  semailles  de  Tannée  ; 
la  seconde  sera  portée  à  Perth  sur  les  chariots  de  la 
mission,  pour  y  être  vendus  à  votre  profit.  Vous  m'ap- 
porterez l'argent,  qui  servira  à  vous  acheter  des  vôtementSy 
des  ustensiles  de  ménage,  des  animaux  domestiques,  des 
instruments  d'agriculture,  etc.  Mais  il  vous  est  défendu  de 
revenJre  ces  objets  ou  de  tuer  vos  animaux  sans  ma  per- 
mission, parce  qu'on  pourrait  vous  tromper  dans  la  vente, 
et  parce  qu'il  faut  laisser  se  multiplier  vos  brebis,  vos  porcs 
et  vos  poules.    £tes-vous  contents  I 

«  —  Très-bien  !  Très  bien  1  s'écrièrent-ils  ;  vous  avez 
parfaitement  parlé." 

Ils  ne  songeaient  plus  à  leurs  chasses  interminables  à  la 
poursuite  du  kangourou  ou  de  l'émou  (autruche)  ;  ils  pen- 
saient déjà  à  se  bâtir  de  petites  cabanes  à  proximité  de  leurs 
champs,  et  de  former  ainsi  tout  un  village  autour  de  la 
Nouvelle-Nursie.  C'était  aussi  le  rêve  des  moines  espagnols  ; 
mais  ils  devaient  traverser  encore  bien  des  épreuves  avant 
qu'il  fût  accomplL 

Heureux  de  voir  la  nourriture  des  missionnaires  et  des 
sauvages  de  la  mission  assurée  pour  une  année,  le  P. 
Salvado  s'occupait  de  la  construction  d'une  petite  église  en 
l)oi8,  distincte  des  bâtiments  de  la  ferme  monastique.  U 
attendait  avec  impatience  le  retour  du  P.  Serra,  lorsqu'il 
reçut  de  Perth  la  nouvelle  que  ce  Religieux  avait  été  élu, 
le  9  juillet  1847,  évoque  de  Port>Vittoria,  à  la  demande  de 
Mgr  Polding,  devenu  archevêque  de  Sydney.  *^  En  recevant 
de  Mgr  Brady  l'avis  de  cette  élection,  je  sentis  touites  mes 
forces  m'abandonner,  s'écrie  le  P.  Salvado,  et  toutes  mes 
espérances  s'évanouir.  Mgr  Serra  était  perdu  pour  la 
mission  bénédictine  ;  car  la  nouvelle  ville  de  Port-Vittoria 
se  trouvait  à  plus  de  600  lieues  au  nord  de  la  Nouvelle 
Nursie,  et  l'on  ne  pouvait  y  arriver  que  par  mer.    Le  nou- 


191 

Teau  prélat  y  conduirait  Daturellement  les  mlssioanaires 
recruLés  ea  Europe,  et  se  servirait  d'une  partie  des  res- 
sources rassemblées  dans  son  long  voyage,  pour  les  besoins 
de  son  nouveau  diocèse,  presque  aussi  pauvre  que  notre 
Biission.  Durant  quarante  jours,  ces  tristes  réflexions  me 
firent  cruellement  soufirir.  Eafin,  la  grâce  triompha  des 
Tévoltes  de  la  nature  ;  je  me  dis  que  l'œuvre  de  Diea 
n'avait  pas  besoin  de  moyens  humains,  et  que  la  divine 
Providence,  venue  si  souvent  et  si  manifestement  au 
secours  de  la  mission  bénédictine,  saurait  encore  la  sauver 
de  ce  danger.  Je  m'humiliais  donc  devant  Dieu,  et  plein 
de  confiance  dans  le  secours  de  la  Trinité  sainte,  dont  notre 
monastère  portait  le  glorieux  titre,  je  résolus  de  continuer 
ToBuvre  de  la  colonisation  catholique  qui  commençait  à 
réussir." 

Le  missionnaire  communiqua  l'ardeur  de  son  zèle  à  ses 
deux  catéchistts.  Ils  eurent  d'ailleurs  tant  d'occupations 
agricoles  dans  cette  saison  de  l'année,  qu'il  ne  leur  restait 
plus  de  temps  pour  songer  à  leurs  propres  misères.  Ce  fut 
d'abord  le  lavage  des  toisons  de  brebis  et  d'agneaux,  qui 
s'accomplit  immédiatement  après  la  tonte.  Il  fallait,  pour 
cette  rude  opération,  passer  dans  l'eau  une  grande  partie 
du  jour,  afin  de  purger  ces  laines  de  toutes  les  immondices 
que  les  troupeaux  ramassent  dans  les  bois  et  les  pâturages. 
Un  mois  et  demi  s'écoula  dans  ces  pénibles  travaux,  ce  qui 
ue  paraîtra  pas  un  temps  trop  long,  si  l'on  songe  qne  les 
troupeaux  du  monastère  montaient  déjà  au  chiffre  impor- 
tant de  1,800  tètes  de  bétail.  Les  pâturages  de  la  mission 
ne  purent  suffire.  Le  P.  Salvado  confia  son  embarras  i 
l'excellent  sauvage  nommé  Bigliagoro,  qu'il  avait  instruit, 
baptisé,  et  conduit  plusieurs  fois  à  Perth.  Bigliagoro  con- 
naissait tous  les  environs  ;  il  ne  tarda  pas  à  trouver  des 
prairies  assez  grandes  pour  nourrir  les  brebis  et  les 
agneaux.  On  partit,  et  les  troupeaux  furent  parqués  dans 
d'excellentes  conditions.  Mais  le  sort  de  ceux  qui  les  con* 
duisaient  était  moins  heureux,  parce  que  l'on  était  en 
décembre,  époque  de  la  plus  grande  chaleur  en  Australie, 
et  tous  les  cours  d'eau  se  trouvaient  à  sec. 

^<  Nous  avions  du  thé,  du  sucre  et  de  la  farine,  écrit  le  F 


192 

Salvado,  mais  pas  une  goutte  d^eau.  Je  fis  partir  Biglij 
et  les  autres  sauvages  dans  différentes  directions,  et  jep2 
moi-même  de  mon  côté,  afin  d'avoir  plus  de  chance  de 
couvrir  quelque  source  ou  des  réservoirs  de  l'eau  des  plt 
Après  plusieurs  heures  de  marche,  je  revins  sans  ai 
rencontré  le  plus  mince  filet  d'eau  et  accablé  de  fatigui 
Aussi;  éprouvai-je  une  véritable  satisfaction  en  voyant 
marmite  de  thé  qui  bouillait  sur  un  grand  feu  de  sandi 
bois  assez  commun  dans  ces  parages,  et  une  cerl 
quantité  de  galettes  de  farine  qui  cuisaient  sous  la  cendj 
Après  un  repas  modeste,  mais  que  la  nécessité  nous  fit  troi 
Ter  délicieux,  je  m'arrangeai  pour  dormir,  lorsqu'il  me  vîi 
à  la  pensée  de  demander  à  Bigliagoro  comment  il  avait 
trouver  de  l'eau.  Mon  sauvage  ouvrit  sa  grande  bouche 
me  montra  son  double  râtelier,  ce  qui  était  sa  manière 
rixe.    Soupçonnant  quelque  mystère,  j'insistai. 

"  —  Nous  avons  été  longtemps  sans  trouver  de  l'eat 
^^  répondit-il  ;  el  il  nous  a  fallu  faire  la  pâte  avec  noi 
**  salive.    Enfin,  dans  un  creux  de  rocher,  nous  avons 
"  contré  un  petit  réservoir  d'eau  de  pluie  ;  mais  elle  et 
*'  si  mal  placée,  que  nous  avons  dû  l'aspirer  dans  m 
^^  bouches  et  la  verser  ensuite  dans  la  marmite. 

*'  —  Malheureux  l  il  fallait  me  dire  cela  plus  tôt. 

«<  _  Oh,  non  1  repartit  paisiblement  Bigliagoro  ;  le  Pëi 
^  est  si  délicat,  qu'il  n'aurait  pas  voulu  dîner." 

^^  Il  n'y  avait  rien  à  répondre.    Je  me  résignai,  en  ch( 
•*  chant  à  m'endormir." 

{A  suivre,] 


\  1 


/ 


ANNALES 


PROPAGATION  DE  LA  FOI 


POUR  LA  PROVINCE  DE  QUEBEC 


OCTOBBE  1878. 


(NOUVELLE   SERIE) 


1  1 


4  ■  « 


SIXIÈME  NUMÉBO. 


DES  PRESSES^  VAPEUR  DE  PLINGUET  &  FILS^ 

22,  HVX  ST.  fiABRISL. 

1878 


Permis  d'imprioier, 

^  Edouabd  Gh.  Et.  de  Montréal 


djM/y. 


ŒUVRE  DU  BUREAU  INDIEN  CATHOLIQUE  DE 

WASHINGTON. 


LETTRE  DU  REV.  L.  N.  St.  ONGE. 

Glbnsfalls,  l«r  mai,  1878. 
A  Sa  Grandeur  Mgr  A*  M.  Blanchet,  Evèque  de  Nesqualy* 

MONSlM^NEUR, 

Voici  en  peu  de  mots  Thistorigue  de  rétablissement  du 
Bureau  Catholique  Indien,  de  cette  institution  toute  provi- 
dentielle, et  du  bien  qui  en  résulte  pour  nos  Misssions  In- 
diennes. 

Je  donnerai  d'abord  la  lettre  de  Mgr  PArcheTéque  I.  R. 
Bailey,  créant  le  Bureau  Catholique  et  donnant  les  raisons 
de  son  établissement. 

**  Archidiocèse  de  Baltimore, 
''  Baltimore,  2  janvier,  1874. 

^^  Les  Évéques  catholiques  dés  Etats-Unis  qui  ont  des  mis- 
^^  sions  indiennes  dans  les  limites  de  leurs  diocèses,  com- 
^^  prennent  qu'ils  sont  les  victimes  de  grandes  injustices 
''  de  la  part  du  gouvernement  américain  pour  ce  qui  concer- 
^*  ne  leurs  missions  indiennes,  surtout  à  cause  des  informa- 
^^  lions  fausses  et  partiales  envoyées  au  Département  qui 
**  est  chargé  des  affaires  de  ce  genre. 

*^  Incapables  de  venir  à  Washington,  eux-mêmes,  pour 
^'  démentir  ces  fausse^,  représentations  et  pour  opposer  les 
^^  projets  des  personnes  égoïstes  et  intéressées,  qui  sont 
^^  constamment  à  l'œuvre,  à  la  capitale,  les  Evoques  m'on 
^c  demandé  avec  instance  de  choisir  et  appointer  quelqu'un 
^'  demeurant  à  Washington  avec  lequel  ils  pourraient  com- 
^^  muniquer  librement  et  avec  toute  confiance,  et  qu'ils 
^  pourraient  mettre  en  état  de  représenter,  devant  le  dépar- 
<(  tement,  toutes  les  choses  sous  leur  jour  véritable. 

*^  Pour  acquiescer  à  leurs  demandes  et  agir  suivant  leurs 
^'  vues,  j'ai  appointé  le  général  Charles  Evnng,  de  Wash^^ 


196 

^^  ingcon,  pour  agir  comme  leur  Commissaire  en  temps  et 
<'  lieo.  Le  génôrfti  Ewing'  a  4éjà  fait  beaucoup  en  faveur 
^'  des  Missions  Indiennes  Gâtholi^Uiefe  ;  et  il  est  sous  tous 
^'  les  rapports  capable  de  remplir  les  devoirs  qui  lui  sont 
^'  imposés. 

'^  Comme  les  Évèqnee  missionnaires  n'ont  parles  moyens 
^'  de  payer  les  dépenses  de  la  commission,  quelques  mem- 
^*  bres  de  VUnUm-Catholique  de  New-York  et  d'autres  villes, 
^  ont  généreusement  ' offert  une  somme  annuelle  dan?  ce 
^<  but,  et  je  recommande  de  tout  mon  cœur  à  la^veur  et  à 
'<  la  charité  du  public  le  commissaire  et  la  bonne  œuvre 
^'  dans  laquelle  il  est  engagé. 

"  f  J.  ROSKVBLT  BaILEY, 

^^  Arch.  de  Baltimore. 

''  Bien  que  je  sois  dans  la  pénurie  moi-même,  ayant  dé- 
''  pensé  en  charités  plusieurs  centaines  de  dollars  durant 
^'  les  fêtes,  je  vous  envoie  un  chèque  de  deux  cenis  dollan. 

"  f  J.,  Archevêque  de  Baltimore." 

La  lettre  précédente  créant  le  Bureau  et  lui  donnant  des 
recours,  ayant  été  publiée,  le  Cardinal  Archevêque  de 
New-York,  les  Archevêques  de  Philadelphie,  de  Boston,  de 
<3incinnati,  de  St.  Louis,  de  San  Francisco,  d'Oregon  City, 
ainsi  que  plus  de  trente  Evêques  donnèrent  leur  approba- 
tion, et  envoyèrent  des  sommes  d'argent  pour  subvenir 
aux  dépenses  du  Bureau. 

Ils  approuvèrent  aussi  l'établissement  d'une  Association 
de  secours,  branche  du  Bureau  Catholique^  dont  le  but  est 
.de  collecter  autant  de  secours  quejpossible  pour  soutenir 
ce  Bureau,  et  assister  les  nombr^ses  Missions  qui  ne 
reçoivent  pas  d'aide  du  gouvernement  ou  qui  sont  en  de- 
hors des  Réserves  Sauvages. . 

Pour  donner  une  idée  plus  iStendue  de  ce  Bureau,  de  ce 
-qu'il  a  déjà  réussi  à  accomplir,  et  de  ce  qu'il  y  a  encore  & 
faire,  si  les  moyens  nécessaires  lui  s^ont  fournis,  je  me  per- 
mettrai, Monseigneur,  d'attirer  votive  attention  sur  les  faita 
suivants: 

Toutes  les  difficultés  reneontrées  parles  Missionnaires, 
toutes  les  réelamations  des  Evêquès  auprès  du  gouverne- 


197 

ment,  sont  mises  enlre  les  mains,  du  Bureau  qui  est  accré- 
dité à  la  capitale  cooifî&a  représeatant  TEglise  catholique. 
11  faut  dire  en  passant  que  le  gpuvernement  américain  n*a 
pas  pour  ligne  de  conduite  de  persécuter  l'Eglise  caiboli- 
que.  Ce  sont  les  officiers  de  tout  grade  qui  sont  les  cou- 
pables et  qui  pervertissent  les  intentions  du  gouvernemeoi  ; 
•et  il  y  a  lieu  de  croire  que  si  PEglise  avait  été  proprement 
représentée  à  Washington,  avant  la  création  du  Bureau, 
ioTs  de  Idi' division  des  Agences  Indiennes  parle  gouverne- 
ment, nous  n'aurions  peut-être  pas  à  regretter  aujourd'hui 
les  pertes  irréparables  que  nous  avons  faites. 

L'œuvre  du  Bureau  Catholique  est  de  travailler  à  rega- 
gner autant  que  possible  ce  que  nous  avons  perdu»  et  de 
forcer  le  gouvernement  de  nous  rendre  justice. 

Etant  continuellement  sur  les  lieux^  pouvant  présenter 
les  réclamations  des  Evoques  sous  le  jour  et  de  la  manière 
les  plus  favorables,  le  Bureau  par  son  activité,  sa  conuais- 
aance  des  moyens  à  prendre  pour  réussir,  est  parvenu  à 
accomplir  ce  que  les  réclamations  et  les  protestations  de 
tous  les  Evéques  réunis  n'eussent  jamais  commencé  à  ac- 
complir. 

Les  souscriptions  volontaires  des  Evoques  et  de  quelques 
Sociétés  Catholiques,  ne  suffisaient  plus  aux  nombreu^s 
demandes  et  applications  faites  à  ce  Bureau,  ni  à  défrayer 
les  dépenses  de  voyage  des  Missionnaires  envoyés  chez  les 
Indiens  ;  ni  à  secourir  les  Missions  qui  ne  sont  pas  subven- 
tionnées parle  gouvernement  ;  alors  les  Evéques  ont  encou- 
ragé l'établissement  d'une  Association  sur  le  principe  de  la 
Propagation  de  la  Foi,  afin  de  subvenir  à  ces  pressants  be- 
soins. 

Cette  Société  est  une  branche  du  Bureau.  Elle  n'est 
qu'à  sa  troisième  année  d'existence,  et  déjà  elle  a  des  raml- 
ûcations  dans  plus  de  quarante  diocèses,  et  promet  de  de- 
venir un  moyen  puissant  de  propager  la  foi  chez  nos  In- 
diens des  Etats-Unis.  Les  membres  payent  deux  contins  par 
8em«ai)^e.  {4es  fonds  sont  envoyés  à  Washington  et  appli- 
qués par  le  Bureau,  là  où  les  besoins  l'exigent  davantage. 

Voici  maintenant  ce  que  le  Bureau  a  accompli  pour  1% 
église  : 


198 

lo.  n  a  collecté  120,000  souscrites  par  les  fidèles  depuis 
le  temps  si  limité  deson  établissement. 

2o.'  Le  Bureau  a  forcé  le  gouvernement  de  remettre  à' 
FEglise  trois  des  Réserves  ïndiecnes  qui  lui  avaient  été  en- 
levées injustement 

3o.  Le  Bureau  en  a  sauvé  une  quatrième  que  nous  avions 
toujours  possédée,  mais  qui,  il  y  a  quelque  temps  seule- 
meut,  était  sur  le  point  de  tomber  entre  les  mains  des  pro- 
testants. 

4o.  Nous  n'avions  en  1870  que  liuit  écoles  catholiques,  le 
Bureau  en  a  porté  le  nombre  à  28. 

5o.  Le  Bureau  a  fait  augmenter  les  appropriations  du 
gouvernement  pendant  ce  temps  limité,  de  $9,000  à  $20,000- 
par  an. 

6o.  Le  Bureau  a  amené  la  création  de  trois  missions^ 
nouvelles  parmi  les  Siour  ;  lesquelles  donnent  déjà  l'assu- 
rance d'un  magnifique  succès. 

7o.  Le  Bureau  a  fourni  à  Mgr.  Seghers,  de  Tlsle  Vancou- 
ver, les  moyens  de  visiter  le  nouveau  territoire  d'Alaska, 
pays  des  Esquimaitw;  et  il  espère  faire  obtenir  à  cet  Évoque 
des  secours  du  gouvernement  américain  pour  établir  des 
écoles  et  des  missions  permanentes  en  ce  pays  si  abandon- 
né jusqu'ici. 

8»  Depuis  fes  cinq  années  d'existence  le  Bureau  a  àér 
pensé  annuellement  $1,750  pour  son  soutien  et  son  œuvre, 
mais  il  a  su  obtenir  du  gouvernement  par  une  diligence 
infatigable  la  somme  étonnante  de  $102,000;  ce  qui,  ajouté 
aux  souscriptions  des  pieux  fidèles,  forme  le  magnifique 
total  de  $122,000  pour  les  Missions  Indiennes. 

9^  Depuis  le  commencement  de  son  existence  le  Bureau 
n'a  ceseé  de  faire  des  efforts  pour  obtenir  une  pleine  et 
entière  liberté  d'action  pour  les  Missionnaires,  afin  qu'ils 
puissent  exercer  le  saint  ministère  sans  restriction,  sur 
toutes  les  Réserves,  même  celles  assignées  aux  protestants. 
Un  projet  de  loi  à  cet  effet  a  déjà  été  soumis  au  Congrès 
avec  toutes  les  chances  de  succès. 

\(y»  Enfin  le  Bureau  ne  cesse  de  harceler  le  gouverne- 
ment pour  le  faire  continuer  dé  restituer  à  la  Ste.  Ëglise  ce^ 
qu'il  lui  a  si  injustement  artaché. 


199 

Je  termine  en  faisant  le  souhait  que  tput  bon  catholique 
4oit  faire  du  fond  du  cœur  :  Succès  au  Bureau  Catholique 
'de  Washington  !  Puisse-t-il  exister  tant  qu'il  y  aura  un 
Indien  à  convertir  et  une  mission  pauvre  à  assister. 

Je  demeure,  Monseigneur, 
De  Votre  Grandeur, 
Le  très-humble  et  obéissant  serviteur, 

L.  N.  St.  Onob,  Ptre* 


DAKOTA'  ET  MtNNÏSOt A. 

•  :    M  .ij.  ..,'•--.  :     •    '      ;       ....     n  ■ 
■..  *.    ''     .1''     I.  »!    :'  '     •  >    f  !■  1     •     ..         .       î 

LETTRE  DU  TRÉS-RÉyËRË;^D  P.  BROUILLET,  V.  G. 


»  '  !  f  '  •: 


Les  Sœurs  Grises  de  Montréal^} -ihcr  inipù^kinte  mission  chez  les: 
SUhw^' résidant  au  Lac  aii  Diable^  ÈHhnesota^  Etats-Unis. 


i    /l.  r.-  »  :•  ^  .f      .Ki 


Washington,  1er  décembre  1877. 
Bien  chers  amis,  * 

Sur  la  demande  du  conseil  de  notre  Bureau  des  Mis- 
sions Indiennes  Gattioliques,  à  Washington,  D.  G.,  je  sui» 
allé  visiter  plusieurs  de  nos  Missions  sauvages,  dans  la 
Nord-Ouest,  surtout  les  Sioux,  les  Ghippewas,  les  Ménomé- 
Bis,  etc.,  et  bien  que,  à  mon  âge,  cette  longue  course  de 
plusieurs  mois  ait*  été  un  peu  dure  et  laborieuse,  elle  a 
valu  néanmoins  au  conseil  de  notre  Bureau,  les  informa^ 
lions  les  plus  utiles  et  les  plus  encourageantes. 

D'abord,  ayant  désiré  passer  par  le  Séminaire  ou  abbaye 
de  St.  Meinrad,  diocèse  de  Yincennes,  Indiana,  je  trouvai 
là  le  très  révérend  abbé  Martin,  supérieur  de  plusieurs  Mo- 
nastères Bénédictins,  qui  venait  d'arriver  de  Standing  Rock,. 
(Territoire  de  Dakota)  cefftf è  de  nos  missions  chez  les  Sioux. 
Ce  digne  abbé  me  donna  à  l'avance  beaucoup  d'informa- 
tions et  de  nouvelles  intéressantes  sur  l'état  déjà  prospère  de 
ces  nouvelles  missions. 

Je  dois  dire  ici  que  cet  homme  rempli  do  zèle  et  de  l'es- 
prit apostolique,  veut  bien  avec  le  secours  de  ses  Pères  Re* 
ligieux  de  St.  Benoit  remplis  du  même  esprit  de  charité, 
se  charger  de  la  conversion  des  Sioux  qui  forment  une  popu- 
lation de  quarante  mille  âmes,  dispersés  sur  les  territoires 
de.Nébraska,  Wyomiog,  Dakota  et  le  nord  de  Minnesota. 

Ces  bons  Pères  Bénédictins,  avec  leur  sainte  devise  Ora  • 
et  labora,  prière  et  travail,  et  aussi  avec  leurs  nombreux  et 
habiles  Frères  co-adjuteurs,  sont  les  missionaires  les  plus- 
capables  d'évangeliser  et  adoucir  cette  nombreuse  et  im- 
portante nation.  Ils  ont  civilisé  l'Europe  et  pourront  de 
môme  civiliser  les  nombreuses  tribus  Sioux,  si  quelqu'un» 


201 

•en  est  capable  comme  nous  n'en  devons. pas  douter.    L'ob- 
jet de  ces  bons  Pèrçs  est^.to^ten  leur  enseignant  la  fol^ 
•et  la  religioû)  de  les  former;  au  travail  et  à  la  culture  du 
:soI;  à  élever  des.  troupeaux  et  à  pourvoir  eux-mêmes  à 
tous  les  besoins  de  la  vie. 

LES  CHIPPfiWAS  ET  mINOMÉNIS. 

Les  missions  sauvages  du  Nord-Ouest  les  plus  rappro- 
chées de  nous,  sont  les  Ghippewas  et  les  Ménoménis  au 
nombre  d'environ  26,000,  dont  12,000  chrétiens  et  8,00» 
encore  payens,  dispersés  dans  les  états  de  Michigan,  Wis- 
cousin  et  Minnesota. 

Je  m'arrêtai  dans  plusieurs  endroits  de  ces  différents 
Etats,  afin  de  recueillir  les  informations  les  plus  exactes 
sur  l'état  et  le  nombre  des  différentes  missions  sauvages  ; 
•et  c'est  avec  peiûe  que  j'ai  pu  constater  que  cinq  Prêtres 
senlement  et  deux  écoles  sont  au  service  et  toute  la  provi- 
sion religieuse  et  industrielle  de  ces  pauvres  peuples  de  la 
forêt  ;  et  cela  dans  le  voisinage,  ou  même  au  milieu  de 
nombreuses  et  florissantes  populations  blanches  et  catholi- 
^es  de  ces  trois  états.  Oh!  que  Dieu  veuille  dans  un 
futur  prochain  accorder  aux  uns  une  charité  plus  grande, 
•et  aux  autres  des  secours  plus  abondants  pour  leur  conrer- 
'Sionet  leur  salut 

LA  MISSION  DE  WmTE  EARTH,  AD  NORD-OUEST  DU  MINNESOTA. 

En  arrivant  à  St.  Paul,  Minnesota,  je  m'informai  d'une 
manière  toute  spécial^  de  la  grande  difficulté  qui  existait 
à  White  Earth  entre  notre  missionnaire  et  Tagent  métho- 
4i«te  épiscnpalien,  à  la  fia  de  laquelle  difficulté  notre  mis- 
sippnc^ire  fut  chassé  par  le  •  surintendant  Kamble  sous  une 
«escorte  mili^ire. . 

La  mission  de  ^White  Earth  est,  une  des  trente  missions^ 
•enlevées  à  l'Eglise  Catholique  par  le  gouvernement,  en 
1870)  pour,  être  donnéiQ  à  l'Evêque  protestât  Whippl^,  de 
laxeligionépiscopaiienne.  i^/    i 

Néanmoins^  le  Prêtre  avait  pu^  exercer  le  saint  ministère 
4Msez  paisiblement  au  milieu  de  ses  Sauvages  jusqu'en  1874. 


202 

A  cette  époque  un  nouvel  agent,  le  major  Stowe,  y  fut  en- 
voyé par  le  gouvernement;  lequel  agent  coomiença  un 
règne  de  persécution  contre  lé  prêtre  et  les  sauvages  catho- 
liques, employant  en  môme  temps  toute  son  influence  et  de 
l'argent,  pour  gagner  les  Sauvages  à  la  religion  protestante^ 
Le  Prêtre  alors,  comme  il  était  de  son  devoir,  déncmça  un& 
semblable  conduite  comme  illégale,  afin  d'avertir  et  de 
protéger  son  peuple  contre  une  telle  influence  et  le  danger 
de  perdre  leur  foi.  il  ne  gôna  jamais  l'agent  dans  son  ad- 
ministratlon  des  affaires  temporelles  ;  mais  il  le  fit  toujours^ 
quand  l'agent  se  servait  de  sa  position  officielle  pour  ga- 
gner les  sauvages  catholiques  à  son  église,  employant  pour 
cette  fin  les  écoles  et  les  argents  accordés  chaque  année, 
par  le  gouvernement,  à  tous  les  Indiens  indistinctement 
pour  leur  bien  temporel,  et  non  pour  pervertir  les  âmes. 

En  mars  dernier,  l'agent  porta  auprès  du  gouvernement 
4es  accusations  contre  le  prêtre  et  demanda  qu'il  fût  ex* 
puisé  de  la  place.  Mais  presqu'en  même  temps  notre  Bu- 
reau, indien  de  Washington  présenta  au  gouvernement  de 
nombreuses  charges  contre  l'agent,  et  en  faveur  du  prêtre 
et  des  sauvages  catholiques,  demandant  une  enquête  légale^ 
ei  que,  si  les  nombreux  griefs  contre  l'agent  étaient  prouvés, 
il  fût  alors  renvoyé.  Après  quelque  délai  l'enquête  fut  ac- 
cordée. Deux  commissaires  furent  nommés  ;  l'un  de  ceux- 
ci  pour  la  première  fois  depuis  l'établissement  de  notre  Bu- 
reau Catholique  Indien,  fut  choisi  par  nous.  Les  commis- 
saires étaient  l'honorable  Lyon  de  New- York,  du  départe- 
ment indien,  et  l'hon.  H.  Rice,  ex-sénateur,  de  St  Paul^ 
Minnesota,  tous  deux  protestants  ;  l'un  d'eux  (le  Sénateur 
Bice)  faisant  partie  du  conseil  de  l'Evêque  Episcopalien- 
"Whipple.  Les*  séances  de  la  commission  furent  tenues  à 
"White  Earth  même,  et  tous  les  témoignages  de  plaintes  et 
d^accusations  furent  reçus  publiquement  pendant  douze 
jours  ou  contre  l'agent  ou  contre  le  prêtre  *dans  toxtt  ce  quf 
concernait  la  difficulté,  et  les  intérêts  de  la  Réserve  Sauva- 
ge. 

Uenqnêie  fut  faite  avec  un  grand  intérêt  de  part  et  d'au^ 

tre.  Les  sauvages  commencèrent  i^ar  présentéi*  une  requête 
demandant  le  renvoi  de  l'agent.    Us  dirent  à  la  commis- 


203 

sion:  ^^  Nous  avons  tenu  conseil  ensemble,  et  avons  décida 
*^  que  le  Major  Stowe  doit  s'eo  aller»  et  si  le  gouvesiement 
^'  ne  l'envoie  pas,  nous  l'enverrons  naus-mônies."  Un  chef 
protestant  et  ami  de  l'agent  Stovsre  et  de  l'évêque  Whipple 
gui  avait  ordonné  son  fils  diacre,  parla  ainsi  à  la  commis- 
sion :  ^^  Il  faut  que  l'agent  Scowe  s'en  aille  ;  je  n'ai  pas  à 
^'  me  plaindre  de  lui  personnellement  car  il  m*a  fait  bien 
^^  des  faveurs  ;  mais  je  dois  considérer  l'intérêt  de  tous  Ie& 
^'Sauvages;  et  comme  agent  il  a  été  injuste  envers  un 
^'  grand  nombre,  et  a  négligé  leur  bien-être,  il  faut  qu'il 
*^  s'en  aille." 

En  plusieurs  occasions  les  Sauvages  avaient  fait  des  mog 
naces  de  violence  ;  et  quelques  jours  seulement  avant  l'en- 
quête les  jeunes  gens  avaient  décidé  de  tuer  les  animaux 
et  de  brûler  les  bâtisses  de  l'agence  ;  ce  qui  devait  être  le 
signal  d'une  révolte  générale  des  Sauvages;  mais  ilsea 
furent  empêchées  par  quelques  amis  qui  les  assurèrent  que 
justice  allait  bientôt  leur  être  rendue. 

Les  témoignages  de  l'enquête  justifièrent  le  prêti^e  de 
toutes  les  charges  portées  contre  lui  et  démontrèrent  que 
l'agent  était  coupable  de  bigoterie,  de  préférences  injustes 
sous  le  rapport  religieux,  et  d'abus  illégal  de  son  office 
pour  gagner  les  Indiens  à  son  Kglise. 

Le  18  juillet,  l'enquête  fut  clûse,  et  le  rapport  en  fut  pré- 
senté ail  gouvernement.  Plusieurs  des  abus  de  l'agence 
y  étaient  signalés;  on  y  exprimiait  le  regret  d'f  voir  depuis 
plusieurs  années  passées  une  mal-administration  générale, 
une  dépense  folle  de  plusieurs  centaines  de  mille  dollars  de 
l'argent  des  Indiens,  pour  lequel  argetit  on  ne  voyait  à  peine 
aucune  amélioration  sur  la  Réserve  ;  et  enfin  on  y  recoox 
mandait  le  renvoi  immédiat  de  l'agent  Stowe  comme  en- 
-tièrement  incapable  de.  remplir  les  devoirs  de  sa  position. 

Alors  on  s'attendait  de  part  et  d'autre  que,  sur  une  re* 
commandation  aussi  expresse,  et  en  considération  des  me- 
naces et  du  mécontentement  des  Sauvages,  une  action  im* 
.médiate  serait  prise  à  ce  sujet,  afin  de  remédier  aux  injus» 
ticeset  de  satisfaire  aux  justes  demandes  des  Indiens.  Mais, 
xhose  incroyable,  aucune  nouvelle  n'arrivait  sur  les  lieux; 
.alors  lettre  sur  lettre,  télégramme  sur  télégramme  furent 


204 

expédiés  au  Département  des  Indiens  à  Washington,  de- 
mandant une  réponse  itûinédiate  sur  le  rapport  des  Com- 
missaires, et  faisant  connaître  les  dangers  que  créait  iia 
pareil  délai.    Mais,  chose  étrange  I  après  une  vaine  attente  - 
de  plus  de  cinq  mois  de  la  part  du  public,  Tagent  Stowe  est* 
eucore  à  l'agence  et  le  prêtre  en  a  été  éloigné  par  la  force  ; 
et  bien  qu'il  ait  été  clairement  prouvé  que  le  rapport  de  l'ins- 
pecteur Kemble,  sur  lequel  le  prêtre  îui  ohasséde  l'agence^ 
étàit'faux,  on  le  continue  cependauieii  office. 

L£8^  SOEURS  GKISB8  A  LA  HlSBlOlfr  iMT  LAC  AU  DIABLE. 

1^  Je  visitai  ensuite  notre  belle  mission  des  Sioux  du  Lar 
au  Diable,  où  nos  bonnes  Sœurs  Grises  de  Montréal  ont 
établi,  il  y  a  trois  ans,  une  maison  qui  est  déjà  ai  florissante. 
La  nation  des  Sioux,  qui  s'appellent  aussi  les  Dakotas, 
compte  environ  40,000  â^mes.  Elle  figurait  autrefois  comme 
l'un  des  plus  beaux  peuples  sauvages  du  continent.  Nicolet, 
qui  visitait  les  différentes  tribus  sauvs^ges  de  l'Amérique 
du  l^ord,  dii  qu'ils  étaient  supérieurs  à  tous  les  autres  peu- 
jples  de  la  forêt,  qu'il  avait  jamais  vus.  Ils  étaient  aussi 
les  amis  des  blancs.  Les  officiers  de  la  compagnie  de  pel- 
leterie du  Nord-Ouest  rendent  aussi  ce  témoignage  de  la 
constante  amitié  des  Sioux  pour  l^s  blanc3.  Us  disent  ^ue 
c'est  l'orgueil  des  Sipux  dé  se  vanter  dans  leur  grand 
conseil  de  ne  s'être  jamais  teint  les  mains  du  sang  de- 
l'homnie  bUnc.  Ils  occupaient  la  plus  grande  p^tie  du 
territoire  qui  s'étend  depuis  le  Mi^sissipi  aux  Montagnes  Ro- 
cheuses et  des  Possessions  anglaises  aux  lloûtes  du  Kansas. 
Ils  vivaient. de  chasse.  Le  poisson  de  Jeurs  laos  et  rivières^ 
les  troupeau?  de  chevreuils,  d'pri^naiix,  de  buff'alos,  dans 
les  forêts  et  j^ralries,  le  riz  et  les  fruits  sauvages,  faisaient 
de  leur  pays  un  vrai  paradis  pour  les  Sauvages. 
'  La  religion  des  Sioux  admettait  plusieurs  dieux.  Ils 
croyaient  que  les  mondes  visible  et  invisible  étaient  peuplés 
ïl'ôires  spirituels  ou  mystérieux  gui  travaillaient  continuel- 
lement au  bonheur  ou  au  malheur  de  la  famille  humaine. 
Ces  esprit^,  Qomme  Us  le  croyaient,,  nabjtéut  partout  et  en 
toutes' .  choses,  eten  conséquence  presque  toutes  .choses» 
devenaient  un  obji^tdecuUei  Dans  une  paême  fête  les  Sioux. 


906 

faît^eat  des  danses  religieuses  en  hommagie  au  soleil,  à  la 
lune  el  étendaient  les  bras  et  les  mains  devant  une  pierre 
peinte.  lis  avaient  le  dieu  du  nord,  le  dieu  du  sud,  le  dieu 
des  bois  et  le  dieu  de  la  prairie,  le  dieu  de  l'air  et  le  dieu 
dee  eaux.  Ils  étaient  en  toutes  choses  ce  que  dît  St.  Paul 
des  Athéniens,  remplis  de  superstitions  et  enclins  à  offrir 
des  sacrifices  plus  fréquemment  aux  mauvais  génies  qu'au 
Grand  Esprit. 

Peu  d'années  d'expérience  nons  ont  déjà  montré  ce  que 
peut  faire  l'Eglise  parmi  les  Indiens,  en  harmonie  avec  le 
gouvern^ement  et  aidée  par  lui. 

lia  mission  du  lac  au  Diable  avec  une  population  do 
1,100  âmes  fut  assignée  à  l'Eglise  il  y  a  quatre  ans.  La 
première  école  y  fut  établie  par  les  Swurs  Grises  de  Mont* 
Téal  dans  l'automne  de  1874,  ayant  pour  chapelain,  le  jeune 
Bère^  plein  de  zèle  apostolique,  Louis  Bonin,  aussi  de 
Ifontréal. 

Il  y  a  six  ans  passés  ces  Indiens  étaient  tout  &  fait  à  l'é- 
tat sauvée  ;  ils  ne  connaissaient  aucunement  le  travail  et 
ae  voiraient  môme  pas  en  entendre  parler.  Ils  étaient 
(^pQsés  à  l'école  et  i  l'instruction  de  leurs  enfants.  La 
mâmjs  ttuit  que  les  âmurs  et  le  Chapelain  arrivèrent,  ces 
farouches  Indiens  tinrent  un  conseil  secret  dans  lequel  ils 
protestèrent  ce  qu'ils  appelaient  une  conspiration  pour  les 
priver  de  ^ur  liberté  et  de  leur  religion  ;  et  ils  résolurent 
4e  €oniba.ttre  ou  de  s'oj^oser  de  toutes  leurs  for^qes  à  cet 
empjièteinent.sur  leurs  droits. 

C'est  pourquoi,  pendaipt  deux  ans,  ce  fut  avec  la  plu» 
grande  répugnance  que  quelques-uns  d'entre  eux  oonsen* 
tirent  à  coUifler  leurp  eufaats.aux  Soeurs^ou  encore  à  laisser 
baptiser  leurs  epfaots  mourants. 

,  aujourd'hui  tout  ^st  ctiapgé,  ils  d/ésirent  l'inatr action 
po^  leuEs  enfante  etpour  eux-mêmes.  Ils  me  prièrent  de 
lei^r  o))tenir  4bs  b&Usses  plus,  grandea,  où  leurs  garçons 
plu#  âgétf  jkjUissentt  apprendre  &  travailler  à  quelque  métier 
^i^auftsi  ^iCwltiTdr  laiteire..  Us  amènent  maintenant  leuirs 
^antaàrécple  deeSqeurs  at  les  laissent  même  des  .années 
ef&tières  ;$ai»aa|iUQUi|e  .inquiétude.  Ils  viatuient  AJ'égliiBe^ 
appqrAe^l  .A'^eiuirp^êiiies  leurs  enfants  au  baptême  et  plu- 
sieurs des  parents  sont  en  même  temps  baptisés. 


206 

C'est  ainsi  que  ces  Sauvages  qui,  il  y  a  six  ans,  ne  vou- 
laient pas  même  entendre  parler  de  travail,  sont  mainte- 
nant presque  tous  fermiers.  Sur  265  familles,  243  ont  de8 
fermes  ou  des  jardins  depuis  uq  jusqu'à  dix  et  vingt  ar- 
pents en  culture.  175  familles  se  sont  bâti  eux-mêmes  de 
bonnes  et  solides  maisons  en  pièces  de  bois  écarries  ;  et  ils 
«avent  déjà  faire  tout  Touvrage  sur  leurs  terres,  labourage^ 
semailles,  cerclage,  rechaussage,  clôture,  etc.,  et  cela  même 
avec  soin  et  bon  goût.  J'ai  vu  sur  leurs  terres  des  clôtures 
qui  peuvent  être  comparées  avec  avantage  aux  clôtures 
faites  par  les  blancs  dans  les  nouvelles  colonies.  Déjà,  ils 
récoltent  les  patates,  le  blé-dinde,  les  oignons,  les  navets  et 
autres  jardinages  par  centaines  de  boisseaux  ;  ils  font  assez 
de  foin  et  d'avoine  pour  hiverner  chevaux,  vaches  et  autres 
bestiaux;  de  sorte  que  nous  avons  Tespoir  que  dans  peu 
d'années  ces  Sauvages  sauront  se  supporter  eux-mêmes  et 
être  indépendants.  Le  grand  secret  de  leur  rapide  amélio- 
ration est  dû  au  dévouement  et  Thabiletô  de  leur  agent)  le 
major  McLaughlin,  et  au  système  suivi  en  cette  agence  de 
payer  les  Sauvages  pour  toutes  leurs  améliorations,  aveo 
l'argent  qui  leur  revient  chaque  année  du  gouvernement^ 
et  par  des  contrats  de  cession  de  leur  immense  terrain. 

« 

LA  MISSION  DZ  STAin}ING  ROCK. 

Enfin  je  visitai  en  dernier  lieu  une  autre  belle  mission 
des  Sioux  à  Standing-Rock,  laqfueHô  compte  eiiviron  2,400 
âmes  et  est  située  sur  la  rivière  Missouri  dans  le  Territoi- 
re de  Dakota.  Ici  l'agriculture  n'est  paè  aussi  avancée 
qu'au  lac  au  Diable  parce  que  les  Sauvages  n'ont  pas  eu  les 
mêmes  avantages,  ayant  eu  à  voyager  d'une  place  à  nue 
autre,  et  à  faire  la  guerre  -même  avec  les  troupes  du  goa- 
vernement  jusqu'en  1876  Ils  montrent  cependant  un  grand 
désir  pour  le  travail  et  demandent  des  animaux  et  des  ins- 
truments pour  Pagriculture.  L'été  dernier  ils  ont  pu  récol- 
ter 8,000  minots  de  blé- dinde,  S,000  minots  de  ^tates  ei 
800  minots  d'autres  jardinages.  Ils  ont  déjà  une  maison 
d'école,  mais  ils  désirent  en  avoir  plus  d'une  et  de  plus 
grandes  ;  et  je  n'ai  nul  doute  que  si  le  plan  pour  les  écoles 
avec  une  ferme-modèle,  soumis  par  notre  Bureau  au  dé- 


207 

partement  des  Indiens,  est  accepté,  des  centaines  d'enfants 
pourront  alors  fi-éguenter  chaque  année  ces  écoles  indus- 
trielles. 

Les  Sauvages  Siouz  .de.  Standing  Rock  montrent  une 
plus  grande  disposition  à  se  faire  d'abord  chrétiens  que 
ceux  du  Lac  au  Diable,  parce  que  ceux  ci  ont  connu  autre- 
fois le  Père  De  Smet,  et  loi  ont  entendu  conter  plusieurs  des 
merveilles  du  Grand  Esprit.  Et  bien  que  ce  grand  patriar- 
che des  missions  sauvages  de  l'ouest  n'ait  pas  eu  le  temps, 
ai  l'occasion  d'en  faire  des  chrétiens,  ceux-ci  néanmoins 
ae  rappellent  d'avoir  vu  et  entendu  la  Grande  Robe  noire, 
le  Père  De  Smet. 

Deux  Pares  Bénédictins  et  deux  Frères  coadjuteurs  ont 
maintenant  la  charge  de  la  mission  et  des  écoles  de  Stan- 
ding Rock.  D'autres  Pères  avec  quelques  Frères  Bénédic- 
tins sont  partis  dernièrement  du  Séminaire  de  St.  Meinrad, 
Indiana,  afin  d'établir  une  ferme-modèle  et  aggrandir  les 
écoles  à  Standing  Rock.  Les  Sœurs  de  la  Charité  doi- 
vent aller  prochainement  prendre  charge  d'une  école  in- 
dustrielle et  d'un  pensionnât  pour  les  filles  :  les  bâtisses  né- 
cessaires étant  justement  à  s'achever.  Les  bois  de  construc- 
tion tirés  des  forêts  sont  ici  bien  inférieurs  à  ceux  du 
Iac  au  Diable.  Les  immenses  prairies  du  Dakota  semblent 
mieux  adaptées  à  l'élevage  des  troupeaux  qu'à  la  culture 
du  sol.  L'herbe  et  le  foin  sauvage  y  croissent  en  abon- 
dance, tandis  que  les  moissons  sont  très  exposées  à  être  dé- 
truites par  de  fréquents  orages  de  grêle  et  de  pluies  torren- 
tielles, et  quelquefois  aussi  par  le  fléau  des  sauterelles. 
Toutefois  le  climat  y  est  très  salubre  et  les  voyageurs,  les 
sauvages  et  les  missionnaires  y  jouissent  du  bonheur  pai- 
sible de  la  campagne  et  surtout  d'une  excellente  santé. 

Je  suis  avec  toute  gratitude  et  respect, 

Votre  très  humble  Serviteur, 

J.  B.  BaouiLUtT,  V.  G. 


208 

AGENCE  DE  SPOTTBD  TAIL, 

14  janvier  1878. 
Au  Très  Rétéreud  Fèré  BroùUUt,  V.Ù. 

Très  Révjêrbnd  et  ghbr  Monsieur, 

J'arrivais  hier  de  l'agence  de  Red  Qoud  eu,  en  présence 
de  l'agent,  des  officiers  et  du  ministre  épiscopalien,  M.  Ro- 
binson,  j'ai  tenu  un  conseil  avec  les  chefs  indiens,  le  6  jaa- 
vier.  Leurs  dispositions  sont  les  xnônxes  que  celles  des  In- 
diens des  Réserves  de  Wolf  Point,  de  Red  Glond,  de  Devii^s 
Lake,  de  Standing  Rock  et  de  Spotted  TaiL  J'apprends 
aussi  que  les  Sioux  des  autres  Réserves,  le  long  de  la  Rivfe- 
re  Missouri,  sont  tout  aussi  désireux  d'avoir  des  Préires  et 
des  Instituteurs  catholiques.  Mais  malheureusement  nous 
n'avons  ni  les  hommes  ni  les  moyens  de  pourvoir  aux  be- 
soins des  Indiens  qui  sont  déjà  sous  nos  soins  ;  et  tandis 
qu'il  y  a  poar  nous  le  plus  brillant  espoij*  de  la  part  des  In- 
diens, notre  côté  ne- présente  qu'un  aspect  sombre  poux  les 
Indiens. 

Je  vais  maintenant  retourner  à  mon  monastère  deSiint* 
Meinrad  parce  qu'ici  les  Missionnaires  seront  regus  avec 
joie  à  n'importe  quelle  agence,  et  aussitôt  qiie  je  pourrai  les 
envoyer.  Je  retourne  pour  la  raison  encore  que  je  puis  pour 
le  présent  faire  plus  de  bien  ailleurs,  parce  que  nous  n'a» 
vous  pas  encore  ici,  à  l'agence  de  Spotted  Taii,  les  apparle- 
ments  convenables  pour  le  service  divin,  ni  pour  les  écoles. 
.  J'ai  hâte  de  recevoir  de  vos  nouvelles,  ainsi  que  les  nou- 
veaux rapports  du  Gouveruement  touchant  nos  Missions 
Indiennes.  Je  vous  remercie  baanooup  pour  l'important 
Dictionnaire  en  langue  Slouse  que  vous  avez  acheté  pour 
nous  du  Smithsonian  InstUute  i  Washington,  (prix  $20). 
Si  vous  pouviez  en  avoir  deux  copies,  envoyez-en  une  à  St. 
Meinrad  et  Vautre  à  Standing  Rock. 

Rien  chier  Père,  pardonnez-moi,  s'il  vous  plaît,  mon  im- 
portunité,  et  acceptez  l'expression  de  la  reconnaissance  tou- 
jours vive  de 

Votre  serviteur  dévoué, 

L'abbé  Martin. 


2(» 

LETTRÉ  DE  LA  RÉVÉÏlE^fDE  SŒUR  CLAPIN, 
Supétieure  dm  CoiitVfent  deà  Sœurs  Grises, 

LAd  AU  DÏABCÈ,  MINt^SÔTA,  E.-U. 

Mission  de  N.-!)-  des  Sept-DouleurSj 

1epjuinl878. 
Au  Très-Révéîiend  Directeur  de  l'Œuvre,  à  Washington. 

Titàs-RévÉHRND  Pare, 

C'est  un  "devoir  et  un  plaisir  pour  nous  &e  trouver  l'oc- 
-casion  de  vous  donner  quelques  nouvelles  de  notre  chère 
-  et  belle  mission  des  Sioux  sur  le  Lao  au  Diable. 

Votre  bonne  visite  de  l'automne  dernier  nous  a  laissées 
tellement  remplies  de  bons  souvenirs  !...nous  désirons  bien 
ardemment  que  vous  la  renouvelliez  cette  année  encore. 

Notre  Saint  Evéque,  Mgr  Seidenbush,  de  Tordre  de  Saint 
Benoit,  nous  enlevait,  îl  y  a  déjà  près  de  15  jours,  notre 
dévoué  chapelain,  le  Rév.  Père  Ls,  Bonin,  en  l'appelant 
chez  les  blancs,  à  l'église  6t.  Joseph,  près  de  Pembina,  sur 
les  lignes  de  Manitoba.  Que  les  bénédictions  de  Dieu  le 
suivent  et  le  récompensent  pour  tout  ce  qu'il  a  fait  pour 
nous  et  pour  notre  chère  mission  des  Sioux  depuis  plus  de 
ttois  ans.  Deux  Pères  Bénédictins  doivent  venir  prochai- 
nement le  remplacer,  et  se  charger  de  l'école  industrielle 
de  nos  grands  garçons  Sioux. 

Vous  comprenez  néanmoins  que  c'est  déjà  un  certain 

sacrifice  pour  nous  que  de  rester  plusieurs  semaines  sans 

la  Siainte  Messe^  ni  lé  Saint  Ministère  du  Prêtre  au  milieu 

^  de  nos  farouches  IndSeiis^    C'est  donc  avec  grande  hâte 

que  nous  attendons  l'arrivée  des  Révérends  Pères.     • 

Nous  avons  aussi  plusieurs  .enfiaats  déjà  préparés  pour  la 
première  communion,  et.  ils  ont  bien  hâte  de  voir  arriver 
cet  heureux  jour. 

Nous  sommes  heureuses  encore  de  pouvoir  constater 

pour  cette  année  aussi  un  nouveau  progrès  chez  nos  en- 

.fants  sauvages  dans  l'application  aux  différentes  matières 

de  l'école,  et  à  leurs  devoirs  tle  chrétiens,  comme  aussi  dans 

Jleur  bonne  volonté  à  apprendre  la  langue  anglaise  ;  ce  qui 


210 

est  une  condition  expresse  de  la  part  du  gouyemement 
américain. 

Votre  jeune  protégé*  le  petit  Jéàn-Baplisté,  est  toujours 
avec  nous  ;  il  est  d'un  caractère  doux  et  gentil.  Nous  avons 
parmi  nos  chères  élèves  une  jeune  flUe  Sioux,  gui  est  des- 
tinée à  épouser  prochainement  un  jeune  Indien  de  sa  na- 
tion ;  lequel  n'a  encore  de  chrétien  que  le  baptême.  Néan- 
moins sa  conduite  est  donnée  comme  exemplaire  ;  et  Pagent 
des  Indiens,  M.  McLaughlin,  approuve  ce  mariage.  La 
cérémonie  se  fera  solennelledient  à  Péglise.  Ce  bon  ex- 
emple, nous  en  avons  la  confiance,  sera  suivi  par  bien 
d'autres.  Cette  jeune  fille  est  une  de  nos  premières  élèves  f 
elle  a  été  avec  nous  depuis  environ  trois  ans,  et  nous  pou- 
vons assurer  qu'elle  est  une  excellente  chrétienne,  et 
qu'elle  fera  une  bonne  femme  de  ménage. 

Un  mot  maintenant  de  notre  nouvel  hôpital  que  le  gou- 
vernement vient  de  nous  faire  bâtir  pour  nos  Sauvages.  H 
a  40  pieds  de  longueur  sur  50  de  profondeur,  et  a  deux 
étages»  Le  tout' est  en  bonnes»  pièces  de  bois  équarriesei 
la  couverture  en  bardeaux.  L'agent  nous  offre  d'occuper 
le  second  étage  pour  nos  Instructions  religieuses,  et  même 
notre  chapelle  ;  mais  il  ne  peut  rien  faire  pour  aider  à  finir 
cet  appartement  qui  n'a  que  les  quatre  mursi  et  le  toit 

Vous  savez  combien  nos  moyens  sont  limités  ;  c'est  pour- 
quoi nous  nous  adressons  à  votre  Institution  de  charité,, 
afin  que  dans  la  distribution  de  vos  aumônes  aux  différen- 
tes missions  sauvages,  vous  n'oubliiez  pas  nos  chers  Sioux 
de  la  mission  des  Sept-Douleurs. 

Quant  à  moi  et  à  ines  chères  compagnes,  nous  ne  man- 
querons de  prier,  et  da  faire  prier  nos  chères  élèves  pour 
votre  prospérité  et  le  plein  succès  de  voU'e  sainte  œuvre. 

Je  demeure. 

En  toute  gratitude  et  t<espect, 
Votre  très-humblé  servante, 

Soeur  Clapin^ 


j    . 


'   l 


211 

^iTTiNG  ByLL,  Rsd.Cloud,  e^,  at  dpuze  autres  chefs  Sioux^ 
à  Washingt4mt  demandant  la  Robe  nmVe. 

Tout  le  monde  se  rappelle  la  y isî te  de  ces  célèbres  chefs 

Sioujt  au  Président  Hayes,  l'été  deràjer.  Ils  viennent  le  vî- 

sitei,  afin  d'en  obtenir  diverses  faveurs,  mais  surtout  pour 

lui  demander  la  Robe  Noire,  JPas  un  d'eux  n'est  baptisé, 

ni  môme  catéjchumène  :  mais  tous  désirent  l'être.    Leur 

•   '  '    » 

haute  estime  et  leur  grande  confiance  pour  la  Robe  Noire 
^t  la  Sœur  de  charité,  a  induit  en  erreur  plusieurs  jojir- 
naux  américains  qui  affirmèrent  alors  que  tous  ces  grands 
chefs  Sioux,  Sitting  Bull  même,  Red  Cloud,  Spotted  Tail 
(Tigre)  et  les  autres  étaient  déjà  catholiques,  simplement 
parce  qu'ils  demandaient  le  Prêtre  catholique. 

Sitting  Bull,  au  milieu  d'un  grand  conseil  de  plus  de  cent 
chefs  et  en  présence  des  commissaires  du  gouvernement, 
-disait  :  '^  Officiers  du  gouvernement,  nous  vous  demandons 
maintenant  une  seule  chose  ;  c'est  que  vous  nous  envoyiez 
le  missionnaire,  mais,  remarquez  bien,  le  missionnaire  un 
comme  le  père  De  Smet,  la  Robe  Noire  ;  car  ces  missionnai- 
res deiLx^  homme  et  femme,  comme  vous  en  avez,  nous  n'en 
-voulons  pas."  Sitting  Bull  cependant  est  un  Indien  Sioux  pur 
-sang,  qui  n'a  jamais  été  baptisé,  et  qui  ne  sait  ni  l'anglais, 
Tii  le  français,  comme  cela  a  été  faussement  rapporté,  par 
différents  journaux  protestants  (1). 

C'est  la  conviction  des  Missionnaires  aujourd'hui  encore 
an  milieu  des  In^âens,  qua^si  la  Robe  Noire  avait  été  alors 
accordée  à  la  nombreuse  nation  des  Sioux,  (qui  compte  40,- 
OOO  âmes),  la  guerre  désastreuse  de  1876  eût  été  évitée  :  ce 
qui  aurait  encore  épargné  au  gouvernement  les  immenses 
frais  de  deux  millions  de  dollars,  et  surtout  sauvé  tant  de 
.précieuses  vies  de  nos  braves  soldats  et  officiers. 

Mais  inutile  maintenant  de  rappeler  des  faits  si  malheu- 
reusement accomplis. 

Depuis  cette  malheureuse  politique  de  1870,  ^^  The  Indian 
Pejace  Policy'^  du  Président  Grant,  le  gouvernement  n'a 


(1)  Un  de  nos  missionnaires  distingués,  Tabbé  ICartin,  0.  S.  B.  est  allô 
'Visiter  le  camp  de  Sitting  BuU  Tété  dernier. 


212 

cessé  d'inonder  les  pays  sauvages  de  l'ouest  de  ministres^ 
j^otestants  qu'il  paie  et  enroie  comme  commissaires,  ins- 
pecteurs, surintendants,  agents  et  gouverneurs  des  pauvres 
Sauvages  qui  deviennent  forcément  les  victimes  de  ces  cen« 
taines  de  ministres  protestants  devenus  tout  à  coup  spécula- 
teur-missionnaires. The  government  pays  well^  et  c'est  là 
le  secret  du  zèle  si  soudain  de  cette  nouvelle  espèce  de  mis- 
sionnaires, qui  trop  souvent  finissent  par  reclamer  le  se- 
cours de  l'armée  pour  venir  convertir  leurs  Indiens  au  bout 
de  la  bayonnette  et  du  fusil. 

Mais  les  Sauvages  en  général  ont  beaucoup  trop  de  bon 
sens  pour  se  laisser  ainsi  tromper  sans  réclamation  ;  ils 
réclament  et  réclameront  toujours,  comme  étant  de  leur 
choix,  le  ministère  tout  de  paix  et  de  charité  de  la  Robe 

Noire. 

J.  M,  Missionnaire  Indien^ 


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ORÉGON. 


LETTRE  DU  RÉVÉREND  PERE  CHIROUBE,  0.  M.  I.^ 

AfÂX  Membres  du  Con^tU  du  Bureau  Catholique  Indien  de 
Washington^  D.  C. 

BiteN  CHERS  Messieurs, 

J'arrivais  d'une  longue  et  laborieuse  mi^ion  chez  les 
Lnmmi  et  l^s  SwinoQiiab,  quand  je  ?encoiUrai  dix  jeunee 
sajuvages  envoyés  de  Port  Madison  après  xuoi  pour  porter 
recours  à  la  femme  de  leur  Grand  Çbef,  q\\i  était  très- ma- 
lade et  demandait  l'assistance  du  prêtre  avant  de  mourir. 
Tout  fatigué  que  j'étais,  je  me  rends  néi^imoins  à  leur  de- 
mande, et  nous  embarquons  dans  les  canots  à  Tulalip  vers 
S  heures  du  soir.  La  baie  était  calme  et  magnifique  ;  et 
les  jeunes  gens  fireut  si  bien  leur  devoir  qu'à  deux  heure» 
après  minuit  nous  étions  arrivés  au  terme  désiré  de  notre 
Yoyage.  Le  chef,  dans  son  affliction,  se  tenait  sur  le  rivage 
et  me  reconnut  de  loin.  lime  conduisit  de  suite  auprès 
de  son  épouse  agonisante,  mais  la  joie  de  voir  la  Robe 
Noire  auprès  d'elle  lui  rendit  ses  forces;  elle  put  faire 
bien  sa  confession  et  recevoir  le  sacrement  des  mourants^ 
qui  donne  le  soulagement  à  l'âme  et  au  corps  :  il  s'opéra 
aur  le  champ  un  effet  merveilleux,  car  elle  dormit  d'un 
profond  sommeil  tout  le  reste  de  la  nuit,  et  fut  même 
rendue  sous  peu  de  jours  k^ses  occupations  ordinaires. 

Ces  bons  sauvages  me  voyant  au  milieu  d'eux  vinrent 
me  demander  de  leur  donner  une  petite  mission,  que  je 
commençai  de  suite,  le  même  jour.  Je  baptisai  trois  adultes 
et  neuf  enfants  dont  le  plus  jeune  est  déjà  allé  augmenter 
l'heureuse  troupe  des  anges  dans  le  ciel.  Plus  de  vingt 
personnes  reçurent  leur  divin  Sauveur  dans  le  sacrement 
de  son  amour.  Trois  ont  fait  leur  première  communion  y 
et  cinq  autres  se  préparent  à  mériter  la  même  faveur. 

Ces  sauvages  ont  adopté  un  code  de  lois,  ils  élisent  leurs 
officiers,  collectent  parmi  eux  la  taxe  pour  leurs  écoles,  ont 
bâti  eux-mêmes  pour  cet  objet  une  maison  spacieuse  et  con- 


214 

fortable.  Hier  les  livres,  les  ardoises,  etc.,  étaient  achetés; 
aujourd'hui  Técole  est  ouverte  avec  le  joli  nombre  de  24 
enfants.  Chaque  exercice  commence  par  la  prière  et  le 
chant  joyeux  d'un  pieux  cantique.  Les  élèves  les  plus  dis- 
tingués sont  souvent  envoyés  à  notre  école-modèle  de  Ta- 
lalip,  les  garçons  chez  nos  Pères,  les  filles  chez  les  Sœurs  de 
la  Providence,  où  aucun  soin  n'est  épargné  pour  rendre 
ces  enfants  intelligents,  laborieux  et  utiles  à  leur  nation» 
Déjà  dans  quelques-unes  de  nos  missions  ce  sont  nos  an- 
ciens élèves  de  l'école-modèle  de  Tulalip,  qui  enseignent 
avec  succès  les  écoles  primaires  à  leur  propre  nation. 

J'aurais  encore  beaucoup  de  choses  d'un  grand  intérêt  à 
vous  raconter,  mais  je  remets  de  le  faire  jusqu'après  mon 
retour  à  Tulalip. 

Votre  respectueux  et  obéissant  serviteur, 

£.  G.  ÇmROja&E»  0*       L 


MONTAGNES  ROCHEUSES. 


LETTRE  D'UNE  SŒUR  DE  LA.  PROVIDENCE   SUR 

LA  FÊTE-DIEU. 

mSSlON  DE  COLTII.LB,  MONTAGMBS  ROCHEUSES, 

24  juin  1877. 
A  la  Bévde.  Mère  Caron^  de  Montréal^ 

Très- CHÈRE  et  RCtse  Hère, 

La  Fête-Dieu  est  une  époque  si  remarquable  et  si  solen- 
nelle chez  tous  n^s  Sauvages  des  Montagnes  Rocheuses^ 
que  je  suis  certaine  de  vous  être  agréable  et  de  vous  bien 
intéresser  en  vous  racontant  la  manière  toute  édifiante 
avec  laquelle  nos  chers  Indiens  ont  su  célébrer  cette  divine 
fête  encore  cette  année. 

Quinze  jours  avant  la  fête  ils  commencent  à  arriver^ 
Tenant  des  plus  grandes  distances,  c'est-à-dire,  trois  à  quatre 
cents  milles  et  par  caravanes  de  deux  à  trois  cents  à  la  fois;, 
ils  plantent  leurs  tentes  tout  autour  de  l'église  et  de  la 
mission. 

Les  jeunes  et  les  vieux,  les  infirmes,  aveugles  et  boiteux^ 
tous  veulent  être  à  ternes  i^our  le  Grand  joiir  de$  Fleurs  ; 
c'est  ainsi  que,  dans  leur  language  primitif,  ils  appellent 
cette  belle  fête.  L'entente,  l'amitié  la  plus  franche  règne 
parmi  toutes  ces  différentes  tribus.  A  l'arrivée  de  chaque 
caravane,  les  Sauvages  de  la  place  s'assemblent  à  la  porte 
de  l'église,  se  rangent  avec  ordre,  le  drapeau  blanc  en  tête^ 
comme  signe  de  paix  et  de  joie  ;  forment  de  longues  lignes^ 
et  au  signal  donné,  font  retentir  joyeusement  tous  les 
échos  de  '  leurs  montagnes  par  les  décharges  répétées 
de  lourd  armes  à  feu.  C'est  le  salut  de  bienvenue  et  d'a- 
mitié donné  à  toutes  les  tribus  arrivantes.  On  pousse  en. 
suite  ,d'éclat£(atâ  cris  de  joie,  et  l'on  se  donne  des  poignées 
de  mains.  De  suite  des  places  convenables  sont  choisies, 
pour  planter  les  tentes;  et  de  gras  pâturages  sont  pQerts^ 
pour  les  bêtes  de  somme  ou  chevaux  de  voyage  qui  en  ont 


216 

un  grand  besoin,  car  la  plupart  sont  .trèg-ixiaigres,  après 
4'au8si  longues  et  pénibles  courses. 

Cependant  ces  préliminaii^»  achevés,  on  s^occupe  bientôt 
de  la  grande  idée  qui  a^présidé  à  tous  leurs  desseins,  et  a  fait 
surmonter  toutes  les  difficultés  ainsi  que  toutes  les  fatigues 
de  voyage:  c'est  qu'on  est  venu,  avant  tout,  auprès  de  la 
Robe  Noire  y  faire  une  petite  retraite  et  ses  Pâques.  Aussi 
se  met-on  à  Tœuvre  gaiment  et  de  bon  cœur.  Quelques  jours 
avant  la  grande  fête,  la  retraite  est  annoncée  et  tous  se  ren- 
dent avec  enthousiasme  aux  exercices  de  la  prière  et  des 
inslructions.  Nos  deux  zélés  missisxinaires,  lesRevds.  Pères 
Jésuites,  ont  récolté  cette  année,  comme  par  le  passé,  une 
abondante  moisson. 

C'est  ainsi  que  pendant  tout  le  temps  de  la  retraite  on  les 
a  vus  à  l'œuvre  dès  la  pointe  du  jour  jusqu'au  soir  et  sou- 
vent à  une  heure  très  avancée  dans  la  nuit,  entendant  les 
<^onfessions  et  instruisant  les  enfants. 

Mais  aussi  quel  ne  fut  pas  le  triomphe  et  la. joie  com- 
mune, lorsqu'au  matin  de  la  fête  Ton  vit  et  compta  plus 
de  sept  cents  dé  ces  bons  enfants  de  la  forêt  s'approcher  de 
la  table  sainte  en  procession  recueillie,  et  s'y  nourrir  du 
pain  divin  de  la  communion.  Comme  il  faisait  bon  alors 
de  voir  la  piété,  la  foi  vive,  le  bonheur  même  briller  dans 
la  démarche  et  sur  toutes  les  figurés  de  ces  bons  sauvages  I 
et  ces  beaux  sentiments  de  leur  cœur  se  manifestaient  en- 
core d'une  maùière  plus  touchante  par  les  nombreux  canti- 
ques et  refrains  d'amour  et  de  joie  qui  sont  souvent  accom- 
pagnés de  larmes  d'attendrissement. 

Une  aussi  délicieuse  fête  ne  se /termine  pas  sans  un  cou- 
ronnement. Après  une  prompte  et  légère  collation,  tous 
Tsont  dé  retour  et  occupent  leur  place  à  la  grand'messe  et  i 
la  procession  du  S.  8.  Sacrement  La  messe  est  pieusement 
chantée  en  plein  chant  par  les  Indiens  eux-mêmes,  et  nos 
élèves  qui  sont  leurs  enfants.  Les  préparatifs  de  lîa  proces- 
sion ont  ^ous  été  faits  avec  entrain  la  veijlle. .  Les  chemins 
sont  bordés  dÎB  hautes  et  nombreuses  balises;.  If  s  reposoirs 
dressés  de  verdure  çt  ornés  de  fleurs  saunages,  indiquent 
«les  diiTérentes  stations  ou  la  procession  s'arrêtera. 

Toute  la  vallée  de  Colville  est  dans  de  joyeux  transports  ;  * 


217 

• 

les  citoyens  blancs  des  alentours  sont  tous  présents  ;  lagar- 
-msoQ  mffltatfe  eHe-mômiÉl,  bien  que  composée  pour  la  plu- 
'part  de  protestants,  é'est  pourvue  d'une  permission  spédialér 
^t  se  regarde  comme  pritilégiée  de  pouvoir  faire  garde 
d'honneur  à  notre  Procession  du  8.  S.  Sacrement.  " 

L'église  ne  peut  contenir  qu'une  faibte partie  de  la  foule^ 
mais  ceux  au-dehors,  comme*  ceux  ân-dâdaha,  obserrent  im 
silence  et, j^  iiçspecti. rel^gieuxiiitçua, peuvent  lE^atendre  et 
suivre  les  ^eux  cantiques  et  les  saintes  cérémonies.  Les 
moments  solennels  de  l'Ëlévation  et  de  la  Communion  sont 
signalés  et  salués  par  des  décharges  de  mousquetterie.  Les 
intervalles  sont  bien  remplis  par  Tharmonie  des  voix  douces- 
et  sympathiques  des  Sauvages  et  de  nos  élèves.  • 

La  messe  terminée,  le  signal  est  donné  et  la  procession 
est  en  marche;'  une  bannière  dé  la  Slê.  Vierge  passe  en 
tête  des  jeunes  filles  et  des  femmes  qui  la  suivent  à  double 
rang,  ensuite  sur  deux  lignes  i^âlemént  écartées  s^âv'an- 
centles  hommes  des  différentes  tribus  avep  letirs bannières 
spéciales, et  dans  un  ordre  parfait.  Puis' lâ'Gàrde  d'Hon- 
neur, le'Clei'gé  avec  des  ciergçs  à  la  maro,  les  erifântsdje 
chœ^ur  portant,  les  uns,  des  ençensoires  fumants,  lés  autres 
jetaht  des  fleiirs  abphdarîtes  sur  le.  passage,  et  formant 
l'escorte  immédiate  qui  précède  et  entoure  le  cortëgq  sacr$.. 
De  chaque  coté  sont  les  élèves  et  les  Soeurs  qui  prennent 
part  au  chant  pieux  des  hyihnes  et  cantiques.  A  la  suite 
so^t  les  autres  enfants  des  différentes^  tribus.  L'a  marche 
est  fermée  par  un  groupe  d'étrangeif^  pj^otestants  et  autres, 
qui  cheminent  aussi  avec  silence  et  respect,  témoignant 
d'une  façon  non  équivoque,  de  leur  sincère  admiration 
pour  ces  deux  mille  et  quelques  cents  enfants  du  désert 
œa(rchant  avec  pompe  et  mâijesté  sur  un  parcdtirs  de  plus 
d'bil  mine,  faisant  retentir  les  aih  et  les'  collines  de  la  mé- 
lodie de  leurs  pieux  Tefrain^.  Le  dais  est  aussi  porté  tour 
i  tour  par  les  plus  anciens  ehefs  :  ce  qui  0st'régar4éj)ai* 
eux,  et  à  juste  titre,  comme  le  plus  grand  honneur^  €rest 
ainsi  que  cette  pieuse  multitude,  àj^rës. avoir  si xtéh^tyid^e- 
ffiétit  cii^uïé  pëndàht  d'aussi  heureux  moments  àu't^r  de 
nos  collipes,  enchantées,  a'termtnë  sa  ms^rcho  majestueuse 
au  sein  de'l^glise  d^oil'  ell^e  i§tait  partie;  et  lâ,'apr^s  upe 


218 

derniëTB  bénédlctioa  de  notre  Seigaeur  sur  les  familles, 
les  moissons,  la  chasse  et  la  pêche,  tout  le  monde  édifié 
Vest  dispersé  pour  n'oublier  cependant  jamais  le  souvenir 
heureux  de  la  Procession  du  Grand  Jour  des  Fleurs* 

Je  demeure, 

Très  RéTde  Mère, 
Votre  très  humble  fiUè  et  serrante  en  Jésus-Christ, 

SasuR  Marib  ***. 


MISBION  DES  COEURS  D'ALEINES. 

sous  LES  IVÉVDS.  PiaiCS  JiSUITESi 

On  se  rappelle  que  la  belle  mission  des  Cœurs  d'Aleines 
^stune  des  premières  Missions  fondées  par  le  Vénérable 
Père  De  Smet^  de  sainte  mémoire.  Elle  existe  depuis  près 
de  quarante  ans,  et  a  toujours  donné  beaucoup  de  consola- 
tion à  ses  Missionnaires.  Les  extraits  de  quelques  lettres 
de  SelUs,  son  grand  chef  actuel,  font  bien  voir  à  quel  degré 
Tesprit  chrétien  continue  de  se  manifester  chez  cette  excel- 
lente tribu  sauvage* 


Lettre  du  Grand  Chef  Sbltis  au  Col.  Watkins,  inspecteur 
du  OouvernemenL 

Cher  Monsieur, 

J'ai  reçu  votre  lettre  datée  25  août,  Lewiston,  Idaho,  de- 
mandant &  moi  et  à  mon  peuple  de  nous  faire  citoyens 
américains  ;  et  voici  ma  réponse  :  à  un  grand  conseil  de  la 
nation,  que  nous  avons  eu  le  16  août,  nous  avons  beaucoup 
parlé  sur  cet  important  sujet.  Et  si  je  pensais  que  mou 
peuple  fût  déjà  mûr,  où  prêt  à  profiter  d'une  pareille  mesu- 
re, je  fer  As  tout  en  mon  pouvoir  pour  les  amènera  cette  fia. 
Mais  je  suis  convaincu  que  maintenant  cette,  mesure  nous 
mènerait  à  une  ruine  complète. 

Si  tous  les  blancs  étaient  honnêtes  comneils  le  devraient; 
n'y  eût  il  pas  parmi  eux  des  hommes  injustes  et  ambiti- 


219 

eux,  cela  pourrait  aller  ;  mais  tous  savez  mieux  que  moi 
qtie  tel  n'est  pas  le  cas. 

Après  de  loo^s  efforts,  nous.  Chefs,  avons  réussi,  il  n'y 
a  que  quelqiies  années,  à  bannir  du  milieu  de  nous  les^^ 
mauvaises  mœurs,  les  jeux  intéressés  (gambling).  et  l'ivro- 
gnerie. Maintenant  si  nos  jeunes  gens  devenaient  libres,  ou 
étaient  soustraits  à  notre  surveillance,  ils  seraient  tentés 
et  débauchés  par  les  mauvais  blancs,  et  se  livreraient  bien- 
tôt à  la  débauche,, deviendraient  noéchants  et.  nous  donne- 
raient  alors  beaucoup  de  misère  et  de  trouble.  Non,  le 
temps  n'e^t  pas  encore  arrivé  :  nous  ne  savons  pas  lire,  et 
nous  ne  parlons  pas  l'anglais.  Nous  ne  connaissons  paa 
les  lois,  ni  les  coutumes  des  blancs  :  non,  le  temps  n'est  pas 
encore  arrivé. 

Mais  ce  dont  nous  avons  besoin  maintenan^^  serait  : 

i^  Le  titre  des  terres  dd  notre  mission,  ou  de  cette  petite^ 
portion  de  terre  qui  nous  reste  de  tout  ce  que  nous^  possé- 
dions autrefois  pour  notre  chasse,  nos  récoltes  de  fruits  et 
de  racines,  pour  le  paccage  de  nos  chevaux.  Ce  que  nous- 
possédions  autrefois,  nous  l^bandoanerions  de  bon  cœur 
aux  blancs,  si  seulement  nous  pouvions  être  sûrs  de  ce 
qui  nous  reste,  afin  que  par  ce  moyen  mon  peuple  fût  en- 
couragé à  l'industrie  et  au  travail. 

Peut-être  que  vous  croyez  que  c'est  beaucoup  de  terre^ 
que  nous  vous  demandons  ;  mais  ceux  qui  l'ont  parcourue, 
savent  que  ce  n'est  presque  des  rochers  et  des  savanes,. 
et  qu'une  très-petite  partie  est  propre  à  la  culture  et  aux 
pâturages. 

2o  Nous  avons  besoin  d'école  ;  et  nous  avons  fait  un  ar- 
rangement avec  les  Sœurs  de  la  Providence  pour  venir  en> 
seigner  nos  enfants  ;  nous  faisons  tout  en  notre  pouvoir 
pour  nous  préparer  à  les  recevoir,  mais  nous  craignons 
])eaucoup  de  n'avoir  pas  mâme  le  stricte  nécesiafre. 

Nous  ne  demandons  rien  pour  nous-mêmes  individuelle- 
ment, ni  pour  nos  habits,  ni  pour  notre  nourriture  ;  nous 
avons  l'habitude  de  nous  pourvoir  de  ces  choses  ;  mais  ce^ 
que  nous  désirerions  serait  un  peu  d'argent  pour  terminer- 
noire  maison  d'école,  et  pour  soutenir  un  peu  nos  Reli- 


220 

gieiises'gui  prendront  soin  de  nok  enfants  pendant  toute 
Tannée,  (t) 

3^  Nous  dema^âônir  la  liberté  de^potivoir  acheter  des  mu- 
ûitidns  et  de?  fttëils  pont  la  ôhasse;  car  le  {^résident,  de- 
puis ces  deux  années  de  guerre  avec  les  liidiensf  ennemis, 
a  défendu  aux  Mancâ  de  vendre  de  l'ammnnltion  aux 

r 

Sauvages  sans  distinction.  Nous  comprenons  les  motifs  du 
Prêi^ident  ;  mais  de  cette  façon,  il  punit  ses  amis  bien  plus 
que  ses  ennemie;  car  ceux-ci  étant  trop  paresseux  poar  cnfl- 
tiver  la  «erre,  ont  tdut  le  temps  qùUl  faut  pour  courir  et 
traverser  lès  lignes  du  côté  des  Anglais,  où  ils  achètent  ce 
qulléf  veulent,  arme^  et  munitions.  Pour  nous  qui  prenons 
soin  de  nos  terres  et  de  nos  animaux,  nous  ne  pouvons  pas 
les  abandonner  ainsi  pour  aller  courir  cà  et  là. 

Néanmoins  nos  fermes  ne  sont  pas  encore  tellement  avan- 
cées que  D0U6  puissions  en  tirer  toute  notre  vie  sans  le  se- 
cours de  la  chasse.  G*est  pourquoi^  nous  prions  encore  le 
gouvernement  de  vouloir  bien  autoriser  quelque  agent^  ou 
moi-même  qui  snischef^  à  vendre  à  mon  peuple  les  maoi- 
tiens  strictement  nécessaires  polir  la  chasse. 

Anuré  Bbltis, 
Chef  des  Cœurs  d'Aleifiee. 


Lettre  du  Col.  Watkins  à  Seltis. 

LswiSTON,  J.  T.  30  août. 

Cher  ami, 

Le  soussigné  se  fait  un  devoir  et  un  plaisir  àd  rendre  té> 
moignage  à  la  loyauté  des  Coeurs  d'Aleines;  et  en  particuUec 
à  leur  grand  chef  Seltis^  pendant  tous  les  troubles  de  la 
guerre  avec  les  Ne^ercés. 

Quand  ies  habitants  blancs  de  la  Rivière  an  Pin  avalent 
tous  quitté  leurs  habitations  par  la  crainte,  des  sauvsges  en- 
nemis, alors  toi,  Seltîa,  tu  les  rassuras,  en  leur  promettant 
l'amitié  et  la.protection  ^e  tes  Cœurs  d'Aleine^  ;  tu  envoyas 


(l)  La  Communauté  de  la.  Providence  vient  d'envpyer  trois  Sœurs 
pour  s'établir  au  milieu  des  Cœurs  d'Aleines.— N.  E. 


221 

môme  de  tes  gens  pour  gi^^er^  ei  preodre  soin  de  leurs  pro- 
priétés jusqu'à  leur  retour. 

L'influence  de  Seltis  est  grande  parmi  les  saurages  du 
Kord,  elle  a  été  d'un  grand  secours  pour  maintenir  les  bons 
rapports  et  la  paix  entre  les  blancs  et  les  sauvages. 

(Signé)  Col.  G.  C.  Wathins 

Inspecteur  des  Indiens. 

M.  G  WiL&imoN, 
aide  de  camp  du  Oen.  Howard. 


Xettiie  des  Gitoykns  de  la  Rivièrb  au  Pin,  aux  Rxvds.  PArss 

Jésuites  et  aux  GoeuRs  d' Alswes. 

19  juin  1877. 
MsssiEuna, 

Nous,  8ûu0sigfié$,  cultivateurs  de  la  Rivière  au  Pin  et 
•ded  enrirMs,  désirons  vous  exprimer  notre  extrême  recon- 
naissance  pour  votre  noble  conduite,  toute  pleine  de  bonté 
envers  nous  pendant  tous  les  taroubles  de  la  présente  guerre 
des  Ne»-Percé8« 

Si  nous  avons  quitté  nos  fermes  et  nos  maisons  pendant 
^pielque  temps,  ce  n'était  pas  par  rapport  à  vous,  mais  bien 
par  la  crainte  des  sauvages  ennemis  ;  car  nous  étions  aasu* 
rés  de  votre  amitié  et  protection  qui  ne  nous  a  pas  manqué. 

Aussi  en  retour  pour  votve  bonté  à  notre  égard,  nous  ve- 
nons vous  assiM;er  en  pétitionnant  te  gouvernement,  de  vous 
accorder  un  bon  titre  à  vos  terres  pour  que  vous  puissiez  y 
vivre  d'une  manière  sûre>  paisible  et  tranquille.  Car  naus 
voulons  faire  tout  en  notre  pouvoir  pour  vous  obtenir  cette 
paixet  ce  bonheur,  dont  on  vous  menaice  dépuis  longtemps 

^'ètre  privés.    • 

(Signé),        .      N.  Mi  Moray, 

Th.  a.  Morat, 

H.  E.  YouNG, 
Et  cent  antres.  aAimiteurs. 


f  * 


TERRITOIRE  INDIEN. 


# 


Lettre  de  Joôeph  Panénopabha,  Gï^and  Chef  des  Osages- 
territoire  indien,  au  Rév.  Père  Shoemacker,  S.  J. 

Bien  cher  et  Révérend  Père, 

J'ai  reçu  votre  lettre  hier  soir  ;  et  c'a  été  une  grande  joie 
pour  moi  d'apprendre  que  mes  enfants  sont  en  bonne  santé,, 
et  encore  pourvus  de  tout  ce  qui  leur  est  nécessaire  pour 
leur  école. 

J'espère  qu'ils  apprendront- bien  à  lire  et  à  écrire,  et  aussi- 
à  parler  l'anglais  correctement.  J'espère,  ave.c  la  grâce  de 
Dieu,  de  les  trouver  aussi  bien  portants,  lorsque  j'irai  les 
voir  l'an  prochain. 

Dites  à  mes  enfants  ainsi  qu'aux  autres  enfants  des  usa- 
ges que  c'est  la  plus  belle  chance  qii'lLs  puiasent  avoir  d'ap- 
prendre à  lire  et  à  écrire  et  de  recevoir  ujae  bonne  éduca- 
tion, afin  que  plus  tard  aotre  nation  puisse  se  fier  sur  eux 
pour  gouverner  et  régler  nos  propres  affaij^es. 

Mon  peuple  partira  bientôt  pour  la  chasse  au  buffalOy 
mais  je  ne  pourrai  pas  y  aller  moi*même.    . 

Je  désire  encore  que  mes  eafants  soient,  surveillés  de 
près  afin  qu'ils  n'aient  pas  la  tentation  de  déserter  de  l'é- 
cole.   J'ai  hâte  d'aller  les  voir  en  janvier  prochain. 

Aussi  longtemps  que  j'occuperai  l'office  de  gouverneur  de 
mon  peuple,  je  travaillerai  à  a  voit  .ici  une  mission  catho- 
lique et  d'en  faire  partir  les  qwikers  que  le  gouvernement 
nous  a  imposés,  afin  que  nos  enfants  soient  instruits  au 
milieu  de  nous. 

La  majorité  de  nos  sauvages,  viennent  de  me  ré-élire 
'^  comme  gouverneur  pour  quatre  ans. 

Je  demeure  avec  la  plus  haute  estime  et  respect, 
Votre  très-humble  et  obéissant  serviteur, 

Jos.  Panénopasha^ 

Gouverneur  des  Osages, 
Pour  le  territoire  indien. 


223 

LETTRE  DE  REMERGIEMEJ^TS  AU^  MEMBRES  DE 
L'OEUVRE  PAR  LE  PÈRE  MALO. 

Bien  Grers  irr  Charitables  Amis, 

Je  suis  autorisé  par  le  Bureau  Catholique  Indien  de 
IJVashington  D.  C^  d'offrir  à  tous,  et  à  chacua^des  membres 
et  amis  de  l'œuvre  des  missions  sauvages  des  Etats-Unis, 
les  remerciements  sincères  et  la  profonde  gratitude  des 
membres  de  ce  Bureau  pour  l'assistance  et  les  dons  géné- 
reux que  votre  grande  charité  vous  a  porté  à  faire  pour 
iévangeliser  lés  pauvres  indiens  pendant  l'année  dernière. 
Aussi  est-ce  avec  bonheur  que  nous  vous  offrons  ces  vives 
actions  de  grâces  au  nom  de  cent  mille  Sauvages  catholi- 
ques de  ce  pays,  au  nom  de  nos  cent  cinquante  Mission- 
naires Prêtres  et  Sœurs  de  Charité,  dispersés  dans  tout  le 
'Nord-Ouest  et  les  Montagnes  Rocheuses.  Nous  ^désirons 
ajouter  encore  une  expression  spéciale  de  reconnaissance 
pour  ces  nobles  et  héroïques  Dames,  anges  de  Charité,  sécu- 
lières et  religieuses,  qui  n'ont  épargné  ni  temps  ni  sacrifices 
pour  travailler  à  l'organisation  de  cette  sainte  Œuvre,  ont 
favorisé  son  extension  et  reçu  des  membres,  les  généreuses 
offrandes. 

Enfin  ne  pouvons-nous  pas  signaler  et  promettre  à  tous 
les  bienfaiteurs,  comme  source  d^  coQsolation  présente  et 
d^encouragement  futur,  les  prières  angéliques,  les  chants 
de  reconnaissance  des  milliers  de  jeunes  âmes  qui,  souvent 
immédiatement  après  la  grâce  ineffable  du  saint  Baptême, 
sont  allés,  jouir  de  la  félicité  céleste.  Et  ne  pouvon^nous 
de  même  donner  l'assurance  des  prières  ardentes  des  Mis- 
sionnaires et  de  leurs  cent  mille  pieuses  et  reconn^iissantes 
ouailles,  les  Indiens  Catholiques. 

C'est  avec  la  profonde  et  heureuse  conviction  que  le 
Seigneur  miséricordieux  ne  manquera  pas  de  bénir  au 
centuple  c^te  sainte  (xluyre  et  son  peuple  charitable,;  que 
je  demeure,  .d^ns  les  sacrés  cœurs  de  Jésus  et  de  Marie^ 

,       ,      Votre  trèsrhumble.eti 

Reconnaissant  serviteac, 

J.  P.  MALO, 

Missionnaire. 


I 

Ce  n'est  pas  seulement^  ^bjq  s  TIo^^  gue,  depuis  un  aa^  lar 
famine  ^  étendu  0e9  ravages.  Il  (allait  que  les  Missions  de 
la  Chine  établies  et  maintenues  avec  tant  d^e  difficultés,  et  de 
sacrifices  eussent  aussi  à  âubir  cette  tiBrrîblô  épreuve.  Mgr. 
^Volôpteri,  Vicaire  Apoôtpl^ue  d\i  Honan,  écrivait,  le  12 
TTanviér  1878,  à  Mgr  Marin  oni,  supérieur  ïu  Séqiînaîre  des 
"Missions  Etrangères  de  Milan  :'  . 

*' Depuis  le  mols.de  Septembre  djernîer,'nos  cbrétiens  ont 
été.  forcés  de  vendre  jusqu'à  leurs  meubles  les  plus  indi»- 
^(eii^ables  pour  se  procurer  des  grains.  Us  se  sont  nourris 
auQSi  dfi  feuilles,  d^arbres,  vendues  même  à  un  prix  élevé. 
X'hiver  venu  et  les  feuilles  tombées^  Técorce  des  arbres  fut 
employée  coipme  aliment  ;  mêlée  avec  d'autres  substances, 
elle  composait  une .  sorte  de  pâtée  amère,  plus  propre  à 
couper  ^  la  faim  qu'à  là  satisfaire.  Cette  .dernière  ressource 
leur  ayant  fait  défaut,  nos  cbrétiens  allèrent,  où  :1s  purent,  , 
chercher  à, manger.  Des  familles  sont  venues  et  viennent 
encore,  des  extrémités  de  la  proyiçce,  implorer  notre  assis- 
tance, disant  qu'elles  mourront  si  nous  né  pouvons  rien 
pour  ^lles. 

**  Dans  leur  extrême  détresse,  les  païens  yeriden)t  leurs  filleji 
et  même  leurs  femmes  ;;  il  se  trpiive  d^infftmes  spéculateurs 
qui  les  achèténticî  contre  un  peu  3e  grain,  les  emmènent 
dans  d^aptres  provinces  où  la  famine  n^a  pa|s  péhé^trê,  et  les 
•revendent  avec  tiû  béûéficë  énorme.  ' ,    :  \ . 

*|  Nulle  langue  ne  ^aurait  dire  lés  horréui^s  de  là  situation 
pi^séntè.'  Le  prix  du  menu  grain' va  chaque  jour  augmen- 
tant. On  ne  peut  presque  pins  passer  sur  les  routes  ;  elles 
sont  infestées  de  bandes  d'hoînmés  désespiàré$  qui  cherchent 
leur  «ubsistance  dans  le  crime.  L'jjio^ible  fléau  avance^ 
'comme  rineendie  pouisé  par  iiii  vent  yiolent,  répandant 
partô^xt  la  terreur  et  la  moirt.  Cette  fs^nine  (iêtrilit,  sans 
exagération,  pins  de  vies'  ^ue  là  terrible  guefre  qui  exerce 
actuellement  ses  itarviHsieS'ien  Ëâtope/  Au  nord  de  Yan- 
nan-fou,  la  j^eoté  da  XUi«d^  eM  jénchée  de  milliers  de 
morts  et  de  mPUf  aiUs.    Dans  les  villages  populeux,  c'est 


è25 

à  peiûe  si  le  tiers  de  la  population  survit  Dans  beaucoup 
de  maisons,  des  familles  entières  sont  mortes  et  gisent 
sans  sépulture.  Nombre  de  villages  n*ont  plus  d'habitants* 
Ceux  gui  ne  sont  pas  morts  se  sont  enfuis  vers  les  villes  ou 
dans  d^autres  provinces. 

^*  Je  n*ai  pas  encore  dit  la  chose  la  plus  horrible.  Il  serait 
impossible  d'y  croire,  si  nous  n'en  étions  pas  les  témoins^ 
oculaires.  On  voit  souvent  les  parents  se  nourrir  du  corps 
de  leurs  enfants  aussitôt  qu'ils  sont  morts,  et  des  enfants 
dévorer  la  chair  encore  palpitante  de  leurs  parents.  Nos 
messagers  chrétiens  et  mon  serviteur,  à  son  dernier  retour 
de  Si-ngan-fou,  s'efTrayaient  à  la  pensée  de  manger  chez 
les  indigènes  Inns;  ils  craignaient  qu'on  ne  leur  offrit  de 
la  chair  humaine;  car  ils  avaient  vu  souvent  découper, 
cuire  et  manger  des  cadavres.  Chaque  matin,  de  nom- 
breuses charrettes  font  le  tour  de  la  grande  ville  de  Si-ngan- 
fou  afin  de  ramasser  dans  les  rues  et  les  ruelles,  les  corps 
de  ceux  qui  sont  morts  de  faim  ou  de  froid,  depuis  vingt- 
quatre  heures. 

*' Les  mandarins  de  la  ville  de  Nan-yang-fou  distribuent 
chaque  jour,  grâce  aux  libéralités  du  gouvernementi  un 
plat  de  mi'tang  (millet  qui  a  bouilli  dans  l'eau)  à  plus  de- 
5,000  affamés,  et  chaque  jour,  en  moyenne,  une  douzaine 
de  ces  malheureux  tombent  morts  là  même  où  ils  prennent 
oe  pauvre  repas.  Quelque  chose  de  semblable  se  passe  dans 
chacun  des  96  chefs-lieux  de  district  de  cette  province. 
Partout,  sur  les  routes  et  dans  les  champs,  on  voit  des  ca- 
davres ;  il  y  en  a  jusque  sous  les  murs  de  notre  demeure. 

"  La  nuit  du  17  décembre,  j'ai  sauvé  moi-môme  une  pauvre 
jeune  fille  de  treize  ans  tombée  d'inanition  dans  le  voisi- 
nage de  notre  résidence.  Les  soins  qui  lui  furent  donnés 
durant  toute  la  tiuit,  parvinrent  à  la  ranimer,  et  mainte. 
Haut,  après  quelques  semaines  d'un  bon  traitement,  ses 
membres  amaigris  peuvent  à  peine  supporter  son  misérable 
corps. 

"  Pour  achever  l'œuvre  de  destruction,  une  neige  abon- 
dante, accompagnée  de  vents  très-froids,  est  tombée  les 
deux  derniers  jours  ;  elle  a  fait,  aux  environs,  parmi  les 
personnes  déjà  affaiblies  par  la  faim,  au  moins  un  millier 

2 


S36 

de,  victimes.  .  Beaucoup,.  daQ9  lauj  désiespoir,  seisont  sui- 
cidées. On  les  a  trouvées  pendues  aux  branches  des  arbres 
ou  aux  portes.  4e  Içurs  maisons. 

^^  Notre  résidence  est  comme  un  navire  de  sauvetage  an 
milieu  d'une  mer  pleine  de  naufragé^.  Chaque  jour,  une 
foule  de  5U0  à  600  personnes  ^e  presse  à  notre  porte,  et  de- 
mande un  peu  d'argent  pour  éviter  la  mort.  Ne  pouvant 
donner  àtoptes,  nous  devons  régie  (Xien  ter  la  répartition  de 
nos  aumônes.  Les  demandes  qu'on  nous  adresse  tn lèvent 
chaque  jour  quelques  piculs  de  grains  de  notre  provision. 
Nqus  avons,  en  outre,, plus  de  cent  familles  chrétiennes  en- 
tièrement à  notre  charge  et  qui  le  seront  encore  plusieurs 
mois  si  nous  voulons  les  sauver..  D'autres  Missionnaires 
du  Vicariat  sont  dans  la  même  position.  L'allocation  de 
l'Œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi  pour,  cette  aonée  est 
déjà  presque  dépensée.  Qui  nous  fournira  les  fonds  néces- 
saires à  nos  besoins  et  à  ceux  des  milliers  de  personnes 
dont  la  vie  dépeud  de  ce  que  nous  pourrons  leur  donner? 
Le  Dieu  des  miséricordes  inspirera  à  quelques  âmes  géné- 
reuses de  venir  à^  notre  aide  et  de  sauver  du  désespoir  et  de 
la  mort  un  si  grand  nombre  de  créatures.'' 

Mgr  Volonteri  écrivait  encore,  le  10  février  1878,  à  Mgr 
Marinoni  : 

^'  Le  missionnaire,  chargé  des  orphelinats,  m'annonce  que 
les  enfants  survivants  spnt  au  nombra  de  600;  et  Ton  ea 
recueille  de  nouveaux  tous  les  jours. 

"  J'ai  commencé  aujourd'hui  à  emprunter  de  l'argent,  ex- 
pédient auquel,  dans  ces  six  dernières  années,  je  n'avais 
jamais  dû  recourir.  Mais  que  faire?  La  désolation  est 
extrême.  Nous  sommes  toujours  en  alerte;  il  y  a,  de  tous 
côtés,  des  attaques  et  des  incendies.  Les  soldats  des  man- 
darins font  coûtinuellement  des  tournées  pour  arrêter  les 
"voleurs.  Beaucoup  de  paisaii  f lé  vivaient  autrefois  de 
leur  travail  et  qui  étaient  hoanêles,  se  sont  jeiés  dans  la 
voie  du  crime  pour  ne  pas  mourir  de  faim.  Que  Dieu 
veuille  bien  abréger  cette  dure  épreuve  et  nous  accorder 
un  peu  de  pluie  !  Gela  nous  donnerait  l'espoir  de  voir,  àa 
printemps  prochain,  diminuer  l(^s  horreurs  d'un  si  grand 
fléau."  '   '  \'  *  ^ 


227 

Dieu  dont  les  desseinç  sont  impénétrables  n'a  pas  yonhr 
exaucer  de  suite  les  vœux  de  son  zéfé  missionnaire,  et  faire 
tôml)er  enfin  cette  pluie  tant  iJéslrée  ;  car  le  7  mars, 
M.  Anelïî,  Inissionnaire  aussi  en  Chlôe,  écrivait  à  son  frère  r 

"  Les  victimes  delà  famine  tombeiit  'chaque  jour  par  ihil- 
liers.  Il  n'a  pas  plu  depuis  ouze  mois.  I.l;Ious  faisons  des 
triduum,  des  neuvaines  et  des  processions.  Sllne.  pleu^ 
pas  bientôt,  I4  récolte  de  Tannée  est  entièrement  perdue  ; 
que  ferons-nous?  ;   "  '  '' 

**  Dans  les  rues,  dans  les  maisons,. sur  les  places,  partout 
Ton  voit  des  cadavres  dTioiiimes,  de  femmes  èl  i3*enfa*nts: 
Plusieurs  cas  de  mort  par  inanition  font  frémir  5  les  cada- 
vres, à  peine  tefroidis,  sont  dépouillés  par  les  affamés  J  on 
voit  des  enfants  à  moitié  dévorés  par  les  chiens,. de  petits 
ehfaiits  cherchant  le  sein  sur  lé  cadavre  de  leur  pierej'des 
pères  de  famillç  qui  se  pendent  de  désespoir,  de^'iiçenB  qui 
mangent  les 'cadavres  trouvés  sur  les  routes.  Plusieurs 
jeunes  garçons  ont  été  saisis  par  les  affamés  et  dévorée  vi- 
vants.   Des  mères  ont  fait  cuire  leurs  propres  enfants. 

"  Le  gOuyernement  chinois  distribue  des  secours  aux  mal- 
heureux. Dans  cette  seule  ville,  il  nourrît  chaque'  jour 
13,000  personnes  ;  mais  qu'est-ce  que  cela? 

**  La  famine  a  pour  conséquence  le  brigandage.  Beaucoup 
de  Chinois,  poussés  par  la  misère  ou  par  la  perversité,  trou- 
vent, dans  la  consternation  générale  et  dans  l'alfaiblisse- 
ment  delà  force  publique,  une  nouvelle  audace  et  une  nou- 
velle assurance  d'impunité.  Nous  qui  résidons  hors  de  la 
ville  dans  un  village  mal  défendu,  nous  ne  dormons  plus 
tranquilles.  Presque  toutes  les  nuits,  à  deux,  trois  et  quatre 
milles  de  notre  résidence,  nous  voyons  des  incendies  allu- 
més parles  brigands  qui  veulent  ainsi  profiter  de  l'épou- 
vante et  du  trouble. 

**Dans  cette  extrême  désolation,  notru  vénérable  Vicaire 
Apostolique  travaille  au-dessus  de  ses  forces,  et  il  ferait  bien 
plus  s'il  en  avait  les  moyens.  Non  s  recueillons  tous  les 
jours  les  enfants  par  dizaines,  et  beaucoup  d'entre  eux 
meurent  après  avoir  reçu  le  baptême  et  la  confirmation. 
Nous  en  avons  encore  un  millier  de  vivants  ;  leur  entretien 
nous  co^te  500  ligatures  (2,000  francs)  par  mois.    Eu  égard. 


39& 

à  Jftos  faibifis  rçssouccejB,  e'çj^t  aa  çhiflDra  effrayant^  I^es  graws 
aont  à4e«i  pru  fabutoux^  |dgr  VQlpnteri  4iaaU  dèraière- 
TQealxiife  70  taêls  j(9aTirûa  500  fra^qa)  0,9  auffisaieiiit  pas  & 
la  dèpepse.  de.  chaque  jauf  »  »  Si  des  secours  extraordîaakes 
ne  n(m^  «arrivent  pas,  noua  ne.  pourrons  pl^s  continuer." 

Le  Et  P.  Anastbase,;  Di^^sUmoaire  frapciscain  au  Chausi- 
éçriV  le  1S mai  tSTt^^  m^-  P.  Mari'e  (de  Brçst)^  procureur 
des  missions  fraucipcaines  i  Paris  : 

^^Mgr'.Louis  Moccagatta,  vicaire  apostolique  du  Chan-si,  en 
raison  de  l'extrême  misère  où  se  trouvait  la  clirétieuté  de 
Ke-leao-kou,  me  pria  de  m';  rendare  pour  administrer  les 
derniers  sacremants  aui:  affamés,  mourants  et  pour  distri^ 
buer  le  peu  d'aumônes  que  la  mission  avait  à  sa  disposi- 
tion. 

1^  "  Je  m'empressai  de  me  transporter  à  Ke-leao-kou  ;  j'y  fus 
reçu  par  les  chrétiens  comme  un  envoyé  du  ciel.  Ne  pou- 
vant, hélas  1  les  soulager  tous^  j'écrivis  à  Mgr  Moccagatta 
de  venir,  avec  de  fortes  aumônes  et  le  plus  promptement 
possible,  en  aide  à  son  troupeau  désolé,  décimé  et  près  de 
périr  tout  entier.  Il  me  répondit  par  l'envoi  de  cinq  sacs 
de  grain,  et  par  la  promesse  de  m'adresser  prochaioeaient 
d'autres  secours. 

'(  Vous  n'ignorez  point  les  causes  de  cette  famine.  Les  ré- 
coltes de  1875  et  de  1 876  furent,  pour  ainsi  dire  nulles  par 
suite  de  la  sécheresse.  En  1877  et  cette  année»  la  pluie  n'est 
pas  venue.  Aussi,  le  fléau  étend  partout  ses  ravages,  et  des 
familles,  autrefois  dans  l'opulence,  sont  réduites  à  un  tel  dé- 
nûment  que,  se  voyaat  inévitablement  condamnées  à  mou- 
rir de  faim,  elles  abrègent  leurs  souffrances  p^r  le  poison. 
Dès  Tautomne  dernier,  grand  nombre  de  personnes  allaient 
çà  et  là  cueillir  des  herbes  et  des  feuilles  vertes  et  sèches 
pour  s'en  nourrir.  La  misère  engendrait  de  graves  désor- 
dres ;  la  population  était  agitée,  et  des  bandes  de  30,  50,  70 
personnes  se  réunissaient  pour  assassiner  et  voler  à  main 
armée.  Le  gouvernement  chercha  à  réprimer  ces  excès, 
et  il  crut  pouvoir  en  prévenir  le  retour  en  promettant  des 
«ecours  de  la  part  de  l'Empereur.  On  commença  donc  à 
distribuer  chaque  jour  une  écuelle  de  bouillie,  nourriture 
plus  propre  à  prolonger  Tagonie  qu'à  satisfaire  l'appétit  de 


229 

-ces  malheureux,  et  le  peuple  cessa  rtomentaûément  de  vo- 
ler et  de  tder.  Hais  loin  d^arrèter  le  développement  dtr' 
-Héau,  ces  secoirrs  insùffisams  tie  firent  qu^en  augmenter 
IMtateniité,  en  attirant  sur  certains  points,  de  toutes  les  par- 
tie» de  la  province,  une  fbule  énorme  d^atbmés.  Gomiiie 
il  oe  leur  restait  rien  à  leâr  distribuer,  ils  moururent  de 
^roid  et  de  faim. 

'^Cet  état  lamentable  a  encore  empiré.  Tous  ceux  qui 
avaient  pu,  Jusqu'à  présent,  soutenir  leur  existence  an 
moyen  d'écorces  d'arbres,  de  feuilles  de  millet  ou  de  paille, 
mélangées  d-une  certaine  terre  blanche  appelée  kentzthtxu^ 
^e  laissent  aller  è  l'abattement  et  au  désespoir;  ils  tom- 
bent comme  des  mouches  sur  ce  sol  désolé  où  n'apparaît 
plus  un  seul  brin  de  verdure. 

*'*'  Auparavant,  les  cadavres  étaient  enterrés  par  des  mains 
<hari tables  ;  aujourd'hui,  petit  est  le  nombre  de  ceux  qui 
reçoivent  une  poignée  de  terre  :  païens  et  chrétiens,  n'ayant 
pas  de  quoi  se  nourrir  et  se  sentant  mourir  de  faim,  enlè- 
vent les  intestins  des  cadavres  et  se  repaissent  de  leur  chair 
a  peine  refroidie. 

*'  Il  y  a  deux  mois  ces  faits  monstrueux  étaient  rares,  et 
<exai  qui  s'en  rendaient  coupables  étaient  punis  avec  la  der- 
nière rigueur.  Aujourd'hui,  ces  malheureux  n'ont  plus 
honte  de  se  jeter  sur  les  morts  pour  les  dévorer  ;  sous  l'ai- 
guillon de  la  faim,  ils  sont  devenus  tellement  cruels,  que, 
il 'ils  ne  trouvent  de  cadavres,  ils  tuent  sans  j>itié  leurs  sem- 
blables. J'ai  vu  de  mes  propres  yeux,  aux  portes  de  la 
ville,  des  ossements  humains  dépouillés  de  leurs  chairs, 
des  cadavres  mutilés  d'hommes  et  de  femmes.  Le  dernier 
^tait  encore  tiède  ;  il  venait  d'être  immolé  sous  les  yeux 
4'un  païen  de  qui  je  tiens  le  fait,  par  trois  inconnus  qui 
avaient  emporté  les  jambes  et  les  parties  charnues. 

^<  Ces  cas  d'anthropophagie  deviennent  tous  les  jours  plus 
nombreux,  et  ce  n'est  pas  seulement  ici  qu'on  les  peut  signa- 
ler, mais  aussi  dans  toutes  les  parties  de  cette  immense 
province,  comme  l^tttestent  les  relations  envoyées  à 
Mgr  Moccagatta  par  les  prêtres  européens  et  chinois.  Dans 
lies  auberges,  on  tue  les  voyageurs  pour  les  manger  et  pour 
.faire  de  leur  dépouille  mortelle,  convertie  en  objet  d'ali- 
4aientation,  le  plus  horrible  des  trafics. 


*^Tou8  le$  bourgs,  tous  les  villages  sont  dépeuplés;  om 
ii'eiitend  plus  retentir  le  j07eu;![  éçlt^t  des  phansoDs,  partout 
règne  un  silence  sépulcral.  Des  pays,  où  Toa  comptait' 
300^  500  et  1000  familles,  p'pnt  p^us  que  6,  20  et  40  person- 
nes au  plus.  C'est  un  £ait  guepeuyent  affî]:ciier  comme  moi' 
tous  les  prêtres  de  ce  yicariat.  Le.  nqmbre  de  ceux  qui  gi- 
sent sans  sépulture  dans  leurs  maisons  est  ifimombrablB. 
ils  y  sont  morts  dans  les  tourments  de  la  faim,  ou,  n'ayant 
pas  le  courage  de  supporter  jusqu'au  bout  leurs  tortures,  ils- 
ont  demandé  au  poison  un  sommeil  éternel.  On  n'entend  plus 
une  plainte,  on  ne  voit  pas  une  larm^  couler,  lorsqu'une 
mère  perd  son  enfant,  uao  épouse  son  époux,  les  en&nts- 
leurs  parents.  J'ai  connu  une  païenne  qui  mangea  son  ma- 
ri, soii  ûls  et  deux  de  ses  ûlles,  morts. .  de  faim^  et  qui,, 
n'ayant  plus  rieo  à  manger,  succomba  à  son  tour.  Un  jeu- 
ne homme  tua  son  grand-père,  puis  son  père. 

"  Près  de  KeJeao  kou,  se  trouve  UP:  village  appelé  Xao^ 
thaun.  Je  m'y  rendis  dernièrement  pour  baptiser  quelques 
familles  catéchumènes.  Il  ne  restait  qu'uae  jeune  fiUe  de 
trente  ans,  autrefois  riche,  maintenant  réduira  à  la  misè> 
re,  qui  me  raconta  que,  to\iS)  à  l'exception  d'un  vieillard  et 
et  d'une  femm3  surpris  par  la  mort^  avaient  été  baptisés 
avant  de  mourir  par  unmédçciu  phrétien,'et  que  les  païens 
avaient  enlevé  ensuite. leurs  cadavres. 

"  Une  lettre,  envoyée  hier  à  Mgr  Moccagatta  par  un  de  nos- 
confrères,  annonce  que,  dans  les  ^istrict^s  de  Hun-tun  et  de 
Tchanmon,  les  païens  s'enlretuent  ;  notre  courrier,  qui  de- 
yait  se  rendre  auprès  de  sa  sieur,  eiji  a  été  dissuadé  par  ses 
amis  qui  craignaient  de  le;.yp^f  tomber  entre  les  mains  des 
anthropophages.  .  ■    :    ■>  , 

'^  Ici  la  famine  est  au  comble  et  plus  terrible. que  dans  les- 
autres  provinces.,  I^e  gràin,,gui  se  vendait  autrefois  300  sa- 
pèques,  en.  vaut  aujourd'hui  5,000,  et  bien  heureux  qui  peut 
s'en  procurer  è^  ce  prix.  Le .  fléau  sévit  avec  beaucoup  plus 
de  rigueur  que  dans  l'Inde,  qù  les  nombreux  moyeus  de 
transport,  les  routes  et  les  canaux  permettent  d'envoyer  ra- 
pidement les  secours,  tandis  que  la  province  du  Chan-si  est 
hérissée  de  montagnes  et  n'a  pas  de  rivières  navigables  ;  les* 
bêtes  de  somme,  qui  fourraient  .tr^pçporter  des  vivres,  ont 


231 

^utes  été  tuées  l'aoaée  dernière,  lie  peu  de  grains  qui 
nous  vieat  de  la  Mongolie  est  trausporté  à  dos  de  chameaux 
^r  des  caravanes  tartares* 

'<La  plupart  de  nos  prêtres  ont  veadu  jusqu'à  leurs  vète- 
.meats  pour  secourir  les  malheureux,  Mgr  Moccagatta  et 
son  coadjuteur,  Mgr  Grassi,  ainsi  que  nous  tous,  nous 
«nous  sommes  astreints  à  ne  mauger  que  du  millet  et  un 
*peu  de  farine  de  seigle  préparée  en  bouillie.  Nous  avons 
fait,  jusqu'à  présent,  tout  ce  que  nous  avons  pu;  mais,  si 
Dieu  n'a  pas  pitié  de  nous,  presque  tous  les  chrétiens  mour- 
ront Déjà,  le  nonibre.  des  païens  et  des  chrétiens  morts 
dans  celte  province  dépasse  7  millions. 

^- Voilà  l'état  actuel  du  Ghansi,  province  de  30  millions 
•d'âmes,  qui,  si  la  pluie  n'arrive  pas,  ne  sera  plus  bientôt 
4]u'un  vaste  désert." 


I4  Osurvatore  romano  a  publié,  au  mois  de  juin  dernier, 
l'article  suivant,  dont  nous  empruntons  la  traduction  à  la 
.Liberté  de  Fribourg  : 

•  "Depuis  que  sont  parvenues  en  Europe  les  premières  nou- 
velles qu'une  borible  disette  tourmentait  quelques  provin- 
ces dans  les  Indes  orientales,  spécialement  de  la  Présidence 
de  Madras,  la  S.  Congrégation  de  la  Propagande  s'est  em- 
^pressée  d'expédier  aux  vicaires  apostoliques  de  ces  contrée» 
une  subvention  extraordinaire  qui,  distribuée  par  les  maioA 
des  missionnaires,  bien  qu'elle  ne  fût  qu'nne  goutte  d'eau 
sur  un  vaste  désert,  devait  pourtant  porter  quelque  con- 
solation aux  victimes  de  ce  fléau  morteL  Cette  subven- 
tion fut  aussi  répétée  plus  tard,  moyennant  le  concours  de 
quelques  pieux  bienfaiteurs  qui  voulurent  prendre  part  à 
une  œnvre  de  si  grande  charité.  Notre  journal  a  déjà  donné 
•le  détail  des  sommes  envoyées,  25,000  fr.  la  preïnîère  fois  et, 
30,000  la  seconde,  et  les  secours  fournis  ont  produit  le  fruit 
qu'on  en  attendait,  spécialement  par  la  conversion  de  beao- 
•cOnp  de  païens  à  la  religion  catholique  • 

^  Mais,  si  la  famine  a  commencé  depuis  le  mois  de  sep  tein- 

bre  de  l'année  dernièro  à  diminuer  d'intensité,  ses  triâtes 

^effets,  outre  la  grande  mortalité^  ont  été  nombreux  et  sonleDr- 


232 

^core  très-sensibles;  à  tel  pQint  que,  pour  les  pauvres  mission- 
naires, s'est  accru  extraordinairement  le  nombre  d'orphe- 
lins, de  veuves,  de  vieillards  qui,  entrés  dans  le  bercail  de 
rÉgiîse  catholique,  demandent  journellement  le  pain  pour 
Tivre.  Une  communauté  de  religieuses  a  recueilli  plus  de 
6,000  enfants  et  se  prive  presque  du  nécessaire  pour  les  ali- 
menter. 

*'  Ce  qui  est  plus  douloureux,  c'est  que  le  fléau  est  passé  des 
Indes  dans  quelques  régions  de  la  Chine,  même  avec  une 
augmentation  de  violence  et  sur  un  terrain  bien  plus  vaste,, 
de  manière  que  plus  de  soixante  millions  d'habitants  ont  eu 
à  en  souffrir,  lies  relations  qui  arrivent  à  la  Propagande,, 
de  la  part  des  vicaires  apostoliques  et  des  missionnaires,  sont 
les  plus  émouvantes  et  les  plus  déchirantes,  car  elles  donnen  t 
connaissance  de  scènes  horribles  de  victimes  humaines, 
spécialement  d'enfants  qui  sont  la  pâture  d'affreux  affamés,, 
môme  de  leurs  propres  parents.  D'autre  part,  des  troupes 
de  squelettes,  plutôt  que  de  figure»  humaines,  se  pressent 
en  foule  et  environnent,  jour  et  nuit,  les  habitations  des  vi- 
caires apostoliques  en  demandant  quelque  aliment,  parce 
qu'ils  n'ont  plus  ni  herbe  à  paître  dans  les  champs,  ni 
feuilles  et  écorces  d'abres  à  ronger  dans  les  bois. 

^^  Il  est  bien  naturel  que  les  malheureux  païens  abandon- 
nés de  tous  demandent  à  être  admis  au  baptême,  mais  sur- 
tout que  la  sollicitude  des  missionnaires  veuille  assister  les  fa- 
milles des  fidèles.  Mais  le  missionnaire  est  lui  aussi  dépourvu 
de  ressources,  et,  s'il  n'a  pas  pour  les  siens,  comment  peut-il 
donner  aux  étrangers?  Les  convertis  sont  nombreux  et 
ils  ont  quelque  subside  journalier  pour  vivre  ;  mais  il  y  en 
aurait  bien  plus,  si  le  missionnaire  pouvait  les  alimenter 
touf^  et,  en  attendant,  les  instruire  et  s'assurer  de  leur  sin- 
cérité et  de  leur  constance  dans  la  foi.  Il  faudrait  ensuite 
continuer  à  les  secourir  de  peur  que,  laissés  à  eux-mômesy 
ils  ne  retournent  à  l'idolâtrie  et  ne  meurent  dans  un  déso- 
lant abandon.    Gomment  donc  pout  voir  à  tant  de  besoins  T 

''  La  S.  Congrégation  de  la.  Propagande,  profondément 

émud  de  ce  misérable  état  des  vicariats  chinois,  a,  noooks- 

tant  la  gravité  de^la  gêne  où  elle  se  trouve  actuellement, 

-recueilli  ses  forces  et  profité  n^me  des  ressources  proba- 


233 

'J3les,  et,  ferme  et  confiante  dans  sa  mission,  elle  a  envoyé^ 
il  y«a  dn  peu  plus  d'un  mois,  50,000  fi*.  *  aux  ncaires  B:p08^ 
«toliques  de  ces  régions.  Pour  le  même  motif,  une  somme 
•de  21,000  fr.  a  été,  il  y  a  peu  de  lemps^  expédiée  par  la  Pro- 
pagande à  Mgr  Touvier,  vicaire  apostolique  de  l'Âbyssinie* 
O'est  donc,  en  moins  de  huit  mois,  près  de  106,000  fr«  qae 
la  3.  Congrégation  a  employés  au  soulagement  de  tant  de 
jnalheiireux  souffrant  de  la  faim  aux  Indes  et  en  Chine, 
-sans  cesser  pour  cela  et  sans  retarder  un  instant  de  peur- 
'Tûir,  comme  elle  fait  journellement,  aux  besoins  oordinairee 
-des  missions  qu'elle  entretient  dans  tout  Tunivers. 

^'  Voilà  à  quoi  servent  et  comment  s'emploient  les  rentes 
des  biens  laissés  par  de  pieux  bienfaiteurs  à  la  S.  Congréga- 
tion de  la  Propagande." 


iC 


"VICARIAT  APOSTOriQUE  DE  L'AFRIQUE  CENTRALE:. 

APERÇU  HiraORlOOB  BT  ÉTAT  A-GTOSL. . 

m 

Avant  de  repartir  pour  sa  lointaine  missioD^  Mgr  Corn— 
'boni,  récemment  nommé  évèque  de  Glaudiopolis  in  partie 
hus  et  vicaire  apôstôïiofoê  de  l'Afrique  centrale^  a  adressé^ 
atixGonseiUcentraurde  rCEuvrede  la  Propagation  de  la 
Foi  une  notice  historique  sur  Pimmense  vicariat  qu'il. ad- 
ministrait depuis  cinq  ans,  en  qualité  da  prôvicaire.  Nous» 
en  commençons  la  publication. 

^^  Lorsque  le  monde  chrétien,  à  la  voix  de  rëfier&elle  sa- 
gesse, sortit  des  profondes  ténèbres  où  l'ancienne  loi  le  te- 
nait enveloppé,  la  prodigieuse  puissance  qui  le  fit  surgir 
de  ce  goulTre  obscur  fut  l'auguste  étendard  de  la  Croix^ 
Les  œuvres  de  Dieu  doivent  toujours  naître  au  pied  du 
Calvaire.  La  croix,  les  contradictions,  la  souffrance,  sont 
le  signe  ordinaire  de  la  sainteté  d'une  œuvre  ;  et  c'est  par- 
cette  voie  semée  de  ronces  et  d'épines  que  les  œuvres  dO' 
Dieu  se  développent,  prospèrent  et  atteignent  leur  perfec- 
tion et  leur  triomphe.  Pour  accomplir  la  grande  œuvre 
de  la  rédemption  du  monde,  l'Homme-Dieu  a  passé  par 
cette  voie  ;  la  Vierge  immaculée  l'a  parcourue,  et,  après 
avoir  été  la  Reine  des  martyrs,  elle  est  devenue  la  Reine 
de  la  terrre  et  da  ciel.  Cette  même  voie  a  été  suivie  par 
les  Ordres  religieux  et  par  toutes  les  in<)tilutions  de  l'Eglise 
de  Jésus-Christ,  qui  ont  répandu  sur  le  monde  entier  le  tré- 
sor de  leurs  vertus  héroïques  et  de  leurs  bienfaits.  Par 
cette  voie  ont  passé  les  martyrs  et  tous  les  saints  ;  et  l'on 
peut  dire  que  la  grandeur  de  leur  sainteté  est  proportionnée 
à  la  grandeur  de  leurs  souffrances.  Enfin,  c'est  sur  cette 
voie  royale  que  marchent  toujours  l'Église  et  la  papauté,. 
^  de  saint  Pierre  à  Pie  IX.  Cette  vivante  image  de  Jésus- 
Christ,  son  fondateur,  cette  reine  de  toutes  les  œuvres  de 
la  toute-puissance  et  de  Tamour  de  Dieu,  ce  chef-d'œuvre 
de  sa  droite,  ce  magistère  très-  haut  de  ses  éternels  dea^ 
ceins,  cette  arche  mystique  du  pacte  éternel,  ce  grand 
navire  mystérieux,  qui,  durant  dix-neuf  siècles,  a  traversa 


235 

-sain  et  feauf  les  mers  bouleversées  par  la  fureur  deé  pui&- 
rsances  infernales,  traversera  majestueusement  tous  les 
-siècles  et  touchera  au  port  de  réternité,  aussi  intacte  que 
lorsqu'elle  est  sortie  du  sein  de  Dieu.  ' 

"  11  devait  en  être  de  même  de  l'œuvre  de  la  rédemption 
"de  la  Nigrîtie,  qui  a  pour  objet  spécial  l'apostolat  de  l'Afri- 
tjue  centrale.  Cette  grande  entreprise  devait  suivre  la  même 
^oie  de  douleur  tracée  à  toutes  les  œuvres  filles  de  TÉglise 
de  Jésus-Christ.  Aussi,  les  contradictions  qu'elle  a  rencon- 
trées à  sa  naissance,  les  obstacles  q^i'elle  a  surmontés  dans 
son  développement  sont-ils  la  preuve  là  plus  éclatante  et  )a 
-plus  sûre  de  la  sainteté  de  son  but  et  la  garantie  de  son 
•avenir. 

"  Grâce  aux  très  sages  dispositions  du  Saint-Siège,  l'œuvre 
de  la  rédemption  de  la  Nigritie  est  sur  lé  point  d*entrer 
dans  une  période  nouvelle  et  de  prendre  une  direction  plus 
îorte.  L'histoire  détaillée  de  cette  œuvre  n'est  pas  encore 
assez  connue  en  Italie,  en  France  et  dans  les  autres  nations 
t^atholiques,  où  la  charité  est  si  vivante  et  si  admirable.  Il 
ne  déplaira  donc  pas  à  nos  bienfaiteurs  que  je  retrace  rapi- 
dement l'histoire  de  mon  apostolat  de  l'Afrique  centrale  et 
que  je  donne  une  idée  de  l'œuvre  pour  la  rédemption  de  la 
Nigritie,  destinée  à  diriger  et  à  alimenter  cet  apostolat. 


'Fondation  du  vicariat.  —  Etendue,  limites,  populations. — Historique  da 

vicariat. 


^^  Le  vicariat  apostolique  de  l'Afrique  centrale  a  été  éri- 
j;é  par  un  bref  de  Grégoire  XVI,  en  date  du  3  avril  1846. 

'^  Ses  limites  sont  :  au  nord,  le  vicariat  .apostoUque.de 
l'Egypte  et  la  préfecture  apostolique  de  Tripoli  ;  4  l'est^ 
la  mer  Rouge  sur  les  côtes  de  la  Nubie,  et  les  vicariats 
apostoliques  de  TAbyssinie  et  des  Gallas  ;  au  sud,  la  r^gioa 
des  montagnes  de  la  Lune,  que  les  géographes  modernes 
placent  entre  les  lO^  et  12»  de  latitude  australe  ;  à  l'ouest» 
le  vicariat  des  Deux-Guinées  et  la  préfecture  du  Sahara. 

-''  Ce  vioariata  donc  une  superûcie  plus  graade  que  celle 


236 

de  l'Europe  enlière.    Il  embrasse  toutes  lei  poesessionB  âv 
Khédive  d'Egypte  dans  le  Soudan,  possessiona  qai  occupent 
un  espace  cinq  fois  aussi  vaste  que  la^France.  Il  comprend 
ed  outre  quelques  royaumes  sounis  i  des  princes,  sectateurs- 
de  Tislamisme.    Mais  la  paitie  la  plus  étendue  renferme 
des  tribus  arabes  nomades  et  musulmanes,  d'ionombraldes- 
tribus  de  nations  sauvages  et  fétichistes,  et  plusieurs  états- 
indépendants,  ennemis  du  Coran  ou  Ignorant  son  existence, 
n'ayant  aucune  idée  du  christianisme  et  dominés  par  des 
superstitions  qui  leur  tiennent  lieu  de  religion. 

^'  La  population  du  vicariat  était  évaluée  à  90  million» 
d'âmes  par  mon  prédécesseur,  le  P.  Ignace  Enoblecher. 
Après  des  études  sérieuses,  des  recherches  très-exactes,  et 
en  prenant  pour  base  les  calculs  approximatifs  de  la  statis* 
tique  de  Washington,  je  crois  pouvoir  assurer  qu'elle  at- 
teint le  chime  de  100  miUions  d'infidèles.  D'où  il  résulte 
que  le  vicariat  apostolique  de  l'Afrique  centrale  est  le  plus 
vaste  et  le  plus  peuplé  du  monde. 

*^  On  peut  partager  son  histoire  en  trois  périodes.  La 
première  embrasse  quinze  années  :  elle  comprend  la  fonda- 
tion de  la  mission  par  le  P.  Ryllo,  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
qui  mourut  à  Khartoum  en  juin  1848,  puis  l'administration 
du  P.  Ignace  Knoblecher,  mort  en  avril  1858,  et  celle  de 
Mgr  Kirchner,  qui  céda,  en  1861,  le 'vicariat  à  l'Ordre  de 
Saint-François.  Pendant  la  deuxième  période,  de  i86l  à 
1872,  le  vicariat  fut  administré  par  les  Mineurs  Observan> 
tins,  sous  la  direction  du  R.  P.  Reinthaller  et  des  vicaires 
apostoliques  de  l'Egypte.  La  troisième  période  offre  le  ta- 
bleau du  vicariat  sous  mon  administration  depuis  1872^ 
époque  à  laquelle  il  a  été  confié  à  l'Institut  des  Missions 
pour  la  Nigritie,  fondé,  en  tSS't,  sous  les  auspices  de  Mgr 
de  Canossa,  évèque  de  Vérone,  aujourd'hui  cardinal. 

^^  Dans  la  première  période,  quatre  stations  furent  éta- 
blies: une  à  Khartoum  (Nubie  supérieure),  Capitale  des 
possessions  égyptiennes  au  Soudan,  située  sur  le  fleuve 
Bleu  entre  le  15o  et  le  16o  de  latidude  nord,  une  autre  à 
Gondokoro,  sur  le  fleuve  Blanc,  dails  la  tribu  des  Bari^ 
idutre  le  4»  et  le  5o  de  latitude  nord  ;  une  troisième  à  Sainte- 
Croix,  dans  le  tribu  de  Kich,  sur  le  fleuve  Blanc,  entre  le- 


237 

&>  et  le  7o  de  latitude  nord;  la  derqiëre  à  Scellai,  près  du 
tropique  du  Cancer,  eu  face  des  lies  de  Filé  (Nubie  infé- 
Heure).  ï^lus  de  quarante  inissionnairës  européens  travail- 
lèrent dans  cette  mission  de  1846  à  1861.  Le  plus  grand 
nombre  d'entre  eux  étaient  Autrichiens  et  appartenaient 
au  diocèse  de  Laybach  et  aux  diocèses  du  Tyrol  ;  il  y  avait 
aussi  trois  Bavarois,  quelques  Pères  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  et  sept  prêlres  de  Tlnstitut  MazKa  de  Vérone.  Pres- 
que tous  succombèrent,  victimes  de  leur  charité,  aux  fati- 
gues et  à  rin&alubrité  du  climat. 

''  Bans  la  deuxième  période,  les  ôtations  de  Gondokoro, 
de  Sainte-Croix,  et  plus  tard  celle  de  Scellai,  furent  aban- 
données. L'action  des  missionnaires  se  concentra  sur 
Ehartoum,  principale  station,  où  le  provicairt>,  Mgr  Kno- 
blecher,  avait  acheté  une  maison  et  un  grand  jardin.  Près 
de  cinquante  Franciscains,  la  plupart  Frères  convers,  y  pas- 
sèrent deux  années.  Vingt  deux  Religieux  ayant  succom- 
bé, lets  autres,  affaiblis  par  les  fatigues  et  les  maladie?,  se 
retirèrent  en  Egypte  ou  en  Europe.  Il  ne  resta  que  trois 
ou  quatre  Pères  ou  Frères  pour  prendre  soin  des  catholiques 
de  IChartoum.  Jusqu'alors  le  vicariat  de  l'Afrique  centrale 
avait  été  soutenu  au  moyen  d'aumônes  recueillies  dans 
l'empire  austro-hongrois  par  le  comité  de  la  Société  de  Ma- 
rie. 

^*  Dans  la  troisième  période,  fut  créée  la  mission  du  Kor- 
dofan.  On  fonda,  à  El-Obeïd,  la,  capitale,  un  établissement 
pour  les  missionnaires  et  un  institut  pour  les  Sœurs.  A 
deux  journées  de  celte  ville,  à  Malbes,  où  Ton  trouve  de 
l'eau  en  quantité  suffisante,  on  prépara  Tinstallation  d'une 
colonie  auxiliaire,  en  élevant  des  maisons  et  en  acquérant 
des  terrains  pour  loger  les  familles  d^nègtes  convertis. 
Avec  le  temps,  on  espérait  former  ainsi  des  villages  entière- 
ment chrétiens  qui  se  seraient  peu  à  peu  développés.  On  ou- 
vrit également  une  missim  dans  le  Gebel  Noubas,  au  sud- 
ouest  du  Kordofan,  afin  de  se  ménager  un  point  d'appui 
et  des  moyeni  de  oomimunication  pour  fatué  pénétrer  ht  foi 
pamii  les  '  idôl&tres  du  eentre  du  vicariat  On  fonda  i 
Khartoum  le  gratid  établisèement  des  Religieuses  do  Saint- 
Joseph  de  l'Apparition  de  Marseille,  comprenant  une  école^ 


238 

tin  orphelinat  e,t  les  œuvres  qui  s'y  rattachent  On. inau- 
gura la  piission.  de  Berber  placée  dans  le  site  .le  plus  agréa- 
ble, sur" lés  riees  du  Nil,  prèg.d^  18»  de.  iatitudft  nord,  aa 
point  de  réunjoii  des. caravanes  àp.  fehartouni,  de  TÉgypte, 
par  le  désert  de  fCorosco.  èl  de  feoûakinï,  sur  la  mer  Rouge. 

Touç  .ce?. établissements  sout  pourvus  de.  missionnaires 
habitués  au  clinoat  par  leujr  séjour  dans. les  deux  Instituts 
du  Caire  chargés  de  préparer  les  ;missionnaires  pour  TAfri- 
que  centrale.  Depuis  :1872,.  des  .prêtres  .dé  l'Institut  des 
Missions  de  la  Nigritie,  de  Véroqe,^  quelques  P.ères  Camil- 
liensj  et  dea  Sœurs  de  Saint-Joseph  dé  rApparition  ont  été 
employés  dans  le  vicariat.  Durant  cinq  aimées, .  aucun 
prêtre  missionnaire  européen  n'a  çuccombé  aux  rigueurs  du 
climat.;  tous  .ont  joui  de  la  meilleure  santé,  malgré  les  fati- 
gues, les  longs  voyages  ë.t  les  privations  qu'ils  devaient 
s'imposer.  Seules,  quelques  Religieuses  sopt  mortes;  mais, 
avant  de  se  dévouer  à  cette  laborieuse  miission,  elles  souf- 
fraient déjà  des  suites  de  fatigues  anciennes., 

''  Cet  aperçu  sommaire  montre  qne  le  vicariat  de  TAfrî- 
que  centrale  a  suivi,  à  ses  débuts,  la  roiite  des  épreuves,  des 
luttes  et  du  sacrifice  que  la  Providence  assigne  ordinaire- 
ment à  toutes,  les  œuvrer  saintes. ,  . 


II 


LUnstitut  Mazza.-*  ApprbbaUoa  par.  Pie  IX  du  projet  de  rédemption  de 
la  Nigritie. — ^Vqyages  en  Europe  de  M.  Coiuboni.T^AUocatioii  doa- 
oée  par  la  Sqciét^  de  Golof^Qe.-r-Prolection  do  Mgr  de  Gaaossa. — 
Fondation  des  In&tiluts  de  Vérone. 


.  "Je  dois  ici  raconter  brièveoiônt  rorigine  de  l'œuvre 
pour  la  rédemption' de  la  Nigritie,  fondée  aous.^^s  auspices 
de  Mgr  Tô^êquô  de  Véroae.  . 

"  Au  nombre  des  ciaq  premiers  mi33iounaires  envoyés 
en  1846  daoe  rTAfrique  «centrale,  sQUa  la:  direction  du  P. 
Ryllo^  se  trouvait  lé  P.  Ange  Vinco,  originaire  du  village 
de  Cerro.  Oe  prêtre  appartenait  à  Vinstii^t  fondé  à  Véro- 
ne par  le  P.  Nicolas.  Mazza,  où  j'ai  moirméme  reçu*  l'édu- 
cation  sacerdotale  et  dont  j'ai  fait  partie  pendant  vingt- 


239 

quatre  ans  (1843-1867).  A  la  mort  du  P.  Ryllo,  le  P.  Ange^ 
Vinco,  étant  revenu  en  Europe  recueillir  dés  aumôdes  et 
recruter  des  missionnaires,  passa  denr  mois  à  l'institut  de 
Vérone.  Le  tableau  qu'il  fli  de  l'état  déplorable  des  peuples 
de  la  Nigritie  intérieure  émut  si  vivement  le  P.  Mazza,que 
celui-ci  résolut  d*envoyei'  dans  l'Afrique  centrale  des  Reli- 
gieux de  son  institut  qui  montreraient  des  dispositions  pour 
ce  ministère. 

"  Au  mois  de  janvier  1849,  élève  de  philosophie  et  âgé  de 
dix-sept  ans,  je  jurai  aux  pieds  de  mon  vénéré  supérieur^ 
le  P.  Mazza,  de  consacrer  toute  ma  vie  à  l'apostolat  de  l'A- 
frique centrale.  J'abandonnai  alors  le  projet  que  trois  an* 
auparavant  la  lecture  de  l'histoire  des  martyrs  du  Japon, 
par  saint  Alphonse  de  Liguori,  m'avait  inspiré  de  me  vouer 
à  la  lointaine  et  périlleuse  mission  du  Japon.  Dès  lors,  je- 
ne  m'occupai  plus  que  de  me  préparer  à  cette  sainte  entre- 
prise. En  1857;  je  fus  envoyé  par  le  P.  Mazza  à  Khartoum 
et  aux  stations  du  fleuve  Blanc  avère  le  P.  Beltrame  et 
d'aulres  prêtres.  Là,  je  pasèai  par  de  rudes  épreuves,  et  je 
fus  fréquemment  atteint  par  les  fièvres  meurtrières  de  l*é 
quateur  qui  me  mirent  plusieurs  fois  au  bord  du  tombeau» 
Dans  rintérvalle,  je  pus  étudier  la  langue  des  Denka,  le  ca- 
ractère et  les  coutumes  des  nombreuses  tribus  de  la  Nigri- 
tie intérieure.  A  mon  retour  en  Europe,  lorsque  j'eus  rem- 
pli, par  ordre  de  mon  supérieur,  une  importante  mission 
aux  Indes  orientales  et  sur  lescôtts  orientale»  de  l'Afrique, 
le  vicariat  était  passé  aux  mains  dés  RR.  PP.  Franciscains. 

"  Le  18  septembre  1864,  après  avoir  assisté,  à  Saint-Pierre 
de  Rome,  aux  solennités  de  la  béatification  de  M  irguerite- 
Harië  Alacoque,  mon  projet  pour  la  régénération  de  l^Afri- 
que  mè  revint  à  l'esprit..  Je  le  présentai  au  Souverain 
Pontife  Pie  IX,  qui  l'approuva,  et  à  la  S.  Congrégation  de 
la  Propagande.  Mon  projet-  fut  imprimé  en  diflféreiïtes 
langues  et  eut' plusieurs  édftions. ;  Le  but  était  d'assurer  la 
stabilité  et  la  perpétùîfé' de^'inissions  de  la  Nigritie  cen- 
trale, en  élevant  en  Europe  deux  Instituts  qui  leur  iotHli'ùi-  ' 
ralentie  personnel  de  missionnaires  et  de  religieuses  né-^' 
cessaires,  et  en  fotidant.  sur  les  côtés  "d'Afrique,  dans  nn 
lieu  silubre,  tieux  établissements  où  les  missionnaires  et 


2,40. 

les  Sœurs  sa  pré  gareraient,  a^u  çlin^at  de  rjAiri^ue  centra- 
le et  aux  faUgues  de  l'apostola^*  .   ■      ,   .      ,*  ; 

*'  Mais  j'étaig  §aw  ajpsp^H  çl  dépourvu  de.  tOH3  moyens  pé- 
<:iiaiaires. .  Muni  de  V^pprobatiou  .de-mes  supérieurs  et  d& 
celle  du  cardinal  Barnabp,  préfet  de  ,W  Propagande,  je  par- 
courus, durant  trois  années,  ritalie,  la  France,  PE^pagne, 
l'Angleterre,  VAllenwigne  et  d'autres  contrées,  exerçant  le 
ministère  sacerdotal,  visitant  et  étudiant  les  œuvres  pour  Ie3 
missions  étrangères,  ai  bien  organkées  ep,  France  et  ea  Ir- 
lande, cherchant  des  lumières,  des  protections  et  des  aumô- 
nes et  faisant  connaître  l'import^ince  de  mon  entreprise  à 
ceux  qui  pouvaijent  m*aider.  J'étais  puissamment  soutenu 
par  le  cardinal  Barnabe,  par  d'illustres  et  éminents  person- 
nages, et  surtout  par  les  encouragements  de  Notre  Salntr 
Père  le  Pape  Pie  IX,  qui  ^n'avait  dit  en  septembre  1861: 
"  Labora  skut  honui  mUes  CkrUti  pro  Africa,  "  Malgré  les 
obstacles  que  je  rencontrais  et  les  di£B.cultés  qu^  je  prévo- 
yais en  Europe  et  en  Afrique^  j'eus  toujours  conûance  dans 
le  cœur  de  Jésus  qui  a  souffert  aussi  pou^  la  inalheureuse 
Nigritie,  et  je  ne  perdis  jamais  l'espoir  de  réussir  dans  ma 
difficile  entreprise. 

/^  En  1865,  la  Société  de  Cologne  pour  le  rachat  et  l'en- 
tretien  des  noirs  examina  sérieusement  mon  projet  et  ea 
comprit  la  grande  importance  et  le  but  pratique.  Elle  fut 
la  première  à  assurer  la  réalisation  de  mon  œuvre  en  m'aU 
louant  à  perpétuité,  par  un  titre  approuvé  de  la  chancelle- 
rie épiscopale,  une  somme  annuelle  de  5.000  francs,  pour 
soutenir  le  premier  iastitut  que  je  fonderais  sur  les  côtes 
d'Afrique.  Cette  allocation  m'ouvrit  les  sources  de  la  cha- 
rité universelle,  des  Société^  de  bienfaisance  d'Europe,  et 
en  particulier  de  celle  qui  e&i  la  reiofe  de  tputes,  4^  rCÉu- 
vre  admirable  de  la  Propagation  de  la  Foi. 

'<  Ce  fut  seulement  en  1867  que  la  Providence  me  doojoa, 
pour  asseoir  solidement  l'édiflcp  dont  j'avais  conçu  le  plan» 
un  véritable  point  d'appui  clans  l'illi^tre  marquis  Louis  de 
Ganossa,  évâq^e  de  .  Vérone,  honoré  aujourd'hui  de  la 
pourpre  romaine^  glorieux  dépendant  de  la  célèbre  com- 
tesse Jiiathilde  de  Ganoasa  et  neveu  de  la  Vénérable  mar- 
quise. Madeleine  d^  Cauossa,  foadatrice  deç  Pilles  canos- 


m 

-siemies  d^:la  Ghftrit^,  qui  g^ra  biwt&t,  ^ous  TQ^pérona,  6I6«> 
vée  sur  les  aut^ls^    Ce  prince,  de  TÉgUse,  n'étant  eiicelre 
que  simple  prêtre,  avait  yu  plusiews  fois  une  trouve  d& 
Jeunes  orphelines  africaines  que  le  P.  NicoIas^OItvieri,  de 
Oénes,  lui  avait  présentées  pour  c^btenir  deis  aumônes*  ' 
Ému  4e  compassion,  il  engagea  le  R  Mazza>  son  ami^  à  les 
recueillir  à  Vérone  dans  son  institut  de  femmes,  £^n  de 
les  instruire  dans  la  foi»  Plpstard,  ces  négi^esses,  de  retour 
dans  Leur  patrie,  pourraient  enseigner  la  religion,  sous  la* 
direction  des  missionnaires.  Mgr  de  Ganossa  avait  suggéré 
au  P.  Mazza  de  les  élever  da.ns  des  établissements  placés* 
sur  les  côtes  même  de  TAfrique,  car  Texpérience  démon-' 
trait  que  les  nègres,  transportés  en  Europe  étaient  eiposés 
à  y  perdre  la  vie.    Peut-être  le  P.  Maxza  aurait*il  mis  ce 
projet  à  exécution  si  la  mort  ne  Tavalt  pas  enlevé. 

^^  Aussi,  après  de  mûres  réflexions,  connaissant  le  zèle 
ardent  dont  Mgr  Tévêque  de  Vérone  était  enflammé  pour  le 
«alut  des  âmes  les  plus  abandonnées,  je  m'adressai  à  ce  pré> 
lat,  de  qui  j'avais  Thonneur  d'être  connu  depuis  1849.  Je 
lui  exposai  mon  projet  et  je  le  suppliai  de  prendre  cette  OBu- 
Yre  sous  sa  protection,  et  d'en  accepter  la  présidence.  Je 
l'assurai  que,  jusqu'à  la  mort,  je  serais  son  bras  droit  ou 
plutôt  que  toutes  les  charges  de  l'entreprise  pèseraient  sur 
moi,  que  je  pourvoirais  à  toutes  les  nécessités  pécuniaires 
et  matérielles,  et  que  je  ne  lui  demandais  que  sa  très-noble 
«t  très-puissante  recommandation.  Mgr  de  Ganossa,  animé 
d'un  esprit  vraiment  apostolique,  accepta  d'être  le  protec 
leur  et  le  président  de  l'OËuvre  entière.  11  ne  se  laissa  ef- 
frayer ni  par  les  malheurs  du  temps,  ni  par  mon  insufB- 
sance  et  ma  pauvreté,  ni  par  les  difficultés  de  l'entreprise  ; 
il  était  soutenu  et  fortifié  par  le  Pape  Pie  IX,  par  le  préfet 
-de  la  Propagande,  par  un  grand  nombre  d 'évoques  av«c 
lesquels  lui  et  moi  nous  nous  étions  rencontrés  à  Rome» 
^ux  fêtes  du  dix-huitième  centenaire  du  martyre  de  saiqt 
Pierre, 

'^  En  1867,  je  pus  ouvrir  â  Vérone,  sous  le^  auspices  du 
prélat,  un  premier  institut  pour  les  missionnaires,  et  un  se-* 
<;oQd  pour  les  religieuses  auxquelles  je  donnai,  en  1872,  le 
nom  de  Pieuses  Mères  de  la  Nigritie*    Afin  de  soutenir^ 


Î42 

au  moins  en  partie,  cîe  second  institut,  on  lui  affilia,  sons  Ift 
présidence  de  Févôque^  assisté  d'un  coAseîl  d'ecclèsiastiques^ 
et  de  laïques,  FAssociation  du  Bôn-Pasleur,  enrichie  d'in^ 
dulgences  plénières  par  Sa  Sainteté.  J'avais  déjà,  suivant 
l'avis  du  cardinal  Barnabe,  quitté  l'excellent  institut  Mazza 
peiir  me  consacrer  librement  et  entièrement  à  TOEuvre  de- 
là Nigritie. 

•'Je  plaçai  à  la  tète  de  la  maison  des  missioanaires  le 
regretté  Dr.  Alexandre  de  Bosco.  Il  possédait  les  qualités 
éminentes  que  demandait  cette  charge,  et  il  avait  été  mon^ 
compagnon  dans  l'Afrique  centrale,  où  son  nom  est  encorô" 
béni.  L'institut  des  Religieuses  de  Vérone,  ayant,  par  suite 
du  malheur  des  temps,  passé  par  beaucoup  d'épreuves,  ne 
put  se  reformer  qu'en  1872.  Aussi,  pour  commencer  dans 
l'Afrique  centrale  les  oeuvres  des  religieuses  en  même 
temps  que  les  œuvres  des  missionnaires^  je  choisis,^  après 
avoir  visité  un  grand  nombre  de  congrégations  exk 
Italie  et  en  France,  la  Congrégation  dés  Sœors  de  Saint- 
Joseph  de  l'Apparition  de  Marseille.  'Cet  institut  est  le 
premier  qui  se  soit  établi  en  Orient  depuis  les  Croisades  ; 
il  a  été  approuvé  par  le  Saint*Siëge  et  il  est  répandu  dans- 
l'Europe,  dans  l'Asie,  xSanis  l'Afrique  et  dans  TOcéanie. 
J'avais  à  peine  exposé  mes  projets  à  la  Supérieure  générale^. 
la  Révérende  Mère  Emilie  JuUen,  ancienne  missionnaire^ 
en  Afrique  et  en  Orient,  qu'elle  consentit  à  me  seconder. 

m 

Départ  poar  TEgypto  de  M.  Comboni  et  d'une  premiôre  troupe  da  mis- 
sionnaires.— Fondation  des  Instituts  du  Caire. — Départ  de  la  pre- 
mière caravane  pour  le  Kordofan. 

« 

'*  Après  avoir  organisé  en  Europe  rOEuvre  poui^  la  ré- 
demption de  la  Nigritie,  je  m'occupai  de' la  irailsplanter 
Bur  les  côtes  de  l'Afrique. 

^^  J'étuliai  soigneusement  les  divers  points  qui  pouvaient 
8è  prêter  àl'exécution  de  mon  grand  dessein,  et  le  lieu  que 
je  jugeai  le  plus  favorable  fut  la  capitale  de^  l'Egypte.  Lar 
tempëratéTedé  Caire,  teîiant  la  moyenne  entre  la  tempéra- 
ture de  l'Ebrope  et  celle  des  ré^^ions  embrasées  du  centre 
de  l'Afrique,  convient  parfaitement  pour  acclimater  le». 


,243 

-missionnaires  eoTopéens  qui  se  destinent  à  l'Afrique  ceffr 
jlraJLç^  D'autre  part,  ,çette  ville  est  ep .  libre  pommunicf tl09 
aviecles possessions  égyptienne»  du  Boudan^iqui  occuponi 
june  s\ir£aice  immense  du  .vicariat,  d^.r^friqji^e  centrale. 
Avec  i'approbatipn.  de  la  Gqngrigation  de  la  Propags^nd^ 
Qt  le  conseetefnent.de  S.:flxp.,MgrLouks  Qiurcia^  Minç^^ 
Observantin,  vioairQ  apostolique  de  l'ÉgjpXe,  je  partis  do 
Marseille,  en  nove^lbre  1867.  Je  €ondaisai&  une  petite 
troupe  composée  de  trois  mission^oaires^  trois  religieuse^  dt 
Saint-Josep]^  de  rApparitlon  et  seize  négresses  élevées  d^n» 
divers  établissements  d'Europe  et  principalement  à  ^i<>^^'* 
iutMazza^  Fortifié  par  la  bénédiction  du  Souverain  Ponti- 
fe et  par  celle  de  l'évêque  de  Vérone,  je  m'epabarquai  à 
Marseille  sur  un  vapeur  des  Messageries  impériales  où  le 
gouvernement  français  m'avait  acoprdé  le  passage  gratuit 
pour  vingt-quatre  personnes  dq  Rome  à  Marseille  et  de 
Marseille  à  Alexandrie.  J'arrivai  au  Caire  la  veille  de  la 
fôle  de  rimmaculée-Conception,  et  j'ouvris,  sous  les  auspi- 
ces de  Mgr  Giurcia,  au  Vieux-Caire,  près  de  la  grotte  où  la 
tradition  rapporte  que  la  sainte  famille  passa  la  plus  grande 
partie  des  sept  années  de  son  exil  en  Egypte,  deux  établis- 
sements, l'un  pour  les  nègres,  dont  je  pris  la  direction, 
Tautre  pour  les  négresses,  qui  fut  confié  à  la  Sœur  fierthor 
Ion,  de  Lyon.     ^. 

^^  Je  n0  saurais  passer  sous  silence  la  puissante  prot.^c- 
lion,  la  sagesse  expérimentée  de  Mgr  Ciurcia,  qui,  indigné 
des  perfides  insinuations  des  adversaires  des  œuvres  de 
Qieu.)  soutint,  dès  le  principe,  mes  deux  instituts  contre  les 
'tempêtes  qui  menaçaient  de  les  anéantir.  Je  rappellerai 
également  la  charité,  l'expérience  et  le  zèle  persévéïrant  du 
R.  P.  Pierre  de  Taggia,  de  l'Ordre  de  Saint-Frapçois, 
supérieur  et  curé  du  Vieux-Caire.  Ce  Religieux,  qui 
avait  soutenu,  durant  plus  de  trente-cinq  aonées,  dans  des 
temps  malheureux  et  difiB.ciles9  le  plus  pénible  ministère 
des  missions  de  Syrie  et  d'Égyte,  fut  pour  nos  Instituts 
un  vrai  père  et  un  bienfaiteur  insigne.  Je  ne  veux  pas 
non  plus  oublier  l'accueil,  la  protection  et  la  charité  du 
Directeur  des  Frères  des  Écoles  chrétiennes,  mon  ami,  la 
Fr.  Sdephonse,  et  de  sa  communauté.  Nous  fûmes  honor 
Tés  des  bontés  et  de  Tamitié  de  Mgr  Agapit  Beciaî,  évéque 


344 

^  Cariopoiis  th  partîbus  et  Ticaîrer  apostolique  des  CJopbtes^ 
Wnsl  que  dn  Vénéré  P.  Veiiceôlas,  du  couvent  de  Terre- 
fiefaiite,  qtri,  depuis  1853,  s'est  montré  sigénéireux  pour  tous 
ies  missionnaires  de  l'Afrique  centrale,  et  qui  continae  à 
ï'épandre  s^s  îarg'esses  sur  ses  nouveaux  établissements  de 
noirs.  Les  PP.  Bonaventure  des  Cardite,  Fabien  de  Red- 
da,  Samuel  de  Uagade,  Joseph  de  San-Remo,  Venaace  et 
beaucoup  d'autres  Pères  Franbiscains  d'Alexandrie,  du 
Caire,  de  Suez  et  de  la  Haute-Egypte,  nous  ont  également 
témoigné,  en  toute  occasion,  leur  charité  et  leur  bienreil- 
lance. 

"  J'eus  pour  compagnons  dans  mon  voyage  en  Egypte 
deux  Pères  Camilliens,  les  PP.  Stanislas  Carcereri  et  Jo- 
seph Franceschini,  qui,  après  la  suppression  des  Ordres  re- 
ligieux en  Italie,  avaient  obtenu  de  la  Congrégation  des 
Évoques  et  Réguliers,  par  un  rescrit  du  5  juillet  1867, 1» 
permission  de  s'associer  pour  cinq  ans  à  toon  œuvre.  Les 
intérêts  de  ma  mission  m'ayant  rappelé  deux  fois  en  Euro- 
pe,  je  confiai,  durant  mon  absence,  la  direction  des  établis* 
semants  du  Caire  au  P.  Carcereri,  qui  adressa  plusieurs 
excellents  rapports  à  nos  bienfaiteurs  d'Europe. 

"  En  1870,  je  présentai  au  Concile  œcuménique  du  Vati- 
can le  postulatum  pour  les  nègres  de  l'Afrique  centrale  qui 
fut  signé  par  un  grand  nombre  d'évéques  des  cinq  parties^ 
du  monde.  Après  avoir  été  approuvé  par  la  Congrégation 
chargée  d'examiner  les  propositions  des  Pères  du  concile,. 
ce  postulatum  fut,  le  18  juillet,  jour  de  la  définition  de  l'in- 
faillibilité pontiflale,  soumis  à  la  signature  du  Saint-Père^ 
par  Mgr  Franchi,  secrétaire  de  la  dite  Congrégation,  au- 
jourd'hui préfet  de  la  Propagande. 

'^  Le  développement  et  la  pros]^érité  des  Instituts  d'E- 
gypte me  décidèrent  à  transporter  dans  l'intérieur  de  VA- 
frique  quelques  sujets  d'élite.  La  première  période  de  l'exis- 
tence du  vicariat  avait  montré  que  les  nègres  du  fleuve 
Blanc  avaient  été  corrompus  par  les  fréquentes  visites  des^ 
négociants  musulmans  et  des  chrétiens  orientaux  et  égyp- 
tiens. Quelques  Européens^  e(  surtout  lés  Giallabas  et  les 
traficants  de  chair  humaine,  leor  avaient  apporté  les  vices 
les  plus  affreux.  D'autre  part,  le  gouvernement  égyptien^ 
par  ses  expéditions  militâireiEi  de  soldats  musulmans,  s'était 


çojnqi^B  le  mo^opple  Au,  commutée  i^  PiToire  et  avait  con- 
fMérftUpmeot  étendu  la. traitA  den  oàgres  jusqu'à  i  déGisier 
les  populatiom  qui  .hatâteot  .à  l'esl  et  à  ronefll  du  fleuve. 
Je  jugeai  qu'il  était.préfôrMblâ  d-èfndier  les  routes  de  L'in- 
tôrieuri  c'est-à-dire  d'étaUiî  vtûe  mission  entre  le  fleuve 
Blanc  et  le  Niger^  sur  les  territoires  des  jroyaumes  et-deB^ 
tribus,  territoixes  plus  salubres,  p^rce.qu'ils  sont  plus  élevés 
qœ  les  io^m^nses  marais  du.  fleuve  ^anc  qui  s'éte&deat.de 
Kbartoum:  aux  tribus  des  Bari  Un  autîe  motif  me  domaait 
à  choisir  pour  base  de  notre  action  apostolique  les  paya  de 
Tintérieur,  à  l'ouest  du  fleuve  Blanc,  où  jamais  l'Évangile- 
B'avait  été  prêché,  h^  vicariat  éteit  alors  cpaflé  aux 
Franciscains.  De  Khartoum,  qui  était  leur  nésidence,  ces 
Religieux  pouvaient  étendre  leuracttott  sur  le  fleuve  Blanc 
et  sur  le  fleuve  Bleu,  et  ils  devaient  facilement  consentir 
à  me  laisser  occuper,  i  l'intérieur  du  côiS  de  l'ouest,  quel- 
ques pays  que  te  missionnaire  n'avait  jamais  visités  et  oA 
j'établirais  les  prêtres  de  l'Institut  .de  Vérone  et  les  Sœurs 
de  Saint-Joseph  de  l'Apparition.  En  outre,  il  me  parut  que 
ces  régions  de  l'iu  térieur  étaient  plus  à  l'abri  de  la  corruption 
qu'apportent  avec  eux  le9  Gi^llabasetles  soldats  musulmaos. 
^'  Je  fis  prendre  des  informations  sur  le  royaume  de 
Kordôfan,  doo^t  je  çoqnaissais  l'histoire,  soit  daos  les  temps 
^térieurs  à  l'occupation  égyptienne,  sous  le  gouvemeipent 
des  sultans  issus  de  l'empire  du  Darfour,  soit  depuis  l'oo* 
çupation,  faite  en  1822,  par  le  cruel  Defterdar  au  nom  du 
|;rand  M^hémed-  Ali,  vice-roi  d'Egypte.  Je  savais  qu'aucun 
missionnaire  catholique  n'avait  pénétré  au  Kordofan,  et  que 
£f-pbeid,  sa  capitale  très-peuplée,  était  le  cei^tre  du  com- 
jxierce  des  esclaves,  qui  y  aflluaient  de  cent  tribus  sauvages 
de  l'intérieur  et  des  vastes  empires  du  Darfour,  ^\x  Waday, 
de  Baghermi)  de  Bournou,  pays  compris  dans  ie;S  limites 
de  mon  vicariat.  Je.  me  décidai  donc,  à  fonder,  dans  la  ca- 
pitale du  Kordofan,  une  mission,  qui  ^^^^t  être  le  centre^ 
le  point  d'appulyOt  le  point  de  départ  pour  étendçe  graduel- 
lement notj^  :&otîon  ^ur  les  pays  et  les  tribus  de  la  partie 
^ntrale  du  vici^riat,  4^  nième  que  Itbartoum  est. vraiment 
le  centre  et  le  point  de  dép£^rt  pour  répandre  la  foi  dans  les 
immenses  pays  et  parmi  les  tribus  qui  constituent  ^partie- 
orientale  et  méridionale  du  vicariat. 


â46 

'  ^^  Encouragé  par  lldxeellëfir'firs)^)^!^  '^ue  jè^'crus  trouver 
^àez'Iô  P;  Carcèi<eri«t:>c)ie^  lâés  trilBsteonàiréë  de  l^ïndtitat 
d'Égj^pte',  déjà  iiaI)itttôBau2('>cbalëiiihs'd^rAffiqué,  je  réso- 
lûa  dé  tenter i'eipioraCîôhdù^tKordof^a,'  et  j€i  désignai  le  P. 
GardereH  et  un  missionaaire  de'  rihBtttut  de  Vérone,  en  lea 
faisant  accom:pa^nér  par  deuï  Ftèpe»  coni^ers  da  même  las- 
-titnt,  les  FF.  Doniiniqtafe  Polinari  fet  Piértè  Bërtolî.  Mais  le 
P. 'Clan:ereri  ayant  beaucoup:  Insistô  pour*  etiimener  soa 
frère  en  religion;kl  P. 'Fraûte^chmi/au 'liôU  du  mission- 
naire de  rinstitiit  de  Vérone,  j'y»  consentis. 

"**'  Les  quatre  explorateurs  étaieat'manis  de  rargenl  né- 
>ce8saire  pour  le  Voyage  el  de  subsistances  ^our  deux  an- 
nées, j'ordonnai  au' P.  Càrcereti  de  prendre  laTonte  du  dé- 
sert de  KofosGo  et  de  Khartonm,  de  pénétrér^au  KordoiaD, 
après  avoir  examiné  les  pûints''principaui,  de  axer  sa  rési- 
dence à  El-Obèïd,  d'y  étudier  la'  population,  les  coutumes, 
le  climat  et  le  gouvernement  du  pays  ;  puis  de  m'adresser 
>le  rapport  détaillé  et  d'atteudre  les  décisions  que  j^aurais 
Teçues  à  ce  sujet'dé  la  Propagande.  '' 

^^  Ils  partirent  du  Caire  le  26  octobre  1871'.  L'exploration 
fut  achevée  en  peu  de  temps,  et  le  P.  Gârcereri  m'envoya 
un  rapport  qui  fut  publié  dans  leé  Missions  catholiques.  De 
plus,  le  même  missionnaire  m'ayant  Appris  qu'il  y  avait 
à  El-Obeïd  une  maison  en  terré  et  en  sable,  que  Ton  pon- 
dait acheter  à  ufi  prix  relativement  modéré,  je  m'occupcii 
^e  lui  faire  envoyer  du  Caire  la  somme  nécessaire  pour 
l'acquisitioa  de  cette  maison,  et  lui  ordonnai  de  s'y  instal- 
ler et  d'y  rester  jusqu'à  nouvel  ordre. 

"  Pendant  ce  temps,  je  recueillais  en  Autriche,  en  Hon- 
grie, en  Allemagne,  en  Russie  et  en  Poloçne,  des  aumône» 
pour  les  Instituts  de  Vérone  et  du  Caire.  Muni  des  ins- 
tructions de  Mgr  révoque  dj3'  Vérone,  je  partis  pOur  Rome 
afin  de  soumettre  toute  mon  œuvré  à  l'examen  et  à  la  sanc- 
tion de  la  suprême  autorité  de  l'Église. 

^^•Ici  je  ne  saurais  oublier  leiîoii  géûéreux^fle  26,000  francs 
^e  LL  MM.  Apostolîqués  rempèrëur  FèrÔinand  !«  et  l'im- 
pératrice Marié- Anne,  qui  nous  permît  d*acquérîr,  pouïr 
1*In8lltut  de  Vérone,  une  tùaisoù  contiguô  JÊHi  séminaire  di- 
océsain. '        » .     . 


247 

JV 

Arrivée  à  Reme  de  21.  Ooiiilyoaî.--I/Xiidtittit  de  Vérone  chargé  des  mi»-- 
,    aioDS  de  l'Afrique  qeotraie  et  M.  Oombonl  DiMnmé  provicaire,— Dé- 
part de  H.  Comboni  et  de  sa  dei^zièipe  caravane  pour  le  Kordofon.'-r 
Arrivée  à  kbartpum.^-Mort  de  deux  Religijd^ses.-*Arrivéè  à  El- 
Obeïd.— Projet  d'évangéli&ation  chez  «les  Kquhas. 

**  J'arrivai  à  Rome  le  7  février  1872.  Je  fus  accueilli  avec 
une  extrême  iienveillance  à  la  Propagande  et  par  S.  S.  Pie 
IX,  Je  rendis  compte  de  mon  œuvre  au  cardinal  Barnabo, 
qui  m^ordonna  de  rédiger  un  rapport  général,  résumant 
l'histoire  et  la  situation  du  vicariat  depuis  sa  création  en 
janvier  1856. 

"  Mon  rapport  imprimé  fut  distribué  à  chacun  des  cardi- 
naux; et,  le  21  mai  1872,  la  Congrégation  générale  delà 
Propagande»  réunie  au  Vatican^  prit  les  deux  décisions  sui- 
vantes :  ^    '       ' 

^^  1^  Après  la  renoaqiation  des  missionnaires  Franciscains,. 
le  vicariat  apostolique,  de  l'Afrique  centrale  sera  confié  au 
nouvel  Institut  de  Vérone  pour  les  missions,  de  la  Nigritie. 

^\  3o  L'^dministratioA  de  ce  vicariat  ser^  confiée  à  M. 
Comboni,  qui  portera  le  titre  de  provicaire  apostolique. 

^^Ces  décisions  ayant. été  présentées  au  Souverain  Poo- 
tifs  par  S,  Exe  Mgr  Jean  Siméom,  a^jourd'Jtiui  cardinal, 
secrétaire  d'IStat»  alors  secrétaire  â/^  la  iPropagande,  Sa 
Sainteté  daigna  les  sanctionner  le  26  mai  et  en  Ordonner 
l'exécutioQ.  Le  mois  suivant,  la  Propagande  me  transmet- 
tait le  bref  pontiLfi.ca),  qui  confiait  tout  le  vicariat. de. l'AXri- 
qoe  centrale- à  riastital  afrioaixi  de  Vérone^  ainsi  que  le  dé- 
cret 4^  ma  nomination  comme  provioaire  apostolique. 

><  Ayant  tout  teorminô  ft  Home,  je  partît  pour  Vienne  avec 
dojQci  PieHadrian,  indig^i^adjô  la  NuUe  supérieure  etprôtro 
de  l'Ordre  bénédictin  de  la  primitive  observance  de  Subiar* 
ca  J'allats  rpme^iJîqr  .6.  M. .  A.  FrsnçoiehJoaeiph  l«r^  em- 
pereur d'Autriche^  fk^gliste  protecteur  des  missioas  de  l'Ai- 
frique.cen:tral9.,,i^i|irince- 190. reçut  arocboiité  et  m«  com^ 
l]fla  de  feivdttxs,.  •.  :   :  f    :[    , 

^'  Je  reyiat.à  Vérone,  .et,  après  avoil*  reçu  laI>ênéJiciioD 


î4a 

4e  Mgr  de  Canossa,  je  me  rea^s  à  Trîeste,  où  je  m'embar- 
quai pour  Alexandrie  avec  une  troupe  de  missionnaires» 
Nous  arrivâmes  au  Caira  le  20  septemî)!»  tô72.  J'envoyai 
aussitôt  quetcfues  prêtres  daûs  le  viearlat,  je  noinmai  provi- 
soirement le  P-.  Carcereri  mon  vicaire  général  et  lui  ordon- 
nai de  prendre,  en  nion  tiôm,  possession  de  la  station  de 
Khartoum,  que  les  PP.  Franciscains  allaient  abandonner» 
et  de  louer  une  maison  pour  7  établir  les  Sfipurs  et.  les  io^ 
titutrices  négresses  queje  conduirais  du  Grand  Caire  an 
Soudan. 

*'  Le  26  janvier  1873,  je  partis  du  Caire,  à  la  tête  de  trente 
personnes,  missionnaires^  Religieuses,  Frères  coadjuteurs  et 
institutrices  négresses.  Nous  remontâmes  le  Nil  sur  deux 
dahhabiah  (barques),  puis  nous  traversâmes,  sur  soixante- 
et-quinze  chameaux,  les  sables  brûlants  du  grand  désert 
d'Âtmour.  Nous  arrivâmes  à  Kbartoum  après  quatre- 
vingt-dix-neuf  jours  d'un  heureux  voyage.  Nous  fûmes 
reçus  en  grande  fête  par  le  consul  d'Autriche,  par  le  pacha 
gouverneur  général  du  Soudan,  par  la  population  chréti- 
enne et  musulmane  et  enfin  par  le  chef  des  muphtis,  qui 
me  récita  très-correctement,  en  langue  arabe,  un  hymne 
dans  le  style  des  Psaumes.  J'installai  mes  missionnaims 
et  les  Frères  dans  le  grand  établissement  élevé  par  le  P. 
Knoblecher;  les  Rejigieuses  et  les  institutrioes  furent 
logées  dans  la  mai^n  louée,  jusqu'à  ce  qu'il  me  fût  pet^ 
mis  d'acquérir  où  de  biLtir  un  établissement  exclusivement 
consacré  à  elles. 

^^  L'Afrique  centrale  n'avait  eneorer  jamais  vu  de  Reli 
rgieases.  Les  premières  qui  se  vouaient  à  cet  apostotat 
appartenaient  à  la  Congrégation  des  Sœurs  de  SainUJosepà 
-de  l'Apparition,  de  Marseille,  et  étaient  briginaires  d'Asia^ 
Elles  étaient  au  nombre,  de  trois.  Deux  d'entré  elles  son  t 
déjà  mortes,  So&ur  Joséphine  Tabrani  et  Sœur  '  Madoleiiio 
Garacassian. 

'^  Sœur  Joséphine  Tabraui,  née  à  Tibériadè,  de  parents 
grecs  catholiques,  et  élevée  à  Jérusalem,'  avait  fait  ses  vceox 
simples  dans  l'Institut  des  Scsufs  de  Saii^ Joseph  de  l'Ap- 
parition. Elle  fut  chargée  de  l'instruction  des  fllles  à 
Jaffo,  à  Baida,  puis  à  Delr-et  K^mar.  Bile  consacra  sa  jeti- 
nesse  et  ses  forces  à  secourir  nuit  et  jour  les  mnombrablas 


«49 

éÉPpbelikw  4m.  chrétiens  Ti<;times  de»  mé»sacres  dé  t860  en 
Syrie  et  à  assister  les  cholériques,  sons  la  direction  de  l'ad- 
mirable Mè^  Bmilienne  Natibonet,  actuellement  supérieu- 
re provinciale  des  Religieuses  de  l'Afrique  centrale.  Très- 
<élée  pour  le  salut  des  âmes,  fiœur  Joséphine  était  une  mè- 
re pour  les  paui^res  négresses  do  Caire.  Elle  remonta  le 
Nil,  traversa  les  déserts  brûlants  de  la  Nubie  et  consuma 
sa  vie  dans  le  laborieux  apostolat  de  l'Afrique  centrale. 
Modèle  deS'plas  héroïqures  vertus,  elle  était  estimée  des 
peuples  et  admirée  des  gouverneurs  musulmans,  à  qui  elle 
paxlail  sans  cesse  avec  liberté  et  franchise,  ponr  la  dé- 
fense des  droits  de  l'humanité  qu'ils  foulaient  aux  pieds. 
Première  supérieure  de  l'Afrique  ceniraJe,  elle  mourut,  le 
i6  avril  1874,  à  l'âge  de  trente4rois  ans,  pleine  de  mérites, 
pieu rée  par  tous,  et  honorée  de  magnifiques  funérailles. 

^^  Sœur  Madeleine  Garacassiau,  née  à  Ërzeroum,  capitale 
de  l'Arménie,,  prononça  ses  vœux  simples  à  Rome,  en  1867, 
dans  le  même  Institut  des  Sœurs  de  Saint- Joseph  âe  l'Ap- 
parition. Elle  fit  des  voyages  très-périlleux,  et  consacra 
ea  jeunesse  à  la  conversion  des  nègres  de  l'Egypte  et  aux 
missions  de  Khartoum,  du  Kordofan,  et  du  Gehel  Nouba. 
Elle  parlait  bien  l'arménien,  le  turc,  l'arabe,  le  français  et 
l'italien.  Après  neuf  années  d'abnégation  et  de  sacrifi^ces^ 
elle  mourut  à  El-Obeïd,  à  Tâge  de  vingt-sept  ans,  le  7  août 
1876.  • 

^^  Je  passai  un  mois  dans  la  capitale  des  possessions  égyp 
tiennes  du  Soudan  à  organiser,  avec  mes  compagnons,  la 
mission  de  Khartoum.  J'y  laissai  comme  supérieur  le 
P.  Carcereri,  en  lui  donnant  pour  assistant  le  chanoine  dom 
Pascal  Fiore,  de  Corato  (diocèse  de  Trani),  membre  de  l'Ins- 
titut de  Vérone.  Je  partis  de  Khartoum  sur  le  vapeur  du 
gouvernement  que  8.  Exe.  Ismaêl  Ayoub  pacha,  gouver- 
neur générai  du  Soudan,  avait  mis  entièrement  à  ma  dis- 
position. Après  une  navigation  de  127  milles  sur  le  ileuve 
Blanc,  j'abordai  à  TouraelKhadra.  Je  traversai  en  neuf 
jours,  avec  vingt-cinq  chameaux,  les  forêts  de  l'Hassanieh 
•t  du  Koràofah,  et  j'arrivai  heureusement  à  El-Obeîd  le  19 
juin  1fr73.  Nous  fùsies  reçus  avec  une  grande  joie  par  les 
habitants,  mais  surtout  par  le  pacha.  Celui  ci,  à  ma  côasi- 
déra;ion  peut-être,  avait  suspendu  quelques  jonrs  aupara- 


vaut  le  marché  public  d'esclarae  qui,  jn^u'^orsi  s'était 
tenu  sur  les  placQS  de  la  capitale: 

^^  J'avais  ameaé  de.'  Khartoom  ma  parente  Faustiae 
Stampais,  Qée  à  J^aderno,  'sar  le  lac  de  Qarde  (diocèse  de 
Brescia).  Depuis  quatre  Ms^«Ue  était  attachée  à  notre  las- 
^tut  d'Egypte,  ell^  coûnaissaa  suffisamment  la  langue  ara- 
be  et  s'était  appliquée  a^ec  .dé^^ouemeut  à  Tédueation  des 
négresses  au  Vieux^Caire.  Je  lui  avais  adjoint  deux  insti- 
tutrices négresses.  En  attendant  de  pouvoir  acheter  pour 
elles  unô  grande  maison,  je  les  logeai  dans  une  partie  de  la 
maison  des  missionnaires.  Sœur  Faustine  dirigea  l'œuvre 
jusqu'à  l'arrivée j  à  El-Obe!d,  des  Sœurs  de  SainU Joseph  de 
l'Apparition,  au  mois  de  févriet  1874.  Ainsi,  en  trës-pen 
de  temps,  j'avais  réussi,  avec  le  concours  dé  mes  excellenls 
confrères^  à  fonder  les  deux!  établissements  du  Kordofjm. 

Au  mois  de  janvier  1849,  j'avais  remarqué  à  Vérone  un 
jeune  nègre  catholique,  Bakhit  Gaenda,  au  service  de  la  fa- 
mille des  comtes  Miniscalchi.  Originaire  de  la  tribu  des 
Gebel  Noubas,  il  était  connu  dans  plusieurs  villes  d'Italie,  à 
Paris,  à  Vienne,  et  aussi  à  la  Propagande.  Pendant  les  an> 
nées  que  je  fus  lié  d'amitié  avec  lui,  j'admirai  sa  piété,  sa 
foi,  sa  fermeté  de  caractère,  ses  qualités  cultivées  par  d'ex- 
cellents maîtres,  et  je  conçus  une  haute  idée  de  ses  compa- 
triotes. Je  lui  répétai  souvent  que  je  ne  serais  heureux 
qu'après  avoir  porté  Ans  son  paya  lafoi  de  Jésus-Chrisk 
Les  premières  années  de  mon  apostolat,  ce  projet  était  ir- 
réalisable. Mais,  lorsque  j'arrivai  au  Kordofan  et  que  j'en- 
tendis parler  chaque  jour  du  pays  des  Noubas,  de  la  fidéli- 
té des  esclaves  originaires  de  ce  pays;  lorsque  je  vis  Pem- 
pressement  du  gouvernement  égyptien  à  recruter  des  sol- 
dats parmi  les  troupes  d'esclaves  Noubas  qui  arrivent  fré 
quemment  à  ElObeïd,  où  chaque  Nouba  était  vendu  de  50 
à  100  francs  plus  cher  qu'un  esclave  d'autres  tribus,  je  réso 
lus  de  porter  à  ce  peuple  les  lumières  de  l'Évanrgile.  Je  pris 
des  renseignements,  et  je  me  mis  en  rapport  avec  l'un  des 
chefs  de  la  police  du  divan  du  Kordofan,  cophte  schismati- 
que,  nommé  Mâximos,  qui  avait  parmi  ses  femmes  une  pa- 
rente du  grand  chef  des  Noubas.  La  Providence  ne  tarda 
pas  à  me  ménager  une  occasion  favorable." 


^  ' 


.     DÉPART  0£a.S(liËUBSllIS&iûNNAIRE&;:    u 

t  .  s  ' 

Montréal  nevoeue !itffaiA*en.^oyar;de.  ses  Rdligicratesy  ctir* 
dîSBiienl8'p6thl»de  l'ÂtBéariqae  ;  oea  jqursidemâeateéDcope^ïâ 
GamdiBiiaxitd  d6ila  Prdrôdsnee^  tiraift  «de  «Mxsem  deulx  es* 
saisila'piMjr  Ses  •diri^e^i  tyecs:  lès .  Montagnes  >  rRoéheuses  : .  IHsnr 
à:  Missoiria . (ni \ déjà -iioe  ré^ulëaee : axiste^depuis  ) quelques 
années,  et  l'autre  chesila;  triba  des  GœMrslcRAUinè^qqi^esi 
minoUFeau  cliainp  pbuir  laable«de  aéafiœnrs.    '  ^'  . 

Les  ^'  Gceacs  .  d'Aleine  "  ireGlamaient  :  depuis.  longleiBip&' 
left seeçurs .  et ^esl  :6|0ins>  des.  SçBors  de  la. Pftxridence  qu'ils- 
a!«alenA  connues  dans  l^l)^s  diYecses  missions  ;  (ieasauvages 
montrejiilde  tfèS'i))elles. dispositions  et  danitent  à  espérer.que 
TcBuvreâis  réya#]géIisa>tioQ,$era:facil0châ^eo?L:  <  m 

JUi.Commiin^uié  de  la  PiroviiôkMçeaorU  jdevôinsHmposêpr' 
ni);  [«ouyeau  .sacriQç^.  enifondatH  unenùisskin  au  milieu 
d'eoK«  '•  ■  .  -  ■■ 

La  Communauté  des  Sœurs  de  Ste^Anneu vient aBssi^d'eu 
▼oyer  quatre  de  jse^  membres  pour  aller  renfinrcer.  leurs 
maisons  de  Jlsle  de  VancoUiVer.  ... 

Aujourd'hui,  pas  moins  deideux  cent  cinquante  Religieuses- 
de  Montréfil,  9on.t  di^rsées  dads  les  pays  de  cmission,  tant 
dans  les  Sta^s-Uaip  que  sur  le  î^]rritoâ!e  anglais. 

La  Omfnunauté  des  Smurs  Grises  asû  maisons  à  la  Ri.yière 

Rouge  d  An  t  tra.î^  pour  Jep  sauvages.;  irois  à  Tlle  à  la  Crosse 

.  dont  deux  pour  les  sauvages  ;  trois  àiia  Rivière  McKenzie, 

tontes  trois  chez  les  sauvages;  une  chez. les  Sioux  du  Lac 

au  diable,  Dakota^-en  tout  13  missions. 

La  Communauté  de  la  Providence  compte  sept  maisons  en 
Orégon  et  quatre  aux  Montagnes  Rocheuses  dont  cinq  pour 
les  sauvages — H  missions. 

Les  Soeurs  de  Ste.  Anne  ont  fondé  quatre  maisons  dans  la 
Colombie  Anglaise  et  quatre  autres  dans  Tlle  de  Vancouver  ; 
quatre  de  ces  maisons  existent  exclusivement  pour  les  sau* 
yages — 8  missions. 

Les  Sœurs  des  SS.  NN,  de  Jésus  et  Marie  ont  deux  missions 
en  Californie  et  neuf  en  Orégon,  dont  deux  consacrées  à 
l'éducation  des  sauvages — 11  missions. 


252 

Quoi  d'éloqueat  comme  ces  chiffres  pour  prouver  les 
bienfaitsr  t^tidMà  pkt-  nûi  eétaiimuttàutts  f  Peuit^ta  être 
•assez  aveugle  pour  se  demander,  après  cela,  à  quoi  servent 
ces  cofomuiuitiift  de  feinmes  m  D^Àndmntnr  ? 

Il'eaeetéeJMs  BaHgiieuses'Copâme.'dàBbS'PrètireÉi:  lÂBa 
suacîtB  dear  vecationa  ahJBZ'  te»  tefakaw  cbmine  c&èzi  tes  lum* 
meà  pour  les  besoiasrâe  révragélisalion^  etiifru»d0vras  être 
ftars^que  ces  miisHlanaires,  Retigieusee  an  PiAtves,  soient 
tiréâjpfT  la  Ptovidence  du  milieu  de  nous. 

Si  un-  pays  jneroàntilie  se  glorifie  d^  graad  nombre  de 
cemptotra  qu'il  âtabUtdânsrBéeeolôhies,  SX  un  gouvernement 
s'enorgueillit  des  conquêtes  f  u'il  itcoomplit  pat  la  diploma*- 
iie  ou  par  les  airntes,  à  combien  plus  forte  raisofi  doit 
s'honorer  une  nation  catholique  de  répandre  par  le  monde 
la  civilisatiouy  de  planta  le  Qambeau  de  la  fot  sûr  différants 
points  du  globe  et  de  conquérir  des  peuples  à  Jésus  Christ. 

Si  la  vraie  grandeur  n'existait  pas  dans  l'évangélisation 
et  la  civilisation  des  tribus  et  hordes  privées  de  ces  bien- 
faits, ou  ezidteràit«elle  donc  ? 

Puis,  quelle  sécurité  plus  grande  pour  notre  propre  foi  T 
un  peuple,  un  diocèse,  qui  fait  tant  pour  ^ter  la  foi  ailleurs, 
doit  être  rassuré  sur  le  maintien  de  la  sienne  propre. 

Oui,  soyons-en  certains,  les  sacrifices  que  noos  faisons, 
soit  en  argent,  soit  en  Religieuses,  sloit  en  Prêtres,  nous  rap* 
porteront béeéfice à  nous-mêmes;  et  cela,  non  seulement 
sous  le  rapport  religieux,  mais  encore  pour  notre  avantage 
temporel  et  tout  matériel. 

Depuis  que  le  Christianisfme  oet  né^  les  peuples  qui  ont 
été  les  plus  grands  sont  ceux  !qui  ont  le  plus  fiait  pour  la 
ptK>pagation  de  la  foi. 


LA  NOÛVELLE-NtJRSIE. 

■■-■'"■.    ;  / 

HISTOIRE  D'uNB  COLONIE  BIÎNfotCtlNE  DAKS  L'aUSTRÂLIB 

OCelBSH^rALB 

—1846-1877(1)  — 


PREMIÈRE  PARTIE 

MISSION  BÉNéDIGTINE  DE  LA  NOUVBLLB-NURSIE 

CHAPITRE  V 

Apprentissage  dé  la  vie  agricole  —  Sort  de  la  femme  sauvage. 

Anthropophagie. 

(Suite.) 

Ayant  pourvu  à  la  subsistance  défi  troupeaux  durant  plus 
d*un  molS)  et  c'était  la  grande  affaire  du  moment,  car  ils 
formaient  une  des  hases  alimentaires  les  plus  précieuses  de 
la  mission,  le  P.  Salvado  reprit  ses  travaux  apostoliques  et 
agricoles  à  la  Nouvelle-Nursie. 

Le  soir  même  de  son  arrivée,  tandis  qu'il  récitait  son* 
bréviaire,  devant  la  porte  de  la  nouvelle  ctnapelie  dont  an 
venait  de  terminer  la  toiture,  il  entendit  un  grand  tumulte 
du  côtô  des  sauvages.  Le  bruit  des  coups  se  mêlait  à  celui 
des  vodlérations.  H  courut  et  vit  une  dizaine  de  femmes 
qui  se  battaient  et  se  donnaient  de  grands  coups  de  longs 
bâtons  appelés  t^an^.  S'étant  jeté  entre  elles  pour  les  sépa- 
rer, le  missionnaire. ne  put  leiiar  faire  ^nlendre  raison,  tant 
ellos  étaient  animées.  Il  fallut  que,  comme  un  bou  père 
obligé  de  corriger  ses  enfants,  il  prit  une  baguette  pour 
frotter  les  épaules  dés  plus  récalcitrantes.  Le  combat  ces* 
sa,  mais  non  sans^  Lusser  des  blessures,  qui  avaient  couvert 
de  sang  leur  pdau  noire  et  luisante.  Quant  aux  maris  de  ces 
femmes,  ils  fumaient  tranquillement  auprès  d^un  grand  £m> 
et  riaient  des  bons  coupa  qpe  se  donnaient  leurs  cono peignes. 


(1)  Voir  les  ^nml^  de  février  et  de  juin  den^ier^  . 


c 


254 

"  —  Gomment  I  s'écria. le  P.  Salvado.  vos  femmes  se  bat- 
tent  à  mort,  et  vous  restez  là,  tranquilles';  Vous  riez  même, 
au  lieu  de  chercher,  à  iBEf.  s&pai'er. 

**  — Oh  !  répondirent-^p,  qui  pjeut  s'occuper  des  querel- 
les des  femmes  ? 

*'  —  Vous,  qui  êtes  leiirô  maris. 

**  — Nous  ?  Cela  nous  est  J^iea  îndifiFérent. 

"  —  Mais  enfin,  si  JL'uce  .d'eU^s  venait  à  succomber? 

"  —  Eh  bien,  pour  une  qui  serait  morte,  il  en  resterait 
mille." 

Le  missionnaire  vit  qu'il  fallait  encore  quelques  années 
de  vie  chrétienne  et  civilisée  pour  apprendre  à  ces  enfants 
des  bois  les  égards  dus  à  leurs  femmes.  Il  s'occupa,  pour 
le  moment,  de  panser  les  blessures,  dont  quelques-unes 
avaient  de  la  gravité  ;  il  s'ocicgpa  surtout  de  ramener  la 
paix  et  la  concorde  dans  ces  cœurs  sauvages.  '^  Pauvres- 
Demmes,  remarque ,  le  P.>  Salvado,  si  .vous  êtes  quelque 
chpae  dans  les  sociétés  myodarnes,  vous  le  devez  à  l'Évangile- 
de  Jésus-Christ.  Parmi  Ids  sauvagasy  vous  êtes  réduites 
au  dernier  degré  de  l'abjection.  .  Au  moment  de  voire 
naissance,  votre  vie  tient  à  bien i  peu  de  chose.  Vous  êtes 
condamnées  à  mourir^si  votre  ;mère  a  4rop:  souffert  en 
¥Qus  mettant  au  jour,  si  vous  êtes  mal  conformées,  ou  seu* 
lement  si  vous  êtes  la  troisième  fille  de  la  famille.  Daas 
TQtxe  enfance,  dans  votre  jeunesse,  vous  pouvez  devenir» 
en. cas  de  famine,. la  proie  de  vos  propres  parents,  et  enfin, 
arrivées  à  l'âge  adulte^  votis  vous  Ixouvez  la  bète  de  sonome,. 
la  chose  de  voire  mari,  qui  peut  vous  tuer  ou  •  vous  laisser 
mourir  sans  encourir  le  moindre  reproche.  O  femjnes 
d'Europe,  vous,  qui  jouissez  du  don  is>estimable  de  la  foi 
catholique,  et  de  tous  les  avantages^  fui  raccompagnent^ 
souvenez- vous*/ de  vos  pauvres  sœurs  de  l'Australie  ;  et,ti 
Yous:  le  pouvez,  que.vosaumôaeé  aident  les  missionnaires 
à  '  les  tirer  de  leur  dégradation  phyaique.et  morale  en  lea 
sendant  chrétiennes  et  civilisées  comme  vous." 

.  Le  P.  Salvado  vient  de  nous  dire  que,  dans  le  temps  de 
grande  famine,  les  Australiens  se  mangeaient  entre  enx^ 
aans  préjudice  des  repas  d'anthropophages,  qu'ils  faisaient 


235 

toujours  après  leurs  combats.    Voici  un  fait  personnel  que 
lui  raconta  son  fidèle  Bigliagoro, 

"  —  Nous  étions  en  hiver,  et  il  avait  plu  durant  six  jours. 
TJn  froid  très-vif  succéda  h  la  pluie,  et  il  nous  fut  impossi- 
l)le  de  trouver,  en  chassant,  quelque  chose  à  manger.  Nous 
éiioQs  quatre  familles  réunies,  que  la  faim  rendait  fu- 
rieuses. Alors  un  des  anciens  prit  son  daioack  (bâton  durci 
au  feu),  et,  s'approchsint  trMtreusement  de;  ma  sœur  aînée, 
il  lui  en  donna  un  coup  terrible  çur  la  tète.  Ma  soeur  tom- 
ba à  demi-morte.  Aussitôt  on  se  jeta  sur  elle  et  on  retendit, 
encore  toute  palpitante,  sur  un  grand  feu.  Les  chairs 
étaient  à  peine  rôties,  que  déjà  on  la  dévorait  à  belles  dents. 
J'eus  aussi  ma  part  ;  et  quoique  le  sang  qui  coulait  sur  mes 
lèvres  et  dans  mes  maios  fut  celui  de  ma  propre  sœur,  je 
n'y  pensais  pas,  car  j'étais  bien  jeune,  et  puis  la  faim  me 
pressait.  Cependant,  si  j'avais  compris  alors  le  grand  crime 
que  je  commettais,,  et  si  j'avais  été  plus  grand,  j'aurais  dé- 
fendu ma  sœur  au  péril  de  ma  vie.  Il  est  yrai  que  son 
malheur  serait  tombé  sur  une  autre  jeune  fille,  orpheline 
comme  elle,  et  assez  grasse  pour  contenter  notre  voracité." 

Le  P.  Salvado  demanda  à  Bigliagoro  s'il  n'avait  pas  éprou- 
vé de  l'horreur  à  maoger  la  chair  de  l'un  de  ses  semblables, 
de  sa  propre  sœur. 

"  — Oh  non!  répondit  naïvement  Bigliagoro.  La  chair 
humaine  bouillie  n'est  pas  très-bonne  ;  mais  rôtie  devant 
un  feu  clair,  c'est  un  morceau  délicieux.  " 

Un  autre  sauvage,  qui  avait  mangé  sa  nièce  dans  une 
o^^casion  à  peu  près  seniblable,  s'excusait  ainsi  auprès  du 
missionnaire  :  "  —  Nous  étions  au  milieu  des  bois,  et,  de- 
puis deux  jours  nous  n'avions  mangé  que  quelques  lézards; 
pas  un  kangourou,  pas  un  émou  dans  toute  la  contrée  que 
nous  avions  parcourue,  et  il  fallait  encore  deux  journées 
de  marche  pour  arriver  au  campement.  J'étais  seul  avec 
ma  nièce,  et  la  pauvre  enfant  tombait  de  fatigue  à  chaque 
pas.  Après  l'avoir  portée  quelque  temps,  je  me  dis  qu'il  fal- 
lait mieux  la  tuer  que  de  la  laisser  souffrir;  ensuite,  je  la 
mangeai  pour  me  donner  des  forces  et  achever  ma  route. 
Gela  valait  mieux  pour  moi  et  pour  elle  que  de  la  laisser 
pourrir  dans  un  trou.  N'en  auriez- vous  pas  fait  autant  à 
ma  place  î  " 


256 

C'étaient  pourtant  ces  anthropophages  qui  mangeaient 
ainsi  leurs  parent»,  qui  dévoraient  môme  les  membres  de- 
leurs  morts,  après  trois  jours  de  sépulture,  et  qui  fuyaient 
les  Européens  comme  des  bêtes  sauvages,  c^étaient  eux  que 
nos  moines  bénédictins  avaient  habitués  en  si  peu  de  temps 
à  mener  une  vie  presque  civilisée.  Non  seulement  ils  se^ 
prêtaient  à  tous  les  travaux  agricoles  qu'on  leur  deman- 
dait, mais  ils  venaient  offrir  avec  empressement  leurs- 
enfants  aut  missionnaires,  et  ceux  qui  n'avaient  pas  encore 
-reçu  le  baptême  assistaient  avec  un  grand  respect  au  sacri- 
fice de  la  messe  et  à  Tofflce  divin,  qu'ils  appelaient  dans  le 
commencement  le  jalaru  des  moines,  c'est-à-dire  la  danse- 
des  Pères  espagnols. 

Les  femmes  australiennes  elles-mêmes  sentirent  la  né- 
cessité de  faire  quelques  progrès  dans  la  civilisation.  Elles 
étaient  déjà  très-ôdèles  à  l'obligation  imposée  par  le  P.  Sal- 
vado  de  ne  ^e  présenter  à  la  mission  que' Couvertes  de  leur» 
manteaux  de  peaux  de  kangourous.    Mais  ce  lourd  vête- 
ment, qu'elles  appelaient  le  boca^  les  gênait  singulièrement 
dans  le  travail,  car  ces  pauvres  sauvagesses  avaient  plus 
d'ardeur  que  leur  maris  pour  toutes  les  occupations  des 
champs.    Elles  demandèrent  donc  au  missionnaire  de  leur 
donner  des  chemises.  Le  P.  Salvado  avait  rapporté  de  Perth 
une  grande  pièce  de  toile  de  coton.    '^  Je  me  mis  alors,, 
nous  dit-il,  à  tailler  des  chemises,  Dieu  sait  comme  ;  et^ 
après  avoir  montré  aux  femmes  sauvajt:es  la  manière  de 
s'y  prendre,  chacune  d'elles  se  mit  à  coudre  sa  chemise.  J'é- 
prouvais,  je  l'avoue,  une  grande  consolation  de  les  voir 
tout  le  jour  occupées  à  cette  besogne,  ainsi  que  de  graves 
matrones.  Mais  il  y  avait  vraiment  de  quoi  rire  en  regardant 
ces  coutures,  façonnées  par  des  mains  inexpérimentées: 
les  unes  étaient  serrées,  les  autres  larges  et  toutes  fort  peu. 
régulières.    Néanmoins  ces  pauvres  femmes  ayant  revêtu 
leurs  chemises,'se  trouvèrent  si  bien  dans  cet  accoutrement^ 
qu'elles  battaient  des  mains  et  dansaient  de  joie.  Les  maris 
eux-mêmes  parurent  très-fiers  de  la  nouvelle  parure  de 
leurs  noires  épouses." 


CHAPITRE  VI 

Toyage.en  Europe  da  P.  Salvado.  —  Mgr.  Serra  nommé  coadjuteur  de 
Mgr.  Brady.  —  Le  P.  Salvado  nommé  évoque  de  Port-VicUwria. 

Une  lettre  de  Mgr  Brady  vint  arracher  le  P.  Salvado  à 
«es  occupations  agricoles  et  à  ses  travaux  apostoliques. 
L'évêque  de  Perth  avait  résolu  d'envoyer  en  Europe  ce  Ite- 
ligieux  qu'il  avait  nommé  son  vicaire-général,  afin  d'y  re- 
prendre l'œuvre  des  quêtes  que  Mgr  Serra  avait  dû  aban- 
donner pour  se  consacrer  à  son  nouveau  diocèse  de  PorU 

Victoria. 

Le  P.  Salvado  obéit,  mais  non  sans  regret.  Il  craignait 
que  profitant  de  son  absence,  l'homme  ennemi  ne  semât  la 
zizanie  dans  le  champ  qu'il  avait  eu  tant  de  peine  à  défri- 
cher. Son  esprit  de  foi  triompha  encore  de  cette  épreuye. 
Il  partit  vers  la  fin  de  décembre  1848,  laissant  la  garde  delà 
Nouvelle-Nursie  à  ses  deux  catéchistes  et  conduisant  lui- 
même  le  charriot  de  la  mission  chargé  des  laines  de  la  der- 
nière tonte  des  brebis.  Deux  enfants  sauvages,  élevés  de- 
puis quelque  temps  au  monastère,  voulurent  le  suivre, 
et  le  missionnaire  crut  pouvoir  céder  à  leurs  supplications, 
après  avoir  obtenu  le  consentement  de  leurs  parents. 

Mgr  Brady  baptisa,  le  6  janvier,  les  deux  enfants  Gonaci 
et  Piriméra,  qui  reçurent  les  noms  de  François-Xavier  et 
Jean-Baptiste,  et  qui  eurent  pour  parrain  et  marraine  le 
chevalier  Madden,  secrétaice  de  la  colonie,  et  sa  pieuse 
femme.  Rien  n'égalait  l'étonnement  des  jeunes  Austra- 
liens dans  les  rues  de  Perth.  Ayant  vu  une  barque,  ils  la 
prirent  pour  un  grand  poisson,  que  l'on  conduisait  par  la 
corde  du  gouvernail  comme  un  cheval  par  la  bride  ;  mais 
ils  ne  comprenaient  pas  que  cette  bride  fût  placée  à  la 
queue  et  non  à  la  tète.  Le  grand  navire  VEmperor  ofChina^ 
qui  devait  les  transporter  en  Europe,  leur  parut  être  le 
grand*père  de  la  petite  barque.  Leur  enthousiasme  ne  con- 
nut plus  de  bornes  lorsqu'ils  entendirent  la  musique  mill- 
taire.  Ils  pensaient  d'abord  que  l'instrument  et  l'homme  ne 
faisaient  qu'un  et  ils  amusèrent  beaucoup  les  habitants  de 
Perth  el  les  matelots  du  navire  imitant,  avec  une  étonnante 

3 


258 

précision  tous  les  mouvements  des  musiciens.  Ainsi  tombait 
ce  préjugé  des  Européens,  qui  refusaient  toute  intelligence 
à  la  race  australienne. 

Le  8  janvier  1849,  trois  ans  après  son  arrivée  en  Austra- 
lie, le  P.  Salvado  partit  de  la  baie  de  Fremantle,  pour  l*Eu-^ 
rope,  en  compagnie  de  l'excellent  chevalier,  Madden  et  de 
sa  famille.  A  Cape-towu,  il  apprit  du  vicaire  apostolique^ 
Mgr  GrifRlh,que  Mgr  Serra  avait  reçu  la  consécration  épis- 
copale  le  15  août  1848.  Le  P.  Salvado  aborda,  le  27  avril, 
dans  le  port  de  Swansea  (Angleterre). 

Une  heureuse  nouvelle Ty  attendait,  Mgr  Serra  lui  faisait 
savoir  par  lettre  qu'il  avait  effectué  le  premier  paiement 
pour  racqnisition  des  terres  et  des  pâturages  de  la  Nouvel- 
le-Nursie.  Aussi,  le  P.  Salvado  prit-il  la  résolution  d'aller 
à  Paris  et  à  Lyon  pour  exposer,  aux  deux  Conseils  centraux 
de  la  Propagation  de  la  Foi  l'état  de  la  mission  bénédictine 
et  obtenir  de  nouveaux  secours.  Il  se  rendit  à  Londres 
par  le  chemin  de  fer.  Lesdeui  jeunes  Australiens,  émer- 
veillés de  la  rapidité  des  locomotives,  disaient  au  mission- 
naire :  *'  —  Père,  vous  devriez  bien  apporter  un  peu  de  ce  feu 
en  Australie,  afin  de  faire  aller  plus  vite  les  chariots  à  bcBufs^ 
qui  vont  si  lentement  de  Perth  à  la  Nouvelle-Nursie.  " 

Le  chevalier  Madden  présenta  le  P.  Salvado  aux  gran- 
des familles  de  Londres.  Il  le  présenta  aussi  à  la  Société 
royale  de  (Géographie.  Le  fondateur  de  la  Nouvelle  Nursia 
y  vint  avec  ses  jeunes  sauvages.  Pour  répondre  à  l'opinion 
eipriméepar  plusieurs  membres  que  les  Australiens  étaient 
incapables  de  culture  intellectuelle  et  de  civilisation,  il  n'eut 
qu'à  raconter  l'histoire  de  la  mission  bénédictine  et  à  mon- 
trer les  jeunes  Gonaci  et  Diriméra,  dont  les  réponses  émer- 
veillèrent la  savante  assemblée. 

Au  mois  de  juin  1849,  le  P.  Salvado  se  trouva,  à  Paris,  au 
milieu  de  l'émeute  qui  se  termina  d'une  manière  siridicule 
par  la  fuite  de  Ledru-Kollin  à  travers  un  vasistas.  Nous 
ne  pouvons  résister  au  désir  de  reproduire  les  réflexions  de 
l'un  des  deux  petits  sauvages,  à  la  vue  des  troupes  qui  pour* 
suivaient  les  insurgés  républicains. 

*'  —  Père,  demandait  Diriméra,  où  vont  ces  soldats  avec 
leurs  fusils  et  ces  cavaliers  avec  leurs  canons  ? 


289 

^^  —  Ils  yoDt  combattre  les  méchants  que  ta  as  vus  passer 
•tou t  à  l'heure  et  gai  poussaient  des  cris  séditieux.  '       . 

"  —  Mais  eux  aussi  oat  des  fusils,  repritle  jeune  eauiuige» 

*'  -^  C'est  Trai  ;  maisilsi  sont  moins  nombreux,  et  les 
soldats  lés  chasseront  * 

^^  —  Père,  reprit  Diriméra  après  un  moment  desilence, 
pourquoi  n'allés- yoob  pas,  entré  les  soldats  et  les  insultés, 
•prendre  leurs  armes  «et.  les  enfermer  dans  cetto  grande 
maison,  afin  qu'ils  ne  se  battent  plus  ?  Nous  vous  âidecoos 
Jtous  les  deux. 

i(  —  C'est  que  ce  pays  n'est  pas  le  mien,  et  que  je  ne  cptt- 
jiais  pas  les  combattants. 

i(  —  Cela  n'y  fait  rien.  Vous  n'êtes:  pas  né  non  plus 
«n  Australie;  tous  ne  connaissiez  pas  les  sanvages;  et 
-cependant,  quand  ils  allaient  se  battre,  vous  vous  précipi- 
tiez au  milieu  d'eux  ;  vous  arrachiei  de  leurs  mains  les 
^uichis,  vous  les  enfermiez  dans  la  maison  de  la  mission, 
et  tout  était  bientôt  fini.  " 

^^  Je  ne  sus  que  répondre  à  celte  réflexion,  raconte  le 
P.  Salvado.  Je  ne  voulais  pas  avouer  à  cet  enfant  des  bois 
iju'il  était  souvent  plus  facile  démettre  la  paix  parmi  de 
véritables  sauvages,  que  de  rétablir  la  concorde  parmi  ceux 
qui  se  vantent  d'être  arrivés  à  une  grande  civilisation." 

Notre  missionnaire  fit  à  Paris  une  rencontre  plus  agréa» 
ble.  Q  avait  conduit  ses  enfants  au  jardin  des  Tuileries. 
Une  dame,  d'un  âge  avancé  et  d'un  extérieur  distingué,  re- 
marquant leurs  figures  noirâtres  et  leur  vivacité,  s'appro- 
cha petir  leur  parler.  Mais  eux,  ne  connaissant  pas  encore 
le  français,  coururent  au  P.  Salvado,  qui  lisait  sur  un  banc  : 
Ac  —  Père,  loi  dirent-ils,  il  y  a  une  femme  qui  veut  nous 
dire  quelque  chose  ;  mais  elle  ne  sait  point  parler  ;  venez, 
•et  voyez  si  vous  pourrez: l'entendre."  La  dame  inconnue 
fit  au  missionnaire  plusieurs  questions  sur  les  jeunes  san- 
vages et  offrit  de  s'employer  pour  eux.  Le  P.  Salvado  lui 
demanda  où  l'on  ponrrait  se  procurer  des  habits  convena- 
bles à  leui^âge.  "  —  Venez  avec  moi  à  la  Belle  Jardimère^'^ 
répondit-elle.  C'était  un  magasin  d'habits  confeotioniié^^ 
fort  achalandé  à  cette  époque.  Conaci  et  Diriméra  y  fo- 
Tent  habillés  des  ^ieds  à  la  tète.    Lorsque  lôur  protecteur 


SBO 

Toultii. payer  la  dép€Sise,'  on  lui  dit  qw  le  dômestiiguer  de  1» 
dame  avait  tout  soldé.  Ému  de  reconuaièsaiLce,  le  P.  Sa!- 
▼ado  Toulut  savoir  le  nom  de  cette  .gônéreuse  bienfaitrice  ; 
mais  elie  lui  répondit  seulement  :  ^'  -^  Priez  peut  moi.  '* 
Et  elle  disparut.  '^  C'est  là,  ajoute  le  P^fiaivado,  de  la  véri- 
table charité  évangélique  et  française.'' 

Avant  de  quitter  Paris,  le  missionnaire  remit  au  Conseil 
central  de  la  Propagation  de  la  Foi  un  court  mémoire  sur 
rétat  de  sa  mission  monastique.  Il  en  fit  autant  i  Lyon. 
Cette  démarche  lui  valut  quelques  secours  en  argent.  A 
Lyon,  le  jeune  Dirîméra^  tomba  assez  gravement  malade, 
et  le  P.  Salvado  comprit  qu'il  lui  fallait  le  climat  de  l'Italie. 
Il  alla  aussitôt  à  Marseille  s'embarquer  pour  Ci vita-Vecchia. 
Dans  cette  ville,  il  apprit  l'entrée  ds  l'armée  française  à 
Rome  que  les  bandits  cosmopolites  de  Garibaldi  avaient  te> 
nu  trop  longtemps  sous  le  régime  delà  terreur,  et  se  rendità- 
Gaëte  où  se  trouvait  la  coût  pontificale.  Après  avoir  pré- 
senté au  cardinal  Fransoni,  préfet  de  la  Propagande,  son 
ra|)port  sur  la  Nouvelle-Nursie,  et  les  deux  jeunes  Austra- 
liens, qui  en  étaient,  on  peut  le  dire^  le  meilleur  commen- 
taire, le  P.  Balvado  les  conduisit  au  monastère  de  La  Cava, 
où  il  avait,  comme  nous  l'avons  vu,  séjourné  plusieurs  an- 
nées avec  Mgr  Serra.  L'accueil  fraternel  qu'il  y  avait  reçu 
des  moines  de  la  Congrégation  du  Mont-Cassin  le  dédom- 
magea amplement  des  fatigues  de  ce  long  voyage,  et  il  eut 
la  satisfaction  de  voir  la  santé  du  jeune  Diriméra  se  réta- 
blir prompteraent  sous  l'influence  du  climat  napolitain  i 
peu  près  semblable  à  celui  de  l'Australie  occidentale. 

Le  cardinal  Fransoni  avait  reçu  de  Mgr  Brady  un  mé- 
moire détaillé  sur  l'état  du  diocèse  de  Perth,  et  sur  la 
mission  bénédictine.  L'évêqne  terminait  son  rapport  par 
la  demande  d'un  coadjuteur.  La  Propagande  jugea  que 
Mgr  Serra,  qui  avait  montré  tant  de  zèle  dans  l'Australie 
occidentale  et  qui  avait  su  recueillir  tant  d'aumônes  en 
Europe  pour  la  Nouvelle- ^luraie,  devait  être  ce  ooaijuteun 
Il  fut  donc  déchargé  de  l'Eglise  naissante  de  Porlr Victoria 
et  nommé,  le  25  juillet  1849,  évoque  de  Daulia  inpartibuSy. 
avec  la  future  succession  de  Tévôché  de  Perth.  ^^  Cette 
décision,  écrit  le  P.  Salvado,  me  combla  de  joie,  puisqu'elle 


261 

assurait  Texistence  de  notre  lointain  monastère,  et  je  béni» 
Taugnste  Trinité  et  la  Vierge  immaculée  qui  lui  avaient 
assuré  une  si  puissante  protection." 

Quelques  jours  après,  le  P.  Salvado  obtint,  par  Tinter- 
médiaire  de  l'infant  don  Sébastien,  qui  résidait  alors  à 
Gaête,  une  audience  du  Souverain  Pontife.  Il  désirait 
Tivement  que  le  Saint-Père  donnât  lui-même  Phabit  béné- 
ilictin  à  ses  jeunes  sauvages,  selon  Tusage  des  antiques 
monastères  qui  considéraient  les  enfants  élevés  danj^  leur 
sein  comme  des  membres  de  la  famille  monastique.  In- 
troduit auprès  de  l'auguste  Pie  IX,  le  fondateur  de  la 
Nouvelle-Nursie  se  prosterna  &  ses  pieds  qu'il  baisa  et  qu'il 
fit  baiser  aux  jeunes  Australiens.  Il  remercia  ensuite  le 
Souverain  Pontife  de  la  grande  faveur  accordée  au  diocèse 
de  Perth  et  à  la  mission  bénédictine  par  la  nomination  de 
Mgr  Serra,  et  il  exposa  en  peu  de  mots  les  heureux  résul- 
tats obtenus  à  la  Nouvelle-Nursie.  Pie  IX  répondit  que  la 
mission  bénédictine  de  TAustralie  occidentale  lui  était  très- 
chère  et  qu'il  la  bénissait  du  fond  du  cœur.  Puis,  remar- 
quant les  jeunes  Australiens  : 

^'  —  Que  portent  ces  enfants  sur  leurs  bras?  demanda  Sa 
Sainteté. 

« — Très-saint  Père,  ce  sont  des  habits  monastiques  ;  et, 
comme  ces  petits  sauvages  deviendront,  je  Tespèru,  les 
premiers  Bénédictins  de  l'Australie  et  de  la  cinquième 
partie  du  monde,  je  supplie  humblement  Votre  Sainteté  de 
vouloir  bien  le  leur  donner  de  vos  mains  sacrées. 

"  —  Nous  le  ferons  très-volontiers." 

Et  le  Pape,  prenant  l'habit  que  lui  offrait  le  jeune  Conaci, 
l'en  revêtit,  le  bénit  et  demanda  quel  était  son  nom  de 
baptême. 

''  —  Jean-Baptiste,  dit  le  missionnaire. 

"  —  Eh  bien,  désormais  il  s'appellera  Jean-Marie,"  dit 
Pie  IX,  qui  lui  imposait  ainsi  son  propre  nom. 

Ayant  revêtu  le  petit  Diriméra  de  la  tunique  et  du  sca- 
pulaire  bénédictins,  il  lui  conserva  son  nom  de  François- 
Xavier,  en  ajoutant  : 

"  —  L'Australie  a  besoin  d'un  second  François-Xavier; 
que  le  Seigneur  bénisse  cet  enfant  des  bois  et  le  rende 
semblable  à  ce  grand  saint  !  " 


262 

Pie  IX  donna  ensuite  au  P.  Salvado  et  aux  jeunes  Aos- 
Iraliens  un  crucifix  d'argent  avec  ua  chapelet  et  les  con- 
gédia affectueusement  après  une  dernière  bénédiction- 

A  peine  le  missionnaire  étaiuil  rentré  dans  sa  demeure, 
qu'un  aide-de-camp  du  roi  dô  Nâples,  Ferdinand  II,  alors 
^n  résidence  à  Gaëte  auprès  du  Souverain-Pontife,  vint 
ravertir  que  Sa  Majesté  désirait  voir  les  deux  Australiens. 
Ce  prince  questionna  I)eaucoup  le  P.  Salvado  sur  la  mission 
bénédictine.  Pendant  la  conversation,  Diriméra,  voyant 
les  salles  et  les  escaliers  pleins  d'officiers  et  de  gardes  aux 
costumes  éclatants,  dit  au  missionnaire:  "  —  Le  roi  est  le 
père  de  tous  ces  soldats?  —  Mais  oui  — Ohl  alors,  il  doit 
être  un  homme  bien  vaillant**  Ferdinand  voulut  savoir 
ce  ^ue  disait  le  jeune  sauvage  ;  il  sourit  de  sa  réflexion 
ingénue.  Conaci,  voyant  la  reine  se  rafraîchir  à  Taide 
d'un  grand  éventail,  le  lui  prit  doucement  des  mains  et 
s'en  servit  lui-même  avec  grâce.  La  princesse,  charmée 
de  la  gentillesse  du  petit  sauvage,  lui  donna  l'éventail  et 
en  ôt  apporter  un  autre  pour  son  compagnon.  Le  roi  leur 
remit  une  médaille  d'or  à  l'effigie  de  la  mère  de  Dieu  et 
s'engagea  à  pourvoir  à  leur  entretien  dans  le  monastère  de 
La  Gava. 

le  5  août,  les  deux  Australiens  entrèrent  à  l'alumnat  de 
<^e  monastère.  Rassuré  sur  leur  sort,  le  P.  Salvado  ne 
s'occupa  plus  que  du  recrutement  des  missionnaires  pour 
la  Nouvelle-Nursie.  Il  obtint  de  l'ambassadeur  d'Espagne 
auprès  du  St,  Siège,  S.  Exe.  Martinez  de  la  Rosa,  le  pas- 
sage gratuit  sur  un  navire  de  guerre  espagnoL  II  était 
encore  à  Salerne  et  eè  disposait  à  partir  pour  Barcelone, 
lorsqu'un  couriier  du  cardinal  Fransoni  lui  apporta  l'ordre 
de  se  rendre  à  Naples  pour  affaire  très-urgente.  Ai  rivé 
dans  cette  ville  le  P.  Salvado  apprit  que  Sa  Sainteté  venait 
de  l'élire  évêque  de  Port- Victoria.  Mais  l'humble  moine 
déclara  avec  énergie  que  cette  charge  était  au-dessus  de 
^es  forces,  et  il  repartit  pour  visiter  diverses  villes  où  l'at- 
tendaient plusieurs  sujets  destinés  aux  missions  australien- 
nes. Une  nouvelle  missive  du  cardinal-préfrt  l'obligea  à 
retourner  à  Naples.  Le  Souverain  Pontife  avait  déjà  fait 
expédifer  la  bulle  d'institution  au  nouvel  évêque  de  Port- 


263 

Victoria.  Les  supplications  du  P.  Salvado,  pour  écarter 
cet  honneur  furent  ioutiks.  On  ne  voulut  môme  pas 
l'écouter  lorsqu'il  proposa  d'autres  sujets  beaucoup  plus 
dignes,  à  son  sens,  de  cette  dignité,  et  le  15  août  1849,  il 
reçut  l'onction  épiscopale  des  mains  du  cardinal  Fransoni, 
assisté  de  Mgr  Montefoite,  évèque  de  Sidonia,  et  de  Mgr 
Vighî,  évêque  de  Lyslres. 

Le  nouvel  évêque  ne  voulut  point  partir  pour  l'Espagne 
sans  faire^n  dernier  adieu  à  ses  chers  Australiens.  II  se 
rendit  donc  au  monastère  de  La  Gava  et  demanda  au?  jeunes 
sauvages  s'ils  se  trouvaient  bien  dans  ce  monastère. 

"  Oh  I  beaucoup  mieux  qu'à  la  mission^  répondirent-ils. 

"  —  Je  pars  demain  ;  voulez- vous  revenir  avec  moi  dans 
votre  pays  ? 

"  —  Non,  non. 

^'  —  Et  pourquoi  t 

"  —  Parce  que  nous  n'avons  pas  encore  assez  étudié.  Si 
nous  retournions  maintenant  en  Australie,  nos  parents  et 
nos  amis  nous  demanderaient  si  nous  comprenons  les  pa- 
piers qni  parlent  (les  lettrfts),  si  nous  savons  en  faire  (écrire), 
si  nous  savons  figurer  des  chevaux  et  des  arbres  (dessiner), 
jouer  des  doigts  (faire  de  la  musique),  et  beaucoup  d'au- 
tres choses  semblables.  En  voyant  que  nous  ne  savons 
rien  faire  de  tout  cela,  ils  diraient  que  nous  sommes  en- 
core comme  eux  desjunar  (enfants  des  bois).  Il  vaut  donc 
bien  mieux  que  vous  partiez  tout  seuL  Pendant  ce  temps, 
nous  étudierons  beaucoup  et  nous  apprendrons  même  à 
dire  la  messe.  Alors  nous  vous  enverrons  un  papier  qui 
parle  et  vous  viendrez  nous  chercher  jusqu'au  bord  de 
l'eau  avec  la  maison  qui  marche  (le  bateau)  ;  nous  pren- 
drons chacun  un  cheval  et  nous  irons  dans  les  bois  chercher 
tous  les  petits  sauvages  pour  les  mener  à  l'école  de  la  mis> 
gion." 

Un  événement  tragique,  qui  renfermait  aussi  une  grande 
leçon,  précéda  le  départ  de  l'évoque  de  Port-Victoria.  Parmi 
les  missionnaires  qui  avaient  consenti  à  le  suivre  en  Aus- 
tralie, se  trouvait  un  jeune  ecclésiastique  dont  la  mère 
refusait  obstinément  tout  consentement  à  son  départ.  Elle 
yint  même  trouver  le  prélat  et  l'assura,  en  versant  beau* 


264 

coup  de  larmes,  que  son  enfant  périrait  en  mer  pendant  nu 
si  long  voyage.  Mgr  Salyado  n'insista  point.  La  mère 
emmena  son  fils,  dont  le  courage  faiblit  dans  cette  occa- 
sion. Mais,  le  lendemain,  quelle  ne  fut  pas  la  stupétacli<m 
ou  plutôt  Teffroi  général,  lorsque  l'on  apprit  que  ce  jeune 
ecclésiastique  était  mort^  la  nuit  même,  dans  la  demenre 
de  ses  parents  et  à  côté  de  la  chambre  de  sa  malheureuse 
mère,  doublement  inconsolable  !  C'était  à  la  lettre,  Tap- 
piication  de  la  parole  évangélique  :  ^^  Gelai  qui  aime  son 
père  ou  sa  mère  plus  que  moi,  n'est  pas  digne  d'entrer  i 
mon  service  '*  (1). 


(1)  Matlh.,  XXXVII,  38. 


CHAPITRE  VU 

Mgr  Salvado  en  Espagne.— Suppression  de  Port-Victoria.— Retour  de 
Mgr  Salvado  à  la  Nouvelle-Nursie.— Tableau  de  la  colonie. 

L6  18  août  1849,  Mgr  Salvado  s'embarqua  pour  Barce- 
lone, à  bord  du  brick  le  Lépante,  après  avoir  reçu,  à  Gaête, 
de  S.  S.  Pie  IX,  les  témoignages  de  la  plus  paternelle  affec* 
tien,  et  des  pouvoirs  spéciaux  dont  plusieurs  étaient  indis- 
pensables à  un  évêque  placé  datis  des  régions  aussi  loin- 
taines, n  était  accompagné  de  sept  missionnaires  napoli- 
tains. 

Le  nouvel  évêque  fut  accueilli  avec  enthousiasme  dans 
8a  patrie,  qu'il  avait  quittée  il  y  avait  onze  ans.  A  Madrid, 
à  Tarragone,  i  Valence,  à  Saint  Jacques  de  Gompostelle  où 
il  s'était  consacré  à  Dieu  dans  la  vie  monastique,  k  Séville, 
à  Cadix,  à  Xérez,  partout  on  le  fêta,  on  lui  offrit  des  se- 
cours en  argent  ou  en  nature. 

Hais  ce  fut  à  Barcelone  qu'on  lui  montra  le  plus  de  dé- 
vouement. Tous  les  ecclésiastiques  et  les  catéchistes,  que 
Mgr  Serra  avait  enrôlés  pour  la  mission,  s'y  trouvèrent  ras- 
semblés au  nombre  de  trente-neuf.  Le  28  aott,  Mgr  Sal- 
vado officia  pontificalement  dans  l'église  de  Notre-Dame-de- 
la-Mer.  Cétait  le  premier  Religieux  que  l'on  voyait  porter 
ostensiblement  l'habit  de  son  Ordre  depuis  les  dernières 
guerres  civiles.  Mgr  Salvado  était  assisté  du  Rme.  P. 
Isidore  Blanch,  dernier  général  de  la  Ciongrégation  béné- 
dictine de  Valladolid,  et  du  vicaire  capitulaire  Dom  Phi- 
lippe Bertran  y  Ros,  qui,  à  l'Evangile,  prononça  un  très- 
beau  discours.  Après  l'Offertoire,  l'évéque  donna  l'habit 
bénédictin  à  vingt-huit  missionnaires.  La  messe  terminée. 
Ton  commença  le  chant  des  litanies  des  Saints,  et  la  proces- 
sion se  dirigea  vers  le  port  où  devait  avoir  lieu  l'embarque- 
ment La  marche  était  ouverte  par  des  hallebardiers  à 
cheval,  suivis  d'un  Religieux  qui  portait  un  magnifique 
étendard  offert  à  Mgr  Salvado  par  la  confrérie  du  Saint» 
Cœur  de  Marie.  Venaient  ensuite  les  membres  de  la  con- 
frérie de  N.-D.  de  VAmor  hermosOj  les  missionnaires  béné- 
dictins, puis  Mgr  Salvado,  revêtu  de  la  coule  monastique  à 


266 

grandes  manches,  avec  la  croix  pectorale  et  la  crosse.  Une 
immense  m  altitude,  cou  tenue  à  grande  peine  par  les  hal- 
bardiers,  encombrait  les  rues,  et  les  dévots  Espagnols  se 
pressaient  autour  de  Tévêque  j^ur  baiser  ses  mains  ou  ses 
YÔtements  et  recevoir  sa  bénédiction.  Les  larmes  étaient 
dans  tous  les  yeuj[,  et  l'on  chantait  le  Salve  Regina  avec  les 
transports  d'eothoasiasme  que  les  cités  catholiques  du  midi 
de  l'Europe  connaissedt  seules  encore  de  nos  jours.  Ar* 
rivé  sur  le  poni  du  paquebot  le  BaUary  Mgr  Salvado  se  re- 
tourna v«rs  la  foule  agenouiUéB  dans  un  .profond  lâlenoe^ 
et  de  sa  voix  tonnante  donna  la  bénédiction  pontificale  à 
tout  ce  bon  peuple  de  Barcelone. 

Huit  jours  de  navigation  conduisirent  Tévôque  mission- 
naire à  Cadi^,  où  11  fut  reçu  très-fraternellement  par  Mgr 
Moreno,  comme  lui,  enfant  de. saint  BenoU,  et  depuis  car- 
dinal-archevêque da  Tolède.  Mais  une  joie  plus  grande, 
accompagnée  d'une  singulière  épjpaoye,  lui  était  réservée 
dans  cette  ville.  Il  y  revit  son  pieux  confrère,  Mgr  Serra, 
qui  lui  apprit  la  dispersion  t^otale  des  colons  établis  depuis 
peu  d'années  dans  la  nouvelle  cité  de  Port  Victoria.  Le 
gouvernement  anglais,  ayant  constaté  que  le  territoire  de 
cette  ville  était  insalubre,  et  que  les  4aJQg6i'3  de  la  naviga- 
tion dans  le  détroit  de  Torrès  rendaient  le  commerce  diffi- 
cile,  avait  décidé,  aeec  cette  promptitude  de .  résolution  qui 
le  caractérise,  la  dispersion  de  la  colonie.  Mgr  Salvado  se 
trouvait  donc  un  pasteur  sans  ouaillçi  ;  il  n'avait  plus 
qu'un  titre  sans  auoupe  réalité  et  que  l'on  ne  pouvait  pas 
même  ranger  parmi  les  évôcbés  in  partihus  infidelium. 
C'était  pour  le  zélé  prélat  une  position  très-embarrassante* 
Le  ministère  espagnol  le  rendit  enicore  plus  diffîoile  en  dé- 
clarant qu'il  ne. pouvait  accorder  le  passage  gratuit  sur  les 
vaisseaux  de  l'Etat  qu'au  coadjuteur  de  Per.th  et  aux  mis- 
sionnaires de  la  Nouvelle  Nuxsie.  Si  Mgr  Salvado  restait 
en  Europe,,  on  pouvait  l'accuser  de)  renoncer  trop  facile- 
ment à  la  tâche  que  le  Saint  Siège  Ii^i  avait  imposée  \,  s^il 
partait  pour  son  diocèse  où  ilna  devaitt  trouver  qu'un  terri- 
toire inhabité  ^t  upo:  ville  abandpanée<,  il  s'exposait  i  per- 
dre tous  les  fruits  de  son  apostolateti  dépenser  saqa  but  les 
ressources  de  la  mission  bénéâictine»  .Au  milieu  de  ces 


267 

perplexités,  il  partit  pour  Rome,  tandis  que  Mgr  Serra,  plus 
heureux,  s'embarquait  pour  l'Australie^  le  6  octobre  1849, 
sur  la  frégate  de  guerre  la  Ferrolana^  commandée  par  le 
capitaine  Quesada.  11  emmenait  quarante  missionnaires, 
parmi  lesquels  sept  honorés  du  sacerdoce.  La  plupart 
étaient  espagnols  ou  napolitains. 

Le  29  décembre,  après  une  traversée  de  quatre  vingt- 
cinq  jours,  la  Ferrolana  entra  dans  la  baie  de  Premantle,  et 
MgrBrady  venait,  plein  d'allégresse,  recevoir  sur  le  rivage 
son  coadjuteur  et  les  missionnaires  bénédictins.  On  eût 
dît  St.  Augustin  de  Cantorbéry  abordant  dans  la  Grande- 
Bretagne,  au  VF  siècle,  avec  les  quarante  moines  que  saint 
Grégoire-le-Grand  envoyait  à  la  conquête  pacifique  des 
Anglo-saxons.  L'évêque  de  Perth  ne  manqua  pas  de  rap- 
peler ce  glorieux  souvenir  dans  un  discours  adressé  aux 
colons  catholiques  de  Swan-River,  après  l'office  pontifical 
présidé  par  Mgr  Serra. 

Dès  le  mois  de  janvier  1850,  ce  prélat  et  ses  frères  en 
saint  Benoit  se  dirigèrent  ver^  la  Nouvelle-Nursie  par  le 
chemin  que  Mgr  Salvado  avait  tracé.  Ils  ne  tardèrent  pas 
à  rencontrer  les  sauvages  de  la  mission,  qui  venaient  au 
devant  d'eux,  portant  des  rameaux  verts  à  la  main  et  chan- 
tant des  prières  Ces  sauvages  s'empressaient  surtout  au- 
près de  Mgr  Serra,  hiî  baisaient  les  mains  et  les  habits. 
*<  —  Cbiara  (1)  est  revenu  !  s'écriaient-ils,  Chiara  est  reve- 
nu 1"  En  peu  de  jours,  le  coadjuteur  de  Perth,  profitant 
des  heureuses  dispositions  prises  par  Mgr  Salvado  pour  Té- 
vangèlisation  des  Australiens  et  pour  les  progrès  de  l'agri- 
culture» donna,  f^râce  à  son  nombreux  .personnel,  une  vive 
impulsion  à  la  colonie, .qui  fit-de  rapides  progrè?,  admirés 
même  des  protestants. 

Pendadt  ce  temps,  l'évêque  de  Port-Victoria  se  trouvait 
à  Rome,  triste,  mais  non  découragé.  Il  employa  ses  loisirs, 
forcé»  à  la  compqsition  de  ses  intéressaints  Memorie  storiche^ 
qui  eurent  beaucoup  de  succès  et  furent  traduits  en  anglais 
et  en  français.    Nous  nous  en  sommes  servis  jusqu'icL 


-  (I)  C'était  le  nom  australiefei  de  Mgr  Serra  ;  car  les  sauvages  de  cette 
contrée,  n'ayant  pas  la  lettre  8  dans  leur  alphabet,  la  remplacent  par  le 
cA. 


268 

Pour  achever  ce  que  nous  ayons  à  dire  sur  la  colonie 
monastique  de  TÂustralie  occidentale^  nous  nous  aiderons 
d'un  travail  (1)  dû.  à  la  plume  de  D.  Yenanzio  Garrido, 
prieur  de  la  Nouvelle-Nursie  et  présenté  au  parlement  de 
TAustralie  occidentale  ;  nous  nous  servirons  aussi  des  ou* 
rieux  détails  que  Mgr  Salvado  voulut  bien  nous  communi- 
quer lui-môme,  pendant  les  deux  séjours  qu'il  fit  au  mo- 
nastère d^  Sainte-Magdeleine  de  Marseille,  en  1867,  et 
après  le  concile  du  Vatican. 

Ce  fut  seulement  en  1853  que  Tévôque  de  Port-  Victoria 
retourna  en  Australie.  Durant  les  années  qu'il  dut  passer 
en  Europe,  il  se  fit  comme  le  procureur-général  de  sa 
chère  mission  australienne.  Il  parcourut  l'Italie  et  l'Es- 
pagne afin  de  trouver  des  ressources  et  des  sujets  pour  la 
Nouvelle-Nursie  ;  il  surveilla  l'éducation  des  jeunes  clercs 
destinés  à  cette  mission  et  des  petits  sauvages  qui,  à  l'ex- 
emple de  Gooaci  et  de  Diriméra,  vinrent  dans  l'abbaye  de 
La  Gava  et  à  Subiaco  se  former  à  la  vie  monastique  ;  enfin 
il  fit  imprimer  ses  Memorie  storiche  et  publia  plusieurs  rap- 
ports pour  éclairer  la  Propagande  sur  les  différentes  néces- 
sités de  la  mission  bénédictine. 

La  santé,  jadis  assez  robuste,  de  Mgr  Serra,  s'étant  afibi- 
blie  et  ne  lui  permettant  pas  de  continuer  la  vie  démission- 
naire, à  la  Nouvelle-Nursie,  et  de  coadjuteur  de  Mgr 
Brady,  à  Perth,  il  demanda  que  Mgr  Salvado  vint  l'aider 
dans  ses  travaux  apostoliques!  C'était  le  plus  vif  désir  de 
révoque  de  Port-Victoria.  Aussi  prit-il  passage  sur  le  pre- 
mier navire  qui  partait  de  l'Angleterre  pour  l'Australie. 

Son  arrivée  sauva,  on  peut  le  dire,  la  colonie  de  la  Nou- 
velle-Nursie, que  les  sauvages  avaient  i  peu  près  désertée, 
depuis  que  Mgr  Serra,  retenu  à  Perth  par  les  devoirs  de  sa 
«charge,  n'y  faisait  que  de  rares  apparitions  (2).    Les  mis- 


(t)  Information  respeeting  the  habits  atêd  customs  of  ihe  aborlgenal 
inhabitanis  of  Western  AusiraUa. — Perih,  Richard  Pether,  G^verameni 
printer,  1871. 

{1)  Nous  ne  parlons  pas,  à  cause  de  son  existence  éphémère  d*«i 
•essai  de  fondation  monastique  à  4  mUies  de  Perth  et  que  Mgr  Sena 
avait  appelé  le  Nauveau-Subioeo, 


26d 

tskuinaires  amenés  par  MgrSalvado  eurent  bientôt,  sons  mq 
tablle  et  forte  direction,  remédié  à  tous  les  abus  qui  s'é- 
taient glissés  dans  la  mission.  L'on  construisit  une  cha- 
pelle plus  grande,  trois  corps  de  bâtiments  en  briques  pour 
loger  les  moines  et  les  néophytes  et  un  grand  atelier  pour 
tous  les  métiers.  En  peu  de  mois,  cinquante  acres  de  terre 
furent  labourées  et  ensemencées.  L'on  entoura  de  palis- 
sades en  bois  les  champs  de  la  mission,  et  l'on  créa  de  nou- 
velles routes.  Les  troupeaux  mieux  soignés  se  multipliè- 
rent et  les  sauvages  reprirent  en  grand  nombre  le  chemin 
du  monastère. 

Le  bien  produit  dans  les  âmes  fut  autrement  important. 
Des  néophytes  toujours  plus  nombreux  se  pressaient  aux 
instructions  du  vénérable  prélat  et  de  ses  Religieux.  Plu- 
sieurs sauvages  offrirent  leurs  enfants  aux  missionnaires^ 
•rétablirent  la  petite  école,  dont  Coaaci  et  Diriméra  avaient 
été  les  prémices.  Enfin  quelques  mariages  conclus  entre 
des  indigènes  baptisés  à  la  mission  donnèrent  l'espoir  de 
^oir  s'élever  une  génération  toute  chrétienne* 

Au  mois  de  novembre  1853,  Mgr  Serra,  dont  la  santé  s'al- 
térait de  plus  en  plus,  fut  obligé  de  retourner  définitive- 
ment en  Europe.  Mgr  Salvado  dut  le  remplacer  à  Perth, 
auprès  de  l'évéque  Brady  ;  mais  son  âme  vaillante  et  soa 
corps  de  fer  lui  permirent  de  cumuler  sans  trop  de  fatigues 
les  fonctions  de  coadjuteur  et  celles  de  chef  de  la  mission 
jbénédictine.  En  1854,  il  fit  construire  un  bâtiment  de 
pierre  à  deux  étages,  avec  un  vaste  grenier  pouvant  conte- 
nir 2,000  boisseaux  de  grains,  ce  qui  suffisait  à  peine  à  la 
nourriture  du  personel  de  la  colonie  monastique. 

Mais  les  grands  progrès  de  la  mission  datent  surtout  de 
l'année  1857.  A  cette  époque  l'évéque  de  Port- Victoria 
comprit  que,  malgré  toute  son  activité,  le  nombre  des  catho- 
liques augmentant  dans  la  ville  de  Perth,  et  celui  des  néo* 
jphytes  dans  les  terres  de  la  NouveUe-Norsie,  il  ne  pouvait 
xemplir  tous  tes  devoirs  des  charges  qiri  l'attachaient  à  cm 
-deux  centres  religieux.  Il  pria  Mgr  Brady  de  demander  à 
Rome  un  autre  coadjuteur» 

ïout  entier  désormais  à  la  direction  de  la  colonie  béné- 
dicline,  il  put  j  réaliser  d'importantes  améliorations.    Une 


270 

église,  de  102  pieds  anglais  de  long  et  de  20  pieds  de  large-- 
avec  transept,  fut  cpnstraite.  Ses.  murs  soot  eu  pierre  et 
la  voûte  est  en  acajou.  )M>is. assez  commun  dans  l'Australie 
occidentale.  Le  monastère,  destiné  à  servir  d'habitation 
claustrale  e^nx  Bénédictins-missionnaires,  s'éleva  non  loin 
de  la  maison  de  Diei).  Il  a  120  pieds  de  long^  sur  20  de 
large,  avec  une  galerie  de  8  pieds  de  largeur,  au  premier 
étage.  Aiq.uelque  distance  du  monastère,  l'on  construisit 
deux  maisons  de  100  pieds  de  longueur,  l'une  pour  les 
garçons,  l'autre  pour  les  petites  ailles  que  leurs  parent» 
sauvages  confiaient  à  la  mission. 

.  Nous  pe  parlons  p^s  des  nombreuses  cabanes  occupée» 
par  les  indigènes,  des  ateliers,  des  greniers  et  de^  écuries, 
qui  forment,  tout  autour  de  l'église  et  du  monastère,  une 
ceinture  d'habitations  très-animées.  .  De  plus,  300  acres  de 
terre  furent  préparées  dès  l'année  1850, et  200  étaient  mises 
en,  culture.  La  récolte  fut  de  3,000  boisseaux  de  blé,  sans 
compter  15  tonnes  de  vin,  une  tonne  de  tabac  et  200  gallons^ 
de  vin.  Rappelons  enfin  les  jardins  potagers  et  les  vergers,, 
qui  fournissent  abondaminent  la  coloAÎe  de  légumes  et  de 
fruits-.  .  ... 

Bs^^yons^  maintenant,  de  décrire  l'a^ect.que  présente^ 
la  Noovelle-Nursie. 

Au  milieu  du  vaste  domaine  cultivé  parles  Bénédictins 
di^ns.le^  Victoria  Plâ;ins,  et  qui  est  encore  entouré  des^ 
grands  bois,  qui  les  couvraient  erntièremeat.i.ly  a  vingt  ans 
à  peine,  s'élève  l'église  dont  le. style  italien  ne  manque  pas 
d'élégance.'  A- peu  de  distance,  dans  la  ^partie  inférieure 
du  coteau  se  dresse  lemonastère^qui  esteu  même  temps^ 
une  fçrme-école.  A  gauche^e  [l'église,  espacées  par  de 
petits  jardin.et'S  bien  entretenusi,  se  voient  plpsieqrs  cabanes^ 
recouyertef^  de  feuilles  d'eucalfptùs  en  guise  de  chaume, 
où  le^  indigènes  baptiséâ  habite^H  ;avec  leur  fan^Ue.  Ôur 
la  hauteur,  l^'on  a  construit  les. ateliers  des  «Xorgerpuset  des 
menuisiers,  assez  lom  pour  qoe  le  .brioit  des -marteau  s  et 
des  soies  ne[  vienne  pas  troioblpr'  le^  Religieux  pendant 
Tofiice  divin.  Plus  bas,  près  de  la  jroute  qui  Idnge  le  vaste 
enclos f de  :la!NoviVeUenNursie,:roa  .aperçoit  Ifhopital  de  la 
colonie  pu  sont  reçus  Ijidistioctemeni  les.  indigènes  et  les^ 


271 


-coIoDs  européens,  les  ]j)a\iyre9  et  le^  voyageurs 
Se  l'autre  côté  de  la' route  est  l'hôtellerie.    Li 


malades. 
ék  encore, 

•comme  jadis  au  MonlrCasain,  et  aiiijourd'h.ui  à  Soleames, 
"^^es  visiteurs  ne  manquent  jamais/*  selon  la  parole  de  St. 
Benâit  dans  a&  règlo.  A*  la  droite  àqt  monastère  leis  Béné- 
dictins ont  cénfitiroit  leurs  granges,  l^mrs  moulins,  leurs 
<»UierB,  lesurs  écuries  et  leurs  étables.  Dans  la  plaine,  de 
grandes  et  fortes  palissades,  formées  de  troncs  d'arbi^es, 
feriaent  les  difiëremts  parcs  pour  les  grands  bestiaux,  pour 
les  brebis  et  pour  les  chevaux.  Enfin  .tout  au  haut  de  la 
charmaote' c<)Uin(e  où  s'étayent  ces  bfttiments  de  formes  et 
det  destinations  si;diverses,.l'oadiartdngue,  àitravers  les  aca- 
jous et  les<  eucalyptus,  un  petit  ermitage  dédié  à  la  Reine 
^u  Ciel,  et  dont  Jje  léger. campanile  surinonté  d^une  croix 
-domine  toute. la  oontrée.  < 


"j  •■'1 
« 


»  » 


I  ' 


I  ' 


il 


CHAPITM  Vin 
Tid  des  Australiens  à  la  Nimvelle-Nursîe. —  Témoignage  des  protestantSL 

Dès  Tauroie,  la  population  entière  de  la  NoQveUe^Nur- 
fàt  ae  met  en  mouvement.    Tandis  que  lee  Pères^  revétos^ 
de  leur  coule  noire,  vont  gravement,  deux  ideuz,  célébrer 
la  louange  divine,  les  colons  sortent  de  leurs  maisonnettes^ 
et,  après  une  prière  commune  à  l'église,  se  répandent  dans- 
les  champs  de  la  mission  pour  y  travailler.    L'office  termi* 
né,  les  Religieux  vont  les  rejoindre,   il  n'^st  pas  rare 
de  voir  de  grands   saavages  à  la  figure   basanée   gui- 
dant l'attelage  d'une  charrue,  dont  un  moine  à  longue  bar- 
be tient  les  manchons  d'une  main  adroite  et  vigoureuse. 
Pendant  ce  temps-là,  les  enfants  se  rendent  aux  écoles  du 
monastère.  Les  jeunes  gens  conduisent  les  chevaux  pour 
les  charrois,  mènent  les  vaches,  les  chèvres  et  les  brebis 
aux  pâturages,  jusqu'à  l'heure  où  le  repas  préparé  par  les- 
ménagères  rappelle  les  travailleurs  à  la  maison. 

Nous  venons  de  parler  d'écoles.  Il  y  a  maintenant  plus 
de  cinquante  enfants,  garçons  et  filles,  élevés  à  la  Nouvelle- 
Nursie,  dans  deux  bâtiments  séparés,  où  ils  reçoivent,  des 
moines  missionnaires,  l'instruction  religieuse  et  classique. 
On  leur  enseigne  la  lecture,  l'écriture,  le  calcul  et  l'histoire 
sainte.  Voici  le  règlement  de  leur  journée. 

Ils  se  lèvent  avec  le  soleil,  au  son  de  la  cloche  du  monas- 
tère. Les  Bénédictins,  ayant  reconnu  que,  pour  former 
l'homme  tout  entier,  il  faut  unir  la  vie  de  famille  à  la  vie 
de  la  cité,  laissent  les  enfants  australiens  passer  la  nuit  dans 
les  cabanes  de  leurs  parents.  Aussitôt  habillés,  ils  se  rendent 
par  groupes  à  l'église  où  les  membres  de  leur  famille  ne 
tardent  pas  à  les  suivre.  Après  la  sainte  messe  et  chant 
du  psaume  Laudate  Dominvm  omnes  gentesj  on  les  conduit 
dans  leurs  réfectoires  respectifs  pour  le  déjeuner.  Vient 
ensuite  une  demi- heure  de  jeux  et  de  récréation.  Après  le 
travail,  %m  est  proportionné  à  leur  âge,  les  uns  vont  aider 
les  bergers  à  conduire  les  troupeaux  au  pâturage,  les  autres 
«^occupent  dans  le  jardinet  de  leurs  parents,  plusieurs  s'ex- 
ercent aux  différents  métiers  de  cordonnier,  de  tisseur  dfr 


273 

laine,  de  serrurier^  de  menuisier,  etc.  Les  petites  fille» 
aident  leurs  mères  et  leurs  grandes  sœurs  dans  le  ménage  ; 
ou  bien,  sous  la  surreiUance  d'une  matronne,  elles  appren- 
nent à  coudre,  à  filer,  à  faire  la  cuisine,  etc.  A  onze 
heures,  le  travail  cesse  pour  les  enfants  qui  se  rendent 
dans  les  classes.  A  midi,  dîner,  où  les  mâmes  plats  simples 
et  abondants,  qui  ont  été  servis  aux  moines,  leur  sont  pré- 
sentés. Après  le  repas,  récréation,  toujours  fort  joyeuse 
et  turbulente,  visite  aux  parents  pendant  laquelle  les  enfants 
peuvent  se  voir  et  se  connaître»  De  deux  à  quatrs  heures 
en  hiver,  et  de  trois  à  cinq  en  été,  classes,  suivies  du  travail 
manuel  jusqu'à  la  chute  du  jour,  mais  interrompu  par  le 
lunch  ou  goûter.  Le  souper  et  la  récréation  du  soir  ont  lieu 
en  famille.  Après  le  souper,  prière  générale  à  l'église,  et 
coucher  à  huit  heures  en  hiver,  et  à  neuf  heures  en  été. 

Nous  avons  oublié  de  mentionner  l'école  des  adultes  qui 
se  tient  du  coucher  du  soleil  à  l'heure  du  sooper. 

Voilà  la  douce,  pieuse  et  salutaire  existence  que  mènent 
les  Australiens  christianisés  de  la  Nouvelle-Nursîe.  Elle 
prépare  à  la  colonie  anglaise  de  Perth  un  peuple  fort  et  la* 
borieux,  si  le  gouvernement  de  l'Australie  occidentale  per« 
met  aux  moines  espagnols,  comme  il  l'a  fait  jusqu'à  ce  jour, 
de  continuer  l'éducation  chrétienne  et  sociale  de  ces  sau- 
vages, réputés  jusqu'alors  les  derniers  des  hommes. 

On  voit  souvent  rôder  autour  de  la  colonie  monastique 
quelques  indigènes  venus  de  l'intérieur  des  bois  et  qui  ex- 
aminent avec  le  plus  vif  intérêt  un  spectacles!  nouveau 
pour  eux.  Leurs  parents,  leurs  amis  vont  les  voir,  appel* 
lent  quelques  Religieux,  et  presque  toujours  ces  sauvages, 
venus  seulement  pour  satisfaire  leur  curiosité,  sentent  le 
désir  de  vivre  comme  leurs  compatriotes  civilisés  et  cèdent 
sans  effort  à  cette  douce  influence  de  la  vie  chrétienne  et 
monastique.  ^^  Il  est  presque  inoui,  nous  disait  Mgr  Salvado, 
dans  son  dernier  vorage  en  France,  que  les  Australiens^ 
qui  ont  consenti  de  plein  gré  à  vivre  parmi  nous,  désirent 
s'éloigner  de  la  Nouvello*Nursie.  Le  monastère  est  venu 
leur  seconde  patrie." 

Quant  aux  sentiments  religieux  des  sauvages  baptisés,  ils 
sont  des  plus  consolants.    Citons  une  parole  qu'un  indigè-» 


274 

ne  très^près  de  sa  fla  adressait  au  vénérable  étèque.  C^était 
un  grand  et  fort  jeune  homme,  qni  venait  de  recevoir  le  sa- 
crement ile  la  rôgénératioB,  lors^in'une  chute  des  plus  gra- 
ves mit  sa  vie  en  danger.    Sur  le  point  d'expirer  : 

^'  —  Père,  dit-il  i  Mgr  Salvado,  qui  l'assistait,  je  suis  bien 
<îoatent  de  inourir.     - 

''  —  Et  pourquoi,  mou  fils  ? 

^'  —  Parce  que  je  ne  pourrai  plus  offenser,  comme  au* 
trefois,  le  grand  Dieu  du  ciel." 

Ces  beaux  sentiments  paraîtront  d^autant  plus  admira- 
bles, que  Ton  sait  dans  quel  état  de  profonde  dégradation 
se  trouvaient  les  Australiens  avant  l'arrivée  des  moines  es- 
pagnols. Mgr  Salvado  possède  une  sérié  de  photographies 
de  ses  chers  Australiens,  prises  sur  nature,  et  dont  ]a  seule 
vue  résume  en  quelque  sorte  toos  les  labeurs  et  tous  les 
succès  de  son  rude  apostolat. 

On  voit  d'abord  un  sauvage  et  sa  femme  dans  leur  état 
primitif  de  pure  nature;  et  certes,  à  Taspect  de  ces  hideu- 
ses figures,  de  ces  membres  forts  mais  disproportionnés,  et 
surtout  delà  férocité  de  la  face,  plusieurs  de  nos  savants 
modernes  croiraient  avoir  trouvé  un  argument  décisif  en 
faveur  de  la  plaisante  théorie  qui  veut  donner  à  l'homme 
une  origine  simienne. 

Mais  l'évéque^missionnaire  vous  présente  aussitôt  une 
autre  photographie.  Ce  sont  encore  les  mêmes  sauvages. 
Cette  fois  une  large  couverture  couvre  à  moitié  leur  nudité  ; 
leurs  cheveux,  déjà,  ne  sont  plus  en  désordre,  et,  sur  leur 
physionomie  un  peu  adoucie',  se  peint  u<el  étonnement  naîf^ 
une  certaine  timidité.- 

La  troisième  photographie  nous  les  représente  presque 
habillés  à  l'européenne,  ayant  en  mrain  des  outils  de  tiavail 
et  la  figure épanouid  par  un  véritable  sourire  de  satisfaction, 
sans  doute  à  la  pensée  de  ne  plus  se  voir  aussi  laids  que 
l'orang-outang  ou  la  chimpanzé,  lenrs  prétendus  ancêtres. 

Enfin  les  photographies  suivantes,  au  nombre  de  trois  oo 
quatre,  accusent  de  plus  le  travail  simoltané  de  la  religion 
et  de  la  civilisation.  Le  sauvage  d'Australie  arrite  mente 
à  porter  avec  aisance  et  avec  une  certaine  dignité  les  vête- 
ments de  matelot  ou  d'ouvrier  anglais^  et  sa  femme,  sous 


275 

ses  habits  sipiples  et  décents,  ^  pris  up  air  de  modestie  et 
aurtout  de  bonlieur  satisfaîti  que  Ton  ^'explique  facilement 
en  voyant  à  ses  côtés  sa  fille  déjà  grande  et  ressem- 
blant, aoz  jeunes  pensionnaires  élevée»  en  Europe  parnoa 
Sœurs  de  Charité. 

Mgr  Salvadoj^donne  le  nom  de  Thomme  sauvage  et  de  sa 
femme  tirés  ainsi,  avec  tant,  d^autres  de  leurs  compatriotes^ 
de  la  misérable  existence  de  nomades  et  d'anthropophages. 
C'est  notre  vieille  connaissance  Bigliagoro,  qui  est  encore 
maintenant  l'un: des  meilleurs  sujets  du  village. monastique. 
Car  la  Isouvelle-Nursie  est  déjà  une  petite  cité  ;  et,  un  jour 
peut-être,  elle  deviendra  un  grand  centre  de  population, 
comme  beaucoup  de  nos  villes  d'Occident  qui  ont  commen- 
cé par  un  monastère. 

Nous  avons  dit  que  les  sauvages  australiens,  habitués  à 
la  vie  de  chasse  dans  les  bois  immenses  de  leur  pays,  ne 
pouvaient  être  assujétis,  après  leur  baptême,  à  un  travail 
trop  continu  ni  à  une  vie  trop  sédentaire.  La  sollicitude  pa- 
ternelle du  fondateur  de  la  Nouvelle-Nursie  a  su  y  pourvoir- 
*'  De  temps  à  autre,  nous  disait-  il,  j'envoie  les  nouveaux 
convertis  et  les  jeunes,  gens  de  la  mission  passer  une  semai- 
ue  ou  deux  dans  les  bois,  sans  autres  provisions  qu'un  peu 
de  farine  dans  un  sac.  Xls  ^doivent  se  procurer  le  reste  de 
leur  nourriture  par  la  chasse,  e^  coucher  sur  la  terre  dans 
de  petites  huttes,  construites  de  leurs  propres  mains  avec 
des  branchages.  J'obtiens,  par  ces  petjtes  excursions,  deux 
excelleqts  résultats:  je  fortifie  leur  tempérament,  qu'une 
vie  trop  renfermée  saurait,  pqur  cette  premièrei^  génération 
promptement  épuisée,  et  je  leur  fais  comprendre,  par  le  con- 
traste, tous  les  avantages  de  la  vie  de  famij.le  que  l'on  no^ae 
à  la  Nouvelle-Nursie." <    . 

Mais  il  y  a  aussi  des  expéditions  forcées  qui  ne  leur  sont 
p^s  moins  utiles.  Da^ns  les  ç[\pis  de  grandes,  chaleurs,  il 
lautp^fpis  a^e^  cl^^rcher  assez^loin  4es  paturSjges  pour  la 
subsistance  des  brebis.  On  choisit  alors  dans  )es  bergerie^ 
DU.  troupeau  de  brebis  .bien  vigoureuses,  que  l'on  envoie  en 
avant  et  que  l'on  confie  à  deux  m.oines,  assistés  d^  qijielques 
sauvages  de}a  nxission,  qu^  les  accompagpent  avep  leurs  fa- 
milles, leurs  chevaux,  leurs  bœufs  et  quelques  chiçus  de 


276 

forte  race.  Toute  la  troupe  part,  marchant  à  petites  journées, 
et  couchantsouslateDte.  On  finit  par  arriver  aux  pâturages 
dont  Tusage  est  cédé  assez  f aciletneut  par  le  gouTernement 
de  Perth.  Le  long  de  la  route,  on  se  nourrit  du  lait  des  bre- 
bis et  des  petites  provisions  que  Ton  a  pu  apporter  ;  parfois 
on  tnange  un  agneau.  Dès  que  le  troupeau  d'avant^garde 
est  sur  la  concession,  les  sauvages  se  dispersent  dans  les 
bois  et  rapportent  des  troncs  d^arbres  et  des  branches  à  lar- 
ges feuilles  pour  construire  les  cabanes  du  campement,  les 
clôtures  devant  seivir  de  bercail,  la  bergerie  des  brebis 
pleines,  enfin  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  une  installation 
de  quelques  mois.  Peu  après,  arriveat  en  longues  files  les 
grands  troupeaux  de  la  mission ,  mais  tout  est  préparé 
pour  les  recevoir  et  les  parquer,  et  pour  que  les  bergers  et 
leurs  familles  puissent  passer  le  temps  de  l'estivage  sans 
trop  de  fatigues.  On  le  voit,  c'est  le  mode  primitif  de  vivre 
et  de  voyager  employé,  il  y  a  près  de  quatre  mille  ans,  par 
les  patriarches  Abraham,  Isaac  et  Jacob,  dans  les  plaines 
du  pays  de  Chanaan. 

Ce  mélange  de  la  vie  nomade,  pastorale  et  agricole,  main- 
tient très-heureusement  la  santé  générale  des  Australiens 
de  la  mission,  les  habitue  doucement  aux  mœurs  des  pays 
civilisés  et  surtout  resserre  les  liens  qui  les  unissent  aux 
moines  espagnols  et  n'en  forment  qu'une  grande  famille. 

Pour  les  attacher  plus  sûrement  au  sol  qu'ils  cultivent, 
Mgr  Salvado  a  l'intention  de  les  déclarer  propriétaires,  de- 
vant la  loi  anglaise,  de  la  portion  de  terrain  qui  entoure 
leurs  cabanes  ;  mais  il  nous  avouait  que  l'heure  n'en  était 
pas  encore  venue,  tant  cette  idée  de  fixer  pour  toujours  sa 
demeure  en  un  même  lieu  parait  étrange  à  ces  enfants  des 
forêts,  dont  la  vie  se  passait  à  chasser  les  bêtes  fauves  sur 
toute  la  surface  de  leur  terre  natale.  Il  faudra  peut-être 
attendre  la  seconde  génération.  Déjà  cependant  le  chef  de 
la  colonie  monastique  les  a  déclarés  propriétaires  des  mai- 
sonnettes qu'ils  habitent.  Cette  possession,  qui  les  flatte, 
les  amènera  peu  à  peu  à  la  pensée  de  devenir  propriétaires 
du  sol  et  véritablement  citoyens  de  l'Australie.  L'art  des 
transitions  est  nécessaire,  même  dans  les  missions  établies 
à  nos  antipodes. 


277 

Les  s  accès  croissants  de  la  colonie  monastique  excite»- 
rent  d'abord  la  jalousie  des  colons  protestants^  et  nous 
avons  vu  que  les  ôieyeurs  de  bestiaux  européens  cherchaient 
-à  détourner  les  sauvages  de  se  rendre  à  la>  mission  bénédic- 
tine et  suscitaient  aux  moines  espagnols  toutes  sortes  d'em- 
barras. Mais  le  gouverneur  de  Perth  ne  partageait  ni  ces 
mesquines  préventions,  ni  cette  basse  envie.  Les  visiteurs 
devenaient  plus  fréquents  à  la  Nouvelle-Nursie,  et  tous 
admiraient  franchement  les  heureux  résultats  de  la  coloni- 
sation catholique.  Un  ministre  protestant  écrivait  à  son 
évêque  :  ^^  Ce  que  j'ai  vu  dans  la  mission  esjygnole  de  Perth 
m'a  rappelé  les  premiers  temps  de  TEglise."  Miss  Florence 
'Nigthingale,  si  connue  par  son  dévouement  pour  les  bles- 
sés pendant  la  guerre  de  Crimée,  publiait  à  Londres,  les 
lignes  suivantes,  après  son  voyage  d'Australie  :  "  La  néces- 
lûté  de  faire  pénétrer  graduellement  les  habitudes  des  pays 
civilisés  chez  les  races  sauvages  de  ce  nouveau  monde,  au 
moyen  de  l'éducation,  ne  me  parait  avoir  été  connue 
nulle  part,  excepté  dans  le  monastère  bénédictin  de  la 
Nouvelle-Nursie." 

L'évèque  anglican  de  Perth,  comprenant  que  les  succès 
de  la  colonisatisn  monastique  étaient  un  cruel  reproche 
^our  l'indifférence  de  ses  coreligionnaires  dans  la  question 
de  la  civilisation  des  Australiens,  s'efforg^  par  des  conféren- 
'oes  publiques,  d'engager  les  colons  anglais  à  contribuer  à 
la  fondation  d'une  nouvelle  mission  protestante  pour  les 
sauvages  de  son  diocèse.  Mais^  pi  les  habitants  de  Perth,  ni 
les  colons. ne  voulurent  lui  prêter  l'oreille;  et,  comme  il 
revenait  à  la  charge,  on  lui  répondit  par  la  voie  des  jour- 
naux de  la  manière  suivante:    ^' C'est  notre  conviction 
profonde  que  les  missions  anglaises  pour  les  sauvages,  tant 
dans  l'Australie  occidentale  qu'autre  part,  ont  échoué  parce 
que  l'objet  principal  des  fondateurs  était  de  Caire  de  ces. 
Australiens  des  hommes  élégants  et  instruits.    Nous  croy* 
«ons  que,  si  les  missionnaires  de  la  Nouvelle-Nursie  ont 
Jbeaucoup  mieux  réussi,  c'est  uniquement  parce  que,  sans 
négliger  le  développement  de  l'intelligence  chez  les  sauva- 
.ges,  ils  ont  surtout  cherché  à  corriger  leurs  moeurs  d'après 
Jes  préceptes  du  Christ  et  à  réunir  l'éducation  morale  à  l'é- 


278 

ducatîon  physique,  de  manière  à  faire  de  TAustralien  un 
homme  laborieux  et  utile  à  la  société.  (1)  " 

Une  autre  feuille  protestante  disait:  **  La  prédicatioa 
seule  ne  servira  de  rien  pour  la  civilisation  des  sauvages 
de  l'Australie.  La  première  chose  à  faire  est  de  les  rendre- 
probes,  laborieux  et  industrieux.  Ce  travail  est  plus  difS- 
cile  que  d'en  faire  seulement  des  chrétiens  de  nom.  Jus- 
qu'à présent,  l'unique  et  véritable  réussite  a  été  obtenue  par 
la  colonie  catholique  de  Victoria-Plains.  Dans  cette  mis- 
sion des  moines  espagnols,  les  indigènes  sont  dressés  très- 
heureusement  au  travail  et  en  connaissent  les  avantages  (2).'^ 
Le  môme  journal  s'exprimait  ainsi,  dans  un  autre  numéro  : 
*'  Les  succès  obtenus  par  les  Bénédictins  de  la  Nouvelle- 
Nursîe  nous  indique  clairement  Punique  méthode  de  la- 
quelle  on  peut  attendre  quelque  heureux  résultat.  Mais 
la  difficulté,  ajoutait  naïvement  le  joui^naliste  anglais,  sera 
toujours  pour  les  protestants,  de  pouvoir  établir  et  mainte- 
nir une* institution  analogue  avec  nos  habitudes  de  confort 
et  surtout  de  trouver  un  pareil  nombre  d'hommes  pleins 
d'abnégation  d'eux-mêmes,  patients,  persévérants  et  eRtià- 
rement  dévoués  à  cette  œuvre  de  civilisation." 

Enûn  un  rédacteur  protestant  de  Petth^s  Qaz^tte^  ayant  as- 
sisté, dans  une  visité  à  la  Nouvelle-'Nursie,  au  mariage  de 
deux  indigènes,  écrivit  ses  impressions  en  ces  termes: 
*^  J'ai  vu,  dans  la  colonie  des  moines  espagnols,  une  céré- 
monie, qui  aurait  intéressé  ^vivement  tous  mes  lecteurs, 
désireux  comme  moi  de  voir  se  relever  la  race'^australienne. 
C'était  le  mariage  d'un  jeune  sauvage  avec  une  fille  des 
bois.  Il  m^a  fallu  le  témoignage  des  respectables  prêtres 
romains  de  Victoria  Plains  pour  croire  que  ce  jeune  couple, 
qui  porte  il  est  vrai-  tous  lés  caractères  de  sa  nationalité^ 
avait,  dans  son  enfance,  'vécu  dans  les  forêts  à  l'état  ada- 
miqne  (qu'on  me  passe  cette  expression).  .La  fiancée  entra 
danâ  l'église  de  la  mission,  toute  habillée  de  blanc,  ce  qni 
faisait  ressortir  sa  péan  brune  et  sed  che>vèux  noit^.  Le 
fatur  époux   étaît^  lui'  aussi,  vêtu  très-obnvenablemeat. 


.it . 


(1)  Tht  fnquirvr  ùfHew-PtrlK  15  novembèrl86^.  ' 

p)  Penh: s  Gazette  and  Weneni-AuèraHà's  Times)  17  novembre  I8W. 


279 

Après  le  mariage,  il  y  eut  un  déjeuner,  et  cinquante  sauva- 
.^es  y  prirent  part,  à  c6té  ctes  nquveaux  époux  ;  je  dois  dire 
que  leur  tenue  n'aurait  pas  fait  déshonneur  à  une  réunion 
de  ooions  earôpéeûs.  Après  le  repas,  je  domnai  de  bon 
cœur  une  poignée  de  main  à  ee  couple  intéressant-;  ils  me 
firent  visiter  leur  cottage.  Towt  y  était  en  ordre  et  r^Ue- 
ment  très-confortable.  J'en ^ûs .mon  compliment  au  Reli- 
gieujçqui  m'accompagnait,  en  lui  disant  que  beaucoup  de 
blancs,  à  Perth  et  à  Sydney,  seraient  heureux  d'être  logés  et 
fournis  de  tous  les  objets  nécessairesàla  vie  comme  ce  jeuiié 
ménage  australien  (1)." 

Ces  protestants  qui  louaient,  avec  une  loyauté  qui  les  ho- 
nore, les  succès  obtenus  par  les  moines  missionnaires,  ne 
voyaient  cependant  que  le  côté  matériel  de  la  colonisation 
catholique.    Ils  connaissaient  à  peine  le  mobile  élevé  qui 
portait  ces  Religieux,  dont  la  vie  aurait  pu  se  passer  si  dou- 
oement  dans  leur  patrie,  à  venir  jusqu'aux  antipodes  se  con- 
sacrer tout  entiers  à  la  -régénération  de  pauvres  sauvages, 
regardés  jusqu'alors  comme  les  rebuis  de  l'humanité.  Mais 
ces  moines  avaient  une  autre  tâche  à  remplir  et  peut-être 
plus  difficile;  c'était  de  soutenir  valeureusement  le  dra- 
peau de  l'Eglise  catholique,  en  présence  des  sectes  protes- 
tantes qui  pullulent  en  Australie,  comme  dans  toutes  les 
colonies  anglaises.    Mgr  Salvado,  aussi  bon  théologien  que 
missionnaire  dévoué  et  habile  administrateur.  Tarait  com- 
pris de  bonne  heure.    Aussi,  dès  que  la  vie  de  ses  moines  et 
de  ses  c'hers  Australiens  fut  à  peu  près  assurée  par  "-  le  la- 
bourage et  le  pâturage,  "  comme  s'exprimait  le  grand  tniniti- 
tre  Bully,  il  voulnt  avoir  une  bibliothèque  à  la  Nouveile- 
Nursie  et  appliqua  à  Tachât  des  livrés,  nécessaires  peur 
l'instruction  de  ses  Religieux  et  pour  les  besoins  de  la  con- 
troverse aveC'les  héréti^ues^  toutes  les  intentions  de  oiésees 
.des  prêtres  de  sa  communauté* 


^(1)  Perih^i  Gazetiô,  Il  novembre  1866. 


)  • 


CHAPITRE  IX 

Lettre  de  Mgr  Salvado  fliir  Tétat  âetuel  de  la  oolome  Mnédictine.— Mgr- 
Salvadû  nomué  abbé  Jiuliius  et  vioaire  apostolique  de  la  Nouvelle» 
Nursie. 

La  lettre  qui  suit  de  S.  6.  Mgr  Salvado  montrera,  mieux 
que  toutes  nos  paroles,  la  position  difficile,  faite  aux  Béné- 
dictins, entre  les  sauvages  anthropophages  et  les  Anglais 
protestants,  c'est-à-dire  entre  rex|rême  barbarie  et  l'extrême 
civilisation. 

Australie  oodtentale.    Monastère 
de  la  Nouvelle-Nursie,  ce  16  mai  1876. 

"  Très-cher  Père  dom  Théophile, 

^*  Je  viens  de  recevoir,  par  mon  agent  de  Londres,  votre 
aimable  lettre  du  6  février  1874  ;  elle  a  été  pour  moi  ua 
véritable  régal  ;  puisqu'elle  m'annonce  l'aorrivêe,  par  le- 
premier  paquebot,  de  la  Patrologie  latine.  Merci  de  vous 
être  occupé  de  cette  affaire  avec  tant  de  soin. 

'^  Mon  intention  est  de  former  peu  à  peu  une  bibliothè- 
que dans  ces  déserts  de  l'Australie  :  une  communauté- 
monastique  sans  livres,  est  conmie  un  bataillon  sans  armes^ 
Nous  avons  déjà  quelques  bons  ouvrages,  parmi  lesquels 
la  Bible  polyglotte,  les  Biblia^  regia^  magna  et  maxima^  saint 
Thomas,  les  BoUandistes,  les  Àcta  sanctorum  de  l'Ordre  de 
Saint  Benoit,  la  Patrologie  grecque,  la  Bibliothèque  de  Fer- 
rari, le  Dictionnaire  de  théologie  de  Bergier,  les  ArmaUs  de 
la  PropogaHon  de  la  Faij  qus  qous  devons  à  votre  R.  P. 
Prieur,  etc.;  et  nous  aurons  bientôt  la  Patrologie  latine. 

^^  Mais,  en  vérité,  dans  la  position  où  nous  sommes  ici,, 
obligés  de  défricher  nos  bois  et;  de  labourer  pour  avoir  du 
pain,  de  garder  les  brebis,  les  vaches  et  les  chevaux  pour* 
nous  procurer  quelques  ressources,  de  faire  des  briques  et 
des  charpentes  pour  ne  pas  coucher,  comme  autrefois,  en. 
plein  air,  n'est-il  pas  ridicule  que  nous  prétendions  nous  oc- 
cuper aussi  de  Polyglotte  et  de  Patrologie  î  Ridicule  ou  non^ 
Yoilà  le  fait  ;  et,  au  Ueu  de  m'en  repentir,  je  suis  déterminé- 


281 

-à  augmenter  le  plus,  qua  je  pourrai  notre  petite  bibliothè- 
que ;  car  rhomme  ne  vit  pas  seulement  de  pain. 

''  Vous  allez  peut-être  rire  de  tout  cela,  vous  qui  avez  à 
TOtre  disposition  la  belle  bibliothèque  de  Solesmes,  et,  à 
Paris  et  ailleurs,  les  plus  grandes  bibliothèques  du  monde. 
Hais  nous,  au  fond  de  nos  bois,  à  quelle  bibliothèque  pou- 
vons-nous recourir?  Vous  direz  sans  doute  que,  vivant  au 
miheu  des  sauvages,  il  ne  parait  pas  probable  que  nous 
^yons  de  graves  questions  à  examiner  ou  des  cas  embarras- 
sants à  résoudre.    Cependant,  il  n'y  a  pas  bien  longtemps, 
si  nous  n'avions  pas  eu  en  main  la  Somme  de  saint  Tho- 
mas, nous  n'aurions  pas  su  nous  tirer  d'une  difficulté  rela- 
tive à  un  baptôme  d'adulte.  D'ailleurs,  nous  nous  irouvons 
en  contact  avec  bien  des  gens  qui  ne  sont  pas  catholiques, 
et  dont   on  ne   connaît    même  pas  la    religion.     Pour 
ces  sortes  de  personnes,  toutes  les  croyances  sont  bonnes, 
sauf  la  croyance  catholique,  à  laquelle  ils  font  tous  la  guerre, 
6t  parfois  leurs  objections  et  leurs  accusations  ne  sont  pas 
si  faciles  à  réfuter.  Il  y  a  peu  de  mois,  un  journaliste  protes- 
tant citait,  en  faveur  de  ses  fausses  opinions,  les  paroles 
d'un  saint  Père.    Nous  avons  fini  par  trouver  cette  cita- 
tion dans  la  Patrologie  grecque  ;  mais  le  journaliste  l'a- 
vait falsifiée  dans  un  sens  favorable  à  l'hérésie.    Comment 
aurions-nous  pu  faire  cette  vérification  si  nous  n'avions  pas 
eu  de  Patrologie  ?  Mais  j'ai  tort  de  tant  insister  pour  vous 
prouver  la  nécessité  d'une  bibliothèque,  même  dans  les 
bois  de  l'Australie.    Vous  êtes  moine  bénédictin;  vous 
devez  donc  penser  comme  moi  sur  ce  point. 

^  Le  même  courrier  qui  vous  portera  cette  lettre,  vous 
fera  parvenir  deux,  publications  anglaises.  La  première 
concerne  la  colonie  monastique  ;  La  seconde,  les  naturel^ 
du  pays;  toutes  deux  ont  été  imprimées  par  l'ordre  et 
aux  frais  du  gouvernement  coloniaL  Dans  la  première, 
vous  pourrez  avoir  mne  idée  d|^  la  composition  géologique 
du  sol  que  nous  habitons  :  dans  la  seconde,  vous  trouverez 
de  nombreux  détails  sur  les  coutumes  des  sauvages  austra^ 
liens.  Cette  dernière  publication  commence  par  une  relation 
que  j'ai  faite  pour  réfuter  ce  que  les  agents  du  gouverne, 
ment  avaient  écrit  sur  les  indigènes,  qu'ils  calomniaient  à 


i82 

plaisir  et  qu'ils  assimilaient  presque  à  des  singes.  Je  ne 
croyais  pas  que  le  gouTerneur  de  Perth  la  ferait  imprimer» 
Suit  un  abrégé  historique  de  notre  mission,  dû  à  la  plume 
de  mon  Prieur,  dom  Venance  Garrido,  que  nous  avons  eu 
le  malheur  de  perdre  le  12  octobre  187Ô.  Eitfln  tous  verrez 
plus  loin  une  sorte  d'arbre  généalogique  des  principales  fa- 
milles de  nos  sauvages,  que  j*ai  dressé  afin  de  savoir 
quelles  personnes  peuvent  s'unir  en  mariage,  sans  violer 
les  lois  de  l'Église  et  leurs  propres  coutumes  nationales. 
On  y  a  joint  un  exposé  des  usages  des  aborigènes  recueillis 
par  l'interprète  du  gouvernement  colonial. 

"  En  ce  moment,  nous  construisons  plusieurs  maisonnet- 
tes destinées  à  quelques  futurs  ménages  de  sauvages,  qui 
n'attendent,  pour  se  marier,  que  l'achèvement  de  leurs  habi- 
tations. C'est  ainsi  que  nous  procédons.  Nous  aUons  len- 
tement,  mais  aussi  plus  sûrement  (1). 

^^  Dimanche  prochain,  nous  baptiserons  srz  jeunes  filles 
australiennes.  Je  vous  dirai  en  peu  de  mots  comment 
elles  se  trouvent  ici. 

^^  Depuis  longtemps  elles  désiraient  venir  à  la  mission  ; 
mais  la  grande  distance  qui  les  séparait  de  nous  (près  de  2(X> 
milles)  les  arrêtait,  non  qu'elles  n'eussent  pas  le  courage  de 
faire  la  route  à  pied,  mais,  devant  traverser  les  montagnes 
et  des  forêts  occupés  par  des  sauvages  barbares  et  anthropo^ 
phages,  elles  craignaient  d'être  tuées  et  mangées,  ce  qui,  di- 
saient-elles naïvement,  leur  aurait  fait  manquer  entière- 
ment le  but  qu'elles  se  proposaient. 

^'  La  Providence  vint  à  leur  aide.  Elle  leur  inspira  la  pen- 
sée de  s'adresser  au  prêtre  catholique  le  plus  voisin  du 
campement  de  leur  famille.  Gelui-cij  ayant  de  ma  part 
carte  blanche  pour  avancer  tout  Targent  nécessaire  dans 
des  cas  semblables,  paya  leur  voyage  dans  une  barque,  car 
ces  jnunes  filles  sauvages  habitaient  non  loin  d'un  port  de 
mer,  et  bientôt  elles  furent  rendues  à  Perth.  Le  gouver- 
neur, sir  Weld,  fut  aussitôt  averti  par  le  commandant  du 


(1)  Une  cinquantaine  de  ces  petites  maisons  sont  disséminées  autour 
du  monastère  de  la  Nouvelle-Nursie  et  forment  déjà  comme  une  petit» 
cité. 


283 

fQTi  d'où  elles  étaient  parties.  Cet  officier,  protestant  fana- 
tique, affirmait  qu'on  les  avait  enlevées  malgré  leur  volon- 
té, malgré  la  réaistaxice  dç  leurs  paxents  et  de  leurs  amis. 
Le  gouverneur  les  fit  arrêter  ^t  m'écrivit  pour  que  je  pusse 
^examiner  l'afiairo.  (  Heureusement,  je  me  trouvais  à  Perth. 
Je  me  rendis  auprès  de  ces  Australiennes*  Je  les  trouvai  si 
déterminées  à  me  suivre  à  la  Nouvelle-Nursie,  que  je  pro- 
posai hardiment  au  gouverneur  de  faire  décider  le  cas  par 
l'attorney  ou  procureur,  général  de  la  colonie  anglaise.  On 
y  consentit.  Ce  magistrat  interrogea  lui-môme  ces  pau- 
vres filles,  et  fut  très-étonné  de  voir  qu'il  n'avait  pas  '^  une 
goutte  de  vérité  "  dans  le  rapport  du  commandant.  Il  me  dit 
aussitôt  que  je  pouvais  les  emmener  à  la  colonie  de  Victoria 
Plains  et  qu'il  en  prenait  toute  la  responsabilité. 

"  Vous  voyez,  mon  cher  Père,  par  ce  fait,  contre  quelles 
difficultés  nous  devons  combattre  pour  faire  avancer  notre 
CEuvre.  Certainement  nous  avons  fait  peu  de  choses  à  la 
Nouvelle-Nursie;  cependant,  si  vous  me  demandez  dans 
quelle  partie  de  l'Australie  on  a  fait  davantage  ou  même  au- 
tant que  chez  nous^  la  vérité  m'oblige  de  répondre  :  nulle 
part.  Je  dirai  plus:  lorsque  les  protestants  viennent  nous 
visiter,  ils  admirent  beaucoup  les  progrès  de  nos  sauvages  ; 
leurs  journaux  eux-mômes  nous  prodiguent  des  éloges,  tout 
en  ajoutant  qu'il  est  bien  fâcheux  que  cette  colonie  soit  ca- 
tholique. Aussi  croyez  bien  que,  malgré  leurs  beaux  senti- 
ments, nombre  d^entre  eux  chanteraient  un  Te  Deum^  si 
-elle  venait  à  périr,  ce  dont  Dipu  nous  garde  ! 

'^  Dans  les  derniers  mois  de  l'an  passé,  nous  avons  ache- 
vé la  construction  d'une  maison  pour  la  station  télégraphi- 
que qui  nous  relie  avec  Perth,  et,  par  la  continuation  du 
fil  électrique,  avec  toute  l'Australie  occidentale,  en  atten- 
dant que,  Perth  étant  reUé  ,4^  la  môme  manière  à  Sydney, 
la  métropole  de  ce  continent,  no^s  soyons  en  communica- 
tion directe  avec  l'Europe*  Mais  voici  un  fait  qui  me  parait 
plus  remarquable.  Une  jeune  AustraUenne  qui,  il  y  a  peu 
d'années,  courait  dans  les  bois  avec  son  père  et  sa  mère, 
anthropophages  comme  elle,  fut  reçue  à  la  mission.  On 
l'instruisit,  on  la  baptisa,  on  lui  donna  une  éducation  plus 
soignée  qu'à  ses  compagnes,  parce  qu'elle  était  plus  intelli- 


♦t 


284 

gente,  on  la  maria,  et  maintenant  elle  est  la  directrice  d<^ 
notre  bureau  de  poste  télégraphique.  Le  gouremement  de 
la  colonie  anglaise  lui  donne,  arec  le  logement,  750  franc» 
par  an.  Tous  les  journaux  protestants  de  l'Australie  ont  ra- 
conté cet  événement  avec  de  grands  éloges  poar  la  mission 
où  Ellen  Cuper,  c'est  le  nom  de  la  jeune  sauvage,  a  été  éle- 
vée. Son  premier  télégramme  a  été  un  remerciement  adressé 
au  gouverneur,  sir  Weld,qui  l'avait  nommée  à  cet  emploL 

^'  En  vérité,  jen'aurais  jamais  cru  voircelaenranaée  1874. 
lorsque  j'arrivais,  il  y  a  vingt-huit  ans,  dans  ces  bois  déserts 
n'ayant  plus  de  chaussures,  presque  sans  vêtements  ;  sans 
abri,  sans  provisions  ;  réduit  à  faire  ma  nourriture  des  cou- 
leuvres, des  lézards,  des  vers  de  terre  ;  au  milieu  de  sauva- 
ges féroces,  qui  ne  se  seraient  fait  aucun  scrupule  de  me 
tuer  pour  me  manger,  si  la  Providence  n'avait  protégé  mes 
jours.  Quel  chemin  parcouru  dans  ce  quart  de  siècle  f 
Dieu  soit  béni  de  tout  1  car  tout  lui  est  dû,  et,  après  lui,  à 
notre  bienheureux  Père  saint  Benoit. 

^^  J'ai  commencé  cette  longue  lettre  le  16  mai  et  je  la  fi- 
nirai le  13  juin,  parce  que  j'ai  manqué  le  dernier  paquebot 
de  Perth.  Nous  sommes,  en  ce  moment,  entièrement  oc- 
cupés aux  travaux  des  champs.  En  labourant  chaque  jour 
avec  quatorze  ou  quinze  arados  (charrue»),  on  parvient  k 
défricher,  en  une  semaine,  un  bon  morceau  de  terrain. 
Les  charrues  sont  en  fer,  et,  quoiqu'elles  aient  chacune 
deux  roues,  elles  sont  assez  pesantes.  Néanmoins,  deux 
forts  chevaux,  élevés  pour  ce  travail,  les  tirent  facilement. 
Cinquante  chevaux  consomment  chaque  jour,  il  est  vrai^ 
pas  mal  de  fourrage  et  d'avoine  ;  mais  ils  les  gagnent  bien» 
En  même  temps  que  nous  labourons,  nos  brebis,  dont  les 
troupeaux  sont  gardés  par  trente-deux  bergers  indigènes^ 
nous  donnent  beaucoup  d'agneaux.  Nous  en  avons  grand 
besoin  J  car  ce  sont  là  toutes  nos  ressources  pour  faire  vi- 
vre tant  de  monde  autour  de  nous.  Nous  nous  occupons 
ausii  à  construire  une  troisième  partie  de  notre  monastère. 
Peu  à  peu  nous  arriverons  à  le  compléter.  V6us  le  voyex^ 
nous  ne  manquons  pas  de  besogne.  A  peine  un  travail 
est-il  terminé,  qu'il  en  faut  commencer  un  autre. 

*'  Nous  avons  vu  dernièrement  arriver  des  mineurs  qui 


285 

viennent  examiner  la  contrée  pour  savoir  si  Ton  y  trouve 
de  l'or.  Ils  ont  creusé  plusieurs  puits,  à  une  douzaine  de 
milles  de  la  Nouvelle-Nursîe,  vers  Test,  et  ils  ont  trouvé' 
quelques  échantillons  de  ce  métal,  mais,  jusqu'à  présent, 
en  quantité  à  peine  suffisante  pour  couvrir  la  dépense.  Ils 
sont  allés  plus  loin,  avec  l'intention  de  revenir,  espérant 
trouver  de  nos  côtés  de  beaux  ûlons,  s'ils  peuvent  décou- 
▼tir  la  veine  aurifère.  La  nouvelle  de  cette  découverte  m'a 
Tivement  affligé  craignant,  non  sans  raison,  que  noire  co- 
lonie monastique  n'en  souffre  beaucoup.  Dès  qu'on  ap- 
prendrait que  le  précieux  métal  se  rencontre  dans  notre 
▼oisinage,  tous  nos  alentours  seraient  bientôt  remplis  de 
milliers  de  mineurs,  parmi  lesquels  abondent  les  gens  sans 
aveu  et  les  bandits.  Mais  si  l'or  ne  se  trouve  qu'à  une  as 
sez  grande  distance  de  notre  monaslère,  j'en  serai  bien  aise 
pour  le  gouvernement  colonial. 

^'  Je  termine  cette  trop  longue  lettre  en  vous  souhaitant 
toutes  les  prospérités  de  la  terre  et  du  ciel,  et  en  me  disant 
cordialement, 

*^  Votre  frère  affectionné  en  Notre -Seigoeur  et  saint 
Benoit, 

"  •}•  ROSENDO  SaLVADO, 

*•  Évéque  de  Port-Victoria  et  abbé  de  la  Nouvelle-Nursie.  " 

Mous  nous  sommes  laissés  entraîner  un  peu  loin  de  notre 
récit  par  cette  lettre  et  par  les  détails  que  nous  avons  re- 
cueillis sur  la  colonie  monastique  de  Victoria-Plains. 

De  1857  à  1865,  Mgr  Salvado  continua  ses  travaux  aposto- 
liques et  donna  une  extension  considérable  à  son  monastère. 
n  n'allait  que  rarement  à  Perth  ;  mais,  toutes  les  fois  que 
sa  présence  était  réclamée  par  l'administrateur  aposto- 
lique de  ce  diocèse,  nommé  depuis  la  démission  de  Mgr 
Brady,  il  se  rendait  à  ses  désirs  et  donnait  le  sacrement  de 
la  confirmation  dans  la  capitale  de  l'Australie  occidentale. 

Il  pensait  donc  vivre  et  mourir  au  milieu  de  sa  nombreu- 
se famille,  lorsqu'il  apprit  d'Europe  qu'on  voulait  l'élever 
sur  le  siège  épiscopalde  Perth.  Son  zèle  ardent  pour  la  con- 
version des  indigènes,  sa  haute  capacité  administrative,  la 
grande  influence  qu'il  s'était  acquise  dans  les  conseils  su- 


^^ 


286 

pérâurs  de  ]a  colonie  anglaise,  tout  le  déaigaait  pour  reoi- 
plir  ce  poste  important  Mais  il  lui  aurait  fallu  quitter  pour 
toujours  la  Nouvelle-Nursie,  laisser  à  des  maias  sans  doute 
moins  expérimentées  une  œuvre  qui  lui  devait  tout  son 
accroissement.  Mgr  Salvado  prit  un  grand  parti.  Il  ré- 
solut d'aller  à  Rome  pour  plaider  lui-même  la  cause  de 
la  mission  confiée  à  ses  soins,  et  pour  sup;^lier,  disait-il 
dans  son  humilité,  le  Trës-Saint-Père  de  ne  pas  charger  les 
épaules  d'un  pauvre  évèqoe  des  sauvages  d'un  fardeau 
qu'elles  ne  pourraient  porter.  Il  exposa  à  son  Em.  le  car- 
dinal Barnabo,  alors  préfet  de  la  Propagande,  les  résultats 
déjà  obtenus  à  la  Nouvelle-Nu rsie  et  ses  plans  pour  l'avenir, 
dans  un  remarquable  mémoire,  qui  fut  admiré  des  consul- 
teurs  de  cette  Congrégation,  et  il  eut  la  consolation  de  voir 
ses  vœux  exaucés. 

Le  12  mars  1867,  le  jour  de  la  fête  de  saint  Grégoire-le- 
Grand,  lui  aussi  l'apôtre  monastique  d'un  grand  peuple,  le 
pape  Pie  IX  donna  une  buUe  qui  érigeait  le  monastère  de 
la  Nouvelle-Nursie  en  Abbaye  nuUius  dioeeesis  et  en  Préfec- 
ture apostolique,  comprenant  un  espace  de  seize  milles  car- 
rés autour  de  la  colonie  bénédictine,  dont  Sa  Sainteté  for- 
mait un  véritable  diocèse,  distinct  de  celui  de  Perth,  quoi- 
qu'il s'y  trouve  enclavé.  Mgr  Salvado  était  nommé,  par  la 
même  bulle.  Abbé  perpétuel  et  Préfet  apostolique  de  la 
Nouvelle- Niirsie,  cette  dignité  et  cette  charge  devant»  après 
lui,  passer  à  ses  successeurs.  C'était  le  digne  couronnement 
du  long  et  pénible  apostolat  de  Mgr  Salvado  ;  ce  sera,  nous 
l'espérons,  la  plus  sûre  garantie  des  accroissements  réser- 
vées aux  missions  monastiques  de  l'Australie. 

Le  Souverain  Pontife  voulut  que  l'ancien  Bénédictin  de 
Saint-Martin  de  Compostelle  assistât  aux  fêtes  dn  dix-neavi- 
4  ème  centenaire  du  martyre  de  saint  Pierre,  pour  y  représen- 

-ter,  avec  Mgr  Polding,  archevêque  bénédictin  de  Sydney,  les 
Églises  du  continent  océanien.  Après  ces  glorieuses  soleo 
nités,  Mgr  Salvado  vint  en  France  et  obtint  des  Conseils  de 
la  Propagation  de  la  Foi  quelques  secours  pour  sa  loinaine 
mission.  De  là,  il  se  rendit  en  Espagne,  où  la  reine  Isa- 
belle II  lui  fit  l'accueil  le  plus  sympathique.  Sa  pensée  était 
d'établir,  non  loin  de  Madrid,  un  monastère  de  son  Ordre» 


i 


287 

qui  devait  être  en  mâme  temps  un  aéminairef  un  collège  et 
une  ferme-école  pour  les  jeunes  Espagnols  désireux  de  se- 
consacrer,  sous  le  froc  bénédictin,  à  Tévangélisation  des 
sauvages  de  TAustralie.  On  dit  même  que  la  reine  voulait 
lui  céder,  dans  ce  but,  une  portion  de  Timmense  palais  de 
TEscurial,  qui  n'est  aujourd'hui  qu'un  désert  de  pierre.  Les 
projets  de  Tévêque-missionnaire  furent  trës-goûtésdugéné- 
reux  peuple  espagnol,  et  le  journal,  le  Pansamiento^  expri- 
ma en  ces  termes  le  sentiment  public  de  la  nation  :  ^^  On 
annonce  que  Mgr  Salvado,  évêque  de  Port- Victoria,  en 
Australie,  après  vingt  années  de  travaux  apostoliques  dans 
ce  nouveau  continent,  est  venu  en  Espagne  avec  la  pensée 
d'établir  un  monastère-coIlége  bénédictin  pour  les  missions 
d'outre-mer.  Cetre  maison  servira  aussi,  nous  assure-t-on, 
de  ferme-école,  aûn  que,  comme  aux  temps  primitifs  de 
leur  Ordre,  les  moines  puissent  unir  le  travail  à  la  prière, 
se  former  eux-mômes  et  former  ensuite  leurs  néophytes 
aux  utiles  labeurs  de  l'agriculture.  Le  gouvernement  de 
Sa  Majesté  la  Reine  (que  Dieu  garde  !)  favorise  ce  dessein 
que  tout  Espagnol,  digne  de  ce  nom,  approuvera  et  qui  se- 
ra d'un  si  heureux  exemple  pour  les  populations  de  nos 
campagnes  (1).  "  Le  Moniteur  Universel^  journal  of&ciel  de 
l'Empire  français,  s'associa  lui-même,  dans  son  numéro  du 
31  mars  1868,  à  ces  éloges,  et  donna  les  plus  grands  encou- 
ragements à  l'œuvre  chrétienne  et  civilisatrice  du  fonda- 
teur de  la  NouveJle-Nursie.  Mais,  on  le  sait,  la  révolution 
renversa  peu  de  temps  après  le  trône  de  la  reine  Isabelle,  et  le 
projet  de  Mgr  Salvado  ne  put  s'exécuter.  Néanmoins  l'évo- 
que profita  de  son  séjour  dans  sa  catholique  patrie  pour  re- 
cruter un  bon  nombre  de  jeunes  Espagnols  tout  dévoués  à 
son  œuvre. 

Il  était  à  Rome,  à  l'époque  du  Concile  du  Vatican,  ce 
vaillant  évêque  des  Australiens,  toujours  plein  de  force  et 
d'ardeur,  quoiqu'il  eût  alors,  depuis  quelques  années,  dé- 
passé la  cinquantaine  (2).  On  pense  bien  que  dans  cette  so- 
lennelle assemblée  où  sa  science  théologique  et  sa  piétô 


(t)  Le  journal  îe  Monde,  du  5  mars  1868 

(2)  Mgr  Salvado  est  né  à  Tuy,  en  Galice,  le  1er  mars  1814. 


288 

furent  remaïquées,  il  ae  trouva  toujours  parmi  les  dôfen* 
seurs  les  plus  convaincus  et  les  plus  écoutés  de  rinfaiUibilt 
té  du  Vicaire  de  Jésus-Christ.    Avant  de  repartir  poar  lo" 
Nonveau-Monde,  il  fit  connaître  au  bureau  central  de  la  Pro-* 
pagation  de  la  Foi,  l'état  prospère  de  sa  colonie  monastique 
et  de  son  abbaye,  où  vivent  maintenant  72  moines,  tons  Es» 
pagnols.    '^  Mais,  disait-il,  nous  sommes  toujours  et  poar 
longtemps  encore  les  enfants  de  la  Providence,  parce  que,  à 
mesure  que  nos  ressources  augmentent,  nous  admettons  tut 
plus  grand  nombre  de  sauvages  à  partager  notre  vie.    Ler 
indigènes  de  cette  première  génération  ne  peuvent  pas  en* 
core  se  suffire  ;  il  faut  que  nous  les  aidions  en  beaucoup  de 
manières.    Qu'il  survienne  une  longue  sécheresse  ou  des 
pluies  prolongées,  une  épizootie  sur  les  bestiaux  ou  une  ^pi> 
demie  chez  les  sauvages,  comme  en  1860  :  voilà  toutes  noft 
réserves  épuisées  et  nous  nous  trouvons  réduits  presque  à  la 
mendicité.  Lorsque  la  seconde  génération  de  nos  Âustrar 
liens  sera  arrivée  à  l'âge  d'homme,  elle  pourra  se  passer  d« 
notre  secours,  parce  qu'elle  aura  eu,  dès  l'enfance,  l'habita* 
de  du  travail,  de  l'ordre  et  de  l'économie  comme  chez  les 
bons  agriculteurs  de  l'Europe,  Nous-mêmes,  dans  quelques 
années,  nous  aurons  terminé  nos  constr^ictions,  qui  absor- 
bent tout  ce  qui  n'a  pas  été  dépensé  pour  l'entretien  journa- 
lier de  plus  de  trois  cents  personnes.  Nous  ne  serons  plus  ré- 
duits alors  à  tendre  la  main  à  nos  frères  de  l'Ancien  Monde, 
et  nous  pourrons  vivre  de  notre  f)ropre  vie,  toujours,  11  est 
vrai,.à  la  sueur  de  notre  front,  mais  enfin,  avec  nos  ressoui^ 
ces  personnelles.  " 

FIN   DE   LA   PREMIÈRB  PARTIE. 


f 


ANNALES 


DBXA 


PROPAGATION  DE  LA  FOI 

l 

f 

POUR  LA  PROVINCE  DE  QUEBEC 

I 


FËVBIEB  1879. 


«NOUVELLE   SEBIE) 


SEPTIÈME  NUMÉRO. 


J£OJT^IiE:fiL  f 
DES  PRESSES  A  VAPEUR  DE  PUNGUET  &  FILS, 

22,  RUB  ST.  GABRIEL. 


1879 


Permis  d'imprimer, 

4^  E0OUARD  Ch.  Et.  de  MontréaL 


COMPTES-RENDUa 


DIOCÈSE  DE  QUÉBEC. 


Etat  des  Recettes  de  f  Œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi^  dans 
le  Diocèse  de  Québec^  pour  Vannée  1878 

(Le  signe  *  indique  que  la  contribution  ou  une  partie  d'icelle,  a  été 
envoyée  après  la  fermeture  des  comptes.  On  la  trouvera  indiquée  à  la 
suite  de  ce  compte-rendu.) 

(Vl'eme  'année.) 

VILLE   DE   QUÉBEC. 


Rasilique  et  N.  O.  de  la 

Garde •$  311  52 

Arehevôché • 10  00 

Grand  Séminaire. ••••.•••  16  05 

Petit  Séminaire 29  90 

flotel-Dieu 27  75 

Dames  Ursulines.  .•••••••  39  00 

Hôpital  Général 34  81 

Sœurs  de  la  Charité 8  50 

Sœurs  du  Bon  Pasteur  "  .. 


Porté .....$    479  53 


Raporté $  479  53 

St.  Patrice 

St.  Laurent  du  Hdvre....  49  00 

Faubourg  St.  Jean 273  80 

St.  Roch ....  593  75 

St.  Sauveiu* 332  69 

Soldats , 2  00 

Ecole  Normale.... ••••••  '   4  05 

Asilo  des  Aliénés 10  00 


Porté $  1742  82 


CAMPAGNES. 


Rapporté  ..••••$ 

Agapit  St 

Agathe  Ste 

Alban.St 

Alexandre  St...... 

Ambroise  Bt • 

Anastasie  Ste ••. 

Ancienne  Lorette  .;•••••• 

André  St 

Auge-Gardien • 

Anges  SS.  de  la  Beauce... 
Anne  Ste.  do  Beaupré . .  «  • 
Anne  Ste.  de  Lapocatière.. 

Anselme  St 

Antoine  St 

Antonin  St •  ...• 

Apollinaire  St 

Aubert  St 


1742  82 
10  00 
32  00 
35  00 
15  50 
69  25 
2  00 
112  85 
19  70 
60  60 

41  36 
100  00 
60  00 
49  25 
21  25 
14  00 
5  50 


Porté $  2391  08 


Rapporté % 

Augustin  St 

Basile  St 

Beaumont ,•••  •••• 

Beauport • 

Bernard  St 

Berthier ,..••• 

Cajétan  St.  d' Armagh . .  • . 
Galixte  St  de  Somerset . . 

Cap-Santé • . . . 

Gap  S>t  Ignace 

Casimir  St..,. • 

Catiierhio  Ste 

Charles  St 

Oharlesbourg 

Ghateau-Richer 

Glaire  Ste 


5  2391  08 

213  73 

49  83 

350  00 

25  15 

11  00 

5  15' 

71  00 

33  05 

73  30 

26  80 

78  00 

54  00 

4  55 

40  00 

■ 

\ 


Porté %  3426  64 


Rapporté $3426  64 

Collège  de  Ste.  Anne...*.  11  00 

Côme  8t ...••  3  18 

Croix  8te ;.  24  20 

Couvent  de  Jésus-Marie.  •  •  5  00 

Cyrille  8f 

David  8t.  de  r Aube  Riyiè«> 

re  (voir  Lévis) 

Denis  St 22  50 

Deschambault  * 

Ecureuils ••••^ C  12 

Edouard  fit.  de  Frampton.  9  00 

Edouard  St.  de  Lotbinière.  30  00 

Eleuthère  8t 2  00 

Elzéar  St 19  00 

Bmmélie  Ste 22  00 

Ephrem  8t 8  00 

'Etienne  St 2  00 

Eugène  St .'....••  4  00 

Evariste  St.  (  1877) 6  00 

Famille  Ste 35  15 

Félix  St.  du  Gap-Rouge...  12  18 

Ferdinand  St 10  25 

FerréolSt 5  00 

FlavienSt 12  00 

FoyeSte.» 

François  St.  de  Beauce...  6  60 

François  St.  I.  0 27  30 

François  St.  R.  d.  S 42  25 

Frédéric  St 15  42 

ÇeorgesSt.  (2ans) 40  00 

Germaine  Ste.  et  St.  Léon.  5  65 

GervaisSt *. 49  37 

Gilles  St 

Grondines '..  46  75 

Hélène  Ste 15  08 

Hénédine  Ste • 9  00 

Henri  St ' 61  82 

Honoré  St 5  65 

Inverness '.•••••••• 

Isi'lore  St 40  60 

lie  aux  Grues 32  10 

Islet 98  00 

Jean-Chrysostôme  St 33  95 

Jean  St.  Deschaillons. ...  44  57 

JeanSt.  I.  0 %....  221  80 

Jean  St.  Port  Joly 66  90 

Jeanne  Sle 42  50 

JoachimSt 40  15 

Joseph  St.  de  Beauce 41  45 

Joseph  St.  de  Lévis 82  50 

JulieSte 17  QO 

Justine  Ste...«  ••••••  •••• 

Kamouraska • •  45  00 

Porté.. ,..,.. ...$4805  73 


Rapport »480S  73 

Laiiibe]|t8t •••.«. 24  55 

Lambton.  ••••.••. .••.... 

Laurent  8t... 110  00 

Ijaval 

Lazarê'8t.'.\V.V.V..V.!!!!  32  50 
Léon  8t.  (Voir  ite.  Ger- 
maine)  

Lévis  et  8t.  David 229  40 

Lotbinière 40  00 

Louise  Ste •  6  00 

MagloireSt 

MalachieSt 7  27 

Marguerite  Ste 4  7^ 

Marie  Ste 14  61 

Michel  Si 83  00 

Mont  Garmel 

Narcisse  St 21  00 

Nicolas  St 43  50 

N.  D.  du  Portage. 7  00 

Onésime  St. « 

Pacôme  St •  10  00 

Paschaim 92  50 

Patrice  St.  de  Beaarivage. 

Paul  St.  de  Montmény . . . .  1  90 

Perpétue  Ste 2  00 

Pétronille  Ste 25  00 

Philippe  St.  de  Néri 17  10 

Pierre  Baptiste  St 0  75 

Pierre  St.  de  Bioughton...  12  75 

Pierre  St.  L  0 121  40 

Pierre  St.  R.  d.  S 24  10 

Pointe  aux  Trembles..  •  •  ••  57  95 

Portneuf...' 34  00 

Raphaël  St 18  3T 

RaymondSt 32  12 

Rivière  du  Loup 36  36 

Rivière  Quelle 18  45 

Roch  St.  des  Aulnets 43  20 

Romuald  St..... 

S.G.  de  Jésus  de  Brougfatou  8  66 

Sébastien  St 

SévérinSt 6  75 

Sillery 24  76 

Sophie  Ste 9  15 

Stoneham 150 

Sylvestre  St 31  15 

Thomas  St 118  10 

Tite  St 0  80 

UbaldeSt 

Valcartîer , 2  95 

Valier  St 53  80 

Victor  St. ' 3  35 


$6237  57 


DIOCÈSB  DE  CHICOUTIMI. 


Chicoutimi  ..•.•......•$      65  00 

Agnès  Ste ••••••      10  00 

Alexis  St 

Alphonse  8t... •• 

Anne  Ste.  du  Saguenay  *  . 
Anse  St.  Jean....*».***. 
Baie  St.  Paul  (2  ans)..... 
Dominique  St. .••.*•*•••. 
Eboulements  ....••••.••• 

Escoumains ••  •••*•• 

Fidèle  St. 

Fall^ence  St •• 

Hébertville 

Hilarion  St ....•*• 


1  18 

78  20 

12  00 

13  50 
17  75 

19  85 
1  00 

Porté $218  48 


Rapporté $  218  48 

IrénéeSt •••*••        2  5t 

IleauxGoudres 63  50 

Jérôme  8t* , 

Louis  S.  deliétabetchouan 

M«lbaie 44  00 

N.  D.  du  Lac  St.  Jean* •  * •        2  00 

N.  D.  de  Laterrière 13  35 

Paul  St.  de  ICtild-Yaches.. 

Petite  Rivière  * 7  86 

PrimeSt  • 

Siméon  St *  •  » « 

Tadoussac  *  ••••• 

Urbain  St 


$    351  69 


Montant  de  la  recette  des  pa>oisses  du  Diocèse  de  Québec. .  ..$  6237  57 

il  (*  tt  u  u  II  II  r!hi>nii4imî  Qi;i    tt<ï 


Ghicoutimi.      351  69 


$6589  26 

Intérêts  sur  fonds  placés  et  dons **.-. 585  58 

Arrérages  tels  que  marqués  dans  le  oompte-rend«  de  Tannée 

dernière • ••.••••.••*• 187  60 


Total  de  la  recette  de  1878  • $  7362  44 


Etat  des  sommes  aUcyuées  par  le  Conseil  de  la  Propagation  de 

la  Foi  à  QuéheCy  pour  Vannée  commençant  le  \er  Octobre 

1878  et  fi^nissant  le  \er  Octobre  1879. 

Montant  mis  à  la  disposition  de  Mgr.  TArchevèque.  * •• $  1060  00 

Annales  françaises  et  anglaises 450  00 

Pour  vases  sacrés,  ornements,  etc •*..•  509  64 

Missions  du  Saint  Maurice  •••.*• • 400  09 

Hissions  des  Naskapis • •«• 600  00 

Missions  des Montagnais...... • 55  00 

Missions  de  rile  à  la  Grosse ••.*.*  100  00 

Montant  mis  à  la  disposition  de  Mgr.  de  Ghicoutimi ,  1275  00 

A  Mgr.  de  Sherbrooke  pour  "la  Patrie*'*..; 100  00 

Ghapelle  de  St.  Adrien..... 100  00 

«      de  St.  Eleuthère..^ 40  00 

'<      d'Invemesse ..*• •...••..... 7200 

<<      de  N.  D.  de  Lourdes..* 170  80 

''      de  Si  Pomphile 100  00' 

"      St.  Pierre-BapUste 100  00 

Pour  défrichements  à  S.  Samuel. ••  100  00 

Pour  une  terre  à  Invemess •  •••••.•• *..••**..•••  100  00 

Pour  mission  de  Yalcartier •••• .*••, 50  00 

Porté $5382  44 


Happorté • $538^  44 

Missionnaire  de  St.  Adrien  par'  8.  Ferdinand 25  OQ 

"         deSte.  Anastasie ,.,.  100  00 

•«         deSL  Côme 50  00 

"         deSt  Eleuthère ,.. ,.  200  00 

"         d'InTemess ,,,,  150  00 

'*         de  Ste.  J.ustine 180  00 

<'         du  Lac  Beauport  par  Laval ...•••••  50  00 

"         de  Laval. 150  M 

"         de8t.Léonde  Btandon 50  00 

'*         de  Leedsparlnverness ..•••.*...•  25  00 

deSt  Magloire ...•-•.•..  120  00 

de  St.  Marcel  par  St.  Cyrille .....Z.....  50  00 

"         de  St.  Martin  par  SL  Georges ,.,...  50  00 

"         de  N.  D.  de  Lourdes  par  Sle.  Julie. 25  00 

"          de  St.  Paul  de  Montminy 120  00 

"         de  Ste.  Perpétue lOO  00 

-*•          de  St.  Philémon  par  St.  Paul 25  00 

"         de  St.  Pierre-Baptiste  par  Inverness. 25  00 

"          de  St.  Stanislas  par  Petite  Rivière 25  00 

«          de  Stoneham / ^...  160  00 

**          de  Tewkesbury  par  Valcartier. 50  60 

"          de  St.  Ubalde .., 100  00 

"          de  Valcartier 150  00 

Montant  alloué... ,.. $  7362  44 

RÉSUMÉ  : 

Total  de  la  recette  de  1878 , $  7362  44 

En  caisse  de  Tan  dernier 5005  00 

Total Çi2367  44 

Montant  alloué  pour  1878-79 7362  44 

.  Reste  en  caisse , §  5005  00 

II.  TETU,  Pire.,  Âum6nia\ 

Québec,  28  décembre  1878, 


Recettes  entrées  après  la  clôture  des  comptes. 

Aaile  du  Bon  Pasteur...../ ,».,  ..,.......$  8  00 

Ste.  Anne  du  Saguenay... , '2  OO 

St.  Prime... , , 2  00 

Ste.  Foye *,..  ,. 43  90 

Deschambault ..,•• 54  00 

Tadoussao*.... , .^,. 4  oo 

Sillery  (balance) ,  ..,*.. •••  .•.^.. 4  00 

St.  Cyrille , '///.*  5  00 

St.  Jérôme ..••..•...# ..,.,,• 4  00 

Petite  Rivière....,,, ,,,,,,,. , , .i.,.!.!  !.!!  14  00 

9  140  00 


DIOCÈSE  DE  MONTREAL. 


ÉTAT  DES  nSCSTTSS  ET  DéPENSXS  DURANT  L' ANNÉE  1878. 


Argent  on  mains  au  81  Décembre  1877,  poorfidre  faoe 

dépenses  de  1878 $4871  71. 


Payé 


Aux  Sœurs  de  la  Pro- 
vidence  

Aux  Sœurs  Grises.... 
A  Mgr.de  Sherbrooke 
Au  Miss,  de  Piopolis. 

Ste.Anastasie. 

St.  Donat 

St.  Hippolyte.. 

SteBéatrix 

St.  Daxnien.... 
Pour  pierres  sacrées 
Au  Miss,  du  B.  Alph. 

Ste  Emmélie.. 

St  Gome 

Ste  Agnès  de 

Dundee 

St  Galixte 

Impressions  des  An- 
nales et  circulaires 
et  frais  d'expédition 


il 

u 
1( 
u 


(4 


C( 


$12  50 

53  40 

150  00 

50  00 

300  00 

150  00 

350  00 

100  00 

150  00 

11  00 

100  00 

250  00 

150  00 


75  00 
50  00 


362  20 


Porté. $2314  10 


Rapporté $2314  10 

A  rCEuvre  des  .Ta- 

bemacles 

110  00 

Aux  Oblats 

800  00 

Au  Miss,  de  Gaugh- 

nauwaga. 

200  00 

'<    St  Michel  des 

Saints 

250  00 

**    Ste  Marguerite 

125  00 

"    St  Colomban.. 

150  00 

"    St     Théodore 

de  Cheitsey.. 

200  00 

**    d'Ormstowm.. 

100  00 

"    d'Hinchin- 

brooke 

150  00 

^'    Ste  Julienne... 

50  00 

''    Rawdon 

100  00 

"    Ste  Sophie 

30  00 

A  Madawaska 

50  00 

Au  Miss,  de  Ste  Lucie 

54  OO 

14683  10 


Avoir 14871  71 

Dépenses , 4683  10 


Balance I  188  61 


8 

RKCHTTKS  DURANT  VkHNÉZ  1878. 

..  rau. .  ■  . 

Notre-Dame .,..-. .....$  584  OS 

St.  Pierre ; 410  00 

Cathédrale 180  00 

Legs  de  Mr.  Desautels A 200  00 

Legs  de  Mde.  LaRocque. 120  00 

N.-D.  de  Grâce 50  00 

Hôtel- Dieu..: • 35  76 

LegsBeaudry 24  10 

LegsMcKay 24  00 

Asile  Nazareth 3  12 

Eglise  St.  Joseph 2  14 

J1633  17 


L'Assomption ,...$ 

St.  Jacques  de  TA- 

chigan 

Ste.  Geneviève 

St.  Rémi 

St.  Henri  Mascooche 

Epiphanie 

Laprairie 

Terrebonne; 

Ste.  Anne  des  Plaines 

Boucherville 

St.  Constant 

He  Dupas 

St.  Louis  de  Gonz... 

Varennes 

St.  Alexis 

Lachenaie 

Lanoraie ;. 

Longueuil 

St.  Lin 

St.  Isidore 

Berthier... ..». 

Pointe-aux-Trembles 


Campagnes. 


160  10 


128  75 

109  00 

86  42 

84  67 

82  50 

80  79 

71  70 

68  00 

67  50 

61  90 

61  00 

60  00 

57  60 

55  50 

42  80 

45  00 

42  89 

42  75 

42  15 
40  76 
3&63 


Porté $1530  41 


Rapporté 

$1530  4t 

Sau  1  t-au-Récollet. . . . 

.      38  34 

Sœurs  de  Ste.  Anne. 

36  00 

St.  Paul  de  Joliette. 

.      34  00 

Lachine 

.      33  50 

Lavaltrie '. 

.      33  15 

Coll.  l'Assomption.. 

.      32  90 

St.  Barthélemi 

31  00 

St.  PaulFErmite.... 

.      31  00 

Ste.  Elizabeth 

30  00 

St.  Martin 

.      30  00 

Joliette 

.      28  09 

St.  Valentin: 

.      25  00 

St.  Esprit 

25  00 

St.  Etienne 

25  00 

Contrecœur 

.      22  00 

Sl  Laurent 

.      21  75 

Couv.  d'Hochelaga.. 

21  00 

St.  Thomas 

.      21  00 

St.  Ambroise 

.      20  33 

St.  Placide 

20  00 

St   Michel 

19  63 

St.SuIpice 

.      18  00 

Porté 

12127  la 

Rapporté $21S7  10 

Ste.  Martine 15  75 

St- Hubert 15  75 

Cbambly 15  50 

St,  Frs.  de  Sales 14  00 

Ck>teau  du   Lac  St. 

Ignace • 14  00 

St.  Jacques  le  Min...  14  00 

Paroisse  inconnue...  14  00 

St.  Cuthbert 14  00 

St.  Calixte 12  67 

IlePerrot 12  50 

St.  Thimotnée 1 2  25 

Ste.  Justine 12  00 

St.  Béatrix 11  50 

Ste^  Monique 11  45 

Lachenaie 11  10 

St.  Eustache 11  00 

St.  Clet 10  90 

Porté .$2349  47 


Rapporté $2349  47 

Vaudreuil 9  45 

Sém.  Ste.  Thérèse...  8  00 

St.  Urbain 8  00 

St.  Hermas 7  50 

St.  Basile 7  40 

St.  Zotique 7  00 

Les  Cèdres 6  00 

Ghateauguay. 6  00 

St.  Jérôme 5  50 

Ste.  Philomèue 5  45 

Ste.  Mélanie  d'Aillé- 

boust 5  00 

St.  Félix 5  00 

St.  Janvier 4  34 

Ste.  Julienne 4  32 

Ste.  Dorothée 4  00 

St.      Théodore    de   • 

Chertaey 2  63 

Total $2444  06 


RÉCAPITULATION. 


Recettes  de  la  ville •-. $1633  17 

<<      des  campagnes 2444  06 

Intérêts 85  46 

Balance  du  dernier  exercice 188  61 


En  Caisse  au  31  Dec.  1878  pour  les  besoins  de  1879...$4351  30 


Montréal,  30  Décembre  1878,  . 


Edic.  Morbau,  Chan 


DIOCÈSE  DES  TROIS-RIVIÈRES. 


Liste  des  recettes  de  la  Propagation  de  la  Foi  dans  le  diocèse 
des  TroiS'Rivières  durant  P  année  1878. 


Ste.  Monique ' $243  00 

Trois-Hivières 170  00 

La  Baie  du  Febrre 145  00 

St  Zéphirin 27  37 

"    don  d'un  particuliet.  lOO  00 

La  Rivière  du  Loup 12«  69 

Maikinongé  (1877) 100  00 

(1878) 100  00 

St.Léon 80  00 

Nicoict 76  50 

8t.  Grégoire 65  90 

Ste.  Anne  de  la  Pérade. . .  65  00 

Ghamplain 55  50 

St.  Thomas .,••  52  00 

Gentilly.; 51  58 

St.  Médard  de  Warwick . .  46  23 

Yama  chiche  ••••.•• 4365 

Ste.  Gertrude 40  00 

St.  Justin 37  65 

St.  Angèle 35  75 

St.  Guillaume 32  25 

Bécancourt 30  85 

St.Maurice. 29  35 

Batiséan ,  27  26 

St.  Pierre  de  Durham ....  25  35 

St.  Pierre  les  Becquets...  22  60 

St.  François  du  Lac 22  00 

fit.  Barnabe 21  22 

St.Prosper ; 21  00 

St.  Norbert 20  00 

St.  David  (1877) 17  50 

«        (1878) 17  50 

Ste.  Geneviève  (1877) 17  40 

(1878) 17  40 

Ste.  Perpétue  (1877) :  17*00 

(1878) 17  00 

Ste.  Sophie 16  00 

Ste.  Ursule  (1877) 15  24 

«       (1878) 15  23 

St.  Boniface...,. 15  20- 

St  l^ichel 15  00 

Porté $2078  39 


Rapporté 

St.  Cyrille 

St.  Narcisse. •••••••... 

..$2078  39 

..       13  50 

11  89 

St.  Etienne •••••• 

11  50 

Mont-Garmel ,  •  • 

19  14 

Stanfold 

10  00 

St.  Bonaventure 

Pointe  du  Lac  (1877).... 

"       (1878)... 

BteMiéléne 

9  16 

7  98 
7  98 
6  50 

Séminaire  de  Nicolet.... 
St.  Sévère •... 

5  65 

4  65 

St.  Léonard  ..••••...••. 

4  05 

Tingwick •• 

4  00 

Ste.  Brégitte  (1877) 

(1878) 

St.  Célestin  (1877) 

**         (1878) 

Drummond  ville;  • 

Ste.  Victoire. ••• 

4  00 
4  07 
2  50 
2  75 

1  40 

l  25 

St.  Pie 

1  00 

St.  Stanislas..., 

00  00 

St.  Christophe 

St.  Valère 

..       00  00 
00  00 

Kinorsev «•«.••••  .•• 

00  00 

St.  Germain 

..      00  00 

Cap  de  la  Madeleine .... 
St.  Wenceslas 

..      OO  00 
00  00 

St.  Fulffence 

00  00 

St.  Elie 

00  00 

8t.Tite 

00  00 

SUDidace... ,. 

00  00 

St.  Albert 

00  00 

Ste.  Clothilde 

..      00  00 

St.  Paulin 

00  00 

St.  Paul 

00  00 

St.  Luc ••••..... 

00  00 

St.  Jean  de  Wickham.. . 
Ste.  Eulalie 

..       00  00 
00  00 

St.  Alexis •..•••• 

OO  00 

St.  Louis  de  Blandford....      00  00 

Total $2202  3S 


11 

Appropriation  des  recettes  de  la  Propagation  de  la  Fri  de 

1878  pour  1*79. 

A.  Mgr.  Racine • $  400  00 

**  Ornements  et  effets  de  mission,  etc .  • ••• 200  00 

«  Impressions  et  voyages ^••.« 200  06 

**  Annales  de  la  Propagation  de  la  Foi  ••.•• 150  00 

<<  Mgr.  Taché 100  00 

«  Chapelle  des  Âbénakis 100  60 

"  Mission  de  8t.  Eugène 100  00 

<<  8t.  Jeande  Wickham.... • 95  00 

<<  St.  Paul  de  Chester 95  OO 

<'  St.  Albert  de  Warwick 95  00 

'•  8te.  Glothide 95  00 

'<  St.  EliedeCaxton ..«. • 80  00 

«^  St.  Louis  de  Blandford 80  00 

**  Ste.  Eulalie 80  00 

**  Secours  de  charité ,..••••• • •••  80  00 

"  Mission  de  Kingsay  Falls 50  00 

**  Ste.  Sophie  de  Léonard ' , 40  00 

"  St.  Valère 40  00 

"  Ste.  Perpétue ;.... ..:..  '  34  00 

"  Ste.  Angèie 30  00 

'<  Ste.  Victoire 25  00 

**  St.  Winceslas. # 25  00 

«•  St.  Alexis 25  00 

"  Religieuses  de  Ménissota • •.•• 10  00 

«  Escompte  sur  argent  américain • ••••••••.«  1  40 

$2230  40 

Balance  de  Tannée  précédente. ; $      5  05 

Recettes  de  Tannée  1878 2250  56 

Recette  totale $2255  61. 

Appropriation  pour  1879 '. 2230  40 

Balance  en  Caisse. •«•••••• •«.«••$    25  21 


• 


DIOCÈSE  DE  ST.  HYACINTHE. 


Recettes  de  la  Propagation  de  la  Foi  pour  18TO. 


St.  Antoine $  125  00 

St.  Denis 108  60 

Belœil 100  00 

St.  Césaire 70  92 

Sorel 68  00 

St.  Hyacinthe 56  05 

SuAimé 54  00 

St.  Jean-Baptis.te 45  00 

Ste.  Rosalie 44  60 

St.  Alexandre. ,.  44  13 

St,  Ours 40  50 

St.Grégoire 38  OO 

St.  Marc. 30  40 

St.  Simon 28  75 

St.  Hugues 25  65 

St,  Athanase..««, 25  00 

St.  Pie 24  81 

St.  Dominique 23  37 

St.  Théodore , 21  50 

St.  Sébastien 20  00 

Hoxton 20  00 

Laprésentation •  15  50 

Milton 15  00 


Porté... .......Ï1044  78 


Rapporté «.... 

St.  Hilaire 

Stanbridge ••.•• 

St.  Barnabe 

St.  Mathias • 

St.  Charles.  •••.« 

St.  MarceL 

St.  Roch 

St.  Judes ••••.. 

St.  Georges ..•.., 

St.  Damase 

St.  Louis ••• 

Upton , 

St.  Joachim 

Ste.  Victoire 

N.  D.  Richelieu 

Dunham. ,% 

St.  Valérien 

Ste.  Angèle...... 

St.  Paul 

Adamsville.  •••••«.•••. 

Ste.  Hélène 

Ste.  Madeleine 


•  • 


$1044  7» 

19  20 

14  oa 

14  00 

13  50 

12  00 

11  50 

10  80 

10  50 

10  OO 

9  65 

9  26 

9  00 

600 

6  OO 

5  00 

2  50 

2  b% 

2  35 

2  14 

2  00 

1  80 

l  25 


Total $  1219  73 


Dépenses. 

Annales • 9  Tt  30 

Mandements  et  Circulaires -• .••..••••• 184  25 

Objets  de  Culte. • ». 49  50 

Visite  Pastorale 28  60 

Voyages  an  Concile .'... 24  15 

ATEvèque  de  Sherbrooke 860  93 


Total 


$  1219  73. 

I.  A.  GRAVEL,  V.  G. 


13 


Recettes  de  FCEuvre  de  SU  François  de  SaleSy  1878. 


8t.  Hyacinthe $68  05 

Séminaire....:....  15  00  83  05 

St,  Césaire 65  41 

8to.  Marie 58  00 

8t.  Pie 53  32 

•  li' Ange  Gardien 50  00 

Belœil 47  00 

Sorel 32  00 

•Collège 9  00  41  00 

St.  Damase «  37  63 

8t,  Aimé 37  00 

St.  Judes 33  50 

St.  Sébastien ; 33  00 

St.  Denis i 32  50 

St.  Antoine 31  50 

Bt.  Hugues .*..,..,...  29  56 

Ste.  Rosalie 28  25 

St.Simon -28  00 

St.  Damien........ 26  00 

iiaprésentation 21  05 

St.Hilaire 18  80 

N.  D.  Richelieu 17  00 

Ste.  Victoire 16-  70 

St.  Mathias 16  35 

St.  Ours 16  20 

St.  Alexandre 14  10 

St.  Georges 13  00 


Porté $847  92 


Rapport......  •••••$ 

8t.  Charles. .•• ,••• 

St.  Dominique 

St.  Marcel 

Parnham 

8t.  Marc.... ••••••.,..... 

Stanbrîdge 

Rozton...., •• 

Milton 

Ste.  Hélène 

St.  Grégoire. •• 

St.  Roch.... 

St.  Paul./ 

Acton 

Upton 

S^.  Ignace ....•• 

Ste.  Angèle 

Ste.  Pudentienne 

St.  Valérien 

St.  Jean-Baptiste. . . 

Knowlton.. 

Swetsburgh 

St.  Liboire.... .... 

Granby 

St.  Athanase • 

Dunham ••  4*. 

St.  Joachim...... . 


r*  •  .  ■  •  . 


847  92 
M  00 
13  00 
12  92 
12  00 
11  00 
10  00 
30  00 
10  00 
8  60 


7 
7 
7 


50 
20 
00 


6  75 
6  65 
6  23 
6  10 
00 
50 
00 
75 

to 

60 
00 
00 
50 
10 


6 

5 
4 
4 
3 
3 
2 
1 
1 


Total .^1032  42 


Dépenses. 


Mandement  d'érection 

Livres,  feuilles  d*aggrégation,  etc. 

Vases  sacrés , 

Aux  Missionnaires.. 

Aux  Eglises  pauvres  .•••••...•». 


$33  60 

58  00 

42  00 

592  00 

306  82 


Total, 


$1032  42 

I.  A.  GRAVEL,"  V.  G. 


MISSION  DES  NASKAPK. 

Lettre  du  Rév.  Père  Laçasse,  0.  M.  L 

St.  Sauveur,  Novembre,  t878. 
Rev.  M.  H.  TÉTU,  Ptre., 

Aumônier  de  TAichevêché  de  Québec. 

M.  TAUMÔNIER, 

Je  n'ose  moi-même  aller  vous  présenter  ce  rapport  Ma 
conscience  me  dit  que  j'ai  trop  retardé  et  elle  accepte  d'a- 
vance tous  les  reproches  que  vous  lui  ferez.  Dans  ma  let- 
tre précédente,  j'avais  laissé  vos  lecteurs  en  présence  de 
mes  chers  Naskapis.  C'est  le  temps  maintenant  de  les  étu- 
dier au  milieu  de  leurs  forets. 

Un  mot  de  la  géographie  des  lieax  :  La  partie  des  Naska- 
pis qui  habitent  la  forêt  Notsimiolno,  vivent  de  l'autre  côté 
de  la  hauteur  des  terres  qui  divise  la  vallée  de  la  Baie  des 
Esquimaux  de  celle  du  Détroit  d'Hudson.  Le  canot  d'écorce 
dans  l'été,  la  raquette  dans  l'hiver,  sont  les  deux  seuls 
moyens  de  communication  pour  parvenir  à  leur  lointaine 
patrie.    L'épinette  noire  et  le  sapin  sont  les  deux  seules  es- 
pèces d'arbres  qui  poussent  sur  leurs  terrains  de  chasse. 
Les  arbres  n'arrivent  pas  à  une  croissance  de  plus  de  huit  à 
neuf  pouces  de  diamètre.    Quand  ils  veulent  avoir  de  l'é- 
corce  de  bouleau  pour  leur  canot,  ils  sont  obligés  de  venir 
de  ce  côté-ci  de  la  hauteur  des  terres,  le  long  de  la  rivière 
Mestshibo.    Leur  canot  leur  coûte  cher  ;  aussi  ils  en  ont 
soin  comme  de  la  prunelle  dB  leur  œil.  Le  terrain  qu'ils  ha- 
bitent est  entrecoupé  de  vastes   étendues    d'eaù.     Nulle  « 
part  dans  le  monde,  les  lacs  sont  aussi  nombreux  que  dans 
l'intérieur  du  Labrador,  il  y  en  a  qui,  par  leurs  grandeurs, 
sont  de  véritables    mers   intérieures.     Les  lacs  de  dix, 
quinze  lieues  de  longueur  ne  sont  pas  rares.    Le  grand  lac 
Michigamao,  ou  Michigan,  est  à  perte  de  vue.    La  près- 

"A 
\ 


15 

sion  du  vent  produit  un  phénomène,  semblable  à  la  marée, 
ce  qui  est  une  cause  de  savantes  discussions  parmi  les  Sau- 
vages.— Vois-tu,  père,  me  disait  un  jour  un  guide,  ce  rocher 
a  plus  de  10  pieds  au-dessus  du  niveau  des  eaux?  Eh  !  bien, 
il  est  quelquefois  couvert  par  la  marée  du  lac. 

—  Pourquoi  cela,  mon  cher  guide  ? 

—  Voici  :  il  y  en  a  qui  pensent  que  le  vent,  surtout  celui 
d'automne,  plus  entêté  que  tous  les  autres,  ne  veut  pas  s'ar 
rêter,  avant  que  le  lac  ne  consente  à  déplacer  ses  eaux.  Quel* 
qnesfois  il  y  a  grand  combat,  le  lac  regimbe,  le  vent  tient 
bon  et  finit  par  triompher.  Chose  étrange  !  dès  que  le  lac 
a  consenti  à  déplacer  ses  eaux,  le  vent  modère  aussitôt  et 
s'en  retourne  se  reposer  dans  le  grand  nord.  Il  y  jeu  a  d'au- 
tres qui  pensent  que  cessent  les  poissons  si  gros  et  si  nom- 
breux du  lac,  qui,  effrayés  par  le  bruit  du  vent,  s'enfuient 
devant  lui  ;  mais,  ajouta- t-il,  en  me  regardant  d'un  œil 
scrutateur,  j'opine  jpour  le  vent. 

—  Tu  as  raison,  mon  guide  ;  mais  dis-moi,  quels  poissons 
trouves-tu  dans  ces  lacs? 

—  Une  grande  variété  de  poissons  se  nourrissent  dans 
ces  lacs.  Le  saumon  des  lacs,  (touradis),  la  truite  noire,  ou 
truite  des  lacs,  dont  quelques-unes  pèsent  plus  de  20  livres, 
le  brochet  dans  les  lacs  peu  profonds,  la  carpe  partout, 
dans  tous  les  petits  cours  d'eau  est  le  fameux  poisson  blanc, 
le  pain  des  Naskapis,  quand  le  caribou  manque. 

—  Gomment  prenez- vous  ce  poisson  ? 

—  Quelquefois  à  la  rets  faite  de  babiches  de  peaux  de  cari- 
bou, à  mailles  proportionnées  à  la  grosseur  du  poisson  qu'on 
veut  prendre.  Maintenant  on  va  chercher  aux  comptoirs 
du  fil  et  des  hameçons,  ce  qui  ménage  nos  peaux  de  cari- 
bou. On  tend  ces  rets  même  en  hiver  sous  la  glàce  des 
lacs.  Chaque  matin,  on  va  déglacer  les  deux  extrémités  de 
la  corde,  qui  soutient  notre  rôts  tendue,  on  la  retire, 
prend  le  poisson,  qui  s'y  trouve  et  la  renvoie,  au  moyen  de 
pesées  au  fond  du  lac  où  se  tient  le  poisson  pendant  l'hiver. 

Vous  voyez,  ML  l'Aumônier,  que  la  Divine  Providence 
n'abandonne  pas  ses  enfants.  Là  o^  il  n'y  a  pas  de  terre 
arable.  Elle  a  mis  la  pêche  et  la  c|iasse,  comcne  moyen  de 
subsistance  à  ceux  qui  habitent  ces  terrains  incultes. 


16 

Les  lacs  quelque  nombreux  qu'ils  soient,  l'étaient  en- 
core plus  à  une  époque  antérieure.    II  y  a  de  grands  maré- 
cages qui  paraissent  être  des  lacs  desséchés  ;  on  peut  encore 
suivre  la  décharge  et  on  y  passe  maintenant  à  pied  sec,  mais 
les  roches  polies  que  vous  foulez  aux  pieds  vous  montrent 
que  Peau  les  a  lavées  pendant  des  siècles.    J'ai  suivi  moi- 
même  le  lit  desséché  d'une  grande  rivière,  pendant  plu- 
sieurs jours.    II  n'y*  avait  pas  à  se  méprendre.    Cette  rivi- 
ère détournait  les  montagnes  en  s'élevant  graduellement. 
II  y  avait  eu  des  chûtes,  des  rapides,  des  inégalités  de  pro- 
fondeur d'eau.    Le  lit  était  des  cailloux  aplatis  ou  plaiôt 
mes  par  le  courant.  Les  terres  qui  avoisinent  le  pôle  Nord 
s'élèvent-elles,  comme  le  prétendent  certains  géologîstes  T 

La  terre,  cette  sphère  aplatie  aux  deux  pôles,  rapproche- 
t-elle  encore  ces  deux  extrémités  en  vertu  de  la  condensa- 
tion qui  s'opère  encore  de  nos  jours  à  son  centre?  En  at- 
tendant que  Jules  Verne  nous  le  dise,^ou8  ne  ferons  que 
constater  ce  qui  frappe  nos  sens  qui  vous  disent  qu'il  y  eut 
un  grand  cataclisme  dans  cette  terre  du  Labrador.  Voyez  ces 
montagnes  entr'ouvertes,  ces-  roches  tordues  comme  sous 
l'effort  d'une  main  puissante,  ces  déboulis  qui  au  milieu 
d'une  chaîne  de  montagnes,  vous  apportent  un  mamelon  de 
terre  glaise,  qui  est  tout  surpris  de  se  trouver  entre  des  mu- 
raillçs  de  rochers  épais  de  plus  30  lieues.  Pendant  que  le 
petit  sapin  croît  dans  la  fissure  d'un  rocher  granitique, 
pourquoi  cette  complète  aridité  de  notre  féconde  terre- 
glaise  ?  Mystère  I  L'histoire  d'ailleurs  ne  nous  dit-elle  pas 
que  les  Norwégiens,  pendant  qu'ils  habitaient  la  ''  Terre 
verte"  le  Groenland,  avaient  des  établissements  sur  le  La- 
brador ?  qui  n'était  pas  alors  une  Sibérie. 

Mais  je  vois  que  je  me  suis  laissé  entraîner  loin  de  mes 
Naskapis,  qui  s'occupent  encore  moins  de  ce  qui  est  arrivé 
que  de  ce  qui  arrivera.  Ils  habitent  leur  terre  telle  qu'elle 
est,  se  chauffent  au  soleil  quand  il  parait,  et  se  battent  les 
mains  quand  il  fait  froid.  Chez  eux  rien  que  la  pratique, 
point  de  théories  ennuyeuses  comme  celle  que  vous  venez 
d'entendre.    Que  ne  les  ai-je  imités  ? 

Dans  ces  lacs  desséchés  dont  je  viens  de  vous  parler, 
dans  ces  marécages  couverts  de  moussô,  habite  le  caribou 


17 

qui  vient  y  trouver  sa  nourriture.  "Le  caribou  est  la  prin- 
cipale nourriture  du  Nasks^pis.  II  aime  aussi  la  perdrix 
blanche.  Quand  il  a  faim,  il  mange  tout  ce  qu'il  trouve,  re- 
nard blanc,  jaune  et  noir,  loutre,  marte  'et  môme  le  loupi 
Les  Naskapis  ont  maintenant  des  fusils  pour  tuer  le  caribou 
et  des  pièges  pour  prendre  les  animaux  à  fourrures  précieu- 
ses. Autrefois  avec  leurs  flèches  et  leurs  lacets,  ils  appro- 
(Hiaient  plus  facilement  les  anitnaux  sauvages  non  effrayés 
.et  vivaient  mieux  qu'aujourd'hui.  Les  armes  à  feu  ne  sont 
qu'au  profit  dii  traiteur. 

Le  Naskapis  (mot  sauvage  qui  veut  dire  :  je  me  tiens 
droit  debout)  est  un  homme  de  haute  taille,  vêtu  de  peaux 
de  caribou,  menant  une  vie  errante.  '  Il  habite  sous  des 
tentes  de  peaux  de  cari)»ou.  Q«Kint  à  ces  croyances  religi- 
euses, le  Naskapis  sait  qu'il  existe  un  c^rand  Esprit  et  que 
celui  ci  a  un  antagoniste,  l'esprit  du  mal  qu'il  redoute  plus 
que  le  Grand  Esprit.  J'ai  trouvé  chez  eux  la  tradition  du 
déluge,  de  Jonas  et  sa  baleine  et  d'Hélie  enlevé  au  ciel. 
Le  tout  est  «entremêlé  de  fables,  mais  il  est  facile  à  l'esprit 
observateur  de  suivre  le  récit  biblique  au  milieu  de  toutes 
leurs  fictions.  Voici  l'histoire  du  déluge  telle  que  rappor- 
tée par  un  des  leurs.  *'  Ecoute  de  tes  deux  oreilles,  me  dit-il, 
et  tu  verras  que  le  Sauvage  connaît  des  choses  que  l'homme 
qui  va  dans  les  canots  de  bois^  ignore  "  ;  il  se  recueillit,  puis 
commença  : 

—  Le  Grand  Esprit  avait  un  fils  qui  était  né  de  sa  tôte. 
Oh  I  qu'il  était  beau,  ce  fils  1  !  Le  carcajou,  cet  animal  vi- 
cieux, ce  compagnon  de  mauvais  esprit,  commença  à  faire 
sa  ronde  sur  la  terre,  car  le  génie  du  mal  qui  le  pousse,  lui 
a  dit  de  ne  jamais  s'arrêter.  Il  se  moqua  du  Fils  du  Grand 
Esprit,  il  passa  par  tous  les  endroits  habités  et  persuada  à 
tous  les  êtres  de  la  terre  qu'il  devait  rire  du  beau  fils  du 
Grand  Esprit,  du  fils  sorti  de  sa  tète.  Le  castor  seul  refusa 
d'écouter  le  Carcajou.  Tu  sais,  ajouta-t-il,  que  le  castor  est 
fin,  plus  fin  que  tous  les  autres  animaux.  Ceux-ci  ne  sont 
fins  que  dans  la  tête,  mais  le  castor  est  aussi  fin  dans  la  queue 
que  la  tète.  De  sa  queue,  il  arrête  l'eau  des  lacs,  en  cons- 
truisant des  écluses.  Or  il  faut  avoir  de  l'esprit  pour  arrêter 
l'eau  d'un  lac  ;  donc  le  castor  est  fin  dans  la  queue.         « 


18 

—  Très-bien^  cher  ami,  mais  j'attends  toujours  Thistoire 
du  déluge  ? 

—  Tiens  I  je  suis  à  te  la  raconter  l'histoire  du  déluge.  Je 
continue  :  Donc  le  castor  est  fin  dans  la  queue*  Un  jour 
le  carcajou,  dans  une  course  qu'il  faisait  pour  aller  persua» 
der  le  huard  qu'il  devait  se  révolter  contre  le  fils  du  Grand 
Esprit,  passa  sur  une  chaussée  de  castor.  Celui-ci  qui  se 
tenait  au  fond  de  l'eau,  agita  le  pieux  sur  lequel  se  tenait 
le  carcajou,  et  le  précipita  dans  l'eau.  Celui-ci,  faillit  se 
noyer,  regagna  le  rivage  avec  peine  et  jura  une  haine  im- 
placable au  castor  qu'il  poursuivit  pendant  trois  lunes.  Le 
c.astor  effrayé,  n'osait  venir  à  sa  cabane  et  ne  se  montrait 
jamais  sur  le  rivage.  Un  jour,  il  laissa  le  lac,  et  s'aventura 
dans  un  petit  ruisseau,  décharge  du  lac,  sur  les  bords  du- 
quel il  voulait  manger  des  branches.  L'esprit  malin  en 
avait  averti  le  carcajou,  qui  se  cacha  sous  une  grosse  roche 
et  fit  le  mort.  Le  castor  s'avançait  silencieusement,  en  imi- 
tant le  bourdonnement  du  maringoin.  Le  carcajou  le  sai- 
sit par  le  cou  et  Tétreignant  de  ses  griffes,  lui  dit:  Je  vais  te 
déchirer  de  la  tôte  aux  pieds,  sans  cependant  te  briser  les 
os.  Il  lui  déchira  les  artères  et  le  saag  du  castor  coula  en 
abondance.  Le  St.  Esprit  changea  ce  sang  en  vermillon. 
Oui,  mon  père,  ce  fut  le  sang  du  premier  castor  qui  fit  le 
vermilloQ.  Tu  as  vu,  n'est-ce  pas,  la  montagne  du  vermillon 
et  le  ruisseau  du  castor  égorgé  ? 

—  Oui,  mon  cher,  je  les  ai  vus,  mais  je  ne  vois  pas  encore 
venir  le  déluge. 

—  Tiens,  le  déluge  1  C'est  ce  que  je  te  raconte,  le  déluge. 
Donc  ce  fat  le  sang  du  premier  castor  qui  fit  le  vermillon. 
Le  carcajou  alla  trouver  le  huard  et  lui  dit  :  Rions  de  Mesh, 
de  celui  qui  est  né  de  la  tête  du  Grand  Esprit.  Le  huard 
répondit  :  Carcajou  grimaceux,  viens  te  promener  au  fond 
du  lac,  et  il  plongea.  Le  carcajou  furieux  répondit  :  Huard, 
toi  qui  as  le  cou  long,  comme  un  ruisseau  tortueux,  et  la 
queue  comme  un  épinette,  je  te  rognerai  la  queue.  Le  malin 
esprit  assembla  les  oiseaux  dans  uif  grand  lac  II  leur  dit 
des  paroles  de  paix,  puis  se  fermant  les  yeux,  le$  exhorta  de 
faire  comme  lui  pour  se  recueillir  plus  profondément.  Les 
oiseaux  se  fermèrent  les  yeux.     L'esprit  malin  souflla,  un 


19 

nuage  se  forma  devant  1&  soleil  et  les  ténèbres  couvrirent  la 
terre.  Le  carcajou  sortit  de  sa  cachette  et  commença  à  cou- 
per des  ses  dents  affilées  le  cou  des  oiseaux.  Le  liuard  grâce 
à  son  long  cou  s'était  caché  la  tôte  sous  l'aile  d'un  autre 
oiseau,  puis  il  entr'ouvrit  un  œil,  donna  l'alarme  en  s'écri- 
ant:  Amoun!  AmounH  (1)  et  les  oiseaux  de  s'enfuir.  Le 
carcajou  désappointé  lança  dans  sa  furie,  une  pierre  au 
huard.  Il  atteignit  sa  belle  queue  qui  tomba  et  depuis  ce 
temps  le  huard  est  resté  la  queue  courte.  Eh  !  bien,  père, 
qu'en  dis  tu  de  tout  cela  T 

— Je  dis  qu'il  est  vrai  que  le  huard  a  le  cou  long  et  la 
quexre  courte,  mais  le  déluge  ? 

— ^Tieiis  ;  le  voilà  encore  sur  le  déluge  !  Mais  c'est  ce  que 
je  te  raconte,  le  déluge.  Depuis  ce  temps  donc  le  huard  est 
resté  la  queue  courte.  Le  carcajou  parcourut  toute  la  terre 
et  gagna  tous  les  êtres  animés  à  rire  avec  lui  du  bel  Esprit. 
Il  riait  en  faisant  la  grimace.  11^  était  laid  comme  la  mon- 
tagne du  loup  marin  qui  a  la  tète  plus  grosse  que  les  pieds. 
Le  génie  du  mal  était  sur  la  plus  haute  montagne  et  riait 
lui  aussi  en  faisant  la  grimace.  Le  Grand  Esprit  se  fâcha 
et  dit  :  Vous  ne. rirez  pas  de  mon  Fils.  Il  alla  se  placer  sur 
une  montagne  qui  domine  la  mer,  convoqua  les  baleines  et 
leur  dit  de  jouer  dans  l'onde  puante.  Elles  obéirent  à  la 
voix  du  Tout-Puissant  en  même  temps  que  les  cieux  s'ouvri 
rent.  Toute  l'eaù  de  la  mer  et  l'eau  du  ciel  se  répandit  sur 
la  terre.  Tout  le  monde  se  noya  et  le  carcajou  ne  faisait 
plus  la  grimace.  Le  huard  n'avait  pas  le  cou  assez  long 
pour  prendre  le  poisson  au  fond  de;>  lacs  et  mourut  en  cri- 
ant: carcajou,  tu  es  mort  avant  moi.  Il  y  avait  un  Naska- 
pis  qui  était  vieux  et  rempli  de  sagesse.  Le  Grand  Esprit 
l'avait  visité  pendant  son  sommeil.  U  avait  vu  le  carcajou 
qui  faisait  du  mal  et  évita  sa  présence.  Pour  tromper  cet 
animal  méchant,  pendant  l'hiver,  il  mettait  ses  raquettes  sens 
devant  derrière.  Il  construisit  un  cageux  et  fit  des  avirons. 
.  Il  peintura  son  cageux  avec  le  vermillon,  le  sang  du  premier, 
castor,  ce  fut  ce  qui  le  sauva  et  le  castor  fut  vengé  du  carca* 
jouqui  alors,  comme  je  te  l'ai  dit,  ne  flsâsait  plusli^gri* 


{[)  Je  ne  connais  pas  la  Bignillcation  de  ce  mot. 


20 

mace.  Six  personnes  prirent  place  sur  le  cageux.  Elles 
passèrent  prés  d'une  montagne  déjà  couverte  d'eau.  L'Es- 
prit malin  qui  était  sur  le  sommet,  était  dans  Peau  jusqu'au 
cou.  Il  ne  riait  plus,  il  était  si  laid  qu'il  en  était  blanc  ;  il  de* 
manda  passage  à  bord  du  cageux.  Il  tendit  ses  deux  bras 
Tors  le  soleil  levant  en  confessant  qu'il  méritait  la  mort^ 
mais  disant  qu'il  ne  voulait  pas  mourir  étouffé.  Le  Grand 
Esprit  lui  dit  :  embarque,  mais  à  la  condition  que  tu  te  met- 
tras près  du  gouvernail,  le  dos  tourné  aux  passagers  et  que 
tu  ne  regarderas  pas  en  arrière.  La  lune  se  levait  et  se  cou- 
cbait  et  le  cageux  flottait  sur  les  eaux.  Enfin  il  vint  à  proxi- 
mité d'une  terre  et  de  loin,4es  passagers  virent  une  piste 
d'oiseaux  sur  le  rivage.  Le  Grand  Esprit  dit  :  Le  malin  ne 
me  voit  pas,  je  vais  le  percer  de  mon  instrument  tranchant. 
Le  malin  répondit  :  Je  ne  te  vois  pas,  mais  je  t'entends,  je 
saurai  maintenant  me  passer  de  toi,  je  puis  nager  au  riva- 
ge. Il  s'élança  dans  les  eaux,  il  arriva  le  premier  à  terre 
dont  il  pri^  possession,  c'est  pourquoi  il  y  a  plus  de  mal  que 
de  bien  depuis  le  déluge. 

Mon  narrateur  s'arrêta  ici,  me  regardant  d'un  œil  inter- 
rogateur. Je  restai  coi.  Il  rompit  le  premier  le  silence. 
Toi,  as-tu  un  déluge  à  raconter.  Je  lui  racontai  mon  dé- 
luge.  Il  écoutait  de  tous  les  pores  de  son  corps.  Je  lui 
parlai  aussi  de  Jonas  et  de  la  baleine. — Pas  une  baleine,'  dit- 
il,  une  truite.  Oui,  c'était  une  truite  aux  nageoires  rou- 
ges. Il  y  a  un  jongleur  qui  en  a  vu  les  débris  sur  une 
haute  montagne.  Sais- tu  pourquoi  la  truite  est  venu  se 
jeter  sur  le  rivage  ?  C'est  la  faim  qui  la  torturait  Tché- 
kapesh  (le  Jonas  Naskapis)  mangeait  tout  ce  que  la  truite 
avalait,  vu  qu'il  était  dans  son  estomac.  La  truite  voulut  le 
vomir  à  la  mer,  mais  Tchékapesh  lui  dit  :  pas  si  bote,  je  ne 
sortirai  pas.  Alors  la  truite  vint  le  jeter  au  rivage.  La 
mer  était  à  çon  baissant,  la  truite  ne  put  repartir  et  mourut 
en  disant:  Mes  belles  nageoires  rouges  m'ont  causé  la 
mort.  Mon  narrfiteur  ajouta: — ^il  y  eut  autrefois  un  Sau- 
'  Tage  qui  fit  encore  des  choses  plus  extraordinaires  que 
celles  que  je  viens  de  raconter  ;  '  Croiras-tu  qu'il  y  eut  un 
Naskapis,  autrefois,  qui  laissa  la  terre  pour  habiter  une 
étoile  ou,  selon  quelques-uns,  le  soleil.    Ce  Sauvage  xi* 


21 

▼ait  seul  et  courait  les  bois  eu  disant  :  Laissez-^noi  seul, 
que  la  femme  s'éloigne,  je  veux  vivre  seul.  Puis  le  Grand 
Esprit  voyant  son  âme  triste  lui  dit  :  Tu  n'es  pas  fait  pour 
habiter  la  terre,  tu  yeux  être  seul,  je  vais  te  donner  à  toi 
seul  un  royaume  entier.  Va  dans  un  pays  lointain  et 
construis-toi  une  flèche  du  bois  le  plus  dur,  d'épinette  rouge. 
Le  solitaire  fit.ce  que  l'Esprit  lui  avait  dit.  Il  prit  sa  flèche, 
la  tira  dans  les  airs  en  disant:  Par  la  vertu  du  bâton  du 
jongleur,  je  désire  m'élever  dans  les  airs,  puis  il  disparut. 
Cet  homme  puissant  avait  une  sœur  qui  pleurait  parce  que 
son  frère  ne  paraissait  pas  Taimer.  Elle\it  la  flèche  qui 
s*éleva  dans  les  air  set  s'écria  :  frère,  où  vas-tu?  Le  frère 
répondit:  je  reviendrai  quand  d'autres  générations  auront 
grandi,  puis  s'élevant  toujours,  il  passa  près  de  la  lune,  et 
il  jeta  son  ombre.  Ce  n'est  pas  lui  que  tu  vois  dans  la  lune. 
Ce  n'est  que  son  ombre  ;  il  dût  arriver  au  soleil,  car  alors  le 
soleil  s'éteint  et  il  y  eut  une  éclipse,  nuis  de  temps  à  autre, 
il  visite  son  domaine  et  fait  éteindre  les  feux  sur  son  passa- 
ge. Depuis  qu'il  est  dans  le  soleil,  le  climat  du  Labrador 
est  changé.  Il  fait  plus  froid  qu'autrefois,  il  y  tombe  plus 
de  neige  pour  permettre  au  Naskapis  de  rejoindre  le  carri- 
bou.  Cet  homme  nous  aime,  et  quand  il  reviendra,  il  re- 
trouvera encore  des  Naskapis  sur  la  terre. 

— Mon  cher  narrateur,  tu  me  parles^e  tes  grands  hommes, 
mais  tu  ne  me  dis  pas  s'il  y  a  toujours  eu  des  Naskapis  sur 
la  terre  ? 

— ^Je  vais  te  répondre  :  écoute  bien.  Le  Grand  Esprit  créa 
leJNaskapis  quand  il  créa  les  autres  hommes  :  comme  tu 
sais,  quatre  espèces  d'hommes.  Le  Grand  Esprit  créa  FEs- 
quimaux  de  sa  tète.  Tu  sais  que  l'Esquimaux  passe  deux 
et  trois  jours  sans  parler,  il  jongle  alors  parce  qu'il  est  créé 
de  la  tète  du  Grand  Esprit,  la  tête  siège  de  la  pensée.  Il  créa 
aussi  le  Sauvage  guerrier  (1)  Celui-ci  fut  fait  des  bras  du 
Grand  Esprit.  C'est  avec  les  bras  qu'on  attaque  un  ennemi. 
C'est  pourquoi  le  sauvage  du  Sud  veut  toujours  battre  les 
autres.    Le  Grand  Esprit  créa  l'homme  au  visage  pâle,  de 


{{)  Le  narrateur  fait  ici  allusion  à  Tlroquois  qui  a  fait  des  descentes- 
Jusque  dans  le  Labrador. 


22 

ses  ongles.  C'est  pourquoi  celui-ci  veut  toujours  voler  ce 
qui  appartient  aux  Sauvages.  Bs  vont  partout  pour  s'em 
parer  des  terres  du  monde  entier.  Ils  fabriquent  de  l'eau 
de  feu  pour  rendre  fous  ceux  qu'ils  veulent  voler.  Ils  se 
croient  fins  tandis  qu'ils  ne  sont  que  coquins.  Le  Grand 
Esprit  créa  ensuite  ilno^  Thomme  par  excellence,  Thonime 
des  hommes,  le  Naskapis  enfin.  Il  le  créa  de  son  cœur, 
son  gros  cœur,  c'est  pourquoi  le  Sauvage  a  un  sang  si 
noble,  si  généreux.  Le  Naskapis  poursuit  le  caribou  toute 
la  journée  sans  ressentir  de  fatigue  parce  que  son  cœur  lui 
fournit  un  sang  riche  qui  l'anime  ;  le  Naskapis  supporte  la 
faim  huit  longues  journées,  parce  son  cœur  lui  dit  :  tant 
que  j'aurai  une  goutte  de  sang,  tu  ne  mourras  pas.  Le 
Sauvage  vit  dans  les  bois  où  il  trouve  sa  nourriture  aussi 
bien  qu'autour  des  lacs  dont  il  pèche  les  poissons,  parce 
qu'il  a  de  l'énergie  dans  le  cœur.  Le  Sauvage  parcourt  la 
terre,  s'arrête  au  fond  d'une  vallée,  ou  campe  sur  le  som- 
met d'une  montagne  et  partout  où  il  foule  la  terre  il  s'é- 
crie :  je  suis  chez  moi  ici  I  Qu'il  est  puissant,  le  Sauvage  I 
s'écria  mon  narrateur  enthousiasmé.  Qu'il  est  puissant, 
père  !  ''Uséam,  meste  pokotro." 

Je  vois,  M.  l'Aumônier,  que  je  ne  m'arrêterais  pas,  si  je 
vous  racontais  '^  laram/ian,"  le  conte  du  genre  humain  et  de 
tous  les  animaux  désobéis,  tel  que  rapporté  par  les  jon- 
gleurs  lors  de  leurs  festins.  Us  parlent  ordinairement  un# 
journée  et  une  nuit  sans  s'arrêter.  Je  ne  puis  cependant 
passer  sous  silence  cette  partie  du  conte  qui  a  trait  à  l'in- 
nocence primitive  de  l'homme.  .Ecoutez  encore  le  jon- 
gleur: 

Autrefois  l'homme  était  beau  comme  la  patte  de  devant 
d'un  caribou.  Il  n'avait  pas  froid,  il  n'avait  pas  chaud.  Il 
n'avait  pas  besoin  de  peau  de  caribou  pour  se  vêtir.  Tous 
les  animaux  de  la  terre  habitaient  avec  l'homme  leurs  ' 
maître.  Le  caribou, n'avait  point  peur  de  l'homme  parce 
que  l'homme  n'avait  point  de  peau  de  caribou  pour  se  vêtir. 
Les  caribous  et  tous  les  autres  animaux  parlaient  sauvage* 
Le  caribou  a  encore  conservé  un  mot  de  notre  langue  : 
enh,  enh,  eah  ;  oui,  oui.  Quand  on  le  surprend,  c'est  ce 
qu'il  nous  dit,  voulant  nous  faire  comprendre  qu'il  set 


,23 

rami  des  sauvages.  Le  cariboa  et  rhomme  Yivaient  donc 
dans  la  même  cabane  en  grande  intimité.  L'homme  disait 
au  cariboa  :  n'aie  pas  peur  de  moi  et  le  caribou  disait  :  Tu 
es  beau,  je  n'ai  pas  peur  de  toi.  Le  caribou  s'endormit  une 
fois  à  l'ombre  d'une  épinette  rouge.  Quand  il  s'éveilla, 
l'homme  mangeait.  Le  caribou  eut  peur  et  se  sauva. 
L'homme  lui  cria  :  ce  n'est  pas  toi  que  je  mange,  reviens 
habiter  avec  moi.  Celui-là  lui  répondit  :  tes  yeux  sont 
malins  et  je  saiâ  que  tu  veux  me  tuer,  je  m'en  vais  dans  les 
forêts  ;  je  te  permets  de  me  tuer  quand  tu  seras  assez  fin 
pour  me  rejoindre  à  la  course  ;  tu  tueras  mon  corps,  mais 
mon  âme  repassera  dans  le  corps  d'un  autre  caribou 
façonné  par  Vombre  qui  plane  '  au-dessus  des  forêts  et  qui 
veille  sur  la  destinée  de  la  nation  des  caribous.  Depuis  ce 
temps  le  caribou  séparé  du  commerce  de  l'homme,  ne  parle 
plus  sauvage^  mais  il  le  comprend  encore  ainsi  que  Tours 
qui  comprend  le  sauvage  mieux  que  toi,  père. 

— L'ours  comprend  le  sauvage  î  mais,  cher  ami,  comment 
cela  se  peut-il,  vu  qu'il  vit  seul  ?  Comprend-il  aussi  le 
français  ? — Père,  je  vais  te  convaincre  que  l'ours  comprend 
le  sauvage.  Quant  au  français,  il  ne  saurait  le  comprendre, 
car  le  français  n'est  pas  la  langue  des  chasseurs  et  l'ours  ne 
comprend  que  le  chasseur. 

—  Quand  dans  le  printemps,  le  Sauvage  a  faim  et  qu'il 
voit  un  ours  courir  dans  les  bois,  pour  le  faire  venir  à  lui, 
il  n'a*qu'a  lui  dire  :  Frère  ours,  je  t'aime  à  la  folie,  je  n'ai 
aucune  mauvaise  intention  à  ton  égard,  viens  vers  moi,  je 
vais  te  donner  du  tabac  et  une  pipe  qui  n'a  jamais  servi. 
L'ours  répond  par  un  signe  de  tête  et  s'approche  à  portée 
du  fusil.  Si  tu  ne  veux  pas  le  tuer,  ou  s'il  s'avance  vers  toi 
d'un  air  menaçant,  hâte-toi  de  lui  dire  :  Je  te  déteste,  ours 
à  poils  rudes  et  grossiers,  que  tu  es  laid.  Aussitôt  il  se  dé- 
tourne la  face  et  s'enfuit  pour  aller  se  cacher  dans  une  cre- 
vasse de  rocher.  Crois-tu  que  s'il  ne  comprenait  pas  le  sau 
vage,  il  ferait  de  telles  choses  7 

H  fallut  employer  bien  des  arguments  pour  dissuader 
mon  sauvage  de  croire  à  une  telle  folie.  La  Providence  un 
jour  vint  à  mon  secours  et  apporta  un  argument  irréfuta- 
ble«    Permettez-moi,  M.  l'Aumônier,  de  rapporter  en  pas* 


24 

sant  cette  petite  anecdote  d'un  de  mes  voyages.  Mes  guides 
venaient  de  me  parler  de  la  finesse  de  Tours,  de  sa  contiais- 
sance  de  la  langue  sauvage  et  le  reste.  Je  riais  aux  éclats. 
—  Attends  un  peu,  Père  ;  si  on  peut  en  voir  un,  on  te  con- 
vaincra promptement  ae  la  vérité  de  notre  assertion. 
O  joie  î  un  ours  se  présente  à  vue.  Il  descend  la  côte  qui 
conduit  à  la  rivière.  Il  veut  voir  sa  belle  image  dans  le 
crystal  limpide  des  eaux  et  faire  un  bout  de  toilette.  Mes 
sauvages  se  mettant  le  doigt  sur  la  bouche,  m'imposent  le 
silence  le  plus  complet.  Les  fusils  s'apprêtent  pendant  qu'on 
s'avance  sans  faire  le  moindre  bruit.  Je  pris  ma  voix  de  di- 
manche pour  la  circonstance  et  m'écriai  :  ''frère  ours,  je 
t'aime  à  la  folie,  je  n'ai  pas  de  mauvaises  intentions  à  ton 
égard,  viens  ici,  je  vais  te  donner  du  tabac  et  une 
pipe  qui  n'a  jamais  servi,  de  plus  des  pommes,  des  oranges, 
de  la  mêlasse," — et  l'ours  de  se  sauver  —  "  des  patates,  du 
vinaigre,  du  poivre  rouge,"  —  çt  l'ours  de  courir  plus  fort 
Mes  Sauvages  tirèrent  et  blessèrent  l'ours  qui  tomba,  mais 
se  releva  aussitôt  et  disparut  ;  mes  guides  le  poursuivirent 
inutilement  et  revinrent  en  boudant.  Quand  on  fut  en  ca- 
not, ils  voulurent  avoir  une  explication.  Il  m'était  facile 
de  la  leur  donner.  Je  n'ai  point  voulu  l'envoyer,  leur  dis- 
je,  je  voulais  savoir  s'il  comprenait  le  safivage,  je  lui  ai  of- 
fert du  tabac,  du.... 

— Mais,  interrompit  vivement  l'un  d'eux,si  tu  t'étais  ^rrêté 
là,  il  serait  venu  aussitôt;  mais,  dis  donc,  je  t'en  supplie, 
quelles  salopries  tu  lui  as  données  ensuite  î  crois-tu,  en 
bonne  vérité,  qu'il  y  ait  un  ours  capable  de  manger  la 
moitié  des  saletés  que  tu  lui  as  offertes  sans  étouffer  ?  Il  y 

en  avait  assez  pour  faire  mourir  tous  les  ours  du  Labrador- 
— Mais  tous  les  mets  que  je  lui  ai  présentés  sont  délicieux 

au  palais  des  blancs. 
— Oui,  mais  l'ours  est  plus  fin  que  les  blancs,  ^ère,  et  ne 

mange  pas  de  toutes  ces  salopries-là.    Je  vous  demande  un 

peut  faire  manger...  comment  appelles-tu  cela  T 
— De  la  patate  î 
—Oui,  de  la  beutate^  yoiv  si  .un  ours  va  manger  de  ce 

qu'il  n'a  jamais  vu,  ah  1  il  pouvait  bien  sauter  !  Tout  ce  que 
je  peux,  te  dire,  père,  c'est  qu'il  court  encore  et  qu'on  n'est 


25 

pas  prêt  de  le  voir.  Après  une  pause, — ouï,  il  doit  en  faire 
des  saults  ;  pauvre  ours  \  je  le  plains.  Pois  à  toutes  les  cinq 
minutes,  j'étais  sûr  d'entendre  mon  Sauvage  s'exclamer  en 
soupirant  :  non,  mais  dire  qu'un  ours  va  manger  de  la 
beutate  !  Ga,  ça  me  passe. 

Je  vois  que  je  me  laisse  entraîner  à  des  digressions  qui 
n'ont  peut-être  pas  pour  vous,  l'intérêt  que  j'y  attache.  Que 
voulez-vous,  mes  Sauvages  m'ont  gâté  et  j'aime  tout  ce  qui 
les  regarde*.  Je  me  hâte  de  vous  parler  des  consolation» 
qui  attendent  le  missionnaire  à  son  arrivée  au  milieu  de  la 
nation  Naskapis. 

D'abord,  comme  je  vous  l'ai  dit  déjà,  Dieu  m'avait  réser- 
vé le  bonheur,  à  mon  arrivée,  de  pouvoir  baptiser  une 
mourante  que  j'eus  le  temps  d'instruire  l'espace  d'environ 
une  heure.  Cette  consolation  paie  les  fatigues  du  voyage 
Toute  la  nation,  à  l'exception  d'un  jongleur,  demandait  à 
grands  cris  le  baptême. 

Je  dressai  ma  tente  au  milieu  des  leurs  et  commentai 
à  les  instruire.  C'est  un  travail  de  20  heures  par  jour  et 
cela  pour  des  semaines  entières.  On  varie  les  exercices 
plusieurs  fois  dans  la  journée.  L'enseignement  de  l'alpha- 
bet, du  catéchisme,  des  prières,  du  chant,  de  l'administra- 
tion du  baptême,  puis  quelques  sermons  sur  les  grandes 
vérités,  nous  font  paraitre  le  temps  bien  court.  Il  faut 
beaucoup  de  patience  pour  instruire  ces  Sauvages  dont  l'in- 
telligence ne  s'élève  pas  du  premier  bond  aux  choses  spiri* 
tuelles.  Aller  leur  parler  de  sacrement,  de  la  grâce  de 
Dieu,  dans  le  langage  de  nos  chaires  canadiennes  serait 
perdre  son  temps.  Il  faut  user  de  périphrases.  Le  mis- 
sionnaire qui  travaille  au  milieu  des  nations  infidèles  a 
besoin, — ^le  croiriez-vous  î  — d'une  science  dogmatique  plu» 
qu'ordinaire  et  plus  grande  que  celle  qui,  bien  souvent, 
serait  suffisante  devant  un  auditoire  déjà  instruit  des 
vérités  de  notre  sainte  religion.  Il  lui  faut  créer  des  mots 
d'un  genre  nouveau  et  bien  se  garder  de  ne  pas  dépasser 
les  limites  de  l'orthodoxie.  Son  langage  doit  être  précis, 
et  s'il  veut  rester  dans  les  généralités,  il  fera  mieux  de  ne 
pas  parler.  Dès  que  vos  Sauvages  sont  suffisamment  ins- 
truits et  qu'ils  ont  fait  leur  preuve,  vous  les  admettez  au 


26 

Saint  baptême.  Les  Naskapis  étaient  presque  tous  polyga- 
mes. A  ma  voix,  ils  se  bout  mis  en  règle  avec  PEglise  ca- 
tholique, quant  à  leur  mariage  ;  un  seul  catéchumène  est 
depuis  retourné  à  son  vomissement  Lors  de  mon  premier 
séjour  au  milieu  d'eux,  j'eus  le  bonheur  de  faire  cent  vingt- 
et  un  baptêmes.  Ils  me  promirent  d'être  bons  catholiques  et 
je  sais  qu'ils  tiendront  parole.  Us  ne  veulent  plus  aban- 
*  donner  au  milieu  des  bois  leurs  père  et  mère,  qe  plus  faire 
la  jonglerie  et  ne  plus  étouffer  les  personnes  qui  tombent 
dans  le  délire,  comme  c'était  la  coutume  au  milieux  d'eux. 
Je  dois  dire  qu'ils  sont  encore  affolés  par  de  vaines  craintes 
superstitieuses  qui  finiront  par  disparaître.  Ils  sont  atta- 
chés à  la  robe  noire,  pleurent  lors  de  son  départ.  Ah,  si 
nous  pouvions  nous  établir  au  milieu  d'eux  pour  mieux  les 
instruire  !  car  ils  sont  encore  bien  ignorants.  Mais  Dieu  a 
ses  vues,  et  j'adore  ses  desseins  impénétrables. 

En  attendant  que  je  reparte  ce  printemps,  dans  l'espoir 
de  les  voir,  je  les  recommande  à  vos  bonnes  prières.  Je 
vous  remercie  de  l'accueil  favorable  que  vous  faites  toujours 
à  mes  demandes.  J'ai  sollicité  dans  quelques  paroisses  la 
générosité  de  mes  compatriotes.  Je  suis  heureux  de  vous 
dire  qu'on  m'a  reçu  partout  k  mains  ouvertes.  Que  lafoi 
est  encore  grande  dans  notre  Canada  1  J'ai  été  flatté  d'ap- 
prendre de  quelques  vénérables  prêtres  que,  dans  la  se- 
maine qui  a  suivi  mon  instruction  dans  leurs  paroisses, 
un  grand  nombre  sonc  venus  payer  leur  contribution  à 
l'Œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi.  C'est  en  entendant 
exposer  les  besoins  de  nos  chers  Sauvages,  que  nos  zélateurs 
comprennent  l'importance' et  le  mérite  de  leur  obole. 

Je  ne  puis  me  résoudre  à  vous  dire  adieu.    Au  revoir 
donc  quand  mes  occupations  me  le  permettront. 

Zach.  Laçasse,  O.M.  I. 


NORD-OUEST. 

1  * 

Hôpital-Général  de  la  Providence^  Tiîv.  MacKenzie^ 

25  Juin,  1878. 

Ma  Trj>s  Honorée  Mers, 

^  Mes  Bien  G^ierbs  Sûëurs  ; 

• 
Quoiqu'il  n'y  ait  que  très  peu  d#  temps  que  j'aie  eu  la 

satisfaction  de  vous  écrire  tous  les  détails  intéressants  et 

autres  de  notre  petite  -mission,  les  occasions  de  le  faire  sont 

trop  rares  pour  que  je  ne  profite  pas  avec  bonheur  de  celle 

qui  se  présente  aujourd'hui  pour  me  procurer  de  nouveau  le 

plaisir  que  j'éprouve  à  venir  m'entretenir  avec  une  Mère 

vénérée  et  des  Sœurs  tant  aimées.     Notre  petit  journal 

quotidien  est  d'une  monotonie  désespérante  ;  aussi,  vais-je 

le  laisser  de  côté  sans  cérémonie;  et  ne  consultant  que  mes 

souvenirs,  et  plus  encore  mon  cœur,  je  laisserai  courir  ma 

plume  sans  m'astreindre  à  suivre  l'ordre  chronologique. 

La  bouche  parle  de  l'abondance  du  cœur  ;  il  doit  en 
être  ainsi  de  la  plume,  n'est-ce  pas  ?  £h  bien  I  de  ce 
temps-ci  et  depuis  longtemps  nous  attendons  avec  anxiété 
et  impatience  le  mois  d^Août  qui  doit  nous  apporter  des 
lettres,  et  peut-être  du  renfort  dans  la  personne  de  notre 
chère  Sœur  Massé  que  nous  attendons  toujours,  et vais- 
je  continuer  ? peut-être  une  visitatrice  ;  pourquoi  ne  pas 

espérer  un  tel  bonheur  ?  l'espérance  est  si  douce  au  cœur 
de  l'exilé. 

Voilà  autant  de  sujets  de  conversation  qui  nous  occupent 
dans  les  courts  instants  où  nous  nous  réunissons  dans  notre 
petite  Communauté,  et  où  nous  trouvons  ordinairement 
notre  lionne  Mère  et  ma  Sr.  Michon  occupées,  à  cette  sai- 
son, à  préparer  et  à  emballer  les  effets  des  Pères  des  différen- 
tes missions.  C'est  vous  dire,  ma  Très-Honorée  Mère,  que 
l'ouvrage  ne  manque  pas.  Ainsi  on  ne  manque  pas  de  ren- 
contrer ma  Sœur  Brunelle  au  jardin-,  objet  de  tous  ses  soins^ 


28 

ou  encore  dans  sa  dépense  si  propre,  écrémant  da  lait,  pour 
pouvoir  remplir  un  petit  baril  de  beurre.  A  la  poste  de  la 
dépense,  nous  trouvons,  à  coup  sûr,  un  petit  icliot,  objet  prin- 
cipal des  attentions  maternelles  de  cette  chère  Sœur.  Il  est 
âgé  de  11  ans,  mais  il  faut  lui  rendre  tous  les  services  qu'exi- 
gerait un  enfant  de  deux.  Malgré  tout,  ma  Sœur  Brunelle 
le  trouve  fin,  opinion  qu'elle  voudrait  faire  partager  à  tout 
le  monde  ;  souvent,  pour  ne  pas  contrister  cette  chère  Sœur, 
nous  unissons  par  lui  accorder  qu'il  est  bien  fin  pour  un 
fou,  ce  qui  ne  la  satisfait  qu*à  demi. 

Nous  étions  au  jardin,  il  y  a  quelques  instants,  je  n'aurais 
pas  dû  en  sortir  sans  vous  parier  de  nos  champs.  Toutes 
les  semences  étaient  terminées  vers  la  mi-Mai,  grâce  au 
temps  favorable  dont  la  Providence  nous  a  favoiisées. 
C'est  la  première  année  que  nous  avons  pu  finir  avant 
le  mois  de  Juin.  Depuis  ce  temps,  nous  avons  eu  de  la 
pluie  plusieurs  fois,  de  sorte  que  nous  espérons  avoir  de 
bonnes  récoltes  :  l'orge  et  les  patates  sont  déjà  très  belles^  et 
le  blé  très  beau.  De  ce  dernier,'  nous  n'avons  pu  semer  que 
2  barils,  mais  nous  nous  contentons  facilement  de  la  galette 
d'orge  que  nous  trouvons  excellente,  tant  il  est  vrai  quei'on 
s'accoutume  à  tout.  Hier  pour  nous  faire  fêter  la  St.  Jean- 
Baptiste  en  bonnes  Canadiennes,  on  nous  a  servi  à  chacune, 
un  tout  petit  pain  blanc  que  nous. avons  mangé  avec  de  la 
crème.  C'est  autant  de  moins  ^  de  6ei^rre  dans  le  baril  de 
ina  Sr.  Brunelle.  îsotre  petit  jardin  a  vraiment  bonne 
mine  avec  tses  carrés  de  légumes  bordés  de  fleurs  et  de 
fraisiers  qui  promettent  une  récolte  abondante;  il  y  a  des 
choux,  des  oignons,  des  carottes,  des  choux- fleurs;  des  radis 
et  des  naVets.  Nos  érables,  que  les  enfants  appellent  des 
sucriers,  «ont  vraiment  charmants  à  voir.  11  ne  faut  pas 
que  j'oublie  les  groseilliers,  qui  ne  sont  pas  à  dédaigner  et 
les  framboisiers,  qui  déjà  tout  en  fleurs  me  disent,  qu'eux 
aussi,  veulent  avoir  une  mention. 

Pendant  les  semences,  nos  gros  chiens  Esquimaux, 
indispensables  pendant  l'hiver  pour  les  voyages,  ont  tué  un 
de  nos  plus  beaux  veaux  :  c'est  une  grande  perte  pour  la 
mission,  vu  le  petit  nombre  d'animaux  que  nous  avons. 

Notre  petite  Eglise  avance  lentement,  vu  qu'il  n'y  a  qu'un 


29 

seul  ouvrier  pour  aider  au  frère  qui  y  travaille,  et  que  ce  der- 
nier est  souvent  obligé  d^interrompre  ses  travaux  de  menui- 
serie pour  labourer,  etc.,  etc.  Le-petit  clocher  est  terminé  de- 
puis quelques  jours  ;  le  cimetière  avecsa  belle  grande  croix 
où  se  trouve  insérée  une  belle  petite  statue  de  N.  D.  du  Sacré- 
Cœur,  tout  cela  est  maintenant  si  joli,  que  nous  nous  croi- 
rions facilement  en  pays  civilisé.  Le  petit  plan  de  la 
mission  que  vous  avez  dû  recevoir  cet  été,  ma  Trës-Honorée . 
Mère,  dira  mieux  que  ma  plume  les  progrès  de  cette 
mission,  où,  en  1862,  pas  un  seul  arbre  n'était  encore  abattu. 
Monseigneur  Faraud,  absent  depuis  le  mois  de  Janvier 
1870,  et  que  nous  attendons  l'été  prochain,  sera  bien  agréa- 
blement surpris  des  travaux  accomplis  pendant  sa  longue 
absence. 

Nous  avons  fait  notre  retraite  dans  la  semaine  de  Pâques* 
Le  prédicateur,  (le  R.  P.  Lecorre),  nous  a  fait  chaque 
jour  deux  belles  instructions,  toutes  pratiques.  La  nôtre 
terminée,  notre  bonne  Mère,  qui  se  réserva  toute  la  besogne 
pendant  ces  huit  jours,  ût  la  sienne  à  son  tour.  Nous  finis- 
sions nôtre  retraite  pour  l'ouverture  du  beau  mois  de  Marie, 
aux  exercices  duquel  toute  notre  petite  populatioq  se  rend 
avec  la  même  fidélité  qu'à  la  messe  le  dimanche.  Il  me 
semble  que  notre  Mère  Immaculée  doit  agréer  avec  plaisir 
les  hommages  si  simples  et  si  sincères  de  ces  pauvres  En- 
fants des  Bois  qui  l'appellent  dans  leur  naïf  langage:  la 
Pnre  Marie. 

Les  Sauvages  qui  se  rendent  à  ce  poste  pour  traiter  leurs 
pelleteries,  sont  encore  généralement  peu  instruits  et  assez 
indifférents.  La  présence  des  ministres  protestants  au  mi- 
lieu d'eux  leUr  est  funeste  ;  non  pas*que  ces  derniers  fassent 
de  véritables  conversions,  mais  ils  réussissent  trop  souvent 
par  leurs  calomnies  à  les  éloigner  du  Prêtre  et  à  faire  naître 
parmi  eux  une  apathie  et  une  iidifférence  difficiles  à 
vaincre.  Le  nombre  de  missioimaires  est  toujours  trop 
petit  pour  suffire  à  visiter  les  différents  postes  ou  camps  où 
demeurent  ces  tribus  nomades  et  par  conséquent  plusieurs 
restent  exposés  aux  attaques*  des  ministres  de  l'erreur. 
Ainsi,  dernièrement  Monûeur  Reeves,  qui  n'est  encore  que 
diacre  de  l'Eglise  Anglicane,  se  rendait  au^Lac  la  Trinité, 


30 

OÙ  se  trouve  une  nombreuse  peuplade,  qui  n'a  Jamais  été 
visitée  par  aucun. Daissîbnpair&. catholique.  Je  ne  sais  trop 
CQ  qu'il  y  a  fait,  pais  après  deux  moi^  de  séjour  au  milieu 
d'eux,  il  en  revenait  il  y  a  quinze  jour?,  accônipagné  de 
tous  ces  Sauvages  qui  emportaient  leurs  fourrures  au  fort. 
Le  lendemain,  àinianche  de  là  Sainte  Trinité,,  tous  ont 
assisté  à  sa  prêche,  et  pas  un  n'a  paru  4  la  chapelle.  Le 
^undi,  monsieur  le  Diacre  reprenait  le  chemin  du  Fort 
Simpson  pour  revoir  sa  dame  «et  ses  enfants.  Espérons 
qu'il  les  trouvera  si  charmants  qu'il  ne  les  laissera  pas  de 
sitôt.  Depuis  son  départ,  plusieurs  de  ces  pauvres  Sauvage» 
sont  venus  trouver  le  ilissionnaire  catholique  pour  se  faire 
instruire.  Veuillez  donc,  Ma  Très-Honorée  Mère,  prier  et 
faire  prier  notre  chère  Communauté  pour  nos  cher» 
Sauvages,  afin  d'éloigner  d'eux  à  jamais  Terreur,  et  de 
vaincre  cette  indifférence  qui  caractérise  ces  pauvre* 
esclaves  de  la  matière. 

Permettez-moi  maintenant,  d'extraire  quelques  lignes 
d'une  lettre  du  R.  P.  Lecomte,  que  nous  avons  reçue  der- 
nièrement : 

**  La  mission  de  St.  Joseph  est  pour  moi  un  véritabler 
"  paradis  terrestre,  nos  Sauvages  aiment. tant  notre  sainte 
''  religion  et  ont  tant  de  respect  pour  celui  qui  leur  distri- 
"  bue  le  pain  de  la  parole  divine  qu'on  ne  peut  pas  ne  pas 
"  se  plaire  au  milieu  d'eux,  La  veille  de  l'Ascension,  je 
'^  rentrais  au  logis  après  un  voyage  aufond  du  lac  (des 
"  Esclaves).  J'y  ai  vu  une  cinquantaine  de  Sauvages  et  tous 
''  sans  exception  ont  été  pour  moi  un  sujet  de  la  plus  grande 
"  édificationi  Ces  pauvres  Indiens  ne  sont  pas  instruits,  mais 
*'  on  sent  qu'ils  sont  sincèrement  catholiques  et  que  leurs 
"  cœurs  .brûlent  de  l'amour  de  Dieu.  J'ai  passé  7  jours 
<^  dans  ce  camp  ;  ensuite  .je  mo  buis  rendu  ^  la  Rivière  au 
'^  Rocher  ;  le  voyage  a  bien  été  un  peu  pénible,  mais  les 
"  consolations  que  j'avais  éprouvées  pendant  mon  court  sé- 
'^  jour  au  fond  du  Lac,  me  firent  vite  oublier  toutes  les 
'*  fatigues  d'un  si  long«voyage.  Arrivé  au  camp  le  diman- 
''  che  de  la  Quasimodo,  j'y  ai  donné  la  mission  qui  a  duré 
"  un  mois.  Dans  les  commencements,  j'avais  un  peu  de 
"  difficulté  à  m'expliquer,  mais  à  force  de  parler,  je  suis 
"  arrivé  au  point  de  conver-ser  avec  «eux  aussi  facilement 
"  que  je  parle  le  français.  Pour  cela,  il  m'a  fallu  beaucoup 
<'  de  travail.  Ma  bonne  Mère  Marie  Immaculée  s'est  aussi 
^'  mise  de  la  partie,  je  n'en  doute  nullement.    J'ai  vu  une 


31 

''  centaine  de  Sauvages  dans  ce  dernier  camp.    Oh  !  qu41 
^'  fait  bon  au  milieu  de  ces  bonnes  &mes  !  '* 

Nous  avons  actuellement  28  enfants,  18  filles  et  10  gar- 
çons.       • 

L'arrivée  prochaine  des  berges  nous  en  amènera  plusieurs 
autres.  Nous  en  avons  de  Tftge  de  18  ans  jusqu'à  4  et  de 
toutes*  les  tribus,  métisses-canadiennes,  crises,  loucheuses, 
couteaux-jaunes,  plats-côtés-de-chien,  peaux-de-liëvres,  es- 
claves, montagnais,  sauteux,  gens  de  la  montagne,  etc. 

Les  santés  sont  ordinairement  assez  bonnes.  Notre 
bonne  Mère  n'est  cependant  pas  aussi  bien  que  nous  dési- 
rerions la  voir.  Elle  ne  digère  pas  bien.  Nous  espérons 
que  Vous,  ma  Très-Honorée  Mère,  jouissez  d'une  santé 
à  pouvoir  remplir  toutes  vos  importantes  occupations* 
C'est  du  moins  ce  que  nous  demandons^  chaque  jour  pour 
vous  au»  Sacré-Cœur. 

Nos  Sœurs  sont  heureuses  de  s'unir  à  moi  pour  vous  pré- 
senter, Ma  Très-Honorée  Mère,  l'hommage  de  notre  res- 
pect et  de  notre  invariable  gratitude,  et  à  nos  bonnes  Sœurs 
Assistantes,  ainsi  qu'à  toutes  nos  chères  Sœurs  nos  saints 
respectueux* 

Adieu,  ma  Très-Honorée  Mère,  et  mes  bien  chères  Sœurs, 
en  attendant  le  plaisir  de  vous  lire  bientôt,  je  demeure  avec 
la  plus  respectueuse  affection. 

Votre  affectionnée  petite  Sœur, 

Soeur  Ward. 

—  » 

Les  extraits  suivants  d'une  lettre  de  Sœur  St.  Michel 
des  Saints  à  sa  Supérieure  Générale^  de  l'Hôpital  Général  de 
Montréal,  nous  aideront  à  nous  faire  comprendre  l'immen- 
sité des  sacrifices  au  prix  desquels  sont  achetées  les  âmes, 
dans  ces  parages  de  l'extrême  Nord. 

CouvEiVT  DES  Saints  Anges, 

Athabaska,  7  Juillet  1878. 

TRis  HONORiÈB  MÂRB, 

Le  10  de  Février,  Sa  Grandeur  Monseigneur  Clut  nous 
écrivait  de  la  Rivière  ati  Sel,  mission  Voisine  de  la  nôtre, 


as 

que  la  disette  commentait  èk  deveair  sérieuse.  Oa  ne  se 
nourrissait  que  .de  carpes  sèches,  maigres  et  à  moitié 
gâtées  ;  et  encore,  ajoutait  Sa  Grandeur,  on  n'en  a  pas  à 
satiété  tant  s'en  faut.  .  Sur  l'invitation  de  Monseigneur,  le 
révérend  P.  Husson,  arrivé  Ae  sa  mission  du  Vermillon  le 
dimauche  après  Noël,  allait  rejoindre  Sa  (îrandenr.  Tons 
deux  nous  revenaient  le  21. 

Le  25  avait  lieu  Texamen  scolaire  de' nos  enfants.  Mon- 
seigneur voulut  bien  nous  faire  l'honneur  de  présider  cette 
modeste  séance.  U  était  accompagné  des  Révérends  PP. 
Laity,  Hussod,  Pascal,  Le  Doussal,  et  des  bons  frères  Skers 
et  Régnier.  Nous  craignions  que  l'arrivée  du  grand 
express  empêchât  M,  MacFarlone,  bourgeois  en  chef  du 
district  d'Athabaska,  d'assister  &  cette  petite  fête.  Nous 
fûmes  agréablement  surprises,  à  l'heure  indiquée,  de  le  voir 
prendre  place  à  côté  de  Sa  Grandeur.  Pou»*  vous.prouver 
que  le  mot  de  fête  n'est  point  exagéré  dans*  cette  circons- 
tance, j'ajouterai  que  les  pavillons  dn  fort  furent  hissés 
dès  le  matin  ;  et  tous  les  employés  de  la  compagnie  eurent 
carte  blanche  pour  la  journée.  La  plupart  en  profitèrent 
pour  venir  grossir  le  nombre  des  curieux.  Le  lendemain, 
on  donna  grand  congé  aux  enfants  ;  ceux  dont  les  parents 
demeuraient  dans  le  voisinage  allèrent  passer  la  journée 
avec  eux  ;  les  autres,  ainsi  que  nos  orphelins,  firent  festin  ici  : 
rababou,  taureau,  viande  i^che  et  pelée,  poisson  sec  et#-iz 
firent  tour  à  tour  leur  régal. 

Et  nous,  qui  venions  d'apprendre  l'élection  de  Notre 
Très  Honorée  Mère,  nous  était-il  possible  de  passer  cet  évé- 
nement sous  silence  ?  Certes  non.  Tout  en  conservant  à 
notre  vénérée  Mère  Dupuis  le  respectueux  et  cordial  atta- 
chement, auquel  lui  donne  droit  les  cinq  années  si  bien 
remplies  de  sa  charge,  nous  bénissons  Dieu  de  lui  avoir 
choisi  une  si  digne  remplaçante.  Tout  le  monde  sembla 
prendre  part  à  notre  joie  ;  on  hissa  les  pavillons,  et  toute 
la  journée  des  salves  de  réjouissance  se  firent  entendre.'  A 
la  cuisine,  on  apprêta  des  mets  qui  portaient  les  noms  de 
fricot,  de  ragoût,  de  pouding  ;  pour  le  tout  nous  n'avions 
pas  une  once  de  beurré  à  dépenser.  Une  petite  fiole 
d'Essence  de  Citron  fit,  seule,  le  luxe  de  la  journée.    Dans 


33 

raprès-midi,  Monseigneur,  accompagné  du  révérend  P.  Lai- 
ty,  Bupérieur  de  la  miseion,  nous  fit  uûe  longue  visite.  La 
conversation  roula  longtemps  sur  le  cher  Mont  8ainte-Croii, 
auquel  la  circonstance  donnait  encore  un  nouvel  intérêt. 

Ler  24  mars,  notre  digne  EvèqUe  nous  quittait  pour  la 
'Rivière  au  Sel  ;  le  même  jour,  le  révérend  P.  Husson  re- 
prenait la  route  du  Vermillon.  Au  moment  du  départ  ce 
bon  Père  apprenait  la  mort  d'un  de  ses  paroissiens,  octogé- 
naire,  qui  dans  Tespace  de  quarante  ans,  ne  s'était  confessé 
qu'une  fois,  il  y  a  une  dizaine  d'années.  Avant  de  laisser 
sa  mission,  le  Père  l'avait  pressé  de  mettre  ordre  i  ses  afTal- 
res  spirituelles,  lui  représentant  surtout  son  grand  âge. 
—  Quand  vous  reviendrez,  *j'y  songerai,  avait  répondu  le 
malheureux. — ^Mais,  lui  objectait  le  missionnaire,  mon  ab- 
sence devant  durer  trois  mois,  qui  vous  assure  que  la  mort 
ne  vous  surj^rendra  pas  pendant  ce  temps. — C'est  égal,  répon- 
dait cet  homme  endurci,  j'aime  autant  me  risquer.  Il  voulut 
tenter  Dieu,  mais  Dieu  se  rit  des  impies.  Le  pauvre  miséra- 
ble s'est  tué  sans  le  vouloir,  en  prenant  une  dose  trop  forte 
de  laudanum.  Les  gens  le  croyant  endormi  n'en  firent  au- 
cun cas  le  premier  jour  ;  le  lendemain  voyant  qu'il  ne  faisait 
aucun  mouvement,  ils  le  découvrirent,  mais,  ô  surprise  il 
était  mort.  Les  paroles  de  la  divine  Ecriture  avaient  leur 
accomplissement  :  "Vous  mourrez  dans  votre  péché."  Deux 
ou  trois  jours  auparavant,  le  commis  de  ce  même  fort,  pro- 
testant, allait  pareillement  rendre  compte  à  Dieu  d'une  vie 
scandaleuse. 

Le  jeune  a  été  vraiment  sérieux  tout  l'hiver.  Point 
d'orignal,  point  de  caribous,  pomt  da  lièvres  ;  et  au  prin- 
temps point  de  gibier.  Pendant  quatre  à  cinq  semaines, 
on  dut  se  nourrir  de  rats  et  de  castors  quand  on  en  pouvait 
avoir.  Dans  quelques  forts,  on  fut  obligé  de  tuer  les  ani- 
maux domestiques..  On  sacrifia  d'abord  les  chevaux  et  les 
bœufs,  puis  les  chiens.  Monseigneur  nous  disait  qu'en 
quittant  la  Rivière  au  Sel,  le  commis  de  .ce  poste  n'avait 
antre  chose  à  lai  donner  qu'un  morceau  de  cheval  et  un 
^liien.  On  a  vu  des  familles  entières  de  Sauvages,  sur  le 
|K>int  de  périr  d'inanition,  prendre  le  chemin  du  fort  dont 

2 


34 

ils  étaient  souvent  très  éloignés  dans  l'espérance  d'être 
secourus  ;  mais  les  hiarches  forcées  qulls  étaient  obligés 
de  faire,  jointes  à  Tépuisement  de  longs  jeûnes,  faisaient 
qu'ils  s'afLaissaient  sur  la  route  où  ils  seraient  morts  sans 
de  prompts  secours.  Des  faits  que  nous  avons  été  à  même 
de  constater  »vous  feront  mieux  comprendre  la  détresse  de 
nos  pauvres  habitants  des  bois. 

Un  jour,  c'était  une  jeune  femme  qui  venait  à  la  course^ 
demander  une  traîne  à  chien  pour  son  mari  et  son  petit 
enfant  qui  ne  pouvait  plus  marcher.    Une  autre  fois,  c'é- 
tait  toute  une  brigade  de  Sauvages  surprise  par  le  jeûne  : 
•  n'ayant  plus  la  force  de  se  traîner,  ils  dépêchèrent  le  plus 
robuste  d'entre  eux  pour  demander  du  secours.    Le  jeune* 
homme  arriva  à  la  mission  dans  un  état  de  faiblesse  et  de 
maigreur  à  faire  pitié.    Ses  yeux  enfoncés  dans  leur  orbite 
étaient  étincelants  et  hagards.    Il  nous  dit  qu'il  avait  laissé 
ses  parents  à  une  journée  de  marche  pour  venir  quérir  des 
vivres.'   Il  y  avait  vingt  jours  que  la  brigade  jeûnait, 
n'ayant  pour  assouvir  sa  faim  que  de  la  peau  da  loge.    On 
servit  de  suite  à  manger  au  pauvre  alïamé,  mais  la  faiblesse 
de  son  estomac  ne  lui  permit  pas  de  satisfaire  son  appétit. 
Une  heure  après,  il  redemanda  de  la  nourriture.   Le  Révé- 
rend P.  Laity  écrivit  quelques  mots  au  bourgeois,  qui  ex- 
pédia aussitôt  une  traîne  chargée  de  vivres.    Le  moindre 
retard  pouvait  amener  la  mort  de  plusieurs,  car,  ajoutait  le 
jeune  homme,  un  grand  nombre  n'avaient  plus  la  force  de 
se  mouvoir.  A  ces  traits  je  pourrais  en  ajouter  bien  d'autres 
de  la  même  nature  si  je  ne  craignais  pas  d'être  trop  longue. 
Ohl  ma  Très  Honorée  Mère  et  bien  chères  Sœurs,  vos 
cœurs  sont  sans  doute  attendris  au  récit  des  souffrances  de 
nos  semblables,  mais  combien  plus  pénible  c'est  d'en  être 
témoin  sans  pouvoir  les  soulager.     Jamais  de  mômoîre^ 
d'homme,1disent  les  anciens,  on  n'a  vu  de  disette  si  générale- 
Le  jour  de  Pâques,  deux  dor  nos  pnfaiits  et  douze  sauva- 
ges avaient  le  bonheur  de  s'approcher  pour  la  première 
fois  de  la  table  e.ucharislique  ;  soit  ignorance  ou  idiotisme^ 
un  de  ces  derniers  avait  mangé  un  poisson  avant  de  se 
rendre  à  l'église.    On  apprit  la  chose,  ma  s  malheureuse- 
ment, il  était  trop  tard.    Puisse  notre  bon  Jésus  n'avoir 


35 

point  été  offensé  de  cette  irrévérence,  plu^  excusable  il  noua 
semble  que  d'autres  moins  considérables,  chez  des  hom- 
mes qui  jouissent^  de  tous  les  bienfaits  de  Téducation  reli* 
gieuse. 

Nous  avons  actuellement  vingt  enfants,  dont  douze  flUea 
et  huit  garçons.    Nous  ne  pouvons  guère  augmenter  ce 
chiffre  vu  la  disette  dee  vivres,  Texiguité  de  notre  local  et 
enfin  le  petit.nombre  de  bras  pour  suffire  à  la  besogne.  Ici 
me  reviennent  les  paroles  de  Notre-Seigneur  :    '^  La  mois- 
son est  grande,  mais  il  y  a  peu  d'auvriera," 
.  Le  3  mai,  nous  déployâmes  toute  la  solennité  qui  nous 
fut  possible  dans  la  fôte  de  la  Sainte-Croix.    Il  y  eut  expo- 
sition de  la  précieuse  relique  toute  la  journée  et  vers  le  ' 
soir  ^alut  du  Saint-Sacrement.    La  belle  fête  du  Sacré- 
Cœur  fut  aussi  chômée  le  mieux  possible;  nous  eûmes  Tin- 
signe  faveur  d*avoir  le  Saint  Sacrement  expgsé  toute  la  jour- 
née.   Une  instruction  sur  le  sujet  du  jour,  suivie  de  la 
bénédiction,  termina  cette  heureuse  fôte.    Ai-je  besoin  de 
vous  dire,  Très  Honorée  Mère  et  bien  chères  Sœurs,  qu'en 
ces  jours  solennAs,  qui  sont  les  principales  fêtes  de  l'Ins- 
titut, nos  cœurs  se  transportent  aisément  au  milieu  de  vous  ; 
mais  en  nous  fournissant  l'occasion  de  méditer  sur  le  prix 
immense  réservé  aux  amantes]  de  la  Croix,  et  sur  l'isole- 
ment du  divin  Cœur  de  Jésus  au  saint  tabernacle,  notre 
courage  grandit,  et  l'exil  que  nousi  nous  sommes  volontai- 
rement imposé  devient  plus  doux. 

Le  premier  dimanche  de  juin  était  le  jour  désigné  pour 
la  Confirmation  et  la  Communion  générale  des  Sauvages, 
dont  la  mission  durait  depuis  près  de  trois  semaines.^  Ils 
s'approchèrent  de  la  sainte  table  aujnombre  décent  soixante. 
L'église  était  si  remplie  qu'ils  ne]  pouvaient  circuler  que 
très-difficilement.  Pour  rendre  la  cérémonie  plus  impo- 
sante, Sa  Grandeur  Monseigneur  officia  pontificalement. 
Llignorance  des  Sauvages  cependant  faillit  troubler  un  peu 
la  gravité  des  cérémonies.  Encore  peu  instruits  de  nos 
Saints  Mystères,  plusieurs  de  nos  néophytes  n'en  ayant  été 
que  rarement  témoins,  ils  ne  pensaient  pas  qu'il  fallût  ou- 
vrir la  bouche  pour  recevoir  la  Sainte  Communion.  Mon- 
seigneurdut  s'arrêter  à  plusie^irs  reprises  pour  le  leur  faira 


36 


observer,  et  joiadre  même  le  geste  à  la  parole.  C'est  un  fait 
inouï  dans  nos  pays  catholiques,  mais  ici,  on  doit  s'at- 
sendre  à  tout  de  rignorance  des  indigènes. 

Est-ce  un  fait  véritable  ou  p.ne  vaine  rumeur?  mais  il  pa- 
raîtrait d'après  les  bruits  qui  circulent,  que  le  bienveillant 
Monsieur  MacFarlone  se  propose  de  nous  faire  bâtir,  fai- 
sant commencer  Téquarrissage  dès  cet  hiver,;  sans  trop  y 
ajouter  foi,  je  n'en  serais  cependant  pas  surprise.  Quel  dom> 
mage  qu'un  gentilhomme  si  bon,  si  charitable,  soit  protes- 
tant. Il  m'est  venu  à  l'idée  de  le  recommander  à  vos  prières 
et  à  celles  de  nos  pauvres,  ainsi  que  sa  famille  composée 
d'un  fils  et  de  trois  demoiselles.  .  Il  me  semble  que  c'est 
le  seul  moyen  de  reconnaître  dignement  les  bontés  de  ces 
•généreux  bienfaiteurs. 

Grâce  à  leur  générosi]i!§,  nous  avons  aujourd'hui  ce  que 
nous  appelons  (^ans  ce  pays  uile  petite  chapelle.  La  voûte 
ou  plutôt  le  plafond  est  tapissé  en  coton  rouge  parsemé  d'é- 
toiles dites  d'argent.  Une  belle  frange  fait  l'ornement  d'une 
corniche.  Puis  avec  de  vieux  morceaux  de  tapisserie  de  la 
même  couleur,  trempée  dans  l'eau,  nous  avons  barbouillé 
le  plancher.  N'est-ce  pas  que  vous  n'auriez  jamais  imaginé 
un  pareil  genre  de  peinture  î 


PELEÏllNAGB  AUX  SAINTS-LIEUX  (1)    . 

m 

Mon  révérend  et  bien  chex  Père  —  Je  viensd'accooiDlir  un 
nouveau  pèlerinage  à  Jérusalem,  pour  y  donnçr.la  retraite 
pastorale  ;  et  je  sais  trop  combien  le  souvenir  des  Saints. 
Lieux  vous  est  cher  pour  que  jediffère  de  vouy  en  entretenir 
encore  une  fois,  peut-être  la  dernière-  J'ai  éprouvé  une  vé- 
ritable joie  de  tout  ce  que  j'ai  vu  ;  car  la  sainte  Eglise  est 
en  progrès  et  les  Œuvres  catholiques  solidement  et  vaillam- 
ment soutenues,  avec  la  bénédiction  du  Seigneur 

Je  ne  vous  parle-rai  que  des  principales  parmi  ces  Œuvres. 
Le  Patriarcat  latin .  rétabli,  il  y  a  trente  ans,  avec  quatre 
mille  catholiques,  en  compte  aujourd'hui  dix  ;  et  ses  mis- 
sions prospèrent,  malgré  les  difficultés  sans  cesse  renais- 
santes qui  entravent  le  bien  sur  cette  terre  désolée.  Les 
RR.  PP.  de  Saint-François  ont,  sur  plusieurs  points,  amé_ 
lioré,  par  de  nouvelles  constructions,  leurs  sanctuaires, 
leurs  hospices  et  leurs  couvents  ;  ils  ont  aussi  ouvert  une 
petite  école  apostolique.  Le  R.  P.  Marie  Ratisbonne  pour- 
suit; avec  toute  l'activité  de  son  zèle,  deux  grandes  cons- 
tructions, l'une,  à  Saint-Jean-du-Désert  pour  les  orphelines, 
l'autre,  près  des  remparts  de  Jérusalem,  pour  un  vaste  éta- 
blissement d'arts  et  métiers.  La  grande  maison  des  Sœurs 
de  Sibn,  à  l'Ëccè-Homo,  est  achevée  ;  et  aux  œuvres  que  ce& 
saintes  filles  y  avaient  déjà  établies,  elles  ont.  ajouté  cette 
année  un  petit  pensionnat  qui  étendra  le  grand  bien  qu'elles 
font  à  la  classe  plus  élevée  de  la  société.  M.  l'abbé  Pom  Bel- 
loni  continue,  avec  un  zèle  admirable,  les  constructions  de 
son  orphelinat  pour  les  garçons  ;  le  nombre  de  ses  brphe- . 
lins  est  plus  que  doublé,  depuis  que  je  ne  l'avais  visité  ;  et 
cet  habile  administrateur  a  su  donner  à  son  œuvre  une  vi- 
gueur qui  en  assure  l'avenir  pour  le  spirituel  et  le  tempo* 

rel. 

Les  Sœurs  de  Saint  Joseph-de-rApparîtion  tiennent  à  Je* 
rusalem  l'hôpital  catholique,  où  chaque  jour  affluent  de 
pauvres  malades,  pour  Les  consultations  et  les  remèdes,  qui 


(1)  Tiré  du  Messager  du  Sacré  OoBur  du  mois  de  Décembre,  1878, 


•  38 

leur  sont  donnés  gratuitement.    Elles  ont,  en  outre,  des 
écolesi  des  congrégations  et  des  orphelines.  Les  principale^ 
missions  de  ce  patriarcat  ont  aussi  une  maison  de  ces  sain- 
tes filles,  qui  exercent  dans  ces  localités  les  mêmes  œuvres 
de  charité.  Le  Moudir  (sous-préfet)  de  Ramleh,  quoique  nui- 
fiulman,  m'a  fait  le  plus  grand  éloge  de  ces  religieuses  chré- 
tiennes. ''  Eltes  font  un  grand  bien,  me  disait-il  ;  je  leur  ai 
fourni  des  pierres  pour  bâtir  leur  maison,  et  j'ai  dit  âa 
consul  de  France  :  *'  Soyez  tranquille,  c'est  moi  qui  protège 
'^  les  religieuses."  Aussi  s'e£force-t-il  de  remplir  leur  ôcole 
de  toutes  les  petites  musulmanes  des  environs.    Malheur  à 
qui  leur  dirait  une  parole  offensante  1  Quel  exemple  pour 
votre  France,  prétendue  libérale,  où  semblent  avoir  émigré 
l'ancienne  intolérance  et  .la  sauvage  barbarie  des  Arabes 
et  des  Turcs  contre  les  religieux  et  les  religieuses  1  Mais 
notre  Moudir  n'est  pus  seulement  le  protecteur  des  institu- 
trices, il  maintient  Tordre  et  la  justice  ;  et,  ce  qui  est  admi- 
rable en  Turquie,  jamais  il  n'accepte  aucun  présent  de  ses 
administrés  ;  dans  ses  tournées,  il  tient  même  à  ce  vivre 
que  des  provisions  qu'il  porte  avec  lui.  A  cet  exposé  d'admi- 
nistration, qui  ressemble  quelque  peu  à  celui  des  premiers 
kalifes,  je  ne  puis  m'empècher  de  répondre  :  "  Si  tous  les 
administrateurs  de  la  Turquie  te  ressemblaient,  elle  serait 
florissante."  Mais  le  bon  Moudir  ne  voit  point  les  choses  en 
beau.  "  Les  affaires,  me  disait-il,  vont  plus  mal  que  jamais  ;, 
tout  est  ruiné ,  il  s'est  formé  un,e  race  d'hommes  qui  ne 
vont  plus  ni  à  la  mosquée  ni  à  l'église.    La  seigneurie  (dje- 
naback)  ?erra  une  guerre  universelle,  et  les  affaires,  ne  se 
rétabliront  plus  ;  mais  la  fin  du  monde  arrivera  ;  car  les  dé- 
.mons  sont  sortis  de  l'enfer  et  les  hommes  se  laissent  gou- 
verner par  eux.  "  Nous  voilà  entraînés  bien  loin  par  noire 
Moudir  ;    mais,  peut-être,  prendrez-vous  quelque  intérêt^ 
mon  cher  Père,  à  connaître  les  idées  qui  fermentent  dans 
les  imaginations  arabes  durant  cette  crise. 

Les  chers  Frères  des  Ecoles  chrétiennes  ont  aus^i  élevé 
une  belle  maison  à  côté  du  Patriarcat  latin  ;  et  ils  l'achè- 
vent, pour  commencer  sans  retard  Jeurs  classes,  ouvertes  à 
tous  les  enfants  de  Jérusalem.  J'ai  rencontré  à  Jaffa  les 
maîtres  qui  arrivaient^ de  France;  et  sans  doute,  aujour- 


39 

d'hai,  tous  sont  à  l'œuvre,  i  la  grande  joie  des  habitants  de 
la  cité  sainte,  qui  savent  mieuz  apprécier  que  les  radicaux 
de  l'Europe  ces  incomparables  instituteurs  du  peuple.  J'ai 
encore  eu  le  bonheur  de  rencontrer,  à  Jaffa,  les  Pères  des 
Missions  africaines  que  Mgr  Layigerie  envoie  prendre  pos- 
session du  Sanctuaire  dQ  Sainte*Ânne  à  Jérusalem,  avec 
Tassentiment  du  gouvernement  français.  J'ai  pu  dire 
la  messe,  le  jour  môme  de  la  Nativité,  dans  la  crypte  de  ce 
sanctuaire,  où  une  tradition  place  la  naissance  de  la  sainte 
Vierge.  L'église  des  croisades  a  été  restaurée  avec  un  goût 
parfait  ;  mais  elle  n'est  pas  encore  ornée,  les  constructions 
pour  l'habitation  ne  sont  point  achevées,  et  la  dédicace  ne 
s'en  fera  que  lorsque  tout  sera  terminé.  Pour  le  moment 
elle  n'est  point  ouverte  au  public.  Ce  sanctuaire  est  desti- 
tiné  à  devenir  une  maison  de  hautes  études  scripturaires. 
On  ne  pouvait  donner  à  ce  saint  lieu  une  destination  plus 
belle  et  plus  utile.  Puisse  la  sainte  Ecriture  recevoir  de  ce 
nouveau  foyer,  plaîé  sur  les  terres  bibliqufs,  de  nouvelle» 
clartés  pour  le  triomphe  de  l'Eglise  et  le  salut  des  âmes  !. 

Mais  ce  qui  est  plus  adorable  encore,  aux  yeux  de  la  foi, 
c'est  l'hôpital  qui  va  s'élever  près  des  murs  de  Jérusalem. 
Un-généreux  chrétien  de  Lyon,  jeune  homme  de  25  ans, 
flls  unique,  creusait  les  fondations  de  cet  édifice    pen- 
dant que  j'étais  dans  la  ville  sainte,  et  consacrait,  à  l'élever 
et  à  le  doter,  ses  talents  distingués  d'architecte  et  de  sa 
grande  fortune.    Quelles  âmes  sait  se  choisir  la  Providence  f 
Une  pieuse  personne,  âgée  et  infirme,  est  venue  établir,  de 
son  côté,  un  ouvroir,  pour  recueillir  les  enfants  que  leurs 
parents  laissent,  courir  dans  les  rues  de  Jérusalem.    Ygilà 
comment  l'Eglise  catholique  se  manifeste  au  lieu  où  est 
mort  Jésus-Christ,  son  divin  chef;  et  je  n'ai  pas  tout  dit. 
C'est  au  point  que  le  digne  consul  de  France,  M.  Patiimonio, 
m'a  assuré  qu'il  avait  reçu  des  plaintes  des  communions  ri- 
vales sur  ces  progrès  si  éclatants.    Mais  la  réponse  était  fa- 
cile :  ^'  Rivalisez  avec  les  catholiques  de  zèle  et  dévoue- 
ment. "  Les  Grecs  ôchisniatiques  surtout,  qui  dominaient 
à  Jérusalem,  ont  été  gravement  éprouvés  par  les  derniers 
événements.    Au  lieu  de  triompher  par  la  victoire  des 
Russes,  ils  ont  vu  leurs  ressources^tarir,  et  ont  été  obligea 


40 

de  fermer  leur  séminaîTe  de  Sainte-Cfoix  et  leur  hôpital  de 
Jérusalem,  et  de  cesser  de'  fournir  les  allocations  à  leurs 
curés.  Les  Juifs,  cependant,  sont  en  progrès  à  Jérusalem  ; 
comme  ailleurs,  leurs  spéculations  iiabiles  les  rendent 
maîtres  des  finances  ;  tout  l'argent  qui  arrive  à  Jérusalem 
passe  par  leurs  mains;  et  on  les  accusait,  à  mon  passage, 
d'accaparer  tout  les  blés,  pour  commander  ensuite  sur  le 
marché. 

J'aurais  dû  peut-être  vous  parler,  en  premier  lieu,  de  , 
deux  autres  établissements  d'un  autre  genre,  mais  de  la 
plus  haute  importance  pour  Jérusalem.    Ce  sont  deux  mo< 
nastères  de  Carmélites,  qui  s'achèvent,  l'un  sur  le  mont  des 
Oliviers,  au  Sanctuaire  du  Fater^  avec  les  ressources  que 
Saint  Joseph  y  envoie  cbaque  semaine  ;  l'autre  à  Bethléem, 
où  il  a  été  fondé  d'une  manière  toute  merveilleuse.  La  sœur 
Marie-de-Jésus-Cruciflé,  qui  en  est  la  principale  fondatrice, 
est  morte  en  odeur  de  sainteté,  le  26  août  dernier,  pendant 
mon  séjour  à  jfrusalem.  Elle  était  âgée  de  trente-trois  ans 
seulement  ;  c'était  une  simple  sœur  converse,  née  de  parents 
Grecs- catholiques,  à  Abellin,  village  situé  près  de  Saint- 
Jean-d'Acre.    Elle  savait  à  peine  lire  et  écrire  ;  mais  Dieu 
s'était  plu  à  la  combler  de  ses  grâces  les  plus  extraordinai- 
res ;  et  elle   a  pu,  par  sa  sainte  influence,  faire  réussir 
cette  intreprise  qui  paraissait  impossible.    Les  stigmates, 
les  extases,  les  élévations  de  terre,  les  visions,  les  prophé- 
ties, les  lumières  célestes  sur  les  matières  les  plus  difficiles, 
etc.,  étaient,  dit-on,  sa  vie  de  chaque  jour.    Ces  merveilles, 
inouïes  en  Orient  depuis  des  siècles,  avaient  fixé  tous  les  re- 
gards sur  elle  ;  et  ses  funérailles  ont  attiré  un  grand  con- 
cours des  personnages  les  plus  distingués  de  Jérusalem. 
On  raconte  que,  dans  son  enfance,  elle  avait  été  prise  et 
emmenée  à  Alexandrie  par  les  Musulmans,  qui  ne  pouvant 
la  séduire,  lui  coupèrent  la  gorge  et  la  laissèrent  pour 
morte.  Heureusement,  la  blessure  n'était  pas  mortelle;  elle 
fut  recueillie  par  ta  charité  et  conduite  par  la  Providence 
au  Carmel  de  Pau,  où  son  cœur  vient  d'être  envoyé.    Le 
plan  qu'elle  a  donné  pour  le  Carmel  de  Bethléem  ne  res- 
semble en  rien  aux  autres  :   c'est  une  grande  tour,  Turris 
Davidica^  qui  s'élève  eïk  face  de  Bethléem,  sur  une  colline 


41 

OÙ,  suivant  'la  tradition,  David  oonduisait  son  troupeau. 
De  loin,  cette  tour,  au  milieu  de  la  clôture  du  monastère, 
la  fait  assez  bien  ressembler  à  une  forteresse  de  Marie,  mais 
encore  inachevée. 

Je  m'abstiens  de  vous  donner  d'autres  détails  intéressants 
sur  ce  sanctuaire,  pour  vous  entretenir,  en  terminant,  d'un 
sujet  bien  différent. 

Vous  connaissez  par  l'histoire  les  évêques  Scénites  et  les 
chrétiens  Sarrasins  des  premiers  siècles;  j'ai  été  heureux 
de  retrouver  leurs  traces  en  conversant^  à  Jérusalem,  avec 
un  missionnaire  qui  vit  sous  la  tente  des  Arabes.  L'histoire 
ecclésiastique  a  conservé  peu  de  détails  sur  ces  évoques 
''  habitant  sous  la  tente  :  "  on  rencontre  les  indices  d'un 
évoque  scénite  pour  la  tribu  de  Moawiah,  sous  la  dépen- 
dance du  patriarcat  d'Alexandrie  ;  un  autre  évoque  scénite 
suivait  les  tribus  de  la  Palmyrène,  sous  la  dépendance  de  la 
primatie  de  Damas  ;  enfin,  lîn  autre  évêque  vivait  avec  les 
tribus  des  bords  de  l'Euphrate,  rattachées  à  la  province  de 
POsrhoêne.  Les  autres  tribus  de  l'Arabie  romaine,  qui  s'é- 
taient soumises  et  acceptaient  des  empereurs  de  Bysance 
la  nomination  de  leurs  philarquesy  avaient  aussi  embrassé 
le  christianisme,  sans  avoir  toutefois,  paraît-il,  d'évôques 
particuliers.  A  la  conquête  arabe,  ces  tribus  émigrèrent 
ou  apostasièrent. 

Cependant,  Dom  Paolo,  missionnaire  du  patriarcat  latin, 
a  rencontré  une  tribu  qui  vit  sous  la  tente,  dans  la  contrée 
qui  est  à  l'orient  de  la  mer  Morte.  Elle  a  conservé  quelques 
vestiges  de  christianisme  par  suite  de  sa  dépendance  du 
Karak,  le  Mont-Royal  des  Croisés,  l'ancienne  Petra  ou  Sella, 
Plusieurs  familles  passent  une  partie  de  l'année  sous  la  tente 
et  le  reste  dans  leurs  maisons  du  village.  Cependant,  il  y 
a  toujours  une  centaine  de  tentes  dressées,  pour  suivre  les 
troupeaux  et  faire  les  moissons  ou  les  semailles  dans  les 
lieux  écartés.  Il  y  a  quelques  années,  Mgr  le  Patriarche 
de  Jérusalem  ouvrit  une  missioa  au  Karak,  et  une  grande 
partie  des  Grecs  schismasiques  qui  l'habitaient  rentra  dans 
le  sein  de  l'Eglise  ;  ce  mouvement  religieux  se  propagea 
jusque  sous  \es  tentes.  Mais  ces  Bédouins  convertis  étaient 
dans  la  plus  profonde  ignorance  de  la  religion.    Jamais  les 


42 

prêtres  grecs  ne  s'étaient  résignés  à  habiter  avec  eux  bous 
la  tente  ;  et  la  religion  de  ces  pauvres  abandonnéîs  se  rédui- 
sait à  faire  baptiser  leurs  enfants,  et  à  observer  quelques 
jeûnes  avec  la  rigueur  primitive.  Ils  ignoraient  même 
Jésus-Christ,  qu'ils  croyaient  être  un  de  leurs  scheiks,  et  la 
sainte  Vierge,  qu'ils  disaient  être  une  4ame  chrétienne.  Ils 
ne  conservaient  ni  fêtes  ni  prières,  ne  savaient  parler  que 
par  malédictions  et"  imprécations  affreuses,  et  se  faisaient 
entre  eux  des  guerres  féroces,  jusqu^à  couper  en  petits  mor* 
ceaux  leurs  ennemis.  Les  vengeances  atroces  se  transmet- 
taient aussi  de  génération  en  génération,  suivant  la  cou- 
tume arabe. 

A  la  vue  du  triste  état  de  ces  demi-sauvages,  le  cœur  du 
missionniire  s'émut,  et  laissant  son  confrère  dans  le  village 
avec  des  sédentaires,  Dom  Paolo  s'est  dévoué  à  habiter  sous 
la  tente.    Il  s'y  est  même  si  bien  habitué,  que  revenu  derniè- 
rement pour  la  retraite,  il  attribuait  une  fièvre  violente  qui 
l'avait  saisi  à  ce  qu'il  était  obligé  de  vivre  "  sous  une  tente 
de  pierre,"  privé  de  l'air  libre  du  désert.    Sa  tente  S3  dé^ 
ploie  au  milieu  du  campement  en  plusieurs  compartiments 
séparés.    Il  y  a  la  cliapelle  avec  son  clocher,  l'école  et  le 
presbytère.   Le  changement  n'a  pas  tardé  à  paraître  dans  la 
tribu  nomade.    Les  hommes  et  les  femmes  ont  appris  les 
principaux  mystères  de  la  foi  ;  ils  accourent  matin  et  soir^ 
même  ceux  qui  sont  restés  schismatiques,  aux  prières,  à  Tins- 
truction  et  à  la  messe.  Le  soir,  ils  remplissent,  suivant  l'usa- 
ge arabe,  le  divan  du  missionnaire,  pour  s'entretenir  avec  lui 
jusque  bien  avant  dans  la  nuit    Mais  ces  natures  incultes  et 
habituées  aux  vices  du  désert,  laissent  beaucoup  à  désirer  ; 
l'espérance  se  trouve  dans  la  nouvelle  génération,  qui  mani« 
feste  les  meilleures  dispositions  pour  la  piété,  et  môme  pour 
l'étude.  Je  ne  citerai  qu'un  trait  des  mœurs  des  adultes,  pour 
vous  faire  comprendre  comment  il  sont  encore  dominés  par 
les  instincts  de  leur  race  pillarde.  Pour  dépouiller  leur  mis* 
sionnaire,  ils  emploient  la  ''  lance  de  la  prière,"  ou  plutôt 
de  rimportuaité,  et  ils  emportent  ainsi  tout  ce  qu'il  possède* 
L'un  a  remarqué  qu'il  a  deux  paires  de  souliers  :  il  vienten 
demander  une,  et  après  le  refus,  il  n'est  que  plus  ardent  à 
redemander;  matin  et  soir,  il  se  met  à  genoux  à  la  porte 


43 

de  la  tente  :  la  Khouri  (6  Curé),  répète-t-il,  tes  souliers,  je 
t'en  prie.  "  Enfin,  pour  se  délivrer,  le  missionnaire  doit 
donner  ses  souliers.  Un  autre  a  remarqué  son  manteau  ; 
la  même  histoire  recommence,  et  il  faut  le  donner.  Â  plus 
forte  raison,  si  Ton  sait  qu'il  a  quelques  provisions  de  riz, 
de  légume,  de  vin,  les  scheiks  arrivent  les  uns  après  les 
autres,  et  il  faut  tout  donner.  Le  missionnaire  de  la  tente 
est  ainsi  obligé  de  se  contenter  de  la  nourriture  bédouine,^ 
qui  consiste  invariablement  en  lait  et  en  viande,  avec  du 
pain  cuit  sur  une  plaque  de  fer. 

Cette  tribu  chrétienne  monte,  pendant  Tété,  vers  les  mon- 
tagnes #e  Moab,  à  mesure  que  les  ardeurs  du  sftieil  dessè- 
chent les  pâturages  dans  la  plaine  et  sur  les  collines.  Du- 
rant les  trois  mois  d^hiver,  elle  redescend  sur  les  bords  de 
la  mer  Morte,  où  elle  retrouve  la  température  et  la  verdure 
du  printemps,  sans  que  la  neige  puisse  jamais  l'inquiéter 
Lorsque  que  le  scheik  donne  Tordre  du  départ,  pour  aller 
chercher  un  autre  campement,  le  missionnaire  lui  aussi 
plie  sa  tente.  Il  descend  son  clocher,  roule  son  église,  replie 
son  presbytère,  empaqueté  son  école  ;  et  le  tout  est  emballé 
sur  le  dos  d'un  chameau,  qui  va  s'agenouiller  au  lieu  dési- 
gné et  y  dépose  son  fardeau  facile  à  reprendre.  En  une  heure, 
tout  est  ensuite  relevé  ;  et  l'église,  le  clocher,  l'école  conti 
nuentà  fonctionner  comme  auparavant.  Telle  était  sans 
doute  la  vie  des  évéques  scénites. 

Je  me  recommande  à  vos  saints  sacrifices  et  aux  prières 
de  «tous  nos  chers  Associés  de  l'Apostolat,  et  je  suis,  (  te..., 

P.  Maktin,  s.  J. 
Directeur' supérieur  de  PÂposloîal  de  la  Prière  en  Syrie. 


AFRIQUE. 

VICARIAT  APOSTOLIOUB  DE  l' AFRIQUE  GENTR^LB  . 
ABBRÇU   HISTORIQUE  FT  ÉTAT  ACTUEL. 

(ANlTAIiSS    DB  IiTON) 

Suite  et  fin(\). 

m 

V. 

Saïd  agha,  chef  nouba. — Visite  du  cogiour  Cacoun,  grand  chef  des 
NMubas,%  la  mission  d'Bl-Obëid.— V,oyage  du  R.  P.  Ca#3reri  aa 
Djebel-Noubas. 

*'  Un  des  chefs  noubas  de  Delea,  nommé  Saïd  agha, 
étant  venu  à  El-Obeïd,  l'officier  Maximos  me  le  présenta  le 
matin  du  16  juillet  1873,  fête  de  Notre-Dame  du  Carmel, 
au  moment  où  nous  sortions  de  l'exercice  de  la  Garde 
d'honneur  du  Sacré-Cœur.  Cet  exercice,  qui  consiste  en 
une  heure  d'adoration  devant  le  saint  Sacrement  et  que  j'ai 
institué  dans  nos  chapelles  d'Egypte  et  du  vicariat,  se  pra- 
tique tous  les  mercredis  de  Tannée  pour  obtenir  du  Sacré- 
Cœur  de  Jésus  la  conversion  de  la  Nigritie.  Je  reçus  Je 
chef  nouba  avec  beaucoup  de  déférence  ;  je  lui  fis  visiter 
nos  ateliers  d'arts  et  métiers  et  la  petite  école  des  enfants 
nègres  ;  je  lui  montrai  le  maître-autel,  la  statue  de  la 
Vierge,  etc.  Remarquant  la  satisfaction  de  Saïd  agha, 
j'exprimai  mon  désir  de  connaître  le  grand  chef  des  Nou- 
bas et  je  laissai  entrevoir  que  je  n'étais  pas  éloigné  d'aller 
fonder  une  mission  chez  les  Noubas  eux-mêmes.  Saïd  agha 
resta  frappé  des  merveilles  qu'il  disait  avoir  vues  dans 
notre  maison  d'El-Obeïd,  et/ de  retour  chez  lui,  il  en  parla 
tant  que  le  grand  chef,  le  cogiour  Cacoun,  se  décida  à  venir 
nous  voir. 

^'  En  effet,  deux  mois  après  le  départ  de  Saïd  agha,  le 
grand  chef  des  Noubas  entrait  dans  notre  maison  d'El- 
Obeïd  avec  une  suite  de  vingt  personnes.  C'était  le  matin 
du  24  septembre,  fête  de  Notre-Dame  de  la  Merci,  au  mo- 
ment où  nous  sortions  de  l'église  après  l'heure  d'adoration 


(1)  Voir  la  livraison  d'Octobre  dernier. 


'    4S 

pour  la  caûversion  de  la  NigmUa.  Le  cogiour  Oacoua  pasea 
la  journée  chez  moi  avec  sa  suite.  Je  lui  exposai  me& 
projets  et  lui  fis  visiter  mon  établissement  II  voulait 
voir  tous  les  outils  :  boyaux,  pioches,  iparteaux,  rabots^ 
scies,  hacheS)  pelle  de  fer,  clous,  etc.  Il  admira  surtout 
les  ateliers  d'arts  et  métiers  et  le  sou  de  rbarmouium. 
Quand  il  voyait  mes  pieds  appuyer  sur  les  soufflets  et  mes 
doigts  sur  le  clavier  et  qu'il  entendait  des  accords,  lui  et 
les  siens,  fortement  émus,  témoignaient  leur  joie  en  disant  : 
^^  Agiaib  (merveille)  I  tu  sais  tout,  tu  fais  des  prodiges." 
Le  cogiour^  s'étant  approché  pour  jouer  de  l'harmonium  et 
n'entendant  sortir  aucun  son,  s'écria  : 

«<  _Tu  es  fils  de  Dieu.  D'un  simple  morceau  de  bois 
*'  tu  tires  des  voix  plus  belles,  plus  harmonieuses  que  celles 
^'  des  oiseaux  et  des  hommes.  Quand  je  raconterai  à  mes 
'•  Noubas  les  merveilles  que  j'ai  vues  et  entendues,  ils  ne 
''  me  croiront  pas." 

"  Lorsque  je  le  conduisis  à  rétablissement  des  Religieu- 
ses et  que  je  lui  montrai  la  Sœur  Faustine,  l'institutrice 
noire  Domililla  Bakhita,  élevée  à  Vérone,  et  une  des  né- 
gresses noubas  sachant  coudre,  tricoter  et  réciter  ses  priè- 
res, il  fut  transporté  d'étonnement  et  me  dit  : 

" — Il  n'y  a  pas  de  mortel  plus  grand  et  plus  brave  que 
''  toi." 

^'  Je  lui  répondis  que,  en  Europe,  des  milliers  de  person- 
nes étaient  encore  plus  gavantes  que  moi,  qu'elles  pensaient 
aux  nègres  et  qu'elles  m'avaient  donné  beaucoup  d'argent 
pour  aller  leur  enseigner  tout  ce  que  savent  les  blancs, 
qui  sont  chrétiens  et  qui  vénèrent,  dans  un  grand-prôtre 
sage,  glorieux  et  bon,  le  chef  de  tous  les  chrétiens  et  le  vi- 
caire de  Dieu  (ouakU  Allah)  auprès  de  tous  les  hommes. 
.  J'ajoutais  : 

^^ — Ce  chef  de  tous  les  chrétiens  et  de  tous  les  prêtres,  ce 

'^  ouakil  de  Dieu,  est  celui  qui  vous  aime  le  mieux  ;  pour 

'^  vous  faire  du  bien  temporel  et  éternel,  il  m'a  envoyé 

^'  avec  mes  compagnons  dans  vos  pays,  parce  qu'il  désiite 

'^' que  vous  connaissiez  la  vérité  et  que  vous  soyez  heu: 

'"  reux  à  jamais," 


46 

* 

it_  Ag^aib  !  répliquèrenMls  tous.   Ce  grand  cogipur  (prê- 
tre) pense  à  nous  et  de  si  loin  1  " 

(< —  Nous  sommes  des  ignorants,  ajouta  le  chef,  nous  ne- 
"  savons  rien  ;  nous  sommes  lés  bêtes  {nahhna  bahhaim)^. 
"  Apprends-nous  ce  que  nous  devons  faire;  viens  toi-même 
^^  dans  nos  pays^  et  enseigne-nous  tout  cela.  Je  pique  ma 
"  vache  et  mon  chameau  ;  je  les  pousse  à  droite,  et  ils  vont 
^'•à  droite.  Je  pousse  mon  cheval  et  ma  chèvre  à' gauche, 
^^  et  ils  vont  à  gauche.  J'ordonne  à  mon  esclave  de  con- 
*'  duire  les  bœufs,  à  mes  femmes  esclaves  d'aller  puiser  de 
"  Teau,  et  ils  le  font.  Indique-nous  la  voie  que  nous  devons. 
"  tenir,  et  nous  t'obéirons  comme  tes  esclaves  et  tes  servi- 
"  teurs.  Tu  nous  feras  connaître  ce  que  tu  voudras.  Nous, 
''  nos  femmes,  nos  û\s^  nos  serviteurs,  nos  esclaves,  nos 
*'  bœufs,  nos  vaches,  nos  chèvres,  nos  moutons,  nos  terres^ 
"  nos  maisons,  nos  denrées,  et  jusqu'aux  feuilles  de  nos 
^^  arbres,  tout  sera  à  ton  service  ;  nous  serons  tes  fils,  tes 
*'  serviteurs,  tes  esclaves,  tu  seras  notre  père  et  le  maître 
"  de  tous." 

"  Les  quatre  jours  suivants,  il  revint  visiter  la  mission. 
Le  dernier  jour  il  me  dit: 

ic  —  Lorsque  je  vins  à  El-Obeïd,  les  musulmans  me  dirent. 
"  plusieurs  fois  que  les  chrétiens  sont  des  perfides,  des  scé- 
*'  lérats,  des  bahhaïm  (bêtes),  et  des  khanazir  (pourceaux)  ; 
"  qu'ils  mangent  le  cœur,  le  foie  et  la  cervelle  des  fils  d'A. 
'^  dam  ;  mais  je  n'ai  jamais  jugé  ainsi,  ils  prétendaient  que 
^'  les  musulmans  sont  meilleurs  que  .les  chrétiens;  mais  je 
*'  vois  maintenant  que  les  chrétiens  sont  meilleurs  que  les 
"  musulmans  et  que  toutes]les  races  d'hommes.  11  n'y  a 
^'  pas  au  monde  de  personnes  aussi  excellentes,  aussi  sages 
^'  que  toi  et  tes  compagnons  ;  et  nous  voulons  faire  ce 
**  que  vous  nous  commanderez.  Vous  êtes  les  enfants  du 
'*  cielelide  Dieu." 

"  Je  lui  promis  de  faire,  aussitôt  après  les  pluies,  une  vi- 
site aux  Noubas,  d'explorer  soigneusement  le  pays  et  d'y 
fonder  probablement  une  mission.  Le  cogiour  s'en  alla 
enchanté  de  ma.  promesse. 

"  Dès  le  mois  de  juillet,  j'avais  informé  les  missionnaires* 


47 

de  Khartoum  de  ce  qui  s'était  passé  à  El-Obeïd  et  de  la  pro- 
t>abilité  d'une  exploration  chez  les  Noubas.  Le  P.  Carcereri 
demanda  instamment  de  m'accompagner,  et  il  s'offrit  de  ten- 
ter lui-même  Texploration,  consentant  volontiers  à  retar- 
der le  voyage  qu'il  se  proposait  de  faire  en  Europe  pour 
«'entendre  avec  son  T.-R.  P.  Général.  Je  l'invitai  à  venir  à 
El-Obeïd. 

*'  Le  P.  Carcereri  arriva  les  premiers  jours  d'octobre  au 
Kordofan.  Je  me  décidai  à  lui  laisser  accomplir  ce  voyage 
avec  le  P.  Franceschini  et  lui  adjoignis  un  homme  coura- 
geux et  expérimenté,  M.  Auguste  Wisnewski,  du.  diocèse 
d'Ermeland  (Prusse),  qui,  depuis  plus  de  vingt  ans,  était 
attaché  à  la  mission  de  l'Afrique  centrale.  J'obtins  du  pa- 
cha l'offîcier  de  police  Maximes  et  un  khabir  (guide)  qui,de- 
valent  accompagner  les  missionnaires. 

^^  Ceux-ci,  munis  de  provisions  pour  deux  mois,  parti- 
rent d'El-Obeid  le  15  octobre  1873.  L'exploration  fut  beau- 
coup plus  courte  que  je  ne  l'avais  calculé.  Le  P.  Carce- 
reri n'alla  que  jusqu'à  Delen,  premier  village  des  Noubas, 
et  7  passa  moins  de  deux  jours.  Il  revint  toutefois  après 
avoir  conféré  avec  Cacoun.  Ce  chef  lui  montra,  du  haut 
d'une  montagne,  tous  ses  villages  au  pied  des  collines  envi- 
ronnantes, et  le  missionnaire  put  en  dresser  une  carte  géo- 
graphique. De  retour  à  El-Obeid  le  28  octobre,  il  me  con- 
firma tout  ce  que  les  visites  de  Sald  agha  et  de  Cacoun 
m'avaient  fait  espérer,  et  je  lui  ordonnai  de  me  préparer 
un  rapport  sur  soa  exploration. 

VI    • 

Accident  de  Mgr  Comboni.  —  Arrivée  à  Khartoum  de  Religieuses  et  de 
missionnaires. —  Traité  avec  les  Religieux  do  8aint-CamiIle  de  Loi- 
lis.  —  La  Propagande  approuve  la  fondation  d'une  mission  au  6e- 
Jbel-Noubas.  —  Arrivée  à  Khartoum  d'une  nouvelle  caravane  et  de 
la  Soeur  Ëmilienne  Naubonet.  —  Inslallation  des  Gamilliens  à  Ber- 
ber.  —  Départ  de  Mgr  Comboni  pour  le  Gebel-Noubas. 

• 

"  La  mission  du  Kordofan  étant  organisée,  je  partis,  le 
17  novembre,  avec  le  P.  Carcereri,  M-  Wisnewki  et  le  tr. 
Dominigi:^  Polinari,  pour  la  résidence  de  Khartoum.  Le 
24  novembre,  J3  tombai  de  chameau  et  me  cassai  -le  bras 
gauche.    Après  un  repos  de  trente  heures,  je  dus,  le  bras 


48 

lié  de  bandelettes  imbibées  d'eau  et  suspendu  au  cou,  re- 
monter sur  mon  chameau.  Nous  arriv&mes  en  quatre  jour- 
nées à  Ondourman,  localité  située  en  face  du  confluent  du 
fleuve  Blanc  et  du  fleuve  Bleu.  Un  bateau  à  vapeur,  que 
m'envoya  le  pacha  gouverneur  général,  me  transporta  à 
Khartoum,  où/je  reçus  les  soins  de  médecins  et  de  chirur- 
giens arabes.  Je  portai  mon  bras  en  écharpe  plus  de  trois 
mois,  et  il  me  fut  impossible,  durant  cet  interval,  de  dor- 
mir môme  une  demi-heure  et  dire  la  messe. 

"  Le  P.  Carcerek  était  déjà  parti  pour  l'Europe,  lorsque, 
le  11  décembre,  quatre  Sœurs  de  Saint-Joseph  arrivèrent  à 
Khartoum,  accompagnées  de  M.  Jean  Losi,  prêtre  de  Tin- 
stitut  de  Vérone,  et  de  quelques  laïques.  Elles  trouvèrent 
lea  autres  Religieuses  dans  une  maison  louée  par  les  héri- 
tiers dé  M. .  André  de  Bono,  appelé  Latlf  effëndL  Cette  mai- 
son  était  trop  petite,  et  d'ailleurs  les  propriétaires  la  récla- 
maient pour  y  installer  M.  Rosset,  vice-consul  prussien. 
Je  bâtis  donc,  au  moyen  des  aumônes  des  bienfaiteurs  d'Eu- 
rope, notamment  de  LL.  MM.  AA.  l'empereur  Ferdinand  \^^ 
et  l'impératrice  Marie-Anne  d'Autriche,  et  l'archiduc 
d'Autriche-Este,  François  V,  duc  de  Modène,  une  maison 
de  112  mètres  de  longueur.  J'y  installai  les  Sœurs  de  Saint- 
Joâeph. 

"  Le  24  aot\t  1874,  le  P.  Carcèreri  passait,  à  Rome,  en 
mon  nom,  avec  le  T.  R.  P.  Guardi,  général  des  Religieux 
de  Saint-Camille  de  Lellis,  une  convention  valable  pour 
cinq  années.  Il  y  était  stipulé  que  les  Camilliens,  tout  en 
restant  soumis  au  provicaire  apostolique  de  l'Afrique  cen- 
trale, en  ce  qui  concerne  la  juridiction  et  le  soin  des  âmes, 
auraient  à  Berber  une  station  fondée  et  entretenue  à  mes 
frais.  Cette  station  serait  chargée  du  soin  des  fidèles  dis- 
persés dans  les  trois  grandes  provinces  de  Souakim,  sur 
la  mer  Rouge,  de  Taka,  près  des  frontières  septentrionales 
de  l'Abyssinie  et  de  l'ancien  royaume  de  Dongola,  à  l'ouest 
du  Nil,  dans  la  Nubie  supérieure.  Après  une  expérience 
de  cinq  années,  une'nouvell^  convention  devait  régler  dé- 
finitivement cette  affaire,  au  plus  grand  avantage  de  l'apos- 
tolat de  la  Nigritie. 

«'  Dana  la  réunion  générale  du  14  août  1874  au  Vatican,  la 


49 

Congrégation  de  la  Propagande  s'était  occupée  du  vicariat 
.  de  l'Afrique  centrale.  Les  cardinaux,  ayant  examiné  le  ié- 
yeloppement  de  la  mission  jusqu'à  cette  époque,  prirent  des 
conclusions  que  Son  Em.  le  cardinal  Franchi  daigna  m'en- 
voyer,  à  la  date  du  29  août  de  la  même  année.  Dans  ce  do- 
cument, la  Propagande  me  donnait  des  instructions  pour 
la  direction  de  ce  difficile  vicariat,  et  m'indiquiaiit  notam- 
ment la  conduite  à  tenir  en  face  des  horreurs  de  la  traite 
des  nègres.  Le  cardinal  Franchi  m'ordonnait  de  fonder  la 
mission  des  GebeUNoubas,  et  terminait  sa  lettre  en  m'en- 
gageant,  au  nom  des  cardinaux  ses  collègues,  à  poursuivre 
mon  entreprise,  sans  me  laisser  rebuter  par  les  obstacles, 
et  à  compter  sur  le  secours  de  Dieu, qui  ne  me  manquerait 
point. 

<^  Aussitôt  que  j'eus  reçu  à  Khartoum  l'ordre  de  la 
Propagande  d'établir  la  mission  des  Gebel-Noubas,  j'en- 
voyai au  Kordofan  une  petite  caravane  pqur  commencer 
l'œuvre,  et  j'ordonnai  au  supérieur  d'El-Obeïd,  le  P. 
Salvator  Mauro,  de  Barletta,  membre  de  l'Institut  de 
Vérone,  de  tout  préparer  pour  cette  nouvelle  expédition. 

'^  Le  texte  de  la  convention  passée  entre  les  RR.  PP. 
CamilUens  et  moim'étant  parvenu,  j'allai  à  Berber  et  j'ache- 
tai, sur  les  bords  du  Nil,  dans  une  position  salubré  et  agréa- 
ble, une  des  plus  belles  et  des  plus  commodes  maisons  de 
la  ville.  J'y  installai  le  P.  Franceschini,  avec  un  Frère 
convers  de  mon  Institut. 

^'  Le  6  février  1875,  arriva  à  Khartoum  une  caravane  di- 
rigée par  le  P.  Garcereri  et  composée  de  seize  personnes, 
missionnaires  de  mon  Institut,  PP.  Gamiiliens  et  Religieu- 
ses. Elle  avait  pris  la  voie  du  Wady  Halfa  et  de  Dongola  et 
accompli,  en  103  journées,  le  trajet  du  Caire  à  Khartoum. 
J'envoyai  aussitôt  au  Kordofan  deux  prêtres  et  quelques 
Frères.  L'expédition  pour  le  Gebel-Noubas  se  mit  en  route 
sous  la  conduite  de  M.  Louis  Bonomi  ;  elle  arriva  à  desti- 
nation au  mois  de  mars,  M.  Bononi  célébra  la  première 
messe  qui  eût  jamais  été  célébrée  dans  la  vaste  et  populeuse 
tribu  des  Gebel-Noubas.  Il  prépara  au  pied  de  la  monta- 
gne voisine  de  la  résidence  du  chef,  dans  des  maisons 
ruinées  et  entourées  d'une  clôture  d'arbres  et  de  bois,  une 
chapelle  et  une  habitation  provisoires. 


50 

.  '^  Au  mois  d'avril  1875,  la  Rèv.  Mère  Emilienne  Naubo- 
iiet,  accompagaée  d'une  jeune  Sœur  arabe,  arriva  à  Khar-. 
toum  par  la  route  de  la  mer  Rouge  et  le  désert  de  Souakim. 
La  Mère  Emilienne,  originaire  de  Pau,  venait  prendre  la 
direction  de  rétablissement  des  Sœurs  de  Saint-Joseph  de 
TApparition,  à  Khartoum,  avec  juridiction  sur  toutes  les 
maisons  et  les  Religieuses  de  sa  Congrégation  dans  FAfnqae 
centrale. 

**  Cette  Religieuse  est  une  des  premières  qui  se  soient 
établies  en ,  Orient  depuis  les  Croisades.  Elle  a  été  neuf 
ans  supérieure  à  Chypre  et  plus  de  vingt  en  Syrie,  oii  elie 
a  fondé  les  maisons  de  Saïda,  de  Deïr-el-Quamar  et  de 
Beyrouth,  Pendant^  les  massacres  de  1860,  elle  recueillit 
dans  son  établissement,  bâti  sur  les  murs  de  l'ancienne  Si- 
don,  des  centaines  d'orphelins  de  chrétiens  tombés  sous  le 
fer  des  Druses.  Après  trente  années  de  travaux  en  Orient, 
cette  femme  a4mirable  passa  la  mer,  remonta  le  Nil,  fran- 
chit le  désert  et  pénétra  dans  TAfrique  centrale,  qui  est  au- 
jourd'hui le  théâtre  de  son  inépuisable  charité. 

"  Les  Camilliens  installés  à  Berber  avec  le  P.  Carcereri 
pour  supérieur  et  la  missiion  de  Khartoum -confiée  au  R.  P. 
Pascal  Fiore,  je  partis  avec  un  certain  nombre  de  Mis- 
sionnaires et  deux  Sœurs  sur  un  vapeur  du  gouverne- 
ment, pour  visiter  les  missions  du  Kordofan  et  des  Gebel- 
NoubaSs  Trente*  chameaux  nous  transportèrent  à  El-Obeïd, 
où  nous  arrivâmes  le  15  août.  J'administrai  le  baptême  à 
quinze  udultes,  et  le  sacrement  de  confirmation  à  plusieurs 
chrétiens.  Le  15  septembre  1875,  quelques  ^Missionnaires, 
deux  Sœurs  et  moi,  nous  partîmes  avec  douze  chameaux 
dans  la  direction  des  Gebel-Noubas. 

''  Après  cinq  journées  de  marche,  nous  rencontrâmes,  au 
milieu  de  la  forôt  de  Singiokae,  un  cavalifer  arabe  de  la 
race  des  Omour.  Je  lui  donnai  une  vieille  cow^^  (pièce  de 
soie  dont  on  se  couvre  la  tête),  et  le  chargeai  d'aller 
avertir  le  grand  chef  des  Noubas  et  les  missionnaires  de 
ma  prochaine  arrivée.  Dans  l'espoir  d'un  plus  fort  pour- 
boire, il  épcronna  son  cheval  et  courut  à  Delen. 


51 
VII 

I 

Le  cogiour  Cacoun. — Arrivée  de  Mgr  Comboniàla  station  de  Delen. — 
Description  du  pays  ;  mœurs  des  habitants. — ^Dialectes  des  Noubas 
et  des  peuples  de  T Afrique  centrale, 

"  Le  soir  du  21  septembre  1875,  je  fus  extrêmement  sur- 
pris de  trouver,  à  une  demi-journée  de  la  station  de  Delen, 
le  grand  chef  des  Noubas,  suivi  de  50  Noubas  armés  de 
fusils  et  de  lances.  A  peine  m'eut-il  vu  qu'il  descendit  de 
cheval,  s'approcha  de  mon  chameau,  me  baisa  la  main,  me 
salua  plusieurs  fois  profondément  et  me  dit  en  bon  arabe, 
dialecte^du  Kerdofan  : 

"  —  Dieu  t'a  envoyé  au  milieu  de  nous  ;  et  voici  que 
^'  nous  tous,  nos  petits  enfants,  nos  femmes,  nos  petites 
'^  filles,  nos  bœufs,  nos  vaches,  nos  brebis,  nos  chèvres,  nos 
*«  maisons,  nos  terres,  tout  est  à  ta  disposition.  Tu  es  notre 
*'  père  et  nous  sommes  tes  enfants  ;  nous  ferons  tout  ce 
''  que  tu  nous  commanderas  et  nous  serons  lieureux. 

"  — Je  suis]venu,  répondis-je,  pour  être  votre  père.    En 
^^  apprenant  ce  que  les  missionnaires  et  les  Religieuses  « 
"  vous  enseigneront,  vous  vous  montrerez  d'excellents  fils, 
*'  et  TOUS  serez  heureux  sur  cette  terre  et  dans  le  ciel." 

'•^  Je  fis  agenouiller  le  chameau  et,  aidé  par  le  cogiour 
Cacoun,  je  descendis  à  terre. 

^'  C'était  une  nuit  douce,  brillamment  éclairée  par  la 
lune  et  par  des  myriades  d'étoiles,  Nous  étendîmes  nos 
matelas,  et,  le  souper  ayant  été  servi  à  terre,  sur  un  tapis, 
nous  mangeâmes  joyeusement  et  nous  bûmes  de  l'eau 
apportée  par  les  Noubas.  Nous  bivouaquâmes  en  compa- 
gnie de  ces  bons  sauvages,  auprès  des  feux  qu'ils  avaient 
allumés  pour  éloigner  les  bêtes  féroces  et  pour  nous  ré- 
chauffer. 

'-  Ayant  donné  au  grand  chef  Cacoun  une  couverture  de 
laine  de  la  valeur  de  cinq  francs,  je  lui  demandai,  le  lende- 
main, s'il  avait  bien  dormi.  Il  me  répondit  tout  joyeux  : 
<^  —  Comment  ne  dormirait-on  pas  bien  sous  la  garde  de 
^*  Dieu  avec  cette  belle  couverture  que  tu  m'as  donnée  hier 
^^  soir  ?  Je  vais  la  mettre  sur  mon  cheval  et  elle  me  servira 
*'  dans  ma  résidence." 


52 

'^  Je  montai  sur  son  cheval.  A  midi,  nous  entrions  dans 
la  zariba  (clôture)  de  la  mission,  au  milieu  des  détonations 
de  fusils  et  des  cris  de  joie  des  chefs  et  du  peuple.  Noas 
fûmes  regus  par  M.  LouisBonomi,  supérieur  de  la  mission 
et  par  ses  compagnons.  Plusieurs  Gnoumas  vinrent  me 
visiter. 

"  Les  Gnoumas,  peuple  féroce,  sont  de  haute  taille  ;  Ub 
ne  portent  aucun  vêtement.  Us  mas^crent  les  musulmans 
et  les  Giallabas  qui  viennent  ici  pour  les  enlever  et  les 
Tendre  comme  esclaves.  La  visite  de  beaucoup  d'autres 
Noubas  des  montagnes  voisines  me  donna  de  Tespoir  pour 
l'évangélisation  de  ce  pays,  où  d'ailleurs  l'islamisme  est 
détesté.  Mais  une  multitude  de  superstitions,  de  rites,  de 
cérémonies,  de*  croyances  extravagantes,  sous  rinfluence 
d'un  esprit  appelé  Ocourou,  régnent  dans  ces  contrées. 

"  Le  pays  de  Delen  est  habité  par  plus  de  50,000  âmes. 
Il  est  compris  entre  le  11»  et  le  12©  de  latitude  nord  et  entre 
le  26o  et  le  28^  de  longitude  est  (méridien  de  Paris).  Il  est 
le  point,  d'appui,  le  lieu  de  communication  et  comme  la 
première  étape  de  notre  excursion  apostolique  parmi  les 
peuples  de  la  grande  famill^  des  Noubas,  qui  s'étend  par 
delà  les  montagnes  au  sud-ouest.  De  Delen  on  arrive,  en 
deux  journées,  aux  points  les  plus  éloignés  du  demi>cercle 
formé  par  ces  montagnes.  Les  localités  les  plus  habitées, 
comme  jSnouma,  Sobein,  Golfan,  Carco,  Fonda,  ne  sont 
qu'à  une  distance  qui  varie  entre  quatre  et  dix  heures  de 
chemin. 

*'  Lorsque  nous  serons  certains  que  la  terre  peut,  avec  le 
secours  de  la  culture  et  des  pluies  ordinaires,  fournir  en 
partie  à  l'entretien  de  la  mission,  des  chrétientés  seront 
fondées  sur  les  points  importants  de  ces  montagnes. 

"  La  mission  de  Delen  ne  sera  qu'à  cinq  ou  six  jour- 
nées d'El-Obeïd.  Les  habitants  ont  un  bon  caractère  et 
d'excellentes  qualités  ;  ils  sont  dans  des  conditions  sociales 
bien  supérieures  à  celles  des  indigènes  des  anciennes  sta- 
tions de  Sainte-Croix  et  de  Gondokoro  sur  le  fleuve  Blanc. 
Les  Noubas  ont  des  demeures  fixes  et  sont  très-attachés  à 
leur  pays,  à  leurs  maisons,  à  leurs  montagnes.  Peu  labo- 
rieux, ils  se  contentent  de  cultiver  la  portion  de  terrain  qui 


53 

»  ■ 

leur  fournit  la  nourriture  pour  une  ûQuée.  ^  Cette  indolen- 
ce est  eitcusable.  S'ils  cultivaient  J)eauco.up  de  terrains  &t 
recueillaient  d^abondantes^ récoltes^  les  Arabes  Gabara  vien* 
draient  les  piller.  Les  Noubas  ont  de  la  réflexion,  du  juge- 
ment et  de  la  prévoyance.  L'union  et  l'amitié  régnent  en- 
tre eux.  Quand  un  Nouba  est  offensé  par  un  étranger, 
tous  ses  compatriotes  prennent  sa  défense  et  le  vengent 
d'après  la  loi  du  talion.  Il  n'y  a  chez  eux  presque  jamais 
de  disputes  ni  de  querelles;  ils  sont  soumis  à  leurs  chefs  et 
mènent  une  vie  toute  patriarcale.  Le  grand  chef, le  cogiour 
Gacoun,  pontife  et  roi,  maître  absolu  des  corps  et  des  âmes, 
gouverne  paciflquçment  et  sagement  tout  son  peuple.  On 
a  recours  à  lui,  on  s'en  remet  à  son  jugement,  et  on  subit 
sans  se  plaindre  la  peine  qu'il  prononce.  Le  cogiour  ne 
prend,  il  est  vrai,  aucune  décision  importante  sans  l'avis 
des  vieillards  réunis  en  conseil.  Les  Noubas,  coura- 
geux et  guerriers,  s'emparèrent  plusieurs  fois  des  armes 
et  des  munitions  des  Giallabas.  Ils  sont  ainsi  devenus  re> 
doudables  à  leurs  ennemis.  Ils  nous  demandèrent  de  la 
poudre  et  des  balles  ;  car  ils  n'ont  plus  de  poudre,  et  ils 
n'ont  pour  balles  que  les  petits  cailloux  dont  leurs  monta- 
gnes sont  semées. 
^*'  La  langue  des  Noubas  se  divise  en  plusieurs  dialectes 

sans  rapport  avec  la  langue  arabe.  En  six  mois  de  séjour, 
M.  Louis  Bonomi  avait  appris  des  indigènes  un  jcertain 
nombre  de  mots  noubas.  Avec  l'aide  de  M.  Louis  Bonomi 
et  du  grand  chef  qui  possédait  assez  bien  l'arabe  du 
Kordofan,  je  me  mis  à  l'étude  de  la  langue  des  Noubas. 

^<  Une  des  plus  grandes  difficultés  pour  le  missionnaire 
de  l'Afrique  centrale,  c'est  la  multitude  des  langues.  Il  y 
en  a  plus  de  cent,  presque  toutes  monosyllabiques  et  d'ori- 
gine sémitique.  Ces  langues  sont  très  pauvres  et  se  bornent 
à  exprimep  les  idées  trës^limitées  des  peuples  primitifs. 
En  outre,  la  langue  arabe  se  divise  en  plusieurs  dialectes 
africains,  que  l'on  parle  dans  les  possessions  égyptiennes 
des  nations  musulmanes  du  vicariat.  •  Or,  ces  langues  afri- 
caines sont  tout  à  fait  inconnues  des  savants  Européens, 
parce  qu'il  n'y  a  ni  dictionnaire,  ni  grammaire,  ni  livre  ^ 
pour  les  étudier.    Elles  n'ont  pas  d'écriture.   Les  mots  lire 


54 

écrire,  compter,  éoéler,  etc«  n'existent  pas.  Tandis  que  I» 
missionnaire,  destfné  aux  Indes,  à  la  Perse,  à  la  Mongolie, 
&  TAmérique,  à  la  Chine  ou  à  TÂustralie,  peut  apprendre, 
dans  les  séminaires  d'Europe^  à  Taide  de  dictionnaires  et 
de  grammaires,  la  langue  de  ces  pavs,  le  missionnaire  de 
rAirique  centrale  doit  apprendre  les  idiomes  des  tnbus 

Îu'il  veut  évangéliser,  dans  le  pays  même  et  de  la  bouche 
e  quelque  indigène  qui,  ancien  esclave  des  musulmans, 
aura  retenu  un  peu  d'arabe.  11  doit  composer  son  diction- 
naire, découvrir  les  lois  gramaiticales,  et,  ce  qui  est  ex- 
cessivement difficile,  donner  des  noms  aux  idées  abstraites. 

"  C'est  une  rude  épreuve,  dont  j'ai  fait  l'expérience  en 
1858  et  en  1859,  époque  où  je  me  trouvai  dans  la  tribu  de 
Kick,  entre  le  6»  et  le  7»  latitude  nord,  sur  le  fleuve  Blanc, 
en  compagnie  du  supérieur  de  la  station  de  Sainte-Croix, 
le  P.  Joseph  Lanz,  originaire  du  Tyrol  allemand,  des  PP^ 
Jean  Beltramme  et  Ange  Melotto  et  de  deux  élèves  de  la  mis- 
sion. Nous  composâmes  le  premier  vocabulaire,  la  pre- 
mière grammaire  et  le  premier  catéchisme  qui  aient  été 
faits  dans  la  langue  des  Denka,  Avaat'jious,  le  P.  Barthé- 
lémy Mesgan,  du  diocèse  de  Laybach,  fondateur  de  la  mis- 
sion  de  Sainte-Croix,  avait  essayé  de  recueillir  un  certain 
nombre  de  mots.  Son  manuscrit,  que  j'ai  étudié,  était  en 
la  possession  du  P.  Lanz; 

*'  Je  confiai  tous  nos  manuscrits  à  un  Religieux  de  l'Or- 
dre  de  Saint-Augustin,  le  R.  P.  Mitterrutzner,  professeur, 
chanoine  régulier  de  Saint-Jean  de  Latran,  directeur  du 
séminaire  diocésain  de  Brixen,  secrétaire  de  Mgr.  Fessier, 
évêque  de  Saint-Hippolyte,  au  concile  du  Vatican.  Ce  Re- 
ligieux, membre  intelligent  et  actif  du  comité  delà  Société 
de  Marie,  philologue  distingué,  possède  plusieurs  langues 
étrangères.  Aidé  de  deux  nègres  denka  et  bari,  il  composa 
avec  soin  et  fit  imprimer  à  Brixen,  à  partir  de  1864,  en  al. 
lemand  et  en  bari-denka,  avec  des  explications  en  iaiin  et 
en  italien,  un  dictionnaire,  une  grammaire,  quelques  psau- 
mes et  les  évangiles  pour  les  dimanches  et  les  fôies  de  l'an- 
née. Le  R.  P.  Mitterrutzner,  non  content  de  nous  avoir 
ainsi  facilité  l'exercice  de  l'apostolat,  nous  procura  encore 
d'abondantes  aumônes  recueillies  dans  le  Tyrol  et  dans 
la  Bavière  ;  il  nous  donna  aussi  d'excellents  mission- 
naires,  comme  les  PP.  Gozner,  Uberbacher,  Lanz  et  beau- 
coup d'autres.  Plus  tard,  le  P.  Beltramme  fit  imprimer  en 
italien  uue  bonne  grammaire  de  la  langue  denka,  et  il 
publie  maintenant  le  dictionnaire  denka-italien  aux  frais  de 
la  Société  géographique  italienne.  Ces  deux  ouvrages 
serviront  à  la  science  et  particulièrement  à  la  mission  du 
fleuve  Blanc. 

"Pour  toutes  ces  langues  de  l'Afrique  centrale,  qui  ne 


_i 


55 

Ïiossëdent  aucune  sorte  d'écriture,  j'ai  adopté  les  caractères 
atins,  comme  M.  I^Iitterrtitzner  et  d'autres  philologues. 
Quant  à  la  prononciation,  pour  en  faire  connaître  lès  rap- 
portu  avec  la  prononciation  latine,  je  me  suis  servi  en 
partie  du  système  de  transcription  imaginé  par  Lepsius  et 
du  système  proposé  à  l'Institut  vénitien  par  le  comte 
François  Miniscaichi-Errizo,  savant  polyglotte  de  Vérone. 
En  ce  qui  regarde  la  terminologie  de  l'Eglise  catholique, 
pour  exprimer,  dans  les  langues  africaines,  les  sacrements 
^t  les  principaux  mystèrea  de  la  Religion,  comme  le 
baptême,  l'eucharistie,  la  pénitence,  la  transubstantiation, 
la  messe,  j'ai  adopté  les  mots  latins  eux-mêmes.  Nous  en 
donnons  l'explication  dans  chaque  idiome. 

VIII 

Fièvres  et  troubles;  abandon  du  poste  de  Délen.  —  EK?part  de  la  cara- 
vane.— Haltes  à  Singiokae  et  à  Dlrch.  —  Retour  à  El-Obéid. 

"  Au  mois  d'octobre  1875,  tous  les  missionnaires  de  Dé- 
len, la  Sœur  Germaine  Âssouad,  d'Alep,  les  nègres  et  les 
négresses  au  service  de  la  mission  tombèrent  malade?.  Je 
fus  moi-même  attaqué  d'une  forte  fièvre.  Préoccupé  de 
ma  responsabilité  à  l'égard  des  deux  Congrégations  qui 
m'avaient  conûé  des  missionnaires,  je  résolus  de  nous 
transporter  temporairement  à  Singiokae,  pays  à  quatorze 
heures  de  Délen.  Mais  il  était  impossible  de  nous  y  rendre 
à  pied,  et,  dans  tout  le  pays,  il  n'y  avait  que  quatre  ou  cinq 
cnameaux,  ânes  ou  chevaux. 

"  Sur  ces  entrefaites,  le  mudir,  gouverneur  général  du 
Kordofan,  m'envoya  de  Birch,  ville  à  trois  journées  de  Dé- 
len, une  dépêche  où  il  me  disait  que,  ne  pouvant  nous  pro- 
téger contre  une  tribu  de  Bagaras  nomades,  il  me  priait 
d'abandonner  momentanément  la  station  de  Délen.  Il 
m'envoyait  une  vingtaine  de  chameaux  pour  nous  transpor- 
ter, nous  et  nos  provisions.  Le  porteur  de  la  dépêche  ra- 
conta à  la  supérieure.  Sœur  Assouad,  que  le  gouverneur 
avait,  à  Birch  et  dans  les  environs,  plus  de  1,000  soldats 
avec  quatre  canons  et  qu'il  avait  l'intention  d'attaquer  les 
villages  du  chef  Cacoun,  parce  que  celui-ci  n'avait  pas  en- 
core payé  le  tribut  ordinaire.  Je  fis  appeler  le  chef  nouba 
et  je  l'exhortai  à  payer  le  tribut  comme  les  autres  années. 
Il  me  déclara  que  c'était  impossible  pour  le  moment,  et  me 
pria  de  supplier  le  gouverneur  d'attendre  jusqu'à  la  récolte* 
suivante,  époque  où  il  paierait  tout.  J'envoyai  aussitôt  au 
gouverneur  un  courrier  spécial  avec  une  lettre. 

*^  Cet  incident,  joint  aux  maladies  dont  nous  étions  affli- 
gés, rendait  notre  position  très-dangereuse.    Je  réunis  en 


56 

conseil  les  quatre  missionaaires,  MM.  Bonomi,  Martini,  et 
ies  PP.  Chiarelli  et  FranceschiBi.  Leur  avis  fut  qu'il  fallait 
abandonner  le  poste  et  n'y  revenir  qu'après  avoir  recouvré 
la  santé  ;  c'était  l'unique  moyen  de  sauver  la  mis^ion- 

"  Je  soupçonnais  que  le  gouverneur,  en  m'envoyant  sa 
dépêche,  avat  eu,  entre  autreâ  desseins,  celui  de  faire 
ajourner  la  fondation  de  la  mission  des  Noubas,  afin  de  pra^ 
tiqner  plus  librement  la  traite  des  nègres.  Je  çavaisque  le 
chef  des  Bagaras  avait  déclaré  au  mudir  que,  depuis  notre 
installation  chez  les  Noubas,  il  n'avait  pas  pu  voler  assec 
d'esclaves  pour  lui  payer  Timpôt  annuel.  Mais  la  nécessité 
de  sauver  la  vie  de  mes  missionnaires  ne  me  permettait  pas 
de  rester  davantage.  Je  me  décidai  donc  à  partir.  Je  lais- 
sai la  station  avec  le  mobilier  au  chef  Gacoun. 

"  Le  30  octobre,  dès  quatre  heures  du  matin^  ori  commen 
ça  à  charger  les  chameaux.    Le  pacha  m'avait  envoyé  un 
janissaire  pour  m'accompagner.    A  sept  heures  et  quart, 
nous  étions  en  route.    La  forêt  où  nous  devions  passer  qua- 
torze heures,  étajt  peuplée  de  lions  et  d'autres  bêtes  féroces. 

"  Une  heure  n'était  pas  écoulée  que  le  P.  Franceschini, 
accablé  par  la  fièvre,  s'arrêta.  Après  une  demi-heure  de 
repos,  il  put  remonter  sur  son  chameau.  On  se  remit  ea 
route  ;  mais,  au  bout  d'une  heure,  il  ne,  put  aller  plus  loin. 
Nous  le  conduisîmes  chancelant  sous  un  arbre,  et  noua 
cherchâmes  à  le  soulager  par  des  applications  d'eau  fraî- 
che. Cependant  la  fièvre  augmentait  toujours.  L'eau  de 
nos  deux  zanzemieh  (petites  outres  de  peaux  de  chèvres) 
commençait  à  manquer.  Les  provisions  et  les  bagages  se 
trouvaient  sur  les  premiers  chameaux;  j'envoyai  en  hâte 
deux  chameliers  ramener  les  chameaux  porteurs  des  ma- 
telas, de  l'eau  et  des  ustensiles  de  cuisine. 

'*  A  deux  heures  de  l'après-midi,  les  chameaux  n'étaient 
pas  encore  arrivés  ;  nous  n'avions  pas  une  .goutte  d'eau, 
pas  une  bouchée  dé  nourriture.  Brûlés  par  la  soif,  nous 
étions  tous  jpouchés  sur  nos  couvertures.  Retourner  en 
arrière  aurait  été  une  imprudence.  Le  P.  Franceschini 
ayant  un  peu  moins  de  fièvre  et  ses  forces  étant  revenues, 
je  lui  proposai  de  nous  remettre  en  route.  Il  y  consentit 
et  nous  repartîmes.  Après  quatre  heures  de  chemin,  nous 
aperçûmes  au  loin  une  marre  d'eau  fangeuse  et  noire. 
Nous  en  approchâmes,  et,  bien  que  cette  eau  fût  dégoûtante 
et  infecte,  nous  nous  y  désaltérâmes  avec  grand  plaisir. 

''  C'était  le  soir  ;  on  entendait  rugir  les  lions.  Nous  mar- 
châmes encore  deux  heures  entre  des  arbres  tiOufTus  et 
épineux.  Voyant  la  difficulté  et  les  périls  de  cette  marche 
dans  la  nuit  obscure,  entendant  les  rugissements  du  lioa 
de  plus  en  plus  répétés,  nous  nous  arrêtâmes.  Je  fis  allu- 
mei;  autour  de  nous  des  feux  pour  éloigner  les  bâtes  féro- 


57 

ces.  Nous  étendîmes  à  terre  les  coarertures  que  nous 
avions  sur  le  kahouia  du  chameau.  La  faim  et  la  soif  nous 
tourmentaient.  Le  janissaire  arait  cinq  ou  six  onces  de 
Tlande  crue  d'un  mouton  tué  trois  jours  auparavant,  et 
l'avais  huit  onces  de  viande  salée,  achetée  à  Khartoum. 
r^'ayant  pas  de  marmite,  nous  mimes  les  deux  morceaux 
dans  la  doka  (ustensile  de  fer  à  suspension  nour  cuire  et 
préparer  le  doura  ou  pain  des  Arabes  du  Souaan),  nous  les 
exposâmes  au  feu  quelques  minutes,  et  nous  nous  les  parta- 
geâmes. 

"  A  l'aube,  bien  que  engourdis  par  le  froid  de  la  nuit  et 
par  la  fatigue,  épuisés  par  la  faim  et  par  la  soif,  nous  nous  * 
remimes  en  route.  Après  huit  heures  de  marche,  nous 
retrouvâmes  à  Singiokae,  sous  les  cabanes  des  sauvages, 
tous  nos  compagnons  arrivés  avant  nous.  Nous  nous  y 
reposâmes  quelques  jours. 

^*  Il  n'y  avait  presque  personne  dans  ce  village  ;  les  habi- 
tants s'étaient  enfuis  avec  leurs  familles  et  leurs  troupeaux 
aûn  de  se  dérober  à  l'armée  du  gouverneur.  Pour  nourrir 
les  soldats,  celui-ci  prenait  les  bestiaux  et  les  provisions  sans 
payer  d'indemnité,  et  il  estimait  à  bas  prix  leurs  esclaves. 
Ne'  trouvant  ni  viande,  ni  beurre,  ni  vivres  d'aucune  sorte, 
je  me  décidai  à  poursuivre  notre  route  jusqu'à  Birch,  où  se 
trouvait  le  gouverneur  du  Kordofan. 

*'  Depuis  longtemps  ce  fonctionnaire  veut  assujettir  ces 
peuples.  11  leur  a  imposé  un  tribut  annuel,  payable  en 
argent,  en  nature,  en  bestiaux  ou  en  esclaves.  Dès  le  com- 
mencement, toutes  les  tribus  s'y  sont  refusées,  et,  chaque 
année,  pour  recouvrer  la  taxe,  le  gouverneur  doit  envoyer  . 
des  ofliciers  supérieurs  avec  de  nombreux  soldats.  Ceux  ci 
perçoivent  les  impôts  à  coups  de  bâton  et  de  cravache  ;  en 
outre,  ils  s'emparent  des  troupeaux,  enlèvent  les  femmes, 
les  enfants,  les  esclaves,  tout  ca  qui  leur  tombe  sous  la 
main  et  massacrent  les  récalcitrants.  Aussi,  les  gens  ds 
Singiokae,  appréTnant  l'approche  du  gouverneur  avec  1,000 
soldats,  avaient  envoyé  le  cheîk  payer  le  tribut  et  s'étaient 
enfuis  vers  l'intérieur. 

"  Le  lendemain  de  notre  départ,  nous  apprîmes  que  la 
station  de  Birch  était  presque  déserte  pour  le  même  motif 
que  Singiokae  et  que  le  gouverneur  était  parti  pour  les 
montagnes  de  Tegala,  après  avoir  laissé  à  ma  disposition 
une  escorte  de  quelques  soldats.  Oomme  les  fièvres  inter-* 
mittentes  afD.igeaient  toujours  les  missionnaires  et  les 
Sœurs,  je  résolus  de  conduire  tous  mes  compagnons  à 
El-Obeld- 

*^  Dix-huit  jours  après  notre  sortie  du  pays  des  Noybas, 
nous  arrivions  briséi  de  fatigues  à  El-Obeîd.  Nous  y  ren- 
contrâmes le  docteur  Pfund,  médecin  et  naturaliste  attaché 


5» 

à  rexpédition  du  vice-roi  d'Egypte,  dirigée  par  rAméricain. 
GoUton,  célèbre  dans  la  guerre  de  sécession. 

*'  Ea  arrjvaot  à  El-Obeïd,  je  trouvai  des  dépêches  impor- 
tantes qui  me  forçaient  de  me  rendre  à  Kharloum  et  dans 
l'Egypte,  Je  me  concertai  avec  le  gouverneur  et  je  pré- 
parai tout  pour  que  M.  Bonomi  put,  deux  mois  plus  tard^ 
retourner  à  la  mission  des  Gebel-Noubas.  Je  partis  d'El- 
Obeïd  avec  quelques  compagnons.  Nous  traversâmes  les 
épaisses  forêts  d'arbres;  résineux,  et,  à  Toura-el-Kadra,  nous 
primes  passage,""  avec  le  général  Colston,  sur  un  vapeur  du 
gouvernement,  qui  nous  transporta  à  Kbartoum,  capitale 
>  des  pos6e:?sions  égyptiennes  du  Soudan. 

IX 

Importance  des  stations  de  Khartoum  et  d'El-Obéid.  —  La  traite  des 
noirs  et  le  colonel  Gordon. — Départ  de  Mgr  Gomboni  d'Bl-Obéid  ; 
visite  à  Berber  et  à  Souakin  ;  arrivée  au  Gaire. — Don  d'un  terrain 
par  le  khédive. — ^Arrivée  à  Rome  de  Mgr  Comboni. 

'''  Le  vicariat  de  l'Afrique  centrale  jouit  de  la  protectioa 
de  S,  M.  apostolique  François  Joseph  1er,  empereur  d'Au- 
triche, représenté  à  Khartonm  par  un  consul.  La  missioa 
est  en  bons  rapports  avec  le  gouverneur,  qui  lui  accorde^ 
entre  autres  privilèges,  l'exemption  des  impots. 

"  Aussitôt  en  possession  du  vicariat,  je  m'appliquai  à 
consolider  nos  deux  principales  stations  de  Khartoum  et 
d'El-Obéid.    La  station  de  Khartoum  est  la  base  d'opéra- 
tions et  le  centre  de  communications  pour  porter  la  foi  et 
la  civilisation  dans  tous  les  royaumes  et  les  tribus  de  la. 
partie  orientale  du  vicariat  et  dans  les  tribus  limitrophes  de 
l'Abyssinie  et  des  Gallas  et  sur  le  fleuve  Blanc,  jusqu'au 
delà  de  l'équateur  et  des  sources  du  Nil.    Li  station  d'El- 
Obéid  est  aussi  le  point  d'appui  et  le  centre  de  communi- 
cations pour  évangéliser  les  vastes  royaumes  et  les  tribus 
qui  foraient  la  partie  centrale  et  occideataU  du  vicariat. 

"  L'opposition  des  missionnaires  à  la  traite  des  noirs  leur 
crée  de  graves  embarras  de  la  part  du  gouvernement. 
Heureusement  le  khédive  a  nommé  gouverneur  général 
de  toutes  les  possessions  égyptiennes  au  Soudan,  avec  le 
grade  de  férick  pacha,  le  colonel  anglais  Gordon  qui  s'est 
distingué  en  Chine  dans  la  guerre  contre  les  rebelles. 
Il  est  partisan  de  l'abolition  de  Pesclavage.  Doué  d'un 
excellent  jugement,  d'un  courage  et  d'une  fernieté  in- 
domptables, cet  officier  portera,  j'en  suis  certain,  un  coup 
mortel  à  la  traite.  Cependant,  on  a  tout  lieu  de  craindre 
qu'il  ne  soit  pas  secondé  par  les  populations  du  Soudan, 
par  tes  marchands  arabes  et  par  les  gouverneurs  musul- 
mans, qui  tirent  un  proût  considérable  de  la  traite.    Pour- 


59 


catholique  pourra  seule  Beconder  efficacement  le  gouver- 
neur anglais  dans  son  entreprise. 

^^  Le  19  décembre  1875,  après  avoir  baptisé  solennellement 
quelques  adultes,  je  Quittai  El-Obeïd.  Accompagné  de  mon 
secrétaire,  M.  Paul  Rossi,  et  d*autrefs  personnes,  je  visitai 
la  station  de  Berber.  Puis,  montés  sur  dix  chameaux, 
nous  entrâmes  dans  le  désert  et  traversâmes  les  chaînes  de 
montagnes  qui  font  partie  du  syQtènïe  éthiopien  et  qui  sé- 
parent le  Nil  de  la  mer  Rouge.  Nous  y  admirâmes  des  fo- 
jêls..pétrifiées  et  des  pierres  de  granit  et  d'albâtre  oriental. 
Après  quatorze  jours  de  marche,  nous  arrivâmes  à  Souakim, 
sur  la  mer  Rouge,  où  je  célébrai  la  messe,  la  première, 
peut  être,  depuis  treize  siècles,  qui  ait  été  célébrée,  selon  le 
rite  catholique,  sur  ces  plages  riantes  de  la  Nubie.  Je  visi- 
tai les  chrétiens  de  tous  les  rites,  et  je  m'embarquai  sur  un 
i)ateau  à  vapeur  du  gouvernement  égyptien  qui,  en  quatre 
jours,  me  transporta  à  Suez  où  noQS  fûmes  très-bien  ac* 
cueillis  par  les  RR.  PP.  Mineurs  Réformés.  Deux  jours 
après,  nous  arrivions  sains  et  «aufs  au  Grand-Caire. 

^^  Ici,  je  ne  dois  point  passer  sous  silence  un  bienfait  in- 
signe de  M.  le  commandeur  Geschini,  agent  diplomatique 
et  consul  général  d'Autriche  près  du  khédive.  M.  Ceschini 
représenta  si  bien  au  souveram  de  l'Egypte  la  nécessité  de 
deux  établissements  au  Caire  pour  acclimater  les  mission- 
nalres  et  les  Sœurs  destinés  à  l'apostolat  de  l'Afrique  cen- 
trale, que  le  khédive  m'accorda  gratuitement  dans  le  quar. 
tier  Ismaelieh,  un  terrain  qui  valait  43,000  fr.  J'ai  fait  cons- 
truire sur  cet  emplacement,  l'un  des  plus  magnifiques  de 
la  capitale,  deux  établissements  à  deux  étages,  et  j'espère 
que  la  générosité  des  bienfaiteurs  d'Europe  m'aidera  à  les 
achever.  Depuis  le  mois  de  juillet  1876,  les  missionnaires 
-de  l'Institut  de  Vérone  et  les  Religieuses  de  Saint- Joseph  de 
l'Apparition  y  sont  installés.  Depuis  1867,  ils  résidaient  au 
Vieux-Caire,  dans  des  maisons  louées. 

"  Ayant  reçu  du  cardinal  Franchi,  préfet  de  la  Propa- 
gande, l'invitation  de  me  rendre  à  Rome,  je  quittai  l'Egypte 
et  j'arrivai  à  Rome  en  avril  1876. 

^^  Pendant  mon  absence,  les  missionnaires  de  l'Afrique 
centrale  convertirent  plusieurs  païens.  Un  de  mes  projets 
était  d'élever,  loin  des  musulmans,  avec  qui  ils  couraient 
risque  de  perdre  la  foi,  les  nègres  et  les  négresses  conver- 
ties. Se  conformant  à  ma  pensée,  Les  missionnaires  ou- 
vrirent, dans  la  plaine  des  Malbes,  qui  est  pourvue  d'eau 
et  de  terrains  propres  i  la  culture,  une  colonie  de  néophytes 
instruits  dans  les  établissements  du  Kordofan.    La  colonie 


60 

• 

de  Malbes  offre  aussi  le  moyen  d'enseigner  aux  néophytes 
Tagriculture  et  divers  métiers,  et  elle  Bert^  en  outre,  de 
maison  de  repos  aux  malades  de  la  miission  du  Kordofan. 
Cette  colonie  croîtra  et  deviendra  peu  à  peu,  sous  la  direo 
tion  des  missionnaires  et  des  religienses,  une  .ville  tonte 
peuplée  d'indigèues  catholiques.  On  fera  la  même  chose 
pour  Khartoum,  en  créant  la  colonie  de  Géref.  et  ainsi  pour 
toutes  les  missions  du  vicariat,  où  domine  Tislamisme. 

X     • 

CONCLUSION 

''  Il  est  temps  de  terminer  ce  simple  aperçu  historique. 
Ainsi  que  je  Tai  dit  au  début,  Papostolat  de  l'Afrique  cen- 
trale est  une  œuvre  née  au  pied  du  Calvaire,  qui  porte  Tem- 
preinte  et  le  sceau  adorable  de  la  croix  ;  c'est  donc  une 
œuvre  vraiment  divine.  Le  Sauveur  du  monde  opère  ses 
merveilleuses  conquêtes  sur  les  âmes  par  la  force  de  la  croix. 
Après  avoir  détruit  Tidolâtrie  et  renversé  les  temples  païens, 
la  croix  a  vaincu  les  puissances  de  l'abîme,  et  elle  est  deve- 
nue, selon  la  parole  de  saint  Léon,  non  plus  l'autel  d'un 
seul  temple,  mais  l'autel  du  monde.  De  l'humble  montagne 
du  Golgotha,  la  croix  a  reïftpli  l'univers  ;  elle  est  adorée 
dans  les  temples,  vénérée  dans  les  palais  ;  invoquée  sur 
les  drapeaux  des  armées  et  sur  les  pavillons  des  navires; 
elle  honore  le  front  des  monarques  et  la  poitrine  des  hé- 
ros ;  elle  est  partout,  sur  la  terre,  sur  la  mer  et  dans  le  cieL 

'*  Née  et  ayant  grandi  au  milieu  des  ronces  et  des  épines, 
l'œuvre  de  la  rédemption  de  la  Nigritie  donne  une  idée  de 
son  prodigieux  développement  et  de  son  avenir  prospère. 
La  croix  est  la  force  qui  changera  l'Afrique  centrale  en  une 
terre  de  bénédiction  et  de  salut.  S^  cent  millions  d'infi- 
dèles seront  conquis  à  la  vraie  foi,  non  par  une  force  qui 
déracine  les  cèdres  du  Liban  et  fait  trembler  les  déserts  de 
Cadès,  qui  heurte  et  ruine  les  armées,  met  en  déroute  et 
disperse  comme  de  la  peussière  les  nations  et  les  empires; 
mais  par  une  force  puissante  et  douce,  qui  régénère  et  des- 
cend comme  une  rosée  céleste  au  plus  intime  de  l'àme  ; 
par  cette  force  divine,  dont  le  Nazaréen,  de  l'infâme  gibet^ 
où  il  était  élevé  de  terre,  une  main  étendue  vers  l'Orient, 
unit,  en  les  embrassant  d'un  regard,  toutes  les  parties  da 
tnonde,  et  fait  entrer  tous  les  élus  dans  son  Eglise  ;  par  cette 
force  qui,  des  mains  transpercées  du  nouveau  Samson^  fit 
crouler  les  colonnes  du  temple  abominable  où,  depuis  tant 
de  siècles,  Satan  accueillait  les  adorateurs  du  monde,  et  qnl 
a  élevé  sur  ses  ruines  l'adorable  étendard  de  la  croix,  en 
attirant  à  lui  toutes  choses  :  Si  exalteUus  fuero  à  terra^  omnia 
traham  ad  me  ips^um,  ( Joan.  xiï,  32.  )  " 


MISSIONS  DE  L'AFRIQUE  ÉQUATORIALK 

Daos  ces  derniers  temps,  rattentlon  des  savants  et  des- 
commerçants  a  été  attirée  vers  TAfrique  Centrale,  vers  ce 
pays  inexploré  jusqu'à  ces  années  dernières  et  qu'on  croyait 
inabordable  tant  i  cause  du  climat  qu'à  cause  des  mœurs 
de  ses  habitants. 

Les  voyages  de  Livingstone,  die  Gameron,  de  Stanley  ont 
jeté  un  peu  de  lumière  sur  ce  poiût  du  monde  ;  la  Belgique 
a  organisé,  avec  le  concoars  des  principaux  gouvernements 
européens,  une  expédition  dite  intematiotiale  dans  le  but 
d'explorer  ces  contrées  au  profit  de  la  science,  et  des  hom- 
mes du  conimerce  en  font  autant  dans  des  vues  de  négoce. 

L'Eglise  ne  pouvait  se  laisser  devancer  ni  par  la  science, 
ni  par  l'intérêt;  on  a  vu,  dans  notre  dernier  numéro 
(Octobe  1878)  l'historique  des  travaux  entrepris  par  Mgr« 
Comboni  au  sud  de  TEgypte,  mais  dont  le  champ  de  juri- 
dietion  ne  s'étend  guère  plus  loin  qu'au  15me  degré  latitu- 
de nord  ;  aujourd'hui  il  s'agit  de  la  fondation  d'une  Mis- 
sion à  l'Equateur  même,  vers  ce  point  de  l'Afrique  où  l'on 
avait  pensé  qu'aucun  européen  ne  pouvait  pénétrer  vu  son 
ciel  de  feu,  son  air  embrasé,  ses  sables  brûlants  et  ses  habi- 
tans  si  barbares. 

C'est  Pie  IK  qui  en  a  eu  la  première  idée,  c'est  Léon  XHI 
qui  l'exécute. 

Rieu  dans  notre  siècle  ne  surpassera  en  hardiesse  et  en 
dévouement  l'entreprise  de  cette  mission  dans  l'Afrique- 
éguatoriale. 

Ce  sont  les  Missionnaires  d'Alger  qui  ont  été  chargés  par 
l'Eglise  de  cette  gigantesque  entreprise. 

C'est  aux  annales  des  Missionnaires  d'Alger  :  Œuvre  de^ 
SL  Àugmtm  et  de  Ste.  Monique^  que  nous  empruntons  les 
lettres,  récits,  etc,  si  pleins  d'intérêt  que  nous  allons  lire 
sur  l'inauguration  d«  eette  œuvre  importante. 

Dans  une  Circulaire  à  son  clergé  Mgr  l'Evêque  d'Alger 
annonçait  la  nouvelle  en  ces  termes  : 

"  Messieurs  et  chers  Collaborateurs, 

"  Comme  je  vous  le  disais  dans  ma  Circulaire  du  3  octo- 
bre dernier,  les  œuvres  de  la  Mission  fondée  parmi  nous,  il 


62 

• 

y  a  dix  années,  Tet  à  rétabluiément  desquelles  vous  avez 
concouru  avec  tant  de  dévouement,  se  développant  chaque 
jour,  et  réclament^  de  ma  part,  plus  d'application  et  de 
soins. 

^^  Elles  m'obligent,  tn  ce  moment,  à  m'éloigner  tempo- 
rairement de  vous,  afin  de  m'occuper  plus  efficacement  de 
Missions  nouvelles  que  le  Saint  Siège  a  daigné  me  confier. 

"  Par  un  premier  rescrit  de  Sa  Sainteté  le  pape  Pie  rX, 
de  glorieuse  mémoire,  et  par  un  antre  'de  notre  Saint-Père 
le  pape  Léon  Xin,  je  viens  d'être  spécialement  chargé  de 
pourvoir  i  la  création,  par  la  société  des  Missionnaires 
d'Alger,  dans  l'Afrique  éqnatoriale,  de  deux  Missions  consi- 
dérables destinées  à  être  érigées  en  vicariats  apostoliques, 
l'une  sur  le  lac  Tanganika,  avec  Kabébé  pour  annexe,  et 
l'autre  sur  les  lacs  Victoria  et  AlbertNyanza.  Vous  savez 
tout  l'intérêt  qui  s'attache  à  ces  vastes  régions.  Explorées 
d'abord  par  des  voyageurs  anglais,  allemands  et  américains, 
elles'sont  ouvertes  aujourd'hui,  et  une  association  puissante, 
fondée  à  Bruxelles  sous  la  présidence  de  S.  iL  le  roi  des 
Belges,  a  entrepris  de  les  conquérir  à  la  science  et  à  la  ci- 
vilisation par  les  efforts  combinés  de  tous  les  peuples  chrë^ 
tiens. 

**  11  appartenait  au  Saint-Siège  de  couronner  etde  vivifier 
tous  ces  efforts  en  leur  assurant  les  bénédictions  du  ciel  et 
le  concours  dévoué,  non  plus  de  soldats  isolés,  comme  ceux 
qui  ont  marché  jusqu'à  ce  jour  à  la  conquête  de  l'Afrique 
éqnatoriale,  mais  encore  de  véritables  légions  d'apôtres  qui 
y  fixeront  leurs  demeures  et  se  consacreront  à  la  transfor- 
mation de  ces  pauvres  peuples  encore  plongés  dans  les  té- 
nèbres d'une  barbarie  sanglante. 

"  Certes,  jamais  entreprise  ne  fut  plus  digne  du  secours 
de  Dieu  et  ne  mérita  davantage  les  sympathies  des  cœurs 
catholiques  ;  car,  en  portant  les  lumières  de  la  foi  parmi 
les  nègres  idolâtres,  elle  aura  pour  résultat  de  guérir  la 
plaie  affreuse  qui  pèse  sur  toute  une  race  infortunée,  celle 
de  Tesclavage. 

^^  Il  n'est  pas,  il  est  vrai,  de  mission  en  ce  moment  plus 
difficile  et  plus  périlleuse-  Un  climat  de  feu,  l'ignorance 
où  Ton  est  encore  des  conditions  d'une  société  presque  sau- 


63 

▼âge,  les  maladies,  l'éloignemeat,  créeront  à  chaque  par 
de^  dangers  nouveaux  devant  les  premiers  missionnaires, 
comme  ils  les  ont  créés  devant  les  hardis  explorateurs  Ga- 
meron,  Livingstone,  Stanler,  qui  les  ont  précédés.  Mais  la 
grice  et  la  protection  de  Dieu  ne  leur  manqueront  pas,  je 
l'espère^  et  c'est  pour  vous  prier  de  les  solliciter  en  leur 
faveur,  que  je  m'adresse  à  vous  en  ce  moment. 

'^  Onze  d'entre  eux  se  préparent  à  partir  par  l'un  des 
prochains  courriers  de  Zanzibar,  pour  leur  lointaine  desti. 
nation.  Moi- même  je  me  rends  en  Europe,  pour  régler 
les  affaires  de  ces  nouvelles  missions,  et  surtout  leur  àssu 
rer  des  ressources  qui,  comme  vous  le  comprendrez  aisé- 
ment, doivent  être  considérables." 

Lt  départ  des  Missionnaires  d"* Afrique  d^ Alger  pour  V Afrique 

équatoriàle. 

C'est  le  25  mars,  jour  de  l'Annonciation,  que  les  pre- 
miers apôtres  de  la  Société  des  Misbionnaires  d'Afrique 
d'Alger  sont  partis  de  Marseille  pour  la  nouveHe  Mission 
que  le  Saiat-Siége  leur  a  confiée  dans  l'Afrique  équatoriàle. 
Que  ce  jour  soit  d'heureux  augure  pour  ces  envoyés  de 
Dieu,  qui  vont  appeler  à  la  résurrection,  à  la  vie,  ces  pau- 
vres âmes  assises  à  l'ombre  de  la  mort  ! 

Ces  ambitieux  d'une  gloire  qui  n'est  pas  humaine  ont 
écrit  à  Pierre  dans  la  personne  de  Pie  IX  et  de  Léon  Xm, 
ils  sont  allés  s'agenouiller  i  leurs  pieds.  ''  Donnez-nous, 
leur  ont-ils  dit,  une  partie,  un  lambeau  des  royaumes  qui 
sont  plongés  dans  les  ténèbres,  nous  voulons  y  porter  la  lu- 
mière, qui  seule  éclaire  les  vrais  enfants  de  Dieu.  Nous 
sommes  prêts  à  endurer  la  soif,  la  faim,  les  supplices  et  ce 
que  BOUS  avons  déjà  rencontré  :  la  dérision.  Là  bas  des 
millions  d'âmes  dorment  un  funeste  sommeil,  elles  atteo: 
dent  le  signal  du  réveil  pour  se  ranger  autour  de  la  croix. 
Ces  âmes  sont  à  Jésus-Chrisr,  nous  voulons  les  lui  rendre." 

Dociles  à  la  voix  du  Maître,  ils  sont  partis,  heureux  et 
contents,  ils  ont  donné  à  Dieu  leur  terre  natale,  leurs  affec- 
tions, leurs  espérances,  lour  vie,  leur  tombe  ;  et  comme  on 
l'a  dit  quelque  part  :  ^^  ils  ont  pris  une  croix  au  pied  de  la- 
quelle leur  mère  ne  sera  pas,  ils  vont  mourir  dans  les  épine» 


G4 

d'une  terre  aride  qui  ne  fleurira  qu'après  avoir  dévoré 
leurs  ossements." 

Après  une  longue  préparation  dans  le  silence  et  la  re- 
traite, ils  ont  pris  le  chemin  de  leur  mission.  Arrivés  à 
Zanzibar,  ils  vont  pénétrer  dans  les  antres  de  la  barbarie, 
vivre  sous  un  ciel  de  feu,  au  milieu  de  peuplades  sauvages 
et  comme  le  disait  naguère  leur  vénérable  Père,  Mgr.  TAr- 
cbevêque  d'Alger  ;  "  Le  pays  que  vous  allez  évangéliser 
est,  on  le  9ait,  le  dernier  asile  des  barbaries  sans  nom,  de 
Tabrutissement  en  apparence  incurable,  de  l'anthropopha. 
gie,  du  plus  infâme  esclavage." 

£n  songeant  aux  cruels  tourments  qui  attendent  ces  veil. 
lants  missionnaires,  nous  nous  rappelons  cette  scène  émou- 
vante due  à  la  plume  d'un  éminent  catholique,  persuadé 
qu'elle  se  renouvellera  pour  plusieurs  des  a^pôtres  de  l'A- 
frique équatoriale. 

Un  missionnaire  envoyé  par  son  évoque  dans  un  can. 
ton  éloigné,  pour  étudier  si  l'on  y  pouvait  établir  un  prêtre, 
arriva  au  t^rme  de  sa  course  sans  argen].  et  sans  moyen  de 
revenir.  De  son  dernier  dollar,  il  avait  acheté  un  flacon 
de  vin,  aûn  de  pouvoir  dire  la  messe,  ressource  suprême  et 
unique  pour  résister  aux  tortures  de  l'abandon. 

£n  ce  lieu  vivaient  des  hommes,  des  Européens,  et 
parmi  eux  des  Français.  Ils  les  avaient  salués  dans  la  lan- 
gue de  la  patrie,  et  ces  hommes,  parce  qu'il  était  prêtre,  ne 
lui  avaient  pis  répondu.  Il  s'établit  sous  un  arbre,  et  il  vé- 
cut des  semaines  entières,  sans  pain,  de  racines  inconnues 
qu'il  essayait  à  tout  risque 

Un  jour,  il  vit  venir  à  lui  un  jeune  homme  grand  et 
beau,  qui  lui  dit  pour  première  parole  :  en  grâce  avcz-vous 
à  manger  ?  C'était  un  prêtre  envoyé  à  sa  recherche  par  l'é- 
veque.  11  était  mourant  de  fatigue  et  de  faim...  Il  se  cou- 
clia  par  terre,  implorant  un  peu  de  nourriture.  L'autre 
lui  présenta  les  racines  dont  il  se  nourrissait  lui-môme. 
L'affamé  n'y  put  toucher,  et  son  hôte  désolé  entrevit  dès 
ce  moment  que  l'infortuné  mourrait  de  faim.  Ce  dernier 
coup  l'accabla 

Les  deux  missionnaires,  étendus  sous  le  soleil  brûlant, 
pévorés  de  fièvre,  se  dirent:  Nous  mourrons  ici.   Que  l'un 


65. 

dé  naus  fasse  effort  fit  célàhre.sii6!(jbernièreme8iie  £  il  com- 
mpBiera  TaotreHat  iwua.laéiiico&BtBibab  •  Ha-  tûèreat  an 
■oort^poùr  dire  la  rnssiei  ::iie'80Tt  ébhiit  au  pfenlier-  arrivé. 
Uv  offrit  le  saint  •8acri&oe>poui:  son  frëremourant,  «tpoar 
lui-anème  gui  comptait  SBis^iDOttrir,  et  eette  Téritabl^  messe 
des  morts  dura  près  de  trois  heures:  Enfin  l&smortbond 
put  donner  la  sainte,  hostie  ài^agonisant. .  Le  martyr  regar- 
dait avec  tendresse  son  frère  marlyr  défaillant  an  pied  de 
Tautel  ;  et  celui-ci,  admirait  l'âme  aogéiiqne  de  ce  jeune 
prêtre  qui  tombait  si  tranquille  au  lébut  d.e  la  carrière.  La 
messe  dite,  le  célébrantse^coucha  auprès  de  son  compagnon 
et  ils  attendirent  la  mort,  elle  ne  tarda  pas.  Dans  ianuit 
le 'jeune  prêtre  expirait.  Son  dernier  soupir  efUeura  les 
lèvres  de  son  frère,  qui  ne  put. qu'avec  effort  étendre  la 
main  sur  la  tôte  en  signe  de  dernière  bénédiction  et  de  der- 
nier adieu."  C'est  à  ce  prix  que  le  bon  Dieu  fait  des  saints» 

Voilà  le  sort  qui  attend  plusieurs  d'entre  vous,  Apôtres 
de  l'Afrique  équatoriale  ;  Vous  savez  tous  cela,  et  vous  ne 
refusez  pas  le  calice:  bien  plus,  vous  avec  réclamé  l'hon- 
neur de  franchir  ce  seuil  martel. 

Une  mort  obscure  sera  sans  doute  le  prix  de  vos  héroï- 
ques sacrifices,  mais  au  livre  de  vie,  tout  sera  iuscrit. 

Les  hommes  incapables  de  comprendre  votre  sublime 
mission^  dans  l'aveuglement  de  leur  pensée,  répondront  à 
vos  généreux  efforts  par  le  sourire  de  la  pitié. 

Hais  qu'importe  la  désapprobation  des  hommes  quand 
on  a  l'approbation  de  Dieu.  Pauvres  insensés  du  siècle, 
ouvrez  donc  les  yeux  et  voyez  les  martyrs  tomber  autdur 

de  vous. 

Ce  n'est  point  de  vous,  âmes  d'élite,  que  le  Saint-Esprit 
a  dit  :  "  Oculos  suos  stutiurunt  dedinare  in  Urram''  Vos 
regards  sont  toujours  fixés  vers  le  ciel,  votre  mère  ne  re- 
cueillera  pas  votre  dernier  soupir,  vous  mourrez  seuls, 
sous  le, regard  de  Dieu.  Le  sacrifice  dans  ce  qu'il  a  de  plus^ 
sublime,  voilà  la  couronne  que  vous  portez  au  front,  en 
attendant  que  le  glaive  du  bourreau  vous  en  donne  ime 
plus  précieuse  :  la  couronne  du  martyr; 

Mères  chrétiennes,  vos  enfants  partent  pour  ne  revetiir 
sans  doute  jamais  ;  si  ces  lignes  tombent  sous  vos  yeux^^ 

3 


66 

loin  dé  vous  attrister,  qu'eUet  tous  comUent  de  joie*  Ces 
ÛIb  que  vous  avec  donnés  à  Dieu  ne  vous  aemblent^ils  pas 
des  saints?  Quand  le  dernier  aura  combattu  le  bon  comp 
bat,  quand  le  glaive  du  bourreau  ou  la  misère  n'en  cou» 
naîtra  plus,  d'autxes  se  lèveront,  ils  tomberont  à  leur  tour, 
et  il  y  en  aura  toujours... 

Voici  maintenant  quelques  lettres  des  Missionnaires 
d'Alger  en  route  pour  l'Afrique  équatoriale  ;  les  premières 
SiHU  écrites  d'Aden,  i  la  sortie  de  la  mer  Rouge,  où  ils  ont 
4ù  faire  un  séjour  forcé  de  qiiinze  jours  ;  les  autres  sont 
adressées  de  Zanzibar,  au  moment  où  ils  se  disposaient  à 
quitter  la  côte  pour  pénétrer  dans  l'intérieur  de  l'Afrique. 

*'  Aden,  le  10  mai:i878. 

^^  Grâce  à  vos  bonnes  prières  et  i  celles  des  saintes  âmes 
qui  s'intéressent  à  nous»  notre  voyage  se  fait  fort  heureuse* 
ment.  Depuis  le  mercredi  saint,  ce^  jour  des  derniers 
adieux,  les^choses  ont  marché  rapidement:  nous  avons  vu 
disparaître  tour  à  tour  la  Maison-Carrée,  Notre-Dame 
d'Afrique,  l'Algérie,  puis  la  France,  puis  la  vieille  Europe. 
Dès  que  nous  fûmes  sortis  de  la  Méditerranée,  aucun  de 
nous  n'eut  plus  même  Tombre  du  mal  de  mer.  Tous  les 
jours  nous  disions  deux  ou  trois  messes  dans  notre  cabine, 
chacun  célébrait  à  son  tour,  les  autres  faisaient  la  sainte 
communion. 

^'  On  ne  comprend  bien  le  bonheur  de  monter  chaque 
jour  au  saint  autel  que  lorsqu!on  en  est  privé.  Cette  pri 
vation  sera  l'une  de  nos  plus  grandes  épreuves,  durant 
notre  loug  voyage. 

^'  Nous  avons  mis  presque  deux  jours  pour  passer  le  canal 
de  Suez.    Les  vaisseaux  y  vont  très-lentement  et  ne  peu 
vent  se  croiser  qu'en  certains  endroits.    Qumd  on  arrive 
en  gare,  si  un  bateau  est  signalé,  on  attend  qu'il  arrive  ;  on 
pard  ainsi  beaucoup  de  temps. 

''  Dés  que  le  soleil  a  disparu,  on  jette  l'ancre  et  on  ne  se 
remet  en  marche  que  lorsqu'il  reparaît  à  l'horizon.  Sans 
cette  précaution,  on  serait  à  peu  près  sûr  d'échouer  sur  le 
sable  qui  borde  le  goulet  qu'il  faut  suivre. 

**  A  Suez,  j'ai  été  fort  supris  de  voir  les  Arabes,  revêtus 


67 

ûe  gandouras  blancheâ,  blettes  et  noires,  taillées  absolu- 
ment  comme  les  nôtres,  les  manches  étroites  et  longues  et 
un  collet. 

*'  Durant  les  trois  derniers  jours  que  nous  avons  pass.és 
sur  la  mer  Rouge,  la  chaleur  a  été  accablaurte.  Il  était  im- 
possible, pendant  la  nuit,  de  se  livrer  au  sommeil,  surtout 
dans  les  cabines  qui  sont  cependant  bien  aérées. 

'^  Nous  sommes  arrivés  à  Aden  dimanche  matin.  A  peine 
le  YanhrTsé  avait-il  jeté  l'ancre  dans  la  rade,  que  des  barques 
de  toutes  les  couleurs  et  de  toutes*  les  formes  l'entourèrent. 
Nous  entrâmes  dans  l'une  d'elles  avec  nos  valises,  et  sept 
ou  huit  rameurs  poussèrent  Fembarcation  vers  la  côte  éloi-- 
gnée  de  plus  d'un  kilomètre.  Gomme  ils  voyaient  que 
nous  étions  des  nouveaux-venus,  à  qui  on  pouvait  facile- 
ment jouer  quelque  tour,  ils  passèrent  tranquillement  de- 
Tant  le  débarcadaire.    Us  nous  conduisireut  dans  une  sorte 

de  baie  où  le  bateau  ne  tarda  pas  à  toucher  le  sable 

Nous  étions  à  plus  de  quatrd  kilomètres  du  rivage  :  c'était 
là,  disaient-ils,  qu'il  fallait  descendre,  une  troupe  d'autres 
nègres  entourait  en  même  temps  la  barque,  et  chacun  se 
disputait  l'honneur  de  porter  sur  ses  épaules  les  passagers 
et  les  baggages.  Vous  pensez  bien  qu'ils  n'étaient  pas  pous- 
sés par  des  motifs  d'amour  pur,  et  que  notre  pauvre  bourse 
aurait  bien  à  payer  cher  cette  entrée  triomphale.  11  fallut 
toute  l'éloquence  et  le  regard  terrible  du  P.  Lourdel  pour 
déterminer  nos  bateliers  à  reprendre  les  rames  et  les  autres 
nègres  à  nous  laisser.  Le  P.  Pascal  dut  proAter  des  épau- 
les luisantes  d'un  de  nos  futurs  paroissiens,  pour  aller  au 
devant  d'uù  bon  père  Capucin,  qui  nous  attendait  sûr  le  ri- 
vage. 

**  Enfin  nous  touchons  la  terre.  Quel  affreux  pays  que 
cet  Aden,  vrai  soupirail  de  l'Enfer  par  l'aspect  et  la  cha- 
leur I  et  pourtant  sommes-nous  obligés  d'y  passer  deux  se- 
maines. Pas  un  arbre,  pas  un  brin  de  verdure,  des  sables^ 
des.rochers  calcinés  et  un  soleil  de  feu  qui  oblige  à  rester 
calfeutré  dans  les  maisons  une  bonne  partie  de  la  journée» 
Pour  ne  pas  mourir  de  soif,  on  est  obligé  de  distiller  l'eau 
de  la  mer  qui  coûte  alors  presque  aussi  cher  que  le  vin  :  la 
nourriture  tant  des  hommes  que  des  chevaux  vient  toute  des 


69 

iX)]itrées  voiçiaes.  U  7  en  a  qui  préte&dent  que  le  Paradii 
terrestre  était  ici  ou  du  moins  dans  les  environs^et  que  c*est 
de  TËden  qu'Aden  a  tiré  son  nom.  Je  ne  sais  si  cette  opi- 
nion est  bien  fondée,  mais  le  fait  est  que  ceux  qui  la  pa- 
tronnent doivent  avouer,  sMIs  ont  jamais  vu  Aden,  que  le 
pays  a  bien  changé  depuis. 

^^  Ajoutez  à  cela  que  les  vivres  y  sont  hors  de  prix.  Heu- 
reusement les  bons  Pères  Capucins  ont  mis  à  notre  disposi- 
tion la  maison  et  la  chapelle  qu'ils  ont  non  loin  du  port. 
Gomme  Aden  est  à  une  certaine  distance  de  la  mer,  les  An- 
glais ont  fait  bâtir  sur  le  rivage  bon  nombre  de  maisons 
qui  sont  occupées  par  des  Européens  et  qui,  si  elles  étaient 
groupées,  formeraient  une  petite  ville. 

<'  C'est  là  Steamer-Point  :  nous  sommes  installés  dans  une 
maison  où  les  Apglais  pourraient  trouver  que  le  confortable 
laisse  à  désirer,  mais  où  nous  vivons  au  moins  à  peu  de 
frais.  Nous  avons  un  bon  soldat  irlandais  à  notre  service 
et  un  arabe  qui  nous  fait  la  cuisine  tant  bien  que  mal.  Quoi 
qu'il  en  soit,  chacun  mange  avec  bon  appétit,  et  la  galtè  et 
l'entrain  président  à  tous  nod  .repas. 

**  Nous  avons  vu  ces  jours  derniers  le  fameux  Charlie 
de  Zanzibar,  dont  parlent  le  voyageur  anglais  Cameron  et 
l'Américain  Stanley.  H  se  rend  en  France  pour  voir  trois 
de  ses  sœurs  qu'il  n'a  pas  vues  depuis  trente  ans.  Après  le 
sulian,  il  est,  dit-il,  le  personnage  le  plus  important  de  la 
ville.  C'est  un  homme  d'une  soixantaine  d'années  environ^ 
il  aurait  pu  nous  rendre  de  grands  services  à  Zanzibar,  car 
il  a  l'air  très-bon  et  très-serviable  (1). 


(I)  Voici  le  por,tait  qu'en  trace  Cameron  dans  le  récit  de  son  voyage  à 
travers  l'Afrique  :  «•  Charlie  est  un  Français,  un  original  qu'il  faut  con- 
naître pour  l'apprécier  à  sa  juste  valeur.  De  chef  de  cuisine  au  consulat 
britannique,  il  est  devenu  l'un  des  notables  de  la  ville.  Tous  les  vaisseaux 
de  la  marine  anglaise  qui  arrivent  dans  le  port,  sont  approvisionnés  par 
Charlie  de  viande,  de  boeuf  et  de  pain  frais,  et  le  seul  établissement  qui, 
dans  l'île,  approche  d'un  hôtel,  lai  appartient.  On  trouve  chez  lui  des 
collections  d'objets  de  toute  espèce,  de  toute  nature.  U  ne  sait  ni  lire, 
ni  écrire,  n'a  qu'une  idée  vague  de  ce  qu'il  possède,  et  se  contente  de 


1 


69 

**  Je  termine  en  vous  priant  de  ne  pas  nous  oublier  au 
Saint  Sacrifice.  Ne  nous  ménagez  pas  vos  bonnes  prières. 
Je  vois  tous  les  jours  plus  clairement  combien  Tesprit  de 
foi  est  nécessaire  au  missionnaire.  Il  -faut  qu'il  ne  consi- 
dère les  choses  que  selon  les  lumières  de  la  foi,  et  que  son 
plus  grand  désir  soit  de  trouver  des  occasions  de  souffrir 
pour  Dieu.  'L'absence  de  la  croix  devrait  être  pour  nous  un 
malheur  véritable.  Aimons  donc  la  croix,  soyons  passion- 
nés pour  la  croix.  Quel  bonheur  qcye  Notre.Seigneur  nous 
.  juge  dignes  à.e  soufErir  quelque  chose  pour  lui  1  " 

Une  autre  lettre  que  les  Missionnaires  ont  envoyée  par  le 
même  courrier,  mais  éci^ite  quelques  jours  plus  tard,  nous 
apprend  que  les  croix  tant  désirées  n'ont  pas  tardé  à  se  pré* 
-senter. 

Steame^Point,  17  mai  1878. 

"  Décidément  le  bon  Dieu  bénit  notre  mission^  et  nous 
on  avons  la  marque  visible  dans  les  premières  épreuves 
qnll  nous  envoie.  La  peinture  qu'on  avait  faite  du  climat 
d'Âden  pendant  notre  traversée  n'était  pas  de  nature  à  nous 
rassurer  au  sujet  de  notre  séjour  dans  cette  ville,  j'ai  voulu 
attendre  le  dernier  jour  de  la  quinzaine  que  nous  avons  été 
obligés  d'y  passer  pour  vous  faire  connaître  l'effet  qu'aurait 
produit  sur  nous  la  chaleur  accablante  de  cette  contrée 
aride  et  désolée.  Nous  étions  tous  en  bonne  santé  en  arri- 
vant ici,  mais  nous  n'avons  pas  tardé  à  nous  apercevoir 
qu'il  n'y  avait  rien  d'exagéré  dans  ce  qu'on  nous  avait  dit. 

'^  Malgré  toutes  les  précautions  que  nous  avons  prises, 
pour  nous  préserver  de  la  fièvre  et  des  insolations,  trois 
Pères  sont  tombés  malades  quelques  jours  après  notre  ar- 
rivée. Ce  sont  les  Pères  Livinhac,  Delaunay  et  Barbot. 
Ce  dernier  est  à  peu  près  remis,  mais  les  dedx  autres  Pères 


dire  aux  chalands  :  "  Fouillez  dans  mes  magasins  ;  si  vous  rencontrez  ce 
qui  vous  mangue,  payez-le  oe  qufe  (a  vaudra.'' 

Il  n'a  pÀs  appris  Tanglais»  a  oublié  une  partie  du  français,  et  fait  des 
deux  langues  un  patois  amu^nt. 

Inutile  de  dire  que  ses  aiïaires  sont  en  désordre  ;  néanmoins  il  pros- 
père ;  sans  doute  en  raison  de  sa  nature  généreuse.  Je  crois  que  peu 
de  gens  auraient  le  coui^'ge  de  le  tromper. 


70 

BOnl  encore  bien  faible»,  et  s'iU  n'étaient  pas  plas  forts  à 
notre  arrivée  à  Zanzibar,  il  leur  sérail  impossible  de  se 
mettre  en  marche  pour  l'ialérieur.  Vejaillez  prier  et  faire 
prier  le  bon  Dieu  de  ne  le  pas  permettre,  et  de  nous  accor- 
der à  tous  la  santé  et  les  forces  nécessaires  pour  pouvoir 
faire  son  œuvre 

'^  Les  bons  Pères  Capucins  sont  venus  hier  d'Aden,  dis- 
tant d'environ  10  kilomètres,  pour  nous  inviter  à  dîner.  Ils 
voulaient,  en  notre  honneur,  faire  faire. une  petite  fête  à 
leurs  enfants.  Nos  malades  et  les  diverses  courses  que 
nous  sommes  obligés  de  faire  pour  préparer  notre  embar- 
quement ne  nous  ont  pas  permis  d'accepter  cette  gracieuse 
invitation,  dont  nous  leur  garderons  uile  sincère  reconnais* 
sance. 

"  Si  le  bon  Dieu  nous  éprouve,  il  nous  réserve  aus?i  des 
t^onsolationsl  Bon  nombre  de  Portugais,  ainsi  que  les  sol- 
dats de  la  garnison,  presque  tous  Irlandais,  se  sont  confes- 
sés et  ont  fait  la  sainte  communion  dans  notre  chapalle» 

"  Hier  soir,  le  bateau  anglais  de  Zanzibar  est  arrivé  ;  il 
nous  apportait  une  lettre  du  P.  Charmetant  et  du  P.  De- 
niaud.  Ils  nous  annoncent  que  tout  va  bien.  Ils  sont  arri- 
vés  à  Zanzibar  le  30  avril  et  ont  été  accueillis  avec  une  très- 
grande  charité  par  les  Pères  du  Saint-Esprit,  et  en  particu- 
lier par  le  R.  P.  Horner. 

"  Le  P.  Charmetant.  avant  d'arriver  à  Aden,  s'était  fait 
une  entorse,  et  le  P.  Deniaud,  pendant  le  voyage,  a  eu  huit 
jours  de  fièvre,  mais  la  fièvre  a  disparuet  ils  s'occupent 
activenient  de  préparer  la  caravane.  Depuis  qu'ils  sont  à 
Zanzibar,  l'eau  est  tombée  en  abondance  ;  ils  sont  arrivés 
en  pleine  Masika  (saison  des  pluies),  contrairement  h  nos 
calculs  et  à  ce^iui  arrive  ordinairement,  ils  nous  disent  que 
ces  pluies  extraordinaires  ont  changé  les  conditions  clima- 
tériques,  et  que  nous  arriverons  au  bon  moment 

^^  Nous  quittons  donc  Steamer-Point  sans  regret,  et  pleins 
de  confiance  en  la  divine  providence,  nous  nous  disposons 
à  entreprendre  notre  dernière  étape  pour  Zanzibar." 

Quinze  jours  plus  tard,  arrrivait  en  France  le  courrier  de 
Zanzibar  apportant  de  bonnes  nouvelles  qui  tendent  à  prou- 


■ 


^ 


71 

▼er  que  nos  missionnaires  ne  comptent  pas  en  vain  sur  la 
protection  dn  ciel. 

Zanzibar,  le  31  mai  1878. 

*'  Dieu  soit  béni  I  nous  Tenons  de  terminer  la  dernière 
partie  de  notre  Toyage  sur  mer,  et  nous  son^nes  enfin  à 
Zanzibar.  Les  RR.  PP.  Livinhac  et  Delaonay  que  nous 
avions  été  obligés  de  faire  embarquer  avant  le  lever  du  so* 
leil,  à  cause  de  la  fièvre,  se  sont  un  peu  remis  sur  le  bateau, 
particulièrement  le  P.  Delaunay,  qui  est  arrivé  ici  en 
pleine  santé.  Le  P.  Livinhac,  quoique  bien  moins  fatigué 
qu'à  son  départ  d*Aden,  n'est  pas  encore  en  état  de  se  met- 
tre immédiatement  en  route,  mais  nous  pensons  que  queL- 
ques  jours  de  repos  suffiront  pour  le  remettre  complète- 
ment 

^^  Le  R.  P.  Horner  et  tous  les  religieux  de  la  Congréga- 
tion nous  ont  fait  le  plus  sympathique  accueil.  Nous  lo» 
geons  chez  eux  et  leur  tablé  est  la  nôtre.  Les  PP.  Charme- 
tant  et  Deniaod  ont  fait  merveille  dans  le  peu  de  temps 
qu'ils  ont  passé  à  Zanzibar  ou  à  Bagamoyo. 

^*  Au  rapport  du  R.  P.  Horner  et  de  toutes  les  personnes 
compétentes,  il  n'était  pas  possible  de  mieux  faire  en  si  peu 
de  temps.  Aidés  de  bon  renseignements  fournis  par  les 
Pères  du  Saint-Esprit,  ils  ont  pu  dans  Tespace  d'un  mois  or- 
ganiser notre  caravane.  Les  porteurs,  au  nombre  de  près 
de  trois  cents,  sont  trouvés,  les  ballots  sont  prêts*;  la  saison 
des  pluies  vient  de  finir,  de  sorte  que  dans  une  dizaine  de 
jours  nous  pourrons  nous  mettre  en  route.  Arrivés  les 
derniers,  nous  devancerons  de  beaucoup  les  autres  explora- 
teurs et  missionnaires. 

^<  Nous  allons  donc  compléter  nos  achats,  mettre  en 
ballots  les  bagages  que. nous  avons  apportés  d'Alger,  et  puis 
nous  abandonnant  entre  les  mains  de  la  Providence,  nous 
irons,  aidés  de  la  grâce,  porter  son  saint  nom  à  ces  psuples 
plongés  depuis  longtemps  dans  les  ténèbres  les  plus  épais 
ses  de  la  barbarie  et  de  la  mort 

^^  Fasse  le  ciel  que  nous  soyons  tous  de  bons  et  saints 
missionnaires  1 


n 

/'  Veuillez^  mon  bieo.çhj^r  Père,  nou^i  recqxflI^f^lder  aux 
prières  de  nos  confrères  et  les  assurer  qi^'il^  si,i^ont  part  à 
nos  peines  et*à  nos  sacrifices. 

"  Noua  espérons  déployer  nos  deux  bannières  du  Sacré- 
Cœur,. précieuses  ofl{randç3  des  CarnaéH^s  dj3  la  cité  Bu- 
geaud,  1^  Lndemain^de  la  Pentecôte;  leS^cré-Gœur  sera 
donc  notre  guide  jusqu'aux  lacsiViqtçrin  et  Albert-Nyanza^ 
jusqu'au  Tanganyka  et  à  Kab^bé,  te^^m^s  de  nos  missions 
respectives. 

•      -  'a  PASCAL, 

*'.  P.  inissionnaire." 

Le  R.  P.  LivinhaC)  quoique  malade,  écrit  de  l'hôpital  de 
Zanzibar  au  T..R.  P*  Deguerry,  supérieur  général  : 

"  Zanzibar,  le  31  mai  1878. 

^'  Malgré  la  faiblesse  que  m'a  ^laissée  la  fièvre  dont  fai 
été  atteint  à  Aden,  je  veux  vouç  éeiire  quelques  mats,  ayant 
de  m'enfoncer  dans  les  profondeurs  de  TAfrique^  équato- 
riale..  Le  bon  Dieu  nous  assiste  de  la  manière  la  plus  ma- 
nifeste, et  l'organisation  rapide  de  notre  caravane  par  les 
Pèreâ  Charmetant  et  Deniaud  est  un  véritable  miracle. 
Les  Belges,  qui  sont  ici  depuis  le  mois  de  décembre,  n'ont 
pas  encore  assez  de  porteurs...  Des  Anglais,  venus  avec  le 
P.  Charmetant,  n'en  ont  qu'une  trentaine.  Ils  ne  compren- 
nent pas  comment  notre  confrère  a  pu  aller  si  vite  en  be- 
sogne. "  Ht  in  curribxis  et  hi  in  equi$^  nos  autem  in  nomine 
Dei  nostri  speravimus.'    Celte  intervention  manifeste  de 

Dieu  redouble  notre    confiance  et  notre  courage 

Faites  faire  des  prières  d'action  de  grâce  tout  en  continuant 
de  faire  prier  pour  demander  les  secours  dont  nous  avons 
besoin.  Toutes  les  santés  sont  bonnes.  Les  Pères  du 
Saint-Esprit  nous  traitent  comme  leurs  propres  confrères. 
Notre  reconnaissance  sera  éternelle  pour  les  membres  de 
cette  Congrégation.  Ce  sont  des  hommes  admirables  ani* 
mes  d'un  esprit  vraiment  apostolique. 

"  C'est  de  l'hôpital  de  Zanzibar  que  je  vous  écris.  Le 
P.  Horner  a  voulu  m'y  faire  entrer,  me  disant  que  les 
soins  des  bonnes  religieuses  qui  desserrent  l'hôpital  m» 
rétabliraieiit  plus  promptement. 


73 

« 

*'  Vous  m'excuserez  si  je  ne  vous  écris  pas  plus  longue- 
ment, ma  main  trembleV  je  ïie  sais  trop  pourquoi...,  il  me 
semble  cependant  que  je  suis  déjà  fort,  et  si  la  caravane  se 
mettait  en  marche  ce  soir,  je  me  garderais  bien  de  rester 
en  arrière. 

-  "  "Mon  très-révérend  et  bien  cher  Père,  nous  lâcherons 
de  vous  donner  de  nos  nouvelles  le  plus  souvent  possible, 
mais  nos  lettres  seront  bien  exposées  à  s'égarer 

'*  Priez  pour  nous,  s'il  vous  plaît,,  nous  penserons  sou- 
vent à  vous  et  serons  toujours  vos  enfants  dévoués. 

"  Je  vous  prie  d'agréer  l'hommage  du  profond  respect 
et  de  l'affection  filiale  avec  lesquels  je  suis, 

"  Mon  très-révérend  Père,  Votre  enfant  tout  dévoué, 

*'  Léon  Livinhac, 

'^  P.  Miss." 

Knfin  le  R.  P.  Charmetant  donne  les  détails  pleins  d'in- 
térêt qui  suivent  à  Mgr  l'archevêque  d'Alger,  dans  deux 
lettres  adressées  à  ce  vénérable  Prélat  : 

Zanzibar,  le  16  mai,  1878. 

"  Monseigneur  et  très-vénéré  Père, 

"  Un  navire  français  va  quitter  Zanzibar,  j'en  profite  d'an- 
tant  plus  volontiers  pour  vous  écrire  que  la  malle  ne  part 
d'ici  que  dans  quinze  jours,  et  que  j'ai  de  bonnes  nouvelles 
à  annoncer  à  Votre  Grandeur. 

*'*■  Ma  dernière  lettre  vous  disait  nos  angoisses  au  sujet 
des  porteurs,  chaque  homme,  en  effet,  ne  consent  jamais  à 
porter  plus  de  35  kilogrammes  pour  sa  charge  :  il  faut  donc 
troîB  hommes  pour  un  quintal  1  Or,  comme  tout  calcul  fait, 
tant  pour  un  voyage  de  six  mois  au  moins,  que  pour  nourrir 
dix  Pères  pendant  un  an,  il  faut  au  moins  cent  quintaux 
(non  compris  les  outils,  provisions,  etc.),  d'étoffes,  verrote- 
ries, sel,  perles  et  mille  autres  objets  d'échange  ayant 
seuls  une  valeur  dan»  ces  différents  pays,  c'est  donc  au 
moins  trois  cents  porteurs  qu'il  me  fallait  trouver,  puisque 
ici  tout  portage  se  fait  à  dos  d'hommes.  Or,  depuis  long- 
itemps,  par  suite  de  Tabolltion  de  la  traite,  il  n'en  venait 
j^lus  de  l'intérieur.    Eh  outre,  les  Anglais,  Allemands  et 


74 

Belges  avaient  accepté  tout  ce  gui  se  troure  encore  épaiB  à 
Zanzibar,  soit  pour  leurs  travaux  de  route,  soit  pour  le  voy- 
age dans  l'intérieur,  et  cela  à  des  prix  exagérés.  Aussi,. 
tous  ici,  tant  laïques  que  religieux,  nous  faisaient  entrevoir 
qu'il  nous  faudrait  attendre  au  moins  trois  ou  quatre  mois^ 
peut-ôtre  davantage,  pour  recruter  ce  qui  nous  serait  même 
strictement  nécessaire  pour  partir,  quitte  à  faire  suivre  le 
reste  plus  tard  à  l'aide  de  porteurs  que  nous  enverrions  de 
l'intérieur.  Cette  perspective  me  tourmentait,  car  ici,  (contre 
toutes  mes  prévisions),  la  vie  et  le  logement  sont  excessive» 
ment  chers.  Aucun  indigène  ne  consent  à  louer  sa  maison 
pour  moins  d'un  an,  ne  dût-on  l'habiteT  que  huit  jours  ;  et 
ces  loyers  sont  toujours  très-chers.  Jusque-là,  je  n'ai  rien 
pu  trouver  à  moins  de  cinq  cents  francs*  Pour  la  nourriture 
et  les  faux  frais,  il  faut  au  moins  cinq  francs  par  jour  et 
par  tête,  ce  serait  donc  pour  nous  tous  environ  soixante 
francs  par  jour,  soit  quinze  cents  francs  par  mois. 

"  Dans  notre  détresse,  nous  avons  confié,  le  P.  Deniaud 
et  moi,  cette  embarrassante  affaire  de  porteurs  et  d'un  séjour 
prolongé  ici,  à  Saint-Joseph,  en  le  priant  de  nous  tirer  de 
peine.  Il  l'a  fait  cette  semaine  de  la  manière  la  plus 
imprévue  et  la  plus  admirable. 

"  Ne  trouvant  rien  à  Zanzibar  que  nous  avions  battu  et 
fait  battre  dans  tous  les,  sens,  nous  nous  rendîmes  à 
Bagamoyo  d'où  partent  les  caravanes,  afin  de  poursuivre 
là  nos  recherches.  A  peine  étions-nous  arrivés  dans  le 
magnifique  établissement  que  les  Pères  du  Saint-Esprit 
possèdent  sur  ce  point  de  la  côte,  qu'on  vient  leur  annoncer 
que  de  nombreuses  caravanes  arrivaient  de  l'Ounyamouési, 
amenées  par  des  Arabes,  avec  de  l'ivoire  en  quantité  consi- 
dérable. Or,  depuis  quatre  mois,  aucune  caravane  n'était 
venue.  Je  me  rendis  aussitôt,  avec  une  lettre  que  m'avait 
donnée  le  sultan,  chez  le  gouverneur  de  Bagamoyo  ;  et  le 
môme  jour,  par  l'intermédiaire  d'un  Arabe,  riche  et  influent 
que  m'ont  fait  connaître  les  Pères  du  Saint-Esprit  à  qui  il 
est  tout  dévoué,  je  pus  arrêter,  séance  tenante,  la  plupart 
des  porteurs  ou  pagazis  qui  nous  seront  nécessaires^ au  prix 
de  cent  francs  l'un  (non  compris  la  nourriture  qui  est  & 
notre  charge),  pour  toute  la  durée  du  voyage  de  Bagamoyo- 


75 

i  rOunyamouési  leur  pays,  quand  même  il  faudrait  quatre 
ou  cinq  mois  pour  arriver  à  ce  point  qui  est  à  peu  près  à 
moitié  de  la  route  des  grands  lacs.  C'est  à  cet  endroit 
même  que  les  deux  Missions  devront  se  séparer  pour  aller, 
l'une  à  Ujiji,  Tautre  au  Nyanza.  On  trouve  toujours  à 
engager  là  de  nouveaux  porteurs,  d'ailleurs  nous  y  trou- 
verons M.  Philippe  Broyon  et  Mirambo,  sur  la  protection 
desquels  nous  pouvons  maintenant  compter.  Selon  vos 
instructions,  ce  sont  deux  indigènes  riches  et  influents  du 
pays  que  nous  avons  choisis  pour  traiter  raffaire  de  la 
caravane,  sous  leur  responsabilité:  L'un  est  un  Arabe  et  il 
dépend  du  sultan,  l'autre  est  un  Hindi  et,  comme  tel,  est 
sujet  anglais.  Il  dépend  donc  entièrement  du  consul  d'An- 
gleterre, M.  Kirk,  pour  lequel  M.  Playfair  nous  a  remis 
une  lettre  et  qui  a  promis  son  concours  en  toutes  choses, 
car  il  aime  beaucoup  la  Mission  catholique  des  Pères  de 
Zanzibar.  Il  nous  a  offert  de  lui-même  de  nous  remettre 
une  lettre  de  recommandation  pour  Mirambo,  le  plus  puis- 
sant chef  noir  de  l'intérieur,  et  qui  occupe  le  territoire 
situé  entre  rOunyamouési,  le  Tanganyka  et  le  lac  Victoria» 
Ce  chef  vient  d'écrire  ces  jours-ci  à  M.  Kirk,  en  lui  envoyant 
dix  défenses  d'éléphant,  tandis  qu'il  n'en  a  envoyé  que  six 
au  sultan  de  Zanzibar,  montrant  par  là  qu'il  mettait  l'al- 
liance des  Européens  et  surtout  de  l'Angleterre  au-dessus 
de  celle  des  Arabes,  avec  lesquels  il  a  soutenu  une  guerre 
acharnée  pendant  plusieurs  années. 

"  Depuis  que  les  pagazis  sont  trouvés,  je  suis  absorbé  par 
les  acquisitions  nécessaires  à  nos  Pères,  tant  pour  ce  long 
voyage  que  pour  leurs  besoins  une  fois  sur  le  lieu  de  leur 
mission.  De  ce  côté  encore,  la  Divine  Providence  nous  a  par 
ticulièrement  aidés.  J'ai  vu  et  questionné  à  Bagamoyo  les 
Arabes  arrivant  de  l'intérieur  avec  leurs  caravanes  d'ivoire. 
Us  m'ont  donné  les  renseignements  les  plus  précieux  sur 
les  différentes  qualités  et  quantités  d'étofies,  de  perles  et 
autres  articles  nécessaires  tant  sur  la  route  que  dans  les 
.  régions  des  lacs  où  nos  Pères  doivent  résider;  et  c'est  d'après 
ces  indications  que  je  règle  mes  achats  avec  le  concours 
extrêmement  bienveillant  et  éclairé  de  M.  Grefifulhe,  l'a- 
gent de  la  maison  de  Marseille  qui  nous  a  ouvert  son  cré* 


76 

dit  ;  M,  Greffulhe,  ici,  et  M.  Philippe  Broyon,  dans  l'inlfr- 
rieur,  vont  nous  être  bien  précieux  par  la  connaissance 
spéciale  qu'a  le  premier  des  affaires  de  ce  pays  et  par  l*in- 
iluence  que  possède  le  second  dans  l'intérieur  où  il  est  allé 
résider  afin  de  diriger  des  expéditions  commerciales.  Le 
Père  Horner  nous  assure  que  l'un  et  l'autre  sont  dignes  de 
toute  confiance  pour  lav-procure.  Jusque-là  tout  semble 
donc  aller  providentiellement  quant  à  la  caravane  ;  les 
Pères  du  Saint-Esprit  en  paraissent  vraiment  surpris,  car 
ils  ont  vu  les  difficultés  des  expéditions  qui  ont  précédé  la 
nôtre.  Il  n'y  a  qu'un  seul  point  qui  pourrait  tout  compro- 
mettre ;  ce  sont  les  finances.  Depuis  que  je  vois  de  près 
.les  choses,  je  suis  effrayé,  je  l'avoue,  de  la  dépense  que  va 
nécessiter  l'organisation  d'une  première  expédition  de  ce 
genre,  et  de  tout  ce  qu'il  faut  porter  non-seulement  pour 
que  nos  Pères  aient  de  quoi  vivre  et  s'installer  une  pre- 
mière année  dans  l'intérieur  de  cette  Afrique  équatoriale, 
mais  encore  :  1®  pour  leur  nourriture  et  celle  de  plus  de 
quatre  cents  hommes  (tant  porteurs  que  gens  armés)  qui 
sont  absolument  à  notre  charge  tout  le  temps  que  durera 
ce  long  voyage  ;  2^  pour  le  paiement  de  tous  les  membres 
de  cette  caravane,  paiement  qui,  cnmme  tout  le  reste,  n'a 
lieu  qu'en  marchandises  et  une  fois  arrivés,  sans  quoi  la 
plupart  déserteraient  ;  S»  pour  le  droit  dé  passage  de  vil- 
lage à  village,  de  tribu  à  tribu,  sorte  de  douane  arbitraire 
et  exorbitante,  dont  les  Anglais  ont  encore  élevé  le  taux 
par  leurs  prodigalités.  11  y  a  môme  sur  la  route  un  cer- 
tain nombre  de  grands  chefs  qu'on  ne  peut  se  rendre  favo- 
rables qu'en  leur  faisant  des  cadeaux  princiers.  Ils  pré- 
fèrent surtout  ce  qu'on  appelle  ici  le  manteau  royal,  sorte 
de  large  douillette  en  soie  ou  alpaga  avec  broderies  de  soie- 
coloriée,  et  brandebourgs  d'or  et  d'argent.  Il  y  en  a  de- 
puis cinquante  francs  jusqu'à  cinq  cents  francs.  J'en  ai 
fait  faire  douze,  dont  six  de  qualité  ordinaire,  pour  les  dif- 
férents chefs  voisins  des  deux  stations  du  Tanganyka  et 
des  Nyanza,  car  si  les  Pères,  dès  le  principe,  parviennent  à 
se  rendre. favorables  les  différents  chefs  qui  les  entourent, 
tout  est  gagné  et  leur  situation  est  faite  dans  le  pays.  Outre 
ces  roitelets,  nos  Pères  vont  avoir  affaire  à  deux  chefs  puis- 


77 

sants  et  intelligents  entre  tous,  dont  rinilaence  est  très- 
étendue  :  c'est  Mirambo  dont  j'ai  déjà  parlé  et  Mtésa,  ce 
roi  descendant  d'anciens  chrétiens  Abyssiniens,  qui  est  le 
BOurerain  de  l'Ouganda  et  du  territoire  qui  sépare  les  deux 
Myanza.  Gomme  il  faut  absolument  les  gagner,  j'ai  pensé 
envoyer  à  chacun  un  présent  digne  d'eux,  je  fais  faire  pour 
l'un  et  pour  l'autre  uu  superbe. manteau  royal  très-riche 
mais  très-cher. 

'^  Tout  cela  va  nécessiter  des  dépenses  considérables  et 
cependant  rigoureusement  nécessaires,  comme  Votre  Gran- 
deur peut  en  juger.  Je  doute  que  la  somme  de  quatre 
cent  mille  francs  puisse  sufBre.  Il  est  donc  possible  que 
je  sois  obligé  de  dépasser  cette  somme. —  Je  ne  le  ferai  que 
si  je  constate  une  absolue  nécessité^  car  je  suis  bien:  sûr  que 
l'intention  de  Votre  Grandeur  est  que  nous  ne  compromet- 
tions pas  une  telle  œuvre  par  d'imprudentes  économies  :  je 
crois  qu'il  vaut  mieux  faire  toute  chose  comme  il  faut,  la 
première  fois,  plus  tard,  on  verra  ;  ce  sera  à  bien  meilleur 
compte. 

*'  M.  Greffulhe  m'a  déjà  assuré  de  lui-même  que  si  le 
crédit  actuel  ne  suffisait  pas,  il  nous  ferait  toutes  les  avan- 
ces dont  nous  aurions  besoin.  Je  vous  serais  donc  recon- 
ifaissant,  Monseigneur,  d'écrire  le  plus  tôt  possible  à  M.  Ra- 
l)aud,  que  si  toutefois  mes  traites  sur  M.  Combes  dépassent 
les  chiffres  prévus,  il  veuille  bien  les  accecter  quand  môme. 
n'y  aurait  aussi  à  prévenir  M.  Combes.  Tputefois,  je  le 
répète,  je  ferai  tout  mon  possible  pour  ne  pas  dépasser  cette 
somme. 

^^  J'ai  appris,  avec  reconnaissance,  par  vos  télégrammes, 
que  l'Œuvre  de  la  propagation  de  la  foi  répondait  avec  em- 
pressement à  la  demande  du  Saint-Si^e,  pour  la  fondation 
de  ces  missions  nouvelles  ;  je  ne  doute  pas  qu'il  en  soit  de 
même  de  la  Sainte-Enfance,  et  nous  aurons  ainsi  de  quoi 
satisfaire  à  nos  obligations:  sans  eela  c'est  la  ruine. 

^^  Depuis  quelques  jours  la  masika  est  cessé,  le  soleil  a 
reparu  dans  toute  sa  majesté  équatoriale.  Plus  nous  nous 
rapprochons  du  solstice  de  juin,  plus  la  température  s'a- 
doucit. C'est  donc  le  bon  moment  de  se  mettre  en  route^ 
d'autant  plus  qiie,  selon  les  Araibes  venus  de  l'intérieur» 


.78 

Teau  sera  en  abondance  le  long  an  chemin  à  cause  des  der- 
nières pluies,  ce  qui  n'a  pas  toujours  lieu.  Je  pense  que  ioat 
sera  prêt  pour  que  les  Pères  puissent  partir  dès  qu'ils  se  se- 
ront un  peu  reposés  et  que  les  colis  qu'ils  apportent  d'Eu- 
rope seront  emballés.  Nous  les  attendons  le  30  mai.  Le 
moment  présent  est  donc  celui  de  notre  grosse  besogne. 

"  Votre  enfant  affectionné, 

F.  Charmetant^ 

"  Prêtre  miss." 

"  Zanzibar,  ce  30  mai  1878. 

"  Monseigneur  -et  Très-Vénéré  Père, 

^'  Je  ne  veux  pas  laisser  repartir  le  courrier  d'Europe 
sans  vous  dire  combien,  grâce  sans  doute  aux  nombreuses 
prières  qui,  de  toute  part,  s'élèvent  pour  nous,  notre  Missiou 
de  l'Afrique  équatoriale  est  visiblement  assistée  de  Dieu. — 
Maintenant  que  tout  est  fini  et  que  je  considère  ce  qui  vient 
d'être  fait  en  moins  d'un  mois,  ici,  à  Zanzibar  et  à  Bagamo- 
70,  cù  nous  avons  conduit  toutes  les  provisions  d'échange  et 
de  roule,  et  où  nous  avons  réuni  les  trois  cents  porteurs  qui 
seront  nécessaires  à  une  semblable  caravane,  maintenanl| 
dis-je,  que  je  considère  tout  cela  aujourd'hui,  je  m% 
demande  comment,  sans  un  miracle  d'en  haut,  tout  cela  a 
pu  se  faire  ainsi  sans  difficultés,  sans  entraves,  en  aussi  peu 
de  temps  et  avec  un  succès  aussi  complet  7  J'avoue  que 
pendant  ce  mois  de  dur  labeur  et  de  préoccupations 
écrasantes,  nous  avons  senti,  le  Père  Deniaud  et  moi,  l'as- 
sistance de  Dieu,  au  milieu  des  mille  et  mille  préparatifs 
que  nécessite  l'organisation  d'une  caravane  devant  suffire  à 
un  voyage  de  huit  mois  au  moins  pour  des  missionnaires 
qui,  en  outre,  doivent  s'installer  dans  deux  stations  diffé- 
rentes ety  attendre  peut-être  un  an  avant  d'être  ravitaillés  ; 
tout  cela  dans  un  pays  où  aucune  monnaie  n'a  cours,  à  Tex- 
ception  d'étoffes  ou  autres  objets  d'échange,  qu'on  esi  rigou- 
reusement obligé  déporter  avec  soi.-^Aussi  n'avons-noas 
pas  hésité  à  y  aller  assez  largement  pour  cette  première  ex- 
pédition, qu'il  importe  de  ne  pas  compromettre  par  d'intem* 
pestives  économies.    C^s  provisions  d'échange,  jointes  aux 


79 

provisions  de  routa  et  d'installation  et  aux  colis  particu 
liera  qu'apportent  les  Pères,  s'élèveront  au  moins  à  cent 
quintaux  métriques  tout  compris,  pour  les  dix  Pères  et  leurs 
deux  stations. —  Il  faut  trois  porteurs  pour  un  quintal,  c'est 
donc,  au  moins,  trois  cents  pagazis  que  j'ai  4û  trouver  sur 
la  côte  d'Afrique,  en  face  de  Zanzibar,  et  par  un  bonheur 
inespéré,  ils  sont  aujourd'hui  tous  réunis  &  Bagamoyo,  au- 
près des  Pères  du  Saint-Esprit,  et  attendent  notre  départ, 
qui  pourrait  avoir  lieu  demain,  si  les  Pères  n'avaient  be- 
soin de  se  rétablir  des  fatigues  de  leur  rude  voyage  sur 
mer.  Nous  pensons  quitter  S^nzibar  dans  huit  jours,  et 
Bagamoyo,  le  lundi  de  la  Pentecôte,  sous  les  auspices  du 
Saint-Esprit,  qui  conduisait  les  apôtres. 

^<  Une  telle  promptitude  a  stupéfié  tout  le  monde  ici.  Le 
consul  de  France  nous  disait  encore  hier  au  Père  Deniaud 
et  à  moi  :  "  Vous  avex  réalisé  une  chose  inouïe  à  Zanzibar, 
c'est  l'organisation  d'une  caravane  pour  dix  hommes  en  3 
semaines,  tandis  que  tous  les  explorateurs  ont  mis,  jusque- 
là,  quatre  ou  cinq  semaines  pour  préparer  l'expédition  qui 
devait  les  conduire  eux  seuls  !  "  Il  ajouta:  ^^  Depuis  plu- 
sieurs mois  déjà,  nous  avons  ici,  à  Zanzibar,  cinq  expédi- 
tions qui  se  préparent.  Trois  protestantes,  une  allemande 
pour  la  science,  et  une  belge  pour  l'exploration.  Toutes  se- 
raient prêtes  à. partir  si  elles  avaient  des  pagazis  (porteurs). 
Ils.  n'en  trouvent  point,  quand  vous.avfez  les  trois  cents 
dont  vous  avez  besoin  !"  Nous  les  payons  cent  francs  l'un 
pour  les  trois  ou  quatre  premiers  mois  de  voyage  jusqu'à 

Tabora  dans  FOunyanyembe,  noB^  compris  la  nourriture 
que  nous  devons  leur  procurer  en  route.    C'est  donc  notre 

caravane,  la  dernière  venue,  qui  s'ébranlera  la  première 

comme  le  Saint-Siège  le  désirait  et  comme  nous  en  avions 

pris  l'engagement  vis-à-vis  de  luil  Dieu  le  veut  ainsi,  en 

faveur  de  la  vérité  et  de  ses  apôtres  !  A  côté  de  tout  cela  il 

y  a  eu  l'épreuve.    J'ai  eu,  entre  autres  misères,  pendant  4 

jours  une  fièvre  ardente  àBagamoyadans  le  moment  môme 

où  nous  faisions  mettre  nos  marchandises  en  petits  ballots 

par  nos  porteurs.    J'ai  pu  cependant,  entre  les  accès,  me 

faire  porter  sur  les  lieux  où  travaliaient  nos  pagazis,  pour 

aider  le  Père  Deniaud,  en  inscrivant  tout  ce  qui  entrait 


80 

-dans  chaque  ballot  Novs  tenions  teint  à  ce  que  tootffti 
achevé  pour  i'anrivée  de  nos  Pères  1  Je  fais  mettre  en  ce  me» 
ment  en  petits  ballots  tout  ce  quHls  ont  apporté.  Commd 
ces  casques,  ces  habits  ûorês  et  ces  plumets  vont  produire 
de  Teifet;  mais  que  de  dépenses  I  certainement  quatre  cent 
Inille  francs  ne  suilîront  pas. 

"  Je  pense  pouvoir  mettre  moi-même  nos  confrères  eiï 
route  :  mais,  hélas  1  il  faudra  m'àrréter  comme  Moïse  à  la 
Sainte-Montagne,  lés  voir  marcher  vers  la  Terre-Promise 
avec  la  Ibannière  blanche  à  croix  blene  qn*ils  ont  apportée 
d'Alger  ;  puis  je  devrai  reprendre  seul  ce  chemin  d'Europe 
-où  je  n'arriverai  que  dans  la  première  quinzaine  d'août,  car 
la  prochaine  malle  ne  quitte  Zanzibar  que  le  30  juin. 

"  Votre  enfant  dévoué  en  Notre-Seigneur, 

"  Chabmetant, 

"  Prêtre  Missionnaire. 

"  P.  5. — Le  Père  Livinhac  nous  est  arrivé  très-fatigné 
depuis  Aden.  Le  repos  lui  fera  du  bieu.  Le  Père  Horner 
nous  rend  de  très-grand  services.  Ils  a  voulu  nous  avoir 
chez  lui  :  nous  vivons  en  communauté  à  part  et  nous  pay 
ons  toutes  nos  dépenses.^' 

Mgr  Lavigerie,  eirchevôque  d'Alger,  écrivait  le  20  oc- 
tobre 1878  ;  à  la  maison  des  Missionnaires  d'Alger  à  Paris. 

''.  Je  voulais  d'abord  attendre  le  courrier  de  Zanzibar,  qui 
doit  arriver  à  Alger  vers  la  fin  de  ce  mois,  pour  vous  don 
ner  des  nouvelles  plus  récentes  et  plus  complètes  des  deux 
compagnies  de  Missionnaires  d'Alger  parties,  il  y  a  deux 
mois,  pour  se  rendre  aux  grands  lacs  de  l'Afrique  équato- 
riale. 

"  Je  préfère,  toute  réflexion  faite,  vous  communiquer  les 
nouvelles  que  nous  avons  déjà  reçues,  afin  de  vous  donner 
plus  tôt  ce  témoignage  de  notre  reconnaissance. 

^*  Nos  missionnaires  étaient  déjà  arrivés,  à  l'époque  de 
leurs  dernières  lettres  &  Mpouapoua,  qui  est  à  moitié  che- 
min du  lieu  où  ils  doivent  se  séparer^  pour  aller  créer  deux 
missions  distinctes    L'une  de  ces  missions  doit,  comme 


81 

TOUS  le  saves,  formée  un  pirenki^r  Vreârîàt  dont  le  ciëiatre 
sera  entre  les  lacs  Victoria  et  Albert-Nyànsa,  et  l'autre  ini 
second  vicariat  aaiielàdU  Ijsic'Tanganika. 

(^  Je  me  borj;ie  à  voua' communiquer  les  détails  qui  regar- 
dent le  voyage  de  nos  missionnaires.  Je  laisse  de  côlé  ce 
qui  a  trait  à  Torganisation  3ê  leur  caravane.  Ces  derniers 
détails  ressembleraient  à  tous  ceux  qui  ont  déjà  été  publiés 
en  Europe  par  les  précédents  explorateurs.  Qu'il  me  suffise 
de  vous  dire  qu'il  ne  leur  a  pas  fallu  moins' de.  quatre  cent 
cinquante  nègres  pour  les  accompagner  et  porter  les  objets 
nécessaires  aux  échanges  dans  Tmtérieur,  ainsi  que  ceux  qui 
serviront  à  leurs  nouveaux  établissements. 

^'  C'est  au  commencement  du  mois  de  juin  que  les  Pères 
d'Alger  ont  quitté  la  côte  pour  pénétrer  dans  l'intérieur  de 
l'Afrique.  Depuis  ce  temps,  les  nouvelles  que  nous  avons 
xeçues  d'eux,  à  plusieurs  reprises,  sont  bonnes,  grâces  ^à 
Dieu.  Tandis  que  la  caravane  des  explorateurs  belges  su- 
bissait un  échec  qui  paraissait  devoir  prendre  d'abord  les 
proportions  d'un  désastre,  nos  missionnaires  franchissaient 
heureusement  les  premiers  obstacles,  sous  la  visible  protec* 
lion  de  Notre-Seigneur.  Espérons  qu'elle  les  suivra  jus- 
qu'au bout  de  leur  grande  et  périlleuse  entreprise  et  que 
PÉglise  catholique  aura  la  première  l'honneur  et  la  joie  de 
prendre  possession  avec  eux  de  tant  de  contrées  encore  in- 
iconnues. 

^^  En  attendant  le  journal  de  voyage  que  nos  frères 
doivent  nous  envoyer  tous  lea  trois  mois,  je  vous  commu- 
nique, sous  ce  pli,  quelques  extraits  de  leurs  lettres  adres- 
sées, soit  à  leurs  confrères,  spit  à  moi«méme. 

'^  J'espère  que  ces  premiers  renseignements  intéresseront 
vos  pieux  associés  et  les  exciteront  à  unir  leurs  prières  aux 
nôtres  pour  assurer  le  succès  d'une  si  importante  entrepri. 
se. 

^^  A  leurs  prières  quelques-uns  d'entre  eux  voudront,  sans 
doute,  joindre  aussi  leurs  aumônes  ;  car,  Je  ne  le  vous  cache 
pas,  mon  grand  spuci  est  de'poomroijr  aux  frais  d'une  expé  - 
^ition  aussi  coûteuse  et  de  ne  pas  laisser  mes  pauvres  en* 
iants  exposés  à  maaquer  de  tout.  . 

*^  La  fondation  de  missions  semj^lsbles  sort  de  toutes  lea 


•     82 

proportioas  ordinaires  et  exige  des  dépenies  auxquelles  une 
ŒuYre  seule  ne  saurait  suffire. 

"  f  Charlbs, 

"  Archevêque  d'Alger.  " 


JOURNAL  d'un  missionnaire.  —  LB  DÉPART, 

Aujourd'hui,  16  juin,  jour  cher  à  toutes  les  âmes  qui 
aiment  le  Sacré-Cœur,  et  fête  de  la  Sainte-Trinité,  est  le  der- 
nier jour  que  nos  missionnaires  vont  passer  avec  des  Eu- 
ropéens :  demain,  ils  vont  traverser  le  Kingani,  et  s*avan* 
cer  seuls  avec  leurs  noirs  compagnons  de  route  vers  les  tri- 
bus de  l'inférieur. 

Le  soir,  je  me  rends  au  camp  de  Ghambâ  pour  faire  la 
distribution  des  munitions  à  Tescopte  armée,  et  donner  les 
dernières  instructions,  afln  que  dès  le  matin  la  caravane 
s'ébranle  et  se  mette  en  mcarche  vers  la  prejtnière  étape,  au- 
delà  du  fleuve.  J'envoie  aussi  le  capitaine  de  la  troupe 
pour  traiter  le  passage  de  ce  fleuve.  A  l'aide  d'énormes 
pirogues  taillées  dans  un  tronc  d'arbre  par  des  nègres,  qui 
se  sont  réservé  ainsi  le  monopole  du  passage,  on  arrive  sur 
la  rive  opposée  du  fleuve. 

Je  reviens  à  Bagamoyo,  harassé  de  fatigue,  après  avoir 
assigné  à  chaque  missionnaire  la  place  qu'il  devra  occuper 
pencTant  la  marche  de  la  caravane. 

Pour  la  bonne  surveillance  d'une  caravane  aussi  consi 
dérable,  on  décida  que  deux  misssionnaires,  le  P«  Promeau 
et  le  F.  Amans,  seraient  à  ravant-garde,-les  PP.  Deniaud 
et  Delaunay  surveilleraient  le  centre  de  la  colonne  ;  et  enfin 
les  deux  supérieurs  de  mission  les  PP.  Livinhac  et  Pascal 
fermeraient  la  marche  avec  Jes  autres  Pérès.  Ce  serait  Té- 
tat-major. 

Dès  le  matin,  vers  six  heures,  je  quitte  la  Mission  de  Ba- 
gamoyo avec  le  Père  Baur  et  le  Frère  Osear  qui  ont  bien 
voulu  m'accompagner.  Said  Màkran,  FArabe  si  dévoué,  a 
désiré  voyager  avec  nous* 

Chaque  missionnaire  a  pris  ses  longues  bottes  de  voyage^ 
car  au-delà  de  Chambft,  pour  arriver  au  Ktûgani,  il  y  a  bien 


83     . 

des  marais  à  traverser.  J'aimais  à  les  voir  dans  leur  ac- 
<}Outrement  de  voyage,  le  fusil  sur  Tépaule,  la  gourde  au 
côté,  coiffés  de  leurs  larges  chapeaux  de  liège  et  montés 
sur  un  âne,  la  seule  bote  domestique  qui  résiste  un  peu  à 
la  terrible  mouche  venimduse,  la  tsétsé  corum.  Je  n'avais, 
pas  de  bottes,  oo  me  fit  prendre  à«Bagamoyo  une  paire  de 
guêtres  bien  précieuses,  celles  de  riUustre  Livingstone,  il 
s'en  servait  quand  la  mort  est  venue  le  surprendre  dans  ses 
excursions  africaines.  Tout  ce  qui  lui  appartenait  avait  été 
religieusement  apporté  à  la  côte  par  ses  deux  fidèles  'servi- 
teurs, les  nègres  Souzi  et  Ghouma,  en  môme  temps  que  son 
corps.  Chose  inexplicable,  tous  ces  objets  furent  mis  à  l'en-, 
can. 

Les  Pères  ont  acheté  ses  quôtres  et  le  matelas  sur  lequel 
il  est  mort.  Il  était  en  caoutchouc  et  divisé  en  trois  parties. 
La  Maison-Française  a  acheté  sa  légendaire  casquette  :  elle 
se  trouve  à  Marseille  chez  M.  Rabaud. 

Notre  petite  caravane  cheminait  paisiblement  depuis  quel- 
que temps  le  long  des  étroits  sentiers  qui  serpentent  à  travers 
les  champs  de  cannes  à  sucre,  de  manioc  et  de  sorgho  qui 
entourent  Bagamoyo. 

Nos  ânes,  portant  un  bât  pour  la  première  fois  de  leur 
vie,  grâce  à  l'industrie  du  Père  Barbot,  s'avançaient  mélan- 
coliquement à  la  suite  les  uns  des  autres,  tandis  que  leurs 
cavaliers  animaient  la  route  de  leurs  joyeux  propos,  comme 
des  soldats  en  marché  vers  la  frontière  ennemie.  Tout  à 
coup  les  éclats  de  joie  redoublèrent^  le  meilleur  cavalier,  le 
Père  Delaunay  venait  d'être  jeté  à  terre  par  sa  méchante 
monture,  avec  armes  et  bagages:  Le  bât,  encore,  neuf,  n'a- 
vait pas  été  suffisamment  sanglé  ;  et  le  rusé  animal  sentant 
sa  charge  pencher  à  droite,  donna  uneadroite  secousse  de  ce 
côté  et  renversa  son  cavalier.  On  le  rechargea  et  on  con- 
tinua  la  route.  Au  bout  de  dix  minutes,  nouvel  accident 
et  nouvelle  halte,  encore  le  Père  Delaunay  par  terre,  mais 
cette  fois  du  côté  opposé  à  la  première  fois. 

Nous  arrivâmes  enfin  sànd  autre  encombre  au  camp  de 
Ghambà  que  nous  trouvâmes  en  déménagement  pour  se 
rendre  à  la  halte  suivante^  selon  les  instructions  que  j^étais 
venu  donner  la  veille.   Dés  le  matin,  deux  cents  pagazis^ 


.84 

ayant  à  leur  tète  le  Père  Dromeau  et  le  Frère  Amans 
avaient  pris  la  route  du  fleuve.  Douze  soldats  de  l'escorte 
conduisant  neuf  ftnea  porteurs  des  provisions  les  accompa- 
gnaient. 

Nous  arrivâmes  au  camp  vers  neuf  heures,  il  offrait  ua 
coup  d'œil  intéressant  et  animé:  tout  le  monde  semblait 
prêt  à  partir  :  les  ballots  étaient  dressés  près  d'un  arbre, 
sur  leurs  supports  réunis  en  forme  d'éperon,  et  attendant  les 
épaules  des  porteurs.  I^es  caisses  sont -ficelées  à  chaque  bout 
des  bâtons  qui  doivent  aider  à  les  porter  ;  des  pagazis  sont 
assis  par  dessus  et  semblent  attendre  le  signal  du  départ  : 
quelques-uns  groupés  en  cercle,  achèvent  de  prendre  leur 
frugal  repas  composé  de  racines  de  manioc  cuites  sous  la 
cendre  et  de  grains  de  sorgho  piles. 

Un  plus  gr^nd  nombre  accroupis  autour  du  foyer  en 
plein  vent,  qui  a  fait  cuir  leurs  aUments,  fument  leurs 
narguillés  formés  d'une  calebasse  au  long  col,  servant  de 
tuyau,  et  d'un  fourneau  en  forme  de  grosse  pipe  fixé  à  nn 
roseau  que  Ton  plonge  dans  la  calebasse  où  se  trouve  l'eau 
à  travers  laquelle  passe  la  fumée. 

Au  milie^u  de  cette  noire  troupe  d'hommes  nus,  les  mis- 
sionnaires plient  leurs  tentes,  fixent  leurs  lits  enroulés, 
clouent  des  caisses  ;  et,  par-dessus  tout  ce  monde,  le  dra- 
peau du  Sacré-Cœur  flotte  au  vent,  c'est  là  notre  signe  de 
ralliement.  Tout  cela  donne  un  spectacle  grandiose  et  peu 
nsité,  le  Père  Baur  v*eut  le  prendre  en  photographie  ;  mais 
l'ensemble  original  et  le  mouvement  ne  peuvent  être  re- 
produits. La  photographie  demeurera  bien  au-dessous  de 
la  réalité. 

A  notre  arrivée,  je  fais  partir  encore  une  cinquantaine 
de  pagazis  dans  la  direction  du  fleuve.  Il  m^est  impossible 
de  faire  partir  les  autres  :  leurs  Kirangozis  (chefs  de  groupe) 
n'ont  pas  encore  reçu  leur  Djoho  du  morceau  d'étoffe  rouge 
dont  ils  se  servent  comme  d'un  manteau  et  quelquefois  de 
coiffure,  en  le  roulant  comme  un  turban  autour  de  la  tête. 
Ils  tiennent  à  cette  manque  de  distinction  et  ne  veulent  pas 
partir  avant  de  l'avoir  reçue.  *I1  faut  envoyer  immédiate- 
ment un  exprès  au  Hindi  à  Bagamoyo.  C'est  vers  deux 
liôures  que  l'étofife  arrive..   La  distribiition  faite,  le  camp* 


85 

se  lève  et  tout  ce  monde  se  met  en  marche  derrière  la  ban- 
nière  du  Sacré-Cœur,  le  précieux  drapeau  est  confié  au 
principal  Kirangozi.  Nos  porteurs  me  demandent  comme*, 
dernière  faveur  de  passer  encore  la  nuit  là,  promettant  de 
partir  le  lendemain  aux  premières  lueurs  du  jour.  Je  m'y 
oppose,  persuadé  que  les  deux  tiers  retourneraient  à  Baga- 
moyo  pour  y  passer  cette  dernière  nuit. 

Les  Pères  Deniaud  et  Delaunay  partent  avec  eux,  ainsi 
que  le  Frère  Oscar. ,  Mais  une  centaine  seulement  sont  là 
pour  partir.  Les  autres  malgré  notre  défense  et  la  vigi- 
lance de  quelques  soldats  de  notre  escorte  ont  trouvé  le 
moyen  de  reprendre  le  chemin  de  la  ville.  Nous  nous  dé- 
cidons donc  à  passer  la  nuit  là  pour  les  attendre,  et  en  re- 
vanche leur  imposer  demain  double  marche. 

Dans  raprès-midi  le  lieutenant  Wau)ier,  un  des  trois 
membres  de  l'expédition  belge,  nous  arrive  au  camp  avec 
des  habits  trempés  d'eau  et  de  boue.  L'explorateur  était 
allé  au  Kingani  afin  de  jouir  du  coup  d'œil,  et  de  la  ma- 
nière qa'il  fallait  s'organiser  pour  faire  passer  sa  carUvane 
quand  le  moment  du  départ  arriverait.  L'expérience  a 
toujours  été  la  meilleure  des  leçons.  En  revenant  son 
âne  la  jeté,  dans  les  marais.  Il  se  restaure  un  peu  et  re- 
prend Ta  route  de  Bagamoyo  avec  le  Père  Baur  qui  fait  ses 
adieux  à  mes  confrères. 

Les  retardataires  arrivent,  le  soir  les  uns  après  les  autres, 
•les  derniers  arrivent  pendant  la  nuit.  La  dernière  soirée 
que  j'ai  passée  avec. mes  confrères  laissera  dans  mon  souve- 
nir des  traces  bien  profondes.  Nous  avons  préparé  nous- 
mêmes  notre  souper,  en  creusant  dans  la  terre  un  foyer  à 
la  façon  des  Wouirya-Sfouêzi;  par^dessus  est  la  marmite 
où  cuit  le  riz  ;  à  la  flamme  qui  s'échappe  tout  autour  nous 
faisons  rôtir  une  poule  embrochée  à  une  baguette  fixée  en 
terre  ;  sous  la  cendre  du  brasier  cuisent  nos  racines  de  ma- 
nioc, ce  sera  désormais  là  le  fond  de  la  nourriture  des  mis- 
sionnairôs.  Le  pain,  ils  n'en  goûteront  plus  et  pour  vin 
ils  auront  l'eau  des  fleuves,  et  quand  celui-ci  fera  défaut  : 
l'eau  fangeuse  des  fondrières. 

Ce  repas  fut  pris  en  plein  air.  La  soLrée  était  délicieuse  ; 
dans  l'enceinte  du  camp,  nos  pagazis,  séparàs  par  groupes^. 


•  86 

autour  de  leurs  feux,  fumaient  leurs  narguillés  rustiques, 
en  devisant  avec  ces  éclats  de  voix  propres  à  de  pauvres 
sauvages,  tandis  qu'à  demi  couchés  ils  étalaient  leurs  mem- 
bres nus  à  la  flamme  de  leurs  foyers,  dont  les  reflets  tantôt 
rouges,  tantôt  blafards,  donnaient  à  ces  corps  de  démon 
une  forme  étrange  et  fantastique.  Le  bruit  de  leurs  con- 
versations cessa  peu  à  peu  avec  les  lueurs  de  leur  feu.  Ils 
s'endormaient  à  terre  sur  leurs  peaux  de  bœuf,  ou  sur  leurs 
pagnes  déroulés,  le  seul  morceau  d'étofFe  qu'ils  portent  au- 
tour de  leur  ceinture  en  guise  de  vêtement. 

Nous  contemplions  ce  sï^ectacle  nouveau  pour  nous,  mais 
qui  pour  les  Pères  partant  allait  devenir  celui  de  chaque 
soir;  et  nous  prolongeâmes  bien  avant  dans  la  nuit  les 
douces  causeries  du  dernier  entretien  que  nous  avions  en- 
semble. 

Il  est  recommandé  à  l'Européen  de  ne  jamais  s'exposer  à 
coucher  à  la  belle  étoile  (ce  que  nous  faisions  si  facilement 
en  Algérie),  s'il  veut  éviter,  dans  ces  contrées  extrômemenl 
humides,  les  plus  sérieux  accidents.  Nous  allâmes  donc 
prendre  notre  sommeil  dans  uae  hutte  de  nègre  en  torchis 
et  recouverte  en  feuilles  de  cocotier. 

Mardi,  18  juin. 

Le  lendemain  nous  trouvons  à  notre  réveil  la  plupart  de 
nos  retardataires  prêts  à  partir.  Nous  levâmes  le  camp 
vers  six  heures,  après  avoir  pris  un  peu  de  café  fait  à  la 
bâte.  Il  restait  encore  cinq  ballots  sans  porteurs,  ces  der- 
niers n'étaient  pas  encore  arrivés  de  Bagamoyo. 

Nous  laissons  un  soldat  de  confiance  pour  les  attendre 
et  les  accompagner  pour  nous  rejoindre.  Nous  nous  met- 
tions en  route  quand  un  exprès,  envoyé  par  le  Père  Baur, 
me  remit  quelques  lettres  d'Europe  qu'un  courrier  extraor- 
dinaire avait  apportées  d'Aden  à  Zanzibar.  La  lecture  de 
ces  lettres  inattendues  me  fit  du  bien. 

Notre  marche  vers  le  fleuve  s'engage  d^abord  à  travers 
des  champs  de  hauts  maniocs,  de  moutama  (sorgho  sucré), 
et  de  rizières  à  perte  de  vue.  A  une  demi-heure  du  camp, 
nous  descendons  une  espèce  de  rampe  qui  sépare  la  mrima 
du^bassin  du  fleuve,  et  du  haut  de  laquelle  la  vue  s'étend 


«7 

sur  d'immenses  marais  qui  ont;  plus  d'une  liede  de  lar- 
geur. 

A  vue  d'œil,  c'est  une  grande  prairie,  aux  herbes  hautes 
de  trois  à  quatre  pieds,  où  les  hippopotames  viennent  cha- 
que ndit  en  toute  sécurité  prendre  leur  pâture,  car  les  nè- 
gres Jeurabandonnentcomplëtem0nt  cette  immense  et  riche 
plaine,  que  quelques  travaux  d'assainissement,  drainages 
et  canaux  transformeraient  en  un  sol  éminemment  propre 
à  la  culture  du  riz  et  de  la  canne  à  sucre. 

Derrière  ces  hautes  herbes,  notre  œil  ne  découvrait  pas 
les  fondrières  boueuses,  à  travers  lesquelles  nous  allions 
nous  engager. 

Le  R.  P.  Liviuhac  écrit  le  26  juin  1878  : 

Nous  n'avons  pas  encore  quitté  les  terres  basses,  qui,  de 
rOcéan,  s'étendent  aux  montagnes  de  TOussigoua.  C'est 
vous  dire  que  nous  sommes  encore  dans  la  région  des 
fièvres.  Aussi  cette  importune  visiteuse  nous  poursuit-elle 
avec  acharnement.  Nous  avançons  quand  n[iême,  mais  len- 
tement; car  outre  la  fièvre,  nous  avons  affaire  à  des  com- 
pagnons de  route  qui  ignorent  toute  espèce  de  discipline,  et 
qui  ne  font  du  chemin  que  ce  qu'ils  veulent. 

Ces  pauvres  sauvages  ont  failli  même,  tout  récemment, 
faire  la  guerre  entre  eux  ;  et,  sans  notre  intervention  éner- 
gique, qui  a  fini  par  être  écoutée,  je  ne  sais  ce  qui  serait 
arrivé. 

Le  conflit  éclata  entre  les  a$karis  (1)  et  nos  pahazis  (2).. 
Ces  derniers  sont  tous  de  l'Ounyaraouëzi,  dans  l'intérieur, 
tandis  que  les  askaris  viennent  de  la  côte  ou  de  Zanzibar 
L'origine  de  la  dispute  tenait  à  bien  peu  de  chose.  C'était 
un  simple  bouchon  de  bouteille,  perdu  par  un  soldat  et 
trouvé  par  un  Ounyamouëzi  qui  aurait  voulu  en  faire  sa 
propriété.  Ces  têtes  de  nègres  se  montent  vite.  Les  deux 
camps  étaient  déjà  formés,  les  Qèches  dans  les  arcs,  les 
lances  levées,  les  fusils  prêts  à  partir  et  le  feu  était  mis  aux 
palissades  et  broussailles  qui  fermaieiit  le   camp.   Heu- 


(i).  Gens  de  l'escorte  ariQiôe. 
(2).  Lofi  porteurs. 


es 

reusement  nous  avbns^vl  te'Cem^  de  â^as  interposer,  et  la 
paix  a  pu  se  rétablir.  Mais  nous  serons  probablememobli* 
gés  dé  renvoyer  <jùelqtiôB'brOuillôli9.  • 

Jusqu'à  ce  jour  nous  achetions  et  faisions  distribuer 
nous-mêmes  le  poelw  (nourri tuîl^e)  de  û'os  450  hommes.  Au- 
jourd'hui, ils  préfèrent  ëû  recevoir  le  prix  et  se  la  procu- 
rer eux-mêmes.    Ce  sont  dé  vrais  enfante* 

Le  môme  missionnaire  écrit  le  4  juillet  : 

Notre  caravane  chemins,  tout  doucement  à  travers  les  fo- 
rêts et  les  jungles  de  l'Afrique  équatoriale.  Nous  voilà  en 
marche  depuis  dix-huit  jours,  et  nous  sommes  à  peine  à 
quarante  lieues  de  la.  côte.  Ce  qui  nous  console,  c'est  que 
les  quelques  voyageurs  qui  nous  ont  précédés  marchaient 
encore  plus  lentement  que  nous  sur  cette  route  jusque-là  si 
peu  fréquentée. 

Nous  avons  tous  été  atteints  de  la  fièvre  dans  l'Oukouéré  ; 
et  ce  n'est  qu'à  force  de  vomitifs  et  de  quinine  que  nous 
nous  en  sommes  débarrassés.  Nous  sommes  maintenant 
dans  un  pays  montagneux;  nous  espérons  que  l'air  pur 
nous  remettra  complètement. 

Nous  ne  souffrons  pas  trop  du  soleil  de  Péquateur,  qui,  i 
cette  époque  de  l'année,  est  tolérable  dans  l'hémisphère  aus- 
tral :  une  moyenne  de  30^  centigrades,  à  l'ombre.  La  nuit 
dernière,  nous  n'avions  sous  la  tente  que  13o.  Aussi  faut-il 
voir  comme  nos  pagazis  couvent  leurs  feux,  rangés  en  cercle 
autour  de  chaque  foyer. 

Je  ne  vous  parle  pas  aujourd'hui  de  notre  nouveau  genre 
de  vie,  ni  de  toutes  les  misères  que  nous  avons  à  souffrir 
dans  ces  pays  sauvages.  Je  m'explique  que  beaucoup  de 
voyageurs  européens  aient  fini  par  se  décourager.  Pour 
nous,  au  contraire,  c'est  une  consolation  de  souffrir  pour  le 
bon  Maître  et  poux  les  âmes  qu'il  a  rachetées  ;  et  tous  nous 
supportons  gaiment  les  difficultés  et  les  privations.  Donc, 
à  la  garde  de  Dieu,  qui  nous  fait  éprouver  la  vérité  delà 
parole  de  saint  ï^aul  :  ''  Je  surabonde  de  joie  au  milieu  des 
tribulations.  " 

Quand  pourrons^nous  avoir  de  vos  chères  nouvelles? 
Nous  voilà  séparés,  et  pour  longtemps,  de  tout  ce  qui  est 


89 

ciyili^é.  C'a^t  bi^];i  Talontier?  qu^  npissaoua  passcTrions  des 
SQl^tioQs  avec  le  mpDâ9'|y(di(ique,i8i.il0Uft?pautlonscoTres« 
ppjadre  avec  nos  s¥ipéri#u|(s.9t.no0>GOD£rère8* 

-  Le  R.  P.  Deâiâiid  écriî,  W^  juUîet,  dès  Tyôrds  de  l'Ou- 
geiingeri  (Oussigoua)  :  ^    ■        '      . 

Nous  sommes  en  route  depuis  vingt-trois  jours.  Pendant 
ôe  temps,  nous  avons  tous  été  visitée  par  la  fièvre,  chacun 
à  notre  tour.  Depuis  que  nous  sommes  dans  TOussigoua, 
Pair  des  montages  nous  a  rendu  la  vie.  '  Nôtre  caravane, 
composée  de  450  hommes-  va  assez  bien.  Notiâ  n'avons  pas 
eu,  jusqu'à  présent,  toutes  les  misère*  des  Stanley,  des  Ca- 
meron,  etc.,  dont  les  pagarzis  -  désertaient  chaque  jour,, 
souvent  en  emportant  les  nlarchandises  cfni  leur  étaient 
confiées.  Noos  n'en  avons  eu  qu'un  seul  qui  ait  essayé  do 
s'enfuir.  C'est  un  des  soldats  improvijsés  de  notre  escorte 
armée.  Il  emportait  avec  lui  ses  armef ,  qui  toutes  nous  ap- 
partiennent, une  pièce  de  méricani([)^  et  plusieurs  pièces 
d'étoifes  de  couleur  qu'il  avait  volées  aut  autres  soldats. 

Dès  que  sa  disparition  fut  remarquée,  deux  askarîs  par- 
tirent à  sa  recherche.  Ils  le  rencontrërant:  dans  un  village 
où  nous  avions  passé  précédemment  et  dont  le  chef  l'avait 
fait  arrêter  et  lier  pour  nous  le  reconduire.  On  Ta  amené 
au  camp  ;  il  y  a  subi  un  vrai  conseil  de  guerre,  à  la  suite 
duquel  ses  anciens  compagnons  lui  administrèrent  une  rude 
bastonnade,  puis  on  lui  montra  le  chemin  de  Bagamoyo» 
après  lui  avoir  repris  ses  armes  et  Tétofftî  volée. 

Jusqu'à  ce  joiir,  aucune  des  tribus  nègres  que  nous  avons 
traversées  n'a  inquiété  notre  route.  Une  seule  fois  on  a  vou- 
lu nous  faire  payer  le  hougo  (2).  C'est  à  Simbaraouéni, 
ville  de  5,000  habitants,  capitale  de  l'Oussigoiia.  Il  parait 
que  la  puissance  de  cette  fameuse  capitale  est  bien  dimi 
nuée.  Sur  notre  réponse  que  le  voua  songou  (le  blanc)  no 
donnait  pas  le  tribut  à  ceux  qui,  d'après  la  coutume  établie, 
ne  lui  apportaient  pas  de  la  nourriture  en  échange,  le 
représentant  de  la  reine  est  allô  chercner  une  méchante 


(1).  Cotonnade  d'Amérique. 

(2)  Sorte  de  tribut  ou  droit  de  passage  que  certaines  villos  réclament 
aux  caravanes. 


90 

<:hèvre,  que  nous  avons  reluftte.  Cependant  nous  n^étioss 
campés  qu*à  un  mille  où  deux  de  la  rille  ;  et  nous  sommes 
restés  là  deux  jours  aûu  de  faire  des  vivres  pour  la  caravar 
ne.  C'est  probablement  la  vue  de  ces  dix  hommes  blancs 
^t  des  armes  de  nos  compagnons,  qui  a  effrayé  les  indigè- 
nes. 

Ce  malin  nous  avons,  pour  la  seconde  fois  et  sans  trop  de 
difficultés,  traversé  TOugeringeri,  un  affluent  du  KingauL 
Il  avait  à  peine  deux  pieds  d'eau  sur  une  largeur  de  20 
mètres.  Les  bords,  qui  ont  près  de  4  mètres  d'escarpement 
abrut,  n'offraient  des  difficultés  que  pour  les  ânes  ;  mais 
nous  les  poussions  dans  Teau,  et  ils  trouvaient  bien  le 
moyen  de  sortir  de  l'autre  bord. 

Après-demain  nous  entrerons  dans  la  plaine  de  la  Makata, 
qui,  à  la  saison  des  pluies,  devient  un  impraticable  marais. 
Certains  voyageurs  européens,  Cameron  surtout,  y  ont  beau- 
coup souffert*  On  dit  que  maintenant  il  n'y  a  aucune  dif- 
ficulté :  La  saison  actuelle  est  certainement  la  meilleure 
pour  voyager.  Depuis  notre  départ  de  Bagamoyo,  nous 
n'avons  pas  eu  une  demi-heure  de  pluie. 

Le  R.  P.  Livinhac  écrit,  le  16  juillet,  de  Ronga  Oussa- 
gara):  ^    . 

Voilà  déjà  un  mois  que  notre  caravane  est  en  route.  Le 
temps  m'a  paru  bien  court,  malgré  les  petites  ntiisères 
inhérentes  à  un  pareil  voyage.  Et  cependant  nous  n'avons 
jusqu'ici  qu'à  remercier  le  bon  Dieu.  Nous  rencontrons 
encore  moins  de  difficaltés  que  les  explorateurs  dont  nous 
vons  lu  les  écrits.  Nous  désirerions  parfois  que  nos 
pagnzis  fissent  des  étapes  un  peu  moins  courtes  ;  ils  ne 
marchent  jamais  plus  de  six  heures  par  jour,  et  s'arrêtent 
souvent  après  trois  et  quatre  heures  :  ces  braves  gens  ont 
leur  routine.  Arrivés  au  campement  qu'ils  ont  choisi,  il 
est  absolument  impossible  de  leur  faire  faire  un  pas  de 
plus. 

Quant  au  détail  de  nos  journées,  c'eat  à  peu  près  la  vie 
de  nos  communautés  ;  sauf  que  le  matin  nous  ne  pouvons 
dire  que  la  prière  en  commun.  Pour  l'oraison,  nous  som- 
mes obligés  de  la  faire  en  route.    Ce  n'est  pas  qu3  nous 


91 

restions  trop  longtemps  au  liL  Dès  quatre  heures  et  demie, 
nous  sommes  sur  pied  pour  plier  les  tentes  et  lever  le  camp  ; 
dé  manière  que,  aux  premières  lueurs  du  jour  qui  com- 
mence ^ci  vers  six  heures  en  toute  saison,  la  caravane 
puisse^ s'ébranler,  afin  d*dtre  au  premier  campement  avant 
les  ardeurs  de  midi. 

La  sainte  messe,  hélas  !  nous  ne  pouvons  la  célébrer  que 
bien  rarement.  C'est  là  notre  plus  grande  priyation.  Pour 
comble  de,  malheur,  la  chaleur  a  fait  ouvrir  les  quelques 
petits  barils  de  vio  que  nous  avions  apportés  de  la  Maison- 
Carrée  ;  (l)  presque  tout  a  coulé.  Il  ne  nous  en  reste  que 
quelques  litres,  que  nous  avons  pu  sauver  en  le  recueillant 
dans  les  bouteilles  que  nous  avions  sous  la  main.  Veuillez 
donc  nous  en  envoyer  le  plus  tôt  possible.  (2)  Pour  éviter 
tout  accident,  ne  vous  servez  plus  de*barils.  Mettez  le  vin 
dans  des  bouteilles  en  métal  que  vous  placerez  dans  des 
caisses  très-portatives,  et  cependant  assez  solides  pour  voya- 
ger jusqu'aux  grands  lacs,  sur  le  dos  de  nègres  fort  peu 
soigneux. 

J'ai  le  plaisir  de  vous* apprendre  que  cette  vie  nomade  ne 
me  fatigue  pas  du  tout  ;  je  me  porte  mieux  qu'à  la  Maison- 
Carrée  ;  et  même,  pour  le  quart  d'heure,  je  suis  un  des  plus 
forts  de  la  bande.  Cependant  j'ai  id  payer  mon  tribut  à 
l'Afrique  équatoriale.  Comme  tous  mes  confrères,  j'ai  eu 
plusieurs  accès  de  fièvre  ;  mais  l'ipéca  et  la  quinine  en 
viennent  à  bout.  Nous  voyageons  ordinairement  à  ânes, 
car  la  tsétsé  (3)  ne  les  a  pas  encore  décimés.  Ces  montures 
nous  rendent  les  plus  grands  services,  surtout  quand  nous 
avons  la  fièvre.    Sans  elles,  il  nous  serait  impossible  de 


(  l)  Yillago  d'Algérie  où  se  trouve  la  maison-mère  des  Missionnaires 

d'Alger. 

(2)  A  la  première  nourello  de  cet  accident,  le  R.  P.  Homer,  l'excellent 
supérieur  de  la  mission  de  Zanguebar,  leur  a  envoyé  une  provision  de 
vin  du  Gap. 

(3)  Mouche  dont  la  piqûre  venimeuse  est  mortelle  pour  la  plupart  des 
animaux  domestiques.  Elle  n'existe  que  dans  certainos  régions  du  cen- 
tre de  l'Afrique. 


92 

faire  l'élape.  U  est  vrai  que  de  temps  6ii  temps  nos  ânes 
trouvent  moyen  de  nous  jouer  quelques  tours.  Dernièie* 
ment  le  mien,  plus  têtu  encore  que  son  maître,  s'est  ren- 
versé sur  moi,  au  milieu  d^me  flaque  d'eau  boueuse. 

Nous  n'avons  pas  encore  fait  connaissance  avec  les  bètes 
féroces,  qui,  d'après  ce  qu'ont  écrit  les  explorateurs, *sani- 
Weraient  pulluler  dans  l'intérieur  de  l'Afrique.  Lions,  élé- 
phants, rhinocéros,  se  tienaent  prudemment  à  l'écart,  se 
réservant  sans  doute  pour  plus  tard. 

Nous  avons  traversé,  il  y  a  quelques  jours,  la  fameuse 
rivière  de  Makata,  qui  va  se  jeter  dans  l'Ouami,  après  avoir 
séparé  TOussigoua.  Bien  que  nous  ne  soyons  pas  dans  U 
saison  des  pluies,  elle  a,  en  ce  moment,  au  moins  de  trois 
à  quatre  mètres  de  profondeur.  Pour  passer  d'une  rive  à 
l'autre,  nous  n'avons* pas  trouvé  d'autre  pont  que  quelqru^ 
arbres  renversés  et  réunis,  par  de  simples  lianes.  Nos  ^ 
^azis  mirent  tout  un  jour  pour  traverser,  avec  leurs  far- 
deaux, de  si  vacillantes  passerelles.  Mes  confrères  et  moi 
nous  dûmes  le  franchir  à  quatre  pattes,  non  sans  péril. 

Et  nos  pauvres  ânes,  quelle  peine  ils  nous  donnèrent  1  II 
fallait  les  jeter  dans  la  rivière  en  les  faisant  rouler,  le  long 
d'un  talus,  presque  à  pic,  de  deux  à  trois  mètres  de  haut 
Puis,  au  moyen  d'une  longue  corde  attacliée  à  leur  cou,  on 
les  tirait  vers  l'autre  bord.  Lorpqu'ils  étaient  arrivés  là, 
nous  les  hissions  à  force  de  bras.  Nous  en  avons  vingt  ;  il 
nous  fallut  près  de  cinq  heures  pour  les  passer  tous. 

A  part  ces  désagréments,  l'Afrique  équatoriale  est  un 
pays  remarquablement  beau.  Aujourd'hui  nous  campons 
dans  une  plaine  splendide,  très-cultivée,  et  d'une  fertilité 
vraiment  incroyable,  au  pied  de  hautes  montagnes  qui  me 
rappellent  celles  de  notre  Rouergue.  Le  moutama  (sorgho 
sucré),  le  manioc,  les  bananes,  la  canne  à  sucre  abondent  ; 
il  y  a  beaucoup  de  poules  et  de  chèvres.  Malheureusement 
les  Anglais  ont  passé  par  là,  il  n'y  a  pas  longtemps.  Selon 
leur  coutume,  ces  braves  gens  ont  payé  sans  marchander; 
aussi,  malgré  l'abondance  du  pays,  nous  n'avons  pu  nous 
procurer  une  seule  poule,  tant  on  voulait  nous  les  vendre 
cher.  Nous  ne  voulions  pas  sanctionner,  pour  l'avenir,  de 
.tels  précédents. 


93 

Cette  dernière  expédition  anglaise  a  fait  un  vrai  tour  de 
force.  Elle  a  pu  amener  jasque-là,  après  de  longs  mois 
d'une  marche  pénible,  de  gros  chariots  ;  mais  la  fatigue, 
aidée  de  la  tsétsé,  a  détroit  le  troupeau  de  bœufs  employé  à 
cette  besogne.  Il  a  fallu  abandonner  là  les  véhicules  ;  et 
nous  avons  été  tout  étonnés  de  rencontrer  ces  magnifiques 
produits  de  la  civilisation,  dans  un  pays  si  primitif  et  si 
sauvage. 

Le  R.  P.  Pascal  écrit,  le  18  juillet,  à  Mgr.  Lavigerie  : 

Nous  n'avons  qu'à  remercier  le  bon  Dieu  de  la  manière 
dont  tout  a  marché  jusqu'ici.  Nous  avons  eu,  sans  doute, 
des  épreuves,  et  nous  en  avons  tous  les  jours  ;  mais  peut-il 
en  être  autrement  et  devons-nous  nous  attendre  à  autre 
chose  ?  C'est  l'œuvre  de  Dieu  que  nous' allons  entreprendre, 
chez  un  peuple  jusqu'à  présent  délaissé;  il' est  évident 
qu'une  œuvre  de  cette  nature  ne  peut  se  faire  que  lentement 
et  au  milieu  des  plus  grandes  épreuves. 

Tous  les  Pères  ont  eu  à  souffrir  du  climat,  et  actuellement 
encore  quatre  ou  cinq  sont  un  peu  malades.  Tout  cela. 
Monseigneur,  est  loin  de  nous  décourager,  et  Votre  Gran- 
deur peut  croire  que  nouç  n'en  poursuivons  pas  notre  route 
avec  moins  de  courage  et  de  gaieté.  Les  Pères  qui  sont 
malades  sont  soignés  aussi  bien  que  possible  par  ceux  qui 
sont  bien  portants;  et,  si  ceux-ci  tombent  malades,  à  leur 
tour,  comme  cela  nous  arrive  ordinairement,  ils  sont  soi- 
gnés avec  le  même  empressement  et  la  même  charité  par 
les  autres  jque  le'bon  Dieu  a  déjà  rendus  à  la  santé.  Les 
choses  étant  ainsi,  nous  ne  pouvons  que  nous  estimer  heu^ 
reux  et  bénir  le  Seigneur  des  petites  épreuves  personnelles 
qu'il  nous  envoie. 

Je  ne  dis  rien  à  Votre  Grandeur  des  incidents  qui  nous 
sont  arrivés  jusqu'ici,  de  .la  beauté  des  pays  que  nous  avens 
traversés,  des  difficultés  occasionnées  par  les  mauvais  che* 
mius,  des  dispositions  des  indigènes  ;  tout  cela  sera  relaté 
dans  les  deux  journaux  qui  vous  seront  envoyés  tous  les 
trois  mois. 

Je  crois  devoir  vous  dire.  Monseigneur,  que,  au  fur  et  à 
mesure  que  nous  approchons  de  notre  mission,  nous  sen- 


94 

tons  croJtre  notre  amour  pour  elle.  Nous  ne  sarons  pas 
si  les  peuples,  qui,  habitent  sur  le;  bords  des  grands  lacs, 
sont  aussi  bons  que  les  Ounyamouêzi  ;  mais  nos  porteur» 
sont  ordinairement  si  gais,  d'un  Tisage  si  ouvert,  et  ils  pa- 
raissent avoir  une  si  grande  confiance  en  nous  que,  si  nous 
étions  établis  au  milieu  d'eux,  nous  aurions,  semble-t-il,  en 
peu  de  temps  de  bons  chrétiens.  Quoi  qu'il  en  soit,  Monsei- 
gneur, nous  marchons  pleins  de  confiance  en  Dieu^  et  nous 
espérons  qu'il  mettra,  dans  les  cœurs  des  peuples  que  nous 
allons  évangéliser,  les  dispositions  nécessaires  pour  em- 
brasser notre  sainte  religion. 

Le  même  jour,  le  R.  P.  Pascal  écrivait  au  R.  P.  Deguerry^ 
de  Toupa  (Oussagara)  : 

Grâces  à  Dieu,  tout  va  maintenant- pour  le  mieux.  Nos 
pagazis,  heureux  de  s'en  retourner  chez  eux,  semblent  se 
hâter  davantage,  à  mesure  qu'ils  approchent  de  rOunyan- 
yeoihé,  leur  pays.  Ils  ne  nous  feront  donc  pas  faire  de 
trop  longs  séjours  en  route  :  et,  dans  un  mois  et  demi,  je 
pense,  à  moins  de  contre-temps  imprévu,  nous  seroQs  dans 
rOunyamouëzi,  chez  Mirambo,  le  principal  chef  de  cette 
contrée,  homme  actif,  intelligent  et  très-dévoué  aux  Euro- 
péens. , 

Bien  que  le  pays  que  nous  traversons  actuellement  soit 
plus  sain  que  la  Mrima  (1),  la  fièvre  cependant  continue 
encore  à  nous  visiter  quelque  peu.  Il  est  bien  rare  que,  au 
moment  des  repas,  nous  soyons  à  table  tous  ensemble.  Mais 
ces  épreuves  sont  loin  de  nous  abattre.  Nous  continuons 
notre  route  avec  la  môme  gaieté  et  le  même  courage  qu'au 
départ. 

Nous  demandons  à  Dieu  que  toutes  ces  misères  profitent 
aux  âmes,  vers  lesqlielles  nous  sommes  envoyés.  De  votre 
côté,  veuillez  prier  pour  nous.  Dites  aussi  à  nos  frères  da 
noviciat  et  du  soolasticat  que  nous  comptons  beaucoup 
sur  la  ferveur  de  leurs  prières.  Veuillez  leur  recommander 
chaudement  cette  œuvre,  qui  est  la  leur  comme  la  nôtre. 


(i),  Nom  indigène  donné  aux  terres  de  la  région  maritiâie. 


9S 

Le  R  P.  Livinhae  ècriti  le  27  juillet,  de  Hpouapoua,  en 
lace  de  l'Ougogo  :  ' 

n  y  a  déjà  plus  de  quarante  jours  que  nous  sommes  en  ' 
route  ;  et  nous  Toili  enfin  à  Mpouapoua,  à  moitié  chemin 
de  Tabora,  dans  l'Ounyanyembé,  où  nous  devons  changer 
de  pagazis,  et  où  notre  caravane  se  divisera,  une  moitié 
pour  prendre,  au  nord,  la  route  des  lacs  Nyacza,  qui  se 
trouvent  sous  Féquateur,  l'autre  pour  continuer  à  Touest, 
jusqu'au  Tanganika. 

Notre  caravane  ne  marche  pas  trop  mal  maintenant  Les 
askaris  surtout  font  un  peu  mieux  leur  devoir,  depuis  que 
nous  avons  pris  le  parti  de  renvoyer  sept  ou  huit  brouillons, 
qai  montaient  la  tète  aux  autres.  Le  meilleur  moyen  de 
venir  à  bout  de  ces  pauvres  gens,  c'est  de  montrer  une 
grande  fermeté.  Quant  aux  déserteurs,  si  fréquents  chez 
nos  devanciers,  il  n'y  en  a  plus  eu  depuis  celui  de  Simba- 
mouéni. 

Nous  avons  visité  les  ministres  anglais,  établis  ici  ;  ils 
nous  ont  bien  regus.  Le  pays,  depuis  quelques  jours,  ne 
nous  parait  pas  aussi  beau  que  le  dit  Stanley. 

Les  vivres  sont  chers  à  Mpouapoua,  par  suite  sans  doute 
4e  la  présence  des  Anglais.  Généralement  tout  a  augmenté, 
dans  les  pays  où  circulent  le iplMBles voua songou  (les blancs.) 
Adieu,  et  priez  pour  nous. 

Le  môme  jour,  le  R.  P.  Livinhac  écrivait  à  Mgr  Tarche- 
vôque  d'Alger  : 

Nous  voilà  arrivés  à  moitié  chemin  de  rOunyamouézî, 
ou  plutôt  de  Tabora,  centre  important  de  ce  royaume,  où 
nous  changerons  de  porteurs,  et  où  nous  nous  séparerons 
pour  prendre  le  chemin  de  nos  missions  respectives.  Nous 
devons  rendre  au  Sacré-Cœur  de  Jésus  et  à  la  bonne  Mère 
de  grandes  actions  de  grâces,  pour  la  protection  qu'ils  nous 
ont  accordée  jusqu'ici.  jQu'ils  daignent  nous  la  continuer  ! 
Le  plus  difficile  reste  à  faire.  Nous  allons  entrer  dans  le 
fameux  Ougogo,pays  des  tributs  exorbitants  ;  puis  viendra 
rOunyamouëzi,  patrie  de  nos  porteurs,  et  où,  d'après  tout 
ce  qu'on  nous  dit,  les  désertions  ne  manqueront  probable- 
ment pas.    H  faudra  ensuite  réorganiser  les  caravanes,  et 


\ 


1.  ^.  * 


«6 

^'€iD£^or  t|in3de|.s99(ier$,:]siQa  ioèoiOB  oonnas  (jue^^eor  que 
nous  suivons  maintenant.  Nous  ferons  :  de. iXiofere  i  niiecaY 
nous  confiant  en  la  divine  Bp^t^. 

Le  P.  Pascal  va,  beaucoup  pieux,  ^çs  pins  fatigués  en 
ce  moment  sont  lès.  pp..  j>eiaunay  e^t,  bropipa;Ux  et  le 
P.  Amans.  .   . 

.  Là  .-^'arrêtent  les  mcnLvelleSi  SHes  sont  airivéeë  à  Alger  par  le  dernier 
courrier  de  Zauzibar  et  p^^liées  d^iiB,  H  d^rni^r  Numéro  de  VCSuore  dt 
8t,  Augustin  et  de  St.  Monique. 

Une  note  communiquée  aux  Journaux  par  la  Société  de  géographie  de 
Marseille,  annonce  que  Tabb'é  Debaize  est  arrivé  à  Hpouapoua,  lo  ier 
septembre,  en  retard  de  plus  d*un  mois  sur  les  missionnaires  d'Alger. 
Quant  à  ceux-ci,  ils  étaient  à  dix-sept  Jours  de  marche  de  Ourambo,  soit 
à  quatre-vingts  jours  de  murche  de  la  côte. 

.  **  Les  missionnaires  d'Alger  ont  été  reuoontrés  â  dix^^ept  jours  de 
marche  de  Ourambo,  par  une  çai^avane  arabe  arrivée  à  la  côte  ;  ils  avaient 
déjà  franchi  TOugogo,  cette  contrée  mal  famée»  mais  non  sans  grandes 
dépenses  de  marchandises,  et  il  leur  en  restait  malheureusement  très- 
peu." 

A  la  réception  de  ces  nouvelles,  Mgr  !*arcîievôque  d'Aller  s'est  em- 
pressé d'écrire  à  Zanzibar,  pour  faire  ravitailler  d'urgence  la  caravan» 
de  ses  missionnaires. '. 


> 


I 

w 


PROPAGATION  01  LA  FOI 


ANNALES 


DE  LA* 


mnœm n u 


POUR  LA  PROVINOE  DE  QUEBEC 


ajint   1678 


(nouvelle:    SERIE) 


HUITIÈME    NUMÉRO 


MONTRÉAL  : 

« 

^lE.  iI>IMP£m££I£  CANADIENNE,  28,  SUHM3T.  GABRIEL 


1879 


• 


Permis  d'Imprimer, 

Edouard  Cil^  Ey.  de  Montréal 


^UW^. 


^ 
^ 


SC'^i 


< 


MISSIONS  DES  MONTAGNES  ROCHEUSES. 


lettre  de  la  soeur  icarib  -  wilfrid  (soeur  de  la 
proyidenge)  a  sa  famille. 

Missoula,  23  Octobrt  1878. 
Bien  cl^ers  parents, 

La  présente  est  pour  Tacquit  de  ma  conscience  ;  je  vous 
avais  promis  un  rapport  de  mon  voyage,  je  vtens  aujourd'hui, 
tant  bien  que  mal,  essayer  de  vous  esquisser  toutes  les  péripé- 
tieis  de  notre  longue  course  dg  Montréal  à  Missoula;  me 
voyant  en  face  de  la  tâche,  je  regrette  presque  de  m'y  être 
engagée,  et  je  m!aperçois,  un  peu  tard,  qu'un  récit  de  voyage 
n'est  pas  chose  aussi  facile  à  faire  que  je  pensais. 

Maisenân,  comme  disait  ce  cher  défunt*oncle  B...,  puisque 
le  vin  est  tiré,  il  faut  le  bgire. 

A  la  mode  des  orateurs  qui,  en  commençant,  font  connaî- 
tre par  quelques  mots  ce  qui  se?a  la  matière  de  leur  discours, 
je  vous  dirai,  en  deux  mots,  que  notre  voyage  a  été  fatigant 
et  pénible  en  môme  temps  qu'heureux  et  providentiel  ;  le  bon 
DiQU,  en  maintes  circonstances,  nous  a  manifesté  sa  protec 
kion  et  son  secours  :  qu'il  en  soit  loué  et  béni  ! 

C'était  le  3  septembre  dernier,  au  soir,  que  nous  quittions 
Montréal,  Âh  I  comme  ce  moment  du  départ  a  été  pénible  pour 
mon  pauvre  cœur  I  C'est  alors  que  j'ai  senti  combien  je  vous 
aimais,  que  j'ai  mesuré  toute  l'étendue  de  mon  sacrifice  1 

Le  dernier  coup  de  siiQet  de  la  locomotive  qui  allait  nous  em- 
porter mes  compagnes  et  moi  me  fit  penser  au  glaive  qui 
transperça  Tâmo  de  Notre-Dame-des-Sept-Douleurs  ;  j'invo- 
quai cette  bonne  Mère  qui  sembla  me  dire  à  l'oreille  du  cœur  : 

Tu  retrouveras  en  Dieu  ce  que  tu  sacrifie  pour  Dieu." 

Nous  étions  déjà  loin  que  je  croyais  encore  vous  voir  tous 


— 100  — 

à  la  gare,  aux  fenêtres  de  notre  voiture.  Je  ne  Jormis  point 
cette  première  nuit,  je  la  passai  en  esprit  avec  vous  tous, 
chers  parents. 

Le  4  septembre,  jo]flr  sèçabile  et  triste  ;  nous  traversons  le 
Haut-Canada  en  longeant  le  lac  Ontario  psh*  une  pluie  abon- 
dante ;  est-ce  par  sympathie  pour  nous  que  le  ciel  était  som- 
bre et  pleurait  ?  Aux  heures  accoutumées  des  repas,  nous 
faisons  assaut  dans  nos  sacs  si  bien  garnis  ;  l'abondance  et  le 
choix  judicieux  des  '  provisions  fournies  par  les  Sœurs  de 
notre  communauté  avant  notre  départ,  nous  font  voir  que 
ce  sont  des  cœurs  amis  qui  ont  présidé  à  ce  petit  enunagasi- 
nage*. 

Mais  ce  premier  jour,  mon  cœur  est  encore  si  gonflé,  qu'il 
remplit  ma  jjbitrine,  et  ne  laisse  pas  place  pour  la  nourriture  ; 
je  ne  mange  presque  pas. 

A  dix  heures  dû  soir,  juste  vingt-quatre  heures  après  notre 
départ,  nous  étions  à  Détroit. 

Ah  1  je  m'en  souviendrai  de  Détroit  !  Car  ici,  grande  ins- 
pection des  bagages  par  la  douane  ;  si  tout  le  monde  s'ac- 
quittait de  ses  devoirs  respectifs  comme  le  font  les  officiers 
de  la  douane  américaine,  les  confessions  seraient  moins  lon- 
gues, et  tout  irait  mieux,  je  pense,  dans  le  monde.  Tout  de 
môme,  c'est  ennuyeux  de  voir  ces*employés  sans  précaution, 
enfoncer  la  main  dans  tous  les  coins  et  recoins  de  nos  malles 
etisacs  de  voyage,  tout  bouleverser,  tout  chiffonner,  el  ne 
recevoir  en  fin  de  compte  pour  dédommagement  que  le  mot  : 
allright! 

Après  un  retard  de  près  d'une  heure  causé  par  l'inspection 
des  bagages  qui  étaient  très  considérables,  nous  nous  remet- 
tons en  route,  mais  cette  fois. sur  le  sol  américain.  Adieu  I 
beau  Canada  1  Aurons-nous  jamais  le  bonheur  de  te  revoir  ? 
Dieu  seul  le  sait. 

Sur  le  territoire  des  Etats-Unis,  je  dors  un  peu  mieux  :  bon 
signe. 

Le  5  au  matin,  lîous  rentrons  dans  Chicago.  "  Une  demi- 
heure  pour  déjeûner,"  nous  dit-on  dans  un  anglais  timbi*  à 
la  yankee.  Deux  de  notre  groupe  se  détachent  pour  aller  au 
restaurant  de  la  gare  ;  les  garçons,  faisant  le  service,  pensent 
avoir  affaire  à  des  dames  qui  ont  le  gousset  bient  garni,  aussi 


►  —101  — 

se  présentent-ils  avec  l'air  le  plus  obséquieux  et  le  plus  aima- 
ble ;  mais  en  nous  voyant  sortir  Qotre  théière  de  dessous  notro 
manteau  et  nous  entendant  leur  demander  la  chanté  d'une 
pinte  d'eau  bouillante,  leu^  figure  s'allonge,  le  tableau 
cljange  ;  toutefois  on.se  tie^t  dans  les  bornes  de  la  politesse. 

Nous  prenons  notre  déjeuner,  comme  nous  avons  pris  nos 
autres  repas  depuis  notre  départ,  c'est4-dire,  sur  nos  sièges 
de  voyage.  Par  ce  procédé,  nous  nous  dérangeons  moins  ; 
une  gazette,  en  guise  de  naj^^  est  étendue  sur  nos  genoux  ; 
chacun  tire  de  son  panier  ce  qu'elle  croil  devoir  rencontrer 
le  goût  de  ses  compagnes,  le  service  de  ferblanc  est  dressé  sur 
cette  table  formée  par  nos  genoux,,  et  ainsi,  servies,  noiis 
n'ayons  pas  besoin  de  moutaide  pour  aiguiser  l'appétit . 

Le  quart^L'heure  de  Rabelais  pour  nous,  c'est  iorsqu'après 
avoir  remercié  le  bon  Dieu,  il  nous  faut  laver  la  vaisselle  ; 
nous  n'avions  pas,  avant  ce  jour,  trouvé  le  secret  défaire 
cette  besogne  sans  eau  ;  c'est  un  morceau  de  papier  qui  rem* 
place  tout  ce  dont  on  se  sert  dans  un  ipénage  bien  monté  pour 
le  lavage  de  la  vaisselle.  Orâce  aux  lunettes  de  L'inlagina* 
tion^  nous  nous  figurons  que  c'est  net .  N'est-ce  pas  que  1« 
▼oyages  rendent  industrieux  ? 

De  Chicago,  nous  longeons  pendant  un  certain  temps  le 
lac  Michigan,  et  nous  nous  rendons  à  Burlington,  étal  de 
rUUnois. 

De  Burlington,  nous  filons  sur  Omaha;  les  stations  que 
nous  rencontrons  avant  d'arriver  i  cette  grande  ville  nous 
fournissent  des  voyageurs  en  si  grand  nombre  que  les  sièges 
ne  peuvent  recevoir  tous  les  passagers  ;  la  plupart  sont  des 
voyageurs  californiens,  qui  ne  paient  pas  de  mine,  tant  s'en 
faut  ;  ils  ressemblent  plus  i  des  bandits  qu'à  toute  autre  chose. 

Comme  nous  étions  à  peu  près  les  seules  femmes,  et  que 
notre  costume  de  religieuses  fait  rarement  apparition  dans 
ces  parages,  nous  étions  le  .point  de  mire  de  nos  agréables 
compagnons  de  voyage;  l'un  d'eux,  rempli  d'intérêt  pour 
nous,  je  suppose,nous  deanandaoùnous  allions. — ^^  A  Omaha," 
lui  fut-il  répondu.— ^^  C'est  Men  loin,  répliqua-t  il  y  je  suppose 
que  vos  maris  vont  venir  à  votre  rencoatre."  Il  ne  parut  pas 
comprendre  pourquoi  noua  lui  répondîmes  par  le  sourire. 

Omaha,  ville  importante  *ét  qui  prend  de  l'extension  tous 


— 102  —  < 

les  jours  avec  une  rapidité  toute  américaine,  est  dans  Tétai 
de  Nébraska^  a'U  faut  en  juger  par  le  broiihaha  qui  règne 
dans  la  gare,  Tactivité  est  grande  dans  cette  ville.  Nous  avons 
failli  perdre  la  tète  au  milieu  dji  trouble,  de  la  confusion  qne 
nous  rencontrons.  Si  notre  )>ou  ^ange  ne  nous  eut  a$sîstéat| 
nous  n^aurions  certainement  pas  pu  nous  (^n  tirer. 

Nous  avions  ici  à  renouveler  nos  billets  de  passage,  ceax 
achetés  à  Montréal  n^étant  valides  que  pour  jusqu'à  Omaha. 
U  nous  fallait  aussi  manger,  puisque  nous  n'avions  rien  pris 
depuis  Burlington,  etsurtout  nous  sentions  un  besoin  extrême 
àe  faire  un  peu  de  toilette,  clestJHlire,  de  nous  laver  ;  noua 
étions  si  sales  I  si  sales  I  que  nous  nous  faisions  peur  les  unes 
aux  autres.  Je  vous  avouerai,  chers  parents,  que  ce  qui  m*a 
le  plus  fatiguée  durant  notre  long  voyage,  ce  fut  de  sentir  la 
crasse  prendre  domicile  sur  mes  membres  ;  je  n'aurais  pas 
cru  les  gens  malpropres  si  vertueux,  il  leur  faut  un  grand 
amour  de  la  mortification  pour  vivre  dans  cet  état 

Nous  ne  souffrions  plus  de  Tabsence  de  lits  pour  notre 
sommeil  ;  car  dans  la  seconde  nuit  de  notre  voyage,  ueus 
avions  (découvert  un^  procédé  qa|  nous  permettait  de  nous 
reposer  relativement  bien.  Voici  le  ménage  que  nous  faisions 
tous  les  soirs,  après  avoir  fait  de  notre  mieux  notre  prière  du 
soir  :  nous  enlevions  les  coussins  dç  nos  sièges  et  les  fixions 
en  travers,  un  bout  sur  im  siège  et  l'autre  bout  sur  le  siège  de 
vis-à-vis  ;  ainsi,  nous  avions  la  base  fondamentale  d'un  lit, 
c'est-à-dire  le  matelas  ;  ensuite  nous  ajus^ions  nos  porte-man 
teaux  en  guise  de  traversins  et  d'oreillers  ;  puis  nous  ôuvriODS 
nos  chÂles  qui  nous  servaient  de  couvertures.  Àjoutex  à  cela 
l'idée  que  nous  avions  que  TArchange  Raphaël,  l'ange  des 
voyageurs,  veillait  sur  nous,  et  vous  comprendrez  qu'il  noas 
devenait  facile  de  nous  endormir  et  de  nous  reposer. 

D'Omaha,  nous  dirigeant  toujours  vers  l'Ouest,  nous  ire* 
versons  tout  l'état  de  Nébraska,  tout  le  territoire  de  Wyo^ 
ming,  et  nous  rentrons  dans  rutah,pays  des  mormons,  pour 
toucher  Ogden,  ville  située  près  du  Lac  Salé.  Vous  dire  las 
montagnes,  les  gorges,  les  précipices,  les  tunnels,  les  pools, 
etc.,  que  nous  traversons  d'Omaha  à  Ogden,  est  chose  impôt- 
sible.  La  variété  des  différents  panoramas  que  nous  reocoô- 
trons  est  indescriptible  ;.  après  un  cri  de  frayeur  arraché  par 


—  103  — 

la  vue  d'un  précipice,  s^échappait  un  éclat  d'admiration  à  la 
vue  d'un  rocher  qui  sraiblait porter  sa  tète  jusqu'aux  cieux; 
après  nous  être  crues  suivie  chemin  des  abîmes  éternels, 
nous  étions  tout-à^oup  éblouies  et  réjouies  par  la  vue  du  so- 
leil qui  semblait  plus  beau  que'  belui  qui  éclaire  les  mortels. 
Ah  !  c'est  que  nous  étions  4an8  lafameuse  chaîne  des  Monta 
gnes  Rocheuses  qui,  trarersànt  rAmérique  Septentrionale 
dans  toute  sa  longueur,  semble  en  être  l'épine  dorsale. 
^  Cest  i  travers  ces  grands  tableaux  de  la  nature  que  nous 
passons  le  dimanche  ;  ne  pouvant  assister  à  la  sainte  messe, 
nous  faisons  de  notre  mieux  pouf  sanctifier  le  jour  du  Sei- 
gneur ;  pour  cela  nous  invitons  les  rochers,  les  vallons,  les 
arbres^  les  oiseaux,  les  rîvières,  les  lacs  à  louer  le  Seigneur 
avec  nous.  Ah  !  la  nature  est  un  beau  livre  de  méditation 
pour  ceux  qui  y  savent  lire  ? 

Cest  vers  sept  heures,  dimanche  soir,  le  &,  que  nous  ren- 
Irons  dans  Ogden.  Gomme  1^  trains  ne  partent  que  le  len- 
demain matin,  nous  prenons  le  chemin  d'un  hôtel,  pour  y 
passer  la  nuit  Je  ne  vous  dirai  pas  le  bien-être  que  je  trou* 
val  dans  le  bain  et  dans  le  lit  de  cet  hôtel  ;  car  je  craindrais 
de  vous  scandaliser  par  ma  sensualité.  Pourtant  je  ne  doute 
pas  que  le  bon  Dieu  lie  fût  n^ement  ofFensé  de  nous  voir 
nous  abandonner  au  repos  aprèjs  cinq  longs  jours  et  cinq  lon- 
gues nuits  ininterrompus  passés  sur  nos  sièges  de  voitures 
de  chemin  de  fer,  et  qu'il  nous  pardonna  l'appétit  avec 
lequel  on  fit  honneur  au  repas  chaud  et  bien  prépaaré  qui 
nous  fut  servi  à  notre  arrivée  à  l'hôtel. 

Le  lendemain  matin,  nous  nous  levons  toutes  restaurées  et 
remises  :  nous  avons  le  temps  de  nous  acquitter  de  nos  exer* 
cices  spirituels  et  de  déjeûner.  A  neuf,  heures  et  demie, 
nous  remontons  danls  les  chars  pour  nous  rendre  à  Oneida. 
•  €Se  poste  est  le  terminus  du  chemin  de  fer  ;  nous  y  arrivons 
le  soir  à  sept  heures,  après  avoir  traversé  un  pay»de  sabla 
et  de  marais. 

Nous  avons  donc  fini  de  rouler  ràr  les  lisses  de  fer  et  d'être 
traînées  avec  la  vitesse  du  vent  par  la  vapeur  !  Demain,  nous 
prendrons  des  voitures  tirées  par  des  chevaux.  H  nous 
semble  que  nous  aurons  maintenant  moins  à  souffrir,  et 
c'est  avec  joie  que  nous  abandonnons  la  béu  à  feu. 


—  104  — 

A  Oneida,  nous  rencontrôDs,  à  notre  grande  satisfaction,  un 
homme  envoyé  par  nos  scèurs  de  Missôula*  Cet  homme,  je 
ne  l'ai  jamais  vu,  mais  comme  il  ^st  ici  nous  attendant  avec 
des  voitures  et  devant  nous  conduire  directement  chez  nos 
sœurs,  il  est  déjà  mon  ami,  il  a  toute  ma  conflanoe.  C'est  le 
premier  que  nous  rencontrons  depuis  notre  départ  de  Mont- 
réal, qui  pense  et  s'intéres^  à  noufl.  Ces  milliers  de  gens 
q^e  nous  avons  vus  sur  notre* route,  montant  dans  notre 
train  à  une  station,  descendant  à  une  ^  autre  pour  faire  place 
à  des  neuveaut  venus,  nous  inspiraient  tous  plils  ou  moins 
de  la  défiance  ;  mais  celui-ci  est  des  nôtres^  nous  lui  parlons 
en  toute  confiance,  sa  vue  nous  fait  du  bien. 

H  nous  faut  coucher  à  Oneida.  N'allez  pas  vous  figurer 
que  nous  sommes  ici  dans  une  ville  ;  '  il  n'y  a  ni  rues  ni  mai- 
sons proprement  dites.  Cet  endroit  n^a  un  nom  que  parce 
qu'il  est  le  terminus  du  chemin  de  fer.  ^  Une  cabane,  cepen- 
dant, qui  porte  le  titre  prétentieux  d'hôtel,  nous  reçoit  :  nous 
^'y  sommes  pas  tout  à  fait  à  Tabri,  néanmoins,  nous  nous  j 
trouvons  bien,  et  nous  donnons  tout  aussi  bien  que  sous  les 
lambris  dorés,  tant  nous  sommés  heui^euses  de  n'avoir  plus 
à  remonter  dans  les  chars. 

'  Le  10  mars,  nous  f&isoAs  nos  préparatifs  de  départ,  il  nous 
faut  du  temps,  car  nos  bagages  sont  considérables  ;.  puis  la 
routé  que  nous  avons  à  parcourir  est  longue,  puisque  nous 
en  avons  pour  une  vingtaine  de  jours. 

Deux  voitures  sont  à  nôtre  service  :  deux  grandes  voitures 
à  quatre  roues,  recouvertes  d'tmè  toile,  ton  t^à^ait  semblables 
à  celles  dont  se  servent  leë  marchands  de  légumes  venant  au 
marché  ;  l'une  tirée  par  quatre  chevaux  est  destinée  au 
bagage,  l'autre  qai  n'a  que  deux  chevaux  est  pour  nous  sept. 
.  Un  em'barras  se  présentait  :  un  ^ulliûmine  pour  conduire 
les  deux  veibures  ;  encore  ici  la-  Providende  vient  à  notre 
secours.  •  Un  homme  que  nous  avions  i  peine  remarqué  et 
qui  était  descendu  avec  nous  à  Oneida,  s'introduit  à  nous 
coihmè  allant  à  Montana  et  nous  oïïxé  ses  services.  Comme 
son  air  nous  va!,  nous  nous  abandonnons  à  loi  pour  la  con- 
duite et  le  soin  de  notre  voiture;  ça  faisait  sdn  affaire  et 


aussi  là  nôtre.    Donc,  M.  Frank  prenez  les  guides. 
Vers  midi,  nous  partons  ;  si,  par  l'imagination, 


vous  êtes 


^105  — 

capables  de  nous  apercevoir  entassées,  dans  cette  longue  voi- 
ture cheminant  à  travers  ces  pays  prefsqne. entièrement  dé- 
serts, n'allez  pas  nous  prendre  pour  des  Bohémiennes.  Il  est 
vrai  qu'il  y  a  bien  à  s'y  tromper,  mais,  c'est  pourtant  bien 
BOUS,  Sœurs  de  la  Providence,  qui  allons  au  cœur  des  Mon- 
tagnes Rocheuses,  faire ,  du  bjen  à  ces  pauvres  Sauvages,  les 
instruire,  les  aider  à  aller  au  del. 

A  sept  heures  p.  m.,  première  .étape  ;  un  petit  cours  d'eau 
BOUS  dit  que  c'est  ici  qv('il  faut  camper. 

Bêlas  I  pourquoi  fauVil  avoir  pejdu  les  psages,  coutumes  et 
masiières  .de  vivre  des.  patriarcihes  !  Pçiur  eux,  coucher,  à  la 
belle  étoile /C'était  une  habitude;  ils  dressaient  leur  tenle,  et  le 
lendemain  la  roulaient,  pour  ^eontinu^  leur  course,  tout  aussi 
prestement  que.  nous,  dressoni^  nof^  li^  dans  nos  dortoirs. 
Pour  nous,  enfants  d'une  civilisation  prétendue  plus  avan- 
cée, c'est  une  grav^affaire  de  préparer  le  campen^ent  pour 
la  nuit.  Aussi  il  laut  aîvo^uer  que  la,science  du  génie  mili- 
taire n'a  pas  présidé  à  no?  préparatifs  de  Voyage  ;  nous  étions 
sept,  et  nous  n'avions  qvfvue:  petite  tente  ne  pouvant  abriter 
que  trois  personnes.  Il  fallut  doi^ç  en. venir  à  des  expédients  : 
les  toiles  qui  irecouyr^nt  nos  voitures  sont  enlevées,  et  à  l'aide 
de  quelques  bÂtonsnous  nous  en  faisons  des  tentes.  Pendant 
que  les  hommes^ . après  avoir  dételé  et  nojs. les  chevaux  en 
sûreté  pour  la  nuit,  font  le  feu,  quelques-unes,  meilleures 
cuisinières,  qu'architectes,  préparent  le  souper.  Jamais  repas 
ne  fut  pris  de  meilleur  appétit  ;  c'était  .notre  cuisine,  et  nous 
étions  seules,  délivivéea.des  regards  impprjtuns  de  tous  ces 
compagnons  de  chemin  de  fçr  qui,  nous  regardant  comme 
des  curiosités,  nous  fixaient  de  leurs  d^ux.  yeux  avec  le  sans- 
gêne  si  bien  connu  du  Yankee. 

Après  le  souper,  npu?  faisons,  en  commun  nos  prières  ;  on 
prie  bien  sous  là  voûte  du  ciel,  Dieu  sexnble  être  plus  près  de 

BOUS* 

En  passant  sous  nos  -lentes  pour  y  dormir,  nous  pensons  à 
la  Sainte.Famille:fuyant  en  Egypte,  et  nous  qous  demandons 
si  les  membres  de  la  Trinité  sainte  de  la  terre,  jouissaient 
d'autant  d'aise  que  nous  :  nous  avions  une  toile  pour  nou» 
protéger  contre  le  serein,  de  bons  6ti/7aio£  pour  nous  garantir 
contre  Thumidité  du  sol,  et  d'épaisses  couvertes  pour  nous 


—  106  — 

prémunir  contre  le  froid.  Vraiment  nous  ne  pouvions  pas 
ne  pas  être  satisfaites  ;  seuls  les  talons  de  bottines  dans  nos 
sacs  qui  nous  servent  d'oreillers,  nous  rappellent  qu'il  n^  m 
pas  de  rose  sans  épine.  ' 

Le  lendemain,  nous  sommes  tout  aussi  matinales  que  A  la 
cloche  eut  été  là  pour  donner  l'éveil  ;  la  prière  se  fait,  le  dfr- 
jeûner  se  prend,  le  camp  est  levé,  les  bagages  remis  dans  les 
voitures,  et  à  sept  heures,  nous  sommes  en  route. 

Notre  trajet  n'a  rien  d^agréable  :  le  pays  que  nous  traYST-- 
sons  est  désert,  le  chemin  n'est  pas  beau,  il  nous  faut  presque 
toujours  n'aller  qu'au  pas  de  nos  chevaux.'  Malgré  cela  la 
gaieté  est  dans  notre  voiture  ;  comme  nous  nous  croyons,  m 
les  circonstances,  en  dehors  de  la  règle,  nous  nous  permettons 
des  dissipations  qui  font  oublier  les  atteintes  de  la  fatigue  et 
qui  empêchent  l'ennui  de  s'établir  au  milieu  de  nous. 

«Vers  midi,  rencontrant  une  source  d'eau,  nous  faisons 
halte  pour  diner  et  laisser  prendre  un  repos  à  nos  chevaux. 
L'après-midi  ressemble  à  la  matinée,  rien  ne  vient  briser  la 
monotonie  de  notre  pérégrination  à  travers  monts  et  vaux; 
tantôt  nous  avons  à  escalader  une  montagne,  tantôt  ntn» 
avons  à  traverser  une  plaine  de  sable  léger.  La  végétation 
est  insignifiante  ;  la  solitude  semble  être  la  reine  de  ces  pay^ 
Nous  lui  disputons  son  empire,  en  passant,  par  nos  cantiques 
et  nos  hymnes. 

Le  soir,  ayant  exécuté  nos  travaux  de  campement,  nous 
tînmes  conseil  sur  la  manière  la  plus  commode  de  passer  la 
nuit  ;  nous  pensions  pouvoir  faire  mieux  que  la  nuit  pràoé- 
dente.  Il  fut  en  conséquence  décidé  que  nous  couchexions 
toutes  les  sept  dans  notre  voiture.  Malheureusement  nous 
n'avions  pas  mesuré,  au  préalable^'  la  sur{ia(5è  de  la  dite 
voiture  et  il  arriva  qu'elle  se  trouva  trop  petite  pour  nous 
contenir  ;  mais,  la  chose  Constatée,  il  était  trop  tard  pour 
nous  mettre  en  frais  de  dresser  une  tente,  et  bon  gré  mal 
gré,  il  fallut  nous  entasser  dans  les  fiancs  de  notre  véhicula 
Nous  étions  tellement  pressées  que  nous  ne  pouvions  nous 
remuer;  aussi  l'engourdissement  noiis  força  de  bonne  benre^ 
le  matin,  à  sortir  de  ce  pressoir.  Ce  dernier  exercice  ne  fut 
pas  encore  chose  facile  :  ma  sœur  l'EnfantJésus  qui,  la  pre^ 
mière,  voulut  se  lever,  vit  qu'elle  ne  pourrait  sortir  de  là 


—  107  — 

sans  marcher  svr  le  corps  de  ses  sœurs.  Ma  voisine,  se  pr£-î 
parant  à  exécuter  le  môme  mouvement,  youkdt  empcKrtêr 
mon  bras  droit,  le  prenant  pour  son  bi^as  gauche  que  Tén- 
gourdissement  avait  paralysé  :  Inref  il  fui  résolu  que  nous 
nous  lèverions  toutes  d^un  bloc*  Au  signal  '^  leve^vous/'  û(m^ 
né  par  ma  sœur  TEnfaniJésus,  noue  nous  redressons  touteu 
Une  fois  sur  ses  jambes,  ehaoune  reconnaît  sa  iôte  et  ses 
membres. 

Promeàse  fut  prise  que  jamais  à  Favenir  nous  ne  couche^ 
rions  toutes  les  sept  dans  notre  voiture. 

Je  vous  ennuierais,  chers  parents,  en  essayant  de  vous 
donner,  jour  par  jour,  les  détails  de  ce  long  voyage. 

D'ailleurs,  les  jours  se  suivaient  et  se  ressemblaient  à  peu 
de  chose  prë& 

Je  ne  vous  tairai  pourtant  pas  la  peur  qu'on  éprouva^  pen- 
dant quelques  jours,  du  voisinage  des  loups  ;  nous  avons  passa 
à  travers  des  forêts  infestées  par  ces  féroces  animaux  ;  mais 
ne  yous  effrayez  pas,  aucune  n'a  été  croquée.  Nous  enatons 
été  quittes  .pour  nos  frayeurs  et  quelques  nuits  d'insomnie. 
Après  une  de  ces  nuits  où  griffes  et  dents  de  loups  avaient 
semblé  devoir  à  tout  instant  nous  déohp'er  et  broyer,  on 
entendit  nos  deux  hommes,  plus  à  bonne  heure  que  de  oou« 
tume,  converser  ensemble  avec  agitation. 
)u'est-ce?  s'écrie  l'une  de  nous. 
S'est  un  hibou,  répond  Frank. 

— Où  est-il  ?  où  est-il  ?  réplique  pia  sœur,  qui  a  compris 
loup  au  lieu  de  hibou. 

•^Dans  un  arbre. 

— Oh  I  Alors  hâtons-nous,  de  nous  habiller,  dit  ma  sœur  à 
ses  compagnes,  et  allons  nous  réfugier  dans  la  voiture  avant 
qu'il  ne  descende. 

— Ce  n'est  aucunement  dangereux,  dit  Frdnk  ;  d'ailleurs^ 
il  est  partL 

—Par  où  est-il  passé  donc  ? 

—Parbleu,  en  l'air;  il  a  pris  son  voL 

Ce  n'est  qu'alors  que  ma  sœur  comprit  qu'elle  était  victime 
d'une  erreur.  Inutile  de  vous  dire  que  plus  d'une  fois,  après 
cette  aventure,  nous  avons  demandé  à  notre  sœur  comment 
les  loups  faisaient  leuis  nids  dans  les  arbres,  et  quelle  était 


*  ^ 


i\ 


— 10$  — 

Penvergure  de  leurs  ailes,     ^f  Ma  Sœur,  avez- vous  vu  les 
aîtes  du  loup."    .  , 

Un  autre  jour  nous  faisons  rencQQitre  4e  sauvageç,  qui  ne 
sont. guère  plus  rassurapats quelles  loups  \  c!ètait  au  moment  où 
nous  nous  préparions  à  déjeûiier  ;  nous  leur  o£&ons,  pour  nous 
les  rendre.bienveiUants,  à  partager  ûotreirei^s.  U  ne  fut  pas 
nécessaire  de  répéter  l'invitatioil  ;  ils  se  jettent  à  belles  dents 
sur  toutes  les  provisions  sorties  pour  le  déjeûner,  et  en  un 
insrtant  ils  ont  tout  euglouti.  Ils  étaient  de  la  tribu  des 
Yellowtonea  ;  rien  de  plus  sauvage  que  ces  sauvages. 

Un  ijQycident  qui  survint  un.  autre  jour,  fut  la  rencontre  de 
soldats  américains^  chargés  par  leur^ouvernement,  de  veiller 
à  la  sûreté  des  routes  publii]ues  àjtravers  les  montagnes. 
Cette  rencontre,  et  surtout  l'objet  de  leur  mission,  nous  fai- 
saient comprendre  gue  les  'loups,  n'étaient  peut-être  pas  les 
bêtes  les  plus  dangereuses  de.  ces  parages. 

Après  12  jours  de  marché,  nous  atteignons  Deer  .Lodge, 
poste  connu  des  voyageurs  et  indiqué  sur  les  cartes  géogra- 
phiques. Ici  il  y  aunemdÂ9on  pour  nous  donner  riiospitalité, 
et  pour  le^  autres  nuits  qui  nous  'restent  encore  à  passer 
en  voyage,  avant  d'arriver  au  terme  de  notre  course,  nous 
Aurons  la  chance  de  rencontrer  presque  toujours  des 
habitations  où  noi^s  pourrpnii  loger.  Ici,  à  Deer  Lodge, 
nous  perdons  notre  cocher  Frank,  qui  doit  prendre  une 
autre  direction  que  nous,  poUfr. aller  à  Helena.  ,  Frank  ét^it 
deveQu  pppr  npus  UU;  anii*;  nçujs  nous  séparons  de  lui 
avec  peine  et  nous  lui  donnons  rendÇiZ-vous  au  ciel,  après 
notre  mort.  "  Rappelez-vous  de  moi  dans  vos  prières,  nous 
dit-il,  pour  que  je  ne  manque  pas  au  rendez-vous.  " 

A  partir  de  ce  jour,  force  nous  futde  conduir-eoious-mômes 
notre  voiture  ;  nous  y  mettons  toutes  la  main.  Grâce  à  la 
bonne  Tolonté.  des  chevaux  qui  n'avaient  pas  besoin  d^ètre 
conduits,  le  voyage  se  termina  sans  encombre  ni  accident 
pénible. 

Notre  dernière  étape  fut  dans. le  bois  où  nous  passâmes  la 
d^^^è^e  nuit  de  notre  exode*  Nous  nous  levons  plus  matin 
qu'à  l'ordinaire,  et  nous  sommes  plus  gaies  que  jamais  ;  car 
dans  quelques  heures  nous  serons  à  Missoula,  dans  les  bras 
de  nos  sœurs,  aux  pieds  du  tabernacle  enfermant  notre  divia 


—  109  — 

ami  de  PEuchariBUe, — daas  quelques  h&oreB  notre  long  et 
pénible  voyage  sera  à  son  terme*  U  était  bien  tempSvPPi&- 
que  nous  étions  au  vinjgtième  jour  de  notre  course  depuis 
Oneida. 

.  U  était  entre  dix'-et  onze  beures,  lorsque  nous  découvrons 
Jdissoula.  En  apercevant  ce  village,  où  nous  allons  rencon- 
trer une  maison  des  sœurs  de  la  Providence,  nous  éprouvons 
quelque  chose  des  sentiments  exprimés^  par  les  pèlerins  du 
moyen-âge,  lorsqu'ils  découvraient  au  loin  les  murs  de  Jéru- 
salem, et  des  pèlerins  de  noCre  siècle  lorsque,  le  ddme  de 
Saint^Pierre  leur  dit  qu'ils  arrivent  à  Rome. 

Vous  ne  sauriez  croire,  chérs  parents,  combien  furent  vi- 
ves et  violentes  les  impressions  que  je  ressenti»  en  arrivant  à 
ce  lieu  destiné  à  être 'le  théâtre  da  mon  dévouement  à  mon 
Dieu.  En  apercevant  les  toits  modestes  4e  la  petite  cité  de 
Missoula,  je  renouvelai  à  Notre  Seigneur  la  promesse  de  le 
servir  et  de  le  faire  aimer  de  mon  mieux  dans  cette  partie  de 
sa.  vigne  où  la  sainte  obéissante  m'avait  envoyée.         * 

Nour  demandons  à  notre  Sœur  lijlarie  de  l'Enfant  Jésus,  de 
nous  désigner  où  est  notre  maison  ;  elle  s'y  ref  usç,  voulant 
laisser  à  notre  cœiur  de  la  discerner  entre  les  autres  habitar 
tiens.  Gomme  nous  ne  nous  accordions  pas,  nous 
laissons  les  chevaux  suivre  leur  instinct,  et  ceux-ci  nous  con- 
duisirent à  une  maison  très  convenable,  un  peu  en  dehors 
de  l'enceinte  de  la  petite  ville,  et  sise  au  pied  de  la  montagne. 
Quoiqu'on  ne  nous  attendit  pas  si  tôt,  des  orphelines  étaient 
à  la  barrière  de  l'enclos  qui  entoure  le  couvent  ;  elles  recon- 
naissent bien  vite  nos  voitures  et  elles  échappent  le  cri: 
"  Nos  Sœurs  de  Montréal  1  "  Leur  voix  est  entendue,  et  ausstôt 
on  voit  sortir  du  couvent  nos  chères  sœxirs,  qui  viennent  au 
devant  de  nous  en  courant  et  en  frappant  des  mains. 

Notre  joie  et  notre  bonheur,  à  toutes,  ne  pouvaient  s'expri- 
mer par  les  paroles,  les  larmes  et  les  sanglots  étaient  les  seuls 
interprètes  de  nos  cœurs. 

En  rentrant  dans  notre  maison,  je  demandai  le  chemin  de 
la  chapelle  ;  il  y  avait  si  longtemps  que  nous  n'avions  pu 
faire  visite  au  Saint-Sacrement,  parler  au  divin  habitant  de 
nos  tabernacles  I 
.  Mon  cœur  débordait  :  je  remerciai  le  bon  Jésu^  pour  l'as- 


—  110  — 


distance  dont  il  nous  avait  protégées  durant  notre  iong^ 
Toyage  ;  je  le  priai  d'accepter  le  sacrifice  que  je  lui  faisais 
de  tout  moi-même  pour  trayailler  à  sa  gloiiftcation  ;  je  lui 
recommandai  ceux  qui  pensaient  à  moi  en  Canada,  et  qui 
étaient  peut-être  en  ces  mêmes  instants  inquiets  sur  moa 
Mrt  ;  puis,  toute  réconfortée,  je  vais  à  mes  compagnes  et  faire 
connaissance  plus  ample  avec  celles  en  compagnie  desquelles 
je  devais  vivre  désormais. 

Avant  longtemps,  chers  parents,  je  vous  écrirai  de  noa> 
veau,  pour  vous  donner  des  détails  sur  mon  nouveau  genre 
de  vie,  sur  mes  occupations,  etc.,  etc.  En  atttendant,  priez 
bien  fort  pour  votre  enfant,  qui  sent  plus  que  jamais  le  besoin 
qu'elle  a  du  secours  d'en  haut 

Je  vous  embrasse  tous,  dans  toute  refiTusion  de  mon  cœur. 

Votre  enfant  qui  vous^aime  et  qui  ne  cessera  jamais  de 
vous  aimer  dans  le  cœur  de  Jésus. 


SoBUH  Marib-Wilfrib. 


• 


nssioNS  m  us  sadtages  têtes  de  soee 


LiTTRB  DU  Rév^rbnd  Pârb  Préyost  O.  m.  I. 

▲u  RÉvtf RBMD  PiRB  PiAN,  0. 11 L,  Supérieur  de  la  maison 
de  Témiskaming. 

Kakébougan,  1er  août,  1878. 

•         •    • 

Révérend  et  bien-aiiné  Père, 

Je  me  fais  un  devoir  de  me  rendre  au  désir  que  vous 
m'avez  exprimé  dans  votre  dernière  lettre.  Que  ne  puis-je  par 
là  vous  consoler  un  peu  au  milieu  de  vos  peines  !  Hélas  1  Je 
n'ose  Tespérer  ;  le  tableau  que  j'ai  à  tous  mettre  sous  les 
yeux  est  plus  propre  à  augmenter  vos  angoisses  qu'à  les  sou- 
lager. Depuis  deux  ans  que  je  parcours  les  missions  du  Saint 
•Maurice,  je  n'ai  eu  à  m'occuper  que  de  bâtisses  et  répara- 
tions de  chapelles;  tour  i  tour  j'ai  rempli  les  rôles  d'archi- 
tecte, de  bûcheron  et  de  charpentier.  Nul  sacrifice  ne  m'a 
coûté  et  je  me  suis  rappelé  que  j'étais  envoyé  pour  travailler 
à  la  gloire  de  Dieu  et  à  l'établissement  du  culte  qui  lui  est 
dû.  Si  quelquefois  j'ai  suspendu  mon  travail,  c'est  que  mes 
forces  étaient  à  bout  ;  heureux  si  je  puis  mourir  de  fatigue 
au  service  de  mon  divin  Maître  I  Voici,  mon  Révérend  Père, 
en  quel  état  j'ai  laissé  ces  missions. 

Grand  Lac. — J^  chapelle  menace  ruine  ;  les  pièces  à  demi 
pouries  ne  veulent  plus  tenilr  en  place  et  le  toit  qui  n'a  jamais 
été  à  l'épreuve  de  1^  pluie,  menace  de  s'effondrer.  Quant  à 
la  voûte  et  à  ses  décorations,  elles  sont  encore  à  l'état  de  pro- 
jet, et  si  les  choses  restent  dans  ce  déplorable  état  encore  un  an 
ou  deux,  nous  nous  verrons  .forcés  de  retourner  sur  nos  pas 
et  de  dire  la  Sainte  Messe  sous  la  tente.  Alors,  adieu  la  mis- 
sion pour  le  plus  grand  nombre  des  sauvages.  Pour  moi,  je 
ne  puis  seul  préparer  le  boiâ  nécessaire  pour  une  chapelle 


—  112—  ^ 

capable  de  contenir  400  personnes. —  Mais  les  sauv^£:es  T  me 
direz- vous. — Les  sauvages!  vous  les  connaissez  ;  le  travail 
leur  répugne  et  ce  q^u'ils  ne.  font  pas  ppur  leur  ventre  ils  le 
feront  encore  inolop  pour  leur  religion  ;  chez,  eux,  le  ventre 
passe  en  première  ligne.  Ce  qu'il  j[ious  faut  faire,  c'est  d'ob- 
tenir des  secours  et  de  nous.assurer  un  ou  deux  ouvriers 
capables  de  conduire  ceux  d'entre  les  sauvages  qui  voudront 
bien  travailler,  moyennant  nourriture,  vêtement  et  aussi  ui 
pea  d'argent  Par  ce  moyen  seul,  nous  pourrons  être  sûrs 
d'avoir  au  Grand  Lac  une  chapelle  et  de  ppuvoir  y  rassem- 
bler ceux  que  la  divine  Providence  a  bien  voulu  nous  confier. 

Kakbbongan. —  Chapelle  inachevée.  Encore  un  mois  de 
travail  et  nous  pourrons  dire  que  c'est  la  plus  belle  église  de 
nos  missions.  Mais  durera-t-elle  longtemps  !  Je  ne  le  pense 
pas.  Pâtie  par  les  indiens  eux-mêmes,  elle  n'a  pas  la  solidité 
voulue;  les  fondations  laissent  à  désirer  et  le  bois  employé 
n'est  pas  de  première  qualité.  Pour  le  moment,  nous  sommes 
bien  ici,  grâce  aut  sauvages  et  à  des  personnes  charitables 
qui  ont  bien  voulu  me  faire .  parvenir  quelques,  secours. 
Puisse  Dieu  les  en  récompenser  ! 

MoNTucHiN. — La  chapelle  qui  n'est  pas  encore  terminée  est 
trop  petite  et  ce  qui  est  phis  fâcheux,  elle  est  sur  le  point  de 
tomber.  J'ai  fait  tout  en  mon  pouvoir  pour  la  consolider  : 
renouvellement  de  fondations,  pose  de  poiitres,  de  pièces 
transversales  etc.,.  mais  tout  cela  ne  pourra  servir  qu'à  retar^ 
der  notre  malheur  ;  l>ientôt  nous  fierons  san?  lieu  de  prière. 
Alors  que  deviendra  notre  mission,  la  plus  florissante,  la  plus 
religieuse  ?  Oh  1  Révérend  et  bien-aimé  Père,  il  faut  préve- 
nir les  suites  qu'entraînerait  la  chute  de  notre  pauvre  petite 
chapelle.  Que  faut-il  faire  ? — limiter  les  premiers  missioo- 
naires,  nos  zélés  prédécesseurs,  recourir  à  l'çduvre  de  la  Pro- 
pagation de  la  Foi,  et  les  secours  une  fois  obtenus,  faire  mon- 
ter des  ouvriers  et  bâtir  en  neuf.  Sans  cela,  hous  pourrons 
-faire  des  plans^  mais  pas  davantage. 

Restent  ejicore  Mbkiskak  et  Wassonipi.  —  Dans  ces  postes, 
nous  n'avons  pas  de  chapelle  ;  la  mission  se  fait  dans  la  mai- 
son* de  la  Compagnie*  Les  sauvages  en  petit  nombre,  peuvent 
s'y  loger  commodément.  Donc,  pas  de  nécessité  urgente  de 
bâ(ir  dans  ces  petits  postes. 


—  113  — 

Voilà,  bien-aimé  Père,  l'état  dans  lequel  se  trouvent  les 
chapelles  de  la  mission  du  Saint  Maurice.  Voyez  si  vous 
ne  pourriez  pas  faire  quelque  chose  pour  le  rendre  plus 
prospère.  D'ici  à  mon  retour,  je  vais  prier  Dieu  qu'ibvous 
bénisse  ainsi  que  tous  ceux  qui  nous  viendront  en  aide. 

Je  demeure, 

Mon  Révérend  Père, 
Votre  enfant  dévoué  en  J.  M.  J. 

M.  Prévost,  Ptre,  0.  M.  L 


Lettre  du  Révérend  Père  J.  P.  Guégbn,  0.  M.  I. 

AU  Révérend  Père  Pian,  0.  M.  L  Supérieur  de  la  maison 
de  Témiskaming. 

Témiskaming,  10  septembre  1878. 

Mon  Révérend  et  bien-cher  Père, 

C'est  avec  plaisir  que  je  vous  envoie  encore  cette  année 
mon  rapport  sur  les  missions  que  nous  faisons  chez  les  Têtes 
de  Boule.  Vous  savez,  mon  Révérend  Père,  que  les  Têtes  de 
Boule  se  trouvent  disséminés  entre^les  divers  postes  de  Ki- 
kendate  et  Wemontaching  sur  le  Saint  Maurice,  ainsi  qu'au 
Grand  Lac  et  à  La  Barrière. 

Le  missionnaire  du  Saint  Maurice  a  encore  à  évangéliser 
les  savages  de  Wassv^anipi  et  de  Mékiskan  situés  sur  le  ter- 
ritoire de  la  Baie  d'Hudson  et  qui  sont  tous  plus  ou  moins 
alliés  aux  sauvages  du  Saint  Maurice.  Entre  Témiskaming 
et  le  Grand  Lac  se  trouvent  les  indiens  delà  Kipawe  qui  sont 
eux  aussi  parmi  les  ouailles  confiées  à  nos  soins.  Autrefois 
nous  allions  de  Témiskaming  au  Grand  Lac  en  six  jours  ; 
depuis  quelques  années,  il  nous  faut  huit  jours  pour  faire  ce 
voyage  et  la  raison  en  est  que  les  sauvages  de  la  Kipawe  ont 
deux  points  de  réunion  :  Hunter's  Lodge  et  Grassy  Lake.  La 
première  place  se  trouve  sur  le  lac  Kipawe  môme.    C'est  là 


—  114  — 

que  se  trouvé  le  poste  de  la  Compagnie  de  la  Baie  d'Hudson^ 
où  tous  les  indiens  avaient  autrefois  coutume  de  se  réunir 
pour  la  vente  des  pelleteries.  Depuis  quatre  ou  cinq  ans,  plu- 
sieurs d'entre  eux  ont  commencé  à  cultiver  la  terre  et  se  sont 
établis  à  environ  quarante  mille  plus  haut  sur  un  lac  connu 
sous  le  nom  de  Grassy  Lake  à  peu  près  à  vingt  milles  du  Lac 
du  Moine.  Quand  ils  en  ont  le  moyen,  tous  ces  sauvages  se 
réunissent  encore  à  Hunter's  Lodge  ;  mais  le  plus  souvent  ils 
ne  peuvent  se  procurer  des  provisions  au  Fort  de  la  Compa- 
gnie, faute  de  pelleteries  à  donner  en  échange,  et  ils  sont  obli- 
ges de  rester  là  où  ils  peuvent  se  procurer  de  la  nourriture. 
Alors  le  missionnaire  doit;  faire  un  détour  pour  aller  les  visi- 
ter, autrement  ils  n'auraient  point  de  mission.  Ce  qui  fait  la 
consolation  du  prêtre  qui  va  les  visiter,  c'est  la  joie  qu'ils 
manifestent  à  son  arrivée  au  milieu  d'eux,  la  docilité*à  écou 
ter  ses  instructions  et  la  piété  véritable  dont  plusieurs  s'efEor- 
cent  de  donner  des  preuves. 

Cette  année,  parti  de  Témiskaming  le  17  mai,  en  compa- 
gnie du  Révérend  Père  Prévost,  je  passai  deux  jours  à  Hun- 
ter's Lodge  où  nous  ne  trouvâmes  que  la  moitié  des  sauvages, 
les  autres  essayant  de  faire  des  semences  à  Grassy  Lake.  Les 
premiers  que  nous  eûmes  le  bonheur  de  rencontrer  s'empres- 
sèrent de  se  confesser  et  de  recevoir  la  Sainte  Communion. 
Ces  pauvres  enfants  des  bois  deviennent  de  plus  en  plus  mi- 
sérables tous  les  ans  et  cela  par  la  faute  des  blancs  qui  rava- 
gent leurs  terres  de  chasse,  déboisent  leurs  forêts,  et  détrui- 
sent même  le  gibier,  unique  source  d'existence  pour  ces 
pauvres  gens. 
X  Ce  printemps,  en  passant  au  Fort  de  la  Kjpawe,  nous  avons 

trouvé  quatre  cages  ou  radeaux  de  bois  carrés.  Liutile  de 
vous  dire,  mon  Révérend  Père,  avec  quelle  joie  les  voyageurs 
ont  interrompu  leurs  rudes  travaux  pour  venir  assister  à  la 
prière  et  à  la  sainte  messe.  Nous  avons  eu  le  bonheur  de 
passer  un  dimanche  avec  ces  pauvres  voyageurs  qui  ont  par- 
tagé avec  les  sauvages  la  faveur  d'adorer  le  Divin  Enfant  de 
Bethléem  dans  un  réduit  aussi  misérable  que  la  pauvre 
é  table  qui  le  vit  naître.  Depuis  longtemps  nous  soupirons 
après  le  moment  où  il  nous  sera  donné  d'avoir  aussi  une 
chapelle  à  la  Bjpawe.  Les  quatre  murs  sont  levés,  c'est  vous 


\ 


—  115  — 

dii'e  que  les  travaux  en  sont  où  vous  les  avez  laissés  Pété  der- 
nier. Hélas  !  quand  en  verrons-nous  la  fin  T  II  faudrait  avoir 
des  provisions  pour  les  ouvriers  et  de  l'argent  pour  acheter 
les  provisions  et  ces  deux  choses  indispensables  sont  bien 
difficiles  à  trouver.  Espérons  que  la  divine  Providence  béni- 
ra nos  travaux  et  saura  nous  procurer  les  ressources  dont 
nous  avons  besoin. 

Mais  je  vois  que  je  m'arrête  trop  longtems  sur  ces  détails  ; 
visitons  les  Indiens  de  Grassy  Lake  en  saluant  encore  quel- 
ques voyageurs  qui  descendent  du  haut  de  la  rivière  Eapaw^e, 
et  rendons-nous  au  plus  vite  au  Grand  Lac.  Nous  aurions 
voulu  y  rester  deux  à  trois  semaines  pour  y  travailler  à  la 
vigne  du  Seigneur,  mais  nous  fûmes  obligés  de  partir  au  bout 
de  huit  jours  pour  nous  rendre  à  Wasswanipi  vers  le  dix  de 
juin,  avant  le  départ  des  sauvages  pour  la  Baie  d'Hudson. 
Au  Grand  Lac  nous  trouvâmes  200  paroissiens  qui  nous  atten- 
daient avec  impatience.  Tous  avaient  hâte  de  se  réconcilier 
avec  le  bon  Dieu  ;  mais  la  plupart  étaient  surtout  affamés  de 
sa  divine  parole.  Pour  la  plus  grande  partie,  ils  sont  encore 
très-ignorants,  aussi  faut-il  se  préparer  non-seulement  à  rom- 
pre le  pain  de  la  parole  de  Dieu  mais  encore  à  le  mâcher 
pour  ainsi  dire,  pour  le  mettre  à  la  portée  de  ces  pauvres 
enfants  de  la  foret,  qui  se  montrent  tous  les  ans  de  plus  en 
plus  désireux  d'apprendre  le  chemin  du  ciel.        • 

De  toutes  nos  missions  du  Saint  Maurice,  celle  du  Grand 
Lac  est  la  plus  difficile,  parce  que  c'est  là  que  l'on  trouve  le 
plus  d'ignorance  et  aussi  parce  qu'on  y  a  plus  de  misère  à 
rejoindre  les  ignorants.  Autrefois  les  sauvages  n'arrivaient 
au  poste  de  la  Compagnie  que  dans  les  premiers  jours  de  juin, 
aussi  plusieurs  d'entre  eux  ne  pouvaient-ils  assister  à  la  mis- 
sion. Depuis  4  à  5  ans,  ils  arrivent  très-souvent  à  la  première 
navigation  et  comme  ils  ne  restent  pas  bien  longtemps,  ils 
sont  souvent  à  la  veille  de  partir  à  l'arrivée  du  missionnaire. 
Quel  sujet  de  douleur  alors  pour  le  cœur  de  ce  dernier  qui  a 
fait  tout  en  son  pouvoir  pour  trouver  ses  brebis  et  qui  les 
voit  s'éloigner  de  lui  au  moment  où  il  s'apprête  à  leur  mani- 
fester tant  d'amour,  à  leur  donner  tant  de  preuves  de  dévoue- 
ment, et  à  leur  être  si  utile  ! 

Les  Sauvages  du  Grand  Lac  peuvent  se  diviser  en  deux 


—  116  — 

classes  bien  distinctes  :  les  sauvages  des  froatiëres  et  les  sau- 
vages de  rintérieur.  Les  premiers  chassent  le  long  de  TOtla- 
wa  et  sur  le  haut  de  la  rivière  du  Moine,  de  la  rivière  Noire 
et  du  Coulonge.  Ceux-là  sont  généralement  assez  instruits 
des  choses  de  la  religion  et  se  font  un  devoir  d'assister  assi- 
dûment à  la  mission  ;  aussi  donnentrils  assez  de  satisfaction 
au  missionnaire.  Autrefois  les  blancs  venaient  détruire  tous 
les  fruits  de  salut  opérés  dans  leui^  âmes,  mais  actuellement 
la  boisson  a  disparu  de  ces  parages  pour  faire  place  au  calme 
et  à  un  état  de  choses  relativement  bon. 

Les  sauvages  de  Tintérieur  sont  ceux  gui  chassent  sur  des 
rivières  tributaires  de  la  Baie  d'Hudson.    C'est  à  peine  s'ils 
conunencent  à  s'apprivoiser.    Pendant  longtemps  ils  s'éloi- 
gnaient du  missionnaire  comme  les  bêtes  fauves  devant  le 
chasseur  qui  les  poursuit  ;  aussi  les  commis  de  la  Compagnie 
de  la  Baie  d'Hudson  avaient-ils  coutume  de  les  désigner  sous 
le  nom  de  Wild  IndianSy  tant  ils  les  trouvaient  farouches.   Il 
y  a  à  peine  15  ans  que  le  missionnaire  a  réussi  à  baptiser  les 
principaux  d'entre  eux  ;  encore  ont-ils  été  ensuite  cinq  ou  six 
ans  sans  revoir  la  Robe  noire.    Rien  de  surprenant  s'ils  sont 
demeurés  dans  l'ignorance  la  plus  profonde.    Ajoutez  à  cela 
les  jongleries  et  toutes  les  superstitions  sauvages,  sans  comp- 
ter le  vice  de  la  poligamie,  et  vous  aurez  une  idée  des  diffi- 
cultés qift  rencontre  le  missionnaire  dans  ce  poste  du  Grand 
Lac.  Deux  des  plus  vieux  indiens  ne  sont  pas  encore  baptisés 
et  ils  ont  presque  toujours  eu  deux  ou  trois  femmes  ;  cepen- 
dant ils  font  baptiser  leurs  enfants.  Cette  année  j'ai  été  hien 
indigné  contre  la  femme  d'un  de  ces  vieux. 

Depuis  quelques  années,  ce  vieux  Pasaan  que  vous  con- 
naissez bien,  était  malade  et  avait  des  velléités  de  se  faire 
baptiser.  Vous  avez  entendu  parler  de  sa  maladie  ;  il  dit  que 
lorsque  son  mal  le  prend,  il  veut  se  jeter  siu*  ses  semblables 
pour  les  manger  en  véritable  anthropophage.    Un  jour  que 
je  me  trouvais  avec  lui,  il  me  demanda  si  je  n'avais  pas  peur 
de  lui.  Lui  ayant  répondu  que  non  et  lui  ayant  dit  en  même 
'temps  que  j'aimerais  à  le  préparer  à  aller  voir  le  Grand  Es- 
•prit,  il  me  répondit  qu'il  était  coûtent  de  ma  visite  et  qu'il 
voulait  apprendre  à  prier  et  recevoir  le  baptême.    Ce  prinr 
temps,  il  paraissait  assez  bien  disposé  et  il  m'avait  promis  de 


—  in- 
né garder  plus  qu'une  femme.  Je  me  préparais  à  régénérer 
ce  hon  vieillard,  lorsqu'une  de  ses  femmes,  celle  qu'il  veut 
garder,  lui  défendit  de  se  faire  baptiser,  le  menaçant  de 
l'abandonner  et  de  le  laisser  mourir  seul  dans  le  bois.  Et 
cette  malheureuse  est  une  chrétienne  I  J'eus  beau  faire  des 
menaces  pour  ramener  cette  mégère  i  de  meilleurs  senti- 
ments, j'eus  beau  lui  représenter  qu'elle  serait  responsable  de 
la  perte  de  cet  homme,  s'il  venait  à  mourir  avant  d'ôtre  bap- 
tisé, inutile  ;  le  diable  gagna  encore  la  partie.  Le  mauvais 
esprit  paraît  tenir  aussi  bien  serré  dans  ses  griffes  un  autre 
vieux  sauvage  de  ce  quartier.  Les  plus  grands  désordres 
régnent  dans  sa  famille,  et  il  ne  fait  rien  pour  les  réprimer  ; 
lui-même  au  contraire  donne  les  exemples  les  plus  dépravés 
et  Dieu  sait  si  la  grâce  pourra  un  jour  trouver  le  chemin  da 
son  pauvre  cœur.  Vous  voyez,  mon  Révérend  Père,  que  tout 
n'est  pas  rose  dans  nos  missions  et  que  les  associés  de  la  Pro- 
pagation de  la  Foi  ne  manqueront  pas  d'occasions  pour  exer- 
cer leur  zèle  et  leur  charité  envers  ces  pauvres  enfants  du  bon 
Dieu. 

Mais  laissons  un  instant  le  Grand  Lac  et  hâtons-nous  d'al- 
ler à  Wasswanipi  ;  trois  cents  milles  nous  séparent  encore  de 
ce  poste  et  les  canots  sont  à  la  veille  d'en  partir  pour  descen- 
dre à  Rupert's  house  dans  la  Baie  d'Hudson.  Nous  avions 
trois  bons  nageurs,  mais  le  temps  ne  nous  fut  pas  favorable 
et  nous  eûmes  deux  jours  de  neige  le  4  et  le  5  de  juin,  ce  qui 
fut  cause  que  notre  voyage  dura  douze  jours  au  lieu  de  neuf. 
Dieu  permit  que  nous  fûmes  consolés  de  nos  fatigues  en 
voyant  les  bonnes  dispositions  de  nos  sauvages  qui  nous  atten- 
daient et  qui  voulaient  prier,  bien  qu'ils  fussent  presque  à 
jeun  depuis  plusieurs  jours.  Le  printemps  étant  venu  plus 
tôt  que  d'habitude,  ils  avaient  interrompu  leur  chasse  bien  à 
bonne  heure  et  s'étaient  rendus  au  poste  quelques  jours  avant 
le  moment  fixé  pour  la  mission.  Ils  eurent  bien  vite  épuisé 
les  provisions  de  viande  qu'ils  avaient  apportées  de  leur 
chasse  ;  an  Fort  ils  ne  purent  rien  se  procurer  car  il  n'y  avait 
de  fleur  que  ce  qu'il  fallait  pour  descendre  les  pelleteries  à 
la  Baie  d'Hudson  ;  de  plus  la  pêche  était  à  peu  près  nulle  ce 
printemps  ;  de  sorte  que  ces  pauvres  malheureux  étaient  dans 
le  plus  complet  dénûment  à  l'arrivé  du  missionnaire  ;  et  pour- 


—  118  — 

tant,  tous  voulaient  prier,  se  confesser  et  recevoir  le  vùuique 
pour  le  voyage  de  la  Baie  d'Hudson,  la  nourriture  céleste  qui 
devait  les  fortifier  contre  les  dangers  de  toutes  sortes  gu*ils 
allaient  courir  jusqu'au  retour  du  missionnaire,  l'année  sui- 
vante. Ici  tous  sont  baptisés,  mais  hélas  !  tous  ne  sont  pas 
catholiques.  Nous  touchons  au  diocèse  protestant  de  la  Baie 
d'Hudson.  Vous  savez  qu'il  y  a  un  évoque  protestant  à  Mûose^ 
et  au  moins  quatre  ministres  qui  attaquent  nos  missions  de 
tous  les  côtés.  Ce  poste  de  Wasswanipi  est  visité  par  jdu- 
sieurs  sauvages  protestants  de  Rupert's  house  qui  rivalisent 
de  fanatisme  pendant  que  la  Robe  noire  s'efTorce  d'éclairer 
ces  pauvres  aveugles.  Au  moment  où  les  catholiques  se 
réunissent  dans  une  sorte  de  petite  chapelle  qui  leur  a  été 
arrangée  par  le  commis  du  poste,  M.  Angus  McLeod,  les  pro- 
testants s'assemblent  dans  une  maison  particulière  pour  prier 
et  chanter  à  tue-tète.  Jamais  nos  catholiques  n'assistent  à 
leurs  réunions  et  même  quand  ils  descendent  au  printemps  à 
Rupert's  house  après  la  mission,  il  est  rare  que  l'on  entende 
dire  que  quelqu'un  d'entre  eux  ait  fréquenté  le  temple  pro- 
testant, quoiqu'il  y  ait  toujours  un  ou  deux  Révérends  occu- 
pés à  les  tenter  pendant  leur  séjour  dans  ce  poste.  Ajoute*  à 
•cela,  que  depuis  3  ans,  un  de  ces  messieurs  prend  la  peine  de 
venir  jusqu'à  Wasswanipi  en  revenant  de  Mestasini  chaque 
automne.  Il  faut  que  la  miséricorde  de  Dieu  ait  protégé  nos 
sauvages  d'une  manière  toute  spéciale  pour  qu'ils  aient  tenu 
bon  jusqu'ici. 

Cette  année  j'ai  consenti  quoiqu'à  regret  à  3  mariages 
mixtes  dans  ces  missions  ;  je  vous  prie  de  les  recommander 
aux  associés  de  la  Propagation  de  la  Foi  afin  que  les  parties 
catholiques  ne  défaillent  point,  mais  qu'elles  soient  un  sujet 
d'édification  et  de  conversion  pour  ceux  qui  ne  sont  pas  des 
nôtres. 

Le  17  juin,  nous  quittâmes  Wasswanipi,  espérant  nous 
rendre  à  Mékiskan  en  cinq  jours,  mais  le  voyage  dura  huit 
jours.  L'un  de  nos  trois  hommes  tomba  malade  le  matin  du 
troisième  jour,  et  le  midi  de  la  môme  journée,  un  autre  se 
coupait  le  pied  avec  un  couteau  en  voulant  débarquer  du 
canot  à  la  tête  d'un  rapide,  Nous  n'avions  pas  autre  chose  à 
faire  que  de  nous  résigner  à  supporter  patiemment  ce  double 


—  119  — 

malheur  et  à  bénir  la  divine  Providence  qui  nous  l'eiiVoyait 
pour  nous  éprouver  et  qui  ne  nous  abandonna  pas  dans 
notre  détresse.  Nous  arrivâmes  lentement  mais  sûrement 
à  Mékiskan  où  nous  nous  attendions  à  faire  une  nou- 
velle mission.  Mais  nouveau  contretemps,  pas  un  seul  sau- 
vage ne  s'y  trouvait  î  Ce  poste  est  si  mal  approvisionné  que 
les  indiens,  plutôt  que  de  mourir  de  faim,  s'étaient  dispersés 
dans  les  postes  circonvoisins,  à  Kikandate,  Wemontaching, 
à  La  Barrière  et  au  Grand  Lac.  Mais  ce  qui  nous  embarrassait 
le  plus,  c'est  que  nous  n'avions  pas  de  guide  sûr  pour  nous 
rendre  au  Saint  Maurice.  Voulant  ménager  nos  provisions, 
nous  ne  prîmes  cette  fois  que  deux  hommes  dont  l'un  avait 
été  autrefois  avec  le  missionnaire  ;  mais  comme  il  y  avait 
plus  de  20  ans  qir'il  n'avait  pas  fait  ce  voyage,  nous  nous  ren- 
dîmes au  bout  de  six  jours  à  Kikandate  vers  le  29  de  juin. 
Nous  y  restâmes  à  peine  deux  jours  ;  mais  la  grâce  du  Sei- 
gneur nous  y  avait  précédés  et  nous  n'eûmes  qu'à  cueillir  le 
fruit  qu'elle  avait  fait  mûrir.  Madame  Spence,  femme  du 
commis  de  ce  poste,  baptisée  sous  condition,  il  y  a  13  ans,  par 
le  Révérend  Père  Lebret,  mais  redevenue  protestante  pour 
ne  pas  déplaire  à  son  mari,  demanda  à  rentrer  dans  le  giron 
de  la  sainte  Eglise  Catholique.  Ce  fut  le  Père  Prévost,  mon 
compagnon  de  voyage,  qui  eut  le  bonheur  d'entendre  sa  con- 
fession, de  recevoir  son  abjuration  et  de  la  faire  communier 
pour  la  première  fois  au  milieu  de  tous  les  sauvages  réunis 
dans  la  maison  du  chef  de  Kikendate.  Cette  pauvre  femme 
doit  cette  grande  grâce  à  la  puissante  intervention  de  la 
Sainte  Vierge.  S'étant  trouvée  malade  l'hiver  dernier  et  ayant 
déjà  perdu  deux  enfants  l'année  précédente,  elle  recourut 
cette  fois  à  Celle  que  l'on  n'invoque  jamais  en  vain,  et  elle 
promit  à  la  Sainte  Vierge  de  se  faire  catholique  si  elleétait  dé- 
livrée heureusement,  et  de  donner  àson enfant  le  nom  de  Marie. 
A  peine  eut-elle  reçu  la  grâce  qu'elle  avait  demandée  qu'elle 
se  hâta  de  remplir  sa  promesse  et  de  devenir  une  bonne  mère 
catholique.  Pour  l'aider  dans  l'éducation  de  sesenfants,  nous 
amenâmes  avec  nous  les  deux  plus  âgés  James  et  John  Spence, 
et  nous  les  avons  placés  à  l'orphelinat  des  Sœurs  Grises 
d'Ottav^a  ;  ils  fréquenteront  les  écoles  des  Frères  et  se  prépa- 
reront à  faire  leur  première  communion  l'été  prochain. 


—  120  — 

Le  2  juillet,  nous  arrivions  à  Wemontaching  où  tous  les 
sauvages  du  Saint  Maurice  se  réunissent  dans  l'ancienne 
chapelle  du  Révérend  Père  Bourassa,  Comme  elle  commence 
à  menacer  ruine,  le  Révérend  Père  Prévost  avait  été  chargé 
de  voir  ce  qu'il  y  aurait  à  faire,  soit  pour  la  réparer,  soit 
pour  en  hâtir  une  autre  en  cas  de  besoin.  Il  a  dû,  mon  Révé- 
rend Père,  vous  donner  un  compte-rendu  de  ses  observations 
et  de  ses  décisions^    Pour  ma  part,  chargé  du  spirituel  de  la 
mission,  je  dois  avouer  à  ma  grande  confusion  que  mes  en- 
fants du  Saint  Maurice  ne  me.  donnèrent  pas  beaucoup  de 
consolations  cette  année.    Cependant  il  ne  faudrait  pas  être 
trop  sévère  à  leur  égard.    Si  les  blancs  n'étaient  pas  là  pour 
porter  le  scandale,  il  n'y  aurait  pas  tant  de  vices  à  déplorer 
et  si  les  traiteurs  de  pelleteries  pensaient  qu'il  y  a  un  Dieu 
pour  eux  aussi  bien  que  pour  les  sauvages,  ils  ne  s'expose- 
raient pas  à  se  damner  par  leur  mauvaise  conduite  et  à  dam- 
ner les  sauvages  par  leur  maudite  boisson.  C'est  là  l'abomi- 
nation de  la  désolation.    A  Wemontaching  plusieurs  m'a- 
vouèrent que  les  désordres  avaient  été  immenses  cette  année 
et  qu'il  faudrait  remonter  loin  dans  le  passé  pour  en  trouver 
d'équivalents,  alors  qu'ils  livraient  toute  leur  chasse  pour 
quelques  gallons  de  boissons  enivrantes.  Il  est  vrai  qu'à  notre 
arrivée,  il  n'y  avait  personne  en  train^  mais  c'était  parcequ'il 
n'y  avait  plus  de  boisson.    Tous  firent  leur  mission  et  paru- 
rent assez  repentants  ;  mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  désolant,  mon 
Révérend  Père,  c'est  que  l'on  veut  encore  monter  de  la  bois- 
son parmi  ces  malheureux  sauvages.    Ah  î  pourquoi  quel- 
qu'un ne  prendrait-il  pas  leur  cause  en  main  etjUe  ferait-il 
pas  tout  en  son  pouvoir  pour  arrêter  ce  dangereux  commerce 
en  mettant  en  vigueur  tant  de  lois  passées  tous  les  ans  à  ce 
sujet.    Ah  1  mon  Révérend  Père,  intercédez  pour  nous  afin 
qu'un  magistrat  compétent  soit  nommé  pour  ce  territoire  du 
Saint  Maurice,  car  il  nous  est  impossible  de  faire  le  bien, au 
milieu  de  .ces  chers  enfants  si  à  notre  arrivée  parmi  eux  nous 
y  trouvons  établi  le  hideux  démon  de  l'ivrognerie. 

Le  16  juillet  je  quittais  avec  peine  ces;ipâuvres  sauvages 
qui  avaient  été  jusque  là  ma  joie  et  ma  consolation.  Je  crai- 
gnais de  voir  cette  place  appeléa  par  un  missionnaire  le  para- 
dis do- nos  missions,  changée  en  enfer  par  l'usage  des  bois- 


— 121  — 

sons  enivrantes.  Puisse  le  bon  Dieu  avoir  pitié  de  nous  et 
détourner  le  fléau  destructeur  I  Nous  nous  acheminâmes 
tristement  vers  notre  nouveau  rendez-vous,  c'est-à-dire  vers 
La  Barrière  connue  depuis  longtemps  dans  les  annales  des 
missions  surtout  par  les  rapports  du  Révérend  Père  Laverlo- 
chère  Pendant  près  de  15  ans,  il  n'y  eut  pas  démission  à  La 
Barrière  ;  les  sauvages  avaient  réussi  à  se  bâtir  une  petite  cha- 
pelle à  Kakîpongang  où  se  trouvait  le  poste  de  la  compagnie  et 
c'était  là  qu'ils  se  réunissaient.  Mais  ce  poste  ayant  été  brûlé, 
il  y  a  cinq  ans,  et  la  Compagnie  ayant  fixé  ses  comptoirs  à 
La  Barrière,  les  sauvages  furent  aussi  obligés  de  renoncer  à 
leur  chapelle  de  Kakipongang,  car  ils  ne  pouvaient  plus  se 
procurer  de  provisions  en  cet  endrolL  Ds  se  sont  mis  de  nou- 
veau à  l'œuvre  et  ils  sont  à  la  veille  de  posséder  une  nou- 
velle chapelle.  Mais  pour  la  terminer,  il  faudra  bien  du  temps 
si  l'on  ne  vient  en  aide  aux  pauvres  ouvriers  qui  l'ont  entre- 
prise et^ui  n'ont  par  eux-mêmes  aucune  ressource.  Nous  ne 
mimes  pas  moins  de  treize  jours  pour  nous  rendre  à  La  Bar- 
rière ;  le  vent  contraire  et  la  pluie  nous  causèrent  bien  des 
fatigues.  Nos  dépenses  augmentent  considérablement  et  nous 
aurons  de  la  chance  si  nous  échappons  a  la  banqueroute 
cette  année.  A  notre  arrivée,  le  Père  Prévost  s'occupa  du  ma- 
tériel de  la  mission  en  travaillant  à  la  réparation  de  la  cha- 
pelle, tandis  que  moi  je  m'efforçais  de  réparer  le  temple  spi- 
rituel. Ici  comme  au  Saint  Maurice,  il  y  eût  à  constater  de 
nombreux  dégâts  depuis  la  dernière  mission  ;  ce  qui  nous 
console,  c'est  que  l'on  n'a  pas  l'intention  d'apporter  de  nouveau 
de  liqueurs  enivrantes.  De  tous  les  sauvages  que  nous  visi- 
tons, je  dois  le  dire  à  leur  louange,  les  sauvages  de  La  Bar- 
rière sont  ceux  qui  montrent  le  plus  d'activité,  de  zèle  et  de 
persévérance,  soit  pour  apprendre  leur  religion,  soit  pour 
procurer  à  Dieu  le  culte  qui  lui  est  dû.  J'espère  que  la  divine 
Providence  récompensera  leur  bonne  volonté  et  bénira  leurs 
efTorts  pour  le  bien.  Cette  année  ils  se  sont  distingués  comme  à 
l'ordinaire,  et  je  ne  serais  pas  surpris  si  l'on  disait  un  jour  de  La 
Barrière  ce  que  l'on  disait  autrefois  de  Wemontaching  :  c'est 
ici  le  paradis  de  nos  missions,  parce  qu'ici  au  moins  le  mis- 
sionnaiie  trouve  moyen  de  se  réjouir  après  les  tribulations 
qu'il  a  éprouvées  dans  les  autres  missions. 


—  122  — 

Le  7  août,  nous  disions  adieu  à  nos  sauvages  de  La  Barrière 
et  le  9  nous  revoyions  avec  plaisir  ceux  du  Grand  Lac.  Le  12 
du  même  mois,  le  Révérend  Père  Prévost  s'embarqua  avec 
M.  Whitnay,  commis  du  Grand  Lac,  pour  se  rendre  à  Ténus- 
kaming.    Pour  moi,  je  restai  jusqu'au  15.    J'eus  le  bonlieur 
de  rencontrer  presque  tous  nos  sauvages  des  frontières  et 
quelques-uns  de  l'intérieur,  de  les  confesser  et  de  leur  don- 
ner la  sainte  communion,  le  jour  de  la  fête  de  l'Âssomptioa 
de  la  Sainte  Vierge.  Je  me  dirigeai  alors  vers  la  Kipawe  pour 
fournir  aux  indiens  du  lieu  l'occasion  de  faire  quelques 
jours  de  mission.  Après  avoir  visité  une  douzaine  de  familles 
de  blancs  entre  le  Grand  Lac  et  la  Kipawe,  je  fus  assez  heu- 
reux pour  trouver  tous  mes  sauvages  réunis  à  Hunter's  Lodge 
ainsi  nommé  du  nom  de  céÙii  qm  le  premier  établit  ce  poste 
à  la  Kipawe,  M.  Hunter. 

Pendant  huit  jours,  je  n'eus  qu'à  me  louer  de  la  bonne 
volonté  qu'ils  apportèrent  à  écouter  la  parole  divine  et  â  sui- 
vre les  conseils  que  je  crus  devoir  leur  donner  ;  ils  se  mon- 
trèrent aussi  pleins  de  zèle  pour  l'instruction  religieuse  de 
leurs  enfants  et  firent  tout  en  leur  pouvoir  pour  leur  faciliter 
l'assistance  au  catéchisme. 

Ils  n'oublièrent  pas  la  nouvelle  chapelle  à  construire  et 
pendant  que  les  uns  étaient  à  se  confesser,  les  autres  travail- 
laient à  préparer  les  matériaux  nécessaires  au  temple  du  Sei- 
gneur, Hélas  I  Ils  ne  pourront  pas  travailler  bien  longtemps, 
car  ils  n'ont  pas  les  moyens  de  se  procurer  les  provisions  que 
nécessiterait  un  ouvrage  de  longue  durée  ;  aussi  faudra-t-il 
remettre  à  un  autre  printemps  ce  travail  commencé  depuis 
trois  ans.  Je  dis  au  revoir,  et  non  adieu,  à  mes  chères  ouailles, 
bien  disposé  à  aller  encore  les  visiter  et  à  les  aider  à  cons- 
truire leur  petite  chapelle.  Puisse  le  bon  Dieu  bénir  encoie 
ce  dessein  ! 

Le  2  septembre,  je  quittais  la  Kipawe,  et  le  lendemain,  je 
rentrais  à  Témiskaming,  après  une  absence  de  trois  mois  et 
demi 

Voici  le  nombre  des  baptêmes  et  des  mariages  dans  ces 
diverses  missions  : 
A  la  Kipawe,  6  baptêmes. 
Au  Grand  Lac,  11  baptêmes  et  3  mariages. 


—  123  — 

A  Wasswanipi,  9  baptêmes  et  4  mariages. 

A  Mékiskan,  1  baptême. 

A  Kikendate,  1  baptême  et  1  mariage. 

A  Wemontaching,  7  baptêmes  et  1  mariage. 

A  La  Barrière,  7  baptêmes  et  2  mariages* 

Total,  42  baptêmes  et  11  mariages. 

Plusieurs  sont  sous  rimpressiou  que  les  sauvages  condui- 
aent  leurs  missionnaires  d'un  poste  à  un  autre  pour  l'amour 
du  bon  Dieu.  Ceux  qui  ont  déjà  fait  ces  missions  du  Saint 
Maurice  ou  accompagné  les  missionnaires,  savent  bien  qu'il 
faut  payer  les  sauvages  et  les  nourrir  ;  ce  qui  n'est  pas  une 
petite  affaire,  si  l'on  songe  qu'on  est  obligé  de  payer  la  fleur 
dix  piastres  la  poche  et  le  lard  soixante  piastres  le  quart,  et 
encore  dans  certains  postes,  on  ne  peut  s'en  procurer  ni  pour 
or  ni  pour  argent.  Aussi  fautril  s'approvisionner  d'avance  et 
se  procurer  des  canots  pour  transporter  les  vivres.  Ordinai- 
rement il  en  faut  une  couple  pour  le  voyage  sans  compter 
ceux  qu'il  faut  avoir  aussi  lorsqu'on  veut  congédier  les  sau- 
vages qui  vous  ont  amenés  d'un  poste  à  un  autre,  ce  qui  ar- 
rive assez  fréquemment.  Le  missionnaire  a  généralement 
besoin  de  trois  hommes  pour  l'accompagner. 

Cette  année  nous  avons  eu  58  jours  de  voyage  ;  les  gages 
des  hommes  ont  été  de  9159.00  ;  les  provisions  pour  eux  et 
pour  les  missionnaires,  874  livres  de  fleur,  $87.40  et  2  quarts 
de  lard,  $120.00  ;  de  plus  $60.00  pour  des  canots.  Total  de  ces 
dépenses,  $420.00. 

Les  recettes  se  sont  à  peine  élevées  à  $40.00. 

Et  vous  n'avez  dans  ce  tableau,  mon  Révérend  Père,  qu'une 
partie  des  dépenses  que  nous  avons  à  faire  ;  ajoutez-y  les 
$70.00  que  vous  avez  payées  pour  objets  de  piété,  tels  que 
chapelets,  croix,  médailles,  images,  livres,  etc.,  ajoute*  encore 
ce  qu'il  a  fallu  payer  pour  les  chapelles  portatives,  les  orne- 
ments, les  linges,  habits  et  chaussures  des  missionnaires,  et 
vous  en  viendrez  à  la  même  conclusion  que  nous  ;  que  les 
dépenses  faites  dans  ces  missions  du  Saint  Maurice  sont  très- 
considérables  et  que  nous  avons  besoin  de  faire  appel  à  la 
charité  des  associés  de  la  Propagation  de  la  Foi.  Ah  I  s'ils 
pouvaient  entendre  nos  cris  de  détresse,  s'ils  voyaient  comme 
nous  la  misère  de  ces  pauvres  sauvages  que  nous  évangéU- 


—  124  — 

sons,  s'ils  entraient  dans  ces  pauvres  chapelles  dénuées  de 
tout  et  qui  menacent  de  tomber  sur  la  tête  des  fidèles  gui  y 
sont  assemblés^  comme  leurs  cœurs  seraient  touchés  de  com- 
passion 1  comme  leurs  âmes  seraient  embrasées  de  charité  ! 
Ah  1  puissent-ils  trouver  les  moyens  de  nous  venir  en  aide, 
pour  que  le  règne  de  Jésus-Christ  s'établisse  de  plus  en  plus 
dans  nos  missions  et  que  le  nom  du  Seigneur  soit  béni  par 
les  enfants  des  bois.  En  attendant  que  la  divine  Providence 
nous  accorde  de  meilleurs  jours,  je  vous  prie,  mon  Révérend 
Père,  de  bénir  nos  missions  et  le  pauvre  missionnaire  qui  est 
heureux  d*etre  en  Jésus  et  Marie  Immaculée, 

Votre  cher  frère, 

m 

J.  P.  GUÉGEN,  0.  M  L 


LA  GASPESIE 

AVANT    1800. 

La  Gaspésie,  cette  contrée  pittoresque,  décrite  par  la  plume 
agréable  de  M.  Pabbé  Ferland,  dans  les  Soirées  Canadiennes 
de  1861,  et  dans  le  Foyer  Canadien^  sous  forme  de  récit  de 
voyages,  fait  aujourd'hui  partie  du  diocèse  de  Rimouski. 
Cette  notice  a  pour  objet  de  faire  connaître  succinctement 
ces  missions  depuis  la  conquête. 

M.  Rameau,  parlant  des  années  qui  suivirent  la  domination 
française,  fait  la  peinture  suivante  de  la  Gaspésie  (1). 

"  Ce  pays  n'était  guère  connu  que  comme  une  côte  favo- 
rable à  la  pêche,  et  c'est  à  peine  si  quelques  pêcheurs  séden- 
taires s'étaient  fixés  sur  ces  plages. 

^'  Ces  pêcheurs  isolés,  ces  courageux  colons,  aidés  seulement 
de  quelques  émigrants  venus  de  temps  en  temps  des  comtés 
de  rislet,  de  Montmorency  et  de  Québec,  s'étaient  soutenus, 
développés  et  leur  nombreuse  postérité  s'était  propagée  ea 
colonies  nouvelles  sur  les  seigneuries  encore  désertes  de  ces 
rivages  délaissés. 

^^  D'autre  part,  quelques-unes  des  familles  acadiennes,  si 
cruellement  chassées  et  poursuivies,  étaient  venues  chercher 
asile  dans  un  lieu  alors  inhabité  et  ignoré,  la  Baie  des  Char- 
leurs,  où  elles  ont  été  la  souche  de  la  population  française 
du  comté  de  Bonaventure.  " 

M.  Ferland,  écrivant,  en  1861,  /e  journal  d'un  voyage  sur 
les  côtes  de  la  Gaspésie^  remarquait  que  '^  la  Gaspésie  de  1861 
aurait  peine  à  se  reconnaître  dans  la  description  de  la  Gas- 
pésie de  1836  "(2). 

Le  contraste  est  plus  frappant  encore  lorsque  l'on  compare 
l'état  de  la  religion  dans  cette  contrée  en  1760  avec  la  pros- 
périté dont  elle  jouit  en  1879. 

Un  mémoire  de  l'évêque  de  Québec,  du  30  octobre,  1759, 

(1)  Acadiens  et  Canadiens, 

(2)  Soirées  Canadiennes,  1861. 


—  126  — 

BOUS  apprend  sans  en  préciser  le  nombre,  que  les  Acadiens 
étaient  principalement  au  Gap  Sable,  où  un  missionnaire,  M. 
Desenclaye,  les  consolait  et  les  soutenait  contre  les  persécu- 
tions  ;  sur  la  Grande-Riyière  à  la  côte  de  TEst  où  ils  étaient 
plus  paisibles  et  même  plus  aisés,  capables  de  résister  aux 
incursions,  et  demandant  un  missionnaire  qu'ils  offraient  d& 
défrayer  par  eux-mêmes  ;  et  enfin  dispersés  en  divers  lieux, 
vivant  misérablement  dans  les  contrées  les  plus  sauvages. 

Les  pauvres  malheureux  étaient  souvent  obligés  de  se 
cacher  dans  les  bois  de  peur  des  ennemis. 

La  position  des  missionnaires  était  des  plus  délicates- 

Tantôt  le  ministre  écrivait  à  Mgr  de  Pontbriand  pour  lui 
représenter  que,  surtout  dans  les  circonstances  présentes,  il 
était  important  que  les  missionnaires  de  l'Acadie  se  condui- 
sissent de  façon  à  pouvoir  se  maintenir  dans  leurs  missions. 
'^  Vous  devez  leur  recommander,  disait-il,  de  ne  rien  faire 
qui  puisse  donner  à  ces  officiers  anglais  des  prétextes  de  les 
leur  faire  abandonner  "  (1).  Tantôt,  lorsque  les  Français 
avaient  abandonné  l'Acadie,  le  ministre  aurait  voulu  que  les 
missionnaires  prissent  fait  et  cause  contre  les  vainqueurs 
dont  ils  levaient  tant  à  craindre  (2).  H  avouait  que,  si  les 
Français*6taient  en  état  de  se  soutenir  et  de  défendre  la  po- 
pulation, les  missionnaires  les  encourageaient  dans  la  fidélité 
au  Roi. 

C'est  dans  cette  pénible  position  que  passèrent  bien  des 
années,  MM.  Maillard,  La  Goudalée,  Laboret,  Leloutre,  De- 
senclave, Ghevreux  et  de  Miniac.  Celui-ci  avait  le  titre  de 
Grand- Vicaire,  et  excitait  particulièrement  les  soupçons  du 
ministre,  qui  l'accusait  de  ^^  cacher  mieux  que  les  autres  ses 
démarches,  mais  d^agir  encore  plus  efficacement  pour  faire 
échouer  l'entreprise." 

En  un  mot  on  aurait  voulu  se  servir  des  prêtres  comme 
d'instruments  pour  les  besoins  du  moment,  quitte  à  les 
abandonner  à  toute  la  fureur  des  ennemis. 

Cependant  lorsque,  grâce  à  leur  discrétion,  ils  avaient*été 
laissés  à  la  direction  de  leur  petit  peuple  par  les  Anglais,  le 

(1)  H.  de  Monrépas,  17  avril,  v.  44. 

(2)  Le  même,  12  mai,  v.  45. 


•  —  127  — 

ministre  du  roi  de  France  admettait  qu'ils  avaient  agi 
sagement,  et  annonçait  qu'il  ^^  serait  pris  des  mesures  pour 
leur  faire  payer  à  l'ordinaire  leurs  pensions."  (1) 

M.  Maillard,  dont  M.  de  Mourepas  s'était  plaint  amèrement, 
ne  trouva  pas  grâce  devant  les  envahisseurs.  Ils  le  ren- 
voyèrent directement  de  Boston  en  France  avec  d'autres 
prisonniers.  Mais  le  brave  missionnaire,  qui  n'était  pas 
découragé,  prit  ses  mesures  pour  retourner  à  son  poste 
au  moment  favorable.  (1746) 

M.  Maillard. 

Ce  respectable  prêtre  dont  la  vie  irrépréhensible,  le  zèle  et 
les  travaux  ont  fait  tant  d'honneur  aux  missions  étrangères, 
auxquelles  il  appartenait,  était  l'objet  de  la  confiance  et  delà 
vénération  des  Acadiens  et  des  Mickmacks.  Pendant  30  ans 
il  fut  dévoué  à  leur  salut  parcourut  toutes  les  missions 
répandues  dans  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  les  missions  de 
la  Nouvelle-Ecosse  et  du  Nouveau-Brunswick  et  fit  du  bien 
partoJt.  Miramichi  et  Labrador  étaient  les  deux  endroits  où 
se  réunissaient  principalement  les  Mickmacks  de  toutes  ces 
contrées.  Il  allait  tous  les  ans  d'un  de  ces  villages  à  l'autre, 
mais  faisait  sa  principale  résidence  auprès  de  ceux  du  dernier. 

Il  a  étudié  leur  langue  à  fonds,  a  écrit  toutes  leurs  prières 
et  leurs  cantiques,  leur  a  donné  des  hyéroglyphes,  leur  a 
appris  à  les  entendre,  à  les  transcrire,  a  réduit  la  langue  à 
des  principes  réguliers  et  (ce  qui  doit  faire  trembler  de  jeunes 
missionnaires)  il  a  déclaré  à  la  fin  d'un  de  ses  derniers  livres 
qu'il  avait  souvent  été  à  tâtons  avec  eux,  faute  d'avoir  assez 
approfondi  leur  langue  ou  d'avoir  sufBsamment  connu  leur 
caractère. 

Après  la  réduction  du  Canada,  les  Mickmacks,  partageant 
avec  les  Canadiens  et  les  Acadiens  le  dépit  qu'ils  avaient 
d'être  passés  sous  la  domination  anglaise,  mais  moins  modé- 
rés et  moins  éclairés  que  ces  deux  peuples,  crurent  pouvoir 
se  dédommager  de  leur  subjection  en  travaillant  à  la  destruc- 
tion des  Anglais.    Sur  ce  principe  ceux  de  la  Nouvelle 

(1)  M.  de  Mourepas  Ik  Mgr  de  Pontbriand,  U  mais  1746. 


—  128  —  • 

Ecosse,  commencèrent  à  faire  main  basse  sur  eux  partout  où 
ils  pouvaient  les  surprendre.  Les  citoyens  d'Halifax  ne 
pouvaient  à  peine  sortir  de  la  ville  sans  tomber  dans 
quelque  embuscade.  Ces  meurtres  étaient  devenus  si  fré- 
quents que  le  gouvernement  songea  à  prendre  de  fortes 
mesures  pour  résister  à  ces  attaques  ou  pour  les  prévenir. 
Mais  comment  atteindre  des  Sauvages  qui,  aussitôt  après  leur 
coup  donné,  gagnaient  le  bois  à  toutes  jambes  ?  Au  lieu 
d'entreprendre  inutilement  de  repousser  la  force,  le  gouver- 
nement s'arrêta  à  un  avis  plus  sage.  Ce  fut  d'attirer  11. 
Maillard,  de  le  bien  traiter  et  de  faire  usage  de  son  influence 
sur  les  Mickmacks  pour  prévenir  la  continuation  de  ce 
désordre.  La  chose  fut  exécutée.  Ce  missionnaire  fut  invité 
à  fixer  sa  résidence  à  Halifax  :  le  gouvernement  lui  ac- 
corda une  pension  de  £200  sterling.  A  une  époque  où 
l'aversion  du  gouvernement  anglais  pour  la  religion  catholi- 
que n'avait  pas  de  bornes,  M.  Maillard  eut  une  église  dans 
cette  capitale.  Les  sauvages  l'y  suivirent,  et  il  ne  fut  plus 
question  des  meurtres  qui  la  désolaient  auparavant.  Les 
Acadiens  même  devenus  odieux  à  ce  gouvernemeni  et  dJA- 
perses  comme  on  le  verra  ci- après,  eurent  la  liberté  de  Vj 
suivre  et  d'exercer  sous  sa  protection  leur  culte  dans 
cette  ville,  et  cela  tant  qu'il  vécut. 

M.  MaUlard  jouissait  à  Halifax  de  la  plus  grande  considé- 
ration. Après  quelques  années  de  séjour,  il  tomba  dange- 
reusement malade.  Un  ministre  angUcain  vint  obligeam- 
ment lui  offrir  ses  services  pour  le  disposer  à  la  mort.  H  loi 
fit  une  réponse  digne  d'un  prêtre  catholique,  et  mourut  sans 
sacrements,  mais  plein  de  confiance  dans  la  bonté  de  Dieu 
qu'il  avait  fidèlement  servi,  ne  laissant  que  son  cadavre  aux 
protestants  qui  lui  firent  des  obsèques  magnifiques.  C'était 
vers  l'an  1768,  M.  Bailly  lui  succéda  dans  la  desserte  des  Mic- 
macki  :  après  lui  vint  M.  Bourg. 

Si  les  Acadiens  ignoraient  les  lettres  humaines,  ils  étaient 
en  revanche  instruits  dans  les  voies  de  Dieu  et  très-attachés 
à  leur  religion,  grâce  à  la  vigilance  de  leurs  vertueux  mis- 
sionnaires pour  lesquels  ils  étaient  remplis  de  respect  et 
d'obéissance.  Leurs  descendants  ont  conservé  les  noms  et 
la  mémoire  de  MM.  Maillard,  Monac,  Dosque,  Leloutre,  De- 


'  — 129  — 

senclave,  etc.,  qui  étaient  non-seulement  les  pasteurs,  mais 
on  peut  dire  les  pères,  les  magistrats  et  les  princes  de  ce 
peuple  sur  lequel  il  avaient  l'influence  la  plus  complète  "  (1). 

Le.  seul  missionnaire  qu'il  y  eût  à  l'Isle  Royale,  à  Louis- 
bourg,  était  M.  Maillard,  Grand-Vicaire  de  cette  colonie,  en 
môme  temps  missionnaire  de  l'Isle  Royale. 

Après  la  prise  de  Louisbourg,  il  se  retira  avec  ses  sauvages 
et  quelques  h^abitants  dans  l'intérieur  des  terres  au  nord  de 
l'Acadie,  et  ensuite  à  Halifax  avec  235  familles  dont  il  pre- 
nait soin,  sans  perdre  de  vue  ces  sauvages  retirés  dans  l'inté- 
rieur des  terres  et  qui  n'allaient  à  Halifax  que  par  députations 
pour  leiirs  traites. 

Toutes  les  autres  parties  de  l'Isle  Royale  étaient  desservies 
(en  1760)  par  les  Récollets  de  la  province  de  Bretagne. 

Extrait  d'un  tableau  sommaire  des  missionnaires  séculiers  de 
Plsle  Royale,  de  l'Isle  St.  Jean^  de  VAcadie  et  de  la  rivière  St. 
Jean* 

En  1745,  M.  Maillard  fut  pris  par  les  Anglais  et  renvoyé 
directement  de  Boston  en  France  avec  d'autres  prisonniers. 

Tl  a  laissé  un  livre  de  prières  dans  la  langue  mickmaque; 
intitulé  euchologue  ;  la  note  placée  au  commencement  mérite 
d'être  reproduite  ici  : 

'^  Tout  ce  qui  est  contenu  dans  cet  euohologue  a  été  travaillé 
avec  un  soin  extrême,  tout  y  est  nouveau  ;  m'étant  vu  obligé 
de  traduire  et  composer  ce  tout  avec  beaucoup  d'autres  ou- 
vrages qui  ea  dépendent,  comme  s'il  n'y  avait  jamais  encore 
eu  rien  de  fait  en  ce  genre  pour  cette  nation,  vu  que  ce  que 
l'on  avait  ci-devant  appris  était  non-seulement  insufQsant, 
mais  encore  si  misérablement  rendu  en  leur  langue  qu'il 
n'était  pas  possible  d'en  supporter  le  récit  sans  en  rire  ou  en 
pleurer.  Le  peu  d'écrits  que  j'ai  trouvés  des  missionnaires 
qui  m'ont  précédé  n'était  plus  du  tout  intelligible  quand  ceux 
de  nos  sauvages,  qui  disaient  leâ  bien  savoir  par  cœur, 
venaient  à  en  faire  la  répétition. 

J'ai  ici  un  collègue  dans  ces  missions  qui  est  M.  Manach 

(1)  Extrait  du  journal  de  la  miaBion  de  Mgr  Pleesis  dans  le  golfe  Saint- 
Laorentj  en  1815, 


—  130  — 

prêtre  (1)  comme  moi  des  missions  étrangères,  fort  en  état 
de  m'aider." 

Il  est  utile  de  rapprocher  de  cette  note  celle  écrite  de  la 
main  de  M.  Jos.  Bélanger  prêtre,  à  la  fin  de  VEuchologite. 

''  Ce  tahier  est  l'ouvrage  précieux  du  Vénérable  M.  Maillard 
Missionnaire  à  Tlsle  du  Gap  Breton.  Ce  très-digne  apôtre  de 
la  nation  Mickmaque  mourut  à  Halifax  après  une  longue  car- 
rière remplie  de  talents  et  de  vertus.  Justement  regretté  de 
tout  le  monde  et  honoré  même  après  sa  mort  des  services  du 
gouvernement  gui  pourvut  à  sa  pompe  funèbre  d'une  ma- 
nière généreuse  et  distinguée  ;  sa  mémoire  est  en  vénération 
parmi  tous  ceux  qui  Pont  connu.  Pretiosa  in  conspectu  Do- 
mini  mors  sanctorum  ejus. 

Ses  écrits  sont  ce  qu'it  y  a  de  plus  pur  et  de  plus  énergique 
dans  la  langue  Mickmaque  :  on  doit  sans  crainte  les  respecter 
et  les  considérer  comme  ayant  été  dictés  àee  saint  prêtre  par 
celui  qui  est  l'auteur  de  toutes  les  langues  et  qui  veut  être 
honoré  d'un  culte  public  par  toutes  les  nations  de  l'univers. 
Heureux  les  missionnaires  qui  le  prendront  pour  leur  mo- 
dèle, non  seulement  dans  l'étude  d'une  langue  si  dif[Icile,  et 
si  difTérente  de  la  logique  des  autres  langues,  mais  encore 
pour  sa  piété  et  sa  ferveur  et  son  zèle  infatigable  pour  le 
salut  des  âmes. 

Priez  pour  lui  et  demandez  à  Dieu  des  ouvriers  qui  Itû 
ressemblent.   Orate  Dominum  messis messis  quidem  miâlta. 

Garleton  23  septembre  1816.  J.  M.  R 

Les  missionnaires  n'auront  pas  lieu  de  se  repentir  d'avoir 
été  prudMits,  càt  le  nouveau  ministre  Rouillé  écrivait,  ea 
1 749,  à  Mgr  de  Popjbriand  : 

^^  Par  rapport  aux  missionnaires  de  l'Âcadie,  les  mesures 
que  le  gouvernement  britannique  prend  à  l'égard  de  cette 
colonie  doivent  faire  craindre  qu'on  laissera  ceux  destinés 
aux  anciens  habitants  moins  tranquilles  que  par  le  passé,  et 
vous  ne  sauriez  trop  leur  recommander  de  se  conduire  avec 
circonspection  dans  leur  ministère." 

(1)  Ce  M.  Manach  ayait  soin  des  Mîckmaos  anciennemet  appelés  ^  I!» 
JSaie  Verte,  qui  étaient  liés  à  la  mission  de  PAoadie  Française,  il  fnt  ren- 
voyé en  France  an  mois  d'avril  1760  par  le  gouvernement  anglais. 


—  131  — 

Enfin  en  1750,  le  même  ministre  écrivait  encore  au  digne 
prélat  : 

"  Par  les  dernières  nouvelles  que  j'ai  reçues  de  l'Ile 
Royale,  il  paraît  que  le  gouvernement  anglais  de  TAcadie  ne 
s'opposait  plus  à  l'exercice  des  fonctions  des  missionnaires 
de  cette  colonie  ;  mais  c'est  à  eux  de  se  conduire  de  façon  à 
ne  point  donner  prise  sur  leur  conduite  et  vous  ne  sauriez 
trop  les  y  exhorter." 

Telle  était  la  position  des  ministres  de  la  religion,  exposés 
à  chaque  instant  à  voir  les  maîtres  du  pays  chassés  par  ceux 
gui  cherchaient  l'occasion  de  reprendre  possession. 

Après  la  dispersion  des  Acadiens  en  1755,  il  y  avait  dans 
la  Baie  des  Chaleurs  une  population  de  1200  âmes. 

En  1766,  la  Baie  des  Chaleurs  était  desservie  par  le  Père 
Bonaventure  :  ce  Récollet  faisait  sa  résidence  ordinaire  à 
Bonaventure.  Le  28  de  septembre,  il  rendit  compte  de  la 
manière  suivante  de  la  l'état  de  ses  missions  à  l'Evêque  de 
Québec  : 

"  MONSIBGNEUR,  * 

Je  vous,  écris  .par  un  sauvage  nommé  François  Condo  pour 
vous  informer  de  la  sitiflttion  des  missions  qu'on  m'a  confiées 
tant  des  français  que  des  sauvages.  Tous  ont  montré  leur  zèle 
pour  soutenir  la  religion  et  le  prouvent  encore  tous  les  jours, 
malgré  tous  les  obstacles  qu'ils  ont  eu  à  vaincre  ;  et  j'espère 
qu'eux,  leurs  enfants  et  tous  leurs  descendants  seront  fidèles 
à  en  observer  les  préceptes.  Je  commence  à  être  sur  l'âge 
très-infirme  et  presque  incapable  de  les  desservir  comme  il 
conviendrait  J'ai  bien  encore  des  raquettes,  mais  je  n'ai 
plus  de  jambes  pour  aller  secourir  les  malades  à  sept  ou  huit 
lieues." 

Le  Père  de  la  Brosse,  Jean-Baptiste,  qui  visita  les  missions 
de  L'Acadie  en  1771  et  1773,  était  un  homme  d'une  grande 
énergie  ;  c'est  un  des  Jésuites  dont  le  souvenir  est  resté  le 
plus  vivace  partout  où  il  a  exercé  le  ministère.  On  le  trouve 
faisant  les  missions  de  la  côte  du  Nord  j^ndant  de  longues 
années. 

On  n'a  conservé  de  lui  qu'une  seule  lettre  sur  l'Acadie  { 
nous  la  donnons  ici  toute  entière  : 


t , 


—  132  — 

"  Le  Révérend  Père  La  Brosse,  S.  J ,  à  Mgr.  Briand,  Evêque 
de  Québec. 

De  la  mission  de  St.  Bonaventure,  à  la  Baye  des  Chaleurs, 
28  décembre,  1771. 

Monseigneur, 

Grâce  à  Dieu  et  à  la  bénédiction  de  Votre  Grandeur,  je  me 
suis  rendu  ici  sans  aucune  indisposition,  même  le  mal  de 
mer,  à  quoy  j'ay  été  sujet  en  canot  d'écorce.  Je  n'ay  eu  au- 
cun retardement  que  celuy  que  m'a  caitsé  un  vent  contraire 
de  sept  jours,  qui  me  retenant  à  RimoHski,  m'a  mis  à  portée 
d'y  faire  faire  les  jaques  à  tous  ceux  qui  ont  voulu  les  faire. 
Dp  là,  je  suis  heureusement  arrivé  en  quatre  jours  à  St.  Bo- 
naventure où  j'ay  fixé  mon  hivemement,  parce  que  ce  poste 
plus  peuplé  que  les  autres,  est  au  centre  de  ceux  de  la  Baye 
des  Chaleurs,  qui  sort  de  la  Province  de  Québec.  Avant  de 
me  mettre  en  hivemement,  quoique  la  saison  fût  avancée 
j'ay  fait  quelques  excursions  jusqu'à  Ristigouche,  chez  les 
sauvages  Mickmaks;  leur  rivière  sépaVant  les  deux  provinces^ 
leur  ancienne  église  et  leur  village  se  trouvent  sur  la  pro- 
vince d'Halifax.  Ils  se  sont  établis <tu  côté  de  celle  de  Qué- 
bec, afin  que  les  prêtres  qui  viendraient  de  là,  pussent  leur 
procurer  les  secours  spirituels.  J'y  ay  j^assé  la  fête  de  la 
Toussaint,  et  quelques-uns  qui  entendaient  l'Abénakis  on  le 
François  s'y  sont  confessés  dans  ces  langues^  et  les  autres 
par  interprètes.  J'y  ay  béni  leur  nouvelle  église,  et  comme 
l'ancienne  peut  encore  servir,  je  leur  ay  dit  de  ne  la  poiat 
démoli^  et  d'entretenir  la  clôture  des  cimetières,  pour  qu'ils 
puissent  avoir  du  secours  des  deux  côtés  en  cas  qu'il  vînt 
quelque  prêtre  du  gouvernement  d'Halifax,  qui  peut-être 
n'aurait  pas  la  permission  de  passer  dans  celui-cL 

J'y  ay  trouvé  icy  un  peuple  docile  et  zélé  pour  les  instruc- 
tions ;  outre  la  messe  et  le  catéchisme  de  tous  les  matins,  ils 
m'ont  encore  demandé  de  leur  faire  la  prière  tous  les  soirs, 
avec  un  mot  d'instruction,  où  ils  assistent  en  foule,  et  qui 
les  dispose  peu  à  peu  à  gagner  l'indulgence  du  Jubilé*,  que 
ie  suis  résolu  de  faire  gagner.  Dieu  aidant,  les  premières 
semaines  de  Carême,  tant  à  ceux  d'icy  qu'à  ceux  des  postes 


—  133  — 

voisins  que  j'en  ay  prévenus  de  vive  voix  et  par  écrit.  M. 
Bourdage,  témoin  oculaire  et  désintéressé  qui  remettra  cette 
lettre  à  V.  G.  lui  pourra  rendre  de  tous  les  Acadiens  qu'il  a 
vus  dans  ces  quartiers  un  témoignage  capable  de  luy  donner 
de  la  consolation. 

QuelquQ  temps  après  mon  arrivée,  il  est  venu  icy  des  gens 
des  différents  postes  du  gouvernement  voisin  à  qui  j'ai  pro- 
curé selon  mon  pouvoir  les  secours  du  salut,  mais  sans  aller 
chez  eux. 

Nous  renouvelons  nos  vœux  auprès  de  Dieu  pour  la  con- 
servation de  V.  G.  et  moy  en  particulier  je  luy  demande  la 
bénédiction  pour  moy  et  la  portion  du  troupeau  qu'elle  a 
bien  voulu  me  confier  et  j'ai  l'honneur  d'ôtre  avec  un  pro- 
fond respect  et  une  vive  reconnaissance  pour  vos  bontés, 

Monseigneur, 

De  Votre  Grandeur 
Le  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 

J.  B.  DE  LA  Brosse,  J. 

Ce  fut  le  Père  La  Brosse  qui  lit  bâtir  la  première  chapelle 
de  Garleton,  alors  Tracadièche.  M.  Bourg  la  fit  allonger, 
acheta  le  terrain  nécessaire  pour  les  bâtisses  et  le  cimetière, 
et  en  fit  don  à  la  mission. 

L9  16  juillet  1734,  M.  Gravé,  Vicairo  Général  de  Québec 
écrivait  à  M.  Bourg,  V,  G.  et  missionnaire  à  Tracadiècha, 
pour  l'informer  que  les  Anglais  catholiques  d'Halifax  de- 
mandaient à  l'Evoque  de  Québec  un  prêtre  avec  les  plus 
grandes  instances.  Ils  s'étaient  d'abord  adressés  à  l'Evêque 
catholique  de  Londres  qui  leur  avait  naturellement  répondu 
qu'Halifax  n'était  pas  dans  son  district.  M.  Bourg  recevait 
donc  l'injonction  de  se  transporter  à  Halifax,  d'examiner  les 
choses  par  lui-môme  et  de  lui  en  rendre  compte.  Y  avait-il 
beaucoup  de  catholiques  dans  la  ville  ou  aux  environs  dans 
la  Nouvelle-Ecosse  ?  Y  bâtirait-on  avec  liberté  une  église  et 
une  maison  presbytérale  ?  Quels  moyens  avait-on  de  faire 
subsister  un  prêtre  et  autres  choses  semblables? 

Le  désir  de  l'Evêque  était  que  M.  Bourg  y  fit  sa  résidence; 
M.  LeRoux  lui  succéderait  à  la  Baie  des  Chaleurs  jusqu'à 
nouvel  ordre. 


_  134  — 

On  prévoyait  qu'Halifax  deviendrait  un  des  premiers 
postes,  et  les  catholiques  y  avaient  obtenu  du  parlement  en 
faveur  de  la  religion  catholique,  des  avantages  que  bien 
d'autres  n'auraient  seulement  pas  osé  demander.  M.  Bourg 
savait  parfaitement  la  langue  anglaise,  était  le  Vicaire  Géné- 
ral de  l'Evêque  de  Québec  et  avait  toute  sa  confiance.  H 
était  chargé  de  dire  à  ces  catholiques  que  l'Evêque  ne  les 
oubliait  pas,  qu'il  était  très-content  du  zèle  qu'ils  avaient 
pour  leur  religion  ;  qu'il  avait  en  vue  leurs  intérêts  spirituels 
et  qu'il  travaillerait  de  tout  son  pouvoir  à  les  secourir. 

M.  Bourg,  Joseph  Mathurin,  a  été  pendant  près  de  20  ans^ 
missionnaire  de  l'Acadie, 

.  C'était  un  Acadien  que  Mgr  Briand 'avait  ordonné  en  1772  ; 
il  fut  fait  Grand  Vicaire  pour  l'Acadie  en  1781,  et  résida 
quelques  mois  en  cette  qualité  à  Halifax  en  1784. 

Le  11  février  1785,  il  écrivait  une  lettre  très-intéressante  à 
M.  Gravé,  Vicaire  Général  et  Supérieur  du  Séminaire  de 
Québec  ;  en  voici  un  extrait  : 

"  Monsieur, 

"  J'eus  l'honneur  d'écrire  à  Mgr  l'Evêque  étant  à  Halifax 
dans  le  courant  de  l'été  dernier,  que  je  me  conformais  au 
désir  de  Sa  Grandeur,  qui  était  que  je  résidasse  à  Halifax  ;  M. 
Le  Ropx  devait  résider  en  la  Baie  des  Chaleurs,  et  moi 
j'étais  sur  mon  départ  d'Halifax  pour  chercher  mes  effets  en 
la  Baie,  et  retourner  au  plus  tôt. 

*  J'ignore  si  cette  lettre  est  parvenue  à  Sa  Grandeur  et  c'est 
ce  qui  m'oblige  de  vous  écrire  la  présente.  Le  trajet  d'Halifax 
à  la  Baie  m'a  pris  trois  semaines,  et,  dans  une  tempête  qui 
dura  trois  jours  sans  discontinuer,  tout  l'équipage  fut  décon- 
certé excepté  le  capitaine,  je  fus  obligé  de  servir  de  matelot 
pour  me  sauver  la  vie,  et  à  mon  arrivée  je  tombai  malade, 
tant  j'avais  essuyé  de  fatigue  et  de  froid.  Cette  indisposition 
m'a  retenu  dans  la  Baie;  si  Dieu  me  conserve,  j'espère  me 
transporter  à  Halifax  ce  printemps  pour  y  faire  ma  résidence 
jusqu'à  nouvel  ordre  de  mon  Evêque. 

Quant  à  M.  Le  Roux,  qui  est  un  très-digne  prêtre,  il  est 
maintenant  d'un  âge  si  avancé  qu'il  lui  est  impossible  de 
pouvoir  desservir  tous  les  endroits  éloignés  et  même  les 


—  135  — 

moins  éloignés  durant  l'iiiver.  Ainsi  je  crois  qu'il  serait  à 
propos,  si  Sa  Grandeur  Tavait  pour  agréable,  qne  M.  Le  Roux 
vint  résider  où  je  suis,  gui  est  maintenant  l'endroit  le  plus 
considérable  de  la  Baie,  puisqu'il  y  a  78  habitants.  Neuf 
lieues  plus  haut  est  la  maison  de  Ristigouche  qu'il  pourrait 
encore  desservir,  ainsi  que  les  endroits  nommés  Pégeguit  et 
Garaquet,  où  il  peut  y  avoir  en  tout  40  habitants.  Le  second 
endroit  le  plus  considérable  est  Bonaventure,  douze  lieues 
plus  bas  que  Tracadie  et  toujours  du  côté  nord  où  il  y  a 
environ  60  habitants.  Quatre  lieues  plus  bas  est  un  endroit 
appelé  Paspéblac  où  il  peut  y  avoir  25  habitants,  ensuite  le 
Port  Daniel,  Pasbeau,  la  Grande  Rivière  et  Percé.  Du  côté 
du  sud  de  l'ouverture  de  la  Baie,  se  trouve  Miramichi  où  il 
peut  y  avoir  20  familles  et  quantité  de  sauvages  ;  plus  loin 
Cocagne  et  Memramcouk,  où  réside  maintenant  M.  Le  Roux, 
parce  qu'il  y  a  100  habitants  au  moins. 

Ne  serait  il  pas  possible  de  placer  un  jeune  prêtre  à  Bona- 
venture pour  y  résider  dans  le  cours  de  l'hiver  ?  L'été 
il  parcourrait  les  différents  endroits  que  j'ai  nommés. 

M.  Le  Roux  pourrait  le  suppléer  pour  les  malades  pendant 
son  absence. 

Je  suis  persuadé  que  votre  zèle  apostolique  vous  excitera  à 
faire  tout  ce  qui  dépendra  de  vous  pour  favoriser  cet  arran- 
gement 

Je  présente  mes  très-humbles  respects  à  Sa  Grandeur,  et 
prie  le  Seigneur  pour  sa  conservation. 

Je  suis,  cher  Supérieur  et  Vicaire  Général  avec  estime  et 
considération, 

Votre  très>humble  et  très-obéissant, 

Joseph  M.  Bourg,  Ptre.,  Miss. 

A  Tracadie  (aujourd'hui  Carleton),  le  1 1  février  1 785. 
A.  M.  Gravé,  Vicaire-Général,  Québec. 

En  1786,  M.  Bourg  s'occupa  de  faire  bâtir  une  nouvelle 
église  pour  tous  les  établissements  depuis  Cascapédiac  jusqu'à 
la  Nouvelle.  Ce  qui  engagea  les  habitants  à  l'entreprendre, 
ce  fut  l'activité  que  prit  alors  le  commerce.    Mais  M.  Bourg 


—  136  — 

ayant  transporté  sa  résidence  à  Bonaventure,  les  Àcadiensde 
Tracadièche  ûrent  instance  auprès  de  TEvêque  de  Qaébec 
pour  obtenir  un  prêtre  résidant  :  ce  qui  leur  fut  bientôt 
accordé. 

Les  sauvages  Mickmacs  de  Ristigoucbe,  au  départ  de  M. 
Bourg,  se  trouvèrent  confiés  au  missionnaire  de  Garaqaet, 
qui  est  à  24  lieues.  La  lettre  que  les  chefs  présentèrent  à 
^  l'Evêque  à  cette  occasion  respire  de  beaux  sentiments  et  mon- 
tre rattachement  qu^ils  avaient  pour  le  prêtre  qui  cessait  de 
les  desservir.  "  Permettez  à  vos  soumis  enfant,  dLisaient-ils, 
de  représenter  à  Votre  Grandeur  la  tristesse  que  nous  avons 
ressentie  lorsque  notre  bon  pasteur  nous  a  annoncé  ga'il 
n'était  plus  notre  père.  Cette  nouvelle  nous  contriste  telle- 
ment qu'elle  nous  fait  prendre  la  liberté  de  la  supplication 
suivante. 

"  Monseigneur,  si  par  un  effet  de  votre  bonté  vous  vouliez 
nous  accorder  M.  Bourg  ou  M.  Girouard  résidant  parmi  nous, 
neus  serions  tous  contents  et  satisfaits  ;  mais  nous  priver  de 
notre  ancien  pasteur  dont  nous  sommes  très-satisfaits  el  qui 
entend  notre  langue,  qui  réside  à  9  lieues  de  notre  village  da 
môme  côté,  cela  nous  fait  une  telle  peine  que  les  termes  nous 
manquent  pour  l'exprimer." 

M.  Girouard  qui  était  l'assistant  de  M.  Bourg  depuis  quel- 
que temps  fut  chargé  de  Ristigouche,  de  Nipissigui,  de  Gara- 
quet  et  de  Miramichi.  Sa  résidence  fut  fixée  à  Caraquet 
comme  le  poste  le  plus  important. 

Quant  aux  sauvages  de  Madawaska,  ils  furent  visi|(§s  par 
le  curé  de  l'Ile  Verte,  qui  était  alors  M.  Leclair. 

En  1791,  l'église  de  Bonaventure  brûla  avec  tout  ce  qu'elle 
contenait  par  la  négligence  d'un  servant  qui  laissa  tomber 
des  charbons  sur  le  plancher  de  la  sacristie  ;  mais  les  coura- 
geux fidèles  en  recommencèrent  immédiatement  une  nou- 
velle, qui  fut  terminée  en  peu  de  temps. 

En  1791,  M.  Bourg  fit  la  visite  de  tous  les  postes  et  en  ren- 
dit compte  à  son  retour  à  Percé  : 

^'  Monseigneur, 

''  J'informe  Votre  Grandeur  que,  grâce  au  Seigneur,  joois- 
saut  toujours  d'une  parfaite  santé,  j'ai  fini  de  parcourir  nord 


—  137  — 

et  sud  toutes  mes  missious,  de  sorte  qu'en  trois  ou  quatre 
jours  je  partirai  de  Percé,  où  je  suis  depuis  quelque  temps, 
pour  retourner  à  la  Baie  et  faire  une  mission  à  Caraqu et.  J'y 
«uis  allé  ce  printemps,  mais  ces  pauvres  gens  ne  pouvaient 
avoir  recours  à  moi  dans  le  cours  de  l'hiver.  J'ai  reçu  les 
saintes  huiles  pour  lesquelles  je  vous  remercie  et  le  mand  e- 
ment  à  l'égard  de  la  suppression  de  quelques  fêtes.  J'ai  lu  ce 
mandement  en  chaque  lieu  et  m'y  conformerai  ainsi  que 
tous  les  habitants. 

"  On  ne  voit  que  misère  en  la  Baie  cette  année,  attendu  que 
la  pêche  du  saumon  et  la  chasse  ont  presque  entièrement 
manqué  ;  la  pêche  à  la  morue  est  fort  médiocre,  mais  la 
récolte  a  été  assez  bonne.  C'est  un  malheur  qu'on  ne  soit  pas 
plus  porté  à  cultiver  avec  soin.  Quelques  habitants  de  ma 
paroisse  recueillent  déjà  depuis  quelques  années  plus  qu'ils 
ne  dépensent. 

"J'espère  que  cet  exemple  inspirera  aux  autres  qui  vivent 
très-mal  dan^  le  cours  de  l'hiver,  le  désir  de  les  imiter. 

Je  suis,  etc., 

Joseph  M,  Bourg,  Ptre. 

"  Vers  la  fin  du  siècle  dernier,  dit  M.  Ferland,  (I)  M.  Gi- 
rouard  fut  chargé  de  desservir  le  littoral  de  la  Baie  des  Cha- 
leurs et  le  district  de  Gaspé  tout  entier;  plusieurs  années 
auparavant,  M.  Bourg  avait  à  visiter  plus  de  400  lieues  de 
côtes,  dans  la  Nouvelle-Ecosse,  le  Nouveau-Brunswick  et  le 
danada.  Aujourd'hui  que  les  missions  ont  été  divisées,  le 
pasteur  peut  veiller  plus  aisément  sur  son  troupeaux  et  l'in- 
struction religieuse  se  répand  dans  toutes  les  parties  du  pays. 
Nous  avons  ici  l'occasion  d'observer  tout  le  bien  moral  qui 
résulte  de  la  piésence  du  missionnaire  au  milieu  de  ses 
ouailles." 

En  1791,  nous  trouvons  à  Bonaventure  M.  Bourg,  qui 
avait  remplacé  le  Père  Bonaventure.  Il  était  presque  tou- 
jours ambulant,  et  commençait  ses  missions  de  bon  printemps 
pour  les  continuer  durant  tout  l'été.    C'est  à  cette  date  que 

(1)  Journal  d'un  voyage  sur  les  cotes  de  la  Qaspésie. 


—  138  — 

commença  rétablissement  de  Richibouctou,  fonné  de  quel> 
ques  familles  de  Bonaventure  et  de  Memramcouk. 

M.  Bourg  cessa  alors  d'être  chargé  du  territoire  situé  au 
de  là  de  Miramichi.  Tout  le  reste  de  TAcadie  fut  confié  i 
un  M.  Jones,  prêtre  irlandais,  que  Mgr  Desgly  nomma  (le  20 
octobre  1797)  supérieur  des  missions  de  la  Nouvelle-Ecosse- 
L'évêque  de  Québec  adressa  à  cette  occasion  une  lettre 
pastorale  aux  "  catholiques  Irlandais,  Ecossais,  Acadiens  et 
autres  établis  à  Halifax,  Gap  Breton,  De  St.  Jean,  Shelburn, 
Antigonish,  Digby,  Memrancouk,  Cap  Sable,  Baie  Sainte- 
Marie,  Miramichi,  Améraque,  et  généralement  à  toutes  les 
parties  de  la  Nouvelle-Ecosse.  " 

Il  y  avait  un  paragraphe  concernant  le  chef  de  la  mission  : 
"  Je  dis  aux  catholiques  d'Halifax  :  révérez  M.  Jones,  c'est 
un  homme  de  grand  mérite  et  auquel  vous  avez  des  obliga- 
tions infinies;  suivez  ponctuellement  ses  conseils,  surtout 
pour  votre  conduite  extérieure.  Vous  ne  recevrez  pour 
missionnaires  anglais  que  ceux  qui  vous  seroQt  donnés  par 
M.  Jones,  supérieur  des  missions  de  la  Nouvelle-Ecosse,  au 
par  M.  Phellan,  dont  la  science  et  la  vertu  doivent  vous  être 
connues,  puisque  vous  avez  l'avantage  d'être  desservis  par 
ses  soins." 

Mgr  Hubert,  successeur  de  Mgr  Desgly,  conserva  sa  con- 
fiance à  Mr  Jones. 

Cet  excellent  prêtre  était  venu  en  1785,  avec  des  lettres  de 
l'archevêque  de  Dublin,  tes  évoques  de  Cork  et  de  Derry,  et 
de  son  supérieur.  Mgr  Butler,  de  Cork,  l'offrait  à  Tévêcpie  de 
Québec  pour  le  service  des  Irlandais  d'Halifax  avec  de  grands 
éloges.  Il  demeura  jusqu'en  1800  et  retourna  en  Angleterre 
avec  le  prince  Edouard.  Un  acte  qui  l'honore  beaucoup,  c'est 
la  fondation  qu'il  fit,  en  1792,  en  faveur  de  ses  missions  du 
montant  de  $5,200,  déposées  dans  une  banque. 

En  1796,  Mgr  Hubert  étant  allé  faire  une  visite  de  TAcadie 
eut  occasion  d'apprécier  personnellement  son  mérite  ;  il 
trouva  qu'il  s'était  assuré  les  bonnes  grâces  du  prince 
Edouard,  qui  commandait  les  troupes  anglaises  dans  la  Nou- 
velle-Ecosse. 

Quant  à  la  Baie  des  Chaleurs,  Mgr  Hubert  put  voir  de  ses 
yeux,  combien  elle  souffrait  au  spirituel.     En   1704,  Mr. 


—  139  — 

Bourg  n'était  plus  en  état  de  remplir  les  fonctions  de  mis- 
sionnaire ;  révêque  de  Québec  le -nomma  curé  de  St.  Laurent, 
en  nie  de  Montréal,  afin  qu'il  pût  s'y  reposer  un  peu  de  son 
laborieux  ministère  ;  mais  il  ne  fit  que  languir  et  mourut 
trois  ans  après  à  l'âge  dd  53  ans  seulement. 

On  a  souvent  entendu  parler  du  Lieutenant  Gouverneur 
de  Gaspé  comme  d'un  être  légendaire  qui  n'avait  jamais  fait 
d'autre  acte  que  de  retirer  le  salaire  attaché  à  une  sinécure. 
On  trouve  pourtant  des  lettres  de  ce  personnage  qui  se  rap- 
portent à  la  fin  du  siècle  ;  il  ne  sera  pas  sans  intérêt  de  re- 
produire au  moins  la  première  : 

Aux  habitants  de  la  Rivière  à  l'Anguille, 

J'ai  reçu  votre  requête  par  les  mains  du  Rév.  Mr.  Bourg, 
au  sujet  des  inquiétudes  que  les  sauvages  nommés  Caplans 
vous  occasionnent.  Je  leur  fais  dire  par  leur  missionnaire 
que  si  à  l'avenir  ils  ne  se  comportent  point  comme- de  bons 
sujets,  ils  se  feront  faire  des  affaires,  et  j'attends  de  votr^ 
part  une  conduite  honnête  et  tranquille  envers  eux.  Vous 
avortons  plus  de  lumière  qu'ils  n'en  ont  :  il  faut  donc  leur 
montrer  un  bon  exemple." 

Percé  llème  Août  1785. 

François  LbMaistbe, 

Lieutenant-Gouverneur. 

A  la  même  date,  le  Lieutenant  Gouverneur  de  Gaspé  au- 
torisait Jacques  Gangnon  à  agir  comme  chef  des  sauvages 
domiciliés  à  Ristigouche,  ordonnant  à  ceux-ci  de  lui  obéir, 
jusqu'à  ce  que  le  bon  plaisir  de  Son  Excellence  le  Capitaine 
Général  et  Gouverneur  en  Chef  fût  connu.  * 

Le  missionnaire  qui  succéda  à  M.  Bourg  dans  le  soin  de 
Bonaventure  et  de  ses  dépendances  fut  M.  Louis  Joseph 
Desjardins,  prêtre  français,,  ordonné  dans  son  pays  et  venu 
en  Canada  à  l'époque  de  la  révolution  (1794). 

Lorsque  Mgr  Hubert  eut  fait  la  visite  ^e  l'Acadie,  M.  Des- 
jardins lui  écrivit  une  lettre  qui  peint  son  caractère;  en 
voici  im  extrait  : 


—  140  — 

Monseigneur, 

Si  Dieu  a  exaucé  nos  prières  et  nos  vœux.  Votre  Grandeur 
sera  heureusement  arrivée  au  terme  de  sa  mission  :  nous 
espérons  que  vous  en  avez  bien  supporté  les  fatigues  jusqu'au 
bout,  et  que  vous  exécuterez  Tan  prochain  votre  projet  de 
visiter  le  reste  de  TAcadie.  Si  vous  avez  la  bonté  de  relâcher 
sur  nos  côtes  vous  mettrez,  le  comble  à  nos  désirs. 

Votre  présence  et  vos  instructions  pastorales,  Monseigneur, 
ont  produit  partout  les  plus  grands  e£fets.  C'est  une  consolation 
pour  vos  missionnaires  d'avoir  à  cultiver  un  champ  qae 
vous  avez  si  bien  défriché.  Nous  tâcherons  de  suivre  en  tout 
vos  désirs  et  vos  exemples  ;  et  nous  n'oublierons  jamais  la 
bonté  paternelle  avec  laquelle  vous  nous  avez  traités  pendant 
cette  mission.  C'est  un  surcroit  de  bienfaits  qui  vous  assureat 
dans  nos  cœurs  une  éternelle  reconnaissance." 

L'Evêque  avait  réglé  que,  vu  l'incendie  de  l'église  de 
Bonaventure,  M.  Desjardins  résiderait  à  Tracadièche.  M. 
Plessis,  alors  curé  de  Québec,  envoya  de  nombreux  objets 
nécessaires  au  culte  dont  la  mission  était  dépourvue.  M. 
Desjardins  accueillit  cet  envoi  par  une  lettre  charmante; 
nous  faisons  un  extrait  de  celle-ci  et  de  plusieurs  autres. 

Tracadiès,  15  février  1796. 

"  Monsieur  et  cher  curé, — J'ai  reçu  avec  une  satisfactioa 
bien  vive  vos  aimables  lettres  du  22  octobre  et  du  6  novem- 
bre  ;  ce  sont  pour  moi  de  nouveaux  témoignages  d'une  amitié 
à  laquelle  j'ajoute  infiniment  de  prix.  Conservez-la  mo£^  je 
vous  prie,  ainsi  qu'une  petite  part  dans  vos  prières. 

Les  précieuses  reliques,  tous  vos  bouquets,  votre  orne- 
ment vert  avec  ^es  dalmatiques,  nous  sont  parvenus  à  bon 
port  II  vous  plaît  appeler  tout  cela  des  vieilleries  ;  nous  les 
prisons  comme  nos  plus  beaux  ornements  et  ne  nous  en 
parons  qu'aux  jours  de  grande  fét«.  Nous  savons  d^aillears 
estimer  l'intention  donantis  et  cela  ajoute  encore  du  mérite 
aux  dons. 

Il  fallait  voir  la  surprise,  l'admiration  de  nos  habitants  et 
surtout  des  sauvages  à  la  messe  de  çiinuit,  quand  nous  avoos^ 
déployé  ces  richesses  î    De  leur  vie,  dirent-ils,  ils  n'avaient 


—  141  — 

jamais  rien  vu  de  si  beau  !    Eu  effet  il  faut  coaveair  que 

notre  cortège  était  pompeux,  et  l'autel  fort  bien  illuminé 

Vous  avez  beau  sourire,  mon  cner  curé,  vous  n'avez  toujours 
point  eu  dans  votre  cathédrale  une  messe  de  minuit  si  bril- 
lante i  diacre  et  sous-diacre,  cérémoniaire,  thuriféraire,  aco- 
lytes, rien  n'y  manquait,  pas  même  la  gravité  du  célébrant. 
Cependant  au  itûlieu  de  l'of&ce,  un  fougueux  ouragan,  qui  a 
^ait  craquer  tous  les  membres  de  notre  église,  a  troublé  un 
peu  notre  sérénité. 

Si  vous  avez  encore,  mon  cher  curé,  de  pareilles  vieilleries 
de  rebut,  nous  vous  en  demandons  la  préférence  ;  cela  vous 
fera  peut-être  lamenter  notre  pauvreté  ;  mais  c'en  sera  le 
remède.  Les  gradins  et  la  custode  de  la  Ste  Famille  seront 
reçus  avec  la  plus  vive  reconnaissance,  surtout  quand  ils 
auront  un  peu  passé  par  les  mains  de  nos  chères  filles. 
Quand  vous  ferez  quelque  suppression  dans  votre  église,  de 
grâce  songez  à  nous.  Nous  avons  maintenant  quatre  chapelles 
en  construction  ;  il  nous  faudra  bien  du  butin  pour  les  déco- 
rer tant  soit  peu. 

Permettez-moi  de  faire  une  demande,  que  vous  voudrez 
bien  référer  à  M.  Marchetan,  curé  de  St.  Antoine,  pour  le 
Suaire  qu'il  a  fait,  et  que  vous  avez  enseveli  dans  quelque 
coin  poudreux  de  votre  sacristie. 

En  mémoire  de  vous,  nous  sèmerons  avec  grand  soin  les 
beaux  épis  de  blé-d'inde,  ainsi  que  les  lentilles  et  les  fèves 
qui  nous  viennent,  je  ne  sais  de  quelle  main.  Venez-en 
manger  votre  part  cet  été  avec  Monseigneur.  Vous  allez 
voir,  en  parcourant  mes  domaines,  s'il  est  possible  à  votre 
misérable  serviteur  de  les  desservir  convenablement;  non, 
c'est  impossible,  à  moins  que  le  prélat  ne  me  donne  un 
nouveau  collègue  de  ce  côté.  J'ai  exposé  succinctement  à 
Mgr  la  nécessité  d'être  deux  prêtres  ici  :  vous  le  sentirez 
vous-même,  j'espère.  Je  sais  qu'il  y  a  bien  d'autres  besoins 
dans  cet  immense  diocèse,  mais,  de  bonne  foi,  en  avez- 
vous  de  plus  urgent?  Je  n'insisterai  point  en  parlant 
dans  ma  propre  cause  ;  je  vous  la  donne  à  défendre.  Mais,. 
observez  que  Percé  seul,  avec  l'Ile  Bonaventure,  la  Pointe 
SL  Pierre,  Gaspé  et  la  Grande  Rivière,  serait  bien  capable 
d'occuper  un  prêtre  toute  l'année.    Je  crois  que  ces  endroits 


—  142  — 

pourraient  aussi  le  faire  vivre,  si  ou  doublait  la  dlme, 
ainsi  que  de  justice,  à  raison  d'une  desserte  plus  fréquente. 
Percé  a  besoin  d'une  résidence  un  peu  loqgue  du  missioa- 
naire.  Bonaventure  et  Paspébiac  occuperaient  enrore  un 
homme  de  travail  et  le  soutiendraient,  je  crois,  en  augmen- 
tant un  peu  les  honoraires.  Tracadie  et  Ristigouche  sont 
assez,  n'en  doutez  pas,  pour  un  homme  qui  Veut  bien  faire 
son  devoir  :  car  qui  trop  embrasse,  mal  étreint.  Ainsi,  vons 
voyez,  moucher  curé,  qu'au  lieu  d'un  il  nous  faudrait  bien 
deux  bons  collaborateurs.  Pesez  tout  cela  en  présence  du 
prélat  et  de  Dieu. 

Le  petit  frère  de  Caraquet  (1)  a  pris  son  vol  et  me  laisse  on 
peu  chagrin  ;  son  arrivée  m'avait  comblé  de  consolation. 

Pardonnez  mes  longueurs  et  veuillez  me  croire  ainsi  qae 
vous  le  dites  fort  bien,  sans  cérémonie  et  sans  réserve, 

Votre  très  humble  serviteur  et  ami, 

L.  J.Desjardins,  Ptre  Mtss. 


M.  DBSJARBINS  A  M.  PLBSSIS 

Percé,  8  septembre  1796. 
*'  Monsieur  et  curé. 

J'arrive  du  bout  du  monde,  au  moins  du  terme  de  ma 
mission,  de  la  Rivière  au  Renard.  J'ai  fait  beaucoup  de 
chemin  :  j'ai  pris  un  aperçu  des  lieux,  des  gens,  et  de  ce  que 
l'on  peut  y  faire  par  la  suite  avec  un  peu  plus  de  loisir  que 
je  n'en  avais  à  y  rester.  J'ai  été  quinze  jours  dans  cette 
excursion  ;  il  faudrait  y  passer  deux  mois.  La  chose  est 
impossible  à  moins  qu'on  ne  me  donne  un  confrère  pour 
veiller  au  centre  de  la  mission,  tandis  que  je  courrais  au  loin. 
M.  de  la  Vaivre,  je  crois,  serait  bien  propre  à  cet  emploi  et  je 
serai  très-conteut  si  vous  pouviez  m'en  faire  le  cadeau  à  la 
Saint-Michel. 

Le  cher  Castanet  n'est  pas  oisif  de  son  côté,  comme  bien 

{1)  M.  Desjardins  désignait  sons  ces  termes  affectaeiu:  M.  Castanet» 
missionnaire  de  Caraqaet,  qui  était  vena  le  visiter  à  Traoadièche. 


— 143  —  I 

VOUS  pensez.  Je  lui  ai  fait  faire  près  de  50  lieues  pour  me 
rencontrer,  et  il  ne  m'a  point  trouvé  au  rendez-vous.  Jugez 
de  son  impatience  et  de  la  mienne  ;  mais  le  devoir  m'appelait 
ailleurs  et  il  a  fallu  tout  lui  sacrifier.  J'espère  aller  le  joindre 
chez  les  sauvages  de  Miramichi,  où  il  compte  cabaner  cet 
hiver.  Franchement  nous  faisons  plus  de  cas  de  ces  pauvres 
chrétiens  que  de  bien  d'autres.  Moi,  je  suis  très-content  des 
miens,  et  je  me  fixerais  volontiers  à  Ristigouche  avec  eux  si 
c'était  possible." 

15  septembre  1797. 

"Notre  cathédrale  avance  et  si,  pour  le  coup,  elle  n'^st  pas 
tout  à  fait  à  l'abri  du  feu,  j'espère  au  moins  qu'elle  sera  à 
l'abri  des  fougueux  aquilons.  Nous  n'avons  rien  épargné 
pour  la  rendre  solide,  élégante  même  suivtot  nos  moyens. 
Nous  éperons  que  vous  ne  nous  oubUerez  pas  dans  vos 
réformes  d'ornements.  "Tel  brille  au  second  rang  qui 
s'écUpse  au  premier."  Nous  vous  ferons  honneur,  et  nous 
tiendrons  compte  de  toutes  vos  vieilleries.  Si  vous  pouviez 
y  joindre  un  missel  !  n'importe  la  date  et  le  format.  Oserai- 
je  vous  prier  de  me  céder  un  de  vos  Rituels  Anglais  ;  vous 
ne  sauriez  croire  le  nombre  d'Irlandais  qui  se  trouve  sur  les 
côtes  :  je  souhaiterais  avoir  quelques  livres  à  leur  mettre 
entre  les  mains  pour  les  retirer  de  l'oisiveté  le  dimanche. 
Tâchez  de  me  procurer  des  Imitations^  ou  la  Vie  dévote^  le 
catéchisme  de  Douay^  le  manuel^  etc.  " 

Il  est  temps  de  voir  les  nouvelles  mesures  que  l'Evèque  de 
Québec  avait  prises  pour  subdiviser  la  Gaspésie  et  soulager 
un  peu  les  missionnaires  qui  s'y  trouvaient  déjà.  On  trouve 
ce  détail  dans  d'autres  lettres  de  M.  Desjardins  à  Mgr  Hubert. 

"^Monseigneur, 

J'ai  reçu  par  M.  Delavaivre  votre  gracieuse  réponse  du  18 
octobre  dernier,  et  j'ai  fait  passer  à  Caraquet  les  dépêches  de 
Votre  Grandeur  pour  M.  Castanet.  Les  démarches  et  les 
sacrifices  que  vous  voulez  bien  faire  pour  notre  mission, 
nous  pénètrent  de  la  plus  vive  reconnaissance  ;  vous  ajoutez 
particulièrement  à  la  mienne  par  le  double  cadeau  d'un 


»  —144—    , 

excellent  confrère  et  d'un  superbe  patron,  qui  me  deviennent 
doublement  cbers,  en  les  recevant  de  votre  main. 

L'arrivée  de  M.  Delavaivre  a  causé  dans  toute  la  baie  une 
révolution  de  joie  ;  elle  a  été  extrême  à  Bonaventure,  et  ma. 
satisfaction  a  été  complète  en  voyant  que  votre  choix  rem- 
plissait tous  mes  désirs.  J'espère  que  ceux  de  notre  nouveau 
confrère  seront  aussi  satisfaits,  et  qu'il  trouvera  ici  les  con- 
solations qu'il  cherche  dans  le  ministère  ;  il  ne  tiendra  pas 
à  moi  de  lui  adoucir  les  peines  qui  en  sont  inséparables. 

Je  ne  dois  pas  vous  laisser  ignorer  qu'il  se  livre  avec 
beaucoup  de  zèle  et  de  fruits  à  Péducatiou  de  la  jeunesse  ;  et 
qu'il  est  comblé  de  bénédictions  par  ce  bon  peuple  avide 
d'instruction  :  agréez-en,  après  Dieu,  notre  gratitude  com- 
mune. 

Tout  le  monde  se  flatte  de  votre  visite  cette  année,  et  nous 
faisons  particulièrement  des  vœux  pour  qu'il  plaise  à  Dieu 
vous  accorder  la  continuation  d'une  santé  qui  nous  est  si 
chère. 

''  J'ai  l'honneur,  etc., 

L.  J.  Desjardins  M.  P. 

Carie  ton  dit  Tracadièche, 
10  janvier  1797. 


Carleton,  13  Mai  1797. 
"  Monseigneur, 

Quand  je  vous  ai  écrit  cet  hiver  par  la  voie  de  Madawaska, 
je  me  proposais  de  vous  donner  quelques  détails  relatids  à  la 
côte  du  Nord  :  le  temps  ne  me  l'a  pas  permis. 

J'ai  eu  le  plaisir  de  me  réunir  dernièrement  à  mes 
deux  confrères  à  Paspébiac  et  Bonaventure,  où  nous  avons 
conféré  des  dispositions  nouvelles  que  nécessitait  l'arrivée  de 
M.  Delavaivre.  Il  a  bien  voulu  se  charger  de  Bonaventure, 
Paspébiac  et  Port  Daniel  :  sa  santé  ne  lui  permet  par  d'écon- 
ter  son  zèle  et  d'étendre  plus  loin  sa  mission.  M-Gastanet  me 
remet  Nipissiguet  entre  les  mains,  attendu  la  grandeur  de  sa 
mission.     Il  est  juste  qu'il  profite  du  bienfait  dont  vous  avet 


—  145  — 

comblé  la  Baie.  Ristigouche,  Percé  et  les  environs  me  res- 
tent à  desservir. 

M.  Gastanet  jouit  d'une  excellente  santé,  malgré  les  fatigues 
inséparables  de  ses  voyages  d'hiver  ;  il  conserve  toujours 
l'aimable  caractère  gue  vous  lui  connaisses. 

Notre  église  de  Tracadiès  est  en  grande  réparation  et  doit 
être  incessamment  refaite  à  neuf.  Un  coup  de  vent  furieux 
a  emporté  une  partie  du  toiL  J'ai  fait  défaire  le  reste,  et 
nous  attendons  le  constructeur  des  églises  de  Ristigouche  et 
de  Bonaventure  pour  élever  la  nôtre  sur  le  môme  plan  ; 
mais  nos  moyens  sont  faibles,  et  l'incertitude  pour  la  pêche 
prochaine  nous  donne  bien  quelques  inquiétudes.  Si  Diem 
nous  conserve  le  zèle  et  bon  accord  que  j'admire  dans  le  plus 
grand  nombre  des  habitants,  j'espère  voir  la  fin  de  cette 
grande  entreprise.  L'espérance  de  voir  cet  édifice  béni  de  vos 
mains,  Monseigneur,  est  un  grand  encouragement  pour  nous. 

J'ai  l'honneur,  etc., 

L.  J.  Desjardins  P.  M. 

BL  de  la  Vaivre  de  son  côté  i%ndait  compte  à  Mgr  Hubert 
des  dispositions  de  son  peuple  de  Bonaventure. 

^  MOMSBIGNEUR, 

Les  habitants  de  Bonaventure  ont  vu  avec  sensibilité  l'in- 
térêt que  Votre  Grandeur  veut  bien  prendre  à  leur  salut 
A  peine  eurent-ils  appris  que  Charlemagne  m'amenait  que 
ce  fut  pour  toute  la  paroisse  une  réjoui^ance  générale. 
Chacun  voulut  se  mettre  sous  les  armes  :  les  ordres  étaient 
déjà  donnés  lorsque  je  trompais  leur  attente.  Je  mis  pied  à 
terre  à  Paspébiac  le  jour  des  Morts  et,  sans  prendre  aucune 
connaissance  de  l'endroit,  j'arrivai  nuit  close  chez  le  premier 
liabitant  de  Bonaventure.  Après  des  surprises  et  des  honnê- 
tetés de  plusieurs  maisons  je  fus  conduit  par  Benjamin 
Bourdage,  à  l'hospitalité  de  M.  Desjardins  qui  l'avait  quitté 
huit  jours  auparavant  Les  braves  hôtes  me  reçurent  avec 
tous  les  témqignages  d'amitié  et  de  respect  que  peuvent 


—  re- 
faire des  gens  piefux  à  des  ministres  du  Seigneur;  ilss*em- 
pressèrent  de  me  donner  une  lettre  que  M.  Desjardins,  plein 
de  confiance  en  la  bonté  de  son  êvêque,  avait  laissée  pour  moi. 

Après  avoir  passé  deux  jours  dans  cette  paroisse  sans 
pouvoir  y  dire  la  messe  faute  de  vases  sacrés,  je  partis  le 
troisième  avec  un  nommé  Gauthier  pour  Tracadîèche.  Ce 
dit  capitaine,  qui  avait  oublié  sa  boussole,  fut  échouer  dans 
l'obscurité  de  la  nuit  à  Cascapédiac.  Le  calme  m'obligea  de 
quitter  le  bâtiment  ;  je  pris  un  cheval  et  arrivai  heurense- 
ment  le  samedi,  6  novembre  à  Tracadièche,  où  M.  Desjardins 
m'accuellit  avec  tous  les  témoignages  de  la  joie  et  de  Tamitië 
la  plus  sincère.  Sa  gaieté  et  son  enjouement  me  firent  passer 
agréablement  quatre  jours.  Il  vint  lui-même  m'installer  le 
14  à  Bonaventure.  Depuis  ce  temps  je  me  vois  chargé  d*ane 
paroisse  de  237  âmes  et  de  126  communiants.  Ils  m^ont 
donné  jusqu'à  ce  moment  beaucoup  de  consolation  ;  ils  me 
semblent  surtout  affamés  de  la  parole  de  Dieu.  Le  Seigneur 
veut  bien  favoriser  leurs  bons  désirs  en  me  permettant  de 
leur  dire  tous  les  dimanches  et  fêtes  ce  que  je  trouve  de  plus 
convenable  à  leurs  besoins." 

M.  de  la  Vaivre  ajoutait  le  28  mai  : 

"  Votre  Grandeur  apprendra  avec  plaisir  que  notre  église 
va  se  finir  cette  semaine,  et  sera  bénite  le  jour  de  la  Pente- 
côte." 

M.  Castanet,  missionnaire  de  Caraquet,  et  Français  comme 
MM.  Desjardins  et  de  la  Vaivre,  ne  fut  que  trois  ans  dans  le 
ministère  ;  il  monta  à  Québec  pour  se  faire  soigner.  D  s'étei- 
gnit à  l'hôpital  général  le  26  août  1798,  et  y  fut  inhumé.  Ce 
détail  explique  les  premières  paroles  de  M.  Desjardins  à  Mgr 
Plessis,  que  Mgr  Denant  avait  choisi  pour  son  eoadjuteur  en 
1797,  et  nommé  son  Vicaire  Général  :  il  lui  en  écrivît  deuj 
fois. 

Percé,  17  septembre  1798. 

"  M.  LE  COADJUTEUR, 

J'ai  reçu  votre  consolante  lettre  du  19  juillet  dernier  an 
retour  de  mon  voyage  dû  sud.  Vous  connaissez,  j 'imagine, 
l'étendue  et  les  besoins  de  cette  mission  ;  ils  croissent  surtout 
par  la  perte  réelle  que  nous  venons  de  faire.    La  mort  du 


—  147  — 

cher  M.  Castanet  ne  justifie  que  trop  vos  présages  et  nos 
craintes  ;  c'est  un  grand  deuil  pour  Caraquet  et  pour  toute  la 
Baie.  On  ne  peut  être  plus  chéri,  ni  plus  universellement 
regretté.  Je  vous  laisse  à  penser  combien  ce  sacrifice  m'est 
pénible  et  nous  cause  d'embarras. 

La  Baie,  je  vous  assure,  ne  m'offre  plus  que  tristesse  j  M. 
Delavaivre  est  aux  invalides  et  je  n'en  vaux  guère  mieux. 
Quand  jugerez-vous  à  propos  de  nous  relever  de  garde.  Vous 
nous  faites  espérer  un  prêtre  pour  Caraquet  :  quand  vien- 
dra-Uil  ?  " 

Carleton,  20  février  1799. 
*' Monsieur  le  coadjuteur, 

Qu'il  m'est  doux  et  consolant  de  vous  entendre  parler  de 
notre  pauvre  Castanet  ;  et  que  j'envie  son  heureux  sort  ! 
Votre  bon  suffrage  m'est  un  présage  rassurant  pour  lui,  mais 
très-effrayant  pour  moi  ;  car  je  suis  loin  de  lui  ressembler,  et 
de  mériter  tout  ce  que  vous  me  dites  d'obligeant.  . 

L'arrivée  de  M.  Jbyer  nous  a  fort' agréablement  surpris; 
il  justifie  à  tous  égards  le  jugement  favorable  que  vous  en 
avez  porté.  Nous  nous  accordons  à  le  croire  digne  d'occuper 
son  poste,  si  recommandable  par  les  vertus  du  cher  défunt, 
puisse-t-il  en  faire  revivre  les  rares  qualités  1  C'est  un  sujet 
d'édification  et  de  réforme  pour  M.  Delavaivre  et  pour  moi. 
Nous  craignons  uniquement  pour  M.  Joyer  que  ses  forces  ne 
répondent  pas  tout-à-fait  à  son  zèle,  et  aux  besoins  de  sa  pé- 
nible mission  ;  mais  nous  le  croyons  autant  prudent  qu'é- 
clairé, et  l'exemple  fatal  de  son  prédécesseur  lui  servira  sans 
doute  de  leçon  pour  ménager  ses  forces. 

Notre  église  enrichie  de  vos  dons,  commence  à  prendre 
une  assez  bonne  tournure  Nos  maîtres  chantres  se  sont  fort 
bien  parés  de  vos  chappes." 

L.  J.  Dbsjardins,  Ptre. 

M.  Desjerdins  monta  à  Québec  dans  l'intérêt  de  ses  mis- 
sions; à  son  retour  dans  laGaspésie,  il  écrivit  une  charmante 
lettre  à  M.  Plessis  :  elle  était  datée  de  la  Pointe  St  Pierre  le 
6  octobre  1799. 


— 148  — 

*'  Monsieur  le  Coadjutedr, 

Vos  sages  conseils  m'ont  un  peu  rassuré,  et  vos  bonnes 
prières  beaucoup  protégé  dans  mon  heureux  retour.  Trois 
jours  passés  à  Tlle  aux  Grues,  et  quatre  pour  nous  rendre 
ici,  voilà  l'histoire  de  notre  voyage  qui  n'offre  rien  d'intéres- 
sant que  la  joie  de  Téquipage,  et  la  sensibilité  du  capitaine 
surtout  lorsqu'on  parlait  de  vous,  sujet  trop  agréable  poixr 
ne  pas  y  revenir  à  plusieurs  fois. 

Je  m©  félicite  plus  que  jamais  d'avoir  repris  le  chemin  de 
ma  Baie,  et  il  me  semble  que  c'est  un  plaisir  assez  partagé 
par  mes  bonnes  âmes  ;  puisseé-je  répondre  à  leur  espoir  et 
au  vôtre  I  J'ai  besoin  de  toute  votre  indulgence  et  de  vos 
prières;  je  les  réclame  avec  instance.  La  bonté  très-affec- 
tueuse avec  laquelle  vous  avez  bien  voulu  me  recevoir  chez 
vous  et  m'y  mettre  si  à  mon  aise,  me  pénètre  de  la  plus 
vive  reconnaissance. 

Vous  croirez  aisément  qu'il  m'en  a  un  peu  coûté  de  quitter 
Québec,  un  frère  et,  j'ose  dire,  des  Pères  ;  des  amis  tels  que 
ceux  que  j'ai  trouvés  en  vous  et  M.  Gravé,  méritaient  bien 
quelques  regrets.  J'ai  accepté  cette  mission  de  votre  main 
avec  une  nouvelle  joie  ;  je  vais  me  mettre  en  hivernement  à 
Carleton.  Je  me  propose  de  revenir  de  grand  printemps  pour 
passer  ensuite  Tété  à  Ristigouche,  y  cultiver  un  peu  mes. 
sauvages  6é  des  pa/a^i.  Vils  peuvent  en  avoir  à  planter. 

L.  J.  Dbsjardins,  Ptre,  Miss. 

On  a  pu  voir  que  la  santé  de  M.  Desjardins  commençait  à 
souffrir  de  ses  fatigues  et  de  ses  courses  continuelles.  Mgr. 
Denaut,  qui  était  devenu  Evêque  de  Québec  le  rappela  (1800) 
et  le  plaça  à  la  cathédrale,  auprès  de  Mgr.  Plessis  qui  conti- 
nuait à  remplir  la  charge  de  curé,  tout  en  étant  Evêque 
Coadjuteur.  Le  prélat  avait  une  estime  particulière  pour  les 
prêtres  français  qui  avaient  émigré  pour  ne  pas  prêter  ser- 
ment à  là  constitution  civile  du  clergé.  En  quittant  la  France, 
M.  Desjardins  avait  renoncé  à  un  cononicat  dans  la  cathé- 
drale de  Bayeux. 

En  devenant  Evoque  titulaire,  Mgr  Plessis  nomma  M. 
Desjardins,  curé  d'office  de  la  cathédrale,  et  peu  de  temps 


— 149  — 

après  Chapelain  de  THôtel-Dieu  de  Québec.  Mais  l'ancien 
missionnaire  de  la  Gaspésie,  continua  à  s'occuper  de  ses 
chères  missions,  dont  il  s'était  constitué  le  procureur  et  le 
pourvoyeur  bienfaisant  Connaissant  leur  pauvreté  et  leur 
dénuement,  il  ne  manquait  jamais  de  mettre  à  bord  des 
bateaux  pêcheurs  qui  retournaient  après  avoir  vendu 
leur  cargaison,  des  objets  de  toutes  sortes  pour  les  églises, 
du  linge,  des  ornements  et  jusqu^à  des  tableaux,  dont  plusieurs 
avaient  quelque  valeur  au  point  de  vue  de  l'art  C'est  dans 
l'exercice  de  cette  charité  qu'il  passa  les  nombreuses  années 
de  son  séjour  à  Québec.  Arrivé  à  l'âge  de  80  ans,  il  parlait 
encore  avec  bonheur  du  ministère  qu'il  avait  exercé  au 
milieu  des  plus  abandonnés.  Aujourd'hui  ceux  qui  ont 
connu  ce  saint  prêtre  ne  peuvent  sans  attendrissement  visiter 
le  lieu  de  son  repos,  dans  l'église  l'Hôtel-Dieu. 

Voici  en  quels  termes  parlait  de  ce  vénérable  vieillard,  M. 
Doucet,  missiondaire  de  Percé  : 

"  Le  Vénérable  M.  Desjardins  ne  cesse  de  penser  à  nous  : 
il  nous  écrit  souvent  II  nous  envoie  de  petits  présents  pour 
nous  encourager  :  il  me  dit  qu'il  quête  pour  nous  le  spirituel 
et  le  temporel.  Je  souhaite  ardemment  que  Dieu  conserve 
ses  jours  ;  car  certainement  nous  perdrons  beaucoup  en  le 
perdant"  (20  déc.  1845) 

"  L'économe  de  nos  missions  (M.  Desjardins)  se  montre 
jaloux  de  partager  avec  Votre  Grandeur  le  bonheur  de  pro- 
curer la  gloire  de  Dieu  en  embellissant  ses  temples  :  le  môme 
bâtiment,  qui  a  apporté  vos  effets,  a  aussi  reçu  à  mon 
adresse  une  caisse  préparée  par  ses  soins  et  remplie  de  diffé- 
rents articles  pour  nos  missions.  C'est  un  grand  encourage- 
ment pour  moi  dans  la  tâche  de  réparer  les  chapelles  et  de 
les  munir  convenablement  de  tout  ce  qui  concerne  le  culte." 
(24  août  1846) 

Nous  avons  rapporté  une  lettre  de  M.  Delavaivre  et  avons 
vu  l'éloge  que  M.  Desjardius  faisait  en  1797  de  son  confrère; 
nous  allons  nous  édiûer  maintenant  par  la  lecture  de  deux 
autres  lettres  de  cet  homme  de  Dieu.  Avec  quel  respect,  dans 
la  première,  il  accueille  la  décision  de  son  Evêque  touchant 
4in  abus  qu'il  lui  avait  signalé  ! 


—  150  — 

Bonaveature,  19  juillet  1800. 

"  MOMSIEUR,  (1) 

Votre  lettre  du  28  mai  dernier  m'a  frappé  d'admiralioD 
sur  l'indulgence  de  notre  tendre  mère,  la  sainte  Eglise. 
Enfant  du  tonnerre,  (2)  j'aurais  cru  nécessaire  d'employer 
des  armes  plus  puissantes,  vu  que  les  fulminations  que  nous 
leur  annonçons  dans  les  temps  prescrits  deviennent  pour 
quelques  uns  des  sujets  de  raillerie  qui  scandalisent  les 
faibles,  et  leur  portent  souvent  des  coups  funestes.  J'aurai 
l'honneur  de  suivre  vos  conseils}  plaise  au  Seigneur  d'y  ré- 
pandre ses  bénédictions  I 

Delavaivre,  Ptre. 

Les  soins  de  ce  digne  missionnaire  furent  sans  doute  ré- 
compensés ;  car  M.  Painchaud  son  successeur  parlait  en  1806 
de  toutes  ^'  les  consolations  que  lui  avaient  données  ce  bon 
peuple."  "  La  docilité,  le  respect  et  l'obéissance  de  cette 
chrétienté  m'a  assez  touché  pour  informer  Votre  Grandeur 
qu'elle  est  digne  de  vos  regards  paternels." 

M.  Delavaivre  se  réjouissait  d'avoir  auprès  de  lui  à  Cara- 
quet,  de  l'autre  côté  de  la  Baie,  un  confrère,  français  comme 
lui,  M.  Joyer,  dont  il  faisait  l'éloge  en  écrivant  à  M.  Plessis  : 
son  style  était  enjoué  : 

Paspébiac,  13  mai  1799. 

Monseigneur, 

Les  furieux  Aquilons  rentrent  dans  leurs  antres,  les  doux 
zéphirs  leur  succèdent,  déjà  les  glaces  de  notre  Baie  laissent 
un  passage  libre  à  la  navigation.  J'ai  eu  l'honneur  de  rece- 
voir votre  dernière  du  30  octobre  par  M.  Joyer. 

La  huitaine  qu'il  a  passé  chez  moi  avec  le  cher  M.  Des- 
plantes nous  a  donné  l'idée  la  plus  avantageuse  de  lui.  Une 
humilité  profonde,  une  solide  piété,  jointes'à  de  grandes  con- 
naissances et  lumières  de  notre  état  relèveront  le  courage  des 

(1)  M.  Plessis  coadjufeur  nommé  et  non  consacré. 
{2)  11  B*appelait  Jean. 


—  151  — 

paroissiens  du  cher  défunt  (1).  On  ne  pouvait  pas  lui  trouver 
un  plus  digne  successeur.  Plusieurs  lettres  que  nous  avons 
de  lui  annoncent  qu'il  est  aussi  content  de  ses  habitants 
qu'eux  sont  contents  de  lui.  Des  malades  éloignés  qui  ont 
requis  son  ministère  lui  ont  donné  l'occasion  d*éprouver  dans 
la  plus  rude  saison  les  difficultés  de  sa  mission  :  il  les  a  sur- 
montées avec  courage,  et  le  voilà  maintenant  parti  pour  en 
connaître  toute  retendue." 

(1)  H.  Castanet,  J.-  Bte  Marie,  décédé  le  26  août  1796. 


CAPTIVITÉ  ET  DÉLIVEANOB  (1) 

DE  MGR  RIDEL 

de  la  Société  des  MiflaionB-Etrangèies»  évêque  de  Philippopolifl  et  Ticaîre 

apostolique  de  la  Corée. 


OmniBergo  qui  oonfitebitor  nto  i 
hominibns,  oonfltebor  et  «rgo 
Patre  meo  qui  in  oœlis  est. 
(Matth.,  X,  3S.) 


Depuis  les  tragiques  événements  dont  la  Corée  fut  le 
théâtre  en  1866,  et  qui  procurèrent  la  palme  du  martyre  à 
deux  évoques  et  à  sept  missionnaires  français,  tous  memJbanes 
de  la  Société  des  Missions-Etrangères  de  Paria,  et  à  des  mil- 
liers de  chrétiens  indigènes,  le  silence  s'était  fait  sur  cetbe 
lointaine  mission.  Mais  l'Eglise,  qui  n'abandonne  jamais 
ses  enfants,  ne  demeurait  pas  insensible  à  leurs  malheurs  et 
inattentive  à  leurs  besoins.  Dans  une  lettre  admirable  adresr 
sée  aux  chrétiens  persécutés  en  Corée,  le  grand'pontife,dont 
l'Eglise  porte  encore  le  deuil,  après  avoir  pleuré  sur  les  maux 
qui  les  frappaient,  et  exalté  le  courage  des  martyrs,  promet- 
tait de  venir  en  aide  à  ses  enfants  persécutés  :  ^^  Pour  nous, 
disait-il,  bien  qu'éloignés,  nous  vous  accompagnerons  en 
esprit  au  combat,  et,  par  nos  prières  incessantes,  nous  vous 
procurerons  le  plus  grand  secours  que  nous  permettra  notre 
faiblesse.  Et  de  peur  que,  privés  plus  longtemps  de  pasteur, 
vous  ne  soyez  comme  des  brebis  dispersées,  exposés  à  un  plus 
grave  péril,  nous  aurons  soin,  le  plus  tôt  possible,  de  rempla- 
cer celui  qui  a  déjà  reçu  la  splendide  récompense  due  i  ses 
travaux,  par  un  homme  qui  ait  le  même  zèle  et  la  même 
énergie."  Et,  quelques  temps  après.  Pie  IX  confiait  à  un  des 
rares  survivants  de  la  persécution  de  1866,  à  Mgr  Ridel,  l'hé- 

CL)  Emprunté  aux  "  Missions  Catholignes." 


—  153  — 

Tîtage  sanglant  des  Imbert,  des  Verneux  et  des  Daveluy, 
rappelait  à  continuer  leurs  travaux,  à  prendre  part  à  leurs 
combats  et,  au  besoin,  à  verser  comme  eux  son  sang  pour 
Jôsu8>Ghrist. 

Après  avoir  reçu  Tonction  qui  donne  la  force  et  proclamé 
avec  répiscopat  cotholique,  en  1870,  l'infaillibilité  de  Pierre 
et  de  ses  successeurs,  le  nouvel  évâquepritde  nouveau  le 
chemin  de  la  Corée  et  se  disposa  à  remplir  sa  difficile  mais 
glorieuse  mission.  Il  fallut,  hélas  !  plusieurs  années  pour 
franchir  les  barrières  qui  lui  fermaient  Taccès  de  sa  patrie 
d'adoption.  Ce  fut  seulement  après  avoir  couru  bien  des 
dangers,  renouvelé  plusieurs  fois  des  tentatives  toujours  in- 
fructueuses, que  Mgr  Ridel  put  enfin  mettre  de  nouveau  le 
pied  sur  ce  sol  inhospitalier  et  prendre  possession  de  cette 
terre  promise  où  l'attendaient  de  rudes  combats  et  de  cruelles 
-souffrances. 

Les  vœux  de  Pie  IX  étaient  remplis  :  le  bon  pasteur  qu'il 
avait  promis,  dont  il  avait  encouragé  et  béni  la  périlleuse 
«entreprise,  (1)  était  enfin  au  milieu  de  son  bien-aimé  troupeau; 
il  avait,  pour  le  seconder  dans  les  rudes  travaux  de  son  pé- 
rilleux apostolat,  quatre  missionnaires  pleins  d'ardeur  et  de 
dévouement.  Dès  le  premier  jour,  Mgr  Ridel  se  mit  à  l'œuvre. 
A  l'annonce  de  sa  venue,  les  chrétiens  partout  dispersés  re- 
prirent bientôt  courage.  A  voir  leur  empressement  à  recevoir 
les  sacrements,  à  contempler  la  ferveur  de  leur  zèle,  on  eût 
dit  qu'une  aurore  de  paix  et  de  prospérité  s'était  levée  sur 
l'Eglise  de  Corée.  Le  joiir  et  la  nuit  ne  suffisaient  plus  à  sa- 
tisfaire le  désir  qu'avaient  les  néophytes  de  voir,  d'entendre 
ceux  que  Dieu  leur  avait  envoyés  pour  consoler  leurs  dou- 
leurs, guérir  leurs  blessures  et  leur  apprendre  à  bien  vivre 
et  à  bien  mourir. 

(1)  Avant  de  faire  nue  nonveUe  tentative  poar  entrer  en  Corée.  Mgr 
Ridel  avait  fait  nart  an  Souverain  Pontife  de  son  généreux  dessein  et 
l'avait  prié  de  daigner  bénir  son  entreprise.  £n  réponse,  le  cardinal 
Franchi,  alors  préfet  de  la  Propagande,  écrivait  à  M.  le  supérieur  du 
séminaire  des  Missions-Etrangères  :  "  Dans  Vaudienoe  du  10  de  ce  mois 
(janvier  1875),  j'ai  en  soin  de  transmettre  à  Sa  Sainteté  ce  que  Votre  Ré- 
vérence écrivait  touchant  le  dessein  de  Mgr  Ridel  et  de  ses  missionnai- 
res, d'entrer  de  nouveau  en  Corée.  Sa  Sainteté  a  ffrandement  admiré  le 
zèle  et  le  courage  de  ces  hommes  apostoliques.  Elle  a  promis  de  les  re- 
commander au  Seigneur,  et  du  fond  du  cœur  eUe  leur  accorde  une  béné- 
diction spéciale." 


—  154  — 

Rien  cependant  n'était  cliangé  à  la  situation  d'autrefois, 
les  dangers  étaient  toujours  les  mêmes  ;  c'étaient  toujours 
les  mômes  édits  de  proscription,  toujours  la  même  haine 
contre  le  christianisme,  toujours  les  mêmes  bourreaux  prêts 
à  verser  le  sang  des  martyrs.  Aussi,  à  son  arrivée  dans  sa 
mission,  Mgr  Ridel  écrivait  :  ^^  Nous  sommes  véritablement 
bien  entre  les  mains  du  bon  Dieu.  Au  milieu  de  miUe  dan- 
gers, sans  force,  sans  protection,  à  chaque  instant  nous 
pouvons  nous  attendre  à  être  arrêtés,  à  voir  surgir  ime  nou- 
velle persécution  ;  et  cependant^  jusqu'ici,  par  un  prodige  de 
miséricorde  de  la  divine  Providence,  tout  est  en  paix,  tout  va 
bien,  nous  n'avons  eu  aucun  accident"  Hélas  I  cette  tran- 
quillité devait  être  de  courte  durée.  Dieu,  dont  les  desseins 
sont  impénétrables,  réservait  de  nouvelles  épreuves  à  cette 
infortunée  mission. 

Au  mois  de  janvier  1878,  les  courriers  de  Mgr  Ridel  furent 
arrêtés  sur  la  frontière  chinoise,  et  les  lettres  dont  ils  étaient 
porteurs,  révélèrent  au  gouvernement  coréen  la  présence, 
dans  le  royaume,  de  l'évêque  et  des  quatre  missionnaires,  et 
occasionnèrent  l'arrestation  de  Sa  Grandeur  et  une  nouvelle 
persécution  contre  les  chrétiens. 

Délivré  contre  toute  attente,  grâce  à  l'intervention  du  gou- 
vernement chinois,  Mgr  Ridel  a  écrit,  à  son  retour  en  Chine, 
la  relation  de  sa  captivité.  S'adressant  à  sa  famille  et  pouvant 
ainsi  s'exprimer  librement,  Sa  Grandeur  entre  dans  les  détails 
les  plus  intimes  et  révèle,  avec  un  abandon  plein  de  charmes, 
les  sentiments  qui  ^remplissaient  son  âme  d'apôtre  Nous 
avons  pensé  que  ce  récit  était  de  nature  à  édifier,  et,  dans  les 
temps  pénibles  que  nous  traversons,  à  ranimer  le  courage  de 
ceux  qui  le  lironL 

Cette  coDsidération,  nous  en  avons  la  confiance,  imposera 
silence  à  la  modestie  du  vénérable  auteur  de  cette  relation, 
et  le  disposera  à  nous  pardonner  la  publicité  que  nons 
donnons  à  son  écrit.  Il  aura  d'ailleurs  acquis  un  droit  nou- 
veau à  notre  sympathie  et  à  nos  prières  en  faveur  de  sa  glo- 
rieuse et  infortunée  mission. 


—  155  — 

Séminaire  des  missions  étrangères,  le  6  janvier, 
fête  de  TËpiphanie,  1879. 

Relation  de  la  captivité  et  de  la  délivrance  de  Mgr  Ridel. 
Bien  chers  amis,  (1) 

Vous  désirez,  j'en  suis  persuadé,  connaître  la  suite  des 
événements  qui  se  sont  passés  en  Corée  et  qui  oiiit  été  la  cause 
de  mon  retour  forcé  eu  Chine.  Pour  vous  procurer  cette  sa- 
tisfaction, je  m'efforce  de  rappeler  mes  souvenirs  ;  n'ayant 
pu  prendre  aucune  note  et  fatigué  comme  je  le  suis,  je  sens 
que  ma  narration  aura  bien  des  lacunes.  Qu'y  faire  ?  J'espère 
du  moins  que,  en  lisant  ces  lignes,  vous  pourrez  admirer  la 
conduite  de  la  divine  Providence,  et  bénir  le  bon  Dieu  qui 
s'est  plu  à  répandre  sur  moi  des  grâces  si  abondantes. 


J'étais  rentré  depuis  quelques  mois  seulement  en  Corée  ; 
tout  y  était  calme  et  tranquille.  Vivant  dans  l'ombre,  nous 
faisions,  mes  confrères  et  moi,  notre  œuvre  en  silence.  Ces 
messieurs  parcouraient  le  pays,  visitant  les  chrétiens  qui 
s'empressaient  en  grand  nombre  de  venir  les  trouver  pour 
participer  au  bienfait  des  sacrements.  Je  venais  d'établir  un 
collège  où  nous  avions  déjà  quelques  élèves;  le  26,  j'avais 
conclu  un  marché  pour  une  maison  où  je  me  proposais  d'or- 
ganiser une  imprimerie;  le  chrétien  qui  devait  en  êtreichargé 
s*y  fixa  aussitôt,  et,  dans  quelques  jours,  tout  allait  fonction- 
ner. J'avais  plusieurs  fois  administré  les  sacrements  à  quelques 
chrétiens  de  la  capitale,  et  j'attendais  que  les  fêtes  du  premier 
de  l'an  coréen  fussent  passées,  pour  donner  une  seconde  fois 
les  sacrements  à  tous  les  chrétiens  de  Séoul.  Nous  attendions 
aussi  notre  courrier  de  la  frontière,  qui  devait  nous  apporter 
des  nouvelles  d'Europe  ;  mais  le  courrier  n'arrivait  pas.  Nous 
eûmes  quelquefois  des  inquiétudes  à  ce  sujet;  cependaot  les 
chrétiens  que  je  consultai  étaient  d'avis  que,  vu  la  facilité 

(1)  Cette  lettre  eet  adrefisée  an  frère  et  aux  parents  de  Mgr  Bidel. 


~  156  — 

de  passer  la  frontière  à  cette  époque,  il  était  impossible  qae 
le  courrier  fût  arrêté. 

Telle  était  notre  position,  lorsque  le  28  janvier,  vers  dix 
heures  du  matin,  mon  vieux  maître  de  maison,  Jean  Tehoi 
que  vous  connaissez,  entra  dans  ma  chambre.  Sa  figure  était 
décomposée.  J'étais  habitué  aux  terreurs  de  nos  chrétiens  ; 
mais,  ce  jour-là,  je  lui  trouvai  un  air  de  tristesse  qui  annon- 
çait quelque  chose  de  plus  grave  que  de  coutume. 

" — Qu'y  a-t-il?  lui  dis-je.  Sont-ce  encore  de  mauvaises 
nouvelles  ?  " 

Après  un  long  soupir,  il  me  répondit  : 

" — ^Les  courriers  ont  été  arrêtés  à  la  frontière;  on  lésa 
appliqués  à  une  horrible  torture,  et  ils  ont  été  forcés  de  tout 
déclarer.  La  nouvelle  en  est  arrivée  hier  ;  aussitôt  le  roi  a 
fait  venir  les  satellites,  et  a  donné  lui-même  Tordre  d'arrêter 
l'évêque  et  tous  les  pères.  Les  traîtres  de  1866,  Paul  Hpi  et 
Tchoi,  ont  été  requis  pour  rechercher  les  chrétiens.  Les 
satellites  doivent  venir  ici  aujourd'hui,  et  c'est  l'un  d'eux  gui 
a  tout  raconté  à  une  chrétienne  sa  parente  ;  celle-ci  s'est  em- 
pressée d'envoyer  son  fils  en  donner  avis. 

" — Eh  bien,  voici  le  moment  d'être  vraiment  chré.tien; 
tout  cela  arrive  par  la  volonté  de  Dieu,  il  n'y  a  nullement 
de  notre  faute.  Nous  allons  être  pris.  Comptons  sur  le 
secours  de  Dieu,  qui  ne  nous  fera  pas  défaut,  et  disposons- 
nous  à  mourir  pour  sa  gloire  ;  c'est  le  chemin  le  plus  direct 
pour  aller  au  Ciel. 

"—Oh  !  je  n'ai  pas  peur  de  mourir,  moi  qui  suis  si  vieux; 
mais  l'évoque  qui  ne  fait  que  d'arriver,  mais  les  chrétiens 

qui  n'ont  pas  encore  pu  recevoir  les  sacrements  ! .Quel 

coup  I  c'est  la  fin  de  la  religion  en  Corée." 

Aussitôt  j'écrivis  une  lettre  commune  pour  MM.  Blans  et 
Daguette,  dont  le  courrier  était  encore  à  la  capitale.  le 
m'empressai  de  prendre  tous  les  papiers  coréens,  lettres,  etc., 
qui  auraient  pu  donner  des  indications  compromettantes,  et 
je  les  fis  mettre  au  feu.  Je  retirai  aussi  le  peu  d^or  et  d'argent 
qui  restait  à  la  maison,  et  je  confiai  le  tout  à  mon  imprimeoTy 
homme  dévoué  qui  était  accouru  promptement  pour  m'offrir 
un  refuge  dans  la  nouvelle  maison  ignorée  de  tous.  Cette 
dernière  proposition  fut  longtemps  débattue;  enfin  il  fat 


j 


—  157  — 

décidé  que  je  fuirais.  L'exécution  de  ce  projet  étant  impossi- 
ble pendant  le  jour,  on  devait  attendre  la  nuit.  Â  mon  entrée 
en  Corée,  je  ne  m'étais  fait  aucune  illusion,  et  chaque  jour 
je  me  disposais  à  mourir.  Aussi,  par  une  grâce  spéciale  de 
Dieu,  je  ne  fus  pas  effrayé  de  cette  nouvelle.  C'était  une  bien 
grande  faveur  :  j'allais  être  déchargé  du  fardeau  qui  m'avait 
été  imposé  dapuis  plusieurs  années  ;  j'allais  avoir  le  bonheur 
de  confesser  Notre-Seigneur  et  de  mourir  pour  sa  gloire  ; 
c'était  mon  passe-port  pour  le  Ciel  et  la  bienheureuse  éter- 
nité. J'étais  prêt  et  dispos,  calme  et  sans  trouble  ;  je  m'aban- 
donnai entièrement  au  bon  plaisir  de  Dieu  et  je  priai  pour 
mes  chers  missionnaires  et  nos  pauvres  chrétiens. 

n 

Vers  quatre  heures  on  vint  m'avertir  que  les  agents  des 
satellites  gardaient  les  deux  extrémités  de  la  rue.  Il  était  im- 
possible de  fuir.  Quelques  instants  après,  un  grand  bruit  se 
fait  :  j'entends  les  portes  qui  s'ouvrent,  les  fenêtres  qui  sont 
brisées,  et  les  pas  d'un  grand  nombre  d'hommes.  La  maison 
était  envahie. 

En  un  instant,  ils  ont  pénétré  dans  la  chambre  où  je  me 
tiens  debout.  Je  veux  leur  adresser  la  parole  ;  mais,  à  peine' 
m'ont-ils  seconnu,  que  cinq  d'entre  eux  se  précipitent  sur 
moi  et  me  saisissent  par  les  cheveux,  la  barbe  et  les  deux 
bras,  en  criant,  hurlant  pour  se  donner  du  courage  ;  puis, 
sans  me  laisser  le  temps  de  prendre  mes  souliers,  ils  me  font 
traverser  la  cour  et  m'entraînent  dans  une  autre  chambre  où 
je  vois  toutes  les  personnes  de  ma  maison  également  capti- 
ves. Il  y  avait  plus  de  vingt  satellites,  tout  joyeux  de  leur 
capture,  et,  avec  eux,  des  femmes  qui  les  aidaient  et  rete- 
naient les  femmes  de  la  maison.  Tjyang,  l'un  des  chefs,  se 
présente  et  m'adresse  la  parole  ;  sur  son  ordre,  on  me  laisse 
un  peu  plus  de  liberté,  et  l'on  me  retient  seulement  par  les 
manches  de  l'habit  ;  puis,  il  me  fait  conduire  dans  ma 
chambre. 

Là,  il  me  dit  qu'ils  ont  reçu  l'ordre  du  gouvernement  de 
m'arrêter  ;  il  ajoute  : 

" — On  sait  qu'il  y  a  quatre  autres  Européens,  et  j'espère 


— 158  — 

en  que  vous  allez  leur  écrire  pour  leur  donner  Tordre  de 
venir  se  présenter  d'eux-mêmes. 

" — Que  savez-vous  s'il  y  a  des  Pères  ? 

" — Oh  !  nous  le  savons  bien." 

Là-dessus,  il  se  met  à  gourmander  le»  satellites  qui  01e 
maltraitent. 

" — ^L'évêque  va  venir  avec  nous,"  dit-il.  Puis,  se  tournant 
vers  moi  :  "—Je  sais  que  vous  vous  servez  d'un  livre  pour 
réciter  des  prières  ;  confiez-le  moi,  je  vais  m'en  charger,  al 
je  vous  le  remettraiJLorsque  nous  serons  arrivés." 

J'étais  étonné  de  l'entendre  parler  ainsi,  et  je  lui  demandai 
comment  il  savait  tout  cela. 

" — Oh  !  dit-il,  c'est  moi  qui  ai  arrêté  Mgr  Bemeux  et  Mgr 
Daveluy  ;  je  les  ai  bien  connus,  et  les  autres  Pères  aussi.'* 

Ensuite  il  me  demanda  si  j'avais  des  montres. 

" — Oui,  j'en  ai  trois. 

" — Vous  avez  aussi  du  vin  de  raisin.  Oh  1  c'est  bien  bon  le 
vin  de  raisin,  ce  sera  pour  nous." 

Je  lui  montrai  mes  caisses. 

'* — C'est  bien,  dit-il,  on  va  prendre  soin  de  tout  cela.'* 

Pendant  ce  temps,  je  tâchais  de  me  recueillir  &i  pensant  à 
la  prise  de  Notre-Seigneur  au  jardin  4^s  Oliviers.  Je  me 
sentais  heureux  de  marcher  sur  les  traces  de  notre  divin 
Maître  ;  j'étais  content  d'être  prisonnier  de  Jésus-Christ  ; 
mais  j'éprouvais  une  bien  grande  douleur  en  pensant  à  mes 
chers  missionnaires  et  à  mes  pauvres  chrétiens.  Les  jours 
précédents,  pour  me  préparer  à  la  fête  de  saint  François, 
j'avais  fait  mes  méditations  sur  la  douceur  et  la  fermeté  de 
ce  grand  saint  ;  je  résolus  de  faire  mes  efforts  pour  rimiter. 

Le  bruit  continuait  dans  ma  maison  ;  les  satellites  et  surtout 
leurs  employés  criaient,  riaient,  plaisantaient,  bouleversaient 
ton  ;  quelques-uns  m'injuriaient,  malgré  les  remontrances  de 
leur  chef.  Enfin  celui-ci  vint  m'avertir  qu'il  était  temps  de 
partir.  Deux  employés  me  saisissent,  et  je  sors  accompagné 
d'uae  troupe  de  satellites  ;  mon  vieux  Coréen,  dans  la  même 
position  que  moi,  venait  par  derrière,  ainsi  qu'un  jeune 
homme  qui  se  trouvait  à  la  maison,  au  moment  de  Farrestft- 
tion. 

Les  voisins,  qui  avaient  entendu  le  vacarme,  étaient  k 


— 159  — 

leurs  portes  pour  nous  voir  passer  ;  mais,  dès  que  nous  fumes 
sortis  du  quartier,  personne  ne  faisait  attention  à  nous  ;  il 
était  déjà  nuit  Je  pus  voir  à  mon  aise  les  rues  de  la  capitale, 
je  n'avais  pas  besoin  de  me  cacher  ;  c'était  la  première  fois 
que  je  les  traversais  sans  crainte  d'être  reconnu.  Je  vis  les 
habitants  qui  fourmillaient  à  cette  heure;  les  marchands 
ambulants  qui  criaient  ;  les  enfants  qui  Couraient,  chan- 
taient s'amusaient;  les  femmes  qui,  couvertes  de  longs 
voiles  aux  vives  couleurs,cîrculaient  en  silence.  Je  vis  des 
cortèges  de  grands  nobles  ;  ils  étaient  précédés  de  valets  qui 
couraient  en  poussant  de  grands  cris  pour  avertir  le  peuple 
de  faire  place.  Je  vis  aussi  de  pauvres  petits  enfants  abandon- 
nés qui,  assis  au  milieu  de  la  rue,  transis  de  froid,  cherchaient 
à  exciter  par  leurs  cris  la  pitié  des  passants. 

La  capitale  offrait  vraiment  une  physionomie  étrange. 
Tous  ces  habits  de  mille  couleurs,  toutes  les  lanternes 
(chacun  portant  la  sienne)  qui  vont,  viennent,  se  croisent, 
donnent  aux  rues  un  aspect  singulier.  Je  pus  remarquer  tout 
cela,  malgré  la  pression  de  mes  deux  geôliers  qui  me  tenaient 
étroitement  serré  et  me  secouaient  d'une  belle  façon.  Mais 
mon  esprit  était  principalement  occupé  du  malheur  de  ce 
pauvre  peuple,  qui  ne  connadt  pas  Dieu.  J'étais  venu  pour 
répandre  la  lumière  de  la  foi,  pour  lui  enseigner  le  chemin 
du  ciel,  et  je  me  voyais  arrêté  dès  le  début.  Du  moins  je 
m'offris  généreusement  à  Notre-Seigueur  aûnjde  mourir  pour 
le  salut  de  ce  peuple. 

Sur  le  parcours,  les  satellites  sont  empressés  ;•  ils  se  par- 
lent à  voix  basse,  vont  et  viennent;  c'est  une  vraie  confusion, 
on  arrive  à  la  porte  du  tribunal  de  droite,  on  allume  deux 
grandes  lanternes  ;  deux  rangs  de  soldats  se  forment,  on  me 
fait  avancer  au  milieu  d'eux. 

J'aperçois  le  vieux  Jean  qui  est  à  ma  droite  ;  nous 
sommes  en  plein  air  ;  devent  nous,  une  porte  à  coulisse  en 
papier  s'ouvre,  et  nous  apercevons  le  grand  juge  ou  préfet 
de  police  assis  sur  une  natté  dans  son  appartement.  L'inter- 
rogatoire commence.  Connaissant  la  susceptibilité  des 
Coréens  pour  tout  ce  qui  est  de  l'étiquette,  j'avais  résolu 
d'employer  toujours  dans  mes  réponses  la  forme  polie  du 
langage  entre  égaux  ;  aussi,  dès  le  début,  je  dis  à  mou  juge  : 


—  160  — 

^^  —  Mon  intention  est  de  vous  parler  selon  les  règles  d« 
langage;  mais,  comme  je  suis  peu  expert  en  la  langue 
coréenne,  il  m'échappera  quelques  expressions  incorrectes  ; 
je  vous  prie  de  n'y  pas  faire  attention." 

Les  assistants  me  regardent  ébahis  et  le  juge  me  demande  : 

" —  Comment  t'appelles-tu  î 

"  —Je  m'appelle  Ni. 

"  —  Ton  prénom  ? 

"  —  Pok  Myeng-y . (ce  qui  veut  dire  FélixClair). 

"  —  Depuis  quand  es-tu  venu  ?      ' 

"  — Je  suis  venu  à  la  ?«  lune. 

**  —  Par  quelle  route 

^^  —  Par  Tchang-san  (cap  le  plus  à  l'ouest  de  la  côte  de 
Corée). 

"  — Pourquoi  es-tu  venu? 

"  —  Pour  prêcher  la  religion  catholique,  et  enseigner  aux 
hommes  à  se  bien  conduire. 

^^  En  as-tu  instruit  beaucoup  7 

^^  —  Arrivé  depuis  si  peu  de  temps,  je  n'ai  pas  eu  le  loisir 
d'instruire  beaucoup  de  personnes. 

"  —  Quels  sont  ceux  qui  t'ont  amené  ? 

^^  —  Comme  la  réponse  à  cette  question  pourrait  causer  du 
dommage  à  plusieurs  personnes,  c'est  pour  moi  un  devoir  de 
n'y  pas  répondre, 

«<  —  Où  sont  ceux  que  ta  as  ininitiés  i  ta  religion  ? 

^^ — Je  connais  peu  le  pays,  j'ignore  où  habitent  ceux  que 
j'ai  pu  voir  ;  de  plus,  par  le  môme  motif  que  j'exposais  tout 
à  l'heure,  vous  comprenez  que  je  ne  puis  donner  le  nom 
d'aucun  des  Coréens  qui  ont  eu  des  rapports  avec  moL 

«  _  Es-tu  Père  î 

"  —  Oui,  et  de  plus  je  suis  évoque. 

" — Ah  î  c'est  sans  doute  le  Père  Ni  d'autrefois,  qui, 
s'étant  échappé,  est  devenu  l'évêque  Ni  ? 

"  —  Vous  avez  dit  vrai. 

"  —  Eh  bien  î  ajoute-t-it  qu'on  l'emmène  et  qu'on  le  traite 
bien.'' 

Jean  répondit  aussi  à  quelques  questions.  D'abord  il  s'était 
mis  dans  une  posture  humble  devant  le  juge  ;  lorsque  celui- 
ci  lui  dit  de  se  lever,  il  hésitait  ;  mais  le  juge  l'invita  de 


—  IGl  — 

nouveau  avec  bonté.    Deux  gardes  me  tenaient  très-serré  ; 
le  juge  leur  donna  Tordre  de  me  lâcher,  disant  : 
"  —  Avec  cet  homme-il  n'y  a  rien  à  craindre." 
C'est  la  seule  fois  que  je  vis  ce  juge  ;  il  paraissait  bon,  affa- 
ble. Jean  qui  eut  l'occasion  de  le  voir  encore  deux  fois,  était 
enchanté  de  lui.    Sans  doute  il  était  trop  bon,  il  nous  était 
peut-être  favorable  ;  aussi,  quelques  jours  après,  fut-il  desti- 
tué. 
On  m'emmène  au  corps  de  garde.  Là,  au  lieu  de  me  laisser 

reposer,  on  m'accable  d'une  foule  de  questions  ;  j'y  réponds 
aussi  bien  que  possible.  En&n  peu  à  peu  tous  se  retirent, 
deux  satellites  seulement  restent  pour  me  garder;  vers 
minuit,  ils  me  poussent  \m  petit  morceau  de  bois  carré  qui 
doit  me  servir  d'oreiller,  je  fais  ma  prière  et  je  m'endors.  Le 
lendemain,  je  ne  pus  faire  mon  oraison  que  par  moroeaux. 
car,  à  chaque  instant,  on  m'adressait  la  parole.  Je  réeitai, 
aussi  mon  office  ;  j'avais  mon  bréviaire  qu'on  m'avait  remis  ; 
on  me  le  laissa  jusqu'au  16  mars.  Au  commenceotent,  'À 
m'était  difficile  de  le  réciter,  mais  bientôt  tout  le  monde  sut 
que,  quand  je  lisais  ce  livre,  il  était  inutile  de  m'adresser  la 
parole. 

La  veille  j'avais  voulu  consulter  ny  montre  i  je  m'aperçus 
qu'elle  avait  disparu.  J'en  fis  l'observation  au  chef  de  police 
en  lui  disant  :  '^  —  Lorsque  je  sortis  de  chez  moi,  j'avais  une 
montre  ;  elle  n'est  plus  dans  mon  peitit  sac.  Je  l'aurai  perdue 
en  route,  peut-être  qu'elle  sera  retrouvée.  "  Il  s'étonna 
d'abord,  mais  je  l'entendis  très-bien  dire  ensuite  :  '^  —  Quel 
homme  juste  1  On  lui  a  volé  sa  montre,  et,  pour  n'accuser 
personne,  il  dit  qu'il  l'a  perduç."  Je  me  souvins,  en  effet, 
que  l'homme,  qui  me  tenait  pendant  la  route,  se  crampon- 
nait à  ce  petit  sac,  sous  prétexte  de  plus  d^  facilité  pour  me 
tenir  ;  je  ne  pensais  pas  alors  qu'il  avait  Tintention  de  me 
voler.  Le  matin,  je  m'aperçus  que  mon  petit  peigne  européep 
avait  aussi  disparu,  mon  canif  également  ;  tout  avait  suivi  le 
même  chemin.  Mon  anneau  pastoral  heureusement  me  res. 
tait;  le  voleur  ne  l'avait  pas  sans  doute  palpé,  je  résolus  de 
le  bien  cacher. 

Le  soir  on  me  fait  passer  dans  une  autre  chambre  plus 

basse  et  l'on  me  met  aux  ceps.  Ces  entraves  se  composent  de 

5 


»  —  162  — 

deux  pièces  de  bois  superposées,  longues  d'environ  4  mètres 
et  larges  de  0  m.  15.  A  la  pièce  inférieure  se  trouvent  des 
échancrures,  dans  lesquelles  on  place  les  pieds  à  la  hanteor 
de  la  cheville  ;  on  abaisse  ensuite  la  partie  supérieure  qui  se 
meut  au  moyen  d'une  chai-nièrè,  placée  à  l'une  des  extréaii> 
tés,  tandis  que,  à  l'autre,  elle  se  ferme  au  moyen  d'un 
cadenas.  Cet  instrument  s'appelle  tchak-ko.  On  se  contenta 
de  me  prendre  un  seul  pied.  Lorsqu'on  me  présenta  Tinstra- 
ment,  on  fut  obligé  de  me  donner  une  leçon.  Les  deux 
satellites  avaient  presque  honte  de  me  mettre  dans  cette 
position.  Pour  adoucir  un  peu  la  chose,  ils  me  dirent  :  " — 
Cest  une  coutume  id,  quand,  pour  la  première  fois,  on  reçoit 
un  hôte,  on  lui  fait  passer  le  pied  dans  cet  instrument.  "  Je 
pus  me  coucher  sur  le  dos,  et,  avec  un  peu  d'adresse,  me 
mettre  aussi  sur  le  côté.  Fatigué  que  j'étais  de  cette  nouvelle 
vie,  je  dormis  quelques  heures.  Ce  qui  me  gênait  le  plus, 
c'étaient  deux  individus  couverts  de  haillons,  qiu,  couchés 
peu  loin  de  moi,  se  remuaient  dans  la  paille,  poussaient  des 
soupirs,  et  cherchaient  à  se  débarrasser  de  la  vennîne  qui 
les  dévorait.  J'apprig  pins  tard  que  c'étaient  des  mendiante, 
employés  dans  la  police  secrète. 

J'ignorais  ce  qui  pouvait  arriver  ;  en  tout  cas,  je  n'avais 
pas  d'illusions  à  me  faire  :  le  sort  de  mes  prédécesseurs  me 
dirait  assez  celui  qui  m'était  réservé.  Le  31  janvier,  j'enten- 
dis quelques  mots  d'une  conversation  secrète  :  on  parlait 
d'exécution  pour  le  lendemain.  Le  jour,  il  m'était  difficile  de 
me  recueillir  ;  mais,  la  nuit,  étant  plus  tranquille,  je  Ja 
passai  à  me  préparer,  persuadé  que  ma  dernière  heure  avait 
sonné.  Voici  une  note  que  je  trouve  sur  mon  ordo^  au  l**" 
février:  "Récité  l'office  jusqu'à  none;  dans  quelques  ins- 
tants, je  vais  probablement  mourir,  je  suis  tout  à  Dieu.  Vive 
Jésus  !  dans  quelques  instants,  je  vais  être  au  Ciel  !  "  D  me 
semble  que  j'étais  bien  préparé,  et  tout  disposé  à  mourftr. 
Pour  employer  le  temps  qui  me  restait,  je  chantai  le  Laudate... 
et  VAve  maris  Stella^  et  j'attendis.  Les  soldats  firent  ce  jour- 
là,  dans  la  cour,  un  exercice  extraordinaire  en  poussant  des 
cris  féroces...  Tout  me  confirmait  dans  l'idée  que  j'avais...  Y 
a-t-il  eu  une  exécution  ?  Je  ne  l'ai  jamais  su. 

Le  lendemain,  c'était  le  premier  jour  de  l'an  chinois.     Ozi 


—  163  — 

me  conduisit  dans  une  chambre  haute,  et  je  fis,  comme  tout 
le  monde,  échange  de  politesses.  La  nuit,  on  ne  me  mit  pas 
aux  ceps  ;  peut-être  n'était-ce  là  qu'une  infraction  que  les 
satellites  s'étaient  permise,  car,  deux  jours  après,  Tordre  vint 
de  me  mettre  de  nouveau  aux  entraves.  Les  deux  satellites 
qui  me  gardaient  étaient  sans  doute  de  mes  amis  ;  j'en 
entendis  un  en  effet  qui  disait  :  "  —  Est-il  possible  qu'on  le 
traite  ainsi  !  C'est  un  homme  honnête  juste  comme  on 
n'en  trouve  pas  en  Corée  ;  c'est  un  vrai  F6  qui  est  venu  de 
nouveau  sur  la  terre."  Le  lendemain,  les  satellites  présentè- 
rent des  observations  au  grand  juge.  " — C'est  pitié,  lui  dirent- 
ils,  de  mettre  cet  homme-là  aux  entraves."  Le  juge  répondit  : 
^'-— Je  pense  comme  vous,  je  le  prends  moi  aussi  en  pitié  ; 
mais  l'ordre  est  donné,  je  ne  puis  le  révoquer." 

Sur  ces  entrefaites,  voilà  que  je  suis  pris  d'un  gros  rhume  ; 
la  nuit,  en  effet,  je  souffrais  du  froid.  On  courut  chez  le  juge 
qui  dit  :  " — Oh  !  c'est  grave,  s'il  est  malade,  ne  le  mettez  plus 
aux  ceps;  je  me  charge  de  lui,  soignez-le  bien."  Puis  il 
m'envoie  im  grand  paravent  pour  m'abriter;  on  me  donna 
aussi  deux  tasses  de  tisane.  J'étais  touché  de  toutes  ces  pré- 
venances, et-je  ne  savais  qu'en  penser.  Le  chef  des  satellites 
me  donna  môme  douze  sapèques,  à[|peu  près  trois  sous,  pour 
acheter  un  peu  de  bois,  aûnde  chauffer  la  chambre  ;  lorsque 
je  voulus  les  rendre,  les  satellites  s'y  refusèrent  et  payèrent 
eux-mêmes  le  chauffage.  L'un  me  donna  cinq  sapèques  pour 
acheter  du  tabac,  un  autre  un  petit  peigne.  Déjà  j'étais  deve- 
nu l'ami  de  tous  ;  ils  ne  tarissaient  pas  quand  ils  faisaient 
mon  éloge  :  '^ — Comme  il  est  doux,  simple,  poli,  affable, 
juste  !"  Et  les  anciens  disaient  :  " — L'évêque  Berneux,  Da- 
veluy  et  les  autres  Pères,  que  bous  avons  vus,  étaient  tous 
ainsi  ;  ces  Européens  sont  vraiment  vertueux  ;  ce  n'est  pas 
comme  nous,  Coréens.  Au  lieu  de  le  mettre  à  mort,  on  ferait 
bien  mieux  de  le  renvoyer  dans  son  pays." 

Le  5  février,  il  se  fit  un  grand  bruit  dans  le  prétoire  ;  on 
ne  voulut  ni  me  laisser  voir,  ni  me  dire  ce  dont  il  s'agissait. 
Je  compris  bientôt  que  c'étaient  des  prisonniers  qu'on  ame- 
nait ;  j'entendis  môme  des  soupirs  ;  c'étaient  comme  (|es  voix 
d'enfants  qui  gémissaient.  La  pensée  que  ce  pouvait  être  des 
chrétiens  me  vint  naturellement,  et  le  lendemain  je  n'euâ 


—  164  — 

jlus  de  doute,  lorsque  j'entendis  le  juge  crier  assez  haut  : 
<' — As-tu  étudié  près  de  l'Européen  ?  "  On  arrêtait  donc 
toujours  les  chrétiens.  Combien  étaient-ils  ?  Qui  étaientrils  ? 
Plus  tard,  j'appris  qu'on  avait  arrêté  une  jeune  femme  de 
dix-huit  ans,  mariée  depuis  dix  jours  ;  c'était  la  fille  d'un 
noble  coréen,  Léon  Ni,  chrétien^fervent  qui  a  été  très  \itile 
aux  Pères  ;  je  l'ai  eu  moi-même  pour  servant  en  1861  ;  der- 
nièrement il  était  maître  de  maison  de  M.  Deguette.  Son  fils 
aîné.  Jean  Ni,  accompagnait  le  même  Père.  La  jeune  femme 
fut  prise  avec  son  mari  ;  après  le  jugement,  ils  furent  mis  en 
prison  avec  les  chrétiens  et  les  voleurs.  Vers  le  20  février, 
on  arrêta  d'autres  chrétiens  ;  ils  étaient  en  tout  une  vingtai- 
ne dans  la  prison  de  droite,  prison  affreuse,  étroite  et  si 
remplie,  que  les  détenus  étaient  les  uns  sur  les  autres,  les 
pieds  toujours  pris  dans  les  entraves  ;  les  femmes  habitaient 
une  petite  chambre  eontiguë  et  n'étaient  pas  au!x  ceps.  Mais^ 
j'aurai  bientôt  occasion  de  parler  des  prisons  et  de  leur  régi- 
me ;  parlons  un  peu  des  satellites  avec  lesquels  j'ai  vécu 
pendant  près  de  deux  mois. 

ni 

Il  y  a  deux  tribunaux,  le  tribunal  de  droite  et  celui  de 
gauche  ;  chaque  tribunal  compte  a  peu  près  52  satellites.  Au- 
dessous  des  satellites,  qui  tous  ont  reçu  une  certaine 
éducation,  sont  des  soldats,  puis  des  employés  subalternes 
qui  les  accompagnent  dans  les  expéditions  ;  enfin  des  bour- 
reaux, hommes  de  la  dernière  classe,  à  la  figure  de  monstres, 
au  regard  faux  ;  ce  sont  ordirement  d'anciens  voleurs  libérés. 
Les  satellites  sont  habillés  de  diverses  façons  ;  suivant  les 
expéditions  qu'ils  ont  à  faire,  et  pour  n'être  pas  reconnus,  ils 
changent  souvent  d'habits.  Ils  ont  des  chefs  qu'on  appelle 
tchyevjrtji  dont  le  grade  correspond  à  celui  de  sergent,  et  qui 
portent  des  anneaux  en  jade  ;  le  tong-tji  ou  lieutenant  porte 
des  anneaux  en  or.  Tous  sont  sous  les  ordres  du  préfet  de 
police,  qui  a  un  pouvoir  absolu  pour  les  causes  ordinaires. 

Il  est  difficile  de  reconnaître  les pokio  ou  satellites;  msàf^ 
les  gens  habitués  ne  s'y  trompent  guère.  Pour  se  faire  re- 
connaître, en  cas  de  besoin,  ils  ont  toujours  sur  eux  une 


—  165  — 

plaque  en  bois,  demi-circulaire,  appelée  ktongpou^  sur 
laquelle  sorit  inscrits  des  caractères  et  un  cachet  ;  ils  la  por- 
tent suspendue  à  la  ceinture  du  pantalon,  par  une  courroie 
en  peau  de  cerf.  Leur  autorité  est  très  grande  ;  personne 
n'oseraitleur  résister,  excepté  les  nobles  qui  les  méprisent 
et  quelquefois  les  font  maltraiter  ;  mais  alors  même  ils  trou- 
vent toujours  moyen  de  se  ^nger  sur  le  peuple,  et  malheur 
à  ceux  qui  en  dei  telles  circonstances,  tombent  entre  leurs 
mains.  Ils  sont  surtout  à  craindre  quand  ils  ont  une  ven- 
geance personnelle  à  exercer,  ou  qu'ils  veulent  s'emparer  des 
biens  de  quelques  gens  riches  ;  ils  savent  toujours  se  tirer 
d'affaire,  et,  à  défaut  de  raisons,  ils  emploient  la  torture  et 
tourmentent  leurs  victimes  sans  règles  ni  mesure. 

Au  commencement  du  mois  dé  janvier  1878,  ou  en  dâcem- 
1877,  un  satellite  voulut  enlever  à  un  homme  du  peuple  une 
de  ses  femmes.  Dans  ce  but,  il  se  réunit  à  d'autres,  et  tous 
ensemble  ils  accusent  cet  homme  de  vol,  l'arrêtent,  le  jettent 
en  prison,  et,  pour  lui  faire  avouer  ses  prétendus  vols,  le 
soumettent  à  une  horrible  question.  Mais  on  avait  beau  le 
frapper,  il  protestait  toujours  de  son  innocence;  cela  ne 
faisait  qu'augmenter  la  rage  des  satellites,  qui  le  réduisirent 
à  un  état  voisin  de  la  mort.  Sur  ces  entrefaites,  les  gens  de 
son  village,  qui  le  connaissaient  pour  un  honnête  homme, 
vont  protester  au  tribunal.  Peu  à  peu  on  découvre  que  l'ac- 
cusation est  entièrement  fausse,  et  le  préfet  ordonne  de  le 
relâcher  ;  mais  le  pauvre  homme  ressemble  plus  à  un  cada- 
vre écorché  qu'à  un  homme  vivant;  les  côtes  sont  à  nu,  la 
barbe,  les  cils,  les  sourcils  sont  brûlés,  les  paupières  atta- 
quées^ les  pieds  foulés,  les  genoux  écrasés,  les  cuisses  et  le 
ventre  brûlés,  enilés,  etc.Les  satellites,  craignant  qu'il  ne 
meure  (car  eux-mêmes  seraient  responsables),  se  mettent  à 
le  soigner  ;  je  n'ai  pas  su  s'il  était  revenu  à  la  vie. 

Quand  les  chrétiens  sont  entre  les  mains  de  ces  barbares, 
l'on  peut  s'imaginer  à  quels  supplices  ils  sont  réservés.  Dans 
cette  persécution,  le  préfet  de  police  ne  les  avait  pas  tout  à 
fait  abandonnés  à  la  discrétion  des  satellites  ;  il  avait  lui- 
même,  paraît-il,  indiqué  les  supplices  qu'on  pourrait  leur 
appliquer,  pour  les  forcer  à  faire  des  révélations  et  à  aposta- 
sier  :  c'étaient  la  torsion  des  jambes  et  des  bras,  et  la  sus- 


—  166  — 

pension.  J'ai  pu  entendre  quelquefois  les  soupirs  et  les  cris 
de  ces  pauvres  torturés,  qui  soufEraient  pour  Notre-Seigncur 
Jésus-Christ  Hélas  !  je  partageais  bien  leurs  soufErances  ; 
mais,  ce  qui  me  faisait  mal  c'était  d'entendre  les  ricanements, 
les  éclats  de  rire  des  satellites  et  des  bourreaux  assistant  à  ce 
spectacle. 

Je  ne  voudrais  cependant  p^  dire  que  tous  fussent  mé- 
chants et  barbares  ;  j'aime  même  à  croire  qu'il  y  a  des  excep- 
tions assez  nombreuses,  et,  pour  ce  qui  me  regarde,  les 
satellites  de  droite  ne  m'ont  généralement  pas  maltaité  ; 
quelques-uns  môme  prenaient  ma  défense  et  me  protégeaient 
contre  ceux  qui  m'injuriaient  Ils  aimaient  à  causer  et  me 
faisaient  une  foule  de  questions  ;  il  m'a  fallu  plus  de  cent  fois 
leur  parler  des  royaumes  d'Europes,  de  la  France,  leur  dire 
son  étendue,  sa  distance,  etc.,  expliquer  les  quatre  saisons, 
les  phases  de  la  lune,  les  éclipses  de  soleil,  de  lune...,  les 
bateaux  à  vapeur,  les  chemins  de  fer.  J'ai  pu  même  leur 
exposer  la  doctrine  chrétienne.  Ils  ne  croient  pas  à  l'exis- 
tence de  Dieu,  mais  ils  admirent  les  dix  commandements,  et 
bien  souvent  j'ai  entendu  de  la  bouche  de  ces  hommes  l'éloge 
des  chrétiens.  " — Ce  sont  des  gens  doux,  paisibles,  disaitent- 
ils  ;  ils  ne  volent  pas,  ils  ne  disent  pas  de  mensonges,  ne 
parlent  pas  mal  du  prochain,  ne  frappent  personne,  etc." 
Quelle  différence  avec  eux,  qui  volent  quand  ils  peuvent, 
mentent  presque  toujours,  à  tel  point  qu'on  ne  sait  que  croire 
de  leurs  paroles  ;  j'ai  été  si  souvent  trompé,  que,  à  la  fin,  je 
n'ajoutais  plus  aucune  foi  à  ce  qu'ils  me  disaient  Le  men- 
songe est  une  spécialité  du  satellite  ;  mais  ce  qui  est  commun 
à  tous  les  Coréens,  ce  sont*  les  paroles  obscènes,  les  histoires 
et  les  discours  scandaleux  ;  ils  parlent  entre  eux  souvent  par 
gestes.  Au  commencement  je  ne  comprenais  pas;  mais, 
lorsqu'ils  m'eurent  expliqué  ce  que  cela  signifiait,  je  leur 
exprimai  tout  mon  mécontentement  avec  indignation  ;  bientôt 
ils  prirent  des  précautions,  et  quand  il  se  présentait  quelqne 
nouveau  venu  tenant  des  propos  licencieux,  ils  s'empressait 
de  lui  dire  :  " — Ne  parle  pas  de  cela,  car  il  n'aime  pas  à 
entendre  ces  choses."* 

Les  questions  les  plus  ordinaires,  qui  sont  du  reste  des 
questions  de  politesse,  et  auxquelles  j'ai  été  obligé  de  répon- 


—  167  — 

dre  des  milUiers  de  fois,  sont  celles-ci  :  " — Comment  vous 
appelez-vous  ?  Quel  âge  avez-vous  ?  De  quel  pays  êtes-vous  ? 
Avez-vous  des  parents  ?  Avez-vous  des  enfants?  Avez-vous 
des  frères?  '*  Et,  pour  rendre  la  politesse,  il  me  fallait,  de 
mon  côté,  faire  les  mêmes  interrogations.  Mais  ils  ajou- 
taiet  :  "—Quand  etes-vous  venu?  Avec  qui  ?  Comment?... 
Questions  indiscrètes  auxquelles  je  déclarais  n'être  pas  oblige 
de  répondre.  Tout  le  temps  que  j'ai  vécu  au  milieu  d'eux, 
ils  n'ont  cessé  de  me  questionner  sur  tontes  sortes  de  choses  ; 
quelques-uns  le  faisait  avec  assez  d'intelligence  et  écoutaient 
volontiers  les  réponses.  On  est  venu  u-n  jour  me  demander 
sérieusement  si  je  ne  pourrais  pas  renvoyer  les  Japonais,  qui 
devaient  venir  au  printemps.  On  m'a  demandé  aussi  si  je  ne 
pourrais  pas  leur  faire  un  bateau  à  vapeur. 

Pendant  toutes  ces  conversations,  je  n'avais  pas  l'air  d'un 
prisonnier,  et  cependant  j'étais  bien  en  prison  ;  impossible  à 
moi  de  sortit*  :  deux  gardiens  me  surveillaient  nuit  et  jour. 

On  parlait,  dès  le  début,  de  me  renvoyer  dans  mon  pays  ; 
un  chef  vint  même  me  dire  : 

"  —  Si  l'on  te  renvoyait  dans  ton  pays,  où  faudrait-il  te 
conduire  ? 

"  Conduisez-moi  où  vous  voudrez  ;  vous  savez  bien  que  je 
ne  désire  qu'une  chose,  c'est  qu'on  me  permette  de  rester  en 
Corée,  pour  y  enseigner  la  doctrine  chrétienne. 

"  —  Si  l'on  te  renvoie,  tu  ne  partiras  donc  pas  ? 

"  —  Si  l'on  me  renvoie  de  force,  je  serai  bien  obligé  d'aller 
où  Ton  me  conduira. 

*^  —  Mais  où  te  conduire  ?  Si  l'on  te  mettait  en  Chine,  com- 
ment ferais-tu  ?  " 

Je  n'avais  pas  encore  parlé  démon  passeport  chinois,  parce 
que  je  le  jugeais  inutile  pour  la  Corée  ;  je  trouvais  le  moment 
favorable  de  le  montrer. 

"  —  Si  vous  me  renvoyez  en  Chine*,  je  serai  peu  embar- 
rassé, parce  que  j'ai  un  passeport  qui  xr\fi  permet  d'aller  par 
tout  le  pays  du  Leao-tong. 

" —  Fais-le  voir." 

Je  le  lui  présentai  ;  il  le  lut  sans  avoir  l'air  d'y  faire  atten- 
tion et  me  le  rendit. 

**  —  C'est  inutile  pour  ici. 


—  168  — 

^'  —  Je  le  sais  ;  roilà  pounjuoi  je  n'en  ai  pas  parlé  ;  maïs 
en  Chine,  avec  ce  passeport  je  puis  obtenir  la  protection  des 
mandarins,  " 

Le  lendemain,  on  vint,  de  la  part  du  grand  juge,  me  de- 
mander mon  passeport,  pièce  qui  fit  un  peu  sensation  ;  on 
m'en  parla  même  dans  un  interrogatoire,  et  enfin  on  ooldia 
de  me  le  rendre. 

Comme  je  Tai  dit  plus  haut,  quelques  jours  après  mon 
arrestatioB,  les  deux  juges,  celui  de  droite  et  celui  de  gauche 
furent  remplacés  par  d'autres.  J'eus  une  fois  l'occasion  de 
voir  celui  de  droite,  appelé  Kim.  H  me  manda  à  son  tribu- 
nal au  milieu  de  la  nuit.  Gomme  précédemment,  il  était  dans 
nn  appartement,  dont  on  ouvrit  la  porte  ;  pour  moi,  je  me 
tenais  debout  dehors  avec  quelques  satellites.  L'interroga- 
toire fut  insignifiant,  et  je  pense  qu'il  ne  m'avait  appelé  que 
pour  me  connaître  et  se  procurer  le  plaisir  de  me  voir.  Entre 
autres  choses,  il  me  demanda  : 

*'  —  Où  sa«t  les  autres  Pères  ? 

"  —  Je  l'ignore  depuis  quinze  jours  ;  ils  ont  dû  apprendre 
mon  arrestation,  ils  se  seront  cachés,  et  personne  ne  peut 
connaître  le  lieu  de  leur  refuge. 

"  —  C'est  une  parole  juste,  dit  le  juge  ;  il  ne  peut  savoir 
où  ils  sont  présentement...  Mais  où  étaient-ils  alors  ?  Où  de- 
meuraient-ils ? 

^^  —  Je  ne  puis  répondre  à  <îette  question.  Quand  bien 
*même  j'y  répondrais,  vous  ne  trouveriez  pas  plus  facilement 
les  Pères  que  vous  cherchez  ;  ils  ont  fui,  et  personne  ne  con- 
nait  leur  retraite  ;  de  plus,  je  dénoncerais  inutilement  des 
personnes  innocentes,  et  je  leur  causerais  un  vrai  dommage  ; 
ce  que  je  ne  puis  ni  ne  veux  faire- 

"  —  Que  désire-tu  qu'on  fasse  de  toi  î 

^^ — Je  ne  sais  ce  que  le  gouvernement  décidera  ;  mais, 
puisque  vous  me  faites  cette  question,  je  désire  que  le  gou- 
vernement me  permette  de  rester  en  Corée,  de  m 'établir  à  la 
capitale  et  de  prêcher  la  doctrine.  Vous  en  connaissez  assez 
pour  savoir  qu'elle  n'est  pas  mauvaise,  qu'elle  enseigne  i 
faire  le  bien.  Ceux  qui  la  pratiquent  sont  des  gens  paisibles, 
honnêtes,  de  bons  citoyens;  le  gouvernement  ne  pourrait 
donc  qu'avoir  avantage  à  nous  accorder  cette  permission. 

"  —  Et  si  on  te  renvovait  ? 


—  169  — 

('f'  —  Je  ne  demande  pas  à  partir,  au  contraire,  et,  si  on  me 
le  permet,  je  resterai  dans  le  pays  jusqu'à  la  mort.  Je  me 
chargerai  encore  de  recueillir,  de  nourrir  et  d'élever  les  or- 
phelins et  les  enfants  abandonnés,  qui  sont  si  nombreux. 

*'  -;-  Où  prendrais-tu  de  l'argent  ? 

'^  —  Des  enfants  de  France  m'en  donneraient 

"  —  Ils  sont  donc  bien  riches  ? 

^^  —  Pas  très-riches  ;  mais  ils  sont  généreux,  charitables,  et 
ils  aiment  les  enfants  de  la  Corée. 

**  —  Pourquoi  te  frottes-tu  les  mains  ainsi  ? 

"  —  Sorti  .d'une  chambre  chaude,  au  milieu  de  la  nuit,  f  ai 
froid. 

"  —  Tu  as  froid  !  Qu'on  l'emmène,  et  qu'on  le  traite  bien.'* 

Puis  il  remit  pour  moi  au  chef  des  satellites  une  petite 
boîte  de  gêteaux  de  Chine. 

Que  pensait,  que  faisait  lé  gouvernement  ?  C'était  à  n'y 
rien  comprendre,  sinon  que,  dans  le  Conseil,  il  y  avait  à  mon 
sujet  une  grande  hésitation.  J'ai  entendu  un  jeune  homme, 
qui  disait  : 

"  —  Hier  soir,  il  y  a  eu  une  dispute  terrible  à  la  préfec- 
ture de  police  j  deux  ministres  se  parlaient  avec  colère,  et 
sont  restés  jusqu'à  minuit  sans  pouvoir  se  mettre  d'accord. 

^'  —  A  propos  de  quoi  ?  lui  demanda-t-on. 

"  —  A  propos  de  l'Européen." 

Et  ces  scènes  arrivaient  fréquemment,  paraît-il.  Les  uns 
voulaient  me  renvoyer  en  Chine  ;  les  autres  voulaient  me 
mettre  à  mort.  Un  scribe  me  dit  un  jour  :  "  —  On  a  envoyé 
en  Chine  pour  consulter  le  gouvernement  à  votre  sujet,  et  ce 
qu'il  ordonnera  de  faire,  on  le  fera."  D'autres  disaient: 
"  —  Quand  les  autres  Pères  seront  arrivés,  on  décidera. 
Vous  feriez  bien  de  les  appeler  et  de  leur  donner  l'ordre  de 
venir." 

J'étais  toujours  avec  les  satellites.  Or  ceux-ci,  au  nombre 
de  huit,  dix,  et  quelquefois  d'une  vingtaine,  allaient  venaient, 
se  succédaient,  passant  leur  temps  à  rire,  à  jouer,  à  vociférer, 
à  se  disputer,  depuis  six  ou  sept  heures  du  matin,  jusqu'au 
milieu  de  la  nuit.  Ce  n'était  pas  le  moindre  de  mes  tour- 
ments. On  ne  cessait  de  m'adresser  la  parole,  et  je  trouvais 
à  peine  le  tÀnps  de  faire  un  peu  de  méditation  ;  j'y  suppléais 


—  170  — 

pendant  la  nuit.  Quelle  difficulté  pour  réciter  mon  bréviaire 
au  milieu  de  ce  tapage  1  DifEêrentes  caisses,  saisies  dans  ma 
maison,  avaient  été  apportées  au  corps  de  garde  des  satel- 
lites ;  beaucoup  d'objets  avaient  disparu  lors  du  pillage  *, 
mais,  même  en  ce  lieu,  chaque  fois  que  le  chef  ouvrait  ces 
caisses,  les  satellites  présents  emportaient  ce  qui  leur  conve- 
nait ;  ils  venaient  me  demander  ce  qu^était  tel  ou  tel  objet,  à 
quoi  servait  telle  ou  telle  chose.  Un  jour,  un  satellite  m'ap- 
porta une  petite  croix,  et  me  demanda  si  c'était  de  l'or  ;  je 
reconnus  le  croisillon  de  ma  croix  pectorale,  qui  contenait 
des  reliques.  Il  l'avait  brisé.  Le  tout  aura  été  brûlé,  fondu, 
car  je  n'ai  plus  revu  cette  croix  qui  était  en  argent  doré. 
D'autres  satellites  m'apportèrent  un  morceau  de  savon,  me 
demandant  ce  que  c'était  Je  résolus  de  les  amuser,  et  je 
réussis  assez  bien,  car,  leur  ayant  montré  la  manière  de  faire 
des  bulles,  tous  se  mirent  à  l'œuvre,  à  qui  mieux  mieux, 
môme  les  manderins  qui  soufflaient  avec  force  dans  un  tuyau 
de  papier  pour  gonfler  les  bulles.  Ils  amenèrent  leurs  amis 
du  dehors  pour  voir  cette  merveille,  et  je  crois  que  tous 
eussent  voulu  avoir  du  savon  à  leur  disposition  ;  un  grand 
nombre  m'en  demandèrent  biBn  inutilement,  puisque  je 
n'avais  rien.  Un  satellite  me  dit  : 

**  —  Est  ce  bon  à  manger,  le  savon  ? 

"  —  Non,  cela  ne  se  mange  pas,  et  môme  cela  pourrait 
rendre  malade. 

"  —  Mon  petit  garçon,  qui  a  dix  ans,  et  à  qui  j'en  avais 
donné  un  morceau,  crut  que  c'était  un  gâteau  ;  il  en  a  mangé 
et  il  a  été  très-malade." 

Je  profitai  de  la  circonstance  pour  les  avertir  que,  dans 
mes  caisses,  il  y  avait  quelques  remèdes  européens,  gui 
étaient  excellents,  quand  on  savait  s'en  servir,  mais  qui,  em- 
ployés sans  discernement,  pouvaient  donner  la  mort 

"  —  Oui,  me  disaient-ils,  mais  le  vin  de  raisin,  comme 
c'est  bon  !  Nous  le  connaissons  bien.  —  Comme  c'est  fort  î 
ajoutait  un  autre,  j'en  ai  bu  quelques  verres,  et  je  me  suis 
enivré  d'une  belle  manière,  tellement  que  je  ne  me  suis 
réveillé  que  le  lendemain,"  De  fait,  ils  avaient  bu  tout  le  vin 
de  messe  de  la  mission. 

Pendant  tout  ce  temps,  je  n'étais  pas  maltraité.    Le  matin 


— 171  — 

et  le  soir,  on  me  donnait  du  riz,  et,  au  milieu  du  jour,  une 
espèce  de  bouillie.  Seulement  il  m'était  impossible  de  chan- 
ger d'habits,  et  la  vermine  me  dévordit  ;  je  ne  pouvais  qu'à 
grand'peine  obtenir  de  temps  à  autre  un  peu  d'eau  pour  me 
laver  les  mains  et  la  figure  ;  et,  quand  on  voulait  bien  m'en 
donner,  c'était  dans  le  vase  dont  les  satellites  se  servaient 
pour  se  laver  les  pieds. 

On  vint  me  dire  un  jour  ;  "  —  Le  grand  juge  a  appris  que 
TOUS  saviez  dessiner  ;  il  vous  demande  de  lui  faire  le  portrait 
d'un  Coréen,  d'un  Chinois  et  d'un  Européen.  J'hésitais 
d*abord,  car  je  ue  sais  pas  dessiner  ;  mais  surtout  je  craignais 
un  piège.  On  insista,  et  je  me  mis  à  l'œuvre.  Le  Coréen 
passa  facilement,  le  Chinois  aussi  ;  pour  l'Européen,  je  l'ha- 
billai un  peu  à  ma  fantaisie,  et  j'envoyai  mon  travail  au 
grand  juge,  qui  me  fit  remercier  en  disant  que  j'étais  très- 
habile.  En  suite  de  quoi,  tous  voulaient  avoir  des  desseins 
qiie  je  dus  refuser  afin  de  conserver  ma  réputation. 

C'est  alors  que  j'entendis  pour  la  première  fois  parler  des 
jeux  qui  suivent  les  fêtes  du  premier  de  l'an  chinois  en  Corée. 

Ces  jeux  durent  un  mois,  et  ils  consistent  en  de  vrais  com- 
bats. Deux  armées,  composées  de  deux  ou  trois  cents  hommes 
portant  de  gros  bâtons  de  deux  pieds  de  long,  sont  en  pré- 
sence. A  un  signal  donné,  elles  se  précipitent  avec  fureur 
l'une  sur  l'autre  ;  les  coups  de  bâtons  pleuvent  à  droite  et  à 
gauche,  jusqu'à  ce  que  l'un  des  partis  soit  obligé  de  céder  et 
de  s'enfuir.  On  conçoit  aisément  ce  qu'il  en  résulte  de  con- 
tusions, de  mâchoires  et  d'épaules  démises,  de  têtes,  de  jam- 
bes, de  bras  cassés  ;  souvent  la  mort  même  s'ensuit  Ces 
combats  de  gladiateurs  sont,  pour  les  habitants  de  la  capi- 
tale, un  des  plus  beaux  sp^tacles.  Comme  je  faisais  remar- 
quer aux  satellites  la  cruauté  de  ces  luttes,  ils  me  répon- 
dirent :  "  —  Oh  !  il  n'y  a  que  les  Coréens  pour  avoir  ce  cou- 
rage, pour  supporter  de  tels  coups,  et  braver  ainsi  la  mort.  " 
Une  fois,  l'acharnement  avait  été  tel,  que  le  gouvernement 
se  crut  obligé  de  défendre  ce  jeu  ;  mais,  deux  jours  après,  il 
recommençait  dans  un  autre  quartier,  toujours  en  dehors 
des  portes  de  la  capitale.  ^^ — Si  les  Européens  assistaient  à  ces 

jeux,  comme  ils  auraient  une  haute  idée  des  Coréens!  me 
disaient-ils  encore,  il  n'y  a  pas  de  peuples  comme  nous." 


—  172  — 

J'eus  plusieurs  fois  l'occasioa  de  connaître  la  manière  doni 
on  corrige  les  soldats.  Parmi  ceux  qui  étaient  employés  au 
corps  de  garde,  il  y  ayait  quelques  braves  gens,  remplissant 
bien  leurs  devoirs  ;  mais  il  y  en  avait  d'autres  toujours 
rebelles  à  la  discipline.  Denx  ou  trois  ne  manquaient  pas  de 
s'enivrer  toutes  les  fois  qu'ils  pouvaient  le  faire.  L'un  d'eui^ 
homme  grand,  fort,  solide,  passait  peu  de  jours  sans  rentrer 
ivre  et  incapable  de  faire  son -service.  On  le  laissait  dormir, 
après  l'avoir  mis  aux  entraves,  puis,  le  lendemain,  le  chef  le 
faisait  venir  et  le  condamnait  à  recevoir  trois,  cinq  ou  dix 
«oups  de  planche.  On  m'a  invité  plusieurs  fois  à.  voir  ceMe 
exécution;  mais  je  refusais  en  plaignant  le  pauvre  patient,  ce 
qui  faisait  rire  les  satellites.  Quoique  je  n'aie  rien  vu^  j'ai 
cependant  tout  entendu.  Qn  éludait  le  patient  sur  une  natte, 
en  présence  de  ses  camarades  ;  le  chef  lui  faisait  une  admo- 
nition, et  un  homme,  armé  d'une  planche  longue  de  huit 
pieds,  s'approchait.  Au  commandement  du  chef,  il  frappait 
le  coupable  qui,  à  chaque  coup,  ne  manquait  pas  de  crier  ; 
mais,  pour  étouffer  ses  cris,  deux  autres  soldats  chantaient 
sur  des  tons  différents.  Les  coups  se  succédaient,  à  des  inter- 
valles assez  rapprochés,  pendant  lesquels  le  chef  faisait 
encore  une  petite  admonition  qui  devenait  de  plus  en  plus 
sévère.  A  chaque  coup,  les  deux  soldats  chantaient,  et  le 
patient  criait  plus  fort  U  y  a  manière  de  donner  les  coups  ; 
aussi  les  soldats  entre  eux  savent  s'épargner,  et  bien  souvent 
cette  bantonnade  n'est  qu'une  comédie;  mais  j'en  ai  vu  qui, 
ayant  reçu  dix  coups  de  planche,  avaient  la  peau  enlevée  et 
les  cuisses  profondément  labourées  ;  ils  perdaient  connais- 
sance, et  il  leur  fallait  un  mois  pour  se  remettre. 

La  religion  de  tous  ces  employés  de  préfecture,  conmie 
celle  des  nobles  et  des  fonctionnaires,  c'est  le  culte  de  Gonfo- 
cius.  Ils  honorent  Gonfucius,  le  respectent,  le  louent,  l'ad- 
mirent, lui  font  des  sacrifices.  Ils  sont  ûers  de  ce  culte  et 
accusent  les  Chinois  d'indifférence  à  l'égard  du  philosophe. 
Plusieurs  fois  ils  m'ont  dit  :  " — Nous  avons  une  doctrine,  la 
doctrine  de  Gonfucius  :  nous  n'avons  pas  besoin  d'en  avoir 
une  autre,  nous  n'en  voulons  pas  d'autre.  "  Entrer  directe- 
ment en  discussion  était  inutile,  et  n'eût  fait  que  les  irriter. 
Plusieurs  fois  cependant,  je  leur  ai  fait  voir  que  la  doctrine 


—  173  — 

de  Gonfucius  n'était  pas  complète,  que  les  sacrifices  qu'ils 
font  aux  ancêtres  ne  sont  souvent  qu'une  comédie,  etc.; 
mais  tout  cela  avec  beaucoup  de  précautions,  car  les  Coréens 
sont  très-susceptibles  sur  cet  article.  Pour  les  convertir,  il 
faut  d'abord  leur  expliquer  la  doalrine  chrétienne,  leur  en 
faire  voir  la  beauté,  les  preuves,  etc.,  mais  attaquer  de  front 
leurs  doctrines  ne  ferait  que  les  humilier  sans  résultats.  Puis 
j'ajoutais  : 

"  —  Vous  dites  que  vous  avez  une  doctrine,  mais  le  peuple 
n^en  a  pas  ;  les  lettrés  honorent  Gonfucius,  les  bonzes  hono> 
rent  Fô,  mais  le  peuple,  quelle  doctrine  suit*il  ? 

" — G'est  vrai,  le  peuple  n'a  pas  de  doctrine. 

" — Eh  bien,  qu'on  nous  laisse  donc  enseigner  au  peuple  la 

religion  chrétienne  ;  vous  savez  qu'elle  est  bonne  et  que  de 
grands  lettrés  coréens  l'ont  pratiquée. 

^^ — Oh!  oui,  c'étaient  de  grands  savants  que  tel  et  tel..." 
Déjà  deux  fois,  au  commencement  de  février  et  vers  le  1 0 
-mars,  on  avait  signalé  des  navires  européens  sur  la  côte.  La 
population  était  en  émoi,  se  tenait  sur  ses  gardes  ;  on  en 
signala  encore  en  avril  et  en  mai,  et  chaque  fois  cette  nou- 
velle excitait  une  grande  rumeur.  Le  12  mars,  un  chef  de 
satellites  arriva  avec  toute  une  troupe  ;  j'appris  qu'il  revenait 
d'une  expédition  dans  le  Sud,  sans  doute  ponr  rechercher  les 
missionnaires.  Il  confirma  la  présence  des  navires  sur  les 
côtes.  U  ramenait  trois  chrétiens,  mais  n'avait  pas  pu  trouver 
les  Pères,  ce  qui  le  rendait  très-mécontent.  U  s'excusait  en 
Aisant  qu'il  était  impossible  de  pénétrer  dans  les  campagnes 
infestées  de  brigands  et  que  les  satellites  du  pays  n'osaient 
s'y  aventurer.  G'est  sans  doute  ce  mécontentement  qui  s'est 
déversé  sur  moi,  car,  trois  jours  après,  eut  lieu  le  grand  in- 
terrogatoire. Jusqu'alors  j'avais  été  épargné,  et  Ton  ne  me 
traitait  pas  trop  mal. 

IV      • 

Le  16  mars  au  matin,  je  remarquai  une  certaine  agitation 
que  je  ne  pouvais  comprendre.  J'étais  alors  renfermé  dans 
une  petite  chambre  dout  la  porte  donnait  sur  la  cour  ;  par 
cette  porte  entr'ouverte,  je  vis  qu'on  apportait  une  chaise,  et 
le  chef  vint  aussitôt  me  dire  : 


— 174  — 

^*  —  Evoque,  monte  là-dedans. 

''  —  Pour  aller  où  ? 
<   "  —  Tu  le  sauras  bientôt  ;  monte  vite.  " 

Je  voulus  prendre  mon  bréviaire  : 

"  —  Ce  n'est  pas  nécessaire,  dit-il  ;  laisse- le  ici,  je  m*ea 
charge.  " 

Je  m'assieds  dans  la  chaise.  Deux  porteurs  la  soulèvent 
et  deux  satellites  l'accompagnent  ;  l'un  deux,  en  passant  la 
porte,  laisse  échapper  cette  exclamation  :  "  — Pauvre  mal- 
heureux !  Si  du  moins  on  l'avait  renvoyé  dans  son  pays  !  " 

Pendant  le  trajet^  je  me  demandais  où  Ton  me  conduisait 
Du  reste,  j'étais  prêt  à  tout,  et  je  m'abandonnais  avec 
confiance  à  la  Providence,  ne  désirant  faire  que  la  sainte 
volonté  de  Dieu.  Nous  arrivâmes  devant  un  grand  bâtiment, 
et  la  chaise  s'arrêta.  La  porte  était  ouverte,  et  tout  le  monde 
entrait  ;  mais,  comme  prisonnier,  je  ne  pouvais  }>asser  par 
là,  je  devais  entrer  par  une  petite  porte  réservée  pour  les  cri- 
minels. Nous  voilà  dans  une  vaste  cour  qui  conduit  au 
tribunal.  On  me  dépose  dans  une  petite  chambre  qui  se 
trouve  à  côté.  À  peine  les  satellites  eurent-ils  échangé 
entre  eux  quelques  paroles,  que  je  compris  tout  ;  je  me  trou- 
vais transporté  au  tribunal  de  gauche.  Mais,  pour  quel 
motif  ?  Ordinairement  quand  on  change  de  tribunal,  c'est 
que  le  procès  doit  être  fait  plus  rapidement  et  prendre  une 
autre  tournure.  Il  y  avait  longtemps  qu'on  avait  l'air  de  ne 
pas  s'occuper  de  moi,  et  je  désirais  qu'on  prit  une  détermi- 
nation. 

Beaucoup  d'employés  des  Iribunanx  vinrent  me  voir;  j'en 
connaissais  quelques-uns  que  j'avais  vus  au  tribunal  de 
droite.  Inutile  de  leur  adresser  des  questions  ;  ils  auraient 
répondu  d'une  manière  évasive,  ou  bien  m'auraient  menti 
Le  mieux  était  de  les  écouter  parler  entre  eux.  Bientôt  j'eus 
appris  qu'il  s'agissait  d'un  jugement  que  je  devais  subir 
devant  les  deux  juges  criminels  de  droite  et  de  gauche,  réunis 
à  cet  effet,  et  qui  allaient  enfin  prononcer  une  sentence.  Je 
priai  Notre-Seigneur  de  me  soutenir  et  de  mettre  dans  ma 
bouche  des  paroles  de  sagesse  afin  de  répondre  suivant  son 
esprit  et  pour  le  bien  de  cette  pauvre  mission. 

Allait-on  me  permettre  de  rester  T  Allait-on  me  renvoyer 


—  175  — 

en  chine.  Âllait-on  me  mettre  à  mort  ?  Cette  dernière  hypo- 
thèse me  paraissait  la  plus  probable,  et  je  pouvais  espérer 
que,  après  quelques  jours  de  souffrances,  je  serais  enfin 
débarrassé  des  peines  de  celte  vie,  pour  posséder  le  bonheur 
de  voir  Dieu  toute  Téternité  !  Les  grâces  de  Notre-Seigneur 
ne  manquent  pas  dans  ces  circonstances.  Appuyé  sur  ce 
secours,  je  me  sentais  fort  ;  et  je  me  remis  tout  entier  entre 
les  mains  de  Dieu.  Autour  de  moi  les  satellites  parlaient, 
criaient,  riaient  et  fumaient.  Après  une  longue  attente,  on 
vint  avertir  que  les  juges  me  demandaient. 

Aussitôt  je  me  lève,  et  les  satellites  s'empressent  de  m'em- 
mener  dans  la  cour  oft  ils  me  remettent  à  un  bourreau,  qui 
tenait  à  la  main  une  corde  rouge.  Cette  corde  sert  à  lier  les 
grands  criminels,  les  voleurs,  les  assassins.  Elle  peut  avoir 
deux  brasses  de  Jong  ;  à  Tune  des  extrémités,  est  un  orne- 
ment de  cuivre  en  forme  de  tète  de  dragon  ;  une  douzaine 
de  boules  ou  anneaux  du  même  métal  sont  enfilés  dans  la 
corde.  Le  bourreau  me  prit  assez  doucement  et  se  mit  en 
devoir  de  m'attacher  ;  il  me  passa  la  corde  par-dessus 
les  épaules  en  la  croisant  sur  la  poitrine,  l'attacha  par 
derrière  et  retint  en  main  l'extrémité  qui  simulait  la  queue 
du  dragon.  On  me  fait  avancer  vers  l'endroit  où  doit  avoir 
lieu  le  jugement.  Le  peuple  n'était  pas  admis,  mais  il  y 
avait  beaucoup  de  soldats  de  la  garnison  et  du  palais  venus 
en  curieux  et  des  employés  du  gouvernement.  Nous  mar- 
chons entre  dpux  haies  formées  par  les  employés  subalternes 
de  la  préfecture  de  police  ;  il  y  en  a  une  trentaine  à  droite  et 
autant  à  gauche  ;  ils  ont  des  pantalons  blancs  et  des  vestes 
noires  ou  bleu  foncé  ;  ils  sont  tous  armés  d'énormes  bâtons 
rouges,  de  la  grosseur  d'un  bras  et  longs  de  huit  pieds.  Ce 
sont  les  bourreaux.  On  me  fait  arrêter  sur  une  espèce 
de  paillasson,  qu'on  avait  jeté  au  milieu  de  la  cour. 

£n  avant  et  de  chaque  côté,  sont  les  chefs  des  satellites  ; 
les  scribes,  placés  au  milieu  des  satellites,  se  disposent  à 
écrire.  Au  fond,  à  dix  pas  de  moi,  se  trouve  la  chambre  où 
les  deux  juges  de  droite  et  de  gauche  sont  assis  sur  des 
nattes  ;  des  coussins  en  soie  leur  servent  d'appuis.  Ils  sont 
en  grand  uniforme  :  bonnehs  ou  mitres  en  crin  avec  des 
volauts  pendant  de  chaque  côté,  grands  habits  de  soie  bleue 


—  176  — 

retenus  par  une  ceinture  richement  ornée  d'écaillés  de  tortue 
ou  de  pierres  précieuses.  Celui  de  droite  s'appelle  Kim.  Je 
l'avais  déjà  vu  ;  il  a  une  figure  ronde,  réjouie  et  parait  avoir 
de  quarante  à  cinquante  ans.  Celui  de  gauche,  Ni-kyeng-ha, 
le  juge  de  Mgr  Bern«uz  et  de  nos  autres  confrères,  célèbre 
par  ses  nombreuses  exécutions  en  1866,  montre  soixante  ans  ; 
il  a  des  yeux  de  tigre  qui  indiquent  le  mépris  et  la  cruauté  ; 
il  n'écoute  aucune  supplication,  aucun  conseil,  et  veut  tout 
décider  par  lui-même.  Les  juges  sont  assis,  tous  les  assistants 
se  tiennent  debout,  prêts  à  exécuter  les  ordres  de  leurs  chefs, 
ou  plutôt  du  chef,  le  juge  de  gauche  ;  car  lui  seul  prend  la 
parole,  lui  seul  donne  des  ordres  ;  le  juge  de  droite  ne 
semble  être  que  son  aide. 

Après  avoir  jeté  un  coup  d'œil  sur  cet  entourage,  je  me 
tins  debout.    Les  satellites  me  crièrent  :      . 

"  — Mets-toi  à  genoux." 

Je  restai  debout 

" — ^Metstoi  à  genoux,  à  genoux,  à  genoux " 

Môme  immobilité.    Le  juge  regardait  tout  ce  tapage. 

"  — Assieds-toi  à  ton  aise,  me  dit-iL 

Aussitôt  satellites  et  bourreaux  me  disent  avec  une  figure 
souriante,  comme  si  l'ordre  était  venu  d'eux. 

" — ^Assieds- toi,  assieds-toi. 

Je  m'assis  sur  la  paille,  en  croisant  les  jambes  suivant  la 
coutume  coréenne,  et  l'interrogatoire  commença  : 

"  — Quel  est  ton  nom  î  ^ 

"  — Je  m'appelle  Ni-Pok-Myeng-i." 

En  coréen  Pok  veut  dire  félicité,  bonheur  ou  heureux, 
Myeng-i  veut  dire  clarté  ou  clair  ;  c'est  la  traduction  de  mes 
deux  noms  de  baptême  Félix-Clair  ;  Ri,  ou  ce  qui  revient  au 
même.  Ni,  est  la  première  syllable  de  mon  nom  de  famille 

"  — Quel  âge  as-tu  ? 

^'  — J'ai  quarante  neuf  ans. 

"  — ^De  quelle  année  es-tu  ? 

"  —De  l'année  Kyeng-in  (1830)." 

Ils  se  mettent  à  compter  et  disent  : 

^^  — Oui,  c'est  bien  cela,  quarante-aeuf  ans.  Quand  es-tu 
venu  en  Corée  ? 

"  —Je  suis  venu  à  la  7me  lune  ? 


—  177  — 

i(  — Quels  sons  les  autres  missionnaires  qui  sont  en  Corée  ? 

"  — ^H  y  en  a  quatre." 

On  les  connaissait,  et  bien  ^souvent  on  m*avait  parlé  d'eux 
en  les  nommant 

"  —Où  sonUils  T 

'^  — ^Depuis  deux  mois  que  je  suis  en  prison,  sans  nouvelles 
d'eux,  puis-je  savoir  où  ils  se  trouvent  ? 

"  —Avec  qui  es-tu  venu  ? 

^'  — Si  je  vous  donnais  ces  indications,  plusieurs  personnes 
pourraient  en  souffrir.  Je  ne  puis  donc  dire  ni  comment,  ni 
avec  qui  je  suis  venu. 

"  — Quel  est  ton  yays  ? 

"  — Poul-lan-sya. 

" — Ecris  cela." 

On  me  fait  passer  du  papier  et  un  pinceau  et  j'écris  Poul- 
lan-sya  en  coréen.  Le  juge  regarde  et  dit  : 

" — Ecris-le  aussi  en  ta  langue." 

J'écrivis  France.  Alors  je  sentis  comme  un  nuage  me  passer 
sur  le  cœur  ;  pauvre  pays  I  pauvre  France  !  et  cependant 
j'éprouvai  un  sentiment  de  fierté. 

^^ — As- tu  une  dignité  dans  ton  pays? 

" — Je  n'ai  pas  de  dignité,  je  n'exerce  aucune  fonction. 

(( — ^Lorsque  tu  retourneras  dans  ton  pays,  ton  gouverne- 
ment te  donnera-t-il  de  grands  emplois,  une  haute  dignité  ? 

" — Lorsque  je  suis  venu  en  Corée,  c'était  pour  y  vivre  et  y 
mourir  ;  j'avais  l'intention  d'y  rester  jusqu'à  la  mort  Quand 
bien  même  je  lentrerais  dans  mon  pays,  je  n'aurais*  aucun 
emploi. 

" — On  m'a  fait  voir  ton  passe-port  De  qui  l'as-tu  obtenu? 

^^ — Je  l'ai  obtenu  de  la  cour  de  Pékin  qui  en  donne  à  tous 
les  missionnaires,  afin  qu'ils  puissent  circuler  sans  être  arrê- 
^és  ni  inquiétés. 

(c — Quel  est  le  cachet  qui  est  dessus  ? 

^^ — Je  pense  que  c'est  le  cachet  du  gouvernement  chinois  ? 

" — ^Est-ce Je  cachet  du  tribunal  des  Rites  ou  d'un  autre  ? 

'^ — Je  ne  puis  répondre,  ne  le  connaissant  pas. 

^^ — ^Est-ce  toi  qui  l'as  demandé  au  gouvernement  chinois  ? 

" — Non,  c'est  le  ministre  de  France  résidant  à  Pékin  qui 

l'a  demandé  pour  moi. 

6 


—  178-^ 

" — Comment  s*appelle-t-il,  ce  ministre  ? 

" — n  s'appelle  Louis  de  Geofroy. 

" — Comment  dis-tu  ? 

" — Louis  de  Geofroy." 

Alors  tous  les  assistants,  prêtant  Toreille,  essaient  de  répé- 
ter, et  j'entendis  les  plus  habiles  gui  disaient,  en  pinçant  les 
lèvres,  avec  force  grimaces:  "Nui  te  So-poa."  Je  répétai 
encore  en  appuyant  sur  chaque  syllabe.  Le  juge  essaya  inu- 
tilement une  fois  d'articuler  ce  mot  ;  il  y  aurait  perdu  sa 
dignité  en  insistant  Mais  les  autres  voulant  à  toute  force  le 
prononcer,  il  me  fallut  le  répéter  plusieurs  fois  avec  le  même 
succès.  Je  ne  pouvais  m'empêcher  de  rire,  et  je  leur  expli- 
quai que  ce  nom,  étant  français,  a  des  sons  différents  de  la 
langue  coréenne. 

" — Mais  toi,  tu  prononces  bien,  les  mots  de  la  langue 
coréenne. 

"  — D'abord,  je  ne  les  prononce  pas  bien,  puisque  quelque 
fois  vous  avez  de  la  peine  à  me  comprendre^  ensuite,  il  m'& 
fallu  beaucoup  d'étude  et  d'exercice  ;  dans  les  commence- 
ments, il  y  avait  des  mots  que  je  ne  pouvais  pas  prononcer.'* 

Après  cette  interruption^  le  juge  reprit  : 

"  — Pourquoi,  étant  sorti  une  première  fois,  es-tu  revenu  ? 

^'  — Le  bateUer  voguant  sur  la  mer  et  surpris  par  une  tem- 
pête, va  se  mettre  à  l'abri  ^ann  quelque  port,  puis,  la  tour- 
mente passée,  il  se  remet  en  mer;  ainsi  j'ai  fait." 

Le  juge  se  mit  à  sourire  en  disant  à  demi-voix  : 

"  — Oh  !  ce  n'est  pas  la  même  chose.   Qu'es-tu  venu  faire  T 

"  — Prêcher  une  belle  doctrine. 

"  — Quelle  doctrine  ? 

"  — La  religion  catholique  qui  enseigne  àhonorer  le  Maître 
du  Ciel,  Dieu. 

"  — Qu'est-ce  qu  Dieu  ? 

"  — C'est  le  créateur  dti  ciel  et  de .  là  terre,  c'est  lui  qni  a 
créé  le  premier  homme  d'où  nous  sommes  tous  descendus  ; 
tout  homme  doit  honorer  ses  parents,  à  plus  forte  raison 
doit-on  honorer  Dieu,  le  père  de  tous  les  honunes;  c'est 
encore  lui  qui  gouverne  l'univers  et  qui  est  le  maître  de 
tout. 

"  —Qui  a  jamais  vu  Dieu  ? 


—  179  — 

" — Dieu  a  parlé  aux  homnes  ;  c'est  Dieu  lui-nftme  qui  a 
donné  les  dix  commandements  que  tous  les  hommes  doivent 
observer.  En  outre,  les  preuves  de  l'existence  de  Diem  soiït 
partout,  et  nos  livres  chrétiens  que  vous  avez  pu  voir  en 
donnent  beaucoup. 

"  — Qu'est-ce  qu'a  de  bon  cette  doctrine? 

^^  —Elle  apprend  à  aimer  Dieu  par-dessus  tout,  et  tous  les 
hommes  comme  soi-même;  elle  apprend  à  faire  le  bien,  à 
éviter  le  mal,  à  régler  ses  mœurs,  à  supporter  patiemment 
les  maux  de  cette  vie,  avec  Tespéranee  d'un  bonheur  éto^nel 
après  la  mort. 

♦'  — Lorsque  tu  mourras,  où  iras-tu  î 

"  — Chaque  homme,  après  la  mort,  va  devant  Dieu  et  subit 
un  jugement  sur  le  bien  ou  le  mal  qu'il  a  fait  pendant  sa  vie  ; 
les  bons  vont  au  ciel,  les  méchants  vont  en  enfer. 

"  — Mais  toi,  où  iras-tu  ? 

"  — Personne  ne  peut  répondre  de  soi. 

"  —Mais  enfin,  où  espères- tu  aller  ? 

"  — J'espère,  avec  la  miséricorde  de  Dieu.,  obtenir  te  ciel. 

'*  — Ne  crains-tu  pas  de  mourir  ? 

"  — ^Tout  homme  craint  la  mort. 

**  — ^Mais,  actuellement,  si  l'on  te  mettait  à  mort,  n'aurais- 
tu  pas  peur  ? 

■  " — Je  n'ai  peur  que  d'une  chose,  c'est  du  péché  ;  si,  ac- 
tuellement, ici,  vous  me  mettec  à  mort  pour  la  cause  de 
Dieu,  je  n'ai  nullement  peur. 

" — Et  alors,  où  iras-tu  ? 

"  — Au  ciel,  en  présence  de  DLeu. 

"  — Combien  de  temps  ? 

*«  —Toute  l'éternité. 

"  — ^Mais  les  corps  vont  en  terre  T 

"  — Oui,  les  corps  vont  en  terre  où  ib  pourrissent  ;  mais 
rame  ne  meurt  pas,  et  de  plus,  un  jour  les  corps  ressuscite- 
ront tous,  et  iront,  unis  à  l'âme,  dans  le  lieu  où  celle^i  éjtait 
avant  la  résurrection,  et  cela  pour  toujours.'* 

Pendant  cette  dernière  rêp#nse,  le  juge  fit  uoe  grimace  et 
eut  un  so<jrire  de  pitié. 

«  —C'est  asse^,  dit-il  avec  mépris  ;  qu'on  remmène." 

(à  êonimuer). 


MGR.  D'OLINDA 

ET    LA   FRANC-MAÇONNERIE  AU  BRÉSIL. 


La  mort  prématurée  de  Mgr.  Vital  Gonzalvez  d'Oliveira,  a 
rMnené  les  esprits  sur  la  question  religieuse  au  Brésil  et  sur 
la  lutte  vaillamment  soutenue  depuis  huit  ans  par  les  apdtres 
de  la  foi  contre  la  franc-maçonnerie,  si  puissante  dans  ce 
pays.  Aussi  avons-nous  juger  à  propos  d'exposer  succincte- 
ment les  phases  diverses  de  ce  conflit  grave,  d'après  des  ren- 
reignements  puisés  à  des  sources  sûres. 

Le  réveil  de  la  f rang-maçonnerie  au  Brésil  date  de  1872. 
Elle  était  parvenue,  sous  le  manteau  de  la  religion,  à  s^intro- 
duiVe  dans  les  séminaires,  chapitres,  couvents  et  confréries 
religieuses.  Elle  avait  l'air  de  dormir,  mais  elle  n'attendait 
qu'un  incident  favorable  pour  jeter  son  masque  et  attaquer 
publiquement  ce  qu'elle  avait  toujoui-s  combattu  dans  le 
mystère. 

Cet  incident  se  produisit  au  mois  de  mai  1872.  Les  loges 
maçonniques,  ayant  célébré  une  grande  fête  enl'honiieurdft 
leur  grand  maître,  M.  le  vicomte  de  Rio-Branco,  alors  prési- 
dent du  conseil  des  ministres,  pour  le  complimenter  am  sujet 
de  la  loi  sur  l'esclavage,  un  malheureux  prêtre^  l'abbé 
Almeida  Martins,  y  prononça  un  discours  déplorable,  à  la 
suite  duquel,  et  après  avoir  épuisé  inutilement  tous  les 
moyens  de  persuasion,  l'évêque  de  Rio-Janeiro  fut  obligé  de 
le  suspendre  pour  arrêter  le  scandale.  Sur  ce,  les  loges  et  le 
chef  du  gouvernement  se  réunirent  en  grande  séance,  êpou> 
sèrent  la  cause  du  prêtre  interdit  et  prirent  la  résolution  d'at- 
taquer Fépiscopat  dans  la  presse  et  d'inviter  tous  les  francs- 
maçons  du  Brésil  à  prendre  part  à  la  bataille  contre  l'Eglise. 

Toutes  les  loges  répondirent  avec, empressement  i  cet 
appel  ;  on  envoya  partout  des  circulaires,  engageant  les  so- 
ciétés secrètes  à  la  lutte  contre  le  catholicisme.    On  ouvrit 


—  181  — 

des  souscriptions.  M.  Saldanha  Marinho  alla  même  rendre 
visite  à  Tabbé  Almeida,  en  sa  qualité  der Grand-Orient  du 
second  cercle,  lui  témoigna  ses  sympathies  et  l'informa  qu'il 
n'y  avait  point  de  divergences  dans  la  façon  d'apprécier  la 
question,  celle-ci  étant  une  onde  immtnse  qui  se  soulevaic 
contre  PiUtramontanisme. 

La  presse,  ce  levier  si  puissant  pour  le  mal,  servît  à  mer- 
veille les  desseins  infernaux  des  francs-maçons.  Les  maurais 
journaux  prirent  naturellement  la  défense  des  apostate  ; 
d'autres  feuilles  furent  créées,  qui  se  posèrent  ouvertement 
en  organes  de  la  franc-maçonnerie  (1). 

Cette  presse-là  niait  les  mystères  de  la  religion,  faisait 
litière  de  tous  les  dogmes,  attaquait  avec  violence  la  divinité 
de  Jésus-Christ,  la  très  Sainte-Trinité,  l'eucharistie,  la  virgi- 
nité de  Marie,  l'enfer,  la  grâce  et  l'infaillibilité  du  Pontife. 

Les  cardinaux,  Igs  évoques  et  les  prêtres  étaient  conspués 
de  la  façon  la  plus  infâme;  la  papauté  y  était  présentée 
comme  un  Oéau. 

Tout  ce  débordement  d'injures  avait  lieu  avant  que  les 
évoques  eussent  parlé  et  seulement  à  la  suite  de  l'interdiction 
de  l'abbé  Almeida. 

On  ajoutait,  d'ailleurs,  la  raillerie  à  l'outrage,  en  f^iûsant 
célébrer  des  messes  (!)  "  pour  se  fortifier  contre  les  colère  des 
ultramontains  et  braver  l'opposition  de  l'évoque." 

C'était  un  "  ultimatum  (sic)  lancé  par  la  franc  maçonnerie 
de  Rio-Janeiro  à  Mgr.  Lacerda." 

Malgré  la  défense  de  ce  prélat,  une  messe  fut  célébrée,  et 
même  les  francs-maçons  y  assistèrent  revêtus  de  leurs  insi- 
gnes. Le  prêtre  célébrant  ne  fut  point  suspendu. 

Cette  modération  de  l'évêque  semble  avoir  malheureuse- 
ment encouragé  la  haine  de  ces  forcenés,  car  les  provoca- 
tions les  plus  cruelles  à  l'adresse  de  Mgr.  Lacerda  ne  firent 
que  redoubler  depuis  ce  temps-là.  Un  des  grands  maîtres  se 
fit  élire  président  de  la  confrérie  de  la  paroisse  où  se  trouve 
révôché,  défiant  solennellement  l'évêque  de  l'en  faire  sortir. 
Ce  triste  personnage  s'est  même  permis  d'accuser  de  mol- 
li) Entre  antres  la  FamUia  wnivêrêal  et  la  Ferâade,  à  Pemambuco,  le 
PéUoano,  à  Para  :  la  Fratemidade,  à  Ceara  ;  la  Lua,  à  Rio  Grande  do  Norte  ; 
le  Labartm,  à  Alagoas,  et  le  Maçon  à  Bio  Grande  do  Sud. 


—  182  — 

lesse  le  prélat,  et  d«  le  railler  grossièrement  à  prop(^  des 
confréries  de  la  cour,  qui  continuaient  d'être  coinpodée&  ea 
grande  partie  de  francs-maçons,  et  de  n'être  point  interdites, 
et  dont  pas  un  seul  membre  n'avait  abjuré  à  la  fin  del'anBèe 
accordé»  par  Pie  IX  pour  s'amender. 

C'œt  dans  ces  circonstances  que  Mgr.  Vital  Gonialvex 
d'Olievera  monta  sur  le  siège  de  Pemambuco,  au  mcâs  de 
mai  1872.  Chose  étrange  :  à  peine  sacré,  sans  avoir  rien  fait, 
et  avant  même  d'être  arrivé  dans  son  diocèse,  il  fut  signalé 
par  la  secte  comme  un  homme  dangereux  !  Les  deux  jour- 
naux maçonniques  la  FamUia  universal  et  la  Verdcuie  parais- 
saient presque  aussitôt  daub  son  diocèse.  Un  mois  plus  tard 
une  loge  annonça  une  messe  solennelle  pour  le  jour  de 
SaintnPierre,  en  commémoration  de  l'anniversaire  de  sa  fon- 
dation. 

Le  jeune  et  courageux  évêque  que  la  Providence  paraisBaît 
avoir  choisi  pour  cette  lutte,  ordonna  alors  très  secrètement 
à  son  clergé  de  n'ofdcier  dans  aucune  cérémonie  maçonni- 
que. C'était  son  pr^[nier  acte  ;  la  messe  ne  fut  point  dite.  La 
frauG-maçonnerie  essaya  d'en  faire  dire  d'autres,  mala  tou- 
jours vainement. 

Pendant  cinq  moi&,  on  n'entendit  qu'un  concert  d'avaoies, 
d'injures  et  de  blasphèmes  contre  Mgr  Vital,  dont  la  douceur 
était,  il  faut  le  rappeler,  blâmée  dans  une  certaine  mesure 
d'un  autre  côté. 

L'évêque  fut  néanmoins  obligé  d'ordonner  au  mois  de  no- 
vembre des  prières  publiques,  pour  faire  réparation  à  la 
Sainte  Vierge  des  insultes  que  la  Verdade  venait  de  lui  jeter 
en  attaquant  sa  virginité.  Ces  actes  d'amende  honorable 
mirent  le  comble  à  la  fureur  de  la  f ranc-mafonnerie.  Elle  se 
vengea,  en  publiwt  les  noms  de  plusieurs  membres  du  cler- 
gé affiliés  à  la  franc-maçonnerie  et  en  nommant  le  rédacteur 
fran^maçon  qui  vomissait  à  la  Vtrdadt  toutes  ces  injores 
sacrilèges,  M.  Ayres  Oama,  président  de  la  confrérie  la  SoU- 
dade. 

Les  mêmes  provocations  avaient  lieu  en  même  temps  a 
Para,  àCearaet  dans  d'autres  villes.  La  franc-maçonnerie 
semblait  mettre  les  évoques  dans  la  terrible  alternative  de 
faire  leur  devoir  en  entamant  la  lutte  avec  toutes  ses  sont 


—  193  — 

fraQcee,  ou  de  trahir  leur  mission  en  se  soumettant  à  la 
secte. 

Oa  Vimagine  pas  le  cynisme  de  ces  sectaiifes.  Voici  quel- 
ques lignes  de  la  sommatioa  que  la  Fratemidade  adressait  à 
l'évêque  de  Ceara,  après  lui  avoir  dénoncé  beaucoup  de 
membres  des  confréries  appartenant  aux  loges  : 

• 

Monseigaear  le  Toit  blea,  les  oonfréries  sont  presque  exelosl^ement 
confiées  aux  francs-Maçons.  Comment  donc  Sa  Grandeur  peat-elle  con- 
verser avec  ces  excommnnlés-là,  comment  peat-elle  vivre  avec  eux, 
comment  peat-elle  lee  supporter  dans  le  sanetoaize  f 

Allons,  Monseigneur,  un  coup  d'Ëtat»  une  mesure  de  salut,  expulsez 
ces  excommuniés  du  sein  des  confréries.  Comment  pourront-ils  continuer 
à  diriger  les  confréries»  dont  le  but  unique  est  la  splendeur  du  culte  f 

Ah  Monseigneur  !  Vous  faibliasee-  -le  courage  vous  manque  au  moment 
euprâme.  Le  gouvernement ...  un  procès .  ..une  prison. . .  une  forteresse  •  -  - 
Ce  sont  des  fautâmes  qui  assaillent  Timagination  de  notre  doux  évoque  ! 

Si  dure  que  fût  sa  situation,  Mgr  d'Olinda  ne  pouvait 
trahir  son  devoir.  S'il  avait  pu  gémir  en  silence  avant  la 
publication  officielle  des  francs-maçons,  faute  de  preuves,  et 
alors  qu'il  en  connaissait  un  grand  nombre  parmi  les  faux 
fidèles,  révoque  mis  en  demeure  de  remplir  sou  devoir,  ne 
pouvait  s'empôcher  de  chasser  les  loups  qui  s'étaient  cachés 
dans  le  bercail. 

Le  temps  de  parler  était  venu  pour  lui.  C'était  une  ques- 
tion de  vie  ou  de  mort  pour  TEglise  du  Brésil.  Mgr  Vital  a 
toujours  été  persuadé  que  ^  Fepiscopat  .restait  ferme  à  son 
poste,  la  lutte  serait  tenace,  sans  doute,  mais  qu'on  parvien- 
drait à  sauver  la  foi  au  Brésil  et  à  arrêter  les  progrès  de  l'im- 
piété ;  tandis  que  si,  au  contraire,  on  faiblissait,  si  Ton  con- 
tinuait de  suivre  le  système  de  tout  céder,  pro  hono  pacis^ 
tout  y  serait  irrémisciblement  perdu,  et  le  catholicisme  y 
périrait  par  décomposition  lente,  sans  espoir  d'aucune  réac- 
tion catholique,  à  cause  du  trarvail  incessant  que  font  les 
protestants  dans  le  pays. 

On  ne  saurait,  certes  accuser  Mgr  d'Olinda  de  n'avoir  pas 
épuisé  tous  les  moyens  que  conseille  la  charité  avant  de^ 
frapper  énergiquement  les  confréries.    Il  appela  chez  lui,  en 
secret,  chacun  des  prêtres  francs-maçons,  et  les  exhorta  si 
tendrement  et  si  paternellement,  que  Sa  Grandeur  réussit,  la 


—  184  — 

grâce  du  Seigneur  aidant,  à  faire  abjurer  publiquement  leurs 
erreurs  à  tous,^sauf  deux  récalcitrants,  qui  furent  interdiCs. 
L'évoque  reçut  l'abjuration  de  plusieurs  laïques  et  procura^ 
par  tous  les  moyens  possibles,  la  conversion  de  bien  d'autres 
ou  leur  démission  des  confréries. 

Un  grand  nombre  cependant  ayant  persisté,  et  les  mesures 
particulières  n'aboutissant  plus  à  rien,  l'évêque  fut  contraint 
d'agir  of^cieîlement.  Par  une  circulaire  datée  du  28  décembre 
1872,  il  pria  les'curés  d'exhorter  les  confréries  à  faire  abju- 
rer les  membres  francs-maçons  ou  à  les  éliminer.  Deux  con- 
fréries obéirent  à  l'ordre  du  prélat,  les  autres  répondirent 
par  des  plaisanteries^ou  par  des  insultes. 

L'évoque  ne  se  découragea  pas  pourtant,  et  il  leur  enroya 
une  admonition^charitable  où  il  rappelait  les  peines  canoni- 
ques. Cette  admonition  ne  reçut  qu'une  réponse  encore  plus 
grossière.  Enfin  un  dernier  avertissement,  également  inutile, 
amena  la  suspension  des  confréries,  auxquelles  il  fut  inter- 
dit de  comparaître  dans  les  offices  divins  comme  associations 
religieuses,  de  porter  des  habits  religieux  et  de  recevoir  de 
nouveaux  membres.  L'évoque  déclarait,  pour  prévenir  des 
complications  avec  le  gouvernement,  que  la  suspension 
n'avait  de  valeur  qu'au  point  de  vue  religieux  et  spirituel. 

Il  est  à  remarquer  qu'aucune  confrérie  ne  fut  suspendue 
qu'après  l'insuccès  des  trois  exhortations  de  l'évoque.  Exhor- 
tations, mandements,  prières,  imprimés  gratuits,  rien  de  ce 
qui  pouvait  ouvrir  les  yeux  des  égarés  ne  fut  négligé  par 
l'évoque.  La  chose  arriva  au  point  qu'un  préfet  {président 
de  province),  M.  Pereira  de  Lucena,  écrivit  à  l'évêque  en 
l'invitant  d'ordonner  aux  prêtres  de  ne  poin  parler  contre  la 
franc-maçonnerie.  L'évêque  jugea  convenable  de  ne  pas  ré- 
pondre à  cette  injonction. 

Le  Pape  approuva  la  conduite  de  l'évêque  par  sa  mémo- 
rable lettre  Quamquam  dohres^  répondant  à  celle  où  Mgr. 
d'Olinda  avait  demandé  des  lumières  et  des  pouvoirs  spé- 
ciaux pour  agir  contre  les  confréries  du  tiers-ordre  et  du 
"Carmel,  qui  prétendaient  jouir  de  certains  privilèges  accor- 
dés par  le  Saint-Siège.  Sa  Sainteté  levait  pendant  une  année 
seulement  la  réserve  des  excommunications  encourues  par 
les  francs-maçons,  et  donnait  pouvoir  à  l'évêque  d'agir  avec 
toute  la  rigueur  des  lois  canoniques. 


— 185  — 

• 

Pendant  ce  temps,  Mgr.  de  Para  avait  agi  de  la  mêtiie  ma- 
nière, et  les  autres  évêques  avaient  écrit  à  Mgr.  Vital  en 
adhérant  entièrement  à  ses  actes  Dans  certains  diocèses,  la 
franc-maçonnerie  était  censée  ne  pas  exister  aux  yeux  de 
révéque,  les  francs-maçons  ne  s'y  étant  jamais  dévoilés, 
conmie  à  Pernambuco  et  Para,  n  y  avait  d'autres  diocèses 
enfin  où  l'arrogance  des  sociétés  allait  forcer  les  prélats  à 
agir  énergiguement,  lorsque  l'envoi  de  la  célèbre  et  fatale 
mission  Penedo  à  Rome  les  arrêta  dans  cette  voie. 

On  ne  saurait  nier,  sans  faire  preuve  d'une  mauvaise  foi 
insigne,  la  complicité  du  gouvernement  avec  la  franc-ma- 
çonnerie dans  toute  cette  inique  campagne  contre  l'Eglise. 
n  est  vrai  qu'un  même  homme,  ainsi  que  bous  l'avons  déjà 
dit,  était  à  la  fois  le  chef  du  ministère  et  le  chef  des  loges. 
L'empereur,  de  son  côté,  ne  voulait  pas  rester  en  arrière,  si 
nous  en  croyions  le  Correio  Paulistafw^  qui  assurait  qu'en 
appelant  répiscopat  à  rendre  compte  de  ses  actes,  Sa  Majesté 
voulait  montrer  que  son  voyage  en  Europe  n'avait  pas  été 
inutile. 

C'est  grâce  à  cette  haute  protection  que  les  confréries  sup- 
primées, suivant  le  conseil  qui  leur  avait  été  donné  par  le 
ministre,  M.  Correa  de  Oliveira,  adressèrent  un  recours  qui 
violait  les  lois  de  l'empire  et  les  lois  canoniques,  et  dont  le 
résultat,  aprss  une  information  faite  par  trois  conseillers 
d'Etat,  tous  trois  francs-maçons,  fur  l'ordre  du  12  juin  1873. 

Au  nom  de  l'empereur,  cet  ordre-sommait  l'évêque  de  lever 
la  suspension  des  confréries  et  l'interdiction  des  chapelles, 
parce  que  la  franc-maçonnerie  était  une  société  de  bienfai- 
sance et  était  autorisée  par  l'Etat  Le  conseil  d'Etat  y  soute- 
nait  l'exéquatur  et  l'appel  comme  d'abus,  comme  étant  un 
droit  de  la  couronne. 

La  réponse  de  Mgr.  Vital  est  digne  d'un  grand  évêque  : 

^'  Si  Sa  Majesté  l'empereur  ma  demande  mes  facultés,  le 
service  de  mon  humble  personne,  ma  vie  même,  je  mets  tout 
à  sa  disposition,  j'abandonnerai  tout,  n'ayant  aucun  attache- 
ment à  rien  de  tout  cela;  mais  quant  au  sacré  dépôt  qui  m'a 
été  confié,  et  qui  aqpartient  à  Dieu  et  à  soq  Eglise,  je  ne  puis, 
je  ne  dois  pas  le  céder,  et  je  ne  le  céderai  jamais." 

Et  plus  loin  :  "...  Dans  les  matières  spirituelles  ou  reli- 


— 186  — 

gieuses,  permettez-moi  de  le  dire  franchement,  monsieur  le 
ministre,  je  ne  reconnais  sur  la  terre  aucune  autre  autorité 
que  le  Vicaire  de  Jôsus-Clhrist,  et,  dans  les  cas  pcôvus,  Sa 
Grandeur  Tarchevêque  métropolitain  (1)." 

L'interdit  fut  enfin  levé  par  l'empereur,  et  les  confréifes 
se  livrèrent  à  cette  occasion  à'  une  orgie  de  scandales  et  de 
fôtes,  où  la  religion  fut  bafouée,  les  prélats  insultés  et  les 
autels  profanés.  Sans  la  protection  du  gouvernement^  il  est 
permis  de  croire  que  les  malfaiteurs  n'auraient  pas  envahi  d 
pillé  Téglise  de  la  coq^ipagnie  de  Jésus,  brisés  les  statues  de 
la  Sainte  Vierge  et  des  saints,  frappés  les  pères  jésuites  et 
poignardé  un  pauvre  religieux,  ni  enfin  cherché  à  incendié 
les  ateliers  typographiques  de  VUnido.  La  police  avait  pour 
ainsi  dire  escorté  les  vandales  ! 

Le  gouvernement,  qui  avait  intenté  à  Tévèqae  d^Olinda, 
pour  avoir  publié  la  lettre  Quamquamdolores^  un  procèsqu'il 
avait  fallu  abandonner,  attendu  que  tous  les  autres  évâqiBS 
avaient  aussi  publié  ce  document,  lui  intenta  un  autre  procès 
de  désobéissance  aux  lois  du  pays.  Il  fit  jeter  révêqueen 
prison  le  2  janvier  1874,  pendant  que  le  baron  de  Penedose 
rendait  à  Rome  chargé  d'une  mission  du  gouvernement 
auprès  du  Saint  Siège. 

La  persécution  avait  naturellement  ravivé  la  foi  au  Bréal 
Les  évêques  étaient  devenus  plus  vigilants,  les  prêtres  avaient 
amélioré  leurs  mœurs,  les  fidèles  rivalisaient  de  zèle  dam 
Taccomplissement  de  leurs  devoirs.  Des  associations  pieuses 
se  fondaient,  des  cérémonies  religieuses  avaient  lieu  partout, 
des  pèlermages  s'organisaient  pour  la  première  fois,  on  cm- 
mençait  partout  à  sentir  le  besoin  du  Pape,  et  surtout  à 
Taimer.  Malheureusement,  les  bruits  qui  couraient  surhs 
résultats  obtenus  à  Rome  par  le  baron  Penedo  encoura- 
geaient d'un  autre  côté  les  francs^maçons,  qui  devenaient  de 
jour  en  jour  plus  arrogants. 

Mgr  Vital  avait  reçu  en  prison  une  lettre  du  cardinal  se- 
crétaire d'Etat,  datée  du  18 décembre  1873,  que  Mgr  Vitaloe 
jugea  point  à  propos  de  livrer  à  la  publicité. 

Ce  fait  contribua  sans  doute  à*donner  de  la  consistanos 

-    (2)  Réponse  du  6  jaillet  aa  ministre  de  Vempîre. 


—  187  — 

aux  bruits  que  faisait  courir  la  secte.  Elle  criait  que  l'ultra- 
montanismo  reculait  houteusement,  qu'il  venait  d'être  con- 
damné par  la  curie  romaine,  que  Pie  IX  avait  réprouvé  la 
conduite  des  évoque  brésiliens  hostiles  au  gouvernement, 
que  le  catholicisme  tombait  en  ruines,  que  Rome  transigeait, 
et  autres  insanités  qui,  pour  être  absurdes,  n'en  produisaieii^ 
pas  moins  un  effet  déplorable.  Prenant  prétexte  de  ces  bruits, 
on  conspuait  le  gouvernement  de  l'Eglise,  on  tournait  en 
ridicule  les  prélats,  et  on  leur  offrait  ironiquement  un  abri 
dans  le  temple  maçonnique. 

Tout  cela  produisit  un  grand  ébranlement  dans  tout  le 
Brésil,  et  quelques  évoques  qui  allaient  suivre  la  voie  ou- 
verte par  ceux  d'Olinda  et  de  Para,  s'abstinrent  de  toute 
action.  H  y  eut  des  fidèles,  découragés,  qui  quittèrent  les 
sociétés  catholiques  ;  bref,  la  foi,  encore  faible  et  chante- 
lante  d'un  grand  nombre  de  fidèles  privés  d'une  instruction 
religieuse  suifisante,  en  reçut  un  coup  formidable. 

C'est  alors  que  parurent  les  mémorables  lettres  du  souve- 
rain Pontife  Pie  IX  aux  évoques  d'Olinda  et  de  Para,  dans 
lesquelles  Sa  Sainteté  approuvait  tous  leurs  actes  et  les  ex- 
hortait à  ne  point  faiblir  devant  la  persécution  de  la  franc- 
maçonnerie.  La  joie  des  catholiques  en  fut  aussi  vive  que  le 
dépit  des  loges  maçonniques,  et  le  mouvement  religieux 
reprit  son  essor  encare  une  fois. 

Le  jeune  évoque  d'OUnda  personnifiait  un  principe  et  un 
système  tout  entier  qu'il  fallait  écraser,  au  dire  de  la  NaçaOy 
organe  du  ministère.  L'Etat  (nous  dirions  peut-être  mieux  la 
franc-maçennerie)  n'aspirait  à  rien  moins  qu'à  l'asservisse- 
ment de  l'Eglise. 

Avant  d'être  écroué,  Mgr  Vital  avait  refusé  de  se  défendre, 
lorsque  le  tribunal  suprême  lui  avait  notifié  l'accusation  qui 
pesait  contre  Sa  Grandeur.  .11  se  contenta  d'opposer  ces  sim- 
ples mots  :  Jésus  auiem  lacebcU  !  Enflji,  il  répondit  par  le 
silence  aux  questions  du  tribunal,  composé  en  majorité  de 
francs-maçons,  et  qui,  d'après  les  lois  de  l'Eglise  et  celles  du 
pays,  était  incompétent  pour  le  juger. 

L'évêque  fut  condamné  à  quatre  ans  de  travaux  forcés, 
que  Tempereur  commua  en  quatre  ans  de  prison  simple  dans  * 
une  forteresse  de  Rio-Janeiro.   Pareille  condamnation  fut 


—  188  — 

prononcée  pour  les  mêmes  faits  contre  l'évêque  de  Para^ 
qui  fut  aussi  enfermé  dans  une  autre  forteresse.  Les  admi- 
nistrateurs des  detiix  diocèses  ayant  été  sommés  par  le  gou- 
vernement d'avoir  à  lever  les  interdits,  ils  s'y  refusèrent 
courageusement  comme  leurs  évêgues,  et  furent  en  consé- 
quence condamnés  aux  travaux  forcés. 

Le  gouvernement,  au  dire  des  personnes  les  plus  respecta- 
bles, ne  visait  à  rien  moins  qu'à  implanter  le  schisme,  à  pro> 
lestantiser  le  pays,  à  diviser  les  forces  catholiques.  Sur  ces 
entrefaites,  des  troubles  éclatèrent  dans  les  provinces  du 
Nord  de  l'empire,  irritées  par  le  poids  écrasant  des  impôts  et 
par  le  mécontentement  produit  par  les  lois  sur  la  conscrip- 
tion militaire.  Ces  événements,  absolument  étrangers  à  la 
question  religieuse,  furent  exploités  par  le  gouvernement 
pour  attaquer  le  clergé,  arrêter  les  PP.  jésuites,  les  déporter 
sans  aucune  forme  de  procès,  et  commettre  une  foule  d'abus 
contre  des  laïques  innocents  qui  ne  rougissaient  point  de 
s'avouer  catholiques  et  de  défendre  les  droits  de  l'Eglise. 

Enfin,  la  chute  du  ministère  Rio-Branco,  survenue  ie  22 
juin  1875,  et  son  remplacement  par  le  cabinet  du  duc  de 
Gaxias  vint  mettre  fin  à  ce  violent  état  de  choses.  Le  17 
septembre  de  la  même  année,  NN.  SS.  d'Olinda  et  de  Para, 
et  les  administrateur  de  leuBS  diocèses  furent  mis  en  liberté, 
sans  aucune  condition,  à  la  grande  satisfaction  de  tous  les 
catholiques  brésiliens. 

Par  ce  bref  aperçu  de  la  question  religieuse  au  Brésil,  on 
voit  d'abord  que  la  franc-maçonnerie  y  a  pris  des  allures 
I)articulièrement  hypocrites  adaptées  aux  mœurs  religieuses 
du  pays,  et  qu'elle  a  violemment  attaqué  les  dogmes  et 
les  vérités  religieuses,  ainsi  que'  les  princes  de  l'Eglise 
chargés  de  les  enseigner.  Les  évêques,  de  leur  côté,  n'ont 
fait  que  se  défendre  et  remplir  leur  sainte  mission  avec 
charité,  avec  prudence,  mais  au^i  avec  fermeté.  Le  minis- 
tère, qui  s'est  engagé  dans  cette  lutte  inique  de  la  force 
contre  le  droit,  est  tombé  sous  le  poids  des  difiicultés  et  de 
l'impopularité,  tandis  que  les  dewx  courageux  prélats  qui^ 
en  se  sacrifiant,  avaient  frayé  la  voie  du  devoir  difficile,  obte- 
naient l'admiration  et  la  reconnaissance  de  toute  la  catholi- 
cité, et  contribuaient  à  consolider  par  leur  bon  exem|)Ie  le 
sentiment  religieux  dans  leur  patrie. 


— 189  — 

Nous  ne  croyons  point  être  inexact  en  affirmant  qu'une 
des  choses  qui  ont  les  plus  affligé  le  saint  et  regrettable  érô- 
que  d*01inda,  et  qui  probablement  ont  le  plus  avancé  sa 
mort,  c'est  l'ingratitude  dont  Pie  IX  a  été  l'objet  de  la  part 
des  confréries. 

Les  circonstances  ayant  changé,  Sa  Sainteté  daigna,  à  la 
suite  de  la  mise  en  liberté  des  évêques,  lever  les  interdits 
prononcés  contre  les  confréries  et  les  chapelles. 
^Les  catholiques  n'y  virent  qu'un  acte  nouveau  d^  la  clé- 
mence inépuisable  du  grand  Pontife,  accordée  à  la  condition 
que  ces  associaticms  resteraient  fidèles  au  but  religieux  pour 
lequel  elles  avaient  été  crées. 

Les  francs-maçons,  par  contre,  entonnèrent  des  chants  de 
triomphe,  crièrent  par-dessus  les  toits  que  les  jésuites  étaient 
tombés  foudroyés  par  la  main  du  chef  de  la  chrétienté,  que 
Rome  cédait,  que  la  victoire  restait  complète  et  éclatante  à 
la  franc-maçonnerie,  que  les  francs-maçons  étaient  autorisés 
par  le  Pape  à  gouverner  les  confréries,  et  qu'on  n'avait  qu'à 
résister  aux  évoques  et  à  se  tenir  ferme  contre  Rome,  pour 
obtenir  de  nouvelles  conquêtes  sur  l'intolérance.  Et,  de  fait, 
les  confréries  regorgèrent  de  francs-maçons,  qui  continuè- 
rent à  se  croire  victorieux,  à  dominer  dans  les  églises  et  à 
contrarier  les  curés  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions  sacer- 
dotales. On  alla  môme  jusqu'à  insinuer  dans  les  feuilles  de 
la  secte  que  cette  victoire  avait  été  achetée  à  Rome  à  prix 
d'argent!... 

Les  prélats  gémissaient  tout  bas  de  cet  état  de  choses,  et 
souffraient  de  ne  pas  pouvoir  faire  prévaloir  la  véritable  in- 
terprétation de  l'acte  de  clémence  du  Saint-Siège.  Ds  voyaient 
par  contre  monter  le  flot  da  l'impiété  et  s'accroître  l'arro- 
gance et  la  doniination  des  loges  maçonniques.  Le  scandale 
en  était  au  point  que  les  Vén.  -  •  se  faisaient  élire  président 
des  confréries  et  mettaient  au  défi  les  évêques  de  les  faire 
révoquer.  C'étaient  eux  qui  fixaient  les  cérémonies  reUgieu- 
ses  dans  les  paroisses,  choisissaient  les  prêtres  qui  y][venaient 
officier  ou  prêcher.,  acquittaient  les  frais  et  même  détour- 
naient les  fonds  provenant  des  legs  pour  des  dépenses  étran- 
gères au  but  des  confréries.  Le  curé  ne  pouvait  ni  célébrer 
les-^offlces,  ni  même  administrer  les  sacrements  sans  la  per- 


— 190  — 

mission  des  présidents,  qui  gardaient  la  clef  du  tabernacle, 
celle  du  baptistère  et  les  ornements. 

Aujourd'hui  môme,  toujours  à  cause  de  cette  odieuse  mys- 
tification d'après  laquelle  la  franc-maçonnerie  ne  serait  pas 
ennemie  du  catholicisme,  on  voit  des  francs-maçons  avérés 
servir  de  parrains  dans  les  baptêmes  et  dans  les  confirma- 
tions, assister  aux  enterrements  avec  leurs  insignes  et  faire 
célébrer  des  messes  pour  commémorer  la  fondation  de  quel- 
que loge. 

C'est  pour  remédier  à  cette  fâcheuse  situation  que  Sa  Sain- 
teté daigna  adresser  aux  évêques  du  Brésil  l'Encyclique  datée 
du  29  avril  1876.  La  gloire  d'avoir  obtenu  ce  mémorable 
document,  qui  causa  une  si  heureuse  impression  parmi  les 
catholiques  du  Brésil,  revient  tout  entière  au  vénérable 
évêque  d'Olinda.  Le  Saint-Père  y  rappelait  sa  lettre  à  l'évê- 
que  du  29  mai  1873,  où  il  était  dit  qu'"  usant  de  douceur  et 
de  clémence  envers  les  membres  de  la  secte  maçonnique,  qui 
pourraient  être  trompés  et  dans  l'illusion,"  il  avait  suspendu 
pour  un  temps  convenable  la  réserve  des  censures  qu'ils 
avaient  encourues,  "  afin,  disait  textuellement  l'Encyclique, 
qu'ils  puissent  user  de  notre  bienveillance,  pour  détester 
leurs  erreurs  et  pour  se  retirer  des  associations  condam- 
nables auxquelles  ils  avaient  été  affiliés." 

Sa  Sainteté  rappelait  aussitôt,  que  ce  laps  de  temps  passé, 
lesdîteâ  confréries  devaient  être  supprimés  afin  de  les  réta- 
blir conformément  au  motif  de  leur  fondation.  Le  Saint-Père 
faisait  également  allusion  à  la  lettre  encyclique  du  ler  no- 
vembre 1873  adressée  aux  évêques  du  monde  catholique, 
rappelant  que  les  constitutions  pontificales  édictées  contre  les 
sociétés  perverses  atteignaient  également  celles  de  TEurope, 
celles  de  l'Amérique  et  celles  du  monde  entier. 

Le  bruit  que  la  condamnation  apostolique  ne  s'appliquait 
pas  à  la  société  maçonnique  existant  au  Brésil  avait  affligé 
vivement  le  Saint-Père,  qui  rappelait  en  outre  une  lettre  que 
Sa  Sainteté  avait  écrite  à  l'empereur  du  Brésil  le  7  février 
1875  (1),  où  le  Saint-Père  promettait  de  lever  les  interdits  dès 

(1)  La  TévâatîoB  de  l'evistence  de  cette  lettre  Moâwait  ime  gnnde 
potion  aa  BrésiL  Cette  lettre  avait  été  écrite  par  le  Pape  alon  que  lea 
deax  âvéqnee  étaient  en  prison. 


—  191  — 

que  les  évoques  d'Olinda  et  de  Para  seraient  sortis  de  prison^ 
et  à  la  condition  que  les  membres  maçons  des  confréries 
seraient  préalablement  éloignés  des  charges  qu'ils  y  occu- 
paient 

Cependant,  les  moyens  de  clémence  étant  épuisés,  et  afin 
qu'-en  une  matière  si  grave  il  ne  pût  rester  aucun  doute,  le 
Saint-Père  déclarait  à  nouveau  et  afiftnnait  ^que  les  sociétés 
maçonniques,  aussi  bien  celles  qui  sont  au  Brésil  que  celles 
de  partout  ailleurs,  et  dont  un  grand  nombre,  de  bonne  ou 
de  mauvaise  foi,  disent  qu'elles  n'ont  d'autre  but  que  l'utilité 
sociale,  le  progrès  et  la  bienfaisance  mutuelle,  sont  atteintes 
et  proscrites  par  les  constitutions  et  condamnations  aposto- 
liques. Ceux  qui  avaient  inscrit  leur  nom  sur  les  registres  de 
ces  sectes  étaient  soumis  ipso  facto  à  l'excommunication  ma- 
jeure réservée  au  souverain  Pontife. 

Du  reste,  Sa  Sainteté  reconnaissait  qu'il  était  nécessaire  de 
réformer  les  statuts  des  confréries  et  déclarait  avoir  déjà 
donné  des  ordres  au  cardinal  secrétaire  pour  traiter  avec  le 
gouvernement  impérial. 

On  voit  que  ce  document  remarquable  envisageait  la  ques- 
tion avec  toute  la  franchise  et  toute  l'énergie  que  comportait 
la  situation.  Aussi  fut-il  partout  accueilli  avec  bonheur 
parmi  les  catholiques. 

On  se  heurta  malheureusement  contre  le  mauvais  vouloir 
du  pouvoir  civil,  toujours  disposé  en  faveur  des  confréries  et 
des  francs-maçons.    Les  évoques  exilés,  rentes  dans  loiirs 
^diocèses,  eurent  à  endurer  toute  sortes  d'oppositions  et  d'hu- 
miliations. 

Cependant  la  réforme  des  confréries  allait  ôtre  traitée 
directement  entre  le  gouvernement  brésilien  et  le  Saint- 
Siège,  qui  envoya  à  Rio-Janeiro  Mgr  Roncetti,  archevêque 
de  Seleucie,  en  qualité  d'internonce  apostolique  auprès  de  la 
cour  de  Dom  Pedro. 

Alors  seulement  Tévêque  d'Olinda,  estimant  inutile  son 
séjour  à  Rome,  rentra  au  BrésiLau  mois  d'octobre  1876,  où 
il  fut  accueilli  par  les  fidèles  avec  un  enthousiasme  indes- 
criptible, n  reprit  la  conduite  de  son  diocèse  de  la  manière 
la  plus  prudente.  Malgré  cela,  le  gouvernement  ne  voulut 
pas  entrer  en  rapport  avec  lui,  ni  le  considérer  comme 


-t92- 

évoque.  Tout  traitement  lui  fut  refusé;  les  prêtres  qu'il 
nommait  aux  différents  postes  ne  recevaient  aucun  secours  ; 
des  oppositions  personnelles  surgissaient  de  tous  côtés.  La 
position  devint  intenable. 

C'est  alors  que  le  vénérable  évoque,  après  avoir  épuisé  toos 
moyens  et  toute  patience,  se  décida  enûn  à  retourner  en 
Europe,  pour  régler  cette  afiaire  directement  avec  Pie  IX, 
offrant  sa  démission,  s'il  était  nécessaire,  pour  la  sauvegarde 
des  principes.  C'est  alors  aussi  qu'en  quittant  sa  patrie,  il 
annonça  à  ceux  qui  l'accompagnaient  qu'il  n'avait  plus  l'es- 
poir de  la  revoir. 

Tant  de  souffrances  avaient  profondément  ébranlé  sa  santé. 
Le  climat  de  Rome  n'étant  pas  favorable  à  sa  santé,  on  lui 
recommanda  le  séjour  à  Paris.  Sa  Grandeur  revint  alors  i  la 
maison  des  capucins  de  la  rue  de  la  santé.  La  mort  de  Pie 
IX  était,  d'ailleurs,  venue  interrompre  ces  pourparlers. 

Enfin,  le  4  juillet,  le  saint  prélat  suivait  de  près  le  grand 
Pontife,  et  allait  recevoir  parmi  les  bienheureux  la  couronne 
que  ses  grandes  vertus  et  ses  grandes  souffrances  pour  la  foi 
lui  avaient  méritée. 

S'il  a  eu  dans  ses  derniers  jours  l'amertume  de  voir  dans 
sa  patile  ia  franc-maçonnerie  encouragée  par  un  gouverne- 
ment  hostile,  l'impiété  triomphante,  la  mauvaise  presse  pour- 
suivant son  œuvre  anti-chrétienne,  il  a  pu  se  réjouir  dans  le 
Seigneur  d'avoir  combattu  le  bon  combat,  d'avoir  obéi  à 
Dieu  plutôt  qu'aux  nommes,  et  d'avoir  le  premier  frayé,  dans 
sa  patrie  en  butte  aux  ennemis  de  la  religion,  la  voie  d'une 
résistance  également  héroiqne  aux  envahissements  des  mas- 
ses révolutionnaires  organisées  eu  sociétés  secrètes,  et  aux 
empiétements  de  César  dans  le  domaine  de  l'Eglise,  dont  il 
était  un  des  plus  jeunes  et  des  plus  courageux  prélats. 


1^15-'  ANNALES 


.as 

A5 


DE   LA 


POUR  LA  PROVINCE  DE  QUEBEC 


(NOUVELLE    SERIE) 


NEUVIÈME  NUMÉRO,  OCTOBRE  1B79 


PAGES. 

ORIENT. — Captivité  et  délivrance  de  Mgr  Ridel,  de  la  Société  do^ 
Missions  Etrangères,  évèque  do  Phiiippopolis  et  vicaire  apostoli- 
que de  la  Corée  i suite  et  fini  195 

AFRIQUE  ORIENTALE.—Lettre  du  P.  Horner,  de  la  Congrégation 
du  Saint-Esprit  et  du  Sainl^Cœur  de  Marie,  Vice-Préfet  Aposlo- 
li([ue  du  Zanguebar 226 

LA  GASPÈSIE,  de  1800  à.  18G7  (suite  et  lin) 237 

NORD.OUEST.— Lettre  de  la  Sœur  Senay.  Sœur  de  la  Charité,  à  la 
Sœur  Gharlebois,  Assistante 266 

ORÉGON. — Etat  de  l'Eglise  catholique,  quarante  ans  après  son  éta- 
blissement, sur  la  Côte  du  Pacifique 279 

Es([uisse  sur  rÉtablissement  des  Missions  catholiques  parmi  les  tri- 
bus indiennes  du  Nord-Ouest. — Succès  des  catholiques,  insuccès 
des  protestants  à  civiliser  les  Sauvages. — Précieuse  contribution 
historique 281 

Statistiques  des  Diocèses  et  Vicariats  apostoliques  de  la  Province 
ecclésiastujue  d'Oregon  City  en  1878 286 


—•  — »  » 


MONTRÉAL  : 

CIE.  D'IMPRIMERIE  CANADIENNE.  38,  RUE  ST.  GABRIEL. 


1879 


ANNALES 


DE  LA 


POUR  LA  PROVINCE  DE  QUEBEC 


OCTOBRE    1878 


<NOUTELLE    SERIE) 


NEUVIÈME  NUMERO. 


MONTRÉAL  : 

CIE.  D'IMFBIllEBIE  CANADIENNE,  !»,  BUE  ST.  GABBIEL 

1879 


/t^l 


Captivité  et  Délivrance  de  Mgr  Ridel 


de  lA  Société  dae  MiaBions-Etrangères,  évftqve  de  Fhilippopolis 
et  Tioaire  f4^o6toliq.iie  de  la  Corée. 

IV 

Je  m'étais  éloigné  de  quelques  pas,  lorsqu'on  me  rappelle. 
Le  juge  ordonne  de  retrousser  les  manches  de  mon  habit 
jusqu'au  coude,  et  les  deux  juges,  examinant  mes  bras,  se 
mettent  à  sourire.  Je  pense  qu'ils  désiraient  seulement  voir 
la  couleur  de  mes  bras,  oupeutrôtre  voir  si  j'avais  une  grande 
force.  Enfin  on  m'emmène,  on  me  délie  en  enlevant  la  corde 
rouge,  et  on  me  conduit  au  corps  de  garde,  où  les  sateUites 
viennent  m'entourer.  Les  deux  juges  restèrent  en  délibéra- 
tion jusque  bien  avant  dans  la  nuit.  Leurs  suivants  encom- 
braient toutes  les  chambres  ;  impossible  de  trouver  un  endroit 
pour  me  reposer,  et  cependant  je  me  sentais  pris  de  sommeil. 
Je  pus  enfin  allonger  un  peu  les  pieds  dans  l'endroit  où 
j'étais;  et,  malgré  le  bruit  et  les  cris,  je  m'endormis  profon- 
dément, la  tête  appuyée  contre  la  muraille. 

Quel  devait  être  le  résultat  de  la  délibération  ?  Il  était 
difficile  de  le  prévoir.  J'étais  étonné  de  l'interrogatoire  qu'on 
venait  de  me  faire  subir  ;  avec  tout  l'appareil  extérieur  qu'on 
avait  déployé,  je  m'étais  attendu  à  quelque  chose  de  plus 
«évère  ;  je  craignais  certaines  questions  scabreuses  ;  on  ne 
me  parla  même  pas  de  l'expédition  française  de  1866. 

Je  pensais  que  peut-être  j'apprendrais  bientôt  le  résultat  de 
la  délibération,  et  la  sentence  qu'on  prononcerait.  Vain 
espoir;  je  sus  seulement  plus  tard  que  le  gouvernement 
était  dans  un  grand  embarras  à  mon  sujet.  Les  uns,  comme 
précédemment,  voulaient  me  mettre  à  mort  ;  mais  le  roi  et 
un  autre  parti  hésitaient  ;  on  a  même  assuré  que  l'apparition 
fréquente  des  navires  européens  sur  la  côte  leur  faisait  peur, 
ils  ne  pouvaient  se  décider  à  me  condamner  à  mort.    Les 


—  196  — 

autres  disaient  :  ^  —  (Test  un  homme  jufte,  il  ne  nou»  a 
jamaEls  trompés,  il  n'^  pas  fait  de  mal.  Ce  serait  beaucoup 
mieux  de  \é  renvoyer  dans  son  pays;  iiou»  a'aurions  pas 
alors  à  craindre  la  guerre  ;  mais,  comme  ce  sont  les  chré- 
tiens gui  vont  les  chercher,  il  faudrait,  pour  les  empêcher  de 
venir,  mettre  tous  les  chrétiens  à  mort*''  Le  grand  juge  Ni- 
kyeng-ha  n'approuvait  pas  cette  mesure.  On  dit  qu'il  déclara 
qu'il  était  impossible  de  penser  à  détruire  par  la  persécution 
le  christianisme  jusqu'à  la  racine.  —  '^  Les  chrétiens  sont  si 
nombreux,  aurait-il  dit,  et  tellement  répandus,  qu'il  en  res- 
tera toujours  ;  c'est  donc  bien  inutile  de  recommencer  à  le& 
mettre  à  mort.  "  Le  régent  ne  voulait  pas  s'occuper  de  mon. 
affaire.  Ses  anciens  amis,  qui  se  rappelaient  les  exécutions  do 
1866,  étant  [aller  le  trouver  pour  l'exciter  contre  nous,  il* 
répondit  : 

"  — Cela  ne  me  regarde  pas,  et  puis,  je  n'ai  aucune  auto- 
rité ;  mais  il  valait  bien  mieux  fermer  les  yeux  sur  cette 
affaire  et  laisser  cet  Européen  tranquille  ;  le  gouvernement 
n'a  rien  à  craindre  de  lui  ;  au  contraire,  en  le  mettant  à 
mort,  vous  vous  attirerez  des  afTaires  avec  son  gouverne- 
ment ;  en  le  renvoyant,  vous  vous  en  faites  bien  gratuite- 
ment un  ennemi."  On  m'a  rapporté  que  la  reine  Min  avait 
dit  :  — "  Pourquoi  mettre  cet  homme  à  mort  puisqu'il  est 
innocent?  Si  Ton  met  un  innocent  à  mort  comme  un  cou- 
pable, comment  pourrai-je  élever  mes  enfants  ?  " 

Quoi  qu'il  en  soit  de  tous  ces  bruits,  une  chose  est  très- 
certaine,  c'est  que  l'on  ne  savait  à  quoi  s'arrêter.  Après 
l'interrogatoire,  je  restai  quelques  jours  dans  la  chambre 
des  satellites,  tout  près  de  la'  prison,  faisant  connaissance 
avec  les  employés  de  ce  nouveau  poste.  Ils  étaient  loin 
d'être  aimables,  nie  paraissaient  encore  plus  fourbes,  plus 
rusés  que  les  autres,  et  aussi  plus  menteurs,  s'il  est  possible. 
On  a  peine  à  se  figurer  la  difficulté  qu'il  y  a  de  vivre  avec 
des  hommes  qui  déguisent  toutes  leurs  pensées,  qui  vous 
assurent  avec  serment  une  chose  qu'ils  savent  parfaitement 
être  fausse.  C'était  ma  position;  mais  j'étais  habitué  à  ce 
manège  et  j'en  étais  venu  à  ne  plus  rien  croire  de  ce  qu'on 
me  disait.  Quand  ils  se  parlaient  entre  eux,  c'était  différent  ; 
mais  alors  ils  parlaient  à  voix  Basée. 


—  197  — 

..-.  J         .V 

Le  19tDarsvle  chef  de  poste  reçut  Kne  lettre.  Les  satellites 
se  la  communiguèHBnt  ;  ils  la  lurent  avec  un  air  stupéfait^ 
en  se  parlant  à  voix  basse.  Évidemment  il  s'agissait  de  moi, 
et  c'était  quelque  chose  d'imprévu.  Le  chef  du  poste  chan- 
geait tous  les  trois  jours  ;  ce  soir>là,  il  en  vint  un  nouveau. 
On  s'empressa  de  l'informer  du  contenu  de  la  dépêche  : 
" — Comment  !  dit-il,  tout  allait  bien  ce  matin  ;  on  a  donc 
changé  de  sentiment?  Ce  n'est  pas  possible  ;  apportez-moi 
la  lettre."    On  la  lui  apporte.    Après  l'avoir  lue,  il  demande  : 

"  —  A  quelle  heure  l'aveï-vous  reçue  ? 

"  —  Dans  l'après-midi. 

"  —  G*est  bien  extraordinaire  ;  on  vient  de  me  donner  des 
ordres  contraire^." 

Quelques  moments  après,  un  satellite  vint  me  dire  : 

"  —  On  ne  vous  laisse  pas  tranquille  ici  ;  le  juge  veut  vous 
mettre  dans  un  appartement  où  il  y  aura  moins  de  bruit. 

"  —  Où  va-t-on  me  mettre  ?  de  quel  côté  ? 

"  —  De  ce  côté-ci. 

"  —  Alors,  c'est  avec  les  voleurs  ? 

"  —  Oh  non  ! 

''  —  Serai-je  seul  ? 

"  —  Non,  j'irai  avec  vous.  " 

A  n'en  plus  douter,  il  ^'agissait  de  me  transférer  dans  la 
prison  des  voleurs. 

Le  soir,  en  effet,  le  chef  me  dit  :  ''  —  On  va  vous  conduire 
dans  l'appartement  dont  on  vous  a  parlé.  "  Un  satellite  passa 
devant,  ouvrit  une  petite  porte,  et  nous  nous  trouvâmes  dans 
la  cour  de  la  prison.  Un  gardien  me  fit  entrer  dani 
le  cachot  désigné  par  le  geôlier  en  chef.  Quelle  sur- 
prise !  la  première  personne  que  je  vois,  c'est  mon  vieux 
Jean  Tchoi  que  je  croyais  mort  depuis  longtemps.  Sa  sur- 
prise ne  fut  pas  moins  grande  en  me  voyant  :  je  lui  parlai, 
c'est  à  peine  s'il  me  répondit. 

Le  geôlier  m'indiqua  la  place  que  je  devais  occuper.  Les 
autres  prisonniers  furent  obligés  de  se  serrer  un  peu,  et  l'un 
d'eux  se  leva^    Le  gardien  l'aperçoit,  et  aussitôt  lui  assène 


^198  — 

un  coup  de  gourdin;  puis,  comme  le  patient  avait  laissé 
échapper  une  exclamation,  un  second  coup  succède^  puis  un 
troisième.  Je  tâche  de  calmer  cette  brute,  qui,  sans  raison, 
administrait  un  traitement  si  barbare  à  un  homme  innocent. 
Le  satellite  s'était  retiré  et  le  gardien  aussi.  J'adressai 
toujours  des  questions  à  Jean  qui  ne  me  répondait  guère. 
Enfin  il  put  me  dire  :  '^  —  Tous  ici  nous  sommes  chrétiens, 
à  l'exception  de  ce  vieux  païen  qui  est  dans  le  fond,  et  qui 
semble  être  ici  pour  nous  surveiller  ;  on  ne  peut  donc  pas 
parler,  surtout  de  choses  qui  touchent  à  la  religion.  "  Je 
compris  que  ce  païen  devait  être  un  espion,  et  qu'il  était 
urgent  de  ne  pas  enfreindre  le  règlement.  Dans  ma  simpli- 
cité, je  lui  demandai  quelle  était  la  règle.  U  me  répondit 
d'une  voix  rauque  et  brève  :  "  —  La  règle,  la  règle  ?  c'est  de 
t'asseoir  sur  la  paille  et  de  rester  tranquille.  "  Après  ces  ren- 
seignements, je  m'assis,  à  l'endroit  indiqué  ;  je  pus  même 
me  mettre  à  genoux,  faire  ma  prière  et  m'endormir.  Le  len- 
demain, Je  me  réveillai  avant  le  jour,  et  je  vis  Jean  qui  déjà 
avait  commencé  sa  prière,  profitant  des  ténèbres  pour  être 
plus  recueilli. 

Avant  de  passer  outre,  jetons  un  coup  d'œil  sur  l'ensemble 
de  la  prison. 

VI 

Les  prisonniers  étaient  partagés  en  trois  catégories  princi- 
pales :  celle  des  voleurs,  celle  des  prisonniers  pour  dettes, 
et  la  nôtre,  où  les  chrétiens  étaient  en  majorité.  Chacune 
de  ces  catégories  occupait  un  local  spécial. 

Les  voleurs  étaient  les  plus  à  plaindre.  Ils  étaient  une 
trentaine,  les  pieds  passés  dans  les  ceps  jour  et  nuit,  tous 
atteints  de  maladie.  La  gale  les  dévore,  leurs  plaies  tombent 
en  pourriture  ;  ils  souffrent  la  faim  ;  quelques-uns  n'ont  que 
la  peau  et  les  os,  et  à  peine  peuvent-ils  faire  quelques  pas> 
quand,  au  milieu  du  jour,  on  leur  permet  de  sortir.  C'est  le 
spectacle  le  plus  horrible  qu'on  puisse  imaginer.  On  fait  ce 
que  Ton  peut  pour  abrutir  les  prisonniers.  Il  leur  est  défendu 
de  dormff  ;  pendant  la  nuit,  les  gardiens,  armés  de  gros 
bâtons,  les   surveillent,  et   si,  succombant  à  la   fatigue, 


—  199  — 

quelqu'un  vient  à  s'assoupir,  aussitôt  le  gardien  le  réveille  à 
coups  de  bâtons  sur  le  dos,  sur  les  jambes,  sur  la  tète. 
Que  de  fois  nous  avons  entendu  les  coups  que  c^s  forcenés, 
souvent  ivres,  administraient  à  des  malheureux,  qui  n'avaient 
qu'un  souflle  de  vie  et  qui  souvent  expiraient  sous  les  coups  î 
Jour  et  nuit,  ils  sont  à  la  merci  de  ces  êtres,  plus  sembla- 
bles à  des  tigres  qu'à  des  hommes.  Après  la  mort  d'un 
voleur,  on  déclare  qu'il  est  mort  de  maladie,  on  l'enlève,  on 
le  dépose  dans  la  chambre  aux  cadavres  et,  la  nuit  suivante, 
les  gens  chargés  de  la  voirie  le  prennent  et  vont  le  jeter  dans 
un  bois  en  dehoi^s  des  remparts. 

Dans  la  prison,  les  voleurs  sont  tous  presque  nus  ;  quel- 
ques-uns, quand  on  les  faisait  sortir,  prenaient  un  morceau 
d'étoffe  pourrie  pour  s'en  couvrir  les  reins  comme  d'une 
ceinture.  Ils  s'estiment  heureux  quandj  on  leur  permet  de 
sortir  et  de  tremper  Leurs  mains  dans  la  mare  d'eau  corrom- 
pue et  puante  pour  s'en  laver  un  peu  la  figure,  la  poitrine  et 
les  jambes.  Aussi  sont-ils  tous  couverts  d'épaisses  couches 
de  gale,  quelques-uns  attaqués  de  la  teigne.  Parmi  eux,  se 
trouvent  de  grands  coupables  ;  mais  beaucoup  sont  détenus 
pour  avoir  volé  quelque  objet  minime.  Si  l'on  voulait  pren- 
dre tous  les  voleurs,  il  faudrait  d'abord  arrêter  la  plupart 
des  gardiens  et  même  un  certain  nombre  de  satellites. 

La  nourriture  consiste  en  une  petite  tasse  de  riz  sans 
assaisonnement,  le  matin  et  le  soir  ;  nourriture  insuffisante. 
Aussi  ceux  qui  arrivent  bien  portants  sont,  au  bout  de  vingt 
jours,  semblables  à  des  squelettes. 

Les  prisonniers  pour  dettes  ou  pour  autres  causes  que  le 
vol  sont  moins  maltraités.  On  les  désigne  sous  le  nom  de 
tcha-kalj  nom  qui  s'applique  à  tous  les  prisonniers  qui  ne  sont 
pas  voleurs  ;  ils  peuvent  communiquer  avec  leurs  parents 
et  amis,  recevoir  leur  nourriture  du  dehors  (la  prison  ne 
les  nourrit  pas)  ;  ils  mènent  môme  joyeuse  vie,  et  font  bom- 
bance sous  les  yeux  des  voleurs  affamés.  Ceux  que  j'ai  vus 
étaient,  pour  la  plupart,  des  employés  du  gouvernement. 
Ils  restaient  en  prison  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  rendu  la  der- 
nière sapèque. 

Les  chrétiens  sont  nourris  comme  les  voleurs.  Ils  ne 
peuvent  communiquer  avec  personne  du  dehors  ;  ordinaire 

.  I 


—  200  — 

ment  ils  n'ont  pas  les  pieds  pasçés  dans  les  ceps,  du  moins 
dans  la  prison  de  gauche  ;  ils  font  partie  des  tcha-kals,  mais, 
par  mépris,  on  les  appelle  du  nom  injurieux  de  kouangpang-û 

Pour  ce  qui  est  du  régime  de  la  prison,  voici  en  quoi  il 
consiste.  Le  matin^  au  point  du  jour,  un  gardien  vient  et 
crie  :  "  —  On  ouvre  les  portes.  '*  Les  voleurs  exceptés,  ceui 
qui  veulent  sortir  dans  la  cour  peuvent  le  faire.  Le  soir, 
quelque  temps  après  le  coucher  du  soleil,  on  compte  les 
prisonniers;  les  gardiens  se  rassemblent,  on  en  place  un 
dans  chaque  cachot  pour  le  surveiller,  puis  on  ferme  les 
portes  en  mettant  par  dehors  une  grosse  poutre  transversale 
retenue  par  des  chaînes.  Il  est  impossible  de  sortir,  car  le 
gardien  qui  a  fermé  les  portes  va  dormir  en  ville  :  le  feu 
prendrait  au  bâtiment  quQ  tous  les  prisonniers  seraient 
grillés.  J'ai  entendu  bien  des  prisonniers  dire  que  le  moment 
le  plus  triste  de  la  journée  était  celui  de  la  fermeture  des 
portes.  Alors,  pour  einpêcher  de  dormir,  on  fait  chanter  les 
voleurs  ;  ce  sont  des  cris  forcenés  pendant  une  partie  de  la 
nuit  ;  plus  il  crient,  plus  les  gardiens  sont  contents. 

On  fait  deux  repas  par  jour,  le  matin  et  le  soir  ;  on  nous 
donnait  en  plyis^  à  Jean  et  à  moi,  une  tasse  de  bouillie 
au  milieu  de  la  journée. 

Notre  cabanon  ressemblait  aux  autres  ;  pour*  toute  ouver- 
ture, une  porte  qui  se  fermait  la  nuit  ;  au-dessus,  quelques 
barreaux  de  bois  en  forme  de  lucarne  laissaient  entrer  un 
peu  d'air  et  de  lumière.  Les  murs  étaient  recouverts  de 
planches  de  tilleul  disjointes.  Sur  le  plancher  était  une 
couche  de  paille  ;  lorsque  j'entrai,  on  mit  un  peu  de  nouvelle 
paille,  mais  sans  enlever  celle  de  dessous  qui  répandait  une 
odear  infecte.  Jean,  transporté  le  même  jour  que  moi  de  la 
prison  de  droite  dans  celle  de  gauche,  se  trouvait  moins  mal 
dans  celle-ci.  Il  i^ous  raconta  que,  dans  l'autre,  les  prisoa- 
Biers  chrétiens  étaient  pèle-méle  avec  les  voleurs,  et  tellement 
à  l'étroit  qu'on  ne  pouvait  se  tourner  sans  déranger  ses 
voisins  :  tous  étaient  aux  entraves  comme  les  voleurs.  Il 
avait  été  appliqué  deux  ou  trois  fois  à  la  torture  ;  ici,  on  le 
traitait  assez  bien,  il  était  nourri  Comme  moi.  Malgré  cela, 
il  souffrait  beaucoup  et  était  souvent  malade. 

Au  fond  du  cabanon,  était  un  vieux  noble  païen,  empri- 


—  201  — 

gonné  depuis  dix  moi^  pour  cause  de  rébellion.  Il  se  disait 
innocent  ;  je  crois  qu*on  reconnut  plus  tatd  qu'il  disait  vrai, 
car  il  fut  mis  en  liberté  le  18  avril.  Il  avait  un  mauvais 
éaractère  et  avait  fait  beaucoup  soufftrir  les  pauvres  chré- 
tiennes, les  accablant  d'injures  et  insultant  la  religion.  Où. 
nous  dit  que  notre  arrivée  Pavait  changé  ;  nous  eûmes 
cependant  plusieurs  fois  ToGcaston  de  remarquer  sa  méchan- 
ceté. Son  fils  venait  de  temps  en  temps  le  voir  à  la  porté  de 
la  prison,  et,  par  lui,  nous  savions  quelques  rai^ës  nouvelles 
du  dehors,  il  y  avait  trois  chrétiens  amenés  depuis  peu  de 
la  province  de  Tchyoung-tchyang  ;  c'étaient  de  pauvres 
cultivateurs  forts  et  robustes.  Après  quinze  jours  de  séjour 
dans  la  prison,  ils  étaient  méconnaissables,  souffrant  de  cette 
vie  de  réclusion  et  ne  pouvant  manger  suffisamment  Quand 
nous  n'étions  pas  sui^veillés,  nous  leur  faisions  passer  une 
partie  de  notre  riz.  Trois  fois  ils  ont  été  appliqués  à  la 
torture  ;  en  rétitl-ant  ils  étaient  tout  tremblants  et  pouvaient 
à  peine  respirer.  Plus  tard,  on  les  transféra  dans  la  prison 
des  voleurs.  Le  12  mai,  deux  d'entre  eux  moururent  de 
faim  et  de  mauvais  traitements. 

Trois  femmes  chrétiennes  de  la  capitale,  arrêtées  presque 
en  même  temps  que  nous,  habitaient  également  le  cachot 
L'une  d'elles  était  atteinte  dte  la  peste  ou  fièvre  typhoïde,  qui 
est:  en  permanence  dans  cette  prison.  Elle  avait  vingt-six  ans 
et  était  mère  de  deux  charmants  petits  enfants,  dont  le 
dernier  n'avait  que  six  mois.  Mariée  à  un  païen  pendant  la 
persécution,  elle  avait  instruit  et  converti  son  mari  qui  était 
prêt  à  recevoir  le  baptême,  ainsi  que  son  beau-père  et  sa 
belle-mère.  Malheureusement,  elle  avait  eu  la  faiblesse 
d'apostasier.  Saisissant  le  moment  où  personne  ne  l'aperce- 
vait, elle  se  mit  à  faire  plusieurs  fois  le  sigrie  de  la  croix  en 
me  regardant,  et  la  nuit  elle  dit  à  la  femme  chrétienne  qui 
la  soignait  :  ^'  —  Ma  grande  maladie  est  d'avoir  eu  le 
malheur  d'apostasier.  Oh  !  que  je  suis  coupable  î  "  Et  elle 
versait  des  larmes  abondantes.  Gomme  il  m'était  impossible 
d'entendre  sa  confession,  je  la  fis  prévenir  que  je  lui  donne- 
rais l'absolution.  Elle  s'y  prépara,  et  lé  matin,  à  un  signal 
convenu,  je  prononçai  la  formule.  Quel'  bonheur  pour  elle  ! 
C'était  le  meilleur  remède  à  sa  maladie  ;  dès  ce  moment,  le 


—  202  — 

danger  disparut,  et  bientôt  la  malade  entra  en  convalescence. 
Je  n'ai  jamaia  pu  lui  parler,  mais  bien  des  fois  j'ai  en 
roccasion  d'admirer  $on  bon  caractère,  sa  piété,  sa  confiance 
en  Dieu,  et  la  justesse  de  son  esprit  Son  mari,  qui  passait 
pour  païen^  avait  obtenu  des  geôliers  la  faveur,  non  pas  delà 
voir,  mais  de  lui  parler  par  Pouverture  destinée  à  Técoule- 
ment  des  immondices.  Les  deux  autres  prisonnières  étaient 
de  pauvres  femmes  âgées.  Toutes  les  trois  avaient  été 
appliquées  à  la  torture  ;  mais  ce  qui  les  faisait  le  plus 
souffrir,  c'étaient  les  propos  obscènes  des  bourreaux  et  des 
présidents  et  Pindécence  avec  laquelle  on  les  avait  traitées. 
Une  quatrième  était  morte  de  la  peste,  deux  jours  avant 
mon  entrée  dans  ce  cachot.  C'était  Catherine,  femme  du 
vieux  Marc,  catéchiste  de  la  capitale,  mis  à  mort  en  1866. 
Dénoncée  par  le  traître  Paul  Hpi,  son  neveu,  qu'elle  avait 
élevé,  elle  fut  arrêtée  en  même  temps  que  nous.  U  y  avait 
cinq  ou  six  jours  que  j'étais  arrivé,  lorsqu'on  vint  enlever 
son  cadavre  qui  avait  été  oublié  ;  on  le  plaça  dans  une 
chaise  à  porteurs.  Un  gardien  vint  dire  en  riant  :  "  —  De  ce 
corps  il  ne  reste  plus  que  les  os  :  les  rats  et  les  belettes  Tont 
tout  mangé."  Et  les  autres  d'ajouter  :  "  -—C'est  une  drôle 
de  chose  et  vraiment  bien  juste  que  les  belettes  mangent  ces 
coquins  de  chrétiens."  Les  chrétiens,  eux,  récitaient  des 
prières  pour  la  pauvre  défunte,  chacun  pouvant  penser  que 
bientôt  il  suivrait  la  même  route. 

VII 

Le  chef  geôlier  était  (}e  nos  amis,  et  souvent  il  venait  pas- 
ser les  soirées  avec  nous  avant  la  fermeture  des  portes.  Peu 
instruit,  illettré  môme,  il  avait,  sous  un  extérieur  rude,  de 
sérieuses  qualités.  Depuis  vingt  ans,  il  remplissait  ses  fonc- 
tions, sachant  se  faire  obéir,  mais  toujours  aveuglement  sou- 
mis aux  ordres  de  ses  chefs.  Plusieurs  fais  catéchisé  par 
Jean,  il  trouvait  juste  et  belle  la  doctrine  chrétienne,  mais 
sans  être  touché.  J'ai  dit  qu'il,  était  notre  ami.  De  fait,  il 
ne  nous  a  jamais  maltraités  ni  rudoyés  ;  parfois  même,  il  a 
semblé  avoir  des  sentiments  de  compassion  à  mon  ég^rd  ou  à 
l'égard  des  prissonnières  chrétiennes.  Néanmoins,  sur  l'ordre 


—  203  — 

du  juge,  il  n'eût  pas  hésité  à  nous  mettre  la  corde  au  cou  et 
à  nous  étrangler.  On  lui  demandait  un  jour  s'il  avait  vu 
des  chrétiens  : 

"  —  J'en  ai  vu  des  centaines. 

^^  —  Étaient-ce  des  hommes  bons,  tranquilles  ? 

"  —  Oh  !  c'étaient  les  meilleurs  hommes  du  monde,  doux, 
calmes,  paisibles,  ne  parlant  point  mal  du  prochain,  n'inju* 
riant  personne,  et  paraissant  toujours  recueillis. 

*'  —  Est-ce  qu'on  en  a  tué  beaucoup  ici  ? 

"  —  A  cette  époque,  la  prison  en  était  pleine,  et,  pour  faire 
de  la  place,  tous  les  jours  nous  en  étranglions  un  certain 
nombre  ;  on  ne  les  gardait  guère  que  deux  ou  trois  jours." 

Les  autres  geôliers  ne  nous  maltraitaient  pas,  mais  quelë 
caractères  fourbes,  irascibles,  haineux  !  Je  les  ai  vus  faire  en 
riant  leur  office  de  bourreaux  ;  étrangler  un  homme  était 
pour  eux  un  amusement  Bans  aucun  prétexte,  ils  se  met- 
taient en  colère  et  battaient  les  voleurs.  Quand  le  chef  enten- 
dait le  brui^  des  coups,  il  venait  les  empêcher.  Afin  de  se 
venger  sans  attirer  l'attention,  ils  imaginèrent  de  fixer  à  une 
baguette  de  bois  une  pointe  de  fer  en  forme  d'aiguillon,  et 
ils  s'en  servaient  pour  piquer  les  pauvres  patients  dont  nous 
entendions  souvent  les  soupirs  et  les  cris  étouffés.  Un  chré- 
tien, accablé  d'une  fièvre  violente,  leur  demande  un  jour  un 
peu  d'eau  :  "  —  Ah  î  nous  allons  t'en  donner  de  l'eau,  coquin 
de  chrétien..."  Et  ils  se  mettent  à  lui  meurtrir  la  poitrine 
avec  des  bâtons  pointus,  si  bien  que,  deux  heures  après,  le 
malheureux  expirait.  On  déclara  qu'il  avait  succombé  aune 
maladie.*  Le  cadavre  fut  emporté  et  jeté  en  dehors  des  murs 
de  la  ville,  sans  que  personne  s'occupât  de  constater  de  quelle 
manière  le  prisonnier  était  mort. 

Il  semble  difficile  de  trouver  des  gens  plus  vils,  plus  mé- 
chants, plus  mauvais.  Il  en  existe  cependant  Ce  sont  les 
employés  inférieurs  ou  bourreaux  proprement  dits.  Ils  frap- 
pent, écorchent,  brisent  les  jambes  et  les  bras,  en  se  riant  de 
la  douleur  des  patients  qu'ils  accablent  de  plaisanteries 
ignobles.  Leur  seule  apparition  dans  l'intérieur  de  la  prison 
jette  l'effroi  parmi  les  détenus.  Comment  l'espèce  humaine 
peut-elle  tomber  à  ce  point  de  dégradation,  d'avilissement  et 
de  cruauté?  Mon  vieux  chrétien  n'avait-il  par  raison,  lors* 


—  204  — 

qu'il  disait  que  les  prisons  de  Corée  3ont  une  image  de  Tea- 
fer?  Je  dis  les  prisons,  car  toutes,  p£irait-il,  ont  le  même 
aspect,  et,  d'après  ce  que  j'ai  entendu  dire,  quelquefois  celles 
des  provinces  sont  encore  plus  affreuses. 

C'est  donc  là  que  «ont  wfermés  nos  cUrélieas,  encore  plus 
méprisés  que  les  voleurs  ;  on.  dirait  qup  le  contraste  de  leur 
verlu  excite  la  barbarie  des  gardiens  et  des  bourreaux.  Ils 
souffrent  sans.se  plaindre  et  supportent  volontiers  les  injures; 
personne  du  dehors  ne  peut  s'occuper  d'eux.  Ce  soat  des 
victimes  vouées  à  toutes  les  tortures  et  à  la  mort  Du  mo- 
ment qu'ils  sont  chrétiens,  il  cessent  d'ôtra  d^s  Coréens,  ils 
cessent  même  d'être  des  hompiesw 

Telle  était  la  prison  où  j'ai  eu  le  bopheur  de  vivre,  pensant 
biien  y  mourir  pour  la  plus  grande  gloi^'e  de  Dieu.  J'y  ai 
été  bien  consolé  par  la  vue  de  nos  chri^tiens.  Il  ne  leur  échap- 
pait jamais  une  injure,  ni  une  mauvaise  parole.  Ils  commen- 
çaient leur  journée  par  la  prière,  méditaient  pendant  le  jour, 
et,  le  soir,  faisaient  encore  de  longues  prières.  On  prie  bien 
en  prison.  Dieu  semble  plus  présent,  et  Ton  connaît  mieux 
son  propre  néant.  Je  m'étais  fait  un  règlement.  Je  disais 
la  messe  en  esprit  ou  j'y  assistais  de  la  même  manière; 
je  n'avais  pas  de  bréviaire,  j'y  suppléais  par  le  rosaire- 
J'aimais  à  me  transporter  par  la  pensée  dans  quelque  église 
pour  y  faire  ma  visite  au  très-saint  Sacrement.  Un  autre 
exercice  que  l'on  fait  bien  en  prison  et  gui.  apporte  beaucoup 
de  consolations,  c'est  le  chemin  de  la  croix.  Que  de  grâces 
le  Seigneur  me  prodiguait  dans  ces  jours  de  re^cueillementl 
Je  n'avais  aucuna  inquiétude,  et  je  m'ét^ais  remis  tout  entier 
entre  les  mains  de  Dieu  pour  faire  en, tout  ^a  sainte  volonté, 
persuadé  qu'il  ne  m 'arriverait,  que  ce  qu'il  voudrait  bienper- 
meltre. 

Ainsi  se  passèrent  les  fêtes  de  la  Passion.  J'avais  heureu- 
sement conservé  mon  anneau  que  je  tenai,s  caché  dans  un 
petit  sac  ;  le  jour  de  Pâques,  je  dis  aux  chrétiens  que  j'allais 
leur  donner  une  bénédiction  solennelle  et  spéciale  pour  eux 
et  pour  tous  les  chrétiens  de  Corée.  Mais  il  fallait  choisir  le 
moment  favorable,  par  il  y  avait  avec  nous  un  bonze  et  une 
vieille  païenne.  Le  bonze  nous  gênait  peu,  il  dormait  tou- 
jours; la  vieille  païenne  eut  la  bonne  idée. 4e  sortir  un  ins- 


—  205  — 

tant  :  aussitôt,  les  chrétiens  se  mettent  à  genouj  et  reçoivent 
la  bénédiction.  Ce  fut  notre  fête  de  Pâques;  tous  étaient 
joyeux,  et  le  reste  de  la  journée  se  passa  avec  plus  de  fer- 
veur. La  bénédiction  d'un  évêque,  dans  une  prison  de  Corée, 
D'était-ce  pas  une  cérémonie  gui  devait  donner  un  no\;veau 
<$ourage  pour  supporter  les  privs^ons  et  les  souffrances  de  la 

.'Captivité  ? 

Nos  souffrances  !  Nous  en  avions  de  bien  des  sortes.  Ainsi, 
il  nous  fallait  porter  toujours  les  mêmes  habits  qui  étaient 
malpropres,  usés,  déchirés  ;  et  la  vermine  nous  dévorait. 
iLes  rats  foisonnaient  ;  on  les  voyait  le  jour,  on  les  entendait 
la  nuit  ;  ils  se  promenaient,  couraient,  sauta,ient  comme  chez 
'eux,  car  cja^L  bien  soin  de  les  entretenir;  un  respect  supers- 
titieux «mpêche  de  les  détruire.  Notre  paille  infecte  leur 
procurait  un  asile  parfaiteoaent  sûr.  Nous  n'avions  ni  cou- 
teau, ni  canif.  Longteinps  nous  n'eûmes  pas  d'aiguille; 
nous  pûmes  enfin  nous  en  procurer  une,  et,  pour  avoir  du 
fil,  on  en  tira  de  «quelques  chijGfons  de  soie,  restes  des  habita 
de  la  chrétienne  morte  en  prison. 

Craignant  de  perdre  la  mémoire  des  jours  de  la  semaine, 
j'écrivis  sur  le  mur,  au  moyen  d'un  morceau  de  charbon,  le^ 
dimanches  à  mesure  qu'Us  se  présentaient.  Une  fois,  nous 
^vons  failli  nous  tromper  pour  les  dimanches  du  carême. 
Heureusement  je  me  rappelais  que,  cette  année,  Pâques  arri- 
vait le  21  avrit,  le  19  de  la  3"°e  lune. 

Après  ce  coup  d'œil  sur  l'ensemble  de  Ift  prison,  reprenons 
le  récit  des  faits. 

VIII 

Pour  quel  motif  nous  avait-on  transportés  au  tribunal  de 
gauche  î  Pour  quel  motif  m'avait-on  mis  en  prison  ?  Jus- 
qu'ici il  m'a  été  impossible  de  la  savoir.  Nous  ne  pouvions  rien 
.faire,  nous  n'avions  rien  à  faire  qu'à  conserver  notreâme  unie 
à  Dieu,  notre  volonté  soumiseà  sa  sainte  volonté  et  à  nous  tenir 
prêts  à  paraître  devant  sa  divine  Majesté,  quand  il  voudrait  et 
de  la  manière  qu'il  le  voudrait.  Nous,  penchions  à  espérer  que 
<a  serait  bi^tôt,  lorsque,  le  21  mars  au  matin,  circula  tout-à- 
coup  un  bruit  bien  propre  à  exciter  les  imaginations.  .  On 


—  206  — 

disait  que  la  reine  venait  d'avoir  tin  enfant  Dès  lors.  \t 
plupart  des  prisonniers  s'attendaint  à  être  graciés  ou  à  obte- 
nir une  diminution  de  peines  ;  et,  d'après  la  loi  on  la  cou- 
tume, à  partir  de  ce  jour  et  pendant  les  cent  jours  gui  suivent, 
on  ne  peut  faire  aucune  exécution,  ni  appliquer  les  cou- 
pables à  la  question  ou  à  la  torture.  Dans  le  courant  de  la 
journée,  ce  bruit  fut  confirmé.  La  reine  Min,  femme  du  roi 
actuel,  était  accouchée  d'un  garçon  ;  c'était  son  second  fils,. 
le  frère  du  prince  héritier  présomptif  qui,  deux  ou  trois  ans- 
auparavant,  avait  été  reconnu  par  le  gouvernement  chinois- 
comme  devant  succéder  à  son  père.  Je  donne  ces  détails 
parce  que  le  roi  a  plusieurs  autres  enfants  d'autres  femmes^ 

Les  procédures  cessèrent,  et  l'on  ne  fit  plus  d'exécution; 
mais,  de  temps  à  autre,  l'on  amenait  de  nouveaux  prisonuiers- 
Nous  en  vîmes  un  jour  arriver  un  qui,  la  figure  pâle,  couvert 
de  poussière  et  de  boue,  portait  une  petite  cangue  passée  au 
cou.  C'était  notre  courrier  de  Pyenmoum.  J'eus  de  la  peine 
à  le  reconnaître,  tant  il  était  changé.  Arrêté  au  commence- 
ment de  janvier,  il  avait  été  appliqué  à  une  rude  torture,  et 
on  l'avait  envoyé  subir  son  jugment  à  la  capitale.  On  le  fit 
entrer  dans  le  cachot  des  voleurs  où,  faute  de  soins  et  de 
nourriture,  il  s'affaiblit  de  plus  en  plus.  Nous  le  revîme» 
plusieurs  fois,  quand  on  permettait  aux  voleurs  de  sortir  dans- 
la  cour  ;  nou3  pûmes  même  lui  faire  passer  un  peu  de  ri». 
Un  matin  du  mois  de  mai,  nous  le  vîmes  encore,  et  le  soir 
du  même  jour,  son  corps  était  jeté  dans  la  chambre  aux  ca- 
davres. Cependant  le  chef  des  satellites  eut  des  doutes,  puis- 
que dans  la  soirée  il  envoya  voir  si  vraiment  il  était  mort; 
le  geôlier  répondit  affirmativement;  néanmoins,  le  chef  don- 
na ordre  de  mettre  ce  cadavre  aux  entraves,  sans  doute  parce- 
qu'il  était  chrétien. 

Le  20  avril,  on  nous  amena  une  dame,  âgée  de  soixante» 
dix  ans  environ  j  qui  prit  place  au  fond  du  cachot  En  entrant^ 
elle  jeta  sur  nous  un  regard  de  mépris  et  parut  très-étonnée- 
qu'on  la  mit  en  telle  compagnie.  "—  Oh  î  dit-elle,  je  ne  to 
pas  rester  ici  longtemps.  C'est  par  erreur  qu'on  m'a  amenée; 
car  moi,  je  ne  suis  pas  une  voleuse,  encore  moins  une  h(^ 
tjyou-àkn  (nom  injurieux  que  les  païens  emploient  pour  défi* 
gner  les  chrétiens).'*  Elle  refusa  la  nourriture  de  la  prison  et 


—  207  — 

^6  fit  apporter  du  vin.  Tout  alla  bien  tant  qu'elle  eut  de 
Targent  ;  elle  se  n;u>atrait  arrogante,  hautaine  ponr  les  chré- 
tiens qu'elle  allait  jusqu'à  injurier.  Cependant  ses  affaires 
tournèrent  mal,  elle  ne  recevait  plus  rien  du  dehors,  et  ç^nfln 
elle  fut  prise  de  la  fièvre  typhoïde.  lies  trois  chrétiennes  se 
dévouèrent  pour  la  soigner  jour  et  nuit,  malgré  son  mauvais 
caractère,  ses  mépris  et  ses  injures.  Elle  resta  cinq  jours  sans 
connaissance,  et,  comme  personne  du  dehors  ne  s'occupait 
d'elle,  elle  serait  infailliblement  morte.  Plus  tard  elle  recon- 
nut ses  torts  et  fit  ses  excuses.  Lorsque  je  sortis  elle  était 
encore  en  prison. 

L'arrivée  d'un  nouveau  prisonnier  cause  toujours  une 
'émotion  pénible  ;  au  contraire  l'élargissement  d'un  détenu 
-cause  une  joie  générale,  et  chacun  félicite  l'heureux  partant. 
Quand  un  prisonnier  arrive,  le  soldat  qui  le  conduit  pousse 
A]n  grand  cri  à  la  porte  de  la  cour  du  tribuna).  en  disant  : 
*' — Un  criminel  est  introduit,"  Un  jour,  vers  le  milieu  du 
.  mois  mois  d'avril,  ce  cri  désagréable  arrive  à  nos  oreilles. 
Quelques  instants  après,  on  introduit  trois  prisonniers  ;  dès 
les  premiers  mots,  nous  apprenons  que  ce  ne  sont  pas  des 
chrétiens.  Ils  sont  jetés  dans  le  cachot  des  voleurs  et  mis 
aux  fers.  Nous  entendons  le  bruit  des  coups  de  gourdin 
qu'on  leur  administre,  les  cris  de  douleur^  les  gémissements 
des  victimes  qui  font  des  soubresauts,  de  manière  à  soulever 
les  deux  grosses  pièces  de  bois  dans  lesquelles  ces  infortunés 
ont  les  jambes  prises.  Après  cette  scène^  un  gardien  vint 
dans  notre  cabanon  et  dit  :  "  — Ah  !  ceux-là  ne  sortiront  pas 
privants  d'ici,  ils  ont  battu  un  satellite.  " 

Deux  jours  après,  un  bonze  est  introduit  de  la  même  mani- 
ère ;  puis  on  le  transporta  du  cachot  des  voleurs  dans  le  caba- 
non des  prisonniers  pour  dettes  où  il  fut  pris  de  la  fièvre 
typhoïde  Les  détenus  de  ce  compartiment  le  firent  alors 
déposer  dans  le  nôtre.  Pendant  huit  jours,  il  demeura  comme 
mort  ;  nous  fimes  ce  que  nous  pûmes  pour  le  soigner,  mais 
nous  manquions  de  tout.  Peu  à  peu  il  revient  à  la  vie.  Il 
f  araissaint  doux,  calme  et  parlait  peu  ;  il  était  difiicile  de 
trouver  en  lui  un  grand  criminel.  Il  nous  raconta  son  bis- 
Itoire. 

A  l'âge  de  douze  ans,  il  était  entré  chez  les  bonzes  où  il 


—  208  — 

s'adonna  à  Fétudé  des  caractères  <^hînûis  ;  il  apprit  eosnîtei 
faiiiB' les  fleurs  aTtiflcielles,  et,  depuis  deux  ans,  il  se  livrait  à 
l'étude  de  la^inturie.    11  était  dans  sa  bonzerie,  travaaiant 
à  un  tableau,  lorsque  leis  satellites  le  saisirent  et  le  condui- 
sirent en  prison.   Voici  à  quelle  occasion.    Son  maître  ayant 
acheté  à  deà  voleurs  des  objets  volés,  les  satellites  allèrent 
pour  le  prendre.    Ne  le  trouvant  pas,  ils  prirent  ce  jeune 
hdmine.    Ils  voulurent  arrêter  ans^  quelques  personnes  du 
rillage.    Mais  ils  rencontrèrent  de  la  résistance.    Ils  firent 
cependant  trois  prisonniers  :  ce  sont  ceux  dont  j*ai  parlé^ 
plus  haut.    Souvent  j'ai  pu  les  voir  dans  la  cour  :  c'étaient 
de  braves  gens,  fortis  et  vigoureux  ;  leurs  habits  portaient 
de  larges  taches  du  sang  qu'ils  avaient  perdu  sous  les  coups- 
reçus  en  prison.    Plus  taM,  on  a  reconnu  que  tous  étaient 
innocents,  et,  après  un  mois  de  prison,  on  les  a  renvoyés,, 
sans  indemnité,  bien  entendu.    Telle  est  la  justice  en  Corée- 
A  cette  époque  aussi,  se  présenta  un  prisonnier  volontaire 
nommé  Pack,  âgé  de  vingt  ans.  —  "  J'ai  appris,  dit-il,  que 
vous  àve^  arrêté  l'évêque,  mon  ihaitre,  et  que  vous  arrêtez 
les  chrétiens  :  eh  bien  !  moi  aussi  je  suis  chrétien.    Vous 
n'avez  pas  pu  me  prendre,  je  vietis  me  présenter,  je  suis 
chrétien  depuis  Tenfance.    Mon  père  et  ma  mère  ont  été  tués 
par  vous  en  1868;  je  n'avais  que  dix  ans,  mais  j'ai  retenu 
leurs  instructions.    J'honore  Dieu,  créateur  du  ciel  et  de  la 
terre  ;  c'est  lai  qui  gouvei*ne  tout,  qui  nous  donne  la  nourri- 
ture et  qui  nous  conserve  la  vie  j  il  a  souffert  pour  nous; 
moi  aussi  je  veux  souÉfrir  pour  lui,  je  ne  désire  rien  tant  gue 
d'endurer  vos  tortures  ;  faites-moi  souffrir  de  la  faim,  de  la 
soif;'  brisez-moi  les  bras,  les  jambes;  ma  vie  est  à  Dieu."" 
Les  satellites  le  prirent  d'abord  pour  un  fou  et  voulurent  le 
renvoyer  ;  mais  il  insista.    On  le  chassa  ;  il  revint,  toujours 
sollicitant  là  faveur  d'être  admis  à  souffrir.    Enfin  le  juge 
donna  l'ordre  de  l'admettre.    Depuis  soii  enfance^  il  n'avait 
vu  aucun  missionnaire  et  ne  connaiissâït  pas  les  chrétiens; 
ihais  il  savait  que  ses  parents  étaient  morts  pour  Dieu^  et  il 
voulait  faire  comme  eux.    Les  sateBites  vinrenrt  plusieurs 
fois  me  parler  de  lui  ;  ils  louaient  sa  douceur  et  sa  bonté. 
Il  resta  deux  jours  dans  notre  cabanon  ;  il  fut  mis  ensuite 
avec  les  voleurs,  ne  fut  jamais  appliqué  à  la  torture  ;  mais,. 


~  209  — 

comme  les  antres,  il  eut  beaucoup  à  souffrir  de  la  faim.  Le9 
gardiens  s'amusaient  de  sa  simplicité  et  lui  faisaient  réciter 
ses  prières,  les  commandements  de  Dieu,  etc.  Â  mon  départ^ 
il  était  encore  dans  ce  cachot. 

De  temps  en  temps,  iious  voyions  passer  sous  nos  yeux 
dés  cadavres  de  voleurs,  morts  de  faim,  de  misère  ou  de  mala- 
die. Quand  un  voleur  est  malade,  on  se  garde  bien  de  lui 
procurer  des  remèdes  ou  quelque  adoucissement.  Sa  maladie- 
ne  lui  donne  aucun  privilège  et  ne  le  met  pas  à  l'abri  des- 
coups. On  le  laisse  s'éteindre,  sans  même  lui  ôter  ses- 
entraves.  Quatre  voleurs,  présidés  par  un  gardien,  le  saisis- 
sent alors  par  les  pieds  et  par  les  mains  et  le  transportent 
dans  la  chambre  des  morts.  La  nuit,  des  employés  inférieurs- 
viennent  prendre  le  cadavre,  le  cachent  dans  un  paillasson^ 
et  vont  le  jeter  en  dehors  des  murs  de  la  ville. 

Le  grand  juge,  paraît-il,  s'ennuyait  de  ses  vacances  ;  les- 
voleurs  s'entassaient  dans  la  prison  et  il  n'y  avait  pas  de- 
procédures.  Aussi,  au  lieu  d'attendre  l'expiration  des  cent 
jours,  on  nous  annonça  que  les  affaires  reprendraient  après* 
le  quarantième  jour.  C'était  donc  le  l^i*  mai  qu'on  allait 
recommencer  à  interroger,  torturer,  supplicier,  étrangler,  etc.- 

On  s'en  prit  tout  d'abord  à  un  voleur  nouvellement  arrivé^ 
qui  avait  été  dénoncé  et  arrêté  par  un  satellite  son  cousîfi. 
Le  3  du  mois  de  mai,  les  geôliers  ouvrirent  la  porte  de  la' 
chambre  des  cadavres  et  y  passèrent  une  corde  dont  l'extré- 
mité restait  en  dehors.  Jean  me  dit  qu'on  allait  étrangler 
quelqu'un.  Qui  est-ce  ?  Personne  ne  le  savait  et  chacun 
pouvait  penser  à  soi.  Quelques  instants  après,  on  ferma  le» 
portes  de  tous  les  cachots.  C'était  vers  le  temps  du  repas  du 
soir;  les  gardiens  entrèrent  dans  la  prison  des  voleurs  et- 
dirent  à  ce  malheureux  :  " — Viens,  on  va  t'élrangler."  A. 
cette  parole  foudroyante,  les  voleurs,  bien  qu'habitués  à  ces- 
sortes  d'exécutions  et  dévorés  par  la  faim,  laissèrent  tous  leur 
tasse  de  riz.  Le  condamné  est  conduit  dans  la  chambre.  Oi> 
lui  passe  la  corde  au  cou,  on  ferme  la  porte  ;  puis  quatre- 
gardiens  saisissent  l'extrémité  de  la  corde,  et,  sans  éitiotion^ 
tirent  comme  des  matelots  hissant  une  voile.  Lorsqu'ils  ont 
bien  serré,  ils  attachent  la  corde  à  un  morceau  de  bois  ;  l'exé- 
cution était  faite.    Deux  heures  après,  un  jeune  gardieii 


—  210  — 

^Ua  regarder  par  la  feate  de  la  porte  et  dit  en  riant  :  " — ^11 
remue  encore  les  jambes.''  On  serra  de  nouveau  la  corde. 
Cette  exécution  se  fit  en  silence  ;  on  n'entendit  aucun  cri, 
aucun  soupir  de  la  victime.  C'est  ainsi  que  des  centaines, 
pour  ne  pas  dire  des  milliers  de  chrétiens  ont  été  exécutés, 
pendant  la  persécution  de  1866  et  1868.  Le  soir  on  ouvrit 
•la  porte.  Aussitôt  tous  les  prisonniers  païens  se  mirent  à 
cracher  avec  force  ;  c'était  pour  empocher  l'âme  du  supplicié 
de  venir  habiter  la  prison.  Nous  avions  avec  nous  deux  sor- 
cières qui  se  firent  surtout  remarquer  en  cette  circonstance  ; 
pendant  plus  de  trois  minutes,  elles  jetèrent  de  la  saUve  du  côté 
de  la  porte,  et  cela  avec  le  plus  grand  sérieux  du  monde. 

Disons  quelques  mots  des  sorcières  (manstang).  Leur  fonc- 
tion est  de  dire  la  bonne  aventure,  et  surtout  de  chasser  les 
maladies  ;  on  les  appelle  principalement  pour  la  petite  vérole. 
.Elles  se  présentent  avec  des  habits  de  diverses  couleurs  et 
avec  un  tambour  qu'elles  frappent  en  récitant  des  formules, 
d'abord  sur  un  ton  lent,  puis  sur  un  ton  accéléré.  S'armant 
d'un  sabre,  dont  la  lame  est  de  bois  argenté,  taché  d'une 
xîouleur  rouge  qui  imite  le  sang,  elles  s'élancent,  frappent 
l'air  à  droite,  à  gauche,  vont,  viennent,  crient,  hurlent  en 
gambadant,  et,  lorsqu'elles  sont  épuisées,  le  mauvais  génie 
doit  être  expulsé. 

Il  prit  fantaisie  au  préfet  de  police  de  chasser  toutes  les 
sorcières  de  la  capitale.  Quelques-unes  se  cachèrent  et,  pen- 
dant la  nuit,  exercèrent  leurs  fonctions  qui  sont  assez  lucra- 
tives. Les  satellites  se  mirent  à  leur  poursuite  et  en  arrè- 
.tèrent  successivement  un  certain  nombre  ;  j'en  ai  vu  une 
quinzaine.  On  les  laissait  sept  ou  huit  jours  en  prison  et  on 
les  renvoyait  ensuite.  Toutes  furent  déposées  dans  notre 
cabanon.  En  arrivant,  c'étaient  des  lamentations,  des  pleursi 
.un  chagrin  qui  allait  jusqu'à  leur  faire  refuser  toute  nourri- 
ture; mais  elles  n'étaient  pas  longtemps  à  se  remettre,  et, 
comme  elles  pouvaient  se  procurer  ce  qu'elles  voulaient  par 
le  moyen  de  leurs  familles,  elles  faisaient  généralement  bom^- 
hance.  Du  reste,  elles  étaient. généreuses  et  toutes  parta- 
geaient avec  les  chrétiennes  ce  qu'elles  recevaient  Elles 
m'offrirent  même  plusieurs  fois  du  vin  de  riz;  je  refusai 
.Jean,  qui  n'avait  pas  les  mômes  raisons,  put  accepter  ainsi 


—  211  — 

quelques  tasses  de  vin.  J'en  ai  vu  de  toutes  sortes,  de 
vieilles,  de  jeunes,  de  tristes,  de  gaies,  etc.  ;  les  unes  se 
tenaient  assez  bien,  les  autres  étaient  d'un  laisser-aller 
effrayant.  Mais,  pour  toutes,  quel  contraste  avec  la  modestie 
de  nos  chrétiennes  qui,  par  leur  charité,  s'attiraient  la  bien- 
veillance et  l'affection  de  ces  femmes  toujours  en  guerre 
entre  elles. 

J'eus  aussi  Toccasion  de  voir  dans  la  prison  quatre  saltim- 
banques ou  comédiens  :  c'étaient  des  êtres  dégradés,  hideux, 
passant  leur  temps  à  jouer.  Les  prisonniers  pour  dettes 
étaient  nombreux.  A  cette  époque,  le  nombre  total  des  déte- 
nus s'élevait  à  soixante-cinq. 

IX 

Depuis  la  reprise  des  affaires,  nous  pensions  qu'on  s'occu- 
perait de  nous  et  qu'on  ne  nous  laisserait  pas  pourrir  dan» 
le  cachot.  Un  soir,  le  11  du  mois  de  mai,  j'entendis  la  jeune 
chrétienne  qui  disait  à  Jean  : 

«  —  Dites-le  donc  à  l'êvêque. 

«  —  Qu'y  a-t-il,  demandai-je  ? 

«  —  L'êvêque  le  saura  demain,  répondit  Jean. 

«  —  Et  pourquoi  ne  pas  me  dire  ce  soir  une  chose  que 
vous  savez  tous? 

«  —  L'ordre  du  gouvernement  est  arrivé.  L'êvêque  et  moi 
devons  être  conduits  en  dehors  des  murs  pour  avoir  la  tête 
tranchée;  les  chrétiens  seront  tous  étranglés  là,  vis-à-vis,, 
dans  la  chambre  des  cadavres;  il  n'y  a  que  la  jeune  chré- 
tienne que  le  geôlier  refuse  d'étrangler;  il  lui  donnera  un 
breuvage  pour  l'empoisonner.  C'est  une  chose  certaine,  et 
tout  doit  être  fini  pour  le  16.  » 

Cet  avis,  venant  du  chef  geôlier,  ne  devait,  en  effet,  ne 
nous  laisser  aucun  doute.  Nous  n'avions  plus  qu'à  nous 
préparer  immédiatement  à  la  mort.  Comme  nous  avions^ 
toujours  quelques  païens  avec  nous,  je  ne  pouvais  confesser 
les  chrétiens.  Je  leur  fis  dire  de  se  préparer  et  que,  le  len- 
demain, je  leur  donnerais  une  absolution  générale. 

Le  lendemain  matin,  dimanche  12  mai,  en  ouvrant  les 
portes,  on  retira  un  cadavre  de  la  prison  des  voleurs  ;  c'était 


—  212  — 

celui  d'un  chrétien  mort  pendant  la  nuit  «Tappris  alors  que 
la  veille,  étant  malade,  il  avait  demandé  un  peu  d'eau  ;  le 
gardien,  pour  tout^  réponse,  lui  avait  asséné  force  coups  de 
tâton,  à  la  suite  desquels  il  avait  rendu  Pâme.  Peut-âtre 
tuerait-on  tous  les  chrétiens  ainsi.  Vers  neuf  heures,  je  fis 
signe  que  j'allais  donner  Tabsolution  à  tous  les  chrétiens  de 
la  prison  ;  malheureusement  il  nous  était  impossible  d'aver- 
tir ceux  qui  se  trouvaient  avec  les  voleurs.  Les  chrétiens  se 
recuillent,  et  je  prononce  U  formule  d'absolution. 

Deux  heures  après,  on  retire  un  autre  cadavre  de  la  prison 
4es  voleurs  ;  c'est  encore  un  chrétien  mort  de  faim,  de  mi- 
sère et  de  mauvais,  traitements.  Jean  pouvant  me  parler 
assez  facilement,  j'entendis  à  moitié  sa  confession.  Chacun 
£e  recueillit  davantage  pour  passer,  dans  la  retraite  inté- 
rieure, les  derniers  instants  qui  nous  restaient  à  vivre.  Les 
païennes,  qui  se  trouvaient  avec  nous,  respectaient  notre 
silence,  et,  quand  elles  parlaient,  c'était  pour  blâmer  la 
cruauté  du  gouvernement  è  l'égard  de  ces  pauvres  femmes 
chrétiennes,  qu'elles  ne  connaissaient  que  depuis  quelques 
jours,  mais  qu'elles  estimaient,  qu'elles  aimaient  et  qui 
toutes  montrèrent  en  cette  circonstance  un  grand  courage. 
On  parlait  alors  ouvertement,  dans  la  prison  et  même  au 
dehors,  de  la  décision  prise  à  notre  égard. 

Le  lundi  13,  vers  quatre  heures,  un  employé  apporta  la 
corde  à  étrangler  et  la  suspendit,  devant  nos  yeux,  à  la.porte 
de  la  chambre  d'exécution.  Evidemment  on  allait  com- 
mencer. Je  me  tenais  prêt  à  donner  une  dernière  absolu- 
tion à  nos  chrétiens,  à  mesure  qu'ils  paraîtraient  ;  je  me 
tenais  moi-môme  prêt  à  marcher  à  la  mort.  'Dans  quelques 
instants  je  pouvais  échanger  cette  prison  pour  le  ciel,  voir 
Dieu,  la  sainte  Vierge,  les  anges,  les  saints,  posséder  un 
bonheur  sans  limites,  sans  an  1  Quel  moment  solennel  dans 
la  vie  1 

Vers  cinq  heiires^le  chef  geôlier  entre  dans  notre  cabanon 
et,  s'asseyant,  il  nous  dit  tout-à-coup:  «—Quelle  catastrophe! 
on  vient  de  recevoir  l'ordre  d'étrangler  ce  soir  Kim-t]so-si.  • 
Kim-tjso-si  était  un  fonctionnaire  chargé  de  recueillir  les 
impôts  de  sa  province.  Sur  ses  comptes  se  trouvait  un  dé- 
iicit  de. plus  de  100,000  francs;  depuis  deux  moiSi  il  était  en 


—  213—  / 

prison  ;  malgré  sa  graade  fortune,  il  ne  put  réu83ir  à  payer 
<cette  dette  au  gouvernement.  Le  juge  ennuyé  d'attendre, 
après  ravoir  plusieurs  fois  torturé,. venait  de  donner  Tordre 
de  le  mettre  à  mort.  En  quelques  instants,  les  préparatifs 
sont  faits;  le  geôlier  en  chef  avertit  cet  inl[ortuné  que  1^  mo- 
ment est  arrivé.  J'entends  le  geôlier  qui,  en  traversant  la 
-cour,  lui  dit  :  «  —  Venez  ;  n'ayez  pas  peyr,  nous  aUpna  vous 
faire  cela  d'une  belle  manière,  avec  tous  les  égards  possibles.  » 
Trois  minutes  après,  il  ne  restait  plus  qu'un  cadavre  é^ams  la 
chambre  des  morts. 

Cet  événement  fut  un  coup  de  foudre,  surtout  pour  les 
prisonniers  pour  dettes,  qui  jusqu'alors  avaient  été  épargnés. 
Bientôt  on  ouvrit  la  porte,  et  nous  vîmes  tous  ces  pauvres 
païens  effrayés,  qui  s'épuisaient  à  cracher,  pour  chasser 
rame  du  supplicié  et  l'empêcher  de  leur  nuire.  Cela  prouve 
-du  moins  qu'ils  croient  a  l'^istence  de  l'âme.  Le  corps  fut 
réclamé  par  la  famille,  qui  le  fit  transporter  en.  province 
pour  le  déposer  dans  le  tombeau  des  ancêtres.  Tous  ceux 
qui  connaissaient  le  défunt  disaient:  «  —  Il  est  malheureux^ 
mais  il  n'est  pas  coupable.  » 

Le  mardi  matin,  nous  nous  disions  :  « — C'est  peut-être  pour 
aujourd'hui.  »  Cette  journée  et  les  deux  suivantes  passèrent 
sans  incident  Avait-on  encore  changé  de  sentiment  à  notre 
sujet  ?  Nous  l'ignorons. 

Jean  s'affaiblissait  de  plus  en  plus;  il  était  souvent  ma- 
lade. Moi-même,  je  me  sentais  très-affaibli  ;  les  satellites 
•qui  venaient  nous  voir  en  faisaient  la  remarque.  Dans  les 
premiers  temps  je  pouvais  prendre  un  peu  l'air  et  faire  quel- 
ques pas  dans  la  cour;  mais  les  prisonniers  étaient  devenus 
si  nombreux  qu'il  était  impossible  de  circuler.  De  plus,  la 
chaleur  commençait  à  se  faire  sentir,  notre  cachot  devenait 
4e  plus  en  plus  inhabitable,  surtout  lorsque  l'on  eut  mis 
chez  nous  trois  femmes  de  voleurs,  dont  deux  avaient  de$ 
petites  filles  de  deux  à  trois  ans.  Ces  femmes  étaient  ren^ar* 
«quables  par  leur  malpropreté,  leur  caractère  acariâtre  et  leur 
4enue  plus  qu'inconvenante. 

Vers  cette  époque  aussi,  un  chef  de  satellites  vint  me  dire  : 

^' — On  n'a  pas  de  nouvelles  des  Pères  ;  on  ne  peut  pa^^  le^ 


—  214  — 

trouver.    Je  crois  qtie  c'est  inutile  de  les  chercher,  ils  sont 
certainement  partis.  Qu'en  pensez-vous  ? 

"—loi  je  ne  puis  rien  savoir,  n'ayant  pas  de  communica- 
tion  avec  l'extérieur;  mais,  vu  la  difficulté  de  rester  dans  le- 
pays,  ils  pourraient  bien  être  partis. 

" — Oui,  oui,  c'est  mon  sentiment  ;  je  crois  qu'il  est  biei> 
inutile  de  les  chercher. 

" — Et  moi  aussi,  ajoutai-je  ;  vous  y  perdrez  votre  temps  et 
votre  peine." 

De  temps  à  autre,  quelques  satellites  venaient  à  la  prison^ 
Un  jour,  il  en  vint  un  que  je  ne  connaissais  pas.  Il  m'adressa 
la  parole  d'une  manière  inconvenante  ;  je  ne  lui  répondis 
pas.  "—Comment  î  coquin,  me  dit-il,  tu  ne  me  réponds  pas^ 
et  tu  oses  rester  assis  devant  moi  î  Tiens,  regarde  donc^ 
ajouta-t-il,  en  me  montrant  sa  plaque  de  satellite  ;  tu  sais^ 
maintenant  qui  je  suis  ?  "  Môme' silence  et  môme  immobilité- 
de  ma  part.  Il  se  retira  furieux  en  répétant  ses  injures.  Le 
chef  geôlier  vint  quelques  instants  après.  Les  prisonniers,, 
indignés,  lui  racontèrent  ce  qui  s'était  passé.  '* — Quel  est 
celui  qui  a  pu  dire  de  telles  choses  à  l'évèque  ?  dit-il.  Qui 
oserait,  ici,  adresser  de  telles  injures  à  un  homme  que  nou» 
estimons  tous  ?  "  Bientôt  les  autres  satellites  vinrent  me? 
faire  des  excuses. 

Ainsi  les  jours  se  passaient,  et  rien  de  nouveau  ne  se  pré- 
sentait. De  temps  à  autre  seulement  on  entendait  le  cri  sinis- 
tre des  valets  qui  introduisaient  de  nouveaux  prisonniers- 
Cette  impression  douloureuse  était  compensée  assez  souvent 
par  le  cri  des  mômes  valets  annonçant  qu'un  prisonnier  était 
mis  en  liberté.  Tout  le  monde  alors  se  réjouissait  ;  cette  déli- 
vrance donnait  de  l'espoir,  et,  par  un  retour  bien  naturel,^ 
chacun  pensait  à  soi.  Quand  un  prisonnier  riche  sortait,  il 
faisait  ordinairement  cadeau  aux  voleurs  pauvres  de  quelques 
boisseaux  de  riz.  A  la  prison,  c'était  grand  gala  ;  on  faisait 
double  cuisine  ;  le  cuisinier  était  un  voleur,  et,  dans  ces  cir-. 
constances,  il  ne  manquait  jamais  d'offrir  un  sacrifice. 
Lorsqu'on  apportait  la  table  de  riz,  le  cuisinier  en  prenait 
iine  cuillerée  qu'il  remettait  à  un  employé  ;  celui-ci  allait 
déposer  ce  riz  auprès  d'une  peinture  dans  l'intérieur  d» 
cachot  des  voleurs  ;  puis  il  en  prenait  une  autre  qu'il  allait 


—  215  — 

jeter  à  travers  les  barreaux  de  la  chambre  des  exécutions  eu 
récitant  cette  formule  de  prière  adressée  au  démon  du  lieu  : 
^' — Faites  qu'un  tel  sorte  bien  vite..."  Si  le  sacrifice  était 
général,  il  criait  :  '^ — Faites  que  tous  les  prisonniers  sortent 
demain  matin. — Non J  non!  criaient  les  païens,  ce  soir,  ce 
soir  I  "  Et  le  sacrificateur  de  reprendre  :  " — Faites  qu'ils 
sortent  tous  ce  soir,  qu'il  n'en  reste  pas  un  seuil  "  Tout  cela 
se  faisait  en  riant,  en  plaisantant,  en  gambadant,  et  cepen- 
dant ils  n'osaient  pas  se  dispenser  de  cette  simagrée.  Les 
sorcières  surtout  n'y  manquaient  jamais;  elles  auraient 
tremblé  de  l'omettre,  comme  elles  tremblaient  la  nuit 
lorsqu'on  éteignait  la  lumière.  Elles  voient  des  lutins,  des 
diables  partout,  et  elles  en  ont  une  peur  terrible,  elles  que 
l'on  appelle  pour  chasser  les  mauvais  génies. 

A  là  fin  du  mois  de  mai,  nous  eûmes  des  jours  d'une 
chaleur  étouffante  ;  l'air  ne  circulait  pas  dans  notre  cabanon, 
et  je  sentais  qu'il  me  serait  difficile  de  passer  l'été  en  ce  lieu. 
Jean  était  souvent  malade.  S'il  venait  à  mourir,  que  devien- 
4rai-je  ?  Son  âge  et  sa  sagesse  lui  donnaient  une  certaine  auto- 
rité. Il  était  le  roi  de  notre  cachot  ;  de  plus,  il  me  servait  de 
barrière  avec  tout  ce  monde,  et,  comme  étranger,  je  me 
cachais  derrière  lui  le  plus  possible.  Par  prudence,  je  ne 
parlais  qu'à  lui  seul.  De  son  côté,  Jean  était  sobre  de  paroles 
et  agissait  avec  beaucoup  de  retenue  et  de  prudence. 

Nous  avions  tojours  nos  habits  d'hiver,  des  ha'bits  que 
nous  portions  depuis  cinq  mois;  ils  étaient  sales,  infects 
presque  pourris.  J'avais  plusieurs  fois  demandé  d'autres 
habits  ;  on  m'avait  promis  d<e  m'en  donner,  mais  nous  avons 
attendu  en  vain.  Nous  dûmes  enlever  le  coton  dont  ils  étaient 
bourrés,  ce  qui  les  rendit  un  peu  plus  légers  sans  les  rendre 
moins  malpropres.  La  vermine  continuait  à  nous  dévorer  et 
notre  paille  était  infecte. 

Ces  détails  vous  font  voir  dans  quelle  position  je  me 
trouvais.  Que  de  fois  j'ai  pensé  au  pape  saint  Marcel,  con- 
damné par  Mexence  à  vivre  dans  une  étable  et  à  prendre 
soin  des  bêtes  !  Ce  souvenir  me  fortifiait  Puis  plus  récem- 
ment, n'avais-je  pas  l'exemple  de  mes  prédécesseurs,  trois 
•évoques  et  de  nos  confrères,  qui  avaient  passé  par  cette  prison 
-construite  depuis  plus  de  cinquante  ans  ;  peut-être  avâient-ils 


—  216  — 

habité  le  même  cachot  ;  si  ces  murs  avaient  pu  parler,  que 
de  choses  j'aurais  apprises  !  Pouvais-je  ne  pas  penser  à  tant 
d'autres  évoques  emprisonnés  en  Russie,  en  Allemagne,  au 
Brésil?  Mgr  de  Macédo,  mon  ami,  mon  condisciple  à  Saint- 
Sulpice,  avait-il  été  traité  mieux  que  moi  par  ses  geôliers  ?" 
Et  maintenant  que  me  voici  chassé,  exilé,  n'ai-je  pas  encore 
Pexemple  des  évoques  de  Suisse,  de  Pologne  ?  Toujours  et 
partout  la  persécution  !  Ce  ne  sont  pas  ceux  qui  souffrent  de 
la  sorte  qu'il  faut  plaindre  ;  il  faut  plaindre  leurs  bourreaux, 
il  faut  plaindre  ceux  qui  se  laissent  vaincre  par  la  persécu- 
tion. 

On  semblait  nous  avoir  oubliés  de  nouveau,  et  ne  plus 
penser  à  nous.  Cette  longue  incarcération  est  une  terrible 
épreuve  pour  les  chrétiens  ;  c'est  comme  un  long  martyre 
de  tous  les  jours  :  la  tête  se  fatigue,  le  corps  s'affaiblit,  le 
caractère  même  devient  difficile.  Une  foi  vive,  une  piété 
constante  et  surtout  une  humilité  sincère  peuvent  seules^ 
avec  la  grâce  de  Dieu,  soutenir  la  faiblesse  et  empêcher  de 
succomber  à  l'ennui,  au  découragement  Si  l'épreuve  est. 
pénible,  le  secours  de  la  grâce  se  fait  bien  sentir.  Les  chré- 
tiens qui  étaient  avec  moi  persévéraient  dans  la  prière,  la. 
confiance  en  Dieu  et  l'abandon  à  la  divine  Providence.  Cepen- 
dant on  les  entendait  dire  quelquefois  :  —  "  Jusqu'à  quand 
resterons-nous  donc  ainsi?  Si  Ton  veut  nous  mettre  à  mort,. 
ique  ce  soit  le  plus  tôt  possible."  A  d'autres  moments,  venait, 
l'espoir  que  peut-être  ils  seraient  relâchés;  le  souvenir  de 
leur  famille,  de  leurs  enfants,  de  leurs  parents,  se  présentait 
alors  comme  un  rêve  au  bout  duquel  se  trouvait  encore  la. 
prison,  toujours  la  prison,  une  prison  sans  fin.  Ils  priaient 
pour  leurs  parents  et  demandaient  pour  eux-mêmes  des  grâces^ 
de  force,  de  courage  et  de  persévérance. 

Le  31  mai,  lendemain  de  l'Ascension,  nous  apprîmes  que 
les  deux  préfets  de  police  devraient  venir  le  jouir  suivant  éta- 
blir leur  tribunal  dans  l'appartement  des  satellites,  anti- 
chambre de  la  prison.  C'était  une  bonne  nouvelle  :  que  pou- 
vait-il nour  arriver  de  plus  pénible  que  ce  séjour  prolonge 
dans  notre  cachot? 


—  217  — 


Le  lendemain,  t^r  juin,  un  grand  mouvement  se  fit  en 
dehors  de  la  prison.  Un  prisonnier  de  ços  amis  vient  nous 
dire  secrètement  que  je  dois  comparaître  encore  devant  les 
deux  juges,  venus  pour  m*interroger.  Quelques  instants  après, 
im  satellite  se  présente  et  m*invite  à  la  suivre.  Nous  traver- 
sons la  cour  ;  la  porte  de  la  prison  s'ouvre  et  je  me  trouve, 
entre  deux  haies  de  satellites,  en  présence  de  deux  juges.  Au- 
jourd'hui ils  sont  habillés  en  bourgeois.  Ils  portent  de  beaux 
habits  de  soie,  un  large  chapeau,  surmonté  d'un  bijou  en 
Jade  appelée  ok-non  ;  ils  tiennent  leur  éventail  à  la  main,  et, 
tranquillement  assis,  fument  dans  de  longues  pipes  le  bon 
tabac  des  provinces  du  nord.  Les  deux  rangs  de  satellites 
ne  se  composent  guère  que  de  chefs.  Ils  me  regardent  avec 
un  petit  air  de  protection  et  un  sourire  d'ancienne  amitié. 
De  quoi  s'agit-il?  Mille  pensées  me  traversent  l'esprit. 

On  me  fait  asseoir  sur  le  paillasson,  au  milieu  de  la  cour. 
Le  premier  juge  me  dit  : 

"—Comment  est  ta  santé  ?  As-tu  souffert  beaucoup  ?  comme 
tu  es  changé  !  " 

Et  tous  les  satellites  de  sourire  et  de  se  dire  entre  eux  : 

^' — C'est  vrai  ;  comme  il  est  pâle  et  maigre  1 

'^ — Je  suis  assez  bien,  répondis-je.  Comment  ne  souffri- 
rait-on pas  en  prison  ?  Je  il 'ai  pas  été  malade,  mais  je  suis 
faible  et  je  sens  que.  mes  forces  s'en  vont  de  jour  en  jour. 
Aussi  vous  feraije  remarquer  que,  exposé,  comme  je  le  suis 
ici,  à  un  soleil  ardent  que  je  n'ai  pas  vu  depuis  cinq  mois,  je 
pourrais  être  pris  d'tm  grand  mal  de  tête,  peut-être  môme 
d'une  insolation. 

*' — C'est  vrai,  dit  le  juge.  Qu'on  le  fasse  approcher  et  s'as- 
seoir, tout  près  de  nous,  à  l'ombre." 

Mon  jugement  ne  débutait  pas  trop  mal.  Le  juge  prit  une 
feuille  de  papier  qu'il  déploya  et  me  dit  : 

" — Connais-tu  Ni-yak-mang-i  ! 

" — Que  veut  dire  yak-mang-i  î 

" — Je  ne  sais,  je  ne  connais  pas  ce  nom." 

On  insista  beaucoup,  mais   impossible  de   donner  une 


—  218  — 

réponse.  Plus  tard  on  apprit  du  vieux  Jean  que  yak-man-î 
voulait  dire  Jean  en  chinois  ;  cette  explication  parut  leur 
faire  plaisir. 

" — Ni  yak-mang-i  est  un  chrétien  j  ne  le  connais-tu  pas  ? 

" — Non,  je  ne  sais  ni  d'où  est  ce  personnage,  ni  qui  il  est- 

" — Que  veut  dire  Paik-na-ri  î  Le  connais-tu  ? 

^^ — Non,  je  ne  le  connais  pas,  je  ne  sais  même  pas  si  c'est 
un  nom  d'homme  ou  de  lieu." 

On  resta  longtemps  pour  déchiffrer  ce  nom.  Je  ne  puis 
rapporter  toutes  les  questions  absurdes  qu'ils  me  Qrent  pour* 
avoir  un  éclaircissement  auquel,  paralt-il,  ils  attachaient  une 
grande  importance.    Bientôt  la  chose  tourna  au  comique  : 

" — Comment  se  prononce  ce  nom  dans  ta  langue  ? 

" — Il  m'est  impossible  de  vous  donner  la  prononciationr 
d'un  mot  que  je  ne  connais  pas. 

" — Mais,  en  français,  comment  prononcerais-tu  Paikna-ri  ? 

" — Eh  bien  I  je  le  prononcerais  Paik-na-ri. 

" — Non,  ce  n'est  pas  cela." 

Un  chef  des  satellites  s'approcha  et  me  dit  en  souriant  :. 

'^ — ^Toi,  tu  t'appelles  Pok-Myeng-i  en  coréen. 

''—Oui. 

"— Pok  veut  dire  Ilpe-ris-se. 

"—Oui,  Félix. 

"— Myeng-i  veut  dire  Ke-lai-ra. 
•  ''—Oui,  Clair. 

" — Eh  bien  !  dis-nous  de  la  même  inanière  ce  que  veut 
dire  Palk-na-ri. 

" — Faites-moi  voir  les  caractères. 

" — Ce  n'est  pas  nécessaire;  commeat  traduis-tu  Paik  en 
ta  langue  ? 

"—Mais  de  quel  Paik  voulez-vous  parler  7  (En  coréen,  l'un 
signifie  blanc^  l'autre  cent). 

" — Eh  bien  !  écris  ce  son  en  coréen." 

On  me  passa  un  pienceau  et  j'écrivis  seng  pour  cent 

" — Et  na^  comment  le  prononces-tu  en  français  T 

" — Na  est  un  pronom  qui  signifie  moû 

"—Ecris  cela." 

J'écrivis  en  coréen  moa  pour  moL  Le  chef  était  triom- 
phant ;  il  trouvait  que  tout  allait  bien. 


—  219  — 

^' — Et  H,  comment  se  dit-il  en  français  ? 

'^'— 11  y  a  beaucoup  de  ri  en  coréen  ;  duquel  voulez-vous 
parler  ? 

(< — Du  n,  la  mesure  pour  les  distances. 

"—En  français,  il  n'y  a  pas  de  ri;  mais  dix  ri  font  une 
lieue. 

" — Ecris  ce  mot." 

J'écris  en  coréen  rieu  pour  Imte^  le  mieux  possible.  tPavàis 
donc  écrit  Seng-moa-rieu.  Le™rand  juge,  qui  avait  suivi 
avec  beaucoup  d'intérêt  et  de  patience  tout  ce  petit  drame, 
iut  Seng-moaneu. 

" — Eh  bien  !  dit-il,  demandez-lui  s'il  connaît  un  person- 
nage de  son  pays  qui  s'appelle  Seng-moa-rieu  ?  " 

Jo  ne  pus  m'empêcher  de  rire,  et,  sans  avoir  besoin  d'in- 
terroger longtemps  ma  mémoire,  je  répondis  : 

" — Non,  je  ne  connais  personne  portant  ce  nom." 

Désappointement  général.  Evidemment  nous  avions  fait 
fausse  route. 

Cependant  ils  ne  se  découragèrent  pas,  et  nous  dûmes  pro- 
céder de  la  même  manière  pour  deux  ou  trois  autres  noms 
de  lieu  ou  de  personne  qu'ils  ne  connaissaient  pas  et  que  je 
ne  connaissais  pas  plus  qu'eux.  Le  résultat  eut  le  même 
succès.  Tout  l'interrogatoire,  qui  fut  assez  long,  se  passa  de 
la  sorte  à  expliquer  des  noms  que  personne  ne  connaissait. 

Généralement  les  noms  européens  sont  traduits  en  carac- 
tères chinois,  suivant  le  sens  ou  suivant  le  son  ;  bien  souvent 
même  on  se  contente  de  traduire  à  peu  près  la  première  syl- 
labe du  nom.  En  Chine,  pour  quelqu'un  qui  ne  connaît  pas 
la  personne,  il  est  difficile  de  trouver  le  nom  européen,  en 
voyant  seulement  les  caractères;  mais,  en  Corée,  où  souvent 
ces  caractères  ont  un  sens  différent  du  chinois,  la  difficulté 
devient  une  impossibilité.  Ainsi,  un  jour  que  je  racontais 
la  scène  du  Seng-moa-rieu,  un  confrère  présent  me  dit  que 
Paik-na-ri  pourrait  bien  être  le  nom  de  M.  Brenier  que  les 
Chinois  prononceraient  à  peu  près  Pai-re-ni.  Ce  ne  serait 
pas  Impossible,  d'autant  plus  que  le  juge,  vers  la  fin,  me  dit  î 

*' — Quel  est  le  nom  de  ton  ministre  actuellement  à  Péking? 

"—Le  ministre  de  France  actuellement  à  Péking  s'appelle 
le  vicomte  Brenier  de  Montmorand. 


—  220  — 

Tous  encore  essayèrent  de  le  prononcer  et  s'en  tirèrent 
^endidement  pour  le  seul  mot  Monimorand.  Mais  comme 
il  y  avait  loin  de  là  à  Paik-na-ri  !  Et  la  distance  n'était  pas 
moins  grande  avec  ma  tradnolion  Seng-moa-^Heu. 

'* — Connais-tu  ton  ministre  ? 

" — Oui,  je  le  connais  ;  je  Tai  vu  plusieurs  fois. 

" — Depuis  quand  est-il  à  Péking  ? 

"-rDepuis  deux  ou  trois  ana,'* 

La  conviorsation  languissait, le  juge  paraissait  ne  plus  savoir 
sur  quoi  m'interroger.    Je  profitai  du  silence  pour  lui  dire  : 

'' — Voilà  longtemps  que  je  suis  en  prison,  et  le  gouverne- 
ment ne  décide  rien.  Si  je  pouvais  voir  le  roi,  je  lui  ferais 
une  demande  ;  ne  pouvant  paraître  en  sa  présence,  je  prie- 
lâs  juges  de  vouloir  bien  lui  rapporter  mes  paroles.  Vous 
connaissez  assez  la  religion  pour  savoir  qu'elle  n'enseigne- 
que  le  bien,  qu'elle  apprend  aux  hommes  à  régler  leur  cooi- 
duite,  à  devenir  des  hommes  justes  et  de  bons  citoyens.  Jus- 
qu'ici on  l'a  prohibée,  sous  de  futiles  prétextes,  je  ne  sais  «e^ 
qu'en  pense  le  roi,  mais  j'ose  le  supplier  de  vouloir  bien  nous 
accorder  de  rester  en  Corée,  de  prêcher  et  de  répandre  la 
religion  ;  le  royaume  et  le  gouvernement  ne  peuvent  qu'en 
tirer  beaucoup  d'avantages.  Tel  est  le  grand  désir  de  mon 
cœur,  telles  sont  les  paroles  que  je  voudrais  dire  au  roi." 

Le  juge  Ni-kyeng-ha  me  regardait:  il  sourit  avec  mépris 
et,  d'un  ton  bref,  à  peine  articulé,  donna  Tordre  de  m'emme> 

ner. 

On  mé  reconduisit  en  prison.  Tous  les  prisonniers  avaient 
les  yeux  braqués  sur  moi  pour  tâcher  dé  deviner  la  décision 
du  juge.  La  décision,  je  ne  la  connaissais  pas,  et  j'ignorais 
presque  de  quoi  il  s'était  agi,  tant  cet  interrogatoire  m'avait 
surpris.  Je  soupçonnais  pourtant  qu'on  avait  reçu  quelque 
dépêche  du  dehors;  mais  d'où  venait-elle?  et  dans  quel  but? 
Je  racontai  à  Jean  ce  qui  venait  de  se  passer  :  il  ne  fut  pas 
peu  surpris.  Un  des  chefs  satellites  vient  de  la  part  de  juge 
me  demander  encore  de  nouvelles  explications  ;  il  questionna 
même  Jean  qui  n'en  put  donner  aucune  et  qui  perdit  ^on 
temps  à  faire  comprendre  que,  bien  qu'on  pût  connaître  le 
nom  européen  d'un  personnage,  il  ne  s'en  suivait  pas  rju'on 
sût  son  nom  chinois,  etc.    Les  juges  partirent;  l'un  se  reo- 


dit  au  palais  royal  et  Tautre  cbe2  le  grand  maître.  Puis  àla^ 
prison  tout  rentra  dans  le  calme. 

Il  y  avait' en  prison,  depuis  quelques  jours,  un  prétorietr 
de  la  ville  de  Y-y  (province  de  T-1).  Dès  son  arrivée,  il  vint" 
me  voir.  Il  me  dit  qu'il  avait  souvent  entendu  parler  de  lar 
religion  et  qu'un  grand  nombre  de  ses  amis  s'étaient  retiré» 
des  affaires  pour  la  pratiquer';  il  ajoutait  que  tous  étaient  de 
braves  et  horiiiôtes  gens  à  qui  on  ne  pouvait  rien  reprocher. 

" — Et  vous,  pourquoi  ne  la  pratiquez-vous  pas  ? 

'^ — Moi, 'répondit-il,  j'ai  tenu  à  ma  position,  je  n'ai  pa& 
voulu  quitter  ma  fortune,  je  continue  de  suivre  les  usages- 
de  notre  pays,  mais  j'estime  et  j'aime  les  chrétiens. 

" — En  a-t-on  arrêté  beaucoup  dans  votre  province  ? 

" — Non,  on  n'en  a  pas  .arrêté  un  seul,  on  ne  les  cherche 
même  pas  ;  du  reste,  à  quoi  bon  arrêter  des  gens  qui  ne  font 
de  mal  à  personne  ? 

" — Savez-vous  si  on  a  arrêté  des  Pères  ? 

*' — On  les  a  cherchés,  mais  il  a  été  impossible  de  les  trou- 
ver et  je  sais  que,  jusqu'à  ce  moment,  pas  un  seul  n'a  été 
arrêté." 

Ces  nouvelles,  qui  me  paraissaient  certaines,  me  firent  bien 
plaisir.  Il  est  rare  de  trouver  des  gens  qui  vous  parlent  avec 
une  telle  franchise.  Il  reconta  sont  histoire  à  Jean.  Il  était 
en  prison  pour  dettes  et  n'avait  pas  une  sapèque  pour  payer, 
"—Je  sais  bien  que  je  vais  mourir,  diuil,  mais  on  ne  meurt 
qu'une  fois."  Hélas  !  oui,  on  ne  meurt  qu'une  fois,  mais  sa 
pauvre  âme  !  Que  j'eusse  voulu  le  convertir  I 

Le  3  juin,  il  vint  selon  son  habitude  dans  notre  cachot  et 
dit  à  Jean  :  "-rOn  dit  partout  qu'on  va  le  renvoyer  dans  son 
pays,  parce  que  son  gouvenement  l'a  réclamé."  Nous  étions 
tellement  habitués  à  ses  sortes  de  bruits,  que  nous  n'en 
crûmes  rien.  Quant  au  prétorien,  je  le  revis  quelques  jours 
après.  On  le  ramenait  du  tribunal  ;  il  était  porté  sUr  le  dos 
d'un  valet,  la  tête  pendante,  sans  connaissance,  à  la  suite  de 
la  violente  torture  à  laquelle  il  venait  d'être  soumis.  Son 
entrée  fît  sensation  dans  la  prison;  on  fut  près  d'une  heure 
à  le  rappeler  à  la  vie,  à  pançer  seô  plaies.  Depuis  lors,  je 
n'ai  plus  rien  su  de  lui. 


—  222  — 


XI 


Le  5  juin,  je  célébrais  ranniversaire  de  moa  sacre  ;  j'avais 
averti  les  chrétiens  ;  {lous  étions  en  fête.  Le  chef  du  poste, 
en  grand  costume  se  présente  devant  notre  porte  :  ^^ — ^Prenez 
votre  grand  habit,  me  dit-il,  et  suivez-moi."  Je  donnai  une 
poignée  de  main  à  Jean,  je  bénis  tous  les  chrétiens  et  je  sor- 
tis à  la  suite  de  mon  guide  qui  me  conduisit  dans  la  chambre 
des  satellites,  en  dehors  de  la  prison  ;  puis  on  me  fit  entrer 
dans  la  cour  d'une  autre  prison  gui  était  vide  et  on  me  don- 
na de  Teau.  J'éprouvais  une  véritable  jouissance  en  me  lavant 
la  figure,  les  mains  et  les  pieds.  Le  soleil  paraissait  ;  je  cares- 
sai quelques  brins  d'herbes  qui  poussaient  là,  il  y  avait  si 
longtemps  que  je  n'en  avais  pas  vu  !  Je  comtemplai  le  ciel  ; 
je  pus  môme  voir  des  montagnes  dans  le  lointain.  Tout  me 
paraissait  nouveau  ;  tout  me  paraissait  beau. 

Plusieurs  satellites  vinrent  me  voir.  Ils  nae  dirent  qu'on 
allait  me  renvoyer  en  Chine,  que  j'irais  à  Péking,  où  l'on  me 
remettrait  entre  les  mains  des  Européens  de  mon  pays  ;  que 
Ton  était  en  train  de  me  faire  des  habits  neufs  pour  le  voyage, 
et  que,  lorsque  tout  serait  prêt,  nous  partirions.  Je  pensais 
que,  si  vraiment  on  voulait  me  renvoyer,  le  juge  me  le  ferait 
dire  de  quelque  manière  ;  j'attendis  donc  une  communication 
officielle  avant  d'ajouter  foi  à  toutes  ces  paroles. 

*' — Es-tu  content  de  partir  ? 

" — Gomment  le  serais-je  ?  Vous  savez  bien  que  je  n'ai  qu'un 
désir,  c'est  de  rester  ici  pour  continuer  à  enseigner,  à  répandre 
la  religion  ;  puis,  on  me  renvoie  et  on  laisse  les  chrétiens  en 
prison,  comment  ne  souffrirais-je  pas  ? 

^' — Mais  on  va  mettre  en  liberté  tous  les  chrétiens. 

" — Est-ce  vrai  ? 

^' — Certainement  ;  leur  maître  étant  parti,  ils  ne  peuvent 
plus  rien  faire,  que  peut-on  avoir  à  craindre  ?  On  va  tous  les 
renvoyer  chez  eux. 

'^ — Sans  nouveaux  interrogatoires,  sans  supplices  ? 

'* — Certainement." 

Que  croire  de  tout  cela  ?  Rien  ;  je  les  savais  si  menteurs  ! 
Je  pouvais  même  penser  qu'on  allait  m'envoyer  dans  quel- 
que autre  endroit  pour  m'exécuter. 


—  223  — 

Bientôt  la  nouvelle  se  répandit  que  j'étais  sorti  de  prison- 
et  qu'on  me  gardait  dans  les  appartement  du  tribunal  où  Ton 
pouvait  me  voir.  Dès  lors  le  tribunal  fut  envahi  par  \in& 
foule  de  curieux.  L'on  fut  obligé  de  me  renfermer  dans  une- 
cour  ;  mais  les  murailles  en  furent  bien  vite  escaladées.  De» 
satellites  m'annonçaient  leurs  parents,  leurs  amis;  il  me  fal- 
lait recevoir  tout  ce  monde,  répondre  à  toutes  les  questions* 
Ce  peuple  de  la  capitale  est  vraiment  bon  ;  tous  me  parlaient 
poliment  et  avec  affabilité,  même  les  nobles,  qui  se  présen- 
tarent  quelquefois  au  nombre  d'une  trentaine.  Le  mandarin 
gouverneur  de  la  prison,  qui  avait  ses  appartements  dans  le 
tribunal,  venait  me  chercher,  et,  renfermés  chez  lui  avec 
quelques-uns  de  ses  amis,  nous  causions  tout  à  l'aise.  Ils  y 
prenaient  un  grand  intérêt  Je  pus  môme  leur  parler  de  la 
doctrine  que  jetais  venu  prêcher.  Le  soir,  le  gouverneur 
m'appelait,  et  je  me  souviens  d'être  sorti  deux  fois,  assez 
avant  dans  la  nuit,  pour  répondre  à  ses  questions.  Il  parais- 
sait écouter  mes  réponses  avec  plaisir.  Il  admirait  l'explica- 
tion de  la  création  du  monde  et  disait  que  la  doctrine  des 
dix  commandements  était  bien  belle.  Par  son  entremise, 
j'eus  l'occasion  de  voir  aussi  plusieurs  employés  de  la  cour 
qui  s'adressaient  à  lui  pour  se  faire  présenter. 

Tout  le  iocionde  parlait  de  mon  départ,  et  beaucoup  de  gens 
disaient  entre  eux  :  " — On  a  bien  fait  de  le  renvoyer  ;  c'était 
la  seule  chose  qu'il  y  eût  à  faire."  Cependant  la  pensée  de 
mes  pauvres  chrétiens  prisonniers  ne  m^abandonnait  pas.  Un 
jour  je  dis  au  juge  : 

" — Oh  !  si  je  pouvais  voir  le  vieux  Jean  Tchoï. 

" — Vous  désirez  le  voir?  C'est  bien  facile.    Je  vais  faire- 
venir  tous  les  chrétiens.*' 

Aussitôt  il  donne  Tordre  d'appeler  les  chrétiens.  Leur  vue" 
me  consola  ;  je  m'efforçais  de  les  encourager  à  la  patience 
et  à  la  confiance  en  Dieu.  Hélas  î  j'étais  mis  en  liberté,  et* 
eux  restaient  prisonniers;  qui  comprendra  la  grandeur  de 
cette  épreuve  ?  Le  vieux  Jean  demeura  plus  longtemps.  Je 
demandai  au  chef  ce  qu'allaient  devenir  les  chrétiens  pri-  ' 
sonniers. 

"^—On  va  les  renvoyer  tous.  A  quoi  bon  les  retenir  puis- 
qu'on renvoie  leur  chef  ? 


—  224  — 

*'— Est-ce  certaia? 

" — Très-certain.  Après  votre  départ,  on  va  les  renvoyer 
chez  eux,  on  va  rendre  à  Tchoi-Laing-ouen  (Jean)  la  maison 
que  vous  habitiez  et  tout  ce  qui  lui  appartenait." 

Jean  nous  quitta  ;  il  était  bien  triste. 

" — ^Ah  !  dit-il,  je  ne  reverrai  donc  plus  la  figure  de  l'évéqpie  ! 

^^ — Courage  !  nous  nous  retrouverons  certainement  au  ciel.'' 

Il  retourna  en  prison,  et  je  ne  l'ai  plus  revu  depuis. 

On  avait  transporté  mes  caisses  du  tribunal  de  droite  au 
tribunal  de  gauche.  En  présence  de  plusieurs  officiers,  on 
ies  ouvrit  et  on  en  étendit  le  contenu  sur  le  parquet.  Tout 
avait  été  bouleversé  ou  brisé.  Us  fii-ent  un  inventaire  de 
tout  ce  qu'il  y  avait  et  vinrent  m'apporter  la  liste  en  me 
demandant  de  la  signer  : 

"— ^Signer  quoi  ?  leur  dis-je. 

'^ — ^Cette  liste,  par  laquelle  tu  reconnais  les  objets  qui  t'ap- 
partiennent et  qu'on  va  te  remettre. 

" — Comment  I  plus  de  trois  quarts  des  objets  que  vous 
avez  pris  dans  ma  maison  ont  disparu.  Non,  je  ne  veux  pas^ 
je  ne  puis  pas  signer  cela." 

Il  parurent  d'abord  un  peu  désappointés,  puis  ils  me  dirent  : 

" — Au  reste,  cela  ne  nous  regarde  pas.  On  nous  a  dit  seu- 
lement de  faire  l'inventaire  ;  nous  n'avons  qu'à  présenter 
cette  liste  telle  qu'elle  est  au  préfet  de  police." 

On  ne  me  parla  {)lus  de  la  signature  que,  d'ailleurs,  j'étais 
bien  résolu  à  ne  pas  donner.  En  effet,  un  grand  nombre 
d'objets  avaient  disparu.  Chacun,  fouillant  dans  les  caisses, 
avait  pris  ce  qui  était  à  sa  convenance.  Tout  ce  qui  avait 
quelque  valeur,  tels  que  montres,  calices,  etc.,  jusqu'aux 
ampoules  des  saintes  huiles,  tout  avait  disparu.  J'avais 
trouvé  la  petite  boite  d'un  anneau  auquel  je  tenais  beaucoup, 
car  c'était  un  souvenir  de  Mgr  J  acquement,  évéque  de  Nantes, 
de  qui  j'avais  reçu  les  ordres  sacrés.  Je  cherchais  l'anneau  ; 
le  chef  des  satellites  me  dit  :  " — Il  doit  y  être,  je  l'ai  vu  hier." 
Nous  cherchâmes  en  vain.  Ainsi,  même  après  que  le  gou- 
vernement avait  décidé  de  me  rendre  ce  qui  m'appartenait, 
on  m'avait  encore  volé.  Les  objets  furent  remis  dans  les 
caisses  que  l'on  ferma  avec  grand  soin  en  les  cachetant  La 
précaution  était  un  peu  tardive. 


—  225  — 

Tous  les  satellites,  surtout  ceux  du  tribunal  de  droite, 
-vinrent  me  féliciter  du  succès  de  cette  affaire  et  du  bonheur 
que  }e  devais  éprouver  de  prendre  le  chemin  de  mon  pays. 
Je  ne  partageais  pas  tout  à  fait  leur  sentiment  ;  aussi  l'un 
des  chefs  me  dit  : 

" — Tu  n'as  pas  Pair  content  de  retourner  dans  ton  roy- 
aume ;  mais,  dis-moi,  aurais-tu  commis  quelque  crime  contre 
ton  gouvernement  ? 

" — Non,  je  n'ai  commis  aucun  crime  contre  mon  gouver- 
nement." 

Pauvres  gens  I  II  était  inutile  de  leur  expliquer  ma  posi- 
tion, encore  moins  mes  projets  d'avenir.  Chassé  de  force  de- 
Corée,  je  n'abandonnais  pas  pour  cela  ma  maison  ;  mais,' 
quand  pourrais-je  y  rentrer,  au  milieu  de  mes  enfants  ?  Puis,, 
la  pensée  du  sort  réservé  aux  prisonniers!....  J'avais  bien 
de^  motifs  de  tristesse. 


(à  continiber). 


Saint  Joseph  et  l'Afrique  Orientale,  a) 


LETTRE  DU  P.  HORNER 

de  la  Congrégation  du  SainUEeprit  et  du  SainUCcntr  de  Marie,  Vioe-Pr^ei 

Apoetotique  du  Zanguébar, 

J'ai  à  payer  à  saint  Joseph  une  immense  dette  de  recon- 
naissance, puisqu'il  m'a  immensément  secouru  dans  les 
travaux  apostoliques  que  j'ai  entrepris  pour  la  gloire  de  soa 
Fils  adoptif  depuis  un  quart  de  siècle  en  ces  missions  de 
l'Afrique  orientale.  Aussi  suis-je  heureux  de  pouvoir 
acquitter  une  partie  de  ma  dette  envers  ce  glorieux  Patriar- 
che, en  faisant  connaître  aux  pieux  lecteurs  de  son  inté^s- 
sant  Messager  quelque  chose  de  ce  qu'il  a  fait  pour  la  mission 
que  j'ai  reçue  en  héritage  en  1863.  L'histoire  de  la  mission 
de  Zanguébar  sera  l'histoire  où  le  récit  d'une  suite  non 
interrompue  de  bienfaits  de  la  part  du  Protecteur  glorieux 
de  l'Eglise  catholique. 

I. — FONDATION  DE  LA  MISSION. 

Une  noble  et  généreuse  inspiration  pénétra  un  jour  vive- 
ment l'esprit  de  Mgr  Maupoint,  évéque  de  Saint-Denis  (île 
de  la  Réunion).  Concevoir  et  exécuter  ne  faisaient  qu'un 
pour  cet  homme  vraiment  apostolique.  Jl  fait  appeler  M. 
Fava,  son  vicaire  général,  aujourd'hui  évoque  de  Grenoble. 

^( ..  Voulez-vous,  lui  dit-il,  aller  commencer  en  mon  nom 
une  mission  catholique  à  Zanzibar,  dans  les  Etats  du  sultaa 
Baïd-Medgid,  qui,  dit-on,  est  très-favorable  aux  Européens  ? 

"  —  Monseigneur,  répond  M.  Fava,  je  serai  toujours  heu- 
reux d'aller  là  où  il  y  a  du  bien  à  faire...  " 

Dès  ce  moment,  la  fondation  de  la  nouvelle  mission  était 
décidée.  Le  choix  de  ses'  protecteurs  célestes  ne  fut  pas  un 
instant  douteux  :  elle  fut  immédiatement  consacrée  à  la 
Sainte-Famille,  en  souvenir  de  son  passage  en  Egypte  et  de 
son  séjour  dans  cette  terre  de  l'Afrique  orientale.  C'était  en 

(l)lMe88ager  de  St.  Joseph,  Novembre  et  Déoembre  1878. 


—  227  — 

1860,  et  le  25  décembre,  la  naissance  du  Sauveur  y  fut  célé- 
brée. Jésus  prenait  possession,  avec  Marie  et  Joseph,  de  la 
nouvelle  mission  de  Zanguebar. 

En  1863,  NN.  SS.  Maupoint  et  Fava  confiaient  la  mission 
à  notre  Congrégation,  et  la  Congrégation  m'y  envoyait  avec^ 
le  P.  Baur  et  trois  frères.  Nous  pensâmes  qu'il  fallait  don-- 
ner  à  cette  œuvre  un  Protecteur  plus  spécial  et  plus  explici- 
tement désigné,  en  raison  même  de  la  nature  particulière  de 
rétablissement  de  Zanzibar,  résidence  principale  et  chef-lieu 
de  toute  la  mission,  particulièrement  des  ateliers  ;  et  Zanzi^ 
bar  porte,  depuie  cette  époque,  le  nom  de  Communauté  de' 
saint  Joseph.  La  raison  de  ce  choix  de  saint  Joseph  pour 
Patron  spécial,  est  facile  à  démontrer. 

La  mission  avait  en  ce  temps  d'immenses  besoins,  comme 
cela  arrive  généralement  à  toutes  les  œuvres  naissantes. 
L'argent  manquait  pour  les  nécessités  journalières  de  l'œu- 
vre. Jugez  donc  :  cinquante  personnes  à  soutenir,  et  souvent^ 
pas  cinq  francs  en  caisse.  Cet  état  de  dénûment  était  parfois 
pour  moi  l'objet  des  plus  grandes  préoccupations,  et  lorsque 
mon  esprit,  absorbé  par  les  soins  de  l'avenir  de  l'œuvre, 
semblait  se  décourager  un  peu,  saint  Joseph,  en  qui  j'avais 
toujours  confiance,  se  montrait  de  plus  en  plus  généreux. 
Que  de  fois, ne  sachant  plus  comment  faire  pour  subvenir  à  des 
besoins  urgents,  je  m'écriais  :  ''  Ah  I  je  ne  sais  plus  que  faire  1 
Ainsi  qu^'aux  jours  d'Egypte,  mon  petit  peuple  souffre  de  la 
faim.  Saint  Joseph,  si  vous  ne  venez  à  notre  aide,  nous  som- 
mes perdus."  0  prodige  !  jamais  saint  Joseph  ne  m'a  manqué. 

Une  fois,  entre  autres,  moins  d'un  quart  d'heure  après 
mon  recours  à  saint  Joseph,  vint  un  protestant  me  dire  : 
^^  Mon  Père,  je  porte  beaucoup  d'intérêt  à  votre  mission, 
qui,  par  ses  travaux,  se  rend  très-utile  au  pays.  Voici  deux 
cents  francs  que  je  vous  prie  d'accepter  pour  aider  vos 
œuvres.  "  Un  autre  fois,  un  autre  protestant  me  dit  :  ^'  Je 
ne  suis  pas  de  votre  religion,  mais  je  vois  que  votre  mission 
est  vraiment  utile  au  pays  et  aux  Européens  qui  résident  ici, 
et  auxquels  vous  rendez  d'excellents  services  ;  je  vous  prie 
^'accepter  la  somme  de  deux  mille  cinq  cents  francs,  pour 
TOUS  aider  à  développer  de  plus  en  plus  une  institution  si 
keUe." 


--228  — 

Un  illustre  voyageur  passa,  en  1865,  à  Zanzibar.  Il  avait 
l'habitude  de  ne  jamais  rien  écrire  au  sujet  des  missions  qui 
n'entraient  pas  dans  le  cadre  qu'il  s'était  tracé.  "  Je  ne  dis 
jamais  rien  des  missions,  dit-il,  mais  cela  ne  m'empochera 
pas  de  vous  offrir  la  somme  de  trois  cents  francs  pour  votre 
œuvre  de  civilisation  chrétienne.  "  D'autres  voyageurs,  et 
des  capitaines  de  navires,  voulurent  également  laisser  à  la 
mission  des  traces  de  leur  générosité.  C'est  ainsi  que  notre 
mission,  qui  au  début  vivait  au  jour  le  Jour,  a  vu  renouveler 
en  sa  faveur  les  prodiges  (du  moins  en  partie)  que  saint 
Joseph  opéra  pour  sainte  Térèse  eï  d'autres  fondateurs  ou 
fondatrices  de  communautés  religieuses. 

Cette  protection  toute  spéciale  de  l'illustre  Patriarche  reste 
profondément  gravée  dans  la  mémoire  de  tous  les  anciens 
membres  de  la  mission,  qui  ont  été  les  heureux  témoins  de 
ces  merveilles.  Aussi  la  dévotion  à  saint  Josej^  s'est-elle 
toujours  maintenue  et  développée  dans  toute  la  mission. 
L'établissement  de  Zanzibar  lui  est  consacré,  comme  cous 
Tavons  dit  plus  haut,  et  Bagamoyo,  consacré  au  saint  et 
immaculé  Cœur  de  Marie  sous  le  vocable  de  Notre-Dame  de 
Bagamoyo,  n'a  pas  voulu  rester  en  arrière.  Une  magnifique 
statue  de  saint  Joseph,  en  bronze  et  de  grandeur  naturelle, 
donnée  par  la  pieuse  famille  d'un  de  nos  Pères  alsaciens^ 
domine  l'entrée  de  l'établissement.  Cette  statue  était,  au 
commencement  surtout,  une  merveille  pour  le  pays. 

"  —  Qui  est  ce  blanc  ?  demandent  les  indigènes. 

"  —  Ah  !  c'est  celui  qui  donne  de  l'argent  aux  Pères,  "  leur 
répondait  Moussa,  notre  domestique  arabe. 

Tous  comprirent  que  saint  Joseph  était  un  sorcier  qui  nous 
assurait  des  trésors.  En  effet,  c'est  un  sorcier,  mais  un  sor- 
cier spirituel,  dont  les  sortilèges  si  merveilleux  nous  ont 
aidés  à  faire,  d'une  forêt  habitée  par  les  bêtes  fauves,  une 
chrétienté  florissante. 

ir.  —  ZANZIBAR. 

L'ile  de  Zanzibar,  ainsi  qu'une  partie  de  la  côte,  était  au- 
trefois une  colonie  portugaise.  Mais  le  peuple  lusitanien,  au 
lieu  d'introduire  la  civilisation  chrétienne  <\ans  ces  vastes 


—  229  — 

<5ontrées,  seul  moyen  de  les  conserver,  chercha  uniquement 
à  les  exploiter.  Sa  cupidité  révolta  tellement  les  indigènes, 
qulls  prêtèrent  main  forte  à  Timan  de  Mascate  Saïd-Said, 
père  du  sultan  actuel  de  Zanzibar,  pour  chasser  les  Portu- 
gais, en  1828.  La  domination  arabe  développa  cet  abomina- 
ble trafic  de  chair  humaine  qu*on  appelle  Tesclavage  et  la 
traite. 

En  1863,  lorsque  je  vins  à  Zanzibar,  ce  commerce  était 
encore  dans  toute  sa  honteuse  vigueur.  Aussi,  tous  nos 
efforts  se  portèrent-ils,  dès  le  principe,  vers  le  rachat  du  plus 
grand  nombre  d'enfants  possible.  C'est  là  que  saint  Joseph 
se  montra  encore  bien  généreux  envers  la  mission,  en  lui 
procurant  des  aumônes  abondantes,  soit  poar  racheter,  soit 
pour  entretenir  après  leur  rachat  ces  chers  enfants. 

Saint  Joseph  connaît  les  horreurs  dont  nous  avons  été  sou- 
vent les  témoins  attristés  sur  le  marché  aux  esclaves.  Lors-^ 
qu'en  arrivant  ces  malheureux  étaient  trop  malades  pour 
pouvoir  être  vendus,  on  les  jetait  tout  vivants  à  la  mer  pour 
n'avoir  pas  dix  francs  à  payer  comme  droits  de  douane. 
Parmi  les  esclaves  de  l'île,  on  jetait  les  malades  vivant»  au 
cimetière,  où  ils  attendaient  la  mort,  pour  être  ensuite  dévo- 
rés par  les  chacals. 

En  élevant  la  voix  pour  dénoncer  ces  horreurs  à  l'Europe 
'Civilisée,  les  missionnaires  catholiques  peuvent  à  bon  droit 
revendiquer  pour  leur  bonne  part  l'honneur  des  démarches 
^ui  y  ont  à  peu  près  mis  fin. 

Comme  il  s'agissait  d'occuper  honnêtement  les  esclaves 
rachetés,  nous  établîmes  des  ateliers  d'arts-et-méliers  ;  car  il 
convenait  que  l'établissement  consacré  à  saint  Joseph  formât 
des  ouvriers  chrétiens,  pour  imiter  le  travail  et  les  vertus  du 
grand  Prolecteur  des  ouvriers. 

Nos  ateliers  nous  concilièrent  peu  à  peu  l'estime  et  la 
sympathie  du  Sultan,  des  Arabes  et  des  Européens,  commer- 
çants à  Zanzibar.  L'ancien  sultan  Said-Medgid  était  grand 
partisan  des  ateliers,  qu'il  honora  de  sa  visite  royale  en  corn* 
pagnie  de  toute  sa  cour.  Je  n'oublierai  jamais  qu'une  pompe 
nouvellement  installée  à  la  mission  {ce  qui  était  alors  une 
merveille  pour  le  pays,)  a  fait  l'admiration  'de  tous  les  visi 
teurs.    Le  Sultan  nous  donna,  à^^tte  occasion,  la  somme  de 


—  230  — 

sept  cent  cinquante  francs  pour  racheter  des  enfaots  de 
resclavage,  dans  le  but  de  nous  aider  à  développer  nos 
ateliers. 

m.  —  BAGAMOTO. 

Mais  bientôt  nos  enfants  augmentant  de  jour  en  jour,  nos 
ateliers  ne  sufBsaient  plus  pour  les  occuper  tous.  Il  fallait 
donc  songer  à  une  nouvelle  création.  C'est  dans  ce  but  qu'en 
1 866  j 'entrepris  le  pénible  et  périlleux  voyage  dont  Mgr  Gaume 
a  publié  le  récit.  Je  parcourus  la  plus  grande  partie  de  la 
côte  dans  le  dessein  de  choisir  l'endroit  le  plus  favorable  à  la 
fondation  d'une  œuvre  agricole,  car  ma  conviction  a  toujours 
été  qu'on  ne  moralisera  les  noirs  que  par  le  travail  pratiqué 
chrétiennement 

Mon  choix  se  fixa  sur  Bagamoyo,  qu'avait  aussi  autrefois 
désigné  Mgr  Fava,  sur  le  coteau*  sud  de  Zanzibar.  Nous 
pûmes  y  obtenir  une  concession  de  terrain  d'environ  cent 
hectares.  Armés  de  la  hache  et  de  la  pioche,  le  P.  Machon 
et  moi,  nous  commençâmes  à  défricher  et  à  faire  défricher 
notre  forêt  de  broussailles.  C'était  une  rude  besogne,  dans 
laquelle  nous  nous  faisions  aider  par  des  Vanyamouezis  sau- 
vages, venus  de  l'intérieur  comme  porteurs  d'ivoire  des 
caravanes. 

Que  de  fois  ne  me  disais-je  pas  à  moi-même  ou  au  P. 
Machon,  mon  dévoué  confrère  :  ^'  Âh  1  que  je  serais  heureux 
si  je  pouvais  voir,  plus  tard,  cette  forêt  devenir  un  village 
chrétien  l...  Si  je  pouvais  entendre  raisonner  ces  lieux  de 
l'écho  des  chants  de  l'Eglise  catholique,  là  où,  en  ce  moment^ 
nous  n'entendons  que  les  cris  des  bêtes  fauves,  et  surtout  le 
mugissement  des  lions  1  " 

L'hippopotame  venait,  la  nu^t,  dévorer  les  quelques  légu^ 
mes  semés  et  entretenus  à  la  sueur  de  notre  front.  Le  lion 
vint  l'attaquer,  comme  s'il  avait  eu  l'instinct  assez  fort  pour 
lui  prouver  que  voler  de  pauvres  /nissionnaires  était  une 
chose  abominable  devant  Dieu,  devant  les  hommes,  et  même 
devant  le  Roi  des  animaux.  Bref,  saint  Joseph  intervint 
toujours,  et  pendant  cinq  ans,  de  1868  à  1872,  nous  parvîn- 
mes à  créer  un  établissement  que  les  indigènes  appelaient  la 
ville  des  Blancs,  et  qui,  du  reste,  faisait  l'admiration  de  tous 


—  231  — 

ies  Européens  qui  la  visitaient;  Notre  œuvre,  qui  comptait 
cilors  environ  cinquante  constructions,  ressemblant  fort  peu 
aux  Tuileries  ou  au  Louvre,  était  en  si  bonne  voie,  que  nous 
trouvions  notre  terrain  insuffisant. 

Espérant  avoir  plus  de  facilité  dans  Pintérieur  de  l'Afrique 
pour  la  conversion  des  âmes,  j'entrepris  en  1870,  en  compa- 
gnie des  PP.  Duparquet  et  Baur,  un  voyage  d'exploration 
dans  rUkuéré  et  TUkami,  pour  trouver  une  localité  favora* 
hle  à  nos  idées  d'évaugélisation.  Grande  fut  notre  déception 
en  arrivant  dans  ces  contrées  insalubres  qu'on  nous  avait 
cependant  tant  vantées.  Nous  avons  manqué  d'y  mourir 
tous  les  trois.  Toutefois,  ce  voyage,  dont  on  publie  le  récit 
•en  ce  moment,  a  fourni  des  passages  piquants,  et  qu'on  lira, 
Je  pense,  en  Europe,  avec  intérêt. 

A  peine  de  retour  à  Bagamoyo,  nous  apprîmes  la  mort  du 
Sultan  suzerain  des  pays  parcourus.  De  plus,  la  guerre  de 
1870,  entre  la  France  et  la  Prusse,  dont  nous  connûmes  les 
tristes  nouvelles  dans  l'Ukami,  nous  força  à  ajourner  nos 
projets  de  fondation.  En  attendant,  nous  prenions  de  nou- 
veaux renseignements,  nous  faisions  de  nouvelles  études 
géographiques  et  topographiques  sur  l'Afrique,  en  un  mot, 
nous  cherchions  à  consolider  nos  œuvres  déjà  existantes. 

IV. — LE  DÉSASTRE. 

Pendant  ce  temps,  il  se  tramait  dans  les  antres  de  l'enfer 
un  complot  archidiabolique.  Lucifer,  jaloux  des  progrès  de 
la  mission,  alla  demander  à  Dieu  la  permission  qu'autrefois 
il  obtient  pour  éprouver  la  patience  du  saint  homme  Job.  Il 
fallait  détruire  Bagamoyo.  Voici  que  toutes  les  ''  puissances 
de  l'air,"  dont  parle  S.  Paul,  se  mett€fnt  à  souffler  sur  Zanzi- 
bar et  Banzibar  et  Bagamoyo  un  ouragan  comme  on  n'en 
avait  jaiQais  vu  de  mémoire  d'homme. 

L'établissement  de  Bayamoyo  fut  rasé  dans  l'espace  de 
deux  heures.  Il  ne  me  restait  qu'un  petit  magasin  de  six 
mètres  de  long  sur  trois  large.  C'est  là  que  je  m'étais  retiré, 
avec  un  Frère,  pour  y  entendre  les  récits,  qui  ressemblaient 
bien  à  ceux  qu'on  faisait  au  patriarche  Job.  J'avoue  que 
pétais  peiné  de  voir  tant  de  monde  obligé  de  loger  en  plein 
air,  mais  je  n'étais  pas  découragé. 


—  232  — 

Au  plus  fort  de  ma  douleur,  je  disais  au  F.  Félicien,  gui  se 
trouvait  avec  moi  :  "  Résignons-nous  comme  Job,  et  ne  per- 
dons pas  courage.  Saint  Joseph,  qui  âous  a  tant  et  si  puis- 
samment protégés  jusqu'à  ce  jour,  ne  nous  abandonnera  pas^ 
C'est  une  lutte  entre  l'enfer  et  la  mission  ;  je  compte  sur  !a 
protection  de  saiqt  Joseph,  et  nous  recommencerons  nos  tra- 
vaux de  constructions.  Il  est  vrai,  nous  avons  perdu,  en 
quelques  instants,  le  fruit  de  cinq  ans  de  labeurs,  de  priva- 
tions et  de  sacrifices.  Mais  nous  verrons  qui  sera  le  plus  fort,, 
ou  de  Dieu  ou  du  démon.  Nous  avons  saint  Joseph  pour 
nous,  que  pourrionehnous  craindre  avec  l'appui  d'un  si  puis- 
sant Protecteur  7  " 

V. — SAINT  JOSEPH  RÉPARE  TOUT  ET  RELÈVE  LA  MISSION. 

Notre  confiance  en  saint  Joseph  a  été  justifiée.  Non-seuu 
ment  les  bâtiments,  terrassés  par  l'ennemi  de  tout  bien,  ont 
été  relevés,  mais  encore  faits  en  pierre,  de  manière  à  défier 
toutes  les  puissances  de  l'enfer.  Aussi,  que  de  fois  n'a-t-on 
pas  dit  dans  la  mission  :  "  Le  diable  a  été  bien  joué,  malgré 
toute  sa  ruse.  Il  croyait  ruiner  à  tout  jamais  cette  mission 
de  Bagamoyo,  et  saint  Joseph  a  su  la  faire  renaître  de  ses 
cendres  plus  belle  et  plus  florissante  que  jamais." 

En  effet,  la  mission  de  Bagamoyo  n'a  fait  que  profiter  de 
ces  épreuves,  qui  lui  ont  attiré  une  immense  sympathie  de 
la  part  de  l'Europe,  et  même  de  la  part  de  ceux  qui  ne  par- 
tagent pas  nos  croyances.    En  voici  un  exemple  frappant 

En  1873,  sir  Bartle  Frère,  ministre  plénipotentiaire  de  Sa 
Majesté  Britannique,  envoyé  à  Zanzibar  pour  abolir  la  traite^ 
alla  visiter  l'établissement  de  Bagamoyo.  Il  fut  si  touché  et 
ci  émerveillé  de  tout  ce  qu'il  avait  vu,  qu'il  prit  sur  lui  de 
donner  à  la  mission  une  subvention  de  5,000  francs  pour  le» 
besoins  les  plus  urgents,  espérant,  à  l'avance,  la  complète 
approbation  de  lord  Grandville,  alors  ministre  des  affaires 
étrangères. 

Peuton,  je  vous  le  demande,  recevoir  un  encouragement 
plus  puissant,  surtout  lorsqu'il  vient  de  la  part  de  protestants 
imbus  de  préjugés  contre  les  catholiques.  Saint  Joseph  a  été 
là  ;  il  a  niontré  son  doigt  protecteur.  L'établissement  ruiné- 
par  le  coup  de  vent  de  1872,  est  plus  prospère  que  jamais. 


—  233  — 

VI. — ^NOTRE  RECONNAISSANCE  A  SAINT  JOSEPH. 

L'ornement  de  celte  œuvre  est  le  village  chrétien,  qui 
compte  près  de  cent  ménages.  Parcourrons  un  instant,  mon 
cher  Père,  ce  village,  qui  s'appelle  le  village  de  saint-Joseph. 
Le  missionnaire  aime  à  visiter  ce  pieux  village,  qui  est  sa 
joie  et  sa  consolation.  Il  y  va  souvent  présider  divers  exer- 
cices de  piété.  Nos  néophytes  sont  pleins  de  ferveur.  Que 
voyons-nous  au  bout  de  ce  village  ?  une  petite  chapelle  dédiée 
à  saint  Joseph.  Et  au  fond  de  ce  petit  sanctuaire?  un  magni* 
fique  tableau  de  la  Sainte-Famille,  apporté  de  Bourbon  par 
Mgr  Fava,  actuellement  évoque  de  Grenoble,  et  fondateur  de 
la  mission  du  Zanguebar  ; 

Et  dans  les  cases  des  néophytes,  qu'y  voyez-vous  ?  Je  vous 
-'défie  de  trouver  une  case  dans  laquelle  il  n'y  ait  pas  une 
espèce  de  petit  autel  sur  lequel  vous  trouverez  une  statue  de 
•saint  Joseph.  De  plus  vous  y  trouverez,  et  souvent  dans  la 
même  case,  plusieurs  tableaux  de  Saint  Joseph.  Nos  jeunes 
-chétiens  ont  tellemment  compris  l'excellence  et  la  nécessité 
•de  cette  dévotion,  qu'il  n'y  a  pas  besoin  de  les  pousser  ;  il 
faudrait  peut-être  plutôt  les  calmer  pour  que  leurs  bons  sen* 
timents  ne  dégénèrent  pas  en  fanatisme. 

Comme  je  me  plais  à  entendre  chanter  à  l'église  de  Baga- 
moyo  des  cantiques  en  l'honneur  de  saint  Joseph  !  Que  de 
fois  n'ai-je  pas  veisé  de  douces  larmes  de  bonheur  au  souve- 
nir du  passé  !  Je  me  reppelais  alors  les  gémissements  causés 
par  le  pénible  enfantement  de  l'Œuvre.  Je  me  rappelais 
alors  ces  paroles  :  "  Ah  !  que  je  serais  heureux  un  jour,  si, 
à  la  place  de  ces  broussailles  que  nous  coupons  en  ce  moment, 
il  m'était  donné  de  voir  s'élever  une  église  catholique,  dan* 
laquelle  ou  chanterait  les  louanges  et  les  gloires  du  Protec- 
teur des  ouvriers,  du  Protecteur  de  l'Eglise  universelle!... 
Que  je  serais  heureux,  me  disais-je  autrefois,  si  je  vivais  assez 
longtemps  pour  voir  une  chrétienté  établie  ici,  un  village 
-chrétien  fondé  et  dédié  à  saint  Joseph  I  " 

Et,  mon  cher  Père,  je  vois  à  présent  tous  ces  rêves  réalisés, 
et  je  ne  serais  pas  reconnaissant  à  saint  Joseph  !... 

Dernièrement,  j'ai  présidé  la  procession  de  la  Fête  Dieuy 
traversant  le  village  de  saint-Joseph.    Le  matin,  j'ai  donné 


—  234  — 

la  confirmation  à  quelques  néophytes,  dont  un  grand  nombre^ 
appartenait  au  village  de  saintJoseph.  Ah  !  je  puis  biea 
emprunter  les  paroles  du  Psalmiste  pour  les  adresser  et  le» 
appliquer  à  notre  saint  Protecteur  :  ''  Que  ma  main  droite  s& 
dessèche,  etc.,  si  jamais  j'oubliais  vos  bienfaits  !  " 

Vn. — ^LA  MISSION  DU  n'GOUROU. 

Saint  Joseph  ne  se  contenta  pas  de  nous  aider  dans  le» 
œuvres  déjà  entreprises  :  il  voulut  aussi  nous  aider  à  faire  et. 
à  établir  une  mission  nouvelle  dans  l'intérieur  de  TAfrique.  Il 
lui  tardait  de  voir  TEnfant  Jésus  connu  et  adoré  par  des  chré- 
tiens nouveaux.  C'est  pour  cela  qu'il  nous  inspira  de  fonder 
une  mission  à  quarante  lieues  de  la  côte,  à  Mhonda,  dans 
f  Oussigoa^  aux  montagnes  du  N 'Gourou.  Il  est  à  remarques 
que  le  premier  voyage  d'exploration  a  été  entrepris  un  mer> 
credi.  car  j'ai  toujours  eu  pour  dévotion  de  mettre  nos  voy- 
ages sous  la  protection  de  saint  Joseph,  et  chaque  fois  que- 
cela  a  dépendu  de  ma  volonté,  mes  péréginations  apostoliques 
ont  été  entreprises  le  mercredi,  jour  consacré  à  notre  glorieux. 
Patriarche.    Et  je  m'en  suis  toujours  parfaitement  trouvé. 

Je  nepuis  vous  dire  que  quelques  mots  de  cette  mission  d& 
l'intérieur,  dédiée  au  Sacré-Cœur  de  Jésus..  Saint  Joseph  n'y 
est  pas  oublié. 

Le  P.  Machon  a  eu  soin  d'emporter  de  France  un  grand 
tableau  de  saint  Joseph,  pour  susprendre  dans  la  chapelle  de^ 
Mhonda.  Le  P.  Strebler,  en  se  rendant  dans  cette  nouvelIe^ 
mission,  y  arriva  juste  le  19  mars,  fête  de  saint  Joseph.  II. 
n'y  arriva  qu'à  une  heure  de  l'aprës  midi.  Malgré  sa  faible 
santé,  il  resta  ^  jeun  jusqu'à  cette  heure  avancée  pour  pou- 
voir ofTric^le  saint  sacrifice  de  la  messe  en  l'honneur  de  saint 
Joseph  et  mettre  ainsi  son  ministère  sous  la  protection  de  ce^ 
grand  Saint. 

VIII LES  BESOINS  DE  LA  MISSION. 

Je  sais,  mon  bien  cher  Père,  quel  intérêt  vous  portez  à 
cette  mission  des  Vasigouas.  Vous  me  permettrez  donc  d'en^ 
parler  à  cœur  ouvert. 

Je  vous  avoue  franchement  que  si  je  n^avais  pas- une  cm- 


—  235  — 

fiance  sans  borns  en  saint  Joseph,  je  désespérerais  du  succès 
^e  cette  œuvre  nouTelle.  Et  pour  quelle  raison  ?  me  deman- 
derez-vous.  Eh  bien  !  pour  une  raison  que  la  fille  de  Mme 
tle  Sévigné  elle-même  ne  devinerait  pas.  Je  vais  vous  le  dire 
•en  deux  mots:  Pas  d'argent,  pas  de  suisse.  Et  comment, 
Tépliquerez-vous,  cette  mission  de  Zanzibar,  qui  passait  pour 
"^tre  si  riche,  si  favorisée  de  tant  d'aumônes,  manque  d'ar- 
gent ?  Oui,  nous  manquons  d'argent,  et  vous  allez  le  corn- 
l>rendre.  La  famine  de  Tlnde  a  eu  son  contre-coup  terrible 
>sur  Zanzibar  en  doublant  et  en  triplant  le  prix  des  vivres. 
C'est  là  qu'ont  été  enfouies  toutes  nos  économies  du  passé. 
'De  plus,  la  famine  du  nord  et  du  sud  ûe  l'Afrique  entretien- 
nent la  cherté  des  denrées.  Enfin,  la  famine  de  l'Inde  et  de 
la  Chine  fait  prendre  aux  dons  et  aux  aumônes  un  tout  autre 
«chemin  que  celui  de  Zanzibar. 

Et  puis,  les  missions  nouvelles  de  l'intérieur,  missions 
algériennes,  belges  ou  anglaises,  veulent  aussi  vivre,  et  alors 
on  applique  un  moyen  très-simple  :  on  retranche  aux  anci- 
ennes missions  ppur  donner  aux  nouvelles  Comme  vous  le 
voyez,  nous  avons  toute  chance  de  faire  banqueroute  si  saint 
Joseph,  cette  fois-ci  encore,  ne  vient  à  notre  aide  d'une 
manière  toute  particulière.  Cette  question  est  très-sérieuse 
pour  notre  nouvelle  mission  de  Mhonda,  que  vous  voudrez 
bien  recommander,  non-seulemeut  aux  prières,  mais  encore  à 
la  charité  de  vos  pieux  associés  de  l'Archiconfrérie  de  saint- 
Joseph.  Le  bien  à  faire  dans  l'Oussigoua  est  immence.  Son- 
gez donc  qu'il  y  a  pas  de  polygamie  dans  le  pays,  excepté 
•chez  les  chefs.  De  plus,  il  y  a  une  sévérité  de  punition  pour 
les  fautes  contre  les  mœurs,  qu'on  est  stupéfait  de  recontrer 
chez  des  sauvages.  On  y  est  bien  plus  sévère  que  dans  les 
pays  civilisés.  Les  Yasigouas,  en  outre,  aiment  les  blancs 
autant  qu'ils  détestent  les  Arabes. 

Le  peuple  est  amical,  Dienveillant  et  très-accessible  aux 
vérités  de  l'Evangile.  Le  pays  est  salubre  et  d'une  fertilité 
prodigieuse. 

Plusieurs  chefs  invitent  le  P.  Machon  à  commencer  des 

^missions  dans  leurs  pays.  Mais  aujourd'hui  il  faut  patienter, 

car  les  dépenses  de  transport  sont  énormes.    Ainsi,  Te  port 

'd'une «caisse  de  douze  bouteilles  de  vin  de  messe  nous  coûte 


—  236  — 


près  de  treute  francs,  et  ainsi  du  reste,  dont  vous  x>ouvez 
déjà  juger.  Il  faut  dop«  le  misérable  argent,  le  nerf  de  la 
guerre  et  de  bien  d'autres  dioses  encore. 

La  belle  Archiconfrérie  de  Saint-Joseph,  à  qui  j'ai  été  heu- 
reux de  parler  de  notre  chère  mission  lorsque  je  suis  allé  au 
sanctuaire  de  Beauvais,  la  prendra  sous  sa  puissante  protec- 
tion. Recommandez-nous  donc  aux  prières  et  à  la  charité 
de  vos  pieux  associés.  Bénis  soient  à  jamais  de  saint  Joseph 
les  cœurs  généreux  à  qui  ce  bon  Père  de  nptre  mission,  ias- 
pirera  de  nous  venir  en  aide  dans  l'œuvre  de  la  rédemption 
des  pauvres  noirs.— P.  Horner,  de  la  Congrégation  du  Saint- 
Esprit  et  du  Saint-Cœur  de  MariCj  Yice-Préfet  apostolique  du 
Zanguebar. 


LA  GASPÉSIE 


DE  1800  A  1867. 


Avec  le  19e  siècle  commence  en  Canada  Tépiscopat  si  glo- 
rieux de  Mgr.  Plessis,  qui,  étant  Goadjuteur  de  TEvêque  de 
Québec,  avait  déjà  témoigné  beaucoup  d'intérêt  à  la  Gaspésie 
et  à  ses  missionnaires.  Il  prit  en  1806  les  rênes  du  gouverne- 
ment ecclésiastique  d'une  main  ferme  et  assurée,  et  en 
homme  accoutumé  depuis  longtemps  à  ejcercer  Tautorité  :  il 
avait  43  ans. 

Malgré  sa  vigueur,  le  nouvel  Evéque  était  effrayé  de  la 
tâche  qui  lui  était  imposée  :  '^  Examinez  la  carte,  écrivait-t-il 
en  1806,  à  son  agent  de  Londres,  et  vous  concevrez  difficile- 
;xient  qu'il  soit  possible  à  un  seul  Evêqqe  d'étendre  sa  solli- 
citude avec  quelques  succès  depuis  le  Lac  Supérieur  jusqu'au 
dehors  du  golfe  St.  Laurent.  Cet  espace  renferme  200,00& 
catholiques,  et  néanmoins  il  n'y  a  que  180  prêti^es  pour 
répondre  à  tous  ces  besoins." 

Aussi  le  digne  Evêque  ne  put-il  visiter  la  Gaspésie  qu'en 
1811  pour  la  première  fois  ;  l'année  suivante,  il  continua  sa 
visite,  parcourut  les  villages  açadiens  et  les  établissements 
écossais  de  l'Ile  St  Jean  ;  et,  malgré  les  hostilités  de  la  répu- 
]blique  américaine  contre  la  grande  Bretagne  et  le  danger 
qu'il  courait  de  la  part  des  croiseurs  ennemis,  il  n'interrom- 
pit pas  son  voyage,  visita  une  partie  du  Cap  Breton,  de  la 
Nouvelle-Ecosse  et  du  Nouveau-Brunswick  et  revint  au  Ca- 
nada p^r  l'intérieur  des  terres.  Cette  voie  qui  n'était  alors 
praticable  que  pour  des  sauvages,  Texposa  à  de  très-grandes 
fatigues. 

La  conclusion  de  la  paix  permit  au  prélat  de  reprendre  la 
visite  des  missions  renfermés  dans  les  provinces  du  goKe  St. 
Laurent  En  1815,  il  parcourut  le  littoral  du  Cap  Breton  :  sur 
la  côte  de  la  Nouvelle-Ecosse,  il  s'arrêta  à  plusieurs  villages 
qu'avaient  établis  depuis  peu  d'années  des  Açadiens  revenus 
de  l'exil  pour  habiter  un  coin  de  leur  ancienne  patrie. 


—  238  — 

Après  avoir  parcouru  les  missions  les  plus  importantes  de 
l'Ancienne  Âcadie,  et  remonté  la  rivière  St.  Jeau  jusqu'au 
willage  sauvage  de  Ste.  Anne,  il  revint  au  Canada,  en  passant 
-par  Boston,  New-York  et  Albany. 

M.  Ferland  (1)  rapporte  que  ''  la  matière  du  récit  de  ce 
grand  Evêque  paraissait  inépuisable,"  et  mentionne  particu- 
lièrement ''  ses  voyages  dans  le  Canada  et  les  provinces  voi- 
'«ines  comme  un  champ  étendu  qu'il  savait  dérouler  devant 
ses  auditeurs,  de  manière  à  les  instruire  et  à  les  intéresser.'' 

Il  fascinait  tout  le  monde  et  s'attirait  surtout  l'affection  de 
ses  missionnaires.  ^^Si  j'avais  offensé  cet  homme-là,  disait 
mn  jour  M.  Painchaud,  missionnaire  dans  la  Baie  des  Cha- 
leurs et  plus  tard  fondateur  du  Collège  de  Ste.  Anne,  je  con- 
sentirais à  me  traîner  sur  les  genoux,  depuis  mon  presbytère 
jusqu'à  Québec,  pour  lui  demander  pardon  de  ma  faute."  En 
rapportant  cette  parole  si  expressive,  M.  Ferland  remarque 
que  M.  Chs.  Frs.  Painchaud  était  un  des  hommes  les  plus 
aimables  et  les  plus  brillants  du  clergé  canadien.  Par  ses 
missions  il  connut  les  besoins  du  Canada.  ^'  U  savait  com- 
bien il  est  douleureux  pour  les  fidèles  d'être  privé  du  ministre 
du  Seigneur;  c'est  ce  qui  le  porta  à  répondre  avec  tant  de 
zèle  à  l'appel  de  son  Evêque,  qui  le  destina  d'abord  à  la  Gas- 
pésie.  ^'  Il  comprenait,  comme  l'a  dit  un  homme  distingué  (2), 
ce  qu'est  le  prêtre  dans  la  société,  et  en  sa  qualité  d'apd 
tre  de  l'Evangile,  avec  quel  bonheur  il  devait  entrevoir 
comme  conséquence  de  ses  efforts,  (en  formant  un  Collège) 
que  des  jeunes  gens  consentiraient  à  abandonner  les  joies 
domestiques,  toutes  les  jouissances,  tous  les  biens  que  les 
hommes  recherchent   si    avidement   pour  se  livrer  à   des 

travaux  obscurs,  à  des  devoirs  pénibles, pour  devenir 

des  providences  vivantes  de  tous  les  malheureux,  les  conso- 
lateurs des  affligés,  les  défenseurs  de  quiconque  est  privé  de 
défense,  les  réparateurs  de  tous  les  désordres  et  de  tous  les 
maux  qu'engendrent  les  passions  et  les  funestes  doctrines." 

En  attendant  qu'il  s'occupât  de  l'œuvre  de  toute  sa  vie,  M. 
Painchaud  préluda  par  le  ministère  ardu  des  missions; 

(1)  F^yer  Canadien,   Notice  biographique  sur  Mgr.  J.  O.  Pleano. 

(2)  H.  Chs.  Bacon,  maintenant  Préfet  des  Etudes  an  Coll^  S.  A. 


—  239  — 

malgré  de8  difficultés  de  tous  genres,  son  ardeur  ne  se  raleo^ 
lit  pas  un  instanL 

On  aime  à  l'entendre  s'entretenir  de  ses  sauvages  de  Risti- 
gouche  avec  M.  de  Chateaubriand.  ^^  Comme  je  vous  aime, 
lui  écrivait-il,  errant  parmi  nos  sauvages,  chez  qui  j'ai  erré 
aussi  pendant  huit  ans  en  qualité  de  simple  missionnaire  1 
vous  avez  ^u  occasion  de  vanter  leur  hospitalité  avec  raison  ;. 
mais  si,  qnod  non  accidat^  un  nouvel  orage  vous  éloignait 
encore  des  rives  du  vieux  monde,  vous  trouveriez  sur  celle 
du  nouveau,  non  plus  des  sauvages  seulement,  mais  un< 
peuple  d'amis  et  d'admirateurs  qui  briguerait  l'honneur  de 
vous  7  offrir  ce  qu'ils  ont,  un  feu  clair,  des  eaux  limpides, 
une  peau  de  castor  et  un  ciel  bleu." 

Lisons  maintenant  la  réponse  du  célèbre  écrivain  français  :- 
'^  Je  suis  infiniment  plus  touché  des  éloges  d'un  pauvre  curé 
du  Canada  que  je  ne  le  serais  des  applaudissements  d'un 
prince  de  l'Eglise.  Je  vous  félicite,  monsieur,  de  vivre  au 
milieu  des  bois  :  la  prière  qui  monte  du  désert  est  plus  puis- 
sante que  celle  qui  s'élève  du  milieu  des  hommes  ;  toute  pour 
le  ciel,  elle  n'est  inspirée  ni  par  les  intérêts,  ni  par  les  cha« 
grins  de  la  terre  ;  elle  tire  sa  force  de  sa  pureté.  Désormais, 
monsieur,  les  tempêtes  politiques  ne  mejeteraientsur  aucun 
rivage  :  je  ne  chercherais  pas  à  leur  dérober  quelques  vieux 
jours  qui  ne  vaudraient  pas  le  soin  que  je  prendrais  de  les 
mettre  à  l'abri  ;  à  mon  âge,  il  faut  mourir  pour  le  tombeau 
le  plus  voisin,  afin  de  s'épargner  la  lassitude  d'un  long 
voyage.  J'aurais  pourtant  bien  du  plaisir  à  visiter  les  forêts 
que  i'ai  parcourues  dans  ma  jeunesse,  et  à  recevoir  votre  hos- 
pitalité." 

Le  nom  de  M.  Painchaud  reviendra  lorsqu'il  sera  question 
des  missions  dont  il  fut  chargé. 

Mais  il  faut  auparavant  mentionner  deux  prélats  chers  aux 
populations  de  la  Gaspésie,  les  Archevêques  Turgeon  et 
Baillapgeon,  qui  les  visitèrent  successivement  et  à  plusieurs 
reprises  :  le  premier  en  1836  et  1841,  et  le  second  en  1852. 

Lorsque  Mgr.  Baillargeon,  alors  Evêque  de  Tloa,  donna  la 
confirmation  dans  la  Gaspésie,  en  1852,  il  n'y  avait  que  six 
prêtres  pour  desservir  cet  immense  territoire.  Dans  les 
notes  qu'il  prenait  pour  son  propre  usage,  il  exprime  en  quel- 


—  240  — 

ques  mots  de  temps  en  temps  son  désir  de  subdiviser  les  mis- 
sions, et  de  mettre  ainsi  les  secours  spirituels  plus  à  la  portée 
-des  fidèles  :  il  s'appliqua  à  augmenter  le  nombre  des  prêtres 
de  manière  qu'il  y  en  avait  quatorze  dans  le  district  de  Gas- 
:pé,  lors  que  le  diocèse  de  Rimouski  fut  érigé  en  1867. 

Dans  la  même  pensée,  dit  M.  Cyr.  Légaré  (1),  il  encouragea 
les  débuts  du  Collège  de  Rimouski."  Si  nous  voulons  con- 
naître le  zèle  avec  lequel  le  prélat  faisait  la  visite  des  mis- 
sions, nous  n'avons  qu'à  écouter  le  récit  de  Mgr.  B.  Paquet  (2). 
^^  Ce  fut  surtout  dans  la  visite  si  pénible  des  paroisses,  qu'il 
rendit  service  à  l'Archevêque  :  on  sait  combien  laborieuses, 
fatiguantes  et  souvent  périlleuses  étaient  à  cette  époque  les 
visites  lointaines  de  la  Gaspésie,  de  la  Baie  des  Chaleurs  et 
du  Labrador.  Quel  travail  il  s'imposait  pendant  ces  visites. 
Il  faut  l'avoir  vu  à  l'œuvre  pour  pouvoir  se  former  une  idée 
des  fatigues  auxquelles  il  se  condamnait  :  les  journées  en- 
tières étaient  employées  à  prêcher,  catéchiser,  confesser,  con- 
firmer, à  consoler,  encourager,  relever  les  âmes  abattues. 
Où  il  était  admirable  surtout,  c'était  en  instruisant  les  petits 
enfants.  Quelle  suave  simplicité  !  Gomme  il  savait  se  mettre 
à  la  portée  de  leur  jeune  et  faible  intelligence  !  " 

Mgr  Baillargeon  a  quelquefois  rendu  compte,  dans  des 
lettres,  des  sentiments  qu'il  éprouvait  en  parcourant  les  mis- 
sions :  écrivant  un  jour  à  un  prêtre  avec  lequel  il  était  fami- 
lier, il  lui  disait  :  "  Je  trouve  ici  un  curé  qui  n'est  pas  si 
grandement  logé  que  des  princes,  mais  qui  est  plus  heureux 
qu'eux  tous.  Le  long  de  ma  route  j'ai  vu  des  habitations,  qui 
ne  valent  pas  les  palais  de  Rome,  mais  je  suis  bien  sûr  qu'il 
7  a  plus  de  bonheur  à  l'abri  de  ces  chaumières  que  sous  les 
lambris  dorés  ;  et  cette  pensée  me  réjouit  le  cœur  et  me  fait 
aimer  mon  pays.  Nos  bons  habitants  de  campagne  ont  la 
crainte  et  l'amour  de  Dieu  :  c'est  le  principe  du  seul  vrai  et 
du  seul  solide  bonheur.  Quand  avec  cela  ils  ont  leur  pain 
quotidien,  ils  sont  contents  et  heureux.  Et  Dieu  donne  ce 
pain  quotidien  à  ceux  qui  le  lui  demandent  et  qui  le  servent." 

Sentant  que  certaines  parties  du  diocèse  avaient  besoin 

'■■'  .--  --.,  — 

a)  Eloge  de  Mgr.  BaUlargeon,  prononcé  le  30  juin  1871. 
(2)  Mgr.  BaUlargeon,  m  vie,  son  oraison  fanèbre,  1870. 


—  24t  — 

*d'être  confiées  à  des  Vicaires-Généraux  qui  y  résideraient, 
IMgr.  Baillargeon  s'occupa  d'abord  de  la  Gaspésie. 

En  1863,  M.  Alain,  curé  de  Bonaventure,  étant  mort,  Mgr 
l'administrateur  crut  avantageux  pour  le  bien  de  la  religion 
de  lui  donner  pour  successeur  M.  Alexis  Mailloux,  Tun  de 
ses  vicaires-généraux.  Il  en  informa  le  clergé  de  la  Baie-dea- 
Chaleurs  par  une  circulaire  du  19  août:  les  termes  de  cette 
lettre  font  connaître  les  intentions  du  digne  prélat  : 

*'  J'ai  le  plaisir  de  vous  informer,  leur  écrivait-il,  que  M. 
le  grand-vieaire  Mailloux  a  bien  voulu  accepter  la  mission 
que  je  lui  ai  offerte  d'aller  remplacer,  à  Bonaventure  le 
regretté  M.  Alain.  Vous  serez  heureux  d'avoir  auprès  de 
vous  ce  prêtre  vénérable  qui  possède  à  juste  titre  notre  con- 
fiance et  qui  est  avantageusement  connu  des  Qdèles  du  dis- 
trict de  Gaspé  que  son  zèle  a  si  souvent  édifiés. 

"  J'avais  depuis  longtemps  à  cœur  de  placer  dans  la  Bâie- 
•des-Chaleurs  un  grand-vicaire  qui  partageât  la  soUicitude'du 
premier  pasteur  et  à  qui  vous  puissiez  recourir  avec  plus  de 
facilité  dans  les  difiicultés  qui  se  rencontrent  parfois  dans 
l'exercice  du  ministère  curial.  Maintenant  mes  vœux  sont 
réalisés,  et  vous  pourrez  vous  adresser  désormais  avec  con- 
fiance à  mon  digne  représentant  dans  la  plupart  des  cas,  où, 
auparavant,  le  recours  à  Québec  vous  était  indispensable." 

Au  bout  de  deux  ans,  M.  Mailloux  quitta  Bonaventure,  et 
l'évoque  de  Tloa  adressa  une  nouvelle  lettre  aux  curés  de  la 
Gaspésie  pour  les  informer  qu'il  remplaçait  son  grand-vicaire 
par  un  vicaire  forain  qui  résiderait  à  Garleton.  Le  prélat 
avait  fait  choix  de  M.  Nicolas  Audet  pour  le  revêtir  de  cette 
<;harge.  '^En  donnant  à  M.  Audet,  disait^l,  cette  charge  de 
confiance,  je  ne  fais  qu'aller  au  devant  des  désirs  d^  ses  confrè- 
res  de  cette  partie  du  diocèse,  qui  ont  su  apprécier  ses  éminen- 
tes  qualités,  et  surtout  le  zèle  et  la  prudence  avec  lesquels'il 
s'est  acquitté  des-devoirs  dé  son  ministère  de  pasteur:"  (1) 

Jusqu'à  ce  que  la  Gaspésie  fut  confiée  à  un  vicaire-général, 
le  nombre  des  prêtres  résidents  ne  suffisait  pas  pour  la  des- 
serte, mais  on  y  suppléait  aussi  bien  qu'on  le  pouvait. 


(1)  M.  Nicolas  Audet  f nt  nommé  Tieaire^général  Ion  de  l'éreotion  du 
•  diocèse  de  St.  Germain,  et  mourut  dans  cette  charge  en  1370  ;  i^  étai^  à 
»€arleton  depuis  seize  ans  et  n'avait  que  quarante-six  anâ  d*ilge. 


—  242  — 

En  arrivant,  M.  le  grand-vicaire  Mailloux  fut  prié  par  le^ 
missionnaires  de  donner  des  retraites  :  il  rendait  compte  da 
résultat  dans  une  lettre  du  3  février  1864  : 

"  Mon  cher  Seigneur,  écrivait-il  à  Tévèque  de  Tloa,  je  suis 
arrivé  la  semaine  dernière  de  la  tournée  dans  le  bas  de  la 
Baie.  Je  me  suis  rendu  jusqu'à  la  Malbaie.  La  tempérance 
s'est  bien  relevée  partout.  Je  vous  préviens  que  j'ai  con- 
damné l'étalage  du  luxe  et  de  la  vanité  dans  les  habits  à 
l'église  surtout  et  dans  la  réception  des  sacrements.  U  me 
semble  que,  prenant  cette  détermination,  j'ai  travaillé  à  eni- 
pécher  nos  églises  d'être  des  salles  d'exhibition,  un  théâtre 
où  l'on  venait  se  mettre  en  &pectacle.  J'ai  pris  le  devant 
lorsqu'il  me  paraît  qu'il  est  encore  temps  d'empêcher  dans 
ce  district  le  luxe  de  ruiner  et  de  démoraliser  la  population. 
La  ruine  d'autres  parties  doit  nous  instruire  :  le  concile  pro- 
vincial m'avait  d'ailleurs  suggéré  ce  que  j'ai  entrepris.'* 

Le  digne  grand-vicaire  faisait  allusion  au  passage  suivant 
de  la  Lettre  pastorale  des  Pères  du  troisième  concile  de 
Québec  :  (1) 

^^  Le  second  désordre  que  vous  avez,  à  combattre,  c'est  le 
luxe,  dont  les  ravages  sont  visibles  et  dont  les  maux  sont 
incalculables.  En  effet,  si  on  le  suit  à  la  piste,  il  est  facile 
de  se  convaincre  que  le  luxe  est  produit  et  entretenu  par 
l'orgueil,  le  premier  comme  le  plus  grand  des  péchés  ;  qu'il 
entraîne  dans  des  dépenses  excessives,  et,  par  conséquent, 
ruineuses;  qu'il  introduit,  chaque  jour,  des  modes  dispen- 
dieuses et  souvent  contraires  à  la  décenéé  ;  qu'il  cause  des 
injustices  révoltantes^  en  portant  ses  partisans  à  contracter 
des  dettes  que  leurs  faibles  ressources  ne  leur  permettent 
jamais  de  payer  ;  qu'il  précipite  dans  la  débauche  beaueoup 
de  jeunes  personnes  prêtes  à  mépriser  les  devoirs  les  plus 
sacrés,  pour  satisfaire  leur  goût  de  la  toilette  ;  enfin  qu'il 
dessèche  le  cœur,  et  fait  perdre  cet  esprit  de  foi  et  de  piété^ 
sans  lequel  il  ne  saurait  y  avoir  de  vertu  véritable. 

''  Ces  considérations,  et  beaucoup  d'autres  qu'il  serait  trop 
long  de  détailler,  ne  peuvent  manquer  de  vous  inspirer  une 
grande  horreur  pour  le  luxe.  Vous  retrancherez  donc  de 
-  '    '  j' 

(1)  dl  mai  IdSa. 


—  243  — 

ATOs  ameublements  toute  vanité  et  tout  superflu  ;  vous  élève- 
rez vos  enfants  dans  cette  simplicité  extérieure,  gui  est  tou- 
jours Timage  et  l'expression  naturelle  de  l'innocence  du 
cœur  ;  et  si,  comme  il  est  à  désirer,  vous  confiez  vos  filles 
aux  soins  de  nos  bonnes  religieuses  dévouées  à  l'instruction 
de  la  jeunesse,  vous  seconderez  de  tout  votre  pouvoir  la  solli- 
citude qu'elles  mettent  à  leur  inspirer  l'amour  de  la  modestie 
chrétienne,  l'éloignement  des  vanités  du  siècle,  le  goût  du 
travail  et  l'esprit  d'économie." 

Pour  répondre  à  ce  dernier  vœu  du  concile,  M.  Nicolas 
Audet,  aidé  de  la  généreuse  donation  de  M.  John  Meagher, 
paroissien  et  riche  marchand  de  Carleton,  bâtit  un  couvent 
dans  sa  paroisse  et  le  confia  à  des  sœui*s  de  charité.  Le  comté 
de  Bonaventure  fut  ainsi  doté  d'une  maison  d'éducation,  où 
les  familles  peuvent  placer  les  jeunes  filles.  Les  eiccellentes 
institutrices  s'appliquent  à  inspirer  à  leurs  élèves  les  goûts 
de  simplicité  tant  recommandés  par  les  premiers  pasteurs. 
On  conservera  toujours  dans  cette  maison  le  souvenir  des  deux 
insignes  bienfaiteurs  à  qui  est  due  la  construction  du  bel 
édifice  où  sont  logées  les  sœurs  de  la  charité  et  leurs  élèves. 

Mais  retournons  en  arrière  pour  rapporter  les  traits  qui 
peuvent  faire  connaître  l'état  de  la  religion  dans  l'étendue 
de  la  péninsule  gaspésienne. 

Dans  toutes  les  missions,  pendant  l'absence  du  prêtre,  les 
catholiques  observaient  fidèlement  l'usage  de  se  réunir  le 
dimanche  à  la  chapelle  pour  faire  leurs  prières.  On  y  chan- 
tait certaines  parties  de  la  messe,  ainsi  que  les  psaumes  des 
vêpres.  Un  catéchiste  était  chargé  de  lire  les  prières  à  haute 
voix  et  d'instruire  les  enfants.  Ces  fonctions  étaient  confiées 
à  un  homme  probe  et  assez  instruit  pour  pouvoir,  tant  bien 
que  mal,  lire  les  prières  de  la  messe  d'un  bout  à  l'autre. 

M.  Ferland  raconte  (1)  que  dans  la  visite  de  la  Baie-des- 
Cbaleurs,  Mgr  l'évêque  de  Sidyme  rencontra  à  la  Grande* 
Rivière  un  vieillard  âgé  de  82  ans  qui  avait  rempli  ces  fonc- 
tions pendant  de  longues  années;  et  qui  devenu  aveugle 
récitait  encore  de  mémoire  les  prières  qu'il  avait  si  souvent 
répétées. 

(1)  Journal  d'an  yoyt^e  sor  les  côtes  de  \m  Gaspésie. 


—  244  — 

Encore  en  1836,  il  n'y  avait  de  missionnaire  qu'à  Percé  et" 
Port  Daniel. 

La  grande  ambitix)n  des  habitants  de  la  Baie  était  alors 
d'avoir  à  Paspélpiac  un  prêtre  résidant  qui  desservirait  le 
Port  Daniel,  tandis  qu'un  autre  serait  chargé  de  Bonaven- 
ture  et  de  Gascapédiac. 

*'  Après  45  ans  écpulés,  (1)  là  où  ne  se  trouvaient  que  deux 
missionnaires,  non-seulement  le  territoire  est  divisé  en  douze 
paroisses  possédant  chacune  son  église  et  son  presbytère,, 
mais  chaque  paroisse  a  son  curé  et  i^nferme  une  population 
sursaute  pour  requérir  tous  ses  soins. 

^'  Oh  1  que  la  foi  a  jeté  de  profondes  racines  parmi  cette 
population  1...  Qu'elle  soit  seulement  reconnaissante  des 
bienfaits  que  lui  a  départis  la  Providence  î  et  que  ses  rap- 
ports avec  ceux  qui  ne  professent  pas  la  vraie  foi  ne  soient 
pas  pour  elle  des  occasions  de  défaillance  ou  d'indifférence 
coupable  I  Puisse-t-elle  toujpurs  fermer  les  oreilles  à  ceux  qui 
voudraient  lui  inspirer  de  la  défiance  ou  moins  de  docilité 
envers  ^s  pasteurs  !* 

"  En  parcourant  la  Gaspésje,  le  voyageur  est  consolé  par 
l9^  vue  de  nombreuses  croix  entretenues  avec  décence  et  res- 
pect le  long  des  grandes  routes. 

^^  La  religion  a  planté  ce  signe  sacré  aux  lieux  qu'elle  veut 
partiqulièrement  honorer,  et  elle  l'a,  placé  sur  la  voie  de 
rhomme  partout  où  il  a  besoin  de  force  et  de  consolation. 
.  "  La  crojx  veille  sur  le  champ  de  la  mort,  afin  que  le  chré- 
tieuy  conduit  par  la  douleur  auprès  de  la  tombe  de  ceux  qui 
luiXurçnt  chers,  y  prouve  un  gage  d'union  entre  les  vivante 
et  les  morts.  Avec  reconnaissance  le  nautonier  salue  la  croix 
du  rivage,  qui  lui  désigne  l'écueil  à  éviter  et  l'avertit  de 
prier  pour  l'âme  du  pauvre  nai^ifragé.,  Succombant  sous  la 
fatigue  et  brûlé  par  l'ardeur  du  soleil,  le  pè)eria,qai  a  suivi 
le  chemin  poudreux  de  la  vallée,  s'arrête  pour  se  reposer  près 
de  la  croix,  au  pi^d  de  laquelle  murmure  un  ruisseau  et 
qu'ombragent  les  longs  rameaux  de  l'érable  et  d^  l'orme.  La 
croix  marque  l'endroit  où  furent  déposés  les  restes  de  Tin- 
connu  qui  mourut  au  coin  du  bois,  sans  qu'une  voix  amie 


(1)  M.  Ferland  éczi\;ait  en  186L   Soirées  oanadienne9%^ 


—  245  — 

lui  adressât  nn  mot  de  consolation  ;  rudement  taillée  elle* 
apparait  au  détour  du  tortueux  sentier  qui  circule  dans- 
répaisseur  de  la  forêt,  et  elle  étend  ses  bras  sur  Taventureux 
pionnier  pour  lui  rappeler  que,  même  dans  ces  solitudes^ 
profondes,  il  est  toujours  sous  la  sauvegarde  de  Dieu»" 

Après  cet  aperçu,  général,  on  comprendra  mieux  les  détails- 
qui  vont  suivre. 


PERCE. 

En  1801  Ton  trouve  M.  Alexis  Lefrançois  (1)  dans  la  mis- 
sion  de  Percé  !  c'est  là  qu'il  apprenait  l'anglais  :  *'  Percé  m'a 
été  d'un  grand  secours  pour  l'anglais,  écrivait-il  à  l'évêque 
de  Canathe.  De  la  timidité,  je  suis  passé  à  l'effronterie  et  à 
l'efTronterie  la  plus  marquée,  jusqu'à  prêcher  mes  Irlandais 
et,  qui  pis  est,  presque  toujours  le  cahier  à  la  main." 

Il  revenait  sur  le  môme  sujet  en  1802  : 

"Quant  à  l'anglais,  je  n'y  ai  pas  fait  de  grands  progrès; 
j'en  suis  affligé.  Je  n'ai  trouvé  aucun  secours  à Bonaventure,^ 
les  livres  même  que  j'avais  apportés  ne  m'ont  point  été  d'une 
grande  utilité.  Je  travaille  toujours  un  peu.  Les  Anglais  de 
Percé  et  des  autres  endroits  n'auront  point  de  prédication  de 
ma  part  :  je  le  crains.  Si  Sa  Grandeur  descend  comme  on 
nous  le  fait  espérer,  ce  sera  pour  moi  un  grand  plaisir  ;  elle 
leur  procurera  bien  des  secours  et,  ce  qui  me  console  dans 
mon  impuissance,  ceux  que  je  ne  serais  pas  capable  de  leur 
donner." 

M.  Lefrançois  se  calomniait,  il  avait  réellement  acquis  une 

connaissance  suffisante  de  l'anglais  pour  être  très-utile  à 

ceux  dont  il  était  chargé. 
En  1804,  M.  Lefrançois  fut  transféré  à  la  cure  de  l'Ile  aux 

Coudres,  mais  il  desservait  de  là  la  mission  de  Percé,  le  tra- 
jet pouvant  se  faire  en  trois  jours.  A  la  mission  de  Percé 
étaient  alors  attachés,  le  Cap  Rosier,  l'Anse  au  Griffon,  la 

(1)  A  i>art  ces  missions.  M.  Alexis  Lefrançois  exerça  le  ministère  pen* 
dant  de  longues  années  dans  les  paroisses  de  l'Ile  ans  Coudres  et  de  St. 
Augustin.  Après  88  ans  de  trayail  dans  cette  dernière  paroisse,  le  véné^ 
rabie  vieillard  se  retira  à  THûtel-Dieu  de  Québec,  où  il  mourut,  en  1896, 
à  rage  de  d9  ans.  En  voyant  sa  figure  austère,  on  sentait  que  Ton  était^ 
en  présence  d'un  saint. 


—  246  — 

îlivière  au  Renard  et  les  postes  plus  considérables  y  compris 
la  Grande  Rivière.  *'  C'est  un  grand  malheur,  disait  M- 
"Lefrançois,  qu'il  n'y  ait  qu'un  prêtre  pour  toute  la  côte  nord 
de  la  Baie  des  Chaleurs."  C'est  ce  qui  détermina  l'Evoque 
de  Québec  à  y  envoyer  en  1807  le  Père  Fitzimmons,  (1)  recol- 
le t  irlandais  qui  avait  passé  quelques  années  dans  l'Ile  du 
Prince-Edouard  et  dans  le  Haut-Canada.  En  1808,  M.  Chs. 
Frs.  Painchaud  lui  fut  adjoint  :  le  12  octobre  il  écrivait  à 
i'Evôque  de  Québec  :  "  Le  Rév.  Père  Fitzsimmons  étant 
.arrivé  ici  samedi  dernier,  et  la  mission  n'étant  point  finie 
oious  avons  partagé  la  besogne.  Il  doit  achever  à  Percé  et 
Si  la  Pointe  SainUPierre,  peut-être  à  Douglastown;  et  moi, 
les  quatre  postes  en  remontant  pour  aller  droit  de  Percé  à 
Bonaventure  sans  arrêter.  Votre  Grandeur  doit  savoir 
qu'elle  peut  compter  sur  ma  bonne  volonté  pour  tout  ce 
.qu'elle  veut  et'désire  de  moi." 

M.  Kelly  (2)  était  alors  missionnaire  de  Madawaska,  et  M. 
Painchaud  l'alla  visiter. 

M.  François  Demers  (3)  remplaça  M.  Painchaud  en  1814, 
M.  Flavien  Leclerc  en  1819  (4). 

M,  Clément  Aubry  (5)  en  1821.  M.  Thos.  Caron  en  1823  (6). 

Dans  une  lettre  du  13  août  1824,  M.  Caron  informait  &^r 
Plessis  que  les  gens  de  la  Petite-Rivière  demandaient  la 
permission  de  construire  une  petite  cnapelle  pour  y  faire  la 
prière  en  commun  les  dimanches  et  les  fêtes  ;  et  il  ajoutait  : 

(1)  Le  Père  Fitzimmonfl  repassa  en  Irlande  en  ISli. 

(3)  M.  J.  B.  Kelly  ne  fat  qa'nn  an  à  Bfadawaska,  et  fut  chargé  saooes- 
fiiyement  des  paroisses  de  St.  Denis  et  de  Sorel.  I/Ev^ôque  de  Québec  le 
nomma  Vicaire-Général  en  1896.  H  fat  tiente-six  ans  oaré  de  Socel.  et 
monrut  à  Montréal  en  1854^ 

(8)  M.  F.  X.  Demers,  en  revenant  de  la  Baie  des  Ohalenn,  fat  chargé 
4e  paroisses  importantes  :  St.  Luc,  St.  GréoDire,  Boaoherville,  St.  Èiaae 
et  St.  Denis.  Il  était  Vicaire-Général  de  FËyègne  de  Montréal,  qouid  il 
moarat,  en  186S. 

(4)  M.  Flavien  Leclerc,  après  avoir  passé  un  an  seulement  dans  les 
missions,  fat  placé  à  St.  André  de  Kamoaraska  ;  il  y  resta  jusqu'à  sa  mcôrt» 

.  arrivée  en  1887. 

(5)  Il  n'y  a  que  six  ans  que  M.  Clément  Aubry  est  mort.  C'est  à  la 
&Lvière-des-Frairies  qn'U  rut  plus  longtemps  caré.  Il  aimait  Fétade  et 
l'enseimement  ;  à  deux  reprises  il  fut  professeur  à  St.  ^yacintile  et  à 
^te.  Tnérèse. 

<6)  M.  Chs.  Thos.  Caion  dirioea  successivement  les  paroiaseg  du  Sti 
^Esprit,  de  St.  Vincent-de-Paul,  de  St.  Martin  et  de  Chftteaaguay. 


—  .247  — 

De  retour  d'un  voyage  à  Québec,  M.  Garon  écrivait  de  Percée 
le  4  novembre  1824,  à  Mgr  Plessis  : 

^^  Les  cinq  familles  d'un  petit  endroit  nommé  Caboso^  dépen- 
dant  et  éloigné  de  la  Grande  Grave  de  deux  lieues,  demandent 
la  même  permission.  " 

^^  En  profitant  de  l'occasion  de  donner  à  Votre  Grandeur 
quelque  nouvelle,  j'ai  le  plaisir  de  l'informer  que,  grâces  à 
la  Providence,  nous  avons  eu  un  asse^  heureux  passage,  qui 
n'a  duré  que  cinq  jours  pleins.  Je  m'étais  embarqué  le  9' 
octobre  au  soir  à  Québec,  et  j'ai  pu  dire  ma  première  messe 
à  Percé  le  15.  Le  vent  de  nord-ouest  nous  prit  fortement  à 
le  Pointe  St.  Pierre,  et  nous  parcourûmes  en  moins  de  rien 
la  distance  qu'il  y  a  de  cet  endroit  à  Percé.  Il  était  temps 
de  mettre  pied  à  terre  ;  car  les  voiles  déchiraient  quoiqu'elles^ 
fussent  presque  neuves.  C'était  un  véritable  ouragan  :  j'eus 
alors  pour  la  première  fois  l'occasion  d'admirer  la  puissance 
de  Dieu  dans  les  Ilots  et  les  élévations  de  la  mer.  Réfugiés 
à  l'Anse  à  Beauâls,  nous  débarquâmes  le  lendemain  matin. 

^'  L'ancienne  chapelle  est  trop  petite  et  menace  de  nous 
tomber  sur  le  dos.  Les  travaux  de  la  nouvelle  chapelle,  de 
la  sacristie  et  du  presbytère  sont  suspendus  jusqu'au  prin- 
temps. Le  carré  est  levé,  et  le  tiers  du  lambris  est  posé  ;  l'en- 
trepreneur doit  livrer  les  édifices  le  15  août.  J'espère  pouvoir 
gagner,  en  faisant  la  quête  cet  hiver,  que  chaque  propriétaire 
fournisse  sa  part  de  bardeaux  et  de  clous.  Il  faut  environ 
sept  cents  planches  pour  le  second  lambris,  et  huit  châssis 
pour  clore  les  ouvertures." 

• 

Autres  lettres  de  M.  Caron. 

"  Percé,  19  mai,  1825. 

''Je  suis  arrivé  de  Paspébiac  le  16  du  présent  mois  pour 
y  voir  mon  nouveau  voisin  que  je  n'avais  pas  encore  ren- 
contré ;  il  y  avait  cinq  mois  et  demi  que  je  n'avais  pas  vu  de 
prêtre.  Ah  I  qu'il  est  dur  de  demeurer  si  longtemps  seul  et  si 
isolé  !  Je  ne  finirais  pas  de  me  plaindre  sur  le  malheur  et  la^ 
dureté  de  ma  solitude,  si  je  ne  craignais  de  fatiguer  et  de 
lasser  Votre  Grandeur  par  mes  lamentations.   Mais  je  mec 


—  248  — 

«ens  soulagé  quand  je  me  suis  entretenu  avec  Celui  qui  & 
toute  autorité  en  mains,  et  de  qui  seul  je  puis  et  dois  atten- 
dre quelque  adoucissement  à  la  rigueur  de  ma  solitude. 
Vous  savez,  aussi  bien  que  moi,  combien  il  est  dur  à  on 
pauvre  prêtre  de  rester  seul  ici,  pour  essayera  établir  le  règne 
de  Dieu  dans  un  endroit  où  Tennemi  des  âmes  voudrait 
régner,  pour  entreprendre  la  réformation  des  mœurs,  poar 
résister  et  s'opposer  au  torrent.  Comment,  mon  Dieu,  un 
prêtre  seul,  et  surtout  moi,  dépourvu  de  tout,  talent^  vertu 
jumière,  expérience,  peut-il  espérer  remporter  la  victoire  ?  " 

"  Percé,  28  décembre  f  824. 

"J'ai  de  la  joie  à  annoncer  à  Votre  Grandeur  qu'en  vertu 
<de  mes  pouvoirs  extraordinaires,  j'ai  eu  la  grande  consolation 
•de  recevoir  huit  abjurations  depuis  mai  dernier.  Puissè-je 
encore  avoir  la  même  consolation  pour  le  plus  grand  bonheur 
de  ceux  qui  embrassent  la  vérité  !  Parmi  ces  nouveaux  con- 
vertis, il  y  a  cinq  hommes  et  trois  filles.  H  semble  que  Dieu 
veut  ainsi  compenser  les  peines  et  les  contradictions  que  ren- 
-contre  son  indigne  serviteur,  en  voulant  se  servir  de  lui 
comme  d'un  instrument  pour  une  œuvre  aussi  grande  qu'est 
celle  de  confondre  l'hérésie  et  de  rompre  les  liens  qui  atta- 
chent de  pauvres  chrétiens  à  l'erreur." 

"Percé,  6  août  1825. 

"  La  permission  de  bâtir  une  petite  chapelle  que  Votre 
-Orandeur  avait  accordée  aux  gens  d'un  petit  endroit  appelé 
Cabozo  n'étant  pas  mise  à  profit,  parcequ'il  ne  s'y  trouve  pas 
-assez  de  monde,  j'espère  que  vous  verrez  d'un  bon  œil  que 
je  transfère  cette  permission  aux  catholiques  des  environs  da 
Bassin  de  Gaspé  qui  sont  au  nombre  d'une  vingtaine  ta 
moins  et  qui  ne  pourront  qu'augmenter  bien  vite.  Plusieurs 
raisons  doivent  engager  à  laisser  ériger  une  chapelle  en  cet 
endroit  ;  la  première,  c'est  que  les  pauvres  gens  paraissent  bien 
le  désirer  et  sont  décidés  à  le  faire  au  plus  tôt  ; — la  seconde. 
c'est  que  ces  gens,  qui  ont  trois  lieues  à  se  rendre  à  Douglas- 
.lown,  ne  savent  pas  toujours  quand  le  missionnaire  s'y  trouve, 


—  249  — 

ou,  s'ils  rapprennent,  il  est  trop  tard  ou  il  leur  est  impossible* 
de  faire  la  traverse  ;  —  la  troisième  pourrait  être  celle  de  ne^ 
pas  laisser  lieu  à  Terreur  de  se  glorifier  d'être  seule  en  cet 
endroit  et  d'y  triompher." 

"  Percé,  16  septembre  1825. 

^^  Je  suis  arrivé  avant-hier  de  visiter  tous  mes  postes  du 
côté  de  la  Rivière-aux-Renards  :  j'ai  été  cinq  semaines  dans^ 
cette  excursion.  Je  dois  repartir  la  semaine  prochaine  pour 
Paspébiac,  où  je  rencontrerai  mon  voisin  que  je  n'ai  pas  vu 
depuis  le  4  de  mai. 

''  J'ai  été  bien  affligé  d'apprendre  par  mon  serviteur  que 
Votre  Grandeur  était  retenue  à  l'hôpital  par  une  augmenta- 
tion de  son  infirmité  ordinaire.  Plaise  au  Seigneur,  le  sou- 
verain médecin  de  tous  les  infirmes,  que  ce  mal  ne  soit  que 
passager  et  que  Votre  Grandeur  jouisse  bientôt  d'une  santé 
plus  parfaite.  Ce  sont  là  les  vœux  très  ardents  du  chétif 
naissionnaire  de  Percé,  qui  a  l'honneur,  etc. 

"  (Signé,)        G.  Th.  Caron,  Ptre." 

M.  F.  A.  Boisvert  (l)  remplaça  M.  Caron  en  1826,  et  alla 
résider  à  Bonaventure  en  1827.  L'année  suivante  de  nou- 
veaux missionnaires  furent  placés  dans  tous  les  postes.  M. 
J.  B.  McMahon  à  Percé  (2)  ;  M.  Gagnon  à  Carie  ton  (3)  ;  M* 
Célestin  Gauvreau  à  Memramcouq  (4)  ;  M.  Malo  à  Ristigou- 
che  (5)  et  M.  Naud  à  Nipissiguit  (6). 

0)  M.  Boisvert  est  mort  à  Rorton  en  1864.  H  avait  été  ouré  à  St.  Oé^ 
saire,  St.  FLe.et  à  la  RivÂère-des-JPiairiee. 

(2)  M.  J.  B.  MoMahoD  était  chaplain  de  Féglise  St.  Jacanes  de  Montréal 

Suand  il  fat  nommé  missionnaire  de  Perce.    H  passa  ensuite  six  ans  à* 
herbrooke,  et  se  rendit  abx  KtatsrUnis. 

.  (S)  M.  Jean  Yn.  Gagnon  est  mort,  à  S3  ans,  en  1875  ;  St.  Pierre-les^ 
Becqnets,  St.  Jean  Beschaillons,  LaV altrie  et  Berthier  forent  les  paroisse» 
dont  il  eut  la  direction. 

(4)  M.  Célestin  Qaavrean  fat  quatre  ans  à  Memramoouq;  trois  ans  à  St. 
Laurent;  sept  ans  professeur  de  théoloc(ie  au  Grand  Séminaire  de  Québec. 
Les  dix-neuf  dernières  années  de  sa  vie  se  passèrent  au  CoUége  de  Ste. 
Anne  :  il  était  Vicaire-Général  de  l'Archevêque  de  Québec. 

(5)  M.  Malo  est  encore  vivant  et  curé  de  Bécancou^b  depuis  1850. 

(6)  M.  Naud  est  retiré  du  ministère  depuis  vinfft  ans  et  demeure  dan» 
la  paroisse  de  St.  Laurent,  Ile  d'Orléans,  dont  il  fut  curé  pendant  vingts 
six  ans. 


—  250  — 

^^  M.  Gauvreau  passa  quatre  années  à  Memramkoac  et  il  j 
'Connut  toutes  les  fatigues,  les  peines  et  les  privations.  Il 
aimait  à  raconter  les  incidents  curieux  qui  marquèrent  les 
«deux  voyages  qu'il  ût  à  Québec  pendant  sa  vie  de  mission- 
naire.  On  sait  combien  difficiles  étaient  les  communications, 
alors  qu'on  ne  connaissait  ni  voie  ferrée,  ni  macadam,  mais 
seulement  le  canot  pour  les  lacs  et  les  rivières,  puis  le  véhi- 
cule le  plus  élémentaire  pour  franchir  les  portages.  Il  n'ou- 
bliait qu'une  seule  chose  dans  ces  récits  :  les  fatigues  qu'il 
avait  dû  éprouver  (1).  Il  a  été  partout  le  même,  toujours  un 
«aint.  D'abord  dans  les  missions  lointaines  et  difficiles  aux- 
rquelles  il  consacra  les  premières  années  de  son  ministère  : 
^ensuite  pendant  les  années  où  il  remplit  l'office  de  curé,  puii 
enfin  dans  les  diverses  situations  qu'il  a  occupées  et  où  il  a 
laissé  les  souvenirs  les  plus  précieux  et  les  plus  vivaces  dans 
îous  les  cœurs  (2)  '\ 

M.  McMahon  écrivît  à  Mgr  Panet  le  8  mai  1839  : 

'^  Je  suis  tout  glorieux  de  vous  annonce.r  la  conversion  du 
«principal  protestant  de  Percé.  J'étais  allé  à  Garletoa  (dis- 
"tance  d'au  moins  trente-six  lieues)  pour  aider  mes  confrères 
4ans  la  neuveine  de  St.  François-Xavier.  J'y  ai  trouvé  un 
^rand  nombre  de  personnes  parlant  l'anglais  et  cpii  se  sont 
adressées  à  moi  pour  la  confession.  Ils  n'avaient  pas  satisfait 
il  ce  devoir  depuis  le  départ  du  Père  Fitzsimmons,  et  étaient 
îrès  contents  de  me  rencontrer. 

"  A  mon  retour  à  Percé,  je  me  suis  hâté  d'aller  voir  mon 
nouveau  catholique,  M.  Fox,  vieillard  de  quatre-vingt-six 
ans  ;  il  était  bien  faible.  Les  protestants  n'avaient  cessé  de 
dire  pendant  mon  absence  :  ^^  M.  Fox  n'est  pas  encore  catho- 
lique, il  ne  le  gagnera  pas."  Mais  grâce  à  Dieu  il  était  bien 
ferme,  et  se  préparait  à  la  mort  Je  l'ai  enterré  depuis  et  je 
vous  assure  que  nos  pauvres  frères  séparés  sont  bien  morti- 
fiés. Cela  fait  la  sixième  abjuration  que  je  reçois  depuis 
mon  arrivée. 

^^  Les  protestants  redoublent  d'eiïbrts,  faisant  circuler  une 
version  calviniste  de  la  Bible  parmi  les  catholiques.    Le 


(1)  Notice  biographlqaef  1365. 

.{2).Orai9on  f  anèbre  par  M.  André  Pelletier. 


—  251  — 

ministre  voudrait  leur  persuader  que  cette  Bible  ne  renferma 
aucune  différence  d'avec  celle  de  TEglise  catholique.  Il  a 
marié  deux  catholiques  ensemble  ;  mais  je  les  ai  séparé» 
publiquement  et  mariés  plus  tard  dans  un  temps  convenable. 
Grâce  à  Dieu,  je  reçois  des  convertis  presque  toutes  le» 
semaines. — J'envoie  à  M.  Portier  la  liste  d'une  foule  de- 
choses  qui  manquent  à  l'église  :  j'espère  qu'il  aura  la  bonté- 
de  remettre  cette  liste  à  M.  Desjardins  ou  à  quelqu'autre- 
charitable  pourvoyeur.  " 

Autre  lettre  de  M.  McMahon  : 

"  Percé,  26  février  1830. 

*'  J'ai  informé  Votre  Grandeur  que  les  protestants  avaient 
fait  beaucoup  de  bruit  à  l'occasion  de  la  défense  signifiée  à 
mes  fidèles  de  lire  la  Bible  protestante.  Cette  effervescence 
se  calme  ;  mais  le  ministre  ne  cesse  ses  efforts  f  our  pervertir 
nos  catholiques. 

"  Voici  l'état  des  constructions  :  à  Percé  on  travaille  à  la 
voûte  ;  à  l'Anse  au  Griffon  on  a  bâti  la  chapelle  ;  une  autre 
est  commencée  à  la  Malbaie,  et  celle  de  la  Grande-Rivière 
s'achève. 

''  La  population  totale  de  mes  missions  est  actuellement 
de  2,460  de  la  Rivière-aux-Renards  à  la  Pointe  au  Maquereau, 
mais  elle  varie  beaucoup.  Il  est  arrivé  cette  année  environ 
cinquante  Irlandais,  qui  ne  parlent  que  le  Gallic  et  se  sont 
fixés  à  Percé.  Il  arrive  assez  souvent  que  des  protestants 
assistent  aux  ofBces  dans  mon  église. 

^'  Deux  orphelins  sauvés  d'un  naufrage  au  Cap  Rosier  ont 
été  vendus  par  ceux  qui  les  ont  recueillis.  Comme  l'un  d'eux 
était  maltraité,  je  l'ai  réclamé  et  la  Cour  me  l'a  fait  livrer. 

^'  Notre  population  est  bien  pauvre  ;  et  cet  état  est  dû  au 
monopole  exercé  par  quelques  marchands. 

"  J.  B.  McMahon,  Ptre  Mis." 


/ 


—  252  — 

Extrait  de  lettres  de  M,  Ant,  Campeau  (1). 

'M  6  janvier  1843. 

''  Le  8,  dimanche  dans  rOctave,  j'ai  reçu  à  Percé  après  la 
grand 'messe  et  publiquement,  Tabjuration  d'un  Guernesiais 
nommé  Samuel  Hopin,  dont  je  considère  le  retour  comme 
une  récompense  des  sacrifices  qu'il  a  faits.  " 

"16  juillet  1844. 

"J'ai  vu,  Monseigneur,  avec  un  vif  plaisir  V Unicom  dé- 
barquer à  Percé  même,  la  veille  de  TAscension,  le  respec- 
table juge  Kiset  et  son  intéressante  famille,  ainsi  qu'un  ami 
ei  confrère,  M.  Bardy  (2).  L'endroit  a  besoin  de  recevoir  de 
temps  en  temps  de  semblables  habitants,  qui  y  répandront 
plus  abondamment  des  notions  solides  de  religion,  de  civili- 
sation et  de  bonne  justice. 

"  La  mission  a  perdu,  le  25  juin  dernier,  une  de  ses  bonnes 
âmes,  Madame  Winter,  qui,  par  sa  piété  et  sa  vie  exemplaire, 
faisait  l'édification  de  tout  le  monde. 

"  Grâce  aux  legs  Robiti,  la  chapelle  de  Percé  se  termine 
rapidement  ;  le  portail  n'est  paâ  du  tout  désagréable  ;  il  n'en 
cède  guère  à  nos  jolies  églises  de  campagnes  en  Canada.  Les 
£ens  en  sont  tous  surpris. 

"  Ant.  Campeau,  Ptre." 

L'établissement  de  la  société  de  tempérance  fit  époqtie  à 
Percé  ;  il  eut  lieu  en  1842,  et  se  propagea  dans  d'autres  mis- 
fiions.  M.  O'Gr^dy  rendît  compte  à  Mgr.  Signay  de  la  fête 
organisée  à  cette  occasion. 

"Percé,  15  août  1842. 

"Le  dernier  dimanche  de  juillet,  dit-il,  a  été  remarquable 
à  Percé,  par  la  belle  et  grande  procession  de  la  société  de 
Tempérance.    On  avoit  eu  soin  de  l'annoncer  à  l'avance,  et 

(1)  M.  Ant.  Campeau  est  ooré  de  Beaomont  depuis  22  ans. 

(2)  M.  Félix  Séverin  Bardy  fut  une  des  victimes  du  terrible  fl^^au  de 
1847,  le  tynhus.  Il  contracta  la  maladie  au  lazaret  de  la  Grone-He  et 
mourut  à  THôtel-Dleu  de  Québec,  le  2  septembre  ;  U  n'avait  gue  S3  ans. 


—  253  — 

les  habitants  des  postes  voisins  affluèrent  le  jour  de  la  solen- 
nité. Pendant  toute  la  semaine  on  avait  fait  les  préparatifs. 
Un  monument  magnifique  fut  improvisé  sur  le  mont  Joli  par 
les  soins  de  MM.  Moriarty,  Mignault,  Le  Bouthilier,  Winter 
et  d'autres.  On  l'avait  orné  de  riches  pavillons  ;  une  batterie 
y  avait  été  établie  et  il  était  convenu  que  Ton  tirerait  du 
bâtiment  des  MM.  Robin  un  salut  de  21  coups.  Les  plus  zélés 
-avaient  offert  un  riche  pain-bénit;  le  matin  je  distribuai  56 
•cartes  de  tempérance  à  de  nouveaux  membres,  et  l'après- 
midi  fut  réservée  pour  la  manifestation  extérieure.  A  deux 
heures,  la  procession  était  organisée,  après  la  bénédiction 
d'une  belle  bannière  destinée  à  ouvrir  la  marche,  et  ornée 
d'inscriptions.  La  croix  y  brillait  comme  signe  de  victoire 
sur  un  ennemi  longtemps  récalcitrant.  Les  jeunes  gens  sui- 
vaient, portant  de  ceinturons  et  de  jolis  pavillons.  Les  femmes 
et  les  hommes  en  deux  bandes  séparées  marchaient  à  double 
rang,  tenant  chacun  des  étendards  de  diverses  formes.  La 
milice  sous  les  armes  et  commandée  par  son  Capitaine  venait 
ensuite.  Le  curé  et  ses  assistants  étaient  entourés  des  person- 
nages les  plus  marquants  ;  et  la  procession  ainsi  disposée 
s'étendait  à  une  distance  de  plus  de  dix  arpeuts.  Le  nombre 
des  personnes  présentes  était  de  1,000  au  moins  ;  la  milice 
tirait  des  salves  à  intervalles  réglés  et  les  canons  du  mont 
Joli  alternaient  avec  le  vaisseau  en  rade  pour  répandre. 
C'était  un  spectacle  vraiment  imposant  e*  qui  frappait  les 
protestants.  Après  la  bénédiction  du  monument,  plusieurs 
orateurs  adressèrent  la  parole  aux  membres  de  la  société  de 
Tempérance,  l'on  revint  à  l'église  dans  le  môme  ordre,  et 
tout  fut  couronné  par  la  bénédiction  du  Très  Saint  Sacre- 
ment. Le  règne  de  la  boisson  est  donc  fini  :  que  le  bon  Dieu 
en  soit  à  jamais  remercié  ! 

''JohnO'Grady,  Ptre." 

Relation  d'une  fnission  en  1844  : 

^'Montés  sur  la  barque  de  M.  Flynn  de  Gaspê,  dous  avons 
quitté  Percé  le  14  octobre  en  route  pour  la  Rivière-aux-Re- 
nards.  Gomme  le  vent  était  très  favorable,  trois  heures  et 
demie  après,  nous  étions  au  Cap  Rosier.    Là  il  nous  fallut 


—  254  — 

prendre  un  bateau-plat  et  deux  rameui's  qui  nous  condui- 
sirent jusqu'à  rAnse-au-6riffou.  M.  Malouin  nous  prit  sur  sa 
berge,  et  à  huit  heures  nous  arrivions  à  la  Rivière-aux-Re- 
nards.  La  chapelle  de  ce  poste  est  petite  et  il  y  manque  bien 
des  choses  :  on  y  a  levé  une  nouvelle  chapelle  ;  mais  une 
tempête  de  vent  l'a  presque  renversée  pendant  la  mission. 
En  arrivant,  nous  avons  appris  avec  bonheur  qu'un  brave 
homme  du  nom  de  Sauveur  faisait  le  catéchisme  aux  enfants 
tous  les  dimanches.  Chaque  jour  il  y  eut  deux  instructions 
pour  toute  la  population  et  le  catéchisme  ;  le  nombre  de  com- 
munions fut  de  quarante.  Un  protestant  du  nom  de  Preston 
fit  son  abjuration  ;  et  je  retirai  douze  livres  hérétiques,  bibles, 
tractSy  catéchismes  protestants  qui  se  trouvaient  dans  des 
familles  catholiques.  Je  dois  dire  que  la  plupart  n^en  con- 
naissaient pas  le  contenu  et  ne  les  avaient  pas  lus.  La  popu- 
lation de  la  Rivière-aux-Renards  est  de  35  famiUes  et  environ 
210  âmes.  Nous  ûmes  par  terre  les  deux  lieues  qui  nous  sépa- 
raient de  TÂnse-au-GrifTon.  La  chapetle  est  propre  et  conve- 
nable^ mais  il  y  manque  une  cloche,  et  la  sacristie  est  abso- 
lument vide.  M.  Doucet  leur  a  procuré  des  burettes,  des 
images  et  d'autres  objets.  Les  habitants  de  ces  deux  postes 
ont  fait  une  souscription  pour  acheter  des  cloches.  Le  nombre 
d'âmes  à  l'Anse  au  Goiffon  est  de  180:  le  nombre  de  mau- 
vais livres  que  j'ai  trouvés  ici  est  de  42.  Nous  demeurâmes 
trois  jours  et  demi  dans  cette  missioft  :  quatre  enfants  y  furent 
baptisés  et  le  même  nombre  à  la  Rivière-aux-Renards. 

*'^  £n  trois  heures  nons  âmes  la  distance  qui  nous  séparait 
du  Cap  Rosier,  sur  une  barge  montée  de  quatre  rameursL 
Les  pécheurs  étaient  occupés  à  sauver  la  cargaison  de  Vin- 
dian  Chief^  vaisseau  naufragé  ;  cependant  il  y  eut  beaucoup 
de  monde  à  la  mission.  La  pauvre  chapelle  est  dans  un  état 
déplorable,  point  de  lambris,  de  clocher  ni  de  clôture.  Je  fus 
chagrin  de  ne  pouvoir  baptiser  les  enfants  d'une  femme  ca- 
tholique, dont  le  mari  protestant  ne  voulait  pas  les  laisser 
élever  catholiquement.  J'espère  encore  que  la  grâce  de  Dieu 
et  les  prières  .de  la  femme  l'ajuëne^ont  à  donner  son  consen- 
tement un  peu  plus  tard.  On  me  livra  ici  quatre  livres  héré- 
tiques, qui  ne  feront  jamais  de  mal  à  personne.  Le  poste  sui- 
vant est  la  Grande  Grave,  où  la  chapelle  n'est  pas  prête  pour 


—  255  — 

<ju*on  y  dise  la  messe.  Nous  préparâmes  ce  qu'il  fallait  dans 
la  maison  d'une  veuve.  Tous  les  postes  depuis  la  Rivière- 
aux-Renards  seraient  visités  plus  fréquemment  s'il  y  avait 
un  prêtre  à  Douglastown,  comme  le  bien  des  âmes  le  de- 
mande. Les  protestants  méthodistes  de  ce  voisinage  seraient 
moins  hardis  s'ils  se  sentaient  surveillés  de  près  :  j'ai  détruit 
ici  24  livres  wesleyeus  de  toute  espèce.  Un  sermon  anglais 
et  un  français  ont  attiré  tout  le  monde  :  il  y  a  une  soixan- 
taine de  catholiques.  Pas  encore  d'école  catholique  dans  tous 
ces  endroits  ;  je  désire  beamcoup  recevoir  de  Québec  des 
livres  d'école  des  deux  langues.  Â  Gaspé  nous  primes  loge- 
ment chez  M.  McKenna  ;  la  chapelle  est  absolument  nue  ;  il 
n'y  a  pas  mâme  de  gradins  sur  la  table  de  l'autel  :  aucun 
banc  pour  s'asseoir,  ni  clocher^  ni  cloche.  C'est  triste,  dans 
un  lieu  surtout  où  le  protestantisme  domine.  Les  catholiques 
ont  bien  fait  ce  qu'ils  pouvaient  :  ils  ont  souscrit  |8,  pour  les 
choses  les  plus  nécessaires.  Le  nombre  de  familles  est  de  25. 
J'ai  prêché  deux  fois  par  jour,  et  la  plupart  ont  rempli  leurs 
devoirs  religieux. 

^^  Deux  Sauvages  nous  conduisaient  en  canot  à  Douglas- 
town  le  2  novembre,  et  nous  logeâmes  chez  M.  Gaul.  Nous 
y  demeurâmes  six  jours,  préchant  matin  et  soir;  Sur  soi- 
xante familles  il  n'y  en  a  qu'une  de  protestante.  On  vient 
<le  commencer  la  construction  d'une  école.  L'église  est  assez 
élégante,  mais  le  clocher  est  mal  fait.  S'ils  pouvaient  avoir 
un  prêtre,  ces  bons  Irlandais  bâtiraient  une  église  qui  cor- 
respondrait au  presbytère.  Après  avoir  confisqué  une  dou- 
zaine et  demie  de  livres  protestants,  nous  nous  mîmes  en 
route  pour  la  Malbaie  :  nous  apprîmes  au  même  moment  le 
naufrage  de  la  goélette  Maria^  capitaine  Audet,  sur  laquelle 
se  trouvaient  les  livres  de  M.  Campeau,  qui  sont  perdus.  Il  y 
a  environ  300  cathoUques  à  la  Malbaie  et  une  bonne  cha- 
pelle, qui  n'est  pas  finie.  La  mission  a  bien  réussi.  Les 
protestants  sont  assez  nombreux,  et  j'ai  fait  disparaître  quatre 
livres  de  leurs  sectes  déposés  chez  les  catholiques.  Nous 
fûmes  de  retour  à  Percé  le  14  novembre.  Au  bout  de  quel- 
ques jours  nous  nous  rendîmes  à  New  Port,  éloigné  de  douze 
lieues,  et  M,  le  curé  reçut  une  abjuration.  Du  Petit  Pabos 
à  la  Petite-Rivière  il  y  a  au  moins  600  âmes.  Nous  passâmes 


—  Mô- 
les derniers  jours  du  mois  dans  ce  dernier  lieu  et  reçûmes^ 
grâce  à  Dieu,  quatre  protestants  dans  le  sein  de  TEglise. 

"  M,  DowLiNG,  Ptre." 

Lettres  de  M.  Doucet  : 

"Percé,  13  janvier  184d. 

"  Comme  ma  santé  est  bonne  et  que  je  puis  facilement 
marcher  à  la  raquette,  je  me  suis  décidé  à  visiter  tous  mes 
postes  cet  hiver.  Je  ne  puis  entendre  les  gens  se  plaindre 
d'être  abandonnés  tous  les  hivers  :  je  croirais  ma  conscience 
engagée  si  je  ne  me  rendais  à  leurs  supplications. 

"  Il  y  a  quinze  jours,  j*ai  été  appelé  pour  un  malade  à  dix 
lieues  d*ici  ;  j'ai  fait  quatre  autres  lieues  à  la  raquette  pour 
dire  la  messe  à  la  chapelle  la  plus  voisine." 

«20- février  1845. 

"  Nous  continuons  à  éprouver  de  la  coasolation  dans  notre 
ministère.  Le  nombre  des  associés  de.laitempèrance  aug- 
mente;  des ^otestantseuz-mômes  viennent  {«rendre  Pengar 
gement.  Plusieurs  méritent  la  grâce  de  leur  conrersion  : 
M.  Do^rlifig  a  reçu  dernièrement  trois  abjurations  :  dimanche 
dernier,  j'ai  admis  une  femme  qui  s'était  instruite  de  la 
religion  ;  et  nous  recevrons,  probablement,,  dimanche  pro- 
chain^ une  autre  abjuration. 

"25  août  1845. 

"J'arrive  du  Qoridorme,  situé  à  cinquante  lieues  d'ici  ; 
c'est  la  première  fois  que  je  visite  ce  poste,  où  M.  Campeau 
s'était  transporté  l'année  dernière.  Il  y  a  sept  familles  dans 
ce  lieu,  et  deux  autres  dans  la  Grande- Vallée.  Celles-ci 
prévenues  de  la  mission  s'y  sont  rendues  avec  empressement, 
quoique  la  distance  soit  de  quatre  lieues.  Je  n'ai  jamais  va 
des  gens  si  contents  :  c'était  la  seconde  fois  seulement  qu*ils 
entendaient  la  messe  depuis  dix  à  douze  ans.  J'y  suis  resté 
deux  jours  entiers  ;  j'ai  prêché  tout  le  temps.  Tous  se  sont 
confessés,  douze  .ont  demandé  le  scapulaire,  et  j'ai  fait  pren> 


^257  — 

<lre  rengagement  de  la  tempérance.  A  mon  départ  ces  bons 
pêcheurs  témoignaient  leur  joie  par  des  centaines  dé  coups 
<le  fusil. 

'^  En  revenant  j'ai  fait  une  mission  dans  chaque  poste.  Au 
€ap-Rosier,  j'ai  reçu  deux  protestants  dans  l'Eglise.  Ils 
étaient  instruits  et  bien  décidés  à  faire  cette  démarche 
importante  :  ils  venaient  de  Guernesey." 

"  24  septembre  1845. 
"  Monseigneur, 

Je  suis  bien  content  d'apprendre  que  M.  Dowling  est 
chargé  de  Douglastown  ;  parce  que  la  gloire  de  Dieu  et  de 
la  religion  demandait  que  la  mission  fût  partagée,  mais  je 
regrette  de  rester  seul  à  Percé.  J'ai  toujours  aimé  les  mis- 
sions, je  voudrais  bien  sauver  les  autres  ;  ce  que  je  redoute 
c'est  Téloignement  des  confrères.  " 

«  20  décembre  1845. 

"  MONSEIGEUR, 

"  A  la  Toussaint  nous  avons  profité  pour  la  première  fois  de 
vos  dons  :  j'ai  fait  servir  le  plus  beau  des  quatre  ornements 
que  vous  nous  avez  envoyés.  Sur  l'autel  il  y  avait  une  belle 
garniture  de  chandeliers  de  bronze  argentés  que  je  venais' 
de  recevoir  de  M.  Hamel.  M.  l'avocat  Mattel,  élève  du  col- 
lège de  Nicolet,  comme  vous  le  savez,  a  chanté  la  messe 
Bordelaise,  et  a  été  assisté  d'un  cbceur  pour  le  reste  de  l'office. 

"Madame  LeBouthilier  m'a  donné  hier  £10  d'après  la 
demande  que  je  lui  ai  faite,  de  la  part  de  M.  Desjardins,  pour 
faire  peindre  une  Ste.  Elizabeth,  sa  patronne,  qui  sera  placée 
dans  notre  église." 

"Percé,  22  mars  1847. 

» 

"  Nous  avons  un  accident  à  déplorer  dans  nos  missions  ; 

c'est  rincendie  de  l'église  de  Douglastown,  qui  eut  lieu  il  y 

a  huit  jours.    M.  Dowling  avait  été  appelé  auprès  d'un 

malade  ;  les  effets  qui  étaient  dans  l'église  ont  été  perdus. 

L'accident  parait  avoir  été  causé  par  une  chandelle,  placée 

3 


—  258  — 

fiur  un  banc  devant  le  St  Sacrement.  J'ai  été  obligé  .de 
prêter  à  ce  cher  confrère  les  objets  nécessaires  pour  la  célé- 
bration de  la  sainte  messe  :  il  n'y  a  pas  d'autre  lieu  dispo- 
nible que  son  presbytère.  Il  m'écrit  que  les  paroissiens  ne 
sont  pas  découragés,  et  qu'ils  ont  déjà  levé  la  charpente  d'une^ 
bâtisse  dont  ils  se  serviront  en  attendant  l'égUse  commencée 
en  pierre  :  il  espère  y  dire  la  messe  à  Pâques. 

'^  J'ai  su  ces  jours  derniers  que  le  respectable  M.  Paul 
Gaul,  de  Douglastown,  où  les  prêtres  se  sont  toujours  retirés, 
est  mort  presque  subitement." 

"Percé,  11  mars  1848. 

^^  Ce  n'est  pas  une  petite  entreprise  que  de  bâtir  une  église 
dans  la  Baie  ;  celle  de  la  Grande-Rivière  semble  cependant 
devoir  se  terminer  bientôt  Les  dimensions  sont  88  pieds 
de  longueur  sur  38  de  largeur  avec  des  chapelles  :  la 
fondation  est  en  pierre.  L'ouvrage  est  très  bien  fait  au  dire 
de  tous  les  charpentiers  ;  à  la  fin  de  juin  tous  les  chassis^ 
seront  posés.    L'entrepreneur  vient  d'Halifax. 

"  J'ai  transporté  à  New  Port  deux  petits  tableaux,  don  de 
M.  Desjardins,  notre  providence. 

"  C'est  aussi  à  lui  que  nous  devons  des  gradins  pour  char- 
cune  des  chapelles  ;  il  me  dit  qu'il  pense  en  envoyer  encore 
deux.  Je  n'ai  pas  encore  de  ciboire,  ni  de  porte-Dieu.  Dans 
tous  les  postes,  excepté  i  Percé,  je  me  sers  d'une  branche  de 
sapin  pour  doaner  l'eau  bénite  le  dimanche. 

'^  Je  fais  travailler  à  toutes  les  chapelles,  à  Percé,  à  la 
Malbaie,  à  la  Grande-Rivière,  à  New  Port  Dans  ce  dernier 
poste,  on  a  construit  de  plus  un  presbytère  qui  sera  d'une 
grande  commodité. 

"  N.  DoucET,  Ptre." 

Lettre  de  M.  Nérée  Gingras, 

"  Percé,  16  décembre  I85a 
*'  Monseigneur, 

^^  Depuis  longtemps  je  désirais  écrire  à  Votre  Grandeur^ 
n'ayant  pas  eu  le  bonheur  de  me  joindre  à  mes  confrères 


—  259  — 

pour  présenter  mes  félicitations  à  mon  nouvel  Archevêque^ 
lui  exprimer  mes  souhaits  pour  le  succès  de  son  administra- 
tion et  solliciter  une  bénédiction  sur  les  œuvres  de  mon 
ministère.  J*en  saisis  aujourd'hui  l'occasion  avec  empresse- 
ment. 

^^  Permettez-moi  de  Vous  entretenir  de  mes  missions.  J -ai 
terminé  la  semaine  dernière  la  visite  de  l'automne  :  elle  m'a 
donné  de  la  consolation.  Pour  affermir  la  tempérance,  je 
me  propose  d'établir  la  société  de  la  Croix. 

'^  L'église  de  Percé  est  maintenant  en  très  bon  état  ;  j'at- 
tends  ce  printemps  un  joli  tabernacle,  et  l'ancien,  qui  est 
très  convenable  écherra  à  la  Grande-Rivière. 

"  M.  le  juge  DeBlois  a  fait  don  d'un  encensoir  d'argent. 

"  Les  habitants  de  New-Port  sont  peut-être  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur  dans  ma  mission  ;  là  se  trouvent  les  gens  les  plu9 
paisibles,  grâce  à  la  tempérance  qui  y  porte  ses  fruits.  Ils 
croiraient  mourir  s'ils  prenaient  un  verre  de  boisson  :  c'est 
là  aussi  que  l'on  voit  moins  de  misère. 

"  Leur  chapelle  est  bien  pauvre  ;  ils  regrettent  beaucoup 
feu  M.  Desjardins  qui  leur  a  donné  la  plus  grande  partie  de 
ce  qu'ils  ont.  Aussi  en  reconnaissance  ont-ils  fait  chanter  un 
service  pour  le  repos  de  son  âme. 

"  C'est  à  New-Port  que  j'ai  le  plus  de  plaisir  à  faire  la 
mission  :  ils  sont  si  contents  lorsqu'ils  voient  arriver  le  prêtre 
si  empressés  à  tous  les  exercices. 

"  La  mission  du  Chien-Blanc  se  peuple  rapidement  :  il  y  a 
à  présent  une  dizaine  de  familles,  composées  de  bien  bonnes 
gens.  On  se  rend  chez-eux  par  un  petit  chemin  de  pied. 

"  N.  GiNGRAS,  Ptre."  (1). 
On  lira  maintenant  avec  intérêt  des  lettres  des  mission- 


•ohan 

rite  c  .  

de  cette  paroiase.  Il  en  ëtftit  parti  en  1849  ponr  la  mission  de  Peraé,  fat 
chargé  à  son  retour,  en  1856,  de  la  paroisse  de  St.  Raphaël  dans  le  comté 
de  Belleohasse.  En  1859,  il  consentit  à  se  rendre  aux  Illinois  pour  trayaÛ- 
1er  à  la  conversion  d'un  groupe  de  Canadiens  entraînés  dans  le  schisme  de 
Chiniquy.  Au  bout  de  4  ans,  il  fut  nommé  curé  de  St.  Edouard  de  Ldtbl* 
nière,  et  Tannée  suivante,  de  la  Baie  St.  Paul. 


—  260  — 

naires  de  Bonaventure,  de  Paspébiac  et  de  Port  Daniel,  rem- 
plies de  détail»  intéressants  sur  Tépoque  embrassée  par  c& 
récit 

"Bonaventure,  24  mai  182\. 
"  Monseigneur, 

'^  Gomme  Votre  Grandeur  aime  à  recevoir  des  nouvelles  des 
parties  de  son  diocèse  les  plus  éloigaé^s,  concernant  la  reli- 
gion, je  lui  fais  mon  rapport  de  missionnaire. 

"  Mon  passage  de  Québec  à  Caraquet  a  été  comme  une  béné- 
diction ;  mon  compagnon,  M.  Blanchet,  en  a  été  quitte  pour 
un  peu  de  bile.  Nous  avons  été  un  peu  mortifiés  de  Tabsence 
de  M.  Gooke,  occupé  en  course  apostolique.  C'était  le  di- 
manche, huit  jours  après  notre  départ,  il  y  a  eu  messe  solen- 
nelle et  sermon  dans  la  basilique  Acadienne  où  Ton  ne  s'at- 
tendait à  rien  moins.  Le  lendemain,  je  me  suis  acheminé 
vers  Bonaventure,  où  le  vent  ne  nous  a  permis  de  mettre 
pied  à  terre,  que  Id  jour  de  la  Toussaint,  comme  les  gens 
sortaient  de  la  prière  du  vénérable  Simon  Henry.  Il  était 
tard)  je  leur  dis  donc  une  messe  basse  seulement,  et  ils  chan- 
tèrent des  cantiques. 

"  J'ai  fait  ce  printemps  la  mission  à  la  Grande-Rivière^  Percé 
et  la  Pointe»St  Pierre.  Je  suis  bien  embarrassé  pour  les  ma- 
lades de  Percé,  il  y  a  un  portage  de  19  lieues  de  forèt^  si 
épaisse  que  les  plus  au  fait  de  ces  voyages  extraordinaires 
ont  de  la  peine  à  s'en  tirer.  Je  marche  mal  en  raquettes  et 
les  sages  du  lieu  ne  me  croient  pas  capable  d'entreprendre 
cette  marche.  Un  missionnaire  serait  nécessaire  à  Percé. 

"  J'ai  hâte  de  voir  Votre  Grandeur  sur  ces  côtes." 

Le  missionnaire  de  Bonaventure  avait  encore  des  distances 
considérables  en  1840  pour  visiter  les  malades.  Ecrivante 
Mgr.  Signay,  M.  Alain  consultait  sur  la  récitation  du  bré- 
viaire dans  certains  cas  : 

"  Je  n'ai  pas  de  peine  à  croire,  répondit-îl  au  prélat,  que 
dans  les  cas  où  il  y  a  pour  ainsi  dire  impossibilité,  je  n'y  sois 
pas  tenu.  Cependant  ce  carême  j'ai  fait  28  }ieues  en  un  jour 
pour  un  malade  et  ça  ne  m'a  pas  empêché  de  réciter  mon 
office." 


—  261  — 

M.  Alain  desservait  Paspébiac  tous  les  mois  ;  il  en  rendait 
compte  à  TËvêque  : 

^^  J'y  suis  resté  jusqu'à  15  jours  de  suite,  tout  seul  dans  le 
presbytère  ;  je  suis  mon  valet  de  chambre  et  d'écurie  ;  ce 
n'est  pas  commode.  Si  les  gens  me  payaient,  je  pourrais  avoir 
quelqu'un  au  moins  pour  soigner  mon  cheval  :  moi  je  n'ai 
pas  besoin  de  serviteur.  J'ai  une  rivière  à  traverser  pour  me 
rendre  à  cette  mission  :  l'automne  et  le  printemps  il  est  im- 
possible de  passer  à  gué. 

''  Je  vais  à  Gascapédiac  tous  les  mois  suivant  l'état  de  la 
rivière.  Je  £ais  la  visite  de  Port  Daniel  moins  souvent 

^^  Je  voudrais  bien  avoir  un  catéchiste  àPaspébiac,  jusqu'à^^ 
présent  je  n'ai  pu  en  trouver. 

'^  Tous  les  ans  je  reçois  des  protestants  dans  l'Eglise." 

Lorsque  M.  Tessier  fut  retiré  de  la  mission  de  Paspébiac^ 
M.  Alain  écrivit  à  l'évéque  : 

"  Je  ne  suis  rien,  mais  je  ne  saurais  trop  exprimer  combien 
la  résidence  d'un  prêtre  est  nécessaire  à  Paspébiac.  M.  Tes- 
sier y  a  fait  beaucoup  de  bien  :  il  en  serait  de  même  de  tout 
autre  qui  aurait  autant  de  zèle  et  de  volonté  que  ce  Monsieur." 

"  Paspébiac,  le  20  août  1846. 

^'  MoNSEiONECR, — ^Les  malheurs  communs  qui,  depuis  plus 
d'une  année,  ravagent  le  diocèse,  semblaient  nous  avoir  épar- 
gnés, mais  malheureusement  nous  les  avons  éprouvés.  Hier 
le  feu,  qui  avait  été  mis  dans  les  bois  depuis  plusieurs  jour» 
par  imprudence  sans  doute,  poussé  par  un  violent  vent  d'ouest, 
parcourut  plus  d'une  lieue  en  moins  de  quatre  heures.  Sept 
maisons  et  deux  granges  avec  la  récolte  de  f^in  qu'elles  ren- 
fermaient ont  été  réduites  en  cendres;  sans  compter  une 
quantité  de  clôtures  et  le  grain  endommagé  sur  le  champ. 
Voilà  donc  plusieurs  habitants  réduits  à  la  misère. 

^^  Quant  à  l'église  et  au  presbytère^  le  feu  n'en  était  pas  à 
plus  de  deux  à  trois  arpents,  vers  le  soir,  lorsque  le  vent 
devint  un  peu  moins  violent.  Sans  le  secours  de  la  divine 
Providence  que  nous  invoquions  avec  ardeur,  sans  la  protec 
tien  de  l  Marie  Immaculée,  patronne  de  l'Église,  tous  ce 


—  262- 

édifices  auraient  été  consumés,  et  je  serais  aujourd'hui  sans 
temple  et  sans  logement. 

"  Le  feu  continue  encore  dans  les  bois  qui  nous  en vironoenl  ; 
nous  ne  serons  en  sûreté  que  lorsqu'une  pluie  aboadante 
«era  venue  éteindre  les  brasiers. 

"  G^est  vous,  monseigneur,  qui  ornez  nos  églises.  J'ai  reçu 
avec  beaucoup  de  reconnaissance  les  deux  beaux  ornements 
destinés  à  la  mission  du  Port  Daniel.  Le  jour  où  je  célébrai 
pour  la  première  fois  avec  Tun  de  ces  ornements,  les  gens 
ouvraient  les  yeux  bien  grands  :  ils  n'avaient  rien  vu  d'aus^ 
beau  dans  leur  chapelle.  Je  profitai  de  l'occasion  pour  leur 
dire  que  leur  conduite  chrétienne  devait  me  mettre  en  état 
de  montrer  de  la  gratitude  envers  le  premier  pasteur,  et  de 
lui  faire  un  rapport  consolant. 

"  F.-X.  Tessier,  Ptre." 

"  Paspébiac,  8  mai  1848. 
*^  Monseigneur, 

"Voilà  à  peu  près  un  an  que  j'ai  eu  l'honneur  de  rendre 
compte  de  mes  missions  à  Votre  Grandeur  :  mon  intention 
cette  fois  est  de  vous  faire  connaître  le  résultat  de  chaque 
année  de  mon  séjour  à  Paspébiac,  afin  que  vous  puissiez 
juger  de  l'avantage  que  les  gens  ont  retiré  de  la  résidence 
d'un  prêtre  au  milieu  d'eux.  Dans  le  temps  de  Pâques  1846, 
j>'ai  fait  faire  la  première  communion  à  soixante-seize  i>er- 
sonnes.  Le  jour  de  la  St.  Pierre,  fête  de  mes  pêcheurs, 
quarante  personnes  ont  approché  de  la  sainte  table  :  ce  qui 
était  inouï  à  ce  lieu.  Les  premières  communions  en  1847 
ont  éié  de  cent  vingt  ;  à  la  fête  de  Noël  dernier,  cent  trente 
personnes  ont  communié.  Je  compte  deux  cent  cinquante 
personnes  aggrégées  à  la  société  de  tempérance  totale,  que 
yaî  établie  le  15  février  1846.  Deux  de  ceux  qui  ont  manqué 
i  leur  engagement  ont  péri  misérablement  :  l'un  s'est  noyé 
•t  l'autre  est  mort  par  suite  d'un  autre  accident  ;  ce  qui  a 
été  regardé  comme  une  punition  de  Dieu. 

"F.  X.  Tessier,  Ptre." 


—  263  — 

M.  Zéphirin  Lévèque,  en  succédant  à  M.  Tessier,  lui  rend 
un  excellent  témoignage. 

"J'ai  à  Paspébiac,  écrivait-il  le  11  juillet  1849,  une  nou- 
velle église  en  bois  parfaitement  finie  et  dans  le  meilleur 
ordre  et  goût  ;  et  une  sacristie  à  Favenant.  M.  Tessier  s'est 
donné  beaucoup  de  trouble  pour  mettre  tout  sur  le  meil- 
leur pied  posssible,  tant  Téglise  que  les  autres  bâtisses  et  la 
terre.  La  Confrérie  du  Sacré-Cœur  de  Marie  compte  déjà 
cinquante  associés  ;  et  vendredi,  fête  de  St.  Pierre,  j'ai  érigé 
un  Chemin  de  Croix  que  M.  Tessier  avait  préparé.  Il  fait  un 
excellent  effet,  et  j'espère  beaucoup  de  cette  dévotion  pour 
l'augmentation  de  la  dévotion  parmi  les  gens.  J'en  ai  un 
autre  que  je  destine  au  Port  Daniel." 

La  lettre  suivante  est  une  de  celles  qui  au  besoin  peut 
prouver  avec  quelle  sollicitude  le  clergé  a  toujours  travaillé, 
même  au  prix  de  sacrifices  personnels  à  l'instruction  et  à 
l'éducation  du  peuple. 

"  Port  Daniel,  20  décembre  1861. 
"  Monseigneur, 

"  Pour  remédier  autant  que  possible  à  plusieurs  maux  que 
nous  avons  à  déplorer,  j'ai  cru  devoir  au  prix  de  quelques 
sacrifices  maintenir  les  écoles  déjà  établies  et  qui  seraient 
tombées,  et  encourager  par  tous  les  moyens  en  mon  pou- 
voir le  défrichement  des  terres.  Mes  efforts  n'ont  point  été 
sans  quelques  résultats  avantageux. 

^^Les  écoles,  indépendamment  des  avantages  temporels 
qu'elles  procurent,  sont  ici  indubitablement  un  puissant 
moyen  de  moralisation.  Retirer  les  enfants  des  dangers  où 
ils  sont  exposés  dès  leur  bas  Age,  confier  leur  éducation  à  des 
maîtres  religieux  et  zélés,  leur  donner  des  aptitudes  non- 
vellss  en  les  appliquant  de  bonne  heure  au  travail  et  à  la 
pratique  des  vertus  de  leur  flge  ;  voilà  ce  qu'il  n'est  possible 
d'obtenir  qu'au  moyen  de  bonnes  écoles  et  ce  que  réclament 
impérieusement  le  salut  de  ces  pauvres  enfants  et  l'avenir 
des  familles.  Les  trois  écoles  étabhes  au  Port  Daniel  sont 
sur  un  assez  bon  pied  et  suffisent  amplement  atx  besoins  de 
celte  mission.    Des  maîtres  venus  des  écoles  normales  y 


—  264  — 

.-enseignent  avec  succès  et  les  résultats  déjà  obtenus  sont 
sensibles.    Il  est  facile  de  distinguer  au  catéchisme  comme 
dans  leur  conduite  privée  ceux  qui  fréquentent  les  écoles 
'  d'avec  ceux  qui  n'ont  pas  le  môme  avantage. 

'^  Puissent-ils  devenir  à  leur  tour  des  précepteurs  dans  leurs 
familles,  les  moniteurs  de  leurs  frères  et  soeurs  l  et,  s'il  est 
possible  plus  tard,  comme  je  Tespère,  d'introduire  de  bons 
livres  dans  les  familles,  ces  livres  seront  lus  avec  empresse- 
ment et  les  boas  fruits  qu'ils  produiront  feront  pour  les 
parents  un  dédommagement  de  tous  les  sacrifices  qu'ils  font 
aujourd'hui  pour  soutenir  leurs  écoles  et  rétribuer  convena- 
blement les  instituteurs  qui  les  dirigent. 

^^  La  pêche  qui  a  été  de  tout  temps  l'occupation  favorite  des 
habitants  de  la  Côte,  tiendra  pendant  longtemps  encore  le 
'premier  rang  dans  leur  estime.  Habitués  à  courir  les  chances 
.  du  hasard,  à  vivre  de  peu  ou  à  se  trouver  parfois  dans  Tabon- 
'  dance,  suivant  les  circonstances  où  ils  se  trouvent,  les  rudes 
travaux  des  champs  ne  leur  sourient  guère.  Par  une  illusion 
étrange,  l'aisance  et  les  richesses  au  moyen  d'un  travail 
assidu  et  de  tous  les  jours,  leur  paraissent  trop  chèrement 
achetées.  A  leurs  yeux  la  pêche  du  nord  est  le  secret  de 
^gner  beaucoup  en  peu  de  temps  et  avec  peirde  travail. 
Attirés  par  l'appât  du  gain,  ils  conservent  moins  d'attrait 
pour  le  cercle  de  la  famille.  Leur  absence  fait  retomber 
sur  les  femmes  et  les  plus  jeunes  enfants  tout  le  soin  de  la 
maison  et  de  la  petite  semence,  qui  ne  consiste  que  dans  un 
jardinage.  Et  l'on  n'a  pas  pensé  aux  accidents  auxquels  oa 
s'expose,  ni  aux  insuccès  bien  trop  fréquents,  ni  aux  dangers 
qua  courent  les  enfants  sans  surveillance,  ni  à  la  positiou 
pénible  faite  à  la  mère  laissée  seule  pendant  des  mois.  Les 
a&mx  qui  en  résultent  sont  si  ^considérables  qu'on  devra  faire 
les  plus  grands  efforts  pour  y  mettre  un  terme.  Déjà,  quoique 
ragriculture  ne  soit  encore  que  secondaire  et  que  toutes  les 
prédilections  soient  pour  la  pêche,  on  constate  néanmoins  avec 
joie  un  retour  masqué  vers  les  travaux  de  la  terre  et  une 
tendance  heureuse  vers  une  vie  plus  cakne  et  plus  paisible. 
Elles  sont  rares  maintenant  les  familles  qui  n'ont  point  xm 
petit  champ  à  ensemencer,  et  qui  ne  s'efforcent  d'ajouter 
tous  les  ans  un  défrichement  à  leur  terre  déjà  cultivée.    La 


—  265  — 

pêche  du  nord  est  aussi  généralement  abandonnée  par  toutes 
les  familles  un  peu  aisées  ;,  les  accidents  survenus  ce  prin- 
temps  dans  les  passages,  et  l'expérience  des  dernières  années 
ont  découragé  les  plus  ardents  même  et  leur  ont  fait  com- 
•  prendre  surtout  ce  qulls  perdent  à  s'éloigner  de  leur  terre 
pendant  une  si  grande  partie  de  Tannée.  Ils  sont  un  peu 
fatigués  de  ces  tentatives  périlleuses,  de  sorte  que  j'ai  lieu 
de  présumer  que,  dans  ma  mission  au  mt)ins,  le  nombre  de 
ceux  qui  s'éloignent  ainsi  se  réduira  désormais  aux  plus 
nécessiteux,  obligés  à  se  mettre  en  service,  et  à  suivre  leurs 
maîtres  où  il  leur  plaît  de  les  conduire,  tandis  que  les  familles 
stables,  qui  s'aideront  de  la  pêche  et  do  la  culturoi^  pourront 
beaucoup  plus  facilement  que  par  le  passé  arriver  à  une 
honnête  aisance,  fruit  de  leur  industrie  et  d'une  vie  plus 
laborieuse. 

*'  La  pêche  qui  avait  été  bonne  pendant  l'été  a  été  presque 
nulle  cette  automne  par  suite  de  pluies  torrentielles  et  du 
mauvais  temps  :  les  familles  qui  n'ont  pu  envoyer  de  poisson 
à  Québec,  n'ont  pour  la  plupart  obtenu  aucune  avance  de 
leurs  marchands  pour  leurs  provisions  d'hiver  et  se  trouvent 
en  conséquence  dans  la  position  la  plus  critique.  La  plupart 
auront  beaucoup  à  soufTrir  pendant  la  saison  qui  commence. 

'^  Le  nombre  des  communiants  dans  les  deux  missions  est 
maintenant  d'environ  600.  Neuf  enfants  ont  fait  leur  première 
communion  à  New-Port  et  dix-huit  au  Port-Daniel  ;  il  y  a 
eu  56  baptêmes,  11  mariages,  12  sépultures  et  2  abjurations. 
L'école  de  New-Port  est  bien  fréquntée  et  fait  du  bien. 

"  E.  Beaulibu,  Ptre." 


H08PICE  ST.  JOSEPH. 


Ile  à  la  Crosse,  14  Janvier  1879. 
A  LA  Révérende  Soeur  Charlebois,  Assistante. 
Ma  Rév.  et  bien  chère  Mère, 

Nous  voici  déjà  rendues  au  \i^^  jour  d'une  nouvelle 
année,  et  tout  en  disant  ^^  Fiat  ''  nous  demandons  que  le 
calice  s'éloigne  de  vous  et  de  nous,  et  que  les  351  jours  à 
venir  ne  soient  pas  comme  ceux  qui  viennent  de  s'écouler, 
tous  marqués  de  la  Croix  et  des  épines.  Bercée  de  cette 
espérance,  je  me  livre  tout  entière  à  l'impression  du  moment, 
c'est-à-dire,  à  la  douceur  que  j'éprouve  en  m'entretenant 
avec  vous.  Connaissant  l'affection  que  vous  portez  a\ax 
Missions  du  Nord  nous  vous  en  parlons  avec  plaisir,  certai- 
nes d'avance  d'être  lues  avec  intérêt.  La  dernière  lettre 
vous  ayant  mise  au  courant  de  bien  des  choses  qui  nous 
regarde  j'entrerai  en  d'autres  détails  cette  fois-ci. 

Les  Saintes  Ecritures  nous  apprennent  qu'avant  notre 
existence  il  y  eut  dans  le  ciel  un  grand  combat  ;  "  Michel 
et  ses  Anges  qui  combattaient  contre  le  Dragon."  Ce  com- 
bat commencé  dès  le  temps  de  la  Création  s'est  renouvelé 
très  souvent  et  se  renouvelle  encore  de  nos  jours,  presque  i 
notre  porte.    Depuis  quelques  semaines,  bien  chère 


—  267  — 

nous  sommes  en  prières  pour  obtenir  aux  Gris  du  Lac  Poûle^^ 
d'Eau,  la  grâce  d'ouvrir  les  yeux  à  la  lumière  de  TEvangile; 
Ce  nom  vous  est  familier  n'est-ce  pas,  chère  Mère  ?  Il  vous 
rappelle  aussi,  sans  doute,  vos  épreuves,  votre  grande  anxiété 
sur  les  bords  de  la  célèbre  rivière  Pouje  d'Eau,  lors  de  votre 
voyage  en  1871,  en  la  compagnie  de  Mgr  Graudin.  C'est  à 
quelque  distance  de  là  qu'est  situé  le  Lac,'sur  le  bard  duquel 
sont  fixés  les  Sauvages  que  l'on  appelle  ici  '^  Les  Cris  du  Lac 
Poule  d'Eau.  " 

Je  pense  qu'il  est  à  propos  de  vous  dire  ici,  chère  Mère^ . 
que  la  Mission  du  Lac  Vert  fondée  par  le  R.  P.  Moulin,, 
depuis  trois  ans,  doit  maintenant  être  desservie  par  les  Mis* 
sionnaires  de  l'Ile  à  la  Crosse,  qui  n'y  resteront  pas,  mais  qui 
iront  y  donner  une  Mission  2  fois  par  année.  Au  mois  âà 
mai  dernier,  le  Rév.  Père  Moulin,  fidèle  à  la  voix  de  ses  supé- 
rieurs, dit  adieu  à  sa  chère  Mission  de  St.  Julien  qu'il  avait 
arrosée  de  ses  sueurs  et  semée  de  ses  fatigues,  pour  porter 
la  bonne  nouvelle  ailleurs.  Le  R.  Père  Legeard  est  donc 
allé  au  Lac  Vert  au  mois  d'août,  mais  comme  c'était  pendant 
les  travaux  et  que  beaucoup  d'hommes  étaient  absents,  peu 
de  personnes  ont  profité  de  sa  visite. 

Dans  son  grand  désir  de  ne  voir  aucun  de  ceux  confiés 
à  ses  soin»  privés  des  avantages  et  des  secours  de  la  religion, 
il  renvoya  le  R.  Père  Chappellière  au  mois  d'octobre. 

Le  boa  Père  partit  le  15  du  mois  en  canot  d'écorce  et  s'y 
rendit  heureusement.  Nous  étions  toutes  en  prières  pour  le 
succès  de  cette  Mission  et  le  bon  Dieu  a  daigné  nous  exaucer. 

La  voix  du  Prêtre  fut  écoutée  avec  docilité. 

Tous  vinrent  avec  assiduité  aux  exercices  de  la  Mis- 
sion. Il  y  eut  beaucoup  de  confessions  et  la  communion 
générale  eut  lieu  le  8  décembre,  fête  de  notre  Mère  Immacu- 
lée. Ce  beau  jour  faisait  oublier  au  Missionnaire  ses  peines 
et  ses  fatigues,  tant  il  était  heureux  de  voir  ces  âmes,  rache- 
tées au  prix  du  sang  de  Jésus,  arrachées  des  ténèbres  de 
l'infidélité  et  marchant  maintenant  à  la  lumière  de  la  Foi* 
Xie  temps  du  repos  pourtant  n'était  pas  encore  arrivé  puis-, 
qu'il  recevait  l'ordre  de  son  supérieur  d'aller  visiter  les  Gris 
du  Lac  Poule  d*Ëeau,  voir  si  quelques-uns  ^'  voudraient  de 
la  prière  "  ou  du  moins  laisser  baptiser  leurs  enfants. 


—  268  — 

Le  1 0  décembre  accompagné  de  deux  Ions  voyageurs,  il  pa^ 
'  lit  en  traine  à  chiens  et  se  rendit  le  soir  même  au  Lac  Poule 
d'Eau,  où  il  fut  bien  reçu. 

On-  le  fit  entrer  dans  la  maison  du  chef,  où  il  y  avait 
dix-sept  personnes  ass^es  à  l'entour  du  feu  ;  là  on  lui  donna 
la  place  d-honneur,  c'est-à-dire,  au  centre  du  groupe.  Bien- 
tôt on  lui  dressa  une  table,  ayant  pour  nappe,  un  tapis 
de  grosse  toile  d'emballage  bian  aale,  sur  laquelle  furent 
posés  un  pot  et  uno  assiette.  On  apporta  une  grande 
plattée  de  poisson,  puis  une  chaudière  de  thé.  Le  chef 
et  toute  sa  parenté  se  placèrent  de  chaque  côté.  II 
n'y  avait  ni  couteaux  ni  fourchettes,  et  les  pauvres  gens 
sentant  bien  que  le  Père  ne  mangerait  pas  avec  ses  doigts, 
fouillèrent  partout  à  la  recherche  et  finirent  par  trouver  une 
vieille  fourchette  qu'on  nettoya  et  qu'on  passa  au  chef: 
celui-ci  la  remit  au  Père,  puis  le  repas  commença. 

La  conversation  était  animée,  mais  personne  n'entama  la 
question  de  la  religion.  Lorsque  le  Père  eut  achevé  son  repas 
le  chef  de  la  famille  prit  courtoisement  son  assiette  et  mangea 
ses  restes.  La  soirée  se  passa  en  conversation  sans  pouvoir 
cependant  toucher  au  sujet  important.  L'heure  de  dormir 
venue  on  n'avait  encore  que  le  centre  de  la  loge  à  offrir  au 
Père.  On  débarrassa  un  petit  espace,  mais  les  compagnons 
inséparables  des  Sauvages  ne  mirent  pas  longtemps  à  te 
franchir.  Une  fois  en  butte  à  une  semblable  persécution, 
adieu  donc  le  sommeil. 

Le  lendemain  la  maison  fut  constamment  remplie  de  visi- 
teurs ne  laissant  ainsi  aucun  moment  libre. 

Enfin  le  12,  on  procura  une  loge  au  Père,  et  celui-ci  se 
trouvant  seul  et  libre  d'agir,  commença  à  catéchiser  quel- 
ques personnes,  qui  avaient  reçu  le  baptême,  mais  qui  ne 
savaient  autre  chose  que  le  signe  de  la  Croix. 

Maintenant,  chère  Mère,  je  vais  laisser  parler  le  Père  et  à 
peu  près  comme  les  choses  nous  furent  racontées  je  vous  les 
répéterai  à  mon  tour. 

"  Le  Vendredi,  "  dit  le  Père,  **  je  fis  le  tour  des  trois 
maisons  et  des  six  loges  qui  forment  le  eampement,  afin  de 
voir  tout  le  monde.  Daiis  une  des  loges  un  enfant  se  m06- 
rait  et  voulant  sauver  cette  âme,  je  demandai  à  la  mère  â 


^269  — 

^Ue  Toulait  que  je  la  baptise.  "Je  demanderai  à  mon  mari  " 
réponditrelte.  Le  mari  interrogé,  répondit  à  son  tour  qu'il 
en  parlerait  aux  anciens.  Je  compris  alors  que  c'étaient  les 
anciens  qui  réglaient  tout  dans  la  bourgade^  et  que  tant 
qu'ils  refuseraient  de  recevoir  la  lumière,  les  autres  reste* 
raient  sourds  à  ma  voix.  Je  me  décidai  donc  à  avoir  un 
entretien  privé  avec  eux  et  les  fis  intiter  en  conséquence 
de  venir  chez  moi  tous  les  quatre.  Ces  messieurs  se  nom- 
ment :  "  Le  mangeur  de  terre,  "  c'est  lui  qui  est  le  plus  âgé 
et  le  plus  influent  ;  le  second  s'appelle  :  "  La  Belle  Couverte.'' 
Le  troisième  porte  pour  titre,  '^  L'Aurore,  ou  le  jour  qui 
•commence  à  poindre.  "  Celui-ci  se  croit  en  réalité  une  vraie 
lumière,  et  s'imagine  qu'il  éclaire  ses  semblables.  Le  der- 
nier est  "  Le  raconteur.  " 

Deux  seulement  se  rendirent  à  l'invitation,  les  deux 
autres  crurent  qu'ils  avaient  quelque  chose  de  plus 
important  à  faire  que  de  venir  parler  religion.  "  Mangeur 
de  terre  "  était  occupé  à  prendre  un  bain  de  vapeur 
prescrit  par  leur  superstition,  tandis  que  l'autre  don- 
nait un  festin,  en  honneur  de  leur  dieu,  et  faisait  battre  le 
tambour  pour  savoir  si  son  enfant  malade  allait  revenir  à  la 
santé.  Oh  !  que  le  cœur  me  faisait  mal  sachant  ces  choses 
et  je  suppliais  Dieu  de  vouloir  bien  leur  ouvrir  les  yeux.  Je 
ne  parlai  pas  de  religion  aux  deux  qui  vinrent  me  voir  carie 
moment  n'était  pas  favorable  mais  j'agis  de  sorte  que  quand 
ils  se  retirèrent  nous  étions  bons  amis. 

Le  lendemain  je  fis  de  nouveau  le  tour  des  maifions 
et  loges,  pour  inviter  tout  le  monde  à  la  messe  du 
Dimanche.  Je  vis  le  petit  malade,  qui  n'allait  pas 
mieux,  et  je  demandai  encore  de  le  baptiser.  '^  Non," 
dirent-ils,  "nous  avons  nos  coutumes  et  nos  usages." 
J'étais  presque  découragé.  Tout  de  même,  le  lendemain^ 
Dimanche,  à  8  heures  du  matin  je  sonnai  ma  petite  cloche 
pour  appeler  à  la  messe.  J'attendis  longtemps  mais  personne 
ne  venait.  Pauvres  gens  I  me  disais-je,  ils  refusent  la  gr&ce 
que  Dieu  leur  envoie,  et  je  priais  pour  eux  de  toute  la  fer* 
veur  de  mon  âme.  Pendant  que  j'étais  encore  ému,  un  jeune 
homme  vint  me  demander  si  c'était  le  temps  de  venir  à  la 
prière.  "  Oui,  lui  répondis-je.    J'ai  sonné,  il  y  a  longtemps. 


—  270  — 

mais  personne  ne  vient."  Ce  jeune  homme  désirait  embras- 
ser la  religion  mais  ses  parents  s'y  opposaient  ^^  Ils  ne  Vont 
pas  entendu,  "  dit-il,  ^^  si  tu  sonnais  près  des  maisons  ils 
viendraient  tous." — S*il  n'y  a  que  cela,  dis-je,  à  mon  tour,  1» 
chose  est  facile."  Ma  confiance  commençait  à  renaître^  pui» 
prenant  ma  clochette  je  la  sonne  d*un  bras  vigoureux  tou^ 
en  faisant  le  tour  dii  camp.  Presque  tous  se  rendirent  à 
l'appel. 

Pendant    que  je   revêtais   les    ornements    sacrés,    ces 
bons  sauvages,  assis  par  terre,  les  pieds  croisés  en  avant  à  la- 
façon  des  tailleurs,  faisaient  la  causette  assez  fort  pour  me 
déranger.    Je  ne  puis  les  laisser  continuer  ainsi  pendant  la 
messe,  alors  je  me  tourne  et  je  leur  dis  :  "c'est  égal,  on  ne  va- 
pas  parler."  Ils  se  turent;  mais  ils  commencèrent  à  bourrer 
leur  pipe.  Nouvel  embarras.   Je  me  retourne  de  nouveau  et 
je  leur  dis,  après  avoir  supplié  le  St.  Esprit  intérieuremeni 
de  les  rendre  dociles  à  ma  voix  :  c'est  égal  on  ne  fume  pas 
non  plus.  Tous  déposèrent  leurs  pipes  au  même  instant   Je 
craignais  alors  de  les  voir  partir,  mais  non.    Tous  restèrent 
et  furent  très  attentifs  à  toutes  les  cérémonies  jus^'à  la  &u. 
De  mon  côté  je  priais  Dieu  de  toute  mon  âme  de  ne  pas  per- 
mettre que  ces  pauvres  enfants  des  bois  restent  sourds  à  la 
grâce. 

Aussitôt  la  messe  finie  je  leur  adressai  quelques  paro> 
les  sur  l'importance  du  salut  puis  nous  conversâmes  sur 
différents  sujets,  sans  que  je  pusse  trouver  l'occasion  d'intro- 
duire celui  que  j'avais  le  plus  au  cœur.  Nous  nous  séparâ- 
mes sans  que  les  Sauvages  témoignassent  le  moindre  désir 
de  se  faire  instruire.  Le  soir,  le  même  jeune  homme  qui 
était  venu  le  matin  revint  me  dire  qu'on  attendait  encore  la 
messe  et  demanda  à  quelle  heure  elle  allait  commencer^ 
ajoutant  que  si  je  sonnais  ils  viendraient  tous.  "  Il  est  trop 
tard  maintenant,  lui  dis-je,  de  faire  aucune  exercice  et  je  ne 
veux  pas  prêcher  non  plus  car  je  vois  bien  qu'ils  n'ont  pas 
envie  de  se  faire  chrétiens." 

Je  lui  parlais  ainsi  pour  qu'il  répète  mes  paroles 
et  leur  laisser  voir  qu'ils  étaient  libres  d'accepter  ia 
grâce  ou  de  la  refuser.  Personne  ne  revint  Lundi  matia 
donc,  je  fis  mes  préparatifs  de  voyage  et  dans*  la  joomte^ 


—  271  — 

l 'allai  dans  les  madsons  et  dans  les  loges  leur  faire  mes 
adieux.  Plusieurs  me  dirent  alors  :  ^^  Je  ne  te  donne  pas  Is 
main.  J*irai  te  voir  ce  soir  chez  toi.  "  En  effet,  un  certain 
nombre  tint  parole,  et  parmi  eux  deux  des  anciens.  Quand 
la  conversation  commença  à  languir  j'en  profitai  et  leur 
parlai  ainsi  :  ^^ J'aurais  désiré  voir  les  anciens  ;  je  les  ai  invités 
tous  les  quatre  afin  de  savoir  ce  qu'ils  pensent  de  la  religion* 
Je  n'en  ai  vu  que  deux,  les  mêmes  qui  sont  ici  ce  soir. 
Comme  les  autres  n'ont  pas  voulu  s'y  rendre  je  vous  deman- 
de  maintenant  à  vous  et  je  vous  prie  de  me  répondre  :  Que 
pensez-vous  de  la  religion  ?  de  la  prière  ?  L'un  d'eux  me 
dit  :  ''  Je  ne  hais  pas  la  religion.  J'aime  les  Missionnaires  ; 
ils  peuvent  venir  quand  ils  le  veulent  instruire  ceux  qui  ont 
été  baptisés,  mais  pour  les  autres,  nous  avons  nos  usages  et 
il  faut  les  suivre." — "  Et  toi,  qu'en  pense-tu,  demandai-je  au 
second  ancien." — ^'  Ce  n'est  pas  la  première  fois,"  dit-il,  '^  que 
je  vois  le  Missionnaire.  Quand  j'étais  jeune  j'en  ai  vu  un 
qui  nous  a  parlé  comme  ceci  :  ^^  Vos  médecines  ne  sont  pas 
bonnes.  C'est  le  vilain  manitou  qui  vous  les  donne.  C'est 
mal  ça.  Apportez-les  moi  toutes,  et  nous  allons  mettre  le  feu 
dedans."  On  apporta  toutes  nos  médecines  et  le  Missionnaire 
en  fit  un  tas  et  les  brûla  toutes.  Mais  il  ne  nous  donna  pas 
d'autres  médecines  à  la  place.  Qu'arriva-t-il  alors  ?  Tout 
notre  monde  tombait  malade,  et  n'ayant  pas  de  médecine 
pour  leur  faire  boire  ils  mouraient  tous.  Pas  mal  de  lunes 
après,  un  autre  Missionnaire  est  venu  nous  voir,  (c'était  Mgr 
Taché)  on  lui  a  dit,  ce  que  l'autre  avait  fait  et  comme  tout 
notre  monde  mourait.  Il  nous  dit  qu'il  y  avait  des  médeci* 
nés  qui  étaient  bonnes,  qu'on  pouvait  s'en  servir  et  qu'on 
aurait  dû  ne  jeter  que  les  mauvaises.  Je  suis  parti  de  là 
après  et  je  n'ai  plus  revu  le  Missionnaire.  Comme  je  ne  con* 
nais  pas  les  bonnes  médecines  d'avec  les  mauvaises,  je  les  ai 
toutes  reprises.  "  Laissant  là  le  sujet  de  médecine  je  l'inter- 
roge sur  sa  croyance  et  je  lui  demande  :  ^'  Quand  tu  seras 
mort,  où  pensesntu  aller  ?  " — ^'  Nos  grand-pères,  les  anciens, 
ont  appris  de  leurs  grand-pères  ce  qu'ils  nous  ont  dit  comme 
ceci  :  ^^  Si  quelqu'un  vient  dans  ta  maisoAdonne  lui  à  manger. 
Si  quelqu'un  te  fait  du  mal,  ne  te  venge  pas,  et  s'il  vient  dans 
ta  maison  donne  lui  à  manger  quand  môme.  Fais  du  bien  à 


—  272  — 

ton  semblable.  Si  tu  fais  cela,  tu  iras  à  droite,  avec  Dieu.  Si 
tu  fourche  tu  iras  à  gauche.  Maintenant  c'est  de  valeur  pour 
être  bons,  on  est  porté  au  mai  malgré  soi.  ''-^'est  bien  ce 
que  lu  dis  lui  répondis-je  à. mon  tour.  Lorsque  Dieu  a  mis 
rhomme  sur  la  terre,  11  lui  a  dit  la  même  chose  :  ^^  Marche 
droit.  Ne  fais  tort  à  personne.  Exerce  l'hospitalité.  Si  tu  fais 
cela  tu  iras  à  droite,  c'est-à-dire  au  ciel  ;  si  tu  ne  le  fais  pas 
tu  iras  à  gauche,  c'est-à-dire  en  enfer.  Les  premiers  hommes 
qu'il  7  a  eu  sur  la  terre,  trouvaient  cela  de  valeur  pour  être 
bons,  tout  comme  vous  autres.  Leur  nature  les  portait  sans 
cesse  vers  le  mal.  Le  bon  Dieu  a  eu  pitié  d'eux.  Il  leur  a 
donné  des  lois,  une  religion  qui  donne  les  moyens  d*étre 
bons.  Ce  sont  ces  lois  là  que  vous  ne  connaissez  pas  et  que 
je  puis  vous  enseigner  si  vous  le  désirez."  Partant  de  ce  prin- 
cipe je  leur  fis  un  exposé  bien  simple  mais  détaillé  de  nos 
saints  mystères,  qu'ils  écoutèrent  dans  le  plus  grand  silence. 
Ayant  cessé  de  parler  et  personne  n'opposant  d'objection,  j& 
désirais  avoir  les  deux  autres  anciens  pour  les  forcer  de 
répondre  d'une  manière  ou  d'une  autre,  puisque  l'opinion  des 
vieillards  avait  tant  de  poids.  ^^  Comme  nous  sommes  sur  ce 
sujet,  leur  dis-je,  pourquoi  n^enverrions>nous  pas  chercher  les 
deux  autres  anciens  afin  de  connaître  leurs  pensées  à  eux  ?  '^ 
Un  jeune  homme  courut  à  l'instant  les  chercher  et  ils  vin- 
rent de  suite.  Les  mettant,  en  peu  de  mots,  au  courant  d«L 
discours  j'exprimai  mon  désir  de  savoir  ce  qu'ils  en  pen- 
saient Je  tenais  à  faire  parler  ^^  Mangeur  de  terre"  puisque 
sa  parole  avait  beaucoup  d'influence  sur  les  trois  autres.  Les 
deux  nouveaux  arrivés  s'excusèrent  de  répondre  ajoutant 
qu'ils  parleraient  les  derniers.  Me  tournant  aloi:s  vers  celui 
qui  parla  si  bien  d'abord  je  le  priai  de  prendre  la  parole. 
Cette  fois-ci  il  me  refusa.  ''  Pourquoi  ne  veut  tu  pas  le  faire, 
lui  demandai-je  ?'.'-^'^  C'est,  diUl,  parce  que  tu  réponds  trop 
vite.  Vous  autres  blancs,  vous  parles  trop  vite.  On  n'a  pas 
fini  de  dire  une  chose  que  vite  vous  nous  volez  la  parole, 
comme  tu  viens  de  faire.  On  ne  parle  plus.  Je  ne  dirai  rien." 
Je  compris  que  j'étai»  dans  de  mauvais  draps  et  il  fallait  sor* 
tir  tant  bien  que  mal.  ^'C'est  la  première  fois  que  je  me  trouva 
dans  une  pareille  assemblée  ajoutai-je.  Je  ne  connais  pa^ 
vos  usages.  Je  te  remercie  de  me  les  faire  connaître.    Maiar 


-.  273  — 

tenant,  je  m'y  conformerai."  Ma  réponse  ne  l'adoucit  pas,car 
il  reprit  avec  chaleur  :  "  Tu  nous  méprise,  tu  méprises  nos^ 
usages,  notre  manière  de  faire,  etc.  ;  '•  et  il  continua  sur  ce 
ton,  me  disant  des  choses  piquantes,  mortifiantes  et  mème^ 
humiliantes.  Je  souffris  tout  sans  dire  mot.  Il  s'arrêtait,  puis 
reprenait,  je  ne  disais  rien.  Quand  il  eut  fini  de  parler 
j'attendis  encore  quelques  instants,  enfin  je  présumai  qu'il 
avait  fini  son  répertoire,  et  je  repris.  **  Je  ne  vous  méprise  pas, 
au  contraire,  si  je  vous  méprisais  je  n'aurais  pas  quitté  ma 
famille  que  j'aime  beaucoup,  tous  mes  amis,  mon  pays  ;  je 
n'aurais  pas  tout  quitté  pour  venir  ici  pour  l'amour  de  vous 
autres.  Il  y  a  longtemps,  bien  longtemps  que  je  pense  à 
vous.  Je  suis  arrivé  à  l'Ile  à  la  Crosse  il  y  a  trois  ans  et 
apprenant  alors  qu'il  y  avait  des  gens  ici  qui  ne  connais- 
saient pas  le  bon  Dieu,  j'ai  commenbé  à^  prier  pour  vous  et 
depuis  ce  temps  je  pense  à  vous  et  je  prie.  Quant  à  vos 
usages,  je  ne  les  méprise  pas  non  plus.  Il  y  a  plusieurs  cho- 
ses que  vous  faites  que  je  trouve  bien,  qui  sont  très  bonnes  ; 
seulement  comme  il  y  a  des  choses  qui  pourraient  être  meil- 
leures j'aime  à  vous  les  faire  remarquer."  Un  des  anciens 
prit  alors  la  parole  et  dit  :  "  C'est  bien  parler  ça.  C'est  bien 
dit  "  J'avais  obtenu  mon  pardon.  Il  était  temps,  car  je 
venais  de  passer  un  vilain  quart  d'heure.  "Maintenant,  dis-je, 
si  vous  voulez  bien  me  dire  chacun  ce  que  vous  pensez  de  la 
reHgion,  afin  que  je  sache  si  on  pourra  revenir  vous  voir,  ou 
bien  si  vous  aimez  mieux  qu'on  ne  vienne  pas."  Un  des  der- 
niers arrivés  répondit  :  "  Je  t'ai  déjà  dit  ce  que  je  pense.  "^ 
C'est  celui  qui  avoua  qu'il  aimait  le  Missionnaire  mais  qu'ils 
avaient  leurs  usages  et  qu'il  fallait  continuer  à  les  suivre  ; 
ce  qu'il  répéta  en  présence  de  tous  ceux  alors  présents."  Et 
toi,  dis-je,  à  "  Mangeur  de  terre,  "  que  dis  tu  ?  Celui-ci  est  le 
chef  quoiqu'il  refuse  le  titre.  *  *'  J'ai  quelque  chose  à  te  de- 
mander, mais  ce  sera  quand  nous  serons  seuls  répondit 
"  Mangeur  de  terre,  "  puis  il  continua.  J'aime  la  religion, 
j'aime  les  Missionnaires.  Ça  me  fera  plaisir  de  les  voir  cha- 
que  fbis  qu'ils  viendront  pour  instruire  ceux  qui  sont  bapti-' 
ses.  Pour  nous,  je  pense  que  c'est  mieux  de  faire  comme  no^ 
anciens  ont  fait."  La  conversation  se  prolongea  tard  dans  la 
nuit.    Enfin  q«and  ils  furent  tous  partis  "  Mangeur   de 


—  274  — 

(erre  "  fit  sa  demande  et  la  voici  :  il  voulait  savoir  s'il  faisait 
'bien  le  signe  de  la  Croix,  et  il  se  signa  :  ^^  Au  nom  du  Père, 
du  St.  Esprit  et  du  Fils.  '*  Lui  ayant  expliqué  ce  qu'il  dési- 
rait savoir  il  partit  content  Tous  revinrent  le  lendemain, 
me  donner  une  poignée  de  main  avant  mon  départ,  et  les 
femmes  étaient  à  la  porte  de  leurs  maisons  et  de  leurs  loges 
pour  me  saluer  au  passage.  Le  midi  quand  nous  fîmes  halte 
pour  préparer  un  petit  dîner  je  ne  parlais  pas,  car  j'étais 
triste  pensant  qu'il  était  inutile  de  retourner  vers  ces  pauvres 
gens.  Un  de  ceux  qui  m'accompagnait  voyant  mon  silence 
prolongé  me  demanda  si  je  pensais  à  ceux  que  je  venais  de 
quitter.  '^Oui,  répondis-je,  j'y  pense  beaucoup.  Je  ne  sais 
s'ils  pensent  à  moi. — ^^  Oh.  oui,  reprit-il  :  ils  pensent  à  toi  et 
ils  t'aiment  fort  Cette  nuit  après  qu'on  t'a  laissé,  on  a  parlé 
longtemps  ensemble.  Le  jour  commençait  à  paraître  et  on 
parlait  encore  sur  ce  que  tu  nons  a  dit  "  Ces  paroles  jeté* 
rent  un  rayon  de  lumière  dans  mon  âme  et  me  faisait  regret- 
ter la  nécessité  qui  ne  me  permettait  pas  de  prolonger  mon 
-séjour  au  milieu  d'eux  encore  quelques  jours.  Mais  je  n'avais 
plus  que  deux  pains  d'autel  et  il  fallait  revenir  chanter  la 
messe  de  minuit  au  Lac  Vert  Dieu  soit  loué  I  La  bonne 
semence  est  jetée.  Puisse-t-elle  germer  et  porter  des  fruits 
dans  une  seconde  visite  que  je  leur  ferai  au  printemps.  " 

C'est  à  nous  maintenant,  chère  et  bien-aimée  Mère,  à  prier 
que  Dieu  daigne  préparer  ces  pauvres  âmes  et  recevoir  ses 
grâces.  Veuillez  nous  aider  et  faites  prier  nos  chères  Sœurs 
car  le  Missi(Hinaire  i^tournera  au  Lac  Poule  d'Eau  au  mois 
de  mars  ou  d'avril 

Après  vous  avoir  donné  ces  détails  que  je  croyais  vous 
intéresser,  parlons  de  nos  affaires  domestiques.  Permettes 
que  notre  Très-Honorée  Mère  reçoive  ici  nos  sincères  remer- 
ciements pour  la  grande  bonté  qu'elle  nous  témoigne  en 
nous  envoyant  les  circulaires  imprimées.  Nous  les  avons 
reçues  jusqu'au  mois  de  juillet  Quel  bonheur  en  parcou- 
rant ces  lignes  qui  nous  mettent  au  courant  de  ce  qui  se 
passe  dans  notre  cher  chez*nous.  Merci  à  ma  chère  Sœur 
Collette  de  les  rendre  si  intéressantes.  Merci  à  ma  chère 
Sœur  Thibodeau  et  à  ses  chères  collègues  pour  la  fatigue 
•  qu'elles  se  donnent  pour  les  imprimer.    Que  ne  nous  est-il 


—  275  — 

donné  de  continuer  à  parler  de  nos  joies  I  Hélas  !  la  list^ 
n'en  est  pas  longue  ;  aussi  nous  fauUl  passer  bien  vite  ai]& 
contraire. 

Notre  première  épreuve  a  commencé  cette  année  par 
la  ntialadie  du  Rév.  Père  Légeard  qui  arrivait  à  l'infir- 
merie le  13  mars,  pour  n'en  sertir  que  le  17  juillet.  Ma  Soeur 
Marguerite  Marie  et  moi  ayant  tant  de  besogne  déjà,  il  fal- 
lait de  surplus  soigner  ce  cher  malade,  nos  Sœurs  Langelier 
et  Gauthier  étant  toujours  à  la  classe.  Notre  position  n'était 
pas  des  plus  agréables,  surtout  avec  la  perspective  du  pro- 
chain départ  de  ma  Sœur  Gauthier,  qui  nous  laissa  le  6  mai. 
Cette  chère  Sœur  se  -berçait  de  l'espoir  que  les  lettres  lui 
permettraient  de  rester,  pour  nous  aider,  jusqu'à  l'arrivée  de 
notre  chère  Sœur  Supérieure.  Quand  enfin  ces  messives  si 
désirées  arrivèrent,  ma  Sœur  Gauthier  était  déjà  loin.  Notre 
position  était  très  embarrassante  :  ma  Sœur  Langelier  seule 
à  la  classe,  avec  ses  enfants  qui  ont  presque  tous  eu  la  picotte 
volante,  et  nous,  avec  nos  petites  forces.  Ma  Sœur  Margue- 
rite Marie  avait  presque  toujours  ses  palpitations  de  cœur 
gui  la  tenaient  dans  une  grande  faiblesse,  et  moi  j'ai  déposé 
les  armes,  le  23  juillet,  pour  caresser  mon  oreiller  pendant 
nne  semaine.  Enfin  le  23  août  nous  eûmes  le  bonheur 
d'embrasser  notre  chère  Sœur  Supérieure  et  nos  deux  cou- 
rageuses auxiliaires,  Sœurs  Nolin  et  Mercier.  Le  plaisir  de 
les  voir  rétablit  nos  santés,  sans  toutefois  nous  faire  égaler 
Samson;  tout  de  même  nous  soutenons  mieux  à  notre  besogne. 

Quelques  jours  après  l'arrivée  de  Sœur  Supérieure,  il  y  eut 
un  peu  de  changement  dans  les  ofiîces,ce  qui  nous  amusa  fort^ 
vu  que  le  Stirabout  se  mange  rarement  dans  ce  pays.  Après 
ces  distributions  nous  fêtâmes  Ste.  Rose  de  Lima,  patronne  de 
notre  chère  Sœur  Supérieure.  Nous  sommes  allées  prendre 
un  congé  dans  une  des  Iles  qui  avoisinent  la  Mission,  afin  de 
nous  dédommager  un  peu  des  privations  de  l'année.  Quelle 
ne  fut  pas  notre  surprise  en  voyant  paraître  au  pic-nic  un 
beau  gâteau  de  Savoie  en  glacis.  Ce  cadeau  fut  mis  dans  la 
caisse  de  Sœur  Nolin  à  Finsu  de  notre  chère  Sœur  Supé- 
rieure par  notre  bonne  Sœur  Ste.  Thérèse.  Jugez  de  l'émo- 
tion générale  en  voyant  cet  objet  de  luxe  et  d'un  tel  pris, 
rendu  dans  le  Nord,  où  il  n'y  a  pas  môme  de  pain. 


—  276  — 

Le  1 3  septembre  nos  élèves  entraient  en  classe  au  nombre  de 
50.  C'est  plus  que  nous  ayons  eu  encore.  Le  19,  nous  reçûimes 
une  pauvre  orpheline  montagnaise,  du  nom  de  Rosalie  ;  elle 
était  bien  malade  et  il  fallut  la  faire  administrer.  Le  24,  un 
Montagnais,  qui  perdit  sa  femme  au  printemps  dernier,  nous 
donna  son  petit  garçon  âgé  d'environ  7  ans,  nommé  Georges. 
Le  4  octobre,  nous  augmentions  encore  notre  nombre  par  la 
séception  d'une  autre  orpheline  montagnaise,  Thérèse,  et  le 
49,  celle-ci  fut«uivie  par  Marie  Suzanne  Puinée.  Cette  der- 
nière n'est  pas  orpheline,  mais  elle  appartient  à  des  parents 
indifférents  pour  leur  religion.  Nous  espérons  les  gagner 
en  les  attirant  à  la  Mission  pour  voir  leur  fille. 

Enfin,  nous  nous  sommes  vues  forcées  de  prendre  plus  d'or- 
phelins et  d'orphelinçs  cette  annéo^  parce  que  le  Boui^eois 
ayant  refusé  de  donner  des  habits  aux  Sauvages,  comme  il  en 
avait  l'habitude  tous  les  ans,  ces  pauvres  gens  faisaient  bien 
pitié,  étant  presque  nus  et  n'ayant  pas  de  poudre  pour  chasser  ; 
ils  vienùent  nous  donner  leurs  enfants,  disant,  qu'au  moins 
ceux-là  ne  mourront  pas  de  faim  pendant  l'hiver.  Nous  ne 
pouvions  pas  les  refuser.  Notre  joie  éclatait  le  22  du  même 
mais  à  l'annonce  des  lettres  arrivées. de  St  Boniface  et  de 
notre  cher  Canada.  Pourquoi  faut-il  qu'elle  soit  de  si  courte 
-  durée  ?  Hélas  !  ces  lettres  nous  apprenaient  que  la  santé  de 
notre  Vénérée  Mère  Supérieure  Générale  ne  s'améliorait  point; 
-de  plus,  la  mort  de  notre  Illustre  Cax^dinal  Protecteur  et  de 
Son  Excellence  Monseigneur  Gonroy.  On  nous  enseigne  que 
la  souffrance  purifie  l'homme.  Ayant  cette  pensée  en  vue 
nous  acceptâmes  nos  peines,  et  nous  nous  hâtâmes  d'accom- 
plir les.  souffrance  demandées  pour  ces  éminents  prélats.  Le 
10  novembre,  notre  bonne  et  si  dé^vouée  Marcelliue  tombait 
gravement  malade,  à  la  suite  de  trop  de  fatigue.  Le  13,  la 
mort  enlevait  notre  petite  sourde-muette,  aveugle,  sœur  de 
la  petite  Marie  Thérèse  que  ma  Sœur  Supérieure  a  laissée 
chez  les  Bonnes  Sœurs  de  la  Providence.  Cette  malheureuse 
enfant  paraissait  n]avoir  pas  plus  d'intelligence  qu'un  petit 
animal.  Il  fallait  la  surveiller  constamment  car  elle  était 
rendue  au  point  de  manger  ses  excréments.  Ce  môme  jour 
«st  morte  à  la  Mission,  une  bonne  Sauvagesse  Crise.  Nous 
l'assistions  et  elle  nous  témoignait  un  grand  désir  d'être 


—  277  — 

^nteiTée  près  de  notre  regrettée  Sœur  Dandurand.  "  Je  Tai- 
mais  tant,  *'  nous  disait  la  mourante,  ''  que  je  voudrais  dor- 
mir à  côté  d'elle.  ''  Ses  désirs  ont  été  accomplis.  La  môme 
fosse  a  regu  les  restes  de  la  Sœur,  et  de  la  Sauvagesse.  Lie 
14,  nous  entrions  en  Retraite,  laissant  notre  chère  Sœujr 
Supérieure  qui  se  proposait  de  remplacer  les  priantes,  et 
Sœur  l^iercier  qui  l'assistait,  en  ayant  soin  des  classes.  Nos 
prières  étaient  sans  doute  bien  efficaces  puisqu'à  peine  étions* 
nous  en  Retraite  la  fièvre  scarlatine  s'est  déclarée  parmi  les 
pensionnaires.  Le  19,  deux  d'entre  elles  tombèrent  malades, 
avec  des  symptômes  alarmants.  Nos  53  élèves  y  ont  passé. 
Deux  du  nombre  ont  été  menacées  de  la  mort,  mais  grâce  à 
Dieu  elles  se*  sont  rétablies.  Pendant  la  maladie  nous  fîmes 
avertir  les  parents  que  s'ils  désiraient  retirer  leurs  enfants  à 
cause  de  la  contagion,  ils  étaient  à  même.  Il  y  en  eut  une 
quinzaine  qui  rentrèrent  au  sein  de  la  famille.  Parmi  ceux 
qui  sont  allées  chez  leurs  parents  plusieurs  ont  été  très  ma- 
lades. Une  petite  fille  de  10  ans  est  morte  le  19  décembre, 
ayant  eu  la  grâce  de  faire  sa  première  communion  deux 
jours  auparavant.  Sa  mort  afflige  grandement  ses  parents 
qui  n'avaient  qu'elle  de  fille.  Elle  a  huit  frères  dont  l'un 
d'eux  suivit  sa  sœur  de  près  dans  la  tombe.  Gomme  notre 
bonne  Marcelline  ne  se  rétablissait  que  difiicilement,  notre 
€hère  Sœur  Supérieure  jugea  nécessaire  de  lui  ôter  le  soin 
de  la  cuisine.  Donc  une  besogne  de  plus  pour  ma  chère 
Sœur  Nolin.  Cinq  jours  après  Marcelline  retombait  plus 
malade  qu'auparavant  étant  prise  des  fièvres.  Enfin  elle 
reprit  encore  le  dessus  mais  jusqu'à  Noël  elle  resta  d'une 
grande  faiblesse.  Le  1  décembre,  nous  apprîmes  la  mort  du 
père  d'une  de  nos  élèves,  et  ce  môme  jour  nous  adoptions  sa 
petite  Virginie,  (déjà  sous  nos  soins)  comme  orpheline  I  Son 
petit  frère  nous  vint  aussi  comme  orphelin  quelques  jours 
plus  tard.  Nous  eûmes  la  visite  du  bon  petit  Jésus  la  veille 
de  Noël,  sous  la  forme  d'une  pauvre  orpheline  montagnaise 
âgée  de  2J.  Sa  mère,  une  pauvre  veuve  qui  était  atteinte  du 
charbon  blanc,  fut  trouvée  morte  dans  sa  loge,  entourée  de 
ses  trois  petits  enfants  qui  pleuraient  et  l'appelaient  à  grands 
^ris,  ne  sachant  pas  pourquoi  elle  ne  répondait  pas.  C'est 
la  plus  jeune  de  la  famille  que  nous  avons  reçue. 


—  278  — 

Voici,ma  bonne  Mère,  bien  des  détails  que  je  me  suis  faituo 
plaisir  de  vous  communiquer,  sachant  d'avance  l'intérêl  que- 
vous  y  porterez  ;  puis  espérant,  de  votre  part,  et  de  celle  de  vo5> 
chères  Sœurs,  beaucoup  de  prières,  pour  nous  aider  à  soute- 
nir la  bonne  cause,  et  à  marcher,  toujours,  sur  les  traces  de 
notre  Vénérée  Mère  d'Youville. 

Agréez,  ma  bien  chère  Mère,  l'expression  de  respect  et 
d'amour  dont  s'honore, 


Votre  pauvre  enfant  en  J.  C, 


Soeur  Sbnav. 
Sœur  de  ia  Charité- 


% 


OREGON. 

*£tat  de  l'Eglise  catholique,  quaiunte  ans  après  sok 
établissement,  sur  la  cote  du  pacifique. 


La  grande  mission  calholique  d'Orégon  doit  son  origine 
aux  faits  suivants.  Les  voyageurs  Canadiens,  et  les  trafi- 
quants du  Canada  pénétrèrent  en  grand  nombre,  de  bonne 
heure  dans  ce  pays,  avec  les  expéditions  de  Lewis  et  de  Clark, 
en  1B05  ;  de  Jacob  Astor  par  terre  et  par  mer,  en  1810  ;  du 
Capitaine  Hunt,  en  1811.  Ils  furent  aussi  employés  en  grand 
nombre,  par  les  compagnies  du  Nord-Ouest  et  de  la  Baie 
d'Hudson,  comme  chasseurs  ou  trafiquants  parmi  les  Sau- 
vages, à  leurs  différents  forts  et  postes,  à  Touest  des  Mon- 
tagnes Rocheuses. 

Ces  hardis  pionniers  menèrent  une  vie  errante,  mais 
demeurèrent  fidèles  à  leur  éducation  première,  au  milieu 
des  scènes  de  cette  vie  sauvage,  par  lesquelles  il  leur  fallait 
passer.  Ils  n'oublièrent  jamais  leur  foi,  surtout  dans  les 
occasions  du  danger,  et.  c'est  alors  qu'ils  se  recommandaient 
à  la  protection  de  Dieu.  Ce  fut  de  cette  manière  que  les 
Sauvages,  qui  les  entouraient,  reçurent  la  première  connais- 
sance du  Dieu  des  Blancs  ;  et  que,  longtemps  mâme  avant 
-d'être  visités  par  des  prêtres,  ils  entendirent  parler  des  Robes 
3foires.   Par  conséquent,  c'est  aux  Canadiens,  et  aux  Iroquois 


—  280  — 

qui  les  accampagnaient  souvent,  que  revient  Thooneur 
d'avoir  ouvert  le  chemin  aux  Missionnaires  catholiques  dans 
rOrégon. 

Les  familles  catholiques  dispersées  sur  ce  territoire,  ayant 
à  plusieurs  reprises  demandé  le  secours  d'un  prêtre.  Monsei- 
gneur Joseph  Signai,  alors  archevêque  de  Québec,  leur  en- 
voya les  MM.  F.  Norbert  Blanchet  et  Modeste  Demers,  le 
premier  avec  la  dignité  de  Vicaire-Général.  Ces  courageux 
hérauts  de  la  foi,  quittèrent  Lachine,  en  Canada,  le  3  mai 
1838,  et  s'embarquèrent  sur  de  légers  canots  d'écorce  pour 
leur  lointaine  mission.  Leur  voyage  fut  long  et  pénible  ; 
après  avoir  enduré  les  plus  grandes  privations  et  les  plus 
dures  fatigues,  ils  arrivèrent  au  Fort  Vancouver  le  24  novem- 
bre de  la  même  année. 

Le  Vicariat  Apostolique  d'Orégon  fut  érigé  en  province 
ecclésiastique  le  24  juillet  1846,  avec  trois  sièges  suffragants, 
celui  d'Oregon  City,  de  Walla  Walla  (actuellement  Wallula^ 
et  de  rile  Vancouver.  Le  Très  Révérend  Vicaire  Apostoli- 
que F.  N.  Blanchet  fut  nommé  au  siège  d'Oregon  City  ;  le 
Révérend  A.  M.  Blanchet,  à  celui  de  Walla  Walla,  et  le 
Rév.  M.  Demers  à  celui  de  l'Ile  Vancouver. 

Le  28  juillet  1871,  Monseigneur  M.  Demers  fut  appelé  à  sa 
récompense,  après  vingt-cînq  années  du  plus  pénible  épisco- 
pat.  Kos  Seigneurs  F.  N.  Blanchet  et  A.  M.  Blanchet, 
parvenus  à  un  âge  octogénaire  peuvent,  contempler  avec 
gloire  les  fruits  de  leur  long  et  laborieux  épiscopat.  Le  Saint 
-Siège  leur  a  doQué  dernièrement,  à  chacun,  un  Coadjuteur^ 
dans  la  personne  des  RR.  A.  Junger  et  C.  L.  Seghers. 

Nous  donnons  ici  la  lettre  de  Sa  Grandeur  Monseigneur 
l'Archevêque  F.  N.  Blanchet,  adressée  au  CathoOc  Seniimlie 
Portland  (Orégon),  annonçant  la  visite  Pastoi^ale  de  Mgr 
Sieghers. 


—  281  — . 

^Esquisse  sur  l^ établissement  des  Missions  Catholiques  parmi 
les  tribus  Indiennes  du  Nord-Ouest,  —  Sitccès  des  Catho* 
tiques,  insuccès  des  Protestants  à  civiliser  les  Sauvages.  — 
Précieuse  contribution  historique, 

Portland,  Oregon,  21  juillet  1879. 

A  M.  l'EdUeur  du  Catholic  SentineL 

Mon  cher  Monsieur» 

Comme  le  Vicariat  Apostolique  d'Idaho  (lequel  renferme 
aussi,  cette  partie  du  Territoire  de  Moatana,  située  à  rOuest> 
des  Montagnes  Rocheuses)  est  sous  l'administration  de  TAr- 
cixevèque  Blanchet,  depuis  que  son  Vicaire  Apostolique  a 
donné  sa  résignation,  le  16  Juillet  1876  ;  et  comme  le  Coad* 
juteur  de  TArcheTêque  Blanchet,  doit  visiter  cette  partie  en 
premier  lieu,  je  vous  envoie^pour  être  insérés  dans  les  colonnes 
de  votre  journal,  les  faits  historiques  suivants,  relatifs  à 
rétablissement  des  Missions  Catholiques  dans  cette  région. 

Les  Missions  qui  doivent  être  visitées  sont  celles  du  Nord. 
de  ridaho  et  du  Montana,  et  celles  du  Sud  de  Tldaho,  dans 
Tordre  ci-aprës  indiqué.  Le  Vicariat  renferme  quatre  Mis- 
sions Indiennes,  qui  sont  encore  sous  les  soins  des  RR.  Pères 
Jésuites  leurs  premiers  fondateurs,  et  sept  autres  pour  les 
blancs.  Les  Missions  Indiennes  conservent  encore  les  noms 
donnés  aux  -  tribus  par  les  Canadiens-Français  employés 
comme  voyageurs  dans  les  premières  expéditions  faites  sur 
cette  côte,  et  comme  trafiquants  parmi  les  Indiens,  par  les 
compagnies  du  Nord-Ouest  et  de  la  Baie  d'Hudson. 

Voici  le  nom  des  Missions  du  Nord  de  Tldaho  :  ce  sont, 
les  Nez-Percés  et  les  Cceurs  d'Alênes.  Celles  du  Montana  sont, 
les  Pendants  d'Oreille  de  St.  Ignace,  auxquels  par  abréviation, 
on  donne  le  soubriquet  de  Pend'  d'Oreille,  écrivant  non 
point  Pen,  mais  Pend,  et  retranchant  la  dernière  syllabe  de 
Pendant.  L'autre  tribu  est  celle  des  Tètes  Plates  de  la  Mis- 
sion de  Ste.  Marie. 

Dans  Tordre  de  la  conversion  à  la  Foi,  les  Tètes  Plates 
viennent  en  première  ligne,  et  la  n>anière  dont  ils  sont  deve- 


—  282  — 

nus  Catholiques  est  digne  d'être  conservée  dans  les  archives 
de  rhistoire.    En  Tannée  1812,  vingt-quatre  Indiens  Iroquois 
catholiques,  du  Canada,  désertèrent  une  expédition  organisée 
par  le  capitaine  Hunt,  en  1811,  et  prirent  refuge  parmi  la 
nation  des  Têtes  Plates,  où  ils  se  marièrent  et  eurent  de 
nombreuses  familles.    Dans  les  relations  qu'ils  eurent  entre 
eux,  les  Iroquois,  naturellement,  parlèrent  aux  Tètes  Plates  de 
leur  religion,  de  leurd  prêtres,  de  leurs  cérémonies,  de  leurs 
églises  et  de  leurs  fêtes.  Cette  information  excita  dans  le  cœur 
des  Têtes  Plates  le  désir  d'en  connaître  davantage  sur  la  Reli- 
gion chrétienne  ;  en  conséquence,  ils  envoyèrent,  en  Tannée 
1830,  une  députation  à  St  Louis,  dans  le  BCissouri,  afin 
d'obtenir  que  des  Missionnaires  vinssent  leur  enseigner  les 
vérités  du  christianisme.    La  délégation  arriva  heureuse- 
ment au  terme  de  son  voyage,  mais  peu  de  temps  après  leur 
arrivée,  ses  membres  tombèrent  malades,  ils  s'empressèrent 
de  demander  le  secours  du  prêtre,  ils  se  firent  baptiser  et 
expirèrent  en  baisant  le  crucifix.    Deux  ans  plus  tarây  le& 
Indiens  envoyèrent  un  Iroquois,  chercher  les  Robn-Noires, 
Il  arriva  heureusement  à  St.  Louis,  fit  baptiser  ses  enfants, 
et  s'en  retournait,  apportant  de  bonnes  nouvelles,  quand 
tombant  au  milieu  d'un  parti  de  Sioux,  qu'il  rencontra  sur 
sa  route,  il  fut  massacré.    L^e  troisième  délégation  de  deux 
Iroquois,  fut  envoyée  en    1839  ;    elle    se    rendit  jusqu'à 
St  Louis  ;  et  à  l'automne  de  la  même  année,  elle  quitta  cette 
Tille,  le  cœur  rempli,  cette  fois,  de  l'espérance  que  quelques 
Missionnaires  Catholiques  les  visiteraient  Tannée  suivante. 
Cette  espérance  se  réalisa,  par  Tarrivée  au  milieu  d'eux  tn 
1840,  du  Père  P.  J.  De  Smet,  S.  J.,  qui  établit  la  Mission  de 
Ste.  Marie  pour  les  Têtes  Plates,  en  1841.    L'Evêque  Rosati 
de  St.  Louis,  Missouri,  raconte  que  beaucoup  de  missionnai- 
xes  Protestants,  qui  avaient  quitté  les  Etats  de  l'Est,  avec 
grand  brvit,  désiraient  ardemment  s'étatblir  au  milieu  des 
Têtes  Plates^  mais,  que  le«  Iroquois  avertirent  leurs  frères 
Indiens,  que  ^^  ces  hommes  n'étaient  pas  les  prêtres  dont  ils 
^^  leur  avaient  parlé.    Ils  n'étaient  pas  les  prêtres  portant  ia. 
''  longue  robe  noire^  n'ayant  pas  de  femme,  disant  la  messe^ 
*'  et  portant  le  crucifix  sur  leur  poitrine.  " 
La  Mission  de  St.  Ignace,  chez  les  Indiens  Pend'  d'Oreille 


—  283  — 

Sat  établie  en  1842.  Elle  possède  un  pensionnat  et  un  exter- 
nat pour  les  Sauvages,  fondés  il  y  a  déjà  plusieurs  années, 
*  et  cooduits  actuellement  par  cinq  Sœurs  de  la  Providence, 
venant  de  Montréal.  La  Mission  des  Cœurs  d' Alênes  fut 
fondée  en  1843,  elle  possède,  elle  aussi  des  écoles  pour  Tédu- 
'<>ation  des  enfants  sauvages,  sous  les  soins  de  trois  Sœurs  de 
la  Providence  venant  de  Vancouver  ;  enfin  la  Mission  des 
Nez'Percés  fut  établie  seulement  en  1875. 

Les  Sauvages  Cœurs  d' Alênes j  sont  très  méchants  ;  leur  nom 
«onvieat  très  bien  à  leur  caractère  ;  cependant  la  Religion 
catholique,  la  vraie  civihsatrice  des  nations  païennes,  a  fait 
«a  peu  le  temps,  de  ces  loups  cruels,  des  agneaux  pacifiques. 
Bien  différent,  fut  le  résultat  obtenu  chez  les  Nez  Percés  de 
Lapwai,  et  chez  les  Cayuses  de  Wailatpu,  sous  la  direction 
des  prédicants  protestants.    Le  ministre  presbytérien  Spaul- 
ding,  se  fixa  chez  les  Nez  Percés,  en  1836  ;  le  Dr.  Whitman, 
aussi  ministre  presbytérien,  commença,  durant  la  même 
année,  une  vaste  mission  chez  les  Gayuses,  à  un  mille  de 
distance  du  vieux  fort  de  Walla  Walla,  sur  le  Territoire  de 
Washington.    Mais  les  travaux  de  chacun    de  ces   deux 
apôtres  de  l'erreur,  furent  presqu'entièrement  sans  succès,  si 
Ton  peut  en  juger  par  le  fait,  qu'après  onze  ans  de  travaux 
assidus  au  milieu  d'eux,  depuis  1836  jusqu'à  1847,  le  Dr. 
Whitman,  fut  massacré  par  ses  néophytes,  et  que  M.  Spaul- 
ding,  aurait  partagé  le  même  sort,  sil  n'eut  pas  été  arraché  de 
leurs  mains  par  P.  S.  Ogden,  agent  en  chef  de  la  Compagnie 
de  la  Baie  d'Hudson,  en  Janvier  1848.  M.  Spaulding  retourna 
chez  les  Nez  Percés  tn  1862,  et  y  demeura  jusqu'en  1877, 
(quinze  ans)  sans  meilleur  succès,  n'ayant  pas  assez  d'in- 
fluence sur  eux,  pour  les  empêcher  de  se  joindre  au  chef 
Joseph,  dans  la  guerre  qu'il  avait  déclarée  aux  blancs  en  1877. 
La  Mission  des  Sauvages  ^'  Cœurs  d'Alênes^  "  se  trouvait  envi- 
ron quatre  vingt  milles  au  Nord  de  celles  des  Nez  Percés  ; 
ces  derniers  avaient  souvent  entendu  parler  de  la  manière 
dont  les  Missionnaires  catholiques  instruisaient  et  assistaient 
les  Sauvages,  chez  qui  ils  se  trouvaient.    Un  grand  nombre 
d'entre  eux  embrassèrent' donc  la  foi  catholique,  et  le  nom- 
bre de  ces  derniers  augmentant,  ils  demandèrent  qu'un 
prêtre  vint  résider  au  milieu  d'eux,  afin  qu'ils  pussent  rece- 


—  M4  — 

voir  la  ccrnsolation  des  Sacrements.  Le  Père  Gaiaido,  S.  T^ 
accéda  à  leur  demande  et  ûxa  sa  résidence  au  milieu  d'eux 
en  1875.  Avec  Taide  des  généreux  citoyens  de  Lewiscon, 
dans  ridaho,  il  put  bâtir  une  église  et  fonder  une  école.  Les 
bons  effets  produits  par  la  fondation  de  ces  étabftssements  ne 
tardèrent  pas  à  se  faire  sentir,  car  en  1877,  on  reconnut 
que  pas  un  seul  hidien  catholique  de  ces  Missions  fut  hostile 
aux  blancs  ;  mais,  qu'au  contraire  les  Nez  Percés  et  les 
Cœurs  d'Alênes  donnèrent  des  preuves  évidentes  de  leur 
fidélité  aux  enseignements  catholiques,  en  usant  de  toute 
leur  influence  auprès  des  autres  tribus  Sauvages,  pour  les 
empêcher  de  se  jeter  dans  les  rangs  hostiles,  et  aidèrent  les 
soldats  en  leur  servant  d'éclaireurs,  et  faisaot  tout  en  leur 
pouvoir  pour  amener  la  guerre  à  une  fin. 

MISSIONS  POUR  LBS  BLANCS. 

Des  diffêrentes  Missions  fondées  pour  les  blancs,  deux  se 
trouvent  dans  le  Montana,  et  les  cinq  autres  dans  le  Sud  de 
ridaho,  appelé  par  les  anciens  trafiquants  canadiens  Boise. 
Ce  nom  fut  donné  à  Tancien  Fort  Boise^  à  cause  de  la  grande 
quantité  de  bois  qui  se  trouvait  dans  le  voisinage  immédiat 
.  ''  Missoula  City,  "  dans  le  Montana,  est  une  migsion  ^bs- 
servie  par  un  Père  Jésuite.  Il  y  a  là  un  pensionnat  et  un 
externat,  aussi  un  hôpital,  sous  les  soins  de  six  Soeurs  de  la 
Providence,  de  Montréal. 

^^  Deer  Lodge  City,''  aussi  dans  le  Montana,  est  desservie 
par  un  prêtre  séculier,  le  Rév.  JR..  De  RyGheTe,.qui  fut  envoyé 
à  ce  poste,  en  1867,  par  TEvôque  de  Nesqualy.  En  1873,  le 
Père. De  Rychere  csiistruisit  un  hôpital,  qui  fut  ouvert  au 
.public  dans  le  mois  d'octobre  suivant,  sous,  la  direction  de 
cinq  SiDBurs  de  Charité,  venues  de  la  Maison-Mère,  à  Levea- 
:worth,  dans  le  Kansas.  H  acheva  aussi,  en  1871,  au  coôtde 
t4,000,  une  église  en  pierre,  mesurant  26  sur  60  pieds,  avec 
un  presbytère  situé  en  arrière.  Cette  mission  comprend  on 
circuit  de  soixante  milles 

La  découverte  de  l'or,  dans  la  vallée  de  Boise,  en  Idaho, 
dans  l'année  1861-62,  attira  à  cet  endroit  une  nombreuse 
émigration.    L'Archevêque  Blanchetj  voyant  cela,  nomma 


—  285  — 

Tannée  suivante  les  RR.  A.  T.  Poulin  et  T.  Mesplie  pour 
aller  donner  les  secours  spirituels  aux  catholiques  qur 
86  trouvaient  à  travailler  dans  les  mines.  Trois  églises 
furent  bâties  en  1863,  la  première  à  *'  Idaho  City,  "  fut  bénie 
le  15  de  Novembre,  la  seconde  à  Placerville,  le  20  de  Décem- 
bre, et  la  troifiiëme  à  Centreville  le  jour  de  Noël. 

Dans  le  cours  des  années  suivantes,  des  églises  plus  gran- 
des furent  bâties  à  Granité  Creek,  Silver  City  et  Boise  City. 
Le  13  de  Décembre  1867,  trois  Sœurs  du  Saint  Nom  de  Jésus, 
quittèrent  leur  Maison-Mère  en  cette  ville,  pour  Idaho  City, 
aûn  d'y  ouvrir  un  pensionnat  et  un  externat.  Mais  elles  n'y 
demeurèrent  que  deux  ans,  et  furent  forcées  d'abandonner 
leur  entreprise,  la  population  n'étant  pas  assez  fixe. 

VICARIAT  APOSTOLIQUE  d'iDAHO. 

Conformément  aux  recommandations  du  second  Concile 
Plenier  de  Baltimore  en  1868,  les  parties  est  du  Diocèse 
d'Oregon  City  et  de  Nesqualy  furent  érigées  en  Vicariat 
Apostolique  d'Idaho,  le  3  Mars  1868,  avec  le  Très-Ré v.  Louis 
LootenSjde  Californie,  pour  Vicaire  Apostolique.  Consacré  par 
Sa  Grandeur  l'Archevêque  de  San  Francisco,  au  mois  d'août 
1869,  il  prit  possession  de  son  Vicariat  de  bonne  heure  en 
1869.  Plus  tard  l'Evêque  Lootens  donna  sa  résignation  qui 
fut  acceptée  par  le  Saint-Siège  le  16  Juillet  1876. 

Les  Missions  dans  lé  Sud  de  lldaho  sont  maintenant  des- 
servies par  deux  prêtres  séculiers,  les  RR.  J.  A.  Archam- 
bault  et  Joseph  Pickl.  Prêtres  et  fidèles  dans  l'Idaho  dési- 
rent depuis  longtemps  recevoir  la  visite  Episcopale  de 
FAnchevêque  Coadjuteur.  Il  sera  peut-être  intéressant  pour 
les  Catholiques  de  connaître  l'itinéraire  de  la  visite  de  l'Ar- 
chevêque Seghers.  Je  prends  la  liberté  de  vous  l'envoyer 
avec  ma  lettre. 

ITINÉRAIRE. 

.  L  De  Portland  à  Lewiston  dans  l'Idaho,  un  mille  de  la 
Mission  catholique  des  Nez  Percés, — 401  milles  par  bateau  à 
vapeur,  en  trois  jours,  deux  jours  sur  la  Rivière  Colombie  et 
une  journée  sur  la  Rivière  au  Serpent.  II.  De  Lewiston  à 
Pine  Creek,  la  nouvelle  Mission  où  les  Cœurs  d'Alênes  oni 


—  286  — 

été  transportés  il  7  a  quelques  années,  60  milles  à  cheval,  ea 
deux  jours.  III.  Suivant  à  TEst,  à  la  Mission  de  St.  Ignace, 
jchez  les  Pend'(i*OreiIle&)  250  milles  à  travers  des  chemins 
montueux,  rendus  difficiles  par  robstruction  d'arbres  renver- 
sés ;  temps,  six  ou  huit  jours,  à  cheval.  IV.  De  là,  dans  la 
direction  Sud,  à  la  Mission  de  Ste.  Marie  chez  les  Tètes  Pla- 
tes, 75  milles,  à  cheval,  en  deux  ou  trois  jours,  (Missoula 
City  est  à  mi-chemin  entre  ces  deux  places).  V.  De  Ste. 
Marie  à  Deer  Lodge,  120  milles,  à  cheval,  ou  en  diligence 
depuis  Missoula.  YI.  De  Deer  Lodge  à  Ogden,  475  milles, 
par  diligence.  VIL  De  Ogden  à  Kelton,  70  milles,  par  che- 
min de  fer  en  trois  heures.  VIIL  De  Kelton  à  Boise  City, 
300  milles,  en  diligence.  IX.  De  là,  dans  la  direction  nord- 
ouest,  à  Baker  City,  la  Mission  la  plus  éloignée  à  l'est  de 
TArchidiocèse,  (350  millee  de  Portland)  par  diligence  en 
deux  jours.  X.  A  Canyon  City,  90  milles  en  diligence. 
XL  De  là,  à  Jacksonville,  par  diligence.  XII.  De  Jackson- 
ville  à  Portland,  visitant  en  passant  les  Missions  intermédiai- 
res, à  Roseburgh,  La  Côte,  Gardiner  City,  CorvaUis,  Salem, 
Gervais,  St.  Louis,  St.  Paul  et  Oregon  City. 

Le  temps  nécessaire  pour  accomplir  cette  visite  Episcopale, 
sera  d'environ  trois  mois.  Prions  tous  pour  que  l'Archevê- 
que Seghers  fasse  un  voyage  heureux  et  prospère  A  son 
retour  il  visitera  les  agences  du  Grand  Rond,  de  McMinville, 
dornelius,  Astoria,  Dalles  et  Umatilla. 

Votre  très  humble  serviteur  en  J.  Ç., 

F.  N.  B. 


Statistiques  dbs  Diocèses  et  Vicariats  apostoliques  de  la 
PROVINCE  ecclésiastique  d'Oregon  City  en  1878. 

L'archidiocèse  d'Oregon  City,  établi  le  24  juillet  1846, 
comprend  l'Etat  d'Oregon,  depuis  l'Océan  Pacifique  jusqu'à 
la  rivière  au  Serpent,  entre  le  42o  et  le  46o  de  latitude.  H 
possède  23  prêtres,  22  églises,  68  sœurs,  9  académies  pour 
âUes,  im  collège  pour  garçons,  4  écoles  paroissiales  pour 
garçons,  2  écoles  paroissiales  pour  filles,  un  orpheUnat  pour 
les  petites  filles  et  un  hôpital.    On  compte  trois  sociétée  da 


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bienfaisance  :  celle  de  St.  Vincent  de  Paul,  du  Rév.  Père 
Matthieu  et  celle  de  St.  Joseph  pour  les  Allemands.  La  popu- 
lation catholique  est  estimée  à  20,000  âmes.  Incluses  dans 
l'Archidiocëse  se  trouvent  les  deux  réserves  indiennes  du 
Grand  Rond  et  d'Umatilla  ;  la  première  a  une  école  tenue 
par  des  Sœurs  des  SS.  Noms  de  Jésus  Marie,  avec  un  pen- 
sionnat ;  la  seconde  a  aussi  une  école  tenue  par  le  prêtre 
missionnaire  de  la  réserve. 

Le  Diocèse  de  Nesqualy  fut  érigé  le  31  mai  1850.  Il  com- 
prend tout  le  Territoire  de  Washington,  possède  10  prêtre» 
séculiers  et  5  réguliers  ;  23  églises  et  chapelles  ;  17  stations  ; 
55  sœurs  et  4  novices  ;  2  collèges  ;  5  maisons  d'éducation 
pour  garçons  et  filles  ;  5  institutions  de  charité.  La  popula* 
lion  catholique  est  de  10  à  12,000.  Dans  les  limites  de  ce 
Diocèse  se  trouvent  les  réserves  indiennes  de  Tulalip,  Yoki- 
ma  et  Colville  ;  la  première  et  la  dernière  de  ces  réserves 
ont  des  écoles  dirigées  par  des  Sœurs  ;  Yokima  et  Colville 
sont  desservies  par  les  RR.  Pères  Jésuites. 

Le  Diocèse  de  l'Ile  Vancouver,  érigé  le  24  juillet  1846, 
possède  11  prêtres  séculiers,  23  sœurs  de  Ste.  Anne,  un  hôpi 
tal,  3  académies  pour  ûUes,  un  collège  et  d'autres  écoles  pour 
les  garçons.  Il  renferme  aussi  plusieurs  Missions  indienne» 
régulièrement  desservies  par  des  prêtres.  Sa  population 
catholique  blanche  est  estimée  à  4,500  âmes. 

Le  Vicariat  Apostolique  de  la  Colombie  Britansique,  érigé 
le  14  décembre  1863,  comprend  la  terre  ferme  et  est  borné* 
au  sud  par  le  49^  :  à  l'est  par  la  chaîne  des  Montagnes  Ro- 
cheuses ;  au  nord  par  la  Rivière  Simpson  et  la  branche  Fin- 
lay  de  la  Rivière  de  la  Paix  ;  à  l'ouest  par  l'Océan  Pacifique  ; 
râe  de  la  Reine  Charlotte  et  plusieurs  autres  îles  adjacentes) 
sont  aussi  comprises  dans  ce  Vicariat.  Il  possède  15  prêtres 
réguliers,  appartenant  tous  à  l'ordre  dts  Oblals  de  M.  I,  {5 
églises,  63  chapelles,  10  sœurs  de  Ste.  Anne,  3  couvents,  & 
écoles  pour  les  blanc»  et  3  pour  le«  sauvages.  Il  n'y  a  que 
quelques  milles  catholiques  blancs  ;  la  population  catholiqme 
indienne  est  estimée  à  20,000,  baptisés,  ou  se  préparant  à 
l'être. 

Le  Vicariat  Apostolique  d'Idaho,  établi  le  3  mars  1868^ 
comprend  le  Territoire  d'Idaho,  et  cette  partie  du  Territoire 


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du  Montana  situé  à  Fou^stdee  Montagnes  Rocheuses.  H  pos- 
sède 10  prêtres  réguliers  et  3  séculiers,  14  églises  et  chapel- 
les, 14  sœurs,  3  couvents,  2  hôpitaux  et  3  écoles.  Il  renfenne 
quatre  missions  sauvages  desservies  par  des  RR.  Pères  Jésui- 
tes, savoir  :  dans  le  Montana,  Ste.  Marie  pour  les  Tétes-Plates, 
fondée  en  1 840  par  le  Père  De  Smet,  et  St,  Ignace,  fondée  en 
1842  ;  dans  Tldaho,  la  mission  des  CkBurs-d'Alènes,  fondée 
«n  1843,  et  celle  des  Nez  Percés,  en  1875.  Celles  de  St  Ignace 
et  des  Cœurs  d'Alênes  ont  des  Sœurs.  La  population  catho- 
lique blanche  dldaho  et  du  Montana  est  d'environ  3,000, 
celle  des  Sauvages  de  2,650. 

Si  après  quarante  années  de  travaux  apostoliques  non 
interrompus  dans  le  "  Far  West,  "  Monseigneur  TArchevê- 
^ue  F.  N.  Blanchet,  courbé  sous  le  poids  de  ses  quatre-vingt 
ans,  jette  un  regard  dans  le  passé,  il  verra  avec  plaisir  et 
consolation  le  progrès  immense  que  sa  Mission  a  fait  depuis 
Tannée  1838.  Alors  ce  n'était  pour  ainsi  dire  qu'un  petit 
grain  (le  sénevé,  mais  à  peine  eut-il  été  déposé  dans  la  terre 
xju'il  leva  vigoureusement  et  grandit  au  point  de  devenir  un 
grand  arbre,  qui  maintenant  étend  ses  branches  au  loin  et  au 
large.  D'abord  c'est  une  humble  mission  ;  cinq  années  plus 
tard  elle  est  érigée  en  Vicariat  Apostolique  ;  elle  devient  une 
Province  Ecclésiastique  en  1846,  et  s'accroît  de  nouveau  pst 
l'érection  de  deux  Vicariats  apostoliques  ;  celui  de  la  Colom- 
bie Britannique  en  1863,  et  celui  d'Idaho  en  1868;  tellement 
que  là  où,  en  1838,  on  ne  trouvait  que  deux  prêtres  dans  tout 
le  territoire,  maintenant,  après  quarante  ans,  en  1878,  on 
compte  1  archevêque,  4  évèques,  80  prêtres,  115  églises  et 
chapelles,  4  collèges  pour  garçons,  176  sœuts  de  quatre  ordres 
différents,  y  compris  les  Soeurs  de  la  Miséricorde  d'Omahà 
et  de  Deer  Lodge,  20  académies  pour  filles,  6  hôpitaux,  4 
orphelinats  et  un  grand  nombre  d'autres  écoles  moins  consi- 
dérables pour  garçons  et  filles.  Tel  est  le  pn^rès  étonnant 
que  l'Eglise  et  le  royaume  du  Christ  ont  fait  en  Orégon  dans 
le  cours  espace  de  quarante  ans.  Ces  faits  glorieux  parlent 
avec  une  éloquence  plus  convaincante  que  ne  pouvaient  le 
faire  les  plus  beaux  mouvements  oratoires.    Ils  forment  une 

page  illustre  dans  l'histoire  de  TEglise  catholique  en  Anaéri- 
que.